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French Pages 259 [254] Year 2013
Du noyau atomique au re´acteur nucle´aire La saga de la neutronique franc¸aise
Paul Reuss
Illustration de couverture : visualisation des trajectoires de 144 neutrons e´mis par 9 sources ponctuelles dans un milieu « noir », c’est-a`-dire purement capturant. Dessin re´alise´ par la me´thode de Monte-Carlo et inspire´ du wall drawing (dessin mural) # 289 (1976) de l’artiste ame´ricain Sol LeWitt (1928-2007), expose´ en 2012 au centre Pompidou de Metz.
Imprime´ en France ISBN : 978-2-7598-0739-0 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous proce´de´s, re´serve´s pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des aline´as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement re´serve´es a` l’usage prive´ du copiste et non destine´es a` une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute repre´sentation inte´grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite « (aline´a 1er de l’article 40). Cette repre´sentation ou reproduction, par quelque proce´de´ que ce soit, constituerait donc une contrefac¸on sanctionne´e par les articles 425 et suivants du code pe´nal. Ó EDP Sciences 2013
Pour les quatre-vingts ans de la neutronique, je de´die cette « saga » aux nombreuses personnes, jeunes et moins jeunes, qui ont de´couvert cette science au travers de mes cours, confe´rences et livres. J’espe`re qu’elles prendront plaisir a` la revisiter d’une fac¸on un peu diffe´rente.
Un chaleureux merci a` mes amis Michel, Mireille et Serge pour leur lecture attentive du manuscrit et leurs nombreuses suggestions. P. R.
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Table des matie`res
Avant-propos ...........................................................................................
1
Partie 1 Les bases physiques de la neutronique .............................
3
Chapitre 1 d Qu’est-ce que la neutronique ?...........................................
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Une approche intuitive de la neutronique. Quelques ordres de grandeur concernant les re´acteurs ´electronucle´aires et la population de neutrons qui assurent la re´action en chaıˆne de fissions. Comment traiter cette population neutronique ? L’e´quation de Boltzmann. Re´soudre cette e´quation est difficile du fait de la complexite´ a` la fois des probabilite´s d’interaction neutron-matie`re et des ge´ome´tries adopte´es dans les re´acteurs.
Chapitre 2 d La de´couverte du neutron ne´cessitera vingt ans d’efforts ...
13
A` l’origine, la neutronique ne fut qu’une branche de la physique nucle´aire qui elle-meˆme ne fut qu’une branche de la physique atomique : ainsi cette saga se doit de commencer en e´voquant De´mocrite et les controverses, durant deux mille´naires, autour de la the´orie atomique. La de´couverte de la radioactivite´ par Becquerel (1896) est l’acte de naissance de la physique nucle´aire. Mais il sera
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Du noyau atomique au re´acteur nucle´aire
difficile ensuite de de´partager les deux hypothe`ses possibles sur la structure des noyaux. La de´couverte du neutron par Chadwick (1932) marquera la ve´ritable naissance de la neutronique.
Chapitre 3 d La diffusion, le ralentissement et l’absorption des neutrons
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De`s la de´couverte du neutron, les physiciens, notamment Fermi a` Rome, s’inte´resse`rent aux interactions entre cette particule et la matie`re. Ils de´couvrirent rapidement que l’absorption neutronique par les noyaux se fait aise´ment, et d’autant mieux que la vitesse du neutron est faible. Ils de´couvrirent aussi qu’il est facile de ralentir un neutron en le laissant diffuser dans un mate´riau peu absorbant et constitue´ de noyaux legers.
Chapitre 4 d La de´couverte de la fission..................................................
33
L’e´nigme de l’absorption neutronique par l’uranium... et sa solution, la fission. L’e´nergie de liaison des noyaux, variable selon leur masse, explique la libe´ration d’e´nergie par la fission... et indique une autre voie, celle de la fusion. Cette dernie`re semble difficile. Mais l’e´mission de neutrons secondaires lors de la fission sugge`re l’ide´e d’une re´action en chaıˆne.
Chapitre 5 d Le concept de re´action en cha^ne .......................................
41
Les neutrons secondaires et le principe de la re´action en chaıˆne. Les brevets de Joliot et ses collaborateurs. La de´couverte des neutrons retarde´s : les re´acteurs seront des machines faciles a` piloter.
Chapitre 6 d CP1, la premie`re pile atomique .........................................
49
Le re´glage de la re´activite´. Les deux voies possibles pour une re´action en chaıˆne. Le choix d’un mode´rateur. La formule des quatre facteurs. L’e´quation de la diffusion. L’approche sous-critique et la divergence, le 2 de´cembre 1942, de la premie`re pile de Chicago.
Chapitre 7 d Le plutonium, les produits de fission .................................
61
Les premiers re´acteurs de grande puissance, producteurs de plutonium. La de´couverte de l’effet xe´non. Les produits de fission. Le samarium 149.
Chapitre 8 d La ge´ne´ration « ze´ro » de re´acteurs ...................................
71
De`s la fin de la guerre, les grandes puissances s’inte´resse`rent a` l’utilisation de l’e´nergie nucle´aire pour la production d’e´lectricite´. Mais quelle filie`re choisir ? La ge´ne´ration « ze´ro » montre quelques he´sitations. C’est aussi a` cette ´epoque que paraissent les premiers ouvrages de neutronique.
Chapitre 9 d Le Commissariat a` l’e´nergie atomique, la pile Zoe´ ............ La cre´ation du Commissariat a` l’e´nergie atomique. La pile Zoe´. Les re´acteurs expe´rimentaux. Les premiers pas de la neutronique française.
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Table des matie´res
Chapitre 10
d
Le paradigme de la neutronique, le re´seau infini et re´gulier.............................................................................
87
Cellules et re´seaux, la structure caracte´ristique des cœurs de re´acteurs. Le mode fondamental. Les premiers enseignements de neutronique en France.
Chapitre 11
d
Du calcul de re´seau au calcul de cœur ............................
93
E´le´ments de la the´orie des facteurs p, f et g. Les calculs de cœur. Les principaux effets de tempe´rature. Les piles Marius et Ce´sar.
Chapitre 12
d
L’e´volution des noyaux lourds et la proble´matique du plutonium........................................................................ 103
Les proprie´te´s du milieu multiplicateur de neutrons constituant le cœur d’un re´acteur e´voluent au cours du temps, en particulier avec l’apparition du plutonium. Pour conserver une re´activite´ suffisante, on ne peut pas e´puiser totalement les matie`res fissiles des combustibles nucle´aires. La question se pose donc de retraiter le combustible irradie´ pour y re´cupe´rer ces matie`res, et plus spe´cialement le plutonium. La perspective se´duisante de la surge´ne´ration.
Chapitre 13
d
La premie`re ge´ne´ration de re´acteurs ................................ 111
Les re´acteurs de la filie`re uranium naturel - graphite - gaz. Une neutronique ambitieuse mais une capacite´ des ordinateurs encore limite´e ne´cessiteront une grande inge´niosite´ dans les mode`les de calcul.
Interlude.................................................................................................. 121 Chapitre 14
d
Les re´acteurs d’Oklo ........................................................ 123
On de´couvrit en 1972 que l’Homme n’avait pas invente´ le re´acteur nucle´aire : la Nature l’avait fait deux milliards d’anne´es avant lui !
Partie 2 L’e`re industrielle de la neutronique.................................. 127 Chapitre 15
d
La neutronique expe´rimentale ......................................... 129
Comme dans toutes les sciences physiques, les the´ories de la neutronique doivent en permanence ˆetre confronte´es et valide´es par des re´sultats expe´rimentaux. La particularite´ de la neutronique est qu’outre les mode`les mathe´matiques, elle fait appel a` de tre`s nombreuses donne´es nucle´aires issues pour l’essentiel de mesures. On sera ainsi amene´ a` distinguer les « mesures diffe´rentielles » concernant les donne´es nucle´aires et les « mesures inte´grales » concernant des grandeurs neutroniques (taux de re´action, facteur de multiplication...) qui, en pratique, s’expriment avec des inte´grales portant sur des donne´es nucle´aires.
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Du noyau atomique au re´acteur nucle´aire
Chapitre 16
d
La deuxie`me ge´ne´ration de re´acteurs............................... 137
On a pu assister a` fin des anne´es 1960, en France, a` une « guerre » entre la filie`re française uranium naturel - graphite - gaz et la filie`re ame´ricaine des re´acteurs a` eau : c’est finalement cette dernie`re qui l’emportera. Cela entraıˆnera des re´orientations des spe´cialistes et des codes de calcul. En paralle`le, l’inte´reˆt pour les re´acteurs a` neutrons rapides se maintient.
Chapitre 17
d
... et la deuxie`me ge´ne´ration des codes de neutronique .. 143
Impulse´e par le lancement de la deuxie`me ge´ne´ration de re´acteurs et accompagne´e des de´veloppements de l’informatique et de l’analyse nume´rique, la neutronique va voir de profonds changements dans sa façon d’aborder les proble`mes et dans sa pratique quotidienne. Les premiers ouvrages de re´fe´rence en français sur la neutronique.
Chapitre 18
d
La pre´paration de la troisie`me ge´ne´ration de re´acteurs...
153
Pendant la vingtaine d’anne´es de mise en place, en France, du parc de re´acteurs a` eau sous pression, puis le de´but du XXIe sie`cle, les neutroniciens durent faire face a` de nouveaux de´fis lance´s par les concepteurs et inge´nieurs du parc : allongement des dure´es d’irradiation, utilisation de poisons consommables, introduction du « mox » (combustible a` plutonium)... La troisie`me ge´ne´ration de re´acteurs se pre´pare.
Chapitre 19
d
... et la troisie`me ge´ne´ration de codes de neutronique .... 161
Les nouveaux de´fis lance´s par les inge´nieurs aux neutroniciens oblige`rent ces derniers a` perfectionner leurs codes de calcul. Cependant une dynamique propre entraıˆne´e par les progre`s de l’informatique et de l’analyse nume´rique s’est poursuivie. Validation et qualification.
Chapitre 20
d
La quatrie`me ge´ne´ration de re´acteurs... et les suivantes... 171
Si l’on a pu parler, au de´but de notre sie`cle, de « renaissance du nucle´aire » avec le Forum international ge´ne´ration 4 et un inte´reˆt renouvele´ de nombreux pays pour cette e´nergie, l’accident de Fukushima a marque´ un coup d’arreˆt. Il est trop toˆt a` l’heure ou` sont ´ecrites ces lignes pour dire si l’e´lan est de´finitivememt brise´. Il est clair en tout cas que l’enthousiasme des neutroniciens ne l’est pas comme peuvent en te´moigner les travaux sur les six concepts retenus par le Forum et le projet Astrid, la spallation avec notamment le projet Myrrha et la fusion avec la machine Iter.
Chapitre 21
d
Les e´tudes de protection contre les rayonnements et le risque de criticite´ ............................................................. 179
Le risque principal et spe´cifique du nucle´aire est celui de l’exposition aux rayonnements e´mis par les produits radioactifs. C’est la raison pour laquelle il faut que les inge´nieurs soient capables de calculer correctement la propagation des rayonnements et de concevoir les ´ecrans susceptibles de les arreˆter. Ils doivent
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Table des matie´res
par ailleurs s’appliquer a` pre´voir les accidents susceptibles de se produire dans une installation nucle´aire — re´acteur ou autre — et risquant de laisser s’e´chapper des produits radioactifs. Ces proble`mes interpellent aussi la neutronique et les sciences connexes.
Chapitre 22
d
Les neutrons comme outils d’exploration........................ 189
En termes d’investissement industriel, c’est dans la physique des re´acteurs que la neutronique a trouve´ son application principale et c’est celle qui a essentiellement e´te´ de´veloppe´e dans les chapitres pre´ce´dents. Elle ne doit toutefois pas faire oublier les applications dans la recherche et le controˆle de composants, ou` les faisceaux de neutrons constituent un outil absolument irremplaçable d’exploration de la matie`re. Ce chapitre donnera un aperçu des nombreuses techniques qui ont e´te´ de´veloppe´es.
Chapitre 23
d
La neutronique des armes nucle´aires ............................... 199
La neutronique des armes est, pour des raisons e´videntes, peu divulgue´e. Ce chapitre se limitera donc a` quelques ge´ne´ralite´s sur ses spe´cificite´s : une e´quation de Boltzmann ´evolutive, un fort facteur de multiplication, une cine´tique tre`s rapide, un de´marrage ale´atoire de la re´action en chaıˆne ne´cessitant un re´glage pre´cis de l’instant d’injection des neutrons. Variantes pour l’obtention d’une situation surcritique.
Chapitre 24
d
Les perspectives de la neutronique .................................. 207
La neutronique adoptera-t-elle le syste`me international d’unite´ et corrigera-t-elle son jargon ? Il sera difficile de revenir sur ces habitudes. Verra-t-on disparaıˆtre le calcul de´terministe ? L’auteur ne le pense pas... et ne le souhaite pas. Mais il est clair que le calcul « HPC » prendra de plus en plus d’importance en neutronique... Il faut toutefois rester conscient du danger que cela pre´sente et ne jamais perdre de vue la physique.
Annexes ................................................................................................... 215 Bibliographie ........................................................................................... 217 Index des personnes cite´es ...................................................................... 223 Index des re´alisations (installations, projets, sites nucle´aires, organismes, socie´te´s, associations, enseignements, livres [italiques] et codes de calcul [petites capitales]) ...................................................... 233 Index des the`mes et notions physiques .................................................. 241
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Avant-propos Ceci n’est pas l’œuvre d’un historien mais le vécu d’un physicien qui a traversé les principales étapes des développements de la neutronique. C’est la raison du choix du terme « saga ». Cette saga ne prétend ni à l’objectivité — en particulier, « l’École française de neutronique » sera sans doute privilégiée — ni à l’exhaustivité — en particulier dans les noms cités.
Le développement des réacteurs nucléaires a commencé dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. Leur fonctionnement est fondé sur une réaction en chaîne de fissions : outre la libération d’énergie, deux ou trois neutrons sont émis lors de chaque fission ; après un cheminement plus ou moins compliqué dans le système, quelques-uns d’entre eux provoqueront de nouvelles fissions, émettant de nouveaux neutrons... et ainsi de suite : c’est la réaction en chaîne. La neutronique — néologisme bâti sur le modèle d’électronique — est la branche de la physique qui étudie ces phénomènes et permet d’en calculer les caractéristiques. Contrairement à l’électronique qui est bien connue grâce à ses nombreuses applications grand public, la neutronique est restée assez confidentielle car elle n’a guère d’autre application que celle des réacteurs nucléaires ; ces machines sont souvent perçues commes mystérieuses et incompréhensibles en dehors d’un petit cercle de spécialistes.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Cette perception est évidemment inexacte. Comme toutes les autres sciences, la neutronique suppose quelques efforts pour être appréhendée. Mais comme toutes les autres sciences, elle a ses beautés qui méritent un tel effort. Hormis quelques paragraphes dans les livres de vulgarisation sur l’énergie nucléaire, et un titre, aujourd’hui épuisé, de la collection Que sais-je ? des Presses universitaires de France, il n’existe pas, en français, d’ouvrage présentant la neutronique à un large public. C’est ce manque que je cherche à combler ici. J’ai choisi une approche historique présentant les différentes facettes de la neutronique à peu près dans le même ordre que celui des découvertes et développements successifs des scientifiques. Mais je précise qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une histoire de la neutronique. C’est pourquoi j’ai préféré parler de saga. Je n’ai pas, en effet, la compétence d’un historien ; en revanche, je peux me targuer de bien connaître la neutronique, puisque je la pratique depuis une cinquantaine d’années au travers des développements auxquels j’ai participé au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) — aujourd’hui, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives — et des nombreux enseignements que j’ai animés, notamment au sein de l’unité du CEA dont c’est la mission, l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN). Ayant travaillé en France, je privilégierai dans cette saga « l’École française de neutronique ». Mais la neutronique n’a pas de patrie et ce qui se fait ailleurs n’est guère différent de ce qui se pratique en France. Mes diverses activités m’ont amené à cotoyer de très nombreux neutroniciens. J’en évoque quelques-uns dans ces pages, mais il clair qu’il n’était pas possible de tous les citer et j’ai décidé de me limiter, pour illuster mes propos, à ceux que j’ai le mieux connus. Que ceux qui ne trouveront pas leur nom dans les pages qui suivent sachent que cela n’est pas un manque de reconnaissance mais seulement la conséquence d’une contrainte pratique : celle de ne pas lasser le lecteur. J’ai indiqué dans l’index non seulement les numéros de page où sont citées les personnes, mais aussi leurs dates, dans la mesure où j’ai pu les trouver. La lecture de cette Saga de la neutronique peut se faire à deux niveaux. Le lecteur ne recherchant qu’un aperçu pourra se limiter sans inconvévient aux seuls passages transcris en blanc. Le lecteur plus exigeant sur les détails et pas trop rebuté par le formalisme mathématique pourra aussi se plonger dans les encadrés présentés en grisé. Le premier chapitre donne un aperçu de ce qu’est la neutronique et comment elle intervient dans la physique des réacteurs nucléaires. Les chapitres que suivent reprennent l’affaire à ses origines et présentent les acquis successifs. La première partie parle des découvertes, la seconde des développements ; entre les deux, l’interlude évoque les réacteurs fossiles d’Oklo. Le chapitre sur la neutronique expérimentale faite en soutien à tous les développements sera placé en charnière entre ces deux parties, juste après l’interlude. Les trois chapitres présentant des aspects connexes à l’électronucléaire — les études de protection et criticité, l’utilisation des neutrons dans la recherche et la neutronique des armes — termineront l’ouvrage avant sa conclusion.
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Qu’est-ce que la neutronique ? Une approche intuitive de la neutronique. Quelques ordres de grandeur concernant les réacteurs électronucléaires et la population de neutrons qui assurent la réaction en chaîne de fissions. Comment traiter cette population neutronique ? L’équation de Boltzmann. Résoudre cette équation est difficile du fait de la complexité à la fois des probabilités d’interaction neutron-matière et des géométries adoptées dans les réacteurs.
Il y a en France quelques milliers de personnes qui connaissent la neutronique, quelques centaines qui la pratiquent, quelques dizaines qui la développent et aussi quelques dizaines qui l’enseignent (souvent les mêmes). Pour le monde entier, il faudrait à peu près multiplier par dix ces ordres de grandeur. Comme cela a été évoqué dans l’avant-propos, la neutronique est l’étude et le calcul des phénomènes gouvernant le cheminement des neutrons et, plus particulièrement, la réaction en chaîne et la génération de puissance dans un réacteur nucléaire. La figure 1.1 donne une idée intuitive du cheminement chaotique d’un neutron dans la matière : le neutron voyage en ligne droite tant qu’il ne percute pas un noyau d’atome ; alors, c’est soit une diffusion, soit une absorption ; si c’est une diffusion, le neutron poursuit sa route dans une autre direction ; si c’est une absorption, elle met fin à l’histoire du neutron. En somme, la neutronique n’est autre qu’un jeu de billard
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
à trois dimensions dans lequel des myriades de boules (les neutrons) sont lancées dans un espace plein d’obstacles (les noyaux atomiques). Le neutron — l’un des constituants des noyaux atomiques — a une taille de l’ordre de 10−15 m. Il n’interagit qu’avec les noyaux des atomes, d’une taille similaire, c’est-àdire des objets qui auraient la dimension d’une framboise si l’on grossissait l’atome à la taille d’un terrain de football. C’est dire qu’un neutron a peu de chances d’interagir avec un noyau lorsqu’il traverse la matière. Effectivement, il doit traverser quelque cent millions d’atomes, soit un centimètre de matière solide ou liquide, avant de percuter un noyau. En d’autres termes, la figure du cheminement d’un neutron est à peu près à l’échelle 1.
Figure 1.1 Cheminement typique de neutron dans la matière, projeté sur un plan (ici avec 77 diffusions entre l’émission et l’absorption).
On peut dire à la fois qu’il y a beaucoup et pas beaucoup de neutrons dans un réacteur nucléaire. Sur l’exemple d’un réacteur à eau sous pression de 1 450 MW électriques (schématisé à la fin de ce chapitre), soit 4 350 MW thermiques, et sachant qu’il faut 3,1.1010 fissions pour obtenir un joule, on calcule que 1,3.1020 fissions se produisent par seconde. Chaque fission émettant en moyenne 2,4 neutrons, cela fait 3,2.1020 neutrons émis chaque seconde, et autant de figures de migration similaires à celle qui vient d’être présentée ! Ces neutrons effectuent ce parcours en 1,5.10−5 s en moyenne et se dispersent dans la quarantaine de mètres cubes qu’occupe le cœur du réacteur. Il y en a ainsi en permanence de l’ordre de 105 neutrons par mm3 . On peut ainsi dire qu’il y a beaucoup de neutrons.
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1. Qu’est-ce que la neutronique ?
Toutefois, si l’on compare au nombre d’atomes, les neutrons sont très peu nombreux, puisque dans la matière solide ou liquide usuelle se trouvent quelque 1019 atomes par mm3 , soit 1014 fois plus que de neutrons. La population des neutrons apparaît ainsi comme un gaz extrêmement dilué qui se répand au sein de la matière... un peu comme le sucre dans une tasse de café. Comment traiter la population neutronique ? Le problème essentiel de la neutronique sera, en effet, de mettre en équation ce « gaz » et, si possible, de résoudre ensuite l’équation. Deux approches diamétralement opposées dans leur principe sont envisageables et sont effectivement utilisées en pratique. L’approche dite déterministe consiste à supposer infini l’effectif des neutrons, c’està-dire à négliger les fluctuations de caractère statistique, qui sont effectivement certainement faibles si l’on se réfère aux ordres de grandeur qui viennent d’être donnés. Cette approche est similaire à celle qu’on utilise dans les équations de l’hydraulique où les molécules d’eau ne sont pas individualisées. C’est aussi l’approche qu’a développée Ludwig Boltzmann dans une équation relative aux gaz écrite en 1879 et restée fameuse. Comme les neutrons se comportent comme un gaz dilué, les neutroniciens n’ont eu qu’à la reprendre en adaptant les termes à leur problème (voir l’encadré 1). Même si sa résolution pose de nombreuses et importantes difficultés, l’intérêt de cette équation est qu’elle est rigoureuse. Peu de physiciens jouissent d’un tel privilège ! L’approche dite probabiliste, plus connue sous la dénomination de méthode de Monte-Carlo, s’apparente à des sondages d’opinion. L’idée d’un sondage d’opinion est d’interroger un « échantillon représentatif » par exemple 1 000 personnes bien choisies, ce qui est moins coûteux que d’interroger la population complète. De même, l’application de la méthode de Monte-Carlo en neutronique consiste, à l’aide d’un ordinateur, à simuler le plus précisément possible le cheminement d’un certain nombre de neutrons. Ensuite, on fait des statistiques sur les « réponses ». Comme pour les sondages, l’information ainsi obtenue est d’autant plus précise que l’effectif des neutrons simulés est important. Mais, comme en tout état de cause il sera nécessairement fini, les informations sont toujours entachées d’une incertitude statistique. (Il en est de même pour les sondages d’opinion, mais généralement les médias oublient de le préciser !) Le gros intérêt de la méthode de Monte-Carlo en neutronique est que l’on peut simuler presque exactement le cheminement des neutrons en décrivant précisément la géométrie et les interactions nucléaires (qui se font au hasard, d’où le nom de la méthode). L’inconvénient de cette approche est sa lourdeur, puisqu’elle nécessite de traiter beaucoup d’histoires de neutrons. Remarque : c’est par un traitement probabiliste des divers événements aléatoires qu’a été construite la figure précédente illustrant le parcours d’un neutron ; il est clair qu’il faudrait répéter beaucoup de telles histoires pour avoir une vision correcte de la population neutronique. Les calculs que doivent faire les neutroniciens s’avèrent beaucoup plus difficiles que ceux qu’il faudrait faire pour savoir si le sucre s’est effectivement homogénéisé dans la tasse de café. Il y a à cela deux raisons : la première est que, contrairement aux
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
1
L’équation de Boltzmann Du fait de l’infime concentration des neutrons par rapport aux noyaux atomiques, les interactions neutron-neutron sont totalement négligeables devant les interactions neutron-noyau. Les conséquences sont intéressantes : en ce qui concerne l’approche déterministe, l’équation de Boltzmann pour les neutrons s’avère linéaire, ce qui facilite son traitement numérique. En ce qui concerne l’approche probabiliste, les histoires de neutrons sont indépendantes les unes des autres, ce qui permet de les traiter simultanément sur un ordinateur parallélisé et accélère grandement la simulation si cette machine possède de nombreux processeurs. La population des neutrons — l’inconnue du problème — est décrite par sa densité n qui dépend : • du point de l’espace r ; • de la vitesse des neutrons v ; ; • de leur direction de propagation • du temps t. En pratique, on utilise le « flux » (terme peu adéquat mais consacré par l’usage) : = vn. Les noyaux d’atomes sont caractérisés par leurs sections efficaces microscopiques σx pour les diverses réactions x : diffusion (scattering ) s et absorption a (capture c et fission f ). On définit les sections efficaces macroscopiques par : x (r ) =
Ni (r )σxi ,
i
où les Ni sont les concentrations, nombres d’atomes du milieu considéré par unité de volume. Elles permettent, par la relation :
Rx = x d’exprimer les divers taux de réaction (nombres de réactions par unité de volume et unité de temps).
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1. Qu’est-ce que la neutronique ?
Sous sa forme dite intégro-différentielle, l’équation de Boltzmann s’écrit : 1 ∂ (r , v, , t ) + div[ , t )] + (r , v ) (r , v, , t) (r , v, v ∂ t ∞ ) → (v, )] (r , v , , t ) dv d 2 s [r , (v , = 0 (4π) ∞ 1 , t ). χ(v ) dv νf (r , v ) d 2 (r , v , + 4π 0 (4π) Les trois lignes explicitent respectivement l’opérateur de transport, l’opérateur de diffusion et l’opérateur de production par fission ; les ν neutrons émis par fission le sont de façon isotrope sur les 4π stéradians et selon le spectre χ. Le lecteur n’est pas tenu de se souvenir de cette équation compliquée !
molécules de sucre, les neutrons s’étagent sur une vaste plage de vitesses. Ils sont émis par fission à environ 20 000 km/s. Les collisions successives qu’ils subissent généralement dans la matière vont progressivement les ralentir. En général, il se mettent presque en équilibre thermique avec la matière, c’est-à-dire ils terminent leur parcours à des vitesses de l’ordre de 2 à 3 km/s seulement. Ce spectre de vitesses est important à prendre en compte car les sections efficaces, caractérisant les probabilités d’interaction entre les neutrons et la matière, varient énormément et de façon compliquée avec la vitesse du neutron. La figure 1.2 en donne un exemple.
Figure 1.2 Exemple de courbe de section efficace : fission de l’uranium 235 induite par neutron E = 12 mv 2 est l’énergie cinétique du neutron et σ la section efficace (échelles logarithmiques) [Source : Précis de neutronique, page 75].
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
La deuxième raison qui fait que la neutronique est, en pratique, difficile est que les ingénieurs ont dû adopter, pour refroidir et optimiser les réacteurs nucléaires, des géométries compliquées, présentant généralement au moins deux niveaux d’hétérogénéité. Les figures 1.3 à 1.8 l’illustrent sur l’exemple des réacteurs à eau sous pression : noter qu’elles simplifient fortement la réalité, comme on le fait dans les modélisations nécessaires aux calculs (comparer les schémas à la photographie de l’assemblage de combustible).
Figure 1.3 Schéma de principe d’un réacteur à eau sous pression (REP) [Source : Parlons nucléaire, page 35].
Figure 1.4 REP type N4 : disposition des 205 assemblages de combustible [Source : Énergie, électricité et nucléaire, page 262].
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1. Qu’est-ce que la neutronique ?
Figure 1.5 Chaque assemblage fait environ 4 m de haut et 20 cm de côté [Source : Parlons nucléaire, page 41].
Figure 1.6 Un assemblage est constitué de 289 crayons (tubes en zirconium) dont 264 contiennent du combustible ; 24 tubes sont réservés aux barres de commande et le tube central au capteur de neutrons [Source : Parlons nucléaire, page 41].
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 1.7 Dans les crayons de combustible sont empilées des pastilles d’oxyde d’uranium [Source : Parlons nucléaire, page 41].
Figure 1.8 Photographie d’un assemblage de réacteur à eau sous pression [Source : EDF].
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La découverte du neutron nécessitera vingt ans d’efforts À l’origine, la neutronique ne fut qu’une branche de la physique nucléaire qui elle-même ne fut qu’une branche de la physique atomique : ainsi cette saga se doit de commencer en évoquant Démocrite et les controverses, durant deux millénaires, autour de la théorie atomique. La découverte de la radioactivité par Becquerel (1896) est l’acte de naissance de la physique nucléaire. Mais il sera difficile ensuite de départager les deux hypothèses possibles sur la structure des noyaux. La découverte du neutron par Chadwick (1932) marquera la véritable naissance de la neutronique.
La neutronique est à l’origine une simple branche de la physique nucléaire spécialisée dans les interactions neutron-noyau. Ensuite, avec l’étude de l’équation de Boltzmann, elle prendra son autonomie. Si l’on remonte un peu dans le passé, on constate de même que la physique nucléaire n’est, au départ, qu’une branche de la physique atomique. Pour découvrir la véritable origine de la neutronique, il faut donc remonter à l’histoire de la théorie atomique. Cette histoire étant bien connue, nous n’en rappellerons ici que quelques jalons. Il est de tradition d’attribuer au philosophe grec Démocrite la première esquisse de la théorie atomique de la matière. Environ 400 ans avant notre ère, Démocrite imagine que cette matière est formée de « grains » insécables qu’il appelle atomes (ne pouvant être coupés). Ces grains sont suffisamment petits pour ne pas être décelés dans une matière ayant l’apparence du continu, comme l’eau ; et, s’assemblant
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
de diverses façons, ils expliquent la grande diversité sous laquelle nous apparaît la matière. Démocrite aura des disciples... et de farouches opposants. Il faudra plus de deux millénaires pour affiner les indices en faveur de l’une ou l’autre des thèses. En l’occurence, les travaux des chimistes des XVIIIe et XIXe siècles, tels Antoine Laurent de Lavoisier ou John Dalton découvrant des rapports simples dans les réactions chimiques, ou encore Dimitri Ivanovitch Mendeleïev établissant sa table des éléments apportent des indices en faveur de la théorie atomique, toutefois sans convaincre définitivement l’ensemble de la communauté scientifique. L’élément décisif sera la découverte, à Paris, en 1896, de la radioactivité de l’uranium par Henri Becquerel — voir l’encadré 1 —, puis de celle de nouveaux éléments radioactifs (polonium, radium) par Marie et Pierre Curie. Après l’étude du rayonnement électronique, l’étude du rayonnement α (alpha) montre aussi une structure particulaire. Jean Perrin rassemble de nombreux autres indices pour étayer la théorie atomique, notamment en confrontant plusieurs méthodes de mesure du nombre d’Avogadro. On sait que l’atome doit contenir des électrons chargés d’électricité négative et qui peuvent être facilement émis, par exemple du filament d’une ampoule. Puisqu’il est neutre, l’atome doit également contenir de l’électricité positive pour compenser celle, négative, des électrons. Enfin, comme les électrons sont très légers en comparaison des atomes, il doit y avoir aussi au sein de l’atome de la masse. L’idée la plus simple que l’on peut s’en faire à partir de ces remarques — cette idée est proposée par le physicien britannique sir Joseph George Thompson — est une sphère à peu près homogène contenant ces divers « ingrédients ». Mais l’expérience de Rutherford va montrer que cette image est fausse. Dès la découverte de la radioactivité, les physiciens ont étudié les interactions des rayonnements radioactifs avec la matière. En 1911 notamment, Ernest Rutherford of Nelson, physicien britannique né en Nouvelle-Zélande, bombarde une feuille d’or avec des particules α et examine les déviations qu’elles subissent (fig. 2.2). Se référant au modèle atomique de Thompson, Rutherford s’attend à observer des déviations systématiques mais très faibles. L’expérience montre une situation totalement différente : • en grande majorité, plus de 999 sur 1 000, les particules α ne sont absolument pas déviées ; • les quelques particules qui sont déviées le sont généralement d’un angle important, pouvant même dépasser 90 degrés, c’est-à-dire correspondant à un renvoi en arrière. La conclusion qu’en tire Rutherford est que le modèle de Thompson est inadéquat. Les particules α ne traversent pas une matière à peu près homogène, mais voyagent comme dans le vide en percutant parfois un « grain dur » où se trouve concentré l’essentiel de la matière.
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2. La découverte du neutron nécessitera vingt ans d’efforts
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La découverte de Becquerel Henri Becquerel soupçonne que l’uranium exposé au soleil est susceptible d’émettre par phosphorescence des rayons X. Mais, ces jours-là, le soleil ne s’est pas montré et il s’attend à ne rien détecter. Cependant, le 1er mars 1896, il développe par acquis de conscience des plaques photographiques qui sont restées, dans un tiroir, au voisinage de sels d’uranium. Surprise, les plaques sont voilées ! Cherchant à comprendre ce qui s’est produit, Becquerel découvrira un phénomène totalement inconnu : la radioactivité.
Figure 2.1 La radiographie obtenue par Becquerel, dite de la croix de Malte [©ACJC - Fonds Curie et Joliot-Curie].
La radioactivité ne fait par à proprement parler partie de l’objet de ce livre. Il est nécessaire cependant d’en connaître les aspects essentiels, puisqu’ils interviennent dans la physique des réacteurs nucléaires. Ils sont rappelés dans le présent encadré, le suivant, ainsi que celui présentant les différents types de radioactivité, placé en fin de ce chapitre. La radioactivité est l’émission spontanée de rayonnements par certains corps chimiques. Dans le cas de l’uranium et du thorium, il s’agit de particules lourdes et chargées positivement que plus tard on appellera particules α (alpha) et qu’on identifiera à des noyaux d’hélium. Parmi les descendants de l’uranium et du thorium, on trouve d’autres éléments radioactifs, notamment le polonium et le radium. Quelques-uns d’entre eux se désintègrent aussi par émission d’électrons négatifs : c’est la radioactivité β (bêta). Accompagnant les rayonnements α et β, on repérera aussi des rayonnements γ (gamma) qui, eux, sont neutres ; il s’agit de rayonnements électromagnétiques plus énergétiques que la lumière et même les rayons X.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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Période radioactive Les désintégrations (ou décroissances) radioactives sont des processus aléatoires : la probabilité λ dt qu’un atome instable donné se désintègre pendant un laps de temps infinitésimal dt est proportionnelle à ce laps de temps ; la constante de proportionnalité λ est la constante radioactive. Il en résulte la loi de décroissance : N (t ) = e −λt , N (0) où N (0) est le nombre d’atomes radioactifs à l’instant initial et N (t ) le nombre d’atomes encore présents à l’instant ultérieur t. Cette loi montre que le laps de temps au bout dequel l’effectif s’est réduit de moitié est : 0,693 ln 2 = T = . λ λ Ce laps de temps est appelé « période radioactive ». Pour un corps radioactif donné, cette loi est indépendante des conditions physico-chimiques. Si la loi mathématique est universelle, les périodes sont d’ordres de grandeur très différents selon les exemples : entre des milliards d’années et une fraction de seconde !
Figure 2.2 Principe de l’expérience de Rutherford (1911).
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2. La découverte du neutron nécessitera vingt ans d’efforts
Figure 2.3 Image de l’atome « système solaire » proposée par Bohr, Rutherford et Perrin (ici, atome d’oxygène : un noyau entouré de huit électrons. Remarque : les « astres », notamment le noyau, devraient être quelque mille fois plus petits ! [Source : Parlons nucléaire, page 27].
Avec le physicien danois Niels Bohr, Rutherford propose une image qui sera popularisée par Jean Perrin dans son livre paru en 1913 Les atomes, celle d’un petit système solaire (fig. 2.3) : • au centre, le noyau, minuscule, où se trouvent à la fois l’électricité positive et l’essentiel de masse ; • autour, un nuage de très légers électrons porteurs d’électricité négative. Comme le montre aussi Jean Perrin dans son livre, un ensemble d’expériences ingénieuses vont permettre de déterminer les dimensions : environ 10−8 cm pour les atomes ; quelque 10−13 cm pour leurs noyaux. Comme ces derniers contiennent presque toute la masse des atomes, leur densité est absolument faramineuse : de l’ordre de 1014 g/cm3 ! Niels Bohr est très conscient de l’insuffisance de ce modèle « système solaire » : on comprend bien que les électrons soient retenus par le noyau grâce à la force centripète électrique, puisque des charges électriques de signe contraire s’attirent ; mais on sait aussi que toute charge électrique soumise à une accélération émet du rayonnement, donc de l’énergie. En une très petite fraction de seconde, les électrons devraient ainsi tomber sur le noyau et l’atome s’effondrer. Or on sait bien que la matière, donc les atomes, peuvent perdurer indéfiniment ; Bohr en conclut que la physique habituelle ne peut pas s’appliquer telle quelle aux atomes : en améliorant le modèle, il deviendra ainsi l’un des principaux initiateurs de la physique quantique. On connaît l’extraordinaire essor que cette nouvelle physique aura par la suite. Hormis sa densité inimaginable, le noyau doit être porteur d’électricité positive. En effet, le numéro atomique Z d’un élément, c’est-à-dire sa position dans la classification établie en 1869 par Mendeleïev, est aussi le nombre d’électrons du nuage entourant le noyau ; comme l’atome est normalement neutre, le noyau doit contenir Z charges élémentaires positives pour compenser les Z charges élémentaires négatives des Z électrons. Par ailleurs, on a remarqué que la masse
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
des atomes (à très peu près, celle des noyaux) est généralement proche d’un multiple entier A de la masse d’un atome d’hydrogène, le plus léger des atomes connus. Sauf pour l’hydrogène (A = Z = 1), le nombre A est toujours plus grand que Z . Comment expliquer cela ? Deux hypothèses furent évoquées durant le premier quart du xx e siècle. La première est la plus « économe », puisqu’elle ne fait intervenir que deux particules élémentaires : elle explique la masse et la charge en supposant que le noyau est formé de A protons — noyaux d’hydrogène chargés positivement expliquant la masse — et de (A − Z ) électrons — chargés négativement, rétablissant la charge correcte Z . La difficulté que soulève cette hypothèse est que l’on comprend mal comment des mêmes particules, les électrons, peuvent jouer deux rôles aussi dissemblables : d’une part, Z électrons tournant autour du noyau, comme les planètes autour du Soleil ; d’autre part, (A − Z ) électrons s’associant intimement aux protons dans le noyau. La seconde hypothèse élimine cette difficulté, en faisant intervenir non pas deux mais trois particules élémentaires : aux électrons et aux protons, on ajoute les neutrons de masse équivalente à celle des protons mais sans charge électrique. Les nombres entiers A et Z s’expliquent en plaçant dans le noyau Z protons et N = A − Z neutrons. Hormis la charge électrique, les protons et les neutrons sont semblables ; ils sont regroupés sous le terme générique de « nucléons » (fig. 2.4). (Voir les encadrés 3 et 5) Cette seconde hypothèse, qui avait été envisagée depuis longtemps, s’avèrera l’hypothèse correcte, mais il faudra attendre l’expérience et les mesures faites en 1932 par le physicien britannique James Chadwick pour en apporter la preuve définitive. L’année 1932 est ainsi l’année de naissance de la neutronique ! C’est le début de notre « saga ». Comme le faisait déjà Rutherford une vingtaine d’années plus tôt, Chadwick étudie l’interaction des particules α avec la matière. Mais alors que Rutherford examinait la diffusion, on s’intéresse maintenant plutôt aux « vraies » réactions, c’est-àdire celles où la particule α pénètre réellement dans le noyau-cible et y induit une transformation, dite « réaction nucléaire ». Une telle réaction conduit généralement
Figure 2.4 Le noyau atomique peut être imaginé comme un petit « sac de billes » ou une « framboise » ; il y a deux sortes de « billes » ou « grains » (nucléons) : les protons (marqués d’un « + » ) et les neutrons ; ici, noyau d’oxygène formé de huit protons et de huit neutrons (quatre nucléons sont cachés) [Source : Parlons nucléaire, page 27].
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2. La découverte du neutron nécessitera vingt ans d’efforts
3
Isotopes et nucléides La plupart des éléments chimiques sont un mélange de plusieurs isotopes : leurs noyaux ont tous le même nombre Z de protons mais diffèrent par le nombre N de neutrons associés aux protons. Exemple : les deux principaux isotopes de l’uranium naturel sont l’uranium 235 (0,7 %) et l’uranium 238 (99,3 %), dont les noyaux sont formés de 92 protons et de, respectivement, 143 neutrons et 146 neutrons ; leurs nombres de masse sont 92+143 = 235 et 92 + 146 = 238. Les nucléides (espèces nucléaires) sont désignés par le nom de l’élément chimique suivi du nombre de masse. Exemple : uranium 235. En abrégé, on les écrit sous la forme AZ X où X est le symbole chimique, Z le numéro atomique (redondant avec le symbole chimique) et A le nombre de masse. Exemple : 238 les deux principaux isotopes de l’uranium sont 235 92 U et 92 U.
à un ou deux noyau(x) différent(s) des noyaux incidents. Cette année-là, Chadwick étudie les réactions des particules α sur le béryllium, le quatrième élément du tableau de Mendeleïev. Laissons la parole à Francis Perrin, le fils de Jean Perrin, qui complètera par la suite (1970) le livre de son père. « Poursuivant l’étude entreprise par Rutherford du bombardement des éléments légers par des particules α, le physicien allemand Bothe découvrit (1931) que le béryllium, ainsi bombardé, émet un rayonnement beaucoup plus pénétrant que le rayonnement α. Frédéric Joliot et Irène Joliot-Curie découvrirent (1932) que ce rayonnement de Bothe traversant des structures hydrogénées, telle la paraffine, projette vers l’avant des protons de grande énergie. Enfin, le physicien anglais Chadwick, reprenant ces expériences avec une chambre de Wilson remplie d’hydrogène, d’hélium ou d’azote, montra que les noyaux des atomes de ces divers éléments sont projetés par le rayonnement de Bothe comme si ce rayonnement était constitué par des projectiles neutres (ne laissant aucune trace ionisée dans les gaz traversés) de diamètre comparable à ceux des noyaux et ayant une masse voisine de celle du proton. Il nomma cette nouvelle particule nucléaire neutron (symbole n) [en réalité le terme existait déjà] et admit qu’elle était arrachée au noyau de l’atome de béryllium par la réaction » : 4 He 2
+ 94 Be −→
12 C 6
+ 10 n.
Ainsi la fille Irène et le gendre Frédéric Joliot de Marie Curie, qui menaient le même genre de recherches, passeront de très peu à côté de la découverte du neutron. Mais ils eurent bien d’autres mérites, notamment la découverte de la radioactivité artificielle en 1934. Bombardant cette fois de l’aluminium par des particules α, ils créent, par une réaction similaire, le premier nucléide radioactif artificiel, le phosphore 30 : 4 He 4
+ 27 13 Al −→
30 15 P
+ 10 n.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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Les principaux types de radioactivité Ils sont résumés dans le tableau suivant.
Type de radioactivité
Abréviation
Particule(s) éjectée(s)
Noyau résiduel
Alpha
α
4 He 2
A − 4;Z − 2
Bêta moins
β−
A ;Z + 1
Bêta plus
β+
Capture électronique
CE
0 0 −1 e et 0 ν¯ 0 e et 0 ν 1 0 0ν 0
Gamma
γ
Photon γ
A ;Z
A ;Z − 1 A ;Z − 1
(A : nombre de nucléons du noyau initial ; Z : nombre de neutrons du noyau initial.)
Ce phosphore 30 se désintègre avec une période de 3 minutes, facile à mettre en évidence expérimentalement : 30 15 P
−→
30 14 Si
+ +10 e + 00 ν.
Noter qu’il s’agit non seulement du premier radionucléide artificiel, le phosphore 30, mais aussi du premier exemple de radioactivité bêta plus. Celle-ci émet non pas un électron mais un antiélectron, appelé « positon » (électron positif ), ce qui ne se produit pas parmi les radionucléides naturels. Le positon avait été découvert deux ans auparavant par Carl David Anderson dans des réactions induites par les rayons cosmiques ; l’année précédente, il avait été imaginé par Paul Dirac comme la solution symétrique de celle associée à l’électron dans les équations de physique quantique (solution associée à l’antimatière au lieu de la matière). Le neutrino 00 ν (ou l’antineutrino 00 ν) ¯ qui apparaît aussi dans toutes les décroissances bêta n’a pratiquement pas d’interaction avec la matière : cette particule fut d’abord postulée en 1930 par Wolfgang Pauli pour respecter à la fois la conservation de l’énergie et celle du moment cinétique dans les décroissances bêta ; elle sera baptisée
5
Les forces s’exerçant entre les nucléons • Entre les protons chargés positivement s’exerce une force de répulsion coulombienne en 1/r 2 . Elle tend à désagréger le noyau. • Il y a donc une autre force qui la domine et assure la cohésion des noyaux : c’est la force nucléaire. C’est une force très intense et à courte portée qui s’exerce entre tous les nucléons, qu’ils soient protons ou neutrons. On pourrait la comparer à une « colle forte ».
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2. La découverte du neutron nécessitera vingt ans d’efforts
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Principales constantes et unités physiques utilisées en neutronique Quelques constantes physiques • Masse de l’électron : me = 9,109 383.10−31 kg = 0,000 548 579 9 u = 0,510 999 MeV. • Masse du proton : mp = 1,672 622.10−27 kg = 1 836,153 me = 1,007 276 5 u = 938,272 MeV. • Masse du neutron : mm = 1,674 927.10−27 kg = 1 838,684 me = 1,008 664 9 u = 939,565 MeV. • Charge électrique élémentaire : e = 1,602 176 6.10−19 C (positive pour le proton, négative pour l’électron). • Vitesse de la lumière : c = 299 792 458 m/s. • Constante de Planck : h = 6,626 070.10−34 J/s. • Constante de Boltzmann : k = 1,380 649.10−23 J/K. • Nombre d’Avogadro : N = 6,022 141.1023 mol−1 . • Zéro absolu : −273,15 o C.
Quelques unités usitées en physique nucléaire et en neutronique • Unité de surface (barn ) : 1 b = 10−28 m2 . • Unité de masse atomique (définie par : masse d’un atome de 12 6 C = 12 u) : 1 u =1,660 559.10−27 kg. • Unité d’énergie (électronvolt, définie comme l’énergie acquise par une charge élémentaire traversant 1 volt) : 1 eV = 1,602 176 6.10−19 J. • Équivalence masse-énergie : 1 u = 931,494 0 MeV.
en 1933 par Enrico Fermi, puis mise en évidence en 1956 seulement par Frederick Reynes et Clyde Cowan. Ces diverses découvertes marquent le triomphe de la fameuse formule d’Albert Einstein écrite en 1905 : E = mc 2 . Dans toute réaction, il y a une émission d’énergie E (ou absorption d’énergie, auquel cas E est négatif ) associée à une perte de masse m des réactifs (ou un gain si E est négatif ). Comme le coefficient c 2 est très grand (c est la célérité de la lumière, soit 300 000 km/s environ), la variation de masse lors d’une réaction chimique est indécelable ; cela avait fait dire à Lavoisier, à juste raison, que la masse se conserve dans une réaction. Dans les réactions nucléaires, cependant, les énergies
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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Comment calculer l’énergie d’une réaction nucléaire à partir d’une simple table de masses atomiques • Considérons, par exemple, la décroissance radioactive α du radium : 226 88 Ra
−→
222 86 Rn
+ 42 He.
• Une table de masses atomiques fournit les valeurs suivantes : 226 Ra : 226,025410 u, 88 222 Rn : 222,017578 u, 88 4 He : 4,002603 u. 2
• La perte de masse (masse convertie en énergie) est : 226,025410 − 222,017578 − 4,002603 = 0,00523 u, soit E = 4,87 MeV. • L’impulsion du système est initialement nulle et le reste ; donc les vitesses V sont alignées, de directions opposées et reliées en valeurs absolues par : MRn VRn = MHe VHe où les M sont les masses des deux noyaux issus de la désintégration du radium. • L’énergie de la réaction E est convertie en énergie cinétique :
E =
1 1 2 2 MRn VRn + MHe VHe . 2 2
• Il en résulte : 1 1 MHe MRn 2 2 MRn VRn = E ; MRn VHe = E, 2 MRn + MHe 2 MRn + MHe soit, respectivement, 0,09 MeV et 4,78 MeV. • Les vitesses sont, respectivement, 274 km/s et 15 186 km/s.
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2. La découverte du neutron nécessitera vingt ans d’efforts
mises en jeu sont beaucoup plus grandes, typiquement d’un facteur de l’ordre du million, ce qui fait que les m sont alors mesurables. La relation d’Einstein a permis de garder le principe de la conservation de l’énergie à condition de comptabiliser la masse au même titre que l’énergie. Ce principe avait été mis en évidence au cours du XIXe siècle, mais la radioactivité semblait le violer : d’où provient cette énergie — considérable — dont l’émission perdure au moins aussi longtemps que l’échantillon radioactif est observé ? La réponse sera : une perte de masse qui, somme toute, est relativement modeste compte tenu de l’énormité du coefficient c 2 . Par exemple, pour le cas présenté dans l’encadré 7, la décroissance radioactive considérée représente une perte de masse de 0,0023 % seulement. (Remarque : cet encadré, ainsi que l’encadré 6 présentent les valeurs très précises connues aujourd’hui. Les précisions étaient évidemment moindres à l’époque.)
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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
La diffusion, le ralentissement et l’absorption des neutrons Dès la découverte du neutron, les physiciens, notamment Fermi à Rome, s’intéressèrent aux interactions entre cette particule et la matière. Ils découvrirent rapidement que l’absorption neutronique par les noyaux se fait aisément, et d’autant mieux que la vitesse du neutron est faible. Ils découvrirent aussi qu’il est facile de ralentir un neutron en le laissant diffuser dans un matériau peu absorbant et constitué de noyaux légers.
Depuis l’expérience de Chadwick en 1932, les physiciens peuvent disposer facilement d’une source de neutrons : il suffit pour cela de mélanger un émetteur α, par exemple du radium, avec du béryllium. Les neutrons ainsi émis sont des neutrons rapides : leur énergie cinétique est de bons millions d’électronvolts (électronvolt [eV] = 1, 602.10−19 joule) et leur vitesse de trente mille kilomètres par seconde. L’interaction avec la matière de ce nouveau rayonnement de neutrons va intéresser notamment Enrico Fermi qui vient de créer à Rome un laboratoire de physique nucléaire. Comme nous l’avons vu dans le chapitre introductif, un neutron qui percute un noyau peut être soit diffusé, soit absorbé. Dans le premier cas, il est dévié et ralenti et il poursuit son cheminement jusqu’à l’absorption. Fermi et ses collaborateurs vont étudier ces deux mécanismes.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
La diffusion d’un neutron par un noyau (figure 3.1) est similaire au choc d’une boule de billard sur une autre, sauf que la boule qui est percutée — le noyau — est souvent plus lourde que celle qui percute — le neutron — et que le billard n’est pas un plan mais un espace à trois dimensions. En première approximation, on peut admettre que le noyau percuté est initialement immobile, puisque son énergie (due à l’agitation thermique) est de l’ordre d’une petite fraction d’électronvolt alors que l’énergie du neutron rapide se mesure en kiloélectronvolts (keV), voire en mégaélectronvolts (MeV). (Voir les encadrés 1, 2 et 3). Une boule de billard percutant une énorme et lourde sphère incapable de reculer ne serait pratiquement pas ralentie ; si elle percute une légère balle de ping-pong, le transfert d’énergie est négligeable et la boule n’est pratiquement pas non plus ralentie ; c’est lors de chocs sur des boules de même masse que le transfert d’énergie cinétique, donc le ralentissement de la boule en mouvement, est le plus efficace. Les
Figure 3.1 Choc élastique d’un neutron contre un noyau : en haut, représenté dans le système de coordonnées lié au réacteur ; en bas, dans le système de coordonnées lié au centre de masse (centre de gravité des deux objets) [Source : d’après le Précis de neutronique, page 171].
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3. La diffusion, le ralentissement et l’absorption des neutrons
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Lois du choc élastique • Un choc élastique est une collision au cours de laquelle l’énergie cinétique se conserve (pas de modification des énergies internes des objets entrant en collision). • Comme dans tout processus physique, l’impulsion est aussi conservée. • Dans le système du centre de masse (voir la figure 3.1) où l’impulsion initiale est nulle, la conservation de cette impulsion et celle de l’énergie cinétique montrent que les vitesses ne sont pas modifiées en module et restent alignées. Il y a une simple rotation des vecteurs d’un angle θ . • Si le noyau-cible est initialement supposé immobile dans le système du laboratoire, les formules de changement de repère sont simples (une translation uniforme selon l’axe portant la vitesse initiale du neutron). Elle conduisent aux formules suivantes, d’une part, pour l’énergie :
E2 A 2 + 1 + 2A cos θ 1 = = [1 + α + (1 − α) cos θ ], 2 E1 2 (A + 1) où E1 et E2 sont les énergies cinétiques du neutron dans le système du laboratoire (le réacteur), avant et après la collision, A la masse du noyau rapportée à celle du neutron (approximativement la masse du noyau en unité de masse atomique, puisque celle du neutron est proche de 1) et : α=
(A − 1)2 ; (A + 1)2
d’autre part, pour l’angle : cos ψ =
1 + A cos θ
A2
+ 1 + 2A cos θ
,
où θ est l’angle de diffusion du neutron dans le système du centre de masse et ψ celui dans le système du laboratoire. • L’énergie finale E2 est comprise entre α E1 (pour θ = π) et E1 (pour θ = 0). • Le paramètre α est d’autant plus faible, donc le ralentissement du neutron d’autant plus efficace, que la masse A du noyau-cible est proche de 1 : il faut utiliser des noyaux légers pour ralentir les neutrons. En particulier, avec l’hydrogène (A = 1), le neutron peut être complètement ralenti en un seul choc. • Sauf pour les valeurs extrêmes 0 et π, l’angle ψ est plus petit que l’angle θ .
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
2
Lois du choc élastique et isotrope dans le système du centre de masse • Un choc élastique peut presque toujours être considéré comme isotrope dans le système du centre de masse. • Cela s’explicite par la loi de probabilité suivante :
P (θ ) d θ =
1 1 sin θ d θ ou P ( cos θ ) d cos θ = . 2 2
• Alors, la variable aléatoire E2 est uniformément répartie dans l’intervalle qu’elle peut atteindre : [α E1 , E1 ]. • L’angle ψ est anisotrope vers l’avant ; la moyenne de son cosinus est donnée par la formule simple :
< cos ψ > =
2 3A
expressions mathématiques confirment ces intuitions. De même, c’est par les noyaux légers et plus spécialement l’hydrogène que les neutrons sont le plus efficacement ralentis. (Les noyaux d’hydrogène, constitués d’un seul proton, ont pratiquement la même masse que les neutrons.) C’est ainsi que Fermi utilise des matériaux hydrogénés pour ralentir les neutrons. (Rappelons-nous aussi que Chadwick découvrit les neutrons grâce aux protons percutés et éjectés par les neutrons de haute énergie issus de la réaction des particules α sur le béryllium.) Les interactions entre les neutrons et la matière sont caractérisées par les sections efficaces. Au niveau des processus élémentaires, il s’agit de sections efficaces microscopiques ; mais pour étudier les interactions avec la matière usuelle, constituée de très nombreux atomes, on introduit les sections efficaces macroscopiques. 1/ Les sections efficaces microscopiques • Imaginons (figure 3.2) un projectile (ici sphérique) se déplaçant perpendiculairement à la figure au voisinage d’une cible (supposée également sphérique). Si le centre du projectile traverse le cercle tireté (cas A ou B), il y a collision. S’il passe en dehors (cas D), il n’y a pas de collision. Le cas C est le cas limite. En physique classique, la section efficace (microscopique) σ est l’aire de ce cercle tireté. • En physique quantique, on peut conserver cette image mais à condition de retenir que la section efficace dépend généralement de la vitesse du projectile ! Les sections efficaces sont, en pratique, mesurées en barns : 1 barn (b) = 10−28 m2 .
