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French Pages 412
Couples et conjugalité au haut Moyen Âge (vie-xiie siècles)
Collection Haut Moyen Âge dirigée par Régine Le Jan 43
Couples et conjugalité au haut Moyen Âge (vie-xiie siècles)
Emmanuelle Santinelli-Foltz
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© 2022, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2022/0095/76 ISBN 978-2-503-59503-0 eISBN 978-2-503-59504-7 DOI 10.1484/M.HAMA-EB.5.123791 ISSN 1783-8711 eISSN 2294-8473 Printed in the EU on acid-free paper.
Avant-propos
Qu’est-ce qu’un couple ? Les sociétés occidentales contemporaines s’interrogent et remettent en question le modèle de couple hétérosexuel, marié et monogame qui leur semblait intangible. La diminution du nombre des mariages et l’accroissement du nombre des couples concubins et des naissances hors mariage, le raccourcissement de la durée des couples, le nombre croissant de familles recomposées ou monoparentales d’un côté, la dépénalisation de l’homosexualité, le mariage pour tous et la PMA pour toutes les femmes de l’autre ont brouillé les images du couple et de la conjugalité, les relations de genre et plus largement les certitudes sur ce qui fait ou doit faire famille. De profonds changements sociétaux ont conduit les législateurs à adapter la législation, plus ou moins rapidement et profondément selon les pays, suscitant de vives discussions et parfois de violentes oppositions de la part des tenants du modèle traditionnel, au nom de divers arguments recouvrant les valeurs de morale chrétienne. Le présent pourrait-il s’éclairer du passé ? Emmanuelle Santinelli, spécialisée depuis longtemps dans l’histoire des femmes, était toute désignée pour interroger le passé des sociétés altimédiévales, différentes des nôtres dans leur rapport à la nature et au cosmos. Nourrie de lectures anthropologiques et sociologiques, férue d’histoire du genre, elle nous invite à un fascinant retour vers le passé médiéval qui loin de conforter les théories naturalistes apparaît infiniment plus souple en matière de couples et de conjugalité qu’on l’imaginait. Certes, la doctrine de l’Église imposait le mariage monogame et indissoluble, mais avant le xiie siècle, les couples non mariés étaient fréquents et les enfants illégitimes n’étaient pas rejetés comme ils le seraient plus tard. La conjugalité, notion fluide, se développait ainsi dans des cadres divers et évolutifs, à l’image des relations entre les hommes et les femmes et des sentiments qui les unissaient. Dans la tradition de Françoise Héritier, Emmanuelle Santinelli montre la domination masculine à l’œuvre au sein des couples, mais elle fait aussi sortir de l’ombre quelques figures d’épouses qui disposaient d’une réelle marge de manœuvre au sein de leurs couples, selon les âges de leur vie et leur statut de mère, de belle-mère ou même de grand-mère, comme si au fond, toute personne, homme ou femme, pouvait mobiliser ses relations, ses identités pour développer ses stratégies et jouer, à parts souvent inégales, le jeu de la compétition et de la coopération. Par sa démarche novatrice et son approche nuancée, ce livre devrait s’imposer comme un ouvrage de référence sur un sujet neuf, comme celui qu’Emmanuelle Santinelli publia il y a une vingtaine d’années sur les veuves et le veuvage au haut Moyen Âge. Régine Le Jan
Remerciements
Sans mon mari Éric qui m’y a incitée, je n’aurais probablement pas eu le courage d’entreprendre ce nouveau travail d’envergure : alors que celui-ci est désormais achevé et que le plaisir procuré par l’enquête sur un tel sujet et les réponses progressivement engrangées et organisées font oublier les sacrifices, je ne peux que lui en être profondément reconnaissante. S’il a joué un rôle initiateur essentiel, trois femmes ont pris le relais pour m’accompagner ces dernières années dans ma réflexion : Geneviève Bührer-Thierry qui a accepté d’être ma garante pour mon habilitation à diriger des recherches et n’a pas ménagé sa peine pour discuter de mes travaux et me proposer des remarques avisées ; Régine le Jan, ma directrice de Thèse, qui n’a cessé, depuis mes débuts de chercheuse il y a plus d’un quart de siècle, de m’encourager et me conseiller ; ma mère, Dominique Foltz, sensible aux approches de la psychanalyse, qui m’a aiguillée sur les réflexions actuelles, en particulier sur celles liées à la conjugalité. Qu’elles soient toutes les trois chaleureusement remerciées pour les échanges toujours sympathiques et fructueux que nous avons régulièrement eus et qui ont nourri mes questionnements. Je suis aussi reconnaissante à tous les collègues – ils se reconnaîtront – qui m’ont transmis références bibliographiques, articles ou ouvrages non publiés, en cours de publication ou d’accès difficile, ainsi qu’à tous ceux qui ont eu la gentillesse de répondre à mes interrogations dans leurs domaines de compétence. Qu’ils sachent que leurs travaux ou ceux qu’ils m’ont indiqués ont participé à la construction de ma pensée et parfois réorienté mon approche. Plus récemment, les pistes proposées par Martin Aurell, Karl Heidecker, Cristina La Rocca et Didier Lett, à l’occasion de la soutenance de la HDR, m’ont permis d’enrichir certaines analyses : je les remercie, toutes et tous, profondément pour leurs suggestions amicales et enrichissantes. J’exprime, par ailleurs, toute ma gratitude à mon père Blaise et ma fille aînée Natacha qui se sont proposés pour le travail de relecture, ingrat mais essentiel. Je tiens enfin à dire à tous ceux, parent-e-s, ami-e-s et collègues qui n’ont cessé de me témoigner leur soutien et leurs encouragements, combien ils ont aussi contribué à leur façon à faire aboutir ce beau projet.
Introduction
Étudier le couple au haut Moyen Âge peut apparaître comme une gageure à bien des modernistes pour qui la naissance du couple se situe au xvie – voire xviie – siècle : c’est à partir de là qu’il est, selon eux, envisagé différemment et valorisé. Il n’est plus seulement une simple unité de reproduction ni une communauté résultant des stratégies familiales avec pour fonction la survie quotidienne grâce au partage des tâches. Il devient progressivement un pôle privilégié d’affection et de solidarité, par l’union de deux individus, fondée sur l’amour et la volonté commune d’une vie partagée qui permet l’accomplissement mutuel1. Pourtant, dans le discours comme dans les faits, le mariage, censé fondé le couple, ne vise ou ne conduit pas plus systématiquement à la constitution d’un « pôle privilégié d’affection et de solidarité » à l’époque moderne, qu’il ne l’exclut automatiquement avant, notamment à l’époque médiévale2. D’ailleurs, pour Paul Veyne et de nombreux antiquisants la rupture est à situer au début de notre ère3 : ils sont suivis par le philosophe Michel Foucaut pour qui le couple est une « invention », une « idée neuve » du iie siècle, dans le sens où les rapports juridiques entre époux se doublent alors de rapports affectifs qui se traduisent notamment dans la vie quotidienne par la complémentarité et l’amour. Certes, la documentation met en avant un modèle de sentiment conjugal idéal qui gomme une partie des réalités quotidiennes, mais il n’en reste pas moins que cet
1 A. Burguière, « La formation du couple », dans A. Burguière, C. Klapisch-Zuber, M. Segalen, F. Zonabend (dir.), Histoire de la famille, III : Le choc des modernités, Paris, 1986, p. 147-150 ; A. Walch, Histoire du couple en France de la Renaissance à nos jours, Rennes 2003, p. 7-141 ; M. Daumas, Le mariage amoureux. Histoire du lien conjugal sous l’Ancien Régime, Paris, 2004, p. 91-114. 2 Sur les « mots doux » et « gestes tendres » dont témoignent parfois les sources pour le Moyen Âge, voir I. Réal, Vies de saints, vie de famille. Représentation et système de la parenté dans le Royaume mérovingien (481-751) d’après les sources hagiographiques, Turnhout, 2001, p. 348-368 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? Les veuves dans la société aristocratique du haut Moyen Âge, Lille, 2003, p. 41-46 ; D. Lett, Famille et parenté dans l’Occident médiéval, ve-xve siècle, Paris, 2000, p. 179-181 ; Id., « Avant propos », dans Questes 20 (janv. 2011), Maris et femmes, p. 8-11 ; Id., Hommes et femmes au Moyen Âge. Histoire du genre ve-xve siècle, Paris, 2013, p. 199-200 ; G. Hancke, L’amour, la sexualité et l’Inquisition. Les expressions de l’amour dans les registres de l’Inquisition (xiiie-xive siècles), Cahors, 2007 ; M. Charageat, « Couples et amour en Aragon (xve-xvie siècle) », dans Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 34 (2011), p. 41-60. 3 P. Veyne, « La famille et l’amour sous le Haut-Empire romain » [1978], rééd. dans Id., La société romaine, Paris, 2001, p. 107-108 et p. 119-120 ; Id., « L’Empire romain », dans P. Aries, G. Duby (dir.), Histoire de la vie privée, I : De l’Empire romain à l’an mil, Paris, 1985, rééd. 1999, p. 46-51 ; Y. Thomas, « À Rome, pères citoyens et cité des pères (iie siècle avant - iie siècle après J.-C.) », dans A. Burguière,C. Klapisch-Zuber, M. Segalen, F. Zonabend (dir.), Histoire de la famille, I : Mondes lointains, Paris, 1986, p. 298-299 ; S. Dixon, « The Sentimental Ideal of the Roman Family », dans B. Rawson (dir.), Marriage, Divorce and Children in Ancient Rome, Oxford, 1991, p. 99-113.
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idéal qui insiste sur la communauté d’affection et d’intérêts des époux, apparaît et se développe alors4. Cela n’empêche pas que le couple conjugal puisse avoir une existence plus ancienne encore : pour Emmanuel Todd, il aurait été, en Eurasie, le modèle commun à toutes les sociétés avant d’évoluer diversement5 ; pour Jack Goody qui souligne aussi l’unité de l’Eurasie, le rôle des groupements de parenté larges, au fonctionnement divers, n’exclut pas des solidarités conjugales, y compris affectives6 ; quant à la famille dite « élémentaire », « nucléaire », « étroite » ou « conjugale », réunissant un homme, une femme et leurs enfants non mariés, entre lesquels la vie partagée favorise les liens affectifs, c’est un modèle très fréquent attesté dans de nombreuses sociétés7. Les constats faits par les modernistes comme les Antiquisants montrent néanmoins, au-delà de ce qui pourrait apparaître comme des querelles de chapelles, que l’on ne considère pas comme couple n’importe quelle union entre un homme et une femme, ce qui pose la question de sa définition. Par ailleurs, même si le mariage devient, au iie siècle, une institution fondamentale de la société8, on ne saurait réduire le couple à la seule union de deux individus mariés, la documentation attestant de l’existence à toutes les époques d’autres formes d’union qui présentent sur de nombreux points des similitudes avec le couple uni légalement9. Certains chercheurs considèrent même qu’il convient d’étudier le mariage comme une forme de couple parmi d’autres, plutôt que les formes alternatives de conjugalité comme des exceptions au mariage10. La question du couple apparaît donc complexe. L’objet de cette étude est de contribuer à la préciser pour le haut Moyen Âge dans un espace correspondant approximativement au royaume des Francs. Après avoir présenté les difficultés que comporte une telle entreprise, puis de quelles manières
4 M. Foucaut, Subjectivité et vérité. Cours du collège de France, 1980-1981, Paris, 2014, p. 170, 214-217. Ses idées sur « l’invention du couple » sont synthétisées en fin de volume par F. Gros, p. 311-316 ; P. Veyne, « L’Empire romain », art. cit., p. 52-54 ; S. Dixon, « The Sentimental Ideal of the Roman Family », art. cit. 5 E. Todd, L’Origine des systèmes familiaux, t. 1 : L’Eurasie, Paris, 2011, en particulier, p. 32-40 et p. 591. 6 J. Goody, Famille et mariage en Eurasie, trad. fr. Paris, 2000. 7 A. Guerreau-Jalabert, R. Le Jan, J. Morsel, « De l’histoire de la famille à l’anthropologie de la parenté », dans O. G. Oexle, J.-C. Schmitt (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, 2002, p. 435 ; J. Goody, L’évolution de la famille et du mariage en Europe, trad. fr., Paris, 1985, rééd. 2012, p. 85 ; C. Lévi-Strauss, « Préface », dans A. Burguière et al. (dir.), Histoire de la famille, I : Mondes lointains, op. cit., p. 13-14. 8 P. Veyne, La famille et l’amour …, op. cit., p. 108. Voir aussi Y. Thomas, « À Rome … », art. cit., p. 298-299. 9 Françoise Zonabend rappelle que l’union conjugale ne se limite pas à l’union légale d’un homme et d’une femme et qu’elle peut prendre des formes très variées : F. Zonabend, « De la famille. Regard ethnologique sur la parenté et la famille », dans A. Burguière et al. (dir.), Histoire de la famille, I : Mondes lointains, op. cit., p. 83-89. Pour le Moyen Âge, voir entre autres les travaux de R. M. Karras, Sexuality in Medieval Europe. Doing unto others, New York, 2005 ; Ead., « The History of Marriage and the Myth of Friedelehe », dans Early Medieval Europe, 14 (2006), p. 119-151 ; Ead., « Marriage, Concubinage and the Law », dans R. M. Karras, J. Kaye, E. A. Matter (dir.), Law and the Illicit in Medieval Europe, Philadelphie, 2008, p. 117-129 ; Ead., Unmarriages : Women, Men and Sexual Unions in the Middle Ages, Philadelphie, 2012. 10 J. Rüdiger, « Conquérants de femmes : l’aspect agonistique de la polygynie médiévale », dans F. Bougard, R. Le Jan, T. Lienhard (dir.), Agôn. La compétition, ve-xiie siècle, Turnhout, 2012, p. 241-242 ; J. C. Bologne, Histoire du couple, Paris, 2016, p. 9.
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la recherche a, jusqu’à présent, approché la question conjugale, il faudra préciser les problématiques retenues.
Une notion difficile à définir, une réalité difficile à saisir L’étude du couple au haut Moyen Âge se heurte d’emblée à trois types de difficulté : cerner l’objet d’étude, décrypter la terminologie et mesurer l’apport filtré des sources. Qu’est-ce qu’un couple ?
La première difficulté consiste d’abord à cerner l’objet d’étude. Il n’est pas aisé, en effet, de définir précisément ce qu’est un couple, ni donc d’en saisir la réalité. Pour le Larousse, depuis 2006, le couple désigne « deux personnes unies par le mariage, liées par un pacs ou vivant en concubinage »11, ce qui correspond aux trois types de couples répertoriés par le code civil français, modifié après la création du pacte civil de solidarité (pacs) en 1999. Si le couple n’est pas une notion juridique, les trois types ainsi définis ont pour point commun de s’organiser autour d’une relation, marquée par une certaine stabilité, entre deux individus, longtemps (et encore pour beaucoup aujourd’hui) considérés comme forcément de sexes différents, liés par des relations sexuelles, des sentiments partagés et souvent la cohabitation. La stabilité de l’union, les droits de chacun des conjoints et les liens entre eux, de même qu’entre eux et leurs enfants, sont plus ou moins forts et contraignants selon que les partenaires sont mariés ou non et, dans le second cas, selon qu’il y a eu ou non démarches juridiques, et dans l’affirmative, selon leur nature12. Pour les psychanalystes, le couple se définit différemment selon la nature du lien envisagé entre les partenaires : il faut ainsi distinguer le couple marital lié par le mariage, du couple conjugal lié par les sentiments et du couple parental lié par les enfants13. Si un même couple peut se définir selon ces trois déclinaisons, cela n’est pas forcément le cas, pas plus hier qu’aujourd’hui. Psychanalystes, mais aussi sociologues et philosophes, voire anthropologues, soulignent en outre la double dimension du couple, à la fois un par la communauté qu’il forme, et multiple du fait des deux individus qui le constituent, ce qui aboutit à des constructions non seulement diverses selon la manière dont est prise en compte l’unité et chacune des individualités et dont s’organisent les relations entre
11 Je remercie le service Relations clientèle des éditions Larousse pour cette précision : « La définition de ‘couple’ a été modifiée dans le Petit Larousse 2006 (i. e. : millésimé 2006, publié en 2005). Auparavant, la définition était : ‘homme et femme unis par le mariage ou par des liens affectifs’ ». 12 M. Mestrot, « La famille en chantier », dans Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, Bordeaux, 2003, p. 194-196. 13 C. Daubigny, « Le couple parental », dans M. Vaillant, A. Morris (dir.), Encyclopédie de la Vie de famille. Les psy en parlent, Turin, 2004, p. 255.
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les partenaires, mais aussi évolutives avec le temps14. La diversité des approches et réflexions actuelles témoigne donc de la complexité de l’objet d’étude et conduit à aborder la question de manière large et par le biais d’angles multiples. Comment repérer les couples ?
La seconde difficulté consiste ensuite à repérer les couples, ce qui implique de cerner la terminologie qui permet de les identifier, mais aussi de saisir de quelle manière est perçu le couple. Précisons que l’étude se focalise sur le couple entendu comme l’union d’un homme et d’une femme, partageant certains liens au quotidien – qui seront précisés ensuite : cela exclut, dans la mesure où ils renvoient à des problématiques différentes, d’une part, les couples homosexuels, par ailleurs assez peu mentionnés dans les sources du haut Moyen Âge et, d’autre part, ceux qui réunissent parfois des individus vivant dans grande proximité (comme les membres d’une même fratrie), mais sans relations sexuelles ni descendance possible. Au haut Moyen Âge, le terme de couple (copula) pour désigner l’union d’un homme et d’une femme est peu utilisé. On considère généralement, depuis une vingtaine d’années, à la suite des étymologistes, que son utilisation n’est attestée que vers 115015. J’en ai pourtant rencontrées quelques mentions plus précoces. D’abord, dans le capitulaire ecclésiastique d’Haito, évêque de Bâle (807-823), qui l’emploie à deux reprises dans le chapitre 21 : pour désigner l’union/couple (copula) de deux mancipia et pour prévenir ceux qui ont commis les crimes d’inceste qu’ils doivent renoncer au lien/ couple conjugal (copula maritalis)16. Ensuite, de manière encore plus explicite, dans le De Institutione laicali, rédigé dans les années 820, donc à peu près au même moment : Jonas d’Orléans y met en garde ceux qui s’engagent dans un lien/couple conjugal (coniugii copulam adeuntibus), en rappelant à ceux qui « dominés par la passion sensuelle (…) se corrompent de toutes sortes de façons avant de parvenir à l’union du mariage / à un couple marié (ad copulam conubii) (…) [qu’ils] se privent aussi 14 Entre autres, M. Vaillant, « Vivre ensemble : à l’épreuve des sentiments et à l’épreuve de la vie », dans M. Vaillant, A. Morris (dir.), Encyclopédie de la Vie de famille …, op. cit., p. 74-75 ; S. Hefez, « En couple, mais comment ? », dans ibid., p. 85, qui synthétise S. Hefez, D. Laufer, La danse du couple, Paris, 2002, rééd. 2012 ; E. Smadja, Le couple et son histoire, Paris 2011 ; D. Simard, L’amour à l’épreuve du couple, Paris, 2011 ; J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, Paris, 1993, rééd. 2014 ; A. de Butler, Le couple et l’épreuve du temps : l’odyssée du couple, Ramonville Saint-Agne, 2008 ; B. Bawin-Legros, H. Schrod, Le couple rythmé par ses crises : un regard croisé entre une sociologue et une thérapeute de famille, Paris, 2015 ; P. Servais (dir.), Regards sur la famille, le couple et la sexualité : un demi-siècle de mutations, Louvain-laNeuve, 2014 ; A. Michel, Sociologie de la famille et du mariage, Paris 1986 ; M. Segalen, A. Martial, Sociologie de la famille, Paris, 1981, rééd. 2013 ; J. Goody, Famille et mariage …, op. cit. 15 A. Walch, Histoire du couple …, op. cit., p. 9 ; A. Rey (dir.), Dictionnaire de la langue française, Paris, 1992. L’utilisation du terme se trouve donc être plus précoce que ce qu’avait avancé Philippe Ariès – frappé par la « résistance de la langue commune à reconnaître par un mot spécifique une réalité propre au groupe des époux, séparé des enfants et du reste de la famille » – qui la plaçait à la fin du Moyen Âge pour la désignation de deux partenaires sexuels par les textes savants et au xviiie siècle pour celle du groupe formé par un homme et une femme qui s’aiment dans la langue littéraire et poétique : P. Ariès, « À propos de l’histoire du couple », dans Le mariage : engagement pour la vie ?, Paris, 1972, p. 19-23. 16 MGH Capit., I, 177, c. 21, p. 365.
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de la bénédiction par laquelle Dieu a béni l’union/le couple (copula) des premiers hommes (…) »17. Il condamne aussi ensuite ceux qui, du vivant de leur épouse, s’engagent dans une autre union / un autre couple (ad aliam copulam)18. Or, il cite, pour cela, une décrétale d’Innocent Ier, pape du début du ve siècle, qui employait déjà le terme19, ce qui laisse supposer une origine qui remonte au moins à la fin de l’Antiquité. Si l’emploi du substantif copula pour désigner l’union conjugale semble peu fréquent aux premiers siècles du Moyen Âge, l’utilisation du verbe copulare, dans le sens d’être uni, d’unir ou de s’unir (charnellement, en mariage, etc.), est bien attestée. Le terme apparaît dans les canons conciliaires du vie siècle : si le concile d’Orléans IV (541) est ambigu en condamnant tout mariage (coniugium) qui a été uni / établi (copulatur) contre la volonté des parents, ceux d’Orléans II (533) et d’Orléans V (549) sont explicites : le premier prévoit d’écarter de son office un diacre qui, réduit en captivité, a été uni à une épouse (uxori fuerit copulatus) et le second prive de la communion les femmes qui, après avoir pris l’habit religieux, transgressent leur engagement par désir du siècle, de même que ceux auxquels elles se sont unies par mariage (cum his, quibus coniugio compulantur)20. Or, les trois conciles réunissent de nombreux prélats issus de diverses provinces du royaume des Francs. Ils pourraient témoigner de l’évolution – en cours depuis la fin de l’Antiquité – de la définition du terme « copulare » que le « Gaffiot », spécialiste du latin classique, traduit par « lier, attacher, grouper », alors que le « Niermeyer » l’associe, pour le Moyen Âge, aux verbes « marier, épouser ». Le terme, avec ce dernier sens, se retrouve ensuite fréquemment tout au long de la période, tandis que le substantif n’est employé que beaucoup plus ponctuellement : c’est par exemple le cas, à la fin du xie siècle, d’Yves de Chartres qui l’utilise à plusieurs reprises dans ses lettres, notamment pour évoquer les cas d’inceste qui pourraient être découverts dans une union / un couple (in aliqua copula)21 ou pour désigner le couple / l’union d’un homme ou d’une femme (copula viri et mulieris)22, ou encore de Suger qui, dans la Vie de Louis VI le Gros écrite vers 1138-1144, précise que les Sarrasins redoutaient l’union (copula) de Bohémond, prince d’Antioche avec la sœur du roi, Constance23. Or le terme « copula » a désigné un lien avant d’être appliqué au couple : comme le remarque la psychologue Maryse Vaillant,
17 Jonas d’Orléans, II, 2, respectivement t. I, p. 338-339 et p. 330-331 (voir Annexe 2, textes no 8). 18 Ibid., II, 12, p. 420 : (…) Qui vero uel uiuente uxore, quamuis dissociatum uideatur esse coniugium ad aliam copulam festinarunt neque possunt adulteri (…). 19 Epistola 6, c. 6, éd. Migne, PL 20, col. 500. 20 Les canons des conciles mérovingiens (vie-viie siècles), éd. et trad. J. Gaudemet, B. Basdevant, 2 t., Paris, 1989, concile d’Orléans IV, c. 22, p. 278 ; concile d’Orléans V, c. 19, p. 314. De même, le concile de Tours II (567) utilise le terme dans le même sens dans la lettre, placée à la suite des canons, adressée par les évêques de la province de Tours au peuple, lorsqu’il est question de « ceux qui ne sont pas encore unis par le lien du mariage » (Nec adhuc in matrimoni federe copulati) (p. 394). 21 PL, 162, no 230, col. 233 (trad. L. Merlet, no 232, p. 412). 22 PL, 162, no 242, col. 250 (trad. L. Merlet, no 243, p. 438). Voir Annexe 2, textes no 16. 23 Suger, Vie de Louis VI le Gros, éd. et trad. H. Waquet, Paris, 1964, c. 9, p. 46-49. L’auteur emploie le terme une seconde fois quelques lignes plus loin pour préciser que Constance a repoussé auparavant un premier prétendant et qu’elle désirait contracter une autre union (copula) avec un mari qui lui convint.
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« avant d’être la réunion de deux personnes, le couple nomme le lien qui les unit »24, ce qui pourrait correspondre à la perception que l’on en avait au haut Moyen Âge. L’utilisation rare du terme « copula » conduit néanmoins à s’interroger sur la conscience d’une identité du couple : dans la mesure où le haut Moyen Âge est marqué par l’importance des groupements larges – de parenté, de fidélités et d’alliés – indispensables notamment pour bénéficier d’une protection et exercer le pouvoir, la communauté formée par un homme et une femme, relevant chacun de leur groupe, est-elle reconnue en tant que telle ? La recherche récente a répondu par l’affirmative en montrant que le rôle de ces groupements larges, avant comme après la transformation progressive aux xe-xie siècles des Sippen en lignages, n’exclut pas que la vie quotidienne s’organise autour du couple conjugal qui apparaît comme la « structure portante » de la société, pour reprendre la conclusion de Régine Le Jan et l’expression de Pierre Toubert25. De même qu’aujourd’hui on évoque davantage les époux, les conjoints, les partenaires que le couple, ou encore Monsieur et Madame Durand ou Pierre et Anne, plutôt que les époux Durand ou le couple Durand, sans que cela remette en cause la reconnaissance du couple. Pour repérer l’ensemble des couples, il a donc fallu identifier les mots et d’expression utilisés pour désigner l’union d’un homme et d’une femme au haut Moyen Âge : ils sont apparus d’une grande variété. Certains termes envisagent le couple dans son unité, tantôt en insistant sur l’association ou la communauté formée par les deux conjoints (societas, consortium), tantôt en soulignant l’union de deux individus par l’emploi du pluriel (coniuncti, conjugati, conjuges, jugales, nubentes, socii, genitores, parentes, etc.), formes que l’on retrouve le plus fréquemment dans les sources normatives. Dans la plupart des cas – et notamment dans les sources narratives et diplomatiques – le couple est néanmoins présenté sous la forme d’« un tel et/avec sa femme » (uxor, coniux, mulier, matrona, femina, sponsa, iugalis, seniora, particeps, sociata), voire « et/ avec sa concubine » (concubina, pellex, meretrix), ce qui témoigne d’une perception du couple généralement envisagée du point de vue de l’homme et se justifie dans une société dominée par les hommes. Plus rarement, il apparaît sous celle d’« une telle et/ avec son mari » (vir, maritus, sponsus, coniux, dominus, senior, iugalis, coniugatus), ou encore, quand l’auteur ne fait pas de distinction entre les sexes, comme un individu « et/avec son conjoint » (coniux, iugalis, pars, par), les différentes formes énumérées ayant été données de la plus fréquemment rencontrée à la moins courante. Parfois,
24 M. Vaillant, « Qu’est-ce qu’un couple ? » dans M. Vaillant, A. Morris (dir.), Encyclopédie de la Vie de famille …, op. cit., p. 87. 25 R. Le Jan, Famille et pouvoir dans le monde franc (viie-xe siècle). Essai d’Anthropologie sociale, Paris, 1995, p. 378 ; P. Toubert, « La théorie du mariage chez les moralistes carolingiens » [1977], rééd. dans Id., L’Europe dans sa première croissance : de Charlemagne à l’an mil, Paris, 2004, p. 309 : la littérature des specula insiste sur la représentation de l’institution conjugale « comme la structure portante de la société laïque » ; Id., « Le moment Carolingien (viiie-ixe siècle) », dans A. Burguière, C. Klapisch-Zuber, M. Segalen, F. Zonabend (dir.), Histoire de la famille, t. 2 : Temps médiévaux : Orient / Occident, Paris, 1986, p. 125 réimpr. dans ibid., p. 343 : l’expression est ici appliquée au mariage, « structure portante du groupe familial », avant que l’auteur ne montre que « dans la société rurale, tout tournait autour du couple marié ».
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le couple apparaît aussi comme l’association d’un homme et d’une femme, liés sur un plan familial (père et mère, beau-père et belle-mère, grand-père et grand-mère, aïeul et aïeule) ou politique (roi et reine, empereur et impératrice, comte et comtesse, dominus et domina), voire social (episcopus et episcopi(ss)a, presbiter et presbiteria, diaconus et diaconissa, subdiaconus et subdiaconissa26), ce qui les place sur un même plan, sans qu’ils soient pour autant forcément montrés agissant de la même manière, ni même conjointement. Ce premier repérage ne pouvait être suffisant. L’une des préoccupations de cette étude est de saisir les critères qui permettent de considérer que deux personnes forment un couple : est-ce le mariage ? la reconnaissance sociale ? la cohabitation ? les relations sexuelles ? l’amour ? le fait d’avoir des enfants ensemble ? un contrat d’alliance27 ? Or, ces critères ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde et ils ont variés d’une époque à l’autre. Il convenait donc de relever toutes les mentions associant un homme et une femme, quelle que soit la nature de cette association – lien matrimonial, enfant, cohabitation, relation sexuelle, geste réalisé conjointement, etc. –, ce qui a conduit à compléter la liste des termes associés au couple, répertoriés dans l’annexe 1. J’avais pour objectif de recenser leurs occurrences dans le temps et selon les types de sources : j’y ai renoncé devant l’ampleur et les difficultés de la tâche. Le programme de textométrie TXM28 permet certes de faire des requêtes sur certains mots et d’obtenir rapidement des statistiques, mais nombre de termes clés – comme copula, consortium, societas, vir, mulier, femina – étant polysémiques et donc pas forcément toujours liés au couple, cela impliquait de vérifier toutes les occurrences et de refaire tous les calculs après n’avoir retenu que celles qui étaient pertinentes. De même si l’on arrive à savoir très facilement qu’il y a 2957 occurrences d’uxor dans les quelques 5500 chartes de Cluny, ce qui témoigne de la place de l’épouse et peut laisser supposer l’intervention d’une forte proportion de couples, il faut ensuite refaire les calculs pour obtenir le nombre de chartes concernées qui me parait être plus significatif. En outre, si le terme uxor témoigne de l’existence d’un couple, seule la lecture des chartes permet de vérifier qu’il ne s’agit pas juste de présenter une femme comme « l’épouse de » et donc de savoir si le couple est envisagé en tant que tel et d’analyser de quelle manière il intervient ou la nature des relations entretenues par les partenaires. Compte tenu de la masse de la documentation, toutes ces vérifications sont vite apparues irréalisables et inadaptées, puisqu’elles conduisaient à analyser les corpus de manière aléatoire et non dans leur organisation globale. À défaut de chiffres précis, les relevés effectués donnent néanmoins des tendances. Tous les termes se retrouvent du vie au xiie siècle, même si l’on observe des différences d’intensité dans les occurrences et d’un type de sources à l’autre. Le glossaire réalisé 26 Par exemple, concile Tours II (567), c. 14 et 20 ; Auxerre (561-605), c. 21. 27 Pour, Françoise Zonabend, ce qui fait l’union conjugale, c’est l’existence d’un contrat – quels qu’en soient les termes – qui lie deux individus l’un à l’autre : F. Zonabend, « De la famille … », art. cit., p. 89. 28 Je remercie Renaud Alexandre de m’avoir initiée à l’utilisation du programme de textométrie TXM et de m’avoir préparé trois corpus (le De institutione laicali de Jonas d’Orléans, les lettres d’Yves de Chartres et les chartes de Cluny) pour en expérimenter le traitement.
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(annexe 1) est par ailleurs révélateur de la perception du couple (caractérisé par un lien et d’autres éléments considérés comme conjugaux) et des préoccupations dont il fait l’objet (notamment dans sa formation, dans sa dissolution, dans ses relations sexuelles), même s’il ne peut envisager tous les aspects liés à la conjugalité. Il témoigne aussi de diverses formes de couple, que le vocabulaire ne parvient pas toujours à distinguer avec beaucoup de netteté. Quelques auteurs précisent pourtant que certaines unions ne peuvent être appelées mariages, et donc que ceux qui sont unis ne peuvent être qualifiés d’époux ou de conjoints. Le concile de Macon II (585) rappelle ainsi que, dans le cas d’une union (copulatio) incestueuse, les lois interdisent de parler de conjoint (coniunx) et de noces (nuptiae)29. À la fin du xie siècle, Yves de Chartres distingue, en s’appuyant sur le pape Evariste (début iie siècle), le concubinage (contubernium) et le mariage (coniugium), le second impliquant la remise de la femme par ses parents, sa dotation et la bénédiction solennelle par un prêtre30. Dans une autre lettre, concernant le projet de mariage du comte de Meulan avec la fille du comte de Crécy qui lui est apparentée, il estime que l’union ne peut être considérée comme un mariage (conjugium) légitime, mais seulement comme un concubinage (contubernium) incestueux, dont les enfants ne pourront pas être reconnus comme légitimes31. Il semble donc que certains termes soient réservés aux couples reconnus légitimes (nuptiae, coniugium, coniux) et d’autres assignés à des couples de nature différente (contubernium). L’analyse des capitulaires montrent de même que coniugium et matrimonium sont plutôt utilisés dans le cas d’une union jugée légitime, alors que coniunctio est davantage employé pour les unions jugées illégitimes. Certains textes légifèrent néanmoins sur les incestes nuptiae32 et les nefaria conjugia33, ou emploie matrimonium pour les unions légitimes comme illégitimes34, ce qui montre que les distinctions lexicales sont loin d’être claires. De même, si certaines chartes peuvent laisser supposer que le terme d’uxor est lié à un couple légitime, alors que ceux de coniux, mulier, femina pourraient correspondre à des formes de couples plus variées, il n’en est rien. Les chartes de Cluny offrent de nombreux exemples où, dans une même charte, une même femme est qualifiée de manière différente : tantôt uxor puis coniux35, tantôt uxor puis femina36, tantôt uxor puis mulier37. Il en est de même parfois, même si c’est moins fréquemment, pour les hommes, à la fois vir et
29 Conciles mérovingiens, Concile de Macon II (585), c. 18, p. 476-477 : Incestam copulationem, in qua nec coniunx nec nuptiae, recte appellari leges sanxerunt, catholica omnino detestatur atque abominatur ecclesia. 30 Yves de Chartres (Leclercq), no 16 (1094), p. 66-67. 31 Ibid., no 45 (1096), p. 186-187. 32 Cas du capitulaire général des missi (802) de Charlemagne, éd. MGH Capit., I, 33, c. 35, p. 98 ou du capitulaire ecclésiastique de Louis le Pieux (818-819), éd. MGH Capit., I, 138, c. 29, p. 279-280. 33 Cas du concile romain d’Eugène II (826), promulgué en capitulaire par Louis le Pieux, éd. MGH Capit., I, 180, c. 38, p. 377. 34 Cas du capitulaire ecclésiastique d’Haito, évêque de Bâle (807-823), éd. MGH Capit., I, 177, c. 21, p. 365. 35 Par exemple, Cluny I, no 427 (935), p. 414. 36 Par exemple, Cluny II, no 1117 (961-962), p. 208-209. 37 Par exemple, Cluny IV, no 3062 (1049-1109), p. 247-248.
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dominus38, esponsus et iugalus39, vir et maritus40, etc. Il n’est donc pas du tout sûr que les auteurs ou les scribes aient associé de manière stricte des mots à des situations. Il est possible qu’ils aient présenté les couples, quel qu’ait été leur statut juridique, sous la forme d’un tel et sa femme ou une telle et son mari, moyen de présenter une situation compréhensible pour tous, de même qu’aujourd’hui certains couples de concubins se présentent à des tiers comme maris et femmes, manière de souligner la stabilité de leur union. L’approche du couple ne s’en est pas trouvée simplifiée : c’est le contenu du texte qui permet le plus souvent de comprendre les situations qui apparaissent d’une grande diversité. Les dépouillements ont donc été longs et la masse des informations à traiter importante, compte tenu du repérage large lié à la complexité à cerner exactement le couple. Cela ne signifie cependant pas que les données obtenues sont uniformément réparties dans le temps, ni qu’elles sont un reflet exact des réalités sociales. Les pièges de la documentation
La troisième difficulté consiste à saisir la nature des informations que la documentation est susceptible de fournir. L’étude de la terminologie vient de montrer qu’il fallait, compte tenu de son imprécision, être prudent avant d’en déduire des situations. En outre, il faut reconnaître que si la très grande majorité des textes qui nous sont parvenus montrent que le couple ne fait pas l’objet d’un intérêt particulier, certains auteurs y font allusion et les mentions d’individus apparaissant ou intervenant en couple deviennent de plus en plus nombreuses au cours de la période. Cela conduit à s’interroger sur la réalité que représente le couple et à mesurer si les évolutions observées correspondent à des mutations réelles ou seulement documentaires. Pour ne pas se laisser duper par le filtre des sources et évaluer correctement ce dont elles témoignent, il convient de replacer brièvement le corpus dans son contexte. Pour chaque période, il apparaît nécessaire, même si la documentation est produite dans son intégralité, quelle que soit sa nature, dans le même milieu des élites pensantes et gouvernantes, imprégné des mêmes références et des mêmes modèles, de distinguer le discours normatif et moraliste, qui relève de l’idéologie, des données fournies par les autres types sources, notamment narratives et diplomatiques, qui peuvent laisser percevoir certaines pratiques sociales. À l’époque mérovingienne, législateurs comme hagiographes se soucient peu du couple. La loi salique, élaborée de manière progressive et plurielle entre 500 et 800 sans que la tradition manuscrite ne permette d’en retracer les étapes mérovingiennes41,
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Par exemple, Cluny II, no 1192 (965-966), p. 276. Par exemple, Cluny II, no 1392 (974), p. 454. Par exemple, Cluny III, no 2678 (v. 1010), p. 707-708. Je remercie Magali Coumert de m’avoir fait part de ses travaux sur la loi salique, en particulier de ses articles : M. Coumert, « Les ‘prologues’ de la loi salique : les premiers temps des Francs suivant les copistes carolingiens », dans M. Kazanski, P. Périn (dir.), Autour du règne de Clovis. Les grands dans l’Europe du haut Moyen Âge. Histoire et archéologie, Caen, 2020, p. 43-57 et « Faire parler le silence : la tradition manuscrite de la loi salique », dans A. Bayard, B. Dumézil, S. Joye (dir.), L’Austrasie. Pouvoirs,
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s’attache principalement, à proposer des principes pour résoudre les conflits : si certains articles s’intéressent à ce qui peut affecter le mariage – avant ou après sa conclusion –, ce n’est pas parce que cela impacte le couple ou la vie conjugale mais parce que cela perturbe les stratégies familiales et par conséquent l’ordre social42. Les conciles jugent quant à eux plus urgent d’organiser les structures de l’Église et de préciser les comportements attendus et interdits pour se conformer au dogme chrétien, que de fixer les normes de la vie conjugale dont ils considèrent qu’elle relève des affaires privées laïques. À cela, il faut ajouter que les principales autorités ecclésiastiques sont convaincues de la supériorité de la virginité, de la chasteté, et donc du célibat, sur l’état conjugal, inséparable de la sexualité43. Les quelques canons qui abordent la question de conjugalité44 se contentent donc principalement de la refuser, en totalité, voire en partie, aux clercs auxquels est rappelée la règle du célibat45 et à ceux qui ont enfreint les interdits matrimoniaux46, sans qu’il soit cependant possible d’en évaluer la traduction concrète pour la vie conjugale des intéressés, dans la mesure où les injonctions ne se traduisent pas forcément dans les faits. Les hagiographes enfin,
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espaces et identités à la charnière de l’Antiquité et du Moyen Âge, Turnhout, 2021 (à paraître). Sur les débats à propos de la date et l’attribution de la loi salique, voir notamment K. Ubl, « L’origine contestée de la loi salique. Une mise au point », trad. T. Lienhard dans Revue de l’Institut Français d’Histoire en Allemagne, no 1 (2009), 208-234 ; E. Renart, « Le Pactus legis salicae, règlement militaire romain ou code de lois compilé sous Clovis ? », dans Bibliothèque de l’École des chartes, no 167 (2009), p. 331-352. Sur les contextes et les motivations de la mise par écrits des textes normatifs appelés par les historiens « lois barbares », et l’évolution des normes relatives à la famille, et en particulier le mariage, voir S. Joye, « Fabrique d’une loi, fabrique d’un peuple, fabrique des mœurs : les lois barbares », dans V. Beaulande-Barraud, J. Claustre, E. Marmursztejn (dir.), La fabrique de la norme : Lieux et modes de production des normes au Moyen Âge et à l’époque moderne, Rennes, 2012, p. 91-108, et plus récemment et global, M. Candido da Silva, B. Dumézil B., S. Joye (dir.), Les lois barbares : Dire le droit et le pouvoir en Occident après la disparition de l’Empire romain, Rennes, 2019. Voir Annexe 2, textes no 1. Sur la tendance de L’Église à juger négativement le mariage à partir du iie siècle, voir notamment I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 217-229, et pour le discours général de l’Église d’Occident aux vie-viie siècles, p. 226-229. Voir Annexe 2, textes no 2. Le célibat est imposé aux clercs depuis le début du ive siècle, à partir du diaconat, voire du sous-diaconat, et à partir de la fin du ive siècle, la continence est exigée, en Occident, des ministres mariés au moment de leur ordination. Cela ne signifie pas pour autant que les règles soient acceptées et appliquées : R. Gryson, Les origines du célibat ecclésiastique. Du premier au septième siècle, Gembloux, 1970, en particulier p. 136-157 (sur les origines de cette prescription dans la patristique et les décrétales de la fin du ive-début ve siècle) et p. 190-196 (pour les dispositions conciliaires dans la Gaule des ve-viie siècles) ; M. Dortel-Claudot, « Le prêtre et le mariage. Évolution de la législation canonique des origines au xiie siècle », dans Mélanges offerts à Pierre Andrieu-Guitrancourt, l’Année canonique, t. 17, Paris, 1973, p. 322-323 ; M. Clouzel, « Le célibat et la continence ecclésiastique dans l’Église primitive : leurs motivations », 1971, reimpr. dans Id., Mariage et divorce. Célibat et caractères sacerdotaux dans l’Église ancienne : Études diverses, Turin, 1982, p. 333-371. Il s’agit des unions considérées comme incestueuses, de celles entre chrétiens et juifs ou encore bafouant des vœux religieux : Voir J. Gaudemet, Le mariage en Occident : les mœurs et le droit, Paris, 1987, p. 50-51 et p. 99-102 ; I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 233-236. Sur les relations entre chrétiens et juifs à l’époque mérovingienne, voir les remarques de M. Quenehen, « Les Juifs de l’évêque. De l’usage des Juifs dans l’œuvre de Grégoire de Tours », dans Archives Juives, no 43 (2010/1), p. 96-113.
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considérant le lien matrimonial comme incompatible avec la sainteté, privilégient les modèles où le mariage a été refusé, voire manqué grâce à Dieu, ou est resté chaste. Quand le héros ou l’héroïne a été marié et le mariage consommé, la vita s’attache à montrer que le seul objectif de l’union, dont la légitimité est soulignée, est la procréation et donc la perpétuation de familles très chrétiennes47. Le désintérêt de ces trois types de sources pour la conjugalité traduit-il pour autant une place négligeable accordée au couple par la société mérovingienne ? Certes, le discours sur la conjugalité y est limité, du fait notamment que les autorités civiles et religieuses se trouvent mobilisées sur d’autres questions ou se considèrent non compétentes pour s’exprimer sur le sujet, mais quelques articles de la loi salique, canons et récits de miracles, dont ce n’est pas le propos, font parfois allusions à des individus mariés, présentés plus ou moins furtivement comme formant une communauté de vie, d’action et de sentiment48, ce qui peut laisser supposer une vie quotidienne organisée autour du couple. Pourtant, si histoires, chroniques et poèmes en témoignent aussi parfois, de manière plus concrète, moins idéalisée, mais probablement tout aussi construite, il y est parfois en outre question d’autres formes de couples que ceux mariés, d’une relative précarité des unions conjugales et du manque de relations entre partenaires, ce qui laisse au final perplexe sur la réalité de ce que représente exactement le couple à l’époque mérovingienne et invite à reprendre le dossier dans sa globalité en croisant toutes les données. La période carolingienne, marquée par une volonté de réformes et de mise en ordre de la société, ainsi que par un renouveau intellectuel, voit se développer un véritable discours sur la conjugalité, désormais valorisée. Considérant à la suite de saint Augustin, que le mariage est un bien et que la cellule conjugale est un microcosme de la société49, les autorités prêtent davantage attention au couple, « conçu à la fois comme l’atome essentiel de la société et le modèle des bonnes relations entre individus dans tous les domaines »50. Socle de l’organisation sociale, sa stabilité devient « synonyme de paix et d’équilibre pour toute la société »51, dont le souverain se doit d’assurer le maintien. Moralistes, hagiographes et législateurs, civils comme religieux, rappellent et précisent par conséquent les normes à respecter52. Si le discours porte d’abord sur le mariage, considéré comme acte fondateur de tout couple, il évoque
47 I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 241-246. 48 Ibid., p. 305-382. Voir Annexe 2, textes no 1 et 2. 49 P. Toubert, « La théorie du mariage chez les moralistes carolingiens » [1977], réimpr. dans Id., L’Europe …, op. cit., p. 301 ; A. Dubreucq, « La littérature des specula : délimitation du genre, contenu, destinataires et réception », dans M. Lauwers (dir.), Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratiques dans l’Occident médiéval, Antibes, 2002, p. 30 ; J. M. H. Smith, « Gender and Idéology in the Early Middle Ages », dans N. R. Swanson (dir.), Gender and Christian Religion, Woodbridge, 1998, p. 71. 50 S. Joye, E. Santinelli, « Le couple : une définition difficile, des réalités multiples », dans S. Joye, E. Santinelli-Foltz, G. Bührer-Thierry (dir.), Le couple dans le monde franc (ve-xiie siècle), dans Médiévales, no 65 (automne 2013), p. 9. 51 S. Joye, La femme ravie. Le mariage par rapt dans les sociétés occidentales du haut Moyen Âge, Turnhout, 2012, p. 356. Voir aussi G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la France féodale [1981], rééd. dans id., Féodalité, Paris, 1996, p. 1186. 52 Voir Annexe 2, textes no 5, 6, 8 et 13.
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aussi le fonctionnement de la communauté conjugale, en particulier les relations entre époux. Les modèles de comportement proposés qui reprennent ceux mis en avant par les moralistes de l’Antiquité romaine53, invitant les époux à se comporter vertueusement dans leur vie conjugale comme en dehors, ne sont pas nouveaux. En revanche, ce qui l’est davantage, c’est la volonté de structurer la société laïque autour de l’institution matrimoniale qui lui est réservée et donc de la constituer en un ordo conjugatorum, respectant les règles de vie – sur la base en particulier de l’égalité, la réciprocité et la fidélité – et le ministère – qui implique notamment le gouvernement de la famille – définis pour lui par les clercs54. Proposer, voire imposer, des normes, ici en matière mariage et de conjugalité, signifie cependant que celles-ci ne correspondent pas ou qu’imparfaitement aux réalités sociales, ce que suggèrent aussi les critiques répétées, voire les interdits rappelés, à l’encontre des pratiques qui ne correspondent pas à ce modèle – en particulier concubinage, polygamie, abandon, séparation, etc. – et qui témoignent, en outre, de résistances diverses à l’idéologie défendue par une partie des élites au moins : le discours dominant sur le mariage ne doit pas masquer la diversité des situations conjugales, ce qui conduit à s’interroger sur les formes majoritairement ou minoritairement pratiquées. Les sources narratives et diplomatiques, mais aussi administratives et nécrologiques, associent cependant régulièrement, et plus souvent, des individus présentés comme maris et femmes et agissant de concert : il en résulte une image plus nette du couple qui n’exclut cependant pas que le discours en faveur de l’union matrimoniale puisse conduire à privilégier dans la documentation une forme de conjugalité qui s’approche de l’idéal proposé. Il n’en reste pas moins que la période est marquée par une association plus étroite de l’épouse au pouvoir du mari, dans le milieu royal d’abord, puis au sein de l’aristocratie, en lien avec les transformations des structures de pouvoir et de parenté : cela contribue nettement à faire sortir de l’ombre les couples, timidement d’abord, puis beaucoup plus clairement à partir de la fin du ixe siècle55. En ce qui concerne les élites, la multiplication des mentions de couples associés dans l’exercice du pouvoir traduit donc des évolutions réelles. Pour autant, faut-il conclure de l’absence d’association visible à l’exercice conjoint du pouvoir que le couple concerné manque de consistance ? Le couple, dont le rôle public est davantage mis en scène, en est-il plus solidaire, complice et solide ? Si la documentation tend le plus souvent à souligner ou laisser supposer la communauté d’intérêts et l’harmonie conjugale, elle n’en témoigne pas moins aussi de relations conflictuelles, indifférentes ou précaires. En outre, sa plus grande discrétion sur les pratiques polygames doit-elle être interprétée comme la soumission des élites laïques
53 P. Veyne, « L’Empire romain », art. cit., p. 46-54 : à partir du début de notre ère, les moralistes de l’Antiquité romaine proposent une nouvelle morale au citoyen qui implique pour celui-ci de se comporter en bon mari et donc de considérer sa femme comme une amie, une compagne, voire une associée. 54 P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., p. 300-309 ; A. Dubreucq, « La littérature des specula … », art. cit., p. 27-32. Voir aussi C. Lauranson-Rosaz, « Quod coniugium a Deo sit institutum. Le mariage d’après Jonas d’Orléans (760-840) », dans Identités marginalités et solidarités : Droits et histoire des personnes, dans Revue juridique d’Auvergne, 2005, no spécial, p. 23-37. 55 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 356-365.
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aux normes définies par les ecclésiastiques ou comme le silence des auteurs sur des usages tolérés à défaut de pouvoir être supprimés ? Quand bien même la polygamie continuerait d’être pratiquée, nie-t-elle pour autant la reconnaissance du couple, les spécialistes considérant que dans un couple polygame, chaque relation conjugale est « une relation à part entière »56 ? Par ailleurs, si la documentation laisse supposer une conception, voire un fonctionnement, plus communautaire du couple, du moins dans les élites, pourquoi les individus, et en particulier les hommes, sont-ils souvent présentés intervenant seuls, alors que l’on sait qu’ils ont un conjoint ? Quant aux couples des autres milieux sociaux qui ne sont pas confrontés aux mêmes enjeux, fonctionnent-ils différemment ? Au total, la nouvelle perception et représentation du couple à l’époque carolingienne traduit certaines mutations réelles, mais perceptibles dans une documentation produite pour et par les élites et affectant certains couples plus que d’autres, ce qui invite à écarter toute généralisation hâtive. Quant à la période post-carolingienne, elle est marquée par une visibilité nettement accrue des couples. Sources narratives, correspondances, mais aussi œuvres de fiction57, et surtout chartes dont le nombre connait une augmentation exponentielle mentionnent une multitude d’individus vivant ou intervenant en couple, principalement issus des élites mais aussi d’autres milieux. Certaines mutations contribuent à l’expliquer, notamment l’émiettement du pouvoir exercé par de nombreux princes et seigneurs qui y associent leurs épouses et la multiplication des liens avec les communautés religieuses, par l’intermédiaire de donations notamment visant à assurer le salut de l’âme des membres du groupe, en particulier familial, tout en créant ou renouvelant des alliances58, ces deux évolutions conduisant à mentionner davantage les époux ensemble. Néanmoins, l’enregistrement fréquent de l’intervention d’individus, en majorité des hommes, sans conjoint – ce qui n’exclut pas forcément la présence de celui-ci ni son rôle – questionne sur la place du couple dans la société, ou du moins la perception qu’en ont les auteurs et la représentation qu’ils en donnent. Par ailleurs, la très grande majorité de ces couples sont présentés comme mariés : peut-on en déduire que le couple marié a fini par s’imposer comme la norme ? Les remarques sur la terminologie comme certaines allusions à des enfants nés de couples non mariés invitent à la prudence.
56 S. Fainzang, O. Journet, La femme de mon mari. Anthropologie du mariage polygamique en Afrique et en France, Paris, 1988, p. 156. 57 Elisabeth Van Houts vient de montrer tout l’intérêt qu’il y a, pour approcher la vie conjugale, à utiliser poèmes, romans courtois et chansons de geste, écrits pour une large part par des laïcs : certes, ils proposent des scénarios fictifs, mais ils n’en présentent pas moins à leurs lecteurs et auditeurs des deux sexes, d’une part, des descriptions mimétiques de la réalité, dépeignant l’environnement dans lequel les hommes et les femmes vivaient et agissaient, les sentiments qui les animaient, ainsi que les aspects qui les intéressaient et /ou les préoccupaient et, d’autre part, des messages moraux et émotionnels à leur intention : E. Van Houts, Married Life in the Middle Ages, 900-1300, Oxford, 2019, notamment p. 19-20. 58 Voir entre autres les études pionnières de S. D. White, Custom, Kinship and Gifts to Saints. The Laudatio parentum in Western France, 1050-1150, Londres, 1988 ; B. H. Rosenwein, To Be the Neighbor of saint Peter. The Social Meaning of Cluny’s Property, 909-1049, Londres, 1989 ; M. McLaughlin, Consorting with Saints. Prayer for the Dead in Early Medieval France, New York, 1994.
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Le discours des autorités religieuses aux ambitions de plus en plus englobantes59 contribue aussi à déformer l’image du couple. Dans un contexte d’affaiblissement du pouvoir royal, l’Église impose au xie siècle sa compétence exclusive juridictionnelle et législative quant aux affaires matrimoniales60 et poursuit sa réflexion doctrinale, ce qui aboutit à l’introduction du mariage dans la liste des sacrements à la fin du xiie siècle61. Ces évolutions s’inscrivent dans le cadre des efforts de l’Église, ou du moins d’une partie des ecclésiastiques favorables au courant réformateur dit grégorien, pour moraliser et purifier l’ensemble de la société, en encadrant étroitement les comportements des laïcs et des clercs, plus nettement distingués62. Si l’accent est mis sur le mariage, exclusivement réservé aux laïcs, le discours concerne aussi la conjugalité, présentée comme la norme pour la majorité de la société, invitée à respecter dans ce cadre les règles définies par les autorités ecclésiastiques depuis des siècles. Or, la condamnation de certaines pratiques révèle qu’il existe des couples qui ne sont pas mariés, des clercs qui mènent une vie conjugale, des individus qui pratiquent une conjugalité différente de celle proposée. Même s’il est difficile d’en évaluer l’importance, cela montre qu’il existe d’autres formes de vie conjugale que celle donnée en modèle. Si le discours insiste sur le modèle marital63, en occultant les autres, il n’en reste pas moins un discours, même s’il est plus ferme : non seulement il n’est pas forcément suivi d’effet, mais encore il ne fait pas l’unanimité au sein du monde ecclésiastique, ce qui n’en facilite pas l’application et brouille aussi le message transmis. La documentation présente donc bien des pièges qui impliquent de l’analyser dans sa globalité comme dans le détail avec la plus grande attention, pour ne pas être induit en erreur par son effet déformant : la mention des couples s’intensifie au cours de la période, mais le corpus évolue ; le discours dominant privilégie le modèle marital, mais c’est celui que les autorités cherchent à imposer ; celles-ci s’attachent à définir des normes de vie et de relations conjugales, mais c’est le plus souvent le fait de clercs qui ne vivent pas en couple ou ont une expérience particulière de
59 D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1100-1150, Paris, 1998. 60 P. Daudet, L’établissement de la compétence de l’Église en matière de divorce et de consanguinité (France, xe-xiie siècle), Paris, 1941, p. 41 ; J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 242, n. 11. 61 J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 189-190. 62 G. Le Bras, « Le mariage dans la théologie et le droit de l’Église, du xie au xiiie siècle », dans Cahier de Civilisation médiévale, no 11/42 (av-juin 1968), p. 191-202 ; J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 139-191 ; J. A. Brundage, Law, Sex and Christian Society in Medieval Europe, Chicago, 1987, p. 176-228 ; G. Mathon, Le mariage des chrétiens, I : Des origines au concile de Trente, Lille, 1993, p. 161-219 ; C. de la Roncière, « Le mariage au Moyen Âge. Rites et idéaux chrétiens face aux pratiques séculaires », dans S. Melchior-Bonnet, C. Salles (dir.), Histoire du mariage, Paris, 2009, p. 271-286 ; D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., p. 99-113 ; et dans une optique plus sociale, M. McLaughlin, Sex, Gender and Episcopal Authority in an Age of Reform, 1000-1122, New York, 2010, p. 16-50. 63 Dans la langue française, si « marital » qualifie le plus souvent ce qui est lié au mari, il est parfois employé comme synonyme de « marié » ou « matrimonial », notamment par certains psychologues et sociologues qui utilisent le concept de « couple marital » pour désigner le couple marié (voir ci-dessus).
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la conjugalité. L’enquête qui a exigé beaucoup de minutie et un questionnement constant n’a cependant pas été menée en terrain vierge : la question du couple a déjà été approchée par de multiple biais.
Une approche historiographique récente par des angles de vue multiples Si le couple n’a pas encore donné lieu à une synthèse pour le haut Moyen Âge, il a néanmoins été approché, de manière plus ou moins directe, par de multiples biais pour cette période et d’autres, ce dont témoigne l’importance de la bibliographie consultée : d’abord, par celui de la famille et de la parenté ; puis par celui du mariage ; ensuite par celui des femmes et des pratiques sociales, notamment liées à l’exercice du pouvoir et à l’entretien de la mémoire ; enfin plus récemment, en tant que tel et dans sa diversité, plus souvent néanmoins pour la fin du Moyen Âge que pour le début. Histoire de la famille et de la parenté
C’est d’abord dans le cadre des études sur la famille et la parenté, aux approches perméables avec celles sur le mariage, qu’a été envisagé le couple. L’intérêt croissant des historiens pour les structures familiales, à partir des années 1960, a notamment conduit à deux conclusions majeures : d’une part, si la famille est fondée sur des nécessités biologiques (attirance des sexes, reproduction, soins apportés aux enfants, etc.), elle est une institution sociale, présente par conséquent dans toutes les sociétés, même si c’est avec des traits propres à chacune d’elles ; d’autre part, la famille n’évolue pas de manière linéaire et elle se décline selon différents types, élaborés très tôt64. La famille peut ainsi recouvrir des réalités très diverses qui ont évolué au cours des siècles, même si les évolutions n’ont pas toujours été correctement perçues. Ainsi, aujourd’hui, il n’est plus question, par exemple, d’opposer la « famille large » du très haut Moyen Âge à la « famille conjugale » des siècles suivants. La fin de l’Antiquité romaine comme le début du Moyen Âge sont marqués, comme on l’a évoqué, par un renforcement de l’institution conjugale qui apparaît dès alors comme une « structure portante », expression que Pierre Toubert avait appliquée à l’époque carolingienne marquée par le développement d’un discours valorisant le mariage. Il ne fait plus aucun doute qu’elle a préexisté au christianisme qui l’a reçue comme une institution humaine, acceptée, tout en
64 C. Lévi-Strauss, « Préface », art. cit., p. 11-15. Pour les premières réflexions des historiens médiévistes sur la famille et la parenté, voir G. Duby, J. Le Goff (dir.), Famille et parenté, Rome, 1977. Pour le Moyen Âge, Georges Duby note par exemple que dans les campagnes du monde franc, la famille nucléaire apparaît mieux établie au ixe siècle qu’au xive où se multiplient les solidarités élargies : G. Duby, « Préface », dans A. Burguière et al. (dir.), Histoire de la famille, II : Temps médiévaux. Orient/Occident, Paris, 1986, p. 11.
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étant jugée inférieure au célibat, avant que l’Église ne la promeuve, en en précisant le modèle et en l’encadrant étroitement avec le soutien des pouvoirs carolingiens65. Il reste néanmoins à en analyser les traductions concrètes. Par ailleurs, Jan Rüdiger a récemment contesté l’idée que le mariage et le couple marié aient été des phénomènes universels dans l’Occident médiéval66. Il considère qu’il faut distinguer plus nettement, dans la terminologie, la polygamie, à réserver à ceux qui sont liés par plusieurs mariages, de la polygynie, à appliquer aux hommes qui ont des relations sexuelles avec plusieurs femmes. Pour lui, si la polygamie est peu adaptée à l’Europe chrétienne qui rejette catégoriquement les mariages multiples, la polygynie s’y trouve largement répandue au Moyen Âge67 : il faut donc, selon lui, remettre en cause l’idée d’une société organisée autour du couple68. La thèse mérite d’être débattue. En outre, même si, selon l’avis dominant, la vie quotidienne s’organise autour de la famille conjugale et donc du couple, cela n’exclut pas que ceux-ci s’inscrivent dans des groupements plus larges, notamment de parenté – recouvrant au Moyen Âge les relations tant de consanguinité et d’alliance que celles résultant d’un lien spirituel engendré par le baptême. Or, l’approche des structures de parenté a été depuis les années 1990 particulièrement renouvelée par l’anthropologie. Les études des hauts médiévistes inscrites dans cette perspective, à commencer par celles de Régine le Jan, ont notamment mis en lumière, d’une part, la nature cognatique de la filiation, ce qui rattache l’individu aux lignées paternelle comme maternelle – et donc les couples à plusieurs lignées –, et d’autre part le rôle de l’alliance qui, plus qu’elle n’unit deux individus, met en jeu des groupes de parents et contribue à asseoir une domination sociale69. Il en résulte pour le couple conjugal une place particulière : au cœur de la famille élémentaire qui constitue une unité d’alliance et de filiation, il est l’« atome de parenté autour duquel se structurent les autres noyaux », ce qui le place à la jonction de plusieurs familles et de groupements divers (associant amis, voisins, fidèles, dépendants, etc.)70. Il reste néanmoins à préciser la nature de ces liens, la place et le rôle assignés au couple par ces groupements,
65 Synthèses, dans A. Burguière et al. (dir.), Histoire de la famille, II : Temps médiévaux …, op. cit., pour « l’Europe barbare », par P. Guichard et pour « le moment carolingien », par P. Toubert, p. 28-35, 77-86, 103-107, 125-126 (p. 321-327 et 343-344 pour l’article de P. Toubert réédité dans Id., L’Europe …, op. cit.) et sur le long terme par P. Toubert, « L’institution du mariage chrétien, de l’Antiquité tardive à l’an mil » [1998], rééd. dans Id., L’Europe …, op. cit., p. 249-281. Plus récemment, D. Lett, Famille et parenté dans l’Occident médiéval, ve-xve siècle, Paris, 2000. 66 J. Rüdiger, « Married Couples in the Middle Ages ? The Case of the Devil’s Advocate », dans P. Andersen, K. Salonen, H. Møller Sigh, H. Vogt (dir.), Law and Marriage in Medieval and Modern Times, Copenhague, 2012, p. 83-109. 67 Ibid. p. 95-96. 68 Ibid., p. 106. 69 R. Le Jan, Famille …, op. cit., notamment partie II « Anatomie de la famille » ; Synthèse de A. Guerreau-Jalabert, R. Le Jan, J. Morsel, « De l’histoire de la famille à l’anthropologie de la parenté », art. cit., p. 436-442. 70 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 331-332.
