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French Pages [592]
Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament · 2. Reihe Herausgeber / Editor Jörg Frey (Zürich)
Mitherausgeber/Associate Editors Markus Bockmuehl (Oxford) ∙ James A. Kelhoffer (Uppsala) Tobias Nicklas (Regensburg) ∙ Janet Spittler (Charlottesville, VA) J. Ross Wagner (Durham, NC)
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Luca Marulli
La reconfiguration épistémique du lecteur de Marc Perspectives synchroniques et diachroniques sur le récit du démoniaque de Gérasa (Mc 5.1 – 20) mis en résonance avec les jeunes hommes de 14.51 – 52 et 16.1 – 8
Mohr Siebeck
Luca Marulli, Né en 1976; 2020 docteur de l’université de Strasbourg; actuellement professeur de Nouveau Testament à la Faculté adventiste de Théologie, Collongessous-Salève, France; chercheur associé au Groupe de recherches intertestamentaires de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg. orcid.org/0000-0002-0295-7805
Publié avec le concours de l’Université de Strasbourg.
ISBN 978-3-16-160796-7 / eISBN 978-3-16-160797-4 DOI 10.1628/978-3-16-160797-4 ISSN 0340-9570 / eISSN 2568-7484 (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 2. Reihe) La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.dnb.de. © 2022 Mohr Siebeck, Tübingen, Allemagne. www.mohrsiebeck.com Toutes reproductions, traductions ou adaptations d‘un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, notamment par photocopie, microfilm ou mémorisation et traitement dans un système électronique réservées pour tous pays. Imprimerie Laupp & Göbel, Gomaringen; relieur Nädele, Nehren. Imprimé en Allemagne.
À mon épouse, Irène, et à Maya, notre enfant chérie
E quale è di pazzia segno più espresso Che, per altri voler, perder se stesso? Ludovico Ariosto (1474–1533), Orlando furioso, Canto XXIV, prima ottava
Préface Ce livre est la version révisée de ma thèse doctorale, soutenue en 2020 à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg. Ma reconnaissance s’adresse tout d’abord à mon directeur de thèse, Christian Grappe. Il s’est distingué par son accompagnement critique, généreux et constructif, ainsi que par son érudition et par sa rigueur académique. Travailler sous sa supervision a été un éminent privilège. Je remercie les professeurs Daniel Gerber, Élian Cuvillier et Geert Van Oyen pour leurs appréciations critiques dans le cadre de la soutenance. Je dis ma reconnaissance au professeur Jörg Frey d’avoir recommandé cette monographie pour la publication dans WUNT II. Une aide fondamentale pour la relecture finale du manuscrit a été apportée par Corinne Égasse et Ilse König. Une mécène d’exception, à savoir Franca D’Amico, ainsi que la Division intereuropéenne de l’Église adventiste du septième jour et l’administration du Campus adventiste du Salève ont soutenu financièrement mes recherches. Un chaleureux merci au Campus adventiste, au Pôle d’appui à la publication de l’Université de Strasbourg et au Chapitre de Saint-Thomas pour l’aide financière accordée en vue de la publication de ce livre. Je tiens à exprimer ma gratitude à toutes celles et à tous ceux qui, par le moyen de discussions fécondes, d’encouragements réitérés et de mise à disposition de leur expertise, ont enrichi ma réflexion et élargi ma compréhension de l’évangile de Marc et de sa portée existentielle : les familles Marulli et Bastari-D’Amico ; Émilie Balduini ; les étudiants et les collègues de la Faculté adventiste de théologie de Collonges-sous-Salève, parmi lesquels j’aimerais nommer Roland Meyer et Jean-Luc Rolland (Campus adventiste du Salève) ; Jean-Claude Verrecchia (Newbold College) ; Tony Bueno ; la famille Freund ; Isaac Oliver (Bradley University). Je sais gré à mon beau-père, le feu pasteur Daniele Bastari : allergique aux clichés et au conformisme, engagé sur le chemin le plus dépouillé, le plus simple et le plus radical de la suivance du Nazaréen, duquel il a été arraché trop tôt. Enfin, ces remerciements ne seraient pas complets sans la mention d’Irène et de Maya : leur soutien affectif et leur regard joyeux, palpitant et compréhensif m’ont convaincu qu’il était possible d’arriver jusqu’au bout. 27 août 2021
Luca Marulli
Table des matières
Préface......................................................................................................... VII
Introduction ............................................................................................... 1 L’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) .............................................................. 1 Les postulats sous-jacents à notre recherche ................................................. 7 À propos de la méthodologie et de la structure de ce travail ........................14
Première partie
Le récit du démoniaque de Gérasa (Mc 5.1–20) Marc 5.1–20 : le texte grec ...................................................................21 Notes de critique textuelle ............................................................................22
Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit .............................................................................................................31 1.1 Remarques préliminaires sur la critique littéraire d’un point de vue diachronique ..........................................................................................32 1.2 Des collections pré-marciennes ? ...........................................................37 1.3 Le substrat traditionnel et l’apport rédactionnel de Marc ......................39 1.3.1 De l’histoire au récit .......................................................................39 1.3.2 Relecture critique du récit marcien .................................................46 1.4 Du récit traditionnel au récit marcien ....................................................66
X
Table des matières
Chapitre 2 : Organisation du récit de Marc 5.1–20 : la séquence des tableaux .......................................................................77 2.1 Les limites du récit .................................................................................77 2.2 Lecture linéaire du récit : les tableaux ...................................................78 2.2.1 Tableau 1 : De l’autre côté (Marc 5.1) ............................................78 2.2.2 Tableau 2 : Un homme à l’esprit impur (Mc 5.2) ............................79 2.2.3 Tableau 3 : Isolement absolu (Mc 5.3–5)........................................81 2.2.4 Tableau 4 : Affrontement (Mc 5.610) ...........................................85 2.2.5 Tableau 5 : Un troupeau de cochons (Mc 5.11) ..............................96 2.2.6 Tableau 6 : La requête des démons (Mc 5.12–13a) .........................98 2.2.7 Tableau 7 : Noyade (Mc 5.13b) .................................................... 100 2.2.8 Tableau 8 : La nouvelle se répand (Mc 5.14a) .............................. 103 2.2.9 Tableau 9 : Les gens viennent pour voir (Mc 5.14b–15) ............... 104 2.2.10 Tableau 10 : Explication (Mc 5.16) ............................................ 108 2.2.11 Tableau 11 : Rejet (Mc 5.17) ...................................................... 111 2.2.12 Tableau 12 : Envoi (Mc 5.18–19) ............................................... 112 2.2.13 Tableau 13 : Proclamation et émerveillement (Mc 5.20)............. 116
Chapitre 3 : Analyse corrélative du récit de l’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) .............................................................................. 123 3.1 L’intrigue du récit de Marc 5.1–20 ....................................................... 123 3.1.1 Le schéma quinaire....................................................................... 124 3.1.2 Correspondances entre la situation initiale (v. 1–5) et la situation finale (v. 18–20) ............................................................ 125 3.1.3 Correspondances entre le nouement (v. 6–10) et le dénouement (v. 14–17)..................................................................................... 127 3.1.4 L’action transformatrice (v. 11–13) .............................................. 128 3.1.5 Du dénouement (5.14–17) à la situation finale (5.18–20) : le changement de paradigme de la modalité et de l’objet de l’annonce ..................................................................................... 129 3.1.6 Les rôles des personnages de l’intrigue selon le schéma sémantique ................................................................................... 131 3.1.7 Les réponses de Jésus aux souhaits exprimés par les personnages .................................................................................. 133 3.1.8 La relation entre le narrateur et le narrataire ................................. 135 3.2 La gestion de la temporalité narrative .................................................. 138 3.2.1 Le temps de la narration ............................................................... 138 3.2.2 La durée ....................................................................................... 139
Table des matières
XI
3.3 Le jeu des points de vue ........................................................................ 140 3.3.1 Quelques précisions méthodologiques .......................................... 140 3.3.2 Évaluation des points de vue ........................................................ 142 3.3.3 Analyse des données .................................................................... 144 3.3.3.1 Les gardiens et les gens de la ville et des hameaux ........... 144 3.3.3.2 Les esprits impurs ............................................................. 146 3.3.3.3 Le Gérasénien ................................................................... 146 3.3.3.4 Le narrateur ...................................................................... 147 3.3.3.5 Jésus ................................................................................. 149 3.3.4 Remarques finales sur l’étude du jeu des points du vue ................ 150 3.4 Synthèse des résultats des analyses cursive et corrélative..................... 151 3.4.1 L’identité de Jésus ........................................................................ 152 3.4.1.1 Le Jésus marcien : Fils de Dieu révélé et indistinct ........... 152 3.4.1.2 Exorciste puissant et incongru .......................................... 154 3.4.1.3 Conquérant rejeté et absent ............................................... 156 3.4.2 La modalité relationnelle proposée par Marc 5.1–20 entre Jésus et le disciple exemplaire ...................................................... 157 3.4.2.1 L’aveuglement des personnages du récit en tant que toile de fond pour la clairvoyance du lecteur implicite ...... 158 3.4.2.2 La dévalorisation des attachements tangibles en faveur de l’idéalisation d’une « proximité à distance » et d’une absence habitée ................................................................. 160 3.4.2.3 L’annonce et l’identification en tant que modalités relationnelles .................................................................... 162 3.4.3 Intégration des non-Juifs dans les frontières du Royaume ............ 165 3.4.3.1 Invitation au lecteur implicite à faire évoluer son point de vue en l’harmonisant avec ceux du narrateur et du personnage de Jésus .......................................................... 165 3.4.3.2 Le Gérasénien en tant que « disciple » .............................. 168 3.4.3.3 Le Gérasénien en tant que figure exemplaire .................... 170
Deuxième partie
Le récit de Marc 5.1–20 en relation à la notion de pureté, au contexte socio-politique et à la démonologie de l’époque Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté ................................................. 177 4.1 La pureté pour le lecteur historique de Marc........................................ 177 4.2 Le tombeau dans l’encyclopédie du savoir du lecteur historique de Marc ................................................................................................ 186
XII
Table des matières
4.3 Les esprits impurs dans l’encyclopédie du savoir du lecteur historique de Marc ............................................................................... 191 4.4 Les cochons dans l’encyclopédie du savoir du lecteur historique de Marc ................................................................................................ 194 4.5 La rhétorique de la pureté dans Marc 5.1–20 ....................................... 198
Chapitre 5 : Jésus, le vainqueur rejeté et le conquérant absent : la dimension socio-politique du récit de Gérasa ............ 213 5.1 L’apport de la lecture anti-impérialiste de l’exorcisme de Gérasa ....... 213 5.1.1 Les arguments en faveur de la teneur anti-romaine marquée de Marc 5.1–20 ................................................................................. 214 5.2 Évaluation critique : Marc et le Royaume............................................. 229 5.2.1 L’exorcisme de Gérasa et le thème du Nouvel Exode ................... 234 5.2.2 L’intégration de l’étranger dans la dynamique du Nouvel Exode ........................................................................................... 240 5.2.3 Le paradigme subversif du Royaume et de son déploiement ......... 247
Chapitre 6 : L’exorcisme de Gérasa à la lumière de l’arrière-plan socio-religieux que constituent la démonologie et les pratiques magiques dans le judaïsme hellénistique et le monde gréco-romain ................................................................... 255 6.1 La démonologie juive à l’époque de la rédaction des écrits du Nouveau Testament : origines et influences .......................................... 255 6.2 Les démons dans le Nouveau Testament ............................................... 264 6.3 Magie et miracles dans les milieux non juifs à l’époque hellénistique et gréco-romaine .................................................................................. 267 6.4 Les miracles et les exorcismes selon la perspective du judaïsme du Second Temple...................................................................................... 278 6.5 L’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) et le rôle des exorcismes dans l’évangile de Marc à la lumière des croyances et des pratiques exorcistiques du premier siècle ............................................................. 291 6.5.1 L’affranchissement du Jésus marcien face à l’accusation d’être un magicien associé à Satan ......................................................... 293 6.5.2 Le dévoilement de l’identité et de la mission du Jésus marcien .... 298
Table des matières
XIII
6.5.3 La portée eschatologique des exorcismes du Jésus marcien .......... 302 6.5.4 Jésus, Fils de David et Fils de l’Homme (souffrant) ..................... 306
Troisième partie
Place et enjeu de l’épisode du démoniaque de Gérasa dans la trame de l’évangile de Marc : la reconfiguration épistémique du lecteur Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1–20 dans son contexte littéraire .................................................................................. 315 7.1 Une feuille de route de l’évangile de Marc qui tient compte de l’intrigue et des liens intratextuels........................................................ 315 7.2 La fonction narrative de la péricope de Marc 5.1–20 dans son contexte littéraire (notamment la section 3.7–8.26) .............................. 322 7.2.1 La fonction littéraire de Marc 5.1–20 au sein de son contexte narratif en relation avec le thème marcien de la révélation de l’identité de Jésus ......................................................................... 323 7.2.2 La fonction littéraire de Marc 5.1–20 au sein de son contexte narratif en relation avec le thème marcien de la suivance ............. 330 7.3 Les personnages dans l’évangile de Marc ............................................ 341 7.4 Sur la pertinence de la mise en relation des deux ȞİĮȞަıțȠȚ de Marc 14.51–52 et 16.1–8 avec le Gérasénien de 5.1–20 ................................. 352
Chapitre 8 : Enjeu théologique du parcours narratif reliant l’épisode du démoniaque de Gérasa (Mc 5.1–20) aux deux ȞİĮȞıțȠȚ (14.51–52 ; 16.1–8) dans la trame de l’Évangile selon Marc .............................................................................................. 357 8.1 Le jeune homme qui s’enfuit nu (Mc 14.51–52) .................................... 357 8.2 Le jeune homme au tombeau (Mc 16.5–7)............................................. 366 8.3 D’un ȞİĮȞަıțȠȢ (Mc 14.51–52) à l’autre (16.5–7) : le sens d’un parcours narratif .................................................................................. 369 8.4 La lecture en boucle de Marc : un outil herméneutique conçu par l’auteur implicite .................................................................................. 372
XIV
Table des matières
8.5 Relecture de l’exorcisme de Gérasa après les récits de la Passion ....... 377 8.6 Être disciple selon Marc : la symbolique de la vêture et sa relation avec le thème de l’absence de Jésus ..................................................... 396 8.6.1 Absence et détachement ................................................................ 400 8.6.2 Le Fils de l’Homme intronisé et ses ਙȖȖİȜȠȚ.................................. 406 8.7 KĮܻ ޥʌ߱ȜșİȞ... (« et il s’en alla... ») ...................................................... 418
Conclusion .............................................................................................. 425 Reprise synthétique de la recherche ........................................................... 425 La préhistoire du récit et l’apport de Marc ............................................. 425 Un récit d’exorcisme au service du dévoilement de l’identité de Jésus et de la nature de la suivance : analyse narrative de Marc 5.1–20 ........... 426 L’interaction du récit de Gérasa avec l’encyclopédie du savoir du lecteur historique et sa vision du monde ................................................. 429 Le Gérasénien et les deux ȞİĮȞıțȠȚ ...................................................... 432 Les implications des résultats de la recherche ............................................ 433
Traduction justifiée de Marc 5.1–20 ................................................ 437 Traduction personnelle et notes analytiques ............................................... 438
English Synopsis ................................................................................... 471 Part One – The Story of the Demoniac from Gerasa (Mk 5:1–20) [chapters 1–3] ............................................................................................ 471 Part Two – Diachronic Explorations. The Story of Mark 5:1–20 in Relation to the Notion of Purity, its Socio-Political Context,and the Demonology of the Time [chapters 4–6] ..................................................... 475 Part Three – The Exorcism of Gerasa’s Place and Scope within the Framework of the Gospel of Mark: The Epistemic Reconfiguration of the Reader [chapters 7–8] ...................................................................... 478 Implications................................................................................................ 480
Bibliographie............................................................................................ 483
Table des matières
XV
Index des sources anciennes ....................................................................... 523 Index des auteurs modernes ........................................................................ 567 Index des sujets .......................................................................................... 572
Introduction L’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20)1 L’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20)
Le récit du démoniaque de Gérasa constitue le récit d’exorcisme le plus étendu et le plus spectaculaire de tout le Nouveau Testament. La longueur et le degré d’élaboration de cet épisode marcien témoignent de la place d’honneur que l’auteur du deuxième évangile lui accorde dans l’économie du macro-récit. La force évocatrice de l’homme possédé par Légion (Mc 5.9) et la noyade de l’immense troupeau de cochons (environ deux mille suidés, selon le verset 13) ont été exploitées, à l’époque de l’exégèse pré-critique, dans le registre métaphorique à visée morale. C’est ainsi que Tertullien († 220) voit dans la liberté que Jésus donne aux esprits impurs de posséder les cochons (Mc 5.13) une image de la liberté accordée par Dieu aux démons de punir les impénitents ou de permettre aux fidèles, par l’expérience de la souffrance, d’être perfectionnés2. De son côté, Jean Chrysostome († 407), en commentant la version matthéenne du récit, conclut son propos ainsi : Nous devons apprendre ici que, lorsque les hommes vivent en pourceaux, ils tombent aisément sous la puissance du démon. Tant qu’ils demeurent encore hommes, et qu’ils ne sont pas tout à fait pourceaux, ils peuvent, comme ces deux possédés, être encore délivrés de la puissance du diable ; mais, lorsqu’ils ont étouffé tout le sentiment d’hommes, non seulement ils sont possédés, mais ils sont même jetés dans les précipices3.
Plus récemment, cette approche semble trouver son prolongement, quoique dépourvu de toute dimension métaphysique, dans les domaines artistiques de la littérature et du cinéma. Fédor Dostoïevski, en 1871 et 1872, publiait en feuilleton le roman Les Démons (ou Les Possédés). Il citait, en épigraphe, la version lucanienne de l’exorcisme de Gérasa (Lc 8.26–39). Dans ce roman, il est question, de manière symbolique, de l’homme détourné du « droit chemin de la 1
Pour les livres bibliques nous avons employé les abréviations de la TOB : La Bible. Traduction œcuménique (Paris – Villiers-le-Bel : Cerf/Bibli’O – Société biblique française, 2010). Sauf indication contraire, les traductions des textes sont les nôtres. 2 Tertullien, Fug. 2. 3 Jean Chrysostome, Hom. Matt. 28.4, texte, légèrement modernisé, tiré de Jean Chrysostome, Homélies ou sermons de S. Jean Chrysostome Patriarche de Constantinople qui contiennent son commentaire sur tout l’Évangile de S. Matthieu, trad. par Paul Antoine de Marsilly, Pierre Le Petit, vol. 1 (Paris, 1665), 719–20.
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Introduction
justice sociale » par les démons que représentent notamment les idées socialistes et nihilistes, mais, en réalité, et de manière plus globale, toutes les idéologies lorsqu’elles l’assujettissent au point de l’aliéner4. De nos jours, le prix du meilleur long-métrage de fiction du Queens World Film Festival de New York de 2011 a été décerné au film de Brian Smolensky, « The Gadarene Swine ». Il s’agit d’une sorte de parabole moderne en trois actes qui, sous l’angle d’une lecture psychologisante, dénonce les conséquences destructrices qui résultent du fait de garder enfermés en soi ses propres « démons »5. Dans le contexte des études théologiques critiques, les exégètes se sont tout d’abord posé la question du substrat traditionnel du texte. Leur critique littéraire, en perspective historico-critique, était conçue essentiellement en tant que critique des sources, conjuguée à une appréciation des possibles stades de la transmission du récit. Les fruits d’une telle approche peuvent être appréciés notamment dans les travaux de John F. Craghan (1968, qui distingue entre Sitz im Leben Christi, Sitz im Leben der Gemenide et Sitz im Leben des Evangelisten)6, de John Bligh (1969, qui croit discerner dans les versets 3–6, 9–10 et 18–20 la main d’un rédacteur chrétien pré-marcien) 7 et de Rudolph Pesch (1972, qui, tout en suivant grosso modo l’hypothèse de Craghan, s’écarte de l’idée d’une origine historique du récit)8. Néanmoins, la fin des années soixante 4 Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Les Démons (Les Possédés), trad. par Boris de Schloezer, FC 2781 (Paris : Gallimard, 1997). Voir R. Lee McLeod, « Gadarene Swine », in DBWC, éd. par Mary Ann Beavis et Michael J. Gilmour (Sheffield : Sheffield Phoenix Press, 2012), 173. 5 McLeod, « Gadarene Swine », 173. Plus d’informations sur le film sont disponibles sur le site du Queen World Film Festival : https://www.queensworldfilmfestival.com, (site consulté le 28 mars 2019). Toujours dans le registre psychologique, nous signalons ce que le psychiatre écossais Ronald D. Laing appelle la « Gadarene Swine Fallacy ». Il s’agit du postulat selon lequel, dès lors qu’un individu ne suit pas la direction idéologique ou comportementale du groupe (une référence aux deux mille cochons possédés qui se noient après leur course effrénée en direction de la falaise de laquelle ils se précipitent : Mc 5.13), il a forcément tort. En réalité, l’individu peut avoir tort aux yeux du groupe, mais, si c’est le groupe qui se trompe, l’individu a raison du point de vue de l’observateur idéal (extérieur) : cité dans McLeod, 173. La référence se trouve au cinquième chapitre de Ronald D. Laing, La politique de l’expérience : essai sur l’aliénation ; L’oiseau de paradis, trad. par Claude Elsen, 1e éd. en anglais : 1967 (Paris : Stock, 1973). 6 John F. Craghan, « The Gerasene Demoniac », CBQ 30, no 4 (1968) : 522–36. 7 John Bligh, « The Gerasene Demoniac and the Resurrection of Christ », CBQ 31, no 3 (1969) : 383–90. 8 Rudolf Pesch, Der Besessene von Gerasa : Entstehung und Überlieferung einer Wundergeschichte, StuttBib 56 (Stuttgart : KBW, 1972). Tout récemment, plusieurs travaux ont remis la question des sources de Marc sous les feux des projecteurs, notamment concernant l’influence que la tradition des Veilleurs (1 Hén. 1–36), ou une partie d’elle, a pu avoir sur l’auteur du deuxième évangile : Archie T. Wright, « The Demonology of 1 Enoch and the New Testament Gospels », in Enoch and the Synoptic Gospels. Reminiscences, Allusions, Intertextuality, éd. par Loren T. Stuckenbruck et Gabriele Boccaccini, EJLit 44 (Atlanta :
L’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20)
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et les années soixante-dix sont également marquées par le développement de la critique littéraire de type synchronique9, selon laquelle le récit doit être compris à la fois dans sa dynamique interne et dans sa relation avec l’ensemble du macro-récit. La publication, en 1971, du collectif Analyse structurale et exégèse biblique. Essais d’interprétation10 peut être considérée comme l’emblème, dans le monde francophone, de la nouvelle juxtaposition envisagée entre analyse diachronique et étude synchronique. François Bovon signe le chapitre consacré à l’exégèse structurale, alors que Robert Martin-Achard, F. J. Leenhardt, Roland Barthes et Jean Starobinski proposent respectivement quatre études sur deux textes bibliques (Gn 32.23–33 et Mc 5.1–20), deux selon la méthode historicocritique et deux suivant les principes de l’approche structuraliste11. De l’autre côté de l’Atlantique, la même année voit la naissance du « Markan Seminar », au sein de la Society of Biblical Literature, sous la direction de Norman Perrin d’abord et de Werner Kelber par la suite. Actif jusqu’en 1980, ce groupe a produit des travaux qui ont marqué la recherche littéraire de type synchronique sur l’évangile de Marc12. Au fil des années, les approches de la nouvelle critique littéraire se sont multipliées et aujourd’hui on compte quatre filières majeures : la sémiotique
SBL Press, 2016), 242 ; Nicholas A. Elder, « Of Porcine and Polluted Spirits: Reading the Gerasene Demoniac (Mark 5: 1–20) with the Book of Watchers (1 Enoch 1–36) », CBQ 78, no 3 (2016) : 430–46 ; Thierry Murcia, « La question du fond historique des récits évangéliques. Deux guérisons un jour de Kippour : l’hémorroïsse et la résurrection de la fille de Jaïre et le possédé de Gérasa/Gadara », JA 4 (2016) : 123–64 ; Hans M. Moscicke, « The Gerasene Exorcism and Jesus’ Eschatological Expulsion of Cosmic Powers : Echoes of Second Temple Scapegoat Traditions in Mark 5.1–20 », JSNT 41, no 3 (2019) : 363–83. 9 Voir notamment Jean Starobinski, « Le démoniaque de Gérasa. Analyse littéraire de Marc 5.1–20 », in Analyse structurale et exégèse biblique, BT (Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1972), 63–94 ; Bastiaan M. van Iersel, Mark. A Reader-Response Commentary, JSNTSup 164 (Sheffield : Sheffield Academic Press, 1998) ; Mercedes Navarro Puerto, « El endemoniado de Gerasa (Mc 5,1–20). Análisis narrativo », in Los milagros de Jesús. Perspectivas metodológicas plurales, éd. par Rafael Aguirre Monasterio, Asociación bíblica española Institución San Jerónimo 39 (Estella : Verbo Divino, 2002), 73–92. 10 Roland Barthes et al., Analyse structurale et exégèse biblique, BT (Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1972). 11 Daniel Marguerat, « L’exégèse biblique à l’heure du lecteur », in La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur. Colloque international d’analyse narrative des textes de la Bible, Lausanne (mars 2002), éd. par Daniel Marguerat, 2e éd. mise à jour, 1e éd. 2003, MdB 48 (Genève : Labor et Fides, 2005), 14. 12 Voir Mark A. Powell, What is Narrative Criticismࣟ?, GBS-NTS (Minneapolis : Fortress Press, 1990), 110, note 24.
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Introduction
française, la narratologie, le Reader-Response Criticism et la nouvelle rhétorique13. Puisque notre intention est d’étudier la péricope marcienne du démoniaque de Gérasa, un récit donc, en conjuguant une approche historico-critique
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Pour la sémiotique française voir notamment : Ivan Almeida, « Jeu et enjeu de la démarche sémiotique », SémBib 13 (1979) : 35–56 ; Jean Calloud, « Propos libres sur la lecture », BFCL 108, no 72 (1984) : 21–32 ; Jean Delorme, Au risque de la paroleࣟ : lire les évangiles, PD 31 (Paris : Seuil, 1991) ; idem, L’heureuse annonce selon Marcࣟ : lecture intégrale du deuxième évangile, LD, 219 et 223 (Paris – Montréal : Cerf – Médiaspaul, 2007) ; idem, « La sémiotique littéraire interrogée par la Bible », SémBib 102–103 (2001) : 3–28 ; 3–21 ; Louis Panier, La naissance du Fils de Dieu. Sémiotique et théologie discursive : lecture de Luc 1–2, Cogitatio fidei 164 (Paris : Cerf, 1991) ; Corina Combet-Galland, « Qui roulera la peurௗ? Finales d’évangiles et figures du lecteur », ETR 65 (1988) : 171–89 ; JeanYves Thériault, « Enjeux de la sémiotique greimassienne dans les études bibliques », ScEs 45, no 3 (1993) : 297–311. Pour la narratologie, célèbre est le travail pionnier de Robert Alter, The Art of Biblical Narrative (London – Sydney : G. Allen and Unwin, 1981), qui arrive à conjuguer les résultats des travaux européens et ceux du milieu anglosaxon sur la narrativité (intrigue, personnages, temporalité, point de vue…) et sur la réthorique narrative. Deux ans plus tard, R. Alan Culpepper publie son Anatomy of the Fourth Gospel : A Study in Literary Design, FF-NT 3 (Philadelphia : Fortress Press, 1983). Il y aura dans ce domaine, par la suite, une augmentation exponentielle d’études et de publications sur l’analyse des textes. À signaler aussi la production d’introductions à la méthode narative et de manuels de référence : i.e., Mark A. Powell, « Narrative Criticism », in Hearing the New Testament : Strategies for Interpretation, éd. par Joel B. Green, 2e éd., 1e éd. 1995 (Grand Rapids : Eerdmans, 2010), 240–58 ; idem, What is Narrative Criticismࣟ? ; Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques : initiation à l’analyse narrative, 4e éd. revue et augmentée (Paris – Genève : Cerf – Labor et Fides, 2009). Voir aussi R. Alan Culpepper, « Vingt ans d’analyse narrative des évangiles : nouvelles perspectives et problèmes en suspens », in La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur. Colloque international d’analyse narrative des textes de la Bible, Lausanne (mars 2002), éd. par Daniel Marguerat, MdB 48 (Genève : Labor et Fides, 2003), 73–93. Concernant la Reader-Response Criticism, voir par exemple Jane P. Tompkins, éd, Reader-Response Criticism : From Formalism to Post-Structuralism (Baltimore – London : John Hopkins University Press, 1981) ; Robert M. Fowler, Let the Reader Understand. Reader-Response Criticism and the Gospel of Mark (Minneapolis : Fortress Press, 1991). L’approche du texte selon les paramètres de la nouvelle rhétorique est exemplifiée par Burton L. Mack, Rhetoric and the New Testament, GBS-NTS (Minneapolis : Fortress Press, 1990). Pour se familiariser davantage avec la nouvelle critique littéraire le lecteur est renvoyé aux ouvrages suivants : Gérard Genette, Nouveau discours du récit, Poétique (Paris : Seuil, 1983) ; Seymour Chatman, Story and Discourse : Narrative Structure in Fiction and Film (Ithaca – London : Cornell University Press, 1978) ; Franz K. Stanzel, A Theory of Narrative, trad. par Charlotte Goedsche, 1e éd. en allemand : 1979 (Cambridge – London : Cambridge University Press, 1984) ; Gerald Prince, Narratologyࣟ : The Form and Function of Narrative, Janua Linguarum – Series Maior 108 (Berlin – New York – Amsterdam : Mouton, 1982) ; Shlomith Rimmon-Kenan, Narrative Fictionࣟ : Contemporary Poetics, 2e éd., 1e éd. 1983, New Accents (London – New York : Routledge, 2005) ; Mieke Bal, Narratology : Introduction to the Theory of Narrative, 2e éd., 1e éd. en allemand : 1978 (Toronto : University of Toronto Press, 2002) ; Wallace Martin, Recent
L’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20)
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et une démarche de type synchronique, il nous a paru opportun de recourir aux outils fournis par la narratologie (appelée également analyse narrative). En effet, cette méthode, tout en s’interrogeant sur la relation que le lecteur instaure avec le texte par le biais de son identification avec les personnages du récit, du déploiement de l’intrigue, des différentes modalités narratives et des composantes inhérentes au temps et à l’espace, s’appuie sur les résultats de l’analyse rédactionnelle et tient compte des données historiques nécessaires à la compréhension des attentes de l’auteur implicite vis-à-vis du lecteur implicite en fonction de leur encyclopédie du savoir. Or, l’évangile de Marc en général et la péricope du démoniaque de Gérasa en particulier ont déjà fait (et continuent de faire) l’objet d’études de type narratif14. Concernant le démoniaque de Gérasa, il a déjà été remarqué qu’il semble être mis en parallèle avec le jeune homme au tombeau annonçant aux femmes la résurrection de Jésus (Mc 16.5–7). Ces deux personnages sont associés à un ou des sépulcres et ceux qui les observent ne peuvent pas s’empêcher d’être la proie de la peur (5.15 : les villageois ; 16.8 : les femmes). En plus, les deux sont « assis » et « habillés » (5.15 et 16.5), ce qui, parmi d’autres arguments, fait écrire à Elizabeth Struthers Malbon qu’entre ces deux personnages il existe une « réverbération connotative »15. Pourtant, ce possible lien n’est pas cautionné unanimement16 et n’a pas fait l’objet d’une étude approfondie. Theories of Narrative (Ithaca – London : Cornell University Press, 1986) ; Daniel Marguerat, « La construction du lecteur par le texte (Marc et Matthieu) », in The Synoptic Gospels : Source Criticism and the New Literary Criticism, éd. par Camille Focant, BETL 110 (Leuven : Leuven University Press – Peeters, 1993), 239–62 ; Elizabeth S. Malbon et Edgar V. McKnight, éd, The New Literary Criticism and the New Testament, JSNTSup 109 (Sheffield : JSOT Press, 1994). 14 Outre le déjà cité Starobinski, « Le démoniaque de Gérasa », voir les contributions de Giacomo Perego, La nudità necessaria. Il ruolo de giovane di Mc 14,51–52 nel racconto marciano della passione-morte-risurrezione di Gesù, PD2 19 (Cinisello Balsamo : San Paolo, 2000) ; Navarro Puerto, « El endemoniado de Gerasa » ; Gianattilio Bonifacio, Personaggi minori e discepoli in Marco 4–8 : la funzione degli episodi dei personaggi minori nell’interazione con la storia dei protagonisti, AnBib 173 (Roma : Editrice Pontificio Istituto Biblico, 2008) ; Stuart Rochester, Good News at Gerasa : Transformative Discourse and Theological Anthropology in Mark’s Gospel (Bern : Peter Lang, 2011) ; Francis J. Moloney, The Gospel of Mark : A Commentary, 1e éd. 2002 (Grand Rapids : Baker Academic, 2012). Récemment, Jean-Philippe Fabre a consacré un article entier à la seule question de l’intrigue du récit de Gérasa : Jean-Philippe Fabre, « Le possédé de Gérasa (Marc 5,1–20). Quand l’intrigue est théologie », Bib 98, no 1 (2017) : 55–71. 15 Elizabeth S. Malbon, In the Company of Jesus : Characters in Mark’s Gospel (Louisville : Westminster John Knox Press, 2000), 193. 16 Rochester, Good News at Gerasa, 218–19, par exemple, considère que le lien entre les deux personnages est « faible », car le verbe utilisé pour désigner la position assise n’est pas le même pour le Gérasénien et pour le jeune homme au tombeau, et parce qu’au tombeau l’accent est placé sur la blancheur de l’habit – un renvoi au récit de la Transfiguration (Mc 9.3).
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Introduction
Qui plus est, la péricope de Marc 5.1–20 n’a pas été particulièrement étudiée en tant qu’élément intégré de manière organique dans le macro-récit (et donc tissant des liens intratextuels avec le reste de l’œuvre) en relation avec les questions de l’identité de Jésus et de la nature de la suivance telles qu’elles se déploient dans l’ensemble du deuxième évangile. Cette monographie se propose l’objectif de combler ces lacunes. Notre objectif est donc multiple. Tout d’abord, il s’agira de proposer une analyse détaillée du texte, qui tienne compte des acquis les plus récents de la narratologie, telle qu’elle est conçue pour l’examen des récits bibliques. Après avoir mis en valeur la dynamique interne au micro-récit de Marc 5.1–20, il s’agira de montrer de quelle manière ce dernier s’intègre dans la trame du deuxième évangile, notamment quant à sa force reconfiguratrice à l’égard du lecteur – compris dans le cadre de son encyclopédie du savoir – à propos des thèmes de l’identité de Jésus et du sens et de la modalité de la suivance. À ce propos, il nous appartiendra de reprendre et développer une intuition que Christian Grappe livre dans une note en bas de page de son étude de 2003 sur certaines figures d’indentification proposées au lecteur de Marc17. Selon cette lecture, le Gérasénien s’intègre dans un itinéraire idéal qui le met en relation avec le jeune homme au tombeau (Mc 16.5–7), les deux étant des figures du disciple baptisé. Notre travail consistera à montrer que le lien narratif entre la péricope de Gérasa et celle du tombeau vide, en passant par la fuite du jeune homme lors de l’arrestation de Jésus (Mc 14.51–52), en vue d’une reconfiguration épistémique du lecteur implicite, est plus structuré et accompli que ce qui a été relevé jusqu’à présent18. Notre hypothèse est donc la suivante : la mise en résonance des récits des deux ȞİĮȞıțȠȚ (Mc 14.51–52 et 16.1–8) avec celui du Gérasénien amplifie les thèmes, articulés entre eux, de l’identité de Jésus et de la nature de la suivance.
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Christian Grappe, « De quelques figures d’identification proposées au lecteur dans l’Évangile selon Marc », in Raconter, interpréter, annoncer. Parcours de Nouveau Testament. Mélanges offerts à Daniel Marguerat pour son 60ème anniversaire, éd. par Emmanuelle Steffek, Yvan Bourquin et Daniel Marguerat, MdB 47 (Genève : Labor et Fides, 2003), 133, note 17. 18 L'expression « reconfiguration épistémique du lecteur de Marc » désigne le processus par lequel l’acte de lecture de l'évangile engage les convictions du lecteur/auditeur dans le but de les reconfigurer selon le projet théologique de l'auteur implicite. Il s'agit, dit autrement, d'une subversion des acquis, d'une déconstruction des connaissances (certaines, en tout cas) pour aboutir à une nouvelle configuration de celles-ci en vue de la suivance telle que l'évangile de Marc la conçoit.
Les postulats sous-jacents à notre recherche
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Les postulats sous-jacents à notre recherche Les postulats sous-jacents à notre recherche Dans le cadre de notre travail, qui consiste à conjuguer une approche de type narratif avec une étude de type historico-critique afin de mieux prendre en compte la dynamique du récit du démoniaque de Gérasa dans l’économie de l’Évangile selon Marc, les questions classiques d’introduction à Marc ne jouent pas un rôle primordial. Toutefois, lorsque cela s’avérera nécessaire, nous préciserons notre position quant à l’une ou l’autre question. Il est néanmoins expédient de pouvoir préciser d’emblée le cadre à l’intérieur duquel se situe notre démarche. Nous adoptons l’antériorité de Marc dans le cadre du problème synoptique19. Ensuite, nous ne considérons pas légitime la notion wredienne de « secret messianique »20. Concernant les questions de l’auteur, de la date et du lieu de rédaction, ainsi que des destinataires de l’évangile de Marc, notre avis est que l’interprétation des données diachroniques doit tenir compte de la dimension synchronique de l’ouvrage. Alors que l’identification entre le Marc auteur de l’évangile et le
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Voir infra, p. 32–33. La théorie du « secret messianique » dans l’évangile de Marc a été postulée de manière élaborée par William Wrede, Das Messiasgeheimnis in den Evangelien : zugleich ein Beitrag zum Verständnis des Markusevangeliums (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1901), traduit en anglais soixante-dix ans plus tard : William Wrede, The Messianic Secret, trad. par James C. G. Greig, LTT (Cambridge – London : J. Clarke, 1971), et en italien presque un siècle après sa parution en allemand : William Wrede, Il segreto messianico nei vangeli, trad. par Vittorio Fusco, Radici (Napoli : D’Auria M, 1996). À notre connaissance, aucune traduction en français n’a encore vu le jour. Plusieurs objections ont été soulevées contre cette théorie : Ulrich Luz, « The Secrecy Motif and the Markan Christology », in The Messianic Secret, éd. par Christopher M. Tuckett, IRT 1 (Philadelphia – London : Fortress Press – SPCK, 1983), 75–96 (la version allemande de l’article date de 1965) ; Jürgen Roloff, « Das Markusevangelium als Geschichtsdarstellung », EvT 29, no 2 (1969) : 73–93 ; Rochester, Good News at Gerasa, 210–213; Gerd Theissen, « Die pragmatische Bedeutung der Geheimnismotive im Markusevangelium. Ein wissensoziologischer Versuch », in Secrecy and concealment. Studies in the history of Mediterranean and Near Eastern religions, éd. par Hans G. Kippenberg et Guy G. Stroumsa, SHR 65 (Leiden – New York : Brill, 1995), 225–45 ; Ben Witherington, The Gospel of Mark : A Socio-Rhetorical Commentary (Grand Rapids : Eerdmans, 2001), 40–41, 54 ; Richard T. France, The Gospel of Mark : A Commentary on the Greek Text, NIGTC (Grand Rapids – Carlisle : Eerdmans – Paternoster Press, 2002), 329–31 ; Camille Focant, L’Évangile selon Marc, CB-NT 2 (Paris : Cerf, 2004), 204 ; Adela Y. Collins, Mark. A Commentary, Hermeneia 55 (Minneapolis : Fortress Press, 2007), 70 ; Adam Winn, « Resisting Honorௗ: The Markan Secrecy Motif and Roman Political Ideology », JBL 133, no 3 (2014) : 589–601 ; Dietmar Neufeld, Mockery and Secretism in the Social World of Mark’s Gospel, LNTS 503 (London : Bloomsbury, 2014), 32, 36, 84, 143– 180. 20
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Introduction
Jean-Marc du Nouveau Testament reste incertaine et, au fond, indémontrable21, il est possible, par le moyen de la critique interne, d’arriver à dresser un portrait, certes partiel, de l’auteur de cet ouvrage, que nous appelons Marc par souci de praticité. L’élément qui nous paraît d’une importance fondamentale est son origine juive – très probablement palestinienne. Cette question fait l’objet du développement qui suit. Tout d’abord, Marc n’est pas un témoin oculaire des événements dont il se fait à la fois véhicule de transmission et interprète. Il s’agit plutôt d’une sorte d’enseignant chrétien qui élabore à sa manière et avec créativité une tradition antérieure commune et, au moins en partie, déjà organisée en unités de taille réduite. Il écrit en grec en privilégiant le style anecdotique, essentiel et condensé, où le tissage soigneusement élaboré se couple avec un langage simple et basique, pourtant vivant, qui s’apparente à la littérature populaire. Le résultat est un écrit accessible et marqué par une forte dimension dramatique dont on ne saurait sous-estimer la force de persuasion22. Cet auteur, dont on ne saurait deviner le milieu social23, est à l’aise avec la Septante et, semble-t-il, avec l’araméen, ce qui indique une origine juive. Quelques objections ont été soulevées concernant ce dernier point. Elles sont, toutefois, loin d’être décisives. Les indications relatives à la pratique des Pharisiens en Marc 7.3–4 (lavement des mains et ablutions) ont été considérées comme inexactes24 ; pourtant : a. nos connaissances des pratiques juives du début 21
Les témoins les plus anciens du deuxième évangile (ʠ et B) adoptent la même typologie de titre pour les quatre évangiles (țĮIJ...), ce qui amène à croire qu’il s’agit de titres créés ad hoc, probablement pendant le deuxième siècle : Focant, L’Évangile selon Marc, 31–34 ; M. Eugene Boring, Markࣟ : A Commentary, NTL 1 (Louisville : Westminster John Knox Press, 2006), 29 ; Corina Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », in Introduction au Nouveau Testament : son histoire, son écriture, sa théologie, éd. par Daniel Marguerat, 4e éd. revue et augmentée, 1e éd. 2000, MdB 41 (Genève : Labor et Fides, 2008), 67. 22 Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 69 ; Ben Witherington, The Gospel of Mark, 19–20. 23 Savoir lire et écrire n’est pas la prérogative des hommes libres seulement, vu que certains esclaves avaient accès à ces compétences : Witherington, The Gospel of Mark, 20. Pour ce dernier (p. 22–23), à la suite de Robert A. Guelich, Mark 1–8:26, WBC 34a (Waco, Texas : Word Books, 1989), xxvii, Papias (Eusèbe, Hist. eccl. 3.39.15) utilise des termes rhétoriques semi-techniques pour : a. décrire le style didactique de Pierre : Ȣ ʌȡઁȢ IJȢ ȤȡİĮȢ ਥʌȠȚİIJȠ IJȢ įȚįĮıțĮȜĮȢ n’est pas à comprendre dans le sens de « il donnait son enseignement selon le besoin » mais « il façonnait son enseignement en forme de chréias [procédé rhétorique qui consiste à condenser l’enseignement en de brèves anecdotes de type historique et/ou biographique à but persuasif] » ; ਕȜȜ' ȠȤ ੮ıʌİȡ ıȞIJĮȟȚȞ IJȞ țȣȡȚĮțȞ ʌȠȚȠȝİȞȠȢ ȜȠȖȦȞ signifie « n’établissant pas un arrangement rhétorique des paroles du Seigneur » ; b. décrire le style de Marc : Ƞ ȝȞIJȠȚ IJȟİȚ ne signifie pas « sans ordre chronologique », mais « sans un ordre logique en termes rhétoriques ». Il semblerait que Papias sous-estimait le travail rédactionnel de Marc. 24 Morna D. Hooker, The Gospel according to Saint Mark, BNTC (London – Peabody : Black – Hendrickson Publishers, 1991), 174–75 ; Gerd Theissen, The Gospels in Contextࣟ:
Les postulats sous-jacents à notre recherche
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du premier siècle, en Palestine comme dans la Diaspora, sont bien maigres ; b. Marc aurait pu simplifier et accentuer les données en clé polémique et/ou pour adapter l’épisode à un lectorat plus vaste ; c. même le commentaire parenthétique en Marc 7.19b (țĮșĮȡȗȦȞ ʌȞIJĮ IJ ȕȡઆȝĮIJĮ), apparemment incompatible avec une perspective juive, trouve son correspondant dans les propos de Paul (Rm 14.14 ; 1 Co 10.23–27)25. On a fait valoir également, contre l’origine juive de Marc, que ses citations scripturaires sont imprécises26 ; pourtant on rencontre le même phénomène chez d’autres auteurs juifs27. Le fait que le deuxième évangile a été écrit directement en grec et sa familiarité avec des mots et des expressions romains28 orientent clairement dans la direction d’un auteur juif hellénistique – non pas dans le sens qu’il appartiendrait à la Diaspora, mais en tant que Juif en contact avec la culture hellénistique telle qu’elle est présente en Palestine, et perméable, à un certain degré, à cette culture. Il nous semble donc tout à fait plausible de considérer qu’il s’agit d’un Juif hellénistique palestinien ou évoluant en Palestine. Marc situe correctement plusieurs localités qui, sauf Gennésareth (Nb 34.11 ; Dt 3.17 ; Jos 11.2 ; 12.3 ; 19.35), ne sont pas mentionnées dans la Bible hébraïque : « Nazareth de Galilée » (Mc 1.9) ; Gérasa dans la Décapole (5.1, 20) ; sur la rive (nord-) occidentale du lac de Tibériade : Capharnaüm (1.16, 21) et Gennésareth (6.35) ; sur la rive (nord-) orientale du même lac : Bethsaïda (6.45 ; 8.22 ; cf. 8.27) ; « Bethphagé et Béthanie près du mont des Oliviers » (11.1). Même la séquence Jéricho (10.46), Béthanie (11.1), Jérusalem (11.1) est tout à fait correcte. Qui plus est, la teneur des récits de miracle de Jésus tels qu’ils sont racontés par Marc, et notamment sa version de l’exorcisme de Gérasa, semble influencée par des traditions haggadiques palestiniennes29. Une origine galiléenne n’est donc pas à exclure30. Social and Political History in the Synoptic Tradition, trad. par Linda M. Maloney (Minneapolis : Augsburg Fortress, 1991), 177, note 33. 25 Joel Marcus, Mark 1–8 : A New Translation with Introduction and Commentary, AB 27 (New York : Doubleday, 2000), 20 ; Collins, Mark. A Commentary, 6. 26 Mc 1.2–3 annonce une citation d’Ésaïe, mais il s’agit d’une combinaison d’Es 40.3, Ex 23.20 et probablement Ml 3.1 ; Mc 2.26 fait référence à 1 S 21.1–6, mais cite Abimélek plutôt qu’Abiathar (Abimélek est fils d’Abiathar selon 2 S 8.17). 27 Voir par exemple Mt 1.22–23 et Es 7.14 ; Mt 27.9 et Jr 18.2–3 ; 19.1–2 ; 32.7–9 (Za 11.12–13) ; Lc 2.23 et Ex 13.2, 12 ; Jn 12.40 et Es 6.10. 28 Plusieurs mots latins sont translittérés en grec (Mc 5.9, 15 ; 6.37 ; 12.15 ; 14.5 ; 15.39) et deux expressions latines semblent être sous-jacentes à l’expression grecque utilisée (2.23 : iter facere = įઁȞ ʌȠȚİȞ ; 15.15 : satisfacere = ʌȠȚોıĮȚ). Ainsi Raymond E. Brown, An Introduction to the New Testament, ABRL (New Haven – London : Yale University Press, 1997), 160–61 ; Collins, Mark. A Commentary, 9. 29 Roger D. Aus, My Name is ’Legion’ : Palestinian Judaic Traditions in Mark 5:1–20 and other Gospel Texts, StJd (Lanham : University Press of America, 2003), 85–86. 30 Aus, 85–86, situe Marc dans les alentours de Capharnaüm, jadis le centre de l’activité de Jésus et lieu où les disciples se retrouvent après la Résurrection (Mc 14.28 ; 16.7 ; Jn 21).
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Introduction
Au sujet du lieu de rédaction de Marc, les hypothèses les plus accréditées indiquent Rome – lieu indiqué par la tradition31 et compatible avec le langage du deuxième évangile32 et ses thématiques33 –, ou les territoires orientaux de l’Empire : la Syrie méridionale (voir la mention de Tyr et de Sidon en Mc 3.8 ; 7.24, 3134) ou la Palestine (notamment la Galilée35).
Pour Aus, toutefois, il ne s’agirait pas d’un Juif hellénistique. Pour Trocmé aussi, il est à situer dans un contexte galiléen, car il ne voit pas comment « l’Église de Jérusalem aurait pu [utiliser des récits de miracle de type populaire] sans encourir l’accusation de magie si volontiers lancée par les lettrés, avec les redoutables conséquences qui risquaient d’en découler (cf. Lévitique 20,27) » : Étienne Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, CNT 2 2 (Genève : Labor et Fides, 2000), 12. 31 Voir notamment le témoignage de Papias (Eusèbe, Hist. eccl. 2.16.1–2) duquel semblent dépendre ceux d’Irénée (Haer. 3.1.1) et de Clément d’Alexandrie (Eusèbe, Hist. eccl. 2.15.1–2 ; 6.14.5–7) : Brown, An Introduction to the New Testament, 161 ; David A. DeSilva, An Introduction to the New Testament. Contexts, Methods & Ministry Formation (Downers Grove : InterVarsity Press – Apollos, 2004), 195 ; Collins, Mark. A Commentary, 7–8. Boring remarque que la tradition qui fait de Marc le disciple de Pierre se retrouve également dans le Prologue anti-marcionite, dans le Canon de Muratori, chez Eusèbe, Hist. eccl. 2.16.24 ; 3.39.15 ; 6.25.5 et Tertullien, Marc. 4.5.3. 32 Voir supra, note 28. 33 Les thématiques présentées dans le deuxième évangile semblent bien s’accorder avec un lectorat romain : a. l’humilité de Jésus est comprise comme une polémique contre le faste des empereurs et leur penchant à adopter le culte de leur personne à la manière des monarques orientaux : Winn, « Resisting Honor », 594–95 ; b. pour Brown, An Introduction to the New Testament, 162, la faiblesse des disciples en Marc évoque celle des chrétiens sous la persécution de Néron évoquée en 1 Clém. 5.2–7 et par Tacite, Ann. 15.44 ; c. Mc 10.4–12 envisage que le divorce peut être initié par la femme (contrairement à Mt 5.31 ; 19.7–9), pratique commune à Rome depuis la fin de la République : James S. Jeffers, The GrecoRoman World of the New Testament Era : Exploring the Background of Early Christianity (Downers Grove : InterVarsity Press, 1999), 237–49 ; d. le dépassement des lois de la kasherut en Mc 7.15–19 rejoint l’affirmation de Paul selon laquelle « rien n’est impur en soi » (Rm 14.14) : Brown, An Introduction to the New Testament, 161–62 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 69. Pour un long développement en faveur de l’hypothèse romaine voir Brian J. Incigneri, The Gospel to the Romans. The Setting and Rhetoric of Mark’s Gospel, BIS 65 (Leiden – Boston : Brill, 2003), 96–115 ; 156–207. 34 Il s’agit de deux colonies romaines et de centres ecclésiastiques importants habités par des gens qui peuvent connaître les villes palestiniennes : Brown, An Introduction to the New Testament, 161. 35 Trocmé avait suggéré que la rédaction d’un proto-Marc (jusqu’à 13.37, sans les récits de la Passion) pourrait avoir eu lieu à Césarée maritime et été l’œuvre de Philippe (Ac 21.8) : Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 11. Pour Crossan, Marc écrit pour résister à une théologie qui met un fort accent sur les apparitions de Jésus, sa présence et ses interventions miraculeuses après sa résurrection et qui trouve son origine dans la prédication des chrétiens de Jérusalem, notamment la famille de Jésus et les Apôtres, lesquels, suite aux événements de 70, se seraient déplacés en Galilée : John D. Crossan, « A Form for Absenceௗ: The Markan Creation of Gospel », Semeia 12 (1978) : 49–50.
Les postulats sous-jacents à notre recherche
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L’hypothèse galiléenne est très attrayante : en Marc, Jésus vient de Galilée (Mc 1.9) ; c’est là que sa mission est inaugurée (1.14, 39) et que les premiers disciples sont recrutés (1.16) ; c’est en Galilée qu’est situé son quartier général (Capharnaüm) et c’est de Galilée qu’il se dirige vers les non-Juifs (7.24) ; la Galilée, notamment dans sa dimension rurale, est particulièrement représentée (1.4, 12, 16, 35 ; 2.13 ; 3.7, 13 ; 4.1–20, 26–29, 30–32 ; 6.32–44, 47 ; 12.1– 11) ; les femmes qui vont au tombeau sont associées à la Galilée (15.40–41, 47 ; 16.1–2) et le rendez-vous avec le Ressuscité doit avoir lieu en Galilée (14.28 ; 16.7), ce qui peut être compris comme une indication du lieu où Marc et ses lecteurs attendent la parousie36. Au niveau du vocabulaire marcien, on peut relever que l’expression ਲ șȜĮııĮ IJોȢ īĮȜȚȜĮĮȢ (Mc 1.16 ; 7.31) ne se trouve pas dans les sources grecques ou latines : elle serait donc rédactionnelle et à comprendre dans le contexte de l’appellation locale, en hébreu ou en araméen, du lac de Tibériade37. De plus, la mention d’une monnaie grecque en Marc 12.42 (ȜİʌIJ įȠ) et de son équivalent en monnaie romaine (țȠįȡȞIJȘȢ) peut s’expliquer dans un contexte oriental38, ainsi que la désignation ȈȣȡȠijȠȚȞııĮ en Marc 7.26, terme utilisé en Orient en tant que désignation non officielle des habitants de la partie méridionale de la province de Syrie39. Enfin, La mention de « Jacques le Mineur et de José », en Marc 15.40, des personnages connus probablement d’un lectorat galiléen, mais pas forcément ailleurs, pourrait corroborer également cette hypothèse40.
36 Elizabeth S. Malbon, « Narrative Criticism : How does the Story Mean? », in Mark and Method : New Approaches in Biblical Studies, éd. par Janice C. Anderson et Stephen D. Moore (Minneapolis : Fortress Press, 1992), 12–13 ; Brown, An Introduction to the New Testament, 161. 37 Theissen, The Gospels in Context, 237–38 ; Hendrika N. Roskam, The Purpose of the Gospel of Mark in its Historical and Social Context, NovTsup 114 (Leiden : Brill, 2004), 103 ; Collins, Mark. A Commentary, 8. 38 Le țȠįȡȞIJȘȢ ne circulait pas dans la partie orientale de l’Empire : Brown, An Introduction to the New Testament, 160–61 ; Collins, Mark. A Commentary, 9. Pourtant, le mot țȠįȡȞIJȘȢ aurait pu être utilisé en Palestine et en Syrie en tant qu’unité monétaire minime proverbiale : Theissen, The Gospels in Context, 247–49, reprit par Collins, Mark. A Commentary, 9. 39 Hengel défend l’idée que ȈȣȡȠijȠȚȞțȚııĮ (Mc 7.26) relève du champ lexical occidental, car ce terme est utilisé dans la littérature romaine pour distinguer les Phéniciens de Syrie de ceux de de la province d’Afrique (Carthage) : Martin Hengel, Studies in the Gospel of Mark (Philadelphia : Fortress Press, 1985), 29. Toutefois, Theissen, The Gospels in Context, 245–47, montre que ce mot est utilisé en Orient en tant que désignation non officielle des habitants de la partie méridionale de la province de Syrie. 40 Theissen, The Gospels in Context, 237–38 ; Roskam, The Purpose of the Gospel of Mark, 103.
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Introduction
Cela étant, à l’instar de l’hypothèse romaine41, l’origine orientale du deuxième évangile ne manque pas de susciter quelques perplexités. Certains éléments semblent poser problème, notamment la connaissance imprécise que l’auteur du deuxième évangile semble avoir des territoires proches de la Galilée42, la traduction en grec d’expressions araméennes et l’explicitation de pratiques juives (voir 12.18 ; 7.39 ; 2.26) qui auraient dû être facilement comprises par un lectorat palestinien43. Ce dernier point pourrait pourtant s’expliquer si l’on postule un lectorat mixte, composé en partie par des pagano-chrétiens44 : les lecteurs de Marc connaissent déjà l’histoire de Jésus45 et acceptent l’autorité de la 41 Le témoignage de Papias peut être remis en question car, d’un côté, son origine est inconnue et, de l’autre, l’évangile de Marc a une perspective théologique qui est plus proche de celle de Paul que de celle de Pierre. Qui plus est, cet évangile ne semble pas avoir été connu (et donc n’a pas exercé son influence) à l’époque de la rédaction de la littérature chrétienne produite à Rome entre la fin du premier et la fin du deuxième siècle, comme la première lettre de Clément et la Regula fidei d’Irénée (Haer. 1.10.1, fin du IIe siècle, précurseur du Symbolum Apostolorum) : Boring, Mark, 11, 18. 42 En Mc 5.1, le territoire de Gérasa est situé sur la côte du lac de Tibériade, alors que la ville se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres de distance. En Mc 7.31, la description de l’itinéraire de Jésus est plutôt surprenante, voire improbable : Boring, Mark, 19. Pourtant, il est possible que même un Palestinien n’ait pas une idée précise de l’emplacement de certaines villes et territoires dans la Décapole et en Syrie : les villes de Gérasa (Décapole), de Tyr et de Sidon (Syrie) étaient probablement les plus connues et associées de manière emblématique à ces territoires. Ainsi Hengel, Studies in the Gospel of Mark, 148 ; Marcus, Mark 1–8, 21 ; Collins, Mark. A Commentary, 8–9. Focant reconnaît que, dans le passage de Mc 7.31, « ces mentions géographiques » indiquent « moins un itinéraire de déplacement que la coexistence des territoires juifs et païens » : Focant, L’Évangile selon Marc, 285. Marcus relève qu’en Mc 11.1, sur la route pour Jérusalem, l’ordre Bethphagé – Béthanie semble incorrect. Si Witherington, The Gospel of Mark, 306, le justifie en avançant que l’emplacement de Bethphagé n’est pas sûr et que l’on ne sait pas avec exactitude quel a été l’itinéraire de Jésus, Marcus préfère voir là un trait rédactionnel : puisque bêt-paggƝ’ en araméen est la « maison des figues immatures », Marc aurait mentionné d’abord cette ville pour préparer la section de 11.12–14 (le figuier sans fruits). Ainsi Marcus, Mark 1–8, 700. 43 Brown, An Introduction to the New Testament, 161 ; Collins, Mark. A Commentary, 8. 44 Yvan Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité. Obscure clarté d’une narration, MdB 55 (Genève : Labor et Fides, 2005), 108–10. Voir aussi Boring, Mark, 16–17 ; CombetGalland, « L’Évangile selon Marc », 70–71. Marc s’adresse explicitement à son lectorat en 13.14 : ਕȞĮȖȚȞઆıțȦȞ ȞȠİIJȦ. On peut raisonnablement imaginer qu’il n’écrit pas pour un groupe restreint, mais pour une communauté chrétienne composée de groupes en réseau dans un territoire donné. Bauckham, pour lequel les évangélistes avaient à l’esprit un lectorat beaucoup plus vaste que ce qui est normalement accepté, admet néanmoins que « [c]ertainly it may be argued that the community in which a Gospel was written is likely to have influenced the writing of the Gospel even though it is not addressed by the Gospel » : Richard Bauckham, The Gospels for all Christiansࣟ : Rethinking the Gospel Audiences (Grand Rapids : Eerdmans, 1998), 44. 45 En Mc 15.1, Pilate n’est pas presenté ; Simon de Cyrène et ses enfants semblent être connus (Mc 15.21) : Brown, An Introduction to the New Testament, 161.
Les postulats sous-jacents à notre recherche
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Bible hébraïque (voir les citations explicites en Mc 1.2–3 ; 7.6–10 ; 11.17 ; 14.27), tout en se situant dans un contexte social où la femme peut, contrairement à la coutume juive, répudier son mari (10.12) ; qui plus est, ils regardent avec beaucoup de faveur l’intérêt de Dieu, en Jésus, pour les non-Juifs (5.1– 20 ; 7.24–30, 31–37 ; 11.17 ; 12.9 ; 13.10 ; 14.9). Quoi qu’il en soit, le lieu de rédaction de l’évangile de Marc (Rome, Syrie ou Palestine) n’affecte pas l’analyse que nous proposons dans ce travail. Pour ce qui est de la datation de Marc, un nombre très restreint d’exégètes considère que l’évangile de Marc a été rédigé pendant les années 40–5046. En dépit du fait qu’une datation si ancienne de Marc ait été encore soutenue récemment par Crossley47, la plupart des commentateurs s’accordent pour situer la rédaction de Marc vers la fin des années 6048. Lire l’évangile de Marc du point de vue de l’effet souhaité sur son lectorat – c’est-à-dire en privilégiant l’approche narrative – apporte toutefois des arguments en faveur d’une datation postérieure à l’an 70. On a déjà relevé, chez Marc, la volonté de donner un sens à l’absence de Jésus et au retard de l’instauration en gloire du Royaume dans le contexte de la destruction du Temple et des persécutions subies par les disciples de Jésus. Les références à IJઁ ȕįȜȣȖȝĮ IJોȢ ਥȡȘȝઆıİȦȢ en Marc 13.14 et aux jours ȝİIJ IJȞ șȜȥȚȞ ਥțİȞȘȞ au verset 24 peuvent être effectivement comprises en relation avec la débâcle de la Révolte juive et avec l’attente fiévreuse de l’instauration du Royaume dans laquelle vit le lectorat visé par Marc49. Selon Kelber, Marc sanctionne l’annonce de certains prophètes chrétiens (Mc 13.6, 21), reliant la guerre avec les Romains avec l’avènement du Royaume et destinée à être frustrée, pour amener son lectorat à comprendre qu’il faut voir en l’abandon de Jésus par Dieu sur la croix l’anticipation et le paradigme de l’expérience des chrétiens après 7050. Pour Incigneri aussi, la communauté chrétienne cible du deuxième évangile 46 Voir notamment Charles C. Torrey, The Four Gospels. A New Translation, 2e éd., 1e éd. 1933 (New York : Harper, 1947), 261–62 ; José O’Callaghan, « ¿Papiros neotestamentarios en la cueva 7 de Qumrãn? », Bib 53, no 1 (1972) : 91–100. Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 11, date toute la première partie de Marc (jusqu’à la fin du chapitre 13) des années 39–40. 47 James G. Crossley, The Date of Mark’s Gospel. Insight from the Law in Earliest Christianity, JSNTSup 299 (London – New York : T. and T. Clark, 2004). 48 Voir par exemple Bernard Orchard, « Mark and the Fusion of Traditions », in The Four Gospels 1992 : Festschrift Frans Neirynck, éd. par Frans van Segbroek, vol. 2, BETL 100 (Louvain : Leuven University Press – Peeters, 1992), 779–800 ; Witherington, The Gospel of Mark, 26–35 ; France, Mark, 41 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 33–34 ; Collins, Mark. A Commentary, 11–14 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 70. 49 Theissen, The Gospels in Context, 134, 194, 259 ; Brown, An Introduction to the New Testament, 127, 163–64 ; Boring, Mark, 14–15. 50 Werner H. Kelber, « Conclusionௗ: From Passion Narrative to Gospel », in The Passion in Mark : Studies on Mark 14–16, éd. par Werner H. Kelber et John R. Donahue (Philadelphia : Fortress Press, 1976), 164.
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Introduction
semble vivre dans le stress de l’« apparent absence, powerlessness, or even desire of God to put an end to their suffering »51. Dans cette perspective, Marc encouragerait son lectorat à attendre patiemment la parousie en Galilée – bien qu’il se trouve en danger de persécution de la part des autorités juives et/ou non juives (13.9) –, en considérant la chute de Jérusalem comme le prélude nécessaire et annoncé à l’avènement du Fils de l’Homme prédit en Marc 13.26– 2752. Il nous semble alors opportun d’adopter une datation tardive pour l’évangile de Marc. Le moment venu, il sera possible de déterminer si notre travail a apporté des éléments qui pourraient favoriser ou infirmer l’hypothèse d’une rédaction après la Première guerre judéo-romaine (66–73)53.
À propos de la méthodologie et de la structure de ce travail Méthodologie et structure du travail Sur le plan méthodologique, notre choix est de donner la priorité à la forme finale du texte et à la manière dont l’auteur implicite articule les différents tableaux du récit. Dans la première partie du livre, nous nous demanderons brièvement comment on parvient au récit de Marc 5.1–20 dans sa forme rédactionnelle actuelle ; nous étudierons le texte sous l’angle des intentions du rédacteur : le texte grec sera alors accompagné de notre traduction personnelle justifiée par des considérations philologiques, le but de la traduction étant de s’assurer, dans la mesure du possible, du sens attribué par l’auteur du deuxième évangile aux mots et aux locutions qu’il a soigneusement choisis (chapitre 1) ; nous proposerons ensuite une analyse originale et détaillée de type narratologique du récit
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Incigneri, The Gospel to the Romans, 247 ; voir aussi 253–254. Marcus, Mark 1–8, 28–33 ; Incigneri, The Gospel to the Romans, 116–55 ; Roskam, The Purpose of the Gospel of Mark, 81–94 ; Boring, Mark, 17 ; Rochester, Good News at Gerasa, 26 ; Moloney, Mark, 13–15 ; David M. Rhoads, Joanna Dewey, et Donald Michie, Mark as Story : An Introduction to the Narrative of a Gospel, 3e éd., 1e éd. 1982 (Minneapolis : Fortress Press, 2012), 145–46. Voir Juel et Danove pour des opinions différentes. En se focalisant sur la situation sociale des destinataires de Marc, Juel arrive à la conclusion que les allusions aux persécutions n’ont pas une fonction descriptive mais rhétorique : « [to] jolt a complacent community » : Donald H. Juel, A Master of Surprise : Mark Interpreted, BibStudies (Minneapolis : Fortress Press, 1994), 162. Pour Danove non plus, le lectorat visé n’est pas en proie à la souffrance car l’annonce des persécutions, avec les répétitions contextuelles, en Mc 8.35 ; 10.26–30 et 13.9–13, de l’attitude idéale du disciple, serait au service d’une rhétorique narrative qui soulignerait les « required actions and attibutes of the disciples, especially when sent to proclaim » : Paul L. Danove, The Rhetoric of Characterization of God, Jesus, and Jesus’ Disciples in the Gospel of Mark, JSNTSup 290 (London – New York : T. and T. Clark, 2005), 162. 53 Voir infra, p. 406–412 et 434–435. 52
Méthodologie et structure du travail
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de Marc 5.1–20 (chapitres 2 et 3). Ce récit est, en reprenant une image de Michel-Ange, le « marbre » à travailler et qui circonscrit, dans la première partie de ce travail, l’espace dans lequel doivent se déployer nos efforts54. Le texte de Marc est un « acte de discours », une « actualisation de ses conditions d’existence »55 qui ne réduit pas le message à de l’information mais le situe plutôt au niveau des valeurs, valeurs auxquelles il demande au lecteur d’adhérer56. L’objectif de la première partie de cette monographie est de montrer, notamment par l’étude de son intrigue, de la relation entre le narrateur et le narrataire, de la gestion de la temporalité narrative et du jeu des points de vue, de quelle manière ce récit contribue à la construction du portrait du Jésus marcien et du disciple exemplaire. Dans un deuxième temps, il nous a semblé nécessaire de tenir compte du contexte historique, social et religieux dans lequel le récit de Marc 5.1–20 (mais également tout l’évangile) a été rédigé et lu par ses premiers lecteurs historiques, car il n’est pas possible de pleinement apprécier l’effet du texte sur son lecteur si l’on ignore l’encyclopédie du savoir de ce dernier. Dans une perspective multidisciplinaire, les résultats de l’analyse littéraire doivent être donc mis en relation avec les – et à l’épreuve des – idéologies, visions du monde, événements, attentes et pratiques qui, en tant qu’éléments qui interagissent dans une société complexe, ont pu participer, implicitement ou explicitement, à la formation de ces textes. La deuxième partie de ce livre est ainsi constituée de trois chapitres. L’un est consacré à la gestion de la notion de pureté en Marc 5.1–20. Il s’agit d’essayer de déterminer de quelle manière la mention, dans le récit, des tombeaux, des esprits impurs et des cochons interagit avec les croyances et les pratiques du lecteur historique de Marc (codes de pureté, articulation entre le sacré et le profane), avant d’élargir la réflexion à la rhétorique de la pureté mise en œuvre dans le récit (chapitre 4). Ce sera l’occasion de faire le point sur les 54
« Non ha l'ottimo artista alcun concetto, / Ch’un marmo solo in se non circoscriva / Col suo soverchio, e solo a quello arriva / La man che obbedisce ail’intelletto. » Ce sont les quatre premiers vers du premier sonnet que Michel-Ange écrivit entre 1538 et 1544 à Vittoria Colonna. En voici la traduction de Boyer d’Agen : « Tout ce qu’un grand artiste peut concevoir, le marbre le renferme en son sein ; mais il n’y a qu’une main obéissante à la pensée qui puisse l’en faire éclore » : Michel-Ange, L’Œuvre littéraire de Michel-Ange, éd. par Ascanio Condivi, trad. par Boyer d’Agen, 2e éd. (Paris : Librairie Charles Delagrave, 1911), 167. La critique narrative et les outils d’analyse littéraire qu’elle emploie étant déjà suffisamment connus par les exégètes, nous nous limiterons à inviter les lecteurs qui le souhaiteraient à se référer aux ouvrages cités à la note 13, p. 4–5. 55 Corina Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu : lectures de l’évangile de Marc. Relecture d’un parcours sémiotique » (Thèse doctorale, Faculté de théologie – Université de Neuchâtel, 1998), 305, note 84. 56 Jacques Geninasca, « Du texte au discours littéraire et son sujet », in La littéralité, éd. par Louise Milot et Fernand Roy, Sainte Foy (Laval : Presses universitaires de l’Université de Laval, 1991), 249–50 ; idem, La Parole littéraire, FSém (Paris : PUF, 1997), 92–94, 101.
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Introduction
notions de pureté et de sainteté dans la Bible hébraïque, au sein des mouvements juifs proches (géographiquement et/ou conceptuellement) du mouvement de Jésus et aussi dans le monde gréco-romain. Il s’agira, bien entendu, de comprendre de quelle manière les dynamiques dégagées par l’analyse synchronique interagissent avec la vision du monde du lecteur historique (données diachroniques) en vue de sa reconfiguration. Un autre chapitre s’intéresse à une compréhension de Marc 5.1–20 qui relève de l’émergence des lectures post-coloniales qui privilégient elles-mêmes la dimension idéologique – pour les études marciennes, il s’agit notamment de comprendre cet écrit en clé anti-impérialiste. Afin d’étudier la possible dimension socio-politique du récit de l’exorcisme de Gérasa, nous nous proposons de le replacer dans le contexte social, économique et politique de la Galilée du premier siècle, d’analyser de façon critique les arguments avancés en faveur d’une teneur anti-romaine de la péricope, et de comprendre de quelle manière Marc articule le thème du conflit cosmique entre Dieu et Satan avec celui du déploiement du Royaume dont Jésus est le héraut (chapitre 5). S’il est vrai que le Jésus marcien dénonce l’oppression dont les disciples seront victimes de la part des autorités (Mc 13.9) et offre un nouveau modèle relationnel fondé sur le service et non pas sur la domination (10.42), faut-il pour autant en conclure que le récit du Gérasénien s’inscrit (seulement) dans une polémique qui verrait en Rome et en sa politique impérialiste la manifestation tangible et principale du pouvoir satanique ? Ici aussi, il s’agira de comprendre de quelle manière Marc 5.1–20 rencontre le lecteur historique sur le terrain de ses convictions afin de le bousculer. Le dernier chapitre de la deuxième partie est consacré à l’étude de la péricope en relation avec les croyances sur les esprits (notamment la démonologie) et avec les pratiques exorcistiques de l’époque (chapitre 6). Il sera question d’esquisser brièvement le développement de la démonologie (juive et grécoromaine) jusqu’à l’époque de la rédaction du Nouveau Testament, de porter un regard sur les arétalogies, sur les témoignages (favorables et hostiles) relatifs aux pratiques religieuses et/ou magiques – dont les exorcismes – et de prendre en compte les formules et les rituels qui nous sont parvenus grâce aux tablettes, aux papyri, aux inscriptions et aux amulettes, afin d’apprécier l’arrière-plan idéologique sur lequel se situe le lecteur/auditeur de Marc 5.1–20. L’articulation de ces données avec le portrait de Jésus exorciste dégagé par l’analyse synchronique du récit du Gérasénien apportera, nous le croyons, une intelligence accrue non pas de ce récit seulement, mais aussi de toute l’activité exorcistique du Jésus marcien et de la place de ses exorcismes au sein du macrorécit. Pour résumer, le but de la deuxième partie de ce livre est de dégager la force reconfiguratrice du récit, selon les différents registres (religieux, socio-politique et spirituel), et de vérifier la compatibilité de ces éléments avec ceux dégagés, dans la première partie, par l’analyse narrative, notamment en relation
Méthodologie et structure du travail
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avec le dévoilement de la personne de Jésus et du profil du disciple exemplaire qu’il promeut. Dans la troisième et dernière partie, nous reviendrons à la dimension synchronique de notre démarche exégétique : notre but sera de comprendre de quelle manière le récit de l’exorcisme de Gérasa participe au projet plus ample, mis en œuvre par l’auteur implicite à l’échelle de l’ensemble du macro-récit, de reconfiguration épistémique de son lecteur, notamment autour de la relation qui s’instaure progressivement entre le disciple exemplaire et un Jésus absent, auquel il est appelé à s’identifier. La fonction narrative du récit de Marc 5.1–20 dans ses contextes littéraires proche et large fait ainsi l’objet de l’avant-dernier chapitre (7). Ce chapitre s’intéresse à la gestion des personnages par l’auteur implicite et explore la pertinence de la mise en relation, au niveau narratif, du jeune homme de Marc 14.51–52 avec celui de 16.5–7 et, par la suite, de ces deux personnages avec le Gérasénien (5.1–20) dans le cadre d’un parcours de sens proposé au lecteur implicite. Ce sera l’occasion de s’engager dans une discussion avec ceux qui ne voient pas le lien narratif entre les deux ȞİĮȞıțȠȚ ni/ou une éventuelle portée symbolique des deux récits lus en miroir, et ceux qui, par contre, discernent, chez l’auteur implicite, une intention de faire lire les deux péricopes, intégrées dans la section de la Passion (Mc 14–16), comme s’éclairant mutuellement. Le dernier chapitre (8) se focalisera sur l’enjeu du parcours narratif reliant l’épisode du démoniaque de Gérasa (Mc 5.1–20) aux deux ȞİĮȞıțȠȚ de 14.51– 52 et de 16.5–6. Il nous donnera tout d’abord l’occasion d’analyser, au niveau synchronique, la nature et la portée de la relation qui existe entre les figures du jeune homme qui s’enfuit nu et du jeune homme au tombeau. Ensuite, nous examinerons la possibilité que Marc ait conçu son évangile comme devant faire l’objet d’une lecture en boucle. Si effectivement cette manière de lire l’évangile s’avère être un outil herméneutique conçu par l’auteur implicite, il sera opportun de réfléchir sur la façon dont la relecture de l’épisode de l’exorcisme de Gérasa, notamment après les récits mettant en scène les deux jeunes hommes (chapitres 14 et 16), et donc à la lumière de ces péricopes, éclaire la conception du disciple exemplaire selon Marc. La symbolique de la vêture, en relation avec le thème de la suivance et de l’absence de Jésus pour le lecteur qui s’engage dans cet itinéraire de sens, recevra également une attention particulière. Toute analyse théologique et exégétique doit être menée en étant conscient que personne ne travaille dans un vide idéologique57 et que toute interaction avec le texte biblique à l’aide d’outils « objectifs » ne peut faire abstraction du fait 57
Delio Cantimori parle du « furibond cheval idéologique » qui doit être apprivoisé : cité par Giuseppe Ruggieri, Prima lezione di teologia, 2 éd., 1e éd. 2011, Universale Laterza 923 (Bari : Laterza, 2012), 24.
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Introduction
que la conscience et la capacité analytique du chercheur ont été tissées dans les matrices interprétatives de son époque et de son milieu d’appartenance. Il s’agit d’une dimension plus ou moins cachée (parfois au chercheur lui-même), qu’il convient de reconnaître. Conscient de cet inévitable état de fait, nous livrons notre travail dans l’espoir d’apporter une contribution utile et pertinente à l’étude actuelle de l’épisode marcien de l’exorcisme de Gérasa et de sa place et de son rôle dans la trame du deuxième évangile.
Première partie
Le récit du démoniaque de Gérasa (Mc 5.1–20)
Marc 5.1–20 : le texte grec L’Évangile selon Marc est celui pour lequel on a le moins de traces anciennes. Sur les cent-vingt-sept papyri recensés par la 28e édition de Nestle-Aland, trois seulement sont, de manière fragmentaire, des témoins du texte de Marc. Le papyrus 45 (IIIe siècle), le papyrus 84 (VIe siècle) et le papyrus 88 (IVe siècle) contiennent, respectivement, des fragments de Marc 4 à 12 (en relation directe avec notre étude, seulement 5.15–26), des fragments des chapitres 2 et 6, et enfin 2.1–26. Le texte de la péricope du démoniaque de Gérasa (Mc 5.1–20) ne se retrouve, dans sa version intégrale, dans aucun de ces témoins. La version complète de l’épisode de Gérasa apparaît, par contre, dans des onciaux très importants du point de vue de la critique textuelle et datant à partir du IVe–Ve siècle, à savoir les codices Sinaiticus, Vaticanus, Alexandrinus, Ephreemi Rescriptus (C), Washingtoniensis (codex Freer) et le codex de Bèze (05). Eugene Boring remarque que, en dépit de l’énorme prolifération du type de texte byzantin, la version retenue comme la plus proche de la forme archaïque de l’évangile de Marc n’a pas été complètement supplantée, comme en témoigne le minuscule 1342, plutôt tardif (XIIIe–XIVe siècle)1. Nous proposons de suite le texte grec retenu dans le NA28 : nous l’adoptons en justifiant notre choix à l’aide de notes de critique textuelle situées juste après le texte. (1) țĮ ȜșȠȞa İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ İੁȢ IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡĮıȘȞȞb (2) țĮ ਥȟİȜșંȞIJȠȢ ĮIJȠ૨ ਥț IJȠ૨ ʌȜȠȠȣ İșઃȢ ਫ਼ʌȞIJȘıİȞc ĮIJ ਥț IJȞ ȝȞȘȝİȦȞ ਙȞșȡȦʌȠȢ ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ (3) Ȣ IJȞ țĮIJȠțȘıȚȞ İੇȤİȞ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ țĮ Ƞį ਖȜıİȚ ȠțIJȚ ȠįİȢ ਥįȞĮIJȠ ĮIJઁȞ įોıĮȚd (4) įȚ IJઁ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜțȚȢ ʌįĮȚȢ țĮ ਖȜıİıȚȞ įİįıșĮȚ țĮ įȚİıʌıșĮȚ ਫ਼ʌ’ ĮIJȠ૨ IJȢ ਖȜıİȚȢ țĮ IJȢ ʌįĮȢ ıȣȞIJİIJȡijșĮȚ țĮ ȠįİȢ ıȤȣİȞ ĮIJઁȞ įĮȝıĮȚ (5) țĮ įȚ ʌĮȞIJઁȢ ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȡĮȢ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ țĮ ਥȞ IJȠȢ ȡİıȚȞ Ȟ țȡȗȦȞ țĮ țĮIJĮțંʌIJȦȞ 1 Boring, Mark, 22–23. Boring cite aussi le minuscule 2427, qu’il date du XIVe siècle et qui se trouve encore dans la liste des minuscules grecs du NA27. Cependant, depuis 2006 (Stephen C. Carlson, « ‹Archaic Mark› (MS 2427) and the Finding of a Manuscript Fake », SBL Forum , non publié, en ligne : http://sbl-site.org/Article.aspx?ArticleID=577), et de manière encore plus probante en 2009 (Margaret M. Mitchell, Joseph G. Barabe, et Abigail B. Quandt, « Chicago’s ‹Archaic Mark› (ms 2427) IIௗ : Microscopic, Chemical and Codicological Analyses Confirm Modern Production », NovT 52 (2010) : 101–33.), ce minuscule a été reconnu comme une forgerie, et il n’apparaît pas dans la liste des minuscules grecs du NA28.
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Marc 5.1-20 : le texte grec
ਦĮȣIJઁȞ ȜșȠȚȢ (6) țĮ ੁįઅȞ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ įȡĮȝİȞ țĮ ʌȡȠıİțȞȘıİȞ ĮIJe (7) țĮ țȡȟĮȢ ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ ȜȖİȚ IJ ਥȝȠ țĮ ıȠ ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ (8) ȜİȖİȞ Ȗȡ ĮIJ ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ਥț IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ (9) țĮ ਥʌȘȡઆIJĮ ĮIJંȞ IJ ȞȠȝ ıȠȚ țĮ ȜȖİȚ ĮIJ ȜİȖȚઅȞf ȞȠȝ ȝȠȚ IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ (10) țĮ ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜ ȞĮ ȝ ĮIJg ਕʌȠıIJİȜૉ ȟȦ IJોȢ ȤઆȡĮȢ (11) Ȟ į ਥțİ ʌȡઁȢ IJ ȡİȚ ਕȖȜȘ ȤȠȡȦȞ ȝİȖȜȘ ȕȠıțȠȝȞȘ (12) țĮ ʌĮȡİțȜİıĮȞ ĮIJઁȞ ȜȖȠȞIJİȢh ʌȝȥȠȞ ਲȝ઼Ȣ İੁȢ IJȠઃȢ ȤȠȡȠȣȢ ȞĮ İੁȢ ĮIJȠઃȢ İੁıȜșȦȝİȞ (13) țĮ ਥʌIJȡİȥİȞ ĮIJȠȢi țĮ ਥȟİȜșંȞIJĮ IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ İੁıોȜșȠȞ İੁȢ IJȠઃȢ ȤȠȡȠȣȢ țĮ ੮ȡȝȘıİȞ ਲ ਕȖȜȘ țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ İੁȢ IJȞ șȜĮııĮȞ ੪Ȣ įȚıȤȜȚȠȚ țĮ ਥʌȞȖȠȞIJȠ ਥȞ IJૌ șĮȜııૉ (14) țĮ Ƞੂ ȕંıțȠȞIJİȢ ĮIJȠઃȢ ijȣȖȠȞ țĮ ਕʌȖȖİȚȜĮȞj İੁȢ IJȞ ʌંȜȚȞ țĮ İੁȢ IJȠઃȢ ਕȖȡȠȢ țĮ ȜșȠȞ ੁįİȞ IJ ਥıIJȚȞ IJઁ ȖİȖȠȞઁȢ (15) țĮ ȡȤȠȞIJĮȚ ʌȡઁȢ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ țĮ șİȦȡȠ૨ıȚȞ IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ țĮșȝİȞȠȞ ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ țĮ ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮk țĮ ਥijȠȕșȘıĮȞ (16) țĮ įȚȘȖıĮȞIJȠ ĮIJȠȢ Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ ʌȢ ਥȖȞİIJȠ IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ țĮ ʌİȡ IJȞ ȤȠȡȦȞ (17) țĮ ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞl ĮIJઁȞ ਕʌİȜșİȞ ਕʌઁ IJȞ ȡȦȞ ĮIJȞ (18) țĮ ਥȝȕĮȞȠȞIJȠȢ ĮIJȠ૨ İੁȢ IJઁ ʌȜȠȠȞ ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ įĮȚȝȠȞȚıșİȢ ȞĮ ȝİIJ’ ĮIJȠ૨ ઝ (19) țĮ Ƞț ਕijોțİȞ ĮIJંȞ ਕȜȜ ȜȖİȚ ĮIJm ʌĮȖİ İੁȢ IJઁȞ ȠੇțંȞ ıȠȣ ʌȡઁȢ IJȠઃȢ ıȠઃȢ țĮ ਕʌȖȖİȚȜȠȞn ĮIJȠȢ ıĮ țȡȚંȢ ıȠȚo ʌİʌȠȘțİȞ țĮ ȜȘıȞ ıİ (20) țĮ ਕʌોȜșİȞ țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ ਥȞ IJૌ ǻİțĮʌંȜİȚ ıĮ ਥʌȠȘıİȞ ĮIJ ȘıȠ૨Ȣ țĮ ʌȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ.
Notes de critique textuelle Notes de critique textuelle a
Boring, Mark, 22–23. Boring cite aussi le minuscule 2427, qu’il date du XIVe siècle et qui se trouve encore dans la liste des minuscules grecs du NA27. Cependant, depuis 2006 [Stephen C. Carlson, « ‹Archaic Mark› (MS 2427) and the Finding of a Manuscript Fake », SBL Forum , non publié, en ligne : http://sbl-site.org/Article.aspx?ArticleID=577], et de manière encore plus probante en 2009 [Margaret M. Mitchell, Joseph G. Barabe, et Abigail B. Quandt, « Chicago’s ‹Archaic Mark› (ms 2427) IIௗ : Microscopic, Chemical and Codicological Analyses Confirm Modern Production », NovT 52 (2010) : 101–33], ce minuscule a été reconnu comme une forgerie, et il n’apparaît pas dans la liste des minuscules grecs du NA28. ȜșȠȞ est remplacée par ȜșİȞ dans : ஹ2 C L ǻ 579 892 1241 (représentants du texte alexandrin) ; G (qui ajoute aussi ȘıȠ૨Ȣ, en reproduisant l’expression ȜșİȞ ȘıȠ૨Ȣ İੁȢ de Mc 1.14 ) et M (texte syro-byzantin) ; Ĭ f13 28 700 (qui remplace le mot șȜĮııĮ par le moins prétentieux ȜȝȞȘ) 2542 (texte césaréen). Ce changement s’explique plutôt aisément. La suite du récit du démoniaque de Gérasa ne verra pas les disciples intervenir de manière explicite. Au niveau narratif, ils « disparaissent » (cf. 5.21 : ȀĮ įȚĮʌİȡıĮȞIJȠȢ IJȠ૨ ȘıȠ૨ b
Notes de critique textuelle
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[ਥȞ IJ ʌȜȠ] ʌȜȚȞ İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ…) pour apparaître à nouveau dans la narration en 5.31. Face à cette incongruité interne du récit (qui assumerait alors les contours d’une lectio difficilior), certains copistes ont opté pour la cohérence logique et syntaxique. Cependant, il faudra retenir la forme verbale au pluriel, car Marc a l’habitude d’introduire ainsi des récits pour ensuite focaliser le regard sur l’action de Jésus seul (cf. Mc 8.22–26 ; 10.46–52 ; 11.15–19, 27–33) : déjà remarqué par Cuthbert H. Turner, « Marcan Usageௗ: Notes, Critical and Exegetical, on the Second Gospel (continued) », JTS 26, no 103 (1925) : 225– 26, 228, cité par Collins, Mark. A Commentary, 263. Mis à part l’idiosyncratique IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡȖȣıIJȘȞȞ de W (Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, 84), on retrouve, dans les différents manuscrits, les expressions IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ / īĮįĮȡȘȞȞ / īİȡȖİıȘȞંȢ. Comment expliquer une telle divergence parmi les manuscrits ? On attribue à Origène (Comm. Jo. 6.211) l’introduction du nom Gergésa, ville qu’il affirme avoir visitée et qu’il identifie avec Tibériade (aussi Thomas d’Aquin, Catena Aurea, 3 – St. Mark : 354, en citant [Pseudo-]Chrysostome) : selon son témoignage, les habitants lui ont montré le lieu où le miracle aurait été accompli. Il suggère, sans donner la moindre justification, de remplacer ainsi Gadara de Matthieu 8.28 et Gérasa de Marc 5.1 et de Luc 8.26, 37 (Collins, Mark. A Commentary, 264 ; Taylor, Saint Mark, 278 ; Raymond G. Clapp, « A Study of the Place-Names Gergesa and Bethabara », JBL 26, no 1 [1907] : 65–66 ; Tjitze Baarda, « Gadarenes, Gersenes, Gergesenes and the ‹Diatessaron› Traditions », in Neotestamentica et Semitica : Studies in Honour of Matthew Black, éd. par Edward E. Ellis et Max E. Wilcox [Edinburgh : T. and T. Clark, 1969], 181–97). Pour Origène, l’étymologie de Gergésa serait « lieu de celui qui chasse », probablement sur la base de l’assonance avec le verbe ˇʸʕʔ ˏ, ce qui lui confèrerait une dimension prophétique : en Ex 23.28 (LXX : ਥțȕȜȜȦ), ce verbe est utilisé pour décrire l’action de Dieu chassant des populations non juives de leur territoire devant l’avancée du peuple d’Israël (Andreas Bedenbender, « Orte mitten im Meer. Die geographischen Angaben des Markusevangeliums », T&K 23, no 2 [2000] : 43–44 ; Amy-Jill Levine et Marc Z. Brettler, éd, The Jewish Annotated New Testament [Oxford : Oxford University Press, 2011], 69 ; Francesco M. Uricchio et Gaetano M. Stano, éd, Vangelo secondo Marco, SBGC [Rome : Marietti, 1966], 297–98 ; Baarda, « Gadarenes, Gersenes, Gergesenes and the ‹Diatessaron› Traditions », 181–97 ; Witherington, The Gospel of Mark, 180, note 140, suggère que la ville aurait pu recevoir ce nom après le miracle). Gergésa a été associée plus récemment à la moderne Kursi (ou Kursa ou Kersa), une ville située sur la côte sud-orientale du lac de Tibériade, près d’une rivière descendant des hauteurs du Golan : Gundry, Mark, 255–56, qui retient cette leçon ; Boring, Mark, 148 ; Ådna, « The Encounter », 295 ; Vassilios c
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Tzaferis, « Kursi », in NEAEHL, éd. par Ephraim Stern (Jerusalem – New York : Israel Exploration Society and Carta – Simon and Schuster, 1993), 3 : 893–896. Un précipice donnant sur le lac existe à deux ou trois kilomètres de la ville, et des grottes utilisées comme sépulcres ont été découvertes trois kilomètres plus loin : Witherington, The Gospel of Mark, 180 ; cf. Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 142, qui considère l’indentification conjecturale. Les deux identifications (avec Tibériade et Kursi) demeurent très douteuses et il faut les écarter. Trocmé, de son côté, estime que la leçon Ȟ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡȖİıȘȞંȢ pourrait s’expliquer plutôt par une volonté de souligner que la localité en question est un territoire étranger habité par des non-Juifs : en Gn 10.16 et 15.21, Dt 7.1, Jos 3.10 et 24.11, Ne 9.8 et 1 Ch 1.14, il est question de la tribu cananéenne des ʩˇʕʑ ˏʸʍ ʑˏ (LXX : īİȡȖİıĮȠȢ) : L’Évangile selon saint Marc, 142. Le fait est que cette leçon a influencé un bon nombre de scribes des différentes traditions textuelles (tradition alexandrine : ஹ2 L ǻ 33 579 892 1241 ; tradition byzantine : U 1071 2542 ; tradition césaréenne : Ĭ f1 28 565 700 1424 ; on ajoutera l’évangile en ancien syriaque Syrus Sinaiticus [IV–Ve siècle] et les témoins coptes en dialecte bohaïrique), mais elle doit être considérée comme secondaire. La leçon IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īĮįĮȡȘȞȞ est sans doute la mieux représentée : outre un grand nombre de témoins du texte byzantin, dont A E G M K (H ȍ īĮįĮȡȚȞȞ) S Y 2 l2211 (Xe s.) et al., cette leçon apparaît aussi dans C (type de texte alexandrin), f13 (césaréen), dans la Peshitta et dans la version syriaque dite Harklensis (année 616). Cependant, elle apparaît comme une tentative d’harmoniser le récit de Marc avec celui de Matthieu 8.28. Gadara (aujourd’hui Um Queis) était à l’époque une ville de la Décapole située en Transjordanie, à une dizaine de kilomètres du lac de Tibériade, sur le côté sud-oriental de la rivière Yarmuk : Boring, Mark, 148 ; Yizhar Hirschfeld et Michael Avi-Yonah, « Hammat Gader », in NEAEHL, éd. par Ephraim Stern (Jerusalem – New York : Israel Exploration Society and Carta – Simon and Schuster, 1993), 2 : 565–573 ; Ådna, « The Encounter », 294, qui accepte Gadara comme original. Il est possible qu’au premier siècle de notre ère, le territoire (juridiction) de Gadara ait pu atteindre la rive du lac : Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, 18–19 ; John McRay, « Gerasenes », in ABD, éd. par David N. Freedman (New York – London : Doubleday, 1992), 2 : 991–992. Concernant Gérasa, aujourd’hui elle est identifiée communément avec la moderne Jérash (à environ 35 kilomètres d’Amman). Elle était, à l’époque, une ville hellénistique de la Décapole, située en Transjordanie, près de la rivière Jabbok, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est du lac de Tibériade : Boring, Mark, 148 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 142. Il est fort improbable que sa juridiction se soit étendue jusqu’à lui : Alan F. Segal, « Gerasa », in NEAEHL, 2 : 470–479 ; Ådna, « The Encounter », 294 ; selon Thomas d’Aquin, Catena Aurea, 3 – St. Mark : 353, Bède situait Gérasa en Arabie, au-
Notes de critique textuelle
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delà du Jourdain, près du mont Galaad et pas loin du lac de Tibériade. En dépit de la difficulté que la leçon Ȟ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ présente à cause de la distance trop importante entre la ville de Gérasa et le lac de Tibériade, elle s’impose, en toute probabilité, comme la leçon d’origine, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est soutenue par des témoins de poids : Sinaiticus (avant correction) et Vaticanus (mais aussi D, la tradition latine et les versions en sahïdique) ; deuxièmement, elle apparaît comme la lectio difficilior : il s’agit sans doute de la leçon la plus problématique, qui justifie des tentatives (déjà très anciennes) de correction ; enfin, la prolifération des autres leçons s’explique, entre autres, par une volonté d’harmoniser le texte de Marc avec la version plus logique de Matthieu et/ou la proposition (qui fera autorité) d’Origène (Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, 84). Gérasa, bien qu’il s’agisse d’une localité au positionnement géographique problématique pour le déroulement des faits du récit de Marc 5.1–20, s’impose donc comme la leçon à retenir. d
La venue du démoniaque à la rencontre de Jésus est décrite dans le texte à travers le recours au verbe ਫ਼ʌĮȞIJȦ à l’aoriste (ਫ਼ʌȒȞIJȘıİȞ), bien attesté : ஹ B C L ǻ 579 (texte alexandrin) ; D (occidental) ; Ĭ f1.13 28 565 700 (césaréen) ; G l2211 et al. (byzantin). Cependant, le texte majoritaire (entre autres A et K), des témoins du type occidental (W) et même du texte alexandrin (33 892 1241) attestent le verbe ਕʌĮȞIJȦ (leçon ਕʌȒȞIJȘıİȞ). Si ce dernier verbe se rencontre en Marc 14.13, le premier (ਫ਼ʌĮȞIJȦ) ne figure que dans la péricope que nous étudions : faut-il voir dans la leçon ਕʌĮȞIJȘıİȞ une tentative d’harmonisation des deux verbes préfixés à l’intérieur du même évangile, ou plutôt envisager la leçon ਫ਼ʌȒȞIJȘıİȞ comme le résultat d’un effort en vue d’homogénéiser le récit de Marc avec ses parallèles matthéen (Mt 8.28) et lucanien (Lc 8.27) dans lesquels le même verbe est utilisé ? Dans ce dernier cas, la leçon originale serait ਕʌȞIJȘıİȞ ĮIJ, changée indépendamment en ਫ਼ʌȞIJȘıİȞ par Luc et en ਫ਼ʌȞIJȘıĮȞ ĮIJ par Matthieu, ce qui expliquerait ensuite l’introduction, dans le texte de Marc, à une époque très ancienne, de la leçon non originale ਫ਼ʌȞIJȘıİȞ ĮIJ (c’est l’hypothèse avancée par Collins, Mark. A Commentary, 263). Cependant, une telle spéculation est improbable et non justifiée : il faudrait postuler que l’accord entre Luc et Matthieu soit fortuit ou que l’un ait pu influencer l’autre ; que cet accord ait généré une variante marcienne qui s’est imposée très tôt, au point d’être représentée par les témoins les plus importants du texte alexandrin et du texte occidental, témoins qui, par contre, n’adopteraient pas la variante la plus « logique » (déjà existante aussi bien chez Matthieu que chez Luc) concernant la localité du miracle. Notre avis est que la leçon la mieux attestée (avec le verbe ਫ਼ʌĮȞIJȦ) doit être retenue, et cela même du point de vue de la critique interne : la différence entre Marc 5.2 et 14.13 s’explique par l’intention auctorielle de distinguer qualitativement l’avancée
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menaçante du démoniaque (Mc 5) de celle, pacifique, de l’homme portant une cruche d’eau (Mc 14). Le Codex Campianus (M, VIIIe s., texte byzantin) propose l’étonnant ȠįİȢ ਥIJંȜȝĮ ĮIJઁȞ įોıĮȚ (« personne n’osait/n’avait le courage de le lier ») à la place de ȠįİȢ ਥįȞĮIJȠ ĮIJઁȞ įોıĮȚ (« personne ne pouvait le lier »). Il s’agit d’une leçon idiosyncratique à ne pas retenir. e
țĮ ʌȡȠıİțȞȘıİȞ ĮIJ est une formule commune dans la LXX (par ex. Ex 18.7 ; 1 S 10.41 ; 24.9 ; 25.23 ; 28.14 ; 2 S 1.2 ; 9.6 ; etc.) et se retrouve ailleurs dans le NT (identique en Jn 9.38). Le grec de la koinè, en effet, fait suivre très souvent le verbe ʌȡȠıțȣȞȦ du datif de l’entité devant laquelle on se prosterne : par ex. VAE gr. 27.33 ; Ep. Arist. 135 ; Flavius Josèphe, A.J. 6.55 ; Justin, Dial. 30.3 ; 78.9 ; 88.1 ; voir BDAG, 882–883 ; chez Flavius Josèphe, A.J. 6.154, on retrouve le verbe ʌȡȠıțȣȞȦ suivi à la fois par un datif (IJ șİ) et ensuite par un accusatif (IJઁȞ șİઁȞ). Toutefois, le grec attique privilégiait l’emploi du verbe ʌȡȠıțȣȞȦ suivi par l’accusatif de l’entité respectée : un usage qui persiste et cohabite avec l’emploi du datif même au premier siècle (avec l’accusatif : Mt 4.10 ; Lc 4.8 ; Jn 4.22, 23, 24 ; Ap 9.20 ; dans la LXX : Gn 37.9 ; Ex 11.8 ; Jg 7.15 ; voir aussi Flavius Josèphe, C. Ap. 1.239 ; A.J. 2.13 ; 7.250 ; 8.14. Ainsi le BDAG). À la lumière de ces considérations, la tentative de remplacer țĮ ʌȡȠıİțȞȘıİȞ ĮIJ (attesté à la fois par ஹ 33 579 [texte alexandrin], mais aussi par D W [occidental], K Ĭ f1.13 28 565 700 [césaréen] et la masse des témoins du texte byzantin) par țĮ ʌȡȠıİțȞȘıİȞ ĮIJંȞ (texte alexandrin : B C L ǻ 892 1241 ; byzantin : A) est à considérer comme une amélioration stylistique (imitation du grec attique ?). f
g
Il est curieux de remarquer que, au verset 9, la deuxième correction du Sinaiticus (ஹ2), celle du Vaticanus (B2), ainsi que 892 1241 1424 (pour le même type de texte : alexandrin), mais aussi la masse des témoins du texte majoritaire (dont A K 2542 l2211), W (occidental), et Ĭ f1.13 28 565 700 1424 (césaréen), corrigent en ȜİȖİઆȞ le ȜİȖȚઆȞ de ஹ B ǻ (et même D), tandis que L et 579 ont ȜİȖİȚઆȞ, ஹ3 a ȜİȖĮȚઆȞ et le codex d’Ephrem (C) donne ȜİİઆȞ. Selon le BDAG aussi bien ȜİȖİઆȞ (aussi dans T. Sal. 11.3 ; 5.6s) que ȜİȖȚઆȞ sont attestés dans l’Antiquité. L’accusatif de ce substantif apparaît à nouveau au verset 15 de Marc 5 : IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ, bien évidemment dans ஹ et ǻ (mais aussi dans L 579, même type de texte : alexandrin) et dans certains mss de la Vulgate, alors qu’on trouve IJઁȞ ȜİȖİȞĮ dans ஹ2 B C 33 892 1241, mais aussi dans les nombreux témoins du texte byzantin (dont A K), dans des témoins du texte césaréen (f1.13 Ĭ 28 565 700 1424) et dans W (texte occidental). ஹ3 lit ȜİȖĮȚȞĮ. Quoi qu’il en soit, le sens du texte ne change nullement. h
Le démoniaque/Légion supplie Jésus de ne pas les (ĮIJ) envoyer hors du territoire. La leçon ĮIJ est bien attestée (B C ǻ pour le texte alexandrin, et Ĭ pour le césaréen) et elle nous paraît originale. Il s’agit d’un pronom personnel
Notes de critique textuelle
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neutre pluriel qui, pour ce qui est du genre, s’accorde bien avec le substantif neutre ʌȞİ૨ȝĮ des versets 2 (ਙȞșȡȦʌȠȢ ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ) et 8 (IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ), même si, dans ces deux cas, ʌȞİ૨ȝĮ est utilisé au singulier. Ce manque d’accord en nombre pourrait s’expliquer par le fait que l’intrigue révèle la pluralité de la possession démoniaque seulement à partir du verset 9 (IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ), donnée confirmée au verset 13 (țĮ ਥʌIJȡİȥİȞ ĮIJȠȢ. țĮ ਥȟİȜșંȞIJĮ IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ İੁıોȜșȠȞ İੁȢ…). Toutefois la réponse de Légion au verset 9 est un peu surprenante, car il emploie, pour se définir soimême, un adjectif masculin (alors qu’on attendrait le neutre) : ʌȠȜȜȠ. Cette incongruité semble avoir été relevée très tôt car plusieurs témoins (texte occidental : 579 ; césaréen : f1–13 ; occidental : D ; byzantin : dont A M l2211 et la plupart des anciennes versions latines), probablement dans un souci de cohérence, préfèrent proposer au verset 10 le pronom masculin pluriel ĮIJȠȢ plutôt que le neutre ĮIJ. D’autres (ஹ et L pour la tradition alexandrine, plus la Vetus latina, les versions en bohaïrique et la Peshitta) retiennent le pronom masculin au singulier (ĮIJંȞ). Ce dernier accord du pronom personnel au masculin singulier a clairement le but de résoudre la tension interne au verset 10 : « (il) le suppliait beaucoup afin qu’(il) ne l’envoie pas hors du territoire ». Voir infra, p. 93–96. L’expression ʌĮȡİțȜİıĮȞ ĮIJઁȞ ȜȖȠȞIJİȢ (bien attestée par la tradition alexandrine : ஹ B C L et al.), on ne la retrouve ni dans la LXX ni ailleurs dans le NT. Cependant, la construction formée par un verbe introducteur (à l’aoriste ou à l’imparfait indicatif) suivi par le participe présent d’un verbe de parole est plutôt commune (par ex. : 1 R 12.7 ; 1 M 9.9 ; Mt 8.31 ; 12.10 ; 15.23 ; Mc 9.11 ; 12.18 ; Lc 20.21 ; 21.7 ; 24.29 ; Jn 12.21 ; Ac 1.6). Il s’agirait d’une construction typique du style marcien selon George D. Kilpatrick, « Recitative ȜȑȖȦȞ », in The Language and Style of the Gospel of Mark : An Edition of C.H. Turner’s « Notes on Marcan usage » Together with Other Comparable Studies, éd. par James Keith Elliott, NovTsup 71 (Leiden – New York : Brill, 1993), 175–77. D’autres témoins [f13 28 (césaréen) ; W (occidental) ; 2542 (byzantin)] proposent la leçon ʌĮȡİțȜİıĮȞIJİȢ İੇʌĮȞ (« ayant supplié, ils dirent »), probablement à comprendre comme un choix stylistique. D’autres encore ont ressenti l’exigence d’éviter toute ambiguïté et d’harmoniser le texte de Marc avec l’un ou l’autre des autres synoptiques, ce qui explique l’insertion explicite du sujet des verbes : Ƞੂ į įĮȝȠȞİȢ (harmonisation avec Mt 8.31 : la plupart des manuscrits de type byzantin, par ex. A K M 1071, mais aussi des représentants des textes césaréen [124 1424] et alexandrin [33 579] ; le minuscule 157, type de texte mixte, retient aussi cette leçon) ou IJ įĮȚȝંȞȚĮ (harmonisation avec Lc 8.33 : D [occidental], mais aussi Ĭ 565 700 [césaréen]). i
j
La permission accordée par Jésus aux esprits impurs d’entrer dans les cochons est ainsi exprimée par les témoins les plus importants : țĮ ਥʌIJȡİȥİȞ
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Marc 5.1-20 : le texte grec
ĮIJȠȢ (ஹ B C L ǻ 892 pour le type de texte alexandrin ; mais aussi W [occidental] ; f1 28 [césaréen] ; 2542 [byzantin] ; les versions en bohaïrique, la version latine b [Ve s.] et les versions syriaques Peshitta et Syrus Sinaiticus). Les autres leçons sont à comprendre comme une tentative de majorer la puissance de Jésus et la supériorité qui est la sienne dans son rapport avec les démons (cf. Collins, Mark. A Commentary, 263) : « Jésus le leur permit immédiatement » (İșȦȢ ȘıȠ૨Ȣ ajouté après ĮIJȠȢ : surtout dans des témoins du texte byzantin [A H U G Y K M S ȍ 2], mais aussi césaréen [f13 124] et alexandrin [33]) ; ou encore « Il les envoya » (țĮ ਥʌİȝȥİȞ ĮIJȠȢ), le verbe ʌȝʌȦ remplaçant ਥʌȚIJȡʌȦ (cf. v. 12) : Ĭ (565 et 700 : ajoutent ȘıȠ૨Ȣ) pour le texte césaréen ; D propose « immédiatement le seigneur Jésus les envoya dans les cochons », tandis que H et U (byzantin) lisent « Jésus les envoya immédiatement ». La leçon ਕȞȖȖİȚȜĮȞ (dans la masse des témoins du texte byzantin, dont U 2 157 1071, mais aussi dans W [occidental] et 28 118 565 f13 [césaréen]) semble s’expliquer par un choix stylistique, car le sens des deux verbes est pratiquement le même : « annoncer, rapporter » (BDAG, 59). k
À refuser comme leçon originale est l’absence de la clause IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȁİȖİȞĮ dans le codex de Bèze, la Vulgate et quelques témoins de la Vetus Latina, la version syriaque Syrus Curetonianus et quelques versions coptes (bohaïrique). Si, avec Collins, l’on peut penser à une amélioration du style marcien, souvent pléonastique (Collins, Mark. A Commentary, 263), il faut aussi tenir compte du fait que, narrativement, cette clause joue un rôle important dans la caractérisation du personnage aux yeux du lecteur implicite. En effet, dans le même verset, l’homme est encore « vu » en tant que démoniaque (IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ) par les gens sortis de la ville et des environs. l
La leçon ʌĮȡİțȜȠȣȞ (« ils suppliaient ») – qui remplace le très largement attesté ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ – se trouve notamment dans des manuscrits de type césaréen (Ĭ 565 700 1424). Il faut ajouter néanmoins que cette leçon est également attestée dans le codex de Bèze et le codex Vercellensis (Vieille latine), deux représentants du type de texte occidental, et dans un manuscrit sahidique (alexandrin). Marc ne l’utilise ailleurs qu’en 6.56, qui n’est pas un lieu variant. Tout en reconnaissant l’ancienneté de cette leçon, nous préférons garder ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ (auquel semble bien correspondre, par contraste, le țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ du verset 20), une construction syntactique (aoriste indicatif de ਙȡȤȠȝĮȚ suivi par un infinitif présent) souvent utilisée dans la narration aussi bien dans la LXX (par ex., Gn 41.54 ; Jg 20.31 ; Tb 7.14 ; 1 M 9.66 ; 11.46) que dans le NT (par ex., Mt 12.1 ; Lc 5.21 ; 7.49 ; 14.18 ; 15.24 ; Ac 2.4), et qui est bien appréciée par Marc (outre 5.17, voir aussi 6.55 ; 8.11 ; 14.65 ; 15.18). Voir Cuthbert H. Turner, « Marcan Usage : Notes, Critical and Exegetical, on the Second Gospel (continued) », JTS 26, no 102 (1925) : 145–56. m
Notes de critique textuelle
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n
Le codex de Bèze (D) estompe la dureté de la réponse de Jésus en remplaçant le ਕȜȜ ȜȖİȚ ĮIJ par țĮ İੇʌİȞ ĮIJ. Le texte majoritaire propose le verbe ਕȞĮȖȖȜȜȦ (par ex., A 0132 M K U ȍ 2 157 1071, mais aussi L 33 [alexandrin], 565 et 1424 [césaréen]), tandis que d’autres témoins optent pour įȚĮȖȖȜȜȦ (P45, mais aussi D W [occidental] et f1.13 700 28 [césaréen]). La leçon la mieux attestée (ஹ B C ǻ Ĭ 579 et al.) utilise ਕʌĮȖȖȜȜȦ. S’il est vrai que le sens des trois verbes semble être grosso modo le même, à savoir, « rapporter, annoncer » (BDAG, 59, 94, 227), il est utile de se poser également la question du point de vue de la critique interne : il n’est peut-être pas anodin que le rédacteur emploie, dans un premier temps, le verbe ਕʌĮȖȖȜȜȦ (5.14) pour expliciter l’action des gardiens des cochons, en le mettant en parallèle à įȚȘȖȠȝĮȚ (5.16), et qu’ensuite il utilise ਕʌĮȖȖȜȜȦ à nouveau (5.19) – cette fois en l’appliquant à l’ex-démoniaque –, en faisant par contre évoluer ce verbe en țȘȡııȦ (5.20). o
La leçon țȡȚંȢ ıȠȚ, du point de vue de la critique externe, reste la mieux attestée (B C ǻ, mais aussi Ĭ et ff2). La transposition du pronom ıȠȚ après le verbe (ஹ) ou avant țȡȚંȢ, attestée par des manuscrits importants (texte majoritaire, dont A K013 22542 l2211, mais aussi alexandrin [L 33 579 892], occidental [W], césaréen [f1.13 28 565 700 1424], ainsi que la Vetus latina), ne change pas le sens de la phrase (à la limite seulement son accentuation), mais empêche de trancher la question de la position originale du pronom personnel. On rejettera, par contre, sans aucune hésitation le ıĮ ıȠȚ șİંȢ ਥʌȠȘıİȞ (litt. « tout ce que, pour toi, fit Dieu ») de D, car il trahit une volonté de conformer le texte de Marc 5.19 à celui de Luc 8.39 (ıĮ ıȠȚ ਥʌȠȘıİȞ șİંȢ). Bart D. Ehrman, The Orthodox Corruption of Scripture : The Effect of Early Christological Controversies on the Text of the New Testament (New York – Oxford : Oxford University Press, 1993), 114–15, note 189, suggère que șİંȢ a été préféré pour mettre en valeur la divinité de Jésus. Cela est possible, mais il reste que : a. même sans ce changement, le țȡȚંȢ de Marc est à comprendre comme une référence à Dieu, et pas à Jésus lui-même ; b. que l’on lise țȡȚંȢ ou șİંȢ, le texte de Mc 5.20 n’implique pas forcément la divinité de Jésus, mais plutôt son action en tant que héraut et agent du Royaume de Dieu qui désormais fait irruption sur la terre par son ministère et en sa personne.
Chapitre 1
Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit Le récit de Marc 5.1–20, quels que soient l’histoire de sa formation et le travail rédactionnel dont il a pu faire l’objet, nous parvient, dans sa forme finale, en tant qu’unité littéraire structurée et cohérente1. Pour le moment, afin de familiariser le lecteur avec le texte et lui permettre une première appréciation de sa composition, il suffira de nous limiter à quelques considérations préalables. Le récit s’ouvre par une introduction (Mc 5.1) qui informe le lecteur du mouvement de Jésus et de ses disciples vers « l’autre côté de la mer ». Il s’agit de la suite logique de l’intention qu’a exprimée Jésus en 4.35 et qui va pouvoir se concrétiser après l’épisode de la tempête apaisée (4.36–41). Les personnages sont ainsi situés en territoire étranger (non juif), à savoir « dans le territoire des Géraséniens ». Aussitôt que Jésus débarque, il est confronté (v. 2) à un possédé sorti des tombeaux. Le lecteur a droit à une description (v. 3–5) de l’état dramatique dans lequel vit cet homme, avant d’assister à son affrontement (v. 6– 10) avec Jésus. Si le démon connaît bien l’identité de Jésus (« Fils du Dieu Très Haut », v. 7), le lecteur et le personnage Jésus découvrent ensemble que le démon est en fait une entité plurielle appelée Légion, très attachée au territoire (v. 9–10). L’apparition (du point de vue narratif) d’un troupeau de cochons fournit une opportunité (v. 11–13) à Légion de succomber au pouvoir de Jésus en quittant le possédé et, en même temps, de rester dans le territoire en entrant dans les pourceaux. Hélas pour Légion, la permission accordée par Jésus se révèle être sa perte : les pauvres (et nombreuses) bêtes, désormais possédées, se noient après une chute de l’escarpement. L’événement ne passe pas inaperçu : les porchers s’en font les rapporteurs dans la ville et dans les environs et plusieurs personnes viennent ainsi pour en savoir plus. Suite à la vision de l’homme guéri et à la modalité de sa guérison, la réaction (v. 14–17) des villageois est résolument négative. Cependant, le récit ne s’achève pas sur une évaluation négative : l’homme, désormais exorcisé, se rapproche à nouveau de Jésus et le supplie (comme au début du récit : v. 6), mais avec des propos tout autres : il veut devenir son disciple. Le refus de Jésus débouche sur un double renversement (v. 18–20) : l’homme deviendra en effet le héraut de Dieu (et de
1 Élian Cuvillier, L’évangile de Marc, BibF (Genève – Paris : Labor et Fides – Bayard, 2002), 100. Voir également Rochester, Good News at Gerasa, 116.
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
Jésus) dans la Décapole, et la réaction initiale des habitants de Gérasa est transcendée par l’émerveillement de toute la Décapole2. Avant de valoriser la version marcienne du récit de l’exorcisme de Gérasa par une analyse formelle de son tissu narratif, des dynamiques internes au micro-récit et des liens tissés avec le macro-récit qui le contient (le deuxième évangile dans son ensemble), il sera opportun de se pencher sur l’étude de son substrat traditionnel pour pouvoir aussi apprécier l’histoire de sa composition littéraire et mesurer l’importance de l’apport rédactionnel marcien. Cet objectif sera poursuivi, après quelques remarques préliminaires sur la critique littéraire d’un point de vue diachronique, par le recours aux outils fournis par la critique des formes, de la tradition, et de la rédaction.
1.1 Remarques préliminaires sur la critique littéraire d’un point de vue diachronique Remarques préliminaires Etudier le texte de l’évangile de Marc dans une perspective diachronique signifie d’abord se poser la question des sources, du travail rédactionnel dont les traditions qu’il contient ont fait l’objet et de la relation du contenu littéraire avec la réalité historique. Peu nombreux sont aujourd’hui les exégètes qui suivent la trajectoire proposée par Augustin (Cons. 1.2.4) et reprise, avec quelques modifications, par Griesbach (1789) et ses partisans, qui font de Marc une sorte de résumé de l’évangile de Matthieu3. De fait, l’antériorité de Marc par rapport à ses homologues synoptiques demeure, de nos jours, l’hypothèse la plus accréditée sur la base d’une critique littéraire convaincante4. Aussi sera-t-elle adoptée en tant qu’outil méthodologique dans ce travail. 2
G. Bonifacio parle de « réouverture » sur l’attitude des personnes qui ont demandé à Jésus de quitter leur territoire : Bonifacio, Personaggi minori, 99. 3 J. J. Griesbach, Commentatio qua Marci Evangelium totum e Matthaei et Lucae commentariis decerptum esse monstratur (1789–90), repris et traduit en anglais dans Thomas R. W. Longstaff et Bernard Orchard, éd, « A Demonstration That Mark Was Written after Matthew and Luke », in J. J. Griesbach : Synoptic and Text-Critical Studies 1776–1976, trad. par Bernard Orchard, SNTSMS 34 (Cambridge : Cambridge University Press, 1978), 103– 35. Voir aussi William R. Farmer, The Synoptic Problem. A Critical Analysis (New York – London : Collier – MacMillan, 1964). David L. Dungan, « The Purpose and Provenance of the Gospel of Mark According to the Two-Gospel (Owen-Griesbach) Hypothesis », in New Synoptic Studies. The Cambridge Gospel Conference and Beyond, éd. par William R. Farmer (Macon : Mercer Universiry Press, 1983), 411–40. 4 Quelques exemples : Franz Annen, Heil für die Heiden : Zur Bedeutung und Geschichte der Tradition vom besessenen Gerasener (Mk 5,1–20 parr.), FTS 20 (Frankfurt am Main : Joseph Knecht, 1976), 21–38. John P. Meier, A Marginal Jew : Rethinking the Historical Jesus, vol. 2 – Mentor, Message, and Miracles (New York : Doubleday, 1994), 650–53, 664–
Remarques préliminaires
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L’absence de documents explicitement identifiés comme sources en amont de la rédaction marcienne ne manque pas de générer une certaine frustration parmi les spécialistes de la question synoptique et de la genèse de l’évangile de Marc en particulier. Plusieurs spéculations ont été avancées pour tenter d’éclairer la question : pour certains, Marc serait une révision abrégée d’un évangile primitif qui circulait à Rome5; pour d’autres, il serait possible d’identifier de nombreux documents pré-marciens6. Nous nous rangeons plutôt au côté de ceux qui considèrent que les parallèles entre Marc et tous les autres évangiles (non canoniques y compris) s’expliquent par une dépendance de ces derniers à l’égard du premier évangile7 et que, au final, Marc n’est pas dépendant d’autres récits évangéliques primitifs connus8. L’auteur de l’évangile de Marc serait l’inventeur du genre évangile. La narration marcienne se différencie de la source Q (même si l’auteur de Marc aurait pu très bien connaître ce recueil de logia ou une collection semblable) par une volonté d’enraciner la foi chrétienne et les enseignements de Jésus dans un récit concernant celui qui a été crucifié et ressuscité9.
67. Jostein Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », in Authenticating the Activities of Jesus, éd. par Bruce D. Chilton et Craig A. Evans, vol. 2, NTTS 28 (Leiden : Brill, 1999), 279–80 ; Boring, Mark, 12–13 ; Robert H. Stein, Studying the Synoptic Gospelsࣟ : Origin and Interpretation, 2e éd., 1e éd. 1987 (Grand Rapids : Baker Academic, 2001), 29–96. À la page 54 de ce dernier ouvrage, l’auteur remarque que la péricope de Mc 5.1–20 est composée de 325 mots grecs, tandis que Mt 8.28–34 n’en contient que 135 mots et Lc 8.26–39 293 mots, ce qui va à l’encontre de la thèse selon laquelle Marc représente une synthèse de l’évangile de Matthieu. Plus récemment, la question synoptique a été abordée avec les outils de la critique rhétorique : l’anteriorité de Marc reste, là encore, le scénario le plus probable : Alex Damm, Ancient Rhetoric and the Synoptic Problem : Clarifying Markan Priority, BETL 252 (Leuven : Peeters, 2013). 5 Charles Masson, L’Évangile de Marc et l’Église de Rome, BT (Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1968), 13–23. 6 C’est l’approche de Marie-Émile Boismard, Synopse des quatre évangiles en français, vol. 2 : Commentaire, 3 vol. (Paris : Cerf, 1972), reprise dans Marie-Émile Boismard, L’évangile de Marc : sa préhistoire, EBib – Nouvelle Série 26 (Paris : Gabalda, 1994). 7 Voir la liste des parallèles dréssée par Evans dans son commentaire sur Marc : Craig A. Evans, Mark 8:27–16:20, WBC 34b (Nashville : Thomas Nelson, 2001), xxxii–xliii. 8 Ainsi, entre autres, Boring, Mark, 13. 9 Boring fait l’inventaire des explications possibles du fait que Marc semble connaître Q mais, en même temps, en ferait un emploi très sélectif : M. Eugene Boring, « Paucity of Sayings in Mark : A Hypothesis », SBLSP 11 (1977) : 372–74. L’hypothèse qu’il retient est que même si Marc ne s’opposait pas au genre des logia en soi, ni au document lui-même, il se montre très critique à l’égard de certains mouvements prophétiques chrétiens qui semblent relativiser l’importance de la croix et qui librement produisent des dires attribués à Jésus mais qui n’ont pas émanés de lui : voir aussi Boring, Mark, 14 ; Étienne Trocmé, La formation de l’Évangile selon Marc, EHPR 57 (Paris : PUF, 1963) ; Michel Devisch, « La relation entre l’évangile de Marc et le document Q », in L’Évangile selon Marc. Tradition et rédac-
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
À la lumière de ces considérations (antiquité et originalité de Marc), il est légitime de réfléchir sur la relation entre sa proximité chronologique avec la tradition du Jésus historique d’un côté, et sa dimension littéraire de l’autre. En quoi la prise en compte des études littéraires critiques dans une perspective historique nous aide-t-elle à reconnaître (et à respecter) le rédacteur de l’évangile en tant qu’auteur à part entière ? La recherche historique a, bien entendu, ses propres limites. Même lorsqu’elle ne refuse pas a priori le miraculeux, elle est bien loin de fournir des preuves concernant la réalité des phénomènes surnaturels relatés dans les évangiles. Certes, de nombreuses tentatives ont été faites pour tenter d’expliquer de manière rationnelle ce qui, dans les récits évangéliques, est attribué à l’irruption de réalités métaphysiques dans le continuum historique humain. Par exemple, le « démoniaque » de Gérasa pourrait se comprendre, dans une perspective psychologique, comme un homme traumatisé depuis son enfance, suite à un événement choquant dont il aurait été témoin dans son territoire : une légion romaine massacrant des enfants10. Cependant, de pareilles tentatives visant à rendre plus acceptable le miracle pour l’esprit scientifique et critique contemporain ne font que nous éloigner du cœur même du message que l’écrivain ancien a voulu véhiculer. Pour saisir le message, on ne peut pas céder à la tentation d’imposer au monde implicitement conçu par le texte ni au texte lui-même une démarche critique de rationalisation. Il faudra plutôt comprendre quelle est la vision du monde dans laquelle l’événement surnaturel a été situé, et, dans ce même contexte, essayer de comprendre le sens du récit selon l’intention de son auteur. On ne détache pas impunément le récit de son contexte idéologique pour le placer tion, éd. par M. Sabbe, BETL 34 (Leuven – Gembloux : Leuven University Press – J. Duculot, 1974), 59–91. Parmi ceux qui pensent que Marc a connu la source Q, voir aussi Jan Lambrecht, « John the Baptist and Jesus in Mark 1:1–15 : Markan Redaction of Qௗ? », NTS 38, no 3 (1992) : 357–84 ; David R. Catchpole, « The Beginning of Q : A Proposal », NTS 38, no 2 (1992) : 205–21 ; Burton L. Mack, A Myth of Innocence : Mark and Christian Origins (Philadelphia : Fortress Press, 1988), 315–24 ; Harry T. Fleddermann, Mark and Q : A Study of the Overlap Texts, BETL 122 (Leuven : Peeters, 1995). En faveur de l’hypothèse selon laquelle Marc ne connaissait pas Q, voir Burton H. Throckmorton, « Did Mark Know Qௗ? », JBL 67, no 4 (1948) : 319–29 ; Frans Neirynck, « The First Synoptic Pericope : The Appearance of John the Baptist in Qௗ? », ETL 72 (1996) : 41–74. Pour un point de vue sceptique, voire opposé à l’existence de la source Q, voir Mark S. Goodacre, The Case Against Q : Studies in Markan Priority and the Synoptic Problem (Harrisburg : Trinity Press International, 2002). Pour une discussion élaborée des concepts de translation, d’apothéose et de résurrection en relation aux récits de la Passion des évangiles voir notamment Peter Bolt, Jesus’ Defeat of Death : Persuading Mark’s Early Readers, SNTSMS 125 (Cambridge – New York : Cambridge University Press, 2003), 261–75. 10 Ainsi Arthur R. Short, Modern Discovery and the Bible (London : IVP, 1943), 89ss, cité par Frederick F. Bruce, The New Testament Documents : Are They Reliableࣟ?, 5e éd. révisée, 1e éd. 1943 (Grand Rapids – Leicester : Eerdmans – IVP, 1981), 63.
Remarques préliminaires
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dans le nôtre : l’habileté à saisir l’intention originale de l’auteur en serait sérieusement affectée. Étudier le récit de l’exorcisme de Gérasa dans une perspective historique signifie donc se poser la question de la vision du monde que le récit présuppose et qu’il demande au lecteur implicite d’adopter. À ce propos, il sera important de remarquer que, dans l’Antiquité, d’autres personnages que Jésus sont crédités de pouvoirs surnaturels. Plusieurs sources rapportent l’existence de « faiseurs de miracles » reconnus en tant que tels aussi bien par leurs partisans que par leurs opposants : Jésus lui-même est décrit en tant que « magicien » (terme sûrement désobligeant, mais qui ne remet pas en cause la capacité de produire des phénomènes surnaturels) par des non-chrétiens juifs11 et non juifs12. Néanmoins, il ne faudra pas sous-estimer le fait que, tout en attestant les phénomènes surnaturels, la tradition chrétienne primitive relativise la foi suscitée par le seul miracle (cf. par ex. Mt 7.21–23 ; Lc 10.20 ; Jn 2.23–25 ; 6.26). Le prodige se veut plutôt un « signe » du Royaume qui vient et d’une libération plus radicale (cf. Mc 2.10)13. La critique littéraire a mis en valeur la nécessité d’aller au-delà du questionnement sur la réalité historique des phénomènes décrits dans les récits des miracles pour privilégier la recherche du sens et la manière dont ces événements, remis dans le contexte du macro-récit évangélique, reconfigurent épistémiquement le lecteur non pas dans une croyance individuelle mais plutôt dans la totalité du réseau de ses convictions. Si la critique des formes (Dibelius et Bultmann, pour citer seulement deux de ses représentants les plus importants) a eu le mérite de souligner, entre autres, les parallèles entre les récits de miracles des évangiles et ceux d’autres sources anciennes non chrétiennes, c’est à la critique rédactionnelle que l’on doit une meilleure appréciation de la fonction de ces récits dans l’économie du discours plus large qui les contient14. Les exorcismes, les guérisons et tous les autres actes étonnants dont les évangiles font état sont au service d’un projet bien défini de la part de l’auteur de chaque évangile : dévoiler au lecteur l’identité de Jésus de Nazareth ainsi que la portée de son avènement, de ses paroles et de son œuvre selon sa propre perspective. Chaque récit de miracle qui a été conservé par Marc, y compris l’exorcisme de Gérasa, revêt la double fonction de révéler l’identité de Jésus et d’offrir au 11 Flavius Josèphe, A.J. 18.63–64 ; b. Sanh. 43a ; 107a–b ; b. Soܒah 47a. Voir Hendrik van der Loos, The Miracles of Jesus, NovTsup 9 (Leiden : Brill, 1965), 149. 12 Origène, Cels. 1.38 ; 2.48. Voir Bruce, The New Testament Documents, 67–68. 13 Bruce, 69–70. 14 La critique rédactionnelle se développe surtout après la deuxième guerre mondiale. Voir par exemple Willi Marxsen, Mark the Evangelist : Studies on the Redaction History of the Gospel, trad. par James Boyce, 1e éd. en allemand : 1956 (Nashville – New York : Abingdon, 1969) ; Dennis E. Nineham, The Gospel of Saint Mark, PGC 2 (Harmondsworth : Penguin Books, 1963) ; Trocmé, La formation de l’Évangile selon Marc ; Theodore J. Weeden, Markࣟ : Traditions in Conflict (Philadelphia : Fortress Press, 1971).
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
lecteur la possibilité d’y trouver son compte en tant que disciple reconfiguré par l’histoire elle-même. Cette approche a le mérite de mettre en valeur la fonction rhétorique des récits de miracles : il ne s’agit désormais plus de prouver l’historicité des prodiges, mais plutôt de saisir la manière dont ils sont orchestrés par le rédacteur pour nous donner accès à ce qu’il estime être le sens et la portée de l’œuvre de Dieu en la personne de Jésus. Au début des années soixante-dix, Robert Stein a tenté une synthèse méthodologique de la Redaktionsgeschichte15. Son travail a été récemment repris et légèrement développé par C. Clifton Black16. Cependant Black, qui reconnaît les mérites de la critique de la rédaction, en souligne aussi les limites évidentes. Le manque d’accès aux traditions en amont de la rédaction marcienne rend l’application de la méthode vulnérable au danger de subjectivisme. En effet, Black montre bien que l’étude rédactionnelle de la figure des disciples dans l’évangile de Marc aboutit à des résultats divergents en fonction du critère méthodologique qui est privilégié, du choix d’un thème dominant dans l’évangile (qui peut varier selon l’exégète), et de la sensibilité du chercheur17. S’il est plausible, comme l’a montré la critique des formes, que des traditions et même des péricopes bien stables aient circulé oralement et sous forme écrite avant la composition de l’évangile de Marc, il est par contre moins aisé de déterminer si le lien entre ces unités littéraires et l’établissement de microstructures narratives sont à attribuer au rédacteur final de l’évangile de Marc ou à un travail qui lui est antérieur18. Certes, il est possible de reconnaître ici et là l’activité rédactionnelle marcienne (par ex. Mc 7.3–4), mais le doute subsiste quant à la reconstitution des sources et des traditions pré-marciennes (et de l’activité rédactionnelle de l’auteur) au niveau du macro-récit. La conséquence méthodologique de cette prise de conscience a été le développement de méthodes d’analyse littéraire qui déplacent le pôle de la recherche sur le plan synchronique : la critique de la rédaction, avec ses succès et ses limites, a fourni les bases de l’analyse narrative et rhétorique19. 15 Robert H. Stein, « Proper Methodology for Ascertaining a Markan Redaction History », NovT 13, no 3 (1971) : 181–98. 16 C. Clifton Black, The Disciples According to Markࣟ: Markan Redaction in Current Debate, 2e éd. (1 éd. 1989), JSNTSup 27 (Grand Rapids : Eerdmans, 2012). 17 Black inventorie trois positions relatives à la manière de comprendre le personnage collectif des « disciples » dans l’évangile de Marc (p. 46–59) : a. position traditionnelle (« conservative position ») : l’auteur implicite se montre fidèle et respectueux de la tradition, portant un regard positif sur les disciples ; b. position intermédiaire (« mediate position ») : l’auteur implicite entretient un rapport plus complexe avec la tradition, et donne un portrait mixte des disciples ; c. position contestataire (« liberal position ») : l’auteur implicite se met en rapport polémique avec la tradition et offre un portrait très critique des disciples. 18 Black, The Disciples According to Mark, 93–95, 130–31, 167. 19 La conscience du besoin d’une approche multidisciplinaire, qui étudie le texte de Marc d’un point de vue diachronique mais en y intégrant des approches synchroniques, se fait ressentir assez tôt : ce fut déjà le cas, à la fin des années soixante-dix, pour Kelber : Werner
Des collections pré-marciennes ?
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L’analyse rédactionnelle a souligné la fonction innovante du rédacteur de chaque évangile, en reconnaissant son rôle d’auteur à part entière. L’on doit à cette approche la mise en valeur de la théologie (et de la christologie) de chaque évangéliste. Cet effort trouve son prolongement dans les méthodes synchroniques d’étude du texte. Il nous semble donc indispensable de pouvoir privilégier la multidisciplinarité, en conjuguant plusieurs approches pour parvenir à une meilleure appréciation de la manière dont Marc, en continuité créative avec la tradition, s’efforce de susciter et d’affirmer la foi chez le lecteur, tout en le reconfigurant20. Dans les pages qui suivent, nous étudierons le texte de l’exorcisme de Gérasa dans l’évangile de Marc (Mc 5.1–20) avec les outils de la critique des formes et de la critique rédactionnelle.
1.2 Des collections pré-marciennes ? Des collections pré-marciennes ?
Plusieurs études ont été menées pour tenter de comprendre l’étendue du travail rédactionnel de Marc par rapport à la tradition dont il hérite. Les éléments pris en considération sont le vocabulaire, les liens entre les péricopes, la logique interne des sections et les thèmes théologiques. La critique des formes est arrivée à la conclusion selon laquelle la prédication et l’enseignement de l’Église primitive s’organisèrent d’abord en des unités (le plus souvent petites et autonomes) qui circulaient oralement et même par écrit. Souvent de brèves histoires culminaient sur un logion de Jésus (les Paradigmen de Dibelius21). Quelques-unes de ces unités auraient pu déjà être regroupées, non pas par ordre chronologique, mais plutôt par affinité thématique : des petites sections (surtout narratives) pré-marciennes exploitables en l’état par le rédacteur du deuxième évangile22. Marc aurait donc pu avoir accès à des traditions (en partie organisées en collections) qui s’enracinent dans H. Kelber, Mark’s Story of Jesus (Minneapolis : Fortress Press, 1979). Aujourd’hui la littérature qui étudie Marc dans une perspective historique et en tant que récit, c’est-à-dire en tant qu’ensemble d'éléments interdépendants formant un tout unifié et intégré, est très copieuse. Nous nous limiterons ici à citer Bastiaan M. van Iersel, Reading Mark, trad. par W. H. Bisscheroux (Edinburgh : T. and T. Clark, 1989) ; Jerry Camery-Hoggatt, Irony in Mark’s Gospel : Text and Subtext, SNTSMS 72 (Cambridge – New York : Cambridge University Press, 1992) ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story. 20 Cf. Wendy J. Cotter, The Christ of the Miracle Stories : Portrait Through Encounter (Grand Rapids : Baker Academic, 2010), 6–9. 21 Martin Dibelius, From Tradition to Gospel, trad. par Bertram Lee Woolf, traduction de la 2e éd. révisée de Die Formgeschichte des Evangeliums, 1933, 1e éd. 1919, LTT (Cambridge – London : J. Clarke, 1982), 43–45. 22 Dibelius, From Tradition to Gospel, 218–19 ; Julius Wellhausen, Das Evangelium Marci (Berlin : G. Reimer, 1909), 14.
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la prédication orale primitive, tradition qui garde à la fois un témoignage de et sur Jésus23. Même en acceptant ce scénario très probable, le problème de pouvoir déterminer avec précision les collections pré-marciennes demeure. Ainsi Paul J. Achtemeier considère-t-il que deux cycles déjà établis de miracles sont repris dans l’évangile de Marc. Chaque cycle serait formé d’un miracle sur la mer, suivi par trois récits de guérison et enfin une multiplication des pains (4.35– 6.44 ; 6.45–8.26). Le rédacteur du deuxième évangile aurait interpolé le matériel contenu en 6.1–33 et en 7.1–2324. Si l’on regarde plus attentivement toute la section, on remarque cependant que tous les miracles du deuxième cycle (6.45–51 ; 7.24–30 ; 7.32–37 ; 8.1–10 ; 8.22–26) ont lieu hors de la Galilée25. Cet accent exclusif sur la mission auprès des non-Juifs dans le présumé deuxième cycle de miracles (6.45–8.26 moins 7.1–23) pourrait très bien s’expliquer par la volonté du rédacteur de l’évangile de cautionner la mission de sa communauté auprès des non-Juifs en présentant des précédents importants dans le ministère du Jésus marcien. Le rédacteur du deuxième évangile aurait même pu prendre pour modèle un cycle préexistant (4.35–6.44 moins 6.1–33) et en créer un autre en fonction de sa conception de la mission26.
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Boring, Mark, 13. Paul J. Achtemeier, « Toward the Isolation of Pre-Markan Miracle Catenae », JBL 89, no 3 (1970) : 265–91 ; Paul J. Achtemeier, « Origin and Function of the Pre-Marcan Miracle Catenae », JBL 91, no 2 (1972) : 198–221. 25 France, Mark, 220. Il faut remarquer que l’exorcisme de Gérasa (5.1–20) – qui se trouve dans le premier cycle de miracles – se situe aussi en territoire non juif. 26 Trocmé, La formation de l’Évangile selon Marc, 89, avait déjà proposé de voir en Mc 2.1–3.6 le fruit du travail rédactionnel de Marc sur le modèle des unités pré-marciennes constituées par 11.27–33 et 12.13–34 (où, à son avis, le sentiment de rupture avec le Judaïsme est moins prononcé). Voir Anitra B. Kolenkow, « Healing Controversy as a Tie between Miracle and Passion Material for a Proto-Gospel », JBL 95, no 4 (1976) : 623–38, qui, en suggérant que le but de Marc est d’établir l’innocence de Jésus en matière halachique (sa relation avec l’impur et les démons est justifiée : pas de condamnation sur ce point en 12.13– 34 ; 14.55 ; elle devient le modèle pour la mission des disciples auprès des non-Juifs), tient aussi 2.1–12 et 3.1–6 pour rédactionnels. Mc 2.1–3.6 est aussi considéré comme rédactionnel (mais cette fois à la lumière du rôle que la section assume, par contraste avec 11.27–12.37, en relation au thème du secret messianique) par Gaëtan Minette de Tillesse, Le secret messianique dans l’évangile de Marc, LD 47 (Paris : Cerf, 1968), 160–62 ; Gaëtan Minette de Tillesse, « Structure théologique de Marc », in The Four Gospels 1992 : Festschrift Frans Neirynck, éd. par Frans van Segbroek, vol. 2, BETL 100 (Louvain : Leuven University Press – Peeters, 1992), 920–21. Pour une discussion classique des raisons invoquées en faveur d’un arrangement pré-marcien dans Mc 2.1–3.6, voir Burton S. Easton, « A Primitive Tradition in Mark », in Studies in Early Christianity, éd. par Sherley J. Case, Porter and Bacon (New York : Century, 1928), 87–99, cité par Joseph F. Mali, The Christian Gospel and Its Jewish Rootsࣟ : A Redaction-Critical Study of Mark 2:21–22 in Context, StBibL 131 (New York : Peter Lang, 2009), 27–28. 24
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Le fait est que, sans une source traditionnelle pré-marcienne établie avec certitude à mettre en parallèle avec la version finale de l’évangile de Marc, il est difficile d’arriver à cerner la question de l’étendue de son activité rédactionnelle sur les présumés cycles de miracles pré-marciens27. Déterminer avec précision la manière dont Marc intègre ses sources orales et écrites à la lumière de sa visée théologique demeure une tâche délicate28. Dans les limites imposées par ce constat, nous nous apprêtons à étudier de près le texte de Marc 5.1–20 pour en apprécier le possible substrat traditionnel et surtout pour envisager la manière dont il est évalué lorsqu’il est mis en parallèle avec les versions homologues contenues dans les évangiles de Matthieu (8.28–34) et de Luc (8.26– 39).
1.3 Le substrat traditionnel et l’apport rédactionnel de Marc Substrat traditionnel et apport rédactionnel
1.3.1 De l’histoire au récit Lorsque l’on s’apprête à établir le substrat traditionnel d’un récit, la discussion s’organise, de manière classique, autour de trois pôles : la forme du récit, son origine, et le travail rédactionnel dont il a fait l’objet. L’étude du récit de l’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) ne fait pas exception. Bultmann a proposé de classer ce récit en tant que récit de miracle, du soustype « exorcisme » : pour lui, il s’agit d’une narration folklorique qui suit le schéma typique des récits de miracle : rencontre entre le malade/possédé et le guérisseur, description de la maladie ou des effets de la possession, méfiance et/ou confrontation, guérison ou exorcisme, démonstration que le miracle a eu lieu, effets sur les témoins29. De son coté, Dibelius préfère l’appellation de « conte » : une narration dans laquelle la créativité du conteur d’histoires joue un rôle très important (mise en valeur de détails dramatiques, par exemple) et qui a pour but de mettre en exergue l’identité de Jésus en tant qu’envoyé de Dieu30. D’autres appellations ont été ensuite proposées : Taylor préfère l’idée
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Ainsi Brown, An Introduction to the New Testament, 150. Pour une appréciation de la manière dont Marc semble combiner oralité et textualité, voir Larry W. Hurtado, « The Gospel of Markௗ: Evolutionary or Revolutionary Documentௗ? », JSNT 40 (1990) : 16–17 ; Joanna Dewey, « Oral Methods of Structuring Narrative in Mark », Int 43, no 1 (1989) : 32–44 ; Joanna Dewey, « Mark as Interwoven Tapestry. Forecasts and Echoes for a Listening Audience », CBQ 53, no 2 (1991) : 221–36. 29 Rudolf Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique. Suivie du complément de 1971, trad. par André Malet, 1e éd. en allemand : 1921 (Paris : Seuil, 1973), 260–261 ; cf. 266–77. 30 Dibelius, From Tradition to Gospel, 70–74. 28
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d’un récit déséquilibré dépendant, ou très proche, d’un compte-rendu de témoins oculaires31 ; Theissen et Focant parlent simplement d’« exorcisme »32 ; Rhoads, de son côté, raisonne en termes de « scène-type » et estime que celle qui est sous-jacente à Marc 5.1–20 serait le tout premier exorcisme de Jésus raconté dans le même évangile : 1.21–2833. L’appellation choisie est souvent déterminée par l’hypothèse adoptée concernant la provenance du récit ou de la tradition à laquelle le récit se rattache. S’agit-il d’une pure invention, sans aucune relation avec le Jésus de l’histoire34 ? Ou plutôt d’un épisode concernant un autre exorciste juif, reconnu en tant que tel en pays étranger, et seulement ensuite attribué à Jésus35 ? Cela étant, la popularité de ces propositions s’est beaucoup affaiblie et le débat sur la tradition à la base du récit de Marc 5.1–20 s’articule aujourd’hui autrement. Que l’histoire de l’exorcisme de Gérasa ait un lien avec le Jésus de l’histoire peut paraître tout à fait plausible. C’est néanmoins la nature de ce lien qui pose problème. On peut en effet envisager une proximité importante entre le compte-rendu de témoins oculaires et la forme du récit évangélique36 ; ou encore, avec Trocmé, faire l’hypothèse d’un récit moins en lien avec un épisode réel de la vie de Jésus de Nazareth qu’avec la perception que la communauté primitive avait de Jésus : un exorciste galiléen qui ose franchir les limites imposées par son appartenance ethnique et sa localisation géographique37. Cependant, en dépit du travail rédactionnel important dont le récit a fait l’objet, il a 31 Vincent Taylor, The Gospel according to Saint Mark : The Greek Text with Introduction, Notes and Indexes, 1e éd. 1952 (London : MacMillan, 1957), 277. 32 Gerd Theissen, The Miracle Stories of the Early Christian Tradition, trad. par Francis Macdonagh, 1e éd. allemande : 1974, SNTW (Edinburgh : T. and T. Clark, 1983), 321 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 201. 33 David M. Rhoads, Reading Markࣟ: Engaging the Gospel (Minneapolis : Aubsburg Fortress Press, 2004), 69. 34 Mack, A Myth of Innocence, 355. 35 Wellhausen, Das Evangelium Marci, 39 ; Claude G. Montefiore, éd, The Synoptic Gospels, 2e éd. revue et partiellemment réécrite, vol. 1 (London : MacMillian, 1927), 11 ; Dibelius, From Tradition to Gospel, 87 ; Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 261 ; Frederick C. Grant, The Gospel according to Saint Mark, IB, VII (New York : Abingdon Press, 1951), 712. 36 Taylor, Saint Mark, 278 ; John Nolland, Luke 1–9:20, WBC 35a (Dallas : Word Books, 1989), 405. 37 Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 141. Il s’intéresse plutôt au sens de l’histoire dans l’économie de l’Évangile selon Marc qu’à son arrière-plan historique. Il écarte la possibilité d’un récit d’un autre exorciste Juif qui aurait été attribué ensuite à Jésus ; il rejette l’hypothèse que l’épisode de Gérasa se rattache à la prédication de Pierre ; il est aussi très sceptique face à la proposition de Bultmann d’y voir un conte populaire centré sur le thème du « Diable dupé » (Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 260.) : c’est Jésus qui doit partir à cause de ce que les démons ont fait aux cochons. Les seuls versets qu’il attribue sans hésitation à Marc sont 5.18–20.
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été montré qu’il n’y a rien d’invraisemblable dans la possibilité d’une rencontre fortuite entre le Jésus de l’histoire et un païen, rencontre se déroulant dans des territoires non juifs mais contigus à la Galilée38. Taylor proposait que l’épisode de l’exorcisme de Gérasa ait été gardé et transmis via une source pétrinienne39, justifiant sa position par les détails frappants et la non-linéarité du récit qui, à son avis, s’expliquent par le recours à un témoignage oculaire concernant un épisode réel. Plus élaborée est la proposition de Chilton qui, quant à lui, rattache ce récit à une source magdalénienne40. D’après lui, Marc aurait eu accès à une collection de récits de miracles en provenance du nord-est de la Galilée et associée au personnage de Marie de Magdala : ce recueil aurait accordé une grande importance à la dimension eschatologique de l’irruption du Royaume en la personne de Jésus de Nazareth, en montrant (plutôt qu’en expliquant) le pouvoir de Jésus en tant que « Saint de Dieu », lequel met en déroute Satan et inaugure une réalité nouvelle où l’impureté est contaminée par la pureté41. Derechef, force est de constater que l’absence de documents établis antérieurs à l’évangile de Marc ne peut octroyer à ces intuitions que le statut d’hypothèses savantes. Si la provenance des sources qui sont à l’arrière-plan reste l’objet de spéculations, l’existence même de ces sources demeure l’opinion la plus accréditée42. 38 Christian Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne (Mc 7,24–30). Un épisode-clé dans le passage à une conception nouvelle du rapport à l’étranger », in L’étranger dans la Bible et ses lectures, éd. par Jean Riaud, LD 213 (Paris : Cerf, 2007), 177–79. 39 Taylor, Saint Mark, 278, justifie sa position en invoquant l'imagerie détaillée et saisissante, et pourtant ingénue et candide, du récit. 40 Bruce D. Chilton, « La plate-forme de travail de Marc et le caractère achevé de son œuvre », RHPR 91, no 4 (2011) : surtout 487–491. Chilton prolonge l’hypothèse d’Étienne Trocmé, Jésus de Nazareth vu par les témoins de sa vie, BT (Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1971). 41 Chilton attribue à cette même source aussi le premier exorcisme de Marc (1.21–28), ainsi que celui de 9.14–29. Chilton, « La plate-forme de travail de Marc », 487–491. 42 Witherington, The Gospel of Mark, 16. Cet auteur considère l’évangile de Marc comme une sorte de biographie en amont de laquelle il faut imaginer une recherche active de sources de la part de l’auteur. Les études théologiques sur la relation entre oralité et sources écrites se développent surtout à partir des années soixante-dix [Albert B. Lord, « The Gospels as Oral Traditional Literature », in The Relationships among the Gospels : An Interdisciplinary Dialogue, éd. par William O. Walker, TUMSR 5 (San Antonio : Trinity University Press, 1978), 33–91 ; Werner H. Kelber, « Mark and the Oral Tradition », Semeia, no 16 (1979) : 7–55 ; Werner H. Kelber, The Oral and the Written Gospel. The Hermeneutics of Speaking and Writing in the Synoptic Tradition, Mark, Paul and Q (Philadelphia : Fortress Press, 1983) ; Dewey, « Oral Methods » ; Walter J. Ong, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word, New Accents (London – New York : Methuen, 1982)], la base théorique évoquée étant souvent les travaux suivants : Milman Parry, « Studies in the Epic Technique of Oral Verse-Making : I. Homer and Homeric Style », HSCP 41 (1930) : 73–147 ; Milman Parry, « Studies in the Epic Technique of Oral Verse-Making : II. The Homeric Language as the Language of an Oral Poetry », HSCP 43 (1932) : 1–50. Voir Stephen H. Smith, A Lion
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Du point de vue du style et de la syntaxe, on a conjecturé que la narration marcienne soit un grec de traduction43 ; Casey, de son côté, envisage l’existence de logia et d’unités narratives araméennes qui auraient été traduites directement par Marc pour son travail de composition44. Witherington, qui penche en faveur de cette possibilité, remarque néanmoins que, dans ce cas, il faudrait accorder au rédacteur du deuxième évangile des compétences linguistiques en hébreu, araméen et grec de la koinè, outre une familiarité avec la Septante (et son grec)45. Le scénario d’une source araméenne en amont de l’exorcisme de Gérasa n’est donc pas impossible. Du point de vue de la structure et du vocabulaire du récit, la présence de plusieurs aspérités et d’éléments redondants46 a poussé Mann à postuler l’existence de plusieurs versions de la même histoire : d’après lui, Matthieu a eu accès à la version la plus courte et la plus primitive et l’a retenue, tandis que Marc (et par lui, Luc) a hérité d’une version plus longue et dramatique47 dont il aurait élaboré une synthèse enrichie d’ajouts relevant de son travail rédactionnel personnel (notamment le passage relatif aux cochons et le dialogue final entre Jésus et l’ex-démoniaque)48. Plus récemment, Torchia est revenu à un volet de l’hypothèse de Mann, tout en reprenant aussi l’hypothèse de Meier relative à l’existence de deux sources49 : un récit primitif aurait été conservé with Wings. A Narrative-Critical Approach to Mark’s Gospel, BibSem 38 (Sheffield : Sheffield Academic Press, 1996), 18. 43 John C. Doudna, The Greek of the Gospel of Mark, JBLMS 12 (Philadelphia : Society of Biblical Literature and Exegesis, 1961), 136. Il présuppose une source araméenne traduite en grec à un stade assez primitif de la tradition, et utilisée seulement ensuite par Marc. 44 Maurice Casey, Aramaic Sources of Mark’s Gospel, SNTSMS 102 (Cambridge : Cambridge University Press, 1998). Pour lui, Marc a utilisé des sources en araméen pour les logia mais aussi des sections narratives, notamment 2.23–3.6 ; 9.11–13 ; 10.35–45 ; 14.12–26. Un autre auteur qui explique l’inélégance du style et la syntaxe abrupte de Marc par d’importantes influences sémitiques est Elliott C. Maloney, Semitic Interference in Marcan Syntax, SBLDS 51 (Chico : Scholars Press, 1981). 45 Witherington, The Gospel of Mark, 17. 46 Par exemple : le curieux imparfait de Mc 5.8 concernant l’action d’exorciser de Jésus (ȜİȖİȞ Ȗȡ ĮIJ) ; le démon connaît l’identité de Jésus, mais ce dernier ignore le « nom » du démon (5.7, 9) ; des mots différents pour indiquer les tombeaux : 5.2 (ȝȞȘȝİȠȞ), 3 et 5 (ȝȞોȝĮ) ; les verbes qualifiants les actions du possédé sont déclinés parfois au singulier, parfois au pluriel (5.2, 6, 7, 8, 9a, 10a) ; la double démonstration de l’efficacité de l’exorcisme : les cochons qui se noient et le constat des gens relatif à l’état de l’homme : 5.13, 15. Eugene Boring considère que ce récit manque de « smoothness » et « consistency » : Boring, Mark, 149. 47 Christopher S. Mann, Mark. A New Translation with Introduction and Commentary, AB 27 (New York : Doubleday, 1986), 277–79. Meier, A Marginal Jew, 1994, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 650, complexifie davantage le tableau en suggérant l’existence de deux récits indépendants (le premier : Mc 5.1–2, 7–8, 15 ; le deuxième : 5.3–6 et 9–10). 48 Meier, A Marginal Jew, 1994, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 650. 49 Voir la note précédente.
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grosso modo par Matthieu ; Marc aurait eu accès à une version courte et déjà codifiée du récit (celle qui est à la base de la version matthéenne), ainsi qu’à une autre version plus longue, plus dépendante d’une tradition orale (« reminiscence source »)50. Encore une fois, chaque hypothèse dépend de l’idée que l’exégète se fait de l’étendue et de la nature du travail rédactionnel réalisé par l’auteur du deuxième évangile. C’est donc là le véritable pivot autour duquel tourne et s’organise la réflexion sur le substrat traditionnel du récit de l’exorcisme de Gérasa et son évolution vers sa version marcienne. Si Matthieu (8.28–34) nous offre la version la plus courte, avec seulement 135 mots et sans le dialogue final entre l’ex-possédé et Jésus51, Luc (8.26–39), de son côté, retient une version plus proche de celle de Marc, aussi bien au niveau du contenu que de l’ordre et du langage52. Cependant, le récit de Luc
50 Joseph N. Torchia, « Eschatological Elements in Jesus’ Healing of the Gerasene Demoniac : An Exegesis of Mk. 5:1–20 », IBS, no 23 (2001) : 5, note 3. 51 Même si, dans Matthieu, les exorcismes de Jésus sont évoqués en 4.24 et en 8.16 (sommaires), le récit du démoniaque de Gadara est le premier dont l’évangéliste donne un récit détaillé. Il est aussi le premier d’une série de cinq récits d’exorcisme : outre Mt 8.28–34, 9.32–33, 12.22, 15.21–28 et 17.14–20. Voir Richard T. France, The Gospel of Matthew, NICNT (Grand Rapids : Eerdmans, 2007), 338. Paul Lamarche, « Le Possédé de Gérasa (Mt 8, 28–34 ; Mc 5, 1.20 ; Lc 8, 26–39) », NRTh 90, no 6 (1968) : 593–94, note 18, fait un accueil favorable à la proposition de Marie-Joseph Lagrange, Évangile selon saint Matthieu, 2e éd. (Paris : Gabalda, 1923), 173–76, selon laquelle la version matthéenne ne dépendrait pas de Marc. La similitude (la moitié des mots de Matthieu se retrouvent aussi dans Marc) et les différences entre les deux récits sont expliquées par le recours à une autre source, l’évangile araméen de Matthieu. Cela dit, Lamarche ne croit pas en la possibilité de reconstruire cette source à cause de l’habitude qu’a Matthieu de réduire, simplifier et schématiser les traditions reçues (cf. la structure simplifiée adoptée par Matthieu : les démons s’opposent à Jésus : Mt 8.28–32 / les hommes s’opposent à Jésus : 8.33–34). Matthieu, donc, se distingue de Marc non pas seulement au niveau du langage, mais aussi pour ce qui est du propos tenu : pour le premier évangéliste il sera important de focaliser l’attention du lecteur sur le rejet dont Jésus fera l’objet en Décapole. Theissen aussi reconnaît la tendance matthéenne à réduire (par une sélection de ce qui est considéré comme essentiel), mais aussi à développer (en fonction de son projet narrativo-théologique) et à intégrer dans son matériel des renvois à des « motifs similaires ». Il souligne néanmoins que le processus de transmission reste lié aux « specific structures of the genre... » ; cela implique, selon lui, que, même dans le cas de « compressions », la structure pré-existante de la source traditionnelle n’est pas bouleversée par le rédacteur. Pour Theissen, Matthieu garde la structure de base du récit hérité en prenant la liberté d’élaguer les éléments qui ne sont pas nécessaires à cette structure : Theissen, The Miracle Stories, 175. 52 Nolland considère Lc 8.26–39 comme dépendant directement de Mc 5.1–20. Mis à part les versets de Mc 5.3–5, 8 et probablement 16, qu’il considère rédactionnels, Nolland attribue l’étrangeté de ce récit (notamment le massacre des cochons) à la fidélité du rédacteur au témoignage oculaire plutôt qu’à des expansions rédactionnelles. De ce fait, en dépit des traits
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est, lui aussi, plus court que celui de Marc : 293 mots grecs contre les 348 du deuxième évangile. En dépit de ces différences, les trois synoptiques s’accordent pour placer cet épisode après le miracle de la tempête apaisée (Mc 3.35–41 // Mt 8.23–27 // Lc 8.22–25) et en territoire non juif (Gérasa ou Gadara, et même Gergésa, selon certains manuscrits). Les trois versions rapportent aussi l’événement grotesque de la fuite et de la noyade des pourceaux53. Ces considérations amènent Taylor à considérer cette tradition comme étant primitive et bien établie, et, en même temps, à considérer la version marcienne comme celle qui se rapproche le plus du témoignage oculaire : pour lui, le récit de Marc 5.1–20 de l’exorcisme de Gérasa n’a pas été l’objet d’un travail rédactionnel important, ni de la part de l’évangéliste ni de la part de la communauté au sein de laquelle Marc a rédigé. La narration déséquilibrée et sa forme rudimentaire en quatre actes (v. 1–10 : accent placé sur le Gérasénien ; v. 11–13 : épisode des cochons ; v. 14–17 : réaction des habitants du district ; v. 18–20 : gros plan sur l’ex-démoniaque) par un narrateur qui se délecte du motif populaire du démon dupé seraient les marques d’un témoignage primitif relatif à un événement réel, dépourvu des améliorations stylistiques et des éléments artificiels typiques d’un long processus de narration et de transmission54. Si la position originale de Taylor n’est plus populaire dans les milieux de l’exégèse historico-critique, son postulat d’un travail rédactionnel très limité de la part de Marc se retrouve encore chez un certain nombre de commentateurs. Bultmann avait déjà montré comment les communautés engagées dans la prédication avaient une tendance à cristalliser le matériel dans des formes précises55. Or les éléments typiques des récits d’exorcisme56 se retrouvent partiellement dans le tout premier exorcisme de l’évangile de Marc (en 1.23–28, manquent les deux premiers points), mais ils sont tous présents dans la péricope de l’exorcisme de Gérasa. Sa conclusion était que le récit avait bien fait l’objet d’un travail formel de la part de la communauté confessante, mais que Marc se limite à reproduire sa source, qu’elle soit écrite ou orale57. Ainsi, l’hypothèse rédactionnels christologiques de la péricope dans sa version lucanienne, le récit de Luc demeure à ses yeux enraciné dans un événement historique, aussi étrange soit-il : Nolland, Luke 1–9:20, 405. 53 Pour Guelich, il s’agit sans doute de l’élément le plus mis en relief dans la version marcienne du récit. Guelich, Mark 1–8:26, 273. 54 Taylor, Saint Mark, 277. Aus, My Name is « Legion », 89, estime que Marc trouve déjà en grec un récit dont l’origine sémitique se situerait vers la fin des années 40 ou le début des années 50. 55 Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 260–61. 56 Voir supra, p. 39. Pour rappel : a. rencontre avec le démon(iaque) ; b. description du caractère dangereux de la possession ; c. reconnaissance de l’exorciste par le démon ; d. exorcisme ; e. démonstration du départ du démon ; f. réaction des témoins oculaires. 57 Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 210. Le recours à la structure bultmanienne des récits de miracles et des exorcismes comme critère pour déterminer le degré d’ancienneté ainsi que la valeur historique de ces récits a été remis en question notamment par
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d’un travail rédactionnel très limité de la part de Marc sur sa source est-elle soutenue aussi par Achtemeier58 (pour lequel seuls les v. 1 et 20 seraient rédactionnels), Gnilka59, Lührmann60, Twelftree61, Marcus62, Pesch63, Witherington64 et Best65, entre autres. La critique rédactionnelle a néanmoins eu le mérite de mettre en valeur le rôle auctoriel et créatif de chaque évangéliste, selon son propre projet théologique. Si certains éléments précis (cri épouvantable, ordre de partir, réaction violente du possédé/démon, étonnement) se retrouvent dans les autres récits d’exorcisme de l’évangile de Marc (1.23–28 ; 5.1–20 ; 9.14–28), il n’est pas possible d’exclure a priori un travail rédactionnel d’une certaine importance effectué par Marc sur ses sources66. Le récit si peu fluide et surprenant de Marc Annen : Heil für die Heiden, 115–27 ; « Die Dämonenaustreibungen Jesu in den synoptischen Evangelien », in Glaube und Geschichte, éd. par Josef Sievi, Vitus Huonder et Karl Kertelge, ThBer 5 (Zürich : Benziger, 1976), 120–24. Annen, tout en reconnaissant que les récits concernant les miracles de Jésus pourraient fort bien s’être transmis selon des formes préexistantes, observe que : la manière très schématique que Bultman a de les concevoir ne semble pas exister telle quelle en dehors des récits du Nouveau Testament (évangiles et Actes), mais qu’on le retrouve plutôt dans des textes postérieurs ; lorsqu’on trouve du matériel comparatif antérieur ou de la même époque, ce qui est rare, plusieurs élements sont communs aux récits évangéliques, mais que l’on ne trouve pas le schéma complet établi par Bultmann. Ainsi Thomas Kazen, Jesus and Purity Halakhah : Was Jesus Indifferent to Impurityࣟ?, éd. révisée, 1e éd. 2002, ConBNT 38 (Winona Lake : Eisenbrauns, 2010), 315. 58 Achtemeier, « Toward the Isolation », 275–76. 59 Joachim Gnilka, Das Evangelium nach Markus, vol. 1 : Mk 1–8,26, EKKNT 1 (Zürich – Neukirchen : Benziger – Neukirchener, 1978), 200–202. 60 Dieter Lührmann, Das Markusevangelium, HNT 3 (Tubingen : Mohr Siebeck, 1987), 99. 61 Graham Twelftree, Jesus the Exorcist : A Contribution to the Study of the Historical Jesus, WUNT 54 (Tübingen : Mohr Siebeck, 1993), 86. 62 Marcus, Mark 1–8, 59–62, 347. 63 Rudolf Pesch, « Markan Version of the Healing of the Gerasene Demoniac », ER 23, no 4 (1971) : 351–52, 374, et ensuite dans Der Besessene von Gerasa, 14–17, 49. Cet auteur défend la thèse selon laquelle, dans Marc 5.1–20, il n’y a pas de traits rédactionnels marciens. 64 Witherington, The Gospel of Mark, 16–17, pour lequel Marc adopterait le modèle des chreiai pour son approche compositionnelle. 65 Ernest Best, « Mark’s Preservation of the Tradition », in The interpretation of Mark, éd. par William Telford, 2nd Revised Edition, Issues in Religion and Theology 7 (Philadelphia – London : Fortress Press – SPCK, 1995), 153–68, qui est en réalité une reprise d’Ernest Best, « Mark’s Preservation of the Tradition », in L’Évangile selon Marcࣟ : tradition et rédaction, éd. par Maurice Sabbe et Kurt Aland, BETL 34 (Leuven – Gembloux : Leuven University Press – J. Duculot, 1974), 21–34. L’apport rédactionnel de Marc se limiterait aux connexions de temps et de lieu (« seams ») entre les péricopes et/ou les blocs traditionnels hérités (« conservative editor »). 66 Dibelius, From Tradition to Gospel, 266 ; Marcus, Mark 1–8, 347 ; Xavier LéonDufour, Études d’Évangile, PD 2 (Paris : Seuil, 1965), 160 ; Craghan, « The Gerasene Demoniac », 525 ; Moloney, Mark, 102.
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
5.1–20 résiste, à bien y regarder, à la classification bultmannienne : la rencontre entre le héros et le possédé y est décrite deux fois (5.2, 6) ; on y trouve une double supplication (5.10, 12), une double preuve du départ du démon (5.13, 15a) et une double réaction au miracle (5.15b, 20b)67. Même si nous rejetons la proposition de Taylor de voir dans ces éléments la preuve d’une dépendance formelle stricte à un récit émanant de témoins oculaires, force est de constater qu’il n’est pas aisé d’identifier avec précision l’apport de Marc en l’isolant de la forme que sa source aurait pu avoir. La source utilisée par Marc peut, bien évidemment, être conçue comme le produit d’un processus qui, à partir d’un récit d’exorcisme en territoire non juif, enrichit et oriente le récit même selon les développements théologiques et missiologiques de la communauté qui l’a gardé et transmis68. Une analyse plus détaillée du récit nous permettra d’avancer une proposition à cet égard. 1.3.2 Relecture critique du récit marcien Le récit du démoniaque de Gérasa s’ouvre avec la phrase țĮ ȜșȠȞ İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ İੁȢ IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ (Mc 5.1). Si la transition entre l’épisode de la tempête apaisée (4.35–41) et ce nouveau volet de l’histoire du Jésus marcien peut être attribuée à la main du rédacteur69, l’indication de lieu (IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ, v. 1) s’impose comme pré-marcienne à cause de la difficulté que ce lieu pose en connexion avec la noyade des cochons70. 67 Focant, L’Évangile selon Marc, 200, lequel remarque aussi que l’imparfait de Mc 5.8 est curieux et, d’après lui, à comprendre comme un plus-que-parfait. Il relève encore que, au v. 15, l’homme est qualifié, de manière impropre, de possédé, tandis qu’au v. 18 il est appelé įĮȚȝȠȞȚıșİȢ (« celui qui avait été démoniaque »). Nous expliquerons cette incongruité au chapitre suivant, par une approche narratologique du récit : voir notamment infra, p. 144– 148. 68 Pesch, « Markan Version », 354–68. Pesch, Der Besessene von Gerasa, 21–40 : en utilisant les outils fournis par la critique des formes et l’étude des thèmes et des motifs présents dans le récit, il avance un développement de ce dernier en quatre stades, dont le dernier serait la version marcienne ; Ådna, « The Encounter », 284–85, considère comme des ajouts marciens l’épisode des cochons (Mc 5.11–13) et le dialogue final entre Jésus et l’ex-démoniaque (5.18–20). 69 Taylor, Saint Mark, 277 ; Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 281. 70 Le district de Gérasa ne s’étendait pas jusqu’au lac de Tibériade, tandis que c’était probablement le cas pour celui de Gadara, ce qui explique les tentatives de correction (variantes) dans plusieurs manuscrits : Nolland, Luke 1–9:20, 406–7. Mello, en commentant la péricope matthéenne (8.28–34), suggère l’identification de l’ancienne Gadara avec la ville d’El Kursi : Alberto Mello, Évangile selon saint Matthieu. Commentaire midrashique et narratif, trad. par Aimée Chevillon, LD 179 (Paris : Cerf, 1999), 169. France, par contre, préfère assimiler El Kursi à Gergésa, la ville mentionnée par Origène et Eusèbe comme le théâtre de ce curieux exorcisme : France, Matthew, 340. Marc n’a pas l’habitude de mentionner la localisation des miracles de Jésus ; il est donc probable qu’il trouve l’expression
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Une fois descendu du bateau, Jésus est approché par un homme possédé, dont le narrateur donne une description plutôt détaillée (Mc 5.2–5). Nous retenons comme pré-marcienne (et originale) la rencontre avec un seul démoniaque (Mc 5.2). Luc ne change pas ce détail, tandis que Matthieu opte pour un dédoublement, tout à fait conforme à sa tendance rédactionnelle : dans la section narrative qui décrit l’entrée de Jésus à Jérusalem, Matthieu situe deux aveugles à Jéricho (Mt 20.29–34) et deux ânes près de Bethphagé (21.1–11), tandis qu’aussi bien Marc (Mc 10.46–52 ; 11.1–10) que Luc (Lc 18.35–43 ; 19.28–40) parlent d’un seul homme aveugle et d’un seul animal à amener71. La description du possédé (Mc 5.3–5) entraîne le lecteur dans la découverte de l’état dramatique de cet homme : un être violent et déshumanisé, puissant, mais aussi aliéné, indomptable et pourtant victime72. Le vocabulaire de cette « dans le territoire des Géraséniens » dans sa source (Taylor, Saint Mark, 278). Ce qui est incontestable c’est le fait que cette rencontre entre Jésus et le possédé se situe en territoire non juif (cf. la présence de cochons et la précision de Lc 8.26 : ਸ਼IJȚȢ ਥıIJȞ ਕȞIJȚʌȡĮ IJોȢ īĮȜȚȜĮĮȢ ; Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 590). Voir notre discussion dans le cadre de la critique textuelle de Mc 5.1 : infra, p. 439–440. Dans l’évangile de Matthieu, cette incursion en territoire païen précède l’injonction de Mt 10.5 (İੁȢ įઁȞ ਥșȞȞ ȝ ਕʌȜșȘIJİ țĮ İੁȢ ʌંȜȚȞ ȈĮȝĮȡȚIJȞ ȝ İੁıȜșȘIJİ), qui sera ensuite infirmée par Jésus lui-même en 15.21 (țĮ ਥȟİȜșઅȞ ਥțİșİȞ ȘıȠ૨Ȣ ਕȞİȤઆȡȘıİȞ İੁȢ IJ ȝȡȘ ȉȡȠȣ țĮ ȈȚįȞȠȢ). Ce renversement est en quelque sorte anticipé dans le récit des démoniaques Gadaréniens (8.28– 34) : c’est ainsi que Mello interprète le ੰįİ (« ici ») et le ʌȡઁ țĮȚȡȠ૨ (« avant le temps ») de 8.29 comme une anticipation et un modèle de la mission post-pascale en territoire non juif de l’Église, mission qui sera enfin clairement explicitée en 24.14 et 28.18–20 : Mello, Matthieu, 169–70, qui s’appuie sur le travail de Vittorio Fusco, La casa sulla rocciaࣟ : temi spirituali di Matteo, SpBib (Magnano : Qiqajon – Comunità di Bose, 1994), 87–88. 71 Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 594, mais il n’explique pas la raison du dédoublement. L’explication d’Augustin et de Chrysostome – Marc et Luc ne mentionnent que le plus illustre ou le plus accablé des deux – n’est qu’une tentative pieuse d’harmoniser les différences de ces récits évangéliques : voir Augustin, Cons. 2.24 et Chrysostome, Hom. Matt. 28, cités par Thomas d’Aquin dans son commentaire à Mc 5.1–20 : Aquinas Thomas, Catena Aurea. Commentary on the four Gospels, Collected Out of the Works of the Fathers, trad. par John H. Newman, vol. 3 – St. Mark (Oxford – London : James Parker and Co, 1874), 91. 72 Matthieu supprime les références à la souffrance des possédés et aux tentatives de les dompter. Pour lui, il s’agit de deux êtres dangereux qui empêchent les personnes de circuler normalement sur le territoire (ȤĮȜİʌȠ ȜĮȞ, ੮ıIJİ ȝ ੁıȤİȚȞ IJȚȞ ʌĮȡİȜșİȞ įȚ IJોȢ įȠ૨ ਥțİȞȘȢ : Mt 8.28). Luc met plutôt l’accent sur le désespoir de l’homme : le fait qu’il vient de la ville, la mention de sa nudité et le fait qu’il n’habite plus dans une maison (ਥț IJોȢ ʌંȜİȦȢ… țĮ ȤȡંȞ ੂțĮȞ Ƞț ਥȞİįıĮIJȠ ੂȝIJȚȠȞ… țĮ ਥȞ Ƞੁț Ƞț ȝİȞİȞ : Lc 8.27) trahissent son aliénation ; c’est seulement ensuite, après l’injonction de Jésus au démon de quitter son hôte (Lc 8.29a), que le thème de la violence est évoqué : v. 29b. Lc 8.27 anticipe aussi pour le lecteur la nature plurielle de la possession, en laissant ensuite les personnages du récit acquérir cette connaissance au fur et à mesure que l’intrigue se dévoile. Cf. Mello, Matthieu, 169 ; Taylor, Saint Mark, 279 ; Nolland, Luke 1–9:20, 403, 407 ; Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 590, 595. Lamarche propose de trouver dans l’impossibilité de passer
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section contient plusieurs hapax marciens : țĮIJȠțȘıȚȢ (v. 3) ; ਚȜȣıȚȢ (v. 3– 4)73 ; įȚĮıʌȦ (v. 4)74 ; įĮȝȗȦ (v. 4)75. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de considérer cette section comme la transposition d’un témoignage oculaire direct ni d’un matériel traditionnel pré-marcien76. L’emploi d’hapax legomena n’est pas concluant pour cerner la question de l’utilisation d’une source antérieure77. Plus à propos est l’observation selon laquelle cette description, même si elle est retravaillée partiellement par Marc, a la fonction « d’engendrer du pathos [chez le lecteur] à l’égard d’une personne dans le besoin »78. Si l’on compare, d’un côté, les récits de la guérison du paralytique de Capharnaüm (Mc 2.1–12), de la femme atteinte d’une perte de sang (Mc 5.25–34), de la résurrection de la fille de Jaïros (Mc 5.21–24, 35–43) et de l’exorcisme de l’enfant possédé (Mc 9.14–29) – où le narrateur s’attarde sur des détails visant à augmenter la participation empathique du lecteur –, et, de l’autre, les autres récits d’exorcisme et de guérison (par ex. Mc 1.21–28 ; 1.40–45 ; 3.1–6 ; 7.24– 30, 31–37), on n’a pas l’impression que Marc ait une tendance systématique à recourir aux expansions visant à créer du pathos. De ce point de vue, la longue description du possédé de Marc 5.3–5 pourrait s’avérer (quitte à admettre des « par ce chemin-là » (įȚ IJોȢ įȠ૨ ਥțİȞȘȢ : Mt 8.28) une indication symbolique : une tentative des forces démoniaques d’empêcher les êtres humains d’aller vers Dieu et de jouir de sa grâce (p. 595, où il renvoie au motif de la « route » en Mt 7.14 et 20.17 ; mais aussi en Jn 14.6 ; Ac 9.2 ; 18.25–26). Cette lecture pourrait être affinée : puisque le Jésus matthéen se trouve en territoire étranger et que ce chemin est bien identifié par un pronom démonstratif, si la symbolique de la « route » est effectivement opérationnelle, alors ce que les démons empêchent et que Jésus rend possible (il « dégage la voie ») c’est l’établissement d’une relation nouvelle entre Juifs et non-Juifs. 73 Aussi en Ac 12.6–7 ; 21.33 ; 28.20 ; Ep 6.20 ; 2 Tm 1.16 ; Ap 20.1. 74 Ailleurs seulement en Ac 23.10. 75 Ailleurs seulement en Jc 3.7–8. 76 Contra Taylor, Saint Mark, 277. De son côté Trocmé aussi estime que les versets 3 à 5 de Mc 5 sont pré-marciens car ils trahiraient la « rude simplicité et les redondances du récit populare » : Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 143. 77 Cf. la remarque méthodologique suivante : « Hapax legomena are often counted as a help in determining authorship ; they are in fact rarely a good guide since subject-matter affects the choice of words » [Ernest Best, A Critical and Exegetical Commentary on Ephesians, ICC (Edinburgh : T. and T. Clark, 1998), 28] ; voir aussi Patricia Walters, The Assumed Authorial Unity of Luke and Acts. A Reassessment of the Evidence, SNTSMS 145 (Cambridge : Cambridge University Press, 2009), 39. 78 Teresa Carpino, « The Gerasene Demoniac (Mark 5:1–20)ௗ: The Pre-Markan Function of the Pericope », BR 53 (2008) : 17. Carpino considère que les versets 2 à 5 de Mc 5, qui remplissent la fonction de « engendering pathos for individual in needs », sont pré-marciens et mis au service du thème marcien du dévoilement de l’autorité de Jésus. Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 281–82, en s’appuyant sur les travaux de Annen, Heil für die Heiden, 70–74, et de Robert H. Gundry, Mark. A Commentary on His Apology for the Cross (Grand Rapids : Eerdmans, 1993), 249, considère aussi le bloc de Mc 5.2–5 comme pré-marcien, sauf le demi-verset 3a.
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retouches rédactionnelles) traditionnelle. Néanmoins, plusieurs éléments favorisent la thèse d’un travail rédactionnel plutôt marqué, probablement à partir d’un matériel plus primitif. Tout d’abord, il faut mentionner l’emploi de mots grecs différents pour désigner les tombeaux : ȝȞȘȝİȠȞ (Mc 5.2) et ȝȞોȝĮ (v. 3, 5). Dans Marc, on ne trouve le mot ȝȞોȝĮ qu’en 5.3 et 579, tandis que ȝȞȘȝİȠȞ est employé en 5.2 et également en 6.29 ; 15.46 (x2) ; 16.2, 3, 5, 880. À notre avis, si Marc 5.3– 5 était une expansion purement marcienne, on aurait pu s’attendre là à l’emploi du mot qu’il utilise régulièrement, à savoir ȝȞȘȝİȠȞ. De plus, le texte de Marc 15.46 représente un véritable dilemme pour la critique textuelle. Ce verset contient le mot « tombeau » à deux reprises : dans la deuxième partie du verset (țĮ ʌȡȠıİțȜȚıİȞ ȜșȠȞ ਥʌ IJȞ șȡĮȞ IJȠ૨ ȝȞȘȝİȠȣ), il n’y a pas de problème d’établissement du texte ; pour ce qui est de la première occurrence (țĮ șȘțİȞ ĮIJઁȞ ਥȞ ȝȞȘȝİ), en revanche, les manuscrits sont partagés. Si la plupart des témoins lisent ਥȞ ȝȞȘȝİ81, les codex Sinaiticus (ஹ) et Vaticanus (B) optent pour ਥȞ ȝȞȝĮIJȚ. Il est curieux de constater que le comité du Novum Testament Graece (NA28)82 a décidé de retenir, pour cette proposition de Marc 15.46, la première partie (țĮ șȘțİȞ ĮIJંȞ) telle qu’elle est attestée par le Sinaiticus et le Vaticanus, en considérant comme corrompues les versions de l’Alexandrinus (A) et de l’Ephraemi Rescriptus (C) ; tandis que pour la seconde (ਥȞ ȝȞȘȝİȦ) c’est exactement l’inverse qui se passe : ce sont les codex A et C qui sont préférés à ஹ et B. Notre avis est qu’il n’est pas possible d’exclure a priori l’emploi, par Marc, de mots différents (en l’occurrence ȝȞȘȝİȠȞ et ȝȞોȝĮ) pour désigner le tombeau de Jésus83. En revenant à Marc 5.2–5, il en résulte que la présence de deux mots différents pour les tombeaux n’est pas nécessairement le signe d’un bloc pré-marcien repris tel quel, mais plaide plutôt en faveur d’une élaboration rédactionnelle marcienne. La contradiction apparente entre le verset 2 (« et lorsqu’il fut sorti du bateau, voici qu’un homme à l’esprit impur l’affronta [en sortant] des tombeaux ») et le verset 6 (« et ayant distingué Jésus de loin, il se précipita et se prosterna devant lui ») de Marc 5, souvent invoquée comme preuve d’un remaniement du verset 6 pour accommoder l’insertion des versets 3 à 5, semble relever plutôt 79
Jamais en Matthieu et en Jean, trois fois en Luc (8.27 ; 23.53 ; 24.1), deux fois en Actes (2.19 ; 7.16) et une fois dans l’Apocalypse (11.19). 80 Sept fois dans Matthieu (8.28 ; 23.29 ; 27.52, 53, 60 x2 ; 28.9), huit fois dans Luc (11.44, 47 ; 23.55 ; 24.2, 9, 12, 22, 24), seize fois dans Jean (5.28 ; 11.17, 31, 38 ; 12.17 ; 19.41, 42 ; 20.1 x2, 2, 3, 4, 6, 8, 11 x2) et une fois dans Apocalypse (13.29). 81 A C K L W ī Ĭ Ȍ 083 f1.13 Majoritaire etc. 82 Eberhard Nestle et al., éd, Novum Testamentum Graece, 28e éd. (Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2012). 83 Conclusion partagée aussi par Collins, Mark. A Commentary, 267. Aus remarque que les deux manières de Marc d’appeler les sépulchres rappelle les deux pluriels du mot hébreu ʸ ʓʡʷʓ en t. Ter. 1.3 (ʺˣʸ ʕʡʷ) et b. Ber. 18b (ʭʩʸʑ ʕʡ ʍʷ) : Aus, My Name is « Legion », 4.
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du style narratif sémitique qui parfois introduit l’événement par une affirmation directe et concise pour ensuite développer la modalité du déroulement de l’événement lui-même84. Il nous parait donc évident que la seule question du vocabulaire n’est pas suffisante pour attribuer au seul Marc la rédaction des versets 3–5 du récit de Gérasa. C’est lorsque l’attention de l’exégète se tourne vers l’étude de l’intertextualité et de l’intratextualité que l’appréciation de l’apport rédactionnel de Marc devient plus saisissante85. Les similarités entre la description du démoniaque en Marc 5.3–5 et les textes d’Ésaïe 65.3–4 LXX et Psaume 67.7 LXX offrent une base plus objective pour comprendre l’orientation théologique donnée à la version marcienne du récit de Gérasa. Pour commencer, le mot ȝȞોȝĮ (on le
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Aux yeux de Taylor, Saint Mark, 277, Mc 5.6 apparaît comme le début d’une autre narration ; en effet on pourrait considérer que : l’omission des versets 2 à 5 de Marc 5 n’affecte pas la fluidité du récit ; le contenu des versets 2–5 n’est pas utilisé directement dans le reste du récit ; la tension entre le verset 2 (İșઃȢ ਫ਼ʌȞIJȘıİȞ ĮIJ) et le verset 6 (țĮ ੁįઅȞ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ) s’explique par la nécessité d’intégrer la description du démoniaque (autrement absente dans le récit hérité par Marc). Cependant, les deux premières considérations demeurent plutôt subjectives et ne tiennent pas compte des avancées de l’exégèse narrative ; cette dernière attribue à Marc ce qui est tenu a priori pour une maladresse compositionnelle. Voir Craghan, « The Gerasene Demoniac », 525. Nolland, Luke 1–9:20, 404, affirme que la tension entre le verset 2 et le verset 6 a été exagérée : les écrivains sémitiques auraient l’habitude de commencer par un « general statement summary » pour ensuite le développer en détail (mais il ne cite pas d’exemples). Cette observation l’amène à considérer Mc 5.3–6 comme un développement tout à fait cohérent de ce qui est annoncé au verset 2, mais rédactionnel (p. 405). Collins, de son côté, reconnait aussi qu’entre le verset 2 et le verset 6 il n’y pas d’incongruité, si l’on pense à la technique de récapitulation employée par les auteurs sémitiques pour reprendre le fil du discours après une digression (Collins, Mark. A Commentary, 267 : elle n’apporte pas non plus des exemples concrets). 85 Pour une appréciation de l’emploi que Marc fait (parfois en héritant de la tradition) de textes et thèmes du Premier Testament en relation à Jésus, voir DeSilva, An Introduction to the New Testament, 211–16 ; Boring, Mark, 404–5. Derrett avait ainsi exprimé les attentes des destinataires de Marc, pour lesquels les traditions de la Bible hébraïques jouaient un rôle hermeneutique de premier ordre : « [t]he first hearers of Mark will have expected that some historical event lay behind the edifying and inspiring commentary which the Evangelist provides for us. It is not possible to evaluate the commentary without attempting to grasp what event that could have been » : J. Duncan M. Derrett, « Contributions to the Study of the Gerasene Demoniac », JSNT 2, no 3 (1979) : 3. Dans le même sillage, McWhirter propose de tenir davantage compte des concepts théologiques du Premier Testament et de leur rôle et place dans l’imaginaire juif, plutôt que de se limiter seulement à individuer des passages spécifiques, dans l’exploration de l’interpretation christologique dont ils ont fait l’objet : Jocelyn McWhirter, « Messianic Exegesis in Mark’s Passion Narrative », in The Trial and Death of Jesusࣟ : Essays on the Passion Narrative in Mark, éd. par Geert Van Oyen et Tom Shepherd, CBET 45 (Leuven : Peeters, 2006), 69–98.
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rappelle, présent en Marc 5.3, 5 et, à notre avis, en 15.46) est à mettre en relation avec Ésaïe 65.4 LXX86, où le prophète condamne ceux qui dorment dans les tombeaux87 et qui mangent de la chair de porc88. En deuxième lieu, les termes țĮIJȠțȘıȚȢ (Mc 5.3 ; un hapax du Nouveau Testament mais présent dans la LXX89) et IJȢ ʌįĮȢ (Mc 5.4), ainsi que la mention de « tombeaux » (ਥȞ IJijȠȚȢ ; remplaçant l’expression « lieux arides » du texte hébreu : ʤ ʕʧʩ ʑʧʶ), semblent indiquer une dépendance à l’égard du Psaume 67.7 LXX90. Faut-il attribuer ces liens intertextuels au génie du seul Marc ? Pas nécessairement. Le texte d’Ésaïe 65 est à l’origine adressé au (et concerne le) peuple juif91. Cependant, l’épître aux Romains (antérieure à la rédaction de l’évangile de Marc) montre une utilisation plutôt originale de ce texte prophétique : dans Romains 10.20–21, Paul applique Ésaïe 65.2 à Israël et 65.1 aux nations92. Cette nouvelle herméneutique, visant à inclure les non-Juifs parmi les destinataires des anciennes promesses destinées au départ au seul peuple juif (y sont incluses celles d’Ésaïe 65), précède l’œuvre rédactionnelle de Marc. Ce que Marc apporte – et c’est l’intratextualité qui le montre –, c’est la mise en relation, dans son évangile, de l’exorcisme de Gérasa avec le thème plus large de la valeur eschatologique des exorcismes de Jésus. Dans les versions matthéenne (Mt 8.28–34) et lucanienne (Lc 8.26–39) du récit de Marc 5.1–20, la controverse sur l’origine du pouvoir de Jésus sur les démons (Dieu ou Béelzéboul ? Mt 12.24–29 // Mc 3.22–27 // Lc 11.15–22) se situe après l’épisode de Gérasa 86
Craghan, « The Gerasene Demoniac », 530 ; Pesch, Der Besessene von Gerasa, 286. Pour Pesch, Mc 5.2–5 est rédactionnel. 87 Voir ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ țĮ ਥȞ IJȠȢ ıʌȘȜĮȠȚȢ țȠȚȝȞIJĮȚ, à mettre en relation avec le Ȣ IJȞ țĮIJȠțȘıȚȞ İੇȤİȞ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ de Mc 5.3 et le țĮ įȚ ʌĮȞIJઁȢ ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȡĮȢ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ du verset 5. 88 Voir Ƞੂ ıșȠȞIJİȢ țȡĮ İȚĮ, à mettre en relation avec la présence du ਕȖȜȘ ȤȠȡȦȞ ȝİȖȜȘ ȕȠıțȠȝȞȘ en Mc 5.11. 89 Gn 10.30 ; 27.39 ; Ex 12.40 ; Nb 15.2 ; 2 S 9.12 ; 1 R 8.30 ; 2 R 2.19 ; 2 Ch 6.21 ; 1 Esd. 1.19. 90 Ps 67.7 LXX : șİઁȢ țĮIJȠȚțȗİȚ ȝȠȞȠIJȡંʌȠȣȢ ਥȞ Ƞț ਥȟȖȦȞ ʌİʌİįȘȝȞȠȣȢ ਥȞ ਕȞįȡİ ȝȠȦȢ IJȠઃȢ ʌĮȡĮʌȚțȡĮȞȠȞIJĮȢ IJȠઃȢ țĮIJȠȚțȠ૨ȞIJĮȢ ਥȞ IJijȠȚȢ. 91 Selon Brevard S. Childs, Isaiah, OTL (Louisville : Westminster John Knox Press, 2001), 534–35, Es 65.1–7 est adressé à des Juifs apostats, qui auraient assimilé et intégré, entre autres, des pratiques divinatoires et des habitudes alimentaires étrangères. En se fondant sur les travaux de Johann J. Griesbach, Bernard Orchard défend la position que Marc, dans son évangile, propose une synthèse des traditions palestiniennes et pauliniennes. Toutefois, Orchard estime que ces traditions lui soient parvenues par Pierre, qui aurait eu accès aux évangiles de Matthieu et de Luc. Bien évidemment, Orchard n’accepte pas l’anteriorité chronologique de Marc et situe la rédaction des évangiles de Matthieu et de Luc avant l’année 64 (mort de Pierre). Orchard, « Mark and the Fusion of Traditions » ; Bernard Orchard, « The publication of Mark’s Gospel », in The Synoptic Gospels : Source Criticism and the New Literary Criticism, éd. par Camille Focant, BETL 110 (Leuven : Leuven University Press – Peeters, 1993), 518–20. 92 Collins, Mark. A Commentary, 267.
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
(Gadara) et le lien entre les deux récits n’est pas explicite93. Marc, par contre, anticipe la controverse sur Béelzéboul et établit une relation étroite entre les deux péricopes par l’emploi de mêmes mots ou expressions : ʌȞİ૨ȝĮ ਕțșĮȡIJȠȢ en 3.30 // 5.2 ; įȞĮȝĮȚ en 5.3 // 3.23, 24, 25, 26, 27 ; įȦ en 5.3 // 3.2794. Marc pourrait avoir hérité d’une description du possédé de Gérasa qui établissait déjà un lien entre la mission de Jésus et l’inclusion des non-Juifs dans le cadre de l’accomplissement des promesses adressées à l’origine au seul peuple d’Israël. Il faudra toutefois lui attribuer le travail rédactionnel visant à intégrer le récit de Gérasa dans le cadre plus large du conflit cosmique que Jésus mène au nom de Dieu : ce thème eschatologique forme l’arrière-plan de ses exorcismes en général95et, entre les chapitres 3 et 6 en particulier, de la controverse avec les scribes sur la source de son pouvoir (3.22–27, 28–30), de l’établissement de la « nouvelle famille » (3.20–21, 31–35), de l’adhésion ou pas au mystère du Royaume de Dieu (4.1–34), des actes miraculeux qui, tout en révélant son identité, se heurtent au refus et au manque de foi (5.1–6.6). La section de Marc 5.6–10 reprend et développe, après la pause narrative des versets 3 à 5, l’affrontement anticipé au verset 2. Le narrateur rappelle tout d’abord au lecteur que le possédé, « ayant distingué Jésus de loin, se précipita et se prosterna devant lui » (v. 6). Cette reprise du verset 2, qui avait déjà anticipé cette rencontre (« lorsqu’il fut sorti du bateau, voici qu’un homme à l’esprit impur l’affronta [en sortant] des tombeaux »), a été tenue pour rédactionnelle par ceux qui considèrent la description du démoniaque des versets 3 à 5 comme un ajout marcien. Toutefois, nous avons déjà relevé plus haut à la fois le fait que la substance des versets 3 à 5, mises à part d’importantes retouches rédactionnelles, peut très bien appartenir à un stade pré-marcien et que la technique de la récapitulation pour reprendre le fil de la narration après une digression n’est pas étrangère aux auteurs sémitiques96. C’est au verset 7 que le possédé, après avoir crié avec une grande voix (țĮ țȡȟĮȢ ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ), prononce des paroles intelligibles pour la toute première fois dans le récit : il s’agit d’ailleurs de la première occurrence de discours 93 Il est vrai que Mt 8.28 emploie le verbe ੁıȤİȚȞ (cf. l’adjectif ੁıȤȣȡંȢ utilisé deux fois en 12.29 – logion de l’homme fort) ; toutefois, contrairement à Mc, ni Mt ni Lc n’utilisent dans leur version de l’exorcisme de Gérasa/Gadara les verbes įȞĮȝĮȚ (Mc 5.3 // Mc 3.27 ; aussi en Mt 12.29 mais pas en 8.28–34) et įȦ (Mc 5.3, 4 // Mc 3.27 ; aussi en Mt 12.29 mais pas en 8.28–34). 94 Cf. Elisabeth E. Shively, Apocalyptic Imagination in the Gospel of Mark. The Literary and Theological Role of Mark 3:22–30, BZNW 189 (Berlin – Boston : de Gruyter, 2012), 175–76. Rochester, Good News at Gerasa, 189, en s’appuyant sur Clinton L. Wahlen, Jesus and the Impurity of Spirits in the Synoptic Gospels, WUNT II 185 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2004), 106, est d’accord sur le fait que la désignation « esprit impur » remonte à la tradition pré-marcienne. 95 Voir infra, p. 291–311. 96 Nolland, Luke 1–9:20, 404 ; Collins, Mark. A Commentary, 267.
Substrat traditionnel et apport rédactionnel
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direct en Marc 5. Son énoncé s’organise en deux segments : d’abord une question ; ensuite une requête. La question de l’homme est la suivante : IJ ਥȝȠ țĮ ıȠ, ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ; Elle est posée pendant que l’énonciateur est prosterné (v. 6 : țĮ ʌȡȠıİțȞȘıİȞ ĮIJ). Il s’agit d’un aveu d’incompatibilité (Jésus est reconnu en tant que « Fils du Dieu Très Haut ») entre les deux puissances qui s’affrontent, sans que l’idée d’une « conversion » soit en vue. L’arrière-plan sémitique de la question est évident : l’expression IJ ਥȝȠ țĮ ıȠ se retrouve telle quelle dans la Septante en Jg 11.12 ; 1 R 17.18 ; 2 R 3.13 ; 2 Ch 35.21 ; 1 Esd. 1.24 et ne fait pas partie des expressions typiques des GrécoRomains97. À nos yeux, elle est, en toute probabilité et dans ce cas spécifique, une réélaboration rédactionnelle marcienne pour mettre en relation l’exorcisme de Gérasa avec celui de la synagogue de Capharnaüm (Mc 1.21–28), où le possédé s’était déjà écrié : IJ ਲȝȞ țĮ ıȠ, ȘıȠ૨ ȃĮȗĮȡȘȞ; (v. 24). La connaissance que les démons ont de Jésus en tant qu’Oint de Dieu venu pour les mettre en déroute (cf. 1.9–11) dépasse les frontières d’Israël : son ministère de déploiement du Règne de Dieu concerne les non-Juifs aussi98. Le deuxième segment de l’énoncé du démoniaque est plutôt surprenant : ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ, ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ (Mc 5.7b). Mis à part Actes 9.13, le mot ȕĮıĮȞȗȦ (« tourmenter, punir »)99 ne se retrouve nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament. En Marc 5.7 il s’agit bien du possédé ou de Légion qui semble vouloir exercer un contrôle sur Jésus100. Cet élément plutôt original (il est difficile de se prononcer sur son origine traditionnelle ou rédactionnelle) a posé problème aux relecteurs de Marc : Matthieu élimine le ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ, met en relief la confession de l’identité de Jésus en tant que Fils de Dieu (en la dégageant du contexte d’exorcisme et contre-exorcisme) et accentue la dimension eschatologique du récit en ajoutant ʌȡઁ țĮȚȡȠ૨ (« avant le temps ») à la fin du verset (Mt 8.29)101. Luc, de son côté, tempère l’expression marcienne en changeant le ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ en įȠȝĮ ıȠȣ (« je te prie », Lc 8.28)102.
97
Carpino, « The Gerasene Demoniac », 17 ; Wendy J. Cotter, Miracles in Greco-Roman Antiquity : A Sourcebook (London : Routledge, 1999), 120. Voir infra, p. 449. 98 Cf. Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 287, pour lequel Mc 5.1–20 est un récit secondaire dépendant de Mc 1.21–28 et non pas d’un événement remontant à un témoignage oculaire. 99 Voir infra, p. 451-452. 100 Voir infra, p. 451 et p. 277, note 80. 101 France, Matthew, 341 : le Jésus matthéen anticipe, dans son ministère d’exorciste, le jugement eschatologique des démons qui attendent pour le dernier jour (1 Hén. 12–16 ; Jub. 5.6–10 ; 10.1–13) leur condamnation de la part du messie (1 Hén. 55.4 ; T. Lévi 18.12) ; dans la même perspective se situe aussi Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 595, qui voit dans l’expression ʌȡઁ țĮȚȡȠ૨ un signe de la continuité entre le Jésus terrestre, le Christ ressuscité et le Kurios-Juge de la fin des temps. 102 Taylor, Saint Mark, 280–81 ; Mello, Matthieu, 170 ; Nolland, Luke 1–9:20, 408.
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
La fluidité narrative n’est pas au rendez-vous lorsque le narrateur fait suivre l’énoncé du démoniaque (Mc 5.7) par une scène introduite par un verbe à l’imparfait (v. 8) : ȜİȖİȞ Ȗȡ ĮIJ· ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ਥț IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ. L’ordre de sortir de l’homme que Jésus adresse à l’esprit impur n’est donc pas, intuitivement, la réponse ponctuelle que Jésus donne au possédé, mais plutôt une action qui se prolonge et se répète depuis quelque temps. Cet imparfait a créé un certain embarras parmi les exégètes, au point que l’on a proposé de le traduire par un plus-que-parfait (« car il avait dit ») ou même de lui donner le sens de ȝȜȜȦ (à l’imparfait) : « car Jésus allait dire… »103. Ces tentatives de lisser le texte ne sont pas à cautionner. Faut-il voir ici du matériel traditionnel relevant du style oral et tout simplement gardé par Marc par fidélité à ses sources, ou plutôt une tentative rédactionnelle de Marc destinée à équilibrer les deux versets précédents en expliquant pourquoi le possédé est tourmenté (v. 7) et en créant une sorte de suspension temporelle qui permette au récit de se déployer104 ? Les deux hypothèses sont plausibles. Concernant la première notamment, il est tout à fait possible que Marc ait hérité ce verset en l’état : si l’on accepte le caractère oral de la forme du récit auquel Marc a eu accès, il est possible d’envisager une clause parenthétique pour donner des détails a posteriori105. En effet, Luc, qui comprend le verset 8 comme une clause parenthétique ayant pour but de mettre en valeur le redoutable pouvoir de ces démons, réarrange le texte pour lier davantage la difficulté de l’exorcisme et la force du possédé106. Un autre élément à considérer est le suivant : Marc a plutôt l’habitude d’utiliser l’aoriste pour introduire un ordre péremptoire de Jésus (cf. Mc 1.25, 41 ; 103 Cf. Craghan, « The Gerasene Demoniac », 525, et John R. Donahue et Daniel J. Harrington, The Gospel of Mark, SP 2 (Collegeville : The Liturgical Press, 2002), 165, sans pour autant justifier ni montrer comment l’imparfait aurait pu être lu de la sorte ailleurs. 104 Mc 5.8 est tenu pour rédactionnel déjà par Dibelius, From Tradition to Gospel, 83. Taylor, Saint Mark, 277–78, 281, infère que Marc aurait hérité les versets 6–7 et ensuite aurait cherché, malhabilement, à les « expliquer » ; Luc, grâce à sa maîtrise plus achevée de l’art de l’écriture, aurait opté pour ʌĮȡĮȖȖȜȜȦ (« commander », Lc 8.29) à la place de ȜȖȦ (Mc 5.8), pour un temps verbal plus approprié (aoriste indicatif) et pour le déplacement de la substance de Mc 5.3–5 après cette injonction de Jésus au démon. Nolland, Luke 1–9:20, 405 et 408, aussi considère Mc 5.8 comme une « explanatory addition » et remarque l’embarras de Luc avec cet imparfait. Voir également Rudolf Pesch, Das Markusevangelium, vol. 1 : Einleitung und Kommentar zu Kap. 1,1–8,26, HTKNT, 2.1 (Freiburg – Basel : Herder, 1976), 288 ; Mann, Mark, 277–78 ; Craghan, « The Gerasene Demoniac », 525 ; Carpino, « The Gerasene Demoniac », 17 ; Collins, Mark. A Commentary, 268, qui tiennent aussi Mc 5.8 pour rédactionnel, en soulignent la fonction dans l’intrigue : créer le suspense et permettre à l’histoire d’avancer vers la révélation du nom de Légion. 105 Ainsi notamment Collins, Mark. A Commentary, 268, qui cite comme support Theissen, The Miracle Stories, 192–93. 106 Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 590, remarque que Luc explique la difficulté de l’exorcisme (Lc 8.29a) par la redoutable force physique du possédé (v. 29b).
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2.10–11 ; 3.5 ; 4.39 ; 5.41 ; 7.29, 34 ; 9.25 ; 10.52). Dans le récit de la guérison de l’aveugle de Bethsaïda (Mc 8.22–26), après une série d’actes (exprimés avec des aoristes) visant à guérir l’homme, Jésus lui « demandait » s’il voyait quelque chose (ਥʌȘȡઆIJĮ, v. 23). La réponse de l’homme est aussi introduite par un imparfait (ȜİȖİȞ, v. 24). Jésus ensuite, à nouveau par des actes décrits à l’aoriste, le guérit complètement (v. 25). Dans ce cas, l’imparfait marque un temps entre la guérison partielle et celle qui est complète, mais le lecteur n’a pas l’impression de se trouver devant une impasse, comme c’est le cas en Marc 5.8. L’imparfait est aussi utilisé par Marc en relation avec les guérisons et les exorcismes de Jésus en 3.12 (ਥʌİIJȝĮ) et en 6.5 (ਥįȞĮIJȠ) : dans ces deux cas aussi, le lecteur n’est pas amené à douter de l’efficacité de l’action décrite. En Marc 5.6–8 par contre, l’imparfait du verset 8 montre bien que l’action exorcistique de Jésus ne produit pas l’effet désiré, car le démon réagit en conjurant à son tour le Fils du Très Haut. À cela, il faut ajouter que, pour Marc, les esprits impurs se sentent menacés par la seule présence de Jésus, même s’il n’est pas en train de les chasser directement (cf. 1.23–24 : dans ce cas, c’est justement la déclaration du possédé qui déclenche l’exorcisme). Ces considérations nous invitent à la prudence et à ne pas attribuer trop vite ce verset à la rédaction marcienne. La suite du texte introduit une autre question (toujours à l’imparfait) de Jésus : țĮ ਥʌȘȡઆIJĮ ĮIJંȞ·IJ ȞȠȝ ıȠȚ; (Mc 5.9). Même si la pratique de demander son nom au démon, afin de pouvoir exercer un contrôle sur lui, existait parmi les exorcistes à l’époque de Jésus107, c’est là sa seule occurrence dans les évangiles. Si Luc a décidé de conserver cette question, Matthieu a opté à la fois pour ne pas mentionner le fait que le possédé essaie de conjurer Jésus et pour omettre la question de Jésus sur l’identité du démon. Il laisse toutefois le lecteur deviner que Jésus est en train d’opérer un exorcisme, mais sans mentionner la formule utilisée (Mt 8.31)108. La réponse du possédé est surprenante et terrifiante en même temps : ȜİȖȚઅȞ ȞȠȝ ȝȠȚ, IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ (Mc 5.9)109. Si vraiment la description du possédé de Gérasa donnée en Marc 5.3–5 a été effectuée, déjà à un stade pré-marcien, sur la base du Psaume 67.7 LXX et d’Ésaïe 65 LXX, il est tout à fait raisonnable d’imaginer que ces textes, ou l’un d’eux, ne soient pas sans lien avec la pluralité des démons infestant l’homme. Craghan a attiré l’attention sur le fait que, pour 107
Voir infra, p. 276 et 295-296. France, Matthew, 338. 109 La pluralité de l’entité démoniaque qui accable le Gérasénien a été considérée par Jeremias comme une erreur grossière, causée par une traduction inexacte du mot araméen ligyônƗ, qui aurait été, quant à lui, un mot d’emprunt grec, qui, dans l’usage commun sémitique, désignait un soldat ou parfois même une légion. Retraduire ce mot en grec par ȜİȖȚઆȞ, dont le sens est univoque, aurait engendré une confusion concernant le nombre de démons qui habitent l’homme : Joachim Jeremias, Jesus’ Promise to the Nations, SBT 24 (London : SCM, 1958), 30, note 5, cité par Craghan, « The Gerasene Demoniac », 526. 108
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ce qui est du texte d’Ésaïe 65.3, la Septante se distingue du texte massorétique du fait qu’elle ajoute, à la fin du verset, les mots IJȠȢ įĮȚȝȠȞȠȚȢ ਘ Ƞț ıIJȚȞ (« aux démons, qui n’existent pas »)110. Nous avons vu qu’il n’est pas nécessaire d’attribuer à Marc lui-même cette harmonisation entre l’épisode de l’exorcisme de Gérasa et le texte d’Ésaïe 65.3. Il s’agit plus probablement d’une tradition dont Marc hérite et qu’il prolonge à sa manière111. Cette section s’achève avec le possédé en train de supplier Jésus ȞĮ ȝ ĮIJ ਕʌȠıIJİȜૉ ȟȦ IJોȢ ȤઆȡĮȢ (Mc 5.10). Rangé parmi les apports rédactionnels marciens par certains, considéré comme partie intégrante du récit traditionnel par d’autres112, 110 Le Targum des Prophètes (ou T. Jonathan) contient la mention « aux idoles » (ʠ ʕʺʕʥˆʔ ʕʨ). Pour Craghan, c’est donc la mise en relation de l’exorcisme avec le texte d’Es 65.3 LXX qui a engendré « Légion » : Craghan, « The Gerasene Demoniac », 530–31. Cette explication est très attrayante et permet d’envisager que ȜİȖȚઆȞ ne soit pas à comprendre seulement dans le contexte d’une polémique anti-romaine, mais aussi et plutôt en relation avec une vision dualiste du monde et le discours apocalyptique qui en découle (cf. Mt 26.53). 111 Luc suit Marc quant à cette possession multiple : Lc 8.27, 30, 33, 35, 38. Il emploie cependant le singulier IJ ʌȞİȝĮIJȚ IJ ਕțĮșȡIJȦ au verset 29a, lorsqu’il informe le lecteur que Jésus ordonne à l’esprit de sortir de l’homme, et encore en 29b (IJȠ૨ įĮȚȝȠȞȠȣ), lorsqu’il décrit la manière dont le démon domine cet être humain. Ces substantifs au singulier sont d’autant plus surprenants que le narrateur du récit est omniscient (il sait que l’homme est habité par des démons et il en informe le lecteur dès le verset 27). Selon nous, Luc montre une certaine sensibilité à un motif qu’il a détecté dans le récit marcien : Jésus, d’abord ignorant de la véritable nature de la terrifiante entité maléfique qui l’affronte, arrive quand-même à discerner la vérité puisque les esprits ne peuvent pas résister à son autorité exprimée par sa question IJ ıȠȚ ȞȠȝ ਥıIJȚȞ; (ainsi Nolland, Luke 1–9:20, 405). Matthieu, de son coté, élimine l’ignorance temporaire de Jésus de la présence d’un grand nombre de démons : pas de « légion » chez lui, ni de « ils étaient beaucoup ». La mention du ਕȖȜȘ ȤȠȡȦȞ ʌȠȜȜȞ (Mt 8.30) ne fait pas nécessairement penser à une multitude de démons (à notre avis, c’est la connaissance du récit marcien qui engendre ce genre de déduction). Il n’est pas évident d’expliquer pourquoi Matthieu renonce, dans sa version du récit, aux nombreux démons présents dans un même homme pour opter pour un dédoublement des possédés. Le problème n’est pas la difficulté pour Matthieu de concevoir une possession multiple (cf. Mt 12.43– 45). Il faudrait plutôt s’interroger sur son habitude consistant à dédoubler ce qui, dans sa source, n’était qu’un seul personnage (cf. Mt 20.30 // Mc 10.46 // Lc 18.35). Faut-il y lire une volonté matthéenne de conformer certains de ses récits aux textes de Nb 35.30 et Dt 19.15 (témoignage sur la parole de deux ou trois témoins) afin de donner plus de poids aux confessions christologiques contenues dans ces récits mêmes ? France remarque que les deux témoins de Mt 26.60 – alors que le texte de parallèle de Mc 14.57 ne mentionne que « quelques-uns » (IJȚȞİȢ) – pourraient renforcer cette hypothèse, mais il conclut qu’aucune explication ne s’est imposée à ce jour : France, Matthew, 339. 112 Eberhard Nestle, Philologica Sacra : Bemerkungen über die Urgestalt der Evangelien und Apostelgeschichte (Berlin : Reuther und Reichard, 1896), 22–23, critique la possibilité que le « territoire » de Marc et l’« abîme » de Luc puissent s’expliquer par une confusion entre le ʠ ʕʮˣʤʺʍ (« abîme », voir Tg. On. et Tg. Neof. Gn 1.2) et le ʠ ʕʮʥʗʧʺʍ (« frontière, district », voir Tg. On. et Tg. Ps.-J. Dt 3.16 ; le Tg. Neof. lit ʤʮʥʧʺ) du récit original araméen. Luc, qui remplace la volonté des démons de rester dans le territoire par la terreur d’être envoyés dans
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ce verset pourrait en fait relever de la plume de l’auteur qui, dans cette partie de son évangile, met en relief la volonté de Jésus de ne pas limiter son action au territoire juif, mais de l’étendre à l’autre côté du lac de Tibériade : le territoire de la Décapole. Les versets 11 à 13 introduisent un élément nouveau qui fait rebondir l’intrigue et qui offre une solution à l’impasse des versets précédents, à savoir la résistance de Légion face à l’ordre, que lui intime Jésus, de quitter sa victime. En réalité, la présence du ਕȖȜȘ ȤȠȡȦȞ ȝİȖȜȘ (Mc 5.11) a déjà été préparée, au niveau narratif, par le IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ du verset 9113. Le marché, plutôt surprenant dans le contexte des évangiles, entre Jésus et les démons (Mc 5.12– 13a) a suggéré l’idée qu’il s’agirait d’un élément secondaire, dont l’origine serait à chercher dans un récit populaire appliqué plus tard à Jésus. Mais fautil vraiment considérer cette démarche si choquante pour « un Juif pieux ou un chrétien jérusalémite »114 ? Il n’est pas nécessaire, à notre avis, de considérer la notion de « Juif pieux » comme incompatible avec celle de « narrateur populaire ». Il faudra aussi éviter d’atténuer ou de sous-estimer la portée de ce curieux, voire déroutant, dialogue entre Jésus et Légion : parler d’une concession apparente – car les démons seront dupés –, ou encore d’un Jésus toujours en contrôle, qui aurait pu utiliser aussi une autre méthode pour exorciser l’homme, revient à désamorcer la force rhétorique du texte115. Un autre élément considéré comme déconcertant est la course folle vers la falaise et la noyade ultérieure des cochons dans le lac de Tibériade. Des explications « plausibles » ont été avancées pour préserver le caractère historique de cet événement. La panique des cochons a été expliquée en tant que résultat
l’abîme, accentue la dimension eschatologique de cet exorcisme : cf. Ap 9.1–2, 11 ; 11.7 ; 17.8 ; 20.1–3, 10 ; 2 P 2.4 ; Jude 6 : voir Taylor, Saint Mark, 282. Cf. aussi Nolland, Luke 1–9:20, 410. Pour Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 591, Luc transpose la symbolique juive de la « mer » (qui est « lac » en Lc 8.33) avec celle, grecque, de l’« abîme », ʤʕʬˣʶ ʮou ʍ ʧʕʬ˒ʶ (ȕȣșંȢ ou ਙȕȣııȠȢ en grec) indiquant à la fois la mer (par ex. Ex 15.5 ; Es 44.27 ; 51.10 ; 63.13) et le séjour des morts ( par ex. Ps 70.20 LXX ; Rm 10.7). Voir aussi Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 131–32. 113 Nolland, Luke 1–9:20, 410, remarque que le « grand troupeau » de Mc 5.11 devient, en Lc 8.32, un ਕȖȜȘ… ੂțĮȞȞ (« large troupeau »). 114 Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 144. 115 Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 586, opte pour le motif du diable dupé ; Nolland, Luke 1–9:20, 411, spécule sur un procédé exorcistique parmi d’autres possibles, sans expliquer pour autant pourquoi le récit confronte le lecteur à cette méthode. À notre avis, il va un peu vite en besogne en expliquant la difficulté du texte ainsi : « [t]he underlying difficulty is that of any theodicity in the face of the fact of continuing evil (cf. Rev 20:3) ».
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du « paroxysm of the man’s cure »116, et l’objection selon laquelle les pourceaux n’auraient pas dû se noyer (ils savent nager 117) a été contrée par l’observation selon laquelle même des êtres humains capables de nager se noient lorsqu’ils se précipitent dans l’eau d’une grande hauteur118. Si l’on s’attache ensuite au sens de la mort de ce grand troupeau de cochons (v. 13), là aussi les opinions divergent considérablement. Dibelius, qui tient l’épisode pour rédactionnel, y voit la preuve de l’efficacité et de la grandeur de l’exorcisme en question119. Sa proposition a été reprise et développée par la suite. Trocmé y voit aussi le prélude et la cause du rejet de Jésus par les habitants de la région : ironiquement, pour ces Gentils, les valeurs économiques priment sur la guérison apportée par ce guérisseur juif120. De son côté, France l’intègre dans la stratégie du narrateur pour montrer que Jésus est à la fois envoyé de Dieu et rejeté par les hommes121. Nolland perçoit dans la noyade des cochons la « preuve » du miracle accompli, mais la relativise en faveur d’une mise en valeur du pouvoir destructeur, conforme à leur nature, des esprits impurs122. Craghan fait état d’une connaissance, en Palestine, de rituels d’exorcismes par lesquels le démon est obligé de quitter le possédé pour se déplacer dans un animal qui ensuite, meurt, confirmant le transfert accompli123. Un peu surprenante peut paraître la position de Bultmann qui attribue à la tradition pré-marcienne l’insertion de cet épisode : ce serait les vestiges du motif folklorique du démon dupé124 ; thèse renversée par Bauernfeind pour lequel c’est Jésus le dupé, car
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Taylor, Saint Mark, 278. Karl B. Bornhäuser, Das Wirken des Christus durch Taten und Worte, 2e éd, BFChTh 2 (Gütersloh : C. Bertelsmann, 1924), 83, cité par Craghan, « The Gerasene Demoniac », 526, note 32. 118 Nolland, Luke 1–9:20, 411 : « [i]t is sheer pedantry to raise objections to the credibility of the story on the grounds that pigs can swim (so can people, but they drown too when they plunge down a precipice into a body of water) ». 119 Dibelius, From Tradition to Gospel, 85–87. 120 Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 140. 121 France, Matthew, 342–43, souligne que, dans sa version matthéenne, cet exorcisme n’est pas un récit « about mission » mais plutôt « about power ». Un pouvoir, d’ailleurs, qui effraie les étrangers (Mt 8.34) comme les compatriotes de Jésus (Mt 9.34 ; 12.24). 122 Nolland, Luke 1–9:20, 411. 123 Craghan, « The Gerasene Demoniac », 531, cite une tablette babylonienne [reprise de R. Campbell Thompson, éd, The Devils and Evil Spirits of Babylonia : Being Babylonian and Assyrian Incantations Against the Demons, Ghouls, Vampires, Hobgoblins, Ghosts, and Kindred Evil Spirits, wich Attack Mankind, vol. 2 : Fever Sickness and Headache, CLC (Cambridge : Cambridge University Press, 1904), Tablet N, col. 3.10–15], qui envisage la possibilité de transférer le mal d’un être humain à un cochon. 124 Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 260. 117
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c’est lui qui est expulsé du pays125. Une autre lecture s’est imposée plus récemment qui, sans nier la fonction narrative de la noyade des cochons en tant que preuve de l’exorcisme, met l’accent sur le caractère eschatologique de cet événement : il s’agit d’une métaphore annonçant le jugement des forces du mal et la fin de leur domination126. Quelle conclusion, du point de vue rédactionnel, peut-on atteindre concernant ce marché entre le Jésus marcien et Légion et la noyade consécutive des cochons ? Tout d’abord, la présence historique de cochons dans ce territoire non juif est plus que probable. Certes, leur présence pourrait souligner d’avantage le fait que l’activité du Jésus marcien se situe, à ce stade précis, en territoire païen127 ; cependant le narrateur n’a nul besoin d’ajouter la présence du troupeau à cette fin : le déplacement « vers l’autre côté de la mer » (İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ : Mc 5.1) et l’insistance sur le thème de l’impureté (esprit impur, habiter dans les tombeaux : v. 2–3) ne laissent aucun doute au lecteur128. Il est néanmoins difficile, à partir du récit marcien dans sa forme finale, de déterminer si, à l’origine, cet exorcisme était en lien avec la présence de ces animaux. Il n’est pas possible non plus de conclure que les cochons seraient morts indépendamment de leur chute dans l’eau, car le récit, dans sa forme finale, lie les deux événements de manière indissociable129. 125 Otto Bauernfeind, Die Worte der Dämonen im Markusevangelium, BWANT 44 (Stuttgart : W. Kohlhammer, 1927), 38–45, cité par Focant, L’Évangile selon Marc, 203, qui demeure sceptique concernant cette lecture. 126 Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 586 ; Torchia, « Eschatological Elements », 23. Nolland, Luke 1–9:20, 411, résiste à cette interprétation, au moins en ce qui concerne la version lucanienne du récit. Il considère que le « lac » de Luc n'a pas de valeur mythologique et que pour Luc-Actes les démons restent actifs pendant la mission auprès des non-Juifs (Ac 13.6–11 ; 16.16–18 ; 19.13–16). Lc 11.24–26 montrerait que les esprits mauvais, même s'ils sont chassés, demeurent dangereux, et que l'action de Jésus est libératrice (Lc 11.5–22), mais il n'anticipe pas le temps de la destruction finale. La noyade des cochons dans Lc 8.33 ne correspond pas, à sa lecture, à un acte eschatologique (il renvoie quand-même aux textes où il est question de l'abîme en tant que lieu du jugement ultime : Ap 19.20 ; 20.10, 14, 15 ; 21.8). Mello, Matthieu, 171, estime, par contre, que dans Mt 8.32 le verbe ਕʌșĮȞȠȞ (« ils périrent ») concerne moins les cochons que les démons (il invoque l’improbable lien intertextuel avec Mi 7.19, qui partage avec Matthieu la mention de șȜĮııĮ en tant que lieu où Dieu jettera les péchés de son peuple). 127 France, Matthew, 340, souligne que la présence des cochons est associée à la présence d’une population non juive : Lv 11.7 ; m. B. Qam 7.7. 128 Ainsi aussi Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 297. 129 Contra Craghan, « The Gerasene Demoniac », 526. Newheart remarque que, dans les autres récits marciens d’exorcisme où il est question d’esprits impurs (Mc 1.21–28 ; 9.14– 29), la réaction typique à l’exorcisme n’est pas la peur (comme en 5.15) mais l’étonnement (1.27 ; aussi en 5.20 ; en 9.28–29, la réaction est remplacée par un enseignement privé aux disciples) : Michael W. Newheart, My Name is Legionࣟ : The Story and Soul of the Gerasene Demoniac, Interfaces (Collegeville : Liturgical Press, 2004), 37. Pourtant, concernant la « peur » des gardiens occasionnée par la mort des cochons, elle s’inscrit pleinement dans les
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Le lien établi entre Marc 5.3–5 et Ésaïe 65.3–4 LXX soulève la question corollaire de la présence des cochons dans la tradition antérieure à Marc. Ésaïe 65.4 mentionne clairement « ceux qui mangent de la viande de porc » (LXX : Ƞੂ ıșȠȞIJİȢ țȡĮ İȚĮ) : rien de plus naturel donc que d’intégrer dans un récit de Jésus en territoire païen, réélaboré de manière midrashique à la lumière de ce texte vétérotestamentaire, la présence de cet animal « impur ». Néanmoins, il est aussi possible d’envisager le phénomène inverse : ce serait justement la présence des cochons (dont la mort spéctaculaire, on le rappelle, n’est pas dépendante du texte d’Ésaïe 65.3–5) dans le récit primitif qui aurait permis une recomposition du récit lui-même à partir du texte d’Ésaïe 65.3–5 LXX : cette réélaboration aurait abouti à la description du démoniaque en relation avec les tombeaux et à la pluralité des démons, à la lumière de la nouvelle conscience missionnaire envers les non-Juifs qui aurait amené à relire l’anéantissement des animaux et des esprits impurs dans la perspective eschatologique d’une pureté conquérante. Il nous semble que d’autres arguments peuvent amener à considérer que ce soit la présence des cochons dans le récit primitif de l’exorcisme de Gérasa qui ait pu « inciter » au recours à Ésaïe 65.3–4 LXX en vue d’une relecture midrashique du récit lui-même, plutôt que l’emploi du texte d’Ésaïe 65.3–4 LXX qui ait « engendré » le troupeau de Marc 5.11 : le fait que le possédé n’est pas explicitement décrit en tant que consommateur de porc130 et l’emploi, en Marc 5.11, 13, d’un mot grec différent de celui que l’on rencontre en Ésaïe 65.4 LXX pour les cochons (Mc 5.11, 12, 13, 16 : ȤȠȡȠȢ ; Es 65.4 LXX : İȚȠȢ). On retrouve à plusieurs reprises le mot İȚȠȢ dans le Premier Testament : Es 65.4 ; 66.3, 17 ; 1 M 1.47 ; 2 M 6.18 ; 4 M 5.6, mais jamais le mot ȤȠȡȠȢ. Par contre, ȤȠȡȠȢ n’est employé dans le Nouveau Testament que dans les évangiles synoptiques : dans les trois versions de l’exorcisme de Gérasa ; en Matthieu, dans le logion des perles à ne pas donner aux cochons (Mt 7.6) ; en Luc dans la parabole du fils perdu et retrouvé (Lc 15.15–16). Ce mot donc fait partie de la lingua franca du premier siècle et, dans le cas du récit de Marc 5.1–20, n’est pas directement dépendant d’Ésaïe 65.3–4 LXX. Si donc la présence des cochons dans le récit primitif n’est pas à écarter, leur plongeon dans les eaux du lac de Tibériade ne nous semble pas non plus une adjonction secondaire131. Cela n’empêche nullement d’attribuer à la requête des
impressions possibles produites par le miracle, selon ce que l’histoire des formes a pu montrer. 130 En accord avec Craghan, « The Gerasene Demoniac », 529, et contra Harald Sahlin, « Die Perikope vom gerasenischen Besessenen und der Plan des Markusevangeliums », ST 18, no 2 (1964) : 162, pour lequel la présence des cochons impliquerait le fait que l’homme en mangeât. 131 France, Matthew, 342, note 39, cite, non sans ironie, Derrett, « Contributions », 5–6, lequel, selon France, « ...assures us, on the basis of consultation with experts in pig behavior,
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démons et à la permission donnée par Jésus de rentrer dans les cochons (Mc 5.12–13a) le statut d’élaborations, vu que l’ordre de sortir donné par Jésus à l’esprit impur a déjà été exprimé au verset 8132. Le récit continue et l’intrigue se complexifie : la contemplation, par les gens accourus des environs, de l’homme désormais rétabli et la prise de conscience de la mort des deux mille pourceaux provoquent une réaction paroxystique : țĮ ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ ĮIJઁȞ ਕʌİȜșİȞ ਕʌઁ IJȞ ȡȦȞ ĮIJȞ (Mc 5.17). L’annonce des gardiens pourrait être secondaire, leur rôle étant purement narratif : ils remplissent la fonction de « témoins » du miracle, un élément typique des récits d’exorcismes (cf. Mc 1.27 et 9.15). La question de la relation entre les porchers du verset 14 et les témoins oculaires du verset 16 (s’agit-il des mêmes personnes ou pas ?) a son importance du point de vue de l’analyse narrative et sera développée au chapitre suivant133. Nous nous contentons de signaler ici que, même si Nolland, tout en reconnaissant que Luc comprend l’identité des deux groupes comme étant la même (« les gardiens » : Lc 8.34), voit dans les disciples de Jésus les témoins oculaires de Marc 5.16, il considère néanmoins lui aussi ce verset comme rédactionnel134. Le contenu du rapport des gardiens n’est pas spécifié au verset 14, mais le verset 16 clarifie cela : ʌȢ ਥȖȞİIJȠ IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ țĮ ʌİȡ IJȞ ȤȠȡȦȞ. La mise en valeur de la relation entre « le fait des cochons » et la réaction négative envers Jésus de la part des habitants de la ville et des hameaux environnants nous paraît importante, dans le sens où elle renforce l’hypothèse d’une tradition ancienne reliant cet exorcisme en terre étrangère à la présence de cochons135.
that pigs do not naturally act as a herd... » (le fait que les cochons agissent comme un troupeau est pour Derrett un artifice littéraire pour montrer leur possession et leur lien symbolique avec les légions de soldats romains). Aus, My Name is « Legion », 83, et Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 336, pensent aussi que la question des cochons semble être pré-marcienne. De son côté, Rochester, Good News at Gerasa, 152, affirme que, si la localité du miracle a effectivement été le territoire de Gérasa, alors toute la section concernant les cochons (même leur simple présence) est à considérer comme rédactionnelle. Pourtant voir Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 296, qui insiste sur le fait de ne pas pouvoir déterminer avec certitude un lieu original. 132 Ainsi aussi Craghan, « The Gerasene Demoniac », 526. Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 144, considère que la seule injonction exorcistique prononcée par Jésus est celle du verset 8 de Marc 5, car au verset 13a Jésus « autorise », mais il n’envoie pas les démons dans le troupeau. Même Taylor, Saint Mark, 282, pour lequel l’historicité de l’événement est probable, considère Mc 5.12 comme redondant. 133 Voir infra, p. 108–111. 134 Nolland, Luke 1–9:20, 412. 135 Chez Luc, le rapport ne contient pas la mention des cochons : tout l’accent est mis sur ʌȢ ਥıઆșȘ įĮȚȝȠȞȚıșİȢ (Lc 8.36). Matthieu semble ironiser : le « tout » (ʌȞIJĮ) contient « aussi » (țĮ) l’affaire des démoniaques (IJ IJȞ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞȦȞ) : 8.33. La question des
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Ces gens, une fois arrivés à l’endroit où Jésus a rencontré le possédé, contemplent l’homme qui est d’abord désigné dans le récit en tant que IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ, et ensuite en tant que IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ (Mc 5.15)136. Cette tension a vite été remarquée et plusieurs scribes ont opté pour l’omission de la deuxième précision137. Il faut considérer comme rédactionnelle la description de l’ex-possédé : țĮșȝİȞȠȞ ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ țĮ ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ (Mc 5.15)138. Même si certains auteurs s’accordent à lui conférer un statut pré-marcien139, deux observations affaiblissent cette hypothèse : tout d’abord, le vocabulaire utilisé semble avoir été choisi pour établir une relation intranarrative entre le Gérasénien et le jeune homme de Marc 16.5–7, en passant par le jeune homme de 14.51–52140 ; ensuite, il serait difficile de justifier la peur141 des habitants de la ville (țĮ ਥijȠȕșȘıĮȞ) par la simple contemplation d’un homme qui a retrouvé son bon sens. Si la peur, comme le récit le laisse entendre, est à mettre
cochons n’est pas mentionnée explicitement, mais elle semble bien être, aux yeux des gardiens, la plus importante. Pour Marc, la question des cochons est importante et joue un rôle dans le rejet de Jésus par les habitants du territoire de Gérasa. 136 Lc 8.36 (contrairement à Mc 5.16 // Mt 8.33) précise que l’homme avait été démoniaque ( įĮȚȝȠȞȚıșİȢ) : il ne joue pas ici sur les points de vue des personnages car, pour lui, il est important de souligner que la peur des gens est engendrée exclusivement par l’exorcisme de Jésus. 137 Ainsi dans D, 17, 27, la Vieille latine, la Vulgate (sauf dans 5 mss), les versions en copte bohaïrique et syriaque du Sinaï. Il est plausible de considérer Mc 5.15b (IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ) comme une précision rédactionnelle, car elle souligne le lien avec les versets 9–10, à leur tour très probablement secondaires (voir Craghan, « The Gerasene Demoniac », 527). 138 Dans le récit lucanien, l’ex-démoniaque n’est pas « vu » (țĮ șİȦȡȠ૨ıȚȞ : Mc 5.15), mais « trouvé » (țĮ İȡȠȞ : Lc 8.35 ; même verbe en Lc 5.19 ; 6.7 ; 9.12 ; etc.). Luc souligne plus que Marc la libération de l’homme (comparer le ਥȟİȜșંȞIJĮ į IJ įĮȚȝંȞȚĮ ਕʌઁ IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ de Lc 8.33 avec le țĮ ਥȟİȜșંȞIJĮ IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ de Marc 5.13) : ainsi Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 592. Matthieu, de son côté, renonce à la description de l’homme après l’exorcisme, l’intérêt du rédacteur se focalisant sur la révélation du pouvoir divin de Jésus. Il s’agit donc d’un acte puissant, révélateur d’une autorité enracinée en Dieu plutôt que d’un miracle de guérison : voir Mello, Matthieu, 169 ; H. Benedict Green, The Gospel According to Matthew in the Revised Standard Version, 1e éd. 1975, NCBNT (Oxford : Oxford University Press, 1987), 102. 139 Contra Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 283, qui s’appuie sur le travail de Annen, Heil für die Heiden, 39–74. 140 ȀșȘȝĮȚ (Mc 5.15 ; 16.5) ; le ʌİȡȚȕȜȜȦ de 14.51 et 16.5 est à mettre en relation avec le ੂȝĮIJȗȦ de 5.15. L’étendue du vocabulaire en commun entre ces trois passages est frappante : ȝȞȘȝİȠȞ (5.2 ; 16.2, 8) ; ijİȖȦ (5.14 ; 14.52 ; 16.8) ; ijȠȕȦ (5.15 ; 15.8 ; cf. ਥțșĮȝȕȦ en 16.6) ; ȡȦ (5.14 ; 16.7) ; ਫ਼ʌȖȦ (5.19 ; 16.7) ; cf. țĮ… ȠįİȢ (5.3) ; țĮ ȠįİȢ (5.4) ; țĮ ȠįİȞ ȠįȞ (16.8). 141 Voir infra, p. 464-465.