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3. La diffusion, le ralentissement et l’absorption des neutrons
3
La léthargie – La léthargie u est la transcription de l’énergie E en variable logarithmique ; sa définition précise est : E u = ln réf , E où Eréf est une énergie de référence conventionnelle (par exemple, 10 MeV, auquel cas tous les neutrons d’un réacteur à fission ont une léthargie positive, car ils sont tous émis à des énergies plus basses). – Quand les neutrons se ralentissent, leur léthargie croît ; en quelque sorte, c’est une mesure de l’âge des neutrons. – Au cours d’un choc élastique, la léthargie s’accroît d’un gain w compris entre 0 et ε = − ln α. – Si le choc est isotrope dans le système du centre de masse, sa loi de probabilité dans cet intervalle est :
P (w ) dw =
e−w 1−α
et sa valeur moyenne est :
< w >= ξ =
1 − α − αε . 1−α
– Le nombre de chocs nécessaires, en moyenne, pour gagner une léthargie U est donc n = U /ξ . Le tableau suivant donne, pour quelques exemples, les valeurs pour ralentir un neutron de 2 MeV à 1 eV (U = ln 2. 106 /1 = 14,51) : α
Noyau
A
H
1
0
D
2
0,111
C
12
U (∗)
236
(∗)
ε ∞
ξ
n
1
15
2,197
0,725
20
0,716
0,334
0,158
92
0,983 2
0,017 0 0,008 4 1 717
238 divisé par 1,008 66 (masse du neutron)
Pour les trois premiers matériaux, la probabilité d’absorption est faible et le nombre de diffusions requis est le plus souvent atteint : ces matériaux peuvent être utilisés comme modérateurs (matériaux aptes à ralentir et thermaliser les neutrons). En revanche, il est clair qu’un neutron rapide émis dans l’uranium pur sera absorbé bien avant d’avoir subi les quelque 1 700 diffusions qui seraient nécessaires pour le ralentir.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 3.2 Interprétation géométrique d’une section efficace microscopique.
• S’il y a différents types d’interactions entre le projectile et la cible, il faut additionner les sections efficaces partielles correspondantes. Exemples, en neutronique : σt = σs + σa : une interaction (le total, t ) peut être une diffusion (scattering, s) ou une absorption (a). σa = σf +σc : une absorption peut conduire à une fission ( f ) ou être une capture stérile (c). 2/ Les sections efficaces macroscopiques • Il est également utile d’introduire les sections efficaces macroscopiques : = Nσ où N est le nombre d’atomes par unité de volume. Cette grandeur est telle que dx est la probabilité que le projectile ait une interaction avec une cible le long d’un parcours infinitésimal dx . • S’il y a plusieurs types d’interactions, les sections efficaces macroscopiques s’additionnent comme les sections efficaces microscopiques. S’il y a plusieurs types d’atomes, il faut additionner les sections efficaces macroscopiques propres à chacun : = k = Nk σk . k
k
• Les sections efficaces macroscopiques permettent d’exprimer les taux de réaction (nombres d’interactions neutron-matière par unité de volume et par unité de temps) : R = , où le flux = nv est la densité neutronique n (nombre de neutrons par unité de volume) multipliée par la vitesse v des neutrons. Pour étudier l’absorption des neutrons dans la matière, il est intéressant de les ralentir. Il s’avère, en effet, qu’abstraction faite d’un certain nombre d’irrégularités dans les courbes, les sections efficaces d’absorption, c’est-à-dire les probabilités d’absorption, sont d’autant plus grandes que les neutrons sont lents : en général, ces sections
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3. La diffusion, le ralentissement et l’absorption des neutrons
4
Équation du ralentissement Considérons, pour simplifier, un milieu homogène alimenté par une source de neutrons rapides S (u ), permanente dans le temps. Le flux (u ) des neutrons qui se ralentissent est, lui aussi, permanent ; comme la source, il ne dépend que de la léthargie u des neutrons. Il est donné par l’équation de Boltzmann simplifiée pour ce cas. Cette équation établit un bilan neutronique à chaque léthargie entre les neutrons qui y arrivent (émis par la source ou transférés par ralentissement lors d’une diffusion) et ceux qui la quitte (absorption ou diffusion vers une autre léthargie) : u S (u ) + s (u )(u )P (u → u ) du = t (u )φ(u ), −∞
où P (u → u ) représente la probabilité qu’un neutron diffusé à la léthargie u soit transféré vers la léthargie u ; s est la section efficace macroscopique de diffusion et t est la section efficace macroscopique totale. Si le ralentissement s’effectue par chocs élastiques et isotropes dans le centre de masse par un matériau monoatomique, cette loi de probabilité est (voir ci-dessus) : e−(u −u ) P (u → u ) = . 1−α D’une façon générale, il n’existe pas de solution analytique à une telle équation intégrale et seul un traitement numérique est envisageable. Toutefois, on peut signaler deux cas particuliers : • Le cas sans absorption : asymptotiquement, au-delà des léthargies où sont émis les neutrons, on a : S , (u ) = ξ s (u ) (où S est l’intégrale de la source et ξ le gain moyen de léthargie par diffusion), ce qui donne pour le flux en énergie : (E ) =
S . ξ s (E )E
• Le ralentissement dans l’hydrogène (A = 1 ; ξ = 1 ; solution asymptotique) : u S a (u ) exp[− du ]. (u ) = s (u ) −∞ t (u ) L’exponentielle explicite la diminution progressive par absorption de la population neutronique au fur et à mesure qu’elle progresse dans le
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
ralentissement, c’est-à-dire quand l’énergie décroît ; plus précisément, cette exponentielle est la probabilité de survie jusqu’à la léthargie u . • Moyennant certaines approximations, cette dernière formule peut être généralisée.
efficaces d’absorption σa suivent une loi en « 1/v » (elles sont inversement proportionnelles à la vitesse v des neutrons) : v0 σa = σa,0 , v où l’indice 0 concerne une vitesse de référence. Le comportement en « 1/v » des sections efficaces d’absorption résulte des lois de la mécanique quantique et de l’aspect à la fois particulaire et ondulatoire des objets élémentaires, en particulier des neutrons, ainsi que cela a été montré quelques années plus tôt par Louis de Broglie. Tout se passe comme si le neutron était d’autant plus gros qu’il est lent : en effet, sa longueur d’onde, λ = h/mv, qui caractérise la zone d’espace explorée, est plus grande. Fermi comprend ainsi qu’il a tout intérêt à ralentir les neutrons pour faciliter leur absorption et à utiliser pour cela un matériau hydrogéné. Au bout d’un nombre suffisant de chocs, une vingtaine dans un tel matériau, le neutron est « thermalisé » : cela veut dire qu’il s’est mis à peu près en équilibre thermique avec la matière dans laquelle il diffuse et donc ne se ralentit plus. Pour la température usuelle (20 o C), cela correspond à une énergie en moyenne égale à 0,0253 eV et une vitesse de 2 200 m/s. (Voir l’encadré 4 ; les problèmes de thermalisation seront évoqués au chapitre 22.) Fermi étudie ainsi l’absorption des neutrons par les divers éléments. Le plus souvent, il s’agit d’une capture radiative : le neutron est absorbé par le noyau et s’intègre aux autres nucléons ; l’énergie résultant de cette absorption (travail des forces nucléaires) est éjectée sous forme d’un photon de grande énergie appelé « rayon γ » . Le noyau résiduel est donc l’isotope de rang juste supérieur à celui du noyau initial. Il arrive souvent que cet isotope soit instable car il possède trop de neutrons : il va donc se désintégrer par une radioactivité du type bêta négative (transformation, au sein du noyau d’un neutron en proton et éjection de l’électron et de l’antineutrino associé). On produit ainsi un isotope de l’élément suivant l’élément initial dans la classification de Mendeleïev. Fermi devient ainsi un spécialiste à la fois du neutron et de la radioactivité bêta. En 1934, il se propose d’étudier l’absorption neutronique par l’uranium, le dernier des éléments naturels (numéro 92). Il espère ainsi, par ce mécanisme, prolonger la table de Mendeleïev en créant l’élément 93, voire même l’élément 94. Il observe effectivement de la radioactivité bêta négative mais il n’arrive pas à mettre en évidence une période de décroissance qui signerait la présence des nucléides recherchés. Ce que donne cette absorption restera une énigme durant les quatre années qui vont suivre.
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La découverte de la fission L’énigme de l’absorption neutronique par l’uranium... et sa solution, la fission. L’énergie de liaison des noyaux, variable selon leur masse, explique la libération d’énergie par la fission... et indique une autre voie, celle de la fusion. Cette dernière semble difficile. Mais l’émission de neutrons secondaires lors de la fission suggère l’idée d’une réaction en chaîne.
La solution de l’énigme de l’absorption neutronique par l’uranium viendra d’Allemagne quatre ans plus tard. Comme Fermi, Otto Hahn s’intéresse à l’absorption neutronique par l’uranium. Mais alors que Fermi est un physicien, Hahn est un chimiste. Avec son collaborateur Fritz Strassmann, ils tentent d’identifier les produits de la réaction et mettent en évidence du... baryum. Le baryum est l’élément 56 : son noyau est presque deux fois plus petit que celui de l’uranium initial ! Lise Meitner, qui travaillait dans le même laboratoire avant son exil à Stockholm, et son neveu Otto Frisch, annoncent la découverte de la fission : après avoir été percuté par le neutron et l’avoir absorbé, le noyau d’uranium, fortement perturbé, éclate en deux fragments d’à peu près même masse, c’est-à-dire la moitié de celle de l’uranium. Lise Meitner sait calculer la masse des noyaux grâce au modèle de Bethe et Weizsäcker proposé quelques années plus tôt ; ce modèle s’inspire de la similitude entre une goutte de liquide constituée de molécules et une « goutte de matière nucléaire » constituée de nucléons ; en ajustant les coefficients qui y apparaissent sur les résultats de mesures de masses atomiques, la formule de Bethe et Weizsäcker donne l’énergie de liaison des
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
noyaux avec une bonne précision. En appliquant la formule, d’une part à l’uranium qui a absorbé le neutron incident et d’autre part aux deux fragments de fission supposés, Lise Meitner montre que la fission devrait libérer une énergie de quelque deux cent millions d’électronvolts (voir l’encadré 1). Même à l’échelle nucléaire où les énergies mises en jeu sont typiquement un million de fois plus élevées que dans les processus chimiques (respectivement de l’ordre de quelques mégaélectronvolts et de quelques électrons volts), il s’agit d’une gigantesque libération d’énergie. Or, il est connu que tout processus physique qui libère de l’énergie (comme un objet qui tombe par gravité) a tendance à se faire : la fission apparaît ainsi comme un processus vraisemblable. Bientôt, la mise en évidence, toujours par la chimie, d’autres éléments situés vers le milieu de la table de Mendeleïev en apportera une preuve définitive. On montrera aussi que c’est l’isotope 235, le moins abondant de l’uranium (0,7 %), qui subit la fission sous l’impact des neutrons lents. L’autre isotope, l’uranium 238 (99,3 %), peut capturer un neutron et se transformer en uranium 239 : c’est la réaction que Fermi cherchait à mettre en évidence mais qu’il n’a pas pu repérer à cause des autres émissions radioactives, celles des fragments de fission de l’uranium 235. Les savants des années 1930 ne disposaient par d’Internet, mais cela n’empêchait pas les nouvelles d’aller vite d’un laboratoire à l’autre. Frédéric Joliot à Paris, informé de la découverte de la fission, reprend l’expérience avec ses collaborateurs. Notant que la proportion des neutrons est plus grande dans les noyaux lourds que dans les noyaux intermédiaires, il pense que non seulement les fragments de fission seront des noyaux radioactifs bêta-moins, mais aussi que quelques neutrons devraient « s’évaporer » au moment de la fission. Il se propose donc de les mettre en évidence et d’en mesurer le nombre. L’expérience s’avère effectivement positive : des neutrons sont émis à l’état libre lors des fissions. Il en mesure environ 3 par fission. Cette valeur est un peu forte (la valeur exacte est 2,4), mais cela n’obère pas la conclusion qu’il en tire : la possibilité d’une réaction en chaîne susceptible de dégager une puissance considérable. La fission ne se fait pratiquement pas spontanément — et donc les atomes lourds comme l’uranium existent — parce qu’il faut d’abord apporter au noyau de l’énergie pour le déformer suffisamment (augmenter le terme de surface de la formule de Bethe et Weizsäker) jusqu’à ce qu’une scission se produise (fig. 4.1). Alors, les répulsions colombiennes séparent les deux parties. En pratique, l’apport d’énergie se fait par l’absorption d’un neutron qui fournit le travail de la liaison nucléaire qui le « happe » et son énergie cinétique. En ordre de grandeur, la fission dégage trente fois plus d’énergie que celle ainsi « investie » pour exciter le noyau lourd. Entre zéro et sept neutrons — en moyenne 2,4 dans le cas de l’uranium 235 — sont émis à l’issue d’une fission. Cette émission neutronique peut se comprendre au vu de la « vallée de stabilité » des nucléides (voir l’encadré 3) : la proportion des neutrons est de l’ordre de 50 % dans
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4. La découverte de la fission
1
La formule de Bethe et Weizsäcker La formule empirique permettant d’évaluer l’énergie de liaison des noyaux atomiques, donc leur masse, a été proposée en 1935 par Hans Albrecht Bethe et Carl von Weizsäker. Elle se base sur une analogie entre une goutte de liquide et un noyau. L’énergie de liaison W est donnée en fonction du nombre de masse A et du numéro atomique Z par la formule :
W = av A − as A 2/3 − aa
(A /2 − Z )2 Z2 − ac 1/3 + δ ap A −1/2 . A A
• Le premier terme (terme de volume) explicite l’énergie des liaisons nucléaires de chaque nucléon au sein de la goutte avec ses douze voisins. • Le deuxième terme (terme de surface) corrige le précédent pour les nucléons situés en surface, ayant donc moins de voisins. • Le troisième terme (terme d’asymétrie) provient de l’écart à une situation équilibrée où les protons et les neutrons seraient en nombre égal. • Le quatrième terme (terme coulombien) exprime les répulsions coulombiennes entre les charges électriques portées par les protons, tendant à désagréger l’édifice nucléaire. • Le dernier terme (terme de parité) vient du fait que, dans la mesure du possible, les protons d’une part et les neutrons d’autre part s’assemblent deux par deux ; conventionnellement, δ est pris égal à +1, 0 et −1 respectivement pour les noyaux pairs en protons et pairs en neutrons, pairs-impairs ou impairs-pairs et impairs-impairs, qui ont donc zéro, un ou deux nucléons « célibataires ». À partir des mesures des masses des atomes, on a pu ajuster les coefficients numériques : le jeu suivant, en MeV, peut être adopté (source : Luc Valentin) :
av = 15,56 ; as = 17,23 ; aa = 94,4 ; ac = 0,70 ; ap = 12. À titre d’exemple, on peut calculer l’énergie libérée par la réaction : 236 92 U
→ 2 118 46 Pd
(fission symétrique d’un noyau d’uranium 235 ayant absorbé un neutron) :
W (236, 92) = 1785,01 MeV, W (118, 46) = 984,38 MeV, d’où une énergie libérée de 183,75 MeV, soit 91,87 pour chaque fragment. On peut calculer que cela leur communique une vitesse de 12 300 km/s.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
2
Pourquoi l’uranium 235 subit-il plus facilement la fission que l’uranium 238 ? À première vue, ces deux noyaux semblent beaucoup se ressembler puisque la seule différence du second par rapport au premier sont trois neutrons de plus dans le noyau. Mais, si les propriétés chimiques sont effectivement les mêmes, les propriétés nucléaires sont très différentes. En particulier, alors que l’uranium 235 peut subir la fission même avec un neutron lent — et même mieux qu’avec un neutron rapide —, l’uranium 238 ne peut subir la fission que par un neutron énergétique, apportant au moins 1 MeV sous forme d’énergie cinétique. (Les neutrons émis par les fissions ont une énergie de l’ordre de 2 MeV : ils sont susceptibles de provoquer des fissions d’uranium 238. Mais comme ils sont rapidement ralentis dans les réacteurs, ces réactions sont rares et restent marginales devant les fissions de l’autre isotope, l’uranium 235.) La raison essentielle de cette différence vis-à-vis de la fission tient au terme de parité de la formule de Bethe et Weizsäker : • quand un neutron est absorbé par un uranium 235, on passe d’une situation impaire en neutrons (143) à une situation paire (144) : à l’apport d’énergie dû à la liaison du dernier neutron s’ajoute l’énergie d’appariement lors de la formation d’une paire supplémentaire de neutrons ; • quand un neutron est absorbé par un uranium 238, on passe, au contraire, d’une situation paire en neutrons (146) à une situation impaire (147) : le neutron qui s’ajoute aux autres va rester « célibataire » et l’excitation du noyau sera due aux seules liaisons nucléaires mais pas à un appariement. Cet écart représente moins de 2 MeV sur un total de l’ordre de 6 apporté par la liaison nucléaire du neutron ajouté ; dans le cas de l’uranium 235, l’énergie d’excitation suffit pour « franchir la barrière de fission » même sans apport d’énergie cinétique par le neutron ; mais elle ne suffit pas dans le cas de l’uranium 238. L’uranium 235 est le seul nucléide naturel pouvant subir la fission même par neutrons lents. Quelques autres nucléides artificiels jouissant de la même propriété seront découverts par la suite.
les noyaux légers et intermédiaires, mais monte à un peu plus de 60 % dans les noyaux lourds ; si un noyau lourd est scindé en deux, les fragments auront une proportion trop importante de neutrons, d’où l’évaporation de quelques-uns d’entre eux. (Malgré cela, ces fragments restent encore pour la plupart des noyaux instables car ayant trop de neutrons ; ils se désintègreront par la suite par radioactivité bêta moins.)
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4. La découverte de la fission
Figure 4.1 Le mécanisme de la fission induite par neutron (schéma) [Source : d’après le Précis de neutronique, page 46].
Avant d’examiner plus en détail, au chapitre suivant, l’exploitation de la fission, on peut se demander, d’une façon générale, quelles sont les réactions nucléaires susceptibles de dégager de l’énergie. La réponse est : celles qui accroissent l’énergie de liaison des noyaux, c’est-à-dire qui transforment de la masse en énergie. Si l’on porte sur un graphique l’énergie de liaison moyenne par nucléon W /A en fonction du nombre de masse A, on observe que les points se regroupent autour de la courbe tracée sur la figure 4.3 et qui résulte de la formule de Bethe et Weizsäker. La figure 4.3 fait apparaître un principe général : les réactions susceptibles de produire de l’énergie sont soit les fusions faisant passer, en rassemblant deux petits noyaux pour en faire un plus gros, de la situation A à la situation B, soit les fissions faisant passer, en séparant un gros noyau en deux plus petits, de la situation A’ à la situation B’. Comme ce sont les noyaux intermédiaires qui sont les plus liés, dans les deux cas de l’énergie est libérée. Une fois qu’on en a compris le mécanisme, la fission s’est révélée relativement facile à réaliser dans une réaction en chaîne grâce aux neutrons qui, d’une part, induisent la fission de certains noyaux, tel l’uranium 235, et, d’autre part, sont produits par la fission. La fusion, en revanche, est très difficile à provoquer car il faut pour cela amener au contact deux noyaux qui se repoussent fortement à cause de leurs charges électriques : alors, les forces nucléaires — qui sont à très courte portée — peuvent se concrétiser et compenser la répulsion. En pratique, la seule méthode pour provoquer des fusions
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
3
La vallée de stabilité des nucléides Si l’on porte sur un diagramme les valeurs du nombre de protons Z en abscisse et du nombre de neutrons N en ordonnée pour les nucléides naturels, on observe, comme le montre la figure 4.2, que les points se regroupent autour d’une courbe appelée « vallée de stabilité ».
Figure 4.2 Diagramme N − Z des noyaux stables ou presque stables [Source : d’après le Précis de neutronique, page 55].
Cette courbe correspond à la valeur optimale de N (énergie de liaison maximale) des isobares (nucléides de même nombre de masse A = Z + N ). La formule de Bethe et Weizsäker montre que cette courbe peut être représentée approximativement par l’équation :
N − Z 0,006 A 5/3 . On constate que, pour les noyaux légers, N est à peu près égal à Z ; progressivement, la proportion des neutrons augmente pour les noyaux plus gros, jusqu’à N de l’ordre de 1,5 Z . Pour ces gros noyaux, la présence des neutrons permet de « diluer » les charges électriques des protons et de réduire ainsi le terme coulombien (négatif) de la formule de Bethe et Weizsäker ; mais cela se fait au détriment du terme d’asymétrie (également négatif) ; la vallée de stabilité représente le meilleur compromis entre ces deux effets.
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4. La découverte de la fission
Figure 4.3 L’augmentation de l’énergie de liaison, donc la libération d’énergie, par fusion (A vers B) ou par fission (A’ vers B’) [Source : d’après le Précis de neutronique, page 89].
consiste à porter les réactifs à une température suffisamment élevée — environ cent millions de degrés ! — pour que les chocs entre les noyaux soient suffisamment violents pour les amener au contact. La fusion a trouvé une application dans les bombes H (à hydrogène) ; les applications pacifiques sont étudiées, mais sont encore loin d’être à maturité. Notamment, on attend de la machine Iter, en cours de construction à Cadarache (Bouches-du-Rhône), une meilleure maîtrise de ce procédé ouvrant des perspectives séduisantes sur le long terme.
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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Le concept de la réaction en chaîne Les neutrons secondaires et le principe de la réaction en chaîne. Les brevets de Joliot et ses collaborateurs. La découverte des neutrons retardés : les réacteurs seront des machines faciles à piloter.
Seule une réaction en chaîne est susceptible de dégager de la puissance à une échelle significative. En effet, même si la fission fournit beaucoup d’énergie, cela reste à l’échelle microscopique : il faut 3.1010 fissions pour obtenir un joule. Les fissions induites par les neutrons issus d’une source radioactive (par exemple radium-béryllium) sont trop peu nombreuses pour représenter une puissance significative. Pour atteindre une puissance à une échelle réellement macroscopique, il faudrait pouvoir engendrer des fissions à un rythme beaucoup plus important. C’est précisément ce que permet d’envisager la découverte de Joliot, ainsi qu’il le comprend rapidement. Dans un système conçu de façon que pas trop de neutrons ne se perdent, on peut imaginer que l’un au moins des quelque 2,4 neutrons émis par une fission induira une nouvelle fission, réalisant ainsi une réaction en chaîne auto-entretenue à un rythme qui pourrait être élevé. Le déroulement en est schématiquement le suivant :
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Neutrons ⇓ Fissions ⇓ Neutrons ⇓ Fissions ⇓ Neutrons ⇓ Fissions ⇓ Etc. L’enjeu est important, puisqu’une réaction nucléaire est susceptible de fournir environ un million de fois plus d’énergie qu’une réaction chimique. Par exemple, en faisant brûler un atome de carbone, soit 12 unités de masse atomique, on obtient 4 électronvolts. En provoquant la fission d’un noyau d’uranium 235, soit 235 unités de masse atomique, on obtient 200 millions d’électronvolts, soit, en raisonnant par unité de masse, 2,6 millions de fois plus. On peut illustrer la même idée en comparant des centrales électriques modernes. C’est ainsi qu’une grande centrale nucléaire constituée de quatre réacteurs de 1 300 MW électriques ne consomme chaque année que 100 tonnes d’uranium légèrement enrichi, produites à partir de 800 tonnes d’uranium naturel (moins de 6 tonnes d’uranium 235). La centrale à charbon de même puissance brûle 12 millions de tonnes de charbon par an, soit environ dix trains de 3 000 tonnes par jour. La conséquence de cette grande concentration d’énergie est que les déchets nucléaires, dangereux certes, puisque radioactifs, représentent une faible masse en comparaison des cendres d’une centrale à charbon et, surtout, de ses émissions de gaz carbonique (CO2 ) : pour cet exemple, respectivement 4 tonnes et 40 millions de tonnes par an. La possibilité d’une réaction en chaîne de fissions s’explicite par la valeur de ce que l’on appellera le « facteur de multiplication » k. C’est la valeur moyenne du nombre de fissions obtenues à partir des neutrons émis lors d’une fission initiale. Si, à un moment donné, N fissions se produisent, il y aura aux générations suivantes Nk, puis Nk 2 , puis Nk 3 , puis Nk 4 , etc. fissions. • Si k est plus petit que 1, ces nombres vont en décroissant ; la réaction s’arrête. La situation est dite « sous-critique ». • Si k est plus grand que 1, ces nombres vont, au contraire, en croissant ; la réaction s’amplifie de plus en plus. La situation est dite « surcritique ». • Si k est juste égal à 1, ces nombres restent constants au fil des générations ; la réaction perdure égale à elle-même dans le temps ; la puissance dégagée par les fissions reste constante. Cette situation est dite « critique ».
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5. Le concept de la réaction en chaîne
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La formule de la masse critique établie par Francis Perrin Cette formule est écrite dans le brevet du 4 mai 1939 déposé par l’équipe française : 3 4 M = π 4 [3D (nP − A )]− 2 . 3 Il s’agit en fait non pas de la masse critique mais du volume critique. Elle est établie par la théorie « diffusion - un groupe » (qui sera présentée plus loin) en supposant le système sphérique car cette forme est celle qui conduit à la plus petite surface possible (donc au minimum de fuites de neutrons) pour un volume donné. Retranscrite avec les notations modernes, elle s’écrirait :
V =
3 4 4 π [3s (νf − a )]− 2 . 3
Dans cette formule, s , f et a sont respectivement les sections efficaces macroscopiques de diffusion, fission et absorption pour l’uranium et les matériaux avec lesquels il est éventuellement mélangé.
Comme le nombre moyen ν de neutrons émis par fission est plus grand que 1, le facteur k peut atteindre voire dépasser l’unité même si les pertes de neutrons sont relativement élevées. Par exemple, pour ν = 2,4, il suffit que 42 % des neutrons induisent une fission pour que le système soit critique. L’un des collaborateurs de Joliot, Francis Perrin, fils de Jean Perrin, introduit la notion de masse critique et établit la formule qui la donne dans une modélisation simplifiée : il note que, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité qu’un neutron ne s’échappe pas par la surface et, restant dans le système, provoque une fission est d’autant plus élevée que le système est gros. Si le système de dimensions infinies est surcritique, il y a nécessairement une taille, finie, pour laquelle il est critique. À cette taille critique, on associe une masse critique. Au mois de mai 1939, Joliot et ses collaborateurs vont déposer trois brevets au nom de la Caisse nationale de la recherche scientifique (l’ancêtre du CNRS) pour protéger ces idées aux conséquences potentiellement considérables. • Le premier brevet, du 1er mai 1939, décrit un « dispositif de production d’énergie » : c’est ce que l’on appelera par la suite un réacteur nucléaire. • Le deuxième brevet, du 2 mai 1939, décrit un « procédé de stabilisation d’un dispositif producteur d’énergie », c’est-à-dire de contrôle et de régulation de la réaction en chaîne. • Le troisième brevet, du 4 mai 1939, s’intéresse aux « perfectionnements aux charges explosives » : c’est la description de ce qui sera quelques années plus tard la bombe atomique.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Deux autres brevets, ceux-là nominatifs (MM. Hans Heinrich von Halban, JeanFrédéric Joliot et Lew Kowarski), du 30 avril et du 1er mai 1940, proposeront des « perfectionnements aux dispositifs de production d’énergie ». Les principes généraux du réacteur et de l’arme nucléaires sont correctement compris. La régulation du dispositif producteur d’énergie, en revanche, repose sur les connaissances incomplètes de l’époque : il tente de maîtriser une réaction en chaîne qui semble extrêmement « nerveuse » ; un dispositif mécanique qui aurait sans aucun doute été assez « acrobatique » est imaginé. Nous verrons qu’en réalité cette difficulté ne se présente pas, grâce à une particularité de la physique que l’on ne soupçonne pas à l’époque, la présence de neutrons retardés.
2
La cinétique du réacteur vue par Joliot et ses collaborateurs Frédéric Joliot, qui ne connaissait pas l’existence des neutrons retardés, a écrit l’équation de la cinétique d’un réacteur en supposant que tous les neutrons étaient émis immédiatement au moment de la fission ; c’est ce l’on appellera par la suite les « neutrons prompts ». En considérant les générations successives de neutrons et en caractérisant la réaction en chaîne par le facteur de multiplication k, on constate que l’évolution se fait selon une loi exponentielle. Si cette loi indique le sens de la variation, elle ne précise pas à quel rythme elle s’effectue ; pour cela, il faut connaître la durée d’une génération. Par ailleurs, l’évolution de la population neutronique a un caractère continu dans le temps et non pas discontinu selon les générations successives. Le modèle de la cinétique se propose d’apporter des réponses à ces deux points. • Si on néglige le temps de ralentissement des neutrons (ce qui est effectivement légitime car les neutrons qui se ralentissent sont rapides et sont très vite thermalisés), on peut considérer que les neutrons effectuent leur migration à l’état thermique, à une vitesse v quasiment unique, donnée par la formule 12 mv 2 = kBT (m : masse du neutron, kB : constante de Boltzmann, T : température absolue du milieu), soit 2 200 m/s à la température ambiante usuelle (20 o C ou 293 K). Pendant un intervalle de temps dt , les neutrons parcourent la distance dx = v dt et ont la probabilité a dx = a v dt de disparaître, a étant la section efficace macroscopique d’absorption du milieu. Une population n de neutrons décroît donc selon la loi :
dn = −n a v dt, soit :
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n (t ) = n (0) e−a vt .
5. Le concept de la réaction en chaîne
Cette loi montre que le temps de vie moyen des neutrons est : =
1 . v a
Par exemple, pour du graphite, la mesure donne a = 0,03 m−1 . Pour un réacteur contenant du graphite et de l’uranium, on peut adopter une valeur 10 fois plus grande, soit a = 0,3 m−1 (l’ordre de grandeur serait le même pour un système à uranium et eau lourde tel que l’imaginait Joliot à l’époque). Avec v = 2 200 m/s, cela donne = 1,5.10−3 s, soit à peine plus d’une milliseconde ! • Dans une réaction en chaîne, chaque neutron absorbé redonne naissance, en moyenne, à k nouveaux neutrons. La loi d’évolution du nombre n de neutrons doit être modifiée en conséquence pour ajouter cette production de neutrons :
dn = −n a v dt + k n a v dt = (k − 1) n a v dt = (k − 1) n soit :
n (t ) = n (0) exp[
dt ,
(k − 1)t ].
À titre d’exemple, supposons que k excède l’unité de 0,1 % : k = 1,001. Pour t = 1 seconde, cette loi donne presque un doublement de la puissance. Au bout de 2 secondes, la puissance a quadruplé ; après 3 secondes, elle est multipliée par 8 ; au bout de 10 secondes, par 1 000. Pour k = 0,999, il faudrait non pas multiplier mais diviser par ces valeurs la puissance initiale. On voit donc que les évolutions sont très rapides dès que k s’écarte légèrement de l’unité : pour contrôler le système, il faut concevoir des mécanismes de régulation du facteur k extrêmement précis et rapides. C’est un tel système que Joliot et ses collaborateurs imaginaient dans leur deuxième brevet.
Par ailleurs, si la formule de masse critique proposée par Francis Perrin peut être admise, les ordres de grandeur de l’application numérique sont totalement inexacts : les auteurs, en effet, pensent que 40 tonnes d’uranium naturel, transportées par un cargo, pourraient suffire pour engendrer une explosion qui détruirait complètement le port où sera ancré ce cargo. Il s’avèrera rapidement par la suite qu’une masse d’uranium naturel seule ne peut pas être critique aussi grosse soit-elle : pour une explosion, il faut une matière fissile quasiment pure, par exemple, de l’uranium ne
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
contenant, après séparation isotopique, que l’isotope 235. Alors, la masse critique ne se mesure pas en tonnes, mais en kilogrammes. À la fin de 1939, quelques mois à peine après le dépôt des brevets de Joliot et ses collaborateurs, le physicien américain Richard Brooke Roberts découvrit qu’environ 0,65 % des neutrons émis lors de la fission induite de l’uranium 235 sont émis non pas au moment de la fission mais quelques secondes ou dizaines de secondes après : ce sont les « neutrons retardés ». Le mécanisme n’est pas une « évaporation » d’un fragment de fission, mais une émission neutronique se produisant après une décroissance bêta négative de certains rares fragments appelés « précurseurs de neutrons retardés ». Cette décroissance bêta ne se produit qu’un certain temps après la formation du précurseur lors de la fission — c’est ce qui crée le retard — et donne un noyau suffisamment excité pour qu’un neutron puisse vaincre l’attraction nucléaire et s’échapper ; si c’est le cas, l’émission neutronique est pratiquement instantanée après la décroissance bêta. Par exemple : 87 Br
→ 87 Kr∗ + e + ν¯ (période : 55,7 s), puis 87 Kr∗ → 86 Kr + 1 n,
ou encore : 137 I
→ 137 Xe∗ + e + ν¯ (période : 22,7 s), puis 137 Xe∗ → 136 Xe + 1 n.
En moyenne, le délai avant l’émission des neutrons retardés est de 11,3 secondes. Cela va changer totalement l’ordre de grandeur du temps de génération des neutrons. Cet ordre de grandeur s’obtient, en effet, en pondérant les durées relatives aux deux populations prompte et retardée par leurs pourcentages respectifs : par exemple, en adoptant 1,5 milliseconde pour la durée de la migration des neutrons, le temps de génération n’est plus cette milliseconde et demie, mais 0,001 5 seconde pour 99,35 % des neutrons (les prompts) et 11,3 + 0,001 5 secondes pour 0,65 % des neutrons, soit, en moyenne, 75 millisecondes, cinquante fois plus ! Dans la pondération, le terme qui l’emporte, de loin, est le second : dans la cinétique, ce n’est plus le temps de migration qui compte, mais le faible pourcentage des neutrons retardés. En reprenant le même exemple, c’est-à-dire k = 1,001, mais un temps de vie de 75 millisecondes, on voit que la puissance ne croît en fait que de 1,3 % en une seconde (doublement en 52 secondes). Contrairement à ce que pensait Joliot, un réacteur est une machine assez peu nerveuse : l’opérateur d’un réacteur dispose de temps pour réagir et contrôler l’évolution de la puissance. Attention, ce qui vient d’être expliqué n’est correct que si k est proche de 1 ou, si l’on préfère, si la réactivité définie par : ρ=
k −1 k
et souvent utilisée en pratique (on l’exprime en pcm, c’est-à-dire pour cent mille) est faible en valeur absolue. En particulier, si la réactivité ρ dépasse la proportion β des neutrons retardés, soit 650 pcm, le système devient surcritique avec les seuls neutrons prompts et diverge alors selon une exponentielle croissant très vite comme dans le modèle de cinétique initial.
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5. Le concept de la réaction en chaîne
À ce sujet, il convient d’attirer l’attention du lecteur sur le fait que cette croissance s’arrêterait rapidement sauf dans un système conçu pour exploser (bombe « atomique ») ; en effet, comme on le verra plus loin, des contre-réactions interviennent dans les réacteurs et réduisent la réactivité dès que la température augmente, jusqu’à créer une situation sous-critique : il est physiquement impossible qu’un réacteur explose comme une bombe.
3
Cinétique de la réaction en chaîne avec neutrons retardés Si l’on distingue G groupes de précurseurs de neutrons retardés (en pratique, on en prend 6 ou 8 en regroupant ceux qui ont des périodes proches), les équations doivent maintenant s’écrire : dn k (1 − β) − 1 = n+ λi ci , dt G
i =1
dci k βi = n − λi ci , dt où les ci (t ) sont les nombres de précurseurs de neutrons retardés (émetteurs bêta puis neutrons) présents à l’instant t , λi leurs constantes de décroissance radioactive, βi la proportion des neutrons émis de façon retardée par les précurseurs de type i et β la somme des βi , c’est-à-dire la proportion totale des neutrons émis de façon retardée. On démontre que, si le facteur de multiplication est indépendant du temps, les solutions sont des fonctions exponentielles de la forme eωt ; en reportant une telle forme dans le système d’équations différentielles, on trouve l’équation que doit vérifier ω, dite « équation de Nordheim » : ρ=
βi ω 1 [ω + ]. 1 + ω λi + ω
Cette équation a toujours G + 1 racines : la plus grande correspond au mode principal ; comme on s’y attend, elle est croissante si k > 1 (ω positif), décroissante si k < 1 (ω négatif) et constante si k = 0 (ω nul). Les G autres racines sont toutes caractérisées par des valeurs négatives de ω et correspondent à des transitoires. Si k est très proche de 1, la racine principale est donnée au tout premier ordre par : ρ ω , ¯
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
où ¯ est le temps de génération moyen défini ci-dessus dans le texte ; cette formule est celle du cas sans neutrons retardés dans laquelle est remplacé ¯ par . Ce qu’il est important de voir, c’est que pour des réactivités inférieures au seuil β de la criticité par neutrons prompts, le temps de doublement est beaucoup plus long que s’il n’y avait pas de neutrons retardés, par exemple, 34 secondes pour une réactivité de 100 pcm au lieu de 1 seconde s’il n’y avait pas de neutrons retardés (la valeur de 52 secondes calculée ci-dessus avec la formule au premier ordre et le raisonnement sur le temps de vie moyen s’avère du bon ordre de grandeur mais est un peu surestimée). Pour les réactivités supérieures à β, la divergence est rapide : elle se fait avec la « réactivité prompte » ρ − β et le temps de vie des neutrons prompts : ω
ρ −β .
La figure 5.1 résume ces considérations.
Figure 5.1
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Temps de doublement de la puissance en fonction de la réactivité.
CP1, la première pile atomique Le réglage de la réactivité. Les deux voies possibles pour une réaction en chaîne. Le choix d’un modérateur. La formule des quatre facteurs. L’équation de la diffusion. L’approche sous-critique et la divergence, le 2 décembre 1942, de la première pile de Chicago.
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, la réalisation d’une réaction en chaîne repose sur la possibilité d’atteindre, voire dépasser, la valeur 1 pour le facteur de multiplication k. Pour le démarrage, une source de neutrons extérieure au processus de fission est nécessaire, par exemple une source alpha-béryllium. Une valeur de k légèrement supérieure à 1 permet d’amplifier petit à petit le nombre de neutrons. Quand le niveau de puissance requis a été atteint, on rétablit la criticité grâce à des « barres de commande » : il s’agit d’absorbants neutroniques se présentant généralement sous la forme de barres que l’on peut enfoncer plus ou moins profondément au sein du cœur du réacteur. Une insertion augmente les captures stériles de neutrons au détriment des fissions et k diminue. Inversement, une extraction augmente k. Un réglage précis permet d’ajuster k exactement sur la valeur 1 et alors la réaction en chaîne s’entretient d’elle-même.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Lorsqu’on souhaite réduire ou arrêter cette réaction, on rend le réacteur sous-critique par insertion d’une ou plusieurs barres de commande. Pour un arrêt d’urgence, on prévoit des barres dites de sécurité caractérisées par une grande efficacité (grande absorption) et une insertion rapide. La possibilité théorique d’une réaction en chaîne a été vite entrevue par les savants des dernières années 1930, tant en France — comme nous l’avons vu avec Joliot et les brevets — qu’ailleurs, par exemple aux États-Unis par Léo Szilard ou Eugène Wigner. Mais encore fallait-il concrètement réaliser une configuration adéquate. Les travaux de Fermi ont montré que deux directions sont envisageables : ce sont, respectivement, la voie des neutrons rapides et celle des neutrons thermiques. Pour comprendre la différence, il faut se rappeler, d’une part, que les neutrons émis par fissions sont des neutrons rapides (énergie de l’ordre de 2 MeV, correspondant à une vitesse de 20 000 km/s), d’autre part, qu’un matériau modérateur permet de ralentir et thermaliser les neutrons jusqu’à une énergie de l’ordre de 1/40 eV, soit 2,2 km/s. Dans la voie des neutrons rapides, on ne cherche pas à ralentir les neutrons. Contrairement à ce que pensait Joliot, les ordres de grandeur des sections efficaces que l’on a pu mesurer entre temps montrent qu’une configuration critique ne peut pas être obtenue dans ces conditions avec l’uranium naturel car l’isotope qui subit facilement la fission, le 235, est trop peu abondant (0,7 %) et l’autre, le 238, ne subit presque jamais la fission. Pour un réacteur à neutrons rapides, il faut enrichir l’uranium en isotope 235 jusqu’à une teneur au moins de l’ordre de 15 à 20 %... ce que l’on ne sait pas faire à cette époque, au tout début des années 1940. Mais on ne va pas tarder à y réfléchir dans le contexte du Projet Manhattan (1942-1945) de mise au point de l’arme atomique. En effet, seule la voie des neutrons rapides peut convenir pour une arme car il faut un temps de génération des neutrons très court et une très grande réactivité positive pour obtenir une explosion efficace. La bombe qui détruisit Hiroshima le 6 août 1945 utilisa de l’uranium enrichi à plus de 90 % en isotope 235 obtenu grâce aux gigantesques usines de séparation isotopique construites lors du Projet Manhattan. L’autre voie, celle des neutrons thermiques, en revanche, convient parfaitement pour un réacteur destiné à fonctionner à un niveau de puissance constant. Cette voie consiste à ralentir et à thermaliser les neutrons. Compte tenu de la « loi en 1/v » (voir le chapitre 3), l’absorption des neutrons lents est beaucoup plus aisée que celle des neutrons rapides. Il se trouve, plus particulièrement, que contrairement à ce qui est observé pour les neutrons rapides, l’isotope 235 de l’uranium est quelque 250 fois plus absorbant que l’isotope 238 pour les neutrons lents. Tout se passe comme si le premier devenait énorme en comparaison du second. Dans ces conditions, l’absorption d’un neutron par l’isotope 235 et donc sans doute la fission est plus probable que la capture sans fission par l’isotope 238, même dans l’uranium naturel qui, rappelons-le, ne contient qu’un seul uranium 235 sur 139 atomes. Enfin, troisième élément physique important à noter, la conversion : la capture d’un neutron par l’uranium 238 ne conduit pas à la fission mais n’est cependant pas réellement stérile ; elle donne, en effet, l’uranium 239 qui après deux jours environ
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6. CP1, la première pile atomique
se transforme en plutonium 239 ; ce dernier, artificiel, se révèle être une matière fissile très similaire à l’uranium 235 ; s’il est récupéré après irradiation de l’uranium dans un réacteur, il pourra servir de « combustible » pour un nouveau réacteur... ou d’explosif pour une arme nucléaire. La bombe qui détruisit Nagasaki le 9 août 1945 fut une bombe à plutonium. Mais reprenons le fil de l’histoire que nous avons interrompue avec la découverte des neutrons retardés. En 1940, l’Allemagne envahit la France. L’équipe de Joliot se disperse. Si Joliot lui-même reste à Paris pendant toute la durée de la guerre, ses collaborateurs vont poursuivre leur recherches outre-Manche et outre-Atlantique avec les équipes britanniques, canadiennes et américaines. On peut penser que, dans d’autres circonstances, c’est l’équipe française qui aurait réalisé la première réaction en chaîne de fissions : elle disposait non seulement d’un grand savoir-faire, mais aussi des matériaux nécessaires, uranium et eau lourde pour ralentir les neutrons. L’eau lourde, de formule D2 O, est le meilleur modérateur ; c’est de l’eau dans laquelle on n’a conservé que l’isotope lourd de l’hydrogène, 2 H ou deutérium (D), qui est en proportion de 1 sur 6 500 dans l’hydrogène naturel. Elle était obtenue par la société norvégienne Norsk Hydro en tant que sous-produit des usines de fabrication de l’amoniac. Joliot, qui en connaissait l’intérêt, avait acheté cette production. (Le stock qui restait encore en Norvège fut récupéré par la mission Allier : cet épisode donna lieu, après la guerre, à un film qui eut un succès certain, La bataille de l’eau lourde.) 1940, États-Unis : Fermi est maintenant installé à Chicago où il a émigré, craignant pour sa femme Laura qui était juive. Dans le contexte du « Manhattan Project » qui démarre, il va être chargé de réaliser une réaction en chaîne de fissions susceptible de produire également du plutonium, c’est-à-dire la matière fissile artificielle pouvant remplacer l’uranium 235 pour une arme nucléaire. Première chose à faire : choisir un modérateur pour ralentir les neutrons. Un modérateur doit répondre à trois critères : • contenir des noyaux légers, seuls susceptibles de ralentir efficacement les neutrons ; • n’être constitué que d’éléments peu capturants pour les neutrons ; • être suffisamment dense (en pratique : solide ou liquide). Seuls D, He, Be, C et O répondent aux deux premiers critères. L’hélium (le premier des gaz rares) est éliminé par le troisième critère. Les principaux matériaux restant en lice sont l’eau lourde (D2 O), le béryllium métallique ou sous forme d’oxyde (glucine de formule BeO) et le graphite (C). Avec l’un ou l’autre de ces modérateurs une réaction en chaîne utilisant l’uranium naturel est possible. Fermi renonce rapidement aux modérateurs béryllium et eau lourde que l’industrie américaine de l’époque n’aurait pas pu produire rapidement en quantités suffisantes. Il se tourne donc vers le graphite, c’est-à-dire du carbone, un matériau courant mais qu’il fallait seulement bien purifier, notamment vis-à-vis du bore, pour l’application nucléaire.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Connaissant déjà bien la neutronique (et les neutrons retardés), ainsi que nous l’avons vu, Fermi établit un formulaire permettant de calculer le facteur de multiplication et ajuste les coefficients qui lui manquent à partir de quelques mesures sur des configurations sous-critiques (trop petites pour être critiques). Il utilise pour cela une « formule des quatre facteurs » qu’il vient de mettre au point et qui restera célèbre (elle est toujours enseignée aujourd’hui). Cette formule permet d’exprimer le facteur de multiplication en milieu infini donc en l’absence de fuite, noté k∞ : k∞ = εpf η. Cette formule suit l’histoire des neutrons dans un réacteur à neutrons thermiques et en établit un bilan à chaque étape. • On part de 1 neutron émis par une fission induite par neutron thermique, en pratique de l’uranium 235 (il faut comprendre que ce « 1 », comme toutes les valeurs qui suivent, correspond à une moyenne sur un effectif en réalité très important). • Il peut arriver que ce neutron rapide, émis à une énergie élevée (de l’ordre de 2 MeV, soit une vitesse de 20 000 km/s), provoque une fission d’un noyau non fissible par neutron thermique, en pratique l’uranium 238, générant ainsi quelques neutrons supplémentaires ; on passe ainsi de 1 neutron à une valeur ε un peu supérieure à 1 ; ce nombre ε est appelé « facteur de fission rapide ». • Fermi sait que dans le domaine intermédiaire entre la fission et le domaine thermique, l’uranium 238 présente des « résonances » c’est-à-dire des pics de la section efficace dans des intervalles d’énergie relativement étroits (fig. 6.1). Ces pics concernent la section efficace de capture (la fission n’est plus possible pour les neutrons qui ont commencé à se ralentir). C’est dire qu’avant d’atteindre l’énergie thermique, des neutrons se ralentissant risquent de tomber dans les « trappes » que représentent ces résonances et d’être par conséquent perdus pour la réaction en chaîne. Il y a ainsi une probabilité p inférieure à 1 que le neutron rapide atteigne le domaine thermique ; ce facteur p est appelé « facteur antitrappe ». Malgré les nombreuses et hautes résonances, cette probabilité est élevée car les neutrons se ralentissent de façon discontinue : comme des kangourous qui progresseraient dans un champ semé d’embûches, les neutrons peuvent « sauter par dessus les trappes » sans y disparaître. Ainsi, εp neutrons atteignent le domaine thermique. • Dans le système, se trouve du « combustible » en pratique l’uranium, et d’autres matériaux (modérateur, gaines des éléments de combustible, structures...) susceptibles de capturer stérilement des neutrons. La probabilité f que le neutron thermique soit absorbé dans le combustible, donc soit susceptible d’être utile, est appelée « facteur d’utilisation thermique ». Ainsi εpf neutrons sont « utiles ». • Ces neutrons « utiles » ne provoqueront pas tous des fissions : d’une part, ils peuvent être capturés par l’uranium 238, d’autre part, l’absorption d’un neutron par l’uranium 235 n’aboutit pas toujours à la fission mais peut parfois être une capture sans fission. Si l’on note α la probabilité qu’une absorption dans le
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6. CP1, la première pile atomique
combustible soit une fission et ν le nombre moyen de nouveaux neutrons que donne cette fission, on voit que η = αν neutrons sont obtenus par absorption dans le combustible ; ce facteur η s’appelle le « facteur de reproduction ». • Finalement, εpf η nouveaux neutrons sont émis par fissions thermiques ; c’est le facteur de multiplication k∞ qu’aurait le réacteur s’il était infini (pas de fuite). Pour un réacteur à graphite et uranium naturel, on peut retenir les ordres de grandeur suivants : ε = 1,05 ; p = 0,85 ; f = 0,92 ; η = 1,30 ; k∞ = 1,07. Cette formule des quatre facteurs (voir l’encadré 1) permet à Fermi d’évaluer les quantités de matériaux qui lui seront nécessaires et de passer les commandes. Installés dans des conditions spartiates dans un court de squash placé sous les gradins du stade de football de Chicago, Fermi et son équipe empilent des blocs de graphite répandant une pénétrante poussière noire et intercalent des blocs d’uranium métallique ou sous forme d’oxyde. Fermi surveille l’approche de la criticité (voir l’encadré 2). Le pari de réussir une réaction en chaîne est audacieux car la connaissance des sections efficaces est encore très sommaire (fig. 6.2). On peut s’en rendre compte à la lecture des notes prises par l’un des étudiants de Fermi, I. Halpern, lors d’un cours donné en 1945, d’où sont extraites les figures 6.1 et 6.2. En particulier, Fermi sait que l’uranium 238 présente, dans le domaine d’énergie du ralentissement des neutrons, de nombreuses résonances, c’est-à-dire des pics de section efficace, où les neutrons risquent de disparaître. Mais les mesures n’ont pas encore pu préciser les caractéristiques de ces résonances. Cependant, Fermi a pu établir dans ses grandes lignes la « théorie de l’absorption résonnante des neutrons ». Cela lui permettra en ajustant seulement deux ou trois paramètres à partir d’expériences préliminaires de prédire correctement la taille critique de la « pile atomique » qu’il construit. Lorsque la « pile atomique » est presque critique, avec près de 400 tonnes de graphite, 6 tonnes d’uranium métallique et 37 tonnes d’oxyde d’uranium, l’étape finale approche. Le réglage exact de la condition critique est réalisé par l’ajustement de la position d’une barre de commande. C’est cet ajustement qu’effectue le personnage au premier plan du dessin de la pile (voir fig. 6.3.) : s’il extrait la barre de commande (elle est en cadmium, un matériau fortement capturant pour les neutrons), il laisse davantage de neutrons disponibles pour les fissions et le facteur de multiplication s’accroît. Si, au contraire, il insère la barre de commande, elle capturera davantage de neutrons et le facteur de multiplication baisse. Les conséquences de ces mouvements sont surveillées par l’opérateur au second plan qui observe les variations du flux neutronique mesuré et reporté sur les appareils qui sont sous ses yeux ; ces variations reflètent la réactivité conformément aux équations de la cinétique. Sous la haute main de Fermi qui, au balcon, dirige l’expérience, il faut que contrôle et commande dialoguent constamment pour réaliser les évolutions désirées.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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La formule des quatre facteurs Voici le formulaire à quatre facteurs proposé par Fermi : ε Cte , (VNIeff )c ], (VN ξ σs )m S Ieff A + B , M Vc c (N5 σa 5 + N8 σa 8 ) f = , Vc c (N5 σa 5 + N8 σa 8 ) + Vm m Nm σam
p = exp[−
η=
N5 ν5 σf 5 N5 σa 5 = η5 , N5 σa 5 + N8 σa 8 N5 σa 5 + N8 σa 8 k∞ = εpf η.
Le facteur ε est à peu près indépendant du détail de la constitution du système. La formule du facteur p exprime la compétition entre la capture résonnante au numérateur — l’élément défavorable au bilan neutronique — et le ralentissement par le modérateur au dénominateur — l’élément favorable au bilan. L’intégrale effective Ieff est l’intégrale sur la léthargie de la section efficace effective de capture par l’uranium 238, prenant en compte « l’autoprotection » des résonances dont Fermi établit la théorie (A et B sont des constantes caractérisant les résonances et S et M sont la surface et la masse de l’élément de combustible). Le modérateur est caractérisé par son pouvoir de ralentissement ξ σs , produit de la section efficace de diffusion par le gain moyen de léthargie par diffusion. Chaque zone (uranium et modérateur) est caractérisée par son volume V et la concentration N en atomes ou molécules par unité de volume. L’expression du facteur f ne fait qu’expliciter sa définition si l’on suppose que les neutrons thermiques sont monocinétiques ; les sont les flux moyens. De même, la formule de η explicite sa définition.
Fermi est également responsable de la radioprotection de son équipe... et des passants dans la rue derrière les cloisons du local, la salle de squash sous les gradins du stade de Chicago : le détecteur de rayonnement gamma que l’on voit devant la pile et dont le câble délivre le signal jusqu’au balcon mesure le rayonnement ambiant, et Fermi vérifie qu’il reste acceptable. Enfin, dernier point fondamental de tout réacteur nucléaire, également déjà compris par Fermi : avec le contrôle, la commande et la radioprotection, il faut assurer la sûreté, c’est-à-dire pouvoir arrêter la réaction en chaîne très vite. On prévoit généralement pour cela un absorbant qui peut être rapidement inséré et d’une efficacité suffisante pour amener une situation largement sous-critique stoppant la réaction nucléaire.
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6. CP1, la première pile atomique
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L’approche sous-critique L’approche de la criticité est toujours une opération délicate dans un réacteur : il faut détecter la divergence avant que le système ne devienne surcritique par neutrons prompts ! Si, initialement, il n’y a pas de neutron dans le système, il n’y en aura toujours pas lorsque qu’il deviendra surcritique. Mais alors, le moindre neutron apparaissant est rapidement multiplié. En réalité, il y a toujours quelques neutrons, soit provenant de réactions induites par les rayons cosmiques, soit issus des très rares fissions spontanées de l’uranium 238. Le flux neutronique n’est donc jamais rigoureusement nul. Si le système est sous-critique (k < 1) et alimenté par une source autonome S , le nombre de neutrons émis par unité de temps sera au total, en ajoutant à ceux émis par la source les neutrons émis par les fissions induites :
S + kS + k 2 S + k 3 S + k 4 S + · · · =
S . 1−k
On voit que la source est amplifiée du facteur 1/(1− k ). En pratique, même si k est proche de 1, le nombre de neutrons est trop faible pour être mesuré, si l’on ne compte que sur la source provenant des rayons cosmiques et des fissions spontanées : pour pouvoir mesurer le flux, on introduit dans le système une source plus intense (qui pourra, indifféremment, être laissée en place ou retirée lorsque la criticité sera atteinte). L’approche sous-critique consiste à faire varier un paramètre, par exemple, la hauteur h de l’empilement et à porter l’inverse du taux de comptage en fonction de ce paramètre. En supposant que k varie linéairement avec ce paramètre, les points sont alignés. En extrapolant à l’origine, on détermine la valeur critique.