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mais aussi sa marge de manœuvre à leur égard et la manière dont il se positionne, solidairement ou non, par rapport à eux, notamment en cas de rivalités ou de conflits internes71. L’étude des règles d’alliance, au cœur du système de parenté médiéval, a aussi conduit à préciser les stratégies matrimoniales qui aboutissent à la formation d’un couple. Histoire du mariage
Le couple a donc aussi été envisagé à partir de l’étude du mariage, d’abord appréhendé dans sa dimension juridique, puis morale, avant d’être considéré dans une optique sociale et anthropologique. Dans un premier temps, les historiens du droit ont mis en lumière les étapes de l’évolution des règles juridiques quant au mariage et précisé, pour chacune d’elles, ce qui rendait le mariage légitime (accord des parents ? dotation de l’épouse ? consentement des époux ? consommation du mariage ?) ainsi que les interdits qui en empêchaient la conclusion ou exigeaient sa séparation, voire sa dissolution72. Deux étapes majeures ont ainsi été mises en lumière. La première correspond au moment carolingien qui voient les autorités religieuses, soutenues par les pouvoirs civils carolingiens, chercher à imposer leur modèle de mariage défini comme indissoluble, monogame, et exogame73, les deux premières caractéristiques étant considérées comme profitables à l’épouse dont la place au sein du couple se trouve ainsi mieux assurée74. Une seconde étape est enregistrée aux xie-xiie siècles, en lien avec la réforme grégorienne qui s’accompagne d’une autorité accrue de l’Église sur les questions matrimoniales et la vie des couples, ce qui la conduit, d’une part, à acquérir en ce domaine la compétence exclusive juridictionnelle et législative, d’autre part, à réserver la sexualité aux seuls laïcs qui doivent la pratiquer dans le cadre du mariage légitime et selon les modalités qu’elle a fixées, et enfin à introduire le mariage dans la liste des sacrements à la fin du xiie siècle75. La connaissance des normes n’a cependant d’intérêt que si l’on s’intéresse aussi au contexte qui explique les dispositions prises ou rappelées,
71 E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives de la Francie occidentale du xie siècle », dans S. Joye et al. (dir.), Le couple …, op. cit., p. 87-91. Sur les conflits intrafamiliaux plus généralement : M. Aurell, La parenté déchirée : les luttes intrafamiliales au Moyen Âge, Turnhout, 2010, notamment Id., « Rompre la concorde familiale : typologie, imaginaire, questionnements », p. 33-41 et S. Joye, « Gagner un gendre, perdre des fils : désaccords familiaux sur le choix d’un allié au haut Moyen Âge », p. 79-94. 72 J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit. 73 Ibid., chap. 5 ; G. Duby, « Le mariage dans la société du haut Moyen Âge », dans Id., Mâle Moyen Âge. De l’amour et autres essais, Paris, Flammarion, 1987, réed. 1990 p. 26-28 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 271-284 et p. 310-316 ; Synthèse par R. Le Jan, Histoire de la France : origines et premier essor, 480-1180, Paris, 1996, rééd., p. 121-122. 74 S. Wemple, Women in Frankish Society, Mariage and the Cloister 500 to 900, Philadelphia, 1981, p. 97. 75 J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., chap. 6 ; Synthèse par E. Santinelli, « Contrôler le mariage et la sexualité », dans M-C Isaïa (dir.), L. Jégou, E. Santinelli-Foltz, M. Brand’Honneur, V. Gazeau, K. Krönert, A. Wagner, Pouvoirs, Église et société. France, Bourgogne, Germanie, 888-1120, Paris, 2009, p. 360-365.
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ainsi qu’à la manière dont elles sont appliquées, refusées ou contournées, ce qu’il reste à préciser en ce qui concerne le couple76. En outre, si le mariage conduit à la formation d’un couple, entraine-t-il pour autant systématiquement le partage d’une vie conjugale ? Le couple a ensuite bénéficié des analyses initiées par Pierre Toubert sur « la théorie du mariage chez les moralistes carolingiens » : les viiie-ixe siècles sont marqués par le développement d’une littérature didactique présentant des modèles de comportements aux élites laïques masculines et un nouveau discours sur le mariage et le couple, ce qui n’exclut pas la reprise de certains éléments à celui des Pères de l’Église et à la législation romaine sur le mariage77. Le mariage y est en effet présenté comme créateur d’une societas entre les époux, transformés en consortes, unis par la caritas, entre lesquels il doit y avoir une réciprocité parfaite de droits et de devoirs – notamment en termes de fidélité, de respect et d’amour –, et dont la finalité est de se prolonger dans une progéniture, à l’égard de laquelle les parents ont des obligations. La valorisation du mariage s’est accompagnée de celle de la femme et de la maternité. Il en résulte une perception différente de la place et du rôle de l’épouse, ainsi que des relations entre les conjoints, liée aux transformations de la société. L’étude du système de représentation de l’épouse a été poursuivie pour les xe-xie siècles par Régine Le Jan, pour le milieu comtal. Elle a montré comment le modèle mis en avant dans le discours idéologique s’est imposé dans les faits, ce qu’elle explique par les transformations qui affectent alors l’exercice et la transmission du pouvoir ainsi que les structures familiales78. Si l’analyse des systèmes de représentation, comme des normes, est en effet essentielle, il apparaît indispensable de les confronter aux pratiques sociales attestées dans la documentation et d’expliquer les raisons des modèles proposés comme des décalages observés entre théorie et réalité. Cela se justifie d’autant que les études qui leurs sont consacrées soulignent aujourd’hui le caractère incertain et parfois contradictoire de la législation en matière de mariage, la multiplicité des autorités compétentes à intervenir au haut Moyen Âge, les divergences sur un même dossier au sein du corps ecclésiastique, l’absence d’uniformité dans le traitement d’affaires similaires contemporaines, le décalage entre la législation et la pastorale79 : tout cela laisse supposer autant une grande adaptabilité des uns et des autres que l’existence d’enjeux plus ou moins saisissables. 76 Georges Duby rappelait déjà, dans l’introduction du colloque réuni à Spolète, que l’on ne pouvait, pour l’étude du mariage, s’en tenir aux énonciations normatives, du fait de la marge entre la théorie et la pratique, y compris après la mise en place de la réforme grégorienne et d’un encadrement censé plus étroit : G. Duby, « Le mariage dans la société du haut Moyen Âge », art. cit., p. 17 et p. 35-36. 77 P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., p. 283-320 ; Id., « L’institution du mariage chrétien … », art. cit., p. 249-281 ; Id., « Le moment Carolingien … », art. cit., p. 347 et p. 353-356. 78 R. Le Jan, « L’épouse du comte du ixe au xie siècle : transformation d’un modèle et idéologie du pouvoir » [1999], rééd. dans Ead., Femmes, pouvoir et société dans le haut Moyen Âge, Paris, Picard, 2001, p. 21-29. 79 P. Toubert, « Le moment Carolingien », art. cit., p. 352-353 ; E. Santinelli, « Introduction. Séparation, divorce, répudiation dans l’Occident médiéval. Théorie et pratique. Évolutions et divergences », dans Ead. (dir.), Répudiation, séparation, divorce dans l’Occident médiéval, Valenciennes, 2007, p. 15-18, p. 21-22 et p. 24-28. Jean Gaudemet note le manque d’uniformité au sein de l’Église en matière de discipline matrimoniale jusqu’au xiiie siècle, dans la plupart des articles réunis dans le volume Sociétés et mariage,
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La question du mariage médiéval a donc été de plus en plus envisagée dans une perspective sociale et anthropologique, à laquelle Régine le Jan a donné pour le haut Moyen Âge une impulsion décisive. Elle a proposé ainsi d’interpréter l’extension des interdits observés aux viiie-ixe siècles comme un moyen pour l’Église de promouvoir le couple conjugal en luttant contre les pratiques qui sous-tendent les solidarités familiales80. Elle a montré, en outre, que les élites n’ont accepté et suivi les normes définies par l’Église qu’autant que celles-ci ne gênaient pas leurs stratégies81. D’autres études ont d’ailleurs cherché à mieux comprendre certaines de ces affaires matrimoniales qui ont défrayé la chronique en leur temps, notamment parce qu’elles voyaient la « morale des guerriers » s’opposer à celle des prêtres, pour reprendre la formulation de Georges Duby dans son étude du mariage dans la France féodale82, l’issue étant alors étroitement dépendante du rapport de force entre les parties en présence comme l’ont explicitement montré Karl Heidecker pour Lothaire II et Carole Avignon pour les premiers Capétiens83. Enfin, ces deux dernières études témoignent comme les travaux de Régine Le Jan de la nouvelle approche du mariage par le biais des stratégies matrimoniales élaborées autour de l’échange des femmes : du fait de l’importance de l’alliance dans les structures de parenté, il est, en effet, essentiel de mieux cerner, en particulier pour les élites, les objectifs recherchés par le mariage, les règles matrimoniales pratiquées et les contraintes subies, mais aussi ses implications sociales et patrimoniales et le rôle de chacun des acteurs84. Didier Lett a récemment conclu le premier colloque consacré à cette question en soulignant la « grande souplesse et variété » des pratiques au sein des aristocraties des ixe-xiiie siècles, malgré les « règles imposées par l’Église » et les « normes nécessaires pour que Strasbourg, 1980, p. 113 (« La décision de Calixte en matière de mariage »), p. 123 (« Droit romain et principes canoniques en matière de mariage au Bas-Empire »), p. 166 (« Originalité et destin du mariage romain »), p. 190 et p. 200-205 (« Le lien matrimonial : les incertitudes du haut Moyen Âge »), p. 245, 256, 262, 283-287 (« L’interprétation du principe d’indissolubilité du mariage chrétien au cours du premier millénaire »), p. 380 (« Les étapes de la conclusion du lien matrimonial chez Gratien et ses commentateurs »). 80 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 310-316, notamment p. 315. Jack Goody y voyait plutôt une stratégie patrimoniale de l’Église lui permettant de capter une partie des héritages : J. Goody, L’évolution de la famille …, op. cit., notamment p. 56-58. 81 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 316. 82 G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre …, op. cit., p. 1161-1381, notamment chap. 2 « morale des prêtres, morale de guerriers ». La recherche récente a néanmoins montré qu’il fallait nuancer cette opposition, dans la mesure où les élites laïques et ecclésiatiques, issues des mêmes milieux, partageaient le même souci d’assurer la stabilité des couples mariés, garante de celle de la société, ce qui avait conduit les premières à accepter largement l’idéologie promue par la seconde : synthèse dans E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 15-16. 83 K. Heidecker, « Les mariages ratés de Lothaire II. Idéologies ecclésiastiques et pouvoirs socio-politiques », dans E. Santinelli (dir.), Répudiation, séparation, divorce dans l’Occident médiéval, Valenciennes, 2007, p. 301-307 ; C. Avignon, « Les stratégies matrimoniales des premiers Capétiens à l’épreuve des prohibitions canoniques en matière de parenté (xie-xiie siècle) », dans M. Aurell (dir.), Les stratégies matrimoniales (ixe-xiiie siècles), Turnhout, 2013 p. 237-255. 84 Entre autres, R. Le Jan, Famille …, op. cit., chap. 9 ; M. Aurell (dir.), Les stratégies matrimoniales …, op. cit. L’approche concerne parfois un type de stratégie matrimoniale particulière comme le rapt : voir S. Joye, La femme ravie …, op. cit.
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les familles se reproduisent, fassent une ascension sociale ou tiennent leur rang »85. L’ensemble de ces études centrées sur le mariage envisagent certes le plus souvent le couple en amont, c’est-à-dire avant ou au moment de sa formation. Elles évoquent néanmoins aussi parfois des situations (union jugée illicite ou remise en cause par l’une des parties, par exemple) dont il convient de mieux évaluer les conséquences pour le couple. Il arrive, en outre, qu’elles témoignent de certains aspects de la vie conjugale (comme l’adultère, les pratiques contraceptives ou les transferts de patrimoine) dont la traduction concrète mérite d’être précisée en croisant les différents types de sources. Elles évoquent enfin parfois certaines précisions concernant les conjoints ou le mariage (union dissymétrique, âge au mariage, première union ou remariage, etc.) susceptibles ensuite d’influencer les relations entre époux, ce qu’il reste à mesurer plus précisément86. Les nombreuses études sur le mariage et le discours médiéval dominant en faveur de l’institution matrimoniale ne doivent cependant pas occulter le fait qu’une partie de la population menait une vie conjugale sans être mariée : Ce n’est probablement pas sans raison que Ruth Mazo Karras a intitulé Unmarriages son dernier livre, qui témoigne de la multiplicité des types de couples à un moment où la limite reste floue et fluctuante entre les unions qui sont considérées comme mariage et celles qui ne le sont pas. Sans exclure que la monogamie et l’indissolubilité aient pu correspondre à la norme proposée et voulue par les autorités, elle montre que l’expérience vécue était beaucoup plus variée87. Certes, elle privilégie la fin du Moyen Âge, mieux documentée, même si elle n’occulte pas les siècles précédents, mais les perspectives ouvertes méritent d’être creusées pour saisir les implications concrètes de l’ensemble des types d’unions au haut Moyen Âge et ce qui distinguait les différents types de couples dans leur quotidien, ainsi que leur place et leur rôle dans la société. Cela justifie le titre retenu pour ce livre : couples (au pluriel) et conjugalité. Histoire des femmes et du genre
La question du couple a aussi été abordée, depuis près d’un demi-siècle, par le biais de l’histoire des femmes, dont l’approche a plus récemment été renouvelée par l’introduction du concept de genre, entendue comme construction sociale et culturelle des identités masculines et féminines et des relations entre les sexes88. Georges Duby affirmait, il y a trente ans, en conclusion du colloque de Maubeuge
85 D. Lett, « Les règles du jeu matrimonial : regards pragmatiques sur les stratégies des aristocraties des ixe-xiiie siècles », dans M. Aurell (dir.), Les stratégies …, op. cit., p. 360. 86 Signe de l’évolution de l’approche de la question, Charles de la Roncière porte, dans sa synthèse sur le mariage au Moyen Âge, une attention plus grande que ses devanciers au couple : C. de la Roncière, « Le mariage au Moyen Âge … », art. cit., p. 211-418. 87 R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit. 88 Entre autres, D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 9 ; J. Jeanne, « La France : une délicate appropriation du genre », dans I. Ernot, D. Lett, R. Rogers (dir.), Les médiévistes et l’histoire du genre en Europe, dans Genre & Histoire, no 3 (Automne 2008) (http://genrehistoire.revues.org/349) ; F. Thebaud, Écrire l’histoire des femmes et du genre, Lyon, 2007, p. 117-172 et 185-238 ; C. Guionnet, E. Neveu, Masculins/ féminins. Sociologie du genre, Paris, rééd. 2014, p. 5. Sur la prise en compte du genre, entre autres marqueurs
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sur la femme au Moyen Âge que l’institution du mariage était, à son avis, « le pivot de toute étude sociale de la condition féminine »89. Si les études postérieures ont montré que cela n’était pas forcément le cas, il n’en reste pas moins que le mariage – ou du moins la vie conjugale – étant l’avenir promis au plus grand nombre, la plupart des femmes médiévales vivaient, au moins un temps, en couple. En outre, dans une société dominée par les hommes comme celle du haut Moyen Âge, c’est dans leur univers domestique et dans leur rôle familial qu’elles apparaissent d’abord90. On a souvent noté que les femmes étaient envisagées par rapport à leur place dans le cycle de la vie – jeunes filles, épouses, veuves –, et par rapport aux hommes auxquelles elles étaient liées – « filles de », « épouses de », « mères de » – contrairement aux hommes identifiés par leur statut social – roi, comte, évêque, abbé, paysan, etc. –, sans référence à leur vie sexuelle et conjugale. Cela s’explique par la manière dont étaient alors perçue la féminité et la masculinité91. Même s’il s’agit de modèles construits, ils correspondent en partie aux réalités observées qui lient plus étroitement la femme que l’homme à la cellule conjugale. Dans les efforts menés pour préciser la place et le rôle de l’épouse, on a d’abord insisté sur son statut par rapport à son mari, puis sur son rôle domestique et maternel, avant qu’une relecture attentive des sources et un renouveau des problématiques ne mettent en lumière des fonctions nettement plus diversifiées. Les études sur le sujet montrent ainsi que la femme est placée sous la tutelle protectrice (mund ou mainbour) de son mari, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle est asservie ni dépendante. Il est d’ailleurs possible, au regard des chartes qui nous sont parvenues, qu’elle ait bénéficié d’une certaine indépendance économique, même si celle-ci varie en fonction du milieu social, des régions et des époques92. Par ailleurs, la vie quotidienne est organisée autour du partage des tâches, la procréation, l’éducation des enfants en bas-âge et des filles, l’instruction religieuse des enfants des deux sexes et la gestion de la maison relevant plus particulièrement des fonctions féminines93. À l’échelon aristocratique et royal, ces fonctions domestiques ont cependant des prolongements économiques et politiques : l’épouse est, en effet, amenée, en tant que
statutaires, pour comprendre la place dans la parenté et analyser les relations intrafamiliales, voir A. Fine, D. Lett, C. Klapisch-Zuber (dir.), Liens familiaux, Clio, Histoire, femmes et société, 34 (2011), avec une réflexion pluridisciplinaire sur la longue durée. 89 G. Duby, « Conclusion », dans M. Rouche, J. Heuclin (dir.), La femme au Moyen Âge, Maubeuge, 1992, p. 457. 90 C. Klapisch-Zuber (dir.), Histoire des femmes, t. II : Le Moyen Âge, Rome-Bari, 1990, en particulier chap. 6 (S. Wemple, « Les traditions romaines, germaniques et chrétiennes ») et 7 (P. L’Hermite-Leclercq, « L’ordre féodal (xie-xiie siècles) »). 91 D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., chap. 3 : « Féminités et masculinités ». 92 Herlihy D., « Land, Family and Women in Continental Europe, 701-1200 » [1962], rééd. dans S. M. Stuard (dir.), Women in Medieval Society, Philadelphie, 1976, p. 13-45 (réimpr. dans D. Herlihy, The Social History of Italy and Western Europe, 700-1500, New York, 1978, chap. 6) ; S. Wemple, Women …, op. cit., p. 29-31, 45-50 ; Ead., « Les traditions romaines, germaniques et chrétiennes », art. cit., p. 229, 232 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 234-235. 93 S. Wemple, Women …, op. cit., p. 59-70, 97-103 ; Ead., « Les traditions romaines, germaniques et chrétiennes », art. cit., p. 238-239 et 244 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 344-349.
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maîtresse de maison, d’une part, à contrôler une partie du trésor ainsi que la gestion des domaines et, d’autre part, à entretenir des relations avec les fidèles, alliés et autres puissants de passage94. S’y ajoutent aussi, même si elles n’en ont pas l’exclusivité, les relations avec les ecclésiastiques et le patronage des communautés religieuses, dont la recherche récente a montré qu’elles n’avaient pas que des motivations religieuses : d’une part, ces relations permettent aux groupes, familiaux mais aussi d’alliés et de fidèles, de nouer des liens ou de les renforcer avec ces hommes et institutions qui représentent autant de relais du pouvoir, mais aussi de conforter leur cohésion à l’occasion de rituels célébrés ensemble ainsi que de donations, confirmations ou contestations mises par écrit, ce qui fait participer les femmes à la constitution et au renforcement des réseaux d’alliance95 ; d’autre part, les concessions réalisées au profit des communautés religieuses comportent régulièrement des contre-dons spirituels au profit des défunts de la famille, notamment les ancêtres auxquels les vivants doivent richesses, prestige et pouvoir, ce qui accorde aux femmes un rôle essentiel dans l’entretien de la memoria (mémoire liturgique) et donc pour conforter la légitimité de ceux qui exercent l’autorité96. La perception du rôle des épouses s’en est donc trouvée singulièrement modifiée. En outre, si l’on insiste généralement sur le partage des tâches et la hiérarchie à respecter entre les sexes au sein du couple, ce qui se traduit par l’absence de référence à l’épouse ou sa mise en en retrait par rapport au mari, cela n’exclut pas, néanmoins, des décisions prises ou des actes réalisés de concert97. Cela contribue à expliquer que la sagesse figure parmi les qualités morales à rechercher chez une épouse : cela doit lui permettre d’apporter des conseils éclairés à son époux, conformément au modèle de l’épouse conseillère que l’Église cherche très tôt à diffuser98. Enfin, plus récemment on s’est intéressé à la question du pouvoir – multiforme – des femmes : dans cette optique, Régine Le Jan a montré qu’à partir de l’époque carolingienne, l’épouse a été plus étroitement associée par son mari à l’exercice du pouvoir, d’abord à l’échelon royal, avant que le modèle ne se diffuse, de haut en bas dans l’aristocratie, princière puis seigneuriale99.
94 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 349-350. 95 Entre autres, E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 176-181 et 351-354 ; Ead., « Autour des morts vers l’an mil. Pleurer et donner ensemble : témoignage de piété et geste social », dans J. Heuclin, C. Leduc (dir.), Sentiments religieux et piété populaire de l’an mil à nos jours, dans Revue du Nord, Hors série, coll. Histoire, no 25 (2011), p. 13-26, particulièrement p. 21-24. 96 Entre autres, E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., chap. 7 (« Les veuves et la mémoire ») ; Ead., « Les femmes et la mémoire dans le Hainaut du haut Moyen Âge », dans J. C. Herbin (dir.), Images et mémoire du Hainaut médiéval, Valenciennes, 2004, p. 51-72 ; Ead., « Autour des morts vers l’an mil. Pleurer et donner ensemble … », art. cit., p. 22-23. 97 E. Santinelli, « Aux côtés de Clovis : la reine Clotilde (472/480-544/548) », dans M. Kazanski, P. Périn (dir.), Autour du règne de Clovis …, op. cit., p. 82-86. 98 R. Le Jan, « L’épouse du comte … », art. cit., p. 24. 99 R. Le Jan, Famille …, op. cit.,p. 356-365 ; Voir aussi la synthèse de G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, La France avant la France, 481-888, Paris, 2010, p. 587-606. Sur le tournant carolingien pour la reine, voir P. Delogu, « ‘Consors regni’ : un problema carolingio », dans Bolletino dell instituto storico italiano per il medio evo e archivio muratoriano, 76 (1964), notamment p. 85-98 ; J. Nelson, « Early Medieval Rites of Queen-making and the Shaping of Medieval Queenship », dans A. J. Duggan (dir.), Queens and
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D’autres études, centrées sur le Moyen Âge central, ont en outre contesté l’idée d’une réduction du pouvoir de la reine et des femmes de l’aristocratie liée à la cristallisation des coutumes successorales et à la bureaucratisation du gouvernement, pour les premières100, et conséquence d’un système d’héritage qui privilégie les mâles, pour les secondes101, en mettant en lumière les droits, le rôle et les pouvoirs des élites féminines de tous échelons, ce qui ne signifie pas que toutes en ont disposé ni, quand elles en ont usé, qu’elles y sont parvenues sans difficulté et l’ont fait seules ou sans contrôle, notamment masculin102. L’ensemble de ces études a donc permis de cerner une partie de la vie conjugale quotidienne, mais la plupart d’entre elles insistent cependant davantage sur ce qui distingue mari et femme ou sur la manière dont l’épouse est associée par son mari que sur ce qui unit le couple et en fait une entité à part entière par rapport aux autres forces sociales. Il faut aussi mesurer ce qu’il en est dans les couples non mariés. Histoire du couple
L’approche du couple en tant que tel n’a cependant pas été complètement ignorée. Le nombre accru d’études consacrant un paragraphe, voire un chapitre, au couple témoigne d’un intérêt nouveau pour la conjugalité, ce qui a même conduit Jean-Claude Bologne à proposer récemment une Histoire du couple sur la longue durée103. Si la part accordée au Moyen Âge y est assez réduite et marquée par l’approximation, les questionnements envisagés aux différentes périodes ne sont pas sans intérêt (but du couple ? modèles alternatifs au mariage ? quelle vie en commun ? statut proposé aux autres types de couples ?). Les études proposées par les médiévistes qui abordent la question du couple l’envisagent souvent par l’un des biais précédemment présentés104. Elles y envisagent cependant aussi parfois la question
Queenship in Medieval Europe, Woodbridge, 1997, p. 301-315 ; Ead., « Les reines carolingiennes », dans S. Lebecq, A. Dierkens, R. Le Jan, J. M. Sansterre (dir.), Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident (vie-xie siècles), Lille, 1999, p. 121-132. 100 J. C. Parsons, « Family, Sex and Power : the Rhythms of Medieval Queenship », dans Id. (dir.), Medieval Queenship, New York, 1993, p. 3. 101 G. Duby, Mâle Moyen Âge …, op. cit. Sur l’apport de Georges Duby à l’histoire des femmes au Moyen Âge et certaines critiques, voir C. Klapisch-Zuber, M. Zancarini-Fournel (dir.), Georges Duby et l’histoire des femmes, dans Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, no 8 (1998), notamment C. Klapisch-Zuber, « Avant-propos » p. 7-12, C. Duhamel-Amado, « Genèse d’une réflexion sur les femmes aux xie et xiie siècles », p. 29-44 et surtout A. Livingstone, « Pour une révision du ‘mâle’ Moyen Âge de Georges Duby (États-Unis) », p. 139-154. 102 Voir entre autres pour les reines : Reines et princesses au Moyen Âge, Les cahiers du CRISIMA, no 5 (2001), 2 vol., notamment J. Dufour, « Adèle de Champagne, troisième femme de Louis VII. Une reine méconnue », p. 35-41 ; M. Hivergneaux, « Aliénor, duchesse d’Aquitaine et deux fois reine : rôle et pouvoir d’une femme au xiie siècle (v. 1124/1137-1204) », p. 43-62, et pour la France des xie-xiiie siècles, T. Evergates (dir.), Aristocratic women in medieval France, Philadelphie, 1999. 103 J. C. Bologne, Histoire du couple, op. cit. 104 Entre autres, R. Le Jan, Famille …, op. cit., chap 10 (« Autour du couple conjugal ») ; G. Duby, Dames du xiie siècle, t. 2 : Le souvenir des aïeules, Paris, 1995, p. 195-210 (« Le couple ») ; T. Evergates, The Aristocracy of the County of Champagne, 1100-1300, Philadelphie, 2007, p. 88-100 (« The Conjugal Family »)
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des sentiments, notamment de l’affection conjugale, mais aussi des conflits entre époux105, dont il n’est pas toujours facile de savoir s’ils résultent d’incompatibilités réelles ou sont liés à d’autres enjeux. Isabelle Réal étudie néanmoins la communauté conjugale telle qu’elle apparaît dans l’hagiographie mérovingienne en mettant en avant les actes réalisés par les époux ambo pariter106, Amy Livingstone analyse les relations entre maris et femmes dans l’aristocratie ligérienne des xie-xiie siècles par le biais de leur partenariat au sein de la famille comme dans l’exercice du pouvoir seigneurial107 et Elisabeth Van Houts vient, quant à elle, de publier une étude sur l’expérience vécue de la vie conjugale en Occident centrée sur le Moyen Âge central, et notamment certains aspects de la vie sociale et émotionelle des couples, pour comprendre comment le libre consentement des époux en est venu, vers la fin du xiie siècle, à constituer la norme pour définir la légitimité du mariage et à s’imposer dans la pratique108. Pour les xiie-xve siècles, Diane Chamboduc de Saint Pulgent et Blandine Longhi qui ont coordonné le no 20 de Questes l’ont intentionnellement intitulé « Maris et femmes » pour souligner que les analyses historiques et littéraires des pratiques et des représentations portent, dans ce numéro, « non pas sur l’institution du mariage elle-même, mais sur les individus qui sont liés par elle, sur les rapports qui les unissent (…) » et elles ont délibérément utilisé le pluriel pour insister sur la pluralité des situations109. Même si pour les coordonatrices, les études sur le couple sont marquées par une dissymétrie forte entre celles « portant sur le haut Moyen Âge, qui placent la question au centre de leur analyse, et celles concernant la période débutant au xiie siècle, dans lesquelles ce thème apparaît de manière moins centrale, plus marginale »110, le développement des études sur le couple médiéval, sous toutes ses formes, me paraît aujourd’hui d’abord le fait des bas médiévistes qui disposent d’une documentation nettement plus abondante et diversifiée. Ils tirent notamment profit de l’étude des sources judiciaires et des archives urbaines, voire des comptabilités111 et proposent des pistes qui méritent et p. 115-118 (« Divorce »). Le premier volume des mélanges offerts à Georges Duby, en 1992, intitulé Le couple, l’ami, le prochain, propose plusieurs articles sur le mariage ou des femmes mariées, mais pas de réflexion sur le couple en lui-même. 105 En témoignent notamment les deux récentes synthèses de Didier Lett : D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., chap 10 (« La vie de couple ») ; Id., Hommes et femmes …, op. cit., chap. 12 (« Dans l’intimité des couples »). 106 I. Réal, Vies de saints, …, op. cit.,p. 320-332. 107 A. Livingstone, Out of Love for my Kin : Aristocracy Life in the Lands of the Loire (1000-1200), Ithaca-Londres, 2010, chap. 7 (« For Better, not Worse. Wives and Husbands as Partners in Family and Lordship »). 108 E. Van Houts, Married Life …, op. cit. 109 D. Chamboduc de Saint Pulgent, B. Longhi, « Maris et femmes. Introduction », dans Questes, no 20 (2011), p. 13 et 15. 110 Ibid., p. 36. 111 Notamment C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, 1991, chap. 13 : « Le couple », ainsi que M. Charageat, La délinquance matrimoniale. Couples en conflit et justice en Aragon (xve-xvie siècle),Paris, 2011 et Ead., « Couples et amour en Aragon (xvexvie siècle) », dans A. Fine, D. Lett, C. Klapisch-Zuber (dir.), Liens familiaux, op. cit., p. 41-60. Le rapport des couples à la justice (pour s’y affronter comme pour y défendre leurs choix si ce n’est leurs droits) a aussi été analysé sur la longue durée : C. Gauvard, A. Stella (dir.), Couples en justice, ive-xixe
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d’être creusées pour les siècles qui précèdent. Si les haut médiévistes ne disposent pas du même type de sources, cela ne les empêche pas d’aborder la question par d’autres biais : les recherches ponctuelles menées sur le couple – en tant que tel et non dans une perspective qui ne fait que l’approcher – ont montré les possibilités et l’intérêt d’une synthèse sur le sujet pour les premiers siècles médiévaux, à commencer par le volume que Médiévales lui a consacré en 2013. Sept articles y décortiquent les différents types de sources – normatives, narratives et diplomatiques, mais aussi iconographiques – pour saisir les couples dans leur diversité, évaluer leur visibilité, identifier leurs modes d’action comme acteur social, mesurer le décalage entre discours et réalité, ainsi que les évolutions112. La présente étude s’en veut le prolongement et l’aboutissement.
Pour une étude globale sur la longue durée La synthèse proposée a trois objectifs principaux. Elle vise d’abord à préciser ce qu’est un couple au haut Moyen Âge : qu’est-ce qui fait que l’union d’un homme et d’une femme peut être considérée comme un couple ? Quels sont les différents types de couples attestés ? Qu’est-ce qui les distingue les uns des autres ? Quelle est la place du couple légitime en regard des couples considérés comme illégitimes ? Le deuxième objectif consiste ensuite à saisir ce que représente le couple dans la société : a-t-il un sens à une époque où la forte mortalité et, plus rarement, les séparations, mais aussi pour les élites laïques masculines la compétition sexuelle conduisent à multiplier les unions successives, voire simultanées, et, par conséquent, à faire partie de plusieurs couples ? Les contemporains – qu’ils soient parents, voisins, autorités locales ou royales, laïques ou religieuses – ont-ils conscience de l’existence du couple en tant qu’entité autonome ? Dans l’affirmative, comment le perçoivent-ils ? Quelle(s) place(s) et quel(s) rôle(s) lui attribuent-ils ? Quel est l’impact du modèle proposé par les moralistes carolingiens d’un consortium formé par les époux ? Le troisième objectif cherche enfin à saisir ce que pouvait être la réalité de la vie en couple : ce
siècle, Paris, 2013 (voir notamment l’introduction d’Alessandro Stella, la conclusion de Claude Gauvard, l’article de Carole Avignon sur les couples clandestins et celui de Martine Charageat sur le nomadisme judiciaire et l’itinérance juridictionnelle pratiquée par certains couples). Sur l’apport des sources comptables, notamment, pour éclairer le fonctionnement des couples princiers, voir S. Richard, Vie et mort des couples princiers : les séparations conjugales dans la Maison d’Orléans, Paris, 2019. Pour le couple dans les villes, envisagé dans le cadre plus large d’une comparaison de la maisonnée entre deux des régions les plus urbanisées de l’Europe de la fin du Moyen Âge, dans sa dimension à la fois juridique, économique et sociale, soulignant similitudes et différences, notamment sur le plan régional et social, voir M. Carlier, T. Soens (dir.), The Household in late Medieval Cities, Italy and Northwestern Europe Compared, Louvain, 2001. Dans le volume de Questes consacré aux relations entre maris et femmes (no 20 (2011)), deux des quatre articles portent sur les milieux urbains : C. Becchia, « Les dames et la cité des hommes. Place et rôle des femmes dans les parcours des hommes de pouvoir des villes bourguignonnes à la fin du Moyen Âge » (p. 68-82) et D. Chamboduc de Saint Pulgent, « Le couple dans la sphère économique à Lucques à la fin du xive siècle » (p. 83-100). 112 S. Joye et al. (dir.), Le couple …, op. cit.
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consortium conjugal des moralistes correspond-il à une réalité sociale ? L’union d’un homme et d’une femme aboutit-elle à la construction d’une entité qui se pense et agit solidairement, sans que les partenaires ne soient pour autant placés sur le même plan ni voués aux mêmes fonctions, ni que la cohabitation se fasse sans difficulté ? Comment conçoivent-ils la vie à deux et fonctionnent-ils ? Comment envisagent-ils la question de l’altérité ? Que peut-on savoir de l’intimité du couple ? Qu’est-ce qui rassemble les deux membres du couple ? Qu’est-ce qui peut mettre en péril son existence ou expliquer son dysfonctionnement ? En outre, quelles évolutions observe-t-on au cours du haut Moyen Âge quant aux différents types de couples, leur perception et leur fonctionnement ? Présentent-ils, par ailleurs, des distinctions selon les milieux sociaux, le contexte régional ou la place dans le cycle de la vie ? Enfin, le couple tel qu’on l’a envisagé étant constitué d’un homme et d’une femme, l’approche ne peut manquer de comporter une optique genrée : le couple est-il perçu dans sa dimension bisexuée ? Former un couple et faire partie d’un couple a-t-il la même signification selon que l’on est homme ou femme ? Quelles normes sociales sont attendues de l’un – homme – et l’autre – femme – membres du couple, quant à leurs places, leurs rôles, leurs relations ? Quels modèles identitaires et de comportements sont proposés aux hommes et femmes vivant en couple ? Toutes ces questions ont guidé la quête et la réflexion qui se voulaient globales et entendaient s’appuyer sur les questionnements anthropologiques, sociologiques et psychologiques actuels, ce qui ne signifie pas que les sources ont forcément livré toutes les réponses attendues. La longue durée a été privilégiée, de manière à saisir les évolutions entre le vie et le xiie siècle. Le vie siècle a été pris comme point de départ puisqu’il correspond à l’apparition d’une nouvelle société née de la fusion des influences romaines, barbares et chrétiennes, éclairée par une documentation qui fournit quelques données sur les couples. Le xiie siècle s’est imposé comme point d’arrivée, puisqu’il est marqué, du moins dans certains milieux, par une nouvelle vision du lien qui unit le couple marié et insiste sur sa dimension sacrée113, ce qui invite à mesurer les relations entre cette évolution idéologique et la conjugalité vécue, éclairée par une documentation plus abondante. Le cadre spatial a, quant à lui, été volontairement restreint au royaume des Francs, sans exclure des comparaisons avec d’autres contrées. Afin de prendre en compte un espace suffisamment représentatif sans être noyée sous la masse des données fournies par la documentation, la méthode de travail a consisté à opérer des sondages dans différentes régions de cet espace, en envisageant, sans prétendre à l’exhaustivité, un corpus de sources diversifiées (narratives, diplomatiques, législatives, morales, administratives, poétiques, épistolaires, voire artistiques et archéologiques), de manière à disposer d’un éclairage aux différentes périodes (mérovingienne, carolingienne, temps des principautés). La nature et le croisement des sources dépouillées ont conduit à privilégier plus particulièrement les espaces septentrionaux autour de la Flandre et du Hainaut, le bassin parisien (de Reims à Chartres), la basse vallée de
113 Pour la définition du mariage comme sacrement, voir J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit.,p. 188-191 ; D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., p. 103-107 et P. L’Hermite-Leclercq, « L’ordre féodal … », art. cit., p. 279-280.
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la Seine devenue Normandie, l’Aquitaine (vallée de la Loire, Auvergne, Poitou), la Bourgogne et le pourtour méditerranéen (Languedoc, Provence). Dans ce cadre, l’analyse s’organisera en quatre temps : il est apparu nécessaire de commencer par présenter les formes de conjugalité dans leur diversité (chapitre 1), puis de comprendre les paramètres qui permettent ou non au couple de se construire et de durer (chapitre 2), avant d’envisager dans quelle mesure il forme une communauté (chapitre 3) et d’analyser la nature des relations conjugales (chapitre 4).
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chapitre 1
La conjugalité, une norme diversement vécue
Si les structures familiales et de parenté ont des formes diverses et proposent des fonctionnements différents, elles comportent généralement plusieurs cercles plus ou moins largement impliqués ou mobilisés selon la nature des domaines de la vie et des relations envisagées et les intérêts en jeu. Le plus petit s’organise autour de l’union d’un homme et d’une femme, formant très souvent une unité de production et de reproduction1, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un poids et des configurations qui varient d’une société à l’autre, en fonction notamment du contexte culturel et économique2. Le couple serait atemporel, mais il ne correspond pas partout à la même réalité. Étudier le couple au haut Moyen Âge implique donc en premier lieu de mesurer l’importance sociale qu’il représente alors et d’en préciser les contours. À une époque où l’insertion dans un groupe est nécessaire pour bénéficier d’une protection ou imposer son autorité, quelle attention est accordée au couple ? Les individus ont-ils conscience d’être en couple ? Conçoivent-ils le couple de la même manière, du vie au xiie siècle, dans tous les milieux et tout au long de la vie ? Ce premier chapitre s’attachera à évaluer ce que la documentation laisse supposer de la réalité conjugale, quant à son statut, sa reconnaissance sociale et sa composition.
Être en couple : la norme ? Dans une société dominée par les hommes, les sources se focalisent d’abord sur eux et ce qu’ils font. La plupart cherche par ailleurs à justifier, voire légitimer, des droits – politiques, économiques, sociaux ou religieux –, ce qui ne les conduit pas forcément à s’intéresser aux conjointes de ceux qui exercent l’autorité comme de ceux qui leur sont soumis. Certaines y font cependant allusion, en des occasions qui se sont diversifiées à partir de l’époque carolingienne. Faire leur répertoire permettra de saisir comment et pourquoi le couple y apparaît et ce que l’on peut en déduire sur son importance sociale. L’objectif étant de saisir certaines réalités, les sources normatives qui relèvent de l’idéologie défendue par une minorité issue de l’élite seront dans un premier temps écartées.
1 Entre autres, J. Goody, L’évolution de la famille …, op. cit., p. 80-81 ; Id., Famille et mariage …, op. cit., en particulier p. 448-451 et 460-461 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 84 et 214 ; E. Smadja, V. Garcia, « Introduction à une approche psychanalytique du couple », dans Le journal des psychologues, no 284 (2011/1), Le couple en psychanalyse, p. 25 ; M. Segalen, A. Martial, Sociologie de la Famille, Paris, 1981, rééd. 2013, p. 39-40. 2 Entre autres, F. Cézilly, « La monogamie est-elle naturelle ? », dans F. Mottot (dir.), Faut-il réinventer le couple ?, Sciences Humaines, no 188 (déc. 2007) (https://www.scienceshumaines.com/la-monogamie-est-elle-naturelle_fr_21607.html).
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Untel épouse unetelle, unetelle épouse untel
Les couples apparaissent d’abord, au moment de leur formation : les sources narratives enregistrent fréquemment les mariages des élites qui constituent autant d’alliances et participent à leurs stratégies3. La conjugalité y est donc présentée comme normale pour tous ceux, hommes et femmes, qui ne sont pas voués à la vie religieuse, à partir du moment où ils ont atteint l’âge adulte. Grégoire de Tours (vie siècle) précise ainsi que « Théodebald, comme il était désormais adulte, épousa Vuldetrade »4. Selon la Vie de Salaberge (viie siècle), le fait que les parents de Salaberge la donnent en mariage découle de celui qu’« elle était parvenue à l’âge adulte »5. Quant à l’Astronome (ixe siècle), il justifie le mariage de Louis le Pieux, en expliquant – en étant clair sans tomber dans l’obscénité – qu’« à cette époque, [celui-ci] craignant que la sinuosité qui s’élève de l’ardeur naissante du corps ne l’emporte vers des formes diverses de luxure, il épousa Ermengarde »6. Pour Gislebert de Mons (xiie siècle), dès qu’il le peut, Baudouin IV fait armer, en 1168, son fils chevalier, en présence de ses filles déjà mariées ou veuves, et, un an après, il organise le mariage de celui-ci7. Pour beaucoup, le mariage relève des rites de passage à l’âge adulte, qui peuvent intervenir plus ou moins tardivement selon les milieux et les époques8. La majorité matrimoniale qui reste approximative au haut Moyen Âge, avant d’être fixée à 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons par le droit canonique classique qui reprend la norme juridique romaine9, fixe une limite,
3 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 289-296. 4 DLH, IV, 9, p. 140 (trad. p. 187) : Theodovaldus vero cum iam esset adultus, Vuldetradam duxit uxorem. Sur l’auteur et son œuvre historique, voir M. Heinzelmann, Gregory of Tours : History and Society in the Sixth Century, trad. angl., Cambridge, 2001 et pour une synthèse des travaux récents sur Grégoire de Tours et l’unité d’ensemble de son œuvre, voir G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, La France avant la France, op. cit., p. 561-566. 5 Vita S. Sadalbergae, c. 6, p. 53 (trad., p. 663) : cum ad perfectae aetatis venisset annos, parentes eius (…) eam (…) in matrimonio tradiderunt. Sur cette vita et le contexte de sa rédaction (vraisemblablement vers 676-680), voir M. Gaillard, « De l’Eigenkloster au monastère royal : l’abbaye Saint-Jean de Laon, du milieu du viie siècle au milieu du viiie siècle, à travers les sources hagiographiques », dans M. Heinzelmann (dir.), L’hagiographie au haut Moyen Âge : manuscrits, textes et lieux de production, Stuttgart, 2001, p. 249-262, p. 253 (pour la date de rédaction). 6 Astronome, c. 8, p. 306 : quo tempore verens, ne corporis nativo superatus calore in multimodos luxuriae raperetur anfractus, (…) Hermingardam (…) sibi sotiavit. Sur l’auteur (vraisemblablement chapelain du palais), sa biographie et la rédaction de la vita vers 840-841, voir P. Depreux, Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux (781-840), Sigmaringen, 1997, no 30, p. 113-114 ; M. McKitterick, Histoire et mémoire dans le monde carolingien, trad. fr., Turnhout, 2009, p. 309, 313 et 324, n. 5. 7 Gislebert de Mons, c. 55, p. 95 (trad., p. 141), pour la cérémonie de l’adoubement et c. 59, p. 99 (trad. p. 149) pour le mariage, un an après (transacto anno primo). Sur ce récit, de valeur, mais tout en apologie, voir K. Huygens, « Sur la valeur historique de la chronique de Gislebert de Mons », dans Revue de l’instruction publique en Belgique, t. 32 (1889), p. 301-315. 8 L’âge au mariage des princes carolingiens a ainsi eu tendance à s’élever au cours du ixe siècle : R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 276-277. 9 L’âge de la majorité, autour d’une quinzaine d’années, est approximative. Pour le mariage, la majorité légale, fixée par le droit romain et reprise par le droit canonique classique, est de 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons : voir entre autres J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 37 et 197 ; C. Salles, « Le mariage dans
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mais ne témoigne en rien des pratiques. Pour les élites altimédiévales, tout apparaît, pour les filles comme pour les garçons, fonction des nécessités du groupe familial et des opportunités qui s’offrent alors à lui, voire du rapport de force qui y existe. Un mariage retardé n’exclut cependant pas la pratique de la conjugalité, par le biais d’une union pensée plus ou moins temporaire, comme nous le verrons ci-après. Quand le couple se trouve être rompu, par la mort ou la séparation, le conjoint survivant dans le premier cas, les deux ex-conjoints dans le second, ne restent généralement pas longtemps célibataires et reforment, dans le cadre des stratégies familiales, un nouveau couple. Au vie siècle, si l’on en croit Grégoire de Tours, Tétradie qui a quitté son mari est d’abord convoitée par Vir qui vient de perdre sa femme, puis, celui-ci ayant été assassiné, elle est épousée par Didier, veuf depuis peu10 ; au viie siècle, la Vie de Salaberge montre que le premier mari de la sainte, Richram, étant mort, celle-ci est remariée à un autre puissant aristocrate, Blandin-Baso11 ; au ixe siècle, les Annales de Saint-Bertin précise que la reine Ermentrude, étant morte, Charles le Chauve envoie chercher la princesse lotharingienne Richilde qu’il épouse peu après12 ; à la fin du xe siècle, Richer enregistre le remariage de Rozala-Suzanne, veuve du comte Arnoul II de Flandre, avec le roi Robert le Pieux qui, après s’en être séparé, épouse Berthe, veuve du comte Eudes de Blois13 ; un siècle plus tard, la Chronique de Saint-Pierre de Sens note que Philippe Ier et Bertrade de Montfort se marient après avoir chacun quitté leur conjoint14 ; vers 1200, Gislebert de Mons mentionne que la comtesse Yolende, après
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l’Antiquité », dans S. Melchior-Bonnet, C. Salles (dir.), Histoire du mariage, op. cit., p. 110-113 ; C. de la Roncière, « Le mariage au Moyen Âge … », art. cit., p. 329-330 et B. Basdevant-Gaudement, « Le mariage d’après la correspondance d’Yves de Chartres » [1983], rééd. dans Ead., Église et autorités. Études d’histoire de droit canonique médiéval (Cahiers de l’institut d’anthropologie juridique 14), Limoges, 2006, p. 386. Au haut Moyen Âge, la majorité matrimoniale reste approximative. Voir aussi I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 252253 ; F. H. Stoertz, « Young Women in France and England, 1050-1300 », dans Journal of Women’s History, no 12/4 (2001), p. 22-46, notamment p. 32 ; P. Lhermite-Leclercq, « L’ordre féodal … », art. cit., p. 282. DLH, X, 8, p. 489-490 (trad., t. II, p. 269). Voir Annexe 2, textes no 3. Vita S. Sadalbergae, c. 6 et 10, p. 54-55 (trad., p. 663-664). Annales de Saint-Bertin, a. 869, p. 167 et a. 870, p. 169. Voir J. L. Nelson, Charles le Chauve,trad. fr., Paris, 1994, p. 243-246 ; J. Hyam, « Ermentrude and Richildis », dans M. T. Gibson, J. L. Nelson (dir.), Charles the Bald, Court and Kingdom, Oxford, 1990, p. 156-157 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 114-115. Richer, IV, 87, t. II, p. 286-287 (répudiation de Suzanne par Robert le Pieux) ; IV, 94, t. II, p. 300-301 (mort du comte Eudes Ier de Blois) ; IV, 108, t. II, p. 330-331 (mariage de Robert le Pieux et Berthe). Sur ces mariages et remariages, voir notamment A. Baudouin, « Les trois femmes du roi Robert », dans Mémoire de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, 8e série, t. V (1er semestre 1883), p. 201-207 ; J. Dhondt, « Sept femmes et un trio de rois », dans Contribution à l’histoire économique et sociale, no 3 (1964-1965), p. 37-45 ; A. Lewis, Le sang royal. La famille capétienne et l’État, France, xe-xive siècle, trad. fr., Paris, 1986, p. 48-50 ; G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1219-1222 ; E. Santinelli, « La veuve du prince, au tournant de l’an mil : l’exemple de Berthe de Bourgogne », dans S. Lebecq et al. (dir.), Femmes et pouvoirs des Femmes …, op. cit., p. 80-81 ; Ead., Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 249-250. Chronique de Saint-Pierre de Sens, dite de Clarius, éd. et trad. R.-H. Bautier, M. Gilles, Paris, 1979, p. 137 : Anno MXCII. Hoc anno, Philippus rex dimisit uxorem suam nobilissimam, de qua habuit filium Hludovicum et accepit Bertradam quae reliquerat Fulconem, Andegavensium comitem (« 1092. Cette année, le roi Philippe renvoya la très noble femme [Berthe] dont il avait eu son fils Louis et il prit Bertrade qui avait abandonné Foulques, comte d’Anjou »). Sur ces affaires matrimoniales, voir entre autres J. Dhondt, « Sept femmes … », art. cit., p. 61-66 ; A. Lewis, Le sang royal …, op. cit., p. 81 ; G. Duby, Le chevalier …,
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la mort de Baudouin III, épouse Godefroi de Bouchain, que leur fille Berthe se marie d’abord avec le comte Otton de Duras, puis avec Gilles de Saint-Aubert, qui, devenu veuf de Berthe, se remarie avec Mathilde de Berlaimont15. Nous reviendrons au chapitre suivant sur cette pratique et ce qu’il en résulte pour la perception du couple, mais il importait de l’évoquer ici pour montrer que non seulement la conjugalité constitue la norme pour les élites laïques, mais elle apparaît aussi le rester, sauf cas particulier, tout au long de la vie. Que cela soit ou non les seules raisons, les enjeux du mariage conduisent hommes et femmes de l’aristocratie à être le plus souvent en couple. Untel a pour épouse/femme, unetelle est l’épouse d’untel
Si le mariage atteste de la formation d’un couple, il ne dit rien de ce que celui-ci représente ensuite. La documentation permet parfois d’en saisir quelques bribes. Quand les couples ne sont pas identifiés par le biais d’un mariage, ils le sont parce que les sources associent parfois, quand cela contribue à leur propos, un individu à son conjoint en précisant que tel homme a telle épouse, voire que telle femme a tel époux ou est l’épouse d’untel, l’auxiliaire être étant majoritairement utilisée pour les femmes, reflet de la hiérarchie entre les sexes sur laquelle nous reviendrons16. De telles précisions sur les conjoints visent généralement, pour les élites qui retiennent principalement l’attention, à situer les individus dans un groupe d’alliance, quand il est question d’un homme, et justifier l’intervention maritale quand il s’agit d’une femme, mais elles n’en replacent pas moins aussi les uns et les autres dans le cadre d’un couple. Ainsi, au vie siècle, Grégoire de Tours précise qu’Alcime est épouse d’Apollinaire, que Nizier est le mari de sa nièce et qu’Eulalius a pour épouse Tétradie17. Au viiie siècle, le Liber Historiae Francorum et la continuation de la Chronique de Frédégaire souligne que Pépin II avait pour épouse Plectrude18 ; Gislebert de Mons qui dresse, vers 1200, la généalogie de la lignée principale et des branches collatérales de la famille comtale hainuyère sur six générations énumèrent ainsi les conjoints des descendants de Richilde et Baudouin : tous, à l’exception de quelques uns voués à la vie religieuse, y apparaissent ainsi en couple, filles comme garçons, aînés comme cadets19. Il faut néanmoins reconnaître que les individus ne sont pas principalement identifiés par leur statut conjugal. Il n’empêche que les sources narratives font parfois allusion, même si elles n’y insistent pas, à l’existence d’un conjoint, dont elles soulignent la présence, le rôle, les droits, les qualités ou les travers, les difficultés ou encore la mort, parce que cela
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op. cit., p. 1165-1170 ; E. Santinelli, « Mariage, compétition et genre dans la Francie occidentale du xie siècle », dans S. Joye, R. Le Jan (dir.), Genre et compétition dans les sociétés occidentales du haut Moyen Âge (ive-xie siècle), Turnhout, 2018, p. 157-158. Gislebert de Mons, c. 32, p. 57-59 (trad. t. 14, p. 89-91) : Yolendis vero comitissa vidua, (…) nupsit (…) Godefrido de Bocheain (…). Berta autem quidam comiti de Duraz nupsit, deinde nupsit Egidio de Sancto Oberto (…). Mortua autem Berta, Egidius uxorem duxit Mathildem de Berlaimont (…). Voir chapitre 4. DLH, III, 2, p. 98 (trad. t. 1, p. 142) ; V, 14, p. 208 (trad. t. 1, p. 263) ; X, 8, p. 489 (trad. t. II, p. 268). Voir Annexe 2, textes no 3. LHF, c. 48, p. 164-165 ; Frédégaire, Continuations, c. 5, p. 208-209. Gislebert de Mons. Voir aussi Annexe 3, tableau généalogique no 8.
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contribue à la compréhension du récit ou au message que l’auteur veut faire passer. Si cela ne permet pas d’approcher véritablement la réalité du couple, il arrive néanmoins que l’on perçoive l’importance que ce conjoint représente, particulièrement en trois types de situation : d’une part, lorsque l’homme – puisque les sources s’intéressent d’abord aux actes masculins – retrouve sa femme au retour d’un déplacement, ce que notent par exemple, Grégoire de Tours (vie siècle) pour Sigebert20, les Annales royales (fin viiie – début ixe siècle) pour Charlemagne21, celles de Flodoard (xe siècle) pour le roi Raoul22, ou encore Gislebert de Mons (xiie siècle) pour Baudouin V de Hainaut23 ; d’autre part, lorsque l’homme menacé se soucie de mettre en sureté sa femme ou de la récupérer si ses ennemis s’en sont emparés, voire suscite l’anxiété de son épouse, ce que précisent par exemple Grégoire de Tours (vie siècle) pour Chrame et Waddon24 ou Richer (xe siècle) pour Hélouin de Montreuil et Régnier de Mons25 ; enfin, lorsqu’un homme est visé par l’intermédiaire de sa femme, à l’image de l’emprisonnement de l’épouse de Leudaste ou de celle de Mummole, selon Grégoire de Tours (vie siècle)26, des outrages subis par la femme du châtelain de Melun, aux dire de Richer (xe siècle)27, ou du viol enduré par l’épouse du comte de la Marche, évoqué par la Chronique de Maillezais (xie siècle)28. Ces informations, données le plus souvent au détour d’une phrase alors que le sujet est autre, montrent que ces hommes des élites se trouvent liés à un couple de référence qui constitue une sorte de point d’ancrage au milieu des déplacements exigés par les affaires militaires et politiques, régulièrement effectués sans leur épouse, et auquel ils tiennent particulièrement pour ce qu’il représente. Selon Richer, ce qui affecte le plus Hélouin, ce n’est pas la perte de Montreuil, mais d’être privé de sa femme et de ses enfants qui ont été capturés et exilés, ce qui représente « un malheur infini » (calamitas interminabilis)29. Même s’il est toujours difficile de savoir ce qui explique réellement l’attachement des hommes en général – et d’Hélouin en particulier – à leurs femmes, ainsi que leurs efforts pour les récupérer lorsque la séparation leur a été imposée (affection ? alliance ? honneur ?), il n’en demeure pas moins que le couple apparaît comme une réalité reconnue par les intéressés qui s’attachent à le préserver, comme par les ennemis qui cherchent à lui porter atteinte. Untel et/avec son épouse/sa femme, untelle et/avec son mari
Si les couples apparaissent souvent ainsi comme la juxtaposition de deux individus, il arrive que la documentation mette davantage l’accent sur leur association, de manière 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29
DLH, IV, 51, p. 188 (trad., p. 240). Annales royales, a. 787, p. 76, a. 800, p. 110. Flodoard, a. 923, p. 17. Gislebert de Mons, c. 74, p. 114 (t. 14, p. 175-177). DLH, IV, 20, p. 152-153 (trad., p. 202-204) et IX, 35, p. 455-456 (trad, t. II, p. 230-231). Il en est de même pour Aetius (II, 7) et Loup (VI, 4). Richer, II, 12-14, t. I, p. 146-149 et III, 8-10, t. II, p. 16-19. DLH, V, 49, p. 261 (trad., p. 322) et VII, 38, p. 359-360 (trad., p. 116). Richer, IV, 78, p. 272-275. Chronique de Maillezais, I, H, p. 121. Voir aussi E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 82. Richer, II, 13, t. I, p. 148-149.
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ponctuelle d’abord, puis beaucoup plus fréquemment à partir de l’époque carolingienne. La nature et les formes de cette association seront analysées aux chapitres 3 et 4. Il importe néanmoins dès à présent de souligner qu’elle donne une consistance au couple. Les sources diplomatiques notamment en font un acteur économique et social de premier ordre. Elles sont certes plus nombreuses à partir du xe siècle, ce qui donne alors davantage de visibilité au couple, mais les modèles d’actes conservés dans les formulaires et quelques chartes qui nous sont parvenus montrent qu’il l’était aussi – ou pouvait l’être – aux siècles antérieurs. Les couples ainsi mis en avant sont d’abord ceux qui ont des biens ou des droits à concéder ou à défendre et relèvent donc des élites, mais les transferts concernent régulièrement des servi et des mancipia dont les actes précisent souvent que ceux-ci sont concédés avec leurs femmes et leurs enfants. Ils sortent ainsi de l’ombre les couples de paysans, associés dans la vie et liés dans la dépendance. Le testament d’Ermentrude, aujourd’hui daté de la fin du vie siècle, qui enregistre les donations effectuées par cette riche neustrienne à plusieurs membres de sa famille et à des églises de Paris et ses environs, évoque ainsi l’affranchissement de plusieurs esclaves, dont certains avec leur épouse (cum uxore)30. Si les données sont peu nombreuses pour les premiers siècles du Moyen Âge, faute de sources, elles deviennent plus abondantes à partir du ixe siècle. Pour ne prendre que quelques exemples dans les chartes de Cluny qui évoquent des couples parmi les donateurs et la main d’œuvre servile, vers 891, Magbodus et sa femme Utda donnent à leur fille Gotestiva différents biens avec des mancipia, à savoir Bertrand et Gaustla avec leurs enfants31. En 902, Euraldus donne à sa femme Doddana des terres et deux couples de mancipia (Harimbol et sa femme Landa ; Gotono et la sienne) avec leurs enfants32. En 951, Doda et son fils Leotbald donnent à Cluny avec le consentement d’Aquin, mari de Doda sans être le père de Leotbald, plusieurs alleux, villae et manses, ainsi qu’un petit port, avec les servi qui y vivent, soit 21 couples avec leurs enfants, 5 hommes mentionnés seuls, deux avec leurs enfants et, semble-t-il – l’acte est tronqué – une femme seule avec ses enfants33. Vers 983-984, Vuichard effectue une donation au profit de Cluny, souscrite par sa femme Emma, qui comprend le manse où vit le serf Ermenald, ainsi que ce serf, sa femme Mainberge et son/leur fils Ermenald et
30 Chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, éd. C. Giraud, J.-B. Renault et B.-M. Tock, no 4495, http://www.cn-telma.fr/originaux/charte4495/ ; éd. et trad. H. Atsma, J. Vezin, « Le testament d’Erminethrude : texte et traduction », dans P. Périn, P. Velay, L. Renou (dir.), Collections mérovingiennes du musée Carnavalet, Paris, 1985, p. 818-826. Sur ce testament, voir H. Atsma, J. Vezin, « Deux testaments sur papyrus de l’époque mérovingienne : étude paléographique », dans M. Sot (dir.), Haut Moyen Âge. Culture, éducation et société. Études offertes à Pierre Riché, Paris 1990, p. 157-170 ; J. P. Laporte, « Pour une nouvelle datation du testament d’Erminethrude », dans Francia, no 14 (1987), p. 574-577 ; U. Nonn, « Erminethrud, eine vornehme neustrische Dame um 700 », dans Historisches Jahrbuch, no 102 (1982), p. 135-143 ; J. Barbier, « Le testament d’Ermentrude, un acte de la fin du vie siècle », dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 2003, p. 130-144. Grégoire de Tours évoque aussi le cas d’un esclave affranchi qui vit ensuite sur la terre qu’il lui a donnée avec sa femme et ses enfants : DLH, III, 15, p. 116 (trad., p. 161). 31 Cluny I, no 44, p. 52-53. Voir Annexe 2, textes no 12. 32 Cluny I, no 75, p. 84-85. Voir Annexe 2, textes no 12. 33 Cluny I, no 802, p. 754-756 : l’énumération des serfs (servi) se fait par la mention du nom de l’homme, suivi dans la plupart des cas de la formule « cum uxore et infantibus ».
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sa/leur fille Lectilde34. Vers 1000, Emma, épouse de Wichard de Crai, concède au même monastère, en présence de son mari, différents biens, dont des servos atque ancillas, à savoir un couple avec ses enfants, et deux hommes avec les leurs35. Chartes et notices témoignent donc, pour les élites, du rôle du couple dans la gestion du patrimoine36, même s’il n’est pas seul à intervenir, ce qui en fait autre chose que la simple union de deux individus. Elles permettent en outre de mesurer la diffusion de la conjugalité parmi les dépendants. Lorsque les chartes précisent l’identité des dépendants, il arrive néanmoins régulièrement que des hommes et des femmes apparaissent mentionnés avec leurs enfants sans conjoint37, sans que l’on sache si c’est parce que celui-ci est décédé ou parti ou s’il ne relève pas de l’autorité du donateur, ce qui justifie qu’il ne figure pas dans la transaction. La situation enregistrée peut néanmoins supposer l’existence d’un couple, au moins passée. Comme le montre la donation de 951 citée ci-dessus, le cas le plus fréquent attesté par les actes qui précisent l’identité des dépendants concédés est néanmoins – avec une formulation classique dans une société dominée par les hommes – celui d’un homme qui vit, sur la terre cédée, avec sa femme et ses enfants, donc en couple, ce qui correspond probablement à la situation la plus courante. Pour le ixe siècle, les polyptyques en témoignent pour les tenanciers des grands domaines. L’inventaire de ceux de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, réalisé à l’initiative de l’abbé Irminon dans les années 82038, est sur ce plan instructif, même s’il est effectué, comme les autres, dans un souci de gestion foncière, et non dans une optique démographique39 : les enquêteurs ont en effet, pour chaque manse visité, indiqué le nom du tenancier, suivi le plus souvent de celui de sa femme et de ses enfants, avant de préciser la nature et l’étendue des terres cultivées, ainsi que les redevances et services dus. Quelques paysans et paysannes sont néanmoins inventoriés avec leurs enfants, sans qu’aucun conjoint ne soit mentionné, et d’autres, en plus grand nombre, surtout parmi les hommes, sont recensés seuls : s’il y a probablement parmi eux bon nombre de veufs et veuves, pour la première catégorie, et de célibataires, pour la seconde, il ne faut pas exclure des couples, dont l’un des conjoints est ignoré par l’enquêteur parce que l’abbaye ne dispose d’aucun droit sur lui40. Le tableau suivant synthétise les données qui nous sont parvenues pour 25 domaines et « photographie » leur situation au moment de l’enquête.
Cluny II, no 1651, p. 684-685. Cluny V, no 3768, p. 120-121. Sur la gestion conjugale des biens, voir chapitre 3. Par exemple, pour des hommes et des femmes seuls avec enfants, Cluny II, no 1090, p. 183-184 ; no 1137, p. 227-228, etc. Pour des hommes seuls avec enfants, Cluny II, no 976, p. 72-73 ; no 1005, p. 100-101 ; no 1038, p. 131-133, etc. Pour des femmes seules avec enfants, Cluny II, no 1246, p. 332 ; no 1322, p. 397-399 ; no 1393, t. II, p. 454-455, etc. 38 Sur ce polyptyque, voir notamment J. P. Devroey, « Problèmes de critique autour du polyptyque de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés », dans A. Atsma (dir.), La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, Sigmaringen, 1989, t. I, p. 441-465. 39 J. P. Devroey, « Les méthodes d’analyse démographique des polyptyques du haut Moyen Âge », dans Acta historica Bruxellensia, 4 (1981), p. 74-75 ; R. Fossier, Polyptyques et censiers, TSMAO 28, Turnhout, 1978, p. 26. 40 J. P. Devroey, « Les méthodes d’analyse démographique … », art. cit., p. 77 et 81. Voir aussi Annexe 2, textes no 7. 34 35 36 37
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Tableau 1 : Les couples de tenanciers dans le polyptyque de Saint-Germain-des-Près41 domaine
1. de Gaugiaco 2. de Palatiolo 3 de cella Equalina 4. de Uuaniaco 5. de Vedrariis 6. De Spinogilo 7. de Vilari 8. de Novigento 9. de Villamit 10. de Vitriaco45 11. de Nuviliaco 12. de Centena Corbenensi46 13. de Buxido 14. de Théodaxio 15. de Villanova 16. de Cumbis 17. de Murcincto 18. de Colrido 19. de Acmanto 20. de villa supra mare 21. de Mantula 22. de Siccavalle 23. de Cavannas vel de Lodosa 24. de Bisconcella 25. de Mansionis villa Total
Nb Nb Nb de couples d’adultes (% d’adultes d’hommes seuls avec vivant en enfants couple) 60 14 (47%) 1 309 118 (76%) 12 135 53 (79%) 2 69 28 (81%) 237 78 (66%) 2 121 46 (76%) 4 166 60 (72%) 2 70 27 (77%) 2 914 357 (78%) 17
Nb de femmes seules avec enfants42 0 11 1 1 10 6 2 2 28
Nb d’hommes seuls43
Nb de femmes seules44
28 48 26 10 62 15 41 11 138
3 2 0 2 7 4 1 1 17
34 81
15 (88%) 14 (35%)
1 7
1 7
2 26
0 13
387 263 259 197 91 33 187 85 173 232 50
167 (86%) 106 (80%) 95 (73%) 77 (39%) 37 (81%) 13 (79%) 86 (92%) 27 (64%) 76 (88%) 103 (89%) 20 (80%)
12 2 4 1 3
29 34 39 32 11 6 11 21 16 15 5
0 7 12 5 1
1 2 1 5 1
12 8 14 5 2 1 3 5 4 3 2
410 109
171 (83%) 41 (75%)
6 0
14 3
47 22
1 2
4672
1829 (78%)
88
145
695
86
3 0 3 2
41 Das Polyptychon von Saint-Germain-des-Prés, éd. D. Hägermann, Cologne, 1993. Les individus non associés à un manse n’ont pas été comptabilisés, ce qui peut expliquer les variations légères avec d’autres études chiffrées. 42 Il peut s’agir de femmes mentionnées sans conjoint mais avec des enfants ou d’individus recensés avec leur mère, probablement veuve. Dans le premier cas, les enfants sont probablement mineurs, contrairement au second. 43 Il peut s’agir d’hommes évoqués sans conjoint comme exploitant ou coexploitant d’un manse, ou d’une fratrie qui y vit ensemble, peut-être parce que les frères puînés sont encore jeunes. En l’absence d’informations complémentaires, les quelques frères mentionnés ont été comptabilisés parmi les adultes. 44 Il peut s’agir de femmes mentionnées sans conjoint comme exploitante ou coexploitante d’un manse, ou de sœurs qui vivent sur celui de leur frère, peut-être parce que pas encore mariées ou devenues veuves. En l’absence d’information complémentaires, les quelques sœurs mentionnées ont été comptabilisées parmi les adultes. 45 Aucun manse n’est évoqué pour ce domaine. 46 Le bref énumère les biens acquis dans le domaine : les chiffres donnés ne tiennent pas compte des donateurs.