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en relation avec la question (quelle qu’elle ait été à l’origine) des cochons, alors la description de l’homme nous paraît rédactionnelle142. L’invitation, adressée à Jésus, à quitter le territoire pourrait être un élément du récit primitif. La peur aurait été suscitée par une manifestation en lien avec l’exorcisme et un fait surprenant concernant des cochons143. Il reste que ce sentiment aboutit à une répulsion (dictée par la panique ?) qui s’oppose à l’accueil favorable de Jésus, toujours par des habitants de la Décapole, en Marc 7.31– 37 : l’allusion à Ésaïe 35.5–6 LXX par des non-Juifs est sûrement un trait rédactionnel, quoique la substance du récit, à savoir la réception élogieuse du guérisseur juif par quelques païens, soit d’origine pré-marcienne144. Les derniers versets du récit (v. 18–20) mettent en scène le dialogue entre Jésus et l’exorcisé, l’invitation, adressée à ce dernier, à rentrer chez lui pour témoigner de la compassion de Dieu et la proclamation de l’homme qui décuple son champs d’action (ਥȞ IJૌ ǻİțĮʌંȜİȚ, v. 20) en suscitant l’émerveillement des auditeurs. Le caractère rédactionnel de ces versets a été largement reconnu145. La dernière scène s’ouvre avec Jésus en train de monter sur le bateau et l’expossédé qui le supplie de le garder avec lui (v. 18)146. Jésus n’obtempère pas à 142 Taylor, Saint Mark, 284, remarque, justement, le fait qu’en Marc, Jésus est invité à quitter le territoire seulement après le compte-rendu des témoins (Mc 5.16–17). Pour Luc, par contre, la peur n’est pas liée au témoignage (Lc 8.34–35). Matthieu, lui, ne spécifie pas la cause du rejet de Jésus de la part des habitants de la région ; pourtant Mt 8.33, où l’auteur fait la distinction entre « ʌȞIJĮ » et « IJ IJȞ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞȦȞ » lorsqu’il informe le lecteur du rapport des gardiens, semble mettre en relation la supplication de quitter le territoire avec la perte économique causée par la mort des cochons : ainsi Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 596. 143 Trop extrémiste, à notre sens, Craghan, « The Gerasene Demoniac », 527, pour lequel Mc 5.17 est secondaire, son argument étant qu’un homme pacifié n’inspire pas la peur. On peut très bien imaginer qu’à l’époque la peur pouvait être suscitée aussi bien par l’exorciste que par la peur des représailles de la part des esprits. 144 Sur la plausibilité historique de l’intéraction, quoique très rare, entre Jésus et des nonJuifs en territoire étranger, mais toujours limitrophe à la Galilée, voir Eckhard J. Schnabel, « Jesus and the Beginnings of the Mission to the Gentiles », in Jesus of Nazareth : Lord and Christ. Essays on the Historical Jesus and New Testament Christology, éd. par Joel B. Green et Max Turner (Grand Rapids : Eerdmans, 1994), 47, 52, 58 ; Mark A Chancey, The Myth of a Gentile Galilee, SNTSMS 118 (Cambridge : Cambridge University Press, 2002), 174 ; Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 176–80. 145 Par exemple: Sahlin, « Die Perikope vom gerasenischen Besessenen », 160 ; Craghan, « The Gerasene Demoniac », 527–34 ; Dibelius, From Tradition to Gospel, 54–55, 74, 89 ; Nolland, Luke 1–9:20, 404 ; Ådna, « The Encounter », 283 ; Collins, Mark. A Commentary, 266. 146 Le ĮIJઁȢ į ਥȝȕȢ İੁȢ ʌȜȠȠȞ ਫ਼ʌıIJȡİȥİȞ de Lc 8.37 semble impliquer que Jésus est déjà parti (noter l’aoriste indicatif à la fin du verset) ; le verset 38 enchaîne par contre avec un imparfait (ਥįİIJȠ) : l’homme le suppliait d’être avec lui. À remarquer que, contrairement à Marc, Luc n’utilise pas le même verbe pour décrire la supplication des démons (Lc 8.30– 31 : ʌĮȡĮțĮȜȦ ; 8.38 : įȠȝĮȚ) : Nolland, Luke 1–9:20, 406, 412.
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la demande de l’homme ; il exige plutôt qu’il retourne chez les siens pour leur rapporter combien le Seigneur a eu de la compassion pour lui (v. 19)147. L’incitation à rendre un témoignage des événements qui viennent de se produire se heurte à l’habitude du Jésus marcien d’enjoindre le silence à des bénéficiaires de ses actes puissants (cf. Mc 1.44 ; 3.12 ; 5.43 ; 7.36 ; 8.26). Pour cette raison, il a été suggéré que, puisque le témoignage du Gérasénien aurait affecté seulement un territoire non juif, la discrétion n’était pas de mise car la compréhension du véritable caractère messianique de Jésus n’en aurait pas été affectée en terre d’Israël148. Toutefois cette lecture est dépendante de la théorie du « secret messianique », que nous considérons improbable149. Il ne sera pas superflu d’apprécier la fonction que la finale du récit de l’exorcisme de Gérasa assume à l’intérieur du deuxième évangile. L’implication christologique est claire : Jésus est celui par lequel Dieu opère puissamment et montre sa compassion en faveur des êtres humains150. La réaction à la proclamation du Gérasénien (v. 20) pourrait se comprendre comme le vestige d’une version plus primitive du récit : dans ce cas, il s’agirait de l’étonnement des habitants de la ville (une réponse similaire à 1.27 et 2.12) qui, suite à l’expansion du récit, serait désormais attribué aux habitants de la Décapole en réponse au témoignage de l’ex-possédé151. Cependant, nous ne faisons pas nôtre une telle conclusion car, comme on l’a montré plus haut, c’est surtout le rejet
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Dans Marc, Jésus invite l’homme à « annoncer » (ਕʌĮȖȖȜȜȦ : Mc 5.20), tandis que Luc préfère le verbe įȚȘȖȠȝĮȚ (« faire un rapport » : Lc 8.39). Dans les deux cas, l’ex-possédé « proclame » (țȘȡııȦ : Mc 5.20 ; Lc 8.39). 148 Ainsi Taylor, Saint Mark, 285 ; Craghan, « The Gerasene Demoniac », 527 ; Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 283. 149 Voir supra, p. 7, note 20. 150 Cf. Taylor, Saint Mark, 285. Mello, Matthieu, 169 : puisque l’exorcisé de Gérasa est le premier non-Juif qui bénéficie de l’avancement en dehors d’Israël des frontières du Royaume (toujours en relation avec la personne de Jésus), les bases d’une mission auprès des non-Juifs sont posées sans ambiguïté. Nolland, Luke 1–9:20, 412, souligne qu’en Lc 8.38, l’homme (ਕȞȡ IJȚȢ : Lc 8.27 ; ਕȞȡ : 8.38) est libéré, (r)envoyé par Jésus (ਕʌȠȜȦ), tandis que l’être humain de Marc (ਙȞșȡȦʌȠȢ : Mc 5.2 ; appelé ensuite įĮȚȝȠȞȚıșİȢ en 5.18) se heurte au refus net de Jésus (Ƞț ਕijોțİȞ ĮIJંȞ, « il ne le lui permit pas » : Mc 5.19), lequel le redirige vers une mission qui aboutira à son accueil enfin favorable en Décapole (7.31–37), la peur initiale (5.15) ayant été transformée et enfin remplacée par l’étonnement provoqué par le témoignage (5.20). Le fait que le țȡȚંȢ de Mc 5.19 (se référant à Dieu) devienne ȘıȠ૨Ȣ en 5.20 est à attribuer aux fins christologiques du rédacteur : Craghan, « The Gerasene Demoniac », 528 ; Taylor, Saint Mark, 285 ; Nolland, Luke 1–9:20, 413. 151 C’est l’hypothèse de Craghan, « The Gerasene Demoniac », 527 : Mc 5.20b (țĮ ʌȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ) serait la conclusion naturelle après l’explication donnée par les témoins oculaires aux personnes qui arrivent des environs. Luc ne dit rien de la réaction des gens à la proclamation de l’ex-démoniaque, mais il en reste à la peur de Lc 8.37. Cf. à ce propos Nolland, Luke 1–9:20, 413, et Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 593.
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qui connote la réaction des habitants de la ville152. Dans l’ensemble, l’apport rédactionnel marcien au niveau des versets 18–20 est plutôt évident153. Sans tomber dans l’excès d’appeler le Gérasénien le premier « Apôtre des Gentils »154, on reconnaîtra dans cette scène une élaboration marcienne importante du thème de la mission auprès des païens qui, à partir du récit de l’exorcisme de Gérasa, se prolonge dans la quête de la Syro-Phénicienne d’un Jésus caché (Mc 7.24–25), les supplications des gens de la Décapole en faveur d’un sourdmuet (7.31–32), la multiplication des pains par Jésus en territoire non juif (8.1– 10, en parallèle avec celle de 6.30–44 en terre d’Israël), la guérison en deux temps de l’aveugle de Bethsaïda (village situé de l’autre côté du lac ; épisode en relation avec le semi-aveuglement dont Pierre fait preuve par sa confession en 8.27–33) et l’exclamation du centurion romain en 15.39155.
152 Voir Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 283, pour lequel aussi le verset 20 de Mc 5 est rédactionnel. Du même avis : Carpino, « The Gerasene Demoniac », 16. 153 Le verbe ਙȡȤȦ (Mc 5.20) à l’aoriste, suivi par un infinitif, est une construction marcienne typique et fréquente (Mc 1.45 ; 2.23 ; 4.1 ; 5.17, 20 ; 6.2, 7, 34, 55 ; 8.11, 31, 32 ; 10.28, 32, 41, 42, 47 ; 11.15 ; 12.1 ; 13.5 ; 14.19, 33, 65, 69, 71 ; 15.8, 18), qui se retrouve dans les sommaires et les « redactional seams » : Carpino, « The Gerasene Demoniac », 16. Cf. Craghan, « The Gerasene Demoniac », 527. Luc élabore Mc 5.18–20 pour mettre en exergue le parallèle entre le retour « missionnaire » de l’homme chez lui, en terre païenne, et celui de Jésus en territoire juif : le verbe ਫ਼ʌȠıIJȡijȦ est employé à propos de Jésus en Lc 8.37 et de l’homme au verset 39. Ainsi Nolland, Luke 1–9:20, 413, qui remarque aussi que Luc limite la mission à la seule ville (țĮșૃ ȜȘȞ IJȞ ʌંȜȚȞ, Lc 8.39) et qu’il n’utilise pas le verbe ਥȜİȦ (comme en Mc 5.20), qu’il réserve à des formules exclamatives : Lc 16.24 ; 17.13 ; 18.38–39. Mc 5.18–20 est considéré comme secondaire aussi par Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 593 ; Bligh, « The Gerasene Demoniac », 383–84 ; ce dernier songe à une origine pré-marcienne de cette expansion de la finale du récit. 154 Ainsi Sahlin, « Die Perikope vom gerasenischen Besessenen », 160 ; Craghan, « The Gerasene Demoniac », 535. 155 Cf. Moloney, Mark, 102. Par ailleurs, Matthieu a tendance à simplifier l’intrigue en se passant des personnages subsidiaires ou en limitant leur rôle dans le récit (cf. Mc 1.29– 31 //Mt 8.14–15 ; Mc 5.21–24, 35–43 // Mt 9.18–19, 26 ; Mc 5.25–34 // Mt 9.20–22 ; Mc 10.46–52 // Mt 20.29–34). Ce n’est donc pas étonnant que, dans sa version du récit de Mc 5.1–20 (// Mt 8.28–34), il se passe de « ceux qui avaient vu » (Mc 5.16) et du dialogue final entre Jésus et l’ex-démoniaque (Mc 5.18–20). Theissen attribue ces élagages à la volonté du rédacteur matthéen de donner un profil de Jésus plus conforme à son idée de thaumaturge, à savoir un homme qui prend des décisions péremptoires et les exécute sans passer par des intermédiaires. Ces « réductions » demeurent toutefois respectueuses de la structure de base du récit hérité et ont pour objectif la mise en valeur d’un Jésus terrestre, mais glorieux, qui est désormais assimilé au Seigneur exalté postpascal par la communauté confessante destinataire de l’évangile (cf. par exemple Mt 14.33 // Mc 6.52) : Theissen, The Miracle Stories, 177–79. Cf. Craghan, « The Gerasene Demoniac », 534.
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
1.4 Du récit traditionnel au récit marcien Du récit traditionnel au récit marcien
Le manque de sources pré-marciennes établies ne manquera pas de rappeler à l’exégète que toute reconstruction de la forme et du contenu du texte primitif du récit de l’exorcisme de Gérasa demeure un exercice spéculatif. La critique des formes a depuis longtemps postulé l’existence de modèles purs et figés de récits d’exorcismes sur la base d’éléments qui reviennent régulièrement et qui, une fois stabilisés par la tradition dans des formes arrêtées, en déterminent le genre littéraire (Gattung). Dès lors, l’étude de l’écart entre la forme pure du type de récit en question (point de départ) et les variations que l’on peut détecter dans les versions transmises par les évangiles (points d’arrivée) permettrait de dessiner la (les) trajectoire(s) du processus de transmission. Sans nier la possibilité, ou plutôt la probabilité, de relectures successives des récits d’exorcismes par la tradition, il faudra admettre que la possibilité d’établir avec certitude le point de départ, la forme pure du récit, reste l’axiome le plus problématique : rien n’oblige à postuler l’invraisemblance de formes mixtes ou de finalités multiples pour les récits d’exorcismes déjà à un stade très primitif. La souplesse du tout premier témoignage oral lié à la mémoire communautaire (même des témoins oculaires), la variété des pratiques exorcistiques et la complexité des croyances démonologiques de l’époque pourraient expliquer la forme non standardisée de certains récits sans forcément les reléguer à des stades plus tardifs du processus de transmission156. Dans ces conditions, si l’analyse rédactionnelle et la mise en valeur du récit dans sa forme finale sont sans doute à privilégier, il faudra néanmoins reconnaître que, sans prétendre reconstruire dans les détails le récit original (et moins encore l’histoire) de l’exorcisme de Gérasa, il est possible de relever des éléments qui ne s’expliquent ni par la simple souplesse de la transmission orale d’un récit ancré dans le témoignage oculaire, ni par l’hétérogénéité ou le caractère composite des croyances de l’époque. Un exemple en est le renvoi intertextuel de la description du démoniaque, en Marc 5.3–5, à Ésaïe 65.3–4 LXX et au Psaume 67.7 LXX. Il est donc tout à fait raisonnable de postuler l’existence d’un récit originaire qui a été l’objet de relectures successives : un récit d’exorcisme de Jésus en territoire païen aurait été relu de manière midrashique
156 Tout en reconnaissant le caractère rédactionnel de Marc 5.18–20, Nolland, Luke 1– 9:20, 404, attire l’attention sur les limites de la critique des formes, pour laquelle il n’y a pas de place « for stories with multiple purposes » et pour laquelle « [e]ven mixed forms constitute a difficulty ». Il sera donc nécessaire de prendre en compte la relation entre l’histoire, la mémoire et les dynamiques de transmission orale pour se libérer du mythe de la « forme pure » et pour ne pas systématiquement et hâtivement considérer les récits plus complexes comme le produit de stades successifs du processus de transmission. Ainsi Theissen, The Miracle Stories, 129, 193 ; Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 288 ; Collins, Mark. A Commentary, 266.
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à la lumière des textes susmentionnés de la Bible hébraïque et éventuellement mis au service du projet théologique marcien157. Parmi les exégètes qui se sont attachés à la question des stades possibles de la transmission du récit de l’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20), trois ont particulièrement marqué ce domaine d’étude : John F. Craghan, John Bligh et Rudolph Pesch, les trois écrivant entre la fin des années soixante et le tout début des années soixante-dix. Dans son article « The Gerasene Demoniac », paru en 1968, Craghan, en prolongeant les travaux de Ch. Masson, H. Sahlin et E. Schweizer, propose trois niveaux de transmission qui correspondent à trois Sitz im Leben différents et successifs : Sitz im Leben Christi : exorcisme du Jésus historique en territoire non juif, à l’est du lac de Tibériade ; Sitz im Leben der Gemeinde : relecture midrashique de l’événement à la lumière du texte d’Ésaïe 65.1–5 LXX par la communauté qui met en exergue le message du salut universel ; Sitz im Leben des Evangelisten : apport rédactionnel de Marc qui fait de l’exorcisé un apôtre pour les nations158. Quatre ans plus tard, Rudolph Pesch suit, avec quelques nuances, le développement en trois stades proposé par Craghan, mais il se montre plutôt sceptique à l’égard d’une origine historique du récit : d’après lui, c’est parmi les communautés chrétiennes galiléennes, composées de Juifs hellénistiques, qu’il faut chercher la provenance de cette narration. Pesch suggère que, inspirés peutêtre par l’exorcisme dans la synagogue de Capharnaüm (Mc 1.21–28, considéré comme un récit épiphanique), ces Juifs chrétiens, engagés dans la mission auprès des païens résidant de l’autre côté du lac, aient façonné une histoire qui puisse justifier leurs efforts et leur en fournir le fondement nécessaire. Ensuite, le récit se serait enrichi de détails qui montrent comment Jésus, si l’on se soumet à son autorité (Mc 5.6), l’emporte sur les pratiques idolâtres et impures des non-Juifs (v. 3–5, 9–12, 13b). Enfin, le rédacteur responsable de la collection des récits des miracles autour du lac de Galilée aurait ajouté les versets 18–20 pour accentuer plus encore la dimension missionnaire de la narration159. 157
Les aspérités du récit marcien du démoniaque de Gérasa (deux rencontres entre Jésus et le possédé : Mc 5.2 et 6 ; deux mots différents pour désigner les tombeaux : versets 2–3 et 5 ; double supplication : versets 10 et 12 ; double rapport aux habitants des environs : versets 14 et 16 ; l’homme appelé démoniaque après l’exorcisme : verset 15), plaident, par delà une connexion avec la toute première tradition orale, en faveur de développements en fonction d’Es 65.3–5 LXX et Ps 67.7 LXX : voir Helmut Merklein, « Die Heilung des Besessenen von Gerasa (Mk 5,1–20). Ein Fallbeispiel für die tiefenpsychologische Deutung E. Drewermanns und die historisch-kritische Exegese », in The Four Gospels 1992 : Festschrift Frans Neirynck, éd. par Frans van Segbroeck, BETL 100 (Louvain : Leuven University Press – Peeters, 1992), 1024–25 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 200. 158 Craghan, « The Gerasene Demoniac », notamment 524. 159 Pesch, Der Besessene von Gerasa, 284, 292–93, suivi par Meier, A Marginal Jew, 1994, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 650–53.
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Entre ces deux publications se situe celle de John Bligh, qui, en réagissant à l’étude de Craghan, propose de voir dans les versets 3–6, 9–10 et 18–20 de Marc 5, qu’il considère lui aussi comme rédactionnels, des expansions à attribuer non pas à la communauté primitive ou au rédacteur de l’évangile de Marc, mais plutôt à un chrétien inconnu qui se situe en aval de la cristallisation du récit par la communauté primitive et en amont de Marc : cet auteur inconnu (« earlier evangelist ») aurait saisi, par le remaniement de ce récit, l’opportunité de le mettre au service d’une critique envers les autorités juives de Jérusalem, coupables à son avis de ne pas accepter le kérygme. Qui plus est, précise Bligh, ce rédacteur pré-marcien, qui aurait connu le récit du tombeau vide, établit une relation entre ce dernier et le récit de Gérasa : tout comme dans le récit des femmes au tombeau (Mc 16.1–8), la rencontre se fait dans un contexte de « sépulcres » ; il y a une fuite suite à la rencontre (cochons, gardiens, femmes) ; Jésus suscite un sentiment de peur chez les habitants de Gérasa et chez les femmes160. En dépit de ses faiblesses, l’analyse de Bligh a le mérite de mettre en évidence la relation entre l’exorcisme de Gérasa et, d’une part, les thèmes du salut universel et de l’évangélisation des non-Juifs et, d’autre part, le récit de l’annonce de la résurrection de Jésus dans sa version marcienne : intuition absolument louable et qui mérite un approfondissement ultérieur. La comparaison entre ces trois hypothèses témoigne des limites objectives auxquelles l’exégète se heurte dans sa tentative d’une reconstitution d’une version pré-marcienne du récit. On s’accorde volontiers sur une évolution de la narration par phases successives ; toutefois, il est moins évident d’aboutir à un consensus sur le point de départ (récit dans sa forme primitive), sur les responsables des modifications et les finalités de celles-ci. À la lumière de l’analyse et des considérations que nous avons proposées plus haut, nous avançons prudemment notre hypothèse d’un possible processus de transmission du récit de l’exorcisme de Gérasa, tout en précisant que le véritable objet de notre enquête est le récit marcien dans sa forme finale et son intégration dans le deuxième évangile. Cette hypothèse est la suivante. L’activité d’exorciste de Jésus en Galilée l’a amené, sporadiquement, à s’aventurer dans des territoires limitrophes, où la population était mixte et où les Juifs vivaient avec des non-Juifs en négociant leur place et leur intégration dans le tissu socio-religio-économique. Lors de son déplacement dans une région non spécifiée de la Décapole, Jésus rencontre un possédé et lui annonce la libération de son fardeau en exerçant son charisme d’exorciste. Un événement dramatique concernant des cochons, dont le nombre et la localisation restent dans l’ombre, atteste le départ du démon et le succès de l’entreprise de Jésus161. 160
Bligh, « The Gerasene Demoniac ». Une origine galiléenne de ce récit concernant Jésus, et non pas une origine pétrinienne ni un récit concernant un autre exorciste Juif dont l’exploit aurait été ensuite attribué à Jésus, 161
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Du point de vue de la tradition textuelle, les trois synoptiques situent l’exorcisme de Gérasa/Gadara/Gergésa juste après le miracle de la tempête apaisée lors de la traversée du lac de Tibériade (Mc 4.35–41 // Mt 8.23–27 // Lc 8.22– 25), ce qui revient à dire que les trois évangélistes attestent la tradition d’un récit relatif à Jésus exorcisant en territoire étranger. Cet accord est, à nos yeux, significatif au-delà des différences que l’on trouve dans les trois versions synoptiques du récit. Les études récentes sur la tradition orale et la nouvelle perspective en critique textuelle, selon laquelle la tradition ancienne relative au Jésus historique jouissait d’un degré important de fluidité, même lorsqu’elle était consignée par écrit, renforcent l’hypothèse d’un récit ancré dans un événement historique (exorcisme en terre étrangère) plutôt que celle d’un récit préexistant et attribué ensuite à Jésus, ou encore celle d’un récit inventé de toutes pièces dans le cadre d’une polémique entre Juifs et païens162. Le récit, ou plutôt les variations dont il fait l’objet de la part des enseignants et des prédicateurs chrétiens au stade oral, reste ancré dans la tradition à cause de son caractère insolite, mais subit inévitablement le processus de relecture midrashique et d’adaptation aux besoins théologiques et missionnaires des communautés qui ont à la fois reçu, gardé et, à leur tour, transmis cette histoire. Le récit s’enrichit dès lors de détails qui le rendent davantage « compréhensible, utile et pertinent »163. Il ne faudra pas chercher l’origine de l’évolution/accroissement de l’histoire dans une sensibilité hellénistique qui aurait voulu mettre en exergue l’« homme divin », l’exorciste charismatique itinérant
est maintenue par Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 141 (contra Dibelius, From Tradition to Gospel, 86–87). Que Jésus ait été perçu comme un exorciste itinérant et que le récit de Mc 5.1–20 ait un fond historique est accepté aussi par Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 1999, 298–299 ; Barry L. Blackburn, « The Miracles of Jesus », in Studying the Historical Jesus : Evaluations of the State of Current Research, éd. par Craig A. Evans et Bruce D. Chilton, NTTS 19 (Leiden – New York : Brill, 1994), 362 ; Meier, A Marginal Jew, 1994, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 660–61 ; Sahlin, « Die Perikope vom gerasenischen Besessenen », 160. 162 Eric Eve, Behind the Gospels : Understanding the Oral Tradition, 1e éd. 2013 (Minneapolis : Fortress Press, 2014), 86–136, offre une synthèse critique des études sur la mémoire collective et les modalités/modèles de transmission orale des traditions. Voir aussi Bart D. Ehrman et Michael W. Holmes, éd, The Text of the New Testament in Contemporary Research : Essays on the « Status Quaestionis », 2e éd., 1e éd. 1995, NTTS 42 (Leiden : Brill, 2013), surtout les chapitres 1 (« The Papyrus Manuscripts of the New Testament », Eldon Jay Epp), 2 (« The Majuscule Manuscripts of the New Testament », David C. Parker), 8 (« The Social History of Early Christian Scribes », Kim Haines-Eitzen), 20 (« Textual Clusters : Their Past and Future in New Testament Textual Criticism, Eldon Jay Epp) et 23 (« From ‹Original Text› to ‹Initial Text› : the Traditional Goal of New Testament Textual Criticism in Contemporary Discussion », Michael W. Holmes). 163 Craghan, « The Gerasene Demoniac », 528 : « understandable, useful, and relevant ».
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qui suscitait la stupeur par ses prodiges d’ordre métaphysique164. L’origine galiléenne de cette tradition et la forme qu’elle revêt dans les trois synoptiques plaident plutôt en faveur d’une relecture midrashique de type haggadique, sans implications halachiques mais plutôt missionnaires165. L’histoire est relue dans – et interagit avec – un réseau complexe, constitué par l’expérience et les défis auxquels est confrontée la communauté primitive qui établit des liens et des parallélismes entre l’histoire de Jésus et la sienne, entre l’histoire de Jésus et le Premier Testament, entre le Premier Testament, interprété à la lumière de la portée de l’œuvre et de la mission du Ressuscité, et sa propre histoire. Sahlin a avancé, dans un article datant de 1964, la proposition suivante : le démoniaque de la Décapole devient, dans le discours missionnaire de la communauté primitive, le représentant de tous les non-Juifs auxquels Dieu s’ouvre avec miséricorde ; les textes d’Ésaïe 65.3–5 LXX et du Psaume 67.7 LXX jouent donc un rôle de premier ordre pour à la fois comprendre la portée de cet exorcisme et en orienter l’interprétation par l’intégration de détails qui renvoient aux textes susmentionnés166. Cette hypothèse est reprise et développée par Craghan. Il remarque qu’Ésaïe 65.3–5 n’est pas adressé aux non-Juifs et ne les vise pas. Pourtant, le début du passage, Ésaïe 65.1, où le peuple juif est désigné en tant que peuple qui ne cherche pas son Dieu (« ceux qui ne me cherchent pas »), deviendra le point d’appui d’une perspective universaliste qui se développera plus tard167. Il est donc tout à fait possible, voire probable, qu’une communauté judéochrétienne sensible à la mission auprès des non-Juifs ait relu des textes prophétiques, à l’origine destinés au peuple d’Israël, et les ait appliqués aux nations, en témoignage de la conscience nouvelle d’un élargissement des frontières du Royaume de Dieu. Un témoignage d’un tel procédé, surprenant peut-être mais bien attesté, se rencontre, par exemple, en Marc 7.37, où des gens de la Décapole (la mention de Tyr et de Sidon au verset 31 ne fait que confirmer l’impression selon laquelle le narrateur place l’épisode dans un contexte non juif) paraphrasent Ésaïe 35.5–6, un texte en lien avec le retour du peuple d’Israël sur la « voie sacrée », chemin sur lequel l’impur n’aura pas le droit de passer (v. 8). De même, au chapitre 13 de Marc, la promesse concernant le retour à la « terre promise » adressée à Israël (cf. Dt 30.4 ; Ez 37.9ss et Za 2.10) est reprise avec un élargissement d’horizon tel qu’elle devient parole prophétique adressée par le Fils de l’Homme à tous les élus (Mc 13.26–27). Marc n’est pas à 164
Ainsi Christophe Senft, L’Évangile selon Marc, EssBib 19 (Genève : Labor et Fides, 1991), 13–41 ; cf. Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 73. 165 Voir Matt Stefon, éd, Judaism : History, Belief, and Practice, The Britannica Guide to Religion (New York : Rosen Education Service, 2011), 107–9, pour la différence entre midrash haggadique (« non-legal expositions designed for general edification ») et midrash halachique (« focusing on the legal implications of a biblical passage »). 166 Sahlin, « Die Perikope vom gerasenischen Besessenen », 160. 167 Craghan, « The Gerasene Demoniac », 531.
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l’origine de cette herméneutique universaliste, car elle le précède. Déjà la tradition relative à Pierre témoigne de son ouverture, dans le contexte palestinien, aux non-Juifs. Ce fut justement sa compréhension d’une nouvelle relation à l’étranger qui scella le déclin de son autorité dans le contexte palestinien168. Contrairement à Craghan, qui considère la présence des cochons dans le récit de Marc 5.1–20 comme un élément purement midrashique169, nous considérons la présence de cet animal comme originale et déterminante pour le choix, fait par la communauté primitive, de relire cet exorcisme à la lumière d’Ésaïe 65.1–5, tout comme nous tenons pour primitive la mention du tombeau comme lieu d’habitation du possédé, quitte à ce que le texte ait été retravaillé ensuite sur la base du Psaume 67.7 LXX. Très tôt la communauté chrétienne verra dans cet exorcisme en territoire non juif une action programmatique de Jésus vouée à susciter et à affirmer la vocation missionnaire de l’Église auprès des nonJuifs. Si Jésus n’a pas eu beaucoup de succès en Décapole (Mc 5.17; mais cf. 7.31–37), il a néanmoins déclenché une dynamique centrifuge du Règne qui ne s’arrêtera pas. Sur ce point, nous rejoignons Craghan lorsqu’il affirme que ce miracle est compris comme « the declaration and the symbol of the forthcoming salvific event » pour les nations. C’est donc à un stade pré-marcien que l’exorcisme de Jésus en terre étrangère (probablement en Décapole170) d’un homme possédé et vivant dans les tombeaux, et dont la délivrance du démon est rendue manifeste de manière dramatique par le biais de cochons, aura été relu de manière midrashique à la lumière d’Ésaïe 65.1–5 LXX et du Psaume 67.7 LXX (auxquels il faudra ajouter probablement l’influence d’Exode 14.1– 15.22171) en tant que miracle programmatique d’un ministère en faveur des goyim. Certes, le lien topographique entre cette histoire et le territoire de Gérasa a été probablement établi par la tradition orale en amont de Marc, peut-être par le rédacteur du cycle des miracles autour du lac de Galilée172 ; cependant cette difficulté est relativisée lorsque l’on postule que, dans l’optique du rédacteur, 168
Christian Grappe, D’un Temple à l’autre. Pierre et l’Église primitive de Jérusalem, EHPR 71 (Paris : PUF, 1992), 253–87. 169 Craghan, « The Gerasene Demoniac », 531. 170 Collins, Mark. A Commentary, 266. 171 Marcus, Mark 1–8, 348–49, relève l’importance que le texte d’Ex 14.1–15.22 (le passage de la Mer Rouge et la défaite des armées de Pharaon) aurait pu avoir dans la relecture midrashique de l’exorcisme de l’homme habitant le territoire de la Décapole. Il est vrai que la noyade des cochons pourrait évoquer la noyade des armées égyptiennes et que le thème du Nouvel Exode est, à notre avis aussi, présent dans ce texte. Pourtant, s’il est probable que la tradition juive sur l’Exode ait pu influencer la relecture midrashique pré-marcienne du récit de l’exorcisme de Gérasa (notamment concernant la noyade des cochons), il nous semble que le thème du Nouvel Exode relève de la rédaction marcienne, car il constitue un arrière-plan idéologique important de son évangile. Voir infra, p. 234–240. 172 Theissen, The Miracle Stories, 129.
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l’important est de s’assurer que l’auditeur/lecteur comprenne que l’exorcisme a eu lieu au-delà du lac, en territoire non juif, en Décapole. Dès lors, la distance entre Gérasa (et son district) et le lac ne pose plus de problème. L’activité littéraire de Marc, motivée par sa propre théologie et destinée à intégrer ce récit dans l’économie de son évangile, cristallise le récit du démoniaque de Gérasa dans la forme qui nous est si familière. Certes, le thème de l’irruption programmatique du Règne parmi les Gentils, en territoire étranger, est conservé173. Cependant, Marc va plus loin en intégrant (et en reformulant) cette histoire dans un macro-récit où le thème de l’identité de Jésus et la relation entre cette identité et la suivance sont centraux. La tradition pourrait déjà avoir établi le lien entre le questionnement des disciples à l’issue de l’apaisement de la tempête et l’identification de Jésus par le démon, en tant que Fils du Dieu Très Haut, même si ce lien pourrait être tout aussi bien imputable à la rédaction marcienne174. Cependant, il semble logique d’attribuer à Marc la partie finale de la trajectoire de la transformation de l’homme qui, à partir de son état de possession et par la rencontre avec Jésus, devient à son tour un héraut missionnaire non juif auprès des siens175. La pointe du récit se déplaçant de l’exorcisme à proprement parler à l’échange entre Jésus et l’ex-démoniaque et à son envoi en mission en Décapole, le dialogue final est à comprendre comme une expansion du rédacteur qui opère aussi au niveau de la description de l’homme libéré lorsqu’il dirige l’attention du lecteur sur le fait qu’il est « assis, habillé et avec [son] bon sens ». Luc reprend cette description mais ne se conforme pas aux intentions rhétoriques du rédacteur du deuxième évangile. Il opère plutôt une retouche rédactionnelle (Lc 8.35 : țĮșȝİȞȠȞ… ʌĮȡ IJȠઃȢ ʌંįĮȢ IJȠ૨ ȘıȠ૨) qui fait de cet homme un disciple à la manière de Marie (Lc 10.39 : ʌĮȡĮțĮșİıșİıĮ ʌȡઁȢ IJȠઃȢ ʌંįĮȢ IJȠ૨ țȣȡȠȣ), dissout le lien entre la peur des habitants des environs et l’épisode des cochons et, enfin, donne une lecture positive du rapport des témoins oculaires et en fait un prélude à l’envoi en mission du Gérasénien (Lc 8.35–36). Marc, 173
Ainsi aussi Moloney, Mark, 102. Mc 4.41 et 5.7 : IJȢ ਙȡĮ ȠIJંȢ ਥıIJȚȞ…; ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ; Lc 8.25, 28 : IJȢ ਙȡĮ ȠIJંȢ ਥıIJȚȞ…; ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ; Matthieu, par contre, semble privilégier la dimension ontologique en utilisant l’expression Ƞੂ į ਙȞșȡȦʌȠȚ (plutôt que Ƞੂ ȝĮșȘIJĮ ĮIJȠ૨ déjà utilisé en Mt 8.23, ou le pronom personnel correspondant), en modifiant le « qui » de Marc (et de Luc) en ʌȠIJĮʌંȢ ਥıIJȚȞ ȠIJȠȢ…, en Mt 8.27, et en se limitant au lapidaire ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ en 8.29. Il est intéressant de remarquer que ʌȠIJĮʌંȢ (« d’où ») est utilisé dans le sens « de quel type » dans Lc 1.29 ; 7.39 (cf. Flavius Josèphe, A.J. 7.72) ; 1 P 1.11 ; 2 P 3.11 ; Ap. P. 2.5 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.32 ; C. Ap. 1.255 ; P. Oxy. 1678.16 [III AD], et parfois dans le sens de « quel grand, quel magnifique », comme dans Mc 13.1 et 1 Jn 3.1. 175 Marcus, Mark 1–8, 347, remarque ironiquement que Marc, même s’il fait de ce nonJuif possédé un héros missionnaire, ne renonce pas, dans le récit, à l’associer, de manière un peu chauvine, aux esprits impurs, aux tombeaux et aux cochons. 174
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de son côté, outre qu’il souligne le lien entre la noyade spectaculaire des cochons et le rejet de Jésus (Mc 5.16–17), met en évidence l’incapacité des gens à voir effectivement ce qui s’est passé (v. 15 et 16 : l’homme guéri est toujours appelé démoniaque) et surtout établit un lien narratif entre l’expérience de la délivrance de l’homme et son adhésion à l’événement pascal de la résurrection de Jésus176. Marc donne un portrait du Gérasénien, qui d’abord sort du tombeau (ਥț IJȞ ȝȞȘȝİȦȞ : Mc 5.2) et ensuite est exorcisé, qui rappelle celui du jeune homme assis au tombeau le jour de la résurrection (16.5) : il est habillé et sa vue provoque la stupeur et la peur des observatrices. Le Gérasénien annonce un Jésus absent (car sa requête d’être avec lui a été refusée), tout comme le jeune homme au tombeau (16.6 : Ƞț ıIJȚȞ ੰįİ). Ce dernier se fait le héraut de la promesse d’une rencontre (16.7), l’annonce du démoniaque en Décapole semble être le
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Thomas Milne, « St. Matthew’s Parallel Narratives », JTS 5 (1904) : 602–8, cité par Bligh, « The Gerasene Demoniac », 384–90, avait avancé l’hypothèse selon laquelle, dans l’évangile de Matthieu, l’exorcisme en pays gadarénien serait un événement dans une série de récits mis en parallèle avec les faits qui suivent la mort de Jésus. Voici une synthèse de son argumentation : Mt 8.1–4 (purification du lépreux : Temple encore fonctionnel) // Mt 27.50–53 (voile déchiré : fin de l’économie du Temple) ; Mt 8.5–13 (foi du centurion) // Mt 27.54 (confession du centurion) ; Mt 8.14–15 (belle-mère de Pierre qui sert Jésus) // Mt 27.55–57 (femmes qui s’occupent du corps de Jésus) ; Mt 8.16–22 (guérison le soir : ੑȥĮȢ į ȖİȞȠȝȞȘȢ + citation d’Es 53.4 + « le Fils de l’Homme n’a pas où poser la tête ») // Mt 27.57–63 (Jésus est mis au tombeau : ੑȥĮȢ į ȖİȞȠȝȞȘȢ + sens d’Es 53.4 applicable à la mort de Jésus + Jésus enseveli dans le tombeau d’un autre) ; Mt 8.22–27 (tempête apaisée : ıİȚıȝંȢ) // Mt 28.1–7 (résurrection : ıİȚıȝઁȢ ȝȖĮȢ) ; Mt 8.28–32 (Gadaréniens : tombeau, fuite des cochons, rapport qui ne suscite pas la foi, refus de Jésus de la part des habitants de la ville) // Mt 28.8–15 (les femmes au tombeau : fuite des gardes, rapport qui ne suscite pas la foi mais plutôt le rejet des autorités de Jérusalem). Bligh adopte l’hypothèse de Milne et remet en question le fait que Marc (même s’il est prioritaire) ait été utilisé par Matthieu. D’après lui, Matthieu et Marc auraient plutôt utilisé, de manière indépendante et sans en saisir pleinement l’intention, une source antérieure qui avait déjà établi le parallélisme exposé ci-dessus. C’est pour cela, argumente Bligh, que certains passages clés manquent tantôt chez Matthieu (par ex. Mc 1.35–39), tantôt chez Marc (par ex. citation d’Es 53.4 dans Mc 1.32–34 // Mt 8.16–17). Bligh considère donc « Légion » de Mc 5.1–20 comme un élément que cette source antérieure aurait voulu mettre en parallèle avec les soldats romains qui gardent le tombeau de Jésus et qui s’enfuient suite à la manifestation de pouvoir du Ressuscité. Notre opinion est qu’il s’agit d’une hypothèse qui pose trop de problèmes et dont le caractère spéculatif demeure irréfragable. Une première difficulté est posée par le texte de Mt 27.65 : lorsque Pilate répond à la requête des grands prêtres et des Pharisiens, qui lui demandent de donner l’ordre de garder le tombeau, par ȤİIJİ țȠȣıIJȦįĮȞ (« vous avez une garde »), on a l’impression qu’il s’agit de soldats Juifs dont il est question. Cette difficulté pourrait être dépassée en traduisant « vous avez » par « vous pouvez avoir » : Bligh cite à ce propos Kevin Smyth, « The Guard at the Tomb », Heythrop Journal 2 (1961) : 157–59. Mais l’objection la plus importante demeure : Matthieu n’emploie pas le mot « Légion » dans son récit de l’exorcisme des Gadaréniens, et Marc ne mentionne pas la présence des soldats au tombeau.
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Chapitre 1 : Du substrat rédactionnel à la forme finale du récit
prélude au mouvement des gens de ces contrées qui sortent à la rencontre de Jésus (7.31–37). À bien y regarder, c’est depuis le tout début de la narration de l’évangile de Marc que le lecteur s’imprègne des présages d’une résurrection qui privera le disciple de la présence de son Maître, et qui pourtant lui permettra d’être assimilé à sa destinée. En Marc 1.32–34, Jésus guérit à Capharnaüm, le soir, un grand nombre de malades et de démoniaques, en empêchant les démons de dévoiler son identité. Le jour suivant, le matin très tôt, Jésus « disparaît », déclenchant une recherche de la part de Pierre et de ceux qui sont avec lui (1.35– 38)177. Une fois que Jésus a été trouvé, il les invite à aller ailleurs, car c’est pour cela qu’il est sorti. La relation entre cette section de l’évangile de Marc et la rencontre des femmes, le dimanche de Pâques, avec le jeune homme au tombeau est aussi évidente du fait même que les adverbes de temps ȜĮȞ et ʌȡȦ ne se trouvent, dans Marc, qu’en 1.35 et en 16.2178. Un autre récit annonciateur de la résurrection est celui de la tempête apaisée (4.35–41)179, auquel se juxtapose l’épisode du Gérasénien (5.1–20) qui, à son tour, est en relation avec l’apparition du jeune homme « assis à droite » au tombeau180. Le récit de Jésus qui marche sur la mer (6.45–52) assume également, on le verra, dans une dynamique de lecture en boucle de l’évangile, les contours d’un récit d’apparition
177 Douteux est le recours à Jn 20.1–15, de la part de Bligh, « The Gerasene Demoniac », 384, pour établir un parallèle analeptique avec Mc 1.35–38. 178 Parallèle remarqué aussi par Nineham, Mark, 83. 179 Cf. țĮșİįȦ (« dormir » : Mc 4.38 ; utilisé en 5.39 pour décrire le décès d’une fillette) ; įȚİȖİȡȦ (« réveiller » : 4.39 // ਥȖİȡȦ en 16.6). Suite au miracle, les disciples sont effrayés (ijȠȕȦ en 4.41 et 16.8), non pas à cause de la tempête mais à cause de l’identité de Jésus qui vient d’être révélée par l’apaisement du vent et de la mer : IJȢ ਙȡĮ ȠIJંȢ ਥıIJȚȞ IJȚ țĮ ਙȞİȝȠȢ țĮ ਲ șȜĮııĮ ਫ਼ʌĮțȠİȚ ĮIJ; (4.41) ; ce n’est que par la foi que cette identité peut être saisie, acceptée, intégrée (cf. v. 40). De même, au tombeau, c’est l’annonce du jeune homme concernant l’identité de Jésus (ȘıȠ૨Ȟ ȗȘIJİIJİ IJઁȞ ȃĮȗĮȡȘȞઁȞ IJઁȞ ਥıIJĮȣȡȦȝȞȠȞ· ȖȡșȘ : 16.6) et l’appel à la foi (16.7) qui est à l’origine de la peur des femmes (16.8). 180 Bligh, « The Gerasene Demoniac », 384, estime que l’envoi de l’ex-démoniaque par Jésus annonce l’envoi des femmes au tombeau par le jeune homme, et invoque Mc 16.9, qui fait de Marie une ex-possédée, comme preuve additionnelle de ce lien intratextuel. Si le parallèle entre le Gérasénien et les femmes au tombeau mérite d’être exploré davantage, le recours à un texte tiré de la finale longue de Marc est très douteux du point de vue méthodologique. Bligh, à la p. 384, note 16, de son article, cite Robert H. Lightfoot, History and Interpretation in the Gospels, BL (London : Hodder and Stoughton, 1935), 89–90, lequel considère le refus de la part de Jésus de prendre avec lui le Gérasénien comme une allusion à la séparation entre l’Église Judéo-chrétienne et son homologue pagano-chrétienne. Bligh semble accepter cette hypothèse improbable et convoque le texte de Ga 2.9 pour la renforcer : le caractère purement spéculatif d’une telle démarche est évident.
Du récit traditionnel au récit marcien
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post-pascale181. C’est donc à l’intérieur de ce projet plus large que Marc intègre, en l’adaptant à sa visée théologique, didactique et même parénétique, le récit de l’exorcisme de Gérasa. Il est temps désormais de concentrer nos efforts sur l’analyse narrative du récit de Marc 5.1–20 afin d’en apprécier, plus en détail, l’entrelacement avec le reste du macro-récit et pour en dégager le sens dans la perspective de l’auteur implicite.
181 Voir aussi Mc 1.35 // 16.2 ; 2.18–20 ; 4.35–41 ; 5.18–20 ; 9.38–41 ; 13.6 ; 14.7–9, 20– 22 ; 16.6 (ȖȡșȘ, Ƞț ıIJȚȞ ੰįİ // Mt 28.6 Ƞț ıIJȚȞ ੰįİ, ȖȡșȘ // Lc 24.6 Ƞț ıIJȚȞ ੰįİ, ਕȜȜ ȖȡșȘ : l’accent de Marc sur l’absence est plus net, car le constat suit l’annonce de la résurrection).
Chapitre 2
Organisation du récit de Marc 5.1–20 : la séquence des tableaux Après avoir montré que le récit de l’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) est une unité littéraire dont les limites, en amont et en aval, sont facilement identifiables, ce chapitre propose une lecture linéaire de cet épisode par la mise en valeur de la succession des tableaux qui le composent.
2.1 Les limites du récit Les limites du récit
Le récit de l’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) se situe dans le contexte du macro-récit qu’est l’Évangile selon Marc. Cet épisode de l’activité exorcistique du Jésus marcien s’inscrit dans le cadre du premier déplacement géographique du héros (Jésus) et de ses adjuvants (les disciples) d’une rive à l’autre du lac de Tibériade. Le lecteur est informé du fait que Jésus a commencé à nouveau à enseigner au bord du lac (« la mer », selon Mc 4.1 : țĮ ʌȜȚȞ ਵȡȟĮIJȠ įȚįıțİȚȞ ʌĮȡ IJȞ șȜĮııĮȞ), devant une « foule nombreuse » (ȤȜȠȢ ʌȜİıIJȠȢ), pour ensuite, le soir venu, aller sur l’autre rive avec ses disciples (4.35). Le verset 37 du quatrième chapitre narre une tempête qui surprend le bateau des disciples et les autres barques qui sont « avec lui [Jésus] » (ȝİIJૃĮIJȠ૨, v. 36). Cette adversité risque de les empêcher d’atteindre la rive orientale du lac ; le miracle qui s’ensuit (4.38–41) permet à la compagnie d’aller « de l’autre côté de la mer » (İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ : 5.1). L’exorcisme de Gérasa est présenté par Marc comme la toute première activité de Jésus en territoire non juif. Le groupe regagnera ensuite l’autre rive (territoire juif) en 5.21a (țĮ įȚĮʌİȡıĮȞIJȠȢ IJȠ૨ ȘıȠ૨ [ਥȞ IJ ʌȜȠ] ʌȜȚȞ İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ), où, à l’instar de 4.1, Jésus retrouvera une « large foule » (ȤȜȠȢ ʌȠȜȢ). Le micro-récit est donc bien délimité en amont par le verset 1 du cinquième chapitre (changement de lieu et de situation et introduction d’un nouveau personnage : le démoniaque) et en aval par le verset 21a (changement de lieu et de situation et introduction d’un nouveau personnage : Jaïros), les deux textes mentionnant un mouvement d’une rive à l’autre (5.1 : İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ… 5.21a : İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ).
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Chapitre 2 : Organisation du récit de Marc 5.1-20
2.2 Lecture linéaire du récit : les tableaux Lecture linéaire du récit : les tableaux
Le récit de l’exorcisme de Gérasa est composé de treize tableaux qui en déterminent la dynamique interne et le rythme. Le critère utilisé pour identifier le passage à un nouveau tableau est le recours, de la part du narrateur, à des modifications qui concernent les registres suivants : changement de personnage (introduction d’un nouveau ou réintégration d’un ancien), de lieu, de temps, de point de vue1. Par souci de commodité, nous reproduisons, pour chaque tableau, le texte grec suivi de notre traduction (voir pages 437-469). 2.2.1 Tableau 1 : De l’autre côté (Mc 5.1) (1) țĮ ȜșȠȞ İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ İੁȢ IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ (1) Et ils allèrent de l’autre côté de la mer, dans le territoire des Géraséniens.
Le récit commence avec un plan d’ensemble qui informe sur le lieu (« l’autre côté de la mer, dans le territoire des Géraséniens ») où se retrouvent le héros et ses adjuvants (Jésus et ses disciples). Gérasa était habité surtout par des nonJuifs2. En effet, aussi bien géographiquement que narrativement, le lac de Tibériade est la barrière qui sépare les territoires familiers, à l’ouest de l’étendue d’eau, des espaces menaçants, situés à l’est, où résident des étrangers impurs. L’épisode de la tempête apaisée, qui précède et prépare l’entrée de Jésus en territoire païen, assume dès lors une double fonction proleptique : annonce de l’hostilité que l’on rencontrera de l’autre côté, mais aussi de la puissance de Jésus face au déchaînement des forces antagoniques3. 1
Par point de vue nous entendons l’instance par laquelle le narrateur fait voir au lecteur ce qui se passe dans le récit : ce focalisateur peut-être un personnage du récit ou le narrateur lui-même : Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 101. Voir infra, p. 140– 141 pour une discussion plus détaillée sur la question. 2 Voir Flavius Josèphe, B.J. 2.479–480 (cf. A.J. 17). Voir aussi John D. Wineland, « Archaeological and Numismatic Evidence for the Political Structure and Greco-Roman Religions of the Decapolis, with Particular Emphasis on Gerasa and Abila », Aram 4, no 1–2 (1992) : 331–35, 339 ; Terence C. Mitchell, « Gérasa », in GDB, OR (Charols : Excelsis, 2010), 658–59, qui montrent qu’Artémis, Tyché, Astarté, Zeus et Héra, ainsi qu’Isis et Sérapis, entre autres, étaient les divinités qui faisaient l’objet de culte à Gérasa. Il est vrai que le Temple de Zeus, le Temple d’Artemis et le Temple C (utilisation inconnue) datent tous du IIe siècle de notre ère ; toutefois, leur culte, qui résulte du syncrétisme hellénistique, précède la fin de la construction de ces sanctuaires. La divinité locale d’origine phénicienne, Baal-Shamin (« le Seigneur des cieux »), avait été renommée par Antiochos IV Épiphane Zeus Olympios : Wineland, « Archaeological and Numismatic Evidence », 334–35. Cela dit, la religiosité sémitique est aussi bien attestée, à l’époque romaine, à Gérasa, Gadara et Abila, toutes situées en Décapole : ainsi Collins, Mark. A Commentary, 267. 3 En établissant une relation de progressivité entre le début et la fin du récit (Mc 5.1 : İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ ĺ 5.20 : ਥȞ IJૌ ǻİțĮʌંȜİȚ), Corina Combet-Galland commente
Lecture linéaire du récit : les tableaux
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2.2.2 Tableau 2 : Un homme à l’esprit impur (Mc 5.2) (2) țĮ ਥȟİȜșંȞIJȠȢ ĮIJȠ૨ ਥț IJȠ૨ ʌȜȠȠȣ İșઃȢ ਫ਼ʌȞIJȘıİȞ ĮIJ ਥț IJȞ ȝȞȘȝİȦȞ ਙȞșȡȦʌȠȢ ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ (2) Et lorsqu’il fut sorti du bateau, voici qu’un homme à l’esprit impur l’affronta [en sortant] des tombeaux.
Dans ce tableau, le narrateur introduit un nouveau personnage, le démoniaque, qui est le sujet du verbe principal (ਫ਼ʌȞIJȘıİȞ). Le nom de Jésus est discrètement remplacé par un pronom personnel4. Tout comme le premier miracle de Jésus dans l’évangile de Marc a été un exorcisme en territoire juif (dans la synagogue de Capharnaüm, 1.21–28), ainsi le premier acte puissant de Jésus en territoire étranger est-il la libération d’un possédé5. Ce rapprochement ne laisse pas indifférent le lecteur implicite, d’autant que la suite du récit fait apparaître des parallèles frappants entre les deux ainsi : « [le] passage de la frontière [devient] une entrée […] dans l’espace d’un groupe social étranger où ce sera bien aussi une tempête, sous un crâne, que Jésus aura à affronter » (Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 32). La valeur symbolique de la mer de Galilée en tant que barrière géographique, politique et religieuse entre les Juifs et les territoires païens dans l’évangile de Marc est mise en valeur notamment pas Elizabeth S. Malbon, Narrative Space and Mythic Meaning in Mark, NVBS (San Francisco – Cambridge : Harper and Row, 1986), 38–40. Voir aussi Focant, L’Évangile selon Marc, 196. 4 Ce constat a déjà été fait par Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 143. 5 Fait remarqué par plusieurs auteurs, parmi lesquels nous nous limitons à citer Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 73 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 196. Selon certains exégètes, le Gérasénien serait un Juif. Richard Dormandy, « The Expulsion of Legionௗ : A Political Reading of Mark 5:1–20 », ExpTim 111, no 10 (2000) : 335–36, défend cette position en invoquant, d’un côté, le fait que de nombreux Juifs habitaient la région depuis 82 avant Jésus-Christ (conquête d’Alexandre Jannée : Flavius Josèphe, A.J. 13.391– 394 ; B.J. 1.103–105), et, de l’autre, que si cet homme avait été un Gentil, on ne comprendrait pas pourquoi Jésus est réticent avec la femme syro-phénicienne qu’il rencontre deux chapitres plus tard (Mc 7.24–30). Il en conclut qu’il s’agit d’un Juif devenu impur car vivant en territoire étranger : en cela il représenterait Israël corrompu par la présence romaine, donc à la fois victime et objet de honte (en référence aux collaborateurs). Voir également Gnilka, Das Evangelium nach Markus, 1 : Mk 1–8,26 : 276 ; Witherington, The Gospel of Mark, 178. Derrett, « Contributions », 6, va dans le même sens : cet homme est un Juif car, d’après lui, lorsque Marc utilise le mot ਚȞșȡȦʌȠȢ sans complément, il s’agit toujours d’un Juif (voir Mc 1.23 ; 13.34 ; 14.13, 21 ; Derrett renvoie également à Mt 9.9, 32 ; 10.35, 36 ; 11.8 ; 12.25, 43 ; 13.24, 31, 44, 52 ; 17.14 ; 18.12 ; 20.1 ; 21.28, 33 ; 25.14 et à Lc 2.25 ; 5.18 ; 6.48 ; 10.30 ; 11.44, 46 ; 12.16 ; 14.2, 16, 30 ; 16.1, 19 ; 18.2–4). Le fait est que Marc n’est pas toujours explicite pour ce qui est de l’origine des personnages de son évangile : il ne qualifie pas le sourd-muet de 7.32 (en Décapole) ni la foule de 8.2 (toujours en territoire non juif) ; même Pilate et le centurion à la croix ne sont pas explicitement présentés comme des Gentils (15.1–2, 39). Les indications de lieu (notamment en Mc 4.35 ; 5.1, 21 ; cf. 6.45, 53 ; 8.13), la présence des cochons (5.11–13), et surtout le fait que l’homme s’en aille proclamer en Décapole (5.20) plaident fortement en faveur d’une identité non juive de cet homme. La
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Chapitre 2 : Organisation du récit de Marc 5.1-20
exorcismes : dans les deux cas, Jésus est accompagné par ses disciples (1.21a et 5.1 : verbes au pluriel), mais la suite du récit se focalise exclusivement sur Jésus et les autres personnages (alors que les disciples, du point de vue narratif, disparaissent : cf. 1.21b et 5.2) ; les deux hommes sont possédés par un esprit impur (1.23 ; 5.2) ; leur apparition, au niveau narratif, est marquée par l’adverbe İșȢ (1.23 ; 5.2) ; les deux sont décrits comme étant des victimes abusées par le démon6 (1.26 : Į ıʌĮȡȟĮȞ ĮIJઁȞ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ; 5.5 : țĮIJĮțંʌIJȦȞ ਦĮȣIJઁȞ ȜșȠȚȢ) ; dans les deux cas, on pousse des cris violents (1.23, 26 : țĮ ਕȞțȡĮȟİȞ… țĮ ijȦȞોıĮȞ ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ ; 5.7 : țĮ țȡȟĮȢ ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ) ; les deux s’adressent à Jésus d’une manière similaire (1.24 : IJ ਲȝȞ țĮ ıȠ; 5.7 : IJ ਥȝȠ țĮ ıȠ) ; dans les deux récits, les esprits impurs dévoilent l’identité de Jésus (1.24 : ਚȖȚȠȢ IJȠ૨ șİȠ૨ ; 5.7 : ȣੂ[ંȢ] IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ) et redoutent son pouvoir (1.24 : ȜșİȢ ਕʌȠȜıĮȚ ਲȝ઼Ȣ; 5.7 : ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ)7. L’attention est désormais focalisée sur la rencontre entre Jésus et le démoniaque qui, en Marc 5.2, se dirige vers lui avec des intentions hostiles8. Cet homme est défini comme ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ : il est possédé par un démon, et donc associé à son impureté aussi bien rituelle que morale9. L’affrontement référence à Es 65 (cf. v. 5 avec Mc 5.2–5), un chapitre qui avait été compris comme annonçant l’intégration des Gentils (cf. Rm 10.20, qui cite Es 65.2), semble aussi renforcer cette lecture. Ainsi Guelich, Mark 1–8 : 26, 278 ; Aus, My Name is « Legion », 82 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 202 ; Rochester, Good News at Gerasa, 153–56. Lamarche trouve significative l’expression « de loin » en Mc 5.6, car elle rappelle celle de 8.3, où elle désigne l’origine de la foule en territoire non juif. Il évoque également Ep 2.13, où les non-Juifs sont « ceux qui, autrefois, étaient loin » : Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 584. Nous trouvons intrigante la possibilité que l’exorcisme du Gérasénien et sa proclamation en Décapole soient un prolongement des dynamiques des paraboles du chapitre 4 de Marc. Ce Gérasénien, qui incarne la dynamique de l’excès (cf. 4.24b et 5.20), déploie son action en territoire hellénistique : dans l’Apocalypse des Animaux (1 Hén. 85–90 ; ici notamment 89.10 ; 90.2– 19), les « oiseaux » (cf. Mc 4.32) représentent les puissances hellénistiques qui ont assujetti les Juifs entre le IVe et le IIe siècle avant Jésus-Christ : voir Daniel C. Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse of 1 Enoch : « All Nations Shall Be Blessed », SVTP 24 (Leiden : Brill, 2013), 136–43. 6 L’homme à l’esprit impur (Mc 5.2, 8, 13) est aussi désigné à l’aide du verbe įĮȚȝȠȞȗȠȝĮȚ (v. 15, 16, 18), ce qui implique que les expressions « esprit impur » et « démon » sont équivalentes pour Marc : cf. 6.7 et 7.25 avec 6.13 et 7.26, 29, 30) : ainsi Rochester, Good News at Gerasa, 117–18. 7 Voir aussi Focant, L’Évangile selon Marc, 197, qui cite Edwin K. Broadhead, Mark, RNBC (Sheffield : Sheffield Academic Press, 2001), 50, selon lequel Mc 5.1–20 serait une « deuxième lecture » de l’exorcisme de 1.21–28. 8 Voir discussion à la page 442. 9 Maximilian Zerwick, Analysis Philologica Novi Testamenti Graeci, 4e éd., 1e éd. 1953, SPIB 107 (Rome : Sumptibus Pontificii Instituti Biblici, 1984), 88, considère la préposition ਥȞ de la locution ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ (Mc 5.1) comme ayant une empreinte sémitique : « ਥȞ sociativum », tout comme en Mt 22.43 (ǻĮȣį ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ = « David, associé à/inspiré par l’Esprit »).
Lecture linéaire du récit : les tableaux
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est imminent, mais le lecteur, déjà conscient du pouvoir du Jésus marcien, en anticipe l’issue dans son esprit : la rencontre entre Jésus qui sort du bateau (v. 2 : verbe ਥȟȡȤȠȝĮȚ + ਥț IJȠ૨ ʌȜȠȠȣ) et le démoniaque qui sort des tombeaux (ਥț IJȞ ȝȞȘȝİȦȞ) ne pourra aboutir qu’à la sortie du mauvais esprit (ਥț IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ au verset 8 et emploi de ਥȟȡȤȠȝĮȚ au verset 13)10. L’absence des disciples de la scène – ils réapparaîtront bien après cet épisode, lors du récit de la femme atteinte d’une perte de sang (Mc 5.31)11 – oblige le lecteur, d’un point de vue empathique, à se détacher de son point de repère habituel. Ce manque rend possible l’établissement d’une nouvelle relation avec d’autres personnages. Le lecteur se retrouve, comme Jésus, seul face à cet être humain12, pourtant possédé et impur, sortant des tombeaux et s’approchant avec une allure menaçante. La suite du récit lui dira quel type de relation il sera invité à instaurer avec ce personnage. 2.2.3 Tableau 3 : Isolement absolu (Mc 5.3–5) (3) Ȣ IJȞ țĮIJȠțȘıȚȞ İੇȤİȞ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ țĮ Ƞį ਖȜıİȚ ȠțIJȚ ȠįİȢ ਥįȞĮIJȠ ĮIJઁȞ įોıĮȚ (4) įȚ IJઁ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜțȚȢ ʌįĮȚȢ țĮ ਖȜıİıȚȞ įİįıșĮȚ țĮ įȚİıʌıșĮȚ ਫ਼ʌ’ĮIJȠ૨ IJȢ ਖȜıİȚȢ țĮ IJȢ ʌįĮȢ ıȣȞIJİIJȡijșĮȚ țĮ ȠįİȢ ıȤȣİȞ ĮIJઁȞ įĮȝıĮȚ (5) țĮ įȚ ʌĮȞIJઁȢ ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȡĮȢ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ țĮ ਥȞ IJȠȢ ȡİıȚȞ Ȟ țȡȗȦȞ țĮ țĮIJĮțંʌIJȦȞ ਦĮȣIJઁȞ ȜșȠȚȢ (3) Il [cet homme] avait élu [sa] demeure dans les sépulcres, et personne ne pouvait plus le lier [pour de bon], même avec une chaîne, (4) à cause du fait qu’il avait été lié maintes fois avec des entraves et des chaînes, et les chaînes avaient été rompues par lui, et les entraves brisées, et personne n’était [assez] fort pour le dompter. (5) Il était sans cesse, nuit et jour, dans les sépulcres et dans les montagnes, en train de crier et de se couper lui-même avec des pierres.
L’action initiée au verset 2 (l’avancée du démoniaque) sera reprise au verset 6 (ਫ਼ʌȞIJȘıİȞ… įȡĮȝİȞ). Entretemps, le narrateur introduit une pause narrative signalée par le changement des temps verbaux (le passage de l’aoriste du v. 2 aux imparfaits des v. 3–5 : İੇȤİȞ… ਥįȞĮIJȠ… ıȤȣİȞ… Ȟ…), l’introduction d’un nouveau décor (les montagnes) et de locutions temporelles typiques du sommaire (« continuellement, nuit et jour », v. 5). Le temps du récit ralentit et 10 Ainsi Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 25–26, qui voit aussi dans les expressions ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ (Mc 5.2) et ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ (v. 3) des « lieux d’emprisonnement ». 11 Même en Mc 5.18, Jésus remonte « seul » à bord du bateau : țĮ ਥȝȕĮȞȠȞIJȠȢ ĮIJȠ૨ İੁȢ IJઁ ʌȜȠȠȞ. 12 Pour Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 23, note 4, le mot ਙȞșȡȦʌȠȢ, dans ce récit (Mc 5.2, 8), a une portée universelle, notamment dans sa relation au țȡȚȠȢ du verset 19. D’après elle, Luc, en choisissant de remplacer ਙȞșȡȦʌȠȢ par ਕȞȡ (Lc 8.27), renonce à cette orientation sémantique.
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la distance entre le lecteur et l’antagoniste se réduit13 : l’attention est maintenant focalisée sur le vécu de cet homme, sur sa relation avec la population locale et enfin sur son isolement absolu. Le sentiment de dégoût ou de mépris provoqué par son entrée en scène dans les tableaux précédents (tombeau, esprit impur) est renforcé par les informations maintenant dévoilées par le narrateur : le démoniaque s’avère être encore plus exécrable (les sépulcres étant sa demeure)14 et redoutable que prévu. Le mot « tombeau » est répété à trois reprises (ȝȞȘȝİȠȞ : v. 2 ; ȝȞોȝĮ : v. 3, 5) : le possédé est soustrait du monde des vivants par le démon ; la réalité de la mort imprègne son existence et, par son entremise, elle affronte Jésus sur le territoire de Gérasa15. À ce propos, la force étonnante du Gérasénien représente une véritable menace. Comme l’a remarqué Rochester, elle rappelle celle de Samson (Jg 16.9 LXX et Mc 5.4 ont le même verbe įȚĮıʌȦ) : dans les deux cas, il s’agit d’une vigueur d’origine surnaturelle, sauf que, à la différence de Samson (Jg 14.6, 19 ; 15.14 ; 16.28), le Gérasénien est animé par un esprit impur16. Le verset 4 exprime, à l’aide d’une construction chiastique, la véhémence avec laquelle l’homme s’est défait, à plusieurs reprises (ʌȠȜȜțȚȢ, v. 4a), des liens qui lui avaient été imposés : 13
Ainsi aussi Fowler, Let the Reader Understand, 101, 105 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death,
143. 14 Corina Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte. Évangile de Marc (5,1–20) », in Raconter, interpréter, annoncer : parcours de Nouveau Testament. Mélanges offerts à Daniel Marguerat pour son 60ème anniversaire, éd. par Emmanuelle Steffek, Yvan Bourquin et Daniel Marguerat, MdB 47 (Genève : Labor et Fides, 2003), 108, relève que le « chaos » dans lequel le possédé vit est décrit aussi par le renversement du rôle symbolique que la montagne a dans l’évangile de Marc. En effet, dans le deuxième évangile, ȡȠȢ est surtout le lieu où Jésus rencontre et instruit les disciples (Mc 3.13 ; 11.1 ; 13.3 ; 14.26), prie (6.46), est transfiguré (9.2, 9). Voir également l’emploi métaphorique en 11.23 et l’invitation à fuir İੁȢ IJ ȡȘ pour échapper à l’« abomination de la dévastation » (13.14). 15 Cf. Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 583, qui y voit « une image obsédante qui a valeur théologique : ces tombeaux, multipliés sur la toile de fond du récit, expriment assez clairement que les démons ont partie liée avec la mort ; l’homme possédé n’appartient plus au monde des vivants ». 16 Ainsi Rochester, Good News at Gerasa, 129 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 202 ; Marcus, Mark 1–8, 343. Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 147, remarque que dans l’Hymne Homérique 7 (« à Dionysos »), qui remonte probablement au moins au IIIe siècle avant JésusChrist, il est question d’une tentative de la part de pirates d’enchaîner le dieu, qui n’avait pas été reconnu (7.12 : țĮ įİıȝȠȢ șİȜȠȞ įİȞ, « ils chercherent à le lier » ; cf. 7.13 : įİıȝȐ, « chaîne »). Dionysos libère ses mains et ses pieds en montrant sa force, ce qui amène les pirates à constater sa nature divine. Originale mais pas très convaincante est la lecture de Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 145, qui pense décéler dans Mc 5.2– 5 une critique au pouvoir romain sur le registre de la féminisation. Le démoniaque est à la fois puissant et hors de contrôle : or le manque de contrôle de soi est, dans l’optique ancienne, pour Warren, un défaut féminin. D’où sa conclusion : « [t]he presentation of this unruly human in vv. 2–5 constructs Roman power as effeminately out-of-control ».
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A țĮ įȚİıʌıșĮȚ ਫ਼ʌૃĮIJȠ૨ B IJȢ ਖȜıİȚȢ B’ țĮ IJȢ ʌįĮȢ A’ ıȣȞIJİIJȡijșĮȚ L’accent est mis sur l’inefficacité des multiples moyens employés (B et B’ : chaînes et entraves) « entourés » par les modalités utilisées par le possédé pour s’en débarrasser (A et A’ : rompre, briser)17. Il s’érige donc en adversaire répugnant et pourtant redoutable. Cela dit, la manière dont le récit se déploie ne permet pas au lecteur d’en rester là. Au contraire, il est amené à gérer la tension entre le pôle caractérisé par les sentiments de dégoût et de peur et un autre, constitué plutôt par une appréciation empathique de l’état du Gérasénien qui engendre des dispositions plus favorables à son égard. Il s’agit d’un être humain dont la mort est « programmée et lente »18 et dont la souffrance est aussi atroce qu’évidente (v. 5 : țȡȗȦȞ țĮ țĮIJĮțંʌIJȦȞ ਦĮȣIJઁȞ ȜșȠȚȢ)19. Mais il faut apprécier également la stratégie narrative mise en œuvre par le rédacteur. Après avoir informé le lecteur du fait que le démoniaque vivait dans les tombeaux et qu’il était impossible de le contenir (v. 3), le narrateur déconcerte le lecteur dans la suite du récit. Le verset 4 commence par la locution įȚ IJં. Or, la construction įȚ + accusatif est utilisée, le plus souvent, pour spécifier la raison ou la cause pour laquelle quelque chose a été, est, sera ou devrait être fait ou dit : c’est le cas, par exemple, en Marc 6.17 : įȚ ȡįȚįĮ, « à cause de/pour l’amour d’Hérodiade ». Ainsi, la construction įȚ IJં (article neutre, déterminant singulier à l’accusatif) suivie d’un verbe à l’infinitif20 est une formule plutôt commune, même dans la LXX21, dont le sens est « à cause de / parce que ». Outre 5.4, Marc l’emploie encore à deux reprises en 4.5–6 (« parce
17
Voir Gundry, Mark, 249 ; Rochester, Good News at Gerasa, 128. Focant, L’Évangile selon Marc, 197. 19 Pour Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 143–44, les versets 3–5 de Marc 5, chargés de pathos, suscitent chez le lecteur des sentiments de sympathie et non pas de peur. Il néglige la stratégie narrative marcienne qui consiste à pousser le lecteur à mettre en relation dialectique les deux états d’âme. Rochester, Good News at Gerasa, 164, va jusqu’à proposer une relation empathique entre le lecteur et le Gérasénien tel qu’il est décrit dans les premiers versets du récit. Toutefois, son argumentation repose seulement sur l’hypothèse que, parmi les lecteurs et les auditeurs de Marc, il y avait forcément des gens qui, comme le possédé, avaient été contraints de quitter leur terre ou leur maison (à cause des conditions économiques précaires et/ou de la situation politique instable ou violente). Il renvoie à Douglas W. Geyer, Fear, Anomaly and Uncertainty in the Gospel of Mark, ATLAMS 47 (Lanham – London : Scarecrow Press, 2002), 127. 20 Sans sujet à l’accusatif : par ex. Mt 13.6 ; Lc 9.7 ; 11.8 ; 18.5 ; 23.8 ; Ac 8.11 ; 18.3 ; He 7.23. Avec le sujet du verbe : par ex. Mt 24.12 ; Lc 2.4 ; 19.11 ; Ac 4.2 ; 12.20 ; 18.2 ; 27.4, 9 ; 28.18 ; Ph 1.7 ; He 7.24 ; 10.2 ; Jc 4.2. 21 Par ex. Gn 6.3 ; Ex 16.8 ; Dt 1.27 ; 1 S 12.22 ; 1 M 10.42. 18
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qu’il n’y avait pas de terre en profondeur… parce qu’il n’y avait pas de racine »)22. En Marc 5.4, le sens de la phrase est plutôt étonnant : le fait que l’homme vive dans les sépulcres et qu’il ne puisse pas être lié (v. 3) est expliqué (įȚ IJઁ…) par les tentatives réitérées (et frustrées) de le lier et par l’impuissance des gens. On s’attendrait à ce que les tentatives d’apprivoiser le démoniaque soient justifiées par sa folie qui l’amène à vivre dans les tombeaux et à se faire des incisions. Au contraire, le narrateur insinue que l’isolement de l’homme (A-A’) est inévitable suite aux actions coercitives de ses compatriotes dont il a été l’objet (C-C’), et que l’impossibilité de le maîtriser (B) s’explique surtout par l’incapacité, voire l’impuissance, des gens de le subjuguer (B’)23. Voici la structure de ce passage (Mc 5.3–5) : A : v. 3 Ȣ IJȞ țĮIJȠȓțȘıȚȞ İੇȤİȞ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȒȝĮıȚȞ, B : țĮ Ƞį ਖȜȪıİȚ ȠțȑIJȚ ȠįİȢ ਥįȪȞĮIJȠ ĮIJઁȞ įોıĮȚ C : v. 4 įȚ ޟIJާ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜȐțȚȢ ʌȑįĮȚȢ țĮ ਖȜȪıİıȚȞ įİįȑıșĮȚ C’ : țĮ įȚİıʌȐıșĮȚ ਫ਼ʌૃ ĮIJȠ૨ IJȢ ਖȜȪıİȚȢ țĮ IJȢ ʌȑįĮȢ ıȣȞIJİIJȡijșĮȚ24, B’ : țĮ ȠįİȢ ıȤȣİȞ ĮIJઁȞ įĮȝȐıĮȚ· A’ : v. 5 țĮ įȚ ʌĮȞIJઁȢ ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȑȡĮȢ ਥȞ IJȠȢ ȝȞȒȝĮıȚȞ țĮ ਥȞ IJȠȢ ȡİıȚȞ n Ȟ țȡȐȗȦȞ țĮ țĮIJĮțȩʌIJȦȞ ਦĮȣIJઁȞ ȜȓșȠȚȢ25 La triple négation du verset 3b, Ƞį [ਖȜıİȚ] (« même pas [avec des chaînes] »), ȠțIJȚ (« plus ») et ȠįİȢ (« personne »), développe l’impuissance de ceux qui voulaient soumettre le démoniaque sur trois registres essentiels de l’action humaine : le moyen, le temps et le sujet26. La triple répétition du mot ਚȜȣıȚȢ, ainsi que le triple recours à l’imparfait (İੇȤİȞ, ȠįİȢ ਥįȞĮIJȠ, ȠįİȢ ıȤȣİȞ) « enferment [les personnages du récit] dans une situation sans issue […] »27. Le verset 5, qui semble constituer à lui seul un sous-tableau, exprime de manière encore plus radicale la situation d’isolement absolu du possédé en l’enfermant dans une dimension atemporelle (țĮ įȚ ʌĮȞIJઁȢ ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȡĮȢ) de laquelle, a priori, il ne pourra pas s’échapper. C’est dans ce mouvement […] įȚ IJઁ ȝ ȤİȚȞ ȕșȠȢ ȖોȢ… įȚ IJઁ ȝ ȤİȚȞ ૧ȗĮȞ […]. À remarquer surtout le parallélisme entre ȠįİȢ ਥįȞĮIJȠ ĮIJઁȞ įોıĮȚ (v. 3a) et ȠįİȢ ıȤȣİȞ ĮIJઁȞ įĮȝıĮȚ (v. 4d). 24 Pour Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 583, le ʌįĮȚȢ țĮ ਖȜıİıȚȞ du verset 4a, repris dans l’ordre inverse au verset 4b (IJȢ ਖȜıİȚȢ țĮ IJȢ ʌįĮȢ), donne l’impression de « serrer le lecteur ». 25 Nous remercions M. Christian Grappe d’avoir suggéré des améliorations à la structure que nous avions dégagé dans un premier temps. 26 Ainsi Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 108 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 26. 27 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 26. 22 23
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perpétuel vécu dans un espace impur et isolé (ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ țĮ ਥȞ IJȠȢ ȡİıȚȞ) que l’esprit le garde prisonnier en l’obligeant à se faire du mal luimême. C’est ici le début, encore embryonnaire assurément, d’une relation empathique entre le lecteur et le possédé de Gérasa. Chez le premier, la peur et le dégoût se mettent en relation dialectique avec une ébauche de compassion et d’espoir28. D’un point de vue narratif, il y a des éléments qui permettent d’affirmer que le narrateur conjugue à une vision d’emblée négative et sans issue de la condition du Gérasénien une perspective de libération annoncée par la portée de l’œuvre de Jésus. Dans le deuxième évangile, aussi bien le verbe ੁıȤȦ que l’adjectif ੁıȤȣȡંȢ sont révélateurs de l’identité, de l’autorité et de la mission de Jésus. Comparé à Jean le Baptiseur, Jésus est ੁıȤȣȡંIJİȡȠȢ (« le plus fort », Mc 1.7) ; et c’est lui qui peut entrer et piller la maison de l’homme fort après l’avoir lié (Satan : 3.27). Puisque ce ne sont pas les bien-portants (Ƞੂ ੁıȤȠȞIJİȢ, « les forts », 2.17) qui ont besoin d’aide, le narrateur en Marc 5.4, en informant le lecteur de l’impuissance (țĮ ȠįİȢ ıȤȣİȞ ĮIJઁȞ įĮȝıĮȚ) ressentie face à la force du démoniaque, suggère que la présence de Jésus est une opportunité pour le possédé (et les gens du pays) de recevoir enfin une aide efficace. Qui plus est, cet être humain païen victime de la puissance auto-destructrice du démon, vient d’être inclus dans la dynamique centrifuge du Royaume qui se déploie à partir du logion programmatique de 2.17 : Ƞ ȤȡİĮȞ ȤȠȣıȚȞ Ƞੂ ੁıȤȠȞIJİȢ ੁĮIJȡȠ૨ ਕȜȜૃȠੂ țĮțȢ ȤȠȞIJİȢ·Ƞț ȜșȠȞ țĮȜıĮȚ įȚțĮȠȣȢ ਕȜȜ ਖȝĮȡIJȦȜȠȢ (« les bien-portants, eux, n’ont pas besoin d’un médecin ; mais les malades, oui ; je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs »). 2.2.4 Tableau 4 : Affrontement (Mc 5.6࣓10) (6) țĮ ੁįઅȞ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ įȡĮȝİȞ țĮ ʌȡȠıİțȞȘıİȞ ĮIJ (7) țĮ țȡȟĮȢ ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ ȜȖİȚ IJ ਥȝȠ țĮ ıȠ ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ (8) ȜİȖİȞ Ȗȡ ĮIJ ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ਥț IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ (9) țĮ ਥʌȘȡઆIJĮ ĮIJંȞ IJ ȞȠȝ ıȠȚ țĮ ȜȖİȚ ĮIJ ȜİȖȚઅȞ ȞȠȝ ȝȠȚ IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ (10) țĮ ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜ ȞĮ ȝ ĮIJ ਕʌȠıIJİȜૉ ȟȦ IJોȢ ȤઆȡĮȢ (6) Et ayant distingué Jésus de loin, il se précipita et se prosterna devant lui, (7) et ayant crié avec une grande voix, il dit : « Qu’y a-t-il entre moi et toi, Jésus Fils du Dieu Très Haut ? Je t’adjure, par Dieu, ne me punis pas ! » (8) Car [Jésus] lui disait : « Sors, l’esprit impur, de l’homme ! » (9) Il [Jésus] l’interrogeait : « Quel est ton nom ? » Et il lui 28 La mention, en Mc 5.5, du fait que le démoniaque se blesse à l’aide de pierres introduit une possible dimension charitable. Camille Focant suggère que la question soulevée est « pourquoi lier un homme qui se blesse ? » Sa réponse est que l’acte pourrait trahir une volonté de le secourir : Focant, L’Évangile selon Marc, 197. Dans le même sens va la remarque de Bolt qui mentionne Celsus, un médecin romain du premier siècle, lequel préscrit de lier les fous s’ils sont violents et susceptibles de (se) blesser eux-mêmes et/ou les autres : Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 147.
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dit : « Légion [est] mon nom, car nous sommes nombreux », (10) et il le suppliait de manière pressante afin qu’il ne les bannisse pas hors du territoire.
À partir du verset 6, le narrateur reprend, après la longue parenthèse des versets 3 à 5, l’affrontement entre Jésus et le possédé, qui avait déjà été annoncé au verset 2. Pour la première fois dans le récit, le narrateur passe du telling au showing par le recours au discours direct (v. 7 à 9). Ce tableau s’ouvre avec la proposition participiale țĮ ੁįઅȞ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ (v. 6a) qui a pour fonction de maintenir la scène focalisée sur Jésus et de permettre au lecteur d’adopter le point de vue du possédé. C’est « de loin », non pas seulement dans un sens géographique, mais aussi à partir de la situation désespérée et atemporelle décrite dans le tableau précédent (notamment au v. 5), que le démoniaque distingue en Jésus une menace et une opportunité. Le Gérasénien se précipite avec une allure menaçante vers Jésus pour ensuite se prosterner devant lui (v. 6b), mais la nature de sa mimique corporelle est sujette à interprétation. L’acte de s’agenouiller devant quelqu’un n’implique pas, de manière systématique, l’adoration29. Marc n’emploie que deux fois le verbe ʌȡȠıțȣȞȦ : ici et en 15.19 (pour les soldats) : de son vivant, le Jésus marcien n’est salué avec vénération que par ses ennemis. Lorsqu’il s’agit des hommes, de soldats en l’occurrence, le contexte est celui de la moquerie. Ici, le démoniaque n’est pas ironique (cf. le ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ à la fin du verset 7) : il reconnaît l’autorité de celui devant lequel il se prosterne, mais rien ne laisse supposer que Jésus est adoré en tant que Fils de Dieu. Au contraire, la suite du récit – et notamment l’adjuration du verset 7 (ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ) – suggère que cet acte de soumission est un positionnement inévitable face au « plus fort » (cf. 1.7 et 3.27), vécu dans un esprit de résistance et d’opposition30. Au cœur de cette tension, le lecteur voit jaillir une des nombreuses questions posées par certains personnages du deuxième évangile et laissées sans réponse explicite : IJ ਥȝȠ țĮ ıȠ, ȘıȠ૨… (v. 7). La stratégie narrative de Marc demande de remplir ce blanc pour se positionner personnellement face à l’identité
29 Plusieurs verbes et expressions sont utilisés dans les évangiles pour décrire l'action de se pencher jusqu'à terre en signe de soumission et/ou de respect : ȖȠȞȣʌİIJȦ (Mc 1.40 ; 10.17 ; Mt 17.14 ; 27.29) ; ʌȡȠıțȣȞȦ (cf. Mc 5.6 ; 15.19 ; Mt 2.2, 8, 11 ; Lc 4.7–8) ; IJșȘȝȚ IJ ȖંȞĮIJĮ (Lc 22.41 ; Ac 7.60 ; 9.40 ; 20.36) ; ʌȡȠıʌʌIJȦ (Mc 3.11 ; 5.33 ; Lc 8.28, 47) ; ʌȡȠıʌʌIJȦ IJȠȢ ȖંȞĮıȚȞ (Lc 5.8) ; ʌȡȠıʌʌIJȦ ʌȡઁȢ IJȠઃȢ ʌંįĮȢ (Mc 7.25) ; ʌʌIJȦ ਥʌ ʌȡંıȦʌȠȞ (Lc 5.12). Le parallèle synoptique de Mc 1.40 (ȖȠȞȣʌİIJȦ) // Mt 8.2 (ʌȡȠıțȣȞȦ) // Lc 5.12 (ʌʌIJȦ ਥʌ ʌȡંıȦʌȠȞ) montre l’équivalence gestuelle et sémantique de ces expressions. 30 Pour Lamarche, la prostration du possédé est à la fois une nécessité et une ruse (Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 583). Dans la même veine, Boring comprend que le démon reconnaît l’autorité de Jésus – sans pour autant l’adorer – tout en le défiant : Boring, Mark, 150.
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du héros du récit31. De plus, cette locution, au caractère nettement conflictuel32, rend encore plus dramatique la tension entre la posture physique (prosternation) du possédé et ses intentions belliqueuses. Comme il arrive souvent au cours de la narration marcienne, l’identité de Jésus échappe à son entourage humain, mais est dévoilée au bénéfice du narrataire par les puissances surnaturelles (Dieu, Satan ou les démons). Lors du tout premier miracle – un exorcisme – à Capharnaüm, Jésus a été confronté à un démoniaque et reconnu par lui (1.24 : IJ ਲȝȞ țĮ ıȠ, ȘıȠ૨ ȃĮȗĮȡȘȞ; … Ƞੇį ıİ IJȢ İੇ, ਚȖȚȠȢ IJȠ૨ șİȠ૨). Cette même dynamique se reproduit maintenant en territoire non juif, où le Gérasénien le reconnaît ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ (5.7), une expression chargée de sens aussi bien dans un contexte juif que grécoromain33. Du point de vue narratif, le lecteur est confronté, une fois de plus, à 31 Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 183, où l’on cite Fowler, Let the Reader Understand, 132, note 8. Rochester, Good News at Gerasa, 136, remarque que țȡȗȦ (« crier ») se retrouve douze fois en Marc et que, souvent, il s’agit de situations qui ont une portée christologique : ainsi Edwin K. Broadhead, « A Linguistic Constellation in the Gospel of Mark », ABR 47 (1999) : 70–72. Ce sont en effet les démons qui crient (Mc 1.23 ; 3.11 ; 9.26), parfois en identifiant Jésus avec le Fils de Dieu ; ou encore les disciples, lorsqu’ils prennent Jésus pour un fantôme (6.49), des personnes qui ont besoin de la puissance du thaumaturge (9.24 ; 10.47, 48), la foule qui l’acclame (11.9) ou qui demande son exécution (15.13, 14). La seule exception semble être Mc 5.5. 32 Voir notre discussion à la page 449. 33 4Q246 (Apocalypse araméenne) mentionne un personnage qui sera appelé « grand » (I.9), « Fils de Dieu » et « Fils du Très-Haut » (II.1). Ces mêmes expressions se retrouvent en Lc 1.32–35, attribuées à Jésus. La question de l’identité du personnage dont il est question en 4Q246 est plutôt débattue. Selon Jozef T. Milik, « Les modèles araméens du livre d’Esther dans la Grotte 4 de Qumrân », RevQ 15, no 1–2 (1991) : 383, il s’agit d’un personnage hostile à Israël (en l’occurrence, Antioche Épiphane) ; pour Florentino García Martínez, Qumran and Apocalypticࣟ : Studies on the Aramaic Texts from Qumran, STDJ 9 (Leiden : Brill, 1992), 162–79, il est plutôt question d’une figure angélique ; pour Frank M. Cross, « Notes on the Doctrine of the Two Messiahs at Qumran and the Extracanonical Daniel Apocalypse (4Q246) », in Current Research and Technological Developments on the Dead Sea Scrollsࣟ : Conference on the Texts from the Judean Desert, Jerusalem, 30 April 1995, éd. par Donald W. Parry et Stephen D. Ricks (Leiden : Brill, 1996), 1–13, il s’agit d’un figure messianique qui établira le royaume de Dieu ; Joseph A. Fitzmyer, « 4Q246ௗ : The ‹Son of God› Document from Qumran », Bib 74, no 2 (1993) : 153–74, y voit plus probablement un membre de la dynastie hasmonéenne ; Martin Hengel, The Son of Godࣟ : The Origin of Christology and the History of Jewish-Hellenistic Christianity, trad. par John Bowden (Philadelphia – London : Fortress Press – SCM Press, 1976), 45, suggère, de son côté, de comprendre ce personnage comme une collectivité (le peuple juif), à l’instar de celui « semblable à un Fils d’homme » (Dn 7.13–14), la phrase ʭʔʬˆʕ ʯ ʨ५ ʕ ʍʬ ʕˇ ˑ ʰʒ ० ʕʨ ʍʬ ʕˇ (« sa domination, une domination éternelle ») se retrouvant en effet aussi bien en Dn 7.14 qu’en 4Q246 II.9, et la formule ॡˑ ʒʺ˒ʫ ʍʬ ʔʮ ʭʬड़ʔ ˆʕ ʺ˒ ४ʫ ʍʬ ʔʮ (« son royaume, un royaume éternel ») étant présente tant en Dn 7.27 qu’en 4Q246 II.5 : voir Jin Yang Kim, « 4Q246ௗ : 4QAramaic Apocalypse », Old Testament Story (blog), 27 février 2008, https://otstory.wordpress.com/2008/02/27/4q246-4qaramaic-apocalypse/, consulté le 11 juillet 2016, et aussi Karl A. Kuhn, « The ‹One like a Son of Man› Becomes
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la nature ambiguë de l’interaction entre Jésus et le démoniaque. Il y a, bien évidemment, un dévoilement christologique en phase avec les déclarations sur la nature de Jésus émanant de sources fiables (1.1 : narrateur ; 1.11 : Dieu) et visant à susciter et informer la foi du lecteur. De même, cette révélation n’est à la portée ni des disciples (cf. 4.41) ni des autorités juives (cf. 3.22)34. Cette déclaration répond de manière directe à la question posée (mais laissée sans réponse) par les disciples en 4.41, à l’issue de l’apaisement de la tempête par Jésus. Le lecteur se retrouve ainsi déboussolé : tout d’abord, son point d’ancrage empathique narratif, à savoir les disciples, disparaît ; ensuite, c’est de la bouche d’un démoniaque que sort la vérité sur l’identité Jésus, à laquelle le lecteur est appelé à adhérer. À ce dévoilement correspond, néanmoins, comme en 1.24, la méfiance et l’hostilité du démoniaque qui n’est pas en train de proclamer une profession de foi mais plutôt de déployer une stratégie d’affaiblissement de son adversaire35. En effet, non sans ironie, le démoniaque invoque le nom du Dieu qui a reconnu en Jésus son Fils (1.11) et prononce une formule exorcistique (5.7 : ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ) dont la finalité espérée est de « lier » Jésus. Tout comme il a réussi à se libérer des chaînes qui lui avaient été imposées par les hommes (v. 3–4), ainsi veut-il échapper à l’autorité, pourtant reconnue et subie, du Fils du Dieu Très Haut36.
the ‹Son of God› », CBQ 69, no 1 (2007) : 22–42. Du point de vue gréco-romain, Zeus, dont un temple existait à Gérasa au moins à partir du début du Ier siècle, était aussi appelé « TrèsHaut » : Carl H. Kraeling, Gerasaࣟ: City of the Decapolis. An Account Embodying the Record of a Joint Excavation Conducted by Yale University and the British School of Archaeology in Jerusalem (1928–1930), and Yale University and the American Schools of Oriental Research (1930–1931, 1933–1934) (New Haven : American Schools of Oriental Research, 1938), 373–74, cité par Collins, Mark. A Commentary, 268. Voir aussi Adela Y. Collins, « Mark and His Readersௗ: The Son of God among Greeks and Romans », HTR 93, no 2 (2000) : 85–100. 34 P. Lamarche remarque, à juste titre, qu’en Marc le dévoilement de l’identité de Jésus pour le lecteur s’opère aussi dans des contextes de dérision malveillante et de menace : 14.65 (les soldats l’appellent « prophète ») ; 15.17–18 (couronné, mais avec des épines) ; 15.29 (reconstruction du « sanctuaire » en trois jours). Ce que Dieu (1.11 ; 9.7) et les démons (3.11 ; 5.7) savent ne sera perçu qu’à l’heure de la mort humiliante de Jésus, par un païen de surcroît (15.39) : Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 584, note 6. 35 Ainsi aussi Camery-Hoggatt, Irony in Mark’s Gospel, 103–6, 137 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 144 ; Rochester, Good News at Gerasa, 136–37 ; Moloney, Mark, 103 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 198. 36 Plusieurs auteurs reconnaissent en ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ (Mc 5.7) une formule exorcistique : voir par exemple Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 34 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 143 ; France, Mark, 228 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 197 ; Bonifacio, Personaggi minori, 108. Plus nuancée est la position de Lamarche, lequel y voit une « subtile menace » : Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 584. D’autres auteurs ignorent complétement cette dimension, songeant plutôt à une expression dont le but serait sim-
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La reconnaissance qui a lieu au verset 7 (ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ) ne relève pas de l’initiative de l’homme, mais du démon (cf. 3.11). On doit affirmer la même chose pour la supplique qu’exprime la suite de la phrase : la tentative d’amadouer l’exorciste (ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ) et la demande de ne pas être torturé (ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ). Il s’ensuit que la dimension ironique du texte – les démons qui tourmentent le Gérasénien, et qui implorent de ne pas être affligés à leur tour37– se conjugue à la dimension eschatologique : la manifestation du Fils de Dieu est synonyme de la perte des démons (cf. 1.24) dont le jugement s’effectue déjà par le tourment punitif auquel il les destine38. Le narrateur introduit, au verset 8 du récit de Marc 5, une déchronologie qui n’a pas laissé indifférents les exégètes. L’ordre d’expulsion (ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ਥț IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ), plutôt typique (1.25 ; 9.25 ; cf. 7.29), est introduit ici par un imparfait (ȜİȖİȞ Ȗȡ ĮIJ), ce qui a été considéré problématique par certains. Taylor – et les auteurs qui le suivent – propose de lire l’imparfait (« car il disait ») comme ayant le sens d’un plus-que-parfait (« car il avait dit »), ce qui implique que Jésus aurait sommé (une seule fois, selon Taylor) le démon de sortir, et cela déjà avant la réaction du possédé décrite au verset 739. Il est, cependant, plus judicieux de respecter cette aspérité du texte et de la mettre en valeur en tant que partie intégrante de la stratégie narrative du rédacteur. Il est vrai que ȜİȖİȞ Ȗȡ ĮIJ (v. 8a) est une clause explicative dont le but est d’apporter des informations complémentaires au lecteur40. Ce procédé est utilisé à d’autres reprises par Marc, avec le verbe à l’aoriste (par exemple en plement de rendre plus forte et dramatique la demande soit des démons de ne pas être tourmenté [Rochester, Good News at Gerasa, 138, en suivant William L. Lane, The Gospel According to Mark, 1e éd. 1974, NICNT (Grand Rapids : Eerdmans, 1990), 184], soit du démoniaque de ne plus être exposé aux souffrances endurées dans le passé [Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 144]. 37 Philostrate rapporte le récit d’un ijȐıȝĮ (« apparition ») – en l’occurrence une Empuse, un démon prenant l’apparence d’une femme séduisante pour se nourrir de la chair et du sang des hommes piégés – qui implore en pleurant Apollonius de ne pas le tourmenter (įĮțȡȪȠȞIJȚ ਥțİȚ IJઁ ijȐıȝĮ țĮ ਥįİIJȠ ȝ ȕĮıĮȞȓȗİȚȞ ĮIJȩ) pour lui faire avouer sa véritable identité (Vit. Apoll. 4.25). Dans Mc 5.1–7, l’ironie des propos du démon qui tourmente l’homme et demande de ne pas l’être à son tour, est aussi relevée par Witherington, The Gospel of Mark, 182 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 198. 38 Voir infra, p. 302–305. Cf. Ap 20.10 ; Za 13.2 LXX ; 1 Hén. 16.1 ; 1QS 4.11, 19, 26. Ainsi aussi Rochester, Good News at Gerasa, 137. 39 Taylor, Saint Mark, 281. Voir aussi Zerwick, Analysis Philologica, 89 ; Lane, Mark, 184 ; Bonifacio, Personaggi minori, 107 ; Torchia, « Eschatological Elements », 15. 40 Ainsi aussi Torchia, « Eschatological Elements », 6 ; Aus, My Name is « Legion », 37– 38 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 198 ; Boring, Mark, 149 ; Collins, Mark. A Commentary, 268 ; Bonifacio, Personaggi minori, 106 ; Elizabeth Struthers Malbon, Mark’s Jesus : Characterization as Narrative Christology (Waco : Baylor University Press, 2009), 81 ; Rochester, Good News at Gerasa, 134 ; Moloney, Mark, 103. Voir Jg 13.16b ; 14.4 ; 16.12b.
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1.38 et 3.10) ou à l’imparfait (2.15 ; 5.28 et 6.18). Or, le choix du temps verbal relève des intentions de l’auteur. Lorsqu’il recourt à l’imparfait, il le fait précisément pour illustrer le caractère continu et répété de l’action : une action qui a bien commencé avant l’événement relaté, mais qui ne cesse pas pour autant d’être opérationnelle pendant l’événement lui-même41. En Marc 2.15, Jésus est à table chez Lévi avec beaucoup de collecteurs de taxe et de pécheurs « car ils étaient nombreux et ils le suivaient » (ıĮȞ Ȗȡ ʌȠȜȜȠ țĮ țȠȜȠșȠȣȞ ĮIJ). De même, en Marc 5.28, la femme à l’écoulement de sang touche le vêtement de Jésus « car elle [se] disait » (ȜİȖİȞ Ȗȡ) qu’elle serait sauvée. Dans ces deux cas, l’emploi de l’imparfait souligne qu’il s’agit bien d’un état ou d’une action qui perdure pendant l’épisode narré (idem en 6.18). Certes, le fait de positionner la clause explicative après l’action principale déplace l’accent de la motivation à l’événement. Dans le cas de Marc 5.6–10, le narrateur veut mettre en valeur, par l’aoriste du verset 6 (ʌȡȠıİțȞȘıİȞ ĮIJ) et le présent du verset 7 (ȜȖİȚ), la dynamique de l’affrontement entre Jésus et le possédé et la réponse de ce dernier aux tentatives de Jésus de l’exorciser pour mieux faire ressortir la portée christologique de l’exclamation du démon. Cela dit, il faudra également apprécier la double portée de l’emploi de l’imparfait dans la longue clause de Marc 5.8–10 (ȜİȖİȞ Ȗȡ ĮIJ… țĮ ਥʌȘȡઆIJĮ ĮIJંȞ… țĮ ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJંȞ…)42. Tout d’abord, il est évident que Légion résiste aux tentatives répétées de Jésus de le chasser43. La résistance du démon ne fera qu’amplifier et rendre plus spectaculaire la victoire de l’exorciste44. De plus, l’efficacité de l’exorcisme de Jésus n’est pas déterminée par sa connaissance du nom du démon ou de l’entité (ange ou divinité) que ce dernier craint45. En fait, et de manière ironique, le narrateur montre que le démon en sait plus
41 Lamarche remarque le fait que, pour le verbe « supplier » aussi, Marc recourt à l’imparfait (Mc 5.10 : ʌĮȡİțȜİȚ) et à l’aoriste (v. 12 : ʌĮȡİțȜİıĮȞ) à bon escient : Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 585. 42 On pourrait être amené à partager le segment de Mc 5.6–10 en deux tableaux, à savoir les versets 6–8 (où le verset 8 explique le pourquoi de l’adjuration du verset 6) et les versets 9–10 (où on assiste au dévoilement de l’identité du démon et à sa supplication de ne pas quitter le territoire). Nous préférons, néanmoins, garder le découpage actuel car, dans les versets 6–10, il n’y a changement ni de personnages, ni de lieu. Qui plus est, l’emploi de verbes à l’imparfait dans les propositions principales des versets 8 à 10, au cœur desquels se trouve la révélation, au présent, de l’identité du démon (9b : țĮ ȜȖİȚ ĮIJ· ȜİȖȚઅȞ ȞȠȝ ȝȠȚ, IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ) montre qu’il s’agit d’une clause explicative complexe mais indivisible qui doit être appréciée dans son ensemble. 43 Ainsi aussi, entre autres, Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 585 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 34 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 143. 44 Voir Gundry, Mark, 251. Pour Carpino, « The Gerasene Demoniac », 17, puisque, en Mc 3.22, Jésus est accusé de chasser les démons à l’aide de Béelzéboul, 5.8 devrait aussi dissiper le possible malentendu que la prosternation du verset 7 aurait pu provoquer. 45 Cf. T. Sal. 10 ; 19 ; 24 ; 29 et infra, p. 276.
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sur l’identité de Jésus (verset 7 : ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ) que ce dernier sur le démon (verset 9 : IJ ȞȠȝ ıȠȚ;)46. Le pouvoir du Fils de Dieu ne réside pas non plus dans son éventuelle connaissance du nombre des esprits impurs qu’il est en train d’affronter (dimension technique et cognitive), mais dans son onction divine (1.11, dimension ontologique). Le lecteur est ainsi déconstruit dans sa compréhension de l’action irrésistible de Dieu en Jésus, car les œuvres du Jésus marcien se déploient parfois de manière dissymétrique et surprenante. L’opposition au déploiement du Royaume à l’initiative de Dieu (et par son envoyé) est bien réelle et il ne faut pas la sousestimer, surtout en fonction de la suite du macro-récit. Il se trouve en effet que, à cause de l’incompréhension et du manque de foi de ses compatriotes, le Jésus marcien « ne pouvait faire aucune œuvre puissante », en dehors de quelques guérisons (6.5). Lors de son passage à Bethsaïda, il guérit un aveugle par un processus en deux temps (8.22–26), l’acte symbolique visant à montrer la vision encore floue que ses disciples ont de lui et la nécessité d’intégrer à la notion de Messie victorieux celle de Fils de l’Homme souffrant (8.27–33). De même, l’exorcisme de Gérasa vient souligner la formidable puissance à laquelle il s’oppose et qu’il vaincra, mais en son temps et avec des modalités surprenantes. Le verset 9 introduit un élément important qui éclaire le lecteur sur la raison sous-jacente à la difficulté de l’expulsion. Jésus est ici confronté à une « formidable puissance organisée » qui exerce toute sa « force de division et de désagrégation... chez le possédé »47. La question de Jésus et la réponse de Légion sont liées par des assonances qui rythment la phrase (v. 9bc) :
46 Par ses actions répétées et sans solution dans l’immédiat, par la supériorité cognitive manifestée par le démon face à l’exorciste, par la résistance de l’esprit face à l’ordre de partir et par son attachement au territoire païen dans lequel Jésus se retrouve, le récit annonce un affrontement compliqué. Pour le dire avec Lamarche : « l’affaire est mal engagée ! » : Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 585. 47 Ainsi Lamarche, 585, qui renvoie, à la note 10, au texte de Mt 26.53 (« légions d’anges »). Pour Lane, Mark, 184–85, repris ensuite par Moloney, Mark, 103, le mot « légion » a bien évidemment une connotation militaire péjorative à cause de la domination romaine, mais, à la base, il doit être compris comme désignant un « groupe nombreux », car son emploi était fort répondu, aussi bien en latin qu’en grec et araméen, dans tout le bassin de la Méditerranée. Fameux est le commentaire de Calvin par rapport à Mc 5.9 : « Christ a contraint le diable a lascher ce mot, afin de mieux monstrer la grandeur & excellence de sa grace. Une punition si rude & estrange n’estoit pas advenue sans cause a cest homme, qu’il y eust en luy comme une gendarmerie de diables » (soulignement de notre fait) : Jean Calvin, Concordance qu’on appelle Harmonie, composée de trois Évangélistes, asçavoir S. Matthieu, S. Marc et S. Luc. Item, l’Évangile selon sainct Jehan. Le tout avec commentaires de M. Jehan Calvin (Genève : Conrad Badius, 1555), 192.
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IJ ȞȠȝ ıȠȚ; țĮ ȜȖİȚ ĮIJ ȜİȖȚઅȞ ȞȠȝ ȝȠȚ Au cœur de cette construction se situe la paronomase ȜȖİȚ / ȜİȖȚઆȞ : le conflit concerne aussi la dimension de la parole et du discours. La suite du récit déplacera en effet l’accent de l’exorcisme au profit du rôle de la parole : c’est par des propos témoignant d’une forme de méprise ou d’une déformation de la réalité que Jésus sera chassé du territoire (v. 14 : ਕʌĮȖȖȜȜȦ ; v. 16 : įȚȘȖȠȝĮȚ), et ce sera par une parole proclamée (v. 19 : ਕʌĮȖȖȜȜȦ ; v. 20 : țȘȡııȦ) que tous s’étonneront au sujet de son action (v. 20b : țĮ ʌȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ)48. Que le conflit entre l’exorciste et Légion dépasse le simple cadre de la possession du Gérasénien est évident par la demande – réitérée (țĮ ʌĮȡİțȜİȚ [imparfait !] ĮIJંȞ) – des démons de ne pas être bannis du territoire (v. 10). Légion est particulièrement attaché au territoire plutôt qu’à l’homme possédé. Tout comme cela a été annoncé en 3.23–27, Jésus ne se contente pas de libérer des individus, mais son action vise plutôt à envahir le « royaume » (3.24 : ȕĮıȚȜİĮ) et la « maison » (3.25 et 27 : ȠੁțĮ) de l’homme fort, à le « lier » (3.27 : įȦ) pour l’empêcher de continuer de nuire49. Un dernier élément qui mérite d’être analysé dans ce tableau est la nature du rapport instauré entre l’ਙȞșȡȦʌȠȢ de Gérasa (5.2, 8) et ses tourmenteurs surnaturels en relation à la liberté d’expression du premier. Il est important de remarquer que, dans l’exorcisme de Marc 1.21–28, le lecteur comprend, sans ambiguïté, que c’est l’esprit impur qui parle par l’entremise du possédé. Le cri du verset 23 est réinterprété à la lumière des pronoms personnels au pluriel de l’exclamation qui s’ensuit (v. 24: IJ ਲȝȞ țĮ ıȠ… ȜșİȢ ਕʌȠȜıĮȚ ਲȝ઼Ȣ) : il s’agit d’une parole – et d’un cri – émanant d’une entité qui se rattache à une collectivité mise en danger, voire en déroute, par l’avènement du Fils de Dieu : Satan (cf. 1.12–13) et ses acolytes. Qui plus est, Jésus s’adresse directement au démon au verset suivant, en lui ordonnant de sortir de sa victime : ijȚȝઆșȘIJȚ țĮ ȟİȜșİ ਥȟ ĮIJȠ૨ (v. 25). Plus complexe semble être la situation du démoniaque de Gérasa. Le narrateur, aux versets 2 à 5, se focalise exclusivement sur l’homme possédé, sa condition et son drame. Ensuite, à partir du verset 6, une certaine incertitude s’installe chez le lecteur au sujet du véritable interlocuteur de Jésus : ce dernier 48 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 28–30, qui discerne une paronomase intentionnelle dans la proximité phonique et spatiale entre les mots ȜȖİȚ et ȜİȖȚઆȞ en Mc 5.9, la comprend comme une tentative de dénoncer la « perversion de la parole quand elle est infiltrée, occupée par une puissance étrangère ». 49 Pour Moloney, Mark, 103, note 167, l’expression ȞĮ ȝ ĮIJ ਕʌȠıIJİȜૉ ȟȦ IJોȢ ȤઆȡĮȢ (v. 10) est à comprendre dans le sens d’une requête concernant la « liberté de mouvement », ȤઆȡĮ étant entendu en tant qu’« espace » plutôt que « territoire ».
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s’adresse-t-il à l’homme ou aux démons ? Est-ce le Gérasénien qui se prosterne, crie et supplie l’exorciste, ou sont-ce plutôt les esprits impurs qui lui imposent des actions et s’expriment par sa voix ?50 Plusieurs commentateurs ont relevé chez Marc l’intention de jouer sur le registre de l’ambiguïté. Pour Marcus, Rochester et Focant, les versets 6 à 10 font état d’un « curieux mélange de fascination et de rejet »51 : le démoniaque demeurerait conscient de son drame et se dirigerait vers Jésus pour chercher de l’aide, tandis que les esprits exploiteraient cet élan pour duper l’exorciste52. La prétendue confusion dans laquelle vit le Gérasénien serait ensuite narrativement exprimée par l’alternance des pronoms personnels au singulier et au pluriel. L’affirmation ȜİȖȚઅȞ ȞȠȝ ȝȠȚ, IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ (5.9) et la remarque țĮ ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJંȞ… ȞĮ ȝ ĮIJ ਕʌȠıIJİȜૉ (v. 10), où l’on remarquera le passage du singulier (« mon nom » et « il le suppliait ») au pluriel (« nous sommes beaucoup » et « ne pas les envoyer »), sont comprises comme les reflets emblématiques de la condition d’homme déchiré du possédé qui s’exprime au singulier mais dont la parole et la volonté sont mêlées, ou plutôt intégrées à celles des démons53. Il est néanmoins possible, voire préférable, d’adopter une autre lecture du texte. Tout d’abord, le portrait que le narrateur dresse du démoniaque aux versets 2 à 5 montre fort bien que l’homme est victime de l’esprit impur et que les gestes qui lui sont attribués relèvent de la force surnaturelle (v. 4) et des intentions destructrices (v. 5) de ce dernier. Ensuite, le verset 6 montre que l’homme identifie en Jésus un personnage puissant et le verset 7 atteste clairement que la parole qui sort de la bouche du possédé n’est rien d’autre que l’expression de la connaissance démoniaque de l’identité de Jésus54 : éléments qui échappent au Gérasénien en tant que tels mais dont les esprits sont au courant (cf. 50 Ainsi, par exemple, Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 584 ; Rochester, Good News at Gerasa, 150 ; Nolland, Luke 1–9:20, 408–10. 51 Expression de Focant, L’Évangile selon Marc, 197–98. Voir aussi Marcus, Mark 1–8, 350 ; Rochester, Good News at Gerasa, 134–35. Pour Taylor, Saint Mark, 281, il n’est guère possible de distinguer la parole du démon de celle de l’homme ; Moloney, Mark, 103, voit plutôt une transition entre les actions du Gérasénien (v. 1–5) et l’initiative des démons (v. 6–10). 52 Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 110 : « le possédé cherche par sa parole à s’opposer alors même que son corps exprime la soumission, à assurer une distance là où son corps dessine la proximité ». 53 Hooker, Mark, 143. Dans la même veine, Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 30, pour laquelle l’alternance des pronoms et des verbes au singulier et au pluriel est « un symptôme même de la désintégration de la personnalité quand l’un est envahi par le multiple ». 54 Avec Collins, Mark. A Commentary, 267, on remarquera que, puisque Mc 5.3–5 montre que l’homme ne contrôle pas son propre corps, les actions des versets 6 et 7 sont aussi à attribuer au vouloir des démons. Theissen, The Miracle Stories, 57, attribue aussi la prosternation aux démons : pour lui, il s’agit de leur « capitulation » face à Jésus. Rochester, Good
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1.24). En continuant la lecture du récit, le verset 8 affirme explicitement que Jésus s’adresse directement à l’esprit impur, ce qui, à la lumière de 1.24, 34 et 3.11, confirme que le cri et les paroles du verset précédent relèvent du démon, et non du Gérasénien. La question de Jésus rapportée au verset 9 est adressée à l’esprit, et c’est l’esprit qui lui répond. La juxtaposition entre le singulier et le pluriel dans la réplique du démon (ȜİȖȚઅȞ ȞȠȝ ȝȠȚ, IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ) s’explique moins par la confusion de l’homme que par « la pluralité et l’unité de la force spirituelle impure à laquelle Jésus est confronté »55 : déjà lors de son premier exorcisme, Jésus est confronté à un esprit impur qui s’exprime de manière semblable : IJ ਲȝȞ (plur.) țĮ ıȠ…; ȜșİȢ ਕʌȠȜıĮȚ ਲȝ઼Ȣ (plur.); Ƞੇį (sing.) ıİ IJȢ İੇ… » (1.24). Nous retrouvons un cas analogue chez Lucien, Philopseudes 16 (IIe siècle). Ce texte décrit le modus operandi d’un exorciste, appelé « le Syrien de Palestine ». Ce dernier demande « d’où/comment sont entrés [les démons] dans le corps [de l’homme] » (șİȞ İੁıİȜȘȜȪșĮıȚȞ [pluriel] İੁȢ IJઁ ıȝĮ [singulier]), mais la suite précise que le patient garde le silence ( ȝȞ ȞȠıȞ ĮIJઁȢ ıȚȦʌઽ), tandis que seul le démon ( įĮȓȝȦȞ [singulier]) répond, en grec ou en barbare, pour expliquer qui il est, d’où il vient, et comment il est entré dans le corps de cet homme. On remarquera notamment deux éléments-clés : tout d’abord, chez Lucien comme chez Marc, c’est le démon qui s’exprime et c’est à lui que l’exorciste s’adresse, même si la voix doit sortir de la bouche de l’homme, considéré en l’occurrence comme « muet », au sens d’« absent », au niveau de l’interaction ; ensuite, on relève la même alternance entre le singulier et le pluriel pour se référer à la même entité, sans pour autant suggérer une « confusion » entre le possédé et l’esprit malveillant. Il reste enfin à comprendre le verset 10. L’imparfait indicatif actif du verbe ʌĮȡĮțĮȜȦ est ici à la troisième personne du singulier : ʌĮȡİțȜİȚ. En l’état, puisque le pronom subjectif est absent, il pourrait exprimer l’action d’un sujet neutre pluriel56. Cependant, lorsque l’on regarde les antécédents auxquels le verbe pourrait se rattacher, on relèvera le pronom personnel masculin ĮIJ (v.
News at Gerasa, 134, tout en reconnaissant que cette prostration devant le Jésus marcien rappelle celle de 3.11 et que, dans les deux occasions, il s’agit d’un acte accompagné du dévoilement de l’identité de Jésus en tant que Fils de Dieu, voit dans ce geste révérencieux du Gérasénien l’expression d’un acte de foi : « It is reasonable to see the demoniac’s similar approach to Jesus in the present pericope as a genuine action of the man, expressing some degree of faith ». S’il est vrai que les guérisons s’opèrent en Marc dans un contexte de foi (voir 1.40 et 5.36 ; mais cf. 6.5–6), il est tout aussi vrai qu’ici il s’agit d’un exorcisme, et que ces derniers ont souvent la fonction de la susciter : 1.27–28 ; 5.18–20 ; 9.22–24. 55 Ainsi Focant, L’Évangile selon Marc, 198, explique le passage du singulier au pluriel aux versets 10 (ʌĮȡİțȜİȚ) et 12 (ʌĮȡİțȜİıĮȞ). 56 Déjà remarqué, entre autres, par Taylor, Saint Mark, 281 ; Boring, Mark, 149.
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8)57, le substantif neutre singulier IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ (v. 8), le pronom personnel masculin singulier ĮIJંȞ (v. 9), le substantif féminin singulier ȜİȖȚઆȞ (v. 9) et l’adjectif masculin pluriel ʌȠȜȜȠ (v. 9). Force est de constater l’absence d’antécédents neutres pluriels. Le seul neutre pluriel de la section se trouve à la fin du verset 10 (ʌȠȜȜ : un adjectif), mais rien ne nous indique qu’il est à prendre aussi dans le sens du sujet sous-entendu du verbe ʌĮȡĮțĮȜȦ. Au contraire, cette lecture est exclue lorsque l’on constate que Marc n’hésitera pas, dans le même récit, à recourir à la forme plurielle du verbe même si le sujet est neutre : țĮ ਥȟİȜșંȞIJĮ IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ İੁıોȜșȠȞ İੁȢ IJȠઃȢ ȤȠȡȠȣȢ (v. 13)58. C’est donc en appréciant la structure du passage et son contexte que le sens du texte devient évident. Au niveau structurel, on remarquera l’alternance du nombre qui crée un parallélisme bien équilibré : (v. 9b) ȜİȖȚઅȞ ȞȠȝ ȝȠȚ (sing.) IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ (plur.) (v. 10) țĮ ʌĮȡİțȜİȚ (sing.) ĮIJઁȞ ʌȠȜȜ ȞĮ ȝ ĮIJ (plur.) ਕʌȠıIJİȜૉ ȟȦ IJોȢ ȤઆȡĮȢ Le narrateur suggère donc d’identifier en Légion, entité composite et pourtant unifiée, le sujet du premier verbe du verset 10. Concernant le contexte, puisque l’homme est assujetti à l’emprise des forces démoniaques qui l’obligent à se plier à leurs exigences (cf. 1.26 ; 9.18, 26), il est naturel que le narrateur fasse alterner les formes singulières et plurielles des pronoms et des verbes. Ceci pour montrer au lecteur que ce qui sort de la bouche de l’homme et ce qui s’exprime par sa voix, ainsi que sa mimique corporelle, ne sont rien d’autre que l’émanation de la volonté et de la parole de l’identité multiple qui le contrôle. L’ਙȞșȡȦʌȠȢ est introduit au verset 2, mais très vite le lecteur comprend qu’il est prisonnier et aliéné à cause de la possession dont il est victime et qu’il s’efface rapidement pour laisser toute la place au démon. Jésus affronte l’entité démoniaque pour lui disputer cet homme (le substantif revient au verset 8 : ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ਥț IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ), le vrai duel se déployant entre l’exorciste et l’esprit impur. Puisque la possession n’est pas envisagée en
57 Le pronom personnel ĮIJ pourrait aussi être compris comme un datif neutre. Toutefois, il n’est pas nécessaire que ce soit le cas ici en 5.9, même si Jésus s’adresse, comme nous le pensons, directement au démon. En Mc 5.9, Jésus s’adresse à « lui » (ĮIJંȞ, masculin), et Légion déclare sa nature multiple à l’aide d’un adjectif masculin (ʌȠȜȜȠ). Ces « beaucoup » s’adressent à Jésus et Marc utilise la forme masculine du participe (ȜȖȠȞIJİȢ, v. 12). De même, en Mc 3.11, le narrateur utilise le participe masculin ȜȖȠȞIJİȢ pour introduire la déclaration des « esprits impurs », alors que le substantif « esprits » et l’adjectif « impurs » sont neutres (IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ). Voir aussi Mc 9.20 : țĮ ੁįઅȞ [masc.] ĮIJઁȞ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ [neutre]. Rochester, Good News at Gerasa, 142. 58 Remarqué par France, Mark, 230.
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tant qu’état psychologique, mais plutôt comme une véritable « occupation »59, ce que le narrateur met en exergue ici est moins la confusion de l’homme que le fait qu’il est réduit à l’état d’objet par Légion. Ce n’est que lorsque Jésus l’aura libéré que l’ਙȞșȡȦʌȠȢ affranchi, désigné par les expressions IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ (5.15) et įĮȚȝȠȞȚıșİȢ (v. 18) pour souligner la nature de l’esclavage duquel il a été libéré, sera à nouveau sujet, maître de ses choix et de ses paroles, et que Jésus pourra véritablement interagir avec lui. Jusqu’ici le narrateur montre en savoir plus que le personnage principal : il est au courant des lieux habités par le démoniaque, des tentatives réitérées et vaines de le maitriser, des blessures qu’il s’inflige sous l’emprise des démons. Cependant, le dialogue entamé entre Jésus et le démoniaque montre bien que certaines informations, comme la nature multiple de l’esprit impur et son nom, sont révélées au lecteur en même temps que le personnage principal les découvre. Ce tableau, d’une complexité remarquable, annonce par avance au lecteur que l’affrontement aux accents eschatologiques entre Jésus – dont le point de vue a été maintenant aligné avec celui du lecteur implicite – et Légion se jouera, dans la suite du récit, sur le registre de l’ironie, du paradoxe, de l’excès et de la déconstruction. 2.2.5 Tableau 5 : Un troupeau de cochons (Mc 5.11) (11) Ȟ į ਥțİ ʌȡઁȢ IJ ȡİȚ ਕȖȜȘ ȤȠȡȦȞ ȝİȖȜȘ ȕȠıțȠȝȞȘ (11) Un grand troupeau de cochons était près de la montagne, en train de paître.
Après l’enchaînement des verbes à l’imparfait du tableau précédent (v. 8 : ȜİȖİȞ ; v. 9 : ਥʌȘȡઆIJĮ ; v. 10 : ʌĮȡİțȜİȚ), ce tableau est introduit par un autre imparfait (v. 11 : Ȟ). Il y a néanmoins une différence importante entre la scène des versets 6–10 et celle-ci : il y a le double changement de lieu (v. 11 : ʌȡઁȢ IJ ȡİȚ) et de personnages (ਕȖȜȘ ȤȠȡȦȞ). Si le recours à l’imparfait dans le tableau 4 avait pour fonction de montrer la résistance de Légion face à Jésus, ici le même temps verbal assume un autre rôle. L’attention du lecteur est détournée du dialogue conflictuel de révélation pour être réorientée vers l’introduction d’une nouvelle entité qui était déjà sur place, ce qui explique l’imparfait, et qui pourtant avait été jusque-là ignorée : un troupeau de cochons en train de paître près de la montagne. Il est important de remarquer qu’au verset 5 le démoniaque est décrit en tant que captif aliéné, reclus dans une dimension temporelle sans issue (įȚ ʌĮȞIJઁȢ ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȡĮȢ), situé géographiquement dans des lieux impurs et inhospitaliers (ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ țĮ ਥȞ IJȠȢ ȡİıȚȞ). Dans cet isolement absolu, le narrateur recourt au pluriel « les montagnes ».
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Ainsi France, 230.
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Au verset 11, par contre, lorsqu’il ne s’agit plus de faire référence aux lieux de son errement tourmenté, mais plutôt de dessiner le cadre de l’action libératrice opérée par Jésus à son égard, le narrateur emploie le singulier « la montagne ». Du point de vue narratif, le lecteur implicite sait que la « montagne » a déjà joué un rôle important dans l’intrigue de l’évangile de Marc. La toute première fois qu’elle apparaît dans le deuxième évangile, elle est le théâtre d’un événement fondateur. C’est le lieu où Jésus « appelle ceux qu’il voulait » (3.13 : ʌȡȠıțĮȜİIJĮȚ ȠȢ ਵșİȜİȞ ĮIJંȢ), où il établit les Douze (v. 14 : țĮ ਥʌȠȘıİȞ įઆįİțĮ)60 afin qu’ils soient « avec lui » (ȝİIJૃĮIJȠ૨) et pour les envoyer proclamer (ਕʌȠıIJȜȜૉ ĮIJȠઃȢ țȘȡııİȚȞ) et chasser les démons (v. 15 : ਥțȕȜȜİȚȞ IJ įĮȚȝંȞȚĮ). Dès lors, la présence de la « montagne » dans cette première incursion de Jésus en territoire païen suggère au lecteur implicite, en quelque sorte, un rapprochement entre l’acte fondateur du chapitre 3 et la rencontre entre Jésus et le Gérasénien au chapitre 5. En Décapole aussi, il est question de chasser les démons, de vouloir être avec Jésus (5.18 : ȝİIJૃĮIJȠ૨) et de partir proclamer (v. 20 : ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ ਥȞ IJૌ ǻİțĮʌંȜİȚ). Mais cette fois l’envoyé est un non-Juif. En revenant au déploiement du récit, il est nécessaire néanmoins, pour le lecteur implicite, d’appréhender la portée de la présence des nombreux cochons en train de paître. Quel est son sentiment face à ce troupeau ? D’un point de vue juif, le cochon vivant n’est pas en soi un être impur : seul son cadavre (interdiction de le toucher : Dt 14.8) et sa chair (interdiction de s’en nourrir : Lv 11.6–8 ; Dt 14.8) font l’objet de lois spécifiques. Cependant, le cochon demeure dans l’imaginaire collectif d’Israël un animal associé à l’impureté et à l’idolâtrie (voir Es. 65.4 ; 66.3, 17 ; Mt 7.6 ; 2 P 2.22) et, de manière générale, aux non-Juifs61. Le lecteur implicite établit alors une association d’idées paradoxales : la notion d’impureté qui imprègne le début du récit au niveau tant anthropologique (possession par des esprits « impurs »), que de l’habitat (tombeaux) et de l’environnement (cochons), se heurte à la symbolique de la « montagne » marcienne qui, elle, est un lieu privilégié de communion et de révélation (voir aussi Mc 6.46 ; 9.2 ; 14.26). Cette tension entre les deux pôles sémantiques demande une résolution et ce sera justement par la disparition en 60
Pour Luc aussi, le choix des Douze se fait sur la montagne (Lc 6.12–16), mais ce n’est pas le cas pour Matthieu (10.1–4). Pour ce dernier, les Douze sont établis après l’exorcisme de Gadara/Gérasa et il renonce aux liens narratifs marciens entre ces deux événements. 61 Voir m. B. Qam. 7.7 : « les cochons ne doivent être élevés nulle part par les Juifs ». Signalé par Moloney, Mark, 104. Witherington, The Gospel of Mark, 179, rappelle que l’obligation, pour les Juifs, de sacrifier et de manger des cochons a été une partie non négligeable de la stratégie (vouée à l’échec) d’Antiochos IV Epiphane (règne : 175–163 av. J.C.) pour les assujettir en les hellénisant de force : voir 1 M 1.47 ; 2 M 6.2–5 ; 6.18–7.42. Dans l’Apocalypse des Animaux, les sangliers et les cochons représentaraient les Édomites et les Amalécites ou les Édomites et les Samaritains : Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 124, 129.
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mer du troupeau de cochons, et avec eux des esprits impurs, que le « sens traditionnel » donné par Marc à la « montagne » sera réaffirmé62. Le ton déstructurant de ce tableau est aussi manifeste lorsque l’on réalise que la possibilité de dépasser les deux situations sans issue des scènes précédentes, à savoir la condition désespérée du possédé (notamment Mc 5.5) et l’affrontement entre Jésus et Légion qui n’arrive pas à se dénouer (surtout les v. 8–10), est offerte par la présence d’animaux impurs près de la montagne. Ici, le point de vue du narrateur, du héros et de l’opposant se fondent pour se focaliser sur le même constat : des cochons sont à proximité. Le lecteur contemple, avec les autres instances narratives (la voix narrative, Jésus et les démons), ces animaux, mais que voit-il ? Paradoxalement, ce qui est aberrant revêt le rôle d’élément transformateur, de surprenante opportunité. 2.2.6 Tableau 6 : La requête des démons (Mc 5.12–13a) (12) țĮ ʌĮȡİțȜİıĮȞ ĮIJઁȞ ȜȖȠȞIJİȢ ʌȝȥȠȞ ਲȝ઼Ȣ İੁȢ IJȠઃȢ ȤȠȡȠȣȢ ȞĮ İੁȢ ĮIJȠઃȢ İੁıȜșȦȝİȞ (13a) țĮ ਥʌIJȡİȥİȞ ĮIJȠȢ (12) Et ils le supplièrent en disant : « Envoie-nous dans les cochons, afin que nous entrions en eux », (13a) et il [Jésus] le leur permit.
Dans ce nouveau tableau on revient, par un gros plan, sur Jésus et le Gérasénien/Légion, personnages principaux du récit. On remarquera aussi le changement du temps verbal des propositions principales (emploi de l’aoriste) et le recours/retour au discours direct. Les esprits impurs – sujet sous-entendu de l’indicatif aoriste pluriel ʌĮȡİțȜİıĮȞ (v. 12) – implorent Jésus de les envoyer infester le troupeau de cochons qui vient d’être remarqué au tableau précédent63. La demande des démons est ici circonstanciée (ʌȝȥȠȞ [impératif aoriste] ਲȝ઼Ȣ İੁȢ IJȠઃȢ ȤȠȡȠȣȢ) : 62
Parmi les auteurs qui voient en la « montagne » de Marc un lieu à valeur symbolique : Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 27 ; Rochester, Good News at Gerasa, 130 ; Herman C. Waetjen, A Reordering of Power : A Socio-Political Reading of Mark’s Gospel (Minneapolis : Fortress Press, 1989), 112, 117 ; Malbon, Narrative Space, 84–85. Voir également Cuvillier, L’évangile de Marc, 101, qui met plutôt en exergue le processus de caractérisation de l’auteur implicite : « [i]l est important de noter que, pour Marc, il n’y a pas de lieu positif en soi : au plan narratif, seul ce qui se passe qualifie le lieu (ainsi de la maison ou de la barque) ». 63 Curieuse est l’interprétation que Derrett donne de l’entrée des esprits dans les cochons. Pour lui, il s’agit d’une référence à la tentative du démoniaque d’avoir des relations sexuelles avec ces animaux afin de leur transférer les démons. La mort des pourceaux est ensuite expliquée par la volonté de Jésus de tuer ces animaux : a. parce que victimes de bestialité, en fonction de la loi exprimée en Lv 20.15–16 ; b. en tant qu’objets cultuels idolâtres (les cochons étaient des animaux sacrificiels pour les Gentils), selon les instructions que l’on trouve en m. ‘Abod. Zar. 3.3 (cf. Dt 13.17–18). J. Duncan M. Derrett, « Legend and Event : the Gerasene Demoniac. An Inquest into History and Liturgical Projection », in Studia Biblica
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la présence de ces animaux à proximité offre l’opportunité de dépasser la phase d’affrontement sans issue, exprimée par l’emploi de verbes à l’imparfait aux versets 8–10. La volonté de Légion d’être transféré dans les bêtes est à mettre en relation avec sa requête précédente de ne pas être envoyé « hors du territoire » (v. 10) : cette dernière supplique et la proposition de Légion d’être transféré dans les cochons suggèrent au lecteur que le ਕȖȜȘ ȤȠȡȦȞ ȝİȖȜȘ peut être compris comme une métonymie du ȤઆȡĮ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ (v. 1)64 – un pays étranger et connoté, du point du vue du lecteur implicite, par son impureté. La mort des pourceaux qui s’ensuivra semble alors indiquer une purification du pays luimême. Ce n’est pas seulement le Gérasénien qui sera libéré et purifié65, mais tout le territoire étranger qu’il habite. Les démons demandent à ne pas être bannis du territoire (v. 10, c’est le sens ici du verbe ਕʌȠıIJȜȜȦ), mais à être envoyés (v. 12 : ʌȝʌȦ) dans le troupeau. La modalité relationnelle du transfert ainsi proposé par les esprits impurs à Jésus est une parodie de celle qui lie Jésus aux disciples, ceux qu’il envoie en son nom (voir l’emploi d’ਕʌȠıIJȜȜȦ en 3.14 ; 6.7 ; 11.1 ; 14.13). On remarquera que Jésus ne les envoie pas, mais leur permet (v. 13a : ਥʌȚIJȡʌȦ) de se déplacer : une concession qui, tout en relevant de son autorité et de sa supériorité vis-à-vis des démons, relativise le lien qui existe entre lui et eux et ne fait pas de Légion un de ses envoyés. Si la requête des démons peut paraître non conventionnelle, le consentement de Jésus est tout aussi surprenant. Si l’on devine aisément que l’opposant, désirant demeurer dans le territoire, considère le déplacement dans les cochons comme un stratagème qui lui permettrait d’atteindre son but, le lecteur implicite n’est pas encore au clair quant aux intentions de Jésus. Le silence du narrateur relatif à la pensée intime de l’actant Jésus éveille la curiosité du lecteur : au début, le narrateur lui donne l’impression d’être omniscient et de l’associer à cette connaissance exhaustive (Mc 5.2–5) ; ensuite le lecteur se retrouve à compléter les informations grâce à l’initiative du héros et aux réponses données par l’opposant (v. 6–10) ; enfin, après la brève révélation de la présence du troupeau de cochons près de la montagne (v. 11), le lecteur réalise qu’il est bien loin de connaître les intentions du héros et que le narrateur ne le renseigne pas à ce propos (v. 12–13a). Cet éloignement du lecteur du pôle de l’intelligence des intentions de Jésus a pour effet de faire monter le suspense et de préparer le lecteur implicite au coup de théâtre capable non seulement de surprendre, mais surtout de remettre en question et de reconfigurer certains acquis. 1978, vol. 2 : Papers on the Gospels, JSNTSup 2 (Sheffield : JSOT Press, 1980), 69. Rien, dans le texte marcien, n’indique que la bestialité est en vue dans ce récit. Voir aussi Taylor, Saint Mark, 283. 64 Déjà remarqué par Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 35. 65 « L’étranger nettoyé de toute impureté s’apprête à la réception de nouvelles valeurs » : ainsi Combet-Galland, 35.
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Ce tableau, en effet, prépare de façon proleptique le renversement de deux valeurs sotériologiques, renversement que l’on observe encore ailleurs dans l’évangile de Marc. Le premier renversement résulte de la mise en place d’une stratégie pour sauver sa propre vie, stratégie qui ne tient pas compte de l’exigence de la suivance : comme cela sera explicité en 8.35 (« quiconque veut sauver sa propre vie la perdra » ; cf. aussi 14.66–72 et surtout 15.29–32), les efforts mis en place par les démons pour élaborer leur propre salut sont voués à l’échec66. Le deuxième renversement a trait à la modalité de libération (des personnes et du territoire) et au mode de déploiement du Royaume envisagé par Jésus en Décapole et qui a pour vocation à s’appliquer, par extension, au champ de mission du lectorat de Marc. La résistance des démons face au Fils du Dieu Très Haut n’est pas dépassée par une action frontale, écrasante et invasive, mais de manière oblique. Tout en affirmant la supériorité de son pouvoir et de son autorité, Jésus n’impose pas, mais permet. Le déploiement du Royaume en terre étrangère se concrétise de manière indirecte, tout en restant une dynamique intrinsèquement irrésistible. De manière analogue, Jésus n’imposera pas sa présence aux habitants de la région qui ne voudront pas de lui (5.15–17 ; cf. 6.4–6), mais il y exercera son ministère indirectement par l’intermédiaire du Gérasénien exorcisé (v. 18–20). 2.2.7 Tableau 7 : Noyade (Mc 5.13b) (13b) țĮ ਥȟİȜșંȞIJĮ IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ İੁıોȜșȠȞ İੁȢ IJȠઃȢ ȤȠȡȠȣȢ țĮ ੮ȡȝȘıİȞ ਲ ਕȖȜȘ țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ İੁȢ IJȞ șȜĮııĮȞ ੪Ȣ įȚıȤȜȚȠȚ țĮ ਥʌȞȖȠȞIJȠ ਥȞ IJૌ șĮȜııૉ (13b) Et, étant sortis, les esprits impurs entrèrent dans les cochons et le troupeau s’élança vers le précipice, dans la mer. [Ils étaient] environ deux mille, et ils se noyaient dans la mer.
Le narrateur entreprend maintenant d’attirer l’attention sur l’interaction entre les démons et les cochons. Il revient également au discours indirect et introduit la falaise et la mer en tant que cadre du coup de théâtre de ce tableau. Le récit, à l’allure populaire, prend ici un tournant comique : l’espoir de la légion de démons de pouvoir rester sur le territoire par le changement de réceptacle est frustré, car leur mouvement vers les porcs entraîne l’élancement de ces derniers vers la mer pour y être engloutis. Après le suspense dû à la résistance des démons face à l’exorciste, leur requête, que Jésus autorise, est le prélude au retournement de situation : les esprits sont dupés67.
66 Voir la réflexion de Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 110 : « [é]laborer soi-même un salut semble négatif pour le récit ». 67 Ainsi aussi Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 586 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 199.
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La disparition des mammifères est ici sans doute la preuve visible du départ des démons du Gérasénien68. Il est aussi possible que la mort d’autant de cochons puisse avoir la portée symbolique d’une purification du pays afin de permettre son intégration dans le champ de mission des disciples69. Toutefois, leur nombre si important et leur mort si dramatique sont plutôt à comprendre dans le contexte de l’affrontement cosmique entre Dieu et Satan, dont les exorcismes de Jésus sont la manifestation eschatologique70. En effet, le lecteur est mis au bénéfice d’une précision qui, loin d’être anodine, a pour effet d’amplifier la résonance de la victoire de Jésus. Le narrateur évalue le troupeau de cochons à ੪Ȣ įȚıȤȜȚȠȚ – environ deux mille – têtes. Ce nombre élevé, mis en relation avec les démons sortant du possédé, ne montre pas seulement une quantité impressionnante71, mais il a la fonction particulière de permettre au lecteur historique, par le recours à son encyclopédie de savoir, de mieux apprécier l’étendue – à la fois redoutable et tragique – de l’affrontement entre Jésus et les esprits impurs. Le nombre deux mille représente la taille typique d’un contingent de soldats déployés pour des objectifs militaires déterminés72. Le mot « légion » n’est pas ici à prendre dans le sens technique d’unité militaire d’environ six 68 Twelftree, Jesus the Exorcist, 74, rapporte, parmi d’autres exemples, un exorcisme d’Apollonios de Tyane pour lequel la preuve de la sortie des démons est une statue renversée par ces derniers (Philostrate, Vit. Apoll. 4.20). Voir aussi Rochester, Good News at Gerasa, 143. 69 C’est l’opinion, entre autres, de Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 145 ; CombetGalland, « Quand la naissance du récit se raconte », 110. 70 Ainsi aussi Witherington, The Gospel of Mark, 182 ; Carol S. LaHurd, « Reader Response to Ritual Elements in Mark 5:1–20 », BTB 20, no 4 (1990) : 158 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 199. 71 Pour Rochester, Good News at Gerasa, 143, le nombre « deux mille » a la fonction de montrer le nombre impressionnant de démons qui sortent du Gérasénien. Dans le même sens, Witherington, The Gospel of Mark, 183. Derrett propose d’y voir une allusion au Ps 8.7, où le « fils de l’homme » (v. 4 : ʭʣʕ य़ ʠʚʯ ʕ । ʓʡ) reçoit de Dieu l’autorité sur, inter alia, ʭʩ ʴʕ४ ʑ ʬ ʠʏ ʥʔ ʤ४ ʓʰʶʖ (v. 8 : « petit et gros bétail ») revocalisé en ʤ४ ʓʰ ʖʶ ʭʩʑ ६ ʔ˝ ʍʬ ʔʠʔʥ (« deux mille animaux de pâturage ») : Derrett, « Legend and Event », 66. Toutefois, la LXX suit le sens du Massorétique et traduit par ʌȡંȕĮIJĮ țĮ ȕંĮȢ ʌıĮȢ. Aus, My Name is « Legion », 14–16, montre que les mille (ʳʓʬ ʓʠ) et les dix mille (ʤ ʕʡ ʕʡʸ)ʍ du Ps 91.7, bien que compris comme des « anges » en Midrash Ps 17.8 sur Ps 17.8, sont perçus comme des démons dans le Targum [« they will not come near you to do harm », selon la traduction du David M. Stec, The Targum of Psalms, AramBib 16 (London – New York : T. and T. Clark, 2004), 175]. Le même auteur rappelle que, par ailleurs, les sources juives montrent la croyance en des nombreux esprits malveillants qui menacent les êtres humains : voir par exemple b. Giܒ. 68a et b. Ber. 6a. 72 Par exemple : Jos 7.3 (le contingent d’Israélites qui attaquera la ville d’Aï) ; 1 S 13.2 (soldats de choix de Saül) ; 2 R 18.23 (chevaux à pourvoir de cavaliers offerts par le roi d’Assyrie à Israël) ; 1 M 12.47 (troupe laissée par Jonathan en Galilée) ; 15.26 (renforts envoyés par Simon à Antiochos, mais refusés) ; voir aussi Xénophon, Anab. 1.3.9 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.55, 368, 610, 625 ; 3.486 (archers que Vespasien envoie à Tite pour l’aider à prendre la ville de Tarichée, sur le lac de Tibériade) ; Vita 118 ; 399 ; 424.
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mille hommes, mais plutôt dans son acception plus courante de « grande quantité »73, le nombre deux mille étant déjà significatif en soi du point de vue du contexte militaire. Le Jésus marcien a affaire à une véritable armée de démons. Mais le nombre deux mille, ironiquement, montre également l’ampleur de la défaite de Satan. Deux mille est aussi une mesure référentielle souvent utilisée pour quantifier les victimes de défaites militaires d’une certaine ampleur74. Cette dimension sera confirmée également par le parallélisme entre la noyade des cochons de Marc 5.13 et celle des Égyptiens dans la mer des Joncs selon le récit d’Exode 14.1–15.2275. Tandis que l’entrée des démons dans les pourceaux et leur charge ultérieure vers l’étendue d’eau sont décrites à l’aide d’aoristes (ਥȟİȜșંȞIJĮ… ੮ȡȝȘıİȞ), le temps du récit ralentit sensiblement lorsque le narrateur, par le recours à l’imparfait (ਥʌȞȖȠȞIJȠ), invite à contempler la scène de la noyade76. La même mer qui a été apaisée77 par Jésus peu auparavant (Mc 4.36–41) est maintenant en train d’engloutir les esprits du possédé qui avait élu sa demeure dans les montagnes. La même mer, de laquelle les disciples ont été sauvés78, devient le lieu de destruction du troupeau et des démons. Elle est le symbole même de l’abîme (cf. Lc 8.31), le lieu dans lequel les entités spirituelles malignes seront jugées à la fin des temps : la dimension eschatologique de l’exorcisme est ainsi patente79. 73 Gundry a raison lorsqu’il affirme que Mc 5.9 (// Lc 8.30) associe à ȜİȖȚઆȞ tout simplement l’idée générale de « numerousness » : Gundry, Mark, 260. La translittération en hébreu ou araméen de ce mot (ʯʥʩʢʩʬ) est utilisée par les Juifs aussi bien pour désigner techniquement l’unité militaire romaine (la légion proprement dite) qu’« une grande quantité » sans connotation numérique précise : cf. son emploi dans les Tg. Neof. et Tg. Ps.-J. (Nb 24.24 et Gn 15.1) ; Gn. Rab. 78 (anges) et 20.6 (olives : ʭʩʺʩʦ ʬʹʮ ʣʧʠ ʯʥʩʢʬ). Voir aussi Guelich, Mark 1– 8:26, 281 ; Aus, My Name is « Legion », 15–17 ; Moloney, Mark, 103 ; Rochester, Good News at Gerasa, 138. 74 Ainsi, par exemple, dans Jg 20.45 (punition de la tribu de Benjamin) ; 1 M 5.60 (victimes juives de Gorgias) ; Flavius Josèphe, B.J. 2.512 (victimes des Romains) ; 1.334 (d’Hérode) ; 2.75 (de Varus) ; 2.477 (à Ptolémaïs) ; 5.552 (déserteurs Juifs) ; 6.430 (tués par la faim). Pour désigner des morts non juifs : 1 M 16.10 (par la main de Jean, frère de Judas) ; 2 M 13.15 (à Modîn, par Judas) ; Jos. Asen. 27.6 (Égyptiens tués par Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issacar et Zabulon) ; voir aussi Flavius Josèphe, B.J. 2.506. 75 Ainsi aussi Taylor, Saint Mark, 283 ; Ched Myers, Binding the Strong Man. A Political Reading of Mark’s Story of Jesus (Maryknoll : Orbis Books, 1988), 190–91 ; Marcus, Mark 1–8, 349 ; Rochester, Good News at Gerasa, 142. Voir infra, p. 234–240. 76 Pour Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 586, l’imparfait ਥʌȞȖȠȞIJȠ donne l’impression que le narrateur dénombre les deux mille cochons qui se noient l’un après l’autre. 77 Moloney, Mark, 104, parle de « mer exorcisée » en Mc 4.39. 78 Voir la remarque de Bolt : « Since they [les cochons] enter the underworld through this watery portal, the swine are protrayed as meeting the fate from which the disciples were rescued in the previous scene » (Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 145). 79 Ainsi aussi Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 586–87, note 11, pour lequel la chute des suidés et surtout des esprits dans la mer est à interpréter comme le rétablissement de
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2.2.8 Tableau 8 : La nouvelle se répand (Mc 5.14a) (14a) țĮ Ƞੂ ȕંıțȠȞIJİȢ ĮIJȠઃȢ ijȣȖȠȞ țĮ ਕʌȖȖİȚȜĮȞ İੁȢ IJȞ ʌંȜȚȞ țĮ İੁȢ IJȠઃȢ ਕȖȡȠȢ (14a) Et ceux qui les faisaient paître s’enfuirent et rapportèrent [le fait] dans la ville et dans les campagnes.
Le narrateur introduit ici un nouveau personnage collectif, « ceux qui les faisaient paître », qui, à son tour, par un mouvement centrifuge, élargit la dimension spatiale du récit en y incluant aussi la ville et les campagnes environnantes. Le lecteur ne connaît pas les termes exacts de leur compte-rendu, même s’il en imagine le contenu. Cela permettra au narrateur de le guider progressivement dans le processus d’interprétation de la portée et de la signification de ce qui vient de se passer. Après l’exorcisme et la preuve de la sortie des démons (v. 11–13), le lecteur pourrait s’attendre à ce que le récit s’achève sur le triple motif de la stupeur craintive face à l’œuvre puissante (cf. 1.27a ; 2.12 ; 6.51 ; 7.37a), du questionnement à propos de l’identité de Jésus ou d’une réflexion concernant la signification du miracle (cf. 1.27b ; 7.37b) et, éventuellement, d’une reconnaissance publique avec, à la clé, l’intensification de sa renommée (cf. 1.28, 45). Toutefois, les Ƞੂ ȕંıțȠȞIJİȢ ont ici la fonction narrative de faire rebondir le récit et d’en prolonger la trajectoire. Ils ne vont pas quitter les lieux étonnés pour proclamer la bonne nouvelle de l’avènement de Jésus : au contraire, ils s’enfuient pour faire un compte-rendu. En même temps, c’est grâce à eux que ce qui vient de se passer entre Jésus et le Gérasénien prend une ampleur plus importante, car la ville et ses environs sont désormais mis au courant de l’événement80.
l’ordre cosmique. De même, Barthes et al., Analyse structurale, 72 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 35 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 199. Rochester, Good News at Gerasa, 142, rappelle que, en 1 Hén. 67.1–13, l’eau, sous la forme du déluge, est utilisée par Dieu pour punir les anges pervertis. 80 L’expression İੁȢ IJȞ ʌંȜȚȞ țĮ İੁȢ IJȠઃȢ ਕȖȡȠȢ a précisément la fonction de montrer que l’action de Jésus en territoire païen n’est pas un accident circonstancié. Il s’agit, au contraire, d’une incursion qui produira un important écho et qui a vocation à affecter toute la région (cf. Mc 5.20). Johannes. L. P. Wolmarans, « Who Asked Jesus to Leave the Territory of Gerasa (Mark 5:17)ௗ? », Neot, no 1 (1994) : 87–92, affirme que les seuls personnages en mesure de demander à Jésus de quitter le territoire (v. 17) seraient des notables de la ville, à savoir les propriétaires des cochons. Focant, L’Évangile selon Marc, 204, partage le même avis. Cependant, cette conclusion, bien qu’historiquement plausible, ne tient pas compte des intentions rhétoriques de l’auteur implicite qui, lui, ne précise jamais l’identité de ceux qui viennent voir, restent effrayés et demandent à Jésus de quitter leur territoire (v. 14 : ȜșȠȞ ੁįİȞ ; v. 15 : ȡȤȠȞIJĮȚ… șİȦȡȠ૨ıȚȞ… ਥijȠȕșȘıĮȞ ; v. 17 : ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ ĮIJઁȞ ਕʌİȜșİȞ ਕʌઁ IJȞ ȡȦȞ ĮIJȞ).
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2.2.9 Tableau 9 : Les gens viennent pour voir (Mc 5.14b–15) (14b) țĮ ȜșȠȞ ੁįİȞ IJ ਥıIJȚȞ IJઁ ȖİȖȠȞઁȢ (15) țĮ ȡȤȠȞIJĮȚ ʌȡઁȢ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ țĮ șİȦȡȠ૨ıȚȞ IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ țĮșȝİȞȠȞ ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ țĮ ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ țĮ ਥijȠȕșȘıĮȞ (14b) Et ils [les gens] vinrent (pour) voir ce qui est advenu. (15) Et ils viennent vers Jésus et observent le démoniaque assis, habillé et avec [son] bon sens, [lui] qui avait eu Légion ! Et ils furent effrayés.
Le narrateur concentre, à présent, l’attention sur ceux qui, sortis de la ville et des environs, observent l’ex-démoniaque. Ce groupe informe de spectateurs – ils ne sont même pas désignés par un pronom personnel – est néanmoins caractérisé par sa provenance (« la ville et les campagnes » du tableau précédent, qui correspondent au « territoire des Géraséniens » du début de l’histoire) et par un sentiment : la peur. Du point de vue structural, ces deux éléments correspondent aux deux verbes à l’aoriste qui ouvrent et clôturent le tableau : ȜșȠȞ…țĮ ਥijȠȕșȘıĮȞ. À l’intérieur du cadre posé par les deux aoristes se situent deux verbes au présent de l’indicatif ; leur fonction est explicative du processus qui a amené les gens à cet état d’esprit : ݏȡȤȠȞIJĮȚ ʌȡઁȢ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ țĮ șİȦȡȠࠎıȚȞ IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ. Leur état d’esprit s’élabore à partir de la rencontre avec Jésus et de l’observation du « démoniaque ». À deux reprises, le narrateur propose au lecteur implicite le point de vue de cette foule : ੁįİȞ… țĮ șİȦȡȠ૨ıȚȞ. Selon cette perspective, l’homme a toutes les caractéristiques d’un sujet normal (assis, habillé, bon sens), mais il reste néanmoins « le démoniaque » (IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ). C’est un point de vue qui s’oppose à celui du narrateur, qui ne manquera pas de le signaler au lecteur pour que ce dernier puisse évaluer ce conflit d’interprétation : IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ81. La nouvelle condition du Gérasénien exorcisé par Jésus est décrite à l’aide de trois participes : țĮșȝİȞȠȞ… ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ… ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ (v. 15). Il est tout d’abord « assis »82. Le narrateur ne précise pas où le démoniaque est assis. Son intérêt se situe ailleurs. L’auteur du deuxième évangile emploie, 81 Ainsi aussi Taylor, Saint Mark, 15 ; Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 587–88, note 13 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 24 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 145 ; France, Mark, 231. Marcus, Mark 1–8, 346, ainsi que Rochester, Good News at Gerasa, 144, traduisent le participe présent passif IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ par « celui qui avait été démoniaque pendant longtemps ». De même, Focant, L’Évangile selon Marc, 204, considère cette forme verbale comme impropre. Qui plus est, il propose de traduire le participle parfait actif IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ (IJઁȞ ȜİȖİȞĮ) par un aoriste – à son avis, plus correct, en s’étonnant du choix de Marc. Nous allons plutôt dans le sens d’apprécier le jeu de points de vue que le narrateur est en train de développer afin de mettre en valeur le conflit d’interprétation qui aboutira à l’expulsion de Jésus du territoire de Gérasa. 82 La version matthéenne du récit (Mt 8.28–34) omet la scène de la contemplation de l’expossédé par les habitants du territoire. Pour Matthieu, la peur des gens est surtout motivée
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dans son œuvre, deux verbes différents pour faire référence à la position assise. Il s’agit, d’une part, du verbe țĮșȗȦ, utilisé pour la première fois en 9.35 (Jésus en train d’enseigner), et qui se retrouve ensuite en 10.37, 40 (demande des fils de Zébédée et réponse de Jésus) ; 11.2 (âne qui n’a encore été monté par personne) ; 11.7 (Jésus chevauche l’âne) ; 12.41 (Jésus est assis dans le Temple) ; 14.32 (Jésus demande aux disciples de s’asseoir pendant qu’il prie). Il s’agit, d’autre part, du verbe țșȘȝĮȚ. On le rencontre une première fois en 2.6 (scribes) ; ensuite en 2.14 (Lévi fils d’Alphée) ; 3.32, 34 (foule installée autour de Jésus) ; 4.1 (Jésus en train d’enseigner la foule) ; 5.15 (Gérasénien) ; 10.46 (Bartimée) ; 12.36 (citation du Ps 109 LXX) ; 13.3 (Jésus sur le mont des Oliviers) ; 14.62 (Fils de l’Homme à la droite de Dieu) ; 16.5 (jeune homme au tombeau). Les deux verbes sont utilisés aussi bien pour Jésus que pour d’autres personnages et ils ne sont pas intrinsèquement connotés positivement ni négativement83. Toutefois, lorsqu’il s’agit de citer le Psaume 109 LXX ou de faire référence au Fils de l’Homme, c’est toujours le verbe țșȘȝĮȚ qui est employé, celui que l’on retrouve en Marc 5.15. Le fait que Marc souhaite inviter le lecteur à voir dans la posture de l’ex-démoniaque de Gérasa un élément significatif est évident par : a. le recours à la forme participiale țĮșȝİȞȠȞ, qui ne se trouve, outre en 5.15, qu’en 2.14 (appel d’un disciple : Lévi), en 14.62 (Fils de l’Homme) et en 16.5 (jeune homme au tombeau) ; b. la mise en relation entre la position assise et le fait d’être habillé, ce qui rappelle le jeune homme au tombeau (16.5 : țĮșȝİȞȠȞ… ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȞ ıIJȠȜȞ ȜİȣțȞ). Le démoniaque est ensuite ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ, « habillé ». Certes, la nudité pouvait être associée, dans le monde ancien, aussi bien à l’humiliation qu’à la folie84. Mais, à la différence de Luc (Lc 8.27 : Ƞț ਥȞİįıĮIJȠ ੂȝIJȚȠȞ), Marc ne mentionne pas la nudité du possédé dans la description qu’il en fait en 5.3–5. L’auteur du deuxième évangile met en valeur l’habit de l’ex-possédé non pas par l’affaire des cochons et l’aversion pour le fauteur de trouble. En effet, les gardiens des cochons racontent « tout et [aussi] ce qui concerne les démoniaques » (v. 33 : ʌȞIJĮ țĮ IJ IJȞ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞȦȞ). Les gens de la ville, ensuite, supplient Jésus de partir dès qu’il le voient (v. 34 : țĮ ੁįંȞIJİȢ ĮIJંȞ). Luc en fait un paradigme du disciple modèle. Lorsque les gens du territoire viennent voir ce qui s’est passé, ils trouvent l’homme țĮșȝİȞȠȞ …ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ … ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ » (Lc 8.35), tout comme en Marc. Mais Luc ajoute la précision « aux pieds de Jésus » (ʌĮȡ IJȠઃȢ ʌંįĮȢ IJȠ૨ ȘıȠ૨). Pour lui, il s’agit d’assumer la posture demandée au véritable disciple qui se met à l’écoute de son Maître : tandis que Marthe s’affairait aux tâches domestiques, Marie « s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole » (Lc 10.39 : ʌĮȡĮțĮșİıșİıĮ ʌȡާȢ IJȠީȢ ʌިįĮȢ IJȠࠎ țȣȡަȠȣ ਵțȠȣİȞ IJઁȞ ȜંȖȠȞ ĮIJȠȣ). 83 Nous ne partageons pas l’opinion de Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 24–25, selon laquelle la position assise du démoniaque est à évaluer négativement car elle devra être dépassée par son engagement à l’annonce. Le parallèle avec le jeune homme au tombeau (Mc,16.5–7) montre que la position assise n’est pas en contraste avec l’action de proclamer l’action de Dieu en Jésus. 84 Humiliation : voir Mc 15.24 ; 4 M 6.2 ; 9.11 ; m. Sanh. 3 ; folie : voir Philon, Flacc. 36 ; b. ۉag. 3b ; associée à l’irrévérence en 4Q266 frag. 10, II.9–12 ; b. Yebam. 63b.
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en tant que remède à sa nudité, mais plutôt en tant que signe de la nouvelle identité qu’il a acquise. Le vêtement joue un rôle important dans le macro-récit marcien. Par exemple, c’est par son entremise que le statut de l’individu est établi85 : la tunique de Jésus resplendit lors de sa Transfiguration (9.3), et il est sarcastiquement habillé en pourpre par les soldats (15.17–20). De même, des relations sont établies entre des personnages par la façon dont ils sont vêtus : Jean le Baptiseur est associé à Élie (Mc 1.6 : țĮ ȗઆȞȘȞ įİȡȝĮIJȞȘȞ ʌİȡ IJȞ ੑıijઃȞ ĮIJȠ૨ // 2 R 1.8 : țĮ ȗઆȞȘȞ įİȡȝĮIJȞȘȞ ʌİȡȚİȗȦıȝȞȠȢ IJȞ ੑıijઃȞ ĮIJȠȣ), et le jeune homme au tombeau (Mc 16.5 : ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȞ ıIJȠȜȞ ȜİȣțȞ) est associé au Jésus transfiguré (9.3 : IJ ੂȝIJȚĮ ĮIJȠ૨ ਥȖȞİIJȠ ıIJȜȕȠȞIJĮ Ȝİȣț ȜĮȞ). Pour Marc, le vêtement et la position assise de l’ex-démoniaque sont à lire en tant que signes de sa dignité et de son bon sens retrouvés, mais surtout à l’intérieur de la toile intratextuelle qu’il est en train de tisser au sein du macro-récit. Enfin, le Gérasénien est qualifié par le participe présent ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ : « avec [son] bon sens ». Il s’agit de préciser ici que l’homme a enfin recouvré le contrôle de ses facultés mentales suite au départ des esprits impurs. Dans le Premier Testament, le roi Saül est tourmenté par un « mauvais esprit » et c’est grâce aux qualités de musicien de David qu’il peut en être soulagé. Lorsque le jeune homme joue de la lyre, l’esprit quitte le roi et ce dernier s’en trouve « rafraîchi » et « [c’est] bon pour lui » (țĮ ਕȞȥȣȤİȞ ȈĮȠȣȜ țĮ ਕȖĮșઁȞ ĮIJ: 1 S 16.23 LXX). Flavius Josèphe, en relatant ce même événement, écrit que les performances de David permettaient à Saül d’« être/devenir soi-même » (ਦĮȣIJȠ૨ ȖȞİıșĮȚ : A.J. 6.168). De même, mais dans un contexte non juif, après qu’Apollonios de Tyane a exorcisé un jeune (ȝİȚȡȐțȚȠȞ), il est indiqué que ce dernier « revint en lui-même » (ਥʌĮȞોȜșİȞ ਥȢ IJȞ ਦĮȣIJȠ૨ ijȪıȚȞ, litt. : « il revint à son origine/à sa nature », Philostrate, Vit. Apoll. 4.20)86. Le Gérasénien doit désormais être considéré comme une personne qui a retrouvé toute sa raison. 85
Sur la fonction du vêtement en tant que marqueur du statut social des individus et sur sa portée symbolique dans l’Antiquité, voir notamment Edgar Haulotte, Symbolique du vêtement selon la Bible, Théologie 65 (Paris : Aubier, 1966) ; Georges Losfeld, Essai sur le costume grec (Paris : Edition de Boccard, 1991) ; Georges Losfeld, L’art grec et le vêtement (Paris : Edition de Boccard, 1992) ; Liza Cleland, Mary Harlow, et Lloyd Llewellyn-Jones, éd, The Clothed Body in the Ancient World (Oxford : Oxbow Books, 2005) ; Florence Gherchanoc et Valérie Huet, « Pratiques politiques et culturelles du vêtement.ௗEssai historiographique », RH 641, no 1 (2007) : 3–30. 86 Chassang traduit « il était rentré en possession de lui-même » : Philostrate, Apollonius de Tyane : sa vie, ses voyages, ses prodiges, éd. par Guy Rachet, trad. par Alexis Chassang (1862), Sagesse et spiritualité (Paris : Sand, 1995), 135. De son côté, Rochester, Good News at Gerasa, 145, remarque que ce language rappelle celui de Lc 15.17 (İੁȢ ਦĮȣIJઁȞ į ਥȜșઆȞ). Néanmoins, à la différence de la parabole du fils perdu et retrouvé (Lc 15.11–32), il n’est nullement question de repentance dans le récit du démoniaque de Gérasa. Il propose ensuite un rapprochement avec le concept paulinien de la transformation de la faculté de réfléchir (ȞȠ૨Ȣ) et de la mentalité (ijȡંȞȘȝĮ) : voir Rm 8.5 ; 12.2 ; 1 Co 2.16 ; 2 Co 10.5 ; cf. Ph 2.2.
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Le registre de l’ironie et du paradoxe ressurgit lorsque le narrateur précise que le sentiment suscité par la contemplation de cet individu enfin redevenu normal est celui de l’effroi. L’ironie réside dans le fait que les gens du lieu agissent comme la légion de démons : les deux groupes s’approchent de Jésus (5.6, 14–15), le craignent (5.7, 15) et le supplient de ne pas les importuner (5.10, 17)87. L’effet paradoxal est atteint lorsque le lecteur réalise que la réaction des villageois est aussi surprenante que celle des disciples dans le récit de la tempête apaisée : ce n’est pas la violence de la tempête ou la folie du démoniaque qui a suscité la peur, mais le retour au calme des éléments naturels et le retour à soi du possédé (Mc 4.40–41 ; 5.15 ; voir a contrario, les réactions positives en 1.27–28, 32–34, 37, 45 ; 2.12–13 ; 3.7–12, 20, 32 ; 4.1)88. La rencontre avec les effets du pouvoir inhabituel de Jésus aboutit, pour les personnages du récit, à la peur et à l’incapacité de le cerner. Le décalage entre le savoir du lecteur implicite et celui des personnages du récit est flagrant, car le lecteur a été informé, par le narrateur, que Jésus est le Fils bien-aimé de Dieu et celui en qui le Père a « pris plaisir » (Mc 1.189, 11). Si, pour les personnages 87
Ainsi aussi Marcus, Mark 1–8, 353. Le lien narratif entre la réaction paradoxale des villageois et celle des disciples après l’apaisement de la tempête a été déjà remarqué par Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 145 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 199 ; Boring, Mark, 153 ; Rochester, Good News at Gerasa, 150 ; Moloney, Mark, 105. La discussion sur la nature de la peur des gens en Mc 5.15 est d’importance secondaire, puisqu’il faut valoriser sa fonction narrative plutôt que sa plausabilité historique. Voir néanmoins Simon Légasse, L’évangile de Marc, vol. 1, LD – Commentaires 5 (Paris : Cerf, 1997), 328 (crainte révérencielle face au puissant guérisseur) ; Marcus, Mark 1–8, 346 (angoisse face à quelqu’un qui manipule les démons et dont on ne connaît pas l’origine de la puissance) ; Focant, L’Évangile selon Marc, 204 (peur due à la puissance terrifiante de l’exorciste qui a provoqué, entre autres, une perte économique notoire) ; Guelich, Mark 1–8:26, 284 et Wolmarans, « Who Asked Jesus », 91 (accent sur les raisons pécuniaires). 89 L’expression ȣੂȠ૨ șİȠ૨ (ou l’un de ses équivalents : ȣੂȠ૨ IJȠ૨ șİȠ૨ ; ȣੂȠ૨ IJȠ૨ țȣȡȓȠȣ) est absente dans quelques manuscrits importants comme le codex Sinaiticus, un manuscrit sahidique et, partiellement, chez Origène, pour le type de texte alexandrin ; dans le codex Ĭ et le minuscule 28, pour le type de texte césaréen. Selon Metzger, cette absence, couplée avec l’habitude des scribes de parfois amplifier les titres (ou quasi-titres) des ouvrages (comme pour l’Apocalypse, par exemple), empêche de se prononcer avec une certitude absolue sur le choix à adopter pour ce lieu variant. En effet, la leçon ȣੂȠ૨ șİȠ૨ est bien attesté elle aussi (notamment dans le codex Vaticanus, L, les autres versions coptes et chez Origène [partim], représentants du type de texte alexandrin), elle s’accorde avec la théologie et le langage de l’auteur du deuxième évangile (notamment Mc 15.39 ; voir aussi 1.11 ; 5.7 ; 9.7 ; 14.61), et elle pourrait être expliquée par une omission accidentelle due à l’emploi de la nomina sacra (IY ȋY YY ĬY : l’œil du scribe aurait pu sauter du deuxième Y [XY = ȋȡȚıIJȠ૨] au dernier [ĬY = șİȠ૨]). Bruce M. Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament. A Companion Volume to the United Bible Societies’ Greek New Testament (fourth revised edition), 2e éd. (Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft – United Bible Societies, 2012), 73. Le NA28 a donc pris l’option de garder l’expression ȣੂȠ૨ șİȠ૨, en Mc 1.1, 88
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du récit, la contemplation des œuvres de Jésus les amène souvent vers le questionnement, l’incompréhension, voire le refus (cf. 2.6–7, 16, 24 ; 3.2, 6, 22), du point de vue de la rhétorique narrative, le lecteur implicite est confronté au déplacement du centre de gravité du récit. De l’intérêt porté vers l’exorcisé, il est amené à se positionner face à l’exorciste, en mesurant l’écart entre plusieurs interprétations en compétition qui se côtoient au sein du même récit. La peur est ainsi révélatrice de la véritable question qui intéresse l’auteur implicite : l’identité de Jésus. 2.2.10 Tableau 10 : Explication (Mc 5.16) (16) țĮ įȚȘȖıĮȞIJȠ ĮIJȠȢ Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ ʌȢ ਥȖȞİIJȠ IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ țĮ ʌİȡ IJȞ ȤȠȡȦȞ (16) Et ceux qui avaient vu leur racontèrent en détail comment [cela] était advenu au démoniaque, et à propos des cochons.
La (ré-)apparition d’un personnage collectif (Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ) absent du tableau précédent permet au narrateur de faire avancer l’intrigue du récit et de rendre plus radical le conflit d’interprétation qui est à l’œuvre entre le narrateur (et avec lui le narrataire) et les gens qui sont venus voir ce qui s’était passé. Ce tableau, en effet, fait état d’un dialogue entre les témoins oculaires et les gens du village et de ses environs (ĮIJȠȢ, se référant au v. 14). L’identité des témoins oculaires n’est pas explicitée dans le récit marcien. Cette deuxième exposition (après celle du verset 14), avec force détails90, manque dans la version matthéenne, tandis que pour Luc il est évident qu’elle est due à ceux qui faisaient paître le troupeau : ੁįંȞIJİȢ į Ƞੂ ȕંıțȠȞIJİȢ (Lc 8.34) // ਕʌȖȖİȚȜĮȞ į ĮIJȠȢ Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ (v. 36). Pour certains exégètes, Marc songerait aux disciples, jusque-là témoins muets de cet acte surnaturel et, encore une fois, incapables de percer le mystère du Fils de Dieu91. Toutefois, à ce point du récit, la problématique en vue n’est pas l’incompréhension des disciples face à l’identité de Jésus, mais le rôle joué par les témoins dans l’interprétation de l’événement de la part des Géraséniens. Si Marc voulait que le
entre crochets. Si, pour Collins la leçon longue, « is most likely secondary, because an accidental omission in the opening words of a work is unlikely » (Collins, Mark. A Commentary, 130), pour France, « [t]he prominence of the title ‹Son of God› in Mark’s Gospel [...] makes its presence in the heading intrinsically likely » (France, Mark, 49 ; voir aussi Focant, L’Évangile selon Marc, 56). Nous accordons une préférence à la présence de l’expression ȣੂȠ૨ șİȠ૨ en Mc 1.1, mais son éventuelle absence n’affecterait pas notre développement. 90 Voir infra, p. 465. 91 Ainsi Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 145 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 100 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 196 ; Bonifacio, Personaggi minori, 114 ; Moloney, Mark, 105.
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lecteur sache que ce sont les disciples qui expriment leur incapacité à comprendre les actes et les paroles du Maître, il les mentionnerait comme il le fait en Marc 5.31, un autre récit (v. 25–34) où ils sont narrativement absents. Dans le récit du Gérasénien, par contre, les versets 14 et 16 du chapitre 5 sont à lire en parallèle : l’intention du narrateur est de montrer que les habitants du lieu ne peuvent réellement connaître et évaluer la situation qu’à partir du rapport, biaisé, de ceux qui doivent justifier la perte d’un si grand nombre d’animaux, à savoir les gardiens des cochons92. La fonction herméneutique de ces témoins oculaires est soulignée par le passage du verbe ਕʌĮȖȖȜȜȦ du verset 14 au verbe įȚȘȖȠȝĮȚ du verset 16 : d’un rapport générique on passe à une description très détaillée93. C’est par l’entremise de leur explication que les gens de la région interprétent l’événement et prennent position94. Par un procédé diégétique, le narrateur met en exergue la fonction du dialogue – car ce dernier constitue la base logique de la réaction décrite au verset 17 – en focalisant l’attention du lecteur sur la manière dont les Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ mettent en valeur deux loci argumentorum spécifiques : la dimension du quid (contenu) et celle du quomodo (modalité) de l’action de Jésus95. On remarquera que la locution ʌȢ ਥȖȞİIJȠ se retrouve telle quelle en Sagesse 6.22 (modalité de l’avènement de la sagesse), Ésaïe 1.21 (comment la ville est devenue une prostituée), Jérémie 28.41 (la manière dont Babylone est devenue une horreur). Dans tous ces textes, ce qui est en vue est la modalité de l’événement. De même, chaque fois que Marc recourt à l’adverbe ʌȢ (2.26 ; 3.23 ; 4.13, 30 ; 5.16 ; 9.12 ; 10.23–24 ; 11.18 ; 12.26, 35, 41 ; 14.1, 11), son intérêt se porte moins sur le contenu de l’action que sur le « comment » de son déroulement. On pourrait s’interroger sur la raison sous-jacente à la réaction hostile des gens à l’égard de Jésus suscitée par l’exposé fourni par les témoins oculaires. Certains commentateurs, privilégiant le pôle du quid, l’ont attribuée à la grave perte économique causée par la disparition du troupeau. Selon cette lecture, le 92
Cf. Gnilka, Das Evangelium nach Markus, 1 : Mk 1–8,26 : 206 ; Josef Ernst, Das Evangelium nach Markus, RNT (Regensburg : Friedrich Pustet, 1981), 157. Voir aussi la solution « consensuelle » de Annen, Heil für die Heiden, 61–62 : pour lui, le groupe des témoins oculaires de Mc 5.16 est constitué par les disciples et les gardiens du troupeau. 93 Déjà remarqué par Bonifacio, Personaggi minori, 112. 94 L’identité des gens qui demandent à Jésus de s’éclipser n’est pas précisée au verset 17. Il est toutefois naturel d’assumer qu’il s’agit (surtout) des habitants sortis de la ville et des hameaux (v. 14 ; cf. v. 16 : įȚȘȖıĮȞIJȠ ĮIJȠȢ). C’est aussi la compréhension de Matthieu (8.34 : ʌ઼ıĮ ਲ ʌંȜȚȢ) et de Luc (8.37 : ਚʌĮȞ IJઁ ʌȜોșȠȢ IJોȢ ʌİȡȚȤઆȡȠȣ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ). 95 Sur l’élaboration des loci argumentorum voir Aristote, Eth. nic. 1111a.3–8 ; les sept « circonstances » (ʌİȡȚıIJȐıİȚȢ) proposées par Hermagoras de Temnos (IIe siècle av. J.-C.) et reprises par Pseudo-Augustin, De rethorica 7–8 ; voir aussi Cicéron, Part. or. 2.7–8 ; Or. Brut. 2.163 et Quintilien, Inst. 5.8.5 et surtout 5.10.53–91. Pour une discussion plus approfondie de la question, nous renvoyons à Douglas Estes, « Rhetorical Peristaseis (Circumstances) in the Prologue of John », in The Gospel of John as Genre Mosaic, éd. par Kasper B. Larsen, SANt 3 (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 2015), 197–203.
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récit marcien se voudrait à l’encontre de la logique sociale qui ne supporterait guère que le bien-être de l’individu (malade ?) puisse avoir un coût économique trop élevé pour la communauté96. D’autres, mettant plutôt en valeur la question de la « modalité » du miracle de Jésus et ses effets sur le possédé (ʌȢ ਥȖȞİIJȠ IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ, v. 16), interprètent la supplication que les Géraséniens adressent à Jésus afin qu’il sorte des limites de leur territoire en tant que : a. réaction dictée par la peur que ce faiseur de prodiges suscite97 ; b. refus du nouveau paradigme socio-culturel fondé sur l’intégration apporté par Jésus98 ; c. résultante de la confusion et du scepticisme éprouvés face à ce qui paraît être un personnage excessivement étrange et aux prétentions démesurées99. Sans vouloir nier l’apport de ces lectures – plutôt axées sur l’histoire que sur le récit –, à l’intelligence du texte, j’estime plus pertinente une approche qui en valorise davantage la dimension narrative. Selon cette perspective, le lecteur est amené à réaliser que, si, d’un côté, les Géraséniens ne connaissent ni la véritable identité de l’exorciste ni le fait que les cochons ont été tués par les démons, de l’autre, ils sont amenés à prendre conscience des événements et 96 Ainsi, par exemple, Focant, L’Évangile selon Marc, 199, pour lequel Marc condamne ici la logique sociétale qui amène à enchaîner – car c’est moins onéreux – plutôt qu’à libérer ; voir aussi Bonifacio, Personaggi minori, 116 ; Carpino, « The Gerasene Demoniac », 21. La question économique n’est pas, à notre avis, au cœur de cette scène, dans les intentions du rédacteur marcien. Cela dit, il est évident que l’importante valeur pécuniaire du troupeau est soulignée plus haut par l’indication « comme deux mille » (v. 13), nombre qui se retrouve associé à d’importantes dettes (2 M 8.10 : nombre de talents que Nicanor voulait s’assurer par le vente de Juifs, afin de solder la dette de Ptolémée envers les Romains), récompenses (3 M 3.28 : nombre de drachmes destinées à celui qui aurait donné des informations utiles sur les Juifs), offrandes (2 M 12.43 : suite à la découverte d’une idole parmi les Juifs tombés, le peuple se cotise et envoie 2000 drachmes à Jérusalem pour qu’un sacrifice soit offert pour leurs péchés en vue de la résurrection) et même trésors (Flavius Josèphe, B.J. 1.152 : quantité de talents trouvés par Pompée dans le Temple de Jérusalem). 97 Une majesté insupportable, selon Walter Schmithals, Wunder und Glaubeࣟ : Eine Auslegung von Markus 4:35–6:6a, BibStudiens 59 (Neukirchen – Vluyn : Neukirchener, 1970), 33 ; un sentiment de terreur face à ce personnage puissant, selon Dibelius, From Tradition to Gospel, 87 ; un rejet compris comme une variante paradgmatique de l’acclamation, selon Theissen, The Miracle Stories, 72 ; une volonté de marginaliser ce qui n’est pas maîtrisable – tout comme ce qui avait été fait avec le possédé –, selon Collins, Mark. A Commentary, 273. 98 Dissolution des liens socio-relationnels traditionnels, voire pathologiques, qui obligent le démoniaque à vivre dans l’isolement, selon Paul W. Hollenbach, « Jesus, Demoniacs, and Public Authorities. A Socio-Historical Study », JAAR 49, no 4 (1981) : 567–88, et René Girard, « The Demons of Gerasa », in Daemonic Imagination : Biblical Text and Secular Story, AAR – SR 60 (Atlanta : Scholars Press, 1990), 95. Voir Rochester, Good News at Gerasa, 146. 99 Cf. verset 7 : ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ. Dans ce cas, l’aversion de ces non-Juifs n’apparaît pas plus surprenante que celle de la famille (Mc 3.20–21) et des compatriotes (6.1–6) de Jésus. Ainsi Torchia, « Eschatological Elements », 20.
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à réagir en fonction de ce qu’ils voient (v. 15), certes, mais aussi de la restitution que les témoins font de l’événement (verset 14 et 16). La réalité est donc filtrée et interprétée à la lumière du choix, fait par les témoins, de recourir à deux loci argumentorum différents pour deux volets du même miracle – le « comment » (ʌȢ) de la guérison du démoniaque et le « quoi » de la perte du troupeau (țĮ ʌİȡ). Cette anomalie, ainsi que l’absence de raisons explicites pour expliquer l’aversion de la foule à l’égard de l’exorciste, montre bien que l’intention du narrateur est de mettre en exergue le rôle, néfaste, de la médiation des témoins oculaires plutôt que la véritable raison du refus de Jésus de la part des Géraséniens. Si Jésus est mal compris, c’est à cause d’une « précision cognitive progressivement atteinte » (ਕʌĮȖȖȜȜȦ… įȚȘȖȠȝĮȚ, v. 14 et 16) conjointe à une « ignorance interprétative obtuse »100. Paradoxalement, ceux qui viennent voir (v. 14 : ȜșȠȞ ੁįİȞ ; v. 15 : țĮ șİȦȡȠ૨ıȚȞ) sont aveuglés par ceux qui avaient vu (v. 16 : Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ)101. 2.2.11 Tableau 11 : Rejet (Mc 5.17) (17) țĮ ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ ĮIJઁȞ ਕʌİȜșİȞ ਕʌઁ IJȞ ȡȦȞ ĮIJȞ (17) Et ils [les gens] commencèrent à le supplier de s’éloigner de leur région.
Les gens qui sont venus voir ce qui s’était passé se tournent à présent vers l’exorciste. La syntaxe du verset 17 conforte la lecture du tableau précédent, à savoir que la réaction des habitants des environs est mise en relation avec le rapport des témoins oculaires. La résolution des gens de prier Jésus de sortir des limites de leur territoire est rendue par le syntagme, plutôt commun, ਙȡȤȠȝĮȚ + infinitif. Il ne faut pas, néanmoins, réduire cette construction à une simple circonlocution102. Ainsi, dans Marc 5.17, ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ n’est pas l’équivalent de ʌĮȡİțȐȜİıĮȞ – qui aurait pu, effectivement, être utilisé en tant qu’aoriste ingressif (cf. 5.12). Par le recours délibéré à cet énoncé, le narrateur souligne le lien logique et temporel avec ce qui précède : c’est justement après le récit offert par les témoins oculaires, et à cause de celui-ci, que les habitants demandent à Jésus de quitter leur territoire103.
100
Bonifacio, Personaggi minori, 115–16. Cf. Rochester, Good News at Gerasa, 146. 102 Ainsi déjà Karl F. A. Fritzsche, Evangelium Matthaei (Lipsiae : Frederici Fleischeri, 1826), 539–40. 103 Cf. aussi Mc 5.20 ; 6.7 ; 8.31 et 14.65. Dans d’autres instances, l’idée est plutôt celle d’une action qui est interrompue juste après son début : ainsi dans Mc 2.23 ; 4.1 ; 6.2 et 10.41. 101
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2.2.12 Tableau 12 : Envoi (Mc 5.18–19) (18) țĮ ਥȝȕĮȞȠȞIJȠȢ ĮIJȠ૨ İੁȢ IJઁ ʌȜȠȠȞ ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ įĮȚȝȠȞȚıșİȢ ȞĮ ȝİIJ’ ĮIJȠ૨ ઝ (19) țĮ Ƞț ਕijોțİȞ ĮIJંȞ ਕȜȜ ȜȖİȚ ĮIJ ʌĮȖİ İੁȢ IJઁȞ ȠੇțંȞ ıȠȣ ʌȡઁȢ IJȠઃȢ ıȠઃȢ țĮ ਕʌȖȖİȚȜȠȞ ĮIJȠȢ ıĮ țȡȚંȢ ıȠȚ ʌİʌȠȘțİȞ țĮ ȜȘıȞ ıİ (18) Et pendant qu’il [Jésus] montait dans le bateau, celui qui avait été démoniaque le suppliait afin qu’il [l’homme] soit avec lui. (19) Et il [Jésus] ne le laissa pas faire, mais il lui dit : « Va dans ta maison, vers les tiens, et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi et [qu’/combien] il a eu compassion de toi ».
Le récit s’achemine vers sa conclusion : Jésus remonte sur le bateau duquel il était descendu au début de cette unité littéraire. Par un gros plan sur l’ex-démoniaque en train de supplier Jésus se préparant à regagner la rive occidentale du lac, le narrateur introduit la dernière interaction entre « le Fils du Dieu TrèsHaut » et l’homme libéré, ainsi que les derniers mots de Jésus dans ce récit. Ce tableau est la fois en continuité et en contraste avec le précédent : si le départ de Jésus est la conséquence directe de la supplication de quitter leur territoire que les Géraséniens lui adressent, le désir de proximité de l’ex-démoniaque (exprimé également par une supplication) est frustré par l’injonction que Jésus lui adresse de rester dans son pays d’origine. Le lecteur remarquera que, dans le cadre de ce récit, Jésus a déjà répondu positivement à des supplications. La première fois que le verbe ʌĮȡĮțĮȜȦ est employé, il décrit la modalité d’expression de Légion (v. 10) qui demande de ne pas être envoyé hors du pays. Une fois la nature multiple de Légion révélée, les esprits impurs supplient (ʌĮȡİțȜİıĮȞ) l’exorciste de les envoyer dans les cochons. Dans les deux cas, Jésus acquiesce à leur demande. C’est ensuite aux habitants de la région de « supplier » Jésus pour qu’il s’éloigne de leurs frontières (ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ, v. 17) ; dans ce cas également, il obtempère promptement. Le refus du héros du récit face à la supplication du Gérasénien (ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ įĮȚȝȠȞȚıșİȢ) assume dès lors les contours d’une dissonance significative et révélatrice. Certes, si l’on reste strictement dans le cadre du récit lui-même, il est légitime d’interpréter cette dissonance en termes existentiels (ainsi Corina Combet-Galland : « élaborer soi-même une stratégie de défense semble une performance cognitive que le récit sanctionne négativement »104) ou en tant que « christodicée » (ainsi Camille Focant : « il ressort que l’acquiescement de Jésus à une supplication ne signifie pas automatiquement son approbation »105). Le récit, néanmoins, amène son lecteur à réaliser que, quelle que soit la réponse donnée dans l’immédiat de l’action, toute supplication, tout désir, toute aspiration se heurtent à l’écueil du dessein de Dieu tel qu’il est manifesté en l’œuvre du Fils. Les intentions démoniaques et humaines doivent se conformer 104 105
Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 35. Focant, L’Évangile selon Marc, 200.
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au « mystère du Royaume » (4.11), dont l’intelligence reste une tâche ardue (4.13). C’est ainsi que la demande des démons de ne pas être tourmentés et chassés du pays (5.7, 10), que la tentative des gens de la ville et des hameaux d’« exorciser » leur territoire en chassant ce Jésus qui suscite la peur et, enfin, la supplication du Gérasénien d’« être avec lui » (selon sa propre conception de cette proximité), se révèlent être toutes des requêtes impossibles. Les démons seront chassés et envoyés dans « la mer » (5.13) ; l’absence de Jésus en territoire gérasénien sera sublimée par la prédication, dans tout le territoire de la Décapole, de celui qui a été l’objet de la miséricorde divine (5.20). L’auteur implicite met ces « dissonances » en relation avec le reste de l’évangile et avec sa manière d’éclairer le lecteur sur des questions inhérentes à la christologie et au thème de la suivance, notamment l’accomplissement paradoxal du dessein divin en Jésus, le conquérant et Maître absent. L’anonymat du Gérasénien, appelé pour la première fois, au verset 18, « celui qui avait été démoniaque » ( įĮȚȝȠȞȚıșİȢ)106, facilite l’identification du lecteur, véritable destinataire de la parole qui lui est adressée, à la fin du récit, par le Jésus marcien107. C’est par l’appropriation de cet énoncé que le lecteur cherchera à donner un sens au refus de Jésus de laisser l’homme l’accompagner et intégrer le groupe de ses disciples. Le détachement de la personne physique de Jésus doit être métabolisé afin qu’une forme de présence nouvelle et inédite puisse émerger au cœur même d’une relation orientée vers l’annonce du kérygme. Cette connexion au caractère inattendu prend forme à partir d’un renversement aux contours paradoxaux : alors que les esprits impurs, animés par un territorialisme exaspéré (5.10), se trouvent, malgré eux, être chassés pour finir engloutis par la « mer » (v. 13), le Gérasénien, qui de son côté n’hésiterait pas à quitter son pays pour se mettre à la suite du puissant étranger, est confronté à l’injonction de Jésus de regagner sa maison et sa famille et d’en faire son champ de mission (v. 19). Sa libération de Légion lui ouvre, enfin, un espace d’autonomie et de responsabilité108. Sa demande de devenir un disciple comme les Douze, à savoir, qui entretiendrait avec Jésus une relation, entre autres, sur le registre de la proximité physique (cf. le ȞĮ ȝİIJૃ ĮIJȠ૨ ઝ de Mc 5.18 avec le
106 Pour Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 107, l’homme, déjà guéri, est enfin appelé ex-démoniaque seulement « lorsqu’il risque un désir ». 107 Ainsi aussi Francis J. Moloney, Mark : Storyteller, Interpreter, Evangelist (Peabody : Hendrikson, 2004), 186–91 ; Rochester, Good News at Gerasa, 165. 108 Selon une perspective sociologique, Jésus ne libère pas l’homme pour ensuite le subjuguer à nouveau en l’enfermant dans une relation patron-client. Au contraire, il le libère de toute obligation et l’envoie partager son témoignage. Ainsi Bonifacio, Personaggi minori, 118 ; Anne Dawson, Freedom as Liberating Power. A Socio-Political Reading of the Exousia Texts in the Gospel of Mark, NTOA 44 (Freiburg – Göttingen : Universitätsverlag – Vandenhoeck und Ruprecht, 2000), 161–62.
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ȞĮ ੯ıȚȞ ȝİIJૃ ĮIJȠ૨ de 3.14) est refusée109. En anticipant un peu la suite, on peut pourtant déjà noter ici que, tout comme les Douze, il assume la fonction de héraut (le verbe țȘȡııİȚȞ se trouvant en 3.14 et en 5.20)110. De manière suggestive, Corina Combet-Galland suggère une mise en relation entre le ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ de Marc 5.20 avec le ਕȡȤ IJȠ૨ İĮȖȖİȜȠȣ du tout début de l’évangile : il faut penser au Gérasénien « comme à une figure énoncée de l’énonciation elle-même »111. Pour quelle raison le Jésus marcien ne veut-il pas l’intégrer au groupe de ses disciples ? Eugene Boring fait état de quelques hypothèses : le temps de l’inclusion des Gentils n’était pas encore venu (voir ਙijİȢ ʌȡIJȠȞ ȤȠȡIJĮıșોȞĮȚ IJ IJțȞĮ de Mc 7.27) ; il lui était impossible d’intégrer un groupe déjà établi et fermé (3.13–19) ; Jésus, contrairement aux rabbins, n’acceptait pas de candidats mais préférait appeler personnellement ses disciples (1.16–20) ; Marc articule les limites du ministère du Jésus historique et le rebondissement missionaire tardif en faisant du Gérasénien « a proleptyc symbol of the later Gentile mission »112. Du point de vue synchronique, toutefois, il est important de remarquer que l’injonction d’aller rapporter les choses dont les personnages ont été témoins ne se retrouve qu’ici et à la fin de l’évangile, lorsque le jeune homme envoie les femmes vers les disciples pour leur annoncer la résurrection (5.19 : ʌĮȖİ… țĮ ਕʌȖȖİȚȜȠȞ ; 16.7 : ਫ਼ʌȖİIJİ İʌĮIJİ). Le refus du Jésus marcien est donc surtout à lire en fonction du tissage narratif qui associera, entre autres, le Gérasénien à ces femmes : personnages qui, suite à leur désir d’une proximité avec le corps de Jésus (les femmes vont au tombeau pour embaumer
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Voir Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 146 ; Rochester, Good News at Gerasa, 147. Ce dernier renvoie au texte de Philostrate, Vit. Apoll. 4.20 : après avoir été exorcisé par Apollonios, un jeune « s'éprit de l'extérieur négligé et du grossier manteau d'Apollonius, et embrassa tout son genre de vie », selon la traduction de A. Chassang : Philostrate, Apollonius de Tyane. Pour LaHurd, « Reader Response to Ritual Elements », 158, l’envoi en mission du Gérasénien fait écho à Mc 1.31, où la belle-mère de Pierre se met à servir Jésus juste après sa guérison miraculeuse. Cependant, la belle-mère de Pierre n’est pas envoyée en mission et elle n’annonce pas le kérygme, même si įȚĮțȠȞȦ (1.31) est un verbe extrêmement significatif dans l’évangile de Marc (cf. 10.45 et 15.41 ; il est pourtant absent en Mc 5.1– 20). 110 Torchia, « Eschatological Elements », 21, veut établir un lien entre le verbe ਕʌĮȖȖȜȜȦ de Mc 5.19 et les textes d’Ac 17.30 ; 26.20 (cf. 1 Co 14.25), arrivant à la conclusion que l’envoi du Gérasénien est un véritable appel à évangéliser, comparable à celui des apôtres. 111 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 28, note 9. 112 Boring, Mark, 153–54.
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son corps : 16.1), se trouvent confrontés à l’exigence atypique d’une « proximité à distance »113. Jésus échappe aux tentatives de le retenir aussi bien à la fin du récit du Gérasénien qu’à la fin de l’évangile de Marc, tout en demeurant présent dans l’annonce elle-même qui leur (au Gérasénien et aux femmes) est confiée. Un dernier élément retient notre attention. Les deux tableaux précédents (Mc 5.16, 17) avaient montré que la réaction négative, à l’égard de Jésus, des gens de la ville et des environs est à lire en relation avec le témoignage des témoins oculaires. Ces derniers sont donc responsables, du point de vue narratif, à cause de leur lecture de la situation et de la modalité de leur témoignage, de l’opposition que Jésus rencontre dans le pays. Dans ce tableau (v. 18–19), par contre, le contenu des dires du Gérasénien est établi par le Jésus marcien : ıĮ țȡȚંȢ ıȠȚ ʌİʌȠȘțİȞ țĮ ȜȘıȞ ıİ (v. 19). Il s’agit bien de rapporter tout ce que le Seigneur a fait pour lui, ainsi que combien il a eu de compassion pour lui. Le pronom ıĮ est en effet à comprendre comme ayant la double fonction de qualifier les deux verbes auxquels il se rattache : ʌȠȚȦ et ਥȜİȦ. Le résultat est un accent exclusif sur la dimension quantitative (dont on ne saurait toutefois remettre en question la qualité) de l’action du Seigneur envers cet homme étranger. Cet accent est d’autant plus frappant lorsqu’on se souvient que les témoins oculaires, dans leur description des faits aux gens de la ville, ont privilégié, concernant l’exorcisé, le pôle de la modalité (ʌȢ, v. 16)114. En conséquence, leur rapport a porté préjudice à Jésus (v. 17). Ce glissement proposé par l’auteur implicite au lecteur implicite du pôle de la modalité (centré finalement sur le personnage Jésus et sa manière d’agir) vers celui de la quantité (centré plutôt sur les bienfaits dont l’homme a bénéficié suite à l’intervention divine) est cohérent avec la situation finale du récit : un homme dont l’annonce est axée sur la surprenante abondance de la miséricorde de Dieu et la transformation personnelle de l’individu qu’elle a rendue possible115. Le verset 113
Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 107. Nous sommes ici en présence de ce que Malbon, Mark’s Jesus, 14–18, appelle la « refracted christology », à savoir, un propos de Jésus qui doit corriger une parole le définissant ou le concernant venant des disciples ou d’autres personnages du récit. 114 Nuance conservée même par la version syriaque : क़ঀॷॲटत (« comment »). 115 Bien que le lecteur chrétien ait tendance à lire le țȡȚંȢ de Mc 5.19 comme un titre de Jésus, il faut reconnaître qu’il s’agit ici, au niveau du récit, d’une référence à Dieu. Dans l’évangile de Marc, mis à part les textes où ce substantif est utilisé dans le sens de « patron » ou « maître » (2.28 ; 12.9, 36–37 ; 13.35) et dans son acception révérencielle (7.28 ; 11.3 ; dans les deux cas titre attribué à Jésus), ce substantif est très souvent utilisé pour indiquer Dieu, que ce soit dans le contexte d’une citation ou d’une allusion à la Bible hébraïque (1.3 ; 11.9 ; 12.11, 29, 30, 36) ou pas (en 13.20, Jésus déclare țĮ İੁ ȝ ਥțȠȜંȕȦıİȞ țȡȚȠȢ IJȢ ਲȝȡĮȢ…). En Mc 5.19, l’usage de țȡȚંȢ est parallèle à celui de 13.20 : Jésus l’utilise à la troisième personne en se référant à la source de la compassion. C’est ainsi aussi que Luc comprend sa source : ıĮ ıȠȚ ਥʌȠȘıİȞ șİંȢ (Lc 8.39). Cela dit, il est tout à fait naturel qu’au niveau du discours, le lecteur de Marc y voie une désignation claire du Christ, lecture
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suivant (v. 20), que nous analysons ci-dessous, confirme l’importance accordée à ce glissement : la stupeur des gens de la Décapole n’est pas une réponse directe à l’exorcisme, mais elle est clairement mise en rapport avec la proclamation du Gérasénien116. 2.2.13 Tableau 13 : Proclamation et émerveillement (Mc 5.20) (20) țĮ ਕʌોȜșİȞ țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ ਥȞ IJૌ ǻİțĮʌંȜİȚ ıĮ ਥʌȠȘıİȞ ĮIJ ȘıȠ૨Ȣ țĮ ʌȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ (20) Et il [l’homme] s’éloigna et commença à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui, et tous étaient émerveillés.
Le dernier tableau du récit de l’exorcisme de Gérasa surprend son lecteur car il ne narre pas le retour à la maison de l’homme guéri. Un plan d’ensemble sur la Décapole montre le rebondissement inattendu de l’intrigue : ce vaste territoire devient le lieu de la proclamation de l’ex-démoniaque, proclamation qui laisse les habitants de la région en proie à l’étonnement. La construction ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ, conjuguée à l’imparfait ਥșĮȝĮȗȠȞ, donne à ce tableau presque l’allure d’un sommaire : tout comme dans sa description initiale (v. 3–5), l’homme est arraché au présent du récit pour être projeté dans une dimension atemporelle qui se prolonge indéfiniment et avec laquelle s’entrecroise le présent du lecteur. La nouvelle condition de l’homme, aboutissement de la miséricorde concrète de Dieu (v. 19 : ʌİʌȠȘțİȞ… ȜȘıȞ), correspond au renversement de sa condition initiale : les lieux isolés, solitaires et impurs sont abandonnés afin de réintégrer un foyer et une société ordonnée ; l’état de bestialité de l’homme cède le pas à sa normalité ; l’objet d’actions coercitives (v. 3–4) et auto-mutilantes (v. 5) devient le sujet d’une proclamation étonnante117. Lorsque le lecteur se remémore la triple négation de 5.3b manifestant la frustration de ceux qui voulaient, sans succès, soumettre le démoniaque, il peut établir un lien logique avec la nouvelle condition de l’exorcisé. C’est ainsi qu’au țĮ Ƞį ਖȜıİȚ
d’ailleurs confortée par le verset suivant : ıĮ ਥʌȠȘıİȞ ĮIJ ȘıȠ૨Ȣ (« tout ce que Jésus avait fait pour lui » : Mc 5.20). Voir Daryl D. Schmidt, The Gospel of Mark with Introduction, Notes and Original Text Featuring the New Scholars Version Translation, SBib 1 (Sonoma : Polebridge Press, 1991), 74 ; France, Mark, 232 ; Malbon, Mark’s Jesus, 85. 116 Ainsi aussi Timothy Dwyer, The Motif of Wonder in the Gospel of Mark, JSNTSup 128 (Sheffield : Sheffield Academic Press, 1996), 115, reprit par Collins, Mark. A Commentary, 273. 117 Ainsi s’exprime à ce sujet Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 105 : « Comme si la proclamation ne trouvait de sens que dans l’humanité du proclamateur, concerné en son histoire, coupé du chaos, orienté en une nouveauté de vie par le geste de miséricorde du Dieu qui, en personne, l’a rencontré ». Cf. Combet-Galland, 108 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 199.
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(« même pas [avec des chaînes] ») correspond son départ en homme libre (ʌĮȖİ … țĮ ਕʌોȜșİȞ, v. 19, 20) ; qu’au ȠțIJȚ (« plus »), exprimant une impuissance sur le registre temporel, correspond son élan missionnaire dont l’horizon temporel s’ouvre à présent (țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ), et enfin, et plus remarquablement encore, qu’au ȠįİȢ (« personne ») du verset 3b correspond le țĮ ʌȞIJİȢ (« tous ») du verset 20. L’anti-héros a été métamorphosé en héros d’une nouvelle histoire dont le lecteur ne fait qu’entrevoir les débuts et dans laquelle il est invité à entrer pour en prolonger la trajectoire. Encore une fois, l’auteur implicite confronte son lecteur au déstabilisant registre de l’excès. L’injonction de Jésus à l’adresse du Gérasénien (v. 19) établissait le cadre de son action (İੁȢ IJઁȞ ȠੇțંȞ ıȠȣ ʌȡઁȢ IJȠઃȢ ıȠȢ), sa modalité (ਕʌȖȖİȚȜȠȞ ĮIJȠȢ), l’objet de son témoignage (ıĮ ıȠȚ țȡȚȠȢ ʌİʌȠȘțİȞ, țĮ ȜȘıȞ ıİ) ainsi que la source ( țȡȚંȢ) de l’action miséricordieuse dont il a été le bénéficiaire. Le dernier verset du récit, tout en reprenant ces éléments contenus dans les consignes de Jésus, en propose une exécution débordante et théologiquement chargée. Le champ de mission original (« dans ta maison, vers les tiens ») s’étend de manière disproportionnée jusqu’à devenir « la Décapole » ; l’action de rapporter (ਕʌĮȖȖȜȜȦ, v. 19) est transfigurée en proclamation (țȘȡııȦ, v. 20) ; la miséricorde active de Dieu est assimilée aux gestes de Jésus, voire identifiée avec eux ( ȘıȠ૨Ȣ)118. Ce serait une erreur que de déplacer le débat de l’appréciation théologique de l’emploi du registre de l’excès, par l’auteur implicite, sur les éléments précités, à celle de la relation entre la prédication en Décapole du Gérasénien et les ordres de se taire du Jésus marcien. Contrairement aux épisodes du lépreux (1.40–45), de la résurrection de la fille de Jaïros (5.21–24, 35–43) et de la guérison du sourd-muet (7.31–37 ; voir aussi 1.34 et 3.11–12 : injonctions adressées aux démons), où le Jésus marcien demande effectivement de manière explicite aux intéressés de ne pas diffuser la nouvelle du miracle, le récit de l’exorcisme de Gérasa ne contient aucune interdiction ni, d’ailleurs, aucune « commande indirecte de silence » (i.e., témoignage réservé à sa seule famille)119. L’ex-démoniaque n’est pas désigné ni décrit comme étant désobéissant. Si l’auteur utilise la particule į dans son sens adversatif pour introduire la 118
Cette « triple avancée » a déjà été remarquée par Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 111 ; Bonifacio, Personaggi minori, 119. Voir aussi Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 146 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 200 ; Rochester, Good News at Gerasa, 148. 119 Joel F. Williams, Other Followers of Jesusࣟ : Minor Characters as Major Figures in Mark’s Gospel, JSNTSup 102 (Sheffield Academic Press : A. & C. Black, 1994), 111–12, 126, 135, 154, en suivant une intuition de Wrede, veut assimiler, à tort, le Gérasénien aux autres personnages guéris et désobéissants de l’évangile de Marc qui, tout en étant les acteurs de la proclamation des hauts-faits de Jésus – et donc plus performants, sur ce plan, que les disciples-mêmes de Jésus –, demeurent, de par leur indocilité à la parole du Maître, des personnages ambigus.
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Chapitre 2 : Organisation du récit de Marc 5.1-20
proclamation non autorisée du lépreux (1.45 : į ਥȟİȜșઅȞ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ… ; cf. 7.36), il emploie à deux reprises la conjonction țĮ pour signifier la transition positive entre l’ordre de Jésus et l’action du Gérasénien (5.20 : țĮޥ ਕʌોȜșİȞ țĮ ޥਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ…)120. Le Gérasénien, de facto, obéit à l’invitation de Jésus d’aller rapporter l’intérêt que Dieu lui a porté et la miséricorde dont il a été l’objet (5.19). Seulement, il excède cette obéissance, mais d’une manière que le narrateur évalue positivement (5.20b et aussi 7.31–32). Sa stratégie narrative implique clairement une identification positive du lecteur avec l’œuvre du Gérasénien121. La conjugaison du registre de l’excès, dans lequel est inscrit l’agir de l’expossédé, avec l’évaluation positive qu’en fait le narrateur, montre bien que le lecteur est en présence d’un événement d’importance capitale de l’intrigue marcienne. L’annonce de la bonne nouvelle de la miséricorde active de Dieu envers les nations est une dynamique qui trouve son origine non seulement dans la volonté du Jésus marcien de franchir une barrière topographique, ethnique et religieuse pour élargir son champ de mission (4.35 ; 5.1), mais aussi dans son ordre au Gérasénien de témoigner auprès des siens (5.20)122. Or l’invitation initiale de Jésus à ce non-Juif de rapporter les faits dans son territoire évolue en une proclamation assimilable à celle de Jean le Baptiseur (1.4, 7), des Douze (3.14), du lépreux guéri (1.45), de Jésus lui-même (1.14, 38–39) et, sur une échelle universelle, de tous les disciples (13.10 ; 14.9) car, dans ces textes, le verbe țȘȡııȦ est également employé. Certes, il s’agit encore d’une prédication partielle, rudimentaire et incomplète, car la Passion et la résurrection n’en font pas encore partie (cf. 8.30–33), mais il s’agit néanmoins du début officiel (pour Marc) de la mission auprès des non-Juifs123. Par anticipation, le lecteur voit dans cet épisode une anticipation de la proclamation de la Bonne 120 Voir Gundry, Mark, 265 ; France, Mark, 233, note 19 ; Joshua Garroway, « The Invasion of a Mustard Seed : A Reading of Mark 5.1–20 », JSNT 32, no 1 (2009) : 70 ; Rochester, Good News at Gerasa, 148. 121 Ainsi aussi Lane, Mark, 188 ; Witherington, The Gospel of Mark, 184 ; France, Mark, 232 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 146 ; Bonifacio, Personaggi minori, 121–23 ; Rochester, Good News at Gerasa, 148 ; Moloney, Mark, 106. Certains exégètes ont tenté de résoudre la tension, dans l’évangile de Marc, entre les consignes de silence qu’on rencontre ailleurs et l’encouragement à la proclamation dont il est question en 5.19, en recourant à des explications d’ordre historique. C’est ainsi que, pour Charles E. B. Cranfield, The Gospel according to Saint Mark : An Introduction and Commentary, CGTC (Cambridge : Cambridge University Press, 1959), 181, le Gérasénien n’est pas interdit de témoignage dans son territoire car il ne représente pas une menace dans le cadre du combat que Jésus a à mener, en Israël, contre la connotation politique couramment attribuée au concept de messie. Qui plus est, son témoignage trop exubérant aurait pu contribuer à la création de mouvements enthousiastes (cf. 2.1–2). Cette idée est reprise, entre autres, par France, Mark, 232. 122 Ainsi aussi Torchia, « Eschatological Elements », 3 ; Bonifacio, Personaggi minori, 123 ; Rochester, Good News at Gerasa, 148. 123 France, Mark, 233 ; Bonifacio, Personaggi minori, 119.
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Nouvelle à toutes les nations (13.10), impression qui sera confirmée par l’itinéraire de Jésus en 7.31 (Tyr, Sidon, Décapole) et l’accueil dont ce dernier fera l’objet en territoire étranger (7.32–37)124. Outre l’inauguration de la dynamique centrifuge de l’extension des frontières du Royaume en territoire païen, l’exubérance du Gérasénien contribue aussi à une avancée significative sur le plan christologique dans l’intrigue du deuxième évangile. Sans identifier Jésus avec Dieu, le narrateur montre que la proclamation du Gérasénien établit l’équivalence entre, d’un côté, la miséricorde et l’action de Dieu en sa faveur (v. 19) et, de l’autre, l’œuvre exorcistique de Jésus (v. 20)125. Cette compréhension de Jésus en tant qu’agent de Dieu n’implique, au niveau du micro-récit, qu’une compréhension rudimentaire de l’identité du Jésus chez l’ex-démoniaque. Toutefois, pour le lecteur implicite, il s’agit d’une affirmation qui s’intègre au portrait que l’auteur implicite est en train de dresser de Jésus, le Fils de Dieu (1.1 ; 3.11), le Fils bien-aimé (1.11), le Saint de Dieu (1.24), le Fils de l’Homme qui a le pouvoir de pardonner les péchés (2.10) et qui est Maître du sabbat (2.28), celui auquel le vent et la mer obéissent (4.41). Ce dernier texte, d’ailleurs, permet de conférer une dimension ironique à la proclamation du Gérasénien : alors que les disciples se demandent qui est Jésus (4.41), le narrateur montre qu’un païen saurait donner une réponse à cette question restée en suspens sur les lèvres des Douze126. Le tableau s’achève sur une information donnée au bénéfice du lecteur et non pas des personnages du récit (sauf le Gérasénien) : la réaction à la proclamation du Gérasénien est celle que l’on aurait attendue à l’issue de l’exorcisme, à savoir de l’émerveillement (v. 20). L’œuvre du Jésus marcien produit parfois, chez les témoins, un certain bouleversement (ਥȟıIJȘȝȚ : 2.12 ; 5.42 ; 6.51) ou même de l’étonnement craintif (ਥțșĮȝȕȦ : 9.15 ; 14.33 ; 16.5–6). Tel n’est pas le cas à Gérasa, car ici la réponse à l’exorcisme a été la peur (v. 15 : țĮ
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Déjà vu par Malbon, Narrative Space, 29, et repris par Focant, L’Évangile selon Marc,
200. 125 Que le narrateur n’implique pas une identification ontologique entre Dieu et Jésus en Mc 5.19–20 est aussi la compréhension de Marcus, Mark 1–8, 354 ; France, Mark, 233 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 200 ; Boring, Mark, 154 ; Bonifacio, Personaggi minori, 119 ; Rochester, Good News at Gerasa, 148. 126 Ce païen suscite la sympathie du lecteur tant que bénéficiaire de la grâce divine et en tant que missionnaire ; cela étant, il est tout aussi évident que le récit de Mc 5.1–20 ne tient pas encore compte de la destinée souffrante de Jésus. Il s’articule, dès lors, en témoignage incomplet de l’identité de ce dernier. C’est une narration mettant en scène une rencontre préPascale, mais racontée d’une manière à être mise en relation avec une foi en Jésus et une perspective missionnaire post-Pascale. La tension entre ces deux horizons n’est pas effacée, mais la relecture de ce récit à la lumière de la finale de l’évangile permettra d’y voir, en filigrane, un témoignage de la compréhension de la communauté marcienne de sa propre identité et de sa propre mission.
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Chapitre 2 : Organisation du récit de Marc 5.1-20
ਥijȠȕșȘıĮȞ)127. L’émerveillement est la réaction à la parole de l’ex-démoniaque. Cette réaction, qui atteste le succès de l’entreprise du Gérasénien, doit être elle aussi, à son tour, évaluée par le lecteur implicite à la lumière du macrorécit marcien. Certes, le démoniaque excède l’ordre de Jésus, mais son discours est conforme aux témoignages de Jésus dont le narrateur fait état tout au long du macro-récit et l’efficacité de ses efforts en vue de propager le message sur le territoire est incontestable, car tous étaient étonnés (v. 20 : țĮ ʌޠȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ)128. Il est envisageable, dès lors, d’évaluer positivement l’étonnement du verset 20 à double titre : au niveau du récit, il confirmerait le bien-fondé de l’initiative du Gérasénien, de son obéissance excédante ; au niveau du discours, le lecteur s’associerait à l’admiration des gens de la Décapole pour célébrer l’inauguration de la proclamation et l’acceptation de l’évangile auprès des nonJuifs, désormais membres intégrés et responsables au sein du Royaume129. Toutefois, il nous semble que l’auteur implicite préconise plutôt une tension entre le niveau du récit et celui du discours pour ce qui concerne l’évaluation de l’étonnement de la Décapole. Si l’effort de l’homme est agréé et approuvé par le narrateur par la mention d’une stupeur généralisée qui donne enfin satisfaction et remplace la peur en tant que réponse à l’œuvre de Jésus en territoire étranger, il n’en n’est pas forcément de même du point de vue de l’auteur implicite. Ce dernier, en effet, invite le lecteur à donner sa propre évaluation de l’étonnement face à la proclamation des œuvres de Jésus dans le contexte plus large de tout l’évangile. À ce niveau-là, il est évident que le résultat de la proclamation du Gérasénien n’est pas une adhésion de foi envers la personne de Jésus telle que l’évangile de Marc le présente, mais l’étonnement. La transition de la peur à la stupeur est importante, mais le parcours proposé au lecteur implicite est loin d’être achevé : la stupeur doit être sublimée en véritable et mystérieuse foi. Transition impossible si l’on ne tient pas compte de la Passion et de la résurrection130. Dans le récit du Gérasénien, l’étonnement des habitants de la Décapole (5.20) semble être assimilable à une stupeur admirative qui va dans le sens de
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Il est intéressant de constater que la parole du Jésus marcien suscite, à d’autres endroits, de l’effroi : șĮȝȕȦ en Mc 1.27 et 10.24, 32. 128 Relevé notamment par Boring, Mark, 155. 129 Attribuent une valeur positive à l’étonnement de Mc 5.20 : Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 146 ; Bonifacio, Personaggi minori, 120, 123 ; partiellement : Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 32. 130 Connotent de manière neutre ou même négative la stupeur de Mc 5.20 : Moloney, Mark, 106 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 200 ; Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 109. Pour cette dernière, le lecteur de l’évangile de Marc est « dès lors provoqué par l’absence de décision narrative : à lui d’accueillir ou de refuser la bonne nouvelle ! ».
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la glorification de Dieu, surtout si l’on met ce texte en parallèle avec l’ébahissement de la foule, toujours en Décapole, en 7.37 (ਥțʌȜııȦ). Il faudra néanmoins remarquer que si ਥțʌȜııȦ est connoté positivement (1.22 ; 7.37 ; 11.18) ou négativement (6.2 ; 10.26) selon le contexte littéraire où il apparaît, șĮȣȝȗȦ (5.20), de son côté, n’est jamais utilisé par Marc pour indiquer une stupeur pieuse ou révérencielle (6.6 ; 15.5, 44). Voici donc établie la tension entre deux horizons : la proclamation du Gérasénien est une annonce proleptique de la mission aux non-Juifs tout en gardant son caractère d’annonce incomplète – car pré-pascale –. La transition de Seigneur (Dieu) à Jésus qui s’opère aux versets 19–20 du chapitre 5 est bien une réponse à la question posée par les disciples en 4.41 ; il s’agit toutefois d’une réponse encore trop partielle. Ce qui se passe à Gérasa et ensuite dans la Décapole est le prélude à la révélation ultérieure de l’identité de Jésus en territoire non juif et dans le reste de l’évangile131, et non pas son aboutissement. Après avoir mis en valeur la structure linéaire du récit par l’appréciation de la séquence de ses tableaux, il s’agira, dans le prochain chapitre, de prolonger la démarche analytique par l’étude des composantes narratives du texte, notamment son intrigue, le jeu des points de vue et la gestion de la temporalité narrative. Le but est double : vérifier si les éléments déjà mis en valeur par l’analyse cursive du récit seront confirmés et étoffés par l’analyse corrélative, et comprendre la manière dont le texte fonctionne en tant que programme en vue de la reconfiguration épistémique de son lecteur.
131 Voir Mc 7.24–8.9, où il est question d’un nouveau périple de Jésus au-delà du Jourdain. Là, il accomplira trois miracles : l’exorcisme de la fille de la femme syro-phénicienne (7.24–30 ; à remarquer le « d’abord » du verset 27), la guérison du sourd-muet (7.31–37, à l’issue de laquelle la foule s’écrie : « il fait même entendre les sourds et parler les muets ») et la deuxième multiplication des pains (8.1–9) qui, à raison, peut être appelée « du pain pour les non-Juifs » : Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 174, qui renvoye (en note 41) à Hans-Josef Klauck, Allegorie und Allegorese in synoptischen Gleichnistexten, NTAbh.NF 12 (Münster : Aschendorff, 1978), 279, note 2 ; Petr Pokorný, « From a Puppy to the Child. Some Problems of Contemporary Biblical Exegesis Demonstrated from Mark 7.24–30/Matt 15.21–8 », NTS 41, no 3 (1995) : 335, note 7.
Chapitre 3
Analyse corrélative du récit de l’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) L’analyse narrative du récit de Marc 5.1–20 se poursuit par l’étude de son intrigue (schéma quinaire), de la manière dont l’auteur implicite gère la temporalité narrative (notamment le temps de la narration et la durée) et le jeu des points de vue. Une synthèse des résultats des études de type cursif (la séquence des tableaux, qui a fait l’objet de notre travail dans le chapitre précédent) et de type corrélatif (la relation entre les différents tableaux que nous avons pu mettre en valeur dans ce chapitre) montrera les fruits de l’approche narratologique de la péricope étudiée.
3.1 L’intrigue du récit de Marc 5.1–20 L’intrigue du récit de Marc 5.1–20
La relation entre les différents tableaux (compris comme des scènes) sera éclairée davantage par la prise en compte de l’intrigue. Il a déjà été remarqué que, lorsqu’il s’agit de déterminer la structure d’un récit (et même d’un livre entier), le lecteur participe activement à l’opération. De manière inévitablement subjective, il organise logiquement le texte à partir de l’interaction d’éléments formels présents dans le texte, mais aussi de thématiques et/ou dynamiques auxquelles il est sensible ou avec lesquelles il met en relation le texte étudié. Force est donc de constater que la structure proposée par l’exégète est un outil précieux pour faire ressortir tel ou tel aspect de la composition littéraire, mais qu’il faut aussi savoir relativiser et conjuguer avec d’autres perspectives. C’est ainsi qu’en privilégiant surtout l’axe narratif, on a attribué à la version marcienne de l’exorcisme de Gérasa une structure en forme de diptyque1 ou de
1 M. Puerto, par exemple, adoptant le point de vue fonctionnel, considère que, du verset 1 au verset 13, il serait surtout question de l’action de Jésus vis-à-vis du démoniaque, tandis que les versets 14 à 20 se concentreraient sur l’évaluation (à la fois négative et positive) de l’exorcisme. Cette lecture a sûrement le mérite de mettre en valeur la modalité par laquelle le récit intègre le lecteur dans le processus d’appréciation de l’acte de Jésus, le faisant correspondre avec le point de vue de l’homme guéri plutôt qu’avec celui des gens de la région de Gérasa. Navarro Puerto, « El endemoniado de Gerasa », 74–75.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
tétraptyque2, ou encore, le plus souvent, une disposition concentrique3. Nous préférons aborder la question à l’aide d’un outil classique en narrativité : le schéma quinaire4. La structure du récit ainsi proposée est ensuite articulée avec l’analyse dont les tableaux ont déjà fait l’objet. 3.1.1 Le schéma quinaire A – Situation initiale (circonstances de l’action) : déplacement de Jésus et des disciples en terre étrangère et rencontre avec un homme à l’esprit impur (v. 1– 5 [tab. 1–3]) B – Nouement (complication du problème) : difficulté de l’exorcisme justifiée par la révélation de la nature multiple de la possession (v. 6–10 [tab. 4])
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Pour Taylor, Saint Mark, 277, et Marcus, Mark 1–8, 348, le récit s’organise autour des « points of interest » : l’homme aux v. 1–10 ; le troupeau de cochons en 11–13 ; les gens du village en 14–17 ; l’homme encore aux v. 18–20. Légasse, Marc, 1997, 1 : 318, préfère y voir : une introduction (v. 1) ; une description du démoniaque (v. 2–5) ; la rencontre et l’exorcisme (v. 6–13) ; les conséquences (v. 14–20). Pesch, Das Markusevangelium, 1 : Einleitung und Kommentar zu Kap. 1,1–8,26 : 282, et Focant, L’Évangile selon Marc, 197, optent pour une mise en valeur de la dimension relationnelle : vue d’ensemble sur le possédé et son contexte (v. 1–5) ; relation entre Jésus et les démons (v. 6–13), les gens du village (v. 14–17), et l’ex-démoniaque (v. 18–20). Ådna, de son côté, y voit une introduction des personnages principaux (v. 1–2) suivie de trois scènes : rencontre entre Jésus et le démoniaque (3–10) ; interaction avec les cochons (11–13) ; résultat de l’exorcisme et effet sur les gens du territoire (14–20). Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 279– 301. 3 Moloney et Rochester accordent une place centrale à l’importance que revêt la notion de rencontre – notamment d’un point de vue anthropologique – dans cette péricope. Leurs propositions de lecture sont néanmoins sensiblement différentes. Pour Moloney, le texte s’organise de la sorte : A – Introduction : le possédé s’approche de Jésus (v. 1–5) ; B – Jésus rencontre le Gérasénien (v. 6–10) ; C – épisode des cochons (v. 11–14a) ; B’ – Jésus rencontre les habitants de la région (v. 14b–17) ; A’ – Conclusion : l’homme libéré s’approche de Jésus (v. 18–20). Rochester propose ceci : A – Introduction : le possédé s’approche de Jésus (v. 1–5) ; B – rencontre entre Jésus et le démoniaque (v. 6–12) ; C – les démons entrent dans les cochons et se noient (v. 13) ; B’ – rencontre entre Jésus et les gens du territoire (v. 14–17) ; A’ – Conclusion : l’homme purifié s’approche de Jésus (v. 18–20). On remarquera non sans étonnement que, en dépit de la structure concentrique proposée, la noyade des cochons, pourtant centrale dans leur structure, reçoit une attention négligeable. Moloney, Mark, 102 ; Rochester, Good News at Gerasa, 117. 4 Pour une discussion de l’intrigue telle qu’elle a été théorisée par Aristote et son développement successif en schéma quinaire, voir Paul Larivaille, « L’analyse morpho(logique) du récit », Poétique 19 (1974) : 368–88 ; Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 58–66.
L’intrigue du récit de Marc 5.1–20
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C – Action transformatrice (pivot du récit) : la présence des cochons se révèle être providentielle : le surprenant marché entre Jésus et les démons a pour résultat la perte de ces derniers (v. 11–13 [tab. 5–7]) B’ – Dénouement (résolution du problème énoncé) : l’exorcisme s’avère efficace, mais il suscite la peur des habitants de la région qui demandent à Jésus de quitter leur territoire (v. 14–17 [tab. 8–11]) A’ – Situation finale (nouvel état après la liquidation de la difficulté) : la tension narrative rebondit grâce à la nouvelle interaction entre Jésus et l’homme purifié qui aboutit à son envoi ; Jésus quitte le territoire non juif, mais il y laisse un disciple (v. 18–20 [tab. 12–13])5. 3.1.2 Correspondances entre la situation initiale (v. 1–5) et la situation finale (v. 18–20) Le récit s’ouvre par une introduction (v. 1) qui informe le lecteur du mouvement de Jésus et de ses disciples vers « l’autre côté de la mer ». Il s’agit de la suite logique de l’intention que Jésus a exprimée en 4.35 et qui va pouvoir se concrétiser après l’épisode de la tempête apaisée (4.36–41). Les personnages sont ainsi situés en territoire étranger (non juif), à savoir « dans le territoire des Géraséniens ». Aussitôt que Jésus débarque, il est confronté (v. 2) à un possédé sorti des tombeaux. Cette arrivée de Jésus (et de ses disciples) en territoire 5
Nous avons pris connaissance du beau travail de Fabre seulement après notre analyse personnelle de l’intrigue de Mc 5.1–20. Fabre, « Le possédé de Gérasa (Marc 5,1–20) », 60– 61, distingue notamment deux intrigues : une de résolution de la possession du démoniaque (situation initiale : v. 1–5 ; nœud : v. 6–7 ; complication : v. 8–12 ; dénouement : v. 13 ; situation finale : v. 14a) et une de résolution de l’annonce aux païens (v. 14b–16 ; v. 17 ; v. 18–19 ; v. 20a ; v. 20b). Néanmois, il poursuit son étude en reconnaissant que « [l]a répartition en double intrigue, pour éclairante qu’elle soit, n’est pourtant [...] pas totalement satisfaisante. Elle ne doit pas faire perdre de vue que l’ensemble de l’épisode de Gérasa est très cohérent. L’inclusion géographique entre le v. 1 et le v. 20, ainsi que l’étonnement de tous qui n’est signalé qu’au v. 20 invite à lire cette double intrigue comme unifiée, la première intrigue constituant en elle-même le nœud de la deuxième » (p. 67–68). Pour Fabre, les deux intrigues de révélation se fondent en une seule : v. 1 ; v. 2a ; v. 2b–18a ; v. 18b–19 ; v. 20. Dans sa compréhension, la révélation en question est faite « aux disciples » et concerne seulement « les intentions de Jésus » en territoire païen : elle « ne peut porter que sur le seul événement auquel ils sont associés, l’envoi du possédé guéri en mission dans le territoire païen. Il s’agit bien d’une révélation sur la légitimité, et même la nécessité [...] d’annoncer la victoire de Jésus sur les forces de la mort, c’est-à-dire le salut et la miséricorde [...] à toutes les nations » (p. 69). Fabre nous trouve d’accord sur l’importance de lire ce récit en tant qu’ensemble cohérent et sur le fait qu’il touche (aussi) à la question de la mission envers les non-Juifs. Toutefois, il nous semble que sa position est un peu réductrice et amène à un découpage déséquilibré de l’intrigue de révélation de Marc 5.1–20, 80% du récit (v. 2b–18a) constituant, selon lui, l’action transformatrice.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
Gérasénien et la rencontre hostile avec l’homme possédé qui s’ensuit constituent la situation initiale et posent le cadre pour la suite du récit. Le lecteur ne sera pas surpris par cette rencontre, car il pouvait logiquement s’y attendre. Seulement, la question s’impose et le suspense surgit : l’exorciste saura-t-il expulser les démons dans un pays qui lui est étranger6 ? Le héros et l’anti-héros s’affrontent en allant l’un vers l’autre : Jésus vient d’apprivoiser la mer (4.35– 41), l’homme possédé descend des montagnes ; Jésus vient d’Israël, le démoniaque d’une terre païenne, de surcroît de lieux impurs : les tombeaux ; Jésus va vers l’impureté, le démoniaque, avec une allure menaçante, vers le Fils de Dieu. Il s’agit bien d’un dépassement, pour Jésus, d’une barrière géographique, mais aussi culturelle, religieuse et spirituelle. Le narrateur se livre ensuite à une description (v. 3–5) de l’état dramatique dans lequel vit cet homme. Le lecteur réalise que cet exorcisme s’avèrera plus compliqué que les autres (cf. 1.23–26 et 3.11–12) à cause de la force surnaturelle qui anime le possédé de Gérasa. Personne n’est arrivé à maîtriser cet individu (v. 3–4). Qui plus est, l’homme retourne sa fureur contre lui-même (v. 5b). La fonction de cette description du mode de vie et de la puissance du démoniaque est d’engendrer, chez le lecteur, une tension liée au questionnement de type pronostique : que va-t-il arriver ? Et comment cela va-t-il se produire ?7 À cette situation initiale, à savoir l’arrivée de Jésus et sa confrontation avec le démoniaque (de la situation duquel on donne une description), correspondent de manière spéculaire une nouvelle interaction entre Jésus et le Gérasénien – aboutissant cette fois à son envoi en mission – et le départ de Jésus (et de ses disciples, même s’il n’est pas explicitement mentionné) de ce territoire (situation finale). Le récit s’achève sur une évaluation positive de cette incursion de Jésus en pays non juif : l’homme, désormais exorcisé, le supplie (cf. v. 6) de pouvoir être avec lui (v. 18). Le refus de Jésus débouche sur un renversement de la situation initiale : si, au début du récit, le lecteur contemple une dynamique de nature centripète reliant le possédé à Jésus, la situation finale décrit un mouvement centrifuge qui permet au Gérasénien de devenir le héraut de Dieu (et de Jésus) dans la Décapole8.