Deux moyens redondants ont été prévus par Fermi : d’une part, une lourde barre de cadmium accrochée par une corde au chassis situé au-dessus de l’empilement ; sur ordre de Fermi, un collaborateur peut trancher la corde d’un coup de hache et la barre chute au sein de la pile ; d’autre part, trois autres collaborateurs, non représentés sur ce dessin et placés sur la plateforme surmontant la pile, peuvent, toujours sur un signal de Fermi, renverser un grand récipient plein d’une solution d’un sel de cadmium : dans cette hypothèse, le système inondé de cadmium passerait à un état largement sous-critique. Mais Fermi avait bien conçu son expérience et ces deux organes de sûreté n’ont pas été utilisés. Le jour de la première divergence, Fermi, prudent, arrêta la réaction en chaîne quand la puissance atteignit... 0,5 watt, même pas la puissance d’une lampe de poche ! Ensuite, il monta jusqu’à quelques centaines de watts, avant de démonter l’empilement et de passer à la réalisation de machines beaucoup plus puissantes.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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Pourquoi des résonances ? Comme les atomes, les noyaux sont caractérisés par une structure en niveaux d’énergie. Le premier niveau, le plus bas, est le niveau fondamental, celui qui est normalement occupé. Les autres niveaux, au-dessus, sont des niveaux excités sur lesquels le système peut momentanément se placer avant de se désexciter vers le fondamental par émission d’un ou plusieurs photons.
Figure 6.1 L’explication donnée par Fermi aux résonances : on observe une résonance associée à chaque niveau d’excitation du noyau composé formé par l’absorption du neutron.
Comme le suggère la figure 6.1 ci-dessus, due à Fermi, lorsqu’un noyau absorbe un neutron, le « noyau composé » formé (isotope avec un neutron de plus du noyau initial) est fortement excité, puisqu’il aura reçu d’une part l’énergie de liaison par les forces nucléaires du neutron qui s’est ajouté (plusieurs MeV en pratique) et d’autre part l’énergie cinétique apportée par ce neutron (cette dernière peut aller de pratiquement zéro à quelques MeV). S’il se trouve que l’énergie d’excitation correspond à l’énergie d’un des niveaux du noyau composé, la réaction se fera aisément, ce qui se manifeste par un pic de la section efficace σ ; sinon, cette section efficace est faible.
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6. CP1, la première pile atomique
Figure 6.2 La connaissance des sections efficaces de l’uranium à l’époque de Fermi : les sections efficaces dans le domaine thermique sont assez précisément connues ; mais, si elles sont soupçonnées, les résonances n’ont pas encore été mesurées (poorly known) [Cette figure, ainsi que la précédente, sont extraites de : Enrico Fermi, A course in neutron Physics, 1945, notes by I. Halpern Note e memorie (collected papers), Volume II - United States 1939-1945, The University of Chicago Press, 1965].
Figure 6.3 La pile de Fermi, CP1 (Chicago Pile Number 1), le 2 décembre 1942 (dessin d’artiste fait de mémoire par la suite) [Document Argonne National Laboratory].
Ce seront les piles de Hanford (État de Washington), modérées au graphite et refroidies à l’eau, qui fabriqueront le plutonium nécessaire pour l’explosion expérimentale (essai Trinity) d’Alamogordo (Nouveau-Mexique, 16 juillet 1945) et à la bombe Fat Man qui détruisit Nagasaki (9 août 1945). En parallèle, dans le contexte du projet Manhattan, les Américains mettront au point des procédés de séparation isotopique, notamment par diffusion gazeuse, et produiront l’uranium très enrichi en isotope 235 pour la bombe Little Boy d’Hiroshima (6 août 1945), non testée préalablement.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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L’équation de la diffusion Si l’on suppose que les neutrons sont monocinétiques de vitesse v — ce qui est une hypothèse acceptable dans un réacteur à graphite où presque tous les neutrons sont thermiques —, la migration dans l’espace peut être traitée : par l’équation de Boltzmann intégrée sur −div J − a + νf =
1 ∂ . v ∂t
→ − Le courant J est le vecteur tel que J . dS dt soit le nombre de neutrons tra→ − versant un élément de surface dS pendant un intervalle de temps dt . En approximation de la diffusion, le courant est relié au flux par la loi empirique de Fick : −−→ J = −D grad, d’où, en reportant, l’équation de la diffusion :
D − a + νf =
1 ∂ , v ∂t
où est l’opérateur de Laplace et où toutes les grandeurs peuvent dépendre de l’espace et, en ce qui concerne le flux neutronique , du temps. Les grandeurs apparaissant dans le membre de gauche caractérisent le milieu : coefficient de diffusion D , section efficace macroscopique d’absorption des neutrons a et section efficace macroscopique de production de neutrons par fission νf . En divisant l’équation par a , elle peut être écrite :
M 2 + (k∞ − 1) =
∂ , ∂t
avec M 2 = D /a , k∞ = νf /a (c’est le facteur de multiplication infini dans le contexte monocinétique) et = 1/(v a ) (temps de vie). On peut montrer que six fois l’aire de migration M 2 s’interprète comme la moyenne du carré de la distance R parcourue par les neutrons à vol d’oiseau, dans le milieu étendu à l’infini, de leur émission jusqu’à leur absorption.
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6. CP1, la première pile atomique
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Calcul de la pile nue et homogène ; probabilité de non-fuite et taille critique La condition à la limite d’une pile nue — pas de neutron entrant depuis l’extérieur — peut être approximativement remplacée par une condition d’annulation du flux sur une surface décalée vers l’extérieur par rapport à la surface réelle d’une petite « distance d’extrapolation » d = 2,13 D . Si la pile est homogène, la solution asymptotique (après l’extinction d’éventuels transitoires) est, comme on le vérifie en reportant dans l’équation de la diffusion : (r , t ) = A eα t f (r ), où A est une constante de normalisation, α = (k∞ − 1 − M 2 B 2 )/, B 2 la valeur propre de l’opérateur de Laplace : f + B 2 f = 0 et f la fonction propre vérifiant les conditions aux limites. La solution de cette dernière équation doit être positive pour que le flux soit positif comme l’exige la physique (rappelons que le flux est la densité multipliée par la vitesse) ; elle dépend de la géométrie de la pile. Par exemple, pour une sphère nue de rayon R :
f =
1 πr π2 sin ; B2 = 2 r R R
et pour un parallélépipède rectangle de côtés a , b et c :
f =
sin π x πy πz π2 π2 π2 sin sin ; B2 = 2 + 2 + 2 a b c a b c
(les dimensions incluent la distance d’extrapolation). Si le réacteur est critique, ce régime est stationnaire ; la condition pour cela est α = 0, soit : k∞ k = = 1. 1 + M 2B 2 où k est le facteur de multiplication du réacteur fini : on le qualifie parfois « d’effectif » pour le distinguer de k∞ . C’est le produit du facteur de multiplication infini par la probabilité de non-fuite du système :
Pnf =
1 . 1 + M 2B 2
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
La taille critique est donnée par l’équation :
B 2 = χ2 =
k∞ − 1 . M2
On interprète parfois cette condition critique en disant que le « laplacien géométrique » B 2 doit être égal au « laplacien matière » χ 2 . Par exemple, pour une sphère, le rayon doit être tel que : π2 π = χ 2 , soit : R = . 2 χ R
Les deux encadrés précédents et le suivant donnent quelques détails sur la façon dont a procédé Fermi pour ses calculs : outre l’ajustement de la formule des quatre facteurs à partir de résultats de mesures, il a utilisé l’équation de la diffusion pour exprimer la probabilité de non-fuite et prévoir la taille critique.
6
Comment Fermi a dû procéder pour ajuster son formulaire Dans un premier temps, avant de chercher à réaliser une « pile atomique » Fermi a fait des mesures nucléaires : sections efficaces, aire de migration dans le modérateur. Dans ces conditions, il reste trois paramètres inconnus dans les formules : εη5 , A /(ξ σs )m et B /(ξ σs )m . Il réalise alors des expériences sous-critiques et mesure leurs « laplaciens matière » d’où il déduit k∞ . Les mesures donnent aussi le rapport m /u . Par ajustement sur les valeurs de k∞ , le reste étant connu, il détermine les valeurs de ces paramètres. Le formulaire permet alors d’optimiser la configuration et de prévoir la taille critique.
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Le plutonium, les produits de fission Les premiers réacteurs de grande puissance, producteurs de plutonium. La découverte de l’effet xénon. Les produits de fission. Le samarium 149.
Nous l’avons vu au chapitre précédent, le plutonium 239, artificiel, peut remplacer l’uranium 235, le seul nucléide naturel fissile, que ce soit pour un réacteur ou pour une arme. Le plutonium fut d’abord découvert en 1940 par Glenn Seaborg dans des réactions nucléaires induites par des deutons accélérés dans un cyclotron. Peu après, on mit en évidence sa formation par captures neutroniques par l’uranium 238. Les réactions — ce sont celles que Fermi cherchait à réaliser en 1934 mais qu’il ne mit pas en évidence à cause de la radioactivité des produits de la fission de l’isotope 235 — sont les suivantes, une capture suivie de deux désintégrations bêta négatives : 1n 0
239 + 238 92 U → 92 U (capture neutronique),
239 239 0 0 92 U → 93 Np + −1 e + 0 ν¯ (période : 23 minutes), 239 239 0 0 93 Np → 94 Pu + −1 e + 0 ν¯ (période : 2,3 jours).
Par d’autres captures neutroniques, l’isotope 239 du plutonium peut donner successivement les isotopes 240, 241 et 242.
61
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Les réacteurs de production militaire de Hanford [Source : Wikipedia] Nom du réacteur
Date de lancement
Date d’arrêt
Puissance initiale (MWt)
Puissance finale (MWt)
B
09/1944
02/1968
250
2 210
D
12/1944
06/1967
250
2 165
F
02/1945
06/1965
250
2 040
H
10/1949
04/1965
400
2 140
D
10/1950
12/1964
250
2 015
C
11/1952
04/1969
650
2 500
KW
01/1955
02/1970
1 800
4 400
KE
04/1955
01/1971
1 800
4 400
N
12/1963
01/1987
4 000
4 000
Les isotopes impairs (239 et 241) sont, comme l’uranium 235, fissiles par neutron thermique : après l’absorption d’un neutron, ils subissent le plus souvent la fission. Durant le projet Manhattan, trois réacteurs plutonigènes furent construits. Conçus pour délivrer 250 mégawatts thermiques (MWt), leur puissance fut poussée audelà de 2 000 MWt. Ils produisirent suffisamment de plutonium pour l’explosion expérimentale Trinity d’Alamogordo et la bombe Fat Man qui détruisit Nagasaki. Par la suite, six autres réacteurs plutonigènes furent érigés sur le même site de Hanford (État de Washington). Pendant la vingtaine d’années durant lesquelles fonctionna chacun de ces réacteurs, soit un programme d’une quarantaine d’années au total, 57 tonnes de plutonium furent produites, permettant de faire près de 60 000 têtes nucléaires. Le 26 septembre 1944, le premier réacteur de Hanford démarra comme l’avaient prévu ses concepteurs... puis s’arrêta spontanément le lendemain matin. Que se passait-il ? C’est ainsi qu’on découvrit un produit de fission qui est un puissant absorbant neutronique, le xénon 135. Il se forme en une quinzaine d’heures et réduit significativement la réactivité. Si l’on arrête le réacteur, le xénon 135 finit par disparaître par radioactivité, là encore en une quinzaine d’heures... mais si on redémarre, le xénon 135 ré-apparaît et étouffe à nouveau la réaction en chaîne. Heureusement, les ingénieurs qui avaient conçu le réacteur avaient prévu des marges suffisantes — il faut se méfier des résultats fournis par les scientifiques ! — et, après modifications, purent redémarrer la pile le 17 décembre. Les produits de fission sont nombreux et variés. Parmi ceux qui sont formés le plus abondamment figure le xénon 135. Ce nucléide se caractérise par une section efficace de capture pour les neutrons lents qui bat tous les records : près de 3 000 000 de barns ! Dans un réacteur de grande puissance, dès qu’il aura commencé à s’accumuler dans le combustible, le xénon 135 va capturer des neutrons et ainsi réduire la réactivité du
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7. Le plutonium, les produits de fission
réacteur. Heureusement, outre sa destruction par captures neutroniques, le xénon disparaît aussi par radioactivité bêta. Il y a deux voies produisant le xénon 135 : une production directe, faible, et une production par décroissance de l’iode 135. La figure 7.1 donne la chaîne. Les rendements γ sont les probabilités d’occurrence pour une fission ; les valeurs numériques indiquées sont relatives aux fissions induites d’uranium 235. Les valeurs indiquées pour les décroissances β sont les périodes.
Figure 7.1 La chaîne de formation du xénon 135 [Source de cette figure et des suivantes : Précis de neutronique].
Une particularité de l’empoisonnement par le xénon 135 est le « pic » qui se produit après l’arrêt d’un réacteur. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le pic du xénon n’est pas dû au fait que sa période est plus longue que celle de son précurseur, l’iode, mais vient de ce que la voie de disparition par capture neutronique se ferme si le flux s’annule. Ce phénomène peut être une contrainte dans l’exploitation du réacteur : si les réserves de réactivité ne sont pas suffisantes pour redémarrer au moment du pic, il faut soit redémarrer très vite avant que la concentration du xénon ait trop monté, soit attendre quelque temps après le pic qu’elle ait suffisamment baissé. La découverte de l’effet xénon amena les physiciens à s’intéresser de près à l’ensemble des produits de fission. La fission des noyaux, induite ou spontanée, peut se faire de très nombreuses façons ; c’est ainsi que le nombre de neutrons émis est variable, entre zéro et sept, et que les fragments obtenus sont extrêmement divers : on en recense environ 700 dispersés sur plus de 30 éléments chimiques. La plupart sont radioactifs β et γ car ces noyaux ont une proportion de neutrons trop importante. Certains sont aussi assez voire très capturants pour les neutrons. On a l’habitude d’appeler « produits de fission » l’ensemble des nucléides provenant des fissions, soit directement — ce sont les fragments de fission —, soit indirectement après une décroissance radioactive et/ou une capture neutronique. La production des fragments de fission est caractérisée par des « rendements » γi définis comme le nombre moyen de noyaux de l’espèce considérée pour une fission. Ces rendements dépendent du noyau qui a subi la fission. Comme chaque fission donne deux fragments, la somme des rendements est égale à 200 %.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
1
Les équations régissant le xénon 135 Pour simplifier, on peut : • raisonner sur les quantités moyennes par unité de volume de combustible ; • négliger l’étape du tellure 135 et raisonner comme si l’iode 135 était directement formé par fission. En notant I et X les concentrations de l’iode 135 et du xénon 135 et en affectant aux paramètres les indices respectifs i et x , les équations d’évolution s’écrivent : dI = γi f − λi I , dt dX = γx f + λi I − λx X − σx X , dt où f est la section efficace macroscopique de fission du combustible, le flux, γ les rendements par fission, λ les constantes de décroissance radioactive et σx la section efficace microscopique de capture du xénon 135 (les produits et σ sont intégrés sur le spectre énergétique des neutrons). Le calcul montre qu’au bout de quelques jours les concentrations tendent vers des valeurs d’équilibre :
Iéq =
γi f (γi + γx )f ; Xéq = . λi λx + σx
L’effet d’empoisonnement joue essentiellement sur le dénominateur a (section efficace macroscopique d’absorption du combustible) de la formule η = νf /a du facteur de reproduction. Au premier ordre, l’antiréactivité apportée (empoisonnement) est : π=
σx X . a
À l’équilibre, elle vaut : πéq = (γi + γx )
f σx . λx + σx a
Par exemple, pour un flux de 7.1016 n/m2 .s, λx = σx ; avec f /a = 0,62 (uranium naturel), cet empoisonnement à l’équilibre représente 2 000 pcm, soit 2 % sur le facteur de multiplication. Pour un réacteur à uranium naturel modéré au graphite, pour lequel le bilan neutronique est très « serré », cela est loin d’être négligeable.
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7. Le plutonium, les produits de fission
2
Pourquoi un pic du xénon 135 ? Supposons, pour fixer les idées, que le réacteur a fonctionné suffisamment longtemps à un niveau de flux constant pour que l’iode et le xénon soient à l’équilibre, et qu’à un instant pris comme origine on l’arrête. L’iode et le xénon vont alors évoluer en fonction des seules lois de la radioactivité. La concentration d’iode va baisser continûment. Juste après l’arrêt, en revanche, la concentration du xénon va croître car sa destruction par captures neutroniques (le terme σx X de son équation d’évolution) s’annule. (Le terme de production par fission γx f s’annule aussi, mais il est beaucoup plus faible.) Asymptotiquement, bien sûr, la concentration du xénon tend vers zéro, puisque ce nucléide est radioactif. On voit donc que l’empoisonnement va augmenter jusqu’à un maximum avant de s’annuler. C’est ce qui est appelé le « pic » du xénon après arrêt. La résolution des équations (avec un flux nul et les concentrations d’équilibre comme condition initiale) confirme ce raisonnement qualitatif. Elle montre que le pic se produit une dizaine d’heures après l’arrêt et qu’il est d’autant plus haut que le flux avant l’arrêt était élevé (figure 7.2).
Figure 7.2 L’évolution de l’empoisonnement par le xénon 135 après arrêt du réacteur pour différents niveaux de flux avant l’arrêt.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 7.3 Rendements Y cumulés par nombres de masse des fragments de fission.
3
Les équations régissant les produits de fission D’une façon générale, les équations d’évolution des produits de fission sont de la forme :
dNi = γi f − λi Ni − σi Ni + λj Nj + σk Nk . dt Les indices sont les suivants : i est le produit considéré ; j donne i par radioactivité ; k donne i par capture neutronique. Les autres notations sont similaires à celles des équations écrites pour le xénon 135. En pratique, seules une ou deux dizaines de produits contribuent significativement à l’empoisonnement (réduction du facteur de multiplication). Les nucléides dont l’évolution n’est pas traitée explicitement sont regroupés en « pseudo-produits de fission » fictifs (un pour chaque noyau fissible). Aujourd’hui, cela n’est plus utile, puisque plus d’une centaine de produits sont traités dans les équations.
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7. Le plutonium, les produits de fission
Figure 7.4 La chaîne de formation du samarium 149.
La fission est le plus généralement dissymétrique comme on peut l’observer sur la figure 7.3 donnant la répartition par nombres de masse pour deux exemples, la fission d’uranium 235 et celle de plutonium 239 induites par neutron lent. Parmi les produits de fission, outre le xénon 135, un autre attira assez vite l’attention car il introduit une contrainte dans l’exploitation des réacteurs à haut flux neutronique : il s’agit du samarium 149. Le samarium est un produit de fission obtenu à un taux relativement important et caractérisé par une grande section efficace de capture pour les neutrons lents. La figure 7.4 montre la chaîne de ce nucléide. Le samarium 149 est connu non pas tant pour son empoisonnement à l’équilibre qui est relativement modeste que par le surcroît après arrêt dans les réacteurs à haut flux. Si l’on arrête un réacteur, la destruction du samarium 149 cesse et petit à petit tout le prométhéum 149 se transforme en samarium. Finalement la concentration du samarium sera la somme des concentrations au moment de l’arrêt du prométhéum 149 et du samarium 149 (fig. 7.5). Pour un flux avant arrêt égal à 7.1016 n/m2 (exemple considéré à propos du xénon 135), le surcroît est faible : 85 pcm. Mais pour un flux n fois plus élevé, ce surcroît est n fois plus important. Pour un réacteur à haut flux, il peut ainsi représenter des dizaines de milliers de pcm ! Si on laisse faire les choses, le cœur du réacteur est irrécupérable. Pour l’éviter, il faut prendre soin de redémarrer le réacteur avant que le surcroît soit devenu prohibitif ou l’arrêter progressivement selon un programme bien choisi pour que la concentration de samarium ne dépasse jamais un maximum que l’on s’est fixé.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
4
Les équations régissant le samarium 149 Pour simplifier, on peut : • raisonner sur les quantités moyennes par unité de volume de combustible ; • négliger l’étape du néodyme 149 et raisonner comme si le prométhéum 149 était directement formé par fission. En notant P et S les concentrations de prométhéum 149 et du samarium 149 et en affectant aux paramètres les indices respectifs p et s , les équations d’évolution s’écrivent :
dP = γp f − λp P , dt dS = λp P − σs S , dt où les notations sont similaires à celles adoptées pour les équations du xénon 135. Le calcul montre qu’au bout de quelques dizaines de jours, les concentrations tendent vers des valeurs d’équilibre :
Péq =
γp f ; λp
Séq =
γp f . σs
L’empoisonnement à l’équilibre est : πéq = γp
f . a
Noter que, du fait que le samarium 149 est stable, πéq ne dépend pas du niveau du flux. Par exemple, pour de l’uranium naturel, cet empoisonnement à l’équilibre représente près de 700 pcm, soit 0,7 % sur le facteur de multiplication.
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7. Le plutonium, les produits de fission
5
Le surcroît de samarium 149 Par exemple, si l’équilibre était atteint au moment de l’arrêt, l’empoisonnement asymptotique sera : π∞ = πéq (1 +
σs ). λp
Figure 7.5 L’évolution de l’empoisonnement par le samarium 149 après arrêt du réacteur pour différents niveaux de flux avant l’arrêt.
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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
La génération « zéro » de réacteurs Dès la fin de la guerre, les grandes puissances s’intéressèrent à l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la production d’électricité. Mais quelle filière choisir ? La génération « zéro » montre quelques hésitations. C’est aussi à cette époque que paraissent les premiers ouvrages de neutronique.
Pourquoi zéro ? Faisons un saut de quelque soixante ans après les événements que nous venons de voir. Lors de leurs réunions, au début des années 2000, au sein du « Forum international génération 4 », les spécialistes du nucléaire ont pris l’habitude de parler de quatrième génération pour les modèles de réacteurs électronucléaires qui devraient se développer durant les prochaines décennies. Cela fait allusion aux trois premières générations qu’ils ont pu repérer : • la première est celle des réacteurs de puissance significative mais aujourd’hui considérés comme obsolètes et pour la plupart arrêtés (exemple, les réacteurs français de la filière uranium naturel-graphite-gaz) ; • la seconde est celle des réacteurs assurant l’essentiel de la production d’électricité nucléaire d’aujourd’hui (exemple, les réacteurs à eau sous pression fonctionnant actuellement en France) ; • la troisième est celle des réacteurs proposés aujourd’hui sur le marché (exemple, l’European Pressurized Reactor d’Areva).
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Nous conviendrons d’appeler « zéro » la génération des premiers réacteurs producteurs de plutonium et des prototypes destinés à l’électricité. Revenons aux années 1940. Après l’expérience « Chicago Pile 1 » (CP1) de Fermi, d’autres petits réacteurs de faible puissance verront le jour, aux États-Unis, au Canada, en Angleterre et en URSS. Aux États-Unis, de puissants réacteurs à graphite refroidis à l’eau furent construits à Hanford : leur unique objectif était la production de plutonium pour l’arme nucléaire ; la chaleur était intégralement évacuée dans le fleuve Columbia qui servait à les refroidir. Après la guerre, les États-Unis et l’URSS se lancèrent dans une folle « course aux armements nucléaires », en perfectionnant l’arme à fission (bombe « A »), puis, très rapidement en mettant au point l’arme à fusion thermonucléaire (bombe « H »). Très vite aussi, le Royaume-Uni mit au point ces armes ; par la suite, la France, la Chine, Israël, l’Inde, le Pakistan et, récemment, la Corée du Nord développèrent un armement nucléaire. Les États-Unis, l’URSS, le Royaume-Uni, la France et la Chine s’équipèrent aussi en navires nucléaires à objectif militaire, sous-marins et porte-avions. Dès la fin des hostilités, les grands pays industriels qui avaient directement participé au projet Manhattan — États-Unis, Royaume-Uni, Canada — ou non — France, URSS... — s’intéressèrent également aux perspectives ouvertes par l’énergie nucléaire pour la production d’électricité. La première question qu’ils eurent à résoudre fut celle du choix de la « filière ». Dans le jargon consacré, une « filière » veut dire un modèle de réacteur. Il y a, en effet, de nombreuses possibilités et donc de nombreuses filières envisageables. Le premier point à définir est la « philosophie » générale du système ; il y a, en effet, deux voies possibles pour réaliser la réaction en chaîne, comme cela a été indiqué au chapitre 6, la voie des réacteurs à neutrons rapides et celle des réacteurs à neutrons thermiques nécessitant un modérateur. Comme nous l’avons également vu, le choix des matériaux modérateurs est assez restreint. Seuls l’isotope lourd naturel de l’hydrogène, le deutérium, et les éléments béryllium, carbone et oxygène peuvent constituer un bon modérateur, ce qui laisse assez peu de combinaisons possibles. Il faut y ajouter le modérateur qui finalement sera le plus utilisé dans les systèmes industriels, l’eau ordinaire (H2 O) : H est le meilleur ralentisseur de neutrons (noyaux de même masse que le neutron et, en outre, section efficace de diffusion particulièrement élevée). Malheureusement, l’hydrogène est relativement capturant et, avec ce modérateur, l’uranium naturel ne permet pas de réaliser une réaction en chaîne ; il faut utiliser une matière plus réactive, par exemple de l’uranium enrichi au moins à quelques pour cent en isotope 235. Une fois que l’on a défini le modérateur, il faut rechercher la meilleure disposition avec le combustible. En pratique, on adopte presque toujours une structure hétérogène qui est plus favorable pour minimiser les captures résonnantes : tant que les neutrons sont dans le modérateur, ils ne risquent pas de tomber dans les trappes que représentent
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8. La génération « zéro » de réacteurs
les résonances. Cela étant admis, il faut alors définir les dimensions. La formule des quatre facteurs montre que la valeur du facteur de multiplication varie assez peu si l’on fait une homothétie sur toutes les dimensions. Mais, en revanche, ce facteur est très sensible au choix du rapport de modération, c’est-à-dire du rapport entre le volume du modérateur et celui du combustible (ou, ce qui est équivalent, au rapport des masses). En fonction du rapport de modération Vm /Vc , le facteur p s’améliore (meilleur ralentissement) et le facteur f se détériore (davantage de captures stériles dans le modérateur) ; le produit pf , donc k∞ , passent par un maximum pour une certaine valeur de ce rapport : c’est l’optimum de modération (voir l’encadré 1). À ces considérations de neutronique, il faut ajouter des critères de coût, de disponibilité et de plus ou moins grande facilité d’utilisation. • Si l’eau lourde est sans doute le meilleur modérateur, elle est très coûteuse et la production n’est pas garantie, à l’époque, par les industriels ; seul le Canada qui l’a expérimentée (pile Zeep, 1945) l’adopte pour des réacteurs de grande puissance et restera fidèle à cette filière. • Le béryllium ou son oxyde, la glucine, sont aussi de bons modérateurs mais, là encore, l’approvisionnement n’est pas garanti et, par ailleurs, les propriétés métallurgiques sont délicates ; hormis dans quelques réacteurs expérimentaux, ces matériaux n’ont jamais été utilisés. • Le graphite est un moins bon ralentisseur (le carbone a une masse de 12 par rapport au neutron) : s’il peut être accepté car il permet de s’accommoder aussi de l’uranium naturel, il faudra en mettre un volume important et le réacteur sera nécessairement de grandes dimensions (on a vu que même pour l’expérience critique CP1, près de 400 tonnes étaient nécessaires). Heureusement, ce matériau est relativement peu coûteux. Il sera choisi par le Royaume-Uni et par la France pour leurs premières centrales électronucléaires qui démarreront au milieu des années 1950 car, à l’époque, ces pays ne maîtrisaient pas la technologie de l’enrichissement de l’uranium. • Si l’eau ordinaire est excellente pour ralentir les neutrons, elle est malheureusement aussi relativement capturante : elle ne permet pas de s’accommoder d’uranium naturel. Les États-Unis, qui avaient développé la technologie de la diffusion gazeuse pendant le projet Manhattan, purent facilement reconditionner le procédé pour qu’il fournisse non pas de l’uranium enrichi à environ 95 % pour les armes, mais à une teneur de seulement 3 à 5 %, suffisante pour les réacteurs. Des réacteurs à eau destinés à la propulsion navale — compacts compte tenu des qualités de l’eau pour ralentir les neutrons — furent, dans un premier temps réalisés (le premier sous-marin nucléaire, le Nautilus, fut lancé en 1954). Très vite, la technologie fut reprise pour des réacteurs électronucléaires (premier réacteur à eau sous pression de grande puissance : Shippingport, 60 MWe, 1957 ; premier réacteur à eau bouillante de grande puissance : Dresden Unit One, 200 MWe, 1960). Cette technologie américaine fut par la suite adoptée et améliorée dans de nombreux autres pays, notamment en Europe : la Suède développera sa propre technologie, mais
73
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
l’Allemagne adoptera la technologie américaine ; ce sera aussi, après l’abandon de la filière graphite-gaz-uranium naturel, le cas de la France, mais rapidement la société française Framatome qui avait acquis la licence de la société américaine Westinghouse s’en affranchira.
1
L’optimum de modération Posons R = Vm /Vc . Toutes choses égales par ailleurs, nous pouvons écrire : λ 1 p = exp − ; f = , R 1 + μR où λ et μ sont des constantes (voir au chapitre 6 la formule des quatre facteurs). En cherchant le maximum du produit pf , on constate qu’il est obtenu pour la valeur de R solution d’une équation du second degré : μR 2 − λμR − λ = 0, donc :
R =
λμ +
√ λμ(λμ + 4) . 2μ
La figure 8.1 montre les variations de p, f et pf en supposant que, pour R = 50, on a p = 0,85 et f = 0,92 ; le rapport de modération optimum est alors égal à 72,5.
Figure 8.1 Variation des facteurs p et f et de leur produit pf en fonction du rapport de modération R.
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8. La génération « zéro » de réacteurs
L’URSS développera aussi, sous le sigle VVER, des réacteurs à eau sous pression. Mais elle élaborera aussi une filière originale dite RBMK : il s’agit de réacteurs à graphite, donc de grandes dimensions, mais refroidis non pas par du gaz carbonique comme pour les réacteurs britanniques et français, mais par de l’eau circulant dans des tubes de forces et entrant en ébullition lors de la traversée du cœur. La catastrophe de Tchernobyl a révélé, outre l’ignorance et le laxisme de quelques techniciens, les défauts de conception de ces réacteurs. Ces défauts ont, par la suite, été en grande partie corrigés. Si nous revenons tout au début de cette histoire industrielle, nous noterons que le premier réacteur à produire de l’électricité d’origine nucléaire, mais permettant d’alimenter seulement les quatre ampoules éclairant le hall, fut un réacteur à neutrons rapides, EBR-1 aux États-Unis (20 décembre 1951). Le premier réacteur réellement industriel, c’est-à-dire couplé au réseau (1954) fut soviétique : AES-1 à Obninsk ; c’était le premier de la filière RBMK. Si le modérateur (ou son absence dans le cas des réacteurs à neutrons rapides) est l’élément principal qui définit une filière, il convient de noter que de nombreuses variantes ou sous-filières existent selon les choix faits pour les autres matériaux : • le combustible : matière fissile (uranium 235, plutonium...), teneur de cette matière fissile, forme chimique (métal, oxyde, carbure, nitrure...), géométrie ; • le caloporteur : gaz (air, dioxyde de carbone, hélium...) ou liquide : eau, eau lourde, liquide organique, métal liquide (choix fait pour les réacteurs à neutrons rapides), etc. ; • le gainage des éléments de combustible et autres structures : acier inoxydable, magnésium, zirconium, niobium, etc. ; • de même, on relève des variantes dans les moyens de contrôle-commande et les matériaux utilisés comme absorbants neutroniques (acier, cadmium, bore, argent, gadolinium, indium, erbium...). • Noter enfin, en ce qui concerne les réacteurs à eau, les variantes « eau sous pression » où l’eau du circuit primaire reste en phase liquide et cède sa chaleur dans des générateurs de vapeur extérieurs au cœur (voir la figure 1.3, schéma de principe d’un REP) et « eau bouillante » où l’eau entre en ébullition directement dans le cœur ; à la sortie du cœur, les deux phases sont séparées : la phase liquide est recyclée dans le cœur et la vapeur est envoyée dans les turbines avant d’être recondensée et recyclée. Dans ces décisions de développer l’énergie nucléaire et ces réflexions sur le choix de la filière, les grands pays industriels sont restés très isolés les uns des autres. Si l’on peut saluer la publication dès le 12 août 1945 (six jours après Hiroshima, trois après Nagasaki) du rapport Smyth (fig. 8.2) décrivant les grandes lignes du Projet Manhattan, il faudra attendre 1953 pour voir la publication du premier ouvrage de neutronique, Introduction to the Theory of Neutron Diffusion de K. M. Case, F. de Hoffmann et G. Placzek (fig. 8.3).
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 8.2 Page de garde du rapport Smyth.
Figure 8.3 Page de garde du livre de Case, de Hoffmann et Placzek.
Il s’agit au demeurant d’un document remarquable encore prisé aujourd’hui. Dommage que les auteurs n’aient jamais sorti le deuxième tome qu’ils avaient prévu ! En particulier, ces trois auteurs introduisent la méthode des probabilités de collision qui consiste à évaluer la distribution spatiale des neutrons à partir des probabilités qu’un neutron, né dans un volume, subisse sa première collision dans ce volume ou dans un volume voisin (voir l’encadré 2). Cette approche sera par la suite largement développée en France et utilisée dans tous les codes destinés à calculer les réseaux constituant les réacteurs.
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8. La génération « zéro » de réacteurs
2
Les probabilités de première collision La méthode la plus directe pour calculer la répartition spatiale des neutrons utilise les probabilités de première collision : le système à traiter est découpé en petits volumes Vi ; les probabilités de première collision assurent le couplage neutronique entre ces volumes : Pij est la probabilité qu’un neutron placé dans le volume Vi subisse sa première collision avec un noyau dans le volume Vj . En effet, si l’on se donne les sources moyennes Si dans chacun des volumes, les flux moyens i seront donnés par le système algébrique :
Vj t, j j =
Vi (Si + s, i i )Pij ,
i
où les t et s sont les sections efficaces macroscopiques totale et de diffusion. En admettant que les neutrons sont émis de façon uniforme et isotrope dans le volume Vi , la probabilité Pij s’exprime par l’intégrale : t, j Pij = Vi
d 3r
3
d r Vi
Vj
e−τ , 4π s 2
où s est la longueur du segment de droite joignant les points r et r et τ l’intégrale de la section efficace macroscopique totale le long de ce segment de droite. La probabilité de collision la plus simple est la probabilité P00 pour un corps convexe numéroté 0. Elle tend vers 0 si l’opacité ω (produit de la corde moyenne par la section efficace macroscopique totale) tend vers zéro, et vers 1 si ω tend vers l’infini. Par exemple, pour une sphère de rayon R :
P00 = 1 −
3[2u 2 − 1 + (1 + 2u )e−2u ] , 8u 3
avec u = R t . On trouve cette formule dans l’ouvrage de Case, de Hoffmann et Placzek, ainsi que les formules, plus compliquées, pour la plaque d’extension infinie et le cylindre de hauteur infinie ; ces trois probabilités y sont aussi tabulées. Note : pour un corps convexe, la corde moyenne est donnée par la formule de Cauchy : 4V /S ; quatre fois le quotient du volume par la surface ; exemple : 4 3 R pour une sphère de rayon R.
77
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Le Commissariat à l’énergie atomique, la pile Zoé La création du Commissariat à l’énergie atomique. La pile Zoé. Les réacteurs expérimentaux. Les premiers pas de la neutronique française.
Après les dépôts des derniers brevets en mai 1940, toute recherche nucléaire cessa en France. Ses principaux collaborateurs l’ayant quitté pour poursuivre leurs travaux outre-Manche et outre-Atlantique, Frédéric Joliot resta seul à Paris, ce qui ne lui permit guère d’avancer. Mais dès la fin des hostilités, l’équipe française (hormis Halban) se reconstitua. Le général de Gaulle, maintenant à la tête de la France, était bien conscient des gigantesques potentialités tant civiles que militaires de l’énergie nucléaire. Dès 1945, par une ordonnance du 18 octobre, il créa le Commissariat à l’énergie atomique (CEA, aujourd’hui Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives). Joliot fut nommé haut-commissaire, chargé de l’animation scientifique, la gestion de l’organisme étant confiée à Raoul Dautry, administrateur général. Priorité fut donnée à la réalisation d’une pile expérimentale. Installée dans le fort de Châtillon à Fontenay-aux-Roses, en banlieue sud de Paris, l’équipe (fig. 9.1) décida d’adopter l’eau lourde et l’oxyde d’uranium naturel, matériaux dont elle disposait. Dans les conditions difficiles de l’après-guerre, la pile Zoé (fig. 9.2 à 4) , ainsi nommée
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
par Lew Kowarski comme puissance (presque) Zéro, Oxyde, et Eau lourde, divergea le 15 décembre 1948, trois ans après la création du CEA. Zoé fonctionnera 28 ans, jusqu’à une puissance de 150 kW. Le hall abrite aujourd’hui un émouvant musée retraçant cette aventure autour de quelques documents d’époque.
Figure 9.1 L’équipe des débuts du CEA (1946). Assis autour de la table, de gauche à droite : Pierre Auger, Irène et Frédéric Joliot-Curie, Francis Perrin, Lew Kowarski ; Debout de gauche à droite : Bertrand Goldschmidt, Pierre Biquard, Léon Denivelle, Jean Langevin. © CEA
Figure 9.2 Vue de la pile Zoé (1948). © CEA
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9. Le Commissariat à l’énergie atomique, la pile Zoé
Figure 9.3 Plan de la pile Zoé (pour des raisons de confidentialité, les dimensions sont volontairement légèrement inexactes). © CEA
Figure 9.4 Enregistrement de la première divergence de Zoé, commenté de la main de Jacky Weill. On peut repérer, en partant du bas : retrait des barres et évolution de la puissance jusqu’à la coordonnée 40 ; baisse des barres et introduction d’eau lourde jusqu’à la coordonnée 27 ; remontée légère des barres et évolution de la puissance jusqu’à la coordonnée 29 ; baisse des barres et introduction d’eau lourde jusqu’à la coordonnée 0 ; levée des barres et divergence de Zoé. © CEA
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Le centre de Fontenay-aux-Roses se révélant trop exigu, un nouveau centre fut créé, quelques années plus tard, à Saclay, un peu plus loin de Paris au sud : le terrain fut acquis par Joliot dès 1947 et le centre fut ouvert en 1952. Il sera dirigé par Jules Guéron, un proche collaborateur de Joliot. Après Zoé (ou EL1 comme eau lourde numéro 1), ce centre verra deux nouvelles piles expérimentales à eau lourde, EL2 (1952) et EL3 (1957). La démarche ainsi adoptée par la France est la même que celle qui a été ou sera observée dans tous les pays s’intéressant à l’énergie nucléaire. En effet, à côté des réacteurs à finalité énergétique (électricité, chaleur industrielle, propulsion...) ou conçus pour produire des matières fissiles artificielles, de nombreux réacteurs (ou piles) expérimentaux(ales) sont nécessaires. Historiquement, les tout premiers réacteurs — CP1, Zoé, etc. — furent des réacteurs expérimentaux. C’est également par des réacteurs expérimentaux que commencent généralement les pays émergents qui envisagent de s’équiper en centrales nucléaires. Ainsi le premier intérêt d’acquérir ou de construire une pile expérimentale est la formation, c’est-à-dire l’acquisition d’une compétence en matière de physique et de sûreté nucléaires. Si l’on examine d’un peu plus près l’utilisation des réacteurs expérimentaux, on peut distinguer plusieurs objectifs (un même réacteur peut en couvrir plusieurs). • Les irradiations technologiques : la tenue des matériaux (combustibles, gaines...) soumis, dans les réacteurs de puissance, pendant de longues durées à un flux élevé de neutrons est l’un des principaux critères des choix ; pour connaître ces propriétés, on fait généralement appel à des réacteurs expérimentaux de dimensions réduites mais de forte puissance, où règne donc un flux élevé, pour irradier des éprouvettes ; cela permet d’obtenir des informations plus rapidement que des irradiations dans les réacteurs industriels eux-mêmes et de multiplier l’étude des variantes. • La production de radionucléides pour la médecine ou pour l’industrie : en médecine, des radionucléides nombreux et variés sont aujourd’hui utilisés soit pour les diagnostics (scintigraphies, caméra à positons...), soit pour la radiothérapie de cancers. L’industrie utilise aussi des radioéléments produits dans des réacteurs ; et l’on peut signaler la production de silicium dopé pour l’électronique. • La recherche, également, utilise des radionucléides, par exemple comme traceurs : la détection des rayonnements permet de suivre le métabolisme dans l’organisme d’une molécule où certains atomes ont été remplacés par des isotopes radioactifs. La recherche utilise aussi directement des neutrons extraits par une « fenêtre » du cœur d’un réacteur. Par exemple, l’analyse des angles de déviation lors de la diffusion des neutrons dans un échantillon apporte des informations sur sa structure intime. L’analyse par activation, elle, travaille à partir de l’absorption neutronique : celle-ci, en effet, se traduit en général par l’émission d’un rayonnement γ ; la mesure de l’énergie de ce rayonnement permet de déterminer le radionucléide qui l’a émis et, de là, de remonter à l’élément qui a absorbé le neutron ; l’appréciation des intensités apporte même des informations quantitatives sur la composition de l’échantillon (voir les détails au chapitre 22).
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9. Le Commissariat à l’énergie atomique, la pile Zoé
• L’étude de la neutronique : nous avons vu que, déjà, Fermi ou Joliot avaient réalisé des mesures neutroniques sur des configurations sous-critiques pour élaborer le « formulaire » ; cette nécessité de qualification, et des modèles de calcul, et des données nucléaires, reste toujours d’actualité. Aujourd’hui, on réalise le plus souvent ce type de mesures dans des « expériences critiques », c’est-à-dire des réacteurs de faible puissance (au plus quelques centaines de watts) mais conçues avec le maximum de souplesse pour explorer les diverses configurations. • Enfin, rien ne vaut des démonstrations, expérimentations et mesures sur des installations réelles pour la formation des étudiants ; dans cet objectif, des installations critiques ou sous-critiques ont été, soit réalisées pour l’enseignement, soit reconditionnées après avoir été utilisées dans un autre contexte. C’est à Saclay, en 1952, que s’installera le Service de physique mathématique (SPM) créé en 1948. Animé par le professeur Jacques Yvon, qui deviendra par la suite hautcommissaire du CEA, le SPM va rassembler de fortes personnalités, notamment Jules Horowitz, qui, lui aussi, aura une brillante carrière : directeur des Piles atomiques, puis de la Recherche fondamentale. Le SPM rassemblera au début aussi bien les physiciens nucléaires que les neutroniciens. Par la suite, ce service ne s’occupera plus que de physique des réacteurs : neutronique, thermohydraulique, propagation des rayonnements et radioprotection. Les neutroniciens du SPM s’attacheront d’abord à décoder les rares notes rapportées du Canada et des États-Unis par les Français qui ont participé aux recherches nucléaires dans ces pays. On trouvera dans l’encadré 1 un extrait du témoignage de l’un de ceux qui ont procédé à ce décryptage.
1
Extraits de la conférence donnée par Jules Horowitz lors du vingt-cinquième anniversaire du DEA de physique des réacteurs (Cadarache, 9 avril 1986) (in : L’œuvre de Jules Horowitz, tome I, p. 367 à 369, les grands acteurs du CEA)
Mon premier contact avec la neutronique remonte à presque quarante ans. Claude Bloch, Michel Trocheris et moi terminions alors, à l’École polytechnique, une scolarité retardée par la guerre. Notre maître de conférences d’analyse, Jean Ullmo, un homme remarquable qui se préoccupait beaucoup de donner aux élèves une vocation scientifique, nous demanda un jour si nous voulions nous intéresser à l’énergie atomique pour laquelle un organisme venait d’être créé. L’idée nous parut bonne bien qu’obscure et, quelques jours plus tard, Claude Bloch et moi nous étions reçus très aimablement par Francis Perrin, ce qui acheva de nous convaincre sans nous éclairer davantage. Trois scientifiques français, Goldschmidt, Guéron et Kowarski, avaient participé pendant la guerre à l’effort atomique allié, surtout au Canada. Ils jouèrent un rôle essentiel au début du CEA. Les deux premiers étaient
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chimistes, Kowarski était physicien, mais exclusivement expérimentateur. Il avait néanmoins ramené d’outre-Atlantique, sans erreur, le condensé d’un rapport de Guggenheim et Pryce sur la neutronique et le calcul des réseaux. Ce rapport ne fut publié qu’en 1953 dans la revue Nucleonics. Il y avait aussi ce que Kowarski appelait les feuilles Volkoff. Pendant plusieurs mois, notre tâche au fort de Châtillon fut de décrypter ces textes, ce qui donna lieu à des séances mémorables d’exégèse. En effet, nos connaissances étaient nulles en physique nucléaire et bien faibles dans la physique en général. Pendant ces mois, nous n’avons pas bénéficié du moindre conseil d’un physicien un peu confirmé. […] Avant le printemps de 1947, nous avons mis au net les méthodes élémentaires de calcul des réacteurs, celles que, je suppose, l’on enseigne toujours au début du cours de neutronique du DEA et que nous avons appliquées au calcul de Zoé. En fait Kowarski ne nous avait pas livré immédiatement la totalité de ses secrets. Petit à petit et avec réticence, il nous donnait des feuilles supplémentaires et de moins en moins intéressantes ; les dernières, obtenues quelques années plus tard par Vendryes, grâce à un mini Watergate, ne méritaient pas une telle opération. […] La divergence de Zoé, fin 1948, eut lieu à la hauteur calculée. Contrairement à ce qui s’est passé pour beaucoup de réacteurs étrangers, les prévisions de masse critique ont toujours été remarquablement exactes pour les piles françaises. Pour les premières, ce fut un coup de chance, la compensation assez miraculeuse d’assez nombreuses erreurs. […] En 1948, Jacques Yvon qui, de retour de déportation, avait été nommé professeur de physique théorique à Strasbourg, commença à prendre contact avec le CEA et nous fit un certain nombre d’exposés. Le Service de physique mathématique fut créé par lui. J’en eus provisoirement la responsabilité en attendant que, fin 1949, Jacques Yvon rejoignit définitivement le CEA. Il convient de souligner que Jacques Yvon fut alors l’un des rares physiciens français confirmés à s’engager dans l’aventure atomique. En cette fin des années 1940, le retard scientifique pris par la France à cause de la guerre et du manque de physiciens confirmés constituait un handicap d’autant plus sérieux que, pendant de nombreuses années (jusqu’à la première conférence de Genève de 1955 et même au-delà), les méthodes et les données physiques nécessaires au calcul des réacteurs allaient rester couvertes par le secret atomique, monopole à l’Ouest des pays anglo-saxons. Les premières années, les tentatives pour glaner quelques renseignements ne furent guère fructueuses.
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9. Le Commissariat à l’énergie atomique, la pile Zoé
Jules Horowitz est souvent considéré comme le fondateur de « l’École française de neutronique ». Comme il l’explique dans ses souvenirs des débuts au CEA, l’élaboration de la théorie neutronique et la connaissance des sections efficaces étaient extrêmement sommaires. Au départ, elles se réduisaient aux résultats français d’avantguerre et aux notes rapportées du Canada et des États-Unis et de l’expérience que ceux qui y avaient séjourné avaient pu acquérir. Pendant de nombreuses années, dans le contexte d’un projet Manhattan à peine terminé et d’une « guerre froide » qui s’instaure entre l’Ouest et l’Est, une véritable chappe couvre les travaux des uns et des autres. Il faudra attendre le fameux discours d’Eisenhower devant l’assemblée générale des Nations Unies, le 8 décembre 1953, Atom for Peace (l’atome pour la paix), pour que les laboratoires s’ouvrent quelque peu et que s’organisent deux grandes conférences à Genève (8-20 août 1955 et 1-13 septembre 1958) permettant enfin des échanges dans un climat de confiance réciproque. Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, 1953 est aussi l’année de parution du premier ouvrage de neutronique, Introduction to the Theory of Neutron Diffusion de K. M. Case, F. de Hoffmann et G. Placzek : cet ouvrage remarquable, encore apprécié par les étudiants et chercheurs d’aujourd’hui, présente les bases de la théorie analytique du transport des neutrons. Deux grands classiques, toujours d’origine américaine, vont compléter cette « introduction » : The Physical Theory of Neutron Chain Reactor de Alvin M. Weinberg et Eugène P. Wigner (1958) qui reste une référence, puis The Elements of Nuclear Reactor Theory de Samuel Glasstone et Milton C. Edlund (1960), plus aisé d’accès, par lequel beaucoup s’initieront à la neutronique. Par la suite, d’autres ouvrages, presque tous en anglais, traiteront d’aspects plus spécifiques : transport, absorption résonnante, ralentissement et thermalisation, cinétique. Les premiers cours de neutronique en français (fig. 9.5) seront les ouvrages de la collection « Génie atomique » (plusieurs volumes avec mises à jour, début des années 1960) et le livre d’Austin Blaquière Théorie de la réaction de fission en chaîne (1962). Il faut que le lecteur imagine que dans ces années d’après-guerre et jusque vers la fin des années 1950, l’informatique n’existait pas. Les physiciens devaient construire des modèles suffisamment simples pour que les applications numériques soient possibles. Pour les calculs courants, l’ingénieur utilisait sa règle à calcul, avec une grande dextérité. Pour les applications plus volumineuses, par exemple les tables de probabilité de première collision établies pour le « Placzek et al. », il faisait appel à un bureau de calcul : dans un vacarme assourdissant, les opérateurs (ou, plus souvent, opératrices) utilisaient des machines électromécaniques capables de faire les quatre opérations et, pour les plus perfectionnées, d’extraire une racine carrée (pour les autres, voir l’encadré 2). Ces contraintes ont obligé les neutroniciens à faire preuve d’une très grande créativité : nous en verrons des exemples au prochain chapitre.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 9.5 Page de garde du premier cours de neutronique au « Génie atomique » délivré par l’INSTN et édité par le Centre de Saclay.
2
Comment extraire une racine carrée par une simple division Soit x la racine carrée de y , à déterminer. √ • Partir d’une estimation x0 de y donnée par la règle à calcul. • L’améliorer par la formule itérative :
xn +1 =
1 y ( + xn ). 2 xn
En pratique, une seule itération suffit. En effet, l’erreur relative η suit la loi : ηn +1
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ηn2 . 2
Le paradigme de la neutronique, le réseau infini et régulier Cellules et réseaux, la structure caractéristique des cœurs de réacteurs. Le mode fondamental. Les premiers enseignements de neutronique en France.
Après des premiers succès en matière de piles expérimentales et poussé par le pouvoir politique, le CEA se lança au début des années 1950 dans la réalisation de réacteurs de plus grande puissance destinés à la production d’électricité. Quelle filière choisir ? Ne disposant pas de la technologie de l’enrichissement (et dans un contexte géopolitique de guerre froide où un approvisionnement extérieur semblait exclu), seuls des réacteurs à uranium naturel étaient envisageables, c’està-dire des réacteurs soit à eau lourde, soit à graphite. La France avait certes acquis une expérience en matière d’eau lourde ; mais ce matériau est fort coûteux pour les grandes quantités nécessaires pour des réacteurs de puissance. On décida donc de développer des réacteurs à graphite. Le refroidissement par l’eau, adopté pour les réacteurs de Hanford, n’est pas possible pour un système électrogène à uranium naturel, d’une part à cause de la capture relativement importante de l’hydrogène et, d’autre part, à cause de la difficulté d’obtenir des températures suffisamment élevées pour assurer un rendement thermodynamique convenable. Un refroidissement par air compromettrait le bilan neutronique à cause d’une capture notable par l’azote.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
On opta donc pour un refroidissement par du gaz carbonique à une pression de quelques dizaines de bars, d’où le nom de cette filière : UNGG (uranium naturel graphite - gaz). Les Britanniques, pour la même raison et au même moment, firent un choix similaire pour une filière qu’ils ont, eux, appelée Magnox, en référence au magnésium utilisé pour gainer les éléments de combustible en uranium métallique. Il faut noter que l’on veut également prévoir l’éventualité de se doter à l’avenir d’un armement nucléaire : les réacteurs à uranium naturel sont les plus adéquats pour produire du plutonium de bonne qualité (très forte proportion d’isotope 239), surtout si l’on décharge prématurément le combustible : les réacteurs à eau lourde ou à graphite sont alors préférables car les opérations de chargement et de déchargement se font en marche, quand on le souhaite, contrairement aux réacteurs à eau ou à neutrons rapides où l’opération se fait réacteur à l’arrêt et au bout d’une durée d’irradiation assez grande, au moins un an. Bref, ce double objectif — électricité et plutonium — sera assigné. Sur son site de Marcoule (Gard), le CEA va ériger trois centrales nucléaires : la première, G1, n’est encore qu’un très modeste prototype : il fournira 2 mégawatts électriques (MWe) de 1956 à 1968. Les deux réacteurs jumeaux qui vont lui succéder, G2 (1959-1980) et G3 (1960-1984) fourniront chacun 40 MWe. Aujourd’hui, ces trois réacteurs sont démantelés. Les réacteurs en général, et les réacteurs à graphite en particulier, présentent une structure hétérogène séparant combustible, caloporteur et, s’il y a lieu, modérateur. La première raison est liée au refroidissement : il faut réserver un passage au fluide caloporteur utilisé pour cela. Mais, ainsi que l’avait déjà remarqué Fermi, il est à noter qu’une telle structure hétérogène est favorable au bilan neutronique des réacteurs à neutrons thermiques en minimisant les captures résonnantes ; en effet, les neutrons rapides sortent du combustible et vont se ralentir dans le modérateur, sans risque de capture résonnante par l’uranium 238 tant qu’ils y restent ; un fois thermalisés, leur cheminement les amènera le plus souvent à revenir dans l’uranium pour y provoquer, éventuellement, une fission. Cette structure, généralement assez régulière, est un réseau formé de la juxtaposition d’un motif élémentaire appelé cellule : un élément de combustible avec la partie du caloporteur et du modérateur qu’on peut lui associer. La situation d’un réseau de grandes dimensions formé de cellules identiques est un peu le paradigme de la situation traitée en neutronique. Une telle structure apparaît clairement sur les plans des réacteurs à graphite (figures 10.1 et 10.2). En section droite, la cellule élémentaire du réacteur a la forme d’un carré ou d’un hexagone de graphite, de un ou deux décimètres de côté, percé en son centre d’un canal où circule le caloporteur (gaz carbonique pour la filière UNGG) sur l’axe duquel est centré le barreau combustible avec sa gaine protectrice. Les réseaux des réacteurs ne sont pas toujours aussi réguliers que celui présenté sur la figure 10.1. Par exemple, certaines cellules peuvent être vides ou réservées à une barre de commande. Mais on a pris l’habitude en neutronique, pour simplifier,
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10. Le paradigme de la neutronique, le réseau infini et régulier
Figure 10.1 Section droite d’un réacteur à graphite (fictif) : dans la partie centrale, le réseau des éléments de combustible (en noir) et des canaux de refroidissement (petits cercles) perpendiculaires au plan de la figure ; autour du cœur, un réflecteur également en graphite.