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Si l’on observe des différences d’un domaine à l’autre, peut-être davantage liées à la manière de recenser les individus qu’à des disparités réelles47, on n’en constate pas moins la très forte proportion des cellules conjugales : sur les 4672 adultes recensés alors sur les manses des 25 domaines de l’abbaye, 3658 (78%), soit les 4/5e vivent en couple. Si l’on considère que les hommes et les femmes, enregistrés sans conjoint mais avec des enfants, ont très certainement eu un conjoint, et que parmi ceux qui apparaissent célibataires, certains sont destinés à s’engager dans la vie conjugale, quand ils ne la connaissent pas déjà, le couple apparaît comme la norme de vie de la très grande majorité des tenanciers, quel que soit leur statut juridique48. Rosamond Fairth aboutit à la même conclusion à partir de l’analyse du polyptyque de Saint-Victor de Marseille, établi en 813-814, même si la proportion de célibataires y semble plus élevée, en particulier dans les régions d’élevage pratiquant la transhumance49. Pour Jean-Pierre Devroey, l’apparition au viie siècle et la diffusion, ensuite, du manse, parcelle adaptée à une famille conjugale, serait liée à une volonté politique et religieuse d’organiser la société rurale autour du couple50. S’il ne me paraît pas exclu de voir dans cette organisation une conséquence (les parcelles ont été adaptées à la famille conjugale, parce que c’était autour d’elle que s’organisait la vie quotidienne) plutôt qu’une cause, il reste qu’au ixe siècle, les enquêteurs trouvent manifestement dans la plupart des maisons un couple, formé, par un homme et une femme, associés dans l’exploitation de la tenure. L’analyse minutieuse des textes et les progrès de l’archéologie ont en effet montré que même si certains manses étaient exploités par plusieurs familles conjugales, chacune n’en avaient pas moins son propre toit51. Ce premier balayage qui répertorie de quelle manière les couples apparaissent dans les sources ne doit pas occulter le fait que les individus y sont globalement mentionnés plus souvent sans leur conjoint. Divers indices laissent cependant supposer que pendant tout le haut Moyen Âge, la conjugalité constitue la norme pour la grande majorité des individus de tout milieu. Cela ne signifie pas pour autant que l’expérience qu’ils en ont est la même.
Couple marital ou conjugal ? Le couple est une réalité socioculturelle qui fait, en tant que telle, l’objet d’une reconnaissance sociale. Celle-ci peut néanmoins se faire diversement : de manière 47 J. P. Devroey, « À propos d’un article récent : l’utilisation du polyptyque d’Irminon en démographie », dans Revue belge de philologie et d’histoire, no 55/2 (1977), p. 512. 48 Voir aussi H.W Goetz, « La circulation des biens à l’intérieur de la famille. Rapport introductif », dans Les transferts patrimoniaux en Europe occidentale, viiie-xe siècle, Rome, 1999, p. 863-865, et pour la Lotharingie des viiie-xe siècles, R. Le Jan, « Entre maîtres et dépendants : réflexions sur la famille paysanne en Lotharingie aux ixe-xe siècles » [1995], rééd. dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 246-248. 49 R. Faith, « Farms and Families in Ninth-Century Provence », dans Early Medieval Europe, no 18 (2010), p. 175-201, en particulier p. 191-193. 50 J. P. Devroey, « Femmes au miroir des polyptyques : une approche des rapports du couple dans l’exploitation rurale dépendante entre Seine et Rhin au ixe siècle », dans S. Lebecq et al. (dir.), Femmes et pouvoirs des femmes …, op. cit., p. 236-237. 51 P. Toubert, « Le moment carolingien », art. cit., p. 326 et 333. Voir aussi chapitre 3.
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institutionnelle, par le mariage, mais aussi par d’autres formes52. Comme le souligne Maurice Godelier, le mariage n’est pas une institution universelle : bien des sociétés autorisent un couple à vivre ensemble, à partir du moment où leur famille et la communauté où il va résider y consentent53. La documentation du haut Moyen Âge, comme des siècles suivants, se focalise essentiellement, quand elle évoque le couple, sur celui qui est marié ou bien elle utilise une terminologie qui laisse supposer le mariage. On en a donc souvent déduit que le mariage était alors, comme dans les siècles précédents et suivants, l’acte fondateur du couple54 et que, sur la longue durée, on était passé d’une définition institutionnelle du couple d’hier, par le mariage, à une définition plus subjective du couple d’aujourd’hui non garantie par les institutions55. Pourtant la relecture attentive des sources invite à reconsidérer ce schéma : tous les couples du haut Moyen Âge n’étaient pas mariés. Il faut par conséquent distinguer ceux qui l’étaient (couples maritaux56) de ceux qui ne l’étaient pas et dont l’union reposait sur d’autres fondements (couples conjugaux). Le qualificatif « conjugal » est utilisé ici en opposition avec « marital », pour souligner la distinction juridique, mais cela n’exclut pas son emploi ailleurs pour envisager plus généralement le lien personnel – et non institutionnel – entre deux conjoints qu’ils soient mariés ou non. Les formes de conjugalité et les enjeux étant socialement différenciés, on procèdera en envisageant successivement les principales catégories sociales pour en analyser les pratiques. Les élites laïques : couples légitimes et « illégitimes »
Les sources évoquent principalement les élites laïques qu’elles présentent généralement comme mariées. Compte tenu de l’importance du mariage pour consolider, accroître et transmettre leur fortune et leur puissance57, elles le sont de fait, comme nous l’avons déjà évoqué. Pour autant, cela n’exclut pas d’autres types d’unions plus ou moins officielles mais que les auteurs, partisans du modèle marital, présentent de plus en plus comme illégitimes, en qualifiant le plus souvent la femme de concubine. Si le terme recouvre des situations variées58, il désigne entre
52 E. Smadja, V. Garcia, « Introduction à une approche psychanalytique du couple », art. cit., p. 25, développé dans E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 10-17, 25-26, 28-29. 53 M. Godelier, « La parenté et ses métamorphoses », dans R. Frydman, M. Szejer (dir.), La naissance. Histoire, cultures et pratiques d’aujourd’hui, Paris, 2010, p. 257. 54 J. Gaudemet, « Originalité et destin du mariage romain » [1954], réimpr. dans Id., Sociétés et mariage, Strasbourg, 1980, p. 140 ; J. C. Bologne, Histoire du couple, op. cit., p. 9 ; J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, op. cit., p. 50 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 33. 55 Entre autres, M. Godelier, Métamorphoses de la parenté, Paris, 2004, p. 13 et 564 ; E. Smadja, V. Garcia, « Introduction … », art. cit., p. 25 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 34 et 274 ; M. Segalen, A. Martial, Sociologie de la Famille, op. cit., p. 88-90. 56 C. Daubigny, « Le couple parental », art. cit., p. 255. Sur l’expression « couple marital » utilisée par certains psychologues et sociologues pour désigner le couple marié, voir l’introduction. 57 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 288-297. 58 McLaughlin M., Sex, Gender and Episcopal Authority in an Age of Reform, 1000-1122, New York, 2010, p. 36-37. Sur le concubinage au haut Moyen Âge, J. A. Brundage, Law, Sex and Christian Society in Medieval Europe, Chicago, 1987, p. 98-103, 117-118, 145, 183 ; A. Esmyol, Geliebte oder Ehefrau ? Konkubinen
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autres certaines femmes impliquées dans une relation suffisamment stable pour que les enfants qui en naissent soient reconnus comme ceux du père. Même si Andrea Esmyol et Ruth Karras ont mis fin au mythe de la Friedelehe59, des formes diversifiées de conjugalité sont attestées, généralement classées en deux catégories – mariage et concubinage – ne suscitant pas le même discours du vie au xiie siècle, ce qui traduit des évolutions qu’il convient de mettre en lumière. Aux vie-viie siècles, le concubinage apparaît comme une forme d’union tout aussi reconnue que le mariage, même si certains ecclésiastiques le considèrent comme un péché. Césaire, évêque d’Arles (502-542), déplore ainsi le grand nombre de ceux qui vivent publiquement, parfois plusieurs années, avec une concubine avant ou après le mariage et en condamne la pratique, mais il reconnaît que les évêques, ne pouvant excommunier toux ceux qui s’y adonnent, sont réduits à la tolérer60. De même en 538, le concile d’Orléans III évoque le fait qu’un homme puisse avoir des enfants d’une concubine alors qu’il a une épouse ou opter, après la mort de son épouse, pour l’union publique avec une concubine plutôt que pour le remariage : il n’interdit pas, ni même ne critique, ces choix, il se contente de préciser que désormais ceux qui sont dans cette situation ne peuvent plus être ordonnés clercs majeurs61, disposition qui laisse supposer, à une époque où de nombreux clercs ont été mariés avant d’être ordonnés62, que, sans être forcément rares, ces différentes formes de concubinages ne sont pas non plus généralisées au risque de rendre difficile le recrutement du clergé. Les sources narratives montrent qu’elles sont néanmoins fréquemment pratiquées par les rois mérovingiens. À la fin du vie siècle, Grégoire de Tours précise ainsi que Clovis s’est uni en mariage (suo coniugio sociavit) à Clotilde, alors qu’il avait déjà d’une concubine (de concubina) un fils nommé Thierry, et que le roi Gontran a eu pour concubine (pro concubina) Vénérande dont il a un fils appelé Gondebaud, avant de prendre en mariage (in matrimonium accepit) Marcatrude63. L’auteur des Dix livres n’utilise cependant pas toujours une terminologie aussi claire – ce qui ne veut pas dire véridique : après Marcatrude, Gontran s’unit (accepit) à Austregilde, dont il a deux fils, Clotaire et Clodomir, explique-t-il sans autre précision sur la nature de l’union64. Son contemporain Fortunat évoque, dans la Vie de sainte Radegonde, des
im frühen Mittelalter, Cologne, 2002 (voir le compte-rendu de S. Joye, dans Revue de l’IFHA, mis en ligne le 01 janvier 2002 : http://ifha.revues.org/1159) ; R. M. Karras, « Marriage, Concubinage, … », art. cit., p. 117-129 ; Ead., « The History of Marriage … », art. cit., p. 119-151 ; Ead., Sexuality …, op. cit., p. 60-61 et p. 100-104. 59 A. Esmyol, Geliebte oder Ehefrau ? …, op. cit. ; R. M. Karras, « The History of Marriage … », art. cit., p. 119-151. 60 Césaire d’Arles, Sermons au peuple, éd. et trad. M. J. Delage, Paris, 1971-1986, t. II, 42,5, p. 304-307 et 43,4, p. 316-317. 61 Conciles mérovingiens, Orléans III, c. 10, p. 238-239 (voir Annexe 2, textes no 2). 62 Voir ci-après. 63 DLH, II, 28, p. 74 (trad., t. I, p. 117) et IV, 25, p. 156 (trad., t. I, p. 206). 64 Ibid., IV, 25, p. 156 (trad., t. I, p. 207). On apprend en V, 20, p. 228 (trad., t. I, p. 283) qu’elle est issue de la domesticité (ex familia) de Magnacaire et en V, 35, p. 241 (trad., t. I, p. 297) qu’elle est considérée comme la reine (regina) du roi Gontran, ce qui peut laisser supposer le concubinage dans un premier temps, avant que l’union ne soit officialisée dans un second temps.
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reines officielles (publica) et d’autres officieuses (publicana)65, ce qui témoigne que tous les couples royaux n’ont pas le même statut, même s’il est difficile de saisir précisément ce qu’est une reine officieuse. Quelques décennies plus tard, la Chronique de Frédégaire précise que parmi les partenaires de Dagobert, certaines sont reines (reginae) et d’autres concubines (concubinae)66. Les pratiques des rois mérovingiens ont déjà été analysées : le mariage avec des femmes issues des élites royales ou aristocratiques leur permet de nouer ou de conforter des alliances, mais il n’exclut pas d’autres formes d’union, notamment avec des femmes de la domesticité, qu’ils peuvent ensuite, au gré des besoins, officialiser, ou du moins promouvoir, en octroyant à leur conjointe le statut de reine qui leur confère certains privilèges, sans que l’on sache si cela donnait lieu à une cérémonie particulière. Les rois manœuvrent ainsi, pour reprendre la conclusion d’Erin Dailey, entre les coutumes maritales et la tradition du concubinage pour consolider leur pouvoir politique67. S’il en résulte un statut, un rôle et une marge de manœuvre différents pour la femme, rien n’indique cependant que la nature du lien juridique conditionne celle de la vie conjugale : nous y reviendrons. D’ailleurs, jusqu’au milieu du viie siècle68, tous les fils reconnus comme les siens par le roi héritent du pouvoir royal quel que soit le statut de leur mère. Ainsi si l’on en croit Grégoire de Tours, après la mort de Clovis, ses quatre fils se partagent le royaume : Thierry, né d’une concubine, et les trois fils qu’il a eu de Clotilde69. Si Grégoire de Tours a peut-être fait de la mère de Thierry une concubine pour valoriser l’union de Clovis et Clotilde, il y a moins d’ambiguïté dans le cas de Dagobert qui, selon la Chronique de Frédégaire, élève à la royauté aussi bien Sigebert, né de Ragnetrude qui, ne figurant pas dans la liste des reines, relève de la catégorie des concubines, que Clovis, né de la reine Nanthilde, et prévoit avant de mourir le partage du royaume entre eux70. Au début du viiie siècle, chez les Pippinides, Théodebald, né d’une concubine (ex concubina) apparaît comme maire du Palais de Neustrie à la suite de son père Grimoald71, ce qui laisse supposer que dans l’aristocratie, les fils de concubine pouvaient hériter de leur père, ou du moins s’imposer comme leur successeur. Le concubinage apparaît donc reconnu comme une forme d’union autorisée, par la tradition si ce n’est, comme à l’époque romaine, par la loi72. Cela n’exclut néanmoins pas que certains lui contestent sa légitimité, en opposant le mariage légitime au concubinage illégitime. La première trace de formulation explicite a été trouvée dans l’œuvre hagiographique de Jonas de Bobbio : celui-ci rapporte, vers 540, les critiques de Colomban à l’encontre de Thierry 65 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 12, p. 76-77 : lorsque saint Médard s’apprête à donner le voile à Radegonde, certains grands cherchent à l’en dissuader pour ne pas se rendre coupable d’enlever au roi une reine non pas officieuse, mais officielle (non publicanam sed publica). 66 Frédégaire, IV, 60, p. 150-151. 67 E. T. Dailey, Queens, Consorts, Concubines. Gregory of Tours and Women of the Merovingian Elite, Leyde, 2015, p. 101-117. 68 R. Le Jan, Les Mérovingiens, Paris, 2006, p. 23. 69 DLH, III,1, p. 97 (trad., t. I, p. 142). 70 Frédégaire, IV, 75-76, p. 172-175 (pour la répartition de l’héritage) ; IV, 59, p. 150-151 (pour l’union avec Ragnetrude et la naissance de Sigebert). 71 LHF, c. 49-50, p. 166-171. 72 J. Gaudemet, « Union libre et mariage dans la Rome impériale », dans R. Ganghofer (dir.), Le droit de la famille en Europe, son évolution de l’Antiquité à nos jours, Strasbourg, 1992, p. 375-392.
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qui se complait dans des relations avec des concubines (concubinae), considérées comme illégitimes (inlicetes), plutôt que de profiter des bienfaits d’un mariage légitime (legitime coniugium) qui peut seul engendrer une descendance royale, ce que rappelle ensuite, au siècle suivant, la Chronique de Frédégaire73. Si la question de la transmission du pouvoir est propre au milieu royal – puis aux Pippinides qui s’en inspirent –, la distinction parmi les formes de conjugalité entre celles qui sont légitimes et celles qui ne le sont pas ne l’est pas, ni aux Francs : Isidore de Séville, héritier de la culture antique et autorité reconnue dans l’ensemble de l’Occident, différencie les enfants selon qu’ils sont nés d’un couple marié en justes noces ou engendrés par la nature seule et affirme que lorsqu’il n’y a pas de conubium, les enfants ne suivent pas la condition juridique du père, ce qui revient à faire de tout couple non marié une union illégitime, sans empêcher que les différentes formes de conjugalité soient autorisées74, comme le reconnaissait le droit romain75. À l’époque carolingienne, la pluralité des formes de conjugalité reste attestée, mais la distinction entre elles devient plus nette, ce qu’il faut lier à la promotion, à partir du viiie siècle, du mariage comme seule forme d’union légitime par les autorités civiles et religieuses76. Celles-ci s’attachent alors à préciser les critères de légitimité77, ce qui ne s’est pas fait sans hésitation, ni avec unanimité. En dehors des sources normatives, le reste de la documentation ne s’intéresse cependant généralement au statut juridique d’un couple que par le biais de ses enfants essentiellement. Eginhard, dans sa Vita Caroli, rédigée deux décennies après la mort de l’empereur, précise ainsi, lorsqu’il énumère les enfants de Charlemagne, le statut de leur mère (épouse ou concubine)78.
73 Jonas de Bobbio, p. 86 (trad., p. 135) ; Frédégaire, IV, 36, p. 102-103. 74 Isidore de Séville, Étymologies, Livre IX : Les langues et les groupes sociaux, éd. et trad. M. Reydellet, Paris, 1984, V, 19, p. 194-195 et VII, 21, p. 234-235. La distinction est rappelée par Gratien, C. 32, q. 4, c. 15, p. 418-419. 75 Le droit romain n’autorisait le mariage (justum conubium ou matrimonium ou justae nuptiae), qui permettait d’avoir des enfants légitimes, qu’aux citoyens romains qui remplissaient certaines conditions. Il reconnaissait néanmoins d’autres formes d’union (celle des esclaves (contubernium), celle de ceux qui ne pouvaient pas se marier (concubinatus)) : voir notamment J. Gaudemet, « Le mariage en droit romain : justum matrimonium » [1949], réimpr. dans Id., Sociétés et mariage, op. cit., p. 46-103 ; « La décision de Calixte en matière de mariage » [1955], ibid., p. 104-115 ; « Le leg du droit romain en matière de mariage » [1977], ibid., p. 347 ; « Union libre et mariage … », art. cit. 76 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 270. 77 Parmi les critères généralement retenus parmi les uns ou les autres, figurent la liberté juridique et l’égalité de condition, le caractère public des noces, le consentement librement donné des époux, l’accord du père de la mariée, la dot octroyée par le mari à sa femme, la copula carnalis : voir entre autres R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 263-271 ; J. Gaudemet, « Le lien matrimonial : les incertitudes du haut Moyen Âge » [1970], réimpr. dans Id., Sociétés et mariage, op. cit., p. 185-209. 78 Eginhard, Vie de Charlemagne, c. 18 et 20, éd. et trad. M. Sot et C. Veyrard-Cosme, Paris, 2014, p. 42-45 et 48-49. Sur les différentes unions de Charlemagne et les enfants qui en sont nés, voir J. L. Nelson, « Women at the Court of Charlemagne : a Case of Montruous Regiment ? », dans J-C. Parson (dir.), Medieval Queenship, op. cit., p. 51-55 ; T. Lienhard, « Mariage et sexualité dans le monde de Charlemagne (vie-ixe siècles) : quelques nouvelle approches » (à paraître : je remercie l’auteur de m’avoir transmis son texte avant publication) ; E. Santinelli-Foltz, « Enfants nés in ou extra legitimo matrimonio. Le témoignage des sources franques (vie-xie siècles) », dans C. Avignon (dir.), Bâtards et bâtardise dans l’Europe médiévale et moderne, Rennes, 2016, p. 65-66.
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cha p i tr e 1 Tableau 2 : Femmes et enfants de Charlemagne selon Eginhard
Épouses (uxores)
Enfants légitimes
Concubines (concubinae)
Enfants illégitimes
2. fille de Didier, roi des Lombards 3. Hildegarde
1. [Himiltrude]
Pépin [le Bossu]
6. Liutgarde
Charles Pépin Louis Rotrude Berthe Gisèle Théodrade Hiltrude
5. X 7. Maldegarde 8. Gerswinthe 9. Reine
10. Adalinde
Rothaïde Rothilde Adaltrude Drogon Hugues Thierry
4. Fastrade
Le nom que les enfants reçoivent, et en particulier les garçons79, montre que Charlemagne effectuait des distinctions entre ses unions. Après 800 et la mort de la reine Liutgarde, alors qu’il a près de 60 ans, trois fils adultes et plusieurs petits-fils, il opte pour le concubinage plutôt qu’un nouveau mariage, probablement pour éviter de compliquer une succession assurée, en démultipliant les héritiers. Si le choix entre les différentes formes de conjugalité est souvent lié aux stratégies familiales, la place dans le cycle de la vie intervient aussi : les élites masculines semblent avoir privilégié les unions hors mariage au début et à la fin de leur vie d’adulte80. La volonté des autorités de mieux distinguer le statut des couples n’exclut cependant pas des reconstructions partielles, en particulier en ce qui concerne la vie conjugale de Charlemagne, et notamment sa première union. En effet, celle qui apparaît, plus d’un demi siècle plus tard sous la plume d’Eginhard – qui ne la nomme pas –, comme la mère de Pépin [le Bossu] est rangée au rang des concubines. Pourtant, en 770, dans une lettre qu’il adresse à Charlemagne, ainsi qu’à son frère Carloman, le pape Étienne, certes inquiet d’un projet de mariage avec la fille du roi lombard Didier, lui
79 Les fils nés d’épouses portent des noms « royaux », contrairement à ceux nés de concubines : J. Nelson, « Women at the Court of Charlemagne … », art. cit., p. 55 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 202-204. 80 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 275-277 ; R. Stone, Morality and Masculinity in the Carolingian Empire, Cambridge, 2012, p. 282-283.
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rappelle en effet qu’il est alors uni par un mariage légitime (legitimum coniugium)81. Quant à Paul Diacre, il explique en 783 – alors qu’il est à la cour de Charlemagne –, après avoir mentionné les enfants nés de son épouse (coniux) Hildegarde, qu’avant de conclure un mariage légitime (legale connubium), le roi avait d’une noble jeune fille Himiltrude un fils nommé Pépin82 : raccourci qui laisse supposer qu’Hilmiltrude n’était pas considérée comme épouse ni son union avec elle comme un mariage légitime. Néanmoins, l’inhumation de celle-ci dans le monastère de Nivelles83 – fondation pippinide étroitement liée aux Carolingiens –, ainsi que le nom donné à son fils, Pépin, manifestement destiné à figurer au nombre des héritiers, peuvent laisser penser qu’elle a d’abord été considérée comme épouse légitime, avant de ne plus l’être84, probablement après que son fils Pépin a été déshérité (ce qui est entériné en 781), et à un moment où les autorités se montraient plus fermes en matière d’indissolubilité. Ce ne serait donc peut-être pas le statut d’Himiltrude qui aurait fait évoluer celui de Pépin85, mais l’inverse. L’enjeu de l’identification juridique des couples ne concerne en effet pas tant le couple lui-même que la question de la transmission de l’héritage et, pour les rois, du pouvoir. Or, les fils nés de couples non mariés légitimement sont progressivement exclus de la royauté, ce qui est juridiquement formulé dans l’ordinatio imperii, capitulaire de 817 dans lequel Louis le Pieux prévoit le partage de l’empire entre ses fils et les règles de transmission à leur mort : il distingue clairement les fils légitimes (legitimi liberi), auxquels doit revenir le pouvoir royal, des enfants de concubines (ex concubinis) qui en sont exclus86. Les efforts, deux générations après, de Lothaire II pour faire reconnaître la légitimité de son union avec Waldrade, et en particulier d’Hugues qui en est né, ainsi que les débats auxquels donne lieu l’affaire qui agite une partie des élites du monde carolingien, témoignent de l’introduction de normes plus fermes en matière de conjugalité, même s’il n’y a aucune unanimité sur le sujet et si la question du rapport de force en faveur de ses adversaires a aussi joué. Comme l’a fait remarquer Régine Le Jan, le nom donné à leur fils né en 855 ou avant, Hugues, qui ne fait pas partie du patrimoine onomastique carolingien contrairement à celui de leurs filles nées après 860 et la revendication de la légitimité du couple, laisse supposer qu’il n’était pas destiné à hériter du pouvoir royal et que l’union de ses
81 Codex epistolaris Carolinus, éd. W. Gundlach, MGH epist. 3, Epistolae Merowingici et Karolini aevi I, Berlin, 1892, no 45, p. 561. Voir J. L. Nelson, « La famille de Charlemagne », [1991], réimpr. dans Ead., Rulers and ruling in the early medieval Europe : Alfred, Charles the Bald, and others, Aldershot, 1999, no XII, p. 197. 82 Paul Diacre, Gesta episcoporum Mettensium, éd. G. H. Pertz, MGH SS 2, Hanovre, 1829, p. 265. 83 J. L. Nelson, « Carolingian Royal Funerals », dans F. Theuws, J. L. Nelson, Ritual of Powers, from Late Antiquity to the Early Middle Ages, Leyde, 2000, p. 140. 84 J. L. Nelson, « Women at the Court of Charlemagne … », art. cit., p. 51 ; Ead., « La famille de Charlemagne », art. cit., p. 197 et 200 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 202-203 et 274. 85 Régine Le Jan suggère de lier le déshéritement de Pépin le Bossu à l’influence des évêques qui ne reconnaissent que les unions légitimes et cherchent donc à privilégier les enfants qui en étaient issus, aux dépens des autres : R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 204. 86 MGH Capit., I, no 136, c. 15, p. 273.
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parents était considérée, si ce n’est illégitime, du moins provisoire87. Le couple est d’ailleurs rompu sans difficulté, lorsque Lothaire II épouse Theutberge en 855, au moment où son accession à la royauté exige une meilleure alliance : ce second couple est alors considéré comme le seul légitime du roi, du moins par une partie des élites intéressées par la situation, à commencer par ses oncles Charles le Chauve et Louis le Germanique, ainsi que par le pape Nicolas Ier et l’archevêque Hincmar de Reims88. Les rois carolingiens ne sont pas seuls à connaître d’autres formes de conjugalité que le mariage. Une formule de Sens de la seconde moitié du viiie siècle précise que les enfants d’un homme sont considérés comme naturels par la loi (secundum lege naturalis appelant) parce que différents aléas l’ont empêché de faire rédiger, ce que celle-ci impose (sicut lex declarat), une charte de libellum dotis pour leur mère qu’il avait prise pour épouse (ad coniugium sociavi uxore) : la naissance de plusieurs enfants suggère une relation suivie, avec une femme considérée comme épouse, mais le non respect de toutes les formes légales marque l’union d’illégitimité puisque les enfants sont considérés comme naturels. Le couple n’en existe pas moins. Le père se trouve juste contraint de prévoir un acte écrit pour transmettre ses biens à ses enfants89, et donc en faire ses héritiers, ce qui aurait été automatique dans le cadre d’une union légitime. Le modèle se contente de préciser que les conjoints sont juridiquement libres, sans autres détails, mais le texte prévoyant la transmission de terres situées en divers lieux, on peut supposer une origine aristocratique. D’autres sources confirment ponctuellement qu’il peut y avoir couple sans mariage. Ainsi, parmi les instructions que Charlemagne adresse à un missus au début du ixe siècle, figure l’attention à porter au comportement des fils issus des élites, et en particulier à ce qu’ils épousent une femme légitime à partir du moment où ils ont atteint la majorité90 : cela peut laisser supposer que ce n’est pas forcément l’option retenue, du moins au début de leur vie d’adulte. Jonas d’Orléans se montre plus explicite sur ce plan : dans son
87 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 283 ; R. M. Karras, « The History of Marriage … », art. cit., p. 147-150 ; Ead., Unmarriages …, op. cit., p. 38-42. Sur la chronologie des faits et de la naissance des enfants, voir S. Airlie, « Private Bodies and the Body Politic in the Divorce Case of Lothar II », dans Past and Present, no 161 (nov. 1998), p. 3-38, particulièrement, p. 8-9 et p. 16-18. Sur le nom et la date de naissance des quatre enfants, voir C. Settipani, La Préhistoire des Capétiens, Villeneuve d’Ascq, 1993, p. 273-274. 88 K. Heidecker, The Divorce of Lothar II. Christian Marriage and Political Power in the Carolingian World, Ithaca-Londres, 2010 ; Id., « Les mariages ratés de Lothaire II. Idéologies ecclésiastiques et pouvoirs socio-politiques », dans E. Santinelli (dir.), Séparation, …op. cit., p. 301-307. Voir aussi Annexe 2, textes no 10. Pour une analyse différente de cette affaire, soulignant que l’illégitimité de Waldrade et de son fils est davantage liée au rang social de celle-ci (elle est issue d’une famille noble bien moins puissante que celle de Theutberge), qu’au non respect des règles canoniques sur le mariage, voir S. McDougall, Royal Bastards. The Birth of Illegitimacy, 800-1230, Oxford, 2017, p. 84-87. Pour ma part, il me semble que si le statut social du groupe familial de la femme peut intervenir lorsqu’il s’agit d’émettre des revendications ou défendre des prétentions, ce n’est pas lui qui conditionne le statut de l’union. 89 MGH Formulae, Formules de Sens, Appendice, no 1, p. 208. Sur les formules, leur usage et leur apport, voir A. Rio, « Les formulaires et la pratique de l’écrit dans les actes de la vie quotidienne (vie-xe siècle) », dans Médiévales, no 56 (printemps 2009), p. 11-22 ; Ead., Legal Practice and the Written Word in the Middle Ages. Frankish Formulae, c. 500-1000, Cambridge, 2009. 90 Charlemagne, Avertissement à un missus (801-812), MGH Capit. I, no 121, p. 240 (voir Annexe 2, textes no 6).
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De institutione laicali rédigé dans les années 820 à l’intention de Matfrid d’Orléans dans un premier temps, puis des comtes plus généralement, il évoque d’autres types d’union en dehors du mariage qui seul conduit – précise-t-il – à la formation d’un couple légitime : celles qui sont formées avant le mariage et suffisamment durables pour donner naissance à des enfants reconnus dont Jonas considère qu’ils ne peuvent hériter comme ceux nés d’un mariage légitime ; celles qui sont réalisées avec des concubines (concubae), distinguées des maîtresses (pelices)91, avec lesquelles les relations devaient être passagères ou plus occasionnelles, en particulier lorsqu’il s’agit de femmes de la domesticité92. Si les autres types de sources donnent peu d’exemples concrets de ces formes de conjugalité, cela ne signifie pas qu’elles étaient marginales. Elles sont attestées notamment dans l’entourage royal pour les filles de Charlemagne qui, sans être mariées, n’en ont pas moins une vie conjugale. Eginhard explique en effet que Charlemagne « ne voulut donner en mariage aucune de ses filles », moins probablement parce qu’elles « étaient très belles et qu’il les aimait beaucoup »93, que pour limiter les revendications du pouvoir royal parmi leurs descendants94. Pour autant, celles qui ne sont pas vouées à la vie religieuse n’en ont pas moins des conjoints reconnus qui font partie de l’élite franque et dont elles ont des enfants : si pour Rotrude, l’identité du partenaire n’est pas passée à la postérité, pour Berthe, il s’agit d’Angilbert. Or, si les enfants de la seconde se nomment Hartnid et Nithard, la première a un fils, appelé Louis, nom royal qui contient en lui la prétention au droit d’hériter95. Cela ne peut manquer d’interpeler sur le statut de cette union au moment de la naissance de cet enfant – peut-être vers 800, voire 81096 –, ce qui n’exclut pas qu’il ait pu évoluer ou faire l’objet de divergences d’appréciation au sein même de la famille royale. Ces revendications ont certainement été jugées suffisamment dangereuses en 814 pour que Louis le Pieux s’attache à les réduire à néant en dénonçant notamment la conduite jugée scandaleuse de ses sœurs, si l’on en croit l’Astronome, de manière à ce que nul ne considère leurs couples – ni donc leurs descendants – comme légitimes97. Si les 91 Jonas d’Orléans, II, 2, p. 330-333 et II, 4, p. 346-347 (voir Annexe 2, textes no 8). Sur ce miroir, voir en dernier lieu F. Veronese, « Contextualizing Marriage : Conjugality and Christian Life in Jonas of Orléans’ De institutione laicali », dans Early Medieval Europe, no 23/4 (nov. 2015), p. 436-456. Il montre que Jonas s’adresse aux comtes auxquels il s’attache à expliquer comment se comporter en tant que maris, mais aussi que juges, amenés à traiter d’affaires conjugales, tout en soulignant que le mariage n’est qu’un aspect de leur vie et que les vertus doivent être pratiquées dans la vie conjugale comme dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. 92 Le maître ayant tous les droits sur la population servile de sa maison, y compris sur les corps, de telles relations dissymétriques, plus ou moins durables, entre un homme de l’élite et une femme de sa domesticité étaient fréquentes depuis l’époque romaine : E. T. Dailey, Queens, …, op. cit., p. 113 ; R. Stone, Morality and Masculinity …, op. cit., p. 184-185. 93 Eginhard, Vie de Charlemagne, op. cit., c. 19, p. 48-49. 94 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 300-301. 95 Sur tout ceci, voir J. Nelson, « La cour impériale de Charlemagne », dans R. Le Jan (dir.), La royauté et les élites dans l’Europe carolingienne (du début du ixe aux environs de 920), Lille, 1998, p. 185-187. 96 Ibid., p. 186. 97 Astronome, c. 21, p. 348 ; Voir J. Nelson, « La famille de Charlemagne », art. cit., p. 210-211 ; Ead., « La cour impériale de Charlemagne », art. cit., p. 190.
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enjeux liés à la succession, ainsi que les efforts des autorités religieuses pour imposer leurs normes matrimoniales, ont ainsi conduit à distinguer plus nettement parmi les couples, ceux qui étaient légitimes et ceux qui ne l’étaient pas, les uns et les autres n’en continuent pas moins de coexister. Au Moyen Âge central, cela reste le cas. Le concubinage étant reconnu comme une forme illégitime de couple, les autorités religieuses, devenues progressivement seules compétentes pour les affaires matrimoniales, s’attachent principalement à faire respecter en matière de mariage les normes qu’elles ont définies. Cela ne doit cependant pas occulter le fait que d’autres formes de conjugalité restent pratiquées, ce dont témoignent discrètement quelques chartes et allusions dans les sources narratives, le plus souvent lorsqu’il est, là encore, question des enfants. En 961, Raimond Ier, comte de Rouergue et marquis de Gothie, répartit, par testament, ses biens entre des communautés religieuses, son épouse légitime, son fils aîné et son cadet, mais aussi ses fils et sa fille qu’il a eus d’une autre femme – fille d’Odoin –, manifestement pas considérée comme épouse légitime, et donc probablement concubine98. À la fin du xe siècle, Richer rappelle qu’Arnoul, candidat à l’archevêché de Reims, est fils du roi Lothaire et d’une concubine99. Au siècle suivant, Raoul Glaber explique que le duc Robert de Normandie a eu d’une concubine un fils auquel il a donné le nom de son aïeul, Guillaume, et dont il fait son successeur, pratique que l’auteur souligne comme étant usuelle chez les ducs de Normandie100. Ceux-ci ont en effet conclu à la fois des mariages légitimes et des unions more danico, qualifiées de concubinages par les autorités religieuses qui ne reconnaissaient que les premières, sans que cela n’empêche les fils nés des secondes de succéder à leur père101. Cela n’est pas spécifique au milieu princier normand : à la fin du ixe siècle, dans le royaume de l’est, des Carolingiens nés de couples considérés comme illégitimes ont été élevés à la royauté en l’absence d’héritier direct102 et dans les milieux princiers des xe-xie siècles, plusieurs fils de princes nés de concubines parviennent à s’imposer à la tête de la principauté de leur père, mort sans descendant de leur épouse légitime, 98 C. de Vic, J. Vaissette, Histoire générale de Languedoc, III/2, rééd. Nimes, 1993, Preuves, no 54, p. 348-441, repéré par E. Magnou-Nortier, « Réalité juridique et sociale du couple d’après les sources du Bas Languedoc avant 1100 », dans M. Rouche (dir.), Mariage et sexualité au Moyen Âge. Accord ou crise ?, Paris, 2000, p. 181. 99 Richer, IV, 26, t. 2, p. 184-185. 100 Raoul Glaber, IV, 20, p. 258-259 : « Ce fut en effet l’usage de ces gens, dès leur premier établissement en Gaule, de prendre pour princes des hommes nés de concubines (ex huiusmodi concubinarum commixtione) ». 101 C’est en particulier le cas de Guillaume Longue-Épée (fils de Rollon et d’une femme, peut-être appelée Poppa), de Richard I (fils de Guillaume Longue-Épée et de Sprota) et de Richard II (fils de Richard Ier et de Gunnor). Sur les unions more danico, voir C. W. Westrup, « Le mariage des trois premiers ducs de Normandie », dans Normannia, 6 (1933), p. 411-426 ; R. Besnier, Le mariage en Normandie. Des origines au xiiie siècle, Caen, 1934, p. 86-92 ; et plus récemment, R. M. Karras, « The History of Marriage … », art. cit., p. 137-138 ; R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 42-43 ; P. L. Reynolds, Marriage in Western Church. The Christianization of Marriage during the Patristic and Early Medieval Periods, Leiden, 1994, p. 110-112. Voir aussi Annexe 3, tableau généalogique no 5. 102 C’est le cas d’Arnulf, fils de Carloman et de Liutsuinde, en 887 et de son propre fils Zwentibold, en 895 : R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 245 ; S. McDougall, Royal Bastards …, op. cit., p. 91-93.
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ce dont témoigne notamment, dans les années 1020, Adémar de Chabannes pour Ebles, fils du comte Ramnoux de Poitiers († 892), ainsi que pour Arnaud Manzer et Adémar II, fils du comte d’Angoulême Guillaume Taillefer († 962)103. Si la nature du couple de leurs parents les exclut d’une succession automatique, sa reconnaissance sociale leur donne une certaine légitimité à exercer le pouvoir en l’absence d’héritier légitime et les moyens de la faire valoir. En dehors des questions de succession, le moine chroniqueur évoque des fils ou frères bâtards (manzer), dont les prétentions ou le rôle laissent supposer qu’ils sont nés d’unions officielles relativement stables, bien que non légitimes104. Quelques années plus tard, Raoul Glaber fait figurer le concubinage parmi les maux qui se développent dans tous les milieux sociaux, à l’exemple des grands105. S’il faut se méfier du discours sur les faiblesses humaines et le développement des pratiques jugées pires qu’autrefois, le concubinage des élites n’en apparaît pas moins comme ordinaire106. Vers 1200, ce type de situation ne paraît pas exceptionnel. Si l’on en croit Gislebert de Mons, clerc au service de Baudouin V, le comte de Hainaut peut en effet prévoir à sa mort en 1195 de donner des biens « à ses enfants dont certains n’étaient pas nés de son épouse mais de femmes nobles »107, ce qui montre que le comte de Hainaut a connu d’autres couples que celui qui le liait légitimement à Marguerite de Flandre. Si la documentation émanant des milieux religieux se montre discrète sur les formes de conjugalité informelles, c’est beaucoup moins le cas de la littérature courtoise, en langue vulgaire, qui s’est développée au xiie siècle avec l’acculturation à l’écrit des élites laïques108 : poèmes, romans et chansons de geste qui mêlent jeu littéraire, imaginaire et préoccupations contemporaines mettent en scène des couples mariés comme non mariés109 et s’intéressent – entre autres – davantage aux relations conjugales qu’au statut des enfants nés des différents types de couples, même s’il peut
103 Adémar de Chabannes, III, 21, p. 141 (trad. p. 221) et 23, p. 144 (trad. p. 226) pour Ebles, fils de Ramnoux et d’une concubine ; III, 24, p. 145 (trad. p. 228) pour Arnaud Manzer et Adémar II, fils de Guillaume Taillefer et de concubines. 104 Cas de Gauzlin (III, 39, p. 160, trad. p. 250), Jourdain (III, 42, p. 163, trad. p. 255), et du frère de Roger Tosny (III, 55, p. 174, trad. p. 270). 105 Raoul Glaber, IV, 17, p. 252-253. 106 Laurence Leleu souligne la même discrétion des sources narratives produites dans la Germanie des xe-xie siècles sur les concubines et femmes illégitimes et relève les indices qui témoignent de pratiques volontairement dissimulées : L. Leleu, Semper patrui in fratrum filios seviunt. Les oncles se déchaînent toujours contre les fils de leurs frères. Autour de Thietmar de Mersebourg et de sa Chronique. Représentations de la parenté aristocratique en Germanie vers l’an mille dans les sources narratives, thèse dactylographiée, dir. R. Le Jan, Paris I, 2010, p. 204-206. Je la remercie de m’avoir transmis son texte. 107 Gislebert de Mons, c. 227, p. 311 (trad t. 15, p. 127) : Pueris suis, quorum quosdam non de uxore sua, sed de mulieribus nobilibus genuerat, bona quedam assignavit. 108 M. Aurell, Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux xiie et xiiie siècles, Paris, 2011. 109 Pour une approche générale mais tardive, voir K. Nickolaus, Marriage Fictions in Old French Secular Narratives, 1170-1250 : a Critical Re-evaluation of the Courtly Love Debate, New York, 2002 ; plus ciblés, M. Guillet-Rydell, « Nature et rôle du mariage dans les lais anonymes bretons », dans Romania, no 96/ 381 (1975), p. 91-104 ; P. Noble, Love and Marriage in Chrétien de Troyes, Cardiff, 1982.
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en être question. C’est notamment le cas des Lais de Marie de France (vers 1160)110, des romans de Chrétien de Troyes (vraisemblablement entre 1170 et 1190)111, ou de la chanson de geste de Raoul de Cambrai (vers 1200)112, pour ne prendre que ces trois exemples, ayant connu un certain succès et permettant de confronter perceptions féminines et masculines. Il en ressort l’impression que, dans les milieux élitaires, les couples non mariés sont d’une grande banalité et qu’ils sont reconnus, voire acceptés, par la plupart des laïcs, mais aussi une partie des ecclésiastiques, ce qui n’exclut pas une conscience nette de leur spécificité. L’un des lais de Marie de France, Frêne, est particulièrement explicite. Le poème raconte comment Frêne, une belle jeune fille qui a été abandonnée à sa naissance et élevée dans un monastère, attire l’attention d’un bon seigneur local, Goron, qui en tombe amoureux et la convinc de venir s’installer dans son château, sans que l’abbesse qui l’a élevée ne s’y oppose. Sa beauté, 110 Sur Marie de France, on sait peu de chose. Originaire du continent, elle gravite dans l’entourage d’Henri II Plantagenêt et Aliénor et s’intègre aux élites du monde anglo-normand, notamment d’Angleterre, pour lesquelles elle écrit. C’est la seule femme écrivant en langue vulgaire sur des thèmes profanes : entre autres, Lais bretons (xiie-xiiie siècles) : Marie de France et ses contemporains, éd. et trad. N. Koble, M. Séguy, Paris, 2018, introduction, p. 45-51. Si certains considèrent qu’elle a été probablement religieuse (cas notamment de R.L Krueger), rien n’est moins sûr : Martin Aurell privilégie le statut laïque, ce dont témoigne deux enluminures – certes de l’extrème fin du xiie siècle, donc plus tardives – qui la montrent dans son travail d’écrivaine et la représentent en dame laïque : voir M. Aurell, Le chevalier lettré…, op. cit., p. 244-249. Elle apparaît, en tous les cas, immergée dans la société aristocratique de son temps, au fait des réalités sociales, voire juridiques : voir H. Débax, « Fidélité, vassalité, féodalité dans les Lais de Marie de France », dans E. Andrieu (dir.), Les possibles de la narration dans les Lais de Marie de France, Actes de la journée d’étude organisée le 8 janvier 2019 l’Université de Toulouse II-Jean Jaurès, p. 14 et 20. Sur les lais, courts poèmes narratifs, de Marie de France, centrés sur les protagonistes féminins et réunis dans un ensemble savamment construit, vers 1160, à l’intention probablement du roi Henri II Plantagenêt et de sa cour, réunissant laïcs et clercs, voir notamment R. L. Krueger, « Femal Voices in Couvents, Courts and Household : the French Middle Ages », dans S. Stephens (dir.), A History of Women’s Writing in France, Cambridge-New York, 2000, p. 19-20 ; Ead., « The Wound, the Knot and the Book : Marie de France and Literary Tradition of Love in the Lais », dans L. Whalen (dir.), A Companion to Marie de France, Leiden-Boston, 2011, p. 56-87 ; J. Dufournet (dir.), Amour et merveille : les « Lais » de Marie de France, Paris, 1995, réimpr. 2013. 111 Sur Chrétien de Troyes, on sait peu de chose. Probablement originaire de Champagne, il est écrivain de cour et compte, parmi ses mécènes, le couple comtal de Champagne, Henri le Libéral (1152-1181) et Marie de France, ainsi que le comte de Flandre, Philippe d’Alsace (1157-1191). Il écrit en langue romane, même s’il connait le latin, pour le public des cours princières, mais les incertitudes sur son identité demeurent, les hypothèses allant du chevalier au lettré juif. Voir E. Doudet, Chrétien de Troyes, Paris, 2009 ; J. W. Baldwin, « Chrétien in History », dans N. J. Lacy, J. Tasker-Grimbert (dir.), A Companion to Chrétien de Troyes, Cambridge, 2005, p. 3-13. 112 Cette chanson, en trois parties, serait l’œuvre d’une série de transpositions et remaniments réalisés probablement en trois étapes par trois poètes anonymes différents : la première, centrée sur Raoul, pourrait avoir été composée au début du xiie siècle, la seconde, sur Gautier, à la fin de ce même siècle et la troisième, sur Bernier, au début du xiiie siècle. Voir Raoul de Cambrai, chanson de geste du xiie siècle, éd. et trad. W. Kibler, S. Kay, Paris, 1996, introduction, p. 16-17. Cette dernière partie évoque notamment le fait que les parents de Bernier étaient concubins (laisse 110, v. 2074), son père Ybert n’ayant jamais épousé sa mère Marsent, femme de haute noblesse enlevée au cours d’une guerre et devenue sa maîtresse (laisses 80-82), ce qui fait de Bernier un bâtard, mais ne l’empêche pas de succéder à son père, celui-ci n’ayant pas d’autres héritiers (laisses 67, 196 et 255). Il est néanmoins aussi question dans le poème de couples légitimement mariés, comme celui de Raoul et Aalais ou de Bernier et Béatrice.
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sa sagesse et la noblesse de son caractère la font honorer de tous, ce qui témoigne de la reconnaissance de ce couple informel par l’entourage, mais les nécessités d’avoir un héritier légitime qui – précise l’auteure – préoccupent les vassaux de Goron finissent par le conduire néanmoins à se marier avec une femme de l’élite locale, héritière, lui permettant de conclure une alliance politique en même temps que d’accroître ses richesses. Si Frêne est prête à laisser la première place à la nouvelle épouse, ce qui la conduit à préparer dignement le lit nuptial, il n’est nulle question de l’écarter, même si les vassaux ont conseillé à Godron de s’en débarrasser : d’ailleurs, la mère de la mariée pense au moyen de l’éloigner de la maison pour ne pas nuire à sa fille113, ce qui laisse supposer que ce type de situation – avec cumul de couples institutionnalisé et informel(s) – n’est pas inhabituel et que les épouses mesurent pleinement les désagréments qui peuvent en résulter pour elles. Le genre littéraire qui fait toute sa place à la poésie et mêle les éléments d’identification et d’évasion n’en participe pas moins à l’édification des lecteurs et auditeurs des deux sexes, en particulier laïques, ce que favorise l’usage de la langue vulgaire. La fin heureuse du lai, avec l’annulation, dès le lendemain des noces, par l’archevêque de Dol – qui apporte la caution ecclésiastique –, du mariage de Goron, suivi de la bénédiction de celui avec Frêne, reconnue par la mère de la mariée comme sa fille abandonnée – donc tout autant héritière que sa sœur –, permet, tout en manipulant les pratiques, de concilier les intérêts élitaires, par le biais des stratégies matrimoniales (les mêmes familles sont unies par mariage après substitution des épouses), la conception ecclésiastique du mariage qui s’est affirmée (promotion du mariage comme seule forme d’union légitime, contrôle par l’Église des unions et des désunions – ici pour degré prohibé –, attention accrue au consentement des époux comme critère de validité du mariage), mais aussi l’amour conjugal et extra-conjugal114. Si Sharon Kinoshita voit dans ce lai une vue étonnamment cynique de la politique sexuelle de l’aristocratie féodale115, il peut, comme les autres lais qui présentent des situations diversifiées et nulle morale commune, aussi s’inscrire, comme le suggère Hélène Debax, dans la littérature de compensation ou de consolation116, ici pour les femmes, mariées ou concubines, confrontées, avec plus ou moins de marge de manœuvre, aux pratiques sociales, voire pour les hommes soumis aux mêmes impératifs.
113 Marie de France, Lais, éd. et trad. N. Koble, M. Séguy, Lais bretons …, op. cit., p. 266-307. Sur l’analyse de ce lai, voir notamment C. Maréchal, « Le lai de Fresne et la littérature édifiante du xiie siècle », dans Cahiers de Civilisation Médiévale, no 35 (1992), p. 131-141 ; S. Kinoshita, « Two for the Price of One : Courtly Love and Serial Polygamy in the Lais of Marie de France », dans Arthuriana, no 8.2 (été 1998), p. 33-41. 114 S. Kinoshita, « Two for the Price of One … », art. cit., p. 41. Cela n’exclut pas bien des originalités de l’auteure, notamment sur la conception de l’amour, qui la distingue de ses contemporains, ecclésiastiques et laïques, quasi-exclusivement masculins : voir R.L Krueger, « The Wound, the Knot … », art. cit., p. 56 ; J. Flori, « Amour et société aristocratique au xiie siècle : l’exemple des lais de Marie de France », dans Le Moyen Âge, no 98 (1992) p. 33. Sur l’amour, voir aussi chapitre 2. 115 S. Kinoshita, « Two for the Price of One … », art. cit., p. 34. 116 H. Debax, « Fidélité, vassalité, … », art. cit., p. 22 : c’est la conclusion d’Hélène Debax pour « les vassaux maltraités par leur seigneur ou plongés dans des dilemmes insolubles ».
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Si les élites semblent conscientes de la distinction entre les différentes formes de conjugalité, elles considèrent néanmoins aussi qu’il n’y a rien de figer, comme le montre l’histoire de Frêne, passée de concubine à épouse, qui ne relève pas uniquement de la fiction. À l’extrême fin du xie siècle, Yves de Chartres qui, dans l’une de ses lettres, répond à l’évêque de Meaux sur la question de savoir s’il est possible à un couple de concubins de légitimer son union par le biais d’un mariage rappelle la position des autorités qui le réprouvent puis celles qui l’approuvent, avant de considérer qu’il appartient à l’évêque concerné de trancher en fonction de la situation117. Quelques décennies plus tard, Robert de Thorigny, juge nécessaire d’ajouter à la fin des Gesta Normannorum Ducum, dont il a entrepris la révision vers 1139, que le duc Richard Ier a fini par épouser Gunnor, dont il avait eu plusieurs enfants, ce qui permet de les légitimer, et donc à l’un d’eux, Robert, de devenir archevêque de Rouen (ce que les canons refusaient aux enfants illégitimes)118 : pour cet éminent abbé normand, qui cherche à justifier la désignation archiépiscopale de Robert, la transformation d’un couple informel en couple marié est donc possible. Au tournant des xiie et xiiie siècles, une lettre du pape Innocent III (1198-1216) adressée au comte Guillaume de Montpellier traite des fils qui lui sont nés d’une autre femme que son épouse légitime et de la demande de légitimation sollicitée par le comte qui lui est refusée119. Les décisions relèvent certes désormais de l’Église, aux prétentions hégémoniques accrues et seule compétente en ce domaine, elles n’en conduisent pas moins parfois, au besoin au prix de certains arrangements, à faire évoluer le statut des couples, dans les régions méridionales comme septentrionales. Si Guillaume de Montpellier s’adresse à l’autorité pontificale, c’est qu’il considère qu’il peut obtenir gain de cause. La volonté de faire reconnaître a posteriori par les autorités ecclésiastiques la légitimité d’un couple qui ne l’est pas montre néanmoins que si les couples formés par un homme, issu des élites royales ou aristocratiques, avec une femme autre que son épouse correspondent à une réalité relativement banale, ils se trouvent désormais considérés très différemment des couples mariés, seuls mis en avant dans la sphère publique, ce que traduit notamment le silence fréquent sur le nom des femmes, sans que cela n’exclut cependant un rôle social, en particulier lorsque ces compagnes sont nobles. Au final, les élites pratiquent différentes formes de conjugalité, selon le contexte politique et familial, ainsi que la place dans le cycle de la vie, mais seuls les couples 117 Yves de Chartres (Leclercq), no 16, p. 65-71. Voir Annexe 2, textes no 16. 118 The Gesta Normannorum Ducum of William of Jumièges, Orderic Vitalis and Robert de Thorigny, éd. et trad. angl. E. M. C. Van Houts, 2 t., Oxford, 1992, VIII, 36, t. II, p. 268-269 : (…) comes quendam filium suum, nomine Robertum, vellet fieri archiepiscopum Rotomagensem, responsum est ei a quibusdam hoc nullatenus secundum scita canonum posse esse, ideo quod mater eius non fuisset desponsata. Hac itaque causa comes Ricardus Gunnorem comitissam more christiano sibi copulauit filiique, qui iam ex ea nati erant, interim dum sponsalia agerentur, cum patre et matre pallio cooperti sunt et sic postea Robertus factus est archiepiscopatus Rotomagensis. Sur l’attribution du livre VIII à Robert de Thorigny et la date de rédaction pour Robert de Thorigny, introduction, t. I, p. lxxix-lxxx. 119 Corpus Iuris Canonici, Decretalium Collectiones, éd. E. Friedberg, 2e éd., Graz, 1955, Pars II, l. IV, tit. XVII, c. 13, col. 714-716, cité par H. Taviani-Carozzi, « La naissance illégitime dans la controverse antihérétique (xie-xiie siècles) », dans C. Avignon (dir.), Bâtards …, op. cit., p. 87.
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mariés apparaissent avec netteté dans la documentation, plus particulièrement à partir de l’époque carolingienne, ce qu’il faut lier à la fois au discours des auteurs qui entend faire du mariage le fondement de tout couple, dans une société ordonnée120, et aux transformations des règles de succession qui conduisent à réserver le pouvoir royal aux seuls fils nés d’unions reconnues légitimes et à les privilégier dans l’aristocratie. Or, la légitimité sociale ne correspond pas forcément à la légitimité canonique, ce qui explique qu’il y ait eu, autour de certains couples et de leur statut, débats et oppositions, mais toujours dans des contextes particuliers où les enjeux sont majeurs et ne concernent pas que le couple121. Il en résulte, malgré un discours plus ferme sur la distinction entre mariage et concubinage, une image brouillée du statut juridique des couples, légitimement mariés pour les uns mais pas pour les autres, d’autant que, pour certains d’entre eux, les positions ont aussi pu évoluer à la suite de négociations ou avec la modification du rapport des forces en jeu. Plus que les questions juridiques, ce qui importe néanmoins, dans une perspective centrée sur le couple, c’est de saisir le sens donné à l’union et de mesurer en quoi le couple formé avec une concubine diffère de celui avec une épouse : nous y reviendrons. Il faut auparavant analyser les comportements en matière de conjugalité pratiqués en dehors des élites laïques. Les clercs : majoritairement mariés ou concubinaires
Bien que, depuis le ive siècle, la continence et le célibat sont imposés aux clercs en Occident, ce qui est régulièrement rappelé ensuite, divers indices laissent supposer que leur respect est tout relatif et que la pratique de la conjugalité par les clercs relève probablement davantage de la norme122. Il convient donc d’expliquer ce décalage et de préciser la nature de ces couples. Le discours normatif qui insiste sur l’obligation de célibat conduit en effet parfois à nier que les prêtres ont pu être mariés et à les qualifier plutôt de « prêtres concubinaires »123. La documentation emploie pourtant régulièrement à leur sujet la terminologie associée au mariage, avec un discours qui a néanmoins évolué avec le contexte social et religieux entre le vie et le xiie siècle. Aux vie-viie siècles, l’une des préoccupations de l’Église en cours de construction est d’organiser le clergé, ce qui la conduit à rappeler certaines règles concernant les devoirs auxquels sont astreints ses membres, notamment le renoncement à la vie conjugale. Onze des 27 conciles dont les mesures disciplinaires ont été conservées, soit presque de la moitié, y consacrent au moins un canon.
120 H. Taviani-Carozzi, « La naissance illégitime … », art. cit., p. 89-92. 121 E. Santinelli-Foltz, « Enfants nés in ou extra legitimo matrimonio … », art. cit., p. 63-65. 122 Pour la continence et le célibat des clercs, voir les références bibliographiques données en introduction (n. 45) et pour une approche moins juridique, sur la longue durée à partir du xie siècle, M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 115-164. 123 C’est notamment le point de vue de Charles Mériaux, dont le mémoire inédit de HDR porte sur les prêtres carolingiens: C. Mériaux, « Boni agricolae in agro Domini ». Prêtres et société à l’époque carolingienne (viiie-xe siècle), Lille, 2014. Je remercie l’auteur de m’avoir transmis son texte avant publication.
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cha p i tr e 1 Tableau 3 : Clercs et vie conjugale : le témoignage des canons mérovingiens
Situations évoquées par les conciles
Sanction / [Disposition]
Orléans II (533) c. 8, p. 198-199 : mariage d’un diacre réduit en captivité = légèreté de sa conduite
écarté de son office à son retour
Clermont (535) Privés à jamais de toute dignité c. 13, p. 216-217 : prêtres et diacres (qui doivent devenir le frère de celle qui était auparavant leur femme) revenus à la vie conjugale par le feu du désir = crime d’inceste (rendu manifeste par les enfants qui leur sont nés) [Fuir cette liberté coupable] c. 16, p. 220-221 : évêques, prêtres, diacres habitant avec d’autres femmes que celles de la parenté proche Orléans III (538) c. 2, p. 232-233 / un clerc, à partir du sousdiaconat, s’unissant à son épouse / vivant dans la bassesse de cette union sexuelle c. 4, p. 234-235 / prélats et clercs ayant dans leur maison d’autres femmes que celles de la parenté proche.
déposé de son office et réduit à la communion laïque. + évêque écarté de son office 3 mois, s’il laisse faire Si rumeur, renvoi de la femme, sinon excommunication de 3 ans. Si relations adultères prouvées, destitution de toute dignité c. 7, p. 236-237 / clercs qui se marient après avoir Déposés + excommuniés (de même reçu la bénédiction que leurs femmes) Orléans IV (541) c. 17, p. 274-275 : prêtres et diacres qui ont lit et chambre commune avec leur épouse Orléans V(549) c. 4, p. 302-303 : clercs qui, après avoir reçu la bénédiction, reviennent dans le lit conjugal c. 2, p. 332-333 : évêques, prêtres ou diacres ayant auprès d’eux d’autres femmes [que celles de la parenté proche] Tours II (567) c. 10-11, p. 356-357 : clercs (évêques, prêtres, diacres, sous diacres) qui ont / installent dans leur maison des femmes étrangères, sous prétexte de travaux domestiques c. 13, p. 358-359 / évêque marié (considérant donc sa femme comme sa sœur) c. 14, p. 358-359 / évêque qui n’a pas d’épouse, escorté par une troupe de femmes
Déposés
Déposés et privés à jamais des ordres privés de tout sacrifice sacerdotal + écarté de l’accès à la sainte église et de toute assemblée de catholiques Excommunication + c. 12, p. 356-359 : sentences des canons antérieurs pour les évêques qui négligent de sanctionner ceux qui persistent dans cette faiblesse. [doit être séparé de sa femme par la distance de leur demeure] [interdiction]
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Situations évoquées par les conciles
Sanction / [Disposition]
c. 20, p. 364-367 : nombreux archiprêtres ruraux, Prévention : surveillance clercs, d’une diacres et sous-diacres, soupçonnés de vivre part, et épouses dans leur maison, avec leurs épouses d’autre part Sanction : maintenus hors de la communion pendant 1 an et déposés de tout office clérical, mais possibilité de participer au culte avec les laïcs Si négligence des archiprêtres à l’égard de leurs clercs : enfermés pendant un mois dans une cellule au pain et à l’eau + pénitence Mâcon (581-583) [Fuir cette liberté coupable] c. 1 : évêques, prêtres et diacres habitant avec d’autres femmes que celles de la parenté proche c. 11, p. 432-435 : évêques, prêtres et diacres (doivent devenir le frère de celle qui était Privés à jamais de toute dignité auparavant leur femme) revenus à la vie conjugale par le feu du désir = crime d’inceste (rendu manifeste par les enfants qui leur sont nés) Lyon III (583) Privés de leur rang et de leur office c. 1, p. 446-447 : clercs (de l’épiscopat au sousdiaconat) ayant à leur domicile d’autres femmes que des proches parentes ou cohabitant avec leur femme et donnant naissance à des enfants Auxerre (561-605) c. 20, p. 494-495 : prêtres, diacres ou sousdiacres, engendrant des enfants après avoir reçu la bénédiction = sacrilège c. 21, p. 494-495 : prêtres, diacres ou sousdiacres, dormant dans le même lit que leurs femmes et s’unissant à elles par le péché de la chair
1 an de privation de communion pour l’archiprêtre qui n’en a pas informé l’évêque ou l’archidiacre [interdiction]
Chalon (647-653) Dégradés de leur ordre c. 3, p. 552-553 : évêques, prêtres diacres, entretenant une familiarité avec d’autres femmes [que celles de la proche parenté] Losnes (673-675) c. 4, p. 578-579 : clercs ayant dans leur maison d’autres femmes [que celles de la proche parenté]
[interdiction]
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Les prélats réunis en concile sont confrontés à deux types de situation : les clercs qui étaient mariés avant leur ordination et ceux qui, ne l’étant pas, cohabitent ensuite avec une femme. Les premiers ne sont pas marginaux, puisque la pratique de conférer les ordres à des hommes mariés est alors très courante. L’essor de la christianisation exige en effet de plus en plus de clercs, dans une société qui compte peu de célibataires. Cela pose de fait la question du devenir du couple de ces nouveaux clercs, puisque depuis la fin du ive siècle, la continence est imposée, en Occident, aux ministres mariés dans un souci de pureté, jugée nécessaire pour se consacrer aux choses saintes et en particulier au culte divin124. Les ministres de l’autel et leurs épouses sont donc invités, selon les mots du pape Léon le Grand (458-459), à transformer leur mariage charnel en union spirituelle, ce qui implique – précise-t-il – de renoncer aux relations sexuelles tout en maintenant la vie commune125. Les conciles de Clermont (535), de Tours (567) et de Mâcon (581-583), en évoquant les relations fraternelles qui doivent exister entre les époux après l’ordination du mari (respectivement c. 13, c. 13 et c. 11), ont recours à une image similaire – déjà utilisée par d’autres Pères126 –, avec les mêmes implications sur le plan sexuel. Pour le législateur canonique, le couple continue donc d’exister, de rester marié et de pratiquer la vie conjugale, à l’exception de l’union charnelle. Légiférer ne signifie cependant pas que les dispositions sont acceptées ni appliquées sans réserve par les intéressés. En soulignant les dangers de cette forme de conjugalité, prescrite aux clercs, d’abord à partir du diaconat avant d’être étendue au sous-diaconat127, la documentation témoigne que les couples de clercs mariés correspondent à une réalité. Les canons évoquent « le feu du désir » qui peut gagner le clerc – et être renforcé par la proximité quotidienne avec l’épouse, elle-même nullement dépourvue de tout élan –, le partage d’une même chambre, voire d’un même lit, ou encore les moments passés en tête-à-tête font naître tous les soupçons, parfois levés, lorsque la naissance d’un enfant « rend manifeste » l’union sexuelle128. Deux notices hagiographiques de Grégoire de Tours mettent en scène la vie conjugale d’évêques mariés : tout en rappelant les exigences liées à l’ordination, elles soulignent la difficulté à les respecter, ce qui permet de rehausser la gloire, voire la sainteté, de ceux qui y parviennent. La première raconte que lorsque Simplicius devient évêque d’Autun, celle qui est devenue sa sœur après avoir été épouse ne supporte pas d’être écartée du lit de l’évêque et continue d’y rentrer avec la volonté de respecter 124 Sur l’idée souvent avancée d’une pureté nécessaire pour justifier la continence des clercs, parce que la sexualité comporte une souillure, voir H. Crouzel, « Le célibat et la continence ecclésiastique … », art. cit., p. 345-352 et p. 356-360. Sur une interprétation différente en Orient, ibid., p. 362-363. 125 Lettre du pape Léon à Rustice de Narbonne (440-446), éd. PL 54, no 167, col. 1204. Voir M. Dortel-Claudot, « Le prêtre et le mariage … », art. cit., p. 323-325 ; H. Crouzel, « Le célibat et la continence ecclésiastique … », art. cit., p. 355. 126 H. Crouzel, « Le célibat et la continence ecclésiastique … », art. cit., p. 339-340. 127 Conciles mérovingiens, Orléans III (538), c. 2 ; Tours (567), c. 20 ; Lyon III (583), c. 1 ; Auxerre (561-605), c. 21. 128 Sur « le feu du désir » et l’union sexuelle, « rendue manifeste par les enfants nés », voir les conciles de Clermont (535), c. 13 et de Mâcon (581-583), c. 11 ; sur le partage de la chambre et surtout du lit, voir les conciles d’Orléans IV (541), c. 17 et d’Auxerre (561-605), c. 21.