6
Ainsi Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 73. La prise en compte de la fonction thymique du récit est appelée approche pragmatique. Elle est discutée dans Raphaël Baroni, La tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Poétique (Paris : Seuil, 2007), 253–315. Voir Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 69–75. 8 G. Bonifacio, en remarquant le lien entre la réaction négative des habitants décrite aux versets 15–17 et la réaction positive des habitants de la Décapole au verset 20, parle de « réouverture » à propos de l’attitude des personnes qui ont demandé à Jésus de quitter leur territoire : Bonifacio, Personaggi minori, 99. 7
L’intrigue du récit de Marc 5.1–20
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3.1.3 Correspondances entre le nouement (v. 6–10) et le dénouement (v. 14–17) Lors de l’affrontement (v. 6–10) entre le démoniaque et Jésus, le narrateur fait état de deux éléments-clés : d’un côté, la résistance que le démon oppose aux injonctions de Jésus de quitter l’homme (v. 8) ; de l’autre, la nature multiple de la possession (v. 9) : si l’esprit impur connaît bien l’identité de Jésus (« Fils du Dieu Très Haut », v. 7), le lecteur et le personnage de Jésus découvrent ensemble que le démon est en fait une entité plurielle appelée Légion. À bien y regarder, cette légion semble en réalité vouloir éviter la confrontation (v. 7). Devant le caractère inévitable de cette dernière, le démon cherche à en limiter les conséquences en suppliant Jésus de ne pas « les » envoyer « hors du territoire » (v. 10 ; voir aussi la supplication au verset 12 : « envoie-nous dans les cochons »). Le nouement (tableau 4) révèle à la fois la nature de Légion et sa résistance à quitter l’homme, introduisant de la sorte une phase d’attente, le retard. Cette phase amène le lecteur à maximiser la tension initiale par la mise en rapport dialectique de l’anticipation avec l’incertitude. En dépit du fait que Jésus ordonne à l’esprit impur de partir (v. 8), il sait résister (v. 10). Il n’est pas anodin de remarquer que le personnage principal (Jésus), en dépit de son ignorance initiale quant à la nature multiple de Légion et de la résistance que ce dernier oppose, est amené à agir moins par une manipulation extérieure qui l’obligerait à assumer le rôle d’exorciste que par un projet déjà établi à l’avance. Au fond, c’est bien Jésus qui a décidé d’aller en territoire non juif (4.35). Dès lors, l’intrigue se construit autour du registre du vouloir-faire plutôt que de celui du pouvoir-faire. Ce vouloir-faire se trouve confronté à la complication que représentent la puissance de Légion et sa volonté de quitter, à la limite, l’homme mais pas le territoire (v. 10). Ce constat montre que le but du récit n’est pas seulement de montrer le pouvoir de Jésus, mais aussi la modalité du déploiement de ce pouvoir. La résolution du problème énoncé (dénouement) correspond, de toute évidence, à l’exorcisme réussi dont l’efficacité est confirmée par les témoins oculaires et les habitants des environs. La difficulté dont le nouement a fait état est dépassée lorsque Jésus montre que son pouvoir lui permet de faire de cet homme démoniaque un être humain « assis, habillé et avec [son] bon sens » (v. 15). Ce sont, d’un point de vue narratif, les habitants de ces contrées, i.e., ceux qui n’arrivaient pas à le lier (v. 3–4), qui contemplent la scène (v. 14–15). La réponse au questionnement initial du lecteur a enfin été apportée : elle confirme l’anticipation que le lecteur avait faite, à savoir que Jésus allait exorciser l’homme. Toutefois, la modalité de résolution du problème (action transformatrice) et la réaction immédiate et résolument négative des villageois à l’action de Jésus (v. 17, partie intégrante du dénouement) ne manqueront pas de surprendre le lecteur : celui qui a vaincu la tempête et Légion et qui a maîtrisé
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
le naturel et le surnaturel se voit confronté à une opposition humaine aussi renouvelée qu’obstinée9. 3.1.4 L’action transformatrice (v. 11–13) Au cœur du schéma narratif se situe l’action transformatrice, la dynamique qui permet la transition entre le problème relevé dans le nouement et sa résolution attestée dans le dénouement. Pour le récit de Marc 5.1–20, la dynamique transformatrice se déploie à partir de la remarque que le narrateur fait au verset 11, c’est-à-dire la mention de la présence de cochons sur la montagne. L’apparition (du point de vue narratif) d’un troupeau de pourceaux fournit, en effet, une opportunité (v. 11–13) à Légion de pouvoir succomber au pouvoir de Jésus en quittant le possédé tout en restant sur le territoire. Hélas pour Légion, la permission accordée par Jésus se révèle être sa perte : les nombreuses bêtes, désormais possédées, se noient après une chute de l’escarpement. La performance du héros doit être appréciée en fonction de ses prémisses (dans ce cas le vouloir-faire de Jésus) et, en aval, de sa sanction. Dans le récit marcien du démoniaque de Gérasa, il est question d’une triple sanction : la première, imputée aux gens qui ont peur et supplient Jésus de quitter leur territoire (v. 17) ; la deuxième, explicitée par l’ex-démoniaque qui exprime un souhait de proximité (v. 18) ; la troisième, signalée par l’émerveillement de toute la Décapole (v. 20). Ce conflit d’interprétation de la performance du Jésus marcien ne concerne pas seulement l’issue de l’exorcisme mais aussi ses modalités (un thème que l’on avait déjà rencontré en Marc 3.22–30 : controverse sur Béelzéboul) et, ultimement, l’évaluation de l’exorciste et la définition d’une modalité relationnelle avec lui. Voilà confirmé, au niveau de l’intrigue, ce qui avait déjà été remarqué lors de l’analyse des tableaux. Le conflit d’interprétation vaudra aussi pour d’autres personnages de cet évangile (cf., par exemple, Hérode et « d’autres » en 6.14–16) et exigera de la part du lecteur un jugement de valeur de l’action et de la personne de Jésus ainsi qu’une prise de position en conséquence. L’appréciation de l’intrigue du récit nous a permis de mieux structurer ce qui avait été relevé dans l’analyse des tableaux. Le registre de l’excès, la relation entre le pur et l’impur, le thème de la relation entre Jésus et les étrangers..., tous ces éléments s’articulent autour de l’action paradoxale de Jésus, qui en fait un personnage hors norme, qui résiste aux tentatives de l’enfermer dans un schéma ou de le retenir physiquement, un protagoniste porteur d’une dynamique transformatrice qui ne craint pas la relation avec ce qui est impur mais qui la gère pour pouvoir, souvent de manière inattendue, étendre les frontières du Royaume.
9 Voir Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 69–75 ; Barthes et al., Analyse structurale, 83.
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L’intrigue du récit de Marc 5.1–20
Du point de vue de l’intrigue, il est maintenant utile d’apprécier la relation entre le dénouement et la situation finale, ainsi que la stratégie narrative mise en œuvre par l’auteur implicite concernant la gestion des personnages, la dimension temporelle et la relation entre le narrateur et le narrataire. 3.1.5 Du dénouement (5.14–17) à la situation finale (5.18–20) : le changement de paradigme de la modalité et de l’objet de l’annonce Le dénouement fait état, à deux reprises, d’un acte communicatif concernant l’exorcisme opéré par Jésus. Au verset 14b (tableau 9), ce sont les porchers qui « rapportèrent » (ਕʌȖȖİȚȜĮȞ) dans la ville et les alentours ce dont ils avaient été témoins. Ensuite, au verset 16 (tableau 10), ce sont toujours eux qui « racontèrent en détail » (įȚȘȖıĮȞIJȠ). Dans la situation finale, par contre, c’est l’homme « qui avait été démoniaque » (v. 18 : įĮȚȝȠȞȚıșİȢ) qui prend en charge le rôle d’émetteur. Toutefois, le narrateur précise que le Gérasénien « commença à proclamer (ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ) dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui » (v. 20). Du point de vue de la modalité de l’acte communicatif, on remarque le passage d’une modalité descriptive et, dans l’immédiat, efficace – car les gens accourent pour voir (v. 14b) – mais à l’issue négative (peur au verset 15 et rejet au verset 17), à une proclamation qui suscite l’émerveillement (v. 20) et dont le résultat à l’égard de Jésus, dans le cadre du microrécit, est laissé en suspens. Lorsque l’attention du lecteur se porte sur l’objet des actes communicatifs du dénouement, il remarque que, dans le premier cas (v. 14a), il n’est pas spécifié, mais, que dans le deuxième (v. 16), le narrateur précise que l’énonciation se focalise sur le « comment » (ʌȢ) de l’exorcisme et sur la question des cochons. Toutefois, le Gérasénien est toujours défini en tant que « démoniaque » (IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ). Dans la situation finale, par contre, le personnage de Jésus invite l’ex-démoniaque à aller « rapporter » (ਕʌĮȖȖȜȜȦ) « tout ce que (ıĮ) le Seigneur » a fait pour lui (v. 19) ; l’homme purifié suivra les consignes (v. 20 : ıĮ). Voici un tableau récapitulatif des modalités et des objets des actes de communication concernant l’exorcisme advenu dans le dénouement et la situation finale : Acteur(s)
Modalité
Objet
Résultat
v. 14a : gardiens des cochons v. 16 : témoins oculaires (gardiens) v. 19 : potentiellement le Gérasénien v. 20 : Gérasénien
ܻʌĮȖȖޢȜȜȦ
non spécifié
v. 15 : peur
įȚȘȖȠȝĮȚ
comment (ʌȢ)
v. 17 : rejet
ܻʌĮȖȖޢȜȜȦ
proposé : tout ce que (ıĮ) tout ce que (ıĮ)
–
țȘȡııȦ
v. 20 : émerveillement
130
Chapitre 3 : Analyse corrélative
L’invitation de Jésus au verset 19 marque un tournant au niveau du paradigme du contenu de l’annonce et, par extension, de sa modalité. L’acte plutôt générique des gardiens de « rapporter » évolue vers une présentation plus détaillée (įȚȘȖȠȝĮȚ) mais centrée sur le mécanisme, c’est-à-dire la dimension du quomodo (modalité), de l’action de Jésus (dimension magique et perte économique probablement en vue). De son côté, l’ex-démoniaque est confronté à la parole de Jésus qui l’incite aussi à aller « rapporter », mais en focalisant le résultat acquis (quid) comme étant la manifestation de la compassion de Dieu. Sa modalité communicative va alors évoluer dans un sens différent de celui des gardiens des cochons : il va désormais « proclamer ». L’opposition entre la modalité communicative des gardiens (et ses résultats) et celle du Gérasénien est confirmée par un autre élément mis en valeur par la transition du dénouement vers la situation finale. Le premier s’achève sur l’image suivante : les gens de la ville et des alentours « commencèrent (ਵȡȟĮȞIJȠ) à le supplier de s’éloigner (ਕʌİȜșİȞ) de leur région » (v. 17). La situation finale, par contre, propose une scène qui renvoie dialectiquement à celle-ci : le Gérasénien « s’éloigna (ਕʌોȜșİȞ) et commença (ਵȡȟĮIJȠ) à proclamer » (v. 20). Le parallélisme dialectique entre ces deux scènes est rendu évident par l’emploi de deux verbes identiques et la description de mouvements centrifuges. Il s’agit néanmoins d’un parallélisme inversé. Les témoins de l’exorcisme s’éloignent (mouvement centrifuge : v. 14), dans un premier temps, de Jésus pour ensuite, par leur témoignage, engendrer une dynamique centripète ayant pour centre le Jésus marcien (v. 15). Seulement, leur action débouche sur les prémices d’un refus catégorique du thaumaturge (nouveau mouvement centrifuge : v. 17). À l’opposé, le Gérasénien est d’abord caractérisé par un mouvement centripète (v. 2, 6) convergeant vers Jésus. Suite à la rencontre avec le « Fils du Dieu Très-Haut », il est confronté à la nécessité de s’en éloigner (mouvement centrifuge : v. 19, 20). Le récit s’achève sur le sentiment d’émerveillement des habitants de la Décapole et la reprise du parallèle dialectique entre le Gérasénien et les gardiens sera maintenue en suspens : Gardiens (mouvements) :
Gérasénien (mouvements) :
centrifuge (v. 14) centripète (provoqué : v. 15) centrifuge (provoqué : v. 17)
centripète (v. 2, 6) centrifuge (v. 19, 20) centripète ? (extérieur au micro-récit)
Le narrataire, cependant, ne doit pas attendre longtemps. Narrativement, Jésus se retrouvera bientôt ਕȞ ȝıȠȞ IJȞ ȡȦȞ ǻİțĮʌંȜİȦȢ (« au milieu des limites de la Décapole », 7.31), au centre d’un mouvement centripète de gens qui lui amèneront un sourd en le suppliant de le guérir. Cette fois, la réaction de ces derniers ne sera pas de le pousser à partir mais plutôt de s’exclamer țĮȜȢ ʌȞIJĮ ʌİʌȠȘțİȞ (« il a fait tout à merveille »).
L’intrigue du récit de Marc 5.1–20
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3.1.6 Les rôles des personnages de l’intrigue selon le schéma sémantique Le récit marcien du démoniaque de Gérasa met en scène plusieurs actants10. Ils ont moins une dimension psychologique que fonctionnelle, car ils sont surtout des sujets pragmatiques et/ou cognitifs. Le lecteur encodé11 n’a aucune difficulté à repérer certains éléments de la structure de la syntaxe narrative du récit. Il est déjà au courant du fait que la fonction de destinateur est assumée par Dieu, celui qui envoie le sujet, Jésus, pour annoncer que « le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché » (1.15). En Marc 5.1–20, le destinataire de l’action du sujet est, bien évidemment, le démoniaque. C’est lui qui sera le bénéficiaire du don, de l’objet, à savoir la restauration apportée par le sujet. Le lecteur encodé ne sera pas non 10 Selon la définition de Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 89 : « [u]n actant est le titulaire d’une fonction nécessaire à l’accomplissement de la transformation qui est au centre du récit ». Pour la discussion sur les modèles actanctiels voir Algirdas J. Greimas, Sémantique structurale. Recherche de méthode, Nouvelle édition, FSém (Paris : PUF, 1986), 172–91. 11 Marguerat, en faisant siennes les catégories d’« audience narrative » et d’« audience auctoriale » élaborées par Peter J. Rabinowitz, Before Reading. Narrative Conventions and the Politics of Interpretation (Ithaca – London : Cornell University Press, 1987), et reprises par Paul Danove (The Rhetoric of Characterization, 16–17), propose au lectorat francophone la distinction entre lecteur encodé et lecteur construit (Marguerat, « L’exégèse biblique à l’heure du lecteur », 22 ; « Quatre lecteurs pour quatre évangiles », in Saveurs du récit biblique, par André Wénin et Daniel Marguerat (Genève – Montrouge : Labor et Fides – Bayard, 2012), 40–42). Le lecteur encodé est l’« image du narrataire telle qu’elle émerge de la stratégie narrative. Le narrateur prête au lecteur une compétence (par exemple des connaissances culturelles ou musicales), il présuppose de sa part des informations (politiques ou géographiques) ou bien lui prête une ignorance qu’il cherche à combler » (« Quatre lecteurs », 40). Cependant, le lecteur encodé n’est pas une instance absolument abstraite et déconnectée de l’univers socioculturel de l’auteur historique : il est donc nécessaire de conjuguer à l’approche narrative une recherche historique qui éclaire la nature des compétences que le texte requiert de la part de son lecteur encodé (ou audience auctoriale) : « Quatre lecteurs », 41. Rohrbaugh relève que les évangiles s’incrivent dans une stratégie rhétorique de « convergence linguistique », car Jésus, ses disciples et la plupart des personnages mineurs des récits partagent le même stratum social des destinataires : Richard L. Rohrbaugh, « The Jesus Tradition : The Gospel Writers’ Strategies of Persuasion », in The Early Christian World, éd. par Philip F. Esler, vol. 1 (London – New York : Routledge, 2002), 206–9. Voir aussi Stegemann et Stegemann, The Jesus Movement, 187–220 ; Rochester, Good News at Gerasa, 72. Le lecteur implicite encodé de Marc connaît le grec de la koinè et la Septante, adopte une cosmologie complexe intégrant l’existence de Dieu et celle de Satan, des anges et des démons, est familier de la sensibilité et de la foi juives, sans pour autant être forcément au courant des détails de ses pratiques, ou même capable de comprendre l’araméen. On lui demande, dès le début du récit, de se fier complétement au narrateur et d’adopter son point de vue (qui est aussi celui de Dieu) : ainsi aussi Malbon, « Narrative Criticism », 28. Le lecteur encodé est néanmoins susceptible d’évoluer ; cette transformation est bien le but ultime de la narration.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
plus surpris de voir converger dans le même acteur deux fonctions actancielles : le démoniaque, en effet, tout en étant le destinataire de l’action libératrice, assume aussi, et de manière temporaire, de par son association avec les démons et sa soumission à la puissance surnaturelle, Légion, le rôle d’opposant. Le récit, toutefois, exerce sa force reconfiguratrice sur le lecteur encodé pour l’amener à son statut de lecteur construit12. Cela se fait par la surprenante fonction actancielle assumée par les personnages. Ceux qui, au début du récit, s’opposaient sans succès au possédé, à savoir les habitants de la région, pourraient être d’emblée considérés comme des adjuvants, fort peu efficaces, il est vrai, du héros. De même, les témoins oculaires qui rapportent dans la ville l’exorcisme advenu semblent assumer un rôle positif en ce qu’ils contribuent à la propagation de l’action de Jésus. Sur le même registre, l’homme exorcisé, qui exprime à la fin du récit le désir d’« être avec lui [Jésus] », devrait être compris, au niveau de la structure narrative de surface, comme assumant la fonction d’adjuvant, car il s’agit d’une action qui participe au processus d’inclusion dont cet étranger a fait l’objet. De l’autre côté du spectre, les démons, qui s’attachent avec acharnement au territoire, assument la fonction d’opposants, car ils entravent l’accomplissement de la mission du sujet. Mais voilà que l’auteur implicite opère une subversion massive : les habitants de la ville, ainsi que les témoins oculaires, se révèlent être, en réalité, des opposants. Le même verdict s’applique au désir de l’homme exorcisé qui doit 12
Le lecteur construit est « un lecteur que le narrateur veut construire par son texte : il s’agit alors de la somme, non pas des compétences, mais des effets que le texte cherche à exercer sur lui. C’est le lecteur souhaité plutôt que postulé, idéal plutôt qu’entériné » (Marguerat, « Quatre lecteurs », 40). Là aussi la recherche historique s’avère nécessaire pour ne pas se méprendre sur le système de valeurs et la vision du monde que l’auteur historique veut superposer à ceux du lecteur (idem, p. 41). Le lecteur implicite construit est alors le résultat du processus interprétatif par lequel le lecteur encodé, au fil du récit, voit ses convictions tantôt confirmées, tantôt reformulées, voire subverties. Le sens préexistant et attribué à l’avance par le lecteur encodé aux paroles et aux événements se révèle être, dans le récit, parfois insuffisant ou même complétement erroné. Il faut alors se poser la question de savoir comment le récit redéfinit la signification des paroles et des événements pour aboutir à une reconfiguration épistémique du lecteur implicite. Le récit produit son effet pragmatique sur le lecteur par un procédé que Rochester appelle la « rhétorique de la démonstration » : au niveau de l’histoire, l’évangile de Marc propose une christologie narrative en présentant Jésus par des guérisons, des exorcismes, des paroles de et sur lui ; mais, au niveau du discours, Marc propose aussi de contempler de près les dynamiques de changement (ou de résistance) qui s’opèrent dans la vie des personnages du récit (avènement ou reconfiguration de la foi, guérison, émerveillement, accès à une nouvelle identité ou refus, repliement sur soi et désarroi) et d’y participer : Rochester, Good News at Gerasa, 68–69 ; cf. Vernon K. Robbins, Jesus the Teacher : A Socio-Rhetorical Interpretation of Mark, 1e éd. 1984 (Philadelphia : Fortress press, 1992), 197–209. Le lecteur implicite, dans sa double identité de lecteur encodé et de lecteur construit, par sa relation aux personnages du récit et son exposition à la stratégie rhétorique de l’écrit, s’engage lui-même dans un acte dialogique de construction de sens.
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accepter la frustration du détachement physique de Jésus pour se rallier véritablement à lui. Inversement, la présence des cochons et le désir des démons de ne pas s’éloigner du pays s’avèrent être des éléments qui participent au succès du héros dans sa quête de l’objet (l’exorcisme et la purification du territoire) : ils assument alors la fonction d’adjuvants. Les acteurs qui n’assument qu’une seule fonction actancielle sont Dieu, Jésus et les démons (les disciples étant narrativement absents du début à la fin du récit). Parmi eux, seul Jésus est un personnage rond, c’est-à-dire complexe dans ses actions et réactions. C’est précisément autour de ce protagoniste complexe et de ses actions surprenantes que s’organise le bouleversement des pronostics du lecteur encodé. Certes, les opposants n’ont pas tous le même système de valeurs : par exemple, Légion n’est pas comparable aux habitants de la ville. Cependant, c’est précisément là que réside la force reconfiguratrice de la syntaxe narrative (actants), d’abord, et discursive (acteurs), ensuite, du récit : le lecteur est amené à remettre en cause son évaluation des personnages et les relations de sympathie, d’antipathie et d’empathie qu’il a établies avec eux, sur la base non pas de ses convictions préalables mais de leurs interactions avec le Jésus marcien. 3.1.7 Les réponses de Jésus aux souhaits exprimés par les personnages Ce qui retiendra notre attention est la gestion paradoxale, par Jésus, des souhaits exprimés par les divers protagonistes qui interagissent avec lui. Le lecteur fait face à un constat assez étonnant : Jésus demeure un personnage qui, tout en étant au niveau du macro-récit celui qui se donne (cf. 10.45), est aussi, dans ce récit particulier, celui qui se soustrait, aussi bien au désir du narrataire de le figer dans une série de comportements prévisibles, qu’au désir du Gérasénien exorcisé de bénéficier de sa présence physique (5.20). Voici l’enchaînement, dans le récit, des souhaits et des réponses données13 : Souhait
Réaction
Évaluation
Consentement
Le souhait exprimé dans le tableau 4 se concrétise dans la demande d’aller dans les cochons (tableau 6). Le lecteur est surpris. Toutefois la réponse positive au souhait de Légion s’avère donner une issue qui va à l’encontre des prévisions du demandeur.
Tab. 4 (dans le nouement) :
Tab. 6 (dans l’action transformatrice) :
Légion supplie Jésus de ne pas envoyer les démons hors du territoire (v. 10)
Jésus répond de manière favorable à la requête des démons ; cette décision, surprenante pour le narrataire, se
13
Nous n’incluons pas dans cette liste le « je t’adjure » du verset 7, car il ne s’agit pas d’une formule exprimant un souhait, mais d’une tentative, paradoxale et ironique, certes, de maîtriser l’exorciste : voir supra, p. 88-89, note 36 ; infra, p. 451.
134
Chapitre 3 : Analyse corrélative révèle être en fait une catastrophe pour les esprits impurs (v. 12–13a) Consentement
Tab. 11 (dans le dénouement) :
Tab 12 (v. 18, dans la situation finale) et, en dehors du récit, v. 21a :
suite à la relation des témoins oculaires/gardiens, les gens de la région demandent à Jésus de quitter leur territoire (v. 17)
la suite du récit informera le lecteur de la réponse positive de Jésus à ce souhait : (Tab 12 et v. 21a)
La demande des habitants de la ville et des campagnes pourrait surprendre, leur peur (v. 15b) étant considérée comme inappropriée après la remarque du verset 15a. Pourtant Jésus monte sur le bateau (v.18) pour quitter la Décapole.
Refus Tab. 12 (dans la situation finale) :
Tab. 12 (idem) :
l’homme demande à être avec Jésus (v. 18)
l’homme proclame dans la Décapole ce que Jésus a accompli pour lui (v. 20)
Le souhait de l’homme ne se concrétise pas (réponse négative de Jésus), mais une contreproposition est faite (v. 19) : son acceptation permet une issue positive (v. 20).
L’action et la parole de Jésus sont doublement déstabilisantes : il répond positivement à la demande de Légion et négativement à celle d’un disciple potentiel. Toutefois, les aboutissements des deux situations montrent que sa démarche, aussi surprenante soit-elle, est conforme aux attentes suscitées par le macro-récit : les démons sont vaincus et l’Évangile est proclamé. Que faut-il penser alors du consentement de Jésus à la requête de partir de leur territoire que lui adressent les habitants de la ville ? La frustration du narrataire face à cette attitude (non légitimée par le résultat de l’exorcisme) des gens sera, elle aussi, l’objet d’une subversion. L’acquiescement de Jésus à cette demande de distanciation physique se situe en tension avec son refus du désir de proximité du Gérasénien purifié. Pourtant, les deux réponses opposées de Jésus pointent instamment dans la même direction : à une proximité physique il préfère et privilégie une proximité kérygmatique. Aussi bien l’homme que la Décapole seront habités par sa présence car il fera désormais partie du message annoncé par l’homme auquel il s’est soustrait seulement dans sa dimension tangible, corporelle : ce que le Seigneur (Dieu) a fait devient ce que Jésus a fait : celui qui proclame la bonne nouvelle de la proximité du Royaume (cf.
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1.14–15) devient partie intégrante de l’annonce lui-même14. La parole se révèle alors plus efficace que le miracle lui-même, la proclamation est plus performante que l’observation des « faits ». Cela est vrai dans un sens comme dans l’autre. C’est suite à la relation détaillée et pourtant fallacieuse des témoins oculaires que les habitants de la région commencent à demander à Jésus de partir. À l’opposé, c’est grâce à la proclamation du Gérasénien que toute la Décapole est émerveillée. En anticipant un peu, on pourrait remarquer que l’annonce qui s’enracine dans le fait mais qui doit aussi l’expliquer pour éviter d’en déformer le sens se trouve telle quelle à la fin de l’évangile de Marc. Au chapitre 16, c’est l’annonce de la résurrection qui éclaire la signification du tombeau vide et le soustrait à toute déformation interprétative. On pourrait dire que la dynamique de l’annonce qui explique les faits déconcertants de Gérasa est en réalité une mise en abyme, car la proclamation qui vise à expliquer le paradoxe du rejet de Jésus (il consent à quitter le territoire de Gérasa, comme il consent à sa mort voulue par ses opposants) et son absence (il se soustrait au Gérasénien, comme aux femmes qui vont au tombeau), ainsi que l’ouverture aux païens, exprime très fidèlement le message de tout l’évangile de Marc. 3.1.8 La relation entre le narrateur et le narrataire Dans les évangiles, et celui de Marc ne fait pas exception, l’auteur implicite est souvent confondu avec le narrateur. En tant qu’instance narrative fiable et omnisciente, il s’exprime pour favoriser la bonne compréhension (selon le point de vue de l’auteur implicite) des paroles de Jésus (cf. 7.19b), pour décrire parfois ses pensées (cf. 3.5) et celles d’autres personnages (cf. 5.28), et même pour rapporter verbatim ce que Dieu déclare directement à son Fils (1.11). De même, on peut assimiler le narrataire au lecteur implicite : pour Marc, il s’agira d’un lectorat capable de saisir, par exemple, l’enjeu du « nom » pour les dynamiques de pouvoir lors des exorcismes, les éléments d’impureté, la portée du nom « Légion » et aussi la caractérisation des personnages-clés du récit avec une finalité mimétique. Puisque le narrateur réclame son statut de source crédible à propos des paroles et des actions du Fils de Dieu, la relation entre le narrataire et le narrateur, depuis le tout début de l’évangile de Marc, exerce une fonction herméneutique importante pour la compréhension du récit de Marc 5.1–20. Le premier miracle opéré par le Jésus marcien a été un exorcisme (Mc 1.21–28) : le narrataire ne sera donc pas étonné par le fait que Légion soit déjà au courant de son identité et de son pouvoir (Mc 5.6–7 // Mc 1.24). Pourtant, en amenant le héros, et le 14 Starobinski, dans son analyse sémiotique, avait déjà relevé la dimension kérygmatique du récit de Gérasa et le fait que l’annonce de l’action de Jésus par l’homme libéré est en effet un « emblème figuré » de l’origine de la Bonne Nouvelle elle-même : Starobinski, « Le démoniaque de Gérasa », 68.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
lecteur avec lui, pour la première fois en dehors du territoire juif, et en relatant cet épisode si déroutant à bien des égards, le narrateur donne à ce récit une fonction programmatique concernant la relation à l’étranger : juste avant et juste après le récit en question, Jésus franchit une barrière géographique (« la mer » : 5.1, 21) ; mais, dans le récit aussi, il est question d’« aller de l’autre côté », de franchir d’autres types de barrières idéologiques. Pour pouvoir guider le narrataire dans le processus d’interprétation et d’identification, le narrateur doit imprégner le texte de son système de pensée et ses jugements de valeurs15 : en 5.19–20, par exemple, la phraséologie choisie montre son approbation et pousse à une identification du narrataire avec l’homme exorcisé. En vertu de son statut d’instance narrative fidèle au point de vue de Dieu et de Jésus, sa sanction ou sa condamnation revêtent la plus grande valeur pour le narrataire. Un autre outil à la disposition du narrateur pour guider le processus herméneutique qu’est amené à effectuer le destinataire est la gestion de l’instance narrative. On remarquera que le narrateur n’est pas un personnage de l’histoire racontée (évangile de Marc) et qu’il n’intervient pas dans le micro-récit (Mc 5.1–20). Sa relation au récit est alors de nature extra-hétéro-diégétique16. Toutefois, il ne s’ensuit pas que cette distance l’empêche de présider à la réception du récit par le narrataire. Tout d’abord, le narrateur alterne savamment la mimesis avec la diégèse en tant que mécanismes de narration17. Lorsque l’on regarde de près Marc 5.1–20, on s’aperçoit que, pour la première partie du récit, les versets 1–6 correspondent à la modalité narrative diégétique, tandis qu’il s’agit surtout de mimesis pour les versets 7 à 9 ; on revient enfin à la diégèse pour le verset 10. Le narrateur, par le recours au discours direct, souligne l’importance du dialogue entre Jésus et le possédé/Légion. D’un côté, au niveau du récit, ce dialogue dévoile la puissance formidable qui résiste à Jésus, en faisant monter la tension dramatique de cet affrontement. Au niveau du discours, ce dialogue joue un rôle important en qualifiant Jésus de Fils de Dieu et en associant son exorcisme aux tourments auxquels les démons sont destinés. Le choix des modalités de narration pour la suite du récit est tel que les versets 11 à 20 sont formulés selon la modalité diégétique, à l’exception notable des versets 12 et 19 (mimesis). Au verset 12, le narrateur montre comment les démons supplient Jésus d’être envoyés dans les cochons pour rester dans le 15
Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 96. L’instance narrative est « le statut que se donne le narrateur dans le rapport avec le texte », tandis que la diégèse est l’histoire racontée. Pour une explication des modalités de l’instance narrative voir Marguerat et Bourquin, 36–39. Cf. André Gagné, « De l’intentio operis à l’intentio lectoris : essai herméneutique à partir de l’épisode du démoniaque de Gérasa (Mc 5,1–20) », Théologiques 12, no 1–2 (2004) : 221. 17 Gérard Genette, Figure III (Paris : Seuil, 1972), 187 : la mimesis (appelé aussi « showing » par les narratologues) est « un maximum d’information et un minimum d’informateurs » tandis que la diégésis (« telling ») est définie par le rapport inverse. 16
L’intrigue du récit de Marc 5.1–20
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pays, tandis qu’au verset 19 il montre comment Jésus (r)envoie l’homme exorcisé pour qu’il reste dans son pays. La relation ironique entre ces passages (qui, par ailleurs, ne manquent pas de souligner l’autorité de Jésus) met en valeur le fait que la mimesis est réservée seulement aux personnages de Jésus, de Légion et du Gérasénien. Les dires des gardiens des pourceaux, des témoins oculaires et des habitants de la ville ne reçoivent pas la même attention. Au-delà de la complexité de ce récit et du nombre de personnages qui y figurent, le triangle « exorciste / esprits impurs / être humain » demeure le centre de gravité autour duquel tout le reste s’organise et doit être interprété. Un autre élément à considérer pour la péricope de Marc 5.1–20 est la manière dont le narrateur régit la relation du narrataire avec les personnages du récit, ou peut-être serait-il préférable de dire le positionnement du lecteur face à ces derniers. Lorsque l’on considère les versets 1 à 5, le narrateur met le narrataire au bénéfice d’informations sur le démoniaque que le personnage de Jésus n’est pas censé avoir. Le narrataire est donc dans une situation de supériorité, car il en sait plus que le héros. Toutefois, la distance entre le narrataire et Jésus se comble lorsque le narrateur montre au lecteur que tout n’a pas été dit, la nature multiple de la possession lui étant dévoilée au moment même où elle l’est à Jésus. Le lecteur, à ce stade, en sait autant que le héros. Le narrataire continue cette trajectoire qui conduit, au fur et à mesure, à une plus grande « opacité du récit »18 : aux versets 11–13, le narrataire se trouve surpris par la négociation à laquelle Jésus se prête et par l’issue de son accord donné à Légion. Il réalise alors qu’il ne maîtrise ni toutes les données de l’histoire ni le personnage de Jésus (ses intentions, ses modalités d’action). Le narrateur joue encore sur le registre de l’opacité aux versets 14 à 17. S’il est vrai que le narrataire est informé du fait que les gardiens font un rapport (v. 14) et que les témoins oculaires racontent « comment [cela] était advenu au démoniaque, et à propos des cochons » (v. 16), il n’est pas en mesure de déterminer exactement la teneur du discours des gardiens – sinon l’accent sur la modalité de l’action –, ni des témoins oculaires d’ailleurs. Qui plus est, la réaction négative des destinataires du message des témoins oculaires lui pose la question de la raison d’un tel rejet. À la fin du récit, le narrateur explicite le contenu de la prédication de l’homme purifié (v. 19–20a) et il permet au narrataire de se resituer sur une position de supériorité cognitive par rapport à Jésus, en l’informant des résultats de la proclamation de l’homme en Décapole (v. 20b). On remarque alors que, au fil du récit, le narrateur amène le lecteur d’une situation de supériorité cognitive à un état d’infériorité pour revenir, à la fin du récit, à une condition de supériorité : mais est-elle réelle ? Cette trajectoire lui
18 Voir à ce propos notamment Wolfgang Iser, The Act of Reading : A Theory of Aesthetic Response (London –Henley : Routledge – Kegan Paul, 1978), 57–62, 166–67, 259–62.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
rappelle, ou l’invite à réaliser, l’opacité de ses supposées connaissances et maîtrise des réalités supra-naturelles, Jésus y compris. De plus, puisqu’une sanction négative est donnée au rapport des témoins oculaires, tandis que l’annonce de l’ex-démoniaque est jugée, dans les limites imposées par une proclamation pré-pascale, positive, le narrataire réalise que l’issue de la prédication semble déterminée par son contenu et par ses accents (qui, au moins pour le verset 14, lui échappent). Pour l’homme exorcisé, il s’agit d’un récit qui se fonde sur une action transformatrice motivée par une miséricorde surabondante. Et pour les autres ? Le narrateur encourage ainsi le lecteur à évaluer sa propre expérience missionnaire, avec ses échecs et ses succès, à la lumière des deux modalités kérygmatiques.
3.2 La gestion de la temporalité narrative La gestion de la temporalité narrative
3.2.1 Le temps de la narration L’auteur implicite, dans la péricope de Marc 5.1–20, assume une position ultérieure par rapport au récit, car le temps raconté (erzählte Zeit) se situe dans le passé. Toutefois, le narrateur n’hésite pas à intercaler dans le récit des informations à l’adresse du lecteur (cf. versets 3–5), en modulant le temps de la narration (Erzählzeit) selon l’effet espéré19. C’est ainsi que, par exemple, par le recours à l’analepse du verset 8 (ordre d’expulsion antérieur ou contemporain à la supplication du démon au verset 7) et à la rétention d’information sur la nature multiple de la possession jusqu’au verset 9, le narrateur ne montre aucune impatience narrative mais, au contraire, frustre le lecteur et son désir d’omniscience. Concernant l’emploi d’adverbes de temps et de substantifs correspondants, le récit de Marc ne porte pas une attention particulière au moment de la journée où l’exorcisme a eu lieu. Il est vrai que la traversée de la mer, décrite en 4.35– 41, commence « ce jour-là, [quand] le soir arriva » (4.35). Toutefois, aucune indication n’est donnée quant à la durée du déplacement en bateau. Qui plus 19
La distinction entre erzählte Zeit et Erzählzeit proposée par Günther Müller, Morphologische Poetik : gesammelte Aufsaetze (Tübingen : M. Niemeyer, 1968), est reprise et développée par Genette, Figure III, 77–182. Pour une brève discussion sur l’emploi du présent historique en Mc 5.1–20 en tant que moyen d’augmenter la « vividness of action » voir Rochester, Good News at Gerasa, 151. La distinction, dans la narration, entre « temps mortel » et « temps monumental » est faite par Paul Ricœur, Temps et récit, vol. 2 : La configuration du temps dans le récit de fiction, OPh (Paris : Seuil, 1984), 150–225. Une application à l’évangile de Marc (par exemple, temps mortel : 1.15 ; temps monumental : 10.6 ; 13.7, 13, 19) se trouve dans Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 112, où on fait noter que le temps de Jésus se situe entre les deux et est « un temps marqué par l’urgence de la décision à prendre sous l’horizon du Royaume ».
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La gestion de la temporalité narrative
est, le narrateur ne précise ni l’heure d’arrivée en pays gérasénien (5.1), ni celle de l’affrontement entre le possédé et Jésus (v. 2, 6), ni celle du départ de ce dernier (v. 20), ni celle de l’arrivée sur l’« autre rive » (v. 21)20. Au contraire, les seules indications temporelles du récit se concentrent dans la première partie, du verset 2 au verset 10, notamment au niveau du nouement (v. 6–10). Il s’agit toujours de connoter les actions du démoniaque et de la puissance qui est à l’œuvre en lui. C’est ainsi que son entrée narrative est introduite par un İșȢ (v. 2) et que la supplication de Légion de ne pas être envoyé hors du pays est décrite comme pressante ou insistante (ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜ, v. 10). Mais ce qui est plus remarquable est la concentration des indications temporelles aux versets 4 et 5, c’est-à-dire dans la description que le narrateur fait de la situation tragique du possédé : « maintes fois » (ʌȠȜȜțȚȢ, v. 4) on avait essayé de le maîtriser, sans succès ; « sans cesse, nuit et jour » (įȚ ʌĮȞIJઁȢ ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȡĮȢ, v. 5), il prolongeait son supplice sans nom. Le lecteur se retrouve aspiré dans une situation compliquée, réitérée, prolongée, de laquelle seule une action puissante du Jésus marcien pourra sortir le démoniaque. 3.2.2 La durée Voici la structure du récit de Marc 5.1–20 selon la perspective de la durée : Tableaux Durée
1–2 (v. 1–2) Scène
3 (v. 3–5) Pause (flashback)
4 (v. 6–10) Scène
5 (v. 11) Pause
6–13 (v. 12–20) Scène
La modalité narrative de la pause a, dans ce récit spécifique, le but de donner au narrataire des éléments cognitifs qui l’informent pour qu’il apprécie mieux les enjeux de l’action de Jésus. Le deuxième dévoilement (tableau 5) s’opère, néanmoins, par une « omission latérale » ou paralipse, c’est-à-dire une information donnée, dans la narration, en retard par rapport au temps de l’histoire21. Le ralentissement du flux de la narration correspondant au tableau 3 (v. 3– 5) a la fonction de donner des informations sur le démoniaque. Cette pause est aussi caractérisée par l’emploi massif de verbes et/ou expressions de position soulignant une situation de contrôle et/ou d’immobilité, plutôt que de mouvement (« il avait élu [sa] demeure dans les sépulcres » ; « lier » ; « il avait été lié maintes fois avec des entraves et des chaînes » ; « apprivoiser » ; « il était 20 La valeur métaphorique du temps n’est pas exploitée par Marc dans le récit du Gérasénien. Rien dans le vocabulaire utilisé ne fait penser au matin ou au soir, même si le récit précédent montre que Jésus et ses disciples traversent la mer le soir (4.35) et que la lutte avec la tempête semble avoir eu lieu pendant la nuit (Jésus dort, 4.38–39). Pourtant, on ne précise pas combien de temps il faut au bateau pour arriver à Gerasa. Cette question ne retient pas l’attention du narrateur, et donc non plus la nôtre. 21 Voir Genette, Figure III, 93, pour une définition plus détaillée de la paralipse.
140
Chapitre 3 : Analyse corrélative
sans cesse, nuit et jour, dans les sépulcres et dans les montagnes, en train de crier »). Ce changement de perception du Gérasénien, d’une perspective de mouvement (v. 2) à celle de la stase (v. 3–5), exprime bien le fait que, même si l’homme est capable de briser des chaînes, il reste toutefois « figé », prisonnier de son état de possession, « jour et nuit », dans les tombeaux et les montagnes. Si la première pause (v. 3–5) fait partie de la situation initiale de l’intrigue, la deuxième (v. 11) marque le début de l’action transformatrice. Ces deux pauses du récit polarisent l’attention du lecteur sur des éléments impurs : dans le premier cas, pour expliquer leur étendue ; dans le deuxième, pour offrir une opportunité au héros de dépasser l’impasse de la résistance obstinée de Légion (v. 8–10).
3.3 Le jeu des points de vue Le jeu des points de vue
3.3.1 Quelques précisions méthodologiques Nous nous proposons d’analyser maintenant le récit de Marc 5.1–20 en mettant en valeur la perspective narrative, à savoir ce que les narratologues appellent le « point de vue »22. Le narrateur, par le déploiement de sa stratégie narrative, par le choix de sa phraséologie, par ses « incursions » dans le récit, par l’attribution à tel ou tel personnage de propos en phase ou en contraste avec ceux du héros, est capable de caractériser les personnages, de les évaluer sur la base du système de valeurs qu’il a établi et de pousser le narrataire à instaurer avec eux une relation plus ou moins empathique. Il est dès lors important de se poser la question de savoir non seulement par qui le narrataire perçoit le déroulement des événements du récit, mais aussi comment. En effet, le point de vue de la 22
Pour la conceptualisation et l’évolution de la notion de « point de vue » dans le récit voir : Genette, Figure III, 206–11 ; Boris A. UspenskiƱ, A Poetics of Composition : The Structure of the Artistic Text and Typology of a Compositional Form, trad. par Valentina Zavarin et Susan Witting (Berkeley – Los Angeles : University of California Press, 1973), 200–203 ; Genette, Nouveau discours du récit, 49 ; Alain Rabatel, « L’introuvable focalisation externe. De la subordination de la vision externe au point de vue du personnage ou au point de vue du narrateur », Littérature 107, no 3 (1997) : 88–113 ; idem, La construction textuelle du point de vue, Sciences des discours (Lausanne : Delachaux et Niestlé, 1998) ; idem, « Fondus enchaînés énonciatifs. Scénographie énonciative et points de vue », Poétique 126 (2001) : 151–73 ; Bal, Narratology, 31–32, 154 ; Yvan Bourquin, « Vers une nouvelle approche de la focalisation », in Analyse narrative et Bibleࣟ : deuxième Colloque international du RRENAB, Louvain-la-Neuve, avril 2004, éd. par Camille Focant et André Wénin, BETL 191 (Leuven : Leuven University Press – Peeters, 2005), 497–506 ; Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 103–7 ; Daniel Marguerat, « Le point de vue dans le récit biblique », in Saveurs du récit biblique, par André Wénin et Daniel Marguerat (Genève – Montrouge : Labor et Fides – Bayard, 2012), 197–233.
Le jeu des points de vue
141
personne à partir de laquelle le narrataire appréhende ce qui se passe dans le monde du récit peut être introduit par des verbes de perception (point de vue représenté) ou pas (point de vue raconté), mais parfois il exprime explicitement une évaluation à la lumière de valeurs de référence propres au personnage qui s’exprime (point de vue asserté)23. Mieke Bal a eu le mérite de distinguer entre narrateur et focalisateur24. Si auparavant on avait l’habitude de ramener tous les points de vue exprimés dans le récit au seul narrateur en lui attribuant les trois modes de transmission/focalisation25, à savoir focalisation zéro, interne ou externe, Bal remarque que le narrateur délègue parfois la fonction de focalisateur (celui ou celle par qui les événements sont perçus au bénéfice du narrataire) à des personnages qui peuplent le récit. Ces focalisateurs pourront, à leur tour, se concentrer sur un objet (le « focalisé ») perceptible (focalisation externe) ou imperceptible (focalisation interne). C’est toutefois Alain Rabatel qui a envisagé le fait que le point de vue du focalisateur puisse être discordant de celui du narrateur26. Le récit, selon qu’il est monofocalisé ou plurifocalisé, offre un ou plusieurs points de vue dont le narrataire est appelé à apprécier le volume et la profondeur variables en termes de savoir, à reconnaître la possible subjectivité de la vision interne (conjecture ?) ou externe (mauvaise interprétation ?) sur le focalisé. Et, en fin de compte, il est amené à évaluer la composante perceptive, cognitive et axiologique (prise de position) de chaque focalisateur à la lumière du point de vue du narrateur (assimilable à l’auteur implicite : fiable)27. Ayant ainsi défini plus en détail l’outillage méthodologique, voici l’analyse de la perspective narrative en Marc 5.1–20.
23 Ainsi Rabatel, « Fondus enchaînés énonciatifs », 152–57, repris par Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 103–7, et Marguerat, « Le point de vue », 218–20. 24 Bal, Narratology, 31–32, 142–54. 25 Marguerat, « Le point de vue », 201–13, énumère trois modalités de focalisation : 1. discours non focalisé (focalisation zéro) : le lecteur reçoit du narrateur omniscient des informations qui échappent aux personnages-témoins des événements du récit ; 2. focalisation interne : le lecteur est mis au courant des pensées et des états d’âme des personnages du récit ; 3. focalisation externe : le narrateur se met au niveau du protagoniste-spectateur et en dit moins que ce que le personnage connaît ou compte faire. 26 Rabatel, « L’introuvable focalisation externe » ; idem, La construction textuelle du point de vue. Voir également Bourquin, « Vers une nouvelle approche de la focalisation ». 27 Rabatel, La construction textuelle du point de vue, 13, 18, 23–24, 54–59. Voir aussi Marguerat, « Le point de vue », 217–20 ; Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 103–7.
142
Chapitre 3 : Analyse corrélative
3.3.2 Évaluation des points de vue Marc 5.1–20 est un récit à focalisation multiple. Nous nous proposons, dans un premier temps, de relever les différents focalisateurs, l’objet de leur regard (le focalisé) et la modalité de focalisation. Suivra une analyse des données. Tableaux
Vv.
Focalisateur
Focalisé
Modalité
1
1
Narrateur
Point de vue raconté ; focalisation externe sur Jésus et ses disciples
2 et 3
2, 3–5
Narrateur
Jésus et ses disciples (sujets sousentendus du verbe ȜșȠȞ, cf. 4.35) Le possédé
4 Dans ce tableau, on assiste à une succession de points de vue : du démoniaque à Jésus, de l’esprit impur au narrateur. La tension dramatique de cette rencontre conflictuelle est soulignée par les changements soudains des points de vue 5
6–7
Possédé
Jésus
8– 9a
Jésus
Possédé et esprit impur
9b
Esprit impur
Légion
Point de vue raconté et asserté (v. 8 : « esprit impur ») Point de vue raconté
10
Narrateur
Légion
Point de vue raconté
11
Narrateur
Point de vue raconté
12
Esprits impurs
Troupeau de cochons Cochons
13a
Narrateur
Jésus
6 Encore une succession de points de vue, celui du narrateur faisant suite à celui des esprits impurs
Point de vue raconté et asserté (cf. v. 2 : esprits « impurs ») ; focalisation zéro (narrateur omniscient) Point de vue représenté (v. 6 : « ayant distingué ») et asserté (v. 7 : « Fils du Dieu Très Haut »)
Point de vue raconté et asserté (les esprits impurs supplièrent Jésus) Point de vue raconté
Le jeu des points de vue
7
13b
Narrateur
8
14a
Narrateur
9 Ici aussi le point de vue du narrateur se substitue subtilement et subitement à celui des gens de la ville et des campagnes
14, 15a
Les gens des environs
« Ce qui était advenu » et le démoniaque
15b
Narrateur
16
« Ceux qui avaient vu »
L’homme exorcisé (IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ) et les gens des environs La modalité du miracle du démoniaque (« ʌȢ ਥȖȞİIJȠ IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ ») et « à propos des cochons »
17
Les gens des environs
Jésus
Point de vue raconté et asserté (« ils commencèrent à supplier » Jésus)
18
Narrateur
Jésus et « celui qui avait été démoniaque »
Point de vue raconté et asserté (le démoniaque « suppliait » Jésus)
10 et 11 Dans ces tableaux, le narrateur propose un enchaînement entre le point de vue des témoins oculaires et celui des gens des environs, le deuxième étant la conséquence directe du premier 12 Ici, unique cas dans le récit, le point de vue
Esprits impurs, troupeau de cochons Les gardiens des cochons (dans une moindre mesure, la ville et les hameaux)
143 Point de vue raconté
Point de vue raconté ; focalisation zéro, car l’action des gardiens n’est pas visible pour les personnages centraux du récit, à savoir Jésus et le démoniaque Point de vue représenté (« ils vinrent pour voir…observent… ») et asserté (l’homme est toujours appelé įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȢ) ; focalisation externe (« assis, habillé, avec [son] bon sens ») Point de vue raconté ; focalisation interne : « ils furent effrayés »
Point de vue raconté et asserté (l’homme est toujours appelé įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȢ)
144
Chapitre 3 : Analyse corrélative
du narrateur est suivi de celui de Jésus
19
Jésus
13
20
On assiste ici à une assimilation de points de vue. Le narrateur est le focalisateur mais, à la fin de la scène, son point de vue englobe celui du Gérasénien, lorsqu’il est dit que le contenu de sa proclamation est ıĮ ਥʌȠȘıİȞ ĮIJ ȘıȠ૨Ȣ
L’homme exorcisé (le ĮIJ renvoie à įĮȚȝȠȞȚıșİȢ du verset précédent), ainsi que sa maison et les siens ; Dieu ( țȡȚંȢ) L’homme exorcisé, mais aussi la Décapole (par le narrateur), Jésus en tant qu’agent du țȡȚંȢ (Dieu) du verset précédent (par le narrateur qui intègre le point de vue du Gérasénien)
Point de vue raconté et asserté (c’est țȡȚંȢ qui a agi) ; focalisation interne sur Dieu (ȜȘıȞ ıİ)
Point de vue raconté et asserté (ʌȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ) ; focalisation zéro
3.3.3 Analyse des données 3.3.3.1 Les gardiens et les gens de la ville et des hameaux La relation entre les gardiens du troupeau et les gens des environs, du point de vue de la focalisation, se présente ainsi : ʹ
Verset 14a (tableau 8) : les gardiens sont focalisés par le narrateur, mais ils ne font pas l’objet d’un jugement de valeur.
ʹ
Versets 14b–15a (tableau 9) : les gens de la ville et des campagnes focalisent ce qui était advenu » et le démoniaque. Il s’agit d’un point de vue asserté car pour eux l’homme est encore įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȢ.
ʹ
Verset 15b (tableau 9) : les gens sont focalisés par le narrateur qui en décrit la peur.
Le jeu des points de vue
145
ʹ
Verset 16 (tableau 10) : ceux qui avaient vu (les gardiens) focalisent la modalité du miracle du démoniaque (« ʌȢ ਥȖȞİIJȠ IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ ») et ce qui s’est passé « à propos des cochons ». Là aussi nous avons un point de vue asserté, car pour eux aussi, comme pour les gens de la ville, l’homme est encore įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȢ.
ʹ
Verset 17 (tableau 11) : les gens focalisent Jésus. Encore un point de vue asserté, car ils supplient ce dernier de quitter leur territoire.
Aussi bien les gardiens que les gens sont focalisés par le narrateur (v. 14a et 15b) : d’abord les gardiens (de manière plutôt neutre), ensuite les gens de la ville, en soulignant cette fois leur réaction surprenante28. De même, les deux groupes focalisent l’homme libéré, s’obstinant pourtant à le « voir » toujours en tant que « démoniaque » : il s’agit d’une dysphorie perceptive sur laquelle le texte insiste à deux reprises (v. 15a et 16). La focalisation de la part des témoins oculaires suit celle des gens. Puisque cette dernière a été implicitement sanctionnée par le narrateur (v. 15a), lorsqu’elle est adoptée et confirmée par les gardiens, elle est à considérer comme inadéquate. Qui plus est, le regard négatif des gardiens ne fera que confirmer et renforcer la peur des gens : au verset 17 (tableau 11), ce sont encore les gens de la ville qui adoptent la fonction de focalisateur, mais cette fois l’objet est Jésus : ils ne voient en lui qu’un personnage dont il faut se libérer séance tenante. Par l’intermédiaire du point de vue des Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ (les gardiens dont le point de vue est présenté au verset 16)29 – ils insistent sur le « comment » de l’exorcisme et sur la question des cochons, en empêchant de facto un possible changement de regard – les gens de la ville regardent Jésus en tant que responsable et non pas bienfaiteur. La peur ressentie après avoir focalisé le démoniaque est confirmée et transférée à la scène suivante, lorsque le focalisé est, cette fois, Jésus. Les tableaux 8 à 11 dénoncent implicitement l’aveuglement des gardiens et des gens de la ville. Ironiquement, les verbes de perception se multiplient : les premiers ont vu (v. 16), les autres voient et observent (v. 14b–15). Toutefois, leur aveuglement est évident aussi bien face à l’action de Jésus sur l’homme que sur Jésus lui-même. Comme les démons, c’est le sentiment de peur qui imprègne leur relation avec le Fils du Dieu Très Haut. On peut remarquer brièvement ici que le thème de l’aveuglement a déjà été évoqué explicitement par 28 Bonifacio, Personaggi minori, 112, a aussi remarqué que le point de vue des gens de la ville est faux, car celui qui était indomptable est désormais assis ; l’« animal » est habillé ; celui qui était hors de lui est maintenant sensé. 29 Il est vrai que le narrateur n’offre pas une évaluation explicite des gardiens (Moloney, Mark, 104). Toutefois, l’influence de leur point de vue sur la manière dont les gens des environs jugeront Jésus et son action fonctionne, narrativement, en tant que sanction implicite.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
Marc. En 4.12 (citation d’Es 6.9), le Jésus marcien dénonce « ceux du dehors » (Mc 4.11) qui, tout en regardant (ȕȜʌȦ), ne voient pas (ȡȦ, même verbe qu’en 5.14b). Même si les verbes de perception ne sont pas toujours utilisés, le lecteur implicite a néanmoins déjà pu mesurer le contraste entre, d’un côté, les effets d’une vision pas encore limpide, mais en harmonie avec la perspective du narrateur relative à Jésus en tant que Maître puissant30, et, de l’autre, le résultat d’une perception faussée qui engendre de l’incompréhension et de la peur jusqu’à l’opposition31. 3.3.3.2 Les esprits impurs Les esprits impurs sont caractérisés comme des êtres autoréférentiels et orientés exclusivement vers ce qui est impur : en tant que focalisateurs, leur attention n’est retenue que par eux-mêmes (v. 9b) et par les cochons (v. 12). Inversement, lorsqu’ils sont l’objet de la focalisation, le narrataire les perçoit exclusivement par l’entremise de Jésus d’abord (8–9b) et du narrateur ensuite (10, 13b), mais jamais par celui des gardiens ou des gens des environs. C’est un élément remarquable car il confirme qu’aussi bien les gens de la ville que les gardiens, tout en contemplant le miracle et ses effets secondaires, n’arrivent pas à aller au-delà d’un regard superficiel qui ignore l’enjeu de l’événement : la lutte cosmique entre le Fils de Dieu et les esprits diaboliques. 3.3.3.3 Le Gérasénien Le point de vue du Gérasénien n’est adopté qu’à deux reprises : au début du récit, lorsqu’il est encore possédé, et à la fin du récit, une fois qu’il est parti, en homme exorcisé, pour proclamer ce que Jésus a accompli en sa faveur. Aussi bien dans la première (v. 6–7) que dans le deuxième occurrence (v. 20), l’objet focalisé est Jésus. En tant que possédé, il le regarde en tant que « Fils du Dieu très Haut », et donc comme une menace. Une fois exorcisé, sa perception a évolué. Le jeu des focalisations montre qu’aucun rôle n’a été joué par les gens de la ville ou les gardiens pour assurer cette transition. Le lecteur est invité à adopter le regard du seul Gérasénien pour contempler Jésus. L’homme est l’objet de la focalisation à quatre reprises par le narrateur, deux fois par Jésus, une fois par les habitants de la région et une fois par les témoins oculaires (les gardiens des cochons). Le narrataire adopte donc le point de vue de Jésus qui, à juste titre, observe d’abord un démoniaque (v. 8–9a) et, après l’exorcisme, un homme qui a été mis au bénéfice de la miséricorde divine (v. 30 Voir 1.30, 32, 40 ; 2.3, 13 ; 3.8, 10, 13 ; pour après l’exorcisme de Gérasa voir 5.22, 27–28 ; 6.33, 54–56 ; 7.25, 32, 37 ; 8.22 ; 9.15, 17 ; 10.13, 17, 47–50, 52 ; 11.18b, 32b ; 12.37b ; 15.39–41. 31 Voir 2.6, 16, 24 ; 3.2, 6, 21, 22 ; 4.13, 41 ; pour après le récit de Gérasa voir 5.31, 40 ; 6.1–3, 14–16, 49–52 ; 7.1–5 ; 8.11, 16–21, 33 ; 10.2, 22, 37 ; 11.27–28 ; 12.12–14, 18–23 ; 14.1–2, 10–11, 43–49, 55–65, 66–72 ; 15.1–5, 10–20, 29–32, 35–36.
Le jeu des points de vue
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19). Le narrateur montre, d’ailleurs, que son point de vue est aligné sur celui de Jésus et qu’il mérite, en conséquence, toute la confiance du lecteur. Tel est le cas aux versets 2–5, suivis par le point de vue de Jésus en 8–9a, et au verset 20, précédé par le point de vue de Jésus au verset 19. Entre ces deux focalisations harmonisées se situent deux rectifications qui sont aussi deux prises de distance de la part du narrateur vis-à-vis du regard que d’autres personnages du récit portent sur le Gérasénien. Ce dernier, en effet, est l’objet d’une focalisation grotesque de la part des gens de la ville et des campagnes et aussi des témoins oculaires de l’exorcisme : alors qu’il est assis, habillé, et en bonne santé mentale, il est appelé encore démoniaque (versets 14b–15a, corrigé par le narrateur au verset 15b ; verset 16, corrigé par le narrateur au verset 18). 3.3.3.4 Le narrateur Le point de vue du narrateur s’exprime aussi, mais plus finement, par la manière dont il gère l’assignation (et l’évaluation) du rôle de focalisateurs aux divers personnages du récit. Néanmoins, le narrateur du récit de Marc 5.1–20 ne renonce pas à assumer directement lui-même, et à plusieurs reprises, l’action focalisatrice, afin de s’assurer que le lecteur encodé soit adéquatement accompagné dans son processus de (dé-)construction de sens. En effet, le lecteur observe, au moins une fois, tous les personnages du récit à travers le regard direct du narrateur : Jésus et les disciples (v. 1), l’homme (possédé aux versets 2–5 ; exorcisé aux versets 15b et 20), Légion (v. 10 ; v. 13b en tant que « esprits impurs »), le troupeau de cochons (v. 11 et 13b), Jésus (v. 13a et 18), les gardiens du troupeau (v. 14a), les gens des environs (v. 15b), la Décapole (v. 20). Son point de vue explicite ouvre et clôture le récit, avec les mêmes objets de focalisation : Jésus et le Gérasénien (v. 1–5 et 18–20)32. Dans les deux cas, le narrateur fournit des informations autrement inaccessibles au lecteur, même si l’homme fait toujours l’objet d’une vision externe. La fin du récit oppose : à l’isolement de sa condition première, son intégration dans la Décapole ; au supplice des tourments autodestructeurs, la proclamation des bienfaits de Dieu ; aux tentatives – suscitées par la peur – de le dompter, l’émerveillement. Au début comme à la fin, l’action du Gérasénien semble irrépressible, bien qu’entretenue par des manières, des conditions et des buts différents. Il est évident que, pour le narrateur, tout le récit concerne, in primis, Jésus et un non-Juif qui sort transformé par cette rencontre. Tout le reste est subordonné à ce noyau. Il est intéressant de remarquer que le narrateur propose, à quatre reprises, une succession de points de vue où le sien – en tant que focalisateur – intervient en dernier lieu (sauf dans le dernier cas) comme régulateur de la tension dramatique et comme balise herméneutique à l’usage du narrataire. 32 Les disciples disparaissent, narrativement, à partir de 5.1 pour ensuite réapparaître au verset 31, bien au-delà du micro-récit de 5.1–20.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
C’est ainsi que, dans le tableau 4 (v. 6–10), après avoir permis au lecteur de vivre l’affrontement entre Jésus et le possédé à travers le regard des concernés (du possédé aux versets 6–7, focalisé : Jésus ; de Jésus aux versets 8–9a, focalisé : possédé/esprit impur), il fait monter la tension dramatique en dévoilant l’identité de l’esprit impur par un procédé d’auto-focalisation (v. 9, focalisateur : esprit impur ; focalisé : lui-même en tant que Légion), pour enfin créer à nouveau une distance entre le narrataire et la scène, en lui montrant, à travers les yeux du narrateur, le redoutable Légion en train de supplier Jésus (v. 10). De même, dans le tableau 6, le narrateur déroute le lecteur lorsque, après avoir montré, par le regard des esprits, une échappatoire possible en la présence des cochons (v. 12), il le confronte, en focalisant lui-même le héros du récit, sur sa permission face à la demande des démons. Dans le tableau 9 (v. 14b–15), la transition subtile entre la focalisation opérée par les gens des environs (v. 14b–15a) et le narrateur (v. 15b) a pour fonction de montrer au narrataire que la réaction craintive des habitants des lieux est en décalage avec la réalité du miracle dont l’homme a fait l’objet. Les gens viennent voir IJ ਥıIJȚȞ IJઁ ȖİȖȠȞંȢ (v. 14b) : cette expression est à mettre en parallèle avec ce que le narrateur constate lorsque c’est lui qui focalise l’homme libéré : IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ (15b). Dans les deux cas, il s’agit d’un participe parfait actif : le deuxième syntagme semble vouloir préciser, mais à partir d’une autre perspective, le contenu du premier. L’ironie que cette succession de points de vue crée est évidente : l’emploi double de verbes de perception aux versets 14b–15a, lorsque ce sont les gens qui focalisent la scène (ੁįİȞ, șİȦȡȠ૨ıȚȞ), ne fait que souligner l’aveuglement de ces derniers face à ce qui est évident pour le narrataire grâce au regard et au rôle du narrateur en tant qu’observateur attentif et fiable au service du narrataire. Cet aveuglement atteint son paroxysme lorsque ceux qui ont vu s’obstinent à le percevoir en tant que « démoniaque » (v. 16). Également significatif, du point de vue de la stratégie rhétorique, est l’enchaînement de points de vue qui a lieu dans le tableau 12 (v. 18–19). Jusquelà, lorsque le point de vue du narrateur succédait à celui de l’un ou l’autre personnage, il se situait toujours à la fin de la scène, afin de guider le narrataire dans l’évaluation des événements et mêmes des autres points de vue. Ici, par contre, le narrateur cède le pas à Jésus dans sa fonction de focalisateur, le point de vue de ce dernier se voulant définitif, fiable et capable d’offrir une vision interne de Dieu lui-même (sa compassion est évoquée au verset 19b). Bien évidemment, le point de vue de Jésus coïncide avec celui du narrateur (cf. narrateur, v. 15b : IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ, et v. 18 : įĮȚȝȠȞȚıșİȢ / Jésus, v. 19 : ĮIJ) et invalide celui des gens et des témoins oculaires (v. 15b : IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ et v. 16 : IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ).
Le jeu des points de vue
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3.3.3.5 Jésus Le narrataire adopte le point de vue de Jésus en tant que focalisateur de la scène à deux reprises seulement : aux versets 8–9a et au verset 19. Dans les deux cas, le focalisé est le Gérasénien : homme possédé d’abord (et donc, avec lui, l’esprit aussi est focalisé), personne objet de la compassion de Dieu et sujet rendu à sa famille ensuite. Ce qui était problématique était la présence du démon, pas le fait que l’homme soit un étranger. Tout en se dissociant de l’esprit impur, Jésus accomplit la volonté inclusive de Dieu pour le Gérasénien qui reste le seul point focal du héros du récit. Inversement, le narrataire est invité à observer Jésus en tant que focalisé par l’intermédiaire de presque tous les personnages. Le narrateur focalise ainsi Jésus à deux reprises (versets 13a et 18). Le Gérasénien aussi, au début et à la fin du récit (versets 6–7 et 20) : il s’agit d’une focalisation en miroir de celle relevée plus haut dont Jésus était l’acteur. Enfin, les gens des alentours focalisent également le héros, et en des termes très semblables à la manière dont les esprits s’adressent à Jésus (v. 10 : ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜ // v. 17 : țĮ ਵȡȟĮȞIJȠ ʌĮȡĮțĮȜİȞ ĮIJઁȞ). À la différence du Gérasénien, leur position n’évolue pas et ils céderont à la peur (v. 17). Fait remarquable, les seuls qui n’assument jamais la fonction de focalisateur du personnage de Jésus sont les gardiens/témoins oculaires. Il s’agit d’un constat dont l’ironie ne saurait nous échapper : ceux qui ont vu et qui ont pris soin de raconter les faits se montrent, en effet, exclusivement centrés sur ʌȢ ਥȖȞİIJȠ IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ țĮ ʌİȡ IJȞ ȤȠȡȦȞ (v. 16), évacuant de leur point focal l’auteur du miracle et la personne à laquelle tout le macro-récit rend témoignage. Il est également important de remarquer que, si d’un côté, le point de vue de Jésus est tout naturellement celui que le narrateur considère comme étant digne de confiance et normatif, de l’autre, le narrataire pourrait être étonné de son ignorance relative au démon qui habite le possédé et à la nature multiple de la possession de ce dernier (v. 8 : ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ (sing.) ; v. 9a : « Quel est ton nom ? »). Or, on remarquera qu’il ne s’agit pas là d’une connaissance supérieure ou transcendée du Jésus marcien qui, étant cachée / inaccessible aux autres personnages du récit – ou au lecteur –, provoque l’étonnement, voire la dérision, de ces derniers : ce sera certainement le cas en 5.30– 31 (« … qui a touché mes vêtements ? Ses disciples lui disaient : Tu vois la foule qui te presse de toutes parts… ») et en 5.39–40 (« …l’enfant n’est pas morte. Elle dort. Eux se moquaient de lui… »). À Gérasa, en territoire étranger et au contact d’un étranger, le personnage de Jésus se doit d’évoluer afin de mieux apprécier la situation et d’être mis en condition d’agir efficacement pour permettre l’inclusion du non-Juif dans le périmètre mobile de la grâce divine. Si l’on regarde rapidement le contexte littéraire, on s’aperçoit qu’il s’agit de la même dynamique que celle que le lecteur va rencontrer plus tard dans la narration, dans un contexte similaire. Au chapitre 7 de Marc, à partir du verset
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
24, le narrataire est confronté à la deuxième sortie de Jésus en territoire non juif. Tout comme à Gérasa, il a affaire à une personne étrangère associée à l’impureté et à l’« esprit impur », qui va vers lui et se prosterne à ses pieds (7.25). Dans cet épisode particulier qu’est la rencontre avec la femme syrophénicienne, Jésus ne fait pas preuve d’ignorance, mais, comme dans le récit de l’exorcisme de Gérasa, il est confronté à sa propre vision des choses qui, si elle n’évolue pas, va l’empêcher d’accomplir son exorcisme 33. À Gérasa, Jésus prend conscience de la nature de la possession du Gérasénien et accepte d’utiliser les cochons comme une opportunité pour libérer à la fois l’homme et le pays de Légion. Dans la même perspective, dans le territoire de Tyr, Jésus prend conscience de la nécessité de tenir compte de la foi de l’étrangère qui l’implore et accepte le renversement du sens de l’expression dépréciative « petits chiens » (7.27 : IJȠȢ țȣȞĮȡȠȚȢ). Cette ignorance/réticence initiale du Jésus marcien dans ces deux épisodes qui ont plusieurs éléments en commun34, l’adaptation qui s’ensuit de Jésus aux nouvelles données, ainsi que son acceptation du fait qu’une nouvelle lecture de l’élément d’impureté devienne une opportunité plutôt qu’une barrière, traduisent une intention auctoriale précise. Il s’agit de permettre au lecteur implicite encodé, lui aussi réticent vis-à-vis de l’élargissement du champ d’action de la grâce divine à des territoires et des êtres humains non juifs, d’évoluer avec le personnage de Jésus. Ainsi, il pourra, à travers cette dynamique d’adaptation et d’évolution du point de vue du protagoniste principal, atteindre son statut de lecteur construit, à savoir un lecteur en ligne avec le Jésus marcien tel qu’il aura évolué et se sera dévoilé tout au long du récit. 3.3.4 Remarques finales sur l’étude du jeu des points du vue L’appréciation des points de vue nous montre que, lorsque le narrateur permet la focalisation de la scène par l’un ou l’autre personnage, il veut atteindre plusieurs objectifs : permettre au lecteur de mesurer l’écart interprétatif entre les différents points de vue, comparer un autre point de vue à celui du narrateur (et de Jésus) et en évaluer la validité. Comme l’a remarqué Rabatel, le décalage entre le point de vue du narrateur et celui d’un personnage ne fait que préciser à la fois le point de vue du narrateur et son évaluation relative au personnage
33
Voir notamment Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne ». Dans les deux récits : il s’agit d’un exorcisme ; en territoire non juif ; le/la possédé(e) est un(e) étranger(ère) ; on y trouve la mention d’animaux impurs (cochons, chiens) ; on y rencontre un élément surprenant : Jésus s’adapte à la situation en tenant compte des éléments auxquels il est confronté. 34
Synthèse des résultats
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lui-même35. Ajoutons ici que, dans l’épisode de Gérasa, le narrateur vise à déstabiliser le lecteur afin de le reconfigurer selon un dessein établi, en lui permettant d’adopter, au début du récit, un point de vue fiable et pourtant imprécis36 qui évoluera au fil du récit. En sollicitant les points de vue de plusieurs personnages du récit notamment sur le Gérasénien, le narrateur montre aussi combien il est difficile d’accorder à celui-ci, même après l’action de Jésus en sa faveur, le statut d’intégré et de bénéficiaire de la miséricorde de Dieu. Ce regard, a priori celui du lecteur encodé, s’aligne sur celui, asserté de manière négative par le narrateur, des habitants des environs et des gardiens/témoins oculaires, c’est-à-dire de païens aveuglés. C’est l’adoption du point de vue de Jésus, et donc de celui du narrateur, qui permet au lecteur de considérer cet étranger comme un héraut de l’action de Dieu par Jésus. Paradoxalement, l’action du Dieu du Jésus marcien en faveur des hommes peut faire l’objet d’une contemplation aveugle. En paraphrasant Corina Combet-Galland, on pourrait affirmer que ce récit n’oppose pas une parole de Jésus à des moyens de contrôle social (les chaînes et les fers), mais un point de vue qui délie à un point de vue qui enchaîne37. C’est en s’associant au point de vue de Jésus, qui accepte l’intégration de l’étranger dans les frontières du Royaume, que le point de vue du lecteur encodé (considéré d’abord comme équivalent à celui des porchers) peut évoluer dans la direction préconisée par l’auteur implicite.
3.4 Synthèse des résultats des analyses cursive et corrélative Synthèse des résultats
On ne saurait surestimer l’importance du récit de l’exorcisme de Gérasa tant pour l’auteur du premier évangile que pour son lectorat. La longueur et le degré d’élaboration de Marc 5.1–20 témoignent de la place d’honneur qui doit être accordée à ce texte dans l’économie du macro-récit38. L’analyse littéraire synchronique ayant mis en valeur les éléments-clefs de la stratégie narrative de l’auteur implicite, il est temps de présenter une systématisation synthétique des résultats afin de mettre en lumière la manière dont le récit opère une reconfiguration épistémique du lecteur implicite.
35
Alain Rabatel, « Les verbes de perception en contexte d’effacement énonciatif : du point de vue représenté aux discours représentés », Travaux de linguistique 46, no 1 (2003) : 50–51. 36 Cf. celui du narrateur et de Jésus : les deux ne focalisant qu’un esprit impur, v. 2 et 8, alors que l’homme était possédé par « beaucoup », v. 9b. 37 Ainsi Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 110. 38 Cf. Witherington, The Gospel of Mark, 178 ; Boring, Mark, 150 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 146.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
L’épisode du démoniaque de Gérasa contient une action transformatrice (Mc 5.11–13) qui se situe, sans équivoque, au niveau pragmatique. Toutefois, l’intrigue ne se contente pas de mettre en valeur l’acquisition du bien, en l’occurrence, l’exorcisme de l’homme. L’action des différents acteurs est mise au service d’un gain de connaissance concernant le Jésus marcien, la modalité et la nature de son action au nom de Dieu. La dynamique de résolution est au service d’une intrigue de révélation39. Ainsi, le parcours proposé au lecteur encodé s’articule notamment autour de trois thématiques principales intimement liées : l’identité de Jésus, la modalité relationnelle avec ce dernier proposée au disciple exemplaire et l’intégration active des non-Juifs dans le dessein de Dieu. Pour permettre au lecteur encodé de cheminer, à propos de ces thématiques, vers le statut de lecteur construit40, l’auteur implicite tisse son texte en recourant à des registres littéraires éprouvés : l’ironie, l’hyperbole, l’aprosdokéton (élément inattendu)41, la synkrisis, le paradoxe, l’allusion symbolique et l’identification. 3.4.1 L’identité de Jésus 3.4.1.1 Le Jésus marcien : Fils de Dieu révélé et indistinct Jésus a été introduit, dans le prologue de l’évangile de Marc, en tant que « Fils de Dieu » (Mc 1.1)42. Alors que les disciples, témoins privilégiés de son ministère public, s’interrogent encore juste après le miracle de la tempête apaisée (4.41), à Gérasa le démon le reconnaît en tant que tel « avec une grande voix » (5.7). Comme il arrive souvent au cours de la narration marcienne, l’identité de Jésus échappe à son entourage humain, mais elle est dévoilée au bénéfice du narrataire par les puissances surnaturelles (Dieu, Satan ou démons) car la révélation de ce « mystère » (cf. 4.11) n’est à la portée ni des disciples (cf. 4.41), ni des autorités juives (cf. 3.22). La dimension ironique est agrémentée par celle du paradoxe, plus élaborée. Tout d’abord, l’esprit impur « adjure » l’exorciste par le nom du même Dieu (5.7) qui a reconnu en Jésus son propre 39
Gagné, « De l’intentio operis à l’intentio lectoris », 221. Pour les notions de lecteur encodé et de lecteur construit, voir supra, p. 131, note 11. 41 L’effet surprise du récit se déploie en contredisant les prévisions du lecteur construit (cf. Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 72). Pour une discussion de l’aproskodéton en tant que figure rhétorique voir Bice Mortara Garavelli, Manuale di retorica, Tascabili : Saggi (Milano : Bompiani, 1989), 226–27. 42 Voir supra, p. 107–108, note 89, pour le problème de critique textuelle que pose ce verset. Dans les premières lignes de l’évangile de Marc, la révélation de Jésus en tant que Fils de Dieu n’est fait qu’à lui-même (v. 9) et à Satan (tentation). Ni le Baptiste ni les disciples ne sont mis au bénéfice de ce dévoilement. Voir Christian Grappe, « Le rapport, nouveau, à la purété et à l’impurété dans l’évangile de Marc et les conséquences qui résultent », in Reading the Gospel of Mark in the Twenty-First Century. Method ans Meaning, éd. par Geert Van Oyen, BETL 301 (Leuven – Paris – Bristol : Peeters, 2016), 124–26. 40
Synthèse des résultats
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Fils bien-aimé à l’occasion du baptême (1.11). La suite du récit confirmera que la nature de la relation entretenue entre Dieu et son héraut est unique, consolidant ainsi, pour le lecteur implicite, la réponse négative que Jésus donne à ceux qui le soupçonnent de chasser les démons sous l’autorité de Béelzéboul (3.22– 27). En deuxième lieu, le narrataire est interpellé par la réaction surprenante des villageois face à la contemplation de l’homme guéri (5.15) : leur peur rappelle de près celle des disciples lorsqu’ils contemplent l’homme qui a su soumettre la mer et les vents (4.41). Les disciples et les étrangers occupent le même créneau cognitif, celui réservé « à ceux de dehors », ceux qui ne « saisissent » pas (4.11, 13), alors que, du point de vue de la rhétorique narrative, le lecteur encodé est invité à mesurer l’écart entre l’ignorance des personnages du récit et le savoir auquel on s’emploie à le faire accéder pour lui faire prendre position vis-à-vis de Jésus de Nazareth. Cet aveuglement paradoxal est dénoncé également par le jeu des points de vue. Aussi bien les gens des environs que les gardiens des cochons (ces derniers assimilables aux témoins oculaires de 5.16) focalisent le Gérasénien après l’exorcisme. Pourtant, ils s’obstinent à le voir (cf. l’emploi des verbes ੁįİȞ et șİȦȡȠ૨ıȚȞ aux versets 14–16) en tant que démoniaque (5.15, 16). Une telle dysphorie perceptive est sanctionnée par le narrataire qui, dans son effort de construire son lecteur, l’encourage à n’adopter que le point de vue de Jésus (cf. 8.27–33) et, bien évidemment, le sien. Même si les habitants de la région désirent comprendre IJ ਥıIJȚȞ IJઁ ȖİȖȠȞંȢ (5.14b), ce n’est que le narrateur qui peut focaliser cet événement correctement, car son point de vue (IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ, v. 15b) est le seul qui s’accorde avec celui de Jésus. En effet, aux versets 18–19, le narrateur cède le pas à Jésus en tant que focalisateur fiable et capable d’offrir une vision interne de Dieu lui-même, à savoir sa compassion (v. 19b). L’intrigue de révélation, en se servant notamment des registres de l’ironie et du paradoxe, dévoile au lecteur encodé l’identité de Jésus en lui faisant apprécier son statut privilégié en tant que destinataire d’un savoir inaccessible aux personnages de l’évangile. Parallèlement, ce savoir, qui se déploie par des avancées paradoxales, l’interpelle sur la question centrale de tout l’évangile : l’adhésion par la foi à Jésus de Nazareth en tant que Fils de Dieu. Le Gérasénien, un personnage mineur, certes, dans l’économie du deuxième évangile, s’érige en figure exemplaire, car alors que Pierre reniera Jésus (14.67–68), il l’annonce en tant qu’agent de Dieu (5.20). Sans vouloir forcément se cristalliser sur un jugement de valeur à l’adresse des disciples ou des autres person-
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
nages mineurs, l’auteur implicite offre au narrataire, par la figure du Gérasénien et le récit qui le concerne, une opportunité de faire mûrir sa posture théologique et existentielle face à la question posée en 4.41 : « qui est-il donc ? »43. 3.4.1.2 Exorciste puissant et incongru Le premier miracle du Jésus marcien a été l’expulsion d’un démon dans la synagogue de Capharnaüm (1.21–28). De même, sa première incursion en territoire non juif est marquée par un exorcisme (5.1–20). Dans les deux cas, l’esprit impur l’identifie avec justesse (1.24 ; 5.7) et le miracle de Jésus lui vaut une grande renommée (1.28 ; 5.20). Que ce soit dans la synagogue juive ou dans le territoire de la Décapole, l’action et la proclamation de Jésus, synthétisées dans la formule ʌİʌȜȡȦIJĮȚ țĮȚȡઁȢ țĮ ਵȖȖȚțİȞ ਲ ȕĮıȚȜİĮ IJȠ૨ șİȠ૨· ȝİIJĮȞȠİIJİ țĮ ʌȚıIJİİIJİ ਥȞ IJ İĮȖȖİȜ (1.15), s’expriment de manière indéniable et privilégiée par sa pratique exorcistique. Ainsi, le récit de Marc 5.1–20 ne rechigne pas à octroyer à Jésus le statut de puissant et redoutable adversaire des démons. Le narrateur recourt d’emblée au registre de l’hyperbole pour souligner l’ampleur de la victoire que Jésus remporte sur Légion. Tout d’abord, du point de vue de l’intrigue, les versets 3–5 (tableau 3) marquent une pause dans la narration qui a la fonction de montrer ce qui constitue le quotidien du possédé, vivre dans les tombeaux, ainsi que des épisodes qui ont eu lieu à plusieurs reprises, bris des chaînes imposées par ceux qui voulaient le maîtriser. Le narrateur amplifie la condition de fixité désespérée et désespérante du possédé (cf. v. 3 : « même pas », « plus », « personne » ; v. 4 : « maintes fois », « personne » ; v. 5 : « sans cesse, nuit et jour ») au point de donner l’impression que même Jésus s’y retrouve aspiré malgré lui (voir l’imparfait du v. 8). L’action résolutive (v. 11–13), elle aussi, contient un élément amplifiant : les « environ deux mille » (v. 13b) cochons qui se trouvent « près de la montagne » et qui donnent une idée de l’envergure de la déclaration des esprits en 5.9 : « nous sommes nombreux »44. L’insistance du narrateur sur le registre de l’hyperbole, aussi bien au niveau du nouement que de l’action transformatrice, a la double fonction de détailler le caractère formidablement redoutable de l’entité qui assujettit le Gérasénien, 43 Bonifacio, Personaggi minori, 125–26, remarque qu’au niveau du tissage du macrorécit, le fait que l’ex-démoniaque de Gérasa établisse un lien entre le « Seigneur » de Mc 5.19 et Jésus (v. 20) contraste avec le reniement de Pierre en 14.67–68. 44 Varron (116–27 av. J.-C.), Rust. 2.4.24, affirme considérer un troupeau de cochons de cent unités comme étant raisonnable, tout en confirmant que certains éleveurs vont jusqu’à cent-cinquante unités (ita ut ter quinquagenos habeant), d’autres en doublent le nombre (porcorum gregem alii duplicant), et quelques-uns possèdent même un troupeau plus large encore (alii etiam maiorem faciunt). Le chiffre de deux mille donné en Marc 5.13 est manifestement hyperbolique (et, à notre avis, symbolique) : voir Aus, My Name is « Legion », 63–64.
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mais aussi d’accentuer l’admirable victoire du Jésus marcien sur ces forces hostiles. La requête ironique de l’esprit de ne pas être tourmenté par le Fils du Dieu Très Haut (5.7) – lui qui tourmente le Gérasénien (5.5b) – attire l’attention du lecteur sur les contours eschatologiques de l’action de Jésus : à la manifestation du Fils de Dieu coïncide la destitution des démons (cf. Mc 1.24 dont le jugement s’effectue déjà par le tourment qui leur est infligé). Jusqu’à ce point du discours, l’auteur implicite ne fait que confirmer les attentes du lecteur encodé : Jésus, en tant que Fils de Dieu qui met Satan en déroute, est un exorciste puissant et irrésistible. Toutefois, son but étant de faire évoluer le lecteur par la somme des effets rhétoriques exercés par son texte, il est légitime de s’attendre à des dynamiques de reconfiguration. Elles s’exercent ici notamment à l’aide du registre de la surprise (aprosdokéton), conjugué tantôt avec celui de l’ironie, tantôt avec celui du paradoxe. L’efficacité de l’exorcisme du Gérasénien par le Jésus marcien n’est pas déterminée par sa connaissance exacte du démon ni de son caractère pluriel. Le narrataire, au contraire, est confronté à l’étonnant constat que l’esprit impur jouit, au début de l’histoire, d’une supériorité cognitive par rapport au Jésus marcien, car ce dernier n’affiche pas un savoir avéré sur la nature de la possession (cf. v. 7 : « Jésus, Fils du Dieu Très Haut » et verset 9 : « quel est ton nom ? »). De plus, l’auteur implicite place au début de l’action transformatrice (v. 11– 13) la présence d’animaux impurs en les qualifiant, du point de vue de l’intrigue, comme faisant partie de la résolution. Ce qui est aberrant, du point de vue du lecteur encodé, revêt désormais le rôle d’une surprenante opportunité. Le lecteur implicite, tout au long du macro-récit, se heurtera encore aux modalités surprenantes par lesquelles Jésus révèle et accomplit le mystère du Règne (voir 6.5 ; 8.22–26, 27–33 et tout le récit de la Passion). L’exorcisme de Gérasa met lui aussi en scène une formidable victoire de Jésus face aux redoutables puissances démoniaques, avec des modalités étonnantes. Le narrataire s’achemine ainsi vers son statut de lecteur construit alors même qu’il déconstruit sa compréhension de l’action irrésistible de Dieu par Jésus. L’efficacité de l’action du Fils de Dieu, à Gérasa comme dans le reste du deuxième évangile, ne réside pas dans la dimension technique ou même cognitive de ses interventions : ce sont là des données accessibles et maîtrisables par la pratique et par l’étude. L’élargissement inclusif des frontières de Royaume et la déroute de Satan qui en découle sont plutôt enracinés dans la dimension ontologique du Jésus marcien (5.7, qui renvoie à 1.1, 11, 24). Cette dimension ontologique demande une adhésion par la foi qui prend le pas sur les modalités de salut envisagées par le lecteur encodé. Ainsi se trouve ouverte la voie en vue du franchissement des barrières religieuses et culturelles non pas sur la base de l’argumentation (dimension cognitive) ni d’une évolution ou d’un ajustement
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des précautions à prendre (dimension pragmatique), mais sur celle de l’adhésion à l’action de Dieu telle qu’elle est narrativisée en celle de son Fils (dimension ontologique). L’auteur implicite expose narrativement le narrataire à la possibilité de rejeter le Jésus marcien en se méprenant sur l’origine de son œuvre (thème déjà anticipé en 3.22–33). Dans le récit de l’exorcisme de Gérasa, la personne et l’action de Jésus font l’objet d’une double sanction. Au verset 17 du chapitre 5, les habitants des environs, suite au miracle, manifestent un sentiment de peur et supplient Jésus de quitter leur pays. Ensuite, au verset 18, c’est au tour de l’ex-démoniaque de supplier Jésus de le garder avec lui. Ce conflit d’interprétation relatif à la performance du Jésus marcien et, en conséquence, à sa personne, exigera du lecteur implicite un jugement de valeur personnel (cf. le contre-exemple offert par Hérode en 6.14–16) et une prise de position conséquente. Le récit de Gérasa offre donc une confirmation à une attente légitime du lecteur implicite, à savoir que Jésus, oint par l’Esprit (1.10), met en déroute Satan par une puissance à laquelle ce dernier n’a pas le pouvoir de s’opposer (cf. 3.27), même s’il déploie une « légion » de démons (5.9). Toutefois, ce même récit montre que le dénouement de l’intrigue (v. 14–17) porte en soi le germe d’une contestation de l’action et de la personne même de Jésus : celui qui a apaisé les vents et la mer enragée et qui a maîtrisé Légion se heurte à une opposition humaine acharnée et opiniâtre qui ne pourra être dépassée que par l’acceptation inconditionnée – de la part du lecteur ! – de la légitimité du titre de Fils de Dieu que l’évangile de Marc attribue au « charpentier, le fils de Marie » (6.3). 3.4.1.3 Conquérant rejeté et absent Du point de vue sémiotique, c’est le registre du vouloir-faire qui amène le Jésus marcien à s’aventurer en territoire non juif, car rien, dans l’intrigue du macrorécit, ne l’oblige à opter en faveur de ce choix (voir 4.33–35). En tant que Fils de Dieu (1.1, 11), héraut de la Bonne nouvelle (1.14–15), chasseur de démons (1.21–28, 32–34 ; 3.22) qui entre dans la maison « d’un homme fort » (Satan) et pille « ses biens » (3.37), le Jésus marcien part à la conquête des « bourgs voisins » (1.38) en répondant à un impératif intrinsèque à sa propre raison d’être : « c’est pour cela que je suis sorti » (1.38). L’affrontement entre Jésus et Légion revêt un ton impérialiste lorsqu’en Marc 5.10 Légion demande de ne pas être envoyé hors du territoire. Cette demande des démons, ainsi que celle des habitants de la ville formulée à l’égard de Jésus, à savoir la supplication, dans la peur, de bien vouloir quitter leur territoire, se heurte au déploiement du « mystère du Royaume » (4.11), inaccessible même aux disciples (cf. 4.13, 41 ; 6.52 ; 8.17, 21, 33), mais en
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train d’être révélé au lecteur implicite du deuxième évangile. Les démons seront chassés du pays et ils périront dans « la mer » (5.13) ; mais Jésus aussi va le quitter suite à la demande instante des habitants (5.18 : « pendant qu’il monte dans le bateau… »). Toutefois, le narrateur ne manquera pas de faire savoir à son lecteur que la retraite de Jésus du territoire gérasénien et son échec missionnaire dans la tentative d’y étendre les frontières du Royaume ne sont qu’apparents : son absence sera sublimée et l’écho de son action sera amplifié par la proclamation, dans toute la Décapole, de l’ex-possédé (5.20). L’étonnement de « tous » devient aussi celui du lecteur implicite qui, sollicité par le registre de la surprise, contemple l’inattendue conquête de la Décapole par un libérateur absent. Tout comme cela a été annoncé en 3.23–27, Jésus ne se contente pas de libérer un individu, mais son action vise plutôt à envahir le « royaume » (3.24 : ȕĮıȚȜİĮ) et la « maison » (3.25 et 27 : ȠੁțĮ) de l’homme fort, selon une modalité surprenante. Cette modalité de libération et d’extension des frontières du Royaume envisagée par le Jésus marcien en territoire non juif et, par extension, au sein du champ de mission du lectorat de Marc, appelle une réponse mimétique. L’opposition des Géraséniens est vaincue dès lors que Jésus accepte de quitter leur territoire. Tout en affirmant son autorité, Jésus ne s’impose point aux habitants de la région qui ne veulent pas de lui (5.15–17 ; cf. 6.4–6). Le déploiement du Royaume en Décapole, tout en restant une dynamique intrinsèquement irrésistible, se fera par l’intermédiaire de celui qui a été bénéficiaire de la compassion de Dieu manifestée en ce même Jésus que l’on a rejeté (5.18–20). Dans l’évangile de Marc, le verbe ʌȡȠıțȣȞȦ (« se prosterner ») n’est employé qu’en 5.6 (démoniaque) et 15.19 (les soldats). Pendant son ministère, le Jésus marcien n’est salué avec vénération que par ses ennemis : acte de soumission face au plus puissant dans le cas du démoniaque, acte provoqué par l’esprit impur qui a reconnu Jésus (cf. 5.7), mais acte ironique de moquerie lorsque ce sont des hommes qui l’accomplissent. Paradoxalement, l’action libératrice de Jésus, que ce soit au niveau du micro-récit (5.1–20) ou du macro-récit (évangile de Marc), provoque la déroute de Satan, mais le rejet et non la glorification de la part des êtres humains. De même, la dynamique de l’opposition et du déploiement du Royaume, ainsi que celle de la proclamation d’un Maître rejeté, absent et pourtant conquérant45, doit être intégrée par le point de vue, la logique et la praxis du lecteur construit. 3.4.2 La modalité relationnelle proposée par Marc 5.1–20 entre Jésus et le disciple exemplaire Cette section se concentre sur la modalité relationnelle entre le disciple et Jésus que le récit de l’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20), dans l’économie de tout 45 Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 80 : le Gérasénien proclame Jésus en tant que « Seigneur pourtant rejeté et absent ».
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l’évangile de Marc, promeut. La relation devient ainsi action découlant de l’interprétation de Jésus à partir de ses modalités opératoires et de ses paroles, et aussi de la symbolique relevée par le narrateur. 3.4.2.1 L’aveuglement des personnages du récit en tant que toile de fond pour la clairvoyance du lecteur implicite C’est au registre du paradoxe que revient la tâche de mettre en exergue la dynamique de l’aveuglement qui constitue un thème important à la fois du récit de l’exorcisme du Gérasénien et de tout l’évangile de Marc. Le narrateur suggère que ce sont précisément « ceux qui avaient vu » (v. 16 : Ƞੂ ੁįંȞIJİȢ) qui semblent se méprendre sur l’importance et la portée de la guérison du possédé, et qui font aux habitants de la ville et des alentours qui viennent pour « voir » et pour « observer » (v. 14 : ȜșȠȞ ੁįİȞ ; v. 15 : țĮ șİȦȡȠ૨ıȚȞ) un rapport inadéquat, suscitant une réaction de peur face au Fils de Dieu. Le personnage collectif « témoins oculaires » assume une fonction herméneutique que le narrateur sanctionne et pose en antithèse, par une sorte de synkrisis, avec l’attitude du Gérasénien après sa guérison. La transition du verbe ਕʌĮȖȖȜȜȦ (« rapporter », v. 14) au verbe įȚȘȖȠȝĮȚ (« raconter en détail », v. 16), d’un rapport générique à une description très détaillée, marque la démarche interprétative des gardiens qui consiste à réduire l’événement de Gérasa au « comment » (ʌȢ) de la guérison du démoniaque et à la perte du troupeau (țĮ ʌİȡȓ...). Ce choix sélectif, qui élimine toute appréciation de la déroute des esprits et de la guérison de l’homme, ainsi que l’absence, dans le récit, de raisons explicites à l’aversion de la foule à l’égard de Jésus, met en lumière l’intention de l’auteur implicite : sanctionner le rôle néfaste de médiation assumé par les témoins oculaires, sans s’attarder sur la possible cause « historique » du refus de Jésus de la part des Géraséniens. À cet aveuglement, contre lequel le narrataire est mis en garde, s’oppose non pas une déclaration dogmatique correctrice concernant le Jésus marcien, mais plutôt la narrativisation de son dépassement. Aux versets 18–19, le Gérasénien exorcisé et rétabli reçoit de Jésus l’injonction de cristalliser son témoignage autour de la dimension relationnelle : il faut rapporter aux siens tout ce que le Seigneur a fait pour lui, et combien il a eu compassion de lui (v. 19 : ıĮ țȡȚંȢ ıȠȚ ʌİʌȠȘțİȞ țĮ ȜȘıȞ ıİ ; le pronom ıĮ qualifiant aussi bien ʌȠȚȦ qu’ਥȜİȦ). Cette mission se situe aux antipodes de la description des faits proposée par les témoins oculaires/gardiens des cochons qui privilégie le pôle de la modalité (ʌȢ, v. 16), assimilable à une posture évaluative et à une volonté de contrôle frustrées. L’auteur implicite dénonce une relation évaluative entre un observateur et Jésus, centrée sur le pôle de la modalité. Il narrativise, par contre, le besoin d’un passage d’un point de vue centré exclusivement sur la manière d’agir de
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Jésus à celui d’une appréciation qualitative et quantitative centrée sur les bienfaits dont l’être humain bénéficie suite à l’intervention du Fils de Dieu. La situation finale du récit manifeste le bien-fondé d’une telle démarche en valorisant l’effort de l’homme exorcisé dont l’annonce est purement axée sur la surprenante abondance de la miséricorde divine et la transformation personnelle de l’individu qu’elle a rendue possible. Le verset 20 asserte hyperboliquement l’importance accordée à ce changement de perspective : l’étonnement de tous les habitants de la Décapole n’est pas une réponse directe à l’exorcisme mais à la proclamation, selon les modalités dictées par le Jésus marcien, du Gérasénien. Le lecteur implicite est donc invité à ne pas sous-estimer le danger d’un aveuglement vis-à-vis du Jésus marcien ainsi que la modalité relationnelle que ce dernier prône entre lui-même et celui/celle qui veut se mettre à sa suite. Le registre de l’aprosdokéton est exploité pour cette mise en garde. Tout comme les suidés qui assument une fonction surprenante dans l’intrigue – ils constituent une opportunité en vue de l’action transformatrice (v. 11–13) –, les gardiens des cochons, qui semblent assumer d’emblée le rôle d’adjuvants du héros par la diffusion de ses actes étonnants, se révèlent finalement – et de manière surprenante – être des opposants, car leur rapport (double : v. 14 et 16) aboutit à la requête des Géraséniens visant à ce que Jésus quitte leur territoire (v. 17). Ce double malentendu, à la fois inopiné et déroutant, comique (cochons) et tragique (gardiens), alerte le lecteur implicite sur l’impact qu’une vision déformée de la personne et de l’action de Jésus peut avoir sur l’établissement d’une relation salutaire avec ce dernier. Qui plus est, l’aveuglement des gardiens/témoins oculaires et des gens de la ville est aussi sanctionné par le jeu des points de vue. Lorsque les démons sont l’objet de la focalisation, le narrataire les perçoit exclusivement à travers le regard de Jésus (8–9b) et du narrateur (10, 13b), jamais à travers celui des habitants des environs et des gardiens. Ceux-ci, bien qu’au bénéfice d’une contemplation directe, n’arrivent pas à aller au-delà d’un regard limité qui néglige le véritable enjeu de l’événement, à savoir l’affrontement cosmique entre le Fils de Dieu et Satan. Dans le même sillage, les seuls personnages qui ne focalisent jamais Jésus sont, encore une fois, les gardiens/témoins oculaires. Paradoxalement, « ceux qui avaient vu » et qui se sont dépensés pour « raconter » les faits avec minutie et détails, s’attardent en réalité sur la modalité de l’exorcisme et sur le cas des cochons (v. 16), tout en omettant complètement de parler de l’auteur du miracle et de son bénéficiaire, en éclipsant, en somme, les deux personnages principaux du récit. Ainsi, le récit exerce tout d’abord sa fonction de reconfiguration du lecteur implicite par rapport à la thématique de la modalité relationnelle proposée par le Jésus marcien et son disciple idéal en sanctionnant l’aveuglement des gardiens/témoins oculaires et des habitants de la ville et des hameaux. La démarche se poursuit néanmoins en opérant également au niveau du personnage avec
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lequel le lecteur est susceptible de développer une relation empathique : le Gérasénien exorcisé. Le fait que l’homme verbalise à la fin du récit son souhait d’« être avec » Jésus a vocation à être initialement compris, au niveau de la structure narrative de surface, en tant que requête légitime et cohérente avec la mission du héros, car il s’agirait d’une action qui cristalliserait le processus d’inclusion de cet être humain dans la dynamique du Royaume. L’auteur implicite, néanmoins, opère une subversion significative : l’homme exorcisé doit accepter la frustration du détachement physique de Jésus pour pouvoir assumer pleinement son rôle d’adjuvant du héros. 3.4.2.2 La dévalorisation des attachements tangibles en faveur de l’idéalisation d’une « proximité à distance » et d’une absence habitée La relation idéale entre le Jésus marcien et le lecteur construit en tant que disciple est parodiée, dans le récit de Marc 5.1–20, par la relation que les démons tentent d’instaurer avec l’exorciste. Les esprits impurs supplient instamment ce dernier d’être envoyés (v. 12 : ʌȝʌȦ) dans le troupeau de pourceaux, tout comme le Jésus marcien a l’habitude d’envoyer, en son nom, ses propres disciples : ਕʌȠıIJȜȜȦ en 3.14 ; 6.7 ; 11.1 et 14.13. L’auteur implicite refuse une telle assimilation en précisant que Jésus ne les envoie pas, mais leur « permet » (v. 13a : ਥʌȚIJȡʌȦ) d’envahir les cochons. Il s’agit bien d’une concession qui relève de son autorité sur les démons et qui, surtout, relativise le lien qu’il a avec eux, cela en n’accordant pas à la légion de démons le statut d’envoyés. La demande des esprits impurs était motivée par le désir de ne pas être bannis « hors du territoire » (v. 10). Cet attachement géolocalisé ainsi que leur désir de mettre en place une stratégie de salut personnel se heurte frontalement au discours que le Jésus marcien adresse à ses disciples au long de l’évangile. L’échange entre l’exorciste et les démons des versets 7 à 10 du chapitre 5 de Marc opère, ironiquement et de manière proleptique, le renversement d’une valeur sotériologique clé : l’obtention du salut par la recherche active de la préservation de sa propre vie. Le lecteur implicite est donc mis en garde contre le recours à des tactiques sotériologiques qui ne tiennent pas compte de l’exigence de l’adhésion à la personne (et à la destinée) du Jésus marcien. Comme ce sera ensuite explicité en 8.35, « quiconque voudra sauver sa propre vie la perdra ». Cette exigence de suivance radicale sera également confirmée de manière explicite en 14.66–72 et surtout en 15.29–32. Par la mise en relation dialectique, selon le registre de la synkrisis, de la modalité relationnelle proposée, d’un côté, par les démons au territorialisme exaspéré (5.10), et, de l’autre, par le Gérasénien exorcisé qui n’hésiterait pas à quitter son pays pour se mettre à la suite de Jésus (v. 18), l’auteur implicite dévoile son intention reconfiguratrice à l’intention du lecteur. La volonté de négocier le salut sur la base d’un attachement inaliénable et visant à subordon-
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ner les exigences de la suivance demandées par le Fils de Dieu à d’autres impératifs est destinée à se noyer et disparaître dans la mer (v. 13). Quant à la propension à accepter l’autonomie, la responsabilité de la séparation physique avec celui qui a apporté la libération, et à donner suite à l’injonction de regagner sa maison et sa famille afin d’en faire, en l’élargissant même, son champ de mission (v. 19), elle est évaluée positivement (v. 20). En élargissant le regard à l’ensemble du macro-récit, on remarquera que l’invitation à rapporter l’œuvre étonnante de Dieu par Jésus se retrouve aussi – et seulement – à la fin de l’évangile. Le jeune homme s’adresse aux femmes pour les envoyer vers les disciples avec la charge d’annoncer « qu’il vous précède en Galilée » (cf. 5.19: ʌĮȖİ… țĮ ਕʌȖȖİȚȜȠȞ ; 16.7 : ਫ਼ʌȖİIJİ İʌĮIJİ). Le refus du Jésus marcien d’établir et de prolonger avec le Gérasénien une relation connotée par des attachements physiques et tangibles est donc à lire en fonction du tissage narratif qui associera le Gérasénien aux femmes au tombeau. Elles aussi, désireuses d’une proximité avec le corps de Jésus et d’un contrôle sur ce dernier (les femmes se rendent au tombeau afin d’embaumer le corps du Maître : 16.1), se heurtent à l’exigence d’une proximité vécue dans l’absence, mais une absence habitée par l’annonce d’une rencontre passée (cf. 5.19) qui a vocation à en engendrer d’autres, sur un autre plan (16.7). La sublimation du désir du Gérasénien exorcisé, et par extension, du lecteur encodé, d’« être avec Jésus » selon une modalité non cautionnée par l’auteur implicite, avait déjà été proleptiquement et paradoxalement annoncée par la frustration des tentatives de l’enchaîner (v. 4). Tout comme les chaînes et les fers, symboles d’une relation fondée sur la volonté de contrôle, avaient été brisés, ainsi son attachement à la personne physique de Jésus se doit-il d’éclater en morceaux. L’impossibilité de rester avec Jésus fait écho à la nécessité de renoncer à tout désir de l’apprivoiser, car sa parole ne sépare pas seulement l’homme de ses démons, mais aussi l’être humain de son souhait de s’attacher au Jésus pré-pascal46. Si l’on s’attarde sur le registre de l’alignement du point de vue du lecteur implicite sur celui du narrateur, on remarquera que, là aussi, la dynamique de la prise de conscience de l’impossibilité d’apprivoiser le Jésus marcien est à l’œuvre. Dans les trois premiers tableaux du récit, à savoir les versets 1 à 5, le narrataire, grâce à la focalisation pourvue par le narrateur, est mis au bénéfice d’informations sur le possédé qui échappent même au personnage de Jésus. Le lecteur se retrouve alors avec un statut cognitif supérieur, car il en sait plus que le héros. L’écart entre le narrataire et le Jésus marcien se comble néanmoins : le narrateur dévoile la nature multiple de la possession au lecteur en même temps qu’à l’exorciste. Le lecteur, à ce stade, en sait autant que le héros. Progressivement, le récit devient plus opaque, dans le sens où le lecteur se trouve 46 Voir Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 106, 110 ; CombetGalland, « Le Dieu du jeune homme nu », 23, 37.
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être en position d’infériorité cognitive, alors que le début du récit lui avait donné une illusion d’omniscience. C’est ainsi qu’aux versets 11 à 13, le lecteur n’est pas mis au courant des motivations qui poussent Jésus à négocier avec Légion et à répondre positivement à la demande de ce dernier. Le narrataire réalise alors qu’il ne maîtrise pas toutes les données du récit et que, au fond, les intentions et les modalités opératoires de Jésus lui échappent en quelque sorte. La position de supériorité cognitive que le lecteur retrouve, par rapport au héros, à la fin du récit, lorsque le narrateur dévoile le contenu de la prédication de l’homme purifié (v. 19– 20a), ne saura échapper au soupçon d’être inadéquate pour une véritable et définitive qualification, et donc maîtrise, du personnage de Jésus. D’ailleurs, au début du récit comme à la fin, sa supériorité cognitive est rendue possible lorsqu’il focalise, par l’intermédiaire du point de vue du narrateur, le Gérasénien (avant et après l’exorcisme), et non pas le Fils de Dieu. L’impossibilité du Gérasénien d’être avec le Jésus pré-pascal se couple avec le fait que le lecteur implicite réalise l’opacité de sa supposée connaissance et maîtrise de l’objet de sa foi. Enfin, le lecteur implicite est confronté, bien évidemment, à l’obéissance du Gérasénien qui, sans contester, assume le rôle de disciple exemplaire qui intègre aussitôt l’enseignement. Cependant, dans une perspective synchronique, il ne faut pas manquer de souligner qu’ailleurs, pour des personnages beaucoup plus présents dans le récit marcien, à savoir les disciples et les femmes, l’absence de Jésus est la source d’une peur (4.38 et 16.8) qui, dans le cas des disciples, est sanctionnée en tant que manque de foi (4.40). Il ne s’agit pas néanmoins, pour l’auteur implicite, de condamner ces personnages « faibles » du récit, mais de confronter le lecteur avec la difficulté objective d’accepter l’absence du Christ en tant qu’opportunité pour le rencontrer ailleurs, dans et par l’annonce dont il est désormais le cœur47. 3.4.2.3 L’annonce et l’identification en tant que modalités relationnelles Le récit du démoniaque de Gérasa place le lecteur devant une réalité aussi déconcertante qu’ironique. Le Jésus marcien, l’initiateur de la dynamique d’extension des frontières du Royaume au-delà du lac de Tibériade, se trouve rejeté par la population locale suite à la manifestation puissante, purificatrice et libératrice de la miséricorde de Dieu à l’égard d’un étranger qui hantait le territoire de Gérasa. Toutefois, le rejet, ni recherché ni souhaité48, qu’il rencontre, a pour 47 Le miracle de la tempête apaisée a été l’occasion, pour le Jésus marcien, de « s’absenter jusque vers la mort pour que dans la mort ils vivent sa présence, ils ne périssent pas ! L’altérité divine se fait secrète dans sa proximité même » : ainsi Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 113. 48 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 202 ; Wayne C. Booth, A Rhetoric of Irony, PhB 641 (Chicago : University of Chicago Press, 1974), 28.
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conséquence de faire de cet événement, par l’action du Gérasénien, l’objet même du message qui sera ensuite proclamé par toute la Décapole. Le passage proleptique de l’annonce de l’évangile par Jésus à la proclamation de l’évangile en tant que parole sur Jésus qui s’opère à l’intérieur du micro-récit est confirmé, au niveau macroscopique, par l’ensemble du deuxième évangile qui, après avoir annoncé d’emblée le « commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ » (1.1), montre comment l’Évangile de Dieu proclamé par Jésus (1.15) ne pourra pas faire abstraction de l’annonce du crucifié qui s’est réveillé, et qui est devenu désormais partie intégrante de l’Évangile qu’il avait lui-même annoncé (16.5–7). De manière inattendue, le narrataire de Marc 5.1–20 réalise que le rejet, aussi regrettable soit-il, est intégré dans le mystère du Royaume au point qu’il paraît même nécessaire. De la même manière, la volonté de Jésus de se soustraire à la proximité du Gérasénien exorcisé peut être comprise comme un détachement utile, qui doit être métabolisé afin qu’une forme inédite et nouvelle de sa présence puisse émerger au cœur même de la relation, désormais établie sur (et construite par) l’annonce kérygmatique. Il n’est pas surprenant dès lors de constater que, dans le développement de l’intrigue du récit de Gérasa, une place importante est accordée à un conflit d’interprétation qui concerne, de façon significative, la dimension du « discours ». Deux dynamiques s’opposent, deux manières de gérer la parole sont mises en relation dialectique : c’est par une parole rattachée à une inintelligence interprétative que Jésus est chassé du territoire (v. 14 : ਕʌĮȖȖȜȜȦ ĺ v. 16 : įȚȘȖȠȝĮȚ), et c’est par une parole proclamée (v. 19 : ਕʌĮȖȖȜȜȦ ĺ v. 20 : țȘȡııȦ) que tous s’étonneront au sujet de son action (v. 20b : țĮ ʌȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ). L’accent placé sur l’importance d’un discours qui, au niveau du micro-récit, est conforme au point de vue du Jésus marcien (et du narrateur) ne saurait faire abstraction du contexte paradoxal dans lequel il surgit. C’est justement par le rejet de Jésus qu’est rendu possible un témoignage qui décuple la renommée du Fils de Dieu, et c’est en son absence physique que son nom retentira dans toute la Décapole à l’aide de la proclamation du Gérasénien. Cette « destruction créative »49 interpelle le lecteur qui se reconnaît dans l’homme libéré qui, à son tour, modèle son expérience sur celle de Jésus. Rejeté lui aussi, comme Jésus et par Jésus – afin de sublimer son désir de proximité (5.19) –, il part de son côté (5.20 : țĮ ਕʌોȜșİȞ), comme le Maître du sien (5.24 : țĮ ਕʌોȜșİȞ), pour prolonger la dynamique centrifuge de la mission. Le lecteur implicite 49 Yvan Bourquin, « Le ‹soleil noir›, ou l’oxymore implicite dans l’Évangile selon Marc », in Raconter, interpréter, annoncer : parcours de Nouveau Testament. Mélanges offerts à Daniel Marguerat pour son 60ème anniversaire, éd. par Emmanuelle Steffek, Yvan Bourquin et Daniel Marguerat, MdB 47 (Genève : Labor et Fides, 2003), 92. À la page 93, il propose l’ expression « oxymore implicite (obscure clarté, soleil noir) », à savoir, une opposition/contradiction qui n’est pas explicitement énoncée, mais qui imprègne néanmoins le récit (p. 94).
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s’ouvre alors à la corrélation paradoxale et pourtant indissoluble entre le rejet et la proclamation, trait fondamental de l’identité du Jésus marcien avec lequel il se met en relation50. Il est encore trop tôt pour que le lecteur implicite apprécie la portée symbolique que le narrateur accorde à la description qu’il donne du Gérasénien exorcisé au verset 15 : « assis, habillé et avec [son] bon sens ». Ce thème sera approfondi lorsque l’on abordera la question de l’intratextualité. Mais une description si détaillée de l’état d’un exorcisé, cas unique dans les évangiles, ne saurait manquer d’éveiller la curiosité du lecteur et d’occuper une place de choix dans sa mémoire. Le lecteur sait que l’homme qui doit métaboliser le détachement physique de son libérateur et qui l’inclut – en tant que partie intégrante de l’action miséricordieuse de Dieu –, dans sa proclamation, est aussi l’homme qui a été connoté plus haut, en tant personnage guéri, par des traits spécifiques. Il est « assis » : la posture de l’ex-démoniaque de Gérasa assumera le statut d’élément significatif car le recours à la forme participiale țĮșȝİȞȠȞ ne se retrouve dans la suite de l’évangile qu’en 14.62, lorsqu’il est question du « Fils de l’Homme assis à la droite de la Puissance », et en 16.5, pour montrer qu’au tombeau les femmes trouvent non pas le cadavre de Jésus mais « un jeune homme assis à droite ». Le Gérasénien est également « habillé ». Pour l’auteur implicite, la vêture de l’homme exorcisé est moins un remède à sa nudité (jamais mentionnée dans le récit) qu’un symbole de la nouvelle identité qu’il a acquise. La suite de l’évangile montrera comment le vêtement est associé au statut des individus (voir la Transfiguration : 9.3 ; l’emploi sarcastique qu’en font les soldats en 15.17–20) et la manière dont il est exploité pour créer des associations entre personnages au niveau inter- (Jean le Baptiseur est associé à Élie : cf. 1.6 // 2 R 1.8) et intratextuel (Jésus transfiguré et le jeune homme au tombeau : 9.3 // 16.5). Le lecteur implicite sera ainsi amené à réfléchir au parallélisme établi entre la vêture et la position assise de l’ex-démoniaque (5.15 : țĮșȝİȞȠȞ ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ), sûrement mais pas seulement signes de sa dignité retrouvée, et celles du jeune homme au tombeau (16.5 : țĮșȝİȞȠȞ… ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȞ ıIJȠȜȞ ȜİȣțȞ). L’un comme l’autre annoncent un Jésus rejeté et absent qui, pourtant, devient le pivot de la proclamation et la cristallisation de l’action puissante de Dieu. Le Gérasénien anticipe ainsi la fin même de l’évangile en témoignant de l’action libératrice du Fils de Dieu qui amène pourtant à une exclusion ; un rejet qui aboutira à une absence qui n’est pas défaite mais qui permet au Jésus 50 L’expérience du Gérasénien, pour Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 36–37, offre « une image réduite de l’évangile tout entier, qui articule comme deux grands moments guérisons et passion », la Passion étant vécue par anticipation dans le rejet des gens de la ville et des alentours. Par extension, la relation étroite entre le rejet et la proclamation en Marc reflèterait la « condition même des lecteurs » du deuxième évangile : Combet-Galland, « Quand la naissance du récit se raconte », 111.
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annonçant de devenir le Jésus annoncé, et ainsi de rencontrer les êtres humains et de prolonger son ministère par le biais de la proclamation de ses hérauts. Mais avant d’en arriver là, le lecteur implicite du récit de Marc 5.1–20 doit, pour le moment, se contenter de commencer à intégrer la modalité relationnelle idéalisée par le narrateur, à savoir une absence du Jésus pré-pascal sublimée par le glissement de l’annonce de l’Évangile par Jésus vers la proclamation de l’Évangile de ce dernier, ainsi que la corrélation paradoxale entre le rejet et la proclamation et ses implications pour l’élaboration de la figure du disciple/lecteur exemplaire. 3.4.3 Intégration des non-Juifs dans les frontières du Royaume Le processus de compréhension que le lecteur implicite met en place par la construction d’un réseau sémantique intratextuel amène à une représentation du Jésus marcien (son identité). L’élaboration de l’identité de Jésus permet ensuite une représentation conceptuelle de l’interaction qui se construit progressivement entre le lecteur implicite et les héros du récit : le Gérasénien en tant que disciple exemplaire et Jésus en tant qu’objet de la foi. La construction du lecteur implicite implique donc une dynamique centripète et verticale vis-à-vis des personnages-clés du récit, mais elle en engendre également une autre qui est centrifuge et horizontale, et qui est orientée vers une reconfiguration de la vision du monde et de l’interférence que les nouvelles croyances acquises auront sur les anciennes relations. Dans le récit du démoniaque de Gérasa, le lecteur implicite est confronté au thème de l’inclusion active de non-Juifs à l’intérieur des frontières du Royaume et, par extension, dans la réalité communautaire. 3.4.3.1 Invitation au lecteur implicite à faire évoluer son point de vue en l’harmonisant avec ceux du narrateur et du personnage de Jésus L’auteur implicite n’hésite pas à accrocher son lecteur encodé par une description de l’étranger démoniaque qui corrobore pleinement son savoir encyclopédique. Le Gérasénien est alors décrit en tant qu’être exécrable, car les sépulcres – le mot est hyperboliquement répété à trois reprises : ȝȞȘȝİȠȞ (v. 2), ȝȞોȝĮ (v. 3, 5) – sont sa demeure (v. 3). Possédé par l’esprit impur, il est arraché du monde des vivants et imprégné de la réalité de la mort. Qui plus est, il est l’antihéros biblique par excellence car, si sa force étonnante rappelle celle de Samson (verbe įȚĮıʌȦ en Jg 16.9 LXX et Mc 5.4), son origine surnaturelle, à l’opposé du héros de l’ancien Israël (cf. Jg 14.6, 19 ; 15.14 ; 16.28), n’est pas divine mais satanique. Pourtant, même si le point de départ du regard asserté que le narrateur porte sur le démoniaque est conforme à celui du narrataire (et le conforte), ce dernier est invité à entreprendre un parcours narratif qui lui permettra de progressivement s’éloigner, après l’intervention de Jésus, de cette évaluation foncièrement
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négative. Ce déplacement sera rendu possible tout d’abord par la remise en question de points de vue, assertés eux aussi, d’autres personnages du récit, qui seront jugés comment inadéquats, voire trompeurs. C’est ainsi que l’auteur implicite offre au lecteur le point de vue des habitants des environs (v. 14b–15). Paradoxalement, selon leur perspective, cet homme, regroupant les caractéristiques d’un sujet normal (assis, habillé, bon sens), demeure « le démoniaque » (IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ). Le narrateur ne manquera pas de signaler au lecteur implicite qu’il s’agit d’une manière impropre d’évaluer le bénéficiaire de l’action de Jésus, et qu’il est nécessaire d’apprécier le conflit d’interprétation dans la tension entre le point de vue des gens et le sien (IJઁȞ ਥıȤȘțંIJĮ IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ), auquel il cherche à rattacher son narrataire. De plus, par le recours au registre de l’ironie, l’auteur implicite va jusqu’à disqualifier les habitants de la ville et des hameaux en tant que repères herméneutiques dignes de confiance. En effet, les gens du lieu sont mis en parallèle d’une façon saisissante avec les esprits impurs, les deux groupes s’approchant de Jésus (5.6, 14–15), le craignant (5.7, 15) et, supportant mal sa présence, le suppliant de ne pas les agacer (5.10, 17). Un autre groupe de personnes offre un point de vue inadéquat et entièrement assimilable à celui, déjà évalué négativement, des habitants des environs. Il s’agit des témoins oculaires de l’exorcisme qui, eux aussi, proposent une focalisation grotesque de l’homme guéri (« démoniaque » au verset 16, corrigé par le narrateur au verset 18). De ce fait, en dépit d’un début de récit où le lecteur implicite est affermi dans son évaluation fondamentalement négative de l’étranger possédé, la suite l’oblige à prendre ses distances par rapport au point de vue des gens des environs et des témoins oculaires qui s’entêtent à figer le Gérasénien dans son état de possédé par des esprits impurs. Il est également amené à suivre, d’un bout à l’autre, le déplacement du spectre évaluatif dont fait l’objet le point de vue du narrateur (assimilé à celui de Jésus). Le narrataire s’engage dans ce parcours en adoptant le point de vue de Jésus qui observe d’abord un démoniaque (v. 8– 9a) et, après l’exorcisme, un homme restauré (v. 19). Le narrateur, dont le point de vue est en harmonie avec celui de Jésus, le focalise lui aussi d’abord en menace répugnante et redoutable (v. 2–5) et enfin en tant que héraut efficace de « tout ce que Jésus avait fait pour lui » (v. 20). La mise en relation dialectique de la proclamation du Gérasénien avec les autres tentatives, dans le récit, de restitution orale des événements qui ont eu lieu dans leur territoire, apporte deux autres éléments stigmatisants à l’encontre des témoins oculaires. Premièrement, à ce point de l’intrigue, en rétrospective, il est possible de réaliser la différence qualitative entre l’annonce des témoins et celle de l’homme exorcisé. Le « rapporter » (ਕʌĮȖȖȜȜȦ, v. 14) des témoins se prolonge en un « raconter en détail » (įȚȘȖȠȝĮȚ, v. 16), organisé autour du « comment » (ʌȢ), et aboutissant au rejet de Jésus de la part des récepteurs (v. 17). Par
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contre, l’invitation à « rapporter » (ਕʌĮȖȖȜȜȦ, v. 19) que Jésus adresse au Gérasénien libéré mûrit dans une tout autre direction. Elle devient proclamation (verbe țȘȡııȦ, v. 20), axée non plus sur le « comment », qui est lié peut-être à la dimension rituelle magique ou à la question de la perte économique – en tout cas focalisé sur l’idée d’une frustration au niveau du registre du contrôle –, mais axée sur l’exubérance de la miséricorde divine (ıĮ). Cela afin de se concentrer sur la guérison et l’intégration acquises et de donner toute sa place au Jésus marcien dans l’économie de l’action et de la compassion de Dieu. Deuxièmement, le mouvement centripète (en tant que possédé) et ensuite centrifuge (en tant qu’homme guéri et envoyé) du Gérasénien à l’égard de Jésus est aussi mis en relation, selon le registre de la synkrisis, avec les mêmes dynamiques motrices engendrées par les témoins oculaires. Bouleversant le lien d’antipathie instauré tout au début du récit avec le lecteur, le Gérasénien, qui s’était d’abord précipité vers l’exorciste, se retrouve, à la fin du récit, envoyé par Jésus pour annoncer dans sa maison et auprès des siens sa délivrance (v. 19). Hyperboliquement, le mouvement centrifuge qui en résulte se prolonge sur tout le territoire de la Décapole (v. 20). Inversement, les gardiens des cochons s’éloignent d’abord de Jésus pour rapporter les faits. Le résultat immédiat est un retour, vers l’exorciste, des témoins oculaires accompagnés par les gens de la ville. Seulement, leur action se prolonge, et le récit qu’ils font des événements déclenche un nouveau mouvement d’éloignement : cette fois, c’est Jésus qui est supplié de quitter le territoire (v. 17). Lorsque l’on revient à l’évaluation de la proclamation du Gérasénien, mis à part l’étonnement des Décapoliens (v. 20), le lecteur implicite pourrait être amené à se demander si, au schéma éloignement (v. 14a) – rapprochement (v. 14b) – éloignement (v. 17) qui caractérise la relation spatiale entre Jésus, les gardiens des cochons/témoins oculaires et les habitants de la région, pourrait correspondre, de manière inverse, le schéma rapprochement (v. 2, 6) – éloignement (v. 20) – rapprochement ( ?). La solution à ce questionnement ne se trouve pas dans le micro-récit, mais la suite de l’évangile va narrativement y répondre de manière résolument positive : Jésus se retrouvera bientôt « au milieu des limites de la Décapole » (ਕȞ ȝıȠȞ IJȞ ȡȦȞ ǻİțĮʌંȜİȦȢ : 7.31), pivot d’un mouvement centripète de personnes lui amenant (7.33) un sourd-muet afin qu’il le guérisse. Le lecteur implicite est ainsi conforté dans son sentiment qu’il est impératif de faire évoluer son regard sur cet étranger de Gérasa. Contrairement à ceux qui se montrent aveuglants (les gardiens) et aveugles (les gens des environs) face à la miséricorde active de Dieu, le Gérasénien, par sa proclamation, contribue à ce que les habitants de la Décapole contemplent avec les nécessaires émerveillement et enthousiasme la compassion, restauratrice et sans
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frontières, de Dieu, qui se concrétise en l’action de Jésus (cf. 7.37 : țĮȜȢ ʌȞIJĮ ʌİʌȠȘțİȞ, « il a bien fait toutes choses »)51. 3.4.3.2 Le Gérasénien en tant que « disciple » La rhétorique de l’auteur implicite, visant à permettre une évolution du point de vue du lecteur vis-à-vis de cet étranger de la Décapole, ne se limite pas à la mise en place d’une stratégie narrative qui disqualifie la légitimité du regard de ceux qui, dans leur aveuglement obstiné, refusent de donner au Gérasénien le statut d’ex-démoniaque. Plus positivement, le récit fait aussi état de la dignité accordée à cet étranger : il est l’objet de la miséricorde divine tout comme n’importe quel personnage juif de l’évangile ; qui plus est, par rapport aux disciples de Jésus, il est même idéalisé en tant qu’« exemplaire ». Voyons de quelle manière l’auteur implicite poursuit cet objectif. Premièrement, le lecteur, tout au long du récit de Marc 5.1–20, perd son point d’ancrage empathique narratif habituel, à savoir, les disciples de Jésus. Si, au début du récit, ces derniers accompagnent leur Maître dans son déplacement en pays non juif (v. 1), ils disparaissent aussitôt, d’un point de vue narratif, pour réapparaitre bien au-delà du récit de Gérasa, en 5.31 (« ses disciples lui disaient… »). Même lorsque Jésus quitte la Décapole après l’exorcisme, en 5.21a, le narrateur ne mentionne pas les disciples qui pourtant se déplacent avec Jésus d’une rive à l’autre. Cette absence narrative permet au lecteur de chercher ailleurs son point de repère empathique. Afin d’ouvrir la voie à une identification du lecteur avec le Gérasénien exorcisé, l’auteur implicite, en soignant le choix des modalités de narration, revient au véritable enjeu du récit : l’affrontement entre le Fils de Dieu et les puissances sataniques pour la libération ou la destruction de l’être humain. En effet, lorsque l’on considère l’intrigue à partir de son action transformatrice (v. 11– 13) jusqu’à sa situation finale, le narrateur ne recourt au mécanisme narratif de la mimesis qu’aux versets 12 et 19. Si, au verset 12, le narrateur montre la façon dont les démons négocient avec Jésus un moyen de salut personnel, au verset 19, il montre comment Jésus fait du Gérasénien un héraut, pour les siens, de la compassion divine qui l’a touché. Ces deux passages se distinguent ainsi du reste de la péricope pour revêtir un relief tout particulier : tout en soulignant l’autorité de Jésus sur les esprits impurs comme sur les êtres humains, ils mettent en exergue qu’au-delà de la complexité de ce récit et du nombre de personnages qui y figurent, le triangle exorciste – esprits impurs – étranger purifié 51 Rochester, Good News at Gerasa, 103, remarque l’allusion à Es 35.5–6 qui, comme Es 50.4–5 ; Jr 9.20 ; 1QHa 9.21 [« car tu as découvert mon oreille pour [entendre] les Mystères merveilleux ! », selon la traduction de André Dupont-Sommer et Marc Philonenko, éd, La Bible. Écrits intertestamentaires, BPle 337 (Paris : Gallimard, 1987), 271, la référence ici étant 1.21], est une injonction adressée au peuple de Dieu – donc au lecteur, inclus désormais dans cette catégorie – à se mettre à l’écoute.
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et envoyé demeure le noyau sémique autour duquel tout le reste s’organise et doit être interprété. Ensuite, par le recours au registre symbolique, le narrateur montre que ce qui se passe à Gérasa se rapproche de l’événement fondateur que représente l’appel des disciples (3.13–19). Le démoniaque vit dans les sépulcres situés dans les montagnes (5.5). Or, la montagne, dans l’évangile de Marc, est surtout le lieu où Jésus rencontre et instruit ses disciples (3.13 ; 11.1 ; 13.3 ; 14.26), où il prie (6.46) et est transfiguré (9.2, 9). Le renversement symbolique que ce lieu subit dans le récit de Gérasa – car il apparaît d’emblée comme lieu de mort et d’impureté – ne saurait être que transitoire. C’est précisément « près de la montagne » que l’action transformatrice a lieu (v. 11–13), entraînant une purification des lieux rendue possible par la disparition dans le lac des cochons possédés par Légion. Si c’est sur la montagne, en territoire juif, que Jésus « appelle ceux qu’il voulait » (3.13), établit les Douze (3.14) pour qu’il soient « avec lui » (ȝİIJૃ ĮIJȠ૨) et aussi les envoie proclamer (țȘȡııİȚȞ) et chasser les démons (3.15), c’est près de la montagne, en territoire non juif, que la dynamique de l’exorcisme se déploie (5.13) et qu’un étranger va vers Jésus pour le supplier d’être « avec lui » (5.18 : ȝİIJૃ ĮIJȠ૨). Il est vrai que sa demande de devenir lui-même un disciple comme les autres, bénéficiant du privilège de la proximité physique avec le Jésus pré-pascal, n’aboutit pas. Pourtant, comme les Douze, le Gérasénien est considéré digne d’être envoyé, par Jésus lui-même, pour proclamer la compassion pragmatique du Seigneur (v. 20 : țȘȡııİȚȞ)52. Le lecteur implicite est ainsi incité à intégrer cet élément inattendu dans le réseau établi entre ses convictions et son encyclopédie du savoir. Le récit de Marc 5.1–20 jette un nouvel éclairage sur le champ de mission du Jésus marcien et sur la relation que les étrangers peuvent entretenir avec lui. La rencontre avec le Fils de Dieu a permis à cet être humain (ਙȞșȡȦʌȠȢ en 5.2) en détresse, habitant des lieux solitaires et impurs, de réintégrer la société, à commencer 52 Du point de vue de l’analyse linguistique, Danove, The Rhetoric of Characterization, 75–76, remarque que l’appel des premiers disciples en Marc (1.16–20) est, de par son vocabulaire, en lien avec le choix des Douze (3.13–19) : Simon : 1.16 et 3.16 ; André : 1.16 et 3.18 ; frère de : 1.16 et 3.17 ; faire : 1.17 et 3.14 ; Jacques : 1.19 et 3.17 ; fils de Zébédée : 1.19 et 3.17 ; Jean : 1.19 et 3.17 ; aller : 1.20 et 3.13. Le choix des Douze, à son tour, partage de manière significative du vocabulaire avec leur envoi en mission et leur retour près de Jésus (6.6b–13, 30–32) : appeler : 3.13 et 6.32 ; aller : 3.13 et 6.32 ; faire : 3.14 et 6.30 ; Douze : 3.14 et 6.7 ; envoyer : 3.14 et 6.7 ; proclamer : 3.14 et 6.12 ; autorité : 3.15 et 6.7 ; chasser les démons : 3.15 et 6.13. Danove en conclut, à juste titre, que ces trois péricopent mettent en scène, de manière évolutive, la dynamique suivante : appel de certains individus ; constitution de ces individues en tant que groupe spécial ; vocation de ce groupe à œuvrer comme leur Maître. Nous remarquons que les deux seuls mots communs au trois récits susmentionnés (1.16–20 ; 3.13–19 et 6.6b–13, 30–32), à savoir « faire » (ʌȠȚȦ) et « aller » (ਕʌȡȤȠȝĮȚ), se retrouvent dans le récit du Gérasénien (respectivement en 5.19, 20 et en 5.17, 20).
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par son propre foyer ; les actions coercitives à son égard (v. 3–4) et les incisions qu’il s’infligeait sous l’emprise des esprits impurs (v. 5) cèdent le pas au calme et au bon sens (v. 15) ; ses chaînes sont remplacées par sa capacité à parcourir en homme libre toute la Décapole (v. 20) ; les tentatives abandonnées de le maîtriser dont il a fait l’objet (v. 3 : « personne ne pouvait plus le lier ») cèdent le pas à la possibilité d’un nouveau projet (v. 20 : « il commença à proclamer ») ; le renoncement et l’éloignement fatalistes de ses compatriotes (v. 3 : « personne ne pouvait plus le lier ») s’effacent devant son nouveau potentiel relationnel (v. 20 : « tous étaient émerveillés »). L’anti-héros a été métamorphosé en héros ; celui qui se situait au-delà des frontières sociales et religieuses devient l’objet de la miséricorde divine au point d’être connoté en tant que disciple. Le lecteur encodé se doit de prolonger la trajectoire d’une telle implication pour atteindre le statut de lecteur construit. 3.4.3.3 Le Gérasénien en tant que figure exemplaire Nous présentons ici quelques considérations qui seront reprises et développées dans la dernière partie de notre recherche, lorsque le processus de lecture du récit de Marc 5.1–20 sera abordé du point de vue de l’intratextualité et de la lecture circulaire de l’évangile de Marc. Il est néanmoins important de montrer déjà ici que l’auteur implicite ne se contente pas seulement de sanctionner un point de vue hostile sur le Gérasénien après sa rencontre avec Jésus et de mettre cet homme en parallèle avec les disciples de Jésus. Son effort visant à reconfigurer le lecteur va jusqu’à faire de cet étranger exorcisé une irréfragable figure exemplaire qui demande l’adhésion, voire l’identification du lecteur implicite, notamment pour ce qui est de la manière d’envisager la suivance de Jésus dans le deuxième évangile. Lorsque Jésus envoie le Gérasénien chez les siens pour rapporter « tout ce que le Seigneur a fait pour toi » (5.19), il est question d’annoncer la compassion de Dieu – țȡȚંȢ étant ici, dans la bouche du Jésus marcien, une référence à Dieu. Toutefois, le narrateur précise que l’homme commence à proclamer « tout ce que Jésus avait fait pour lui » (v. 20). Ce passage de țȡȚંȢ à ȘıȠ૨Ȣ s’avère très significatif dans l’économie de la stratégie narrative de l’auteur implicite. Sans attribuer au Gérasénien une compréhension de l’identité et de la mission de Jésus qui ne saurait être atteinte qu’après la Passion et la résurrection, l’auteur implicite intègre toutefois ce changement dans le tissu narratif du macro-récit. Plus exactement, il le met en relation avec les passages précédents où, comme à coups de pinceau, il dresse progressivement le portrait de Jésus, le Fils de Dieu (1.1 ; 3.11), le Fils bien-aimé en qui Dieu prend plaisir (1.11), le Saint de Dieu (1.24), le Fils de l’Homme qui a l’autorité de pardonner les péchés (2.10), qui est Maître du sabbat (2.28) et auquel le vent et la mer obéissent (4.41).
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Ce dernier texte, d’ailleurs, offre l’arrière-plan pour une appréciation paradoxale, voire ironique de la proclamation du Gérasénien : si les disciples se posent la question de l’identité de Jésus (IJȢ ਙȡĮ ȠIJંȢ ਥıIJȚȞ… ; 4.41), le Gérasénien, lui, semble pouvoir élaborer une réponse cautionnée par le narrateur. Qui plus est, par le recours à la synkrisis, les disciples, dans leur aveuglement, sont – narrativement et sur cette question – assimilés aux gens de Gérasa. Tout comme la peur des gens de la ville et des hameaux n’est pas suscitée par le miracle lui-même mais par la contemplation du résultat (5.15), de même les disciples « furent saisis d’une grande peur » après l’apaisement de la tempête, alors qu’ils se posent la question de l’identité de « celui-ci » (4.41)53. Le Gérasénien assume alors les contours d’une figure exemplaire : il aide le lecteur implicite à apprécier le programme du narrateur pilotant la progression cognitive des disciples et du lecteur lui-même. Cette progression touche aussi au thème de l’absence post-pascale de Jésus. C’est par la seule volonté du Jésus marcien que le lecteur implicite se retrouve à contempler une scène d’exorcisme en territoire non juif (4.35). Pendant la traversée du lac de Tibériade, Jésus se soustrait momentanément à ses disciples, car pendant leur lutte contre la tempête, « il dormait à la poupe » (4.38a). Cette absence suscite leur peur face à la perspective de la mort (4.38b), peur critiquée ensuite en tant que manque de foi (4.40). En revanche, au-delà des frontières religieuses et sociales, un étranger, touché par la miséricorde divine exprimée en l’action exorcistique de Jésus, est capable d’accepter le détachement physique et de le sublimer, par la proclamation, en « absence habitée »54. La validité d’une telle démarche est positivement assertée par la suite du récit. L’invitation de Jésus à ce non-Juif à rapporter les faits chez les siens (5.19 : ਕʌȖȖİȚȜȠȞ ĮIJȠȢ) évolue en une proclamation (5.20 : țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ) assimilable – car c’est toujours le verbe țȘȡııȦ qui est employé – à celle de Jean le Baptiseur (1.4, 7), des Douze (3.14), du lépreux guéri (1.45), de Jésus lui-même (1.14, 38–39) et de tous les disciples (13.10 ; 14.9). Peu importe qu’il s’agisse d’une prédication rudimentaire et incomplète, du fait que la Passion et la résurrection n’en font pas encore partie (cf. 8.30–33). Il s’agit tout de même du début officiel (pour Marc) de la mission auprès des non-Juifs. Le lecteur y verra une anticipation de la proclamation de l’Évangile à toutes les nations (13.10). La métabolisation, par le Gérasénien, du refus de Jésus de lui assurer sa proximité physique n’affectera pas l’efficacité de sa proclamation, de surcroît, en terre païenne (cf. 7.31–37). Le Gérasénien sublime l’absence de Jésus par la reprise et l’exécution débordante des éléments contenus dans les consignes de Jésus (5.19). Alors que 53
Cf. Williams, Other Followers of Jesus, 109–10 ; Bonifacio, Personaggi minori, 124. Nous nous inspirons ici du titre du petit livre, à tirage limité, de Marc Vaution, L’absence habitée, Miroir (Rodez : Subervie, 1978), où l’auteur explore par le langage poétique l’interaction, inter alia, entre mémoire et présent. 54
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
ce dernier, tout en se soustrayant au désir de proximité, établit le cadre d’action de cet étranger (« ta maison, vers les tiens ») ainsi que sa modalité (« rapporteleur »), la source et l’objet de son témoignage (« tout ce que le Seigneur a fait pour toi et [combien] il a eu compassion de toi »), le Gérasénien, hyperboliquement : a. étend son champ de mission à toute la Décapole ; b. mûrit son témoignage en « proclamation » ; c. identifie l’action miséricordieuse de Dieu avec les interventions de Jésus lui-même. Concluons cette section par l’appréciation d’un autre élément fondamental de l’effort que l’auteur implicite déploie pour entraîner, chez le lecteur encodé, une identification sympathique avec cet étranger capable, par le témoignage autochtone, de transformer l’hostilité peureuse à l’égard de Jésus (5.15, 17) en accueil enjoué (7.32, 37). Le lecteur encodé est confronté en 5.1–20, et pour la toute première fois, à une dynamique reconfiguratrice épistémique plutôt déstabilisante. Ce qu’on lui demande est d’évoluer vers le statut de lecteur construit en relation avec la thématique du statut accordé aux non-Juifs dans la réalité du Royaume et, en conséquence, de la communauté croyante. Il s’agit d’une dynamique qui requiert, aux yeux de l’auteur implicite, une synergie d’effets de texte sur le narrataire. Pour cette raison, l’auteur implicite s’emploie à faire aussi converger dans la même direction le lien sympathique que le lecteur instaure avec le héros du macro-récit, le Jésus marcien. Le narrataire est amené à faire de Jésus son point de repère paradigmatique. Or, à Gérasa, en territoire non juif, Jésus est confronté à un étranger associé à l’impureté. En évoluant dans sa compréhension de la situation, il prend conscience de la nature multiple de la possession du Gérasénien et accepte d’utiliser les cochons comme une opportunité pour libérer l’homme, et le pays avec lui, des esprits impurs qui affligent un individu en détresse. Cette même dynamique, qui demande un temps d’acceptation et de maturation de la part du lecteur implicite, est proposée à nouveau dans le chapitre 7, lors de la deuxième sortie de Jésus en territoire non juif. La rencontre avec la femme syro-phénicienne (7.24–30) contient un nombre important d’éléments communs avec le récit de Gérasa. Dans les deux cas, il est question d’exorcisme en territoire non juif ; le possédé et la femme sont des étrangers ; on trouve la mention d’animaux impurs (cochons et chiens) ; Jésus doit s’adapter à la situation. En Marc 7, à partir du verset 24, Jésus est confronté à une femme syrophénicienne, associée à l’impureté et à l’« esprit impur », qui, tout comme le Gérasénien, va vers lui et se prosterne à ses pieds (v. 25). Dans cet épisode particulier, Jésus ne fait pas preuve d’ignorance quant à la nature de la possession, mais est confronté à sa propre vision du monde qui, si elle n’évolue pas et n’intègre pas de manière positive les nouvelles données, lui interdira d’accomplir son exorcisme. Dans le territoire de Tyr, le Jésus marcien prend conscience de la nécessité de tenir compte de la foi de l’étrangère qui l’implore et accepte le renversement du sens de l’expression dépréciative « petits chiens »
Synthèse des résultats
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(7.27 : IJȠȢ țȣȞĮȡȠȚȢ). L’ignorance (pour la nature de la possession du Gérasénien) et la réticence (pour l’exorcisme de la fille de la Syro-Phénicienne) initiales dans ces deux épisodes et l’adaptation de Jésus qui s’ensuit aux nouvelles données (y compris le fait que l’élément d’impureté devient une occasion plutôt qu’une barrière) traduisent un dessein auctorial à l’adresse du lecteur implicite encodé. Ce dernier, réticent au déploiement de la grâce divine dans des territoires et au bénéfice d’êtres humains non juifs, est mis en condition d’évoluer avec le personnage de Jésus. Tout comme le Jésus marcien adapte et fait évoluer son point de vue, le lecteur implicite doit harmoniser le sien avec celui du personnage principal pour atteindre le statut de lecteur construit. Le personnage du Gérasénien est alors le premier non-Juif qui, en s’imposant de manière surprenante en tant que figure exemplaire en complément, voire en surpassement, de celle des disciples « réguliers », engage le lecteur à reconsidérer son système de croyance concernant l’inclusion et la place du nonJuif dans le périmètre mobile de la grâce divine et, dès lors, de la dynamique inclussive et centrifuge du Royaume. Le déplacement d’intérêt du pôle de l’auteur au pôle du lecteur ne dispense pas le chercheur de la quête historique55. Lorsque l’on se pose la question du lectorat de Marc, la nécessité d’établir une distinction entre le lecteur encodé et le lecteur construit a été reconnue. Mais il n’est guère possible d’apprécier l’effet du texte en vue de l’évolution de son lecteur si l’on ignore l’encyclopédie du lecteur encodé et sa vision du monde. Dès lors, il n’est plus suffisant de reconnaître que le narrataire est familier avec le Premier Testament et ses personnages principaux, ou qu’il accepte l’existence d’un monde surnaturel peuplé par des êtres, soit bienveillants soit malveillants, capables d’affecter le quotidien, ou qu’il entretient un regard plutôt négatif à l’égard des étrangers et de leurs religions, us et coutumes, ou encore qu’il vit dans l’attente de l’établissement du Royaume de Dieu. La véritable appréciation de l’encyclopédie du savoir du lecteur encodé se fait bien sûr à partir des données du texte, mais aussi par la prise en compte des croyances et connaissances du lecteur historique, car c’est d’abord et avant tout pour lui que l’auteur a écrit. C’est à partir de là que l’on peut établir, avec plus de précision, la nature et la portée de l’interaction entre les dynamiques reconfiguratrices du récit, établies à l’aide de l’analyse synchronique, et les acquis d’une exploration diachronique. Nous nous proposons, dans les trois prochains chapitres, de mettre en valeur les éléments religieux, culturels et sociaux du lecteur historique susceptibles
55 Voir à ce propos notamment Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, trad. par Myriem Bouzaher, 1e éd. en italien : 1990 (Paris : B. Grasset, 1992), 23–28.
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Chapitre 3 : Analyse corrélative
d’apporter une meilleure compréhension des attentes et des convictions du lecteur implicite de Marc56. Le récit met l’accent sur la relation à l’impureté (esprit impur, tombeau, cochons). Il s’agira alors d’élucider les codes de pureté et leur relation avec les dimensions du sacré et du profane. L’étude de ces règles (et de la vision du monde sous-jacente) permettra une meilleure appréciation de la nature du dépassement que le texte en propose57. Le Gérasénien de Marc 5.1–20 est aussi un étranger qui est possédé par des esprits impurs et exorcisé par Jésus. Il s’agit alors de se poser les questions de la relation à l’étranger du lecteur historique de Marc, et de ses représentations inhérentes à la démonologie. Qui plus est, Jésus est présenté en tant que héraut du Royaume ; ses exorcismes sont dès lors à replacer dans le contexte d’une attente eschatologique qu’il conviendra d’éclairer. Le vocabulaire et les thèmes militairement connotés (affronter, Légion, rester dans le territoire, bannir, etc.) du récit de Gérasa ont également retenu notre attention. Leur étude permettra de mesurer la portée de l’intention auctoriale en concluant le récit avec un Jésus rejeté et absent, pourtant en train d’« imprégner » toute la Décapole.
56 Pour DeSilva, An Introduction to the New Testament, 111, la culture, du point de vue de la recherche historique, est définie en tant que « set of values, ways of relating and ways of looking at the world shared by members of a particular group or region, and providing the framework for meaningful communication ». 57 L’approche anthropologique attribue à ces règles les fonctions suivantes : « undergird morality and ethos of a group ; identify the boundaries of the group ; protect the group from erosion ; creates internal lines within the group », auxquelles il faudra ajouter la structuration hierarchique de la société ou du groupe. Ainsi DeSilva, 114. Voir également idem, Honor, Patronage, Kinship and Purity : Unlocking New Testament Culture (Downers Grove : InterVarsity Press, 2000), 23–42.
Deuxième partie
Le récit de Marc 5.1–20 en relation à la notion de pureté, au contexte socio-politique et à la démonologie de l’époque
Chapitre 4
Le rapport à l’impureté Après avoir introduit brièvement la compréhension des notions de pureté et de sainteté dans le Premier Testament et au sein des mouvements juifs qui ont donné une place centrale à ces dimensions et qui ont été susceptibles d’entrer en relation conceptuelle dialectique avec Jésus et ses disciples, nous nous pencherons sur les éléments d’impureté présents dans le récit du démoniaque de Gérasa, à savoir les esprit impurs, les tombeaux et les cochons, afin d’éclairer leur réception par le lecteur historique. Cette section se terminera par une réflexion sur la rhétorique de la pureté dans le récit de Marc 5.1–20 en relation avec le reste de l’évangile.
4.1 La pureté pour le lecteur historique de Marc La pureté pour le lecteur historique de Marc
La valeur centrale du système sacerdotal, de laquelle découlent toutes les règles de pureté exprimées dans le Premier Testament (et dans la littérature juive en général) est la suivante : « vous serez saints car Moi (Dieu) je suis saint »1. Cet impératif amène à structurer la réalité en distinguant ce qui est impur de ce qui est pur (ʸˣʤ ʕʨ / ʠ ʒʮ ʕʨ), mais aussi et simultanément ce qui est profane/ordinaire de ce qui est saint (ˇ ʓʣʷʖ / ʬʧʖ )2. Dès lors, l’état de chaque lieu, objet ou être vivant peut être défini par couples des catégories susmentionnées : pur et saint (par exemple les dîmes et l’enceinte du Temple) ; pur et ordinaire (par exemple la nourriture kasher) ; impur et ordinaire (par exemple un cadavre, un tombeau, un lépreux, une femme qui a ses règles). La combinaison impur et saint, très problématique, ne semble pas être possible, sauf peut-être dans le cas des cendres de la vache rousse (Nb 19.1–12) qui doivent servir pour l’eau lustrale (v. 12) mais qui rendent impur quiconque les manie (v. 10)3. À la différence des catégories de pur et de profane, dites « statiques », celles d’impur et de saint, tout en étant en opposition entre elles, se caractérisent par un état dynamique car contaminant4. Le contact avec ce qui est impur rend impur, et rend donc 1
Lv 11.44, 45 ; 19.2 ; 20.7, 8, 26 ; cf. 1 P 1.16. Très explicitement Lv 10.10. 3 DeSilva, An Introduction to the New Testament, 118. 4 Christian Grappe, « Jésus et l’impureté », RHPR 84, no 4 (2004) : 397. Voir Jacob Milgrom, Leviticus 1–16, vol. 1, AB 3 (New York : Yale University Press, 1998), 732. 2
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Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté
impossible la communion avec ce qui est pur, mais aussi avec ce qui est saint. De leur côté, des objets saints peuvent également sanctifier5, voire tuer6 ceux qui entrent en contact avec eux7. Pour répondre à l’impératif mimétique de sainteté – possible seulement par la présence de Dieu au sein de son peuple –, il est important de réserver à Dieu des lieux, des objets et des gens purs, la pureté étant le seul « espace » où sa sainteté peut se manifester8. Le texte emblématique de Deutéronome 23.15 est explicite à ce sujet : « Car le SEIGNEUR, ton Dieu, marche au milieu de ton camp pour te sauver et pour livrer tes ennemis devant toi ; ton camp sera donc saint, afin qu’il ne voie chez toi rien d’inconvenant et qu’il ne se détourne pas de toi » (NBS9). Un système de sacrifices et d’ablutions assure dès lors la purification continuelle des objets, des personnes et des lieux, en particulier du Sanctuaire, afin d’évacuer ce qui pourrait détourner YHWH d’Israël, sa propriété particulière (Dt 4.20 et 7.6), et de sa « maison »10. Il faut absolument éviter de priver le peuple des bénédictions associées à la présence de son Dieu11. En conséquence, afin de ne pas souiller le lieu sacré, la stricte pureté rituelle de tous ceux qui ont accès au sanctuaire est rigoureusement exigée. Certes, la catégorisation est assez complexe, au point d’envisager différents degrés de pureté et de sainteté. Toute la terre d’Israël est sainte, pourtant le Sanctuaire l’est de manière particulière. Ce dernier comprend deux espaces, le « Saint » et le « Saint des Saints ». De même, tout le peuple est saint, mais une tribu est mise à part pour le service sacré12. Parmi les Lévites, une famille assure la prêtrise, et parmi les prêtres, seul le grand prêtre est admis, une fois par 5
Ex 29.37 ; 30.26–29 ; Lv 6.11, 10. Ex 19.12–13 ; Lv 10.1–15 ; 1 S 6.19 ; 2 S 6.6–7. 7 Grappe, « Jésus et l’impureté », 398 ; Milgrom, Leviticus 1–16, 1 : 296. 8 Milgrom, Leviticus 1–16, 1 : 258–61. 9 La nouvelle Bible Segond. Édition d’étude (Villiers-le-Bel : Alliance Biblique Universelle, 2002). 10 Le sanctuare devait être purifié continuellement par le moyen de sacrifices, afin d’éviter que Dieu s’en éloigne. Par exemple, Ezéchiel montre que suite à la souillure induite par les péchés du peuple dans le sancturaire (Ez 5.11), ce dernier est déserté par Dieu (8.3 ; 10.18–19 ; 11.22–23) qui ne fera retour que lorsque les lieux auront été sanctifiés à nouveau (43.7–8, 12) : Grappe, « Jésus et l’impureté », 398, note 31. 11 Cf. Lv 26.3–12. L’absence de Dieu ne peut qu’amener malédiction et désastre sur le peuple : Lv 18.24–25, 27 ; 20.22–23 ; 26.14–33. DeSilva, An Introduction to the New Testament, 118. 12 À ce propos il est intéressant de remarquer que, dans ce cadre dynamique et progressif de la notion de sainteté, paradoxalement tout Juif peut (et parfois obligatoirement doit) finalement être simultanément consacré (cf. Dt 7.6 ; 14.2 ; 26.19 ; 28.9 ; 33.3 ; Nb 16.3 ; Ps 17.3 ; 34.10) et impur (règles, contact avec un mort, etc.). DeSilva, 119–21 ; Jodi L. Magness, Stone and Dung, Oil and Spit : Jewish Daily Life in the Time of Jesus (Grand Rapids : Eerdmans, 2011), 5. 6
La pureté pour le lecteur historique de Marc
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an, dans le Saint des Saints. Le temps est également organisé en fonction du principe de sacralité (fêtes et sabbats). Profaner le sabbat revient à commettre une faute dont la punition est le retranchement du peuple (Ex 31.12–17). Le niveau de pureté requis est proportionnel au degré de la sphère de sainteté que l’on doit atteindre, d’où l’instauration de rituels réservés à des personnes particulières pour des temps et des rituels spécifiques13. Dans l’ensemble, la pensée directrice de l’évacuation de l’impureté pour rendre possible la manifestation de la sainteté traverse toute la période du Second Temple et fait encore l’objet de discussions au sein du judaïsme rabbinique14. Certains écrits de Qumrân font état d’un développement plutôt idiosyncratique de la gestion de la pureté et de la sainteté au sein d’une secte juive15. La 13 Par exemple, la préparation du grand prêtre pour le Yom Kippur ou encore la question de la nourriture : tout comme les mets préparés pour Dieu sont trop saints pour les hommes, de même la nourriture des prêtres est trop sainte pour être consommée par des laïcs (Lv 22.10). DeSilva, An Introduction to the New Testament, 120–21 ; Magness, Stone and Dung, 5. 14 Cf. 4QMMT (4Q394–399) et m. Kel., cités par Christian Grappe, « Prolongement et subversion de la pensée du Temple dans le Nouveau Testament au miroir de l’action et de la prédication de Jésus dans l’Évangile selon Marc », in Manières de penser dans l’Antiquité méditerranéenne et orientale, éd. par Christophe Batsch et Madalina Vârtejanu-Joubert (Leiden – Boston : Brill, 2009), 167–69. DeSilva renvoie à Sg 10.15 et à Jub. 22.16, qui soulignent la sainteté d’Israël par opposition à l’impureté inhérente aux nations : DeSilva, An Introduction to the New Testament, 119. 15 Philip R. Davies propose une synthèse des trois théories principales suivantes sur la génèse de la communauté de Qumrân : a. à l’époque d’Antioche IV Épiphane, un groupe pro-sadocite s’oppose à la prêtrise des Hasmonééns ; le chef de ces hasidim, le Maître de justice, fonde la secte de Qumrân vers la moitié du IIe siècle avant Jésus-Christ : les Esséniens ; les hasidim qui ne le suivent pas deviennent des Pharisiens ; b. une première communauté, de type messianique, a été à l’origine du Document de Damas ; un personnage charismatique est accepté en tant que chef eschatologique ; avec le temps, un autre groupe avec un autre dirigeant, le Maître de Justice, occupe le site de Qumrân : c’est cette communauté qui est à l’origine de la Règle de la communauté (1QS) ; c. un groupe de sectaires se sépare du groupe mère qui existait déjà à Jérusalem pour s’installer dans le désert ; cette scission aurait été causée par des conflits internes au groupe plus large ; il est très difficile d’identifier les documents produits par les sectaires de ceux préexistants. Ainsi Philip R. Davies, « The Prehistory of the Qumran Community », in Dead Sea Scrolls : Forty Years of Research, éd. par Devorah Dimant et Uriel Rappaport, STDJ 10 (Leiden : Brill, 1992), 116–17, 120. Voir également Magness, Stone and Dung, 4, pour qui, en citant à l’appui Hanan Eshel, « New Information from the Dead Sea Scrolls Regarding the Sects of the Second Temple Period », in Judea and Samaria Research Studies : Proceedings of the 3rd Annual Meeting 1993, éd. par Ze’ev H. Erlich et Ya’acov Eshel (Kedumim-Ariel : College of Judea and Samaria, 1994), 148, la secte des Qumrâniens s’inscrit dans le mouvement, plus large, des Esséniens. De son côté, Eyal Regev, Sectarianism in Qumran : A Cross-Cultural Perspective, RelSoc 45 (Berlin – New York : Walter de Gruyter, 2007), 243–66, fait l’hypothèse que l’essénisme est un developpement tardif du mouvement qumrânien.
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conviction de la communauté est que le second Temple a été déserté par Dieu, tout comme le fut le premier, à cause de l’actuelle prêtrise illégitime, pécheresse et contaminant donc les lieux sacrés par l’impureté de ses souillures16. Les adhérents de la secte décident alors, afin de pouvoir rester dans l’Alliance pendant « le temps de l’impiété » (CD 6.14), de se séparer physiquement et rituellement du Temple et de la ville sainte, considérés dans le présent comme des entités impures et donc privées de la présence de Dieu. Cette situation provisoire leur permet d’enseigner et de vivre réellement, selon leur point de vue, la distinction entre le pur et l’impur, le sacré et le profane (6.17–18)17. La perspective qui se dessine à l’horizon eschatologique est, bien évidemment, celle d’une purification du Temple et de la ville de Jérusalem, afin de restaurer la présence de Dieu au sein de son peuple18. Le Temple reste le lieu où Dieu désire habiter et dont la pureté à venir demeure au cœur des préoccupations des Qumrâniens (11QT 46.1–11), car c’est la « résidence... un lieu de repos à Jérusalem » que le Seigneur choisit « sur toute la terre » afin que son nom « y réside à jamais » (4Q504 frag. 1–2, IV.2–4)19. Dans l’attente de ce grand jour, ils enracinent leur identité et leurs attentes communautaires dans la parole prophétique d’Ézéchiel qui annonce l’établissement d’un nouveau Temple entouré d’une muraille séparant « le sacré du profane » (Ez 42.20) et ayant vocation à accueillir à nouveau « la gloire du Seigneur » (43.4). Puisque le Temple actuel, à cause de la pollution qui l’habi-
16 Cf. Magness, Stone and Dung, 6 ; Eyal Regev, « Abominated Temple and a Holy Community : The Formation of the Notions of Purity and Impurity in Qumran », DSD 10, no 2 (2003) : 270. La polémique qumrânienne contre l’impureté de la classe sacerdotale contemporaine qui souille le Temple et tout Jérusalem reprend et amplifie les oracles d’Ézéchiel (cf. Ez 7.22 ; 8.6–17 ; 22.26) et se cristallise notamment dans CD 4.18 ; 5.6–7 ; 12.1 ; 4Q183 frag. 1, II.2 ; 4Q390 frag. 2, I.9 ; 11QT 45.10 ; 47.4–5, 10, 17–18 : textes cités par Grappe, « Jésus et l’impureté », 401, note 43. 17 Grappe, « Jésus et l’impureté », 402, précise que les Esséniens se tiennent à l’écart du Temple (CD 6.12), en en fermant métaphoriqument la porte (6.12–13) pour ne pas être contaminés par les péchés dont il n’a pas encore été purifié (6.14–16). Afin de ne pas souiller l’Esprit Saint et de le garder, ils se doivent de rester dans l’alliance (7.3–4) par l’observance des lois et en gérant par un rituel précis la distinction entre pur et impur et entre sacré et profane (6.17–18). 18 L’attente des Esséniens installés dans le désert est de prendre, un jour, le contrôle du Temple afin de le purifier. Voir Bruce D. Chilton, The Temple of Jesus : His Sacrificial Program within a Cultural History of Sacrifice (University Park : Pennsylvania State University Press, 1992), 83. 19 Magness, Stone and Dung, 5–7, renvoie à David Henschke, « The Sanctity of Jerusalem : The Sages and Sectarian Halakhah », Tarbiܲ 66 (1997) : 17–19, qui montre que les rabbins attribuent l’abandon du tabernacle mobile au choix de Dieu de déclarer sainte la ville de Jérusalem. Pour Aharon Shemesh, « The Holiness according to the Temple Scroll », RevQ 19 (2000) : 375–77, il y a, dans le Rouleau du Temple, une différence entre le nom ou la gloire de Dieu qui demeure dans le Temple et la présence de Dieu qui concerne tout Israël.
La pureté pour le lecteur historique de Marc
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te, n’assure plus la communion avec la divinité, la secte s’organise en communauté-sanctuaire, offrant un espace (géographique et humain) pur et alternatif au sein duquel la sainteté de Dieu peut résider20. C’est ainsi qu’ils se comprennent désormais en tant que « plantation éternelle... Maison de sainteté pour Israël… Société de suprême sainteté pour Aaron » (1QS 8.5–6), assurant le pôle de la purification par « des offrandes d’agréable odeur » qui sont l’observance « des préceptes éternels » (8.9–10). Les membres du Yahad, isolés dans le désert, sont eux-mêmes « les élus de la Bienveillance (divine) chargés d’expier pour la terre » (8.6, 10), ouvrant ainsi un chemin pour Dieu et rendant possible la communion tant désirée, « car les anges de sainteté sont [dans] leur [Congréga]tion » (1QSa 2.8–9) 21. Les règles et les rituels de pureté s’appliquant aux prêtres et prescrits dans la Torah sont étendus, parfois de manière radicalisée, à tout membre du « Temple humain » sectaire : nulle personne ayant certains défauts physiques (cf. Lv 21.17–20) ou psychiques ne peut s’approcher du Yahad (ou l’intégrer), Yahad dont les membres aspirent même, après la guerre eschatologique, à étendre les normes de pureté du Temple à toute la ville de Jérusalem22.
20
La communauté-sanctuaire de Qumrân ne remplace le Temple que de manière imparfaite et temporaire : Regev, « Abominated Temple and a Holy Community », 270 ; Jonathan Klawans, Purity, Sacrifice, and the Temple : Symbolism and Supersessionism in the Study of Ancient Judaism (Oxford : Oxford University Press, 2007), 171 ; Magness, Stone and Dung, 5–6. 21 Voir la version d’Es 40.3 cité dans la Règle de la Communauté (1QS 8.14 : « dans le désert préparez la voie du Seigneur, aplanissez dans le désert une route pour notre Dieu ») : Grappe, « Jésus et l’impureté », 402, qui renvoie également à 4Q174 (Florilège) frag. 1, I.6, où il est question de « Temple d’hommes », dans le sens de « Temple d’êtres humains » (Dupont-Sommer et Philonenko, Écrits intertestamentaires, 410, traduisent « un sanctuaire [fait de main] d’homme »). 22 Flavius Josèphe, B.J. 2.129–132, cité par Grappe, « Prolongement et subversion », 179, note 38 ; Magness, Stone and Dung, 6. Grappe (p. 169, note 18) renvoie aussi à Florentino García Martínez, « Les limites de la communauté : pureté et impureté à Qumran et dans le Nouveau Testament », in Text and Testimony : Essays on New Testament and Apocryphal Literature in Honour of A. F. Klijn, éd. par Tjitze Baarda et al. (Kampen : J. H. Kok, 1988), 111–22, lequel, en étudiant le Rouleau du Temple, explique en détail comment les Esséniens ambitionnent d’appliquer : a. le niveau de pureté du Temple à la ville sainte (11QT 45.11– 12 ; cf. 45.7–10 ; 46.16–18 ; 47.7–18 ; 52.19–21) et b. les normes concernant les prêtres (cf. Lv 21.17–20) à la secte (CD 11.15–17), à l’assemblée eschatologique (1QSa 2.5–6) participant à la guerre finale (1QM 7.3–6) et, enfin, à tout le peuple (11QT 45.12–13). Dans un souci de pureté dépassant même celle du code sacerdotal (cf. 11QT 49.11–15 ; 50.10–16 ; 51.4–5), la pureté demandée pour entrer en relation avec le Temple est requise pour s’approcher de la secte (1QS 6.24–25).
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Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté
Puisque la relation au sacré par la gestion des normes de pureté constitue un moyen de « différenciation et de définition » identitaire des sectes juives pendant la période du Second Temple23, il ne sera pas étonnant de constater qu’à l’intérieur du pluralisme constitutif du judaïsme du premier siècle de notre ère, d’autres compréhensions et pratiques côtoient celles relevées dans les documents de la mer Morte et entrent en compétition avec elles. Comme les Qumrâniens, les Pharisiens – et à leur suite le judaïsme rabbinique – maintiennent une « conception défensive de la pureté »24. Toutefois, leur logique se différencie de celle des Qumrâniens en ce que, tout d’abord, ils acceptent la légitimité du Temple de Jérusalem et de son culte sacrificiel. Leur stratégie consiste à repousser l’impureté en élargissant les frontières de la pureté par l’application, en dehors du Temple, des règles et des rituels réservés normalement aux lieux et aux personnes sacrés, avec la finalité de rendre possible la dynamique de communion dans des lieux et des temps profanes25. Certes, il ne s’agit pas d’appliquer les lois de pureté partout de la même manière, ni de nier qu’il existe différents degrés de sainteté (cf. m. Kel. 1.6–9, qui distingue dix degrés de sainteté). Il n’est pas question non plus d’établir des centres de pureté en conflit ou en compétition avec le Temple. Le but est plutôt de faire en sorte qu’aussi bien au niveau spatial que temporel et social, l’impureté laisse place à une pureté qui permettra – toujours en communion avec le Temple – à la sainteté de Dieu de se déployer en dehors des limites des enceintes sacrées. C’est ainsi que, par exemple, les ablutions rituelles réservées à Aaron et ses fils dans le cadre de leur service sacerdotal (Ex 30.17–21) sont adoptées et adaptées par les Pharisiens (m. Yad. 1.1 ; 2.3 ; m. ۉag. 2.5 ; cf. Mc 23 Jacob Neusner, The Idea of Purity in Ancient Judaism, with a Critique and a Commentary by Mary Douglas : Haskell lectures 1972–1973, SJLA 1 (Leiden : Brill, 1973), 108. 24 Ainsi Grappe, « Jésus et l’impureté », 399. Pour des approfondissements, consulter les travaux suivants : Neusner, The Idea of Purity in Ancient Judaism ; Gedalyahu Alon, Jews, Judaism, and the Classical Worldࣟ : Studies in Jewish History in the Times of the Second Temple and Talmud, trad. par Israel Abrahams (Jerusalem : Magnes Press, 1977) ; Aharon Oppenheimer, The ’am ha-aretzࣟ : A Study in the Social History of the Jewish People in the Hellenistic-Roman Period, ALGHJ 8 (Leiden : Brill, 1977) ; Hannah K. Harrington, The Impurity Systems of Qumran and the Rabbisࣟ : Biblical Foundations, SBLDS 143 (Atlanta : Scholars Press, 1993) ; Francis Schmidt, La pensée du Temple. De Jérusalem à Qoumrân. Identité et lien social dans le judaïsme ancien (Paris : Seuil, 1994) ; Klawans, Purity, Sacrifice, and the Temple ; ৽ered No’am, « Qumran and the Rabbis on Corpse-Impurity : Common Exegesis, Tacit Polemic », in The Dead Sea Scrolls : Texts and Context, STDJ 90 (Leiden – Boston : Brill, 2010), 397–430 ; Christian Frevel et Christophe Nihan, éd, Purity and the Forming of Religious Traditions in the Ancient Mediterranean World and Ancient Judaism, DHR 3 (Leiden – Boston : Brill, 2013). 25 Cf. Grappe, « Jésus et l’impureté », 400 ; Eyal Regev, « Reconstructing Qumranic and Rabbinic Worldviews : Dynamic Holiness vs. Static Holiness », in Rabbinic Perspectives : Rabbinic Literature and the Dead Sea Scrolls, éd. par Steven D. Fraade, Aharon Shemesh et Ruth Clements, STDJ 62 (Leiden : Brill, 2006), 87–112 ; Magness, Stone and Dung, 6.
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7.1–3) désireux de transformer le moment, a priori profane, du repas quotidien en une sorte d’offrande consacrée (b. ۉul. 105a, 106ab ; b. Šabb. 13b–14b)26. Aux trois principaux mouvements du judaïsme palestinien (Esséniens, Pharisiens et Sadducéens) s’ajoute, dans la première moitié du premier siècle de notre ère, celui du Baptiste, suivi de celui des disciples de Jésus de Nazareth27. Ces mouvements, constitués initialement en très grande partie de membres provenant des couches les plus modestes de la société de l’époque, étaient eux aussi, tout naturellement, intéressés par les débats concernant les questions de pureté et de sainteté28. Le Baptiste, présenté par Luc comme un prêtre (Lc 1.5), administre un baptême « pour le pardon des péchés » (Mc 1.4–5 // Lc 3.3) sur la rive du Jourdain (Mc 1.5 et parall.), dans la perspective d’un jugement imminent (Mt 3.7–10 // Lc 3.7–9). Cette activité peut être comprise comme une démarche subversive, car elle entre en compétition avec le Temple et ses sacrifices, ces derniers ayant comme fonction l’effacement des péchés du peuple. Implicitement, le Baptiste annonce le dépassement du système sacrificiel et, par extension, dissout ses liens avec le Temple. Pour Jean, c’est la dimension de la purification qui prend toute son ampleur, dans une perspective eschatologique connotée par l’urgence et où c’est l’initiative divine du jugement imminent qui prédomine : ceci explique pourquoi il n’a pas instauré un rite de communion dont ses disciples auraient pu hériter29. 26
Grappe, « Prolongement et subversion », 179. Voir aussi Grappe, « Jésus et l’impureté », 400–401, qui renvoie à m. Pirqé ‘Abot 3.3 (3.4) où Rabbi Siméon [bar Yochaï] interpréte Ez 41.22 : « ... ceci, c’est la table qui est devant le Seigneur » en affirmant que si l’on prononce des mots de la Torah pendant un repas c’est comme si on mangeait à la table du Lieu [du Temple]. 27 Pour plus de renseignement sur les sectes juives au premier siècle, voir Anthony J. Saldarini, Pharisees, Scribes and Sadducees in Palestinian Societyࣟ : A Sociological Approach (Wilmington : Michael Glazier, 1988) ; John P. Meier, A Marginal Jewࣟ : Rethinking the Historical Jesus, vol. 1 – The Roots of the Problem and the Person (New York : Doubleday, 1991), 289–613 ; Ed Parish Sanders, Judaismࣟ : Practice and Belief, 63 B.C.E.–66 C.E. (Philadelphia : Trinity Press International, 1992) ; Charles Perrot, « La pluralité théologique du judaïsme au 1er siècle de notre ère », in Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, éd. par Daniel Marguerat, Enrico Norelli et Jean-Michel Poffet, MdB 38 (Genève : Labor et Fides, 1998), 157–76 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 44–45 ; David Flusser, « Pharisees, Sadducees, and Essenes in Pesher Nahum », in Judaism of the Second Temple Period, trad. par Azzan Yadin, vol. 1 : Qumran and apocalypticism (Grand Rapids : Eerdmans – Magnes Press, 2007), 214–57. 28 Ed Parish Sanders, Jesus and Judaism (Philadelphia : Fortress Press, 1985), 264–67 ; Magness, Stone and Dung, 5. 29 Ainsi notamment Christian Grappe, « Jésus et l’irruption du Royaume », in Jésus de Nazareth. Études contemporaines, éd. par Andreas Dettwiler, MdB 72 (Genève : Labor et Fides, 2017), 139–40 ; Christian Grappe, « Jésusௗ : messie prétendu ou messie prétendantௗ? Entre les catégories de messianité revendiquée et de messianité prétendue, la figure du Jésus historique envisagée à partir d’une comparaison avec celles d’autres personnages de son
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Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté
Pour ce qui concerne Jésus et ses disciples, les sources littéraires les situent en relation avec le Temple (Mc 11.15–19 et parall. ; Lc 2.21–24 et 41–52 ; Ac 2.46 ; 3.1–4.2 ; 5.12 ; 21.26). Certes, ces documents doivent être appréhendés de manière critique30, mais il n’y a pas de raison de douter du fait que, comme tout Juif de leur temps, aussi bien Jésus que les membres de son mouvement étaient au fait des lois de pureté rituelle qui régulaient l’accès au Temple31. Il ne sera pas inutile de rappeler ici, en connexion avec l’appréciation de l’encyclopédie du lecteur historique de Marc, que la plupart des Juifs palestiniens et de la dispersion n’appartiennent à aucun des groupes constitués par les Esséniens, les Pharisiens, les Sadducéens, les disciples de Jean et le mouvement de Jésus. Pourtant, les règles de pureté demeuraient importantes pour chaque Juif en tant que marqueurs de l’identité collective affectant leur quotidien (cf. Flavius Josèphe, C. Ap. 1.198, 205). Cela est vrai que ce soit dans un contexte où les Juifs sont minoritaires (diaspora), ou en contact direct avec des poches importantes de population païenne (par exemple dans le nord de la Galilée), ou encore là où les structures administratives et gouvernantes reflétaient l’hégémonie païenne ou semi-païenne imprégnant la culture locale (par ex. en Judée)32. Même si le lecteur historique de Marc ne s’identifie avec aucun des temps », in Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, éd. par Daniel Marguerat, Enrico Norelli et Jean-Michel Poffet, MdB 38 (Genève : Labor et Fides, 1998), 272–73. Voir également Gerd Theissen, « Jésus et Jean-Baptiste – rupture ou continuitéௗ? », in Jésus de Nazareth. Études contemporaines, éd. par Andreas Dettwiler, MdB 72 (Genève : Labor et Fides, 2017), 72–76. 30 La valeur historique des traditions contenues en Lc 2.21–24 et 41–52 est pour le moins problématique. On peut également s’intérroger sur l’historicité d’Ac 21.26. En dehors de ce dernier texte, aucun des autres passages des Actes ne montrent les disciples faire autre chose qu’annoncer la parole en des lieux qui devaient se situer au sein du parvi des pâïens, selon toute vraisemblance : nous remercions Christian Grappe pour cette importante observation. Outre les évangiles canoniques, d’autres sources anciennes, comme par exemple les écrits de Flavius Josèphe (notamment B.J. 2.119–165 ; A.J. 13.171–173, 293–298 ; 18.12–20), de Qumrân, de Philon d’Alexandrie, la littérature rabbinique, et même le Panarion d’Épiphane de Salamine († 403) sont parfois en contradiction entre elles et même en interne, à cause des perspectives biaisées des écrivains, du recours à des sources parfois discordantes, de leur objectif littéraire, de leur idéologie, du lectorat visé et de l’hostilité ressentie contre tel ou tel groupe visé par l’écrit : voir Sanders, Judaism, 5–12. 31 Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 16–25, 49 ; Susan Haber, They Shall Purify Themselves : Essays on Purity in Early Judaism, éd. par Adele Reinhartz, EJLit 24 (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2008), 181–206 ; Magness, Stone and Dung, 8. Voir également Corinne Égasse, « Le papyrus Oxyrhynque 840 et Jean 13ௗ : du manuscrit mutilé à l’eau purifiante », in Lire demain. Des manuscrits antiques à l’ère digitale, éd. par Claire Clivaz et al., version ebook (Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2012), 495–96. Il est frappant de constater que, dans la tradition synoptique, Jésus ne se rend jamais au Temple en dehors de Mc 11.15–19 et parall. 32 Albert I. Baumgarten, The Flourishing of Jewish Sects in the Maccabean Era : An Interpretation, JSJSup 55 (Leiden : Brill, 1997). L’importance de l’archéologie (par
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grands mouvements juifs de son époque, il ne peut rester insensible à la dimension d’impureté si fortement présente dans le récit de l’exorcisme du Gérasénien. Il faut enfin tenir compte d’un autre facteur, à savoir la possibilité que le lecteur historique de Marc ne soit pas juif. Dans le cadre de notre recherche, nous tiendrons compte de deux considérations. La première est que le lecteur historique de Marc est amené, par la stratégie littéraire mise en place par l’auteur implicite et par le rôle joué par ceux qui partagent le contenu de cet évangile (les communautés qui se structurent par la lecture du deuxième évangile et/ou les prédicateurs itinérants), à entrer dans la logique de la rhétorique juive sur les catégories du pur et de l’impur, du saint et du profane. Deuxièmement, l’adoption du point de vue juif (ou l’alignement sur ce point de vue) sur les questions relatives à l’impureté est facilitée par le fait que les Gréco-Romains aussi, et les non-Juifs en général, sont sensibles à ce type de langage et à ces catégories, même si elles peuvent être déclinées différemment33. À titre d’exemple, la compréhension du sacrifice (aussi) en tant qu’« acte réparateur » et la distinction entre lieux profanes et lieux sacrés, ainsi que l’interdiction d’accès à ces derniers pour des personnes non autorisées, sont des concepts universels34. De ce fait, la rhétorique de l’impureté déployée dans le récit de Marc 5.1–20 reste accessible à son lecteur historique, indépendamment de son origine juive ou pas.
exemple, les nombreux mikvaot pour les bains purificatoires rituels) et de textes tels que l’Épître d’Aristée (305–306) et m. Šabb. 1.4 (kasherut) pour montrer les préoccupations majeures de la plupart des Juifs en relation à la notion de purété est soulignée par Ekkehard W. Stegemann et Wolfgang Stegemann, The Jesus Movement : A Social History of Its First Century, trad. par O. C. Dean Jr, 1e éd. en allemand : 1995 (Minneapolis : Fortress Press, 1999), 143. Neusner est d’accord sur le fait que la kasherut reste une préoccupation centrale pour les Juifs de la diaspora qui, à cause de leur distance du Temple, semblent avoir tendence à allégoriser la notion et les rituels de pureté (par ex. Philon d’Alexandrie) : Neusner, The Idea of Purity in Ancient Judaism, 108–19. Voir aussi le chapitre « Priesthood and Allegory : Philo and Alexandrian Judaism » dans Martha Himmelfarb, A Kingdom of Priests : Ancestry and Merit in Ancien Judaism, JCC (Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 2006), 143–59. 33 DeSilva, An Introduction to the New Testament, 114–16. 34 L’entrée dans les lieux sacrés pouvait être interdite aux femmes qui avaient accouché récemment, à ceux qui étaient entrés en contact avec un cadavre ou qui avaient eu des relations sexuelles, à ceux qui étaient coupables d’homicide ou de sacrilège, et aux aliénés. Dans certains cas, des lustrations étaient prévues pour ôter l’impureté et permettre ainsi l’accès au Temple : Robert C. T. Parker, « Pollution, the Greek Concept of », in OCCC, éd. par Simon Hornblower, Antony Spawforth et Esther Eidinow (Oxford : Oxford University Press, 1998), 553–54 ; Everett Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 3e éd., 1e éd. 1987 (Grand Rapids – Cambridge : Eerdmans, 2003), 187. Ce dernier renvoie notamment à une inscription dans le Temple d’Athéna à Pergame (SIG 982).
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Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté
En tenant compte des éléments que nous avons évoqués jusqu’ici, il est temps maintenant d’analyser les éléments d’impureté dans le récit de l’exorcisme de Gérasa et la manière dont le Jésus marcien s’y réfère dans l’optique de la sainteté conquérante.
4.2 Le tombeau dans l’encyclopédie du savoir du lecteur historique de Marc Le tombeau dans l’encyclopédie du savoir du lecteur
La description du Gérasénien donnée au début du récit en fait un personnage répugnant, dangereux et intégrant pleinement la dimension de l’impureté. Ce personnage à la force stupéfiante (Mc 5.3–4) vit isolé et dans des lieux associés à la mort et à la solitude (v. 5), ce qui souligne son aliénation sociale et mentale35. Le lecteur de Marc trouve des lieux de sépulture (ȝȞȘȝİȠȞ, ȝȞોȝĮ) dans quatre contextes littéraires différents, et cela pour un total de neuf occurrences : dans le récit du démoniaque de Gérasa (5.2, 3, 5) ; lorsque le narrateur raconte rétrospectivement l’exécution de Jean le Baptiseur et sa mise au tombeau par ses disciples (6.29) ; suite à la mort de Jésus, quand Joseph d’Arimathée le fait placer dans un tombeau (15.46) ; et, enfin, dans le récit des femmes qui, le dimanche matin, ne trouvent pas le corps de Jésus qu’elles voulaient embaumer (16.2, 3, 5, 8). L’auteur de l’évangile estime que son lecteur historique a une certaine familiarité avec ce genre de lieux. Cela explique pourquoi, si nécessaire, l’auteur se limite à insérer dans le récit des précisions qu’il considère significatives : nous songeons notamment à 15.46, lorsqu’il écrit que le tombeau était taillé dans le roc et qu’une pierre avait été roulée sur – ou contre – son entrée (ʌȡȠıİțȜȚıİȞ ȜșȠȞ ਥʌ IJȞ șȡĮȞ IJȠ૨ ȝȞȘȝİȠȣ ; cf. 16.3). Les familles juives les plus aisées avaient l’habitude de tailler des tombeaux dans les rochers et de les utiliser pendant plusieurs générations36, déjà pendant la période du Premier Temple (VIIIe – début VIe siècle avant notre ère) et, ensuite, pendant la période romaine, jusqu’à la destruction du Second Temple (Ier siècle avant notre ère – 70)37. La présence de décorations plutôt élaborées sur 35 Ainsi Torchia, « Eschatological Elements », 10. R. Aus cite t. Ter. 1.3, où le « fou » est décrit comme celui qui sort seul la nuit pour éventuellement la passer au cimitière, déchire ses vêtements et détruit ce qu’il reçoit des gens : Aus, My Name is « Legion », 3–4. 36 Cf. Jg 2.10 et 2 Ch 34.28. 37 Magness, Stone and Dung, 2011, 145, 147. Voir les pages 147–150 de son livre pour plus d’informations sur les sépulcres de la période du Second Temple. Les Romains ont pratiqué la crémation surtout à partir du début du IVe siècle avant Jésus-Christ et jusqu’au Ier siècle après Jésus-Christ. En Grèce, il était question de crémation ou d’inhumation. À l’époque de l’Empire romain, on recourait plus volontiers à l’inhumation, coutume devenue plutôt populaire sous Hadrien (empereur de 117 à 138) et s’imposant clairement vers le IIIe siècle, les raisons étant plutôt sociales (ostentation) que religieuses. Ainsi Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 245.
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les murs et les ossuaires38 est typique des périodes où l’élite, surtout à Jérusalem, bénéficiait d’un important degré d’autonomie (ou de semi-autonomie), comme par exemple pendant le premier siècle de notre ère. Il reste que la plupart de ces caveaux étaient de nature modeste, non embellis, avec une seule chambre mortuaire contenant plusieurs niches funéraires39. Toutefois, les plus démunis ne pouvaient pas se permettre le luxe de tels lieux de sépulture. Aussi bien à Rome40 qu’à Jérusalem41, les couches les plus pauvres de la population, tant romaine que juive, devaient se contenter d’inhumer les cadavres dans des trous creusés le plus souvent en dehors de la ville. Magness signale que la littérature mishnique témoigne du fait que les paysans palestiniens utilisaient parfois des citernes désaffectées en guise de tombeaux42. Les tombeaux auxquels fait référence le récit du démoniaque de Gérasa peuvent être taillés ou creusés dans le roc, en guise de caverne ou même de caveau, mais ils sont sûrement d’une taille importante puisqu’il est dit que le Gérasénien les habitait (Mc 5.3). Clarence Stanley Fischer, dans son étude sur la nécropole de Gérasa, décrit ainsi un tombeau datant du premier siècle de notre ère creusé dans le sol et auquel on accède par un escalier de presque 5 mètres. L’entrée, matérialisée au fond de l’escalier par une porte en pierre, donne accès à une grande pièce qui fait entre 6 et 7,5 mètres de large. La pièce contient six niches funéraires pour les corps et de plus petites pour les ossuaires43. L’existence de tombeaux aussi spacieux permettant même à plusieurs personnes (vivantes) d’y entrer ne pose donc aucun problème au lecteur historique de Marc.
38
Sur la double inhumation pratiquée par les Juifs (raisons, inscriptions, pratiques), voir Eric M. Meyers, « Secondary Burials in Palestine », BA 33, no 1 (1970) : 2–29 ; Eric M Meyers, Jewish Ossuariesࣟ : Reburial and Rebirth, BibOr (Rome : Biblical Institute Press, 1971) ; Steven Fine, « A Note on Ossuary Burial and the Resurrection of the Dead in FirstCentury Jerusalem », JJS 51, no 1 (2000) : 69–76 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 245–49 ; Magness, Stone and Dung, 2011, 145–46. 39 Amos Kloner et Boaz Zissu, The Necropolis of Jerusalem in the Second Temple period, ISACR 8 (Leuven : Peeters, 2007), 39–40. 40 John P. Bodel, Graveyards and Groves. A Study of the Lex Lucerina, AJAH 11 (Cambridge : Harvard University Press, 1994), 34–35, 131. 41 Magness, Stone and Dung, 2011, 145. 42 Ainsi m. ’Ohal. 16.5, signalé par Magness, 164. Magness renvoie aussi à m. ’Ohal. 17.2 pour la sépulture dans les champs. La Mishna et le Talmud offrent aussi d’autres détails sur les pratiques funéraires : le corps était lavé, oint et ensuite enroulé dans un linceul (m. Šabb. 23.5 ; m. Kil. 9.4 ; b. Mo‘ed Qaܒ. 8b ; cf. Mc 15.46, 16.1 et parall ; Ac 9.36–37). Des chandelles allumées étaient placées près de la tête ou des pieds du mort (m. Ber. 8.6). Parfois on recourait à des joueurs de flute et à des pleureurs professionnels (m. Ketub. 4.4 ; cf. Mc 5.38–39 et parall.). Voir Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 244. 43 Kraeling, Gerasa : City of the Decapolis, 554–57.
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En effet, même chez les Juifs, des sépulcres de ce genre, probablement abandonnés ou non exploités, semblent avoir servi occasionnellement en tant qu’abri44. Or, pour un non-Juif, le tombeau n’était pas considéré comme un lieu impur. Selon le témoignage de Diogène Laërce, Démocrite (IVe siècle avant JésusChrist) aimait s’isoler et même passer du temps dans les tombeaux (ਥȡȘȝȐȗȦȞ ਥȞȓȠIJİ țĮ IJȠȢ IJȐijȠȚȢ ਥȞįȚĮIJȡȓȕȦȞ)45. Au-delà de ce comportement idiosyncratique, de manière plus générale, aussi bien les Grecs que les Romains se rendaient régulièrement aux tombeaux pour y célébrer des sacrifices et des repas commémoratifs pour leurs morts46. Par contre, les Juifs considéraient les sépulcres comme des endroits polluants du point de vue de l’impureté. Selon la Torah, le fait de toucher un cadavre humain rend impur pendant une période de sept jours (Nb 19.11, 16). Le contact avec un mort génère donc un état d’impureté qui demande des actes de purification, sans lesquels la peine est le retranchement de l’assemblée d’Israël (v. 12–13, 17–21). Le lieu où gît le mort et tous les objets et les récipients ouverts qui s’y trouvent sont imprégnés de la même impureté « contagieuse » (v. 14–16, 22) et il est impératif de les purifier. Le texte de Nombres 19.14 est plutôt explicite : « lorsqu’un être humain meurt dans une tente, quiconque entre dans la tente et quiconque se trouve dans la tente sera impur pendant sept jours » (NBS). La Septante contextualisera en remplaçant la « tente » (ʬ ʓʤʠ) par la « maison » (ȠੁțĮ)47 et le Targum Pseudo-Jonathan ajoute une exception, probablement dans le but de
44 Ainsi Ps 67.7 LXX ; cf. Es 65.4 ; Jb 30.5–6 et He 11.38 : Focant, L’Évangile selon Marc, 202. Aus signale des textes comme b. ۉag. 3b ; b. Sanh. 65b et b. Nid. 17a (qui semblent s’inspirer d’Es 65.4 et de Dt 18.11), selon lesquels certains Juifs pourraient se promener dans les cimitières dans l’espoir qu’un esprit impur entre en eux (temporairement) et leur permette de prédire l’avenir : Aus, My Name is « Legion », 4–5. 45 Diogène Laërce, Vitae 9.7 (38). 46 Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 244, précise que les Grecs avaient l’habitude d’offrir des sacrifices et de partager des repas commémoratifs dans les (ou à proximité des) tombeaux le troisième, le septième ou le neuvième et le trentième jour après le départ de la personne aimée. Le silicernium des Romains avait lieu le jour même du décès, le neuvième jour et le jour de l’anniversaire du mort. Pour S. Earl Johnson, « Mark 5:1–20 : The Other Side », IBS 20 (1998) : 61–64, le Gérasénien habite une nécropole romaine où des gens se rendaient régulierement pour le culte de leurs morts. Focant, L’Évangile selon Marc, 202, demeure plutôt sceptique face à cette lecture. Il reste que, pour les non-Juifs, les tombeaux étaient des lieux de célébration de rites et de repas funéraires. Pour une discussion sur les croyances à propos du sort de l’âme des défunts, voir Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 249–50, qui renvoie à Cicéron, Tusc. 1 et Rep. 6.13ss ; Pseudo-Platon, Axiochos 371a–372a ; Virgile, Aen. 6. 47 Ygael Yadin, The Temple Scroll, vol. 1 (Jerusalem : Israel Exploration Society – The Institute of Archaeology of the Hebrew University – The Shrine of the Book, 1983), 324– 26.
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permettre de se rendre sous la tente pour voir la dépouille sans contracter l’impureté (« … quiconque entre dans la tente par l’entrée principale, mais pas par le côté [ʤʩʣʣʶ ʯʮ ʠʬʥ], … sera impur pendant sept jours »)48. En prolongeant le précepte de Nombres 19.14, et dans la même veine que la Septante, le Rouleau du Temple prescrit que, si quelqu’un meurt dans une maison, celle-ci ainsi que tous les objets, la nourriture qui contient de l’eau et les personnes qui sont ou entrent dans la maison, demeurent impurs pendant sept jours (11QT 49.5–9 ; cf. CD 12.18). Le corps du mort étant la cause de l’impureté, tout comme son sang ou ses ossements ou même son tombeau, le contact avec ces éléments, même dans un espace ouvert, rend impur (11QT 50.4–9). C’est pour cette raison également que la femme ayant un enfant mort dans son ventre est considérée comme impure et contaminante, car « comme un tombeau » (11QT 50.10–19)49. Dans cette perspective, les tombeaux sont des lieux impurs à cause des dépouilles et des ossements qu’ils abritent : il faut donc éviter d’ensevelir les morts dans les maisons mais prévoir un domaine de sépulture défini pour chaque groupe de quatre villes (11QT 48.11–14)50. Flavius Josèphe confirme une sensibilité généralisée du peuple vis-à-vis de la question de l’impureté des tombeaux et des cimetières lorsqu’il s’étend sur les actions coercitives et les privilèges accordés par Hérode Antipas aux Juifs, surtout Galiléens, qui, pour beaucoup d’entre eux, ont été contraints par la force ou encouragés financièrement à habiter – et à ne pas abandonner – la ville de Tibériade pour la construction de laquelle il avait fallu démanteler de nombreux tombeaux (A.J. 18.36–38)51. L’historien juif fait même allusion au texte 48 Selon l’édition d’Ernest G. Clarke, éd, Targum Pseudo-Jonathan of the Pentateuchࣟ: Text and Concordance (Hoboken : Ktav Publishing House, 1984). 49 Le Talmud semble être plus hésitant à attribuer le statut d’impureté à une femme accouchant d’un fœtus non vivant. Sur les discussions rabbiniques concernant ce sujet, voir Julius Preuss, Biblical and Talmudic Medicine, trad. par Fred Rosner, 1e éd. allemande : 1911 (Lanham – Boulder – New York – Toronto – Oxford : Rowman and Littlefield, 2004), 413–16. Magness, Stone and Dung, 2011, 161, renvoie également à Yadin, The Temple Scroll, 1 : 336, et à No’am, « Qumran and the Rabbis », 407–15. 50 Voir aussi Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 243–44 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 202 ; Rochester, Good News at Gerasa, 126 ; Magness, Stone and Dung, 2011, 160–61. 51 Cette ville, nommé d’après l’empereur Tibère, fut bâtie pour assumer, en l’année 19, le rôle de capitale de la tétrarchie à la place de Sepphoris (cette dernière appelée ĮIJȠțȡĮIJȠȡȢ, « résidence du souverain », dans A.J. 18.27). Theissen suggère qu’Hérode Antipas élut sa résidence à Tibériade pour une double raison : avoir une voie d’accès plus directe, via le lac de Gennésareth, à la Décapole et aux territoires de son frère Philippe (Gaulanitide et Trachonitide), mais aussi pour se mettre à l’abri de la classe sacerdotale jérusalémite qui n’oserait pas mettre les pieds sur le territoire impur sur lequel la ville était construite : Gerd Theissen, « Jésus et la crise sociale de son tempsௗ : aspects socio-historiques de la recherche du Jésus historique », in Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, éd. par Daniel Marguerat, Enrico Norelli et Jean-Michel Poffet, MdB 38 (Genève : Labor et
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de Nombres 19 lorsqu’il précise que « notre loi déclare que les habitants [d’une telle ville] sont impurs pendant sept jours » (A.J. 18.38). Il n’est donc pas surprenant de lire dans l’évangile selon Luc que le fait de marcher sur des tombeaux non signalés est source d’impureté (Lc 11.44)52. Dans ce contexte religieux, le Gérasénien qui demeure dans les tombeaux et qui en sort pour se précipiter vers Jésus est, d’un point de vue juif, un homme ostensiblement impur53. Or, ces lieux, impurs pour les Juifs mais également respectés par les Gréco-Romains, étaient souvent pourvus d’inscriptions imprécatoires contre d’éventuels intrus et pilleurs54. Un ǻȚȐIJĮȖȝĮ ȀĮȓıĮȡȠȢ (« décret impérial »), dont l’inscription datant du premier ou du deuxième siècle de notre ère a été trouvée probablement à Nazareth (SEG VIII 13), sanctionne le fait d’endommager les sépulcres, ainsi que de sortir ou transférer frauduleusement les corps qui y sont ensevelis55.
Fides, 1998), 139. De même, la protestation des habitants de Jérusalem suite aux travaux que Pilate entreprit pour amener l’eau dans la ville aux frais du Temple (A.J. 18.60–62) a été causée, selon Theissen, non pas à cause de l’emploi du trésor sacré mais parce que l’aqueduc passait sur ou en proximité de lieux de sépulture (p. 141). 52 Sur les tombeaux creusés dans le sol qui pouvaient rester non signalés, voir Roland de Vaux, Archaeology and the Dead Sea Scrolls. The Schweich Lectures of the British Academy 1959 (London : Oxford University Press, 1973), 46 ; Boaz Zissu, « Odd Tomb Out : Has Jersusalem’s Essene Cemetery Been Foundௗ? », BAR, avril 1999, 52, cités par Magness, Stone and Dung, 2011, 161. Cette dernière renvoie également à m. Šeqal. 1.1 et à m. Ma‘aĞ. Š. 5.1 pour des discussions rabbiniques sur la nécessité de signaler les tombeaux afin de ne pas marcher dessus et ainsi contracter l’impureté (p. 161) ; m. ’Ohal. 11.7 mentionne le fait que, parfois, les chiens, en creusant le sol, trouvent ces tombeaux. 53 Il est intéressant de remarquer qu’alors que le récit marcien présente un homme sortant des tombeaux lorsque Jésus arrive sur la côte orientale du lac de Galilée, les travaux archéologiques de Clarence S. Fisher, « Tombs : the Southwest Cemetery », in Gerasa : City of the Decapolis. An Account Embodying the Record of a Joint Excavation Conducted by Yale University and the British School of Archaeology in Jerusalem (1928–1930), and Yale University and the American Schools of Oriental Research (1930–1931, 1933–1934), éd. par Carl H. Kraeling (New Haven : The American Schools of Oriental Research, 1938), 549–71, l’amènent à constater qu’au premier siècle, les tombeaux de cette région n’étaient pas situés à proximité de la rive du lac, mais aux limites des villes et des villages (p. 554–557). 54 Richmond Lattimore, Themes in Greek and Latin Epitaphs, ISLL 28 (Urbana : The University of Illinois Press, 1942), 106–25 ; André Parrot, Malédictions et violations de tombes (Paris : Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1939). 55 L’inscription se trouve actuellement à la Bibliothèque Nationale de France à Paris. Elle est citée et commentée par van der Horst, Ancient Jewish Epitaphs, 159–60.
Les esprits impurs
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4.3 Les esprits impurs dans l’encyclopédie du savoir du lecteur historique de Marc Les esprits impurs
Le narrateur amplifie la dimension de l’impureté du Gérasénien demeurant dans les tombeaux en précisant qu’il est un homme ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ (Mc 5.2). Cette expression se trouve seulement, au pluriel ou au singulier, dans les évangiles synoptiques56, les Actes des Apôtres57 et l’Apocalypse58. Elle semble avoir son origine dans la promesse de Dieu (voir Za 13.2) de « faire passer », dans le sens de « faire chasser » (forme hiphil du verbe ʸ ʔʡʲ) du pays les (faux) prophètes et l’esprit d’impureté (ʤ ʠफ़ ʕ ʮʗʍ ˔ ʔʤ ʔʧ˒ʸʚʺ ६ ʓʠ ʍʥ ; IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ dans la LXX)59. Pour ce qui concerne l’impureté attribuée à l’esprit possédant le Gérasénien, elle est à comprendre aussi bien dans son sens rituel que moral60. Toutefois, dans les textes du Premier Testament, l’esprit ( ʔʧ˒ʸ) n’est utilisé que très rarement pour faire référence à une influence ou une créature malveillante. Lorsque c’est le cas, il faut toujours le qualifier, par exemple, en tant qu’« esprit mauvais (venant) de YHWH », « esprit de mensonge » ou « esprit de prostitution »61. C’est pendant la période du Second Temple que les esprits commencent à être plus systématiquement personnifiés au point même de rendre parfois floue la distinction entre « être surnaturel », « influence » et « disposition (vertueuse
56 Mt 10.1 ; 12.43 ; Mc 1.23, 26, 27 ; 3.11, 30 ; 5.2, 8, 13 ; 6.7 ; 7.25 ; 9.25 ; Lc 4.33, 36 ; 6.18 ; 8.29 ; 9.42 ; 11.24. 57 Ac 5.16 ; 8.7. 58 Ap 16.13 ; 18.2. 59 Voir Wahlen, Jesus and the Impurity of Spirits ; Armin Lange, « Considerations Concerning the ‹Spirit of Impurity› in Zech 13:2 », in Die Dämonen : Die Dämonologie des israelitisch-jüdischen und frühchristlichen Literatur im Kontext ihrer Umwelt, éd. par Armin Lange, Hermann Lichtenberger et K. F. Diethard Römheld (Tübingen : Mohr Siebeck, 2003), 254–68. 60 L’impureté dans son acception rituelle se retrouve, par exemple, en Ac 10.14 et 11.8 (nourriture) ; Ac 10.28 et 1 Co 7.14 (enfants) ; 2 Co 6.17 (cit. Es 52.11) ; Ap 18.2 (oiseaux) ; Flavius Josèphe, C. Ap. 1.307 ; SIG 1042.3 ; Justin, Dial. 20.4 ; Origène, Cels. 3.11.9 ; Or. Sib. 5.264. La dimension morale est, par contre, présente, entre autres, dans Ep 5.5 et Ap 17.4 ; T. Jos. 4.6 ; Philon, Deus 132 ; Spec. 3.209 ; Flavius Josèphe, B.J. 4.562 ; Justin, Dial. 141.3. 61 « Esprit mauvais (venant) de YHWH » : 1 S 16.14 (ʤʕʥʤʩʍ ʺ ʒʠ ʒʮ ʤˆʕ ʸʚ ʕ ʔʧ˒ʸ) ; LXX : ʌȞİ૨ȝĮ ʌȠȞȘȡઁȞ ʌĮȡ țȣȡȠȣ. Cf. 1 S 16.16, 23 ; 18.10 ; 19.9. « Esprit de mensonge » : 1 R 22.22– 23 // 1 Ch 18.21–22 : ʸʷʓ ड़ʓˇ ʔʧ˒ ʸ४ ; LXX : ʌȞİ૨ȝĮ ȥİȣįȢ. « Esprit de prostitution » : Os 4.12 et 5.4 : ʭʩʰʑ ˒ʰʍʦ ʔʧ˒ʸ५ LXX : ʌȞİ૨ȝĮ ʌȠȡȞİĮȢ. Voir à ce propos Eibert Tigchelaar, « Evil Spirits in the Dead Sea Scrolls : A Brief Survey and Some Perspectives » (2017), 4, https://core.ac. uk/download/pdf/34636702.pdf, consulté le 8 février 2017.
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ou perverse) »62. Ainsi, à Qumrân par exemple, il est question d’esprit mauvais et parfois d’esprit impur pour désigner les suppôts du redoutable « ange des ténèbres »63. Pour l’auteur et le lecteur historiques de Marc, donc, l’esprit démoniaque assujettissant le Gérasénien n’est pas d’emblée impur à cause de sa localisation en territoire non juif ou de sa connexion avec un Gentil, mais plutôt du fait de sa nature ontologique elle-même. Le fait que l’homme possédé soit associé au tombeau ajoute néanmoins une dimension significative. Pour certains auteurs, il est plausible que l’homme, selon la perspective de l’époque, soit hanté par les esprits des morts des sépulcres dans lesquels il se réfugie64. Il faut néanmoins rester assez prudent à cet égard. Si cela est vrai pour une mentalité gréco-romaine, il faut tenir compte du fait que le texte marcien émane d’un point de vue judéo-hellénistique. Cette perspective est exprimée, entre autres, dans plusieurs inscriptions funéraires qui ont été trouvées dans la nécropole de l’ancienne ville de Beït-Shéarim (ǺıĮȡĮȞ dans Flavius Josèphe, Vita 118–119), fondée par Hérode le Grand, en Basse-Galilée, vers la fin du I er siècle avant notre ère. Deux parmi elles retiendront notre attention, car elles contiennent des malédictions à l’égard de celui qui oserait profaner le sépulcre. La première, en grec, datée entre le IIe et le IIIe siècle de notre ère (BS II 129), gravée dans la catacombe 11 : « Moi, Hésychios, gis ici avec mon épouse. Que quiconque ose ouvrir (le tombeau qui est) sur nous n’ait pas part à la vie éternelle »65. Dans ce cas, l’exécration s’adresse à la personne qui ouvrirait la tombe, probablement dans le but de la piller ou de la profaner. De plus, l’acte punitif est implicitement attribué à Dieu, celui qui dispense la vie éternelle. La deuxième inscription (BS II 162–163), en grec également, est plus difficile à dater (entre le IIe et le IVe siècle de notre ère) et se trouve dans la catacombe 13 : « Ici gît Sara, la femme de Bariose. Quiconque 62 Ainsi Tigchelaar, 6–9, s’appuyant notamment sur Philip S. Alexander, « The Demonology of the Dead Sea Scrolls », in Dead Sea scrolls After Fifty Years : A Comprehensive Assessment, éd. par Peter W. Flint et James C. VanderKam, vol. 2, 2 vol. (Leiden : Brill, 1999), 331–53 ; Michael Mach, « Demons », in EDSS, éd. par Laurence H. Schiffman et James C. VanderKam (New York : Oxford University Press, 2000) ; Esther Eshel et Daniel C. Harlow, « Demons and Exorcism », in EDEJ, éd. par John J. Collins et Daniel C. Harlow (Grand Rapids : Eerdmans, 2010). 63 Voir 4Q511 O’araméen ʧʥʸ ʤʹʩʠʡ se retrouve en 1Qap Genar 20.16–17, 28, 29 et probablement en 4Q197 frag. 4, I.13 (Tb 6.8) ; 4Q538 frag. 2, ligne 4 et peut-être 4Q560 frag. 1, II.6. « Esprit Impur » : 4Q230 I.1 ; 4Q444 frag. 2, I.4 ; 11QPsa 19.15. « Ange des ténèbres » : 1QS 3.20–21. Voir aussi CD 12.2 et 1QS 3 pour les « esprits de Bélial » ; 4Q230 : ʤʬʴʥʺ ʧʥʸ (« esprit de l’insolence ») et ʧʥʸ ʦʥʡ (« esprit de mépris ») FI4Q444. Textes cités par Tigchelaar, « Evil Spirits in the Dead Sea Scrolls », 4–5. 64 Geyer, Fear, Anomaly and Uncertainty, 132–35 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 147 ; Collins, Mark. A Commentary, 267. 65 Moshe Schwabe et Baruch Lifshitz, Beth She‘arim : Report on the Excavations During 1936–1940, vol. 2 : The Greek Inscriptions (Brunswick : Rutgers University Press, 1974), 112–14.
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change la place de cette femme, celui qui a promis de faire vivre (c.-à-d., ressusciter) les morts, lui-même (le) jugera »66. Dans ce cas aussi, il s’agit de confier au jugement de Dieu celui qui se rend coupable d’une action malveillante envers les dépouilles concernées. On peut ajouter à ces deux inscriptions celle d’un ossuaire destiné aux ossements d’une femme, Maryam, qui a été retrouvé sur la Colline française (Jérusalem-Est), et qui a été daté entre l’année 20 avant notre ère et la deuxième révolte juive (133–135). La première ligne est écrite à l’encre, en araméen : « Maryam, femme de Matya » ; suit l’inscription en grec : « Marieame, femme de Mathias. Quiconque enlève ces (ossements), que la cécité le frappe »67. Ici aussi la menace n’est pas mise en relation avec un éventuel esprit habitant le sépulcre et s’acharnant sur le malheureux profanateur. Cela sera bien, en revanche, le cas, par exemple, dans les propos du Cappadocien chrétien Grégoire de Nazianze (IVe siècle), auquel on attribue aussi des épigrammes adressées à ceux qui pillent les tombeaux. Si, en écrivant à propos du sépulcre de l’empereur Martinien († 325), Grégoire se contente de recommander à l’éventuel intrus de s’éloigner avec un très vague « avant de souffrir de quelque mal » (Anth. gr. 8.108 : …ʌȡȓȞ IJȚ țĮțઁȞ ʌĮșȑİȚȞ), il devient plus explicite lorsqu’il s’exprime, contre les pilleurs en général, en ces termes : « évite les démons qui m’ont (c.-à-d., qui m’habitent), car je n’ai rien outre le tombeau ; les ossements du tombeau (sont) toute la richesse [qui s’y trouve] » (8.234 : ǻĮȓȝȠȞĮȢ, Ƞ ȝİ ȤȠȣıȚȞ, ਕȜİȪİȠǜ ȠIJȚ Ȗȡ ਙȜȜȠ IJȪȝȕȠȢ ȤȦǜ IJȪȝȕȦȞ ੑıIJȑĮ ʌȜȠ૨IJȠȢ ਚʌĮȢ)68. Il est bien question ici de démons qui peuvent hanter le profanateur, mais il ne s’agit pas forcément des âmes des défunts dont les dépouilles reposent dans le tombeau. Dans le récit du démoniaque de Gérasa, il n’est pas question de profaner des tombeaux, mais de les habiter (Mc 5.3–4). Qui plus est, l’ensemble du Nouveau Testament n’identifie jamais les esprits démoniaques avec les âmes d’êtres humains défunts. Il est plus judicieux, dès lors, de considérer que le Gérasénien, dans la perspective de l’auteur implicite, n’est pas possédé à cause de sa fréquentation des tombeaux. Au contraire, c’est l’esprit impur qui, une fois entré en l’homme, le rend non seulement rituellement impur mais également ignoble et haineux (cf. Za 13.2 ; T. Ben. 5.2 ; Justin, Dial. 7.3), au point de le pousser à se réfugier dans des lieux impropres. À l’impureté intrinsèque du démon s’ajoute celle de l’habitant non juif qu’il contraint à demeurer dans des lieux eux aussi impurs. Si une certaine tradition rabbinique se fait la porte-parole d’une 66
Schwabe et Lifshitz, 2 : The Greek Inscriptions : 138–40. Levi Y. Rahmani, A Catalogue of Jewish Ossuaries in the Collections of the State of Israel (Jerusalem : The Israel Antiquities Authority – The Israel Academy of Sciences and Humanities, 1994), 197. 68 Voir Walter T. Wilson, The Sentences of Pseudo-Phocylides, CEJL (Berlin : Walter de Gruyter, 2005), 114, note 27. 67
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sensibilité qui remonte au moins à la deuxième moitié du premier siècle, on pourrait même considérer que le narrateur renchérit en associant le démon au nom de Légion (Mc 5.9). Bien que ce substantif puisse tout simplement indiquer un « grand nombre », le Talmud (b. ۉul. 123a) considère que ce contingent romain est impur à cause des scalps qu’il avait l’habitude de promener en ornement69. Quoi qu’il en soit, pour le lecteur, il est clair que l’esprit impur est, en soi, une entité en opposition à la sainteté de Dieu lui-même (voir Lv 11.44 ; Es 6.3) et, par extension, au ਚȖȚȠȢ IJȠ૨ șİȠ૨ (Mc 1.24)70, appelé en Marc 5.7 ȣੂંȢ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ. Tangentiellement, on remarque dans le texte marcien une insistance sur la puissance physique que l’esprit impur confère au possédé. Personne ne peut le lier (5.3 : ȠįİȢ ਥįȞĮIJȠ ĮIJઁȞ įોıĮȚ) ni le maîtriser (v. 4 : ȠįİȢ ıȤȣİȞ ĮIJઁȞ įĮȝıĮȚ). Au contraire, l’homme rompt (įȚĮıʌȦ) et brise (ıȣȞIJȡȕȦ) ses chaînes avec une fréquence désespérante (ʌȠȜȜțȚȢ). Cette force physique semble être en opposition paradoxale avec l’impuissance de cet être humain à résister à l’esprit impur pour mener une vie qui soit en accord avec les attentes sociétales et en harmonie avec des dispositions vertueuses.
4.4 Les cochons dans l’encyclopédie du savoir du lecteur historique de Marc Les cochons
Aux tombeaux et aux esprits démoniaques s’ajoute, dans la série d’éléments caractérisant la notion d’impureté dans le récit de Marc 5.1–20, le troupeau de cochons (v. 11–13). Les suidés sont considérés, par le Premier Testament, comme des animaux impropres à la consommation humaine (Lv 11.7–8 et Dt 14.8) et aux sacrifices (Es 66.3). L’origine d’une telle classification est encore l’objet de débats, surtout dans une perspective anthropologique71. 69
Il s’agirait, entre autres, du scalp de Rabbi Ishmaël (90–135 après Jésus-Christ). Mali, The Christian Gospel, 120. La formule IJ ਲȝȞ țĮ ıȠ (Mc 1.24 // Lc 4.34 ; cf. Mt 8.29 [Gadara]) se retrouve, dans sa forme au singulier, en Mc 5.7 (voir Jn 2.4, adressée par Jésus à sa mère). Il s’agit d’une formule de dissociation par laquelle le démon nie tout lien avec Jésus (cf. 2 S 16.10 ; 19.22) : ainsi France, Mark, 103, repris par Mali, The Christian Gospel, 121. Voir infra, p. 449. 71 Mary Douglas, Purity and Danger : An Analysis of the Concepts of Pollution and Taboo (London – New York : Praeger Publishers, 1966), est un ouvrage qui a marqué les études bibliques dans leur perspective anthropologique. Douglas s’emploie à expliquer le système des lois de pureté en tant que projection de la vision symbolique du corps humain. Dans son article, « Deciphering a Meal », Daedalus 101, no 1 (1972) : 79, elle arrive à la conclusion selon laquelle les cochons sont impurs – donc odieux – aux yeux des Juifs, à cause de leurs multiples anomalies : ils défient la classification des ongulés ; ils peuvent être occasionnellement des charognards ; ils sont élevés par des non-Juifs et font partie des mets de leur table. Un point de vue différent est offert par Milgrom. Pour lui, la logique sous-jacente aux 70
Les cochons
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La répugnance que les Juifs manifestent à l’égard des cochons se concrétise par l’élaboration de règles diverses qui dépassent l’interdiction d’en consommer la viande. Le Manifeste sectaire (4QMMT = 4Q394–399) stipule qu’il est interdit de produire des poignées (anses) pour récipients à partir d’os ou de peaux d’animaux impurs (B 21–22) ; la Mishna, de son côté, témoigne de l’interdiction formelle d’élever des poulets, ainsi que des chiens et, bien évidemment, des cochons à Jérusalem, pour qu’ils ne puissent pas entrer en contact avec ce qui est sacré72. Cette aversion juive à l’encontre du cochon devient une telle marque identitaire qu’elle est même mentionnée par Plutarque († 125 ou 127 ; Quaest. conv. 4.5.1–3 [669f–671b])73. Au fil du temps donc, l’aversion à la chair de cet animal s’étend à tout son être. Même vivant, le cochon sera considéré comme particulièrement détestable et susceptible de transmettre l’impureté rituelle. L’émergence de l’association entre le cochon tout court et l’impureté, à la fois rituelle et morale, plonge probablement ses racines dans la persécution qu’Antiochus Épiphane, entre 175 et 163 avant notre ère, a perpétrée envers les Juifs qui refusaient de sacrifier et de consommer de la viande de porc (voir lois de pureté est la représentation « sacerdotale » de la vie et la tentative, qui en résulte, de définir ce qui est associé à celle-ci et ce qui est associé, par opposition, à la mort. Selon cette vision, il faut chercher la raison de l’impureté du cochon dans l’association ancestrale qui existait entre cet animal et les divinités telluriques (ou chtoniennes) : Milgrom, Leviticus 1– 16, 1 : 649–50, 735. Pour une critique de ces deux positions, voir Tracy M. Lemos, « Where There Is Dirt, Is There Systemௗ? Revisiting Biblical Purity Constructions », JSOT 37, no 3 (2013) : 265–94. 72 m. B. Qam. 7.7 ; cf. l’interdiction à Qumrân d’introduire des chiens dans le campement « parce qu’ils pourraient manger quelques os du sanctuaire et la chair qui s’y trouve encore attachée » : 4Q394 frag. 7, IV.8–9. Voir France, Mark, 227 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 144, ce dernier renvoyant à Hermann L. Strack et Paul Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrash, vol. 1 : Das Evangelium nach Matthäus (München : C. H. Beck, 1922), 448–50, 492–93. Selon la littérature hittite, les offrandes des temples étaient souillées – et les dieux véxés – si elles étaient données en nourriture aux chiens ou aux cochons : Magness, Stone and Dung, 2011, 51–52 ; Amir S. Fink, « Why did yrত play the dogௗ? Dogs in RS 24.258 (=KTU 1.114) and 4QMMT », AuOr 21 (2003) : 49– 50. 73 Pour France, Mark, 227, la présence de cochons à Gérasa montre qu’il s’agit d’un territoire habité par des non-Juifs (m. B. Qam. 7.7). De manière pittoresque, Macrobe (fin IVe – début Ve siècle) confirme que, du point de vue non juif, la répulsion des Juifs vis-à-vis des cochons restera une caractéristique stable de la perception identitaire que l’on avait de ce peuple. Il affirme, sans doute de façon romanesque, que lorsqu’Hérode fit tuer trois de ses fils soupçonnés de conspiration (cf. Flavius Josèphe, A.J. 16.6–10), l’empereur romain Auguste déclara : « il vaut mieux être le cochon d’Hérode que son fils » (Saturnales 2.4.11 : « Melius est Herodis porcum esse quam filium »). Pour les non-Juifs, le porc était une viande excellente pour l’alimentation humaine (voir Plutarque, Quaest. conv. 4.4.4–4.5.1 [669e–f]) et l’aversion des Juifs pour cet aliment était vue comme ridicule (voir Tacite, Hist. 5.4.3 ; Juvénal, Sat. 14.98–99 ; 4 M 5.8–9) : DeSilva, An Introduction to the New Testament, 103.
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1 M 1.47 ; 2 M 6.2, 5 ; 6.18–7.42)74. Cette association évolue jusqu’à faire du cochon une métaphore de la corruption spirituelle, et même du paganisme, perspective attestée aussi dans le Nouveau Testament (2 P 2.22 ; cf. Mt 7.6 // Év. Th. 93 ; Lc 15.15–16)75. François Bovon suggère de comprendre dans la même veine symbolique le fragment d’un papyrus chrétien, dont le texte pourrait remonter à la fin du IIe siècle (P. Oxy. 840), qui critique l’eau lustrale du bassin de David (ligne 25 : ਥȞ IJો ȜȝȞȘ IJȠ૨ ǻ[Įȣİ]į) rendue impure par la présence de chiens et de cochons (ligne 33 : țȞİȢ țĮ ȤȠȡȠȚ)76. De son côté, Daniel Olson propose de comprendre les cochons domestiqués de 1 Hénoch 89.10 comme une référence aux Samaritains : un peuple impur qui habite le territoire d’Israël77. Sans recourir à la lecture allégorique, qui n’est ni nécessaire ni opportune pour le récit du démoniaque de Gérasa, il est toutefois possible d’apprécier la dimension symbolique que le troupeau de cochons apporte à la rencontre entre Jésus et le démoniaque. La présence des suidés souligne l’impureté du cadre dans lequel le Jésus marcien est plongé : l’affrontement avec l’homme sortant des tombeaux et possédé par l’esprit impur a, de surcroît, comme arène un territoire non juif souillé par la présence d’animaux impurs et associés au paganisme.
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Boring, Mark, 152 ; Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 293. Dans 1 Hén. 89.41–50, les cochons sauvages/sangliers (Édomites et Amalécites) sont effrayés par les béliers (les rois d’Israël) : Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 129. Voir aussi 1 Hén. 89.65–67 et 73–75. 75 Selon Le chant de la Perle (Ac. Th. 108–113), un serpent – symbole des pouvoirs démoniaques –, garde la perle qui doit être récupérée par un homme envoyé en Égypte. Tandis que les Égyptiens le rendent oublieux de sa mission, une lettre la lui rappelle et il rentre enfin à la maison, accueilli et honoré par son père. Hilgert, en dressant un lien ténu entre cette histoire et celle du fils perdu et retrouvé de Lc 15.11–32, propose d’attribuer aux cochons de la parabole évangélique non pas seulement la valeur symbolique de la dégradation sociale du fils cadet, mais aussi la valeur métaphorique d’une corruption spirituelle : Earle Hilgert, The Ship and Related Symbols in the New Testament (Assen : Royal Van Gorcum, 1962), 82, note 38. 76 François Bovon, « Fragment Oxyrhynchus 840, Fragment of a Lost Gospel, Witness of an Early Christian Controversy Over Purity », JBL 119, no 4 (2000) : 715 ; Égasse, « Le papyrus Oxyrhynque 840 », 495–96. Voir aussi Magness, Stone and Dung, 2011, 52–53. 77 Une liste de quatorze animaux sauvages représentant les peuples non juifs est donnée en 1 Hén. 89.10. Y figurent aussi les sangliers et les cochons : voir David J. Bryan, Cosmos, Chaos and the Kosher Mentality, JSPSup 12 (Sheffield : Academic Press, 1995), 116. Pour Olson, on pourrait comprendre les cochons de l’Apocalypse des Animaux en tant que référence aux Samaritains. Il appuie son hypothèse sur le bien célèbre passage de m. Šeb. 8.10, où on rappelle que Rabbi Eliezer avait déclaré que manger le pain des Cutites (ici pour « Samaritains ») était équivalent à manger de la viande de porc. Ainsi Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 64–65 ; Bryan, Cosmos, 249–52.
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Dans le monde gréco-romain, les cochons étaient régulièrement utilisés en tant qu’aliment et victimes sacrificielles78. Pour ce dernier usage, il faut distinguer notamment deux contextes spécifiques : les rites de purification et les offrandes dans les rituels liés au culte de l’empereur. Dès l’année 7 de notre ère, des sacrifices sont offerts aux Lares et au Genius Augusti, le cochon étant une des victimes éligibles79. Cette observation reste néanmoins marginale, car le récit marcien du démoniaque de Gérasa narre plutôt l’élimination des esprits impurs. À ce propos, les cochons, qui étaient offerts à Zeus80 et aux dieux souterrains81 en vue d’une purification morale ou physique, étaient également considérés comme utiles contre l’impureté (parce que perméables à elle) et face aux entités spirituelles malveillantes qui provoquent certaines maladies82, car
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Jane F. Gardner et Thomas Wiedemann, The Roman Householdࣟ: A Sourcebook (London – New York : Routledge, 1991), 35, cite Caton, Agr. 138–141, selon lequel un cochon doit être sacrifié à la divinité lorsque l’on coupe des arbres qui leur sont sacrés. Les auteurs suggèrent que peut-être des sacrifices de ce genre ont eu lieu pendant le siège de Jérusalem. 79 Voir à ce propos Michel Hano, « À l’origine du culte impérial : les autels des Lares Augusti. Recherches sur les thèmes iconographiques et leur signification », ANRW II 16, no 3 (1986) : 2333–81 ; Duncan Fishwick, The Imperial Cult in the Latin West : Studies in the Ruler Cult of the Western Provinces of the Roman Empire, vol. 2.1, EPRO 108 (Leiden : Brill, 1991), 501–15 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 152. 80 Par exemple, dans le cadre de rites de purification suite à un meurtre : ainsi Kevin Clinton, « A New Lex Sacra from Selinus : Kindly Zeuses, Eumenides, Impure and Pure Tritopatores, and Elasteroi », CP 91, no 2 (1996) : notamment Col. B 1.5. Voir aussi Michael H. Jameson, David R. Jordan, et Roy D. Kotansky, A Lex Sacra from Selinous, GRBM 11 (Durham : Duke University Press, 1993), 17 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 152. 81 Cf. Julien [IV s.], Sur la mère des dieux 177 : « On nous permet donc de prendre pour nourriture des oiseaux, à l'exception de quelques-uns qui se trouvent être sacrés en tout lieu, et les quadrupèdes ordinaires, sauf le porc. Celui-ci est écarté de la table sacrée pour la nature totalement chthonienne de sa forme ainsi que de son genre de vie, et le caractère même de sa constitution, sa viande étant excrémentielle et lourde. Il est une victime chère aux Dieux chthoniens, et cette croyance est raisonnable, car cet animal ne lève pas les yeux vers le ciel, non seulement parce qu’il s’y refuse, mais parce qu’il n’est pas même naturellement disposé à regarder jamais vers le haut. Telles sont les causes données par le rite divin aux abstinences que nous devons pratiquer ; nous qui les avons comprises, nous les communiquons à ceux qui connaissent les Dieux ». Texte tiré de L’Empereur Julien. Œuvres complètes, trad. Gabriel Rochefort, vol. 2.1, CUF (Paris : Les Belles Lettres, 1963), 127. 82 Robert C. T. Parker, Miasma : Pollution and Purification in Early Greek Religion (Oxford : Clarendon Press, 1984), 230–31 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 153.
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Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté
ils figurent dans des rituels d’exorcisme et de malédiction83, et même de guérison84. En connexion avec Marc 5.1–20, Bolt remarque que la mer également joue occasionnellement un rôle dans les rites purificatoires85.
4.5 La rhétorique de la pureté dans Marc 5.1–20 La rhétorique de la pureté dans Marc 5.1–20
Le récit du démoniaque de Gérasa rencontre le lecteur historique sur le terrain de ses convictions pour pouvoir les solliciter en vue de leur reconfiguration partielle. Alors que cet homme est associé à des lieux impurs (pour les Juifs) et qu’il ne faut pas occuper abusivement, le récit montre qu’il est envisageable d’entrer en relation avec lui, plutôt que de le fuir, pour lui offrir une issue. Si les imprécations trouvées dans d’autres tombeaux d’Asie Mineure86 sont représentatives de la sensibilité générale de l’époque romaine, et cela même en Palestine et dans la Décapole, on trouvera alors remarquable et subversive l’issue de la rencontre du Gérasénien avec Jésus87. Alors que violer un tombeau était considéré comme un crime – c’est pour cette raison peut-être que l’on avait essayé 83
En Grèce (Athène) : Eschine, Scholia in Orationes 1.23 ; Démosthène, Scholia in Orationes 4.1b. En Italie (Rome) : cinq 5 tablettes en pierre datant du milieu du premier siècle avant Jésus-Christ contiennent la promesse d’offrir à Proserpine et à Pluton (dieux de l’audelà) des dattes, des figues et un cochon noir si la malédiction invoquée sur quelqu’un aura été efficace. Textes cités par John G. Gager, éd, Curse Tablets and Binding Spells from the Ancient World (New York : Oxford University Press, 1992), 134. Voir Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 152. 84 Thompson, The Devils and Evil Spirits of Babylonia 2 ; Christopher A. Faraone, « Aphrodite’s ȀǼȈȉȅȈ and Apples for Atalantaௗ: Aphrodisiacs in Early Greek Myth and Ritual », Phoenix 44, no 3 (1990) : 240 ; Kevin Clinton, « Pigs in Greek Rituals », in Greek Sacrificial Ritual, Olympian and Chthonian. Proceedings of the Sixth International Seminar on Ancient Greek Cult, organized by the Department of Classical Archaeology and Ancient History, Göteborg University, 25–27 April 1997, éd. par Robin Hägg et Brita Alroth, AIARS 18 (Stockholm : Åströms Förlag, 2005). 85 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 152, cite à ce propos Homère, Il. 1.314 et Hippocrate, Morb. sacr. 4.43–46. 86 Par exemple l’épitaphe CIG 3915 (Phrigie), traduite par Lattimore, Themes in Greek and Latin Epitaphs, 115–16 ; ou encore CIG 2664 (Halikarnasse), MAMA VII 147 (Phrygie) et 227 (Galatie), TAM V,1 626 et 815 (Lydie), CIG 2685 (où l’entrée dans le tombeau n’est souhaitée que pour les membres de la famille) et CIG 3270. Voir Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 235. 87 « This form [malédiction à l’adresse des profanateurs de tombeaux] – common among pagans, Jews, and Christians – occurs mainly, though not exclusively, in Asia Minor, most of the instances coming from Phrygia (some from Pisidia, Lycia, and Caria) and dating to the second and third centuries CE » : van der Horst, Ancient Jewish Epitaphs, 54. À la page 58, cet auteur précise que « [i]n pagan and Christian epitaphs threats with the anger of the gods or God are much more frequent » que dans les homologues juives.
La rhétorique de la pureté dans Marc 5.1–20
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de ligoter le démoniaque (Mc 5.3–4) – et que l’on maudissait l’intrus (et sa maison) afin qu’il ne soit plus en mesure de se déplacer sur la terre ou sur la mer, d’avoir de bonnes récoltes, d’avoir ni enfants ni biens matériels ni, après sa mort, d’échapper à la colère et à la vengeance des dieux88, le Gérasénien fait l’expérience de la rédemption. Il est rendu à sa famille, se déplace dans toute la Décapole et témoigne de sa rencontre avec le héraut d’un Dieu miséricordieux. Concernant la présence des cochons, l’évacuation du pays des esprits impurs et des bêtes assume une double connotation. Si elle peut être comprise comme la preuve tangible de l’exorcisme89, elle exprime aussi le sens de la purification qui en résulte90. Les frontières du Royaume s’étendant par un mouvement centrifuge même en Décapole, elles ne coïncident plus avec celles d’Israël. Qui plus est, elles doivent se comprendre en termes non plus rituels mais éthiques (ainsi plus explicitement en Mc 7.14–23, enseignement donné juste avant la deuxième incursion du Jésus marcien en territoire non juif). Même pour un lecteur historique non juif de Marc, la notion élémentaire de purification du Gérasénien et du territoire par la migration des démons dans les quadrupèdes, 88 CIG 4000 : « [...] qu’il puisse laisser derrière lui (ses) enfants orphelins, des biens endeuillés, une maison déserte [...] : ȡijĮȞĮ IJțȞĮ Ȝ[ʌ]ȠȚIJȠ, ȤોȡȠ[Ȟ] ȕȠȞ, ȠੇțȠȞ [ȡ]ȘȝȠȞ ». La même malédiction se retrouve en MAMA I 332 et des variantes en MAMA I 425 ; I 437 ; VI 320 ; SEG I 470.3–4. En CIJ 769 (inscription juive, Phrygie), où le Très Haut est mentionné, il est question de « la faucille de la malédiction » (IJઁ ਕȡ઼Ȣ įȡʌĮȞȠȞ), une allusion à Zacharie 5.2–4 LXX. Ces malédictions sont mises en relation avec celles du Deutéronome (probablement chapitre 28) en CIJ 760 (allusion en 770 ; 774) et MAMA VI 335. MAMA VI 325 (inscription juive) met en garde contre la colère de Dieu qui détruira toute la famille du profanateur. De son côté, MAMA X 189 contient l’imprécation de tomber sous les « démons de la noire Hécate » (ਬțҕIJҕ[Ș]Ȣ ȝİȜĮȞȘȢ ʌİȡȚʌıȠȚIJȠ [įĮȝȠı]Ț). La malédiction de ne pas pouvoir naviguer sur la mer ni marcher sur la terre se trouve en IG XIV 1901 (ȝIJİ ĮIJ șȜĮııĮ ʌȜȦIJ ȝIJİ Ȗો ȕĮIJ) ; voir CIG 4190 pour une formule similaire. Certaines inscriptions sont plus élaborées et contiennent tous les éléments précités ou presque. C’est le cas pour IG III 1417 (= IG II2 13200, moitié du IIe siècle de notre ère), 1418–1421, 1423, 1424 et, notamment, CIG 3915 (Hiérapolis : « [...] qu’il ne puisse bénéficier ni d’enfants ni de biens, qu’il ne puisse marcher sur la terre ni se déplacer sur la mer, mais qu’il meure sans enfants, sans biens et ruiné avant de mourir, et que ses descendants périssent avec lui, et après (sa) mort qu’il puisse trouver les dieux souterrains en colère et vengeurs »), CIG 2826 ; IG XII,9 1179 (encore plus élaborée ; IG XII,9 955 en constitue une copie conforme). Voir Lattimore, Themes in Greek and Latin Epitaphs, 112–16 ; van der Horst, Ancient Jewish Epitaphs, 56–58 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 235–36. 89 Cf. Flavius Josèphe, A.J. 8.48 (bol qui se retourne) ; Lucien, Philops. 16.5 (démon qui sort comme une fumée) ; Ac. P. 2.11 (statue de César brisée). Voir Craig A. Evans, Jesus and His Contemporaries : Comparative Studies, AGJU 25 (Leiden – New York : Brill, 1995), 237, 247 ; Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 291 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 151. 90 Cf. Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 292 ; Boring, Mark, 152.