Figure 10.2 Cellule élémentaire de réacteur UNGG : du centre vers la périphérie : combustible (en noir), gaine (hachures horizontales), canal du réfrigérant (en blanc) et modérateur (hachures verticales).
de remplacer le réseau réel par un réseau infini et régulier constitué de cellules identiques. Cette situation que nous avons qualifiée de « paradigme », car elle jouit de propriétés mathématiques simples (voir l’encadré 1), sera celle qui sera considérée pour la cellule élémentaire du réacteur (ou chaque type de cellule s’il y en a plusieurs). C’est sur cette situation fondamentale que seront déterminées les propriétés neutroniques, par exemple les quatre facteurs. Comme nous le verrons plus en détail au chapitre suivant, cette situation servira, dans un deuxième temps, à établir un modèle simplifié mais préservant les caractéristiques essentielles, tel le facteur de multiplication k∞ ; par exemple, la cellule hétérogène sera homogénéisée, c’est-à-dire remplacée par une « pâte » aux propriétés neutroniques équivalentes à celles de la vraie cellule. Ce modèle simplifié pourra, dans un
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
troisième temps, être mis en œuvre pour le calcul neutronique du cœur, éventuellement irrégulier, souvent entouré d’un réflecteur, certainement de dimensions finies, bref pour traiter une situation plus compliquée que celle du mode fondamental. Ce calcul en deux étapes — cellule en mode fondamental, puis cœur complet — séparées par l’ajustement du modèle simplifié pour le calcul de cœur, deviendra aussi un paradigme essentiel de la neutronique.
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Propriétés mathématiques du mode fondamental Le réseau infini et régulier de cellules de réacteurs jouit de propriétés tout à fait similaires à celles des cristaux (parfaits) qui, eux aussi, présentent une structure périodique sur tout l’espace. On montre que ce mode se caractérise par une factorisation du flux neutronique : = (r )ϕ(r , v, ) , (r , v, ) où est une structure macroscopique, fonction propre de l’opérateur de Laplace, c’est-à-dire solution d’une équation de la forme : (r ) + B 2 (r ) = 0, est une structure fine périodique en (la valeur propre étant −B 2 ), et où ϕ(r , v, ) espace, c’est-à-dire se reproduisant identiquement d’une cellule à la suivante. Attention ! Cette expression est une solution mathématique de l’équation de Boltzmann pour laquelle et ϕ sont à valeurs complexes ; seule la partie réelle de ϕ a un sens physique. Si l’on écrit = U + iV et ϕ = u + iv , cette − V (r )v (r , v, ) : si les cellules sont symétriques, dernière est U (r )u (r , v, ) u est symétrique par rapport aux axes des cellules et v antisymétrique.
Revenons à l’histoire des premiers réacteurs. La vocation du CEA est la recherche, pas le développement industriel. La suite du programme sera ainsi confiée au producteur d’électricité qu’est EDF. Il est clair qu’EDF ne réalisera pas son ambition de développer un parc nucléaire sans former les spécialistes pour mener à bien les projets. Dès 1955 est créé un enseignement de Génie atomique (GA) ; il accueille des ingénieurs spécialistes des centrales classiques pour les reconvertir aux techniques nucléaires, ainsi que des jeunes. En 1956, sous l’implusion de Jean Debiesse, directeur du centre de Saclay, un nouveau bâtiment sera construit à la périphérie du centre pour l’abriter, ainsi que d’autres formations (radioprotection, matériaux, etc.) : l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), géré par le CEA (ministère de l’Industrie), mais aussi par le ministère de l’Éducation nationale. En ce qui concene la neutronique, un autre enseignement sera créé, en 1961, par Jules Horowitz, en collaboration avec l’université d’Orsay : le DEA de physique des réacteurs nucléaires.
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10. Le paradigme de la neutronique, le réseau infini et régulier
Environ 500 étudiants seront diplômés du DEA de physique des réacteurs nucléaires (aujourd’hui transformé en master). Les plus anciens diplômés de cette formation conservent un souvenir ému de Madeleine Baron qui en assura la gestion quotidienne avec abnégation pendant un quart de siècle. Lors de son vingt-cinquième anniversaire, en 1986, fut créée une association des anciens étudiants de ce DEA, l’ADÉPHYR. Elle permettra de maintenir des liens entre eux. Environ 350 thèses seront soutenues dans le cadre de ce DEA. Beaucoup d’entre elles abordent plusieurs problèmes de la physique des réacteurs ; mais on peut dire approximativement qu’un tiers d’entre elles sont plutôt consacrées aux développements des méthodes de calcul, un quart à l’expérimentation et à l’interprétation associée, une petite moitié aux études appliquées et aux schémas de calculs. Cette même année 1961, démarrera, dans un hall de l’INSTN, le réacteur d’enseignement Ulysse, six mois seulement après la décision administrative de le réaliser ! Jusqu’en 2007, Ulysse verra passer de nombreuses générations d’étudiants pour des travaux pratiques de neutronique sous la responsabilité notamment d’Alexis Bouchicot puis de Joseph Safieh. Quant au Génie atomique, animé par Yves Chelet, Alain Gladieux, puis Joseph Safieh, Véronique Rouyer, Didier Brochard, Bruno Tarride et bien d’autres, c’est par milliers que se comptent aujourd’hui les ingénieurs qui ont obtenu ce diplôme. Le succès ne s’est jamais démenti.
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Du calcul de réseau au calcul de cœur Éléments de la théorie des facteurs p, f et η. Les calculs de cœur. Les principaux effets de température. Les piles Marius et César.
Quand la France prend la décision de se lancer dans un programme électronucléaire, le CEA doit établir et qualifier un formulaire de calcul pour cette filière. Au départ, ce formulaire ne va guère au-delà de celui de Fermi. Les calculs — à la main — sont un peu fastidieux car il faut, par exemple, prendre en compte les discontinuités axiales du fait que le combustible se présente sous forme de cartouches d’uranium d’environ 60 cm de longueur, gainées latéralement et munies de bouchons en haut et en bas. Dès l’arrivée du premier ordinateur à Saclay, en 1957, le Service de physique mathématique va programmer les formules, ce qui permet d’obtenir les résultats beaucoup plus vite (et sans erreur !) et de faciliter les recherches exploratoires et les optimisations qui supposent l’étude d’un grand nombre de configurations. Mais très vite les ingénieurs vont avoir de nouvelles ambitions : la puissance de calcul, quoique fort modeste à l’époque en comparaison des évolutions qui suivront, vont permettre d’envisager des modélisations plus complexes et plus précises. À titre d’exemples, on peut citer la prise en compte d’effets de non-uniformité spatiale des neutrons épithermiques sur la capture résonnante, l’élaboration de modèles de
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
thermalisation plus précis, l’évaluation des effets de température, le traitement de l’évolution des noyaux lourds (cette dernière sera présentée au chapitre suivant). En ce qui concerne les réacteurs à graphite, le code de calcul qui va traiter tous ces problèmes s’appellera CORÉGRAF (comme code de réseaux à graphite). Pour qualifier les résultats des calculs faits par ce code, deux expériences critiques vont être réalisées. En 1960, à Marcoule, Marius, qui déménagera en 1964 à Cadarache, est un empilement critique à température ambiante ; d’une grande souplesse, il permettra d’explorer un très grand nombre de réseaux différant par l’élément de combustible et le rapport de modération (rapport entre le volume de graphite et celui d’uranium). Cela permettra notamment d’ajuster avec précision le facteur de reproduction η5 de l’uranium 235 et les coefficients A et B exprimant l’intégrale effective de la formule du facteur antitrappe p (voir les encadrés 1, 2 et 3). Le calcul de chacun des quatre facteurs pose des problèmes spécifiques. La définition du facteur de fission rapide ε est assez subtile (cela sera évoqué au chapitre 13). Pour le facteur antitrappe p, il faut synthétiser dans une « intégrale effective » les propriétés de myriades de résonances (fig. 11.1). Pour les facteurs f et η, l’évaluation du spectre des neutrons thermiques fait appel à une difficile physique de la thermalisation.
Figure 11.1 Zoom sur la courbe représentative de la section efficace σ de capture neutronique par l’uranium 238 en fonction de l’énergie E du neutron ; les résonances sont maintenant repérées et les mesures vont s’affiner de plus en plus [Source : Précis de neutronique, page 193].
Le facteur antitrappe p est la probabilité qu’un neutron atteigne le domaine thermique sans disparaître par capture dans les résonances de l’uranium 238 ; ces résonances se traduisent par des pics élevés et étroits dans la courbe de la section efficace de capture par ce noyau tracée en fonction de l’énergie du neutron ; l’uranium 238 se
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11. Du calcul de réseau au calcul de cœur
1
Théorie classique du facteur antitrappe Si nous reprenons l’équation du ralentissement au voisinage d’une résonance : u S (u ) + s (u )(u )P (u → u ) du = t (u )(u ), −∞
nous pouvons négliger la source (émission par fission) et considérer que les neutrons arrivant par ralentissement à une léthargie u dans la résonance ou en son voisinage ont, pour la plupart, été diffusés à une léthargie u située bien avant et tombent donc selon une densité à peu près indépendante de u , puisqu’ils ne « savent » pas encore qu’il y a une trappe. Au second membre, en revanche, t (u ) augmente brutalement, par hypothèse, à l’abord de la résonance. En écrivant t (u )(u ) constante, on voit que le flux va « s’écraser » dans la résonance de façon inversement proportionnelle à la croissance de la section efficace. C’est ce que l’on appelle un effet d’autoprotection qui fait que même une très grande section efficace ne fait pas disparaître tous les neutrons : c’est une autre façon de voir « l’effet kangourou » (cf. chapitre 6, page 52 et ci-dessous page 97). Concrètement, considérons le mélange d’un matériau « c » (comme combustible), de section efficace macroscopique totale t, c (u ), présentant des résonances et d’un modérateur « m » non capturant et caractérisé par une section efficace de diffusion constante s,m . Avant la résonance, t,u est négligeable ; l’équation est vérifiée avec un flux égal à une certaine constante . Dans la résonance, le premier membre reste égal à s,m , donc : (u ) =
s,m = ϕ(u ) , t,c (u ) + s,m
où le « facteur d’autoprotection » est : ϕ(u ) =
s,m . t,c (u ) + s,m
L’absorption dans la résonance est ainsi : a= a,c (u )(u ) du = Rés
Rés
a,c (u )ϕ(u ) du.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Si nous la comparons au nombre de neutrons qui se ralentissent, soit (ξ s )m , nous voyons que la probabilité antitrappe est : a,c (u )ϕ(u ) du Rés a,c (u )ϕ(u ) du pRés = 1 − exp[ − Rés ]. (ξ s )m (ξ s )m S’il y a plusieurs trappes, le produit des termes s’écrit Rés a,c (u )ϕ(u ) du p = exp[ − ], (ξ s )m soit :
p = exp[ −
Nc Ieff, c ], (ξ s )m
où Nc est le nombre d’atomes d’uranium par unité de volume et où l’intégrale effective est définie par : Ieff,c = σa,c (u )ϕ(u ) du. Rés
Comme déjà Fermi l’avait pressenti, on peut généraliser la formule au cas hétérogène : (VNIeff )c p = exp[ − ], (VN ξ σs )m et approximer l’intégrale effective par une expression simple : S Ieff A + B M où A et B sont deux constantes. Variante utilisée dans le code CORÉGRAF :
Ieff A + B
S . M
En pratique, les deux constantes A et B (ou A et B ) seront ajustées pour rendre compte de résultats de mesures de capture résonnante, telles celles du Suédois Éric Hellstrand publiées en 1957. En France, pour le code CORÉGRAF, on les obtiendra par ajustement des mesures, sur Marius, du facteur de multiplication de divers réseaux différant par le diamètre de l’élément combustible et le pas du réseau.
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11. Du calcul de réseau au calcul de cœur
caractérise par de nombreuses résonances représentant autant de « trappes » où les neutrons risquent de tomber et de disparaître. Les neutrons peuvent échapper aux trappes car ils se ralentissent de façon discontinue : comme des kangourous progressant par bonds et pouvant ainsi sauter par dessus une trappe sans y chuter, les neutrons diffusés par un noyau peuvent passer d’un coup d’une léthargie située avant la résonance (énergie au-dessus) à une léthargie après la résonance (énergie au-dessous), échappant ainsi au risque de capture. La théorie très simplifiée de la capture résonnante des neutrons est résumée dans l’encadré 1. À la fin du ralentissement, lorsque l’énergie des neutrons devient du même ordre de grandeur que l’énergie d’agitation thermique des atomes et molécules, c’est-àdire inférieure à l’électronvolt, les cibles percutées par les neutrons ne peuvent plus être considérées comme initialement immobiles ; les lois du choc diffusant sont plus difficiles à établir, et on ne rentrera pas ici dans le détail. Disons que, progressivement, le « gaz » des neutrons se met en équilibre thermique avec la matière dans laquelle il diffuse. Si l’on assimile le spectre des neutrons à un spectre de Maxwell, le calcul des sections efficaces moyennes apparaissant dans les formules de f et η ne pose pas de difficulté. Mais cette approximation est, en pratique, trop grossière car l’absorption des neutrons devient relativement intense (et l’écart entre le spectre de Maxwell et le spectre réel relativement important) dès qu’on met de l’uranium dans le système. De nombreux travaux seront faits à cette époque, notamment en France, sur les mécanismes de thermalisation et le spectre qui en résulte (ils seront rapidement évoqués au chapitre 13). Un autre problème qu’il faudra résoudre (grâce à la méthode des probabilités de première collision) sera le calcul du « facteur de désavantage » m /c , rapport des niveaux de flux dans le modérateur et dans le combustible : ce sera la théorie dite ABH, selon les initiales des auteurs, Albert Amouyal, Pierre Benoist et Jules Horowitz (elle sera également évoquée au chapitre 13). Même si l’effort principal du CEA concerne les réacteurs à graphite, les autres filières ne sont pas pour autant négligées, ni sous l’angle des modélisations et des codes, ni sous celui des expériences. Par exemple, Aquilon à Saclay permettra d’étudier les réseaux à eau lourde. Autre exemple : le réacteur Minerve qui démarrera en 1959 à Fontenay-aux-Roses et qui sera par la suite déménagé lui aussi à Cadarache, permettra de réaliser des expériences sur les réseaux à uranium enrichi et eau ordinaire, et de préparer ainsi la collaboration avec la Belgique pour le premier réacteur de Chooz (300 MWe, 1967-1991) et le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins, le Redoutable (1971-1991). L’intérêt des réacteurs à neutrons rapides n’a pas échappé aux neutroniciens du CEA. Dès les débuts, des travaux seront consacrés à cette filière et se poursuivront, essentiellement à Cadarache ; en 1966, divergera l’expérience critique Masurca pour les études neutroniques des réseaux et, en 1967, le réacteur Rapsodie (40 MWt) qui permettra de réaliser toutes les études technologiques concernant cette filière. Il est à noter que, bien que la neutronique ne soit pas très différente selon les réacteurs, les codes de calcul resteront longtemps spécifiques d’une filière : à côté de CORÉGRAF
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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Thermalisation des neutrons À l’équilibre thermique, la répartition des vitesses (ou des énergies cinétiques associées) est donnée par le spectre dit de Maxwell, du nom de James Clerk Maxwell qui l’a étudié au XIXe siècle : la proportion des particules ayant une vitesse comprise entre v et v + dv est donnée par l’expression :
v 2 dv 4 v2 n (v ) dv = √ exp[− ] . π v02 v02 v0 Si kB est la constante de Boltzmann, du nom de Ludwig Boltzmann qui s’est aussi intéressé à ces problèmes, et si T est la température absolue exprimée en kelvin (degrés Celsius plus 273), kB T est l’énergie caractérisant le spectre de Maxwell ; dans la formule, v0 est la vitesse des neutrons d’énergie cinétique kB T . Par exemple, pour une température de 20 degrés Celsius (T = 293 K), kB T = 0,0253 eV. La vitesse des neutrons ayant cette énergie est 2 200 m/s : c’est l’ordre de grandeur de la vitesse des neutrons thermiques (3100 m/s dans un réacteur à 300 ◦ C). En pratique, les neutrons sont absorbés avant que l’équilibre ne soit vraiment atteint et le spectre des neutrons thermiques est un peu plus « dur » (énergétique) que le spectre de Maxwell. En raisonnant avec les sections efficaces moyennes et les flux moyens pour les neutrons thermiques, on peut expliciter, comme l’avait fait Fermi, le facteur d’utilisation thermique (probabilité que le neutron thermique soit absorbé dans le combustible) d’une cellule comprenant, pour simplifier, seulement un combustible (c) et un modérateur (m) :
f =
Vc c (N5 σa 5 + N8 σa 8 ) , Vc c (N5 σa 5 + N8 σa 8 ) + Vm m Nm σam
et le facteur de reproduction (nombre de neutrons émis par fission pour un neutron absorbé dans le combustible) pour un mélange d’uranium 235 et d’uranium 238 : N5 ν5 σf 5 . η= N5 σa 5 + N8 σa 8
(Pierre Bacher, François Cogné, Jacques Journet, Antoine Meyer-Heine, Bernard Laponche...), on verra CRUEL (code de réseaux uranium-eau lourde ; Roger Naudet, Marcel Chabrillac...), COPPÉLIA (Roger Delayre, Christian Guionnet...) puis ÉVEREST (Jean-Louis Nigon...) pour les réacteurs à eau ordinaire et HÉTAÏRE (Jean-Yves Barré...) pour les réacteurs à neutrons rapides. Il y a à cela différentes raisons : une séparation des équipes (notamment entre Saclay pour les filières à neutrons thermiques et Cadarache pour la filière à neutrons rapides), une physique dans laquelle
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11. Du calcul de réseau au calcul de cœur
les phénomènes importants ne sont pas toujours les mêmes et des qualifications expérimentales qui ne sont pas au même niveau et qui sont réalisées sur des installations différentes par des équipes différentes. À côté de ces codes de cellules ou, ce qui revient au même, de réseaux de cellules identiques, se développent des codes de calcul de cœurs. Un calcul en deux étapes — mailles élémentaires (cellules), puis cœur complet — est, en effet, comme nous l’avons dit, un autre grand paradigme de la neutronique. Il s’appuie sur une constatation banale : un cœur est un objet trop compliqué pour être traité d’emblée, même avec un puissant ordinateur ; on procède donc en deux temps : d’abord un calcul le plus précis possible de chaque type de cellule dans une situation simple, celle du réseau infini et régulier ; ensuite, le calcul du cœur dans son ensemble fait avec un modèle beaucoup plus grossier. Entre ces deux calculs, on procède à une simplification de la géométrie par des homogénéisations et du spectre par des moyennes en énergie sur des grands « groupes », par exemple un groupe pour tous les neutrons rapides et épithermiques et un deuxième groupe pour les neutrons thermiques. L’approximation de l’opérateur de transport par l’opérateur de diffusion (c’est-à-dire un opérateur de Laplace) est acceptable si le système est formé de zones homogènes grandes par rapport aux parcours élémentaires des neutrons et pas trop absorbantes : c’est ce type de situation qu’on a à traiter lorsque les cellules ont été homogénéisées. En revanche, supposer que les neutrons sont monocinétiques est peut-être suffisant pour une présentation didactique des phénomènes de migration mais s’avère être une hypothèse trop grossière pour les calculs de cœur, puisque les neutrons ont un spectre très large, entre quelques millions et quelques millièmes d’électronvolts. Cela amène à construire un modèle « diffusion-multigroupe ». On sépare, sur un critère d’énergie, les neutrons en groupes et, dans chaque groupe, on écrit l’équation de la diffusion ; ces équations sont couplées par les transferts entre groupes dus aux fissions et aux diffusions. En pratique, il s’avère qu’une théorie à deux groupes seulement suffit pour les calculs usuels des cœurs des réacteurs à neutrons thermiques. Pour les réacteurs à neutrons rapides, il faut aller à au moins une demi-douzaine de groupes. Un aspect très important de la physique des réacteurs est l’ensemble des effets de température. Ces effets doivent être quantifiés au niveau des calculs de cellule et transmis, via les paramètres neutroniques, aux codes de calcul de cœur pour être traités globalement. On appelle en neutronique « effet de température » toute modification des propriétés neutroniques, en particulier du facteur de multiplication k, résultant d’une variation de température. Un coefficient de température est défini comme la dérivée du facteur de multiplication k (ou, ce qui revient en pratique au même, de la réactivité ρ) par rapport à la température ; on l’exprime en pcm (pour cent mille) par degré Celsius.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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Théorie de la diffusion à deux groupes Par exemple, pour les réacteurs à neutrons thermiques, en exprimant le facteur de multiplication infini par la formule des quatre facteurs et en se plaçant en régime stationnaire, cette théorie s’explicite dans chaque zone homogène par le système suivant d’équations (forme didactique) : — groupe 1 : neutrons rapides et épithermiques :
D1 1 (r ) − 1 1 (r ) + f ηε2 2 (r ) = 0 ; — groupe 2 : neutrons thermiques :
D2 2 (r ) − 2 2 (r ) + p 1 1 (r ) = 0 ; Dans ces équations, 1 caractérise les neutrons disparaissant du groupe 1 soit par transfert vers le groupe 2 (la proportion p ), soit par absorption (le complément) ; 2 ne représente que des absorptions, puisque les diffusions ne peuvent pas transférer les neutrons du groupe 2 au groupe 1. Si la géométrie peut être caractérisée par une seule variable d’espace, ces équations ont des solutions analytiques qu’il suffit de raccorder aux interfaces par continuité des flux et des courants (−D fois le gradient du flux). Par exemple, en géométrie plane (fonctions ne dépendant que d’une variable x ), les solutions sont des combinaisons de sinus et cosinus. En géométrie cylindrique (celle usuellement rencontrée pour les réacteurs), où le problème ne dépend que de la distance à un axe z, les solutions font intervenir des fonctions de Bessel bien connues des neutroniciens. Par exemple, le code RIFIFI calculait pour un cœur présentant une telle symétrie de révolution les flux en déterminant les combinaisons adéquates de ces fonctions de Bessel. Aujourd’hui, on fait presque toujours des calculs sur des géométries à deux, voire trois dimensions (décrites par deux ou trois variables d’espace). Seuls des traitements numériques des opérateurs sont alors possibles. Les principales approches sont les méthodes par différences finies, les méthodes par éléments finis, les méthodes nodales et les méthodes de synthèse. Il existe ainsi, dans les différents organismes, une large panoplie de codes. De très nombreuses personnes ont ainsi travaillé sur les équations de la diffusion en théorie multigroupe. L’ouvrage de Jacques Planchard, Méthodes mathématiques en neutronique (Eyrolles, 1995), en fait une excellente synthèse.
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11. Du calcul de réseau au calcul de cœur
Figure 11.2 Boucle des contre-réactions de température. [Source : Précis de neutronique, p.278]
Comme le montre la figure 11.2 (T : température ; ρ : réactivité ; : flux neutronique), il est indispensable que le coefficient de température soit négatif : alors, une perturbation de puissance, par exemple une augmentation, induit une croissance de température qui provoque une baisse du facteur de multiplication, donc une situation légèrement sous-critique et ainsi, finalement, une baisse de puissance qui annule la perturbation initiale. Au contraire, avec un coefficient de température positif, toute perturbation serait amplifiée. Les réacteurs tels les REP français sont conçus pour avoir toujours un coefficient de température négatif ; ce sont donc des machines intrinsèquement stables : il faut les piloter si l’on veut modifier la puissance et pour compenser les effets d’usure à long terme, mais un pilotage n’est pas nécessaire pour assurer la stabilité du niveau de puissance. On peut distinguer trois principaux effets de température sur la réactivité. Le premier est l’effet Doppler, dépendant de la température du combustible. C’est une déformation des résonances due à l’agitation thermique des noyaux concernés : si la température augmente, un abaissement des pics et un élargissement des résonances se produisent. C’est ce deuxième effet qui joue le plus : l’élargissement des « trappes » conduit à une augmentation de l’absorption (effet « kangourou »). En pratique, c’est surtout la capture (sans fission) par l’uranium 238 qui intervient : l’augmentation de température amène ainsi à une diminution de la réactivité. Le coefficient associé est de l’ordre −3 pcm/o C. Bien que pas très important en valeur absolue, cet effet est crucial pour assurer la stabilité des réacteurs car, associé à la température du combustible, il intervient instantanément. Le deuxième effet (pour les réacteurs à neutrons thermiques) est un durcissement (décalage vers des énergies plus élevées) du spectre de Maxwell et, par conséquent, du
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
spectre des neutrons thermiques : il est lié à la température du matériau thermalisant les neutrons, c’est-à-dire le modérateur. En première approximation, toutes les sections efficaces d’absorption pour les neutrons lents varient comme l’inverse de la vitesse v des neutrons ; dans ces conditions, tous les taux d’absorption varient proportionnellement et le facteur de multiplication, qui est un rapport de taux d’absorption, ne varie pas. En toute rigueur, cependant, certains noyaux dévient un peu par rapport à cette loi en 1/v : il en résulte de petits effets de température dont le signe n’est pas toujours facile à prévoir. Le troisième effet est l’effet de dilatation. Il est presque négligeable pour les matériaux solides qui se dilatent peu mais peut être important, voire même prépondérant, pour les liquides : sodium des réacteurs à neutrons rapides, eau des réacteurs à eau. Dans ce dernier cas, par exemple, il y a deux composantes : la première, négative, est liée au facteur p (moindre ralentissement si l’eau se dilate, donc plus de pertes de neutrons dans les résonances) ; la seconde, positive, est liée au facteur f (moins de captures de neutrons par l’eau si elle se dilate). On s’assure, lors de la conception, qu’en valeur absolue la première composante l’emporte de façon que non seulement l’effet lié à la température du combustible, mais aussi celui lié à la température du modérateur soient tous deux négatifs. Si l’ordre de grandeur de l’effet Doppler est toujours à peu près le même — y compris dans les réacteurs à neutrons rapides où l’on ne peut pas complètement éviter le ralentissement et donc les captures résonnantes —, l’importance des deux autres effets est très variable selon les flilières. Par exemple, dans les réacteurs à eau sous pression, les effets de dilatation de l’eau l’emportent largement devant l’effet de spectre. En revanche, pour les réacteurs à graphite qui sont ceux sur lesquels on travaillait le plus en France à l’époque que nous évoquons, les effets de dilatation sont faibles (l’uranium et le graphite se dilatent peu, le gaz carbonique a peu d’incidence sur la neutronique), et l’effet de spectre doit être évalué avec précision. Il est caractérisé par un coefficient négatif dans un réacteur à uranium, mais positif si l’on utilise un combustible à plutonium : cela vient du fait que les sections efficaces de l’uranium 235 et du plutonium 239 sont déformées par rapport à la loi en 1/v à cause d’une résonance à une énergie négative mais proche de zéro pour le premier et d’une résonance juste au-dessus du domaine thermique, à 0,3 eV, pour le second (voir au chapitre 6 le schéma de Fermi expliquant les résonances (fig. 6.1, p. 56) le premier niveau excité correspond à une résonance négative, les trois autres à des résonances positives). Pour étudier et qualifier le calcul de ces effets, César sera mis en service en 1964, dans le même hall que Marius à Cadarache. Cette pile permettra de réaliser le même type d’expériences, mais à chaud jusqu’aux températures représentatives de celles des réacteurs de puissance, de l’ordre de 400 o C.
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L’évolution des noyaux lourds et la problématique du plutonium Les propriétés du milieu multiplicateur de neutrons constituant le cœur d’un réacteur évoluent au cours du temps, en particulier avec l’apparition du plutonium. Pour conserver une réactivité suffisante, on ne peut pas épuiser totalement les matières fissiles des combustibles nucléaires. La question se pose donc de retraiter le combustible irradié pour y récupérer ces matières, et plus spécialement le plutonium. La perspective séduisante de la surgénération.
Tant que l’on s’est concentré sur la réalisation d’une réaction en chaîne, on ne s’est guère préoccupé de l’évolution des matières irradiées. Mais dès les premiers réacteurs de grande puissance, il a fallu prendre en compte dans la conception ces problèmes d’évolution. Nous avons vu que le premier qui soit apparu fut celui de l’effet xénon étouffant le système après quelques heures, puis entravant un redémarrage rapide après un arrêt. Sur le plus long terme, il a fallu aussi se préoccuper de l’évolution de l’ensemble des autres produits de fission, ainsi que de celle des noyaux lourds (actinides). Dès l’époque de la pile CP1 de Fermi, on savait que l’uranium 238 ne subissait que très rarement la fission et le plus souvent capturait un neutron, puis se transformait par deux décroissances radioactives successives en plutonium 239. Nous avons vu que, dans le cadre du Projet Manhattan, des réacteurs ont servi à produire le plutonium de deux bombes, l’explosion expérimentale d’Alamogordo et l’arme qui anéantit Nagasaki.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Naturellement, on était bien conscient dès cette époque que le plutonium 239 pouvait aussi servir de combustible pour les réacteurs. Celui qui s’y forme pendant le fonctionnement pourra participer par la suite à la réaction en chaîne, mais cette contribution ne peut être que relativement marginale. Si l’on veut réellement tirer partie du plutonium, il faut traiter le combustible irradié et y récupérer le plutonium qui y reste pour le recycler dans un nouveau combustible à la place ou en complément de l’uranium 235. Accessoirement, le traitement du combustible irradié permet aussi de récupérer l’uranium en vue également d’un recyclage et de séparer le reste (produits de fission et autres actinides, dits actinides mineurs) qui n’ont pas d’usage. Fermi et tous les spécialistes du nucléaire après lui savaient aussi qu’un réacteur à neutrons rapides alimenté par du plutonium peut être rendu surgénérateur, c’est-àdire que, s’il contient aussi de l’uranium 238, il peut produire à partir de ce dernier plus de plutonium qu’il n’en consomme. Une perspective qui paraît miraculeuse ! En réalité, cela veut dire qu’en récupérant systématiquement le plutonium des matières irradiées et en le recyclant, on finira par brûler dans ces réacteurs nucléaires non seulement l’isotope 235 de l’uranium naturel, qui n’en représente que 0,7 %, mais aussi, après conversion en plutonium, l’uranium 238 (99,3 %). En d’autres termes, même compte tenu des pertes, ont pourrait ainsi tirer cinquante à cent fois plus d’énergie de l’uranium naturel. En pratique (sauf peut-être en cycle thorium - uranium 233), il semble exclu ou en tout cas extrêmement difficile de concevoir un réacteur à neutrons thermiques surgénérateur, et aussi un réacteur à neutrons rapides fonctionnant à l’uranium 235 (voir l’encadré 3 sur les systèmes les plus prometteurs pour la surgénération). La seule voie réaliste de la surgénération est celle des réacteurs à neutrons rapides fonctionnant au plutonium et entourés de « couvertures » en uranium 238 où les neutrons qui s’échappent sont récupérés pour la conversion. En effet, le cœur proprement dit ne peut pas être surgénérateur. Cela signifie que la surgénération nécessite le traitement systématique des combustibles et couvertures irradiés. Par conséquent, le gain d’un facteur 50 à 100 ne peut être obtenu que sur un très long terme. Les actinides sont tous les noyaux lourds situés dans les cases actinium (89) et au-delà du tableau de Mendeleïev. Ces noyaux, s’ils ne subissent pas la fission, se transforment dans les réacteurs par captures neutroniques et décroissances radioactives. Les principales voies partant de l’uranium sont décrites sur la figure 12.1. Dans le combustible neuf, seuls les isotopes 235 et 238 de l’uranium sont présents (cases hachurées). Après un certain temps d’irradiation apparaissent ceux qui sont indiqués sur la figure, plus quelques autres en quantité presque négligeable (voir les encadrés 1 et 2 sur les équations d’évolution et sur la fluence neutronique). Les réactions de fission et les produits de fission alors obtenus sont sous-entendus de façon à ne pas surcharger la figure. Tous les actinides peuvent subir la fission par neutrons rapides. Ceux qui sont dits « fissiles », parce qu’ils peuvent aussi et même mieux subir la fission par neutrons lents, sont encadrés en gras (ce sont ceux dont les noyaux contiennent un nombre impair de neutrons). Les nucléides ayant une durée de vie très courte (non encadrés) sont, pour cette raison, en concentration toujours
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12. L’évolution des noyaux lourds et la problématique du plutonium
Figure 12.1 Chaîne d’évolution de l’uranium. [Source : Précis de neutronique, p.258].
négligeable. À signaler aussi, de rares réactions (n,2n) : après formation du noyau composé, deux neutrons sont éjectés. On notera que même les noyaux fissiles (pouvant subir la fission par neutrons lents) capturent parfois simplement le neutron sans qu’une fission en résulte : dans les réacteurs à neutrons thermiques, c’est par exemple le cas une fois sur sept pour l’uranium 235 et une fois sur quatre pour le plutonium 239. C’est ainsi qu’apparaissent l’uranium 236 et les isotopes supérieurs du plutonium.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Un certain nombre de noyaux figurant dans la chaîne sont radioactifs bêta-moins ; les périodes sont le plus souvent courtes ; contre-exemple, le plutonium 241 (15 ans). Tous les actinides peuvent disparaître aussi par radioactivité alpha. Hormis les deux exceptions indiquées (curium 242 et curium 244), les périodes sont longues (exemple, 24 000 ans pour le plutonium 239) et ces décroissances peuvent être négligées dans les calculs de réacteurs. Cela n’est évidemment plus vrai si l’on s’intéresse au devenir à très long terme de ces produits. Si l’on ne retraite pas les combustibles irradiés, tous les actinides seront à considérer comme des déchets. Si l’on traite les combustibles irradiés, comme c’est le cas en France, les « actinides majeurs » — l’uranium et le plutonium — pourront être recyclés ; seuls les autres, dits « actinides mineurs » — essentiellement les isotopes du neptunium de l’américium et du curium —, ainsi que les produits de fission, seront, dans l’état actuel des technologies, les véritables déchets nucléaires.
1
Les équations d’évolution Repérons les actinides par un double indice ij où i est le dernier digit du numéro atomique et j le dernier digit du nombre de masse (par exemple, 25 pour l’isotope 235 de l’uranium, de numéro atomique 92). Les concentrations Nij (t ) en un point donné ou en moyenne dans une zone donnée, fonctions du temps t , sont régies par les équations suivantes : • Uranium 235 : dNdt25 = −σa, 25 N25 . • Uranium 236 : dNdt26 = σc, 25 N25 − σa, 26 N26 . • Uranium 238 : dNdt28 = −σa, 28 N28 . • Plutonium 239 :
dN49 dt
= σc, 28 N28 − σa, 49 N49 .
(En négligeant les deux courtes étapes intermédiaires que sont les décroissances radioactives de l’uranium 239 et du neptunium 239.) • Plutonium 240 : dNdt40 = σc, 49 N49 − σa, 40 N40 . • Plutonium 241 : dNdt41 = σc, 40 N40 − σa, 41 N41 − λ41 N41 . • Plutonium 242 : dNdt42 = σc, 41 N41 − σa, 42 N42 . • Américium 241 :
dN51 dt
= λ41 N41 − σa, 51 N51 .
Etc. Dans ces équations, est le flux neutronique (intégré sur toutes les énergies de neutrons) ; les sections efficaces microscopiques σ sont des moyennes sur le spectre des neutrons ; indice c : capture ; indice a : absorption (capture ou fission) ; les réactions (n,2n) sont négligées ; λ désigne une constante de décroissance radioactive.
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12. L’évolution des noyaux lourds et la problématique du plutonium
L’irradiation subie par une matière combustible peut être mesurée par la combustion massique (souvent qualifiée par abus de langage de taux de combustion, ou par le terme anglais burnup). Les ingénieurs ont pris l’habitude de mesurer cette grandeur en mégawattjours par tonne (MWj/t) : c’est la puissance thermique délivrée par le réacteur (exprimée en mégawatts), multipliée par le temps d’irradiation (en jours) et rapportée à la masse d’atomes lourds chargée dans le réacteur (en tonnes). Dans le système international, on devrait utiliser le joule par kilogramme (J/kg) ou l’un de ses multiples, par exemple le térajoule par kilogramme (TJ/kg) ; la conversion est : 1 000 MWj/t = 0,0864 TJ/kg. Le tableau suivant donne les ordres de grandeur des irradiations au déchargement du combustible pour quelques filières de réacteurs. Ordres de grandeur des combustions massiques pour quelques filières.
2
Filière
UNGG
CANDU
REP
RNR
Modérateur
Graphite
Eau lourde
Eau ordinaire
Néant
Teneur initiale en matière fissile (%)
0,7
0,7
4
15
Nombre de fissions rapporté au nombre de noyaux lourds (%)
0,4
1
5
10
Combustion massique (MWj/t)
4 000
10 000
50 000
100 000
Combustion massique (TJ/kg)
0,35
0,86
4,3
8,6
La fluence neutronique En examinant les équations d’évolution, on remarque que presque tous les termes au second membre sont proportionnels au flux . Cette remarque amène à diviser toutes les équations par . Alors, les concentrations sont dérivées non pas par rapport au temps mais par rapport à la grandeur dont l’élément différentiel est ds = dt . Cette grandeur :
s=
t 0
(t ) dt
est appelée « fluence ». C’est l’inverse d’une surface et représente physiquement le flux de neutrons qui a imprégné un volume unité depuis le début de l’irradiation. Compte tenu des ordres de grandeur, on l’exprime en pratique en neutrons par kilobarn (10−25 m2 ), en abrégé n/kb.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 12.2 Évolution des masses des principaux isotopes de l’uranium et du plutonium pour le combustible standard des réacteurs à eau sous pression [Source : Précis de neutronique, page 263].
Pour compléter ces ordres de grandeur concernant la combustion massique, en voici quelques autres concernant les concentrations en fin de vie pour les réacteurs à eau sous pression. (Voir aussi la figure 12.2.) Comme cela a été dit, les isotopes de l’uranium et du plutonium sont qualifiés « d’actinides majeurs » : ce sont ceux qui sont considérés comme susceptibles de produire de l’énergie. À ce titre, certains pays, comme la France, traitent les combustibles déchargés des réacteurs après irradiation pour récupérer le reliquat de ces produits. En ce qui concerne les réacteurs français à eau sous pression, le combustible standard contient au démarrage environ 4 % d’uranium 235 et 96 % d’uranium 238. Après irradiation, pendant trois ou quatre années, le combustible déchargé contient encore environ 1 % d’uranium 235 et 1 % de plutonium. Ce dernier a été formé par captures neutroniques par l’uranium 238 : sur cent atomes lourds, 3 uranium 238 auront été convertis en plutonium, dont 2 auront subi la fission et 1 reste encore. Finalement, en gros, 5 % des noyaux lourds auront subi la fission : 3 uranium 235 et 2 plutonium. Un retraitement du combustible irradié permet de récupérer de l’uranium à 1 % de 235, légèrement plus riche que l’uranium naturel (mais pollué par d’autres isotopes), et, surtout, du plutonium : ces matières peuvent être recyclées. Les isotopes du neptunium, de l’américium et du curium sont qualifiés « d’actinides mineurs » : ils sont actuellement considérés comme des déchets sans valeur. Ils représentent environ 1 noyau lourd sur 1 000.
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12. L’évolution des noyaux lourds et la problématique du plutonium
3
Quels sont les systèmes les plus prometteurs pour la surgénération ? Pour caractériser simplement une matière fissile, le paramètre le plus judicieux est le facteur « êta » défini par : η=
νσf , σf + σc
où σf et σc sont respectivement les sections efficaces de fission et de capture sans fission. Ce facteur n’est pas le nombre moyen ν de neutrons émis par fission, mais le nombre moyen de neutrons obtenus par absorption, c’est-à-dire pour un atome de matière fissile consommé. Le tableau suivant donne quelques ordres de grandeur pour les trois principaux noyaux fissiles, selon qu’ils sont utilisés dans un réacteur à neutrons rapides ou dans un réacteur à neutrons thermiques. Ordres de grandeur des facteurs η des principaux noyaux fissiles.
Noyau fissile
Spectre rapide
Spectre thermique
Uranium 233
2,3
2,3
Uranium 235
1,9
2,1
Plutonium 239
2,4
2,1
Dans un réacteur critique, parmi les η neutrons émis, l’un servira à l’entretien de la réaction en chaîne et les η − 1 autres seront capturés sans fission. Autant que faire se peut, il est intéressant que ces captures soient utiles : en particulier, on peut viser des captures dans une matière fertile : captures dans l’uranium 238 qui génèreront du plutonium 239 ou dans le thorium 232 qui génèreront de l’uranium 233. Les ordres de grandeur des facteurs η montrent que dans un réacteur à neutrons thermiques à uranium 235 ou à plutonium, il est pratiquement impossible, compte tenu de la faible valeur de η − 1 et des pertes inévitables, de régénérer autant de matière fissile qu’on en consomme. C’est, en revanche, possible dans un réacteur à neutrons rapides utilisant du plutonium 239 associé à de l’uranium 238, compte tenu d’une valeur assez élevée de η − 1. En pratique, on y parvient en utilisant un combustible formé d’un mélange de plutonium (environ 15 %) et d’uranium naturel ou appauvri (environ 85 %), et en plaçant autour du cœur proprement dit du réacteur une couverture en uranium naturel ou appauvri où les neutrons, qui, sinon, s’échapperaient, sont récupérés pour la conversion. Si la production de matière fissile dépasse sa consommation, on parle de surgénération. Dans le système qui vient d’être décrit, la surgénération permet
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
d’utiliser tout l’uranium de la nature au lieu des seuls 0,7 % d’isotope 235 et d’une fraction infime de l’uranium 238. En pratique, la combustion complète de l’uranium 238 est longue, puisqu’il faut retraiter périodiquement et le combustible (lorsque sa teneur en matière fissile est trop faible pour assurer la criticité) et les couvertures, puis recycler le plutonium. L’uranium 233 a aussi un bon facteur η (tant en neutrons rapides, qu’en neutrons thermiques), ce qui pourrait permettre la surgénération en cycle thorium-uranium 233. La difficulté est d’initialiser ce cycle, puisque le thorium n’est pas fissile et que l’uranium 233 ne se trouve pas dans la nature. La faisabilité de ce cycle a été prouvée mais il n’a pas encore été développé industriellement.
Enfin, les 5 fissions auront donné 10 produits de fission pour 100 noyaux lourds initiaux, repésentant 5 % de la masse du combustible. Comme nous le verrons par la suite, le plutonium récupéré en France par traitement des combustibles irradiés est recyclé dans un certain nombre de réacteurs, ce qui permet d’économiser de l’uranium enrichi, c’est-à-dire de l’uranium naturel et du « travail » d’enrichissement. Un autre processus de conversion d’une matière fertile en matière fissile est connu, mais s’il a été étudié dans quelques prototypes, il n’a pas, à ce jour, été mis en œuvre de façon industrielle : de même que l’uranium 238 donne du plutonium 239 après une capture neutronique, le thorium 232 peut conduire à l’uranium 233. Le thorium naturel n’a qu’un seul isotope, le 232, non fissile. S’il capture un neutron, il donne du thorium 233 qui se transforme rapidement en protactinium 233, puis avec une période de 1 mois, en uranium 233. Ce dernier est un isotope artificiel de l’uranium, fissile comme l’uranium 235. Ainsi, si un jour l’humanité manque d’uranium, elle pourra tenter d’utiliser le thorium dans des réacteurs capables de le convertir.
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La première génération de réacteurs Les réacteurs de la filière uranium naturel - graphite - gaz. Une neutronique ambitieuse mais une capacité des ordinateurs encore limitée nécessiteront une grande ingéniosité dans les modèles de calcul.
Nous l’évoquions au début du chapitre 8 : depuis le « Forum international génération 4 » organisé au début des années 2000 à l’initiative du Département de l’énergie américain (DoE) pour réfléchir aux systèmes du futur, l’habitude a été prise de distinguer quatre générations de réacteurs (sous-entendu : de puissance et destinés à produire essentiellement de l’électricité ; les divers réacteurs de recherche ne sont pas concernés par cette classification). • Quelques prototypes ont précédé les réacteurs de la première génération ; ils ont permis de dégrossir les problèmes techniques. En France, par exemple, ce sont les réacteurs de Marcoule G1 (1956-1968), G2 (1959-1980) et G3 (1960-1984). Pour rester dans la même terminologie, nous les avions qualifiés de « génération zéro ». • La première génération est celle des premières machines industrielles, c’est-à-dire qui amortissent à peu près les dépenses par leur production. On peut la situer approximativement entre 1960 et 1975. Elle s’appuie sur l’expérience acquise avec
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
la « génération zéro » ; en France, par exemple, après G1, G2 et G3, viennent des réacteurs de première génération. Pour cette filière française UNGG, six réacteurs seront réalisés pour Électricité de France, avec des démarrages échelonnés de 1963 à 1972. Les six réacteurs UNGG réalisés pour EDF [Source : ELECNUC, édition 2011) Réacteur
Puissance (MWe)
Mise en service
Arrêt
Chinon A-1
70
1963
1973
Chinon A-2
210
1965
1985
Chinon A-3
480
1966
1990
St Laurent A-1
480
1969
1990
St Laurent A-2
515
1971
1992
Bugey-1
540
1972
1994
Dans cette première génération, se situent aussi, en ce qui concerne la France, les deux réacteurs construits en collaboration avec la Belgique : Chooz A-1 (1967-1991) et Tihange 1 (démarré en 1975). On peut aussi classer dans cette génération le réacteur à eau lourde EL4 (1967-1985), une filière qui n’aura pas de suite en France, le réacteur à neutrons rapides Phénix (1973-2010), qui sera suivi de Superphénix (1986-1998), ainsi que les premiers sous-marins lanceurs d’engins dont la série démarre avec le Redoutable (1971-1991). C’est cette période qui sera décrite dans le présent chapitre. • La deuxième génération est celle que l’on peut faire démarrer vers 1975, à une date où l’on a commencé à parler de « maturité de l’énergie nucléaire ». Pour les pays qui ont décidé d’avoir recours à grande échelle à l’énergie nucléaire, ce sont ces réacteurs qui vont constituer l’essentiel, voire la totalité du parc nucléaire ; en France, par exemple, les 58 réacteurs à eau sous pression démarrant entre 1977 et 1999 font partie de cette deuxième génération. Maintenant, la compétitivité avec les autres sources classiques d’énergie est acquise et la sûreté est sensiblement améliorée par rapport à la génération précédente. • La troisième génération de réacteurs est celle dont les développements ont démarré vers 1990 : ce sont des systèmes qui apparaissent comme « évolutionnaires » (par opposition à « révolutionnaires ») si on les compare aux précédents. Un bon exemple est l’EPR (European Pressurized Reactor ) proposé par l’industriel français Areva, initialement associé à l’allemand Siemens. Ce sont des systèmes fondés sur des choix technologiques similaires à ceux de la deuxième génération, pour cet exemple l’eau sous pression, mais qui ont été améliorés et optimisés par rapport aux précédents sous l’angle de la sûreté (prise en compte à la conception des accidents graves) et celui des performances technico-économiques. Les réacteurs de troisième génération sont ceux qui sont proposés aujourd’hui aux pays qui souhaitent développer l’énergie nucléaire ou poursuivre l’effort précédent. Dans la mesure où se confirmera l’intérêt pour l’énergie nucléaire observé aujourd’hui
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13. La première génération de réacteurs
dans plusieurs pays, la troisième génération accompagnera la « renaissance du nucléaire » après le ralentissement qui a suivi les réticences de l’opinion alimentées par les inquiétudes suscitées par les accidents de Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011, ainsi que le problème du devenir des déchets nucléaires. • Les réacteurs de la quatrième génération seront davantage « révolutionnaires » : ils font appel à des filières différentes et, bien entendu, plus prometteuses, non seulement sous les angles de la sûreté et des performances technico-économiques, mais aussi sous ceux du développement durable (meilleure utilisation des ressources naurelles) et de la réduction du risque de prolifération (détournement de matières sensibles dans le but de développer un armement nucléaire). Les spécialistes qui les développent aujourd’hui prévoient que ces réacteurs devraient, vers 2040-2050 et au-delà, remplacer progressivement les précédents au fur et à mesure que ces derniers atteindront leur fin de vie, voire les compléter en cas de recours plus massif à l’énergie nucléaire.
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Les scénarios de développement du nucléaire Dès les débuts, des scénarios de développement du nucléaire ont été construits ; s’ils s’appuient avant tout sur des hypothèses sociétales et économiques, ils ont besoin de la neutronique pour une évaluation précise des bilans des matières : parmi les neutroniciens qui ont travaillé sur ce thème, on peut citer Jacques Charles et Jean-Paul Grouiller au CEA, et Jean Vergnes à EDF. La caractéristique générale de ces scénarios est qu’ils ont presque toujours été trop optimistes sur le développement du nucléaire, en particulier pour les réacteurs à neutrons rapides. Cela ne tient pas à des raisons de physique, mais aux contextes politiques et économiques qui ont changé (par exemple, pour le pétrole et le gaz). Toutefois, ces scénarios ont été et restent indispensables pour chiffrer et comparer les conséquences de diverses options de développement ouvertes à un moment donné.
La « saga de la neutronique » associée aux réacteurs de génération 2, 3 et 4 fera l’objet de chapitres de la deuxième partie. La période que nous évoquons pour commencer, celle de la première génération, qui s’étend donc environ de 1960 à 1975, se caractérise pour la neutronique à la fois par le développement de théories physiques très réfléchies et par une utilisation des ordinateurs qui devient quotidienne pour les physiciens et ingénieurs. L’expertise physique était la seule approche de la neutronique avant l’informatique : ceux qui ont construit la neutronique ont dû élaborer des modèles suffisamment précis pour rendre compte des phénomènes et dimensionner les machines, et cependant suffisamment simples pour pouvoir être mis en œuvre avec des moyens de calculs très limités. La formule des quatre facteurs, inventée par Fermi et améliorée par les générations suivantes de neutroniciens, en est le meilleur exemple.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Dans la période qui s’ouvre maintenant, cette grande expertise physique se poursuit et se développe même, mais dans un contexte un peu différent, celui d’une capacité de calcul qui reste modeste, certes, si on la compare à ce dont nous disposons aujourd’hui, mais qui cependant permet de concevoir et développer des modélisations beaucoup plus précises que les précédentes. La neutronique est caractérisée par une très grande complexité à la fois des données nucléaires (notamment les milliers de résonances à prendre en compte) et des géométries à traiter (par exemple, pour un gros réacteur à eau sous pression, plus de 50 000 crayons de combustible, contenant chacun de l’ordre de 400 pastilles d’oxyde d’uranium). Il en résulte que la neutronique ne peut pas être traitée de façon exacte ; c’est vrai encore aujourd’hui, même avec les plus gros ordinateurs ! Une modélisation, c’est-à-dire une simplification de la réalité physique permettant des calculs concrets tout en préservant l’essentiel des phénomènes physiques, est et restera nécessaire. Ce qui change au cours du temps, c’est le point d’équilibre entre modélisations et traitements numériques : plus l’informatique devient puissante, plus cet équilibre se déplace vers le traitement numérique et l’abandon de modèles. Pour concrétiser ces remarques, voici quelques-unes des avancées réalisées au cours de cette période par l’ École française de neutronique, que représente alors le Service de physique mathématique de Saclay, animée, en particulier, par Jules Horowitz qui a déjà été présenté au lecteur. a/ La théorie dite ABH du nom de ses auteurs — Albert Amouyal, Pierre Benoist et Jules Horowitz — est une judicieuse alliance entre la théorie des probabilités de première collision et la théorie de la diffusion, pour le traitement des réseaux à grand pas tels ceux des réacteurs à uranium naturel modérés au graphite ou à l’eau lourde. Par la suite, elle sera généralisée au cas des réseaux serrés tels ceux des réacteurs à eau. b/ La théorie du facteur de fission rapide ε a été précisée par Antoine Meyer-Heine et l’auteur de ces lignes lorsque, jeunes ingénieurs, ils ont cherché à comprendre les divergences entre les calculs faits en France (code CORÉGRAF) et au RoyaumeUni (code WIMS) dans le domaine des neutrons rapides. La difficulté provient de la distinction, faite par Fermi, entre les fissions « rapides » (induites par des neutrons rapides, en pratique sur l’uranium 238 au-dessus d’une énergie de 0,8 MeV) et les fissions « thermiques » (induites par des neutrons lents, en pratique sur l’uranium 235). Cela est détaillé dans l’encadré suivant. c/ Il a déjà été souligné que les mécanismes de thermalisation sont complexes. En toute première approximation (c’est ce qu’avait fait Fermi), on peut assimiler le spectre de neutrons au spectre de Maxwell à la température du modérateur, ce qui revient à ignorer tout le détail de ces mécanismes. Mais il est rapidement apparu que cela était une approximation assez grossière. À la suite de différentes études du Canadien Carl H. Westcott, Oleg Trétiakoff et Jules Horowitz, à Saclay, reprirent son idée d’approximer le spectre n(v) des neutrons en fonction de leur vitesse v par deux composantes, un spectre de Maxwell m(v) et un terme correctif d’écart au spectre de Maxwell r e (v) :
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13. La première génération de réacteurs
n(v) = m(v) + r e (v), en montrant que, pour un modérateur donné et une absorption du combustible pas trop intense, la fonction e est unique, c’est-à-dire qu’il suffit de la déterminer une fois pour toutes ; le coefficient r , caractérisant le rapport du nombre de neutrons épithermiques au nombre de neutrons thermiques, peut être calculé par un simple bilan des neutrons thermiques. Ensuite, Roger Naudet montra que cette décomposition permettait de définir sans ambiguïté la décomposition de l’aire de migration M 2 (à un facteur 6 près, la moyenne du carré de la distance parcourue à vol d’oiseau par les neutrons, dans un réseau infini, entre leur naissance et leur absorption) en ses deux composantes épithermique et thermique : M 2 = M12 + M22 . Par la suite, un autre chercheur de Saclay, Michel Cadilhac, proposa dans sa thèse un « modèle secondaire de thermalisation », c’est-à-dire une équation différentielle du second ordre permettant de calculer le spectre des neutrons thermiques. Ce modèle est caractérisé par deux fonctions F et G qui dépendent du modérateur et qui, là encore, sont établies une fois pour toutes. Ce modèle fut introduit dans le code CORÉGRAF, l’informatique étant devenue suffisamment performante pour qu’on puisse envisager d’intégrer systématiquement cette équation différentielle pour tous les réseaux à graphite devant être calculés. Outre-Atlantique, également au début des années 1960, sera développé le code THERMOS effectuant un traitement purement numérique de l’opérateur de thermalisation (représentation du domaine des neutrons thermiques par N « groupes de neutrons » — ou intervalles d’énergie — et inversion d’une matrice N × N ). Cela sera repris par la suite dans le code APOLLO. d/ Avant de lancer un calcul de cœur de réacteur, on doit homogénéiser chacun des réseaux le constituant. Cette homogénéisation est faite à partir du calcul de chacun des types de cellules rencontrés. La théorie de l’homogénéisation est loin d’être évidente : dès cette époque, de nombreux travaux lui ont été consacrés. e/ Dans les quinze années qui ont suivi la guerre, les laboratoires s’intéressant à la neutronique sont restés très cloisonnés. Il fallut attendre le fameux discours du président Eisenhower devant l’assemblée générale de l’ONU, le 8 décembre 1953, Atoms for Peace, pour que les États-Unis décident d’ouvrir leurs connaissances dans le domaine des applications pacifiques de l’énergie nucléaire. Les autres grandes nations adopteront rapidement une politique similaire. Beaucoup d’informations furent échangées lors de deux grandes conférences internationales organisées à Genève (du 8 au 20 août 1955 et du 1er au 13 septembre 1958). Notamment, c’est à cette occasion que les neutroniciens de Saclay découvrirent la méthode hétérogène de calcul de piles élaborée par deux physiciens russes, S. M. Feinberg et A. D. Galanine. Si l’auteur peut s’autoriser à évoquer un
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
souvenir personnel, il pourrait relater une anecdote révélant les faibles capacités de l’informatique de l’époque. Il reprit, après Marcel Chabrillac, un code « hétérogène », HECTOR, pour l’adapter au calcul de la pile expérimentale Marius située à Cadarache et utilisée pour qualifier les calculs des réseaux à graphite. Compte tenu des symétries, il fallait introduire 70 « fils », donc manipuler des matrices 70 ×70. Il fallut à l’auteur beaucoup d’attention pour repérer au fur et à mesure des calculs les matrices devenues inutiles, récupérer leur emplacement dans la mémoire de l’ordinateur et y placer d’autres matrices : en effet, la mémoire ne pouvait contenir que 20 000 nombres, occupant 80 ko, soit l’emplacement de quatre telles matrices. Aujourd’hui, même un ordinateur bas de gamme dispose de centaines de Go de mémoire ! Ce chapitre pourrait laisser penser que les travaux de neutronique de cette époque ont surtout porté sur les aspects théoriques et la mise au point de nouveaux modèles. Mais il ne faut pas oublier que cela se fait dans le contexte du développement industriel des réacteurs UNGG. La réussite incontestable de cette filière tient aussi aux talents de neutroniciens plus appliqués, notamment au sein d’EDF : Bernard Noc, Mathieu Israël, Jacques Ryckelinck, Serge Peytier, Jean-Claude Lefebvre, Philippe Lebigot, Francis Hourtoulle, Francis Vitton, Gérard Gambier, Henri Mouney, Philippe Bioux et bien d’autres. On retrouvera beaucoup d’entre eux, plus tard, travaillant sur la neutronique des réacteurs à eau.