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la continence, ce qui fait scandale, les habitants considérant qu’il est impossible à un mari de s’abstenir de s’unir sexuellement avec sa femme, lorsqu’il est dans ses bras. Le couple est néanmoins disculpé par un miracle qui convainc le peuple129. La seconde notice rapporte le cas d’un évêque qui après avoir été nommé, fait lit séparé avec sa femme, conformément à ce qu’ordonne l’institution ecclésiastique – précise Grégoire de Tours –, ce que supporte mal son épouse qui lui propose chaque jour de reposer ensemble dans le même lit et s’inquiète que son mari repousse ses étreintes. Un miracle met cependant fin à ses doutes et à ses volontés d’outrepasser les interdits canoniques130. L’hagiographie reconnait donc, comme la législation conciliaire, les couples de clercs mariés auxquels l’une et l’autre prescrivent la chasteté et condamnent son non-respect. Si le concile d’Orléans III (538) se contente de souligner la bassesse (vilitas) du refus de la continence, ceux de Clermont (535) et de Mâcon (581-583), considérant qu’il souille la dignité pure du sacerdoce, le mettent au rang des crimes d’inceste (incesti crimen). La notion d’inceste peut recouvrir des réalités différentes, mais elle désigne toujours une relation sexuelle prohibée et correspond à un crime d’une extrême gravité. Les mesures prises pour éviter que les couples ne transgressent les interdits et faire taire les rumeurs confirment que certains clercs mariés et leurs épouses ne devaient guère modifier leur mode vie, ou du moins qu’on le pensait. Quelques conciles se sont ainsi prononcés en faveur de l’interdiction d’avoir lit et chambre commune (Orléans IV, c. 17), de l’obligation d’être accompagnés d’au moins un clerc y compris la nuit (Tours II, c. 13 et 20), voire d’habiter des demeures séparées (Tours II, c. 13). Les prescriptions sont cependant loin de concerner la majorité des diocèses et rien ne prouve que, dans ceux qui les ont ordonnées, elles aient été mises en œuvre. Force est de constater que certains clercs mariés assumaient de l’être et ne considéraient pas incompatibles le service de Dieu et le mariage. Pourtant, les canons sont unanimes à s’y opposer et à prévoir la destitution de ceux qui n’acceptent pas la continence dans leur mariage : incapables de respecter la pureté du sacerdoce, ils n’en sont pas dignes et certains conciles précisent qu’ils en sont exclus à jamais. Encore faut-il que leur situation soit connue, voire prouvée, et la sanction appliquée, ce qui n’est pas forcément fait, si l’on en croit les dispositions parfois prévues à l’encontre des évêques ou des archiprêtres qui feraient preuve d’indulgence, de négligence ou de passivité (Orléans III, c. 2 ; Tours II, c. 20 ; Auxerre, c. 20). Les clercs mariés qui ne se contentent pas de vivre chastement et fraternellement avec leurs femmes n’apparaissent donc pas comme des cas exceptionnels et semblent, en divers endroits, laisser leur hiérarchie indifférente. Par ailleurs, si Grégoire de Tours précise que les habitants d’Autun sont scandalisés à l’idée que leur évêque puisse avoir des relations sexuelles avec sa femme, parce que cela participe à son discours et à celui d’une partie au moins de l’Église, rien ne prouve que la population ait été préoccupée par
129 Grégoire de Tours, GC, no 75, p. 342-343 (trad. no 76, p. 50-53). 130 Grégoire de Tours, GC, no 77, p. 344 (trad. no 78, p. 56-57). Plus généralement, sur le discours de Grégoire de Tours sur les couples épiscopaux, voir S. Joye, « Grégoire de Tours et les femmes … » art. cit., p. 82-89.
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ce qui se passait dans l’intimité de la vie conjugale des diacres, prêtres ou évêques mariés qu’elle côtoyait. Les conciles mérovingiens se préoccupent aussi des clercs ordonnés alors qu’ils sont célibataires et qui vivent ensuite en couple alors qu’ils devraient respecter continence et célibat. Le concile d’Orléans III (538) rappelle qu’un clerc ne peut se marier (coniugia eleganda), après avoir été ordonné (c. 7). La prescription n’est pas nouvelle : elle est formulée au début du ive siècle et répétée ensuite, en Occident comme en Orient, ce qui ne signifie pas qu’elle soit universellement acceptée131. Elle se justifie par la supériorité du célibat sur la conjugalité dans l’échelle des valeurs et l’exemplarité attendue des clercs, chargés d’encadrer les fidèles et de les guider sur la voie du salut. En outre, à partir du moment où la continence est exigée des clercs, les autorités peuvent accepter que ceux qui sont déjà mariés continuent à vivre en couple en renonçant aux relations sexuelles132, mais difficilement défendre pour les autres le principe d’un mariage qui ne pourrait se réduire, dès le départ, qu’à la cohabitation et l’affection spirituelle et que rien ne justifierait vraiment puisque les stratégies familiales visent à marier ceux du groupe qui ont été voués à la vie du siècle. Si le concile d’Orléans III laisse supposer que des clercs considèrent qu’ils peuvent se marier, la législation canonique évoque plus souvent la cohabitation avec des femmes, sans qu’il soit question de mariage. La présence de femmes étrangères (extraneae) à la proche parenté laisse en effet supposer la pratique officieuse du concubinage, ce qui correspond très certainement à la réalité pour bon nombre. Si l’on ne peut exclure un discours qui vise à discréditer les clercs vivant en couple, le fait que le concile d’Orléans III (538) distingue les clercs qui se marient (c. 7) de ceux qui cohabitent avec une femme (c. 4) peut laisser penser que mariage et concubinage ont été pratiqués par les clercs. La justification évoquée par le concile de Tours (567, c. 10) de la présence de ces femmes par les tâches domestiques qui leur sont confiées révèlent que le concubinage a peut-être été envisagé comme un moyen de contourner la règle du célibat, au moins aux yeux de la hiérarchie. Si celle-ci n’est pas dupe, ce dont témoigne le rappel régulier de l’interdit tout au long des vie-viie siècles, les sanctions prévues divergent d’un concile à l’autre : certains n’en prévoient pas (Clermont, c. 16 ; Tours II, c. 10 ; Losne, c. 4) ; d’autres condamnent les clercs fautifs à l’excommunication (Tours II, c. 11), voire à la destitution (Lyon III, c. 1 ; Chalon, c. 3), réservant souvent la seconde aux cas où le concubinage est prouvé, notamment par la naissance d’enfants (Orléans III, c. 4) ; d’autres encore cumulent les deux sanctions (Eauze, c. 2), l’excommunication pour avoir renié la fidélité due à Dieu qui doit se manifester entre autres par la continence, et la destitution, pour s’être rendus indignes du sacerdoce, comme les clercs déjà mariés poursuivant les relations sexuelles avec leurs épouses133. Cette disparité dans le traitement de la question, de même que le rappel régulier de l’interdit et les sanctions prévues à l’égard des évêques et des archiprêtres qui font preuve de négligence (Tours II, c. 12 ; Auxerre, c. 20), ne
131 H. Dortel-Claudot, « Le prêtre et le mariage … », art. cit., p. 322. 132 Voir ci-dessus. 133 Voir ci-dessus.
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semblent pas témoigner pas d’un zèle particulier dans l’application de la prescription par les clercs eux-mêmes et dans la volonté de l’imposer de la part de la hiérarchie ecclésiastique. Il faut peut-être prendre en considération le fait que les clercs vivent pour la plupart au milieu des communautés laïques dont ils partagent le quotidien qui s’organise autour du couple conjugal. Ils ne sont pas, contrairement aux moines le plus souvent, ni retirés à l’écart des populations, notamment féminines, et de leurs pratiques, ni pris en charge matériellement par la communauté monastique, ce qui rend plus difficile la pratique du célibat. De nombreux clercs devaient avoir une vie conjugale, officieusement si ce n’est officiellement, ce qui a davantage inquiété certaines autorités soucieuses d’imposer la continence aux ministres du culte que la majorité des fidèles, qui envisageaient probablement la conjugalité comme la norme pour tous. À l’époque carolingienne, les efforts pour ordonner la société et imposer à chaque ordre des règles de vie qui lui soient propres ne paraissent pas être d’une grande efficacité, si l’on en croit le rappel régulier des interdits, en reprenant le même type d’arguments. Mariés ou pas, une partie des clercs au moins continue de vivre en couple, ce que dénoncent les conciles comme les capitulaires. À défaut d’en faire la liste, ce qui serait fastidieux et sans grand intérêt, il convient de noter que les dispositions figurent notamment dans les grands textes réformateurs. Pour ne prendre que quelques exemples, c’est ainsi le cas du premier concile réformateur réuni, à Soissons, par Pépin en 744 qui rappelle qu’un clerc ne peut cohabiter avec une femme étrangère à sa proche parenté (c. 8)134, de l’Admonitio generalis (789) qui reprend cette dernière disposition (c. 4) et répète que les clercs (et les moines) doivent rester fidèles à leur profession et au vœu qu’ils ont fait à Dieu (c. 26), ce qui sous-entend l’interdiction au mariage135, ainsi que du concile de Rome (826), promulgué en capitulaire par Louis le Pieux, qui rappelle l’interdit relatif à la cohabitation des clercs avec n’importe quelle femme et les relations sexuelles avec leurs épouses s’ils sont mariés (c. 15)136. Ces dispositions, de même que l’interdiction du mariage après l’ordination, sont aussi rappelés dans les capitulaires ecclésiastiques, les conciles et les collections canoniques des ixe-xe siècles137. Charles Mériaux a repéré en outre quelques cas concrets pour la province de Reims138. Une lettre d’Hincmar de Reims évoque ainsi, en 874, le cas du prêtre Hunold accusé de concubinage (concubitu cum femina ; cohabitatione cum femina) et les poursuites dont il fait l’objet. Si elle témoigne d’une certaine vigilance de la part de la hiérarchie ecclésiastique, elle évoque aussi la solidarité entre prêtres qui pousse certains à de faux témoignages pour disculper leurs confères139. À la fin du siècle suivant, le prêtre Angelrius reconnaît lors du synode de Châlons (entre 895 et 900) avoir pris pour fiancée (desponderit vel desponsaverit) une femme nommée Grimma avec l’accord des propinqui de celle-ci et de certains paroissiens. D’autres se chargent néanmoins d’avertir l’évêque Mancion qui se tourne vers son archevêque, Foulques 134 Capitulaire de Soissons (744), éd. MGH Capit. I, no 12, c. 8, p. 30. 135 Admonitio generalis (789), éd. MGH Capit. I, no 22, c. 4, p. 54 et c. 26, p. 56. 136 Concile de Rome (826), éd. MGH Capit. I, no 180, c. 15, p. 374 (voir Annexe 2, textes no 6). 137 M. Dortel-Claudot,, « Le prêtre et le mariage … », art. cit., p. 332-337. 138 C. Mériaux, Prêtres et société …, op. cit. 139 PL, t. 126, col. 253-254. C. Mériaux, Prêtres et société …, op. cit., Annexe prosopographique, no 11, p. 183.
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de Reims (883-900), pour savoir comment régler le problème140. Son incertitude peut laisser supposer que la situation n’est pas habituelle, mais le projet de mariage organisé publiquement montre qu’il est pensé comme une pratique ordinaire. Il est possible que le recours à l’évêque s’explique davantage par des rivalités locales que par une réelle aversion pour le mariage des prêtres et que ce qui est inhabituel, c’est peut être l’appel d’une partie de la communauté paroissiale à l’autorité épiscopale, portée de manière ordinaire à ignorer, volontairement ou non, ce type de pratiques. Quand bien même certaines autorités ecclésiastiques se seraient attachées à lutter contre elles en déposant les prêtres qui s’y livrent, elles n’en restent pas moins une réalité. Pour Jean Gaudemet, s’il est impossible de déterminer la proportion des clercs majeurs qui mènent une vie conjugale, on peut la supposer assez forte si l’on en juge les résistances rencontrées par les partisans de la réforme grégorienne141, soucieux d’imposer plus fermement aux clercs continence et célibat pour distinguer plus nettement le sacré du profane142. Les xie-xiie siècles sont en effet marqués, que les initiatives soient régionales ou pontificales, par un durcissement des positions en matière de célibat et de continence des clercs, notamment en leur interdisant toute forme de conjugalité désormais confondue, qu’elle soit liée à un mariage (avant ou après l’ordination) ou un concubinage143. À la différence des mesures prises jusque-là, les clercs mariés avant d’être ordonnés doivent désormais renoncer, après l’ordination, à la cohabitation avec leur épouse. En témoignent notamment le concile provincial de Bourges (1031) ou celui – au rayonnement national – de Troyes (1107), réuni en présence du pape Pascal144. L’un et l’autre prévoient d’exclure de l’autel, voire de la communion, les clercs et diacres qui persistent dans la vie conjugale, que ce soit avec une épouse (uxor) ou une concubine (concubina), ce qui prouve la pratique de ces deux formes de conjugalité. En 1123 encore, le premier concile général de Latran consacre deux canons à la question, du moins dans sa version longue : non seulement il « interdi[t] formellement aux prêtres, diacres et sous-diacres la vie commune avec des concubines ou des épouses et la cohabitation avec d’autres femmes que celles avec lesquelles le synode de Nicée a autorisé d’habiter, uniquement en cas de besoin, à savoir mère, sœur, tante paternelle ou maternelle et autres [proches parentes] au sujet desquelles aucun soupçon ne peut légitiment naître » (c. 7), mais aussi aux mêmes (ainsi qu’aux moines) « d’avoir des concubines ou de s’engager dans le mariage : aussi, nous ordonnons que les mariages conclus par cette sorte de personnes soient
140 PL, t. 131, col. 23-24. C. Mériaux, Prêtres et société …, op. cit., Annexe prosopographique, no 22, p. 186. 141 J. Gaudemet, « Le célibat ecclésiastique. Le droit et la pratique du xie au xiiie siècle » [1982], réimpr. dans Id., Église et société en Occident, Londres, 1984, no XV, p. 5. 142 R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 121. 143 M. McLaughlin, Sex …, op. cit., p. 31-36. 144 Concile de Bourges (1031), éd. J. D. Mansi, Sacrorum Conciliorum Nova et Amplissima Collectio, t. 19, Venise, 1774, c. 5 (interdiction d’avoir ni épouse ni concubine : neque uxorem neque concubinam) et 6 (obligation pour ceux promus au sous-diaconat de promettre de respecter l’interdit et de n’avoir ni épouse, ni concubine : uxorem neque concubinam), col. 503 ; celui de Troyes (1107), ibid., t. 20, Venise, 1775, c. 4, col. 1223-1224 : de uxoraris, sacerdotibus, sive concubinariis, nisi cessaverint (…).
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rompus (disjungi) et que ces personnes soient contraintes à la pénitence, selon la prescription des saints canons » (c. 21)145. Si la nature de la rupture imposée reste équivoque – physique (fin de la cohabitation conjugale) ou juridique (rupture du lien matrimonial) ? –, le concile de Latran II (1139) qui revient sur ceux qui sont connus pour avoir épouses ou concubines (uxores vel concubinas habere cognoverit), rappelle, en ce qui concerne les premiers qui ont transgressé leur engagement, qu’ils doivent être séparés (separentur) de leurs épouses (uxores), et ajoute que ce type d’union contractée contre la règle ecclésiastique n’est pas considérée comme un mariage (matrimonium non esse censemus)146. Pour Jean Gaudement, les années 1130 marquent une rupture : l’engagement dans les ordres se trouve désormais privilégié au point de remettre en cause l’existence juridique du mariage contracté, alors que, jusque-là, théologiens et moralistes avaient défendu la supériorité de l’engagement matrimonial147. Cela ne signifie pas pour autant que cette nouvelle position fait l’unanimité. Le Décret de Gratien montre que, vers 1140, le mariage des clercs reste légitime pour une partie des juristes au moins. La partie du Décret, consacrée au mariage, s’ouvre sur la question de l’engagement conjugal des voventes (C. 27, q. 1), qui incluent les clercs et plus largement tous ceux, hommes ou femmes, qui ont fait des vœux impliquant continence, voire célibat, ce qui montre que de telles situations existent et qu’elles posent toujours questions. Si Gratien présente 40 textes rédigés depuis le iiie siècle par des autorités qui interdisent le mariage à ces personnes et, pour certaines, ordonnent de les séparer s’ils en ont contractés (C. 27, q. 1, c. 40, dictum post), il s’appuie ensuite sur Augustin et Théodore pour conclure que « leur mariage ne doit pas être dissous ; cela a été clairement montré dans le chapitre sur l’ordination des clercs » (C. 27, q. 1, c. 43, dictum post)148. En outre, il rappelle plus loin, que les mariages interdits – ceux contractés par les voventes, comme conclus clandestinement dont il traite dans cette cause –, une fois contractés, ne peuvent plus être dissous149. Si le mariage se trouve reconnu, le texte reste ambigu sur le devenir de la vie conjugale, sans que l’on sache si elle reste autorisée comme à la fin 145 Concile de Latran I, éd. J. D. Mansi, Sacrorum Conciliorum …, op. cit., t. 21, Venise, 1776, c. 3, col. 282 : Presbyteris, diaconibus et subdiaconibus concubinarum et uxorum contubernia penitus interdicimus et aliarum mulierum cohabitationem, preter quas synodus Nycena proter solas necessitadinum causas habitare permisit, videlicet matrem, sororem, amitam, materteram aut alias hujusmodi de quibus nulla juste valeat oriri suspicio ; c. 21, col. 286 : Presbyteris, diaconibus, subdiaconibus et monachis concubinas habere seu matrimonia contrahere penitus interdicimus : contracta quoque matrimonia ab hujusmodi personis disjungi et personas ad poenitentiam debere redigi, juxta sacrorum canonum definitionem judicamus. Les canons du concile, dans sa version courte (17 canons), ont été traduits par R. Foreville, Histoire des conciles œcuméniques, t. 6 : Latran I, II, III et Latran IV, Paris, 1965, p. 175-178, en particulier, c. 7, p. 176. Sur les versions courtes et longues du concile et la possible adjonction dans les années 1130 des canons 18 à 22, voir J. Gaudemet, « Gratien et le célibat ecclésiastique » [1967], réimpr. dans Id., La société ecclésiastique dans l’Occident médiéval, Londres, 1980, p. 342-343 ; Id., « Le célibat ecclésiastique … », art. cit., p. 17-20. 146 Concile de Latran II, éd. J. D. Mansi, Sacrorum Conciliorum …, op. cit., t. 21, op. cit., c. 7, col. 527-528 (trad. R. Foreville, Histoire …, op. cit., p. 188-189). 147 J. Gaudemet, « Le célibat ecclésiastique … », art. cit., p. 16-20. 148 Gratien, respectivement p. 122-123 et 130-131. Voir aussi J. Gaudemet, « Gratien et le célibat ecclésiastique », art. cit., p. 354 ; Id., « Le célibat ecclésiastique … », art. cit., p. 20-22. 149 Gratien, C. 30, q. 5, c. 8, dictum post, p. 318-319.
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de l’Antiquité romaine et aux premiers siècles du Moyen Âge ou bien si elle doit cesser comme l’exigent les réformateurs. Force est cependant de constater que la position globalement plus stricte à l’encontre des clercs qui mènent une vie conjugale ne met pas fin à leur pratique de la conjugalité. La législation, soutenue par un discours moral nettement plus réprobateur assimilant le mariage des clercs à un inceste et à un acte sacrilège et contestant leur validité150, s’accompagne certes de quelques actions d’éclat à l’encontre de certaines situations jugées particulièrement scandaleuses : certains évêques mariés ou concubinaires se trouvent ainsi excommuniés et destitués151, à l’image de Ripert de Mévouillon, évêque de Gap (vers 1053-vers 1065)152, ce qui témoigne d’une volonté de mettre en application une législation restée trop souvent lettre morte. Il n’en reste pas moins que ce type d’affaires appelle deux nuances : d’une part, c’est rarement pour cette seule raison que sont déposés ces évêques qui cumulent généralement d’autres travers, à commencer par les pratiques simoniaques ou l’investiture par un laïc, nettement plus activement poursuivies ; d’autre part, ces sanctions à l’encontre de quelques uns ne mettent pas fin à une pratique qui paraît largement répandue à tous les niveaux du clergé, comme le montrent les autres types de sources et le mettent en évidence certaines études régionales ou biographiques153. Un traité, rédigé par un Anonyme en Normandie vers 1080 sur la question de savoir S’il est permis au prêtre de contracter mariage, considère que Rome ne peut imposer aux clercs séculiers des obligations qui n’incombent qu’aux moines154, ce qui prouve que le célibat des clercs n’est pas considéré, au moins dans certaines régions, comme la norme. Quelques années auparavant, l’évêque de Paris a dû faire face à la révolte de ses clercs qui refusaient de se soumettre à son ordre d’abandonner femmes et enfants155 et l’archevêque
150 M. McLaughlin, Sex …, op. cit., p. 34-35 ; R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 118-122. 151 J. Gaudemet, « Le célibat ecclésiastique … », art. cit., p. 13. 152 Selon la Vita I de son successeur Arnoul, datée de la seconde moitié du xiie siècle : J. H. Foulon, « Recherches autour du dossier hagiographique de saint Arnoux, évêque de Gap (mort avant 1079) », dans Analecta bollandiana, no 125/2 (déc. 2007), p. 321-355 ; O. Hanne, « La genèse médiévale d’une figure de l’épiscopat de Gap : saint Arnoux (c.1065- c.1079) », dans Les évêques de France au xxe siècle, Sep 2011, France. p. 1-11 (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00995817/document), p. 3. M. P. Estienne, Châteaux, villages, terroirs en Baronnies xe-xve siècle, Aix-en-Provence, 2004, p. 45. 153 Pour ne rester que dans le cadre du royaume de France et de ses marges, en Provence, entre 980 et 1060, 9 évêques sur les 58 intronisés sont connus pour avoir des enfants : M. P. Estienne, Châteaux, …, op. cit., p. 45. En Neustrie, dans les années 950-1050, de nombreux évêques et prêtres sont mariés et ont des enfants : J. Boussard, « Les évêques en Neustrie avant la réforme grégorienne (950-1050 environ) » Journal des savants, no 3/1 (1970), p. 186-187. Sur la fréquence du mariage des clercs méridionaux jusqu’à la fin du xie siècle, voir E. Magnou-Nortier, « Réalité … », art. cit., p. 172-174. Robert d’Arbrissel était un prêtre marié, comme son père et plus généralement les prêtres normands, avant de se convertir à la vie d’ermite vers 1090 : J. Dalarun, Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris, 1986, rééd. 2002, p. 23-34 ; Id., L’impossible de Sainteté : la vie retrouvée de Robert d’Arbrissel (v. 1045-1116), fondateur de Fontevraud, Paris, 1985 (rééd. 2007), p. 16. Sur la situation du clergé normand, qui respecte peu le célibat, voir F. Neveux, La Normandie des ducs aux rois, xe-xiie siècle, Rennes, 1998,p. 275, 278-279 et 291. 154 J. Le Goff, R. Rémond, Histoire de la France religieuse, Paris, 1988, p. 311. 155 J. A. Brundage, « Sex and Canon law », dans V. L. Bullough, J. Brundage (dir.), Handbook of Medieval Sexuality, New York - Londres, 1996, rééd. 2000, p. 36-37 ; Id., Law …, op. cit., p. 221.
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de Rouen qui menace d’anathème les clercs de sa province qui ne voudraient pas renoncer au concubinage ou renvoyer leurs épouses a été chassé de sa cathédrale à coups de pierres156. Au début du xiie siècle, Guibert de Nogent évoque, dans son Autobiographie, le cas d’un prêtre qui avait une épouse (uxor) dont on ne parvenait pas à le séparer et qui, suspendu de ses fonctions – davantage pour récupérer sa charge en profitant de l’argument que pour sanctionner son attitude –, n’en continue pas moins à célébrer partout la messe tout en gardant sa femme (retenta etiam uxore)157. Les résistances suscitées par les tentatives des réformateurs pour mettre en application les règles du célibat et de la continence montrent que celles-ci allaient à l’encontre des pratiques qui faisaient de la conjugalité la norme suivie par de nombreux clercs et acceptée par la majorité des fidèles. Si l’on insiste souvent sur la politique des réformateurs, quelques études ont néanmoins montré que celle-ci s’est aussi accompagnée du développement, en plusieurs régions d’Occident, et en particulier en Francie septentrionale, d’une littérature prenant la défense des prêtres mariés et justifiant leur droit au mariage158. En outre, la lettre qu’Yves de Chartres adresse, au début du xiie siècle, à l’évêque Galon de Paris pour répondre à ses interrogations sur le cas de l’un de ses chanoines qui s’est marié, malgré l’interdiction qui lui en avait été faite159, témoigne d’une certaine indifférence des clercs à l’égard de la législation – voire des prescriptions de la hiérarchie ecclésiastique – sur ce sujet, mais aussi des hésitations des évêques, partagés sur la conduite à tenir en pareil cas, entre les injonctions à appliquer plus rigoureusement des règles établies depuis des siècles et le laxisme observé depuis tout aussi longtemps quant à la pratique. En conseillant la déposition du clerc, dont la fonction est jugée incompatible avec l’état conjugal qui doit être conservé à partir du moment où il a été embrassé, Yves de Chartres précise qu’il ne s’agit là que de son opinion et de ce qu’il ferait dans son diocèse, s’il se trouvait confronté à cette situation. Si la lettre laisse supposer qu’il ne s’agit pas d’une situation fréquente, elle l’envisage néanmoins comme une possibilité qui n’a rien d’exceptionnelle. D’ailleurs, le cas d’Héloïse et Abélard révèle, dans les années 1110, une relative tolérance à l’égard de la conjugalité des clercs, surtout lorsqu’elle reste discrète, même si elle est connue : si l’oncle d’Héloïse qui héberge l’un et l’autre met du temps à comprendre la situation, le voisinage n’est pas dupe, sans pour autant chercher à s’y opposer ; puis, quand Abélard propose à Fulbert – qui a fini par ouvrir les yeux – d’épouser Héloïse, il y met la condition qu’il reste secret pour ne pas nuire à sa réputation ; enfin, le débat qui oppose ensuite les deux amants sur la question du mariage ne remet pas en cause la poursuite de leurs relations conjugales, mais pointe les répercussions d’une union officiellement
156 J. Gaudemet, « Le célibat ecclésiastique … », art. cit., p. 14. 157 Guibert de Nogent, Autobiographie, éd. et trad. E. R. Labande, Paris, 1981, I, 7, p. 46-47. 158 A. L. Barstow, Married Priests and the Reforming Papacy. The Eleventh - Century Debates, New York, 1982 ; E. Frauenknecht, Die Verteidigung der Priesterehe in der Reformzeit, Hanovre, 1997 (compte-rendu de P. Henriet, dans Le Moyen Âge, t. CV, no 3-4 (1999), p. 864-866) ; E. Van Houts, Married life …, op. cit., p. 186-190. Sur l’Historia Mediolanensis du clerc milanais Landolf Senior (fin xie siècle), traité en faveur du mariage des prêtres, voir H. Taviani-Carozzi, « La naissance illégitime … », art. cit., p. 90-91. 159 Yves de Chartres, PL, no 218, col. 221-222 (trad. Merlet, no 201, p. 395-396) (voir Annexe 2, textes no 16).
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reconnue sur la gloire et l’avenir d’Abélard qui en seraient ruinés160. L’oncle Fulbert n’aurait pas découvert la relation du couple, ni voulut se venger, et Abélard n’aurait pas été promis à une brillante carrière à un moment où les réformateurs se montrent plus exigeants sur le comportement des élites ecclésiastiques, Héloïse et Abélard auraient probablement pu vivre en couple, mariés ou non, sans être inquiétés. Cela n’exclut pas que certains clercs aient considéré que les fonctions cléricales n’étaient nullement incompatibles avec une conjugalité vécue au grand jour, parfois dans le cadre d’un mariage officiel. Dans une de ses lettres, Yves de Chartres invite ainsi l’archevêque de Sens Daimbert à réprimer – ce qu’il ne fait manifestement pas – les excès qui font scandale dans son église, où l’un des prélats notamment, publiquement lié à deux femmes – dites prostituées (scorta) – se prépare à en épouser une troisième qualifiée de concubine (pellex)161. S’il est difficile, d’évaluer, derrière les critiques épiscopales, la nature exacte des liens de ce prélat avec ses différentes partenaires, la mention des tablettes matrimoniales (matrimoniales tabulas) montre qu’il s’agit bien de mariage pour la troisième. De même, pour Ordéric Vital, fils d’un prêtre concubinaire ou marié162, qui écrit son Histoire ecclésiastique entre 1114 et 1141163, partout en Normandie, c’est la coutume que les prêtres se marient publiquement (publice uxores ducunt)164, ce que confirme la Vie de Bernard de Tiron rédigée vers 1130-1140165. Si certains dignitaires s’offusquent de ces pratiques – du concubinage comme du mariage public – et s’attachent à les combattre, d’autres les adoptent ou laissent faire les clercs relevant de leur autorité. Les chartes qui enregistrent des donations effectuées par des prêtres avec leurs femmes et leurs enfants ou d’autres transactions témoignent d’ailleurs de la conjugalité vécue au grand jour par les clercs, ce que reconnaissent les communautés religieuses bénéficiaires. Saint-Cyprien de Poitiers reçoit ainsi vers 1015, une donation du prêtre Eulard, de sa femme (femina) Aldagarde et leurs 6 enfants, puis vers 1025, une autre du clerc Thibaud et de ses deux fils, souscrite par son épouse (uxor) Doda166. Le cartulaire de Lézat comporte plusieurs chartes évoquant un prêtre et ses enfants,
160 Lettres d’Abélard et Héloïse, éd. et trad. E. Hicks, T. Moreau, Paris, 2007, no 1, p. 62-67. Voir en dernier lieu G. Lobrichon, Héloïse, l’amour et le savoir, Paris, 2005. En ce qui concerne l’union sans mariage, l’auteur insiste sur les résistances dans les milieux ecclésiastiques comme chez les laïcs à appliquer les prescriptions rigoureuses des réformateurs (voir notamment p. 171-172, 175-176, 190-191). Sylvain Piron a récemment montré que, dans le passage de l’historia calamitum qui expose vers 1132-1133 les arguments avancés par Héloïse contre le mariage, Abelard reprend une lettre que celle-ci lui avait envoyée vers 1118, peu après la naissance de leur fils, alors qu’elle était en Bretagne dans sa famille : S. Piron, « Heloise’s Self-fashioning and the Epistolae Duorum Amantium », dans L. Doležalová (dir.), Strategies of Rememberance. From Pindar to Hölderlin, Newcastle-upon-Tyne, 2009, p. 103-162. 161 Yves de Chartres, PL, no 200, col. 206-207 (trad. Merlet, no 220, p. 362-363). 162 E. Van Houts, « Orderic and his Father, Odelerius », dans C. C. Rozier, D. Roach, G. E. M. Gasper, E. Van Houts (dir.), Orderic Vitalis. Life, Works and Interpretations, Woodbridge, 2016, p. 20 et 27-28. 163 Sur la composition de l’Histoire ecclésiastique, voir le tableau synthétique dans C. C. Rozier, D. Roach, G. E. M. Gasper, E. Van Houts (dir.), Orderic Vitalis …, op. cit., p. xiv. 164 Cité par J. Gaudemet, « Le célibat ecclésiastique … », art. cit., p. 5. 165 J. Dalarun, Robert d’Arbrissel …, op. cit., p. 25. 166 Saint-Cyprien de Poitiers, respectivement no 140 (v. 1015), p. 95-96 et no 539 (1025), p. 321-322.
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dont certaines ne laissent aucun doute sur la vie conjugale pratiquée alors qu’il est ordonné même si aucune femme n’est mentionnée : c’est le cas de celle qui précise, vers 990, que l’abbé et les moines de Lézat abandonnent une terre au prêtre Aton, dont il a la jouissance pour sa vie, de même que l’enfant légitime (infans legitimus) qui lui est né, ou de celle qui enregistre, vers 1026-1031, la concession que la communauté monastique fait au prêtre Amelius, à son fils Durand et à l’enfant qui pourrait lui naître167. Si la référence à la légitimité permet parfois de supposer le mariage, il est difficile d’évaluer précisément la nature des unions de ces clercs qui importe probablement peu. Elles apparaissent néanmoins suffisamment stables pour que les couples soient assimilés à des couples mariés. Quelques chartes de Cluny mentionnent aussi des enfants de clerc, sans qu’aucun indice ne permette cependant de savoir s’ils sont nés avant ou après l’ordination et donc d’attester de la pratique de la conjugalité en même temps que de la cléricature168. Quoi qu’il en soit, il paraît alors courant que les clercs pratiquent la vie conjugale ou l’aient fait, sans que cela ne choque personne si ce n’est l’élite réformatrice169. À la fin du xiie siècle, Lambert, prêtre desservant l’église d’Ardres, marié et père d’au moins trois enfants, est au service de la famille des comtes de Guînes et seigneurs d’Ardres170, ce qui laisse supposer que les laïcs ne jugeaient pas la situation comme anormale, ni même scandaleuse. Certes, si de nombreux clercs considèrent que n’étant pas moines, ils ont droit au mariage, et que certains le défendent, quelques témoignages de fils de prêtres révèlent qu’ils ont parfois conscience d’être nés de couples illégitimes, ne serait-ce que du fait des sanctions dont il leur arrive d’être frappés (exclusion des ordres et de la succession aux bénéfices ecclésiastiques), à l’image de celui d’un chanoine de Bayeux, auteur à la fin du xie siècle d’un poème prenant la défense de ceux qui, comme lui, se trouvent dans cette situation171 ou de Robert d’Arbrissel, si l’on en croit son ultime confession rapportée par André, prieur des frères de Fontevraud, selon l’attribution généralement retenue pour la deuxième vita anonyme172. Le mépris, parfois accompagnés de mesures et de dispositions concrètes, d’une partie de la hiérarchie ecclésiastique à l’égard de la conjugalité sacerdotale ne parvient néanmoins pas à mettre fin à la pratique : à la fin du Moyen Âge – et après –, si l’épiscopat semble davantage respecter le célibat, ou du moins pratiquer la conjugalité avec plus de discrétion, l’usage pour un prêtre de vivre en couple reste répandu dans l’ensemble de l’Occident173, sans faire l’objet de 167 Lézat, no 897, t. I, p. 639 et no 974, t. I, p. 698. 168 Par exemple, Cluny III, no 2036 (993-1048), p. 243 et Cluny IV, no 3159 (1049-1109), p. 315. 169 Julia Barrow qui s’intéresse aux dynasties cléricales dans l’Europe du Nord-Ouest (Normandie, Angleterre, France septentrionale et Germanie) arrive à la même conclusion : J. Barrow, The Clergy in the Medieval World : Secular Clerics, their Familys and Careers in North-Western Europe, c. 800-c. 1200, Cambridge, 2015, p. 135-147. 170 G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1354. 171 H. Taviani-Carozzi, « La naissance illégitime … », art. cit., p. 92. 172 J. Dalarun, Robert d’Arbrissel …, op. cit., p. 16 (pour la deuxième vita de Robert d’Arbrissel) et p. 28-30 (pour la conscience d’avoir été conçu dans le péché). 173 J. Gaudemet, « Le célibat ecclésiastique … », art. cit., p. 29-31 ; R. M. Karras, « Marriage, Concubinage … », art. cit., p. 121 ; D. Lett, « ‘Femmes tenues’ et ‘femmes connues’. Concubinage et adultère dans trois statuts communaux marchésans du xve siècle », dans L. Jégou, S. Joye, T. Lienhard, J. Schneider
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plus de réprobation de la part des fidèles174, et continue d’être un sujet de débat175. En dehors des élites laïques et ecclésiastiques, la question du statut des couples ne suscite pas le même intérêt, ce qui n’interdit pas d’essayer de cerner la nature des unions pratiquées. Paysans et artisans : en couple souvent par cohabitation
Les chartes et les polyptyques associent souvent au paysan dépendant, qu’il soit libre ou non, sa femme, généralement qualifiée d’uxor176. Cela implique-t-il pour autant que les couples sont mariés ? L’anthropologie montre que les milieux populaires sont moins enclins que les élites à passer par des cérémonies élaborées et à respecter les critères de légitimité compte tenu de l’absence de biens transférables, ce qui les conduit à user du concubinage comme substitut du mariage177. Pour Ruth Karras qui transpose ces idées au Moyen Âge, le mariage formel est un luxe qui n’est pas accessible à tous et la volonté de justifier d’un mariage légitime, notamment en respectant les exigences de l’Église, préoccupe davantage les grands, qui ont des richesses à transmettre, que ceux qu’ils gouvernent178. La vie de saint Emmeran, rédigée par l’évêque Arbeo de Freising dans les années 760-770, évoque pourtant à plusieurs reprises le mariage (matrimonium) des paysans et détaille en particulier celui de deux esclaves décidé par leur maître qui préside la cérémonie des noces en présence de leurs compagnons d’esclavage, de sa femme et de ses enfants, ce qui ne laisse aucun doute sur son caractère officiel179. Dans ce dernier cas, qui est l’occasion pour l’auteur de donner des règles de morale matrimoniale, à commencer par l’interdiction de bigamie dont se trouve menacé – contre lui – le héros de l’anecdote, les leçons ne peuvent avoir une portée que si elles s’insèrent dans le cadre de pratiques habituelles pour les fidèles. De telles cérémonies qui officialisent un mariage entre tenanciers sont-elles pour autant systématiques ? Isabelle Réal a souligné que dans ce cas, le mariage est exigé du maître qui entend par ce biais, sans se soucier des prescriptions ecclésiastiques, fixer au domaine un bon artisan180. Les maîtres président-ils néanmoins toutes les unions de leurs dépendants ? Tous les couples paysans sont-ils formés par le biais de rituels publics ? En 755, le concile de Ver, promulgué en capitulaire par Pépin III, exige « que tous les hommes laïques fassent des noces publiques, tant les nobles que les non nobles »181. La disposition qui s’adresse en premier lieu aux élites
(dir.), Splendor Reginae. Passions, genre et famille. Mélanges en l’honneur de Régine Le Jan, Turnhout, 2015, p. 169, avec références bibliographiques n. 4, pour l’Italie et l’Espagne. 174 R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 152. 175 Ibid., p. 122-133. 176 Voir ci-dessus. Voir aussi Annexe 2, textes no 7. 177 J. Goody, Famille et mariage …, op. cit., p. 454. 178 R. M. Karras, « The History of Marriage … », art. cit., p. 151 ; Ead., Unmarriages …, op. cit., p. 44. 179 Arbeo de Freising, c. 36, p. 510 (pour le mariage d’un rusticus) et c. 38-39, p. 515-516 (pour le mariage de deux esclaves). Voir l’analyse de I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 198-206. 180 I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 203-205 ; R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 43-44. 181 MGH Capit. I, c. 15, p. 36.
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et vise à mieux distinguer le mariage du concubinage est étendue à l’ensemble des laïcs, et en particulier à la paysannerie, ce qui laisse donc supposer que l’entrée en conjugalité des paysans ne se traduisait pas forcément par une cérémonie publique. Dans plusieurs lettres écrites par Eginhard ou sa femme Emma dans les années 828840, il est d’ailleurs question de l’union de dépendants, libres ou esclaves, présentée comme des mariages (coniugium), alors que dans tous les cas, l’union s’est faite sans l’autorisation des détenteurs de l’autorité (maîtres ou père)182 – ce qui est source de problème et justifie l’intervention d’Eginhard et sa femme –, donc probablement sans caractère public. Il ne s’agit pas ici de débattre pour savoir s’il y a mariage ou non, mais de constater que certains considèrent comme mariés des couples dont la formation s’est manifestement traduite par la cohabitation sans autres formalités. Les couples cohabitant, selon la terminologie des sociologues183, ne sont pas une invention du xxe siècle. Pour les bas médiévistes qui disposent d’une documentation plus abondante et diversifiée, le concubinage, parfois qualifié d’union libre, aurait été relativement répandu dans les villes comme dans les campagnes, pour des raisons économiques (richesses insuffisantes pour constituer une dot) ou de manière à contourner les exigences ecclésiastiques (monogamie, indissolubilité, exogamie)184. Or, dans l’Antiquité romaine, le mariage n’étant permis qu’à une partie de la population respectant certaines normes juridiques et sociales, le concubinage est devenu de fait la seule solution pour tous ceux qui en étaient exclus, en particulier pour les esclaves et les affranchis, auxquels s’ajoutaient tous ceux qui le pratiquaient par choix ou incapacité à acquitter une dot, nombreux parmi les libres185. Pour Isidore de Séville, le matrimonium serait d’ailleurs un accord entre personnes nobles186, ce qui, à défaut d’être une norme juridique, correspondait probablement à une situation de fait et attesterait de la fréquence du concubinage parmi les non nobles. Si tel a été le cas dans l’Antiquité romaine comme à la fin du Moyen Âge, Il y a peu de probabilité pour qu’il en ait été autrement dans les siècles intermédiaires pour les milieux humbles des campagnes comme des villes en plein développement aux xie-xiie siècles : pour beaucoup, la conjugalité résulte probablement souvent de la simple volonté des deux conjoints de partager une vie commune. Cela n’exclut pas que, dans certains cas au moins, lorsque le concubinage se substitue au mariage et qu’il correspond comme lui à une union stable, le couple soit assimilé à un couple marié, ce qui explique la terminologie employée tout au long de la période, en particulier le terme d’uxor. Aux
182 Eginhard, Lettres, éd. MGH Epist. 5, Berlin, 1899, no 37 (828-836), p. 128 (accipere in coniugium) ; no 46 (828-840), p. 133 (in coniugium sociare) ; no 60 (840), p. 139 (in coniugium accipere ; coniungare) ; trad. A. Teulet, Œuvres complètes d’Eginhard, t. 2, Paris, 1843, respectivement no 15, p. 25 ; no 16, p. 27 et no 55, p. 99-101. 183 Entre autres, E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 29-30 ; M. Bozon, F. Héran, La formation du couple. Textes essentiels pour la sociologie de la famille, Paris, 2006, p. 8-9. 184 Entre autres, D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 205-207 ; Id., « ‘Femmes tenues’ … », art. cit., p. 169-178. 185 J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 24 et p. 36-38 ; Id., « Union libre … », art. cit., p. 376-388. 186 Isidore de Séville, Étymologies, Livre IX …, op. cit., c. 7, 19, p. 232-233.
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xie-xiie siècles, les réformateurs en viennent même, tout en distinguant par ailleurs concubinage et mariage, à affirmer que la vie en couple équivaut à mariage187, ce qui leur permet d’étendre la règle de l’indissolubilité aux couples légitimement unis aux yeux de Dieu, même s’ils ne le sont pas pour les hommes, c’est-à-dire, pour Yves de Chartres188, dès qu’il y a consentement mutuel. Ainsi, pour l’évêque chartrain, qui suit saint Augustin, l’union d’un homme qui vit en concubinage (concubinatum) avec une femme est un véritable mariage (verum connubium), dans la mesure où les conjoints, en restant ensemble, ont accompli la plus grande partie du sacrement du mariage (conjugii sacramentum) : ils ne peuvent donc, tout comme les époux, se marier à d’autres sans être adultères189. De même, Gratien qui reprend cette position190, précise que l’union d’un homme et d’une femme réalisée uniquement par sentiment (affectu), sans respecter les solennités d’usage n’est pas légitime (legitimum), mais il est ratifié ou contracté (ratum), ce qui ne lui permet plus d’être dissous191. Les canonistes reconnaissent et exploitent le fait que, dans la pratique, bien des couples illégitimes ne se distinguent pas des couples légitimes, ce qui n’est pas spécifique à la période192. La morale chrétienne notamment a, en effet, rapidement différencié deux formes de concubinage : l’un, honorable, qui s’apparente dans sa forme au mariage même s’il n’en a pas les effets civils, certainement largement pratiqué par les milieux populaires, et l’autre, condamnable sur laquelle nous reviendrons ensuite, parce qu’il se cumule avec le mariage. Cela aurait conduit ensuite à l’usage dans la langue moderne de deux termes : concubinat pour le premier cas et concubinage pour le second193. La distinction plus nette opérée aux xie-xiie siècles par les canonistes entre validité et légitimité n’en contribue pas moins à accroître alors la confusion sur le statut des couples194. Pour la plupart des individus néanmoins, la reconnaissance sociale de leur conjugalité importe probablement plus que leur statut juridique, ce que les chapitres suivants montreront. Pour l’heure, il s’agissait d’expliquer pourquoi la documentation présente la plupart des couples comme mariés, alors que cela n’était probablement pas le cas dans les milieux populaires.
187 R. M. Karras, « Marriage, Concubinage … », art. cit., p. 120. 188 Yves de Chartres, PL, no 155, col. 159. 189 Ibid., no 148, col. 153. 190 Même position de Gratien, C. 32, q. 2, c. 6, p. 380-381. 191 Ibid., C. 28, q. 1, c. 17, dictum post, p. 242. Voir Annexe 2, textes no 18. 192 Pour Jean Gaudemet qui traite de l’époque romaine, le concubinage, quand il s’agit d’une union monogame, durable, conclue avec une femme respectable, ne se distingue pas facilement du « vrai mariage » : J. Gaudemet, « Union libre … », art. cit., p. 382. Pour Martine Charageat qui analyse les relations conjugales dans l’Aragon de la fin du Moyen Âge, c’est le fait de vivre ensemble et de se comporter publiquement comme mari et femme qui fait la reconnaissance sociale du couple, quel que soit son statut juridique, ce qui fait qu’au quotidien, couples légitimes et couples libres se distinguent peu : M. Charageat, La délinquance matrimoniale …, p. 37 et p. 76-84. 193 G. d’Espinay, De l’influence du droit canonique sur la législation française, Toulouse, 1856, p. 37. Dans la mesure où la distinction reproduit un discours moral, j’ai opté pour qualifier indifféremment de concubinage toute union informelle présentant un caractère durable. 194 Voir aussi M. Vleeschouwers-Van Melkebeek, « Classical Canon Law on Marriage. The Making and Breaking of Household », dans M. Carlier, T. Soems (dir.) The Household …, op. cit., p. 16-19.
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Au total, si la conjugalité apparaît comme la norme dans tous les milieux sociaux, y compris dans le clergé, il faut rester prudent quant au statut juridique des couples : la société médiévale fait preuve d’une grande flexibilité non seulement dans l’application des normes et des règles195, mais aussi dans l’interprétation des situations. Tous les couples ne sont certes pas perçus de la même manière, mais je ne pense, pas plus que Ruth Karras, que ce sont les procédures qui déterminent leur statut juridique. En revanche, à sa différence, il me semble que celui-ci dépend davantage du contexte politique et familial, ainsi que du rapport des forces en jeu, évolutifs l’un comme l’autre, que de la position sociale des deux partenaires196, même si celle-ci est une donnée qui peut intervenir. Compte tenu des incertitudes de la documentation comme des situations, il est, dans bien des cas, préférable de parler de couples conjugaux que de couples maritaux, ce qui ne signifie pas que la reconnaissance ou la perception d’un couple comme marié n’introduit pas des différences, sur lesquelles nous reviendrons, avec celui qui n’est pas reconnu comme tel. En dehors de ce type de distinction, les couples correspondent aussi à des réalités différentes, selon le nombre de partenaires qui les composent.
Couple monogame ou polygame ? Parmi les critères de classification des différentes formes de conjugalité, les anthropologues prennent en compte la variation du nombre des conjoints liés par une même union197. Si certaines sociétés optent pour la monogamie, en particulier celles de tradition chrétienne ou celles qui reconnaissent l’égalité entre les sexes, d’autres privilégient la polygamie, ce qui s’explique par des référentiels culturels et économiques différents, sans que cela implique forcément des pratiques généralisées dans l’un ou l’autre cas, ni que les formes de monogamie et polygamie soient identiques198. Reste à préciser ce que chacun entend par ces termes. Certains en donnent une définition étroite, fondée sur l’étymologie, et ne prennent en compte que les mariages (-gamie étant issu du grec gamos : le mariage) : le couple monogame unit légitimement un seul homme à une seule femme, tandis que le couple polygame désigne un individu marié en même temps à plusieurs partenaires, ce qui se décline au masculin (couple polygyne) et au féminin (couple polyandre)199. D’autres, soulignant que la monogamie sociale n’implique pas forcément la monogamie
195 M. Carlier, « The Household : an Introduction », dans M. Carlier, T. Soems (dir.) The Household …, op. cit., p. 9. 196 R. M. Karras, « The History of Marriage … », art. cit., p. 120 et 150 ; Ead., Unmarriages …, op. cit., p. 43-44. 197 S. Fainzang, O. Journet, La femme de mon mari …, op. cit., p. 7. 198 F. Zonabend, « De la famille … », art. cit., p. 83-89 ; B. E. Lolo, « Polygame de cœur, monogame de fait ! De la polygamie comme système social », dans Revue du Mauss, no 39 (2012/2), p. 329-343 ; F. Cézilly, « La monogamie est-elle naturelle ? », art. cit. 199 Par exemple, R. Deliège, Anthropologie de la parenté, Paris, 1996, p. 12 ; S. Fainzang, O. Journet, La femme de mon mari …, op. cit., p. 7.
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sexuelle ni affective, préfèrent envisager les deux termes dans un sens plus large qui insiste sur l’unicité ou la pluralité des relations entre conjoints200. Compte tenu de ce qui a été dit sur la difficulté à saisir précisément le statut des couples, c’est dans ce sens large qu’ils seront envisagés, bien plus pertinent par ailleurs pour expliquer le fonctionnement du couple : celui-ci sera considéré comme monogame lorsqu’il associe, en un moment donné, un seul homme et une seule femme, mariés ou non, et polygame lorsqu’un individu entretient avec plusieurs partenaires des relations durables concomitantes, que celles-ci soient institutionnalisées ou informelles, connues ou dissimulées201. En ce sens, le concubinage sera considéré comme relevant de la monogamie s’il se substitue au mariage et participant à la polygamie s’il y a cumul des deux formes de conjugalité. Quant aux couples formés successivement par un individu, après veuvage ou séparation, ils constituent autant de couples monogames et relèvent donc d’une monogamie sérielle quand bien même certaines autorités contesteraient la légitimité du couple reformé et accuseraient l’individu concerné de polygamie. Il s’agit donc de saisir la nature des pratiques conjugales dans la société du haut Moyen Âge, marquée par une intervention accrue de la part de l’Église attachée à la monogamie. Son discours de plus en plus ferme révèle des résistances : sont-elles le fait d’une minorité ou d’une majorité ? Qui refuse d’observer la monogamie et pourquoi ? Quelles sont les formes de polygamie pratiquées ? De quelle manière la plus grande fermeté du discours modifie-t-elle les pratiques ? Les situations étant perçues par le filtre d’une documentation qui diffuse le modèle privilégié par les élites religieuses, il convient de s’intéresser au discours qu’il reproduit et à son évolution, avant d’analyser les pratiques, en distinguant les élites laïques du reste de la société. Un discours déformé par l’idéal chrétien de la monogamie
Le discours construit transmis par les sources invite à renoncer à toute conclusion hâtive. La documentation tend, en effet, à présenter le couple monogame comme la norme tout au long du haut Moyen Âge. Les vitae de l’époque mérovingienne font ainsi pénétrer les saints dans les maisons où ne vivent qu’un homme et sa femme, entourés éventuellement d’enfants, d’autres parents, de domestiques et de familiers. C’est le cas de la Vie de saint Colomban et de ses disciples (viie siècle) qui, lors des déplacements des moines, les montre faisant étape ou se ravitaillant chez des aristocrates, voire des individus d’origine plus modeste, où la seule femme visible aux côtés du maître de maison est son épouse et le seul homme aux côtés de la maîtresse de maison est son mari202. C’est aussi le modèle mis en avant par toutes les vies de 200 B. E. Lolo, « Polygame de cœur … », art. cit., p. 332 ; F. Cézilly, « La monogamie est-elle naturelle ? », art. cit. ; J. Rüdiger, « Conquérants de femmes … », art. cit., p. 237-238. 201 Je ne suivrai donc pas la proposition de Jan Rüdiger, évoquée en introduction, de réserver le terme « polygamie » à ceux qui sont liés par plusieurs mariages et celui de « polygynie » aux hommes qui ont des relations sexuelles avec plusieurs femmes : J. Rüdiger, « Married Couples … », art. cit., p. 95-96. 202 Jonas de Bobbio, l. I, c. 21, p. 94 (trad. p. 147) (couple orléanais d’origine syrienne) ; c. 26, p. 100 (trad. p. 156) (Authaire et Aiga) ; II, c. 7, p. 120 (trad. p. 188) (Chagnaric et Leodegonde).
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saint ou de sainte mariés, qu’elles soient rédigées à l’époque mérovingienne, comme celle de Salaberge (fin viie siècle)203, ou plus tardivement, comme celles de Rictrude (907)204 ou d’Ide de Boulogne (années 1130)205. Il en est de même pour les autres sources narratives qui, lorsqu’il est question d’un conjoint, n’évoque, à quelques exceptions près, qu’un seul partenaire, ainsi que pour les sources diplomatiques qui témoignent de multiples transactions réalisées par des couples qui ne comportent jamais qu’un seul homme et une seule femme clairement identifiés, comme en attestent les quelques exemples donnés au début de ce chapitre pour montrer que la conjugalité correspondait à la norme. Pourtant, la condamnation des pratiques polygames, régulièrement répétées du vie au xiie siècle, et plus intensément à partir de l’époque carolingienne, ne peut manquer de laisser sceptique sur ce qui est présenté comme la norme. Elle est d’abord le fait des autorités ecclésiastiques qui perpétuent la morale chrétienne en faveur de la monogamie, de manière ponctuelle et discrète d’abord. Le concile d’Orléans III (538) précise ainsi que dorénavant les hommes qui, alors qu’ils avaient une épouse légitime, ont eu des enfants d’une concubine – ce qui témoigne d’une relation suivie – ne peuvent plus recevoir les ordres majeurs206. Le canon révèle que de telles situations existent et qu’à défaut d’être jugées illicites, elles font l’objet d’une réprobation morale qui justifie que ceux qui les ont vécues ne puissent plus être autorisés à prêcher aux fidèles un comportement exemplaire qu’ils n’ont su avoir. Il témoigne aussi que si ces situations ne sont pas rares, ce qui justifie de légiférer sur ce point, elles ne sont pas généralisées au risque, on l’a dit, de tarir le recrutement des clercs majeurs. Enfin, s’il fait apparaître une volonté de changement, celle-ci vise davantage le clergé auquel on cherche à fixer des cadres que les fidèles dont la discipline n’est pas encore une priorité. Ce n’est plus le cas à l’époque carolingienne qui voit en outre les autorités civiles soutenir les ecclésiastiques. Le concile de Rome (826), promulgué en capitulaire par Louis le Pieux, interdit à un homme d’avoir, en même temps, soit deux épouses, soit une épouse et une concubine207, ce qui témoigne non seulement que la polygamie était une réalité, mais aussi qu’elle pouvait prendre des formes diverses, condamnées au même titre qu’il y ait mariage ou non. Si le concile laisse supposer que certains hommes ont pu avoir en même temps deux épouses, sans que l’on sache s’il y a réellement coexistence de plusieurs couples légitimes ou s’il s’agit de désigner deux conjointes successives dont la rupture avec la première ne serait pas jugée valide208, plus souvent les autorités envisagent le cumul des partenaires avec une seule épouse légitime. C’est le cas des moralistes carolingiens qui diffusent à l’égard des hommes le même discours réprobateur. Dans les années 820, Jonas Vita S. Sadalbergae, c. 11, p. 55-56 (trad., p. 664-665). Vita S. Rictrudis, c. 5-6, col. 833-834 (voir Annexe 2, texte no 13). Vita S. Idae, § 4-5, p. 142 (voir Annexe 2, texte no 17). Conciles mérovingiens, Orléans III, c. 10, p. 238-239 (voir Annexe 2, textes no 2). Voir aussi ci-dessus pour l’interprétation de ce canon. 207 Concile de Rome, éd. MGH Capit. I, no 180, c. 37, p. 377. Voir Annexe 2, textes no 6. 208 Voir aussi ci-après. 203 204 205 206
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d’Orléans consacre ainsi, dans son De Institutione laicali, un chapitre à la question : il est interdit aux hommes mariés d’avoir ni maîtresse, ni concubine. Il envisage par ailleurs aussi la situation inverse – l’union d’une femme mariée avec plusieurs hommes – et conclut, en s’appuyant sur saint Paul (1 Co, 7-3), Augustin, Jérôme et Ambroise, qu’un mari n’est pas plus autorisé que sa femme, à s’unir à une autre que cela soit pour avoir une descendance ou par luxure209. Il justifie cette position, dans le premier chapitre consacré à l’union conjugale – présentée comme un bien car établi par Dieu –, en citant Isidore de Séville qui rappelle que la première union au monde – celle d’Adam et Ève – réalisée par Dieu ne s’est pas faite entre un homme et plusieurs femmes, mais entre un homme et une seule femme210. Vers 830, l’évêque Halitgaire de Cambrai reprend de même dans son livre pénitentiel une disposition du premier concile de Tolède (400) qui prévoyait l’excommunication pour celui qui a en même temps une épouse et une concubine, mais pas pour celui qui a l’une à la place d’autre, et concluait que ce qui importait, c’est que chacun n’ait qu’une seule femme, épouse ou concubine211, la monogamie prévalant sur la question de la légitimité212. Si la position de l’Église en faveur de la monogamie n’est donc pas nouvelle, le règne de Louis le Pieux s’illustre néanmoins par un discours plus ferme sur cette question. Il reste néanmoins difficile de savoir si la distinction plus affirmée opérée entre épouse et concubine213 est réelle ou s’il s’agit d’un moyen de contourner la règle de la monogamie que les autorités s’attachent à imposer plus énergiquement. L’obligation de monogamie est ensuite régulièrement rappelée, notamment au début du xe siècle par Réginon de Prüm dans sa collection canonique214, rédigée à la demande de l’archevêque Radbod de Trêves pour disposer d’un manuel commode lors des visites synodales de son diocèse, et largement diffusée aux xe-xie siècles. La question de la monogamie retient ensuite moins l’attention des réformateurs des xie-xiie siècles que celle de l’indissolubilité, mais Gratien y fait néanmoins allusion lorsqu’il évoque le cas de la stérilité de l’épouse et se prononce clairement, en citant notamment saint Augustin, sur l’interdiction pour un homme marié d’envisager d’avoir une descendance avec une autre femme que son épouse215. Quant aux autres types de sources, elles relaient parfois le discours des moralistes et législateurs. Dans les premières décennies du xiie siècle, parmi les qualités du chevalier modèle 209 Jonas d’Orléans, II, 4, p. 346-361. Pour les textes introductifs et conclusifs du chapitre, voir Annexe 2, textes no 8. 210 Ibid., II, 1, p. 314-315 et p. 322-325. 211 Halitgaire de Cambrai, De Vitiis et virtutibus et de ordine poenitentium libri quinque, IV, 12, éd. PL 105, col. 683. Voir aussi J. Gaudemet, « Union libre … », art. cit., p. 383 (sur le concile de Tolède et plus largement les positions nullement unanimes de l’Église sur le concubinage dans l’Antiquité tardive) et A. Esmyol, Geliebte oder Ehefrau …, op. cit.,p. 84-85. 212 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 285. 213 R. Le Jan, « Le couple aristocratique au haut Moyen Âge », dans S. Joye et al. (dir.), Le couple …, op. cit., p. 37. 214 Réginon de Prüm, Libri duo de synodalibus causis et disciplinis ecclesiasticis, II, 100, éd. F. W. H. Wasserschleben, Lipsiae, 1840, p. 252 (reprise du concile de Tolède). 215 Gratien, C. 32, q. 4, c. 10, dictum post, p. 414. Voir Annexe 2, textes no 18.
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qu’Ordéric Vital met en avant, en faisant le portrait d’Ansoud de Maule, figure le fait qu’il se contentait d’une union légitime216, ce qui laisse supposer que cela n’était pas le cas de nombreux milites. Quant à Gislebert de Mons, il souligne, vers 1200, à propos du mariage du futur comte Baudouin VI de Hainaut avec Marie de Champagne, que celui-ci sait ne se satisfaire que d’une seule femme. En précisant que c’est chose rare chez un homme217, il fait l’éloge du comportement matrimonial du jeune comte présenté comme un idéal à suivre par ses contemporains, peu habitués semble-t-il à se contenter d’une seule compagne. Même s’il est difficile de saisir la nature des relations des élites masculines avec leurs autres partenaires à partir de cette seule allusion, les pratiques polygames n’en semblent pas moins réelles, alors que le chroniqueur hainuyer n’énumère par ailleurs que des couples constitués, en un moment donné, d’un seul homme et d’une seule femme, sans autres partenaires gravitant dans leur entourage. Plusieurs hypothèses peuvent contribuer à expliquer le décalage observé entre le couple monogame présenté comme la norme et la polygamie couramment pratiquée : les auteurs se focalisent-ils sur le modèle qu’ils cherchent à privilégier pour reléguer implicitement dans l’illicite ce qu’ils réprouvent moralement ? Ignorent-ils volontairement les pratiques polygames qui ne seraient le fait que d’une minorité, à laquelle il est inutile de s’intéresser ou sur laquelle ils chercheraient à faire pression en soulignant l’anormalité ? Reproduisent-ils partiellement la réalité d’une polygamie hiérarchisée qui privilégierait le rôle du couple légitimement marié ? En outre, le discours qui évoque essentiellement la polygynie est-il lié à une documentation qui s’intéresse prioritairement aux hommes ou correspond-il à une réalité sociale qui justifie que les partisans de la monogamie s’adressent à eux et dans ce cas qu’est-ce qui explique que ceux-ci refusent d’y renoncer ? L’analyse de quelques cas précis permettra de préciser les situations en distinguant les élites laïques, aux comportements spécifiques, des autres milieux sociaux. Les élites laïques masculines souvent polygames
Si la documentation tend à présenter la monogamie comme la norme, divers indices laissent supposer que les couples polygames sont fréquents parmi les élites, en particulier les couples polygynes, ce qui n’exclut pas un discours et une perception qui ont évolué entre le vie et le xiie siècle et diffèrent selon les sexes. L’approche sera donc genrée et visera à expliquer, d’une part, les étapes de cette évolution pour la polygamie masculine et, d’autre part, les distinctions observées avec la polygamie féminine. Si certaines allusions repérées dans les sources témoignent de la fréquence de la polygamie masculine au haut Moyen Âge, l’analyse du discours révèle le
216 Orderic Vital, l. V, c. 19, t. 3, p. 180 : legali conubio contentus. Sur Ordéric Vital et son œuvre, voir C. C. Rozier, D. Roach, G. E. M. Gasper, E. Van Houts (dir.), Orderic Vitalis…, op. cit. 217 Gislebert de Mons, c. 123, p. 192 (éd. et trad. t. 14, p. 322-323) : (…) Spretis omnibus aliis mulieribus (…) in aliquo homine raro invenitur ut soli tantum intendat mulieri et ea sola contentus sit (…).