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ainsi que par la déroute des esprits qui s’ensuit avec la disparition en mer des animaux, demeure entière et tout à fait intelligible. L’auteur implicite, par sa construction du lecteur encodé qu’il veut astreindre et plier aux catégories interprétatives du lecteur historique, tout en n’encourageant pas à voir dans les cochons des animaux sacrificiels – car impurs –, propose paradoxalement ces derniers à la fois en tant qu’élément contaminant du territoire et opportunité de purification91. Ces éléments du récit montrent que le Jésus marcien est manifestement intéressé par la question de la pureté dans sa dimension personnelle et sociale, même s’il diffère des Pharisiens et des Esséniens, par exemple, quant à la manière de concevoir sa relation à la sainteté et sa façon de préserver l’intégrité et l’identité de la personne et du groupe auquel elle appartient92. Le fait que son activité soit associée intimement à une dynamique de purification est rendu évident, en Marc 5.1–20 et dans l’ensemble du deuxième évangile, de plusieurs manières. Le vocabulaire employé par l’évangéliste lorsqu’il désigne les forces démoniaques auxquelles Jésus s’oppose est parlant : aux onze occurrences du terme communément employé įĮȚȝંȞȚȠȞ (1.34 [x2], 39 ; 3.15, 22 [x2] ; 6.13 ; 7.26, 29, 30 ; 9.38) s’ajoutent dix occurrences de l’expression, plus connotée, ʌȞİ૨ȝĮ ਕțșĮȡIJȠȞ (1.23, 26, 27 ; 3.11 ; 5.2, 8, 13 ; 6.7 ; 7.25 ; 9.25)93. Au niveau de l’intrigue, bien avant la rencontre avec le lépreux, le Gérasénien ou la femme syro-phénicienne, la question de la relation à l’impureté et son dépassement s’impose comme occupant une place centrale94. Jean, celui qui baptisait pour le « pardon des péchés » (1.4) – une référence au besoin urgent de purification en dépit du système sacrificiel sacerdotal déjà en place –, introduit prophétiquement Jésus (1.6–8), dont le premier miracle est un exorcisme dans la synagogue de Capharnaüm (1.21–28).
91
Moscicke aussi, par son étude des traditions sur le rituel du bouc émissaire dans la littérature du Second Temple, relève le lien paradoxal entre ces animaux impurs et le rôle qui leur est attribué par le récit de Mc 5.1–20 : « [t]he transference of the Gerasene demons into the pigs is like the transference of sins onto the scapegoat, in that the demons personify iniquity. The disposal of Legion corresponds of the banishment of Asael/Azazel, since it involves the dispatch of personified evil into the subterranean realm ». Moscicke, « The Gerasene Demoniac », 371. 92 Éclairant à ce propos s’avère H. Williams Ritva, « Purity, Dirt, Anomalies, and Abominations », in Understanding the Social World of the New Testament, éd. par Dietmar Neufeld et Richard E. DeMaris (Abingdon : Routledge, 2010), 207–19. 93 Ainsi Grappe, « Prolongement et subversion », 179. Cf. LaHurd, « Reader Response to Ritual Elements », 157, et Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 300. 94 Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 172, 178–79. Pour les lois de pureté concernant la femme atteinte d’un écoulement de sang, voir Bruce D. Chilton et al., éd, A Comparative Handbook to the Gospel of Mark : Comparisons with Pseudepigrapha, the Qumran Scrolls, and Rabbinic Literature, NTGJC 1 (Leiden : Brill, 2010), 195–200.
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Ce premier miracle montre explicitement que la relation du Jésus marcien à l’impureté doit être comprise dans le cadre plus vaste du conflit cosmique qui oppose Dieu, dont il est le « Fils bien-aimé » (1.11), à Satan. L’esprit impur est réprimandé par Jésus (țĮ ਥʌİIJȝȘıİȞ ĮIJ ȘıȠ૨Ȣ : 1.25) tout comme, selon Zacharie, le Seigneur tance le Diable (ਥʌȚIJȚȝıĮȚ țȡȚȠȢ ਥȞ ıȠ įȚȕȠȜİ : Za 3.2). Le démon sait que la venue du « Saint de Dieu » correspond, pour lui et ses semblables, à « leur destruction » (Mc 1.24), ce qui donne une perspective eschatologique à l’action de Jésus95. L’irruption du temps accompli et du Royaume qui s’est approché (1.14), qui se trouvent au cœur du message de Jésus, correspond alors à des conditions nouvelles. Les questions halachiques sont, pour Jésus, désormais résolues au nom d’une sainteté dynamique qui permet de dépasser les pratiques rituelles, les normes établies pour éviter de contracter l’impureté, les lois aboutissant à la séparation entre les Juifs et les non-Juifs. Se soumettre au Royaume qui vient, et s’est approché en dépit de l’impureté, signifie, pour le Jésus marcien, lui donner la possibilité de mettre Satan en déroute et rendre possible une vie en accord avec la sainteté divine, dont la valeur centrale n’est pas la pureté rituelle mais le binôme justice et miséricorde96. Ce n’est que par l’action de celui sur qui l’Esprit est descendu (Mc 1.10) que la malédiction et l’impureté sont levées et que la miséricorde de Dieu est foncièrement manifestée97. 95 Christian Grappe, « Jésus exorciste à la lumière des pratiques et des attentes de son temps », RB 110, no 2 (2003) : 180–181, renvoie notamment à T. Moïse 10.1(–3) et à T. Dan 5.10–13 pour corroborer ce constat. Rochester, Good News at Gerasa, 188, en s’appuyant sur Todd E. Klutz, « The Grammar of Exorcism in the Ancient Mediterranean World : Some Cosmological, Semantic, and Pragmatic Reflections on How Exorcistic Prowess Contributed to the Worship of Jesus », in The Jewish Roots of Christological Monotheism : Papers from the Saint Andrew’s Conference on the Historical Origins of the Worship of Jesus, éd. par Carey C. Newman, James R. Davila et Gladys S. Lewis, JSJSup 63 (Leiden : Brill, 1999), 163. 96 Ainsi LaHurd, « Reader Response to Ritual Elements », 157. Que Jésus n’ait pas été indifférent à l’impureté mais que son approche des questions halachiques s’explique par sa compréhension de l’avènement du Royaume et par la restauration eschatologique qui s’ensuit est aussi souligné par Klaus Berger, « Jesus als Pharisäer und frühe Christen als Pharisäer », NovT 30, no 3 (1988) : 240–47 ; Hooker, Mark, 181 ; Bruce D. Chilton, « An Exorcism of History : Mark 1:21–28 », in Authenticating the Activities of Jesus, éd. par Bruce D. Chilton et Craig A. Evans (Leiden : Brill, 1999), 234 ; Marcus, Mark 1–8, 465 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 339, 346 ; Steven M. Bryan, Jesus and Israel’s Traditions of Judgement and Restoration, SNTSMS 117 (Cambridge : Cambridge University Press, 2002), 153– 61 ; Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 178–80 ; Thomas Kazen, Issues of Impurity in Early Judaism (Winona Lake : Eisenbrauns, 2010), 166–67 ; Rochester, Good News at Gerasa, 187–88. 97 On pourra constater le contraste entre la mention de la miséricorde en Mc 5.19 et 1QS 2.7–8 (« maudit sois-tu, sans miséricorde, [...] que Dieu ne te favorise pas quand tu l’invoqueras »). Le « Très-haut » (Mc 5.7) est une des appellations choisies pour Dieu dans le contexte de la purification qu’il offre aux membres du Yahad qumranien (1QS 4.22 ; 10.12 ;
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Certes, le judaïsme du Second Temple n’est pas insensible à la possibilité de faire approcher de la sainteté de Dieu les nations afin qu’elles contemplent sa gloire et lui offrent des présents pour bénéficier, elles aussi, de sa justice et de son pardon (cf. Ps. Sal. 17.31). Pourtant, un tel scénario n’est possible que par l’établissement préalable d’un lieu pur, en l’occurrence Jérusalem, par l’expulsion de tout non-Juif et de tout ce qui est impie de la ville sainte. Selon Psaumes de Salomon 17, c’est seulement alors qu’elle sera restaurée et purifiée par Dieu lui-même et que le roi juste et instruit par Dieu – son messie – pourra exercer sur elle et sur toutes les nations son autorité (Ps. Sal. 17.21–30, 32). Jésus, de son côté, privilégie le pôle d’une communion hic et nunc, où les frontières du Royaume se déploient de façon centrifuge pour aboutir à une dynamique d’inclusion porteuse, elle, de purification dans un sens de guérison et d’harmonie avec les exigences éthiques divines98. Dans cette perspective eschatologique, « tout écart est supprimé entre Dieu et son Envoyé »99. Même l’écart entre purification et guérison semble être comblé lorsque Jésus déclare la femme atteinte d’une perte de sang « guérie » (5.29), alors que, selon la loi lévitique, elle est surtout « impure » (Lv 15.25)100, et qu’il associe au pardon des péchés du paralytique son rétablissement physique (Mc 2.6, 9–12). Le deuxième évangéliste présente ainsi une vision qui s’enracine très probablement dans la pensée du Jésus historique, à savoir celle d’une « contamination inversée »101 de l’impur par le pur ou, pour utiliser une expression de Christian Grappe, d’ une « sainteté victorieuse, conquérante, triomphante »102. Cette vision se nourrit de la promesse d’une visite eschatologique de Dieu qui ne sera pas entravée par le manque de pureté mais qui l’apportera et l’imposera 11.15 ; voir aussi 1QHa 12.31 ; 14.33 ; 1Qap Genar 2.4 ; 6.9 ; 10.18 ; 12.17 ; 20.12, 16 ; 21.2, 20 ; 22.15, 16, 21 ; 4Q88 VIII.15 [= 11QPsa 22.15] ; 4Q219 II.21 ; 4Q222 frag. 1, 4 ; 4Q242 frag. 1–3, lignes 2, 3, 5, 6 ; 4Q246 II.1 ; CD-B 20.8 ; 4Q285 frag. 1, ligne 3 [= 11Q14 frag. 1, II.4, 7] ; 4Q291 I 3 ; 4Q372 frag. 1, ligne 4 ; 4Q378 frag. 26, lignes 1, 3, 4 ; 4Q379 frag. 18, ligne 6 ; 4Q422 II.9 ; 4Q434a frag. 1+2 ligne 10 ; 4Q491 frag. 15, ligne 7 ; 4Q525 frag. 2–3, II.4 ; 4Q541 frag. 9, II.7 ; 4Q552 frag. 4, ligne 2 ; 4Q568 1 ; 11QPsa 27.11 ; 11Q15 frag. 1, II.4, 7). En revanche, en 1QS 11, l’élu reconnaît que la corruption de son cœur est à attribuer à « l’assemblée destinée aux vers, celle des hommes qui vont dans les ténébres » (1QS 11.10) et que ce n’est que par l’amour et la bonté du Dieu qui s’est approché que la justification est rendue possible (13–14). La souillure est donc purifiée « pour que je confesse à Dieu Sa justice et au Très-Haut Sa majesté » (15). 98 Voir Christian Grappe, Le Royaume de Dieu. Avant, avec et après Jésus, MdB 42 (Genève : Labor et Fides, 2001), 50–51. 99 Grappe, « Prolongement et subversion », 175. 100 Relevé par LaHurd, « Reader Response to Ritual Elements ». Mais voir aussi Mc 1.40– 42, où l’on rencontre à trois reprises le verbe țĮșĮȡȗȦ (« purifier »), et le verset 44, où l’on trouve le substantif țĮșĮȡȚıȝંȢ (« purification »). 101 « Reverse contagion » dans la formulation de Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 202. 102 Grappe, « Jésus et l’impureté », 399.
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par la dynamique de la communion avec sa sainte présence. Plusieurs textes de la Bible hébraïque attestent cette « attente eschatologique d’une sainteté venant envahir la sphère profane »103. Chilton se réfère au texte dans lequel Aggée préconise une intervention directe de Dieu « sous peu » (IJȚ ਚʌĮȟ : Ag 2.6 LXX), qui ne tiendra pas compte de l’impureté contagieuse qui affecte les sacrifices que le peuple lui offre (Ag 2.12–14), mais qui bénira et rendra sa splendeur au Temple par l’Esprit qui se tiendra au milieu du peuple (2.5–11, 15). Il cite de même Zacharie 13.1, texte qui mentionne une source qui « sera ouverte pour la maison de David et les habitants de Jérusalem, pour le péché et pour la souillure » (NBS)104. De son côté, Grappe renvoie à Zacharie 14.20–21 (« ce jour-là » [v.13], toute la ville et ses ustensiles seront consacrés, et la présence des « marchands » [v. 21], à savoir des intermédiaires permettant la célébration du culte sacerdotal, sera superflue), à Jérémie 31.31–40 (38.31–40 LXX ; « les jours viennent » [v. 31, 38], où la vallée des cadavres et des cendres ainsi que toutes les terrasses, « seront consacrées au Seigneur »), en rappelant que cette aspiration est déjà formulée dans la Torah (cf. Ex 28.36–38 et Nb 14.21)105. Jésus, donc, prolonge et actualise, en la liant à sa personne et à son action (notamment les exorcismes), cette vocation divine et ultime à habiter au sein de la création par une sainteté conquérante qui purifie ce qui est impur106. Dans l’évangile de Marc, le lien entre l’Esprit de Dieu et Jésus joue un rôle fondamental pour comprendre de quelle manière le Royaume se déploie dans le message et l’action de ce dernier, car c’est précisément grâce à cet Esprit que Jésus accomplit, dans une dynamique eschatologique et pneumatologique mais offensive plutôt que fondée sur la démarcation, ce à quoi aspiraient aussi bien les Pharisiens que les Qumrâniens, à savoir la communion généralisée avec le Saint d’Israël107. 103
Grappe, 398. Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 202. 105 Grappe, « Jésus et l’impureté », 398–99 : Za 14.20–21 ; Jr 31.31–40 ; Ex 28.36–38, à la suite de Karl W. Weyde, The Appointed Festivals of YHWH : The Festival Calendar in Leviticus 23 and the Sukkôt Festival in Other Biblical Texts, FAT 2 4 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2004), 231–32. 106 Ainsi Grappe, « Jésus et l’impureté », 394, valorisant le travail de Berger, « Jesus als Pharisäer », 231–62, pour lequel Jésus développe le concept de pureté/sainteté offensive et conquérante. À la page 399, Grappe précise que, du binôme pureté/sainté de Berger, il conserve seulement le pôle de la sainteté, car elle seule est (et était déjà dans le Premier Testament) « dynamique » : « C’est pourquoi nous parlerons désormais de sainteté victorieuse, conquérante, triomphante pour caractériser une sainteté que ne met plus en péril l’impureté, mais qui l’emporte sur elle, la submerge, prévaut à un horizon qui, dans les deux textes où nous l’avons rencontrée, est résolument eschatologique ». 107 Voir encore Grappe, « Jésus et l’impureté », 397 : « Au centre de son [de Jésus] action et de son message, se trouvent, de fait, la proclamation de l’irruption su Royaume de Dieu et l’affirmation de la présence agissante, conquérante de l’Esprit saint ». À la page 395, il avait précisé que, dans la rhétorique des synoptiques, l’Esprit de Dieu par lequel Jésus est 104
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Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté
À Qumrân, l’impureté rituelle fait l’objet d’une purification dont les acteurs sont des humains108, mais l’impureté la plus radicale, celle qui est provoquée par l’esprit de perversité que Dieu lui-même a placé dans le cœur de tout être humain109, ne peut être effacée que par une intervention de Dieu, par le truchement de sa justice et de son Esprit110. Cette conception du rôle de l’Esprit dans le processus de purification pourrait avoir son origine dans une interprétation eschatologique des textes de Psaume 51.9–14 et d’Ézéchiel 36.25–27 (cf. Jub. 1.23), où il est question d’un Esprit nouveau qui assume le rôle de restaurateur. Les Qumrâniens distinguent néanmoins entre une « purification proprement dernière et une purification préalable censée se produire au moment où le néophyte intègre la communauté »111. La purification eschatologique, réservée à ceux qui ont intégré le Yahad et respectent ses exigences (1QS 4.11–14), est opérée exclusivement, à la fin des temps, par l’Esprit de Dieu. Pour Marc, ce même Jésus qui reçoit l’onction de l’Esprit (Mc 1.10) et est reconnu plus tard, par un esprit impur, en tant que « Saint de Dieu » (1.24), est celui qui porte en lui la dynamique purificatrice qui lui permettra de chasser
oint lors de son baptême le rend à la fois un personnage proche de l’idéal pharisaïque eschatologique et pneumatique dans la mesure où il accomplit la santictification des personnes et des lieux, et pourtant en opposition à la dynamique pharisaïque qui est modelée sur le principe défensif de démarcation, et non pas sur celui offensif de la sainteté conquérante. 108 Grappe, 403, lequel souligne aussi que l’impureté (d’une personne ou d’un lieu) qui n’a pas une dimension morale, mais résolument cultuelle ou rituelle, peut être levée par un processus de purification humain (cf. 4Q414 frag. 2, II.4 ; frag. 12 ; 4Q514 frag. 1, I.1–11 ; 11QT 45.5–6, 15–18 ; 47.14–15 ; 49.13–15 ; 1QM 7.2). 109 Même si les êtres humains sont habités par l’esprit de perversité qui cohabite avec l’esprit de vérité (1QS 3.18–19), les ablutions pratiquées par les élus préfugurent et anticipent le don eschatologique de l’Esprit ; pourtant, la purification reste subordonnée à l’observance des commandaments de Dieu et des préceptes du Yahad (1QS 3.4–9). Ce n’est qu’à l’avènement du jour de l’Éternel que l’Esprit déracinera définitivement l’esprit de perversité du cœur des élus (1QS 4.20–22). L’action de l’Esprit au sein de la communauté qumrânienne, dans l’attente du dernier jour, « revêt une portée proprement eschatologique dans la mesure où elle anticipe ce que réalisera la purification dernière » : Grappe, 405–6. 110 Grappe, « Jésus et l’impureté », remarque que l’intervention purificatrice de Dieu est nécessaire dans les cas d’iniquité (péché) : 1QHa 9.32 (ou 1.32, selon la numération de Dupont-Sommer et Philonenko, Écrits intertestamentaires) ; 11.21 (ou 3.21) ; 12.37 (ou 4.37) ; 15.30 (ou 7.30) ; 19.10 (ou 11.10) ; 3Q370 frag. 1, II.3 ; 11QPsa 19.14 ; 24.11–12 ; 4Q504 frag. 2, VI.1–2 ; 1QS 4.21 ; 11.14–15 (p. 403). C’est par la justice divine que la pureté est rétablie (1QHa 12.37 [4.37] ; 19.30–31 [11.30–31] ; 1QS 11.14–15 ; 4Q511 frag. 48, 49 + 51, lignes 2–3). Et cela par un processus au sein duquel l’Esprit joue un rôle important (1QHa 4.26 [17.26] ; 8.19–20 ; 1QS 3.7 ; 4.21 ; 9.3–5) : p. 404. 1QHa attribue directement à Dieu le pouvoir de purifier l’esprit pervers du fidèle afin de lui permettre d’entrer dans l’assemblée des fils du ciel (11.19–23) : voir Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 519. 111 Grappe, « Jésus et l’impureté », 404.
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les démons (1.39) et de purifier un lépreux (1.40–45). En d’autres termes, l’accès à la pureté se fait par le déploiement du périmètre de la sainteté qui permet d’entrer en communion avec Dieu sans passer par le rituel du Temple : l’Esprit saint, dont Jésus est le réceptacle, désenclave l’espace et le sanctifie ! Mais, alors que, dans le culte, dans la piété pharisienne et dans le vécu communautaire qumrânien, la réparation et les séparations apparaissent comme des préalables indispensables à la communion, dans la proclamation par Jésus de l’avènement du Royaume, la communion est rendue immédiatement possible et court-circuite en quelque sorte la réparation112.
La prédication et l’activité de Jésus sont présentées comme étant une manifestation de l’Esprit de Dieu qui rend possibles, d’une manière triomphante et inclusive, outre la déroute définitive de Satan, le pardon des péchés113 et l’accès aux noces eschatologiques de Dieu avec ses enfants114. 112
Ainsi Grappe, 411. La relation entre l’activité d’exorciste et l’irruption du Royame dans la pensée du Jésus historique peut être discernée en Lc 11.20 // Mt 12.28 et Lc 10.18 (ici il est question de la déroute de Satan face à l’activité des disciples) (idem, p. 409). En renvoyant à Jn 20.22 (et à Lc 11.2, qui selon Marcion, d’après le témoignage de Tertullien, et Grégoire de Nysse, contenait une demande concernant le don de l’Esprit Saint dont l’action consiste à venir sur la communauté afin de la purifier), où l’Esprit est associé à la purification par le pardon des péchés, Grappe conclut que l’« Esprit vient ainsi créer un espace de pureté et cet espace de purété se déploie précisément là où la dynamique du Royaume de Dieu est à l’œuvre. Sans qu’il soit nécessaire d’établir les séparations qui ailleurs étaient requises, l’Esprit saint peut agir et mettre en déroute les esprits mauvais ou impurs. Là où se déploie le Royaume, rien ne saurait entraver l’action purificatrice de l’Esprit saint. Il submerge l’impureté. La sainteté est conquérante, victorieuse » (p. 410). 113 La revendication de Jésus de pardonner les péchés en tant que Fils de l’Homme (Mc 2.10) est à comprendre à la lumière du sens individuel et messianique que la figure de Dn 7.13 assume au fil du temps, jusqu’à devenir le Juge eschatologique de ce monde (cf. 1 Hén. 37–71, notamment 62.11–16 et 69.1). Ainsi Grappe, « Prolongement et subversion », 173– 74. 114 Le festin avec le marié et l’allusion au « vin nouveau » dans la controverse sur le jeûne entre, d’un côté, les disciples de Jean et les Pharisiens et, de l’autre, Jésus et ses disciples dans Mc 2.18–22, est à comprendre dans le cadre référentiel du baquet eschatologique de Dieu avec son peuple (cf. Es 25.6–8 ; 1 Hén. 62.14 ; 1QSa 2.16–21 ; noces en Os 2.4–25 ; Es 54.4–8 ; 62.1–5 ; Jr 2.2–3 ; vin nouveau en Jl 2.19 ; Os 2.24 et Za 9.17 ; cf. 1QS 6.4–5). La nouveauté de la situation exprimée par le ਥʌȕȜȘȝĮ ૧țȠȣȢ… IJઁ țĮȚȞંȞ (Mc 2.21) et par le ȠੇȞȠȞ ȞȠȞ İੁȢ ਕıțȠઃȢ țĮȚȞȠȢ (Mc 2.22) a déjà été annoncée par la mention proléptique de la įȚįĮȤ țĮȚȞ attribuée à Jésus en Mc 1.27 et mise en relation avec son autorité face aux démons (v. 21–28). Nous résumons de la sorte les propos de Grappe, 175, note 30 ; 176. Voir également son commentaire à Mc 2.18–22, et surtout au verset 19a (logion attribué au substrat le plus ancien de la péricope), lequel revèle que « [p]endant toute la durée de ce ministère [de Jésus], c’est-à-dire tant qu’est immédiatement présent celui par lequel est proclamé l’avènement du Royaume de Dieu, ici désigné par la métaphore de l’Époux traditionnellement associée à Dieu dans le Premier Testament, il y a quasi-immédiateté des rapports avec Dieu. Dès lors, il y [sic] suspension des rites – ici du jeûne –. Il n’y a plus d’autre
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Ainsi, le Jésus marcien, en remettant en question le besoin de rituels et le respect des prescriptions visant à purifier ou à ne pas contracter l’impureté (cf. Mc 7.1–23), peut toucher un lépreux et le rendre pur en l’invitant à suivre les prescriptions de Moïse en vue de la purification pour que les prêtres habilités à constater la guérison aient un « témoignage » (Mc 1.44 : ȝĮȡIJȡȚȠȞ). De même, il accorde le pardon des péchés (2.1–12), « les pécheurs » (2.15 ; Ƞੂ țĮțȢ ȤȠȞIJİȢ en 2.17) étant ceux avec qui il est en communion par le partage de ses repas115. Le lecteur du deuxième évangile arrive ainsi à cette triple conclusion aux implications théologiques et ecclésiologiques : la purification dernière est désormais à l’œuvre, car elle a été initiée par le Fils de Dieu, réceptacle de l’Esprit ; c’est par lui désormais que tous, aussi bien les inclus que les exclus selon les lois de pureté établies, peuvent bénéficier immédiatement de la communion avec Dieu et avoir accès à sa sainteté purifiante ; cette dynamique centrifuge de la sainteté conquérante continue dans le présent par l’activité des disciples de Jésus, ce dernier étant devenu partie intégrante de la proclamation avec laquelle il a fait irruption dans l’histoire. La transition énonciative du message de Jésus au message sur Jésus permet à ceux qui se réclament du Nazaréen de poursuivre son ministère dans l’attente de ce qui est conçu comme l’imminente consommation finale. Ce prolongement s’articule, selon Marc, sur le registre de l’autorité transmise par Jésus à ses disciples. Cette autorité s’exprime dans la proclamation qui s’accompagne d’exorcismes et de guérisons, signes visibles de l’avancée triomphale du Règne et de la déroute de Satan et de ses acolytes (Mc 3.15 et 6.7, 12–13)116. L’autorité dont les disciples sont investis s’étend également à la subordination des problématiques rituelles aux impératifs éthiques du Royaume, toujours au nom médiation nécessaire que la seule présence de Jésus. Et tous ceux qui le rencontrent sont invités au Festin, qui n’est autre que celui du Royaume ! » : Grappe, « Jésus et l’impureté », 411. L’auteur en infère que « [l]a dynamique en vertu de laquelle, dès lors que fait irruption le Royaume et que se manifeste l’Esprit saint, la communion prend le pas sur la réparation et les séparations est essentielle. Elle pourrait avoir toute son importance en vue d’une plus juste compréhension de l’attitude de Jésus à l’endroit des règles de pureté et, plus largement, de la Loi. [...] N’y a-t-il pas une profonde cohérence à imaginer que c’est en tant que héraut de l’irruption du Royaume et agent de la manifestation de l’Esprit saint que Jésus a développé une conception de la sainteté qui rayonne et qui se propage ? » (p. 411–412). 115 Cf. Rochester, Good News at Gerasa, 187–90. L’enseignement de Jésus sur le divorce montre l’importance que l’éthique sexuelle joue dans sa compréhension du lien entre la pureté et la moralité (Mc 10.11–12 // Lc 16.18 // Mt 5.32). Cette perspective plonge ses racines dans le Premier Testament (voir Ex 20.17 et Lv 20.2) et avait déjà fait l’objet d’une élaboration par Jean le Baptiseur (cf. Mc 6.18 et parall.). Jean et Jésus incarnent, par leur ascétisme sexuel et leur independance économique, les ideaux de pureté, et donc de sainteté, vénérés à cette époque par le peuple : ainsi Stegemann et Stegemann, The Jesus Movement, 143–44. 116 Cf. Rochester, Good News at Gerasa, 190 ; Grappe, « Prolongement et subversion », 178.
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d’une sainteté conquérante. La pureté rituelle cède ainsi le pas face à une nouvelle manière d’utiliser le langage propre à la pureté et à la sainteté, en établissant de nouvelles frontières fondées, désormais, sur l’adhésion aux enseignements du Maître117. Cette continuité entre Maître et disciples (cf. 3.14 et 6.7) justifie, pour Marc, le fait que l’absence de Jésus après la résurrection n’arrête pas la dynamique de communion qu’il a initiée, car ce dernier demeure présent en tant qu’objet du message et, en tant que tel, activement impliqué pour rendre possible le festin eschatologique au sein de la communauté croyante. Le récit du démoniaque de Gérasa (5.1–20) pointe dans la même direction, car l’expossédé s’élance dans la Décapole en tant que héraut dont le message concerne Jésus. Or, il faut remarquer que le lecteur de Marc n’est pas censé confondre son intégration dans la nouvelle économie (cf. Mc 2.21–22)118 avec l’assimilation à une communauté exclusive, géographiquement ou ethniquement localisée, associée étroitement à un lieu sacré (le Temple), régie par une halakha aboutissant à une séparation du reste de la population par des règles qui assurent que les conditions de pureté requises soient garanties afin de rendre possible la communion avec le Dieu saint. Aussi bien les Pharisiens que les Qumrâniens partagent une compréhension défensive de la pureté et s’efforcent, chaque groupe à sa manière, de créer les conditions nécessaires pour que l’Esprit de Dieu ne déserte pas ses élus. Pour les Pharisiens, il est nécessaire de rester connectés au rituel du Temple, alors que, pour les Qumrâniens, il est fondamental de se cloisonner en intégrant la communauté-temple, la seule entité qui, dans l’attente de la restauration eschatologique, assure la prise en charge des péchés et la purification en vue d’une vie parfaite119. Le Jésus marcien, lui, se 117
Le Jésus marcien revendique une autorité concernant, par exemple, le pardon des péché (Mc 2.10), le sabbat (2.27 ; 3.4) et les rituels de purification (7.5, 15). Les logia qui expliquent sa vision et qui subordonnent la nécessité de se purifier rituellement à l’impératif éthique (3.4 ; cf. 7.20–23) sont toutefois à comprendre toujours dans le contexte de la sainteté conquérante qui caractérise son ministère : Grappe, « Jésus et l’impureté », 412, qui en note 96 renvoie à Gerd Theissen et Annette Merz, Der historische Jesusࣟ : ein Lehrbuch (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1996), 211, où la pureté charismatique et rayonnante des disciples est évoquée, par exemple, en relation à Lc 10.7–9. Cf. Grappe, « Prolongement et subversion », 177. Les premiers chrétiens continuent à recourir à la fonction sociale du vocabulaire associé au concept d’impureté (établissement de barrières), mais le limitant à la dimension éthique et en s’enracinant sur la nouvelle perspective inaugurée par Jésus : voir 1 Co 6.15–20 ; 2 Co 6.14–7.1 ; Ph 2.14–15 ; 1 P 1.2, 13–16 ; 2.9–11. Ainsi DeSilva, An Introduction to the New Testament, 229. 118 Intégration qui découle de son adhésion au Christ et de la nouvelle identité qui lui est attribuée. 119 L’Esprit a élu sa demeure dans la communauté-temple qui est désormais en mesure d’être en communion avec le Sanctuaire céleste (1QS 3.7 ; 9.6) et ainsi d’assumer le rôle de sanctuaire terrestre (1QS 5.4–7 ; 8.4–10 ; 9.3–5 ; 11.8). Les membres de la communauté qui acceptent de vivre selon les règles de son Conseil et qui bénéficient du don de l’Esprit sont
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fait le porteur d’une sainteté qui s’exprime et rayonne même en dehors du territoire d’Israël, de la communauté des premiers disciples et des pratiques rituelles liées au service sacerdotal. Après avoir entendu que son disciple Jean et ses compagnons ont cherché à empêcher un autre individu de chasser les démons au nom de leur Maître, « parce qu’il ne nous suivait pas » (IJȚ Ƞț țȠȜȠșİȚ ਲȝȞ : 9.38), le Jésus marcien refuse de céder à la tentation sectaire et désavoue toute tentative d’établir les frontières visibles du Royaume, cela en privilégiant une dynamique centrifuge dont lui-même, et non pas un groupe d’individus, pas même ses disciples les plus proches, est le seul épicentre (v. 39–40)120. La dimension rituelle (baptême et eucharistie) garde toute son importance, mais elle a changé d’orientation, privilégiant la recherche de contact avec les autres en vue de la proclamation et de l’établissement de nouveaux disciples, car c’est bien par ces moyens que la dynamique de la sainteté contagieuse et triomphante continue de se perpétuer ; il en résulte la « suppression des frontières excluant tous les marginaux et les pécheurs taxés d’impureté », ce qui ouvre également la porte à l’intégration des païens, dans les communautés et les repas communs, indépendamment de leur stricte soumission à la loi mosaïque121. Néanmoins, personne – ni individu, ni groupe – ne peut réclamer l’exclusivité de la démarche. Dans l’épisode de l’exorcisme de Gérasa, l’ex-démoniaque se voit refuser le droit de se mettre à la suite du Jésus pré-pascal pour
désignés en tant que « parfaits » (1QS 4.22 ; 1QM 14.10). Pourtant, il s’agit toujours d’une sainteté partielle, car l’impureté n’est pas totalement déracinée à cause de l’esprit de perversité qui habite le cœur des hommes jusqu’à la fin des temps : voir Grappe, « Jésus et l’impureté », 407–9. 120 La version lucanienne de cet épisode préfère la tournure « parce qu’il ne te suit pas avec nous » (IJȚ Ƞț ਕțȠȜȠȣșİ ȝİșૃ ਲȝȞ : Lc 9.49). À notre avis, Luc saisit l’intention marcienne et la rend encore plus explicite dans sa formulation du logion de Jésus. Tandis que Mc 9.40, en relation à sa théologie de l’assimilation du croyant avec Jésus, lit « car celui qui n’est pas contre nous est pour nous » (Ȣ Ȗȡ Ƞț ıIJȚȞ țĮșૃ ਲȝȞ, ਫ਼ʌȡ ਲȝȞ ਥıIJȚȞ), Lc 9.50 place plutôt l’accent sur le groupe des disciples : « car celui qui n’est pas contre vous est pour vous » (Ȣ Ȗȡ Ƞț ıIJȚȞ țĮșૃ ਫ਼ȝȞ, ਫ਼ʌȡ ਫ਼ȝȞ ਥıIJȚȞ). Ce logion n’a pas été retenu par Matthieu qui, par contre, semble envisager une communauté dont les contours sont bien identifiables et dont la gestion reste entre les mains des responsables (cf. Mt 18.15– 18, propre à Matthieu). 121 La dynamique d’intégration des marginaux est bien visible au sein de l’Église primitive (voir 1 Co 7.14 ; Rm 11.16 ; Lc 10.8–9 ; Tt 1.15 ; Év. Th. 14 ; 1 Clém. 46.2–3), ce qui permettra l’intégration des non-Juifs de manière indépendante de leur soumission aux règles de pureté juives (cf. Mc 7.25) : Grappe, « Jésus et l’impureté », 395–96 ; Berger, « Jesus als Pharisäer », 251 ; Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 178, 180–81 ; Pesch, Das Markusevangelium, 1 : Einleitung und Kommentar zu Kap. 1,1–8,26 : 384 ; Guelich, Mark 1–8:26, 383 ; Hooker, Mark, 181 ; Meier, A Marginal Jew, 1994, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 660 ; Marcus, Mark 1–8, 465–66.
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être chargé à son tour – lui, un païen – d’une mission auprès des siens, en territoire non juif, en amenant avec lui le seul élément nécessaire à la légitimité de son action : un kérygme qui établit un lien direct entre l’action de Dieu et celle de Jésus (5.18–20)122. La suppression progressive des frontières qui s’opère dans la prédication et l’activité (y compris la Passion et la résurrection) de Jésus, à savoir celles entre l’espace sacré et l’espace profane, entre les Juifs et les non-Juifs, entre Dieu et son envoyé crucifié, qui est désormais partie intégrante de la proclamation, a une portée herméneutique importante. Si les textes condamnant les pratiques idolâtres des étrangers continuent d’être exploités dans les jeux d’intertextualité, même les reproches et les promesses du Premier Testament adressés originairement au peuple d’Israël font désormais l’objet, de manière surprenante et originale, d’une relecture universaliste. Une allusion implicite au culte illicite pourrait être repérée dans la description que le narrateur fait des errements du possédé dans les montagnes et les sépulcres. En effet, ils sont caractérisés par ses cris et ses actes autodestructeurs (Mc 5.5). Alors que les hurlements sont indéniablement associés aux entités démoniaques123, « crier et s’infliger soi-même des incisions » (cf. țȡȗȦȞ țĮ țĮIJĮțંʌIJȦȞ ਦĮȣIJંȞ en Mc 5.5) pourrait faire allusion à des rituels étrangers124 de fertilité (Os 7.14). Ceux-ci sont constitués de cris et de lamentations (verbes ʷʲʦ et ʬʬʩ dans le Texte massorétique ; ȕȠȦ et ੑȜȠȜȗȦ dans la LXX), d’incisions sur la peau (ʸʸʢ ; țĮIJĮIJȝȞȦ), ou encore de pratiques liées au deuil (Jr 48.35–39) caractérisées également, entre autres, par des hurlements (ʬʬʩ, v. 39) et des incisions sur les mains (substantif pluriel ʺʣʖ ʣʗ ʍˏ ; la LXX a le verbe țંʌIJȦ : v. 37)125. Le Rouleau du Temple aussi met en garde contre la pratique
122 En y. Ber. 9.1, Rabbi Tanhuma raconte l’histoire d’un bateau rempli de non-Juifs, avec un seul enfant juif à bord. Une tempête s’abat sur le navire et les païens, après avoir constaté l’inutilité de leurs prières, demandent à l’enfant juif d’adresser une supplication à Dieu. Ce dernier écoute le cri de l’enfant et apaise la tempête. L’enseignement retenu est que Dieu est toujours avec ses enfants, où qu’ils aillent, et que cela peut même bénéficier, le cas échéant, aux non-Juifs. Cité par Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 183– 84. 123 Il en est déjà ainsi en Mc 1.23, 26 ; cf. 9.26 ; 4Q510 frag. 1, ligne 5 « esprits…, démons, hurleurs » pourrait être lié à Ésaïe 13.21 LXX : « … et les maisons seront remplies avec des bruits [ਵȤȠȣ]… et des démons [įĮȚȝંȞȚĮ] y danseront ») : Loren T. Stuckenbruck, « The Demonic World of the Dead Sea Scrolls », in Evil and the Devil, éd. par Ida Fröhlich et Erkki Koskenniemi, LNTS 481 (London – New York : Bloomsbury – T. and T. Clark, 2013), 58 ; Alexander, « The Demonology », 343–44. 124 Voir Os 7.8 : « Ephraïm se laisse mélanger aux autres peuples… » (TOB). 125 Pour la pratique de s’inciser le corps dans le contexte de rites funéraires, voir également Lv 19.28 ; Jr 16.6 ; 41.5 ; 47.5 ; Mi 4.14 ; pour les incisions sur le corps en général en tant que pratique étrangère et opposée à l’idée de sainteté, voir Lv 21.5 et Dt 14.1. Rochester, Good News at Gerasa, 127.
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païenne consistant à se taillader le corps et à s’inciser la chair pour honorer les morts (11QT 48.8–10). De manière intrigante, le lecteur historique de Marc qui est familier avec le récit du sacrifice d’Élie au mont Carmel (1 R 18.20–40) pourra également établir quelques correspondances logiques avec l’exorcisme du Gérasénien. Même si les verbes employés par la LXX ne sont pas les mêmes que ceux qui sont utilisés dans le récit marcien, les prophètes de Baal aussi crient (1 R 18.27–28 : ਥʌȚțĮȜȦ) et se font des incisions (v. 28 : țĮIJĮIJȝȞȦ). Qui plus est, il s’agit dans les deux cas d’un récit de révélation (cf. 1 R 18.21, 24, 39 et Mc 4.41) qui aboutit à l’intervention du véritable héraut de YHWH126. Dans l’ordalie du mont Carmel, le péché et l’impureté sont extirpés en écartant ce qui constitue le problème de fond, à savoir le culte de Baal. Les prophètes de Baal étant associés à son culte, c’est par leur mise à mort qu’Israël pourra permettre à Dieu de revenir dans son Temple et de résider au milieu de son peuple. Dans cette perspective, le massacre des prophètes de Baal n’est ni un acte de vengeance, ni un sacrifice apaisant, ni un châtiment. Il est plutôt à comprendre en tant que « nécessaire moyen pour permettre le retour à la normale », c’est-à-dire le retour de la pluie (1 R 18.41–46)127. Élie, après avoir été désigné comme le « serviteur » agréé de Dieu par l’accomplissement de sa prière (1 R 18.36–38), opère la purification du lieu en faisant égorger ses adversaires (v. 40). Compte tenu de cet arrière-plan littéraire et idéologique, le lecteur de Marc ne manquera pas de remarquer que, si la dynamique de purification par l’élimination des purgamenta est à l’œuvre aussi bien dans le récit d’Élie que dans celui de l’exorcisme du Gérasénien, elle assume des contours sensiblement différents. Dans le récit de Marc 5.1–20, Jésus, dont l’identité est un des enjeux majeurs du texte, opère directement en tant que ȣੂંȢ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ (5.7). Tout en reconnaissant que c’est l’action de Dieu qui se déploie par ses actes (v. 19), il y est intimement associé au point d’être assimilé au Seigneur (v. 20). Son œuvre de purification s’étend également à un territoire et à un être humain non juifs, qu’il purifie en supprimant ce qui est impur afin que la miséricorde de Dieu y soit manifestée et annoncée. En continuité avec l’idée d’une purification par éradication telle qu’on la trouve dans 1 Rois 18, elle s’opère néanmoins non pas par la suppression de ceux qui pourraient être associés au culte idolâtre (le Gérasénien, en l’occurrence), mais de ce qui est à l’origine de l’impureté morale et rituelle. Le conflit entre Dieu et son opposant
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Gagné, « De l’intentio operis à l’intentio lectoris », 226–27. Christian Grappe et Alfred Marx, Sacrifices scandaleuxࣟ? Sacrifices humains, martyrs et mort du Christ, EssBib 42 (Genéve : Labor et Fides, 2008), chap. 4 : « Le sacrifice d’Elie au mont Carmel (1 Rois 18,16–46) », p. 57–70, ici p. 68. 127
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est élevé à sa dimension métaphysique et cosmologique, avec des répercussions au niveau anthropologique et social128. Deux autres textes vétérotestamentaires adressés à Israël retiendront encore notre attention : d’une part, le reproche que Dieu adresse par l’entremise du prophète Ésaïe à ceux qui, au sein de son peuple, brûlent de l’encens aux démons (Es 65.3 : IJȠȢ įĮȚȝȠȞȠȚȢ), dorment dans les sépulcres (v. 4 : ਥȞ IJȠȢ ȝȞȝĮıȚȞ), mangent de la viande de porc (țȡĮ İȚĮ), dans un contexte d’idolâtrie et de provocation (cf. v. 1) ; d’autre part, la description des Israélites, patrimoine épuisé de Dieu (Ps 67.10 LXX), ayant des chaînes aux pieds (v. 7 : ʌİʌİįȘȝȞȠȣȢ) et habitant dans des tombeaux (IJȠઃȢ țĮIJȠȚțȠ૨ȞIJĮȢ ਥȞ IJijȠȚȢ). Ces textes pourraient connoter dramatiquement l’état dans lequel se trouve un nonJuif de Gérasa129. Positivement, ces textes véhiculent aussi une promesse de rétablissement suite à l’intervention directe de Dieu au sein et en faveur de son peuple130. La promesse d’enfin pouvoir habiter à nouveau des maisons (Es 65.21 et Ps 67.7 LXX) s’accomplit à l’égard d’un païen lorsque Jésus l’invite, après sa délivrance, à aller dans sa demeure pour retrouver les siens (Mc 5.19). L’avènement de Jésus en territoire étranger et sa victoire contre les forces associées aux tombeaux et à la mort sont compris en tant qu’expression immanente de la promesse du Dieu qui, en se frayant un chemin (Ps 67.5 LXX), sauve du șȞĮIJȠȢ (Ps 67.21 LXX). Selon la rhétorique de la pureté dans l’évangile de Marc, la sainteté triomphante et conquérante de Jésus ouvre la voie à 128
Cf. David M. Rhoads, « Social Criticism : Crossing Boundaries », in Mark and Methodࣟ: New Approaches in Biblical Studies, éd. par Janice C. Anderson et Stephen D. Moore, 2 éd., 1e éd. 1992 (Minneapolis : Fortress Press, 2008), 168–70, où il est question des niveaux cosmologique, social et corporel. 129 Cf. également le ਥʌ IJȞ ੑȡȦȞ d’Es 65.7 avec le ਥȞ IJȠȢ ȡİıȚȞ de Mc 5.5. Que le récit de Mc 5.1–20 contienne des références midrashiques à Es 65.3–7 LXX et au Ps 67.7 LXX, et que ces références, tout en reconnaissant une certaine autonomie littéraire de Marc, induisent le lecteur à recevoir le texte en tant que polémique à l’égard de l’idolatrie, est accepté par plusieurs exegetes, dont Rochester, Good News at Gerasa, 131–32 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 202 ; Fernando Camacho et Juan Mateos, El evangelio de Marcosࣟ : análisis lingüístico y comentario exegético, vol. 1 : Mc 1,1–6,6, OrCr 4 (Cordoba : Almendro, 1993), 434 ; France, Mark, 227. Derrett propose aussi une autre piste intertextuelle pour Mc 5.1–20 : Ex 14–15 (le peuple Juif qui, avant de traverser la mer Rouge, campe devant la mer [14.1] ; le texte fait références aux tombeaux en Égypte [14.11] ; les Égyptiens sont ensuite noyés dans la mer [v. 28] et le peuple met sa foi dans le Seigneur et en son serviteur [v. 31]). Cet épisode est rappelé par Flavius Josèphe, A.J. 3.320–344, qui le met en relation avec Ps 77.16–20 et place le peuple sur une montagne, au bord d’un précipice. Philon, lui, pense plutôt à une colline (Mos. 1.169) et met en exergue le désespoir des Israélites qui aurait pu les pousser à envisager le suicide par noyade (Mos. 2.249). Derrett, « Contributions ». 130 Derrett, « Legend and Event », 64 ; Rochester, Good News at Gerasa, 132. Ce dernier renvoie au travail de Stephen P. Ahearne-Kroll, The Psalms of Lament in Mark’s Passion : Jesus’ Davidic Suffering, SNTSMS 142 (Cambridge : Cambridge University Press, 2007), qui montre de quelle manière les Psaumes jouent un rôle important dans la composition du texte marcien : par ex. cf. Mc 1.11 et Ps 2.7 ; Mc 4.35–41 et Ps 46.1–3 ; Mc 4.39 et Ps 18.16.
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Chapitre 4 : Le rapport à l’impureté
l’inclusion des non-Juifs dans l’horizon des oracles divins avec à la fois un dépassement des normes de pureté cultuelle et une compréhension universaliste des destinataires des promesses des Écritures. Les notions d’irruption du Royaume en territoire étranger et d’universalisme seront développées davantage dans le chapitre suivant, où il sera question d’étudier la dimension socio-politique du récit de l’exorcisme de Gérasa.
Chapitre 5
Jésus, le vainqueur rejeté et le conquérant absent : la dimension socio-politique du récit de Gérasa 5.1 L’apport de la lecture anti-impérialiste de l’exorcisme de Gérasa L’apport de la lecture anti-impérialiste
John F. Craghan situe au début du vingtième siècle l’entrée en scène de la lecture socio-politique, notamment dans une perspective anti-impérialiste, de la péricope du démoniaque de Gérasa/Gadara. C’est en effet en 1920 que Mary M. Baird publie un court article dans lequel elle interprète la possession démoniaque en tant que métaphore de l’angoisse que l’habitant éprouve face aux légions romaines1. Depuis, plusieurs commentateurs ont approché et interprété le texte en tant que composition critique vis-à-vis de l’Empire et de son idéologie politique. Il s’agit d’une lecture qui veut tenir compte de la relation sociopolitique tendue entre Rome (et ses suppôts) en tant que dominateur, d’un côté, et les Juifs et les (judéo-) chrétiens en tant qu’assujettis, de l’autre. En l’an 49, les Juifs (parmi lesquels les chrétiens) font l’objet d’un édit d’éviction de l’empereur Claude qui en oblige certains à quitter la capitale pour cause de trouble à l’ordre public2. Par la suite, Néron, son successeur, révoque l’édit en 54, mais, dix ans plus tard, il fait preuve d’une grande cruauté à l’égard des chrétiens de Rome, même si la raison n’est pas à chercher dans le registre
1 Craghan, « The Gerasene Demoniac », 522 ; Mary M. Baird, « The Gadarene Demoniac », ExpTim, no 31 (1920) : 189. 2 Suétone, Claud. 25.4, mentionne un certain Chrestus qui aurait provoqué les dissensions, au sein des Juifs de Rome, à l’origine de l’édit de l’empereur. Priscilla et Aquila, en tant que « propagandistes messianiques », ont été containts de quitter la capitale à cette époque (Ac 18.2). Paul Orose (Adv. pag. 7.6.15–16) date l’expulsion de la neuvième année du gouvernement de Claude, donc en 49. Il ne s’agit pas d’une persécution des Juifs en tant que tels pour des questions idéologiques, mais d’une mesure visant à préserver l’ordre dans la ville. Selon Dion Cassius, Hist. 60.6.6, les Juifs de Rome, déjà au début des années quarante, « had again increased so greatly that by reason of their multitude it woud have been hard without raising a tumult to bar them from the city ». Claude alors « did not drive them out, but ordered them, while continuing their traditional mode of life, not to hold meetings ». La traduction est celle d’Earnest Cary, trad., Dio’s Roman History. Books 56–60, LCL 175 (London – Cambridge : William Heinemann LTD – Harvard University Press, 1961), 383. Voir Stegemann et Stegemann, The Jesus Movement, 318.
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Chapitre 5 : Jésus, le vainqueur rejeté et le conquérant absent
religieux3. En Palestine, le pouvoir de l’Empire s’exerce, entre autres, par les taxes (cf. Mc 12.13–17) et l’imposition de gouverneurs étrangers, tels que Hérode (cf. 6.14–29) et Pilate (cf. 15.1–15) : une oppression que le Jésus marcien ne manquera pas de dénoncer (10.42 ; 13.9). Mais ces considérations ne sont que le point de départ d’une tradition interprétative qui se développe et qui élabore ses arguments dont nous donnons à présent une synthèse personnelle. 5.1.1 Les arguments en faveur de la teneur anti-romaine marquée de Marc 5.1–20 Le premier argument en faveur d’une telle lecture peut se résumer ainsi : la Galilée et les régions environnantes habitées par les Juifs se sont distinguées par leur opposition à l’assujettissement auquel les pouvoirs étrangers, et notamment Rome, les avaient contraintes. La possession par Légion et sa défaite par le pouvoir de Jésus sont donc interprétées en tant que critique de la colonisation romaine et comme promesse de libération. Du point de vue des croyances et des rituels religieux, les Galiléens adhèrent pleinement à l’identité juive telle qu’elle est comprise et vécue en Judée4. Ils intègrent dans l’horizon de leurs attentes l’espoir commun de l’avènement d’un libérateur eschatologique qui détruirait les Romains, rétablirait le royaume et le shalom d’Israël, et règnerait en tant que roi juste et sage5. Plusieurs épisodes d’insurrection, déjà avant la Première Révolte juive, montrent que la Galilée était un foyer actif de sentiments et d’actions indépendantistes souvent reliés à des prétentions de type messianique. Hérode le Grand gagne la confiance du gouverneur romain de Syrie et s’attire les foudres du grand prêtre Hyrcan II en exécutant Ézéchias, un redoutable et influent insurgé galiléen (47 avant notre ère). Suite à la mort d’Hérode le Grand en l’année 4 avant notre ère, le gouverneur romain de Syrie, Publius Quinctilius Varus († 9 après Jésus-Christ), s’active pour étouffer plusieurs mouvements visant à renverser Hérode Archélaos, fils d’Hérode le Grand.
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Stegemann et Stegemann, The Jesus Movement, 317, renvoient à Tertullien, Nat. 1.7. Voir la contribution de Mordechai Aviam, « People, Land, Economy, and Belief in First-Century Galilee and Its Originsௗ: A Comprehensive Archaeological Synthesis », in The Galilean Economy in the Time of Jesus, éd. par David A. Fiensy et Ralph K. Hawkins, ECLit 11 (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2013), 5–48, pour qui le nombre de miqvoth (bassins pour le bain rituel) et de contenants en grès pour éviter l’impureté, ainsi que les pratiques funéraires habituelles et même l’importation d’huile pour lampe directement de Jésuralem prouvent que les Galiléens de l’époque pratiquaient un judaïsme similaire à celui de leur compatriotes méridionaux. 5 Collins, Mark. A Commentary, 54–55, renvoie à 4Q285 frag. 6+4 ; 1QSb 5.20–29, où on établit l’équivalence entre le Prince de la congrégation et le messie davidique ; Ps. Sal. 17.21–25, 32, où le fils de David régnera après avoir détruit les ennemis du peuple élu. 4
L’apport de la lecture anti-impérialiste
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Ainsi, le fils d’Ézéchias, Judas le Galiléen6, dont le quartier général se situe à Sepphoris, trouve la mort après avoir mené une insurrection en réaction au manque d’intelligence politique d’Archélaos (Flavius Josèphe, B.J. 2.8–13), insurrection qui s’oppose au paiement des impôts à Rome (cf. Lc 2.2 ; Ac 5.37 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.204–207 ; 2.117–118 ; 2.433–440 ; A.J. 17.271–272 ; 18.1–2 ; 19.360–366). Le même sort attend Simon bar Joseph (appelé aussi Joseph de Pérée), un esclave d’Hérode le Grand qui, suite à la mort de ce dernier, orne sa tête d’un diadème et brûle le palais royal de Jéricho (B.J. 2.57– 59 ; A.J. 17.273–277 ; Tacite, Hist. 5.9.5–6). Flavius Josèphe mentionne également Athrongès, un berger, dont la rébellion s’étend sur probablement deux années et qui se distingue par sa cruauté à l’égard des Romains, certes, mais aussi envers les Juifs qui se montrent fidèles à la maison d’Hérode (B.J. 2.60– 65 ; A.J. 17.278–284)7. La Première Révolte juive confirme et, par endroits, radicalise le sentiment anti-romain. Alors que Flavius Josèphe précise que la guerre éclate d’abord en Judée, notamment à Césarée maritime et à Jérusalem (B.J. 2.284–293, 408– 410)8, au moins deux chefs influents de la révolte peuvent se vanter de leur
6 Martin Hengel, Die Zeloten : Untersuchungen zur jüdischen Freiheitsbewegung in der Zeit von Herodes I. bis 70 n. Chr, AGSU 1 (Leiden – Köln : Brill, 1961), 56–59, considère la Galilée comme le pays d’origine du mouvement zélote. Il est suivi par Géza Vermes, Jesus the Jew : A Historian’s Reading of the Gospels (London : Collins, 1973) ; les deux se fondent sur des informations données par Flavius Josèphe. Ce dernier voit la genèse du mouvement de révolte dans l’action de Jean de Gischala (B.J. 4.558), mouvement qui se développe aisément en Galilée, un territoire à l’esprit rebelle (B.J. 3.41–42) et berceau de la « quatrième philosophie » (mouvement zélote : B.J. 2.118). De son côté, James S. McLaren, « Searching for Rome and Imperial Cult in Galilee : Reassessing Galilee-Roma Relations (63 B.C.E. to 70 C.E.) », in Rome and Religion : A Cross-Disciplinary Dialogue on the Imperial Cult, éd. par Jeffrey Brodd et Jonathan L. Reed, WGRWSup 5 (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2011), 114–15, travaillant sur les données de Richard A. Horsley, « The Zealotsௗ : Their Origin, Relationships and Importance in the Jewish Revolt », NovT 28, no 2 (1986) : 159– 92, considère que le témoignage de Flavius Josèphe est biaisé par ses tentatives de détourner la colère romaine de la Judée et de la canaliser vers la Galilée en associant à ce territoire l’idéologie anti-impérialiste. 7 Informations historiques tirées de Collins, Mark. A Commentary, 55–57. Theissen, « Jésus et la crise sociale de son temps », 147–48, mentionne aussi la « guerre des brigands » de 4 avant Jésus-Christ, une insurrection armée contre les Romains mais étouffée par les légions, et le refus de paiement des impôts (cf. Ac 5.37) de 6 après Jésus-Christ, motivé plutôt par une idéologique théocratique. Voir aussi Collins, Mark. A Commentary, 55–57. 8 McLaren souligne que même pour Flavius Josèphe la guerre éclate d’abord en Judée, et non pas en Galilée (B.J. 2.284–292 : Césarée maritime ; B.J. 2.293 : Florus à Jerusalem ; B.J. 2.408–410 : cessation des sacrifices offerts en faveur de la prospérité de Rome et de l’empereur). McLaren, « Searching for Rome », 118, note 20.
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origine galiléenne : Menahem (B.J. 2.433–450), probablement petit-fils ou neveu de Judas le Galiléen, et Jean de Gishala (livres 2–6)9. De son côté, Vespasien décide de ne pas se précipiter sur Jérusalem. En excellent stratège, il préfère y arriver par le nord, en s’assurant d’avoir toujours accès aux ravitaillements nécessaires et à une échappatoire en cas de situation critique. Comme on peut s’y attendre, plusieurs villes galiléennes tentent de résister à la descente des légions romaines : c’est notamment le cas de Gabara, Japha, Gischala, Jotapa, Tarichaeae (voir B.J. 3.110–114, 132–134, 141–288, 289–306, 462–502 ; 4.54–61, 84–120). Flavius Josèphe affirme avoir eu sous sa propre responsabilité Gamla, ville de la Gaulanitide, située au nord-est du lac de Tibériade (B.J. 2.568)10. Il faut néanmoins remarquer que certaines villes se montrent hésitantes quant à leur positionnement vis-à-vis de Vespasien : Sepphoris ne s’engage pas ; Tibériade ainsi que Gischala et Tarichaeae abritent également des Juifs loyalistes qui se rangent du côté des Romains (cf. B.J. 4.84–120 ; 3.462–502)11. Ces éléments montrent que les tentatives intéressées de Flavius Josèphe de mettre en évidence le bellicisme de la Galilée – afin d’amoindrir l’hostilité de l’opinion publique romaine à l’égard de la Judée et de Jérusalem12 – sont confirmées par les sources littéraires et par l’archéologie : la Galilée s’est effectivement engagée dans la guerre par le moyen de fortifications et de la résistance armée (sous la gouvernance du même Flavius Josèphe !)13. La prise en compte de la situation politique a poussé certains exégètes à interpréter l’exorcisme de Gérasa en lien direct avec la frustration et l’aversion que les habitants de ces territoires ressentaient face à l’impérieuse et irréfragable domination romaine qui les amenait au seuil de l’aliénation14. 9
Flavius Josèphe, B.J. 4.121–127 et 5.250–254, informe que Jean de Gischala et ses partisans, après la soumission de la Galilée, se rendent à Jérusalem pour apporter leur contribution aux attaques contre les Romains. McLaren, 118. 10 Gamla semble avoir adhéré à la résistance anti-romaine car on y a retrouvé des pièces en bronze qui sont les copies des pièces en argent émises à Jérusalem pendant la révolte : Danny Syon, « The Coins from Gamala : An Interim Report », INJ 12 (93 1992) : 8–13 ; 34– 55, cité par McLaren, « Searching for Rome », 117–18. 11 McLaren, « Searching for Rome », 116–17, note 14. Dormandy, « The Expulsion of Legion », 335, cite Flavius Josèphe, B.J. 1.104 (cf. 1.155–157, 396) selon lequel les Juifs pro-romains sont tués par leurs propres compatriotes. 12 McLaren, « Searching for Rome », 115, en renvoyant notamment à Sean Freyne, « The Galileans in the Light of Josephus’ Vita », in Galilee and Gospel : Collected Essays, éd. par Sean Freyne, WUNT 125 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2000), 27–44. 13 Aviam, « People, Land, Economy », 31. 14 Pour Dormandy, « The Expulsion of Legion », 336, Mc 5.3–4 montre la frustration provoquée par les pouvoirs politiques oppressifs. Même la révolte maccabéenne, à son sens, « finally degenerated into sordid strife. The sense of defeatism is overwhelming ». Les blessures que le démoniaque s’inflige avec les pierres sont mises en relation avec le suicide collectif de Masada, symbole d’une occupation qui rend autodestructeurs les assujettis. Voir
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Nous signalons toutefois ici le travail récent de James S. McLaren qui remet partiellement en question cette conclusion. À son avis, la situation judéenne était plus critique que celle galiléenne car, depuis l’année 6 de notre ère, Jérusalem était sous taxation romaine directe (Flavius Josèphe, B.J. 2.117 ; A.J. 17.355 ; 18.1–2) et les troupes romaines qui y étaient installées en permanence (B.J. 5.244 ; A.J. 19.365–366) contrôlaient jusqu’aux vêtements sacrés du grand prêtre (A.J. 18.90–95). Cela impliquerait que la Galilée ait participé à la révolte à cause d’une motivation non pas économico-politique (présence romaine perçue comme écrasante et insoutenable), mais plutôt religieuse, à savoir l’aversion à l’intolérable prétention de Rome de prendre possession de la Ville sainte et du Temple – auxquels les Galiléens étaient très attachés (B.J. 2.232– 240 ; A.J. 20.118–124) –, propriétés du Dieu d’Israël15. Le deuxième argument est le suivant : il est tout à fait significatif que le récit de Marc 5.1–20 propose précisément comme cadre la ville de Gérasa. Cette localité, lieu d’origine du chef juif anti-romain Simon bar Giora († 70), a payé un lourd tribut suite à sa décision de s’opposer à Vespasien. Alors qu’en 66 Gérasa semble s’afficher encore dévouée à la maison impériale16, en 68 Lucius Annus est mandaté par le général et futur empereur pour prendre la ville désormais en révolte : il en résulte la mort de mille jeunes Géraséniens, la captivité de femmes et d’enfants, ainsi que la destruction par le feu de ses bâtiments (B.J. 4.486–490). Ainsi, d’un côté, l’énorme quantité de cochons du récit marcien pourrait faire allusion aux besoins démesurés de nourriture liés au ravitaillement des troupes romaines17 ; de l’autre, la peur des habitants suite à l’expulsion de Légion par Jésus évoquerait l’angoisse face aux rétorsions des soldats de Vespasien18. Le troisième argument est d’ordre socio-économique: le lecteur historique du récit de Marc 5.1–20, profondément accablé par la stagnation économique,
aussi John D. Crossan, Jesus : A Revolutionary Biography (San Francisco : Harper Collins, 1994), 84–95 ; Theissen, « Jésus et la crise sociale de son temps », 147–48. 15 McLaren, « Searching for Rome », 126–31, notamment 127–128. 16 Robert O. Fink, « Jerash in the First Century A.D. », JRS 23 (1933) : 118, convoque un document épigraphique de l’année 66 : « for the peace of the imperial house » (H. Lucas, « Repertorium der griechischen Inschriften au Gerasa », in Mittheilungen und Nachrichten des deutschen Palästina-Vereins, tome VII, 1901, p. 49–82, n. 70). 17 Wolmarans, « Who Asked Jesus » ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 104. 18 Dormandy, « The Expulsion of Legion », 336 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 203 ; Boring, Mark, 150. Gabriella Gelardini, Christus Militans. Studien zur politisch-militärischen Semantik im Markusevangelium vor dem Hintergrund des ersten jüdischrömischen Krieges, NovTsup 165 (Leiden – Boston : Brill, 2016), 877, rappelle que, à la différence des autres villes de la province de Syrie (Flavius Josèphe, B.J. 2.457 ; 7.361–363 ; 2.559–561 ; 7.368 ; 2.466–468 ; 7.364–366), la ville de Gérasa ne persécuta pas les Juifs pendant la Révolte (B.J. 2.461–465, 477–480 ; 7.367).
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par le caractère insoutenable du poids fiscal imposé par les Romains (par l’entremise de la politique hérodienne19) et par des taux de morbidité et de mortalité élevés, aurait tout naturellement greffé ses aspirations de renouveau et d’affranchissement sur l’annonce métaphorique de la délivrance d’une situation de désespoir mortel par la mise en déroute de Légion, emblème de la Rome impériale. Les tenants de cet argument s’appuient sur des lectures de la situation socioéconomique palestinienne (et galiléenne en particulier) au cours du premier siècle, qui la définissent comme étant critique. La Pax Romana n’avait pas apporté la prospérité et l’amélioration des conditions de vie promises. Au contraire, l’exploitation acharnée des ressources du territoire s’exerçait par le biais de la politique urbaine d’Hérode Antipas. Ce dernier, face au manque d’infrastructures de transport technologiquement adéquates et en vue d’une évolution vers une économie monétaire à plus large échelle, refonda Sepphoris en l’année 4 avant notre ère, en l’appelant Autocratoris (cf. Flavius Josèphe, A.J. 18.27), et fonda Tibériade (21 av. notre ère). Les exigences de ces centres administratifs et d’échanges commerciaux auraient eu un effet néfaste sur les conditions socio-économiques des populations rurales, en exacerbant les tensions entre les habitants des villes et les paysans. Qui plus est, le taux de mortalité était plutôt élevé à cette époque, ce qui était imputable, inter alia, à l’exposition des habitants aux zones malariques présentes en basse Galilée et le long des rives du lac de Tibériade20. Replacé dans le contexte socio-économique ainsi reconstitué de la Galilée du premier siècle, l’affrontement entre Jésus et Légion dans Marc 5.1–20 assumerait les contours d’une critique contre les politiques impérialistes d’exploitation, la demande des démons d’entrer dans les cochons étant comprise comme une métaphore de l’hégémonie que
19 Au niveau administratif, les Romains imposent à la Galilée la famille des Hérodiens : Hérode est d’abord gouverneur (Flavius Josèphe, B.J. 1.203 ; A.J. 14.158) ; ensuite roi (B.J. 1.282–293 ; A.J. 14.385) ; Antipas II lui succède avec le titre de tétrarque (B.J. 1.668 ; A.J. 17.318) ; Agrippa I en tant que roi (B.J. 2.125 ; A.J. 18.252), tout comme Agrippa II (B.J. 2.252 ; A.J. 20.159). À la mort d’Agrippa I, en 44, la Galilée est soumise par Rome à la taxation directe (A.J. 19.360–363), mais Néron, en investissant Agrippa II, revient au modèle administratif précédent. Le contrôle exercé par l’Empire sur les institutions galiléennes est remis en question par la population, sans succès, déjà lors de l’élection d’Hérode (B.J. 1.208– 209, 303, 314–316 ; 2.56 ; A.J. 14.163–176, 420–433 ; 15.271–272). Ainsi McLaren, « Searching for Rome », 120–21. 20 Richard A. Horsley, Galilee. History, Politics, People (Valley Forge : Trinity Press International, 1995), 149–55 ; Theissen, « Jésus et la crise sociale de son temps » ; Dormandy, « The Expulsion of Legion », 335 ; William E. Arnal, Jesus and the Village Scribesࣟ : Galilean Conflicts and the Setting of Q (Minneapolis : Fortress Press, 2001), 97–156 ; Jonathan L. Reed, « Instability in Jesus’ Galileeௗ : A Demographic Perspective », JBL 129, no 2 (2010) : 343–65 ; Douglas E. Oakman, The Political Aims of Jesus (Minneapolis : Fortress Press, 2012).
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Rome désirait exercer sur la production et le système économique des territoires assujettis21. Pour cet argument aussi, il n’est pas inutile de signaler une nouvelle vague de recherches qui remettent en question le modèle susmentionné et qui, a contrario, attribuent à la Galilée d’Hérode Antipas une situation sociale et économique plus stable que celle de la Judée22. Alors que Morten Hørning Jensen considère que la (re)fondation de Sepphoris et de Tibériade et la gouvernance d’Antipas n’ont pas eu d’impact majeur sur la situation socio-économique de son territoire, d’autres savants plaident en faveur d’un renversement de l’idée reçue d’une Galilée essentiellement rurale, pauvre et en crise. Douglas R. Edwards, James F. Strange, Sharon L. Mattila, C. Thomas McCollough et Mordechai Aviam, entre autres, interprètent les données archéologiques et littéraires en arrivant aux conclusions suivantes : même des villages comme Capharnaüm, Khirbet Qana (Cana), Yodéfat et Gamla jouissaient d’un dynamisme économique et d’une certaine opulence comparable, mutatis mutandis, à ceux de Césarée maritime et de Jérusalem ; la politique urbaine d’Antipas a eu le mérite de « fournir des emplois, stimuler le commerce et, en général, augmenter le niveau de prospérité » ; il n’est plus possible d’imaginer le Galiléen typique en tant que « paysan affamé »23. 21 Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 148–49, suggère que le souhait des démons d’entrer dans les cochons fait écho à la volonté de Rome de contrôler la production et l’économie de la région (il renvoie à Tacite, Ann. 4.72), mais également le monde sauvage qui, lui aussi, est subjugué par la Pax et l’Ordo romains (cf. Martial, Spect. 17, où un bestarius appelé Méléagre tue un sanglier, un ours, un lion et des léopards pour exemplifier le contrôle de Rome sur la nature). Cf. Focant, L’Évangile selon Marc, 203. 22 Voir Mark A. Chancey, « Disputed Issues in the Study of Cities, Villages, and Economy in Jesus’ Galilee », in The World of Jesus and the Early Church. Identity and Interpretation in Early Communities of Faith, éd. par Craig A. Evans (Peabody : Hendrickson, 2011), 53–67. 23 Aviam, « People, Land, Economy », 20–29. Pour Jensen Morten Hørning, « Rural Galilee and Rapid Changes : An Investigation of the Socio-Economic Dynamics and Developments in Roman Galilee », Bib 93, no 1 (2012) : 43–67, la gouvernance d’Antipas n’a eu qu’un impact négligeable sur l’économie galiléenne. Sharon L. Mattila, « Revisiting Jesus’ Capernaum : A Village of Only Subsistence-Level Fishers and Farmersௗ? », in The Galilean Economy in the Time of Jesus, éd. par David A. Fiensy et Ralph K. Hawkins, ECLit 11 (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2013), 75–138, affirme que les maisons du quartier residentiel de Capharnaum sont comparables, pour ce qui concerne leur décoration, à celles de la ville égyptienne de Karanis, impliquant que la ville galiléenne était habitée aussi par des personnes aisées. Pour C. Thomas McCollough, « City and Village in Lower Galilee : The Import of the Archeological Excavations at Sepphoris and Khirbet Qana (Cana) for Framing the Economic Context of Jesus », in The Galilean Economy in the Time of Jesus, éd. par David A. Fiensy et Ralph K. Hawkins, ECLit 11 (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2013), 49–74, l’économie villageoise galiléenne était stable et même vigoureuse et il propose de ne pas réduire Khirbet Qana (Cana) à un village rural en raison de son activité économique (commerciale et artisanale) plutôt développée.
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Le quatrième argument en faveur d’une lecture anti-impérialiste de l’exorcisme de Gérasa est la volonté, attribuée à Marc, de stigmatiser le culte de l’empereur et/ou la propagande impérialiste en faveur de la vénération de Jésus en tant que Kurios. Tite-Live († 17) rapporte la légende de l’enlèvement de Romulus : Soudain, dans un grand fracas de coups de tonnerre, un orage éclata qui enveloppa le roi d’une nuée si épaisse que la foule ne le vit plus, et Romulus disparut à jamais de cette terre. La frayeur des jeunes Romains ne s’apaisa que lorsqu’à ce ciel si perturbé succéda le calme d’une lumière sereine. Ils virent alors le trône vide. Quand les sénateurs, qui étaient installés auprès de Romulus, leur dirent qu’il avait été attiré dans les airs [...] (Ad Urbe condita 1.16.1–2)24.
Selon Segal, il s’agit du mythe de référence pour l’élaboration de la croyance en l’apothéose de César, d’Auguste et des empereurs successifs, quoique, déjà à l’époque de Claude, la divinisation des souverains romains faisait l’objet d’une relecture satirique25. Fameuse est la parodie que Sénèque, en 54, propose du mot apothéose et qui donne son titre à son ouvrage satirique : ਕʌȠțȠȜȠțȪȞșȦıȚȢ, à savoir, la transformation en calebasse (de l’empereur Claude). Claude y est décrit montant au ciel en claudiquant (non passibus aequis)26, un problème dont il souffrait et que même la mort n’est pas arrivée à effacer. Qui plus est, le divin Auguste lui-même y affirme : [...] depuis que j’ai été nommé dieu, je n’ai pas dit un mot. Je me borne à m’occuper de mes affaires. […] Est-ce pour cela que “j’ai engendré la paix sur terre et sur mer ? […] je ne sais plus quoi dire ; aucun mot n’est à la hauteur de mon indignation. […] “Ce pouvoir me fait honte (1.10.1–2)27.
En dépit de cette réticence élitiste, la propagande impérialiste qui s’appuie sur la vénération de César, d’Auguste surtout, mais aussi de Tibère et de Néron, arrive jusqu’aux provinces28. La suprématie romaine y devient ainsi une réalité
24 Nous empruntons ici la traduction de Danielle De Clercq (2001) pour la Bibliotheca Classica Selecta, dirigée depuis 2015 par Paul-Augustin Deproost (Université catholique de Louvain), disponible sur http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIVIUS1/Liv2.htm, site consulté le 25 juin 2017. 25 Alan F. Segal, « Heavenly Ascent in Hellenistic Judaism, Early Christianity and their Environment », ANRW II 23, no 2 (1980) : 1347. 26 Sénèque, Apol. 1.2. 27 Traduction en français par Michel Dubuisson (Université de Liège, Belgique) pour la Bibliotheca Classica Selecta, disponible sur http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Apo/apoco1.html, site consulté le 25 juin 2017. 28 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 40–41, cite plusieurs inscriptions : le décret pour l’introduction du calendrier julien dans la province d'Asie (Priène, vers 9 av. J.-C.) ; CIL XII 4333 (Narbo, Gaule, 12–13 après Jésus-Christ) ; une pièce frappée lors de l’accession de Claude en 41 (Small. 98 = Braund 209) sur laquelle est gravé « espérance augustéenne ». Auguste est celui qui a apporté le bonheur (cf. Suétone, Aug. 2.98.2), et Néron est la source de toute
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quotidienne exprimée non pas seulement par le déploiement du pouvoir politique et par les taxations, mais également par les cultes, les arts et la littérature29. Dans ce contexte, les chrétiens qui se soustraient aux pratiques idolâtres et qui, par conséquent, se marginalisent au niveau social, commercial, politique et religieux, sont stigmatisés et accusés d’être une menace pour la stabilité sociétale et pour les valeurs traditionnelles, comme le montrent les écrits de Paul et, plus tard, de Pline le Jeune († entre 113 et 115) et de Tacite († 120 ca)30. En Galilée, la suprématie romaine ne s’exerce pas par l’érection de statues ou de temples païens, par le culte de l’empereur ou par l’obligation d’offrir des offrandes rituelles à la déesse Roma. Toutefois, la prérogative impériale de choisir à la fois les dirigeants politiques et les dirigeants religieux, la mise en circulation de pièces de monnaie portant des effigies romaines, ainsi que la fondation (ou le changement de nom) de villes en l’honneur de personnages appartenant aux familles impériales, sont perçues, surtout par le peuple, comme équivalentes à un culte à l’oppresseur et à ses divinités. La participation active des Galiléens à la Première Révolte juive pourrait s’expliquer par une volonté de se libérer de ce joug politico-religieux31. Quoi de plus naturel pour Marc que de critiquer la Pax Romana, obtenue par la soumission forcée et violente au pouvoir militaire et au culte de l’Empire s’imposant aussi grâce à la propagande impériale ? Cette propagande qui affiche la figure de l’empereur en tant
bonne chose (P. Oxy. 1021.5–13, daté du 17 nov 54, année de l’accession de Néron à la fonction impériale). 29 Bolt, 39, en s’appuyant sur Simon R. F. Price, Rituals and Power : The Roman Imperial Cult in Asia Minor (New York : Cambridge University Press, 1984), 248, et plus largement sur le travail Joseph D. Fantin, Lord of the Entire World. Lord Jesus, a Challenge to Lord Caesarࣟ?, NTM 31 (Sheffield : Sheffield Phoenix, 2011), renvoie à des textes pauliniens (1 Co 8.5–6 ; 12.3 ; Rm 10.9 ; Ph 2.11 ; Ep 4.5) pour un mélange de critique ouverte et implicte à la notion de César en tant que Kurios. 30 Voir Callia Rulmu, « Between Ambition and Quietism : The Socio-political Background of 1 Thessalonians 4,9–12 », Bib 91, no 3 (2010) : 393–417. DeSilva, An Introduction to the New Testament, 105–6, rappelle que, ce faisant, les pagano-chrétiens se marginalisent comme les Juifs (1 Co 10.14–22 ; 2 Co 6.14–7.1 ; 1 Th 1.9) et que l’appellation « chrétien » devient suspecte et passible d’une hostilité qui peut devenir une persécution officieuse (1 Th 1.16 ; 2.14–3.5 ; 1 P 4.12–19). Pour Tacite (Ann. 15.44), le christianisme est une superstition mortelle et, pour Pline le Jeune (Ep. 10.96), il s’agit de croyances superstitieuses et dépravées. Dans les deux cas, il s’agit d’un culte associé à celui des Juifs et comme lui contraire aux valeurs sociales traditionelles. 31 Voir notamment l’approche maximaliste de Monika Bernett, « Roman Imperial Cult in the Galileeௗ: Structures, Functions, and Dynamics », in Religion, Ethnicity and Identity in Ancient Galilee : A Region in Transition, éd. par Jürgen K. Zangenberg, Harold W. Attridge et Dale B. Martin, WUNT 210 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2007), 337–56, signalée par McLaren, « Searching for Rome », 113. Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 41, fait une distinction entre la contestation populaire et la vision pro-romaine de l’élite (famille hérodienne et les Sadducéens).
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que sauveur (ıȦIJȡ) et initiateur de la bonne nouvelle (İĮȖȖȑȜȚȠȞ)32, source de vie (« [...] tu te dois tout entier à l’empereur [...]. Tu trouves tout en lui, il te tient lieu de tout » : Sénèque, Polyb. 7.3–4) et début de toute chose bonne ([ਕȡ]Ȥҕҕ \੭Ȟ/ ۤȝҕİҕȖҕȚҕȢҕ ۥIJҕİ ʌȐȞIJȦȞ ਕȖĮșȞ : P. Oxy. 1021.10–12, année 54)33 ne trouve-t-elle pas son contrepoint dans l’action libératrice du véritable Fils de Dieu qui, dans un territoire proche de la Galilée, assujetti lui aussi aux légions romaines, apporte la libération et recentre le culte sur le Dieu Très-Haut ? James McLaren, de son côté, suggère qu’il est temps de nuancer l’idée que la présence romaine en Galilée aurait été tellement envahissante avant 66 que les habitants de la région avaient l’impression de rendre un culte à l’oppresseur romain. Il s’appuie sur le fait que très peu d’inscriptions romaines ont été découvertes en Galilée, et sur le petit nombre de monnaies romaines en circulation, comparé à celui des pièces hérodiennes34. La propagande impérialiste s’appuie aussi sur le mythe du contrôle (métaphorique) exercé sur la mer par les empereurs. Bolt situe l’origine d’un tel discours dans la mythologie grecque, où le pouvoir de contrôler les flots est l’apanage de certaines divinités, comme Poséidon, mais également Euphémos (son 32 Décret pour l’introduction du calendrier julien dans la province d’Asie (Priène, vers 9 avant Jésus-Christ), notamment lignes 6–8. 33 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 40–41. La traduction en français de l’extrait de la Consolation à Polybius est celle de René Waltz, revue par Paul Veyne, dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, éd. par Paul Veyne (Paris : Robert Laffont, 2004), 87. Même Flavius Josèphe associe la force conquérante des Romains à la puissance divine : dans un discours Tite estime que Dieu est son allié (ıȝȝĮȤȠȢ : B.J. 3.484 ; voir aussi 6.411) ; les soldats de Vespasien pensent la même chose à propos de leur général (4.366) ; Ananos estime que Dieu agit comme un général pour les Romains (4.288). Ainsi Gelardini, Christus Militans, 858– 59. 34 McLaren, « Searching for Rome », 111–14, estime que le culte impérial est partie intégrante d’un processus servant à la construction de la réalité impériale dans les provinces. Il assume donc la forme qui lui est donnée par la négociation entre l’Empire et les populations locales, selon leur sensibilité et leur identité particulière. Dans cette perspective, la présence romaine et le culte de l’Empire n’étaient pas ressentis comme oppressifs en Galilée, car respectueux des traditions locales. La participation des Galiléens à la révolte en 66 s’explique, selon McLaren, par une « shared affiliation with the Jerusalem temple not to any concern about the encroachment of the imperial cult on life in Galilee ». Aux pages 123– 124, il renvoie à Marcus Sigismund, « Small Changeௗ? Coins and Weights as a Mirror of Ethnic, religious and Political Identity in First and Second Century C.E. Tiberias », in Religion, Ethnicity and Identity in Ancient Galilee : A Region in Transition, éd. par Jürgen K. Zangenberg, Harold W. Attridge et Dale B. Martin, WUNT 210 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2007), 315–36, concernant la prédominance, en Galilée, de pièces hérodiennes plus que romaines, et à Mark A. Chancey, « The Epigraphic Habit of Hellenistic and Roman Galilee », in Religion, Ethnicity and Identity in Ancient Galileeࣟ : A Region in Transition, éd. par Jürgen K. Zangenberg, Harold W. Attridge et Dale B. Martin, WUNT 210 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2007), 83–98, pour la rareté des inscriptions attestant une forte et envahissante présence romaine.
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fils) et Héraclès. Ce pouvoir est aussi accordé à des personnages légendaires, comme Orion et Abaris, et ensuite même à Xerxès le Grand (Ve siècle avant notre ère), selon les récits fantastiques d’Hérodote et de Dion Chrysostome 35. Plus tardivement, la faculté de soumettre la mer devient une métaphore du pouvoir politique et militaire. Ainsi l’image d’Alexandre qui se fraye un chemin dans la mer et qui est reconnu par elle en tant que son souverain fait-elle référence à ses campagnes militaires réussies36. La symbolique est reprise et étendue, au niveau littéraire mais parfois aussi iconographique, à Auguste, qui « apaisa les tempêtes qui faisaient rage de toute part » et qui « guérit les maladies [en ce sens qu’il fit cesser les guerres] communes aux Grecs et aux Barbares » (Philon, Legat. 145)37, à Néron et à Caligula38. Les synoptiques font suivre le miracle de la tempête apaisée et l’entrée de Jésus en territoire non juif, à l’occasion de laquelle il se confronte à l’homme possédé par Légion. Pour les auteurs dont nous venons de parler, Jésus, en tant 35
Adela Y. Collins, « Rulers, Divine Men, and Walking on the Water (Mark 6:45–52) », in Religious Propaganda and Missionary Competition in the New Testament World. Essays Honoring Dieter Georgi, éd. par Lukas Bormann, Kelly Del Tredici et Angela Standhartinger, NovTsup 74 (Leiden : Brill, 1994), 218–19, énumère des mythes où il est question de maîtrise de la mer : Euphémos fils de Poséidon (Apollonios de Rhodes, Argon. 1.179–184) ; Orion (Pseudo-Apollodore, Bib. 1.4.3 ; Pseudo-Ératosthène, Catast. frag. 32) ; Abaris (Porphyre, Vit. Pyth. 29 ; Jamblique, Pyth. 136) ; Héraclès (Sénèque, Herc. fur. 322–4). Pour Xerxès, voir Hérodote, Hist. 7.35, 56 et Dion Chrysostome, Or. 3.30–31. 36 Alexandre en tant que seigneur de la terre et de la mer : Eustathe de Thessalonique (XIIe siècle), en citant dans son Commentaire à l’Iliade (13.29) Callisthène, le biographe d’Alexandre le Grand. Voir également Ménandre, Frag. 924K. Ainsi Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 140. 37 Texte français emprunté à Philon d’Alexandrie, Legatio ad Caium, trad. par André Pelletier, Les œuvres de Philon d’Alexandrie 32 (Paris : Cerf, 1972), 171. Voir, à la même page, la note 2 : « [l]es métaphores appliquant le vocabulaire medical [...] à la guerre et spécialement à la guerre civile sont banales en grec, dès Hérodote ». 38 Voir aussi Philon, Legat. 146–147 et Pergamum n. 381, dans Gustav A. Deissmann, Light from the Ancient East. The New Testament Illustrated by Recently Discovered Texts of the Graeco-Roman World, trad. par Lionel R. M. Strachan, 1e éd. 1910 (Grand Rapids : Baker Academic, 1978), 347, fig. 64 ; Virgile, Georg. 1.24–35 ; Sénèque, Apol. 10, où Auguste a la faculté de calmer les eaux et de guérir Grecs et Barbares, et on l’éloge pour l’ordre, l’harmonie et la paix qu’il a apportés au monde. La propagande impériale associe également Néron (Sénèque, Clem. 4 ; Suétone, Aug. 6.24 ; pièces des années 64–65 avec inscription Pace P.R. Terra Marique Parta Ianum Clusit S.C ; Calpurnius Siculus, Eclog. 4.97–100 : il a calmé les vents) et Caligula au contrôle de la terre et de la mer (Dion Cassius, Hist. 59.17). Dans la Bible hébraïque, l’arrogance d’Antiochos est ainsi mesurée : « Antiochus donc, après avoir enlevé au Temple dix-huit cents talents, se hâta de se rendre à Antioche, croyant, dans sa superbe et l’exaltation de son coeur, avoir rendu navigable la terre ferme et la mer praticable à la marche » (2 M 5.21, TOB). Moses Hadas, Imperial Rome, GAM (New York : Time Incorporated, 1965), 69 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 131, 133, 140–41 ; Lauren D. Ginsberg, Staging Memory, Staging Strifeࣟ: Empire and Civil War in the « Octavia » (New York : Oxford University Press, 2017), 71–75.
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que Fils du Très-Haut, celui qui exerce sa seigneurie en domestiquant le vent et les flots, serait mis délibérément en synkrisis avec les empereurs romains, à la différence près que, pour Jésus, il ne s’agirait pas d’une description métaphorique, mais d’un acte miraculeux. Cet acte le connoterait en tant que héraut de Dieu et garderait toute sa valeur symbolique de suppression de la barrière entre les Juifs et les non-Juifs. De plus, comme l’apaisement de la tempête et la défaite de Légion sont accomplis sans recourir à la violence, à l’opposé de la pratique des césars39, la gloire et la renommée qui s’ensuivent se trouveraient redéfinies dès lors qu’elles sont mises en relation avec les attentes impériales40. Le cinquième argument ne relève pas du contexte socio-historique du lecteur de Marc, mais de l’activité rédactionnelle de l’évangéliste. Plusieurs mots employés dans le récit peuvent être compris comme s’inscrivant dans le champ sémantique du langage militaire.
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Selon Flavius Josèphe (B.J. 4.370–371), Vespasien considère Dieu comme un bien meilleur général que lui-même, car Dieu lui offre la victoire sur Jérusalem sans que les soldats romains soient mis en danger. La référence est aux dissensions internes et à la guerre civile qui éclatent à Jérusalem lorsque la ville est assiégée. Cela pourrait faire penser aux démons de Marc 5.13 qui s’autodétruisent. Il reste que la suite du récit de Flavius Josèphe montre que la violence reste de mise dans le cas de Vespasien, car les Juifs qui fuient la ville mais qui n’ont pas d’argent pour acheter leur salut sont tués (B.J. 4.379). 40 Le Dieu d’Israël calme les vents (Ps 107.25–30 ; Pr 30.4 ; Jb 38.25 ; Am 4.13 ; Na 1.3– 4) et les vagues de la mer (Ps 33.7 ; 65.7 ; 77.16 ; 107.28–32). Voir aussi 4Q381 (Prière de Manassé) frag. 15, lignes 2–9 : Dieu calme les ondes et maîtrise la mer enragée (v. 4) ; il écrase Rahab et disperse ses ennemis (v. 5), avec son bras et sa main puissants (v. 5b–6) ; son oint (Manassé) est instruit par lui (v. 7). Lorsque Jésus calme la tempête en Mc 4.35–41, il est assurément associé à la manifestation du pouvoir divin. Toutefois, il l’est surtout en tant que roi davidique eschatologique (cf. Ps 88.26) et non pas en tant que divinité à son tour : voir J. R. Daniel Kirk et Stephen L. Young, « ’I Will Set His Hand to the Sea’ : Psalm 88:26 LXX and Christology in Mark », JBL 133, no 2 (2014) : 333–40. En b. B. Me܈. 59b, c’est R. Gamaliel qui apaise une énorme vague qui risque de le noyer, ce miracle prouvant que sa décision d’ostraciser R. Eliezer ben Hyrcanus n’avait pas été dictée par des fins personnelles mais effectuée pour honorer Dieu. Voir Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 181–82, 184 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 129, 134–35, 141. Ce dernier mentionne à la p. 140 Artémidore de Daldis (IIe siècle) qui, dans son ouvrage sur la divination, interpréte le rêve d’un chef qui traverse la mer comme un signe positif qui préannonce gain et célébrité (Oneirocritica 3.16). Bolt (p. 147) mentionne également un récit (Hymnes homériques 7 : à Dionysos) selon lequel Dionysos est capturé par des pirates qui le prennent pour un être humain. Il est enchaîné, mais les liens tombent et ses aggresseurs le contemplent, saisis d’effroi, pendant qu’« il était assis en souriant » ( į ȝİȚįȚȐȦȞ ਥțȐșȘIJȠ, ligne 14). Dionysos se transforme ensuite en un lion et les marins se jettent dans la mer. De son côté, Gelardini, Christus Militans, 751, suggère de voir des parallélismes entre les miracles de Jésus sur le lac (Mc 4.35–41 ; 6.45–52) et la bataille navale de Tarichée (Flavius Josèphe, B.J. 3.522–531).
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Ainsi, on ne manque pas de signaler que ਕʌȠıIJȜȜȦ (Mc 5.10) est parfois utilisé pour l’envoi de troupes41, d’espions (Jos 2.1 ; 6.25), et même de flèches (par Dieu : 2 S 22.15)42. De même, ʌȝʌȦ (Mc 5.12) est le verbe employé pour indiquer l’action d’envoyer des troupes au combat (Flavius Josèphe, B.J. 2.68, 75, 185, 260, 270 ; 3.446, 486 ; 4.57, 419, 487 ; 5.96–97, 446 ; 6.135–136), un officiel en mission (Philon, Flacc. 109 et Legat. 239, 369) et même les gouverneurs en Judée43. D’autres mots à possible connotation militaire sont ਫ਼ʌĮȞIJȦ (Mc 5.2)44, įȞĮȝĮȚ (5.3)45, ੁıȤȦ (5.4)46, IJȡȤȦ (5.6)47, İੁıȡȤȠȝĮȚ48, ȡȝȦ
41 Cf. Hérodote, Hist. 5.32 ; Jos 8.3, 9 ; Jg 4.6 ; 2 R 6.14 ; Es 20.1 ; 1 M 3.35 ; Jdt 6.2– 3 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.510 ; 3.8 ; 4.658 ; 7.18, 117. 42 Ainsi Derrett, « Contributions », 5 ; Markus Lau, « Die Legio X Fretensis und der Besessene von Gerasa : Anmerkungen zur Zahlenangabe ‹ungefähr Zweitausend› (Mk 5,13) », Bib 88, no 3 (2007) : 353 ; Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 146. 43 Cf. Flavius Josèphe, B.J. 2.169 : Tibère envoie Pilate ; 2.220 : Claude envoie Fadus ; A.J. 20.137 : Claude envoie Félix ; 20.182 : Néron envoie Festus ; 20.197 : Néron envoie Albinus ; 20.252 : Néron envoie Florus. Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 147. Voir aussi Witherington, The Gospel of Mark, 183. 44 Cf. Plutarque, Pomp. 71.4 ; Flavius Josèphe, A.J. 5.209 ; B.J. 7.249. Bonifacio, Personaggi minori, 102. 45 Gelardini, Christus Militans, 859, remarque que la notion de « pouvoir divin » (IJȞ IJİ IJȠ૨ șİȠ૨ įȞĮȝȚȞ) est associée par Flavius Josèphe à la victoire de Tite sur les redoutables tours de défénse de Jérusalem (B.J. 6.399). 46 Selon Flavius Josèphe, Vespasien était préssé de détruire la ville de Jotapata, remplie de révolutionnaires, à cause de sa position et des ses ressources qui faisaient d’elle une « solide base d’opération » (ȡȝȘIJȡȚȠȞ ੁıȤȣȡંȞ : B.J. 3.141) : selon la traduction donnée en Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, trad. par André Pelletier, vol. 2, CUF (Paris : Les Belles Let-tres, 1980), 139. Le vocabulaire de la puissance désigne à la fois le pouvoir de Rome et ce que cette dernière redoute le plus. Gelardini, Christus Militans, 735. 47 Cf. 2 S 22.30 LXX et Ap 9.9. Derrett, « Contributions », 5. 48 Cf. Jg 9.5 ; 18.9 ; 1 S 26.6 ; 30.1–2 ; 2 S 5.6–9 ; 10.14 ; 1 R 12.21 ; 22.30 ; 2 R 3.24 ; 7.4, 10, 12 ; 10.17, 25 ; Es 20.1 ; 37.33 ; Jr 4.5 ; 8.14 ; Lm 1.10 ; Dn 11.9, 10, 40 ; 1 M 1.17 ; 12.48 ; 2 M 9.2 ; 11.5 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.55 ; 3.417, 497 ; 5.336 ; A.J. 5.28. Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 149–51, voit dans ce verbe une connotation sexuelle (acte consensuel : cf. Gn 29.21, 23, 30 ; 30.3–4, 9, 16 ; 38.2, 8–9, 16, 18 ; Jg 16.1 ; 2 S 12.24 ; Dt 25.5 ; non consensuel : cf. Gn 16.2, 4 ; 2 S 3.7 ; 16.21–22). Flavius Josèphe, B.J. 4.560, mentionne le viol dans le contexte de la révolte, même s’il nie son implication (Vita 80 et 259). Carte renvoie au travail de Pamela Gordon et Harold Washington, « Rape as Military Metaphor in the Hebrew Bible », in A Feminist Companion to the Latter Prophets, éd. par Athalya Brenner, Carole R. Fontaine et Alice A. Keefe, FCB 8 (Sheffield : Sheffield Academic Press, 1995), 308–25, qui étudient le vocabulaire du viol utilisé métaphoriquement pour la conquête de villes et territoires dans Lm 1–2 (1.8–10) ; Mi 4.11 ; Jr 6.1–4 (surtout v. 3), 13.20–27 ; Es 47.1–3 et Na 3.5–6. Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 149–51.
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(5.13)49, ਕȖȜȘ (5.11, 13)50, ਥʌȚIJȡʌȦ (5.13)51, ijȠȕȠȝĮȚ (5.15)52 et, bien évidemment, ȜİȖȚઆȞ (5.9, 15). Concernant ce dernier substantif, il est admis que la relation établie dans le récit entre l’entité démoniaque, qui se nomme Légion, et les cochons, dans lesquels elle entre, exprime une aversion envers la domination romaine se concrétisant notamment dans la présence persistante en Palestine de la Legio X Fretensis. Cette légion, qui a eu en effet, parmi différents emblèmes, le sanglier, était stationnée dans le nord-ouest de la Syrie entre 17 et 6653 ; elle a ensuite été déployée pendant la Première Révolte juive et s’est installée à Jérusalem (cf. B.J. 5.71–97, 238–244 ; 7.4–5, 17, 164) jusqu’au troisième siècle (elle était encore située en Palestine deux siècles plus tard)54. 49 Cf. Eschyle, Per. 394 ; Xénophon, Anab. 1.8.25 ; Cyr. 7.1.17 ; Thucydide, Bell. 7.34.4 ; 2 M 10.16 ; 12.20, 32 ; Flavius Josèphe, A.J. 2.340, 342 ; 12.270 ; B.J. 1.23, 32, 39, 62 ; 2.296, 345 ; 3.9, 61, 111 ; 4.518 ; Philon, Mos. 2.254. Derrett, « Contributions », 5 ; Witherington, The Gospel of Mark, 183 ; Lau, « Die Legio X Fretensis », 353 ; Carter, « CrossGendered Romans and Mark’s Jesus », 154, note 65. Flavius Josèphe (B.J. 6.401) décrit le désespoir des Juifs de Jérusalem qui, précipités par Dieu lui-même (ਫ਼ʌઁ IJȠ૨ șİȠ૨ țĮIJĮȕȜȘșȞIJİȢ) des tours fortifiées, après avoir surmonté leur peur (įȠȢ), s’élancent avec violence (ȡȝȦ) contre les murs de circonvallation construits par les Romains : Gelardini, Christus Militans, 859. Il est également intéressant de remarquer que ces Juifs, par la suite, « s’enfoncèrent dans les souterrains » (B.J. 6.402) [traduction tirée de Flavius Josèphe, La guerre des Juifs, trad. par Pierre Savinel, Arguments (Paris : Les éditions de Minuit, 1977), 510]. 50 Peuple tué comme un troupeau de cochons : Flavius Josèphe, B.J. 4.326 ; troupes de soldats : 4 M 5.4 ; cf. 2 M 3.18 ; 14.14 ; Jr 13.20 LXX ; Es 31.14 LXX. Ainsi Derrett, « Contributions », 5, suivi par Witherington, The Gospel of Mark, 182 ; France, Mark, 230, note 15. Roger D. Aus mentionne que la tradition juive identifie le Romain envahisseur et ravageur au sanglier du Ps 80.14 : Aus, My Name is « Legion », 94–95. Warren Carter voit dans l’emploi de ȤȠȡȠȢ en Mc 5.11–13,16 une allusion érotique. Le mot avait déjà été employé dans ce sens par Aristophane (Ach. 781–796 ; Thesm. 538) et plus récemment par Varron (Rust. 2.4.10). D’après Carter, Marc dénonce le fait que la conquête et le contrôle de la région par les légions romaines impliquent le viol. Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 151–53. 51 Derrett, « Contributions », 5 ; Dormandy, « The Expulsion of Legion », 336 ; Lau, « Die Legio X Fretensis », 353. Dans 4 M 4.18, ਥʌȚIJȡʌȦ a le sens de « désigner, nommer » le grand prêtre (par le roi). Mc 5.13 nous fait songer à la phrase latine issue du milieu judiciaire qui non prohibet quod prohibere potest, assentire videtur (« celui qui n’interdit ce qu’il peut interdire, semble acquiescer ») : Aaron X. Fellmeth et Maurice Horwitz, Guide to Latin in International Law (Oxford : Oxford University Press, 2009), 239. 52 Gelardini, Christus Militans, 704–5, souligne la relation entre la peur et l’entraînement militaire tel qu’il est décrit par Flavius Josèphe. Selon ce dernier, l’esprit des soldats romains est également préparé à la guerre par la peur (ijંȕȠȢ) que la loi martiale et les généraux inspirent (B.J. 3.102–104 ; cf. 5.482–483). En prolongeant la pensée de Gelardini, on pourrait voir dans la peur des gens en Mc 5.15 une allusion à leur allégeance à Rome. 53 Jeffers, The Greco-Roman World of the New Testament Era, 177. 54 La Fretensis est encore mentionnée par la Notitia Dignitatum in partibus orientis (IV– Ve s.), 34.30 : « praefectus legionis decimae Fretensis, Ailae ». Ses emblèmes ont été
L’apport de la lecture anti-impérialiste
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Une connotation politique est également attribuée au nom Gérasa, une ville choisie par le rédacteur pour rendre plus évident le lien entre Rome et les démons car : a. le nom évoque le mot grec ȖȡĮȢ, qui désigne, entre autres, une distinction et un prix décernés aux chefs d’armées55 ; b. la ville, lieu de naissance de Simon ben Giora, un des chefs de la révolte exécuté à Rome suite à la cérémonie du triumphus, s’affichait en tant qu’anti-romaine et, pour cette raison, subit un pillage et la destruction par le feu de la main de Lucius Annius, sous l’impulsion de Vespasien (B.J. 4.487–490)56. Enfin, l’expression ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ (Mc 5.7) serait aussi à connotation anti-romaine car, selon la perspective juive, dans la bouche d’un païen, elle relativiserait le pouvoir de l’oppresseur (ici Légion) qui reconnaît toutefois la seigneurie de Dieu sur toute la terre, comme c’est le cas pour les rois Nabuchodonosor (Dn 4.14),
d’abord le taureau, ensuite une galère, le dauphin, le sanglier et enfin, au début du IIe siècle, le dieu Neptune : Lesley Adkins et Roy A. Adkins, Handbook to Life in Ancient Rome, Updated ed. (New York : Facts on File, 2004), 60. D’autres légions avaient adopté comme symbole le sanglier : Annen, Heil für die Heiden, 165 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 203. De nombreux commentateurs établissent un lien entre le désir de ȜİȖȚઆȞ (Mc 5.9) de ne pas quitter le territoire (v. 10) et l’opiniâtreté avec laquelle l’armée romaine s’implante dans les territoires conquis : voir Derrett, « Contributions », 5 ; Myers, Binding the Strong Man, 101, 190–92 ; Francis Watson, Text, Church and Worldࣟ : Biblical Interpretation in Theological Perspective (Grand Rapids – Edinburgh : Eerdmans – T. and T. Clark, 1994), 249 ; Dormandy, « The Expulsion of Legion », 335–37 ; Horsley, Hearing the Whole Story, 140 ; Lau, « Die Legio X Fretensis » ; Garroway, « The Invasion of a Mustard Seed », 59–68 ; Rochester, Good News at Gerasa, 110, 139 ; Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 154 ; Theissen, The Miracle Stories, 255 ; Gelardini, Christus Militans, 167. Carter renvoie notamment à Flavius Josèphe, B.J. 4.120 et Vita 425, passages qui mentionnent les territoires juifs conquis par Vespasien et qui précisent que ce dernier n’a aucune intention de lâcher prise (p. 146). Pour Teresa Carpino le souhait des démons de ne pas quitter le territoire est à comprendre à la lumière des légions stationnées en Syrie qui ne voyaient pas d’un bon œil l’idée de Vitellius de les déplacer dans des territoires considérés comme moins accueillants, comme l’Allemagne par exemple : Carpino, « The Gerasene Demoniac », 20. Markus Lau établit un lien entre le témoignage de Tacite (Ann. 5.5), selon lequel il y avait quatre légions stationnées en Syrie, et celui de Flavius Josèphe (B.J. 2.499–506), qui dit que Cestius partit d’Antioche avec la douzième légion au complet à laquelle s’ajoutaient deux mille soldats réquisitionnés dans les autres (III Gallica ; VI Ferrata et X Fretensis). À son avis, les deux mille cochons qui se noient renvoient aux deux mille soldats de la Fretensis mobilisés par Cestius (Lau, « Die Legio X Fretensis », 360, note 42). Brian Incigneri voit dans la mort des cochons possédés par Légion l’espoir de voir échouer l’attaque que la Fretensis porte à Machaerus (Flavius Josèphe, B.J. 7.166–168). Espoir destiné à avorter (B.J. 7.190–209) : Incigneri, The Gospel to the Romans, 192–93. 55 Karl Schenkl et Federico Brunetti, éd, « ȖȑȡĮȢ », in Dizionario Greco-Italiano ItalianoGreco (Genova : Edizioni Polaris, 1992), 168. 56 Voir Incigneri, The Gospel to the Romans, 193–94.
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Cyrus (1 Esd. 2.3), Darius (6.31), Artaxerxès (8.19, 21) et Ptolémée Philopator (3 M 7.9)57. En lisant l’exorcisme de Légion à la lumière de l’arrière-plan socio-politique que nous venons d’évoquer et en attribuant à Marc une posture anti-impérialiste, il a semblé logique, à certains auteurs, d’identifier la perspective spirituelle avec la réalité politique, Rome avec le pouvoir satanique, l’entité démoniaque multiple appelée Légion avec l’armée romaine58. Les interprétations de la péricope qui se situent dans ce registre aboutissent souvent aux conclusions suivantes : d’un côté, la possession du démoniaque par Légion est à comprendre en tant que métaphore de l’aliénation – ou même du dérangement psychologique – des habitants de la région, causée par l’oppression de l’envahisseur59 ; de l’autre, l’exorcisme de Jésus est une remise en question radicale des
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La même locution est utilisée par les amis d’Héliodore en 2 M 3.31. Cf. Gn 14.18–20 ; Nb 24.15–16 ; Es 14.14 ; Dt 32.8 ; Dn 3.26 ; 4.22 ; 5.18, 21 ; voir aussi Ac 16.17. Dormandy, « The Expulsion of Legion », 337. Voir également Marcus, Mark 1–8, 344 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 202–3. 58 Deissmann, Light from the Ancient East, 340 ; Dormandy, « The Expulsion of Legion », 337 ; Horsley, Hearing the Whole Story, 140–42 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 42– 43 ; Lau, « Die Legio X Fretensis », 351 ; Rochester, Good News at Gerasa, 170. À juste titre Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 153, invoque pour Marc une date de rédaction finale postérieure à 70 pour que la lecture anti-impérialiste tenant compte des allusions en Mc 5.1–20 à la Legio Fretensis puisse être crédible. 59 Baird, « The Gadarene Demoniac », 189 : possession en tant que métaphore de la peur d’être subjugué par la légion romaine ; T. Hawthorn, « The Gerasene Demoniac : A Diagnosis. Mark v. 1–20. Luke viii. 26–39. (Matthew viii. 28–34) », ExpTim 66, no 3 (1954) : 79–80 : pour lui, il s’agit de schizophrénie ; pour Hollenbach, « Jesus, Demoniacs, and Public Authorities », 572–80, il s’agit d’une maladie mentale provoquée par l’oppression et l’aliénation ; Myers, Binding the Strong Man, 191–94, en citant Flavius Josèphe, B.J. 4.486– 490, songe à une anxiété collective causée per l’impérialisme romain ; Waetjen, A Reordering of Power, 115–17, parle du colonialisme romain en tant que réalité qui déstructure systématiquement la personnalité humaine ; pour John D. Crossan, The Historical Jesusࣟ : The Life of a Mediterranean Jewish Peasant (Edinburgh : T. and T. Clark, 1991), 313–20, l’exorcisme de Jésus correspond ici à une « individuated symbolic revolution » ; voir à ce propos aussi Theissen, « Jésus et la crise sociale de son temps », 144–45. Dormandy, « The Expulsion of Legion », 337, voit en cet exorcisme « a window on the ultimate and restorative power of God. Through this prophetic action, Jesus points to the genuine personal, social, and political healing that can take place as a result of deep spiritual renewal. For the demoniac is ultimely cleansed not through vengeance, but mercy. In the midst of oppression and sorrow, the forgiveness of God can still be proclaimed as the new day ever breaking into our darkness » (pourtant le texte de Mc 5.1–20 ne parle pas explicitement de pardon). Voir également Eric Sorensen, Possession and Exorcism in the New Testament and Early Christianity, WUNT II 157 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2002), 130–31 ; France, Mark, 229 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 344 ; Chilton, « La plate-forme de travail de Marc », 489 ; Rochester, Good News at Gerasa, 164.
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valeurs et du mode de fonctionnement de l’Empire romain en faveur de ceux du Royaume de Dieu60. Tout en reconnaissant l’apport important que la lecture socio-politique fournit à l’analyse et à la compréhension du texte de Marc 5.1–20 en relation avec les événements et les situations historiques qui informent et forment l’encyclopédie du lecteur historique, il est tout aussi nécessaire de ne pas réduire le récit à une polémique anti-romaine en faisant s’écrouler d’un coup l’horizon plus vaste du Royaume eschatologique qui, lui, définit le véritable enjeu de l’affrontement entre Jésus et les forces qui lui sont hostiles.
5.2 Évaluation critique : Marc et le Royaume Évaluation critique : Marc et le Royaume
Tout d’abord, il est important d’éviter d’interpréter le texte en adoptant une clé de lecture qui lui imposerait des propos anachroniques. Jésus n’a pas engagé 60
Pour J. Garroway, le discours apocalyptique de Mc 13, qu’il interprète comme annonçant la parousie, est à la fois une « mimetic re-inscription » de l’impérialisme romain, mais aussi une « radical, liberationist critique », car le Royaume de Dieu, en Marc, est fondé sur une « countercultural valence ». En effet, le discours de Mc 13 est entouré par 12.41–44 et 14.3–9, deux textes mettant en scène deux femmes qui, de manière différente, expriment des idéaux anti-impérialistes, à savoir l’humilité et le don de soi. Garroway, « The Invasion of a Mustard Seed », 58–59. De leur côté, D. Rhoads, J. Dewey et D. Michie déclinent de manière plus articulée la façon dont Marc met l’accent sur le contraste entre Empire romain et Royaume de Dieu. Rome se développe selon une dynamique centrifuge, alors que le Royaume commence aux marges (lieu : désert ; personnes : les pauvres et les maladies) ; Rome impose son vouloir du haut vers le bas, alors que le Royaume commence comme mouvement populaire qui se développe comme une plante envahissante (voir parabole de la moutarde) ; Rome soutient les forts et exploite les faibles, alors que le Royaume restaure les faibles et les vulnérables ; Rome occupe la terre tout comme les démons occupent les corps, alors que le Royaume libère de l’oppression et de l’avidité ; les autorités juives collaborent avec Rome et établissent des frontières de pureté qui excluent les marginaux, alors que le Royaume dépasse ces barrières pour rendre pur ce qui est considéré comme impur ; les autorités juives utilisent la loi pour contrôler, exploiter et marginaliser, alors que le Royaume interprète les lois en faveur des faibles ; les représentants de l’Empire exercent leur autorité sur le peuple et l’obligent à se soumettre, alors que le Royaume est la bonne nouvelle qui apporte la liberté et incite au service desintéressé ; l’Empire promeut les valeurs de l’acquisition des richesses, de la recherche de l’honneur, du pouvoir en tant que moyen de prospérer, alors que le Royaume envisage le pouvoir comme service et la richesse comme opportunité pour aider les pauvres ; l’Empire tue avec cruauté et considère la souffrance comme un déshonneur, alors que le Royaume promet la vie aux fidèles en dépit des persécutions et des humiliations. Marc redéfinirait ainsi les valeurs culturelles comme l’idée de pureté, le patronage, le patriarcat, l’honneur, le pouvoir, la richesse. Le Jésus marcien qui chasse les démons en Galilée et apporte pain et guérison s’opposerait à la destruction et à la domination dont Vespasien se rend responsable pendant sa campagne militaire en Galilée. Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 147–49.
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une lutte contre l’Empire romain et ses représentants, quoique l’adhésion à son message ait modelé la réflexion de ses disciples vis-à-vis des instances et des modèles socio-politiques de l’époque. Pour le dire avec Theissen : « tant le renoncement programmatique à la contrainte que la concentration sur les conditions de vie religieuses d’une communauté sont apolitiques. Ce qui n’empêche pas que tout cela ait eu une fonction politique et sociale directe dans la société de l’époque »61. De même, il est difficile d’attribuer au rédacteur pré-marcien l’intention d’associer les démons (Mc 5.9 : ȜİȖȚઆȞ) et les cochons à la Legio X Fretensis, active en Palestine seulement à partir de la moitié des années soixante. Cette considération, à elle seule, interroge sur la légitimité d’invoquer les actions militaires de Vespasien en Galilée (cf. B.J. 4.486–490) en tant qu’arrière-plan de l’affrontement entre Jésus et la légion dont l’un des emblèmes était le sanglier. Qui plus est, le récit de Marc 5.1–20 ne met pas en scène Jésus en train de chasser, même métaphoriquement, les Romains du territoire d’Israël car cet épisode se déroule en Décapole et l’intéressé est un non-Juif62. Dans une perspective éminemment chrétienne, la lecture socio-politique doit également se garder d’imposer au texte l’intention de réagir de façon polémique à une posture de l’Empire à l’égard des disciples de Jésus en tant que tels, qui ne sera à l’œuvre qu’à partir de l’époque de Domitien (81–96) et, surtout, de Trajan (98– 117)63. 61
Theissen, « Jésus et la crise sociale de son temps », 148. Rochester, Good News at Gerasa, 110 ; Witherington, The Gospel of Mark, 183. Concernant l’effective présence militaire romaine en Galilée avant l’époque de la Première Révolte juive, James S. McLaren rappelle que les troupes romaines ont été actives en Galilée seulement de manière sporadique. Ce fut le cas à l’époque hasmonéenne (B.J. 1.177 ; 1.180 et A.J. 14.120) et après les désordres qui suivirent la mort d’Hérode (B.J. 2.68 ; A.J. 17.288– 289). Successivement, en l’année 40–41, un contingent stationne temporairement à Ptolémaïs (Akko), lorsque Pétrone négocie avec les autorités juives sur la décision de Gaïus de faire ériger une statue à Jérusalem (la discussion aura lieu ensuite à Tibériade : B.J. 2.192– 199 ; A.J. 18.262–263). Au début des années 50 Claude établit une colonie militaire à Ptolémaïs, mais il ne s’agit pas d’y installer une légion. C’est enfin en 66 que Cestius passe par Ptolémaïs et près de Sepphoris pour se diriger vers Jérusalem (B.J. 2.500–512). La première véritable intervention armée en Galilée après la mort d’Hérode eut lieu sous le commandement de Vespasien. McLaren en déduit qu’il n’y a donc aucune preuve du stationnement régulier de troupes en Galilée entre l’époque hasmonéenne et la Première Révolte juive. L’armée romaine ne faisait pas partie de la vie quotidienne des Galiléens. S’il y avait un souvenir négatif, il remontait à la destruction de Sepphoris par Varus en 4 avant Jésus-Christ. Pour McLaren, les soldats mentionnés en Mt 8.5–13, Lc 7.1–10 et Ac 10 appartiennent aux troupes hérodiennes (cf. Flavius Josèphe, B.J. 2.250, où il est dit que certains soldats d’Agrippa combattent contre les Romains). McLaren, « Searching for Rome », 121–23. 63 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 134, rappelle que le langage de Marc doit être compris à la lumière de son époque et sans importer des « anachronistic models of empire ». Par ailleurs, des textes comme 1 P 2.17 (IJઁȞ ȕĮıȚȜĮ IJȚȝ઼IJİ) et 3.15 (« sanctifiez le Christ comme Seigneur ਥȞ IJĮȢ țĮȡįĮȚȢ ਫ਼ȝȞ ») posent la question des différentes stratégies mises en place 62
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Un autre élément qui est souvent négligé par les tenants de la lecture antiimpérialiste est le suivant : l’évangile de Marc n’est pas, dans son essence, un document anti-romain. Certes, on peut y repérer des allusions critiques à l’égard d’un tel modèle de domination (cf. Mc 10.42). Toutefois, force est de constater que Rome ne fait pas l’objet d’une critique ouverte de la part du Jésus marcien et que, dans cet évangile, le seul être humain à reconnaître en Jésus le Fils de Dieu est un centurion romain, dont le propos n’est nullement ironique (15.39)64. Le Jésus marcien ne s’acharne pas non plus sur Israël : les habitants de la Judée et de Jérusalem sont sensibles au ministère de Jean (Mc 1.4–5) et sont associés à ce prophète annoncé par l’Écriture (Mc 1.3, citant Es 40.3), honoré par Jésus (Mc 1.9) mais méprisé par les autorités (Mc 9.11–13). Son implacable blâme s’adresse plutôt aux institutions, notamment le sanhédrin dans son ensemble (Mc 14.64 : « tous le condamnèrent… ») et le Temple (Mc 11.17). Il faut dès lors comprendre la remise en question des dirigeants et la proposition d’idéaux alternatifs (cf. Mc 10.43–45) comme une critique à large spectre contre toute autorité humaine à laquelle on peut attribuer des actes odieux65. Avant même l’époque d’Hérode le Grand, les Pharisiens et les Sadducéens ont perpétré des actes violents qui ont marqué la conscience collective. Raymond Brown propose une liste des événements les plus significatifs : vers la fin du deuxième siècle avant notre ère, la classe sacerdotale tente d’éliminer le Maître de justice (1QpHab 11.2–8) ; en 128 avant notre ère, Jean Hyrcan, contesté par les Pharisiens qui entraînaient aussi la foule (A.J. 13.288, 296), détruit le sanctuaire samaritain qui avait été le lieu d’adoration des patriarches (A.J. 13.255–256) ; Alexandre Jannée († 76 avant notre ère), dont la fonction de grand prêtre est également contestée (cf. 4QpNah frag. 3+4, I.6–8), massacre six mille Juifs (B.J. 1.88–89 ; A.J. 13.372–373), y compris femmes et enfants, et en crucifie huit cents (B.J. 1.97, 113 ; A.J. 13.380) ; les Pharisiens, de leur côté, forts du soutien de la reine Salomé, n’hésitent pas à exiler ou à faire périr
par les chrétiens pour négocier leur identité dans une société païenne qui ne les persécutait pas systématiquement à cause de leur affiliation religieuse en tant que telle. Même la persécution de Domitien (81–96 ; voir Tertullien, Apol. 5.4 ; Lactance, Mort. 3 ; Eusèbe, Hist. eccl. 3.18–20 ; 4.26) semble être plutôt une discrimination à caractère religieux non généralisée et limitée à Rome et à quelques villes d’Asie Mineure. Il n’est donc pas opportun de parler de véritable persécution des chrétiens. Cela sera, par contre, effectivement le cas sous Trajan (Pline le Jeune, Ep. 10.97.1–2). Stegemann et Stegemann, The Jesus Movement, 317– 18. 64 Légasse, Marc, 1997, 1 : 324–25 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 102 ; Aus, My Name is « Legion », 98 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 203 ; Malbon, Mark’s Jesus, 227 ; Rochester, Good News at Gerasa, 110 ; Shively, Apocalyptic Imagination in the Gospel of Mark, 179–80. 65 Theissen, « Jésus et la crise sociale de son temps », 148 ; Mali, The Christian Gospel, 128–29 ; Shively, Apocalyptic Imagination in the Gospel of Mark, 179–80.
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leurs opposants politiques (A.J. 13.410–411)66. Il n’est donc nullement nécessaire de réduire la polémique contre les seigneurs « qui paraissent gouverner les nations » (Mc 10.42) à une stigmatisation de l’impérialisme romain : il faut plutôt y voir une allusion aux autorités en général, en l’occurrence juives d’abord et éventuellement romaines ensuite67. Ces considérations nous amènent à affirmer que les expressions et les allusions relevant du langage militaire en Marc 5.1–20 n’impliquent pas que le texte aurait surtout (ou, pire, uniquement) une visée anti-impérialiste. Le recours au langage militaire n’équivaut pas de manière automatique à la critique de Rome et de ses symboles ; plus important encore, ce vocabulaire ne trouve pas sa cause dans une polémique de type socio-politique. Certes, l’allusion à ces éléments n’est pas à écarter, notamment au niveau du rédacteur final de l’évangile et aux yeux du lecteur historique post-70, mais il s’agit d’un sens secondaire et dérivé, dont il convient de ne pas exagérer la portée. Plusieurs auteurs ont reconnu que l’exorcisme de Gérasa pourrait être lu comme une satire de l’occupation romaine, sans pourtant lui attribuer cette fonction première dans l’économie du deuxième évangile et sans forcément connoter politiquement le mot « légion »68. Comme l’a surtout montré Roger D. Aus, l’origine du langage militaire de la péricope de Marc 5.1–20 s’explique par le fait qu’elle est modelée sur les traditions haggadiques du récit de Samson et de l’Exode
66 Raymond E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testamentࣟ?, trad. par Jacques Mignon, 1e éd. en anglais : 1997 (Paris : Bayard Compact, 2011), 117. 67 DeSilva, An Introduction to the New Testament, 105 : les judéo-chrétiens sont opposés aux Juifs (cf. Mt 10.16–39 ; Jn 15.18–20 ; 16.1–2 ; Ac 1–8) qui se sentaient menacés par leur relativisation du Temple et des pratiques juives. Tout comme les judéo-chrétiens critiquent les autorités juives, de même certains auteurs romains se montrent peu tendres envers l’impérialisme romain. Plutarque, Pomp. 70, considère le contrôle strict que Rome exerce sur la mer comme le signe d’une soif de conquête et d’avidité instatiable. Pétrone, Sat. 119.1–3 [cf. 119.4–18, 27–36 ; Plutarque, Fort. Rom. 12 (325d–e) ; Sénèque, Ep. 60.2 ; 89.22 ; Helv. 10.2–7 ; Vit. beat. 11.4] accuse les nombreux navires romains d’agiter les mers. Tacite, Agr. 30.5, accuse l’Empire d’utiliser la violence et la désolation pour aboutir à une prétendue paix. Properce, Élégie III 5.10–15, dénonce la vanité de Rome en rappellant qu’à la mort vainqueur et vaincu seront sur un pied d’égalité. Sources citées par Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 133–34. 68 Voir Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 144 ; Torchia, « Eschatological Elements », 19 ; Witherington, The Gospel of Mark, 182–83 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 102, qui considère le chiffre 2000 (Mc 5.13) comme un symbole de l'« éclatement de la personne » et de son état avancé de « déshumanisation » ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 334 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 203, qui souligne que le terme « légion » n’est jamais utilisé, dans le Nouveau Testament, pour des humains mais seulement pour les démons (Mc 5.9, 15) et les anges (Mt 26.53) et que d’autres exemples de légions démoniaques se trouvent en T. Sal. 11.5 et b. Pesaۊ. 114, les deux textes étant postérieurs à Marc ; Boring, Mark, 151 ; Rochester, Good News at Gerasa, 139–40.
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(notamment le passage de la mer Rouge et la noyade des armées égyptiennes)69. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point ci-dessous. Ce qui est central en Marc en général et dans le récit de l’exorcisme de Gérasa en particulier, c’est l’affrontement entre Jésus et les forces hostiles démoniaques : le lien narratif entre Marc 5.1–20 et 3.22–27 montre bien qu’il s’agit essentiellement d’un conflit entre « l’homme fort » (Satan) – et sa légion de démons – et celui qui est assez puissant pour le lier et « piller ses biens » (Mc 3.22–27)70. Les autorités juives, comme les soldats romains, sont des manifestations ou des signes de ce conflit cosmique. Comme le remarque P. Perkins, ce sont les démons qui semblent être comparés aux légions romaines, et non pas l’inverse : le véritable ennemi contre lequel Jésus s’élève et duquel il libère est le pouvoir démoniaque, non pas l’Empire71. Le lectorat peut aisément ressentir la connotation socio-politique du conflit cosmique, mais la victoire du Jésus marcien se situe sur un plan spirituel et engendre un aspirant disciple et un héraut qui le proclame dans la Décapole en tant que manifestation de la miséricorde de Dieu (Mc 5.20) : la victoire eschatologique de Dieu commence déjà dans l’action de Jésus de Nazareth, mais en tant que « prophetic triumph rather than a final one »72. L’exorcisme de Gérasa montre que, pour le Jésus marcien, le Royaume a une portée universelle, que son registre n’est ni politique (cf. Antipas ou Rome) ni religieux (cf. le Temple) et que ses frontières topographiques et ethniques ne coïncident pas avec celles d’Israël (cf. Mt 8.11–12 // Lc 13.28–39). Son irruption dans le présent est à la fois une occasion pour son déploiement dans l’annonce du kérygme et une promesse du futur accomplissement de ce qui est encore transcendant73. En cela, le Jésus marcien prolonge la trajectoire initiée par le Jésus historique dont 69 Déjà remarqué par Marcus, Mark 1–8, 348–49. Gagné, « De l’intentio operis à l’intentio lectoris », 225–28, voit une analogie linguistique entre Mc 5.3–4 et Jg 16.5, 9, 12 LXX et une concordance thématique (libération par intervention divine) entre Mc 5.19 et Jg 16.22, 28–30. Il souligne également le parallèle entre la défaite des démons par la noyade des cochons et Ex 14.23–28. Voir aussi Rochester, Good News at Gerasa, 156 ; Carter, « CrossGendered Romans and Mark’s Jesus », 154. Toutefois, c’est à Roger D. Aus que revient le mérite de tenir compte également des traditions juives en dehors de la Bible hébraïque, en attribuant la rédaction de la péricope à un auteur palestinien judéo-chrétien à l’aise avec le matériel haggadique : Aus, My Name is « Legion », 19, 69, 91–92. 70 Witherington, The Gospel of Mark, 183 ; France, Mark, 230 ; Rochester, Good News at Gerasa, 110 ; Shively, Apocalyptic Imagination in the Gospel of Mark, 179–80. 71 Nicholas T. Wright, Jesus and the Victory of God, COQG 2 (Minneapolis – London : Fortress Press – SPCK, 1996), 196, 451 ; Dormandy, « The Expulsion of Legion », 337 ; Torchia, « Eschatological Elements », 19 ; Boring, Mark, 151 ; Shively, Apocalyptic Imagination in the Gospel of Mark, 179–80. 72 Dormandy, « The Expulsion of Legion », 337, qui affirme également que « ...the events of our history are signposts for faith rather than the reward itself ». 73 Grappe, « Jésus : messie prétendu ou messie prétendantௗ? », 283.
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l’annonce du Royaume présente la particularité [...] d’être tendue entre le déjà de son irruption et le pas encore de son plein accomplissement. C’est ainsi que l’initiative divine est affirmée au départ comme à l’arrivée, tandis que, entre-temps, il appartient aux humains d’entrer dans la dynamique insufflée pour que le Royaume revête aussi une dimension postmillénariste74.
5.2.1 L’exorcisme de Gérasa et le thème du Nouvel Exode Comme évoqué plus haut, si l’on ne peut pas réduire le récit de Marc 5.1–20 à une simple polémique anti-romaine/impérialiste, il demeure que son vocabulaire et les thèmes qui y sont évoqués relèvent parfois du langage militaire. L’explication réside dans le fait que ce miracle de Jésus est mis en relation avec le thème de la rédemption d’Israël. Pour Aus, alors que la libération sur laquelle le récit de Marc 5.1–20 insiste n’est pas d’emblée politique mais spirituelle, le judéo-chrétien palestinien responsable de sa première mise en récit, avant sa fixation dans sa forme finale dans l’Évangile selon Marc, se serait inspiré librement des traditions haggadiques très populaires – et évocatrices, en l’occurrence – concernant l’action rédemptrice de Dieu déployée à l’époque de Samson et à l’occasion du passage de la mer lors de l’Exode75. En ce qui concerne Samson, il ne s’agit pas tellement de modeler le récit de cet exorcisme sur l’histoire de l’Hercule israélite, mais plutôt d’y renvoyer le lecteur par le recours à des thèmes et à des notions, ces dernières étant aptes à susciter le sentiment que Dieu est à l’œuvre en faveur du démoniaque à la force surnaturelle tout comme il le fut, à l’époque du héros d’Israël, en faveur de ce dernier et de son peuple. Ainsi, le fait que le Gérasénien demeure dans les tombeaux (vraisemblablement des caves) et qu’il soit associé à l’impureté trouve un écho dans l’épisode dans lequel Samson établit sa demeure dans la « fente du rocher d’Étam » (NBS ; Jg 15.8b, 11, 13), ainsi que dans la réflexion sur l’impureté que ce dernier aurait dû contracter – bien que ce ne fût pas le cas – par son contact avec les cadavres des hommes qu’il avait tués à Ashqelôn et à Léhi (Jg 14.19 ; 15.15–16)76. Ensuite, la manière dont le récit de Marc décrit 74
Grappe, 282, note 58. La composition, par son auteur, de Mc 5.1–20 grâce à l’emprunt de thèmes tirés des récits de Samson et du passage de la mer lors de l’exode s’expliquerait non pas seulement comme « part of his artistic freedom, but also due to their great popularity, for they described Israel’s central redemptive act » (p. 68). Roger D. Aus justifie cette popularité notamment en se fondant sur m. Ber. 1.4 et t. Ber. 2.1, textes mentionnant une bénédiction qui devait être prononcée après le Shema : elle mentionne le Dieu Très-Haut opérant les miracles de la libération de l’Égypte, du passage de la mer et de la noyade des Égyptiens. Aus, My Name is « Legion », 68–69. 76 Selon Jg 15.8b, 11, 13, Samson habite la fente du rocher d’Etam. Le verbe ʡ ʔˇʕʩ (« demeurer ») est traduit normalement dans la LXX par țĮIJȠȚțȦ ; de même en Flavius Josèphe, A.J. 5.297. Même verbe en Mc 5.3. Ainsi Aus, 22. Nous remarquons néanmoins que Jg 15.8 LXX traduit ʡ ʔˇʕʩ par țĮșȗȦ (« s’asseoir, rester, demeurer » : voir 1 Ch 19.5 ; Lc 24.49 ; Ac 75
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comment la force du démoniaque lui permet de se libérer de ses liens présente des parallélismes frappants, au niveau de la terminologie employée, avec aussi bien la célébration de la vigueur d’origine divine de Samson qu’avec les nombreuses tentatives, infructueuses, de le maîtriser de la part des Philistins77. Enfin, même la manière dont les Philistins se lancent sur Samson (įȡĮȝȠȞ : Jg 15.14) et la question que Manoah pose à l’être surnaturel dont il ignore l’identité (IJ ȞȠȝ ıȠȚ : Jg 13.17) semblent avoir inspiré le choix du vocabulaire pour décrire, respectivement, la course du démoniaque vers Jésus (Mc 5.6 : įȡĮȝİȞ) et la question que ce dernier pose à l’entité impure qui accable son interlocuteur (Mc 5.9 : IJ ȞȠȝ ıȠȚ)78. Féconde est également la valorisation des liens conceptuels et terminologiques entre Marc 5.1–20 et Exode 14–15, y compris les développements haggadiques dont ces chapitres de la Torah ont fait l’objet. Outre quelques possibles analogies subsidiaires79, c’est notamment le parallélisme entre le trou-
18.11). Aus, p. 22–25 : en Jg 13.4, 7 (LXX : ʌ઼Ȟ ਕțșĮȡIJȠȞ) et 14, il est dit que rien d’impur ne doit être mangé par la mère de Samson pendant sa grossesse ; le Pseudo-Philon, Ant. 42.3, donne un nom à cette femme (Eluma) et dit que cet ordre concerne Samson et non pas elle ; selon m. Naz. 1.2 ; t. Naz. 1.5 et b. Naz. 4b, un nazir du statut de Samson peut devenir impur par contact avec les cadavres sans être obligé d’offrir le sacrifice de purification de Nb 6.10– 12, parce que Samson a tué des personnes (Jg 14.19 et 15.15–16) sans pour autant être dans l’obligation d’offrir le sacrifice de purification. 77 La force du démoniaque évoque celle de Samson. La puissance du héros Israélite (cf. Jg 14.6, 19 ; 15.4–5, 8, 15–16 ; 16.3, 27–30) est célébrée par la tradition : b. Soܒah 9b–10a ; Nb Rab. 22.7 sur Nb 32.1 ; Pirqé R. El. 53 ; Gn Rab. 98.13 et 99.11 sur Gn 49.16 ; Lv Rab. 8.2 sur Lv 6.13 ; ainsi aussi Flavius Josèphe, A.J. 5.317 : IJોȢ ੁıȤȠȢ. Le verbe hébreu utilisé pour désigner le fait que Samson a été attaché à plusieurs reprises est ʸ ʔʱ ʕʠ (Jg 15.10, 12, 13 ; 16.5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 21). Il est typiquement traduit dans la LXX par įȦ (cf. Mc 5.3–4). En Jg 15.14, « les liens » (ʸ˒ʱ ʒʠ) sont traduits dans la LXX par įİıȝȠ (mais absents en Mc 5). Ceux qui veulent le subjuguer tentent de ligoter Samson sans succès (Jg 15.10, 12–13 ; 16.5, 6–12, 13–14). En Jg 16.9 LXX, on trouve įȚĮıʌȦ, comme en Mc 5.4 (Jg 16.9 LXX A a aussi įȚĮȡȡȖȞȣȝȚ comme en Lc 8.29). Jg 16.21 LXX a ਥȞ ʌįĮȚȢ (cf. IJȢ ʌįĮ en Mc 5.4). Ainsi Aus, 26–30. 78 En Jg 15.14, les Philistins viennent en criant. La LXX ajoute l’expression țĮ įȡĮȝȠȞ. Mc 5.2, 6–7 semble s’inspirer de Jg 15.14 (courir vers + crier). La question IJ ȞȠȝ ıȠȚ; de Mc 5.9 rappelle Jg 13.6, 17 (IJઁ ȞȠȝĮ ĮIJȠȣ / IJ IJઁ ȞȠȝ ıȠȚ). Cf. aussi Pseudo-Philon, Ant. 42.10 ; Nb Rab. 10.5 sur Nb 6.2. La remarque parenthétique de Mc 5.8 évoque celles des récits à matrice orale que l’on retrouve aussi en Jg 13.16b ; 14.4 et 16.12b. Ainsi Aus, 32, 37–38. 79 La double mention de la mer en Mc 5.13 pourrait être influencée par le double emploi de ce mot en Ex 15.4. L’emploi lucanien de ਙȕȣııȠȢ (Lc 8.31) pourrait avoir été inspiré par Ex 15.5 (ʺʮʤʺ). La peur des habitants face à Jésus et leur imploration de ce dernier pour qu’il quitte le territoire (Mc 5.15, 17) pourraient avoir été inspirées par la tradition : Philon, Mos. 1.138–139, commente Ex 12.31–33 en citant une tradition antérieure (« on dit », 1.135) selon laquelle les Égyptiens, suite aux plaies, ont peur de mourir et se plaignent du Pharaon qui n’a pas laissé partir les Israélites. Le thème de la peur est aussi souligné en Tanchuma Buber
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peau de cochons possédés par Légion et les soldats égyptiens qui retient l’attention. Les suidés sont situés sur le côté de la montagne (Mc 5.11), duquel ils s’élancent « vers le précipice, dans la mer » (v. 13). De même, les soldats égyptiens qui poursuivent les Israélites sont postés, selon la tradition juive, dans un endroit entouré par des montagnes (Flavius Josèphe, A.J. 2.328 ; cf. 2.325, 337), sur un escarpement (țȡȘȝȞંȢ en Mc 5.13 et A.J. 2.324 ; cf. Philon, Mos. 1.169)80 duquel ils se précipitent (ȡȝȦ en Mc 5.13 et A.J. 2.344 ; cf. le substantif ਥijંȡȝȘıȚȢ, dérivé du verbe ਥijȠȡȝȦ, de Philon, Mos. 2.254)81. La mise en parallèle de la destinée tragique des deux contingents est au service, dans le récit de l’exorcisme de Gérasa, d’une compréhension de l’action de Jésus en tant que victoire sur les puissances hostiles qui s’acharnent contre le peuple de Dieu et sur lesquelles le Très-Haut exerce son jugement82. Cette manifestation de la puissance rédemptrice divine en faveur d’Israël s’est manifestée lors du premier exode et maintenant se déploie en la personne et l’action de Jésus de Nazareth, envoyé de Dieu pour déclencher le Nouvel Exode83. Bo 19 sur Ex 12.30–33, mais ici c’est le Pharaon qui a peur de mourir en tant que premierné. Aus, 53, 62. 80 ȀĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ en Flavius Josèphe, B.J. 1.313 (// A.J. 14.429) et A.J. 14.426 : Aus, 52, note 165. L’expression țĮIJ țȡȘȝȞȞ apparaît en A.J. 14.70, mais le contexte n’est pas celui du passage de la mer. 81 Aus, 49–51 ; Gagné, « De l’intentio operis à l’intentio lectoris », 227 ; Carter, « CrossGendered Romans and Mark’s Jesus », 154. Dans l’Apocalypse des Animaux (1 Hén. 85– 90), les Égyptiens sont symbolisés par les « loups ». L’épisode de leur noyade dans la mer est décrit en 89.21–27 : Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 64–65. 82 Boring, Mark, 152 : « […] their destruction representing not only the folk motif of tricking the demons but the victory of Israel’s God over paganism ». 83 Pour Gagné, « De l’intentio operis à l’intentio lectoris », 227–28, aussi bien le récit du passage de la mer par les Israélites que celui de Mc 5.1–20 ont le but de révéler la gloire de Dieu (cf. Ex 14.4 et Mc 5.19) et de mettre en valeur le libérateur choisi par Dieu (cf. Ex 3.12 ; 7.1–5 et Mc 5.20). Le concept de « Nouvel Exode », notamment en relation à l’Évangile selon Marc, a été étudié particulièrement par Rikki E. Watts, Isaiah’s New Exodus and Mark, 1e éd. 1997, BSL (Grand Rapids : Baker, 2000). Voir également son article en français : Rikki E. Watts, « Exode (événement) », in DTB, éd. par T. Desmond Alexander et Brian S. Rosner, OR (Cléon-d’Andran : Excelsis, 2006), 585–96. Joel Marcus s’était déjà penché sur le même sujet : The Way of the Lordࣟ : Christological Exegesis of the Old Testament in the Gospel of Mark (Edinburgh : Westminster John Knox Press, 1993). Plus récemment, cela a été le cas de Richard B. Hays, Echoes of Scripture in the Gospels (Waco : Baylor University Press, 2016), 15–103. Dans le livre d’Ésaïe, à partir du chapitre 40, Dieu promet aux exilés de Babylone une libération politique et spirituelle et de les conduire à nouveau dans leur pays, Lui-même étant à leur tête (cf. Es 40.3) dans la traversée du désert. Cette libération est une sorte de reproduction et de dépassement de l’exode égyptien (cf. Ex 14.21– 22 et Es 43.16–17 ; 51.9–10 ; Ex 17.1–7 et Es 48.21) et se fera, sur le plan politique, grâce au roi Cyrus (41.2, 25 ; 44.28 ; 45.1, 13 ; 46.11), et, sur le plan spirituel, par le Serviteur (anonyme) de Dieu, sur qui reposera le Souffle (42.1 ; voir aussi 61.1) et qui ne recourt pas à la violence (42.3 ; voir également 49.1–13 ; 50.4–11 ; 52.13–53.12). Le Nouvel Exode abourtira à une sorte de nouvelle création (65.17 ; 66.22). Pour Marc (1.1–13), Jean Baptiste
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La tradition juive attribue à Dieu un sentiment de tristesse face au deuil que la mort des légions d’Égyptiennes représente pour lui, au point qu’il demande aux anges de ne pas célébrer par le chant cette douloureuse victoire84. Le pharaon, comparé de manière intrigante à un gardien de cochons (symbole des Égyptiens dans cette métaphore)85, est, selon les dires de rabbi Néhémie, le seul survivant à l’hécatombe. Son rôle sera de proclamer universellement le nom de Dieu, éventuellement en devenant le roi de Ninive et en incarnant le modèle du non-Juif repentant, cela en se montrant sensible à la prédication de Jonas86. Quoi qu’il en soit de la popularité (et/ou de l’existence) de ces traditions à
est l’Élie qui aplanit la route du Seigneur (Ml 3.1 ; 3.23 ; Ex 23.20) et prépare l’avénement de Jésus et de sa Bonne Nouvelle, ce qui représente l’accomplissement d’Es 40.3, car Jésus est le Serviteur (Es 42.1), le Fils bien-aimé de Dieu (Ex 4.22 ; Ps 2.7), l’Époux d’Israël (Es 54.5–8 ; 62.5 ; voir Mc 2.19) : à son baptême (Mc 1.10), le souhait d’Ésaïe de voir Dieu descendre en déchirant les cieux est exaucé (Es 63.19). Jésus conduit ses disciples « aveugles » (cf. Es 42.16–20 ; 43.8 en lien avec notamment Mc 4.10–13 et 8.22 à 10.52) à Jérusalem, après avoir montré : qu’il a lié, par ses exorcismes, l’« homme fort » (cf. Mc 3.27 et Es 49.24–25) ; qu’il a maîtrisé la mer (cf. Mc 4.35–41 et Es 43.16–17 ; Ex 14–15) ; qu’il a fourni de la nourriture à son peuple (cf. Mc 6.34–44 ; 8.1–10 avec Es 49.9b–10 ; 48.21) ; qu’il a rendu la santé aux aveugles, sourds et paralytiques (Es 35.5–6 ; 61.1–2 LXX ; 32.3– 4) ; qu’il a pardonné les péchés (cf. Mc 2.5 avec Es 43.25 ; 33.24) ; qu’il a levé l’impureté (cf. Mc 5.25–41 ; Es 64.5–6 ; 65.19–20). S’opposer à Jésus revient à réiterer le péché des Israélites qui ont attristé le Souffle lors du premier exode (cf. Mc 3.29–30 et Es 63.10). L’entrée de Jésus à Jérusalem, accompagné du « fils d’impureté » (Bartimée) sauvé (Mc 10.52) est à comprendre comme le retour du Seigneur au Sion selon les termes d’Es 35.3– 10. Pourtant, ce serviteur souffrant (cf. Mc 8.31 ; 9.31 ; 10.33–34, 45 avec Es 53.6–12) n’est pas accepté par les autorités juives, ce qui amène Dieu à confier sa « vigne » à d’autres (cf. Mc 12.1–12 avec Es 5.1–7 ; 3.11) et à établir une nouvelle alliance (cf. Mc 14.24 avec Ex 24.8), ce qui permettra enfin l’intégration des nations, chose que le Temple et ses responsables n’ont pas rendu possible (cf. Mc 11.17 avec Es 56.6–8 ; 66.19–20). Ainsi Watts, « Exode (événement) », 592–93. 84 R. Yohanan, in Ex. Rab. 23.7 sur Ex 15.1, affirme que les anges auraient voulu chanter à l’Éternel pour célébrer la défaite de l’armée égyptienne. Pourtant, Dieu les en empêche : « mes légions (ʩ ʔʺˣʰˣʩ ʍʢ ʑʬ) sont dans la détresse, et vous souhaitez chanter devant ma présence ? » (cf. Midrash Ps 106.2). Ainsi Aus, My Name is « Legion », 45. 85 Ex Rab. 20.1 sur Ex 13.17, cité par Aus, 47. 86 L’expression ʣʧʠʚʣʲ ʭʤʡ ʸʠˇʰʚʠʬ (Ex 14.28 ; cf. Ps 106.11) peut être comprise au sens de « même pas un » ou « sauf un ». R. Judah bar Ilai (Mekhilta sur l’Exode 7 sur Ex 14.28) interprète dans le premier sens : même pas pharaon. Par contre, R. Néhémie, son contemporain, opte pour « sauf le pharaon », en s’appuyant sur Exode 9.16, compris comme la promesse de Dieu à pharaon d’en faire un témoin pour toute la terre (Midrash Ps 106.5 sur Ps 106.11). Ainsi Aus, 56. Nous remarquons qu’à Qumrân (4Q22 [4QpaleoExodm] ; 4Q14 [4QExodc]), le texte est semblable au texte du massorétique en ce que c’est Dieu (et non pas pharaon) qui montre son pouvoir et qui proclame son nom sur toute la terre. Dans Pirqé R. El. 43 et dans le midrash tardif Wa-Yosha sur Ex 15.11, pharaon est le roi de Ninive sensible à la prédication de Jonas (Aus, 56–58, 91–92).
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l’époque de la composition du récit de l’exorcisme de Gérasa, on constate aisément que le Jésus marcien n’exerce pas un jugement à l’égard de l’étranger ; au contraire, ce dernier devient l’objet de son action rédemptrice, le bénéficiaire à part entière de la dynamique libératrice du Nouvel Exode et l’acteur même de sa divulgation. Dans cette perspective, le concept-clé qui, à notre avis, éclaire la portée et la nature du Nouvel Exode dont le Jésus marcien est l’agent et le héraut se trouve à la fin du récit de l’exorcisme de Gérasa, lorsque Jésus enjoint à l’homme libéré de rapporter combien « le Seigneur… a eu compassion de toi » ( țȡȚંȢ… ȜȘıȞ ıİ : Mc 5.19). Il est vrai que la compassion et la clémence sont des vertus reconnues87, attribuées aux empereurs et même à Rome, et louées pour leur apport fondamental dans le dépassement des conflits, de l’insécurité et de la paupérisation88. Pourtant, plus pertinente est l’observation selon laquelle la miséricorde de Dieu est précisément un thème porteur évoqué, dans la tradition juive, en relation avec la restauration qui aura lieu par le jugement eschatologique, notamment en lien avec le thème du Nouvel Exode. La miséricorde est une caractéristique reconnue du Dieu d’Israël (cf. Ex 20.6 ; 33.19 ; 34.6). C’est elle qui a motivé ses agissements en faveur d’Israël, notamment lors de la libération de l’esclavage égyptien, action qui a davantage mis en valeur le caractère réfractaire du peuple et, par contraste, la compassion de YHWH (cf. Ps 78.38). Le retour de l’exil et de la dispersion, annoncé dans le dernier discours de Moïse (Dt 30.1–6), est envisagé en tant que fruit du même engagement compatissant de Dieu (v. 6 : țĮ ਥȜİıİȚ ıİ) que celui qui s’est manifesté lors du premier exode. Le lien entre ce dernier et la restauration qui suivra la déportation (et la diaspora) est attribué prophétiquement déjà au législateur d’Israël, mais ce lien fait surtout l’objet d’un développement dans le discours de figures charismatiques telles qu’Ésaïe, Jérémie et Ézéchiel. Ainsi, le Seigneur fera preuve de miséricorde envers la maison d’Israël (Ez 39.25 : țĮ ਥȜİıȦ IJઁȞ ȠੇțȠȞ ǿıȡĮȘȜ ; Jr 49.12 LXX [// 42.12 MT] : țĮ įઆıȦ ਫ਼ȝȞ ȜİȠȢ țĮ ਥȜİıȦ ਫ਼ȝ઼Ȣ ; Es 14.1 : țĮ ਥȜİıİȚ țȡȚȠȢ IJંȞ ǿĮțȦȕ ; 30.18 : IJȠ૨ ਥȜİોıĮȚ ਫ਼ȝ઼Ȣ ; 49.10 : ਥȜİȞ ĮIJȠȢ ; 60.10 : țĮ įȚ ȜİȠȞ ȖʌȘı ıİ) et ramènera ses habitants des pays dans lesquels ils sont dispersés (Ez 39.27 ; 87
Cf. Sophocle, Phil. 308–309 : « ces gens-là, ils ont bien pitié de moi (ਥȜİȠ૨ıȚ) et même ils m’ont donné quelques fois de la nourriture, par compassion (ȠੁțIJȓȡĮȞIJİȢ) ». Cité par Spicq, Lexique théologique, 488, note 3. Il remarque également que le binome ȠੁțIJȡȝȦȞ – ਥȜİȝȦȞ se trouve fréquemment dans la LXX (par ex. : Ex 34.6 ; Ne 9.17 ; Ps 85.15 LXX ; 102.8 LXX ; 111.4 LXX ; Si 2.11), et que pour le Cynique, appelé à se débarasser de l’envie et de la pitié, ce dernier sentiment fait l’objet d’une concession : ਥȜȑİȚ ĮIJઁȞ ȝ઼ȜȜȠȞ ਲ਼ ȝȓıİȚ (Épictète, Diss. 1.18.9). La miséricorde était aussi conçue par les païens comme une divinité : Pausanias, Descr. 1.17.1 ; Diod. Sic., 12.22.7 ; IG IV 1282. Pour une plus ample discussion voir « ਥȜİȦ, ȜİȠȢ », in Spicq, 488–96. 88 Cf. Sénèque, Clem. 1.1.2 ; 1.26.5 et Aelius Aristides, Or. 26.155–157, cités pas Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 42.
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Jr 49.12 LXX ; Es 14.1–3 ; 30.19 ; 49.9–12 ; 54.6–7 ; 60.4) pour répandre sur eux son souffle (Ez 39.29) et manifester sa miséricorde inébranlable (Es 54.10 : Ƞį IJઁ ʌĮȡૃਥȝȠ૨ ıȠȚ ȜİȠȢ ਥțȜİȥİȚ). Comme un refrain, le thème de la compassion de Dieu en tant que fondement de la promesse de la restauration et du rassemblement eschatologique continue d’apparaître dans des propos plus tardifs : Psaumes de Salomon 8.27–28 (IJઁ ȜİંȢ ıȠȣ… ıȣȞȖĮȖİ IJȞ įȚĮıʌȠȡȞ ǿıȡĮȘȜ ȝİIJ ਥȜȠȣȢ)89 ; Testament de Nephtali 4.3–5 (țĮIJ IJઁ ʌȠȜઃ ĮIJȠ૨ ȜİȠȢ… țĮ ʌȠȚȞ ȜİȠȢ İੁȢ ʌȞIJĮȢ IJȠઃȢ ȝĮțȡȞ țĮ IJȠઃȢ ਥȖȖȢ) ; Testament de Juda 23.5 (ਥȞ ਥȜİȚ) ; Testament de Dan 5.9 (ਥȜİȘșıİıșİ). Qui plus est, selon Psaumes de Salomon 18, alors que la miséricorde de Dieu est évidente depuis toujours dans ses œuvres – y compris dans ses jugements historiques – (ȜİȠȢ : Ps. Sal. 18.1, 3), elle joue un rôle décisif également lors de l’avènement du Messie, jour de purification et de miséricorde (İੁȢ ਲȝȡĮȞ ਥȜȠȣȢ : v. 5), ainsi que de jugement (v. 7)90. Le premier livre d’Hénoch envisage aussi l’avènement de Dieu lors de son Jugement (1.3 : ਥȟȡȤȠȝĮȚ ; cf. Mc 5.2), lequel suscitera à la fois la peur (1 Hén. 1.5 : ijȠȕȦ ; cf. Mc 5.15) et la foi des Veilleurs, et qui montrera sa miséricorde à l’égard des justes (1 Hén. 1.8 : ȜİȠȢ)91. 89
En Ps. Sal. 17.3, 45, il est question de la délivrance de l’impureté des ennemis profanes. Le lien entre compassion, purification de l’iniquité et protection de l’emprise de Satan est explicité en 11QPsa. Dans cette prière, Dieu est loué pour ses actes misericordieux (11QPsa 19.9) en faveur du pénitent qui était vendu au Shéol par ses péchés et par son iniquité (19.10). Pourtant, par sa compassion et sa justice (19.10), et par sa force (19.11), Dieu pardonne les péchés du pénitent et le purifie de son inquité, en lui donnant un esprit de foi et de connaissance (19.13–14). Le pénitent demande que le Seigneur ne permette pas à Satan ou à un mauvais esprit de régner sur lui (19.15). Une édition fragmentaire de cette prière se retrouve en 11Q6 frag. 4–5. Voir Wright, The Origin of Evil Spirits, 184. 90 Dans Ap. Sed. (III–IVe siècle après J.-C.), on demande à Dieu d’avoir compassion (5.7 : ਥȜİȦ, ȜİȠȢ) des pécheurs qui sont dans cette situation à cause de l’œuvre irrésistible de Satan (v. 6). 91 Intéressant est le discours attribué à Zabulon, dans les Testament des douze patriarches, discours dans lequel le patriarche enjoint à ses enfants de faire preuve de la pitié (ȜİȠȢ) envers les voisins et tous les êtres humains, mais également İੁȢ ਙȜȠȖĮ, c’est-à-dire les êtres déraisonnables (T. Zab. 5.1). Cette locution est comprise par beaucoup comme équivalente à « animaux » (cf. Sg 11.15 ; 4 M 14.14, 18 ; 1 P 2.12 ; Jude 10). Zabulon, béni par Dieu dans son activité sur la mer du pays de Canaan (T. Zab. 5.5–6.3), a partagé avec compassion sa pêche avec les étrangers (6.4–7) et a pris soin de ceux qui étaient ਥȞ ȖȣȝȞંIJȘIJȚ (« nus » : 7.1). Si les enfants de Zabulon auront de la compassion pour tous, le Seigneur aura compassion d’eux aux derniers jours, lorsqu’il enverra sa propre compassion sur la terre (8.1–2). Une période de capitivité est annoncée (9.6), suivie de la repentance des enfants et de l’action favorable de Dieu, « car il est miséricordieux » (IJȚ ਥȜİȝȦȞ ਥıIJ : 9.7). Nous remarquons que les motifs du manque de raison (T. Zab. 5.1) et de la nudité (7.1) se retrouvent indirectement dans le récit du démoniaque de Gérasa, qui, après l’exorcisme, est habillé et a toute sa raison (Mc 5.15). Nicholas Perrin, « Managing Jesus’ Anger. Revisiting a Test-Critical Conundrum (Mark 1:41) », CTR 13, no 2 (2016) : 8, remarque que le thème de la compassion,
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Il nous paraît donc logique d’inscrire le récit de l’exorcisme de Gérasa, évocateur de l’histoire de Samson et de la noyade de l’armée égyptienne, dans la perspective de la rédemption d’Israël, et notamment du Nouvel Exode, tel que Marc l’a déjà annoncé en 1.2–3 et qui place Jésus au centre de l’action rédemptrice divine. Le fait que le Jésus marcien enjoigne à l’ex-démoniaque de proclamer la miséricorde divine (Mc 5.19 : ਕʌȖȖİȚȜȠȞ ĮIJȠȢ ıĮ țȡȚંȢ ıȠȚ… ȜȘıȞ ıİ) montre clairement quelles sont la portée et la nature de son intervention en faveur de cet homme. Ce récit marque une subversion de la compréhension du rassemblement eschatologique d’Israël opéré par Jésus en tant qu’accomplisseur des desseins divins. Traditionnellement, les enfants d’Israël sont appelés à sortir des pays où ils sont dispersés par une dynamique de séparation de l’étranger et de regroupement avec les leurs. Le récit de Marc 5.1–20, par contre, relate que le bénéficiaire de la dynamique du Nouvel Exode est un étranger auquel Jésus refuse la proximité physique, mais qui devient le proclamateur des hauts faits de Dieu en terre païenne. Ainsi, le Nouvel Exode et l’attitude accueillante de Jésus ne sont pas à lire à partir d’une clé politique et antiimpérialiste, car ils se situent plutôt dans le cadre de l’affrontement cosmique entre Dieu et Satan, affrontement qui aboutit à l’action de Dieu en faveur de tous les êtres humains, Juifs et non-Juifs. L’intégration des étrangers dans les frontières du Royaume est ainsi liée de manière indissoluble au thème du Nouvel Exode, événement eschatologique et désormais de portée universelle et cosmique. 5.2.2 L’intégration de l’étranger dans la dynamique du Nouvel Exode L’intégration du Gérasénien par le Jésus marcien dans l’horizon du Nouvel Exode s’inscrit dans un contexte social caractérisé par des relations tendues entre les Juifs et les Gentils. Toutefois, il faut éviter les caricatures et reconnaître que l’on ne peut pas réduire la relation à l’étranger à une situation monolithique d’opposition acharnée. Du point de vue des non-Juifs, il est vrai que le monothéisme, les pratiques alimentaires et rituelles ainsi que l’entraide presque exclusivement orientée vers les membres de leur propre communauté étaient perçus généralement comme des éléments découlant d’une misoxénie en vigueur chez les Juifs, qui prône
cette fois exprimé avec le verbe ıʌȜĮȖȤȞȗȠȝĮȚ, en relation avec le Nouvel Exode et la restauration, se retrouve, entre autres, en Par. Jer. 6.18, T. Asher 7.6–7 et T. Zab. 9.8 (qui vient d’être cité, et qui utilise à la fois ıʌȜĮȖȤȞȗȠȝĮȚ et ਥȜİȦ). Perrin, à juste titre, interprète la miséricorde de Jésus sur cet arrière-plan et la considère « associated not with miracles in general but more precisely with miracles of a specific redemptive-historical signification » (p. 12).
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la séparation sociale et l’indifférence au bien-être de la cité92. Réciproquement, le regard porté par le peuple juif sur les nations était habituellement tout aussi négatif : Israël est saint, alors que tous les Gentils sont impurs (Sg 10.15 ; Jub. 22.16 ; 1 Hén. 89.10) ; les nations sont spirituellement aveugles (cf. 1 Hén. 90.13–19) et le jugement de Dieu est annoncé contre elles (cf. 4QpNah frag. 1+2, 4–5) ; même le contact physique est, selon certaines sensibilités, à proscrire (Ac 11.3 ; cf. 4Q266 frag 5, II.5–7 : le prêtre qui habite en ville et qui a été capturé par un non-Juif devient automatiquement impur et donc inapte au service)93. On est toutefois aussi confronté à des témoignages indiquant que l’hostilité pouvait laisser la place à des relations moins tendues. Le Document de Damas recommande de ne pas commercer avec les Gentils, mais également de ne pas s’acharner contre eux, à moins que ce ne soit un ordre du conseil du Yahad, cela afin d’éviter qu’ils blasphèment (CD 12.6–8). Ce même document enjoint de ne pas céder à un non-Juif un esclave qui est entré dans l’alliance d’Abraham (12.11–12). Pour ce dernier cas, il nous semble que l’intégration de l’étranger esclave dans le Yahad s’apparente à la description que Philon donne de l’accueil que le Juif de la diaspora réserve à celui qui a quitté sa terre, sa famille et son entourage pour intégrer la famille d’Israël en se soumettant au Dieu unique (Spec. 1.52), le précédent biblique se trouvant dans la Torah (cf. Lv 19.33–34) et, sous la forme de récit, dans le livre de Ruth94. De son côté, l’Apocalypse des
92 Diod. Sic. 34.1–4 ; 40.3.4 ; Tacite, Hist. 5.5.1 ; Juvénal, Sat. 14.100–104 ; Flavius Josèphe, C. Ap. 2.121. Voir aussi 3 M 3.4, 7. DeSilva, An Introduction to the New Testament, 102. 93 DeSilva, 119 ; Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 182 ; Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 63–64. Dans 4QpNah, le fait que Dieu tance la mer et la dessèche est interprété comme le jugement et la destruction des nations, alors que dans l’évangile de Marc le miracle de l’apaisement de la tempête est suivi de l’action miséricordieuse de Jésus en faveur du Gérasénien. Voir également Michael P. Theophilos, « The Portrayal of Gentiles in Jewish Apocalyptic Literature », in Attitudes to Gentiles in Ancient Judaism and Early Christianity, éd. par David C. Sim et James S. McLaren, LNTS 499 (London : Bloomsbury, 2014), 72–91, qui propose un survol de textes apocalyptiques juifs (Testament de Moïse, Oracles Sibyllins 3–4, Jubilés, 1 Hénoch, 4 Esdras, 2 Baruch et Apocalypse d’Abraham) et arrive à la conclusion qu’en général l’attente dans ces milieux était la destruction des nations lors de la manifestation du jugement eschatologique de Dieu. 94 Voir aussi Ex 22.20 ; 23.9 ; Lv 19.10 ; Dt 10.19 ; 23.8 ; 24.17–18 ; 26.5–8 ; 27.19. En Es 56.3–7, il est question de l’intégration de l’eunuque et de l’étranger qui transitent en Israël (pas de l’immigré). Dans la perspective juive, en dépit des divisions d’ordre religieux et/ou idéologiques, il n’y a qu’un seul peuple où tous sont frères et sœurs (cf. Tb 2.2 ; 2 M 1.1). Qui plus est, si un Gentil avait laissé sa terre, sa famille et sa religion pour intégrer le peuple juif, il était accueilli dans la « famille ». Ainsi DeSilva, An Introduction to the New Testament, 139, 142. La relation à l’étranger était également nuancée à Qumrân. Voir à ce propos l’attitude différente dans les écrits sectaires envers les kittim (négative) et les gerim (plus positive) remarquée par John J. Collins, « Gentiles in the Dead Sea Scrolls », in Attitudes to
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Animaux (1 Hén. 85–90) représente les nations par quatorze animaux, tous impurs (89.10) ; trois parmi eux ne sont pas hostiles à Israël : les damans, les apodidés (famille d’oiseaux à laquelle appartiennent les martinets et salanganes) et... les cochons95. Ces animaux-peuples, bien qu’impurs, ne sont pas perçus comme agressifs à l’égard du peuple élu (les brebis), et la relation que le Juif entretient avec eux n’est pas envisagée comme relevant du registre de la violence et de l’agressivité, qu’elles soient subies ou infligées96. D’autres sources attestent une intégration socio-culturelle encore plus importante. C’est le cas, par exemple, des ijȠȕȠȝİȞȠȚ IJઁȞ șİંȞ (Ac 13.16, 26 ; cf. 10.2), des Gentils qui, tout en s’approchant du judaïsme (notamment de la diaspora), ne renoncent pas à leurs divinités natives. Deux exemples importants sont Corneille à Césarée (Ac 10) et Julia Sévéra, prêtresse païenne et également bienfaitrice de la synagogue locale, à Acmonia (Phrygie) (MAMA VI 264, environ 100 de notre ère). Juvénal aussi, sans admiration, mentionne des Gentils fascinés par le judaïsme et observateurs du sabbat (Sat. 14.96). Deux siècles et demi plus tard, Jean Chrysostome († 407) se heurte encore à une réalité qu’il critique âprement : certains (pagano-) chrétiens se joignent aux Juifs en allant dans leurs synagogues pour célébrer leurs festivités sacrées (cf. Adv. Jud. 1.5 ; 7.1 ; 8.8)97. Gentiles in Ancient Judaism and Early Christianity, éd. par David C. Sim et James S. McLaren, LNTS 499 (London : Bloomsbury, 2014), 46–61. 95 Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 63, contrairement à Patrick A. Tiller, A Commentary on the Animal Apocalypse of 1 Enoch, EJLit 4 (Atlanta : Scholars Press, 1993), 29–30, et à George W. E. Nickelsburg et James C. VanderKam, 1 Enoch, éd. par Klaus Baltzer, vol. 1 : A Commentary on the Book of Enoch, chapters 1–36 ; 81–108, Hermeneia (Minneapolis : Fortress Press, 2001), 377, n’estime pas que ces animaux soient un ajout plus tardif. Concernant l’interprétation des cochons dans 1 Hén. 89.10, Olson suggère de les identifier aux Amalécites ou même aux Samaritains, en citant m. Šeb. 8.1, où on attribue à R. Eliezer l’idée que manger le pain d’un Samaritain équivaut à manger de la viande de porc. Son analyse de l’Apocalypse des Animaux ne lui permet pas de trancher la question de savoir si les « cochons » seront sauvés ; en tout cas, il n’est pas explicitement dit qu’ils participeront à la bataille eschatologique contre Israël : Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 64, note 22 ; 129. 96 Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 64 : « [t]hey therefore present a ‹pure› case by which readers may test their theological attitude toward Gentiles qua Gentiles. By listing such patently harmless Gentiles along with the more familial hostile and dangerous varieties, the allegory raises the question about justice with regard to the possibility of Gentile salvation, questions that find an answer in the allegory’s terms for admittance to the new Eden ». À la page 63, note 19, il renvoie à 2 Bar. 72.4, où il est dit que toute nation n’ayant pas connu ou persecuté Israël vivra. 97 Paula Fredriksen, « Paul, Practical Pluralism, and the Invention of Religious Persecution in Roman Antiquity », in Understanding Religious Pluralism. Perspectives from Religious Studies and Theology, éd. par Peter C. Phan et Jonathan S. Ray (Eugene : Pickwick, 2014), 90–99. Voir également Lc 7.4–5 : « Ils [quelques anciens Juifs] arrivèrent auprès de Jésus et le supplièrent d’une manière pressante en disant : Il [le centurion] est digne que tu
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En dépit de cela, la rhétorique anti-Gentils prévaut nettement dans les discours en relation avec le rétablissement d’Israël. Ainsi les Qumrâniens (4QpNah) interprètent-ils Nahoum 1.1–2.3 en tant que prophétie de la destruction des Grecs et des Romains98 ; la Hazon Gabriel annonce une guerre eschatologique des nations contre Jérusalem99 ; 4 Esdras prédit un messie davidique rabrouant et détruisant l’aigle, métaphore de Rome (12.11–34), et un Fils de l’Homme venant de la mer et anéantissant les nations (13.1–13a)100. Dans ce contexte, l’absence d’une rhétorique clairement anti-romaine dans le deuxième évangile et l’inclusion des étrangers dans les frontières du Royaume que le Jésus marcien prône (cf. Mc 5.19–20 et 7.27–30) promeut une reconfiguration des relations à l’étranger en tant que tel. Certes, la notion d’une humanité assujettie aux puissances hostiles à Dieu et d’un plan de salut visant à établir une nouvelle réalité, sans distinction entre les élus, trouve déjà quelques rares expressions avant la rédaction de l’évangile de Marc et même avant la réflexion théologique paulinienne101. Mais la straté-
lui accordes cela, car il aime notre nation, et c'est lui qui a construit notre synagogue » (NBS). 98 Derrett, « Contributions », 10–12. 99 David B. Capes, « ‹Jerusalem› in the Gabriel Revelation and the Revelation of John », in Hazon Gabriel. New Readings of the Gabriel Revelation, éd. par Matthias Henze, EJLit 29 (Leiden : Brill, 2013), 173–186. 100 Le Messie en question est préexistant (4 Esd. 12.32 ; 7.28–29) : on attend le temps de sa manifestation. Il mourra après 400 ans de règne. Stone propose 2 Bar. 30.1 comme le seul texte qui contient une idée similaire. Il remarque également que le rôle du Messie n’est pas ici d’établir le Royaume mais de régner pendant quatre siècles avec les « survivants ». Le Fils/Serviteur (Stone préfère le deuxième terme) de 4 Esd. 13 vient de la mer (v. 3), car il est caché par Dieu jusqu’au jour de sa révélation (13.51–52 ; donc lui aussi semble être préexistant). Avec le feu qui sort de sa bouche, il détruit les nations qui, quoiqu’effrayées, l’attaquent, suscitant ainsi l’étonnement du témoin de ces événements (13.8–11). Collins y voit une reprise d’Es 11.4 (« ... du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant »), comme c’est le cas en 1QSb 5.24–25 (Ps. Sal. 17.21–24 annonce également la destruction des nations en combinant Es 11.4 à Ps 2.9). Michael E. Stone, Fourth Ezra, Hermeneia 41 (Minneapolis : Fortress Press, 1990), 208–9, 384 ; Collins, Mark. A Commentary, 62. 101 Nickelsburg et Olson suggèrent que la réflexion chrétienne, notamment chez Paul, aurait pu être nourrie par les propos de 1 Hén. 85–90. En effet, l’Apocalypse des Animaux met l’accent sur la restauration de l’être humain par la suppression des différences plutôt que sur la restauration d’Israël, les brebis et les autres animaux laissant la place aux seuls taureaux blancs. Il faut signaler que la conclusion de l’Apocalypse des Animaux confronte le traducteur à des difficultées textuelles (notamment 90.37–38). Olson les traite (p. 22–25 ; 228–229), en arrivant à la conclusion que même les brebis (Israël) seront transformées en taureaux blancs. De son côté, Paul parle de « nouvelle création » (2 Co 5.17 ; Ga 6.15 ; cf. 1 Hén. 90.38) et d’abolition de barrières (Ga 3.28 ; 1 Co 12.13 ; cf. Col 3.11 ; Ep 2.15–18 ; 3.6). Toutefois, le peuple eschatologique envisagé par Paul et formé par des païens et des Juifs qui adhèrent au Christ (cf. Rm 9.6–8 ; 10.10–17) est appelé « Israël de Dieu » (Ga
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gie marcienne se démarque par l’effort d’inscrire les non-Juifs dans le périmètre de promesses vétérotestamentaires adressées à l’origine au seul peuple élu. Le texte de Marc 5.1–20, en l’occurrence, montre que l’exorcisme du Gérasénien a comme arrière-plan symbolique le thème de la rédemption d’Israël. Qui plus est, ce texte évoque aussi la promesse du Psaume 67.7 LXX, adressée aux Juifs captifs, selon laquelle Dieu donnera une maison aux « solitaires », à « ceux qui ont été enchaînés (aux pieds) » et à « ceux qui habitent dans les tombeaux »102. Le Gérasénien est connoté comme un Juif apostat (cf. Es 65.1– 4, où ceux qui habitent les tombeaux et sont associés à la viande de porc sont des Israélites), mais à la place du jugement, il bénéficiera de la dynamique de l’« année de faveur » qui entraîne la libération des captifs : telle est la bonne nouvelle annoncée en Ésaïe 61.1–2 par l’entremise de l’oint du Seigneur103. Cela ne veut pas dire que la mission auprès des païens et leur intégration dans les frontières du Royaume telles que Marc les conçoit relève du Jésus historique. L’exorcisme du Gérasénien (Mc 5.1–20) et la guérison de la fille de la femme Syro-Phénicienne (7.24–30), même dans leur forme finale, trahissent la réticence que Jésus avait à abattre toute barrière ethnique et à inclure dans le nombre de ses disciples des non-Juifs. Aussi bien le Gérasénien que la Syrophénicienne ne sont pas le fruit d’une action missionnaire établie à l’égard des Gentils, et Jésus n’invite jamais les Douze à proclamer l’avènement du Royaume en dehors d’Israël. Les disciples de Jésus sont invités à ne pas se sentir 6.16). Qui plus est, Paul adopte pour le Christ un modèle incarnationnel qui est étranger à la pensée de 1 Hénoch. Nickelsburg et VanderKam, 1 Enoch, 1 : A Commentary on the Book of Enoch, chapters 1–36 ; 81–108 : 85 ; Olson, A New Reading of the Animal Apocalypse, 22–25, 228–29, 242. 102 Alors que Ps 68.7 lit ʤʧʩ ʙ ʕ ʑʧ ʍʶ˒ ६ʰ ʍʫ ʕˇʭʩʸय़ ʑ ʏʸˣ ʱ˂ । ʠʺˣ ६ ʔ ʸख़ ʕˇˣ˗ ʔˎʭʩʸʩʑ ʑʱ ʠʏ ॴ ʠʩ ʶˣʮʤ ४ʑ ʕʺ ʍʩˎʜʭʩ ʔय़ ʣʩ ॡ ʑ ʑʧ ʍʩʡʩˇˣ ५ ʑ ʮʜʭʩ ९ ʤ˄ ५ ʑ ʠʎ (« aux isolés, Dieu procure un foyer : il fait sortir les captifs par une heureuse délivrance, mais les rebelles habitent des lieux arides », TOB), la LXX (67.7) donne la version suivante : șİઁȢ țĮIJȠȚțȗİȚ ȝȠȞȠIJȡંʌȠȣȢ ਥȞ Ƞț ਥȟȖȦȞ ʌİʌİįȘȝȞȠȣȢ ਥȞ ਕȞįȡİ ȝȠȦȢ IJȠઃȢ ʌĮȡĮʌȚțȡĮȞȠȞIJĮȢ IJȠઃȢ țĮIJȠȚțȠ૨ȞIJĮȢ ਥȞ IJijȠȚȢ (« Dieu fait habiter les solitaires dans une maison en faisant sortir avec virilité (= avec puissance) ceux qui ont été enchaînés [aux pieds], de même ceux qui le provoquent [l’exaspèrent], ceux qui habitent dans les tombeaux », trad. personnelle). 103 Plutôt étonnant, selon nous, le fait que Roger Aus, tout en reconnaissant l’influence des récits (et des traditions successives) de Samson et du passage de la mer lors de l’Exode sur Mc 5.1–20, trouve problématique d’accepter aussi une relation du récit de l’exorcisme de Gérasa avec Ps 67.7 LXX et Es 65.3–4 LXX : Aus, My Name is « Legion », 97. Concernant le texte d’Es 61.1–2, Grappe rappelle que ce texte a été lu en clé messianique et a inspiré le discours démagogique d’Hérode Archélaos (Flavius Josèphe, B.J. 2.4 : promesse de libération des prisonniers) ainsi que l’action à l’allure eschatologique de Simon bar Giora, ce dernier proclamant la libération des esclaves (Es 61.1–2 annonce l’année jubilaire, occasion pour la libération des esclaves : cf. Ex 21.2 ; Dt 15.12 ; Jr 34.8–16 : 7e année ; Lv 25.10 : 50e année). C’est le texte par lequel le Jésus lucanien explique sa mission (Lc 4.16–21) et qui a probablement informé le Jésus historique sur le sens de son action. Grappe, « Jésus : messie prétendu ou messie prétendantௗ? », 281.
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menacés par le contact avec les étrangers, mais la proclamation dans leur territoire n’est pas du ressort des Douze (cf. Mc 5.19–20)104. Grappe rappelle que l’irruption du Royaume (Mc 1.14) est conçue par Jésus comme une réalité liée à son ministère en paroles et actes, à sa personne même (Mt 12.28 // Lc 11.20). Parmi les actions marquant la déroute de Satan et le déploiement des frontières du Royaume, les exorcismes avaient une place de choix. En général, Jésus « concevait son action à l’échelle du peuple d’Israël », comme le choix des Douze et le refus d’accepter dans leur nombre le Gérasénien le confirment ; pourtant, le fait qu’un petit nombre de païens ait été libéré des forces démoniaques par le « doigt de Dieu » (Lc 11.20 // Mt 12.28 : « Esprit de Dieu ») a suggéré ultérieurement que l’action de l’Esprit transcende les frontières établies. Il y a donc continuité entre le Jésus de l’histoire et le développement plus tardif de la mission auprès des païens, dans la mesure où la réticence de Jésus n’est pas exclusive d’un accueil positif de certains non-Juifs
104 Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 173, note 34 : il ne faut pas comprendre l’action ponctuelle du Jésus historique envers la Syro-phénicienne comme l’encouragement à abolir toute différence entre Juif et non-Juif dans la perspective de leur intégration dans le Royaume, comme l’affirme, par exemple, Kelber, Mark’s Story of Jesus, 32. Encore Grappe : « [n]ous pensons cependant que la fin de non recevoir qu’oppose dans un premier temps le Jésus marcien à la Syrophénicienne invite à rester quelque peu en retrait d’une telle conclusion, même si elle pointe assurément dans la bonne direction ». En effet, Grappe rappelle que même si le logion de Mt 15.24 (« qu’aux moutons perdus de la maison d’Israël ») est rédactionnel — il renvoie à Joachim Jeremias, Jésus et les païens, trad. par Jean Carrère, CahT 39 (Neuchâtel – Paris : Delachaux et Niestlé, 1956), 21 ; Jürgen Roloff, Das Kerygma und der irdische Jesus. Historische Motive in den Jesus-Erzzählungen der Evangelien (Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1970), 220 note 158 —, il s’agit néanmoins d’un « reflet fidèle » de la posture du Jésus historique (voir aussi Mt 10.5–6). Le texte parallèle (Mc 7.27 : « ...laisse d’abord les enfants se rassasier... ») est une élaboration pagano-chrétienne (Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 57) introduisant l’idée d’un privilège provisoire (Jeremias, Jésus et les païens, 24, note 1), attribuant ainsi rétrospectivement à Jésus le principe qui émerge plus tard dans la réflexion chrétienne (cf. Rm 1.6 et Ac 13.46). Puisque Jésus n’aurait probablement jamais « franchi, au cours de son ministère, les limites des territoires dont le peuplement juif était relativement important… [o]n peut conclure que, si Jésus n’a pas envisagé de mission à l’endroit des païens, il n’a pas dédaigné pour autant en rencontrer et qu’il s’est laissé, à titre exceptionnel, vaincre ou convaincre par la démarche de foi de certains d’entre eux (Mt 8,10 // Lc 7,9 et Jn 4,50.53 ; Mc 7,29 et Mt 15,28) » (en reprenant les propos de Jeremias, 25–26). Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 177–78. Ce discours garde toute sa pertinence pour Mc 5.1–20. Pour E. Trocmé, l’exorcisme de Gérasa et ses suites (Mc 5.20 et 7.31–37) ont une visée polémique à l’égard de la priorité missionnaire dans les territoires non-Juifs que Paul s’attribue, alors que des textes comme Ac 9.19–20 (Damas, en Décapole) et 11.19–21 (Antioche) montrent que la mission avait déjà été entamée. Trocmé suggère que l’Évangile selon Marc aurait pu avoir son origine au sein du groupe des judéo-chrétiens hellénistiques d’Actes 11.20. Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 141, 146. Voir aussi Derrett, « Contributions », 13–14.
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et est comprise postérieurement comme l’impulsion décisive qui justifie la nouvelle dynamique missionnaire insufflée par l’Esprit saint105. La rhétorique missionnaire de l’Évangile selon Marc se situe pleinement dans ce sillage. Le Jésus marcien intègre dans « sa famille » ceux qui se conforment à la volonté de Dieu (3.35), attitude spirituelle qui est rendue explicite, du point de vue postural, par le fait qu’ils sont assis « tout autour de lui » (v. 34 : ʌİȡ ĮIJઁȞ țțȜ țĮșȘȝȞȠȣȢ). Il n’est donc pas anodin de remarquer que le Gérasénien est trouvé par les habitants de sa contrée « assis » (țĮșȝİȞȠȞ) en présence de son libérateur (5.15). Sa proclamation en Décapole dépassera même les intentions originales exprimées par Jésus en Marc 1.38, lequel limitait son ministère aux « bourgades voisines », mais toujours situées en Galilée (1.39). Les deux multiplications des pains qui encadrent la bonne réception dont le Jésus marcien fait l’objet en Décapole (7.31–37) montrent aussi la volonté assumée d’élargir son champ d’action et de ne pas le limiter aux seuls Juifs. Alors que la première multiplication des pains (6.30–44) confirme que Jésus agit en tant qu’agent de l’irruption du Royaume en Israël selon le motif du Nouvel Exode106, la deuxième (8.1–10) établit que même ceux qui viennent de loin seront concernés par le rassemblement eschatologique à cause de (et grâce à) la même compassion de Dieu107. Dans cette optique, le récit de l’exorcisme de Gérasa annonce proleptiquement le dépassement d’une vision du monde fondée sur l’établissement de barrières géographiques, sociales et ethnico-religieuses en faveur d’un discours qui établit comme unique barrière à franchir – même pour les disciples ! – celle du « mystère du Règne » (Mc 4.11) révélé en Jésus, notamment à la croix (15.39), adhésion qui détermine si l’on est dedans
105 Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 178 : « … dès lors il devenait possible de considérer qu’une impulsion, qui s’avérerait bientôt décisive quand l’Esprit de Dieu se manifesterait d’une autre manière pour insuffler une dynamique missionnaire, avait été donnée », en renvoyant à Lc 24.47–49 ; Ac 2.4 ; 10.44–47 et 11.15. 106 La compassion de Jésus est suscitée par la foule de Juifs décrite « comme des moutons qui n’ont pas de berger » (Mc 6.34, en citant Nb 27.17 ; cf. Es 13.14 ; Jr 23.1–5 et Za 10.2). Ces gens sont situés dans un endroit désert et on leur demande de s’organiser en groupes (Mc 6.32, 39–40 ; cf. Ex 18.21). Le thème de la compassion de Dieu qui pourvoie de la nourriture dans les lieux arides se trouve en Es 49.9b–10. Par ces éléments, le récit de la première multiplication des pains en Marc est, selon l’intention de l’auteur, à lire en connexion avec le thème du Nouvel Exode. Cranfield, Mark, 222 ; Hooker, Mark, 164–65 ; Marcus, Mark 1–8, 417 ; Perrin, « Managing Jesus’ Anger », 7–11. 107 En Mc 8.2, il est aussi question de compassion, mais cette fois à l’égard de personnes dont certaines viennent « de loin » (v. 3). Le récit de la deuxième multiplication des pains (Mc 8.1–10) s’inspire du chapitre 10 du livre de Zacharie, où il est question d’un peuple qui souffre « faute de berger » (Za 10.2), mais que Dieu, dans sa compassion, rassemblera en le faisant sortir des nations parmi lesquelles il est dispersé (Za 10.8–10). Guelich, Mark 1– 8:26, 404 ; Perrin, « Managing Jesus’ Anger », 9.
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ou plutôt appartenant à ceux du dehors (IJȠȢ ȟȦ : 4.11)108. Marc incite ainsi son lecteur à voir en la gratitude exprimée par le Gérasénien à l’égard de Jésus une marque du disciple exemplaire (cf. 8.38) qui justifie la légitimité de la mission auprès des païens109. 5.2.3 Le paradigme subversif du Royaume et de son déploiement L’analyse de la péricope de Marc 5.1–20 du point de vue de sa portée sociopolitique en connexion avec le langage militaire qui la caractérise confirme les résultats de l’analyse narrative. Du point de vue de l’identité de Jésus, alors que Légion tente désespérément de pouvoir continuer à exercer son pouvoir sur le territoire, le récit offre un portrait du Fils de Dieu qui le connote en tant que puissant face aux démons, mais doux à l’égard de l’opposition humaine, adoptant comme modalité de conquête et de déploiement du Royaume la discrétion plutôt que la gloire. Il est le conquérant absent. Concernant la modalité relationnelle promue entre Jésus et le disciple idéal, le Gérasénien se heurte au refus de Jésus de le prendre avec lui. Toutefois, le détachement physique n’est pas une défaite, mais l’occasion de prolonger le ministère de Jésus par l’annonce de ses bienfaits en vue de développements ultérieurs. Enfin, le récit réclame aussi une place de choix pour les étrangers dans les frontières du Royau-
108 C. Burdon discerne dans le texte de Mc 5.1–20 l’invitation à ne pas céder à la peur du pouvoir institutionnel par la fuite, le servilisme, voire sa stigmatisation sans appel. Jésus a le courage d’aller de l’autre coté, de franchir la barrière afin de dissiper le mal qui divise les peuples et qui fragmente l’individu. Sémiotiquement, « l’autre côté » (Mc 5.1, 21) n’existe pas : ce qui est en vue est l’abolition de toute barrière par la transition existentielle d’un point de vue à l’autre, celui du mystère du Royaume qui invite à se confronter sans cesse avec l’Autre. « The parabolic words of Jesus and of Mark are thus a challenge to the hearer to cross decisively from 'literal' to 'spiritual' reading and praxis. […] The parabolic freedom and energy of Jesus that he uncovers in the text has inescapable political and ethical corollaries. This is a freedom that transcends and satirizes the boundary markers of scribes and legions alike. So that in the end, in the world of unimperial gospel, there is no 'other side', only a boat moving confidently over the 'sea', and the evils that are constructed dissolve ». Christopher Burdon, « ’To the Other Side’ : Construction of Evil and Fear of Liberation in Mark 5.1–20 », JSNT 27, no 2 (2004) : 165–67. 109 Dans le monde gréco-romain, la gratitude était considérée comme une vertu essentielle (Sénèque, Ben. 7.31.1). C’est une ignominie que de ne pas la manifester à l’égard de son bienfaiteur (Dion Chrysostome, Or. 31.37 ; Sénèque, Ben. 1.4.4), alors qu’il la mérite avec le plus grand respect (Aristote, Eth. nic. 1163b1–5 ; Rhet. 1379b). Intéressante, en relation à la proclamation du Gérasénien de ce que le Seigneur a fait pour lui, est la réflexion de Sénèque concernant la manière de verbaliser la gratitude : « jamais je ne pourrai m’acquitter envers toi ; mais cela même, je ne lasserai pas, du moins, de le déclarer partout » (Ben. 2.24.4, selon la traduction de François Préchac revue par Paul Veyne, dans Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, 438). Voir DeSilva, An Introduction to the New Testament, 130–33.
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me, car eux aussi font partie intégrante de ceux qui participeront à la restauration finale du Nouvel Exode. Il est possible à présent d’affiner davantage ces considérations. La demande des démons qui supplient Jésus de ne pas les obliger à quitter le pays (Mc 5.10) et celle des habitants des environs qui, eux aussi, supplient Jésus de quitter la région sont réunies par la même perspective : le contrôle du territoire n’est possible que par le biais d’une présence établie et par l’évacuation de ceux qui pourraient réclamer et imposer leur influence et leur domination. Certes, il s’agit sans doute du modèle idéologique dominant qui n’a pas manqué d’inspirer la modalité de déploiement du pouvoir du Messie dans la littérature apocalyptique110. À titre d’exemple, dans 1 Hénoch 69.29 l’apparition du Fils de l’Homme, suivie de son intronisation, est l’occasion de faire disparaître de son royaume tout ce qui est mauvais, sa parole étant puissante devant le « Seigneur des Esprits ». De manière similaire, le Messie de 4 Esdras (13.26, 48–49, 50) détruira les méchants et sera présent au milieu des élus pour les protéger, les conduire et accomplir des miracles en leur faveur111. À ce modèle, le Jésus marcien oppose celui d’un vainqueur non conquérant. Le territoire habité par les puissances hostiles n’est pas seulement celui qui se situe en dehors des frontières juives, comme la Décapole par exemple ou les territoires de Tyr et de Sidon. Les démons, au travers de leur victime, se rendent, le sabbat, à la synagogue et lorsqu’ils sont confrontés à Jésus, réalisent aussitôt que le conflit qui les oppose au « Saint de Dieu » est mortel (Mc 1.24). Mais les Pharisiens aussi, assistés par les Hérodiens, s’accordent, encore une fois un sabbat et après être sortis de la synagogue, pour le « faire disparaître » (3.6)112. Le Jésus marcien est ainsi confronté au défi d’affirmer sa seigneurie aussi bien au niveau spatial que temporel (cf. 2.28). Le récit de l’exorcisme de Gérasa éclaire la stratégie déployée : Jésus, puissant sur la mer et sur les démons, n’impose pas sa présence, ni celle de ses disciples, aux habitants effrayés. Le faire aurait reproduit le modèle impérialiste adopté par les démons et par les puissances séculières. Même un libérateur, alors qu’il s’installe dans le pays fraîchement conquis, s’apparente à un envahisseur lorsque la coercition caractérise ses agissements113. 110
Pour un traitement concis et essentiel du développement de l’apocalyptique juive et de l’émergence d’un fort accent sur l’individualisation du salut (et de la condamnation) s’articulant avec l’attente du Royaume comprise en termes universels – ce qui constitue l’arrièreplan du mouvement chrétien naissant et de la rédaction des évangiles, Marc y compris – voir Stegemann et Stegemann, The Jesus Movement, 144–48. 111 Voir aussi 1 Hén. 69.29. Collins, Mark. A Commentary, 60, 64. 112 Mali, The Christian Gospel, 121. 113 La peur des habitants face à Jésus en Mc 5.15 est comprise comme une réaction face à la menace d’un libérateur qui voudra, à son tour, occuper le territoire. Comme le remarque Gelardini, Christus Militans, 866, aussi bien Jésus que Tite se retrouvent à Jérusalem pendant la Pâque (voir Flavius Josèphe, B.J. 5.99). Or, la supplication adressée à Jésus de quitter
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Le Jésus marcien refuse tout mimétisme avec l’idéologie impérialiste et colonialiste en s’éloignant du modèle qui envisage le Royaume de Dieu en tant qu’entité exerçant le même pouvoir et la même autorité que n’importe quelle autre monarchie114. Il refuse aussi bien de forcer la main aux êtres humains que toute tentative des démons de se soumettre à lui comme moyen de préserver leur légitimité dans le territoire : en acceptant, non seulement Jésus se ferait un allié ou un suppôt de Satan, mais également il légitimerait l’attitude opportuniste des pouvoirs séculiers comme notamment Hérode face à Cassius, puis à Antoine et enfin à Octavien (Flavius Josèphe, B.J. 1.242–244, 386–400 ; A.J. 14.301–303 ; 15.187–201, 217), ou encore Flavius Josèphe lui-même vis-à-vis de Rome (B.J. 3.137–408)115. De plus, la division hiérarchique et la différence en termes de bénéfices reçus entre ceux qui jouissent de la proximité physique du Kuryos et ceux qui n’ont pas ce privilège sont anéanties : alors qu’une proximité majeure avec la personne de l’empereur était le signe, l’opportunité et la source d’un pouvoir et d’une richesse accrus116, le Gérasénien auquel Jésus refuse d’être avec lui et les Douze (Mc 5.19), et l’exorciste anonyme auquel les disciples reprochent de ne pas être avec eux (9.38), par l’accueil qu’ils ont réservé au Fils, sont considérés comme ayant accueilli le Père lui-même (9.37). Marc ne renonce pas à connoter Jésus en tant qu’être puissant détenteur d’un pouvoir surnaturel. Il est ੁıȤȣȡંIJİȡંȢ (1.7), comparé au Baptiste et même à Satan (3.27)117 ; il exerce sa maîtrise sur la terre (4.3–9, 13–20, 26–29) et sur la région (Mc 5.17) fait écho à celle des démons d’y rester (v. 10, 12), car les gens et les démons raisonnent selon les mêmes catégories de contrôle du territoire. Toutefois Jésus est un vainqueur non occupant, car il est prêt à partir (v. 18), tout en restant sur le territoire par le biais de son messager autochtone. Voir Dormandy, « The Expulsion of Legion », 336 ; Lau, « Die Legio X Fretensis », 362–64. Le départ de Jésus permet à son miracle libérateur de ne pas se transformer en occasion d’asservissement au nouveau libérateur, « en venant porter la contestation au sein même des images que l’homme se fait de la liberté de Dieu » : Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 73. 114 Contra T. Benny Liew, « Tyranny, Boundary and Might : Colonial Mimicry in Mark’s Gospel », JSNT 73 (1999) : 7–31, qui soutient que Marc « internalised the imperialistic ideology of his colonizers » (p. 13), en transférant l’idéologie colonialiste de Rome sur Jésus en tant que nouveau tyran, le Royaume étant le nouvel Empire exerçant le pouvoir et l’autorité avec les mêmes modalités que les anciens oppresseurs et créant les mêmes catégories hiérarchiques. Voir aussi Garroway, « The Invasion of a Mustard Seed », 58. Une étude récente sur la manière dont l’idéologie messianique juive tardive récupère et adopte les élements de l’idéologie impérialiste byzantine est celle de Alexei Sivertsev, Judaism and Imperial Ideology in Late Antiquity (Cambridge : Cambridge University Press, 2011). 115 Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus », 147. 116 Voir à ce propos Kathryn Lomas et Tim Cornell, « Introduction : Patronage and Benefaction in Ancient Italy », in ’Bread and Circuses’ : Euergetism and Municipal Patronage, éd. par Kathryn Lomas et Tim Cornell (London – New York : Routledge, 2003), 1–11. 117 Terme, entre autres, employé pour le héros israëlite Gédéon (Jg 6.12 LXX : B ੁıȤȣȡઁȢ IJȞ įȣȞȝİȦȞ / A - įȣȞĮIJઁȢ IJૌ ੁıȤȚ), et même pour Dieu (cf. Si 15.18 : ੁıȤȣȡઁȢ ਥȞ įȣȞĮıIJİ). Collins, Mark. A Commentary, 64, à partir du mot įȣȞĮIJંȢ, établit un lien entre
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la mer (4.35–41) en tant qu’agent de Dieu (cf. Ps 24.2 ; Gn 1.6–10) et, nous l’avons vu plus haut, en possible compétition avec les empereurs118 ; il a la vocation de s’asseoir « à la droite de la Puissance » (Mc 14.62), de rassembler les élus qu’il aura lui-même choisis (13.26–27) et de venir « dans la gloire de son Père » (8.38). Le Jésus marcien n’a donc rien à envier aux rédempteurs annoncés par les écrits apocalyptiques, comme par exemple les Similitudes d’Hénoch. Dans cet ouvrage, cette figure, appelée « juste » (1 Hén. 38.2 ; 53.6), « élu » (45.3, 4 ; 49.2 ; 51.3, 5 ; 52.6, 9 ; 55.4 ; 61.5, 8, 10 ; 62.1), « Fils de l’Homme » (46.2, 3, 4 ; 48.2 ; 62.7, 9, 14 ; 63.11 ; 69.26–27, 29 ; 70.1 ; 71.17) et « Messie de Dieu » (48.10 ; 52.4), est intronisée (45.3 ; 55.4 ; 69.27, 29) pour pouvoir exercer son jugement sur les anges comme sur les hommes (61.8 ; 69.28 ; 49.4 ; 69.27–28)119. Néanmoins, le Jésus marcien se distingue de ce modèle messianique qui est modelé sur l’idéologie impérialiste. Le Fils de l’Homme hénochien affligera, dans son triomphe, les impies (cf. 1 Hén. 38.3 ; 45.5) et régnera avec les justes assurant protection et bénédiction (cf. 45.3–4 ; 62.13–16 ; 71.16–17), attentes légitimes et imputables de manière transversale à tout modèle de règne messianique. De son côté, le Jésus marcien, réfractaire au titre de ȤȡȚıIJંȢ (Mc 8.29– 30), l’accepte en annonçant sa Passion (8.31–32 ; 9.31–32 ; 10.32–34, 45), avant d’être oint en vue de son ensevelissement (14.8). Il signifie ainsi que son aspiration est la filialité divine et l’accomplissement de la volonté du Père plutôt que la poursuite d’un pouvoir socio-politique dont le paradigme est humain, voire satanique (Mc 8.33 : ʌĮȖİ ੑʌıȦ ȝȠȣ, ıĮIJĮȞ઼, IJȚ Ƞ ijȡȠȞİȢ IJ IJȠ૨ șİȠ૨ ਕȜȜ IJ IJȞ ਕȞșȡઆʌȦȞ). Le jugement eschatologique rétributif est bien évidemment en vue (cf. Mc 11.12–21 ; 12.9). Toutefois il n’est, en Marc, la prérogative ni de Jésus ni de ses disciples. Le rôle du Fils de l’Homme intronisé est de parachever le Nouvel Exode par le rassemblement des élus (13.26–27), sans qu’aucune mention de la punition des impies n’apparaisse120. Pour ce qui concerne les disciples,
Mc 1.7 et ses implications messianiques et royales (cf. 1 S 16.18 ; Ps 23.8 LXX ; 44.4 LXX ; 88.20 LXX ; 1 M 2.66 ; en 1QM 12.9, 10 : ʸʥʡʢ). Pourtant, Mc 1.7 ne contient pas ce mot et l’auteur du deuxième évangile n’emploie jamais l’adjectif įȣȞĮIJંȢ pour connoter Jésus. 118 Voir aussi Rick Strelan, « A Greater Than Caesar : Storm Stories in Lucan and Mark », ZNW 91, no 3–4 (2000) : 167–76, qui attribue une valeur polémique – à l’encontre du pouvoir séculier – à la rhétorique marcienne de l’exhibition du pouvoir de Jésus sur les éléments. À ce propos, il renvoie par exemple à 2 M 9.8 (Antioche Epiphane) ; Philon, Flacc. 104 et Legat. 309 (Auguste) ; 141 (Tibère) ; 44 et Flavius Josèphe, A.J. 19.81 (Caligula) ; B.J. 3.401–402 (Vespasien) ; B.J. 6.43 (Tite) ; Juvénal, Sat. 4.83 et Philostrate, Vit. Apoll. 7.3 (Domitien) ; Pline le Jeune, Pan. 4.4 (Trajan). 119 Collins, Mark. A Commentary, 58–59. 120 Une tradition similaire apparaît en 4 Esdras, concernant le Messie qui ne participe pas à la guerre eschatologique et n’assume pas le rôle de Juge, mais qui se limite à régner pendant quatre cents ans (4 Esd. 7.26–44) : Collins, 61.
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l’évangile de Marc a une réponse sans équivoque à la prétention d’avoir accès à des postes prestigieux : celle du service et du don de soi (Mc 10.35–45). Matthieu garde ces propos (Mt 20.20–28), mais intègre dans son ouvrage un logion rattaché à la source Q (Mt 20.30), qui les voit impliqués dans le jugement des douze tribus d’Israël (19.28)121. Le modèle d’expansion du Royaume que le Jésus marcien préconise ne suit donc pas le paradigme impérialiste, qu’il soit décliné au niveau du pouvoir temporel ou même dans les attentes messianiques typiques de l’apocalyptique juive. Il ne s’agit pas d’une conquête du territoire et de ses habitants par une force écrasante et coercitive, même si son origine est à trouver en Dieu luimême. La dynamique envisagée est plutôt celle de la semence qui, sans que l’on sache comment, pousse, germe et donne son fruit pour le jour de la moisson (Mc 4.26–29) ; ou encore celle de la graine de moutarde, qui enferme dans son insignifiante petitesse la grandeur de la promesse eschatologique du rétablissement opéré par YHWH (Mc 4.30–32 ; voir Ez 17.23)122. Le Gérasénien fait partie des figures exemplaires de l’évangile de Marc, une graine qui, sans que l’on sache comment, permet à Jésus d’être accueilli et acclamé par des suppliants dans le territoire desquels il avait été chassé quelque temps auparavant (cf. Mc 5.17 et 7.31–37). La libération apportée par Jésus en Marc 5.1–20 ne plonge ni le Gérasénien ni les habitants de la région dans l’engrenage oppressif d’une nouvelle domination. Le fait que Jésus soit chassé du territoire montre qu’il y a une fracture impossible à combler entre le modèle du libérateur/envahisseur de type colonialiste et celui du vainqueur non conquérant. C’est autour de cette tension dramatique que l’architecture du récit se construit pour permettre au lecteur de réaliser qu’il n’est pas possible de réconcilier, dans la perspective du Jésus marcien, l’amour pour les êtres humains avec l’exercice abusif du pouvoir sur les êtres humains. Quitter le territoire n’est pas, pour Marc, à comprendre comme une fuite, comme le signe de la défaite ou encore en tant que manifestation de lâcheté. Il s’agit plutôt d’un geste symbolique qui défie, en s’y opposant, un modèle de domination attribuable aux forces démoniaques et s’étendant aux autorités romaines et juives. Le départ de Jésus n’équivaut pas à une capitulation, mais lui permet de soustraire non pas sa personne, mais la modalité de déploiement du Royaume qu’il incarne, à la dégradation d’une idéologie dont le fruit est la peur et le rejet. Jésus se retire pour garder en vie la graine qui, en son temps, trouvera la manière de germer et de porter son fruit. Le Gérasénien aussi, bien que tourné vers son rédempteur et désireux de se mettre à sa suite, est privé du bénéfice de la proximité de la personne de Jésus. 121 Voir Vernon K. Robbins, Who Do People Say I Amࣟ? Rewriting Gospel in Emerging Christianity (Grand Rapids : Eerdmans, 2013), 42–52. 122 Garroway, « The Invasion of a Mustard Seed », 59–60, 70 ; Myers, Binding the Strong Man, 194.
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Il s’agit encore d’un choix peut-être dramatique, mais nécessaire, car on y entrevoit la possibilité de féconder, en vue de la moisson, d’autres lieux et – dans l’intention de l’auteur de l’évangile – d’autres temps. La dynamique surprenante et subversive de la restauration et du Nouvel Exode apportée par Jésus est confiée à celui qui autrefois avait prêté sa voix et son corps à Légion. C’est précisément cet homme qui joue, maintenant, un rôle dans le déploiement du Royaume par sa propre voix, qui annonce, et par son corps, qu’il déplace à sa guise. Il est passé du statut d’objet passif de la miséricorde divine à celui de sujet actif annonciateur. Sa parole est désormais identique à celle de l’évangile qui raconte son histoire, car il annonce l’étonnante action de Dieu en la personne de Jésus. L’exorcisme de Gérasa ne peut pas être réduit à un manifeste anti-romain. Il ne connote pas Jésus en tant que héraut d’un royaume qui s’oppose avant tout à une puissance étrangère et dominante. Le Jésus marcien met en déroute Satan et ses suppôts, mais sans tomber dans la reproduction du paradigme impérialiste. Si Marc 5.1–20 est anti-impérialiste, il l’est en ce sens que les valeurs que Jésus incarne s’opposent au modèle d’exercice du pouvoir de type impérialiste, qu’il soit sous-jacent à la domination romaine ou à celle des autorités juives. Mais peut-être un terme plus approprié est-il « méta-impérialisme »123, car le Royaume qu’il annonce se situe à la fois au-dessus de tout pouvoir temporel et démoniaque et au-delà des paradigmes qui y sont exprimés. La prochaine étape de notre étude consistera à replacer le récit de l’exorcisme de Gérasa dans le contexte de la démonologie et des pratiques exorcistiques du 123 Karl Galinsky, « In the Shadow (or not) of the Imperial Cult. A Cooperative Agenda », in Rome and Religion. A Cross-Disciplinary Dialogue on the Imperial Cult, éd. par Jeffrey Brodd et Jonathan L. Reed, WGRWSup 5 (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2011), 215–26, aussi rejette le terme « anti-impérialisme ». Dans le contexte de la négotiation idéntitaire à laquelle les chrétiens sont confrontés, au sein des structures de pouvoir établies par l’Empire et par les pouvoirs civiques et religieux locaux, leur message « can be defined better in terms of ‹surpassing› and ‹superiority› […] not anti-imperial but supraimperial » (p. 222). L’expression « méta-impérialisme » est, à notre avis, plus à même de rendre compte de ce qui est le refus du Jésus marcien de proposer une dynamique du Royaume qui soit mimétique des modalités des puissances auxquelles il s’expose. Cette lecture nous semble confirmée aussi par la comparaison entre la scène de l’ascension de Romulus racontée par Tite-Live (Ab Urb. con. 1.16.1–3) et par la scène de la visite des femmes au tombeau dans Marc 16.1–8. Selon Tite-Live, la disparition de Romulus et son ascension « dans les airs » au sein d’une tempête suscitent un sentiment de peur chez les troupes au point qu’« ils se confinèrent assez longtemps dans un silence attristé ». Pourtant, ce silence est aussitôt brisé par une acclamation commune : « Salut à toi, Romulus, dieu né d'un dieu, roi et père de Rome ! [...] Sois bienveillant et favorable, et protège toujours ta descendance ! ». Le récit marcien ne contient aucune acclamation de ce genre, prenant ses distances avec ce paradygme de type impérialiste. Traduction en français de Danielle De Clercq (2001), disponible sur http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIVIUS1/Liv2.htm, site consulté le 30 avril 2019.
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judaïsme hellénistique et du monde gréco-romain, afin de mieux en apprécier le sens au sein du deuxième évangile, notamment parmi les exorcismes du Jésus marcien.
Chapitre 6
L’exorcisme de Gérasa à la lumière de l’arrière-plan socio-religieux que constituent la démonologie et les pratiques magiques dans le judaïsme hellénistique et le monde gréco-romain Dans ce chapitre, nous retracerons brièvement le développement de la démonologie juive jusqu’à l’époque de la rédaction du Nouveau Testament. Ensuite, nous nous pencherons sur le syncrétisme qui caractérise les pratiques magiques à l’époque gréco-romaine pour apprécier à la fois les caractéristiques communes, mais aussi idiosyncratiques, des thaumaturges de l’époque, selon la Weltanschauung dont ils sont porteurs. La remise en contexte de l’exorcisme de Gérasa, à la fois du point de vue de l’action de Jésus, du lectorat juif de l’évangile de Marc, et du lecteur non-juif issu du monde gréco-romain, apporte des éclairages importants à l’intelligence du récit de Marc 5.1–20 et, plus généralement, de la place des exorcismes dans le deuxième évangile.
6.1 La démonologie juive à l’époque de la rédaction des écrits du Nouveau Testament : origines et influences La démonologie juive
En Mésopotamie et dans le Proche-Orient ancien, la croyance aux esprits est bien établie, quoiqu’il n’y ait pas une démonologie développée avec force détails. Les démons ne sont pas distingués qualitativement des divinités, mais sont considérés souvent comme étant de puissance moindre, malveillants, et souvent associés aux maladies, aux lieux déserts et stériles, aux tombeaux, ainsi qu’à l’obscurité et au monde souterrain1. Les anciens Israélites craignent des entités spirituelles malveillantes anonymes (Jg 9.23 ; 1 S 16.14–16, 23 ; 18.10 ; 19.9 ; 1 R 22.22–23), mais également désignées par des noms, comme Azazel (Lv 16.8, 10, 26), Lilith (Es 34.14) ; Rahab (Ps 89.11 ; Es 51.9), Léviathan (Es 27.1), ainsi que Mort (Es 28.15, 18 ; Jr 9.20) et Destructeur (Ex 12.23 ; 2 S 24.15–17 ; 1 Ch 21.14–17), sans qu’une hiérarchie précise ne soit établie entre elles. Il arrive également 1 Édouard-Henri Wéber, « Démons », in DCT, éd. par Jean-Yves Lacoste, Référence 374 (Paris : PUF – Quadrige, 2002), 310 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 301.
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
que ces esprits ou êtres métaphysiques soient conçus comme étant à la tête des nations : alors que YHWH réclame Israël comme son patrimoine personnel (Dt 32.9), le peuple est réprimandé parce qu’il s’adonne au culte adressé « à des démons, qui ne sont pas Dieu, à des dieux qu’ils ne connaissent pas » (Dt 32.17 NBS). Ces démons/dieux (ʭʩ ʤ˄ फ़ ʑ ʠʎ ʭʩʣʑ ʒˉ) sont à comprendre ici comme les divinités des populations environnantes (cf. Ps 106.37 et aussi Si 17.17)2. Fait notable, même si le monothéisme israélite n’arrive pas à empêcher les spéculations démonologiques et la diffusion des pratiques associées3, il va réduire les démons et les autres êtres spirituels au statut d’entités créées par le seul et unique Dieu, soumises à lui dans leur champ d’action (pour Satan, voir Jb 1.6– 12 ; 2.1–7 ; Za 3.1–2). Qui plus est, on assistera aussi à une démarche progressive de démythologisation qui stigmatisera les démons, en tant que « dieux des autres nations », comme de simples et insignifiants produits (idoles) fabriqués – en pierre, bois et autres matériaux – grâce au talent d’artisans humains (Dt 28.64 ; 2 R 19.18 ; Es 42.17 ; Jr 10.3 ; Ha 2.18)4. Eric Sorensen a formulé une hypothèse permettant d’expliquer le passage d’une vision archaïque de l’interaction entre les esprits et les humains à la croyance en la possession démoniaque dont déjà les documents intertestamentaires, et ensuite de manière très évidente les évangiles, font état. Ses études l’amènent à affirmer qu’avant le VIe siècle avant notre ère, en Mésopotamie et dans le Proche-Orient, le corps humain n’est pas conçu en tant que réceptacle des entités spirituelles, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Les esprits peuvent influencer des individus, voire s’acharner contre eux, mais toujours « de l’extérieur », en provoquant des maladies et des afflictions qui peuvent être soignées aussi bien par des médecins que par ceux qui exercent l’art de contrôler les démons5. Il convient dès lors de parler d’influence et non pas de possession (ou de contrôle) lorsque Saül est tourmenté et agité par un esprit mauvais (1 S 16.14), ou quand l’esprit de Dieu « s’empare » de lui (1 S 11.6) et de David (1 S 16.3 ; cf. Es 11.2). De même, les expressions ʔʧ˒ʸ ʩ ʑʡ ʠʖ ʡ ʕˢʔʥ (« entra en moi un esprit », Ez 2.2) et ˑ ʒˎ ʯʩˇʩ ʑ ʑː ʔʷ ʯʩ ʑʤʕʬʠʎ ʚ ʔʧ˒ʸ (« un esprit des dieux saints [était] en lui », Dn 4.5 ; cf. 4.6, 15 ; 5.11, 14) sont à comprendre en tant que « mutually
2 Wéber, « Démons », 310 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 302 ; Rochester, Good News at Gerasa, 119 ; Wright, The Origin of Evil Spirits, 159. 3 Voir Ex 22.17 ; Lv 20.27 ; Nb 23.23 ; Dt 18.9–14 ; Ez 13.17–23, cités par Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 302, pour lequel les vestiges d’anciens rituels et symboles apotropaïques restent ancrés dans la croyance et la pratique populaires et se retrouvent, bien qu’adaptés à l’idéologie monothéiste sacerdotale, dans la législation officielle : cf. Lv 14.4– 7 ; Lv 16 ; Nb 19 ; Ex 12 ; Dt 21.1–9. 4 Voir Wéber, « Démons », 310 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 301 ; Rochester, Good News at Gerasa, 119. 5 Sorensen, Possession and Exorcism, 31, 118.
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supportive symbiosis »6, c’est-à-dire comme supposant une collaboration entre l’esprit humain et l’esprit divin. Sorensen, ensuite, attribue à l’influence du mazdéisme (surtout à partir du Ve siècle avant notre ère) la maturation de concepts apocalyptiques qui mettent en scène un affrontement cosmique entre le Créateur et une force maléfique opposée à lui (Ahura Mazda et Angra Mainyu pour le zoroastrisme). Ce conflit cosmique investit non seulement la sphère des relations humaines, mais également l’être humain dans sa dimension ontologique : ainsi, l’éventuelle allégeance au mal, un choix libre et responsable, permet aux mauvais esprits non seulement d’inciter l’être humain à faire quelque chose, mais aussi d’entrer en lui et de le « posséder »7. Si l’on se tourne vers la littérature grecque ancienne, on remarque qu’à l’époque d’Homère, le įĮȝȦȞ (ou įĮȚȝંȞȚȠȞ) peut désigner aussi bien une divinité qu’une sorte de force impersonnelle capable à la fois de veiller sur les êtres humains et de garantir le déploiement des événements selon un dessein établi (une sorte de destinée). À la même période (VIIIe–VIIe siècles avant notre ère) remonte également le classement d’Hésiode qui place les êtres vivants et rationnels dans quatre catégories : les humains, les héros, les démons et les dieux. D’après le poète béotien, le rôle des démons est d’assurer la médiation entre les hommes et les dieux. À la différence des héros et des dieux, les démons ne font pas l’objet d’un culte, on ne leur associe pas de pratiques rituelles, alors que l’on pourrait attribuer leur origine au passage à l’immortalité de personnages illustres d’un passé idéalisé.8 Ce rôle d’intermédiaires que jouent les démons entre les sphères métaphysique et humaine, ainsi que leur caractère souvent impersonnel, amène Socrate, trois siècles plus tard, à attribuer à son propre démon des prérogatives similaires à celles de la conscience (une « voix » : įĮȚȝȩȞȚȠȞ ȖȓȖȞİIJĮȚ ijȦȞȒ… ijȦȞȒ IJȚȢ ȖȚȖȞȠȝȑȞȘ), en l’occurrence le retenir, depuis son enfance, d’accomplir certaines actions envisagées par la pensée mais dont l’issue aurait été néfaste (Platon, Apol. 31d ; voir aussi 40a). De son côté, Platon prolonge la vision ancienne en la précisant : les démons, dont l’origine est maintenant aussi attribuée à 6
Sorensen, 38. Sorensen, 32–46, 118–19, 126 (où il cite T. Sal. 12.2 qui parle de possesion du fœtus) ; Rochester, Good News at Gerasa, 123–25. 8 David E. Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic in Early Christianity : Collected Essays, WUNT 199 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2006), 408, renvoie à Philostrate, Vit. Apoll. 3.38, où un démon déclare être un homme mort au champ de bataille il y a très longtemps (voir également Lucien, Philops. 29). Concernant l’adoration ou la vénération de démons, elle reste possible au niveau populaire, comme en témoigne Philostrate, Vit. Apoll. 1.19 : Apollonius est considéré comme un « démon » (dans le sens d’une divinité) par Damis de Ninive, qui le vénère (ʌȡȠıȘȟĮIJȠ ĮIJંȞ) et se met à sa suite. Pour des plus amples informations, voir John E. Rexine, « Daimon in Classical Greek Literature », GOTR 30 (1985) : 335–61. 7
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l’union entre les dieux et, par exemple, les nymphes, gardent leur fonction d’intermédiaires entre les êtres humains et les dieux (Epin. 984e), d’entités protectrices de personnes (Phaed. 107d ; Resp. 617d ; Pol. 271d, 272e) et même de villes (Leg. 713c, 738d). Par ailleurs, influencé probablement par Socrate, il utilise le substantif įĮȓȝȦȞ pour désigner la partie la plus noble et divine de l’âme (ȥȣȤȒ) humaine (Tim. 90a). C’est à Xénocrate de Chalcédoine (396–314 avant notre ère), disciple d’Eschine puis de Platon, que revient le mérite d’élaborer une classification qui sera, grosso modo, acceptée et reprise par la suite par d’autres philosophes, comme le stoïcien Chrysippe de Soles qui vécut un siècle plus tard. Selon Xénocrate, le mot « démon » peut se référer soit à des entités purement spirituelles qui n’ont jamais eu une dimension physique propre, soit aux âmes des morts soit, enfin, dans le sillage de Socrate et de Platon, à une partie de l’âme humaine. Les êtres appartenant à la première classe sont considérés comme les responsables des passions humaines, d’où l’émergence de la croyance selon laquelle chaque être humain est habité par deux démons : l’un, relié aux dieux et pouvant même les personnifier (cf. Plutarque, Fac. 26 [940f–942c]), incitant aux ambitions nobles ; l’autre, malveillant et tumultueux, incitant aux agissements ignobles. Les dieux, relégués à leur dimension transcendante, sont ainsi innocentés des pulsions immorales qui habitent les hommes et qui sont attribuées, désormais, à l’action démoniaque9. La démonologie juive se développe considérablement pendant les périodes postexilique (influencée par la mythologie perse et le mazdéisme) et hellénistique10. Dans le sillage de Socrate et de Platon, le judaïsme hellénistique interprète les démons aussi de manière métaphorique, c’est-à-dire en tant que passions infâmes (voir Philon, Gig. 16)11. Il s’agit toutefois d’une lecture élitiste 9 Ce paragraphe est tributaire de Sorensen, Possession and Exorcism, 78–90 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 236–37 ; Rochester, Good News at Gerasa, 123. Voir également Ken Frieden, « The Language of Demonic Possession : Keyword Analysis », in The Daemonic Imagination : Biblical Text and Secular Story, éd. par Robert Detweiler et William G. Doty, AAR – SR 60 (Atlanta : Scholars Press, 1990), 45. 10 Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 302–3 ; Rochester, Good News at Gerasa, 120. L’hellénisation du judaïsme se remarque aussi dans les spéculations concernant l’immortalité de l’âme. Alors qu’à la base il n’y a pas une conception uniforme de l’au-delà mais plutôt une approche qui va dans le sens d’une eschatologie nationaliste ou cosmologique, la période du Second Temple voit une montée de l’intérêt porté à la destinée individuelle après la mort : cf. Sg 2.23–3.10 ; 5.15 ; 8.13, 17 ; 15.2–3 ; 4 M 14.6 ; 18.23 et aussi Si 14.16–19 ; 17.25– 32 ; 38.16–23. Ainsi Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 554. 11 Wright, The Origin of Evil Spirits, 213–16. De son côté, Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 237, rappelle que plusieurs auteurs grecs se sont érigés contre la superstition et la peur irrationnelle des esprits et du monde métaphysque (déjà Théophraste, au IVe siècle avant notre ère, dans Char. 16 : « De la superstition »). Il remarque néanmoins que le terme grec pour « superstition » est įİȚıȚįĮȚȝȠȞĮ (cf. Ac 17.22 [įİȚıȚįĮȝȦȞ] et 25.19, où les termes sont utilisés dans leur connotation positive de « religieux » et « religion »), et non
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et donc minoritaire. Dans la grande majorité des cas, le démon est une puissance surnaturelle ayant une conscience autonome qui s’oppose à Dieu. Dans la Septante, įĮȚȝંȞȚȠȞ peut ainsi désigner les fausses divinités et les idoles qui usurpent le culte de YHWH12, ou encore des êtres immatériels et malveillants qui s’acharnent contre les êtres humains (cf. Tb 3.8, 17 et 6.14, où le démon est appelé Asmodée). Certains textes du Premier Testament offrent des expressions fournissant l’appui scripturaire qui fera l’objet de la spéculation démonologique juive. Ainsi, « l’esprit/souffle d’impureté » (ʤ ʕʠʮʗʍ ˔ ʔʤ ʔʧ˒ʸ) associé aux prophètes rejetés par Dieu (Za 13.2 ; LXX : IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ), « l’esprit de Dieu » (ʚ ʔʧ˒ʸ ʭʩ ʑʤ˄ʠʎ ) / « esprit mauvais » (ʤˆʕ ʸʕ ʕʤ ʔʧ˒ʸ) qui accable le roi Saül (1 S 16.23 ; LXX : ʌȞİ૨ȝĮ ʌȠȞȘȡંȞ / IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ʌȠȞȘȡંȞ), et même « les fils de Dieu » (ʚʩʒʰ ʍʡ ʭʩ ʑʤ˄ʠʎ ʕʤ ; LXX : Ƞੂ ȣੂȠ IJȠ૨ șİȠ૨) et les « géants » (ʭʩ ʑʬ ʑʴ ʰʍ ; LXX : ȖȖĮȞIJİȢ) du mystérieux récit de Genèse 6.1–413 sont interprétés à la lumière de nouvelles croyances, pas toujours convergentes, mais toutes issues d’une vision dualiste jointe à la notion d’un Dieu unique, saint et créateur. Il s’agit de concevoir l’existence d’esprits mauvais/impurs subordonnés à Dieu mais qui polluent sa création, l’être humain compris, et qui sont organisés selon un modèle hiérarchique établi14. pas įİȚıȚșİંȢ, ce qui devrait montrer que ce sont bien les « démons » qui étaient associés, dans la religiosité populaire, à des peurs irrationnelles. Flavius Josèphe utilise l’adjectif įĮȚȝંȞȚȠȢ aussi dans le sens de « surnaturel/divin/miraculeux », sans connotation négative (B.J. 3.341, 485 ; 4.76 ; 6.59) : Gelardini, Christus Militans, 857, 859. 12 Par exemple, ce mot traduit dans Dt 32.17 et Ps 106.37 le substantif pluriel ʭʩ ʑʣ ʒˉ, dont le sens peut être « démons » ou « esprits protecteur » : le mot ʣ ʒˇ « is to be connected with the Babylonian word shêdu, a demon either good or evil. In pagan religions the line between gods and demons is not a constant one. There are demons who are beneficent and gods who are malicious. Generally speaking though, a demon was conceived as being less powerful than a god. In Mesopotamian thought the shêdu was a supernatural protective power for whose presence the gods were invoked, Specifically, the function of shêdu may have been to represent the vitality of the individual, his sexual potency » : article « ʣ ʒˇ », dans R. Laird Harris, Gleason L. Archer, et Bruce K. Waltke, éd, Theological Wordbook of the Old Testament (Chicago : Moody Press, 1980) [consulté sur BibleWorks 9]. En Psaume 95.5 LXX, įĮȚȝંȞȚȠȞ traduit ʭʩʬʩ ख़ ʑ ʑʬʠʎ , « vanités, choses sans valeurs ». Voir aussi Ésaïe 65.3 et 11 LXX (įĮȝȦȞ) et Baruch 4.7. Ainsi Rochester, Good News at Gerasa, 119. 13 Cf. le Tg. Ps.-J. de Gn 6.4 : « Shemhazai et Azaël, – ce sont eux qui étaient tombés des cieux –, étaient sur la terre en ces jours-là, et aussi après que les fils des grands s’en furent allés vers les filles des hommes et qu’elles leur eurent donné des enfants : ce sont ceux qui sont appelés les géants d’antan, des hommes de renom » Traduction de Roger Le Déaut, éd, Targum du Pentateuque. Traduction des deux recensions palestiniennes complètes avec introduction, parallèles, notes et index, vol. 1 – Genèse, SC 245 (Paris : Cerf, 1978), 115. 14 Clinton E. Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 in Recent Research : a Critique of Wesley Carr’s View of the Role of Evil Powers in First Century AD Belief », JSNT 30 (1987) : 73, souligne que les anges de Bélial/Satan et les esprits mauvais sont mentionnés fréquemment à Qumrân (il renvoie à 1QM 1.1, 15 ; 13.4–5, 10–12 ; 14.9–11 ; 15.12–18 ;
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À titre d’exemple, concernant leur origine, 1 Hénoch 1–36 (« Le livre des Veilleurs »), composé vers le IIIe siècle avant notre ère, en s’inspirant justement du texte de Genèse 6.1–4, explique que les démons, appelés « esprits mauvais » et « esprits forts », sont les âmes des géants nés de l’union des Anges Veilleurs avec des femmes humaines (voir notamment 1 Hén. 15.6–9)15. De son côté, Flavius Josèphe affirme que les démons sont les esprits des êtres humains méchants (défunts) : ʌȠȞȘȡȞ ਥıIJȚȞ ਕȞșȡઆʌȦȞ ʌȞİȝĮIJĮ (B.J. 7.185)16. Leur identité se précise aussi. En voici quelques exemples. Dans 4Q560, il est question de démons de la fièvre, du frisson, des maux de poitrine ; en 4Q510 frag. 1, lignes 5–6, 4Q511 frag. 1, lignes 6–7 et frag. 35, ligne 7, ils sont caractérisés, voire nommés : « esprits des anges destructeurs », « esprits des bâtards », « (esprits) hurleurs » (ʭʩ ʑʧ ʖʠ : Es 13.21), mais aussi Lilith (ʺʩ ʑʬʩ ʑʬ : Es 34.14) et Destructeur (ʺʩ ʑʧˇʮ ʍ : Ex 12.23)17 ; 11QApPsa 5.5 mentionne le démon
18.1, 3 ; 1QS 3.18, 20, 24–25 ; 4.9, 20, 23 ; CD 2.18 ; 12.2 ; 11QMelch) de même que dans les Testaments des douze Patriarches (T. Rub. 2.1–3.8 ; T. Sim. 2.7 ; 3.6, 9 ; 6.6 ; T. Lévi 3.3 ; 4.1 ; 9.9 ; 18.12 ; etc.). Rudolf Bultmann, Teologia del Nuovo Testamento, 1e éd. en allemand : 1953, BTC 46 (Brescia : Queriniana, 1992), 473–74, avait déjà remarqué que le « mythe de la chute » était bien ancré dans l’apocalyptique juive (cf. 4 Esd. 3.4ss ; 7.11–12 ; 2 Bar. 23.4 ; 48.24–25). Voir également Alexander, « The Demonology », 350. 15 Le texte de 4Q510 frag. 1, ligne 5 (« esprits des bâtards » ; cf. 4Q511 frag. 35, ligne 7) semble présupposer ce mythe. D’autres développements démonologiques sont attestés par T. Sim. 3.5 ; 4.9 ; T. Juda 16.1 ; T. Lévi 5.6 ; 18.12 ; Tb 6.7 ; Jub. 10.1–6. Pour les écrits de Qumran, voir 4Q560 ; 4Q510 ; 4Q511 ; 4Q230 ; 4Q231 ; 11QApPsa ; 1Qap Genar ; 4Q544 ; 4Q429 ; 4Q444. Justin aussi hérite de la croyance selon laquelle l’union des anges avec les femmes a donné naissance aux démons : 2 Apol. 5. Voir Alexander, « The Demonology », 351–52 ; Rochester, Good News at Gerasa, 120 ; Wright, The Origin of Evil Spirits, 155– 58. 16 Cité par Gelardini, Christus Militans, 672, note 130. 17 b. Pesaۊ. 114 mentionne le démon femelle Agrath, fille du démon Mahalath. Douglas L. Penney et Michael O. Wise, « By the Power of Beelzebub : An Aramaic Incantation Formula from Qumran (4Q560) », JBL 113, no 4 (1994) : 631–32 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 303 ; Rochester, Good News at Gerasa, 121.