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La théorie Amouyal-Benoist-Horowitz Si l’on examine la cellule élémentaire d’un réacteur à uranium naturel modéré au graphite ou à l’eau lourde, on constate que la partie centrale, le combustible et sa gaine, est de petites dimensions (à l’échelle du centimètre) et formée de matériaux fortement absorbants pour les neutrons : c’est une situation pour laquelle la méthode des probabilités de première collision est bien adaptée. La partie extérieure, le modérateur, au contraire, est de grandes dimensions (à l’échelle du décimètre) et formée d’un matériau très peu capturant : c’est une situation pour laquelle l’approximation de la diffusion est licite. Faisant ces remarques, les auteurs ont proposé cette « théorie ABH » combinant la méthode des probabilités de première collision pour le traitement du combustible et la théorie de la diffusion pour le modérateur. Naturellement, il faut raccorder correctement à la frontière entre ces deux domaines les flux neutroniques donnés respectivement par ces deux approches.
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13. La première génération de réacteurs
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Les deux définitions possibles du facteur de fission rapide ε Dans l’esprit de la formule des quatre facteurs proposée par Fermi, le bilan est fait sur les seules fissions thermiques (voir la figure 13.1) et le facteur ε prend en compte le bénéfice dû aux fissions rapides cumulées (non seulement les fissions rapides induites par des neutrons issus de fissions thermiques, mais aussi les fissions rapides induites par des neutrons issus de fissions rapides). Cette convention avait été reprise implicitement dans le code CORÉGRAF. On peut aussi (convention de WIMS, qui sera reprise plus tard dans le code français APOLLO) mettre sur le même plan toutes les fissions et établir le bilan sur l’ensemble des fissions. Le facteur ε n’est plus alors qu’un rapport entre les neutrons émis par les deux sortes de fissions.
Figure 13.1 Bilan neutronique dans un assemblage neuf (ici, pour un réacteur à eau sous pression) : ordres de grandeur pour 100 neutrons émis. Où établir le bilan neutronique : sur les seules fissions « thermiques », en B ? ou sur l’ensemble des fissions, en A ?
Des deux définitions possibles du facteur de fission rapide ε résultent deux définitions du facteur de multiplication k . On peut constater que ces deux définitions coïncident si et seulement si le système est critique.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
4
Homogénéisation des réseaux et coefficient de diffusion Pour simplifier les calculs des cœurs des réacteurs nucléaires, on est amené à homogénéiser les réseaux, c’est-à-dire à les remplacer par une « pâte homogène » neutroniquement équivalente. Pour respecter les taux de réaction : R = (r )(r ) d 3 r, V
dans un volume V homogénéisé, on est amené à homogénéiser (calculer les ¯ en pondérant les sections efficaces par les volumes et valeurs moyennes ) les flux moyens dans les volumes élémentaires v constituant V : ¯ =
V
(r )(r ) d 3 r V
(r ) d 3 r
=
v ∈V
v v v
v ∈V
v v
.
Dans le milieu homogénéisé, on remplace, en pratique, l’équation de Boltzmann par son approximation de la diffusion : plusieurs critères sont possibles pour définir le coefficient de diffusion D , mais en tout état de cause une formule analogue à celle qui définit les sections efficaces moyennes ne convient pas. Pour un réseau hétérogène, la bonne formule (utilisant quelques approximations) a été établie par Pierre Benoist au début des années 1960. Elle fait intervenir des probabilités de première collision « orientées » qui généralisent les probabilités usuelles. Cette — difficile — théorie du coefficient de diffusion n’a pas cessé d’être complétée et perfectionnée jusqu’à aujourd’hui, notamment par Valentine Deniz et Yvan Petrovic ; à ce jour, la théorie de l’homogénéisation n’est pas encore parfaitement établie définitivement.
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13. La première génération de réacteurs
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La méthode hétérogène de calcul de piles La méthode hétérogène de calcul de pile s’applique au cas de réseaux larges dans lesquels le volume occupé par le combustible et le canal de refroidissement est petit devant le volume occupé par le modérateur. Contrairement à la méthode homogène qui consiste, dans chaque cellule, à homogénéiser combustible et modérateur en une « pâte »équivalente, la méthode hétérogène consiste à expliciter l’hétérogénéité que constitue le combustible dans le modérateur, mais en la schématisant. La schématisation proposée par les auteurs de la méthode consiste à réduire la structure cylindrique constituée par le combustible et son canal à un « fil »infiniment fin et doué de propriétés similaires à celles du combustible réel : absorber des neutrons (ce qui, sous l’angle mathématique, est équivalent à émettre des « neutrons négatifs ») et en émettre (émission de « vrais »neutrons).
Figure 13.2
Schématisation d’un réseau de cellules par un réseau de fils.
Par exemple, dans le code HECTOR, les fils pouvaient capturer des neutrons épithermiques et thermiques proportionnellement aux flux respectifs en leur voisinage et émettre des neutrons rapides proportionnellement aux absorptions de neutrons thermiques. Les coefficients de proportionnalité étaient choisis de façon à conserver le bilan neutronique, c’est-à-dire respectivement les facteurs p , f et ηε. Comme, par ailleurs, les flux sont calculés à partir des sources de neutrons positifs et négatifs, on aboutit finalement à la recherche du vecteur propre d’une matrice N × N (N étant le nombre de fils) pour la valeur propre 1 (condition critique).
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Interlude
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Les réacteurs d’Oklo On découvrit en 1972 que l’Homme n’avait pas inventé le réacteur nucléaire : la Nature l’avait fait deux milliards d’années avant lui !
1972 : l’exploitation de l’uranium de la carrière d’Oklo, au Gabon, a démarré sans incident. L’exploitant fait des mesures de routine des teneurs isotopiques pour connaître la concentration exacte de l’uranium 235. En effet, dans tous les gisements du monde, elle tourne autour de 0,72 % (en nombre de noyaux), mais le troisième chiffre peut varier. Ce jour-là, ce n’est pas le troisième chiffre qui change, mais le deuxième et même, quelques jours plus tard, le premier ! Craignant une quelconque erreur et reprenant ses mesures, l’exploitant doit se rendre à l’évidence : en certains endroits, la teneur en uranium 235 n’est pas de 0,72 %, mais plus faible, jusqu’à parfois 0,4 %. C’est de l’uranium appauvri qu’on trouve à Oklo ! Les physiciens de différentes spécialités sont rapidement mis au courant et tentent de comprendre la raison de ces anomalies locales de teneur. L’explication des neutroniciens, objet d’une communication à l’Académie des Sciences (Jean Bussac et al.), est qu’une réaction en chaîne de fissions s’est produite spontanément autrefois et a consommé une partie de l’uranium 235. Ils seront rapidement et définitivement convaincus que c’est la bonne explication quand des analyses chimiques et isotopiques
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
d’échantillons recueillis sur place mettront en évidence du néodyme de fission. Cet élément a plusieurs isotopes, dont les proportions ne sont pas du tout les mêmes pour l’élément naturel et pour le néodyme trouvé dans les produits de fission. Par un simple examen des teneurs isotopiques du néodyme prélevé dans l’échantillon, on peut obtenir la proportion de ces deux sources et constater que la part provenant des fissions est prépondérante. Par la suite, d’autres analyses sur le même élément ainsi que sur d’autres éléments, notamment le ruthénium, viendront étayer cette conclusion et même apporter quelques indices sur la cinétique de la réaction. L’exploration du phénomène permettra de repérer une quinzaine de foyers de réactions, chacun d’une dimension de quelques mètres et dispersés sur quelques centaines de mètres. Parallèlement aux recherches des géologues et des chimistes, les neutroniciens se sont lancés dans des calculs pour mieux comprendre le phénomène et, surtout, étayer sa vraisemblance. En particulier, Roger Naudet, à l’origine un spécialiste des réacteurs à eau lourde, développa le code BINOCLE permettant d’explorer rapidement les propriétés neutroniques d’un grand nombre de compositions. Ce code montra que trois circonstances, très particulières à ce gisement, ont permis d’atteindre une situation critique, c’est-à-dire un facteur de multiplication égal à 1. Si cette condition critique est atteinte, la réaction en chaîne se déclenche forcément tôt ou tard grâce aux quelques neutrons provenant de réactions nucléaires induites par les rayons cosmiques, ou par les quelques fissions spontanées de l’uranium 238. Ces trois circonstances exceptionnelles sont les suivantes : • la première est une concentration extrêmement élevée de l’uranium en certains endroits, jusqu’à quelques dizaines de pour cent en masse, alors que les teneurs usuelles de l’uranium des mines ou carrières exploitées est généralement de quelques pour mille. Ces fortes teneurs peuvent s’étendre dans des zones de quelques décimètres, voire quelques mètres ; • la deuxième circonstance est plus banale : la présence d’eau imprégnant la gangue et susceptible de modérer les neutrons ; • la troisième circonstance, sans doute la plus importante et la plus exceptionnelle, est l’âge très ancien de la mise en place de ce gisement, c’est-à-dire des mécanismes physico-chimiques et même semble-t-il biologiques (action de microorganismes), qui ont concentré l’uranium : les géologues ont estimé l’ancienneté à deux milliards d’années environ (à titre de comparaison, rappelons que la Terre s’est formée il y a 4,6 milliards d’années). Les physiciens savent que les deux isotopes de l’uranium sont radioactifs : l’uranium 238 a une période de 4,5 milliards d’années et donc à peu près la moitié a disparu depuis la formation de la Terre ; l’uranium 235 a, lui, une période plus courte, 700 millions d’années, et a donc bien davantage disparu, ce qui explique sa faible teneur actuelle. Ce qui est intéressant, c’est qu’en reprenant les équations de la radioactivité, mais en remontant et non en descendant le temps, on calcule que la teneur de l’uranium naturel il y a deux milliards d’années était sensiblement plus élevée qu’aujourd’hui, non pas 0,7 %, mais un peu plus de 3 %. Or 3 %, c’est la teneur qu’utilisent les ingénieurs
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14. Les réacteurs d’Oklo
d’aujourd’hui dans les réacteurs à eau. À l’époque d’Oklo, ils n’auraient pas eu besoin d’enrichir l’uranium pour faire des réacteurs à eau ! Et la Nature s’est passée d’eux... Une étude très complète sous tous ses aspects — géologie, physique nucléaire et neutronique, chimie et biochimie, thermique... — a été faite à la suite de la découverte de ces « réacteurs fossiles ». Les principales conclusions en ont été tirées lors d’un colloque international qui s’est tenu dans la capitale du Gabon, Libreville, en 1975, avec visite à la carrière d’Oklo. Par la suite, Roger Naudet fit une synthèse précise et complète du « phénomène d’Oklo » dans un ouvrage dont on trouvera les références en bibliographie (fig. 14.1).
Figure 14.1 Le livre de Roger Naudet.
Cet auteur explique notamment comment s’est régulée la réaction en chaîne : dans le court terme, ce sont, comme dans les réacteurs industriels d’aujourd’hui, les effets de température et éventuellement d’ébullition partielle qui ont réalisé la régulation : si le rythme de la réaction s’accélère, ces effets réduisent la réactivité, ce qui entraîne une baisse de puissance ; inversement, une baisse de régime induit un apport de réactivité, d’où une remontée de la puissance. À plus long terme, il semble qu’un mécanisme de « poisons consommables » soit intervenu : dès que la réaction en chaîne démarre, des neutrons viennent détruire des poisons neutroniques, notamment le bore ; cela conduit à un apport de réactivité compensant la perte due à la combustion de la matière fissile et à l’accumulation de produits de fission ; ce mécanisme peut aussi se traduire, comme dans un incendie, par une propagation progressive du foyer vers les zones voisines. Le niveau de puissance de ces réacteurs naturels a sans doute été très faible, mais ils ont dû fonctionner durant une longue période, peut-être quelque cent mille ans. Globalement, l’énergie dégagée, c’est-à-dire la masse des noyaux lourds qui
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
ont subi la fission, a dû être du même ordre de grandeur que lors du fonctionnement pendant quelques années d’un réacteur industriel actuel. Aujourd’hui, la carrière d’Oklo a été entièrement exploitée, y compris les zones qui ont réagi. Seule la zone 2 a été gardée pour d’éventuelles analyses ultérieures ; elle reste seule sur la couche de grès au-dessus de laquelle se trouvait le minerai d’uranium (fig. 14.2).
Figure 14.2 Vue de la carrière d’Oklo, au Gabon ; à droite, à mi-hauteur, le sarcophage où a été préservée la zone de réaction no 2 ; à l’origine, la couche de minerai d’uranium se trouvait au-dessus de la couche de grès inclinée à 45o que l’on voit à droite ; l’uranium a été exploité à ciel ouvert après déblaiement des terrains stériles.
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La neutronique expérimentale Comme dans toutes les sciences physiques, les théories de la neutronique doivent en permanence être confrontées et validées par des résultats expérimentaux. La particularité de la neutronique est qu’outre les modèles mathématiques, elle fait appel à de très nombreuses données nucléaires issues pour l’essentiel de mesures. On sera ainsi amené à distinguer les « mesures différentielles » concernant les données nucléaires et les « mesures intégrales » concernant des grandeurs neutroniques (taux de réaction, facteur de multiplication...) qui, en pratique, s’expriment avec des intégrales portant sur des données nucléaires.
Les sciences physiques cherchent à modéliser et à calculer des phénomènes naturels ou voulus par l’Homme. Elles ne peuvent pas se passer des expériences qui, d’une part, doivent fournir les données nécessaires aux modèles et, d’autre part, permettent de valider les êtres et les équations mathématiques censés représenter cette réalité. La physique nucléaire et la neutronique s’inscrivent dans cette problématique générale. Depuis la naissance de ces sciences, des expériences ont été nécessaires, et cela est encore vrai aujourd’hui. C’est dire que ce chapitre sur la neutronique expérimentale s’inscrit dans une continuité entre l’ère des découvertes physiques et celle des développements industriels. C’est la raison pour laquelle il est placé à la charnière entre les deux parties de ce livre.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
La neutronique se singularise toutefois sur les deux aspects de la physique expérimentale, les données et les modèles. D’une part, les données nucléaires qu’elle utilise sont extrêmement nombreuses et compliquées (penser, par exemple, aux multiples résonances de sections efficaces). D’autre part, les exigences de précision des ingénieurs ont obligé à renoncer aux modèles simples pour les remplacer par une résolution numérique d’équations différentielles et/ou intégrales relativement complexes, notamment l’équation de Boltzmann ; concrètement cela signifie que la neutronique a fait appel aux ordinateurs dès que ces machines sont apparues et que cette tendance n’a fait que se confirmer par la suite. Aujourd’hui, les calculs de réacteurs (non seulement en neutronique mais aussi sur les autres aspects : thermohydraulique, mécanique, études d’accident...) figurent parmi les très grosses utilisations de l’informatique scientifique. La physique nucléaire et la neutronique expérimentales ont ainsi accompagné dès les débuts les développements théoriques, puis ceux des codes de calcul. Les techniques expérimentales ont relativement peu évolué dans leurs principes depuis que la neutronique existe. En revanche, les appareillages de mesure se sont beaucoup perfectionnés, notamment sur les aspects électroniques, de même que les interprétations des expériences qui font elles-mêmes appel aux codes de calcul et qui sont devenues de plus en plus précises au fur et à mesure des améliorations des codes. Les neutroniciens ont l’habitude de distinguer plusieurs sortes d’expériences. D’abord les « mesures différentielles » qui concernent l’ensemble des données nucléaires : sections efficaces, lois de transfert en énergie, facteurs de reproduction, spectre de fission, caractéristiques des décroissances radioactives, etc. On les appelle ainsi par opposition aux expériences dites « intégrales » qui concernent des paramètres neutroniques proprement dits : taux de réaction, facteur de multiplication, coefficients de réactivité, etc. Ces paramètres, en effet, s’explicitent plus ou moins directement par des intégrales où figurent, à côté du flux, des données nucléaires. En pratique, ces grandeurs intégrales peuvent être d’une part mesurées et d’autre part calculées par les codes de calcul utilisés par les ingénieurs. S’il y a des écarts entre les résultats des mesures et des calculs, deux causes sont possibles et interviennent plus ou moins toutes les deux. La première est la répercussion d’erreurs sur les données nucléaires utilisées dans les codes ; la seconde cause d’erreur est l’imprécision des modèles : un modèle, en effet, ne représente que plus ou moins fidèlement la réalité, d’une part parce que certains opérateurs sont approchés (par exemple, l’opérateur de transport par l’opérateur de diffusion) et parce que la géométrie est souvent simplifiée (homogénéisations, géométrie à trois dimensions remplacée par un modèle à deux dimensions, etc.), et d’autre part parce que les traitements numériques (discrétisation de variables, représentation par des séries tronquées à un certain rang) sont inévitablement approximatifs, puisqu’il faudrait traiter une infinité de variables pour les rendre rigoureux. La part des erreurs dues aux données nucléaires et celles dues aux modèles de calcul dépendent des cas traités : si la première est similaire dans tous les cas, la seconde est plus importante dans les configurations complexes que dans les configurations simples. C’est la raison pour laquelle on est amené à distinguer deux sortes d’expériences intégrales : d’une part, les expériences de qualification des
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15. La neutronique expérimentale
« bibliothèques » de données nucléaires, réalisées dans une géométrie la plus simple possible et posant donc peu de difficultés de calcul ; d’autre part, les expériences du type « maquette » conçues, au contraire, pour valider un schéma de calcul difficile sur des configurations complexes : hétérogénités, interfaces... Ces expériences de type « maquettes » permettent de chiffrer les erreurs d’un schéma de calcul mis en œuvre par les industriels et, s’il y a lieu, de proposer des améliorations. Les expériences « propres » (terme qui n’est pas péjoratif pour les autres mais qui qualifie une configuration simple), elles, apportent des informations sur la qualité ou les défauts d’une bibliothèque de données nucléaires. Les expériences propres sont pertinentes donc intéressantes car une mesure intégrale est souvent plus précise que l’incertitude sur la grandeur concernée due aux incertitudes sur les données nucléaires ; mais l’information apportée par ces mesures doit être décryptée : en effet, si l’on observe un écart, on ne peut pas savoir a priori quelle(s) est (sont) la (les) donnée(s) nucléaire(s) à incriminer. Une réponse ne peut être apportée que par une étude statistique soignée des écarts expérience-calcul sur un grand nombre de cas. Cette étude statistique amène à proposer des modifications dans la bibliothèque de façon à améliorer la cohérence d’ensemble des calculs par rapport aux mesures. Cette démarche a d’abord été réalisée par les physiciens des réacteurs à neutrons rapides, Massimo Salvatores et son équipe, sous la dénomination « d’ajustement du formulaire ». Elle a ensuite été reprise, sous l’impulsion de l’auteur de ces lignes et d’Henry Tellier, pour l’ensemble des filières à neutrons thermiques sous les termes de « recherche de tendances » ; ces termes ont été choisis pour signifier une ambition d’aller au-delà d’un simple ajustement pour rechercher autant que faire se peut des « tendances » réellement physiques à modifier telles ou telles données (voir l’encadré 1). Il fut satisfaisant de constater a posteriori que les tendances ainsi repérées ont été par la suite confirmées pour la plupart par les physiciens chargés des mesures des données nucléaires de base. Aujourd’hui, on parle d’assimilation ou de ré-estimation des données nucléaires.
1
La recherche de tendances Comme l’ajustement du formulaire, la recherche de tendances est fondée sur une minimisation par moindres carrés, elle-même résultant du principe de maximum de vraisemblance : il est plus vraisemblable que l’ensemble des résultats de mesures que l’on a obtenus avait une forte probabilité a priori d’être observé, plutôt qu’une faible probabilité. Ce principe amène à minimiser la somme des carrés des écarts expériencecalcul ramenés à leur barre d’incertitude :
S =
I [Mi − Ci (d1 , d2 , · · · , dK )]2 i =1
Ei 2
,
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
où les Mi sont les résultats des mesures (numérotées de 1 à I ), les Ei les incertitudes expérimentales sur ces résultats et les Ci les valeurs calculées correspondantes ; ces dernières sont des fonctions des données nucléaires dk (numérotées de 1 à K ). La méthode des moindres carrés consiste à déterminer les valeurs des dk qui conduisent à la plus petite valeur de S . En pratique, ces données nucléaires sont déjà relativement bien connues. On peut donc rechercher des corrections δ dk ; comme ces corrections sont en principe petites, les fonctions C peuvent être remplacées par leurs développements à l’ordre 1 en fonction des δ d . Dans ces conditions, la minimisation de S se ramène à l’inversion d’un système linéaire d’équations algébriques donnant les δ d . Dans la recherche de tendances, on évalue la pertinence des corrections δ d ainsi obtenues d’une part en analysant leur écart-type et d’autre part en chiffrant la détérioration de la cohérence d’ensemble par l’augmentation de S si une ou plusieurs données nucléaires sont retirées de l’analyse : la tendance est peu pertinente si S est peu modifiée, pertinente si S augmente notablement. L’analyse des écarts-types résiduels permet ensuite d’avoir une idée des erreurs qui n’ont pas pu être corrigées et qui proviennent donc probablement non des données mais des modèles. Par la méthode des moindres carrés, on trouve toujours une solution mathématique même s’il y a beaucoup plus d’inconnues (K ) que d’équations (I ). En pratique, ce dilemme n’existe pas car il est judicieux de mettre dans S non seulement les mesures intégrales mais aussi les mesures différentielles qui sont des mesures comme les autres. Cependant, le simple bon sens laisse douter de la pertinence de la détermination de dizaines de milliers de données nucléaires à partir de quelques centaines de mesures intégrales. C’est pourquoi, dans la pratique, on a travaillé sur un petit nombre de grandeurs synthétiques choisies pour bien caractériser l’ensemble des données nucléaires : exemples, une intégrale de résonance, une aire de migration... Par la suite, la recherche de tendances a été améliorée pour tenir compte des corrélations qui peuvent exister entre les mesures ou, plus précisément, leurs incertitudes ; par exemple, les sections efficaces d’absorption sont souvent mesurées en relatif par rapport à un standard tel le bore ou l’or ; il est clair qu’il y a une corrélation entre les erreurs possibles sur les sections efficaces du corps étudié et du standard ; de même, il peut y avoir des corrélations entre des mesures intégrales faites par les mêmes personnes sur une même installation. Pour tenir compte de ces corrélations, des grandeurs appelées covariances ont été introduites en plus des variances Ei2 .
Les mesures « différentielles » ne sont pas à proprement parler des mesures de neutronique mais des mesures de physique nucléaire et elles ne seront pas détaillées ici. L’idée générale est d’émettre des neutrons à partir d’une pile expérimentale ou, plus
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15. La neutronique expérimentale
2
L’évaluation des données nucléaires Les mesures nucléaires accumulées depuis les débuts de la neutronique par les spécialistes représentent aujoud’hui un volume d’information colossal. S’il y a beaucoup de redondances, il y a aussi des trous. C’est la raison pour laquelle des organismes dits d’évaluation se sont mis en place. Les principaux sont ENDF/B (Evaluated Nuclear Data File/Brookhaven) aux ÉtatsUnis et JEFF (Joint Evaluated Fission and Fusion File) animée par l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE. Ces organismes ont un triple rôle : • choisir parmi les mesures redondantes ou en faire une moyenne avec des poids adéquats ; • combler les manques grâce à des modèles nucléaires ; • proposer aux utilisateurs des « bibliothèques » présentées avec tout le détail selon des formats normalisés. Ces bibliothèques « de base » permettront aux concepteurs des codes d’élaborer leurs propres bibliothèques dans le format désiré, par exemple multigroupe. Si les mesures nucléaires font davantage appel à la physique nucléaire qu’à la neutronique, l’évaluation, en revanche, suppose une réelle compétence en neutronique. Parmi les « évaluateurs » français qui ont mené un tel travail, on peut citer Daniel Paya et Éric Fort. Il faut aussi que des personnes assurent l’interface entre les évaluateurs de bibliothèques nucléaires et les concepteurs des codes de neutronique. En France, Henry Tellier, Joseph Krebs, puis Claude Mounier ont, par exemple, joué ce rôle.
généralement, d’une réaction nucléaire utilisant des particules chargées passant dans un accélérateur. Ces neutrons sont envoyés sur une cible constituée du matériau étudié et les produits de la réaction (ou les neutrons qui n’ont pas interagi) sont analysés. De la mesure de l’intervalle de temps entre l’émission des neutrons et la réaction qu’ils produisent, c’est-à-dire du temps de vol des neutrons entre la source et la cible, on déduit l’énergie des neutrons concernés. Les très nombreux résultats des mesures « différentielles » sont ensuite collationnés, critiqués, complétés et mis en forme : c’est l’évaluation (voir l’encadré 2). Si l’on peut discuter de la place des mesures « différentielles », les mesures « intégrales » font, en revanche, pleinement partie de la neutronique (voir l’encadré 3). Elles sont le plus souvent faites sur des installations critiques de faible puissance. En France, de telles installations expérimentales ont été réalisées sur presque tous les centres du CEA. Aujourd’hui, hormis les réacteurs de Valduc (Côte-d’Or) Caliban (démarré en 1970) et Silène (démarré en 1974), dévolus à l’étude de la sûreté-criticité, les installations destinées aux expérimentations en neutronique sont toutes regroupées sur le centre de Cadarache (Bouches-du-Rhône). Celles qui sont encore actives aujourd’hui, sont Minerve (démarrée en 1959 à Fontenay-aux-Roses, puis déménagée
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
3
Les principaux types de mesures intégrales Les expériences de type « maquettes » concernent en général des configurations irrégulières que l’on peut trouver dans les assemblages de réacteurs industriels. Voici deux exemples relatifs aux réacteurs à eau sous pression (les assemblages de réacteurs à eau bouillante sont en général encore plus hétérogènes) : • trou d’eau (cellule sans combustible) ou absorbant (cellule contenant un élément stérile au lieu d’un élément combustible) : acier, argentindium-cadmium (alliage utilisé pour les grappes de commande), bore, hafnium, gadolinium ou erbium (matériaux utilisés comme poisons consommables), etc. ; ces absorbants sont soit uniques dans la configuration, soit disposés sous forme de grappe ; • îlot de crayons à plutonium, zoné selon trois teneurs, au milieu d’un réseau à uranium, simulant un assemblage mox juxtaposé à des assemblages standard à uranium. Les expériences « propres » sont extrêmement variées. Les plus courantes sont présentées ci-dessous : • mesure de réactivité par divergence, ou d’antiréactivité par éjection de source ou chute de barre (exploitation, par les équations de la cinétique, des mesures de variation temporelle du flux) ; • mesure de taille critique, par ajustement d’une hauteur d’eau ou du nombre de crayons combustibles chargés ; • mesure de concentration critique d’un absorbant soluble (en général, acide borique) ; • mesure de la distribution spatiale de la puissance dans des configurations régulières ou hétérogènes (ce n’est pas exactement la puissance que l’on mesure mais une activité gamma des crayons après quelques minutes d’irradiation à une puissance du réacteur de quelques dizaines de watts) ; • mesure de laplacien-matière par ajustement de fonctions J0 ou cosinus sur la distribution spatiale de la puissance dans une configuration régulière ; • mesure de taux de réaction relatifs, par exemple l’indice de spectre plutonium 239/uranium 235 :
I =
[Fission Pu 239/Fission U 235]spectre du r éseau , [Fission Pu 239/Fission U 235]spectre de r éf érence
où le spectre de référence est le plus souvent un spectre de Maxwell réalisé au centre d’une « colonne thermique », en général un massif de graphite (le « rapport de rapport » permet de s’affranchir des pro-
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15. La neutronique expérimentale
blèmes de normalisation liés aux caractéristiques des détecteurs, du mode d’irradiation et du dispositif de comptage) ; • oscillations d’échantillons au centre du réseau expérimental donnant un effet en réactivité pouvant être calibré par les échantillons de référence ; •
mesures de « bruit neutronique » (fluctuations à faible niveau de flux) donnant, après analyse statistique, des informations sur les paramètres cinétiques ;
• analyses chimiques et isotopiques de combustibles irradiés dans un réacteur de puissance, expérimental ou industriel.
en 1977 à Cadarache) et Éole (démarrée en 1965) pour les études des réacteurs à eau sous pression, Masurca (démarrée en 1966) pour celles des réacteurs à neutrons rapides et Azur (démarrée en 1962) pour celle des réacteurs navals, aussi utilisé pour l’enseignement. On peut y ajouter Isis (maquette d’Osiris, Saclay), essentiellement dédiée aujourd’hui à l’enseignement, Cabri (démarré en 1963) et Phébus (démarré en 1978, tous deux à Cadarache) pour les études de sûreté, ainsi que des réacteurs de plus grande puissance destinés à des irradiations technologiques ou à des recherches fondamentales : Osiris (démarré en 1966) et Orphée (démarré en 1980) à Saclay, le réacteur à haut flux de Grenoble (RHF, démarré en 1971), le réacteur d’essai (RES, démarrage prévu en 2013 à Cadarache), ainsi que le réacteur Jules Horowitz (RJH ) en construction à Cadarache destiné à prendre le relais des installations les plus anciennes à partir de 2016. De très nombreux chercheurs et ingénieurs ont contribué aux progrès de la neutronique expérimentale (et des théories associées), la plupart à partir d’une thèse : Denis Breton, Marc Sagot, Jacques Bouchard, Michel Darrouzet, Pierre Marimbaud, Jacques Mondot, Alain Santamarina, Loïc Martin-Deidier, Roland Soule, Patrick Chaucheprat, Jean-Yves Doriath, Bernard Gastaldi, Stéphane Cathalau, Bruno Maugard, Jean-Pierre Chauvin, Philippe Fougeras, Bénédicte Roque, Jean-Christophe Klein, Patrick Blaise, Jean-Pascal Hudelot, Jean-Marc Palau..., ainsi que de prometteuses jeunes recrues. Beaucoup ont évolué vers d’autres horizons et souvent de hautes responsabilités hiérarchiques.
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La deuxième génération de réacteurs... On a pu assister à fin des années 1960, en France, à une « guerre » entre la filière française uranium naturel - graphite - gaz et la filière américaine des réacteurs à eau : c’est finalement cette dernière qui l’emportera. Cela entraînera des réorientations des spécialistes et des codes de calcul. En parallèle, l’intérêt pour les réacteurs à neutrons rapides se maintient.
La fin des années 1960 est marquée, en France, par une certaine hésitation sur l’avenir du nucléaire. Un petit réacteur à eau lourde, EL4 (70 MWe), démarre en Bretagne à Brennilis en 1967, mais il n’aura pas de suite ; il sera arrêté en 1985. Même les études sur les réacteurs à graphite et à haute température, animées par Dominique Grenêche en ce qui concerne la neutronique, seront finalement abandonnées, avant d’être reconsidérées beaucoup plus tard dans le contexte des travaux sur la quatrième génération. Hormis le développement de réacteurs navals et une participation au petit réacteur franco-belge Chooz-A (300 MWe) démarré également en 1967 (arrêté en 1991), la France s’est peu intéressée aux réacteurs à eau. Mais cette technologie dérivée des applications navales s’est largement développée aux États-Unis sous ses deux variantes à eau sous pression et à eau bouillante. Les réacteurs à neutrons rapides séduisent de plus en plus les spécialistes, mais semblent encore prématurés et de toute façon il faut des réacteurs à neutrons thermiques pour constituer le stock de plutonium nécessaire à leur démarrage. Si tous les grands partis soutiennent le
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
développement de l’énergie nucléaire, la question du choix de la (ou des) filière(s) se pose à nouveau : elle amènera à ce qu’on appellera la « la guerre des filières » entre le CEA et EDF. Le président de la République, Charles de Gaulle, conforté par le CEA, est un chaud partisan de la « filière française » UNGG, mais son Premier ministre, Georges Pompidou, plus sensible aux arguments d’EDF et de Framatome, est séduit par la puissance industrielle des États-Unis. Un rapport sur la question est demandé à deux scientifiques de renom, Jules Horowitz du CEA et Jean Cabanius d’EDF : il montrera un clair avantage, chiffré à 20 % sur le coût du kilowattheure, en faveur des réacteurs à eau, en dépit de la nécessité d’enrichir l’uranium pour ces derniers ; cet enrichissement est maintenant envisageable car la France a maîtrisé cette technologie grâce à son programme d’armement nucléaire. C’est ainsi que le 13 novembre 1969, le nouveau président Georges Pompidou prend, dans le cadre d’un Conseil interministériel restreint, la décision de s’orienter vers la filière des réacteurs à eau ; cela sera confirmé par le « plan Messmer » (6 mars 1974), du nom du Premier ministre du président Pompidou. Avec un humour très britannique, Lord Marshall, président du CEGB, l’équivalent d’EDF, commentera : « La France n’avait pas de pétrole, la France n’avait pas de gaz, la France n’avait pas de charbon, la France n’avait pas le choix » (cité par Pierre Tanguy, Le Nucléaire, éditions le Cavalier Bleu, p. 101). Au départ, il fut envisagé de créer deux grands groupes industriels pour développer en parallèle les réacteurs à eau bouillante (REB) et les réacteurs à eau sous pression (REP). Mais, en définitive, seuls ces derniers verront le jour (figures 16.1 et 16.2). Ce sera la mission de la jeune société Framatome, qui vient d’acquérir la licence de la société américaine Westinghouse, de réaliser ce programme de ce qu’on appelera plus tard des « réacteurs de deuxième génération ». L’impulsion initiale donnée par Georges Pompidou sera entièrement confirmée par les présidents Valéry Giscard d’Estaing, puis François Mitterrand. Au fil des années, dans le contexte des chocs pétroliers, les contrats programmes de l’État seront renouvelés : CP0 (les deux réacteurs de Fessenheim et les quatre de Bugey), CP1 (18 unités de 900 MWe), CP2 (10 unités de 900 MWe), P4 (8 unités de 1 300 MWe), P’4 (12 unités de 1 300 MWe) et finalement N4 (4 unités de 1 450 MWe) : au total, 58 réacteurs à eau sous pression toujours en fonctionnement. Avec l’aide du CEA, Framatome parviendra à « franciser » totalement son REP et à s’affranchir ainsi de la licence. Des neutroniciens de Framatome y ont contribué : Jean-Paul Millot, Giovanni Bruna, Mustapha Roshd, Bernard Guesdon, Alain Vallée, Patrick Girieud, Christine Poinot-Salanon, Michel Grosshans... Les ingénieurs d’EDF chargés de faire fonctionner ce parc ont dû faire appel à des neutroniciens spécialistes de l’exploitation des cœurs REP, tels Jean-Claude Barral, Philippe Paulin, Bernard Roulier ou Nordine Kerkar, et à des spécialistes des calculs de neutronique, ceux qui se sont reconvertis des études UNGG (voir la fin du chapitre 13), et des plus jeunes tels Didier Biron, Roger Seban, Daniel Janvier, Jacques Fioroni, Michel Soldevila, Michel Lam-Hime, Jean-Michel Gomit, Claude Garzenne, Philippe Tétart, François-David Rosset, Serge Marguet, Jean-François Gy...
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16. La deuxième génération de réacteurs
Figure 16.1 Histogramme des réalisations électronucléaires en France : avant 1960, les prototypes UNGG ; entre 1960 et 1975, la première génération ; après 1975, la deuxième génération ; en 1986, Superphénix peut être considéré comme un prototype de la quatrième génération [Source : d’après CEA, Élecnuc, édition 2011].
En parallèle, les usines du cycle du combustible seront mises en place : extraction de l’uranium, purification, enrichissement, fabrication du combustible et même retraitement après passage en réacteur. À côté de cet ambitieux programme de réacteurs à eau sous pression, le CEA démarre en 1967, à Cadarache, le réacteur Rapsodie. Il servira, jusqu’en 1983, à mettre au point la technologie des réacteurs à neutrons rapides. D’une puissance de 24 MW thermiques (portée par la suite à 40), ce réacteur ne produit pas d’électricité mais pour le reste est représentatif de la filière plutonium-sodium. Avec EDF, le CEA réalisera ensuite à Marcoule, le réacteur Phénix de 250 MWe qui fonctionnera de 1973 à 2010. Phénix sera suivi de Superphénix à Creys-Malville (Isère) qui atteindra sa pleine puissance en 1986. Ce précurseur de la quatrième génération de réacteurs subira quelques incidents — usuels pour un prototype — et des tracasseries administratives ; il sera prématurément arrêté en 1998 par le gouvernement Jospin en vertu d’un accord électoral passé avec les Verts. À cet ensemble de réalisations s’étalant sur une trentaine d’années — vingt-trois ans seulement entre la connexion au réseau de Fessenheim-1 le 6 avril 1977 et celle de Civaux-2 le 24 décembre 1999 —, il convient d’ajouter les réacteurs de propulsion navale que l’on peut classer dans la même génération, sauf les plus récents ainsi que les six SNA Barracuda dont les mises en service sont prévues entre 2017 et 2027. Même si certains d’entre eux ont eu un peu de mal à abandonner leurs travaux sur les réacteurs à graphite, les neutroniciens ont vécu des années plutôt passionnantes dans
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 16.2 Implantation des unités électronucléaires en France au 01/01/2011 [Source : CEA, Élecnuc, édition 2011].
Navires français à propulsion nucléaire. Sous-marins lanceurs d’engins Navire
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Mise en service
Sous-marins d’attaque Retrait
Navire
Mise en service
Le Redoutable
1971
1991
Le Rubis
1983
Le Terrible
1973
1996
Le Saphir
1984
Le Foudroyant
1974
1998
Le Casabianca
1987
L’Indomptable
1976
2004
L’Émeraude
1988
Le Tonnant
1980
2000
L’Améthyste
1992
L’Inflexible
1985
—
La Perle
1993
Le Triomphant
1996
—
Le Téméraire
1999
—
Le Vigilant
2004
—
Le Terrible (nouvelle génération)
2010
—
Porte-avions Le Charles-deGaulle
1999
16. La deuxième génération de réacteurs
un tel contexte industriel ! Il faut bien voir que, si elle est évidemment incontournable, c’est rarement la neutronique qui dicte les choix techniques : celle-ci doit s’adapter et développer les codes et procédures de calcul pour traiter les nouvelles situations inventées par les ingénieurs ; ce sont en permanence de nouveaux défis à relever par les neutroniciens. Les exemples en sont multiples : allongement des durées de cycles et des irradiations de rejet donc des teneurs initiales, introduction de nouveaux poisons consommables tel le gadolinium ou le hafnium défiant tous les autres en termes de résonances et d’énormes sections efficaces, hétérogénéités de plus en plus marquées des réseaux, recyclage du plutonium... À ces nouveaux problèmes qu’ils doivent résoudre s’ajoutent les nouvelles exigences des « clients », c’est-à-dire ceux qui conçoivent et font fonctionner les réacteurs : vu les énormes enjeux économiques qui sont derrière, il faut constamment améliorer les précisions des résultats des calculs pour que les ingénieurs puisse réduire les marges sans nuire à la sûreté. De plus en plus, également, les neutroniciens doivent apprendre à gérer le temps et à respecter les délais, ce qu’ils n’ont guère été habitués à faire pendant les années où tout était à créer. Les mauvaises langues racontent qu’il fallait systématiquement multiplier par π le délai annoncé par un neutronicien ou un « protectionniste » (spécialiste des études de protection contre les rayonnements) avant de lancer et d’accepter un contrat d’étude ! Pour bien comprendre la problématique, il ne faut pas perdre de vue que la neutronique avance dans un environnement d’informatique et d’analyse numérique qui évolue aussi rapidement et auquel la neutronique fait de plus en plus appel. Cette profonde transformation de la neutronique sera évoquée au chapitre suivant.
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... et la deuxième génération des codes de neutronique Impulsée par le lancement de la deuxième génération de réacteurs et accompagnée des développements de l’informatique et de l’analyse numérique, la neutronique va voir de profonds changements dans sa façon d’aborder les problèmes et dans sa pratique quotidienne. Les premiers ouvrages de référence en français sur la neutronique.
À la fin des années 1960, apparaît une nouvelle ambition chez les développeurs de codes de calcul du Service d’études des réacteurs et de mathématiques appliquées de Saclay, qui a succédé au Service de physique mathématique. Entraînés par Alain Kavenoky, ils se lancent dans la réalisation d’un code de neutronique « universel ». Nous avons vu que jusqu’ici un code avait été mis au point pour chaque filière, par exemple CORÉGRAF pour les réacteurs à graphite. Ces codes utilisent des modèles assez simples, notamment pour le facteur antitrappe p qui est caractérisé par deux constantes A et B ajustées à partir des mesures de laplacien matière. Maintenant, d’une part la puissance de calcul des ordinateurs s’est accrue, d’autre part une connaissance assez précise des structures résonnantes des principaux nucléides a été acquise grâce à un patient travail de mesures nucléaires. L’ambition est de remplacer ces « vieux » codes par un outil moderne intégrant cette connaissance. Ce code, appelé APOLLO, devra résoudre l’équation de Boltzmann sous sa forme intégrale (voir l’encadré 1) à partir d’une discrétisation multigroupe fine de l’énergie
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
1
L’équation intégrale de Boltzmann L’équation de Boltzmann a été présentée au chapitre 1. Au second membre apparaît une fonction appelée densité d’émission (ré-émissions par diffusion et émissions par fission) : ∞ ) → (v, )] (r , v , , t ) Q (r , v, , t ) = dv d 2 s [r , (v , (4π) 0 ∞ 1 , t ). χ(v ) dv νf (r , v ) d 2 (r , v , + 4π (4π) 0 L’opérateur qui avait été écrit au premier membre porte sur le flux . C’est l’opérateur de transport qui exprime le flux à partir de la densité d’émission : 1 ∂ (r , v, , t ) + div[ , t )] + (r , v ) (r , v, , t) (r , v, v ∂t , t ). = Q (r , v, Il est possible d’intégrer cet opérateur de transport écrit sous forme différentielle ; on obtient ainsi la forme intégrale : ∞ s , v, , t − ) e−τ , (r , v, , t ) = ds Q (r − s v 0 où τ est le « parcours optique » à la vitesse v , c’est-à-dire l’intégrale de la section efficace macroscopique totale, pour des neutrons de vitesse v , le et r . long du segment de longueur s joignant les points r − s En pratique, on admet que les diffusions ré-émettent les neutrons de façon on peut réécrire les isotrope. Alors, en intégrant toutes les fonctions sur , équations sous une forme plus simple où cette variable a disparu : ∞ Q (r , v, t ) = dv s (r , v → v ) (r , v , t ) 0 ∞ dv νf (r , v ) (r , v , t ), +χ(v ) 0
(r , v, t ) =
s e−τ d 3 r Q (r , v, t − ) , v 4π s 2 (∞)
où s est la distance entre les points r et r et où τ est le parcours optique entre ces deux points pour les neutrons de vitesse v .
144
17. ... et la deuxième génération des codes de neutronique
2
Les équations résolues par APOLLO et ECCO Après discrétisation multigroupe (énergie) et par probabilités de première collision (espace), ces équations prennent une forme matricielle : g
Qj =
h→g
s
jh + χ g
h
νfh jh ,
h g
g
Vi t, i i =
g
g
Qj Pji ,
j g
où g et h numérotent les groupes d’énergie et i et j les volumes ; Pji est la probabilité pour un neutron émis dans le volume Vj et le groupe g de subir sa première collision dans le volume Vi . Rappelons que ces probabilités sont définies par : g t, j e−τ g Pij = d 3r d 3r , Vi Vi 4πs 2 Vj où le parcours optique τ est calculé avec les sections efficaces macroscopiques totales du groupe g . C’est sous cette forme que les équations sont traitées dans les codes. Dans ces années-là, le code APOLLO utilisait une bibliothèque à 99 groupes d’énergie, dont 47 dans le domaine thermique. Le code ECCO avait un traitement fin (environ 2 000 groupes) des résonances de diffusion et seulement 25 groupes pour le traitement des absorptions. En ce qui concerne l’espace, on utilisait un traitement multicellule simple des échanges de neutrons entre cellules élémentaires (utilisant des probabilités de sortie de cellule et des probabilités pour les neutrons entrant dans une cellule), traitement qui a été amélioré par la suite. Dans chaque cellule des REP, on distinguait au moins trois zones, combustible, gaine et modérateur, parfois un peu plus en sous-découpant le combustible et/ou le modérateur. Dans les RNR, les hétérogénéités jouent beaucoup moins car les parcours élémentaires des neutrons sont beaucoup plus longs, et les traitements peuvent être plus simples. Un traitement précis des absorptions résonnantes (voir l’encadré 3) a été introduit dans APOLLO. Dans ECCO, une procédure plus simple suffisait. Enfin, il faut noter que ces codes traitaient aussi l’évolution dans le temps.
et d’un traitement de l’espace par probabilités de première collision (voir au chapitre 8 l’encadré 2 sur les probabilités de première collision et ci-dessus l’encadré 2 sur les équations traitées par APOLLO et ECCO). Ce code intégrera aussi de nombreuses autres avancées, notamment pour le traitement de l’absorption résonnante.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Dans la pratique, le code APOLLO sera essentiellement utilisé pour calculer les assemblages des réacteurs à eau. D’une part, en effet, il n’y a plus beaucoup de calculs de réacteurs à graphite ou à eau lourde à faire à cette époque et, par ailleurs, un traitement par probabilités de première collision est mal adapté à ces réacteurs à grand pas. D’autre part, un effort similaire sera fait du côté des réacteurs à neutrons rapides avec le code ECCO remplaçant HÉTAÏRE. Il n’y aura pas d’unification des outils de calcul des réacteurs à eau sous pression (REP) et des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Il y a différentes raisons à cela : une physique qui n’est pas tout à fait la même (les résonances de diffusion à haute énergie ont une grande importance dans les RNR mais non dans les REP et, inversement, les grandes résonances d’absorption à basse énergie et la thermalisation n’interviennent pas dans les RNR) ; un contexte industriel différent : une demande forte pour APOLLO d’EDF et de Framatome qui acquerront cet outil, un contexte européen pour le développement des RNR (ECCO signifie European Cell Code ) ; enfin, des équipes qui sont éloignées géographiquement, respectivement à Saclay et à Cadarache, et qui ont peu pris l’habitude de coopérer. Dans les années où se préparent Phénix puis Superphénix sous l’impulsion vigoureuse de Georges Vendryes, de nombreux talents vont se révéler aussi autour du développement des réacteurs à neutrons rapides. Parmi les neutroniciens et parmi bien d’autres qui devraient aussi être cités, on retiendra Pierre Clauzon, Claude Golinelli, Assaad Khairallah, Jean-Claude Mougniot, Jean-Yves Barré, Bruno Sicard, Massimo Salvatores, Jean Recolin, Jean-Paul Chaudat, Guy Flamenbaum, Gérald Rimpault, Alain Zaetta, Robert Jacqmin, Marc Delpech, François Storrer, Olivier Bouland... Nous l’avons souligné, la connaissance des sections efficaces s’est énormément améliorée. Pour l’illuster, on pourra comparer la figure 17.1 tracée vers l’année 1975 à la figure 6.2 donnée par Fermi. Notamment, il devient maintenant possible de calculer l’intégrale effective de résonance et de vérifier par confrontation aux mesures que ce calcul est correct. Cela incitera à bâtir une théorie de l’absorption résonnante permettant de la calculer finement en fonction de l’énergie et non plus globalement par une formule purement phénoménologique. C’est Michel Livolant avec sa doctorante Françoise Jeanpierre qui accompliront ce travail (voir l’encadré 3). Cette théorie sera d’emblée intégrée dans APOLLO et perfectionnée par la suite comme nous le verrons au chapitre 18. En parallèle avec ces avancées dans les calculs de réseaux de cellules ou d’assemblages, des progrès notables sont faits pour les codes de calcul de cœur. Maintenant, les ingénieurs traitent de géométries à deux et même trois dimensions. Il faut noter que cela est devenu possible non seulement avec l’augmentation de la puissance des ordinateurs mais aussi grâce à l’élaboration de méthodes numériques beaucoup plus performantes. Pour les réacteurs à eau, la méthode des différences finies (encadré 4) qui suppose un maillage fin sera utilisée dans les descriptions cellule par cellule et celle des éléments finis (encadré 5) qui s’accommode de mailles plus larges dans les calculs où les assemblages sont homogénéisés. Avec Jean-Jacques Lautard, Christine Fédon-Magnaud et leur équipe, de nombreuses variantes de cette méthode seront développées. À l’étranger, dans le même esprit, ce seront plutôt les méthodes nodales
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17. ... et la deuxième génération des codes de neutronique
qui seront choisies. Pour les réacteurs à neutrons rapides, où les hétérogénéités jouent moins, les méthodes aux différences finies sont suffisantes (dans ce cas, il faut les développer dans une géométrie triangulaire, puisque les asssemblages sont hexagonaux).
Figure 17.1 Section efficace d’absorption neutronique de l’uranium 238. Remarque : les résonances n’ont pas été représentées au-delà de 3 keV (Voir aussi le zoom au chapitre 10) [Source : Traité de neutronique, page 46].
3
La théorie Livolant-Jeanpierre (thèse soutenue en 1969) Cette théorie s’applique au mélange (ou la juxtaposition) d’un matériau résonnant c et d’un matériau modérateur m . Elle permet de calculer plus précisément la structure fine (ou facteur d’autoprotection) que nous avons introduite dans l’encadré sur la théorie classique du facteur antitrappe (chapitre 11). Dans la théorie classique, on néglige le ralentissement par diffusions par les noyaux résonnants. C’est une approximation possible car ces noyaux sont en pratique des noyaux lourds. On constate cependant que cette hypothèse conduit à des erreurs notables. Livolant et Jeanpierre ont évité cette hypothèse et écrit l’équation correcte régissant ϕ ; en mélange homogène, cette équation est la suivante : u eu −u σs,c (u ) ϕ(u ) du + σd = [σt, c (u ) + σd ] ϕ(u ), 1 − αc u −c
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
avec : σd =
t,m . Nc
Au premier membre de l’équation apparaît l’opérateur de ralentissement (par atome de noyau résonnant) ; les autres notations sont les mêmes que celles utilisées précédemment. C’est une équation difficile à résoudre car sa solution comporte des centaines de fortes dépressions associées aux centaines de résonances (la formule approximative écrite au chapitre 11 montre déjà ces dépressions). La remarque fondamentale faite par les auteurs est que cette équation ne dépend que d’une seul paramètre σd , dit « section efficace de dilution » (ce sont des barns de diffusion par le modérateur associés à chaque noyau résonnant). Leur proposition est de résoudre une fois pour toutes, en s’en donnant les moyens, cette équation pour quelques valeurs de ce paramètre, d’enregistrer les résultats sous forme de tables et, ensuite, de simplement interpoler dans ces tables — ce qui est peu coûteux — chaque fois qu’un calcul de réseau est à faire. Cela est parfait pour les situations homogènes. Mais les cas concrets sont presque toujours hétérogènes. Les auteurs montrent en utilisant la théorie des probabilités de première collision qu’on peut avec peu d’erreur ramener le cas hétérogène à un cas homogène équivalent. En effet le cas hétérogène se caractérise par une section équivalente de dilution : σe´ =
σt, c (1 − Pcc ) , Pcc
jouant le même rôle que σd (Pcc est la probabilité pour un neutron placé dans la zone résonnante de subir sa première collision sur un noyau résonnant). Les auteurs montrent qu’en dépit des apparences, cette section équivalente est presque une constante. Une valeur moyenne σ¯e´ bien choisie permet d’interpoler dans les tables, c’est-à-dire de ramener le problème réel à un problème homogène équivalent. Un critère pour choisir σ¯e´ est proposé. Ensuite, un calcul multigroupe avec des sections efficaces « autoprotégées » respectant les valeurs interpolées dans la table permet d’obtenir tous les taux de réaction en fonction de l’énergie. Remarque : il faut évidemment constituer une table pour chaque nucléide résonnant d’intérêt. Si l’effet Doppler (voir le chapitre 11) intervient, il faut aussi interpoler en température, c’est-à-dire constituer des tables pour quelques températures différentes.
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17. ... et la deuxième génération des codes de neutronique
4
La méthode des différences finies Considérons par exemple un problème dépendant d’une variable x . Dans cette approche, on commence par discrétiser cette variable en la limitant à des valeurs xi numérotées par l’indice i et espacées du pas h . La méthode consiste à écrire approximativement une dérivée par l’une des formules suivantes :
f (xi )
f (xi +1 ) − f (xi ) f (xi ) − f (xi −1 ) f (xi +1 ) − f (xi −1 ) . ou ou h h 2h
Une dérivée seconde est remplacée par :
f "(xi )
f (xi +1 ) − 2f (xi ) + f (xi −1 ) , h2
et ainsi de suite. Ces formules se généralisent aux découpages irréguliers et aux géométries à plusieurs dimensions (dérivées partielles). En reportant ces approximations dans les équations différentielles ou à dérivées partielles à résoudre, on se ramène à l’inversion de systèmes algébriques.