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passage progressif d’une acceptation tacite à la dissimulation volontaire de la pratique. À l’époque mérovingienne, la polygamie simultanée, avérée pour une partie des rois et certains aristocrates, ne fait, en effet, pas l’objet d’un discours particulièrement critique. À la fin du vie siècle, Grégoire de Tours condamne certes le comportement matrimonial de certains rois, mais ne leur reproche pas d’être polygames218. Il rapporte ainsi que Clotaire, marié à Ingonde, s’enflamme d’amour pour sa sœur Arégonde et l’épouse, ce qui ajoute l’inceste à la polygynie, sans autre commentaire que le roi était « débauché à l’excès »219. Il en est de même pour Charibert qui cumule quatre femmes, et si Grégoire précise que le roi a été excommunié de même que l’une de ses épouses, c’est parce que celle-ci était la sœur de l’une de ses femmes220, donc pour inceste et non polygynie. Quant à Chilpéric, au dire de Grégoire, il a déjà plusieurs épouses (plures uxores), quand il sollicite le roi des Wisigoths pour obtenir en mariage sa fille Galswinthe221. Que Grégoire de Tours fasse volontairement preuve d’imprécision terminologique et chronologique pour mieux discréditer certains rois ne me semble pas remettre en cause la polygamie d’une partie d’entre eux, comme l’a fait Erin Dailey qui considère que ceux-ci ont plutôt pratiqué une monogamie sérielle, tout en reconnaissant que l’exclusivité matrimoniale n’impliquait pas l’exclusivité sexuelle222. D’ailleurs, Fortunat contemporain de Grégoire loue, dans l’un de ses poèmes récité à l’occasion du mariage royal, le roi Sigebert qui sait se contenter des embrassements d’une seule femme223, éloge qui a peu d’intérêt s’il ne correspond pas à une part de réalité et ne met pas le roi en valeur si cela ne le distingue pas des autres, en particulier de son frère Chilpéric. Il laisse, en outre, supposer dans la Vie de sainte Radegonde, qu’à la génération précédente, le roi Clotaire Ier a, simultanément, on l’a dit, des reines officielles et d’autres officieuses et que Radegonde relève de la première catégorie (publica)224. Au viie siècle, la Chronique de Frédégaire précise de même, que Dagobert avait principalement trois femmes à titre de reines et de très nombreuses concubines225, présentées comme partenaires simultanées. Au début du viiie siècle, le Liber historiae Francorum reprend les mêmes remarques à propos des rois mérovingiens, sans plus de commentaires. Il évoque en outre
218 Danuta Shanzer n’en dit rien dans son analyse sur discours de Grégoire de Tours quant à la sexualité et aux pratiques sexuelles, voir D. Shanzer, « History, Romance, Love and Sex in Gregory of Tours’ Decem Libri Historiarum », dans K. Mitchell, I. Wood (dir.), The World of Gregory of Tours, Leyde Boston - Cologne, 2002, p. 395-418. 219 DLH, IV, 3, p. 136 (trad., p. 182). 220 DLH, IV, 26, p. 157-159 (trad., p. 207-209). Grégoire a auparavant précisé que Marcovèfe a en outre pris l’habit religieux, mais il lie l’excommunication au seul fait que celle-ci est la sœur d’une de ses épouses. 221 DLH, IV, 28, p. 160 (trad., p. 210). 222 E. T. Dailey, Queens, …, op. cit., p. 103-108 et p. 112. 223 Fortunat, Poèmes, VI, 1, t. II, p. 44-45. Sur ce poème et ses circonstances, voir B. Dumézil, Brunehaut, Paris, 2008, p. 117-119. 224 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 12, p. 76-77 : lorsque saint Médard s’apprête à donner le voile à Radegonde, certains grands cherchent à l’en dissuader pour ne pas se rendre coupable d’enlever au roi une reine non publicanam sed publicam. 225 Frédégaire, IV, 60, p. 150-151 : tres habebat maxime ad instar reginas et plurimas concubinas.
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pour Pépin II une première épouse (uxor), Plectrude, puis une autre (alia uxor), avant de revenir à Plectrude au moment de la mort du maire du palais226, ce qui laisse supposer la bigamie simultanée. Toute ambigüité est levée dans les prolongements de la Chronique de Frédégaire, réalisés vers 751 sous le patronage de Childebrand, fils de Pépin II – et probablement d’Alpaïde –, puisqu’il y est affirmé que Pépin qui avait une épouse nommée Plectrude, en prit une autre, appelée Alpaïde227. Il y a donc tout lieu de penser que l’interdiction pour un homme d’avoir simultanément deux épouses formulée par le concile de Rome (826), sur laquelle nous nous étions interrogés228, inclut des cas de bigamie réelle, ce qui conduit à nuancer la proposition de Jan Rüdiger qui suggère d’éviter d’utiliser le terme « polygamie » – au sens étroit –, mal adapté à l’Europe chrétienne qui rejette les mariages multiples229. En dehors des troubles psychiques qu’elle peut chercher à compenser, comme l’a aujourd’hui montré la psychanalyse230, les avantages procurés par la polygynie expliquent que celle-ci ait été pratiquée par ceux qui en avaient les moyens : elle permet, en effet, à la fois de multiplier les alliances, de faire la démonstration ostentatoire de sa richesse et de sa puissance, de satisfaire ses désirs sexuels et d’augmenter les chances d’avoir un héritier qui parvienne à l’âge adulte. Elle est aujourd’hui interprétée comme un signe distinctif des élites masculines, relevant moins de l’appétit sexuel que d’enjeux compétitifs231, ce qui explique que rois et aristocrates n’entendaient pas y renoncer et que l’Église, impuissante à l’interdire et davantage préoccupée par le respect de l’indissolubilité et des interdits de parenté, ait été contrainte de l’accepter tacitement en faisant preuve de tolérance232. Le renforcement du poids des autorités ecclésiastiques, soutenues par le pouvoir royal, conduit néanmoins à faire évoluer le discours à défaut des pratiques. À partir du ixe siècle, la volonté d’imposer plus fermement la monogamie conduit à ne reconnaître qu’une seule épouse légitime et à discréditer toute autre forme d’union concomitante. Cela explique que la situation conjugale de Pépin II notamment ait alors été présentée différemment dans la documentation : Plectrude étant reconnue seule épouse légitime, Alpaïde est réduite à n’être considérée que comme une concubine (concubina ou pellex), quand ce n’est pas une prostituée (meretrix)233. La
226 LHF, c. 48, p. 164-165 ; c. 49, p. 168-169 ; c. 51, p. 170-171. 227 Frédégaire, Continuations, c. 5-6, p. 210-211 : Erat ei uxor (…) nomine Plectrudis (…) praefatus Pippinus aliam duxit uxorem (…) Chalpaida (…). Sur la composition des Continuations, O. Devillers, J. M. Meyer, Chronique des temps mérovingiens, l. IV et continuations, Turnhout, 2001, introduction, p. 40-41. Sur la filiation de Childebrand, voir C. Settipani, La préhistoire des Capétiens, op. cit., p. 159-161. 228 Concile de Rome, éd. MGH Capit. I, no 180, c. 37, p. 377. Voir ci-dessus. 229 J. Rüdiger, « Married Couples … », art. cit., p. 96. Voir la présentation de ses thèses en introduction. 230 B. E. Lolo, « Polygame de cœur … », art. cit., p. 336-337 et 342-343 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 142-143. 231 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 272 ; Ead., « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 35 ; J. Rüdiger, « Conquérants de femmes … », art. cit., p. 244-246. 232 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 275 et 277 ; Ead., « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 34-35. 233 R. Le Jan, « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 36 ; E. Santinelli, « Enfants nés in ou extra legitimo matrimonio … », art. cit.
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polygamie n’en existe pas moins, mais elle est désormais vilipendée et on cherche à la dissimuler. Elle s’en trouve donc nettement plus hiérarchisée, dominée par le couple légitime qui retient seul l’attention des auteurs et donne l’illusion du respect de la monogamie. Pourtant, les couples « parallèles », le plus souvent laissés dans l’ombre, sont attestés par le biais des nombreux enfants reconnus bien qu’ils soient dits naturels, illégitimes, bâtards ou nés de concubines234. Certes, dans bien des cas, il est impossible de savoir si ces couples relèvent d’une polygynie simultanée ou successive, mais il arrive que les situations soient sans ambiguïté. Vers 1092-1093, Yves de Chartres évoque ainsi le cas de Simon de Neauphle qui a introduit auprès de son épouse légitime une autre femme avec laquelle il vit toujours après la mort de la première235, ce qui témoigne d’une polygamie temporaire. Gislebert de Mons montre aussi le comte Baudouin V prévoyant, à sa mort en 1195, des biens « à ses enfants dont certains n’étaient pas nés de son épouse mais de femmes nobles », alors que sa femme Marguerite, épousée en 1169, n’est décédée qu’un an avant lui236 : bien que la chronique et les actes diplomatiques n’évoquent que Marguerite, ce détail donné par Gislebert montre que le comte hainuyer a eu simultanément d’autres compagnes, ce qui ne lui est pas spécifique si l’on en croit la particularité, rare alors – comme le souligne l’auteur –, de Baudouin VI qui sait ne se satisfaire que d’une seule femme237. Au même moment, Lambert d’Ardres témoigne d’ailleurs de l’existence d’enfants, qualifiés de bâtards, tout aussi assumée chez les comtes de Guînes et les seigneurs d’Ardres238, même s’il reste discret sur l’origine sociale de leurs mères. Dans le cas de Baudouin V, la noblesse de ses partenaires, soulignée par Gislebert de Mons, laisse supposer des unions socialement reconnues qui bénéficient d’une certaine stabilité et s’inscrivent dans le mode des relations, fondées sur la compétition, qui lient entre elles les élites239. Toute union, même informelle, avec une femme issue de l’élite s’inscrit dans les réseaux d’alliance. Si les pratiques polygyniques sont dissimulées dans les sources parce que non conformes au modèle matrimonial que l’Église s’attache à imposer, elles sont pratiquées au grand jour par les élites qui en usent dans leurs stratégies et s’en glorifient, ce qui n’exclut pas qu’elles soient progressivement davantage hiérarchisées.
234 E. Santinelli, « Enfants nés in ou extra legitimo matrimonio … », art. cit. 235 Yves de Chartres (Leclercq), no 18, p. 78-79 : conjuge, cui istam [quam nunc habet] superinduxerat. 236 Gislebert de Mons, c. 227, p. 311 (trad. t. 15, p. 127) : Pueris suis, quorum quosdam non de uxore sua, sed de mulieribus nobilibus genuerat, bona quedam assignavit ; c. 59, p. 99 (trad. t. 14, p. 149) pour le mariage avec Marguerite ; c. 215, p. 298 (trad. t. 15, p. 101) pour la mort de Marguerite. 237 Ibid., c. 123, p. 192 (trad. t. 14, p. 323). Voir ci-dessus. 238 Lambert d’Ardres, notamment c. 89, p. 603 (trad. p. 196), pour les bâtards (bastardi) de Baudouin II, comte de Guines et c. 126, p. 623 (éd. et trad. p. 292-293) pour les fils d’Arnoul II, seigneur d’Ardres, « tant ceux conçus dans l’amour du plaisir que ceux procréés de sa noble épouse Gertrude » (filiis suis tam in venere delectationis conceptis quam de nobili uxore Gertrude procreatis). Voir G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1360-1362. 239 J. Rüdiger, « Conquérants de femmes … », art. cit., p. 242-250.
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Si la polygamie simultanée des hommes apparaît d’une grande banalité tout au long du haut Moyen Âge – comme après240 – et est somme toute envisagée avec une certaine indifférence, complaisance ou impuissance, il n’en est pas de même pour celle pratiquée par les femmes, jugée comme une transgression sociale. Les sources font parfois allusion à des formes de polyandrie simultanée, même si ce n’est pas très fréquemment et qu’il n’est jamais question de deux maris en même temps : celles-ci sont toujours sévèrement condamnées, dans les faits – le mari peut tuer sa femme et son partenaire, qualifié d’amant – encore plus que dans le discours, car facteurs de désordres, ce qui explique qu’elles se pratiquent le plus souvent dans l’ombre, et notamment à l’insu du mari, contrairement aux hommes qui ne se cachent pas, voire s’affichent, puisque leur vitalité sexuelle participe aussi à l’image de leur puissance. La polygamie apparaît donc particulièrement genrée dans sa pratique comme dans sa perception. Même si la documentation l’évoque peu, lorsqu’il est question de ce que l’on qualifie d’« écarts » sexuels féminins, elle envisage généralement les choses du point de vue de l’adultère, puisque c’est un crime légalement reconnu et sanctionné pour la femme mariée, mais certains cas laissent supposer des relations suffisamment suivies pour les faire relever de la polygamie. Grégoire de Tours évoque ainsi le cas de la femme d’Ambroise et de son amant Vidaste, suffisamment liés pour que la première fasse assassiner, par le second, son mari – pour lequel elle n’avait qu’aversion –, avant de l’épouser241. Les pratiques monogames auraient ainsi été entrecoupées par un épisode polyandre. Si l’épouse, dite adultère et qualifiée de prostituée, est blâmée, l’anecdote n’en reste pas moins une histoire d’hommes : Ambroise est ainsi puni pour avoir, en mauvais conseiller, empêché son frère d’entrer dans la cléricature ; Vidaste, dont il est seul question ensuite, l’est quelques années après en étant tué à son tour242. Comme l’a montré Sylvie Joye, Grégoire de Tours utilise les femmes « comme des figures commodes pour expliquer l’histoire, qui reste faite essentiellement par leur mari »243. Dans une autre affaire, Grégoire de Tours évoque non pas un cas de polyandrie, présenté comme réel, mais l’accusation portée par Leudaste contre la reine Frédégonde et l’évêque Bertrand de Bordeaux d’entretenir une liaison criminelle, étape d’un complot qui vise le roi Chilpéric244. Comme l’a montré Geneviève Bührer-Thierry, même si le but des auteurs « qui
240 Entres autres, pour la fin du Moyen Âge, H. Bresc, « L’Europe des villes et des campagnes (xiiie-xve siècle) », dans A. Burguière et al. (dir.), Histoire de la famille, t. II : Temps médiévaux …, op. cit., p. 195-197 ; M. L. Fieyre, Bâtards de princes. Identité, parenté et pouvoir des enfants naturels chez les Bourbon (xive-mi xvie siècle), thèse inédite dir. D. Lett, Paris, 2017. Je remercie Didier Lett de m’avoir transmis ce dernier texte. 241 DLH, VI, 13, p. 283 et VII, 3, p. 327 (trad, t. II, p. 31 et 80-81). Voir E. Santinelli, « Quand les femmes sont traîtres. Hommes, femmes et trahison à l’époque mérovingienne », dans M. Billoré (dir.), La trahison au Moyen Âge. De la monstruosité au crime politique (ve-xve siècle), Rennes, 2009, p. 161. Ambroise est probablement issu de la petite aristocratie : son frère est dit habitant de Tours, mais il veut entrer dans la cléricature, possède aussi une maison à Chinon et dispose d’un héritage suffisamment conséquent pour qu’Ambroise refuse qu’il soit cédé à l’Église, ce qui fait des deux frères des membres de l’élite. 242 DLH, VII, 3, p. 327-328 (trad, p. 80-81). 243 S. Joye, « Grégoire de Tours et les femmes … » art. cit., p. 90. 244 DLH, V, 47 et 49, p. 257 et p. 260-262 (trad, p. 314-315 et 320-322).
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mettaient en scène ces reines perverses et perverties étaient (…) de désigner le roi comme un être manipulé », l’adultère – qui peut se traduire par une relation durable – de la reine n’en apparaît pas moins comme possible et craint, pour le renversement de l’ordre social qu’il représente245. Témoignant de l’incapacité du mari à maîtriser sa femme, et notamment sa sexualité, il remet en cause son honneur, comme le montre Grégoire de Tours qui fait dire à Chilpéric : « Incriminer ma femme, c’est me déshonorer »246. Même si Frédégonde et Bertrand de Bordeaux sont ensuite innocentés, Grégoire de Tours, qui n’aime pas Frédégonde, laisse planer le doute non seulement sur la reine, mais aussi sur la légitimité de ses fils, d’autant qu’il évoque ensuite d’autres affaires qui peuvent faire douter de sa fidélité conjugale247. Le fait que l’un des moyens utilisés pour déconsidérer un homme est d’accuser sa femme d’entretenir une liaison adultère248 montre que ce type de situation est envisageable. Il est certes plus difficile pour une femme de transformer un adultère en relation conjugale : les séparations temporaires fréquentes des époux, pour toutes sortes de motifs, peuvent néanmoins le permettre. Ces formes de polyandrie simultanée, qu’elles soient réelles, supposées ou inventées, se retrouvent ensuite ponctuellement évoquées dans les sources des siècles suivants, avec le même discours sur l’abomination qu’elles représentent et le désordre qu’elles provoquent : le cas de Judith, épouse de Louis le Pieux, accusée d’entretenir une liaison avec Bernard de Septimanie est bien connu, sans que l’on parvienne à faire la part entre la réalité et la calomnie à l’encontre de ceux qui contrôlent alors l’accès à l’empereur et que leurs fonctions conduisent à coopérer publiquement249 ; Jonas d’Orléans conclut son chapitre sur la fidélité conjugale en interdisant au mari comme à sa femme d’avoir d’autres partenaires quelle qu’en soit la raison250 ; le concile de Meaux-Paris (845-846), promulgué en capitulaire par Charles le Chauve, légifère sur les relations adultères d’un homme avec une femme mariée et envisage le cas où ils auraient tué le mari251 ; Yves de Chartres traite d’une situation analogue252, de même que des soupçons d’un chevalier sur les relations adultères de sa femme avec un autre miles pendant qu’il était en Angleterre253 ou encore du cas des femmes de croisés restées en Occident dites « fornicatrices » en l’absence
245 G. Bürher-Thierry, « Reines adultères et empoisonneuses, reines injustement accusées : la confrontation de deux modèles aux viiie-xe siècles », dans C. La Rocca (dir.), Agire da donna. Modelli e pratiche di rappresentazione (secoli VI-X), Turnhout, 2007, p. 152-154. 246 DLH, V, 49, p. 261 (trad, p. 321). 247 E. Santinelli, « Quand les femmes sont traîtres … », art. cit., p. 166-167. 248 G. Bürher-Thierry, « Reines adultères … », art. cit., p. 152-154 ; G. Duby, « Que sait-on de l’amour en France au xiie siècle » [1988], réed. dans Id., Féodalité, Paris, 1996, p. 1403. 249 G. Bürher-Thierry, « La reine adultère », dans Cahiers de Civilisation Médiévale, no 140 (oct-déc. 1922), p. 299-304 ; Ead., « Reines adultères … », art. cit., p. 152-153 ; M. de Jong, The Penitential State. Authority and Atonement in the Age of Louis the Pious, 814-840, Cambridge, 2009, p. 41-42 et p. 195-200. 250 Jonas d’Orléans, II, 4, p. 360-361 (voir Annexe 2, textes no 8). 251 Concile de Meaux-Paris (845-846) promulgué en capitulaire par Charles le Chauve, éd. MGH Capit., II, no 293, c. 69, p. 414-415 (voir Annexe 2, textes no 6). 252 Yves de Chartres, PL, no 170, col. 173 (trad. Merlet, no 173, p. 306-308). 253 Ibid., no 205, col. 210 (trad. Merlet, no 206, p. 369).
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de leur mari254, ce qui recouvre probablement pour certaines des unions qui ont pu durer et relèvent donc de la polygamie. Les déplacements réguliers et parfois sur de longues durées des maris, pour des raisons militaires, religieuses ou économiques, qu’il s’agisse d’affaires personnelles ou de servir le seigneur qu’il soit roi, prince ou châtelain, ont certainement favorisé la polyandrie comme la polygynie simultanée, même si la première est beaucoup moins fréquente que la seconde, compte-tenu de l’aversion sociale qu’elle suscite. La littérature de fiction, qui n’en traite pas moins de certaines préoccupations des élites contemporaines, offre parfois une image plus positive de la polyandrie, en la justifiant par l’absence de l’affection conjugale et l’attitude persécutrice de certains maris : c’est le cas notamment d’Yonec, l’un des lais de Marie de France (vers 1160), qui met en scène une jeune épouse, belle et sage, enfermée pendant sept ans dans un donjon par son mari, vieux et jaloux : prête à se laisser mourrir, le roi de la cité voisine qui se transforme en oiseau pour accéder à sa chambre et la rejoint régulièrement lui redonne goût à la vie. Il est néanmoins « odieusement tué » (v. 532) par le vieillard qui a découvert le secret de sa femme et de son amant, mais le fils qui est né de leur amour, Yonec, finit par venger son père et sa mère (v. 546) en tuant le vieux mari, avant d’être reconnu par les habitants du royaume de son père comme leur seigneur. À travers cette malheureuse épouse, Marie s’adresse à toute femme, victime de ses « parents et tous les autres qui [l’ ont donné en mariage] à ce jaloux » (v. 81-84) qu’elle console en lui offrant « des aventures qui réconfortaient les mélancoliques » (v. 93-94)255, ce qui renforce l’hypothèse d’une littérature de consolation. Il n’est pas sûr néanmoins, à la différence de la polygamie masculine librement consentie par l’homme, que la polygamie féminine corresponde toujours à un choix de la femme, notamment lorsque l’un des partenaires est le seigneur de l’autre et que celui-ci peut user de sa supériorité en l’imposant, y compris sexuellement, à la femme, voire au couple. La compétition qui oppose les élites masculines peut en effet se traduire par la capacité du plus puissant à s’approprier la femme du plus faible. Deux capitulaires de Charlemagne du début du ixe siècle font, en effet, figurer, parmi les crimes justifiant la rupture du contrat vassalique, les faveurs sexuelles de l’épouse du vassal que le seigneur pourrait exiger ou s’octroyer256. Le récit du moine Pierre sur La fondation de l’abbaye de Maillezais, rédigé entre 1067 et 1072-1073, donne forme à cette pratique : il évoque une rumeur publique qui, vers 977, raconterait que le duc Guillaume IV d’Aquitaine, marié alors à Emma, « s’était arrêté au château de Thouars pour y recevoir l’hospitalité et qu’il avait commis l’adultère avec la femme du vicomte »257, qui était son vassal. Que cette histoire d’adultère, liée au droit de gîte
254 Ibid., PL, no 125, col. 137 (trad. Merlet, no 127, p. 235). 255 Marie de France, Lais, op. cit., p. 408-455. Pour certains éléments d’interpétation de ce lai, voir R.L Krueger, « The Wound, the Knot … », art. cit., p. 75-78. 256 Capitulaire d’Aix (802-813), c. 16, éd. MGH Capit. I, no 77, p. 172 ; Capitulaire francica (probablement avant 805), c. 8, ibid., no 104, p. 215. Voir aussi R. Stone, Morality and Masculinity …, op. cit., p. 194. 257 Chronique de Maillezais, I, B, p. 102-103 : (…) hospitandi gratia Toharcense adisse oppidum, ac cum conjuge comitis admississe adulterium. Sur les démêlés du couple, voir E. Carpentier, « Un couple tumultueux en Poitou à la fin du xe siècle : Guillaume de Poitiers et Emma de Blois », dans M. Rouche (dir.), Mariage
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dû par le vassal à son seigneur, soit réelle, supposée ou inventée, elle apparaît, dans la deuxième moitié du xie siècle, comme une excuse plausible et compréhensible pour expliquer le conflit conjugal qui en résulte dans le couple ducal et témoignerait donc d’une pratique qui n’est manifestement pas exceptionnelle. Robert de Thorigny qui reprend et complète dans la première moitié du xiie siècle les Gesta Normannorum Ducum le confirme, puisqu’il explique que le duc Richard Ier († 996), informé de la beauté de la femme de l’un de ses forestarii, exige de celui-ci non seulement l’hospitalité, mais aussi que son épouse lui soit amenée la nuit dans sa chambre. On perçoit cependant mal la nature des relations entre le seigneur et l’épouse du vassal, notamment en terme de stabilité au-delà du conjoncturel, de même que le rôle et l’opinion de la femme et l’attitude du mari vassal, même si dans le cas normand, le couple décide de profiter de l’obscurité pour substituer à l’épouse une autre femme258, ce qui laisse supposer que les exigences seigneuriales ont parfois été subies comme une contrainte. Un des lais de Marie de France, Equitain (v. 1160), plus explicite, peut être interprétée comme une condamnation de cet abus seigneurial, la fiction étant, comme souvent, étroitement imbriquée dans les pratiques sociales et les préoccupations de l’époque de sa création. Le récit explique que le roi Equitain profite en effet d’une partie de chasse pour demander l’hospitalité à son sénéchal, un de ses vassaux, dont l’épouse est réputée pour être « extrèmement belle » et « très distinguée » (v. 31-32). Face aux avances royales, ici à l’insu du mari – même si Equitain considère que celui-ci pourrait partager son épouse avec lui (v. 87-88) –, la femme a peu de choix et ses relations secrètes avec le roi, quand celui-ci est de passage dans la région, durent longtemps (v. 185-186). Puis, la perspective d’épouser le roi, qui ferait d’elle une reine (v. 227), la conduit à organiser avec Equitain le meurtre de son mari, mais le piège se retourne contre le roi qui meurt et le sénéchal tue sa femme surprise dans les bras royaux259. Certes le roi se trouve puni pour avoir abusé de son autorité, en bafouant « l’amitié et la fidélité » qu’il aurait dues à son vassal (v. 77) et en poussant son épouse à l’infidélité, ce qui peut réconforter tous les hommes qui ont eu à subir ce type de situation, mais le lai dénonce aussi le sort des femmes, principales victimes de certaines pratiques sociales : malgré les compensations, notamment affectives, que l’épouse du sénéchal semble avoir trouvées dans cette relation extra-conjugale, elle apparaît victime non seulement du dévolu royal d’abord, mais aussi de la vengeance maritale ensuite. Moins tragique, le cas réél, quelques décennies auparavant, du roi Philippe Ier, marié à Berthe, et de Bertrade de Montfort, mariée au comte d’Anjou Foulques le Réchin, vassal du roi, qui finissent par abandonner l’un et l’autre leur conjoint pour s’unir laissent supposer là encore des relations suivies, et, que dans certains cas, la femme y consent de même peut-être que son mari, si l’on en juge par le silence de Foulques le Réchin dans les premières années qui suivent le départ de et sexualité au MA, Accord ou crise ?, Paris, 2000, p. 203-215. Sur cet épisode, voir E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », p. 87-89. 258 The Gesta Normannorum Ducum …, op. cit., VIII, 36, t. II, p. 266-267. Sur l’anecdote, voir R. Besnier, « Le mariage en Normandie … », art. cit., p. 88. 259 Marie de France, Lais, op. cit., p. 240-265. Sur l’interpétation de ce lai, voir R.L Krueger, « The Wound, the Knot … », art. cit., p. 64-66.
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sa femme et le bon accueil qu’il réserve au couple royal quelques temps après260. Finalement, les pratiques polygynes ont parfois favorisé les pratiques polyandres, au haut Moyen Âge comme après261. Cela conduit aussi à s’interroger sur les motivations de la polygamie féminine, qu’elle ait été pratiquée volontairement ou subie : s’il est difficile, à partir du discours qui insiste sur le discrédit dont elle fait l’objet, de les saisir précisément, il ne faut peut-être pas exclure que celle-ci ait pu pour les femmes, comme pour les hommes, dépasser les simples considérations sexuelles, voire sentimentales, pour s’inscrire dans le cadre de stratégies élaborées ou acceptées dans leur intérêt personnel, voire pour conforter la situation du couple, en lui gagnant un fidèle soutien. Certes, toute relation extraconjugale de la femme est considérée comme une subversion, mais le discours sur l’amour courtois qui se diffuse au xiie siècle ne montre-t-il pas que le dévouement, la soumission et la fidélité des jeunes chevaliers à l’égard de leur seigneur sont renforcés par leur rivalité au service de sa femme pour en gagner les faveurs262 ? Il est vrai que l’amour doit ici être sublimé, mais l’insistance sur l’inaccessibilité de la domina ne peut-elle se faire l’écho de pratiques que les seigneurs qui supervisent la rédaction des poèmes, chansons et romans mettant en scène la fin’amor cherchent à proscrire, quel que soit l’intérêt qu’il puisse en retirer ? L’enjeu que représente la transmission de l’héritage à un héritier dont la légitimité est incontestée et l’honneur viril qui oblige tout homme à refuser tout rival auprès de sa femme conduisent à un traitement très différent de la polygamie selon les sexes. Dans les élites, tout laisse supposer que celle des hommes, banalisée, est fréquente et publique, alors que celle des femmes, honnie, est beaucoup plus rare, réduite au secret, et généralement sanctionnée lorsqu’elle est découverte, sauf si elle est le fait du seigneur. Il en résulte une conjugalité souvent différemment vécue par les hommes et les femmes polygames. Pour autant, la pratique de la polygamie simultanée, relativement commune pour les hommes et nullement ignorée par les femmes, ne remet pas en cause l’idée d’une société organisée autour du couple, comme a pu l’affirmer Jan Rüdiger263. Elle entraine seulement dans ce cas un fonctionnement particulier, ce qui ne concerne en outre qu’une minorité de la population : comme dans la plupart des sociétés, la polygamie, qu’elle se traduise par l’ajout du concubinage au mariage ou par un mariage multiple quand il est permis, se rencontre en effet plus fréquemment dans les groupes supérieurs que dans les groupes inférieurs beaucoup plus nombreux264.
260 Pour Georges Duby, le comte d’Anjou ne s’élève contre le départ de Bertrade qu’à partir du moment où la papauté négocie avec lui ce service en échange de sa désexcommunication : G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1169-1170, et plus généralement sur le mariage de Philippe Ier et de Bertrade, p. 1165-1170. Sur le statut de reine de Bertrade, malgré la contestation du mariage par une partie de l’Église, voir C. Rolker, Canon law and the letters of Ivo of Chartres, Cambridge, 2010, p. 243. 261 Entres autres, pour la fin du Moyen Âge, H. Bresc, « L’Europe des villes et des campagnes … », art. cit., p. 197-198. 262 Voir entre autres G. Duby, « À propos de l’amour que l’on dit courtois » [1988], rééd., dans Id. Féodalités, Paris, 1996, p. 1415-1420 et J. Flori, Aliénor d’Aquitaine. La reine insoumise, Paris, 2004, p. 352-368. 263 J. Rüdiger, « Married Couples … », art. cit., p. 106. 264 J. Goody, Famille et mariage …, op. cit., p. 454.
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Les autres : monogames en majorité
La documentation qui s’intéresse peu aux faits et gestes de ceux qui n’appartiennent pas aux élites et reproduit un discours qui conteste aux clercs le droit de pratiquer la conjugalité fournit néanmoins quelques indices sur les pratiques conjugales en dehors des élites laïques, même s’il est difficile de saisir les réalités au-delà des constructions idéologiques. Les couples y apparaissent en grande majorité monogames, ce qui, pour les laïcs des milieux populaires, correspond à la situation la plus courante, y compris dans les sociétés polygames, et en particulier les sociétés polygynes plus nombreuses que les polyandres, dans la mesure où cela implique d’entretenir plusieurs partenaires et leurs enfants, mêmes si les uns et les autres permettent aussi d’augmenter la main d’œuvre disponible265. Les articles de la loi salique – élaborée pour une société paysanne – qui font allusion à la conjugalité des hommes libres ne mentionne ainsi, dans la maison, qu’une épouse liée au mari, dans ses versions mérovingiennes comme carolingiennes266, et les actes diplomatiques qui transfèrent des droits sur les dépendants associent, lorsque des couples sont concernés, chaque homme à une seule femme, à l’image des exemples donnés au début de ce chapitre. Dans l’un comme dans l’autre cas, cela n’exclut certes pas d’autres partenaires, mais quelques témoignages plus précis montrent que cela n’est probablement pas le cas. À la fin du vie siècle, Grégoire de Tours qui évoque un homme vivant sur la terre d’un monastère laisse supposer qu’en son absence, sa femme reste seule267, ce dont on déduit qu’il n’en a qu’une. De même, les miracles d’Austreberte, rédigés au milieu du viiie siècle, mettent en scène une situation comparable, si ce n’est que la pauvre femme (mulier paupercula) reste alors avec son tout jeune enfant268. Si l’on ne peut exclure que les absences du mari évoquées dans les deux cas puissent être liées à des relations extraconjugales, la maison paysanne apparaît du moins celle d’un couple monogame : pour les humbles qui n’ont qu’une seule maison, de petite taille comme le confirme l’archéologie269, il est matériellement plus compliqué d’avoir des pratiques polygames. Quant à Odon de Cluny, il montre dans sa Vie de Géraud d’Aurillac († 909), composée vers 930270, que le comte s’offusque, lors d’un déplacement, en voyant une
265 B. E. Lolo, « Polygame de cœur … », art. cit., p. 330. 266 PLS, c. 1, c. 55 et 56 ; LS E, c. 1, 19 et 91 ; LS E, respectivement c. 1, 21 et 2 (voir Annexe 2, textes no 1). 267 DLH, VIII, 19, p. 385-386 (trad, p. 149). 268 Miracula S. Austrebertae, éd. AA SS febr 2, c. 20, p. 426. Voir aussi I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 414. 269 Sur la maison conjugale, voir chapitre 4. 270 Voir en dernier lieu sur la vita, A. M. Bultot-Verleysen, « Sources hagiographiques de la Gaule IV. Le dossier de saint Géraud d’Aurillac », dans Francia, 22/1, 1995, p. 182-194 ; D. Iogna-Prat, « La vita Geraldi d’Odon de Cluny : un texte fondateur ? », dans M. Lauwers (dir.), Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratiques dans l’Occident médiéval, Antibes, 2002, p. 143-155, en particulier p. 153 pour une datation vers 930 ; C. Lauranson-Rosaz, « La vie de Géraud, vecteur d’une certaine conscience aristocratique dans le Midi de la Gaule », dans ibid., p. 157-181 ; I. Cochelin, « Quête de liberté et réécriture des origines : Odon et les portraits corrigés de Baume, Géraud et Guillaume », dans ibid., p. 183-215 ; J. C. Poulain, L’idéal de sainteté…, op. cit., p. 170. Sur Odon de Cluny, voir I. Rosé, Construire une société seigneuriale : itinéraire et ecclésiologie de l’abbé Odon de Cluny (fin du ixe-milieu du xe siècle), Turnhout, 2008.
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paysanne labourant un petit champ alors que c’est un travail d’homme, ce que celle-ci explique : son mari est malade depuis déjà quelques temps, la saison des semailles va passer, et elle n’a personne pour l’aider271. Certes, le discours, profondément genré272, vise d’abord à souligner le comportement vertueux du comte, avant même sa conversion, en particulier sa générosité à l’égard des pauvres, puisqu’il donne à la paysanne de l’argent pour louer un homme qui cultivera sa terre, mais l’anecdote, qu’elle s’appuie sur des fait réels ou inventés, est centrée sur un couple paysan présenté comme monogame. Or, pour que les vertus du comte soient reconnues, il faut qu’elles se révèlent dans des contextes qui présentent une certaine réalité. On pourra objecter que ces exempla peuvent aussi être destinés, même si cela n’est pas leur objectif premier, aux efforts menés pour promouvoir la monogamie : les situations décrites correspondent néanmoins à celles enregistrées au ixe siècle dans les polyptyques : les enquêteurs, dont le but n’est pas de favoriser un modèle conjugal, mais d’évaluer pour leurs commanditaires leur capacité productive et en particulier la main d’œuvre sur laquelle ils peuvent compter, enregistrent dans chaque maison non seulement le plus souvent la présence d’un couple, comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, mais encore d’un couple qui associe un seul homme et une seule femme. Certes, cela n’exclut pas là encore d’autres partenaires, d’autant que certains individus, hommes et femmes, sont mentionnés sans conjoints et parfois avec des enfants et qu’une partie d’entre eux partagent, tout en ayant une maison qui leur est propre, un même manse avec d’autres familles. S’il y a de fortes probabilités pour qu’il s’agisse de veufs ou veuves, liés par une parenté proche aux co-tenanciers273, ce qui favoriserait la solidarité entre eux, cela n’interdit pas d’y voir aussi l’indice d’une éventuelle polygamie qui resterait néanmoins très marginale sous cette forme274. Les pratiques polygames existent certes en milieux paysans si l’on en croit Arbéo de Freising qui juge dans les années 760-770, nécessaire d’expliquer que c’est un crime (scelus). Il explique néanmoins que c’est parce que sa femme (coniux) est devenue aveugle qu’un campagnard (rusticus) en épouse une autre (alia sibi in matrimonio sotiavit), ce qui conduit l’une et l’autre à cohabiter dans sa maison (utrasque in praedicti viri domo commorabant)275. Cela pourrait laisser supposer que seule l’incapacité irréversible de l’épouse à assumer sa part des tâches quotidiennes indispensables à la vie du couple conduit son mari à lui trouver une remplaçante, sans l’abandonner cependant, ce qui aboutit à la polygamie. Or ce type de situation, sans être rare, est particulière, ce qui revient à faire de la polygamie une pratique plutôt marginale. Pour les femmes, les pratiques polygames peuvent être liées au dévolu que leur jettent les élites, sans que l’on puisse véritablement mesurer le degré de consentement des cibles. Grégoire de Tours mentionne ainsi le cas de l’abbé Dagulf qui fornique avec la femme d’un 271 Vita S. Geraldi Auriliacensis comitis, l. I, c. 21, col. 656. 272 Sur le partage sexuel des tâches et la complémentarité dans le couple, voir chapitre 4. 273 Y. Bessmerny, « Les structures de la famille paysanne dans les villages de la Francia au ixe siècle », dans Le Moyen Âge, no 2 (1984), p. 172-173. P. Toubert, « Le moment carolingien », art. cit., p. 326 et 333. 274 Dans les 25 domaines décrits par le polyptyque de Saint-Germain-des-Prés, seuls quelques manses comportent plusieurs cellules familiales, dont une monoparentale. Voir Annexe 2, textes no 7. 275 Arbeo de Freising, c. 36, p. 510. Le passage est traduit par I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 198-199.
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homme qui habite sur la terre du monastère et cherche toutes les occasions d’éloigner le mari de cette femme, ce qui laisse supposer une relation relativement durable276. Si la femme est qualifiée de prostituée, ce qui suggère un minimum d’assentiment, Grégoire de Tours se trouve surtout scandalisé par le comportement dépravé de Dagulf, en particulier de ses adultères : son statut lui interdit toute relation avec des femmes extérieures à sa proche parenté et, pour avoir bafoué la loi canonique, il se trouve puni, ce qui doit être – précise l’auteur, évêque – une leçon pour les clercs277. Il ne fait cependant aucun doute que les élites masculines, laïques mais aussi pour certaines religieuses, usent du corps de leurs dépendantes278, sans se soucier davantage de l’existence d’un conjoint que de l’avis des intéressées, ce qui est, au-delà de toute considération sexuelle, un moyen parmi d’autres d’affirmer leur autorité. Probablement courante, la pratique n’en concerne pas moins qu’une faible proportion de femmes, et donc de couples. Les conditions de vie et de travail des milieux paysans et artisans modestes, adaptées à une structure conjugale monogame279, laissent supposer que, sauf contexte particulier, la monogamie correspondait à la norme. En ce qui concerne les clercs, certains pratiquent la polygamie à n’en pas douter. En 567, le concile de Tours évoque des évêques non mariés escortés par une troupe de femmes (c. 14)280, ce qui peut y faire allusion, même s’il est difficile de saisir, derrière la critique, la nature des relations entretenues par ces prélats. Quelques années plus tard, Grégoire de Tours évoque, dans l’une de ses notices hagiographiques, le cas d’une femme, inquiète, après que son mari soit devenu évêque, que celui-ci repousse ses embrassements, ce qui la conduit à s’assurer qu’il ne couche pas avec une autre femme281 : pour l’épouse, comme probablement pour une partie des contemporains, la fonction épiscopale n’est pas considérée comme un frein aux relations concomitantes avec plusieurs partenaires. Cinq siècles plus tard, Yves de Chartres évoque le cas d’un prélat de l’église de Sens qui, publiquement lié à deux femmes, se prépare à en épouser une troisième qui était sa concubine282, ce qui correspond à un cas de polygamie manifeste. Les ecclésiastiques faisant partie des élites et la carrière ecclésiastique n’étant pas une vocation, certains ne se comportent pas autrement que leurs parents, amis et alliés restés dans le siècle, ce qui inclut la polygamie, pratiquée pour les mêmes raisons. Pour autant, les clercs polygames sont probablement minoritaires. Les
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DLH., VIII, 19, p. 385-386 (trad, t. II, p. 149). Ibid., 19, p. 386 (trad, t. II, p. 149). voir ci-dessus et note 92. Synthèse de D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., p. 137-141 et 144-145 et Id., Hommes et Femmes …, op. cit., p. 152, p. 159-160. Pour la fin du Moyen Âge, voir, entres autres, pour les milieux paysans, F. Antoni, « Entre la complémentarité et la dépendance : rôle économique et travail des femmes et des enfants dans le monde rural valencien au bas Moyen Âge », dans A. Stella (dir.), Les dépendances au travail, dans Médiévales, no 30 (1996), p. 23-29 et pour les milieux artisans, P. Bernardi, « Relations familiales et rapports professionnels chez les artisans du bâtiment en Provence à la fin du Moyen Âge », dans ibid., p. 61-63 ainsi que D. Chamboduc de Saint Pulgent, « Le couple dans la sphère économique à Lucques … », art. cit., p. 96-100. 280 Voir ci-dessus. 281 Grégoire de Tours, GC, no 77, p. 344. 282 Yves de Chartres, PL, no 200, col. 206-207 (trad. Merlet, no 220, p. 362-363).
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critiques formulées par ceux qui cherchent à imposer aux ecclésiastiques continence et célibat visent ceux qui sont mariés ou concubinaires, mais ne dénoncent pas d’autres infractions aux prescriptions canoniques qui alourdiraient les charges pesant contre eux. Il est possible que les clercs, pratiquant déjà la conjugalité contre l’avis d’une partie de la hiérarchie ecclésiastique, même si elle est tolérée par l’autre, se sont astreints à rester dans les limites de l’acceptable et surtout du comportement prêché aux fidèles. Tout laisse donc supposer que les couples de clercs ont été monogames dans leur grande majorité.
Conclusion Même si la plupart des sources évoquent peu les couples, divers indices permettent de penser que la conjugalité constitue la norme pour la plupart des individus, y compris dans le clergé, et une réalité sociale dont l’importance est reconnue. Elle recouvre néanmoins des formes variées qui diffèrent notamment en fonction du milieu social. Les élites laïques cumulent souvent couples institutionnalisés et informels, de manière successive pour tenir compte du contexte politique et familial et de la place dans le cycle de la vie, mais aussi fréquemment simultanée, en particulier pour les hommes, dans la mesure où la polygynie constitue un signe distinctif qui s’inscrit dans les stratégies compétitives élitaires. Les milieux populaires forment quant à eux, pour la majorité, des couples monogames dont la reconnaissance est davantage liée à la cohabitation qu’au mariage. Les clercs, enfin, pratiquent pour beaucoup une forme de conjugalité intermédiaire, le plus souvent monogame, privilégiant tantôt l’institutionnalisation par le mariage tantôt l’union informelle par le concubinage, en fonction du contexte local, et en particulier de la plus ou moins grande fermeté de la hiérarchie ecclésiastique pour imposer le célibat. Si les pratiques ne semblent pas s’être profondément modifiées sur ce plan, du vie au xiie siècle, le discours a, quant à lui, évolué : il privilégie, et cela plus nettement à partir de l’époque carolingienne, le couple marital monogame, ce qui le conduit d’une part, à présenter tous les couples comme mariés même lorsqu’ils ne le sont pas, notamment dans les milieux populaires, et d’autre part, à n’évoquer délibérément, dans les élites, que les couples considérés comme légitimes, en ignorant les autres unions ; par ailleurs, le discours d’une partie des autorités qui, soucieuses de mettre en ordre la société, considère que le modèle marital est réservé aux seuls laïcs se fait, aux xie-xiie siècles, de plus en plus virulent et réprobateur à l’égard des clercs qui n’acceptent pas d’y renoncer. Pour autant, qu’elles relèvent du discours ou de la pratique, la reconnaissance sociale d’un couple et sa composition, qui nous ont retenus dans ce chapitre, ne présupposent pas la construction d’une relation conjugale, ce qui invite à s’interroger, dans le chapitre suivant, sur les paramètres qui la favorisent ou la compromettent.
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L’énigme du couple
Former un couple, que cela soit par le biais du mariage ou de la cohabitation, est une chose, construire une relation conjugale en est une autre1 : celle-ci implique de réaliser une difficile alchimie entre deux individus, impactée par des paramètres multiples. Au haut Moyen Âge, comme dans les autres sociétés, cette alchimie opère pour certains couples qui parviennent à trouver un équilibre, mais pas pour d’autres. Les psychologues, psychiatres et psychanalystes s’accordent en effet pour considérer que la construction d’un couple est un travail difficile, d’une part de longue durée pour parvenir à créer une force supérieure à deux volontés individuelles pour avancer ensemble malgré les difficultés, et d’autre part en évolution perpétuelle pour s’adapter en fonction des contextes et du cycle de la vie. Ils s’interrogent donc sur ce qui peut expliquer le fonctionnement et le dysfonctionnement des couples : une énigme, tant les paramètres, conscients et inconscients, concernant les partenaires et leur entourage sont nombreux et complexes pour expliquer la nature de ces relations et leur évolution dans la durée2. Parmi les facteurs structurants et déstructurants du couple, certains sont atemporels, tout en se déclinant différemment d’une société à l’autre, d’autres sont plus spécifiques au fonctionnement de chacune d’elles. Ce chapitre vise à préciser ce qui l’en est pour le haut Moyen Âge de manière à évaluer la stabilité du couple et ce qu’il en résulte sur un plan démographique et social.
Facteurs structurants et déstructurants du couple Au haut Moyen Âge, comme dans toute société, au-delà des parcours individuels qui constituent autant d’histoires personnelles, des facteurs, externes et internes3, peuvent contribuer à structurer le couple ou à le déstructurer. Les répertorier permettra de replacer le couple dans le contexte social et démographique des viexiie siècles et de saisir les forces et les contraintes qui pèsent sur lui, de manière à comprendre ce qui peut intervenir pour l’affermir ou le fragiliser, et donc contribuer à le faire durer ou à le dissoudre. Quatre facteurs paraissent déterminants et seront 1 C. Jansen, « Dévoration, débat et désillusion au sein du couple : témoignage d’une pensée psychanalytique vivante », dans P. Servais (dir.), Regards sur la famille …, op. cit., p. 113. 2 En particulier, M. Vaillant, « Vivre ensemble : à l’épreuve des sentiments et à l’épreuve de la vie », dans M. Vaillant, A. Morris (dir.), Encyclopédie de la Vie de famille …, op. cit., p. 74-75 ; A. Valtier, « Vivre à deux », dans ibid., p. 81-82 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., en particulier p. 213-214 ; A. Boyer-Labrouche, De la séduction à la perversion. Les enjeux du couple, Paris, 2013, p. 25. 3 S. Hefez, D. Laufer, La danse du couple, op. cit., p. 12.
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successivement analysés : les pressions idéologiques, les contraintes familiales, la stérilité et les sentiments. Pressions idéologiques
Comme dans toutes les sociétés, il y a dans celles du haut Moyen Âge des normes juridiques qui encadrent la conjugalité, notamment en matière de légitimité, d’indissolubilité et d’exogamie4, même si elles ne font l’objet d’aucune uniformité ni unanimité tout au long de la période5 et si elles sont parfois interprétées, voire appliquées, avec une grande flexibilité6. Or, les individus ne respectent ces normes qu’autant qu’elles ne contrecarrent pas leurs projets. Il arrive donc, même s’il n’y a rien de systématique, que les autorités interviennent pour les imposer aux couples, avec des pressions qui se sont renforcées à partir de l’époque carolingienne du fait de la volonté de l’Église, soutenue par la royauté, d’encadrer l’institution matrimoniale et d’imposer son modèle d’union conjugale. Il ne s’agit pas de revenir sur le discours et son évolution7, mais de montrer les répercussions qu’il peut avoir sur les couples, dans la mesure où cela se traduit parfois par une influence ou des pressions pour inciter ou obliger à rester ensemble ou se séparer. Le haut Moyen Âge est marqué par un discours de plus en plus ferme en matière d’indissolubilité : les couples mariés, voire, aux xie-xiie siècles, ceux qui ne le sont pas et vivent maritalement8, doivent restés unis, par les liens du mariage pour ceux qui bénéficient d’une reconnaissance institutionnelle, mais aussi dans leur vie quotidienne, jusqu’à ce que la mort les sépare, ce qui œuvre en faveur de leur stabilité. Les législateurs réduisent en effet de plus en plus, même s’il y a des variations dans le temps et dans l’espace, les cas où la séparation est autorisée et encore plus ceux où le remariage est possible9. Plus attentifs sous les Carolingiens
4 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 264-271 et 274-285. 5 Entre autres, J. Gaudemet, « Le lien matrimonial … », art. cit., p. 185-210 ; B. Basdevant-Gaudemet, « Le mariage d’après la correspondance d’Yves de Chartres », art. cit., p. 374-375 ; M. McLaughlin, Sex …, op. cit., p. 18-19 et 39-40, 43-44. Éléments de synthèse concernant le ixe siècle avec références bibliographiques dans E. Santinelli, « Introduction. Séparation … », art. cit., p. 15-16. La diversité des normes et des règles, ainsi que leur application avec une grande flexibilité restent une réalité à la fin du Moyen Âge : voir M. Carlier, T. Soens (dir.), The Household …, op. cit., notamment l’introduction de M. Carlier, p. 3 et 9, ainsi que la première partie consacrée à l’approche juridique de la maisonnée. 6 Voir aussi R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 31-38. 7 Voir notamment R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 263-285 et p. 313-327 (pour une approche sociale et anthropologique), J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit. (pour une approche juridique), ainsi que P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., et « L’institution du mariage chrétien », art. cit. (pour le tournant carolingien). 8 Voir chapitre 1. 9 J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 70-81 (pour l’époque romaine), p. 106 (pour les vie-viiie siècles), p. 121-128 (pour l’époque carolingienne), p. 198-199 et 252-259 (pour les xie-xiie siècles) ; R. G. Hopital, Les causes du divorce dans l’ancien droit. Période gallo-romaine, période franque, doctrine canonique classique, Paris, 1955, p. 10-15 (pour l’époque romaine), p. 33-40 (pour les lois dites barbares), p. 58-60 (pour l’époque carolingienne), p. 66-83 (pour les xie-xiie siècles) ; G. Fransen, « La rupture du mariage », Settimane, no 24 (1977), p. 614-626 (pour les vie-ixe siècles) ; J. A. McNamara, S. F. Wemple, « Marriage and
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au couple, désormais considéré comme socle de l’organisation sociale, ils veillent particulièrement à sa stabilité, en rappelant les normes à suivre10. Les moralistes qui participent alors à l’élaboration et au rappel des dispositions en matière de conjugalité, les relaient dans les « miroirs » qu’ils rédigent à l’intention des laïcs. Dans les années 820, Jonas d’Orléans explique aux élites masculines, dans un chapitre qui condamne la répudiation, que « de même qu’il est de l’habitude des femmes chastes et honnêtes de veiller au chevet de leurs maris quand ils sont affaiblis et se consument en une longue maladie, d’être à leur service, de les assister dans la mesure de leurs forces, de n’abandonner aucunement la fidélité du lit conjugal, il convient tout autant et il est absolument conforme à la foi chrétienne que les hommes fassent de même en retour à l’égard de leurs épouses »11. Dans le cadre d’une réciprocité envisagée comme totale, maris et femmes doivent affronter l’adversité ensemble, et non opter pour la facilité, en abandonnant celui qui subit les aléas de la vie, et donc en se séparant. Dans le même ordre d’idée, les hagiographes diffusent, dès le début du Moyen Âge, le modèle de couples unis tout au long de leur vie. C’est le cas par exemple de Grégoire de Tours pour le sénateur dijonnais Hilaire et son épouse12. Les vitae, à l’image de celles de Didier (fin viie siècle) ou d’Yrieix (viiie siècle), laissent aussi souvent supposer que les parents des saints, lorsqu’ils sont évoqués, correspondent à ce modèle, la mort du père nécessitant la consolation de la mère13. Ce type de couple est davantage encore mis en avant à partir de l’époque carolingienne, marqué par la valorisation du mariage, ce qui conduit les hagiographes à envisager que la conjugalité assumée puisse être compatible avec la sainteté, en particulier féminine14 : les vies de sainte Rictrude (907), sainte Clotilde (vers 960) et sainte Ide (dans les années 1130)15 qui montrent que la sainteté acquise dans le
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Divorce in the Frankish Kingdom », dans S. M. Stuard (dir.), Women in Medieval Society, Philadelphie, 1976, p. 100-105 et p. 110 ; J. Brundage, Law, Sex …, op. cit., p. 143-144 ; B. Basdevant-Gaudemet, « Le principe de l’indissolubilité … », art. cit., p. 40-44 ; Synthèse dans E. Santinelli, « Introduction. Séparation … », art. cit., p. 12-20. Voir introduction. Jonas d’Orléans, II, 11, p. 414-415 (voir Annexe 2, textes no 8). Grégoire de Tours, GC, no 41, p. 323-324. Vita et miracula S. Desiderii Cardurcensis, MGH SRM 4, c. 3, p. 565 ; Vita Aredii, MGH SRM 3, c. 8, p. 585. Sur la difficulté à interpréter les sentiments exprimés à l’occasion d’un deuil, voir E. Santinelli, Des femmes éplorées ?…, op. cit., p. 39-41. Sur la difficulté des hagiographes à concilier, à l’époque mérovingienne, mariage et sainteté, voir ce qui a été dit en introduction. Sur l’importance du xe siècle dans l’évolution des modèles hagiographiques et l’émergence d’un modèle de sainteté laïque féminine, voir K. F. Werner, « Les femmes, le pouvoir et la transmission du pouvoir », dans M. Rouche, J. Heuclin (dir.), La femme au Moyen Âge, op. cit., p. 372-373 ; P. Bonnassie, P. A. Sigal, D. Iogna-Prat, « La Gallia du Sud, 930-1130 », dans G. Philippart (dir.), Hagiographies, t. I, Turnhout, 1994, p. 322-323 ; P. Corbet, Les Saints ottoniens. Sainteté dynastique, sainteté royale et sainteté féminine autour de l’an mil, Sigmaringen, 1986, p. 204-206 ; C. Thiellet, Femmes, reines et saintes (ve-xie siècles), Paris, 2004, p. 242-244. Pour les vies de sainte Rictrude et sainte Ide, voir Annexe 2, textes no 13 et 17, avec datation et références bibliographiques. Quant à la vita de sainte Clotilde, elle aurait été rédigée, vers 960, par un auteur lié au milieu rémois, mais dont l’identité reste l’objet de débat. Sur la synthèse des différentes hypothèses avancées aujourd’hui, voir E. Santinelli, « Pleurer les morts et transmettre aux vivants. Les femmes
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veuvage commence par une vie conjugale exemplaire, replacent les saintes dans le cadre de couples unis jusqu’à ce que la mort du mari ne les sépare, voire proposent le modèle d’une sainteté conjugale, même si celle-ci n’y est pas aussi développée que dans la Vita Mathildis reginae posterior, rédigée vers 1002 dans le monde ottonien16. Plus souvent, les hagiographes, sans envisager l’ensemble de la vie conjugale, n’en présentent, notamment par le biais des miracles, qu’un moment qui témoignent néanmoins de longues années passées ensemble et promettent la miséricorde divine aux couples qui s’illustrent par un tel comportement et leur piété : Jonas de Bobbio évoque ainsi le duc Waldelène et sa femme Flavie qui finissent, après s’être rendus auprès de Colomban, par avoir plusieurs enfants, de même qu’un homme sollicitant les prières du saint pour sa femme tourmentée par la fièvre depuis un an, ou encore un couple de syriens installé à Orléans, dont l’homme est aveugle depuis longtemps17 ; Eginhard montre plusieurs couples conduisant dans des lieux saints leurs enfants, atteints de paralysie ou de cécité depuis plusieurs années18 ; Hincmar précise que les pieux parents de saint Remi, mariés depuis longtemps, étaient âgés lorsque celui-ci a été conçu19. Si la diffusion d’une telle norme incite, ne serait-ce qu’inconsciemment, une large partie des couples à rester ensemble, la volonté de la mettre en application, plus déterminée à partir de l’époque carolingienne, conduit parfois à imposer à des couples qui ne le souhaitent pas de rester unis et à en séparer d’autres qui voudraient le demeurer. L’une des affaires les plus retentissantes et connues est celle du divorce de Lothaire II, contraint de reprendre son épouse Theutberge, après l’avoir renvoyée, et de renoncer, du moins publiquement, à Waldrade qu’il avait ensuite épousée20, ce qui n’est pas sans influer sur les relations conjugales entretenues de manière différente avec l’une et l’autre femme et conduit à fragiliser les deux couples : celui formé avec Theutberge est officiel, mais celle-ci n’est épouse « que de nom » (nomine tantum)
et la mort dans le groupe familial. L’exemple de la Province de Reims au xe siècle », dans C. La Rocca (dir.), Donne e parentela tra storia e archeologia (VI-XII secolo), dans Archeologia Medievale, no 38 (2011), p. 35, n. 19. 16 P. Corbet, Les Saints ottoniens …, op. cit., p. 181-207. 17 Jonas de Bobbio, respectivement c. 14, p. 79-80 (trad. p. 124-126), c. 7, p. 73 (trad. p. 113-114) et c. 21, p. 94 (trad., p. 146-147). 18 Eginhard, Histoire de la translation des saints Marcelin et Pierre (BHL 5233), MGH SS 15/1, p. 238-264 : si dans certains cas, le terme utilisé, parentes, manque de précision (l. III, c. 15, p. 254 ; l. VI, c. 14 p. 261), dans un cas il est précisé que le père et la mère (pater et mater) amènent leur fille privée de la vue depuis 8 ans (l. IV, c. 12, p. 260). 19 Vita S. Remigii, c. 1, p. 260. Sur cette vita, voir M. C. Isaia, Remi de Reims. Mémoire d’un saint, histoire d’une Église, Paris, 2010, p. 465-536. 20 En attestent notamment les Annales de Saint-Bertin : a. 860, p. 82 (trad. p. 53-54) et 862, p. 93 (trad. p. 64) (pour le renvoi de Theutberge au profit de Waldrade) ; a. 865, p. 118-122 (trad. p. 93-95) (pour le rétablissement officiel comme épouse légitime et reine de Theutberge accompagnée par le légat pontifical lors d’une assemblée publique et l’envoi de Waldrade à Rome) (voir Annexe 2, textes no 10). Sur cette affaire, voir notamment K. Heidecker, The divorce of Lothar II …, op. cit. ; Id., « Les mariages ratés de Lothaire II … », art. cit., p. 301-307 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 282-283 ; S. Airlie, « Private Bodies … », art. cit., p. 3-38 ; R. M. Karras, Unmarriages …, op. cit., p. 38-42.
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et Lothaire ne cherche qu’à s’en débarrasser21 ; celui avec Waldrade est effectif, quand il parvient à se reformer, mais officieux et vulnérable aux pressions pontificales qui le contraignent à plusieurs séparations22. Si Lothaire II n’obtient pas gain de cause, ses démarches répétées témoignent de son attachement à ce dernier couple, même s’il est difficile de savoir de quoi celui-ci est fait, et notamment s’il dépasse la simple question de la légitimation du fils qui en est né. Les contraintes sont cependant plus ou moins fortes et différemment exercées et acceptées en fonction du contexte et du rapport des forces en jeu23. Au même moment, dans une autre affaire dont François Bougard a montré les liens avec celle de Lothaire II, la papauté multiplie pendant plusieurs années (858-862) les démarches contre Engeltrude – apparentée au roi de Lotharingie – qui a quitté son mari, le comte Boson II – frère de Theutberge –, pour la faire revenir auprès de son époux, sans pour autant y parvenir ni empêcher le remariage d’Engeltrude comme de Boson24, et donc la formation d’un nouveau couple pour l’un comme l’autre des ex-époux. Il ne faut donc pas déduire d’un discours plus ferme une application forcément plus stricte. Le discours normatif fournit seulement les arguments parfois mobilisés et utilisés comme armes idéologiques par les uns et les autres pour attaquer ou se défendre, avec néanmoins des possibilités nouvelles à l’époque carolingienne25. Si les autorités font pression sur les couples qui se séparent et diffusent un discours en faveur de l’indissolubilité, parfois suivi d’effets, elles exigent aussi par ailleurs la séparation dans certains cas, lorsqu’elles considèrent qu’il ne peut y avoir conjugalité ou que celle-ci ne peut être maintenue. Cela ne signifie pas qu’elles y parviennent forcément, mais il en résulte des pressions sur les couples qui peuvent finir par céder. C’est le cas pour certains couples de clercs : si, comme nous l’avons vu, le discours normatif insiste sur les dysfonctionnements à corriger, et donc sur les résistances à la règle du célibat, la mise en application des dispositions par certains ecclésiastiques, plus ferme à partir du xie siècle, conduit néanmoins à la séparation de certains couples, même s’il est difficile d’en connaître la proportion – probablement faible – et de savoir ce que deviennent les femmes ainsi répudiées26. Pour Jacques Dalarun, parmi les nombreuses femmes de tout milieu qui se réfugient à Fontevraud, nombreuses sont celles qui sont victimes des pratiques et normes matrimoniales de l’époque, en
21 Annales de Saint-Bertin, a. 866, p. 129 (trad. p. 104) ; a. 867, p. 140 (trad. p. 116) ; a 869, p. 153 (trad. p. 130). Voir Annexe 2, textes no 10. 22 Waldrade, envoyée à Rome en 865, est à nouveau auprès de Lothaire II en 867, avant d’être renvoyée à Rome, sur l’ordre du pape, ce qui n’empêche pas Lothaire de poursuivre les démarches pour obtenir la légitimation de cette union : ibid., a. 865, p. 118 (trad. p. 96) ; a. 867, p. 136-137 (trad. p. 110-111) ; a. 868, p. 150 (trad. p. 126) ; a. 869, p. 153-155 (trad. p. 130-133). Voir Annexe 2, textes no 10. 23 Voir aussi M. McLaughlin, Sex, …, op. cit., p. 43-47. 24 J. Devisse, Hincmar, archevêque de Reims, 845-882, 3 t., Genève, 1975-1976, t. I, p. 429-432. En dernier lieu, F. Bougard, « En marge du divorce de Lothaire II : Boson de Vienne, le cocu qui fut fait roi ? », dans Francia, no 27/1 (2000), p. 42-48. 25 K. Heidecker, « Les mariage ratés de Lothaire II … », art. cit. 26 M. McLaughlin, Sex, …, op. cit., p. 33 et note 89.