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Rèsheph et le Testament de Salomon18, entre autres, Ornias (T. Sal. 1.10 ; 2.1), Onoskelis (4.2, 4) et Asmodée (5.1, 7)19. La structure hiérarchique à l’intérieur de laquelle ils agissent fait également l’objet d’un développement20. S’il est vrai qu’au départ il était question de plusieurs entités démoniaques dominantes ayant des fonctions et des particularités propres, avec le temps ces figures convergent pour désigner un prince des démons21 appelé, entre autres, Bélial (Jub. 1.20 ; 15.33 ; CD 4.16 ; 1QM 1.1 ; 13.4, 11 ; 14.9 ; 15.17 ; 4Q390 frag. 2, I.4 ; 11QApPsa 4.3 ; T. Lévi 1.9 ; T. Juda 5.27 ; T. Issac. 4.1, 8 ; T. Dan 1.5 ; 2.6–7, 13–14 ; T. Neph. 2.3 ; T. Asher 1.4, 14 ; T. Ben. 1.10, 11, 14 ; 2.10, 15 ; 3.1, 2, 4 ; T. Rub. 1.9 ; 2.10, 13, 20)22, 18 Le Testament de Salomon semble avoir été rédigé, dans sa forme finale, entre le troisième et le quatrième siècle de notre ère : Todd E. Klutz, Rewriting the Testament of Solomon : Tradition, Conflict and Identity in a Late Antique Pseudepigraphon, LSTS 53 (London – New York : T. & T. Clark, 2005), 34–35 ; Peter Busch, Das Testament Salomos, Die älteste christliche Dämonologie, kommentiert und in deutscher Erstübersetzung, TUGAL 153 (Berlin – Boston : de Gruyter, 2006), 19–20. Pourtant, selon le travail récent de Todd Klutz, T. Sal. 18.1–42 remonte à la première moitié du premier siècle de notre ère et les chapitres 1 à 15 (sauf les interpolations chrétiennes : 6.8 ; 12.3 ; 15.10–11 ; auxquels il faut ajouter les chapitres 16–17 et 19–26 et les référence au démons Ephippas) à une époque comprise entre la fin du premier et le premier quart du deuxième siècle de notre ère : Klutz, Rewriting the Testament of Solomon, 95, 107–9. 19 Cf. l’inventaire, établi par Roger D. Aus, des démons aux noms spécifiques dans le Talmud et même dans les compositions midrashiques tardives : « Ashmedai », chef des démons (b. Pesaۊ. 110a ; b. Giܒ. 68a) ; « Josèphe » (b. Pesaۊ. 110a ; b. ‘Erub. 43a) ; « Ben Temalion » (b. Me‘il. 17b) ; « la Princesse » (b. Šabb. 109a) ; « Shibeta », qui attaque celui qui prend sa nourriture sans s’être d’abord lavé les mains (b. Yoma 77b ; b. Ta’an. 20b ; b. ۉul. 107b) ; « Lilith », un démon nocturne (b. Šabb. 151b) ; « Igrath », fille de Mahalath et reine des démons (b. Pesaۊ. 112b) ; « Tezazith », qui cause la folie, l’épilepsie et les tremblements (Nb Rab. 19.8 sur Nb 19.2) ; « Qe৬eb Meriri », démon de destruction et des épidémies de peste (Dt 32.24 est ainsi compris dans Sifre sur Deutéronome 32.1–43 [Ha‘azinu], 321 ; Midrash Ps 91.1) ; « Hamath » (b. Sanh. 101a) ; « Ben ha-Nephilim » (b. Bek. 44b) ; d’autres démons sont mentionnés en b. Pesaۊ. 110a–112b. Aus, My Name is « Legion », 12– 13, 36–37. 20 À remarquer que dans 1 Hén. 1–36, Satan n’est jamais nommé et les esprits mauvais ne semblent pas avoir de chef : Wright, The Origin of Evil Spirits, 159–60. 21 Miryam Brand remarque que, même si l’Écrit de Damas mentionne à la fois Bélial (CD 4.16) et Mastema (16.5), « the author of this text does not make a deliberate effort to reconcile the two figures of Mastema and Belial. Rather, the author’s choice of Mastema as the demonic figure features in this passage [CD 16.2–6] reflects its context, a reference to Jubilees, where Mastema is the chief demonic figure » : Miryam T. Brand, Evil Within and Without : the Source of Sin and Its Nature as Portrayed in Second Temple Literature, JAJSup 9 (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 2013), 187. 22 Selon Wright, The Origin of Evil Spirits, 161–62, le nom « Bélial » pourrait tirer son origine de 2 S 22.5 (ʬˆʔ फ़ ʔ˕ ʑʬ ʍʡ ʩ६ ʒʬʏʧʰʔ ; LXX : ȤİȝĮȡȡȠȚ ਕȞȠȝĮȢ ; cf. Ps 18.5 ; 1QHa 11.29, 32 : ʩʬʧʰ ʬʲʩʬʡ) et peut-être même Na 2.1 et Ps 101.3. Il rappelle aussi (p. 172, note 82) que la plupart des fois où le mot ʬˆʔ ˕ʔ ॲ ʑʬ ʍˎ apparaît dans la Bible hébraïque, il désigne des individus mauvais :
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Mastema (Jub. 10.8 ; 11.10 ; 17.15–16 ; CD 16.5 ; 4Q225 frag. 2, I.9 et frag. 2, II.13)23, Sémiaza (1 Hén. 6.3, 7 ; 9.7), Satan24 ou encore Azazel (Cf. 1 Hén. 54.5 ; Lv 16.8)25. Les esprits des ténèbres peuvent influencer les pensées et les agissements humains26, sans forcément posséder les individus27. Néanmoins, les démons sont aussi considérés comme capable d’infester – jusqu’à en prendre le contrôle – les êtres humains et les animaux, dont le corps et l’esprit sont perméables aux êtres spirituels malveillants qui pullulent dans le cosmos (1 Hén. 15.11–16.1 ; par ex. Dt 13.13 ; 15.9 ; Jg 19.22 ; 1 S 1.16 ; 2.12 ; 10.27 ; 25.17 ; 25.25 ; 2 S 16.7 ; 1 R 21.10, 13 ; 2 Ch 13.7 ; Jb 34.18 ; Ps 41.9 ; Pr 6.12 ; 16.27 ; 19.28 ; Na 1.11, 15 ; 2.1). Voir aussi Émile Puech, « Les deux derniers Psaumes davidiques du rituel d’exorcisme, 11QPsApa IV 4–V14 », in Dead Sea Scrolls : Forty Years of Research, éd. par Devorah Dimant et Uriel Rappaport, STDJ 10 (Leiden : Brill, 1992), 71, qui lit « Bélian » à la ligne 4 de la quatrième colonne de 11QApPsa. 23 James C. VanderKam, « Mastema in the Qumran Literature and the Book of Jubilees », in Sibyls, Scriptures, and Scrolls : John Collins at Seventy, éd. par Joel Baden, Hindy Najaman et Eibert Tigchelaar, vol. 2, JSJSup 175 (Leiden : Brill, 2016), 1347, remarque que, en tant que substantif (« hostilité »), ce mot se retrouve associé à Bélial en 1QM 13.4 (cf. Os 9.7–8, où « mastema » est un substantif qui signifie « hostilité »). Mastema semble être un développement du verbe ʮʨʹ (« devenir un ennemi, être hostile à » : Gn 27.41 ; 49.23 ; Ps 55.4 ; Jb 16.9 ; 30.21) et du substantif associé ʯ ʕʨ ʕˈ (« adversaire » : cf. Jb 1.6, 7, 8, 9, 12 ; 2.1, 2, 3, 4, 6, 7 ; Za 3.1, 2 ; 1 Ch 21.1). Dans la LXX, ce substantif est traduit par įȚȕȠȜȠȢ lorsqu’il s’agit d’un être surnaturel. Quand il désigne un être humain, le mot grec utilisé est la simple translittération ıĮIJȞ (1 R 11.14, 23, 25) ou l’adjectif substantivé ਥʌȕȠȣȜȠȢ (« ennemi », 1 R 5.18) : voir Wright, The Origin of Evil Spirits, 160–61. 24 Cf. 11QPsa 19.15 ; Jub. 10.11 ; VAE gr. 17.2 ; « adversaire » en 1 R 11.14 et Si 21.27 ; T. Dan 2.14 ; Asc. Es. 2.2 : « et Manassé abandonna le service du Dieu de son père et se mit au service de Satan et de ses anges et de ses pouvoirs ». Voir Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 », 73–74. 25 Dans des sources plus tardives, Béelzéboul se retrouve en Mc 3.22 // Mt 12.24 // Lc 11.15 ; Mt 10.25 ; 12.27 ; Lc 11.18–19 ; T. Sal. 2.9–3.1 et 6.1–2. 26 Cf. 1QS 3.13–4.26 ; 10.21 ; 24.12–13 ; 1QHa 15.3 (« …car c’est Bélial [qu’on voit], lorsque se manifeste le penchant de leur être », ainsi Dupont-Sommer et Philonenko, Écrits intertestamentaires, 259, la référence étant 7.3–4). 27 De même pour la sagesse (cf. Sg 1.4 : İੁȢ țĮțંIJİȤȞȠȞ ȥȣȤȞ Ƞț İੁıİȜİıİIJĮȚ ıȠijĮ, « la sagesse n’entrera pas dans une âme/personne malfaisante »), pour l’inspiration divine (cf. Flavius Josèphe, A.J. 1.122 : ਥȞ ਲȝȞ… İੁıİȜșİȞ), pour l’Esprit de justice (cf. Jub. 25.14) et pour l’Esprit de prophétie (31.12) : leur action est ici comprise en tant qu’influence et inspiration. Pour Rochester, Good News at Gerasa, 123, l’Esprit de Dieu semble pouvoir entrer dans les individus selon la compréhension qu’en a Marc, car en 1.10 l’expression employée est țĮIJĮȕĮȞȠȞ İੁȢ ĮIJંȞ. Pourtant, Rochester admet que cette locution pourrait aussi avoir le sens de « sur lui » en Mc 11.8 ; 12.14 ; 13.3. Que l’être humain soit perméable à l’esprit impur semble être présupposé par Marc 3.22 : « il a Béelzéboul » (ǺİİȜȗİȕȠઃȜ ȤİȚ). D’autres textes, Flavius Josèphe, A.J. 6.166–169, Herm. Préc. 12.5.2–4 et Ap. Sed. 5.3–5 (İੁıȡȤİIJĮȚ İੁȢ IJȢ țĮȡįĮȢ IJȞ ਕȞșȡઆʌȦȞ) utilisent un langage proche de la possession mais avec une implication plutôt morale (influence). Voir aussi Fowler, Let the Reader Understand, 16.
La démonologie juive
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cf. 4Q560 frag. 1, I.3 : « [Je vous conjure, vous tous qui péné]trez dans le corps : démon qui fait dépérir l’homme et démon qui fait dépérir la femme »28 ; Flavius Josèphe, B.J. 7.185)29. La croyance en cette double activité des esprits, influence et possession, est un acquis interculturel de la période hellénistique qui montre la convergence, sur ce point, de la pensée gréco-romaine et de la pensée juive. En effet, même pour Plutarque († 120 ; cf. Is. Os. 26 [361b–c] ; Def. orac. 10–16 [415a–419a]) et Lucien de Samosate († après 180), le terme démon pouvait désigner parfois un être désincarné malveillant qui cherche à envahir les corps des êtres humains. Dans l’Incrédule de Lucien (16), l’exorciste demande au démon « d’où/comment il est rentré dans le corps » (șİȞ İੁıİȜȘȜȪșĮıȚȞ İੁȢ IJઁ ıȝĮ), après quoi est élucidée la question de savoir « d’où/comment il entra dans l’être humain » (șİȞ İੁıોȜșİȞ İੁȢ IJઁȞ ਙȞșȡȦʌȠȞ)30. On notera qu’il s’agit du même verbe composé que celui qui est utilisé en Marc 5.13 pour décrire l’entrée des esprits impurs dans les cochons : IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ İੁıોȜșȠȞ İੁȢ IJȠઃȢ ȤȠȡȠȣȢ. Pour Flavius Josèphe aussi les démons peuvent « entrer ou s’insinuer » (İੁıį[Ȟ]Ȧ) dans les vivants (B.J. 7.185)31. Concernant l’action néfaste des démons sur les êtres humains (dimension corporelle et spirituelle), la littérature de l’époque offre aussi quelques éléments intéressants : les mauvais esprits peuvent faire dépérir, causer la fièvre, les frissons, le mal de poitrine, troubler le sommeil (4Q560 frag. 1, I.3–5), provoquer des plaies purulentes (1Qap Genar 20.26), infliger la douleur (1 Hén. 15.11), détourner, rendre aveugle et tuer (Jub. 10.1–2), suffoquer ou étrangler (Flavius Josèphe, A.J. 6.166 ; T. Sal. 4.5) ; causer la chute morale et/ou priver d’entendement (1 Hén. 15.11 ; 4Q510 frag. 1, ligne 6 ; cf. 4Q271 frag. 4, II.6–
28 Traduction selon Michael O. Wise, Martin G. Abegg, et Edward M. Cook, éd, Les manuscrits de la mer Morte, trad. par Fortunato Israël (Paris : Plon, 2001), 581. 29 Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 237 ; Rochester, Good News at Gerasa, 120 ; Wright, The Origin of Evil Spirits, 181–82. Voir également la reconstruction de 11QApPsa 4.2 proposée par Abegg, Cook, Wise : « et ceux possédés par [les démons...] » (p. 597). Alexander, « The Demonology », 348–49, suggère que la possession implique l’impureté à Qumran également (cf. 4Q444), sans pour autant limiter l’impureté à la possession. Roger D. Aus signale que, dans la littérature rabbinique, est exprimée la croyance que les démons peuvent assumer la forme d’un dragon à sept têtes (b. Qidd. 29b), d’un cèdre (b. Sanh. 101a), du roi Salomon mais agissant en fou (Midrash Ps 78.12), d’un être humain (b. Yebam. 122a et b. Giܒ. 66a). En définitive, ils peuvent changer leur apparence selon leur souhait (’Abot R. Nat. A 37). Aus, My Name is « Legion », 46. 30 Jean-Marie van Cangh, « Miracle », in DEB, éd. par Adrianus van den Born (Paris : Brepols, 1987), 839, signale Philostrate, Vit. Apoll. 5.42, où un lion qui demande l’aumône en Égypte est en realité le réceptacle de l’âme du roi Amasis. 31 Karl Schenkl et Federico Brunetti, éd, « İੁıįȪȞȦ », in Dizionario Greco-Italiano Italiano-Greco (Genova : Edizioni Polaris, 1992), 245. Ce verbe ne se trouve ni dans la LXX ni dans le Nouveau Testament.
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
7 ; T. Sal. 4.5, 5.7 et 10.3 ; b. ۉag. 3b ; Nb Rab. 19.9) ; inciter à la révolte (CD 12.2–3) ou à l’idolâtrie (1 Hén. 19.1)32. Ayant succinctement brossé le développement de la démonologie juive depuis ses origines jusqu’à l’époque hellénistique et romaine, nous nous tournons à présent vers le Nouveau Testament, dont les écrits ont été composés précisément dans ce contexte religieux.
6.2 Les démons dans le Nouveau Testament Les démons dans le Nouveau Testament
La cosmologie et la démonologie exprimées dans le Nouveau Testament s’enracinent profondément dans le judaïsme hellénistique de la période du Second Temple. Une vision dualiste oppose le Royaume de Dieu (cf. Mt 3.2 ; 4.17, 23 ; 5.10, 19, 20 ; Mc 1.15 ; 4.11, 26, 30 ; Lc 4.43 ; 6.20 ; 7.28) à l’action du Prince de ce monde, Satan (cf. Mc 3.22 // Mt 9.34 // Lc 11.15 ; Mt 12.24 ; Jn 12.31 ; 14.30 ; 16.11 ; Ep 2.2 ; 2 Co 4.4), dans un cosmos peuplé par des esprits qui ont le pouvoir d’interagir avec les êtres humains et d’interférer, positivement ou négativement, avec leur existence, jusqu’à les habiter ou les posséder33. Les êtres spirituels rattachés au Dieu créateur et bienveillant sont appelés typiquement anges et peuvent œuvrer pour des miracles, apporter protection et conseil, apparaître dans des visions (cf. Ac 5.19 ; 8.26 ; 12.7 ; 27.23 ; Ap 1.1 ; 22.6, 16), sans pour autant devenir l’objet du culte du chrétien (Ap 19.10 ; 22.8–9). D’ailleurs, l’adoration des anges en tant que puissances cosmiques ou 32 Cf. Lucien, Philops. 15–16 (le possédé, sensible à la lumière lunaire, tombe en retournant les yeux, l’écume lui sortant de la bouche) et Philostrate, Vit. Apoll. 3.38 (le possédé est amené par l’esprit dans des endroits déserts ; il change de voix et de regard). Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 », 74 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 118 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 303 ; Collins, Mark. A Commentary, 166 ; Rochester, Good News at Gerasa, 120–21 ; Wright, The Origin of Evil Spirits, 181. 33 Le mot ʌȞİ૨ȝĮ per se n’ayant pas de connotation positive ou négative, il est souvent accompagné d’un adjectif ou d’une locution afin de rendre transparente sa nature et son affiliation. Il peut alors être ਕțșĮȡIJȠȢ (Mc 1.23–28 // Lc 4.33–37 ; Mc 3.11 // Lc 6.18 ; Mc 5.1–17 // Lc 8.29 ; Mc 6.7 // Mt 10.1 ; Mc 7.25 ; 9.25 // Lc 9.42 ; Ac 5.16 ; 8.7 ; Mt 12.43 // Lc 11.24 ; Ap 18.2), ʌȠȞȘȡંȢ (Lc 7.21 ; 8.2 ; Ac 19.11–16 ; Mt 12.45 // Lc 11.26 ; 1 Jn 5.18– 19), « de démon impur » (įĮȚȝȠȞȠȣ ਕțĮșȡIJȠȣ : Lc 4.33 ; įĮȚȝȠȞȦȞ en Ap 16.14), ਙȜĮȜȠȢ (Mc 9.17 ; et țȦijંȢ : Mc 9.25) ou associé aux démoniaques (Mt 8.16). Inversement, l’esprit peut être ਚȖȚȠȢ (Mt 1.18, 20 ; 3.11 ; 12.32 ; 28.19 ; Mc 1.8 ; 3.29 ; 12.36 ; 13.11 ; Lc 1.15, 35, 41, 67 ; 2.25, 26 ; 3.16, 22 ; 10.21 ; Jn 1.33 ; 14.26 ; 20.22 ; 1 P 1.12 ; etc.), [IJȠ૨] șİȠ૨ (Mt 3.16 ; 12.28 ; 1 P 4.14 ; 1 Jn 4.2 ; Ap 4.5), IJȠ૨ ʌĮIJȡઁȢ ਫ਼ȝȞ (Mt 10.20), ȝȠȣ [de Dieu] (Mt 12.18), IJોȢ ਕȜȘșİĮȢ (Jn 14.17 ; 15.26 ; 16.13), ȣੂȠșİıĮȢ (Rm 8.15). Voir Sorensen, Possession and Exorcism, 118–19, 166, et Rochester, Good News at Gerasa, 120, qui renvoient aux travaux de Nickelsburg et VanderKam, 1 Enoch, 1 : A Commentary on the Book of Enoch, chapters 1–36 ; 81–108 : 71–125 ; Stephen Voorwinde, « Demons and the Occult in the New Testament », VR 59 (1994) : 17–38.
Les démons dans le Nouveau Testament
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éons est formellement condamnée (cf. 1 Co 2.6–8 ; Ga 4.3, 9 ; Col 1.16 ; 2.8– 18 ; Ep 1.21)34. Quant aux esprits malveillants et subordonnés à Satan, ils sont systématiquement appelés démons. Alors que, dans la littérature grecque, ce terme peut désigner aussi des êtres bienveillants, pour les auteurs du Nouveau Testament, il est exclusivement employé à propos des esprits maléfiques. La croyance selon laquelle les démons pouvaient être les esprits de certains mortels d’un passé glorieux et jouant à présent le rôle d’intermédiaires entre les dieux et les êtres humains est réfutée par les chrétiens au nom de leur vision du monde dualiste et monothéiste. Les démons sont désormais des anges déchus tourmentant les hommes, les incitant au péché et destinés à subir la fureur de Dieu lors du jugement dernier35. Adorer ces êtres déchus correspond donc à de l’idolâtrie36. Ces puissances maléfiques, même si elles sont traitées en tant qu’entités personnelles et distinctes, ne sont pas conçues comme autonomes. Il n’y a qu’un seul démon, mis à part Satan/Béelzéboul, auquel on attribue un nom propre : Légion (Mc 5.9 // Lc 8.30). Par contre, on désigne avec insistance leur chef, qui est appelé à la fois Béelzéboul (Mc 3.22 // Mt 12.24, 27 ; Mt 10.25 ; 12.24– 27 ; Lc 11.15 ; 2 Co 11.14), Satan (Mc 1.13 ; Mc 3.26 // Mt 12.26 ; Mt 13.19, 38 ; Lc 13.16 ; 22.3 ; Jn 13.27 ; Ac 5.3 ; 2 Th 2.9 ; 1 Jn 2.13–14 ; Ph 6.16 ; cf. 1 Tm 1.20 ; Ap 2.9 ; 3.9), Diable (Jn 6.70 ; 8.44 ; 13.2 ; 1 Jn 3.7–10 ; cf. Ac 34 Pour Bultmann, la vénération des anges est à imputer à l’influence de la tradition (pré)gnostique sur l’apocalyptique juive et sur le christianisme. Toutefois, ni le judaïsme hellénistique ni le mouvement de Jésus n’iront dans le sens de concevoir un dualisme cosmique où le bien et le mal sont coéternels et coexistants, et où les anges seraient des éons incréés. Au contraire, la notion de șİઁȢ ʌĮȞIJȠțȡIJȦȡ est surtout présente lorsque l’on développe les représentations apocalyptiques : Ap 1.8 ; 4.8 ; 11.17 ; 15.3 ; 16.7, 14 ; 19.6, 15 ; 21.22 ; et aussi en 2 Co 6.18. La réflexion chrétienne ira quand même dans le sens d’attribuer aux anges des rôles spécifiques : cf. Herm. Préc. 6.2.1 (IJોȢ įȚțĮȚȠıȞȘȢ / IJોȢ ʌȠȞȘȡĮȢ) ; 11.9 ( ਙȖȖİȜȠȢ IJȠ૨ ʌȞİȝĮIJȠȢ IJȠ૨ ʌȡȠijȘIJȚțȠ૨) ; Herm. Vis. 4.2.4 (ਥʌ IJȞ șȘȡȦȞ, dont le nom est ĬİȖȡ) ; 5.7 ( ਙȖȖİȜȠȢ IJોȢ ȝİIJĮȞȠĮȢ). Bultmann, Teologia del Nuovo Testamento, 472–75. 35 Mt 8.31 ; Mc 1.34 // Lc 4.41 ; Mc 1.39 ; 3.15 ; 3.22 // Mt 12.24, 27–28 // Lc 11.14–20 ; Mc 6.13 // Mt 10.8 // Lc 9.1 ; Mc 7.26–30 ; 9.38 // Lc 9.49 ; Mt 7.22 ; 9.32–34 // Lc 11.14 ; Mt 17.18 ; Lc 8.2, 26–39 ; 10.17 ; 13.32 ; Mt 11.18 // Lc 7.33 ; Jn 7.19 ; 8.48–52 ; 10.20– 21 ; Ap 12.9 ; 18.2 ; et plus tardivement Barn. 9.4 ; 18.1 ; Herm. Préc. 6.2.4–7. 36 Cf. 1 Co 10.19–21 (voir Ps 95.5 LXX ; ensuite Justin, 1 Apol. 5.1–4 ; 2 Apol. 2.5.3–6 ; Origène, Cels. 7.69 ; Tertullien, Spect. 13). Rochester, Good News at Gerasa, 119 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 237 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 121. Bultmann, Teologia del Nuovo Testamento, 472–74, rappelle que l’idée d’une création déchue, fruit de la combinaison d’une vision dualiste du cosmos avec celle de la foi en un Dieu unique créateur, est déjà bien attestée dans l’apocalyptique juive (cf. 4 Esd. 3.4ss ; 7.11–12 ; 2 Bar. 23.4 ; 48.24s). Cette vision est reprise et developpée au sein du christianisme primitif : cf. Rm 8.20ss et 1 Tm 2.14. Pour Bultmann, des textes comme Col 1.20 et Ep 1.10 semblent présupposer que, avant l’avènement du Christ, le cosmos était dans un état de désordre et de chaos.
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
10.38 ; 13.10 ; 1 Tm 3.6–7 ; 2 Tm 2.26 ; Tt 2.3 ; He 2.14–15 ; 1 P 5.8), et qui est qualifié de différentes manières : ਙȡȤȦȞ IJȠ૨ țંıȝȠȣ (Jn 12.31 ; 14.30 ; 16.11), ਥȤșȡȩȢ (Mt 13.25, 28, 39 ; 8.39 ; Lc 10.19), įȡțȦȞ ȝȖĮȢ / ijȚȢ ਕȡȤĮȠȢ / ʌȜĮȞȞ IJȞ ȠੁțȠȣȝȞȘȞ ȜȘȞ (Ap 12.9), ʌİȚȡȗȦȞ (Mt 4.3 ; 1 Th 3.5), șİઁȢ IJȠ૨ ĮੁȞȠȢ IJȠIJȠȣ (2 Co 4.4 ; Ep 2.2), ȥİıIJȘȢ ਥıIJȞ țĮ ʌĮIJȡ ĮIJȠȣ (Jn 8.43–44)37. En harmonie avec les croyances des contextes juif et gréco-romain ambiants concernant la possession, l’influence et le harcèlement démoniaques, le corpus que représente le Nouveau Testament brosse un tableau effarant de l’action des mauvais esprits à l’égard de leurs victimes. Parfois, il s’agit d’une perturbation extérieure, d’une maladie38 ou d’une influence immorale39. Néanmoins, dans les synoptiques et les Actes notamment, le démon, lorsqu’il apparaît dans le récit, « habite » souvent l’être humain. Sans donner de précisions sur la manière dont l’esprit prend le contrôle de son hôte ni sur le contexte qui a rendu cette possession possible40, sa présence interne se manifeste par des agissements et des paroles irrationnels (« folie », par ex. Mc 5.13 // Mt 8.32 // Lc 8.33 ; Mc 3.21–22 ; Mt 17.18 // Lc 7.33 ; Jn 7.20 ; Mc 9.22 // Mt 17.15 ; cf. « … le démon menace [de se jeter dans] des précipices et des crevasses [țȡȘȝȞȠઃȢ țĮ ȕȡĮșȡĮ] et de tuer mon fils », Philostrate, Vit. Apoll. 3.38), des cris (Mc 1.23–28 // Lc 4.31–37 ; Lc 9.39), la perte de la parole (Mc 9.17 ; Mt 9.32 // Lc 11.14), des convulsions (Mc 9.18, 20 // Lc 9.39, 42), l’automutilation (Mc 5.5), l’infirmité (țĮ ȝ įȣȞĮȝȞȘ ਕȞĮțȥĮȚ İੁȢ IJઁ ʌĮȞIJİȜȢ : Lc 13.11). Il en résulte que la frontière entre la pathologie physiologique et la possession est
37 Sorensen, Possession and Exorcism, 119–21 ; Wéber, « Démons », 311. Pour ce dernier, aujourd’hui « le concept est sans voix », car les démons et les anges sont relégués au rang de superstition mythologique, et cela notamment depuis Milton (1608–1674). Cela n’empêche pas que leur pouvoir évocateur des peurs et des espoirs humains soit toujours exploité dans les arts visuels et littéraires, où la réflexion se porte aussi sur « l’abîme de la liberté créée dans le repli possible sur le mal radical » (ibidem). 38 Cf. ਥȞȠȤȜȦ (« affliger, perturber », BDAG) en Lc 6.18 ; ੑȤȜȦ (« causer une affliction, déranger », BDAG) en Ac 5.16. En Lc 13.11, l’infirmité est associée à la possession ; en Lc 4.39, Jésus rabroue (ਥʌȚIJȚȝȦ) la fièvre de la belle-mère de Pierre, ce dernier verbe étant utilisé en Mc 1.25 et 9.25 dans des exorcismes (voir aussi Mc 3.12 : esprits impurs ; cf. 4.39 : vent ; 8.30 : disciples ; 8.32 : Jésus [par Pierre] ; 8.33 : Pierre ; 10.13 : les personnes qui amènent les enfants à Jésus [par les disciples] ; 10.48 : Bartimée [par « beaucoup (de personnes) »]). 39 Cf. įȚ IJ ਥʌȜȡȦıİȞ ıĮIJĮȞ઼Ȣ IJȞ țĮȡįĮȞ ıȠȣ : Ac 5.3. Jn 13.27 décrit l’ascendant démoniaque, auquel Judas cède, en des termes qui font penser à la possession : İੁıોȜșİȞ İੁȢ ਥțİȞȠȞ ıĮIJĮȞ઼Ȣ. 40 Sorensen remarque que, selon Mt 12.43–45 // Lc 11.24–26, le but de la possession pour le démon est de trouver du « repos » (ਕȞʌĮȣıȚȢ) : Sorensen, Possession and Exorcism, 126. Mais, à notre avis, le ton métaphorisant (parabolique) de ce logion ne nous permet pas d’aller au-delà de cette observation concernant la question démonologique.
Magie et miracles dans les milieux non juifs
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souvent brouillée (cf. Ac 19.11–12). Parfois, l’hôte bénéficie de la force surnaturelle (Mc 5.3–4 ; Ac 19.6) ou de la clairvoyance (Ac 16.16–18) du démon41. Les pratiques apotropaïques et exorcistiques occupent une place centrale au sein de la stratégie mise en place pour se protéger et se défaire de ces puissances polluantes. C’est donc vers ces procédés que nous tournons maintenant notre attention.
6.3 Magie et miracles dans les milieux non juifs à l’époque hellénistique et gréco-romaine Magie et miracles dans les milieux non juifs
Dans notre étude, nous constatons que la croyance en l’existence d’entités surnaturelles capables d’influencer la vie et la destinée des êtres humains et en la possibilité d’interagir avec ces puissances métaphysiques par l’invocation ou la manipulation est bien attestée depuis des temps très anciens en Mésopotamie et atteint des développements importants au Moyen-Orient et dans tout le bassin hellénisé de la Méditerranée. Les rituels de guérison et de protection contre les esprits, ainsi que l’accomplissement d’œuvres prodigieuses dont la puissance-source est située dans le domaine du divin, prolifèrent dans des formes très disparates. On assiste à l’émergence de figures charismatiques capables de produire des actes étonnants et/ou auxquelles la divinité accorde le pouvoir de se manifester de manière surnaturelle (pour Israël, voir Dt 34.10–12 ; Nb 11.24–29 ; 1 S 10.6, 10 ; 1 R 17.8–16 ; 18.20–40 ; 2 R 1.9–12 ; 4.1–7 ; 5.1– 19 ; 1 Ch 21.26). Les rituels se fixent en des catégories et des formes qui, en partie, traversent les siècles : il suffit de songer aux nombreuses (environ 2000) tablettes de défixion, dont les plus anciennes remontent au VIe siècle avant notre ère, et dont certaines attestent des pratiques, telles que graver des figures anthropomorphiques et des mots à des fins magiques, qui se retrouvent dans des documents beaucoup plus tardifs (par ex. PGM XII.376–396 ; XXXV ; XXXVI ; LVIII, tous datés du IVe siècle après Jésus-Christ)42. 41 Sorensen, 119, 123–25 ; Rochester, Good News at Gerasa, 125–26 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 38, 147. Jean-Marie van Cangh, « Miracles évangéliques – miracles apocryphes », in The Four Gospels 1992 : Festschrift Frans Neirynck, éd. par Frans van Segbroeck, vol. 3, BETL 100 (Louvain : Leuven University Press – Peeters, 1992), 2302–4, cite Ac. And. (deuxième moitié du IIe siècle), où la cécité d’un individu est attribuée à l’action d’un démon. La clairvoyance et la connaissance surnaturelle des démons sont également attestées dans le Talmud babylonien, où il est dit que ces créatures, à l’instar des anges, ont le privilège d’entendre ce qui est dit « derrière le Voile » (b. ۉag. 16a) : Aus, My Name is « Legion », 33. 42 Géza Vermes, « Jewish Miracle Workers in the Late Second Temple Period », in The Jewish Annotated New Testament, éd. par Amy-Jill Levine et Marc Z. Brettler (Oxford : Oxford University Press, 2011), 536–37 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 36–37 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 301. Voir également Christopher A. Faraone, « Binding and Burying
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Nombreux sont les artéfacts et les témoignages littéraires attestant le succès considérable dont jouissaient les pratiques magiques dans les sociétés anciennes. Tablettes, papyri, amulettes, récits détaillés d’auteurs renommés : tout converge vers une Weltanschauung où l’astrologie, la fascination pour les mystères et le prodigieux, la peur des démons et le recours à des procédés ésotériques pour la subjugation des forces métaphysiques occupent une place centrale. Et cela, même lorsque la Pax Augusti aurait pu affranchir les individus et les peuples de l’inquiétude religieuse et de l’angoisse que l’incertitude et le manque de stabilité, aussi bien politiques qu’économiques, suscitent43. Au contraire, le décret d’Auguste promulgué en l’an 11 de notre ère et défendant certaines pratiques astrologiques montre que la religion astrale était bien enracinée44. De même, Pline l’Ancien († 79) se plaint que « tout le monde craint pour soi d’être l’objet d’imprécations », déplore l’« imitation des enchantements d’amour » et ridiculise le fait que « beaucoup croient aussi que les ouvrages de poterie se brisent par de telles paroles ; [que] d’autres admettent que les serpents mêmes retournent les enchantements contre leurs auteurs », que l’« on va jusqu’à écrire sur les murs certaines prières contre les incendies » et enfin s’en prend à l’habitude des magiciens de recourir à des formules aux « mots barbares et impossibles à prononcer » et aux « mots latins bizarres » afin « d’ébranler la divinité » ou même de la « commander » (Nat. 28.4.5–6)45. De son côté, Plutarque († vers 125) témoigne – non sans ironie – de la superstition populaire qui amène les gens, « dans les maladies chroniques », à renoncer « aux remèdes communs et aux régimes habituels », et à se tourner vers « les purifications, les amulettes et les songes » (Fac. 1 [920b])46. Il n’est pas surprenant alors de se trouver confronté à des documents (tablettes, papyri, amulettes, inscriptions, témoignages littéraires) qui, loin d’être
the Forces of Evil : The Defensive Use of ‹Voodoo Dolls› in Ancient Greece », CAn 10, no 2 (1991) : 165–205 ; 207–20. 43 Charles K. Barrett, The New Testament Background : Selected Documents, 6e éd., 1e éd. 1956, SPCKLP 23 (London : SPCK, 1974), 29 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 377–78 ; Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 », 75 ; John M. Hull, Hellenistic Magic and the Synoptic Tradition, SBT 2 28 (London : SCM Press, 1974), 37–44. 44 Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 », 76 : « Why would an emperor publish edict forbidding a certain practice if that very practice was unknown among his subjects? Laws are made to counter existing problems ». Il renvoie ensuite à l’article d’Irene R. Arnold qui discute de la popularité de la religion astrale à l’époque de Néron et de Vespasien : Irene R. Arnold, « Festivals of Ephesus », AJA 76 (1972) : notamment 18–19. 45 Traduction emprunté à Pline l’Ancien, Histoire naturelle, trad. par Émile Littré et Hubert Zehnacker, FC 870 (Paris : Gallimard, 1999), 284. 46 Selon la traduction d’Alain Lernould : Plutarque, Le visage qui apparaît dans le disque de la lune, Cahiers de Philologie – Lex textes 30 (Villeneuve d’Ascq: Presses Universitaires du Septentrion, 2013). Voir Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 33 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 379.
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des témoignages extravagants de pratiques exotiques marginales, sont à considérer comme précieux pour appréhender l’étendue de la popularité de la pensée magique dans tout le bassin de la Méditerranée depuis le VIe siècle avant notre ère47, en passant par la période formative du christianisme primitif jusqu’à l’époque byzantine48. En fait, même les documents datant du IIIe au Ve siècle de notre ère peuvent s’avérer utiles, dès lors qu’ils sont exploités avec prudence, car ils sont potentiellement porteurs de formules et enchantements fort anciens49. Le fait que ces enchantements soient souvent conservés, recopiés et diffusés au moyen de codex et de rouleaux en papyrus indique bien qu’il s’agit de pratiques codifiées et établies50. L’analyse de ces sources fournit un portrait intriguant du syncrétisme et du pluralisme qui caractérisent l’époque hellénistique et gréco-romaine. Les cultes gréco-égyptiens et gréco-romains s’influencent mutuellement ; qui plus est, les frontières entre religion, médecine, superstition et magie sont floues, ambiguës et perméables. Notable est la prise de position de Pline l’Ancien contre « les impostures magiques » émanant d’une pratique qui « a eu, par tout le monde et en tout temps, le plus grand crédit » et dont « on ne s’étonnera pas de l’influence extrême qu’elle s’est acquise, car elle a seule embrassé et confondu les trois arts qui ont le plus de pouvoir sur l’esprit humain [... :] la médecine, [...], la religion, [... et] l’art astrologique [...] » (Nat. 30.1.1–2)51. Cette prise de position de Pline ne fera pas école car, à partir du IIIe siècle, la magie sera intégrée 47
Cf. le papyrus magique gardé dans une boîte métallique (VIe siècle avant notre ère) trouvée sur l’ïle de Malte : Tancred C. Gouder et Benedetto Rocco, « Un talismano bronzeo da Malta contenente un nastro di papiro con iscrizione fenicia », StMagr 7 (1975) : 1–18, cité par David R. Jordan, « Notes from Carthage », ZPE 111 (1996) : 123. Pour des amulettes syro-palestiniennes et des bols magiques mésopotamniens, voir Joseph Naveh et Shaul Shaked, éd, Amulets and Magic Bowls : Aramaic Incantations of Late Antiquity (Jerusalem – Leiden : The Magnes Press – Brill, 1985). 48 On date du Ier–IIe siècle de notre ère PGM VI ; XVI ; XVIIb ; XX ; XXI ; XXXII ; XXXIV ; LVII ; LIX ; LXIX ; LXXI ; LXXII ; LXVII ; LXXXV ; CX ; CXVII ; CXXII. Hans D. Betz, éd, The Greek Magical Papyri in Translation Including the Demotic Spells, 2e éd. (1éd. 1986), vol. 1 : Texts (Chicago – London : The University of Chicago Press, 1992), xiii–xxviii. William Brashear rétrodate au Ier siècle PGM XV et CXI, alors que Betz maintient le IIIe–IVe siècle : William M. Brashear, « The Greek Magical Papyri : An Introduction and Survey. Annotated Bibliography (1928–1994) », ANRW II 18, no 5 (s. d.) : 3491– 92. 49 Voir Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 », 76, qui renvoie à Hans D. Betz, « The Formation of Authoritative Tradition in the Greek Magical Papyri », in Jewish and Christian Self-Definition, éd. par Ed P. Sanders et Ben F. Meyer, vol. 3 : Self-Definition in Graeco-Roman World, 3 vol. (Philadelphia – London : Fortress Press – SCM Press, 1982), 161–70. Bolt aussi va dans le même sens : Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 37. 50 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 36. 51 Cité par Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 227. Traduction en français : Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 303.Voir aussi Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 376–80, qui, même s’il n’est pas possible d’établir une séparation claire entre magie et
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dans le système philosophique des néoplatoniciens, notamment grâce à Jamblique (voir De mysteriis 4.2), et sera assimilée à la religion52. Le syncrétisme ambiant empêche l’établissement d’une véritable distinction entre « miracle » (sphère religieuse) et « enchantement » (sphère magique). David Aune, dans ce sillage, énumère un certain nombre de caractéristiques interculturelles des pratiques magico-religieuses qui ont, pendant des siècles, structuré la croyance et la pratique à une large échelle : 1. l’opposition, par leur nature sporadique et exceptionnelle associée à la résolution de situations de crises, aux rituels religieux structurés et récurrents ; 2. leur popularité et leur diffusion surtout, mais pas exclusivement, au sein des couches sociales moins opulentes (voir Origène, Cels. 6.41 et 7.4 ; Philostrate, Vit. soph. 523–590) ; 3. le recours à un langage simple, commun (hors expressions volontairement exotiques et/ou incompréhensibles)53. Le judaïsme et le christianisme ne feront pas exception, à la fois en étant influencés de par leur exposition à l’hellénisme et en exerçant leur pouvoir suggestif, en tant que religions exotiques, sur les rituels magiques égyptiens, babyloniens, grecs et romains54. Le recours aux pratiques magiques s’opère selon des modalités de type analogique ou contagieux. Lier ou transpercer une poupée ou un animal afin d’atteindre la personne visée par l’incantation, jeter une tablette de défixion dans un puits dans le but de faire subir à l’individu dont le nom a été inscrit sur l’artéfact le même sort (devenir froid, raide, éventuellement succomber), ou encore lier un possédé dans l’espoir de subjuguer le démon et de le contraindre
religion, considère le rite magique comme « déviant », à cause de son caractère secret, privé, mystérieux, à la limite du défendu. Il s’appuie notamment sur les travaux suivants : Marcel Mauss, A General Theory of Magic, 1e éd. en français : 1904 (London – Boston : Routledge – Kagan Paul, 1972), 24, 32 ; Robert K. Merton, Social Theory and Social Structure, éd. revue et augmentée (Glencoe : The Free Press, 1957), 131–94 ; Jonathan Z. Smith, « Good News is No Newsௗ : Aretalogy and Gospel », in Christianity, Judaism and Other GrecoRoman Cults. Studies for Morton Smith at Sixty, éd. par Jacob Neusner, vol. 1 : New Testament, SJLA 12 (Leiden : Brill, 1975), 23. Betz remarque que les Papyri Graecae Magicae font état d’un grand syncrétisme au niveau des divinités invoquées : on y trouve les vieilles divinités du panthéon gréco-égyptien, très souvent Apollon-Hélios (le culte du soleil ayant connu une formidable espansion à l’époque gréco-romaine), des divinités astrales (par ex. la constellation de la Grande Ourse), des divinités abstraites (Nature, Temps, Destin, le Tout) et exotiques (Iao, Christ, Ereschigal [babylonienne]). Betz, The Greek Magical Papyri, 1 : Texts : xlv–xlvii. 52 Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 227–29. 53 Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 382–83. Il renvoie à Hippocrate, Morb. Sacr. 4 ; Lucien, Philops. 13–14 ; PGM XXXIV, pour montrer qu’il n’y a pas de véritable distinction formelle entre magie et miracle. 54 Barrett, The New Testament Background, 31 ; Betz, The Greek Magical Papyri, 1 : Texts : xlv ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 382, 408. Les Papyri Graecae Magicae conservent plusieurs translittérations de l’hébreu des différents noms du Dieu d’Israël (voir PGM IV.1230ss ; XII.287 ; XIII.815s et 975s).
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à sortir, sont autant de pratiques de type analogique55. Par contre, le recours, dans certains rituels, aux cheveux, dents, selles et objets ayant appartenu à quelqu’un relève du principe de contagion (pars pro toto), selon lequel il y a une relation permanente, exploitable par un magicien, entre un être humain et les parties/produits de son corps ainsi que les objets lui appartenant56. Concernant les finalités des sortilèges et des rites magiques, elles peuvent être de nature divinatoire, dissuasive, offensive, et de maîtrise57. Tout comme à l’Époque classique, il était possible de recourir à des pratiques divinatoires afin de percer le mystère des événements situés dans le futur58. Cependant, l’interaction avec le monde métaphysique sera progressivement marquée par la volonté de domestication et de contrôle59. Ainsi, les pratiques qui relèvent du mécanisme défensif visant à se mettre à l’abri des influences et des esprits maléfiques (qualifiés aussi d’« apotropaïques »60) se conjuguent aux rites de type offensif, comme le montre, par exemple, PGM IV.1227–1264, daté du IVe siècle. Dans ce document, on explique comment munir une personne d’un phylactère en étain sur lequel ont été inscrites des voces magicae ayant la fonction de protéger l’individu (lignes 1253–1264). Cette injonction suit néanmoins un rituel exorcistique où il est question de chasser l’« esprit impur Satan » (ligne 55
Cf. PGM IV.296–466. Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 229, prefère l’expression « magie sympathétique » ; alors que Christopher A Faraone, « The Agonistic Context of Early Greek Binding Spells », in Magika Hiera : Ancient Greek Magic and Religion, éd. par Christopher A. Faraone et Dirk Obbink (New York : Oxford University Press, 1991), 8, cité par Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 147, la définit en tant que « persuasively analogical ». 56 Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 229, renvoie à Virgile, Aen. 4.494ss et à Apulée, Metam. 3. Cf. Derek Collins, Magic in the Ancient Greek World, BARel (Oxford : Blackwell, 2008), 87–88. 57 Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 379, qui se fonde sur la classification déjà proposée par Theodor Hopfner, « Mageia », in RCA, éd. par August F. Pauly et Gerog Wissowa (Stuttgart : Druckenmüller, 1928), 378. 58 Voir Hérodote, Hist. 7.140–143 ; Aristote, Div. somn (463a–464a) ; Plutarque, Def. orac. 9 (414e) ; Philostrate, Vit. Apoll. 8.26. Mary Beard, « Cicero and Divination », JRS 76 (1986) : 33–46 ; Sarah Iles Johnston, « Charming Children : The Use of the Child in Ancient Divination », Arethusa 34, no 1 (2001) : 97–117. 59 Sorensen, Possession and Exorcism, 118. Bolt mentionne une Defixionum Tabellae (DT 286, IIIe siècle de notre ère) qui contient une malédiction contre les auriges. Le démon sollicité est libéré (afin de nuire) par le dieu de la mer et de l’air. Une brève discussion sur cette tablette et son texte est disponible dans A. Doug Lee, Pagans and Christians in Late Antiquity : A Sourcebook, RSAW (London : Routledge, 2000), 30–31. 60 Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 », 76. Des exemples classiques en sont le recours à des formules, des amulettes et/ou des objets censés pouvoir protéger celui qui en fait usage ; cf. PGM I.214–216 ; IV.1190–1205. Origène, Cels. 4.33, affirme que la formule « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » est utilisée par les Juifs pour leurs prières, pour chasser les démons, et même dans le contexte de pratiques magiques et d’enchantements.
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1239) d’un individu par le recours à des branches d’olivier et à l’invocation du Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, mais également à la supplication adressée à Jésus Chrestos, à l’Esprit saint et à Iao Sabaoth (lignes 1233–1236)61. Enfin, l’ambition de maîtriser les puissances métaphysiques pour obtenir la prospérité, la santé, le succès, le pouvoir sur autrui et l’amour, amène à l’élaboration de procédés capables de domestiquer même des divinités telles que ȉȪȤȘ (Fortune), ǼੂȝĮȡȝȑȞȘ (Destin) et ਬțȐIJȘ, cette dernière étant représentée comme ayant un triple corps et exerçant son pouvoir sur la terre, la mer et le ciel62. La manipulation des énergies invisibles pour la résolution de situations de crises tangibles provoquées par les maladies, les possessions, le désir de vengeance et l’aspiration à des gains immédiats n’est pas à la portée de tous, mais est l’apanage du magicien. Ce personnage agit de manière complémentaire à la religion établie et entre en compétition avec elle63, mais également avec les pratiques médicales de l’époque. À ce propos, il est crucial de souligner qu’il ne faut pas établir non plus une distinction trop rigide entre magie, miracles et médecine. Les médecins peuvent avoir recours à l’invocation de divinités (comme par exemple Esculape) et aux amulettes ; les prêtres, à la chirurgie hippocratique, mais également aux régimes, aux médicaments, aux exercices physiques et aux saignées ; les malades chroniques, pour qui tout le reste n’apporte pas le soulagement ou la guérison souhaités, recourent aux amulettes, aux expiations et aux interprétations des rêves (voir Plutarque, Fac. 1 [920b])64. 61
Par magie de type offensif, on entend également les sorts visant à affecter d’autres personnes pour en tirer un avantage, comme dans les cas des charmes d’amour (par ex. PGM IV.94–153 et VII.191–102) et des tentatives de nuire à des personnes. Cf. Plutarque, Quaest. conv. 5.7.6 [682f–683a] : « … les simulacres émis par les êtres méchants ne sont pas essentiellement exempts de sentiment ni d’intention, [...] ils sont au contraire chargés de toute la malignité et de toute l’envie de celui dont ils émanent ; c’est avec elles qu’ils impriment, demeurent et s’installent dans la victime, dont ils troublent et corrompent ainsi le corps en même temps que l’esprit » ; traduction tirée de Plutarque, Œuvres Morales, trad. par François Fuhrmann, vol. 9.2, CUF (Paris : Les Belles Lettres, 1978), 82. Voir aussi PGM IV.3255–3274 et VII.374–376, 376–384 (induire l’insomnie), et 396–404 (réduire au silence). 62 Betz, The Greek Magical Papyri, 1 : Texts : xlvii ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 39 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 220–30. Cf. Hésiode, Theog. 411ss ; Plutarque, Def. orac. 13 (416e) ; Pausanias, Descr. 2.30.2. 63 Betz, The Greek Magical Papyri, 1 : Texts : xlvii : « [i]n a transitional culture like Greco-Roman Egypt, a religious functionary who operated as a crisis manager became a necessity to the lives of ordinary people. This role the magician was able to fulfill ». Voir également Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 379. 64 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 34, critique la distinction rigide et apologétique d’Hippocrate, Morb. sacr. 4, reprise par Howard C. Kee, Medicine, Miracle and Magic in New Testament Times, SNTMS 55 (Cambridge : Cambridge University Press, 1986). À la page 32, Bolt renvoie à Françoise Dunand, « Les synchretismes dans la religion de l’Egypte romaine », in Les syncrétismes dans les religions de l’Antiquité. Colloque de Besançon (22– 23 octobre 1973), éd. par Françoise Dunand et Pierre Lévêque, EPRO 46 (Leiden : Brill,
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Quant au magicien, il est souvent caractérisé, pendant la période hellénistique, comme un individu itinérant, habité par une puissance surnaturelle (cf. PGM III.416, 473 et IV.710), maniant parfois des substances et des objets, mais surtout récitant des formules (parfois consignées dans des grimoires) agrémentées de mots exotiques et ésotériques. Ces personnages ne comprenaient plus les anciens langages et avaient tendance à intégrer les divinités des différentes localités, peuplades et cultures sous le même horizon religieux syncrétiste, où elles étaient toutes plus ou moins équivalentes et surtout sujettes à la manipulation magique65. Moyennant une rétribution appropriée (Lucien, Philops. 16), le magicien était capable, par exemple, d’implorer la lune (ਥȞİȪȤȠȝĮȓ ࣂȠȚ : PGM IV.2258, 2265–2266) pour nuire à quelqu’un, ou encore d’adjurer, menacer et torturer les esprits à des fins exorcistiques66, même indirectement (voir Philostrate, Vit. Apoll. 3.38, où le moyen est une lettre), ou pour les réduire à l’obéissance (voir PGM V.164–171)67. En dépit de la stigmatisation dont le magicien et la pratique magique font généralement l’objet de la part des intellectuels et de l’Empire68, certains personnages arrivent à gagner une certaine notoriété et sont « normalisés », c’est1975), 175, où il est montré que le vizir du roi Djeser s’appuie sur le syncrétisme EsculapeImothep afin de garder son pouvoir, tout en se soumettants aux vainqueurs. Esculape (ou Asclépios) est vénéré en tant que dieu capable de guérir « after all medical efforts have failed […], if only they turn to him in worship, however briefly » (Bolt, p. 32 ; cf. Aristophane, Plut. 405–410). Van Cangh remarque que les témoignages relatifs aux miracles d’Asclépios (Esculape) conservés sur les stèles d’Épidaure (IVe siècle avant notre ère) montrent que la modalité même des guérisons évolue en fonction des pratiques médicales de l’époque. Ainsi, dans les témoignages les plus anciens, le dieu guérit de manière instantanée, parfois à l’aide d’un animal sacré (serpent : 17 ; 33 ; 39 ; 42 ; chien : 20 ; 26 ; oie : 43), ou de méthodes assimilables à l’école d’Hyppocrate (même siècle). Par contre, l’inscription de Julius Apellas (160 de notre ère, toujours à Épidaure) montre plus d’affinités avec le De sanitate tuenda de Galien (années 129–199). C’est à partir du Ier siècle que les soins sont plus labourieux (sport, régime alimentaire, purgation, saignées, assistance de la part de personnel…) : van Cangh, « Miracle », 837–38. 65 Betz, The Greek Magical Papyri, 1 : Texts : xlvi. 66 Cf. aussi Philostrate, Vit. Apoll. 4.25. Marcus, Mark 1–8, 344 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 149 ; Collins, Mark. A Commentary, 152–53, 166. 67 Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 393 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 149. 68 Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 379–84 : ce qui était considéré dangereux par l’Empire était le recours à des rituels et à des individus non encadrés par le système religieux en place et l’idéalisation des charismatiques par le folklore et les portraits littéraires de propagande. L’accusation de pratique de la magie était donc de nature socio-politique et non pas religieuse. Comme le rappelle Ferguson, ce qui était « religion » pour l’un était de la « magie » et de la « superstition » pour le parti opposé. Même si ȝȖȠȢ est un substantif d’origine perse qui se réfère, par extension, à un sage versé dans l’étude, entre autres, de l’astrologie (cf. Mt 2.1), il est utilisé également dans le sens de charlatan (Ac 13.6, 8 ; cf. 8.9, 11), devenant un synonyme de ȖંȘȢ (« imposteur » : Philostrate, Vit. Apoll. 1.22). Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 227–29.
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à-dire présentés en tant qu’authentiques manifestations émanant des divinités (ou en relation étroite avec elles) dont la conduite morale et l’enseignement sont à considérer comme exemplaires. Ce processus s’opère au moyen des arétalogies, récits biographiques ayant pour but de célébrer les vertus des dieux, mais parfois également d’y inscrire l’action et les dires d’un faiseur de miracle, en le dédouanant ainsi du soupçon d’être un imposteur 69. Il ne s’agit nullement de susciter une adhésion (par la foi) au thaumaturge, mais plutôt de mettre en avant la puissance bienfaisante de la divinité qui, elle, exige une confiance et une loyauté inconditionnelles70. Le croisement des données fournies par les arétalogies (à lire forcément en tant que littérature de propagande71), les témoignages moins favorables, voire ouvertement hostiles (Plutarque, par exemple), et les formules et rituels qui nous sont parvenus sous forme de tablettes, papyri, inscriptions, amulettes et représentations graphiques nous permet de mieux apprécier les contours de l’activité exorcistique du magicien, notamment en relation avec le récit de Marc 5.1–20. De manière répandue, depuis au moins Hérodote (VIe siècle avant notre ère) jusqu’à l’époque hellénistique, la folie est associée à des comportements atypiques, violents et autodestructeurs. Le roi Cléomène se lacère les jambes, les cuisses et enfin s’éventre à l’aide d’un couteau (Hérodote, Hist. 6.75), alors que les trois filles de Prœteus et de Sthénébée « abandonnaient leurs maisons, tuaient leurs propres enfants et vagabondaient dans les lieux déserts… [dans] 69
Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 406–7. Van Cangh, « Miracle », 838, résume ainsi la susceptibilité d’Asclépios selon les inscriptions d’Épidaure : « [il] exige une foi inconditionnelle en son pouvoir guérisseur. Il opère des miracles de punition pour châtier les incrédules. Le dieu imposa le nom d’apistos (« incroyant ») à un homme paralysé des doigts qui s’était moqué des ex-votos (no 3). D’Ambrosia d’Athènes, qui est borgne et qui s’était également moquée des guérisons du dieu, celuici exige d’elle en réparation l’offrande d’un cochon d’argent (no 4). Échérodos reçoit les marques de Pandoros sur le front en plus des siennes propres, parce qu’il a menti au dieu et n’a pas remis l’argent de Pandoros destiné à l’offrande d’une statue d’Athéna au temple (no 7). Eschine monte sur un arbre pour jeter un coup d’œil curieux dans l’abadon. Il tombe sur des pieux qui lui percent les yeux (no 11). Hermon de Thasos est rendu une seconde fois aveugle par le dieu, parce qu’il lui avait refusé de payer le prix de sa guérison (no 22) ». 71 Voir à ce propos notamment Tacite, Hist. 4.81. Il est question ici d’un double miracle accompli par Vespasien en 69, à Alexandrie. Alors que l’Égypte est qualifiée de nation « adonnée aux superstitions » (4.81.2) et que les maladies de deux Alexandrins ne sont pas incurables (ce qui révèle probablement le scepticisme de Tacite), le récit est clairement un moyen de légitimation et de propagande, non sans ironie, du fait que « le prince avait été choisi pour être l’agent de la divinité », Vespasien lui-même « estimant que rien n’était impossible à sa Fortune » (4.81.6–7). La traduction a été emprunté à Tacite, Œuvres complètes, trad. par Pierre Grimal (Paris : Gallimard, 1990), 348. Pour Gelardini, Christus Militans, 672, Marc souhaite montrer que Jésus est supérieur à Vespasien : non seulement le Jésus marcien fait des miracles, mais ses injonctions au silence (par exemple Mc 1.25 ; 1.44 ; 3.12 ; 5.43) montreraient que, à la différence de l’empereur, il n’a besoin d’aucune propagande. 70
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les montagnes] » (Pseudo-Apollodore, Bib. 2.28–29)72. L’origine de ces excès est typiquement rattachée à une cause surnaturelle73 : dans le cas de Cléomène, il s’agirait d’un châtiment divin suite à ses actes irresponsables vis-à-vis de la Pythie, ou du bois sacré d’Éleusis (ou d’Argos), tandis que pour les filles de Prœteus la raison invoquée est le mépris envers les mystères de Bacchus ou une statue de Junon. Hécate, divinité lunaire invoquée en PGM IV.2785–2890 (IVe siècle de notre ère), est appelée ȠੁıIJȡȠʌȜȐȞİȚĮ (« qui cause les errements de la folie » 74, ligne 2868). Puisque la source du mal est métaphysique, le thaumaturge opère à l’aide de rituels visant à apaiser la colère des dieux (par ex. la danse sacrée : PseudoApollodore, Bibl. 2.2) et qui peuvent inclure le recours à des animaux sacrés75. Il s’agit notamment d’une fonction assumée par les prêtres à l’époque classique. Pourtant, au fil du temps, la déraison est aussi attribuée aux effets néfastes de la présence démoniaque. Ainsi, plus tardivement, si la cause du tourment est à chercher dans la possession démoniaque, c’est le magicien qui procède à l’expulsion de l’entité spirituelle indésirable à l’aide d’adjurations et de menaces (voir Lucien, Philops. 16 ; Philostrate, Vit. Apoll. 3.38 ; 4.20), souvent au nom de la divinité (PGM IV.1227–1241 ; 3020–3039, 3045–3077 ; PGM CXIV.1–14), et/ou d’exorcistes célèbres comme Salomon (PGM IV.3040 ; XCIV.20), parfois en recourant aux expressions métaphoriques qui relèvent de l’enchaînement du démon afin de le faire sortir (PGM IV.1245–1249)76, en s’aidant d’actes analogiques (frapper avec des branches : PGM IV.1250–1252 ; faire bouillir des substances : PGM IV.3007–3008 ; souffler sur le possédé : PGM IV.3080–3083 ; délier des chaînes77) et de protocoles apotropaïques (re-
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Apollodore, Bibliothèque, trad. par Bertrand Massonie et Jean-Claude Carrière, Lire les polythéismes 3 (Paris : Les Belles Lettres, 1991), 57. 73 Hippocrate, dans son Ȇİȡ ȝȞ IJોȢ ੂİȡોȢ ȞȠȪıȠȣ (De morbo sacro), argumente déjà au Ve siècle avant notre ère que l’épilepsie est une pathologie physiologique et non pas d’origine divine. Pourtant PGM CXIV.1–14 (IIIe–IVe siècle de notre ère) montre bien que, pendant de siècles, elle sera encore perçue, pour le moins dans les couches populaires, en tant que résultat d’une possession démoniaque. Voir aussi Philostrate, Vit. Apoll. 4.20, pour lequel la folie d’un jeune homme est causée par un démon. 74 Traduction de « causing the wanderings of madness » : Henry G. Liddell et Robert Scott, éd, « ȠੁıIJȡȠʌȜȐȞİȚĮ », in A Greek-English Lexicon (Oxford : Clarendon Press, 1966), 1210. 75 Les stèles d’Épidaure mentionnent les animaux sacrés d’Esculape/Asclépios : serpent (17 ; 33 ; 39 ; 42) ; chien (20 ; 26) et oie (43) : van Cangh, « Miracle », 837. 76 Voir aussi la formule du bol à incantation qui est censée enchaîner l’esprit pour le faire sortir de la maison : Charles D. Isbell, éd, Corpus of the Aramaic Incantation Bowls, SBLDS 17 (Missoula : Scholars Press, 1975), 10, cité par Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 149. 77 Voir aussi les procédés analogiques en PGM IV.331 (faire des nœuds) et PGM IV.296ss (lier une figurine). Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 149, renvoie à R. Campbell Thompson, éd, The Devils and Evil Spirits of Babylonia : Being Babylonian and Assyrian Incantations
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
commandation de ne pas manger de porc : PGM IV.3081 ; emploi de phylactères : PGM IV.1254–1264). Il demeure que le véritable pouvoir des incantations réside principalement dans les paroles elles-mêmes et dans leur son original, comme le reconnaît, par ailleurs, Origène : Il faut ajouter à la théorie des noms ce que rapportent les gens experts dans la pratique des incantations : prononcer l’incantation dans son dialecte propre, c’est accomplir ce que l’incantation promet ; traduire la même incantation dans n’importe quelle autre langue, c’est la voir sans vigueur et sans effet. Ainsi, ce ne sont pas les significations des choses que le nom désigne, mais les qualités et les propriétés des sons qui ont un certain pouvoir de faire ceci ou cela (Cels. 1.25)78.
En ce qui concerne l’importance de connaître l’identité de l’esprit à maîtriser, force est de constater que ni Apollonius (Philostrate, Vit. Apoll. 3.38 ; 4.20) ni le Syrien mentionné par Lucien (Philops. 16) ne semblent attribuer l’efficacité de leur exorcisme à la connaissance du nom du démon. Qui plus est, même les passages dans les Papyri Graecae Magicae qui sont souvent invoqués pour en montrer l’importance relativisent cette donnée. Le rituel de PGM IV.1227– 1264 contient l’expression « qui que tu sois » (lignes 1241, 1245), n’établissant, de facto, aucun lien entre l’efficacité du rituel et le discernement du nom du démon (cf. ligne 1255 : « après avoir chassé le démon… ») ; de même, en dépit du fait que PGM IV.3007–3086 prévoit que le magicien demande à trois reprises à l’entité maléfique de révéler « de quel type tu puisses être » (céleste, aérien, terrestre, souterrain, de l’au-delà, Ebousaeus, Cherseus, Phariseus79 : lignes 3042–3046), l’efficacité de l’incantation ne dépend pas de cette connaissance, car elle se poursuit par « et obéissez, tout esprit démoniaque… » (lignes 3065–3066 ; voir aussi 3075) et s’achève avec l’injonction au bénéficiaire de l’entreprise de ne pas manger de porc, en précisant à son intention qu’ainsi « tout esprit et démon, de n’importe quel type qu’il soit, te sera assujetti » (ligne 3080–3081). Il est également important de remarquer que cette incantation prévoit, au début, la fabrication d’un phylactère qui est « terrifiant pour tout démon » (ligne 3018), quelle que soit sa typologie ou identité.
Against the Demons, Ghouls, Vampires, Hobgoblins, Ghosts, and Kindred Evil Spirits, wich Attack Mankind, vol. 1 : Evil Spirits, CLC (Cambridge : Cambridge University Press, 1904), III.124–125, pour un rituel qui consiste à lier un homme pour maîtriser l’esprit qui le tourmente. 78 Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 230, 237. Traduction française : Origène, Contre Celse, trad. par Marcel Borret, vol. 4, SC 150 (Paris : Cerf, 1969), 143. Ferguson renvoie le lecteur à Plutarque, Quaest. conv. 5.7.1 [680e] : « les personnes touchées par leur [des Thibiens] regard, leur haleine ou le son de leur voix, se fondaient en langueur et tombaient malades » (traduction de F. Fuhrmann : Plutarque, Œuvres Morales, 76). 79 Betz, The Greek Magical Papyri, 1 : Texts : 96, note 395, renvoie à Deissmann, Light from the Ancient East, 261, note 11, qui explique que ces noms viennent de la LXX (par ex. Gn 15.20–21 : ȋİIJIJĮȠȣȢ țĮ IJȠઃȢ ĭİȡİȗĮȠȣȢ… țĮ IJȠઃȢ ǿİȕȠȣıĮȠȣȢ ; Ex 3.8, 17).
Magie et miracles dans les milieux non juifs
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D’une toute autre teneur est la mention des noms divins. Alors qu’effectivement ni Apollonius ni le Syrien ne semblent invoquer les divinités, les Papyri Graecae Magicae attribuent une grande importance à la connaissance et à l’imploration des voces magicae (cf. PGM IV.1636–1649, 2251–2253, 2289, 2343– 2345, 3010–3035, 3070–3071 ; VII.443–450 ; VIII.6–14 ; 20–21). Dans ce cas, il est possible d’assimiler le ȡțȗȦ ıİ IJઁȞ șİંȞ de Légion (Mc 5.7) à une tentative (paradoxale) d’exercer un contrôle magique sur Dieu lui-même80. Une fois l’exorcisme accompli, les arétalogies mentionnent des signes visibles attestant le succès de l’opération : une entité noire et enfumée s’éloigne (Lucien, Philops. 16), une statue tombe au passage de l’esprit, lui-même invisible (Philostrate, Vit. Apoll. 4.20)81. De leur côté, quelques incantations précisent plutôt le lieu où ces entités sont envoyées. Dans le sillage des anciennes croyances hittites, accadiennes et babyloniennes qui, en passant par la période classique, perdureront jusqu’au Moyen Âge et selon lesquelles les maladies (et les esprits qui en sont responsables) peuvent être transférées dans certains animaux82, PGM VII.430–431 (IIIe–IVe siècle de notre ère) mentionne la possibilité de faire entrer les démons dans des objets et/ou des personnes. Par contre, PGM IV.1248–1249 contient la formule plus drastique țĮ ʌĮȡĮįįȦȝ ıİ İੁȢ IJઁ ȝȜĮȞ ȤȠȢ ਥȞ IJĮȢ ਕʌȦȜİĮȚȢ (« je te livre au noir chaos de la destruction »). Les éléments qui viennent d’être mentionnés fournissent l’arrière-plan idéologique au sein duquel l’individu issu de la société gréco-romaine approche et interprète Marc 5.1–20. Il faut à présent compléter le tableau par l’appréciation 80 Collins, Mark. A Commentary, 169, voit un parallèle avec PGM IV.2251–2253 (voir aussi 2289 ; 2343–2345 ; VIII.6–14 ; 20–21), où le magicien s’emploie à exercer son contrôle sur la Lune (comprise comme puissance cosmique) en prononçant ses grands noms. Ce parallèle avait déjà été proposé par Bauernfeind, Die Worte der Dämonen, 14 ; James M. Robinson, The Problem of History in Mark, SBT 21 (London : SCM Press, 1957), 84. Voir également Betz, The Greek Magical Papyri, 1 : Texts : 78–81. Sorensen, Possession and Exorcism, 120, rappelle que, selon Gn 1.26 et 2.19, la relation entre la nature et l’être humain se structure, pour les anciens, aussi autour de la connaissance des noms en tant qu’essence des choses, ce qui est un privilège des sages. 81 Van Cangh, « Miracles évangéliques », 2300, mentionne les Actes de Jean (IIe siècle) où, au chapitre 42, les signes du départ des divinités (qui sont en réalité des démons) du temple d’Artémis sont : un autel brisé, des objets qui tombent, sept statues de divinités abattues, la moitié du temple qui s’écroule en tuant le prêtre païen. 82 Cochons et chiens pouvaient absorber les impuretés et les démons selon les Hittites et les Babyloniens : Marten Stol, Epilepsy in Babylon, CM 2 (Gröningen : STYX, 1993), 101 ; Thompson, The Devils and Evil Spirits of Babylonia 2, 2 : Fever Sickness and Headache : 10–15. Une légende médiévale selon laquelle Jésus déplace un mal de tête dans un taureau est mentionnée dans Collins, Mark. A Commentary, 270. Voir aussi France, Mark, 230. Intéressant se révèle le témoignage de Callimaque de Cyrène (IVe–IIIe siècle avant notre ère) : « mais, le soir, la jeune fille devint affreusement pâle, en proie à ce mal que nous faisons passer dans le corps des chèvres sauvages, et que nous nommons mensongèrement le mal sacré » (Aetia 1). Traduction tirée de Callimaque de Cyrène, Œuvres, trad. par Joseph Trabucco (Paris : Garnier Frères, 1934), 63.
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
des données fournies par le judaïsme (hellénistique) qui, comme nous l’avons déjà vu plus haut, n’échappe pas au syncrétisme qui caractérise cette période.
6.4 Les miracles et les exorcismes selon la perspective du judaïsme du Second Temple Les miracles et les exorcismes
En dépit de la condamnation dont la pratique magique fait l’objet dans la Torah (Ex 22.17 ; Lv 20.27 ; Nb 23.23 ; Dt 18.9–22 ; Ez 13.17–23 ; cf. Es 26.16–18), les croyances et les pratiques anciennes n’ont jamais cessé d’exercer leur charme ni d’être pratiquées, dans une forme ou une autre, que ce soit au niveau populaire ou même dans le contexte du système sacrificiel officiel géré par la caste sacerdotale. Thomas Kazen décèle les vestiges d’anciennes pratiques apotropaïques et exorcistiques dans les rituels des oiseaux pour « chasser » la lèpre (Lv 14.4–7), du bouc émissaire (Lv 16), de la vache rousse (Nb 19), de l’agneau pascal (Ex 12) et dans celui de la génisse pour l’expiation d’un meurtre irrésolu (Dt 21.1–9), où le rôle des prêtres semble être secondaire, et donc tardif (v. 5)83. Moshe Weinfeld et Armin Lange vont dans le même sens, affirmant que des textes tels que Deutéronome 6.8–9 semblent avoir été compris, sinon composés, en tant que déclarations apotropaïques à graver sur des objets et ayant la fonction d’amulettes84. En dehors de la Torah, on retrouve, dans la Bible hébraïque, le mot ˇ ʔʧʔʬ dans le sens d’incantation ou amulette en Ésaïe 3.3, 20 ; Jérémie 8.17 et Ecclésiaste 10.1185. Dans sa forme verbale substantivée, il apparaît en Psaume 58.6 : « charmeurs ». Les fouilles archéologiques des tombeaux de la colline de Ketef Hinnom, au sud-ouest de la vieille ville de Jérusalem, ont permis la découverte de deux petits rouleaux d’argent, remontant au VIIe–VIe avant Jésus-Christ, utilisés comme des amulettes protectrices, sur lesquels on trouve inscrite une version 83 Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 301–2. Voir aussi Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 381, qui va dans le même sens et renvoie également à David E. Aune, « Orthodoxy in First Century Judaism : A Response to N. J. McEleney », JSJ 7, no 1 (1976) : 1–10 ; Robert A. Kraft, « The Multiform Jewish Heritage of Early Christianity », in Christianity, Judaism and Other Greco-Roman Cults : Studies for Morton Smith at Sixty, éd. par Jacob Neusner, vol. 3 : Judaism before 70, SJLA (Leiden : Brill, 1975), 196–97 ; Helen R. Jacobus, Anne Katrine de Hemmer Gudme, et Philippe Guillaume, éd, Studies on Magic and Divination in the Biblical World, BibInt 11 (Piscataway : Gorgias Press, 2013). 84 Armin Lange et Esther Eshel, « ’The Lord is One’ௗ : How its Meaning Changed », BAR 39, no 3 (juin 2013) : 58–62, 69. Ainsi aussi Moshe Weinfeld, Deuteronomy 1–11. A New Translation with Introduction and Commentary, AB 5 (New York – London : Doubleday, 1991), 341–43. 85 Puech, « Les deux derniers Psaumes », 69, restaure ainsi 11QApPsa 4.4 : « De David. Au [sujet des paroles d’incan]tation ([l dbry l]ۊš) au nom de Yahv[é. Invoque en tou]t temps ».
Les miracles et les exorcismes
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primitive de la bénédiction sacerdotale (Nb 6.24–26) et une formule qui rappelle Deutéronome 7.9, Néhémie 1.5 et Daniel 9.486. Quelques siècles plus tard, le livre de Tobit (IIIe–IIe siècle avant notre ère) atteste que l’on croyait possible de libérer un individu possédé par un esprit mauvais en faisant monter la fumée de la combustion du cœur et du foie d’un poisson (Tb 6.8). La pensée magique et les pratiques qui en découlent se poursuivent au fil des siècles et peuvent être repérées à l’époque hellénistique, aussi bien en Israël qu’au sein de la Diaspora87. Le texte de 2 Maccabées 12.40 dénonce le port sous la tunique, par les soldats de Judas Maccabée tombés au front, d’objets sacrés idolâtres interdits par la Loi (ੂİȡઆȝĮIJĮ IJȞ ਕʌઁ ǿĮȝȞİĮȢ İੁįઆȜȦȞ ਕijૃੰȞ ȞંȝȠȢ ਕʌİȡȖİȚ IJȠઃȢ ǿȠȣįĮȠȣȢ), probablement des amulettes. De son côté, Ben Sirach recommande, en cas de maladie, à la fois le recours aux libations et aux services d’un médecin (Si 38.11–12), lequel, à son tour, doit adresser une requête au Seigneur (v. 14 : țȣȡȠȣ įİȘșıȠȞIJĮȚ) afin d’avoir du succès dans sa pratique88. À Qumrân, la bataille livrée aux forces maléfiques se déploie avec l’application de règlements qui préconisent la mise à mort ou la réclusion, selon les cas, des personnes « sur qui domineront les esprits de Bélial » (CD 12.2–3), mais aussi à l’aide d’incantations visant à protéger les sectaires de l’influence des esprits, ainsi qu’à chasser ces derniers lorsque c’est nécessaire (cf. 4Q560 et 11QApPsa)89. Leur pratique exorcistique se justifie par l’exemple et l’œuvre du roi David, lequel est crédité d’avoir composé quatre « chants à jouer (sur des instruments de musique) pour les personnes frappées (par des esprits mauvais) » (11QPsa 27.9–10). Van der Ploeg et Puech s’accordent pour identifier ces quatre compositions avec celles préservées partiellement en 11QApPsa et leur attribuent même une origine pré-qumrânienne90. La trajectoire se prolonge car la présence au sein du judaïsme, à une époque plus tardive, de pratiques magiques de type apotropaïque et d’incantations 86
Lange et Eshel, « ’The Lord is One’ », 58–62, 69 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 380. 87 Arnold, « The ‹Exorcism› of Ephesians 6:12 », 76 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 380 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 233. 88 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 33. 89 Voir Penney et Wise, « By the Power of Beelzebub », 627–50 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 35 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 310 ; Wright, The Origin of Evil Spirits, 183. Même si certains considèrent 11QApPsa et 4Q560 comme étant des incantations apotropaïques plutôt qu’exorcistiques (par ex. Alexander, « The Demonology », 345), nous nous rangeons plutôt du côté de ceux qui voient en ces textes des rituels offensifs, comme par exemple Collins, Mark. A Commentary, 168 ; Johannes P. M. van der Ploeg, « Le Psaume XCI dans une recension de Qumrân », RB 72 (1965) : 210–17. En effet, comme le remarque Collins, la littérature rabbinique confirme que le Ps 91, dont on trouve une version en 11QApPsa, a été utilisé pour chasser les démons : y. Šabb. 6.8b ; b. Šebu. 15b ; y. ‘Erub. 10.26c (p. 168). 90 Van der Ploeg, « Le Psaume XCI », 210–17 ; Puech, « Les deux derniers Psaumes ».
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
contre les démons est confirmée par les écrits rabbiniques, le Sepher ha-Razim (IIIe–IVe siècle) et le Harba de-Mosheh (peut-être IVe siècle), les amulettes et les bols à incantation judéo-babyloniens (Ve–VIIIe siècle)91. Comme c’était déjà le cas pour les cultures non juives, la distinction nette entre religion, pratique médicale et rituel magique reste floue au sein du judaïsme. Assurément, certaines pathologies sont attribuées à l’action démoniaque (1Qap Genar 21.26 : plaies avec écoulement de pus ; 4Q560 frag. 1, I.4–5 : fièvre, frissons, maux de poitrine, trouble du sommeil ; 4Q242 frag. 1–3, lignes 2–6 : sévère inflammation ; Flavius Josèphe, A.J. 6.166 : difficultés respiratoires et sensation d’oppression ; cf. Jub. 10.13–14)92. En conséquence, la thérapie la plus adaptée semble consister à éloigner le mal, voire à exorciser les mauvais esprits, à l’aide de conjurations (par ex. 4Q560 frag. 1, II.5–6 ; 11QApPsa 1.7–10 ; 2.2–11 ; 4.1–12 ; 5.4–13), proclamations du nom de Dieu et/ou de ses attributs (4Q510 frag. 1, lignes 2–4 ; 4Q511 frag. 8, lignes 6, 10, 12 ; frag. 35, lignes 6–7 ; 11QApPsa 4.4–5 ; 5.4), prières et imposition des mains (1Qap Genar 20.28–29), récitations de cantiques/incantations (Flavius Josèphe, A.J. 6.166 ; 8.45) et d’autres « manières » (IJȡંʌȠȚȢ ; cf. 8.45)93. Rien d’étonnant alors à ce que : l’on attribue à Noé la faculté de guérir les maladies à l’aide de médicaments et d’éloigner les mauvais esprits (Jub. 10.12–14) ; l’on considère David comme un ੁĮIJȡંȢ (« médecin ») capable d’éloigner les démons en chantant et en jouant de la lyre (Flavius Josèphe, A.J. 6.166, 168 ; cf. 11QPsa 27.10) ; Ben Sirach demande aux malades de recourir au médecin (ੁĮIJȡંȢ : Si 38.1), d’utiliser les médicaments issus de la terre (ਥț ȖોȢ ijȡȝĮțĮ : v. 4) créés par Dieu et préparés par le pharmacien (v. 7), mais également de prier et d’offrir des sacrifices, tout en veillant à leur condition morale, afin 91
Cf. y. Pe’ah 1.1 ; b. Šabb. 67a ; b. Ber. 6a. Pour les amulettes, nous signalons le ijȣȜĮțIJȒȡȚȠȞ retrouvée à Halbturn, Autriche, dans le tombeau d’un enfant d’environ un an et demi, datant du IIIe siècle de notre ère, dans lequel il y avait une feuille en or contenant Dt 6.4, et une amulette en argent retrouvée à Rome, datant du VIe siècle de notre ère et sur laquelle est gravé Nb 6.24–26 : Lange et Eshel, « ’The Lord is One’ », 58–62, 69. Shaul Shaked, James Nathan Ford, et Siam Bhayro, éd, Aramaic Bowl Spells, vol. 1 : Jewish Babylonian Aramaic Bowls (Leiden – Boston : Brill, 2013), xiii : « the collection comprises 654 Aramaic incantation bowls and jugs from the Near East, dated between the fifth and the seventh or eighth centuries ad. In the majority of bowls there are written texts of spells and incantations against demons in several varieties of Aramaic. Bowls with Jewish Aramaic texts very often contain quotations from the Hebrew Bible. Some of these quotations are not attested in the Dead Sea Scrolls, and this makes them the earliest witnesses to the original text of the Old Testament ». Cf. Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 35 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 237. 92 Theissen, The Miracle Stories, 85–94 ; Penney et Wise, « By the Power of Beelzebub », 631–32 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 33 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 303 ; Rochester, Good News at Gerasa, 120–21. 93 Klutz, « The Grammar of Exorcism », 156–65 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 33 ; Rochester, Good News at Gerasa, 121 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 303–4.
Les miracles et les exorcismes
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d’être guéris par Dieu (v. 9–11) ; les Esséniens, tout en pratiquant l’exorcisme, « portent un intérêt extraordinaire aux ouvrages composés par les anciens et choisissent surtout ceux qui servent au bien de l’âme et du corps. Ils recherchent, en vue de guérir les maladies, la connaissance des racines médicinales et des propriétés des minéraux » (Flavius Josèphe, B.J. 2.136)94. Dans ce contexte idéologique, plusieurs personnages ou figures charismatiques apparaissent, avec peu ou prou de succès, sur le modèle d’importants hommes du passé : Noé, Abraham, Moïse (voir Dt 34.10–12), Eldad et Medad (voir Nb 11.24–29), Samuel (voir 1 S 10.6, 10), David, Salomon (cf. T. Sal. 2.1 ; 3.5–6), Élie et Élisée (cf. Lc 9.54 ; Si 48.1–14 et Flavius Josèphe, A.J. 9.182)95. À Qumrân, il est alors question du ʬʩʫʹʮ (« sage » ou « instructeur »), probablement un titre réservé à l’une des figures prééminentes de la secte (4Q510 frag. 1, ligne 4), qui pouvait peut-être même compter sur un recueil d’incantations apotropaïques et exorcistiques96. La source Q (Mt 12.27 // Lc 11.19) atteste que Jésus était perçu comme un exorciste ambulant, une figure bien connue à l’époque97. Flavius Josèphe mentionne un sage, Honi ha-M’agel (« le faiseur de cercle »), vivant au cours du premier siècle avant notre ère, auquel on attribue le miracle de la pluie (A.J. 14.22–24 ; cf. m. Ta’an. 3.8) et un certain Éléazar qui, à l’époque de Vespasien († 79), chassait les démons à l’aide de rituels attribués à Salomon (anneau contenant une racine ; charme attribué à Salomon ; mention du nom du roi exorciste : A.J. 8.45–49). Pline 94
Traduction d’André Pelletier : Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 2 : 34. Selon Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 304, « [i]t is not always possible to separate disease fully from possession or impurity », en citant Matthieu 10.7–8, où guérison, purification et exorcisme font tous partiede la même dynamique de proclamation du Royaume. Voir également Puech, « Les deux derniers Psaumes », 82 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 33 ; Rochester, Good News at Gerasa, 120. 95 Puech, « Les deux derniers Psaumes », 64 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 231 ; Collins, Mark. A Commentary, 67 ; Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 183 ; Vermes, « Jewish Miracle Workers », 536–37. 96 Collins, Mark. A Commentary, 167 ; Alexander, « The Demonology », 345 ; Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 237. 97 Pour l’activité exorcistique de Jésus telle qu’elle est attestée dans les évangiles et les Actes, voir Mc 1.23–28, 32–34, 39 ; 3.22 ; 5.1–20 ; 7.24–30 ; 9.14–29 et les textes parallèles ; Mt 4.24 ; Lc 11.14–23 ; 13.31–33 ; Ac 10.36–38. Pour les disciples, voir Mc 3.15 ; 6.7 ; Lc 10.17–20 ; Mt 10.1, 5–15 ; Philippe : Ac 8.4–8 ; Paul : Ac 16.16–18 ; 19.8–12 ; un anonyme : Mc 9.38–40 // Lc 9.49–50 ; Juifs palestiniens : Lc 11.14–23 ; Juifs de la Diaspora : Ac 19.13–20. Ainsi Sorensen, Possession and Exorcism, 131–32. Voir également Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 310. Concernant l’absence d’exorcismes dans le quatrième évangile, voir Gail R. O’Day, « Miracle Discourse and the Gospel of John », in Miracle Discourse in the New Testament, éd. par Duane F. Watson (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2012), 175–88 ; John C. Thomas, « The Role and Fonction of the Demonic in the Johannine Tradition », in But These Are Writtenࣟ : Essays on Johannine Literature in Honor of Professor Benny C. Aker, éd. par Craig S. Keener, Jeremy S. Crenshaw et Jordan D. May (Eugene : Pickwick, 2014), 27–47.
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
l’Ancien relate l’existence d’une secte magique parmi les Juifs (Nat. 30.2.6). Les apologètes chrétiens, comme par exemple Justin Martyr98 et Irénée99, témoignent, quoiqu’à des fins polémiques, de la présence d’exorcistes en Palestine au cours des deux premiers siècles100. Enfin, la littérature rabbinique mentionne plusieurs faiseurs de miracles, comme Hanina ben Dosa (voir b. Ta’an. 24b–25b) : il évolue pendant le premier siècle de notre ère et, entre autres, est crédité d’avoir limité l’action de la démone Agrat et de ses 180 000 anges de destruction à deux nuits par semaine (vendredi et lundi soir : b. Pesaۊ. 112b)101. 98
Dial. 85.3 : « Mais aujourd’hui, dis-je, vos conjureurs exorcisent en usant, comme les nations, d’artifices, et ils emploient fumigations et nœuds magiques », tradution tirée de Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon. Édition critique, trad. par Philippe Bobichon, Paradosis, 47.1 (Fribourg : Academic Press Fribourg, 2003), 417. Cf. 2 Apol. 6.6. 99 Haer. 2.6.2 : « Voilà pourquoi les Juifs, jusqu’à maintenant, chassent les démons par ce Nom même : car tous les êtres craignent l’invocation de Celui qui les a faits ». Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Livre II, trad. par Adelin Rousseau et Louis Doutreleau, vol. 2 – Texte et traduction, SC 294 (Paris : Cerf, 1982), 63. 100 Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 408 ; Puech, « Les deux derniers Psaumes », 82, note 43. 101 Jean-Marie van Cangh, « Miracles de rabbins et miracles de Jésus », RTL 15, no 1 (1984) : 28, 31–33, rappelle que le miracle le plus important de Honi, celui de la pluie, est relaté dans des versions différentes : Flavius Josèphe, A.J. 14.22–24 ; m. Ta‘an. 3.8 ; b. Ta’an. 23a ; y. Ta‘an. 3.11 [66d] ; t. Ta‘an. 3.8. Le cercle que Honi fait pour y entrer et prier sans en sortir avant d’avoir été exaucé est une référence ironique au cercle que Popilius dessine autour d’Antioche IV Épiphane afin d’obtenir son allégeance immédiate (cf. Polybe, Hist. 29. frag. 11 ; Tite-Live, Ab Urbe con. 45.12). Van Cangh remarque aussi (p. 38) que Hanina est défini par m. Soܒah 9.15 comme le dernier des aneshey ma‘asêh (« hommes d’action »). Voir également Vermes, « Jewish Miracle Workers », 536–37 ; Collins, Mark. A Commentary, 165. Parmi les quelques miracles relatés dans b. Ta’an. 24a, nous en signalons quelques-uns : a. le fils de José b. Abin (IVe siècle), qui fait porter à un figuier ses fruits avant l’heure ; le père lui reproche ce miracle : « le rabbi lui dit : Mon fils, puisque tu as dérangé ton Créateur contraignant le figuier à produire ses fruits prématurément, que Dieu te fauche aussi hors saison, en pleine force de l’âge », selon la traduction assistée de Adin Steinsaltz, éd, Le Talmud. L’édition Steinsaltz, trad. par Jean-Jacques Gugenheim et Jacquot Grunewald, vol. Taanit 1 (Jérusalem : Istitut israélien des Publications Talmudiques – Ramsay, 1995), 234 ; b. R. Eleazar b. Birta (I–IIe siècle), un sage auquel Dieu accorde une multiplication miraculeuse du peu de blé qu’il avait placé dans sa grange à cause de son extrême générosité ; c. R. Juda le Prince (IIIe siècle), auquel Dieu accorde la pluie non pas suite à son jeûne et à sa prière, mais à cause de sa détresse à l’issue de sa prière non exaucée ; d. R. ‘Ilfa, qui a le pouvoir de faire souffler le vent et de faire tomber la pluie, son mérite étant son zèle dans l’accomplissement des prescriptions pour Kiddush et Habdalah ; e. R. Rabba (IVe siècle), qui n’arrive pas à faire pleuvoir par le jeûne des personnes, mais par la prière suite à un rêve de R. Eleazar qui lui annonce que Dieu est bien disposé ; de même, lorsque son élève R. Papa prie pour la pluie, celle-ci ne tombe que lorsque Rabba se sent humilié. Ces récits « normalisent » les miracles, les attribuant au bon vouloir de Dieu, en mettant en garde parfois contre l’envie d’exercer un contrôle de type magique sur l’environnement, et ils connotent les charismatiques en tant que sages vertueux et fidèles à la halakhah.
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Le fait que les différents groupes peuvent vanter leurs propres faiseurs de miracles est le présupposé idéal pour le développement de discours à la fois stigmatisants (envers les autres) et de légitimation (à propos des siens). Par conséquent, selon le groupe dont provient l’argumentaire, l’identification à l’Élie redivivus peut être proposée pour Jésus (Mc 8.28 ; Mt 16.14 ; Lc 9.8) et pour les rabbins charismatiques Hanina et Honi (Gn Rab. 13.7 ; b. Ber. 34b, 61b) ; de même, l’attribut « juste » qualifie le Nazaréen à la croix (Lc 23.47) et Honi (Flavius Josèphe, A.J. 14.22) ; ou encore, YHWH appelle depuis les cieux Jésus « son Fils » (Mc 1.11 // Mt 3.17 // Lc 3.22 ; Mc 9.7 // Mt 17.5 // Lc 9.35) mais également Hanina (b. Ta’an. 24b)102. De son côté, Flavius Josèphe semble décrire en termes favorables l’exorciste Éléazar, lorsqu’il le rattache à la tradition salomonienne et que le départ du démon est accompagné d’une preuve visible (A.J. 8.45–48). Négativement, le discours anathématisant confère au thaumaturge une paternité diabolique et l’étiquette de séducteur (pour Jésus, voir Mc 3.22 et // ; Jn 8.52 ; b. Sanh. 43a), ou encore l’accuse d’irrévérence vis-à-vis de la divinité et de la Loi (pour Jésus, Mc 14.62–64 et // ; pour Honi et Hanina, voir m. Ta’an. 3.8 et b. Ber. 33a)103. Si le rabbinisme officiel stigmatisera Jésus pour contrer l’utilisation apologétique de ses miracles, il manifestera également la volonté d’estomper l’enthousiasme que certaines figures charismatiques rabbiniques pouvaient susciter, surtout à la lumière des événements dramatiques de 66–70 et de 132–135104. Ce processus visant à privilégier la stabilité fondée sur l’étude et le respect méticuleux de la Loi et des préceptes aux dépens des manifestations charismatiques s’opère notamment par une « recaractérisation » des rabbins thaumaturges, avec le but de justifier à la fois la halakhah et les institutions
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Hanina est aussi considéré come le sauveur de l’humanité et on lui attribue des mérites en vertu desquels le monde à venir sera créé (b. Ta’an. 24b ; b. Ber. 61b). Voir aussi t. Ber. 3.20, où il est raconté qu’un serpent meurt après l’avoir mordu. Ainsi Vermes, « Jewish Miracle Workers », 536–37. Nous partageons l’avis de Puech selon lequel, au niveau de la concience religieuse de la pratique populaire, la différence entre l’invocation du nom de Dieu et son emploi magique n’était pas toujours très claire : Puech, « Les deux derniers Psaumes », 89. Voir aussi Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 403. 103 t. ۉul. 2.21–23 narrre l’histoire d’un disciple de Jésus, Jacob de Kephar Sama (vers 120), qui n’arrive pas à guérir R. Eleazar ben Dama : van Cangh, « Miracles de rabbins », 45. Par contre, en b. Pesaۊ. 112b, Hanina est accusé d’être bizarre (fou ?), car il se promène tout seul la nuit : Vermes, « Jewish Miracle Workers », 536–37. Pour les discours stigmatisants sur Jésus, voir Mc 3.22 ; Justin, 1 Apol. 30 ; Origène, Cels. 1.38 ; Rufin d’Aquilée, Clem. Recogn. 1.42–44 ; 58.1 ; 70.2 ; b. Šabb. 104b. Cités par Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 227. 104 Van Cangh, « Miracles de rabbins », 38, 45 ; Vermes, « Jewish Miracle Workers », 536–37.
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religieuses105. En conséquence, l’efficacité de leurs prières pour l’accomplissement d’actes étonnants est expliquée non pas sur la base d’une élection particulière, mais en raison d’une volonté divine visant à mettre en valeur l’amour paternel de Dieu envers ses enfants – parfois arrogants106 – et, notamment, l’importance fondamentale de l’obéissance loyale et méticuleuse aux ordonnances107. En dépit de cette méfiance, voire d’une forme de condamnation108, le monothéisme rabbinique ne nie pas l’existence de pratiques à caractère magique. Néanmoins, leur efficacité et leur emprise sont limitées aux éléments physiques, êtres humains compris, et aux êtres angéliques, tandis qu’est catégoriquement refusé tout contrôle sur la divinité109. Malgré les tentatives, qu’elles soient anciennes ou plus récentes, de stigmatisation ou de propagande, le fait demeure que les figures charismatiques étaient bien présentes au sein du judaïsme du Second Temple. Or, les documents existants, par leur nature, leur datation et leur provenance variées, ne nous permettent pas de dresser un portrait-type du faiseur de miracle – et notamment de l’exorciste – juif. Pourtant, il est possible de repérer un certain nombre d’éléments qui se retrouvent dans les différents milieux. Cela s’explique par le fait que la pratique magique, bien qu’interculturelle, est intégrée et se développe
105 Les rabbins voient dans les figures charismatiques une menace pour leur indépendance dans les questions halakhiques. Les miracles ne doivent pas influencer les débats de la « maison d’étude » : voir b. B. Me܈. 59b (cf. Nb Rab. 19.8) où, à trois reprises, les miracles produits pour appuyer l’opinion de R. Eliezer b. Hyrcanon sont refusés en tant que « preuves » argumentatives. La dernière de ces interventions divines, la « voix du ciel » (bath qol = « fille d’une voix »), n’est pas acceptée au nom de Dt 30.12 (« [cette parole] n’est pas dans le ciel »), interprété comme l’indication que toute la Torah a été dévoilée au Sinaï et que les décisions halakhiques doivent désormais être prises par les rabbins selon le principe de la majorité des voix. Les rabbins domestiquent ainsi les actes étonnants en attribuant à la création et à la providence la valeur de « véritable miracle » (Midrash Ps 106.1), et en considérant le don du pain quotidien comme une intervention aussi miraculeuse que le passage dans la Mer Rouge (Midrash Ps 89.2). Ainsi van Cangh, « Miracles de rabbins », 46–47. 106 Voir m. Ta‘an. 3.8, où Simeon ben Shatach reconnaît que même si Honi pêche contre Dieu (par le chantage), ce dernier lui pardonne comme le fait un père à son fils préféré. 107 Voir les exemples donnés à la note 105. D’autres passages attribuent la puissance de la prière de Hanina aux mérites des patriarches : y. Ber. 9d ; b. Ber. 34b ; b. B. Qam. 50a ; b. Yebam. 121b. Ainsi Vermes, « Jewish Miracle Workers », 536–37. 108 Voir m. Šabb. 6.10 : « one may go out with a locust egg or a jackal’s tooth or with the a nail of [the gallows of] one who was crucified, as a means of healing. So R. Meir. But the Sages say : Even on ordinary days this is forbidden as following in the ways of the Amorite ». Selon la traduction de Herbert Danby, éd, The Mishnah. Translated from the Hebrew with Introduction and Brief Explanatory Notes, 1 éd. 1933 (Oxford : Oxford University Press, 1980), 106. 109 C’est la thèse de Brigitte Kern-Ulmer, « The Depiction of Magic in Rabbinic Texts : The Rabbinic and the Greek Concept of Magic », JSJ 27, no 3 (1996) : 289–303.
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en tant que sous-culture à l’intérieur du judaïsme hellénistique110. Cela implique qu’elle assume une forme idiosyncratique à cause, entre autres, de la vision monothéiste, de l’interdiction formelle (pourtant contournée) de la pratiquer et d’une vision du monde fondée sur la séparation nécessaire entre le pur et l’impur et leur articulation avec le sacré et le profane. Tout d’abord, le faiseur de miracle juif, à l’instar de son homologue issu du contexte culturel gréco-romain, opère non seulement dans les sphères de la pratique dissuasive et offensive, mais également dans celles du prodige divinatoire et du contrôle. En voici quelques exemples. La divination est pratiquée à Qumrân (voir 4Q186 et 4Q561 pour la physiognomonie ; 4Q318 pour la brontologie)111 et elle est même encadrée par les écrits rabbiniques (voir, par exemple, b. Ber. 55a–57b pour l’oniromancie et b. Ber. 18b ; b. Šabb. 152a–b et b. Mo’ed Qaܒ. 28a pour la pratique de l’incubation/nécromancie)112. Est également attestée la croyance en la possibilité de maîtriser à son avantage la nature, les individus ou les esprits : Salomon oblige plusieurs démons à travailler pour la construction du Temple (cf. T. Sal. 2.5–8 ; 6.9, 11 ; 7.8) ; R. Hanina ben Dosa fait tuer des ours par ses chèvres et agrandit miraculeusement les poutres trop courtes de la maison d’une voisine en difficulté, alors que R. ণama bar ণanina gronde le ciel afin qu’il donne de la pluie (b. Ta’an. 25a) ; une formule magique, probablement ancienne, pour gagner le cœur d’une femme riche, est donnée dans le Sepher ha-Razim (III–IVe siècle de notre ère.)113. Si la nature et les esprits peuvent être contrôlés, il faut néanmoins constater que jamais il n’est question de maîtriser Dieu ni de l’obliger à accomplir des actes étonnants par une coercition de type magique. Deuxièmement, les charismatiques juifs recourent eux aussi à des amulettes et à des charmes pour se protéger des maladies et à des fins apotropaïques. Or 110
Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 381. 4Q186, 4Q561 : physiognomonie et astrologie pour prédire le caractère et le destin des individus observés ; 4Q318 : brontologie pour prédire l’avenir à l’aide de l’analyse des coups de tonnerres. C’est une pratique déjà répandue en Mésopotamie : R. Campbell Thompson, The Reports of the Magicians and Astrologers of Nineveh and Babylon, vol. 2 (London : Luzac, 1900), lxxx (n. 256a). Les écrits de Qumrân associent le tonnerre à la position de la lune dans le zodiaque, comme l’avaient fait les Gréco-romains : Wise, Abegg, et Cook, Les manuscrits de la mer Morte, 380. Voir aussi Wright, The Origin of Evil Spirits, 183. 112 Voir la thèse doctorale de Stephanie L. Bolz, « Rabbinic Discourse on Divination in the Babylonian Talmud » (Thèse doctorale, University of Michigan, 2012), 23–58, 176–85. Disponible en ligne sur https://deepblue.lib.umich.edu/bitstream/handle/2027.42/93902/ slbolz_1.pdf?sequence=1&isAllowed=y (site consulté le 10 février 2015). 113 Voir Gershom G. Scholem, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition. Based on the Israel Goldstein Lectures, Delivered at the Jewish Theological Seminary of America, New York, 1e éd. 1960 (New York : Jewish Theological Seminary of America, 1965), 101–17. Pour une étude plus récente, il conviendra de se référer à Yuval Harari, Jewish Magic Before the Rise of Kabbalah, RPSJFA (Detroit : Wayne State University Press, 2017). 111
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cette pratique populaire aux contours magiques bien établis est « domestiquée » par les responsables religieux de différentes manières. Une des stratégies mises en place est la proscription : la Mishnah reconnaît qu’encore au deuxième siècle R. Meir justifie le recours à des amulettes protectrices (un œuf de locuste, une dent de renard ou l’ongle d’un individu qui a été pendu), mais en dehors des sabbats ; pourtant, les Sages critiquent cette entreprise car ils l’assimilent à l’idolâtrie (« la voie des Amorites », m. Šabb. 6.10). Néanmoins, la pratique la plus fréquente est celle de l’intégration des rituels protecteurs et apotropaïques dans la vision monothéiste, en en attribuant l’efficacité soit à l’origine divine des formules et des rituels, soit à l’invocation du nom divin et/ou des puissances du monde spirituel, une pratique attestée depuis des époques anciennes (cf. 2 R 5.11 ; Pr 18.10)114. Ainsi, l’archange Gabriel, associé au ministère de guérison (cf. Tb 3.17 ; 1 Hén. 10.7 ; 40.9), instruit Tobit sur la manière de guérir et d’exorciser (Tb 6.8–9, 17 ; 11.7–8) ; le Maskil de Qumrân terrifie tous les esprits mauvais par la proclamation de la splendeur de la gloire de Dieu (4Q510 frag. 1, lignes 4–5), du Dieu juste (4Q511 frag. 1, ligne 5), du Tout-Puissant (frag. 2, II.7) ; la protection contre l’ascendant de Satan sur les pensées est contrée à l’aide de l’obéissance à la loi (4Q444 frag. 1, ligne 4) mais aussi par l’invocation du Seigneur, Dieu bon et juste, le seul objet de louange (11QPsa 19.1–17)115 ; Béelzéboul confesse à Salomon qu’il est assujetti par le nom du Dieu Tout-Puissant (T. Sal. 6.8) ; les rabbins peuvent soigner la fièvre et les abcès par le recours à des rituels et des formules magiques (par ex. « bazak, bazik, bizbazik, mismasik, kamun kamik… ») qui intègrent toutefois l’invocation des anges ou du nom de Dieu (b. Šabb. 67a)116. En troisième lieu, concernant les rituels de type offensif, notamment les guérisons et les exorcismes, alors que l’emploi d’amulettes, de rituels et de charmes est largement diffusé parmi les exorcistes et les guérisseurs juifs (cf. 11QPsa 27.10 ; 11QApPsa 4.4117 ; T. Sal. 5.9 ; Flavius Josèphe, A.J. 8.47 ; Justin, Dial. 85.3 et 2 Apol. 6.6 ; b. Šabb. 67a), il s’agit là aussi d’en justifier 114
Sorensen, Possession and Exorcism, 120. Puech constate que, puisque le décalogue n’empêche pas l’usage du nom Dieu mais son abus, la tradition juive l’emploie très tôt pour des formules rituelles (cf. 2 R 5.11 et Jb 1.21). À Qumrân, en dépit du fait que la Règle de la communauté (1QS 6.27 à 7.2) et l’Écrit de Damas (CD 15.1) condamnent la pratique consistant à prononcer à haute voix le nom de Dieu ou à jurer par celui-ci, certains documents (pré-sectaires ?) le contiennent. Puisqu’il s’agit de formules d’exorcismes, apotropaïques ou de bénédiction (cf. 1Qap Genar ; 4Q285 ; 11QApPsa), ne pas le prononcer affaiblirait le rituel. Puech, « Les deux derniers Psaumes », 82–88. 116 Puech, 70. Ac. Th. 170 (début IIIe siècle) narre l’exorcisme du fils du roi Misdée qui est effectué grâce à la poussière du lieu où gisaient autrefois les ossements de Thomas : voir van Cangh, « Miracles évangéliques », 2311–12. 117 Puech, « Les deux derniers Psaumes », 69, reconstruit le texte de 11QApPsa 4.4 en étant convaincu du fait qu’il faille lire [l dbry l]ۊš suivi de bšm yhwh : « au sujet des paroles d’incantation au nom de Yahvé », et renvoie à Ps 20.2 ; 54.3 ; 118.10–12 ; Pr 18.10. 115
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l’efficacité par leur origine « orthodoxe » et/ou par le recours à l’invocation des puissances célestes, voire de personnages pieux de l’histoire d’Israël. C’est ainsi que l’anneau de Salomon, auquel les démons ne peuvent résister (cf. T. Sal. 1.9, 11 et 3.3–4), lui a été offert par l’archange Michaël (1.6–7) et que les formules tirent leur véritable pouvoir de l’invocation du nom de Salomon118, des anges119 et de Dieu120. Même lorsqu’il semblerait que le pouvoir réside dans un objet ou une personne, la tendance est de ramener toute autorité sur les esprits et les maladies à la sphère divine121. Ainsi, l’artifice de la fumée de la combustion du cœur et du foie de poisson qui écarte le démon (Tb 6.8 ; voir aussi verset 9) est une révélation angélique (v. 7–8a) ; l’adjuration de l’exorciste qumrânien (4Q560 frag. 1, II.5) s’appuie sur le « [… par le nom du Seigneur, ‹Lui qui e]fface l’iniquité et la transgression› (Ex 34.7) » (4Q560 frag. 1, I.4)122 ; la prière et l’imposition des mains d’Abraham pour l’exorcisme/guérison du pharaon (1Qap Genar 20.28–29) sont efficaces car le patriarche est un homme pieux et consacré qui fait du nom de Dieu l’objet de ses invocations (21.1–4) ; l’autorité sur les esprits mauvais de personnages tels que Salomon et Hanina ben Dosa tire son origine d’une volonté divine préalable (T. Sal. 3.5 : ਫ਼ʌȠIJȟĮȢ İੁȢ ਥȝ ʌ઼ıĮȞ IJȞ IJȞ įĮȚȝંȞȦȞ įȞĮȝȚȞ ; 5.13 : țĮ ਥįંȟĮıĮ IJઁȞ șİઁȞ ਥȖઅ ȈȠȜȠȝȞ IJઁȞ įંȞIJĮ ȝȠȚ IJȞ ਥȟȠȣıĮȞ IJĮIJȘȞ ; b. Pesaۊ. 112b– 113a)123. Quatrièmement, lorsque l’on se pose la question de l’importance pour l’exorciste d’arriver à découvrir le nom de l’entité à chasser ou à maîtriser, on remarque que, à l’instar des croyances et des pratiques contemporaines non juives, cette information n’est pas une conditio sine qua non pour l’exercice de l’autorité sur les démons. En effet, ni à Qumrân (cf. 11QApPsa et 4Q560) ni dans les écrits rabbiniques (b. Pesaۊ. 112b et b. Šabb. 67a) le pouvoir ne réside
118 Flavius Josèphe, A.J. 8.47 ; T. Sal. 1.9, 11 : ǻİ૨ȡȠ țĮȜİ ıİ ȈȠȜȠȝȞ ; 3.3–4 : țĮȜİ ıİ ȈȠȜȠȝȞ ȕĮıȚȜİȢ ; cf. Justin, Dial. 85. 119 T. Sal. 2.4, 7 ; 5.5, 9 ; cf. 11QApPsa 3.2, 5. 120 11QApPsa 2.1–11 ; 3.1–12 ; 4.4–13 ; T. Sal. 2.5 ; 11.6 ; Flavius Josèphe, A.J. 8.42– 49 ; Irénée, Haer. 2.4.6 et 2.6.2 ; Justin, Dial. 85, 135 ; Origène, Cels. 1.22–24 ; 4.33–34 ; 5.45 ; cf. Ac 3.13–16. 121 Cf. aussi Ac. And. : en 5.8–11, l’apôtre exorcise un enfant sans invoquer explicitement le nom de Dieu, mais ensuite il est précisé que la mère loue le Seigneur et que toute la famille est convertie à la foi chrétienne. Voir van Cangh, « Miracles évangéliques », 2302–4. 122 Selon la reconstruction de Wise, Abegg, et Cook, Les manuscrits de la mer Morte, 581. 123 Voir aussi Flavius Josèphe, A.J. 20.97 (Theudas) et b. Ta’an. 23a (Phineas b. Jair), qui opèrent le miracle sans une invocation directe du nom de Dieu. Dans Nb Rab. 19.8, l’efficacité du rituel de la vache rousse est expliquée simplement du fait qu’il s’agit d’un décret de la Torah auquel le Juif est censé obéir.
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dans la connaissance de l’identité de l’esprit mauvais124. Même lorsque la question est posée avec insistance, par exemple dans le Testament de Salomon (3.6 ; 4.3 ; 8.2 ; 9.2 ; 12.2 ; 14.2 ; 15.2 ; 17.1 ; 18.2, 4 ; 22.19 ; 25.1), il ne s’agit que d’un outil rhétorique visant à montrer les acquis démonologiques de l’époque, à savoir le nom, la fonction et parfois la hiérarchie des différents démons, le pouvoir d’assujettissement ayant déjà été accordé au préalable à l’exorciste (cf. T. Sal. 3.5 et 5.13). Cinquièmement, ce n’est pas le rôle de l’exorciste que de bannir les esprits malveillants dans l’abîme. La cosmologie juive prévoit un endroit où certains démons sont gardés dans l’attente du jour du Jugement. Le premier livre d’Hénoch déclare que l’ange Raphaël, après l’avoir lié (įȦ), jette Azaël dans un lieu de ténèbres appelé « désert de Dadouel » (1 Hén. 10.4 : IJȞ ȡȘȝȠȞ IJȞ ȠıĮȞ ਥȞ IJ ǻĮįȠȣȜ) où, privé de lumière et couvert de pierres, il est réservé pour le feu du dernier jour (v. 5–6). Ensuite, en 10.12–14, il est question de l’ange Michaël auquel le Seigneur donne l’ordre de lier Shemêhaza et les autres anges déchus, et d’enfermer les esprits de leur descendance « dans les vallées de la terre » (v. 12 : İੁȢ IJȢ ȞʌĮȢ IJોȢ ȖોȢ) jusqu’au jour de la consommation finale125. Dans la même veine, Jubilés 10.7–10 affirme que le Seigneur ordonna à Michaël de jeter neuf dixièmes des mauvais esprits dans l’abîme jusqu’au Jugement (v. 7, 9 : İੁȢ IJȞ ਙȕȣııȠȞ) et l’Apocalypse de Jean (Ap 20.1–3) mentionne un ange qui enchaîne Satan dans l’abîme (İੁȢ IJȞ ਙȕȣııȠȞ), un lieu scellé où il lui sera impossible de séduire les nations mais duquel ils seront relâchés pendant une brève période avant leur destruction par le feu (v. 7–
124 La question « qui es-tu ? » posée en 11QApPsa 5.6 semble être rhétorique car le démon a déjà été identifié en 5.4 : « Récheph », selon la reconstruction de Wise, Abegg, et Cook, Les manuscrits de la mer Morte, 597. 125 Rochester, Good News at Gerasa, 142, renvoie à 1 Hén. 18.12–16 (« lieu vide ») et 88.1 (« abîme ») qui indiquent les lieux où Dieu (ou ses anges) ont précipité certains anges désobéissants. Elder, Murcia et Moscicke ont montré l’influence des traditions hénochiques – en particulier du jugement par Dieu d’Azazel, le chef des Veilleurs, et de ses acolytes, notamment en 1 Hén. 10 – sur le récit de Mc 5.1–20 (voir surtout : įȦ en Mc 5.3–5 et 1 Hén. 10.4, 12 ; 54.3–5 ; ȕĮıĮȞȗȦ en Mc 5.7 et ȕıĮȞȠȢ 1 Hén. 10.13 ; ȜșȠȢ en Mc 5.5 et 1 Hén. 10.5 ; ȡțȗȦ en Mc 5.7 et ȡțȠȢ en 1 Hén. 6.4 ; ȡȠȢ en Mc 5.5 et 1 Hén. 6.6 ; cochons et démons dans la mer en Mc 5.13 et géants qui périssent dans le déluge en 1 Hén. 15.8–10 ; 16.1 ; guérison de l’homme en Mc 5.15 et purification de la terre en 1 Hén. 10.16–22). Elder, « Of Porcine and Polluted Spirits » ; Murcia, « La question du fond historique des récits évangéliques » ; Moscicke, « The Gerasene Demoniac ». Moscicke établit également un lien entre le jugement des Veilleurs et les traditions sur le rituel du bouc émissaire dans la littérature du Second Temple et arrive à la conclusion, que nous partageons, selon laquelle il faut comprendre l’exorcisme de l’épisode du Gérasénien comme « God’s banishment of hostile spiritual powers from their positions of authority over the nations [...] and augurs God’s kingdom reign, in which Gentiles are released from bondage to cosmic forces [...] and welcomed into the family of God » (p. 364–365).
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10)126. On remarquera aisément que, lorsqu’elle est mentionnée, la réclusion de Satan et de ses suppôts dans des lieux cachés en l’attente de la manifestation du jugement divin est une prérogative de Dieu (cf. 1QM 13.14 ; 14.10 ; 15.13– 16.1) qui s’exerce par le biais de ses anges. Rien d’étonnant alors à ce que l’exorciste se cantonne souvent à déplacer le démon, sans l’envoyer lui-même dans le Shéol. Ainsi, le rituel à base de foie et de cœur de poisson accompli par Tobit lui permet juste de faire fuir le démon dans les contrées d’Égypte, où il sera saisi et enchaîné par Raphaël lui-même (Tb 8.2–3) ; de même, selon Matthieu 12.43 // Luc 11.24, l’esprit chassé erre dans des lieux arides (įȚૃਕȞįȡȦȞ IJંʌȦȞ)127. À Qumrân, alors que les prêtres, les lévites et les vétérans se préparent à la bataille eschatologique où il sera question de maudire Bélial et ses acolytes (voir 1QM 13.1–6), force est de constater que : a. la formule de 4Q510 frag. 1, lignes 4–8, ne mentionne pas où vont les esprits que le Maskil effraie par la proclamation de la splendeur divine ; b. en 11QApPsa 4.5–10, la mention du grand abîme et des Enfers ténébreux est associée à celle de « l’ange redoutable » de Dieu ; c. en 4Q560 frag. 1, II.7, « nuages » et « terre » pourraient simplement faire allusion aux lieux où les esprits sont bannis par l’exorciste (II.6–7)128. Dans le Testament de Salomon, alors qu’il ne s’agit pas d’exorcismes mais de contrôle des démons, le roi d’Israël les condamne à travailler pour la construction du Temple, que ce soit, par exemple, dans une cave (T. Sal. 2.5– 6) ou pour creuser les fondations (8.12), mais jamais à être bannis dans l’abîme. Dans le Testament de Lévi, il est question d’une figure messianique, « un nouveau prêtre » (18.2 : ੂİȡĮ țĮȚȞંȞ), « comme un roi » (v. 3 : ੪Ȣ ȕĮıȚȜİȢ), suscité par Dieu pour assurer la transition vers une époque de réjouissance éternelle dans la Nouvelle Jérusalem (v. 13–14 ; voir T. Dan 5.12). Ce personnage pourra « lier » (įȦ) Bélial, et même permettre à ses enfants de « piétiner les mauvais esprits » (T. Lévi 18.12 : ʌĮIJİȞ ਥʌ IJ ʌȠȞȘȡ ʌȞİȝĮIJĮ). Le Testament de Dan précise qu’il libérera les saints de l’emprise du chef des démons (T. Dan 5.11). Ce document, dont la date et l’origine font encore débat129, n’éta-
126
Voir aussi Ap 9.1–2, 11 ; 11.7 ; 20.1–3. Dans 1 Hén. 21.10, il est question de la prison des anges ; en 22.1–2, il s’agit d’une montagne. Puech, « Les deux derniers Psaumes », 73, fait le lien entre ces lieux privés de lumière et des textes bibliques tels qu’Es 53.11 ; 59.9– 10 ; Pr 13.9 ; Sg 5.6 et Ac 13.11, où la lumière est considérée comme une bénédiction divine réservée aux créatures bénies. 127 Cf. Ac. And. 6, où l’apôtre chasse les démons vers des lieux arides et désertiques. 128 Voir Puech, « Les deux derniers Psaumes », 72–73 ; Alexander, « The Demonology », 337–41 ; Torchia, « Eschatological Elements », 17 ; Collins, Mark. A Commentary, 272 ; Wright, The Origin of Evil Spirits, 183. 129 Martin McNamara, Intertestamental Literature, OTM 23 (Wilmington : M. Glazier, 1983), 105 : « [f]or over a century it has been a matter of discussion among scholars whether
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blit pas un lien entre l’activité de l’exorciste et la destruction ou l’exil des démons dans l’abîme, mais lui attribue plutôt le rôle de champion qui les met en déroute. Pourtant, il établit un lien entre une figure messianique et l’activité exorcistique. Si la « libération des captifs » et les « prodiges » du Messie annoncés en 4Q521 frag. 2, II.1–13 font aussi référence à la délivrance des esprits impurs, nous sommes en présence ici d’une confirmation plus ancienne encore de l’établissement de ce lien. En sixième lieu, l’exorciste qui expulse un mauvais esprit est aussi en train d’accomplir une purification de la personne et des lieux. Thomas Kazen a montré, rappelons-le130, que les anciens rituels israélites de purification – comme celui de la purification de la lèpre (Lv 14.1–7, 49–53), le Yom Kippour (Lv 16) et le rite de la vache rousse (Nb 19) – s’enracinent dans des pratiques de type apotropaïque visant à se débarrasser du péché et de l’impureté en les chassant à l’aide d’animaux et/ou de leur sang ou de leurs cendres131. Ultérieurement, les écrits de la mer Morte témoignent de l’association explicite entre impureté et présence démoniaque : 4Q511 frag. 48, 49 + 51, lignes 2–3 mentionne « les esprits des bâtards » et l’« impureté » ; 11QPsa 19.9–16 établit un lien entre, d’un côté, les péchés et l’action de Satan sur les pensées (impures), et, de l’autre, le pardon, la purification et la protection contre les puissances démoniaques. Dès lors, lorsque 4Q510 frag. 1, lignes 2–9 rapproche la présence des esprits malveillants de l’impiété et de la transgression et 4Q444 (frag. 2, I.1–4 et frag. 3, lignes 1–3) celle des esprits malins et de l’esprit impur de l’abomination, il faut comprendre que la purification à laquelle aspirent les adeptes de la secte en vue de l’obéissance aux préceptes du Tout-Puissant s’apparente à une sorte d’exorcisme, car ce sont les « grâces » du « Dieu des grâces » qui permettent « au res[te] » de son peuple de ne pas être détourné de l’Alliance
the Testaments is basically a Jewish work with Christian interpolations or a Christian composition which uses Jewish sources. The debate has become more acute after the evidence from Qumran has been brought to bear on the problem. […] Opinion is still divided on the origins of the present Testaments. Some believe that the work was composed by a Jew or Jewish Christian in the first or second century A.D. Others maintain that they are of preChristian or Jewish, possibly Essene origin. The original language of the present work, whether Aramaic or Greek, is also debated ». En français, voir l’état de la question proposé par Hamidoviü : il ne prend pas position, mais semble privilégier la piste d’un écrit du premier siècle avant notre ère dont la forme finale a été fixée par des cercles chrétiens. David Hamidoviü, « Testaments des douze Patriarches », in Introduction à l’Ancien Testament, éd. par Thomas Römer, Jean-Daniel Macchi et Christophe Nihan, Nouvelle édition révisée et augmentée, 1e éd. 2004, MdB 49 (Genève : Labor et Fides, 2009), 859–72. 130 Voir supra, p. 278–279. 131 Voir à ce propos Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 304–10. « It seems that ‹expiation› had it roots in apotropaic practices, using blood for the protection not only of worshippers, but of the deity and his surroundings, from demonic threat » (p. 310).
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« durant l’empire de Bélial », car le Seigneur a « repoussé loin » de la communauté « ses [de Bélial] esprits de [des]truction » en rachetant les siens (1QM 14.8–10)132.
6.5 L’exorcisme de Gérasa (Mc 5.1–20) et le rôle des exorcismes dans l’évangile de Marc à la lumière des croyances et des pratiques exorcistiques du premier siècle Le rôle des exorcismes dans l’évangile de Marc
Depuis quelques décennies, l’articulation de l’approche comparative – notamment de l’histoire des religiosités gréco-romaine et judéo-hellénistique – et de la sociologie a permis une meilleure appréciation du christianisme naissant et de la personne de Jésus de Nazareth. Plusieurs mouvements en tension avec le système dominant se sont organisés autour d’un personnage non conformiste et charismatique qui s’octroie (ou auquel on attribue) le titre de prophète et/ou de messie et qui se veut (ou est) authentifié par des actes miraculeux. Flavius Josèphe nous renseigne sur un certain nombre d’individus ayant eu ces prétentions : Theudas (A.J. 20.97–98 ; voir Ac 5.36), Judas le Galiléen (A.J. 18.1–10 ; 20.102 ; B.J. 2.117–118 ; voir Ac 5.37), le Samaritain (A.J. 18.85–87), Jésus, si l’on accepte l’authenticité partielle du Testimonium flavianum (A.J. 18.63–64), l’Égyptien (A.J. 20.169– 172 ; B.J. 2.261–263 ; voir Ac 21.31), outre certains « charlatans et imposteurs » non spécifiés133. Dans ce contexte, l’activité miraculeuse et exorcistique attribuée à Jésus, présente au cœur des activités du Jésus marcien et, nous le
132 Kazen, 311–13 ; Rochester, Good News at Gerasa, 122. Kazen (p. 313) remarque qu’en Nb Rab. 19.8 il y a association entre corps impur, esprit impur, démon de déraison et la citation de Za 13.2 (« Il arrivera en ce jour-là, oracle du SEIGNEUR le tout-puissant, que j'éliminerai du pays le nom des idoles […]. J'expulserai aussi du pays les prophètes et leur esprit d'impureté », TOB). Grappe mentionne un texte fragmentaire retrouvé à Qumrân, la « Prière de Nabonide », où les péchés du roi de Babylone sont pardonnés par un exorciste. Malheureusement, les lacunes du document ne permettent pas de comprendre si effectivement l’activité de purification morale est mise en rapport avec la mise en déroute des esprits mauvais. Grappe, « Jésusௗ: messie prétendu ou messie prétendantௗ? », 289, note 87. 133 ȆȜȞȠȚ Ȗȡ ਙȞșȡȦʌȠȚ țĮ ਕʌĮIJİȞİȢ : B.J. 2.259 ; voir aussi les ȜૉıIJȘȡȦȞ [...] țĮ ȖȠIJȦȞ ਕȞșȡઆʌȦȞ (A.J. 20.160) et les Ƞੂ į ȖંȘIJİȢ țĮ ਕʌĮIJİȞİȢ ਙȞșȡȦʌȠȚ (A.J. 20.167). La traduction est celle d’André Pelletier : Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 2 : 54.
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pensons, aussi du Jésus de l’histoire134, le désigne en tant que prophète messianique aux activités thaumaturgiques, chef d’un mouvement millénariste135. Le logion de Matthieu 12.28 // Lc 11.20 fait de l’activité exorcistique de Jésus une preuve tangible de l’irruption du Royaume136. Au service de la proclamation eschatologique de la proximité du Royaume de Dieu, sa lutte contre les mauvais esprits garde certains traits des pratiques de type magique typiques aussi bien dans le monde gréco-romain que juif137. Jésus a été désigné en tant que Fils de David, un titre que la tradition juive associe notamment à la pratique exorcistique138 ; qui plus est, les synoptiques narrent un nombre important de tels exorcismes sans qu’ils soient en relation directe avec les textes du Premier Testament que la tradition chrétienne primitive relira en tant que prophéties messianiques. Ces deux éléments plaident en faveur d’une activité exorcistique 134 Jésus a été accusé d’être un magicien aussi bien par les Juifs que les non-Juifs (cf. Justin, Dial. 69.5 ; 1 Apol. 30 ; Origène, Cels. 1.6, 28, 38, 68 ; 2.9, 14, 16, 48, 49 ; 3.27 ; 6.51, 57 ; 7.77 ; Lactance, Inst. 4.15.1). Les accords entre Mt 12.22–37 et Lc 11.14–15, 17– 27 et 12.10 contre Mc 3.22–30 font penser à deux traditions indépendantes (Q et Mc), ce qui est un fort indice d’antiquité : John S. Kloppenborg, Qࣟ : Parallels, Synopsis, Critical Notes and Concordance, FF-NT (Sonoma : Polebridge Press, 1988), 92. Voir Kee, Medicine, Miracle and Magic, 75–76, 124 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 122, 139–42 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 315 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 386–88. 135 Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 388–90. 136 Le logion de Mt 12.28 // Lc 11.20 « signale que le Royaume est déjà immanent, présent de manière concrète dans l’action de Jésus expulsant les démons » et renvoie, dans sa forme lucanienne (« doigt de Dieu ») préférable à la version matthéenne (« Esprit de Dieu »), à Ex 8.15, « seul passage de la Bible hébraïque où il est fait mention du doigt de Dieu en tant qu’instrument de sa puissance. [...] Le logion de Jésus suffit ainsi à suggérer que, en lui, se manifeste une force agissante comparable à celle qui, jadis, a permis, avec Moïse et Aaron, la libération du pays d’Égypte » : Grappe, « Jésus et l’irruption du Royaume », 133 (voir aussi p. 143). 137 La littérature sur ce sujet est copieuse. Voir par exemple : van der Loos, The Miracles of Jesus, 150 ; Géza Vermes, « Hanina ben Dosa : A Controversial Galilean Saint from the First Century of the Christian Era. Part 1 », JJS 23, no 1 (1972) : 28–50 ; « [...]. Part 2 », JJS 24, no 1 (1973) : 51–64 ; Walter Wink, « Jesus as Magician », USQR 30, no 1 (1974) : 3–14 ; Morton Smith, Jesus the Magician (London : V. Gollancz, 1978) ; van Cangh, « Miracles de rabbins », 28 ; Crossan, The Historical Jesus, 72–88 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 318–20. 138 L’association entre le titre ȣੂઁȢ ǻĮȣį et la pratique exorcistique représente l’aboutissement d’une trajectoire qui a comme point de départ les textes de 1 S 16.14–23 LXX et 1 R 4.29–34. En passant par les traditions dont témoignent Sagesse (Sg 7.15–22), les Psaumes de Salomon, quelques fragments des Psaumes de Qumrân et Flavius Josèphe (A.J. 6.166 ; 8.45 ; etc.), on aboutit aux textes talmudiques et aux bols à incantation où ce titre est lié à la pratique de chasser les démons : Loren Fisher, « Can This be the Son of Davidௗ? », in Jesus and the Historian. Written in Honor of Ernest Cadman Colwell, éd. par F. Thomas Trotter (Philadelphia : Westminster Press, 1968), 82–97 ; Dennis C. Duling, « Solomon, Exorcism, and the Son of David », HTR 68, no 3–4 (1975) : 235–52 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 322.
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établie du Jésus de l’histoire, son ministère d’enseignement étant même subordonné à son action de mise en déroute de Satan et de ses suppôts139. Les éléments concernant la démonologie et la pratique exorcistique dans le monde gréco-romain et au sein du judaïsme pendant la période du Second Temple, articulés avec les résultats de notre analyse synchronique, s’avèrent donc très utiles pour l’intelligence du récit de Marc 5.1–20 et de toute l’activité exorcistique de Jésus de Nazareth tel que cet évangile nous la décrit. 6.5.1 L’affranchissement du Jésus marcien face à l’accusation d’être un magicien associé à Satan Plusieurs chercheurs ont attiré l’attention sur l’importance de la tradition arétologique gréco-romaine en tant qu’arrière-plan idéologique de la composition des évangiles. Selon cette perspective, la rédaction de biographies concernant des faiseurs de miracles avait la double fonction de célébrer la divinité qui était à l’origine de manifestations miraculeuses et de caractériser positivement les figures charismatiques concernées qui, autrement, auraient pu être accusées de pratiquer la magie et/ou d’imposture140. Puisque, dans leur aspect formel, les miracles et les exorcismes de Jésus sont tout à fait similaires à ceux d’autres faiseurs de prodiges stigmatisés en tant qu’escrocs ou sorciers, il faut aussi comprendre les évangiles comme des compositions apologétiques visant à défendre Jésus de l’accusation d’être un « magicien », titre stigmatisant qui équivalait à l’époque soit à l’épithète « charlatan », soit à l’accusation d’être allié avec le prince des démons141. Ainsi, les récits d’exorcismes des évangiles synoptiques sont mis au service non pas de la valorisation de la foi du possédé, ni de la simple et gratuite manifestation de la puissance du personnage Jésus,
139 Stevan L. Davies, Jesus the Healer : Possession, Trance, and the Origins of Christianity (New York – London : Continuum – SCM Press, 1995), 137–50 ; Marcus, Mark 1–8, 185 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 128, 136 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 392. 140 Cf. Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 402–7, qui se fonde notamment sur les travaux suivants : Morton Smith, « Prolegomena to a Discussion of Aretalogies, Divine Men, the Gospels and Jesus », JBL 90, no 2 (1971) : 174–99 ; Morton Smith, « Clement of Alexandria and Secret Mark : The Score at the End of the First Decade », HTR 75, no 4 (1982) : 449–61 ; Smith, « Good News is No News », 21–38. Concernant la relation entre Jean et Dieu, Jean aussi est accusé d’être possédé par un démon (Mt 11.18 ; Lc 7.33). 141 Déjà vu par Anton Fridrichsen, « The Conflict of Jesus with the Unclean Spirits », Theology 22 (1931) : 122–35 ; Paul Samain, « L’accusation de magie contre le Christ dans les évangiles », ETL 15 (1938) : 449–90 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 167 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 38 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 400–405 ; Wendy J. Cotter, « Miracle Discourse in the New Testament : A Response », in Miracle Discourse in the New Testament, éd. par Duane F. Watson (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2012), 211–14.
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mais de la caractérisation de ce dernier en relation avec l’action du Dieu d’Israël142. C’est justement cette relation particulière et originale entre Dieu et son Fils qui introduit un élément idiosyncratique dans les récits évangéliques. D’autres récits à caractère arétologique s’appuient sur l’élément miraculeux pour connoter le thaumaturge en tant que maître empli de sagesse dont la parole se veut une révélation divine, directe ou indirecte, autorisée. L’effet recherché est l’incitation à l’admiration du maître et à la valorisation de son enseignement, conjugué à un éventuel appel implicite à en devenir un disciple spirituel143. Pour les évangiles, toutefois, il ne s’agit pas simplement de susciter l’admiration à l’adresse de Jésus et de donner crédit à son enseignement : les exorcismes s’intègrent pleinement dans la stratégie narrative dont le but est de susciter l’adhésion par la foi à Jésus de Nazareth en tant que Fils de Dieu et Juge eschatologique144. Ainsi, le Gérasénien de l’évangile de Marc, en dépit de son rôle de personnage mineur, s’érige en figure exemplaire, car il annonce Jésus en tant qu’agent de Dieu (5.20), en offrant au narrataire une opportunité de confirmer (ou de faire mûrir) sa posture théologique et existentielle face à la question posée en 4.41 : « Qui est-il donc ? » Puisque l’attribution à Jésus de son statut de Fils de Dieu passe obligatoirement par son affranchissement de l’accusation d’être un magicien et/ou lié par allégeance au prince des démons, il est important de remarquer que le premier argument consiste à préciser la source de son pouvoir. Alors que le Jésus marcien manifeste une autorité absolue face aux esprits impurs (cf. 1.31145), cette 142 Le fait que la foi du possédé n’est pas en vue dans les récits d’exorcismes est notamment souligné par Theissen, The Miracle Stories, 321–22. Voir également Sorensen, Possession and Exorcism, 127. Van Cangh, « Miracles de rabbins », 46, signale une chaîne de sept miracles dans le Talmud (b. Ta’an. 24b–25a) dont le but serait l’étalage d’actes étonnants de la part des rabbins concernés. 143 Cf. Philostrate, Vit. Apoll. 1.19, où la connaissance des langages humains et des pensées inexprimées d’Apollonios suscite la dévotion de Damis de Ninive, qui le suit comme un disciple. En 4.20, Apollonios exorcise un jeune Athénien qui, lui aussi, devient son adepte. 144 Alors que les guérisons s’opèrent en Marc dans un contexte de foi (cf. 1.40 ; 5.36 ; 6.5–6), les exorcismes ont souvent la fonction de la susciter (cf. 1.27–28 ; 5.18–20 ; 9.22– 24). À propos de la relation filiale avec Dieu attribuée à Jésus, van Cangh renvoie à b. Ta’an. 23b, où un parent de Honi se réfère à Dieu en tant qu’Abba, mais s’adresse à lui en tant que Ribbono shel ‘olam (Maître de l’univers), et 25b, où R. Akiba appelle Dieu à la fois Abba et Melek, donnant peut-être au premier terme un sens plus royal que familial. Jésus, de son côté, désigne et invoque Dieu en tant que Père (cf. Mt 11.25–26 // Lc 10.21), un exemple imité par les premières communautés hellénistiques (cf. Rm 8.15 et Ga 4.6, où le sémitisme est conservé). Van Cangh, « Miracles de rabbins », 36. 145 Mali suggère de voir dans le sommaire de Mc 1.34 un renvoi aux deux miracles qui précèdent : le verset 34a se réfère à la guérison de 1.29–31 et le verset 34b à l’exorcisme de 1.21–28. Le refus de laisser parler les démons est un autre acte de puissance qui couronne
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autorité est expliquée en tant que résultat d’une puissance qui l’habite depuis son baptême. Il s’agit bien de l’Esprit de Dieu qui est descendu sur lui (1.11), Esprit qui lui permet d’agir au nom de Dieu lui-même. Ainsi, notamment dans le récit du Gérasénien, l’action de Jésus est-elle connotée en tant qu’action de Dieu (Mc 5.19–20). Si Jésus permet à cet homme de récupérer sa faculté de raisonner (v. 15 : ıȦijȡȠȞȦ), c’est précisément parce qu’il est celui auquel Dieu a donné sa propre sagesse (6.2 : ਲ ıȠijĮ)146. Le deuxième argument relève de l’aspect technique des exorcismes, à savoir les actes et les formules utilisés par Jésus en relation avec les pratiques courantes. La tradition relative à Jésus ne lui attribue pas des formules d’enchantement ni des rituels exorcistiques ou de guérison élaborés et répétitifs (cf. Mc 1.25, 41 ; 2.11 ; 5.8–9, 34, 41 ; 7.29, 34 ; cf. Lc 17.14 ; Jn 5.8 ; 11.43)147, ni une connaissance précise de l’identité des démons qui aurait pu subordonner son pouvoir à sa science. Dans le récit de Marc 5.1–20, l’efficacité de l’exorcisme du Gérasénien par le Jésus marcien n’est pas déterminée par la récitation d’un charme ni par sa connaissance de la nature du démon ou même de son caractère pluriel. Le narrataire, au contraire, est confronté au constat que l’esprit impur jouit, au début de l’histoire, d’une supériorité cognitive par rapport au Jésus marcien, car ce dernier n’affiche pas un savoir étendu sur la nature de la possession (voir verset 7 : « Jésus, Fils du Dieu Très Haut » et verset 9 : « quel est ton nom ? »). Pourtant, contrairement à ce que plusieurs exégètes ont pu avancer148, et en accord avec ce que nous avons déjà constaté dans certains
les premiers exploits de Jésus : le plus fort qui assujettit le plus faible. Mali, The Christian Gospel, 116. 146 Ce qui est contesté n’est pas la praxis ni le résultat, mais la source du pouvoir (cf. Mt 12.28 // Lc 11.20). Comme Hanina en b. Pesaۊ. 112b–113a, l’action du héros de commander et de permettre quelques actions aux démons doit s’expliquer par le « parrainage » d’une instance surnaturelle supérieure. Cette puissance peut « habiter » le thaumaturge (cf. Mc 5.30 : « une force était sortie de lui » ; 6.56 : guérisons par le contact avec la frange des vêtements) ; pourtant, on n’attribue pas à ce dernier la capacité de manipuler la divinité (et cette puissance qui en découle), pensée plutôt sous-jacente, par ex, à PGM III.415–416 ; 470ss ; IV.710–711. Origène aussi, en contestant plus tard d’autres faiseurs de miracles, ne niera pas l’efficacité de leurs procédés, mais, encore une fois, la source de leur pouvoir (cf. Hom. Num. 13.5). Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 403, 410 ; van Cangh, « Miracles de rabbins », 46. 147 Festugière avait déjà remarqué que l’élaboration de rituels et formules longues et élaborées s’intensifie particulièrement à partir du troisième siècle, probablement à partir d’antécédents plus courts et directs : André-Jean Festugière, L’idéal religieux des Grecs et l’Évangile, EBib (Paris : Gabalda, 1932), 238. Cité par Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 393. Voir également Vermes, Jesus the Jew, 69. 148 Ces derniers considèrent la connaissance de l’identité du démon importante pour l’exorciste : ainsi Gustav A. Deissmann, Bible Studies. Contributions Chiefly from Papyri and Inscriptions to the History of the Language, the Literature, and the Religion of Hellenistic Judaism and Primitive Christianity, trad. par Alexander Grieve, 1e éd. allemande : 1895
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rituels juifs et gréco-romains149, connaître le nom de l’entité maléfique n’était pas nécessaire pour que Jésus (ou d’autres faiseurs de miracles) exerce un pouvoir sur elle. Sa question concernant l’identité du démon est plutôt à comprendre en tant qu’outil rhétorique pour informer le lecteur de la puissance phénoménale qui s’oppose au Fils du Très Haut et pour ensuite mettre en relief l’ampleur de la défaite de cette dernière. Concernant l’invocation du nom de la divinité à des fin exorcistiques, paradoxalement, les démons cherchent à inverser les rôles « exorciste – esprit maîtrisé » par le recours à l’adjuration au nom de Dieu, « adjurer » étant une expression typique dans des textes incantatoires150. Pourtant, le fait que Jésus n’invoque pas le nom de Dieu pour ses miracles et exorcismes ne doit pas non plus être surestimé. Ce n’est pas le fait que Jésus chasse Légion sans invoquer le nom de Dieu qui revêt une grande importance, car cela ne signifie nullement que le pouvoir qu’il manifeste trouve son origine en lui-même – ou dans la formule d’enchantement utilisée. À l’instar d’exemples tirés du Premier Testament (Ex 17.8–13 ; 2 R 2.6–8 ; 4.1–7, 38–41 ; 5.1–14, 19–27 ; 6.1–7) et d’autres faiseurs de miracles dont il a été question plus haut, juifs ou païens, acquittés de l’accusation de magie et qui opèrent aussi sans invoquer le nom de Dieu, l’efficacité de ses actions s’explique par sa relation privilégiée avec (Edinburgh : T. and T. Clark, 1901), 288 ; Campbell Bonner, « The Technique of Exorcism », HTR 36, no 1 (1943) : 44–45 ; Robinson, The Problem of History in Mark, 84 ; Craghan, « The Gerasene Demoniac », 525–26 ; Barrett, The New Testament Background, 34 ; Twelftree, Jesus the Exorcist, 84 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 120, 134 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 147–49 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 408 ; Collins, Mark. A Commentary, 168–69, 268–69 ; Bonifacio, Personaggi minori, 109, note 37 ; Rochester, Good News at Gerasa, 138. Au moins deux auteurs se démarquent de cette lecture, Pulleyn et France. Pour Simon Pulleyn, « The Power of Names in Classical Greek Religion », CQ 44, no 1 (1994) : 18, et pour France, Mark, 229, le fait de connaître le nom du démon (ȜİȖȚઆȞ, en Mc 5.9) ne donne pas à l’exorciste un pouvoir accru sur ce dernier car, d’un côté, Jésus n’exorcise jamais de la sorte et, de l’autre, l’idée selon laquelle cette information donne un réel pouvoir sur l’entité maléfique est plus tardive. Pour eux, il faut comprendre la révélation de l’identité de l’esprit comme un expédient narratif pour informer le lecteur de la nature même de la possession. Même plus tard, cette information n’est pas considérée universellement incontournable : voir le « Et toi donc, démon, qui que tu sois, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ sors de sors de ce jeune homme sans lui faire aucun mal… » des Actes de Pierre 11 (texte latin, fin IIe – début IIIe siècle) : traduction de Gérard Poupon, dans François Bovon et Pierre Geoltrain, éd, Écrits apocryphes chrétiens, vol. 1, Bple 442 (Paris : Gallimard, 1997), 1074. Tout à fait à propos s’avère la remarque de Torchia, « Eschatological Elements », 15–16, qui, tout en reconnaissant la question de Jésus en Mc 5.9 comme étant « a literary device intended for the reader’s benefit », admet que la réponse du démon demeure « a puzzling one » ! 149 Voir supra, p. 276. 150 Par exemple : ʲʡˇʮ en 8Q5 ; 11QApPsa 1.7 et 4.1 ; ʺʩʮʥʠ dans 4Q560 ; ȡțȗȦ en PGM III.37–40 ; IV.289, 3019, 3045 et VII.242 ; Mc 5.7 ; Ac 19.13 ; cf. Flavius Josèphe, A.J. 8.45 : ਥȟȠȡțȩȦ.
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la divinité qu’il vénère et qui lui accorde ses faveurs. Jésus n’est pas un magicien qui exerce un contrôle sur Dieu (comme c’est le cas dans les PGM), mais un faiseur de prodiges investi par l’Esprit et dont l’action s’inscrit dans une volonté et un projet divins. Plus tardivement, néanmoins, l’emploi de type magique du nom de Jésus trouvera sa place au sein du christianisme 151. L’exorcisme de Gérasa, connoté par les éléments que nous venons d’évoquer, s’inscrit pleinement dans la rhétorique de l’évangile de Marc (et, plus largement, de la tradition synoptique), en dédouanant Jésus de l’accusation de chasser les démons en recourant à des actes manipulatoires et à une connaissance ésotérique qui le rapprocherait des magiciens et de la sphère satanique. La pratique exorcistique de Jésus est plutôt sobre par rapport à certains rituels et incantations de l’époque, car aucune formule n’est mentionnée, sauf l’ordre péremptoire ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ਥț IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ (Mc 5.8)152. Le récit de ce miracle n’a pas comme but principal de donner un modèle pour la pratique exorcistique ultérieure ; il participe plutôt d’une argumentation en faveur du dévoilement de l’identité et de la mission de Jésus de Nazareth en tant que Fils de Dieu.
151 Dans Marc, les disciples ne chassent jamais les démons au nom de Jésus (3.13–19 ; 6.7–11). La seule mention qui en est faite concerne l’exorciste de 9.38–40 qui ne les suit pas. Pourtant, le recours au nom de Jésus s’imposera rapidement, comme en témoignent par ex. Lc 10.17 ; Ac 3.6, 16 ; 4.7, 10, 30 ; 9.40 (v.l.) ; 16.18 ; Mc 16.17 ; Origène, Cels. 3.24 ; Ac. Jn. 83 ; Ac. Phil. 43, 76 ; etc. Cet usage imite et va côtoyer celui du nom de Dieu au sein du judaïsme (cf. Flavius Josèphe, A.J. 8.42–49 ; Irénée, Haer. 2.4.6 ; Justin, Dial. 85 ; 135 ; Origène, Cels. 4.33–34 ; 5.45 ; 1.22, 24), du christianisme (cf. Ac. Jn. 24) et dans des contextes païens syncrétistes (cf. PGM IV.1230ss ; XII.287 ; XIII.815–816, 975–976), mais aussi celui du nom du roi David, de Salomon, des prophètes et des patriarches (Justin, Dial. 85), des anges (Sepher-ha-Razim ; 4Q400–407 ; 11QShirShabb ; MasShirShabb) ou même du R. Joshua ben Perahiah (Ie siècle avant notre ère ; son nom se retrouve dans des bols à incantations). Voir Jacob Neusner et Jonathan Z. Smith, « Archaeology and Babylonian Jewry », in Near Eastern Archaeology in the Twentieth Century. Essays in Honor of Nelson Glueck, éd. par James A. Sanders (Garden City : Doubleday, 1970), 337 ; van Cangh, « Miracles évangéliques », 2300–2305 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 408–9 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 143–44. 152 L’emploi de l’impératif aoriste ȟİȜșİ pour ordonner aux mauvais esprits de sortir de leurs hôtes est bien attesté (voir Mc 1.25 ; 5.8 ; 9.25 ; Lc 4.35 ; Ac 16.18 ; PGM IV.1243, 1245 ; XCIV.17). Pour des rituels et des formules plus élaborés voir, par exemple, Flavus Josèphe, A.J. 8.46–48 ; Tb 8.2–3 ; 1Qap Genar 20.28–29 ; les PGM ; ou encore Ac. Phil. 105– 106. Nous partageons l’avis de Sorensen, Possession and Exorcism, 138, pour lequel Marc, suivi par Matthieu et Luc, « provides no prescription of the technique to do so [exorcisme]. Instead, the exorcist operates through a direct relationship with the empowering deity in a way that is not reliant upon ritualistic or formulaic practice ». Voir aussi Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 392–93.
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6.5.2 Le dévoilement de l’identité et de la mission du Jésus marcien Comme il arrive souvent au cours de la narration marcienne, l’identité de Jésus échappe à son entourage humain. Elle est dévoilée au bénéfice du narrataire par les puissances surnaturelles – un motif qui se trouve aussi dans le Testament de Salomon et chez Philostrate (Vit. Apoll. 4.20) –, des êtres dont l’origine (cf. 1 Hén. 15.3–4 ; Jub. 7.21 ; 10.1) et la clairvoyance (cf. T. Sal. 5.5 ; 20.1–21 ; b. Giܒ. 68a) sont surnaturelles, et qui ont l’intelligence du dessein de Dieu (cf. Jb 1.6–12 ; T. Sal. 20.12 ; b. ۉag. 16a)153. Le lecteur de l’évangile de Marc bénéficie d’informations concernant la relation entre Dieu et Jésus dès le premier chapitre, alors qu’il contemple la scène du baptême en observateur et auditeur privilégié (Mc 1.10–11 : « il [Jésus] vit... »). Le « mystère du Royaume » (4.11) révélé par (et en) Jésus n’est à la portée ni des disciples (4.41) ni des autorités juives (3.22). Cette situation d’incompréhension et d’aveuglement, voire de condamnation, rappelle la tension entre Honi et le représentant de l’establishment officiel, Shimon ben Shetah. Ce dernier apostrophe le personnage charismatique en ces termes : « tu devrais être excommunié » (m. Ta’an. 3.8)154. L’exorcisme de Gérasa, intensification narrative de celui de Capharnaüm, s’inscrit ainsi dans la rhétorique de révélation que l’auteur implicite met en place en faveur du lecteur, le but de ce type de récit n’étant pas la mise en valeur de la foi du possédé (sa volonté est momentanément anéantie par l’esprit mauvais) mais celle du rôle de Jésus en tant que héraut de Dieu155. Jésus est connoté en tant que prophète en tension avec son entourage et, de manière plus large, avec les forces démoniaques. D’un côté, les récits d’exorcismes dévoilent l’ampleur de l’opposition des esprits dans le cadre du conflit cosmique qui l’oppose à Satan. Les démons constituent la dimension métaphysique d’un antagonisme généralisé qui s’exprime également au niveau humain, à différents degrés et selon diverses modalités, à travers les autorités religieuses, mais aussi sa propre famille et ses disciples. De l’autre côté, les exorcismes de Jésus donnent du crédit à son « enseignement nouveau » dispensé avec « autorité » (Mc 1.27), permettant à sa renommée de se répandre en territoire juif (1.28) et païen (5.20). À l’instar des récits concernant Apollonios de Tyane, mais également des miracles talmudiques, les exorcismes de Jésus sont mis au 153
Cf. Collins, Mark. A Commentary, 170. Van Cangh, « Miracles de rabbins », 35. 155 En Mc 9.23–24, le récit souligne le manque de foi du père (phrase absente en // Mt 17.18 et Lc 9.42) ; en Mc 7.24–30, la foi n’est pas évoquée du tout. Le parallèle matthéen (Mt 15.21–28), pourtant, fait de la femme étrangère un personnage exemplaire dans l’expression de sa foi en Jésus préalablement à l’exorcisme (v. 28). Van Cangh, 47 : « [d]ans le rabbinisme, le miracle a pour fonction de glorifier Dieu de manière directe ou par l’intermédiaire de son serviteur, le pieux rabbin, dont il met en relief les mérites insignes et la dévotion finale ». En Mc 5.20, la demande de glorifier Dieu (v. 19) se transforme en l’annonce sur Jésus lui-même. Voir également Theissen, The Miracle Stories, 321–22 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 127. 154
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service d’une valorisation de l’enseignement du thaumaturge, compris désormais en tant que porteur d’une parole agréée par la divinité156. Néanmoins, le Jésus marcien est, plus précisément, un prophète messianique. Ses miracles et notamment ses exorcismes lui donnent une allure de libérateur, sans pour autant lui attribuer des prétentions politiques157. En Marc 1.7– 8, Jean proclame l’avènement de « celui qui est plus fort que moi » et qui jouera un rôle déterminant pour l’effusion de l’Esprit saint. Après son baptême, Jésus de Nazareth est mis en situation de conflit avec Satan et ses suppôts : dans le désert (1.12–13) et dans la synagogue de Capharnaüm (1.23–26). Dieu qui a rabroué (ਥʌȚIJȚȝȦ) les ennemis d’Israël (Ps 9.6 LXX) agit désormais par l’entremise de son Fils (Mc 1.11), du Saint de Dieu (1.24), pour rabrouer les esprits impurs qui accablent les humains (1.25 : ਥʌȚIJȚȝȦ)158. Le champ d’action de Jésus se déploie donc au niveau métaphysique (cosmique) et géographique (1.38), car celui qui est venu (ȡȤȠȝĮȚ : 1.24, voir aussi 1.7, 9, 14, 39) pour la perte des démons est le même qui est sorti (ਥȟȡȤȠȝĮȚ : 1.38) pour proclamer le message et chasser les esprits impurs même dans les bourgades voisines (1.38–39). Le but du Jésus marcien est de soulager les malades et d’appeler les pécheurs (2.17), activité qu’il prolonge même lorsque les démons se situent en territoire non juif (5.1–20 et 7.24–30)159. En effet, la métaphore du « plus fort », agrémentée de l’image du « lier », est reprise en Marc 3.27, précisément en relation avec son activité exorcistique, et pourvoit l’arrière-plan pour comprendre l’épisode du démoniaque de Gérasa (voir notamment 5.3–4)160. Dans ce récit, la dimension ironique prend une tournure paradoxale, car l’esprit impur « adjure » l’exorciste par le nom du même Dieu (5.7) qui a reconnu en Jésus son propre Fils bien-aimé (1.11). Cela nous amène à réfléchir sur le sens que Marc donne à l’appellation « Fils » attribuée à Jésus. 156 Smith, A Lion with Wings, 109–10 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 400– 401. Van Cangh nous informe que certains récits de miracles rabbiniques ont une fonction apologétique vis-à-vis des institutions religieuses, comme c’est le cas de la vache vendue à un païen et qui refuse de travailler lors du sabbat (Pesikta Rabbati 14.57a, cité dans van Cangh, « Miracles de rabbins », 46, note 47). 157 Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 322. 158 Mali, The Christian Gospel, 122. 159 Voir T. Alec Burkill, Mysterious Revelationࣟ: An Examination of the Philosophy of Saint Mark’s Gospel (Ithaca : Cornell University Press, 1963), 37. 160 La relation entre Mc 3.27 et Es 49.24–25 LXX soulève la question de l’identité des IJ ıțİȘ ĮIJȠ૨ selon l’intention du deuxième évangéliste. À la lumière du contexte d’Es 49, où le butin de guerre est mis en parallèle avec la capture du juste, il semblerait logique de voir dans les « biens » de Mc 3.27 les personnes sur lesquelles les esprits exercent leur pouvoir. Par ailleurs, T. Zab. 9.8 appelle « captifs » ceux qui sont sous l’emprise de Bélial. De manière plus large, Irénée comprendra le texte de Marc dans le sens d’une allusion à l’humanité entière assujettie aux péchés, sans évoquer la question de la possession démoniaque (Haer. 3.8.2 ; 5.21.3). Guelich, Mark 1–8:26, 176 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 140–41 ; Rochester, Good News at Gerasa, 194–95.
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Dans le deuxième évangile, l’identité de Jésus est dévoilée par les esprits sataniques à trois reprises (rappelons qu’il n’y a pas de distinction en Marc entre démons et esprits impurs : 7.25, 26, 30) : en 1.24, il est désigné en tant que « Saint de Dieu »161 ; en 3.11, en tant que « Fils de Dieu » ; en 5.7, en tant que « Fils du Dieu Très-Haut ». À ces trois instances de discours direct, il faut ajouter 1.34, où le narrateur déclare que les démons « le connaissaient ». Cette connaissance partagée s’explique, du point de vue de l’encyclopédie du lecteur, par le fait que les démons ont accès à des informations qui appartiennent à la sphère surnaturelle mais qui échappent aux humains (cf. T. Sal. 5.5 ; 20.12 ; b. ۉag. 16a ; b. Giܒ. 68a). Du point de vue rhétorique, ces déclarations ont pour but de révéler l’identité de Jésus. Pourtant, sauf en Marc 5.7, il est toujours question pour Jésus de les réduire au silence (1.24, 34 ; 3.12). La réaction du Jésus marcien est à comprendre dans le contexte de l’accusation que les scribes lui adressent, à savoir qu’il est de connivence avec Béelzéboul (3.22–30), mais aussi de l’incompréhension que Pierre et les autres disciples manifestent envers sa mission (8.31–33) : dans les deux cas, Jésus utilise le mot Satan dans sa connotation d’adversaire (3.23–27 et 8.33)162. Pourtant, les exorcismes de Jésus confirment que la relation entretenue entre Dieu et son héraut est de nature unique et inégale aux autres, consolidant ainsi, pour le lecteur implicite, la réponse négative que Jésus donne à ceux qui le soupçonnent de chasser les esprits sous l’autorité du prince des démons. À la différence, par exemple, du récit de la permission de circuler deux nuits par semaine accordée aux démons par Hanina ben Dosa, dont le but est de montrer le bienfondé de la prescription halachique de ne pas sortir seul pendant la nuit163, l’activité exorcistique de Jésus a clairement le but de le connoter en tant que Fils/Saint de Dieu164. Le lecteur se trouve ainsi confronté à un paradoxe 161 La rareté de l’expression ਚȖȚȠȢ IJȠ૨ șİȠ૨ dans le Nouveau Testament (seulement en Mc 1.24 // Lc 4.34 ; Jn 6.69) est jugée par Kazen comme un argument important pour ne pas la considérer comme une élaboration de l’Église primitive ni une invention marcienne : Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 333. 162 Malbon, Mark’s Jesus, 82. 163 b. Ber. 43b ; b. ۉul. 91a. Van Cangh, « Miracles de rabbins », 45. 164 Il conviendra de préciser que, dans l’économie du deuxième évangile compris dans son contexte historique, la désignation « Fils de Dieu » implique moins une réflexion ontologique sur Jésus qu’un dévoilement de sa mission. Dans la Bible hébraïque, l’expression « Fils de Dieu » (et ses variantes) est employée pour Israël (« mon fils premier-né » : Ex 4.22 ; cf. Os 11.1), le roi d’Israël lors de son intronisation (par ex. Ps 2.7) et dans son rôle de gouvernant établi par Dieu (2 S 7.13–14), l’homme juste et pieux (Sg 2.18), les anges (par ex. Jb 38.7). Adam est présenté ainsi en Lc 3.38. Dans le judaisme pré-chrétien, ce titre semble également avoir été utilisé dans une perspective messianique, car le Ps 2.7 est ainsi compris en 4Q174 (Florilège) frag. 1, I.10–13. Pourtant, là aussi il s’agit plutôt de désigner le serviteur obéissant de l’Eternel qui fait sa volonté et suit ses instructions dans le contexte du déploiement de l’action de Dieu en faveur de son peuple. Il est évident qu’en Marc ce titre connote Jésus de manière significative (Mc 1.11 ; 3.11 ; 5.7 ; 9.7 ; 12.6 ; 14.61 ; 15.39).
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narratif qui le place au cœur du message du métarécit : les deux pôles antagonistes s’accordent sur l’identité du héros, leur parole la dévoilant, de manière convergente. Les démons, en effet, ratifient ce que le narrateur a affirmé en 1.1 et que Dieu a confirmé à deux reprises en Marc 1.11 et 9.7165. À Gérasa, Jésus est identifié en tant que « Fils du Dieu Très-Haut » par Légion. Ce titre doit être compris à la lumière du répertoire religieux du lecteur. Le document 11QApPsa conserve une version du Psaume 91, psaume qui, même dans la littérature rabbinique, continuera d’être utilisé à des fins apotropaïques, en vertu de la mention du « Très-Haut » aux versets 1 et 9 (cf. v. 14). Roger D. Aus remarque qu’en b. Sanh. 103 a–b, les versets 1–10 du Psaume 91 sont compris comme étant des paroles adressées à Salomon par David, alors que les versets 11–13 seraient une promesse de la part de Bethshéba, sa mère, et les versets 14–16, une parole de Dieu lui-même. Puisque le mot ʣ˒ˇʕʩ (verset 6, imparfait qal du verbe ʣ ʔʣ ʕˇ, « ravager, opprimer ») est interprété comme un type de démon166, il s’ensuit que les neuf premiers versets, en tant que « chant contre les fléaux » ou « chant des afflictions/des affligés », assument une fonction protectrice ou même curative, car ils sont récités à Jérusalem, dans le Temple, à ceux qui montrent des signes de folie, comprise comme la conséquence d’une influence démoniaque (b. Šebu. 15b ; y. Šabb. 6.2, 8b ; y. ‘Erub. 10.11, 26c). Aus arrive à la conclusion que le Psaume 91 était effectivement connu à l’époque du Second Temple en tant que formule apotropaïque et exorcistique, notamment en relation avec la guérison des personnes aliénées167. Le deuxième volet de sa conclusion nous semble un peu hâtif, car il repose sur des témoignages plutôt tardifs. Néanmoins, l’usage ancien du Psaume 91 en tant que formule pour contrer les esprits qui affligent les êtres humains est bien ancienne, comme le montre justement 11QApPsa. Dans cette perspective, la désignation de Jésus en tant que Fils IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ en Marc 5.7 semble bien l’associer à l’action du
Néanmoins, il faut le comprendre ici dans son acception fonctionnelle (envoyé/serviteur obéissant de Dieu) plutôt qu’ontologique (nature divine). Dans l’évangile de Marc, ce titre reste « both allusive and elusive » (Malbon, Mark’s Jesus, 66) car il renvoie au développement de la tradition et aux spéculations qui en découlent, mais son sens se construit (ou se déconstruit !) au fil du récit, au fur et à mesure que l’intrigue se déploie. Voir van Cangh, « Miracles évangéliques », 2300–2302 ; Malbon, Mark’s Jesus, 65–66. 165 Malbon, Mark’s Jesus, 82. Sur la probable présence de la locution « Fils de Dieu » en Mc 1.1 voir supra, p. 107–108, note 89. 166 b. Pesaۊ. 111b ; Nb Rab. 12.3 sur Nb 7.1 ; « démon » (ʯʩʣʩˇ) dans le Targum des Psaumes. 167 Aus, My Name is « Legion », 7.
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IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ (Ps 90.1, 9 LXX) qui, déjà selon la tradition de la Septante, protège et délivre, entre autres, ਕʌઁ… įĮȚȝȠȞȠȣ ȝİıȘȝȕȡȚȞȠ૨ (« des démons de midi », v. 6)168. Dans Marc, Jésus est rapidement mis en conflit avec Satan (Mc 1.12–13) et son premier miracle en terre d’Israël comme en territoire païen est justement un exorcisme. Le « Fils de Dieu » marcien (cf. 1.11 ; 3.11 ; 9.7 ; 12.6 ; 14.61 ; 15.39) est surtout à comprendre en tant que fléau et juge eschatologique des puissances démoniaques. 6.5.3 La portée eschatologique des exorcismes du Jésus marcien En dépit des tentatives problématiques de distinguer de manière très nette le miracle de l’acte magique169, les miracles de Jésus, dans leur aspect formel, sont similaires à ceux d’autres faiseurs de prodiges170. Toutefois, la remise en contexte de l’activité thaumaturgique de Jésus montre que ses miracles, et notamment les exorcismes, qui relèvent bien d’une vision du monde dualiste et d’une posture apocalyptique, sont à comprendre à l’aune de sa proclamation eschatologique de l’inauguration du Royaume de Dieu. En effet, même si ni Dieu ni Satan ne sont jamais mentionnés lors de l’expulsion des démons, il s’agit bien de la défaite cosmique et eschatologique du prince des démons qui s’amorce par la mise en déroute des esprits impurs au sein du ministère du Fils de Dieu oint par l’Esprit171. Le conflit entre Jésus et Satan (Mc 1.12–13) et l’assujettissement de ce dernier (3.27), que traduisent les récits d’exorcismes, ratifient l’irruption du Royaume (1.15) dont on attend néanmoins encore la consommation finale (cf. 8.38 ; 10.30 et 14.25)172.
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Aus remarque que le Targum ajoute au verset 3 « à Salomon, mon fils » ; au versets 5–6, 19, les démons sont inclus dans la liste des choses qui ne doivent pas être craintes ; au verset 7, le pronom personnel « il », se référant au démon, est changé en « ils », pour désigner les mille et les dix mille qui tomberont aux côtés du béni de l’Etérnel. Aus, 7–10. 169 Voir notre discussion supra p. 269–270. Cf. les avis plus tranchés de Charles K. Barrett, The Holy Spirit and the Gospel Tradition, 1e éd. 1958 (London : SPCK, 1970), 57 ; Vermes, Jesus the Jew, 69 ; van Cangh, « Miracle », 836 ; L. Gregory Bloomquist, « The Role of Argumentation in the Miracle Stories in Luke-Acts : Toward a Fuller Identification of Miracle Discourse for Use in Sociorhetorical Interpretation », in Miracle Discourse in the New Testament, éd. par Duane F. Watson (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2012), 85–124. 170 Ainsi aussi Sorensen, Possession and Exorcism, 167 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 38 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 400–401. 171 Le péché contre l’Esprit Saint (Mc 3.28–30) est clairement à comprendre dans le sens que l’on associe Jésus à Béelzéboul (v. 22) ou qu’on l’imagine sous son contrôle (v. 30), plutôt que de le reconnaître investi par l’Esprit de Dieu (1.10–11). Ainsi Sorensen, Possession and Exorcism, 142. 172 Van der Loos, The Miracles of Jesus, 150 ; Barrett, The Holy Spirit, 57 ; van Cangh, « Miracles de rabbins », 46 ; Twelftree, Jesus the Exorcist, 173, 224 ; Smith, A Lion with
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Alors que l’annonce du Royaume, un concept non original en soi dans le contexte du judaïsme du Second Temple173, joue un rôle primordial dans l’activité de Jésus, la tradition postérieure – dont Marc est un témoin de premier ordre – associe étroitement le message sur Jésus à la proclamation de Jésus. L’action de Jésus s’inscrit dans la dynamique de l’irruption du Royaume qui coïncide avec le jugement eschatologique des forces du mal174. Pourtant, la centralité de l’annonce de l’irruption du Royaume de Dieu s’estompe au fil des années au point que, déjà à partir de Paul et en passant par la rédaction du quatrième évangile, elle sera subordonnée (ou assimilée) à la proclamation du Christ lui-même. Dans Marc, les exorcismes de Jésus doivent être compris en relation avec l’irruption du Royaume et la défaite de Satan ; toutefois, ces récits assument désormais une fonction christologique plutôt marquée, car c’est bien Jésus lui-même en tant que Fils de Dieu puissant qu’ils doivent dévoiler au lecteur, l’action de Jésus devenant même le contenu de la proclamation du Gérasénien en Marc 5.20. Le Jésus marcien se démarque ainsi de manière significative d’autres figures qui annoncent par leurs exorcismes le Jugement eschatologique de Dieu sur Satan et ses acolytes sans pourtant l’accomplir. Que ce soit à Qumrân ou ailleurs, la fonction des chasseurs de démons est de repousser temporairement les esprits dans l’attente de l’action résolutive divine qui aura lieu à la fin des temps175. De son côté, le Jésus marcien est investi d’une autorité singulière. La déclaration dont il fait l’objet à Capharnaüm dès le début de son ministère lie son enseignement à son action exorcistique, le tout étant connoté par le mot ਥȟȠȣıĮ (Mc 1.27). La suite du deuxième évangile déclinera cette autorité à l’aide d’expressions aussi concises que péremptoires : șȜȦ (1.41) ; ıȠ ȜȖȦ (5.41) ; ਥȖઅ ਥʌȚIJııȦ ıȠȚ (9.25). Mais l’élément le plus substantiel demeure le fait que l’avènement du Jésus marcien est associé étroitement au jugement Wings, 75 ; Wright, Jesus and the Victory of God, 196 ; Torchia, « Eschatological Elements », 14 ; Witherington, The Gospel of Mark, 60–62 ; Sorensen, Possession and Exorcism, 129 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 324–32 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 388–92 ; Collins, Mark. A Commentary, 272 ; Malbon, Mark’s Jesus, 80. Le contraste entre l’éon présent et l’éon à venir demeure un thème important dans le Nouveau Testament : cf. Mt 12.32 ; Lc 16.8 ; 18.30 ; 20.34 ; 1 Tm 6.17–19 ; Ga 4.3, 9 ; Ep 1.20–21 ; 6.12 ; Col 1.13–14 ; 2.15) : Sorensen, Possession and Exorcism, 191. 173 Voir Ps. Sal. 17.3 ; T. Moïse 10.1 ; 1QM 6.6 ; 12.7 ; 1QSb 4.25s ; 5.21 ; 4Q510 frag. 1, ligne 4. Cf. Or. Sib. 3.55–60, 775–779 (de datation difficile). Le concept se trouve également dans le Targum Jonathan : Tg. Es 24.23 ; 31.4 ; 40.9 ; 52.7. Ainsi Bruce D. Chilton, A Galilean Rabbi and His Bible : Jesus’ Use of the Interpreted Scripture of His Time, GNS 8 (Wilmington : Michael Glazier, 1984), 57–90. Pour une discussion approfondie, voir notamment Grappe, Le Royaume de Dieu, 17–135. 174 À comprendre ainsi Mt 12.28 // Lc 11.20. Cf. T. Moïse 10.1 ; 1QM 6.6 ; 12.7. 175 Voir 4Q511 (Cantiques du Sage) frag. 35, ln. 6–7 ; Za 13.2 ; 1 Hén. 16.1 ; 1QS 4 ; Jub. 5.6–10 et 10.1–13. France, Mark, 341 ; Collins, Mark. A Commentary, 272 ; Rochester, Good News at Gerasa, 156.
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final des démons. Dans le récit de l’exorcisme de Gérasa, la requête ironique de l’esprit impur de ne pas être tourmenté/puni par le Fils du Dieu Très Haut (5.7) – lui qui tourmente le Gérasénien (5.5b) – attire l’attention du lecteur sur les contours eschatologiques de l’action de Jésus : à la manifestation du Fils de Dieu coïncide la déroute des démons (cf. Mc 1.24) dont le jugement s’effectue déjà par la punition qui leur est infligée176. Certes, comme pour le Maskil de Qumran, le conflit avec Satan et ses suppôts s’inscrit dans le conflit cosmique entre Dieu et Satan. Pourtant, l’exorcisme de Jésus n’est pas entièrement assimilable à ceux des autres thaumaturges juifs. Le Jésus marcien n’est pas dans l’attente de la guerre eschatologique, il l’inaugure. Il s’ensuit qu’il n’est pas non plus en train de simplement délocaliser les démons177. En effet, l’épisode de Gérasa montre que les cochons dans lesquels les esprits sont transférés ne sont qu’un « véhicule » pour les conduire à leur véritable destination finale : la mer, qui doit être comprise ici en tant qu’abîme 178. Jésus accomplit ainsi un acte eschatologique qui est typiquement 176
Voir infra, p. 451–452. Puisque l’action exorcistique de Jésus dans Marc est à lire dans le contexte de l’affrontement eschatologique entre Dieu et Satan (Mc 1.12–13, 24 ; 3.22–27) et que la défaite de Satan équivaut à son jugement (cf. le ʌȡઁ țĮȚȡȠ૨ de Mt 8.29 et le İੁȢ IJȞ ਙȕȣııȠȞ de Lc 8.31), il faudra traduire le ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ de Mc 5.7 par « ne me punis pas », expression juridique associée à la souffrance et/ou la torture punitive (voir Thucydide, Bell. 8.92.2 ; BGU 1847.16 ; P. Ant. 87.13 ; 2 M 7.13 ; 4 M 6.5 ; Flavius Josèphe, A.J. 2.105 ; 16.232 ; Mart. Pol. 2.2 ; Antiphon, Tetr. 2.4.8 ; P. Oxy. 903.10 ; Ap 14.10 et 20.10). 177 Ainsi aussi Moscicke : « it is striking that the exorcism in 5.7–13 involves not only a transfer of an evil/impurity into an object, but also its disposal in an uninhabitable realm ». Moscicke, « The Gerasene Demoniac », 369. 178 Ainsi aussi Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 586–87, pour lequel la chute des suidés et surtout des esprits dans la mer est à interpréter comme le rétablissement de l’ordre cosmique. De même Barthes et al., Analyse structurale, 72 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 35 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 199 ; Collins, Mark. A Commentary, 271 ; Pesch, Der Besessene von Gerasa, 37. Rochester, Good News at Gerasa, 142, rappelle que, dans 1 Hén. 67.1–13, l’eau, sous la forme de déluge, est utilisée par Dieu pour punir les anges pervertis. Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 182, cite 1QHa 14.22–24 et 4Q432 IV 1.1–5, où il y a association entre la mer déchainée et les portes de la mort/le Shéol/ Abbadon. Dans ce dernier texte, le sage est comparé à un marin qui arrive à conduire dans la tempête des gens désorientés (cf. Mc 4.35–41). De leur côté, France, Mark, 231 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 145, ne voient pas en Mc 5.13 l’anéantissement des démons, mais leur déplacement (comme en Mt 12.43). Il nous paraît pourtant légitime d’affirmer que l’auteur implicite, à l’aide de Mc 1.24 (ਕʌȠȜıĮȚ ਲȝ઼Ȣ : « nous détruire »), suggère que les exorcismes de Jésus sont « définitifs » (dans le même sens, Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 151). Il manque effectivement, en Marc, le logion de Q sur le retour de l’esprit impur (Mt 12.43–45 // Lc 11.24–26). Roger D. Aus, My Name is « Legion », 33, renvoie à la tradition conservée en b. ۉag. 16a (« et ils [les démons] sont semblables aux humains de trois manières : ils mangent et boivent comme les humains ; ils se multiplient comme les humains ; ils meurent comme les humains ») pour comprendre la noyade de Mc
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attribué, dans le judaïsme qui lui est contemporain, à des êtres célestes suite à un ordre direct de Dieu179. Un tel constat est corroboré par des textes comme Testament de Moïse 10.1(–3) et Testament de Dan 5.10–13 qui associent la déroute de Satan avec la manifestation de la Royauté de Dieu180. L’enchaînement de Satan et le jugement ultime des esprits mauvais sont rendus possibles grâce à l’établissement centrifuge de la pureté par le biais de la sainteté désormais immanente de Dieu, elle aussi preuve de l’irruption eschatologique du Royaume que le Jésus marcien inaugure. En Marc 5.1–20, le narrateur recourt au mécanisme narratif de la diégèse pour les versets 11 à 20, à deux importantes exceptions près, les versets 12 et 19, où il est question de mimesis. Comme cela a été remarqué plus haut, ces deux versets se distinguent du reste du micro-récit pour mettre en exergue que son noyau sémique est constitué du triangle exorciste – esprits impurs – étranger exorcisé et envoyé181. 5.13 comme étant fatale pour les esprits impurs. À cela on pourrait ajouter la mention, également tardive, par Philostrate, Vit. Apoll. 4.10, de la croyance selon laquelle il est possible de tuer un démon en le lapidant. Pourtant, il est difficile de se prononcer sur la possibilité que de pareilles idées aient une quelconque chance de remonter au moins au début du premier siècle. 179 Voir supra p. 288–290. 4Q521 (Apocalypse messianique) frag. 2, II.1–13 annonce un messie qui sera ecouté par les cieux et la terre et qui garantira l’obéissance aux preceptes du Saint (II 2.1–2) ; c’est pourtant Dieu lui-même auquel est attribué la liste des miracles qui suit. Cette liste est remarquablement similaire à celle donnée en Lc 7.21–22 et en Mt 11.5 et combine de manière originale Es 35.5–6 avec 61.1 : guérisons (4Q521 frag. 2, II.12 ; Lc 7.21) ; ouverture des yeux des aveugles (Es 35.5 ; 4Q521 frag. 2, II.8 ; Lc 7.21, 22 ; Mt 11.5) ; rétablissement des infirmes (Es 35.6 ; Lc 7.22 : Mt 11.5) ; purification des lépreux (Lc 7.22 ; Mt 11.5) ; ouïe restaurée (Es 35.5 ; Lc 7.22 ; Mt 11.5) ; relèvement des morts (4Q521 frag. 2, II.12 ; Lc 7.22 ; Mt 11.5) ; bonne nouvelle proclamée aux pauvres (4Q521 frag. 2, II.12 ; Lc 7.22 ; Mt 11.5). Si en 4Q521 frag. 2, II.1–13 c’est Dieu l’auteur des actes étonnants, en Lc 7.21–22 et Mt 11.5 Jésus est présenté comme l’agent par lequel Dieu opère. 4Q521, Lc 7 et Mt 11 se réfèrent aux même textes (Es 35 et 61) et contiennent deux ajouts qui se retrouvent dans le même ordre (résurrection des morts et annonce de l’Évangile aux pauvres). Il faut en conclure que les auteurs de 4Q521 et de l’évangile de Luc utilisent des traditions plus anciennes dont l’étendue nous échappe mais qui pourraient éclairer, d’un côté, le sens donné par les évangelistes aux actions de Jésus, et, de l’autre, la manière dont le Jésus de l’histoire aurait pu comprendre son activité : voir John J. Collins, « The Works of the Messiah », DSD 1, no 1 (1994) : 98–112 ; Michael Labahn, « The Significance of Signs in Luke 7:22–23 in the Light of Isaiah 61 and the Messianic Apocalypse », in From Prophecy to Testamentࣟ : the Function of the Old Testament in the New, éd. par Craig A. Evans (Peabody : Hendrickson, 2004), 146–68, et notamment Hanna Stettler, « Die Bedeutung der Täuferanfrage in Matthäus 11,2–6 par Lk 7,18–23 für die Christologie », Bib 89, no 2 (2008) : 173–200. 180 Voir notamment Grappe, « Jésus exorciste », 180–181 ; Grappe, Le Royaume de Dieu, 172, n. 19, renvoie à Johannes Weiss, Die Predigt Jesu vom Reiche Gottes, 2e éd., 1e éd. 1891 (Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1900), 26–28, 91, lequel avait déjà rapproché Mt 12.28 // Lc 11.20 et T. Moïse 10.1. 181 Voir supra, p. 168.
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6.5.4 Jésus, Fils de David et Fils de l’Homme (souffrant) Le glissement, au sein de la tradition chrétienne, de l’annonce du Royaume à celle du Héraut lui-même explique, à notre avis, la raison pour laquelle les exorcismes, combinés si étroitement à l’enseignement et à la proclamation de Jésus (Mc 1.27 et 39), disparaissent après le chapitre 9 de l’évangile de Marc, alors que l’on se rapproche de la Judée et des événements de la Passion qui y auront lieu. Dans la première partie de l’évangile, l’ensemble constitué par l’exorcisme de Capharnaüm (1.21–28), suivi de l’insistance sur la débâcle des esprits impurs face à Jésus (v. 33–34), d’un propos de ce dernier sur la nécessité de ne pas limiter son ministère à un territoire trop restreint (v. 38) et d’un miracle mettant en scène sa pureté contagieuse (v. 40–45), assume une fonction proleptique pour le déploiement ultérieur de son activité. C’est au chapitre 5 que cette trajectoire narrative culmine, lorsque le premier miracle au-delà des frontières juives est également un exorcisme et qu’il est suivi de deux guérisons qui sont, comme pour le Gérasénien d’ailleurs, liées à l’impureté : une femme souffrant d’un écoulement de sang et une fillette décédée (5.25–34 ; 21–24, 35–43). L’exorcisme de Gérasa se veut donc une reprise de celui de Capharnaüm : dans les deux cas, il s’agit du premier miracle de Jésus, respectivement en terre d’Israël et en pays non juif ; dans les deux cas, on trouve une définition à caractère christologique (1.24 et 5.7) ; dans les deux épisodes, il est question de la réputation grandissante de Jésus (1.28 ; 5.20). Mais il s’agit également d’une expansion, et cela à plusieurs égards : en Marc 5.1–20, Jésus franchit les frontières et met un païen au bénéfice de l’accomplissement des promesses relatives au Nouvel Exode (expansion socio-géographique) ; le nombre de démons et de sources d’impureté augmente considérablement (expansion numérique) ; après avoir vaincu l’opposition démoniaque, Jésus se heurte à l’hostilité humaine (les habitants des environs) ; enfin, le récit de Gérasa est plus riche en détails que celui de 1.21–28 et offre, en la figure du démoniaque, un ancrage pour la suite du récit, notamment la Passion (expansion littéraire)182. Entre ces 182 Myers, Binding the Strong Man, 192 ; Mali, The Christian Gospel, 116 ; Rochester, Good News at Gerasa, 192–93. De son côté, Gundry, Mark, 1047, remarque que l’évangile de Marc résiste à l’effort de l’éxègete qui voudrait lui imposer une structure trop rigide fondée sur l’absence ou la présence de certains éléments dans des sections spécifiques de l’œuvre. Ainsi, la réponse positive des gens à la force d’attraction qu’excerce Jésus (Mc 9.15, 25, 30 ; 10.1, 13, 32, 46 ; 11.1–10, 18, 32 ; 12.12, 37c) est présente aussi là où on l’attendrait le moins, notamment en 14.1–2 et 15.10, c’est-à-dire dans la section de la Passion. De même, on trouve une concentration de paraboles en Mc 4.1–34, mais elles apparaissent aussi en 3.23–27 ; 7.14–23 ; 12.1–12 ; 13.28–29, 33–37. L’enseignement « explosively forceful » est concentré en 9.33–10.31, mais il est tout aussi présent en 11.15–18, 22– 25 ; 12.41–44. Néanmoins, le fait que les récits d’exorcismes disparaissent à partir du chapitre 9 est un fait incontestable.
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deux récits se situent le choix des Douze et leur envoi, avec autorité, pour proclamer et chasser les démons (3.14–15), l’exorcisme et l’enseignement convergeant vers le même objectif, à savoir libérer de l’emprise de Satan pour intégrer dans la famille de Jésus et mettre en condition pour accomplir la volonté de Dieu (3.27, 35). Or, comme nous l’avons évoqué plus haut, les récits d’exorcisme ont la double fonction d’attester l’arrivée du Royaume et de connoter Jésus en tant que Fils de Dieu, afin de susciter la foi en sa personne et en son œuvre. Dans cette perspective, la mise en déroute de Satan identifie Jésus en tant que Saint de Dieu et Fils du Très-Haut, deux expressions en lien avec le conflit cosmique entre Dieu et Satan. Pourtant, Marc a également l’objectif de connoter Jésus aussi en tant que Fils « souffrant ». Alors qu’en 9.2–8, lors de la Transfiguration, Jésus est contemplé par ses disciples entre Élie et Moïse, le narrateur précise qu’« une voix advint de la nuée » (țĮ ਥȖȞİIJȠ ijȦȞ ਥț IJોȢ ȞİijȜȘȢ, Mc 9.7) : une allusion aux occasions où Dieu parle ainsi à Moïse (voir Ex 20.21 LXX) afin « que le peuple entende » et que ceux qui écoutent « croient » en lui « à jamais » (ıȠ ʌȚıIJİıȦıȚȞ İੁȢ IJઁȞ ĮੁȞĮ : Ex 19.9 LXX). On remarquera que, lorsque le thème de la filiation divine, déjà dévoilé lors du baptême (Mc 1.11) au bénéfice du seul personnage de Jésus et du lecteur (« tu es mon Fils »), est repris en 9.7, il fait l’objet d’une divulgation collective en faveur de Pierre, Jacques et Jean (« celui-ci est mon Fils… »), avec en plus l’ajout significatif de l’injonction ਕțȠİIJİ ĮIJȠ૨ (9.7). Cette expression renvoie à l’invitation que Moïse adresse au peuple à se mettre à l’écoute (ĮIJȠ૨ ਕțȠıİıșİ) d’un prophète qui lui sera semblable (੪Ȣ ਥȝ) et que le Seigneur suscitera parmi les Israélites (Dt 18.15 LXX, cf. v. 18), invitation que la tradition chrétienne lira en clé christologique (Ac 3.22). Ce prophète, annoncé par Moïse, sera reconnu en tant qu’envoyé de Dieu sur la base de l’accomplissement de ses prédictions (Dt 18.21–22) et proclamera une parole à laquelle il faudra obéir (v. 19). Le Jésus marcien s’inscrit dans les contours de cette prédiction en ayant déjà annoncé sa mort et sa résurrection en 8.31 et en réitérant cette annonce en 9.31 et en 10.33–34 et en étant connoté comme serviteur en 10.45, souffrant en 14.24 et 27, silencieux en 14.61 : des textes qui pourraient être compris comme une allusion au serviteur d’Ésaïe 53.11–12183.
August Klostermann lit Mc 14.49b (ਕȜȜૃȞĮ ʌȜȘȡȦșıȚȞ Įੂ ȖȡĮijĮ) comme une allusion à Es 53 (v. 12 ; cité en Lc 22.37), mais Adela Y. Collins considère qu’il s’agit plutôt d’une allusion à Za 13.7b (déjà cité en Mc 14.27). Quoi qu’il en soit, Mc 14.49b exprime que, dans la perspective de l’auteur implicite, l’arrestation (et la Passion) de Jésus est un événement (accomplissement) dont le sens est à chercher dans le Premier Testament : ainsi Collins, Mark. A Commentary, 686–87, citant August Klostermann, Das Markusevangelium nach seinem Quellenwerthe für die evangelische Geschichte (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1867), 153. 183
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Le Jésus marcien facilite la transition entre une compréhension de sa personne axée exclusivement sur son action charismatique d’exorciste et de guérisseur et celle qui intègre sa souffrance en relativisant la figure d’Élie, cette dernière n’étant pas la clé herméneutique appropriée pour le définir. En 9.13, en effet, Jésus établit un lien entre Élie et Jean-Baptiste (cf. 6.14–19)184 et non pas lui-même. La suite du récit propose le dernier exorcisme de Jésus (9.14– 29). Plusieurs éléments intriguent le lecteur : Jésus associe sa présence (en tant qu’exorciste) à un sentiment d’irritation (v. 19), les disciples sont désormais « sans force » dans cette activité (v. 18) et la notion de foi apparaît à deux reprises (v. 19 et 23–24), alors qu’elle est typiquement absente de ce type de miracles. Les disciples sont orientés vers la prière (v. 29) et le service dans l’humilité (v. 35), en laissant à d’autres groupes de chrétiens (non conformes, sur ce point, à la théologie marcienne), et sans les condamner, le soin d’accomplir des miracles (v. 38–40). Par la suite, Jésus sera encore appelé « Fils de David » par Bartimée dans son état d’aveuglement (10.47) ; ce dernier, toutefois, « se mit à le suivre sur le chemin [de la croix] » une fois guéri (v. 52) : encore une fois le lecteur est confronté à la nécessité d’intégrer le registre de la souffrance. Lorsqu’il arrive à Jérusalem, Jésus est introduit dans la ville sainte sous une acclamation qui le met en relation avec le règne de David (alors qu’en Mt 21.9 il est appelé « Fils de David »), mais ce ne seront pas des démons qu’il chassera : dans le Temple, il sera question d’évacuer les marchands, en accomplissant ainsi la parole eschatologique de Zacharie 14.21, selon laquelle tout le territoire d’Israël sera pur et consacré au Seigneur non pas par le biais des sacrifices mais grâce à l’avènement du Seigneur des Armées, « en ce jourlà »185. La notion de « Fils de David » (remise en question ironiquement – mais pas oblitérée – en Mc 12.35–37) cède ainsi narrativement le pas à la notion de Fils qui se donne entièrement (symboliquement représentée par la veuve de 12.41– 44), en tant que désignation identitaire appropriée pour le Jésus marcien. La juxtaposition de la nature glorieuse et puissante de Jésus et de sa condition obéissante jusqu’à la mort se cristallise autour de l’expression « Fils de l’Homme ». Alors qu’elle avait été utilisée en Marc 2.10 et 28 dans des contextes mettant en valeur l’autorité de Jésus (Juge eschatologique dans le premier cas, Maître de la création dans le deuxième), elle est reprise par la suite dans les références à sa Passion (8.31 ; 9.9, 31 ; 10.33, 45 ; 14.21, 41), sans pour autant évacuer le côté triomphant (8.38 ; 13.26 ; 14.62), situé pourtant désormais audelà de la croix. Le récit de l’onction à Béthanie (14.3–9) montre également 184
Collins, Mark. A Commentary, 432. Voir Grappe, Le Royaume de Dieu, 212. À la note 50 des pages 212–213, Grappe renvoie notamment à Jeffrey A. Trumbower, « The Role of Malachi in the Career of John the Baptist », in The Gospels and the Scriptures of Israel, éd. par Craig A. Evans et William R. Stegner, JSNTSup 104 (Sheffield : Sheffield Academic Press, 1994), 28–41. 185
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que la dignité royale/sacerdotale (s’il faut y voir ce type d’allusion du fait que l’huile est versée sur sa tête)186 s’exprime par le don de soi (14.8) dans un contexte de trahison de la part des siens, le récit étant encadré par 14.1–2 et 10–11, qui narrent la conspiration des grands prêtres et des scribes secondés par Judas Iscarioth. Les exorcismes disparaissent dans la seconde partie de l’évangile de Marc car, du point de vue de l’auteur implicite, il a été nécessaire d’affirmer que Jésus est celui qui a mis Satan en déroute en inaugurant le jugement eschatologique des esprits impurs, mais également que cette victoire a été remportée en tant que Fils de l’Homme souffrant, la mort de Jésus ayant été ainsi intégrée à part entière dans son ministère. C’est donc le thème de la suivance et de l’identification avec le Crucifié vainqueur qui occupe désormais le devant de la scène. Dans son processus d’identification avec le Maître, le disciple doit également tenir compte d’un autre facteur. Le Jésus marcien est tenté (ʌİȚȡȗȦ) tout d’abord par Satan (Mc 1.13). Pourtant, après avoir montré d’emblée son rôle de Juge eschatologique à l’égard des démons (1.24–26), Jésus sera tenté exclusivement par les Pharisiens : Mc 8.11 ; 10.2 ; 12.13–15. Dans ce dernier texte, les Pharisiens sont associés aux Hérodiens, qui n’apparaissent ailleurs qu’en 3.6, lorsqu’ils discutent avec les Pharisiens sur ʌȦȢ ĮIJઁȞ [Jésus] ਕʌȠȜıȦıȚȞ187. Par cette deuxième mention, dans le macro-récit, du binôme Pharisiens-Hérodiens, l’auteur implicite fait comprendre que l’ombre de la Passion plane à nouveau sur le Jésus marcien. Comme, au niveau du micro-récit de Gérasa, Jésus a pu vaincre la légion de démons mais ne s’est pas opposé à son départ du territoire souhaité par les habitants, de même, au niveau du macrorécit, Jésus l’emporte sur Satan et les esprits impurs, mais succombe à l’acharnement des responsables religieux et politiques du peuple. Dans cette perspective, l’absence d’exorcismes dans la deuxième partie de Marc éclaire la nature de la suivance du disciple du Jésus marcien : la victoire eschatologique sur les forces cosmiques ne met pas à l’abri de la contestation violente de la part des êtres humains. Dans ce contexte, à l’image du Jésus marcien, c’est le don de soi, et non pas les exorcismes, qui constitue la modalité de la suivance188. 186
Pour l’onction sacerdotale, voir par exemple Ex 29.7 et Lv 8.12. Concernant l’onction royale, voir 1 S 10.1. 187 Nous remercions Christian Grappe d’avoir attiré notre attention sur ce point. 188 Dans le christianisme primitif, les prodiges et les miracles sont mentionnés dans les épîtres (voir Rm 15.19 ; Ga 3.5 ; 1 Co 12.10 ; 2 Co 12.12 ; He 2.4 ; cf. le rituel de guérison en Jc 5.14–16 et le charisme mentionné en 1 Co 12.9), mais il n’y a pas de mention spécifique d’exorcismes pratiqués comme dans la période pré-pascale. Dans l’évangile de Matthieu, les deux sommaires qui encadrent la première partie du ministère de Jésus (Mt 4.23 et 9.35) focalisent l’attention du lecteur sur l’itinérance, l’enseignement, la proclamation et les guérisons de Jésus : les exorcismes ne sont pas mentionnés. Qui plus est, le texte de Mc 1.22 sur l’enseignement ੪Ȣ ਥȟȠȣıĮȞ ȤȦȞ mis en relation avec l’exorcisme de Capharnaüm est délié,
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Chapitre 6 : L’arrière-plan socio-religieux
par Matthieu, de son contexte littéraire marcien et utilisé comme conclusion du sermon sur la montagne, et se trouve dépouillé ainsi de toute attache conceptuelle avec l’expulsion des démons. Comme l’a écrit Sorensen, Possession and Exorcism, 143, Matthieu subordonne aussi la pratique exorcistique à l’obéissance à la volonté de Dieu exprimée en et par Jésus : Mt 7.21–23. Luc aussi, de son côté, sans omettre les exorcismes de Jésus (cf. Lc 4.31–37 ; 6.18 ; 8.26–39), préfère conjuguer, dans son premier sommaire concernant l’activité de ce dernier, le thème de la puissance de l’Esprit (juste après la mise à l’épreuve avec Satan) avec celui de l’enseignement et de la glorification de la part de « tous » (4.14–15). Ce sommaire est suivi de l’enseignement de Jésus à la synagogue de Nazareth, où il dévoile son programme par la lecture d’Es 61.1–2. Ce texte, annonçant un message de libération pour les pauvres, les opprimés et les malades, est sans doute accompli par la mise en déroute des esprits (Lc 11.20 // Mt 12.28), mais surtout par les guérisons et l’intégration des exclus (Lc 6.20–23 ; 7.22 ; 14.13, 21 ; voir aussi 10.17–20, où la pratique exorcistique des soixantedouze est relativisée). Alors que Marc semble ne pas vouloir confondre exorcisme et guérison, Matthieu et Luc ont tendance à faire converger ces activités, notamment par l’emploi de șİȡĮʌİȦ et ੁȠȝĮȚ, deux verbes exprimant le rétablissement suite à une maladie, également dans des contextes de libération de l’emprise démoniaque : voir Mt 4.24 ; 8.16–17 ; 12.22–30 ; 15.21–28 ; 17.14–21 ; Lc 6.17–19 ; 7.18–23 ; 8.1–3 ; 9.37–43. Sorensen explique ce phénomène par une volonté d’identifier davantage le Jésus exorciste avec le Messie guérisseur d’Es 53.4 (Mt 11.2–6) ; 29.18–19 ; 35.5–6 ; 61.1–2 (Lc 7.18–23) : Sorensen, 135– 36. La pratique exorcistique « classique » ne disparaît pas (voir Ac 5.16 ; 8.6–7 ; 16.16–24 ; 19.1). Pourtant on pourrait postuler que le fait d’attribuer au ministère et à la mort de Jésus la victoire décisive sur Satan est conjugué avec la notion de Christ glorifié exerçant son autorité sur les esprits désormais assujettis (Ph 2.9–11 ; Ga 4.9 ; Rm 8.38–39 ; Ep 1.20–23 ; Col 1.16, 20 ; 2.8, 15 ; Ap 20.1–3). Dès lors, l’Église primitive pourrait avoir envisagé une activité restreinte de Satan qui ne se manifeste plus tellement par des possessions spectaculaires, mais dans une action plus sournoise, au niveau individuel (cf. Jn 13.27 ; Ac 5.3 ; 1 Tm 1.20 ; 1 P 5.8), mais aussi collectif, même par la manipulation des pouvoirs politicoreligieux (cf. 2 Th 2.7–12 ; 2 Co 11.14 ; Mc 10.42 et // ; Jn 16.11 ; 19.11 ; Ap 12–13 et 17– 18). Il est possible aussi que la pratique exorcistique ait été normalisée, voire sublimée, en en transposant le sens eschatologique et cosmique dans l’expérience chrétienne de l’assimilation au Christ, exprimée, entre autres, dans la pratique baptismale et dans le langage associé à cette pratique. Comme les récits des miracles de guérison, qui deviennent un outil idéologique au service de la propagande missionaire chrétienne, les récits d’exorcisme assument progressivement le rôle de discours aux contours cosmiques et existentiels dans une perspective eschatologique. Au sein du christianisme primitif, les récits de guérison assument la fonction de discours idéologiques. Cf. les textes où la maladie est évoquée comme une réalité légitime pour le chrétien (Rm 8.23–25 ; 2 Co 5.4 ; 1 Tm 5.23 ; 2 Tm 4.20) et les propos d’Origène : « Il faut, pour la guérison des corps, si on l’entend de la vie simple et commune, l’usage de la médecine ; et si on aspire à une vie supérieure à celle de la multitude, il y faut la piété envers le Dieu suprême et les prières qu’on lui adresse » (Cels. 8.60) ; « Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal » (8.72). Traduction : Origène, Contre Celse, 4 : 313, 341, 343. Voir Morton Smith, « De tuenda sanitate praecepta (Moralia 122B–137E) », in Plutarch’s Ethical Writings and
Le rôle des exorcismes dans l’évangile de Marc
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L’exploration diachronique relative à la métaphore de la pureté, à la portée du langage socio-politique et à la question des exorcismes dans le récit de Marc 5.1–20 nous a permis d’affiner et de mettre en valeur les dynamiques déployées par le texte qui avaient été discernées au moyen de l’analyse narrative. Il nous appartient à présent de revenir au niveau synchronique dans la dernière partie de l’étude pour mettre en valeur, dans un premier temps, la fonction narrative de Marc 5.1–20 dans son contexte littéraire (proche et large), et, ensuite, la signification, dans la perspective de la reconfiguration épistémique du lecteur implicite, du parcours narratif reliant l’épisode du démoniaque de Gérasa aux deux ȞİĮȞıțȠȚ de 14.51–52 et de 16.1–8 dans la trame de l’Évangile selon Marc.
Early Christian Literature, éd. par Hans Dieter Betz, SCHNT 4 (Leiden : Brill, 1978), 34– 41.
Troisième partie
Place et enjeu de l’épisode du démoniaque de Gérasa dans la trame de l’évangile de Marc : la reconfiguration épistémique du lecteur
Chapitre 7
La fonction narrative de Marc 5.1–20 dans son contexte littéraire 7.1 Une feuille de route de l’évangile de Marc qui tient compte de l’intrigue et des liens intratextuels Une feuille de route de l’évangile de Marc
Marc a composé un récit articulé de l’histoire de Jésus à partir d’une perspective de foi. Le contenu de sa narration n’est pas conçu, dans l’absolu, comme autonome ou même fermé, car il se situe en tant que prolongement d’énoncés prophétiques qui le précèdent (Ex 23.20, Ml 3.1 et Es 40.3, cités en Mc 1.2–3) et qui, en le transcendant, en constituent l’origine en dehors même de l’histoire racontée. Puisque le « commencement de la bonne nouvelle de Jésus » (Mc 1.1) se situe d’emblée dans le prolongement de l’annonce vétérotestamentaire, il se situe bien en amont de l’auteur implicite et de sa propre activité auctoriale. Par suite, le lecteur, situé au cœur d’une dynamique qui le précède, est mis en condition de ne pas céder à la tentation d’exercer un quelconque contrôle ni sur l’action salutaire de Dieu ni sur son Héraut, Jésus-Christ, qui demeure dans l’évangile de Marc un personnage à la fois proche et insaisissable1. À l’aide d’une narration de type épisodique – mais cohérente dans l’ensemble –, où les micro-récits s’inscrivent dans un schéma narratif structuré autour
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La dernière rencontre, annoncée proleptiquement en Mc 14.28, avec Jésus réveillé des morts n’a pas lieu dans le cadre du macro-récit (16.7–8). Nos propos dans ce paragraphe sont tributaires de Camille Focant, « Fonction intertextuelle et limites du prologue de Marc », in La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur, éd. par Daniel Marguerat, 2e éd. mise à jour, 1e éd. 2003, MdB 48 (Genève : Labor et Fides, 2005), 312–13. L’auteur renvoie à Jean Delorme, « “Commencement de l’Évangile’ et commencement de Marc (Marc 1,1) », in Gelukkig de mens : Opstellen over Psalmen, exegese en semiotiek aangeboden aan Nico Tromp, éd. par Panc Beentjes (Kampen : Kok Pharos, 1991), 165. Le mot İĮȖȖȜȚȠȞ en Mc 1.1 n’est pas une définition littéraire de l’œuvre et n’indique pas son Gattung, mais renvoie à une proclamation. Matthieu et Luc définissent leur œuvre respective avec les termes ȕȕȜȠȢ (Mt 1.1) et įȚȖȘıȚȢ (Lc 1.1). Ainsi encore Focant, « Fonction intertextuelle », 311 ; Collins, Mark. A Commentary, 16 ; cf. 42. Sur le genre « évangile » et la manière de composer de Marc, voir Crossan, « A Form for Absence », 41–42 ; Burton L. Mack et Vernon K. Robbins, Patterns of Persuasion in the Gospels, FF-LF (Sonoma : Polebridge Press, 1989), 92–94 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 7 ; Witherington, The Gospel of Mark, 11–16 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 125–93 ; Collins, Mark. A Commentary, 16–17.
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Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1-20
du thème principal2, Marc amène son lecteur à établir des connexions intratextuelles. Inscrit dans l’horizon du salut de Dieu, le lecteur est à même de mesurer la tension entre « limite infranchissable » et « ouverture infinie »3. Le discours original que Marc articule sur Jésus et sur la nature et la modalité de la suivance est contenu dans un produit littéraire inédit qui résiste aux tentatives de classification et qui s’apparente aux biographies hellénistiques et aux récits arétalogiques, tout en intégrant des éléments apocalyptiques et midrashiques4. Cette « biographie kérygmatique »5, s’achevant avec la fuite apeurée de femmes stupéfaites qui gardent le silence sur la résurrection du Crucifié (ainsi 16.8)6, a, comme objectif principal, le dévoilement de l’accomplissement du
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La « Grande Nouvelle » (Mc 1.1, 14, 15 ; 8.35 ; 10.29 ; 13.10 ; 14.9), cet « immense événement encore en cours lorsque l’évangéliste écrit », concerne l’identité de Jésus et la réponse de foi qu’elle suscite : Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 7. Voir aussi David M. Rhoads, « Narrative Criticism and the Gospel of Mark », JAAR 50, no 3 (1982) : 411– 34 ; Bonifacio, Personaggi minori, 49 ; Witherington, The Gospel of Mark, 36–38. 3 Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 119–124 (cit. p. 124). Sur la cohérence interne de Marc et la manière dont il gère les relations entre les micro-récits au sein de l’intrigue (une avancée majeure de la critique narrative), voir Marxsen, Mark the Evangelist, 91–92 ; Jodi L. Magness, Marking the Endࣟ : Sense and Absence in the Gospel of Mark (Atlanta : Scholars Press, 1986), 89 ; Williams, Other Followers of Jesus, 37–40 ; Bonifacio, Personaggi minori, 47–49 ; Malbon, Mark’s Jesus, 40–42 ; Abraham Kuruvilla, « The Naked Runaway and the Enrobed Reporter of Mark 14 and 16ௗ : What is the Author Doing with What He Is Saying? », JETS 54, no 3 (2011) : 535–37 ; Moloney, Mark, 16. 4 Crossan, « A Form for Absence », 42–44 ; Witherington, The Gospel of Mark, 9–11 ; France, Mark, 10 ; Boring, Mark, 8–9 ; Collins, Mark. A Commentary, 43 ; Basser, « Avon Gilyon », 45–56 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 535 ; Moloney, Mark, 16. 5 Martin Hengel, The Four Gospels and the One Gospel of Jesus Christ : An Investigation of the Collection and Origin of the Canonical Gospels, trad. par John Bowden (Harrisburg : Trinity Press International, 2000), 5, 22. 6 Parmi les très nombreux auteurs qui considèrent la finale courte comme originale : Robert H. Lightfoot, Locality and Doctrine in the Gospels (New York : Harper and Brothers, 1938), 1–48 ; idem, The Gospel Message of Saint Mark (Oxford : Clarendon Press, 1950), 80–97 ; Kurt Aland, « Bemerkungen zum Schluss des Markusevangeliums », in Neotestamentica et Semitica. Studies in honour of Matthew Black (Edinburgh : T. and T. Clark, 1969), 157–80 ; Crossan, « A Form for Absence » ; Thomas E. Boomershine et Gilbert L. Bartholomew, « The Narrative Technique of Mark 16:8 », JBL 100, no 2 (1981) : 213–23 ; Magness, Marking the End, 1–14, 88 ; Mary A. Tolbert, Sowing the Gospelࣟ : Man’s World in LiteraryHistorical Perspective (Minneapolis : Augsburg Fortress, 1989), 297–99 ; Donald A. Carson, Douglas J. Moo, et Leon Morris, An Introduction to the New Testament (Grand Rapids : Zondervan, 1992), 102–4 ; Helmut Merklein, « Mk 16,1–8 als Epilog des Markusevangeliums », in The Synoptic Gospels. Source Criticism and the New Literary Criticism, BETL 110 (Louvain : Leuven University Press – Peeters, 1993), 209–38 ; Christian B. Amphoux, « La ‹finale longue de Marc›ௗ: un épilogue des quatre évangiles », in The Synoptic Gospels. Source Criticism and the New Literary Criticism, BETL 110 (Louvain : Leuven University Press – Peeters, 1993), 548–55 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 379–86 ; Paul L.
Une feuille de route de l’évangile de Marc
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plan de Dieu en la personne de Jésus de Nazareth : Fils de Dieu, Juge eschatologique et Fils de l’Homme souffrant. L’élaboration narrative de l’identité du personnage Jésus, d’emblée conçue comme une performance polyphonique7, engendre inévitablement une réflexion sur la question de savoir comment être disciple d’un tel Maître8. En effet, que ce soit par des événements affichant des traits apocalyptiques, comme notamment le baptême (Mc 1.9–11), la Transfiguration (9.2–8) et la crucifixion (15.33–39)9, ou par des déclarations tantôt humaines (Pierre en 8.30 ; le centurion en 15.39 ; le jeune homme au tombeau en 16.6), tantôt d’origine surnaturelle (les esprits impurs : 1.24 ; 3.11 ; 5.7), la révélation du Jésus marcien se déploie dans un contexte narratif caractérisé par Danove, Linguistics and Exegesis in the Gospel of Mark. Application of a Case Frame Analysis and Lexicon, JSNTSup 218 (Sheffield : Sheffield Academic Press, 2001), 73–77 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 602–3 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 274–80, 318–21 ; Collins, Mark. A Commentary, 799 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 66–67 ; Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, 122–28. Quelques avocats d’une finale écourtée en dépit des intentions originales de l’auteur de l’évangile : Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 349 ; William R. Farmer, The Last Twelve Verses of Mark, SNTSMS 25 (Cambridge : Cambridge University Press, 1974) ; Witherington, The Gospel of Mark, 42–49, 53, 417–18 ; France, Mark, 671–74, 685–88 ; Nicholas P. Lunn, The Original Ending of Mark : A New Case for the Authenticity of Mark 16:9–20 (Eugene : Pickwick, 2014). 7 Sur Jésus s’expriment, déjà dans les treize premiers versets du deuxième évangile, le narrateur : Mc 1.1 ; le prophète : v. 2–3 ; Jean : v. 4–8 ; Dieu : v. 9–11 ; Satan, de manière implicite : v. 12–13. 8 Cf. Witherington, The Gospel of Mark, 37–39. Collins, Mark. A Commentary, 43–44, préfère parler d’interprétation de Jésus de la part de Marc plutôt que de christologie marcienne, car une véritable réflexion systématique et philosophique sur la nature de Jésus n’avait pas encore eu lieu à l’époque de la rédaction de l’évangile. 9 Myers, Binding the Strong Man, 390–91, voit en Mc 1.1 l’orientation que le lecteur doit prendre, à savoir se focaliser sur l’identité de Jésus. Il propose comme épine dorsale de l’évangile les trois récits du baptême, de la Transfiguration et de la crucifixion de Jésus, dont il relève les parallélismes et les éléments apocalyptiques : Baptême (chap. 1) v. 10 : cieux déchirés, Esprit descend comme une colombe v. 11 : voix du ciel, « Tu es mon Fils bien-aimé »
Transfiguration (chap. 9) v. 3, 7 : vêtements blancs, nuée qui déscend
v. 12–13 : quarante jours dans le désert, comme Elie (1 R 19.8)
v. 4, 5 : en compagnie d’Elie
v. 7 : voix de la nuée, « celui-ci est mon Fils bienaimé »
Crucifixion (chap. 15) v. 32, 38 : ténèbres, voile du sanctuaire déchiré v. 34, 39 : cri de Jésus, « Mon Dieu... » ; exclamation du centurion, « vraiment cet homme était Fils de Dieu » v. 35 : « il appelle Elie »
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Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1-20
« l’opacité dans toute sa densité énigmatique » et où « il y a […] dissonance entre ‹révélation› dans son acception courante et ce même concept dans sa configuration chez Marc »10. Ainsi, au fur et à mesure que l’auteur implicite échafaude son portrait du Messie à la posture universaliste11, le thème de la cécité (des opposants comme des disciples) se place en tension constante, voire nécessaire, au sein de l’intrigue. Il ne s’agit pas, pour Marc, de concevoir la suivance comme une « maîtrise » (physique, conceptuelle ou autre) du Maître12, mais plutôt comme l’adhésion à la logique du chemin de la croix qui, au fond, n’est rendue intelligible que par un acte de Dieu lui-même qui échappe au contrôle de l’être humain13. Marc recourt à des modalités d’écriture et de structuration de son œuvre dont nous rappelons brièvement les principales. Il emploie des sommaires – mais seulement jusqu’au chapitre 1014 –, des inclusions15, la répétition16, l’enchâssement des récits17, la synkrisis entre personnages, et les allusions18. Le lecteur se trouve confronté également à des lieux à portée fortement symbolique19, à
10 Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 111 (voir aussi 112). Cf. Witherington, The Gospel of Mark, 39. 11 Collins, Mark. A Commentary, 43. 12 Comparer le contraste entre « ils l’emmènent comme il était » de Mc 4.36, présupposant une prise en main de la situation et de la personne de Jésus par les disciples, et la question suivante qui dévoile que les disciples ne l’ont pas tout à fait « saisi » : « qui est-il donc ? » (v. 41). 13 Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 59, souligne que les miracles de Mc 8.22–26 et 10.46–52 ont justement la fonction de déclarer que la suivance n’est pas possible sans l’intervention divine qui permet de « voir ». 14 Mc 1.14–15, 39, 45 ; 3.7–12 ; 4.33–34 ; 6.6b, 53–56 ; 9.30–31 ; 10.1. 15 Cf. Mc 1.3–6 « désert et baptême » // 1.9–13 « baptème et désert » ; au niveau macrorécit : 1.10–11 et 15.37–38. Grappe, « De quelques figures d’identification », 133 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 8–9. 16 Cf. multiplications de pains : Mc 6.31–34 et 8.1–9 ; annonces de la Passion : 8.31 ; 9.31 et 10.32–34 ; guérisons d’aveugles : 8.22–26 et 10.46–52. Voir Williams, Other Followers of Jesus, 47. 17 Mc 3.20–21, 22–30, 31–35 ; 5.21–24, 25–34, 35–43 ; 6.7–13, 14–29, 30–44 ; 11.12– 14, 15–19, 20–25 ; 14.1–2, 3–9, 10–11 ; 14.53–65, 66–72 et 15.1–5 ; 15.6–15, 16–20, 21– 32. Witherington, The Gospel of Mark, 36–37. 18 Pour des exemples, se référer notamment à Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 253–55. 19 Par ex. : la montagne : Mc 3.13 ; 6.46 ; 9.2 ; la mer : 4.35–41 ; 6.47–51 ; 8.10. Magness, Marking the End, 114 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 8 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 59 ; Malbon, Mark’s Jesus, 42 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 535.
Une feuille de route de l’évangile de Marc
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des ellipses20 et à une alternance de réactions antithétiques de la part des personnages face au héros21, le tout intégré dans une intrigue dont le rythme est marqué par des étapes conçues comme divinement préordonnées22. Le résultat final est un ouvrage dont la structure peut être établie en fonction des paramètres que l’on souhaite privilégier. Il est alors possible de mettre en valeur le cadre spatial23, ou le dévoilement progressif de l’identité et de la mission de Jésus24, ou l’attitude des disciples25. Puisque l’évangile de Marc est caractérisé par une intrigue unifiante qui établit une correspondance entre les micro-récits et les interprète les uns à la lumière des autres, il est nécessaire de s’adapter à sa fluidité et à son manque de coupures nettes. Le schéma proposé ci-après est à comprendre comme une feuille de route que nous espérons respectueuse des liens intratextuels et d’une intrigue qui résiste à toute structuration trop rigoureuse26. Marc 1.1–13 Jésus est introduit par le narrateur (1.1), la voix prophétique écrite et vivante (v. 2–8), Dieu lui-même (v. 11) et, diégétiquement, par Satan (v. 13). Les sommaires aux versets 5 et 13 marquent une progression importante, de Jean à Jésus, qui, tout en établissant la continuité entre l’annonce prophétique et l’avènement de Jésus, souligne la supériorité de ce dernier par rapport à Jean (synkrisis). Marc 1.14–3.6 En Galilée, Jésus prend la relève de Jean et proclame que le Règne s’est enfin approché (1.14–15 : sommaire). Dans cette section, on retrouve : les vocations des premiers disciples (1.16–20 et 2.14–17) ; son premier miracle, un exorcisme qui éclaire son identité et sa mission (1.21–28) ; d’autres miracles (1.29– 20
Voir 1.35 ; 2.1 ; 2.23 ; 3.7 ; 4.35 ; 7.24, 31. Stupeur et admiration d’un côté, complot et refus de l’autre : voir Mc 2.12 et 3.6 ; 3.9 et 3.21. Joanna Dewey, Markan Public Debate. Literary Technique, Concentric Structure, and Theology in Mark 2:1–3:6, SBLDS 48 (Missoula : Scholars Press, 1980), 177–85. 22 Voir Mc 1.2–3 ; 8.31 ; 13.20 et 14.36, 49. Collins, Mark. A Commentary, 43. 23 Voir les propositions de Magness, Marking the End, 89 ; DeSilva, An Introduction to the New Testament, 198 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 58. 24 Cf. Magness, Marking the End, 89 ; Witherington, The Gospel of Mark, 36–37 ; DeSilva, An Introduction to the New Testament, 199. 25 Cf. Theodore J. Weeden, « The Heresy that Necessitated Mark’s Gospel », ZNW 59, no 3–4 (1968) : 145–48 ; Magness, Marking the End, 89. 26 Voir Kevin W. Larsen, « The Structure of Mark’s Gospel : Current Proposals », CBR 1, no 3 (2004) : 143–64, qui a le mérite de classer les différentes propositions concernant la structure du deuxième évangile selon les principes dominants utilisés par les exégètes : topographique, analyse littéraire, Sitz im Leben des destinataires, thématiques de nature théologique. 21
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Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1-20
31, 32–34, 40–45a, 45b ; 2.1–12 ; 3.1–6) ; les réactions antithétiques des foules (1.27–28, 32–34, 45 ; 2.1–2, 12–13) et des dirigeants religieux (2.6–12, 16–20, 23–26 ; 3.2, 5a, 6). Les controverses avec ces derniers en Galilée présagent celles de Jérusalem (11.27–12.44) et annoncent la Passion (notamment 3.6). C’est notamment au début du ministère de Jésus en Galilée que la finale de l’ouvrage renverra dans une optique de lecture en boucle (16.7 : « il vous précède en Galilée »). Marc 3.7–8.26 Le sommaire de 3.7–12 situe Jésus ʌȡઁȢ IJȞ șȜĮııĮȞ (v. 7), en compagnie de ses disciples. Les deux rives opposées, ainsi que la « mer » elle-même, constituent le cadre de la plupart des enseignements et des actions de Jésus dans cette section. Le dernier voyage en bateau de Jésus s’achève à Bethsaïda, où il guérit un aveugle (8.22–26). Comme dans les autres sections, l’action de Jésus n’est jamais séparée du dévoilement de son identité. Que ce soit dans la partie délimitée par les deux sommaires de 3.7–12 et 4.33–34, qui montre la polarisation autour du personnage de Jésus et la remise en question du statut d’insider, ou dans la partie conduisant de 4.35 (première traversée, vers le territoire non juif) à 8.26 (dernière traversée, pour rentrer dans le territoire juif), où, entre autres, l’action miraculeuse de Jésus (exorcismes et multiplications des pains) élargit les frontières du Royaume pour y inclure des Gentils, le thème de son identité apparaît avec une fréquence significative (voir 3.11, 21, 22, 30, 35 ; 4.41 ; 5.7, 19–20, 28, 30 ; 6.2–3, 14–16, 50–52, 56 ; 7.37). Par ailleurs, les paraboles du chapitre 4, où il est question de dispersion des graines, semblent préfigurer le discours eschatologique de 13.1–37, qui annonce le rassemblement des élus. Marc 8.27–10.52 Alors que 8.22–26 constitue la fin des déplacements par bateau de Jésus et de ses disciples, on ne peut pas dissocier ce récit de la guérison de l’aveugle de Bethsaïda des versets 27–33. En fait, la guérison en deux phases de cet aveugle qui, après une première tentative de Jésus, ne voit que partiellement, annonce la vision imparfaite que Pierre, et les autres disciples, ont de Jésus (v. 27–30). Il faudra que Pierre intègre à sa compréhension de l’identité de Jésus la notion de Fils de l’Homme souffrant (v. 31–33)27. Par conséquent, le miracle de Bethsaïda (8.22–26) assume la fonction de « récit charnière » entre la section des déplacements de Jésus d’une rive à l’autre et celle qui est délimitée par une
27 Le lien entre Mc 8.22–26 et 8.27–33 est mise en valeur par Marguerat, « Le point de vue », 227–32.
Une feuille de route de l’évangile de Marc
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autre guérison d’un aveugle (10.46–52 : inclusion)28. Entre les deux miracles qui rendent la vue (8.22–26 et 10.46–52) se situent trois annonces de la Passion et de la résurrection (8.31 ; 9.31 ; 10.33–34), chacune suivie par une réaction qui souligne l’aveuglement des disciples (8.32 ; 9.32 ; 10.35–37). C’est dans cette section que nous trouvons l’épisode de la Transfiguration (9.2–8) et le dernier exorcisme de Jésus (9.14–29). Marc 11.1–15.47 L’entrée de Jésus à Jérusalem (11.1–11) marque le début de la Passion et ses derniers jours dans la capitale établissent le passage eschatologique « d’un Temple à l’autre »29 par la destinée du Fils de l’Homme souffrant, avec son lot d’appels à la vigilance et de souffrances annoncées pour les disciples (13.9– 17, 33–37). Marc 16.1–8 L’onction de 14.3–9 a anticipé et accompli l’embaumement du corps de Jésus. L’intention des femmes au tombeau est donc destinée à être frustrée. La promesse de Jésus de revoir les disciples en Galilée (14.28) est confirmée par le jeune homme à celles qui s’enfuient, tremblantes et saisies de peur, et ne disent rien à personne (16.8). Le lecteur est renvoyé à la case départ, en Galilée, où retentit pour la première fois l’appel de Jésus à se mettre à sa suite (1.17)30.
28 Considèrent, entre autres, Mc 8.22–26 à 10.46–52 comme une section clé de l’évangile de Marc : Dewey, Markan Public Debate, 177–85 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 8–9 ; France, Mark, 11–15 ; DeSilva, An Introduction to the New Testament, 199–200 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 60–62 ; Malbon, Mark’s Jesus, 34 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 535. Ne voient pas une cohérence interne à cette section notamment Torchia, « Eschatological Elements », 3 ; Mary A. Beavis, Mark, Paideia (Grand Rapids : Baker Academic, 2011), 25–28. Pour cette dernière, Mc 7.24 à 9.29 concerne la mission de Jésus en territoire non juif et 9.30 à 10.52 correspond à l’enseignement de Jésus sur le chemin de Jérusalem. 29 Nous reprenons ainsi, en guise d’hommage respectueux, le titre de l’ouvrage de notre directeur de recherche, Christian Grappe, D’un Temple à l’autre. Mc 11 et 12 préconisent le dépassement du rôle du Temple de Jérusalem et la mise en place d’un nouveau « Temple », la communauté chrétienne, bâti sur la nouvelle pierre d’angle (Jésus lui-même : Mc 12.10– 11). Les controverses de 11.27–33 ; 12.13–17 et 12.18–27, ainsi que la parabole des vignerons (12.1–12) et l’offrande de la veuve (à lire en relation à 12.40), montrent que la condamnation des autorités religieuses et le dépassement du culte au/par le Temple sont justifiées. Le chapitre 13 annonce la fin de l’ancienne économie, le chapitre 14 met en place la nouvelle communauté et le nouveau « rituel » légitime (14.22–25 : l’eucharistie). Ainsi Thomas R. Hatina, « The Focus of Mark 13:24–27: The Parousia, or the Destruction of the Temple? », BBR 6 (1996) : 50–52. 30 Voir Moloney, Mark, 20–21.
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Cette manière de structurer l’évangile de Marc tient compte du fait que l’évangile associe étroitement la révélation de l’identité de Jésus au déploiement de la dynamique englobante du Royaume ; en conséquence, les modalités de la suivance sont également établies. Certes, un tournant central dans l’économie de l’intrigue marcienne s’opère au chapitre 8, où une relation est instaurée entre la cécité et la difficulté que les disciples ont à accepter la mort nécessaire du Fils de l’Homme (8.31 : įİ)31. Mais l’évangile de Marc est parsemé de « commencements » qui constituent tous, intégrés dans le macro-récit, des pivots qui font avancer l’intrigue, tout en annonçant proleptiquement d’autres épisodes et/ou en leur faisant écho32. C’est pourquoi le premier miracle de Jésus en terre païenne (5.1–20) est à lire, en amont, en relation avec la volonté de Jésus d’aller « ailleurs » (1.38) et avec sa mission de maîtriser l’homme fort (3.37). En aval, la lecture doit être faite en rapport avec sa sortie dans les territoires de Tyr, de Sidon et de la Décapole (7.24–37), avec la deuxième multiplication des pains (8.1–10, du « pain » en territoire non juif), avec le rassemblement des extrémités de la terre annoncé dans le discours eschatologique (13.27), et avec la figure du jeune homme au tombeau (16.5). Pour approfondir cette question, il sera opportun à présent de s’interroger sur la fonction narrative de la péricope de Marc 5.1–20, d’abord dans son contexte littéraire proche et ensuite dans l’ensemble du deuxième évangile.
7.2 La fonction narrative de la péricope de Marc 5.1–20 dans son contexte littéraire (notamment la section 3.7–8.26) La fonction narrative de la péricope de Marc 5.1–20
La section 3.7–8.26 est connotée par la présence de la « mer » comme élément unifiant33. Les déplacements de Jésus d’une rive à l’autre cèdent ensuite le pas à l’image du « chemin », déjà annoncée en 1.2–3 ; 2.23 ; 4.4, 15 ; 6.8 ; 8.3 et encore prolongée en 11.8 et 12.14, mais qui encadre et connote surtout la section 8.27–10.52 (8.27 ; 9.33–34 ; 10.17, 32, 37, 46, 52)34. Le thème dominant de la section 3.7–8.26 est l’identité de Jésus et le conflit d’interprétation dont il fait l’objet. Ses enseignements et ses miracles sont des révélations opaques
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Witherington, The Gospel of Mark, 37–38 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 60 ; Moloney, Mark, 17–21. 32 Moloney, Mark, 16, en identifie quatre : 1.1 ; 1.14–15 ; 8.31 ; 16.1–4. Pour le consensus sur Mc 8.27–30 comme « transition », voir Bonifacio, Personaggi minori, 68 ; Witherington, The Gospel of Mark, 239. 33 Elle est mentionnée en Mc 3.7 ; 4.1, 35, 41 ; 5.1, 13 ,18, 21 ; 6.32, 45, 49, 51, 53–54 ; 7.31 ; 8.10, 13, 14, 22. 34 Williams, Other Followers of Jesus, 45.
La fonction narrative de la péricope de Marc 5.1–20
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qui provoquent d’un côté le rejet et de l’autre l’incompréhension (ou une compréhension très partielle)35. Alors que les thèmes de l’identité de Jésus et de la suivance sont entremêlés, nous allons les traiter de manière séparée, afin de mieux en apprécier l’articulation dans la section étudiée. 7.2.1 La fonction littéraire de Marc 5.1–20 au sein de son contexte narratif en relation avec le thème marcien de la révélation de l’identité de Jésus La section 3.7–8.26 s’ouvre avec Jésus qui « se retira » (3.7a : ਕȞİȤઆȡȘıİȞ ; le verbe ਕȞĮȤȦȡȦ est un hapax en Marc) près de la mer, avec ses disciples, mais également suivi d’une foule venant de Galilée et d’ailleurs, même de territoires non juifs (3.7b–8). Il guérit des malades et pratique des exorcismes, son identité étant révélée par les esprits impurs auxquels il enjoint de se taire (3.10–12). La tension entre l’extrême popularité de Jésus et les consignes qu’il donne avec sévérité pour que ne soit pas divulguée son identité a été anticipée en 1.26, 34 et 44. Pourtant, c’est à partir du sommaire de 3.7–12 qu’elle se déploie pleinement pour laisser transparaître sa raison d’être et son véritable enjeu : si les démons sont au courant de sa véritable nature, les êtres humains, eux, ne peuvent en apercevoir qu’une facette. Leur interprétation étant partielle, leur témoignage n’est pas fiable, d’où, à partir de 5.43, les recommandations aux gens (et non plus aux démons) afin que ses œuvres ne soient pas divulguées (encore en 7.36 et 8.26). Dans la section suivante, le même veto est imposé aux disciples (8.30 ; 9.9). Ces interdictions progressives (démons, gens, disciples) ne sont qu’un outil littéraire qui accompagne paradoxalement la révélation, tout aussi graduelle pour le lecteur implicite, de l’identité de Jésus. Le conflit avec les esprits impurs en 3.11–12 trouve son prolongement littéraire immédiat dans la mise en scène des relations, problématiques, de différents groupes de personnes avec Jésus : les Douze, qu’il a lui-même choisis (3.13–19), sont aussi dépourvus de clairvoyance (4.13, où ils sont pourtant l’objet d’une attention particulière ; 4.33) que ceux qui ne placent pas leur foi en lui, « ceux du dehors » (4.11), sa famille (3.21) et les scribes (v. 22–30). Alors que la définition de la « vraie » famille de Jésus est donnée (3.31–35), le lecteur implicite s’interroge à propos de qui en fait réellement partie à ce stade de l’intrigue. Comme nous l’avons remarqué plus haut, le conflit d’interprétation autour de la personne de Jésus sera repris par la suite et jouera un rôle important dans la péricope du Gérasénien (5.1–20), en invitant le lecteur implicite à élaborer son propre jugement de valeur, qui sera en contraste, d’une 35
Voir Achtemeier, « Toward the Isolation », 265–91 ; Achtemeier, « Origin and Function », 198–221 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 77–82 ; Magness, Marking the End, 89 ; Gundry, Mark, 241–43 ; Smith, A Lion with Wings, 95 ; Bonifacio, Personaggi minori, 67, 77 ; Rochester, Good News at Gerasa, 179–80 ; Elizabeth S. Malbon, « Echoes and Foreshadowings in Mark 4–8. Reading and Rereading », JBL 112, no 2 (1993) : 281– 222.
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part, avec celui de ces groupes (famille, scribes, disciples), et, d’autre part, avec celui des habitants de Nazareth (6.3) et d’Hérode (6.14–16)36. Qui plus est, la dynamique du déploiement du « mystère du Royaume » (4.11), inaccessible même aux disciples (4.13, 41 ; 6.52 ; 8.17, 21, 33) et qui est illustrée par la semence qui pousse sans que l’on sache comment (4.26–29), semble déjà à l’œuvre lorsque la retraite de Jésus du territoire gérasénien et son apparent échec sont dépassés par la proclamation, dans toute la Décapole, de l’ex-possédé (5.20). La suite de la section montre comment le rédacteur articule deux cycles parallèles commençant chacun par un miracle sur la mer et s’achevant avec une multiplication des pains, selon la proposition d’Achtemeier37 : 4.35–41 La tempête apaisée 5.1–20 L’exorcisme de Gérasa 5.21–43 Résurrection de la fille de Jaïros 5.25–34 Guérison de la femme qui touche Jésus 6.34–44 Du pain pour les 5000 6.45–52 Jésus marche sur la mer 6.53–56 Guérisons, même en touchant la frange de Jésus, à Gennésareth 7.24b–30 L’exorcisme de la fille de la femme syro-phénicienne 7.31–37 La guérison du sourd-muet en Décapole 8.1–10 Du pain pour les 4000 De par sa position dans la séquence narrative, le récit de la tempête apaisée (4.35–41) s’avère d’une grande importance pour la compréhension de l’exorcisme de Gérasa, car il en constitue le contexte immédiat en amont et établit la posture herméneutique du lecteur implicite vis-à-vis de ce qui suit38. Tout d’abord, ce récit montre une volonté établie du Jésus marcien de se rendre avec ses disciples en territoire étranger (4.35). L’apaisement de la tempête est donc à comprendre à la fois comme le dépassement de la barrière qui sépare Israël des nations et comme le premier volet d’un acte divin qui associe à l’apaisement du mugissement des vagues celui du tumulte des peuples39.
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Shively, Apocalyptic Imagination in the Gospel of Mark, 175–76. Achtemeier, « Origin and Function », cité par Rochester, Good News at Gerasa, 180– 81.voir aussi p. 178–179). Nous renvoyons également à Theissen, The Miracle Stories, 208– 9. 38 Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 77 : « ...l’intégration du microrécit dans son contexte est hautement révélatrice du parcours de lecture que le narrateur entend suggérer à son lecteur ». 39 Cf. Ps 65.8. Le mot ʯˣʮʤ (« vacarme, tumulte ») a le sens d’« armée » en Jg 4.7. Ainsi John Jeffrey, The Meaning in the Miracles (Norwich : Canterbury Press, 2001), 87, cité par Rochester, Good News at Gerasa, 184. Voir également Hilgert, The Ship and Related Symbols, 73–76 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 200. 37
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Ensuite, il est clairement question du thème de la révélation de l’identité de Jésus et de l’incompréhension des disciples qui en résulte. La puissance de Jésus sur les flots est une réminiscence de celle de Dieu sur les eaux primordiales40, sur les nations tumultueuses (cf. Ps 65.8 ; Es 17.12), sur les dangers en général (cf. Ps 32.6–7 ; 69.16) et lors du passage de la mer (Ex 15.8)41. Concernant ce dernier point, Gisela Kittel relève même, dans la séquence narrative d’Exode 14.1–15.22, deux parallélismes avec le texte marcien : invocation avec reproche dans une situation de danger (Ex 14.11–12 // Mc 4.38b) et appel à ne pas avoir peur mais à faire confiance (Ex 14.13–14 // Mc 4.40)42. Qui plus est, Jésus « rabroue » le vent (Mc 4.39), ce qui est à la fois une allusion au langage mythique du Premier Testament (cf. Ps 104.7 ; 106.9 ; Na 1.4), mais aussi, dans l’économie du deuxième évangile, une marque de son autorité face aux puissances démoniaques (Mc 1.25 ; 3.12 ; 9.25)43. La force rhétorique du texte marcien est évidente lorsque l’on mesure la tension entre ce dévoilement et le manque de compréhension des disciples. Ces derniers « le prennent comme il était, dans la barque » (4.36 : ʌĮȡĮȜĮȝȕȞȠȣıȚȞ ĮIJઁȞ ੪Ȣ Ȟ ਥȞ IJ ʌȜȠ). La locution ੪Ȣ Ȟ a d’emblée un sens temporel, car on retrouve la même construction ੪Ȣ Ȟ + ਥȞ suivi du datif du lieu en Josué 5.13 LXX (੪Ȣ Ȟ ȘıȠ૨Ȣ ਥȞ ǿİȡȚȤȦ), que l’on doit traduire par « lorsque/comme/tandis que Josué était près de Jéricho ». Pourtant, cette locution a également un sens qualitatif, dans la mesure où elle indique un état, une modalité44. Si l’auteur joue sur le double sens, on pourrait voir ici une allusion ironique au fait que les disciples prennent Jésus « comme il était » à leurs yeux (selon leur jugement), tout en ignorant sa véritable nature. Le contrôle qu’ils 40
Gn 1.2, 6–9 ; Es 51.9–10 ; Ps 33.7 ; 74.13–15 ; 89.10 ; 104.6–12 ; Jb 38.8–11. Hilgert, The Ship and Related Symbols, 73, 78 ; Nolland, Luke 1–9:20, 397–400 ; Witherington, The Gospel of Mark, 174–76 ; Bonifacio, Personaggi minori, 85–86 ; Moloney, Mark, 101. 42 Gisela Kittel, « ‹Wer ist der?› Markus 4,35–41 und der mehrfache Sinn der Schrift », in Jesus Christus als die Mitte der Schrift : Studien zur Hermeneutik des Evangeliums, éd. par Christof Landmesser, Hans-Joachim Eckstein et Hermann Lichtenberger, BZNW 86 (Berlin – New York : Walter de Gruyter, 1997), 519–42, citée par Bonifacio, Personaggi minori, 86. 43 Hilgert, The Ship and Related Symbols, 76 ; Nolland, Luke 1–9:20, 400. 44 Cf. 1 M 15.3 : « comme il était (੪Ȣ Ȟ) auparavant » ; Qo 12.7 LXX : « et revienne la poussière à la terre, comme elle était (੪Ȣ Ȟ) » ; Dn gr. 14.15 : « et trouvèrent le sceau comme il était (੪Ȣ Ȟ) ». Nous remercions Christian Grappe, qui nous a signalé que Paul Joüon, L’Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Traduction et commentaire du texte original grec, compte tenu du substrat sémitique, VS 5 (Paris : Beauchesne, 1930), 206, traduit Mc 4.36, pour sa part, « tel qu’il se trouvait dans la barque » et que Hubert Pernot, Les quatre évangiles nouvellement traduits et annotés, 2e éd. revue par Octave Merlier, 1e éd. 1943, Connaissance de la Grèce 11 – études néo-testamentaires 1 (Paris : PUF, 1962), 113, traduit « comme il était, en barque ». Pourtant Pernot explique que, pour lui, le sens de l’expression est « sans qu’il se fût préparé » : p. 338. 41
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semblent vouloir exercer sur leur Maître (ʌĮȡĮȜĮȝȕȞȦ : Mc 4.36) se heurte à la difficulté de cerner l’identité de celui auquel « même le vent et la mer obéissent » (v. 41)45. Il demeure que la « grande peur » dont ils sont saisis (v. 41) surgit après le miracle et n’est pas mise en relation avec la tempête mais avec ce questionnement concernant le Jésus marcien. Par conséquent, l’interrogation laissée en suspens à la fin du récit, « qui est-il ? », assure la transition avec l’épisode de l’exorcisme à Gérasa, qui est à la fois une réponse à cette question, ainsi que la reprise et le développement de la thématique de l’inclusion des étrangers dans les frontières du Royaume. Il faut également souligner que la fonction de la péricope de Marc 4.35–41 ne se limite pas à anticiper les thèmes de 5.1–20 ni à en fournir seulement une introduction. Les deux récits présentent, en effet, d’importantes affinités qui ont pour effet de les éclairer mutuellement et d’amplifier les thématiques communes. Du point de vue de la structure, ils présentent au départ une situation désespérée (4.37 ; 5.1–5), suivie d’une intervention miraculeuse de Jésus (4.39a ; 5.6–13), du résultat de cet acte puissant (situation paisible en 4.39b et 5.15), d’une réaction peureuse ou craintive (ਥijȠȕșȘıĮȞ en 4.41 et 5.15c) et d’une conclusion qui est construite autour de l’évaluation de l’identité de Jésus (« qui est celui-ci ? » en 4.41 ; rejet en 5.17 et mise en parallèle de l’œuvre de Jésus avec celle du « Seigneur » en 5.18–20)46. Du point de vue thématique, le lecteur est invité à comprendre la mer dans laquelle se noient les cochons possédés en tant qu’élément menaçant, le Shéol ou l’abîme (cf. Ps 18.5–6 ; 42.8), qui doit être craint par les démons et non pas par ceux qui se rangent du côté de celui qui les maîtrise en tant que héraut de Dieu47. Un autre thème fondamental est renforcé par la mise en relation de ces deux récits, à savoir la relation entre la mission auprès des non-Juifs et la résurrection de Jésus. La tempête qui surprend Jésus et ses disciples, ainsi que les autres bateaux (Mc 4.36b), lors de la traversée en direction de la côte opposée, est le scénario qui montre que l’hostilité rencontrée par cette entreprise ne peut être dépassée qu’avec le « réveil » de Jésus (4.39). C’est grâce à ce réveil que l’entrée en Décapole est rendue possible, avec ses conséquences surprenantes (5.20). La mission aux Gentils est clairement une entreprise post-pascale. Comme le dit Corina Combet-Galland, le récit du Gérasénien « est raconté en effet précédé de ce qui le dépasse, un récit tronqué mais dépassé d’avance en ses fragments »48. L’angoisse des disciples face à l’« absence » de Jésus (4.38 ; cf. 5.19a) et leur peur en réaction au miracle qui définit de manière étonnante son 45 Voir Hilgert, The Ship and Related Symbols, 75 ; Nolland, Luke 1–9:20, 400 ; France, Mark, 223–25 ; Moloney, Mark, 99. 46 Bonifacio, Personaggi minori, 75–76, 101. 47 Ainsi encore Bonifacio, 85. Gelardini, Christus Militans, 167, souligne le fait que les démons se savent déjà vaincus. 48 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 328. Cf. Hilgert, The Ship and Related Symbols, 81.