Tous les acteurs industriels français ont adopté APOLLO en l’intégrant dans leurs procédures de calcul. En revanche, chaque grand organisme — le CEA, EDF et Framatome — a développé son propre code de calcul de cœur, SMART à Framatome (méthode nodale), JANUS puis COCCINELLE à EDF (différences finies et méthode nodale) ; même au sein du CEA, les codes développés pour les réacteurs à eau (DIANE pour les différences finies et CRONOS pour les éléments finis) différaient de ceux développés pour les réacteurs à neutrons rapides (noter que la géométrie est cartésienne pour le premier cas et hexagonale pour le second). Les codes du CEA ont servi non seulement pour les réacteurs électronucléaires d’EDF mais aussi pour les réacteurs navals. Ces derniers sont des réacteurs à eau sous pression mais ont quelques spécificités : ils sont plus petits et très compacts, les assemblages sont constitués de plaques et non de crayons, la teneur en uranium 235 est un peu plus forte, et comme on ne peut pas utiliser l’acide borique en solution, le contrôle de réactivité est fait par des barres (sous forme de croix et non de grappes) et des poisons consommables en hafnium. Dans les calculs de neutronique, un problème délicat est celui du réflecteur placé généralement autour du cœur pour réduire les fuites de neutrons : plusieurs auteurs s’y sont attaqué — Jacques Mondot, Simon Nisan, Jean-Claude Lefebvre, Philippe Lebigot... — sans qu’une solution réellement satisfaisante soit trouvée.
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La méthode des éléments finis Dans une première étape, cette méthode consiste à découper l’objet à traiter en volumes finis appelés éléments. Leurs formes peuvent être diverses et irrégulières, mais dans l’application à la neutronique des réacteurs à eau, ce sont des parallélépipèdes (par exemple, quatre parallélépipèdes pour une tranche d’assemblage homogénéisé). Dans chaque élément, une forme analytique de la fonction recherchée est imposée, par exemple un polynôme de degré 1, 2 ou 3. Cela revient à écrire approximativement dans chaque élément la fonction recherchée par un développement sur des fonctionstests simples qui sont des polynômes du degré choisi valant 1 sur un nœud et 0 sur les autres, les nœuds étant des points particuliers de l’élément (coins, centre, etc.). Par projection de l’équation à résoudre sur ces fonctions-tests, on obtient un système algébrique à inverser. Cette méthode est très économe en volume de calcul, surtout pour les géométries à trois dimensions, car les éléments peuvent être assez gros. Mais elle ne fournit pas la structure fine cellule par cellule de la distribution de puissance des réacteurs à eau, puisqu’elle suppose que les assemblages ont été préalablement homogénéisés. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas totalement supplanté la méthode des différences finies qui, elle, utilise un maillage à l’échelle des cellules élémentaires ou de leur moitié, pouvant donc donner la structure fine.
La principale difficulté est de traiter les redans formés par le contour d’un cœur du fait d’assemblages à section carrée ou hexagonale. Pour terminer ces chapitres sur la neutronique autour des réacteurs et des codes de deuxième génération, nous noterons la parution dans ces années-là de plusieurs ouvrages en français consacrés à la physique des réacteurs nucléaires. D’abord, déjà cités, le livre d’Austin Blaquière, Théorie de la réaction de fission en chaîne et de gros classeurs rassemblant les cours de Génie atomique, édités par les Presses universitaires de France ; et aussi la Physique des piles atomiques de Victor Raïevski, la Théorie cinétique des neutrons rapides de Jacques Salmon et la Physique neutronique de Michel Soutif. Ensuite, celui qui a sans doute eu le plus de succès et qui reste une référence est le Traité de neutronique (première édition : 1978 ; fig. 17.2). Issu des notes de cours prises par les étudiants de Jean Bussac au DEA de physique des réacteurs et mises en forme par l’auteur de ces lignes, il rassemble à l’usage des étudiants, doctorants et spécialistes l’essentiel du savoir-faire de l’époque en neutronique. Le chapitre sur les réacteurs à eau sous pression a été écrit par Albert Elkouby, Gabriel Troccon et al., et celui sur les réacteurs à neutrons rapides par Jean-Yves Barré.
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17. ... et la deuxième génération des codes de neutronique
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Comment caractériser un réflecteur ? Pour les géométries à une dimension, un réflecteur peut être caractérisé par des albédos (coefficients de réflexion) β gh définis comme le nombre de neutrons renvoyés vers le cœur dans le groupe d’énergie h pour un neutron quittant le cœur et entrant dans le réflecteur dans le groupe g . Ces albédos peuvent être évalués par un code de transport tel APOLLO prenant en compte les différents matériaux (baffle en acier, eau, cuve). Ensuite on peut en déduire les constantes de réflecteur à utiliser dans le code du calcul du cœur où le réflecteur sera considéré comme homogène : ces constantes sont déterminées de façon à respecter les albédos. Ces constantes sont ensuite utilisées dans le calcul d’un cœur qui, lui, est traité dans une géométrie à deux ou trois dimensions. Cette procédure est évidemment approximative : c’est ce qui explique la difficulté de restituer par les codes le bon niveau de puissance mesuré dans les assemblages en contact avec le réflecteur.
Figure 17.2 Couverture du Traité de neutronique, édition 1978.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Cet ouvrage sera réactualisé quinze ans plus tard, par l’auteur de ce livre, sous une forme avant tout destinée aux étudiants, en deux tomes intitulés Précis de neutronique (2003) et Exercices de neutronique (2004) publiés par EDP Sciences. Ces deux livres seront traduits en anglais et publiés par le même éditeur sous le titre de Neutron Physics (2008). Il existe peu d’ouvrages en langue française sur la neutronique. Il convient toutefois d’en signaler deux autres : d’une part, le livre de Robert Barjon, très orienté vers les applications pratiques, Physique des réacteurs nucléaires (1992, Institut des sciences nucléaires, Grenoble, aujourd’hui épuisé) ; d’autre part, le « monument » publié récemment (2011, Lavoisier), sous un titre voisin, La physique des réacteurs nucléaires, par Serge Marguet ; ce dernier présente dans le détail les méthodologies de calcul mises en œuvre à EDF. Une présentation élémentaire publiée par l’auteur dans la collection « Que sais-je ? » des Presses universitaires de France, intitulée La neutronique, est également épuisée.
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La préparation de la troisième génération de réacteurs... Pendant la vingtaine d’années de mise en place, en France, du parc de réacteurs à eau sous pression, puis le début du XXIe siècle, les neutroniciens durent faire face à de nouveaux défis lancés par les concepteurs et ingénieurs du parc : allongement des durées d’irradiation, utilisation de poisons consommables, introduction du « mox » (combustible à plutonium)... La troisième génération de réacteurs se prépare.
Dès la mise en place, en France, du parc de réacteurs à eau sous pression (REP), les ingénieurs purent disposer d’outils de calcul neutronique performants et précis, avec APOLLO pour le traitement des assemblages et les codes aux différences finies et aux éléments finis pour celui des cœurs. Cependant, les études consacrées aux développements de codes et à leur qualification grâce à des expériences se poursuivirent intensément et de profondes évolutions purent être observées durant la trentaine d’années qui suivirent la mise en service des premiers réacteurs du parc REP, ceux de Fessenheim (1977). Un regard superficiel pourrait laisser penser que le développement des codes s’est poursuivi selon sa propre dynamique et celle de l’informatique. En réalité, il a été en partie orienté et stimulé par les exigences des concepteurs qui demandaient toujours de plus grandes précisions et, surtout, ont été confrontés à de nouveaux problèmes qu’ils ont dû résoudre. Pour illustrer cela, nous présenterons deux exemples
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
de ces problèmes : les poisons consommables et le combustible « mox ». Cela nous amènera à évoquer (au chapitre suivant) l’évolution des codes, puis de conclure en présentant une démarche qui a toujours existé mais qui s’est formalisée, la validationqualification. Le producteur d’électricité nucléaire cherche toujours à améliorer la production de ses installations car l’enjeu est énorme. Pour en donner une idée, notons qu’un réacteur de 1 300 MWe produit 31 200 MWh d’électricité chaque jour. Si l’on compte 50 euros par MWh, cela représente plus de 1,5 million d’euros par jour. Toute journée perdue ou gagnée représente une perte ou un gain de ce montant. Sur une année (300 jours de production) et un parc de 63 GWe (le parc REP français), un gain ou une perte de 1 % sur la production correspond à plus de deux cents millions d’euros... C’est par des arguments de ce type que les neutroniciens se rassuraient parfois : ce que nous coûtons à la nation est dérisoire par rapport à ce que nos travaux lui permettent de gagner ! Nous laisserons le lecteur juger de la pertinence de tels arguments... Il comprendra, en tout cas, l’incitation qu’a eue EDF à optimiser l’utilisation du parc et, d’abord, à allonger les durées d’irradiation. La durée d’irradiation conditionne l’énergie fournie par une masse donnée de combustible. Elle est limitée d’une part par des critères technologiques, la résistance à l’irradiation des matériaux, notamment les gaines des crayons combustibles, d’autre part par des critères neutroniques, conserver une réactivité suffisante pour permettre la réaction en chaîne. Pour les premiers réacteurs à eau français, on irradiait le combustible à environ 33 000 MWj/t répartis sur trois années. La tenue des gaines s’avérant satisfaisante, on a ensuite cherché à allonger cette durée ; la neutronique, en effet, n’est pas une réelle contrainte dans les réacteurs à uranium enrichi comme les réacteurs à eau : il suffit d’adopter une teneur en uranium 235 un peu plus élevée dans le combustible neuf pour pouvoir l’utiliser plus longtemps. Il faut voir, toutefois, que cela oblige à compenser par un poison l’excédent de réactivité du réacteur lorsque son combustible est neuf... ce qui, somme toute, est un gaspillage de neutrons ! Et il faut faire aussi le bilan complet, entre, d’une part, le surcoût du combustible (plus d’uranium naturel et plus de travail d’enrichissement par kilogramme de combustible) et, d’autre part, l’augmentation de l’énergie produite. Ce calcul montre qu’effectivement l’allongement des durées d’irradiation est économiquement intéressante. Mais comment la réaliser concrètement ? Comme le cœur des réacteurs à eau est enfermé dans une cuve, il faut les arrêter pour renouveler le combustible. En pratique, l’opération dure quelques semaines (pendant lesquelles on fait aussi la maintenance). Donc on ne peut pas se permettre de faire cela trop souvent. En contrepartie, la neutronique suggère de fractionner au maximum le renouvellement de combustible : non pas tout d’un coup, mais seulement la fraction 1/n des assemblages à chaque arrêt ; cette fraction 1/n des assemblages (ceux qui sont le plus irradiés) est déchargée et remplacée par du combustible frais ; les autres assemblages restent dans le cœur, mais sont repositionnés pour améliorer la distribution de puissance. Ce schéma est intéressant, puisqu’au redémarrage la fraction (n − 1)/n des assemblages est déjà irradiée et donc l’excès de réactivité à compenser par un poison (le gaspillage de
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18. La préparation de la troisième génération de réacteurs
neutrons) est moindre. On peut montrer que l’énergie produite par un combustible donné est à peu près proportionnelle à : 2n . n+1 On voit donc finalement qu’il y a un compromis à trouver entre une grande valeur de n qui maximise l’énergie produite et une petite valeur de n qui maximise le facteur de charge, c’est-à-dire la proportion du temps où le réacteur est disponible. En pratique, les premiers réacteurs à eau sous pression étaient gérés par tiers (n = 3), avec des arrêts approximativement annuels. Ensuite, l’allongement a amené soit à une gestion par quart (n = 4), soit à des campagnes (on parle aussi de cycles) plus longues (15 à 18 mois), soit les deux. Aujoud’hui on étudie des gestions par cinquième et des irradiations au-delà de 50 000 MWj/t. Comment compenser l’excès de réactivité des cœurs REP en début de campagne ? Traditionnellement, on a utilisé le bore (le bore 10 qui représente 20 % du bore naturel est un fort absorbant de neutrons thermiques), introduit sous la forme d’acide borique B(OH)3 dissous dans l’eau du circuit primaire. Au fur et à mesure du temps, l’excès de réactivité potentielle diminue et l’on extrait du bore par dilution pour maintenir le système critique. Lorsque la concentration en bore est presque nulle, on arrête le réacteur pour procéder au renouvellement partiel des assemblages. Cette méthode a toutefois un gros inconvénient : elle accroît la composante positive du coefficient de température associé à la dilatation de l’eau. Si l’eau se dilate, il y en aura moins dans le cœur ; moins d’eau, moins de bore, donc moins de captures de neutrons : la réactivité augmente ! Il y a heureusement aussi une composante négative, indépendante du bore, provenant de l’augmentation des captures résonnantes dans l’uranium 238 pendant le ralentisement des neutrons : moins d’eau, moins de ralentisssement, plus de captures résonnantes. Il y a ainsi une limite : si la concentration en bore est trop forte, la composante positive l’emporte sur la composante négative et le coefficient de température modérateur global devient positif... ce qui est inacceptable pour la sûreté du réacteur. Que faire si le besoin en bore dépasse la limite associée à un coefficient de température négatif ? C’est, en effet, le problème auquel on s’est heurté lorsqu’on a allongé les durées des campagnes. La solution a été apportée par les poisons consommables (voir la figure 18.1). Ce sont des absorbants neutroniques conçus pour répondre à trois critères : 1/ apporter une antiréactivité suffisante en début de campagne pour réduire significativement la quantité de bore en solution à introduire ; 2/ disparaître grâce aux captures neutroniques suffisamment vite pour que la capture résiduelle en fin de campagne, lorsqu’il n’y a plus d’excédent de réactivité à compenser, soit négligeable ; 3/ se présenter sous forme solide pour ne pas induire par dilatation une composante positive sur le coefficient de température. Concrètement, on a d’abord utilisé du bore (à nouveau) mais sous forme de carbure B4 C dans des crayons en pyrex remplaçant quelquesuns des crayons combustibles. Ensuite, on a préféré l’oxyde de gadolinium Gd2 O3 mélangé en proportion adéquate avec l’oxyde d’uranium UO2 dans quelques crayons
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
combustibles. On étudie aussi d’autres matériaux, tel le hafnium (utilisé dans les réacteurs navals) ou l’erbium. Le coût et la disponibilité de ces matériaux doivent aussi être pris en compte à côté des aspects neutroniques.
Figure 18.1 Évolution du facteur de multiplication d’un réacteur à eau sous pression (schéma) : A : sans poisons, B : avec poisons consommables, C : avec la concentration d’acide borique ajustée à chaque instant pour assurer la criticité ; la fin de campagne (ou de cycle) pour rechargement partiel du combustible intervient lorsque le réacteur devient critique sans poison.
Deuxième exemple d’évolution des gestions du combustible : le recyclage du plutonium. On sait depuis longtemps (cf. chapitre 12) que la meilleure utilisation possible du plutonium est dans les réacteurs à neutrons rapides. C’est pour cette raison que, dès les débuts de son programme électronucléaire, la France a retraité les combustibles irradiés déchargés des réacteurs. Mais ces réacteurs à neutrons rapides ne se sont pas développés aussi vite que leurs promoteurs — animés par Georges Vendryes — l’avaient espéré. Des tonnes de plutonium se sont ainsi accumulées petit à petit (le parc REP français en produit environ 10 tonnes par an). Stocker du plutonium en attendant la mise en place d’un hypothétique parc de réacteurs à neutrons rapides n’est pas judicieux : d’une part, ce stockage coûte cher, d’autre part ce plutonium se dégrade, puisque l’isotope 241 fissile, minoritaire certes devant l’isotope 239 mais cependant en quantité non négligeable, disparaît par décroissance radioactive avec une période de 15 ans en donnant de l’américium 241. Ce dernier est un poison neutronique et pose en outre des problèmes de radioprotection. C’est la raison pour laquelle, au début des années 1980, les neutroniciens ont proposé un recyclage du plutonium dans les réacteurs à eau. Cela est moins intéressant que dans les réacteurs à neutrons rapides mais est mieux qu’un stérile stockage et, en outre, ne consomme qu’assez peu de plutonium, puisqu’il est en partie régénéré par conversion durant l’irradiation. On ne compromet donc pas un développement futur des réacteurs à neutrons rapides. Notamment, la Commission européenne a soutenu et animé
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18. La préparation de la troisième génération de réacteurs
durant les années 1980 un programme de recherche sur le recyclage du plutonium dans les deux sous-filières, les REP et les REB. Concrètement, ce recyclage se fait en remplaçant l’oxyde d’uranium enrichi usuel par un mélange d’oxyde d’uranium naturel ou appauvri, voire d’uranium de retraitement, et d’oxyde de plutonium, à raison de 5 à 10 % de ce dernier ; ce mélange est appelé « mox » (mixed oxide ) (voir l’encadré 1).
1
Quelques ordres de grandeur des masses et des composition isotopiques du plutonium [Source : S. Marguet, La physique des réacteurs nucléaires, paragraphe 7.4.] Pour le combustible standard d’un REP, une gestion par quart et une irradiation de rejet de 42 000 MWj/t, les ordres de grandeur sont les suivants : - teneur initiale de l’uranium en isotope 235 : 3,7 % ; - proportion des noyaux lourds ayant subi la fission : 4,2 % (uranium pour les deux tiers, plutonium pour un tiers) ; - teneur finale de l’uranium en isotope 235 : 0,9 % ; - teneur finale du combustible en plutonium : 1,2 %. Si le plutonium est récupéré par traitement de ce combustible irradié et utilisé dans un combustible mox sur un support en uranium appauvri pour une gestion par tiers et une irradiation finale de 35 000 MWj/t, il faudra une teneur de 5,3 %. Après irradiation, elle sera réduite à 4 %, soit 75 % de la masse initiale, et une composition isotopique qui s’est dégradée, comme le montre le tableau suivant : Composition isotopique du plutonium utilisé dans les REP, avant et après irradiation.
Isotope (pourcentage)
238
239
240
241
242
Avant irradiation
2
58
23
11
6
Après irradiation
3
41
28
18
10
Aujourd’hui, EDF ne retraite pas les combustibles mox irradiés.
Ces travaux ont montré qu’il n’était pas possible d’avoir un cœur complet en mox dans les réacteurs existants. La raison en est une moindre efficacité des moyens de commande (barres et, dans les REP, bore en solution), cela pour des raisons neutroniques expliquées dans l’encadré 2.
157
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
2
Pourquoi les moyens de commande sont-ils moins efficaces dans les cœurs mox que dans les cœurs standards ? 1/ Le combustible mox est à peu près trois fois plus absorbant pour les neutrons thermiques que le combustible standard à uranium. Il y a à cela trois raisons : - pour avoir l’équivalence en réactivité et en durée d’irradiation possible, la teneur en plutonium doit être plus grande que celle de l’uranium 235 auquel il se substitue, puisqu’il faut compenser la capture sans fission par les isotopes pairs du plutonium ; - les isotopes 239 et 241 ont, pour les neutrons de 2 200 m/s, des sections efficaces d’absorption plus grandes que celle de l’uranium 235 ; - presque tous les isotopes du plutonium ont de grandes résonances au voisinage du maximum du spectre des neutrons thermiques. 2/ Les absorbants usuels (bore, alliage argent-indium-cadmium des grappes de commande...) capturent essentiellement les neutrons thermiques. Or les absorptions se font au prorata des sections efficaces macroscopiques : si celle du combustible est multipliée par trois, celle d’un absorbant n’est pas modifiée, et la proportion des neutrons capturés par ce dernier est à peu près divisée par trois. Dit différemment : à même nombre de neutrons émis par fission puis ralentis, si la section efficace macroscopique d’absorption des neutrons thermiques est multipliée par trois, le flux sera divisé par trois ; la section efficace de l’absorbant n’ayant pas changé, le nombre de neutrons qu’il capturera sera divisé par trois.
Cette constatation aura une cascade de conséquences. • Les réacteurs existants n’ont pas été conçus au départ pour le mox ; les moyens de commande disponibles ne sont pas suffisants pour en assurer la sûreté en toutes circonstances ; mais avec un cœur chargé pour moitié en mox et pour moitié avec du combustible standard, cela serait possible dans les REP de 900 MWe, à condition d’augmenter au maximum techniquement réalisable le nombre de grappes de commande. Par prudence, on a décidé de se limiter à un tiers d’assemblages mox. • Il y aura donc nécessairement des juxtapositions dans le cœur des deux types d’assemblages. Mais cela conduit à une nouvelle difficulté, des « pics » de puissance trop importants sur les crayons mox au voisinage de l’interface (voir l’encadré 3). Cela ne peut pas être admis : le réacteur fonctionnant à sa puissance nominale, un pic de puissance trop fort se traduit par une température trop élevée sur le crayon concerné, donc conduit à un risque de dégradation de sa gaine et de relâchement de produits radioactifs.
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18. La préparation de la troisième génération de réacteurs
3
Pourquoi se produit-il un pic de puissance, du côté mox, près d’une interface entre un assemblage standard et un assemblage mox ? En reprenant l’ordre de grandeur de l’encadré précédent, le flux des neutrons thermiques est trois fois plus faible dans un assemblage mox que dans un assemblage standard. Mais cela n’est vrai qu’asymptotiquement, loin de l’interface, car un flux est une fonction continue. En multipliant le flux par une section efficace macroscopique trois fois plus grande dans la zone mox que dans la zone à uranium, on obtient nécessairement une courbe discontinue pour les taux de réaction (donc la puissance), présentant un pic du côté du plutonium et un trou du côté de l’uranium (fig. 18.2).
Figure 18.2 Allure des courbes de flux et de puissance au voisinage d’une interface uranium/plutonium.
• On a pu trouver une parade à ce problème : un zonage de l’assemblage à plutonium. On réduit la teneur en plutonium des crayons externes (voisins de l’interface) pour « écraser » le pic et, pour compenser, on accroît la teneur en plutonium des crayons centraux. La figure 18.3 donne un exemple d’assemblage mox zoné (comparer au schéma d’un assemblage standard donné au chapitre 1). • Il est clair que fabriquer un tel assemblage zoné coûte cher : le plutonium doit être manipulé en « boîtes à gants » à cause de sa radioactivité, contrairement à l’uranium qui peut être manipulé à main nue. Pour un zonage, il faut prévoir plusieurs types de crayons différant par la teneur et prévoir un contrôle de fabrication rigoureux. EDF a démarré l’utilisation du mox en 1987 dans le réacteur B1 de Saint-Laurentdes-Eaux et la pratique aujourd’hui dans vingt réacteurs de 900 MWe.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 18.3 Section droite d’un assemblage mox de réacteur à eau sous pression.
La résolution de ces problèmes a nécessité la mise au point de nouveaux « schémas de calcul », c’est-à-dire des modes d’utilisation des codes proposés par les « développeurs ». Ces études appliquées ont fait appel aux talents de nombreux neutroniciens tels — au Service d’étude des réacteurs et de mathématiques appliquées de Saclay — Roger Delayre, Louis Brégeon, Christian Guionnet, René Vidal, JeanPierre Schwartz, André Puill, Pierre Mitaut, Bernard Micaux, Jean Bergeron, Frank Carré, Gilles Mathonnière, Richard Lenain, Anne Nicolas, Xavier Raepsaet, Edwige Richebois et bien d’autres. Il n’a pas toujours été facile de faire travailler ensemble ces deux catégories de neutroniciens, concernés respectivement par les développements et les études appliquées. Ce fut le rôle difficile que durent remplir leurs responsables hiérarchiques tels, pour le même service, Jules Horowitz, Jean Bussac, Marcel Chabrillac, Bernard Lerouge, Jean-Pierre Schwartz, Jean-Baptiste Thomas, Thierry N’Kaoua, Richard Lenain... Ces diverses améliorations, concrétisées au fur et à mesure des années dans le parc existant (deuxième génération), seront reprises dans les réacteurs dits de « troisième génération », tel l’EPR, mis au point durant la dernière décennie du XX e siècle par Framatome et Siemens, aujourd’hui en cours de construction en quelques exemplaires (Finlande, France, Chine). Ces améliorations portent sur la neutronique (meilleure utilisation du combustible, cœur pouvant être chargé entièrement en mox), mais surtout sur une plus grande sûreté : notamment, on a prévu un réceptacle pour recevoir les matériaux (corium) en cas d’accident de fusion du cœur.
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... et la troisième génération de codes de la neutronique Les nouveaux défis lancés par les ingénieurs aux neutroniciens obligèrent ces derniers à perfectionner leurs codes de calcul. Cependant une dynamique propre entraînée par les progrès de l’informatique et de l’analyse numérique s’est poursuivie. Validation et qualification.
En parallèle aux divers problèmes nouveaux qu’ont dû résoudre les utilisateurs de la neutronique et dont nous venons de voir quelques exemples, les développeurs des codes ont largement progressé. Cela peut être observé aussi bien au niveau d’APOLLO — calcul des réseaux d’assemblages — qu’à celui des outils de calcul des cœurs avec la mise au point de codes utilisant les méthodes SN et PN (voir les encadrés 1 et 2). On peut aussi citer la méthode des caractéristiques qui est une alternative à celle des probabilités de première collision ; elle consiste à intégrer l’équation de Boltzmann le long des trajectoires de neutrons — les « caractéristiques » —, ces dernières étant discrétisées comme dans la méthode SN . Quelques noms méritent d’être cités dans ces développements : à EDF, Xavier Warin, au CEA, Richard Sanchez, Jean-Jacques Lautard, Gérard Dejonghe, Christine Fédon-Magnaud, Guiseppe Palmiotti, Laurence Lunéville, Simone Santandrea...
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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La méthode SN Rappelons que le flux neutronique que l’on cherche à calculer à partir de l’équation de Boltzmann (considérée en pratique en régime stationnaire) dépend des variables d’espace r , de la léthargie u et de la direction . C’est en tant que traitement vis-à-vis de cette dernière variable qu’ont été développées les méthodes SN et PN ; la dépendance en léthargie est prise en compte par la théorie multigroupe et celle en espace par l’une des approches qui ont été présentées précédemment, différences finies, éléments finis, etc. Dans la méthode des ordonnées discrètes, dite méthode SN , la variable (appelée par abus de langage « ordonnée ») est discrétisée. Cette variable peut être vue comme un point situé sur une sphère de rayon unité ; la difficulté est de découper à peu près régulièrement la surface de cette sphère. Le principe adopté pour découper cette surface en mailles est illustré sur quelques exemples dans la figure 19.1 montrant des découpages d’un huitième de la surface : dans un premier temps, la sphère est coupée par des parallèles selon N tranches horizontales, puis dans un deuxième temps, les tranches, de chaque pôle à l’équateur, sont découpées par des arcs de méridien selon 4, 8, 12... mailles.
Figure 19.1
162
Exemples de discrétisations SN .
19. ... et la troisième génération de codes de la neutronique
Ensuite, l’équation de Boltzmann, sous sa forme intégrodifférentielle, est mais pour les valeurs discrètes k corécrite non pas pour toute valeur de respondant aux centres des mailles. Les intégrales sur (celles qui expriment les diffusions ou les fissions) sont évaluées par la formule de quadrature : d 2 k ), f () w k f ( k
où les poids wk sont les aires des mailles. On remarque que le nombre d’inconnues à traiter augmente rapidement avec l’ordre N adopté. C’est la raison pour laquelle on utilise parfois une méthode SN simplifiée dans laquelle on suppose en chaque point une symétrie de révolution autour du vecteur courant J ; pour une telle symétrie, en effet, seul le découpage en latitude est à faire.
En ce qui concerne les calculs de réseaux d’assemblages, APOLLO sera remplacé par un code entièrement nouveau, APOLLO-2, qui, une fois au point, sera adopté à la place d’APOLLO par tous les partenaires. Un tel changement dans la chaîne de calculs des ingénieurs est une opération lourde vu le nombre de personnes impliquées qu’il faut former et l’expérience acquise qu’il faut reconstituer. Depuis ses premières versions, à la fin des années 1960, le code APOLLO s’est énormément développé grâce à de nombreuses contributions. Au fil des ans, c’est devenu un objet presque monstrueux que probablement une seule personne, Annick Boivineau, maîtrise réellement. De plus, sa conception informatique est devenue obsolète. C’est la raison pour laquelle la décision fut prise, à la fin des années 1980, de développer APOLLO-2. Si l’on a tenu à conserver le nom pour marquer une continuité dans le traitement des problèmes physiques, il s’agit d’un code totalement nouveau, d’une conception moderne (structuration des données, gestion dynamique de la mémoire de l’ordinateur, accès par un macro-langage de commandes, etc.) et entièrement reprogrammé sous la direction de Richard Sanchez et Jacques Mondot, aidés par Catherine Van der Gucht, Zarko Stankovski, Igor Zmijarevic et Antoine Cossic. En parallèlle, se met en place le système NJOY-THÉMIS de mise en forme des données nucléaires pour les calculs déterministes et probabilistes de neutronique (Cheikh Diop, Caroline Brienne-Raepsaet...). Le code APOLLO-2 permettra d’intégrer facilement de nouveaux développements dans les modélisations, notamment, avec Mireille Coste-Delclaux et Alain Hébert pour le problème de l’absorption résonnante (voir l’encadré 4). On s’est aussi rendu compte à cette époque que les problèmes d’homogénéisation (réduction du nombre de zones homogènes) et de condensation (réduction du nombre
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
2
La méthode PN sont développées sur la base des Dans la méthode PN , les fonctions de harmoniques sphériques : ces fonctions généralisent à l’espace à trois dimensions les fonctions trigonométriques utilisées pour développer les fonctions périodiques en séries dites de Fourier. et s’expriment en praLes harmoniques sphériques sont des fonctions de tique en fonction de la longitude ϕ et de la colatitude θ qui permettent de La formule générale qui les définit est : repérer la direction .
m m 2n + 1 (n − m )! m Yn () = (− 1) P ( cos θ ) eim ϕ , 4π (n + m )! n où les fonctions P sont les fonctions de Legendre qui se déduisent des polynômes de Legendre. Le développement du flux en harmoniques sphériques s’explicite par : = (r , u, )
∞ m =+n
. φnm (r , u ) Ynm ()
n =0 m =−n
En reportant dans l’équation intégrodifférentielle de Boltzmann puis en projetant successivement sur toutes les harmoniques sphériques, on obtient un système d’équations aux dérivées partielles par rapport aux variables d’espace régissant les coefficients φ du développement. En pratique, on néglige tous les termes de rang n > N , de façon à ne conserver qu’un nombre fini d’équations et d’inconnues. L’approximation la plus simple que l’on puisse faire dans cette optique est l’approximation P1 . On peut constater qu’elle est équivalente à l’approximation de la diffusion. On peut aussi montrer que les approximations PN et SN+1 sont équivalentes tant sous l’aspect mathématique que sous celui du compromis entre précision et volume des calculs. Signalons enfin qu’on peut développer une méthode PN simplifiée similaire à la méthode SN simplifiée. Alors, avec la symétrie de révolution postulée, les harmoniques sphériques se réduisent, à un facteur près, aux polynômes de Legendre Pn (cos θ ).
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19. ... et la troisième génération de codes de la neutronique
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La méthode des caractéristiques La méthode des caractéristiques (appelée MoC par les spécialistes, comme method of characteristics ) a été développée par Richard Sanchez et Simone Santandrea. C’est un traitement numérique de l’opérateur de transport sous sa forme intégrale et détaillée par directions (voir l’encadré 1 du chapitre 17 sur l’équation intégrale de Boltzmann) : ∞ , t) = , v, , t − s ) e−τ . (r , v, ds Q (r − s v 0 est discrétisée comme Dans un premier temps, la variable de direction dans la méthode SN . Dans un deuxième temps, on discrétise les trajectoires de neutrons dans l’une des directions en les distribuant régulièrement dans l’espace (voir la figure 19.2 qui présente un exemple à deux dimensions). Ce sont ces trajectoires qui sont appelées « caractéristiques ». On intègre alors l’opérateur de transport donnant le flux à partir de la densité d’émission. Si l’on suppose que cette dernière est uniforme en espace dans chacun des volumes élémentaires (comme cela est aussi supposé dans la méthode des probabilités de première collision), cette intégration peut être faite analytiquement. Comme pour les autres méthodes de traitement de l’opérateur de transport, on (re)calcule alors la densité d’émission en appliquant au flux l’opérateur de collision, ce processus étant itéré jusqu’à convergence.
Figure 19.2 Principe de la méthode des caractéristiques ; ici, les caractéristiques selon une direction donnée (flèches obliques) balayent une des cellules d’un réacteur à eau sous pression.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
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Les améliorations du traitement de l’absorption résonnante La théorie classique de l’absorption résonnante, dite théorie LivolantJeanpierre, a été présentée au chapitre 10. Avec APOLLO-2, des généralisations de cette théorie furent développées par l’auteur de ces lignes et Mireille Coste-Delclaux. En voici les principales : – prise en compte d’une capture éventuelle du modérateur ; – introduction de modèles de ralentissement plus précis pour l’équivalence hétérogène-homogène ; – traitement de géométries à plusieurs zones résonnantes ; – traitement des interférences entre plusieurs nucléides résonnants. Outre ceux présentés par Mireille Coste-Delclaux elle-même dans sa thèse, des tests de qualification furent menés par Stéphane Mengelle et Alain Aggery à partir d’un traitement multigroupe extrêmement fin. En parallèle, Pierre Ribon développa une approche totalement différente, par « tables de probabilité ». L’idée générale est que le détail de la structure résonnante d’une section efficace σ n’a pas beaucoup d’importance et que ce qui compte est la probabilité que cette section efficace ait telle ou telle valeur dans le domaine d’énergie concerné, autrement dit la densité de probabilité π(σ ) telle que π(σ ) d σ soit la probabilité que la section efficace soit comprise entre σ et σ + d σ . Cette densité π(σ ) est ensuite discrétisée par quelques distributions de Dirac, constituant ainsi la « table ». Avec un critère de quadrature de Gauss, la méthode, quand elle s’applique, conduit à une bonne précision dans le calcul des taux de réaction même avec des tables de dimension très réduite. Remarque : cette approche est une généralisation d’une technique mise en œuvre depuis fort longtemps par les physiciens des réacteurs à neutrons rapides sous la dénomination de « méthode des sous-groupes ». Si elle conduit à des résultats précis à haute énergie, elle est insuffisante pour le traitement des grandes résonances à basse énergie.
de groupes en énergie pour le traitement du spectre des neutrons) étaient beaucoup plus subtils qu’on ne l’imaginait. Disons, pour le faire sentir sur un exemple, que répartir dans une vaste zone d’espace un fort absorbant modifie la structure du flux et par voie de conséquence le taux d’absorption. Cela a amené à mettre au point des techniques dites « d’équivalence » (Jacques Mondot, Alain Kavenoky, Alain Hébert...) destinées précisément à préserver les taux de réaction qui sont les seules grandeurs physiquement importantes. Ces techniques permettent aussi de rattraper des erreurs de modélisation comme la substitution de l’opérateur de transport par l’opérateur de diffusion ou encore les erreurs dues aux techniques numériques inévitablement approximatives (voir l’encadré 5).
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19. ... et la troisième génération de codes de la neutronique
5
La notion d’équivalence en neutronique L’équivalence est une technique de calcul largement utilisée en neutronique. Par exemple, on trouve dans la théorie de Livolant-Jeanpierre une équivalence hétérogène-homogène et une équivalence continu-multigroupe. Elle est aussi mise en œuvre pour l’homogénéisation. Cette démarche est présentée schématiquement ci-dessous (fig. 19.3).
Figure 19.3
La notion d’équivalence en neutronique.
On voudrait traiter un problème P avec une théorie précise T, mais cela s’avère trop difficile. En revanche, il est possible de traiter par T un problème P’ plus simple que P mais cependant proche de P. C’est ce que l’on fait dans un premier temps. Ensuite, on choisit une théorie T’ suffisamment simplifiée pour qu’elle puisse être envisagée pour traiter P. L’équivalence va consister à « ajuster » T’ de façon que, sur le problème simplifié P’, elle préserve les résultats essentiels. Pour concrétiser cela, l’homogénéisation :
le
lecteur
pourra
prendre
l’exemple
de
– problème réel P : un assemblage combustible dans le cœur du réacteur ; – théorie précise T : théorie du transport en multigroupe fin (telle qu’elle est mise en œuvre dans le code APOLLO) ; – problème simplifié P’ : l’assemblage en mode fondamental (voir le chapitre 10) ; – théorie simplifiée : diffusion ou transport simplifié en multigroupe large avec des cellules homogénéisées ; – paramètres à conserver par équivalence : les taux de réactions par cellule dans le découpage multigroupe large ; – paramètres de la théorie simplifiée pouvant être ajustés : les sections efficaces macroscopiques par zone homogénéisée et par groupe large.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 19.4 Le système SAPHYR.
Aujourd’hui, tous les modules de calcul, non seulement de neutronique, mais aussi des autres aspects de la physique des réacteurs, sont regroupés dans des systèmes permettant les enchaînements et les itérations : SAPHYR et ÉRANOS au CEA, CASSIOPÉE à EDF, SCIENCE à Framatome (aujourd’hui dans Areva). À titre d’exemples, voici l’organigramme du système SAPHYR utilisé pour les réacteurs à eau, avec le détail des deux principaux sous-systèmes qui le composent, ainsi que celui du système ÉRANOS utilisé pour les réacteurs à neutrons rapides (figures 19.4 à 19.7). [Source : site du CEA.] C’est enfin aussi au cours de ces années qu’a été systématisée la démarche de « validation-qualification » permettant d’apporter la preuve du bien-fondé des résultats fournis par les codes de calcul proposés aux ingénieurs. Comme cela été souligné au chapitre 15, il y a toujours deux sources d’erreurs possibles : celles qui proviennent des modèles de calcul inévitablement approximatifs et celles qui proviennent des données elles aussi inévitablement connues seulement avec une certaine imprécision. La validation concerne les modèles de calcul ; elle est faite en comparant les résultats obtenus, avec un même jeu de données, sur la configuration étudiée, d’une part avec le code utilisé en routine par les ingénieurs et d’autre part avec un code de référence, plus précis mais trop lourd pour un emploi quotidien. Ce code de référence peut être un code déterministe utilisant des discrétisations plus fines ou un code MonteCarlo, tel TRIPOLI, n’utilisant aucun modèle simplifié. Cette démarche est devenue possible grâce aux progrès de l’informatique qui ont permis d’envisager de faire occasionnellement de tels calculs de référence et de chiffrer ainsi les erreurs dues aux modèles usuels. En quelque sorte, le code de référence remplace une expérience qui, elle aussi, aurait pu apporter une réponse. (Quelques détails sur la méthode de Monte-Carlo seront présentés au chapitre 21.)
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19. ... et la troisième génération de codes de la neutronique
Figure 19.5 Le système APOLLO2.
Figure 19.6 Le système CRONOS2 : il intègre les codes de calcul de cœur en diffusion et en transport, utilisant les différences finies, les éléments finis et les méthodes nodales.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 19.7 Le système ÉRANOS.
Il faut bien voir cependant que le code de référence produit des résultats erronés si les données le sont. Or toutes les données sont assorties d’imprécisions. C’est le cas des données technologiques (dimensions, densités, teneurs isotopiques...) dont les imprécisions, même avec les fabrications les plus soignées possibles, peuvent avoir des conséquences non négligeables. C’est surtout le cas des données nucléaires qui peuvent conduire à des incertitudes notables malgré les immenses progrès faits en matière de mesures « différentielles ». Sur cet aspect, aucun calcul n’apportera jamais une réponse définitive ; seuls des confrontations entre calculs et expériences « intégrales » permettront de juger de la qualité des calculs neutroniques. Cette confrontation est la qualification. Comme elle restera une nécessité, des moyens expérimentaux en neutronique devront être conservés quels que soient les progrès faits en matière de calculs.
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La quatrième génération de réacteurs... et les suivantes Si l’on a pu parler, au début de notre siècle, de « renaissance du nucléaire » avec le Forum international génération 4 et un intérêt renouvelé de nombreux pays pour cette énergie, l’accident de Fukushima a marqué un coup d’arrêt. Il est trop tôt à l’heure où sont écrites ces lignes pour dire si l’élan est définitivememt brisé. Il est clair en tout cas que l’enthousiasme des neutroniciens ne l’est pas comme peuvent en témoigner les travaux sur les six concepts retenus par le Forum et le projet Astrid, la spallation avec notamment le projet Myrrha et la fusion avec la machine Iter.
Pendant les deux décennies qui ont vu se mettre en place le programme REP français de cinquante-huit réacteurs, entre 1977 et 1999, les inquiétudes de l’opinion publique se sont focalisées autour de deux préoccupations principales : le risque d’accident et le devenir des déchets radioactifs. La crainte de l’accident fut évidemment réactivée par la catastrophe de Tchernobyl (1986). Cela conduira à la mise en place d’organismes de contrôle de plus en plus exigeants. En 2006, sera créée l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le « gendarme du nucléaire » indépendant à la fois du gouvernement et des industriels. La loi TSN (transparence et sécurité en matière nucléaire) du 13 juin 2006 qui l’a créée a aussi confirmé le rôle des Commissions locales d’information (CLI) et mis en place le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN).
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Le problème des déchets a conduit à la loi du 30 décembre 1991 préconisant quinze années de recherches selon trois axes : 1/ l’étude d’un stockage à grande profondeur ; 2/ l’étude d’un entreposage à faible profondeur ; 3/ l’étude des possibilités d’incinération de ces déchets par irradiation neutronique pour les détruire au moins en partie. Cette loi a été prolongée par celle du 28 juin 2006 qui préconise la poursuite des recherches et l’ouverture d’ici 2025 d’un stockage géologique réversible (Cigéo). Notons que le troisième axe concerne directement la neutronique. Ces recherches ont fortement impliqué le CEA, sous l’impulsion de Massimo Salvatores, ainsi que l’Institut de physique nucléaire d’Orsay (IPN), dépendant du CNRS/IN2P3, avec notamment Jean-Paul Schapira et Sylvain David. La dernière décennie du XXe siècle a vu un certain ralentissement dans les réalisations industrielles de réacteurs. Notamment en France, c’est l’achèvement du programme N4 (quatre réacteurs de 1 450 MWe). Seuls quelques pays d’Extrême-Orient — Corée du Sud, Taïwan, Japon, Chine — conservent de vigoureux programmes. Cependant les chercheurs ne sont pas restés inactifs : de nombreux nouveaux systèmes, voire nouveaux concepts, sont proposés pour la relève des réacteurs (troisième génération) mis à ce moment-là sur le marché. Il était indispensable de faire un certain tri dans ces nouvelles idées. C’est la raison qui a conduit le Department of Energy (DoE) américain à lancer en 2000 le « Forum international génération 4 » où des spécialistes de tous les grands pays industriels concernés par l’industrie nucléaire ont passé au crible une centaine de propositions. Différents critères ont été pris en compte pour cette évaluation : taille des unités, coût de construction et d’exploitation, durée de vie, sûreté, dommage pour l’environnement, cycle du combustible et utilisation des ressources naturelles, résistance aux actes de malveillance et au risque de prolifération. Finalement, six concepts ont été retenus, les participants s’engageant à concentrer en priorité leurs travaux de recherche et de développement sur l’un ou plusieurs de ces concepts. En voici les caractéristiques essentielles (voir aussi la figure 20.1) : • VHTR (Very High Temperature Reactor ) : modéré au graphite et refroidi à l’hélium, ce réacteur est susceptible d’être dédié à la production d’hydrogène ou à la cogénération hydrogène/électricité ; • SFR (Sodium-cooled Fast Reactor ) : sur le plan des principes, ce concept est similaire à celui des réacteurs à neutrons rapides construits en France et aujourd’hui tous les deux arrêtés, Phénix et Superphénix ; • LFR (Lead-cooled Fast Reactor ). Hormis la substitution du sodium par du plomb, ce concept est similaire au précédent. Il intéresse surtout les Russes qui l’ont expérimenté dans des réacteurs de sous-marins. Le plomb est moins actif, chimiquement, que le sodium, mais pose des problèmes de corrosion. On peut aussi envisager un eutectique plomb-bismuth. • GFR (Gas-cooled Fast Reactor ). Ce système devrait cumuler l’intérêt de la haute température et celui d’un spectre rapide, susceptible de conduire à la
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20. La quatrième génération de réacteurs... et les suivantes
Figure 20.1 Les six concepts génération 4 [Source : SFEN/RGN].
surgénération. Sa mise au point posera de difficiles problèmes de tenue des matériaux en température ; • SCWR (Supercritical Water Reactor ) : l’état supercritique de l’eau est un état qui n’est ni liquide ni gazeux, observé au-dessus du point critique, c’est-à-dire audessus de 400 o C environ. L’utilisation d’eau supercritique a été expérimentée par les Japonais dans des centrales classiques. Ce concept permettrait d’améliorer le rendement ;
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
• dans le MSR (Molten Salt Reactor ), le combustible, sous forme d’un sel liquide d’uranium, plutonium et/ou thorium, assure aussi le rôle de caloporteur. L’intérêt du concept est que ce combustible peut être retraité en continu pour extraire les déchets nucléaires et compléter les matières fissiles et fertiles. Il faut remarquer que les perspectives d’un développement industriel ne sont pas les mêmes selon les concepts. C’est ainsi que le VHTR est proche du GT-MHR (Gas Turbine - Modular Helium Reactor ) qu’avait proposé Areva et que le SFR pourrait bénéficier de l’expérience acquise avec les réacteurs Phénix et Superphénix : selon leurs promoteurs, ces systèmes pourraient se substituer aux réacteurs de troisième génération à partir du milieu du siècle. Les perspectives du LFR, du SCWR et surtout du GFR sont sans doute plus lointaines. Le MSR, extrêmement séduisant sur le papier, nécessitera beaucoup de développements technologiques. La France, par la voix d’Areva, s’intéresse plus particulièrement au VHTR, par celle du CEA au SFR et au GFR, et par celle du CNRS au MSR. Pour le SFR, un projet Astrid (Advanced Sodium Technonological Reactor for industrial Demonstration) a été lancé pour l’horizon 2020 : ce démonstrateur vise la production d’énergie (600 MWe) et l’incinération de déchets nucléaires (voir la figure 20.2). Cet exercice « Génération 4 » a sans doute contribué à « redorer » l’image de l’énergie nucléaire. Durant la première décennie du XXIe siècle, de nombreux pays, possédant déjà ou non des réacteurs, ont manisfesté leur intention de développer rapidement cette énergie. On a alors parlé de « renaissance du nucléaire ». Cet élan s’est brisé le 11 mars 2011 avec l’accident de Fukushima. Cependant, si l’Allemagne a accéléré une sortie du nucléaire qu’elle avait déjà entreprise, et si la Suisse, la Belgique, l’Italie ou l’Espagne se sont interrogées, d’autres pays, la France,
Echangeur d’évacuation de la puissance résiduelle
Cuve interne cylindrique
Echangeur intermédiaire Pompe
Figure 20.2 Le réacteur Astrid [Source : Internet].
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20. La quatrième génération de réacteurs... et les suivantes
le Royaume-Uni et surtout des pays d’Extrême-Orient (hormis le Japon), voire du Moyen-Orient, ont confirmé leur volonté politique forte de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. En ce qui concerne les théories de la la neutronique, l’étude de ces concepts n’a pas réellement provoqué de « révolution », mais a confirmé des tendances précédemment observées, en particulier une utilisation beaucoup plus fréquente du calcul MonteCarlo. En revanche, les projets présentés par Carlo Rubbia durant la dernière décennie du XXe siècle avaient suscité de nombreuses discussions. Le physicien italien Carlo Rubbia s’est fait un nom au CERN : avec Simon van der Meer, il obtint en effet le Prix Nobel de Physique (1984) pour la découverte des bosons d’interaction faible W et Z. À sa retraite, il s’intéressa à l’énergie nucléaire et proposa un système original « d’amplificateur d’énergie » basé à la fois sur la fission et sur la spallation. Plusieurs projets ont été présentés : nous nous limiterons ici au plus connu, celui de 1995 (voir la figure 20.3). La spallation est une réaction nucléaire induite par les protons de haute énergie : les protons de 1 ou 2 GeV, envoyés sur une cible contenant des noyaux lourds font en quelque sorte éclater ces noyaux en libérant de nombreux neutrons, typiquement 20 à 40. Ces neutrons peuvent être absorbés dans un cœur sous-critique, y provoquant des fissions qui libèrent de nouveaux neutrons et finalement une quantité d’énergie qui peut être bien supérieure à celle qui a été nécessaire pour accélérer les protons, d’où le terme « d’amplificateur d’énergie ». Il peut paraître surprenant de devoir utiliser deux machines, un accélérateur et un cœur à fissions. L’argument est que ce cœur est sous-critique : on élimine ainsi le risque d’accident de réactivité. Concrètement, le cœur est au fond d’une piscine de plomb fondu, assurant un refroidissement par circulation naturelle, encore un argument en faveur de la sûreté. Les protons guidés par des champs magnétiques parcourent un long tube jusqu’au fond de la piscine. Les réactions de spallation se produisent quand ils percutent des atomes de plomb. Pour obtenir une puissance convenable, il faut que l’accélérateur ait une forte intensité et pour que cette puissance soit délivrée à un rythme constant, il faut une grande fiabilité dans son fonctionnement. Ces deux points restent des défis technologiques qui ne sont pas encore résolus. Divers matériaux fissiles ou fertiles peuvent être utilisés dans le cœur. Dans la version initiale, Rubbia préconisait le cycle thorium-uranium 233 qui produit a priori moins d’actinides supérieurs (Np, Am, Cm ...) que le cycle uranium-plutonium, et qui peut être à peu près isogénérateur, d’où une longue durée de vie possible sans déchargement du combustible. Notons, enfin, que le système présente les mêmes problèmes de puissance résiduelle que les réacteurs standards.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 20.3 Cœur de l’amplificateur d’énergie proposé par Carlo Rubbia et ses collaborateurs (l’éléphant ajouté par Georges Charpak donne l’échelle) ; sur le même site, on aurait l’accélérateur de protons et la salle des machines, voire les usines de fabrication de combustible et de retraitement [Source : Carlo Rubbia].
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20. La quatrième génération de réacteurs... et les suivantes
Malgré l’intérêt qu’il a pu susciter, cet amplificateur d’énergie n’a pas eu, à ce jour, d’application industrielle pour la production d’énergie. En revanche, la spallation paraît intéressante pour créer une source intense de neutrons, cette source étant utilisée, par exemple, pour incinérer des déchets nucléaires (voir l’encadré 1). C’est ainsi que le SCK-CEN belge avec diverses collaborations dont celle de l’Institut de physique nucléaire d’Orsay, a lancé un projet Myrrha (Multipurpose hYbrid Research Reactor for High-tec Applications), animé par Hamid Aït-Abderrahim, qui devrait être opérationnel en 2023. Si on les compare aux concepts retenus par le Forum génération 4, ces machines basées sur la spallation apparaissent encore plus futuristes : elles feront peut-être partie d’une cinquième génération ! À une échéance encore plus lointaine, se profile l’énergie de fusion basée sur la réaction : 2H 1
+ 31 H ⇒ 42 He + 10 n.
Cette réaction ne fait pas à proprement parler appel à la neutronique, mais a besoin de compétences en neutronique pour le traitement des neutrons dans les couvertures et plus particulièrement la régénération du tritium.
1
La séparation-transmutation de déchets nucléaires L’axe 3 des recherches sur les déchets nucléaires de la loi du 30 décembre 1991 prolongée par celle du 28 juin 2006 concerne la séparation et la transmutation de déchets nucléaires. La transmutation est envisagée pour remplacer des nucléides radioactifs à longue durée de vie en nucléides à courte durée de vie, ces derniers étant stockés pendant les quelques siècles nécessaires à leur disparition par décroissance radioactive. L’irradiation neutronique, en particulier la fission, semble être la seule méthode envisageable sur un plan industriel. Son efficacité dépend du spectre neutronique — en général mais pas toujours, elle est meilleure avec un spectre rapide — et du mode d’incinération — homogène si le produit à détruire est mélangé de façon homogène avec du combustible d’un réacteur, ou hétérogène s’il est placé dans des capsules spécifiques. Dans les deux cas, la transmutation suppose d’abord la séparation des radionucléides concernés par un traitement plus poussé que le traitement usuel des combustibles irradiés. En pratique, cela pourrait concerner les actinides dits « mineurs » (ceux qui contrairement aux acinides « majeurs » — uranium et plutonium — ne sont pas susceptibles d’être recyclés pour produire de l’énergie), essentiellement les isotopes du neptunium, de l’américium et du curium, et peut-être aussi, mais sans doute plus difficilement, les quelques produits de fission à longue durée de vie : 93 Zr, 99 Tc, 107 Pd, 126 Sn, 129 I et 135 Cs.
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Dans le concept de la « fusion magnétique » tel celui de la machine Iter (voir la figure 20.4) en construction à Cadarache (Bouches-du-Rhône), les neutrons de 14 MeV émis par la réaction de fusion entre le deutérium et le tritium s’échappent du plasma, puisqu’ils sont insensibles aux champs magnétiques. En tout état de cause, il faut s’intéresser à leur devenir, ce qui est donc un problème de neutronique. Plus spécifiquement, on cherchera d’une part à récupérer leur énergie et d’autre part à les utiliser pour régénérer le tritium consommé dans la réaction de fusion. Il faut pour cela les absorber dans du lithium placé en couverture autour de la chambre torique contenant le plasma de deutérium et tritium ; la principale réaction recherchée, possible avec des neutrons de toute énergie, est : 1n 0
+ 63 Li ⇒ 31 H + 42 He.
L’autre isotope du lithium peut aussi donner un tritium, sans consommer le neutron, mais la réaction nécessite un neutron d’au moins 2,5 MeV : 1n 0
+ 73 Li ⇒ 31 H + 42 He + 10 n.
Comme il y aura forcément des pertes (fuites de neutrons, couverture incomplète), il faut essayer de multiplier la population neutronique (davantage que ce que permet la réaction sur le lithium 7) pour espérer produire autant de tritium qu’on en consomme. On tablera pour cela sur les réactions (n,2n) sur des matériaux tel le plomb. En définitive, la neutronique des couvertures est un peu différente de celle des réacteurs à fission car elle se situe à plus haute énergie : dans ce domaine, les aspects inélastiques et anisotropes des collisions ont une grande importance.
Figure 20.4 Le réacteur Iter en construction à Cadarache [Source : Internet].
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Les études de protection contre les rayonnements et le risque de criticité Le risque principal et spécifique du nucléaire est celui de l’exposition aux rayonnements émis par les produits radioactifs. C’est la raison pour laquelle il faut que les ingénieurs soient capables de calculer correctement la propagation des rayonnements et de concevoir les écrans susceptibles de les arrêter. Ils doivent par ailleurs s’appliquer à prévoir les accidents susceptibles de se produire dans une installation nucléaire — réacteur ou autre — et risquant de laisser s’échapper des produits radioactifs. Ces problèmes interpellent aussi la neutronique et les sciences connexes.