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particulier les femmes de prêtres touchées par les prescriptions grégoriennes27. Il n’est cependant pas sûr que dans les régions marquées par une plus grande rigueur en matière de célibat ecclésiastique, la déposition n’ait pas prévalu sur la renonciation à la conjugalité, ce qui limiterait les séparations contraintes. Les pressions semblent avoir été nettement plus fortes à l’égard d’une autre catégorie de couples auxquels la conjugalité est refusée : ceux qui sont poursuivis pour inceste, c’est-à-dire pour liens de parenté prohibés, dont l’étendue s’est considérablement élargie au haut Moyen Âge, et en particulier aux viiie-ixe siècles. Si les interdits sexuels et matrimoniaux sont universels28, ils concernent des individus plus ou moins nombreux : le haut Moyen Âge se caractérise par l’extension progressive des empêchements à tous les consanguins et affins jusqu’au septième degré et aux parents spirituels, à l’initiative d’une partie des autorités ecclésiastiques soutenues par les Carolingiens qui y voient un moyen de conforter leur autorité en limitant le renouvellement des alliances par le biais des pratiques endogamiques29. L’élaboration progressive de la doctrine ne s’est cependant pas faite sans hésitations, divergences ni même parfois contradictions, du fait à la fois des différences de points de vue au sein même des autorités et de la nécessité de l’adapter pour qu’elle soit socialement acceptée30. L’objectif n’est pas ici de revenir sur l’évolution et le sens de cette législation, ainsi que sur le décalage entre la théorie et la pratique, mais d’analyser ce qu’il en résulte pour les couples formés malgré les interdits de parenté, relativement nombreux dans une société où les stratégies familiales combinent exogamie et endogamie, la seconde permettant de renchaîner les alliances et de préserver les droits sur le patrimoine31. Le droit canonique, soutenu à l’époque carolingienne par la législation royale, est en effet unanime à prescrire la séparation32, entendue comme rupture à la fois du lien matrimonial et de la vie conjugale, ce qui n’exclut pas cependant parfois une certaine tolérance, dans quelques cas – jugés moins inacceptables – pour
27 J. Dalarun, « Robert d’Arbrissel et les femmes », dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, no 39/6 (1984), p. 1145. 28 Certains liens, notamment de parenté, conduisent en effet à penser comme identiques les individus entre lesquels ils sont établis parce qu’ils partagent une même substance, ce qui interdit toute relation sexuelle entre eux : voir entres autres A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caritas. Le baptême dans la société médiévale », dans F. Héritier-Augé, E. Copet-Rougier (dir.), La parenté spirituelle, Paris, 1995, p. 185 ; F. Héritier, Les deux sœurs et leur mère, Paris, 1994 ; R. Deliège, Anthropologie de la parenté, op. cit.,p. 41-42. 29 Voir entre autres, J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 100-101 (époque mérovingienne), p. 114-116 (époque carolingienne), p. 204-213 (xie-xiiie siècles) ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 310-314 ; J. C. Bologne, Histoire du mariage …, op. cit., p. 42-46 ; P. Corbet, Autour de Burchard de Worms. L’Église allemande et les interdits de parenté (ixe-xiie siècle), Francfort/Main, 2001, p. 3-7 (du vie siècle jusque vers 850), p. 41-48 (du milieu du ixe jusqu’au début du xe siècle pour la Francie occidentale), p. 8-41 et p. 50-114 (pour l’évolution de la législation en Germanie) ; Id., « Interdits de parenté et séparation des époux (France et Allemagne, fin xie-xie siècle) », dans E. Santinelli (dir.), Répudiation …, op. cit., p. 101-103 ; J. Fleury, Recherches historiques sur les interdits de parenté dans le mariage canonique, des origines aux fausses décrétales, Paris, 1933. 30 P. Toubert, « Le moment carolingien … », art. cit., p. 348 et 352. 31 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 309-317. 32 P. Corbet, « Interdits de parenté … », art. cit., p. 101-103.
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préserver l’indissolubilité, mais les peines prononcées jusqu’à ce que les incriminés obtempèrent – ce qui constitue autant de moyens de pressions – peuvent varier : à l’excommunication33, souvent mentionnée, s’ajoutent parfois des sanctions civiles (illégitimité des enfants34, infamie35, interdiction d’exercer une charge au palais ou de traiter des affaires au tribunal, confiscation de biens36, amende, prison ou coups37, exil38)39. Encore faut-il que les autorités compétentes soient informées des cas d’inceste. Les clercs sont certes tenus de pourchasser les couples incestueux et les fidèles de les dénoncer40, mais la répression ne se fait pas partout avec le même zèle, et les sanctions, si tant est qu’elles soient prononcées et appliquées, constituent certes des moyens de pression mais elles n’empêchent pas la poursuite de la vie conjugale : même en Germanie, où l’affirmation de la compétence exclusive de l’Église en matière d’affaires matrimoniales se traduit par le durcissement précoce – dès le début du xie siècle – de la répression en matière d’interdit et des procès présidés par l’évêque qui prononcent la séparation des époux apparentés, cela n’implique pas forcément que les couples se conforment aux décisions judiciaires et qu’ils renoncent à leur vie commune41. Pour la Francie occidentale, Isabelle Réal a montré qu’aux vie-ixe siècles, les couples incestueux sont parfois condamnés mais rarement sanctionnés et Patrick Corbet que ce n’est qu’à partir du milieu du xie siècle et poussés par le pape Léon IX (1049-1054) que les ecclésiastiques se mobilisent véritablement et contestent, pour cause de parenté, l’union de certains couples42, mais sans forcément aboutir à leur séparation. La documentation livre néanmoins, pour l’ensemble de la période, même si leur nombre s’accroît nettement aux xie-xiie siècles, quelques exemples de couples inquiétés, voire séparés, par les autorités ecclésiastiques – parfois soutenues par le pouvoir civil –, pour cause de lien de parenté prohibé, dont il arrive qu’il soit « découvert » ou pris
33 Sur la nature, les formes et principaux motifs d’excommunication, voir en dernier lieu G. Bührer-Thierry, « Introduction », dans G. Bührer-Thierry, S. Gioanni (dir.), Exclure de la communauté Chrétienne : sens et pratiques sociales de l’anathème et de l’excommunication (ive-xiie siècle), Turnhout, 2015, p. 7-18. 34 Par exemple, PLS, c. 13, § 11, p. 62-63 ; repris dans LS S, c. 23, § 16, p. 209 ; Lettre des évêques réunis en Concile à Douzy (874) à leurs confrères d’Aquitaine, éd. W. Hartmann, MGH Conc. 4, p. 583. 35 Par exemple, Conciles mérovingiens, Tours II (567), c. 22, p. 376-381. Sur l’infamie, notion juridique romaine qui privait les coupables de crimes scandaleux de certains de leurs droits, notamment en matière d’héritage, voir P. Corbet, Autour de Burchard …, op. cit., p. 183. 36 Par exemple, Conciles mérovingiens, Clichy (626-627), c. 10, p. 534-537 ; Capitulaire de Pépin III (754-755) c. 1, MGH Capit. I, no 13, p. 31 ; Capitulaire des missi (821), c. 6, ibid. no 148, p. 301. 37 Par exemple, Capitulaire de Pépin III (754-755) c. 1, MGH Capit. I, no 13, p. 31. 38 Par exemple, Concile de Ver (755), promulgué en capitulaire, c. 9, MGH Capit. I, no 14, p. 35. 39 Voir aussi P. Corbet, Autour de Burchard …, op. cit., p. 181-188. 40 Entre autres Conciles mérovingiens, Clichy (626-627), c. 10, p. 534-535 ; capitulaire de Charlemagne (813), MGH Capit. I, no 78, c. 8, p. 174. 41 P. Corbet, Autour de Burchard …, op. cit., p. 116-173 et p. 188-204 ; Id., « Interdits de parenté … », art. cit., p. 103-107. 42 I. Réal, « Discours multiples, pluralité des pratiques : séparations, divorces, répudiations, dans l’Europe chrétienne du haut Moyen Âge (vie-ixe siècles), d’après les sources normatives et narratives », dans E. Santinelli (dir), Répudiation …, op. cit., p. 164 ; P. Corbet, « Interdits de parenté … », art. cit., p. 107-108.
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en compte après plusieurs années de vie commune. Si l’on en croit Grégoire de Tours, Clotaire qui avait épousé Waldrade, la veuve de son petit-neveu Théodebald, y aurait renoncé parce qu’il avait été blâmé par les clercs (increpitus sacerdotibus)43. Au viiie siècle, Arbéo de Freising évoque dans sa Vie de saint Corbinien, rédigée dans les années 760-770, que celui-ci, son devancier sur le siège épiscopal de Freising, finit par obtenir du duc de Bavière Grimoald (718-728) qu’il se sépare de sa femme Pilitrude, veuve de son frère Theodoald44. Au xe siècle, l’évêque Fulbert de Cambrai (933/934-956), prononce la séparation (seiunxit, segregavit) pour cause de trop proche parenté du couple formé par un comte hainuyer Amulric et la fille du comte Isaac, et, insensible aux cadeaux offerts par les parents et amis, refuse de revenir sur sa décision, s’il l’on en croit le récit donné par les Gesta episcoporum de Cambrai, certes plus tardif (vers 1024), mais dont Charles Mériaux considère qu’il est vraisemblable et « ne doit sans doute rien à une reconstruction du début du xie siècle »45. Au xiie siècle, le pape Calixte II contraint, en 1124, Guillaume Cliton à renoncer à Sybille d’Anjou, épousée en 112346, et à un échelon social moins élevé, une notice de l’abbaye de Saint-Serges et Saint-Bach d’Angers, rédigée peu après 1138, mentionne la séparation par jugement ecclésiastique (judicio cleri) d’un couple, formé par un homme qui a épousé la fiancée de son frère défunt, suivi d’effet puisqu’il est ensuite précisé que la jeune fille épouse un autre homme47. Force est cependant de constater que les cas de séparation autoritaire obtenue par les autorités sont rares. Il s’agit en outre toujours d’élites, dont il n’est pas forcément facile de savoir si elles finissent par se plier aux injonctions ecclésiastiques parce qu’elles n’ont pas d’autre choix, ou parce qu’elles y voient une opportunité permettant d’autres perspectives. De même, il est difficile de mesurer, lorsque les autorités ecclésiastiques interviennent – ce qui n’est pas systématique –, si elles le font pour condamner le non respect des interdits de parenté ou si elles utilisent ce prétexte dans le cadre d’enjeux qui sont autres. Ainsi en est-il par exemple, pour le couple formé, fin 996-début 997, par Robert le Pieux et Berthe de Bourgogne, doublement apparentés – par consanguinité, car liés au troisième degré, et spirituellement, puisque le roi Robert était parrain de l’un des enfants né de la première union de Berthe avec Eudes Ier de Blois48 : bien que le mariage ait été consacré par l’archevêque de Tours
43 DLH, IV, 9, p. 141 (trad. t. I, p. 188). 44 Arbéo de Freising, Vie de saint Corbinien, éd. B. Krusch, MGH SRM 6, c. 24, p. 580-581 (trad. partielle I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 206-208). Voir aussi I. Réal, « Discours multiples … », p. 165. 45 Gesta episcoporum Cameracensium, I, 74, éd. L. Bethmann, MGH SS 7, Hanovre, 1846, p. 427. Sur les Gesta, voir C. Mériaux, Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Âge, Stuttgart 2006, p. 26. Sur Fulbert, et cet épisode qui s’intègre dans les rivalités qui opposent l’évêque au comte Isaac, voir C. Mériaux, « Fulbert, évêque de Cambrai et d’Arras (933/934 † 956) », dans Revue du Nord, 3/2004 (no 356-357), p. 331-332. Voir aussi R. Le Jan, Famille …, p. 316. 46 Orderic Vital, XI, 37, t. 6, p. 164-166 ; G. Duby, Le chevalier … op. cit., p. 1279 ; C. W. Hollister, Henry I, Londres, 2001, p. 292 (pour le mariage) et p. 304-306 (pour l’annulation par le pape). 47 Référence, texte et analyse dans B. Lemesles, « La séparation des époux : stratégies sociales et actions de l’Église (Anjou, xie-xiie siècle) », dans E. Santinelli (dir.), Répudiation …, op. cit., p. 189-190. 48 Le caractère illicite du couple doublement apparenté est souligné par Helgaud de Fleury, Vie de Robert le Pieux, éd. et trad. R. H. Bautier et G. Labory, Paris, 1965, c. 17, p. 92-93 : « … facinus copulationis inlicitae, dum commatrem et sibi consanguinitatis vinculo nexam duxit uxorem ».
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Archambaud, en présence de nombreux évêques du royaume, le couple est menacé d’anathème, s’il ne se sépare pas (derelinquere) et n’effectue pas sept ans de pénitence, par le concile de Rome (998) présidé par Otton III et son cousin, le pape Grégoire V, dont les objectifs sont autant politiques que religieux49 ; quant au couple royal, il finit par se séparer vers 1004, mais probablement davantage parce que l’union est restée stérile et que le roi cherche à éliminer une opposition dont il n’a pas besoin que pour se soumettre aux prescriptions ecclésiastiques50. Tout laisse supposer que dans la plupart des cas, les couples ont résisté aux pressions, sans que l’on puisse cependant, là encore, faire la part entre l’attachement conjugal et les enjeux liés à l’union matrimoniale pour expliquer le désir de rester ensemble. La législation conciliaire et capitulaire témoigne, pour les vie-ixe siècles, de leur refus de renoncer à des unions – qui résultent pour les élites des stratégies matrimoniales – et des efforts mobilisés, avec le soutien de leur réseau de parents et d’alliés, pour faire pression sur les autorités pour qu’elles les valident, ou du moins ne les invalident pas. Le concile d’Orléans III (538) évoque, en effet, ceux qui vivent intentionnellement dans une telle cohabitation, malgré les interdictions des clercs. Celui de Clichy (626-627) précise que ceux dont les biens ont été confisqués pour s’être unis incestueusement ne peuvent les récupérer par aucun subterfuge, notamment par l’intermédiaire de leurs parents ou l’intervention royale51. Le capitulaire de Pépin III (754-755) envisage que certains ne veuillent pas se corriger et interdit à chacun, dans ce cas, de les recevoir et de leur donner à manger52. Quant au Capitulaire général des missi (802), il précise aux couples incestueux qui refusent de se séparer que non seulement ils désobéissent à leur évêque ou leur prêtre, mais qu’ils s’opposent aussi au ban du roi53. D’ailleurs, dans l’un de ses capitulaires aux missi, Charlemagne leur recommande de ne faire preuve d’aucune indulgence pour cause d’amitié à l’égard des couples incestueux54 et Louis le Pieux proscrit absolument aux évêques et aux
49 Le concile de Rome (998) ne retient que la consanguinité, suffisante pour condamner le couple : J. D. Mansi (éd.), Sacrorum Conciliorum …, op. cit., t. 19, c. 1, col. 225. Il excommunie par ailleurs l’archevêque de Tours Archambaud qui a consacré l’union, de même que tous les évêques qui, par leur présence aux noces royales, y ont consenti (c. 2), jusqu’à ce qu’ils viennent se justifier auprès du pape. Pour P. Corbet, il s’agit du premier procès pour mariage apparenté connu pour le royaume de Francie occidentale : P. Corbet, « Interdits de parenté … », art. cit., p. 105-108. Sur la variabilité de l’intervention ecclésiastique selon les enjeux, notamment politiques, particulièrement dans le cas de Robert et Berthe, voir C. Avignon, « Les stratégies matrimoniales des premiers capétiens … », art. cit., p. 243-245. 50 Si Helgaud de Fleury précise que le roi, subissant les reproches continuels d’Abbon de Fleury, finit par reconnaître sa faute, abandonner sa femme et faire pénitence (Vie de Robert le Pieux, op. cit., p. 94-95), Oderan de Sens laisse supposer que tout lien n’était pas rompu entre Robert et Berthe et qu’un retour à la vie conjugale a même été envisagé vers 1008 : Odoran de Sens, « Chronique », dans Opera omnia, éd. et trad. R. H. Bautier, M. Gilles, Paris, 1972, a. 1031, p. 100-101. Sur l’histoire de ce couple, voir E. Santinelli, « La veuve du prince … », art. cit., p. 80 et 84, ainsi que Ead., Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 249-250 et Ead., « Mariage, compétition et genre … », art. cit. Sur le rôle de Rome, alors sous influence germanique, dans ce dossier, voir P. Corbet, Autour de Burchard de Rome …, op. cit., p. 73-75. 51 Conciles mérovingiens, Orléans III (538), c. 11, t. I, p. 238-241, et Clichy (626-627), c. 10, t. II, p. 534-535. 52 Capitulaire de Pépin III (754-755), MGH Capit. I, no 13, c. 1, p. 31. 53 Capitulaire général des missi (802), MGH Capit. I, no 33, c. 38, p. 98. 54 Capitulaire des missi (805), MGH Capit. I, no 43, c. 16, p. 122.
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comtes de recevoir toute rétribution de la part de ceux qui vivent dans l’inceste, alors qu’ils doivent les punir55. À partir du moment où les condamnations se multiplient au xie siècle, les couples ne se soumettent pas davantage aux exigences ecclésiastiques. Le mariage de Guillaume de Normandie et de Mathilde de Flandre est ainsi conclu vers 1050, malgré la condamnation du projet pour cause de parenté par le concile de Reims (1049), ce qui conduit à l’excommunication du couple comtal, mais pas à sa séparation. L’union finit néanmoins par être validée, en 1060, par le pape Nicolas II à la recherche d’une alliance avec la Normandie, moyennant la fondation par le couple des abbayes de la Trinité et de Saint-Étienne de Caen à titre de pénitence56. De même, un demi-siècle plus tard, Yves de Chartres a beau adresser deux lettres, l’une au comte Geoffroi de Vendôme et l’autre à Mathilde qui projettent de se marier, alors que celle-ci est veuve de l’un des parents de Geoffroi (au 4e et 5e degré pour Yves ; au 4e et 6e degré en fait), pour le leur interdire et les menacer, en cas de refus, de n’avoir que des héritiers illégitimes, d’encourir l’excommunication et d’être frappés d’infamie57, cela n’empêche ni le mariage en 1105, ni au fils du couple, Jean Ier, de succéder à son père au comté de Vendôme en 1145. Il est possible, comme le suggère Dominique Barthélémy que le couple et son entourage aient ensuite négocié avec l’Église, à l’image de Guillaume de Normandie et de Mathilde de Flandre et d’autres couples dans la même situation, de manière à éviter ou annuler les sanctions58. Il est vrai que la possibilité de parvenir à ce type d’arrangements contribue, avec le manque d’uniformité dans l’interprétation et l’application des règles, à expliquer que, d’une part, les élites aient continué à ne tenir qu’approximativement compte des interdits quand leurs intérêts étaient en jeu, que, d’autre part, les couples jugés « incestueux » n’aient pas été particulièrement rejetés par le reste de la société et qu’enfin, ils aient régulièrement bénéficié de la négligence, voire de la bienveillance, de certains clercs. Le plus souvent, les couples liés par des liens de parenté ne se sont conformés aux exigences des autorités ecclésiastiques que lorsque les conjoints d’un commun accord, ou l’un d’eux, y ont recouru pour rompre légalement un couple, voire ont utilisé l’argument sans même le faire valider par les clercs aux xie-xiie siècles, ce qui serait une spécificité du royaume de Francie occidentale, selon Patrick Corbet59. Pour ne prendre qu’un exemple connu mais révélateur, Louis VII et Aliénor, intéressés l’un et l’autre semble-t-il par une séparation, parviennent à faire réunir, en 1152, un concile à 55 Capitulaire de Louis le Pieux (826-827), MGH Capit. I, no 154, c. 7, p. 312 : ce chapitre reprend le canon 18 du concile de Mayence (813) promulgué en capitulaire qui avait été intégré à collection d’Anségise : I, c. 37, p. 422. Sur la justice carolingienne et les cadeaux offerts aux juges pour symboliser la reconnaissance de leur autorité, voir, R. Le Jan, « Justice royale et pratique sociales dans le royaume franc au ixe siècle », [1997], rééd. dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 149-170. 56 C. Avignon, « Les stratégies matrimoniales des premiers capétiens … », art. cit., p. 246 ; L. Musset (éd.), Les actes de Guillaume le Conquérant et de la reine Mathilde pour les abbayes caennaises, Caen, 1967, introduction, p. 13 ; F. Neveux, La Normandie …, op. cit., p. 124-128 ; S. Gondoin, Guillaume le Conquérant et les femmes, Cahors, 2012, p. 56-64. 57 Yves de Chartres, PL, no 129-130 (trad. Merlet, no 132-133, p. 241-243). 58 D. Barthélémy, La société dans le comté de Vendôme, de l’an mil au xive siècle, Paris, Fayard, 1993, p. 712-713 et 798. 59 P. Corbet, « Interdits de parenté … », art. cit., p. 108.
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Beaugency qui reconnaît, après 15 ans de mariage, leur consanguinité, ce qui entérine leur divorce60. Le discours normatif ne donne pas seulement aux autorités qui le produisent les moyens d’intervenir en matière de conjugalité, il devient aussi un outil utilisé par les couples pour répondre à leur besoin ou à celui des stratégies familiales. Le jeu des procédures judiciaires peut finir par aboutir, parfois après plusieurs années de batailles, à la condamnation d’un couple considéré jusque-là comme légitime ou à la validation d’un couple auparavant condamné, ce qui laisse ouvertes toutes les possibilités en matière de stratégies. Plus que les normes juridiques, rarement contraignantes dans les faits, ce qui ne signifie pas que l’on n’en tient pas compte, le couple subit les pressions du groupe familial dans lequel il s’insère. Contraintes familiales
Le couple est souvent le produit des stratégies familiales, en particulier dans les milieux élitaires et, garantissant une alliance ou conditionnant des droits, sa stabilité s’en trouve confortée, du fait que chacun s’attache le plus souvent à les préserver : non seulement, les conjoints se trouvent contraints de rester unis quel que soit le degré d’affinité entre eux, mais encore, parents et alliés se mobilisent pour éviter la séparation, lorsqu’elle est parfois exigée des autorités, comme nous l’avons vu, ou lorsqu’elle est envisagée pour d’autres raisons, comme le suggère Grégoire de Tours qui mentionne l’intervention de certains parents d’une femme accusée d’adultère pour l’innocenter61 ou une lettre d’Yves de Chartres qui évoque le soutien apporté par son père et son frère à une épouse menacée de répudiation62. La pression familiale peut cependant aussi parfois s’exercer aux dépens du couple. Il s’agit donc de saisir de quelle manière, ce qui permettra de mesurer le poids exercé par la parenté sur le couple et la capacité de celui-ci à y résister. La documentation qui se focalise davantage sur les individus que sur les groupes évoque assez peu explicitement ce type de pressions, mais cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas, ce dont témoignent quelques allusions. Le couple peut ainsi être victime des conflits intrafamiliaux. Si sa formation résulte le plus souvent des stratégies matrimoniales élaborées au profit du groupe familial, cela ne signifie pas que celles-ci ont été décidées à l’unanimité, les groupes étant animés autant par la solidarité que par la rivalité63. Il arrive donc que le mariage soit négocié par une partie du groupe familial contre une autre qui réplique en éliminant celui qui symbolise l’accord conclu, ce qui met fin au couple en même temps qu’à l’alliance. La Vie de sainte Rictrude, par exemple, explique que le mari de la sainte, Adalbald, est tué par ceux à qui ce mariage avait déplu, c’est-à-dire certains consanguins de 60 G. Duby, Le chevalier, … op. cit., p. 1306-1311 ; M. Aurell, « Aliénor d’Aquitaine en son temps », dans Id. (dir.), Alienor d’Aquitaine, Catalogue d’exposition, Nantes, 2004, p. 8-9 ; J. Flori, Aliénor d’Aquitaine, la reine insoumise, Paris, 2004, p. 78-80. 61 DHL, V, 32, p. 237 (trad., p. 292). 62 Yves de Chartres, PL, no 252, col. 257-258 (trad. Merlet, no 253, p. 453). Voir aussi B. Lemesles, « La séparation des époux … », art. cit., p. 189. 63 Voir en dernier lieu, M. Aurell, La parenté déchirée …, op. cit., Turnhout, 2010.
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Rictrude64. Si la vie a été écrite en 907, elle n’en a pas moins conservé la mémoire des événements qui s’inscrivent dans le contexte de la soumission de la Gascogne par le roi Dagobert au début des années 630, ce qui se traduit par l’alliance avec certaines familles aristocratiques locales, notamment par le biais de mariages65, comme ici entre Adalbald, proche du roi, et Rictrude, issue d’une famille de l’aristocratie gasconne. L’ensemble de la famille de Rictrude n’accepte cependant pas la politique de ralliement aux Francs, ou du moins la perte d’une certaine autonomie symbolisée par l’éphémère royaume d’Aquitaine qui disparait en 632 avec la mort de Caribert II, demi-frère du roi : une partie d’entre elle, qui y est opposée, profite d’une mission d’Adalbald en Gascogne, quelques années après, pour assassiner celui qui représente l’autorité franque et les velléités hégémoniques de Dagobert66. Si les stratégies politiques favorisent le plus souvent la stabilité conjugale, elles peuvent aussi conduire à sacrifier certains couples qui symbolisent une alliance, considérée ou devenue indésirable. Le couple peut ainsi aussi subir les contrecoups des retournements d’alliances, que ceux-ci soient de son fait ou de celui des parents. Au xiie siècle, Suger, qui écrit plus de 30 ans après les faits, précise ainsi que Gui de la Roche-Guyon est tué, sous les yeux horrifiés de sa femme, par son « vil beau-frère » (socer nequior)67. Nicolas Civel a montré que la famille normande de l’épouse de Gui avait ainsi puni le ralliement de celui-ci au roi capétien aux dépens du parti anglo-normand que son mariage engageait à suivre68. La parenté est donc susceptible d’exercer un contrôle tel sur le couple qu’elle peut y mettre fin lorsque celui-ci ne répond plus à ses attentes. De manière moins dramatique, il peut être fragilisé par l’évolution du rapport d’alliance et servir de moyen de pression d’un groupe sur l’autre. Selon Gislebert de Mons, en 1183, de puissants personnages de l’entourage de Philippe Auguste, parmi lesquels figurent ses oncles maternels, poussent le roi à divorcer de la reine Elisabeth/Isabelle de Hainaut, parce le père de celle-ci, Baudouin V soutient le comte de Flandre – son beau-frère – contre le roi de France – son gendre. Si Philippe Auguste ajourne sa décision, il ne partage plus le lit de la reine et ne lui rend plus le devoir conjugal, au dire du chroniqueur hainuyer proche du pouvoir comtal. L’année suivante, la reine profite de la venue de son père pour le supplier de ne plus offenser le roi en soutenant le comte de Flandre, mais de lui jurer son aide pour qu’elle puisse être à nouveau estimée du roi. Baudouin V répond au roi et à la reine – précise Gislebert
64 Vita S. Rictrudis, c. 5, col. 834 et c. 7, col. 835 (voir Annexe 2, texte no 13). 65 L. Theis, Dagobert : un roi pour un peuple, Bruxelles, 1984, p. 21. 66 Sur la soumission de la Gascogne et l’éphémère royaume d’Aquitaine confié par Dagobert à Charibert II, voir S. Lebecq, Les origines Franques, ve-ixe siècle, Paris, 1990, p. 128 ; M. Rouche, L’Aquitaine, des Wisigoths aux Arabes, 418-781 : naissance d’une région, Paris, 1979, p. 90-94 ; I. Wood, The Merovingian Kingdoms …, op. cit., p. 175. Sur les imprécisions de la chronologie des événements ayant marqué la vie de Rictrude et la discussion de celle généralement admise, voir K. Ugé, Creating the monastic past in medieval Flanders, Woodbridge, 2005, p. 105-109. 67 Suger, Vie de Louis VI …, op. cit., p. 114-117. 68 N. Civel, La Fleur de France : les seigneurs d’Ile-de-France au xiie siècle, Turnhout, 2006, p. 227-231, suivi par M. Aurell, « Rompre la concorde familiale … », art. cit., p. 33.
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qui a peut-être accompagné le comte – qu’il ferait pour eux tout ce qu’il pourrait69. Le couple peut ainsi se trouver tiraillé entre les différents groupes familiaux dont les intérêts peuvent diverger et parfois être sacrifié. Si dans le cas de Philippe Auguste et d’Isabelle de Hainaut, le couple résiste aux pressions et qu’il est même en mesure de faire à son tour pression sur l’entourage familial, cela n’est pas toujours le cas. Il arrive aussi que le couple ne survive pas à l’évolution du rapport de force au sein du groupe familial qui conduit à modifier les stratégies. C’est notamment le cas à l’occasion des successions, où le contexte en même temps que la volonté d’affirmer l’autorité acquise peuvent conduire à remettre en cause les choix parentaux, notamment sur le plan matrimonial. La Chronique de Frédégaire, rédigée vers 660, le laisse supposer pour Dagobert. Celui-ci semble avoir été contraint par son père d’épouser, en 625, Gomatrude, sœur de la reine Sichilde que Clotaire II avait prise pour épouse quelques années auparavant : ce deuxième mariage permettait au roi de renforcer l’alliance conclue avec une puissante famille neustrienne, en la renouvelant à la génération suivante. En 629, la mort de Clotaire II la remet en cause : alors que Dagobert impose son autorité dans le royaume, son demi-frère Charibert, né de la reine Sichilde, affirme ses prétentions soutenu par son oncle Brodulf qui se trouve aussi être le beau-frère de Dagobert. Dans ces conditions, la compétition pour le pouvoir se traduit, pour Dagobert, par le meurtre de Brodulf, suivi de peu par l’abandon de la reine Gomatrude70. Même si d’autres raisons ont pu entrer en ligne de compte dans cette dernière décision71, la présentation et l’enchaînement des faits tels qu’ils apparaissent dans la Chronique suggèrent que Dagobert a mis fin à ce couple parce qu’il symbolisait l’alliance avec une famille devenue rivale. Une situation quelque peu similaire se retrouve au siècle suivant : si l’on en croit Eginhard qui écrit quelques décennies après les événements, Charlemagne « après avoir, à l’incitation de sa mère (matris hortatu), pris pour épouse la fille de Didier,
69 Gislebert de Mons, c. 108, p. 152-153 (trad., p. 247-251) : (…) quia Comes Hanoniensis comiti Flandriae contra regem Francorum debitum ferebat auxilium, tamen Elisabeth Francorum regina a Francis injuste habebatur invisa. Unde, firmatis contra eam consiliis malignis, super faciendo inter regem et ipsam divortio concilium malivolorum (…) statum fuit (…) ad quod divortium praepotentes, scilicet (…) regis Francorum avunculi (…) laborabant. (…) dominus rex a malo recedens proposito, super hoc sustinuit ; sed ipsi regine in thoro et debito conjugali non communicabat. c. 109, p. 154 (trad., p. 251) : (…) Ipsa autem Elizabeth (…) patrem suum (…) oraba, ut ipse pater suus misereretur sui, et eius ejus Dominum Regem, quem diu pro comite Flandriae offenderat, vellet jurare contra comitis Flandriae versutias, ut ipsa inde apud Dominum suum et Francos carior haberetur. Comes autem Hanoniensis et ipsi reginae et ipsi Regi respondit quod quidquid posset, salva fidelitate, pro eis faceret. Voir J. Baldwin, Philippe Auguste, trad. franç., Paris, 1991, p. 38-41 (pour le mariage avec Isabelle de Hainaut et les aléas matrimoniaux, jusqu’à l’annonce par le roi de son intention de divorcer lors de l’assemblée de Senlis en 1184), p. 57-59 (pour l’influence des oncles maternels durant la décennie 1180-1190) ; Id., « La vie sexuelle de Philippe Auguste », dans M. Rouche (dir.), Mariage et sexualité …, op. cit., p. 218-219. 70 Frédégaire, IV, c. 53, p. 138-139 (pour le mariage de Dagobert et de Gomatrude) ; c. 56, p. 144-145 (pour les prétentions de Charibert soutenu par Brodulf) ; c. 58, p. 147-149 (pour le meurtre de Brodulf et l’abandon de Gomatrude). Voir I. Wood, Merovingian Kingdoms …, op. cit., p. 148-149. 71 Par exemple la stérilité du couple, que retient seul l’auteur des Gesta Dagoberti un peu plus d’un siècle et demi plus tard : voir ci-après.
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roi des Lombards, la répudia »72. Plusieurs études ont montré que, d’une part, il fallait replacer ce mariage dans le contexte des relations internationales des années 768-770, notamment entre Francs, Lombards et Papauté, que, d’autre part, la reine Berthe, veuve de Pépin III et mère de Charlemagne, avait joué dans ce cadre un rôle diplomatique de premier plan et que, enfin, l’alliance négociée était étroitement liée aux rivalités qui opposaient Charlemagne à son frère Carloman, depuis la mort de leur père (768). Or, tout porte à croire que la répudiation de la fille de Didier est associée à la mort prématurée de Carloman (771) qui ne rend plus nécessaire une alliance permettant certes de tenir le royaume de celui-ci en tenaille, mais avec le désavantage de renforcer la position du roi Lombard, en l’élevant du rang de vassal à celui de beau-frère du roi franc73. En outre, dans le cas de Charlemagne, comme celui de Dagobert, le mariage est décidé par la mère pour le premier et par le père pour le second, dans le cadre de stratégies que ceux-ci ont définies, mais qui deviennent caduques ou montrent leurs limites, peu après l’affirmation de l’autorité personnelle de leurs fils. En outre, pour ceux-ci, la répudiation de la femme choisie par leur père ou leur mère peut aussi apparaître comme un acte d’émancipation qui se traduit par la volonté d’élaborer leur propre réseau d’alliance, et donc la formation d’un nouveau couple : Frédégaire comme Eginhard lient le mariage de Dagobert avec Nanthilde et celui de Charlemagne avec Hildegarde à la répudiation de leurs épouses respectives. Même si le couple royal correspond à des réalités différentes sous les Mérovingiens et les Carolingiens, il n’en apparaît pas moins souvent étroitement dépendant des stratégies familiales qui conduisent à sa formation, mais peuvent aussi aboutir à le faire voler en éclat ou à le fragiliser. La pression familiale peut enfin s’exercer sur le couple lorsque celui-ci tarde à donner naissance aux enfants attendus. Guibert de Nogent rapporte en effet, dans son Autobiographie écrite au début du xiie siècle, qu’au bout de sept ans de mariage, son père fut convoqué par les membres de sa parenté (a suis citatus necessariis), auxquels il avoue que son mariage n’a pas été consommé, ce qui est attribué aux maléfices d’une marâtre – épouse du grand-père paternel de Guibert ? – déçue de ne pas avoir pu marier l’une de ses nièces à celui-ci. Ses parents essaient alors, par de multiples manières, de les faire divorcer, puis d’accabler sa mère pour qu’elle s’en aille « lassée par tant d’injustices ». Malgré les multiples pressions (innumerae oppressiones), visant à dissoudre le couple, sa mère supporte les injures dont on l’accablait, le couple tient bon et une vieille femme finit par mettre un terme à ces mauvais artifices74. Certes, le récit autobiographique de Guibert, qui se présente comme une confession de ses péchés, donne sa propre version des faits, qu’il a vécus ou, comme ici, qui lui ont
72 Eginhard, Vie de Charlemagne, op. cit., c. 18, p. 42-43. 73 J. Nelson, « Making a Difference in Eighth Century Politics : the Daughters of Desiderius » [1998], réimpr. dans Ead., Courts, Elites and Gendered Power in the Early Middles Ages. Charlemagne and Others, Aldershot, 2007, no X, p. 180-182 ; J. T. Hallenbeck, « Pavia and Rome : The Lombard Monarchy and the Papacy in the Eighth Century », dans Transactions of the American Philosophical Society, no 72/4 (1982), p. 119-128 et p. 137-139 ; E. Delaruelle, « Charlemagne, Carloman, Didier et la politique du mariage franco-Lombard (770-771) », dans Revue Historique, no 170/2 (1932), p. 213-224. 74 Guibert de Nogent, Autobiographie, op. cit., I, 12, p. 76-85.
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été racontés. Il témoigne en outre d’une admiration sans limite pour sa mère que certains ont qualifiée d’œdipienne, ce qui expliquerait le discours sur son père, non seulement rival, mais aussi castrateur puisque c’est lui qui l’a voué à la vie religieuse dès sa naissance. Si l’anecdote relative aux difficultés sexuelles rencontrées par ses parents peut apparaître comme une revanche littéraire de Guibert sur son père, souvent réduit à un rôle de spectateur impuissant, cela n’exclut pas qu’elle repose sur une part de vérité : elle est en tous les cas replacée dans le contexte social du xie siècle qui témoigne de la pression familiale exercée sur les couples75. Qu’elle s’appuie sur des faits réels ou non, elle met en avant un couple qui résiste à la parenté, même s’il est difficile de savoir ce qui le retient de céder. Cela peut laisser supposer que le couple, même s’il subit les pressions du groupe dans lequel il s’insère et si celles-ci sont susceptibles d’influencer son devenir, dispose parfois d’une certaine marge de manœuvre qui lui permet de refuser ce que l’on cherche à lui imposer. Ce dernier cas montre par ailleurs que l’avenir d’un couple peut être lié à sa capacité à procréer. Fécondité ou stérilité
Si aujourd’hui l’arrivée d’un enfant apparaît régulièrement, tout en participant à l’épanouissement individuel et conjugal, comme un moment critique dans la vie conjugale, du fait des réajustements nécessaires pour transformer le couple conjugal en couple parental76, au haut Moyen Âge, elle renforce incontestablement le couple qui ne se pose pas la question d’avoir ou non des enfants. L’une des conséquences de la conjugalité, si ce n’est l’un de ses buts, est, en effet, la naissance d’enfants : dans les milieux royaux et aristocratiques, c’est la perspective de perpétuer la lignée et d’avoir un héritier direct à qui transmettre l’héritage ; dans le monde paysan et artisan, c’est pour les parents celle de bénéficier d’une force de travail et de pouvoir compter sur un soutien dans leurs vieux jours, s’ils y parviennent ; pour tous, c’est la participation – consciente ou non – à la perpétuation de l’humanité77, voire le devoir
75 Sur Guibert de Nogent et son autobiographie, voir E. Nortier, « Guibert de Nogent face à la société chrétienne de son temps (v. 1055-1125) », dans Christianisation et déchristianisation, Angers, 1986, p. 63-76 ; C. D. Ferguson, « Autobiography as Therapy : Guibert de Nogent, Peter Abelard and the Making of Medieval Autobiography », dans Journal of Medieval and Renaissance Studies, no 13 (1983), p. 193-199 ; Y. Ferroul, « Mère et fils au xiie siècle : à propos de Guibert de Nogent », dans Bien dire et bien aprandre, no 9 (1991), p. 91-100 ; Id., « Devenir adulte : l’exemple de Guibert de Nogent », dans Éducation, apprentissages, initiation au Moyen Âge, 2 t., Montpellier, 1993, t. I, p. 155-164 ; N. E. Partner, « The Family Romance of Guibert de Nogent : his Story / her Story », dans J. C. Parsons, B. Wheeler (dir.), Medieval Mothering, New-York - Londres, 1996, p. 359-379. 76 C’est l’un des éléments déclencheurs de crises, mis en évidence aujourd’hui par les sociologues et psychanalystes, pouvant conduire à la rupture : A. Boyer-Labrouche, De la séduction à la perversion …, op. cit, p. 22 ; E. Widmer, « Sociologie de la famille. Un demi siècle de pluralisation des formes familiales et après ? », dans P. Servais (dir.), Regards sur la famille …, op. cit., p. 36 ; S. Hefez, D. Laufer, La danse du couple, op. cit., p. 100-101 et 188-191 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 141 et 175. 77 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 233-237 et 345 ; I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 387-389 ; D. Lett, « Enfants désirés, enfants indésirables dans la société médiévale (xiie-xive siècles) », dans L’Autre, no 3/2 (2002), p. 218.
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de descendance accompli à l’égard des ancêtres et la perspective d’accéder un jour à ce statut78. Il est ainsi quasi indispensable pour la survie du couple marital ou conjugal qu’il devienne parental. La stérilité d’un couple, « malheur biologique » qui remet en cause l’une de ses raisons d’être, le fragilise en effet nettement. Toujours attribuée à la femme du fait que la conception se fait dans son corps, ce qui n’est pas spécifique à la société du haut Moyen Âge79, elle est fréquemment une cause de répudiation80. Pour les Gesta Dagoberti (vers 830), suivis par Hucbald de Saint-Amand (en 907), Gomatrude a été répudiée par le roi Dagobert, parce qu’elle était stérile81 ; Pour Notker le Bègue (fin ixe siècle), Charlemagne a renvoyé son épouse lombarde parce qu’elle était « incapable de perpétuer sa descendance »82. Quand bien même ces décisions auraient d’autres explications, comme on l’a vu, la stérilité apparaît comme une justification acceptable et probablement acceptée par beaucoup. Quant à Raoul Glaber, il souligne que « bien que l’empereur Henri [II] sut qu’il ne pouvait avoir d’enfant de [sa femme Cunégonde], il ne la répudia pas »83, ce qui laisse supposer une attitude hors norme qui met en avant le caractère exceptionnel du souverain84. Si les sources précisent assez rarement le motif de la séparation, force est de constater que de nombreux couples stériles finissent par se séparer, même si, à partir du xe siècle, ils avancent – ou du moins la documentation qui en fait part – d’autres arguments pour pouvoir le faire, en particulier les liens de parenté : c’est notamment le cas pour Robert le Pieux et Berthe, comme nous l’avons par exemple évoqué, ou dans le milieu princier, de Geoffroi Martel et Agnès, apparentés par affinité au 3e
78 F. Hériter, Masculin/Féminin, la pensée de la différence, Paris, 1996, p. 260-261 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 173 ; C. Lévi-Strauss, « La famille », trad. fr. dans Id., Le Regard éloigné. Paris, 1983, p. 74. 79 F. Héritier, Masculin/Féminin, …, op. cit., p. 77 et p. 97. La stérilité masculine n’a été reconnue que depuis peu (ibid., p. 262) et les analyses médicales montrent aujourd’hui que dans 30 à 40% des cas, la stérilité du couple relève de la responsabilité de l’homme (ibid., p. 98). Voir aussi E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 173. 80 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 348 ; S. Wemple, Women …, op. cit., p. 59 ; J. A. McNamara, S. Wemple, « Marriage and Divorce … », art. cit., p. 100. Si le droit franc autorise la répudiation de l’épouse pour cause de stérilité (F. L. Ganshof, « Le statut de la femme dans la monarchie franque », dans La femme, dans Recueil de la société Jean Bodin, no 12 (1962), p. 31-32), les Pères de l’Église, notamment Augustin, repris par certains moralistes carolingiens, en particulier Jonas d’Orléans (II, 12, p. 418-419), l’interdisent et certains pénitentiels le sanctionnent (par exemple, celui de Finnian (vie siècle), c. 41, ou les Dits de saint Pirmin (viiie siècle), c. 1, trad. M. Vogel, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, 1969, p. 60 et 114). 81 Gesta Dagoberti I Regis Francorum, éd. B. Krusch,MGH SRM 2, c. 22, p. 408 : eo quod esset sterilis (…) reliquens. Sur les Gesta Dagoberti, voir L. Theis, Dagobert …, op. cit., p. 34-40 ; Vita S. Rictrudis, c. 3, col. 832 (voir Annexe 2, texte no 13). 82 Notker le Bègue, Gesta Karoli Magni imperatoris, éd. H. Haefele, MGH SRG, nouv. sér. 12, Hanovre, 1959, l. II, c. 17, p. 82 : ad propagandam prolem inhabilitis (…) relicta. 83 Raoul Glaber, III, 1, p. 142-143 : Ex ea etiam cernens non posse suscipere liberos, non eam propter hoc dimisit. 84 Sur ce roi reconnu comme saint, voir R. Folz, Les saints rois du Moyen Âge en Occident (vie-xiiie siècles), Bruxelles, 1984, p. 84-91. L’auteur ne retient néanmoins de la vie conjugale du roi que la légende, probablement inventée à Bamberg, qui apparaît avant 1100, d’un mariage virginal avec Cunégonde (p. 87).
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degré, mariés en 1032 et séparés vers 105085. Parfois, l’absence de procréation après plusieurs années de mariage constitue une menace pour le couple, avant qu’une naissance ne conforte sa stabilité, comme nous l’avons vu pour les parents de Guibert. De même, Janet Nelson a montré que le croisement des indications éparses sur la reine Berthe laisse supposer que c’est parce qu’une descendance tardait à arriver que Pépin III faillit la répudier86. L’hagiographie évoque d’ailleurs parfois les craintes de certaines femmes lorsqu’elles tardent à concevoir, à l’image de Salaberge venue à Saint-Remi de Reims, au dire de sa vita rédigée à la fin du viie siècle, pour solliciter avec foi et inquiétude (anxie) du Seigneur qu’il mette fin à une longue stérilité (diuturna sterilitas)87. Les enfants, une fois nés, ne peuvent empêcher la séparation de leurs parents, mais ils contribuent néanmoins au lien qui les unit, comme le rappelle Fortunat dans le poème qu’il adresse à Chilpéric et Frédégonde pour les consoler de la mort de deux de leurs fils et qu’il conclut en leur demandant d’espérer dans le tout puissant : celui-ci pourra leur rendre un fils « qui se glissant au cou de ses parents comme un lien entre vous (medius vestri) procurera de longues joies (…) »88. C’est aussi l’image reprise, à la fin du xiie siècle, par l’enlumineur de la Troisième Vie de saint Amand, qui illustre le début de la vita (fol. 79vo), soulignant la naissance illustre du héros ayant pour père Sérénus et pour mère Amantia89 (illustration 1). Amand, enfant, y est représenté entre ses deux parents qui lui tiennent la main ou l’épaule, alors que lui, touchant sa mère comme son père, fait le lien entre eux. Au-delà de l’image qui peut renvoyer à certaines scènes de la vie familiale, empreinte de tendresse90, l’enfant contribue à renforcer l’union de ses parents. D’ailleurs, dans certains cas, c’est la procréation qui conduit à transformer un couple conjugal en couple marital : ainsi en est-il, comme nous l’avons vu, des rois mérovingiens qui promeuvent certains couples féconds formés avec des femmes de la domesticité, de Lothaire II qui privilégie Waldrade dont il a un fils aux dépens de Theutberge dont il n’arrive pas à en avoir, ou des élites masculines qui s’efforcent aux xie-xiie siècles
85 Le premier mari d’Agnès de Bourgogne, Guillaume V d’Aquitaine, est cousin issu de germain de Geoffroi Martel : voir L. Halphen, Le comté d’Anjou au xie siècle, Paris, 1906, p. 56-57 (pour le mariage) et p. 61 (pour la séparation). Sur le remariage d’Agnès, voir E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 250-251. Sur la séparation du couple, probablement parce que l’union est restée stérile, même si ce n’est probablement pas la seule raison après 18 ans de mariage, plutôt que du fait de possibles pressions ecclésiastiques, même si la documentation laisse supposer une intervention de l’Église : voir la synthèse récente du dossier documentaire et bibliographique de B. Lemesle, « La séparation des époux … », art. cit., p. 182-183. 86 J. Nelson, « Bertrada » [2004], réimpr. dans Ead., Courts, elites, …, op. cit., no IX, p. 97. 87 Vie de sainte Salaberge, op. cit., c. 11, p. 55 (trad. p. 664). 88 Fortunat, Poèmes, IX, 2, t. 3, p. 21. 89 L’auteur, Philippe, abbé de l’Aumône, retouche le style mais pas les faits des deux versions antérieures de la vita (par Baudemond d’Elnone et Milon) : Histoire littéraire de la France par les religieux de Saint-Maur, t. 14, Paris, 1817, p. 177-178. L’origine illustre et le nom des parents de saint Amand sont évoqués dans la Vita Amandi prima (BHL 332), c. 1, éd. B. Krusch, MGH SRM 5, p. 431. 90 D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., p. 203-204 ; D. Alexandre-Bidon, D. Lett, Les enfants au Moyen Âge, ve-xve s, Paris, 1997, p. 99-102 et p. 105-110 ; I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 413-416 et p. 430-448.
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Illustration 1 : Saint Amand et ses parents, Sérénus et Amantia, Troisième vie de saint Amand, Valenciennes - BM - ms. 0500 (v. 1175), fol. 53
d’obtenir la légitimation de certains couples de manière à faire reconnaître comme héritiers les enfants qui en sont nés. Si les couples sont incapables de prévoir si leur union sera féconde ou stérile (ce qui est évalué aujourd’hui à 10% des couples dans le monde), ils ne sont pas plus en mesure de connaître leur degré d’affinité. Amour ou mésentente
Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, les couples choisissent de se former parce qu’ils s’aiment. Pour autant, l’amour étant un sentiment fragile et fluctuant, ce n’est pas une garantie de durabilité91 et il faut donc d’autres éléments pour que les couples parviennent à surmonter ces fluctuations et donc à durer92. On sait en effet que la passion originelle évolue progressivement en une conjugalité aimante, basée sur la tendresse, l’estime et l’attachement, à moins qu’elle ne s’éteigne et, devenue
91 D. Simard, L’amour …, op. cit., p. 21-22 ; H. Hefez, D. Laufer, La danse du couple, op. cit., p. 11-12 et p. 53. 92 J. C. Bologne, Histoire du couple, op. cit., p. 266 ; P. Jonckheere, L’union conjugale. Phénoménologie d’un défi, Paris, 2007, notamment p. 48, 61 et 85.
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désamour, conduise à des crises multiformes93 qui entrainent des séparations de plus en plus fréquentes94. Au haut Moyen Âge, dans bien des cas et notamment dans les élites, les conjoints ne se choisissent pas, ce qui peut aboutir à l’indifférence, voire au conflit, mais n’empêche pas non plus la naissance d’une affection que forge la vie quotidienne partagée. Si le point de départ diffère entre hier et aujourd’hui, le point d’arrivée n’est pas forcément différent. Or, si le couple altimédiéval dépend, comme nous l’avons vu, des stratégies familiales qui se soucient peu des sentiments, ne peut-on supposer que ceux-ci puissent contribuer à expliquer, selon leur nature, que les conjoints se soumettent ou, au contraire, résistent à certains choix qui les concernent ou encore qu’ils saisissent plus ou moins facilement les opportunités qui se présentent et impliquent une séparation ? Il est vrai qu’il est difficile de percevoir précisément les sentiments, peu évoqués d’ailleurs, dans un discours qui est toujours construit. On essaiera néanmoins, à partir des références les plus explicites, d’évaluer leur poids dans la solidité du couple. Quelques sources narratives, poétiques, épigraphiques, voire diplomatiques évoquent des couples qui s’aiment, voire l’amour que ressent un individu pour son conjoint. La notion, comme la terminologie qui lui est associée, peut cependant recouvrir des réalités diverses95. Ainsi, selon Grégoire de Tours, Théodebert se prit d’amour (amor) pour Déoteria qu’il abandonne quelques temps après96, le roi Clotaire aimait Ingonde d’un amour exclusif (unico amore diligeret), avant de s’enflammer d’amour (in amore incedit) pour sa sœur Arégonde97 et Charibert s’éprit d’un grand amour (in amore valde detenebatur) pour deux jeunes filles au service de sa femme98. L’image de l’amour ressenti par les premiers rois mérovingiens pour certaines de leurs conjointes, tel qu’il est évoqué par Grégoire de Tours, apparaît donc des plus fugaces, lié à des pulsions immédiates et passagères qui conduisent davantage l’auteur à expliquer le début d’une liaison, voire le mariage, qu’à caractériser une relation conjugale. En revanche, Chilpéric se distingue par la persistance de son amour (amor) pour Frédégonde, toujours profond alors qu’il est marié à Galswinthe, ce qui n’est pas pour autant valorisé par Grégoire de Tours puisqu’il en fait notamment la cause première de l’assassinat de celle-ci, que le roi aimait aussi d’un grand amour (in magno amore dilegebatur) pour les grands trésors qu’elle avait apportés, précise-t-il99.
93 Entre autres, D. Simard, L’amour …, op. cit., p. 21-35 ; P. Jonckheere, L’union conjugale …, op. cit., p. 19-30 ; J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, op. cit., p. 59-77 ; E. Smadja, Le couple …,op. cit., p. 124-127 et p. 153-155. 94 D. Simard, L’amour …, op. cit., p. 9. 95 A. Guerreau-Jalabert, « Amour et amitié dans la société médiévale : jalons pour une analyse lexicale et sémantique », dans L. Jégou et al. (dir.), Splendor reginae …, op. cit., p. 281-289. Voir aussi chapitre 3. Plus généralement, sur les émotions, leur expression et leur représentations, dans leur diversité et leurs évolutions, devenues récemment objets d’études, notamment historiques, voir entre autres P. Nagy, D. Boquet (dir.), Le Sujet des émotions au Moyen Âge, Paris, 2008 ; D. Boquet, D. Lett (dir.), Le genre des émotions, dans Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 47 (2018). 96 DLH, III, 22, p. 122 (trad., p. 167) et III, 27, p. 124 (trad., p. 169). 97 DLH, IV, 3, p. 136 (trad., p. 182). 98 DLH, IV, 26, p. 157 (trad., p. 207). 99 DLH, IV, 28, p. 160 (trad., p. 210).
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Néanmoins, comme la suite du récit montre que le couple formé avec Frédégonde perdure jusqu’à l’assassinat du roi en 584, malgré les aléas de la vie, notamment la mort de leurs fils et une accusation – si tant est que celle-ci soit réelle – d’adultère portée contre la reine100, alors que Chilpéric n’est pas du genre à s’encombrer d’une femme qui ne lui convient pas et que, Frédégonde étant issue de la domesticité, il n’est retenu par aucune contrainte politique, il n’est pas impossible que cet amour ait été réel et qu’il explique la durée du couple. La perception négative de l’amour chez les rois mérovingiens qui ressort des Dix livres d’Histoires n’exclut pas que Grégoire de Tours puisse envisager l’amour conjugal de manière positive dans son œuvre hagiographique, comme nous le verrons101. Les siècles suivants offrent aussi des témoignages ponctuels de couples qui se sont aimés tout au long de leur vie conjugale. Au ixe siècle, de la lettre qu’Eginhard, douloureusement atteint par la mort de son épouse, lui envoie, Loup déduit la « grandeur de l’amour » (magnitudo amoris) que son ami a conçu pour elle102. Il s’agit certes de l’échange d’une correspondance entre deux érudits qui mettent en avant leurs talents littéraires, mais ils font aussi allusion à des réalités quotidiennes qui laissent supposer une souffrance réelle d’Eginhard et les sentiments profonds qui ont animé la relation du couple, y compris après avoir opté pour une cohabitation chaste à Seligenstadt103. De même, dans le poème que Goda, aristocrate du début du ixe siècle, rédige pour la pierre tombale de son défunt mari, Godemar de Melle, elle rappelle qu’ils se sont aimés charnellement (corporaliter diligere) en cette vie104. Il est vrai que le genre de l’épitaphe conduit davantage à vanter les bienfaits d’une relation qu’à en évoquer les dysfonctionnements, mais Goda aurait pu retenir des formules d’une plus grande banalité. Composant manifestement son poème avec une certaine liberté, son choix peut donc s’interpréter, comme le fait Cécile Treffort, comme « un émouvant hommage à leur amour conjugal »105. Moins explicites, les Annales royales précisent néanmoins que Charlemagne et Fastrade sont mutuellement réjouis et heureux (ad ibidem gaudentes et laetificantes) de se retrouver à Worms en 787, après une longue absence du roi106 et Janet Nelson a suggéré d’expliquer le choix de Francfort en 794 comme lieu de rassemblement pour l’assemblée des
100 DLH, V, 34, p. 240 (trad., p. 296) et V, 49, p. 260-261 (trad., p. 320-321). 101 Voir chapitre 3. 102 Loup de Ferrières, Correspondance, éd. et trad. L. Levillain, 2 t., Paris, 1964, no 3 (janv.-mars 836), t. I, p. 13-19 et no 4 (avril 936), t. 1, p. 33-34. Voir Annexe 2, textes no 9. 103 voir E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 45-46. Eginhard s’est retiré vers 830, dans l’abbaye de Seligenstadt qu’il a fondée en 828, où Il y vit religieusement, sans avoir fait vœu monastique, et chastement avec sa femme. Sur Eginhard, voir A. Teulet, « Notice sur Eginhard », dans Id., Oeuvres complètes Eginhard, t. I, Paris, 1840, p. i-xc, et plus récemment la notice de P. Depreux, Prosopographie …, op. cit., no 82, p. 177-182, qui ne mentionne cependant pas Emma. 104 Épitaphe éditée et traduite par C. Treffort, Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre genre littéraire, célébration mémorielle et manifeste politique (milieu viiie-xie siècle), Rennes, 2007, p. 115-116 et Ead., « Adda, Goda et les autres. Réflexions autour de quelques grandes dames du Poitou (début ixe - début xie siècle) », dans L. Jegou et al. (dir.), Splendor reginae …, op. cit.,p. 246. 105 C. Treffort, « Adda, Goda et les autres … », art. cit., p. 246. 106 Annales royales, a. 787, p. 76.
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grands, par le désir du roi de rester aux côtés de la reine gravement malade. S’il n’est pas explicitement question d’amour, ne peut-on supposer qu’il puisse justifier le bonheur partagé du couple, voire expliquer l’association plus étroite de Fastrade à l’exercice du pouvoir, ainsi que la durée du couple, bien qu’aucun fils n’en soit né107 ? Il est possible que le souhait formulé par Fortunat (vie siècle) à Launebode et sa femme Beretrude qu’ « un amour (amor) plus fort chaque jour resplendisse pour tous deux », ainsi qu’à Sigebert et Brunehaut que leur « amour (amor) grandisse soudé par un lien vivant »108, comme la conclusion de la deuxième épitre d’Ermold à Pépin (ixe siècle), auquel est associée son épouse Ringart, sur « Vivez heureux, pour longtemps, en conjoints »109, traduisent la conscience que l’amour renforce le couple, en lui permettant à la fois de durer et de s’affirmer socialement. Vers 1200, dans un contexte intellectuel plus sensible à la question de l’amour110 et ouvert à une production qui est moins exclusivement ecclésiastique, la Chanson de Raoul de Cambrai, qui mêle traditions orales et écrites, poésie et réalités contemporaines, diverstissement et réflexion, n’offre, sur ce plan, pas d’autre discours aux élites laïques et chrétiennes auxquelles elle est destinée : elle oppose le couple formée par Bernier et Béatrice qui s’aime (v. 5494-5495, 5652-5653) et se débat pour être réuni malgré les épreuves, et celui de Béatrice et Herchambaut auquel, après la rumeur de la mort de Bernier, celle-ci a été remariée de force, qu’elle n’aimera jamais (v. 7022), qu’elle a rendu impuissant pour ne pas déshonorer son premier mari (v. 7062) et qu’elle quitte dès qu’elle le peut111. Plus souvent néanmoins, la documentation, sans parler explicitement d’amour ni même d’affection, évoque des gestes de tendresse entre mari et femme qui constituent – ce que d’autres ont déjà souligné – « autant de signes extérieurs d’un apparent attachement entre conjoints » : soin en cas de maladie, inquiétudes et pleurs lorsque l’autre est en danger, gestes mutuels de protection et de défense, recours aux saints pour guérir l’autre, etc.112 témoignent de la volonté de certains couples de rester unis pour affronter les aléas de la vie et contribuent à les faire durer. Parfois, il arrive que l’on ait un peu plus de précisions sur les situations, à l’image d’une notice, datée des années 1032-1084, relative à Otbert dont le statut est contesté par le monastère de Marmoutier : elle précise qu’Otbert doit se reconnaître serf de saint Martin et, comme son épouse Plectrude qui est libre, refuse de s’en séparer (nolens dimittere virum suum), elle doit faire de même113. Même s’il est impossible
107 Sur Fastrade et ses relations avec Charlemagne, voir J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 127 et 129 ; Ead., « The Siting of the Council at Frankfort : some Reflexion on Family and Politics », dans R. Berndt (dir.), Das Frankfurter Konzil von 794, Mayence, 1997, p. 157-162. 108 Fortunat, Poèmes, respectivement II, 8, t. I, p. 63 et VI, 1, t. II, p. 50. 109 Ermold le Noir, p. 233 : Vivites felices per tempora longa, jugales. 110 M. Aurell, Le chevalier lettré …, op. cit., p. 365-403. 111 Raoul de Cambrai …, op. cit., laisses 286-318, p. 420-471. 112 I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 361 ; S. Wemple, Women …, op. cit., p. 57 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 42-46, 63-65 et 80-86 ; D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., p. 179-181 ; E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 108-121. 113 Le livre des serfs de Marmoutier, éd. A. Salmon, Tours, 1864, no 108 (1032-1084), p. 101-102.
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de savoir exactement ce qui retient Plectrude auprès de son mari au point de perdre sa liberté, comme lui-même l’avait d’ailleurs perdu en épousant d’abord une ancilla, morte ensuite, il n’est pas exclu qu’il faille en rechercher la raison du côté des liens affectifs partagés par les époux. Si l’affection réciproque contribue à la solidité du couple, la désaffection le fragilise et peut conduire à la rupture. Plusieurs modèles de libellum repudii, rédigés aux viieviiie siècles, justifient la séparation par la discorde qui règne entre les époux114. C’est du moins l’argument qui est dans ce cas avancé à une époque où, dans la continuité des pratiques romaines, la répudiation et le divorce sont autorisés115. Les autres types de sources évoquent néanmoins parfois quelques affaires qui lui donnent quelque consistance. À la fin du vie siècle, Grégoire de Tours explique que c’est parce que son mari Eulalius la négligeait et qu’il lui infligeait souvent des coups très violents que Tétradie finit par le quitter116. Même s’il évoque la condamnation dont elle fait l’objet plus tard par un concile qui dénie la légitimité de son second mariage, il justifie, en insistant sur les nombreux crimes d’Eulalius (il est en plus matricide, assassin, ravisseur)117, le geste de Tétradie et témoigne que ce type de situation était possible. Son contemporain Fortunat évoque, quant à lui, les disputes (rixae) entre Radegonde et Clotaire Ier, celui-ci s’irritant que son épouse se comporte davantage comme une moniale qu’une reine. Fortunat qui cherche à souligner la piété de la reine qui, même mariée, a l’esprit tourné vers Dieu, insiste sur sa patience : elle supporte vertueusement les reproches du roi. Il évoque certes des périodes de réconciliation, où Radegonde parvient à calmer le roi, voire où celui-ci cherche à se faire pardonner en lui offrant des cadeaux (munera)118, mais il laisse néanmoins supposer que les phases de désaccord l’emportent nettement. Si la séparation du couple est liée aux événements de Thuringe, il n’est pas impossible que la mésentente entre les époux y ait aussi contribué, ce qui expliquerait notamment que Clotaire ait accepté que la reine quitte la cour, sans exclure qu’il y ait trouvé aussi d’autres avantages119. À la fin du xe siècle, Richer avance, quant à lui, sans ambigüité, comme explication de la séparation de Louis V et d’Adélaïde le fait que leur désaccord devient insupportable, ce qu’il attribue notamment à leur différence d’âge – Adélaïde étant deux fois plus âgée que Louis V – et à des caractères contraires120. Il faut cependant reconnaître
114 MGH Form., Marculf (viie siècle), II, 30, p. 94 ; Turonenses (viiie siècle), no 19, p. 145 ; Senononses (viiie siècle), no 47, p. 206 ; Merkelianae (viiie siècle), no 18, p. 248. 115 R. G. Hopital, Les causes du divorce … op. cit.,p. 6-19 ; J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 40 et p. 79-80. 116 DLH, X, 8, p. 489 (trad., t. II, p. 268). Voir Annexe 2, textes no 3. 117 DLH, X, 8, p. 489-491 (trad., t. II, p. 267-270) (voir Annexe 2, textes no 3). Sur cet épisode, voir E. Santinelli, « Quand les femmes sont traîtres … », art. cit., p. 160-161. 118 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 5, p. 68-69 et c. 7, p. 70-71. 119 Ibid., c. 12, p. 74-75. Sur Radegonde, voir C. Thiellet, Femmes, reines et saintes …, op. cit., p. 22, 233, 248 et 258. 120 Richer, III, 94, t. II, p. 120. Voir S. Joye, E. Santinelli, « Le couple … », art. cit., p. 10-16.