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identité (4.41 ; cf. 5.15c, 17) annoncent proleptiquement la réaction des femmes face au tombeau vide et à l’annonce de sa résurrection (16.5–8). De même, le sommeil de Jésus, qui pourrait être de prime abord associé au repos tranquille du juste49, est plutôt à comprendre, comme dans le cas de Dieu qui sort de son sommeil pour sauver son peuple50, en lien avec les actions puissantes qui s’ensuivent (apaisement de la mer, exorcisme) et avec les éléments concernant son identité (4.41 ; 5.7, 18–20). Il s’agit là d’allusions voilées à son association à la Puissance à côté de laquelle il siégera après la résurrection (14.62). On peut faire valoir à cet égard que la mise en relation du « réveil » de Jésus avec l’assujettissement des puissances spirituelles est un thème bien établi au sein du christianisme primitif (Ph 2.9–11 ; Ep 1.20–2.7 ; 1 P 3.22)51. En aval de Marc 5.1–20, la question du dévoilement progressif de l’identité de Jésus et du conflit d’interprétation dont elle fait l’objet demeure centrale (5.28 : foi de type magique ; v. 40 : moquerie ; v. 42 : stupeur). La guérison de la femme souffrant d’une perte de sang et la résurrection de la fille de Jaïros reviennent sur les thèmes de la relation de Jésus à l’impureté (repris en 7.1–23, 24–30), de son autorité sur la mort dans ses différentes formes (5.34b, 41) et de sa réticence à l’égard de la propagande (v. 43a ; encore en 8.26, 30). De même, l’invitation à donner à manger à la fille (5.43b) est un probable clin d’œil à l’image de la nourriture et du pain, qui est si présente dans la section tout entière52 et qui symbolise, pour Marc, le don de la vie de Jésus et l’établissement d’une nouvelle communauté53. Entre le cycle de miracles contenu en 4.35–5.43 et la première multiplication des pains (6.30–44), Marc place un enchaînement de péricopes qui, elles aussi, reprennent, prolongent et amplifient les thème-clés de la section. La première péricope, celle du refus de Jésus de la part des gens de son pays, Nazareth (6.1– 6a), se veut un écho du refus de sa propre famille à son égard (3.20–21). De même, il s’agit d’une réponse (différente de celle de 5.7, 18–20) à la question de 4.41 (« qui donc est-il ? »), avec laquelle 6.2 (« d’où lui vient cela ? ») 49
Cf. Lv 26.6 ; Ps 3.6–7 ; 4.9 ; Jb 11.18 ; Pr 3.24. Cf. Es 51.9–10 ; Ps 7.7 ; 35.23 ; 44.24 ; 59.5 ; 78.65. 51 Hilgert, The Ship and Related Symbols, 77–79, 85 ; Gundry, Mark, 239 ; Bonifacio, Personaggi minori, 81–82, 90, 93. 52 On trouve des mots appartenant au champs sémantique de l’alimentation en Mc 5.43 ; 6.8, 31, 36, 37, 38, 41, 42, 43, 44, 52 ; 7.2, 3, 4, 5, 15, 18, 19, 20, 27, 28 ; 8.1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 14, 15, 16, 17, 19, 20. 53 Les gestes de Jésus lors des deux multiplications des pains se retrouvent lors de l’eucharistie, où le pain est explicitement présenté en tant que symbole de son corps (Mc 14.22) : țĮ ȜĮȕઅȞ... ਕȞĮȕȜȥĮȢ İੁȢ IJઁȞ ȠȡĮȞઁȞ İȜંȖȘıİȞ țĮ țĮIJțȜĮıİȞ... țĮ ਥįįȠȣ IJȠȢ ȝĮșȘIJĮȢ [ĮIJȠ૨]... (6.41) // țĮ ȜĮȕઅȞ... İȤĮȡȚıIJıĮȢ țȜĮıİȞ țĮ ਥįįȠȣ IJȠȢ ȝĮșȘIJĮȢ ĮIJȠ૨... (8.6) // ȜĮȕઅȞ... İȜȠȖıĮȢ țȜĮıİȞ țĮ įȦțİȞ ĮIJȠȢ... (14.22). Ainsi déjà George H. Boobyer, « The Eucharistic Interpretation of the Miracles of the Loaves in St. Mark’s Gospel », JTS 3, no 2 (1952) : 161–71. 50
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Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1-20
forme une sorte d’inclusion. La scène fournit encore un contrepoint à la foi exemplaire de la femme qui saigne : cette dernière permet à la įȞĮȝȚȢ de Jésus d’être efficace (5.30) alors que l’incrédulité des Nazaréens (6.6) constitue une entrave (v. 5 : țĮ Ƞț ਥįȞĮIJȠ ਥțİ ʌȠȚોıĮȚ ȠįİȝĮȞ įȞĮȝȚȞ)54. Si le Jésus marcien s’étonne face au scepticisme des gens de son propre village (6.6a), sa réponse plus large à ce qui vient de se passer dans les chapitres précédents est une dissociation temporaire entre sa mission d’enseignement (6.6b) et celle des disciples (proclamation, exorcismes et guérisons : 6.7–12). La tâche des disciples, se déployant sans la présence de Jésus parmi eux, est à la fois : a. un moyen de les exposer à des accueils opposés (6.10–11), comme leur Maître ; b. une manière d’amplifier la mission de Jésus lui-même en territoire juif (comme le Gérasénien l’avait fait en Décapole en 5.20) ; et, enfin, c. une annonce proleptique de leur mission à la suite de la Passion et de la résurrection. D’ailleurs, la mort et la résurrection de Jésus seront évoquées, par allusion, au travers des propos d’Hérode (6.14–16) et du flashback sur l’exécution du Baptiste (6.17–29), avec lequel le personnage de Jésus est mis en relation de synkrisis55. La multiplication des pains en faveur des cinq mille (6.34–44) conclut le premier cycle de miracles commençant par une action surnaturelle sur la mer et s’achevant par un repas surabondant. Elle conjugue aussi les thèmes de la gloire et de la croix. La compassion de Jésus (6.34 ; à nouveau dans le contexte du miracle des pains : 8.2) le situe dans le contexte de la préoccupation pastorale de Dieu pour son peuple (cf. Ps 77.20 ; 78.52), mais surtout dans celui du Nouvel Exode56. Marc a commencé son évangile en citant Ésaïe 40 (cf. Mc 1.3 et Es 40.3), un chapitre qui emploie la métaphore du berger qui rassemble son troupeau57 et qui évoque la force en relation à sa seigneurie58. Pourtant, les gestes de Jésus pour nourrir la multitude de Juifs anticipent ceux de la Cène, qui annonce à son tour sa Passion. Il en sera de même lors du miracle des pains concernant les quatre mille en territoire non juif59.
54 Sur la relation entre Mc 5.25–34 et 6.1–6a voir Bonifacio, Personaggi minori, 77–78 ; Dietrich-Alex Koch, Die Bedeutung der Wundererzählungen für die Christologie des Markusevangeliums (Berlin : Walter de Gruyter, 1975), 139. 55 Malbon, « Narrative Criticism », 40. De son côté, Nolland, Luke 1–9 0, 397, remarque que Luc, en renonçant à intégrer Mc 6.17–29 et 9.9–13, ne fait plus de la mort violente du Baptiste un présage de la Passion de Jésus. 56 Voir Ex 33.19 ; Dt 30.3 ; Es 14.1 ; 49.10–15 ; 54.8 ; 55.7 ; 60.10 ; Jr 12.15 ; 30.18 ; 33.26 ; 42.12 ; Ez 39.2 ; Os 1.6–7 ; 2.23 ; cf. Es 51.14 ; 48.20–21 ; 49.9, 10, 13 ; 40.17 ; 54.7, 10. 57 Voir aussi Ez 34.15, 23 ; 37.24 ; Ps 23.1 ; 74.1 ; 77.21 ; 78.52–53, 70–72 ; 80.2 ; cf. Mc 6.34, citant Nb 27.17b. 58 Es 40.10 : ȝİIJ ੁıȤȠȢ ȡȤİIJĮȚ… ȝİIJ țȣȡȚİĮȢ ; cf. Mc 3.27 et 5.4b. 59 Voir supra, p. 327, note 53.
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Le deuxième cycle s’ouvre par une autre traversée du lac de Gennésareth (6.45–52). Encore une fois, le thème de l’identité de Jésus et le conflit des interprétations qui en résulte demeurent le moteur de l’intrigue. Jésus se manifeste vers la quatrième veille de la nuit (6.48a), l’heure à laquelle Dieu, après avoir ouvert la mer, sème la panique au sein des troupes égyptiennes, si l’on considère le ʌİȡ IJİIJȡIJȘȞ ijȣȜĮțȞ IJોȢ ȞȣțIJંȢ de Marc 6.48a comme un écho du ਥȞ IJૌ ijȣȜĮțૌ IJૌ ਦȦșȚȞૌ d’Exode 14.2460. Il marche sur les eaux (cf. Mc 6.48b et Jb 9.8 LXX ; Ps 77.20 ; Tg. Neb. Ha 3.15), il veut dépasser ses disciples (cf. Mc 6.48c et Ex 33.19–23 ; 34.6), il leur intime de ne pas avoir peur (cf. Mc 6.50 et Es 41.14 ; 43.1), car c’est bien lui (cf. le ਥȖઆ İੁȝȚ Mc 6.50 que l’on peut comprendre en lien avec Ex 3.14 ; Es 41.4 ; 43.10–11) : autant d’actes à portée théophanique qui contrastent avec l’aveuglement prolongé de ceux qui le contemplent61. En effet, les disciples n’ont pas compris la portée du miracle des pains en relation avec l’identité de Jésus (Mc 6.52). Leur obtusité (c’est le sens de Ȟ Ȗȡ ĮIJȞ ਲ țĮȡįĮ ʌİʌȦȡȦȝȞȘ) est mise en contraste avec l’attitude de ceux qui, juste après la traversée, reconnaissent immédiatement Jésus (6.54 : İșઃȢ ਥʌȚȖȞંȞIJİȢ ĮIJંȞ). Alors que Jésus demande à ses disciples de se rendre sur l’autre rive, vers Bethsaïda (Mc 6.45), leur traversée s’achève, de manière surprenante, non pas sur l’autre rive, mais à Gennésareth, ville située sur la rive occidentale du lac, au sud de Capharnaüm (6.53)62. Ce détail, loin d’être anodin, est à comprendre en fonction de la relation existant entre le récit de la marche sur les eaux et celui de la résurrection. De fait, comme le miracle sur la mer ouvrant le premier cycle (4.35–41), le deuxième miracle de Jésus sur les eaux du lac de Tibériade (6.45–52), entamant le second cycle, pointe proleptiquement vers celui de 16.1–8. Le récit de la marche sur les eaux (sans la remarque de 6.52) présente une importante similarité formelle avec celui du tombeau vide, comme le montre le tableau qui suit, inspiré du travail de J. D. Crossan, qui s’appuie luimême sur un essai de C. H. Dodd63 :
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Marcus, Mark 1–8, 334–35. Il renvoie également à Es 17.14. Marcus, 334–35. Cf. Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 194. 62 Malbon, « Narrative Criticism », 42 ; Williams, Other Followers of Jesus, 45. 63 Charles H. Dodd, « The Appearances of the Risen Christ : An Essay in Form-Criticism of the Gospels », in Studies in the Gospels : Essays in Memory of R. H. Lightfoot, éd. par Dennis E. Nineham (Oxford : Blackwell, 1955), 24, remarque les similarités formelles entre Mc 6.45–51 ; 16.1–8 et même Jn 6.16–21, et en arrive à la conclusion que la marche sur la mer est en realité un récit d’apparition adapté, récit qui aurait pu influencer la tradition du tombeau vide. John D. Crossan, « Empty Tomb and Absent Lord (Mark 16:1–8) », in The Passion in Mark. Studies on Mark 14–16 (Toronto : MacMillian, 1976), 151, développe ultérieurement en soulignant comment, formellement, Mc 6.45–51 (apparition / réponse / salutation) est plus proche de Mc 16.1–8 (même ordre) que de Mt 28.8–10 et Jn 20.14 (apparition : Mt 28.9a ; Jn 20.14b / salutation : Mt 28.9b ; Jn 20.15–16a / réponse : Mt 28.9c ; Jn 20.16b). 61
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Éléments formels
Marc 6.45–51
Marc 16.1–8
Situation Apparition Reconnaissance Salutation Ordre Résultat
v. 45–48a v. 48b v. 49–50a v. 50b v. 51b ? v. 51c
v. 1–4 v. 5abc v. 5d v. 6 v. 7 v. 8
Encore une fois, le thème de la puissance de Jésus est entremêlé à celui de la Passion, et la mission des disciples auprès des païens est placée en perspective post-pascale. La traversée en solo des disciples est rendue impossible par leur aveuglement relatif à l’identité de Jésus. Ils arriveront enfin à Bethsaïda en 8.22, avec Jésus, pour être témoins de la guérison en deux étapes de l’aveugle (v. 23–25), allusion au besoin d’intégrer un premier degré de compréhension de Jésus en tant que Messie (8.27–30) à un deuxième, constitué par la destinée du Fils de l’Homme souffrant (v. 31). Cette intégration se fera non sans difficultés (8.32–33 ; 9.9–10, 30–32 ; 10.32–45), mais elle est nécessaire pour avoir une vision complétement rétablie et pour le suivre « sur le chemin » (10.51– 52). 7.2.2 La fonction littéraire de Marc 5.1–20 au sein de son contexte narratif en relation avec le thème marcien de la suivance Le portrait d’un Jésus guérisseur et exorciste qui attire les foules (3.7–12) ouvre la section. Ce portrait est en continuité avec le sommaire de 1.32–34, mais il définit et anticipe également ce qui est attendu des Douze par la suite : ce sont eux, en effet, qui, après l’envoi dont ils font l’objet de la part de Jésus, s’inscrivent dans une démarche mimétique de l’activité du Maître : 6.12–13, 30 (cf. ıĮ ਥʌȠİȚ de 3.8 et ıĮ ਥʌȠȘıĮȞ de 6.30). Pourtant, la liaison entre l’annonce de l’œuvre du Jésus marcien et la réponse positive des foules n’est pas l’apanage des Douze. Le « tout ce qu’il faisait » de 3.8 (ıĮ ਥʌȠİȚ), que les multitudes venues « de Jérusalem, de l’Idumée, de l’autre côté du Jourdain et des environs de Tyr et de Sidon » trouvent si fascinant qu’elles se déplacent, éclaire l’action du Gérasénien qui, à son tour, suite à l’injonction de Jésus de raconter ıĮ țȡȚંȢ ıȠȚ ʌİʌȠȘțİȞ (5.19), proclame dans toute la Décapole ıĮ ਥʌȠȘıİȞ ĮIJ ȘıȠ૨Ȣ (v. 20). Le parallèle se précise davantage lorsque l’on remarque que tout comme l’activité des Douze, envoyés deux à deux (6.6b–13, 30), est suivie d’un mouvement de foule vers Jésus (v. 33) et d’un miracle de la part de ce dernier (v. 35–44), l’action en Décapole du Gérasénien est le prélude de l’accueil dont Jésus fera l’objet en terre étrangère et du miracle qui s’ensuivra (7.31–37). Le choix des Douze (3.13–19) pose d’autres bases pour l’élargissement du concept de disciple prôné par Marc. Ce sont les apôtres qui sont choisis « sur la montagne » (3.12), « afin d’être avec lui » (ȞĮ ੯ıȚȞ ȝİIJૃ ĮIJȠ૨) et pour
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« proclamer » (țȘȡııİȚȞ : 3.14). Pourtant, même si le Gérasénien n’a pas la permission de rester avec Jésus (ȝİIJૃ ĮIJȠ૨ : 5.18), il est connoté en tant que proclamateur de l’action salutaire de ce dernier (ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ : 5.20)64. La portée symbolique de la montagne, lieu où notamment Jésus rencontre et instruit ses disciples (3.13 ; 11.1 ; 13.3 ; 14.26), se déploie également en territoire non juif, car c’est bien « près de la montagne » que, suite à l’intervention de Jésus, un étranger s’approche de lui avant de proclamer son œuvre de compassion (5.18, 20). Le récit de l’exorcisme de Gérasa, à l’image des autres récits concernant les personnages mineurs de la section, doit être compris comme pleinement inscrit dans le développement de la thématique de l’identité du disciple exemplaire, telle qu’elle est élaborée par Marc, en parallèle avec celle de la révélation du Fils de Dieu. Les récits du Gérasénien, de la femme souffrant d’un écoulement de sang et de la fille de Jaïros (chap. 5) sont encadrés, en amont, par le choix des Douze (3.13–19), le rejet de Jésus de la part de sa famille et des scribes (ce qui amène Jésus à redéfinir sa famille : 3.20–35) et, en aval, par l’activité des Douze (6.6b–13) et le rejet de Jésus par ses concitoyens (6.1–6a)65. Cette double inclusion attire l’attention du lecteur sur l’enjeu de la réception de Jésus et du positionnement du disciple face à son Maître. Le fait que le ȝİIJૃĮIJȠ૨ de 3.14 soit encore répété en 4.36 (d’autres barques avec celle de Jésus et de ses disciples) et en 5.19 (Gérasénien) peut illustrer, comme l’a remarqué Moloney, la volonté de l’auteur implicite de montrer que l’entourage de Jésus est en train de s’accroître, au moins potentiellement, de manière surprenante66. Le rejet dont Jésus fait l’objet en 3.20–27 résulte du fait qu’il est perçu comme ayant perdu la tête (verbe ਥȟıIJȘȝȚ, v. 21) et étant possédé (ǺİİȜȗİȕȠઃȜ ȤİȚ… ʌȞİ૨ȝĮ ਕțșĮȡIJȠȞ ȤİȚ : v. 22, 30). Cet épisode prépare 3.31–35, où le Jésus marcien redéfinit sa famille, en laissant dehors ceux qui adoptent le point de vue des scribes et de sa parenté et en intégrant « quiconque fait la volonté de Dieu » (v. 35). C’est sans doute à la lumière de ce passage que le récit du Gérasénien, où l’expulsion des démons (5.11–13) aboutit au rétablissement psychologique de l’homme (v. 15) et à l’accomplissement de la volonté de Jésus (v. 19–20), doit être lu, car il donne une réponse inattendue à la question posée par le Jésus marcien en 3.33 : « qui est ma mère, et [mes] frères ? » Dans le même sillage, le rejet des Géraséniens à l’égard de Jésus (5.17) s’aligne sur celui, proleptique, de sa famille et des scribes (3.20–25)67. Le chapitre 4, celui des paraboles du Royaume, continue d’articuler, en le développant, le thème de la suivance et de l’appartenance à la « famille » de 64 Lamarche, « Le Possédé de Gérasa », 589 ; Williams, Other Followers of Jesus, 111 ; Torchia, « Eschatological Elements », 3 ; Collins, Mark. A Commentary, 273. 65 Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 131 ; Torchia, « Eschatological Elements », 4– 5 ; Bonifacio, Personaggi minori, 61–62. 66 Moloney, Mark, 98. 67 Rochester, Good News at Gerasa, 184.
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Jésus. Ce dernier est en compagnie des Douze, mais il est également entouré par d’autres dont l’identité n’est pas révélée (Ƞੂ ʌİȡ ĮIJંȞ, v. 10) et qui offrent un ancrage idéal pour le lecteur implicite. C’est à ce groupe mixte, opposé à « ceux du dehors », que « le mystère du Règne de Dieu a été donné » (v. 11). Le privilège n’est pourtant pas lié à une dimension spatiale, de proximité par rapport au Maître, car ce même groupe est aussitôt apostrophé par Jésus comme étant incapable de saisir le sens de ses paraboles (v. 13). Une brèche est ouverte, le facteur discriminant étant précisé à plusieurs reprises : l’ouïe (v. 23, 24a, 33–34), associée à la vue (v. 12 ; cf. Es 6.9–10 LXX), qui aboutit au fruit (v. 8, 20, 26), un résultat visible (v. 22) et étonnant (v. 24, 32) qui demeure néanmoins l’œuvre mystérieuse de Dieu68. Ces éléments offrent au lecteur implicite les données nécessaires pour évaluer à la fois les Douze et les autres personnages de la section – et de tout l’évangile. Avant la résurrection, les disciples voient sans comprendre (cf. 6.49–50), alors que l’attente les concernant ultérieurement, projetée à l’époque post-pascale, semble être plus encourageante (13.7, 14, 29 ; 16.7), même si la réaction des femmes montre que le mystère de Jésus reste troublant (16.4, 5, 8). Ceux qui s’acharnent contre Jésus, par contre, répondent avec la condamnation de ce qu’ils contemplent69. Pourtant, le temps viendra où ils verront et comprendront (13.26–27 ; 14.62)70. Le récit du démoniaque de Gérasa s’inscrit dans ce discours en mettant en scène une galerie de personnages : un démoniaque, ou plutôt l’esprit impur qui l’habite, qui « voit » Jésus en tant que « Fils du Très Haut » (5.6–7) ; des gardiens, qui ont vu ce qui s’était passé, sans pour autant avoir un discours fructueux pour ce qui est de l’accueil de Jésus (v. 16) ; des gens des environs de Gérasa, qui voient l’homme libéré et réagissent en s’effrayant et en demandant à l’exorciste de quitter leur territoire (v. 15, 17)71. Inversement, l’ex-démoniaque est évalué positivement à la fois parce qu’il comprend l’action de Jésus en tant qu’accomplissement de l’œuvre de Dieu (v. 19–20) et parce que, au chapitre 7, Jésus fera l’objet d’un bon accueil en Décapole (7.31–37). Dans ce dernier texte, la guérison du sourd est à mettre en relation avec l’incapacité de comprendre dénoncée en 4.12 (cf. Es 6.9 ; 7.14, 18). De même, elle est à entrevoir comme la mise en condition, pour ces païens – et pour le lecteur implicite –, en vue de répondre positivement aux invitations à écouter le Jésus marcien (cf. Mc 7.37 à lire en lien avec Es 35.5–6 ; voir Mc 4.3, 9, 23, 24 ; 7.14, 16). Le Gérasénien, avec Jaïros (5.22) et la femme souf-
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Guelich, Mark 1–8:26, 204 ; Malbon, « Narrative Criticism », 46–47 ; Williams, Other Followers of Jesus, 105–6, 108 ; Rochester, Good News at Gerasa, 176. 69 Mc 2.16 ; 3.2 ; 7.2–5 ; 11.18 ; 12.1, 12 ; 14.11, 58, 64. 70 Williams, Other Followers of Jesus, 107–8, note 4 ; Rochester, Good News at Gerasa, 177. 71 Voir Rochester, Good News at Gerasa, 184.
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frant d’un écoulement de sang (5.27), devient ainsi exemplaire en ce qu’il supplie Jésus après l’avoir « vu » ; de même, la femme syrophénicienne et Bartimée se tournent vers lui après l’avoir « entendu » (7.25 ; 10.47)72. La relation établie par l’auteur implicite entre le chapitre des paraboles (Mc 4) et l’exorcisme de Gérasa (5.1–20) met en exergue un autre élément fondamental de la Weltanschauung proposée par cet évangile, à savoir que la tension entre ceux du dehors et la « vraie » famille de Jésus est le reflet d’un conflit cosmique qui voit s’opposer d’un côté l’action de Jésus exorciste-guérisseurenseignant, et de l’autre celle de Satan, qui est à la fois un oppresseur impitoyable (cf. 5.5) et celui qui « enlève la parole qui a été semée en eux » (4.15). Dans cette perspective, le langage exorcistique de la péricope qui suit la séquence narrative des paraboles, à savoir l’apaisement de la tempête (4.35–41), connote le passage sur l’autre rive comme l’anéantissement des frontières entre Israël et les nations. Selon l’évaluation de l’auteur implicite, il s’agit du dépassement d’une résistance diabolique à l’intégration des « autres » dans les frontières du Royaume73. Chez Matthieu, qui renonce au lien entre les paraboles du Royaume et le miracle de la tempête apaisée, ce dernier récit assume la fonction de coupler le thème de l’autorité de Jésus avec celui de la bonne attitude du disciple74. Pour Marc, il s’agit plutôt de confronter le lecteur à l’incompréhension des disciples, qui ouvre un espace propice pour une évaluation positive du Gérasénien. Francis Moloney remarque que le récit de la tempête apaisée ne suit pas la structure typique du récit de miracle car, au cadre initial (4.35–36), à la complication (v. 37–38), au miracle (v. 39) et à l’admiration des témoins (v. 41) fait suite, comme une aporie, la peur des bénéficiaires (v. 40). Cette anomalie peut être comprise comme découlant de la volonté de l’auteur implicite de mettre en exergue la difficulté des disciples à cerner Jésus75. Le groupe mixte qui pourtant s’exprime à l’unisson en 4.10, se décompose aux versets 34–35, où les disciples seuls sont à la fois des insiders privilégiés et ceux qui sont appelés à passer sur l’autre rive. Il ne s’agit pas d’un choix anodin de la part de l’auteur implicite, car ce qui va se passer en 4.35–41 et ensuite en 5.1–20 a justement la fonction de suggérer comment connoter « les
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Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 203 ; Williams, Other Followers of Jesus, 107–8, note 4 ; 123 ; Rochester, Good News at Gerasa, 177. 73 Williams, Other Followers of Jesus, 109. 74 Hilgert, The Ship and Related Symbols, 85 ; Mello, Matthieu, 167–68 ; Torchia, « Eschatological Elements », 6 ; France, Mark, 221–22, 335–37. 75 Moloney, Mark, 101 : Marc utilise ce récit qu’il hérite de la tradition « to develop his presentation of the mystery of Jesus, and also to portray the disciples’ steady movement toward misunderstanding and failure ».
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autres » qui sont associés aux Douze en 4.10. En fait, le récit de 4.35–41 est le premier volet d’un triptyque organisé selon le schéma suivant76 : A - 4.35–41 : Jésus apaise la tempête, incompréhension des disciples (v. 41) B - 5.1–20 : Exorcisme de Jésus ; les disciples ne sont pas mentionnés ; le possédé voit et supplie (v. 6, 10) A’ - 6.45–52 : Jésus marche sur la mer, incompréhension des disciples (v. 52) B’ - 6.53–56 : Exorcismes et guérisons de Jésus ; les disciples ne sont pas mentionnés ; les gens reconnaissent Jésus (v. 54) et le supplient (v. 56) A’’ - 8.13–21 : Sur le bateau, Jésus instruit les disciples, qui ne comprennent pas (v. 17, 21) B’’ - 8.22–26 : Guérison de Jésus ; les disciples ne sont pas mentionnés ; l’homme supplie (v. 22) et voit distinctement (v. 25) Cet arrangement « isole » les disciples dans leur manque de compréhension afin de rendre possible l’inclusion, dans la « famille » de Jésus, d’autres personnages qui se situeraient au départ en dehors des insiders, mais qui doivent être compris, narrativement et non pas historiquement, comme les Ƞੂ ʌİȡ ĮIJંȞ de 4.10. Toutefois, le lecteur implicite n’est pas amené à considérer les disciples comme étant disqualifiés pour la suivance car, tout en restant « en dehors » de la compréhension du mystère de Jésus, ce sont eux que Jésus sollicite pour aller sur l’autre rive (4.35 ; 6.45 ; cf. 8.13) et qu’il console par des propos parénétiques (« n’ayez pas peur » : 6.51 ; « ouvrez l’œil » : 8.15)77. Qui plus est, leur questionnement n’est pas assimilable au manque de foi de sa famille (3.21), des scribes (3.22) ou des gens de son village qui, tout en se posant la question de l’identité de Jésus (6.2–3), se scandalisent et manquent de foi (v. 3, 6)78. 76 Élaboration personnelle à partir d’un travail de Norman R. Petersen, « The Composition of Mark 4:1–8:26 », HTR 73, no 1–2 (1980) : 196–217 ; Rochester, Good News at Gerasa, 181. Sur les trois traversées, voir également Malbon, « Echoes and Foreshadowings », 214 ; Williams, Other Followers of Jesus, 104. La grande similitude entre le récit de la guérison du sourd-muet (Mc 7.32–37) et celui de la guérison de l’aveugle de Bethsaïda (8.22–26) est mise en relief à la p. 340 du présent ouvrage. 77 Malbon, « Narrative Criticism », 46–47 ; Moloney, Mark, 101. Sur la possible valeur symbolique de la barque, voir France, Mark, 223 ; Bonifacio, Personaggi minori, 87. Ce dernier montre que la description d’un bateau au sein de la tempête comme référence emblématique à un groupe en danger qui a besoin d’être sauvé est un topos classique (Euripide, Tro. 101–105 ; Sophocle, Ant. 540–541 ; Plutarque, Tranq. an. 17 [476a–f] ; Horace, Carm. 1.14) exploité même par les Juifs (T. Neph. 6). 78 Rochester, Good News at Gerasa, 185 ; Bonifacio, Personaggi minori, 84. Bonifacio souligne l’importance de l’adverbe ȠʌȦ (« pas encore ») en Mc 4.40 comme moyen que le narrateur emploie pour tempérer le reproche aux disciples.
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La « grande peur » des disciples (Mc 4.41), qui caractérise leur réaction à l’action miraculeuse de Jésus, est éliminée dans la version lucanienne du récit (Lc 8.25) et transposée avant le miracle par Matthieu (8.26). Le miracle, selon la perspective marcienne, n’est pas suffisant pour créer la foi. Au contraire, il peut susciter la peur qui usurpe la place de la foi et qui doit être remplacée par cette dernière (Mc 4.40). Toutefois, la peur rend possible le questionnement sur l’identité de Jésus (v. 41), et donc la prise de position qui s’ensuit, positive ou négative, face au mystère qu’il représente79. La peur des disciples résonne ainsi en celle des Géraséniens (5.15) et en celle de la femme atteinte d’une perte de sang (5.33). Tout comme le manque de foi réprimandé en 4.40, cette frayeur devant le miracle accompli trouve son pendant positif dans la foi suscitée par la suite des événements. Il s’agit tout d’abord de l’identification par l’ex-démoniaque étranger de l’accomplissement de l’œuvre de Dieu dans le ministère de Jésus (5.19–20). À cela s’ajoutent l’attitude de la femme évaluée positivement par Jésus (5.34) et celle proposée à Jaïros (5.36)80. Même si la peur est une conséquence du miracle, l’angoisse des disciples commence déjà à se manifester face au sommeil de leur Maître alors que des vagues menaçantes remplissent le bateau (4.37–38). Le lien entre un Jésus qui se soustrait et le désarroi que la perspective de la mort provoque ne peut être dépassé, selon Marc, que par la foi. Alors que les disciples sont confrontés à cet obstacle à franchir, le Gérasénien ne semble pas être affecté négativement par le refus de Jésus de lui accorder le bénéfice de sa proximité physique (5.18– 20)81. De même, l’attente que Jésus impose à Jaïros pour aller s’occuper d’abord de la femme qui saigne, alors qu’ils sont en train de se diriger vers la maison où réside la fillette malade, devient l’espace narratif dans lequel a lieu la mort de cette dernière (5.35). Encore une fois, absence de Jésus et mort sont mises en relation, un lien qui peut être rompu seulement par un acte de foi (5.36), faute de quoi la peur cède la place à l’incrédulité moqueuse (v. 40). Le lecteur de Marc retrouvera cette même articulation au tombeau vide, alors que l’absence de Jésus, résultat du miracle de la résurrection, suscitera la peur des femmes (16.5, 8). Elles aussi seront incitées, par le jeune homme, à dépasser cette peur par un acte de confiance en une parole précédemment annoncée (16.6–7), qui renvoie directement à 14.28 mais également aux réponses exemplaires des personnages mineurs du chapitre 582. 79
Witherington, The Gospel of Mark, 177 ; Bonifacio, Personaggi minori, 83. Cf. Hilgert, The Ship and Related Symbols, 86 ; Williams, Other Followers of Jesus, 109–10 ; Bonifacio, Personaggi minori, 93–124 ; Rochester, Good News at Gerasa, 184. 81 Lc 8.35 a țĮșȝİȞȠȞ… ʌĮȡ IJȠઃȢ ʌંįĮȢ IJȠ૨ ȘıȠ૨. Cette position, à la fois paradigmatique et programmatique, montre le besoin d’instruction du disciple avant de pouvoir s’engager dans la mission (v. 39). Ainsi Hilgert, The Ship and Related Symbols, 88. 82 Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 63 : les miracles du chapitre 5 « restaurent l’humain dans sa santé et sa dignité, homme, femme, enfant ». Concernant le miracle de l’hémorroïsse et de la fille de Jaïros, Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 80
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Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1-20
En aval de ce chapitre, la proclamation des Douze fait écho à celle du Gérasénien, les deux se déployant respectivement en territoire juif et non juif (țȘȡııȦ en 5.20 et 6.12). Le parallélisme est renforcé par l’emploi des expressions presque identiques ıĮ ਥʌȠȘıİȞ (5.20) et ıĮ ਥʌȠȘıĮȞ (6.30). Dans le premier cas, l’objet de la proclamation de l’ex-démoniaque est ce que Jésus a fait pour lui, alors que, pour les disciples, il est question de rapporter à Jésus ce qu’ils ont accompli83. À la différence du Gérasénien, un personnage mineur qui n’a pas vocation à évoluer au fil du macro-récit, les disciples subissent les avancées et les reculs paradoxaux auxquels l’auteur implicite les destine. Alors qu’ils participent activement à l’œuvre de leur Maître (6.7–13, 30) et qu’ils passent ainsi du statut de Douze (6.7) à celui d’Apôtres (6.30)84, ils se retrouvent aussitôt à nouveau confrontés à leur manque de compréhension (6.37, 50 : pain) et à leur peur (6.50). Ce sera un autre personnage mineur, la femme syro-phénicienne, qui offrira le pendant positif à l’attitude des disciples en manifestant, dans sa posture suppliante (7.25), une foi courageuse et exemplaire ainsi qu’une meilleure compréhension de la symbolique du pain (dans son cas, représenté par les miettes : 7.27)85. Comme cela a déjà été évoqué plus haut, les disciples ne semblent pas être encore en mesure de suivre les directives de leur Maître qui veut les pousser à franchir – seuls, cette fois ! – la frontière qui les sépare de l’autre rive (6.45). Si Jésus les congédie pour qu’ils se dirigent vers Bethsaïda, pour le moment ils se contentent d’amarrer à Gennésareth, située toujours sur la côte occidentale du lac homonyme (6.53). Il faudra multiplier les contacts entre le Jésus marcien et les non-Juifs (outre 5.1–20 ; 7.24–30, 31–37 ; 8.1–10) pour qu’ils puissent, enfin, atteindre l’autre rive (8.22)86. 77, affirment que « [l]’emboîtement des deux histoires, l’une enchâssant l’autre, vise à les mettre en résonance. Les rapprochements ne manquent pas. De part et d’autre, il s’agit d’une femme. De part et d’autre, le chiffre 12 est posé : c’est la durée de la maladie de la femme et l’âge de la fillette. De part et d’autre, la souffrance est dramatisée : la gravité de l’hémorragie est soulignée, la mort de la fillette est annoncée. De part et d’autre domine une dualité public-privé, mais en sens inverse : la femme doit aller du secret à l’aveu public (v. 30–33), tandis que chez Jaïros, Jésus passe du public au privé (v. 40–43) ». Cf. Malbon, « Narrative Criticism », 39–40. Il est suggestif d’imaginer l’enchaînement des miracles de Mc 5 comme l’établissement d’une « famille » (homme, femme, enfant) composée par un païen et deux Juives, là où les barrières ethniques et l’impureté dont ils étaient atteints ont été évacuées par l’action du Nazaréen. 83 Craghan, « The Gerasene Demoniac », 534. 84 Seul emploi de ce mot en Marc, à part 3.14 où il y a cependant une incertitude d’ordre textuel. 85 Kelber, Mark’s Story of Jesus, 38 ; Guelich, Mark 1–8:26, 389 ; Lane, Mark, 259 ; Williams, Other Followers of Jesus, 121 ; Geyer, Fear, Anomaly and Uncertainty, 79–84 ; Rochester, Good News at Gerasa, 196. 86 Kelber, Mark’s Story of Jesus, 30–33 ; Malbon, « Narrative Criticism », 46–47 ; Witherington, The Gospel of Mark, 174.
La fonction narrative de la péricope de Marc 5.1–20
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Le sommaire de 6.56 souligne que la puissance guérisseuse de Jésus se déploie par simple contact avec les malades. Il n’est pas anodin que la mention d’une proximité trop importante avec des gens susceptibles de rendre impur, mais qui sont « sauvés » (ıȗȦ) par celui sur qui l’Esprit est descendu (1.11), cède le pas à une controverse sur la pureté (7.1–23). Le chapitre 7 s’ouvre avec la mention de « Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem » (7.1) : des personnages déjà connotés en tant qu’antagonistes (2.6, 16, 18, 24 ; 3.6, 22). La controverse est déclenchée par le fait que les disciples de Jésus mangent avec des mains non lavées, donc souillées selon la tradition des anciens (7.2, 5). Le choc provoqué par le toucher des aliments avec des mains souillées est à comprendre à la lumière du sommaire (6.56), où Jésus est touché par les malades, mais aussi à l’aide des récits où Jésus a été et sera en contact avec des personnages impurs (1.21–28, 40–45 ; 5.1–20, 21–24 et 35–43, 25–34 ; 6.5, 54–56 ; 7.24–30, 31–37 ; 8.1–10). Comme nous l’avons vu jusqu’ici, la section est au service d’un élargissement du concept de disciple selon la perspective de l’auteur implicite dont l’objectif est de montrer la légitimité de l’inclusion des païens/impurs au sein de la famille du Jésus marcien. À partir du chapitre 6 et jusqu’à 8.20, le « pain » revêt, à cet égard, une importance toute particulière : il est offert miraculeusement à la grande foule composée par des Juifs (6.30–44), ainsi qu’à la grande foule en territoire non juif (8.1–10) ; entre ces deux épisodes, il est évoqué comme un symbole non compris par les disciples (6.52 ; voir aussi 8.16–21) et, sous forme de « miettes », en tant qu’élément déterminant dans l’argumentation de la femme syro-phénicienne (7.24–30). La symbolique de ce « pain » sera dévoilée sans équivoque lors du repas eucharistique (14.22–25). Pourtant cet aliment est déjà ici évocateur de la personne de Jésus au moyen d’une suggestion implicite de prosopopée en 8.14–15 (« ils n’avaient qu’un seul pain avec eux…il leur faisait cette recommandation… »)87. Dans ce contexte, la controverse entre Jésus et les Pharisiens en 7.1–13 est à lire dans l’optique de la pureté conquérante du Jésus marcien. Cette lecture est confirmée par le fait que Jésus ne se borne pas à répondre aux opposants, mais invite également la foule à entendre et à comprendre (7.14 : ਕțȠȦ, ıȣȞȘȝȚ), ce qui est un écho de 4.9 (« celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » ; cf. varia lectio 7.16 ; voir aussi 4.3, 23, 24) et du thème de l’écoute (4.3, 9, 23, 24). Mais c’est aussi l’occasion de préparer le récit de la femme syro-phénicienne, qui se jette aux pieds de Jésus après avoir entendu parler de lui (7.25), et celui de la guérison, toujours en territoire non juif, du sourd décapolien (7.37). Inversement, les disciples sont connotés en tant que personnages
87
Jin Young Choi, « The Misunderstanding of Jesus’ Disciples in Mark : An Interpretation from a Community-Centered Perspective », in Mark, éd. par Daniel Patte, Nicole Duran Wilkinson et Teresa Okure, T&C (Minneapolis : Fortress Press, 2011), 68–69.
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Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1-20
qui ne saisissent pas : le manque de compréhension qui en 4.12 est attribué à ceux du dehors les connote eux-mêmes en 6.52 ; 7.18 et 8.14, 2188. Comme en 5.1–20, Jésus se retrouve en 7.24–30 en territoire païen, confronté à un personnage non juif qui se prosterne devant lui (5.6 : ʌȡȠıțȣȞȦ // 7.25 : ʌȡȠıʌʌIJȦ) et qui a un lien avec l’esprit impur (5.2 // 7.25). On note également la présence (physique ou métaphorique) d’animaux impurs (cochons en 5.11–13 // chiens en 7.27–28). Dans les deux épisodes, les disciples sont narrativement absents et les personnages mineurs reçoivent l’injonction de rentrer chez eux (5.19 // 7.29) sans obligation de se taire. Qui plus est, dans un cas comme dans l’autre, ces récits marciens révèlent une attitude qui remonte au Jésus de l’histoire, à savoir la distinction formelle entre les Juifs et les païens89. Toutefois, la séquence narrative est l’œuvre de l’auteur implicite, dont le but est d’amener le lecteur implicite à se situer dans une perspective post-pascale d’intégration des étrangers dans le cercle des disciples du Ressuscité. C’est justement ce décalage qui explique la résistance initiale de Jésus face à la requête de la femme en 7.27, alors qu’en 5.8–13 il a déjà exorcisé un étranger en territoire non juif. Dans cette perspective, l’hésitation et, ensuite, la « conversion » de Jésus en 7.24–30 s’intègrent dans le processus de reconfiguration du disciple hésitant qui est amené à se rendre seul au-delà du lac (destination Bethsaïda : 6.45), mais qui, dans un premier temps, a échoué (v. 53 : Gennésareth). C’est après les explications de Jésus sur la question de l’impureté (7.1–23), le double miracle en terre païenne (7.24–30, 31–37) et après que l’accès au « pain » a été rendu possible aux étrangers (8.1–10) que l’incapacité des disciples à atteindre le but que leur a fixé Jésus en 6.45 est enfin vaincue puisqu’ils arrivent à Bethsaïda (8.22)90. Le fait que l’intégration des étrangers repose sur la notion fondamentale de sainteté conquérante capable de purifier l’impur est souligné par Marc grâce à la mise en parallèle de la Syro-phénicienne avec la femme juive souffrant d’un écoulement de sang. Les deux ont entendu parler de Jésus (5.27 // 7.25) et se jettent à ses pieds (5.33 // 7.25), leur détermination étant mise en valeur par lui 88 Malbon, « Narrative Criticism », 46 ; Williams, Other Followers of Jesus, 118 ; Jean Noël Aletti, « Analyse narrative de Mc 7,24–30 : difficultés et propositions », Bib 93, no 3 (2012) : 357–76. Pour Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 170 : « la possibilité d’une concomitance entre le rassasiement des enfants et le nourrissage des petits chiens » est reflété par la double multiplication des pains (Mc 6.30–44 ; 8.1–10) qui engendre les questions de 8.17 et 8.21 : « vous ne comprenez pas encore ? ». 89 Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 169, précise que Jésus s’exprime comme « un maître de maison qui préside la table et énonce dès lors ce qu’est la norme en entendant bien que personne n’y déroge. Et, par ses propos, les païens se trouvent absolument distingués des Juifs ». Il renvoie à Focant, L’Évangile selon Marc, 284, note 5. 90 Malbon, « Narrative Criticism », 46–47 ; Williams, Other Followers of Jesus, 120 ; Grappe, « Jésus et la femme syrophénicienne », 180.
La fonction narrative de la péricope de Marc 5.1–20
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(5.34 // 7.29). De même, la Syro-phénicienne est également mise en parallèle avec Jaïros, car lui aussi tombe aux pieds de Jésus (5.22) et intercède pour sa fille (5.23 // 7.26)91. Suite à l’exorcisme à distance dont bénéficie l’enfant de la Syro-phénicienne, Jésus continue son périple en territoire non juif (Tyr, Sidon) pour revenir là où, pour la première fois, il a guéri un étranger : en Décapole (7.31). L’inclusion entre les deux miracles de l’exorcisme du Gérasénien et du sourd-muet est rendue explicite par l’emploi de termes identiques (șȜĮııĮ : 5.1 // 7.31 ; ȡȚȠȞ : 5.17 // 7.31 ; ǻİțʌȠȜȚȢ : 5.20 // 7.31, ce dernier mot se retrouvant seulement à ces deux endroits en Marc)92. C’est le prélude à une autre action du Jésus marcien, en territoire non juif, qui constitue une inclusion, à son tour, avec le miracle en 6.30–44 : le miracle du pain en faveur des quatre mille personnes (8.1–10), promesse d’une communion eucharistique élargie qui sera rendue possible après la Passion. Le retour en Galilée, à Dalmanoutha (8.10), après cette incursion couronnée de succès en pays non juif, coïncide avec la reprise des hostilités entre Jésus et les Pharisiens desquels, sur le plan de l’intrigue, il s’est déjà éloigné (cf. 7.1– 5). Cette fois, la question de la relation avec l’impureté ayant été réglée, la controverse a de nouveau pour objet l’incapacité des opposants à saisir l’identité de Jésus et la tentative de l’instrumenter, voire de se rendre maîtres de lui. Les Pharisiens lui demandent « un signe (venant) du ciel » (8.11), une requête qui induit une volonté de domestiquer le pouvoir surnaturel (divin, dans l’optique du lecteur implicite) qui se manifeste en Jésus plutôt que de le reconnaitre lui-même, et de se saisir de lui là où il se manifeste de manière indépendante des souhaits humains93. Le Jésus marcien, qui « a fait toutes choses bien » (7.37), refuse catégoriquement de produire des « signes » sur demande (8.12). La suite de l’évangile révélera que les ıȘȝİĮ sont laissés aux faux messies et aux faux prophètes (13.22), frustrant également ses propres disciples en attente d’une réponse (13.4) ; ces mêmes disciples qui, à l’instar des Pharisiens (8.11–13), restent obtus, sourds et aveugles (8.14–21), notamment sur la symbolique du pain et la portée des deux miracles le concernant (6.30–44 et 8.1– 10). À la différence du Gérasénien, pour lequel l’absence de Jésus est sublimée par sa présence dans la proclamation (5.18–20), les disciples semblent déconcertés face au manque de pain (8.17) – bien qu’un pain soit encore avec eux 91
Williams, Other Followers of Jesus, 46, 118. Williams, 45. Cuvillier, L’évangile de Marc, 103, suggère que « tout ce que le Seigneur a fait pour toi » (Mc 5.19) est une allusion au Ps 118.17 et que le retour de Jésus en Décapole (Mc 7.31–37) peut être compris comme un prolongement de l’annonce de l’ex-démoniaque : « celui qui a entendu la parole de Jésus agir en lui peut en parler autour de lui […] ». 93 Malbon, « Narrative Criticism », 46–47. Le Jésus marcien ne produit pas de ıȘȝİĮ mais accomplit des įȣȞȝİȚȢ (Mc 6.2, 14 ; 13.25). Lui demander des « signes » (8.11–13) veut dire prétendre que le pouvoir divin soit disponible « on one’s own terms rather than to perceive it wherever it manifests itself » (ibidem). 92
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Chapitre 7 : La fonction narrative de Marc 5.1-20
dans le bateau (v. 14), symbole, pour le lecteur construit, du Christ dans sa réalité post-pascale et eucharistique. La question à l’allure de reproche adressée aux disciples est suivie par la péricope qui clôture la section étudiée : ils arrivent enfin à Bethsaïda (8.22– 26). Au-delà de la réelle position géographique de cette ville et de la composition ethnique et culturelle de sa population94, le narrateur lui donne une signification symbolique importante, car il la situe sur « l’autre rive » du lac (v. 13). Malbon remarque à juste titre que la guérison de l’aveugle de Bethsaïda présente des similitudes avec celle du sourd de la Décapole : les deux épisodes se déroulent de l’autre côté du lac ; les deux malades sont amenés par des gens ; les deux hommes sont affectés par des pathologies liées aux sens (ouïe ; vue) ; dans les deux cas, Jésus utilise sa salive ; aux deux est adressée l’injonction de ne pas divulguer l’événement95. Puisque la guérison de l’aveugle en deux temps est mise en relation avec la confession de Pierre à venir, Pierre qui voit « partiellement » Jésus en tant que Christ (8.27–30) mais a encore besoin d’intégrer à cette vision la notion de Fils de l’Homme souffrant (v. 31–33), on constate que la force reconfiguratrice du récit se déploie en conjuguant les thèmes de l’identité de Jésus et de l’identité de qui est à même de s’engager dans la suivance. En effet, il est ironique de constater que c’est un aveugle de l’« autre rive » qui devient le paradigme du parcours que Pierre et le lecteur implicite doivent entreprendre pour saisir la véritable identité du Maître. Mais le miracle de la guérison de l’aveugle de Bethsaïda offre également une synthèse rétrospective. Le fait de voir « tout distinctement » (8.25 : IJȘȜĮȣȖȢ ਚʌĮȞIJĮ) est l’aboutissement de la prise en compte d’une modalité surprenante, adoptée par le Jésus marcien lors de l’accomplissement de son ministère. S’il y a des dualités « compréhensibles » dans sa démarche, par exemple l’alternance entre parabole et explication, ou entre guérisons et exorcismes, l’auteur implicite en met aussi d’autres en scène, qui sont déroutantes96. Jésus est reconnu par les démons, mais contré par sa famille et par les autorités juives, et incompris par ses disciples ; les cochons et les chiens, qui sont des animaux impurs, deviennent des éléments positifs dans son action en faveur des païens ; le « pain » qu’il offre à Israël est également donné aux nations ; il est à la fois le Messie conquérant et le Fils de l’Homme souffrant. La guérison, en deux temps, de l’aveugle de Bethsaïda montre que l’identité du disciple ne peut se 94
Voir Joseph Verheyden, « Trouble at Bethsaida : Some Comments on the Interpretation and Location of Mark 8,22–26 within the Gospel », in La surprise dans la Bible. Hommage à Camille Focant, éd. par Geert Van Oyen et André Wénin, BETL 247 (Leuven – Paris – Walpole : Peeters, 2012), 209–32. 95 Malbon, « Narrative Criticism », 47. 96 Malbon, 47 : « The duality of the Markan Jesus’ technique reflects the twofoldness of the Markan implied author’s convictions : Jesus is the Messiah for both Jews and Gentiles ; Jesus is Messiah of power and suffering service ; to see that is to see everything clearly ».
Les personnages dans l’évangile de Marc
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construire que par des avancées transitoires mais surprenantes et bouleversantes. Ces dernières sont aussi étonnantes que le processus de dévoilement de l’identité du Fils de Dieu qui aboutit à la croix et au tombeau vide, mais qui débouche sur une nouvelle ère, un « ensuite », annoncé, entre autres, par le « d’abord » de 7.27 et préfiguré par la proclamation du Gérasénien aux nonJuifs (5.20). Cette analyse de la manière dont le récit du démoniaque de Gérasa s’intègre dans son contexte littéraire, notamment en relation avec l’articulation des thèmes de l’identité de Jésus et de la suivance, s’achèvera avec une réflexion sur la manière dont Marc gère les personnages de son évangile et leur relation avec le lecteur implicite. Il s’agit d’un préalable nécessaire qui pose les bases théoriques pour la dernière étape de notre étude, qui fera l’objet du prochain et dernier chapitre, à savoir l’appréciation du parcours narratif que le lecteur entreprend lorsqu’il est amené à établir une connexion entre le Gérasénien et, notamment, deux autres personnages mineurs, à savoir le jeune homme qui s’enfuit nu et celui qui annonce la résurrection aux femmes dans le tombeau vide.
7.3 Les personnages dans l’évangile de Marc Les personnages dans l’évangile de Marc
On ne saurait exagérer l’importance d’étudier l’évangile de Marc en tant que récit articulé dont l’effet sur le lecteur peut être mesuré seulement à partir d’une appréciation globale de son intrigue, des liens intratextuels, des personnages et du lien évaluatif que le lecteur instaure avec eux97. De nombreux personnages98 peuplent l’univers marcien. Certains sont plats (Dieu, les démons, les autorités juives qui s’acharnent contre Jésus)99, alors que d’autres sont ronds, c’est-à-dire qu’ils peuvent présenter des caractéristiques 97 Fowler, Let the Reader Understand, 42–46 ; Malbon, « Narrative Criticism », 23–49 ; Williams, Other Followers of Jesus, 18–21, 333–35 ; Black, The Disciples According to Mark, 239. 98 Sur la définition de « personnage », voir notamment Petri Merenlahti, « Characters in the Makingௗ: Individuality and Ideology in the Gospels », in Characterization in the Gospels : Reconceiving Narrative Criticism, éd. par Kari Syreeni et David M. Rhoads, JSNTSup 184 (Sheffield : Sheffield Academic Press, 1999), 50 ; Smith, A Lion with Wings, 52 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 99–136. 99 Dans l’Antiquité, les personnages plats sont représentés avec un ethos stable (vices ou vertus statiques). Voir Merenlahti, « Characters in the Making », 51 ; Mary A. Tolbert, « How the Gospel of Mark Builds Character », Int 47, no 4 (1993) : 348–49. Sur les responsables religieux en tant que personnages dans Marc (et les autres synoptiques), voir Smith, A Lion with Wings, 56 ; Powell, What is Narrative Criticismࣟ?, 61–67. Les opposants de Jésus en Marc (scribes [sauf celui en 12.28–34], Pharisiens, Hérodiens, prêtres, anciens) n’ont qu’un but : l’éliminer (3.6 ; 8.31 ; 11.18 ; 12.8 ; 14.1).
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plus complexes et/ou évoluer/surprendre au fil du micro-récit, voire du macrorécit (notamment Jésus et les disciples, mais aussi plusieurs personnages mineurs)100. L’auteur implicite emploie un bon nombre d’outils pour induire le lecteur implicite à évaluer chaque personnage. En voici quelques-uns : un narrateur omniscient qui en révèle l’état d’âme101 ; description de son apparence (ou état)102, de sa qualité ou nature éthique/spirituelle (cf. 6.20), des lieux qu’il fréquente, de ses actes (accomplis ou subis) ; paroles prononcées par le personnage et/ou à propos du personnage103 ; synkrisis ; signification du nom104. Il est donc évident que, au moins pour les personnages principaux, l’évaluation se situe à la fin d’un parcours qui combine plusieurs éléments disséminés, mais s’éclairant mutuellement, dans l’ensemble du macro-récit105. Ces éléments engendrent une dynamique d’identification du lecteur avec un ou plusieurs personnages du récit, à des degrés différents106. Intuitivement, c’est au groupe des disciples que revient en premier cette fonction-clé, car il trace « la ligne de la continuité », en garantissant une présence assidue qui fait défaut aux personnages mineurs107. Certes, on pourrait distinguer les Douze108 des disciples109 et se poser la question de leur relation 100 Sur la manière dont le lecteur implicite établit une connexion avec les personnages mineurs et leurs changements au fil de l’intrigue en vue d’une réponse à la fois cognitive, émotive et pragmatique, se réferer à Tolbert, « How the Gospel of Mark Builds Character », 72 ; Williams, Other Followers of Jesus, 176–83, 202–5 ; Smith, A Lion with Wings, 93 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 12–15 ; Bonifacio, Personaggi minori, 46. Les disciples sont aussi des personnages « ronds » dans le sens où leur désir d’être loyaux jusqu’au bout (Mc 14.31) se heurte à l’échec (14.32–42, 50, 66–72) : Smith, A Lion with Wings, 56. 101 Voir Mc 1.41 ; 2.12 ; 3.5 ; 6.26 ; 9.6 ; 10.14 ; 14.33 ; 16.5, 8. 102 Voir Mc 1.6 ; 5.2–5 ; 9.26 ; 12.42. 103 Fiable : voir Mc 1.22 ; 7.8 ; non fiable : voir 14.64. 104 Fonction anticipatoire du nom : cf. Mc 3.17 avec 9.38–41 et 10.35–41 ; ironie : cf. 3.16 avec 14.37–42 (Simon), 50, 66–72. 105 Pour un développement plus abouti sur les moyens narratifs que Marc utilise pour caractériser ses personnages, voir Williams, Other Followers of Jesus, 60–67. Cf. Smith, A Lion with Wings, 53, 60. 106 Robert Alter, The Art of Biblical Narrative, 127 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 103–4 ; Elizabeth S. Malbon, « Fallible Followers : Women and Men in the Gospel of Mark », Semeia 28 (1983) : 45 ; Smith, A Lion with Wings, 53–56 ; Merenlahti, « Characters in the Making », 49, 52–55 ; Malbon, In the Company of Jesus, 197 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 15–16 ; Rochester, Good News at Gerasa, 70. 107 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 309 : les disciples, au fil du récit, « tracent la ligne de la continuité où le commencement prend la forme d’un ‹à nouveau›, jusqu’à l’heure de l’échec, marquée par l’abandon ». Dans le même sillage, Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 22. 108 Mc 4.10 ; 6.7 ; 9.35 ; 10.32 ; 11.11 ; 14.10, 17, 20, 43 ; apôtres en 6.30. 109 Mc 2.15, 16, 18, 23 ; 3.7, 9 ; 4.34 ; 5.31 ; 6.1, 35, 41, 45 ; 7.2, 5, 17 ; 8.4, 6, 10, 27, 33, 34 ; 9.14, 18, 28, 31 ; 10.13, 23, 24, 46 ; 11.1, 14 ; 12.43 ; 13.1 ; 14.12, 13, 14, 16, 32 ; 16.7. Witherington, The Gospel of Mark, 54, observe qu’en Marc le groupe des disciples
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avec le groupe plus large dont il est question en 4.10 ; de même, on pourrait démarquer des Douze le petit groupe des « plus proches » de Jésus110 et des individus comme Simon Pierre111, les frères Jacques et Jean112 et Judas Iscarioth113. Pourtant, le groupe de disciples en général, les Douze et la plupart des personnages individuels partagent les mêmes caractéristiques de base, à savoir une allégeance à Jésus caractérisée par l’incompréhension et une résistance tragique, mais pas irréversible, au destin de souffrance et de don de sa vie de leur Maître. À partir du chapitre 11, qui présente l’entrée de Jésus à Jérusalem, les marques de loyauté (11.1–10 ; 14.12–16, 31) s’estompent devant les épisodes de défection : Judas (14.10–11), Pierre, Jacques et Jean (14.37), les Douze (14.50), encore Pierre (14.66–72). Cette dernière scène est néanmoins caractérisée par des sanglots de repentance (v. 72) auxquels fait écho le message de réconciliation adressé « à ses disciples et à Pierre » par le jeune homme au tombeau (16.7). Pour cette raison, il est possible de considérer les « disciples », d’un point de vue narratif, comme un personnage collectif114. Il a été avancé que ce personnage collectif est négatif, caractérisé par l’échec et l’apostasie, et que le lecteur s’en éloigne pour enfin s’en distinguer au fur et à mesure que la croix approche. Les partisans de cette lecture comprennent très souvent les disciples comme les représentants d’une réalité historique contre laquelle le deuxième évangile exprime un jugement hautement polémique (tradition orale, Église dynastique de Jérusalem, militants d’une christologie / eschatologie différente de celle de Marc…)115. Nous nous rangeons plutôt du
n’est pas à réduire à celui des Douze, car aussi bien les femmes (15.40–41) que Bartimée (10.46–52) y sont intégrés. 110 Mc 1.16–20, 29 ; 5.37 ; 9.2 ; 13.3 ; 14.33. 111 Mc 1.30 ; 3.16 ; 8.29, 32, 33 ; 9.5 ; 10.28 ; 11.21 ; 14.29, 37, 54, 66–72. 112 Mc 3.17 ; 9.38 ; 10.35, 41. 113 Mc 3.18 ; 14.10, 43. 114 Smith, A Lion with Wings, 64 ; Williams, Other Followers of Jesus, 178–79 ; Bonifacio, Personaggi minori, 18 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 123–24. 115 Les « disciples » en Marc seraient le portrait polémique de : a. ceux qui, dans la communauté marcienne, soutiennent une christologie différente de celle de l’évangéliste, que ce soit l’idée du messie royal : Joseph B. Tyson, « Blindness of the Disciples in Mark », JBL 80, no 3 (1961) : 265 ; Trocmé, La formation de l’Évangile selon Marc, 70–109, et David J. Hawkin, « Incomprehension of the Disciples in the Markan Redaction », JBL 91, no 4 (1972) : 491–500 ; ou du theios aner : Weeden, « The Heresy », 148–49 ; b. la famille despotique de Jésus, dont les déscendants seront appelés plus tard desposynoi : John D. Crossan, « Mark and the Relatives of Jesus », NovT 15, no 2 (1973) : 81–113 ; c. la tradition orale qui doit céder le pas à la tradition écrite (Kelber, The Oral and the Written Gospel, 197 : « … the dysfunctional role of the disciples narrates the breakdown of the mimetic process and casts a vote of censure against the guarantors of tradition. Oral representatives and oral mechanism have come under criticism »). Encore récemment, l’échec des disciples et des Douze a été considéré par certains comme un facteur aliénant pour le lecteur : Smith, A Lion with Wings, 36–37, 58 ; James A. Kelhoffer, Persecution, Persuasion and Power. Readiness to
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côté de ceux qui ne sous-estiment pas les évaluations positives que l’auteur implicite propose des disciples116 et qui, surtout, n’attribuent pas forcément à ce personnage collectif la fonction de « miroir historique ». Il s’agit plutôt (ou davantage) d’un élément narratif au service du dévoilement de l’identité de Jésus et de son enseignement radical et déconcertant relatif à la suivance d’un Seigneur insaisissable et, au final, absent117. Ainsi, le lecteur se retrouve à instaurer, avec le groupe des disciples, une relation caractérisée par la tension dynamique et dramatique entre identification et distanciation. Par la subversion du portrait conventionnel du disciple idéal dans le monde gréco-romain, le lecteur apprécie le caractère contradictoire de l’allégeance des disciples à un Maître qu’ils n’arrivent pas à comprendre, au point de l’abandonner. Pourtant, ce Maître n’hésite pas à les impliquer dans sa mission (cf. 6.7–13) et leur offre même l’horizon d’un nouveau commencement (16.7)118. Dans cette perspective, le groupe des disciples est défini positivement en tant que « fallible followers » (ainsi Tannehill, suivi par Malbon), à savoir figure du lecteur qui apprécie son propre échec et son besoin Withstand Hardship as a Corroboration of Legitimacy in the New Testament, WUNT 270 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2010), 219–20. 116 Voir Mc 1.16–20 ; 2.13–14 ; 3.14 ; 4.10–11 ; 6.7–13 ; 10.28. 117 L’incompréhension des disciples est surtout à lire en fonction du mystère de l’identité de Jésus : ainsi Frank J. Matera, « The Incomprehension of the Disciples and Peter’s Confession (Mark 6:14–8:30) », Bib 70, no 2 (1989) : 165 ; Witherington, The Gospel of Mark, 55 ; Bonifacio, Personaggi minori, 31 ; Daniel Marguerat, « Quatre lecteurs », 57. Malbon, In the Company of Jesus, 42, propose que Marc n’adopte pas le prototype du disciple idéal tel qu’on le trouve, par exemple, en Dn 1–6 ou dans les deux premiers livres des Maccabées, mais plutôt le modèle de celui qui se forme en surmontant les échecs, comme les patriarches et David. Une perspective « pastorale » est adoptée par Camille Focant, « Le rôle des personnages secondaires de Marc. L’exemple des guérisons et des exorcismes », in Raconter, interpréter, annoncer : parcours de Nouveau Testament. Mélanges offerts à Daniel Marguerat pour son 60ème anniversaire, éd. par Emmanuelle Steffek, Yvan Bourquin et Daniel Marguerat, MdB 47 (Genève : Labor et Fides, 2003), 115 (l’obtusité des disciples « reflète la situation de la communauté de Marc et permet à celui-ci de l’appeler à progresser ») ; Robert P. Meye, Jesus and the Twelveࣟ : Discipleship and Revelation in Mark’s Gospel (Grand Rapids : Eerdmans, 1968), 222–24 ; Hawkin, « Incomprehension », 491–500 ; Camille Focant, « L’incompréhension des disciples dans le deuxième évangile », RB 82, no 2 (1975) : 161–85 ; Ernest Best, Following Jesusࣟ : Discipleship in the Gospel of Mark, JSNTSup 4 (Sheffield : University of Sheffield Press, 1982), 11–12, 246 ; Williams, Other Followers of Jesus, 24 ; Bastiaan M. van Iersel, « Failed Followers in Markௗ : Mark 13:12 as a Key for the Identification of the Intended Readers », CBQ 58, no 2 (1996) : 245, 255–62 ; Merenlahti, « Characters in the Making », 71 ; Bonifacio, Personaggi minori, 26–28. Voir également Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 309. 118 Robert C. Tannehill, « Disciples in Mark : The Function of a Narrative Role », JR 57, no 4 (1977) : 392–93 ; Smith, A Lion with Wings, 66 ; Merenlahti, « Characters in the Making », 71 ; Witherington, The Gospel of Mark, 55 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 20 ; Focant, « Le rôle des personnages secondaires de Marc », 116 ; Bonifacio, Personaggi minori, 32.
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de réhabilitation à la lumière du point de vue du Jésus marcien, pour lequel la miséricorde de Dieu manifestée en son Fils souffrant est plus forte que le désarroi provoqué par le chemin de la croix119. Nul ne doute que le groupe des disciples n’est pas le seul personnage avec lequel le lecteur s’identifie : il y a bien évidemment le héros du macro-récit, Jésus, dont le point de vue est celui que le lecteur implicite est invité à adopter ; il y a également la foule, qui s’apparente au groupe des disciples ; enfin, plusieurs figures mineures se démarquent des disciples par leur nature narrative transitoire et par des traits parfois fortement idéalisés et en contraste avec l’attitude de ces derniers. Concernant la foule, elle aussi, comme les disciples, est appelée par Jésus pour bénéficier de ses explications. Elle suit Jésus ; elle est nourrie et guérie par lui ; elle s’étonne face aux miracles et à son enseignement. Elle est également en conflit avec les chefs religieux qui s’opposent à Jésus. Enfin, elle l’abandonne. Comme le dit Malbon, la foule est constituée aussi de « fallible followers » 120, sans pour autant accéder au statut de disciple restauré qui est en vue en Marc 16.7. Les personnages mineurs, par leur brève apparition dans l’évangile de Marc, affectent profondément le lecteur par le rôle mémorable qu’ils jouent. Si quelques-uns sont négatifs (Hérodiade et sa fille, l’esclave du grand prêtre, les soldats qui se moquent et torturent Jésus), la plupart sont connotés positivement. Ils sont identifiés socialement comme « marginaux » (enfants, femmes, pauvres, étrangers, veuve, impurs), mais certains appartiennent à l’élite (Jaïros, la femme riche qui oint Jésus, le scribe en 12.28–34, Joseph d’Arimathée, le centurion en 15.39), montrant que la réponse positive à l’avènement et à l’action du Fils de Dieu est possible (et attendue) de la part de représentants d’une large partie de la société. La place dans l’intrigue de l’épisode dont chacun est le protagoniste est stratégiquement choisie par l’auteur, de sorte que chaque récit les mettant en scène est strictement lié au contexte littéraire. Il en résulte que les récits ne sont pas permutables, car ils éclairent, par contraste ou comparaison, d’autres personnages ou des situations proches, marquant parfois un développement de l’intrigue121. La première partie de l’évangile de Marc est marquée par la présence de personnages singulatifs suppliants dont Jésus prend 119 Tannehill, « Disciples in Mark », 386–405 ; Malbon, « Fallible followers », 29–48. Voir également Williams, Other Followers of Jesus, 179 ; Smith, A Lion with Wings, 64– 67 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 20 ; Grappe, « De quelques figures d’identification », 127– 30 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 103, 125, 166 ; Bonifacio, Personaggi minori, 26, 30–31 ; Mali, The Christian Gospel, 112–14. 120 Malbon, « Fallible followers », 44–45 ; Elizabeth S. Malbon, « Disciples / Crowds / Whoever. Markan Characters and Readers », NovT 28, no 2 (1986) : 104–30. Cf. Smith, A Lion with Wings, 76 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 134–35. 121 Le premier exorcisme a lieu après le baptême et la tentation ; la guérison en deux temps de l’aveugle de Bethsaïda a lieu avant la confession de Pierre ; Bartimée appelle Jésus
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soin en les guérissant et en les exorcisant ; une fois à Jérusalem, Jésus, s’approchant de la croix, est mis en relation avec des personnages qui mettent en valeur son corps et le don de soi auquel il se prépare : la veuve ; Simon le lépreux, qui le reçoit à la maison ; une femme, qui l’oint ; Simon de Cyrène, qui porte sa croix ; Joseph d’Arimathée, qui l’ensevelit ; les femmes, qui vont au sépulcre pour l’embaumer122. L’identification du lecteur avec les différents personnages mineurs positifs passe notamment par ce que Peter Bolt définit comme le sympathetic alignment : avant même d’induire un jugement de type éthique, c’est la dimension du pathos qui est mise en avant par le recours à la technique du showing. C’est ensuite que le narrateur crée une distance entre le personnage mineur et le lecteur pour montrer à ce dernier l’interaction entre Jésus et « son » personnage. C’est seulement à ce stade que l’auteur implicite induit le lecteur implicite à évaluer le personnage en tant qu’idéal ou exemplaire123. De son côté, Christian Grappe remarque un élément qui ajoute une dimension importante à la dynamique de l’identification. Lorsque le récit met en avant le manque de perspicacité ou l’échec des disciples, avec la dégradation de leur image qui en résulte, l’auteur fait surgir les personnages mineurs les plus intéressants124. La conjugaison de ces deux éléments, à savoir : a. la mise en avant d’abord de la dimension sympathique et ensuite de la dimension évaluative, et b. l’introduction de personnages mineurs exemplaires notamment après la détérioration de l’image du disciple, confirme la place de choix que le récit du démoniaque de Gérasa occupe dans l’économie du macro-récit marcien. En effet, c’est suite à la question, sans réponse immédiate, posée par les disciples effrayés sur l’identité de Jésus (4.41), que le lecteur se retrouve confronté à cet homme étranger possédé dont la situation tragique est décrite à l’échelle de plusieurs versets (5.2–5). À la lumière des considérations faites jusqu’ici sur les possibles points d’ancrage pour l’identification du lecteur avec les différents personnages (majeurs et mineurs) du récit, il est important de souligner que c’est justement au lecteur implicite que revient la tâche d’évaluer et de définir de manière dynamique son degré d’identification avec les disciples, la foule et les personnages mineurs « Fils de David » avant l’entrée à Jérusalem ; Mc 8.22–26 ; 9.14–29 et 10.17–31 précèdent les annonces de la Passion. 122 Malbon, « Fallible followers », 29–30, 43–44 ; Williams, Other Followers of Jesus, 12, 47–48, 52–54, 152–66 ; Joel F. Williams, « Discipleship and Minor Characters in Mark’s Gospel », BSac 153, no 611 (1996) : 332–33 ; Smith, A Lion with Wings, 76 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 309–10 ; Malbon, In the Company of Jesus, 190–92 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 15, 23 ; Focant, « Le rôle des personnages secondaires de Marc », 116–18 ; Grappe, « De quelques figures d’identification », 130–32 ; Bonifacio, Personaggi minori, 7–9, 45, 57–58 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 130–32. 123 Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 12–23 ; Bonifacio, Personaggi minori, 8 ; Rochester, Good News at Gerasa, 70. 124 Grappe, « De quelques figures d’identification », 130.
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dans le réseau interrelationnel établi par l’auteur implicite. C’est le principe de l’interactivité de la caractérisation. Pourtant, il ne faut pas oublier que cette démarche est pilotée par les intentions de l’auteur implicite, le véritable responsable de la stratégie narrative en vue de la reconfiguration du lecteur. Dans cette optique, il faut admettre que les personnages de l’évangile sont tous mis en relation avec le héros, et que c’est précisément leur interaction avec Jésus, sa mort et sa résurrection, qui définit la nature de leur caractérisation. Les disciples sont ainsi caractérisés en fonction de leur Maître, celui dont l’expérience paradigmatique permet leur réhabilitation même : il est livré (ʌĮȡĮįįȦȝȚ : 9.31 ; 10.33 ; 14.21, 41) et il goûte à la mort (șȞĮIJȠȢ : 10.33 ; 14.64), une destinée réservée aux siens également (ʌĮȡĮįįȦȝȚ : 13.9, 11, 12 ; șȞĮIJȠȢ : 9.1 ; 13.12). Lorsque les disciples trébuchent ou se situent en deçà des attentes (cf. 4.40–41), l’auteur implicite recourt à des personnages mineurs pour offrir des éléments qui pallient les lacunes des Douze. Pourtant, là aussi, les personnages mineurs sont évalués en fonction de leur interaction avec Jésus, sa destinée et le Royaume dont il annonce l’irruption125. Ainsi, à titre d’exemples, le démoniaque de Capharnaüm met en valeur l’enseignement faisant autorité de Jésus, notamment à travers la relation entre son annonce et la mise en déroute de Satan (1.27) ; la belle-mère de Pierre donne l’opportunité à Jésus de manifester son pouvoir mais également la possibilité pour une femme de se conformer mimétiquement, en tant que disciple, à son exemple (1.31 // 10.45 et 15.41) ; la guérison de l’homme à la main paralysée est l’occasion de mettre en exergue le conflit entre Jésus et les Pharisiens, soutenus par les Hérodiens, et la destinée de mort du Fils de Dieu qui se profile à l’horizon (3.6) ; le Gérasénien marque, entre autres, le passage du message de Jésus à celui sur Jésus ; la femme syro-phénicienne précipite l’intégration des étrangers déjà prévue par le Jésus marcien ; l’exorcisme, qui prend la forme d’un relèvement, de l’enfant possédé prend tout son sens lorsqu’il est apparenté à la résurrection de Jésus (9.27 : ਥȖİȡȦ, comme en 14.28 et 16.6 ; ਕȞıIJȘȝȚ, comme en 8.31 ; 9.9–10, 31 ; 10.34) ; Bartimée joue le rôle de figure de transition entre ceux qui mettent en valeur la puissance guérisseuse de Jésus et ceux qui se conforment à son appel à le suivre sur la voie qui mène à la croix ; la veuve au Temple qui donne « toute sa vie » (ȜȠȞ IJઁȞ ȕȠȞ ĮIJોȢ : Mc 12.44) est à la fois une exemplification du logion de 8.34–35 concernant les véritables disciples de Jésus et une annonce proleptique du don de soi du Fils de l’Homme (cf. 10.45) ; la femme qui oint Jésus à Béthanie a embaumé d’avance le corps de ce dernier (14.8) ; l’exclamation du centurion lors de la crucifixion de Jésus
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Ainsi, à raison, Rochester, Good News at Gerasa, 251–52, en s’appuyant notamment sur David M. Rhoads, « Losing Life for Others In the Face of Deathௗ : Mark’s Standards of Judgment », Int 47, no 4 (1993) : 362–63.
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est à comprendre en tant qu’inclusion avec le baptême de ce dernier126 ; le jeune homme qui s’enfuit nu montre l’impossibilité pour le disciple de vivre la destinée de Jésus, alors que le jeune homme habillé au tombeau révèle la nécessité de lui être assimilé127. Comme cela a été relevé plus haut, les personnages mineurs dans la deuxième partie de l’évangile de Marc ne sont plus l’objet de guérisons et ne sont plus suppliants, mais ils amènent le lecteur à se focaliser sur le corps de Jésus : un corps, selon les propos de Camille Focant, déjà oint avant le temps, offert lors de la Cène, ensuite torturé et privé de vie, et enfin absent car ressuscité128. Le fait que les disciples et les personnages mineurs sont tous caractérisés en relation avec le personnage de Jésus et en fonction de lui montre que, dans l’intention de l’auteur implicite, Jésus demeure le seul personnage foncièrement idéal, le seul modèle achevé, le point de vue par excellence que le lecteur implicite est amené à adopter. Par une dynamique d’indentifications successives et interactives avec les différents personnages de l’évangile, le lecteur est amené à réaliser que le paradigme le plus haut de la suivance est Jésus luimême, le seul qui va jusqu’au bout du chemin qui mène à la croix. Jésus meurt seul, obéissant avec force et dignité au dessein divin. Le Jésus marcien est donc à la fois celui qui appelle à la suivance, le paradigme même de celle-ci, et celui qui la rend possible par une dynamique de réhabilitation post-pascale129. Son 126 Ainsi Grappe, « De quelques figures d’identification », 132–33 : Mc 15.38 // 1.10 (ciel et voile déchirés) ; 15.37 // 1.10 (Esprit) ; 15.39 // 1.11 (Fils de Dieu), en renvoyant à Frank J. Matera, The Kingship of Jesus : Composition and Theology in Mark 15, SBLDS 66 (Chico : Scholars Press, 1982), 47, 139–40. Toujours Grappe (p. 135), concernant l’exorcisme de 9.14–29 : « [p]ar-delà l’expérience du manque de foi, le récit de la guérison de l’enfant épileptique conduit ainsi au déploiement d’une dynamique de résurrection. Il illustre ainsi un cheminement au terme duquel, par-delà l’expérience vécue ou reconnue du manque, un personnage se trouve finalement réhabilité ou, tout simplement, habilité à assumer ce qui constitue sa vocation, qu’il s’agisse de passer du mutisme à la découverte de la parole, de l’assujettissement au démon à une vie sans entrave (9,17–27), de la cécité à la vue (8,22– 26 ; 10,46–52), de la fuite au témoignage (14,51–52 ; 16,5–7), de la mort à la vie ». Voir aussi Williams, « Discipleship and Minor Characters », 337 ; Malbon, In the Company of Jesus, 201 ; Rochester, Good News at Gerasa, 75. 127 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 310 : « paradoxalement selon l’évangile de Marc, il n’y a pas d’autre imitation de Jésus-Christ que l’échec dans la suivance même. Qu’un autre jeune homme brille de lumière au tombeau fait signe, comme si, dans cette apparition de blancheur, le fils de la Transfiguration, la voix retrouvée du Père et l’homme rendu à sa jeunesse, assis au lieu même de la mort roulée, se touchaient, le temps d’un envoi ». 128 Focant, « Le rôle des personnages secondaires de Marc », 118. 129 Ainsi notamment John R. Donahue, « Jesus as the Parable of God in the Gospel of Mark », Int 32, no 4 (1978) : 369–78 ; Larry W. Hurtado, « Following Jesus in the Gospel of Mark – and Beyond », in Patterns of Discipleship in the New Testament, éd. par Richard N. Longenecker, MMNTS 1 (Grand Rapids : Eerdmans, 1996), 25–27 ; Smith, A Lion with Wings, 62–63 ; Witherington, The Gospel of Mark, 55–56 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death,
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profil, loin d’être plat, émerge en tant qu’image composite formée par la mosaïque que représentent les différents points de vue des personnages mineurs et majeurs – tous convergeant vers le héros – que le lecteur évalue130. Puisque les personnages mineurs participent à la caractérisation du Jésus marcien, la question se pose de leur relation avec le personnage collectif des disciples. Certains spécialistes estiment que les personnages mineurs exemplaires de l’évangile de Marc offrent un contraste ou un contrepoint au manque de foi, à l’incompréhension et à l’échec des disciples, disqualifiant de facto ces derniers en tant qu’ancrage positif pour l’identification du lecteur implicite. Selon cette lecture, les disciples représentent un modèle négatif par rapport auquel le lecteur doit prendre ses distances pour, enfin, s’en distinguer complètement131. Nous partageons plutôt l’avis des exégètes qui estiment inappropriée cette évaluation du rôle narratif des personnages mineurs du deuxième évangile. Sans amoindrir, remplacer ni disqualifier les disciples, les personnages mineurs offrent au lecteur un complément thématique et fonctionnel à l’intrigue, notamment en relation avec la conception de la suivance et avec l’identité du Jésus marcien. Ils assument le rôle de « overall narrative ponctuation », en ce sens qu’ils permettent au lecteur implicite d’évaluer ponctuellement une réponse exemplaire à l’égard du Jésus marcien, réponse qui est à mettre en relation, parfois par contraste, avec celle des disciples.132 Il est trop simpliste de 20 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 60–69, 99–101, 166 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 143 (« [...] the resurrection of Jesus affirms for the ideal hearers that the way Jesus lived is the way for all humans to live »). 130 Malbon, « Disciples/Crowds/Whoever », 124 ; Williams, Other Followers of Jesus, 31 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 22. 131 Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 132–35 ; Smith, A Lion with Wings, 79 ; Tannehill, « Disciples in Mark », 386–405 ; Williams, Other Followers of Jesus, 87, 105, 126, 179, 198–203. Williams attribue toutefois le statut de « exemplaire » seulement aux personnages mineurs qui apparaissent après 10.45. « The disciples are not exemplary in this section [8.27–10.45], but neither are the suppliants, who struggle with faith and refuse to follow. Significantly, in this section […] Jesus repeatedly presents Himself as the true example or paradigm for His followers. […] From Bartimaeus to the end of the passion narrative, minor characters exemplify the truth that following Jesus is open to all. Discipleship is not simply for those like the disciples ; who receive a specific call to follow (1:16–20 ; 3:13– 19) and a unique commission to preach and have authority (3:13–19 ; 6:7–13). Those who read Mark's Gospel, like these minor characters, may respond to the general call to discipleship that goes out to ‹anyone.› Or ‹whomever.› » (Williams, « Discipleship and Minor Characters », 340, 342). 132 Voir notamment Malbon, In the Company of Jesus, 194–209, 221–24. À la page 194, elle défend que : a. les personnages mineurs amplifient et augmentent le spectre de réponses au Jésus marcien, en accentuant l’impact rhétorique du texte sur son lecteur ; b. les personnages mineurs sont la « overall narrative ponctuation – parentheses, exclamation points, and colons especially » qui permettent au lecteur de réfléchir et de mieux adhérer au point de vue de l’auteur implicite. Dans le même sillage : Combet-Galland, « Le Dieu du jeune
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réduire les disciples à la fonction narrative d’illustrateurs de l’échec dans la suivance et d’ériger les seuls personnages mineurs au rang d’ancrages exemplaires pour l’identification du lecteur implicite. En effet, les disciples et les personnages mineurs, dans leurs interrelations au sein de l’intrigue, participent de manière fonctionnelle au dévoilement de l’identité de Jésus et de la nature de la suivance133. Pour le dire avec Stephen Smith, « the character of the individual is rather less important than his or her narrative function »134. La fonction narrative des personnages mineurs est donc appréciée lorsqu’ils sont mis en relation dynamique avec les disciples. Pourtant, en dépit de leur caractère ponctuel, certains personnages mineurs sont aussi mis en relation entre eux par l’auteur implicite135. La manière dont celui-ci met en scène les personnages mineurs pousse le lecteur à leur attribuer une fonction à la fois évocatrice et symbolique dont la portée existentielle ne saurait être mésestimée. L’auteur implicite offre ainsi, par le biais de ces corrélations, un parcours narratif articulé qui s’ajoute à celui des disciples, donnant une profondeur ultérieure à l’acte de lecture en tant que dynamique configuratrice. Pour illustrer la mise en parallèle ou en contraste entre deux ou plusieurs personnages mineurs par l’intrigue marcienne, nous attirons l’attention, à titre d’exemple, sur le paralytique (2.1–12) et l’homme à la main desséchée (3.1– 6). Au niveau contextuel, la popularité de Jésus précède le premier miracle (1.45) et suit le deuxième (3.7–8), alors qu’une controverse évoquant l’alimentation suit le premier récit (2.13–17) et précède le deuxième (2.23–28), conférant ainsi à la position de Jésus sur le jeûne (v. 18–22) une position centrale. Du point de vue structurel : les deux récits ont des introductions très similaires (2.1 ; 3.1) et sont des apophtegmes dont la parole qu’il s’agit de mettre en exergue est encadrée par les paroles de Jésus au malade (2.5, 10 et 3.3, 5) ; le verbe ਥȖİȡȦ est employé dans les deux cas (2.9, 11, 12 ; 3.3) ; les opposants n’expriment pas leur critique ouvertement (2.6 ; 3.5) ; Jésus les apostrophe par une question (2.9 ; 3.4) ; la guérison est apportée par le seul recours à un ordre péremptoire auquel le malade obéit (2.11–12 ; 3.5)136.
homme nu », 308–9 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 15, 23 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 297 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 166 ; Bonifacio, Personaggi minori, 10 ; Rochester, Good News at Gerasa, 70. 133 Bonifacio, Personaggi minori, 41–43. Pour Malbon, Mark’s Jesus, 230, les personnages exemplaires intègrent les défaillances des disciples avec des « positive images of what following entails ». 134 Smith, A Lion with Wings, 80. 135 Williams, Other Followers of Jesus, 41. Cf. Trocmé, La formation de l’Évangile selon Marc, 57–66 ; James M. Robinson, « The Literary Composition of Mark », in L’Évangile selon Marc : tradition et rédaction, éd. par Maurice Sabbe, 2e éd., 1e éd. 1974, BETL 34 (Leuven : University Press – Peeters, 1988), 11–13. 136 Williams, Other Followers of Jesus, 42.
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Alors que ces deux personnages (et surtout les récits respectifs qui les concernent) sont mis en parallèle, la corrélation entre le jeune homme riche et Bartimée relève de l’antithèse : le jeune homme refuse un appel explicite qui rappelle celui des disciples (cf. 10.21 avec 1.16–20 et 2.13–17) et s’éloigne à cause de son attachement à ses biens (10.22), alors que Bartimée accepte un appel implicite (10.51) et se met à suivre Jésus sur le chemin (v. 52) après avoir abandonné son vêtement (v. 50)137. Bartimée est de surcroît mis en rapport paradoxal avec le jeune homme qui s’enfuit nu lors de l’arrestation de Jésus (14.51–52) : l’un se met à le suivre sur le chemin de la croix et l’autre l’abandonne alors que le supplice approche, et pourtant tous deux se débarrassent d’un vêtement, acte qui apparaît à la fois significatif et nécessaire dans un cas comme dans l’autre. Pour Bartimée il marque l’abandon de son ancienne vie, alors que pour le jeune homme, il s’agit de se défaire d’une certaine compréhension du Messie mais également de signifier l’impossibilité de suivre le Maître dans sa Passion138. L’auteur implicite opère néanmoins aussi à un autre niveau lorsqu’il pousse le lecteur à établir des connexions narratives entre certains personnages mineurs de l’évangile. En plus d’établir des relations synonymiques, antithétiques ou paradoxales, il s’emploie à « engendrer » des méta-personnages dont le parcours narratif se dessine à l’aide de personnages mineurs qui, dans l’intrigue, ne sont pas identiques, mais qui sont connotés, au niveau du « discours », de manière à établir un lien entre eux. Cela a déjà été remarqué à propos des différents personnages et groupes de personnages qui convergent vers le métapersonnage collectif que constituent « les femmes qui suivent Jésus ». Il est connoté à l’aide de figures anonymes, « des femmes », dont certaines sont nommées (Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et de José, Salomé), toutes caractérisées comme suivant et servant Jésus depuis la Galilée, auxquelles s’ajoutent « beaucoup d’autres (femmes) qui étaient montées avec lui à Jérusalem » (15.41). Le portrait de ces « femmes » est toutefois enrichi par la figure de la bellemère de Pierre (1.31), dont le comportement est évalué très positivement puisqu’il est mimétique de l’exemple de Jésus (10.45). Mais ce méta-personnage des femmes est aussi mis en relation avec d’autres figures de l’évangile, notamment – mais pas exclusivement – avec ceux qui, à leur tour, sont les tesselles de la mosaïque qu’est le personnage collectif « les disciples » : les femmes, comme Pierre, se tiennent à distance (14.54 // 15.40) ; comme les disciples d’abord et Pierre, Jacques et Jean ensuite, elles ont peur et sont bouleversées face à la démonstration d’un acte puissant d’origine divine (disciples : 4.41 ; 5.42 et 9.6 // femmes : 16.8) ; comme les disciples et le jeune homme, elles 137
Williams, « Discipleship and Minor Characters », 340 ; Malbon, In the Company of Jesus, 201. 138 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 309. Voir infra, p. 369–372.
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prennent la fuite (14.50–52 // 16.8) ; comme les disciples, elles ne comprennent pas que Jésus doit ressusciter (cf. 9.9–10, 31–32, et la tentative des femmes de l’embaumer : 16.1). Pourtant, elles aussi sont incluses dans le groupe des réhabilités lorsque le jeune homme au tombeau les intègre dans le groupe auquel Jésus a donné rendez-vous en Galilée (16.7, renvoyant à 14.28)139. Le fait d’être un personnage collectif donne aux « femmes qui suivent Jésus », comme aux « disciples » d’ailleurs, un statut de méta-personnage cohérent ou solide, car les individus, bien que différents, sont mis en relation avec (et convergent vers) un groupe narrativement bien défini qui les englobe tous au point de leur donner une identité partagée. Il existe pourtant un autre métapersonnage, central pour notre thèse, que nous qualifions de liquide et qui est composé par la triade Gérasénien – jeune homme qui s’enfuit nu – jeune homme au tombeau140. Il ne s’agit pas, dans ce cas, d’imaginer un groupe formé par ces trois personnages, ni de proposer l’assimilation de l’un à l’autre. Il est plutôt question ici d’un parcours de sens que le lecteur implicite est amené à entreprendre à l’aide de ces figures qui sont effectivement liées entre elles sur le plan du « discours » dans leur progression et interaction. Alors qu’Elizabeth Struthers Malbon parle de « réverbération connotative »141 entre les deux derniers ȞİĮȞıțȠȚ de 14.51–52 et 16.1–8, il nous semble opportun d’élargir l’ampleur de cette « réverbération » à l’exorcisé de Gérasa sur la base d’une intention auctoriale établie.
7.4 Sur la pertinence de la mise en relation des deux ȞİĮȞıțȠȚ de Marc 14.51–52 et 16.1–8 avec le Gérasénien de 5.1–20 La mise en relation des deux ȞİĮȞıțȠȚ
Le lien proposé, au niveau du discours marcien, entre le jeune homme qui s’enfuit nu lors de l’arrestation de Jésus et le jeune homme que les femmes rencontrent dans le tombeau du Ressuscité a suscité l’objection de quelques exégètes 139
Malbon, In the Company of Jesus, 204–5 ; Williams, « Discipleship and Minor Characters », 343. Voir aussi Grappe, « De quelques figures d’identification », 130 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 297–303 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 127–42. 140 Christian Grappe suggère un lien entre le Gérasénien et le jeune homme au tombeau, car les deux sont associés à un sépulcre et les deux sont décrits en tant qu’assis et habillés. Il pose la question suivante : « Y aurait-il allusion à la portée de la libération que peut apporter le baptême, lieu de la victoire sur Satan grâce au don de l’Esprit Saint, comme l’a montré l’expérience du Fils (1,9–13) ? » Grappe, « De quelques figures d’identification », 134, note 17. Concernant la triade « Gérasénien – jeune homme qui s’enfuit nu – jeune homme au tombeau », nous renvoyons le lecteur au chapitre suivant pour montrer que l’itinéraire proposé par l’auteur implicite de Marc déploie tout son sens dans une dynamique de lecture en boucle. 141 Malbon, In the Company of Jesus, 193.
La mise en relation des deux ȞİĮȞަıțȠȚ
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de renom : nous songeons notamment à Harry T. Fleddermann et, plus récemment, à Richard T. France142. Toutefois, avec Robin Scroggs et Kent Groof, entre autres, il nous semble inopportun de sous-estimer la visée de l’effort rédactionnel (marcien ou même antérieur) qui, en intégrant ces deux récits dans l’unité plus large de la Passion (Mc 14–16), permet à ces péricopes de s’éclairer mutuellement143. Il ne s’agit nullement d’affirmer que les deux jeunes hommes, au niveau de l’intrigue, sont le même personnage. Il est plutôt question de les comprendre l’un à la lumière de l’autre, l’un renvoyant à l’autre, et comme deux jalons permettant un parcours de sens, un itinéraire – caractérisé par une « brisure », certes144 – dans lequel le lecteur implicite est invité à s’engager. Le lien entre ces deux figures est ainsi établi, par l’auteur implicite, à deux niveaux : le vocabulaire et les thèmes narratifs évoqués. Pour ce qui concerne le vocabulaire, les deux sont appelés ȞİĮȞıțȠȢ (14.51 // 16.5) et le narrateur souligne à propos des deux qu’ils sont « enveloppés » (aussi bien en 14.51 qu’en 16.5 on trouve le participe parfait passif de ʌİȡȚȕȜȜȦ)145. Au niveau thématique, on remarquera que : a. dans la péricope 14.43–52, les disciples et le jeune homme s’enfuient alors que Jésus leur est « arraché » et que les gardes tentent de saisir le ȞİĮȞıțȠȢ, tout comme les femmes se sauvent alors qu’on leur annonce qu’elles ne peuvent pas avoir accès au corps de Jésus et que le jeune homme essaye de les intégrer dans la dynamique du témoignage (14.50, 52 // 16.8 ijİȖȦ) ; b. la première péricope montre l’échec des disciples dans leur effort de suivre le Maître jusqu’au bout, le premier ȞİĮȞıțȠȢ étant le dernier à fuir, alors que la deuxième péricope 142 Fledderman estime que deux termes (ȞİĮȞıțȠȢ : Mc 14.51 // 16.5 et ʌİȡȚȕȜȜȦ : 14.51 // 16.5) ne suffisent pas à établir un lien entre deux péricopes. Il argumente en citant Mc 3.31–35 et 4.10–12, où on trouve ȟȦ (3.31 // 4.11) et ʌİȡ ĮIJંȞ (3.32 // 4.10), mais mettant en scène des groupes différents. Harry T. Fleddermann, « The Flight of a Naked Young Man (Mark 14:51–52) », CBQ 41, no 3 (1979) : 418. Fledderman a raison lorsqu’il refuse une identification exacte entre les deux jeunes hommes et les deux groupes, mais il ne tient pas compte de la logique de l’itinéraire de sens que le lecteur implicite est amené à faire justement en reliant des épisodes différents à l’aide de jalons posés par l’auteur implicite. Pour France, les affinités lexicales entre Mc 14.51 et 16.5 sont fortuites (France, Mark, 596, note 59 ; cf. 678), car il s’agit d’« everyday words » (p. 678) ; pour lui « the motif of being stripped and reclothed » ne jouerait aucun rôle dans le supposé lien entre les deux péricopes. 143 Robin Scroggs et Kent I. Groff, « Baptism in Mark. Dying and Rising with Christ », JBL 92, no 4 (1973) : 532. 144 Ainsi Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 309. Nous partageons son avis lorsqu’il affirme que si rien ne peut être déduit du texte sur l’identité historique du jeune homme qui s’enfuit nu, sa fonction narrative doit faire l’objet d’un examen attentif. 145 Cf. Albert Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu (Mc 14, 51–52) », Bib 52, no 3 (1971) : 404 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 324 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 131 ; Rochester, Good News at Gerasa, 218 ; Moloney, Mark, 345.
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annonce leur rétablissement, le dernier ȞİĮȞıțȠȢ rappelant le rendez-vous post-pascal donné par Jésus en 14.28146 ; c. le premier ȞİĮȞıțȠȢ apparaît, dans l’intrigue, après l’onction dont Jésus fait l’objet à Béthanie par une femme anonyme, onction interprétée par le Jésus marcien « pour l’ensevelissement » ; le deuxième ȞİĮȞıțȠȢ entre en jeu suite à la mention de l’intention de Marie, Marie-Madeleine et Salomé d’embaumer le cadavre du Maître147 ; d. en 14.52, le jeune homme qui s’enfuit est mis en relation avec la mort de Jésus car le mot qui est utilisé pour désigner le drap qu’il abandonne est employé par le narrateur en 15.46 pour préciser dans quoi Jésus descendu de la croix sera enroulé (ıȚȞįઆȞ dans les deux passages). Or ce dernier verset mentionne également le tombeau et la pierre qui est roulée à son entrée et la finale de l’évangile mentionne à nouveau le tombeau, la pierre et le crucifié, mais cette fois c’est un autre jeune homme qui est présent sur la scène, lui aussi mis en relation avec Jésus grâce à la précision concernant sa position, « assis à la droite » (16.5 // 14.62). Il est dès lors raisonnable de considérer les échos entre les deux passages, et notamment entre les deux jeunes hommes, comme le fruit d’une intention rédactionnelle précise : amener le lecteur à discerner là une connexion narrative à portée symbolique, voire paradigmatique 148. Avant d’explorer, dans le prochain chapitre, la nature et la portée rhétorique de cette connexion, nous attirons l’attention sur le fait que, selon notre analyse, le lecteur implicite est amené à intégrer la figure du Gérasénien à celle des deux ȞİĮȞıțȠȚ dans un itinéraire narratif proposé par l’auteur implicite. Rochester ne nie pas le possible parallélisme entre les deux hommes de Marc 5.1–20 et 16.1–8, car les deux sont associés à un tombeau et les deux provoquent une réaction terrifiée chez ceux qui les observent, à savoir les villageois en 5.15 et les femmes en 16.8 ; qui plus est, les deux sont « assis » et « habillés » (5.15 et 16.5). Pourtant, il qualifie le lien entre les deux personnages de « faible », car le deuxième verbe n’est pas le même (ੂȝĮIJȗȦ en 5.4 ; țșȘȝĮȚ en 16.5) et parce qu’au tombeau l’accent est placé sur la blancheur de l’habit, ce qui est à comprendre comme un renvoi au récit de la Transfiguration (9.3)149. Cette dernière observation est pertinente et elle confirme ce que nous avons montré plus haut, à savoir que les personnages mineurs, comme les disciples d’ailleurs, sont caractérisés en fonction de Jésus. Toutefois, il est possible de démontrer que le lien narratif entre la péricope de Gérasa et celle du tombeau vide est, selon les intentions de l’auteur implicite, plus structuré et accompli 146
Voir Magness, Marking the End, 103 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité,
309. 147
Ainsi Magness, Marking the End, 104. Voir aussi Magness, 104, note 5 : même si les ȞİĮȞıțȠȚ de Mc 14.51–52 et 16.1–8 ne sont pas les mêmes, « the two fonction paradigmatically as one ». Voir également Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 406 ; Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 532. 149 Rochester, Good News at Gerasa, 218–19. 148
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que ce qui a été observé. Cette démonstration et le sens et la portée de cette relecture au service de la rhétorique reconfiguratrice de Marc feront l’objet du prochain (et dernier) chapitre de cette étude.
Chapitre 8
Enjeu théologique du parcours narratif reliant l’épisode du démoniaque de Gérasa (Mc 5.1–20) aux deux ȞİĮȞıțȠȚ (14.51–52 ; 16.1–8) dans la trame de l’Évangile selon Marc Dans le dernier volet de notre étude, il sera tout d’abord question d’analyser, d’un point de vue synchronique, les figures du jeune homme qui s’enfuit nu et du jeune homme au tombeau, ainsi que leur relation dans le parcours narratif dont ils font l’objet. Dans un deuxième temps, après avoir établi que la lecture en boucle de l’évangile de Marc est un outil herméneutique conçu par l’auteur implicite, nous montrerons de quelle manière la relecture de l’épisode de l’exorcisme de Gérasa, notamment en relation avec les (et à la lumière des) récits des deux jeunes hommes des chapitres 14 et 16, éclaire la conception du disciple exemplaire selon Marc et de sa relation avec le Maître absent.
8.1 Le jeune homme qui s’enfuit nu (Mc 14.51–52) Le jeune homme qui s’enfuit nu
Le jeune homme qui s’enfuit lors de l’arrestation de Jésus (14.51–52) a fait l’objet de nombreuses analyses historiques. Certaines tentent de déterminer l’identité de ce personnage élusif (identifié avec : Jean le disciple bien-aimé1 ;
1 Ainsi Ambroise et Jean Chrysostome (IVe s.), Pierre Chrysologue (IVe–Ve s.), Grégoire le Grand (VIe–VIIe s.), Bède le Vénérable (VIIe–VIIIe s.) et Thomas d’Aquin (XIIIe s.) : voir Frans Neirynck, « La fuite du jeune homme en Mc 14, 51–52 », ETL 55, no 1 (1979) : 55 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 547 ; Collins, Mark. A Commentary, 688 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 530.
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Chapitre 8 : Enjeu théologique
Pierre2 ; Jacques le frère de Jésus3 ; Marc l’évangéliste4 ; un disciple anonyme – peut-être résidant dans la maison où eut lieu la dernière cène5 ; un passant qui est devenu, malgré lui, témoin impliqué dans les événements6 ; Lazare7). D’autres s’attachent à comprendre l’origine de la tradition8.
2 C’est l’hypothèse de Wolfgang Schenk, Der Passionsbericht Nach Markus (Berlin : Evangelische Verlagsanstalt, 1974), 209–12, 263–64, 268, selon lequel l’épisode est une réélaboration marcienne de la tradition concernant Pierre qui s’enfuit après avoir coupé l’oreille du soldat (Mc 14.47). Cité par Neirynck, « La fuite du jeune homme », 50. 3 Eusèbe (Hist. eccl. 2.23.6) et Épiphane de Salamine (Ve s.), ainsi que Théophylacte d’Ohrid (XIIe s.) et une note en arabe du manuscrit copte (boharique) MSS E1, Oriental 1315 (Greg II), daté de 1208 et conservé à Londres (British Museum) : voir Neirynck, « La fuite du jeune homme », 55 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 547 ; Rupert Allen, « Mark 14,51– 52 and Coptic Hagiography », Bib 89, no 2 (2008) : 267–68 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 530. 4 Identification déjà proposée dans une note du MSS E1, Oriental 1315 (British Museum), cité à la note précédente, qui propose Jacques le fils de Joseph ou Marc l’évangéliste, mais popularisée ensuite par des exégètes modernes tels que Hermann Olshausen : « To me it appears most probable, that here Mark writes concerning himself » : Hermann Olshausen, Biblical Commentary on the New Testament, traduction de la 4e éd. allemande, vol. 3 (New York : Sheldon Blakeman and Co, 1857), 46 ; ensuite Theodor Zahn, Einleitung in das Neue Testament, 3e éd, vol. 2 (Leipzig : A. Deichert, 1907), 249 ; Marie-Joseph Lagrange, Évangile selon saint Marc, EBib (Paris : Gabalda, 1911), 371 ; Joseph Huby, Évangile selon saint Marc traduit et commenté, 2e éd, VS 2 (Paris : Beauchesne, 1924), 352 ; Alfred E. J. Rawlinson, The Gospel according to Saint Mark, WComm (London : Methuen, 1925), 215– 16 ; Taylor, Saint Mark, 561–62 ; Philip A. Carrington, According to Markࣟ : A Running Commentary on the Oldest Gospel (Cambridge : Cambridge University Press, 1960), 321. Plus récemment c’est exprimé en ce sens Witherington, The Gospel of Mark, 382. Voir aussi Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 402 ; Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 531 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 351 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 547 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 528. 5 Ainsi, par exemple, Neirynck, « La fuite du jeune homme », 55–56 ; Collins, Mark. A Commentary, 689. France, Mark, 595–97, ne l’exclut pas. Voir Focant, L’Évangile selon Marc, 547. 6 Ernst Lohmeyer, Das Evangelium des Markus (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1937), 324 ; Martin Dibelius, « Judas und des Judaskuss », in Botschaft und Geschichte. Gesammelte Aufsätze von Martin Dibelius, éd. par Günther Bornkamm et Heinz Kraft, vol. Iௗ : Zur Evangelienforschung (Tübingen : J. C. B. Mohr, 1953), 275 ; Rudolf Pesch, Das Markusevangelium, vol. 2 : Einleitung und Kommentar zu Kap. 8,27–16,20, HTKNT, 2.2 (Freiburg – Basel : Herder, 1977), 402 ; Raymond E. Brown, The Death of the Messiah : From Gethsemane to the Grave. A Commentary on the Passion Narratives in the Four Gospels, vol. 1, ABRL (New York – London : Doubleday, 1994), 298. Voir Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 402 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 547. 7 En supposant que Lazare donnait un témoignage constant de sa propre résurrection par Jésus en s’habillant seulement avec un drap, Michael J. Haren, « The Naked Young Man : A Historian’s Hypothesis on Mark 14,51–52 », Bib 79, no 4 (1998) : 528–31, suggère cette hypothèse. Voir Focant, L’Évangile selon Marc, 547.
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En restant plus prudent sur l’origine de cet épisode singulier, nous estimons préférable, dans les limites de notre étude, de nous interroger surtout sur le rôle qu’il joue dans l’économie de l’intrigue du deuxième évangile9. En effet, sa fuite humiliante couronne l’abandon radical de Jésus par ses disciples (14.50) et semble assumer une valeur symbolique dans le cadre du récit de la Passion. Bien que la portée symbolique de cet épisode ait été contestée10, il nous semble qu’elle s’impose pour au moins trois raisons qui se recoupent. Tout d’abord, s’il est vrai que la fuite du jeune homme est mise en relation avec la débâcle des disciples, il reste qu’il s’agit, per se, d’un épisode qui surgit dans la narration d’une manière inopinée, sans établir une claire relation de cause à effet avec la suite, suscitant ainsi l’attention du lecteur qui s’interroge, intrigué, sur le sens de cette notule qui n’a pas été retenue par les deux autres synoptiques11. En deuxième lieu, la composition littéraire de la péricope elle8 Les auteurs suivants attribuent à cet épisode un ancrage historique : Bernhard Weiss, Das Marcusevangelium und seine synoptischen Parallelen (Berlin : Wilhelm Hertz, 1872), 408–9 ; Ezra P. Gould, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to Saint Mark (New York : Charles Scribner’s Sons, 1896), 276 ; Lagrange, Évangile selon saint Marc, 371 ; Rawlinson, Saint Mark, 215–16 ; Bennett H. Branscomb, The Gospel of Mark, MNTC (New York : Harper, 1937), 270–71 ; Lohmeyer, Das Evangelium des Markus, 323–24 ; Taylor, Saint Mark, 561 ; Cranfield, Mark, 438–39 ; Carrington, According to Mark, 321 ; Ernst Haenchen, Der Weg Jesuࣟ : eine Erklärung des Markus-Evangeliums und der kanonischen Parallelen, STTH2 6 (Berlin : Alfred Töpelmann, 1966), 502 ; Eduard Schweizer, Das Evangelium nach Markus, NTD 1 (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1968), 182–83 ; Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 401, 406 ; Simon Légasse, L’évangile de Marc, vol. 2, LD – Commentaires 5 (Paris : Cerf, 1997), 908 ; Howard M. Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak and Fled Nakedௗ : The Meaning and Purpose of Mark 14:51–52 », JBL 116, no 2 (1997) : 286 ; Haren, « The Naked Young Man », 525–26 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 351 ; France, Mark, 595–96. Voir Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 531 ; Collins, Mark. A Commentary, 689. 9 Les différentes hypothèses concernant l’identité du jeune homme ne sont que des conjectures : ainsi Focant, L’Évangile selon Marc, 545–47 ; Collins, Mark. A Commentary, 693. Pour cette dernière, il faudrait abandonner l’hypothèse d’une réminiscence historique. Plusieurs auteurs trouvent plus féconde l’analyse du rôle symbolique du jeune homme dans le contexte narratif dans lequel il est intégré : par ex. Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 406 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 899–900, 908 ; Witherington, The Gospel of Mark, 382 ; Grappe, « De quelques figures d’identification », 135 ; Neirynck, « La fuite du jeune homme », 66. Ce dernier n’accorde aucune valeur symbolique à ce personnage, mais suggère de le comprendre dans le contexte d’alternance « beaucoup » : Mc 14.43–46, 48–49, 53, 55– 56, 15.1 / « un » : 14.47, 50–52, 54, 66–72. 10 Se prononcent clairement contre une lecture symbolique ou métaphorique : Neirynck, « La fuite du jeune homme », 60, 65 ; Michel Gourgues, « À propos du symbolisme christologique et baptismal de Mc 16.5 », NTS 27 (1981) : 672–78 ; Valentina Mazzucco, « L’arresto di Gesù nel Vangelo di Marco (Mc 14,43–52) », RivB 35 (1987) : 272–81 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 273–74 ; Witherington, The Gospel of Mark, 382. 11 Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 401–2 ; Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 532 ; Haren, « The Naked Young Man », 526 ; Trocmé, L’Évangile selon saint
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même relève d’une intention auctoriale visant à mettre en relation la fuite du jeune homme avec des récits vétérotestamentaires (intertextualité). Enfin, cet épisode établit avec le macro-récit marcien des liens intratextuels significatifs. Ce sont ces éléments qui feront l’objet de la suite de notre analyse. Une interprétation symbolique répandue de la fuite et de la nudité (cette dernière relevée à deux reprises en l’espace de deux petits versets : 51 et 5212) du jeune homme est celle qui y voit, d’après une intention attribuée au rédacteur, l’expression figurative de l’abandon et de l’échec collectifs des disciples à la lumière du texte d’Amos 2.16b LXX. Cette lecture foncièrement négative de la figure du jeune homme de Marc 14.51–52 se fonde essentiellement sur l’argument suivant. L’auteur implicite caractérise d’emblée positivement ce personnage, en l’associant étroitement aux disciples : le ıȣȞĮțȠȜȠȣșȦ du verset 51 rappelle celui de 5.37, où Jésus ne veut être accompagné que par Pierre, Jean et Jacques lorsque Jaïrus le sollicite pour aller chez lui afin de guérir sa fille, mais évoque également la forme sans préfixe ਕțȠȜȠȣșȦ qui, chez Marc, s’avère être un mot technique pour la suivance (voir surtout 1.18 ; 2.14–15 ; 3.7 ; 6.1 ; 8.34 [x2] ; 10.21, 28, 52 ; 15.41 ; mais aussi 5.24 ; 11.9 ; 14.54)13. Ce portrait initialement favorable se ternit aussitôt, dès lors qu’il est complété par la peu flatteuse fuite in naturalibus. Dans ces conditions, il est possible de voir dans les mots ȖȣȝȞઁȢ ijȣȖİȞ de Marc (14.52) une allusion à (ou un écho de) l’expression ȖȣȝȞઁȢ įȚઆȟİIJĮȚ d’Amos (2.16b LXX), expression
Marc, 351 ; Witherington, The Gospel of Mark, 382 ; France, Mark, 596 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 545–47 ; Collins, Mark. A Commentary, 689. Focant renvoie à W. Schmitals, Das Evangelium nach Markus, Gerd Mohn, Gütersloh, 1986, p. 650, pour lequel il s'agit d'une interpolation au deuxième évangile. 12 Moloney, Mark, 300, note 121. Pour une discussion sur la critique textuelle de Mc 14.51, notamment concernant la leçon ਥʌ ȖȣȝȞȠ૨ (lectio difficilior), voir Neirynck, « La fuite du jeune homme », 61 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 278. Ces deux auteurs s’accordent pour comprendre la fuite du jeune homme non pas dans un état de nudité absolue mais « dépouillé de son manteau » (Neirynck, « La fuite du jeune homme », 61–64 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 283) ; c’est également le cas pour Légasse, Marc, 1997, 2 : 909. Pourtant, si le jeune homme s’enfuit « presque nu », on s’attendrait à lire en Marc une expression semblable à celle de Démosthène, Mid. [Or. 21] 216 (ȝȚțȡȠ૨ ȖȣȝȞંȞ) : ainsi Collins, Mark. A Commentary, 693, dont nous partageons l’opinion selon laquelle plus que sur la nature de la (soi-disant) nudité, il faut s’interroger sur sa fonction rhétorique. 13 Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 541 ; Gundry, Mark, 882 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 908 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 277 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 98, 131 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 539. De son côté, Neirynck, « La fuite du jeune homme », 53–55, ne discerne pas dans l’emploi de ıȣȞĮțȠȜȠȣșȦ en Mc 14.51 une connotation symbolique (« être disciple »), car le verbe ਕțȠȜȠȣșȦ est utilisé par Marc dans son sens littéral pour la foule (2.15 ; 3.7 ; 5.24 ; 11.9) et les disciples (14.3, 54). Pourtant Neyrinck reconnaît son utilisation dans un contexte vocationnel et de suivance en 1.17–18 ; 2.14–15 ; 8.34 ; 10.21, 28.
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qui décrit une fuite qui advient « en ce jour-là », et d’en inférer que la dimension eschatologique de la séquence narrative de la Passion marcienne s’en trouve accrue14. Ce jeu d’intertextualité est au service, selon cette lecture, de la dynamique intratextuelle qui fait de ce jeune homme la métaphore de la dissolution honteuse du groupe des disciples dont il a été question au verset 50 de Marc 14, alors que ce groupe avait pourtant vocation à suivre Jésus jusqu’au don de soi (cf. Mc 8.34–35)15. Sans vouloir nier une possible allusion au texte d’Amos, il me semble opportun de valoriser davantage l’effort rédactionnel marcien qui vise à nuancer la figure négative de ce jeune homme en proposant un portrait à la portée symbolique paradoxale. En d’autres termes, Marc s’appliquerait à montrer qu’il s’agit d’un échec nécessaire auquel le lecteur doit consentir jusqu’à l’identification. Dans le contexte juif, le thème de la fuite, associé à la nudité, pour échapper à une situation humiliante et dangereuse, trouve son prototype dans l’histoire de Joseph. Déjà Jérôme (Epist. 71.3), Bède le Vénérable et un autre auteur 14 Plusieurs auteurs retiennent comme improbable ici une allusion à Am 2.16 LXX : par ex. Haulotte, Symbolique du vêtement, 85 ; Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 532 ; Neirynck, « La fuite du jeune homme », 57–59, 65 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 547 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 285. Toutefois, le thème de la persécution et de la fuite en relation au jugement de Dieu se retrouve dans la Bible hébraïque en Za 13.7 [cité dans CD 19.7–14, avec Za 11.7 et Ez 9.4 : Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 470] et notamment en Am 2.12–16, où il est en plus question de la nudité. Même si les correspondances linguistiques et contextuelles avec Mc 14.51–52 sont limitées, il est tout à fait possible que le texte d’Amos soit une source d’inspiration [sans forcément arriver à postuler sa lecture messianique, comme le fit Alfred Loisy, L’Évangile selon Marc (Paris : Emile Nourry, 1912), 425], notamment à la lumière du fait qu’Amos semble jouer encore un rôle dans la section de la Passion : cf. Am 8.9 en lien avec Mc 15.33 (ténèbres sur la terre). Ainsi notamment Collins, Mark. A Commentary, 689. Voir également Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 403 ; Bolt, Jesus’ Defeat of Death, 256. 15 Une distance s’établit progressivement entre Jésus et les autorités juives (Mc 2.6–7 ; 3.6 ; etc.), sa famille (3.20–22, 31–35), ses compatriotes (6.1–6), Judas (14.1–2, 10–11), la foule (14.43 ; 15.8–15), Pierre et les autres disciples (14.27–31, 50, 51–52, 54, 66–72), Dieu (15.34) et les femmes (16.8). Parmi les auteurs qui estiment que la fuite du jeune homme souligne de manière dramatique l’abandon de Jésus de la part des disciples, on compte les suivants : Tannehill, « Disciples in Mark », 394, 403 ; Fleddermann, « The Flight of a Naked Young Man », 412–18 ; Neirynck, « La fuite du jeune homme », 59, 65 ; Mazzucco, « L’arresto di Gesù », 272–81 ; Williams, Other Followers of Jesus, 197 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 907–9 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 276, 286–88 ; Merenlahti, « Characters in the Making », 57 ; Jean-Yves Thériault, « Le ‹jeune homme› dans le récit de la Passion chez Marc », SémBib 104 (2001) : 29 ; Donahue et Harrington, Mark, 417 ; France, Mark, 595–97 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 288–89 ; Incigneri, The Gospel to the Romans, 249 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 547 ; Boring, Mark, 404 ; Collins, Mark. A Commentary, 690–94 ; Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 81 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 539 ; Moloney, Mark, 299–300.
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anonyme du VIIe siècle ont perçu un parallélisme entre le jeune homme de Marc 14.51–52 et l’aîné de Rachel se soustrayant aux avances de l’épouse de Potiphar (Gn 39.6b–20 LXX, notamment v. 12)16. Il s’agit d’une lecture tout à fait pertinente qui tient compte de l’encyclopédie du lecteur encodé et qui oblige ce dernier à s’interroger sur le pourquoi d’une caractérisation si déroutante du ȞİĮȞıțȠȢ de Marc 14.51–52. Que le texte de Genèse 39 soit un point de repère intertextuel significatif auquel le rédacteur du deuxième évangile renvoie son lecteur implicite peut être déduit à partir de plusieurs éléments. Au niveau formel, s’il est vrai que chez Marc il s’agit d’une ıȚȞįઆȞ (Mc 14.51, 52) et qu’en Genèse il est question d’un ੂȝIJȚȠȞ (au pluriel : Gn 39.12) – les deux termes étant employés deux fois –, les deux passages ont en commun, outre le thème de la fuite en situation de stress suite à l’abandon des vêtements, deux verbes identiques, dans le même ordre et au même temps verbal17. Du point de vue de la structure des récits, Farrer18 avait déjà remarqué que, tout comme Joseph est spolié par la femme de Potiphar (et par ses propres frères) et s’échappe, avant d’être revêtu par le pharaon d’une robe (ıIJȠȜ) de lin fin (Gn 41.42), de même chez Marc un jeune homme (ȞİĮȞıțȠȢ : Mc 14.51) est dépouillé, se soustrait en lâchant ce qui l’habille, et un autre ȞİĮȞıțȠȢ (16.5) se retrouve en position d’honneur (« assis à la droite ») revêtu d’une robe (ıIJȠȜ) blanche. On remarque que, dans les deux cas, les deux personnages suscitent le trouble auprès de leurs interlocuteurs surpris : Genèse 45.3b LXX : Ƞț ਥįȞĮȞIJȠ Ƞੂ ਕįİȜijȠ ਕʌȠțȡȚșોȞĮȚ ĮIJ ਥIJĮȡȤșȘıĮȞ Ȗȡ Marc 16.8b : İੇȤİȞ Ȗȡ ĮIJȢ IJȡંȝȠȢ țĮ țıIJĮıȚȢ· țĮ ȠįİȞ ȠįȞ İੇʌĮȞ· ਥijȠȕȠ૨ȞIJȠ Ȗȡ
16 Cités par Neirynck, « La fuite du jeune homme », 49 ; Collins, Mark. A Commentary, 688 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 530. Plus récemment, admettent explicitement une influence de Gen 39 LXX sur Mc 14.51–52 Herman C. Waetjen, « The Ending of Mark and the Gospel’s Shift in Eschatology », ASTI 4 (1965) : 118–21 ; idem, A Reordering of Power, 195, note 161 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 283 ; Collins, Mark. A Commentary, 693. 17 Ainsi aussi en Gn 39.15 ; cf. v. 13 et 18, où l’on retrouve les mêmes verbes, mais alors que ijİȖȦ est toujours à l’aoriste, țĮIJĮȜİʌȦ est à l’aoriste indicatif plutôt qu’au participe aoriste. Mc 14.51–52 : … ıȚȞįંȞĮ... į țĮIJĮȜȚʌઅȞ IJȞ ıȚȞįંȞĮ… ijȣȖİȞ Gn 39.12 LXX : … IJȞ ੂȝĮIJȦȞ ...țĮ țĮIJĮȜȚʌઅȞ IJ ੂȝIJȚĮ... ijȣȖİȞ v. 15b : ...țĮIJĮȜȚʌઅȞ IJ ੂȝIJȚĮ... ijȣȖİȞ v. 13 : ...țĮIJȜȚʌİȞ IJ ੂȝIJȚĮ... ijȣȖİȞ v. 18b : ...țĮIJȜȚʌİȞ IJ ੂȝIJȚĮ... ijȣȖİȞ. 18 Austin M. Farrer, Glass of Vision (Westminster : Dacre Press, 1948), 144–45.
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Ces parallélismes formels et structurels sont accentués par une tradition – dont Marc et ses lecteurs pourraient avoir eu connaissance – qu’atteste le Testament de Joseph et selon laquelle Joseph s’échappe nu des mains de la femme de son maître (T. Jos. 8.3 : ȖȣȝȞઁȢ ijȣȖȠȞ // Mc 14.52 : ȖȣȝȞઁȢ ijȣȖİȞ)19. L’écho de la fuite de Joseph en celle du jeune homme de Marc projette un considérable degré d’ambiguïté sur les verbes employés dans la péricope de Marc 14.51–52. S’il est vrai que le verbe țĮIJĮȜİʌȦ au verset 52 a comme parallèle structurel le verbe ਕijȘȝȚ du verset 50 (abandon de Jésus par ses disciples)20, il est tout aussi vrai qu’il est associé, par le biais de l’allusion à Genèse 39, à une action légitime, voire nécessaire. Le verbe employé par Marc pour désigner la tentative de la foule armée d’arrêter le jeune homme, à savoir țȡĮIJȦ (v. 52), est un synonyme du verbe ਥʌȚıʌȠȝĮȚ, car les deux peuvent traduire l’hébreu ˈʴʔ ʕˢ 21 : ਥʌȚıʌȠȝĮȚ est utilisé dans Genèse 39.12 LXX pour désigner l’action de la femme de Potiphar qui saisit les vêtements de Joseph. De même, le verbe ijİȖȦ qui, en Marc 14.52, est contextuellement en lien étroit avec la fuite ignominieuse de tous les disciples (v. 50 : țĮ ਕijȞIJİȢ ĮIJઁȞ ijȣȖȠȞ ʌȞIJİȢ), peut évoquer, par le jeu intertextuel envisagé, l’action de se soustraire à une situation dangereuse à laquelle il faut se dérober22. Dès lors, la figure du jeune homme qui s’enfuit nu lors de l’arrestation de Jésus peut être réévaluée par le lecteur implicite : elle n’est pas simplement
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Neirynck, « La fuite du jeune homme », 49 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 531. Mc 14.50 ȀĮ ਕijȞIJİȢ ĮIJઁȞ ijȣȖȠȞ ʌȞIJİȢ v. 52 į țĮIJĮȜȚʌઅȞ IJȞ ıȚȞįંȞĮ ȖȣȝȞઁȢ ijȣȖİȞ 21 Le verbe ˈʴʔ ʕˢ est traduit par ਥʌȚıʌȠȝĮȚ en Gn 39.12 LXX et par țȡĮIJȦ en Ez 21.11 LXX (v. 16 MT). 22 Vanhoye aussi considère l’emploi du verbe ijİȖȦ comme ambigu, c’est-à-dire comme pouvant se référer à la fois à la fuite (connotation négative) ou à l’action de s’échapper d’un danger mortel (connotation positive), selon une idée du Psaume 124.7 (pourtant on n’y trouve pas ijİȖȦ dans la LXX) : Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 405. Il nous paraît opportun de préciser ici que, du point de vue sémantique, il est tout à fait légitime d’attribuer au verbe ijİȖȦ aussi le sens de « s’échapper ». En effet, même si cette dernière acception semble être plus explicite dans la forme préfixée ਥțijİȖȦ (par ex. 1 Hén. 10.3, 17 ; Es 66.7 ; Ps. Sal. 15.8 ; 2 M 7.35 ; 9.22 ; 3 M 6.29 ; 4 M 9.32 ; Tb 13.2 ; Pr 10.19 ; 12.13 ; Jb 15.30 ; Sg 15.19 ; Si 11.10 ; 16.13 ; 27.20 ; 40.6 ; Lc 21.36 ; Ac 19.16 ; Rm 2.3 ; 2 Co 11.33 ; 1 Th 5.3 ; He 2.3 ; 12.25 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.65 ; A.J. 2.341 ; Ep. Arist. 268 ; Philon, Leg. 3.93 ; Herm. Vis. 4.2, 4b, 5 ; Justin, 1 Apol. 68.2 ; Ignace, Trall. 2.1 ; P. Ryl. 28.164–166 ; P. Petr. 2.32), ijİȖȦ et ਥțijİȖȦ peuvent être utilisés comme des synonymes : cf. Ba 6.67 (ਥțijİȖȦ) et 6.54 (ijİȖȦ), dans les deux cas avec le sens d’échapper ; ainsi aussi en Dn gr. 13.22 et 39. En Ab 1.14 et 2 S 17.2 LXX, ijİȖȦ a le sens de fuir (pour ce dernier texte, le BDAG signale la variante avec ਥțijİȖȦ). Voir également Hérodote, Hist. 5.95 : ijİȖȦȞ ਥțijİȖİȚ (« il s’échappe en fuyant »). Qui plus est, le même verbe hébreu (ʱʥʰ) est traduit dans la LXX par ਥțijİȖȦ (Jg 6.11), ijİȖȦ (Jg 1.6 ; 4.15, 17 ; 7.21–22 ; Nb 35.11, 15 ; Dt 19.4, 11 ; Es 10.29) et țĮIJĮijİȖȦ (Nb 35.25, 26 ; Dt 19.3, 5 ; Es 10.3). C’est donc le contexte littéraire qui induit le lecteur à en comprendre le(s) sens. 20
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dramatique et honteuse, car bien qu’en lien avec l’abandon des disciples qui la précède, elle est aussi évocatrice d’un topos aux contours positifs, voire idéaux. Cette lecture est confirmée par la prise en compte d’un autre élément significatif : les gestes consistant à « se libérer de / être dépouillé de / laisser derrière soi » un drap ou un manteau ont une forte connotation symbolique et émotionnelle dans le monde ancien23. Il peut s’agir d’actions connotées positivement, comme dans le cas d’Ulysse, qui se libère de son vêtement pour s’empresser d’annoncer à ses compagnons un message de la part d’Athéna qui lui a procuré la plus grande joie, ou encore de Bartimée qui, non sans émotion, se libère de son vêtement pour aller vers Jésus qui l’appelle24. Ces gestes peuvent également se révéler nécessaires, car ils permettent de mieux se défendre ou de se soustraire à une situation dangereuse25. Parfois, ils sont associés au deuil et/ou à une préfiguration de la mort26. Si, comme dans le cas du jeune homme de Marc 14, ils sont accompagnés de la notion de nudité, ils renvoient le plus souvent à des situations honteuses, comme la misère, l’humiliation ou la folie27. 23 Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 280 : « the loss of a garment in highly emotionally charged circumstances was a commonplace of ancient life » et était devenu un « ekphrastic topos ». 24 Homère, Il. 2.183 et Mc 10.46–52, cités par Neirynck, « La fuite du jeune homme », 63 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 280–81, 287–88. Ce dernier mentionne également Olivier Masson, Les fragments du poète Hipponax. Édition critique et commentée, EComm 43 (Paris : C. Klincksieck, 1962), 88, frag. 120 (commentaire à p. 166), qui relève que se défaire du manteau est un geste nécessaire pour pouvoir être plus performant dans la lutte ; Aristophane reprendra le geste en clé comique : Ach. 627 ; Lys. 615 et 637 ; Thesm. 568 et 656 ; Vesp. 408. À la page 281 de son article, Jackson mentionne une peinture figurant sur un cratère apulien (IVe av. J.-C.) où les manteaux de Thésée et de Pirithoos sont en train de tomber (en les laissant nus) pendant leur tentative d’empêcher le centaure Eurytion, ivre, d’enlever Hippodamie. L’image est disponible sur https:// fr.wikipedia.org/wiki/Pirithoos#/media/File:Perithoos_Hippodameia_BM_VaseF272.jpg, site consulté le 7 juillet 2018. 25 Lysias, Or. 3.12, 35 : un jeune se débarrasse de son manteau (ੂȝIJȚȠȞ) pour s’enfuir (ijİȖȦ) suite à la tentative de certaines personnes en état d’ivresse de l’enlever par la force. Cité par Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 282–83. 26 Voir 1 M 2.14 et 3.47. Boismard, Synopse des quatre évangiles, 2 : Commentaire : 442, signale 1 Co 15.37 ; 2 Co 5.3 et 1 Clém. 24, où la notion de nudité est mise en relation avec celle d’ensevelissement en vue de la résurrection. Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 281–82, remarque que la perte du manteau en lien avec la thématique de la mort se trouve, entre autres, chez Euripide, Ion 1208–1209 et, dans l’art grec classique, dans l’image d’Orphée tué par une femme thrace (image disponible sur http://www.beazley.ox. ac.uk/dictionary/Dict/image/orpheusLIMC.jpg, site consultée le 7 juillet 2018). 27 Voir Jb 13.28 ; Ez 16.39 ; Mt 25.36 ; Jn 21.7 ; Ac 19.16 ; Jc 2.15 ; Ap 3.17 et 16.15. Nicias, pour faire croire qu’il est fou et possédé, déchire son manteau (IJઁ ੂȝȐIJȚȠȞ) et sa tunique (IJઁȞ ȤȚIJȦȞȓıțȠȞ) et s’enfuit semi-dénudé (ਲȝȓȖȣȝȞȠȢ) : Plutarque, Marc. 20.5, cité par Collins, Mark. A Commentary, 272. Dans la Palestine romaine, déshabiller le criminel avant de l’exécuter est partie intégrante d’un processus d’humiliation et de déshumanisation (cf. Cicéron, Verr. 2.5.160–161). La Mishnah aussi prévoit la spoliation avant la lapidation,
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Le lecteur de Marc peut-il qualifier de manière univoque le jeune homme qui s’enfuit nu ? Il s’agit d’un personnage complexe et rond, qui représente à la fois l’amplification de la fuite déshonorante des disciples, mais aussi, paradoxalement, l’illustration d’une « spoliation nécessaire ». Ce personnage n’échappe pas seulement à la troupe armée : il résiste à toute tentative du lecteur de l’enfermer trop rapidement dans une évaluation simpliste de son rôle pour que puisse se déployer son potentiel figuratif au sein de l’intrigue marcienne. Plusieurs exégètes ont remarqué que c’est précisément la suite de la narration qui permet au lecteur de tisser les liens intratextuels nécessaires à une appréciation de la portée symbolique du jeune homme nu : il n’est pas anodin que le substantif ȞİĮȞıțȠȢ ne soit employé par Marc qu’aux chapitres 14 et 16, lorsqu’un autre jeune homme, lui aussi « habillé » (ʌİȡȚȕȜȜȦ : 14.51 // 16.5), se tient devant les femmes, dans le tombeau, en tant que héraut de la résurrection (v. 5)28. Alors que le lien narratif entre les deux jeunes hommes peut être mais seulement si le condamné est un homme (m. Sanh. 6.3). Selon m. Mid. 2.1, le capitaine ôte les vêtements des gardes de Jérusalem surpris en train de dormir et les renvoie couverts de honte. Pourtant, la nudité masculine n’est pas associée seulement à la honte et à la punition, car parfois elle est idéalisée (l’empereur représenté nu était associé à la divinité), acceptée, voire nécessaire (dans les compétitions sportives, les bains publics ou les travaux dans les champs, par exemple) : la Tosefta (t. Ber. 2.13) prescrit à l’ouvrier de se couvrir lorsqu’il récite le Shema, prière qui ne peut pas être prononcée dans les bains publics à cause de la nudité (acceptée car conventionnelle : t. Ber. 2.20–21). Les rabbins portant des habits trop usés pouvaient réciter le Shema mais pas lire la Torah ou lever la main (m. Meg. 4.6). Les Esséniens toutefois, selon le témoignage de Flavius Josèphe, ne se déshabillaient pas pour leur bains rituels (B.J. 2.161). En plus de cela, ils avaient l’habitude de porter, sous la tunique, un pagne de lin, à la manière des prêtres (Ex 28.42 ; cf. 20.26 ; Lv 16.4 ; Ez 44.18), mais probablement seulement pour les ablutions et les repas communautaires (B.J. 2.129, 131). En effet, même s’ils exploitaient jusqu’à leur limite extrême leurs articles d’habillement (B.J. 2.126), un Essénien qui aurait, par inadvertance, fait transparaître sa nudité était sévèrement sanctionné (1QS 7.13–14 : trente jours de réduction des rations ; 4Q266 frag. 18, IV.9–12 : six mois ; montrer intentionnellement sa verge amène à une expulsion de plusieurs jours et à une réduction des rations pendant dix jours). Le livre des Jubilés, présent à Qumrân également, considère que le Juif ne doit pas exposer sa nudité comme le fait le non-Juif (Jub. 3.30–31). Nous tirons ces informations notamment de Magness, Stone and Dung, 2011, 107– 9. Voir aussi Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 474 ; Rochester, Good News at Gerasa, 161 ; Rosemary Canavan, Clothing the Body of Christ at Colossae : A Visual Construction of Identity, WUNT II 334 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2012), 80– 87, 150 ; Moloney, Mark, 300. 28 Farrer, Glass of Vision, 136–45 ; S. Earl Johnson, A Commentary on the The Gospel according to Saint Mark, HNTC (New York : Harper, 1960), 238 ; Neill Q. Hamilton, « Resurrection Tradition and the Composition of Mark », JBL 84, no 4 (1965) : 415–21 ; Waetjen, « The Ending of Mark », 118–20 ; Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 532 ; Thériault, « Le ‹jeune homme› », 34 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 596 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 131 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 541–42. De son côté, Collins, Mark. A Commentary, 690, 695, ne conçoit pas que les deux jeunes relèvent du même contexte symbolique d’idées. Schenk, Der Passionsbericht Nach Markus, 210, estime que si
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aisément établi, la nature de cette relation ne fait pas l’unanimité. Certes, on pourrait y voir la promesse du pardon et de la restauration des disciples pour lesquels le rendez-vous avec le Ressuscité annoncé avant l’arrestation (14.28) est confirmé (16.7), en dépit de leur lâcheté face aux gardes des grands prêtres (14.50)29. Il est pourtant nécessaire d’approfondir l’analyse de la relation entre les deux ȞİĮȞıțȠȚ par la prise en compte de l’identité et de la portée symbolique du jeune homme au tombeau.
8.2 Le jeune homme au tombeau (Mc 16.5–7) Le jeune homme au tombeau (Mc 16.5–7)
Comme c’est le cas pour le jeune homme nu, celui que l’on retrouve dans la finale de Marc a fait l’objet d’analyses concernant le possible substrat traditionnel30 et, c’est ce qui retient notre attention dans le cadre de cette étude, son identité. La question qui nous intéresse ici est d’établir s’il s’agit, selon la description qu’en offre le deuxième évangile, d’un être céleste (ange) ou pas. Les partisans d’une angélophanie sont nombreux, et leurs arguments peuvent être résumés de la sorte31 :
Marc avait réellement voulu faire comprendre à son lecteur que le jeune homme de Mc 16 est le même que (ou en relation à) celui de Mc 14, il aurait utilisé l’article défini pour désigner celui au tombeau. 29 Ainsi notamment Andrew T. Lincoln, « The Promise and the Failure : Mark 16:7,8 », JBL 108, no 2 (1989) : 292–93. Pourtant, comme le relève Bouquin, la restauration des disciples n’est pas le but principal du récit marcien : Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 309, n. 85. Voir également Moloney, Mark, 346. 30 Parmi les exégètes qui estiment que Mc 16.1–8 est élaboré, d’une manière ou d’une autre, à partir d’une tradition prémarcienne, nous signalons Smith, A Lion with Wings, 111 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 1005 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 376 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 600–601 ; Mark S. Goodacre, « Scripturalization in Mark’s Crucifixion Narrative », in The Trial and Death of Jesus : Essays on the Passion Narrative in Mark, éd. par Geert Van Oyen et Tom Shepherd, CBET 45 (Leuven : Peeters, 2006), 33–47. Pour Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 355, il s’agit d’une légende apologétique. Crossan, « Empty Tomb », 140–46, suivi par Collins, Mark. A Commentary, 129–34, attribue à Marc la création du récit du tombeau vide à partir d’un maniement de textes de la Bible hébraïque (« prophétie historicisée »). Crossan (p. 146) songe à un contexte polémique intrachrétien qui aurait poussé Marc à composer un récit d’annonce de la résurrection de Jésus sans les apparitions post-pascales, ayant pour finalité de : a. contrer un intérêt croissant pour les miracles et les apparitions plutôt que pour le service (avec son lot de souffrance) ; b. relancer la mission pour les non-Juifs, qui ne suscitait pas un fort intérêt dès lors qu’elle mettait en discussion la validité de la Loi ; c. remettre en question la centralité de la famille de Jésus, des Douze, des Trois et de Pierre dans la gestion de l’autorité. 31 Rawlinson, Saint Mark, 244 ; Lohmeyer, Das Evangelium des Markus, 354 ; Taylor, Saint Mark, 606–7 ; Cranfield, Mark, 465 ; Johnson, Mark, 264 ; Nineham, Mark, 444–45 ; Haenchen, Der Weg Jesu, 547 ; Schweizer, Das Evangelium nach Markus, 215–16 ; Jean-
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Plusieurs textes de la Bible hébraïque pourraient constituer l’arrière-plan idéologique de la crainte et même de la fuite des femmes suite à la manifestation de l’ange : Gn 28.10–12 ; Jg 6.11–24 et surtout Dn 10.7b Théodotion (ਕȜȜૃਲ਼ țıIJĮıȚȢ ȝİȖȜȘ ਥʌʌİıİȞ ਥʌૃĮIJȠȢ țĮ ijȣȖȠȞ ਥȞ ijંȕ : cf. Mc 16.8 : țĮ ਥȟİȜșȠ૨ıĮȚ ijȣȖȠȞ… İੇȤİȞ Ȗȡ ĮIJȢ IJȡંȝȠȢ țĮ țıIJĮıȚȢ… ਥijȠȕȠ૨ȞIJȠ Ȗȡ)32. Dans Marc, la peur est souvent la réponse à une manifestation de la puissance divine (ijȠȕȠȝĮȚ : Mc 4.41 ; 5.15, 33, 36 ; 6.50 ; 9.32 ; 10.32 et, évidemment, en 16.8). Le mot ȞİĮȞıțȠȢ et son synonyme ȞİĮȞĮȢ peuvent être utilisés dans la littérature ancienne en référence aux anges : Herm. Vis. 3.1.6–8 ; 3.2.5 et 3.4.1 ; Tb 5.5, 7, 10 (ms S) ; Év. P. 36 ; 2 M 3.26, 33 (ȞİĮȞĮȢ) ; Flavius Josèphe, A.J. 5.277 (ȞİĮȞĮȢ) et 5.213 (ȞİĮȞıțȠȢ)33. De même, la couleur blanche (ȜİȣțંȢ) de la robe du jeune homme de Marc 16.5 pourrait désigner un être séraphique, car elle est associée aux anges en 1 Hén. 87.2 ; 90.21 ; 2 Hén. 37.1 ; T. Lévi 8.2 (à Dieu en Dn 9.7 ; 1 Hén. 14.20)34. Assurément, les éléments évoqués pointent vers une sorte d’épiphanie, mais ils ne sont pas les seuls qu’il convient de prendre en considération. Tout d’abord, Marc emploie à plusieurs reprises le substantif ਙȖȖİȜȠȢ pour mentionner des créatures surnaturelles (1.13 ; 8.38 ; 12.25 ; sauf en 1.2 et peut-être en 13.27, 32). On ne voit donc pas pourquoi il aurait voulu utiliser ȞİĮȞıțȠȢ en 16.5 si ce n’est justement pour renvoyer le lecteur à 14.51–52. S’il est vrai que ȞİĮȞıțȠȢ est un mot utilisé ailleurs pour désigner des anges, il ne faut pas sousestimer le fait que, dans ces documents, soit le mot « ange » apparaît dans le même contexte pour préciser la nature du « jeune homme » (Tb [S] 5.4 : « ange Raphaël » ; 6.1, 3, 4, 7 : « l’ange » ; Herm. Vis. 3.4.1 : les six jeunes hommes sont Ƞੂ ਚȖȚȠȚ ਙȖȖİȜȠȚ IJȠ૨ șİȠ૨), soit la description qui en est donnée ne laisse
Marie van Cangh, « La Galilée dans l’évangile de Marcௗ : un lieu théologiqueௗ? », RB 79 (1972) : 62 ; Neirynck, « La fuite du jeune homme », 50 ; Gundry, Mark, 990–91 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 1001–2 ; Witherington, The Gospel of Mark, 414, 418 ; France, Mark, 676 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 308 ; Boring, Mark, 445 ; Collins, Mark. A Commentary, 782, 801 ; Moloney, Mark, 345. 32 Voir également 1 Hén. 106.4–6. Van Cangh, « La Galilée dans l’évangile de Marc », 62 ; France, Mark, 682–83 ; Collins, Mark. A Commentary, 800. 33 Voir aussi 1 Hén. 62.15–16 ; 87.2 et 3 Hén. 4.1. Légasse, Marc, 1997, 2 : 1001 ; France, Mark, 678. 34 Voir aussi Jn 20.12 et Ac 1.10. Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 519, cite b. Yoma 39b, où il est dit que lorsque Siméon le Juste célébrait le Yom Kippur, il voyait un vieillard habillé en blanc qui entrait et sortait avec lui du Lieu Très Saint. Lorsque Siméon le vit avec un vêtement noir, il réalisa qu’il allait décéder dans le courant de cette année-là.
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aucun doute sur l’origine céleste du personnage en question (Év. P. 36 : les gardes au tombeau « virent les cieux ouverts et deux hommes en descendre » ; Flavius Josèphe, A.J. 5.277 : « une apparition de Dieu, ressemblant à un jeune homme grand et beau » ; 2 M 3.26 : « force remarquable », « grande beauté », « fustigeaient sans relâche [Héliodore] » ; v. 30 : « manifestation du Seigneur tout-puissant » ; v. 33 : « ils apparurent de nouveau » ; v. 34 : « ils disparurent »)35. Or tel n’est pas le cas en Marc 16.1–8. Bourquin a raison de soupçonner que le ȞİĮȞıțȠȢ de Marc 16.5 est trop souvent interprété à la lumière des textes parallèles de Matthieu 28.2–5, Luc 24.4 et Jean 20.11–1236. Lorsque l’on tient compte de la volonté auctoriale du deuxième évangile, on s’aperçoit que le jeune homme au tombeau est caractérisé de façon à évoquer à la fois le jeune homme nu (nous l’avons montré plus haut) et le Jésus marcien. Il est « assis à la droite » (Mc 16.5), une position honorable à côté de Jésus dans sa gloire (10.37, 40), mais également la position de ce dernier vis-à-vis de Dieu (12.36–37 ; 14.62)37 ; il est habillé en blanc, tout comme Jésus lors de 35 Focant, L’Évangile selon Marc, 595–96 ; Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 533– 34. Ces derniers ajoutent des remarques importantes. Les « jeunes » dont il est question en Herm. Vis. 3.1.6–8 seront qualifiés de Ƞੂ ਚȖȚȠȚ ਙȖȖİȜȠȚ IJȠ૨ șİȠ૨ Ƞੂ ʌȡIJȠȚ țIJȚıșȞIJİȢ en 3.4.1. Dans tout le Nouveau Testament, une personne simplement désignée en tant que ȞİĮȞıțȠȢ, sans aucune précision sur son éventuelle nature surnaturelle, doit être comprise comme un être humain : Mt 19.20, 22 ; Lc 7.14 ; Ac 5.10 ; 23.18, 22 ; 1 Jn 2.13–14. À partir du IIe siècle, on désignera ainsi le Christ ressuscité : par ex. Ac. Jn. 73, 76, 87, 88 ; Ac. Th. 27 ; Ac. Paul 3.13, 28 ; 4.2 (pour plus de textes Scroggs et Groff renvoient à Erik Peterson, Frühkirche, Judentum und Gnosis. Studien und Untersuchungen (Rom – Freiburg – Wien : Herder, 1959), 191–96. 36 Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 305. 37 « Assis à la droite » en Mc 16.5 évoque le Ps 110.1, qui est lu en clé christologique en Mc 12.36 et 14.62 (cf. Dn 7.13). Pour la notion du croyant assimilé au Christ assis à la droite de Dieu, voir aussi Col 2.11–12 ; 3.1–3 ; Ep 2.4–6. En Asc. Es. 7.33–35 (fin Ie–IIIe s.), cette position indique une gloire prééminente : Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 535 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 131–32 ; Neirynck, « La fuite du jeune homme », 47 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 595 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 544. Gourgues, « À propos du symbolisme », 676–77, remarque à juste titre que Marc emploie presque exclusivement la formulation ਥț įİȟȚȞ (ȝȠȣ) – c’est-à-dire celle verbatim du Ps 109.1 LXX – à trois reprises pour parler de personnes se trouvant à coté de Jésus (Mc 10.37, 40 ; 15.27) et deux fois en citant le Ps 109.1 LXX en rapport à Jésus (Mc 12.36 et 14.62). L’unique exception se trouve en Mc 16.5, où il préfère ਥȞ IJȠȢ įİȟȚȠȢ. À partir de ce constat, Gourgues affirme que la position du jeune homme au tombeau n’est pas significative pour Marc. Pourtant, Gourgues reconnaît que la formulation du Ps 109.1 LXX est modifiée ailleurs dans le Nouveau Testament : ਥȞ įİȟȚઽ en Rm 8.34 ; Ep 1.20 ; Col 3.1 ; He 1.3 ; 8.1 ; 10.12 ; 12.2 ; 1 P 3.22, et IJૌ įİȟȚઽ en Ac 2.33 et 5.31. Il nous semble donc réducteur de nier la symbolique de la position sur la base d’une variation stylistique. On pourrait tout simplement comprendre la formulation de Mc 16.5 comme une volonté du rédacteur de suggérer que le jeune homme occupe (par assimilation) la même position honorable que le Ressuscité, sans pour autant l’identifier avec Jésus lui-même (tel qu’il est désigné selon la lecture christologique de Ps 109.1 LXX).
D’un ȞİĮȞަıțȠȢ (Mc 14.51–52) à l’autre (16.5–7)
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sa transfiguration (9.3)38 ; il parle aux femmes d’abord effrayées (16.5) et ensuite stupéfaites (v. 8) en les invitant à ne pas craindre (16.5), ce qui rappelle l’épisode de la marche sur la mer (6.45–52), où Jésus s’adresse aux disciples troublés (v. 50) et ensuite étonnés (v. 51) en les invitant à ne pas avoir peur (v. 51)39 ; il ordonne aux femmes d’aller (ਫ਼ʌȖİIJİ : 16.7) vers les disciples, une injonction utilisée dans le macro-récit seulement par Jésus (6.38 ; 11.2 ; 14.13 ; au singulier [ʌĮȖİ] : 1.44 ; 2.11 ; 5.19, 34 ; 7.29 ; 8.33 ; 10.21, 52), comme c’est aussi le cas pour l’impératif İʌĮIJİ (11.3 ; 14.14 et 16.7)40. Il est, par ailleurs, le seul à utiliser le verbe ਥȖİȡȦ avec Jésus pour sujet en tant que référence à la résurrection de ce dernier (14.28 // 16.6)41. D’une manière ambivalente, le ȞİĮȞıțȠȢ de la finale de Marc est donc une allusion au Ressuscité lui-même, une figure au travers de laquelle transparaît la manifestation de ce qui était secret (4.22) et, pour le dire avec Focant, commence à se réaliser la promesse de l’avènement du Royaume en puissance (9.1)42. Mais ce jeune homme est également distinct de Jésus, car il affirme formellement que le crucifié réveillé n’est pas là (16.6), il énonce une parole de Jésus (16.7, rappelant 14.28) à l’intention des disciples qui a trait à une future rencontre en Galilée où il (Jésus) sera vu, une parole que Jésus lui-même a confiée aux disciples, dont les femmes sont partie intégrante (« comme il vous l’a dit »)43. C’est à ce personnage ambivalent que Marc associe l’autre personnage, paradoxal lui aussi, du jeune homme qui s’enfuit nu. Du point de vue de l’évolution du lecteur encodé au lecteur construit, cette association revêt le plus grand intérêt, car le parcours narratif qui conduit du ȞİĮȞıțȠȢ de Marc 14.51–52 à celui de 16.5–7 dévoile la conception de la suivance qui est celle de l’auteur implicite.
8.3 D’un ȞİĮȞıțȠȢ (Mc 14.51–52) à l’autre (16.5–7) : le sens d’un parcours narratif D’un ȞİĮȞıțȠȢ (Mc 14.51–52) à l’autre (16.5–7)
Le jeune homme du chapitre 14 de Marc, à l’instar des autres disciples, s’enfuit lorsque son attachement à Jésus peut lui coûter sa propre vie. Dans ce sens, il 38
Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 533 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 595 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 305 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 542. 39 Légasse, Marc, 1997, 2 : 1001 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 595–96. 40 Danove, The Rhetoric of Characterization, 131. 41 Williams, Other Followers of Jesus, 194. Voir à ce propos la rémarque de Thériault, « Le ‹jeune homme› », 24 : « En Marc, la vie du ressuscité reste conditionnée par bien des éveils que devront réaliser les siens. » 42 Focant, L’Évangile selon Marc, 596. 43 Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 536, 542–43 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 597 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 131.
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incarne un échec cuisant. Pourtant, dès lors que le tableau peut évoquer l’acte vertueux de Joseph face aux avances de la femme de Potiphar, la spoliation du jeune homme n’est pas seulement honteuse mais aussi, paradoxalement, une étape nécessaire : sa déconstruction (qui est celle du lecteur) est la condition pour « sauver » sa vie dans le sens des paroles de Jésus en 8.35 : Ȣ Ȗȡ ਥȞ șȜૉ IJȞ ȥȣȤȞ ĮIJȠ૨ ııĮȚ ਕʌȠȜıİȚ ĮIJȞ· Ȣ įૃਗȞ ਕʌȠȜıİȚ IJȞ ȥȣȤȞ ĮIJȠ૨ ਪȞİțİȞ ਥȝȠ૨ țĮ IJȠ૨ İĮȖȖİȜȠȣ ıઆıİȚ ĮIJȞ44. Pourtant, sa dislocation consiste tout d’abord à réaliser qu’il ne peut pas boire la coupe de son Maître avant que Jésus lui-même n’ait frayé le chemin (voir 10.38–39). La ıȚȞįઆȞ qu’il abandonne (14.52), symbole du don de soi poussé à l’extrême45, il n’y a que le Christ qui peut l’assumer en premier pleinement (15.46 : seules autres occurrences de ce mot en Marc) : c’est le seul moyen de donner un sens et un horizon à un geste qui autrement demeurerait stérile46. 44 Perego, La nudità necessaria, 267 : « [l]a spogliazione profonda di sè costituisce la tappa dolorosa di passaggio a cui viene sottoposta l’adesione a Cristo di ogni discepolo. In tal senso, tale nudità è ‹necessaria›. » Voir aussi Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 406 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 279 ; Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 309 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 310 ; Grappe, « De quelques figures d’identification », 135 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 309, 346. 45 On se trouve là en phase avec ce que le Jésus marcien déclare en 10.45 : Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 404 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 541–43, qui reprennent respectivement les propos d’Austin M. Farrer, A Study in Saint Mark (London : Dacre Press, 1951), 141, et de John Knox, Christ the Lord : The Meaning of Jesus in the Early Church (Chicago : Willett, Clark and Co, 1945), 100. Le mot ıȚȞįઆȞ désigne à l’origine une étoffe en lin (ou, plus tard, aussi en coton), de bonne facture, égyptienne ou syrienne. Par extension, il désigne également les objets fabriqués avec ce tissu, comme le drap ou le manteau que l’on pouvait porter sur un autre vêtement ou directement sur le corps. Le même objet pouvait donc à la fois être appelé ıȚȞįઆȞ s’il était raffiné, ou ੂȝIJȚȠȞ s’il était tissé de manière grossière et économique (en laine). C’est pour cette raison que Marc utilise ıȚȞįઆȞ pour ce qui est acheté par une personne aisée en vue de l’ensevelissement de Jésus (Mc 15.46 [2x] // Mt 27.59 // Lc 23.53), alors que le drap ou le manteau de Bartimée, qui appartient à une couche sociale plus basse que celle de Joseph d’Arimathée, est appelé ੂȝIJȚȠȞ. ȈȚȞįઆȞ traduit l’hébreu ʯʩ ʑʣ ʕʱ en Jg (A) 14.12, 13 ; Jg 14.12 et aussi en Pr 31.24, ce qui en confirme la valeur (cf. Es 3.23 LXX, où le même mot est traduit par ȕııȚȞȠȢ, « lin fin »). Voir également Flavius Josèphe, A.J. 3.110 et 112 (tabernacle Israélite) et Hérodote, Hist. 2.86 (description de la manière la plus onéreuse utilisée par les Égyptiens pour embaumer leurs morts). Voir Neirynck, « La fuite du jeune homme », 64, n. 291 ; Brown, The Death of the Messiah, 1 : 303 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 279. Moloney en déduit que l’abandon d’un vêtement précieux par le jeune homme en Mc 14.52, lu métaphoriquement comme un renoncement à la suivance jusqu’au bout, montre à la fois la noblesse de cette dernière et augmente la dimension dramatique de la portée symbolique de la scène : Moloney, Mark, 300. 46 Le verbe țĮIJĮȜİʌȦ (14.52, « laisser ») est, en Mc 12.21, associé au fait de ne pas laisser de descendance. Pour Scroggs et Groff : « [t]he death facing the young man is taken up by Jesus himself. Jesus died for him, i.e, in his stead, and the young man is thus rescued – he escapes – from his own death » (Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 541.
D’un ȞİĮȞަıțȠȢ (Mc 14.51–52) à l’autre (16.5–7)
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Son association, au niveau narratif bien entendu, avec le jeune homme au tombeau, figure associée étroitement au Ressuscité (mais pas confondue avec lui), montre également que l’abandon qu’il fait du drap est aussi une préfiguration du réveil de Jésus, ce dernier s’échappant également du drap dans lequel on l’a enveloppé après la crucifixion47. Il échappe à ceux qui se saisissent de lui, ce qui annonce proleptiquement que Jésus non plus ne peut être retenu ni par ceux qui le vouent à la mort ni par la mort elle-même48. Dans la stratégie narrative de l’auteur implicite, la trajectoire du jeune homme du chapitre 14 jusqu’à l’épilogue de l’évangile montre « la nécessité d’une transformation pour passer de la fuite à la perspective de la résurrection »49. Cette transformation peut avoir lieu lorsque l’on admet que le dépouillement radical du disciple n’est possible que suite à celui du Maître, qui joue à la fois le rôle d’acte fondateur et d’archétype paradigmatique. Si, par exemple, dans 2 Maccabées, le martyre est le signe de la fidélité à Dieu et assume une signification expiatoire (outre une fonction substitutive : juste punition de Dieu pour les péchés du peuple), dans Marc, le don ultime du disciple n’a pas de valeur expiatoire, mais est associé à la destinée du Fils de l’Homme. À la différence des martyrs qui meurent en héros, Jésus, d’abord, et ses disciples, ensuite, sont confrontés à l’humiliation et à la honte. Mais le disciple qui n’accepte pas l’abaissement, paradoxalement, se couvre de honte. Jésus accepte son humiliation car, dans la perspective divine, « il le faut ». Le disciple n’arrive à cette compréhension et n’intègre cette dynamique qu’après la résurrection de Jésus, quand il comprend que c’est le moyen que Dieu a choisi pour montrer que l’humiliation de Jésus a été un honneur à ses yeux50. Le jeune homme au 47 Cette lecture semble confortée par le fait que, dans Marc, le verbe țȡĮIJȦ est employé dans un sens hostile uniquement en lien avec des figures associées à une forme de Passion : Jean (dont s’empare Hérode en 6.17), le jeune homme qui s’enfuit nu (14.51–52) et, bien évidemment, Jésus (par sa parenté : 3.2 ; par les autorités juives et/ou leurs soldats : 12.12 ; 14.1, 44, 46, 49). Voir John Knox, « A Note on Mark 14:51–52 », in The Joy of Study, éd. par Frederick C. Grant et S. Earl Johnson (New York : MacMillian, 1951), 27–30 ; Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 405 ; Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 532 ; Derrett, « Legend and Event », 68. Collins, Mark. A Commentary, 690, note 171, attire l’attention sur le fait que le Caravage aussi a adopté cette lecture de la scène, comme le montre son Arrestation du Christ (1602), où le drap rouge du jeune homme fuyant est tiré vers Jésus par les soldats (image disponible sur http://michelbois.fr/blog/ autour-dun-tableau-caravage-larrestation-christ/ ; site consulté le 7 juillet 2018). 48 Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 406 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 310 ; Moloney, Mark, 299. Pour une lecture alternative voir Neirynck, « La fuite du jeune homme », 44. 49 Focant, L’Évangile selon Marc, 545. 50 L’annonce du jeune homme au tombeau de la résurrection de Jésus donnera du sens au paradoxes énoncés en Mc 8.35 ; 9.35b et 10.43–44 : ainsi Geert Van Oyen, « The Vulnerable Authority of the Author of the Gospel of Mark : Re-Reading the Paradoxes », Bib 91, no 2 (2010) : 178.
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Chapitre 8 : Enjeu théologique
tombeau annonce donc, d’un côté, le Ressuscité et, de l’autre, à la fois la réhabilitation des disciples et l’assimilation au Christ, possible seulement si l’on accepte de revenir « en Galilée », de se remettre à la suite de celui qui a appelé les siens alors que sa destinée (et la leur) n’avait pas encore été dévoilée51. Dans cette optique, il faudra aussi relever que l’abandon de son manteau par le ȞİĮȞıțȠȢ du chapitre 14 représente également le douloureux, mais inéluctable et surtout nécessaire détachement du disciple de son Maître. Cette nouvelle modalité de la suivance a déjà été montrée par le narrateur, proleptiquement, au chapitre 5, lorsque Jésus refuse au Gérasénien d’être avec lui (5.19), alors même qu’il est le point focal vers lequel aboutit sa gratitude pour « tout ce que Jésus a fait pour lui » et d’où découle sa proclamation (v. 20). On peut ainsi s’interroger sur le lien entre la péricope du démoniaque de Gérasa et le parcours des deux ȞİĮȞıțȠȚ des chapitres 14 et 16.
8.4 La lecture en boucle de Marc : un outil herméneutique conçu par l’auteur implicite La lecture en boucle de Marc
L’évangile de Marc instaure avec son lecteur encodé un pacte de lecture qui s’établit, à l’évidence, sur la base du genre littéraire. Mais d’emblée, et de manière plus formelle, fondamentales sont les indications données par l’incipit de l’évangile lui-même52. L’incipit de Marc est constitué par son premier verset : une phrase sans prédicat et pourtant indépendante53, jouant le rôle d’interface entre l’ouvrage et le lecteur. Elle est le fruit de la « stratégie préfacielle » mise en œuvre par l’auteur implicite afin d’orienter l’acte de lecture54.
51 Thériault, « Le ‹jeune homme› », 34 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 309. Pour Focant, « l’écart narratif ainsi créé amène le lecteur à déployer une intelligence renouvelée de l’histoire de Jésus et de l’évangile. Cette anamnèse est première et fondamentale, mais son sens est de tourner le lecteur vers l’avenir et de l’ouvrir sur le rôle qu’il peut jouer dans l’histoire du kérygme évangélique à l’époque de sa propre lecture » (Focant, L’Évangile selon Marc, 600). 52 Pour une discussion sur le péritexte (ce qui précède le récit et en oriente la lecture), voir Gérard Genette, Seuils, Poétique (Paris : Seuil, 1987), 7, et Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 168–70. Pour l’incipit de Marc considéré comme ayant aussi la fonction de titre, voir notamment Malbon, « Echoes and Foreshadowings », 228 ; M. Eugene Boring, « Mark 1:1–15 and the Beginning of the Gospel », Semeia 52 (1990) : 47–53 ; EveMarie Becker, Das Markus-Evangelium im Rahmen antiker Historiographie, WUNT 194 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2006), 112 ; Collins, Mark. A Commentary, 130. D’autres auteurs préfèrent ne pas isoler le premier verset de ceux qui suivent : voir, entre autres, Tolbert, Sowing the Gospel, 239–47 ; Delorme, « ‹Commencement de l’Évangile› », 159–68 ; Marcus, The Way of the Lord, 18 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 57–58. 53 Malbon, « Echoes and Foreshadowings », 228 ; Collins, Mark. A Commentary, 130. 54 Marguerat et Bourquin, Pour lire les récits bibliques, 168.
La lecture en boucle de Marc
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L’ਕȡȤ marcienne est donc bien plus qu’un début annonçant un enchaînement d’événements : elle est la clé herméneutique que l’auteur confie au lecteur encodé. C’est précisément par la prise en main de cette clé que le lecteur encodé entame, depuis le « commencement », le parcours qui le fera évoluer vers son statut de lecteur construit. En effet, comme l’a remarqué Malbon, pourquoi une biographie de Jésus de Nazareth devrait-elle s’intituler « commencement de la Bonne Nouvelle » ? Parce qu’il s’agit d’un récit qui n’a pas une finale close mais ouverte55. Le « commencement » de Marc ouvre le récit et son monde conceptuel, car la « bonne nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu » (1.1) annoncée par l’auteur implicite forme une inclusion avec la « bonne nouvelle de Dieu » proclamée par Jésus (1.14). Dans cette section, Jésus est mis en relation avec l’accomplissement prophétique (v. 2–356, 12–1357, 15) et le baptême de l’Esprit (v. 9–11), et il est présenté en tant que Christ/Messie (v. 1), Seigneur (v. 3), « le plus fort » (v. 7) et Fils bien aimé de Dieu (v. 11), ce qui requiert une réponse dans le sens d’une dynamique de changement radical et de foi (v. 15)58. Ce commencement est sans doute à mettre en relation avec le reste de l’évangile et, de manière toute particulière, avec sa fin, qui n’en est pas une, et qui renvoie explicitement au commencement. Les annonces de résurrection (8.31 ; 9.9, 31 ; 10.34) qui ponctuent la partie centrale du macro-récit sont récapitulées et amplifiées en 14.28 par la double prédiction du « réveil » et de la rencontre en Galilée. Cette dernière est reprise en 16.7 (on remarquera que le passage est 55 Malbon, « Echoes and Foreshadowings », 228 : « [w]hy would a complete narrative of the story of Jesus be called the beginning of the good news? Probably because the narrative is really incomplete, open-ended ». 56 La citation de Mc 1.2 est une combinaison de Ml 3.1 avec Ex 23.20 et celle de Mc 1.3 contient Es 40.3. Pourtant, on est en présence d’un maniement assez libre des textes. Focant remarque que Mc 1.2 a țĮIJĮıțİȣȗȦ (« préparer »), alors que Ml 3.1 (massorétique) a la forme piel de ʤʕʰ˝ʕ (« aplanir ») et la LXX ਥʌȚȕȜʌȦ (« s’intéresser, regarder avec faveur »). Aquila traduira par ਕʌȠıțİȣȗȦ (« préparer »). Qui plus est, le texte d’Es 40.3, cité en Mc 1.3, au-delà d’une modification à la portée christologique considérable (Es : IJȢ IJȡȕȠȣȢ IJȠ૨ șİȠ૨ ਲȝȞ // Mc : IJȢ IJȡȕȠȣȢ ĮIJȠ૨), est compris par Marc dans le sens de la LXX : la voix du héraut crie dans le désert. Le texte hébreu, par contre, mentionne une voix qui incite le peuple à aller dans le désert pour frayer le chemin du Seigneur. 1QS 8.3–15 comprend le passage de la même manière que le texte massorétique : le désert est le lieu où la communauté doit étudier la Loi. Ainsi Focant, « Fonction intertextuelle », 313–14. 57 La présence d’animaux sauvages pourrait faire allusion à la restauration du dessin original de la création de Dieu : voir Moloney, Mark, 349. 58 Moloney, 350. Mc 1.1 (IJȠ૨ İĮȖȖİȜȠȣ ȘıȠ૨ ȋȡȚıIJȠ૨) et 14 (IJઁ İĮȖȖȜȚȠȞ IJȠ૨ șİȠ૨) forment une inclusion. Pour Rochester, le verset 15 indique la réponse appropriée au message ainsi encadré : Rochester, Good News at Gerasa, 63. Focant remarque que le début de la biographie de Jésus, liant son « commencement » avec une parole scripturaire antérieure et une parole venant du ciel (1.11), projette le lecteur dans un récit qui « ne le borne pas à l’espace et au temps de l’histoire séculière ordinaire » : Focant, « Fonction intertextuelle », 315.
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formulé à la deuxième personne du pluriel, comme en 14.2859) comme une promesse fiable qui explique la réalité bouleversante du tombeau vide60. Ces éléments positifs sont néanmoins conjugués avec d’autres plus sombres : tout comme le début de l’évangile articule l’irruption du Royaume avec l’action satanique et la destinée tragique de Jean, la peur et le silence des femmes apportent une dimension dramatique au dernier tableau du deuxième évangile61. Le lecteur implicite est alors invité à combler le vide créé ad hoc en attribuant à la rencontre avec Jésus en Galilée une portée symbolique : comme les disciples, il est invité à revenir au commencement, là où leur cheminement a trouvé son origine. La mention de la Galilée en tant que lieu de la rencontre promise à la fin de l’évangile est moins un renvoi à une entité géographique pour les disciples historiques qu’une invitation symbolique adressée au lecteur implicite. En effet, celui-ci est invité à se remettre dans la dynamique de la suivance de celui qui vient de Galilée (1.9) et qui, en Galilée, a été baptisé et a vaincu Satan, a proclamé le Royaume (1.14–15) avec succès (1.28), en a appelé d’autres à intégrer la mission, a exorcisé (1.39) et lié l’homme fort… mais qui a été également rejeté par sa famille, par les autorités religieuses et par ses propres compatriotes62. 59
Mc 14.28 semble suspendre le fil logique qui lie le verset 27 au verset 29. Il introduit la justification logique du rétablissement de Pierre (dont le reniement est l’objet des versets 30–31) et des autres disciples annoncé en 16.7. Ainsi van Cangh, « La Galilée dans l’évangile de Marc », 62. 60 Puisqu’en Marc les prédictions de Jésus (8.31 ; 9.31 ; 10.33, 34 ; 14.13–15, 18–21, 27, 30 ; 11.2 ; 12.8) ont toujours trouvé leur accomplissement, le lecteur est amené à faire confiance à sa parole (13.31) et à s’attendre à ce que même la dernière promesse se réalise : Williams, Other Followers of Jesus, 198. 61 Bourquin discute la typologie des finales suspendues des œuvres littéraires proposée par Magness (conclusions ouvertes : « ouverture vers avenir anticipé » ; ou omises : le fait conclusif et central n’est pas mentionné, p. 284) et propose de l’abandonner en faveur d’une « échelle nuancée plutôt que [de] catégories figées » (p. 294), pour tenir compte des signaux forts ou ténus dont le rédacteur parsème son écrit. En se tournant vers Marc, Bourquin constate que, au niveau des signaux forts : a. on trouve dans le macro-récit plusieurs annonces de la résurrection de Jésus (8.31 ; 9.9, 31 ; 10.34 ; 14.28 est aussi une prophétie reprise en 16.7) ; b. le discours eschatologique (chap. 13) conjugue un scénario de persécution à des éléments très positifs (v. 10 et 27) ; c. le tombeau vide « insuffle une très forte attente » (p. 296). La note d’espoir semble être prolongée par les signaux faibles : il y a « transposition dans le discours », car le jeune homme promet une rencontre, et « transposition symbolique », dès lors que le tombeau vide évoque la réalité de la résurrection (idem). Pourtant, il n’y a pas de sommaire final qui annoncerait une continuation de l’histoire au-delà du récit et le verset 8, selon Bourquin, « jette ombre sur la fiabilité du récit » (p. 297). Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 284–97, en relation à Magness, Marking the End, 45– 46, 51–52. 62 Cf. Williams, Other Followers of Jesus, 196, 200–202 ; Gerd Lüdemann, The Resurrection of Jesus : History, Experience, Theology, trad. par John Bowden (Minneapolis – London : Augsburg Fortress – SCM Press, 1994), 113 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 1005 ;
La lecture en boucle de Marc
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L’évangile de Marc est donc conçu pour être lu en boucle63. Ce n’est pas le tombeau vide, ni Jérusalem, ni le Temple qui assument le rôle de catalyseur de la foi et de point de repère de la suivance, mais le Ressuscité qui demeure à jamais également le Crucifié : être disciple du Fils de Dieu signifie, pour Marc, « se rendre ‹contemporain› du Jésus terrestre »64. L’intrigue marcienne propose une résolution qui se place en dehors du récit, et plus précisément dans la dimension existentielle du lecteur, car la « Galilée promise au lecteur de Marc n’est pas le lieu où les croyants enfin mettront la main sur lui [Jésus], mais où il ne cessera de les précéder, d’être devant »65. Cela a des implications herméneutiques majeures : non seulement la fin de l’évangile de Marc renvoie à son commencement, mais elle éclaire d’un jour nouveau l’ensemble du macro-récit lorsqu’il est relu à la lumière de cette finale énigmatique. Le lecteur implicite est donc relecteur66 amené à actualiser, par sa « coopération interprétative »67, l’histoire de Jésus en tant que pérenne commencement : l’avènement du Fils de Dieu n’est plus réduit à un acte salvateur – compris comme accomplissement des promesses – situé dans le passé (Endzeit), mais il est élevé au rang de perpétuel Urzeit qui dépasse le cadre historique afin de se situer dans la dimension existentielle. L’originalité de la fin de l’é-
François Vouga, Une théologie du Nouveau Testament, MdB 43 (Genève : Labor et Fides, 2001), 242 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 597. Le fait d’attribuer une portée symbolique à la « Galilée » trouve un parallèle à Qumrân, où « Damas » est le lieu dans lequel les Esséniens trouvent refuge en quittant « Juda » (Écrit de Damas 6.5, 19 ; 8.21 ; 4Q266–269) : ainsi Boring, Mark, 447. De leur côté, Lagrange, Évangile selon saint Marc, 447, et Lohmeyer, Das Evangelium des Markus, 355–356, discernent en Mc 16.7 une allusion aux apparitions du Ressuscité ; van Cangh, « La Galilée dans l’évangile de Marc : un lieu théologiqueௗ? », 1972, 63–75, y voit aussi une référence à la parousie. 63 Fowler, Let the Reader Understand, 262–63 ; Malbon, « Echoes and Foreshadowings », 229 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 312 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 311–14, 322 ; Boring, Mark, 448 ; Malbon, Mark’s Jesus, 194 ; Moloney, Mark, 350 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 143. 64 Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 314. 65 Marguerat, « Quatre lecteurs », 59. Voir aussi Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 313. Selon Whitney T. Shiner, Proclaiming the Gospel : First-Century Performance of Mark (Harrisburg : Trinity Press International, 2003), 177, le « lecteur » ( ਕȞĮȖȚȞઆıțȦȞ : Mc 13.14) n’est pas seulement, dans le monde ancien, la personne qui lit un ouvrage, mais aussi celle qui écoute la lecture faite à haute voix (citée par Malbon, Mark’s Jesus, 60, n. 7). 66 Malbon, « Echoes and Foreshadowings », 228 : « the implied reader of Mark would appear to be a rereader ! » (voir aussi p. 230). Stephen D. Moore, Literary Criticism and the Gospels : The Theoretical Challenge (New Haven – London : Yale University Press, 1989), 78–81 ; Smith, A Lion with Wings, 41. Tous trois font une distinction entre une lecture « vierge » et une lecture « expérimentée ». 67 Voir Umberto Eco, Lector in fabula : la cooperazione interpretativa nei testi narrativi, StuBom 22 (Milano : Bompiani, 1979), 66–67.
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Chapitre 8 : Enjeu théologique
vangile de Marc devient le critère qui détermine le sens de son commencement : la croix n’est pas la fin, mais le début d’un cheminement ouvert par le Crucifié-Ressuscité, un cheminement dont la croix fait partie intégrante (8.34– 35) 68. Ce retour nécessaire en « Galilée » du relecteur montre que, pour Marc, l’ਕȡȤ est à la fois ouverture d’un temps nouveau où Jésus, désormais absent physiquement, le précède, mais est aussi fondement, car il fournit un lien fort entre la vie terrestre de Jésus, dont sa biographie rend témoignage, et l’époque post-pascale, dans laquelle le disciple-relecteur se situe69. La résurrection de Jésus et sa précédence (ʌȡȠȖİȚ ਫ਼ȝ઼Ȣ : Mc 16.7) projettent dès lors leur lumière sur chaque épisode où la rencontre transformatrice avec le Jésus marcien devient en réalité un témoignage de l’irruption dans le présent de la puissance même qui a rendu possible la résurrection du Fils de Dieu70. Concernant le récit de Marc 5.1–20, nous nous emploierons à montrer que, par le processus de lecture en boucle de l’ensemble du deuxième évangile, le lecteur encodé réalise que le Gérasénien, avec le jeune homme qui s’enfuit nu et le jeune homme au tombeau ouvert, annonce une modalité relationnelle inédite et innovante avec le Jésus post-pascal : sa nouvelle présence est à rechercher dans une suivance qui est une assimilation dynamique au Ressuscité absent. Le récit de Gérasa revêt toute sa portée symbolique quand il est relu après
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L’expression « Endzeit gleicht Urzeit » est typiquement attribuée à Hermann Gunkel, Schöpfung und Chaos in Urzeit und Endzeit : Eine religionsgeschichtliche Untersuchung über Gen. 1 und Ap. Joh. 12 (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1895) : voir, par exemple, Thomas R. Blanton, Constructing a New Covenant. Discursive Strategies in the Damascus Document and Second Corinthians, WUNT II 233 (Tübingen : Mohr Siebeck, 2007), 100, note 57 ; ou Bart D. Ehrman, Forgery and Counterforgery. The Use of LiteraryDeceit in Early Christian Polemics (New York : Oxford University Press, 2014), 233, note 82. Aucun des deux ne précise la page de la prétendue citation. Blanton estime que Gunkel s’est inspiré du įȠ ʌȠȚ IJ ıȤĮIJĮ ੪Ȣ IJ ʌȡIJĮ de l’Épitre de Barnabé (6.13). Childs décrit la nature de l’espérance prophétique juive d’une façon qui me paraît féconde lorsque mise en relation avec la dimension littéraire de Marc : « [t]he return to the past signifies the continuity in the one will of God ; the newness of the end indicates the full intensity of the light which at first shone only in dim reflection. The new of the Endzeit became the criterion for determining what was qualitatively new at the Urzeit ». Brevard S. Childs, Myth and Reality in the Old Testament, SBT 27 (London : SCM Press, 1962), 81. Voir Ernest Best, « Discipleship in Mk 8:22–10:52 », in Disciples and Discipleship. Studies in the Gospel according to Mark (Edinburgh : T. and T. Clark, 1986), 15–16 ; Powell, What is Narrative Criticismࣟ?, 72–74 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 599–600 ; Moloney, Mark, 16. 69 Cuvillier, L’évangile de Marc, 288 : « ... comme les disciples, il [le lecteur] sera invité à retourner en Galilée, où Jésus l’attend, c’est-à-dire, pour lui, au seuil de l’évangile, dans lequel il pourra désormais entendre l’Évangile. » Voir également Focant, L’Évangile selon Marc, 600 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 335–36 ; Malbon, Mark’s Jesus, 34. 70 Rochester, Good News at Gerasa, 219.
Relecture de l’exorcisme de Gérasa
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le récit du tombeau vide. En effet, plusieurs thématiques sont annoncées proleptiquement par le récit de l’exorcisme de Gérasa et trouvent leur couronnement dans le récit du tombeau vide : l’attachement à l’« ancien » qui empêche de voir au-delà de ce qui est figé dans l’esprit de celle ou de celui qui regarde ; la mort vaincue par l’irruption de la puissance de Dieu en la personne de Jésus – qui pourtant se soustrait à celui qui voudrait idéaliser sa proximité physique – ; la peur suscitée par la manifestation du pouvoir libérateur de Dieu et la difficulté à adopter un regard nouveau. Par ailleurs, une fois éclairé par la finale de l’évangile, il est possible de relire Marc 5.1–20 comme le récit d’un homme qui est assimilé à la dynamique de la Passion/résurrection et qui, en vertu de cette identification, bénéficie du statut de disciple. Il se situe à une époque caractérisée par l’absence physique du Messie mais également par une mission aux non-Juifs se déployant sous l’égide de la miséricorde divine et par la prédication de Jésus en tant qu’accomplissement du dessein salutaire de Dieu. C’est par cet acte de lecture en boucle que l’expérience passée du démoniaque de Gérasa assume une fonction proleptique dans le présent du lecteur. Pour le dire avec Aristote : ȝȠȚĮ Ȗȡ ੪Ȣ ਥʌ IJઁ ʌȠȜઃ IJ ȝȑȜȜȠȞIJĮ IJȠȢ ȖİȖȠȞȩıȚȞ (« car les faits futurs ressemblent beaucoup [ou : souvent] à ceux du passé », Rhet. 1394a)71. Nous allons développer à présent comment, selon notre analyse, le lecteur implicite est amené à évoluer du statut de lecteur encodé à celui de lecteur construit, cela par la relecture en boucle qu’il est invité à effectuer notamment des récits du démoniaque de Gérasa, du jeune homme qui s’enfuit nu et du jeune homme au tombeau.
8.5 Relecture de l’exorcisme de Gérasa après les récits de la Passion Relecture de l’exorcisme de Gérasa
La finale de l’évangile de Marc ne contient ni récit d’apparition du Ressuscité ni de rencontre post-pascale entre Jésus et ses disciples historiques en vue de leur réhabilitation72. Pour Marc, redisons-le, le point principal du micro-récit de 16.1–8 est l’identité de Jésus et la nature de la suivance. Si, comme Van Oyen l’a justement fait valoir, le tableau final du deuxième évangile est le lieu narratif où confluent les thématiques les plus significatives avec lesquelles le
71 Traduction personnelle. Voir Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 304 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 345–46. 72 Voir la discussion de Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 281–83. Bourquin estime que « [l]e mystère de la mission de Jésus et de son identité est donc préservé par cette finale dépourvue de récit d’apparition » (p. 283).
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Chapitre 8 : Enjeu théologique
lecteur s’est trouvé confronté tout au long du macro-récit, il est tout à fait normal que l’on puisse y voir des liens étroits avec l’exorcisme du Gérasénien73. Et cela est d’autant plus évident lorsque l’on relit cette péricope à la lumière du récit du tombeau vide : 1. Le Gérasénien et le jeune homme au tombeau sont assis, le même verbe étant employé (țșȘȝĮȚ en 5.15 et 16.5)74. La position assise, définie par ce verbe, n’est connotée positivement que pour Jésus (4.1 ; 12.36 ; 13.3 ; 14.62), les gens que Jésus redéfinit comme sa propre famille (3.32, 34), le Gérasénien et le ȞİĮȞıțȠȢ de 16.5. Sinon, elle décrit la position de personnages qui ont une posture négative vis-à-vis de Jésus (2.6–7 : des scribes qui l’accusent de blasphémer) ou qui doivent abandonner cette position pour répondre positivement à son appel (2.14 : Lévi, qui se lève et suit Jésus ; 10.46 : Bartimée, assis « sur le bord du chemin », qui se lève, v. 50, et le suit « sur le chemin », v. 52)75. Même en élargissant l’analyse à l’autre verbe (țĮșȗȦ) que Marc emploie pour décrire la position assise, on aboutit au même résultat : lorsque le verbe est mis en relation avec Jésus, il le connote positivement (9.35 ; 11.7 [cf. v. 2] ; 12.41), alors que, pour les autres, le contexte littéraire amène à une évaluation négative (10.37 : Jean et Jacques demandent d’être assis aux côtés de Jésus dans son Royaume, cf. v. 40 ; 14.32 : Jésus demande aux disciples de rester assis et de prier, mais ils sont défaillants). Le Gérasénien et le jeune homme au tombeau sont ainsi rapprochés l’un de l’autre par l’évaluation positive de l’auteur implicite qui les associe à ceux que Jésus considère comme sa propre famille spirituelle, sinon à Jésus lui-même. 2. Le message du Gérasénien et celui du jeune homme au tombeau sont très proches dans la mesure où les deux : a) annoncent un Jésus absent. Le Gérasénien proclame « tout ce que Jésus a fait pour lui » (5.20), alors que Jésus lui a refusé la possibilité d’être « avec 73 Geert Van Oyen, « Het slot van Markus in het licht van de narratieve kritiek : de tekst van Mc. 16,1–8 teruggebracht bij de lezer », TvT 43 (2003) : 40–41, cité par Focant, L’Évangile selon Marc, 594. Voir Mc 16.1 et 15.40–41, 47 ; 16.3 et 15.46 ; 16.4 et 14.51 ; 16.7 et 14.28, sans mentionner les annonces en 8.31 ; 9.31 et 10.34. Focant ajoute les correspondances suivantes : le sanctuaire dévoilé et déserté par Dieu (15.38) et le tombeau vidé ; la symbolique de la pierre : celle du Temple qui sera détruite (13.2), celle du tombeau qui sera déplacée (16.4), celle qui est d’abord rejetée mais qui deviendra l’angulaire (12.10) : p. 597– 598. 74 Torchia suggère un lien entre Mc 5.15 et Jb 2.8 LXX par le biais du verbe țșȘȝĮȚ. Job se gratte avec un ıIJȡĮțȠȞ alors que le démoniaque se blesse avec des pierres. Torchia, « Eschatological Elements », 12. Pourtant, contrairement à Job, la position assise du Gérasénien est mise en relation avec son rétablissement et non pas avec son malheur. 75 Cf. le contraste que Combet-Galland, « L’Évangile selon Marc », 81, remarque entre Bartimée qui quitte sa position assise pour suivre Jésus (Mc 10.52) et Jacques et Jean qui demandent à ce dernier de s’assoir à ses côtés dans son Royaume (10.35–37).
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lui » (5.19a) mais l’a envoyé pour annoncer « tout ce que le Seigneur [Dieu] a fait pour toi » (19b). Le jeune homme au tombeau invite les femmes à ne pas être effrayées et à ne pas chercher dans ce lieu de mort le Crucifié Ressuscité (16.6), car il a une longueur d’avance : il les précède en Galilée (v. 7). Simon Légasse suggère un rapprochement entre le ʌȡȠȖİȚ ਫ਼ȝ઼Ȣ İੁȢ IJȞ īĮȜȚȜĮĮȞ de 16.7 et le İੁȢ İȡȠıંȜȣȝĮ… Ȟ ʌȡȠȖȦȞ ĮIJȠઃȢ ȘıȠ૨Ȣ de 10.32, en soulignant que, si Jésus est toujours devant, cette fois il ne les accompagne pas76. On peut ajouter que, dans le premier cas, il s’agit de monter vers la ville sainte, théâtre de la Passion, alors que, dans le deuxième cas, il s’agit de se rencontrer en Galilée, berceau de la mission. Ce contraste s’intègre parfaitement dans la rhétorique marcienne qui prône une suivance post-pascale, celle-ci étant à la fois « nouveau commencement » et relation nouvelle au Jésus Ressuscité par le renoncement à l’attachement physique à sa personne ; b) suscitent une réaction d’abasourdissement (5.20 : șĮȣȝȗȦ ; 16.8 : țıIJĮıȚȢ) qui n’est pas une réponse directe au miracle et qui n’est pas non plus automatiquement assimilée à la foi. Il faut remarquer que Marc 5.1–20 et 16.1–8 ont tous deux comme point de chute une proclamation et l’effet de celle-ci sur les destinataires77 ; c) s’articulent autour de la dimension relationnelle. Jésus confie au Gérasénien la tâche d’annoncer ce que le Seigneur (Dieu) a fait pour lui (5.19), et le jeune homme demande aux femmes de délivrer aux disciples un message qui les concerne elles aussi : « il vous précède… vous le verrez, comme il vous l’a dit » (16.7). Simon Légasse remarque que le tombeau (vide) ne figure pas dans le message qui est confié aux femmes78 : bien évidemment on peut affirmer la même chose pour le Gérasénien ; d) ont en vue une dynamique d’intégration : le message du Gérasénien, dont la Décapole bénéficie, permet l’inclusion des « exclus » dans les frontières du Royaume (cf. chapitre 7), là où ils ont vocation à jouir pleinement du statut de « sœurs, frères et mère » du Jésus marcien (cf. le contraste avec le « pas encore » implicite en Mc 7.27). De même, l’annonce du jeune homme confirme
76
Légasse, Marc, 1997, 2 : 1004. Theissen, The Miracle Stories, 70–71 ; Dwyer, The Motif of Wonder, 115 ; Collins, Mark. A Commentary, 273. 78 Légasse, Marc, 1997, 2 : 1006. Nous ajoutons qu’il est suggestif de voir dans ces deux récits (Gérasa et tombeau vide) une articulation des propos contenus dans la promesse que Moïse adresse, de la part de Dieu, à Josué qui s’inquiète de son prochain départ (Dt 31.8 LXX) : « le Seigneur fait route avec toi (ȝİIJ ıȠ૨, cf. Mc 5.18 : ȝİIJૃĮIJȠ૨ ; MT : « marche devant toi » [ʩʰʴʬ ʬʤʤ] ; Tg. On. : « conduit devant toi » [ʮʣʷ ʸʡʣʮ] et « sa parole sera ton aide » [ʣʲʱʡ ʩʤʩ ʤʩʸʮʩʮ]), il ne t’abandonnera pas et il ne te laissera pas derrière ; n’aie pas peur (ȝ ijȠȕȠ૨ ; cf. ਥijȠȕșȘıĮȞ : Mc 5.15 et ਥijȠȕȠ૨ȞIJȠ : Mc 16.8) et ne cède pas à la lâcheté ». 77
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la dynamique d’intégration à l’égard des disciples qui ont abandonné leur Maître et des femmes qui ne sont pas seulement associées au nombre des disciples (voir déjà 15.40–41), mais qui sont aussi fortement rapprochées des Douze : alors que le Jésus pré-pascal annonce la rencontre avec les siens à ceux qu’il avait lui-même choisis (14.17, 28), le jeune homme au tombeau affirme que la promesse du rendez-vous post-pascal est désormais un bien partagé avec ces femmes (16.7 : « il vous l’a dit ») dont elles aussi bénéficieront au même titre que les autres (« vous le verrez »). Dans les deux cas, le message permet le dépassement des barrières et l’inclusion des énonciataires ; e) déplacent le contenu de l’annonce de la dimension de la modalité à celle du résultat acquis. Le Gérasénien, en suivant la recommandation de Jésus (5.19), oppose sa proclamation autour du « tout ce que (ıĮ) Jésus a fait pour lui » (v. 19) à celle des témoins qui, par contre, détaillent le « comment (ʌȢ) » (v. 16). De même, le jeune homme au tombeau ne précise pas la modalité de la résurrection, qui n’est par ailleurs jamais expliquée dans l’évangile, mais l’affirme comme une « irruption »79 qui doit expliquer la nouvelle et étonnante situation d’un tombeau désormais vide et de la mort mise en échec. 3. Les deux récits montrent que les tentatives de se débarrasser de Jésus ne réussissent que partiellement. À Gérasa, Jésus est physiquement chassé du territoire, mais il reste présent dans le message de l’exorcisé qui rendra possible, en aval, une nouvelle rencontre entre les Décapoliens et Jésus (7.31–37). Au tombeau, celui dont les autorités se sont débarrassées (cf. 14.1) par la crucifixion n’est plus là physiquement, mais il est présent dans la déclaration du jeune homme qui annonce un nouveau rendez-vous avec les disciples (hommes et femmes). 4. Les deux récits attribuent une grande importance à la notion de « rencontre » avec Jésus, cela afin d’être mis au bénéfice de la dynamique transformatrice de la miséricorde de Dieu. Le possédé sort du tombeau pour aller à la rencontre de celui qui le libérera de Légion (5.2, 6) : cette rencontre a lieu et elle en engendre d’autres. Les femmes aussi sortent du tombeau (cf. ਕʌઁ IJȠ૨ ȝȞȘȝİȠȣ de 16.8 avec ਥț IJȞ ȝȞȘȝİȦȞ de 5.2) suite à l’invitation que le jeune homme leur adresse d’aller, avec les autres disciples, rencontrer Jésus – cette fois ressuscité et en Galilée. La rencontre avec le Jésus marcien est, dans l’optique de l’auteur implicite, nécessaire car elle seule permet de combler la distance qui existe entre deux réalités contradictoires, mais qui ont vocation à se rejoindre. C’est ainsi que le possédé de Gérasa « le vit de loin » (5.6 : ȡȦ + ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ) et que les femmes « le regardaient de loin » (15.40 : ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ + șİȦȡȦ). Et le comblement de la distance n’est pas garanti. Si, pour le Gérasénien, 79
Smith, A Lion with Wings, 110–11. Pour Cuvillier, L’évangile de Marc, 310, la résurrection de Jésus « opère une rupture dans le quotidien et un renouvellement du regard sur les choses habituelles. »
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la rencontre est salutaire, comme cela a été le cas aussi, dans le récit, pour ceux qui, venant de loin (8.3), ont pu bénéficier du miracle des pains, celle de Jésus avec le figuier (symbole des autorités religieuses du Temple) a provoqué le dessèchement de ce dernier (11.13–14, 20–21)80. En ce qui concerne les femmes au tombeau, bien qu’elles s’inscrivent dans la dynamique de la rencontre (16.1), elles se heurtent à un discours qui tourne autour d’un Jésus absent : si le Gérasénien a su assimiler ce détachement, les femmes sont désemparées visà-vis de ce Jésus dont on parle mais dont l’absence crée un vide capable de remettre en question l’allégeance préalablement assumée. Si Pierre, qui l’a suivi de loin (14.54 : ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ), se désolidarise de ce Jésus qui lui est arraché, cela au point de jurer, au risque de l’anathème, de ne pas le connaître, les femmes au tombeau se réfugient dans un silence angoissé qui les empêche, elles aussi, de combler le gouffre que représente le détachement de Jésus, un détachement qui prend une forme toute différente de celui qu’elles attendaient. Dans le récit de Gérasa, comme dans celui du tombeau vide, la rencontre avec Jésus et l’acceptation de la séparation demeurent, comme moyens de prolonger la relation du disciple avec son Maître par-delà le drame de l’absence, des nécessités qui s’imposent à l’attention du lecteur implicite. 5. Le témoignage sur Jésus n’est pas donné par les témoins (gardiens/habitants en Marc 5 ou femmes au chapitre 16), mais par un homme qui a été connoté en tant qu’« assis » et « habillé », et qui est, de toute évidence, bénéficiaire d’une transformation opérée par Jésus. On peut bien faire valoir que, dans les deux cas, la dimension historique cède le pas face à la dimension narrative : ce qui compte, pour l’auteur implicite, est de faire parvenir le kérygme au lecteur au travers de ces personnages similaires, tous deux associés à Jésus par les éléments symboliques de la posture et de la vêture. Le Gérasénien et le jeune homme au tombeau font de l’absence de Jésus le nouveau point de départ pour la suivance, qui désormais porte en soi la proclamation de l’action de Dieu qui se concrétise en celle de Jésus (passée et à venir)81. Ces éléments permettent de mesurer la volonté auctoriale de tisser des liens narratifs entre le récit de Marc 5.1–20 et celui de 16.1–8 (déjà relié à 14.51– 52) afin de déclencher, chez le lecteur implicite, une démarche herméneutique qui l’amène à relire l’exorcisme de Gérasa comme un véritable « récit de résurrection »82, paradigmatique pour la suivance. 80
Cf. Danove, The Rhetoric of Characterization, 128. Thériault, « Le ‹jeune homme› », 34, 37 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 545. 82 Ainsi notamment Derrett, « Contributions », 4. Cf. Focant, L’Évangile selon Marc, 597 ; Witherington, The Gospel of Mark, 61–62. Christian Grappe lit avec cette même perspective l’exorcisme de l’enfant en Mc 9.14–27. En effet, le verset 26 précise qu’il ਥȖȞİIJȠ ੪ıİ ȞİțȡંȢ, ੮ıIJİ IJȠઃȢ ʌȠȜȜȠઃȢ ȜȖİȚȞ IJȚ ਕʌșĮȞİȞ, et le v. 27 que Jésus ਵȖİȚȡİȞ (cf. 5.41 ; 6.14, 16 ; 12.26 ; 14.28 ; 16.6) ĮIJંȞ, țĮ ਕȞıIJȘ (cf. 5.42 ; 8.31 ; 9.9, 10, 31 ; 10.34 ; 12.23, 25) : « De quelques figures d’identification », 135. 81
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Inversement, la péricope du tombeau vide est éclairée par celle de l’exorcisme du chapitre 5. Les implications herméneutiques de cette relation croisée, rendue possible par le processus de lecture en boucle, ne sont pas à sous-estimer, car elles précisent le rôle non seulement du jeune homme au tombeau, mais aussi celui des femmes au sein de la stratégie narrative déployée par l’auteur implicite. Nombreuses ont été les interprétations proposées (et combinées entre elles) concernant la peur et le silence des femmes qui clôture l’évangile de Marc : une réaction justifiée par un état psychologique circonstancié (stupeur et crainte) et ensuite surmonté (en dehors du récit)83 ; une réponse naturelle et positive à une épiphanie ayant comme objectif littéraire de mettre en relief la nature du messager (et de l’annonce)84 ; une justification du retard avec lequel la tradition du tombeau vide s’est affirmée, notamment en relation avec son absence dans le discours de Paul85 ; un renvoi au mystère paradoxal du
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Voir Taylor, Saint Mark, 651–53 ; Édouard Dhanis, « L’ensevelissement de Jésus et la visite au tombeau dans l’évangile de Saint Marc », Greg 39, no 2 (1958) : 367–410 ; Magness, Marking the End, 100 ; Mary Cotes, « Women, Silence and Fear (Mark 16:8) », in Women in the Biblical Tradition, éd. par George J. Brooke, SWR 31 (Lewiston : Edwin Mellen Press, 1992), 160–66 ; Williams, Other Followers of Jesus, 195, 200 ; Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 376–77 ; Witherington, The Gospel of Mark, 417–18 ; France, Mark, 603, 682–83, note 35 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 599 ; Moloney, Mark, 342– 43. La manière de s’occuper des morts était scrupuleusement codifiée : cf. Dt 21.22–23 ; 11QT 64.11–13 ; Flavius Josèphe, Vita 75 ; m. Sanh. 6.5–6. Ainsi Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 522, qui mentionne également l’ossuaire du jeune Yochanan retrouvé en 1968 non loin de Jérusalem : le talon droit était percé d’un clou avec un fragment de bois. Ce serait une attestation du fait que les Romains laissaient les Juifs prendre soin des corps des crucifiés. 84 Voir Lightfoot, The Gospel Message of Saint Mark, 88–91 ; David R. Catchpole, « The Fearful Silence of the Women at the Tomb : A Study in Markan Theology », JTSA 18 (1977) : 3–10 ; Malbon, « Fallible followers », 43–45 ; Magness, Marking the End, 87–105 ; Gerald O’Collins, « The Fearful Silence of Three Women (Mark 16:8c) », Greg 69, no 3 (1988) : 489–503 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 998–99 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 130 ; Boring, Mark, 448 ; Collins, Mark. A Commentary, 799–801 ; Moloney, Mark, 343. Adela Y. Collins (p. 57–58) mentionne le commandant juif Simon bar Giora, de Gérasa, qui en 70, lorsque les Romains entrent à Jérusalem, se montre dans le Temple habillé d’une tunique blanche et d’un manteau de couleur pourpre pour impressionner les Romains. Il fut capturé et exécuté à Rome (Flavius Josèphe, B.J. 7.26–31, 153–155). 85 Taylor, Saint Mark, 609 ; Bultmann, L’histoire de la tradition synoptique, 349.
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Jésus marcien86 ; une critique voilée à l’égard de la communauté de Jérusalem87 ; un exemple négatif vis-à-vis duquel le lecteur, mis en garde, doit prendre ses distances pour en incarner le dépassement88 ; ou encore, un dernier acte de désobéissance qui démontre qu’il est impossible d’empêcher l’établissement de l’époque nouvelle inaugurée par le Ressuscité89. Notre contribution ne consiste pas à ajouter une nouvelle interprétation à cette liste, déjà riche et féconde, mais à montrer l’intérêt de tenir compte à la fois du fait que le dernier verset de l’évangile de Marc doit être compris dans sa relation avec toute la péricope (16.1–8) et que cette péricope est à (re)lire en relation avec l’épisode du Gérasénien. Concernant le premier point, il s’agit d’un acquis de l’analyse narrative et plusieurs exégètes reconnaissent qu’il serait abusif de réduire la finale de l’évangile au seul verset 8 du chapitre 16. En effet, le micro-récit de 16.1–8 est clairement une unité narrative qui, en tant que telle, représente l’épilogue du macro-récit. Cet épilogue s’achève par un Ȗȡ qui, comme ailleurs chez Marc, met le lecteur au bénéfice d’une inside
86
Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 327, parle de « suspension du comprendre » et de « secousse fondatrice dans l’être du sujet ». Chilton, « La plate-forme de travail de Marc », 502, comprend le silence des femmes en tant qu’« expression à la fois du mystère auquel elles se trouvent confrontées et du danger que représente un discours ouvert. » Voir aussi Crossan, « Empty Tomb », 147 ; Matera, « The Incomprehension of the Disciples », 172 ; Malbon, « Echoes and Foreshadowings », 228 ; Claudia Setzer, « Excellent Women : Female Witness to the Resurrection », JBL 116, no 2 (1997) : 266 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 130 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 316, 326–27. 87 Weeden, Mark : Traditions in Conflict, 101–17 ; Crossan, « Empty Tomb », 149 ; Kelber, Mark’s Story of Jesus, 83–87. 88 La peur des femmes évoquerait celle, connotée par le manque de compréhension et de foi, des disciples en Mc 4.41 ; 6.50 ; 9.32 et 10.32. Voir Lincoln, « The Promise and the Failure », 285–87 ; Fowler, Let the Reader Understand, 219, 258–59 ; Williams, Other Followers of Jesus, 197–98, 202 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 907 ; Witherington, The Gospel of Mark, 62 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 316–18 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 95–96, 102, 129–31, 134 ; Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 96– 100, 129 ; Moloney, Mark, 348–52. Danove considère aussi que les Ȗȡ en Mc 16.4 et 8 connotent négativement les femmes, car, selon son analyse, chaque clause explicative (avec cette particule) qui ne se réfère pas à Jésus après 11.18b jette une ombre négative sur les personnages concernés (p. 130). 89 Ainsi notamment Joel Marcus, « Mark 4:10–12 and Markan Epistemology », JBL 103 (1984) : 574. Voir également : van Iersel, « Failed Followers in Mark », 258 ; Williams, Other Followers of Jesus, 198–200 ; Lincoln, « The Promise and the Failure », 291–93. Pour Focant, l’échec des femmes n’est pas à comprendre comme définitif car Marc a habitué son lecteur au schéma : annonce – incompréhension – enseignement et nouvel appel (voir 8.31– 38 ; 9.31–37 ; 10.33–45) : Focant, L’Évangile selon Marc, 599.
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view qui doit être évaluée à tout le moins à la lumière de la péricope en question (ainsi notamment en 6.45–52 et 12.1–12 ; voir aussi 14.1–2)90. Pour ce qui est de la relation entre les péricopes 5.1–20 et 16.1–8 prises dans leur intégralité, elle peut être illustrée par le schéma suivant :
Arrivée et mention du/des tombeau(x)
Dépassement d’obstacles impressionnants et mise en relation avec les conséquences du miracle
Envoi Départ et réactions
Récit du Gérasénien
Finale de Marc
5.1–5 v. 1 : ȡȤȠȝĮȚ v. 2 : ਥț IJȞ ȝȞȘȝİȦȞ (cf. v. 3, 5 : ȝȞોȝĮ) v. 6–17 [v. 6 ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ] v. 7 : ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ v. 11 : ਕȖȜȘ… ȝİȖȜȘ
16.1–2 v. 1, 2 : ȡȤȠȝĮȚ v. 2 : ਥʌ IJઁ ȝȞȘȝİȠȞ (cf. v. 3, 8) v. 3–6 [15.40 ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ] v. 4 : ȜșȠȢ Ȟ Ȗȡ ȝȖĮȢ
v. 15 : șİȦȡȠ૨ıȚȞ
v. 4 : șİȦȡȠ૨ıȚȞ v. 5 : țĮșȝİȞȠȞ ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȞ ਥȟİșĮȝȕșȘıĮȞ v. 7 ਫ਼ʌȖİIJİ v. 8 țĮ ਥȟİȜșȠ૨ıĮȚ ijȣȖȠȞ țĮ ȠįİȞ ȠįȞ İੇʌĮȞ İੇȤİȞ Ȗȡ ĮIJȢ IJȡંȝȠȢ țĮ țıIJĮıȚȢ…ਥijȠȕȠ૨ȞIJȠ Ȗȡ
țĮșȝİȞȠȞ ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ ਥijȠȕșȘıĮȞ v. 18–19 v. 19 ʌĮȖİ v. 20 țĮ ਕʌોȜșİȞ țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ țĮ ʌȞIJİȢ ਥșĮȝĮȗȠȞ
Ces correspondances (qui consistent en des oppositions en 5.20 et 16.8) montrent que le lecteur, par les échos que présentent ces deux péricopes, est amené, ne serait-ce que dans la scène finale (5.20 // 16.8), à mettre en contraste les femmes au tombeau avec le modèle offert en la personne du Gérasénien. Ce dernier oppose à leur fuite, à leur silence et à leur réaction personnelle, conno-
90 Boomershine et Bartholomew, « The Narrative Technique of Mark 16:8 », 215–22 ; Magness, Marking the End, 90–91 ; Lincoln, « The Promise and the Failure », 295 ; Smith, A Lion with Wings, 110 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 309 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 594, 597–99 ; Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 321–22.
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tée par la peur et l’incompréhension, un engagement dans l’annonce du kérygme qui est de l’ordre du dépassement (ou de l’excès) et qui suscite de l’émerveillement91. Le tableau confirme également que tout l’épisode de 5.1–20 est en relation avec la totalité de la finale de Marc, ce qui oblige à approfondir le jeu de corrélation entre les femmes, d’un côté, et d’autres éléments de la péricope du Gérasénien, de l’autre. Tout d’abord, on remarquera qu’un obstacle d’ampleur considérable a été surmonté dans les deux épisodes. D’une part, une « grande » pierre (16.4 : ȝȖĮȢ), symbole de la barrière entre la mort et la vie, a été roulée par une force surnaturelle : la dynamique de la résurrection. D’autre part, Légion se manifeste, au travers du possédé habitant dans les tombeaux, par une « grande » voix (5.7 : ȝȖĮȢ), et d’un nombre considérable de démons qui s’infiltrent dans le « grand » troupeau (5.11 : ȝȖĮȢ) ; il est vaincu et le Gérasénien retrouve sa vie et sa famille92. Ensuite, la fuite des gardiens, conséquence de la peur provoquée par une manifestation surnaturelle et inattendue de la part de Jésus, est à mettre en relation avec celle des femmes du tombeau, motivée par l’annonce, déconcertante – car elles s’attendent à trouver un cadavre à embaumer –, de la victoire de Jésus sur la mort (« il s’est réveillé »)93. En troisième lieu, la réaction des femmes au tombeau est mise en parallèle avec celle des habitants de la ville : les deux groupes « viennent » (5.14 ; 16.2), puis « voient » (șİȦȡȦ en 5.15 // 16.4 ; ȡȦ en 5.14 // 16.5) le miracle, à la suite duquel ils développent des sentiments de peur (5.15 // 16.5) que le lecteur peut associer à l’incompréhension de la personne et de l’œuvre de Jésus (cf. 4.40–41 ; 6.50–52 ; 9.6)94. Dans les deux cas, la réaction émotionnelle revêt un caractère indéfini et situationnel, car on ne précise pas l’objet qui trouble (« crainte/peur de… »). Elle est déclenchée par la vision d’un homme assis et habillé, témoin de la puissance de Dieu qui est à l’œuvre en Jésus de Nazareth.
91
Il n’est pas nécessaire d’arriver à la conclusion selon laquelle Marc privilégie le témoignage masculin au détriment de celui des femmes. Marc inclut les femmes dans le nombre des disciples auxquels Jésus annonce le rendez-vous post-pascal (Mc 16.7 ; cf. Mt 28.7) et c’est également l’évangéliste qui mentionne le plus souvent la gent féminine en contact avec Jésus (Mc 1.31 ; 5.26–34 ; 5.41 ; 7.24–30 ; 14.3–9). La fonction littéraire des femmes au tombeau n’a rien à voir avec une quelconque perspective sexiste. Ainsi aussi Witherington, The Gospel of Mark, 417–18, et notamment Setzer, « Excellent Women », 261–71, cette dernière proposant une fine analyse de la question, y compris dans les autres évangiles et dans la littérature biblique et extrabiblique jusqu’au IIe et IIIe siècle. 92 Focant, L’Évangile selon Marc, 595. 93 Pour Danove, The Rhetoric of Characterization, 133, aussi, la fuite des femmes en Mc 16.8 est à mettre en relation avec celle des gardiens du troupeau en 5.14. 94 Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 315, souligne que la peur est un sentiment familier au lecteur de Marc : 4.41 ; 6.50 ; 9.6, 32 ; 10.32.
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Aussi bien les habitants des environs, en Marc 5, que les femmes, en Marc 16, sont bouleversés par la révélation du (ou concernant le) Fils de Dieu95. La raison de la peur des femmes et des gens de Gérasa et de ses environs est à chercher dans la difficulté à gérer le décalage entre ce qui est attendu et la nouvelle réalité dans laquelle ils sont projetés. Une nouvelle réalité rendue possible par la surprenante manifestation de la puissance divine à l’œuvre au profit de ceux qui étaient considérés comme inéluctablement engloutis par la réalité de la mort (Gérasénien et Jésus crucifié). Pour les habitants de Gérasa, cet écueil est signifié par le contraste exprimé entre la manière dont l’homme exorcisé est encore perçu par eux (participe parfait passif) et la description qu’en offre le narrateur (5.15). Quant aux femmes aussi, elles trébuchent sur la discordance entre ce qu’elles attendent (16.6 : …ȗȘIJİIJİ IJઁȞ ȃĮȗĮȡȘȞઁȞ IJઁȞ ਥıIJĮȣȡȦȝȞȠȞ) et ce que le jeune homme les invite à voir : « il est ressuscité » (ȖȡșȘ). Dans les deux cas, le lecteur implicite est amené à mesurer l’impérieuse nécessité d’un regard nouveau, à faire place à l’inattendu, faute de quoi le résultat sera l’éloignement, par refus ou par fuite – qui est aussi une forme de refus –, du héraut du Royaume (5.17 ; 16.8)96. Les parallélismes qui viennent d’être mis en lumière permettent de dépasser l’apparente impasse de la finale de l’évangile de Marc. L’aveuglement des gens de Gérasa et le rejet subséquent de Jésus n’ont pas arrêté la dynamique centrifuge de la proclamation du Royaume, car celui qui est assis, habillé et doué de toute sa raison assure la proclamation du Messie absent mais désormais au cœur du kérygme. Le lecteur implicite réalise ainsi que l’échec des femmes face à l’incongruité à laquelle elles sont confrontées et à la nécessité de se détacher définitivement du corps de Jésus en vue d’une nouvelle modalité relationnelle97 ne s’érige pas en barrière insurmontable au rayonnement de l’Évangile. Comme la peur et le rejet des gardiens et des gens de Gérasa n’ont pas empêché la proclamation, par l’ex-démoniaque, d’une parole qui trouve son origine en Jésus (5.19 : « raconte-leur ») et qui porte sur Jésus (5.20 : « tout ce que Jésus avait fait pour lui »), derechef, la peur et le silence des femmes n’empêcheront pas le ressaisissement des disciples et l’annonce de la résurrection, car un jeune homme assis et habillé assume le rôle de héraut en proclamant une
95 Cf. van Cangh, « La Galilée dans l’évangile de Marc », 62 ; Légasse, Marc, 1997, 2 : 1007 ; Danove, The Rhetoric of Characterization, 127, 129, 131 ; Collins, Mark. A Commentary, 800. 96 Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 325, attribue la peur des femmes à l’irruption du « pur événement », à savoir l’« identité nouvelle de celui qui précède les siens sur le chemin de la vie ». 97 Thériault, « Le ‹jeune homme› », 38 : « [i]l leur manque d’apprivoiser ce nouveau lieu de la rencontre avec le corps de Jésus, en Galilée, dans la mémoire de la parole entendue et crue. [...] Elles manquent encore du croire qui transformerait cette ‹peur› en foi salvifique selon Marc. » Voir aussi Légasse, Marc, 1997, 2 : 1002.
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parole à la fois sur Jésus (16.6 : « le Crucifié s’est réveillé ») mais également de Jésus (16.7 : « comme il vous l’a dit »). En relisant Marc 5.1–20 après Marc 14.51–52 et 16.1–8, le lecteur est amené à associer ces différents micro-récits, et ainsi les dynamiques présentes en leur sein, et, surtout, à trouver dans la péricope du Gérasénien un paradigme de la « finale positive » que l’évangile lui-même, quand il est lu linéairement, n’a pas. La dynamique de la fuite honteuse et pourtant nécessaire du jeune homme nu se retrouve au tombeau, mais comme dédoublée, car à la fois surmontée et pourtant toujours d’actualité : si le jeune homme assis est assimilé à son Maître, en annonce le réveil et est porteur d’une parole de réconciliation, les femmes proposent à nouveau la même fuite et un silence avilissant. Pourtant, cette fuite aussi, à la lumière de celle qui la précède, exprimant elle aussi de la peur et de l’angoisse, peut, après tout, être comprise comme le premier pas vers leur dépassement. Comme l’a écrit Laura Sweat : « Dieu est capable de faire en sorte que le silence produise la proclamation. »98 Ces femmes rencontrent une réalité inattendue qui provoque chez elles des sentiments douloureux d’incongruité et de désespoir. Elles entrent bien motivées dans un lieu de mort pour ensuite en sortir et réintégrer le monde des vivants, mais bouleversées et effrayées. De même, le lecteur est narrativement « expulsé » du tombeau pour revenir au « commencement » de l’évangile et se retrouver en Galilée, à la suite de celui qui l’amènera, entre autres, aussi à Gérasa, où à nouveau les mêmes dynamiques seront à l’œuvre, mais où sera donné un paradigme positif pour leur dépassement. Au tombeau, comme à Gérasa, le miracle en soi n’est pas suffisant pour susciter la foi s’il n’est pas compris comme un dévoilement eschatologique99 de l’identité de Jésus couplé à un appel à renoncer à toute tentative de l’enfermer dans une relation qui relèverait, au fond, d’une sorte de domestication ou de maîtrise de sa personne100. La mise en relation, au niveau narratif, des péri-
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Laura C. Sweat, The Theological Role of Paradox in the Gospel of Mark, LNTS 492 (London : Bloomsbury – T. and T. Clark, 2013), 176. Cité et traduit par Geert van Oyen dans son compte-rendu critique du livre, disponible sur https://www.bookreviews.org/pdf/9726_10745.pdf. Voir également p. 139 du livre recensé, où Sweat parle d’une révélation cachée qui « shapes the contours of Mark’s theology throughout the Gospel, because this truly is a God who is Deus absconditus atque praesens ». 99 Farrer, A Study in St. Mark, 141, suggère deux liens entre le discours eschatologique de Marc 13 et la fuite des disciples et du jeune homme en Mc 14, à savoir 13.14 (ijİȖȦ) // 14.50–51 (ijİȖȦ) et 13.16 (ੂȝIJȚȠȞ) // 14.51–52 (ıȚȞįઆȞ). Cité par Vanhoye, « La fuite du jeune homme nu », 403. 100 Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 523, observe que trois femmes au tombeau sont témoins de la résurrection tout comme trois hommes auparavant (Jacques, Jean et Pierre) l’avaient été de la Transfiguration, elle aussi mise en relation avec la résurrection (Mc 9.2–8).
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copes du jeune homme qui s’enfuit nu, du jeune homme et des femmes au tombeau, et de l’exorcisme du démoniaque de Gérasa montre comment Marc propose à son lecteur implicite un parcours de déstructuration et de restructuration permanentes par le moyen d’une lecture en boucle de l’évangile lui-même. Le Ȗȡ qui constitue le dernier mot de son œuvre est aussi le crépuscule narratif d’une nouvelle lecture engagée, car cette particule, exprimant la raison de la fuite, de la peur et du silence, ne les justifie plus. Le Gérasénien – comme le jeune homme au tombeau – est exemplaire pour le lecteur car il arrive à articuler un récit en l’absence de son objet, alors que les femmes ont trébuché précisément sur ce manque101. Mais il y a plus. Il serait réducteur de considérer le ȞİĮȞıțȠȢ au tombeau et le Gérasénien, figures éminemment positives, comme des personnages plats et dépourvus de profondeur narrative (et existentielle). L’intérêt de ces personnages-clés marciens est justement leur complexité, reflet de l’identité paradoxale du disciple modelée sur celle, tout aussi déroutante, de Jésus. Comme ce fut le cas pour le jeune homme du chapitre 14, connoté de façon ambivalente à cause de l’abandon de son vêtement, le Gérasénien et le ȞİĮȞıțȠȢ au tombeau expriment également des messages apparemment contradictoires dans leur état d’« habillés ». En effet, que ce soit la ıȚȞįઆȞ, l’ੂȝIJȚȠȞ ou la ıIJȠȜ lorsqu’il s’agit de préciser le type de vêture, ou que l’on emploie les verbes ʌİȡȚȕȜȜȦ ou ਥȞįȦ pour l’acte d’habiller ou d’être revêtu102, la symbolique associée à cet état s’inscrit dans un large spectre de sens et doit être déterminée en fonction du contexte littéraire. Même si l’on trouve parfois la vêture en connexion avec des attitudes qui ne sont point louables, car on peut s’habiller pour s’arroger un statut particulier par la ruse ou dans une démarche abusive103, le plus souvent, que ce soit dans 101 En référence à l’onction de Jésus à Béthanie, Thiérault souligne le glissement qui s’opère du corps à embaumer au récit à raconter en l’absence du « sujet compétent » (Thériault, « Le ‹jeune homme› », 25). 102 ȈIJȠȜ et ੂȝIJȚȠȞ traduisent dans la LXX le même substantif hébreu ʣʓʢ ˎ: ʓ ॲ par ex. ıIJȠȜ en Lv 6.4 ; 8.2, 30 et Nb 20.26 ; ੂȝIJȚȠȞ en Lv 6.20 ; 10.6 ; 11.25 ; Nb 20.28. De même, le verbe ˇ ʔʡʬ est traduit souvent par ਥȞįȦ (cf. Lv 6.3, 4 ; 8.7, 13 ; 16.4 ; 2 Ch 28.15) mais aussi par ʌİȡȚȕȜȜȦ (cf. 1 S 28.8 ; 2 Ch 28.15 ; Ag 1.6). Le substantif ʯʩ ʑʣ ʕʱ se trouve dans le texte massorétique seulement en Jg 14.12–13 ; Pr 31.24 et Es 3.23. Il est traduit par ıȚȞįઆȞ, sauf en Es 3.23 (ȕııȚȞȠȢ, « lin fin »). Pour une discussion plus ample sur l’emploi parallèle de mots tels que ıȚȞįઆȞ, ıIJȠȜ, ੂȝIJȚȠȞ et ȤȜĮȞĮ (ainsi que de leurs équivalents latins), voir Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 280. Ferguson, Backgrounds of Early Christianity, 96, précise que les femmes, à l’époque hellénistique, commencent, elles aussi, à porter l’ੂȝIJȚȠȞ à la place du traditionnel peplos. Nous renvoyons le lecteur au travail de Magness, Stone and Dung, 109–11, pour une appréciation des trouvailles archéologiques qui montrent que les Juifs, en dehors des Esséniens, avaient l’habitude de s’habiller avec de la laine colorée, tandis que, le plus souvent, les tissus en lin étaient utilisés tels quels, c’est-àdire blancs (voir aussi Flavius Josèphe, B.J. 2.123, 137, 161). 103 Voir Gn 38.14 ; 1 S 28.8 ; Jr 4.30 ; Ez 34.3.