Le principal risque potentiel d’un réacteur nucléaire provient d’un important inventaire de produits radioactifs accumulés au fur et à mesure du fonctionnement. Normalement, ces produits sont confinés, puisqu’on prévoit toujours au moins trois barrières pour les isoler de l’environnement. Par exemple, dans un réacteur à eau sous pression, ce sont : 1/ les gaines des crayons de combustible, 2/ la cuve et l’ensemble du circuit primaire totalement isolé, et enfin 3/ l’enceinte de confinement du bâtiment du réacteur (et même une double enceinte pour les modèles les plus récents). En cas d’incident sur la première barrière, le seconde retient les produits radioactifs. En cas de rupture également de cette dernière, la troisième barrière intervient. Ce n’est donc qu’en cas d’accident très grave que des produits radioactifs seraient répandus dans l’environnement. Hormis quelques expériences faites volontairement dans des conditions contrôlées, cela s’est produit deux fois dans l’histoire du nucléaire, sur le
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réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl, le 26 avril 1986, puis, vingt-cinq ans plus tard, le 11 mars 2011, sur trois des six réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi. L’accident de Three Mile Island, d’une gravité comparable, survenu le 28 mars 1979, n’eut pas de conséquence sanitaire (hormis une grande panique dans la population environnante) car l’enceinte a parfaitement joué son rôle. Un risque existe aussi dans les installations où sont manipulées des matières nucléaires, en particulier les usines de retraitement de combustible, et une « philosophie » comparable de la sûreté y est mise en œuvre. Dans ce chapitre, nous rappellerons quels sont les risques des rayonnements sur l’homme, quels sont les risques d’accident sur un réacteur, comment est assurée la sûreté vis-à-vis du risque de criticité, comment on étudie la propagation des rayonnements et enfin comment sont conçus les écrans pour les arrêter. Les rayonnements sont dangereux par leur depôt d’énergie, notamment dans la matière vivante. Ce dépôt se mesure en grays : 1 gray (Gy) correspond à 1 joule par kilogramme. Pour tenir compte des effets différents selon les rayonnements d’un même dépôt d’énergie et de la sensibilité différente des tissus, on transforme les grays en sieverts (Sv) en les multipliant par des facteurs sans dimension. Pour fixer les idées, disons que chaque Français reçoit en moyenne une dose annuelle de rayonnements naturels de l’ordre de 2 millisieverts et une dose du même ordre de grandeur du fait d’examens médicaux. À partir de quelques centaines de millisieverts, une irradiation peut induire des effets stochastiques, c’est-à-dire d’une grande gravité (cancer solide ou leucémie) mais pouvant ne survenir que de nombreuses années après l’irradiation et avec une probabilité d’autant plus importante que la dose aura été forte. À partir de 1 gray, s’ajoutent des effets dits déterministes, c’est-à-dire qui se produisent systématiquement et avec une gravité d’autant plus forte que la dose reçue aura été forte. Une dose est létale à partir de 5 grays environ. On distingue les irradiations provenant d’une source externe et les contaminations, externes si le produit radioactif s’est déposé sur la peau, internes s’il a été ingéré. En pratique, seuls les rayons gamma (photons de grande énergie) et les neutrons (un rayonnement ne provenant pas de la radioactivité, mais qui peut s’échapper d’un réacteur), susceptibles de traverser des décimètres de matière, peuvent conduire à des irradiations externes. C’est peu probable pour les rayonnements alpha, arrêtés par une simple feuille de papier, et les rayonnements bêta arrêtés par une tôle. Mais ces deux derniers sont dangereux en cas de contamination. Comme pour n’importe quelle machine complexe, les causes d’un accident sur un réacteur nucléaire peuvent être très diverses. Les spécialistes de la sûreté tentent de les répertorier de la façon la plus exhaustive possible. Pour le dimensionnement de l’installation et la conception des systèmes de secours (par exemple, un circuit de refroidissement auxiliaire en secours du circuit normal si ce dernier est défaillant), on considère un certain nombre de scénarios tels celui de la rupture d’une grosse canalisation du circuit primaire conduisant à une perte du refroidissement. Outre ces « évaluations déterministes », ces spécialistes procèdent à des « évaluations probabilistes de la sûreté » (EPS) chiffrant les probabilités de tous les scénarios possibles : cela permet, d’une part, de repérer les points faibles à améliorer en priorité, d’autre part, de chiffrer globalement l’impact des améliorations. Par exemple, en
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passant des REP français (deuxième génération) à l’EPR (troisième génération), la probabilité de fusion du cœur est passée d’une valeur de l’ordre de 10−5 par réacteur et par an à une valeur de l’ordre de 10−6 , soit un gain d’un facteur 10. Outre les risques inhérents à toute installation industrielle (incendie, inondation, séisme...), les réacteurs nucléaires présentent deux risques spécifiques : • le risque d’emballement de la réaction en chaîne en cas de situation surcritique ; en pratique, « l’excursion de puissance » est stoppée par les contre-réactions car les coefficients de température, notamment celui de l’effet Doppler, sont négatifs, mais il faut s’assurer que l’énergie déposée pendant ce sursaut n’est pas excessive ; • après arrêt de la réaction en chaîne, le risque d’échauffement trop important, provoquant une détérioration, voire une fusion des matériaux, en cas de défaut de refroidissement, cela à cause de la « puissance résiduelle » ; en effet, la chute des barres de sécurité arrête rapidement la réaction en chaîne, donc le dégagement d’énergie par les fissions, mais ne peut pas arrêter les décroissances des produits radioactifs qui se sont accumulés dans le combustible ; de l’ordre de 5 % de la puissance nominale juste après l’arrêt, cette puissance résiduelle ne décroît ensuite que lentement au fil des jours, mois et même années qui suivent (voir l’encadré 1 et la figure 21.1) ; c’est dire aussi qu’il faut assurer le refroidissement du combustible même après déchargement du cœur. Dans les autres installations où sont manipulées des matières fissiles, on veille au risque de criticité, c’est-à-dire du déclenchement intempestif d’une réaction en chaîne en cas de dépassement de la criticité (voir l’encadré 2). Comme pour tout risque d’accident, il faut jouer à la fois sur la prévention et la mitigation. La prévention concerne l’ensemble des actions mises en œuvre pour éviter la survenue d’un accident. Pour le risque de criticité, il faut se donner les moyens de calculer avec précision le facteur de multiplication k de la configuration. Comme on a souvent affaire à des géométries compliquées, on utilise le plus souvent pour cela des codes Monte-Carlo (en France, système CRISTAL, coordonné par Jean-Michel Gomit, faisant appel notamment aux codes Monte-Carlo MORET ou TRIPOLI-4). En pratique, on exige que k ne dépasse pas une certaine valeur — en général, on prend 0,95 —, de façon à prévoir une marge supérieure à toutes les incertitudes de calcul. Par ailleurs, dans toute la mesure du possible, on cherche à réduire le facteur k, en jouant sur les composantes du bilan neutronique : réduction des fissions par maîtrise des concentrations, augmentation des captures par insertion d’absorbants, augmentation des fuites en recherchant des formes ayant la plus grande surface possible pour un volume donné (par exemple, des cylindres très hauts par rapport à leur rayon). Des neutroniciens de grand talent, tels Louis Maubert et Jacques Anno, se sont spécialisés dans ces analyses de criticité. En France, ces analyses sont maintenant souvent réalisées par les industriels concernés eux-mêmes, mais sous le contrôle d’un service de criticité de l’IRSN (successivement dirigé ces dernières années par Patrick Cousinou, Véronique Rouyer et Éric Letang). En ce qui concerne la mitigation (la réduction des conséquences d’un accident s’il se produisait malgré les mesures
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de prévention), on prévoit des écrans, des détecteurs de rayonnement émettant un signal en cas de débit de dose excessif, des plans d’évacuation, etc. Dans l’industrie nucléaire, que ce soit la production d’électricité, la recherche, la médecine..., on ne peut évidemment pas éviter toutes les sources de rayonnement, en particulier les sources intenses que représentent les cœurs des réacteurs. Il faut donc étudier la façon de s’en protéger efficacement. Comment se protéger contre les rayonnements ? La première chose à faire est évidemment de s’en éloigner le plus possible (effet d’angle solide, de même que le rayonnement solaire décroît quand on s’éloigne du Soleil). Sinon, il faut les absorber par des écrans bien choisis. Nous avons vu que c’est facile pour les rayonnements alpha et bêta, et beaucoup plus difficile pour les rayonnements gamma et les neutrons dont les flux décroissent exponentiellement et ne sont donc jamais rigoureusement nuls. Pour arrêter les neutrons, il faut utiliser des matériaux absorbants (bore, cadmium, etc.) et les ralentir, de préférence par des matériaux hydrogénés, puisque les neutrons lents sont davantage absorbés. Pour les photons gamma, il faut optimiser trois types de réactions dont l’importance relative dépend de l’énergie : • la création de paire électron-positon si l’énergie du photon est plus grande que l’équivalent énergétique de la masse créée, soit 1,022 MeV (deux fois 511 keV) ; noter que le positon s’annihilera rapidement avec un électron de la matière en redonnant deux photons de 511 keV ; • l’effet Compton qui est une diffusion du photon par un électron dans laquelle le photon ne disparaît pas mais perd une partie de son énergie ; • l’effet photoélectrique où, au contraire, le photon est absorbé par l’électron, ce dernier acquérant l’énergie du photon. En pratique, les meilleurs matériaux pour arrêter ces rayonnements sont les matériaux lourds tels le plomb ; plus couramment, on s’en protège par quelques décimètres de béton ou quelques mètres d’eau (beaucoup de réacteurs expérimentaux sont des réacteurs piscines : le cœur est placé au fond d’une piscine, ce qui permet de le voir sans aucun risque d’irradiation). La propagation des photons gamma est régie par une équation de Boltzmann similaire à celle qui régit les neutrons. C’est la raison pour laquelle les codes utilisés par les « protectionnistes » (les ingénieurs chargés des études de protection contre les rayonnements) traitent en général des deux problèmes. Cela est d’autant plus utile qu’il y a un couplage entre eux, puisque l’absorption des neutrons est le plus souvent une capture radiative émettant un ou plusieurs photons gamma. On trouve pour les codes de protection la même typologie que pour les codes usuels de neutronique, notamment les deux approches, déterministe et probabiliste (Monte-Carlo). Cette dernière, quoique plus lourde dans sa mise en œuvre, est souvent nécessaire car les calculs pour la conception des écrans font intervenir des géométries souvent compliquées (voir l’encadré 4).
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En France, le principal code Monte-Carlo traitant aussi bien les neutrons que les photons est TRIPOLI. Comme tous les gros codes de physique des réacteurs (par exemple APOLLO), c’est l’œuvre de toute une équipe (en France, pour des raisons historiques, spécialiste à la fois du calcul Monte-Carlo et des problèmes de protection contre les rayonnements) : Pierre Lafore, Jean Rastoin, Christian Devillers, JeanClaude Nimal, Jeanne-Marie Lanore, Thérèse Vergnaud, Jean Gonnord, Cheikh Diop, Gérard Dejonghe, Jean-Pierre Both... Le code « concurrent » américain, MCNP, est aussi largement utilisé. La méthode de Monte-Carlo n’est pas propre à l’étude de la propagation des particules mais a pris aujourd’hui une très grande importance pour les neutroniciens et « protectionnistes » avec les ordinateurs dont ils disposent. Ses deux caractéristiques sont sa capacité à simuler une situation sans pratiquement aucune approximation, mais cela au prix d’un volume très important de calcul informatique. Pour l’application à l’étude de la propagation des rayonnements, la simulation est dite « analogue » en ce sens que l’on demande à l’ordinateur de reconstituer des « histoires » de particules exactement telles qu’elles se déroulent dans la réalité. Il existe d’autres applications non analogues de la méthode de Monte-Carlo (comme l’explique l’encadré 4, on fait parfois des biaisages, c’est-à-dire des simulations semianalogues). La plus célèbre application non analogue est l’estimation du nombre π par Buffon en jetant une aiguille sur un parquet : π est directement lié à la proportion des cas où l’aiguille se retrouve à cheval sur deux lames. Cet exemple permet de comprendre le principe de la méthode : en répétant l’expérience un grand nombre de fois, et en comptant le nombre d’événements d’un certain type, on a une estimation de la probabilité de cet événement. Bien sûr, dans la pratique d’aujourd’hui, c’est l’ordinateur qui simule l’expérience. On peut montrer que la précision de cette estimation, c’est-à-dire son écart-type, s’améliore avec le nombre N d’expériences comme l’inverse de la racine carrée de N . Pour un calcul Monte-Carlo concernant les neutrons ou les photons γ , on fournit au code une description aussi précise que souhaitée de la géométrie, des compositions et des caractéristiques nucléaires (sections efficaces). Puis on demande au code de simuler un très grand nombre de cheminements des particules en « tirant au sort » tous les événements aléatoires qui ponctuent leur histoire, parcours dans l’espace et collisions, cela jusqu’à l’absorption (voir la figure 21.3 qui détaille aussi le traitement des fuites) ; on enregistre soigneusement tout ce qui a été obtenu. Dans un deuxième temps, on reprend cet enregistrement pour en extraire les informations que l’on souhaite connaître, par exemple des taux de réaction ou des flux. La précision de ces résultats est d’autant meilleure que le nombre de simulations est élevé : si quelques milliers d’histoires peuvent suffire pour obtenir une vision générale de la population des particules, la bonne précision statistique que souhaite aujourd’hui l’ingénieur nécessite parfois de traiter des centaines de millions d’histoires ! Comme chacune est complexe à obtenir compte tenu des géométries et
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La puissance résiduelle La puissance résiduelle dépend, par le biais de la formation des produits de fission et des décroissances radioactives, de l’historique du réacteur. Un calcul précis est difficile, puisqu’il faut prendre en compte cet historique et les décroissances après arrêt d’environ 800 radionucléides. En toute première approximation, on peut adopter la loi de Way et Wigner :
Présiduelle = 5,9.10−3 [ t −0, 2 − (t + T )−0, 2 ], Pnominale où t est la durée en jours après l’arrêt (la formule ne convient pas pour t inférieur à 10 secondes) et T la durée en jours pendant laquelle le réacteur a fonctionné à la puissance Pnominale . Voici quelques courbes de décroissance de la puissance résiduelle données par cette loi.
Figure 21.1 Ordre de grandeur de la décroissance de la puissance résiduelle donné par la loi de Way et Wigner.
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des sections efficaces compliquées à prendre en compte, on comprendra pourquoi une simulation par Monte-Carlo reste, encore aujourd’hui, envisageable seulement pour des calculs de référence.
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L’accident de criticité On déplore, depuis le début de l’histoire du nucléaire, une soixantaine d’accidents de criticité ; ils ont entraîné 21 décès. Le plus grave et le plus connu (deux décès) est celui qui survint à Tokaï Mura, au Japon, le 30 septembre 1999 : les opérateurs, mal formés aux exigences de l’assurance-qualité, ont manipulé de l’uranium enrichi en quantité bien supérieure à celle autorisée. Il y a à Valduc (Côte-d’Or) des équipes (longtemps dirigées par Francis Barbry) étudiant ce risque de criticité autour d’installations simulant ces accidents, en particulier Silène pour l’étude des solutions acqueuses. La figure 21.2 montre un scénario typique : après un premier pic dû à une insertion positive de réactivité, la réaction s’arrête à cause de la dilatation due à la formation de bulles de radiolyse, puis elle repart quand les bulles s’échappent, et cela plusieurs fois.
Figure 21.2 Exemple de variation de la puissance au cours d’un accident de criticité (ou de réactivité).
L’énergie mécanique dégagée dans un accident de criticité reste modeste, mais la dose de rayonnements gamma et neutron délivrée aux opérateurs situés à proximité peut être largement supérieure à une dose létale pour l’homme.
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Figure 21.3 Organigramme simplifié d’une simulation neutronique par la méthode de Monte-Carlo.
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Le tirage des variables aléatoires pour la méthode de Monte-Carlo Concrètement, les « tirages au sort » se font en utilisant une variable pseudoaléatoire ξ uniformément répartie entre zéro (compris) et un (non compris), que l’ordinateur sait générer. En transposant à la loi de probabilité régissant les variables aléatoires considérées, on génère ces dernières chaque fois que nécessaire. Par exemple, une longitude ϕ comprise entre −π et +π s’obtient en écrivant : ϕ = π(2ξ − 1) ; le parcours optique τ après une (ré)émission par ; τ = − ln (1 − ξ ) ; le numéro k du matériau choqué dans un mélange de K composants en écrivant : k −1 k =1 t, =1 t, ≤ ξ < , K K =1 t, =1 t, (le premier terme étant remplacé par zéro si k = 1) et la réaction parmi celles qui sont possibles par une formule similaire. D’autres techniques plus complexes sont aussi utilisées. Remarques : le cheminement d’une particule est un processus « markovien », ce qui signifie que la particule « oublie son passé au fur et à mesure qu’elle vit ». Cela veut dire, par exemple, que si une particule traverse une interface entre deux milieux, on peut indifféremment poursuivre le parcours optique qu’elle avait ou refaire un tirage de parcours optique depuis le point de l’interface où elle se trouve (en pratique, on préfère programmer la deuxième option). On peut noter aussi que les histoires des particules neutres sont totalement indépendantes les unes des autres. On peut tirer partie de ces deux remarques pour « paralléliser » la programmation du code MonteCarlo.
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Les difficultés des calculs des protection Outre le choix des matériaux, la disposition géométrique est importante. Il faut notamment éviter tout couloir ou fente susceptible de laisser filer au loin des rayons gamma ou des neutrons.
Figure 21.4
Il faut impérativement éviter les fentes !
Pour fixer les idées, la protection autour d’un réacteur doit réduire le flux des particules gamma et neutrons d’un facteur de l’ordre de 10−6 à 10−9 . On comprendra qu’évaluer correctement un tel facteur pose quelques problèmes aux « protectionnistes ». En particulier, les calculs Monte-Carlo doivent être « biaisés » pour favoriser les événements d’intérêt. Par exemple, pour étudier sans biaisage une protection réduisant le flux d’un facteur 10−9 , il faudrait simuler quelque 1012 cheminements pour obtenir les quelque 1 000 événements utiles — des traversées — nécessaires pour une précision statistique minimale : cela est totalement irréaliste ! Le biaisage pose des problèmes mathématiques assez ardus.
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Les neutrons comme outils d’exploration En termes d’investissement industriel, c’est dans la physique des réacteurs que la neutronique a trouvé son application principale et c’est celle qui a essentiellement été développée dans les chapitres précédents. Elle ne doit toutefois pas faire oublier les applications dans la recherche et le contrôle de composants, où les faisceaux de neutrons constituent un outil absolument irremplaçable d’exploration de la matière. Ce chapitre donnera un aperçu des nombreuses techniques qui ont été développées.
Si vous cherchez « neutronique » sur Internet vous découvrirez en premier non pas les applications industrielles — les réacteurs nucléaires — auxquelles ont été consacrés tous les chapitres précédents, mais les applications dans la recherche. En particulier, vous serez d’abord orienté vers la Société française de neutronique dont l’objectif est de promouvoir ces applications (voir l’encadré 1). En effet, outre leur capacité à provoquer des fissions de noyaux lourds, les neutrons sont d’abord et avant tout des particules subatomiques susceptibles d’interactions avec la matière. Comme les photons ou les électrons, ces particules permettent de la sonder et de l’explorer. Les neutrons apparaissent ainsi comme un outil précieux d’investigation à côté des autres particules, chacune d’entre elles ayant ses domaines d’applications. Avant de présenter ceux des neutrons, l’auteur tient à remercier Gérard Pépy, principale source des éléments qui suivent.
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La Société française de la neutronique Cette société, fondée en 1999, s’est donné pour buts (article 2 des statuts) : • de constituer une association représentative de la communauté française des neutroniciens et utilisateurs de neutrons, indépendante des organismes de tutelle, pour être l’interlocuteur de ces organismes dans la discussion des choix statégiques ; • de représenter la communauté française vis-à-vis de ses partenaires internationaux et comme interlocuteur de la Communauté européenne ; • de contribuer à structurer la communauté française en diffusant des informations, pour optimiser les choix et stimuler l’utilisation de la neutronique ; • de constituer un support pour la mise en œuvre d’actions de formation (écoles spécialisées, actions de formation permanente) ; • d’organiser la partie scientifique des Journées de la neutronique, et de collaborer avec le Comité français de la neutronique et les responsables des centres de neutrons pour mettre en œuvre la partie de ces Journées consacrée à l’information et à la discussion sur le fonctionnement de ces centres ; • d’assurer les contacts nécessaires avec la communauté d’utilisateurs du rayonnement synchrotron.
Comme toutes les particules, les neutrons sont aussi des ondes. Si l’on utilise la formule de de Broglie, h λ= , mv où h est la constante de Planck et mv l’impulsion de la particule, produit de sa masse m par sa vitesse v, on constate que la longueur d’onde d’un neutron rapide est typiquement à l’échelle des noyaux (par exemple, 2,9.10−14 m pour des neutrons de 1 MeV), alors que la longueur d’onde d’un neutron thermique est à l’échelle des atomes et molécules (par exemple, 1,8.10−10 m pour des neutrons de 0,0253 eV). C’est dire que ces derniers peuvent être, au même titre que les photons ou les électrons d’énergie bien choisie, des outils d’exploration des structures cristallines ou moléculaires de la matière. Cette sonde de la matière que peut être le neutron présente trois avantages : • un grand pouvoir de pénétration : les neutrons peuvent explorer en profondeur une pièce industrielle alors que les rayons X n’explorent que quelques micromètres ; • la capacité de distinguer les isotopes, par exemple le deutérium de l’hydrogène, ce dernier, paradoxalement, étant caractérisé par une section efficace de diffusion pour les neutrons lents 10 à 100 fois plus grande que celle de la plupart des autres
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22. Les neutrons comme outils d’exploration
noyaux (en subsituant H par D sur une partie d’une molécule, on peut visualiser cette partie par différence entre deux images) ; • à la fois une longueur d’onde comparable aux distances interatomiques, d’où la possibilité d’explorer la géométrie des molécules ou cristaux, et une énergie comparable à celle de leurs modes de vibration (phonons), d’où la possibilité d’explorer leur dynamique. Pour avoir des faisceaux suffisamment intenses, on utilise en pratique des neutrons issus d’un réacteur. Cela, évidemment, entraîne une certaine lourdeur et un certain coût pour les explorations par neutrons. En France, deux réacteurs ont cette fonction de « source de neutrons », le réacteur Orphée (14 MW) à Saclay, associé au Laboratoire Léon Brillouin, et le réacteur à haut flux (57 MW) de Grenoble, associé à l’Institut Laue-Langevin. À l’avenir, on utilisera sans doute aussi des sources de spallation, éventuellement pulsées, avec un modérateur pour thermaliser les neutrons. Des canaux permettent d’extraire des faisceaux de neutrons vers les halls expérimentaux ; ils sont généralement tangentiels par rapport au cœur pour y minimiser le flux de neutrons rapides. Les neutrons lents peuvent être guidés sur plusieurs dizaines de mètres par réflexions totales sur les parois en nickel des guides. Les neutrons extraits du cœur ou du réflecteur se répartissent en gros selon le spectre de Maxwell du modérateur, associé donc à une température de l’ordre de 300 K : leur énergie est de l’ordre de 0,025 eV. Pour obtenir des neutrons moins énergétiques — dits « neutrons froids » —, on place autour du cœur une « source froide » constituée d’un bidon d’hydrogène liquide (température de 20 K) donnant des neutrons de quelques meV. Inversement, on peut avoir des neutrons plus énergétiques (environ 0,1 eV) avec une « source chaude » de graphite porté à quelque 1 400 K par absorption des rayonnements gamma ambiants. Comme nous l’avons vu (cf. chapitre 3), les interactions entre les neutrons et la matière sont variées. Le tableau suivant résume les différentes possibilités. Dans la physique des réacteurs, il faut prendre en compte toutes ces réactions. Par conséquent, il faut connaître, donc mesurer, toutes les sections efficaces associées. Ces « mesures différentielles » (cf. chapitre 15) nécessitent des sources de neutrons aux énergies utiles : ce peut être des neutrons issus de réacteurs mais plus généralement on utilise des sources fondées sur d’autres techniques. Pour l’exploration de la matière, en revanche, ce sont essentiellement des neutrons lents issus de réacteurs dédiés qui sont utilisés. Comme les neutrons des réacteurs, les neutrons des faisceaux sortis peuvent être absorbés ou diffusés. Les mécanismes de diffusion sont particulièrement complexes, en particulier pour les neutrons lents. Dans les réacteurs, ils gouvernent la thermalisation et donc le spectre des neutrons thermiques. Pour les neutrons utilisés dans la recherche, ils vont orienter les techniques d’exploration. Le physicien des réacteurs ne s’investit en général qu’assez peu dans ces problèmes de thermalisation ; faisant confiance aux spécialistes, il se contente d’entrer dans ses codes les lois de transfert en énergie par diffusion qu’ils lui fournissent. Les physiciens
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Principales réactions subies par les neutrons dans les réacteurs [Source : Précis de neutronique, page 72]. Interaction sans formation d’un noyau composé Diffusion potentielle (élastique)
n + A ⇒ n + A
Toujours possible
Interactions passant par la formation d’un noyau composé n + A ⇒ n + A
Toujours possible
Diffusion résonnante inélastique
n + A ⇒ n + A∗ A∗ ⇒ A + γ
Seuil : premier niveau de A
Réaction (n, 2n)
n + A ⇒ n + n + (A-1)
Seuil : énergie de séparation d’un neutron de A
Capture radiative
n + A ⇒ γ + (A+1)
Réaction (neutron, particule chargée)
n + A ⇒ p + B n + A ⇒ α + C etc.
Diffusion résonnante élastique
Fission
n + A ⇒ PF + PF + quelques neutrons (En moyenne, ν, entre 2 et 3)
Toujours possible Le plus souvent avec seuil ; parfois sans seuil Noyaux lourds : sans seuil si N impair, avec seuil si N pair ; effet « tunnel ».
qui travaillent avec les faisceaux de neutrons sortis des réacteurs doivent, en revanche, avoir au moins de bonnes notions sur ces mécanismes (voir les encadrés 2 et 3). De nombreuses techniques d’exploration fondées sur l’utilisation de neutrons lents ont été mises au point. Les principes des plus utilisées d’entre elles sont donnés cidessous. D’une façon générale, noter que toutes les analyses par neutrons sont des analyses non destructives. • L’analyse par activation. Cette technique fut l’une des premières applications des neutrons. Le principe consiste à irradier le matériau à étudier puis à détecter par spectrométrie les photons gamma émis par les radionucléides créés par l’irradiation neutronique (le plus souvent, le ou les rayonnements gamma accompagnant la désintégration bêta du nucléide créé par capture neutronique). En effet, la position des pics gamma est spécifique de chaque radionucléide : la détection d’un tel pic est la signature du radionucléide concerné et la mesure de son aire donne la quantité du radionucléide, donc celle de l’isotope qui a capturé le neutron. Cette méthode permet en une seule irradiation de doser plus d’une trentaine d’éléments, même très peu abondants, et ne nécessite qu’une petite quantité de matériau (un échantillon d’une cinquantaine de milligrammes suffit en pratique). L’analyse par activation est mise en œuvre selon deux variantes : l’AAGP (analyse par activation de gammas prompts) où la détection des rayonnements gamma est faite in situ pendant l’irradiation et l’AAGR (analyse par activation de gammas retardés) où l’échantillon est transporté en laboratoire après l’irradiation pour y être mesuré.
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22. Les neutrons comme outils d’exploration
• La neutronoscopie et la neutronographie (ou radiographie par neutrons). L’imagerie par neutrons est similaire à la radiographie par rayons X. L’intérêt des neutrons réside, d’une part, dans leur pénétration plus importante et donc la possibilité de visualiser en profondeur une pièce de grandes dimensions (par exemple, pour un contrôle de fabrication), d’autre part, dans le fait que ce ne sont pas du tout les mêmes éléments qui sont détectés : alors que les rayons X interagissent avec les électrons, donc sont davantage arrêtés par les atomes lourds, les neutrons détectent avant tout l’hydrogène qui a une très grande section efficace de diffusion. • Le dopage du silicium. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une exploration de la matière mais de l’implantation d’impuretés de phospore dans le silicium pour constituer des semiconducteurs pour l’électronique de puissance. Lors d’une irradiation en réacteur d’un bloc de silicium, des neutrons sont absorbés par l’isotope 30 présent à raison de 3 % dans le silicium naturel. Le silicium 31 ainsi formé décroît ensuite rapidement (période de 2,6 heures) en donnant du phosphore 31 (stable). L’intérêt de cette technique est de réaliser une implantation de phosphore extrêmement homogène... et d’apporter des ressources budgétaires aux équipes des réacteurs d’irradiation. • L’interrogation neutronique active. Le principe consiste à irradier de l’extérieur par des neutrons (ou des rayons gamma) un fût pour contrôler, sans l’ouvrir, son contenu, par exemple la présence de matières fissiles. Pour cela, on détecte, toujours de l’extérieur, les particules émises par les réactions qui auront été induites. Pour les neutrons, on peut viser différentes réactions : diffusions inélastiques, captures radiatives, fissions, réactions (n, 2n), (n, p), (n, α)... Après calibration, la méthode peut fournir des informations non seulement qualitatives mais même quantitatives. • Les monochromateurs. En récupérant les neutrons diffusés par un cristal (cuivre, germanium, graphite...) selon une direction bien choisie, on sélectionne ceux qui ont une énergie (longueur d’onde) satisfaisant à la condition de Bragg (cf. encadré 2). On peut aussi sélectionner les neutrons d’une vitesse donnée par un dispositif mécanique (deux fentes tournantes décalées d’un certain angle) appelé « chopper ». • La spectrométrie. C’est un terme générique : on appelle « spectromètres » les appareils de détection des neutrons ressortant de l’échantillon étudié après une interaction avec la matière. La détection du neutron se fait généralement grâce à la particule chargée émise lors de l’absorption du neutron par une réaction telle que 10 B(n,α)7 Li ou 3 He(n,p)3 H (l’hélium 3 peut même être utilisé sous forme gazeuse compte tenu de sa grande section efficace : 5 000 barns pour les neutrons de 2 200 m/s). On place souvent un ensemble de détecteurs pour analyser la répartition angulaire (et énergétique) des neutrons après l’interaction étudiée (voir la figure 22.3).
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
2
La diffusion des neutrons lents dans la matière 1/ Diffusion cohérente et diffusion incohérente La diffusion cohérente résulte d’interférences entre les ondes diffusées par différents atomes. Elle apporte des informations sur la géométrie des molécules ou cristaux étudiés. En particulier — c’est l’exemple le plus simple —, les neutrons traversant un cristal sont préférentiellement diffusés dans les directions satisfaisant la condition de Bragg : n λ = 2d sin θ , explicitant une superposition en phase des ondelettes sphériques produites par chaque diffuseur (n : entier ; λ : longueur d’onde des neutrons ; d : distance interatomique ; 2θ : angle de déviation des neutrons).
Figure 22.1
Diffraction des neutrons : la condition de Bragg.
Dans la diffusion incohérente, il n’y a pas d’interférence entre les ondes émises par différents atomes du fait de l’absence de régularité dans la cible. Mais il y a, en revanche, interférence entre les ondes émises à différents instants par le même atome, ce qui renseigne sur les mouvements atomiques individuels des atomes dans les molécules, par exemple les protéines.
Voici quelques exemples de techniques employant des spectromètres. • La diffusion aux petits angles. La diffusion se fait surtout à petits angles si l’échantillon contient au moins deux espèces nucléaires dans des structures de grande dimension. Cette technique mettant en jeu des processus à faible transfert de moment cinétique permet d’explorer les macromolécules : polymères, colloïdes, protéines...
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22. Les neutrons comme outils d’exploration
3
La diffusion des neutrons lents dans la matière 2/ Diffusion élastique et diffusion inélastique La diffusion est élastique s’il n’y a pas d’échange entre l’énergie cinétique du neutron et l’énergie interne de la cible. Elle est inélastique dans le cas inverse. Pour les neutrons rapides, une partie de l’énergie cinétique du neutron incident peut être prélevée pour exciter un noyau (celui-ci, en pratique, est initialement dans son état fondamental ; il y revient ensuite rapidement en se désexcitant par émission(s) gamma). Dans une telle diffusion inélastique, le neutron est toujours fortement ralenti (il perd au moins quelques dizaines de keV par diffusion inélastique sur un noyau lourd et quelques MeV sur un noyau léger). Pour les neutrons lents, il peut y avoir échange d’énergie du neutron avec l’énergie interne d’une molécule ou d’un cristal. Ces objets, en effet, s’ils sont à une température non nulle, ont des états de vibration internes appelés « phonons ». Lors d’une telle diffusion inélastique, le neutron peut céder de l’énergie, mais aussi en acquérir. La diffusion inélastique des neutrons lents renseigne sur ces modes de vibration. (La figure 22.2 montre, à titre d’exemple, trois modes de vibration d’une molécule d’eau ou d’eau lourde.)
Figure 22.2 Une visualisation des phonons dans une molécule d’eau [Source : Précis de neutronique, page 217].
• La diffusion inélastique. Elle donne une information sur les modes internes d’énergie. Comme le neutron subissant une diffusion inélastique gagne ou perd de l’énergie, il faut mesurer sa longueur d’onde après l’interaction avec l’échantillon grâce à un second échantillon et une réflexion de Bragg.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Figure 22.3 Schéma de principe d’une spectrométrie par neutrons (Ici, avec des neutrons polarisés).
• La diffractométrie. On parle de diffraction quand la diffusion a lieu sur une matière cristalline ; cette analyse apporte des informations sur la structure du cristal irradié par le faisceau de neutrons. • La réflectométrie. Pour des neutrons atteignant une surface sous une incidence rasante, il peut y avoir réflexion totale (comme pour un rayon lumineux émis sous l’eau vers la surface avec une incidence rasante). La réflectométrie permet d’étudier la structure de l’interface. • L’utilisation de neutrons polarisés. Il est possible de polariser les neutrons par différentes méthodes : 1/ pic de Bragg sur un cristal dont les moments magnétiques de tous les atomes sont parallèles ; 2/ réflexion totale sur un « miroir magnétique » ; 3/ filtrage par hélium 3 polarisé (la section efficace de capture du neutron est mille fois plus importante si le spin du neutron est opposé à celui du noyau d’hélium 3 que s’il est parallèle). Comme les neutrons ont un moment magnétique, on peut utiliser les neutrons polarisés pour étudier les propriétés magnétiques d’un matériau. • La thérapie du cancer. Une irradiation neutronique fait partie de nombreuses techniques de radiothérapie du cancer. Cette méthode suppose évidemment un transport du patient près du réacteur utilisé. Le principe consiste à marquer les cellules cancéreuses avec du bore 10. La principale réaction induite par l’irradiation par neutrons sera alors la réaction (n, α) sur ce bore : les 2,4 MeV emportés par la particule alpha et le lithium 7 issus de la réaction seront pratiquement déposés sur place dans la cellule concernée. Cependant on ne peut pas éviter les captures radiatives de neutrons sur l’hydrogène et l’azote, libérant des rayonnements gamma dans les zones saines. Pour conclure ce chapitre, voici quelques éléments sur la détection des neutrons. • Les neutrons rapides peuvent être détectés grâce aux diffusions sur l’hydrogène, car les « protons de recul », chargés, sont facilement mis en évidence (Chadwick utilisa cette méthode lorsqu’il découvrit le neutron en 1932). • Selon les réactions choisies, les neutrons rapides ou lents peuvent être repérés par les électrons ou les photons gamma émis à la suite de réactions d’activation.
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22. Les neutrons comme outils d’exploration
• La méthode de détection la plus utilisée est l’absorption selon une réaction donnant une particule chargée et la détection de cette particule ; outre les réactions 10 B(n,α)7 Li et 3 He(n,p)3 H déjà citées, on utilise souvent aussi la réaction 6 Li(n,α)3 H et la fission (donnant deux fragments fortement chargés). • Pour la protection radiologique autour des installations, on utilise aussi le bore et le lithium pour absorber les neutrons, ainsi que les captures radiatives (n, γ ) par le gadolinium, caractérisé par une section efficace particulièrement élevée pour les isotopes 155 et 157.
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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
La neutronique des armes nucléaires La neutronique des armes est, pour des raisons évidentes, peu divulguée. Ce chapitre se limitera donc à quelques généralités sur ses spécificités : une équation de Boltzmann évolutive, un fort facteur de multiplication, une cinétique très rapide, un démarrage aléatoire de la réaction en chaîne nécessitant un réglage précis de l’instant d’injection des neutrons. Variantes pour l’obtention d’une situation surcritique.
L’énergie nucléaire a trouvé deux applications militaires : les armes à fission et à fusion ; la propulsion navale (sous-marins, porte-avions, brise-glaces). Cette dernière, met en œuvre des réacteurs à eau ou à neutrons rapides guère différents dans leurs principes des réacteurs électronucléaires ; les problèmes de neutronique y sont semblables. La neutronique des armes, en revanche, est très différente de celle des réacteurs. Rappelons d’abord qu’il faut distinguer deux types d’armes nucléaires : les bombes « A » (A comme atomique) qui sont fondées sur la fission d’uranium 235 ou de plutonium 239 et les bombes « H » (H comme hydrogène) qui sont fondées sur la fusion du deutérium et du tritium et qui peuvent aussi contenir du lithium pour la régénération du tritium. Les réactions de fusion thermonucléaires nécessitant une température extrêmement élevée, leur déclenchement est réalisé grâce à une bombe « A » qui, en quelque sorte, sert d’allumette. Ce chapitre n’évoquera que la neutronique des armes « A ».
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
La première application de l’énergie nucléaire — et donc de la neutronique — fut la réalisation d’armes nucléaires dans le cadre du projet Manhattan. La neutronique restera marquée par ce « péché originel ». Si le principe de la réaction en chaîne est le même pour la bombe et pour le réacteur, les conditions de sa réalisation sont fort différentes : une situation brutalement et largement surcritique dans le premier cas, une approche au contraire prudente de la criticité et de faibles variations autour de cet état dans le cas des réacteurs. La conséquence de cette différence est qu’il y a eu historiquement peu de dialogues entre les neutroniciens respectifs de ces deux applications. Cela reste encore largement vrai aujourd’hui, hormis quelques échanges au niveau des bibliothèques nucléaires — on peut citer notamment, à la Direction des applications militaires (DAM) du CEA, Jean-Paul Delaroche —, et des principes généraux des codes de calcul, en particulier Monte-Carlo, avec notamment, également à la DAM, Daniel Verwaerde. De plus, pour des raisons évidentes, les détails de la neutronique des armes ne sont pas divulgués. Nous nous limiterons donc à quelques aspects très généraux de cette branche de la neutronique. L’aspect bien sûr le plus original de la réaction en chaîne dans une bombe est l’explosion. Même à l’échelle du temps de vie des neutrons, et surtout en fin de réaction, on ne peut pas, comme on l’admet pour les réacteurs, considérer que les sections efficaces macroscopiques sont indépendantes du temps. Qui dit explosion, dit dispersion de la matière et donc variation des concentrations volumiques des matériaux. La cinétique d’une arme est donc plus complexe que celle d’un réacteur. Dans un réacteur, les neutrons retardés jouent un rôle essentiel pour la maîtrise de la réaction en chaîne. Dans une arme qui explose, ils ne jouent plus aucun rôle, puisque la réactivité introduite est très largement supérieure à la proportion des neutrons retardés. De plus, le temps de vie est extrêmement court pour une arme, puisque les neutrons sont directement utilisés sans être ralentis. En admettant que leur vitesse est de l’ordre de 20 000 km/s (ce qui correspond à l’énergie moyenne de 2 MeV des neutrons émis par fission), et en supposant que leur parcours développé est de l’ordre de quelques décimètres tout au plus, on voit que le temps de vie est de l’ordre d’une dizaine de milliardièmes de seconde. (Rappelons que dans les réacteurs, le temps de vie des neutrons prompts va de 10−7 à 10−3 seconde selon les filières.) La masse de matière fissile dans une bombe « A » est de l’ordre d’une dizaine de kilogrammes. Si la moitié de cette matière subit la fission, cela correspond à environ 1025 fissions. Le dégagement d’énergie associé est équivalent à 75 kilotonnes de TNT (cinq fois Hiroshima). Supposons, à titre d’exemple, que le facteur de multiplication k soit de l’ordre de 1,3. Ces 1025 fissions sont obtenues après environ 200 générations de neutrons (voir l’encadré 1). Il faut à peu près 2 microsecondes pour les accumuler ! Le raisonnement « en moyenne » fait dans l’encadré 1 est un peu approximatif car le démarrage d’une réaction en chaîne a un aspect aléatoire. Si l’on injecte un neutron
200
23. La neutronique des armes nucléaires
1
Évaluation du nombre de générations de neutrons Raisonnons en moyenne. Au départ 1 neutron est injecté dans le système. Ce neutron aura k descendants. Ces derniers auront k 2 descendants. Et ainsi de suite. Après N générations, 1 + k + k2 + k3 + ··· + kN =
k N +1 − 1 k −1
neutrons auront été émis dans le système. Chaque neutron a la probabilité ω de provoquer une fission. Chaque fission donne ν neutrons, et donc k = ων. Le nombre de fissions sera : ω
k N +1 − 1 k k N +1 − 1 k N +2 = . k −1 ν k −1 ν(k − 1)
La courbe suivante (figure 23.1) donne la valeur de N calculée par cette formule pour 1025 fissions et ν = 2,5.
25 Figure 23.1 Nombre de générations de neutrons nécessaires pour produire 10 fissions selon la valeur du facteur de multiplication k.
dans un système multiplicatif, celui-ci peut très bien ne conduire finalement qu’à des captures stériles (ou des fissions sans émission de neutron) et, par conséquent, le démarrage d’une réaction en chaîne de fission illimitée n’a qu’une probabilité finie de se produire. Cela a été analysé dans un modèle ponctuel proposé par G. Hansen ;
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
son raisonnement est reproduit dans l’encadré 2. Un travail beaucoup plus détaillé sur ce problème a été fait par Richard Sanchez et Boukmès Méchitoua.
2
Probabilité d’amorçage d’une réaction en chaîne La figure 23.2 montre un exemple « d’arbre généalogique » pour un neutron qui finalement n’a pas amorcé une réaction en chaîne illimitée. De tels « arbres » peuvent s’observer (mais avec des probabilités différentes) aussi bien dans un système sous-critique que dans un système surcritique.
Figure 23.2
Exemple « d’arbre généalogique » de neutron.
Désignons par α la probabilité qu’un neutron amorce une chaîne infinie et par ε, le complément à 1, la probabilité d’extinction de la chaîne. Raisonnons sur cette dernière : la chaîne s’arrête soit si le neutron est capturé sans fission (probabilité 1 − ω), soit s’il induit une fission (probabilité ω) mais sans qu’aucun des neutrons émis par cette fission n’amorce une chaîne infinie ; cela s’exprime en termes de probabilités par : ε =1−ω+ω pn εn . Le nombre n de neutrons émis lors d’une fission peut aller de zéro à sept ; nous avons noté pn la probabilité que la fission donne n neutrons. En désignant par F (ε) la fonction figurant au second membre, on peut résoudre graphiquement l’équation de Hansen en portant F (ε) en fonction de ε et en repérant où la courbe représentative coupe la bissectrice principale. Si l’on remarque que :
F (0) = 1 − ω + ωp0 < 1 ; F (1) = 1 ; F (1) = k , on voit qu’il y a toujours deux intersections (figure 23.3) : la plus petite solution de l’équation est la seule à avoir un sens physique ; elle est toujours
202
23. La neutronique des armes nucléaires
égale à 1 si k < 1 : dans un système sous-critique, il ne peut pas y avoir d’amorçage d’une chaîne infinie, donc α = 0 et ε = 1) ; elle est comprise entre 0 et 1 si k > 1 : une chaîne infinie peut être amorcée, mais avec une probabilité finie seulement. Par développement limité autour de ε = 1, on voit que la probabilité d’amorçage dans un système très légèrement surcritique est donnée par l’expression : α
ω
2(k − 1) 0,8 (k − 1). n (n − 1)pn
Figure 23.3 Évaluation de la probabilité d’amorçage d’une réaction en chaîne pour deux exemples du facteur de multiplication, k = 0,7 et k = 1,3 : en abscisse, probabilité ε d’extinction complément à 1 de la probabilité d’amorçage α ; en ordonnée, les deux termes de l’équation de Hansen.
Même pour une configuration largement surcritique, la probabilité d’amorçage d’une réaction en chaîne par un neutron reste relativement faible. C’est pour cette raison que pour démarrer cette réaction (que ce soit dans un réacteur ou dans une bombe), on n’injecte jamais un seul neutron, mais un nombre suffisant pour que l’amorçage soit pratiquement assuré. Dans une bombe, on part d’une situation évidemment sous-critique, avec une matière fissile plus ou moins dispersée. Quand on veut faire exploser la bombe, deux opérations sont à synchroniser très exactement :
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
• la première est un rassemblement rapide de la matière fissile grâce à un explosif chimique : on réalise ainsi une configuration (largement) surcritique (voir l’encadré 3). • Au moment précis où la configuration optimale est réalisée, il faut injecter des neutrons provenant d’une source externe pour déclencher la réaction. Certains noyaux lourds subissent parfois, avec une très faible constante radioactive, des fissions spontanées. C’est notamment le cas du plutonium 240. Comme les fissions induites, les fissions spontanées émettent des neutrons. Il ne faut pas que de
3
Comment réaliser une configuration surcritique La première méthode consiste à réunir deux masses sous-critiques en les projetant l’une contre l’autre par un explosif chimique comme dans un canon (fig. 23.4 ; l’explosif chimique est placé dans les chambres placées aux deux extrémités du canon, ou d’un seul côté seulement). Cette méthode fut mise en œuvre pour la bombe « Little Boy » de Hiroshima.
Figure 23.4
Principe de l’obtention par canon d’une configuration surcritique.
Pour fixer les ordres de grandeur des dimensions, on peut dire que la masse d’uranium est d’une vingtaine de kilogrammes et son volume d’environ un litre (la densité de l’uranium est de 18,7). La deuxième méthode consiste non seulement à rassembler la matière, mais surtout à la comprimer. En pratique, on adopte une configuration à symétrie sphérique en plaçant tout autour le puissant explosif chimique qui provoquera la compression (fig. 23.5). Cette méthode fut mise en œuvre pour la bombe « Fat Man » de Nagasaki (environ 10 kilogrammes de plutonium, soit un demi-litre avant la compression).
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23. La neutronique des armes nucléaires
Figure 23.5
Principe de l’obtention par compression d’une configuration surcritique.
Remarque : les valeurs du facteur de multiplication k ont été calculées par le modèle « pile homogène, non réfléchie, traitée par la théorie un groupe diffusion » (voir le chapitre 6). Ce modèle est évidemment beaucoup trop élémentaire.
tels neutrons déclenchent la réaction en chaîne prématurément, avant l’obtention de la configuration optimale. C’est la raison pour laquelle les bombes à plutonium doivent utiliser un combustible très peu chargé en isotope 240, donc essentiellement formé de plutonium 239. En pratique, ce plutonium « de qualité militaire » est obtenu par une irradiation d’uranium dans un réacteur suffisamment courte pour que la proportion d’isotope 240 soit acceptable, disons moins de 7 %. Bien sûr, cette limitation du temps d’irradiation de l’uranium se fait au détriment de la quantité totale de plutonium créée. En conclusion, on retiendra que la neutronique des armes n’est pas fondamentalement différente dans ses aspects généraux — physique du neutron, équation de Boltzmann — de celle des réacteurs. Cela a permis à certains scientifiques de passer de l’une des applications à l’autre. Cependant, outre le secret entourant la mise au point des armes, les conditions de la réaction en chaîne sont très différentes et il y a peu d’échanges au niveau des outils de calcul. D’ailleurs, les observateurs ont depuis longtemps fait remarquer que les pays qui se sont dotés de l’arme nucléaire l’ont toujours fait à la suite d’une décision politique et avec des moyens totalement indépendants de tout développement du nucléaire civil.
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Les perspectives de la neutronique La neutronique adoptera-t-elle le système international d’unité et corrigera-t-elle son jargon ? Il sera difficile de revenir sur ces habitudes. Verra-t-on disparaître le calcul déterministe ? L’auteur ne le pense pas... et ne le souhaite pas. Mais il est clair que le calcul « HPC » prendra de plus en plus d’importance en neutronique... Il faut toutefois rester conscient du danger que cela présente et ne jamais perdre de vue la physique.
La neutronique est une science plus difficile que l’optique ou l’électronique en ce sens qu’il est difficile de guider les neutrons. Grâce aux réfractions et réflexions régies par les lois de Descartes, on peut tracer la trajectoire de la lumière ; grâce aux champs électromagnétiques et aux conducteurs, on sait canaliser les électrons ; pour les neutrons, particules sans charge, on ne peut maîtriser le flux dans le cœur d’un réacteur que par l’optimisation de la disposition « d’obstacles » les absorbant ou les diffusant et de matières fissiles créant des sources. Il est peu vraisemblable que des découvertes extraordinaires restent à faire en neutronique. Mais cela ne veut pas dire, loin de là, qu’il n’y aura plus de développements. D’une part, l’équilibre entre une nécessaire modélisation et un traitement purement numérique continuera d’évoluer. D’autre part, on peut faire confiance aux ingénieurs pour créer de nouveaux concepts de réacteurs qui nécessiteront qu’on invente les schémas de calcul pour les traiter.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Cela est heureux car on aura besoin de neutroniciens aussi longtemps qu’on s’intéressera au nucléaire. Et pour que la neutronique reste vivante, il faut qu’elle continue à progresser. L’enseignement de la neutronique était resté, depuis l’origine, très confidentiel, puisqu’essentiellement assuré par des ingénieurs du secteur nucléaire au sein de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) dépendant du CEA, mais sous la tutelle également du ministère de l’Éducation nationale. De très nombreux chercheurs, déjà cités dans ce livre à ce titre, ont animé les enseignements de neutronique : Jules Horowitz, Austin Blaquière, Yves Chelet, Alexis Bouchicot, Michel Ramard, Joseph Safieh, Jean Bussac, Michel Cadilhac, Michel Livolant, Henry Tellier, Marcel Chabrillac, l’auteur de ces lignes, Richard Sanchez, Alain Santamarina, Jacques Mondot, Michel Soldevila, Anne Nicolas, Serge Marguet... Cette mission d’enseignement de l’INSTN — qui dépasse largement la neutronique — a connu quelques périodes difficiles mais finalement n’a fait que s’amplifier au fil des années, en faisant appel à de nombreux intervenants plus jeunes. En outre, depuis quelques années, on a pu observer la création de nombreux enseignements de neutronique dans les universités et les écoles d’ingénieurs, par exemple à l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) avec Mireille Coste-Delclaux, Isabelle Brésard, Cheikh Diop et Sylvain David, ou encore à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Bourges (ENSIB) avec Serge Marguet. La neutronique a aussi été enseignée dans le cadre d’écoles d’été telle l’École internationale Frédéric Joliot et Otto Hahn qui attire de prestigieux orateurs et de brillants jeunes chercheurs. En France, en 2010, a été créé l’Institut international de l’énergie nucléaire (I2EN) dont le siège est à Saclay (Essonne). Sa mission est de coordonner les enseignements du nucléaire et d’orienter les candidats, notamment étrangers, à une formation. Il a pour partenaires, d’une part de nombreuses universités et grandes écoles, d’autre part l’ensemble des grands acteurs français du nucléaire dans la recherche et l’industrie. On remarquera aussi l’effort fait par la France pour la formation au nucléaire d’étudiants étrangers. Pour fixer les ordres de grandeurs, voici (tableau à la page suivante) une statistique publiée par cet institut pour l’année académique 2010-2011. Cette ouverture est évidemment une chance pour la neutronique. D’une part elle sera mieux connue, d’autre part elle devrait y gagner en rigueur. Il faut rappeler, en effet, que l’enfance de la neutronique se situe pendant la deuxième guerre mondiale, à une époque où l’on avait bien d’autres soucis que la rigueur scientifique. Des termes plutôt inadéquats ont été conservés par l’usage (voir l’encadré 1) et les ingénieurs, dans leurs publications comme dans leurs codes de calcul, utilisent toujours le système d’unités CGS (quand ce ne sont pas des unités n’appartenant à aucun système ; voir l’encadré 2) au lieu du système international (SI). Espérons que les contacts plus étroits avec les milieux universitaires encourageront les neutroniciens à abandonner ces mauvaises habitudes !
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24. Les perspectives de la neutronique
Nombre d’étudiants en formation en France dans le domaine nucléaire au niveau master-ingénieur pendant l’année universitaire 2010-2011 [Source : I2EN, 2011]. Type de formation
Nombre d’étudiants
Nombre d’étudiants étrangers
Énergie nucléaire (formation approfondie)
391
91
Autre thématique nucléaire
277
60
Familiarisation avec l’énergie nucléaire
346
32
1 014
183
Totaux
1
Quelques termes inadéquats utilisés en neutronique Les termes inadéquats sont placés ci-dessous « entre guillements ». Les termes recommandés, quand ils existent, sont reportés en italiques. • Le plus évident de ces termes inadéquats est celui de « flux » pour désigner le produit nv de la densité n par la vitesse v . Il s’agit donc du parcours cumulé d’un ensemble de particules dans une unité de volume et pendant l’unité de temps. On peut l’exprimer en neutrons par mètre cube multipliés par des mètres par seconde, donc en n.m−3 × m.s−1 , soit en n.m−2 .s−1 . Il se trouve que c’est par cette unité qu’on exprimerait un vrai flux de neutrons, c’est-à-dire le nombre de neutrons traversant une surface par unité d’aire et par unité de temps, d’où l’adoption de ce terme de « flux ». À la connaissance de l’auteur, aucun terme plus judicieux n’a été proposé pour désigner le « flux » neutronique, hormis « débit de fluence » qui paraît lourd et obsolète, et n’est guère plus heureux car une fluence réfère aussi à une traversée de surface (mais intégrée sur le temps). • La même inadéquation apparaît ainsi sur le terme « fluence » qui, en neutronique, est l’intégrale sur le temps d’un « flux ». • Les notions de (vrai) flux (nombre de particules traversant une surface par unité d’aire et unité de temps) sont utiles en neutronique : le terme de « flux » étant utilisé dans une autre acception, on a appelé cela courant, ce qui est aussi un terme physiquement acceptable. • La « densité de ralentissement » est le nombre de neutrons passant par unité de temps et par unité de volume d’une énergie supérieure à une énergie donnée E à une énergie inférieure à E. Si c’est bien une densité par rapport à l’espace, ce n’en est pas une par rapport à la variable pertinente de ce concept, c’est-à-dire l’énergie (ou la léthargie). C’est la raison pour laquelle les bons auteurs utilisent le terme de courant de ralentissement.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
• En anglais, le même mot « control » est utilisé pour contrôle et pour commande. C’est sans doute pour cette raison que certains parlent de « barres de contrôle » pour désigner les barres de commande. • Est-ce aussi la pratique de l’anglais ou est-ce la paresse qui amène à utiliser le terme de « burnup » pour parler de la combustion massique (également appelée épuisement spécifique ) ? Il vaut mieux éviter aussi « taux de combustion » souvent utilisé, puisqu’il ne s’agit pas d’un taux. En revanche, on peut parler de taux de combustion en fission (TCF) s’il s’agit du pourcentage des noyaux lourds qui ont subi la fission. • Dernier exemple : combien de neutroniciens parlent « d’isotope » à la place de noyau ou de nucléide ? Noter que « nuclide », l’équivalent anglais, n’est pas français. • Enfin une question controversée : de l’avis de l’auteur, il faut désigner l’électron positif par le terme de positon, dérivant directement de positif, et non pas « positron » dont le « r » emprunté à électron n’a pas de raison d’être.