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que la question de la mésentente conjugale apparaît peu dans la documentation121 : peut-être, était-elle moins fréquente, du fait que les attentes affectives étaient moins fortes qu’aujourd’hui122 ? Peut-être y prêtait-on peu attention, du fait à la fois de la volonté plus ferme à partir de l’époque carolingienne d’imposer l’indissolubilité quelle que soit l’entente des conjoints et de la priorité accordée aux stratégies familiales sur l’affinité conjugale ? Le moine Pierre de Maillezais, qui écrit vers 1070, détaille néanmoins avec un peu plus de précision la discorde qui oppose un siècle auparavant Guillaume IV d’Aquitaine et sa femme Emma parce qu’elle a des répercussions sur l’histoire de son monastère. Il explique que lorsqu’Emma est informée de la rumeur d’adultère du duc avec la femme du vicomte de Thouars : aussitôt elle commença à se montrer désagréable pour son mari et à lui reprocher journellement le mépris qu’il lui avait témoigné. Celui-ci, impatient de se disculper, multipliait les discours mais quand il se fut rendu compte qu’il ne pouvait, par ses seules paroles, apaiser la futilité féminine, il décida de s’opposer aux plaintes de son épouse en faisant la sourde oreille123. [Après qu’Emma soit repartie chez les siens, puis revenue à la demande de son mari] (…) Les deux époux se querellent à nouveau, et l’épouse s’entend menacer de nombreuses peines. (…) À nouveau, elle s’enfuit124. Ce récit n’est pas pure invention, puisque les démêlés du couple (entre 977 et 996), notamment les séparations, et leurs conséquences, en particulier patrimoniales, sont confirmés par les actes diplomatiques. Or, l’auteur propose d’expliquer les deux séparations de longue durée (plusieurs années) par un argument qui doit être plausible pour ses contemporains, à savoir les querelles conjugales en général et l’adultère de l’époux en particulier (que celui-ci soit réel, supposé ou inventé). Si, dans le cas du couple ducal d’Aquitaine, on considère aujourd’hui que sa vie conjugale mouvementée est liée à la compétition acharnée qui oppose le comte de Blois (frère d’Emma) au comte d’Anjou (intégré au réseau d’alliance du duc d’Aquitaine), et à ses aléas125, cela n’exclut pas qu’ils aient aussi été favorisés par des tensions, plus ou moins latentes, au sein du couple, ce qui expliquerait qu’Emma ait privilégié les stratégies de ses
121 Pour la fin du Moyen Âge, Danièle Alexandre-Bidon et Monique Closson en ont repéré davantage de traces dans les sources écrites et iconographiques, même si leur étude s’intéresse aux violences conjugales (et non à la mésentente) et qu’elles soulignent que cette question reste marginale dans le corpus analysé. Elles ne s’intéressent pas aux conséquences de ces gestes pour le couple, mais elles montrent néanmoins que les représentations qui en sont données permettent de « tirer en négatif la listes des qualités requises pour faire d’une union un mariage idéal » : D. Alexandre-Bidon, M. Closson, « L’amour à l’épreuve du temps : femmes battues, maris battus, amants battus à travers les manuscrits enluminés (xiiie-xve siècle) », dans D. Buschinger, A. Crépin (dir.), Amour, mariage et transgressions au Moyen Âge, Göppingen, 1984, p. 493-514. 122 D. Simard, L’amour …, op. cit., p. 9-11. 123 Chronique de Maillezais, I, B, p. 102-103. 124 Ibid., I, E, p. 112-113. Sur ce couple, voir E. Carpentier, « Un couple tumultueux … », art. cit., p. 203-215. 125 Chronique de Maillezais, n. 174, p. 177 ; E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 87-89.
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consanguins à son couple. Or, si l’on en juge l’avertissement implicite donné par le moine Pierre, les cas de mésentente conjugale ne devaient pas être rares : le peuple de tout le pays avait fini par prendre en horreur l’interminable colère du duc à l’égard de son épouse et ne cessait de répéter que, tant que la comtesse avait vécu à ses côtés, elle avait enveloppé le monde d’une surabondance de biens qui avait reculé au moment de sa fuite126. C’est un moyen d’inviter, plus généralement, les aristocrates masculins à réfléchir sur les dangers de la séparation, pour leur vie personnelle comme pour l’exercice de leur autorité, et donc à se méfier de ce qui pourrait les susciter. Guillaume IV d’Aquitaine finit d’ailleurs, alors qu’il est gravement malade, par supplier sa femme de revenir et par reconnaître ses tords127. Si la mésentente seule aboutit probablement rarement à une séparation définitive, elle apparaît, transformée en haine, comme un argument parfois avancé pour expliquer la rupture violente d’un couple par élimination du conjoint détesté. À la fin du vie siècle, Grégoire de Tours rapporte le cas de l’épouse d’Ambroise qui haïssait son mari (marito exoso) et le fait assassiner par son amant128. Le geste est destiné à souligner la débauche de ce couple de meurtriers, dont ce n’est pas le seul crime, en même temps que la punition de la victime qui avait empêché son frère d’entrer dans la cléricature, mais, s’il est stigmatisé, il est présenté comme plausible, ce qui peut laisser supposer la réalité de telles pratiques, sans qu’elles soient pour autant forcément fréquentes. De même, à la fin du xie siècle, Drogon, moine de Saint-Winock de Bergues, contemporain des faits, raconte dans la Vie de sainte Godelive, comment le fiancé de celle-ci, Bertholf, se met à la haïr avant même de l’avoir ramenée chez lui (c. 2), ordonne de la maltraiter une fois marié (c. 4-5 et 7-8) et finit par organiser son assassinat (c. 9-12)129. S’il est difficile de connaître précisément les causes des aventures malheureuses de ce couple, dont le mariage semble lié aux rivalités qui opposent le comte de Boulogne (probablement seigneur du père de Godelive) au comte de Flandre (seigneur de Bertholf) et susciter des conflits intra-familiaux, le fait que cette histoire ait servi à donner des leçons sur le mariage (affaire de famille, indissoluble) et la conjugalité (cohabitation dans la concorde, soumission de l’épouse à son mari) laisse supposer que les tensions entre époux – qu’elles résultent d’incompatibilité d’humeur ou de pressions familiales – ne devaient pas être rares, même si une fin dramatique est très 126 Chronique de Maillezais, I, B, p. 106-107. 127 Ibid., I, E, p. 114-115. 128 DLH, VI, 13, p. 283 (trad., t. II, p. 31). Grégoire de Tours revient sur l’amant meurtrier, Vidaste, ses nombreux crimes et la vengeance divine qui le punit pour cela, en VII, 3, p. 327-328 (trad., p. 80-81). Sur cet épisode, voir E. Santinelli, « Quand les femmes sont traîtres … », art. cit., p. 161. 129 Drogon de Bergues, Vita sanctae Godeliph (BHL 3592), éd. M. Coens, « La vie ancienne de sainte Godelive de Ghistelles par Drogon de Bergues », Analecta Bollandiana, 44, (1926), p. 125-137 (trad. angl. B. L. Venarde, « Drogo of Sint-Winoksbergen, Life of St. Godelieve », dans T. Head (dir.), Medieval Hagiography. An Anthology, New York, 2001, p. 363-373). Voir sur le texte et son auteur, M. Coens, « la vie ancienne … », art. cit., p. 102-125 ; B. L. Venarde, « Drogo … », art. cit., p. 359-361 ; sur le discours, G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1260-1264 ; E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 78-79 et 86-87.
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probablement exceptionnelle. Le meurtre du conjoint est néanmoins attesté par d’autres sources, même si la cause n’est pas toujours précisée : le capitulaire de Worms (829) évoque le cas des maris ayant tué leurs femmes et le concile de Meaux-Paris (845), promulgué par capitulaire, la situation inverse130. Plusieurs annales et chroniques angevines évoquent en l’an mil la mise au bucher d’Elisabeth par son mari Foulques Nerra. Là encore, le geste est justifié par l’adultère (réel ou prétendu) de la comtesse, ce qui peut être lié à la mésentente du couple, mais Olivier Guillot a montré que le comte d’Anjou, resté célèbre pour sa violence, s’était débarrassé de sa femme au moment où l’alliance avec la maison de Vendôme dont elle était issue n’avait plus de sens131. L’événement est cependant digne d’être noté parce qu’il est peu fréquent et force est de constater que les sources enregistrent peu de meurtres du conjoint. Il est possible que les pressions familiales, comme celles des autorités, lorsqu’elles visaient à mettre fin au couple, aient conduit à sa dissolution, par la séparation, voire l’assassinat, quand l’indifférence, voire l’aversion, entre les époux ne les poussaient pas à poursuivre la vie commune, voire invitaient l’un ou l’autre à y mettre fin, mais que lorsqu’il y avait entente, voire attachement, le couple ait cherché à préserver son existence en leur résistant. Pour la fin du Moyen Âge davantage éclairée, les registres d’officialité et les lettres de rémission évoquent parmi les arguments mis en avant pour solliciter ou justifier une séparation les discordes conjugales, avec les violences qui peuvent en découler. Les spécialistes de la question ont cependant déjà souligné les limites de ces données. D’une part, il n’est pas toujours facile de faire la part entre ce qui est avéré et ce qui relève de l’argumentaire juridique recevable. D’autre part, le couple est rarement seul à intervenir et subit la pression des proches, voire des autorités, en faveur tantôt de l’union tantôt de la désunion. Enfin, les procédures juridiques, dans lesquelles seule une minorité de couples se trouve engagée, ce qui n’exclut pas qu’ils soient beaucoup plus nombreux à souffrir de mésentente réelle, en laissent dans l’ombre une majorité pour lesquelles la vie conjugale était nettement plus paisible, à défaut d’être véritablement épanouie132. Le couple se trouve donc au centre d’un réseau de forces tantôt centrifuges, tantôt centripètes, susceptibles d’évoluer dans le temps dans un sens comme dans l’autre :
130 Capitulare pro lege habendun wormatiense, c. 3, MGH Capit. II, no 193, p. 18 ; concile de Meaux-Paris (845), c. 69, MGH Capit. II, no 293, p. 394. Voir aussi R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 284 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 40-41. 131 Les Annales de Saint-Aubin d’Angers et celles de Saint-Florent enregistrent la date de l’événement (respectivement a. 1000 et a. 999), éd. L. Halphen, Recueil des annales angevines, Paris, 1903, p. 3 et 117. L’histoire de Saint-Florent de Saumur précise que Foulques Nerra a fait brûler Elisabeth pour cause d’adultère : éd. P. Marchegay, E. Mabille, Chronique des églises d’Anjou, Paris, 1869, p. 260. Voir aussi O. Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage au xie siècle, Paris, 1972, 2 t., t. I, p. 25 et n. 129. 132 J. P. Lévy, « L’officialité de Paris et les questions familiales à la fin du xive siècle », dans Études d’histoire du droit canonique dédiées à Gabriel Le Bras, 2 t., Paris, 1965, t. II, p. 1278 ; C. Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., p. 573-612 ; V. Beaulande, « Rompre le lien conjugal en Champagne à la fin du Moyen Âge », dans E. Santinelli (dir.), Répudiation …, op. cit., p. 205-206 ; M. Charageat, « Modalités et conditions du divorce en Aragon aux xve-xvie siècles », dans ibid., p. 248-251 ; A. Dubois, « Quitter son époux à la fin du Moyen Âge », dans Histoire & Sociétés rurales, no 45 (1er semestre 2016), p. 7-42 ; J. C. Bologne, Histoire du couple, op. cit., p. 162-168.
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si de nombreux facteurs contribuent à la stabilité du couple (discours en faveur de l’indissolubilité, alliance entre deux familles, descendance, attachement), d’autres le fragilisent et peuvent conduire à sa séparation (condamnation des conjoints apparentés, évolution du système d’alliance, stérilité, mésentente). Il s’agit désormais de mesurer comment cela se traduit sur un plan démographique.
Précarité et instabilité du couple Alors qu’aujourd’hui, on oppose souvent l’instabilité des couples actuels qui n’hésitent pas à se séparer dès qu’ils ne parviennent pas à dépasser une crise, aux unions obligatoirement stables et durables d’autrefois133, l’analyse de la documentation du haut Moyen Âge témoigne d’une image quelque peu différente de la conjugalité. D’une part, si, comme nous l’avons vu, certains facteurs contribuent incontestablement à la stabilité des couples, cela ne signifie pas pour autant que leur durée de vie soit très longue. D’autre part, dès que les nécessités l’exigent, en particulier dans les élites, les individus n’hésitent pas à abandonner un couple pour en reformer un autre. Enfin, la perte d’un conjoint, quelle qu’en soit la raison, se traduit le plus souvent par l’union relativement rapide avec un autre. Il en résulte le sentiment d’une grande précarité et instabilité du couple qu’il convient de préciser mais aussi de discuter : peut-on évaluer la durée moyenne de la vie conjugale, ce qui ne peut manquer d’intervenir dans la construction du couple ? La pluralité des expériences conjugales, qui a des conséquences sur la perception de chaque couple comme sur la vie conjugale, est-elle fréquente ? L’image donnée par la documentation est-elle un effet déformant ou le reflet de la réalité ? Des expériences conjugales souvent courtes
Évaluer la durée de la vie conjugale n’est pas des plus simples pour le haut Moyen Âge qui dispose de peu de données chiffrées, mais il peut être instructif de s’y risquer et de proposer quelques hypothèses dans la mesure où c’est un élément susceptible d’influencer les relations conjugales. Le temps est, en effet, aujourd’hui parfois considéré comme « ennemi du couple », la routine transformant la passion en ennui134 et les difficultés du quotidien démultipliant les occasions de crise. Il permet néanmoins aussi l’apprentissage de la vie à deux et le renforcement de la solidité du couple lorsqu’il parvient à dépasser les crises135. Cela conduit à tenter d’évaluer, pour le haut Moyen Âge, le rapport du couple au temps, tout en ayant conscience que nos données dépendent pour une large part du hasard des informations ponctuelles fournies par les sources, notamment pour les vie-ixe siècles. À partir de l’époque carolingienne, les indications deviennent un peu plus précises pour les
133 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 153. 134 D. Simard, L’amour …, op. cit., p. 33-35. 135 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 152-155.
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couples royaux, et à partir du xe siècle, pour les élites aristocratiques, ce qu’il faut lier – nous y reviendrons – à l’association plus étroite de l’épouse à l’exercice du pouvoir, conduisant à des mentions plus fréquentes. Les sources témoignent ponctuellement de la longévité des couples, qui apparaît souvent très faible, à l’image de Fortunat qui évoque, à la fin du vie siècle, dans l’épitaphe qu’il rédige pour Vilihute, que celle-ci est morte après trois ans de vie conjugale136. Un siècle plus tard, la Vie de Salaberge précise que le premier mari de la sainte est « arraché par la mort aux affaires du siècle après à peine deux mois de mariage »137. À la fin du viiie siècle, l’épitaphe de la reine Hildegarde rédigée par Paul Diacre évoque son union avec Charlemagne pendant 12 ans138. Richer souligne à propos de Louis V et d’Adélaïde qu’au bout de deux ans de mariage, « leur désaccord devint tel qu’un divorce ne tarda pas à s’en suivre »139. Lorsque certaines lettres ou poèmes s’achèvent par le souhait que le destinataire vive de longues années avec son conjoint, il ne s’agit pas que de rhétorique, inspirée notamment par le discours ecclésiastique sur l’indissolubilité, mais d’un vœu qui tient compte des réalités démographiques. C’est le cas de Fortunat, au vie siècle, quand il fait l’éloge de Palatina – épouse du duc Bodegisèle –, de Mummolenus, ou de Gondoaire140. C’est aussi la conclusion choisie, au ixe siècle, par Ermold le Noir pour sa deuxième épitre adressée à Pépin : « Vis une longue vie auprès de ta belle épouse Ringart. (…) Vivez heureux, pour longtemps, en conjoints (…) »141. Pour les élites royales, puis princières à partir du xe siècle, les données biographiques et chronologiques, plus nombreuses, permettent de préciser les choses. Les généalogies de plusieurs dynasties ont ainsi été reconstituées et figurent en annexe. Le croisement des indications ponctuelles a permis d’établir la durée de vie conjugale pour 100 couples sur les 169 recensés, soit près de 60%, proportion qui s’élève à 74% si l’on exclut les Mérovingiens pour lesquels la vie conjugale est malaisée à suivre142. Le tableau suivant classe les couples en fonction de leur durée de vie.
136 Fortunat, Poèmes, IV, 26, t. I, p. 157. 137 Vita S. Sadalbergae, c. 6, p. 54 (trad., p. 663). 138 L’épitaphe de la reine est insérée dans les Gesta episcoporum Mettensium, rédigées en 786 : Paul Diacre, Liber de episcopis Mettensium, éd. G. H. Pertz, MGH SS 2, Hanovre, 1879, p. 266 : (…) Alter ab duodecimo iam te susceperat annus, cum vos mellifluus consotiavit amor (…). 139 Richer, III, 94, t. II, p. 120. 140 Fortunat, Poèmes, VII, 6 (Sur Palatina), t. II, p. 93 : « Vivez tous les deux de longues années, en conjoints unis (…) » ; VII, 14 (Sur Mummolenus), t. II, p. 111 : « Puisses-tu vivre de longues années avec ton éminente épouse (…) » ; VII, 17 (à Gondoaire), p. 115 : « Puisses-tu (…) avec ton épouse demeurer durablement dans la lumière (…) ». 141 Ermold le Noir, p. 233 : Sit tua vita diu pulchra cum conjuge Ringart. (…) Vivites felices per tempora longa, jugales (…). 142 S. Wemple, Women …, op. cit., p. 56-57 ; P. Stafford, Queens, Concubines and Dowagers. The King’s Wife in the Early Middle Ages, 1983, rééd. Leicester university Press, 1998, p. 71-79 ; D. Harrison, The Age of Abbesses and Queens. Gender and Political Culture in Early Medieval Europe, Lund, 1998, p. 85-148. Sur les pratiques conjugales, non spécifiques à la royauté mais communes à l’ensemble de l’aristocratie, voir R. Le Jan, Famille et pouvoir …, op. cit., p. 271-280.
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Tableau 4 : Durée de la vie conjugale dans les élites royales et princières143 0-5 ans
6-15 ans
16-25 ans
+ de 25 ans
Clodomir-Gonteuc (5) Clovis-Clotilde (9 ?) Clotaire-Radegonde Sigebert-Brunehaut (9) (env. 17) Chilpéric-Frédégonde (13) Mérovingiens Dagobert-Nanthilde (11) Clovis II-Bathilde (6/9)
Charlemagne-Princesse lombarde (1/2) CharlemagneLiutgarde (4/6) Louis le BègueAdélaïde (2) Louis V-Adélaïde (2) Robert le PieuxRozala-Suzanne (3/4) Louis VI-Lucienne (3) Carolingiens / Philippe Augustecapétiens Ingeburge (qq mois) Philippe AugusteAgnès (5)
Baudouin IV-sœur de Robert le Magnifique (28) Thibaud IV-Mathilde (29) Thibaud V-Alix (27)
Robert CourteheuseSibylle (3)
Guillaume Longue Epée-Liégearde (6/7) Richard I-Emma (8) Henri BeauclercAdélaïde (14)
Richard II-Judith (17) Guillaume-Mathilde Henri Beauclerc-Edith (36) (18)
Comtes de Blois/ Champagne
Ducs de Normandie
Guillaume III-Adèle (28) Guillaume IV-Emma (28)
Ducs d’Aquitaine
Guillaume IXGuillaume V-Aumode Guillaume IX-Philippa Ermengarde (1) (7/8) (21) Guillaume X-Emma (1) Guillaume V-Brisque (7) Guillaume V-Agnès (11) Guillaume VIEustachie (8) Guy-GeoffroiGarsende (14) Guy Geoffroi-Mathilde (10) Guy GeoffroiAudéarde (8)
Comtes d’Anjou
Foulques le RéchinHildegarde (2) Foulques le RéchinErmengarde ( 25 ans 21%
16-25 ans 24%
0-5 ans 19%
6-15 ans 36%
Certes, l’échantillon est réduit. En outre, il peut être contestable de prétendre comparer la durée des couples entre le vie et le xiie siècle, alors qu’ils ne correspondent pas à la même réalité, et de ne prendre en compte que la durée officielle des couples, seule véritablement saisissable, mais l’objectif est ici d’évaluer des ordres de grandeur et non de proposer des statistiques précises. Or, les résultats sont peu équivoques. Plus de la moitié des couples a une durée de vie de moins de 15 ans et un tiers ne dépasse pas les 10 ans de vie commune. Un tiers seulement des couples a une longévité supérieure à 20 ans. Les 8 couples qui vivent ensemble plus de 30 ans font figure d’exception et aucun n’atteint les 40 ans. La durée de vie moyenne se situe autour de 15 ans, ce qui correspond aux données évaluées pour l’époque moderne mieux documentée144. La littérature courtoise qui ancre les récits dans les réalités ne contredit pas ces données. Autant dire que c’est rarement dans la durée que se construit le couple du haut Moyen Âge. Lorsque l’on s’intéresse aux causes de rupture des couples, les informations qui concernent un peu plus de couples montrent qu’en moyenne, dans plus de 3/4 des cas (78%), c’est la mort de l’un des conjoints qui met fin au couple (tableau 5). Il est vrai que les Mérovingiens se distinguent par une vie conjugale beaucoup plus compliquée du fait de la démultiplication des partenaires, du moins jusqu’au règne de Dagobert († 639), mais sur le total des couples éclairés, le rapport entre la mort et la dissolution ne se trouve pas modifié. De même, si l’on observe quelques distinctions d’une dynastie princière à l’autre, il faut tenir compte des petits effectifs dont on dispose : il suffit que certains individus se caractérisent par un comportement particulier, comme Geoffroi Martel et Foulques le Réchin chez les comtes d’Anjou pour modifier nettement les pourcentages, sans remettre en cause cependant la prédominance de la dissolution du couple par la mort. Celle-ci s’accroît d’ailleurs lorsque le corpus dont on dispose est
144 J. C. Bologne, Histoire du couple, op. cit., p. 180.
l’é ni gme d u co u ple Tableau 5 : Les causes de dissolution des couples dans les élites royales et princières
mort Mérovingiens Carolingiens /Capétiens Comtes de Flandre Comtes de Blois/ Champagne Ducs de Normandie Ducs d’Aquitaine Comtes d’Anjou Famille comtale Hainuyère Total
séparation
total
106 77% 25 74% 13 93% 9 90% 9 90% 10 71% 10 63% 15 83%
32 23% 9 26% 1 7% 1 10% 1 10% 4 29% 6 27% 3 17%
138
197 78%
57 22%
254
34 14 10 10 14 16 18
un peu plus important : sur les 42 couples pour lesquels Gislebert de Mons précise la cause de la rupture, la mort en est responsable dans 34 cas (81% des cas connus) et la séparation dans 8 (19%)145. C’est aussi ce qui ressort de la littérature courtoise du xiie siècle qui inscrit la fiction dans le contexte réel contemporain. D’une manière générale, la dissolution prématurée du couple du fait de la mort de l’un des conjoints est alors fréquente, du fait à la fois de la forte mortalité qui touche les hommes, victimes des activités guerrières, les femmes, en lien avec leur rôle de procréatrices, et tous, plus ou moins démunis face aux mauvaises conditions d’hygiène et à l’inefficacité d’une médecine des plus sommaires146. Dans les élites, la surmortalité masculine, cumulée à l’écart d’âge souvent observé entre les époux, conduit néanmoins le couple à être dissous deux fois plus souvent du fait de la mort du mari que de l’épouse147. Quant aux séparations, elles restent pratiquées, malgré le durcissement de la politique de l’Église en matière d’indissolubilité, pour répondre, comme nous l’avons vu, aux stratégies des individus comme des groupes. Il est cependant possible que les xe-xiie siècles marqués par une compétition renforcée par l’émiettement du pouvoir aient conduit les élites à saisir, plus systématiquement, toutes les opportunités quitte à rompre un 145 E. Santinelli, « Ille et ejus uxor. Illa et maritus ejus. La représentation du couple dans le Hainaut de la fin du xiie siècle », dans Mémoires du cercle archéologique et historique de Valenciennes, no 11 (2010), p. 68. 146 Entre autres, S. Wemple, Women …, op. cit., p. 100-101 ; G. Duby, P. Ariès, Histoire de la vie privée, I : De l’Empire romain …, op. cit., p. 442 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 46-47 et p. 54-56. 147 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 46-58.
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couple pour en former un autre offrant des avantages plus importants, sans pour autant agir de manière déconsidérée compte tenu des conséquences liées à la rupture d’une alliance. En outre, si le discours présente le plus souvent les choses du point de vue des hommes, les femmes ne sont pas en reste, comme le montrent les cas d’Almodis de la Marche et de Bertrade de Monfort qui n’hésitent pas à quitter leur mari pour épouser des hommes plus puissants148, ce qui ne signifie pas que, pour les uns comme pour les autres, il n’y ait pas eu d’autres enjeux, derrière les choix présentés comme individuels149. Le couple, constamment menacés par la mort et, à un moindre degré par la séparation, apparaît donc d’une grande précarité. La faible longévité de la vie conjugale conduit par ailleurs régulièrement les individus à connaître plusieurs expériences conjugales successives, ce qui renforce l’image d’une instabilité des couples. Des expériences conjugales souvent plurielles
Tout au long de la période, il apparaît d’une grande banalité que la rupture d’un couple soit suivie de la formation d’un nouveau couple. Dans les élites, le remariage apparaît comme la norme après un veuvage pour l’un comme pour l’autre sexe150 et la séparation se justifie le plus souvent par d’autres projets matrimoniaux, pour l’un si ce n’est les deux conjoints151. Si l’on en croit Grégoire de Tours, pour ne prendre que quelques exemples issus des Dix livres d’histoires, Basine abandonne son mari, le roi des Thuringiens, Besin, pour rejoindre Childéric et l’épouser (II, 12), Déotéria, quittée par son mari, épouse le roi Théodebert (III, 12-13) qui l’abandonne peu après pour se marier avec Wisigarde (III, 27), Siggon, après la mort de sa femme, en prend une autre (V, 3), Domnole, veuve de Burgolène, est remariée à Nectaire (VIII, 32), le fils de Béppolène, selon les bruits qui courent, a déjà abandonné deux femmes, quand il épouse la veuve de Wiliulf (IX, 13) et Tétradie qui a quitté son mari est épousée par Didier, veuf depuis peu (X, 8). À la fin de la période envisagée, Gislebert de Mons évoque de même, dans sa Chronique du Hainaut, de nombreux individus, hommes et femmes, issus des milieux royaux et princiers comme de la petite chevalerie, amenés à faire successivement partie de plusieurs couples, sans faire preuve de davantage de surprise ou de désapprobation : un chevalier du nom d’Evrard est connu pour avoir épousé, du vivant de sa première femme, la veuve de Raoul de Nesle et sa fille, Richilde, pour avoir été mariée à Gilbert d’Audenarde, puis à Gauthier de Sotteghem152 ; le comte Mathieu de Boulogne, séparé de Marie, se remarie avec Eléanore de Vermandois, veuve de Guillaume IV de Nevers153 ; quant à son frère, le comte de Flandre, Philippe d’Alsace, pour ne prendre que ce dernier exemple, il se
148 Pour Almodis, mariée au comte Pons II de Toulouse, qui aurait organisé son enlèvement par le comte Raimond-Béranger I de Barcelone, voir M. Aurell, Les noces du comte. Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Paris, 1995, p. 261-266. Pour Bertrade de Montfort, voir chapitre 1. 149 E. Santinelli, « Mariage, compétition et genre … », art. cit. 150 E. Santinelli, Des femmes éplorées ?…, op. cit., p. 243-248. 151 K. Heidecker, « Les mariage ratés de Lothaire II … », art. cit., p. 302. 152 Gislebert de Mons, c. 31, p. 59 (trad. t. 14, p. 87). 153 Ibid., c. 51, p. 90-91 (trad. t. 14, p. 133).
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remarie, après la mort de sa femme Elisabeth, avec Mathilde du Portugal qui, veuve à son tour, épouse Eudes de Bourgogne154. D’une manière plus générale, sur les 57 couples – appartenant à la famille comtale hainuyère ou aux élites plus ou moins puissantes d’Occident – dont Gislebert mentionne la dissolution, le remariage du conjoint survivant ou de l’un des époux séparés (si ce n’est les deux) est attesté ensuite dans 40 cas (70%), ce qui laisse supposer la fréquence élevée de la pratique, même si l’auteur, dont l’œuvre se présente comme une généalogie du comte du Hainaut, est davantage portée à évoquer les remariages, créateurs d’alliance et de descendance, que les individus restés esseulés. L’analyse des données relatives aux familles royales et princières synthétisées dans les généalogies en annexe le confirme : dans plus de la moitié des couples (56%), l’un des conjoints a déjà vécu conjugalement avec un autre partenaire, comme le montre le tableau suivant. Tableau 6 : Proportion de la pluralité du vécu conjugal au sein des élites155
Mérovingiens Carolingiens / Capétiens Comtes de Flandre Comtes de Blois / Champagne Ducs de Normandie Ducs d’Aquitaine Comtes d’Anjou Comtes de Hainaut total Famille des comtes de Hainaut
Nombre et % de Nombre et % de couples où l’un des femmes connaissant plusieurs couples conjoints a déjà connu un couple 26/43 60% 30/46 65% 7/17 41% 6/10 60% 5/12 42% 8/16 50% 11/18 61% 2/7 29% 95/169 56% 14/36 39%
4/41 10% 9/40 22% 8/15 53% 4/10 40% 5/12 42% 5/15 33% 7/18 39% 2/7 29% 44/158 28% 6/24 25%
Nombre et % d’hommes connaissant plusieurs couples 11/20 55% 13/21 62% 3/14 21% 3/8 38% 5/7 71% 4/9 44% 7/8 88% 3/6 50% 49/93 53% 9/27 33%
154 Ibid., c. 103, p. 147-148 (trad. t. 14, p. 239), c. 111, p. 164 (trad. t. 14, p. 267) et c. 204, p. 290 (trad. t. 15, p. 85). 155 N’ont été pris en compte que les individus qui exercent l’autorité royale, ducale ou comtale, et dont un conjoint au moins est connu, ainsi que leurs partenaires identifié(e)s.
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De même que pour les précédentes hypothèses statistiques, il n’y a nulle prétention à l’exactitude, compte tenu de l’échantillon réduit, des données fragmentaires qui ne permettent pas forcément de connaître le vécu des différents conjoints avant ou après les unions envisagées ici, ni l’ensemble des partenaires, considérées comme illégitimes, des rois, ducs et comtes qui, objets d’une grande discrétion à partir de l’époque carolingienne, se trouvent très certainement minimisées. L’objectif est, en l’absence d’informations exhaustives et suffisamment précises, de saisir des tendances. Or, malgré les imperfections du corpus et les écarts observées d’une dynastie à l’autre, ce qui s’explique notamment par le petit nombre d’individus pris en compte, les résultats n’en témoignent pas moins sans ambigüité, d’une part, de la fréquence de la participation à plusieurs couples successifs pour un même individu au cours de son existence, voire simultanés pour les hommes, et d’autre part d’un type de situation vécu aussi bien par les hommes que par les femmes, même si la proportion est quasiment deux fois plus importante pour les premiers que pour les secondes. Les informations données par la Chronique de Gislebert de Mons sur la famille comtale de Hainaut montre que l’on aboutit à des résultats similaires lorsque l’on prend en compte l’ensemble des membres de la famille, filles et garçons, aînés comme cadets, pour lesquels on dispose de données, ce qui montre que les chefs de lignages ne se distinguent pas par des pratiques particulières sur ce plan. D’une manière générale, la plupart des individus qui n’ont plus de conjoint, du fait d’un veuvage (78% des cas connus) ou d’une séparation (22%)156, reprennent peu après la vie conjugale avec un autre partenaire. Si Dagobert (5 couples), Charlemagne (10 couples), ou Geoffroi Martel (4 couples) s’illustrent chez les hommes, de même qu’Adélaïde d’Anjou ou Eléanore de Vermandois (4 couples chacune) chez les femmes, l’expérience de deux ou trois couples n’a rien d’extraordinaire pour les uns comme pour les autres. Une telle situation s’explique aisément : le remariage des hommes leur permet de nouer de nouvelles alliances, voire d’avoir un héritier ou d’acquérir de nouveaux droits, notamment lorsque la nouvelle épouse est veuve et exerce l’autorité au nom de ses fils mineurs ou une influence sur ceux qui sont majeurs. Pour une veuve ou une femme séparée, le remariage permet, tout en participant aux stratégies familiales, de retrouver un statut d’épouse et la protection d’un mari157. Les femmes se distinguent cependant des hommes à deux niveaux principalement : d’une part, si les rois se remarient quasi systématiquement, lorsqu’ils perdent une épouse, ce n’est pas le cas pour les reines dont les souverains cherchent à éviter le remariage, plus nettement à partir de l’époque carolingienne, pour limiter les prétentions de leurs descendants158 ; d’autre part, l’âge avancé d’une femme lorsqu’elle perd son conjoint rend moins fréquent son remariage159, alors que la question de l’âge ne se pose pas pour un homme. Si le remariage après un veuvage est parfaitement autorisé, ce qui n’exclut pas qu’une partie des autorités religieuses vante les mérites du veuvage
156 Voir ci-dessus. 157 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 248-252. 158 Ibid., p. 130-131. 159 Ibid., p. 121-122.
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chaste160, il peut faire l’objet de contestation lorsqu’il est consécutif à une séparation du fait, comme nous l’avons vu, d’une volonté plus forte d’imposer l’indissolubilité à partir de l’époque carolingienne. La nature et la force des attaques dépendent néanmoins des enjeux liés aux stratégies matrimoniales et du rapport de force entre les parties rivales : le plus souvent, les pressions ne parviennent pas à empêcher les séparations, du moins dans les faits, même si leur légitimité se trouve contestée, ce qui participe à l’instabilité des couples. La pluralité des expériences conjugales vécues n’est pas spécifique aux milieux élitaires : elle est aussi attestée, dans les milieux sociaux moins élevés, même si les données sont beaucoup plus imprécises, les enjeux n’étant pas du même ordre. Pour le ixe siècle, les polyptyques témoignent parfois de la participation de certains tenanciers à plusieurs couples, à l’image de l’enquêteur qui note pour le domaine de Maule (Mantula) appartenant à Saint-Germain des Prés : [25] Godalhar colon et son épouse, colone, nommée Girberte, hommes de saint Germain. Le même Godalhar a d’une autre femme (de alia femina) deux fils, Godin et Godalbold [27] Berulf, esclave, et son épouse, colone de Beconcelle, nommée Ermovildis, hommes de saint Germain. Le même Berulf a d’une autre femme (de alia femina), colone, deux filles, Bertlinde et Givara [33] Teudulf, colon, de Siccavalle, et son épouse, colone, nommée Giroildis, hommes de saint Germain. La même Giroildis a d’un autre mari (de alio marito), colon, deux enfants, Gilmar et Bipplina161. Si l’on ne peut exclure des couples polygames, on notera néanmoins que dans ces trois cas, le couple de tenanciers n’a pas d’enfant commun, et que l’autre conjoint n’est pas nommé, ce qui peut laisser supposer sa mort : je pencherais donc pour des veufs ou des veuves avec de jeunes enfants qui se sont remariés – ou du moins remis en couple – récemment, ce qui justifie qu’il n’y ait pas encore de progéniture partagée. Dans d’autres cas, il y a, pour le tenancier – l’équivalent au féminin n’apparaissant pas –, des enfants issus des deux unions évoquées, ce que l’enquêteur précise, parce que les deux conjointes sont pour l’une esclave et pour l’autre colone, ce qui a des répercussions sur le statut des enfants162. Ce type de précision reste néanmoins assez rare : cela ne signifie pas pour autant que les remariages successifs l’ont aussi été. La mortalité est forte et la vie quotidienne est organisée autour du partage des tâches réalisé au sein du couple163 : le veuvage, plus que la séparation – probablement
160 Ibid., p. 228-242. 161 Das Polyptychon von Saint-Germain-des-Prés, op. cit., no 21 (de Mantula), p. 169-170 (voir Annexe 2, textes no 7). Situation similaire no 13 (de Buxido), [67], p. 113 ; no 24 (de Bisconcella), [25], p. 193. 162 Ibid., no 13 (de Buxido), [65], p. 113 et [95], p. 116. Même situation d’un tenancier avec des épouses de statut différent, mais sans enfant de l’une d’elle : no 25 (de mansionis villa) [7], p. 212. 163 P. Riché, « Problème de démographie historique du haut Moyen Âge (ve-viiie siècle) », dans Annales de démographie historique, 1966, p. 45-46 ; J. P. Devroey, « Femmes au miroir des polyptyques … », art. cit., p. 227-249. Voir aussi chapitre 4.
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moins répandue qu’au sein des élites –, devait favoriser les recompositions familiales. L’indice de la participation d’un individu à plusieurs couples est donné par rapport aux enfants et dans les cas envisagés, du fait d’une modification de situation que l’on a supposée récente ou du statut différent des mères. Pour la plupart des familles, les enquêteurs ont enregistré une organisation familiale plus ancienne, en indiquant le nom et le statut du tenancier et de sa femme et en précisant le nombre d’enfants qui sont les leurs (Isti sunt eorum infantes) ou qu’« ils ont avec eux » (habent secum) – non qu’ils ont eus ensemble –, ainsi que leurs noms. D’autres ont déjà souligné que les enfants mentionnés avec leurs parents sont ceux qui sont vivants et encore mineurs au moment de l’enquête164. Cela ne signifie cependant pas forcément que ce sont ceux du couple : il peut très bien y avoir aussi, parmi eux, des enfants que l’un ou l’autre des conjoints a pu avoir d’une union précédente. La situation étant ancienne ou le changement de conjoints ne modifiant pas les statuts, les enquêteurs, par ailleurs plus ou moins précis ou consciencieux165, ne jugent pas utile de distinguer parmi les enfants et ne témoignent donc pas de l’existence des couples successifs. Le même constat peut être fait pour les siècles suivants : les chartes attestent parfois de la pluralité des couples auxquels ont participé les dépendants, mais elles ne le mentionnent que rarement, dans des contextes très particuliers qui justifient que cela soit précisé, comme dans cette donation réalisée, en 946, au profit de Cluny qui prévoit notamment celle du serf « Arembert, avec ses deux filles eues d’une autre épouse, car l’actuelle n’est pas la notre »166. Arembert qui a vraisemblablement perdu sa femme s’est remarié, mais son épouse (ou du moins la femme considérée comme telle) actuelle n’appartenant pas à l’abbaye, celle-ci n’a aucun droit sur sa descendance. Si l’épouse actuelle avait été, comme la précédente, serve de Cluny, comme l’ensemble de leurs enfants, les scribes n’auraient peut-être pas jugé nécessaire de préciser qu’Arembert avait eu des enfants de deux femmes différentes. Une notice datée des années 1032-1084, déjà évoquée, précise de même le cas d’un certain Otbert qui, alors qu’il était libre, a d’abord épousé une femme, ancilla de saint Martin, puis après la mort de celle-ci, une femme libre, parce que le monastère de Marmoutier conteste son statut et que le plaid qui examine l’affaire revient sur l’histoire de cet homme167. Tout porte à croire, compte tenu à la fois de la forte proportion des couples parmi la paysannerie dépendante, d’une importante mortalité qui ne frappe généralement pas 164 G. Duby, Guerriers et paysans, 1973, rééd. dans Id., Féodalités, Paris, 1996, p. 83 ; J. P. Devroey, « Les méthodes d’analyse démographique … », art. cit., p. 85 ; P. Toubert, « Le moment carolingien », art. cit., p. 330-331 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 347. Pour le polyptyque de Saint-Victor de Marseille, voir M. Zerner, « Enfants et jeunes au ixe siècle. La démographie du polyptyque de Marseille, 813-814 », dans Provence historique, no 126/31 (1981), p. 355-384. 165 J. P. Devroey, « Les méthodes d’analyse démographique … », art. cit., p. 74 et p. 76 ; R. Fossier, Polyptyques et censiers …, op. cit., p. 31 ; G. Duby, L’économie rurale et la vie dans les campagne dans l’Occident médiéval, Paris, 1962, rééd. 1977, t. I, p. 74-75 ; J. P. Devroey, « À propos d’un article récent … », art. cit., p. 510. Les différences de méthodes dans la réalisation des enquêtes contribuent à expliquer les nuances constatées entre les différentes descriptions. 166 Cluny I, no 682, p. 635-636 : servum no[min]e Arembertum cum duabus filiabus quas de alia uxore abuit, quia ipsa quam modo abet non est nostra. 167 Le livre des serfs de Marmoutier, op. cit., no 108 (1032-1084), p. 101-102.
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en même temps les deux époux et des nécessités de la vie conjugale, que la pluralité des expériences conjugales vécues par un même individu a dû aussi être fréquente aux échelons inférieurs de la société. Si les auteurs sont plus enclins à enregistrer les faits qui ont des conséquences sur l’exercice du pouvoir et en terme d’alliance qu’à décrire ce qui reste inchangé, et donc à noter, pour les détenteurs d’autorité, morts et séparations, l’image de précarité et instabilité qui en résulte n’en paraît pas moins correspondre à ce que l’on peut percevoir de la réalité. La relative fragilité du couple amoindrit-elle pour autant à la perception que l’on en a ?
Perception nette, visibilité accrue ? Même si la vie conjugale apparaît comme la norme, cela ne signifie pas pour autant que le couple est forcément perçu avec une grande netteté, d’autant que la courte durée de la vie conjugale et la pluralité des expériences vécues peut contribuer à en brouiller l’image. En outre, la documentation enregistre davantage les faits et gestes des individus que des couples, ce qui pose la question de l’attention qu’on leur accordait. Avait-on conscience de la spécificité de chaque couple ? Lui reconnaissait-on une place particulière ? De quelle manière les évolutions politiques et sociales ont-elles modifié sa perception ? Trois éléments permettent d’apporter des éléments de réponses : l’identification des couples par rapport aux enfants, leur reconnaissance par les groupes de parenté et l’entretien de leur mémoire. À chaque couple, ses enfants
Dans les sources narratives, la fonction parentale est avec le mariage l’un des principaux moyens d’identification des couples : les auteurs enregistrent régulièrement du vie au xiie siècle, même si ce n’est pas très fréquemment, les enfants nés de chacun d’eux ou précisent qu’un individu est fils ou fille d’untel et d’unetelle. Or, ils distinguent généralement les enfants d’un individu en fonction des partenaires avec lesquels il les a eus, ce qui apparaît comme un élément témoignant de la spécificité reconnue à chaque couple. Grégoire de Tours (vie siècle) précise pour chacun des rois mérovingiens ses différentes partenaires, quel que soit leur statut (épouse ou concubine), et les enfants qui en sont nés168. Eginhard (ixe siècle) énumère de même les épouses et concubines de Charlemagne, ainsi que les enfants qu’il a eus de chacune d’elles, quelle qu’ait été la durée de vie – toujours courte – de chaque couple169. Gislebert de Mons (xiie siècle) précise régulièrement que tel individu a eu plusieurs conjoints qui ont chacun donné naissance à tel ou tel enfant, à
168 DLH, III, 27 (Théodebert) ; IV, 2 (Clotaire) ; IV, 25 (Gontran) ; IV, 26 (Charibert) ; IV, 28 (Chilpéric). 169 Voir ci-dessus pour la durée (entre 1 et 12 ans) et chapitre 1, pour les différentes partenaires et leurs enfants.
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l’image du chevalier Evrard (petit-fils de Baudouin III et Yolende, couple comtal de Hainaut) qui eut de la première épouse (…) une fille, Richilde (…). Par ailleurs, Evrard, (…) en épousa une autre, la mère de Conon, de Jean et de Raoul qui possédaient le comté de Soissons, la seigneurie de Nesle et la châtellenie de Bruges, dont il eut un fils, Baudouin170. Si Gislebert de Mons ne prend pas la peine de mentionner le nom des deux épouses d’Evrard, probablement parce que cela n’est pas nécessaire à son propos, il distingue clairement les enfants nés des deux couples successifs qu’il a formés, ainsi que ceux procréés dans le cadre d’une précédente union par sa deuxième femme, ce qui identifie clairement les trois couples qui se définissent d’abord comme des couples parentaux. Tableau 7 : Couples et enfants : l’exemple du chevalier Evrard (xiie siècle)
X
1
=
Richilde
Evrard
2
Y
=
Baudouin
Conon
1
=
Jean
Raoul de Nesle
Raoul
Si le couple se trouve ainsi d’abord identifié par rapport à ses enfants, c’est parce que ceux-ci héritent des droits et des liens transmis, de manière indifférenciées, par leurs deux parents171 qui diffèrent donc d’un couple à l’autre, même lorsque les enfants partagent un même père ou une même mère, mais sont indépendants de la durée de vie conjugale des parents. Cela justifie aussi que certains individus se trouvent présentés comme les enfants d’un couple de parents, même si d’autres raisons peuvent s’y ajouter pour expliquer leur mention. De nombreuses sources hagiographiques commencent ainsi par présenter le père et la mère du saint ou de la sainte : c’est le cas des notices consacrées au vie siècle par Grégoire de Tours à saint Gall, née de Georges et Leucadie, et à saint Nizier, né de Florentin et Artémie172 ; de la Vie de sainte Salaberge, fille de Gongouin et Saretrude, ou de celle de saint Éloi,
170 Gislebert de Mons, c. 31, p. 59 (trad. t. 14, p. 87) : [miles Evradus] de uxore prima (…) filiam habuit Richeldem (…). Evrardus autem, vivente prima uxore, aliam superduxit, matrem Cononis et Johannis et Radulphi, qui comitatum Suessionensem, et dominium Nigellae et Castellarium Brugensem possederunt, et ex ea filium habuit Balduinum. 171 R. Le Jan, Famille …, op. cit., chap. 6 : « Droits et devoirs », p. 225-262. 172 Grégoire de Tours, Liber vitae Patrum, éd. W. Arndt et B. Krusch, MGH, SRM, I/2, Hanovre, 1885 (BHL 6541), no 6, c. 1, p. 230 (Saint Gall) et no 8, c. 1, p. 241 (Saint Nizier), trad. angl. E. James, Gregory of Tours, Life of the Fathers, Liverpool, 1985, rééd. 1991, p. 33 et p. 49-51 ; ancienne trad. fr. H.-L. Bordier, Grégoire de Tours, Les livres des miracles et autres opuscules, Paris, III, 1862, p. 193 et p. 227.
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fils d’Eucher et Térigie, rédigées au viie siècle173 ; ou encore de celle, écrite au début du xe siècle, de sainte Rictrude, née d’Ernold et de Lichia, et de celle, datée du xiie siècle, de sainte Ide de Boulogne, qui avait pour père Geoffroi et pour mère Doda174. Il en est de même dans les Gesta, à l’image des Gestes des évêques d’Auxerre, rédigées dans les années 872-875 et continuées aux xe-xie siècles, dont près de la moitié des notices mentionnent le père et la mère de l’évêque, ce qui devient systématique à partir de celle consacrée à Anselme (807/812-828/829)175, ce qu’il faut probablement lié à l’inégalité de la documentation disponible selon les prélats176. Le couple parental se trouve même évoqué pour Héribert Ier, évêque de 972-997, dont il n’est pas caché qu’il est fils du duc Hugues le Grand et d’une concubine nommée Raingarde177. Il en résulte l’image de couples, clairement identifiés par le biais de leur fils, qu’ils soient légitimement mariés ou non. C’est d’ailleurs souvent par le biais des enfants que, dans les élites, les couples non maritaux sortent de l’ombre, en particulier à partir de l’époque carolingienne où l’Église cherche à imposer des règles plus strictes en matière de conjugalité. À la fin du xe siècle, si Richer met en avant le couple royal formé par Lothaire et Emma, c’est par le biais d’Arnoul, présenté comme le fils du roi Lothaire et d’une concubine, que l’on apprend que le roi ne se contentait pas de ce seul couple officiel178. De même, à la fin du xiie siècle, si Gislebert de Mons ne parle tout au long de sa chronique que de Baudouin V et de sa femme Marguerite, c’est en évoquant, à la fin, que le comte donne une partie de son héritage à ses enfants illégitimes que l’on sait qu’il entretenait des liens conjugaux avec d’autres femmes179. Même si les auteurs font souvent preuve de discrétion à l’égard de ces unions, le fait que chacun sache qui était l’enfant de qui, prouve que les différents couples étaient parfaitement identifiés par les contemporains. Les liens de parenté ne sont cependant mentionnés que lorsque les intérêts en jeu exigent que l’on précise la filiation ou la descendance. Le fait que cela soit parfois le cas laisse néanmoins supposer que l’on associe chaque couple à sa descendance et que l’on est capable de le rappeler lorsque c’est nécessaire. Si les sources narratives s’intéressent principalement aux élites, les polyptyques et les sources diplomatiques montrent qu’il en est très certainement de même pour la paysannerie dépendante puisque, comme nous l’avons souligné ci-dessus, les seigneurs sont en mesure de connaître leurs droits sur la descendance des couples paysans, ce qui dépend du statut des parents. En dehors des élites, on sait aussi parfaitement de quel couple relève chaque enfant. Si les enfants jouent un rôle essentiel dans l’identification des
173 Vita S. Sadalbergae, c. 4, p. 53 ; Vita S. Eligii, éd. (partielle) B. Krusch, MGH SRM 4, Hanovre, 1902, l. I, c. I, p. 670 (trad. I. Westeel, Noyon 2002, revue et augmentée Saint-Omer, 2008, p. 40). 174 Vita S. Rictrudis, c. 2, col. 831 ; Vita S. Idae, p. 141. Voir Annexe 2, textes no 13 et 17. 175 Les Gestes des évêques d’Auxerre, éd. et trad. M. Sot (dir.), Paris, 2002. Sur la date de la première rédaction et des continuations, voir l’introduction de M. Sot, p. viii-xii. 176 M. Goulet, « Étude littéraire et histoire du texte », dans ibid., introduction, p. xxiii. 177 Les Gestes des évêques d’Auxerre, op. cit., 3e continuation, no 47, p. 232. 178 Richer, IV, 26, t. 2, p. 184-185. 179 Gislebert de Mons, c. 227, p. 311 (trad t. 15, p. 127). Voir aussi chapitre 1.
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couples, cela ne signifie pas que l’on ne reconnaît pas leur spécificité aux couples n’ont pas eu de descendance, notamment dans les milieux royaux et aristocratiques, dans la mesure où ils sont porteurs d’alliance, d’espoir de succession, de transfert de patrimoine, voire de prestige. Les sources d’Aquitaine et d’Anjou témoignent de la reconnaissance des deux couples successifs d’Agnès de Bourgogne, tant de celui formé avec Guillaume V d’Aquitaine dont sont nés trois enfants, qu’avec Geoffroi Martel, dont elle n’en a eu aucun180. Une identité reconnue au sein des groupes de parenté et d’alliés
Les groupes de parenté, voire d’alliés, contribuent largement, nous l’avons vu, à la formation, puis au maintien ou à la dissolution du couple, ce qui peut en faire un pion dont ils se jouent. Pour autant, cela n’exclut pas qu’ils lui reconnaissent une identité à part entière. Si, dans les élites, certains membres de la famille cherchent parfois à rompre un couple qui ne répond plus à leurs attentes181, c’est bien parce qu’ils ont conscience que celui-ci symbolise une alliance qui n’existe plus ou qui n’est pas respectée, voire qui est devenue moins intéressante. Loin de nier son existence en tant que tel, en le soumettant aux stratégies familiales, ils reconnaissent l’enjeu qu’il représente. Il arrive aussi que les sources témoignent des actes réalisés par des couples entourés par la parenté, voire les alliés, dont ils deviennent en quelque sorte les représentants, ce qui manifeste la reconnaissance dont ils font l’objet. Nous reviendrons dans les chapitres suivants sur le fonctionnement du couple et ses domaines d’intervention, mais il convenait de montrer ici que la participation aux stratégies familiales ne dilue pas le couple dans les groupes plus larges auxquels il est lié. Deux cas de figure le suggèrent plus particulièrement. Le premier concerne le mariage des enfants, dont il n’est plus à démontrer qu’il est une affaire de famille182. Dans une société dominée par les hommes, la documentation retient d’abord leurs décisions et leurs gestes, à commencer ici par ceux du père. Quelques allusions témoignent néanmoins de l’association de la mère, ce qui laissent supposer l’attention accordée par les parents et alliés concernés par l’affaire183 au couple parental auquel est reconnu et confié un rôle de premier plan dans les négociations. La Vie d’Amâtre, 180 Voir en particulier, Chronique de Saint-Maixent (751-1140), éd. et trad. J. Verdon, Paris, 1979, p. 110-111, p. 118-119 et p. 122-123 ; Chronique des églises d’Anjou, éd. P. Marchegay, E. Mabille, Paris, 1869, p. 282 ; Recueil des Annales angevines et vendômoises, éd. L. Halphen, Paris, 1903, p. 3, 46, 107. Sur ces couples, A. Richard, Histoire des comtes de Poitou, 778-1204, 2 t., Paris, 1903, t. I, p. 220-237 ; L. Halphen, Le comté d’Anjou …, op. cit., p. 56-61 ; O. Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage …, op. cit., p. 45-46 ; I. Soulard-Berger, « Agnès de Bourgogne, duchesse d’Aquitaine puis comtesse d’Anjou. Œuvre politique et action religieuse (1019-vers 1068) », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest et des Musées de Poitiers, 1992, sér. 5, t. 6, trim. 1, p. 47-48 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 250-251 ; B. Lemesles, « La séparation des époux … », art. cit., p. 182. 181 Voir ci-dessus. 182 Sur les stratégies matrimoniales, voir R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 287-327. 183 Sur le rôle des parents et amis lors des différentes étapes du mariage, ibid., p. 265-267. Sur la décision du mariage des enfants par le couple parental, voir I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 325-327.
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rédigée dans la seconde moitié du vie siècle à Auxerre, évoque ainsi le mariage projeté par son père et sa mère, mais aussi la présence aux noces des familles de toute la noblesse184, ce qui replace le couple dans son réseau d’alliance. La Vie de sainte Gertrude, écrite vers 670, précise que son mariage est décidé par ses parents, Pépin et Itte, ainsi que le roi Dagobert, dans le cadre d’un noble banquet185. Certains modèles de constitution de dot, comme l’une des Formulae extravagantes, datée du ixe siècle, qui note qu’untel dont le père est untel et la mère unetelle s’est fiancé avec unetelle dont le père est untel et la mère unetelle, avec l’accord de leurs parents et de leurs amis (parentorum et amicorum)186, laissent supposer une répartition des rôles accordant les premiers aux deux couples parentaux et les seconds aux membres de la famille et amis. À la fin du xe siècle, Richer suggère que, même si d’autres personnes font pression en faveur du mariage de Louis V et d’Adélaïde, la décision revient du côté du jeune roi à ses parents, Lothaire et Emma187. Quant à Gislebert de Mons, à la fin du xiie siècle, il précise à propos du mariage d’Elisabeth/Isabelle de Hainaut et de Philippe Auguste, que même s’il fait intervenir d’autres parents du côté de la mariée, en particulier son oncle le comte Philippe de Flandre, il est décidé en présence de son père, le comte Baudouin V de Hainaut et de sa mère Marguerite188, ce qui souligne la nécessité de leur approbation. Le deuxième cas de figure qui témoigne de la place reconnue au couple est lié aux relations que les élites nouent avec les communautés religieuses et par leur intermédiaire, dont la recherche a montré qu’elles s’inscrivaient dans un système d’échanges multiformes aux objectifs sociaux autant que religieux189. Les actes diplomatiques, plus nombreux à partir du xe siècle, en ont conservés la trace. Or, ils permettent parfois, même s’il est difficile de mesurer précisément le degré d’implication véritable de chacun, de percevoir des entreprises à caractère familial, pilotées néanmoins par des couples, ce qui revient à leur reconnaître un rôle d’intermédiaire, et par conséquent un statut parfaitement identifié. Deux exemples, envisageant des périodes, des espaces et des situations différentes, suffiront à le montrer. Le premier concerne l’acte de fondation de Cluny (909 ou 910) par Guillaume le Pieux et sa femme Ingelberge. La charte précise que la donation de la villa de Cluny est réalisée pour l’âme du roi Eudes, seigneur de Guillaume, et de certains parents : aïeul de Guillaume, sa mère, Ava [sa sœur] qui lui a donné ces biens, les frères, sœurs et neveux du couple, ainsi que tous leurs proches des deux sexes. Si l’on y ajoute qu’elle
184 Vita S. Amatoris, c. 3, p. 52 (trad. I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 171). 185 Vita S. Geretrudis, éd. B. Krusch, MGH SRM 2, c. 1, p. 454 (trad. I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 187). 186 MGH Form., Formulae extravagentes, no 9, p. 538-539 : (…) ego in Dei nomine N., cuius pater nomine N. et mater mea nomine N., (…) aliquam feminam nomine N., cujus pater fuit nomine N. et mater nomine N., mihi per consensum parentorum nostrorum et amicorum eam legibus sponsare decerno (…). 187 Richer, III, 92-93, p. 116-119. Sur ce mariage, voir S. Joye, E. Santinelli, « Le couple … », art. cit., p. 10-13. 188 Gislebert de Mons, c. 94, p. 129 (trad., t. 14, p. 205). 189 M. Lauwers, « ‘Le sépulcre des pères’ et les ‘ancêtres’ », dans Médiévales, 31 (automne 1996), p. 75 ; M. McLaughlin, Consorting with Saints …, op. cit.,p. 133-178 ; B. H. Rosenwein, To Be the Neighbor …, op. cit., notamment chapitre 2, p. 49-77 ; E. Santinelli, « Autour des morts vers l’an mil … », art. cit.
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est souscrite par Guillaume, neveu Guillaume le Pieux, premier à apposer son signum après le couple fondateur et les autorités ecclésiastiques190, l’entreprise prend une dimension nettement familiale. Or, si le couple s’inscrit dans un réseau de parenté dont témoigne les bénéficiaires des contre-dons spirituels et subit peut-être l’influence, si ce n’est les pressions, de l’entourage familial à qui profite aussi la fondation191, il n’en apparaît pas moins comme le principal acteur et le fait qu’il n’a pas d’enfant ne diminue pas sa reconnaissance sociale. Le deuxième exemple, plus tardif, se rapporte à une notice datée des années 1047-1067, issue du cartulaire de Saint-Aubin d’Angers. Elle enregistre les donations effectuées au monastère angevin par Agnès, veuve de Hubert de Durtal, remariée à Renaud de Maulévrier, avec la volonté et l’accord (cum voluntate et assensu) de son mari et de ses fils, dont l’association à la memoria d’Hubert de Durtal et les noms – Geoffroi et Hubert – laissent supposer qu’ils sont de sa première union. L’acte est aussi approuvé par son père ainsi que son frère et réalisé en présence d’une quarantaine de témoins, parmi lesquels figurent, outre le comte Geoffroi et l’évêque Yves de Sées, un certain Maurice, parent d’Hubert (consanguineus Huberti) – peut-être le premier mari d’Agnès192. Si Agnès, liée à deux couples successifs clairement identifiés, apparaît mise en avant, elle est néanmoins secondée par son deuxième mari que la donation permet de lier à Saint-Aubin d’Angers, où se trouve inhumé son premier époux, ce qui fait de la concession un acte conjugal, et elle est soutenue par un important réseau de parents, issus de sa famille d’origine et de celle de son premier mari pour ceux que l’on peut identifier, ainsi que d’alliés et de fidèles, ce qui inscrit le geste dans le cadre des stratégies du groupe auquel appartient le couple. La présence des uns et des autres peut certes s’expliquer par leurs liens avec les biens donnés, issus pour certains du douaire (dotalitium) donné
190 Cluny I, no 112, p. 124-128 (trad. M. Pacaut, L’Ordre de Cluny, Paris, 1986, p. 49-53) : (…) Dono autem hæc omnia jam dictis apostolis, ego Wuillelmus et uxor mea Ingelberga, primum pro amore Dei, inde pro anima senioris mei Odonis regis, progenitoris ac genitricis mee, pro me et uxore mea, salute scilicet animarum nostrarum et corporum, pro Avanæ nichilominus, que michi easdem res testamentario jure concessit, pro animabus quoque fratrum ac sororum nostrorum nepotumque, ac omnium utriusque sexus propincorum, pro fidelibus nostris, qui nostro servitio adherent (…). Wilelmus ego hanc auctoritatem fieri et firmare rogavi, ac manu propria roboravi. Signum Ingelberge, uxoris ejus. Madalbertus, peccator, Biturigensis archiepiscopus. Adalardus episcopus. Atto, peccator, episcopus. S. Willelmi comitis, nepotis ejus (…). La donation de Cluny par Ava à son frère Guillaume date de 893 : no 53, p. 61-63. Sur la fondation de Cluny, voir M. Pacaut, ibid., p. 49-71 ; sur le rôle des femmes dans la fondation, voir C. Lauranson-Rosaz, « Ermengarde, Ava, Ingelberge et les autres … ‘Femmes’ de Guilhelmides entre Austrasie et Aquitaine, entre Auvergne et Cluny, du viiie au xe siècle », dans J. P. Renard (dir.), La place et le rôle des femmes dans l’histoire de Cluny, Saint-Just-près-Brioude, 2013, p. 48-49 ; sur la fondation de Cluny comme relevant d’une stratégie territoriale pensée par le couple, voir R. Le Jan, « La fondation de Cluny, le genre et le premier âge féodal », dans D. Iogna-Prat, F. Mazel, I. Rosé (dir.), Cluny, le monachisme et la société au premier âge féodal (880-1050), Rennes, 2013, p. 219-227 ; Ead., « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 43. 191 Sur les relations des groupes familiaux avec Cluny et par son intermédiaire, voir B. Rosenwein, To Be the Neighbor …, op. cit. 192 Saint-Aubin d’Angers, no 287, p. 329-332 : le texte latin avec une traduction est reproduit dans E. Santinelli, « Ni Morgengabe, ni tertia, mais dos et dispositions en faveur du dernier vivant : les échanges patrimoniaux entre époux dans la Loire moyenne (viie-xie siècles) », dans F. Bougard, L. Feller, R. Le Jan (dir.), Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, Rome, 2002, p. 272-275.