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le contexte gréco-romain ou juif, il s’agit de renvoyer aux mérites (réels ou octroyés), aux caractéristiques ou aux intentions vertueuses de ceux qui sont ainsi parés. Dans ce cas, l’habit peut être une référence à la justice (Jb 29.14 ; Es 59.17 ; Sg 5.18 ; Ba 5.2), à la pureté, à la dignité et à l’autorité (Za 3.5 ; Lc 24.49 : puissance ; Ap. P. 3.7 ; Es 51.9 ; 52.1 ; Pr 31.26 : force)104, aux qualités morales telles que la bonté, l’humilité, la douceur et la patience (Col 3.12), à l’immortalité (1 Co 15.53) et aux œuvres justes (Ap 19.8)105. Dans le même sillage positif, l’action d’être revêtu peut assumer le sens d’une identification à une personne, à une fonction, à une divinité, à un modèle ou même à une réalité (éon) inédite au point de se voir conférer une nouvelle identité (ou rôle). C’est ainsi que le nouveau vêtement marque le passage de l’enfant à l’âge adulte (toga virilis), distingue l’invité aux noces (symbole du temps nouveau : cf. Mt 22.11–14 ; ou d’une vie pieuse : b. Šabb. 153a) ou l’élu lors de la visite de Dieu (1QS 4.8), marque la transmission du sacerdoce (cf. Nb 20.26–27), son exercice (2 R 10.22 ; Philon, Mos. 2.131–135) ou l’aspiration à en assumer les prérogatives (cf. 1QM 7.9–11 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.123, 129, 137, 161 ; Philon, Prob. 86 ; Hypoth. 11.12), symbolise l’intégration à une réalité (monde, civilisation, famille) estimée supérieure (Tacite, Agr. 21 ; Rt 3.9 LXX ; ou, à l’inverse, la décadence : Gn. Rab. 20.12 ; VAE gr. 20–21 ; Jos. Asen. 75–77), caractérise un être de haut rang (spirituel : 4Q405 frag. 23, II.7–11 ; tentative avortée de Simon : Flavius Josèphe, B.J. 7.29), la « conversion » à un nouveau
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Voir Dion Chrysostome, Or. 31.162–164. Canavan étudie la fonction des vêtements dans le processus de construction de l’identité sociale à l’époque gréco-romaine. Comme le souligne Dion Chrysostome, Or. 31.162– 164, les personnages publics devaient soigner leur manière de s’habiller, car elle véhicule une image et un message. Les Romains accordaient donc une attention particulière aux vêtements avec lesquels l’empereur et d’autres notables étaient représentés dans les statues et d’autres sculptures ou images. La toge de l’empereur communiquait sa possession des vertus romaines (virtus, dignitas, humanitas, gravitas). Le jeune Romain aristocrate qui devenait adulte recevait une toge pour marquer l’acquisition de la citoyenneté et l’adoption d’une identité modelée sur celle de l’empereur (« continuity of identity », p. 91). En Orient, la toge de l’empereur, dans les statues datées à partir de la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ, ressemble à l’ੂȝIJȚȠȞ grec. Les représentations des citoyens en Orient, à l’époque hellénistique, souvent sur des stèles funéraires, les immortalisent habillés avec leur ੂȝIJȚȠȞ (les femmes le portant sur la tête), pendant qu’ils sont occupés au travail ou dans un festin, souvent avec leur famille. Ils incarnent le bon citoyen vertueux intégré à l’Empire et à ses valeurs. Ainsi Canavan, Clothing the Body of Christ at Colossae, 3–5, 68, 91, 96–101, 155, 187. Pour Gelardini, Christus Militans, 756, le fait que Jésus est enveloppé dans un linceul après sa mort montrerait que sa dignité lui est rendue, car elle a été bafouée par les soldats qui, à la croix, se partagent ses vêtements comme un précieux butin de guerre (spolia optima) : voir notamment pages 691–692, où Gelardini renvoie à Suétone, Claud. 1.4 et Iul. 64. 105
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peuple et à sa foi (Jos. Asen. 15.7) et/ou l’union/assimilation avec la divinité (notamment dans le mystère de Sérapis)106. Selon toute vraisemblance, nous l’avons vu, dans l’évangile de Marc le jeune homme au tombeau et le Gérasénien se voient conférer un statut particulier de par leur vêture. Cette connotation foncièrement positive, vertueuse et glorieuse107 est justifiée à la fois par la symbolique de l’habit et par le contexte 106 Voir Jung H. Kim, The Significance of Clothing Imagery in the Pauline Corpus, JSNTSup 268 (London – New York : T. and T. Clark, 2004), 186–87 ; Collins, Mark. A Commentary, 57–58 ; Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 148. La différence de type d’habits entre deux peuples souligne leur altérité réciproque, en dépit de leur amitié ou de leur lien d’alliance (Diod. Sic. 5.25.1 ; 5.30.1–2), alors que l’adoption de la langue et de la manière de s’habiller montre assimilation et soumission (Tacite, Agr. 21) : ainsi Canavan, Clothing the Body of Christ at Colossae, 4. Canavan renvoie également à Es 59.17 et Sg 5.18 pour l’acte de s’habiller comme signifiant pour Dieu le fait de revêtir le rôle de vengeur (p. 153). Recevoir un (nouveau) vêtement était synonyme d’entrée dans un « espace » autre que celui habituellement occupé et auquel il faut se conformer. Suivant le protocole des cours orientales, le roi Ptolémée Philadelphe reçoit des Juifs après qu’ils se sont habillés avec des tuniques fournies par le monarque lui-même (Flavius Josèphe, A.J. 12.41 ; cf. m. Šeqal. 5.1 : un responsable des vêtements parmi les fonctionnaires du Temple) ; le même principe semble être à l’œuvre en Mt 22.11–13 : Bernardus D. Eerdmans, The Hebrew Book of Psalms (Leiden : Brill, 1947), 198–99. Grappe met en exergue que, puisque l’habit est une métaphore du cosmos (Es 51.6 LXX ; Ps 101.26–28 LXX, cité en He 1.10–12), en recevoir un nouveau marque l’entrée dans une époque nouvelle, celle des noces, inaugurée par l’Époux : Grappe, « Prolongement et subversion », 176, note 31. Dans un contexte de rite de passage, recevoir et revêtir un nouvel habit marque l’adoption d’une nouvelle identité et l’adhésion aux valeurs qu’elle représente. Ainsi, pour les Esséniens, il s’agit de s’engager dans une vie ascétique (Philon, Prob.86 ; Hypoth. 11.12 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.137 : Magness, Stone and Dung, 111). Pour les adeptes d’Isis, le changement d’habit permet de s’identifier avec Sérapis pour être mis au bénéfice, dans l’au-delà, du pouvoir de résurrection exercé par la déesse (Lucien, Asin. 11) : voir notamment Kim, The Significance of Clothing Imagery, 187. La même métaphore se trouve aussi en Ep 4.23–24, où l’« homme nouveau » que le chrétien revêt l’est, entre autres, par le renouvellement de l’intelligence (v. 23 : ȞȠ૨Ȣ ; cf. le țĮ ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ de Mc 5.15). Plus tardivement, l’habit propre qui, dans une parabole de Ben Zakkai, permet de participer au festin divin, est interprété comme le symbole de l’observance des préceptes, de l’étude de la Torah, et des œuvres de charité : b. Šabb. 153a, cité par France, Mark, 826, note 22, lui-même tributaire de Joachim Jeremias, The Parables of Jesus (New York : Charles Scribner’s Sons, 1955), 187–88. 107 Le ȞİĮȞıțȠȢ est vêtu d’une ıIJȠȜ blanche (Mc 16.5), vêtement typique des personnes de haut rang comme les rois (Jon 3.6), les scribes et les prêtres (Mc 12.38 ; cf. Lc 15.22 ; Philon, Legat. 296 ; Flavius Josèphe, A.J. 3.151 ; 11.80) et, par extension, les croyants glorifiés (Ap 6.11 ; 7.9, 13 ; cf. Év. P. 55). De son côté, le Gérasénien, associé narrativement au ȞİĮȞıțȠȢ au tombeau, est habillé et l’est de surcroît « avec toute sa raison » (ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ). Le verbe ıȦijȡȠȞȦ, le substantif ıȦijȡȠıȞȘ et l’adjectif ıઆijȡȦȞ sont très souvent utilisés pour désigner une des vertus maîtresses (notamment dans les cercles stoïciens) : la tempérance (cf. Sg 8.7 ; 1 Tm 2.15 ; 3.2 ; Tt 1.8 ; 2.4, 8 ; Philon, Leg. 2.18 ; Sacr. 54 ; Sobr. 38 ; Virt. 14, 167 ; Legat. 5 ; Diogène Laërce, Vitae 7.110–114, 119 ; voir aussi 1QS 4.2–12, 18–26). Pour une étude bien documentée, voir l’entrée « ıȦijȡȠȞȦ, ıȦijȡȠȞȗȦ,
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littéraire qui place au cœur de l’écrit la transfiguration de Jésus (Mc 9.2–8), passage dans lequel on ne saurait surestimer l’importance donnée par le narrateur au vêtement de Jésus glorifié108. Toutefois, il est impératif de tenir compte également du fait qu’à l’intérieur du même évangile le jeune homme au tombeau et le Gérasénien sont associés à Jésus lui-même : la symbolique de la vêture est à comprendre dans le sens d’une assimilation au Jésus marcien et à sa destinée. Il s’agit donc bien évidemment de se mettre au bénéfice des vertus de Jésus (voir Mc 5.27, 28, 30 ; 6.56) et de s’identifier à la gloire du Ressuscité (déjà anticipée dans le récit de la transfiguration : Mc 9.3), celui-là même qui a été dépouillé (Mc 15.20, 24) de sa vie. Nombreux sont les exégètes qui songent à un usage liturgique de Marc, car ils comprennent le jeune homme au tombeau – ou même tout le parcours narratif du ȞİĮȞıțȠȢ (de sa fuite à son annonce aux femmes) – comme faisant allusion à l’expérience baptismale du catéchumène. La symbolique de ce rituel, célébré peut-être la nuit de Pâques, semble être très proche de la compréhension paulinienne du baptême, notamment telle qu’elle est exprimée en Romains 6.1–6, où il est question d’assimilation au Christ dans sa mort et dans sa résurrection109. Les arguments en faveur de cette lecture peuvent être catégorisés de la manière suivante :
ıȦijȡȠȞȚıȝંȢ, ıȦijȡંȞȦȢ, ıȦijȡȠıȞȘ, ıઆijȡȦȞ », in Spicq, Lexique théologique, 1497– 1504. Voir également Gundry, Mark, 253 ; Donahue et Harrington, Mark, 167 ; Canavan, Clothing the Body of Christ at Colossae, 21, 162. 108 Situé au centre de son évangile, le récit de la transfiguration en Marc concentre l’attention du lecteur sur les vêtements resplendissants de Jésus (Mc 9.3), alors que Matthieu et Luc mentionnent également son visage (Mt 17.2 // Lc 9.29) : Rochester, Good News at Gerasa, 76. 109 Ludger Schenke, Auferstehungsverkündigung und leeres Grab : eine traditionsgeschichtliche Untersuchung von Mk. 16,1–8 (Stuttgart : Katholisches Biblewerk, 1968), 89–92, considère Mc 16.1–8 comme une légende étiologique qui revêtait une fonction cultuelle, pendant la commémoration, au tombeau vide, de la résurrection de Jésus. Sans forcément partager l’opinion de Schenke sur l’origine du récit, Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 532–33 ; Crossan, « Empty Tomb », 147–48 ; Steven R. Johnson, « The Identity and Significance of the Neaniskos in Mark », Forum 8, no 1–2 (1992) : 123–39 ; Mark McVann, « Reading Mark Ritually : Honor-Shame and the Ritual of Baptism », Semeia 67 (1994) : 183 ; Benoît Standaert, L’évangile selon Marc. Composition et genre littéraire (Bruges : Zevenkerken, 1984, 19781), 498–616 ; idem, L’Évangile selon Marc. Commentaire, 2e éd. revue et augmentée, LB 61bis (Paris : Cerf, 1997), 137, 153–72 ; idem, Évangile selon Marc. Commentaire, Première partie : Marc 1, 1 à 6, 13, 3 vol., Ebib 61 Nouvelle série (Pendé : Gabalda, 2010), 9–10 ; idem, Deuxième partie : Marc 6, 14 à 10, 52, 501 ; idem, Troisième partie : Marc 11, 1 à 16, 20, 1051–1052, 1174–1195, 1217–1219, adoptent l’hypothèse selon laquelle le texte de Marc 16.1–8 (ou même tout l’évangile) était lu lors de cérémonies baptismales célébrées le matin de Pâques. De même, pour Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 378, la finale abrupte de Marc doit se comprendre comme la « dernière
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a) Les textes de Paul, composés à une époque antérieure à la rédaction de l’évangile de Marc, montrent que la métaphore consistant à dire que le croyant a revêtu le Christ a joué un rôle de premier plan au sein du christianisme primitif (voir Ga 3.27 ; Rm 13.11–14) ; cette métaphore, reprise notamment dans les épîtres aux Colossiens et aux Ephésiens, est à comprendre dans un contexte baptismal110. b) L’assimilation à une divinité par le biais d’un rituel qui préconise le dépouillement de ses propres habits pour revêtir ceux qui marquent l’entrée dans la sphère divine n’est pas une invention chrétienne, car on la rencontre également dans certains cultes hellénistiques, notamment celui de Sérapis111.
scène d’une liturgie de la Passion, commémorant le sacrifice de Jésus dans un grand rassemblement de croyants vivant dans la certitude de la Résurrection. » Se rallient à cette perspective aussi Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 60 ; Cuvillier, L’évangile de Marc, 288 ; Grappe, « De quelques figures d’identification », 133–34. Ce dernier perçoit un lien entre le jeune homme au tombeau, « la figure la plus fascinante », et celui de Mc 14.51– 52, ainsi qu’avec les passages de 10.37, 40 et 14.62. Pour Focant, si le jeune homme au tombeau est un symbole du baptisé qui s’identifie à Jésus (dans sa mort et sa résurrection), alors « on comprendrait comment le message s’est transmis malgré le silence des femmes. Le jeune homme ne serait pas simplement un ange envoyé uniquement aux femmes pour leur transmettre le message de la résurrection, mais bien le symbole du baptisé devenu responsable de cette annonce, voire de l’auteur lui-même dans sa mission au service de la bonne nouvelle » : Focant, L’Évangile selon Marc, 596. Chilton est même plus affirmatif : « [t]hose converts joined Jesus liturgically in Getsemane, and searched themselves to see whether they were ready for the ‹hour› – the decisive moment of potential danger and revelation – that their baptism represented » (Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 476 ; voir aussi p. 521). Selon d’autres points de vue, même Mc 1.14–15 ou 8.27–9.1 pouvaient être utilisés, voire sont conçus, comme des homélies à lire à l’occasion de rites baptismaux : voir Incigneri, The Gospel to the Romans, 248–49, 257–58. 110 Assurément, la métaphore du « revêtement du Christ » joue un rôle éminent dans le christianisme naissant et les témoignages les plus anciens remontent aux années cinquante, sous la plume de Paul. Voir aussi Ep 4.22–24 ; Col 3.8–10 (cf. 2.11–13) ; Herm. Sim. 9.24.2 (ਥȞįİįȣȝȞȠȚ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਚȖȚȠȞ). Dans le P. Oxy. 840 (IIe s.), une critique est adressée par Jésus à un grand prêtre qui estime être pur car il a fait son ablution dans le bassin de David et porte des Ȝİȣț ਥȞįȝĮIJĮ (« vêtements blancs » : ligne 27 ; voir lignes 19–20, 27–28). Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 538–42 ; Kim, The Significance of Clothing Imagery, 179–80 ; Canavan, Clothing the Body of Christ at Colossae, 5–6, 49. 111 Voir notamment Lucien, Asin. 11.13–15, 23–24, datant du IIe siècle. Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 540, note 31, suggèrent que le même rituel est décrit par Plotin, Enn. 1.6.7. À la page 544, ils renvoient à Johannes Leipoldt, Die Urchristliche Taufe im Lichte der Religionsgeschichte (Leipzig : Dörffling und Franke, 1928), 38–56, pour d’autres rituels similaires dans les différents cultes hellénistiques.
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c) Des textes chrétiens, composés à partir de la deuxième moitié du deuxième siècle, décrivent ou font allusion à la praxis baptismale qui consiste en une immersion in naturalibus, suivie de la vêture à caractère symbolique112. d) La découverte de l’Évangile secret de Marc montre que la référence au rituel du baptême, notamment en relation avec le jeune homme de Marc 14.51– 52 mais aussi à celui de 16.7, est ancienne et orthodoxe113. Loin de provoquer un consensus, ces arguments ont suscité de multiples réactions critiques. Tout d’abord, le recours à l’Évangile secret de Marc est perçu comme problématique à cause du caractère controversé de sa découverte et de son authenticité114. 112
Voir par exemple Jérôme, Epist. 64.19 [ad Fabiolam]. Pour un traitement étendu de la question, voir Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 537–44. Ces deux auteurs défendent la thèse selon laquelle, même si les textes les plus anciens attestant cette pratique ne remontent pas plus haut que la seconde moitié du IIe siècle, le fait qu’elle soit décrite de manière non apologétique ni controversée plaide en faveur d’une origine plus ancienne. De même pour les représentations (peintures et reliefs) où le catéchumène est nu : ils renvoient à Lucien de Bruyne, « L’imposition des mains dans l’art chrétien ancien », RAC 19 (1942) : 212– 47. Il reste que, comme Scroggs et Groff l’admettent (p. 538), il est assez étonnant que ni la Didachè (chap. 7) ni Justin ne mentionnent une telle façon de procéder pour les baptêmes (cf. Justin, 1 Apol. 1.61). 113 D’après Morton Smith, Clément d’Alexandrie († 215 environ), dans sa Lettre de Mar Saba, mentionne deux passages d’un évangile secret de Marc. Le premier passage se situe après Mc 10.34 ; l’autre, après 10.46a. Dans le premier fragment, il est question d’un jeune ressuscité (allusion à Jn 11 et à Mc 16.5) qui, six jours après le miracle, s’entretient la nuit, habillé seulement de son manteau, avec Jésus (allusion à Mc 14.51–52) : ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȢ ıȚȞįંȞĮ ਥʌ ȖȣȝȞȠ૨ (folio 1, recto, 7–8). Pour Smith, ce texte montrerait que l’épisode de Mc 14.51–52 est une allusion au baptême et que ce jeune est en lien à celui de 16.7 : Morton Smith, Clement of Alexandria and a Secret Gospel of Mark (Cambridge : Harvard University Press, 1973), 175–78. Voir Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 547–48, et Crossan, « Empty Tomb », 147–48, pour une discussion enthousiaste de la théorie (et de la découverte) de Smith. Voir Neirynck, « La fuite du jeune homme », 50–52 ; Gundry, Mark, 603– 23 ; Collins, Mark. A Commentary, 692, pour un regard plus nuancé, voir scéptique. 114 Les quatre positions entre lesquelles se partagent les savants sont présentées et argumentées dans Tony Burke, éd, Ancient Gospel or Modern Forgeryࣟ? The Secret Gospel of Mark in Debate. Proceedings from the 2011 York University Christian Apocrypha Symposium (Eugene : Cascade Books, 2013). Il s’agit soit : a. d’accepter l’authenticité de la découverte de Smith et l’existence de cet évangile comme étant une version plus « complète » et postérieure à Marc [ainsi déjà, par ex., Scott G. Brown, Mark’s other Gospelࣟ : Rethinking Morton Smith’s Controversial Discovery, SCJ 15 (Ontario : Wilfred Laurier University Press, 2005), 230–33] ; b. de considérer l’évangile secret de Marc comme une contrefaçon ancienne [ainsi France, Mark, 410–11, pour lequel il s’agit d’un « pastiche » qui comme « evidence for second-century developments [...] is interesting and important, but [...] is unlikely to contribute anything to our understanding of Mark »] ; c. d’affirmer que le Marc canonique dépend de son homonyme secret [ainsi notamment Hans-Martin Schenke, « The Mystery of the Gospel of Mark », SecCent 4 (1984) : 77–78 ; John D. Crossan, Four Other
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Ensuite, certains font valoir que le contexte littéraire proche de la péricope du jeune homme qui s’enfuit nu ne comporte aucune allusion au rituel du baptême115. En troisième lieu, s’il est vrai que des textes anciens (notamment patristiques et apocryphes) témoignent d’un baptême par immersion où la vêture joue un rôle important dans la symbolique de l’assimilation au Christ, force est de constater que ces attestations sont toutes postérieures à Marc de presque un siècle et qu’elles ne font jamais référence à Marc : en d’autres mots, Marc dans son ensemble et les figures des ȞİĮȞıțȠȚ en particulier n’ont été ni compris ni expliqués liturgiquement en relation avec le rituel baptismal116. Il convient, à ce point de la discussion, de souligner que, même pour les auteurs qui expriment des doutes sur l’emploi liturgique de Marc dans un rituel baptismal célébré la nuit de Pâques, il ne s’agit pas forcément de mettre en question la relation entre la compréhension paulinienne du baptême et la théologie de l’assimilation du disciple à son Maître exprimée par la symbolique des vêtements dans le deuxième évangile. Dans un article marquant paru en l’an 2000, Joel Marcus montre que Paul et Marc, tous deux considérés comme des théologiens subversifs, partagent un nombre remarquable de convictions théologiques concernant le Christ, notamment en relation avec sa victoire eschatologique sur les puissances démoniaques et avec le concept d’assimilation au Crucifié-Ressuscité117. Gospels. Shadows on the Contours of Canon (Minneapolis : Winston Press, 1985), 91–124 ; Helmut Koester, Ancient Christian Gospelsࣟ : Their History and Development (Philadelphia : Trinity Press International, 1990), 293–303] ; d. de soupçonner que l’évangile en question est un faux (peut-être créé par Smith lui-même) : ainsi, récemment, Francis Watson, « Beyond Suspicionௗ : On the Authorship of the Mar Saba Letter and the Secret Gospel of Mark », JTS 61, no 1 (2010) : 128–70 ; Kuruvilla, « The Naked Runaway », 533 ; Pierluigi Piovanelli, « Halfway Between Sabbatai Tzevi and Aleister Crowleyௗ : Morton Smith’s “Own Concept of What Jesus ‘Must’ Have Been” and, Once Again, the Questions of Evidence and Motive », in Ancient Gospel or Modern Forgeryࣟ? The Secret Gospel of Mark in Debate. Proceedings from the 2011 York University Christian Apocrypha Symposium, éd. par Tony Burke (Eugene : Cascade Books, 2013), 157–83. Nous penchons pour cette dernière hypothèse, tout en partageant l’avis de R. T. France : quoi qu’il en soit, ce document ne fait pas la lumière sur l’évangile canonique de Marc, sinon celle qui provient d’une lecture faite a posteriori. 115 Gourgues, « À propos du symbolisme », 676, ne voit pas comment l’abandon du manteau du jeune en Mc 14.52, qui est un acte lâche et marque son éloignement de Jésus, pourrait représenter le déshabillement du catéchumène qui se débarrasse volontairement de ses vêtements « anciens » pour s’unir au Christ. Neirynck, « La fuite du jeune homme », 60 ; Jackson, « Why the Youth Shed His Cloak », 276, insistent sur le fait que le contexte littéraire de Mc 14.51–52 n’évoque nullement une situation baptismale, mais une situation de crise. 116 Collins, Mark. A Commentary, 690. 117 Parmi les points communs : le terme İĮȖȖȜȚȠȞ est central pour leur théologie (Mc 1.1, 14 ; Ga 1.6–9 ; Rm 1.16–17) ; la croix est un « apocalyptic turning point of the ages », sans perdre de vue la résurrection (cf. Mc 8.31 ; 9.9, 31 ; 10.34 ; Rm 1.3–4 ; 1 Co 15) ; Jésus est vainqueur des pouvoirs démoniaques (cf. exorcismes en Marc ; Mc 3.23–27 ; Rm 8.38–
Relecture de l’exorcisme de Gérasa
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À la lumière de ces considérations, il nous paraît plus prudent d’opter pour une suspension du jugement concernant la question d’un possible emploi liturgique de Marc, sans renoncer à y discerner, en tant que fruits d’une intention auctoriale bien établie, des symboles relatifs à l’association du disciple à Jésus. Dans ce sens, l’expérience de la lecture en boucle, qui amène à contempler régulièrement le dévêtement et le revêtement de certains personnages de l’évangile, assume déjà en soi une fonction rituelle capable de reconfigurer la vision du monde du lecteur/auditeur pour l’aider à (re)donner du sens à son engagement. Que la pratique du baptême soit en vue ou pas, sa théologie est sans doute sous-jacente118.
39 ; 1 Co 2.8 ; 15.24) ; l’avènement de Jésus marque le début d’une époque nouvelle annoncée par l’Écriture (Mc 1.1–15 ; Rm 3.21–22) ; Jésus est le Nouvel Adam (Mc 1.13b ; les vêtements glorieux de Jésus en Mc 9.3–4 pourraient correspondre à ceux d’Adam : cf Tg. Ps.-J. sur Genèse 3.7, 21 ; Gn. Rab. 18.56 ; 20.12 ; Pirqé R. El. 14 ; pour Paul : Rm 5.12– 21 ; 1 Co 15.21–22, 45–49) ; la nouvelle relation avec Dieu donne au croyant un regard d’insider (Mc 4.10–12 ; Rm 11.7–10 ; 1 Co 2.6–16) ; perspective universaliste (Mc 10.45 ; Ro 11.25–32) ; regard critique sur Pierre et sur la famille de Jésus (Mc 3.20–21, 31–35 ; 8.21–33 ; Ga 2) ; Jésus est venu pour les pécheurs (Mc 2.17 ; Rm 4.15 ; 5.18–19), pour lesquels il s’est donné (Mc 10.45 ; 14.24 ; Rm 3.25 ; 5.8–9 ; 1 Co 5.7 ; 11.25 ; 15.3) ; Jésus est venu d’abord pour les Juifs, et ensuite pour les non-Juifs également (Mc 7.27–29 ; Rm 1.16 ; cf. Rm 11) ; l’ère nouvelle requiert une nouvelle relation à la loi (Mc 7.19 ; Rm 14.20) ; une nouvelle épistémologie est de mise, qui envisage le pouvoir de Dieu révélé dans l’humiliation de Jésus (Mc 14.65 ; 15.15–20, 24, 34 ; 2 Co 13.4), ce que Paul appelle le « scandale de la croix » (Ga 5.11 ; 1 Co 1.23 ; cf. Ph 2.8 ; 3.18 ; Rm 6.6 ; 1 Co 1.17–23 ; 2.2 ; 4.10 ; 2 Co 11.1 ; 13.4 ; Ga 2.19 ; 3.1, 13 ; 5.11 ; 6.12, 14). Ainsi Joel Marcus, « Mark – Interpreter of Paul », NTS 46, no 4 (2000) : 475–76, 478–82, 484, 485. Il faut ajouter que la notion de baptême en tant que participation à la mort (et à la résurrection) de Jésus se retrouve en Paul (Rm 6.1–4 ; cf. Col 2.11–12 ; Ep 2.5–6) et en Mc 10.38–39 (un texte dont Mt 20.20 ne gardera que « la coupe », sans garder la notion de « baptême ») : Scroggs et Groff, « Baptism in Mark », 536. Enfin, le baptême est important pour Paul, comme pour Marc, à cause du don de l’Esprit. C’est par l’Esprit qu’il est possible d’avoir accès à l’adoption divine (Ga 4.1–7), ce qui équivaut à « revêtir le Christ » (Ga 3.23–27). C’est donc cet Esprit qui rend « saint », une définition utilisée souvent en connection avec la métaphore du Temple (2 Co 6.14–18, en réinterprétant Lv 26.11 ; Es 52.11 ; Ez 20.34 ; 37.27 ; 2 S 7.8, 14 ; le corps est conçu aussi en tant que temple chez Philon, Somn. 1 149 ; Cher. 98–106) : Sorensen, Possession and Exorcism, 161–66. 118 McVann, « Reading Mark Ritually », 180–81, 186–87 ; Perego, La nudità necessaria, 267–69 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 595–96 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 410 ; Collins, Mark. A Commentary, 690–92 ; Canavan, Clothing the Body of Christ at Colossae, 46–48.
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8.6 Être disciple selon Marc : la symbolique de la vêture et sa relation avec le thème de l’absence de Jésus Être disciple selon Marc
La mise en relation intratextuelle du parcours des deux ȞİĮȞıțȠȚ avec la péricope de Gérasa, cette dernière étant notamment relue à la lumière des deux autres, apporte de la profondeur à la symbolique de la vêture utilisée par Marc et proposée à la fin de son évangile en tant qu’assimilation à la personne et à la destinée du Fils de Dieu. Les dynamiques déployées à Gérasa, qui ont été mises en lumière grâce à l’analyse narrative et à l’étude diachronique, sont pleinement conformes à la théologie marcienne de l’identification du disciple avec Jésus. Plusieurs éléments méritent d’être soulignés ici. Sans renoncer à l’appel à se conformer à la vie exemplaire de Jésus, Marc met l’accent sur le fait que la nouvelle identité du disciple et la promesse de salut dont il est bénéficiaire ne relèvent pas d’une performance éthique de l’être humain mais d’une pure initiative divine, souvent surprenante, suscitant des réactions stupéfaites ou polémiques. Cette initiative divine se définit comme un acte de compassion de Dieu relevant de sa fidélité inconditionnelle qui dépasse même les frontières d’Israël (cf. Mc 5.19). Dès lors, par la symbolique de la vêture, le disciple se voit octroyer l’honneur réservé à Jésus par son Père dans la mesure où il adhère pleinement à sa personne telle qu’elle est présentée dans l’évangile. L’opposition des puissances politiques et religieuses, les réactions incrédules sinon hostiles, voire violentes, provoquées par le conflit des interprétations et par les modalités subversives de la révélation du dessein divin, et le don jusqu’à l’extrême de soi comme nécessité dont la logique échappe même au Fils119, sont désormais compris comme sources d’honneur aux yeux de Celui qui a relevé Jésus des morts et qui a pris plaisir en sa personne120.
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Cf. Mc 14.36. Thiérault établit un lien entre ce texte, l’invitation de Jésus à ne pas s’attacher à sa propre vie (8.35) et le « gaspillage » de 14.4, qui préfigure sa mort (14.8), pour en déduire que « les structures discoursives nous amèneraient à entendre que Jésus doit perdre même tout motif ‹valable› et ‹négociable› de mourir » : Thériault, « Le ‹jeune homme› », 28. 120 En se fondant sur le travail de Bruce J. Malina, The New Testament World. Insights from Cultural Anthropology, éd. révisée, 1e éd. 1983 (Atlanta : John Knox, 1993), McVann insiste sur le fait que Marc opère sur le registre honneur/honte (cf. 1.7 : Ƞț İੁȝ ੂțĮȞઁȢ ; 8.38 : Ȣ Ȗȡ ਥȞ ਥʌĮȚıȤȣȞșૌ ȝİ... țĮ ȣੂઁȢ IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ ਥʌĮȚıȤȣȞșıİIJĮȚ ĮIJંȞ ; 9.34– 35 : IJȢ ȝİȗȦȞ... İ IJȚȢ șȜİȚ ʌȡIJȠȢ İੇȞĮȚ ; 16.5 : țĮșȝİȞȠȞ ਥȞ IJȠȢ įİȟȚȠȢ), en attribuant au baptême le rôle de rituel transformateur par lequel le disciple montre sa volonté de modeler sa vie sur celle de Jésus. Les valeurs sociales de l’honneur et de la honte sont confirmées, mais elles sont inversées, car la croix n’est plus source de déshonneur. McVann, « Reading Mark Ritually », 179–80, 189, 195–96.
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Si le baptême de Jésus dévoile au lecteur son identité royale, prophétique et sacerdotale121, et si sa mort en tant que « rançon » est à comprendre surtout comme victoire eschatologique contre les pouvoirs cosmiques qui se manifestent, entre autres, par l’oppression perpétrée par les puissants de la terre122, l’identification du disciple avec son Maître l’oblige à reconfigurer sa conception du pouvoir et de la victoire. Comme à Gérasa, Jésus est un vainqueur absent et rejeté qui cède face à l’opposition des gens sans pour autant que cela fasse reculer les frontières du Royaume, de même celui qui s’identifie avec lui ne cède pas à une conception impérialiste de l’établissement du Royaume de Dieu. Le rejet des hommes cache l’approbation divine sans pour autant la rendre stérile. Revêtir le Christ marcien signifie accepter ses modalités et celles de son Dieu. Un aspect particulièrement important relatif à la symbolique de la vêture du jeune homme au tombeau, qui est mis en évidence seulement lorsqu’on la met en relation avec celle du Gérasénien, est celui du don de l’Esprit comme moyen de la victoire eschatologique sur les puissances démoniaques. Il est vrai que l’Esprit n’est pas mentionné dans les péricopes du Gérasénien et du jeune homme au tombeau. Cela dit, on ne retrouve le Gérasénien « habillé et assis » (comme le jeune homme de Mc 16) qu’après l’exorcisme dont il a fait l’objet. Dans l’évangile de Marc, le conflit entre Jésus et ses opposants n’est que le reflet de sa contrepartie transcendante qui oppose Dieu à Satan. La mise en déroute du prince des démons par Jésus est rendue possible par l’Esprit qu’il a reçu lors de son baptême et trouve son apogée à la croix123. L’Esprit donné à Jésus et qui lui permet non seulement de chasser les démons mais de les juger dans une 121 Le texte de Mc 1.11 est un renvoi : au Ps 2.7 LXX (ȣੂંȢ ȝȠȣ İੇ ı), où il est question de l’intronisation du roi ; à Gn 22.2 LXX (IJઁȞ ȣੂંȞ ıȠȣ IJઁȞ ਕȖĮʌȘIJંȞ ; voir aussi versets 12 et 16), où le fils bien-aimé est Isaac, l’ancêtre de Lévi et prêtre lui-même selon Jub. 21.10 ; T. Lévi 9.7, 18, 12, 16 ; et à Es 42.1 (ʩˇख़ ʑ ʍʴʔʰ ʤʺ४ ʕ ʍʶʸ), ʕ où l’élu en qui Dieu prend plaisir est son prophète. Ainsi Christian Grappe et Alfred Marx, Le sacrifice. Vocation et subversion du sacrifice dans les deux Testaments, EssBib 29 (Genève : Labor et Fides, 1998), 72. Voir aussi Witherington, The Gospel of Mark, 50. 122 Leur étude, en particulier de Mc 10.45 et 14.24, amène Dowd et Malbon à comprendre le sens de la mort de Jésus en Marc non pas en clé expiatoire, mais en relation avec la libération du modèle de domination autoritaire (cf. 10.42) qui permet l’établissement d’une nouvelle alliance (cf. Ex 24.8) avec ses disciples. Ces derniers sont désormais appelés à vivre en accord non plus avec le modèle tyrannique et violent du monde, mais selon le principe du service, dans la souffrance si nécessaire, en vue de la libération progressive des autres. Sharon Dowd et Elizabeth S. Malbon, « The Significance of Jesus’ Death in Mark : Narrative Context and Authorial Audience », JBL 125, no 2 (2006) : 271–97. 123 Paul, comme Marc, emploie le participe passé passif de ıIJĮȣȡંȦ (Mc 16.6 ; 1 Co 1.23 ; 2.2 ; Ga 3.1 ; aussi en Mt 28.5) pour signifier que le Ressuscité continue d’être le Crucifié, la croix demeurant l’élément central, quoique paradoxal, de la révélation de Dieu (et de son Fils : Mc 15.39) et du passage à une époque nouvelle : voir Marcus, « Mark – Interpreter of Paul », 479–80.
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perspective eschatologique est à comprendre en relation avec les attentes bâties sur plusieurs textes de la Bible hébraïque (voir Es 44.3 ; Ez 36.25–27 ; 39.29 ; Jl 2.28–29 ; cf. Ac 2.38), où l’effusion de l’Esprit à la fin des temps correspond au pardon des péchés, sans le besoin de sacrifices, et à la défaite de Satan124. Ces attentes sont attestées également à Qumrân, où l’eau des rites purificatoires annonçait la purification définitive de l’âme que l’Esprit devait apporter au jour de la Visite de Dieu, Esprit qui, déjà dans le temps présent, préservait les sectaires des « esprits de destruction »125. Il n’est pas surprenant dès lors de retrouver dans des textes chrétiens plus tardifs l’association entre le baptême, l’effusion de l’Esprit, le pardon des péchés et la dimension exorcistique126. Dans l’évangile de Marc, la vêture du jeune homme au tombeau, lorsqu’elle est assimilée par une dynamique intratextuelle à celle du Gérasénien, est sans doute à mettre en relation avec la victoire eschatologique remportée par Jésus sur les puissances démoniaques et dont le disciple, qui lui est assimilé, bénéficie. 124
Voir Rochester, Good News at Gerasa, 67 ; Grappe et Marx, Le sacrifice, 72–73. L’intégration dans la secte était comprise en termes exorcistiques et apotropaïques, car les adeptes sont protégés des esprits de destruction (1QM 14.10) : Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 311. Barbara Thiering remarque qu’à Qumran (1QS 4.6–9 et 4.18–22) le rituel d’intégration (ou d’initiation) conjugait deux rituels : l’un, de type lévitique, se bornait à laver l’impureté et le péché de la chair avec l’eau ; l’autre, de type sacerdotal, concernait le péché de l’âme (primordial, décisif et inhérent : voir 1QS 2.14 ; 1QHa 1.22 ; 3.21 ; 5.36 ; 11.12 ; 1QS 7.18, 23 ; 10.18), qui a vocation à être ôté par l’Esprit (cf. Mc 7.20–23 ; Mt 5.21–22, 27–28). Les deux rituels se confondent à l’avènement des temps eschatologiques. Thiering propose alors de lire l’initiation en deux stades (chacun en deux étapes). Elle est décrite en 1QS 6.13–23 et préconise une intégration graduelle à la secte (provisionnelle d’abord puis, éventuellement, complète) à la lumière des deux rituels décrits plus haut. Le rituel initiatique consistant à s’immerger complètement dans l’eau (1QS 3.4–5) correspondrait à la deuxième phase du premier stade d’intégration, alors que la réception de l’Esprit, donnant le droit à participer à la gouvernance de la secte, aurait eu lieu à la deuxième phase du deuxième stade. Pourtant, l’effusion de l’Esprit comme moyen de « guérir » l’âme de la présence de l’esprit de perversité reste une réalité eschatologique. En Mc 1.10, l’eau et l’Esprit sont étroitement associés, en attribuant au baptême de Jésus une forte dimension eschatologique. Barbara E. Thiering, « Qumran Initiation and New Testament Baptism », NTS 27, no 5 (1981) : 615–26. 126 Le baptême est explicitement présenté comme une forme d’exorcisme au moins à partir du deuxième siècle : voir Pseudo-Clément, Rec. 4.17 et Tertullien, Bapt. 9 (Kazen suggère que peut-être 1 Co 7.14 [cf. Barn. 16.7 et Ga 4.3] pourrait être lu à la lumière de cet arrièreplan). La formule « crucifié sous Ponce Pilate », outre qu’elle est utilisée pour les exorcismes (Origène, Cels. 1.6 ; Justin, 2 Apol. 6.6 ; Dial. 30.3 ; 76.6 ; 85.2 ; Irénée, Haer. 2.49.3), est intégrée à la liturgie baptismale, probablement avec la même fonction (Justin, 1 Apol. 61). Cela peut s’expliquer par la compréhension de la mort, de la résurrection et de l’ascension de Jésus en tant qu’acte victorieux décisif, par l’Esprit dont il a été investi, sur les forces démoniaques : 1 P 3.18–22 ; Polycarpe, Phil. 2.1 ; 1 Tm 3.16 (cf. Ignace, Trall. 9.1). Ainsi Bultmann, Teologia del Nuovo Testamento, 477–78 ; Kazen, Jesus and Purity Halakhah, 312 ; Aune, Apocalypticism, Prophecy and Magic, 410. 125
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Par ailleurs, comme nous l’avons montré plus haut, on ne pourra pas faire l’économie du caractère paradoxal de la symbolique de la vêture dans le deuxième évangile, notamment en lien avec le parcours narratif qui lie les deux ȞİĮȞıțȠȚ et qui jette une lumière nouvelle sur le récit du Gérasénien en deuxième lecture. Pour Marc, Jésus est indéniablement le « lieu de la rencontre » avec Dieu, car ce dernier a aboli toute distance entre son Fils et lui-même, comme le montrent notamment les épisodes du baptême et de la crucifixion, où à la déchirure, du ciel d’abord et du voile du Temple ensuite, fait suite une proclamation relative à l’identité du Nazaréen en tant que « Fils de Dieu »127. Or, le Jésus marcien est aussi le Fils de l’Homme souffrant, pour lequel la souffrance et le dépouillement de soi sont une nécessité en accord avec le dessein mystérieux du Père128. L’identification du disciple avec son Maître – non pas avec le Ressuscité seul, mais également avec le Crucifié –, ne peut donc pas faire abstraction de ce paradoxe. Métaphoriquement, il est nécessaire de se dévêtir pour revêtir celui qui montre qu’il faut se dépouiller. En d’autres termes : revêtir le Jésus marcien signifie aussi accepter de le suivre sur le chemin de sa nudité (Mc 15.17, 46). Marc a le mérite de problématiser la question paradoxale de l’assimilation du disciple à Jésus par le moyen d’un outil littéraire original, en figeant de manière complémentaire la tension entre le « revêtement » et le « dévêtement » dans un seul et même horizon narratif, et donc de manière permanente. Ainsi, dans une dynamique qui se structure autour de deux pôles en constante tension, le lecteur est-il amené à envisager la suivance comme une cohabitation paradoxale entre la perpétuelle nécessité de se « dévêtir » (cf. Mc 10.50 ; 11.7–8) et l’incessant impératif de revêtir la gloire et la souffrance de Jésus. Il ne s’agit pas de coudre du neuf sur un vieil habit (Mc 2.21), mais d’intégrer pleinement
127 La séquence déchirure-proclamation que l’on retrouve en Mc 1.10–11 et 15.38–39 constitue à la fois une inclusion et une évolution, car « au début de l’évangile, la proclamation est divine et réservée au seul Jésus ; à la fin, elle est humaine et faite à la face du monde ; au début, on se situe dans une perspective verticale ; à la fin, dans une perspective horizontale. » La distance entre Dieu et son Fils est abolie au baptême comme sur la croix, le Fils demeurant désormais pour le disciple le « lieu » de la rencontre avec le Père. Ainsi Grappe et Marx, Le sacrifice, 83–84. 128 Concernant la prière de Jésus à Gethsémani (Mc 14.32–42), Celse s’étonne du manque de calme de Jésus face à la mort, alors que d’autres personnages illustres n’ont manifesté aucune crainte ni ne se sont plaints en pareilles circonstances. Pourtant, Chilton souligne que chez Marc Jésus prévoit sa mort et la présente comme destinée qui sera partagée par ses disciples (10.39) et qui s’avère surtout remplie de sens (10.45). Par conséquent, cette supplication n’est pas une sorte de lamentation larmoyante face à la perspective du trépas, mais une demande à Dieu de rendre fort le faible esprit humain face à l’adversité (cf. Ps 42.4–6, 12 ; 43.5 ; Jon 4.9 ; 1QHa 11.32) et « a searching challenge to the belief that suffering is necessary, and the way this challenge is posed is key to the whole Gospel’s meaning » : Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 475–77.
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la tension entre deux réalités distinctes et pourtant complémentaires, l’assimilation salutaire et le dépouillement tragique mais nécessaire. Cette tension se trouve magistralement présentée dans le parcours qui mène de la fuite du jeune homme nu à la scène du tombeau, où le ȞİĮȞıțȠȢ assis et les femmes qui fuient sont figés ensemble à jamais, pour revenir, en deuxième lecture, à l’épisode du Gérasénien, où l’absence de Jésus est sublimée et rendue féconde. 8.6.1 Absence et détachement L’absence d’apparitions post-pascales en Marc, le renvoi au début de l’évangile (« en Galilée ») et le recours à la symbolique de la vêture pour mettre en avant l’identification du disciple avec son Maître qui ne se limite pas au chapitre 16 empêchent un compartimentage entre le Crucifié et le Ressuscité129. En recentrant l’attention du lecteur sur la nécessité de se mettre à la suite de celui qui a été ressuscité par Dieu et agréé de lui, ce qui est mis en avant est l’adhésion demandée, entre autres, à la modalité déroutante de concevoir les « transactions de pouvoir » dans une optique divine, à savoir que, pour sauver sa vie, il faut être disposé à la perdre à cause de l’Évangile130. L’assimilation avec le Jésus marcien n’est pas pour Marc l’exaltation de l’être humain, mais le signe de la proximité de Dieu jusqu’à sa propre croix, et au-delà. Sans cette assimilation paradoxale, le témoin perd sa capacité à annoncer la Bonne Nouvelle, car l’annonce est de type non pas dogmatique, détaché, objectif, mais existentiel et expérientiel131.
129 Ainsi aussi Crossan, pour lequel Marc a créé un « total gospel-story » où ce qui se passe avant et après la résurrection se trouve « differentiated as well as equated » : Crossan, « A Form for Absence », 47. 130 Sur l’ironie de la gestion du pouvoir que les deux épisodes de Mc 14 mettent en scène entre, d’un côté, Jésus qui ne réagit pas (v. 53–65) et, de l’autre, Pierre qui se défend vigoureusement (v. 66–72), voir Tom Shepherd, « The Irony of Power in the Trial of Jesus and the Denial by Peter – Mark 14:53–72 », in The Trial and Death of Jesus : Essays on the Passion Narrative in Mark, éd. par Geert Van Oyen et Tom Shepherd, CBET 45 (Leuven : Peeters, 2006), 241. 131 Sur l’assimilation au Christ (signifiée par le baptême) en perspective communautaire plutôt qu’individualiste, voir Rochester, Good News at Gerasa, 67, et surtout Kim, The Significance of Clothing Imagery in the Pauline Corpus, 186, qui voit en la symbolique du vêtement nouveau une allusion à la tradition du « inclusive garment » exprimée en Ex 28.9– 10, 15–21, où le prêtre représente et unifie tout Israël devant Dieu, en agissant aussi en tant que porte-parole de Dieu. Kim voit également ce concept dans la symbolique de la tunique non partagée de Jn 19.23–24 (unité des disciples) et en Ep 4.22–25 (« revêtir l’homme nouveau »), qui est à lire à la lumière d’Ep 2.14–18, où l’« homme nouveau » est Jésus-Christ réconciliant en soi les Juifs et les non Juifs. Voir aussi le bilan de Ruggieri, Prima lezione di teologia, 42 : « l’unità della confessione di fede non è contraria a una pluralità di posizioni e orientamenti, giacché l’unità della chiesa, nel II secolo, non è ancora intesa come unità dogmatico-dottrinale. »
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Marc théorise une foi liminaire où le scandale (dans son sens étymologique) est une exigence et où l’assimilation glorieuse s’articule avec une l’« horreur sublime »132 d’une absence déconcertante – celle de Jésus lui-même. L’articulation récurrente et en boucle entre la rencontre des femmes avec le jeune homme au tombeau et le récit de Gérasa montre que la théologie marcienne est étrangère à l’optimisme ecclésiologique ou au climat d’exaltation missionnaire qui prévalait dans certains cercles133. Rien d’étonnant à ce que cet évangile ait été relégué en marge de la réflexion théologique dès la fin du premier siècle et ait été réduit à un résumé du plus rassurant Matthieu par les Pères apostoliques. Alors que ce dernier clôt son évangile avec la promesse sécurisante de la présence spirituelle quotidienne de Jésus au côté des siens jusqu’à la fin des jours, Marc rend perplexe son lecteur en mettant l’accent sur la promesse d’une rencontre qui ne fait que rendre plus aiguë la réalité de l’absence prolongée de Jésus134. La mise en résonance des récits des deux ȞİĮȞıțȠȚ (Mc 14.51–52 et 16.1– 8) avec celui du Gérasénien (surtout 5.19–20) amplifie le thème, articulé à celui de la suivance, de l’absence de Jésus et du détachement nécessaire, motif qui, en réalité, est récurrent et joue un rôle de premier ordre dans l’ensemble de l’évangile de Marc. Il a été remarqué que cet évangile s’ouvre et se termine avec un Jésus à la fois absent et en mouvement, car en Marc 1.1–2 il est annoncé par un messager (1.2) comme celui qui « vient après/derrière » (1.7), et au dernier chapitre un
132 Honoré de Balzac, « Le colonel Chabert », in La comédie humaine. Scènes de la vie privée, vol. 3 (Paris : France Loisirs, 1999), 705. Marcus, « Mark--Interpreter of Paul », 480, cite Cicéron (Verr. 2.5.66), lequel dénonce la crucifixion du citoyen romain Gavius comme une action exécrable et une barbarie, car ce supplice cruel était réservé aux esclaves. 133 Crossan songe notamment à une certaine théologie de l’église de Jérusalem qui, par des récits et des paroles kérygmatiques, aurait affirmé « the abiding presence of Jesus to intervene and save his own at any time and any place ». Crossan, « A Form for Absence », 52. 134 Paradoxalement, c’est peut-être le processus même de réécriture dont il a fait l’objet et l’attribution consécutive du statut de « résumé » qui lui a été accolé (alors qu’il a été une source) qui ont pu contribuer à la préservation du deuxième évangile. Cf. Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 339 : « [q]uels sujets croyants, quelle communauté confessante, peuvent être mis au monde par un récit qui traverse d’abord cette angoisse-là, cette culpabilité-là ? ». Michael Kok, pour lequel Marc propose une « countercultural proclamation » (p. 269), étudie en détail la manière dont, déjà à partir du deuxième siècle, l’évangile de Marc a été « absorbé » par ceux qu’il appelle les « chrétiens centristes ». Le but d’une telle démarche était de pouvoir l’intégrer au sein du trésor traditionnel (et donc l’arracher aux mouvements tenus pour dérivants) afin de le marginaliser en le présentant comme un résumé de Matthieu et en lui donnant, de facto, un statut subordonné : Michael Kok, The Gospel on the Margins : The Reception of Mark in the Second Century (Minneapolis : Fortress Press, 2015), 183–227, 265.
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autre héraut (16.5) déclare qu’il « précède » (16.7) ses disciples135. Il s’agit en réalité d’un double paradoxe qui permet d’envisager Jésus qui vient, au niveau temporel, après Jean-Baptiste et avant les disciples, et qui, au niveau spatial, vient derrière et marche simultanément devant ces derniers136. Cette inclusion encadre toute une série de textes qui confirment ces caractéristiques du Jésus marcien et que nous passerons brièvement en revue. Lors de son baptême, le narrateur informe le lecteur du fait que Jésus « vit les cieux se déchirer » (Mc 1.10), une allusion à Ésaïe 64.1, le contexte de ce passage vétérotestamentaire (v. 1–12) étant le silence et l’absence de Dieu (v. 6, 11) lors de la destruction du premier Temple137. Si, en Jésus, le Dieu silencieux et absent se manifeste, il le fait d’une manière cachée, car ce n’est que Jésus qui contemple la scène surnaturelle. Qui plus est, c’est précisément ce Jésus, manifestation de la présence de Dieu, qui inquiète, par son absence, ses disciples au premier matin cité par le narrateur (Mc 1.35). Comme l’écrit Marguerat : « à peine l’identité de Jésus est-elle déclarée que l’intéressé se dérobe »138. Ainsi, « Simon et ceux qui étaient avec lui […] s’empressèrent de le
135 Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 356. Camille Focant, Marc, un évangile étonnant. Recueil d’essais, BETL 194 (Leuven – Paris – Dudley : Peeters, 2006), 352 : « [d]ans le prologue de Marc, le narrateur cite d’emblée le prophète Isaïe qui annonce un messager (IJઁȞ ਙȖȖİȜંȞ ȝȠȣ, 1,2) préparant la voie au messager de l’évangile. Dans la finale, le narrateur confie à un jeune homme messager de rappeler une parole de Jésus et de charger les femmes d’un message pour Pierre et les disciples. D’une certaine façon, l’évangile finit comme il commence. Jésus est absent de la scène finale comme de l’initiale, mais il est présent dans l’annonce d’un messager qui est vêtu d’une peau de chameau au début, et de blanc à la fin. Les deux messages retentissent comme des promesses que l’İĮȖȖȜȚȠȞ du Fils de Dieu révélé (1,1) et finalement ressuscité (16,6–7) va être proclamé. » 136 Nous remercions Christian Grappe pour cette remarque que nous avons intégrée dans le texte. 137 Incigneri, The Gospel to the Romans, 260–61. L’auteur associe également la symbolique de la colombe à Genèse 8.8–12, come promesse concernant l’entrée dans un monde nouveau/renouvelé. Il renvoie à Robert Hodgson, « Valerius Maximus and the Social World of the New Testament », CBQ 51 (1989) : 683–93, qui y voit une possible allusion à la pratique divinatoire romaine de l’ornithomancie (augurium). 138 Marguerat, « Quatre lecteurs », 50. À la page 49, il discerne une « progression brisée » de Jésus tout au long du chapitre un de Marc : désert (v. 4), Jourdain (v. 5), désert (v. 12), Galilée (v. 14), bord de la mer (v. 16), Capharnaüm (v. 21). Qui plus est, il compte cinquantequatre changements de lieu dans les dix premiers chapitres du deuxième évangile, alors que chez Matthieu il est question de quarante-sept changements de lieu dans les vingt premiers chapitres. Il en conclut que « la mobilité de Jésus est une marque plus importante du personnage que la perspective de la souffrance » (idem). De son côté, Bourquin insiste sur les déchirements et les ouvertures en Marc : le ciel (1.10), le voile du sanctuaire (15.38), le nuage qui disparaît (9.7–8) et la pierre roulée (16.4). Autant de « brèches » par lesquelles « la révélation s’infiltre ». Pour lui aussi, la « rupture » est le thème dominant « au niveau du fonctionnement même de la narration » : Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, 361–62.
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rechercher » (Mc 1.36–37) : la revendication de sa présence corporelle ressemble à celle mise en scène lors du dernier matin du macro-récit (16.2), lorsque les femmes viennent au tombeau pour l’embaumer, mais sans succès. Dans les deux cas, son absence est mise en relation avec une invitation à « aller » (1.38 ; 16.7). Lors d’une discussion autour du jeûne, Jésus annonce que les disciples seront privés de leur Maître : « le marié leur sera enlevé » (2.20)139. Après l’enseignement résultant de la juxtaposition de plusieurs paraboles, Jésus incite ses disciples à passer avec lui sur l’autre rive. Lors de la traversée, une bourrasque se déchaîne alors qu’il dort « sur le coussin » (4.38). La peur des disciples face au danger mortel et leur sentiment d’abandon de la part du Jésus dormant suscitent le questionnement suivant : « tu ne t’en soucies pas ? ». Tout évoque l’angoisse de ceux qui ont expérimenté l’absence de Dieu. Qui plus est, son sommeil et son réveil font ici allusion à sa mort et à sa résurrection. Après son échec à Nazareth, Jésus envoie les Douze deux à deux, mais il ne les rejoint pas (6.7–13, 30). Pendant leur proclamation accompagnée d’exorcismes et de guérisons, le narrateur raconte, en flash-back, le martyre de Jean (6.17–29). Deux pôles en tension, en relation avec la suivance, sont dévoilés et, dans les deux cas, Jésus est absent. Les deux récits encadrent un questionnement sur l’identité de Jésus (6.14–16), mais cette dernière échappe à Hérode et à ceux qui s’interrogent : dans les différentes interprétations données (Jean ressuscité, Élie, prophète), la véritable identité de Jésus se fait remarquer par son absence. Après avoir nourri les cinq mille hommes en territoire juif (6.34–44), Jésus oblige les disciples à le précéder, en bateau, sur la rive du côté de Bethsaïda (6.46). Les disciples, en difficulté, le voient marcher sur la mer, alors qu’« il allait les dépasser » (6.48). Leur panique s’estompe lorsque Jésus les encourage à ne pas avoir peur et, en montant sur le bateau, fait cesser le vent (6.50–51). La question de Jésus en Mc 2.19a (ȝ įȞĮȞIJĮȚ Ƞੂ ȣੂȠ IJȠ૨ ȞȣȝijȞȠȢ ਥȞ મ ȞȣȝijȠȢ ȝİIJૃ ĮIJȞ ਥıIJȚȞ ȞȘıIJİİȚȞ;) est construite autour de la métaphore du repas eschatologique, soit-il messianique (Es 25.6–8) ou évocateur du festin lors des noces entre Dieu et son peuple (cf. Es 54.5–55.5). Sans s’identifier avec le Père, le Jésus marcien caractérise le temps de sa propre action « comme un temps à part. Ce temps, caractérisé par la proclamation de l’irruption du Royaume de Dieu (Marc 1,15 et //) et par la présence de celui qui en est le héraut, est particulier du fait-même que Jésus s’applique la métaphore de l’époux » (Grappe et Marx, Le sacrifice, 53). Pendant ce temps de communion octroyée par la présence même de l’époux, le « jeûne » (symbolisant l’ensemble des actes rituels) est suspendu. Les actes rituels assurant la médiation et la communion seront rétablis lorsque Jésus sera absent (Mc 2.20) : ainsi Grappe et Marx, Le sacrifice, 52–54. Voir également Grappe, « Jésus : messie prétendu ou messie prétendantௗ? », 283–84, où l’auteur renvoie aussi, concernant le repas eschatologique, aux textes de 1 Hén. 62.14 et T. Lévi 18.10–14 (note 61), ainsi qu’à 1QS 6.5 (repas, sous la direction d’un prêtre, vécu comme une anticipation du festin célébré par le Messie-Prêtre) et à 4Q521 (repas eschatologique présidé par Dieu pendant les temps messianiques). 139
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Le narrateur conclut le récit en remarquant que les disciples étaient stupéfaits et n’avaient rien compris à l’affaire des pains (v. 52). Cette scène, qui rappelle l’apparition au tombeau, suggère aussi un lien entre le pain de l’eucharistie et la présence du Jésus post-pascal : désormais privés de leur Maître, les disciples devront le trouver dans la célébration eucharistique. Alors qu’Hérode et d’autres n’arrivent pas à « trouver » Jésus, c’est-à-dire ne sont pas en mesure d’en discerner correctement l’identité, Pierre semble le « trouver » dans sa déclaration péremptoire : « tu es le Christ » (8.29). Marguerat remarque, avec ironie, que c’est Pierre qui se perd lorsque Jésus lui apprend sa destinée souffrante (8.31–33)140. De même, en 12.35–37, Jésus fera éclater la définition du Christ envisagée par les scribes. Le récit du dernier exorcisme de l’évangile (9.14–27) est suivi d’un dialogue entre Jésus et Jean de Zébédée, en présence des autres disciples (9.38–40). Jean, suite à l’incapacité des disciples à délivrer eux-mêmes l’enfant possédé (9.18, 28), se plaint du fait qu’un autre homme, qui ne les (les disciples) suit pas, chasse les démons au nom de Jésus (9.38). Ce dernier les rassure et les invite à valoriser les efforts de ceux qui œuvrent en leur faveur (v. 41). Le groupe des disciples est ici représenté comme une entité qui, quoiqu’appartenant au Christ, fait désormais abstraction de sa présence. Une fois à Jérusalem, après avoir loué l’offrande de la veuve qui « a mis, de son manque […] tout ce qu’elle avait pour vivre » (12.44), Jésus met en garde ses disciples à propos des difficultés qui se profilent à l’horizon : alors qu’ils seront privés de sa présence, « beaucoup viendront en se servant de [s]on nom, en disant : ‹c’est moi !›… » (13.6), mais il ne faudra pas croire ces « christs de mensonge » (13.21–23). C’est dans ce temps de détachement du Christ que le Temple sera détruit (13.14–20) et les disciples persécutés (13.9–13), une période caractérisée de surcroît par l’absence de repères temporels sûrs concernant « le jour et l’heure » (13.32, 33, 35). Pourtant, cet espace chronologique doit engendrer une attitude de veille chez les disciples qui, ne sachant pas le temps de l’apparition du « maître de la maison », pourront se référer à son « histoire », qu’ils se doivent de continuer d’annoncer, comme une anticipation de la rencontre espérée. « Le soir… au milieu de la nuit… au chant du coq… au matin » (13.35) sont ici des indications temporelles qui renvoient, respectivement, à la Cène, à l’arrestation, au reniement de Pierre et à l’annonce faite au tombeau vide141. Les passages relatifs au complot des grands prêtres et des scribes (14.1–2) et à la collaboration de Judas, l’un des Douze (14.10–11), avec ces derniers 140
Marguerat, « Quatre lecteurs », 51. Ainsi Standaert, Évangile selon Marc, Troisième partie : 957–58 et Neirynck, « La fuite du jeune homme », 45–46. Farrer, A Study in St. Mark, 141, considère que le « matin » est celui de la comparution de Jésus devant Pilate plutôt qu’une allusion à la visite des femmes au tombeau vide. 141
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entourent la scène de l’onction de Jésus à Béthanie, scène que le Jésus marcien interprète comme une anticipation de son embaumement (14.8), car il ne sera pas toujours avec les siens (v. 7), mais il sera livré par l’un d’eux (v. 18, 20). Le repas pascal que Jésus partage par la suite avec ses disciples est également associé à son absence142. Le « pain » qu’il partage, équivalant à sa personne (v. 22), est à comprendre à la lumière notamment de la section comprise entre les chapitres 6 et 8, où il a été question des deux multiplications des pains, du défaut d’intelligence des disciples à propos du pain, de la polémique avec les Pharisiens sur la possibilité de (le) souiller par le toucher impur, et des miettes accordées à une Syro-phénicienne 143. Le récit de la Cène est suivi d’une parole prophétique, livrée sur le mont des Oliviers, concernant la dispersion des disciples. En citant Zacharie 13.7, Jésus annonce la débandade des moutons suite à la capture du berger (Mc 14.27), cette absence annoncée étant aussitôt mise en relation avec une rencontre à venir (verset 28, repris en 16.7). La fuite des disciples et du jeune homme (14.43–52), après une série de prières à l’occasion desquelles aucun disciple n’arrive à veiller avec Jésus (14.32–42), confirme le caractère inévitable du détachement. La débâcle de Jésus, selon la perspective humaine, se concrétise avec sa crucifixion et sa mort. Son cri de désespoir dénonce l’éloignement et l’abandon de Dieu (15.34 ; cf. Ps 22.2), mais renvoie également à une certitude relative à la bienveillance et à l’intervention future de Dieu au-delà de la perception de son absence (cf. Ps 22.22b, 25, 27, 30–32)144. À cette occasion, « le voile du sanctuaire se déchir[e] en deux, d’en haut jusqu’en bas » (Mc 15.38), annonçant à la fois l’exil de Dieu et sa proximité (cf. 1.10) avec son Fils145. Le Jésus abandonné et pâtissant de l’absence de Dieu est érigé, par l’auteur implicite, en
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L’époux n’étant plus là, il faut revenir au « jeûne » (Mc 2.20). Ainsi la célébration eucharistique est-elle la célébration de la promesse du retour de Jésus, et non pas de sa présence (même pas par l’intermédiaire de prophètes opérant des prodiges : 13.5, 21–23). Ainsi notamment Vernon K. Robbins, « Last Meal : Preparation, Betrayal, and Absence (Mark 14:12–25) », in The Passion in Mark : Studies on Mark 14–16, éd. par Werner H. Kelber (Toronto : MacMillan, 1976), 34–36 ; Boring, Mark, 446. 143 Sur la pratique de la commensalité de Jésus (réelle, mais aussi symbolique comme avec la Syro-phénicienne) et ensuite celle des disciples (eucharistie) en tant que possibilité d’avoir accès librement à la communion (portant en soi le pôle de la réparation) avec Dieu, voir notamment Grappe et Marx, Le sacrifice, 73–79. 144 Avec Watts, Isaiah’s New Exodus and Mark, 135 ; Incigneri, The Gospel to the Romans, 251–52, c’est très probablement à l’ensemble du Ps 22 que le cri du Jésus marcien renvoie. 145 Marguerat, « Quatre lecteurs », 58.
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paradigme pour le disciple affligé par l’éclipse de son Maître146. Conformément à cette logique, l’évangile s’achève avec la fuite des femmes qui, ne trouvant pas Jésus au tombeau, sont bouleversées par l’annonce de sa résurrection, une annonce qui, néanmoins, a la particularité de déboucher sur son absence : « il est ressuscité. Il n’est pas ici » (16.6)147. Ce développement, dont le lecteur pardonnera la brièveté, montre que l’évangile de Marc, bien qu’ayant Jésus au cœur de sa narration, présente, selon les mots de Marguerat, une « syntaxe narrative […] en constante fracture »148. En effet, l’ombre de son absence, son être « constamment hors d’atteinte » (pour les personnages de l’évangile et pour le lecteur lui-même) et la nécessité du détachement ponctuent, du début à la fin, un macro-récit qui induit le lecteur à les concevoir comme les modalités d’une suivance qui s’articule autour d’un « manque habité »149. 8.6.2 Le Fils de l’Homme intronisé et ses ܿȖȖİȜȠȚ Il ne faut pas se méprendre : pour Marc, le Christ n’a pas simplement « disparu ». Il est ressuscité et, en tant que tel, il est situé à la fois au cœur du kérygme, devant le disciple comme promesse et invitation, et au ciel en tant que Fils de l’Homme intronisé. L’intronisation de Jésus comme acte eschatologique et cosmique qui suit sa résurrection semble s’insérer dans une réflexion plus large du judaïsme hellénistique 150 et se trouve énoncée de la manière la 146 Boring, Mark, 446 ; William S. Campbell, « ’Why Did You Abandon Meௗ?’ Abandonment Christology in Mark’s Gospel », in The Trial and Death of Jesus : Essays on the Passion Narrative in Mark, éd. par Geert Van Oyen et Tom Shepherd, CBET 45 (Leuven : Peeters, 2006), 117 : « the crucified Christ is also the abandoned Christ ». 147 En comparant les annonces au tombeau concernant la résurrection de Jésus dans les trois synoptiques, Crossan remarque que la séquence de Matthieu et de Luc est « absence – résurrection » (Mt 28.6 : Ƞț ıIJȚȞ ੰįİ, ȖȡșȘ ; Lc 24.6 : Ƞț ıIJȚȞ ੰįİ, ਕȜȜ ȖȡșȘ), alors que Marc préfère « résurrection – absence » (Mc 16.6 : ȖȡșȘ, Ƞț ıIJȚȞ ੰįİ). Il en déduit que, du point de vue théologique, l’annonce du jeune homme en Marc est « a message about Jesus’ absence, a theology of the Absent Lord » : Crossan, « A Form for Absence », 50–51. 148 Marguerat, « Quatre lecteurs », 51. 149 Nous nous approprions ici une expression de l’artiste Pierre Barouh, Saudade (Un manque habité), 2 CD, France, Saravah, 2003. Nous citons également Marguerat, 51, lorsqu’il s’agit de définir Jésus comme étant « hors d’atteinte ». Pour Magness, Marking the End, 115, l’absence du témoignage des femmes relatif à Jésus et celle des récits d’apparitions post-pascales sont comblées par les paroles du ȞİĮȞıțȠȢ : c’est son annonce qui « ressuscite » Jésus et le rend présent dans l’esprit du lecteur. 150 David Flusser, « Resurrection and Angels in Rabbinic Judaism, Early Christianity, and Qumran », in The Dead Sea Scrolls Fifty Years after their Discovery. Proceedings of the Jerusalem Congress, July 20–25, 1997, éd. par L. H. Schiffman, Emmanuel Tov et James C. VanderKam (Jerusalem : Israel Exploration Society – The Shrine of the Book – Israel Museum, 2000), 568. L’auteur évoque une tendance apocalyptique qui va dans le sens de la
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plus éloquente, dans l’évangile de Marc, au chapitre 13. Ce passage, qui dans l’économie du deuxième évangile a été conçu pour apporter des éléments à la discussion relative à l’identité de Jésus et à la nature de la suivance telle que Marc la conçoit, a, nous le croyons, souvent été victime d’une lecture biaisée. En le lisant à la lumière de ses parallèles en Matthieu et en Luc, et dans un contexte herméneutique qui déplace son accent de la discussion christologique au débat ecclésiologique, notamment en se focalisant sur l’horizon ultime de la mission de l’Église, la parousie, plusieurs commentateurs sont arrivés à la conclusion que Marc 13, et notamment les versets 24 à 27 et 32 à 37, se réfèrent à la deuxième et dernière venue du Fils de l’Homme en tant que Juge eschatologique151. Cependant, l’analyse du discours de Jésus en Marc 13, dès lors qu’il est replacé dans son contexte littéraire, montre que ce chapitre concerne en réalité l’intronisation du Fils de l’Homme et éclaire la notion de la suivance vécue en l’absence apparente de Jésus152. Après son entrée à Jérusalem, le Jésus marcien condamne ce que les grands prêtres et les scribes ont fait du Temple et de son service : une réalité remplie de feuilles mais qui ne porte aucun fruit (chapitre 11). Cet anathème se cristallise dans la parabole des vignerons, en une série de controverses qui justifient la perte de la légitimité du Temple de Jérusalem (chapitre 12)153. La notion de la mise en place d’un nouveau Temple bâti sur la nouvelle pierre d’angle, Jésus
glorification et de l’attribution d’un statut céleste et eschatologique à des personnages qui étaient à l’origine humains : 4Q417B (grand prêtre eschatologique) ; 1 Hén. 71 (Hénoch exalté et identifié au Fils de l’Homme de Daniel 7) ; 11QMelch (Melchisédech biblique exalté en tant qu’être métaphysique). Si ces considérations étaient correctes, elles signifieraient que « [a]lmost all the motifs of a high Christology are in reality pre-Christian » (idem). Collins, Mark. A Commentary, 60–62, attire l’attention sur 4 Esdras 12.31–34 (cf. 7.28 ; 1 Hén. 62.7), selon lequel le messie est à la fois de descendance davidique et préexistant. 151 Parmi les innombrables exégètes qui lisent Mc 13.26–27 en relation avec la parousie, nous nous contenterons de mentionner Loisy, Marc, 379–83 ; Henry B. Swete, The Gospel according to Saint Mark, 3 éd. (London : MacMillan, 1920), 311 ; Taylor, Saint Mark, 517 ; Cranfield, Mark, 404 ; Crossan, « A Form for Absence », 45–46 ; Alessandro Pronzato, Un cristiano comincia a leggere il vangelo di Marco, vol. 2 (Torino : Gribaudi, 1979), 360–62 ; Gundry, Mark, 745 ; Torchia, « Eschatological Elements », 24–25 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 499–501 ; Collins, Mark. A Commentary, 614–15 ; Moloney, Mark, 266–67. 152 Ainsi notamment Wright, Jesus and the Victory of God, 360–67 ; Hatina, « The Focus of Mark 13:24–27 », 43–66 ; Richard T. France, Jesus and the Old Testament. His Application of Old Testament Passages to Himself and His Mission (Downers Grove : InterVarsity Press, 1971), 229–31 ; France, Mark, 531–32. Ce dernier auteur considère néanmoins que la parousie est en vue en Marc 13.32–37 (Mark, p. 541). 153 La condamnation par Jésus à du système qui s’organise autour du Temple rappelle les menaces des prophètes de la Bible hébraïque : Jr 7.14 ; 26.4–12 ; Ez 9.1–10 ; Dn 9.26 ; cf. T. Lévi 10.3 ; 16.4 ; T. Juda 23.3 ; Or. Sib. 3.665 ; Flavius Josèphe, B.J. 3.350–354 ; 6.93– 110 ; 6.288–315 ; y. Soܒah 6.3 ; b. Yoma 39b. Ainsi Hatina, « The Focus of Mark 13:24– 27 », 50 ; Focant, L’Évangile selon Marc, 438.
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lui-même, est explicitement introduite en Marc 12.10–11. L’intrigue se poursuit avec l’annonce de la destruction du Temple, le questionnement des disciples sur le moment où doit survenir une telle catastrophe et la réponse de Jésus (chapitre 13). La fin de l’économie du Temple de Jérusalem est transcendée par une série d’événements, ceux de la Passion, qui permettent l’établissement de la nouvelle communauté-temple et d’un nouveau rituel de communion légitime, l’eucharistie (14.22–25)154. Il est donc imprudent de réduire, voire de négliger, dans le discours de Marc 13, l’importance et le rôle de l’annonce de la destruction du Temple ainsi que ses implications relatives à l’identité de Jésus et à la destinée de ses disciples. Le discours lui-même, à savoir Marc 13.5–37, dans la rédaction finale telle que Marc la livre, est une unité littéraire où Jésus s’exprime de manière ininterrompue jusqu’à la mention, par le narrateur, du complot organisé par les grands prêtres et les scribes deux jours avant la Pâque (14.1–2). Il présente des affinités avec la littérature apocalyptique juive : « cela doit arriver » (13.7) ; l’emploi de ıȣȞIJİȜİıșĮȚ (13.4), utilisé aussi en Daniel LXX et dans les Testaments des douze Patriarches pour parler de la « fin »155 ; la mention des « guerres, famines, tremblements de terre » (Mc 13.7–8) et des persécutions survenant même au sein d’une même famille (v. 12) ; l’évocation d’un signe ésotérique (que seul l’insider peut comprendre : v. 14) ; l’annonce des dangers et de l’angoisse de la tribulation finale (v. 14–20) ; l’énumération de signes cosmiques associés à une figure céleste (v. 24–27) ; l’attente imminente de la fin (v. 28–30) ; une exhortation à veiller (v. 33–37)156. Manquent néanmoins certains éléments apocalyptiques typiques comme, par exemple, la révélation donnée par un être céleste (souvent un ange), la mention d’un monde transcendant ou surnaturel, l’évocation de la libération finale du peuple élu (cf. 13.7 « ce n’est pas encore la fin »), et, peut-être encore, de façon plus remarquable, la mention du jugement dernier comme théâtre de la punition des violents et de la résurrection des justes. Par conséquent, le discours de Marc 13 s’apparente également, sinon davantage, aux discours d’adieu à but parénétique – pouvant revêtir aussi, le cas échéant, des traits apocalyptiques. En effet, ce discours précède la section de la Passion, tout comme dans la littérature juive les discours d’adieu précèdent la mort du patriarche. Il n’est donc pas anodin que le narrateur place le plan des grands prêtres et des scribes, qui consiste à tuer Jésus, juste après la fin de ce discours. Qui plus est, les paroles que Jésus confie à ses disciples incluent des prédictions, des impératifs éthiques et des traits parénétiques, à l’image du 154
Grappe et Marx, Le sacrifice, 69–71, 86. T. Juda 22.2. 156 Hatina, « The Focus of Mark 13:24–27 », 45–46 ; James D. G. Dunn, Unity and Diversity in the New Testament : An Inquiry into the Character of Earliest Christianity, 2e éd., 1e éd. 1977 (Philadelphia : TPI, 1990), 329 ; Theissen, The Gospels in Context, 134–35. 155
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discours d’adieu de Jacob (Gn 49), de Moïse (Dt 29–30), de ceux qui composent les Testaments des douze Patriarches et l’Assomption de Moïse, pour donner quelques exemples. Selon l’intention de l’auteur implicite, les paroles de Jésus en Marc 13 doivent être comprises comme un discours d’adieu qui a vocation à préparer les disciples à faire face aux difficultés à venir et à l’absence de Jésus, tout en leur révélant le sens à donner à cette absence et le rôle qu’ils auront à jouer pendant cette période157. Venons-en maintenant à la structure. Le discours de Marc 13 s’ouvre par une parole prophétique de Jésus : il annonce la destruction du Temple et rien d’autre (13.1–2). La réaction de Pierre, Jacques, Jean et André ne se fait pas attendre : en privé, ils posent une double question à Jésus : 13.4a : ʌંIJİ IJĮ૨IJĮ ıIJĮȚ... (« quand ces choses arriveront-elles… ») 13.4b : țĮ IJ IJઁ ıȘȝİȠȞ IJĮȞ ȝȜȜૉ IJĮ૨IJĮ ıȣȞIJİȜİıșĮȚ ʌȞIJĮ; (« et quel [sera] le signe que toutes ces choses seront sur le point de s’achever ? ») On ne peut donc pas comprendre le deuxième volet de la question comme une référence à la fin du monde (cf. verset 7, IJઁ IJȜȠȢ), car les versets 1 à 4 ne mentionnent pas la fin du monde, à moins que la fin du monde ne soit comprise comme en relation avec la destruction du Temple. C’est peut-être le point de vue des disciples, mais est-ce aussi le point de vue du Jésus marcien ? La réponse de ce dernier s’articule de manière inverse : les versets 5 à 23 énumèrent une série d’événements qui, en réalité, déboussolent les disciples à la recherche du « signe » (cf. verset 7 : « ce n’est pas encore la fin » ; verset 22 : « des christs de mensonge et des prophètes de mensonge […] donneront des signes ») ; ensuite, les versets 28 à 37 se focalisent plutôt sur le temps de l’accomplissement de la prophétie : là aussi, la réplique de Jésus est des plus déroutantes, car il fait l’aveu de ne connaître ni le jour ni l’heure (v. 32) du renversement des pierres des grandes constructions du Temple, ce qui constitue l’objet de sa prédiction (v. 1–2) et de la question des disciples (v. 3–4). Le texte reconfigure épistémologiquement le lecteur de la manière suivante : plutôt que d’être conforté dans sa recherche du « signe » qui annonce la catastrophe, il est recentré sur la personne du Maître, celui qui appelle à voir, à veiller et à œuvrer (v. 33–37), mais également celui qui, une fois que le Temple aura été détruit, sera reconnu par ses détracteurs en tant que Fils de l’Homme assis à la droite du Père :
157 Les nombreux impératifs à portée parénétique et éthique (Mc 13.5, 7, 9, 11, 14, 15, 16, 18, 21, 23, 28, 29, 33, 35, 37), dont quatre sont précédés par des clauses temporelles (v. 7, 11, 14 et 21), rapprochent Mc 13 des discours de Gn 49, de Testament de Moïse et des Testaments des douze Patriarches : ainsi Hatina, « The Focus of Mark 13:24–27 », 48.
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13.26 : ȥȠȞIJĮȚ (« ils verront ») IJઁȞ ȣੂઁȞ IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ ਥȡȤંȝİȞȠȞ ਥȞ ȞİijȜĮȚȢ ȝİIJ įȣȞȝİȦȢ ʌȠȜȜોȢ țĮ įંȟȘȢ 14.62 : ȥİıșİ (« vous [les membres du sanhédrin] verrez ») IJઁȞ ȣੂઁȞ IJȠ૨ ਕȞșȡઆʌȠȣ ਥț įİȟȚȞ țĮșȝİȞȠȞ IJોȢ įȣȞȝİȦȢ țĮ ਥȡȤંȝİȞȠȞ ȝİIJ IJȞ ȞİijİȜȞ IJȠ૨ ȠȡĮȞȠȣ Plutôt que croire que « le Christ est ici » (13.21) et se laisser égarer (v. 22), les disciples doivent rester sur leurs gardes (v. 23) jusqu’à ce que, « en ces jourslà » (v. 24), « cette génération » soit témoin de l’intronisation du Jésus marcien, dont la parole prendra effet (13.30–31). Les signes cosmiques énumérés en Marc 13.24–27 prennent place après les tribulations non pas seulement des chrétiens, mais de tout Israël (v. 5–23 ; v. 24 : « après cette détresse-là »). Ils rappellent sans détour les bouleversements naturels qui accompagnent le « jour du Seigneur » dans le Premier Testament (Es 13.9–10 ; 34.2–5 ; Ez 32.7–8 ; Jl 2.10 ; 3.4 ; 4.15–16 ; Ag 2.6, 21 ; Si 16.18) et dans la littérature juive du Second Temple (T. Moïse 10.1–10 ; 4 Esd. 5.4–5 ; 1 Hén. 1.5 ; 6.2–8 ; 12.3–6 ; 14.3–6 ; 15.4–16 ; 80.4–7 ; Jub. 4.15 ; 5.1 ; T. Lévi 4.1–5 ; T. Rub. 5.6–7 ; T. Neph. 3.5 ; 2 Hén. 7.18 ; Or. Sib. 3.796)158. Dans le contexte de Marc 13, à la lumière de la prophétie de Jésus, de la question des disciples et de la réponse qui s’ensuit, ce « jour » se réalise par la destruction du Temple de Jérusalem en 70, entendue comme un jugement divin historique à connotation eschatologique159. C’est précisément « alors » (Mc 158 On retrouve la même dynamique à l’œuvre dans la littérature tannaïtique : Mekhilta sur l’Exode 5 sur Ex 15.5–6 interprète l’obscurcissement du soleil (signe cosmique) comme un jugement historique, en proposant de lire Ez 32.8 et Es 13.10 en relation avec la noyade de l’armée égyptienne dans la mer (Ex 15.5) : c’est l’eau qui les recouvrait qui les empêchait de voir le soleil. Ainsi Hatina, 57–58. 159 Dans d’autres textes du Premier Testament encore, les prodiges cosmiques sont évoqués pour décrire des jugements imminents et historiques contre des entités religieuses et/ou politiques : Ez 32.7–8 ; Jl 2.10, 31 ; 3.15 ; Am 8.9. Dans ce dernier texte, les thèmes évoqués trouvent un écho dans l’évangile de Marc : exploitation des pauvres (Am 8.4–6 // Mc 12.38 à 13.2) ; temps de souffrance (Am 8.7–14 // Mc 13.8–20) ; obscurcissement de la terre en plein midi (Am 8.9–10 // Mc 15.33) ; signes cosmiques et prédiction de la destruction du sanctuaire (Am 9.1 // Mc 13.1–2). Michée (3.6, 12) aussi emploie le motif des « ténèbres » pour parler de la désapprobation de Dieu et de son jugement sur Jérusalem et son Temple. Dans cette perspective, dans le Premier Testament, le « jour du Seigneur », annoncé par les signes cosmiques, n’est pas considéré comme le dernier acte de l’histoire du monde, mais plutôt comme l’un des nombreux jugements historiques de Dieu contre telle ou telle entité. Le jugement de Dieu permet à Israël d’avoir accès à une époque de paix et de prospérité, sans que cela implique la « fin du monde ». Dans le Nouveau Testament, Ac 2.14–21 propose un accomplissement eschatologique de Jl 2.28–32 : l’événement en question (don de l’Esprit à la Pentecôte) est présenté comme historique et marque l’inauguration d’une nouvelle période, celle de l’Église, sans pour autant prétendre à ce que la fin du monde ait déjà eu lieu.
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13.26) que Jésus est « vu » (c’est-à-dire compris) à la lumière d’une interprétation christologique des termes contenus en Daniel 7.13 LXX. Dans Daniel 7, quatre bêtes (royaumes ; v. 2–8 ; 17–25) surgissent du chaos (mer : v. 2–3) et oppriment Israël : elles se succèdent jusqu’à ce que Dieu les juge pour ensuite donner la domination, l’honneur et la royauté à « quelqu’un semblable à un Fils de l’Homme » (v. 13) qui est appelé à aller vers Dieu (v. 13 LXX // Mc 13.26 : ȡȤȠȝĮȚ), ce Fils de l’Homme représentant en l’occurrence « le peuple des saints » (v. 27) auquel seront données « la domination, l’honneur et la royauté » à jamais (v. 14). Si ce personnage au visage humain qui s’approche de Dieu est pour Daniel une représentation symbolique de la nation élue restaurée, la tradition postérieure y voit, notamment à la lumière du Psaume 2, une scène d’intronisation, mais toujours concernant collectivement Israël. Les développements herméneutiques au sein du courant apocalyptique arriveront, dans certains cercles, à harmoniser la figure du Fils de l’Homme daniélique avec les figures messianique et davidique. Ainsi, par exemple, 4 Esdras 13 lit-il « Fils de Dieu » dans Daniel 7.13, et deux passages d’1 Hénoch (48.10 et 52.4) l’identifient-ils avec l’« Oint ». Pourtant, dans son discours d’adieu aux accents apocalyptiques, le Jésus marcien n’évoque pas, en 13.26–27, l’instauration du Royaume de Dieu par un jugement solennel qui ferait basculer le monde d’une époque sombre et transitoire à une époque lumineuse et éternelle. L’instauration du Royaume et le jugement dernier, sans parler de la résurrection des morts, ne sont pas mentionnés dans son discours (même si la résurrection collective est en vue en Mc 12.18–27)160. Pour le Jésus marcien, la citation de Daniel 7.13, juxtaposée aux signes cosmiques en relation avec la destruction du Temple (Mc 13.24–25, 26), montre que le jugement de Dieu contre les autorités juives qui ont refusé de reconnaître en Jésus le héraut de Dieu est le signe qui justifie Jésus et qui prouve que ses revendications sont légitimes. Cette lecture est confirmée par la péricope de Marc 14.55–65, où la question centrale est, encore une fois, l’identité de Jésus, identité confirmée par le signe de Daniel 7.13 lu en relation avec le Psaume
La nouveauté de la prédication chrétienne ne se situe pas dans l’emploi du langage métaphorique des signes cosmiques, mais plutôt dans la mise en tension du « déjà et pas encore » : voir Hatina, 44, 53–59 (p. 59 : « divine judgement in history and not the temination of history »). 160 Voir Hatina, 59–62. L’apparition du Messie est liée à la résurrection des morts (opérée par Dieu, non pas par le Messie) en 4Q521 frag. 2, II.11–13, qui se réfère à Es 61.1 : Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 196. Même si la résurrection eschatologique du corps n’est pas forcément une croyance universelle au sein du judaïsme (cf. Flavius Josèphe, A.J. 18.16), il s’agit néanmoins d’une attente populaire au premier siècle de notre ère (voir 1 Hén. 102.4–103.4 ; Dn 12.2 ; 2 M 7.22–29 ; Ps. Sal. 3.13–15 ; 1 Th 4.15– 17 ; 1 Co 15 ; Jn 5.27–29 ; 6.39 ; He 6.2) : Hatina, « The Focus of Mark 13:24–27 », 65.
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110, dans lequel le roi d’Israël est à la fois invité à s’assoir à la droite de Dieu (intronisation : Ps 110. 1 ; cf. Mc 14.62) et reconnu comme prêtre (Ps 110.4). Il ne s’agit pas de comprendre l’intronisation de Jésus, dont il est question en Marc 13.24–26, dans un sens chronologique : elle n’a pas eu lieu lorsque le Temple a été détruit. Ce que l’écrit de Marc implique est que la dévastation de Jérusalem permettra aux opposants de Jésus de réaliser – au moins dans les intentions du texte – qu’il est assis effectivement à la droite de Dieu, depuis sa résurrection161. Cette lecture du discours de Jésus en Marc 13 aboutit à un triple et fécond résultat : a. elle permet de comprendre aisément le sens de certains passages de ce chapitre sans se livrer à des pirouettes exégétiques162 ; b. elle n’évacue pas la notion de parousie dans le deuxième évangile car, pour Marc, la deuxième et définitive manifestation du Fils de l’Homme n’est pas remise en cause : cette attente fiévreuse de l’Église naissante est sans doute en vue en 10.30b ; 12.18– 27 (notamment v. 23, 25–27) et en 14.25 ; c. plus important encore dans le cadre de notre travail, elle éclaire la modalité de la suivance attendue par le Jésus marcien, notamment en relation avec la figure du Gérasénien. L’intronisation de Jésus, en Marc 13.26–27, est moins associée à sa seigneurie cosmique (comme par exemple en Matthieu) qu’à la mission universelle des disciples, mission qui, tout en se déployant en son absence, trouve son origine dans l’injonction du Fils de l’Homme. Plusieurs thèmes évoqués dans ce passage, et dans l’ensemble du discours du chapitre 13, avaient déjà été anticipés dans la péricope du Gérasénien et mis en valeur dans les chapitres précédents de notre travail : a. Tout d’abord, le récit de Marc 5.1–20 et le rassemblement des élus des quatre vents dont il est question en 13.27 ont tous deux comme toile de fond le « Nouvel Exode ». Le Jésus marcien est à la fois celui qui le déclenche et celui qui envoie ses messagers en mission pour que le processus continue même après son intronisation. Dans les deux cas, le concept de Nouvel Exode est élargi, pour inclure aussi les nations, et il est recentré car le mouvement centripète n’a pas Jérusalem comme centre mais le Royaume de Dieu dont Jésus est le héraut163. 161 Collins remarque qu’en 1 Hén. le Fils de l’Homme est d’abord révélé, en secret, à la communauté des fidèles (48.6–7 ; cf. 69.26). C’est seulement ensuite, dans les temps de la fin et notamment au jour du jugement, qu’il le sera aux rois et aux puissants qui seront saisis d’étonnement (chap. 62–63) : Collins, Mark. A Commentary, 61. Chez Marc, la révélation du Fils de l’Homme en 13.26, qui concerne notamment les opposants (« ils verront »), n’est pas mise explicitement en relation avec le jugement. 162 Nous songeons notamment aux tentatives d’expliquer ਲ ȖİȞİ ĮIJȘ de Mc 13.30 autrement que dans son sens le plus logique : « quelques décennies ». 163 Le substantif ਥțȜİțIJંȢ, utilisé en Mc 13.27 dans une perspective universaliste, n’est pas employé dans la littérature juive pour désigner des non-Juifs : Nb 11.28 LXX (Moïse) ;
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b. Toujours dans le contexte du Nouvel Exode, si le récit du Gérasénien met en exergue la miséricorde divine, le discours de Marc 13 se focalise sur l’élection (13.20, 22, 27). Pourtant, ces deux notions sont en lien étroit, car, selon la tradition, les élus sont bien ceux qui sont tels à cause et en vue de la miséricorde divine164. Telle est aussi la perspective marcienne qui explique la volonté salutaire de Dieu s’exprimant en l’abrègement des jours de détresse par l’affection de ce dernier envers « ceux qu’il a choisis » (13.20, 22). On remarquera que, tout comme le Gérasénien assimile la miséricorde de Dieu, appelé Seigneur par Jésus (5.19), à l’action de Jésus en sa faveur (v.19–20a), de même le Jésus marcien considère qu’il est légitime que le droit de Dieu, qu’il appelle Seigneur (13.20), de choisir les siens, soit octroyé également au Fils de l’Homme (v. 27 ; cf. 3.14, 16). Qui plus est, les élus sont mentionnés trois fois dans la dynamique du Nouvel Exode annoncée par Ésaïe 65 (v. 9, 15, 23). Or il s’agit là du chapitre même où il est question de ceux qui mangent du porc et passent la nuit dans les tombeaux, chapitre qui constitue, au moins en partie, l’arrière-plan littéraire du récit du Gérasénien165. c. Un autre élément commun au récit de Marc 5.1–20 et au discours de Marc 13 est le déploiement non violent du Royaume de Dieu. Jésus est caractérisé, dans les deux passages, comme un conquérant absent dont l’action personnelle et celle de ses envoyés ne risquent pas d’adopter les dynamiques impérialistes dont la force agressive et écrasante a été aussi attribuée, par la tradition juive, au messie davidique166. L’envoi, par le Fils de l’Homme, de ses messagers pour le rassemblement des élus, comme celui du Gérasénien, n’est accompagné d’aucune injonction ou propos concernant le Jugement ou la punition des ennemis, car ce n’est pas de leur ressort. Par ailleurs, dans les deux péricopes, la manifestation de la puissance de Jésus ou de la gloire du Fils de l’Homme n’est Ps 104.6 LXX ; les fils de Jacob) ; 2 M 1.25 (les pères) ; Est 8.21 LXX (le peuple élu) ; 1 Ch 16.13 LXX (la semence d’Israël, les fils de Jacob) ; Tb 13.13 et Par. Jer. 1.6 (Jérusalem) ; Si 46.1 (Josué sauveur des élus) ; voir aussi T. Job 1.5 ; 4.11 et T. Adam A 2.11. Toutefois, en VAE gr. 8.11, l’étrangère et païenne Aséneth est désignée comme celle que Dieu a choisie (ਥțȜȖȠȝĮȚ) avant sa naissance, et pour laquelle Joseph prie afin qu’elle puisse entrer dans le repos que Dieu a préparé pour ses élus (IJȠȢ ਥțȜİțIJȠȢ ıȠȣ), c’est-à-dire son peuple. 164 La manifestation de la miséricorde divine en faveur des élus est soulignée en Si 47.22 ; Sg 3.9 ; 4.15 et 1 Hén. 1.8. Voir également Ps 105.5 LXX et 104.43 LXX (élus et bonheur/joie). 165 Voir supra, p. 50–51. 166 Le « Fils de l’Homme » de Dn 7.13 est compris, redisons-le, comme « Fils de Dieu » par 4 Esd. 13 et comme « Oint » par 1 Hén. 48.10 et 52.4. Sa fonction est, entre autres, de détruire les ennemis d’Israël pour accorder au peuple l’entrée dans une ère de prospérité et de paix (cf. 4 Esd. 12.10–35 où la quatrième bête de Dn 7 est un aigle, une métaphore de l’empire romain). Le Jésus marcien ne correspond pas à cette attente de messie davidique violent : John J. Collins, The Scepter and the Star : The Messiahs of the Dead Sea Scrolls and Other Ancient Literature, ABRL 10 (New York : Doubleday, 1995), 13, 68, 204–9.
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pas incompatible avec le rejet de la part des témoins : ni conversion coercitive ni acte de soumission imposée ne sont en vue. L’horizon proposé à l’envoyé est l’obéissance éveillée dans l’attente du retour du « maître de la maison » (13.34–37 ; cf. le retour de Jésus en Décapole en 7.31–37). d. La manifestation et la perspective d’élargissement du Royaume par l’action et la parole du Jésus marcien, telles qu’elles sont présentées dans la rencontre entre Jésus et le Gérasénien, font écho au choix des Douze auxquels sont confiées la proclamation et l’autorité sur les démons. Le Gérasénien se voit ainsi intégré, à sa manière et idéalement pour le lecteur implicite, à ceux qui prolongent la dynamique centripète de l’expansion des frontières du Royaume. Le Gérasénien et les messagers envoyés par le Fils de l’Homme – les deux œuvrant en l’absence du destinateur – s’inscrivent ainsi dans la perspective marcienne d’une « eschatologie participative » : le Royaume qui avait déjà fait irruption par l’action du Fils de Dieu167, continue à se déployer dans celle des disciples, même après l’intronisation du Fils de l’Homme, qui les appelle moins à se préparer pour l’avènement du Royaume de Dieu qu’à collaborer avec leur Maître absent dans l’attente dudit Royaume et en vue de son établissement168. Nous avons délibérément différé jusqu’ici l’analyse du sens du mot ਙȖȖİȜȠȢ en Marc 13.27, car elle mérite une discussion plus articulée. Ce verset est une allusion à des textes tels que Deutéronome 30.3–4 LXX et Zacharie 2.10b LXX, où est annoncé prophétiquement le retour sur leur terre des Juifs dispersés (voir également Es 11.11–16 LXX ; Ne 1.9 ; 2 M 2.7–8). Le Jésus marcien en propose une relecture audacieuse, car les bénéficiaires de cette dynamique de rassemblement ne se limitent pas au seul Israël. L’envoi des messagers par le Fils de l’Homme intronisé n’est pas explicitement lié au jugement dernier (ou signe de ce jugement) et il n’est pas non plus question de
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Meier, A Marginal Jew, 1994, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 398, insiste particulièrement sur le fait qu’en Marc le Royaume de Dieu se rend immanent dans l’action de Jésus notamment par ses exorcismes (Mc 3.24–27 ; cf. Mt 12.28 // Lc 11.20 ; Lc 11.21–22 [Q]), l’annonce de sa proximité (Mc 1.15) et la non-nécessité de rituels (Mc 2.18–20). Voir également Mt 11.12–13 // Lc 16.16 ; Lc 17.20–21 ; Mt 13.16–17 // Lc 10.23–24. 168 Cf. John D. Crossan, « Response to Robert M. Price », in The Historical Jesus : Five Views, éd. par James Beilby et Paul R. Eddy (Downers Grove : InterVarsity Press, 2009), 84–88, pour lequel l’impératif éthique auquel Jésus a appelé ses disciples n’était pas « unnecessary preparation for but rather as necessary collaboration with the advent of God’s kingdom » (p. 125). Puisque Jésus envisage un « collaborative or participatory eschaton » (idem) et une « positive participation » plutôt qu’une « negative preparation » de la part de ses disciples à l’établissement du Royaume (p. 130), ces derniers peuvent activement s’impliquer : Mc 6.7–13 // Lc 9.1–6 ; Lc 10.1–12 (Q) ; Mt 10.1, 5–15 (voir aussi Év. Th. 14b) (p. 126).
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résurrection des morts : leur rôle est exclusivement de rassembler les élus169. Puisque le mot ਙȖȖİȜȠȢ peut désigner aussi bien un être céleste qu’un messager humain170, son interprétation en Marc 13.27 doit impérativement relever du contexte littéraire. Il est évident que, si l’on voit en 13.26 la parousie, les messagers du verset 27 sont sans aucune hésitation compris comme les figures séraphiques accompagnant le retour glorieux du Christ. Pourtant, puisqu’ici il n’est pas question de la parousie du Fils de l’Homme mais de son intronisation, le Jésus marcien fait allusion à l’activité missionnaire de ses disciples, dont le mandat s’exerce sous l’impulsion de leur Maître absent171. Il n’est pas nécessaire d’établir une distinction dichotomique entre l’activité des messagers célestes et celle des envoyés terrestres. La communauté des croyants est conçue comme un miroir de l’activité des créatures célestes, dans le sens où les deux groupes collaborent au service de Dieu pour atteindre des objectifs communs (voir Ap 14.6–13)172. Mais les anges sont également un modèle de conduite pour les fidèles173, ces derniers arrivant parfois à s’identifier à eux dans l’attente d’une ressemblance et d’une communion plus accomplies174. Le Jésus marcien fait converger l’action céleste avec l’action terrestre 169 Le rassemblement des élus en Mc 13.27 semble être une combinaison de Dt 30.4 LXX (terre) et Za 2.6–11 LXX (ciel ; le texte massorétique a « je vous avais dispersés »). Dans les deux cas, il s’agit de ramener les Juifs dispersés parmi les nations. Pourtant, en Marc, ces textes sont appliqués dans une perspective universaliste (cf. 13.10, où ʌȞIJĮ IJ șȞȘ doit être compris dans son sens qualitatif, pas quantitatif, comme en Rm 16.26 [même expression] ; voir aussi Col 1.6, 23). Hatina, « The Focus of Mark 13:24–27 », 64–65 ; France, Mark, 517, 536. 170 Dans le sens de messager humain, voir Mc 1.2 ; Mt 11.10 ; Lc 7.24, 27 ; 9.52 ; Jc 2.25 ; Flavius Josèphe, B.J. 3.400. 171 Ainsi aussi France, Mark, 517, 537, pour lequel il faut voir les disciples en mission même en Mc 8.38. 172 Voir aussi He 1.14 et Za 14.5, 16. Thiering, « Qumran Initiation », 629, note 3, signale que le mythe de la séparation entre le ciel et la terre, séparation causée par le péché originel et qui sera comblée le jour de la Visite, se retrouve en 1 Hén. 6–11 et dans la littérature ancienne du Proche-Orient. Thiering renvoie à Paul D. Hanson, « Rebellion in Heaven, Azazel, and Euhemeristic Heroes in 1 Enoch 6–11 », JBL 96, no 2 (1977) : 195–233. Pour les Qumrâniens, l’être humain est un micro-cosmos où le corps et l’âme sont en tension constante (1QS 9.16, 22 ; 10.29 ; CD 6.15 ; 13.14). Pour Marc, c’est dès le baptême de Jésus que la séparation entre ciel et terre n’est plus insurmontable (1.10). 173 Voir 4Q418 frag. 55 (probablement pré-sectaire), commenté par Matthew J. Goff, 4QInstruction, WLAW 2 (Atlanta : Society of Biblical Literature, 2013), 211–22. 174 Ainsi Flusser, « Resurrection and Angels », 568–69, qui fait valoir que la secte essénienne de Qumrân se considérait comme une communauté constituée d’hommes saints et d’anges. Il signale qu’en Sg 5.5 et en 4Q471b frag. 1–3, lignes 1–9, les justes accèderont au même héritage que les anges (désignés en Sg par « saints ») et qu’en b. Ber. 17a (cf. Gn. Rab. 8.11 et 14.3) il est question pour les justes d’être comme les anges, c’est-à-dire qu’ils n’auront plus besoin de se nourrir et de se marier (cf. la triple tradition attestant que pour Jésus les justes ressuscités seront comme les anges : Mc 12.24 // Mt 22.32 // Lc 20.35–38).
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en déclarant à ses disciples qu’ils seront « pêcheurs d’hommes » (1.17) – un texte auquel le lecteur de l’évangile est renvoyé en boucle, suite à l’invitation du jeune homme au tombeau en 16.7 de retrouver Jésus « en Galilée » –, et en évoquant ainsi, à travers l’arrière-plan jérémien de cette métaphore, l’initiative divine de déployer ses agents pour ramener, dans le contexte du « grand retour », les Israélites que Dieu avait banni (Jr 16.14–16b). L’entreprise des disciples du Ressuscité a déjà commencé avant la destruction du Temple, comme Marc 13.10 le précise. L’expression « toutes les nations » est à comprendre hyperboliquement, car elle ne se réfère pas à l’ensemble de l’humanité mais plutôt au fait que les non-Juifs sont aussi mis au bénéfice du kérygme. Le deuxième évangile fait donc état de la prédication et de l’accueil de la Bonne Nouvelle dans un périmètre qui dépasse les limites ethniques et géographiques d’Israël (Mc 3.8 ; 5.1–20 ; 7.24–8.10 ; 11.17 ; 15.39), et souvent dans un contexte hostile (6.11 ; 8.35–38 ; 13.9–13) 175. La communauté universelle des disciples de Jésus commence donc d’être bâtie avant les événements qui mèneront à la destruction du Temple et à la « vision », par les autorités juives, du Fils de l’Homme intronisé. Marc 13.10 annonce ainsi un mouvement centrifuge qui commence avant la destruction du Temple et qui trouve son accomplissement plus complet en 13.27. Le récit du Gérasénien anticipe narrativement cette dynamique et, en deuxième lecture, l’illustre de manière exemplaire. Cet homme étranger, libéré de la légion de démons et demandeur d’une proximité physique avec Jésus, se retrouve chargé de mission auprès d’un peuple qui se situe aux frontières d’Israël. En faisant de Jésus lui-même le centre de son message, il rend possible non pas un déplacement des Décapoliens vers Jérusalem mais vers Jésus, qu’ils recevront avec un sentiment d’ébahissement et d’enthousiasme irrépressible (Mc 7.31–37). C’est justement par les gens de la Décapole que Marc fait « citer » le texte d’Ésaïe 35.4–6, un passage intégré dans le contexte plus large de la description de la visite que Dieu rendra à son peuple. Seulement, ici, l’exdémoniaque, à l’image des ਙȖȖİȜȠȚ de 13.27 (ਙȖȖİȜȠȚ dont, en deuxième lecture, il fait désormais partie intégrante), prépare des étrangers à la visite de Dieu en la personne de Jésus. Chilton aussi souligne la conviction des Qumrâniens de bénéficier d’une communion particulière avec les anges, cela en citant 1QHa 14.12–14, où il est aussi question de l’absence d’un médiateur (probablement parmi les élus de la secte) : Chilton et al., A Comparative Handbook to the Gospel of Mark, 519. À ces considérations il faut ajouter qu’en Tb 8.15 également, les élus sont associés étroitement aux anges dans l’acte de bénir Dieu (țĮ ʌȞIJİȢ Ƞੂ ਙȖȖİȜȠ ıȠȣ țĮ Ƞੂ ਥțȜİțIJȠ ıȠȣ İȜȠȖİIJȦıȞ ıİ İੁȢ ʌȞIJĮȢ IJȠઃȢ ĮੁȞĮȢ). Par ailleurs, en VAE gr. 32.2, il est question d’« anges élus » (IJȠઃȢ ਥțȜİțIJȠȢ ıȠȣ ਕȖȖȜȠȣȢ). 175 Paul utilise la même expression en Rm 16.26 (cf. Col 1.6, 23). Voir aussi l’expression hyperbolique que l’on trouve en Actes 1.8 (ਪȦȢ ਥıȤIJȠȣ IJોȢ ȖોȢ : « jusqu’aux extrémités de la terre ») et sa réalisation narrative au chapitre 28 (l’Évangile atteint Rome). France, Mark, 516–17.
Être disciple selon Marc
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La mise en relation du ȞİĮȞıțȠȢ de Marc 16, de par ses traits « angéliques », avec le Gérasénien, rend leur identification narrative avec les messagers de Marc 13 encore plus suggestive et féconde, car l’un et l’autre exemplifient et amplifient, pour le lecteur implicite, le sens à donner au mot ਙȖȖİȜȠȢ en Marc 13.27. Tout ce qui a été relevé, dans l’analyse du récit du Gérasénien, du parcours narratif des deux ȞİĮȞıțȠȚ et à propos de l’éclairage que la mise en relation de ces figures apporte dans un contexte de lecture en boucle peut désormais être considéré comme opérationnel, par le lecteur implicite, lorsqu’il s’agit de préciser les contours de l’identité et des modalités d’action des messagers envoyés par le Fils de l’Homme. Conformément à cette lecture, le lecteur de Marc est invité à articuler sa propre expérience de la suivance autour de pôles qui peuvent être synthétisés – hélas en les appauvrissant ! – de la manière suivante : Adhésion et identification au Fils de Dieu : relevé de la mort et intronisé ; révélé et pourtant impossible à apprivoiser ; vainqueur eschatologique des puissances cosmiques hostiles aux humains et à Dieu ; instaurateur d’une dynamique non violente176 au sein de laquelle le don de soi jusqu’à l’extrême est au cœur du mystère du déploiement du Royaume de Dieu ; Fils de l’Homme souffrant dont le rejet et l’absence ne constituent pas un échec pour le dessein divin. Instauration d’une nouvelle modalité relationnelle avec le Maître, au sein de laquelle le désir de proximité (notamment spatiale et temporelle) et de « maîtrise » doit céder le pas à une nouvelle forme de présence, kérygmatique, qui accepte de se mettre à la suite d’un Maître qui échappe à toute forme de contrôle. L’action du disciple, tout en trouvant son origine en celle de Jésus, n’est pas à confondre avec celle de ce dernier. Abolition des barrières entre Israël et les nations sur la base de l’intégration et du prolongement de la dynamique de la sainteté conquérante (et non violente) à vocation universelle (gens, temps, espaces) initiée par Jésus. Se mettre au service du Jésus marcien signifie, négativement, contester ce qui s’oppose à cette conception de la suivance, et, positivement, l’incarner et la prolonger dans l’attente de sa consommation finale. 176 À ce propos, l’observation de Crossan est intéressante : Marc présente un Jésus beaucoup moins violent que Q (cf. Mc 6.11 avec Mt 10.14–15 // Lc 10.10–15 ; voir aussi Mt 8.12 // Lc 13.28) et Matthieu (voir Mt 13.42, 50 ; 22.13 ; 24.51 ; 25.30). À son avis, au fur et à mesure que l’attente de l’instauration finale, définitive et imminente du Royaume cède le pas à la désillusion accompagnée de souffrances dues aux persécutions, le portrait marcien de Jésus (que sa non-violence rapproche beaucoup du Jésus de l’histoire) est progressivement retouché et paré de traits apocalyptiques menaçants pour aboutir à un « violent and apocalyptic Jesus, who would return soon and rescue them (us) from their (our) inability to live by, with and like that historical Jesus » (Crossan, « Response to Robert M. Price », 87– 88 ; voir aussi Crossan, « A Form for Absence », 53).
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8.7 KĮ ਕʌોȜșİȞ... (« et il s’en alla... ») KĮ ਕʌોȜșİȞ... (« et il s’en alla... »)
Cette dernière indication ne doit pas être sous-estimée et représente, à notre avis, le point focal de l’horizon eschatologique du deuxième évangile. Pour Marc, la parousie reste une réalité nécessaire et imminente : ne pas le reconnaître revient à trahir ses intentions, à réduire son message (son Évangile) à sa dimension socio-morale et le retour du Fils de l’Homme à une rencontre existentielle. Certes, on trouve dans Marc, et dans tout le Nouveau Testament, la tension entre le « déjà » de l’irruption du Royaume et le « pas encore » de sa consommation finale177. Toutefois, comment ignorer que, dans le deuxième évangile, l’annonce explicite de l’immanence du Royaume est mentionnée une seule fois (1.15), alors que son avènement dans un futur proche fait l’objet de plusieurs affirmations, par le Jésus marcien (9.1 et 14.25 ; voir aussi 12.34) et par le narrateur (15.43) ? Il nous semble que, plutôt que de postuler un équilibre parfait, il convient de considérer que le pôle du « déjà » est intégré, voir subordonné en quelque sorte, à celui du « pas encore ». Le Jésus marcien établit un lien indissoluble entre son enseignement, ses œuvres, sa personne en tant que signes de l’immanence et de l’imminence de la consommation finale du Royaume. Son établissement définitif, futur et imminent, pour reprendre la phraséologie de Meier, constitue l’attente qu’il laisse en héritage à ses disciples (-lecteurs)178. C’est l’horizon de la fin proche et de la résurrection des morts qui, attendu comme aboutissement de l’histoire de Dieu, tient éveillés les disciples, donne du sens aux oppressions et aux injustices dont ils seront victimes ainsi qu’au kérygme qu’ils annoncent. L’absence de Jésus, selon Marc, n’est pas un dogme chrétien. Si elle permet à l’imagination du disciple-lecteur de réagir avec créativité et de la transcender en plaçant Jésus comme axe central de l’énonciation du mystère du Royaume, elle doit 177 Pour Meier, A Marginal Jew, 1994, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 398, 452– 53, la pensée sémitique n’impose pas la nécessité de résoudre la tension entre le « déjà » et le « pas encore ». 178 Meier, 2 – Mentor, Message, and Miracles : 398. Ici Meier reconnaît que, dans la prédication de Jésus, le Royaume de Dieu est imminent (concept déjà souligné à la page 337) et par la suite (p. 338–348) il affirme également que le prédicateur de Nazareth n’avait pas donné de « deadline for the Kingdom ». Pourtant, Meier considère Mc 9.1 et 13.30, versets où il est question de « cette génération », comme émanant de l’Église primitive ou des prophètes chrétiens de la première génération (p. 344, 348). Cela paraît très surprenant. Jean, dont les incidences socio–politiques de la prédication ont alerté au plus haut point Hérode (Flavius Josèphe, A.J. 19.116–118), attendait un établissement imminent (et violent) du Royaume (Lc 3.7–9, 16). Jésus lui-même, dans le sillage de Jean, est à comprendre dans ce contexte apocalyptique juif, et Marc, de son côté, préserve le lien étroit qui existe entre la bonne nouvelle de Jésus (1.1) et celle de Dieu (1.14) : si le lecteur est invité à se mettre à la suite de Jésus, c’est parce qu’il annonce et promet le salut imminent de Dieu. Ainsi aussi Crossan, « A Form for Absence », 53 ; Van Oyen, « The Vulnerable Authority », 179 ; Ruggieri, Prima lezione di teologia, 34.
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être comprise en fonction de l’horizon eschatologique imminent, qui reste dominant et qui le voit maintenant assis à la droite de Dieu dans l’attente de sa manifestation « dans le gloire de son Père, avec les saints anges » (Mc 8.38)179. Insister sur ce point constitue un moyen de préserver Marc d’interprétations idéologiquement connotées qui s’efforcent de le rendre acceptable pour un public contemporain. On ne peut réduire ni le Jésus marcien à un maître de l’Église de tous les temps180, ni l’expérience de la résurrection à un vécu subjectif181. Tout comme on ne peut pas réduire l’évangile de Marc à un « monument pour les martyrs »182, à sa fonction reconfiguratrice pour son lecteur/auditeur en vue du dépassement de la peur de la souffrance et de la mort183. On ne peut pas non plus réduire la suivance qu’il préconise et suscite à une « série de décisions éthiques »184. Tous ces éléments émergent sans aucun doute du texte, mais ils 179
Boring, Mark, 446. C’est l’image évoquée par Rudolf Schnackenburg, La persona di Gesù Cristo nei quattro vangeli, vol. CTNTSup, 4 (Brescia : Paideia, 1995), 42–43. 181 Voir Crossan, « Form for Absence », 53 : « [i]t is also worth noting that ‹absence› is itself a most paradoxical category, as negative theology has always known. Indeed, it may well be but the deepest and most permanent form of presence. » Il est légitime de se demander si, en dépit des intentions de l’auteur, cette affirmation est complètement à l’abri d’un sentimentalisme religieux qui voudrait fonder la crédibilité de la foi sur l’analyse de l’expérience subjective de la foi elle-même (voir Ruggieri, Prima lezione di teologia, 31). 182 Voir Incigneri, The Gospel to the Romans, 221–22, pour une discussion sur Marc en tant que « perpetual monument » (notamment en relation avec 12.44 et 14.9) pour les femmes martyrs (l’auteur cite également 1 Clém. 6.1–2 et Pline, Ep. 10.96). Incigneri ne réduit pas l’évangile de Marc à sa dimension commémorative. 183 L’impact narratif de l’évangile de Marc sur la peur de la mort du croyant (en vue de son dépassement) est discuté en Mark Wegener, « Reading Mark’s Gospel Today : A Cruciforming Experience », CurTM 20, no 6 (1993) : 468–70 : « [...] reading Mark's Gospel is a satisfying literary experience that [...] frees them [the readers] mentally and spiritually from being stymied by the fears of death and failure [...] » (p. 470). Voir aussi Thériault, « Le ‹jeune homme› », 41 : « [l]’annonce reprise par le ‹jeune homme› prend la place du corps perdu pour reconstituer une communauté nouvelle de disciples. Du tombeau peut émerger un corps autre, désigné et voilé dans une mise en discours, dont on peut attester la présence dans un récit donné à entendre et à interpréter comme bonne nouvelle. » Rhoads, Dewey, et Michie, Mark as Story, 139, insistent également sur le fait que le but de Marc est de transformer ses destinataires en trois temps : a. faire l’expérience de la puissance du Royaume, une bénédiction qui permet d’entrer dans une époque/vie nouvelle (Jésus [surtout] en Galilée) ; b. comprendre et accepter les attentes et les exigences du Royaume, vaincre les résistances (voyage vers Jérusalem) ; c. être mis en condition de vivre la Bonne Nouvelle avec fidélité et courage, même dans la souffrance et le martyre (Jésus à Jérusalem). 184 Nous nous approprions ici une réflexion de Jacques Ellul sur les effets d’un « christianisme réduit à la morale » et de la « prière ramenée à l’exercice d’un pouvoir pour l’accomplissement d’un devoir » : Jacques Ellul, L’impossible prière (Paris : Centurion, 1970), 89–90. Voir également Enzo Bianchi, Nouveaux styles d’évangélisation (Paris : Cerf, 2013), 41, selon lequel une « Église qui se présente comme une simple gardienne de la morale est condamnée à la sécularisation, car elle a perdu ses paroles les plus spécifiques, et se 180
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se heurtent à l’attente d’une fin imminente que le texte envisage et promeut. En Marc, la notion de fin imminente s’articule avec l’« eschatologie collaborative » mise en place par le Jésus marcien intronisé : cette articulation a été amenée à faire l’objet d’une révision ultérieure185. Quoi qu’il en soit, une déclaration péremptoire émerge du récit de Marc 5.1– 20 : Dieu a été là, en la personne de Jésus. Ce renvoi direct, non pas à une forme de religiosité mais à la manifestation même de la miséricorde de Dieu, passe toutefois, et désormais, par la médiation du témoin. Annoncer la Bonne Nouvelle en offrant la fraîcheur d’une espérance renouvelée ne semble pas être une activité anodine : il n’y a pas de message sans messagers, aussi imparfaits soient-ils. Le message du Gérasénien s’articule autour de l’annonce de Jésus en tant que héraut de Dieu et signe de l’irruption de son Royaume, de celui qui, de son vivant, n’a pas constitué une communauté à proprement parler et qui se soustrait – Marc le montrera tant avant qu’après sa mort et sa résurrection – à l’Église que le kérygme va susciter. Dieu a été là et Jésus ne l’est plus – quoique les deux fassent irruption dans le présent du lecteur par le kérygme luimême186. Même si l’on accepte que Marc a voulu estomper une attente fiévreuse de la parousie, suscitée par les persécutions, ce qui aurait pu paralyser la
révèle donc incapable de donner une réponse à la ‹demande de sens› qui émerge de la profonde crise spirituelle actuelle. » De son côté, Sergio Quinzio exprime son regret face à ce qu’il estime être l’absence d’un véritable discours sur la foi qui s’installe au fur et à mesure qu’on la réduit à son aspect fonctionnel et social : « sa lumière nous atteint encore, mais comme au travers des nuages, lumière d’une étoile lointaine désormais précipitée » (« Religione, rifugio psicologico in quest'epoca priva di fede », Corriere delle Sera, 4 gennaio 1994, p. 25). 185 Theissen voit « un apport très important dans la nécessité de prendre en considération la déception d’une attente de la fin imminente : le Baptiste avait été exécuté sans que le jugement imminent qu’il avait annoncé ne soit arrivé. Jésus, quant à lui, a interprété ce temps qui se prolongeait comme un temps de grâce » : Theissen, « Jésus et Jean-Baptiste », 84. C’est une considération possible, certes, mais qui reste hypothétique et non vérifiable. La notion de « collaborative eschatology » vient de Crossan, qui concède que « [i]f, however, Jesus expected that collaborative eschatology to end soon, he was wrong – as were all others with similar proclamations ever since. And quiet frankly, I see little value in saying more about it than that. If Jesus thought the consummation of collaborative eschatology was imminent in the first century, he was wrong » (Crossan, « Response to Robert M. Price », 131). 186 Être disciple, pour Marc, signifie connaître et aller à la rencontre de Jésus le Fils de Dieu, celui qui, paradoxalement, n’a pas créé une communauté de son vivant, et qui y est absent après sa mort. Voir Van Oyen, « The Vulnerable Authority », 182. La fascination qu’exerce au fil du temps la quête d’une présence mystérieuse et spirituelle de Jésus et/ou de Dieu se déployant dans une parole qui se veut évocatrice, par exemple dans un but apotropaïque ou existentiel, peut être appréciée, entre autres, dans une inscription grecque découverte en 2005, et datée entre le Ve et le VIIIe siècle, trouvée dans la grotte de Beit Lehi (ou Beth Loya) : ǿǼȈȅȊȈȅǻǼ = « Jésus [est/a été] ici » : Walter Ameling et al., éd, Corpus Inscriptionum Iudaeae/Palaestinae, vol. IVௗ : Iudaea/Idumea-Part 2ௗ : 3325–3978 (Berlin –
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mission187, il invite son lecteur à espérer que l’avènement final du Royaume s’accomplira dans un futur proche. La foi dans le (et du) Jésus marcien – et du lecteur – ne naît pas de l’anxiété, mais de l’espérance qui se profile déjà à l’horizon. La Bonne Nouvelle est, pour Marc, l’« immense événement encore en cours lorsque l’évangéliste écrit »188. Ensuite, la proclamation du Gérasénien est à la fois légitime, car enracinée dans « ce que Jésus avait fait pour lui », et inévitablement partielle, incomplète, mutilée. En effet, dans l’ensemble de l’évangile de Marc, l’auteur implicite met en relation dialectique, d’un côté, la volonté du narrateur de dévoiler l’identité de Jésus en tant que Fils de Dieu (1.1 ; cf. 5.20) et, de l’autre, celle du personnage Jésus qui résiste à toute prétention de l’inscrire dans une définition / un lieu / une modalité relationnelle. Le Jésus marcien recentre constamment l’attention sur Dieu lui-même et sur son Royaume, que ce soit à l’aide de citations scripturaires, de paraboles ou d’injonctions189. Pourtant, celui qui
Boston : Walter de Gruyter GmbH, 2018), 1224. L’inscription est visible sur https://beitlehi.org/jesus-is-here-cave/, site consulté le 5 septembre 2018. On pourra penser aussi à la phrase latine que Carl G. Jung a fait graver au-dessus de l’entrée de sa maison à Kusnacht (Suisse) : VOCATUS ATQUE NON VOCATUS DEUS ADERIT = « Appelé ou pas, Dieu sera présent ». Jung explique qu’il s’agit de confronter ses patients (et soi-même) à la question « ultime » que Dieu lui-même – et non pas le christianisme – représente : Gerhard Adler et Aniela Jaffé, éd, C. G. Letters : 1951–1961, vol. 2 (traduit par R. F. C. Hull, Princeton : Princeton University Press, 1975), 611. Plus d’informations et une photo de l’inscription sont disponibles sur http://www.jungnewyork.com/photo_vocatus.shtml, site consulté le 5 septembre 2018. 187 Brown, An Introduction to the New Testament, 161. 188 Trocmé, L’Évangile selon saint Marc, 7. 189 Malbon remarque que le narrateur évoque les Écritures, révélatrices de Dieu, une seule fois (Mc 1.2–3), alors que le Jésus marcien les convoque très souvent (2.25 ; 4.12 ; 7.6–7, 10 ; 10.6, 19 ; 11.9–10, 17 ; 12.10–11, 26, 29–30, 36 ; 13.24–25, 26 ; 14.27, 62 : cf. 9.12– 13 ; 14.21, 49). Elle interprète cela par une intention de l’auteur implicite de faire connaître Dieu de manière directe par le seul Jésus, plutôt que par le narrateur ou d’autres personnages. Ce rôle de révélateur exclusif octroyé à Jésus est confirmé, dans le récit, par Dieu lui-même (1.11 ; 9.7). Malbon synthétise de la sorte : « [w]hat the narrator knows about God comes from Jesus ; Jesus knows God more directly. The narrator thus seems to follow the directions he narrates from the voice (of God) : ‹listen to him› (9:7). At 1:2–3 the narrator points to the prophets, who point to John (1:4), who points to Jesus (1:7–8), who point to God (1:14–15). What the narrator tells in 1:1, the narrative as a whole shows, beginning with 1:2–15 : the Markan Jesus makes God known » : Malbon, Mark’s Jesus, 194. Voir aussi son commentaire de Marc 3.33–35, où Jésus associe la proximité vis-à-vis de sa personne à la fidélité envers la « volonté de Dieu » : « the Markan Jesus explicitly and consistently deflects honor from himself as both teacher and healer to God, who alone is good and who alone can do all things. The implied audience can perceive in Jesus’ apparent ‹shyness› not so much a ‹messianic secret but a theological motive : the Markan Jesus wishes to deflect the attention given to him, especially as healer, to the true source of the healing, God. » (p. 136). Dans cette perspective : Mc 5.19 ; 9.37 et 10.18–21.
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refuse tout contrôle sur Dieu (13.32 ; 14.36, 39 ; 15.34) est le seul à être autorisé par Dieu lui-même à parler pour/de lui (9.7), celui qui l’a envoyé (v. 37). Cela implique que le discours du Gérasénien, bien que fondé sur l’incitation même du Jésus marcien, demeure par la force des choses une construction qui, bien qu’apte à persuader, n’a pas de prétention descriptive exhaustive mais « cache ce qu’elle montre »190. Du coup, l’absence du Maître s’avère d’autant plus tragique car le lecteur – comme le Gérasénien – se retrouve « vulnérable » : il lui est impossible de se taire, il ne lui est pas permis de pénétrer le mystère de Dieu révélé en/par Jésus191. À l’excès de son enthousiasme missionnaire, car il ne se contente pas d’annoncer la bonne nouvelle chez lui mais il aspire à le faire dans toute la Décapole, se juxtaposent, de manière paradoxale, les limites de sa proclamation : « ce que Jésus avait fait pour lui ». Certes, Marc n’aurait jamais pu prévoir que son écrit, malgré lui, contraindrait ses lecteurs, et cela pendant des siècles, à se poser sérieusement la question de savoir si le désir de proximité, existentielle et temporelle du Royaume dans sa forme la plus accomplie ne constituerait pas la tentation ultime du disciple. Il nous semble qu’il faut accepter que la rencontre première avec le Dieu de Jésus-Christ, rendue possible par une parole fatalement imparfaite, nous voue à l’inévitable et nécessaire souffrance de (se) poser des interrogations théologiques angoissantes. Le lecteur de Marc contemple sans cesse le départ et l’éloignement indéfini du Gérasénien et il reconnait, dans ses efforts démesurés (voire excessifs), des tentatives bien intentionnées mais balbutiantes, voire aphasiques, en l’absence du Christ proclamé. Dans une attente désespérée du Royaume à venir, et de rien d’autre, le Gérasénien – et le lecteur avec lui – assimile le « rejet », comme Jésus mais aussi et surtout par Jésus, comme une invitation à purifier l’espérance même de la plus noble des apories : la conviction de pouvoir l’inscrire, de quelque manière, dans un horizon dessiné à l’aune des attentes humaines, comme s’il s’agissait de son (du lecteur) Royaume. En concluant et, j’ose espérer que l’on ne nous en tiendra pas rigueur, en dérogeant peut-être au principe d’objectivité, il nous semble que l’horizon eschatologique et apocalyptique dans lequel Marc lui-même a inscrit l’histoire du Gérasénien, son évangile tout entier et donc aussi son lecteur implicite, s’est estompé depuis trop longtemps. La désillusion et le désenchantement causés
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Senft, Marc, 80. Van Oyen, « The Vulnerable Authority », 182. Voir également la phrase mémorable avec laquelle Elie Wiesel exprime le tragique paradoxe dans lequel celle et celui qui témoignent des camps de concentration se trouvent brutalement empêtrés : « se taire est interdit, parler est impossible », dans Elie Wiesel et Jorge Semprún, Se taire est impossible (Paris : Mille et une nuits – Arte, 1995), 17. 191
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par l’attente interminable d’un Dieu qui a rendu le lecteur de Marc contemporain « trop fatigué, déçu et malheureux »192 semblent naturellement l’inviter à se réfugier dans un Évangile (et un portrait de Jésus) idéologiquement connoté et adapté à son époque et à ses exigences : un éternel présent qui a englouti le futur et, avec lui, toute espérance. Pourtant, Marc semble être dépassé par son écrit, l’intentio operis prévalant sur l’intentio auctoris. Le lecteur contemporain peut alors se réconcilier avec le lecteur implicite, en admettant que, vraisemblablement, les raisons de sa suivance ne sont pas foncièrement bonnes ou claires, et qu’il attend et annonce ce qu’il ne connaît que d’une manière trop partielle et subjective. Malgré tout, comme le Gérasénien, il se retrouve dans une situation paradoxale : assimilé à Jésus mais pas confondu avec lui ; engagé à sa suite et pourtant éloigné de lui. Qui plus est, il lui est octroyé le droit de « proclamer », à l’aide d’une parole qui jaillit de son expérience et de sa compréhension personnelles. Cette situation et cette parole, profondément humaines, ont pourtant le potentiel de frayer un chemin qui mène à l’autre d’une manière nouvelle, non menaçante et libératrice, pour susciter de l’étonnement et de l’inquiétude (antidotes contre l’illusion du savoir absolu et final), et surtout l’espérance d’une Rencontre ultime et décisive. La dynamique déstructurante de l’évangile de Marc et sa force reconfiguratrice gardent encore toute leur fraîcheur et leur pertinence pour son lecteur actuel.
192
Sergio Quinzio, La sconfitta di Dio, PB 283 (Milano : Adelphi, 1992), 104 : « Dio che si è offerto a noi, che aspetta da noi la salvezza, è un Dio che dovremmo perfettamente amare, ma ci ha reso troppo stanchi, delusi, infelici per poterlo fare ».
Conclusion Au terme du parcours, il nous semble avoir pu éclairer quels sont la place et l’enjeu de l’épisode du démoniaque de Gérasa dans la trame de l’Évangile selon Marc, notamment en relation avec la figure du jeune homme qui s’enfuit nu (Mc 14.51–52) et avec la péricope qui met en scène le jeune homme au tombeau (Mc 16.1–8). La reprise synthétique des résultats de notre recherche sera suivie de quelques considérations finales concernant les possibles prolongements de la recherche.
Reprise synthétique de la recherche Reprise synthétique de la recherche
La préhistoire du récit et l’apport de Marc La rencontre fortuite entre un païen et Jésus de Nazareth en territoire non juif quoique contigu à la Galilée, probablement dans une région non spécifiée de la Décapole, aboutit à un exorcisme de Jésus au bénéfice d’un étranger. Cet événement donne naissance à un récit qui, après élaboration, circule dans les milieux judéo-chrétiens galiléens. Très tôt, cette tradition est relue, par ces mêmes milieux, selon un procédé midrashique avec une finalité missionnaire. Sensibles à la mission auprès des non-Juifs, à leur intégration dans les frontières du « déjà » du Royaume et dans l’attente de sa consommation finale, ces disciples de Jésus trouveront dans les textes d’Ésaïe 65.3–5 LXX, du Psaume 67.7 LXX et d’Exode 14.1–15.22 (ainsi que dans les traditions juives associées notamment à ce dernier texte) le vocabulaire et la perspective prophétique pour faire de ce récit d’exorcisme le miracle qui, de manière programmatique, montre que le Royaume fait irruption aussi en territoire étranger pour s’ouvrir aux non-Juifs1. Il est également possible qu’un bloc narratif se constitue alors, reliant le miracle de l’apaisement de la tempête (4.35–41) et le subséquent questionnement des disciples à propos de l’identité de Jésus (v. 41 : IJȢ ਙȡĮ ȠIJંȢ ਥıIJȚȞ...;)
1
Voir supra, p. 39–65.
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Conclusion
avec l’identification de ce dernier établie par Légion en tant que Fils du Dieu Très Haut (5.7 : ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ)2. Marc, en héritant cette tradition qui comporte déjà un certain degré d’élaboration en amont, apporte une contribution rédactionnelle décisive pour l’intégrer dans son propre projet théologique et littéraire. Il établit, en particulier, un lien entre le Gérasénien et le jeune homme « assis » (țĮșȝİȞȠȞ en 5.15 et 16.5) et « habillé » (ੂȝĮIJȚıȝȞȠȞ en 5.15 ; ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȞ en 16.5) au tombeau. Ensuite, il déplace la pointe du récit d’exorcisme à proprement parler pour qu’elle réside dans le dialogue entre Jésus et le Gérasénien (5.18–19) et dans l’annonce de ce dernier dans toute la Décapole (5.20). De manière plus générale, Marc intègre le récit de l’exorcisme de Gérasa dans le traitement narratif qu’il fait, à l’échelle de tout son évangile, des thèmes de l’identité de Jésus et de ses implications pour la notion de suivance qu’il promeut3. L’activité rédactionnelle marcienne cristallise de la `\_aR le récit de l’exorcisme de Gérasa dans sa forme actuelle. Un récit d’exorcisme au service du dévoilement de l’identité de Jésus et de la nature de la suivance : analyse narrative de Marc 5.1–20 Les outils fournis par la narratologie permettent d’apprécier avec plus de finesse les éléments-clés de la stratégie narrative que l’auteur implicite déploie en Marc 5.1–20. La reconfiguration épistémique du lecteur s’opère par la mise en place d’un réseau sémantique intratextuel permettant au récit d’articuler trois thématiques liées entre elles : la représentation du Jésus marcien ; l’élaboration de la modalité relationnelle exemplaire à entretenir avec ce dernier ; l’inclusion de non-Juifs dans le dessein de Dieu et dans les frontières de son Royaume (et, par extension, dans la communauté lectrice). Le Jésus marcien est connoté en tant que « Fils du Dieu Très Haut » et comme agent de l’action et de la compassion de Dieu (Mc 5.19–20). Puisque Légion, un être surnaturel, donne au lecteur implicite une réponse claire à la question posée par les disciples en 4.41 (« qui est-il donc ? »), il (le lecteur) peut désormais mûrir sa posture théologique et existentielle face à Jésus de Nazareth tel que Marc le présente. Pourtant, au niveau du récit, plusieurs personnages restent « aveugles » face à cette révélation : le témoignage des porchers et la réaction négative des habitants de la ville confirment le conflit d’interprétations dont le Fils de Dieu, à la fois révélé et incompris, fait l’objet4. Jésus est également représenté comme un exorciste puissant et incongru. Il est le puissant adversaire de Satan et de ses suppôts dont l’action exorcistique,
2 Le lecteur est renvoyé à la section « Des collections pré-marciennes ? » de ce livre : supra, p. 37–39. 3 Voir notre analyse aux p. 66–75. 4 Voir notamment supra, p. 152–154.
Reprise synthétique de la recherche
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largement reconnue par l’opinion publique (5.20 ; cf. 1.28), assume les contours eschatologiques de la destitution finale des démons (cf. 1.24). Néanmoins, les modalités surprenantes auxquelles Jésus recourt pour que le Royaume fasse irruption là où il l’annonce et agit – on songe par exemple au fait qu’il ne connaît pas le nom du démon (5.9), ou à la réponse favorable qu’il accorde à la requête des démons d’entrer dans le troupeau de cochons (5.12–13a) – semblent avoir une fonction « déconstructive ». Ce n’est pas la dimension technique, ou même cognitive, de l’action de l’exorciste en vue de l’efficacité du miracle qui est mise en valeur. Le fait que Jésus ne connaisse pas d’emblée l’identité de Légion et le fait qu’il consente à sa demande montrent que la puissance capable de mettre Satan et les démons en déroute découle de l’être même de Jésus : il est le Fils du Dieu Très Haut (5.7 ; cf. 1.1, 24), celui qui a été oint par l’Esprit de Dieu (1.11). Le dénouement de l’intrigue du récit de l’exorcisme de Gérasa (5.14–17) montre au lecteur que l’adhésion au Jésus marcien en tant que Fils du Dieu Très-Haut est le moyen qui lui permettra de dépasser l’impasse que représentent l’opposition et l’incompréhension humaines que, de manière ironique et paradoxale, rencontre celui qui a détruit Légion et qui avait déjà maîtrisé les éléments naturels5. Cette considération nous amène au troisième volet du portrait du Jésus marcien du Gérasénien : il est le conquérant rejeté et absent. Alors que Légion propose une dynamique impérialiste en demandant de ne pas être chassé hors du territoire (5.10), Jésus, après avoir libéré l’homme et son pays de la présence démoniaque, n’impose pas sa présence à ceux qui le supplient de partir (5.15– 17 ; cf. 6.4–6). De manière paradoxale, son action libératrice aboutit à la déroute des puissances du mal et à son propre rejet de la part des habitants de la région. Pourtant, son projet de « piller » la maison de Béelzéboul, déjà annoncé en 3.27, ne saurait être entravé : le déploiement du Royaume en Décapole se fera d’une manière irrésistible et selon une modalité surprenante, celle de l’annonce de la part du Gérasénien du Maître absent et pourtant conquérant (5.18– 20 ; voir 7.31–37)6. Le récit de Marc 5.1–20, selon les intentions de l’auteur implicite, établit aussi la modalité relationnelle que le disciple exemplaire entretient avec le Jésus marcien. Dans cette optique, l’aveuglement des gardiens des cochons et des habitants de la ville et des environs constitue la toile de fond sur laquelle doit se construire, par contraste, la clairvoyance du lecteur implicite. Tout en voyant (v. 14, 15, 16), les porchers et les habitants des lieux se focalisent sur le pôle de la modalité (ʌȢ : v. 16) de l’action de Jésus en faveur du Gérasénien et sur la perte du troupeau. Il s’agit d’une posture évaluative qui réduit l’événement à un fait qui doit être raconté dans les détails (v. 14 et 16) mais dont l’intelli-
5 6
Voir supra, p. 154–156. Voir supra, p. 156–157.
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Conclusion
gence échappe aussi bien aux gardiens qu’à la foule. À cet aveuglement, l’auteur implicite oppose la narrativisation de son dépassement : Jésus enjoint au Gérasénien exorcisé de cristalliser son témoignage autour de la dimension relationnelle. Ce dernier doit, en effet, rapporter aux siens tout ce que (ıĮ : v. 19) le Seigneur a fait pour lui, et qu’il a eu compassion de lui (v. 19)7. La nouvelle modalité relationnelle proposée par le Jésus marcien à celui qui voulait « être avec lui » passe inévitablement par l’acceptation de la frustration du détachement physique de Jésus et la dévalorisation des attachements tangibles en faveur de l’idéalisation d’une absence habitée. Une relation dialectique, par le recours à la synkrisis, est établie entre, d’un côté, les démons, qui font preuve d’un territorialisme exaspéré (5.10), sanctionné par la noyade en mer (v. 13), et, de l’autre, le Gérasénien, que la parole de Jésus a séparé des démons et invite à se soustraire à son désir d’attachement à la personne physique de Jésus en faveur d’une proximité de type kérygmatique, cette dernière étant évaluée positivement (v. 20)8. Le refus de la part de Jésus d’accéder à la demande du Gérasénien d’être avec lui permet la transition de l’annonce de Jésus à la proclamation sur Jésus en Décapole. L’absence de Jésus lui permet de passer du statut d’annonçant à celui d’annoncé, en faisant du Gérasénien – et du lecteur implicite – celui qui sublime l’absence du Maître par un témoignage qui rend possible la présence de ce dernier d’une autre manière. En cela, Marc 5.1–20 propose à une échelle plus réduite ce que le macro-récit montre dans son ensemble, à savoir que l’Évangile de Dieu proclamé par Jésus (1.15) évoluera vers l’intégration de l’annonce du crucifié-ressuscité dans le kérygme lui-même (16.5–7)9. Le lecteur implicite est enfin amené à apprécier la portée du récit de l’exorcisme de Gérasa dans l’optique de l’intégration des non-Juifs dans les frontières du Royaume. Le point de vue des témoins oculaires (les gardiens des cochons) et des habitants des environs sur le Gérasénien est disqualifié par l’auteur implicite, qui, de la sorte, incite le lecteur implicite à s’en détacher. Aux yeux de ces personnages du récit, le Gérasénien, même après l’exorcisme, demeure « le démoniaque » (IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ : 5.15 ; IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ : v. 16). D’une manière magistrale, le narrateur établit un parallélisme entre les habitants des lieux et les démons : les deux groupes s’approchent de Jésus (5.6, 14–15), le craignent (5.7, 15), supportent mal sa présence et le supplient de ne pas les agacer (5.10, 17). Leur statut de repères fiables est ainsi remis en cause et il ne reste au lecteur qu’à s’aligner sur le point de vue de Jésus et du narrateur. Ces deux derniers ne figent pas le Gérasénien dans son état d’impureté et de soumission aux forces démoniaques, mais arrivent à le regarder en tant que personne restaurée (point de vue de Jésus : v. 19) et objet de la miséricorde 7
Voir supra, p. 158–160. Voir supra, p. 160–162. 9 Voir supra, p. 162–165. 8
Reprise synthétique de la recherche
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divine (point de vue du narrateur : v. 20)10. Qui plus est, l’auteur implicite connote le Gérasénien, celui qui se situait au-delà des frontières sociales et religieuses, en tant que « disciple exemplaire » car sa proclamation (5.20 : țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ) fait écho à celles de Jean le Baptiseur (1.4, 7), des Douze (3.14), du lépreux guéri (1.45), de Jésus lui-même (1.14, 38–39), et anticipe celle de tous les disciples à toutes les nations (13.10 ; voir aussi 14.9). Ayant mis en valeur les dynamiques du récit de Marc 5.1–20, nous avons ensuite montré de quelle manière elles s’inscrivent dans l’encyclopédie du lecteur pour apprécier la façon dont elles interagissent avec les croyances et l’expérience de ce dernier dans le but d’affecter sa vision du monde. L’interaction du récit de Gérasa avec l’encyclopédie du savoir du lecteur historique et sa vision du monde Même si le lecteur historique de Marc n’appartient à aucun des grands mouvements juifs de son époque (Esséniens, Pharisiens, Sadducéens, disciples de Jean), la mention des tombeaux, des esprits impurs et des cochons dans le récit de l’exorcisme de Gérasa engage le lecteur sur le terrain du rapport à l’impureté. De la même manière, un lecteur gréco-romain, lui aussi sensible à la distinction entre sacré et profane (même si elle peut être déclinée différemment), est invité à entrer dans la logique de la rhétorique juive sur les catégories du pur et de l’impur, du saint et du profane par la stratégie littéraire mise en place par l’auteur de l’évangile. Alors que les conditions nécessaires pour la communion avec la divinité sont normalement rendues possibles par des rituels purificatoires qui s’inscrivent dans une vision défensive de la pureté, le récit de Marc 5.1–20 propose de voir Jésus au centre d’une dynamique conquérante de la sainteté de Dieu qui se déploie selon des moyens surprenants (par ex. les cochons sont à la fois un élément contaminant et une opportunité de purification) et qui aboutit à des résultats étonnants. La purification dernière est à l’œuvre dans le « Fils du Dieu Très Haut » au point que, désormais, aussi bien les Juifs que les non-Juifs sont mis au bénéfice immédiat de la communion avec Dieu par le biais de sa sainteté purifiante. La dynamique centrifuge de la sainteté conquérante, couplée avec une relecture universaliste des promesses originairement adressées au seul peuple d’Israël (cf. Es 65.21 LXX ; Ps 67.7 LXX et Mc 5.19), continue par l’activité des disciples de Jésus, ce dernier étant devenu partie intégrante du kérygme. Il est possible ainsi d’apprécier l’impact, sur la vision du monde du lecteur relative à la question de la pureté, des dynamiques mises en lumière par l’analyse narrative concernant l’identité de Jésus, la nouvelle modalité relationnelle proposée et l’intégration des non-Juifs dans les frontières du Royaume11. 10 11
Voir supra, p. 144–151. Voir supra, notamment p. 198–212.
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Conclusion
Un autre aspect dont il convient de tenir compte est la résonance que le récit du démoniaque de Gérasa peut avoir avec le contexte socio-politique de son lecteur historique. Ces dernières années ont vu une prolifération d’études visant à démontrer le caractère anti-romain de l’évangile de Marc en général et du récit de l’exorcisme de Gérasa en particulier, notamment à cause du fait que l’entité démoniaque plurielle mise en déroute par Jésus se présente sous le nom de Légion. Notre recherche a montré que Marc n’est pas essentiellement un document anti-romain, mais une critique de toute forme d’autorité (juive, non juive, surnaturelle) qui exerce son pouvoir par les moyens de la domination et de la violence12. Le Royaume qui s’est approché (1.15), selon l’optique du Jésus marcien, a une portée universelle : son registre n’est ni religieux ni politique et ses frontières (topographiques et ethniques) ne coïncident pas avec celles d’Israël. Le vocabulaire et les thèmes qui relèvent du langage militaire en Marc 5.1–20 s’expliquent par la mise en relation de cet exorcisme avec le concept de rédemption d’Israël qui, déjà, est le fruit d’élaborations à partir des récits (et des traditions haggadiques dont ils font l’objet) de Samson (Jg 13– 16) et du passage de la Mer (Ex 14–15), ainsi qu’en relation avec la notion de Nouvel Exode (notamment Es 40–66) qui se déploie dès 1.2-313. La portée reconfiguratrice du récit de l’exorcisme de Gérasa est évidente lorsque l’on réalise que la libération réalisée par le Jésus marcien n’est pas à lire en clé politique et anti-impérialiste, mais plutôt dans le cadre de l’affrontement cosmique entre Dieu et Satan. Cet affrontement aboutit à l’action eschatologique de Dieu (en Jésus) en faveur des Juifs et des non-Juifs, qui conjugue le thème du Nouvel Exode avec l’intégration des étrangers dans les frontières du Royaume. Le Jésus marcien, pourtant, ne reproduit pas le modèle proposé par l’idéologie impérialiste : au contraire, accepter de bon gré de partir du territoire de Gérasa suite à la supplication de ses habitants montre qu’il renonce au paradigme du libérateur/envahisseur de type colonialiste en faveur de celui du vainqueur non conquérant. Dans la perspective de Marc, le départ de Jésus n’équivaut pas à sa capitulation, mais c’est le moyen de soustraire la modalité de déploiement du Royaume dont il est le héraut à la dégradation d’une idéologie qui produit peur et rejet, un modèle de domination démoniaque à l’œuvre dans l’exercice du pouvoir des autorités juives et romaines. De Gérasa, Jésus s’en va pour garder en vie la graine qui portera son fruit en son temps (cf. Mc 7.31–37). Le Royaume que Jésus annonce et dont il étend les frontières est alors méta-impérialiste, car il se situe aussi bien au-dessus de tout pouvoir démoniaque et temporel qu’au-delà des paradigmes d’exercice du pouvoir qu’il exprime14. Encore une fois, il est possible d’apprécier de quelle manière les 12
Voir notre argumentation aux p. 229–234. Voir supra, p. 234–240. 14 Voir les p. 240–247 et la section « Le paradigme subversif du Royaume et son déploiement » aux p. 247–252. 13
Reprise synthétique de la recherche
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résultats de l’analyse synchronique, ici notamment le portrait du Jésus marcien en tant que conquérant rejeté et absent, la nouvelle modalité relationnelle qu’il met en place et la place qu’il donne à l’étranger dans l’économie du Royaume, interagissent avec l’encyclopédie du lecteur, en subvertissant la Weltanschauung de ce dernier. Puisque, en Marc 5.1–20, il est bien question de possession et d’exorcisme, l’acte de lecture s’exerce au sein d’un répertoire culturel (supposé) où sont présentes les croyances liées aux démons. Les données fournies par les arétalogies, les formules et les rituels de guérison et d’exorcisme permettent d’apprécier les contours de l’activité exorcistique telle qu’elle était perçue par le lecteur historique de Marc. L’activité exorcistique de Jésus partage un bon nombre d’éléments avec celle de ses contemporains ; de même, les récits qui circulent à son propos ont également la finalité de susciter l’admiration à son égard et de donner crédit à ses paroles, comme les arétalogies du monde grécoromain ou les récits de miracle dans les écrits juifs et judéo-hellénistiques. En effet, si à Gérasa l’homme est rétabli dans son bon sens (Mc 5.15 : ıȦijȡȠȞȦ), c’est précisément parce qu’il a rencontré celui auquel Dieu a octroyé sa propre sagesse (6.2 : ਲ ıȠijĮ). Pourtant, ce Fils IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ (5.7), expression à comprendre en ce sens que son œuvre s’inscrit dans l’action du IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ (Ps 90.1, 9 LXX) qui protège et délivre ਕʌઁ… įĮȚȝȠȞȠȣ ȝİıȘȝȕȡȚȞȠ૨ (« des démons de midi », v. 6), se démarque de manière significative des autres thaumaturges. Le Jésus marcien, investi d’une autorité singulière (cf. 1.27), inaugure la guerre eschatologique. Il ne chasse pas les démons en les délocalisant dans l’attente du jugement final : son action coïncide avec le jugement (exercé par la punition : 5.7) et la perte (cf. 1.24) des démons. Les cochons, dans le récit de Gérasa, permettent aux esprits d’être engloutis par la mer qui doit être comprise ici en tant qu’abîme. Jésus accomplit ainsi ce qui est attribué dans le judaïsme contemporain à Dieu lui-même (ou à des êtres célestes suivant ses ordres) : un acte eschatologique décisif qui signifie l’inauguration du Royaume, dont on attend néanmoins encore la consommation finale (cf. 8.38 ; 10.30 et 14.25). Le récit de Marc 5.1–20 s’intègre dans la stratégie narrative de Marc dont la finalité est double : réfuter la stigmatisation de cet exorciste puissant et incongru qu’est Jésus de Nazareth et susciter la foi en lui en tant que Fils du Dieu Très Haut et Juge eschatologique15. Après avoir exploré de quelle manière le récit de Marc 5.1–20 interagit avec l’encyclopédie du lecteur historique, il devient impératif de comprendre de quelle manière les thèmes abordés dans ce micro-récit particulier s’intègrent dans l’ensemble du deuxième évangile. En effet, ce n’est qu’en lisant le récit de l’exorcisme de Gérasa dans son contexte large qu’il est possible d’apprécier
15
Voir supra, p. 291–310.
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Conclusion
pleinement le déploiement de son potentiel en vue d’une reconfiguration épistémique du lecteur autour de l’identité de Jésus et de la modalité de la suivance qu’elle définit. Dès lors, on s’aperçoit que la séquence narrative dans laquelle le récit de Marc 5.1–20 est inséré éclaire et amplifie ces thématiques et que, sur une échelle plus large, la figure du Gérasénien est mise en relation avec d’autres personnages du deuxième évangile et, de manière particulière, avec celle du jeune homme qui s’enfuit nu et celle du jeune homme au tombeau. Le Gérasénien et les deux ȞİĮȞަıțȠȚ La triade Gérasénien (Mc 5.1–20) – jeune homme qui s’enfuit nu (14.51–52) – jeune homme au tombeau (16.1–8) n’est pas composée, au niveau de l’intrigue, par le même personnage. Il est question ici d’un lien symbolique, d’un parcours de sens dans lequel le lecteur implicite est invité à s’engager afin de les comprendre chacun à la lumière des deux autres. Le jeune homme qui s’enfuit nu est un personnage paradoxal. Sa fuite est à la fois dramatique, car elle constitue l’apogée de l’abandon de Jésus de la part des disciples, et nécessaire : la ıȚȞįઆȞ qu’il abandonne (14.52) est le symbole du don de soi poussé à l’extrême et, en tant que telle, seul le Christ peut la revêtir et l’assumer pleinement (15.46) pour lui donner tout son sens à la lumière de sa résurrection. L’abandon du drap signifie donc à la fois la reconnaissance de la primauté de Jésus dans la Passion mais aussi la préfiguration du relèvement qui s’ensuit : Jésus aussi échappera aux liens même de la mort16. La trajectoire qui mène du jeune homme qui s’enfuit nu à celui qui se trouve dans le tombeau fait donc partie de la stratégie narrative de l’auteur implicite qui invite son lecteur à concevoir le dépouillement radical de Jésus comme l’archétype paradigmatique auquel se conformer. La nécessité de l’assimilation du disciple à son Maître est narrativisée par l’annonce d’un jeune homme qui annonce le Ressuscité et la réhabilitation des disciples, mais qui évoque également l’assimilation à Jésus17. Le lecteur est ainsi invité à intégrer la mort et la résurrection du Maître et à se mettre à sa suite : par un procédé de lecture en 16
Voir supra, p. 369–372. « Assis à la droite », connotant le jeune homme en Mc 16.5, est à comprendre en relation avec 10.37, 40 (position honorable à côté de Jésus dans sa gloire) ; 12.36–37 (le Christ assis à la droite de Dieu) et 14.62 (le Fils de l’Homme assis à la droite de la Puissance). La robe « blanche » du jeune homme en 16.5 rappelle les vêtements « blancs » de Jésus lors de la Transfiguration (ȜİȣțંȢ dans les deux passages). Le jeune homme, présent contre toute attente à l’intérieur du tombeau, invite les femmes à ne pas être effrayées (16.6), tout comme Jésus, pris pour un fantôme, l’avait fait avec ses disciples troublés (6.49–50) ; l’impératif ਫ਼ʌȖİIJİ est utilisé seulement par le jeune homme (16.7) et par Jésus (6.38 ; 11.2 ; 14.13 ; au singulier [ʌĮȖİ] : 1.44 ; 2.11 ; 5.19, 34 ; 7.29 ; 8.33 ; 10.21, 52) ; de même pour İʌĮIJİ (11.3 ; 14.14 // 16.7). Le jeune homme est également le seul à utiliser le verbe ਥȖİȡȦ avec Jésus pour sujet pour faire référence à sa résurrection (14.28 // 16.6). Voir supra, p. 368– 369. 17
Les implications des résultats de la recherche
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boucle conçu et prôné par l’auteur de l’évangile, la résolution de l’intrigue se situe dans la dimension existentielle des lecteurs, la « Galilée » où le Ressuscité continue de les précéder et de les appeler à sa suite18. La lecture en boucle de Marc permet de relire l’ensemble de l’évangile à la lumière de sa finale, ce qui veut dire qu’en relisant Marc 5.1–20 après Marc 14.51–52 et 16.1–8, le récit de l’exorcisme de Gérasa offre un paradigme positif qui s’oppose à l’impasse de la finale énigmatique du macro-récit et qui a comme conséquence herméneutique de comprendre l’expérience du Gérasénien en lien avec la dynamique de la résurrection. Le lecteur implicite associe de la sorte le Gérasénien et les deux ȞİĮȞıțȠȚ comme des balises d’un parcours de sens qui promeut une modalité relationnelle nouvelle et inédite. Le récit de Gérasa annonce proleptiquement les thèmes qui sont présent notamment en 14.51–52 et en 16.1–8, tout en étant à son tour éclairé par ces deux passages et par l’ensemble du macro-récit : l’assimilation à Jésus dans sa mort et sa résurrection (aussi par la symbolique de la vêture) ; le dépassement d’un obstacle formidable, à savoir les puissances cosmiques hostiles à Dieu et aux humains et la mort elle-même, rendu possible par la dynamique transformatrice de la miséricorde divine ; le conflit des interprétations ; le détachement nécessaire et le renoncement à toute forme de contrôle sur le Maître et sur le Royaume dont il a annoncé et rendu possible l’irruption ; le basculement à une présence de type kérygmatique ; la mise en place d’une dynamique d’intégration à la lumière d’une compréhension universaliste du thème du Nouvel Exode et de la dynamique de la sainteté conquérante19 ; l’accent placé sur la notion de rencontre en tension avec celle d’une absence déconcertante – mais intégrée dans l’horizon d’une parousie imminente ; le déploiement du Royaume selon le principe non violent du don de soi20.
Les implications des résultats de la recherche Les implications des résultats de la recherche
Il n’est pas certain que l’évangile de Marc ait été conçu et utilisé d’emblée dans le contexte liturgique du rite baptismal. Pourtant, la théologie du baptême, dans une version très proche de celle de Paul (cf. Rm 6), semble bien être sousjacente dans les intentions de l’auteur implicite qui invite, notamment par le procédé de lecture en boucle, à régulièrement contempler le « dévêtir » et le 18
Voir la section « La lecture en boucle de Marc : un outil herméneutique conçu par l’auteur implicite », p. 372–377. 19 Dans cette optique, nous comprenons le Gérasénien à la fois comme l’un des élus rassemblés et aussi comme l’un des messagers envoyés par le Fils de l’Homme intronisé dont il est question dans le passage de Marc 13.26–27 : voir supra, p. 416–420. 20 Voir les sections « Relecture de l’exorcisme de Gérasa après les récits de la Passion », p. 377–395, et « Être disciple selon Marc : la symbolique de la vêture et sa relation avec le thème de l’absence de Jésus », p. 396–417.
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Conclusion
« revêtir » de certains personnages, tous en lien avec la destinée du Jésus marcien. En ce sens, il est possible d’affirmer que la lecture même de l’évangile assume en soi une fonction rituelle qui stimule et confirme la reconfiguration du lecteur21. Sur un autre registre, la compréhension de Marc 13 – et de manière spécifique des versets 26–27 – qui nous semble la plus adéquate en relation avec son contexte littéraire, apporte un argument en faveur d’une datation post-70 du deuxième évangile. Comme cela a été évoqué dans l’introduction de ce livre, les datations les plus plausibles pour Marc vont de la moitié des année 60 jusqu’à la moitié des années 7022. Or, il nous semble que la compréhension du sens du discours du chapitre 13, et notamment des versets 26–27, en tant qu’intronisation du Fils de l’Homme en relation avec les thèmes de l’absence et de la suivance tels que Marc les construit est la meilleure option. Cette lecture, bien évidemment, plaide en faveur d’une rédaction après la destruction du Temple. Pour Marc, l’intronisation du Fils de l’Homme et l’envoi de ses messagers pour le rassemblement des élus est le contrepoint de la destruction du Temple et assume le rôle de preuve, pour les autorités juives, du fait que Dieu a sanctionné ces dernières et leur a montré (« ils verront », 13.26a) que les revendications du Fils étaient fondées. Ce type d’argumentation se comprend seulement à la lumière d’une destruction (récente) du Temple23. Certes, la parousie reste pour Marc un événement imminent, le « déjà » de l’irruption du Royaume (1.15) annonçant le nécessaire et proche « pas encore » de sa manifestation apocalyptique finale (8.38 ; 9.1 ; 12.34 ; 14.25 ; 15.43). Il serait alors opportun de se demander quel a été pour Marc le sens (et l’étendue) de l’intégration des non-Juifs dans les frontières du Royaume en tant qu’élus rassemblés (13.27) mais également en tant qu’envoyés en vue du rassemblement. Si, comme il a été suggéré24, Paul envisage que les non-Juifs n’intègrent 21
Voir supra, p. 395, en reprenant une proposition de McVann. Voir supra, p. 13. 23 Voir notre développement aux p. 406–417. 24 C’est notamment la position de la plupart des spécialistes pauliniens qui se reconnaissent dans la « New Perspective on Paul », anticipée par Stendhal et ensuite établie par E. P. Sanders, suivis notamment par James D. G. Dunn et N.T. Wright, ou dans la « Radical New Perspective » – nous songeons, entre autres, particulièrement à Magnus Zetterholm, Mark Nanos et Paula Fredriksen. Si pour les deux groupes Paul est à comprendre dans le contexte du judaïsme « typique » du premier siècle (selon la compréhension qu’E. P. Sanders avait du judaïsme de l’époque : « Convenantal Judaism »), la Radical New Perspective estime que, même après son adhésion au mouvement de Jésus, Paul reste pleinement un Juif observateur de la Torah. Pour un aperçu des deux perspectives sur Paul voir G. Philip Arnold, « Pauline Perspectives. A Summary and Critique of the New Perspective on Paul », WLQ 112, no 3 (2015) : notamment 185–189 ; Philip La Grange Du Toit, « The Radical New Perspective on Paul, Messianic Judaism and their connection to Christian Zionism », HTS 73, no 3 (2017) : surtout 1–4. 22
Les implications des résultats de la recherche
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pas Israël mais qu’ils s’associent à Israël – notamment par l’adhésion à la vision monothéiste, la reconnaissance de Jésus en tant que Messie et l’engagement à vivre « selon l’Esprit » – sans forcément devenir des prosélytes, faut-il penser que Marc propose une redéfinition du peuple de Dieu encore plus radicale ? Quoi qu’il en soit, il nous semble que pour Marc la mission auprès des nations et l’engagement des non-Juifs en tant que disciples sont compris comme le signe de la proximité de l’établissement final du Royaume de Dieu qui compense, sublime et justifie, en quelque sorte, l’absence du Maître et le délai de la parousie. C’est peut-être dans cette direction qu’il faudrait continuer de chercher la raison d’être de Marc, notamment si l’on conçoit que son « eschatologie inclusive » aurait pu le mettre en conflit avec l’Église de Jérusalem25. Toujours sur le versant diachronique, le fait d’avoir relevé que Marc 5.1–20 montre des échos venant de traditions juives à la fois vétérotestamentaires et de la période du Second Temple (traditions haggadiques datant d’avant 70 mais aussi littérature apocalyptique) encourage à une exploration plus attentive des micro-récits de Marc à la recherche de ses possibles sources et des traditions qui auraient pu l’inspirer afin de l’inscrire plus fermement dans son contexte juif26. Il reste un fait remarquable que, si Marc affiche une connaissance de traditions démonologiques qui pourraient remonter à la tradition hénochique, il attribue à Jésus une prérogative qui est réservée à Dieu ou aux êtres célestes placés sous ses ordres directs, à savoir le pouvoir eschatologique d’anéantir les esprits démoniaques27. Concernant la dimension synchronique de Marc, les études littéraires qui s’y consacrent continuent de paraître depuis presque trois quarts de siècle, qu’elles soient inspirées par la narratologie, l’approche sémiotique, la Reader-Response Criticism, la lecture déconstructiviste ou la Performance Criticism. Il faut souhaiter que l’on persévère dans la mise en valeur de la manière dont Marc narrativise avec maestria sa christologie, la notion de la suivance, l’eschatologie et sa vision du Royaume de Dieu. Pour notre part, nous espérons avoir montré la pertinence et la fécondité de la lecture symbolique et en réseau des personnages (et des éléments qui leur sont associés : position, vêture, gestes) de cet
25 Voir Richard Bauckham, Jude and the Relatives of Jesus in the Early Church (Edinburgh : T. and T. Clark, 1990), 18, 21–23, 71, 78 et surtout 82–93. Selon Trocmé, La formation de l’Évangile selon Marc, 68, 96–109 ; idem, L’Évangile selon saint Marc, 11–12 ; et Crossan, « Mark and the Relatives of Jesus », Marc (ou le proto-Marc) est un écrit polémique, voire hostile, à l’égard de l’Église de Jérusalem sous la direction de la famille de Jésus. 26 L’influence de la tradition des Veilleurs (1 Hén. 1–36) sur le récit de Mc 5.1–20 a été récemment discutée par Elder, « Of Porcine and Polluted Spirits », 430–46 ; Moscicke, « The Gerasene Demoniac », surtout 365–367. 27 Voir supra, p. 302–305.
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Conclusion
évangile, lecture relevant des intentions propres à l’auteur implicite. Le chantier n’est pas épuisé et, nous le croyons, il promet encore de fructueuses découvertes. L’évangile de Marc a la capacité de transcender les intentions de son auteur historique et de parvenir jusqu’à nous avec une fraîcheur renouvelée, notamment lorsqu’on lui accorde la possibilité d’être libéré du joug que l’histoire et les institutions lui ont imposé en le reléguant au statut de « deuxième » évangile (au sens où il a été relégué à un rôle de second plan). Marc nous met en présence du Jésus révélé et pourtant élusif auquel tous les personnages du macro-récit sont liés, d’une manière ou d’une autre28. Ces personnages gardent tout leur potentiel reconfigurateur à l’égard du lecteur, car ils sont sculptés dans le marbre existentiel de l’ontologie humaine. Ils continuent de s’ériger en tant que monuments vivants : le Gérasénien et les jeunes hommes, dans le parcours de sens, n’appellent pas à imiter les modèles du passé, mais renvoient au présent du lecteur ; ils n’invitent point à la nostalgie mais provoquent et incitent le lecteur afin qu’il élabore et engendre, en tant que disciple du crucifié-ressuscité, de l’inattendu et du nouveau. Selon Dion Cassius, Mécène délivra à Auguste le conseil suivant : Emprunte donc ton éclat à tes bonnes œuvres, et ne permets jamais qu’on t’élève des statues d’or ou même d’argent (ces statues non seulement occasionnent des dépenses, mais, de plus, elles courent de grands périls et durent peu) ; que tes bienfaits t’en assurent dans le cœur même des hommes d’autres incorruptibles et immortelles. Ne souffre jamais non plus un temple en ton honneur. [...E]n te montrant bon, en commandant avec équité, la terre entière sera pour toi une enceinte sacrée, toutes les villes seront des temples, tous les hommes seront des statues (car toujours leur pensée en élèvera de glorieux en ton honneur) […]. (Hist. 52.35)29.
Il nous semble que le Gérasénien et les deux jeunes hommes de Marc continuent de s’ériger en statues vivantes, en témoins dynamiques et interpellant de la gloire et de l’absence du Jésus marcien et de la nature de la suivance qu’il requiert.
28
Voir supra, p. 346–352. Soulignement de notre fait. Traduction d’Étienne Gros : Dion Cassius, Histoire romaine, vol. 7 (Paris : Didot, 1855), disponible sur http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Dion/livre52.htm (consulté le 2 avril 2019). Le texte de Dion Cassius est cité, dans le cadre de sa discussion sur l’humilité de l’empereur en tant que vertu à la lumière de laquelle, selon lui, doit être comprise l’humilité du Jésus marcien, par Winn, « Resisting Honor », 591. 29
Traduction justifiée de Marc 5.1–20 La critique textuelle est l’outil par lequel le chercheur établit, avec un degré de fiabilité acceptable, le texte qui fera l’objet de son enquête. De manière complémentaire, l’analyse littéraire (morphologique, syntaxique et sémantique) aide à déterminer le sens des mots et des locutions selon les intentions de son auteur historique. Le contexte originel d’énonciation joue un rôle fondamental pour déterminer le sens du texte et l’encyclopédie du savoir du lecteur idéal (implicite) que le texte présuppose ne peut pas être déterminée en faisant abstraction de la science historique. Cela signifie que le contexte, à la fois historique, social et théologique, dans lequel le texte a vu le jour constitue une référence nécessaire pour l’intelligibilité du sens de ce dernier. Cette compréhension contextualisée aboutit à une traduction qui se veut la plus fidèle possible aux intentions sémantiques de l’auteur. Il est donc fondamental de pouvoir avoir accès à l’encyclopédie du savoir d’un auteur du premier siècle, de mettre en évidence son répertoire culturel, afin de déterminer le sens des mots et des expressions employées pour ses lecteurs historiques. Notre approche narrative tiendra donc compte, pour ce qui est de la compréhension des mots et des expressions du texte (et de leur traduction), des éléments apportés par l’analyse littéraire1.
1 Les outils que nous avons utilisés pour l’analyse sont les suivants : Frederick W. Danker et al., éd, A Greek-English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, Third Edition (BDAG) (Chicago – London : The University of Chicago Press, 2000) ; Johannes P. Louw et Eugene A. Nida, éd, Greek-English Lexicon of the New Testament Based on Semantic Domains, 1e éd. 1988, 2 vol. (New York : United Bible Societies, 1989) ; Ceslas Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament. Réédition en un volume des Notes de lexicographie néotestamentaire, 1e éd. Fribourg 1978 (Paris : Cerf, 1991) ; Joseph H. Thayer, Thayer’s Greek-English Lexicon of the New Testament. Coded with Strong’s Concordance Numbers, 1e éd. 1885 (Peabody : Hendrickson, 2003) ; Karl Schenkl et Federico Brunetti, éd, Dizionario Greco-Italiano Italiano-Greco (Genova : Edizioni Polaris, 1992) ; Eric G. Jay, Grammatica greca del Nuovo Testamento, trad. par Rosa Calzecchi Onesti, 1e éd. en anglais : 1958 (Firenze : BE edizioni, 2011) ; la bibliothèque numérique (avec ses outils de recherche : dictionnaire, concordances...) du Perseus Project de l’université Tufts (Massachusetts) : http://www.perseus.tufts.edu/hopper/ ; le logiciel BibleWorks 9.
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Traduction justifiée de Mc 5.1–20
Traduction personnelle et notes analytiques Traduction personnelle et notes
(1) Et ils allèrent de l’autre côté1 de la mer, dans le territoire2 des Géraséniens3. (2) Et lorsqu’il fut sorti du bateau4, voici5 qu’un homme à l’esprit impur6 l’affronta7 [en sortant] des tombeaux8. (3) Il [cet homme] avait élu [sa] demeure9 dans les sépulcres10, et personne ne pouvait plus le lier [pour de bon]11, même avec une chaîne12, (4) à cause du fait qu’il avait été lié maintes fois avec des entraves13 et des chaînes, et les chaînes avaient été rompues par lui14, et les entraves brisées15, et personne n’était [assez] fort16 pour le dompter17. (5) Et il était sans cesse, nuit et jour18, dans les sépulcres et dans les montagnes19, en train de crier et de se couper lui-même avec des pierres20. (6) Et ayant distingué21 Jésus de loin22, il se précipita23 et se prosterna devant lui24, (7) et ayant crié avec une grande voix25, il dit : « Qu’y a-t-il entre moi et toi26, Jésus Fils du Dieu Très Haut27 ? Je t’adjure, par Dieu28, ne me punis pas29 ! » (8) Car [Jésus] lui disait : « Sors30, l’esprit impur, de l’homme ! » (9) Il [Jésus] l’interrogeait31 : « Quel est ton nom ? » Et il lui dit : « Légion32 [est] mon nom, car nous sommes nombreux », (10) et il le suppliait de manière pressante33 afin qu’il ne les bannisse pas hors du territoire34. (11) Un grand troupeau35 de cochons36 était près de la montagne37, en train de paître38. (12) Et ils le supplièrent en disant : « Envoie-nous39 dans les cochons, afin que nous entrions en eux40 ». (13) Et il [Jésus] le leur permit41. Et, étant sortis, les esprits impurs entrèrent dans les cochons et le troupeau s’élança42 vers le précipice, dans la mer43. [Ils étaient] environ44 deux mille45, et ils se noyaient46 dans la mer. (14) Et ceux qui les faisaient paître s’enfuirent47 et rapportèrent48 [le fait] dans la ville et dans les campagnes. Et ils [les gens] vinrent (pour) voir49 ce qui est advenu. (15) Et ils viennent vers Jésus et observent50 le démoniaque51 assis52, habillé53 et avec [son] bon sens54, [lui] qui avait eu Légion ! Et ils furent effrayés55. (16) Et ceux qui avaient vu leur racontèrent en détail56 comment [cela] était advenu au démoniaque, et à propos des cochons. (17) Et ils [les gens] commencèrent à le supplier de s’éloigner de leur région57. (18) Et pendant qu’il [Jésus] montait58 dans le bateau, celui qui avait été démoniaque le suppliait afin qu’il [l’homme] soit avec lui. (19) Et il [Jésus] ne le laissa pas faire59, mais il lui dit : « Va60 dans ta maison, vers les tiens61, et rapporte-leur tout ce que62 le Seigneur a fait pour toi et [qu’/combien] il a eu compassion63 de toi ». (20) Et il [l’homme] s’éloigna et commença à proclamer64 dans la Décapole65 tout ce que Jésus avait fait pour lui, et tous étaient émerveillés66.
Traduction personnelle et notes
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ȆȡĮȞ, ainsi que sa forme composite ਕȞIJȚʌȡĮ (Lc 8.26 // Mc 5.1) et ses formes plus anciennes ʌȡȘȞ et ʌȡĮ (cf. Platon, Phaedr. 241d), est un adverbe de lieu signifiant essentiellement « au-delà (de) ». Normalement suivi par un génitif (Mt 4.15 ; 19.1 ; Jn 1.28 ; 3.26 ; 6.22, 25), il indique la direction vers laquelle on se dirige (quand il est accompagné par le verbe ȡȤȠȝĮȚ et ses formes composées : cf. Mc 5.1, 21 ; 10.1 ; Lc 8.22 ; Jn 6.1, 17 ; 10.40 ; 18.1), ou la direction de laquelle on vient (Mt 4.25 : țȠȜȠșȘıĮȞ ĮIJ… ਕʌȠ ; Mc 3.8 : [țȠȜȠșȘıİȞ]… ਕʌં), en sous-entendant la nécessité de traverser une entité topographique ou une localité géographique (une rivière, un lac, un territoire). L’expression İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ est attestée dans l’épigraphie (SIG 495.84 ; 619.27 ; 709.6 ; BGU 1022.25), ainsi que dans la LXX (Dt 30.13 et Jr 22.20 ont en commun avec Mc 5.1 l’expression complète İੁȢ IJઁ ʌȡĮȞ IJોȢ șĮȜııȘȢ ; cf. Nb 21.13 ; Jos 1.15 ; Jg 11.29 ; 1 S 26.13 ; Jr 48.10 ; 1 M 9.48) et les Synoptiques (Mt 8.18, 28 ; 14.22 ; 16.5 ; Mc 4.35 ; 5.1, 21 ; 6.45 ; 8.13 ; Lc 8.22), dans le sens de « le territoire/la rive opposé(e)/de l’autre côté ». 1
Le substantif grec ȤઆȡĮ traduit dans la LXX, le plus souvent, les mots hébreux ʵʸʓ ʠʓ ॲ (« terre, territoire, pays » : voir Gn 10.20 ; Jos 5.12 ; 2 Ch 32.13 ; Ps 104.44 ; Pr 29.4) et ʤʕʰʩ ʑʣʮ (« province, district administratif » : voir 1 R 21.19 ; Ne 1.3 ; Est 1.22 ; Qo 2.8), mais aussi ʩˣˏ (« nation, peuple non-juif » : voir 1 R 18.10). Dans le Nouveau Testament, il désigne, à la base, un espace (une « terre », en opposition à la « mer », cf. Ac 27.27) entre deux limites. Par extension, et selon le contexte, il est à comprendre dans le sens de : a. région rurale à proximité d’une ville (cf. Lc 2.8 ; Jn 11.54 ; elle peut être cultivée : cf. Lc 12.16 ; 21.21 ; Jn 4.35 ; Jc 5.4) ; b. territoire ou région habitée par un groupe ethnique spécifique ou bien délimitée géographiquement, le complément d’information est donné par un pronom ou un substantif au génitif : ĮIJȞ (cf. Mt 2.12 ; Ac 12.20 ; Flavius Josèphe, A.J. 5.318 ; Justin, 1 Apol. 53.9 ; Prot. Jac. 21.4 ; 1 Clém. 12.2 ; cf. T. Job 41.2) ; IJȞ ĭȠȚȞțȦȞ (Jos 5.12) ; ȣੂȞ ǹȝȝȦȞ (1 Ch 20.1) ; ਝııȣȡȦȞ (Es 7.18) ; ȈʌĮȞĮȢ (1 M 8.3) ; IJȞ įȠȣȝĮȦȞ (Ep. Arist. 107) ; IJȞ īĮįĮȡȘȞȞ (Mt 8.28) // IJȞ īİȡĮıȘȞȞ (Mc 5.1 // Lc 8.26) ; IJȞ ȠȣįĮȦȞ (Ac 10.39 ; cf. Lc 3.1 ; Ac 16.6 ; 18.23 ; 26.20 ; Justin, Dial. 78.1 ; 79.2 ; 1 Clém. 25.3). Ainsi notamment le BDAG. Le territoire en question ne doit pas pour autant constituer nécessairement une zone administrativement indépendante (cf. Ac 8.1 : IJȢ ȤઆȡĮȢ IJોȢ ȠȣįĮĮȢ țĮ ȈĮȝĮȡİĮȢ). Marc, de son côté, n’utilise pas le terme pour désigner une zone rurale ou cultivée : il préfère, à cette fin, le mot ਕȖȡંȢ (cf. Mc 5.14 et 13.16). Son emploi en Mc 1.5 (ʌ઼ıĮ ਲ ȠȣįĮĮ ȤઆȡĮ) est clairement une métonymie pour les habitants de la Judée. Il s’ensuit que le IJȞ ȤઆȡĮȞ IJȞ īİȡĮıȘȞȞ de Mc 5.1 est à comprendre dans le sens de « territoire habité par les Géraséniens ». 2
3
Gérasa, capitale de la Pérée, était située à l’est du Jourdain, à environ 50 km au sud-est du lac de Gennésareth/deTibériade et à 60 stades da Tiberias.
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Traduction justifiée de Mc 5.1–20
Flavius Josèphe mentionne une expédition militaire de Lucius Annius en 68, voulue par Vespasien, pour ravager Gérasa (B.J. 4.486–489) et souligne l’attitude positive, après la guerre, des habitants de la ville à l’égard des Juifs qui l’habitaient (B.J. 4.486–489). Voir Warren Carter, « Cross-Gendered Romans and Mark’s Jesus : Legion Enters the Pigs (Mark 5:1–20) », JBL 134, no 1 (2015) : 143. Dans la LXX, ʌȜȠȠȞ traduit le mot hébreu ʤʕ˕ʰʑ ʠʏ qui, le plus souvent, désigne des navires commerciaux de toutes sortes ou tailles (cf. Gn 49.13 ; 1 R 10.22 ; 2 Ch 8.18 ; Ps 106.23 ; Pr 31.14 ; Es 60.9). Ce mot grec est plutôt commun (cf. Odes Sal. 11.9 ; T. Job 18.7 ; T. Neph. 6.2, 3, 5 ; Ep. Arist. 214 ; Mt 4.21–22 ; Mc 1.19 ; Lc 5.2 ; Jn 6.17 ; Ac 20.13 ; Jc 3.4 ; Ap 8.9 ; 18.19) et il remplacera progressivement le mot ȞĮ૨Ȣ, réservé, lui, pour les bateaux de grande taille (cf. Homère, Od. 9.148 ; Or. Sib. 8.348 ; Philon, Aet. 138 ; dans le Nouveau Testament seulement en Ac 27.41). Dans le Nouveau Testament, ʌȜȠȠȞ peut donc désigner n’importe quel type (par emploi et/ou dimension) de bateau ou de navire : c’est le contexte qui est déterminant pour la juste appréciation du sens du mot dans le texte étudié. Puisque les chapitres 4 à 6 de Marc situent le bateau sur le lac de Gennésareth et sous le contrôle de pêcheurs, il est fort probable qu’il s’agit d’un petit bateau de pêche comme celui qui a été retrouvé en 1986 et daté entre 40 avant et 50 après Jésus-Christ : voir Shelley Wachsmann, « The Galilee Boat : 2,000Year-Old Hull Recovered Intact », BAR 14, no 5 (1988) : 18, 33. 4
ǼșȢ (ou parfois İșȦȢ) est un adverbe qui indique un point dans le temps qui est subséquent à un autre. Figurativement, il était aussi employé, dans la littérature grecque ancienne, pour alléguer une raison ou un exemple ou fournir une preuve qui devait justifier l’affirmation précédente (voir Platon, Menex. 100a ; Xénophon, Mem. 2.6.32). Lorsqu’il est employé en tant qu’adverbe de temps, l’accent est mis sur l’immédiateté (voir Thucydide, Bell. 2.93.4 ; P. Oxy. 744.7 ; P. Ryl. 234.4 ; T. Sal. 18.5, 37 ; Par. Jer. 5.20 ; Flavius Josèphe, A.J. 11.236 ; dans le Nouveau Testament : Mt 3.16 ; 13.20–21 ; 14.27 ; 21.3 ; Lc 6.49 ; Jn 13.30, 32 ; 19.34 ; Ac 10.16 ; en 3 Jn 14, cet adverbe est à traduire par « bientôt »). Il a le sens de « immédiatement, soudainement » dans Jb 5.3 LXX, où il traduit l’hébreu ʭ ʖʠʺʍ ʑ˝ (« quelque chose qui arrive/vient soudainement »). Toutefois, il est intrigant de constater que ce mot hébreu apparaît, par exemple, dans Ps 64.8 (la flèche), Nb 12.4 (la parole de Dieu) et Es 47.11 (une dévastation), mais qu’il n’est traduit en grec dans la LXX ni par İșȢ ni par une expression équivalente. Par contre, le mot İșȢ traduit souvent dans la LXX l’expression ʤ ˚ʒ ॡ ʑʤ ʍʥ (« et voici », cf. Gn 15.4 ; 24.45 ; etc.). Cela veut dire que, pour un auteur juif (tel que nous imaginons l’auteur de 5
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l’évangile de Marc), l’adverbe İșȢ n’est pas à utiliser de manière systématique dans le sens de « immédiatement », mais peut aussi avoir la valeur appositive d’un « et voici ». S’il est vrai que Mc 1.18 (țĮ İșઃȢ ਕijȞIJİȢ IJ įțIJȣĮ țȠȜȠșȘıĮȞ ĮIJ) // Mt 4.20) s’inscrit dans la dynamique de l’immédiateté, il est tout aussi indéniable que d’autres emplois marciens sont plutôt à comprendre dans le sens d’une simple juxtaposition temporelle : ainsi Mc 1.21 (țĮ İșઃȢ IJȠȢ ıȕȕĮıȚȞ İੁıİȜșઅȞ İੁȢ IJȞ ıȣȞĮȖȦȖȞ ਥįįĮıțİȞ, qui doit être traduit par « et voici, entré dans la synagogue le sabbat, il enseignait », et non pas « dès le sabbat… » [TOB], car le sabbat commence, selon le calendrier juif, le soir du vendredi : 1.32 montre clairement que c’est bien de jour que Jésus s’est rendu à la synagogue) ; 1.23 (țĮ İșઃȢ Ȟ ਥȞ IJૌ ıȣȞĮȖȦȖૌ ĮIJȞ ਙȞșȡȦʌȠȢ ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJȦ : « et voici, il y avait dans leur synagogue un homme en esprit impur ») et 1.29 (țĮ İșઃȢ ਥț IJોȢ ıȣȞĮȖȦȖોȢ ਥȟİȜșંȞIJİȢ ȜșȠȞ İੁȢ IJȞ ȠੁțĮȞ ȈȝȦȞȠȢ : « et voici que, étant sortis de la synagogue, ils allèrent dans la maison de Simon » ; voir aussi Ap 4.2 pour un usage similaire). À la lumière de ces considérations, nous traduisons l’İșȢ de Mc 5.2 par « voici que » : une formule de juxtaposition temporelle entre deux événements qui garde l’idée de proximité, sans pour autant mettre un accent démesuré sur la notion d’urgence. Voir Rodney J. Decker, Mark 1–8 : A Handbook on the Greek Text, BHGNT (Waco : Baylor University Press, 2014), qui traduit İșȢ par « then » et « now » (p. 23), « so » (p. 31), mais aussi « immédiatement » (p. 38). Pour une autre opinion, voir Combet-Galland, « Le Dieu du jeune homme nu », 26–27, qui considère l’İșȢ de Mc 5.2, en exagérant quelque peu, comme une anticipation de la fin du récit, un exorcisme annoncé dès que Jésus débarque dans le territoire des Géraséniens. Le mot ਕțșĮȡIJȠȢ peut avoir le double sens de « sale » et/ou « immoral ». Du point de vue rituel, il est utilisé dans la LXX (il traduit l’hébreu ʠ ʮख़ ʒ ʕʨ) pour désigner ce qui ne peut pas être touché ou ingéré sans se rendre « impur » (Lv 5.2 ; 11.4ss ; Nb 5.2 ; Dt 14.7ss ; Jg 13.4, 7 ; Am 7.17 ; 1 M 4.43 : İੁȢ IJંʌȠȞ ਕțșĮȡIJȠȞ). Ce sens est retenu dans le Nouveau Testament (Ac 10.14 et 11.8 [nourriture] ; Ac 10.28 et 1 Co 7.14 [enfants] ; 2 Co 6.17 [cit. Es 52.11] ; Ap 18.2 [oiseaux] ; voir aussi Flavius Josèphe, C. Ap. 1.307 ; SIG 1042.3 ; Justin, Dial. 20.4 ; Origène, Cels. 3.11.9 ; Or. Sib. 5.264). À la dimension rituelle s’ajoute une dimension morale (déjà Platon, Leg. 716e ; LXX : cf. Es 6.5 ; 64.5 ; Si 51.5 ; Pr 3.32 ; dans le Nouveau Testament : Ep 5.5 et Ap 17.4 ; voir aussi T. Jos. 4.6 ; Philon, Deus 132 ; Spec. 3.209 ; Flavius Josèphe, B.J. 4.562 ; Justin, Dial. 141.3). L’expression ਥȞ ʌȞİȝĮIJȚ ਕțĮșȡIJ de Mc 5.2 est à lire alors dans le double sens de « possédé par un esprit qui est (et peut rendre) rituellement impur et ignoble et malicieux » (cf. Za 13.2 ; T. Ben. 5.2 ; CCAG X 179.19 ; X 181.5 ; Justin, Dial. 7.3 ; Mt 10.1 ; 6
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Traduction justifiée de Mc 5.1–20
12.43 ; Mc 1.23–27 ; 3.11, 30 ; 5.2, 8, 13 ; 6.7 ; 7.25 ; 9.25 ; Lc 4.33, 36 ; 6.18 ; 8.29 ; 9.42 ; 11.24 ; Ac 5.16 ; 8.7 ; Ap 18.2). À remarquer que les expressions ʌȞİȝĮIJĮ ʌȠȞȘȡંIJİȡĮ ਦĮȣIJȠ૨ (« esprits plus mauvais que lui » : Mt 12.45 // Lc 11.26) et IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ʌȠȞȘȡઁȞ (« l’esprit mauvais » : Ac 19.15 ; cf. Ac 19.12 ; Lc 7.21 et 8.2) ne figurent pas dans l’évangile de Marc, qui emploie ʌȠȞȘȡĮ (« méchanceté ») et ʌȠȞȘȡંȢ (« mauvais ») seulement en 7.22–23, lorsqu’il s’agit de faire l’inventaire de ce qui sort du cœur de l’homme en le rendant impur (țȠȚȞંȦ). Le verbe ਫ਼ʌĮȞIJȦ (« aller ou venir à la rencontre [de quelqu’un] ; s’approcher ») se construit avec le datif de la personne vers laquelle on avance. Cela explique, dans notre texte, l’aoriste indicatif ਫ਼ʌȞIJȘıİȞ suivi de ĮIJ. Le mouvement vers la personne peut assumer une connotation négative (« aller à la rencontre de manière hostile ») ou positive (« aller à la rencontre de manière amicale »), selon le contexte. Avec le sens d’une approche cordiale, voir Appien, Bell. civ. 4.111 §406 ; 4.134 §566 ; P. Stras. 101.4 ; Tb 7.1 ; Philon, Det. 135 ; Flavius Josèphe, Vita 49 ; A.J. 2.279 ; Mt 28.9 ; Jn 4.51 ; 11.20, 30 ; 12.18 ; Mart. Pol. 8.2 ; Herm. Vis. 4.2.1. Avec le sens d’affrontement ou d’agression, voir Appien, Hist. rom. 10.23 §68 ; 10.26 §75 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.177 ; A.J. 7.128 ; T. Ben. 2.4 ; Lc 14.31. Ce verbe peut être utilisé à la place de (ou remplacé par) ਕʌĮȞIJȦ qui, lui aussi, désigne, selon le contexte, une avancée menaçante (Lc 14.31 ; 1 S 22.17 ; 2 S 1.15 ; 1 M 11.15, 68) ou bienveillante (Mt 28.9 ; Mc 14.13 ; Lc 7.12 ; Jn 4.31 ; Ac 16.16). Marc utilise les deux verbes une seule fois : ਫ਼ʌĮȞIJȦ en 5.2 et ਕʌĮȞIJȦ en 14.13. Dans le deuxième cas, il s’agit sans doute d’une action inoffensive : homme à la cruche d’eau. Dans le premier, par contre, la description de la force violente et indomptable d’origine surnaturelle de l’homme (5.2b–5), la mention du nom « Légion » (5.9) et la tentative du démoniaque de repousser ou même de contrôler Jésus par une formule d’adjuration (5.7 ; voir infra, p. 451 ; supra, p. 88-89, note 36), font pencher pour un affrontement. Marc distingue donc qualitativement l’avancée menaçante du démoniaque (Mc 5.2) de celle, pacifique, de l’homme portant une cruche d’eau (Mc 14.13) par le recours à deux verbes similaires mais différents. La connotation négative du verbe doit aussi être prise en compte en Mt 8.28 (// Mc 5.2, même verbe), Mt 8.34 (// Mc 5.15 qui, quant à lui, avait préféré ȡȤȠȝĮȚ) et Lc 8.27 (// Mc 5.2). Les deux autres emplois de ce verbe par Luc se trouvent en Lc 14.31, où le contexte est clairement militaire, et en Ac 16.16, où la jeune femme ayant un esprit de divination qui « talonne » (v. 17 : țĮIJĮțȠȜȠȣșȦ) Paul et Silas finit par exaspérer le premier (v. 18 : įȚĮʌȠȞȠȝĮȚ). 7
Le substantif ȝȞȘȝİȠȞ a le sens premier de « mémoire » (voir Platon, Tim. 26b, où Critias cite le dicton IJ ʌĮįȦȞ ȝĮșȝĮIJĮ șĮȣȝĮıIJઁȞ ȤİȚ IJȚ ȝȞȘȝİȠȞ : « les leçons [apprises par] des enfants se conservent merveilleusement dans la mémoire »). Toutefois, son champ sémantique s’élargit très tôt pour inclure le 8
Traduction personnelle et notes
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sens de « mémorial », un monument construit pour honorer la mémoire d’un dieu ou (surtout) d’un défunt (Euripide, Iph. taur. 702 ; 821 ; Thucydide, Bell. 1.138.5 ; Xénophon, Hell. 2.4.17 ; 3.2.15 ; Platon, Resp. 414a ; Sg 10.7 ; Flavius Josèphe, A.J. 5.119 ; 13.211 ; dans ce sens probablement aussi Lc 11.47 et peut-être l’expression IJ ȝȞȘȝİĮ IJȞ įȚțĮȦȞ de Mt 23.29c) et de « tombeau » (dans la LXX, il traduit ʸ ʓʡ ʷʓ ॲ [« sépulcre »] : LXX Gn 23.6–9 ; 50.5 ; LXX Es 22.16 ; voir SIG 1229.4 ; 1232.8–9 ; 1234.3–4 ; 1242.5 ; 1244.1 ; P. Flor. 9.10 ; T. Sal. 17.2 ; 4 Esd. 4.36 ; VAE gr. 42 ; Asc. Es. 3.13 ; Flavius Josèphe, A.J. 1.237 ; 18.108 ; dans le Nouveau Testament, voir par exemple Mt 23.29 ; 27.52, 60 ; 28.8 ; Mc 6.29 ; Lc 11.44 ; Jn 5.28 ; 11.17, 31 ; Ac 13.29). Lorsque ȝȞȘȝİȠȞ indique le lieu destiné à recevoir un mort, il peut faire référence à un sépulcre creusé dans le sol ou à un tombeau qui s’érige sur un terrain (bâti à l’aide de pierres ou même creusé dans le rocher, souvent dans des grottes). Les tombeaux au sol, avec le temps, pouvaient ne plus être reconnaissables et on risquait de marcher dessus (voir Lc 11.44). Le démoniaque de Mc 5.1–20 s’abrite dans des grottes à usage funéraire : l’existence de telles grottes et leur dimension suffisamment importante pour permettre à des personnes d’y entrer est attestée par l’archéologie et la littérature ancienne (PsÆl. Arist. 25.20–21 ; Diod. Sic. 13.86.3 ; Par. Jer. 7.1 ; Mt 23.29 ; 27.60b ; Mc 15.46 ; 16.1–8 ; Lc 23.55 ; 24.2–24 ; Jn 11.17, 31, 38 ; 12.17 ; 19.42 ; 20.1– 11 ; Év. P. 34 ; 53). En T. Sal. 4.5, la démone femelle Onoskélis affirme qu’elle réside, entre autres, dans les grottes. Les seuls autres passages où Marc mentionne les tombeaux sont Mc 6.29 (de Jean le Baptiseur) et 15.46 ; 16.2, 3, 5, 8 (de Jésus) : ces textes s’inscrivent dans sa stratégie rhétorique consistant à proposer une synkrisis entre ces deux personnages. Dans la perspective de l’auteur, d’un côté, Jean est mis au tombeau par ses disciples et y reste – même si après l’on croira, à tort, qu’il est ressuscité (cf. Mc 6.14 et 8.28) ; de l’autre, Jésus sera mis au tombeau par Josèphe d’Arimathée, un İıȤȝȦȞ ȕȠȣȜİȣIJȢ (15.43), et l’on aura du mal, à tort, à concevoir qu’il est ressuscité (16.8). Le substantif țĮIJȠțȘıȚȢ (ainsi que les mots de la même famille țĮIJȠȚțĮ [subst.] et țĮIJȠȚțȦ [verbe], employés en Ac 17.26, et țĮIJȠȚțȘIJȡȚȠȞ [subst.], que l’on trouve en Ap 18.2 et Ep 2.22) fait référence à la place, l’endroit, le quartier, le territoire où l’on habite ou où l’on réside. Ce mot traduit dans la LXX l’hébreu ʡ ʕˇˣʮ (Gn 10.30 ; Nb 15.2) et n’est pas rare dans la littérature ancienne (voir P. Lond. 1708.111 ; Flavius Josèphe, A.J. 6.321 ; C. Ap. 2.34 ; Herm. Vis. 3.8.8 ; Herm. Sim. 8.7.5 ; 8.9.2). Dans le deuxième évangile, on ne le trouve qu’en Mc 5.3. 9
À la différence du verset 2 de Marc 5, où le mot employé est ȝȞȘȝİȠȞ, l’auteur préfère ici le substantif ȝȞોȝĮ. Tout comme le premier, celui-ci est aussi employé pour désigner un monument à la mémoire d’une personne ou 10
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d’une divinité (Appien, Hist. rom. 12.1.132), un monument funéraire (Hérodote, Hist. 7.228) ou tout simplement un sépulcre (à l’instar de ȝȞȘȝİȠȞ, on retrouve ȝȞોȝĮ dans la LXX pour traduire l’hébreu ʸ ʓʡ ʓʷ ; voir aussi Lc 8.27 ; 23.53 ; 24.1 ; Ac 2.29 ; 7.16 ; Ap 11.9 ; Flavius Josèphe, A.J. 7.19). Nous choisissons de rendre la variation du vocabulaire dans le texte grec en traduisant ȝȞોȝĮ par « sépulcre » et ȝȞȘȝİȠȞ par « tombeau ». Le verbe įȞĮȝĮȚ (« être capable de, avoir le pouvoir de » grâce à l’habilité, aux ressources, aux circonstances, à la vertu, à une loi, à une coutume, à une autorité intrinsèque, un état mental, etc.) est souvent suivi par un infinitif présent (cf. Mc 2.7 ; 3.23) ou un infinitif aoriste (cf. Mc 1.45 ; 2.4 ; 5.3). La nuance réside dans le fait que, dans Mc 2.7 et 3.23, les actions de « pardonner les péchés » et « d’expulser Satan » sont à comprendre comme faisant partie du ministère de Jésus, un ministère qui se déploie tout au long de la narration. Par contre, l’impossibilité d’entrer dans la ville (Mc 1.45), d’amener le paralytique jusqu’à lui (2.4) et de lier le démoniaque (5.3) sont des actions qui, en dépit du temps qui a été pris et des tentatives qui ont été mises en œuvre pour les accomplir, sont à considérer comme ponctuelles et non définitives : les efforts ont été faits, mais sans succès. Ce qui implique qu’un rebondissement est nécessaire et possible : Jésus pourra enfin entrer à Capharnaüm (2.1), le malade sera bien présenté à Jésus (2.4b), le démoniaque sera « maîtrisé » (5.15). Dans Mc 5.3, l’indicatif imparfait ਥįȞĮIJȠ suivi par l’infinitif aoriste įોıĮȚ (įȦ = « lier » : voir Mt 13.30 ; Ac 10.11 ; Jn 11.44 ; 19.40 ; par extension « faire prisonnier » : Mt 12.29 // Mc 3.27 ; Mt 14.3 // Mc 6.17 ; Mt 22.13 ; Mt 27.2 // Mc 15.1, 7 ; Ap 9.14 ; Jn 18.12 ; Ac 9.14 ; Lc 13.16 [par Satan]) est à lire dans la perspective d’une action répétée dont l’inefficacité est dénoncée. D’où notre choix de traduction « personne ne pouvait plus le lier [pour de bon] ». 11
Le substantif ਚȜȣıȚȢ est composé d’un alpha privatif suivi d’un mot dérivé du verbe ȜȦ (« délier, défaire »). Il désigne de manière générale les chaînes ou les liens (matériels ou spirituels) par lesquels on limite la liberté des prisonniers ou des démons (voir PSI 240.12 ; PGM IV.3092 ; XIII.294 ; T. Sal. 15.7 ; Philon, Leg. 1.28 ; Flavius Josèphe, A.J. 3.170 ; Ap 20.1–2 ; cf. emploi figuré en Sg 17.17 et Ep 6.20 ; peut-être en 2 Tm 1.16). Plus précisément, il s’agit de menottes que l’on met aux poignets (cf. Ac 12.6–7 ; 21.33 ; 28.20), parfois couplées avec des chaînes pour les chevilles (ʌįĮȚȢ, « entraves » : voir note suivante). 12
ΠįȘ, dans le Nouveau Testament seulement en Mc 5.4 // Lc 8.29, est utilisé pour indiquer un lien (en métal, en cuir ou en autre matériel) muni d'un anneau des deux côtés qui, appliqué aux pieds des esclaves ou des prisonniers, en limite les mouvements (voir PSI 406.24 ; PGM V.488 ; T. Jos. 8.5 ; Asc. Es. 3.6 ; Flavius Josèphe, A.J. 19.295 ; dans la LXX, voir par ex. Jg 16.21 ; 2 S 13
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3.4 ; 1 M 3.41 ; Si 6.24 ; Dn 4.17). On retrouve parfois le binôme ਚȜȣıȚȢ – ʌįȘ : Polybe, Hist. 3.82.8 ; Denys d’Halicarnasse, Ant. 6.26.2 ; 6.27.3 ; ainsi aussi dans Mc 5.3–4 // Lc 8.29. L’infinitif parfait passif įȚİıʌıșĮȚ montre de manière explicite qu’il s’agit d’une action (ou séries d’actions), dans ce cas située(s) dans le passé et dont les résultats perdurent dans le présent. Le verbe įȚĮıʌȦ a le sens de « lacérer, séparer » et, par extension, de « réduire/découper en morceaux » (voir Hérodote, Hist. 3.13 ; SIG 364.10 ; P. CairZen. 443.4 ; T. Juda 2.4 ; Flavius Josèphe, A.J. 6.186 ; Justin, 1 Apol. 37.8 ; Dial. 15.4 ; Jg 16.9 LXX ; Appien, Bell. civ. 2.147 §613). C’est son seul emploi dans Marc. Dans le Nouveau Testament, on ne le retrouve que dans Ac 23.10 (« mettre Paul en pièces »). 14
ΣȣȞIJȡȕȦ signifie « réduire en morceaux, casser » (Polybe, Hist. 21.10.2 ; 31.8.11 ; Diod. Sic. 14.58.3 ; 15.86.2 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.43, 90 ; T. Job 25.10) et figurativement « écraser, vaincre » (Lc 9.39 ; Rm 16.20). Dans la LXX, il traduit souvent ʸ ʔʡˇ : voir Ex 12.46 ; 32.19 ; Dt 9.17 ; Ps 34.19, 21 ; 147.3 ; Es 61.1. Il s’agit d’un terme plutôt rare dans le Nouveau Testament (dans Marc seulement en 5.4 et 14.3 ; ailleurs seulement en Jn 19.36, Rm 16.20 et Ap 2.27). Matthieu et Luc ne le gardent pas pour leur version du récit de Mc 5.1–20. Par ailleurs, Matthieu l’emploie seulement en 12.20 et Luc en 4.18 et 9.39. 15
L’imparfait indicatif actif du verbe ੁıȤȦ (« être capable, pouvoir, avoir la force mentale et/ou physique » : cf. Lc 13.24 et Ph 4.13) est employé ici avec l’infinitif aoriste actif įĮȝıĮȚ. Ce type de construction (avec l’infinitif) est plutôt commun (Diod. Sic. 1.83.8 ; Plutarque, Pomp. 58.6 ; P. Eleph. 17.23 ; P. Oxy. 396 ; 533.16 ; 1345 ; T. Sal. 22.8 ; Philon, Leg. 3.27 ; Flavius Josèphe, B.J. 6.367 ; A.J. 2.86 ; Justin, 1 Apol 44.12 ; Mt 26.40 ; Mc 5.4 ; 9.18 [le verbe à l’infinitif est sous-entendu, comme dans Si 43.28] ; Lc 6.48 ; 8.43 ; 14.6 ; 20.26 ; Jn 21.6 ; Ac 6.10 ; 15.10 ; 25.7 ; 27.16 ; 2 Clém. 18.2 ; Herm. Vis. 1.3.3). 16
17
Le récit n’attribue pas aux habitants de la région le dessein de capturer et de garder captif le démoniaque : dans ce cas, c’est le verbe ȗȦȖȡȦ (Hérodote, Hist. 3.52 ; Nb 31.18 LXX ; Philon, Virt. 43 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.448 ; A.J. 9.194 ; 2 Tm 2.26) qui aurait dû être employé. Il s’agit plutôt d’une volonté de « soumettre ». Le choix du narrateur est significatif car, à la place du verbe commun ਫ਼ʌȠIJııȦ, il préfère le plus pittoresque – et plus rare dans la littérature biblique – įĮȝȗȦ, qui ne se trouve, dans la LXX, qu’en Dn 2.40 et, dans le Nouveau Testament, qu’en Mc 5.4 et Jc 3.7–8. Ce verbe est employé pour décrire l’acte de réduire à l’obéissance des animaux (Homère, Od. 4.637 ; T. Abr. A 2 ; Jc 3.7–8 – dans ce dernier verset, il est question de l’impossibilité de « dompter » la langue ; cf. Flavius Josèphe, A.J. 3.86) ou des vaincus (Homère, Od. 3.305 ; 9.59 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.377 ; Dion Chrysostome, Or. 2.50 ;
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voir aussi Eusèbe, Hist. eccl. 4.15.24, où le gouverneur menace de « faire soumettre » ou de « dompter » Polycarpe par le feu après que ce dernier n’a pas cédé face à la menace d’être jeté aux fauves). Pour un usage ironique de ce verbe à l’égard de certaines personnes (des débiteurs en l’occurrence), voir Denys d’Halicarnasse, Ant. 6.27.3. Le narrateur du récit marcien du démoniaque de Gérasa suggère que ce dernier est assimilé, du point de vue de ses compatriotes, à un animal à apprivoiser (langage agreste), tout en relevant leur impuissance à le réduire à l’obéissance (langage militaire). La révélation du nom « Légion » (Mc 5.9) et l’entrée des démons dans les cochons (5.13) ne fera qu’amplifier les résonnances tragicomiques de ce verbe. La locution įȚ ʌĮȞIJંȢ traduit, dans la LXX, l’adverbe ʣʩ ʮʙ ʑ ʕˢ (« perpétuel » : Ex 25.30 ; 27.20 ; Nb 4.7 ; etc.). Le Nouveau Testament l’emploie dans le même sens : Mt 18.10 et He 9.6. Cette locution est suivie par l’expression ȞȣțIJઁȢ țĮ ਲȝȡĮȢ (dans la LXX, seulement en Jdt 11.17 et Es 34.10 ; dans le Nouveau Testament, en 1 Th 2.9 ; 3.10 ; 2 Th 3.8 ; 1 Tm 5.5 ; 2 Tm 1.3 et, enfin, en Mc 5.5 ; vțIJĮ țĮ ਲȝȡĮȞ se retrouve en 4 Esd. 2.9 ; T. Sal. 1.5 ; 4.12 et 7.5). Du point de vue narratif, leur juxtaposition intensifie le drame vécu par le démoniaque. 18
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La montagne (ȡȠȢ) est ici associée aux sépulcres (voir P. Oxy. 274.27 ; P. Ryl. 153.5). Elle est aussi la place idéale où les fugitifs trouvent refuge (Appien, Bell. civ. 4.30 §130 ; 1 M 9.40 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.36 ; A.J. 14.418 ; Plutarque, Her. mal. 36 [869b]). Le verbe țĮIJĮțંʌIJȦ signifie « couper profondément/en morceaux » (voir, dans la LXX : Gn 14.5, 7 ; 2 Ch 15.16 ; 28.24 ; Es 18.5 ; 27.9 ; Ez 5.2) et est employé aussi dans le sens de « détruire, tuer » (notamment par l’épée) dans des contextes militaires (voir, dans la LXX : Nb 14.45 ; Jos 10.10 ; 11.8 ; Jg 20.43 ; 2 M 1.13 ; Za 11.6 ; Jr 20.4 ; 21.7 ; Dn 7.23 ; à remarquer que, dans P. Lips. 37.21 et PSI 313.10, ce verbe est accompagné du substantif ʌȜȘȖĮȢ [« coup, blessure »], ce qui lui donne plutôt le sens de « frapper »). Il se construit avec l’accusatif de la personne ou de l’objet (dé)coupé et le datif de l’objet utilisé pour l’entreprise. Mc 5.5 (seule occurrence de ce verbe dans le Nouveau Testament) précise donc que c’est l’homme qui s’inflige lui-même (ਦĮȣIJંȞ) des coupures et des blessures à l’aide de pierres. 20
Le participe aoriste actif du verbe ȡȦ est formé à partir de la racine İੁį(« voir »), qui est aussi à la base du verbe ȠੇįĮ (« savoir »). Il en résulte que țĮ ੁįઅȞ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ peut revêtir le double sens de « voir » Jésus et aussi de « savoir » qui il est. Ce participe, au singulier ou à la forme plurielle ੁįંȞIJİȢ, est souvent suivi d’un pronom, d’un substantif ou d’un adjectif à l’accusatif (par ex. Mt 2.10 ; 3.7 ; 5.1 ; 8.18, 34 ; Mc 5.6, 22 ; 9.15, 20 ; Lc 2.48 ; 7.13 ; Jn 5.6 ; 6.14 ; Ac 13.12 ; 14.11 ; pour des exemples sans accusatif mais dont le 21
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contexte précise l’objet du verbe : Mt 9.8, 11 ; 21.20 ; Lc 1.12 ; 2.17 ; Ac 3.12 ; 7.31). Marc utilise encore ੁįઆȞ en 5.22 ; 6.48 ; 9.20, 25 (exorcisme de l’enfant à l’esprit muet) ; 10.14 ; 11.13 ; 12.28, 34 ; 15.39, et toujours avec le double sens d’« apercevoir » et de « discerner ». Pour d’autres exemples, chez Marc, de verbes formés à partir de la racine İੁį-, voir 5.33 ; 10.19, 38, 42 ; 11.33 ; 12.14, 15, 24 ; 13.32, 33, 35 ; 14.40, 68, 69, 71. ȂĮțȡંșİȞ (« de loin ») est composé par l’adjectif ȝĮțȡંȢ (« long [temps] » : Mc 12.40 ; « lointain [espace] » : Lc 15.13 ; 19.12) suivi du suffixe à valeur séparatrice -șİȞ. La construction ਕʌં ȝĮțȡંșİȞ s’impose bien avant l’époque néotestamentaire (LXX : Esd 13.3 ; Ne 12.43 ; Ps 37.12 ; 137.6 ; 138.2 ; voir aussi Jos. Asen. 24.17) car le suffixe -șİȞ perd progressivement sa fonction originale (cf. ਕʌૃȠȡĮȞંșİȞ dans Homère, Il. 8.365 ; PGM II.83 ; Or. Sib. 3.691 ; Pseudo-Hésiode, Scut. 365. Voir aussi ਕʌઁ ȝʌȡȠıșİȞ dans Qo 1.10 LXX). Si Luc emploie aussi bien l’adverbe ȝĮțȡંșİȞ seul (Lc 18.13 et 22.54) que la locution ਕʌઁ ȝĮțȡંșİȞ (16.23 ; 23.49), Matthieu (Mt 26.58 et 27.55) et Marc (Mc 5.6 ; 8.3 ; 11.13 ; 14.54 ; 15.40) n’utilisent que la locution. De même, Ap 18.10, 15, 17, où l’on retrouve les trois seuls autres emplois dans le Nouveau Testament. 22
ȉȡȤȦ traduit, dans la LXX, le verbe ʵ˒ʸ (cf. Gn 18.7 ; 24.20 ; Nb 17.10 ; Jg 7.21 ; 2 Ch 23.12) qui, selon le contexte, a surtout le sens de « courir » (même figurativement : voir Es 55.5 et Ps 118.32 LXX ; cf. Rm 9.16 ; Ga 5.7 ; He 12.1 ; Év. P. 6), mais aussi de « s’approcher/se diriger rapidement, aller à la rencontre de quelqu’un de manière amiable » (Gn 18.2 LXX ; voir Lc 15.20 ; Jn 20.2, 4 ; Prot. Jac. 4.4), « se dépêcher » pour aller chercher un objet (Gn 18.7 LXX ; voir Mc 15.36), et même « se précipiter vers quelqu’un ou quelque chose de manière hostile » (voir, dans la LXX, Jb 15.26 et 16.14 ; Dn 8.6 ; cf. Ap 9.9 ; pour des exemples d’emploi classique du verbe dans des contextes de danger : Hérodote, Hist. 8.102 ; Euripide, Orest. 878 ; Alc. 489 ; El. 883 ; Iph. aul. 1456 ; Denys d’Halicarnasse, Ant. 7.48.3). Dans Marc, on ne retrouve IJȡȤȦ qu’en 5.6 et 15.36 : dans le deuxième cas, il s’agit de quelqu’un qui se précipite pour aller imbiber une éponge de vinaigre afin de l’offrir à Jésus crucifié dans le but de se moquer de lui. Le contexte de Mc 5.6 (notamment la force violence dont il est question dans les verset 3–5) et la mise en parallèle avec le verbe ਫ਼ʌĮȞIJȦ du verset 2 nous poussent à considérer ici le mot įȡĮȝİȞ comme décrivant une action agressive de la part du démoniaque à l’égard de Jésus. 23
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L’acte d’embrasser est exprimé en grec ancien par un verbe (țȣȞȦ) qui s’inspire de l’action du chien (țȦȞ) qui lèche la main de son maître dans une attitude de dépendance et de gratitude. ȆȡȠıțȣȞȦ prolonge ce développement sémantique en indiquant à la fois la position (s’agenouiller), l’action (embras-
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ser le sol, les genoux, les pieds, les mains, ou le bord des vêtements) et la disposition interne (respect, vénération, soumission) de la personne qui se prosterne devant une autre (ainsi le BDAG). Si l’adoration n’est réservée qu’aux divinités et aux objets cultuels (voir Hérodote, Hist. 2.121 ; Sophocle, Oed. col. 1654), la vénération et la dévotion – même dans le contexte d’un geste conventionnel de bienvenue – sont élargies aux rois et aux personnes notables (voir Platon, Resp. 398a) : ʌȡȠıțȣȞȦ est alors suivi par l’accusatif de la personne qui est l’objet de la dévotion. Dans la LXX, ce verbe grec traduit souvent l’hébreu ʤ ʕʧˇ (« se prosterner, s’agenouiller » : voir Gn 18.2 ; Ex 4.31 ; Jb 1.20), mais, tout comme dans le Nouveau Testament, il est suivi, dans la très grande majorité des cas, par le datif de la personne vénérée (par ex. Gn 23.7 : IJ ȜĮ ; 24.26 : țȣȡ ; Ex 18.7 : ĮIJ ; voir aussi VAE gr. 27.33 ; pour des constructions avec l’accusatif dans la LXX, voir Gn 37.9 ; Ex 11.8 ; Jg 7.15 ; pour les rares emplois dans le Nouveau Testament de ʌȡȠıțȣȞȦ suivi par l’accusatif, voir Mt 4.10 ; Lc 4.8 ; Jn 4.22, 23, 24 ; Ap 9.20 ; voir aussi Flavius Josèphe, C. Ap. 1.239 ; A.J. 2.13 ; 7.250 et le curieux cas de 6.154, où le verbe est utilisé avec le datif [IJ șİ] et juste après avec l’accusatif [IJઁȞ șİંȞ]). Les auteurs du Nouveau Testament utilisent aussi volontiers ce mot pour décrire un geste révérencieux envers des êtres humains, en l’accompagnant souvent d’un complément d’information : Mt 2.8, 11 ; 18.26 (précédé de ʌİıઅȞ) ; 20.20 ; Ap 3.9 (suivi de ਥȞઆʌȚȠȞ IJȞ ʌȠįȞ ıȠȣ) ; Mc 15.19 (ironique, précédé de țĮ IJȚșȞIJİȢ IJ ȖંȞĮIJĮ) ; Jn 9.38 ; Ac 10.25 (précédé par ʌİıઅȞ ਥʌ IJȠઃȢ ʌંįĮȢ). ȆȡȠıțȣȞȦ est, néanmoins, très peu utilisé par Marc : seulement en 5.6 et en 15.19 (les soldats qui sarcastiquement s’inclinent devant Jésus prisonnier et torturé). Luc en fait également un usage sporadique dans son évangile (en Lc 4.7, 8 : tentation ; 24.52 : adoration de Jésus, pendant son ascension, de la part des disciples), mais un peu plus conséquent dans les Actes : 7.43 (citation d’Am 5.26, contexte idolâtre) ; 8.27 (éthiopien qui est allé à Jérusalem pour adorer) ; 10.25 (Corneille devant Pierre) ; 24.11 (Paul a adoré à Jérusalem). On constate qu’une seule fois seulement, en Luc-Actes, ʌȡȠıțȣȞȦ est employé pour décrire la posture (physique et psychologique) de quelqu’un face à Jésus (Lc 24.52). Même l’évangile de Jean, dans lequel le verbe apparaît à onze reprises (Jn 4.20 [x2], 21, 22 [x2], 23 [x2], 24 [x2] ; 9.38 ; 12.20), n’y recourt que dans un seul cas pour montrer un acte révérencieux envers Jésus (Jn 9.38 : l’aveugle-né guéri). Toutefois, il est significatif que, dans l’évangile de Jean, ʌȡȠıțȣȞȦ n’est employé ailleurs que pour le culte rendu à Dieu. Matthieu, de son côté, l’exploite amplement dans sa narration pour en faire un mot-clé de la relation qui lie Jésus à son entourage. En Mt 2.2, ce sont les Mages qui veulent se prosterner devant le roi des Juifs (ils le feront au verset 11) ; en 2.8, c’est Hérode qui dit, malicieusement, vouloir faire de même ; en 8.2, c’est le lépreux qui s’incline devant Jésus ; en 9.18, c’est le tour d’un chef (ਙȡȤȦȞ İੈȢ) ; en
Traduction personnelle et notes
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14.33, des disciples ; en 15.25, d’une Cananéenne ; en 20.20, de la mère des fils de Zébédée ; en 28.9, des femmes au sépulcre ; et enfin en 28.17, des disciples face au Ressuscité. Le Jésus matthéen accepte la vénération, mais ce dernier texte montre qu’elle ne met pas à l’abri du doute et qu’elle doit être redéfinie en fonction de ce que l’on a saisi de la nature du Christ relevé d’entre les morts. L’origine formelle du verbe țȡȗȦ est à chercher dans le croassement du corbeau (țȩȡĮȟ) : il s’agit donc d’un mot issu d’une onomatopée et dont le sens premier est « produire des cris inarticulés ». C’est le sens à retenir dans le texte de Mc 5.2 et même ici, au verset 6, car l’expression țĮ țȡȟĮȢ ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ ȜȖİȚ est composée du participe aoriste actif de țȡȗȦ suivi du présent indicatif actif du verbe ȜȖȦ : l’emploi du participe aoriste montre bien qu’il s’agit d’un cri inarticulé qui précède la question et la requête du démoniaque. Le verbe țȡȗȦ peut aussi être employé pour décrire la modalité d’une proclamation (à haute voix), mais, dans ce cas, il est normalement à l’indicatif et suivi directement d’un discours direct (Mc 10.48 ; 15.14 ; Lc 18.39 ; Jn 12.13 ; Ac 19.34 ; 21.28, 36 ; 22.6 ; Rm 9.27 ; cf. Ac 14.14, où le verbe est au participe présent actif), ou sinon à l’indicatif suivi du verbe ȜȖȦ au participe présent (Mt 8.29 ; 14.30 ; 15.22 ; 20.30–31 ; 21.9 ; 27.23 ; Mc 3.11 ; Jn 7.37 ; 19.12 ; Ac 16.17 ; 19.28 ; Ap 6.10 ; 7.10 ; 18.18–19 ; 19.17). Parfois, on rencontre la construction avec deux infinitifs (țȡȗİȚȞ țĮ ȜȖİȚȞ : Mc 10.47) ou deux participes présents (Mt 9.27 ; 21.15 ; Lc 4.41) : dans ces cas, les paroles intelligibles et les cris inarticulés s’entrelacent et alternent. La locution pléonastique (țĮ [ਥȞ]) ijȦȞૌ ȝİȖȜૉ + verbe ȜȖȦ (cf. Ap 6.10 ; 7.10 ; 19.17) est d’origine sémitique et très utilisée dans la LXX : voir 1 S 28.12 ; 2 S 19.5 ; Ez 9.1 ; 11.13 ; Es 36.13 ; Dn 6.21, 22 ; Dn Gr. 13.42 ; 14.41. 25
La locution IJ ਥȝȠ țĮ ıȠ se retrouve telle quelle cinq fois dans la LXX (Jg 11.12 ; 1 R 17.18 ; 2 R 3.13 ; 2 Ch 35.21 et 1 Esd. 1.24) et toujours dans des contextes de tension, voire de conflit politique (et/ou militaire). Dans le Nouveau Testament, on ne la retrouve qu’en Mc 5.7 // Lc 8.28 // Mt 8.29 (modifiée, sensiblement, par ce dernier, en IJ ਲȝȞ țĮ ıȠ, du fait que les démoniaques sont au nombre de deux) et, en Jn 2.4, lorsque Jésus apostrophe ainsi sa mère à l’occasion des noces de Cana. 26
En tant que superlatif du substantif ȥȠȢ (« hauteur »), ȥȚıIJȠȢ est utilisé aussi bien dans son sens spatial que figuré. Dans le Nouveau Testament on ne le retrouve qu’en He 7.1 (IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ) et dans les évangiles synoptiques. Marc ne l’utilise que deux fois : en terre païenne, dans la bouche d’un démoniaque (Mc 5.7 : ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ) et, alors que l’on approche de Jérusalem, en tant qu’acclamation par une foule d’adeptes venus surtout de Galilée (Mc 11.10 : ੪ıĮȞȞ ਥȞ IJȠȢ ਫ਼ȥıIJȠȚȢ // Mt 21.9 // Lc 19.38 : 27
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įંȟĮ ਥȞ ਫ਼ȥıIJȠȚȢ șİ – même expression en Luc 2.14). Dans ce dernier cas, il indique « les plus hauts des lieux », à savoir là où réside Dieu : « les cieux ». Il s’agit d’un usage parallèle à celui de Jb 16.19 LXX, qui met en parallèle « les cieux » avec « les lieux très hauts » : ਥȞ ȠȡĮȞȠȢ… ਥȞ ਫ਼ȥıIJȠȚȢ. Le premier évangile, par contre, ne l’utilise jamais en tant qu’épithète de Dieu : son seul emploi se rencontre en Mt 21.9 (déjà cité plus haut). Luc, de son côté, n’hésite pas à l’utiliser pour désigner Dieu dans l’expression ȣੂઁȢ ਫ਼ȥıIJȠȣ (Lc 1.32 ; cf. 8.28 : ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ // Mc 5.7 ; voir aussi Lc 6.35 : ȣੂȠ ਫ਼ȥıIJȠȣ), mais aussi en Lc 1.35, 76 ; Ac 7.48 et 16.17. L’adjectif ȥȚıIJȠȢ, quant à lui, est bien attesté dans la littérature gréco-romaine pour désigner typiquement Zeus, vénéré en Grèce, mais aussi de la Syrie à l’Egypte, en passant par l’Asie Mineure (ǽİઃȢ ȥȚıIJȠȢ en Pindare, Nem. 1.60 [90] ; 11.2 ; Eschyle, Eum. 28 ; CIG 498 ; 503 ; 1869 ; cf. șİઁȢ ȥȚıIJȠȢ : SB 589 [II BC] ; 1323.1 [II AD] ; OGIS 378.1 [I AD] : șİ ਖȖȦ ਫ਼ȥıIJ ; 755.1– 2 : IJȠ૨ ਖȖȚȦIJIJȠȣ [șİȠ૨ ਫ਼ȥ]ıIJȠȣ ıȦIJોȡȠȢ ; 756.3–4 : IJȠ૨ ਖȖȚĮIJIJȠȣ șİȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ ; PGM IV.1068 : ੂİȡઁȞ ijȢ IJȠ૨ ਫ਼ȥıIJȠȣ șİȠ૨ ; V.46 ; XII.63, 71). Pour d’autres inscriptions attestant l’emploi fréquent de cette expression voir Richard S. Ascough, Philip A. Harland, et John S. Kloppenborg, éd, Associations in the Greco-Roman World : A Sourcebook (Waco : Baylor University Press, 2012), 42, 48, 62–63, 65–67, 76–77. Il serait toutefois erroné de justifier son usage dans le Nouveau Testament surtout par une influence de cette littérature sur le christianisme naissant. Que le Dieu d’Israël ait été connu parmi les Juifs de la Diaspora en tant que șİઁȢ ȥȚıIJȠȢ est un fait bien attesté par la LXX (voir Gn 14.20 ; Dt 32.8 ; Tb 1.13 ; Ps 17.14 LXX ; 46.3 LXX ; 77.17, 35, 56 LXX ; 96.9 LXX ; Si 4.10 ; 12.6 ; 23.18 ; 34.19 ; 35.18 ; 42.18 ; Dn 4.21, 29 ; 5.18, 21 ; Es 57.15 ; Mn 12.7 ; 1 Esd. 2.2, 3), ȥȚıIJȠȢ étant la traduction adoptée pour l’hébreu ʯˣ ड़ʩ ʍʬˆʓ ʬʠ. ४ ʒ Ce titre (et ses équivalents dans les textes araméens) est bien attésté à Qumrân également : 1QS 4.22 ; 10.12 ; 11.15 ; 1QHa 12.31 ; 14.33 ; 1Qap Genar 2.4 ; 6.9 ; 10.18 ; 12.17 ; 20.12, 16 ; 21.2, 20 ; 22.15, 16, 21 ; 4Q88 VIII.15 (= 11QPsa 22.15) ; 4Q219 II.21 ; 4Q222 frag. 1, 4 ; 4Q242 frag. 1–3, lignes 2, 3, 5, 6 ; 4Q246 II.1 ; CD-B 20.8 ; 4Q285 frag. 1, ligne 3 (= 11Q14 frag. 1, II.4, 7) ; 4Q291 frag. 1, ligne 3 ; 4Q372 frag. 1, ligne 4 ; 4Q378 frag. 26, lignes 1, 3, 4 ; 4Q379 frag. 18, ligne 6 ; 4Q422 II.9 ; 4Q434a frag. 1+2, ligne 10 ; 4Q491 frag. 15, ligne 7 ; 4Q525 frag. 2–3, II.4 ; 4Q541 frag. 9, II.7 ; 4Q552 frag. 4, ligne 2 ; 4Q568 1 ; 11QPsa 27.11 ; 11Q15 frag. 1, II.4, 7. Les auteurs juifs apocalyptiques (1 Hén. 10.1 ; T. Sim. 2.5 ; T. Lévi 8.15) et hellénistiques (Philon, Leg. 3.24 ; Flacc. 46 ; Legat. 157 ; 278 ; 317 ; Flavius Josèphe, A.J. 16.163) désignent Dieu de la même manière. Les auteurs chrétiens aussi : 1 Clém. 29.2 (Dt 32.8) ; 45.7 ; 52.3 (Ps 49.14 LXX) ; 59.3 ; Justin, Dial. 32.3 ; 124.1, 4. « Le Dieu Très Haut » est également invoqué dans deux inscriptions funéraires juives : CIJ 725, qui date du IIe siècle avant notre ère, retrouvée à Rhénée, une petite île à l’ouest de Délos ; CIJ 769, venant d’Acmonia (Phrygie) : Pieter W.
Traduction personnelle et notes
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van der Horst, Ancient Jewish Epitaphs. An Introductory Survey of a Millennium of Jewish Funerary Epigraphy : 300 BCE–700 CE (Kampen : Kok Pharos, 1991), 57–58, 148–49. Le verbe ȡțȗȦ a le sens premier d’« obliger quelqu’un à faire un serment » (BDAG ; voir dans la LXX : 1 R 2.42 ; 2 Ch 36.13 ; Ne 13.25), le substantif ȡțȚȠȞ désignant le vœu, la promesse solennelle ou encore le serment (SIG 581.91 ; Philon, Conf. 43 ; Or. Sib. 3.654). Puisque la personne qui ordonne de jurer n’est pas souvent en position de s’assurer ou de prétendre que sa demande sera exécutée, le verbe a aussi le sens de « implorer, supplier, conjurer » (ainsi par ex. en 1 Th 5.27 [ਥȞȠȡțȗȦ] et en Mt 26.63 [ਥȟȠȡțȗȦ]). Dans la LXX, où il traduit l’hébreu ʲ ʔʡ ʕˇ (« jurer, prêter serment »), ȡțȗȦ (ou ses composés) régit typiquement l’accusatif de la personne à qui l’ordre est donné et, le cas échéant, le génitif de la personne ou de la chose ou du pouvoir par qui l’on conjure : voir 1 R 2.42 ; 2 Ch 36.13 (avec țĮIJ + gen ; ainsi aussi dans Par. Jer. 8.10 ; Mt 26.63) ; Ne 13.25 et Ct 2.7 ; 3.5 (avec ਥȞ + gén.). Toutefois, on le retrouve aussi avec le double accusatif, à savoir de la personne que l’on conjure et du pouvoir que l’on évoque : ainsi en 1 Th 5.27. D’un intérêt tout particulier est le constat que l’hébreu ʲ ʔʡ ʕˇ se retrouve dans des textes de type incantatoire (ʲʡˇʮ en 8Q5 ; 11QApPsa 1.7 et 4.1 ; ʺʩʮʥʠ dans 4Q560 : voir Esther Eshel, « Apotropaic Prayers in the Second Temple Period », in Liturgical Perspectives : Prayer and Poetry in Light of the Dead Sea Scrolls. Proceedings of the Fifth International Symposium of the Orion Center for the Study of the Dead Sea Scrolls and Associated Literature, 19–23 January, 2000, éd. par Esther G. Chazon, STDJ 48 (Leiden – Boston : Brill, 2003), 84–86) et que son équivalent grec ȡțȗȦ devient aussi un mot technique dans les formules anciennes d’expulsion des démons. L’exorciste, face au possédé, « adjure » l’esprit maléfique en lui enjoignant de partir au nom de telle ou telle divinité (voir PGM III.37–40 ; IV.289, 3019 et VII.242 pour des exemples avec țĮIJ + génitif ; PGM IV.3045 ; Mc 5.7 et Ac 19.13 pour l’emploi avec le double accusatif). Collins, en se fondant sur Flavius Josèphe, A.J. 8.45 (description des pouvoirs d’exorciste d’Eléazar), remarque que le verbe ਥȟȠȡțȩȦ est considéré comme un synonyme de ȡțȗȦ (Collins, Mark. A Commentary, 268). À la lumière de ces considérations, on constate que, dans Mc 5.7 (seule occurrence du verbe ȡțȗȦ dans cet évangile), le lecteur est confronté à une singulière dissonance sémantique : d’un côté le démoniaque se prosterne ; de l’autre il semble vouloir « adjurer/exorciser » Jésus. Voir Theissen, The Miracle Stories, 57, 88–89 ; Gundry, Mark, 250 ; Richard A. Horsley, Hearing the Whole Story : The Politics of Plot in Mark’s Gospel (Louiville : Westminster John Knox Press, 2001), 273. 28
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L’acte de tester la qualité et la pureté de l’or ou de l’argent à l’aide d’un touchau (ȕıĮȞȠȢ) est exprimé par le verbe ȕĮıĮȞȗȦ (Maxime de Tyr, Diss.