Nous avons beaucoup parlé, dans ce livre, des méthodes de calcul de la neutronique. Voici quelques réflexions sur les évolutions prévisibles sur cet aspect. L’arrivée de nouveaux systèmes de codes, en grande partie réécrits, témoigne que les avancées que nous avons observées tout au long de cette histoire de la neutronique se poursuivent : au CEA, APOLLO-3 reprend l’ensemble APOLLO-2, CRONOS-2 et ÉRANOS ; GALILÉE les codes de traitement des données nucléaires ; à EDF, CASSIOPÉE rassemble APOLLO-2, COCCINELLE et bientôt COCAGNE permettant des calculs de cœur en transport, ainsi que GAB, le générateur automatique de bibliothèques ; chez Areva, ARCADIA avec également APOLLO-2 pour les calculs d’assemblage et ARTÉMIS pour les calculs de cœur. La neutronique expérimentale évolue aussi : les nouvelles possibilités offertes par les codes permettent des interprétations beaucoup plus fines des expériences ; la recherche de tendances est devenue une procédure mathématique rigoureuse avec la « ré-estimation des données nucléaires » ; de vastes bases de données pour la validation et la qualification ont été élaborées. Ces évolutions s’inscrivent dans le développement de plus en plus spectaculaire de ce que l’on appelle généralement le High Performance Computing (HPC, calcul numérique haute performance). Il s’agit d’une course vers des machines de plus en plus puissantes auxquelles la neutronique, parmi bien d’autres applications, peut faire appel. C’est le cas pour les calculs concernant les applications pacifiques de l’énergie nucléaire et plus encore pour les simulations d’explosions nucléaires depuis le Traité d’interdiction des essais d’armes nucléaires. Au CEA, la Direction des applications militaires est pilote en la matière avec le projet Simulation numérique et informatique animé par Jean Gonnord, un ancien « protectionniste ». Il s’agit aussi des progrès fulgurants observés sur les machines plus modestes, voire de simples ordinateurs de bureau, suffisantes pour de très nombreuses applications en physique des réacteurs.
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24. Les perspectives de la neutronique
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Les unités usuelles de la neutronique La neutronique qui a été créée juste avant et pendant la guerre a naturellement utilisé le système CGS qui était le plus courant à l’époque. L’habitude ayant été prise, ce système perdure dans les publications des neutroniciens en dépit des encouragements du Bureau international des poids et mesures pour le système international d’unités (SI). C’est ainsi que : • les masses spécifiques sont exprimées en g.cm−3 au lieu de kg.m−3 ; • les concentrations en atomes par cm3 et non par m3 ; • les sections efficaces macroscopiques en cm−1 et non en m−1 ; • les longueurs et aires de migration en cm et cm2 et non en m et m2 ; • et les « flux » en n.cm−2 .s−1 et non en n.m−2 .s−1 . • Compte tenu des ordres de grandeur, une utilisation est admise du barn (1 b = 10−28 m2 ) pour la mesure des sections efficaces microscopiques. • De même, pour l’unité usuelle d’énergie, l’électronvolt (1 eV 1,602.10−19 J). • On peut admettre que les ingénieurs mesurent la puissance d’un réacteur en mégawatts, sa durée de fonctionnement en jours et la masse de combustible chargée en tonnes. Mais l’unité d’épuisement spécifique qui en résulte, le mégawattjour par tonne (1 MWj/t = 86,4.106 J/kg) est difficile à appréhender par le non initié !
Pour les calculs déterministes, cette puissance accrue des machines, ainsi que la grande souplesse apportée par les systèmes d’exploitation, permettront d’éviter certaines approximations. Par exemple, pour les calculs « industriels », on peut penser que : • la géométrie des assemblages (voire des groupes d’assemblages pour prendre en compte les effets d’interaction entre eux) pourra être de plus en plus détaillée et certaines approximations (par exemple multicellules) pourront être abondonnées ; • les calculs des cœurs REP, traditionnellement faits en théorie de la diffusion à deux groupes, pourront l’être avec une meilleure approximation de l’opérateur de transport (par exemple, P3, S4 , P5 simplifié ou S6 simplifié) et avec une description un peu plus fine du spectre (par exemple, six groupes) ; cela devrait conduire à un meilleur traitement des interfaces uranium-plutonium ou cœur-réflecteur ; • une itération pourra être faite entre les codes d’assemblage et de cœur pour mieux prendre en compte les situations locales des assemblages (éviter de les prendre systématiquement en mode fondamental, c’est-à-dire environnés d’assemblages identiques à celui qui est traité) ; de même, en évolution pour prendre en compte
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les conditions exactes (températures de combustible et d’eau, concentration en bore...) en fonction du temps ; • un traitement plus précis de l’autoprotection des mélanges pourra être fait, par exemple en créant « en ligne » les tables de taux de réaction effectifs en situation homogène pour la composition considérée en nucléides lourds. Il est clair — car cette évolution est déjà bien engagée aujourd’hui — que l’approche Monte-Carlo sera de plus en plus employée. Nous avons vu qu’elle est très utile en tant qu’outil de validation car, bien entendu, un calcul Monte-Carlo est moins coûteux qu’une expérience. (Rappelons cependant, car cela est parfois perdu de vue, que le calcul Monte-Carlo n’apporte aucune réponse sur la qualité des données nucléaires : seule l’expérience peut qualifier ces données.) Plus surprenant, on voit parfois des ingénieurs lancer des calculs Monte-Carlo sur des cas qu’on pourrait traiter avec une grande précision et un volume de calcul infiniment moindre par un code déterministe, par exemple, une pile à symétrie de révolution, de hauteur infinie et homogène ! Comment expliquer une telle attitude ? On peut dire que les machines existent sur tous les bureaux d’étude et coûtent le même prix, qu’elles « tournent » ou pas : il est tentant de lancer un « job » en quittant son bureau le soir ou en fin de semaine et de récupérer le résultat à son retour. On peut aussi évoquer une certaine paresse intellectuelle, puisque tout calcul déterministe suppose un minimum de réflexion pour définir la modélisation des calculs, alors que lancer un calcul Monte-Carlo est quasiment automatique. On peut penser que le résultat qu’on obtiendra sera infaillible, l’expérience montrant qu’on n’est jamais à l’abri d’une erreur dans les modélisations. Pour aller encore un peu plus loin, on pourrait dire que le calcul Monte-Carlo permet de faire de la neutronique sans connaître la neutronique ! Un tel code permet de faire des études appliquées sans savoir vraiment comment se ralentit ou se thermalise un neutron, sans se préoccuper du phénomène d’autoprotection, etc ! Si cela a permis à certaines équipes de se reconvertir rapidement dans des recherches sur l’énergie nucléaire (nouveaux réacteurs, gestion des déchets...), il est clair que cette remarque reste caricaturale. Il devient vite nécessaire d’appréhender la physique pour choisir les configurations utiles à l’étude et les interpréter. Par ailleurs, il faut noter que le Monte-Carlo ne peut pas encore répondre à tout. Par exemple, il est très mal adapté à l’évaluation de petits effets, tels des coefficients de réactivité, car les imprécisions relatives dues aux incertitudes statistiques sont d’autant plus grandes que l’effet recherché est faible (effets de différences). On a étudié des variantes du calcul Monte-Carlo pour s’affranchir de la difficulté, par exemple des simulations corrélées entre le cas initial et le cas perturbé, mais ces techniques ne sont pas encore réellement au point. Autre exemple, dans une évolution, on peut demander au Monte-Carlo d’estimer les taux de réaction intervenant dans les équations différentielles régissant les concentrations, mais on n’a pas encore de code Monte-Carlo simulant par tirages alétoires les transmutations nucléaires. Troisième exemple : la cinétique rapide, telle celle d’un accident de réactivité.
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24. Les perspectives de la neutronique
Pour résumer ces diverses remarques, l’auteur observe que, si le calcul Monte-Carlo est extrêmement utile pour valider les autres codes et pour traiter les géométries complexes, le « tout Monte-Carlo » pour les réacteurs industriels reste et restera souvent à la fois inutile, inadapté, illusoire et même dangereux. • Inutile. Les calculs déterministes sont suffisamment précis pour la majorité des applications pratiques (conception, suivi et analyse de sûreté du réacteur) : pourquoi aller faire des calculs infiniment plus « coûteux » si la réponse des calculs déterministes est satisfaisante ? • Inadapté. Nous venons d’évoquer le calcul des petits effets et celui de l’évolution ; voici un autre exemple où le Monte-Carlo se révèle inadapté : à chaque incident sur un assemblage ou à chaque arrêt programmé d’un réacteur à eau, un reposionnement des assemblages est fait ; pour choisir le meilleur repositionnement, il faudrait, en théorie, analyser N ! configurations si N est le nombre d’assemblages et de positions dans le cœur. Cela est évidemment impossible, mais, en pratique, malgré la mise en œuvre d’heuristiques, des milliers de configurations doivent quand même être comparées. L’ingénieur chargé de ce travail dispose en général de très peu de temps, par exemple un jour ou deux, pendant lequel il doit donc enchaîner des milliers de calculs : il est clair que seule une méthode déterministe bien pensée, par exemple une méthode nodale, permet de relever un tel défi ! • Illusoire. Enfin, il est très important de noter que la grande précision que peut afficher un calcul, quel qu’il soit, — par exemple, 10 pcm sur un facteur de multiplication — est parfaitement illusoire car les incertitudes dues à la connaissance imparfaite à la fois des données nucléaires et des données technologiques (dimensions, densités, teneur isotopiques...) conduisent à des incertitudes très loin d’être négligeables — typiquement quelques centaines de pcm sur un facteur de multiplication —. Il est donc inutile et illusoire de pousser la précision des calculs, en particulier Monte-Carlo, à mieux qu’un ordre de grandeur au-dessous de ces incertitudes inéluctables. • Dangereux. Les enseignants ont depuis longtemps remarqué combien les étudiants avaient tendance à faire une confiance aveugle aux résultats fournis par un ordinateur, réputé ne jamais se tromper. Certes, mais l’utilisateur, lui, n’est pas infaillible, car une erreur dans l’utilisation des options ou dans l’entrée des données, voire dans la programmation, est si vite faite ! Plus l’utilisation de l’informatique se généralise, plus cette mise en garde est importante. L’ingénieur doit rester capable de prévoir l’ordre de grandeur du résultat qu’il demande au code de calculer, de façon à en contrôler la qualité. À ce titre, il est frappant de constater que les petits modèles simples de neutronique — par exemple la formule des quatre facteurs — restent nécessaires pour déterminer « sur un coin de table » ces ordres de grandeur. Loin de devenir obsolètes, ces modèles pleins de physique sont de plus en plus prisés non seulement par les enseignants et leurs étudiants, mais aussi par les ingénieurs. En définitive, la neutronique doit avoir une approche cohérente des problèmes : utiliser l’expérience, seul vrai juge de la qualité des modélisations ; faire appel au
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calcul Monte-Carlo pour valider les modèles et traiter les situations trop difficiles à reconstituer expérimentalement et à modéliser dans les codes usuels ; rester sur les calculs déterministes pour toutes les opérations habituelles de conception, de suivi et d’analyse de sûreté. Je fais confiance aux jeunes générations pour prendre le relais des neutroniciens que j’ai cotoyés. Je sais qu’il en est de grand talent ; si je n’ai pas voulu citer ici leurs noms, c’est qu’ils doivent encore faire leurs preuves. (Le lecteur pourra consulter la monographie La neutronique citée en bibliographie : plusieurs d’entre eux y ont contribué.) Sans doute, certains quitteront la neutronique, comme beaucoup de leurs aînés l’ont fait, pour prendre des responsabilités hiérarchiques ou se tourner vers d’autres horizons. La neutronique, en effet, est aussi une excellente école de rigueur en physique mathématique et en calcul scientifique : beaucoup ont su valoriser dans d’autres secteurs ces qualités acquises au contact de la neutronique. Beaucoup de neutroniciens, cependant, lui sont aussi restés fidèles pendant toute leur carrière : ils sauront transmettre la connaissance et l’expertise. La neutronique a su trouver la bonne synergie entre la physique et le calcul numérique. Il faut qu’elle veille à la conserver.
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Annexes
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Bibliographie (en langue française) Généralités sur l’énergie Pierre BACHER, Quelle énergie pour demain ?, NucléoN, 2000. Jean-Louis BOBIN, Élisabeth HUFFER, Hervé NIFENECKER (sous la dir. de), L’énergie de demain. Techniques, environnement, économie, EDP Sciences, 2005. Jean-Marie CHEVALIER, Michel DERDEVET, Patrice GEOFFRON, L’avenir énergétique : cartes sur table, Gallimard, 2012. Anne LAUVERGEON et Michel-Hubert JAMARD, La troisième révolution énergétique, Plon, 2008. Christian NGÔ, Quelles énergies pour demain ?, Spécifique Éditions, 2007. Bernard WIESENFELD, L’énergie en 2050. Nouveaux défis et faux espoirs, EDP Sciences, 2005. L’énergie nucléaire, aspects techniques et sociétaux Pierre BACHER, Le Credo antinucléaire : pour ou contre ?, Odile Jacob, 2012. Bertrand BARRÉ, Débats et réalités du nucléaire, Ellipses, 2011.
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Bernard BONIN (coord.), Les déchets nucléaires : état des lieux et perspectives, EDP Sciences, 2011. Bernard BONIN (coord.), Le nucléaire expliqué par des physiciens, EDP Sciences, 2012. CEA (collectif ), L’énergie nucléaire du futur : quelles recherches pour quels objectifs ?, monographie CEA/e-den, 2005. CEA (collectif ), Les réacteurs expérimentaux, monographie CEA/e-den, 2012. Yves CHELET, L’énergie nucléaire, Le Seuil, Le rayon de la science, 1966. Michel CHOUHA et Paul REUSS, Tchernobyl, 25 ans après... Fukushima. quel avenir pour le nucléaire ?, Lavoisier, 2011. Bruno COMBY, Le nucléaire, avenir de l’écologie ?, TNR, coll. Énergies, 2004. Jacques FOOS et Yves de SAINT JACOB, Peut-on sortir du nucléaire ? Après Fukushima, les scénarios énergétiques de 2050, Hermann, 2011. Bernard LEROUGE (avec le concours de Yvon GRALL et Pierre SCHMITT), Tchernobyl, un « nuage » passe... Les faits et les controverses, L’Harmattan, 2008. Serge MARGUET, Les accidents de réacteurs nucléaires, Lavoisier, 2012. Pierre MORVAN (avec la collaboration de Michel JORDA et Francis SORIN), Nucléaire, les chemins de l’uranium, Ellipses, 2004. Gilbert NAUDET et Paul REUSS, Énergie, électricité et nucléaire, EDP Sciences, coll. Génie atomique, 2008. Hervé NIFENECKER, Le nucléaire ; un choix raisonnable ?, EDP Sciences, InterSections, 2011. Hennri PRÉVOT, Avec le nucléaire, un choix réfléchi et responsable, Le Seuil, 2012. Paul REUSS, L’énergie nucléaire, PUF, Que sais je ?, 2012. Paul REUSS, Parlons nucléaire en 30 questions, La Documentation française, coll. Doc en poche, 2012. Henri SAFA, Le nucléaire, quel intérêt pour la planète ?, Spécifique Éditions, coll. On se bouge, 2008. Henri SAFA, Qu’est-ce que l’énergie nucléaire ?, EDP Sciences, coll. Bulles de Sciences, 2011. Francis SORIN, Le nucléaire et la planète, 10 clefs pour comprendre, Grancher, 2009. Yves SOUSSELIER, Demain, l’atome..., Presses documentaires, 1960. Bruno TERTRAIS, Atlas mondial du nucléaire civil et militaire, Autrement, 2011. Bernard WIESENFELD, L’atome écologique, EDP Sciences, 1998.
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Bibliographie
Statistiques sur l’énergie nucléaire CEA, Mémento sur l’énergie et Élecnuc, les centrales nucléaires dans le monde, rééditions annuelles téléchargeables depuis www.cea.fr, rubrique Publications. Terminologie nucléaire Collectif CSTNIN, Vocabulaire de l’ingénierie nucléaire, SFEN, 2007. Gérard SANTARINI (sous la dir. de), Dictionnaire des sciences et techniques nucléaires, Omnisciences, 2008. Histoire du nucléaire Claude BIENVENU, L’aventure nucléaire, Explora, Cité des Sciences et de l’Industrie, 1995. Pierre BICQUART, Frédéric Joliot et l’énergie atomique, L’Harmattan, 2003. Monique BORDRY et Pierre RADVANYI (sous la dir. de), Œuvre et engagement de Frédéric Joliot-Curie, EDP Sciences, 2001. Jean COLOMER et Annie ESKENAZI-FRANC, 100 ans de nucléaire, repères chronologiques, CEA, 1998. Jean FERNANDEZ, De l’atome au noyau. Une approche de la physique atomique et de la physique nucléaire, Ellipses, 2006. Laura FERMI, L’histoire de l’énergie atomique, Fernand Nathan, 1964. Bertrand GOLDSCHMIDT, Le complexe atomique, histoire politique de l’énergie nucléaire, Fayard, 1980. Bertrand GOLDSCHMIDT, Pionniers de l’atome, Stock, 1987. Jacques LECLERCQ, L’ère nucléaire, le monde des centrales nucléaires, Le Chêne/ Hachette, 1986. Maurice NAHMIAS, Libération et exploiration de l’énergie nucléaire, Larousse, 1953. Michel PINAULT, Frédéric Joliot-Curie, Odile Jacob, 2000. Pierre RADVANYI et Monique BORDRY, Histoires d’atomes, Belin, 1988. Pierre RADVANYI, Les Curie, pionniers de l’atome, Belin, 2005. Pierre RADVANYI, Histoire de l’atome. De l’intuition à la réalité, Belin, 2007. Paul REUSS, L’épopée de l’énergie nucléaire. Une histoire scientifique et industrielle, EDP Sciences, coll. Génie atomique, 2007.
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Émilio SEGRÈ, Les physiciens modernes et leurs découvertes, Fayard, 1984. Pierre TANGUY, Le nucléaire, Éditions le Cavalier Bleu, 2002. Spencer WEART, La grande aventure des savants atomistes français, Fayard, 1980. Ouvrages sur la neutronique Austin BLAQUIÈRE, Théorie de la réaction en chaîne, PUF et INSTN, 1962. Robert BARJON, Physique des réacteurs nucléaires, Institut des Sciences nucléaires, Grenoble, 1992. Jean BUSSAC et Paul REUSS, Traité de neutronique, Physique et calcul des réacteurs nucléaires avec application aux réacteurs à eau pressurisée et aux réacteurs à neutrons rapides, Hermann, 1985. CEA (collectif ), La neutronique, monographie CEA/e-den, à paraître. Cheikh M’Backé DIOP, Les réactions nucléaires, Techniques de l’ingénieur, BN 3011, 2006. Cheikh M’Backé DIOP, Traitement des données nucléaires, Techniques de l’ingénieur, BN 3012, 2007. Jacques LIGOU, Introduction au génie nucléaire, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 1997. Serge MARGUET, La physique des réacteurs nucléaires, Lavoisier, Coll. EDF R&D, 2011. Gérard PÉPY, Les faisceaux de neutrons : analyse des traces, imagerie et médecine, Techniques de l’ingénieur, BN 3016, 2006. Gérard PÉPY, Les faisceaux de neutrons : comprendre et caractériser la matière, Techniques de l’ingénieur, BN 3017, 2007. Jacques PLANCHARD, Méthodes mathématiques en neutronique, Eyrolles, no 90, coll. Direction des Études et Recherches d’Électricité de France, 1995. Victor RAÏEVSKI, Physique des piles atomiques, INSTN - Presses universitaires de France, 1960. Paul REUSS, La neutronique, PUF, Que sais je ?, 1998. Paul REUSS, Précis de neutronique, EDP Sciences, coll. Génie atomique, 2003. Paul REUSS, Exercices de neutronique, EDP Sciences, coll. Génie atomique, 2004. Paul REUSS, Migration des neutrons, Techniques de l’ingénieur, BN 3014, 2005. Paul REUSS, Physique et calcul des réacteurs, Techniques de l’ingénieur, BN 3015, 2005. Daniel ROZON, Introduction à la cinétique des réacteurs nucléaires, Éditions de l’École polytechnique de Montréal, 1992.
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Bibliographie
Jacques SALMON et al., Théorie cinétique des neutrons rapides, INSTN - Presses universitaires de France, 1961. Michel SOUTIF, Physique neutronique, INSTN - Presses universitaires de France, 1962. Phénomène d’Oklo Roger NAUDET, Oklo : des réacteurs nucléaires fossiles. Étude physique, Eyrolles, série Synthèses, 1991.
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Index des personnes citées Avertissement : cet index reprend les noms des personnes citées dans le texte. Pour que le lecteur puisse mieux les situer dans le temps, leurs dates ont été indiquées dans la mesure du possible, car elles ne figurent pas dans le texte. Pour les personnes jouissant d’une certaine notoriété, ces dates proviennent du Larousse ou d’Internet ; pour les autres, elles proviennent de relations personnelles de l’auteur ; pour les Polytechniciens, la date de naissance a parfois été extrapolée à partir de la promotion en admettant une entrée à l’École à vingt ans.
-AAggery, Alain (né en 1971) : 166 Aït-Abderrahim, Hamid (né en 1961) : 177 Allier, Jacques : 51 Amouyal, Albert : 97, 114, 116 Anderson, Carl David (1905-1991) : 20 Anno, Jacques (né en 1945) : 181 Auger, Pierre (1899-1993) : 80 Avogadro, Amedeo di Quaregna e Ceretto (1776-1856) : 14, 21
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-BBacher, Pierre (né en 1932) : 98 Barbry, Francis (né en 1943) : 185 Barjon, Robert : 152 Baron, Madeleine (née en 1921) : 91 Barral, Jean-Claude : 138 Barré, Jean-Yves (né en 1940) : 98, 146, 150 Becquerel, Henri (1852-1908) : 14, 15 Benoist, Pierre (né en 1926) : 97, 114, 116, 118 Bergeron, Jean (né en 1942) : 160 Bessel, Friedrich Wilhelm (1784-1846) : 100 Bethe, Hans Albrecht (1906-2005) : 33, 34, 35, 36, 37, 38 Bioux, Philippe : 116 Biquard, Pierre (1901-1992) : 80 Biron, Didier : 138 Blaise, Patrick (né en 1969) : 135 Blaquière, Austin : 85, 150, 208 Bloch, Claude (1923-1971) : 83 Bohr, Niels (1885-1962) : 17 Boivineau, Annick : 163 Boltzmann, Ludwig (1844-1906) : 7, 8, 9, 13, 21, 31, 44, 58, 90, 98, 130, 143, 144, 161, 162, 163, 165, 182, 205 Bothe, Walter (1891-1957) : 19 Both, Jean-Pierre (né en 1957) : 183 Bouchard, Jacques (né en 1939) : 135 Bouchicot, Alexis : 91, 208 Bouland, Olivier (né en 1966) : 146 Bragg, sir William Henry (1862-1942) : 193, 194, 195, 196 Brégeon, Louis (né en 1936) : 160 Brésard, Isabelle (née en 1965) : 208 Breton, Denis : 135 Brienne-Raepsaet, Caroline (née en 1965) : 163 Brillouin, Léon (1889-1969) : 191 Brochard, Didier (né en 1957) : 91 Broglie, Louis duc de (1892-1987) : 32, 190 Bruna, Giovanni : 138 Buffon, Georges Louis Leclerc comte de (1707-1788) : 185 Bussac, Jean (né en 1928) : 123, 150, 151, 160, 208
-CCabanius, Jean : 138 Cadilhac, Michel (né en 1934) : 115, 208 Carré, Frank (né en 1952) : 160 Case, Kenneth (1923-2006) : 75, 76, 77, 85
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Index des personnes citées
Cathalau, Stéphane (né en 1961) : 135 Cauchy, Augustin (1789-1857) : 77 Chabrillac, Marcel (1936-1994) : 98, 116, 160, 208 Chadwick, James (1891-1974) : 18, 19, 25, 28, 196 Charles, Jacques : 113 Charpak, Georges (1924-2010) : 176 Chauchepart, Patrick (né en 1956) : 135 Chaudat, Jean-Paul (né en 1945) : 146 Chauvin, Jean-Pierre (né en 1962) : 135 Chelet, Yves (1935-2011) : 91, 208 Clauzon, Pierre (né en 1933) : 146 Cogné, François : 98 Compton, Arthur Holly (1892-1962) : 182 Cossic, Antoine (né en 1960) : 163 Coste-Delclaux, Mireille (née en 1956) : 163, 166, 208 Cousinou, Patrick (né en 1949) : 181 Cowan, Clyde (1919-1974) : 21 Curie, Marie (1867-1934) : 14, 19 Curie, Pierre (1859-1906) : 14
-DDalton, John (1766-1844) : 14 Darrouzet, Michel (né en 1941) : 135 Dautry, Raoul (1880-1951) : 79 David, Sylvain : 172, 208 Debiesse, Jean (1907-1978) : 90 Dejonghe, Gérard (né en 1954) : 161, 183 Delaroche, Jean-Paul (né en 1945) : 200 Delayre, Roger (1930-2010) : 98, 160 Delpech, Marc (né en 1963) : 146 Démocrite (v. 460 - v. 370 av. J.-C.) : 13, 14 Denivelle, Léon (1905-1992) : 80 Deniz, Valentine : 118 Descartes, René (1596-1650) : 207 Devillers, Christian : 183 Diop, Cheikh (né en 1953) : 163, 183, 208 Dirac, Paul (1902-1984) : 20, 166 Doppler, Christian (1803-1853) : 101, 102, 148 Doriath, Jean-Yves (né en 1958) : 135
-EEdlund, Milton Carl (1924-1993) : 85 Einstein, Albert (1879-1955) : 21, 22 Eisenhower, Dwight David (1890-1969) : 85, 115
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Elkouby, Albert : 150
-FFédon-Magnaud, Christine (née en 1956) : 146, 161 Feinberg, S. M. : 115 Fermi, Enrico (1901-1954) : 21, 25, 28, 32, 33, 34, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 60, 61, 83, 93, 96, 98, 102, 103, 104, 113, 114, 117, 146 Fermi, Laura (1907-1977) : 51 Fick, Adolf Eugene (1829-1901) : 58 Fioroni, Jacques (né en 1951) : 138 Flamenbaum, Guy (né en 1951) : 146 Fort, Éric (né en 1935) : 133 Fougeras, Philippe (né en 1963) : 135 Fourier, Joseph (1768-1830) : 164 Frisch, Otto (1904-1979) : 33
-GGalanine, A. D. : 115 Gambier, Gérard : 116 Garzenne, Claude (né en 1956) : 138 Gastaldi, Bernard (né en 1959) : 135 Gaulle, Charles de (1890-1970) : 79, 138 Gauss, Carl Friedrich (1777-1855) : 166 Girieud, Patrick : 138 Giscard d’Estaing, Valéry (né en 1926) : 138 Gladieux, Alain (1942-2011) : 91 Glasstone, Samuel (1897-1986) : 85 Goldschmidt, Bertrand (1912-2002) : 80, 83 Golinelli, Claude : 146 Gomit, Jean-Michel (né en 1954) : 138, 181 Gonnord, Jean (né en 1947) : 183, 210 Grenêche, Dominique (né en 1946) : 137 Grosshans, Michel (1962-2000) : 138 Grouiller, Jean-Paul (né en 1955) : 113 Gucht, Catherine Van der (née en 1940) : 163 Guéron, Jules (1907-1990) : 82, 83 Guesdon, Bernard : 138 Guggenheim, Edward (1901-1970) : 84 Guionnet, Christian : 98, 160 Gy, Jean-François (né en 1967) : 138
-HHahn, Otto (1879-1968) : 33, 208 Halban, Hans Heinrich von (1908-1964) : 44, 79
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Index des personnes citées
Halpern, I. : 53, 57 Hansen, G. : 201, 202 Hébert, Alain (né en 1954) : 163, 166 Hellstrand, Eric : 96 Hoffmann, Frederic de (1924-1989) : 75, 76, 77, 85 Horowitz, Jules (1921-1995) : 83, 85, 90, 97, 114, 116, 135, 138, 160, 208 Hourtoulle, Francis : 116 Hudelot, Jean-Pascal (né en 1969) : 135
-IIsraël, Mathieu : 116
-JJacqmin, Robert (né en 1963) : 146 Janvier, Daniel : 138 Jeanpierre-Gantenbein, Françoise (née en 1944) : 146, 147, 166, 167 Joliot-Curie, Irène (1897-1959) : 19, 80 Joliot, Frédéric (1900-1958) : 19, 34, 41, 43, 44, 46, 51, 79, 80, 82, 83, 208 Jospin, Lionel (né en 1937) : 139 Journet, Jacques (né en 1936) : 98
-KKavenoky, Alain (né en 1939) : 143, 166 Kerkar, Nordine (né en 1967) : 138 Khairallah, Assaad (né en 1938) : 146 Klein, Jean-Christophe (né en 1968) : 135 Kowarski, Lew (1907-1979) : 44, 79, 80, 83, 84 Krebs, Joseph : 133
-LLafore, Pierre (né en 1918) : 183 Lam-Hime, Michel (né en 1952) : 138 Langevin, Jean : 80 Langevin, Paul (1872-1946) : 191 Lanore, Jeanne-Marie (née en 1940) : 183 Laplace, Pierre Simon marquis de (1749-1827) : 58, 59, 90, 99 Laponche, Bernard (né en 1938) : 98 Laue, Max von (1879-1960) : 191 Lautard, Jean-Jacques (né en 1947) : 146, 161 Lavoisier, Antoine Laurent de (1743-1794) : 14, 21 Lebigot, Philippe : 116, 149 Lefebvre, Jean-Claude (1939-2011) : 116, 149 Legendre, Adrien Marie (1752-1833) : 164
227
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Lenain, Richard (né en 1956) : 160 Lerouge, Bernard (né en 1932) : 160 Letang, Éric (né en 1963) : 181 Livolant, Michel (né en 1938) : 146, 147, 166, 167, 208 Lunéville, Laurence (née en 1962) : 161
-MMarguet, Serge (né en 1964) : 138, 152, 157, 208 Marimbeau, Pierre (né en 1945) : 135 Marshall, lord Walter (1932-1996) : 138 Martin-Deidier, Loïc (né en 1950) : 135 Mathonnière, Gilles (né en 1955) : 160 Maubert, Louis : 181 Maugard, Bruno (né en 1961) : 135 Maxwell, James Clerk (1831-1870) : 97, 98, 101, 114, 191 Méchitoua, Boukmès (né en 1962) : 202 Meer, Simon van der (1925-2011) : 175 Meitner, Lise (1878-1968) : 33, 34 Mendeleïev, Dmitri Ivanovitch (1834-1907) : 14, 17, 32, 34, 104 Mengelle, Stéphane (né en 1964) : 166 Messmer, Pierre (1916-2007) : 138 Meyer-Heine, Antoine : 98, 114 Micaux, Bernard (né en 1940) : 160 Millot, Jean-Paul (1934-2001) : 138 Mitaut, Pierre : 160 Mitterrand, François (1916-1996) : 138 Mondot, Jacques (1948-1993) : 135, 149, 163, 166, 208 Mougniot, Jean-Claude (né en 1939) : 146 Mouney, Henri (né en 1945) : 116 Mounier, Claude (né en 1963) : 133
-NNaudet, Roger (né en 1925) : 98, 115, 124, 125 Nicolas, Anne (née en 1960) : 160, 208 Nigon, Jean-Louis (né en 1944) : 98 Nimal, Jean-Claude (né en 1940) : 183 Nisan, Simon (1944-2011) : 149 Noc, Bernard : 116 Nordheim, Lothar (1899-1985) : 47 N’Kaoua, Thierry (né en 1960) : 160
-PPalau, Jean-Marc (né en 1969) : 135 Palmiotti, Guiseppe : 161
228
Index des personnes citées
Paulin, Philippe (né en 1957) : 138 Pauli, Wolfgang (1900-1958) : 20 Paya, Daniel : 133 Pépy, Gérard (né en 1944) : 189 Perrin, Francis (1901-1992) : 19, 43, 45, 80 Perrin, Jean (1870-1942) : 14, 17, 19, 43, 45 Petrovic, Yvan : 118 Peytier, Serge : 116 Placzek, George (1905-1955) : 75, 76, 77, 85 Planchard, Jacques (1933-2009) : 100 Planck, Max (1858-1947) : 21, 190 Poinot-Salanon, Christine : 138 Pompidou, Georges (1911-1974) : 138 Pryce, Maurice (1913-2003) : 84 Puill, André (né en 1939) : 160
-RRaepsaet, Xavier (né en 1963) : 160 Raïevski, Victor : 150 Ramard, Michel : 208 Rastoin, Jean (1921-2009) : 183 Recolin, Jean (né en 1941) : 146 Reuss, Paul (né en 1940) : 114, 115, 131, 150, 151, 152, 166, 208 Reynes, Frederick (1918-1998) : 21 Ribon, Pierre (né en 1932) : 166 Richebois, Edwige (née en 1971) : 160 Rimpault, Gérald (né en 1952) : 146 Roberts, Richard Brooke (1910-1980) : 46 Roque, Bénédicte (née en 1966) : 135 Roshd, Mustapha (1936-2009) : 138 Rosset, François-David (né en 1957) : 138 Roulier, Bernard (né en 1956) : 138 Rouyer, Véronique (née en 1960) : 91, 181 Rubbia, Carlo (né en 1934) : 175, 176 Rutherford of Nelson, Ernest (1871-1937) : 14, 17, 18 Ryckelinck, Jacques (né en 1937) : 116
-SSafieh, Joseph (né en 1951) : 91, 208 Sagot, Marc : 135 Salmon, Jacques : 150 Salvatores, Massimo : 131, 146, 172 Sanchez, Richard (né en 1946) : 161, 163, 165, 202, 208 Santamarina, Alain (né en 1948) : 135, 208
229
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Santandrea, Simone (né en 1972) : 161, 165 Schapira, Jean-Paul (né en 1934) : 172 Schwartz, Jean-Pierre : 160 Seaborg, Glenn (1912-1999) : 61 Seban, Roger (né en 1949) : 138 Sicard, Bruno (né en 1940) : 146 Smyth, Henry DeWolf (1898-1986) : 75, 76 Soldevila, Michel (né en 1952) : 138, 208 Soule, Roland (né en 1955) : 135 Soutif, Michel : 150 Stankovski, Zarko (né en 1947) : 163 Storrer, François (né en 1966) : 146 Strassmann, Fritz (1902-1980) : 33 Szilard, Leo (1898-1964) : 50
-TTanguy, Pierre (né en 1928) : 138 Tarride, Bruno (né en 1964) : 91 Tellier, Henry (né en 1932) : 131, 133, 208 Tétart, Philippe (né en 1957) : 138 Thomas, Jean-Baptiste (né en 1947) : 160 Thompson, Joseph George (1856-1940) : 14 Trétiakoff, Oleg (né en 1930) : 114 Troccon, Gabriel : 150 Trocheris, Michel (né en 1921) : 83
-UUllmo, Jean (1906-1980) : 83
-VValentin, Luc : 35 Vallée, Alain : 138 Van der Gucht, Catherine (née en 1940) : 163 Van der Meer, Simon (1925-2011) : 175 Vendryes, Georges (né en 1920) : 84, 146, 156 Vergnaud, Thérèse (née en 1941) : 183 Vergnes, Jean (1944-2004) : 113 Verwaerde, Daniel (né en 1954) : 200 Vidal, René : 160 Vitton, Francis : 116 Volkoff, George Michael (1914-2000) : 84
230
Index des personnes citées
-WWarin, Xavier : 161 Way, K. : 184 Weill, Jacky (né en 1924) : 81 Weinberg, Alvin Martin (1915-2006) : 85 Weizsäcker, Carl von (1912-2007) : 33, 34, 35, 36, 37, 38 Westcott, Carl H. (1912-1977) : 114 Wigner, Eugene (1902-1995) : 50, 85, 184 Wilson, Charles Thomson Rees (1869-1959) : 19
-YYvon, Jacques (1903-1979) : 83, 84
-ZZaetta, Alain (né en 1957) : 146 Zmijarevic, Igor (né en 1954) : 163
231
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Index des réalisations (installations, projets, sites nucléaires, organismes, sociétés, associations, enseignements, livres [italiques] et codes de calcul [petites capitales])
-AAdéphyr : 91 AES-1 : 75 Alamogordo : 57, 62, 103 Amplificateur d’énergie : 175, 176 APOLLO : 115, 117, 143, 145, 146, 149, 153, 161, 163, 183 APOLLO-2 : 163, 166, 169, 210 APOLLO-3 : 210 Aquilon : 97 ARCADIA : 210 Areva : 112, 168, 174, 210 (voir aussi Framatome) ARTÉMIS : 211 ASN : voir Autorité de sûreté nucléaire Astrid : 174 Atom for Peace : 85, 115 Atomic Energy for Military Purposes : 76 Autorité de sûreté nucléaire : 171 Azur : 135
233
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
-BBarracuda : 139 BINOCLE : 124 Bombe A : 72, 199, 200 Bombe H : 39, 72, 199 Brennilis : 137 Brevets de Joliot et collaborateurs : 43, 44 Bugey : 138 BWR : voir Réacteur à eau bouillante
-CCabri : 135 Cadarache : 39, 94, 97, 102, 116, 133, 135, 139, 146, 178 Caliban : 133 CASSIOPÉE : 168, 210 CEA : voir Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives CEGB : voir Central Electricity Generating Board Central Electricity Generating Board : 138 Centre d’étude de l’énergie nucléaire : 177 Centre national de la recherche scientifique : 172, 174 César : 102 Chatillon (Fort de -) : 79 Chicago Pile : voir Pile de Chicago Chooz : 97, 112, 137 Cigéo : 172 Civaux : 139 CLI : voir Commission locale d’information CNRS : voir Centre national de la recherche scientifique COCAGNE : 210 Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives : 79, 80, 83, 87, 88, 90, 97, 138, 139, 149, 161, 168, 172, 174, 200, 208, 210 Commission européenne : 156 Commission locale d’information : 171 COCCINELLE : 149, 210 COPPÉLIA : 98 CORÉGRAF : 94, 96, 97, 114, 115, 117, 143 CP1 : voir Pile de Chicago Creys-Malville : 139 CRISTAL : 181 CRONOS : 149 CRONOS-2 : 169, 210 CRUEL : 98
234
Index des réalisations
-DDAM : voir : Direction des applications militaires du CEA DEA : voir Diplôme d’études approfondies Department of Energy : 111, 172 Diane : 149 Diplôme d’études approfondies de Physique des réacteurs : 83, 90, 91 Direction des applications militaires du CEA : 200, 210 DoE : voir Department of Energy Dresden Unit One : 73
-EEBR-1 : 75 ECCO : 145, 146 École internationale Frédéric Joliot et Otto Hahn : 208 École nationale supérieure de techniques avancées : 208 École nationale supérieure d’ingénieurs de Bourges : 208 EDF : voir Électricité de France EL1 : 82 (voir aussi Zoé) EL2, EL3 : 82 EL4 : 112, 137 Électricité de France : 90, 112, 116, 138, 139, 146, 149, 154, 157, 159, 161, 168, 210 ENDF/B : voir Evaluated Nuclear Data File / Brookhaven ENSIB voir École nationale supérieure d’ingénieurs de Bourges ENSTA : voir École nationale supérieure de techniques avancées Éole : 135 EPR : voir European Pressurized Reactor ÉRANOS : 168, 170, 210 European Pressurized Reactor : 71, 112, 160, 181 Evaluated Nuclear Data File / Brookhaven : 133 ÉVEREST : 98 Exercices de neutronique : 152
-FFat Man : 57, 62 Fessenheim : 138, 139, 153 Fontenay-aux-Roses : 79, 82, 97, 133 Framatome : 74, 138, 146, 149, 160, 168 (voir aussi Areva) Fukushima : 113, 174
235
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
-GG1, G2, G3 : 88, 111, 112 GA : voir Génie atomique GAB : 210 GALILÉE : 210 Gas Turbine - Modular Helium Reactor : 174 Gas-cooled Fast Reactor : 172, 174 Générations de réacteurs : 71, 111, 137, 153, 161, 171 Genève (Conférences de -) : 85, 115 Génie atomique : 85, 86, 90, 91, 150 GFR : voir Gas-cooled Fast Reactor Grenoble : 135, 191 GT-MHR : voir Gas Turbine - Modular Helium Reactor
-HHanford : 57, 62, 72, 87 Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire : 171 HCTISN : voir Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire HECTOR : 116, 119 HÉTAÏRE : 98, 146 Hiroshima : 50, 57, 75, 200
-II2EN voir : Institut international de l’énergie nucléaire ILL : voir Institut Laue-Langevin Institut de physique nucléaire d’Orsay : 172, 177 Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire : 181 Institut international de l’énergie nucléaire : 208 Institut Laue-Langevin : 191 Institut national des sciences et techniques nucléaires : 86, 90, 91, 208 INSTN : voir Institut national des sciences et techniques nucléaires Introduction to the Theory of Neutron Diffusion : 75, 76, 85 IPN : voir Institut de physique nucléaire d’Orsay IRSN : voir Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire Isis : 135 Iter : 39, 178
-JJANUS : 149 JEFF : voir Joint Evaluated Fission and Fusion File Joint Evaluated Fission and Fusion File : 133
236
Index des réalisations
-LLa neutronique : 152, 214 La physique des réacteurs nucléaires : 152 Laboratoire Léon Brillouin : 191 Lead-cooled Fast Reactor : 172, 174 Le nucléaire : 138 LFR : voir Lead-cooled Fast Reactor Little Boy : 57 LLB : voir Laboratoire Léon Brillouin
-MMagnox : 88 Manhattan : voir Projet Manhattan Marcoule : 88, 94, 111, 139 Marius : 94, 96, 102, 116 Masurca : 97, 135 MCNP : 183 Minerve : 97, 133 Mixed oxide : voir Mox Molten Salt Reactor : 174 MORET : 181 Mox : 154, 157, 158, 159, 160 MSR : voir Molten Salt Reactor Myrrha : 177
-NNagasaki : 57, 62, 75, 103 Nautilus : 73 Neutron Physics : 152 Njoy : 163 Norsk Hydro : 51
-OObninsk : 75 Oklo : 123, 125, 126 Orphée : 135, 191 Orsay : 90, 172 Osiris : 135
237
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
-PPhébus : 135 Phénix : 112, 139, 146, 172, 174 Physique des piles atomiques: 150 Physique des réacteurs nucléaires : 152 Physique neutronique : 150 Pile de Chicago : 49, 57, 72, 73, 82, 103 Porte-avions : 140 Précis de neutonique : 152 Projet Manhattan : 50, 62, 72, 73, 75, 103, 200 PWR : voir Réacteur à eau sous pression
-RRapsodie : 97, 139 RBMK : voir Reaktor Bolshoi Moshchnosti Kanalnye Réacteur à eau bouillante : 73, 75, 138, 157 Réacteur à eau sous pression : 10, 12, 71, 73, 75, 101, 102, 112, 138, 145, 146, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 171, 181, 211 Réacteur à haut flux : 135, 191 Réacteur à neutrons rapides : 102, 145, 146, 156 Réacteur à uranium naturel-graphite-gaz : 53, 71, 74, 88, 89, 112, 116, 138 Réacteur de propulsion navale : 139, 140 Réacteur d’essai : 135 Réacteur Jules Horowitz : 135 Reaktor Bolshoi Moshchnosti Kanalnye : 75 REB : voir Réacteur à eau bouillante Redoutable : 97, 112 REP : voir Réacteur à eau sous pression RES : voir Réacteur d’essai RHF : voir Réacteur à haut flux RJH : voir Réacteur Jules Horowitz RNR : voir Réacteur à neutrons rapides
-SSaclay : 83, 86, 90, 93, 97, 135, 143, 146, 191, 208 Saint-Laurent-des-Eaux : 159 SAPHYR : 168 SCIENCE : 168 SCK-CEN : voir Centre d’étude de l’énergie nucléaire SCWR : voir Supercritical Water Reactor SERMA : voir Service d’études des réacteurs et de mathématiques appliquées Service de physique mathématique : 83, 93, 143 Service d’études des réacteurs et de mathématiques appliquées : 143 SFR : voir Sodium-cooled Fast Reactor
238
Index des réalisations
Shippingport : 73 Silène : 133, 185 Siemens : 112, 160 SMART : 149 Smyth (Rapport -) : 75, 76 SNA : voir Sous-marin nucléaire d’attaque SNLE : voir Sous-marin nucléaire lanceur d’engins Société française de la neutronique : 189, 190 Sodium-cooled Fast Reactor : 172, 174 Sous-marin nucléaire d’attaque : 139, 140 Sous-marin nucléaire lanceur d’engins : 140 SPM : voir Service de physique mathématique Supercritical Water Reactor : 173, 174 Superphénix : 112, 139, 146, 172, 174
-TTchernobyl : 113 The Elements of Nuclear Reactor Theory : 85 The Physical Theory of Neutron Chain Reactor : 85 THÉMIS : 163 Théorie cinétique des neutrons rapides : 150 Théorie de la réaction de fission en chaîne : 85, 150 THERMOS : 115 Three Mile Island : 113 Tihange : 112 Tokaï Mura : 185 Traité de neutronique : 150, 151 Transparence et sécurité en matière nucléaire : 171 Trinity : 57, 62 TRIPOLI : 168, 183 TRIPOLI-4 : 181 TSN : voir Transparence et sécurité en matière nucléaire
-UUlysse : 91 UNGG : voir Réacteur à uranium naturel-graphite-gaz Uranium naturel-graphite-gaz : voir Réacteur à uranium naturel-graphite-gaz
-VValduc : 133, 185 Very High Temperature Reactor : 172, 174 VHTR : voir Very High Temperature Reactor
239
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
Vodo-Vodianoï Energuetitcheckiï Reaktor : 75 VVER : voir Vodo-Vodianoï Energuetitcheckiï Reaktor
-WWestinghouse : 74, 138 WIMS : 114, 117
-ZZeep : 73 Zoé : 79, 80, 81, 82, 84
240
Index des thèmes et notions physiques -11/v (Loi en -) : 30, 50, 102
-AAbsorption : 5, 8, 25 Absorption résonnante (Théorie de l’-) : 53, 95, 96, 145, 147, 166 Actinide majeur, Actinide mineur: 106, 108 Activation (Analyse par -) : 192 Ajustement du formulaire : 60, 131 Amorçage d’une réaction en chaîne : 202, 203 Amouyal-Benoist-Horowitz (Théorie -, dite ABH) : 114, 116 Amplificateur d’énergie : 175, 176 Analyses chimiques et isotopiques : 135 Antitrappe (Facteur -) : 52, 94, 95 Approche sous-critique : 55 Assemblage de combustible : 10, 11, 12 Atome : 13, 14, 17 Autoprotection : 54, 95
241
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
-BBarn : 28, 211 Barre de commande : 11, 49, 53, 210 Bethe et Weizsäcker (Formule de -) : 33, 34, 35, 36, 37 Biaisage : 188 Bibliothèque de données nucléaires : 133 Boltzmann (Équation de -) : 7, 8, 9, 13, 144, 182 Bore en solution : 155 Bragg (Condition de -) : 193, 194 Broglie (Formule de De -) : 190 Bruit neutronique : 135 Burnup : 107, 210
-CCalcul numérique haute performance : 210 Caloporteur : 75 Cancer (Thérapie du -) : 196 Capture : 8 Capture radiative : 32 Caractéristiques (Méthode des -) : 165 Cellule : 88, 89 Chaîne d’évolution : 105 Chaîne (Réaction en -) : voir Réaction Cheminement des neutrons : 5, 6 Choc élastique : 26, 27, 28 Cinétique du réacteur : 44, 47 Cœur : 93 Combustible : 75, 101 ; voir aussi Assemblage, Crayon et Gestion Combustion massique : 107, 210 Commande : 53, 75 ; voir aussi Barre de commande Compton (Effet -) : 182 Concentration atomique : 8, 211 Condensation : 163 Condition critique : 43, 60 Constantes physiques : 21 Contamination : 180 Contre-réaction de température : 101 Contrôle : 53, 75 Conversion : 50, 109 Corde moyenne : 77 Coulombienne (Force -) : 20 Courant de neutrons : 209 Courant de ralentissement : 209 Couverture : 104
242
Index des thèmes et notions physiques
Crayon de combustible : 11, 12 Criticité : 42, 43 Criticité (Accident de -, Risque de -) : 179, 181, 185
-DDécroissance radioactive : 16 Densité de neutrons : 8, 30 Désavantage (Facteur de -) : 97 Désintégration radioactive : 16 Détection des neutrons : 196 Déterministe (Approche -) : 7 Différences finies (Méthode des -) : 146, 149 Diffractométrie : 196 Diffusion aux petits angles : 194 Diffusion (Coefficient de -) : 118 Diffusion (scattering) : 5, 8, 25 Diffusion (Théorie de la -, Équation de la -) : 58, 99, 100 Diffusions cohérente et incohérente : 194 Diffusions élastique et inélastique : 195 ; voir aussi Choc élastique Dilatation (Effet de -) : 102 Données nucléaires (Évaluation des -) : 133 Données nucléaires (Traitement des -) : 163 Doppler (Effet -) : 101, 102, 148, 181 Durcissement du spectre : 101
-EEinstein (Équation d’-) : 21, 23 Électron : 14, 17, 18 Électronvolt : 21, 211 Éléments finis (Méthode des -) : 146, 150 Éléments (Table des -) : 14 Énergie de liaison : 39 ; voir aussi Bethe et Weizsäcker Épuisement spécifique : 210, 211 Équivalence : 166, 167 Évaluation des données nucléaires : 133 Évaluations déterministe et probabiliste de la sûreté : 180, 181 Évolution des noyaux lourds : 103, 145 Évolution (Équations d’-) : 66, 106 Excursion de puissance : 181 Expérience critique : 83 Expérimentation en neutronique : 129 Explorations neutroniques : 189
243
Du noyau atomique au réacteur nucléaire
-FFacteur X : voir X Filière : 72, 87 Fission : 6, 8, 33, 34, 36, 37, 41 ; voir aussi Fragment et Produit de fission Fission rapide (Facteur de -) : 52, 94, 114, 117 Fluence : 107, 209 Flux de neutrons : 8, 30, 209, 211 Forces entre les nucléons : 20 Fragment de fission : 63, 66 Fuite de neutrons : 59 Fusion : 37, 39, 177, 178
-GGainage : 75 Gamma-matière (Interactions -) : 182 Génération de neutrons : 201 Gestion du combustible : 154, 156 Goutte (Modèle de la -) : 33, 34
-HHansen (Équation de -) : 201, 202 Hétérogène (Méthode - de calcul de piles) : 115, 119 Homogénéisation : 118, 163
-IIncinération des déchets nucléaires : 174 ; voir aussi Séparation-transmutation Intégrale effective : 54, 94, 96, 146 Interrogation neutronique : 193 Irradiation : 180 Irradiation technologique : 82 Isotope : 19
-KKangourou (Effet -) : 52, 95, 97
-LLaplacien matière et laplacien géométrique : 60, 134 Léthargie : 29
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Index des thèmes et notions physiques
-MMaquette (Expérience -) : 131, 134 Masse critique : 43, 45 Maximum de vraisemblance : 131 Maxwell (Spectre de -) : 97, 98, 101, 114 Mégawattjour par tonne : 107, 211 Mesures différentielle et intégrale : 130, 132, 133, 134, 170, 191 Migration : 6 Migration (Aire de -) : 58, 115 Mitigation : 181 Mode fondamental : 90 Modérateur : 51, 72, 75, 102, 115 Modération (Rapport de -, Optimum de -) : 73, 74 Moindres carrés (Méthode des -) : 132 Monochromateur : 193 Monte-Carlo (Méthode -, Théorie -) : 7, 175, 182, 183, 185, 186, 187, 212, 213, 214 Mox : 157, 158, 159, 160 Multicellule (Traitement -) : 145 Multigroupe (Théorie -) : 99, 100, 145 Multiplication (Facteur de -) : 42, 99, 117 Multiplication infini (Facteur de -) : 52, 53, 54, 58
-NNeutrino : 20 Neutron : 18, 19 Neutron polarisé : 196 Neutron rapide : 50 Neutron retardé : 46, 47, 48 Neutron thermique : 50 Neutronoscopie, Neutronographie : 193 Nordheim (Équation de -) : 47 Noyau : 17, 18 Noyau composé : 56 Nucléaire (Force - ) : 20 Nucléide : 19, 210 Nucléon : 18
-OOklo (Réacteurs d’-) : 123 Oscillation (Expérience d’-) : 135
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
-PPaire (Création de -) : 182 Pastille de combustible : 12 Période radioactive : 16 Phonon : 195 Photoélectrique (Effet -) : 182 Pic de puissance : 158, 159 Pile atomique : 49, 53 Pile nue et homogène : 59 Plutonium : 61, 103 Plutonium (Recyclage du -) : 156 ; voir aussi Mox PN (Méthode -) : 161, 164 Poison consommable : 125, 155 Population des neutrons : 7, 8 Positon : 20, 210 Prévention : 181 Probabiliste (Approche -) : 7 Probabilité de non-fuite : 59 Probabilité de première collision : 77, 145 Probabilités (Table de -) : 166 Produit de fission : 63, 66 Propre (Expérience -) : 131, 134 Protection contre les rayonnements : voir Radioprotection Proton : 18 Proton de recul : 19, 28, 196 Puissance résiduelle : 181, 184
-QQualification : 168, 170 Quantique (Physique -) : 17 Quatre facteurs (Formule des -) : 52, 54
-RRadioactivité : 14, 15 Radioactivité artificielle : 20 Radioactivité (Types de -) : 20 Radionucléide : 82 Radioprotection : 54, 179 Ralentissement : 25, 31 Réacteur à neutrons rapides : 72, 104 Réacteur à neutrons thermiques : 72 Réacteur fossile : 125 Réaction en chaîne : 3, 41, 42 Réactivité : 46, 134
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Index des thèmes et notions physiques
Recherche de tendances : 131, 132 Ré-estimation des données nucléaires : 131 Réflecteur : 149, 151 Réflectométrie : 196 Rendement par fission : 63, 66 Renouvellement du combustible : 154 Repositionnement du combustible : 154 Reproduction (Facteur de -) : 53, 98 Réseau : 87, 88, 89, 93 Résonance : 52, 56, 94
-SSamarium 149 : 67, 68 Scénario de développement du nucléaire : 113 Schéma de calcul : 160 Section efficace de dilution : 148 Section efficace macroscopique : 8, 28, 30, 211 Section efficace microscopique : 8, 9, 28, 30, 56, 57, 94, 147, 211 Séparation-transmutation : 177 ; voir aussi Incinération des déchets nucléaires Silicium dopé : 82, 193 SN (Méthode -) : 161, 162 Sous-critique (Approche -) : 55 Spallation : 175, 177 Spectre (Effet de -) : 101 Spectre (Indice de -) : 134 Spectrométrie : 193 Surcritique (Configuration -) : 204, 205 Sûreté : 54 Sûreté (Évaluation de la -) : 180 Surgénérateur, Surgénération : 104, 109 Système de codes : 168
-TTaille critique : 59, 60, 134 Taux de combustion : 107, 210 Taux de réaction : 8, 30 Température (Effet de -, Coefficient de -) : 99, 101, 102 Temps de vie des neutrons : 45 Tendance : voir Recherche de tendances Thermalisation : 32, 98, 114, 115, 191 Thermaliseur : voir Modérateur Trappe : 95, 97 ; voir aussi Résonance
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Du noyau atomique au réacteur nucléaire
-UUnités de la neutronique : 211 Utilisation thermique (Facteur d’-) : 52, 98
-VValidation : 168 Vallée de stabilité : 34, 38 Variable aléatoire (Tirage de -) : 187 Vraisemblance (Maximum de -) : 131
-WWay et Wigner (Loi de -) : 184
-XXénon 135 : 62, 63, 64, 65, 103
-ZZonage de l’assemblage : 159, 160
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