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Traduction justifiée de Mc 5.1–20
11.2a ; cf. Pline l’Ancien, Nat. 33.43). Figurativement, le mot est employé dans deux acceptions : a. dans un contexte juridique, « faire endurer une torture, punir » (voir Thucydide, Bell. 8.92.2 ; BGU 1847.16 ; P. Ant. 87.13 ; P. Oxy. 903.10 ; 2 M 7.13 ; 4 M 6.5 ; Flavius Josèphe, A.J. 2.105 ; 16.232 ; Mart. Pol. 2.2 ; Ap 14.10 et 20.10) ; b. de manière plus générale, « faire souffrir, affliger » (souvent à la forme passive). Dans cette dernière acception, le verbe désigne un tourment causé, par exemple, par une maladie (Flavius Josèphe, A.J. 9.101 ; 12.413 ; P. Oxy. Hels. 46.19 ; Mt 8.6), des contractions (Anth. pal. 9.311 ; Ap 12.2), une navigation turbulente (Mc 6.48 ; Mt 14.24). Collins et Theissen sont de l’avis que, en Mc 5.7 (// Mt 8.29 et Lc 8.28), l’auteur relève la souffrance de l’esprit mauvais qui est confronté et traité avec violence par l’exorciste (Collins, Mark. A Commentary, 268 ; Theissen, The Miracle Stories, 57). Il nous semble néanmoins important de souligner que l’action exorcistique de Jésus dans Marc est plutôt à lire dans le contexte de l’affrontement eschatologique entre Dieu et Satan (Mc 1.12–13, 24 ; 3.22–27) et que la défaite de Satan équivaut à son jugement (optique partagée par les deux autres synoptiques : noter le ʌȡઁ țĮȚȡȠ૨ de Mt 8.29 et le İੁȢ IJȞ ਙȕȣııȠȞ de Lc 8.31). Il est alors légitime de ne pas réduire le ȝ ȝİ ȕĮıĮȞıૉȢ de Mc 5.7 à une demande de suspension d’une violence circonstanciée, mais de lui donner sa valeur juridique, d’où notre traduction : « ne me punis pas ». L’emploi de l’impératif aoriste ȟİȜșİ pour ordonner aux mauvais esprits de sortir de leurs hôtes est bien attesté (Mc 1.25 ; 5.8 ; 9.25 ; Lc 4.35 ; Ac 16.18 ; PGM IV.1243, 1245, 3013 ; V.158 ; XCIV.17 ; immédiatement suivi du vocatif, comme en Mc 5.8 [bien qu’ici il soit inhabituellement précédé de l’article ; pourtant cf. 9.25 : IJઁ ਙȜĮȜȠȞ... ʌȞİ૨ȝĮ... ȟİȜșİ] : voir PGM IV.1243 : ȟİȜșİ įĮȝȠȞ ; Si 29.27 : ȟİȜșİ ʌȡȠȚțİ ; Ct 1.8 LXX : ȟİȜșİ ı). L’expression « esprit impur » (ʌȞİ૨ȝĮ ਕțșĮȡIJȠȞ) est aussi commune (Mt 10.1 ; 12.43 ; Mc 1.23, 26 ; 3.11, etc. ; Lc 4.33, 36, etc. ; Ac 5.16 ; 8.7 ; Ap 16.13 ; 18.2 ; dans Ac 19.12–16 on trouve ʌȠȞȘȡંȢ à quatre reprises à la place de ਕțșĮȡIJȠȢ, comme déjà en Lc 7.21 ; 8.2 ; Mt 12.45 // Lc 11.26, où le comparatif est employé). Dans le Nouveau Testament, lorsque le verbe ਥȟȡȤȠȝĮȚ est utilisé à l’impératif dans un contexte d’exorcisme, il n’est jamais suivi du complément d’objet direct, sauf en Mc 5.8. Ici, à la place du vocatif (comme dans PGM IV.1243 : ȟİȜșİ įĮȝȠȞ ; Si 29.27 : ȟİȜșİ ʌȡȠȚțİ), Marc recourt au nominatif (ȟİȜșİ IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ; cf. Ct 1.8 LXX : ȟİȜșİ ıઃ). À notre avis, Marc aurait pu vouloir garder verbatim la formulation de Za 13.2 (… IJઁ ʌȞİ૨ȝĮ IJઁ ਕțșĮȡIJȠȞ ਥȟĮȡ ਕʌઁ IJોȢ ȖોȢ), où Dieu annonce la purification de Jérusalem et de la maison de David par le retranchement des noms des idoles (IJ ੑȞંȝĮIJĮ 30
Traduction personnelle et notes
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IJȞ İੁįઆȜȦȞ), des faux prophètes et de l’esprit impur (au singulier également dans le TM : ʤ ʠफ़ ʕ ʮʗʍ ˔ ʔʤ ʔʧ˒ʸ). ६ Marc utilise les verbes ਥʌİȡȦIJȦ (Mc 5.9 ; 7.5, 17 ; 8.23, 27, 29 ; 9.11, 16, 21, 28, 32, 33 ; 10.2, 10, 17 ; 11.29 ; 12.18, 34 ; 13.3 ; 14.60, 61 ; 15.2, 4, 44) et ਥȡȦIJȦ (4.10 ; 8.5) comme des synonymes, dont le sens est « poser une question, interroger » (voir l’emploi classique en Thucydide, Bell. 3.68.1–2). En Mc 7.26 seulement, ਥȡȦIJȦ a le sens de « demander » (tout comme ਥʌİȡȦIJȦ en Mt 16.1) : ce double sens se retrouve dans le verbe hébreu ʬ ʔʠ ʕˇ sousjacent à la traduction de la LXX. Voir, dans la LXX, Gn 26.7 (ਥʌİȡȦIJȦ) et 24.57 (ਥȡȦIJȦ), où le verbe signifie « poser une question » ; Ps 136.3 LXX (ਥʌİȡȦIJȦ) et 121.6 LXX (ਥȡȦIJȦ), où le sens est « demander [à Dieu] »). 31
ȁİȖȚઆȞ (ou ȜİȖİઆȞ) est un substantif féminin tellement connu à travers tout le bassin méditerranéen (Diod. Sic. 26.5 ; BGU 1108.3 [5 av. J.-C.] ; P. Lond. 2.256 recto (a), 3 [15 ap. J.-C.] ; Or. Sib. 8.78) qu’il n’était même pas perçu, au premier siècle de notre ère, comme un mot étranger (ainsi Collins, Mark. A Commentary, 269, note 71). À l’époque d’Auguste, une légion comptait 6100 soldats à pied, plus une cavalerie de 726 unités (BDAG, p. 587–588). Dans le récit de Mc 5.1–20, il est clair que l’homme est possédé par plusieurs esprits : l’emploi de pronoms personnels (v. 5 ĮIJ ; v. 12 : ਲȝ઼Ȣ ; v. 13 : ĮIJȠȢ) et de verbes (v. 12 : ʌĮȡİțȜİıĮȞ, ȜȖȠȞIJİȢ, İੁıȜșȦȝİȞ) au pluriel et l’équivalence qui est faite, dans le récit, entre Légion et IJ ʌȞİȝĮIJĮ IJ ਕțșĮȡIJĮ (v. 13) ne laissent pas de doute (un peu étonnant s’avère le texte d’Epistula apostolorum 5, pour qui il s’agit d’un seul démon). Même si, en Mc 5.9, le mot ȜİȖȚઆȞ est donné en réponse à la demande de Jésus « quel est ton nom ? », on peut le comprendre dans le sens d’un nom collectif (« multitude » : voir la partie finale du verset 9 : IJȚ ʌȠȜȜȠ ਥıȝİȞ). Une telle lecture est confortée par un emploi similaire de ce terme dans T. Sal. 11.3 et 5.6–7 (cf. 1 Hén. 6.6), où Salomon interroge un démon qui se vante de contrôler des légions de ses semblables. Le démon dévoile même son nom propre : Léontophoron (voir aussi b. Pesaۊ. 114, où le démon femelle Agrath était à la tête de dix-huit légion d’anges destructeurs). Aus, My Name is « Legion », 17, signale que le mot « légion » est au moins une fois utilisé, dans la littérature rabbinique, pour désigner tout simplement « un grand nombre » : Gn. Rab. 20.6 sur Gn 3.16 (« légion d’olives »). Tout comme en Mc 5.13 (IJઁȞ ȜİȖȚȞĮ), Testament de Salomon utilise le substantif féminin « légion » avec l’article masculin : syntaxe acceptable si l’entité à laquelle les légions (féminin en grec) sont soumises est masculine (on observe le même phénomène en Dion Chrysostome, Or. 46.1, où le substantif masculin įĮȝȦȞ est utilisé avec l’article féminin (IJોȢ įĮȓȝȠȞȠȢ IJĮȪIJȘȢ). Le texte de T. Sal. 11.1–7 est très probablement tardif et inspiré de Mc 5.1–20 (et //), car en T. Sal. 11.5–6 le démon se dit subjugué per Emmanuel, celui qui les a maintenant liés (Ȟ૨Ȟ ਥįıȝİȣıİȞ ਲȝ઼Ȣ) et qui viendra pour les tourmenter 32
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avec l’eau au précipice (țĮ ਥȜİıİIJĮȚ țĮIJ IJȠ૨ įĮIJȠȢ țȡȘȝȞ ȕĮıĮȞıĮȚ ਲȝ઼Ȣ). Le langage militaire était également utilisé pour désigner des entités spirituelles nobles : les anges (Mt 26.53 : ʌȜİȦ įઆįİțĮ ȜİȖȚȞĮȢ ਕȖȖȜȦȞ) ; les âmes des hommes justes (Maxime de Tyr, Diss. 10.9c : les âmes des hommes bons font partie de la ıIJȡĮIJȚ șİȞ). En grec classique, ʌĮȡĮțĮȜȦ a le sens premier de « appeler à soi, convoquer » : voir par exemple Dion Cassius, Hist. 7.25 et Lysias, Or. 18.4 ; cf. Ac 28.20. Ce verbe est normalement suivi de l’accusatif de la personne sollicitée. L’action d’inviter quelqu’un à s’approcher peut avoir des finalités différentes, d’où l’emploi polysémique dont ce verbe a fait l’objet à travers les siècles : convoquer pour demander de l’aide, pour inviter à faire quelque chose, pour apaiser (Lc 15.28 ; Ac 16.39 ; 2 M 13.23), pour enseigner (Tt 1.9), pour consoler et encourager (Plutarque, Oth. 16.1–3 ; Jb 4.3 LXX ; Es 35.3–4 LXX ; Mt 2.18 ; 5.4–5 ; Lc 16.25 ; Ac 20.12 ; Rm 12.8 ; 1 Co 14.31 ; 2 Co 7.13 ; 13.11 ; 1 Th 3.2 ; 2 Th 2.17 ; Ep 6.22 ; Col 2.2 ; 4.8). Très souvent, toutefois, dans le grec de la koinè, ʌĮȡĮțĮȜȦ prend le sens d’« implorer ». Si le suppliant n’est pas subordonné au supplié, alors il s’agit plutôt d’une exhortation : voir Lc 8.41 et surtout 1 Co 1.10 ; 16.15–16 ; 2 Co 8.6 ; 1 Th 4.1 ; 2 Th 3.12, qui sont analogues à Mc 5.10 en ce que la construction syntaxique est ʌĮȡĮțĮȜȦ + accusatif + ȞĮ + verbe au subjonctif. Si, par contre, le contexte suggère une certaine supériorité du statut du supplié (de par sa position sociale, ou son pouvoir décisionnel ou de guérisseur, etc.), il faudra alors comprendre ce verbe dans le sens d’une « supplication » (voire une « prière ») : outre Marc 5.10 (ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJંȞ… ȞĮ ȝ… ਕʌȠıIJİȜૉ), voir aussi Mt 14.36 (ʌĮȡİțȜȠȣȞ ĮIJઁȞ ȞĮ … ਚȥȦȞIJĮȚ) ; Mc 5.18 (ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJંȞ… ȞĮ… ઝ) ; 5.23 (ʌĮȡĮțĮȜİ ĮIJંȞ… ȞĮ… ਥʌȚșૌȢ… ȞĮ ıȦșૌ țĮ ȗıૉ) ; 6.56 ; 7.32 ; 8.22 ; Lc 8.31–32 ; 1 Co 16.12 ; 2 Co 9.5 et 12.8 (même construction syntaxique dans tous ces textes ; voir aussi Flavius Josèphe, A.J. 6.143 ; 11.338). L’urgence de la supplication et la gravité de l’enjeu qui en dépendent sont parfois signalées par la présence de l’adjectif neutre pluriel ʌȠȜȜ dont la traduction, dans ce contexte, pourrait très bien être « avec insistance » (TOB), « instamment » (NBS) ou « d’une manière pressante ». L’expression ʌĮȡİțȜİȚ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜ de Mc 5.10 n’est donc ni unique (cf. 5.23 : ʌĮȡĮțĮȜİ ĮIJઁȞ ʌȠȜȜ) ni nouvelle : voir 4 M 10.1 (ʌĮȡĮțĮȜȠȝİȞȠȢ ʌȠȜȜ) et 1 Co 16.12 (ʌȠȜȜ ʌĮȡİțȜİıĮ ĮIJંȞ). Aus, My Name is « Legion », 61, remarque que c’est précisément ce verbe que Flavius Josèphe emploie en A.J. 2.310, lorsqu’en commentant Ex 10.28–29 il affirme que le pharaon implore les Hébreux de partir de son territoire. 33
Marc utilise le verbe ਕʌȠıIJȜȜȦ dans ses deux significations : surtout dans le sens de « envoyer quelqu’un » (Mc 1.2 et 9.37 [sujet : Dieu] ; 3.14 ; 6.7 ; 8.26 ; 11.1, 3 et 14.13 [Jésus] ; 3.31 [la famille de Jésus] ; 4.29 [le semeur 34
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« envoie » la faucille] ; 6.17, 27 [Hérode] ; 12.2, 4, 5, 6 [le maître de la vigne] ; 12.13 [les grands prêtres, les scribes et les anciens] ; 13.27 [le Fils de l’Homme]), mais aussi dans le sens de « chasser » (seulement en 5.10 et 12.3). C’est toujours le contexte qui détermine l’intelligence des intentions de l’auteur. Lorsque l’éloignement est à considérer comme définitif (au moins au niveau des intentions), il faudrait attribuer à ਕʌȠıIJȜȜȦ la signification de « bannir » ou « exiler » (ainsi dans Platon, Resp. 607b [ਥț IJોȢ ʌંȜİȦȢ ਕʌİıIJȜȜȠȝİȞ] et Euripide, Med. 281 [IJȓȞȠȢ ȝૃ ਪțĮIJȚ ȖોȢ ਕʌȠıIJȑȜȜİȚȢ…;], cités par Spicq, Lexique théologique, 191, note 1). La requête du possédé de ne pas envoyer les démons hors du territoire (ȟȦ IJોȢ ȤઆȡĮȢ), et non pas hors d’un être humain, associée à la compréhension des exorcismes de Jésus en tant que signes de la déroute de Satan, plaide en faveur d’une compréhension de l’emploi de ਕʌȠıIJȜȜȦ, en Mc 5.10, dans cette dernière acception. 35
Dans le Nouveau Testament, on ne rencontre le « troupeau » (ਕȖȜȘ) de cochons (voir Pseudo-Hésiode, Scut. 168 ; Flavius Josèphe, A.J. 5.48) que dans l’épisode de l’exorcisme de Gérasa : Mt 8.30–32 (3x) ; Mc 5.11, 13 (2x) ; Lc 8.32–33 (2x). Pour désigner le troupeau de brebis, même dans le sens figuré de « fidèles », l’expression utilisée est ʌȠȝȞȚȠȞ (Lc 12.32 ; Ac 20.28–29 ; 1 P 5.2–3). ȋȠȡȠȢ, indiquant au départ surtout le jeune porcelet (Strabon, Geogr. 14.1.28), assume avec le temps le sens générique de « cochon, porc » : voir Es 65.4 et 66.3 dans la version de Symmaque (la LXX lit İȚȠȢ, qui se retrouve aussi en 1 M 1.47 ; 2 M 6.18 ; 4 M 5.6) ; BGU 92.7 ; 649.7 ; Flavius Josèphe, C. Ap. 2.137 ; T. Juda 2.5. Dans le Nouveau Testament, on ne le retrouve que dans le récit de Gérasa/Gadara (Mc 5.11–13 ; Mt 8.30–32 ; Lc 8.32–33), dans la parabole du fils perdu et retrouvé (Lc 15.15–16) et dans le logion de Mt 7.6 (« ne jetez pas vos perles aux cochons »). Le mot grec pour « truie » est Ȣ (2 P 2.22). 36
Le substantif ȡȠȢ a pour sens premier « lieu élevé, montagne », tandis que ȕȠ૨ȞȠȢ est utilisé pour parler, en comparaison, de lieux moins élevés (Es 40.4 LXX ; Os 10.8 LXX ; Lc 3.5 ; 23.30). Toutefois, la Galilée étant une région peu montagneuse et la dimension comparative étant absente, le mot ȡȠȢ peut aussi désigner des collines : Mt 4.8 (la portée symbolique du lieu est mise en exergue par l’expression ਫ਼ȥȘȜઁȞ ȜĮȞ : « très haute ») ; Lc 4.29 ; T. Job 12.1–3 ; P. Ness. 31.37). De par leur nature souvent inhospitalière et inhabitée, les montagnes ont été souvent associées à des lieux isolés : le mot ȡȠȢ assume alors parfois le sens de « lieu désertique » où les brigands se mettent en quête d’un refuge (P. Mich. 421.15 ; P. Achmîm 7.36 ; P. Tebt. 736.4 ; P. Strasb. 233.2) et les personnes qui s’éloignent des villages et des villes cherchent l’isolement (1 M 9.40 ; Mc 13.14 ; Lc 21.21 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.36 ; A.J. 37
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14.418). C’est aussi sur les montagnes que les anciens creusaient leurs tombeaux (nécropole : P. Ryl. 153.5 ; Mc 5.5 ; P. Oxy. 274.27 ; P. Tebt. 967.7). À la voix active, ȕંıțȦ signifie « nourrir » (des personnes : voir Hérodote, Hist. 1.44) mais surtout « s’occuper des animaux », dans le sens de les élever, leur fournir la nourriture ou les faire paître, les protéger, les soigner : voir Flavius Josèphe, A.J. 6.254. Dans la LXX, le verbe hébreu sous-jacent est ʤˆʕ ʸ,ʕ lequel est traduit tantôt par ʌȠȚȝĮȞȦ (1 Ch 11.2 ; Jr 23.2 ; Ps 77.72 LXX) tantôt par ȕંıțȦ (Gn 29.7, 9 ; 37.12, 16 ; Ez 34.2–3). Il est vrai que Philon, Det. 25, attribue à ȕંıțȦ plutôt le sens de « nourrir » et à ʌȠȚȝĮȞȦ celui de « prendre soin de » ; néanmoins, le verbe ȕંıțȦ désigne aussi le travail des bergers et, figurativement, celui des responsables d’un groupe (1 R 12.16 LXX ; Ez 34.8–16 LXX ; Jn 21.15, 17 ; Herm. Sim. 6.1.6). Dans le Nouveau Testament, il est également utilisé dans le sens de « garder les cochons » : Lc 15.15. Il s’ensuit que le participe substantivé ȕંıțȦȞ est à traduire par « gardien » (voir Aristote, Hist. an. 540a, de chameaux) ou même par « berger » (ainsi, par exemple, en Jr 38.10 LXX : ȕંıțȦȞ IJઁ ʌȠȝȞȚȠȞ ĮIJȠ૨). Si le verbe est utilisé à la voix passive, il décrit alors l’action des animaux de se nourrir (dans la LXX, voir Jb 1.14 ; Es 5.17 ; 11.6–7 ; 65.15 ; Flavius Josèphe, B.J. 6.153 ; Or. Sib. 3.789 ; P. Tebt. 298.53 ; Mt 8.33 ; Mc 5.14 ; Lc 8.34), ou alors des hommes, mais dans un sens dépréciatif (voir Platon, Resp. 586a). 38
La construction « ʌȝʌȦ [+ l’envoyé à l’accusatif] + İੁȢ + le lieu à l’accusatif » est plutôt commune : voir Xénophon, Hell. 7.4.39 (ʌȝȥĮȞIJİȢ įૃİੁȢ ĬȕĮȢ) ; Flavius Josèphe, C. Ap. 1.271 (ʌȑȝȥĮȚ į IJȠઃȢ ȝȚĮȡȠઃȢ İੁȢ İȡȠıȩȜȣȝĮ) ; Mt 2.8 (ʌȝȥĮȢ ĮIJȠઃȢ İੁȢ ǺȘșȜİȝ) ; Lc 15.15 ; 16.27 ; Ac 10.5, 32 ; 15.22 ; Ignace, Eph. 6.1 ; Prot. Jac. 16.2. Ce verbe signifie à la base « envoyer » : a. quelque chose (Ap 14.15 : ʌȝȥȠȞ IJઁ įȡʌĮȞંȞ ıȠȣ) ou, le plus souvent, b. quelqu’un pour accomplir une tâche, et/ou dans un lieu, et/ou chez des personnes. L’emploi de ʌȝʌȦ est révélateur d’une relation hiérarchique établie, celui qui envoie ayant autorité sur l’envoyé et sur son éventuelle mission. À l’inverse, l’envoyé, en tant que « chargé de mission », est aussi investi, de manière circonstancielle, de l’autorité de celui qui l’envoie (voir Ne 2.15 LXX ; 2 M 1.20 ; 4.44 ; 5.18 ; Lc 7.6 ; 20.11–13 ; Jn 1.22, 33 ; 4.34). Marc n’utilise ce verbe qu’en 5.12, et il est mis en parallèle sémantique avec ਕʌȠıIJȜȜȦ au verset 10 (ȞĮ ȝ ĮIJ ਕʌȠıIJİȜૉ ȟȦ IJોȢ ȤઆȡĮȢ). 39
ΕੁıȡȤȠȝĮȚ est ici utilisé pour décrire l’action d’entrer dans un autre être vivant. L’être vivant est ainsi conçu comme perméable aux entités spirituelles bienveillantes (cf. Sg 1.4 : İੁȢ țĮțંIJİȤȞȠȞ ȥȣȤȞ Ƞț İੁıİȜİıİIJĮȚ ıȠijĮ, « la sagesse n’entrera pas dans une âme/personne habile à faire le mal », et Flavius Josèphe, A.J. 1.122 : ਥȞ ਲȝȞ…İੁıİȜșİȞ, en parlant de l’inspiration divine), mais aussi aux esprits malveillants : voir Mc 9.25 ; Lc 8.30 ; 22.3 ; Jn 13.27 ; 40
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Herm. Préc. 12.5.4 ; Ap. Sed. 5.3–5 (le įȚȕȠȜȠȢ, appelé aussi ਕșİઆȡȘIJȠȞ ʌȞİ૨ȝĮ, « esprit invisible », İੁıȡȤİIJĮȚ İੁȢ IJȢ țĮȡįĮȢ IJȞ ਕȞșȡઆʌȦȞ) et Lucien, Philops. 16 (l’exorciste demande au démon « d’où/comment il est entré dans le corps », șİȞ İੁıİȜȘȜȪșĮıȚȞ İੁȢ IJઁ ıȝĮ, et le démon lui explique « d’où/comment il entra dans l’homme », șİȞ İੁıોȜșİȞ İੁȢ IJઁȞ ਙȞșȡȦʌȠȞ). 41
Dans la prière qu’il adresse à la reine Arété, femme du roi Alcinoos, Ulysse utilise le verbe ਥʌȚIJȡʌȦ dans le sens de « transmettre » les richesses et l’honneur aux enfants (țĮ ʌĮȚıȞ ਥʌȚIJȡȑȥİȚİȞ : Homère, Od. 7.149). Mais le sens le plus commun de ce verbe, et pratiquement le seul dans la koinè, est « permettre » (voir 1 Co 16.7 ; He 6.3 ; Mc 10.4 ; Jn 19.38 ; Flavius Josèphe, B.J. 20.267), suivi du datif de la personne à laquelle la concession est faite (voir Platon, Leg. 730d ; Xénophon, Hell. 6.3.9 ; Épictète, Diss. 1.10.10 ; 2.7.12 ; Jb 32.14 LXX ; 4 M 4.18 ; Par. Jer. 1.4 ; Mc 5.13 ; Mt 8.21 ; 19.8 ; Lc 8.32 ; 9.59, 61 ; Ac 21.39 ; 1 Tm 2.12 ; Flavius Josèphe, A.J. 8.202 ; Polycarpe, Phil. 3.1 ; P. Ryl. 120.16). La notion de « permission » est à comprendre dans le contexte de la subordination. Pour cette raison, ਥʌȚIJȡʌȦ intègre aussi le sens de « donner des instructions, ordonner, nommer/charger quelqu’un à/de quelque chose » : voir Ignace, Smyr. 8.1 ; Arrien, Ind. 23.5 ; P. Lond. 1173.3 ; 1 Clém. 1.3. Le țĮ ਥʌIJȡİȥİȞ ĮIJȠȢ de Mc 5.13a est donc à comprendre dans le sens d’une concession, voire d’une injonction donnée par une autorité supérieure. Luc reprend l’expression marcienne (Lc 8.32c : țĮ ਥʌIJȡİȥİȞ ĮIJȠȢ), tandis que Matthieu se soucie de mettre davantage en valeur l’autorité de Jésus en remplaçant cette phrase par le péremptoire « allez ! » (Mt 8.32a : ਫ਼ʌȖİIJİ). Quand il est utilisé en tant que verbe transitif, ȡȝȦ a le sens de « mettre en mouvement » (voir Diod. Sic. 10.20.1) et, au sens figuré, d’« inciter, inspirer » (Denys d’Halicarnasse, Ant. 1.1.1 ; au passif : Homère, Od. 8.499 : ȡȝȘșİȢ șİȠȣ ; Sophocle, El. 70 : ʌȡઁȢ șİȞ ੪ȡȝȘȝȞȠȢ). Lorsqu’il est utilisé intransitivement, il désigne un mouvement rapide et impétueux : « faire irruption, se précipiter, se jeter sur quelqu’un, assaillir, foncer » (Homère, Il. 4.335 ; Hérodote, Hist. 1.1 ; cf. P. Oxy. 901.6). Il se trouve que ȡȝȦ est toujours utilisé en tant que verbe intransitif tant dans la LXX (sauf en Jr 4.28) que dans le Nouveau Testament. Dans la LXX, il n’est pas très commun et traduit à chaque fois une expression différente : Gn 31.21 ʸ६ʤʔ ʥʩफ़ ʕʰ˝ʕ ʚʺ ʓʠ ʭ ʓˈ६ ʕ˕ʔʥ (« et il mit ses faces [= et il se dirigea] vers la montagne ») = ੮ȡȝȘıİȞ İੁȢ IJઁ ȡȠȢ īĮȜĮĮį ; Nb 17.7 ʚʬ ʓʠ ॡ˒ʰ ʍʴ˕ʑ ʥʔ (« il se tournèrent vers ») = ੮ȡȝȘıĮȞ ਥʌ… ; Jos 4.18 ˒ʡ५ ʗˇʕ˕ʥʔ -ʬ... (« et retournèrent… vers ») = ੮ȡȝȘıİȞ… țĮIJ.. ; 6.5 ˣːʙ ʍʢʓʰ ˇʩ ʠ६ ʑ ʭफ़ ʕˆ ʕʤ ˒ ६ʬˆʕ ʍʥ (« et il monteront, le peuple, chaque homme devant soi ») = ȡȝıĮȢ ਪțĮıIJȠȢ țĮIJ ʌȡંıȦʌȠȞ İੁȢ IJȞ ʌંȜȚȞ ; 1 S 15.19 ʬ ʬड़ʕ ʕˉ ʔʤʚʬ ʓʠ ॡʨˆʔ ˢʔॡʔ ʥ (« tu t’es précipité en criant sur le butin ») = ੮ȡȝȘıĮȢ IJȠ૨ șıșĮȚ ਥʌ IJ ıț૨ȜĮ ; Na 3.16 où il traduit le verbe ʨˇʴ, (« enlever »), ici appliqué à la locuste et désignant soit le déploiement de ses ailes soit la sortie de la chrysalide qui lui permet enfin de voler ; Ha 1.8 ˒ʠʡʕʖ ड़ ʩ ʷˣʧ४ ʸʕ ʒʮ ॡʥʩ ʕˇʸʕ ʴ˒ ʙ ʕ (« ses chevaliers viennent de loin ») = Ƞੂ ੂʌʌİȢ ĮIJȠ૨ 42
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țĮ ȡȝıȠȣıȚȞ ȝĮțȡંșİȞ ; Es 5.29 ʠʩʡʕख़ ʑ ˘˗ʔ ˣ फ़ʬ ʤ६ ʕʢ ʕʠˇʍ (« son rugissement [sera] comme [celui du] lion ») = ȡȝıȚȞ ੪Ȣ ȜȠȞIJİȢ ; Jr 4.28, où il traduit le verbe ʭʮʦ, qui signifie ici « planifier, décider, avoir l’intention de ». En 2 M il est, en revanche, toujours utilisé dans un contexte belliqueux et avec le sens de « marcher contre » (2 M 9.2 ; 10.16 ; 12.20, 29, 32 ; sauf en 12.22, où il désigne l’acte de « se précipiter » des personnes en fuite). Dans le Nouveau Testament, on ne le retrouve que dans le récit du démoniaque de Gérasa (Mc 5.13 // Mt 8.32 // Lc 8.33) pour désigner la course effrénée des cochons vers la falaise, course qui s’achève dans le lac de Tibériade, et dans le livre des Actes. Dans cette dernière œuvre, ȡȝȦ est employé en 7.57 – des Juifs se jettent sur Étienne (੮ȡȝȘıĮȞ… ਥʌૃ ĮIJઁ) avec l’intention de le lapider – et en 19.29, où des Éphésiens indignés se précipitent au théâtre (੮ȡȝȘıȞ… İੁȢ IJઁ șĮIJȡȠȞ) en entraînant avec eux Gaïus et Aristarque, compagnons de Paul. Voir la note suivante pour une discussion sur la locution țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ (Mc 5.13 // Mt 8.32 // Lc 8.33). Le substantif țȡȘȝȞંȢ est utilisé pour désigner un escarpement ou une falaise (voir Ep. Arist. 118 ; Flavius Josèphe, A.J. 3.76 ; l’adjectif țȡȘȝȞઆįȘȢ signifiant « escarpé » : voir Thucydide, Bell. 4.36.2 ; Flavius Josèphe, B.J. 7.280 ; Herm. Vis. 1.1.3 et Herm. Sim. 6.2.6). En 2 Ch 25.12 LXX, l’ਙțȡȠȢ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ indique le sommet d’un précipice (hébreux : ʲʔʬ ˛ख़ ʕ ʔʤ ˇʠʖ ʸ४ = « le sommet du rocher ») sur (ਥʌ) lequel dix milles fils de Séïr (Édomites) sont amenés et duquel (ਕʌં) ils sont précipités par les Israélites sous le commandement du roi de Juda Amatsia. La locution țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨, que l’on retrouve dans le Nouveau Testament seulement en Mc 5.13 (// Mt 8.32 et Lc 8.33), peut se comprendre aussi bien comme « du haut de l’escarpement » que « dans le précipice » : cf. Polybe, Hist. 8.21.8 : ȝȒș’ Įਫ਼IJઁȞ ૧ȓȥĮȚ țĮIJȐ IJȚȞȠȢ țȡȘȝȞȠ૨ ; Flavius Josèphe, A.J. 14.429 : ૧ȥĮȢ țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ IJȠઃȢ ȞİțȡȠઃȢ ; B.J. 1.313 : țĮIJĮȕĮȜઅȞ țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ IJȠઃȢ ȞİțȡȠȢ ; voir aussi Dion Chrysostome, Or. 7.3 : țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ ʌİʌIJȦțȩIJȚ. À la différence des exemples cités, les synoptiques utilisent le verbe ȡȝȦ. Or ce verbe est suivi ou précédé de la préposition İੁȢ (cf. Mc 5.13 // Mt 8.32 // Lc 8.33 ; Ac 9.29 ; T. Juda 2.4 ; T. Jos. 7.3) lorsqu’il s’agit d’indiquer le lieu vers lequel on se dirige, ਕʌં pour préciser le lieu de provenance (Flavius Josèphe, A.J. 11.147 : ੮ȡȝȘıİȞ ਕʌઁ IJȠ૨ ੂİȡȠ૨), ਥʌȓ pour introduire l’entité contre laquelle on s’élance (Hérodote, Hist. 1.1 : ȡȝોıĮȚ ਥʌૃ ĮIJȐȢ ; 1 S 15.19 LXX : ੮ȡȝȘıĮȢ… ਥʌ IJ ıț૨ȜĮ ; 2 M 10.16 : ਥʌ IJ… ੑȤȣȡઆȝĮIJĮ ੮ȡȝȘıĮȞ ; 12.20 : ਥʌ IJઁȞ ȉȚȝંșİȠȞ ੮ȡȝȘıİȞ ; 12.29 : ੮ȡȝȘıĮȞ ਥʌ ȈțȣșȞ ʌંȜȚȞ ; 12.32 : ੮ȡȝȘıĮȞ ਥʌ īȠȡȖĮȞ ; Ac 7.57 : ੮ȡȝȘıĮȞ… ਥʌૃĮIJઁȞ ; mais cf. 2 M 9.2 ȡȝȘıȞIJȦȞ ਥʌ IJȞ …ȕȠșİȚĮȞ : « étant venus à la rescousse »). Toutefois, en Mc 5.13 // Mt 8.32 et Lc 8.33, le verbe ȡȝȦ est d’abord suivi par l’expression țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨. La construction « ȡȝȦ + țĮIJ + génitif » est plutôt rare (ici seulement dans le Nouveau Testament), voire unique : nous n’avons pu 43
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trouver aucun autre exemple dans la littérature ancienne. Plutarque, Arist. 18.4, utilise l’expression ੮ȡȝȘıĮȞ țĮIJ IJȐȤȠȢ [accusatif] ȕȠȘșİȞ (« ils partirent avec empressement pour le secourir »). Dans la fable des lièvres et des grenouilles attribuée à Ésope (192.4), les lièvres, désespérés d’être des proies, décident de se suicider. Ésope écrit qu’ils ੮ȡȝȘıĮȞ țĮIJ IJĮIJઁȞ [accusatif] İੁȢ IJȞ ȜȝȞȘȞ, ੪Ȣ İੁȢ ĮIJȞ ਥȝʌİıȠȝİȞȠȚ țĮ ਕʌȠʌȞȚȖȘıંȝİȞȠȚ (« se précipitèrent de la même manière [c.-à.-d., tous ensemble] vers le lac, pour y tomber dedans et se noyer ») : Fables anonymes grecques attribuées à Ésope, Édition Chambry maior (1926–1927), Université Paris-Soronne, 2016 (édition électronique : http://obvil.sorbonne-universite.fr/corpus/fabula-numerica/anonymes_ chambry#chambry-192.4). Aussi bien chez Plutarque que dans la fable des lièvres, la préposition țĮIJ n’est pas connectée au verbe ȡȝȦ, mais elle fait partie des locutions modales qui le suivent : țĮIJ IJȐȤȠȢ (« rapidement ») et țĮIJ IJĮIJંȞ (« de la même manière »). La construction (pré-)marcienne ੮ȡȝȘıĮȞ țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ pourrait être alors d’inspiration sémitique. Jos 4.18 LXX, où il est question des eaux du Jourdain qui, après le miracle, regagnent leur lit (੮ȡȝȘıİȞ IJઁ įȦȡ IJȠ૨ ǿȠȡįȞȠȣ țĮIJ ȤઆȡĮȞ : « les eaux du Joudain revinrent avec impétuosité à [leur] place »), présente toutefois un substantif à l’accusatif qui suit la préposition țĮIJ. T. Sal. 11.6, où le démon qui commande des légions déclare qu’ǼȝȝĮȞȠȣȜ viendra pour le tourmenter țĮIJ IJȠ૨ įĮIJȠȢ țȡȘȝȞ, (expression qui fait allusion à Mc 5.13), présente, par contre, le substantif au datif (IJȠ૨ įĮIJȠȢ exprimant le moyen). À la lumière de ces considérations, il nous semble légitime de traduire le țĮIJ IJȠ૨ țȡȘȝȞȠ૨ İੁȢ IJȞ șȜĮııĮȞ de Mc 5.13 aussi bien par « du haut de la falaise, dans la mer » que par « vers le précipice, dans la mer ». Nous retenons la deuxième option. ੲȢ est la forme adverbiale du pronom relatif Ȣ. Il peut être utilisé pour exprimer une comparaison (Mc 9.21 : ੪Ȣ IJȠ૨IJȠ ; Ap 9.7 ; 15.2 ; Dn 10.18 LXX), une finalité (Ac 20.24 ; He 7.9 ; 3 M 1.2 ; 4 M 14.1) ou une conséquence (He 3.11 ; 4.3), pour intensifier un adverbe (Ac 17.15 : ੪Ȣ IJȤȚıIJĮ, « au plus vite »), ou un adjectif (Rm 10.15 : ੪Ȣ ੪ȡĮȠȚ, « qu’ils sont beaux » ; voir aussi Ac 17.22 et Rm 11.33). Il peut encore être employé en tant qu’adverbe de temps (« quand » : Lc 1.23, 41, 44 ; 20.37 ; 1 Co 11.34) et pour définir une qualité (réelle : Mc 1.22 ; Jn 1.14 ; Ac 17.22 ; supposée : Ac 3.12) ou un défaut (supposé : Lc 6.22 ; 1 Co 8.7). Lorsqu’il est employé avec des adjectifs numéraux, il exprime un degré d’approximation et non pas une quantité exacte. C’est ainsi que ੪Ȣ įȚıȤȜȚȠȚ de Mc 5.13 et ੪Ȣ IJİIJȡĮțȚıȤȜȚȠȚ de Mc 8.9 sont à traduire respectivement par « environ deux mille » et « environ quatre mille » : voir P. Amh. 72.12 ; P. Tebt. 381.4 ; Rt 1.4 LXX ; 1 S 14.2 LXX ; Lc 1.56 ; 8.42 ; Jn 1.39 ; 4.6 ; 6.10, 44
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19 ; 19.14, 39 ; 21.8 ; Ac 4.4 ; 5.7, 36 ; 13.18, 20 ; Ap 8.1 ; Flavius Josèphe, A.J. 6.95 ; T. Job 31.2 ; Jos. Asen. 1.6. L’adjectif cardinal įȚıȤȜȚȠȚ n’apparaît qu’ici dans le Nouveau Testament. Dans la LXX, il traduit le dual ʭʩʑ ˝ʔ ढ़ ʍʬ ʔʠ (Nb 4.36, 40 ; 7.85 ; 35.5 ; Jos 3.4 ; etc.). 45
L’application à Mc 5.13 du sens qu’Hérodote donne au verbe ʌȞȖȦ en Hist. 2.92 ravirait les passionnés de viande porcine : ਥȞ țȜȚȕȞ įȚĮijĮȞȚ ʌȞȟĮȞIJİȢ = « font cuire à l’étouffée dans un four chauffé au rouge » [d’après le texte français en Hérodote, Histoires. Livre II : Euterpe, trad. par PhilippeErnest Legrand, CUF (Paris : Les Belles Lettres, 1944), 125]. Cependant, le contexte aquatique dans lequel est scellé le sort de nos suidés nous oblige à en adopter la signification la plus commune. Ce verbe est utilisé pour indiquer l’action d’empêcher de respirer correctement (1 S 16.14–15 LXX), d’étrangler (Mt 18.28), de suffoquer (qu’il soit question de plantes : Mt 13.7 ; Herm. Sim. 5.2.4 [2x = actif et passif] ; du feu : Flavius Josèphe, B.J. 5.471 [passif] ou de personnes : Platon, Gorg. 522a ; Flavius Josèphe, B.J. 2.327 [passif] ; Herm. Préc. 5.1.3). À la forme passive, il est également employé pour indiquer la mort par noyade : Xénophon, Anab. 5.7.25 ; Flavius Josèphe, A.J. 10.121 (dans la boue) ; 20.248. C’est, de toute évidence, le sens à retenir pour Mc 5.13 : țĮ ਥʌȞȖȠȞIJȠ ਥȞ IJૌ șĮȜııૉ (cf. Lc 8.33 qui garde le même verbe, mais à l’aoriste, et remplace « dans la mer » par İੁȢ IJȞ ȜȝȞȘȞ ; Mt 8.32 reformule en țĮ ਕʌșĮȞȠȞ ਥȞ IJȠȢ įĮıȚȞ : « ils périrent dans les eaux »). Les seules autres occurrences de ce verbe dans le deuxième évangile se trouvent en Mc 4.7, 19, où, la forme préfixée ıȣȝʌȞȖȦ (// Mt 13.22 pour la parole ; Lc 8.14 pour la plante/graine), indique la mort par asphyxie de la plante à cause des épines, et de la parole à cause des convoitises. Pour l’emploi de ıȣȝʌȞȖȦ dans le sens d’« être serré de toute part de manière suffocante », voir Théophraste, Caus. plant. 6.11.6 (plante) et Lc 8.42 (Jésus). 46
Le verbe ijİȖȦ indique l’action consistant à éviter un danger ou à chercher à se mettre en sécurité en s’éloignant d’un danger. La personne ou la chose de laquelle on s’éloigne est au génitif, régi par la préposition ਥț (voir Ac 27.30 : ijȣȖİȞ ਥț IJȠ૨ ʌȜȠȠȣ) ou par ਕʌં (voir Mc 16.8 : ijȣȖȠȞ ਕʌઁ IJȠ૨ ȝȞȘȝİȠȣ ; dans la LXX voir Ex 4.3 et 2 S 19.10 ; Ps. Sal. 17.16 ; Flavius Josèphe, B.J. 1.474). S’il a le sens de « chercher refuge », il peut être suivi de l’accusatif introduit par İੁȢ (Mt 2.13 : ijİ૨Ȗİ İੁȢ ǹȖȣʌIJȠȞ ; Mt 10.23 ; 24.16 ; Mc 13.14 ; Lc 21.21 ; Jn 6.15 ; Ap 12.6 ; dans la LXX voir Gn 14.10 et Nb 24.11 ; Flavius Josèphe, A.J. 14.418), ਥʌ (voir Xénophon, Ages. 2.11 : ijȣȖȠȞ ਥʌ IJઁȞ ਬȜȚțȞĮ), ou ʌȡંȢ (Flavius Josèphe, Vita 69 : ijȣȖİȞ ʌȡઁȢ ȕĮıȚȜĮ ; Jg 20.45, 47 LXX : ijȣȖȠȞ İੁȢ IJȞ ȡȘȝȠȞ ʌȡઁȢ IJȞ ʌIJȡĮȞ IJȞ ȇİȝȝȦȞ). Dans un sens figuré, il est aussi employé dans le sens d’« échapper à un danger » : suivi de ਕʌં + génitif (par exemple, Mt 3.7 : ijȣȖİȞ ਕʌઁ IJોȢ ȝİȜȜȠıȘȢ ੑȡȖોȢ ; et Mt 23.33 : ʌȢ ijȖȘIJİ ਕʌઁ IJોȢ țȡıİȦȢ IJોȢ ȖİȞȞȘȢ ; cf. 2 P 1.4 : ਕʌȠijȣȖંȞIJİȢ 47
Traduction personnelle et notes
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IJોȢ… ijșȠȡ઼Ȣ) ou suivi de l’accusatif (par exemple, He 11.34 : ijȣȖȠȞ ıIJંȝĮIJĮ ȝĮȤĮȡȘȢ et 2 Tm 2.22 : IJȢ į ȞİȦIJİȡȚțȢ ਥʌȚșȣȝĮȢ ijİ૨Ȗİ ; cf. Rm 2.3 : ıઃ ਥțijİȟૉ IJઁ țȡȝĮ IJȠ૨ șİȠ૨ ; Lc 21.36 : ਥțijȣȖİȞ IJĮ૨IJĮ ʌȞIJĮ IJ ȝȜȜȠȞIJĮ ȖȞİıșĮȚ ; Flavius Josèphe, A.J. 6.344). Si ijİȖȦ est utilisé de manière intransitive, comme en Mc 5.14a, alors il a le sens de « s’enfuir » (voir Mc 14.20 ; Mt 13.33 ; 26.56 ; Lc 8.34 ; Jn 10.12), et cela également au sens figuré (Ap 16.20 : țĮ ʌ઼ıĮ ȞોıȠȢ ijȣȖİȞ). Le verbe ਕʌĮȖȖȜȜȦ est utilisé dans la LXX dans le sens de « rapporter » : Gn 26.32 ; 37.5 ; 42.29 ; 44.24 ; 1 R 10.7 (le TM a le verbe ʣʔʢʰʕ à l’hophal : causatif passif d’« informer ») ; Est 1.15 ; 6.2 ; 1 M 5.38 ; 11.21 ; 14.21. C’est ainsi qu’il est aussi utilisé dans le Nouveau Testament, le destinataire du rapport étant au datif (Mt 2.8 ; 14.12 ; 28.8 ; Mc 16.10, 13 ; Ac 22.26 ; 23.16) et la chose relatée à l’accusatif (Mt 8.33 ; 28.11 ; Mc 6.30 ; Lc 7.18 ; 13.1 ; 1 Th 1.9 ; Ac 28.21 ; 1 Clém. 65.1 ; Herm. Sim. 5.2.11). Mais ਕʌĮȖȖȜȜȦ est également employé dans le sens de « annoncer / proclamer ». C’est le cas en He 2.12 : ਕʌĮȖȖİȜ IJઁ ȞȠȝ ıȠȣ IJȠȢ ਕįİȜijȠȢ ȝȠȣ. Il s’agit, en l’occurrence, de la citation du Ps 21.23 LXX, lequel, dans le TM comporte la forme piel du verbe ʸʔʴ ʕʱ (donc : « redire »), alors que dans la LXX a le verbe grec įȚȘȖȠȝĮȚ (« faire un rapport détaillé, décrire »). L’auteur d’Hébreux décide sciemment de recourir à ਕʌĮȖȖȜȜȦ pour donner au texte cité une dimension christologique. Cet emploi du verbe en relation avec la prédication chrétienne est aussi attesté en 1 Co 14.25, 1 Jn 1.2–3 et Jn 16.25 (voir aussi Flavius Josèphe, A.J. 1.191, où il est question de Dieu qui « annonce » à Abram qu’il aura un fils de Saraï, et Lc 8.47, où le sens est celui de « confesser »). Pour autant, ce n’est pas du tout l’acception que Marc donne à ce mot. Le verbe ਕʌĮȖȖȜȜȦ ne se retrouve qu’à deux reprises dans le deuxième évangile, en Mc 5.14 (// Mt 8.33 // Lc 8.34) et 6.30 (// Lc 9.10 : įȚȘȖıĮȞIJȠ ĮIJ ıĮ ਥʌȠȘıĮȞ ; absent chez Matthieu), et, dans les deux cas, il s’agit d’un rapport qui suit des œuvres miraculeuses (voir Mc 5.13 et 6.12–13). Dans le premier cas, il s’agit d’un emploi intransitif du verbe avec spécification de l’endroit où le rapport est donné : ਕʌȖȖİȚȜĮȞ İੁȢ IJȞ ʌંȜȚȞ țĮ İੁȢ IJȠઃȢ ਕȖȡȠȢ (Mc 5.14). Ceux qui étaient en train de faire paître les cochons rapportent aux habitants des environs ce qui vient de se passer. Il n’est pas question ici d’une proclamation christologique ou de l’annonce du Royaume. Dans le deuxième cas, ce sont les apôtres qui, rentrés de mission, rapportent à Jésus (ĮIJ) « tout ce qu’ils ont fait et tout ce qu’ils ont enseigné » (ʌȞIJĮ ıĮ ਥʌȠȘıĮȞ țĮ ıĮ ਥįįĮȟĮȞ). Ici aussi il est question d’un compte-rendu et non pas d’une proclamation. Il est donc évident que, pour Marc, il ne s’agit pas d’un terme technique 48
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pour faire référence à la prédication de l’Évangile (idem pour Matthieu : outre les textes déjà cités, voir Mt 14.12 et 28.11). L’infinitif aoriste actif ੁįİȞ est ici utilisé dans le sens d’« aller percevoir avec les yeux » mais aussi d’« évaluer » ce qui, aux dires des gardiens des cochons, vient de se passer : voir notre discussion sur l’emploi du participe aoriste ੁįઆȞ au verset 6. Voir aussi Mc 15.36 (įȦȝİȞ İੁ ȡȤİIJĮȚ ਹȜĮȢ) ; Lc 19.3 (ੁįİȞ IJઁȞ ȘıȠ૨Ȟ IJȢ ਥıIJȚȞ) ; Ga 6.11 (įİIJİ ʌȘȜțȠȚȢ ਫ਼ȝȞ ȖȡȝȝĮıȚȞ ȖȡĮȥĮ) ; 1 Clém. 7.3 (țĮ įȦȝİȞ IJ țĮȜઁȞ țĮ IJ IJİȡʌȞઁȞ țĮ IJ ʌȡȠıįİțIJંȞ). 49
50
Bien qu’il puisse être employé dans l’expression à la saveur sémitique « voir la face [de quelqu’un] » (Jdt 6.5 ; 1 M 7.28, 30 ; Ac 20.38), dans le sens figuré de « en faire l’expérience » (Jn 8.51 : șȞĮIJȠȞ Ƞ ȝ șİȦȡıȘ), ou tout simplement pour décrire l’action de « voir » (Ps 49.18 LXX ; Jn 16.10, 16–17 ; Lc 14.29 ; 24.37 ; Ac 9.7 ; 17.16 ; 20.38 ; 25.24 ; 1 Clém. 35.8 ; en Mt 28.1 : « vérifier »), le verbe șİȦȡȦ exprime surtout l’idée de contemplation et d’analyse. Il est typiquement utilisé pour indiquer l’action d’assister à une cérémonie ou de contempler un événement important (Thucydide, Bell. 3.104 ; Platon, Resp. 327b ; Lucien, Tim. 50 ; Jos. Asen. 4.2 ; T. Sal. 19.2 ; Mc 15.40, 47 ; Mt 27.55 ; Lc 10.18 ; 23.35), le șİȦȡંȢ étant le « spectateur » ou l’« envoyé/délégué » pour des cérémonies religieuses (Plutarque, Arist. 21.1 ; Diod. Sic. 15.49.1–2 ; 2 M 4.19). Il est également utilisé lorsque l’on s’attarde à observer/évaluer un fait, un objet, une personne (exprimés à l’accusatif) pour mieux comprendre (Platon, Gorg. 474d ; 2 M 3.17 ; T. Sal. 20.6 ; Mc 3.11 ; 5.38 ; 12.41 ; 16.4 ; Jn 6.40 ; 12.19 ; 14.17 ; Ac 3.16 ; 7.56 ; 17.22 ; 28.6 ; He 7.4 ; Ap 11.11–12 ; 1 Clém. 16.16 [Ps 21.8 LXX] ; Justin, Dial. 101.3 ; Flavius Josèphe, A.J. 12.422). Chez Marc, ce verbe se retrouve à trois reprises accompagné de l’accusatif de l’entité observée : Mc 3.11 (démons qui reconnaissent en Jésus le Fils de Dieu : ĮIJઁȞ ਥșİઆȡȠȣȞ) ; 5.15 (gens qui contemplent le possédé : șİȦȡȠ૨ıȚȞ IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ) ; 5.38 (Jésus qui observe l’agitation des gens : șİȦȡİ șંȡȣȕȠȞ). À chaque fois, il s’agit non pas d’un regard furtif mais d’une observation attentive qui engage la réflexion et suscite une réaction. Le substantif įĮȝȦȞ est un terme qui désigne souvent, en grec classique, la divinité ou l’essence divine. S’il s’agit d’un être spirituel, il peut être bienveillant et favorable (Homère, Il. 17.98 : ʌȡȠȢ įĮȓȝȠȞĮ = « en dépit du ciel [c.à.-d., contre le vouloir de la divinité] » ; 15.403 : ıઃȞ įĮȝȠȞȚ = « le ciel aidant [c.-à.-d., avec l’aide de la divinité] » ; cf. 16.705, 786 ; Platon, Phaed. 107d ; Resp. 392a). Mais įĮȝȦȞ est aussi utilisé en tant que synonyme de « mort » (Homère, Il. 8.166 : ʌȐȡȠȢ IJȠȚ įĮȓȝȠȞĮ įȫıȦ = « je t’aurai d’abord donné ton destin [c.-à.-d., je te tuerai] ») et de « sort » (Platon, Crat. 398a, selon la traduction de Catherine Dalimier en Platon, Œuvres complètes, éd. par Luc Brisson, éd. revue [Paris : Flammarion, 2011], 211). Ainsi, le verbe įĮȚȝȠȞȗȠȝĮȚ 51
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peut-il décrire une personne qui est sous le contrôle d’une entité divine (Plutarque, Quaest. Conv. 7.5.4 [706d–e]). Toutefois, dans le Nouveau Testament, įĮȝȦȞ est employé exclusivement pour les esprits malins et le Diable (Mc 5.12 ; Mt 8.31 ; Lc 8.29 ; Ap 16.14 ; 18.2 ; cf. Ps 90.6 LXX, où il semble être la personnification de « Destruction » [ʡ ʓʨ ʷ]) ʓ ॲ et le verbe correspondant désigne les personnes dont la conscience, la raison et le corps sont affligés et contrôlés par les démons (Lc 6.18 : Ƞੂ ਥȞȠȤȜȠȝİȞȠȚ ਕʌઁ ʌȞİȣȝIJȦȞ ਕțĮșȡIJȦȞ = « ceux qui sont affligés par les esprits impurs » ; Mc 1.32 ; 5.15, 16, 18 ; Mt 4.24 ; 8.16, 28, 33 ; 9.32 ; 12.22 ; 15.22 ; Lc 8.36 ; Jn 10.21 ; voir aussi T. Sal. 17.3 ; Flavius Josèphe, A.J. 8.47 ; PGM XIII.242). Les traductions en français des extraits de l’Iliade sont tirées de : Homère, Iliade. Tome II : chants VII–XII, trad. par Paul Mazon, CUF (Paris : Les Belles Lettres, 1937), 32 ; idem, Tome III : chants XIII–XVIII, (1946), 81, 138. ȀșȘȝĮȚ traduit, dans la LXX, le verbe hébreu ʡˇʩ (« s’assoir, prendre place, demeurer ») et, comme lui, il peut avoir le sens d’être assis quelque part ou d’habiter un lieu donné. Selon l’acception que l’on veut lui donner, il peut être combiné avec les prépositions ਥȞ + datif (Mc 4.1 : ਥȞ IJૌ șĮȜııૉ ; 16.5 : ਥȞ IJȠȢ įİȟȚȠȢ), İੁȢ + accusatif (Mc 13.3 : İੁȢ IJઁ ȡȠȢ IJȞ ਥȜĮȚȞ), ਥț + génitif (Mc 12.36 // Mt 22.44 // Lc 20.42 [Ps 109.1 LXX] : ਥț įİȟȚȞ ȝȠȣ ; ainsi aussi Ac 2.34 ; He 1.13 et 1 Clém. 36.5 ; pour le Fils de l’Homme : Mc 14.62 // Mt 26.64 // Lc 22.69), ਥʌ (+ accusatif : Mc 2.14 // Mt 9.9 // Lc 5.27 : ਥʌ IJઁ IJİȜઆȞȚȠȞ ; Lc 21.35 ; Jn 12.15 ; Ap 6.2, 4, 5 ; 11.6 ; 17.3 ; 19.11 ; + datif : Ac 3.10 : ਥʌ IJૌ ੪ȡĮ ʌȜૉ IJȠ૨ ੂİȡȠ૨), ʌĮȡ + accusatif (Mc 10.46 : ʌĮȡ IJȞ įંȞ // Mt 20.30 // Lc 18.35), ʌİȡ + accusatif (Mc 3.32, 34 : ʌİȡ ĮIJંȞ), ou l’adverbe de lieu ਥțİ (« là » : Mc 2.6). En Marc 5.15, il est utilisé sans spécification topographique, dans son sens absolu, tout comme, par exemple, en Lc 5.17 ; Ac 14.8 ; Jn 2.14 ; 9.8 ; 1 Co 14.30. 52
Le verbe ੂȝĮIJȗȦ, absent dans la LXX, se rencontre, dans le Nouveau Testament, seulement en Mc 5.15 // Lc 8.35. Il signifie « habiller, parer » (voir P. Tebt. 385.15 : IJȠ૨ ĮIJȠ૨ ਾȡȦȞȠȢ ੂȝĮIJȓȗȠȞIJȠȢ IJઁȞ ʌĮįĮ = « ledit Héron habillant le garçon ») et, dans ce sens, il est synonyme de ʌİȡȚȕȜȜȦ (dans la LXX, voir Gn 24.65 et Dt 22.12, là où le TM a le verbe ʤʱʫ ; dans le Nouveau Testament, voir Mt 6.29 // Lc 12.27 ; Mt 6.31 ; 25.36, 38, 43) ou de la locution « ʌİȡȚȕȜȜȦ + vêtement » (Mc 14.51 : ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȢ ıȚȞįંȞĮ ; 16.5 : ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȞȠȞ ıIJȠȜȞ ȜİȣțȞ ; Lc 23.11 : ʌİȡȚȕĮȜઅȞ ਥıșોIJĮ ȜĮȝʌȡȞ ; Jn 19.2 : ੂȝIJȚȠȞ ʌȠȡijȣȡȠ૨Ȟ ʌİȡȚȕĮȜȠȞ ĮIJંȞ ; cf. aussi Ac 12.8 ; Ap 3.5 : ʌİȡȚȕĮȜİIJĮȚ ਥȞ ੂȝĮIJȠȚȢ ȜİȣțȠȢ ; 3.18 ; 4.4 ; 7.9, 13 ; 10.1 ; 11.3 ; 12.1 ; 17.4 ; 18.16 ; 19.8, 13). Un autre synonyme est le verbe ਥȞįȦ (LXX : Gn 3.21 ; 27.15 ; 38.19 ; etc. Le TM a ˇʡʬ) qui, comme ʌİȡȚȕȜȜȦ, est toujours utilisé de manière transitive chez Marc (1.6 : ਥȞįİįȣȝȞȠȢ IJȡȤĮȢ țĮȝȜȠȣ ; 6.9 : ȝ 53
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ਥȞįıȘıșİ įȠ ȤȚIJȞĮȢ ; 15.17 : ਥȞįȚįıțȠȣıȚȞ ĮIJઁȞ ʌȠȡijȡĮȞ ; 15.20 : ਥȞįȣıĮȞ ĮIJઁȞ IJ ੂȝIJȚĮ ĮIJȠȣ ; cf. Ap 1.13 ; 15.6 ; 19.14). Le verbe ıȦijȡȠȞȦ signifie « être prudent, modéré, raisonnable » (voir T. Sal. 8.8 ; Philon, Det. 114 ; Origène, Cels. 2.8.16 ; Lucien, Nigr. 6 ; Tt 2.6 ; 1 P 4.7). En Rm 12.3, il est l’antonyme de ਫ਼ʌİȡijȡȠȞȦ, « être prétentieux ». Mais ıȦijȡȠȞȦ est également employé pour désigner un état mental normal, par opposition à l’être incapable de raisonner (ȝĮȞȠȝĮȚ = Platon, Resp. 331c : ਕȞįȡઁȢ ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJȠȢ… İੁ ȝĮȞİȢ ; Philon, Cher. 69 : ıȦijȡȠȞİȢ ਲ਼ ȝȝȘȞĮȢ ; ਥȟıIJȘȝȚ = 2 Co 5.13 : ਥȟıIJȘȝİȞ… ıȦijȡȠȞȠ૨ȝİȞ), à la maladie [mentale] et à l’incapacité de se contrôler (Platon, Phaedr. 231d : ȞȠıİȞ… țĮ İੁįȑȞĮȚ IJȚ țĮțȢ ijȡȠȞȠ૨ıȚȞ, ਕȜȜૃ Ƞ įȪȞĮıșĮȚ Įਫ਼IJȞ țȡĮIJİȞ). Dans les quatre évangiles, ce verbe n’apparaît que dans la péricope du démoniaque de Gérasa, et seulement dans les versions marcienne et lucanienne. Dans ce cas, il désigne clairement le retour à son bon sens du possédé suite à l’expulsion du démon (ıȦijȡȠȞȠ૨ȞIJĮ : Mc 5.15 // Lc 8.35). Aus, My Name is « Legion », 5, estime que le « bon sens » du Gérasénien en Mc 5.15 correspond à l’état de la personne qui est « mentally alert » selon t. Ter. 1.3. 54
ĭȠȕȠȝĮȚ (c’est la seule diathèse du verbe ijȠȕȦ que l’on rencontre dans la LXX et dans le Nouveau Testament) a souvent le sens de « crainte révérencielle » et il est souvent accompagné du complément objet direct : Dt 4.10 LXX (ȝİ) ; 6.2 (țȡȚȠȞ IJઁȞ șİઁȞ ਫ਼ȝȞ) ; Mc 6.20 (IJઁȞ ȦȞȞȘȞ) ; Ep 5.33 (IJઁȞ ਙȞįȡĮ) ; Lc 18.2, 4 et Pr 3.7 (IJઁȞ șİંȞ) ; Col 3.22 (IJઁȞ țȡȚȠȞ) ; He 11.23 (IJઁ įȚIJĮȖȝĮ IJȠ૨ ȕĮıȚȜȦȢ) ; Ap 11.18 (IJઁ ȞȠȝ ıȠȣ). Cependant, en imitation de la construction ʠʸʕʒ ʩ ʯʮʑ (Jr 1.8, 17 ; 10.2 ; Lv 26.2 ; 1 M 2.62 ; 8.12 ; ʠʸʩ étant, le plus souvent, le verbe hébreu sous-jacent à ijȠȕȠȝĮȚ dans la LXX), on le retrouve aussi suivi de « ਕʌં + génitif » : par exemple, Mt 10.28 (ȝ ijȠȕİıșİ ਕʌઁ IJȞ ਕʌȠțIJİȞȞંȞIJȦȞ IJઁ ıȝĮ) et Lc 12.4 (ȝ ijȠȕȘșોIJİ ਕʌઁ IJȞ ਕʌȠțIJİȚȞંȞIJȦȞ IJઁ ıȝĮ). La locution « ijȠȕȠȝĮȚ + infinitif » veut dire « craindre/hésiter à » : voir Mc 9.32 (ਥijȠȕȠ૨ȞIJȠ ĮIJઁȞ ਥʌİȡȦIJોıĮȚ) ; Mt 1.20 (ȝ ijȠȕȘșૌȢ ʌĮȡĮȜĮȕİȞ) ; 2.22 ; Lc 9.45. L’expression Ƞੂ ijȠȕȠȝİȞȠȚ IJઁȞ șİંȞ (Ac 13.16, 26) désigne les prosélytes. Toutefois, en Mc 5.15, ce verbe est utilisé dans sa forme intransitive et sans infinitif juxtaposé, ce qui indique que l’accent est mis sur le sentiment d’effroi lui-même. L’on peut être saisi par la frayeur à cause d’une situation périlleuse envisagée (cf. Mt. 10.31), d’un danger de mort imminente (cf. Mt 14.30), de la manifestation de phénomènes surnaturels nébuleux (cf. Mc 4.41 ; 6.50). Dans ce dernier cas, s’il s’agit d’un miracle ; souvent le texte précise que le sentiment de peur est mêlé à la stupeur : cf. Mt 9.8 (ਥșĮȝĮıĮȞ, țĮ ਥįંȟĮıĮȞ IJઁȞ șİંȞ) et Lc 5.9–10 (șȝȕȠȢ Ȗȡ ʌİȡȚıȤİȞ ĮIJઁȞ… ȝ ijȠȕȠ૨). Dans le cas de Mc 5.15, la peur est suscitée par la vue de l’homme « assis, habillé et avec [son] bon sens ». La suite du récit précisera qu’il ne s’agit pas d’une crainte mêlée à 55
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la stupéfaction, mais plutôt d’un sentiment de consternation et d’effroi (voir Mc 5.17). Le verbe įȚȘȖȠȝĮȚ a le sens de « expliquer, raconter avec force détails » (Aristophane, Av. 198 ; Thucydide, Bell. 6.54 ; Polybe, Hist. 2.40 ; Plutarque, Ant. 4.3 ; Flavius Josèphe, A.J. 1.93). Dans la LXX, il apparaît plus de soixante fois, là où le TM a souvent l’hébreu ʸʴʱ (voir Gn 24.66 ; 29.13 ; Ex 10.2 ; 18.8 ; Jos 2.23 ; Jg 6.13 ; 1 R 13.11 ; Est 6.13). Il apparaît dans le Nouveau Testament seulement huit fois et à chaque fois il s’agit de relater de manière détaillée des événements surnaturels (actes miraculeux : Mc 5.16 ; Lc 8.39 ; 9.10 ; apparitions : Mc 9.9 ; Ac 9.27 ; 12.17), sauf en He 11.32, où il est question du « parler en détail » (TOB) des héros du Premier Testament, et en Ac 8.33 (cit. d’Es 53.8 LXX). Dans le Nouveau Testament, on trouve aussi la version préfixée ਥțįȚȘȖȠȝĮȚ (Ac 13.41 : cit. d’Ha 1.5 LXX ; Ac 15.3), qui est employée en tant que synonyme de įȚȘȖȠȝĮȚ (cf. Philon, Mos. 1.235 ; Flavius Josèphe, B.J. 5.567 et A.J. 5.279). 56
Le substantif ȡȚȠȞ, toujours à la forme plurielle dans le Nouveau Testament, peut être compris comme un synonyme de ȤઆȡĮ, déjà employé, dans le même récit, au verset 1. En effet, tout comme ce dernier, IJ ȡȚĮ peut aussi avoir le sens de « région, territoire, district » (voir, dans la LXX, Gn 10.19 ; Ex 7.27 ; 10.4 ; Jg 1.18, où il traduit le mot hébreu ʬ˒ʡ ʍˏ, « limites, territoire » ; voir aussi T. Juda 2.6 ; dans le Nouveau Testament : Mt 2.16 ; 4.13 ; 8.34 ; 15.22, 39 ; 19.1 ; Mc 10.1 ; Ac 13.50 ; voir également Flavius Josèphe, C. Ap. 1.251 ; A.J. 6.191 ; 1 Clém. 29.2 [Dt 32.8 LXX]). Toutefois, son emploi dans cette section de l’évangile de Marc est loin d’être anodin. Alors que Matthieu garde l’expression IJȞ ȡȦȞ ĮIJȞ (Mt 8.34 // Mc 5.17 ; Lc 8.37 simplifie en ਕʌૃĮIJȞ) dans sa version du récit des démoniaques de Gadara, il n’établit pas de lien direct avec les guérisons (Mt 15.29– 31) qui suivent l’exorcisme de la fille d’une Cananéenne (Mt 15.21–28) et qui précèdent la première multiplication des pains et des poissons (Mt 15.32–39). En effet, selon le récit matthéen, Jésus rencontre la femme cananéenne dans IJ ȝȡȘ ȉȡȠȣ țĮ ȈȚįȞȠȢ (Mt 15.21) et il pratique ses guérisons dans la montagne (İੁȢ IJઁ ȡȠȢ, v. 29), après avoir regagné les rives du lac (ʌĮȡ IJȞ șȜĮııĮȞ IJોȢ īĮȜȚȜĮĮȢ). Marc, par contre, incite son lecteur à tisser un lien raisonné entre l’injonction que les Géraséniens adressent à Jésus afin qu’il quitte leur territoire (IJȞ ȡȦȞ ĮIJȞ, Mc 5.17), son action subséquente dans le territoire de Tyr (İੁȢ IJ ȡȚĮ ȉȡȠȣ, Mc 7.24 ; cf. v. 31a) et, surtout, à nouveau, dans le territoire de la Décapole (IJȞ ȡȦȞ ǻİțĮʌંȜİȦȢ, v. 31b). 57
Le verbe ਥȝȕĮȞȦ signifie « entrer », aussi bien littéralement que figurativement : par exemple, dans le sein maternel (Justin, 1 Apol. 61.5), dans l’eau d’un bassin (Jn 5.4) ou d’une rivière (Flavius Josèphe, A.J. 5.18), ou encore dans un modus vivendi (Platon, Resp. 406e ; voir aussi Leg. 681c, 686c). Il est 58
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Traduction justifiée de Mc 5.1–20
souvent utilisé pour indiquer l’action de monter sur un bateau (Platon, Menex. 243c : İੁȢ IJȢ ȞĮ૨Ȣ ; Mt 8.23 et Mc 4.1 : İੁȢ IJઁ ʌȜȠȠȞ, ; Mt 9.1 et Lc 8.22 : İੁȢ ʌȜȠȠȞ ; voir aussi 1 M 15.37 ; Mt 8.23 ; 9.1 ; 13.2 ; 14.22 ; 15.39 ; Mc 6.45 ; 8.10 ; Lc 5.3 ; 8.37 ; Jn 6.17 ; 21.3 ; Flavius Josèphe, Vita 164, 304), même sans l’indication explicite du moyen de transport (Mc 8.13 ; Dion Chrysostome, Or. 2.22). Il faut comprendre la subordonnée ਥȝȕĮȞȠȞIJȠȢ ĮIJȠ૨ İੁȢ IJઁ ʌȜȠȠȞ (génitif absolu) en tant que proposition circonstancielle de temps : « alors qu’il monte sur le bateau… ». L’indicatif aoriste (Ƞț) ਕijોțİȞ exprime ici une prise de position personnelle et résolue : Jésus prend ses distances par rapport à la demande de l’homme en ne tolérant pas la décision que ce dernier a prise. Lorsque ce verbe a le sens de « permettre, ne pas empêcher », il peut être suivi d’un infinitif présent (Mc 10.14 et Lc 18.16 : ਙijİIJİ… ȡȤİıșĮȚ ; voir aussi Mt 13.30 ; Mc 1.34 ; Jn 11.44 ; 18.8) ou aoriste (Mc 5.37 : Ƞț ਕijોțİȞ… ıȣȞĮțȠȜȠȣșોıĮȚ ; voir aussi Mc 7.12, 27 ; Mt 8.22 ; 23.13 ; Lc 8.51 ; 9.60 ; 12.39 ; Ap 11.9 ; Herm. Sim. 1.3.1), ou d’un subjonctif exhortatif (Mt 7.4 et Lc 6.42 : ਙijİȢ ਥțȕȜȦ ; Mc 15.36 : ਙijİIJİ įȦȝİȞ ; voir aussi Mt 27.49 ; Épictète, Diss. 1.9.15 : ਙijİȢ įİȚȟȦȝİȞ ; 3.12.15 : ਙijİȢ įȦ). À remarquer la construction singulière de Marc 11.16, où l’imparfait d’ਕijȘȝȚ est suivi par la conjonction de subordination ȞĮ et du syntagme verbal IJȚȢ įȚİȞȖțૉ ıțİ૨ȠȢ (įȚ IJȠ૨ ੂİȡȠ૨). Toutefois, en Mc 5.19, ਕijȘȝȚ est employé dans son sens absolu et avec l’accusatif de la personne à laquelle on (ne) permet (pas) quelque chose : Ƞț ਕijોțİȞ ĮIJંȞ. Il s’agit d’une construction commune (voir 2 R 4.27 LXX ; Ps. Sal. 17.9 ; Mt 3.15 ; Lc 13.8 ; Jn 11.48 ; Ap 2.20), qui sera employée par Marc encore à deux reprises (Mc 11.6 et 14.6). Dans ces deux cas, il n’est pas question d’une permission donnée dans le cadre d’une relation hiérarchique, mais d’une tolérance, voire d’une bienveillance, exercée envers les disciples (Mc 11.6) et une femme (14.6). Le choix de verbes différents, dans le récit de Mc 5.1–20, pour décrire la permission donnée au démons (v. 13 : ਥʌȚIJȡʌȦ) et refusée à l’ex-possédé (v. 19 : ਕijȘȝȚ) éclaire la différence qualitative entre les relations entamées par le protagoniste avec ces deux personnages différents. D’où la nécessité de distinguer, dans la traduction, le « permettre » du verset 13 du « ne pas laisser faire » du verset 19. 59
Le verbe ਫ਼ʌȖȦ, bien qu’ayant aussi un sens transitif (par ex. « refouler » en Ex 14.21 LXX : țĮ ਫ਼ʌȖĮȖİȞ țȡȚȠȢ IJȞ șȜĮııĮȞ), est toujours utilisé intransitivement dans le Nouveau Testament. Il a alors le sens de « partir, s’éloigner, aller » (Mt 13.44 ; Mc 6.31, 33 ; Lc 8.42 ; 17.14 ; Jn 8.21 ; 12.22 ; 14.5, 28 ; 15.16), même au sens figuré (« mourir » : Mc 14.21 ; Mt 26.24). L’impératif présent ʌĮȖİ est employé pour renvoyer quelqu’un d’hostile (Mt 4.10 et Mc 8.33) ou inviter une personne à (re)prendre son propre chemin (Mt 60
Traduction personnelle et notes
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8.13 ; 20.14 ; Mc 7.29 ; 10.52) ; dans ce cas, il peut être complété par une locution exprimant un vœu : par exemple İੁȢ İੁȡȞȘȞ (Mc 5.34) ou ਥȞ İੁȡȞȘ (Jc 2.16). Cependant, dans Mc 5.19, il est question d’envoyer le Gérasénien (même sens, par ex, en Mt 5.24 ; 8.4 ; 18.15 ; 19.21 ; 21.28 ; 27.65 ; 28.10 ; Mc 1.44 ; 10.21 ; 16.7 ; Lc 10.3 ; Jn 4.16 ; 9.7 ; Ap 10.8), avec une précision concernant le lieu à atteindre : İੁȢ IJઁȞ ȠੇțંȞ ıȠȣ ʌȡઁȢ IJȠઃȢ ıȠȢ (voir Mt 9.6 et Mc 2.11 : İੁȢ IJઁȞ ȠੇțંȞ ıȠȣ ; Jn 7.3 : İੁȢ IJȞ ȠȣįĮĮȞ ; 9.11 : İੁȢ IJઁȞ ȈȚȜȦȝ). Cet homme n’est pas seulement invité à regagner la réalité familiale et sociale de laquelle il avait été contraint de se séparer, mais il est également chargé de mission envers les siens : țĮ ਕʌȖȖİȚȜȠȞ ĮIJȠȢ. Le Gérasénien est envoyé « chez lui ». Le substantif ȠੇțȠȢ traduit très souvent, dans la LXX, les mots ʺ ʩʑ ˎ (« maison », Gn 24.27 ; 33.17 ; « palais du roi », Gn 12.15 ; Jr 52.13 ; « temple », Gn 28.22 ; 1 S 1.7 ; « endroit », Ne 2.3 ; « partie intérieure », Lv 16.15 ; mais aussi « maisonnée », Jos 24.15 ; 1 S 27.3, et « descendance », Ex 6.14 ; 1 S 2.30), ʬʔʫʩ ʒʤ (« palais, temple », Esd 4.14 ; 5.14–15) et ʬ ʓʤ ʖʠ (« tente », Gn 4.20 ; 9.21). En grec attique, on différencie ȠੇțȠȢ, les biens qui composent les propriétés et le patrimoine d’une famille, de ȠੁțĮ, la demeure proprement dite (Xénophon, Oec. 1.5). Les deux mots sont également employés dans leur sens métonymique : « famille » (Xénophon, Mem. 2.7.6). Dans le Nouveau Testament, cette distinction, mis à part quelques textes (Lc 10.5, 6, 7 ; Ac 16.31, 32, 34 ; Jn 14.2), n’est pas systématiquement adoptée (Mt 9.23 ; Lc 7.36, 37 ; Ac 10.17, 22, 32 ; 11.11, 12, 13 ; 16.15 ; 17.5 ; 19.16 ; 21.8). De son côté, Marc aussi opte pour un usage plutôt libre des deux mots : s’il est vrai que le Temple est désigné par le seul ȠੇțȠȢ (Mc 2.26 et 11.17) et que la notion de « propriété/bien » est plutôt rendue par ȠੁțĮ (Mc 12.40 ; 13.34–35), les deux substantifs sont utilisés indifféremment pour désigner aussi bien le « foyer » (ȠੇțȠȢ : Mc 2.11 ; 5.19, 38 ; 7.30 ; 8.3, 26 ; ȠੁțĮ : Mc 3.25 et 6.4) que le bâtiment proprement dit (ȠੇțȠȢ : Mc 2.1 ; 3.20 ; 7.12 ; 9.28 ; ȠੁțĮ : Mc 1.29 ; 2.15 ; 3.27 ; 6.10 ; 7.24 ; 9.33 ; 10.10, 29–30 ; 13.15 ; 14.3). En Mc 5.19, la référence à la « maison » est intégrée par l’expression ʌȡઁȢ IJȠઃȢ ıȠȢ (« vers les tiens »), évocation explicite des membres composant la famille, voire des co-villageois de l’exorcisé (Ƞੂ ıȠ ayant aussi le sens de « tes gens, ton peuple » : voir Flavius Josèphe, A.J. 7.218 ; 8.54). Cette construction plaide en faveur d’une lecture du substantif ȠੇțȠȢ comme se référant notamment à la maison et à la propriété du Gérasénien, avec pour résultat que l’on doit comprendre l’injonction de Jésus à son égard en ces termes : « tu es rendu à tes propriétés, à ta famille, à ton village ». 61
Marc utilise une seule fois ıȠȢ en tant qu’adjectif relatif, sans préposition, pour exprimer une durée temporelle (2.19 : ıȠȞ ȤȡંȞȠȞ ; voir ਥijૃıȠȞ 62
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ȤȡંȞȠȞ en Rm. 7.1 ; 1 Co 7.39 et Ga 4.1 ; ਥijૃıȠȞ : Mt 9.15 ; 2 P 1.13 ; Xénophon, Cyr. 5.3.25 : ıȠȞ į ȤȡȩȞȠȞ). Sinon, il l’emploie toujours en tant que pronom relatif désignant une quantité : Mc 3.8, 10, 28 ; 5.19, 20 ; 6.30, 56 ; 7.36 ; 9.13 ; 10.21 ; 11.24 ; 12.44 (usage très bien attesté depuis l’Antiquité, voir Homère, Il. 22.380 ; Od. 4.75 ; Xénophon, Hell. 3.4.3 ; Mem. 1.4.40 ; Platon, Resp. 329b–c, qui se poursuit dans le grec de la koinè : voir Mt 14.36 ; Jn 1.12 ; Ac 4.6, 34 ; 9.13 ; 13.48 ; Rm 2.12 ; 6.8 ; Ga 3.10, 27 ; He 8.6 ; Ap 3.19 ; Flavius Josèphe, A.J. 10.35 ; 18.370 ; Justin, Dial. 11.2). En Mc 5.19, la locution ıĮ țȡȚȠȢ fait écho à l’engagement que la tribu de Gad (anciennement installée en Transjordanie) et celle de Ruben prennent devant Dieu pour venir en aide aux autres tribus qui organisent l’invasion des territoires à l’ouest du Jourdain : ıĮ țȡȚȠȢ ȜȖİȚ IJȠȢ șİȡʌȠȣıȚȞ ĮIJȠ૨ ȠIJȦȢ ʌȠȚıȠȝİȞ (Nb 32.31 LXX). 63
L’action d’« avoir compassion » (ਥȜİȦ) ne se réduit pas à ressentir une préoccupation pieuse à l’égard de quelqu’un qui est empêtré dans une situation misérable. Dans la LXX, ce verbe est employé en référence, entre autres, à la fécondité et à la richesse (Gn 33.5, 11 LXX, le TM lit ʯʔʰ ʕʧ) au moyen desquelles Dieu a béni Jacob ; à la patience divine (2 R 13.23 LXX ; MT : ʭ ʔʧʸ) ; au soutien que l’on devrait apporter à la veuve (Jb 24.21 LXX ; TM : ʡ ʔʨʕʩ) ; à la libération opérée par YHWH (Es 44.23 LXX ; TM : ʤ ʕˈʲ). Voir aussi Diod. Sic. 12.30.4 ; 20.4.6 ; P. CairZen. 145.12 ; Herm. Vis. 1.3.2 ; Mt 9.27 ; 15.22 ; 17.15 ; 1 Co 7.25 ; Flavius Josèphe, A.J. 9.64. Ådna, « The Encounter of Jesus with the Gerasene Demoniac », 301, suggère de lire Mc 5.3–5 en relation avec Es 65.4, 7, 11 (idolâtrie) et de connoter, en conséquence, la miséricorde dont il est question en Mc 5.19–20 : l’exorcisme dont le Gérasénien fait l’objet serait aussi un acte de pardon. Cette lecture nous semble forcée car Marc n’emploie ce verbe qu’ici, en 5.19, et lorsque Bartimée s’égosille pour demander au Fils de David, à deux reprises, de le guérir (« aie pitié de moi ! », ਥȜȘıંȞ ȝİ, 10.47–48). Aucune allusion ici ni à l’idolâtrie ni à la rémission des péchés. Par contre, dans les deux épisodes, l’action du Jésus marcien suscite une dynamique exemplaire : dans le cas du Gérasénien, ce dernier ਵȡȟĮIJȠ țȘȡııİȚȞ… ıĮ ਥʌȠȘıİȞ ĮIJ ȘıȠ૨Ȣ (5.20) ; Bartimée, de son côté, țȠȜȠșİȚ ĮIJ ਥȞ IJૌ į (10.52). Dès lors, ਥȜİȦ semble plutôt être un terme significatif en relation avec la thématique de la suivance dans le contexte du Nouvel Exode (voir supra, p. 234– 240). Le țોȡૢȟ était un nonce, un crieur officiel, un héraut qui, dans des contextes belliqueux ou civils ou religieux, proclamait publiquement le message dont il avait été chargé (Homère, Il. 1.319–320 ; Hérodote, Hist. 1.2 ; Eschine, Fals. leg. 2.13 ; 1 Tm 2.7 ; 2 Tm 1.11 ; 2 P 2.5 ; Philon, Agr. 112 ; Flavius Josèphe, B.J. 2.624 et A.J. 10.75). Le verbe țȘȡııȦ a donc le sens de proclamer formellement, par un héraut officiel (voir Maxime de Tyr, Diss. 64
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1.6c ; Mart. Pol. 12.1 ; Ap 5.2). C’est surtout ainsi qu’il est utilisé dans la LXX, où il traduit le verbe ʠʸʕ ʕʷ (ici « proclamer ») : voir Gn 41.43 ; Ex 32.5 ; 36.6 ; 2 R 10.20 ; 2 Ch 20.3 ; Jl 2.1 ; voir aussi 1 Esd. 2.1 ; 1 M 10.63–64. Toutefois, ce verbe a aussi le sens de « annoncer à haute voix, faire une déclaration publique », l’énonciateur n’ayant pas nécessairement une fonction publique formelle, mais l’énoncé étant chargé de grandeur et de solennité (voir P. Oxy. 1381.35 ; Mt 4.23 ; 9.35 ; 11.1 ; Mc 1.38, 45 ; 3.14 ; 7.36 ; Lc 8.1 ; 9.2 ; Rm 10.8 ; Ga 2.2 ; 5.11 ; Philon, Agr. 112 ; Origène, Cels. 3.40.20 ; 7.57.4 ; Herm. Sim. 9.16.5). Dans l’évangile de Marc, țȘȡııȦ est un terme technique réservé à la proclamation d’un message qui s’inscrit dans l’initiative divine du salut (Jean Baptiste : Mc 1.4, 7 ; Jésus : 1.14, 38, 39 ; les Douze : 3.14 ; 6.12 ; les disciples : 13.10 ; 14.9) et dont la nature sensationnelle rend impossible l’occultation (le lépreux après sa guérison : 1.45 ; le Gérasénien : 5.20 ; les habitants de la Décapole : 7.36). C’est dans cette acception qu’il est utilisé en Mc 5.20, tout comme dans le texte parallèle de Lc 8.39. ǻİțʌȠȜȚȢ (voir Flavius Josèphe, B.J. 3.446 ; cf. įțĮ ʌંȜİȚȢ et IJȞ įțĮ ʌંȜİȦȞ en Vita 341–342) ou Decapolitana regio (Pline l’Ancien, Nat. 5.16). La Décapole était à l’origine la région gouvernée, depuis 63 avant Jésus-Christ, par une alliance de dix villes principales (et de plusieurs petits villages et cités mineures), toutes situées à l’est du Jourdain (sauf Scythopolis), limitée au nord par Damas et au sud par Philadelphie (actuelle Amman en Jordanie). Voir Focant, L’Évangile selon Marc, 204 ; Bonifacio, Personaggi minori, 97. 65
Le verbe șĮȣȝȗȦ signifie « être émerveillé, être étonné » (voir Thucydide, Bell. 3.38 ; 4.85 ; 7.63 ; Plutarque, Alex. 5.1 ; Ap 13.3 ; Flavius Josèphe, A.J. 1.57), mais pas nécessairement de manière positive (voir Sophocle, Oed. tir. 289 ; Ac 7.31 et la phrase idiomatique șĮȣȝȗȦ ʌȡંıȦʌȠȞ qui signifie « flatter » : Jude 16 et, dans la LXX, Lv 19.15 ; Dt 10.17 ; 28.50 ; 2 Ch 19.7 ; Pr 18.5). Lorsqu’il fait référence à la stupéfaction, ce verbe traduit, dans la LXX, l’hébreu ˑʮʺ (Ps 47.6 LXX ; Qo 5.7 ; Ha 1.5 ; Jr 4.9), mais on le retrouve aussi à la place des verbes ʭʮˇ (« être désolé » : Jb 21.5 ; Dn 4.19 [16] ; 8.27), ʣ˒ʰ (« errer, lamenter [consoler] » : Jb 42.11), ʯʩʡ (« comprendre, considérer » : Es 14.16), ʲʺˇ (« être consterné » : Es 41.23), ʤʥʺ (« être alarmé » : Dn 3.91) et même ʤʦʰ (« asperger » ou, peut-être, « sauter, sursauter » : Es 52.15). Dans le Nouveau Testament, on le rencontre dans son emploi absolu (voir Mt 8.10, 27 ; 9.33 ; 15.31 ; 21.20 ; 22.22 ; 27.14 ; Mc 5.20 ; 15.5 ; Lc 1.21, 63 ; 8.25 ; 11.14 ; 24.41 ; Jn 5.20 ; 7.15 ; Ac 2.7 ; 4.13 ; 13.41 ; Ap 17.7–8), ou encore suivi de įȚ + accusatif (« à cause de », Mc 6.6 ; Jn 7.21), de ਥʌ + datif (« à propos de » : Lc 2.33 ; 4.22 ; 9.43 ; 20.26 ; cf. le ʌİȡ + datif qui a le même sens : Lc 2.18), ou de İੁ + verbe (ici « que » : Mc 15.44 ; 1 Jn 3.13). Marc emploie aussi la forme préfixée ਥțșĮȣȝȗȦ qui implique une intensification de l’action : « s’étonner grandement » : Mc 12.17 (ਥȟİșĮȝĮȗȠȞ ਥʌૃĮIJ ; cf. Si 27.23 ; 43.18 ; Ap 17.6). 66
English Synopsis The Epistemic Reconfiguration of Mark’s Reader Synchronic and Diachronic Perspectives on the Gerasene Demoniac Story (Mk 5:1–20) and its Resonances with the Narratives of the Young Men of 14:51–52 and 16:1–8
Part One – The Story of the Demoniac from Gerasa (Mk 5:1–20) [chapters 1–3] Part I – The Story of the Demoniac from Gerasa
The Gerasene demoniac story is the most extensive and spectacular exorcism account in the entire New Testament. The length and the degree of eaboration of this Markan narrative testify to the place of honour that the author of the second gospel grants it in the economy of the macro-narrative. In the first chapter of our study, we tackle the double question of the prehistory of the account of Mark 5:1–20 and of the author of the second gospel’s contribution, the latter shaping the narrative in its final editorial form. The fortuitous encounter between Jesus and a pagan in a non-Jewish territory (though contiguous to Galilee) – probably an unspecified region of the Decapolis – leads to an exorcism performed by Jesus. This event gives rise to an account that, after elaboration, circulates in Galilean Jewish-Christian circles. Very early on, this tradition was re-read and re-shaped as a midrash by these same circles, with a missionary purpose. Sensitive to the mission to non-Jewish people, to their integration within the boundaries of the Kingdom (somewhat already there) and in anticipation of its final consummation, these disciples of Jesus find in Isaiah 65:3–5 LXX, Psalm 67:7 LXX and Exodus 14:1–15:22 (as well as in the Jewish traditions elaborated especially on the latter text) the vocabulary and the prophetic perspective to understand this exorcism account as the miracle that programmatically shows that the Kingdom is also breaking into foreign territory to open itself to non-Jews.1 It is also possible that a narrative block is then established, linking the miracle of the calming of the storm (4:35–41), and the subsequent question, by 1
See p. 39–65.
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English Synopsis
the disciples, on Jesus’ identity (v. 41: IJȓȢ ਙȡĮ ȠIJȩȢ ਥıIJȚȞ ... ;), with the identification of the latter by Legion as the “Son of the Most High God” (5:7: ȘıȠ૨ ȣੂ IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥȓıIJȠȣ).2 Mark, who inherits this already elaborated tradition, makes a decisive editorial contribution by integrating it into his own theological and literary project. In particular, he establishes a link between the Gerasene ex-demoniac and the young man “sitting” (țĮșȒȝİȞȠȞ: 5:15 and 16:5) and “clothed” (ੂȝĮIJȚıȝȑȞȠȞ: 5:15; ʌİȡȚȕİȕȜȘȝȑȞȠȞ: 16:5) at the tomb. Then he shifts the focus of the narrative from the exorcism itself to the dialogue between Jesus and the Gerasene man (5:18–19) followed by the proclamation of the latter throughout the Decapolis (5:20). More generally, Mark integrates the account of the exorcism of Gerasa into his larger treatment of the themes of Jesus’ identity and its implications for the notion of discipleship.3 In this way, the Markan editorial activity crystallizes in its present shape his version of the account of the exorcism of Gerasa. The chapter ends with a personal translation of the Greek text into French. Chapters two (linear reading) and three (correlative analysis) propose a detailed narratological study of Mark 5:1–20. Mark’s text is a “speech act” that does not reduce the message to an information but rather situates it at the level of values to which the reader is invited to adhere.4 Through the study of the plot, of the relationship between the narrator and the narratee, of the narrative temporality and of the interplay of the points of view, the goal of these chapters is to show how this narrative contributes to the epistemic reconfiguration of the reader. The intratextual semantic network that the reader is invited to establish unfolds a “discourse” on three interrelated themes: the characterization of the Markan Jesus; the elaboration of a model of exemplary discipleship; and the inclusion of non-Jews in God’s plan and within the boundaries of his Kingdom (and, by extension, of the reading community). The Markan Jesus is defined as the “Son of the Most High God” and as the agent of God’s action and compassion (Mk 5:19–20). Since Legion, a supernatural being, gives the implied reader a clear answer to the question raised by the disciples in 4:41 (“Who is he then?”), the reader can now evaluate and progress in his theological and existential posture towards Jesus of Nazareth as Mark presents him. However, at the level of the narrative, several characters remain “blind” to this revelation: the account of the swineherds and the negative reaction of the inhabitants of the city confirm the conflict of interpretations concerning the identity of Jesus, the Son of God both revealed and misunderstood. The one who destroyed Legion and who had already mastered the natural 2
See p. 37–39. See p. 66–75. 4 Jacques Geninasca, “Du texte au discours littéraire et son sujet”, in La littéralité, ed. by Louise Milot et Fernand, Sainte Foy (Laval: Presses universitaires de l’Université de Laval, 1991), 249–50. 3
Part I – The Story of the Demoniac from Gerasa
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elements (sea and wind: 4:35–41) seems powerless when facing human opposition and misunderstanding.5 Jesus is also characterised as a powerful and uncanny exorcist. He is Satan’s and the demons’ powerful adversary whose exorcistic action, widely acknowledged by human beings (5:20; cf. 1:28; 3:7–12, 22; 6:14–16), assumes the eschatological contours of the final destitution of the unclean spirits (cf. 1:24). Nevertheless, the surprising ways in which Jesus acts to make the Kingdom manifest itself – e.g., he does not know the demon’s name (5:9) and he gives a favorable response to the demons’ request to enter the herd of pigs (5:12–13a) – seem to have a “deconstructive” function. The effectiveness of the miracle is not linked to the technical or even cognitive dimension of the exorcist’s action. The fact that Jesus does not know beforehand the identity of Legion and that he consents to the demons’ request shows that Jesus’ power to defeat Satan and the demons does not originate in his knowledge of magical techniques but stems from the very being of Jesus (ontological dimension): he is the Son of the Most High God (5:7; cf. 1:1, 24), the one who has been anointed by the Spirit of God (1:11). The plot’s resolution (5:14–17) shows the reader that recognizing in the Markan Jesus the Son of the Most High is the only means to overcome the deadlock represented by human opposition and incomprehension.6 The third facet of the Markan Jesus emerging from the story of the Gerasene demoniac depicts Jesus as the rejected and absent conqueror. While Legion proposes an imperialist dynamic by asking not to be driven out of the territory (5:10), Jesus, having freed the man and his country from the demonic presence, does not impose his presence on those who beg him to leave (5:15–17; cf. 6:4– 6). Paradoxically, his liberating action results in the rout of the powers of Evil but also in his rejection by the inhabitants of the region. However, his plan to “plunder” the house of Beelzebul (3:27) cannot be hindered: the deployment of the Kingdom in the Decapolis will take place in an irresistible and surprising manner, that of the announcement, by the Gerasene man, of the absent and yet conquering Master (5:18–20; see then 7:31–37).7 According to the implied author’s intentions, the account of Mark 5:1–20 also establishes the kind of relationship the exemplary disciple should develop with the Markan Jesus. From this point of view, the blindness of the pig keepers and of the inhabitants of the region forms the backdrop against which the implied reader’s insights must be appreciated. While seeing (v. 14, 15, 16), the pig keepers and the local inhabitants focus their gaze on the modality (ʌȢ: v. 16) of Jesus’ action in favour of the Gerasene man and on the loss of the flock. This evaluative posture diminishes the extent of the event to a fact of which a 5
See p. 152–154. See p. 155–156. 7 See p. 156–157. 6
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English Synopsis
detailed account is readily given (v. 14 and 16), but whose true meaning escapes both the keepers and the crowd. To this blindness, the implied author opposes the narrativization of its overcoming: Jesus enjoins the exorcised Gerasene to crystallize his own testimony around the relational dimension. The latter is invited to relate to his family how much/all that (ıĮ: v. 19) – instead of how – the Lord did for him, and that he had compassion on him (v. 19).8 The new relational modality proffered by the Markan Jesus to the one who wanted to “be with him” inevitably implies the acceptance of the frustration stemming from the required detachment from Jesus’ body: the devaluation of tangible and physical attachments gives way to the idealization of an inhabited absence. By means of synkrisis, a dialectical relationship is established between, on the one hand, the demons – who show an exasperated territorialism (5:10) sanctioned by their drowning at sea (v. 13), and, on the other hand, the Gerasene – whom Jesus invites to accept a kerygmatic type of closeness to his liberator. The Gerasene accepts, resulting in a positive evaluation (v. 20).9 Jesus’ refusal to accede to the Gerasene’s request to be with him allows the transition from Jesus’ activity to the man’s proclamation of God’s activity through Jesus in the Decapolis. Thus, Jesus’ status undergoes a significant change: from proclaimer (cf. 1:14–15) to proclaimed, making the Gerasene man – and the implied reader with him – the one who sublimates Jesus’ absence through a personal kerygma that makes the presence of the Master possible in a new and enduring way. In this regard, Mark 5:1–20 shows on a smaller scale what the macro-narrative as a whole unfolds, namely that the Gospel of God firstly proclaimed by Jesus (1:15) will eventually fully integrate the proclamation of (the crucified and risen) Jesus into the kerygma itself (16:5–7).10 The implied reader is finally led to appreciate the significance of Mark 5:1– 20 in the perspective of the integration of non-Jews within the borders of the Kingdom. The point of view of the eyewitnesses (the pig-keepers) and of the inhabitants of the surrounding area on the Gerasene man is disqualified by the implied author, who thus incites the implied reader to reject it as well. In the eyes of these characters, the Gerasene man, even after the exorcism, remains “the demoniac” (IJઁȞ įĮȚȝȠȞȚȗંȝİȞȠȞ: 5:15; IJ įĮȚȝȠȞȚȗȠȝȞ: v. 16). In a masterful way, the narrator establishes a parallel between the inhabitants of the region and the demons: both groups approach Jesus (5:6, 14–15), fear him (5:7, 15), and, not tolerating his presence, beg him not to annoy them (5:10, 17). Their status as reliable references is thus called into question, and the reader is in fact driven to align himself with Jesus’ and the narrator’s point of view. The latter two do not freeze the Gerasene in his state of impurity and submission to the demonic forces, but come to see him as a restored human being (Jesus’ 8
See p. 158–160. See p. 160–162. 10 See p. 162–165. 9
Part II – Diachronic Explorations
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point of view: v. 19) at the benefice of divine mercy (the narrator’s point of view: v. 20).11 Moreover, the implied author connotes the Gerasene, the one who was located across social and religious boundaries, as an “exemplary disciple”, because his proclamation (5.20: țĮ ਵȡȟĮIJȠ țȘȡȪııİȚȞ) echoes that of John the Baptist (1:4, 7), the Twelve (3:14), the healed leper (1:45), Jesus himself (1:14, 38–39), and anticipates that of all the disciples to all nations (13:10; see also 14:9).
Part Two – Diachronic Explorations. The Story of Mark 5:1–20 in Relation to the Notion of Purity, its Socio-Political Context, and the Demonology of the Time [chapters 4–6] Part II – Diachronic Explorations
This part explores how the dynamics highlighted by the synchronic analysis interact with the historical reader’ worldview (diachronic data) in order to reconfigure it. The historical, social, and religious contexts in which the story of Mark 5:1–20 (but also the entire gospel) was composed and then received by its early historical audience/readership is taken into account. From a multidisciplinary perspective, the results of the literary analysis (part one) are related to – and assessed against – the ideologies, worldviews, events, expectations, and practices that, as interacting elements in a complex society, have implicitly or explicitly participated in the formation of these texts. Chapter four is devoted to the study of the way the notions of purity and impurity and their relationship unfold in Mark 5:1–20. Even if Mark’s historical reader does not belong to any of the major Jewish movements of the time (Essenes, Pharisees, Sadducees, disciples of John), the mention of tombs, unclean spirits, and pigs engages the reader in the field of purity matters. In the same way, even the Greco-Roman reader, sensitive to the distinction between the sacred and the profane, the pure and the impure, even if differently understood or managed, is invited by the author’s literary strategy to enter into the logic of the Jewish rhetoric. The final purification is at work in the “Son of the Most High God” to the extent that both Jews and non-Jews are now already benefiting from the communion with God through Jesus’ purifying holiness. The centrifugal dynamic of conquering holiness, coupled with a universalist re-reading of the promises originally addressed only to the people of Israel (cf. Isa 65:21 LXX, Ps 67:7 LXX, and Mk 5:19), continues through the activity of the disciples of Jesus, the latter having become an integral part of the kerygma. It is thus possible to appreciate the impact on the reader’s worldview concerning the question of purity, of the dynamics highlighted by the narrative analysis on Jesus’ identity, 11
See p. 144–151.
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English Synopsis
the proposed new relational modality, and the integration of non-Jews into the boundaries of the Kingdom. 12 Chapter five looks at the resonance that the story of the demoniac of Gerasa may have with the socio-political context of its historical reader. In the past years there has been a proliferation of studies aimed at demonstrating the antiRoman character of Mark’s gospel in general, and of the narrative of Mark 5:1– 20 in particular. This has been the case especially because the plural demonic entity that Jesus defeated introduced itself with the name of “Legion”. However, our research has shown that Mark is not essentially an anti-Roman document, but a critique of any form of authority (Jewish, non-Jewish, supernatural) that exercises its power by means of domination and violence.13 According to the perspective of the Markan Jesus, the coming Kingdom (1:15) has a universal scope: its register is neither religious nor political and its borders (topographical and ethnic) do not coincide with those of Israel. The vocabulary and the themes coming from the military language can be explained by the connection established between this exorcism and the theme of Israel’s redemption. This theme had already been elaborated from the narratives (and the haggadic traditions of which they are the object) of Samson (Jg 13–16) and of the crossing of the Sea (Ex 14–15), as well as in relation to the New Exodus motif (esp. Isa 40–66), a motif that also unfolds from Mark 1:2–3 onwards.14 The reconfiguring goal of the story of the exorcism of Gerasa is evident when one realizes that the liberation performed by the Markan Jesus is not to be seen as a political and anti-imperialist stance, but rather as representative of the cosmic war between God and Satan. This confrontation leads to the eschatological action of God (in Jesus) in favour of Jews and non-Jews, which combines the motif of the New Exodus with the theme of the foreigners’ inclusion within the borders of the Kingdom. The Markan Jesus, however, does not reproduce the model proposed by imperialist ideology: on the contrary, by willingly accepting to leave the territory of Gerasa under the supplications of its inhabitants, he shows that he is at odds with the colonialist paradigm of the liberator/invader, and that he favours that of the non-conquering liberator. From Mark’s perspective, Jesus’ departure is not a synonym for his capitulation. On the contrary, it subtracts the progression of the Kingdom of God, of which he is the herald, from the degrading ideology that engenders fear and rejection, i. e., the model of demonic domination at work in the way the power is defined and exerted by Jewish and Roman’s authorities. Jesus leaves Gerasa to keep alive and uncontaminated what will eventually bear fruit in its time (see Mk 7:31–37). The Kingdom that Jesus announces and whose borders he extends is then meta-imperialist, for it is situated both above and beyond all 12
See p. 198–212. See p. 229–234. 14 See p. 234–240. 13
Part II – Diachronic Explorations
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demonic and temporal power and their embodied paradigms.15 The Markan Jesus is a rejected and absent conqueror; he sets up a new relational modality; he gives the stranger a place in the economy of the Kingdom; he interacts with the reader’s encyclopedia subverting his/her Weltanschauung. Chapter six examines the pericope against the backdrop of the cultural repertoire constituted by demon-related beliefs and the exorcistic practices of the time. The data provided by aretalogies, healing’s and exorcism’s formulae and rituals, help appreciate the contours of the exorcistic activity as it was perceived by the historical reader. Jesus’ exorcistic activity shares many elements with that of his contemporaries. The stories that circulate about him have the purpose of arousing admiration and giving credit to his words. They work similarly to the aretalogies of the Greco-Roman world and the miracle accounts in Jewish and Hellenistic Jewish writings. In Gerasa, if the possessed man is brought back to his right mind (Mk 5:15: ıȦijȡȠȞȑȦ), it is precisely because he has met the one to whom God has granted his own wisdom (6:2: ਲ ıȠijȓĮ). Still, this Son IJȠ૨ șİȠ૨ IJȠ૨ ਫ਼ȥȓıIJȠȣ (5:7), an expression to be understood in the sense that his work is part of the action of IJȠ૨ ਫ਼ȥȓıIJȠȣ (Ps 90:1, 9 LXX) who protects and delivers ਕʌઁ ... įĮȚȝȠȞȓȠȣ ȝİıȘȝȕȡȚȞȠ૨ (“demons of noon”, v. 6), differs significantly from other thaumaturges. The Markan Jesus, invested with a singular authority (cf. 1:27), inaugurates the eschatological war. He does not cast out demons by relocating them elsewhere while awaiting the final judgment. Jesus’ action corresponds with the judgment (exercised by the punishment: 5:7) and the destruction (cf. 1:24) of the demons. The pigs, in the story of Gerasa, are the vessels through which the spirits are swallowed up by the sea, pointing here to the abyss. Jesus thus accomplishes what contemporary Judaism attributed to God himself (or to celestial beings following his orders): a decisive eschatological act signifying the in-breaking of the Kingdom, whose final consummation is nevertheless still awaited (cf. 8:38; 10:30 and 14:25). The Gerasene Demoniac story perfectly fits then the twofold purpose of Mark’s narrative strategy: to refute the stigmatization of the powerful and uncanny exorcist, Jesus of Nazareth, and to arouse faith in him as the Son of the Most High God and eschatological Judge.16
15 16
See p. 240–247 and 247–252. See p. 291–310.
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English Synopsis
Part Three – The Exorcism of Gerasa’s Place and Scope within the Framework of the Gospel of Mark: The Epistemic Reconfiguration of the Reader [chapters 7–8] Part III – The Epistemic Reconfiguration of the Reader
In the third and last part, we come back to the synchronic dimension of the text, our aim being to understand how the story of the exorcism of Gerasa participates in the broader project, implemented by the implied author, of the epistemic reconfiguration of the reader of the whole gospel. We especially discuss the relationship gradually established between the exemplary disciple (the “constructed reader”) and the absent Jesus with whom he/she is called to identify. The narrative sequence in which the story of Mark 5:1–20 is incorporated sheds light and amplifies these themes. Moreover, on a broader scale, at the discourse level, the Gerasene man is connected to other characters of the gospel narrative and, in a particular way, to that of the young man who runs away naked at Jesus’ arrest and to that of the young man at the tomb. The triad a) Gerasene man (Mk 5:1–20); b) young man flighting away naked (14:51–52); c) young man at the tomb (16:1–8), does not refer, at the level of the plot, to the same character. It is rather a symbolic link, a meaningful itinerary the implied reader is invited to engage in order to understand each one of these characters in the light of the other two. The naked fugitive is a paradoxical character. His flight is both dramatic, since it is the culmination of the disciples’ abandonment of Jesus, and necessary: the ıȚȞįȫȞ left behind (14:52) is the symbol of self-giving taken to its extreme and, as such, only Jesus can put it on and fully assume it (15:46) to give it its thorough meaning in the light of his resurrection. The abandonment of the cloth to escape death thus signifies both the recognition of Jesus’ primacy in the Passion and the prefiguration of the ensuing resurrection: Jesus too will escape the very bonds of death.17 The path that leads from the naked runaway young man to the one found in the tomb is therefore part of the implied author’s narrative strategy: the reader is encouraged to conceive Jesus’ radical stripping as the paradigmatic archetype to which to conform. The need for the assimilation of the disciple to his Master is narrativized by the announcement of a young man who announces the Risen One and the disciples’ rehabilitation, but who also represents the disciples assimilated to Jesus.18 The reader is thus invited to thoroughly identify with the Master’s death and resurrection and to wholeheartedly follow him: 17
See p. 369–372. “Sitting on the right side”, connoting the young man in Mk 16:5, is to be understood in the light of 10:37, 40 (honorable position beside Jesus in his glory); 12:36–37 (Messiah sitting at the right side of God) and 14:62 (Son of Man sitting at the right of the Power). The white robe of the young man at the tomb reminds Jesus’ white clothes during the Transfiguration (ȜİȣțંȢ in 9:3 and 16:5). The young man at the tomb tells the women not to be afraid 18
Part III – The Epistemic Reconfiguration of the Reader
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through a looped reading process conceived and implicitly advocated by the gospel’s author, the plot’s resolution is henceforth situated in the existential dimension of the readers, the “Galilee” where the Risen One continues to precede them and to call them to be his followers.19 The loop-reading of Mark allows to re-read the entire gospel in the light of its finale, which means that by re-reading Mark 5:1–20 after Mark 14:51–52 and 16:1–8, the account of the Gerasene demoniac offers a positive paradigm that opposes the impasse of the enigmatic finale of the macro narrative. The hermeneutical consequence is significant: the experience of the Gerasene is to be understood in the light of the dynamics of the Resurrection. The implied reader thus associates the Gerasene and the two ȞİĮȞȓıțȠȚ as lightposts on a symbolic and existential path that promotes a new and unprecedented modality of relationship to Jesus. The Gerasene exorcism narrative proleptically announces the themes that are present notably in 14:51–52 and in 16:1–8, while being in turn elucidated by the latter two passages and by the macro-narrative as a whole: a) the disciple’s assimilation to Jesus in his death and resurrection (also through the symbolism of the garment); b) the overcoming of a formidable obstacle, namely the cosmic powers hostile to God and humans, and death itself, made possible by the transforming dynamics of divine mercy; c) the conflict of interpretations; d) the necessary detachment from and renunciation of any form of control over the Master and the Kingdom whose irruption he announces and makes possible; e) the changeover to a kerygmatic type of presence; the foreigners’ integration on the account of a universalist understanding of the theme of the New Exodus and of the dynamics of conquering holiness;20 f) the emphasis placed on the notion of “encounter” in tension with that of a disconcerting absence – nevertheless integrated into the horizon of an imminent parousia; g) the Kingdom’expansion according to the non-violent principle of self-giving.21
(16:6), just as Jesus, believed to be a ghost, told his troubled disciples (6:49–50). The imperative form ਫ਼ʌȖİIJİ is employed only by the young man at the tomb (16:7) and by Jesus (6:38; 11:2; 14:13; singular [ʌĮȖİ]: 1:44; 2:11; 5:19, 34; 7:29; 8:33; 10:21, 52); the same is true for İʌĮIJİ (11:3; 14.14 // 16:7). The young man at the tomb and Jesus are also the only ones to use the verb ਥȖİȡȦ referring to Jesus’ resurrection (14:28 // 16:6). See p. 368– 369. 19 See p. 372–377. 20 From this perspective, we understand the Gerasene man as both one of the gathered chosen ones and also as one of the messengers sent out by the enthroned son of Man referred to in Mk 13:26–27. See p. 416–420. 21 See p. 377–395 and 396–417.
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English Synopsis
Implications Implications
We do not know if the Gospel of Mark was from the outset conceived for and used in the liturgical context of the baptismal rite. However, the theology of baptism, very close to that of Paul (cf. Rom 6), seems to underlie the intentions of the implied author. Through the process of loop-reading, the implied author invites the reader to regularly contemplate the “undressing” and the “clothing” of some of the gospel characters, all of them symbolically connected, in a way or another, to the destiny of the Markan Jesus. In this sense, it is possible to affirm that the very reading of the gospel of Mark assumes in itself a ritual function that brings about and confirms the reconfiguration of the reader.22 On another level, the understanding of Mark 13 – and especially of verses 26–27 – which, to us, is the most adequate in its literary context, provides an argument in favour of a post-70 dating of the second gospel. The most plausible dates for Mark range from the mid-1960s to the mid-1970s.23 However, understanding Mark 13:26–27 as referring to the enthronement of the Son of Man – and not to his parousia –, in connection with the themes of the “absence of Jesus” and of the discipleship as Mark constructs them, is the best option. This reading argues in favor of a redactional date situated after the destruction of the Temple of Jerusalem. To Mark, the enthronement of the Son of Man and the subsequent sending of his messengers for the gathering of the elect is the counterpoint to the destruction of the Temple and assumes the role of proof, for the Jewish authorities, that God has vindicated Jesus and has shown them (“they shall see”, 13:26a) that the Son’s claims were well-founded. This type of argumentation can only be understood in the light of the (recent) destruction of the Temple.24 Assuredly, the parousia remains for Mark an imminent event, the “already” of the irruption of the Kingdom (1:15) announcing the necessary and close “not yet” of its final apocalyptic manifestation (8:38; 9:1; 12:34; 14:25; 15:43). It would then be appropriate to ask what is for Mark the meaning (and the extent) of the integration of non-Jews within the boundaries of the Kingdom as “chosen ones” gathered together (13:27), but also as those sent out (as messengers) for the gathering. If, as it has been suggested, 25 Paul envisions non-Jews believers not integrating Israel but only associating with her – especially through 22
See p. 395, taking up McVann’s proposal: “Reading Mark Ritually”, 180–81, 186–87. See p. 13. 24 See p. 406–417. 25 This is notably the opinion of most Pauline scholars who adhere to “New Perspective on Paul” – anticipated by Stendhal and then established by E. P. Sanders, followed in particular by James D. G. Dunn and N.T. Wright – or to the “Radical New Perspective” – we think, among others, of Magnus Zetterholm, Mark Nanos, and Paula Fredriksen. For an overview of the two perspectives on Paul, see G. Philip Arnold, “Pauline Perspectives. A Summary and Critique of the New Perspective on Paul”, WLQ 112, no 3 (2015): esp. 185–189; 23
Implications
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adherence to the monotheistic faith, recognition of Jesus as messiah and commitment to live “according to the Spirit” – without necessarily becoming proselytes, does Mark propose an even more radical redefinition of God’s people? In any case, it seems to us that, for Mark, the mission to the nations and the commitment of non-Jews as disciples are understood as a sign of the nearness of the final establishment of the Kingdom of God which compensates, sublimates and justifies, in some way, the absence of the Master and the delay of the parousia. It is perhaps in this direction that one should continue to look for Mark’s raison d'être, especially if we understand that his “inclusive eschatology” could have put him in conflict with the Church of Jerusalem.26 Still on the diachronic side, the fact that Mark 5:1–20 shows echoes from both Old Testament and Second Temple Jewish traditions (pre-70’s Haggadic traditions but also apocalyptic literature) encourages a more careful exploration of Mark’s micro-narratives in search of possible sources and traditions that might have inspired him. This will place him more firmly in his Jewish context.27 It remains a remarkable fact that, while Mark displays a knowledge of demonological traditions that could be traced back to the Enochic tradition, he attributes to Jesus a prerogative that is reserved to God or to the heavenly beings placed under his direct orders, namely the eschatological power to annihilate demonic spirits.28 Concerning the synchronic dimension of Mark, literary studies devoted to it continues to appear whether inspired by narratology, the semiotic approach, reader-response criticism, deconstructivism or performance criticism. It is to be hoped that scholars will persevere in highlighting the way in which Mark masterfully narrativizes his Christology, the notion of discipleship/followers, his eschatology and vision of the Kingdom of God. For our part, we hope to have shown the relevance and fruitfulness of the symbolic and networked association of the characters (and of the elements associated with them: position, clothing, gestures) of this gospel, a reading meticulously focusing on the implied author’s intentions. The field is not exhausted and, we believe, will yield even more fruitful discoveries.
Philip La Grange Du Toit, “The Radical New Perspective on Paul, Messianic Judaism and their connection to Christian Zionism”, HTS 73, no 3 (2017): esp. 1–4. 26 See Richard Bauckham, Jude and the Relatives of Jesus in the Early Church (Edinburgh: T. & T. Clark, 1990), 18, 21–23, 71, 78, and esp. 82–93. According to Trocmé, La formation de l’Évangile selon Marc, 68, 96–109; idem, L’Évangile selon saint Marc, 11–12; and Crossan, “Mark and the Relatives of Jesus”, Mark (or proto-Mark) is a polemical or even hostile writing towards the Church of Jerusalem led by Jesus’ relatives. 27 The influence of the Watchers tradition (1 En. 1–36) behind the story of Mk 5:1–20 has recently been discussed by Elder, “Of Porcine and Polluted Spirits”, 430–46, and Moscicke, “The Gerasene Demoniac”, esp. 365–367. 28 See p. 302–305.
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English Synopsis
Mark’s gospel has the ability to transcend the intentions of its historical author and to reach out to the present reader with renewed freshness, especially when freed from the yoke that history and institutions have imposed by relegating it to the status of a “second” gospel (that is, relegated to a secondary role). Mark brings us in the presence of the revealed and yet elusive Jesus to whom all the characters in the macro-story are somehow connected.29 These characters retain all their reconfiguring potential for the reader, as they are carved in the existential marble of human ontology. They continue to stand as living monuments: the Gerasene and the young men, as signposts for the reader’s symbolic and existential journey, do not call for the imitation of the models of the past, but refer to the reader’s very present; they do not invite to seek refuge in nostalgia, but provoke and incite the reader to elaborate and bring into being, as a disciple of the crucified-resurrected One, the unexpected and the new. According to Dio Cassius, Gaius Maecenas gave Augustus the following advice: You must therefore depend upon your good deeds to provide for you any additional splendour. And you should never permit gold or silver images of yourself to be made, for they are not only costly but also invite destruction and last only a brief time; but rather by your benefactions fashion other images in the hearts of your people, images which will never tarnish or perish. […]. Hence, if you are upright as a man and honourable as a ruler, the whole earth will be your hallowed precinct, all cities your temples, and all men your statues, since within their thoughts you will ever be enshrined and glorified (Hist. 52.35).30
It seems to us that the Gerasene exorcised man and the two young men (14:51– 52; 16:5–7) continue to stand as living literary statues, as dynamic and challenging witnesses of the glory and the absence of the Markan Jesus, and of the kind of “following” he requires.
29
See p. 346–352. Emphasis ours. Translation by Earnest Cary (LOEB), available at http://penelope.uchicago.edu/Thayer/E/Roman/Texts/Cassius_Dio/home.html. Dio’s text is quoted by Winn, “Resisting Honor”, 591, in his discussion on the emperor’s virtue of humility in the light of which, according to Winn, one must appreciate the humility of the Markan Jesus. 30
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Index des sources anciennes Premier Testament Genèse 1.6–10 1.26 ; 2.19 6.1–4 8.8–12 14.18–20 15.20–21 16.2, 4 22.2, 12, 16 27.41 28.10–12 29.21, 23, 30 30.3–4, 9, 16 38.2, 8–9, 16, 18 39.6b–20 41.42 ; 45.3b 49.16 49.23
250 277 259, 260 402 228 276 225 397 262 367 225 225 225 362s 362 235 262
Exode 3.8, 17 3.12 4.22 7.1–5 8.15 9.16 12.23 12.30–33 13.17 14.1 14.4 14.11–12 14.21–22 14.23–28 14.28 14.31 14–15
276 236 237, 300 236 292 237 255, 260 235s 237 211 236 211, 325 236 233 211, 237 211 211, 235, 237
15.1 15.4 15.5s 17.1–7 17.8–13 18.21 19.9 19.12–13 20.6 20.17 20.21 20.26 21.2 22.17 22.20 ; 23.9 23.20 24.8 28.36–38 28.9–10, 15–21 28.42 29.7 29.37 30.17–21 30.26–29 31.12–17 33.19 ; 34.6 34.7
237 235 57, 235, 410 236 296 246 307 178 238 206 307 365 244 256, 278 241 237 237, 397 203 400 365 309 178 182 178 179 238 287
Lévitique 6.11, 10 6.13 8.12 10.1–15 10.10 11.7–8, 44 11.44, 45 14.1–7, 49–53
178 235 309 178 177 194 177 290
524
Index des sources anciennes
14.4–7 15.25 16 16.4 16.8 16.8, 10, 26 18.24–25, 27 19.2 19.10 19.28 19.33–34 20.2 20.7, 8, 26 20.22–23 20.27 21.5 21.17–20 22.10 25.10 26.3–12, 14–33
256, 278 202 256, 278, 290 365 262 255 178 177 241 209 241 206 177 178 256, 278 209 181 179 244 178
Nombres 6.2 , 10–12 6.24–26 7.1 11.24–29 11.28 14.21 16.3 19 19.1–12 19.2 19.10 19.11, 16 19.12 19.12–22 23.23 24.15–16 27.17 32.1 35.11, 15 35.25, 26
235 279, 280 301 267, 281 413 203 178 190, 256, 278, 290 177 261 177 188 177 188s 256, 278 228 246 235 363 364
Deutéronome 4.20 6.4 6.8–9 7.6 7.9
178 280 278 178 279
10.19 13.13 14.1 14.2 14.8 15.9 15.12 18.9–14 18.9–22 18.11 18.15, 18s, 21s 19.3–5, 11 21.1–9 21.22–23 23.8 23.15 24.17–18 25.5 26.5–8 26.19 27.19 28 28.9 28.64 29–30 30.1–6 30.3–4 30.4, 78 30.12 32.8 32.9 32.17 32.24 33.3 34.10–12
241 262 209 178 194 262 244 256 278 188 307 364 256, 278 382 241 178 241 225 241 178 241 199 178 256 409 238 414 415 284 228 256 256, 259 261 178 301, 281
Josué 2.1 ; 6.25 ; 8.3, 9
225
Juges 1.6 2.10 4.6 4.15, 17 ; 6.11 6.11–24 6.12 7.21–22 9.5, 23 13.4, 6, 7, 14, 17
363 186 225 363 367 249 363 225 235
525
Index des sources anciennes 13.16b, 17 ; 14.4 14.6, 19 14.12, 13 14.19 15.4–5, 8, 15–16 15.8, 11, 13 15.10, 12, 13s 15.15–16 16.1 16.3, 27–30 16.5–14, 21 16.5, 9, 12 16.9, 21 ; 16.12b 16.22, 28–30 16.28 18.9 19.22
235 235 370 234, 235 235 234 235 234, 235 225 235 235 233 235 233 165 225 262
1 Samuel 1.16 ; 2.12 6.19 10.1 10.6, 10 10.27 11.6 13.2 16.3 16.14 16.14–16, 23 16.14–23 16.16, 23 16.18 16.23 18.10 ; 19.9 25.17, 25 26.6 30.1–2
262 178 309 301, 281 262 256 101 256 191, 256 255 292 191 250 106, 259 191, 255 262 225 225
2 Samuel 3.7 ; 5.6–9 6.6–7 7.13–14 10.14 ; 12.24 16.7 16.10 16.21–22 17.2 19.22 22.5
225 178 300 225 262 194 225 363 194 261
22.15, 30 24.15–17
225 255
1 Rois 4.29–34 5.18 11.14, 23, 25 12.21 17.8–16 18.20–40, 41–46 19.8 21.10, 13 22.22–23 22.30
292 262 262 225 267 210, 267 317 262 191, 255 225
2 Rois 1.9–12 2.6–8 3.24 4.1–7 4.1–7, 38–41 5.1–14, 19–27 5.1–19 5.11 6.1–7 6.14 ; 7.4, 10, 12 10.17, 25 10.22 19.18
267 296 225 267 296 296 267 286 296 225 225 389 256
Ésaïe 3.3, 20 3.11 3.23 5.1–7 6.3 10.3, 29 11.2 11.4 11.11–16 13.9–10 13.14 13.21 14.1 14.1–3 14.14 17.12 17.14 20.1
278 237 370 237 194 364 256 243 414 410 246 209, 260 238, 328 239 228 325 329 225
526 25.6–8 26.16–18 27.1 28.15, 18 29.18–19 30.18 30.19 31.14 32.3–4 ; 33.24 34.2–5 34.14 35.3–10 35.4–6 35.5–6 37.33 40.3 40–66 41.2, 25 42.1 42.3 42.16–20 42.17 43.8 43.16–17 43.25 44.3 44.28 45.1, 13 46.11 47.1–3 48.21 49.1–13 49.9–12 49.9b–10 49.10 49.24–25 50.4–11 51.6 51.9 51.9–10 52.11 52.13–53.12 53.4 53.6–12 53.11 53.11–12 54.4–8 54.5–55.5 54.5–8
Index des sources anciennes 205, 403 278 255 255 310 238 239 226 237 410 255, 260 237 416 237, 305, 310 225 181, 231, 237 430 236 236, 397 236 237 256 237 237 237 398 236 236 236 225 236 236 239 237, 246 238 237, 299 236 390 255 236 191 236 310 237 289 307 205 403 237
54.6–7 54.10 56.3–7 56.6–8 59.9–10 59.17 60.4 60.10 61.1 61.1–2 62.1–5 62.5 63.10 63.19 64.1–12 64.5–6 65.1, 3 65.1–4 65.3–4 65.3–7 65.3, 11 65.4 65.7 65.9, 15, 23 65.17 65.19–20 65.21 66.3 66.7 66.19–20 66.22
239 239 241 237 289 389s 239 238, 328 236, 305, 411 237, 244, 310 205 237 237 237 402 237 211 244 244 211 259 188, 211 211 413 236 237 211, 429 194 363 237 236
Jérémie 2.2–3 4.5 6.1–4 7.14 8.14 8.17 9.20 10.3 13.20 LXX 13.20–27 16.6 16.14–16b 23.1–5 26.4–12 28.41 31.31–40
205 225 225 407 225 278 255 256 226 225 209 416 246 407 109 203
527
Index des sources anciennes 34.8–16 38.31–40 LXX 41.5 42.12 47.5 48.35–39 49.12 LXX
244 203 209 238 209 209 239
Amos 2.12–16 2.16b 4.13 8.4–14 8.9 8.9–10 9.1
361 360 224 410 361, 410 410 410
Ézéchiel 2.2 5.11 7.22 8.3 8.6–17 9.1–10 9.4 10.18–19 11.22–23 13.17–23 16.39 17.23 21.16 22.26 32.7–8 36.25–27 37.27 39.25, 27 39.29 41.22 42.20 43.4 43.7–8, 12 44.18
256 178 180 178 180 407 361 178 178 256, 278 365 251 363 180 410 204, 398 395 238 239, 398 183 180 180 178 365
Abdias 1.14
363
Jonas 3.6 4.9
390 399
Michée 3.6, 12 4.11 4.14
410 225 209
Nahoum 1.1–2.3 1.3–4 1.11, 15 2.1 3.5–6
243 224 262 262 225
Habaquq 2.18
256
Osée 2.4–25 2.24 4.12 ; 5.4 7.8 , 14 9.7–8 11.1
Agée 2.6 2.6, 21 2.12–14
203 410 203
205 205 191 209 262 300
Joël 2.10, 31 2.19 2.28–29 2.28–32 3.4 , 15 4.15–16
410 205 398 410 410 410
Zacharie 2.6–11 2.10b 3.1, 2 3.1–2 3.2 5.2–4 9.17 10.2, 8–10 11.7 13.1 13.2
415 414 262 256 201 199 205 246 361 203 89, 191, 193, 259, 291, 303
528
Index des sources anciennes
13.7 13.7b 14.5, 16 14.13, 20–21 14.21
361, 405 307 415 203 308
Malachie 3.1, 23
237
Psaumes 2.7 211, 237, 300 2.7 LXX 397 2.9 243 8.4 , 7s 101 9.6 LXX 299 17.3 178 18.5 261 18.16 211 20.2 286 22.2 405 22.22b, 25, 27, 30–32 405 23.8 LXX 250 24.2 250 33.7 224 34.10 178 41.9 262 42.4–6, 12 399 43.5 399 44.4 LXX 250 46.1–3 211 51.9–14 204 54.3 286 55.4 262 58.6 278 65.7 224 67.5 LXX 211 67.7 LXX 188, 211, 244 67.10, 21 LXX 211 68.7 244 77.16 224 77.16–20 211 78.38 238 80.14 226 85.15 LXX 238 88.20 LXX 250 88.26 224 89.11 255 90.1, 9 LXX 302
91.1–16 95.5 LXX 101.3 101.26–28 LXX 102.8 LXX 104.6 LXX 104.43 LXX 105.5 LXX 106.11 106.37 107.25–32 109.1 LXX 110.1 110.4 111.4 LXX 118.10–12 124.7
301 259, 265 261 390 238 413 413 413 237 256, 259 224 368 368, 412 412 238 286 363
Job 1.6, 7, 8, 9, 12 1.6–12 1.21 2.1, 2, 3, 4, 6, 7 2.1–7 9.8 11.18 13.28 15.30 16.9 30.5–6 30.21 34.18 38.7 38.25
262 256, 298 286 262 256 329 327 365 363 262 188 262 262 300 224
Proverbes 6.12 10.19 ; 12.13 13.9 16.27 18.10 19.28 30.4 31.24 31.26
262 363 289 262 286 262 224 370 389
Ruth 3.9
389
529
Index des sources anciennes Esther 8.21 Daniel 3.26 4.5 s, 15 4.14 4.22 5.11, 14 5.18, 21 7.2–8, 17–25 7.13
413
7.14, 27 ; 12.2 9.4 9.7 9.26 10.7b 11.9, 10, 40
228 256 227 228 256 228 411 205, 368, 411, 412, 413 411 279 367 407 367 225
Daniel grec 13.22, 39
363
Néhémie 1.5 1.9 9.17
279 414 238
1 Chroniques 8.21–22 16.13 19.5 21.1 21.14–17 21.26
191 413 234 262 255 267
2 Chroniques 13.7 34.28
262 186
Judith 6.2–3
225
Tobit 2.2 3.8, 17 3.17 (S) 5.4 (S) 5.5, 7, 10
241 259 286 368 367
6.1, 3, 4, 7 6.7 6.8 6.8, 9 6.8–9, 17 6.14 8.2–3 8.15 11.7–8 13.2 13.13
368 260 192, 279 287 286 259 289, 297 416 286 363 413
1 Maccabées 1.17 1.47 2.14 2.66 3.35 3.47 12.48
225 196 364 250 225 364 225
2 Maccabées 1.1 1.25 2.7–8 3.18 3.26 3.26, 33 3.30 3.31 3.33, 34 5.21 6.2, 5 7.13 7.22–29 7.35 9.2 9.8 9.22 10.16 ; 12.20, 32 11.5 12.40 14.14
241 413 414 226 368 367 368 228 368 223 196 304 411 363 225, 458 250 363 226 225 279 226
3 Maccabées 3.4, 7 6.29 7.9
241 363 228
530
Index des sources anciennes
4 Maccabées 4.18 5.4 5.8–9 6.5 9.32 14.6 14.14, 18 18.23
226 226 195 304 363 258 239 258
Sagesse 1.4 2.18 2.23–3.10 3.9 ; 4.15 5.5 5.6 5.15 7.15–22 8.7 8.13, 17 10.15 11.15 15.2–3
262 300 258 413 415 289 258 292 390 258 179, 241 239 258
15.19
363
Siracide 2.11 11.10 14.16–19 15.18 16.13 16.18 17.17 17.25–32 21.27 27.20 38.1 38.4, 7, 9–11 38.11–12 38.16–23 40.6 46.1 ; 47.22 48.1–14
238 363 258 249 363 410 256 258 262 363 280 281 279 258 363 413 281
Baruch 4.7 6.54, 67
259 363
Nouveau Testament Matthieu 1.1 1.18, 20 2.1 2.2, 8, 11 3.2 3.7–10 3.11, 16 3.17 4.3 4.17, 23 4.23 4.24 5.10, 19, 20 5.21–22, 27–28 5.32 7.6 7.14 7.21–23 7.22
315 264 273 86 264 183 264 283 266 264 309 43, 281, 310 264 398 206 60, 97, 196 48 35, 310 265
8.1–4 8.2 8.5–13 8.10 8.11–12 8.12 8.14–15 8.16 8.16–17 8.16–27 8.23 8.23–27 8.26 8.27 8.28 8.28–32 8.28–34 8.29
73 86 73, 230 245 233 417 65, 73 43, 264 73, 310 73 72 44, 69 335 72 23, 25, 48s, 52 43, 73 33, 39, 43, 46s, 51s, 65, 104 47, 53, 72, 194, 304
531
Index des sources anciennes 8.30 8.31 8.32 8.33 8.33–34 8.34 8.39 9.9, 32 9.18–22, 26 9.32 9.32–33 9.32–34 9.34 9.35 10.1 10.1–4 10.1, 5–15 10.5 10.5–6 10.7–8 10.8 10.14–15 10.16–39 10.20 10.25 10.35, 36 11.2–6 11.5 11.8 11.10 11.12–13 11.18 11.25–26 12.18 12.22 12.22–30 12.22–37 12.24 12.24, 27–28 12.24–27 12.24–29 12.25, 43 12.26 12.27 12.28 12.29 12.32 12.43
56 55, 265 59, 266 61–63, 105 43 58, 105, 108 266 79 65 266 43 265 58, 264 309 191, 264 97 281, 414 47 245 281 265 417 232 264 262, 265 79 310 305 79 415 414 265, 293 294 264 43 310 292 58, 262, 264 265 265 51 79 265 262, 281 205, 245, 292, 295, 303, 305, 310, 414 52 264, 303 191, 264, 289, 304
12.43–45 12.45 13.6 13.16–17 13.19, 38 13.24, 31, 44, 52 13.25, 28, 39 13.42, 50 14.33 15.21 15.21–28 15.24, 28 16.14 17.2 17.5 17.14 17.14–20 17.14–21 17.15 17.18 18.12 18.15–18 19.20, 22 19.28 20.1 20.17 20.20 20.20–28 20.29–34 20.30 21.1–11 21.9 21.28, 33 22.11–13 22.11–14 22.13 22.32 22.43 23.29 24.12 24.14 24.51 25.14 25.30 25.36 26.53 26.60 27.29 27.50–53
56, 266, 304 264 83 414 265 79 266 417 65 47 43, 298, 310 245 283 391 283 79, 86 43 310 266 265s, 298 79 208 368 251 79 48 395 251 47, 65 56, 251 47 308 79 390 389 417 416 80 49 83 47 417 79 417 365 56, 91, 232 56 86 73
532 27.52, 53, 60 27.54–63 27.59 27.65 ; 28.1–7 28.2–5 28.5 28.6 28.7 28.8–10 28.8–15 28.9 28.18–20 28.19 Marc 1.1
1.1–2 1.1, 11 1.1–13 1.1–15 1.1, 14, 15 1.2 1.2–3 1.2–3, 12–13, 15 1.2–8 1.2–15 1.3 1.3–6 1.4 1.4, 7 1.4–5 1.4–8 1.5 1.5, 13 1.6 1.6–8 1.7 1.7–8 1.7, 9, 14, 39 1.8 1.9 1.9–11 1.9–13
Index des sources anciennes 49 73 370 73 368 397 75, 406 385 330 73 49, 330 47 264
88, 107, 119, 163, 170, 301, 315, 317, 319, 322, 373, 402, 418, 421 401 107 236, 319 395 316, 394 368, 373, 401, 415 240, 315, 319, 322, 421 373 319 421 115, 231, 328, 373 318 200, 402, 421 118 183, 231 317 183, 402 319 106, 342 200 85s, 249, 373, 396, 401 299, 421 299 264 231, 375 53, 317, 373 318
1.10
201, 204, 237, 317, 348, 398, 402, 405 1.10–11 298, 302, 318, 399 1.11 88, 91, 107, 119, 135, 201, 211, 283, 295, 299–302, 307, 317, 319, 337, 348, 373, 397, 421 1.12 402 1.12–13 92, 299, 302, 317 1.12–13, 24 304 1.13 265, 309, 319, 368 1.13b 395 1.14 201, 245, 373, 402 1.14–3.6 319 1.14–15 13, 319, 322, 375, 392, 421 1.14–15, 39, 45 318 1.14, 38–39 118, 429 1.15 131, 264, 302, 373, 414, 418 1.16 402 1.16–20 114, 169, 319, 344, 351 1.16–20, 29 343 1.17 321, 416 1.17s 360 1.21 80, 402 1.21–28 40s, 48, 53, 59, 67, 79, 80, 92, 135, 200, 205, 294, 306, 319 1.21–28, 40–45 337 1.22 121, 309, 342, 459 1.23 79, 80, 87, 92 1.23–24 55 1.23–26 126, 299 1.23, 26 80, 209, 452 1.23, 26, 27 191, 200 1.23–28 44s, 264, 266 1.23–28, 32–34, 39 281 1.24 53, 80, 87–89, 92, 94, 119, 135, 194, 201, 204, 248, 299s, 304, 306, 317 1.24–26 309 1.24, 34 94, 300
Index des sources anciennes 1.25
89, 92, 201, 266, 274, 297, 299, 325 1.25, 41 54, 295 1.26 80, 95 1.26, 34, 44 323 1.27 59, 61, 64, 103, 120, 205, 298, 303 1.27–28 94, 294 1.27–28, 32–34, 37, 45 107 1.27–28, 32–34, 45 320 1.27, 39 306 1.28 298, 306, 375 1.28, 45 103 1.29–31 65, 294 1.29–31, 32–34, 40–45a, 45b 320 1.30 343 1.30, 32, 40 146 1.31 114, 294, 347, 351, 385 1.32–34 73, 74, 330 1.33–34 306 1.34 117, 265, 294, 300 1.34, 39 200 1.35 74s, 319, 402 1.35–39 73s 1.36–37 403 1.38 90, 246, 299, 306, 322, 403 1.38–39 299 1.39 205, 246, 265, 375 1.40 86, 94, 294 1.40–42, 44 202 1.40–45 48, 117, 205, 306 1.41 303, 342 1.44 64, 206, 274, 369, 432 1.45 65, 118, 350 2.1 319, 350 2.1–12 38, 48, 206, 320, 350 2.1–2 118 2.1–2, 12–13 320 2.1–3.6 38 2.3, 13 146 2.5 237 2.5, 10 351 2.6 105, 351
533
2.6–7 361, 378 2.6–7, 16, 24 108 2.6, 9–12 202 2.6–12, 16–20, 23–26 320 2.6, 16, 18, 24 337 2.6, 16, 24 146 2.9, 11, 12 351 2.10 35, 119, 205, 207 2.10–11 55 2.11 295, 369 2.11–12 351 2.12 64, 103, 119, 319, 342 2.12–13 107 2.13–14 344 2.13–17 351 2.14 105, 378, 463 2.14–15 360 2.14–17 319 2.15 90, 206, 360 2.15, 16, 18, 23 343 2.16 332 2.17 85, 206, 299, 395 2.18–20 75, 414 2.18–22 205, 350 2.19 237, 467 2.19a 205, 403 2.20 403, 405 2.21 205, 399 2.21–22 207 2.22 205 2.23 65, 111, 319, 322 2.23–28 350 2.23–3.6 42 2.25 421 2.26 109 2.27 207 2.28 115, 119, 248 3.1 350 3.1–6 38, 48, 320, 350 3.2 332, 371 3.2, 5a, 6 320 3.2, 6, 21, 22 146 3.2, 6, 22 108 3.3, 5 351 3.4 207, 351 3.5 55, 135, 342, 351
534 3.6
Index des sources anciennes
248, 309, 319s, 342, 347, 361 3.6, 22 337 3.7 319, 322, 360 3.7–8 350 3.7b–8 323 3.7–8.26 320, 322s 3.7, 9 343 3.7–12 318, 320, 323, 330 3.7–12, 20, 32 107 3.8 330, 416 3.8, 10, 13 146 3.9 319 3.10 90 3.10–12 323 3.11 87–89, 94s, 119, 200, 264, 300, 302, 317 3.11–12 117, 126, 323 3.11, 21, 22, 30, 35 320 3.11, 30 191 3.12 55, 64, 266, 274, 300, 325, 331 3.13 82, 97, 169, 169, 318, 331 3.13–19 114, 297, 323, 331 3.14 97, 99, 114, 118, 207, 331, 336, 344 3.14–15 307 3.14, 16 413 3.15 97, 206, 265, 281 3.15, 22 200 3.16, 17 342s 3.18 343 3.20–21 110, 328 3.20–21, 22–30, 31–35 318 3.20–21, 31–35 361, 395 3.20–35 331 3.21 319, 323, 331, 334 3.21–22 266 3.22 88, 90, 262, 264s, 281, 283, 298, 302, 334 3.22–27 52, 233, 304 3.22, 30 331 3.22–30 128, 292, 300, 323 3.22–33 156 3.23 109
3.23, 24, 25, 26, 27 3.23–27 3.24 3.24–27 3.25, 27 3.26 3.27
52 92, 300, 307, 394 92 414 92 265 52, 85s, 92, 237, 249, 299, 302, 328 3.27, 35 307 3.28–30 52, 302 3.29 264 3.29–30 237 3.30 52, 302 3.31 353 3.31–35 323, 331, 353 3.32 353 3.32, 34 105, 378 3.33 332 3.33–35 421 3.34 246 3.35 246, 331 3.35–41 44 3.37 322 4.1 64, 77, 105, 107, 111, 378 4.1–34 306 4.1, 35, 41 322 4.3–9, 13–20, 26–29 249 4.3, 9, 23, 24 333, 338 4.3, 23, 24 338 4.4, 15 322 4.5–6 83 4.8, 20, 26 332 4.9 337 4.10 332, 334, 343, 353 4.10–11 344 4.10–12 353, 395 4.10–13 237 4.11 113, 146, 247, 298, 323, 332, 353 4.11, 26, 30 264 4.12 146, 332s, 338, 421 4.13 113, 323, 332 4.13, 30 109 4.13, 41 146, 324 4.15 333 4.22 332, 369 4.23, 24a, 33–34 332
Index des sources anciennes 4.24b 4.24, 32 4.26–29 4.30–32 4.32 4.33 4.33–34 4.33–35 4.34 4.34–35 4.35
4.35–36 4.35–41
4.35–5.43 4.35–6.44 4.36 4.36b 4.36–41 4.37 4.37–38 4.38 4.38–39 4.38–41 4.39 4.39 4.40 4.40–41 4.41
5.1
5.1–2 5.1–2 5.1–2, 7–8, 15 5.1–5 5.1–7 5.1–10 5.1–13
80 332 251, 324 251 80 323 318, 320 156 343 334 31, 77, 79, 118, 125, 127, 138, 142, 319, 320, 324, 334 333 46, 69, 74s, 126, 138, 211, 224, 237, 250, 304, 318, 324, 326, 329, 333s 327 38 77, 318, 325, 331 326 31, 102, 125 77, 326 333, 335 74, 325, 327, 403 139 77 55, 74, 102, 211, 266, 325s, 333 326 74, 325, 333, 335 107, 347, 385 72, 88, 119, 121, 210, 294, 298, 318, 320, 326–328, 333– 335, 346, 352, 367, 383 23, 31, 46s, 59, 77s, 80, 118, 124s, 139, 142, 147, 339, 384 124 139 42 93, 124s, 137, 147, 326, 384 89 44, 124 123
5.1, 13 ,18, 21 5.1–17 5.1, 20 5.1–20
535
322 264 45 31, 33, 37s, 40, 43– 47, 51, 53, 60, 65, 67, 69, 71, 73–75, 77, 80, 114, 119, 123, 125, 128, 131, 135, 137–140, 142, 147, 185, 194, 198, 200, 207, 210s, 217s, 228–236, 240, 244s, 247, 252, 255, 274, 278, 281, 288, 293, 295, 299, 305s, 311, 322, 324, 326s, 333s, 337s, 354, 377, 379, 382, 384s, 387, 412s, 416, 420 5.1–20, 21–24 et 35–43, 25–34 337 5.1, 21 79, 136, 247 5.2 31, 47, 49, 50, 52, 62, 64, 73, 79, 80– 82, 86, 95, 125, 139, 140, 142, 191, 225, 239, 338, 381, 384 5.2a 125 5.2–3 59 5.2–3, 5 67 5.2, 3, 5 42, 186 5.2, 3–5 52, 142 5.2–5 47–51, 80, 82, 92s, 99, 124, 342, 347 5.2, 6 46, 50, 67, 130, 139, 381 5.2, 6, 7, 8, 9a, 10a 42 5.2, 6–7 235 5.2, 8 81, 92 5.2, 8, 13 80, 191, 200 5.2–10 139 5.2b–18a 125 5.3 49, 51s, 62, 81, 83, 187, 194, 225, 234 5.3 48, 84, 116 5.3–4 48, 52, 88, 116, 126s, 186, 193, 199,
536
Index des sources anciennes
216, 233, 235, 267, 299 5.3, 5 49, 51, 82, 384 5.3–5 31, 47–50, 54, 55, 60, 66, 81, 83, 86, 93, 105, 116, 126, 138, 139s, 288 5.3–5, 8, 16 43 5.3–5, 9–12, 13b 67 5.3–6 50 5.3–6 et 9–10 42 5.3–6, 9–10, 18–20 68 5.3–10 124 5.4 48, 51, 62, 82–85, 93, 139, 194, 225, 235, 354 5.4a 84 5.4b 328 5.4d 84 5.4–5 139 5.5 51, 80s, 83–85, 87, 93, 98, 116, 139, 186, 209, 211, 266, 288, 333 5.5b 126, 304 5.6 31, 49, 50, 67, 80s, 86, 92, 93, 126, 225, 235, 338, 381, 384 5.6 86 5.6-7 54, 90, 93, 125, 135, 142, 146, 148, 332 5.6–7, 20 149 5.6–8 55, 90 5.6–10 31, 52, 86, 90, 93, 96, 99, 124, 127, 139, 148, 334 5.6–12 124 5.6–13 124, 326 5.6, 14–15 107, 428 5.6–17 384 5.7 31, 52–54, 72, 80, 87–90, 93, 107, 110, 127, 133, 138, 194, 201, 210, 227, 277, 288, 295s, 299–301, 304, 306, 317, 384s
5.7, 9 5.7–9 5.7, 10 5.7, 15 5.7, 18–20 5.7, 19–20, 28, 30 5.8
5.8–9a 5.8–9, 34, 41 5.8–10 5.8–12 5.8–13 5.9
5.9a 5.9b 5.9–10 5.9, 15 5.10
5.10, 12 5.10, 13b 5.10, 17 5.11
5.11, 12, 13, 16 5.11, 13 5.11–13
5.11, 13b 5.11–14a 5.11–20 5.12
5.12–13a 5.12, 19 5.12–20 5.13
42 86, 136 113 107, 428 327, 328 320 42, 46, 54s, 61, 81, 89s, 94–96, 127, 138, 149, 235,297 142, 147s 295 90, 98, 140 125 338 57, 91–96, 102, 127, 138, 148, 194, 227, 230, 235, 265, 295s 149 90, 142, 146 31, 62, 90 226, 232 56, 90, 92–96, 99, 112s, 127, 133, 136, 139, 142, 148s, 225, 227, 248 46, 67 146s 107, 428 51, 57, 60, 96s, 99, 128, 139s, 142, 236, 384s 60 60, 226, 455 31, 44, 46, 57, 79, 103, 124s, 128, 137, 194, 226, 331, 338 147 124 136, 305 61, 90, 94s, 98, 111, 127, 136, 142, 146, 148, 225 57, 61, 98s, 134 136, 168, 305 139 58, 62, 81, 95, 102, 110, 113, 124s, 224,
Index des sources anciennes
5.13a 5.13b 5.13, 15 5.13a, 18 5.14 5.14a 5.14b 5.14–15 5.14, 15a 5.14a, 15b 5.14b–15 5.14b–15a 5.14, 16 5.14b–16 5.14–17 5.14b–17 5.14–20 5.15
5.15a 5.15b 5.15c 5.15–16 5.15a, 16 5.15, 16, 18 5.15, 17 5.15–17 5.15c, 17 5.15, 20 5.15, 33, 36 5.16
5.16, 17 5.16–17 5.16, 18 5.17
226, 232, 236, 263, 266, 288, 304 61, 99, 142 100, 143 42, 46 147, 149 61s, 92, 103, 108s, 111, 130, 137, 385 103, 125, 129, 143s, 147 129, 146, 148 127 143 145 104, 145, 148 144, 147s 61, 67, 109, 111 125 31, 44, 124s, 137 124 123s 46, 59, 62, 64, 67, 96, 104s, 107, 111, 127, 129s, 134, 226, 239, 246, 248, 288, 295, 326, 332, 335, 354, 378, 380, 384– 386, 390 145 62, 143s, 147s 326 73 145 80 235, 332 100 327 46, 147 367 61s, 65, 92, 108– 111, 115, 129, 137, 143, 145, 147, 149, 332, 380 115 63, 73 166 61, 63, 71, 103, 109, 111s, 115, 125, 127, 129, 130, 134,
537
143, 145, 149, 249, 251, 326, 332, 339, 386 5.17, 20 65 5.18 46, 64, 81, 96s, 97, 113, 126, 129, 134, 143, 147s, 331, 380 5.18–19 112, 115, 125, 148, 384, 426 5.18, 20 331 5.18–20 31, 40, 44, 46, 63, 65–67, 75, 94, 100, 124s, 147, 209, 294, 326, 335, 340 5.19 62, 64, 81, 92, 113– 120, 129, 134, 137, 144, 147, 149, 201, 210s, 233, 236, 238, 240, 249, 298, 330s, 338s, 372, 379s, 384, 386, 396, 413, 422 5.19 148, 153, 327, 379 5.19, 20 117, 130, 468 5.19–20 119, 121, 136, 243, 245, 295, 332s, 335, 401 5.19–20a 137, 413 5.19, 34 369 5.20 59, 63–65, 78–80, 92, 97, 103, 111, 113s, 116, 117–121, 125s, 129s, 133s, 139, 144, 146s, 210, 233, 236, 245, 294, 298, 303, 306, 324, 326, 328, 331, 336, 339, 341, 372, 379, 384, 386, 421 5.21 77, 134, 139 5.21–24, 25–34, 35–43 318 5.21–24, 35–43 48, 65, 117 5.21–43 324 5.22 333, 339 5.22, 27–28 146 5.23 339 5.24 360
538 5.25–34
Index des sources anciennes
48, 65, 109, 306, 324, 328 5.25–41 237 5.26–34 385 5.27 333, 339 5.27, 28, 30 391 5.28 90, 135, 327 5.30 295, 328 5.30–31 149 5.30–33 336 5.31 81, 109, 343 5.31, 40 146 5.33 86, 335, 339 5.34 335, 339 5.34b, 41 327 5.35 335 5.36 94, 294, 335 5.37 343, 360 5.38–39 187 5.39 74 5.39–40 149 5.40 327, 335 5.40–43 336 5.41 55, 303, 382, 385 5.42 119, 327, 351, 382 5.43 64, 274, 323, 327 6.1–3, 14–16, 49–52 146 6.1–6 110, 361 6.1–6a 328, 331 6.1–33 38 6.1, 35, 41, 45 343 6.2 111, 121, 295, 328 6.2–3 335 6.2–3, 14–16, 50–52, 56 320 6.2, 7, 34, 55 65 6.2, 14 339 6.3 324 6.3, 6 335 6.4–6 100, 427 6.5 55, 91, 328 6.5–6 94, 294 6.5, 54–56 337 6.6 121, 328 6.6b–13 331 6.6b–13, 30 330 6.6b–13, 30–32 169 6.6b, 53–56 318
6.7
80, 99, 111, 191, 200, 207, 264, 281, 336, 343 6.7–11 297 6.7–12 328 6.7, 12–13 206 6.7–13 344, 414 6.7–13, 14–29, 30–44 318 6.7–13, 30 336, 403 6.8 322 6.8, 31, 36, 37, 38, 41–44, 52 327 6.10–11 328 6.11 416s 6.12 336 6.12–13, 30 330 6.13 80, 200, 265 6.14, 16 382 6.14–16 128, 324, 328, 403 6.14–19 308 6.14–29 214 6.17 83, 371 6.17–29 328, 403 6.18 90, 206 6.20, 26 342 6.29 49, 186 6.30 330, 336, 343 6.30–44 65, 246, 327, 337, 338, 340 6.31–34 318 6.32, 39–40 246 6.32, 45, 49, 51, 53–54 322 6.33 330 6.33, 54–56 146 6.34 246, 328 6.34–44 237, 324, 328, 403 6.35–44 331 6.37, 50 336 6.38 369 6.41 327 6.45 329, 334, 336, 338 6.45–51 38, 329, 330 6.45–52 74, 224, 324, 329, 334, 369, 384 6.45, 53 79 6.45–8.26 38 6.46 82, 97, 318, 403
Index des sources anciennes 6.47–51 6.48 6.49 6.49–50 6.50
318 329, 403 87 332, 432 329, 336, 367, 369, 383 6.50–51 403 6.50–52 385 6.51 103, 119, 334, 369 6.52 65, 156, 324, 329, 334, 337s, 404 6.53 329, 337s 6.53–56 324, 329, 334 6.56 295, 334, 337, 391 7.1 337 7.1–3 183 7.1–5 146, 339 7.1–13 337 7.1–23 38, 206, 337 7.1–23, 24–30 327 7.2, 3, 4, 5, 15, 18–20, 27, 28 327 7.2–5 332, 337 7.2, 5, 17 343 7.3–4 8, 36 7.5, 15 207 7.6–7, 10 421 7.8 342 7.14 337 7.14, 16 333 7.14–23 199, 306 7.16, 18 338 7.19 135, 395 7.20–23 207, 398 7.24–8.9 121 7.24–8.10 416 7.24 à 9.29 321 7.24 11, 150 7.24–25 65 7.24–30 38, 79, 121, 244, 281, 298s, 324, 337s, 385 7.24–30, 31–37 48, 337s 7.24, 31 319 7.24–37 322 7.25 80, 86, 150, 191, 200, 208, 264, 333, 336, 338s 7.25, 26, 30 300
7.25, 32, 37 7.26 7.26, 29, 30 7.26–30 7.27
539
146 339, 453 80, 200 265 114, 121, 150, 245, 336, 338, 341, 380 7.27–28 338 7.27–29 395 7.27–30 243 7.28 115 7.29 89, 245, 338s, 369 7.29, 34 55, 295 7.31 70, 119, 130, 322, 339 7.31–32 65, 118 7.31–37 63, 64, 71, 74, 117, 121, 245s, 251, 324, 331, 333, 339, 380, 414, 416 7.32 79 7.32–37 38, 119, 334 7.36 64, 118, 323 7.37 70, 103, 121, 320, 333, 338s 8.1–8, 14–17, 19, 20 327 8.1–9 121, 318 8.1–10 38, 65, 237, 246, 322, 324, 337–340 8.2 79, 246, 328 8.3 80, 322, 381 8.4, 6, 10, 27, 33, 34 343 8.6 327 8.10 318, 339 8.10, 13, 14, 22 322 8.11 28, 309, 339 8.11–13 339 8.11, 16–21, 33 146 8.11, 31, 32 65 8.12 339 8.13 79, 334, 340 8.13–21 334 8.14 340 8.14–15 337 8.14, 21 338 8.14–21 340 8.15 334 8.16–21 337
540 8.17 8.17, 21 8.17, 21, 33 8.20 8.21–33 8.22 8.22 à 10.52 8.22–26
8.23 8.23–25 8.24 8.25 8.26 8.26, 30 8.27 8.27–9.1 8.27–10.52 8.27–30 8.27–33 8.28 8.29 8.29–30 8.29, 32, 33 8.30 8.30–33 8.31
8.31–32 8.31–33 8.31–38 8.32 8.32–33 8.33 8.34 8.34–35 8.35 8.35–38 8.38 9.1 9.2 9.2–8 9.2, 9
Index des sources anciennes 340 334, 338 324 337 395 146, 330, 334, 337s 237 38, 55, 91, 318, 320s, 334, 340, 346, 348 55 330 55 55, 334, 340 64, 320, 323 327 322 392 320, 322 320, 322, 330, 340 65, 91, 320 283 404 250 343 266, 317, 323 118 111, 237, 307s, 318s, 321s, 330, 342, 347, 374, 378, 382, 394 250 300, 320, 340, 404 383 266, 321 330 250, 266, 300, 369 360 348, 361, 376 100, 316, 370, 372, 396 416 247, 250, 302, 308, 368, 396, 415, 419 347, 369, 418, 434 97, 318, 343 307, 317, 321, 387, 391 82
9.3 9.3–4 9.3–5, 7 9.5 9.6 9.7 9.7–8 9.9 9.9–10, 30–32 9.9, 10, 31 9.9–10, 31 9.9–10, 31–32 9.9–13 9.9, 31 9.11–13 9.12 9.12–13 9.13 9.14, 18, 28, 31 9.14–27 9.14–28 9.14–29 9.15 9.15, 17 9.15, 25, 30 9.17 9.17–27 9.18 9.18, 20 9.18, 26 9.18, 28 9.19, 23–24 9.20 9.22 9.22–24 9.23–24 9.24 9.25
9.26 9.27 9.28–29 9.29 9.30 à 10.52 9.30–31
106, 355, 369, 391 395 317 343 342, 352, 385 88, 107, 283, 301, 302, 307, 317, 421 402 323 330 382 347 352 328 308, 374, 394 42, 231 109 421 308 343 382, 404 45 41, 48, 59, 281, 308, 321, 346, 348 61, 119 146 306 264, 266 348 308 266 95 404 308 95 266 94, 294 298 87 55, 89, 191, 200, 264, 266, 297, 303, 325 87, 209, 342, 382 347, 382 59 308 321 318
Index des sources anciennes 9.31
237, 307, 318, 321, 347, 374, 378 9.31–32 250 9.31–37 383 9.32 321, 367, 383 9.33–10.31 306 9.33–34 322 9.34–35 396 9.35 105, 308, 343, 378 9.35b 372 9.37 249, 422 9.38 200, 208, 249, 265, 343, 404 9.38–40 281, 297, 308, 404 9.38–41 75, 342 9.39–40 208 9.41 404 10.1 318 10.1, 13, 32, 46 306 10.2 309 10.2, 22, 37 146 10.6, 19 421 10.11–12 206 10.13 266 10.13, 17, 47–50, 52 146 10.13, 23, 24, 46 343 10.14 342 10.17 86 10.17–31 346 10.17, 32, 37, 46, 52 322 10.18–21 422 10.21 351 10.21, 28, 52 360 10.21, 52 369 10.22 351 10.23–24 109 10.24, 32 120 10.26 121 10.28 343s 10.28, 32, 41, 42, 47 65 10.29 316 10.30 302 10.30b 412 10.32 343, 367, 379, 383 10.32–34 318 10.32–34, 45 250
10.32–45 10.33 10.33, 34 10.33–34 10.33–34, 45 10.33, 45 10.33–45 10.34 10.35–37 10.35, 41 10.35–41 10.35–45 10.37 10.37, 40 10.38–39 10.39 10.40 10.41 10.42 10.43–44 10.43–45 10.45 10.46 10.46a 10.46–52 10.47 10.47, 48 10.48 10.50 10.51 10.51–52 10.52 11 11.1 11.1–10 11.1–10, 18, 32 11.1–11 11.1, 14 11.1–15.47 11.2 11.3 11.7 11.7–8
541 330 347 374 307, 321 237 308 383 347, 374, 378, 382, 393s 321, 378 343 342 42, 251 379 105, 368, 392 370, 395 399 379 111 16, 214, 231s, 310, 397 372 231 114, 133, 307, 347, 351, 395, 397, 399 56, 105, 378 393 23, 47, 65, 318, 321, 343, 348, 364 308, 333 87 266 351, 378, 399 351 330 55, 237, 308, 351, 378 407 82, 99, 160, 169, 331 47, 343 306 321 343 321 105, 369, 374 115, 369 105, 378 399
542
Index des sources anciennes
11.8 262, 322 11.9 87, 115, 360 11.9–10, 17 421 11.11 343 11 et 12 321 11.12–14, 15–19, 20–25 318 11.12–21 250 11.13–14, 20–21 381 11.15 65 11.15–18, 22–25 306 11.15–19 184 11.17 231, 237, 416 11.18 109, 121, 332, 342 11.18b 383 11.18b, 32b 146 11.21 343 11.23 82 11.27–12.37 38 11.27–12.44 320 11.27–28 146 11.27–33 38, 321 12.1 65 12.1, 12 332 12.1–12 237, 306, 321, 384 12.6 300, 302 12.8 342, 374 12.9 13, 250 12.9, 36–37 115 12.10 378 12.10–11 321, 408 12.10–11, 26, 29–30, 36 421 12.11, 29, 30, 36 115 12.12 371 12.12–14, 18–23 146 12.12, 37c 306 12.13–15 308 12.13–17 214, 321 12.13–34 38 12.14 262, 322 12.18–27 321, 411s 12.21 371 12.23, 25 382 12.24 416 12.25 368 12.26 382 12.26, 35, 41 109 12.28–34 342, 345
12.34 12.35–37 12.36 12.36–37 12.37b 12.38 12.38–13.2 12.40 12.41 12.41–44 12.42 12.43 12.44 13.1 13.1–4 13.1–37 13.2 13.3
418 308, 404 105, 264, 368, 378 368 146 390 410 321 105, 378 229, 306, 308 342 343 348, 404, 419 72, 343 409s 320 378 82, 105, 262, 331, 343, 378 13.3–4 409 13.4 339, 408, 409 13.5 65 13.5, 7, 9, 11, 14–16, 18, 21, 23, 28, 29, 33, 35, 37 409 13.5, 21–23 405 13.5–23, 24 409 13.5–37 408 13.6 75, 404 13.7–8 408s 13.7, 11, 14, 21 409 13.7, 14, 29 332 13.9, 11, 12 347 13.9–13 404, 416 13.9 214 13.9–17, 33–37 321 13.10 118, 316, 415s 13.10, 27 374 13.11 264 13.12 347, 408 13 et 14 321 13.14 82, 375, 387, 408 13.14–20 404, 408 13.16 387 13.20 115, 319, 413 13.20, 22, 27 413 13.21 410 13.21–23 404 13.22 339, 409s 13.23s 410
Index des sources anciennes 13.24–25, 26 13.24–26 13.24–27 13.24–27, 32–37 13.25 13.26 13.26–27
411, 421 412 408, 410 407 339 308, 410, 415 70, 250, 332, 407, 411s 13.27 322, 412s, 415s 13.27, 32 367 13.28–29, 33–37 306 13.28–30 408 13.28–37 409 13.30 412, 418 13.30–31 410 13.31 374 13.32 409, 422 13.32, 33, 35 404 13.32–37 407 13.33–37 408s 13.34 79 13.34–37 414 13.35 115, 404 14.1 342, 380 14.1–2 306, 384, 404, 408 14.1–2, 3–9, 10–11 318 14.1–2, 10–11 309, 361 14.1–2, 10–11, 43–49, 55–65, 66–72 146 14.1, 11 109 14.1, 44, 46, 49 371 14.3–9 229, 308, 321, 385 14.3, 54 360 14.4 396 14.7 405 14.7–9, 20–22 75 14.8 309, 348, 396, 405 14.9 118, 316, 419 14.10–11 343, 404 14.10, 17, 20, 43 343 14.11, 58, 64 332 14. 12–16, 31s 343 14.12–26 42 14.13 99, 160, 369 14.13–15, 18–21, 27, 30 374 14.13, 21 79 14.14 369, 432 14–16 353
543
14.17, 28 380 14.18, 20 405 14.19, 33, 65, 69, 71 65 14.21, 41 308, 347 14.21, 49 421 14.22 327, 405 14.22–25 321, 337, 408 14.24 237, 395, 397 14.24, 27 307 14.25 302, 412, 418 14.26 82, 97, 169, 331 14.27 307, 405 14.27, 29 374 14.27–31, 50, 51–52, 54, 66–72 361 14.27, 62 421 14.28 315, 321, 336, 347, 352, 354, 366, 369, 374, 378, 382, 405 14.29, 37, 54, 66–72 343 14.30–31 374 14.31 342 14.32 105, 379 14.32–42 399, 405 14.32–42, 50, 66–72 342 14.33 119, 342, 343 14.36 396 14.36, 39 422 14.36, 49 319 14.37 343 14.37–42, 50, 66–72 342 14.43 361 14.43–46, 48–49, 53, 55–56 359 14.43–52 353, 405 14.47 358 14.47, 50–52, 54, 66–72 359 14.49b 307 14.50 343, 359, 361, 363, 366 14.50–51 387 14.50, 52 354, 363 14.50–52 352
544 14.51
Index des sources anciennes
62, 353, 360, 362, 365, 378 14.51, 52 360, 362 14.51–52 62, 311, 348, 351, 353, 354, 357, 360– 363, 368, 370s, 382, 387, 392–394, 401 14.52 62, 354, 360, 363, 370, 394 14.53–65 400 14.53–65, 66–72 318 14.54 352, 360, 381 14.55 38 14.55–65 411 14.57 56 14.61 107, 300, 302, 307 14.62 105, 250, 308, 327, 332, 354, 368, 378, 392, 410, 412 14.62–64 283 14.64 231, 342, 347 14.65 88, 111, 395 14.66–72 100, 343, 400 14.72 343 15.1 12, 359 15.1–2, 39 79 15.1–5 318 15.1–5, 10–20, 29–32, 35–36 146 15.1–15 214 15.5, 44 121 15.6–15, 16–20, 21–32 318 15.8 62 15.8–15 361 15.8, 18 65 15.10 306 15.13, 14 87 15.15–20, 24, 34 395 15.17–18 88 15.17–20 106 15.17, 46 399 15.19 86 15.20, 24 391 15.24 105 15.27 368 15.29 88 15.29–32 100, 160 15.32, 38 317
15.33 15.33–39 15.34 15.34s, 39 15.37 15.37–38 15.38 15.38–39 15.39
15.39–41 15.40 15.40–41 15.40–41, 47 15.41 15.43 15.46 16.1 16.1–2 16.1–4 16.1–8
16.2 16.2, 3, 5, 8 16.2, 8 16.3 16.3–8 16.4 16.4, 5, 8 16.5
16.5–6 16.5–7 16.5, 8 16.5–8 16.6
16.6–7 16.7
361 317 361, 405, 422 317 348 318 348, 378, 402, 405 399 65, 88, 107, 231, 246, 300, 302, 317, 345, 348, 397, 416 146 352, 384 343, 380 378 114, 347, 351, 360 418 49, 51, 186, 187, 354, 370, 378, 432 115, 187, 352, 378, 381 384 322 68, 252, 311, 321, 329, 330, 352, 354, 366, 368, 378s, 382, 384, 387, 391, 401 74s, 384s, 403 49, 186 62 186, 378 384 378, 384s, 402 332, 383 62, 73, 105s, 322, 353s, 362, 365, 367–369, 378, 384s, 390, 393, 396, 402 119 62, 348, 370 335, 342 327 62, 73–75, 317, 347, 369, 379, 382, 386s, 397, 406 336, 402 62, 73s, 114, 320, 332, 343, 345, 352, 366, 369, 374s,
Index des sources anciennes
16.8b 16.9 16.17
377–380, 384s, 387, 393, 402, 405, 416 315 62, 74, 316, 321, 352, 354, 361, 367, 369, 374, 379–381, 384–386 363 74 297
Luc 1.1 1.5 1.15, 35, 41, 67 1.29 1.32–35 2.2 2.4 2.21–24, 41–52 2.25 2.25, 26 3.3, 7–9 3.7–9, 16 3.16, 22 3.22 3.38 4.7–8 4.8 4.14–15 4.16–21 4.31–37 4.33 4.33, 36 4.33–37 4.34 4.35 4.39 4.41 4.43 5.8 , 12 5.18 5.19 5.21 6.7 6.12–16 6.17–19 6.18 6.20
315 183 264 72 87 215 83 184 79 264 183 418 264 283 300 86 26 310 244 266, 310 264 191 264 194, 300 297 266 265 264 86 79 62 28 62 97 310 191, 264, 266, 310 264
16.7–8 16.8
6.20–23 6.48 7.1–10 7.4–5 7.9 7.14 7.18–23 7.21 7.21–22 7.22 7.24, 27 7.28 7.33 7.39 8.1–3 8.2 8.2, 26–39 8.22–25 8.25 8.25, 28 8.26 8.26–39 8.27 8.27, 30, 33, 35, 38 8.28 8.28, 47 8.29 8.30 8.30–31 8.31 8.32 8.33 8.34 8.34–35 8.35 8.35–36 8.36 8.37 8.37, 39 8.38 8.39 9.1 9.1–6 9.7 9.8 9.12 9.29 9.35
545 310 79 230 242 245 368 310 264, 305 305 305, 310 415 264 265s, 293 72 310 264 265 44, 69 334 72 47 33, 39, 43, 51, 310 47, 49, 64, 81, 105 56 53 86 47, 54, 191, 235, 264 102, 265 63 102, 235, 304 57 57, 59, 61, 266 61, 109 63 62, 72, 105, 335 72 61s, 108 63s, 109 65 63s 64s, 115, 335 265 414 83 283 62 391 283
546 9.37–43 9.39, 42 9.42 9.49 9.49–50 9.50 9.52 9.54 10.1–12 10.7–9 10.8–9 10.10–15 10.17 10.17–20 10.18 10.19 10.20 10.21 10.23–24 10.30 10.39 11.2 11.5–22 11.8 11.14 11.14–15, 17–27 11.14–20 11.14–23 11.15 11.15–22 11.18–19 11.19 11.20 11.21–22 11.24 11.24–26 11.26 11.44 11.44, 46 11.44, 47 12.10 12.16 13.11, 16 13.28 13.28–39 13.31–33 13.32 14.2, 16, 30
Index des sources anciennes 310 266 191, 264, 298 208, 265 281 208 415 281 414 207 208 417 265, 297 281, 310 205 266 35 264, 294 414 79 72, 105 205 59 83 265s 292 265 281 262, 264s 51 262 281 205, 245, 292, 295, 303, 305, 310, 414 414 191, 264, 289 59, 266, 304 264 190 79 49 292 79 265s 417 233 281 265 79
14.13, 21 15.11–32 15.15–16 15.17 15.22 16.1, 19 16.8 16.16 16.18 16.24 ; 17.13 17.14 17.20–21 18.2–4 18.5 18.30 18.35 18.35–43 18.38–39 19.11 19.28–40 20.34 20.35–38 21.36 22.3 22.37 22.41 23.8 23.47 23.53 23.55 24.1s, 9, 12, 22, 24 24.4 24.6 24.47–49 24.49
310 106, 196 60, 196 106 390 79 303 414 206 65 295 414 79 83 303 56 47 65 83 47 303 416 363 265 307 86 83 283 49, 370 49 49 368 75 246 234, 389
Jean 1.33 2.4 4.50, 53 5.8 5.27–29 6.16–21 6.39 6.69 6.70 ; 7.19 7.20 8.43–44 8.44, 48–52
264 194 245 295 411 329 411 300 265 266 266 265
547
Index des sources anciennes 8.52 10.20–21 11.43 12.31 13.2 13.27 14.17 14.26, 30 15.18–20 15.26 16.1–2 16.11 16.13 19.11 19.23–24 20.11–12 20.12 20.14–16 20.22 21.7
283 265 295 264, 266 265 265s, 310 264, 462 264, 266 232 264 232 264, 266, 310 264 310 400 368 367 330 205, 264 365
Actes 1.8 1.10 2.4 2.14–21 2.33 2.38 2.46 ; 3.1–4.2 3.6, 16 3.13–16 3.22 4.7, 10, 30 5.3 5.10 5.12 5.16 5.19 5.31 5.36 5.37 8.4–8 8.6–7 8.7 8.9, 11 8.26 9.19–20 9.36–37 9.40
416 367 28, 246 410 369 398 184 297 287 307 297 265, 266, 310 368 184 191, 264, 266, 310 264 369 291 215, 291 281 310 191, 264 273 264 245 188 297
10.2 10.14, 28 10.36–38 10.38 10.44–47 11.3 11.8 11.15 11.19–21 12.7 13.6, 8 13.10 13.11 13.16, 26 13.46 16.16–18 16.16–24 16.17 16.18 17.22 18.2 18.11 19.1 19.8–12 19.11–12 19.11–16 19.13 19.13–20 19.16 21.26 21.31 23.18, 22 25.19 27.23
242 191 281 266 246 241 191 246 245 264 273 266 289 242 245 267, 281 310 228 297 258 213 235 310 281 267 264 296 281 363, 365 184 291 368 258 264
Romains 1.6 2.3 8.15 8.20ss 8.23–25 8.34 8.38–39 9.6–8 10.9 10.10–17 11.16 15.19 16.26
245 363 264, 294 265 310 369 310 243 221 243 208 309 415s
548
Index des sources anciennes
1 Corinthiens 1.23 ; 2.2 2.6–8 6.15–20 7.14 8.5–6 10.14–22 10.19–21 12.3 12.9 12.10 12.13 15.37
397 265 207 191, 208, 398 221 221 265 221 309 309 243 364
2 Corinthiens 4.4 5.3 5.4 5.17 6.14–7.1 6.17 6.18 11.14 11.33 12.12
264, 266 364 310 243 207, 221 191 265 265, 310 363 309
Galates 3.1 3.5 3.28 4.3 4.3, 9 4.6 4.9 6.15 6.16 Éphésiens 1.10 1.20 1.20–21 1.20–23 1.21 2.2 2.4–6 2.14–18 2.15–18 3.6 4.5
397 309 243 398 265, 303 294 310 243 244
265 369 303 310 265 264, 266 368 400 243 243 221
4.22–25 5.5 6.12
400 191 303
Philippiens 2.9–11 2.11 2.14–15 6.16
310, 327 221 207 265
Colossiens 1.6, 23 1.13–14 1.16 1.16, 20 1.20 2.8, 15 2.8–18 2.11–12 2.11–13 2.15 3.1–3 3.11
415s 303 265 310 265 310 265 368 392 303 368s 243
1 Thessaloniciens 1.9 , 16 2.14–3.5 3.5 4.15–17 5.3
221 221 266 411 363
2 Thessaloniciens 2.7–12 2.9
310 265
1 Timothée 1.20 2.14 3.6–7 3.16 5.23 6.17–19
265, 310 265 266 398 310 303
2 Timothée 2.26 4.20
266 310
Tite 1.8 ; 2.4, 8
390
549
Index des sources anciennes 1.15 2.3
208 266
Hébreux 1.3 1.14 2.3 2.4 2.14–15 6.2 8.1 10.12 11.38 12.2 12.25
369 415 363 309 266 411 369 369 188 369 363
Jacques 2.15 2.25 5.14–16
365 415 309
1 Pierre 1.2, 13–16 1.12 1.16 2.9–11 2.12 2.17 ; 3.15 3.18–22 3.22 4.12–19 4.14 5.8
207 264 177 207 239 230 398 369 221 264 266, 310
2 Pierre 2.22
196
1 Jean 2.13–14 3.7–10 4.2 ; 5.18–19
265, 368 265 264
Jude 10
239
Apocalypse 1.1, 8 ; 2.9 3.17 3.9 4.5 4.8 9.1–2, 11 ; 11.7 9.9 11.17 12.9 12–13 14.10 14.6–13 15.3 16.13 16.14 16.15 16.7, 14 17.4 17–18 18.2 19.10 19.6, 15 20.10 20.1–3 21.22 22.6, 8–9, 16
265 365 265 264 265 289 225 265 265s 310 304 415 265 191 264 365 265 191 310 191, 264s 264 265 304 289, 310 265 264
Apocryphes du Premier Testament 2 Baruch 23.4 ; 48.24–25 30.1 72.4
260, 265 243 242
1 Esdras 2.3 ; 6.31 ; 8.19, 21 228
4 Esdras 3.4ss ; 7.11–12 5.4–5 7.26–44 7.28 7.28–29 ; 12.32 12.10–35 12.11–34
260, 265 410 250 407 243 413 243
550
Index des sources anciennes
12.31–34 13 13.1–13a, 51–52 13.26, 48–49, 50
407 411, 413 243 248
1 Hénoch 1.5 1.8 1–36 6.2–8 6.3, 7 6.4 , 6 6–11 9.7 10.3, 17 10.4–6, 12–22 10.7 ; 40.9 12.3–6 14.3–6 14.20 15.3–4 15.4–16 15.6–9 15.8–10 ; 18.12–16 15.11 15.11–16.1 16.1 19.1 21.10 ; 22.1–2 37–71 38.2s 45.3–5 46.2, 3, 4 ; 48.2 48.6–7 48.10 49.2, 4 ; 51.3, 5 52.4 52.6, 9 ; 53.6 54.3–5 54.5 55.4 ; 61.5, 8, 10 62.1, 7, 9, 14 62.7 62.11–16 62.13–16 62.14 62.15–16 62–63 63.11 ; 69.26–29
239, 410 239, 413 260s 410 262 288 415 262 363 288 286 410 410 367 298 410 260 288 263 262 288, 303 264 289 205 250 250 250 412 250, 411, 413 250 250, 411, 413 250 288 262 250 250 407 205 250 205, 403 367 412 250
67.1–13 69.1 69.26 69.29 70.1 ; 71.16–17 80.4–7 85–90 87.2 88.1 89.10 89.41–50 ; 65–67 89.73–75 90.13–19 90.21 90.37–38 102.4–103.4 106.4–6
304 205 412 248 250 410 236, 242s 367 288 196, 241s 196 196 241 367 243 411 367
2 Hénoch 7.18 37.1
410 367
3 Hénoch 4.1
367
Apocalypse de Sedrach 5.3–5 262 5.6 s 239 Joseph et Aséneth 15.7 390 27.6 102 75–77 389 Jubilés 1.20 1.23 3.30–31 4.15 ; 5.1 5.6–10 7.21 ; 10.1 10.1–2 10.1–6 10.1–13, 58 10.7–10 10.8, 11 10.12–14 11.10 ; 17.15–16 15.33
261 204 365 410 303 298 263 260 303 288 262 280 262 261
551
Index des sources anciennes 21.10 22.16 25.14 ; 31.12
397 179, 241 262
Oracles sibyllins 3.55–60 3.654 3.665 3.775–779 3.796 3–4 5.264
303 451 407 303 410 241 191
Paralipomena Jeremiae 1.6 413 6.18 240 Psaumes de Salomon 3.13–15 411 8.27–28 239 15.8 363 17.3 303 17.3, 45 239 17.21–24 243 17.21–25, 32 214 17.21–31, 32 202 18.1, 3, 5, 7 239 Testaments des douze Patriarches Ruben 1.9; 2.10, 13, 20 261 2.1–3.8 260 5.6–7 410 Siméon 2.7 ; 3.5, 6, 9 4.9 ; 6.6
260 260
Lévi 1.9 3.3 ; 4.1 ; 5.6 ; 9.9 4.1–5 8.2 9.7, 18, 12, 16 10.3 ; 16.4 18.2s, 13–14 18.10–14 18.12
261 260 410 367 397 407 289 403 260, 289
Juda 5.27 16.1 22.2 23.3 23.5
261 260 408 407 239
Issachar 4.1, 8
261
Zabulon 5.1–6.7 ; 7.1 8.1–2 ; 9.6s 9.8
239 239 240, 299
Dan 1.5 ; 2.6–7, 13–14 2.14 5.9 5.10–13 5.11s
261 262 239 201, 305 289
Nephtali 2.3 3.5 4.3–5
261 410 239
Asher 1.4, 14 7.6–7
261 240
Joseph 4.6 8.3
191 363
Benjamin 1.10, 11, 14 2.10, 15; 3.1, 2, 4 5.2
261 261 193
Testament de Job 1.5 ; 4.11
413
Testament de Moïse 10.1 303, 305 10.1(–3) 201, 305 10.1–10 410
552
Index des sources anciennes 6.9, 11 ; 7.8 8.12 10.3 11.5 11.6 12.2 18.1–42 20.1–21 20.12
Testament de Salomon 1.6–7, 9, 11 287 1.10 261 2.1 261, 281 2.4s, 7 ; 3.3–5 287 2.5–6 289 2.5–8 285 2.9–3.1 262 3.5–6 281 4.2, 4 ; 5.1, 7 261 4.5 263 5.5 298, 300 5.5, 9, 13 287 5.7 264 5.9 ; 6.8 286 6.1–2 262
285 289 264 232 287 257 261 298 298, 300
Vie grècque d’Adam et Ève (Apocalypse de Moïse) 8.11 413 17.2 262 32.2 416
Écrits de Qumrân Écrit de Damas (CD) 2.18 260 4.16 ; 16.2–6 261 4.18 ; 5.6–7 180 6.5, 19 375 6.12–18 180 6.15 ; 13.14 415 7.3–4 ; 12.1 180 11.15–17 181 12.2 192, 260 12.2–3 264, 279 12.6–8, 11–12 241 12.18 189 15.1 286 19.7–14 361 (B) 20.8 202 1Qap Genar (1Q20) 2.4 ; 6.9 ; 10.18 202 12.17 ; 20.12, 16 202 20.16–17, 28, 29 192 20.26 263 20.28–29 280, 287, 297 21.2, 20 202 21.26 280 22.15, 16, 21 202
1QHa (Hymnes) 1.22 ; 3.21 ; 11.12 398 4.26 [17.26] 204 5.36 398 8.19–20 204 9.32 (1.32) 204 11.19–23 204 11.29, 32 261 11.32 399 12.31 ; 14.33 202 12.37 [4.37] 204 14.12–14 416 14.22–24 304 15.3 262 19.30–31 [11.30–31] 204 1QM (Règlement de la Guerre) 1.1 ; 13.4, 11 261 1.1, 15 259 6.6 303 7.2 204 7.3–6 181 7.9–11 389 12.7 303 12.9, 10 250 13.1–6, 14 289 13.4 262 13.4–5, 10–12 259
553
Index des sources anciennes 14.8–10 14.9–11 ; 15.17 14.10 15.12–18 15.13–16.1 18.1, 3
291 261 208, 289, 398 259 289 260
1QpHab (Commentaire d’Habaquq) 11.2–8 231 1QS (Règle de la Communauté) 2.7–8 201 2.14 ; 3.4–5 398 3.4–9, 18–19 204 3.7 204, 207 3.13–4.26 262 3.18, 20, 24–25 260 3.20–21 192 4.2–12, 18–26 390 4.6–9, 18–22 398 4.9, 20, 23 260 4.11–14, 20–22 204 4.22 201, 208 5.4–7 207 6.4–5 205 6.5 403 6.13–23 ; 7.18, 23 398 6.24–25 181 6.27 à 7.2 286 7.13–14 365 8.4–10 ; 9.6 207 8.5–6, 9–10, 14 181 9.3–5 204, 207 9.16, 22 ; 10.29 415 10.12 201 10.18 398 10.21 262 11.8 207 11.10, 13–15 202 11.14–15 204 24.12–13 262 1QSa (Règle annexe de la Communauté) 2.5–6, 8–9 181 2.16–21 205 1QSb (Livre des Bénédictions) 4.25s ; 5.21 303
5.20–29 5.24–25
214 243
3Q370 frag. 1, II.3 204 4QMMT (Manifeste sectaire = 4Q394–399) Sec. B 21–22 195 4QpNah = Commentaire de Nahum (4Q169) frag. 1+2, 4–5 241 frag. 3+4, I.6–8 231 4Q88 VIII.15 (= 11QPsa 22.15)
202
4Q174 frag. 1, I.6 frag. 1, I.10–13
181 300
4Q183 frag. 1, II.2 180 4Q197 frag. 4, I.13 192 4Q219 II.21
202
4Q222 frag. 1, 4
202
4Q225 frag. 2, I.9 ; II.13
262
4Q230 I.1
192
4Q242 frag. 1–3, ln 2–6
202, 280
4Q266 frag 5, II.5–7 frag. 18, IV.9–12
241 365
4Q271 frag. 4, II.6–7
263
4Q285 frag. 1, ln 3 frag. 6+4
202 214
4Q291 frag. 1, ln 3 202
554
Index des sources anciennes
4Q372 frag. 1, ln 4 202 4Q378 frag. 26, ln 1, 3, 4 202 4Q379 frag. 18, ln 6
202
4Q381 (Prière de Manassé) frag. 15, ln 2–9 224 4Q390 frag. 2, I.4 frag. 2, I.9 4Q394 frag. 7, IV.8–9
261 180
195
4Q414 frag. 12 ; frag. 2, II.4 204
frag. 1, ln 5–6 frag. 1, ln 6
260 263
4Q511 frag. 1, ln 5 286 frag. 1, ln 6–7 260 frag. 2, II.7 286 frag. 8, ln 6, 10, 12 280 frag. 35, ln. 6–7 280, 303 frag. 35, ln 7 260 frag. 48, 49 + 51, ln 2–3 204, 290 4Q514 frag. 1, I.1–11
204
4Q521 frag. 2, II.1–13 290, 305 frag. 2, II 2.1–2, 12 305 frag. 2, II.11–13 411
4Q418 frag. 55
415
4Q525 frag. 2–3, II.4
4Q422 II.9
202
4Q538 frag. 2, ln 4 192
4Q444 frag. 1, ln 4 frag. 2, I.1–4 frag. 2, I.4 frag. 3, ln 1–3
286 290 192 290
202
4Q541 frag. 9, II.7 202
4Q471b frag. 1–3, ln 1–9
415
4Q491 frag. 15, ln 7
202
4Q504 frag. 1–2, IV.2–4 frag. 2, VI.1–2
180 204
4Q510 frag. 1, ln 2–4 frag. 1, ln 2–9 frag. 1, ln 4 frag. 1, ln 4–5 frag. 1, ln 4–8 frag. 1, ln 5
280 290 281, 303 286 289 209, 260
4Q552 frag. 4, ln 2 202 4Q560 frag. 1, I.3–5 frag. 1, I.4, II.5 frag. 1, I.4–5 frag. 1, II.5–6 frag. 1, II.6 frag. 1, II.6–7
263 287 280 280 192 289
4Q568 1
202
11QApPsa = Psaumes apocryphes (11Q11) 1.7 296 1.7–10 ; 2.2–11 280 2.1–1 ; 13.1–12 287 4.1 296 4.1–12 ; 5.4–13 280 4.2 263 4.3 261
555
Index des sources anciennes 4.4 4.4–13 4.5–10 5.4 , 6 5.5
262, 278, 286 287 289 280, 288 260
11QPsa = Psaumes pseudo-davidiques (11Q5) 19.1–17 286 19.9–11, 13s 239 19.9–16 290 19.14 ; 24.11–12 204 19.15 192, 239, 262 27.9s 280, 286 27.11 202 11QT = Rouleau du Temple (11Q19–20)
45.5–6, 15–18 45.7–13 ; 46.16–18 45.10 ; 46.1–11 47.4–5, 10, 17–18 47.14–15 48.8–10 48.11–14 49.5–9 ; 50.4–9 49.11–15 50.10–19 51.4–5 ; 52.19–21
204 181 180 180 204 210 189 189 181, 204 181, 189 181
11Q6 frag. 4–5
239
11Q15 frag. 1, II.4, 7
202
Écrits rabbiniques Targumim Targum Neofiti Gn 1.2 ; Dt 3.16 56 Gn 15.1 ; Nb 24.24 102
m. Ber. 1.4 m. Ber. 8.6
234 187
m. B. Qam. 7.7
195
Targum Onkelos Gn 1.2 ; Dt 3.16
m. ۉag. 2.5
182
m. Kel.1.6–9
182
m. Ketub. 4.4
187
m. Kil. 9.4
187
Targum des Psaumes 7 ; 91.3, 5–6, 19 302 91.6 301
m. Ma‘aĞ. Š. 5.1
190
m. Meg. 4.6
365
Targum du Pseudo-Jonathan Gn 6.4 259 Gn 15.1 ; Nb 24.24 102 Nb 19.14 188 Dt 3.16 56
m. Mid. 2.1
365
m. Naz. 1.2
235
m. ’Ohal. 11.7 m. ’Ohal. 16.5 m. ’Ohal. 17.2
190 187 187
m. Šabb. 1.4
185
56
Targum des Prophètes (Jonathan) Es 24.23; 31.4 303 Es 40.9 ; 52.7 303 Es 65.3 56
Mishnah m. ‘Abod. Zar. 3.3 98
556
Index des sources anciennes
m. Šabb. 6.10 m. Šabb. 23.5
284, 286 187
b. Mo‘ed Qaܒ. 8b 187 b. Mo’ed Qaܒ. 28a 285
m. Sanh. 6.3 m. Sanh. 6.5–6
365 382
b. Naz. 4b
235
b. Nid. 17a
188
m. Šeb. 8.1 m. Šeb. 8.10
242 196
m. Šeqal. 1.1
190
m. Soܒah 9.15
282
m. Ta‘an. 3.8
281, 283s, 298
b. Pesaۊ. 110a–112b 261 b. Pesaۊ. 111b 301 b. Pesaۊ. 112b 261, 282s, 287 b. Pesaۊ. 112b–113a 287, 295 b. Pesaۊ. 114 232, 260, 453
m. Yad. 1.1 ; 2.3
182
b. Qidd. 29b
Talmud de Babylone b. Bek. 44b 261 b. Ber. 6a b. Ber. 17a b. Ber. 18b b. Ber. 33a b. Ber. 34b b. Ber. 34b, 61b b. Ber. 43b b. Ber. 55a–57b
101, 280 416 285 283 284 283 300 285
b. B. Qam. 50a
263
b. Šabb. 13b–14b 183 b. Šabb. 67a 280, 286s b. Šabb. 104b 283 b. Šabb. 109a ; 151b 261 b. Šabb. 152a–b 285 b. Sanh. 43a b. Sanh. 65b b. Sanh. 101a b. Sanh. 103 a–b
283 188 261, 263 301
284
b. Šebu. 15b
279, 301
b. B. Me܈. 59b
224, 284
b. Soܒah 9b–10a
235
b. ‘Erub. 43a
261
b. Giܒ. 66a b. Giܒ. 68a
263 261, 298, 300
b. ۉag. 3b b. ۉag. 16a
188, 264 267, 298, 300, 304
b. Ta’an. 20b b. Ta’an. 23a b. Ta’an. 23b–25a b. Ta’an. 24b–25b b. Ta’an. 25a b. Ta’an. 25b
261 282, 287 294 282 285 294
b. Yebam. 121b b. Yebam. 122a
284 263
b. Yoma 39b b. Yoma 77b
367, 407 261
b. ۉul. 91a 300 b. ۉul. 105a, 106ab 183 b. ۉul. 107b 261 b. ۉul. 123a 194 b. Me‘il. 17b
261
Talmud de Jérusalem y. Ber. 9d 284 y. Ber. 9.1 209
557
Index des sources anciennes Lv. Rabba 8.2
y. ‘Erub. 10.11, 26c 301 y. ‘Erub. 10.26c 279 y. Pe’ah 1.1
280
y. Šabb. 6.2, 8b y. Šabb. 6.8b
301 279
y. Soܒah 6.3
407
Mekhilta sur Ex. 5 410 Mekhilta sur Ex. 7 237 Midrash sur les Ps. (Tehillim) 17.8 101 78.12 263 89.2 ; 106.1 284 91.1 261 106.2, 5 237
y. Ta‘an. 3.11 [66d] 282
Nombres Rabba 10.5 ; 22.7 12.3 19.8 19.9
Tosefta t. Ber. 2.1 234 t. Ber. 2.13, 20–21 365 t. Ber. 3.20 283 t. ۉul. 2.21–23
283
t. Naz. 1.5
235
t. Ta‘an. 3.8
282
t. Ter. 1.3
186
Pirqé ‘Abot 3.3 (3.4) 183 Pirqé Rabbi Eliézer 43 237 53 235 Sepher ha-Razim
237 237
Gn. Rabba 8.11 Gn. Rabba 13.7 Gn. Rabba 14.3 Gn. Rabba 98.13 Gn. Rabba 99.11
416 283 416 235 235
Harba de-Moshe
280
235 301 261, 284, 287, 291 264
Pesikta Rabbati 14.57a 299
Midrashim ‘Abot de Rabbi Nathan A 37 263 Ex. Rabba 20.1 Ex. Rabba 23.7
235
280, 285, 297
Sifre sur le Deutéronome Ha’azinu (/Dt 32.1–43) 321 261 Tanchuma Buber Bo 19 236 Wa-Yosha /Ex 15.11 237
Littérature juive hellénistique Épître d’Aristée 268
363
Flavius Josèphe Antiquitates judaicae (A. J.)
1.122 2.105 2.324s, 328, 337 2.340, 342 2.341
262 304 236 226 363
558
Index des sources anciennes
2.344 236 3.110 et 112 370 3.320–344 211 5.28, 209 225 5.213, 277 367s 5.297 234 5.317 235 6.166 263, 280, 292 6.166, 168 280 6.166–169 263 8.42–49 287, 297 8.45 280, 292, 296 8.45–48 283 8.45–49 282 8.46–48 297 8.47 287 8.48 199 9.182 281 12.270 226 13.171–173, 293–298 184 13.255s, 288, 296 231 13.372s, 380 231 13.410–411 232 14.22 283 14.22–24 282 14.70 236 14.120 230 14.158–176, 420–433 218 14.301–303 249 14.385 218 14.426, 429 236 15.187–201, 217 249 15.271–272 218 16.6–10 195 16.232 304 17.271–284 215 17.288–289 230 17.318 218 17.355 217 18.1–2 215, 217 18.1–10 291 18.12–20 184 18.27 189, 218 18.36–38 189 18.38, 60–62 190 18.63–64, 85–87 291 18.90–95 217
18.252 18.262–263 19.81 19.360–363 19.360–366 19.365–366 20.97 20.97–98, 102 20.118–124 20.137 20.159 20.160–172 20.182, 197, 252
218 230 250 218 215 217 287 291 217 225 218 291 225
Bellum judaicum (B.J.) 1.23, 32, 39, 62 226 1.55 225 1.65 363 1.88–89, 97, 113 231 1.104 216 1.155–157, 396 216 1.177, 180 230 1.203 218 1.204–207 215 1.208–209, 303, 314–316 218 1.242–244, 386–400 249 1.282–293, 668 218 1.313 236 2.4 244 2.8–13, 57–65 215 2.56 218 2.68 230 2.68, 75, 185, 260, 270 225 2.117 217 2.117–118 215, 291 2.119–165 184 2.125 218 2.126, 129, 131 365 2.129–132 181 2.136 281 2.161 365 2.169 225 2.192–199, 250 230 2.220 225 2.232–240 217 2.252 218
559
Index des sources anciennes 2.259, 261–263 291 2.284–293, 408–410 215 2.296, 345 226 2.408–410 215 2.433–440 215 2.433–450 216 2.457 217 2.461–468, 477–480 217 2.499–506 227 2.500–512 230 2.510 225 2.559–561 217 2.568 216 3.8 225 3.9, 61, 111 226 3.41–42 215 3.102–104 226 3.110–114, 132–134, 141–306, 462–502 216 3.137–408 249 3.141, 446, 486 225 3.341, 485 259 3.401–402 250 3.417, 497 225 3.462–502 216 3.484 222 3.522–531 224 4.54–61, 84–120 216 4.57, 419, 487 225 4.76 259 4.84–120 216 4.120 227 4.121–127 216 4.288, 366 222 4.326 226 4.370–371, 379 224 4.486–490 217, 227s, 230 4.518 226 4.558 215 4.560, 658 225 4.562 191 5.71–97, 238–244 226 5.96–97, 446 225 5.99 248 5.244 217
5.250–254 5.336 5.482–483 6.43 6.59 6.135–136, 399 6.401s 6.411 7.4–5, 17, 164 7.18, 117 7.166–168 7.185 7.190–209 7.249 7.361–368
216 225 226 250 259 225 226 222 226 225 227 260, 263 227 225 217
Contra Apionem 1.198, 205 1.307 2.121
184 191 241
Vita 80 , 259 118–119 425
225 192 227
Philon Gig. 16
258
Spec. 1.52 Spec. 3.209
241 191
Mos. 1.138–139 Mos. 1.169 Mos. 2.249 Mos. 2.254
235 211, 236 211 226, 236
Flacc. 104 Flacc. 109
250 225
Legat. 44, 141, 309 250 Legat. 145–147 223 225 Legat. 239, 369 Leg. 3.93
363
Deus 132
191
560
Index des sources anciennes
Littérature chrétienne ancienne Clément de Rome 1 Clément 6.1–2 419 46.2–3 208
Évangile de Pierre 36 367s 55 390 Évangile deThomas 14 208 14b 414 93 196
Actes d’André 5.8–11
287
Actes de Jean 24, 83 42 73, 76, 87, 88
297 277 368
Hermas (Pasteur) Préceptes 6.2.1, 4–7 ; 11.9 12.5.2–4
265 262
Actes de Pierre 2.11
199
Visions 3.1.6–8 ; 3.4.1 3.2.5 4.2.4 ; 5.7 4.2, 4b, 5
367s 367 265 363
Actes de Paul 3.13, 28
368
Actes de Philippe 43, 76, 105–106
297
Actes de Thomas 27 108–113 170
368 196 286
Ignace d’Antioche Trall. 2.1 363 Trall. 9.1 398
Ascension d’Ésaïe 2.2 262 7.33–35 368
Irénée de Lyon Adversus haereses 2.4.6 2.6.2 2.49.3 3.8.2 ; 5.21.3
Augustin Cons. 1.2.4 Cons. 2.24
Jean Chrysostome Adv. Jud. 1.5 ; 7.1 242 Adv. Jud. 8.8 242
32 47
Dion Chrysostome (de Pruse) Or. 3.30–31 223 Or. 31.37 247 Épître de Barnabé 9.4 ; 18.1 265 Eusèbe de Césarée Historia ecclesiastica 2.23.6 358 3.18–20 ; 4.26 231
287, 297 282, 287 398 299
Hom. Matt. 28
47
Jérôme Epist. 71.3
361
Justin Martyr Apologia I 5.1–4 68.2
265 363
Apologia II 2.5.3–6
265
561
Index des sources anciennes 6.6
282, 286, 398
Dialogus cum Tryphone 7.3 193 20.4 191 30.3 26, 398 69.5 292 76.6 ; 85.2 398 85.3 282, 286 141.3 191 Lactance Inst. 4.15.1 Mort. 3
292 231
Martyrium Polycarpi 2.2 304 Origène Contra Celsum 1.6 1.6, 28, 38, 68 1.22, 24 1.22–24 1.25 1.38 2.9, 14, 16, 48, 49 3.11.9 3.24 3.27 4.33 4.33–34 ; 5.45 6.41 6.51, 57 7.4
398 292 297 287 276 35, 283 292 191 297 292 271 287 270 292 270
7.69 7.77 8.60
265 292 310
Hom. Num. 13.5
295
Paul Orose Adv. pag. 7.6.15s
213
Polycarpe de Smyrne Phil. 2.1 398 Pseudo-Clément Rec. 4.17
398
Rufin d’Aquilée Clementis quae feruntur Recognitiones 1.42–44; 58.1; 70.2 283 Testament d’Adam (A) 2.11 413 Tertullien Apol. 5.4
231
Bapt. 9
398
Nat. 1.7
214
Spect. 13
265
Thomas d’Aquin Catena Aurea (/Mc 5.1-20) 47
Les autres auteurs grecs et latins Aelius Aristides Or. 26.155–157
238
Apollonios de Rhodes Argon. 1.179–184 223
Anthologia greca 8.108, 234
193
Apulée Metam. 3
271
Antiphon Tetr. 2.4.8
304
Aristophane Ach. 627 Ach. 781–796
364 226
562
Index des sources anciennes
Lys. 615 et 637
364
Plut. 405–410
273
Diodore Siculus 12.22.7 34.1–4 ; 40.3.4
238 241
Thesm. 538 Thesm. 568, 656
226 364
Diogène Laërce Vitae 9.7 (38)
188
Vesp. 408
364
Dion Cassius Hist. 59.17 Hist. 60.6.6
223 213
Épictète Diss. 1.18.9
238
Aristote Div. somn 463a–464a 271 Eth. nic. 1111a.3–8 109 Eth. nic. 1163b1–5 247 Rhet. 1379b Rhet. 1394a
247 377
Artémidore Oneirocritica 3.16 224 Callimaque Aetia 1
277
Calpurnius Siculus Eclog. 4.97–100 223 Caton Agr. 138–141
197
Cicéron Or. Brut. 2.163
109
Part. or. 2.7–8
109
Rep. 6.13ss
188
Tusc. 1
188
Verr. 2.5.66 401 Verr. 2.5.160–161 365 Démosthène Mid. [Or. 21] 216 360 Scholia in Orationes 4.1b 198
Scholia in Orationes 1.23 198 Eschyle Per. 394
226
Euripide Ion 1208–1209
364
Eustathe Commentaire à l’Iliade 13.29 223 Hérodote Historiae 2.86 5.32 5.95 6.75 7.35, 56 7.140–143
370 225 363 274 223 271
Hésiode Theog. 411ss
272
Hippocrate Morb. sacr. 4 270, 272 Morb. sacr. 4.43–46 198 Homère Ilias 1.314 198 2.183 364
563
Index des sources anciennes Hymnes Homériques 7.12-13 82 Horace Carm. 1.14
334
Jamblique De mysteriis 4.2 Pyth. 136
270 223
Julien (empereur) Sur la mère des dieux 177
197
Philostrate Vita Apollonii 1.19 1.22 3.38 4.10 4.20 4.25 5.42 7.3 8.26
257, 294 273 257, 264, 266, 273, 275s 305 275–277, 294, 298 273 263 250 271
Vit. soph. 523–590 270 Juvénal Sat. 4.83 Sat. 14.96 Sat. 14.98–99 Sat. 14.100–104
250 242 195 241
Lucien Philops. 13–14 Philops. 15–16 Philops. 16 Philops. 16.5 Philops. 29
270 264 263, 273, 275–277 199 257
Lysias Or. 3.12, 35
257
Epin. 984e
258
Leg. 713c ; 738d
258
Phaed. 107d
258
Pol. 271d, 272e
258
Respublica 617d
258
Tim. 90a
258
364
Macrobe Saturnales 2.4.11
195
Martial Spect. 17
219
Ménandre Frag. 924K
223
Notitia Dignitatum in partibus orientis 34.30 226 Pausanias Descr. 1.17.1 Descr. 2.30.2
Platon Apol. 31d ; 40a
238 272
Pétrone Sat. 119.1–18, 27–36 232
Pline l’Ancien Naturalis historia 28.4.5–6 268 30.1.1–2 269 30.2.6 282 Pline le Jeune Ep. 10.96 Ep. 10.97.1–2
221, 419 231
Pan. 4.4
250
Plotin Enn. 1.6.7
392
Plutarque De defectu oraculorum 9 (414e) 271
564
Index des sources anciennes
10–16 (415a–419a) 263 13 (416e) 272 De facie in orbe lunae 1 (920b) 267, 272 26 (940f–942c) 258 De fortuna Romanorum 12 (325d–e) 232 Is. Os. 26 (361b–c) 263 Marc. 20.5
365
Pomp. 70 Pomp. 71.4
232 225
Quaestionum convivialum 4.4.4–4.5.1 (669e–f) 195 4.5.1–3 (669f–671b) 195 5.7.1 (680e) 276 5.7.6 (682f–683a) 272
Pseudo-Platon Axiochos 371a–372a 188 Quintilien Inst. 5.8.5 Inst. 5.10.53–91
109 109
Sénèque Apoloc. 1.10.1–2 Apoloc. 1.2 Apoloc. 10
220 220 223
Ben. 1.4.4 ; 2.24.4 247 Ben. 7.31.1 247 Clem. 1.1.2 ; 1.26.5 238 Clem. 4 223 Ep. 60.2 ; 89.22
232
Helv. 10.2–7
232
Herc. fur. 322–4
223
Polyb. 7.3–4
222
Polybe Historiae 29. frag. 11
282
Vit. beat. 11.4
232
Porphyre Vit. Pyth. 29
223
Sophocle Ant. 540–541
334
Phil. 308–309
238
Suétone Aug. 2.98.2 Aug. 6.24
220 223
Claud. 25.4
213
Iul. 64
389
Pseudo-Ératosthène Catast. frag. 32 223
Tacite Agr. 30.5
232
Pseudo-Philon Ant. 42.3, 10
Ann. 4.72 Ann. 5.5 Ann. 15.44
219 227 221
Properce Élégie III 5.10–15 232 Pseudo-Apollodore Bib. 1.4.3 223 Bibl. 2.2, 28–29 275 Pseudo-Augustin De rethorica 7–8
109
235
565
Index des sources anciennes Hist. 4.81.2, 6–7 Hist. 5.4.3 Hist. 5.5.1 Hist. 5.9.5–6
274 195 241 215
45.12
282
Varron Rust. 2.4.10 Rust. 2.4.24
226 154
Théophraste Char. 16
258
Virgile Aen. 4.494ss Aen. 6
271 188
Georg. 1.24–35
223
Xénophon Anab. 1.3.9 Anab. 1.8.25
101 226
Cyr. 7.1.17
226
Thucydide De Bello Peloponnesiaco 7.34.4 226 8.92.2 304 Tite-Live Ab Urbe condita 1.16.1–2 1.16.1–3
220 252
Les inscriptions BGU 1847.16
304
BS (Beth She‘arim – inscr.) II 129 ; 162–163 192 CIG 2664 ; 2685 ; 3270 198 2826 ; 4000 ; 4190 199 3915 198s CIJ (1 : Europe) 760 ; 769 ; 770
MAMA I 332 ; 425 ; 437 VI 264 VI 320 ; 325 ; 335 VII 147 ; 227 X 189
199 242 199 198 199
Miracles d’Épidaure/Asclépios (= IG IV 951–953) 3 ; 4 ; 7 ; 11 ; 22 274 17 ; 33 ; 39 273, 275 20, 43 273, 275
199
CIL XII 4333
220
Hazon Gabriel
243
IG III 1417–1424 199 (IV 951-953 = Miracles d’Épidaure) 273–275 IV 1282 238 XII,9 955, 1179 199 XIV 1901 199
SEG I 470.3–4 VIII 13
199 190
SIG 982 1042.3
185 191
Small. 98 (= Braund 209) 220 TAM V,1 626, 815 198
566
Index des sources anciennes
Les papyri Papyri Graecae Magicae (PGM) I.214–216 271 III.37–40 296 III.415–416 295 III.416, 473 273 IV.94–153 272 IV.289, 3019, 3045 296 IV.296–466 271 IV.296ss ; 331 275 IV.710 273 IV.710–711 295 IV.1190–1205 271 IV.1227–1264 271, 275 IV.1230ss 270, 297 IV.1243, 1245 297 IV.1245–1252 275 IV.1248–1249 277 IV.1254–1264 276 IV.1636–1649 277 IV.2251–2253 277 IV.2258–2266 273 IV.2289, 2343–2345 277 IV.2785–3008 275 IV.3007–3086 276 IV.3010–3035 277 IV.3020–3077 275 IV.3042–3066 276 IV.3070–3071 277 IV.3075–3083 276
IV.3255–3274 V.164–171 VII.191–102 VII.242 VII.374–404 VII.430–450 VIII.6–14 XII.287 XII.376–396 XIII.815s, 975s XV–XVIIb XCIV.17 XCIV.20 CX ; CXI CXIV.1–14 CXVII ; CXXII
272 273 272 296 272 277 277 270, 297 267 270, 297 269 297, 452 275 269 275 269
Les autres papyri P. Ant. 87.13
304
P. Oxy. 840 903.10 1021.5–13 1021.10–12 1678.16
196, 392 304 221 222 72
P. Petr. 2.32
363
P. Ryl. 28.164–166 363
Index des auteurs modernes Abegg, Martin G. 263, 285, 287s Achtemeier, Paul J. 38, 45, 323s Ådna, Jostein 23s, 33, 46, 48, 53, 59, 61–66, 69, 124, 196, 199 Aland, Kurt 21, 45, 316 Alexander, Philip S. 192, 209, 260, 263, 279, 281, 289 Alter, Robert 4, 342 Annen, Franz 32, 45, 48, 62, 109, 227 Arnold, Clinton E. 259, 262, 264, 268s, 271, 279 Aune, David E. 257, 267–274, 278s, 282s, 285, 292s, 295, 297, 299, 303, 395, 398 Aus, Roger D. 10, 44, 49, 61, 80, 89, 101s, 154, 186, 188, 226, 231s, 234– 237, 244, 261, 263, 267, 301s, 304 Aviam, Mordechai 214, 216, 219 Bal, Mieke 4, 140s Barrett, Charles K. 268, 270, 296, 302 Barthes, Roland 3, 103, 128, 304 Bartholomew, Gilbert L. 316, 384 Bauckham, Richard 12, 435 Bauernfeind, Otto 59, 277 Beavis, Mary A. 2, 321 Berger, Klaus 201, 203, 208 Best, Ernest 45, 48, 344, 376 Betz, Hans D. 269s, 272s, 277, 311 Bligh, John 2, 65, 67s, 73s Boismard, Marie-Émile 33, 364 Bolt, Peter 34, 57, 79, 82s, 85, 88s, 102, 104, 107, 114, 117, 120, 151, 162, 192, 197–199, 221–224, 228, 230, 232, 238, 267–269, 271–273, 275, 279–281, 293, 296, 302, 304, 329, 333, 342s, 345–347, 349s, 361 Bonifacio, Gianattilio 5, 32, 88s, 109– 111, 113, 117–120, 126, 145, 154,
171, 225, 296, 316, 322s, 325–328, 331, 334s, 342–347, 350 Boomershine, Thomas E. 316, 384 Boring, M. Eugene 8, 10, 12–14, 21– 24, 33, 38, 42, 50, 86, 89, 94, 107, 114, 119s, 151, 196, 199, 217, 232s, 236, 316, 361, 367, 372, 375, 383, 405s, 419 Bourquin, Yvan 4, 6, 12, 78s, 82, 87, 124, 126, 128, 131, 136, 138, 140s, 152, 163, 316–318, 324, 336, 344, 350, 352, 354, 366–370, 372–377, 383–385, 402 Bovon, François 3, 196, 296 Brown, Raymond E. 9–13, 39, 231s, 358, 370, 421 Brunetti, Federico 227, 263, 437 Bultmann, Rudolf 35, 39s, 44s, 58, 245, 260, 265, 317, 366, 383, 398 Camery-Hoggatt, Jerry 37, 88 Canavan, Rosemary 365, 389s, 392, 395 Carpino, Teresa 48, 53s, 65, 90, 110, 227 Carter, Warren 82, 219, 225–227, 233, 249 Catchpole, David R. 34, 382 Chancey, Mark A. 63, 219, 222 Childs, Brevard S. 51, 376 Chilton, Bruce D. 33, 41, 69, 180, 200– 202, 204, 209, 224, 228, 241, 281, 303s, 361, 365, 367, 382s, 387, 390, 392, 399, 411, 416 Collins, Adela Y. 7, 9s, 12s, 23, 25, 28, 49–52, 54, 63, 66, 71, 78, 88s, 93, 108, 110, 116, 192, 214s, 223, 243, 248–250, 264, 273, 277, 279, 281s, 289, 296, 298, 303–305, 307s, 315–
568
Index des auteurs modernes
319, 331, 358–362, 365–367, 371, 373, 379, 383, 386, 390, 393–395, 407, 412 Collins, John J. 192, 241, 305, 413 Combet-Galland, Corina 4, 8–10, 12s, 15, 70, 79, 81s, 84, 88, 90, 92s, 98– 100, 103–105, 112–116, 120, 151, 157, 161s, 164, 249, 304, 317–319, 321s, 327, 336, 342, 344, 346, 348, 350s, 353, 361, 370, 377s, 383, 386, 392, 401 Cook, Edward M. 263, 285, 287 Cotter, Wendy J. 37, 53, 293 Craghan, John F. 2, 45, 50s, 54–56, 58– 65, 67s, 70s, 213, 296, 336 Cranfield, Charles E. B. 118, 246, 359, 367, 407 Crossan, John D. 10, 217, 228, 292, 315s, 329, 343, 366, 383, 391, 393, 400s, 406s, 414, 417, 419, 420 Cuvillier, Élian 31, 98, 108, 217, 231, 232, 339, 361, 370s, 375s, 380, 384, 392 Danove, Paul L. 14, 131, 169, 317, 345, 349, 350, 352s, 360, 366, 368s, 381, 383, 385s Deissmann, Gustav A. 223, 228, 276, 295 Delorme, Jean 4, 315, 373 Derrett, J. Duncan M. 50, 60, 79, 98, 101, 211, 225–227, 243, 245, 371, 382 DeSilva, David A. 10, 50, 174, 177– 179, 185, 195, 207, 221, 232, 241, 247, 319, 321 Dewey, Joanna 14, 37, 39, 41, 229, 319, 321, 323, 341–343, 345s, 349, 375, 383, 419 Dibelius, Martin 35, 37, 39, 40, 45, 54, 58, 63, 69, 110, 358 Donahue, John R. 14, 54, 349, 362, 391 Dormandy, Richard 79, 217s, 226–228, 233, 249 Dunn, James D. G. 408, 434 Dupont-Sommer, André 168, 181, 204, 262 Dwyer, Timothy 116, 379
Eco, Umberto 173, 376 Ehrman, Bart D. 29, 69, 376 Elder, Nicholas A. 3, 288, 435 Eshel, Esther 192, 278–280, 451 Evans, Craig A. 33, 69, 199, 201, 219, 305, 308 Fabre, Jean-Philippe 5, 125 Faraone, Christopher A. 198, 267, 271 Farmer, William R. 32, 317 Farrer, Austin M. 362, 366, 370, 387, 404 Ferguson, Everett 185, 187–190, 198s, 258, 263, 265, 269–273, 276, 279– 281, 283, 388 Fleddermann, Harry T. 34, 353, 361 Flusser, David 183, 406, 415 Focant, Camille 5, 7, 8, 12s, 40, 46, 51, 59, 67, 79s, 82s, 85, 88s, 93s, 100s, 103s, 107s, 110, 112, 116s, 119s, 124, 140, 188s, 211, 217, 219, 227s, 231s, 304, 315, 317, 325, 338, 340, 344–346, 348, 357–361, 366, 368s, 371–373, 375s, 378, 382–385, 392, 395, 402, 407 Fowler, Robert M. 4, 82, 87, 262, 341, 375, 383 France, Richard T. 7, 13, 38, 43, 46, 53, 55s, 58–60, 88, 95s, 104, 108, 116, 118s, 194s, 211, 226, 228, 233, 277, 296, 303s, 316s, 321, 326, 333s, 353, 358s, 361, 367, 382, 390, 393s, 407, 415s Fredriksen, Paula 242, 434 Gagné, André 136, 152, 210, 233, 236 García Martínez, Florentino 87, 181 Garroway, Joshua 118, 227, 229, 249, 251 Gelardini, Gabriella 217, 222, 224–227, 248, 259s, 274, 326, 389 Genette, Gérard 4, 136, 138–140, 372 Geyer, Douglas W. 83, 192, 336 Gnilka, Joachim 45, 79, 109 Goodacre, Mark S. 34, 366 Gourgues, Michel 359, 368, 394 Grappe, Christian 6, 41, 63, 71, 84, 121, 150, 152, 178–184, 200–208, 210, 233s, 244s, 291s, 303, 305,
Index des auteurs modernes 308s, 318, 321, 325, 338, 345s, 348, 352, 359, 370, 382, 390, 392, 397, 399, 402s, 405, 408 Groff, Kent I. 354, 358–361, 366, 368s, 371, 391–393, 395 Guelich, Robert A. 8, 44, 80, 102, 107, 208, 246, 299, 332, 336 Gundry, Robert H. 23, 48, 83, 90, 102, 118, 306, 323, 327, 360, 367, 391, 393, 407 Haenchen, Ernst 359, 367 Harrington, Daniel J. 54, 361, 391 Hatina, Thomas R. 321, 407–409, 410s, 415 Haulotte, Edgar 106, 361 Hengel, Martin 12, 87, 215, 316 Hilgert, Earle 196, 325–327, 333, 335 Hollenbach, Paul W. 110, 228 Hooker, Morna D. 8, 93, 201, 208, 246 Horsley, Richard A. 215, 218, 227s Hurtado, Larry W. 39, 349 Incigneri, Brian J. 10, 13, 227, 361, 392, 402, 405, 419 Jackson, Howard M. 359–361, 364, 370, 388, 394 Jeremias, Joachim 55, 245, 390 Johnson, S. Earl 188, 366, 371 Kazen, Thomas 45, 61, 183s, 200s, 228, 232, 255, 258, 260, 264, 267, 278–281, 290, 292, 299s, 303, 398 Kee, Howard C. 272, 292 Kelber, Werner H. 3, 13, 37, 41, 245, 336s, 344, 383, 405 Kim, Jung H. 390, 392, 400 Klawans, Jonathan 181s Klutz, Todd E. 201, 261, 280 Kraeling, Carl H. 88, 187, 190 Kuruvilla, Abraham 316, 318, 321, 357s, 360–362, 366, 368, 370, 394 Lagrange, Marie-Joseph 43, 358, 375 LaHurd, Carol S. 101, 114, 200–202 Lamarche, Paul 43, 47, 53s, 57, 59, 62– 65, 80, 82, 84, 86, 88–91, 93, 100, 102, 104, 304, 331
569
Lane, William L. 89, 91, 118, 336 Lange, Armin 191, 278–280 Lattimore, Richmond 190, 198s Lau, Markus 225–228, 249 Légasse, Simon 107, 124, 231, 359– 361, 366s, 369, 375, 379, 383, 386 Levine, Amy-Jill 23, 267 Lightfoot, Robert H. 74, 316, 329, 382 Lincoln, Andrew T. 366, 383s Lohmeyer, Ernst 358, 367, 375 Loisy, Alfred 361, 407 Mack, Burton L. 4, 34, 40, 315 Magness, Jodi L. 179–184, 186s, 189s, 195s, 316, 318s, 323, 354, 365, 374, 382, 384, 388, 390, 406 Malbon, Elizabeth S. 5, 11, 79, 89, 98, 115s, 119, 131, 231, 300s, 303, 316, 318, 321s, 328s, 332, 334, 336–342, 344–346, 348–352, 373, 375s, 383, 397, 421 Mali, Joseph F. 38, 194, 231, 248, 294, 299, 306, 345 Mann, Christopher S. 42, 54 Marcus, Joel 9, 12, 14, 45, 71s, 82, 93, 102, 104, 107, 119, 124, 201, 208, 228, 233, 236, 246, 273, 293, 329, 373, 383, 394s, 397, 401 Marguerat, Daniel 3–6, 8, 78s, 82, 87, 124, 126, 128, 131s, 136, 138, 140s, 152, 163, 183s, 189, 315, 320, 324, 336, 344, 372, 375, 402, 404, 406 Marx, Alfred 210, 397, 399, 403, 405, 408 Marxsen, Willi 35, 316 Masson, Charles 33, 67 Matera, Frank J. 344, 348, 383 Mazzucco, Valentina 359, 361 McLaren, James S. 215–218, 222, 230, 241 McVann, Mark 391, 395s, 434 Meier, John P. 32, 42, 67, 69, 183, 208, 414, 418 Mello, Alberto 46s, 53, 59, 62, 64, 333 Merenlahti, Petri 341s, 344s, 361 Merklein, Helmut 67, 316 Metzger, Bruce M. 23s, 107, 317 Michie, Donald 14, 37, 229, 323, 341– 343, 345s, 349, 375, 383, 419
570
Index des auteurs modernes
Milgrom, Jacob 178, 194s Mitchell, Margaret M. 21s Moloney, Francis J. 5, 14, 45, 65, 72, 88s, 91–93, 97, 102, 107s, 113, 118, 120, 124, 145, 316, 321s, 325s, 331, 333s, 353, 360s, 365–367, 370s, 373, 375s, 382s, 407 Moore, Stephen D. 11, 211, 376 Moscicke, Hans M. 3, 200, 288, 304, 435 Murcia, Thierry 3, 288 Myers, Ched 102, 227s, 251, 306, 317
Robinson, James M. 277, 296, 350 Rochester, Stuart 5, 7, 14, 31, 52, 61, 80, 82s, 87–89, 93, 95, 97s, 101– 104, 106s, 110s, 113s, 117–119, 124, 131s, 138, 168, 189, 201, 206, 209, 211, 227s, 230–232, 256–260, 262– 265, 267, 280s, 288, 291, 296, 299, 303s, 306, 323–325, 332–336, 342, 347, 348, 350, 353–355, 365, 373, 377, 391, 398, 400 Ruggieri, Giuseppe 17, 400, 419
Quandt, Abigail B. 21s
Sahlin, Harald 60, 63, 65, 67, 69s Sanders, Ed Parish 183s, 269, 434 Schenkl, Karl 227, 263, 437 Schweizer, Eduard 67, 359, 367 Scroggs, Robin 353s, 358–361, 366, 368s, 371, 391–393, 395 Segal, Alan F. 24, 220 Senft, Christophe 70, 422 Setzer, Claudia 383, 385 Shaked, Shaul 269, 280 Shemesh, Aharon 180, 182 Shepherd, Tom 50, 366, 400, 406 Shively, Elisabeth E. 52, 231, 233s Smith, Jonathan Z. 270, 293, 297 Smith, Morton 292s, 310, 393 Smith, Stephen H. 41, 299, 302, 323, 341–346, 349s, 366, 376, 380, 384 Sorensen, Eric 228, 256–258, 264–267, 271s, 281, 286, 292–294, 296–299, 302, 310, 395 Spicq, Ceslas 238, 391 Standaert, Benoît 391, 404 Starobinski, Jean 3, 5, 135 Stegemann, Ekkehard W. 131, 185, 206, 214, 231, 248 Stegemann, Wolfgang 131, 185, 206, 214, 231, 248 Stuckenbruck, Loren T. 2, 209
Rabatel, Alain 140s, 151 Rawlinson, Alfred E. J. 358, 367 Reed, Jonathan L. 215, 218, 252 Regev, Eyal 180–182 Rhoads, David M. 14, 37, 40, 211, 229, 316, 323, 341–343, 345–347, 349, 375, 383, 419 Robbins, Vernon K. 132, 251, 315, 405
Tannehill, Robert C. 345, 349, 361 Taylor, Vincent 23, 40s, 44, 46s, 50, 53s, 57s, 61, 63s, 89, 93s, 99, 102, 104, 124, 358, 367, 382s, 407 Theissen, Gerd 7s, 11, 13, 40, 43, 54, 65s, 71, 93, 110, 184, 189s, 207, 215, 217s, 227s, 230s, 280, 294, 298, 324, 379, 408, 420
Navarro Puerto, Mercedes 3, 5, 123 Neirynck, Frans 34, 357–362, 364, 367s, 370s, 393s, 404 Nestle, Eberhard 21, 49, 56 Neufeld, Dietmar 7, 200 Neusner, Jacob 182, 185, 269, 278, 297 Nickelsburg, George W. E. 242s, 264 Nihan, Christophe 182, 290 Nineham, Dennis E. 35, 74, 329, 367 No’am, ৽ered 182, 189 Nolland, John 40, 43s, 46s, 50, 53s, 56s, 59, 61, 63s, 66, 93, 325s, 328 Olson, Daniel C. 80, 97, 196, 236, 241– 243 Orchard, Bernard 13, 32, 51 Penney, Douglas L. 260, 279, 280 Perego, Giacomo 5, 370, 395 Perrin, Nicholas 239, 246 Pesch, Rudolf 2, 45s, 51, 54, 67, 124, 208, 304, 358 Philonenko, Marc 168, 181, 204, 262 Powell, Mark A. 4, 342, 376 Puech, Émile 262, 278–283, 286, 289
Index des auteurs modernes Thériault, Jean-Yves 4, 361, 366, 369, 372, 382, 386, 388, 396, 419 Thiering, Barbara E. 398, 415 Thompson, R. Campbell 58, 198, 275, 277, 285 Tigchelaar, Eibert 192, 262 Tolbert, Mary A. 316, 342, 373 Torchia, Joseph N. 43, 59, 89, 110, 114, 118, 186, 232s, 289, 296, 303, 321, 331, 333, 378, 407 Trocmé, Étienne 10, 13, 24, 33, 35, 38, 40s, 48, 57s, 61, 69, 88, 90, 101, 108, 195, 232, 245, 304, 316, 318, 321, 331, 343, 350, 358s, 366, 382, 391, 421 Turner, Cuthbert H. 23, 27, 28 Twelftree, Graham 45, 101, 296, 302 van Cangh, Jean-Marie 263, 267, 273– 275, 277, 282–284, 286s, 292, 294s, 297–302, 367, 374s, 386 van der Horst, Pieter W. 190, 198s van der Loos, Hendrik 35, 292, 302 van Iersel, Bastiaan M. F. 3, 37, 344, 383 Van Oyen, Geert 50, 152, 340, 366, 372, 378, 400, 406, 418, 420, 422 VanderKam, James C. 192, 242, 244, 262, 264, 406 Vanhoye, Albert 354, 358–361, 363, 370s, 387
571
Vermes, Géza 215, 267, 281–284, 292, 295, 302 Waetjen, Herman C. 98, 228, 362, 366 Watson, Francis 227, 394 Watts, Rikki E. 236, 237, 405 Wéber, Edouard-Henri 255, 256, 266 Weeden, Theodore J. 35, 319, 343, 383 Wellhausen, Julius 37, 40 Wénin, André 131, 140, 340 Williams, Joel F. 117, 171, 316, 318, 322, 329, 331–336, 338s, 341–352, 361, 369, 374s, 382s Winn, Adam 7, 10, 436 Wise, Michael O. 260, 263, 279s, 285, 287 Witherington, Ben 7, 8, 12s, 23, 41, 45, 79, 89, 97, 101, 118, 151, 225s, 230, 232, 303, 316–319, 322, 325, 335, 337, 343–345, 349, 358s, 367, 382s, 385, 397 Wolmarans, Johannes. L. P. 103, 107, 217 Wrede, William 7, 117 Wright, Archie T. 2, 239, 256, 258, 260–264, 279, 285, 289 Wright, Nicholas T. 233, 303, 407 Yadin, Ygael 188s Zerwick, Maximilian 80, 89 Zissu, Boaz 187, 190
Index des sujets Abîme 56s, 59, 102, 288–290, 304, 326 Absence 164 – de Dieu 14, 402, 405 – des disciples 81, 168 – de Jésus 13, 17, 113, 135, 157, 160– 165, 171, 207, 247, 327, 335, 340, 376, 381, 388, 400–403, 405–409, 412, 414, 417, 419, 422 Aliénation 47, 186, 216, 228 Ange(s) 414 – adoration des 265 – de Bélial/Satan 259, 261s – de sainteté 181 – des ténèbres 192 – déchus 103, 265, 288s, 304 – destructeurs 260, 282 – qui rassemblent les élus 415 – en général 101, 237, 250, 260, 264– 267, 286–291, 297, 367, 368, 415 – Raphaël 288s, 368 – Veilleurs 260 Antériorité de Marc 7, 32 Anti-impérialisme 16, 213, 215, 220, 227–229, 231–234, 240, 249–252, 413 Apocalyptique 56, 229, 241, 248, 250, 251, 257, 265, 302, 317, 406, 408, 410, 417 Apotropaïque (pratique) 255, 267, 271, 275, 278–282, 286, 290, 301, 398, 421 Arétalogies 16, 274, 277, 316 Assimilation au Ressuscité 309, 377, 396, 399, 417 Autorité – de Béelzéboul 153 – sur les démons 287 – de Dieu 287 – des disciples 206, 307, 414
– des Écritures 12s – du grand prêtre 389 – de Jésus 67, 85–88, 99, 100, 137, 157, 160, 168, 170, 295, 298, 303, 308, 325, 327, 333, 347 – juive 14, 68, 88, 152, 231, 298, 340s, 375, 381, 411, 416 – juive et romaine 16, 231–233, 249, 251s, 381 – de Pierre 71 – du roi-messie 202 – de Satan 300 Aveuglement – des disciples 171, 321, 329s – des personnages mineurs 111, 145, 148, 151–154, 158–160, 168, 308, 386 – de Pierre 65 – thème 145, 159, 298 Baptême – chrétien 208, 391s, 394s, 398 – de Jean 183 – de Jésus 153, 204, 295, 298s, 307, 317, 348, 373, 397s, 401–402 Caractérisation 28, 98, 135, 283, 293, 347, 349, 362 Christ voir Messie Christologie 44, 56, 64, 87–89, 113, 119, 132, 134–139, 303, 307, 317, 343, 368s, 373, 406, 411 Cochon(s) – du point de vue juif 59, 60, 97, 99, 194–196, 199, 211, 242, 341, 455 – du point de vue non juif 154, 197s, 217, 219, 274, 277 – symbolique militaire 71, 226s, 230, 233, 236, 237
Index des sujets Commencement 114, 163, 315, 322, 345, 373–376, 379, 387 Communauté qumrânienne voir Yahad Compassion 63, 70, 85, 112–116, 130, 157, 159, 162, 168–172, 201, 210, 238–239, 246, 252, 328, 331, 377, 413 Conflit d’interprétation 104, 108, 128, 156, 163, 166, 323s, 327 Crainte voir Peur Critique des formes 35–38, 46, 59, 66 Critique des sources 2 Critique rédactionnelle 35–38, 43-52 David – exorciste 106, 256, 279–282, 297, 301 – fils de 214, 224, 243, 292, 306, 308, 346, 407, 411, 413 Décapole 12, 63, 65, 71, 73, 78, 121, 135, 168, 331, 339, 380, 416, 469 Déconstruction 6, 91, 96, 155, 301, 370, 388 Démon(s) – dans un animal 58 – dupé 44, 57, 58, 100 – dans les écrits intertestamentaires 260–263, 280, 288–291, 301 – dans les écrits rabbiniques 279, 282, 300s – dans la littérature non juive 94, 193, 257s, 263, 267, 275–277 – dans la LXX 56, 211, 255–259 – emploi métaphorique 213, 228, 258 – dans le NT 200, 264–267, 299, 323, 398 Disciple(s) 36, 80, 88, 99, 105, 107, 114, 153, 157–162, 168–173, 184, 206, 244, 247, 251, 308–309, 325, 328–355, 360s, 371s, 375s, 396s, 399, 403–405, 408s, 416–418 Douze (les) 97, 114, 169, 244, 323, 330–332, 336, 343, 403 Empire 213s, 218, 222, 229–234, 249, 252, 273, 389, 413 Eschatologie 41, 51, 53, 57, 59s, 89, 101s, 155, 179–181, 183, 201–207, 214, 224, 233, 238–246, 250s, 258,
573
289, 292, 294, 302–305, 308–311, 321s, 343, 361, 374, 387, 397s, 403, 406s, 410s, 414, 417s, 422 Esprit voir aussi Démon(s) – d'un défunt 192, 260, 265 – de Dieu 203–207, 245, 264, 272, 295, 299, 397s – impur/malveillant 191–194, 204, 255s, 261–267, 272, 275–281, 286, 288–291, 299s, 304 Esséniens 179–181, 183s, 200, 281, 365, 375, 388, 390 Évangile (Bonne Nouvelle) 118, 163, 237, 372, 400, 418–422 Évangile secret de Marc 393 Exorcisme – dans l'AT 286s, 452 – dans les écrits intertestamentaires 289 – dans les écrits rabbiniques 280, 282, 286s, 301 – dimension eschatologique 51, 53, 59, 101s, 206, 239, 292, 302–305, 398 – Flavius Josèphe 280s, 283, 451 – fonction littéraire 35, 64, 108, 119, 128s, 137, 155, 156, 233, 245s, 292– 297, 298–301, 309s – dans la littérature non juive 106, 198, 263, 273–277 – à Qumrân 279–281, 286–291, 303 – schéma typique du récit 39 Femmes – personnage collectif 352, 380, 381 – au tombeau 252, 354, 369, 379–382, 385–388 Fils de David voir David Fils de l’Homme 101, 105, 119, 205, 243, 248, 250, 306, 371, 406, 409– 414 Fuite – des femmes 367, 384–388 – du jeune homme 359–366, 387 Galilée 10s, 214–219, 222, 230, 320s, 374s Gérasa 12, 24, 46s, 78, 88, 187, 217, 227
574
Index des sujets
Herméneutique universaliste 71, 209 Identification voir Assimilation Incompréhension – des disciples 91, 108, 300, 325, 333s, 344, 349 – des personnages de l'évangile 91, 108, 146, 298, 343, 383–385, 426 Intrigue 123–125, 127s, 151, 319 Intronisation 248, 250, 300, 397, 406s, 410–412, 414–416 Ironie 88s, 96, 107, 148s, 152–155, 166, 340, 400, 404 Jérusalem 180s, 187, 190, 193, 195, 202s, 215–217, 224, 226, 231, 301, 321, 343, 383, 407 Jésus de l’histoire 34, 40s, 67, 69, 114, 183, 189, 202, 205, 233, 244s, 291s, 305, 338 Jeûne 205, 283, 350, 343, 405 Kérygme voir Proclamation Lecteur construit 131, 150, 152, 155, 157, 160, 170–174, 340, 369, 373, 377 Lecteur encodé 131–133, 147, 150– 156, 161, 165, 170–174, 200, 362, 369, 372s, 377 Lecture en boucle 17, 74, 320, 357, 372, 375–377, 382, 388, 395, 416s Légion 26, 101, 194, 226, 230, 232 Magicien 35, 269, 271–277, 292, 294, 297 Maskil 286, 289, 304 Mazdéisme 257, 258 Messie 53, 202, 214, 243, 248, 250, 289, 291, 305, 310, 373, 403, 407, 411, 413 Mimesis 137, 168, 305 Miracle 34s, 39, 71, 103, 264, 270, 273, 278, 281–284, 299, 302, 324, 335 Miséricorde voir Compassion Montagne 82, 97s, 169, 236, 289, 318, 331 Mystère(s)
– de Bacchus 275 – de Jésus 108, 332, 334, 383, 422 – du Royaume 113, 152, 155s, 247, 298, 324, 332, 417, 419 – de Sérapis 390 Nouvel Exode 71, 234, 236–240, 246, 248, 250, 252, 306, 328, 412s Nudité 47, 105, 239, 360, 362, 365, 399 Parousie 11, 14, 229, 375, 407, 412, 415, 418, 420–421 Passion de Jésus 321, 361 Personnages mineurs 153, 294, 331, 336–338, 341–343, 345–352, 355 Peur 59, 63, 72, 83, 104, 107, 120, 145s, 171, 226, 235, 248, 258, 326s, 335–367, 382s, 385–387, 419 Pharisiens 179, 182s, 200, 203, 207, 231, 248, 309, 337, 339 Points de vue (littéraire) 140–151, 166, 173, 345, 347, 409 Proclamation 68, 92, 113s, 129, 135, 137, 159, 163, 209, 233, 372, 382, 385, 386, 400, 416s, 419, 421 Qumrâniens 179–182, 204s, 207, 243, 416 Reconfiguration 6, 151, 155, 338, 426 Royaume de Dieu 70, 229, 264, 302, 303, 411, 413 Sadducéens 183s, 221, 231 Sainteté 178–183, 201–209, 339 Salomon 275, 281–289, 297, 301s, 453 Sanhédrin 231, 410 Satan 239, 256, 261–265, 286, 289s, 300, 302s, 305, 309, 333, 397 Schéma quinaire 124s Secret messianique 7, 38, 64 Silence (imposition du) 64, 117, 272, 274, 323 Source des paroles (Q) 33s, 251, 281, 304, 417 Suivance 100, 160, 309, 318, 332, 334, 309, 375–377, 382, 399, 407, 417, 419, 423
Index des sujets Synkrisis 152, 158, 160, 167, 171, 224, 318s, 328, 342 Telling / Showing 86, 136, 346 Temple 73, 78, 110, 179–190, 203, 207, 210, 217, 231, 237, 285, 288s, 308, 321, 383, 390, 395, 404, 407– 411, 416
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Transfiguration de Jésus 307, 317, 391 Vêtement 106, 164, 351, 364s, 388s, 391, 393, 396, 398s Yahad 179–181, 201, 204, 207, 241, 290