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par son premier mari et de son maritagium (dot directe remise par ses parents au moment de son mariage)193, sur lesquels pèsent des droits seigneuriaux, cela ne leur en permet pas moins d’être associés aux relations sociales, politiques et religieuses, nouées par l’intermédiaire de cette donation194. Que l’initiative soit d’Agnès qui souhaite imposer son second couple en l’inscrivant dans les réseaux auxquels elle est liée, de son mari ou du couple pour les mêmes raisons, de la parenté Agnès ou de celle de son premier mari Hubert, liées par l’intermédiaire des enfants nés de cette première union, qui peuvent chercher, en poussant le couple formé par Agnès et son second mari à agir de la sorte, à veiller sur les intérêts de leur descendance tout en profitant des avantages procurés par un tel geste, la démarche n’exclut cependant pas une décision collective permettant à chacun d’y trouver un intérêt tout en laissant au couple le soin de la réaliser. Comme dans tout collectif, le couple doit compter avec le réseau de parenté et d’alliés dans lequel il s’insère et en subir les pressions, démultipliées par la pluralité des expériences conjugales vécues, il n’en est pas moins considéré comme une entité sociale à part entière. L’identité pleinement reconnue à ces couples, toujours maritaux, est lié au rôle social qu’il est amené à jouer ou que l’on attend de lui à un moment donné : peu importe alors sa durée, qu’il ait ou non une descendance, qu’il s’agisse d’une première union ou d’une subséquente. Cela explique aussi la mémoire qui en est conservée. Une mémoire entretenue
Dans la plupart des sociétés, les vivants ont un devoir de mémoire à l’égard des défunts, même si les individus concernés, le rôle de chacun, les formes qu’il prend diffèrent de l’une à l’autre. Souvent lié à des obligations de nature religieuse, il peut s’y ajouter les motivations politiques, économiques et sociales, lorsque l’entretien de la mémoire des ancêtres permet de justifier des droits, de se situer dans sa parentèle ou de conforter la cohésion d’un groupe solidaire de vivants et de morts195. La mémoire étant cependant sélective, la place réservée au couple peut être un indicateur de la perception qu’on en avait. Or, l’Église qui a spiritualisé le culte des morts au cours du premier millénaire s’est progressivement imposée comme intermédiaire, de plus en plus obligé à partir de l’époque carolingienne, entre vivants et défunts, ce qui s’est traduit par le développement des donations pro anima, réalisées par les premiers au profit des seconds196. Les sources nécrologiques et encore plus les
193 Sur la dotation des femmes au moment du mariage et les différents types dots attestés au haut Moyen Âge, voir F. Bougard et al. (dir.), Dots et douaires …, op. cit. Pour la région ligérienne plus spécifiquement, voir E. Santinelli, « Ni Morgengabe … », art. cit., p. 246-253. 194 Sur cette donation et son sens, voir E. Santinelli, Des Femmes éplorées ? …, op. cit., p. 334-335 et p. 348-349. 195 M. Godelier (dir.), La mort et ses au-delà, Paris, 2014. Pour le haut Moyen Âge, voir R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 35-45. 196 Sur le développement de la mémoria en général, par le biais des donations pro anima en particulier : F. S. Paxton, Christianizing Death. The Creation of a Ritual Process in Early Medieval Europe, New York, 1990, p. 66-68 et 98-100 ; C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, Paris, 1996, p. 85-114 et p. 183-184 ;
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chartes conservées, qui se multiplient à partir du xe siècle, permettent ainsi d’avoir une idée des bénéficiaires des prières, obtenues des communautés religieuses en échange des bienfaits offerts197. Or, parmi ces bénéficiaires, certains sont mentionnés en couple. D’autres ont déjà souligné l’évolution enregistrée à la fin du ixe siècle par les libri memoriales dont les entrées se font désormais plus souvent par couple plutôt qu’en énumérant les femmes à la suite des hommes198. Si elle traduit une transformation dans le mode de représentation des familles aristocratiques qui accorde davantage de place au couple, cela n’empêche pas qu’il y ait pu avoir avant perception de la conjugalité des ancêtres et souci d’entretenir leur mémoire par couples. Le plus ancien témoignage que j’ai trouvé n’est cependant pas antérieur à 804199 : le comte Guillaume dote alors de plusieurs biens l’abbaye de Gellone qu’il a édifiée pour diminuer ses péchés et ceux de ses parents qui sont morts, à savoir son père Thierry et sa mère Aldana, ses frères Theudoin, Thierry et Adalelm, ses sœurs Albana et Bertana, ses fils et filles Witcaire, Hildelme et Helimbruch, ses épouses Guitburge et Cunégonde200. Tableau 8 : Couple et mémoire : la charte de fondation de l’abbaye de Gellone (804)201
M. Lauwers, « Le ‘sepulchre des pères’ … », art. cit. ; Id., La mémoire des ancêtres. Le souci des morts. Morts, rites et société au Moyen Âge (diocèse de Liège, xie-xiiie siècles), Paris, 1996, p. 94-100, p. 172-185 et 317-320 ; M. McLaughlin, Consorting with Saints …, op. cit., en particulier p. 159-170 ; R. Amiet, « Le culte chrétien pour les défunts », dans D. Alexandre-Bidon, C. Treffort (dir.), À réveiller les morts. La mort au quotidien dans l’Occident médiéval, Lyon, 1993, p. 85-116. 197 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 285-297 ; Ead., « Les femmes et la mort au miroir des chartes languedociennes … », art. cit., p. 23-27 ; Ead., « Autour des morts vers l’an mil … », art. cit., p. 20-24. 198 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 356-357. 199 On dispose néanmoins d’actes antérieurs qui prévoient l’entretien de la memoria du couple donateur, sans référence cependant à des ancêtres ou à l’intervention d’autres parents, ce qui renseigne sur la démarche et les stratégies conjugales, mais pas sur la perception qu’en avaient les proches. Nous y reviendrons au chapitre 4. 200 Chartes originales antérieures à 1121 …, op. cit., no 4789 (www.cn-telma.fr/originaux/charte4789/) : (…) facinora mea minuenda vel de parentes meos qui defuncti sunt, id est genitore meo Theuderico et genitrice mea Aldane, et fratre meo Theodoino, et Teoderico, et Adalelmo, et sorores meas Albane et Bertane, et filios meos et filias Witcario et Hildehelmo et Helinbruch, uxores meas Witburg et Cunegunde (…). Voir P. Chastang, « La dotation de l’abbaye de Gellone par le comte carolingien de Toulouse : documents et récits », dans X. Barral i Altet, C. Lauranson-Rosaz (dir.), Saint-Guilhem-le-désert. La fondation de l’abbaye de Gellone. L’autel médiéval, Montpellier, 2004, p. 29-36 et p. 34 pour le texte (avec quelques petites différences de transcription avec la version donnée par Telma). 201 Les couples sont mis en gras.
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Si la formulation permet de structurer la mémoire familiale autour de la nouvelle abbaye, elle souligne aussi le rôle des couples dans son organisation, en mettant en avant le couple parental en tête d’une liste de consanguins sur trois générations qui se clôt sur les deux épouses successives du bienfaiteur et rappelle donc les deux couples qu’il a formés. Quelques décennies plus tard, la belle-fille du comte, Dhuoda, donne, à la fin du manuel qu’elle rédige pour son fils Guillaume au début des années 840, la liste des noms des parents défunts pour lesquels celui-ci doit plus particulièrement prier qui se présente comme une entrée de liber memorialis : Guillaume, Cunégonde, Gerberge, Guibourg, Thierry, Gaucelme, Garnier, Rodlinde202. L’identification de ces parents, claire pour Dhuoda et Guillaume, est aujourd’hui plus problématique203. Il y a néanmoins consensus sur les six premiers individus : il s’agit du grand-père paternel homonyme de Guillaume, de sa première épouse (Cunégonde) suivie d’une de ses filles (Gerberge), de sa seconde épouse (Guitburge/Guibourg) suivie de deux de ses fils (Thierry et Gaucelme), donc des deux couples du grand-père et d’une partie des enfants qui en sont nés. En revanche, l’identification de Garnier et Rodlinde fait l’objet de débats : les plus récents ont proposé d’y voir des parents de Dhuoda, probablement son père et sa mère, selon Joachim Wollasch204, mais Régine Le Jan considère, en se fondant sur des arguments onomastiques et le contexte du Manuel, qu’il faut les classer dans la parenté paternelle de Guillaume205, ce qui peut rejoindre l’hypothèse de Constance Bouchard qui les identifie comme les arrière-grands-parents de Bernard de Septimanie206, même s’ils me paraissent généalogiquement éloignés par rapport aux préoccupations de Dhuoda dont « le Manuel est un plaidoyer pour les Wilhelmides (…) victimes de la discorde régnant dans la famille impériale depuis 829 »207 et que cela ne correspondrait pas à l’énumération descendante généralement suivie. L’opinion classique qui en font deux autres enfants de Guillaume et Guitburge, par conséquent un oncle et une tante paternels de Guillaume, me semble donc aussi la meilleure.
202 Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. et trad. P. Riché, B. de Vregille, C. Mondésert, Paris, 1997, X, 5, p. 354. 203 Pour la synthèse, voir R. Le Jan, « Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin », dans C. La Rocca (dir.), Agire da donna …, op. cit., p. 115-118. 204 J. Wollasch, « Eine adlige Familie des frühen Mittelalters. Ihr Selbstverständnis und ihre Wirklichkeit », dans Archiv für Kulturgeschichte, 39 (1957), p. 184, suivi par P. Riché et al.(éd. et trad.), Dhuoda, Manuel …, op. cit., introduction, p. 23 et p. 355, n. 8 et 9 et M. Innes, « Keeping in the Family : Women and Aristocratic Memory, 700-1200 », dans E. Van Houts (dir.), Medieval Memories. Men, Women and the Past in Europe, 700-1300, Harlow, 2001, p. 21. 205 R. Le Jan, « Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin », art. cit., p. 117-119. 206 C. Bouchard, « Family Structure and Family Conciousness among the Aristocracy in the Ninth to Eleventh Centuries », dans Francia, 14 (1986), p. 655-556. 207 R. Le Jan, « Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin », art. cit., p. 122.
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cha p i tr e 2 Tableau 9 : Couple et mémoire : le manuel de Dhuoda (841-843)208
La liste soigneusement classée, qui cache des revendications politiques derrière les objectifs spirituels209, n’en donne pas moins là aussi une représentation de la parenté qui laisse toute leur place aux couples. Les diplômes royaux enregistrent aussi au même moment des transformations qui accordent plus d’attention à l’entretien de la mémoire des couples royaux. Alors que les concessions des rois mérovingiens aux communautés religieuses ne mentionnent que le salut du roi quand elles évoquent – très rarement – les motifs spirituels, et que celles des trois premiers Carolingiens prévoient, plus fréquemment, des prières « pour nous, notre épouse, notre progéniture et la stabilité du royaume », selon une formule quasi invariable, celles réalisées par Charles le Chauve identifient plus nettement l’épouse royale et associent aux dispositions mémoriales le couple de ses parents210. En 853, par exemple, le roi accorde certains biens à l’église de Châlons, à charge d’organiser un repas annuel en mémoire de son père l’empereur Louis et de sa mère l’impératrice Judith, ainsi que de lui et de son épouse Ermentrude, et de leurs enfants211. En 875, une donation effectuée à Saint-Denis prévoit que sept lampes brûlent constamment : que l’une d’elle soit pour notre père Louis auguste de sainte mémoire ; une autre pour notre mère Judith, glorieuse impératrice ; une troisième pour nous ; une quatrième pour la reine Ermentrude, autrefois notre épouse ; une cinquième pour la reine Richilde, l’épouse que nous avons maintenant, associée à la couche royale selon le règlement de Dieu ; une sixième pour toute notre progéniture, vivante ou défunte ; une septième pour Boson et Gui ainsi que nos autres familiers
208 Les couples de la liste de la fin du Manuel sont mis en gras, les autres individus soulignés. En italique, Guillaume, destinataire du Manuel, et ses parents. 209 R. Le Jan, « Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin », art. cit., p. 119-120. 210 E. Ewig, « Remarques sur la stipulation de la prière dans les chartes de Charles le Chauve », dans R. Lejeune, J. Deckers (dir.), Clio et son regard. Mélanges d’histoire, d’histoire de l’art et d’archéologie offerts à Jacques Stiennon, Liège, 1982, p. 221-227 ; E. Santinelli, « In memoria regine … », art. cit., p. 206-212. 211 Charles le Chauve, no 153, t. I, p. 405 : (…) memoriam domni et genitoris nostri cesaris Hludowici genetricisque nostrae Judith augustae et nostram quoque uxorisque nostrae Hirmintrud ac prolis (…).
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dont le très grand dévouement en terme de fidélité à notre égard a renforcé la proximité avec nous212. Dans ces deux diplômes, comme dans d’autres, la memoria accorde une place particulière aux couples royaux replacés à la fois dans une lignée et dans un réseau de fidélité. Ils témoignent d’un sentiment dynastique213, mais aussi d’une représentation du pouvoir royal qui s’exerce en couple214. L’énumération des bénéficiaires de la memoria qui place Charles le Chauve et ses épouses successives à la suite de ses parents – le plus souvent associés et parés de leur titre impérial – et avant leur progéniture permet d’inscrire le roi et la reine dans leur continuité et de légitimer le pouvoir reçu et amené à être transmis à la génération suivante. Si tous les diplômes de Charles le Chauve ne mentionnent pas des contre-dons spirituels (52%), et que certains n’y associent pas la reine ou sa mère à son père, la moitié de ceux qui prévoient des dispositions mémoriales (109/220) associe ses géniteurs et le roi à son ou ses épouses. L’entretien de la mémoire témoigne de l’identité reconnue au couple royal, en même temps qu’elle contribue à renforcer sa visibilité. D’une manière générale, les sources révèlent, à partir du ixe siècle, une attention accrue portée, par le biais de la memoria, au couple des géniteurs, ce qui privilégie de fait les couples fertiles. Loup achève les deux lettres qu’il adresse en 837 au moine Altuin, en lui demandant de faire prier sa congrégation pour son père et sa mère215. Vers 874, Gisèle prévoit que l’abbaye de Cysoing célèbre entre autres l’anniversaire de son père, l’empereur Louis le Pieux, et de sa mère, l’impératrice Judith216. En 878, la fille et les quatre fils du couple comtal de Barcelone donnent au monastère de La Grasse un des alleux de leurs parents pour le remède de l’âme de leur père, le seigneur Sunifred, et de leur mère, la seigneure Ermesinde217. Si les dispositions mémoriales au profit du couple parental sont attestées à partir du ixe siècle, elles deviennent beaucoup plus fréquentes aux xe-xiie siècles, marqués à la fois par l’organisation de la memoria et la mise en place des lignages. Il s’agit alors toujours, dans les élites, de couples officiellement mariés dont les enfants ont hérité. Fils et filles tout en se souciant du salut de leurs parents et en rappelant leur filiation contribuent à rendre le couple parental plus visible, particulièrement lorsque père et mère sont nommés. La memoria des géniteurs permet parfois d’ancrer dans la mémoire le souvenir des différents couples qu’ils ont pu former. Trois chartes datées de 993-1048 qui concernent le même groupe familial sont éclairantes sur point. La première enregistre une donation à Cluny d’Odulric et de son demi-frère Otton pour l’âme, entre autres 212 Charles le Chauve, no 379, t. II, p. 349 (voir Annexe 2, texte no 11). 213 E. Ewig, « Remarques … », art. cit., p. 223. 214 E. Santinelli, « In memoria regine … », art. cit., p. 209. 215 Loup de Ferrières, Correspondance, op. cit., no 8-9, p. 72-73 et 80-81. 216 Cysoing,no 6, p. 11. 217 La Grasse, no 31, p. 53. Il est désormais courant de féminiser le titre seigneurial : entre autres, D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 138 ; H. Débax, « Le lien d’homme à homme au féminin. Femmes et féodalité en Languedoc et en Catalogne aux xie-xiie siècles », dans C. Klapisch-Zuber, M. C. Zimmermann, C. Ponsich (dir.), Les femmes dans l’espace nord-méditerranéen, dans Études Roussillonaises revue d’histoire et d’archéologie méditerranéennes, no 25 (avril 2013), p. 74.
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de leur père Hugues et de la mère d’Odulric, Leceline. La seconde, consigne celle effectuée par Hugues et son fils Odulric, peu après la mort d’Otton, pour l’âme de celui-ci, de sa mère Arimburge déjà morte, de son père Hugues et de son frère Odulric, notamment. Dans la dernière, l’abbé Odon accorde la societas aux membres de la famille, à commencer par Otton, son père Hugues et sa mère Arimburge, et son frère Odulric. Les donations pro anima conservent donc tantôt la mémoire du premier couple d’Hugues avec Arimburge (les deux dernières chartes), tantôt celle du second avec Leceline (la première), selon que le fils principalement concerné est né de la première ou de la seconde union, sans que cela n’empêche cependant les deux fils d’être associés au couple de leur père avec une femme qui n’est pas leur mère (Otton dans la première charte et Odulric dans les deux autres). Si l’on y ajoute que les deux dernières chartes associent les épouses respectives d’Odulric (Odile) et d’Otton (Girildis), et que la première mentionne après leur père Hugues, leur grand-père (Milon) et leur grand-mère (Ermengarde), puis après la mère d’Odulric (Leceline), son épouse Odile, ses fils Milon et Jarenton, ainsi que tous leurs parents et fidèles218, il en ressort l’image d’un groupe solidaire de vivants et de morts, soudé par des liens de parenté et de fidélité et organisé autour des couples conjugaux dont l’identité est pleinement reconnue et le souvenir entretenu, y compris lorsqu’un individu, comme Hugues, a connu plusieurs couples – ce qui correspond à une situation fréquente, on l’a vu. Tableau 10 : Couple et memoria dans les chartes no 2010-2012 de Cluny (993-1048)219
Les chartes enregistrant les donations pro anima qui précisent, contrairement aux libri memoriales, les liens de parenté, font parfois apparaître, parmi les bénéficiaires des contre-dons spirituels, les parents des deux membres du couple bienfaiteur. En 935, le comte Leotald et sa femme Ermengarde font une donation à Cluny pour
218 Cluny III, no 2110, p. 298 (donation d’Odulric et de son demi-frère Otton) ; no 2011, p. 299 (donation de d’Hugues et de son fils Odulric) ; no 2012, p. 299-300 (concession de la societas de Cluny). Voir Annexe 2, textes no 14. 219 Les couples sont mis en gras.
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leur âme et celle de leurs parents respectifs, Albéric et Tolosa ainsi que Manassès et Ermengarde, de même que pour leur ami Gérald et l’ensemble des chrétiens, vivants et morts220. En 1089, le comte Étienne concède, avec l’accord de son épouse Adèle, plusieurs de ses biens à l’abbaye de Pontlevoy pour son âme et celle de son épouse Adèle, pour son père le comte Thibaud et sa mère Gersende, ainsi que pour le roi des Angles Guillaume et son épouse Mathilde, parents d’Adèle221. Le couple bienfaiteur se place ainsi dans la continuité des deux couples parentaux, dont il entretient la mémoire, ce qui peut se justifier dans une société où le renforcement des tendances patrilinéaires n’exclut pas que les droits, les alliances et le prestige se transmettent en ligne masculine et féminine. Nous reviendrons au chapitre 4 sur la question du couple face à la mort et des pratiques qui conduisent certains d’entre eux à entretenir leur mémoire. Il s’agissait ici de montrer que derrière les préoccupations spirituelles avouées se cache une représentation de la parenté qui, qu’elle insiste sur une organisation verticale ou horizontale, accorde toute sa place aux couples, du moins mariés, que l’organisation de la memoria rend plus visibles à partir du ixe siècle, et encore plus aux xe-xiie siècles avec la multiplication des donations pro anima. Si cela n’exclut pas, auparavant, une conscience du couple – marié ou pas, ayant laissé ou non une descendance – qui peut se traduire autrement, comme nous l’avons vu, il en résulte une image beaucoup plus nette du couple, ou du moins d’un type de couple, qui témoigne, là encore, que l’on sait parfaitement l’identifier lorsqu’il est nécessaire de s’y référer. En outre, si l’écriture matérialise le nom du mort, et donc des couples qui figurent parmi ceux qui bénéficient de l’attention des moines et moniales, la prière qui lui est liée contribue, par la répétition rituelle des noms, à cristalliser la mémoire222, tout en permettant aux défunts, parfois cités en couples, d’être présents, par la prononciation de leur nom, à chaque célébration223. Si cela participe au discours des autorités ecclésiastiques qui cherchent à promouvoir le couple conjugal, et plus particulièrement le couple marital qui apparaît seul dans 220 Cluny I, no 432, p. 420-421 : ego Leotaldus, Dei gratia comes, necnon et uxor mea Ermengardis, pro Dei amore et eterna retributione, ut pius Dominus animas nostras vel parentum nostrorum, Alberici atque Tolosane, Manassei et Ermengardis, necnon Geraldi, amici nostri, seu omnium fidelium christianorum, tam vivorum quam et defunctorum, liberare dignetur de penis inferni, pro ipso amore cedimus atque donamus. Si le terme de parentes est ambigu, on sait qu’Albéric et Tolosa (ou Etola) sont les parents du comte de Mâcon Leotald et que Manassès et Ermengarde sont ceux de sa femme : Mgr Rameau, Les comtes héréditaires de Mâcon, Mâcon, 1903, p. 8 et 11. 221 H. d’Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne depuis le vie jusqu’à la fin du xie siècle, t. I, Paris, 1859, Pièces justificatives, no 65, p. 504 : pro animae meae et uxoris et Theobaldi comitis, patris mei et matris meae Gundreae, et regis Anglorum Willelmi et ejus uxoris Mathildis remedio, Ala uxore mea annuente (…). 222 A. Martignoni, « Entre trépas et deuil : pratiques d’écriture dans le Frioul du xve siècle », dans E. Doudet (dir.), La mort écrite. Rites et rhétoriques du trépas au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 24-25. 223 M. Lauwers, La mémoire des ancêtres …, op. cit., p. 105-106 ; P. Geary, « Échanges et relations entre les vivants et les morts dans la société du haut Moyen Âge », dans Droit et Culture, 12 (1986), p. 10-11 et p. 12-13 et Id., La mémoire et oubli à la fin du premier millénaire, trad. fr, Paris, 1996, p. 41, à la suite d’Oexle O. G., « Memoria und Memorialüberlieferung im früheren Mittelalter », dans Frühmittelalterliche Studien, no 10 (1976), p. 84.
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les listes de bénéficiaires des contre-dons spirituels, cela résulte aussi des transformations des structures du pouvoir et de la parenté qui aboutissent à renforcer la position de l’épouse, en l’associant notamment beaucoup plus étroitement à l’exercice du pouvoir. Tout laisse donc supposer que, dans tous les milieux, on a conscience non seulement de l’entité que représente le couple mais aussi des couples successifs qu’un même individu a pu connaître, que des enfants en soient nés ou non, quels que soient leur durée et, dans les élites, leur statut. La relative précarité et instabilité des couples ne remet pas en cause la claire perception qu’on en a. La documentation ne les mentionne cependant que lorsque son objet le rend nécessaire et elle les rend plus visibles à partir du ixe siècle, ce qu’il faut lier à la conjonction de plusieurs évolutions : documentaires (sources écrites plus abondantes et plus diversifiées), idéologiques (promotion du couple) et sociales (association plus étroite de l’épouse).
Conclusion Le couple apparaît donc bien comme une énigme, au haut Moyen Âge comme aujourd’hui, même si les éléments qui entrent en ligne de compte ne sont pas tout à fait les mêmes : difficile de savoir si les facteurs structurants (idéologie favorable à l’indissolubilité, nécessité de maintenir l’alliance entre deux familles, lien créé par une descendance commune, attachement né de la vie partagée) vont l’emporter sur les facteurs déstructurants (idéologie prônant la séparation des conjoints apparentés, retournement d’alliance, opportunité, stérilité de l’union, mésentente conjugale) et favoriser la stabilité du couple ou, à défaut, conduire à sa rupture ; difficile de savoir quand la mort va faucher l’un des conjoints et mettre fin, souvent assez rapidement, au couple ; difficile de savoir précisément quelle importance les individus accordent à leur(s) couple(s) et quelle place les groupes réservent aux couples. La documentation s’intéresse certes d’abord aux individus, auxquels elle n’associe pas forcément leurs conjoints, mais cela ne signifie pas qu’on ignore leur existence ni que l’on dénie aux couples leur place et leur rôle. En outre, lorsqu’elle les évoque, elle donne l’image d’une grande précarité et instabilité des couples, marqués par une durée de vie moyenne qui se situe autour de 15 ans et des conjoints qui reforment assez rapidement de nouveaux couples après un veuvage ou une séparation. Elle révèle néanmoins aussi que, dans tous les milieux sociaux, il y a très certainement une conscience précise des couples qui se forment et se défont au gré des aléas de la vie : les différents couples sont clairement identifiés, qu’ils soient mariés ou non, qu’il en soit né des enfants ou non, qu’ils aient duré plus ou moins longtemps. Les informations ne sont cependant mobilisées que lorsqu’il y a un intérêt à en conserver la trace écrite, dans le cadre d’un discours qui cherche principalement à légitimer des droits et à justifier des stratégies. Cela conduit à privilégier les couples des élites mariés avec enfants qui symbolisent une alliance et transmettent héréditairement des biens et des droits. Les données deviennent donc plus nombreuses à partir du ixe siècle, lorsque les
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sources, démultipliées, témoignent des mutations politiques, sociales et religieuses qui valorisent davantage le couple. La reconnaissance sociale du couple et sa plus grande visibilité à partir de l’époque carolingienne ne disent cependant rien de la vie et des relations conjugales. Si l’on a évoqué la question des sentiments entre les conjoints, le couple a jusqu’ici été principalement appréhendé de l’extérieur. Les chapitres suivants cherchent à le pénétrer de l’intérieur pour en comprendre les fondements et le fonctionnement.
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C hapitre 3
Être un couple : vivre, faire et paraître ensemble ?
Au-delà de la reconnaissance sociale dont le couple fait l’objet, quelles qu’en soient la forme et la durée, il importe de saisir ce qui l’identifie comme tel, ce qui revient à s’interroger sur les éléments qui participent à sa définition. Qu’est-ce qui caractérise un couple ? Qu’est-ce qui justifie que deux individus peuvent être considérés comme un couple ? Les psychanalystes insistent aujourd’hui sur la capacité des individus, quel que soit leur lien juridique, à passer du « je » au « nous » et à construire ensemble ce que certains appellent la « nostrité »1, impliquant pour chacun de renoncer à une part de soi au profit d’une communauté qui se superpose à chacune des individualités, sans pour autant les dissoudre. Cela se traduit notamment, comme le soulignent aussi les sociologues, par « l’élaboration d’une culture et d’une identité conjugales »2 qui organise la vie commune et identifie clairement la communauté conjugale aux yeux du monde extérieur. Ces réflexions qui s’appliquent à notre société occidentale actuelle peuvent néanmoins offrir des pistes à suivre pour décrypter les données du haut Moyen Âge. L’objectif de ce chapitre sera de préciser dans quelle mesure le couple est envisagé comme une communauté3, c’est-à-dire une unité, autour d’éléments communs affichant sa singularité par rapport aux autres : attend-on des conjoints qu’ils construisent une « nostrité » ? Y a-t-il conscience, de leur part comme de celle des autres, qu’ils forment une communauté ? Quels éléments témoignent de son existence et lui confèrent une identité ? Sont-ils les mêmes dans tous les milieux sociaux, pour tous les types de couples et du vie au xiie siècle ? Compte tenu de la nature de la documentation, il importe de préciser le discours idéologique sur le modèle de comportement attendu des conjoints et de mesurer s’il vise à favoriser leur unité, et donc leur identification comme couple, avant de cerner ce que l’on perçoit des pratiques, tant dans le quotidien de la vie conjugale que dans l’image que le couple donne de lui à l’extérieur.
1 P. Jonckheere, L’union conjugale …, op. cit., p. 31-33. 2 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 144. Voir aussi J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, op. cit., p. 82. 3 Sur l’émergence de ce concept comme objet de recherche et ce qu’il recouvre, voir la synthèse de J. Morsel, « Communauté », dans C. Gauvard, J. C. Sirinelli (dir.), Dictionnaire de l’historien, Paris, 2015, p. 107-110, et les travaux du groupe de recherche sur le programme « À la recherche des communautés du haut Moyen Âge », en cours de publication.
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Les fondements du couple selon le discours idéologique Législateurs et moralistes s’intéressent assez peu au couple en tant que tel, dans la mesure où la vie conjugale relève de la sphère du privé. Il leur arrive néanmoins parfois de faire allusion à ce qui caractérise, selon eux, la conjugalité. Pour le concile de Lyon III (583), c’est ainsi le lit et la vie quotidienne partagés4. Le concile de Compiègne (757), promulgué en capitulaire par Pépin III, retient, quant à lui, l’union charnelle5 et le capitulaire de Charlemagne sur le partage du royaume (806) la communauté de vie et de résidence6. L’ordo du couronnement de la reine Ermentrude (866), rédigé par les archevêques Hincmar de Reims et Hérard de Tours, évoque, pour sa part, la communauté conjugale7. Pour Yves de Chartres, la vie conjugale est tantôt associée à l’union charnelle et à des conversations en tête-à-tête8, tantôt à la cohabitation et l’affection9, tantôt encore à l’amour et aux relations sexuelles10. Quant à Gratien, il la caractérise par la cohabitation et l’union charnelle11, mais il précise aussi que pour que l’homme et la femme puissent être appelés conjoints, et non adultères, il faut qu’ils respectent fidélité et sacrement12. Si ce catalogue permet de donner un premier aperçu de la manière dont est envisagée la conjugalité, il comporte d’emblée certaines limites : d’une part, les éléments retenus concernent exclusivement des couples mariés ; d’autre part, ils ne sont liés qu’aux problèmes sur lesquels législateurs et canonistes sont amenés à se prononcer ; enfin, ils ne reflètent la perception que de celui ou de ceux qui s’expriment, sans forcément prétendre à une unanimité qui n’existe pas. Certaines idées reviennent néanmoins à plusieurs reprises, même si elles sont formulées différemment, ce qui laisse supposer qu’elles peuvent être révélatrices des perceptions, des questionnements et de leurs évolutions. L’approche terminologique présente aussi un intérêt certain. En effet, les autorités ecclésiastiques, à défaut d’utiliser le terme de « couple », emploient régulièrement l’adjectif « conjugal » (maritalis, iugalis et surtout coniugalis), ce qui peut aider à saisir l’image qu’ils en ont et l’idéal qu’ils cherchent à diffuser. L’adjectif se trouve 4 Conciles mérovingiens, Lyon III (583), c. 1, t. II, p. 446-447 (voir Annexe 2, textes no 2). 5 Capitulaire de Compiègne (757), MGH Capit., I, no 15, c. 20, p. 39 (voir Annexe 2, textes no 5). 6 Capitulaire de Charlemagne sur le partage du royaume (806), MGH Capit., I, no 45, c. 12, p. 129 (voir Annexe 2, textes no 6). 7 Ordo du couronnement de la reine Ermentrude (866), MGH Capit., II, no 301, t. II, 453 (voir Annexe 2, textes no 6). L’ordo a aussi été édité par R. A. Jackson, Ordines coronationis Franciae : Texts and Ordines for the Coronation of Frankish and French Kings and Queens in the Middle Ages, Philadelphie, 1995, ordo no 6, p. 80-86, en particulier, p. 86 pour la mention de la communauté conjugale. Voir aussi, sur cet ordo, J. Nelson, « Early Medieval Rites of Queen-making and the Shaping of Medieval Queenship », dans A. J. Duggan (dir.), Queens and Queenship in Medieval Europe, Woodbridge, 1997, p. 301 et 308-309. 8 Yves de Chartres, PL, no 144, col. 150 (trad. Merlet, no 147, p. 262) : (…) carnalis copulae consuetudinem (…) et mutuam collocutionem (…). 9 Yves de Chartres, PL, no 242, col. 249 (trad. Merlet, no 243, p. 438) : (…) contubernium (…) dissolvimus et dissociamus (…) illa copula viri et mulieris, in qua non servatur praeceptum dilectionis (…). 10 Yves de Chartres, PL, no 280, col. 282 (trad. Merlet, no 254, p. 455) : (…) cui nec charitatem conjugii exhibuit, vel vix debitum conjugii reddidit (…). 11 Gratien, C. 27, q. 2, c. 2, dictum post, p. 138-139 (voir Annexe 2, textes no 18). 12 Gratien, C. 32, q. 1, c. 10, dictum post, p. 366-367 (voir Annexe 2, textes no 18).
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ainsi associé à commerce (commercium), dette (debitum) et union (copula, copulatio) – dans leur sens sexuel –, lit (t(h)orum), vie (vita), condition (exercitium), lien (vinculum), communauté (consortium), société (societas), chasteté (castitas), amour (amor, dilectio), volonté – assentiment (affectus), pacte (foedus, pactum). Le discours laisse donc supposer que le couple s’identifie par rapport à certains éléments qui lient les deux conjoints et contribuent à le définir comme entité distincte. Or, parmi ceux qui figurent comme les fondements du couple, il y a les relations sexuelles, la cohabitation, les conversations et l’amour, qui présentent bien des similitudes avec ceux généralement retenus aujourd’hui : amour, sexualité, communication, activités communes, intimité13. Cela ne signifie pas pour autant que cela corresponde aux mêmes attendus, ni que l’on ait été attentif aux mêmes choses du vie au xiie siècle. Il s’agit donc de préciser à la fois, la manière dont le discours idéologique perçoit le couple dans son unité, les modèles de comportements conjugaux qu’il propose visant à conforter la communauté conjugale et les évolutions qui l’affectent au cours du haut Moyen Âge. Trois aspects du discours seront successivement analysés : d’une part, la cohabitation et les relations sexuelles, principalement prises en compte à l’époque mérovingienne ; d’autre part, la communauté d’affection et d’entraide, promue à partir de l’époque caroligienne ; enfin, ce qu’il en résulte en termes de missions attribuées au couple, conforté par ce biais. Le partage d’une résidence et de relations sexuelles
À l’époque mérovingienne, la vie conjugale – qui ne retient que très peu l’attention des autorités laïques et religieuses, occupées à d’autres tâches – est essentiellement associée à la cohabitation et à la copulation : le couple apparaît caractérisé par le partage d’une même résidence et de relations sexuelles, ce qui ne signifie pas qu’il n’est que cela, mais c’est ce qui est retenu par le discours en fonction de ses préoccupations. Le Pactus legis salicae, dans les trois articles où il est fait allusion à la vie conjugale ou aux relations entre époux, laisse supposer la cohabitation, puisque la recherche d’un individu conduit à sa maison où se trouve sa femme, et, en lien avec la communauté de résidence, le partage des repas14. La législation canonique qui se préoccupe essentiellement des couples de clercs pour leur interdire l’union charnelle15, à laquelle ils ont renoncé en étant ordonné, précisent qu’ils ne doivent plus partager avec leurs épouses le même lit ni la même chambre16, voire la même maison17, ce qui en fait par déduction des caractéristiques de la vie conjugale. En dehors des dispositions relatives aux clercs, les canons évoquent, pour les condamner,
13 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 144-152 ; P. Servais, Regards sur la famille …, op. cit., p. 44 ; A. Boyer-Labrouche, De la séduction …, op. cit., p. 24. 14 PLS, c. 1, § 3, p. 19 ; c. 55, § 4, p. 207 et c. 56, § 6, p. 213 (voir Annexe 2, textes no 1). 15 Conciles mérovingiens, Clermont (535), c. 13, t. I, p. 216-217 ; Orléans III (538), c. 2, t. I, p. 232-233. Voir Annexe 2, textes no 2. 16 Ibid., Orléans IV (541), c. 17, t. I, p. 274-275 ; Auxerre (561-605), c. 21, t. II, p. 494-495. 17 Ibid., Tours II (567), c. 13 et 20, t. II, p. 358-359 et p. 364-367 ; Lyon III (583), c. 1, t. II, p. 445-447 (voir Annexe 2, textes no 2).
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d’une part, les femmes enlevées qui acceptent d’habiter avec leurs ravisseurs18 et, d’autre part, les incestueux qui cohabitent intentionnellement à l’encontre des interdictions des évêques19, et réduisent, par ailleurs, les unions conjugales condamnées – entre juifs et chrétiens, ainsi qu’entre individus apparentés – à l’union charnelle20, ce qui confirme la perception du couple comme une communauté de vie liée par le sexe. Revenir dans le lit conjugal est synonyme de reprendre la vie conjugale21. L’hagiographie retient aussi essentiellement ces deux aspects, davantage la cohabitation que la copulation, essentiellement suggérée par le biais des enfants ou du lit, comme dans la Vie de sainte Radegonde : les deux seuls aspects de la vie conjugale éclairés par Fortunat sont les nuits passées par la reine couchée aux côtés du roi et les repas pris ensemble22. Aux siècles suivants, les sources normatives continuent d’associer le couple à la cohabitation et aux relations sexuelles. En ce qui concerne la première, outre certaines allusions à la cohabitation pratiquée par les couples en général23, les couples de clercs24 ou de paysans25 en particulier, ce qui laisse supposer sa généralisation dans tous les milieux et pour tous les types de couples, y apparaît aussi un discours précisant que cela correspond à la norme attendue. Le capitulaire de 806 qui évoque ainsi les déplacements réalisés par les femmes au moment du mariage précise que c’est « au titre de la communauté de vie » qu’elles viennent s’établir avec leur mari26. Dans l’affaire du mariage d’Étienne, Hincmar de Reims, certes préoccupé par ce qui fait le lien matrimonial, considère, dans la lettre qu’il adresse sur le sujet à la fin de l’année 860 aux archevêques de Bourges et de Bordeaux, en s’appuyant sur une décrétale du pape Léon Ier même s’il formule les choses autrement, qu’il n’y a pas union/couple conjugal(e) (conjugalis copula) si les noces ne s’accompagnent pas de l’union des sexes, ce qui implique – dans ce cas, comme pour la plupart des mariages dans le milieu élitaire – la cohabitation27, au moins temporaire : cela revient à faire du partage d’une même maison un critère essentiel de la conjugalité. De même, quelques siècles plus tard, pour Gratien, guidé par des considérations 18 19 20 21 22 23 24
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Ibid., Orléans III (538), c. 16, t. I, p. 246-247. Ibid., Orléans III (538), c. 11, t. I, p. 238-241. Ibid., Clermont (535), c. 6 et 12, t. I, p. 214-215 et 216-217 ; Tours II (567), c. 22, t. II, p. 376-383. Ibid., Orléans V (549), c. 4, t. I, p. 302-303 ; Eauze (551), c. 1, t. I, p. 330-331. Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 5, p. 66-67 : nocturno tempore, dum reclinaret cum principe (…) et c. 7, p. 70-71 : (…) eam ad mensam rex quaereret. Par exemple, Concile de Rome (826), c. 37, MGH Capit., I, no 180, p. 377 ; Jonas d’Orléans, II, 16, p. 451-452 ; Vita S. Rictrudis, c. 5, col. 834 (voir Annexe 2, textes no 6, 8 et 13). Par exemple, Capitulaire de Carloman (742), c. 7, MGH Capit., I, no 10, p. 26 ; Capitulaire de Pépin (Soissons, 744), c. 8, ibid., no 12, p. 30 ; Capitulaire ecclésiastique de Louis le Pieux (818-819), c. 17, ibid., no 138, p. 278 ; Concile de Rome (826), c. 15, éd. MGH Capit., I, no 180, p. 374 ; Yves de Chartres, PL, no 218, col. 221-222 (trad. Merlet, no 220, p. 395-396) (voir Annexe 2, textes no 6 et 16). Par exemple, Yves de Chartres, PL, no 242, col. 249-250 (trad. Merlet, no 243, p. 438-440) (voir Annexe 2, textes no 16). Capitulaire de Charlemagne (806), c. 12, MGH Capit., I, no 45, p. 129 (voir Annexe 2, textes no 6). Hincmar de Reims, De nuptiis Stephanii, éd. E. Perels, MGH Epistola Carolini aevi 8.1, no 136, p. 93 : non omnes nuptiae conjugalem copulam faciunt, quas non sequitur commixtio sexuum. Voir G. Fransen, « La lettre d’Hincmar de Reims au sujet du mariage d’Étienne. Une relecture », dans R. Lievens, E. Van
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analogues, le mariage implique la pratique de la vie commune par les deux époux28. Les deux théoriciens témoignent cependant que les situations peuvent être plus complexes qu’il n’y paraît. La position d’Hincmar laisse ainsi entendre que les gestes créateurs d’alliance matrimoniale ne conduisent pas forcément à la pratique d’une véritable conjugalité, symbolisée par la cohabitation : même si cela n’est pas le fait de la majorité, cela remet en cause l’équation « mariage = vie conjugale », du moins dans les élites. De même, Gratien, après avoir affirmé la règle générale de la communauté de vie des époux, s’interroge sur la nature du consentement donné par ceux-ci à l’occasion du mariage : « consentement à la cohabitation, ou à l’union charnelle, ou les deux ? »29. Si son objectif est de définir ce qui fait le mariage, cela n’en laisse pas moins supposer que certaines unions socialement reconnues pouvaient ne pas s’accompagner de cohabitation ou de sexualité, ce qui ne signifie pas que c’était pratique courante. Cela invite néanmoins à distinguer, comme le font aujourd’hui psychanalystes et sociologues, couple public et privé30 : ceux qui peuvent apparaître comme formant un couple aux yeux de la société peuvent ne pas se comporter en couple dans leur vie privée. Nous y reviendrons31. L’interrogation de Gratien montre que l’on continue en outre à associer la conjugalité à la sexualité, en plus de la cohabitation. Cela ne signifie cependant pas que le discours soit le même tout au long du haut Moyen Âge. Il évolue notamment sur ce point, à partir de l’époque carolingienne, marquée par ailleurs par le souci des autorités de mieux encadrer la société et les comportements, y compris dans le cadre de la vie conjugale : dans un système de représentation structuré notamment autour de la dualité entre l’esprit et la chair, le spirituel et le corporel – dans leur opposition32, mais aussi leur articulation positive et nécessaire33 –, les relations sexuelles conjugales, qui étaient jusque-là évoquées négativement par les ecclésiastiques convaincus de la supériorité de la continence et du célibat, bénéficient désormais d’une image plus positive faisant du couple marié le lieu d’exercice légitime de la sexualité, ce qui contribue à sa cohésion. Les moralistes s’attachent cependant à en
Mingroot, W. Verbeke, Pascua Mediaevalia. Studies voor Prof. Dr. J. M. R. Smet (Mediaevalia Lovaniensia Series I/ Studia X), Louvain, 1983, p. 136 et 140-143. Sur cette affaire, voir J. Devisse, Hincmar …, op. cit., t. I, p. 432-436. 28 Gratien, C. 27, q. 2, dictum initial, p. 134-135 (voir Annexe 2, textes no 18). 29 Gratien, C. 27, q. 2, dictum initial, p. 134-135 et c. 2, dictum post, p. 138-139 (voir Annexe 2, textes no 18). 30 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 155 ; G. Eid (dir.), L’intimité ou la guerre des sexes. Le couple d’hier à demain,Paris 2001, p. 38-39. 31 Voir ci-après. 32 A. Guerreau-Jalabert, « Amour et amitié … », art. cit., p. 285. 33 J. Baschet, Corps et âmes : une histoire de la personne au Moyen Âge, Paris, 2016 : l’auteur montre que si « le Moyen Âge n’a pas ignoré la lutte de la chair et de l’esprit (…), les clercs médiévaux ont aussi pensé le rapport entre l’âme et le corps » (p. 7) et que la période est marquée par une dynamique anti-dualiste qui s’affirme aux xiie-xiiie siècles (p. 29), caractérisée par l’« articulation positive du spirituel et du corporel, toujours conjuguée à leur séparation hiérarchique », accompagnant et sous-tendant le déploiement de « la position dominante de l’Église dans l’Occident médiéval » (p. 93-94).
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préciser le bon usage34, condition nécessaire, selon eux, à la réalisation du couple : « il importe », précise ainsi Jonas d’Orléans, « que les époux (coniugati) prennent garde à ne pas transformer ce qui est permis en un péché en se livrant au désir de jouir »35. Aux élites masculines qui pensent le contraire, il rappelle, en citant la Bible, Jérôme, Grégoire le Grand et Augustin, qu’ils ne peuvent « user de [leurs épouses] à [leur] fantaisie, au moment et de la manière qui [leur] plaisent »36. La critique témoigne d’un discours qui s’adresse d’abord aux hommes, dont le comportement tend à réduire l’épouse à l’état de pur objet sexuel, ce qui remet en cause le rôle de la sexualité dans la construction d’une véritable communauté conjugale. Jonas leur propose de pratiquer, selon le modèle à suivre par les deux sexes, l’union charnelle avec discernement : il s’agit pour le mari comme pour sa femme, de s’unir avec chasteté (pudicitia, castitas) – selon la terminologie d’Augustin, reprise par Jonas d’Orléans37 –, c’est-à-dire sans excès, sans plaisir et dans le seul but d’avoir des enfants38. C’est la pratique de la tempérance dans la conjugalité, comme l’a souligné Pierre Toubert39. À cette condition, précise Jonas, le salut peut être obtenu par les époux, malgré les relations charnelles, même si la récompense est moins élevée que pour ceux qui ont conservé leur virginité40. Il en ressort l’idée que l’usage mesurée de la sexualité, décidée d’un commun accord, contribue à renforcer le couple, en permettant aux conjoints, non seulement d’être liés par une descendance commune, mais aussi d’atteindre ensemble le salut. Même s’il est beaucoup moins fréquent, le discours n’est pas différent lorsqu’il s’adresse aux femmes, ce dont témoigne le poème de l’évêque Théodulfe d’Orléans (v. 798-818), placé en dédicace d’un psautier qu’il offre à une jeune aristocrate nommée Gisla probablement à l’occasion de son mariage : il invite notamment celle-ci à être une épouse chaste avec son chaste époux, en souhaitant au couple d’être comblé de joie par leur descendance41. Si le plaisir reste suspect, le discours privilégie l’image d’un partenariat entre les époux en matière de sexualité, récompensé, s’il est réalisé correctement, par la naissance d’une progéniture dont on a vu le rôle dans la structuration du couple42.
34 P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., p. 249. 35 Jonas d’Orléans, II, 1, p. 324-327. 36 Ibid., II, 3, p. 340-347, en particulier p. 340-341 (pour la citation). Idée reprise en II, 6, p. 368-369. Sur la vision négative de la sexualité, y compris conjugale, par les Pères de l’Église, voir K. Heene, The Legacy of Paradise : Marriage, Motherhood and Women in Carolingian Edifying Literature, Francfort-sur-le-Main, 1997, p. 65-67. 37 Jonas d’Orléans, II, 1, p. 324-325 ; II, 2, p. 334-335 ; II, 4, p. 348-361. 38 Ibid., II, 6, p. 370-381. Voir aussi J. Brundage, Law, Sex …, op. cit., p. 139-140. 39 P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., p. 295. 40 Jonas d’Orléans, II, 2, p. 340-341 (voir Annexe 2, textes no 8). Jonas reprend la parabole du semeur qu’il applique aux hommes, alors que celle-ci est généralement utilisée pour définir la hiérarchie des états féminins. 41 Théodulfe, Carmina, no 43, éd. E. Dümmler, MGH poetae latini aevi carolini I, Hanovre, 1881, p. 542, trad. et analyse C. Tignolet, « Conseils à une jeune épouse : le poème de Théodulfe d’Orléans à Gisla », dans L. Jégou et al. (dir.), Splendor reginae …, op. cit., p. 237-244, et p. 238 pour la traduction. 42 Voir chapitre 2.
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Le modèle d’une conjugalité fondée sur une sexualité mesurée, largement diffusé par les moralistes carolingiens43, n’est pas nouveau : il était déjà proposé par certaines autorités ecclésiastiques des siècles précédents, comme Césaire d’Arles ou Grégoire le Grand, mais dans le cadre d’un discours négatif sur la conjugalité44. L’époque carolingienne s’en distingue à la fois par une vision nettement plus optimiste et par la diffusion du modèle proposé, relayé par différents types de sources dans les siècles qui suivent. Le concile de Rome (826) promulgué en capitulaire recommande ainsi aux maris de conserver leur union chaste45. L’hagiographie donne de même en exemple des couples chastes. Dans la deuxième moitié du ixe siècle, Hincmar précise que les parents de Rémi – dont la mère est ménopausée et le père, âgé, a le corps décrépi – ne recherchent pas le commerce conjugal (coniugale commercium) et que, s’ils s’y résolvent, c’est parce qu’on leur a annoncé la conception du saint : ce n’est pas l’ardeur du plaisir (ardor libidinis) qui les guide mais l’amour d’un enfant (amor subolis) engendré selon la prédiction divine46. Au début du xe siècle, Hucbald de saint Amand souligne aussi qu’Adalbald ne prit pas une épouse par incontinence mais pour avoir une descendance et que leur lit fut sans souillure47. Peu après, Odon de Cluny évoque l’union chaste des parents de Géraud d’Aurillac48 et, au xiie siècle, la Vie d’Ide de Boulogne le mariage chaste de la sainte49. Quant aux modèles de comportements proposés aux élites masculines par les ecclésiastiques dans leurs œuvres historiques, ils comptent la chasteté conjugale parmi les vertus à pratiquer : au dire d’Ordéric Vital, le chevalier Ansoud de Maule, « se contentant d’une union légitime, aimait la chasteté : il condamnait l’obscénité du désir (…). Il louait les jeûnes et toute forme de continence de la chair (…) »50. Si Yves de Chartres envisage, dans plusieurs lettres, les relations charnelles comme inhérentes à la conjugalité sans se prononcer cependant sur leur nature ni leur intensité51, Gratien fait œuvre d’originalité en interprétant les autorités d’usages (saint Paul, Augustin), pour affirmer que les époux n’ont pas à s’unir que pour la seule procréation des enfants et que même s’ils le font par plaisir, ils n’en sont pas pour autant fornicateurs, mais doivent être considérés comme de vrais conjoints52. C’est reconnaître que la sexualité participe à part entière à la conjugalité,
43 Dhuoda conseille à son fils soit la virginité, soit la chasteté dans l’union conjugale : Dhuoda, Manuel …, op. cit., IV, c. 4, p. 224-225. Voir aussi K. Heene, The Legacy of Paradise …, op. cit., p. 69-73 et p. 79-89. 44 I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 222-225. 45 Concile de Rome (826), éd MGH Capit. I, no 180, c. 37, p. 377 (voir Annexe 2, textes no 6). 46 Vita S. Remigii, c. 1, p. 260. 47 Vita S. Rictrudis, c. 5, col. 834 (voir Annexe 2, texte no 13). 48 Vita S. Geraldi Auriliacensis comitis, I, 2, col. 643 (trad. I, 6, p. 230). 49 Vita S. Idae, § 4, p. 142 (voir Annexe 2, texte no 17). 50 Orderic Vital, l. V, c. 19, t. 3, p. 180-182 : Legali conubio contentus castitatem amabat et obscenitatem libidinis (…) condemnabat. Ieiunia et omnem continentiam carnis (…) laudabat. 51 Yves de Chartres, PL, no 99, col. 113 ; no 245, col. 251-253 ; no 280, col. 282 (trad. Merlet, respectivement no 101, p. 201 ; no 246, p. 442 ; no 254, p. 455). Pour Yves de Chartres, l’abandon du lit et du devoir conjugal symbolise celui de la vie de couple : éd. PL, no 252, col. 258 (trad. Merlet, no 253, p. 453). 52 Gratien, C. 32, q. 2, p. 372-381 et p. 393 (voir Annexe 2, textes no 18). Sur la position plus générale de Gratien sur le rôle de la sexualité dans le mariage, voir J. Brundage, « Sex and Marriage in the Decretum of Gratian », dans Id., Law, Sex …, op. cit., p. 235-242.
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ce qui ne signifie pas pour autant que celle-ci se trouve supprimée s’il n’y a plus de relations sexuelles pour une raison ou une autre53. Pour certains, la sexualité conjugale n’est donc plus seulement envisagée comme un devoir en vue de la procréation ou un remède à la concupiscence : elle apparaît aussi comme un moment partagé par le couple qui contribue à en fortifier l’union et la relation54. Si la sexualité apparaît, dans le discours qui cherche à l’encadrer, comme un fondement du couple, avec la cohabitation qui lui est étroitement liée, ces seules relations physiques et matérielles suffisent rarement à définir la communauté conjugale et à lui donner une cohésion. Vers la définition d’une communauté d’affection et d’entraide
Le couple apparaît, progressivement, dans le discours idéologique non plus seulement essentiellement comme une communauté partageant maison et sexe, mais aussi comme une communauté de solidarité. À l’époque mérovingienne, il arrive, comme nous l’avons vu au chapitre 2, que la documentation témoigne de conjoints qui se soutiennent réciproquement ou sont unis par des liens affectifs, mais il faut attendre l’époque carolingienne pour que s’élabore un discours qui considère que la conjugalité implique la création d’une véritable communauté de partenaires, attachés l’un à l’autre, soucieux l’un de l’autre. Dans la mesure où cela modifie la perception du couple, il convient d’analyser comment et pourquoi s’est opérée la transformation. Aux premiers siècles du Moyen Âge, législateurs et hagiographes font parfois allusion à la solidarité ou à l’affection qui existent entre les époux, sans établir de liens entre les deux aspects. En témoignent, pour la première, le Pactus legis salicae qui laisse supposer qu’un homme, exclu de la communauté pour crime grave, s’attend à pouvoir compter sur son épouse pour lui accorder nourriture et hospitalité55 ou l’hagiographie qui évoque quelques cas d’époux ou d’épouses qui soutiennent leur conjoint malade ou infirme : Grégoire de Tours montre sa mère prenant des dispositions pour guérir son père malade56 ; Jonas de Bobbio évoque un mari qui se soucie du rétablissement de sa femme malade depuis un an et une femme syrienne qui guide son mari aveugle depuis de nombreuses années57 ; Fortunat précise qu’une femme de charpentier repart chez elle avec son mari, après avoir été exorcisée par Radegonde, ce qui laisse supposer que celui-ci, attentif à son épouse, l’a conduite auprès de la sainte58. L’entraide conjugale apparaît donc comme un modèle offert à l’un comme à l’autre sexe. Force est cependant de constater que cet aspect de la conjugalité ne retient pas véritablement l’attention et que ce n’est pas ce qui la
53 Voir par exemple sur les couples chastes, au premier sens du terme, c’est-à-dire sans relations sexuelles, dans l’Antiquité tardive et les premiers siècles médiévaux, S. Joye, « Couples chastes à la fin de l’Antiquité et au haut Moyen Âge », dans S. Joye et al. (dir.), Le couple …, op. cit., p. 47-63. 54 Sur la question de la sexualité conjugale et du plaisir sexuel dans le mariage, voir C. Baladier, Érôs au Moyen Âge. Amor et delectatio morosa, Paris, 1999, p. 115-126. 55 PLS, c. 55, § 4, p. 207 et c. 56, § 6, p. 213. 56 Grégoire de Tours, GC, no 39, p. 772. 57 Jonas de Bobbio, respectivement l. I, c. 7, p. 73 (trad. p. 113-114) et c. 21, p. 94 (trad., p. 146-147). 58 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 33, p. 102-103.
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caractérise alors. Il en est de même pour les liens affectifs entre les conjoints qui ne font d’abord l’objet que d’allusions discrètes. Dans son œuvre hagiographique, Grégoire de Tours évoque l’affection conjugale à quatre reprises : d’abord, lorsqu’il raconte l’histoire d’un couple marié et dormant dans le même lit, mais n’ayant jamais eu de relations sexuelles et dont les tombeaux se sont miraculeusement déplacés pour être orientés dans la même direction, ce qui leur vaut d’être appelés les « deux amants » (duos amantes) par les habitants59 ; ensuite, à l’occasion du récit de la mise au tombeau de la femme du sénateur Hilaire aux côtés de son mari qui, décédé un an plus tôt, l’embrasse alors, ce qui témoigne aux yeux du peuple de l’amour (dilectio) qui avait dû exister entre eux de leur vivant60 ; ensuite, quand il évoque l’apparition d’un mari à sa femme auquel celle-ci explique qu’elle n’a « pas oublié leur amour » (caritas)61 ; enfin, lorsqu’il est question de l’évêque Rétice, uni à son épouse par une affection spirituelle (spiritualis dilectio)62. Si dans les quatre anecdotes, l’affection conjugale, envisagée positivement63, renforce le couple dans la vie comme par delà la mort, il est difficile d’en déduire si elle correspond à un idéal qui suscite l’admiration ou à un sentiment communément observé. En outre, le vocabulaire de l’amour conjugal – amor, dilectio, caritas –, dont on mesure mal les nuances, ne se distingue pas de celui relatif à l’amour en général et de Dieu en particulier64. Si cela reste ensuite le cas, on dépasse, à l’époque carolingienne, les simples mentions d’affection et d’amour conjugaux, pour en faire, avec l’entraide réciproque, l’un des fondements du couple, désormais envisagé comme une communauté d’associés. Jonas d’Orléans invite ainsi les maris à entourer leurs épouses d’un amour, chaste – précise-t-il – (amore casto), en rappelant les préceptes bibliques et patristiques qui y invitent65. L’amour y apparaît néanmoins comme un sentiment de nature spirituelle et non charnelle66, Jonas citant saint Paul (Ep 5, 25), Augustin et Jérôme qui comparent l’amour entre mari et femme à celui qui existe entre le Christ et l’Église67. Ce que doivent aimer les maris, ce n’est pas la beauté du corps de leurs Grégoire de Tours, GC, no 31, p. 317. Ibid., no 41, p. 323-324. Ibid., no 64, p. 336 : caritati tuae non immemor. Ibid., no 74, p. 342. Contrairement à l’image que Grégoire de Tours en donne dans son œuvre historique : voir chapitre 2. Saint Augustin utilise indifféremment la même terminologie pour désigner l’amour de Dieu et précise lui-même que l’Écriture Sainte emploie parfois le mot amor comme synonyme de dilectio et caritas : G. Hultgren, Le commandement d’amour chez saint Augustin. Interprétation philosophique et théologique d’après les Écrits de la période 386-400, Paris, 1939, p. 126 et n. 11. Sur le concept de caritas, voir A. Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caritas … », art. cit., en particulier p. 178-182. Sur la terminologie de l’amour et les réalités distinctes qu’elle recouvre, voir Ead., « Amour et amitié … », art. cit., p. 281-289. 65 Jonas d’Orléans, II, 5, p. 360-369, en particulier 362-363 et 368-369 pour l’amour chaste. Le titre du chapitre 5 emploie la forme verbale « aimer chastement » (castitate diligere). 66 Sur les différentes formes d’amour et leurs manifestations, voir C. Baladier, Érôs au Moyen Âge …, op. cit. et le débat auquel le livre a donné lieu : C. Baladier, M. David-Ménard, D. Iogna-Prat, C. Lucken, « L’amour au Moyen Âge. Autour du livre de Charles Baladier, Érôs au Moyen Âge. Amour, désir et ‘delectatio morosa’ », dans Médiévales, no 40 (2001), p. 133-157, notamment p. 133-134. 67 Jonas d’Orléans, II, 5, p. 362-363 pour les références bibliques ; p. 364-365 pour Augustin et Jérôme ; p. 368-369 pour le commentaire du verset de l’Apôtre par Augustin. 59 60 61 62 63 64
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épouses, mais leur esprit, leur chasteté, l’honnêteté de leurs mœurs68. L’amour conjugal n’est pas encore conceptualisé, mais il y apparaît comme une sorte de sentiment rationnel, raisonnable, désintéressé de bienveillance à l’égard du conjoint, ce qui correspond à la définition du véritable amour (pas forcément conjugal) qu’en donnent les théologiens du xiie siècle, à commencer par Richard de Saint Victor69. Si ce que recouvre exactement l’amour conjugal est rarement précisé, il n’en est pas moins présenté comme un élément essentiel dans la définition du couple. Hincmar de Reims et Hérard de Tours qui ont rédigé l’ordo du couronnement de la reine Ermentrude (866) prient pour qu’il y ait entre les époux union d’affection (iugum dilectionis)70. Pour Yves de Chartres au tournant du xie et du xiie siècle, le couple formé d’un homme et d’une femme (copula viri et mulieris) n’en est pas véritablement un quand « le principe de l’affection » (praeceptum dilectionis) n’est pas observé71 et, dans une autre lettre, il reproche à un mari de n’avoir pas « montré l’amour dû à sa femme » (charitas coniugii)72. De même, Gratien intègre dans son Décret un serment de réconciliation entre époux qui fait allusion à l’affection (dilectio) que tout mari doit avoir pour sa femme73. Le discours qui s’adresse principalement aux hommes, sans se désintéresser des femmes, témoigne donc des liens affectifs attendus dans tout couple, fragilisé lorsque ceux-ci sont absents. L’hagiographie diffuse par conséquent le modèle de couples qui s’aiment, à l’image de la Vie de sainte Rictrude : Hucbald y souligne, parmi les qualités d’Adalbald regardées par Rictrude, la sagesse, la préférable pour le sentiment de l’amour (amor), et il présente le couple comme une communauté d’amour (compages charitatis)74. Il critique aussi cependant le roi Dagobert, adonné à l’amour (amor) des femmes75, ce qui montre la perception de différentes formes d’amour, sans qu’il y ait forcément pour autant distinction terminologique, et que celle qui doit prévaloir au sein du couple n’est pas lié au désir sexuel. L’idéal de l’amour conjugal est aussi parfois mis en avant par les œuvres historiques. Vers 1200, Gislebert de Mons précise ainsi que la pieuse comtesse Ide aime (diligens) Dieu et son mari (Baudouin II de Hainaut)76 et que Baudouin VI de Hainaut, exemplaire selon le chapelain hainuyer parce qu’il ne se contente que d’une seule femme, s’illustre aussi par l’amour fervent (amor fervens) qu’il éprouve pour son épouse77. Le couple est ainsi progressivement envisagé et présenté comme devant être une communauté d’affection, indispensable pour cimenter l’union des conjoints tout en poussant chacun d’eux à être attentif à l’autre. Pour Elisabeth Van Houts, c’est ce qui aurait conduit 68 Ibid., p. 366-369. Sur cette idée partagée par d’autres moralistes, voir K. Heene, The Legacy of Paradise …, op. cit., p. 98-102. 69 C. Baladier et al., « L’amour au Moyen Âge … », art. cit., p. 136-137. 70 Ordo du couronnement de la reine Ermentrude (866), MGH Capit., II, no 301, t. II, 453 (voir Annexe 2, textes no 6). 71 Yves de Chartres, PL, no 242, col. 250 (trad. Merlet, no 243, p. 438). 72 Ibid., no 280, col. 282 (trad. Merlet, no 254, p. 455). 73 Gratien, C. 35, q. 6, c. 11, p. 650-651. 74 Vita S. Rictrudis, c. 5, col. 834 (voir Annexe 2, textes no 13). 75 Ibid., c. 3, col. 832 (voir Annexe 2, textes no 13). 76 Gislebert de Mons, c. 27, p. 45 (t. 14, p. 77) : Deum et virum suum diligens. 77 Ibid., c. 123, p. 192 (éd. et trad. t. 14, p. 323).
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l’Église à imposer plus fermement au Moyen Âge central le consentement des époux comme critère de validité du mariage : l’autodétermination sur différents aspects, notamment les liens affectifs, qu’il traduirait favoriserait la stabilité du couple et donc l’indissolubilité78. Même si le consentement n’est pas un indice d’autodétermination, dans des sociétés où les pressions sur les individus sont multiples, et si les arguments juridiques ont été davantage mobilisés pour y échapper, le discours ne s’en est pas moins penché sur la question des sentiments conjugaux. Il n’y a néanmoins, là encore, aucune unanimité, certains continuant de considérer qu’il n’y a pas compatibilité entre mariage et amour et que l’amour, notamment conjugal, peut être destructeur79. La littérature courtoise se fait d’ailleurs l’écho des débats du xiie siècle80 : elle met en scène des couples, mariés ou informels, heureux ou malheureux, qui partagent, ou non, une affection réciproque, mais Chrétien de Troyes se distingue en rédigeant le roman d’Érec et Énide (v. 1170) qui affirme clairement que mariage et amour peuvent être compatibles et que le couple se trouve fortifié par l’amour partagé81. Si le lien n’est pas explicitement formulé entre l’affection conjugale et le soutien réciproque des époux, celui-ci apparaît néanmoins comme un devoir conjugal exigé par les moralistes carolingiens qui envisagent désormais clairement le couple comme une communauté solidaire. Pour Jonas d’Orléans, les époux doivent ainsi se soutenir réciproquement, notamment en cas d’adversité ou de maladie : il laisse supposer que c’est déjà la norme pour les épouses, du moins pour celles qui sont chastes et vertueuses, mais pas pour les maris qui ne se considèrent pas astreints aux mêmes obligations, pourtant recommandés par les préceptes chrétiens. Il les invite donc à se comporter avec leurs épouses comme ils entendent que celles-ci se conduisent avec eux, ce qu’il présente comme une juste réciprocité82. L’ordo du couronnement de la reine Ermentrude (866) rappelle, quant à lui, les fondements bibliques du soutien conjugal83 : en créant la femme, Dieu a voulu faire une aide à l’homme (Ge 2, 18 et 20-22). Le soutien conjugal est certes présenté de manière unilatérale, mais l’ordo est centré sur la reine, ce qui l’explique. Plus généralement, même si le discours est parfois genré ou laisse supposer des pratiques genrées, il insiste globalement sur la réciprocité qu’il doit y avoir dans le couple sur ce plan84. L’entraide n’y est pas envisagée que sur un plan matériel : elle doit aussi être spirituelle, chacun des époux devant aider l’autre à obtenir le salut. Pour Jonas d’Orléans comme ensuite pour Yves de Chartres, qui s’appuient sur saint Paul (1 Co 7, 3-5), les relations sexuelles avec
78 E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 2-4. 79 Ibid., p. 108-110. 80 M. Aurell, Le chevalier lettré …, op. cit., p. 390-400. 81 Chrétien de Troyes, Érec et Énide, trad. R. Louis, Paris, 1982, réimpr. 2009. Analyse historique de E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 38-39 et 108 ; analyse littéraire de D. James-Raoul, Chrétien de Troyes, Érec et Énide, Paris, 2009, en particulier p. 116-121 sur « L’amour dans le mariage ». 82 Jonas d’Orléans, II, 11, p. 414-415 (voir Annexe 2, textes no 8). 83 Ordo du couronnement de la reine Ermentrude (866), MGH Capit., II, no 301, p. 453 (voir Annexe 2, textes no 6). 84 Sur la réciprocité parfaite de droits et de devoirs attendus des époux par les moralistes, voir P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit. p. 301.
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le conjoint auxquelles chacun d’eux doit se soumettre participent d’ailleurs de ces efforts, puisqu’elles évitent à l’un comme l’autre d’être tenté ailleurs et donc de se perdre dans l’adultère85. Le premier cite par ailleurs Ambroise montrant en modèle Abraham qui « en bon mari, ne souffre pas de tenir son épouse exclue d’une action pieuse »86. Quant à l’hagiographie, elle propose des modèles de soutien spirituel qui vont dans ce sens, l’un des conjoints incitant l’autre à la pratique de la foi ou des bonnes œuvres. La Vie de sainte Clotilde, rédigée au milieu du xe siècle, montre la reine ne cessant de prêcher au roi d’honorer le vrai Dieu et surtout priant Remi de guider le roi vers la voie du salut87. La Vie de sainte Ide de Boulogne, de la première moitié du xiie siècle, précise que le comte Eustache encourageait son épouse dans l’accomplissement des bonnes œuvres88. L’insistance nettement plus forte à partir de l’époque carolingienne sur la communauté solidaire que doit former le couple s’explique par la réaffirmation de l’idée, inspirée du droit romain, que les époux se trouvent liés par un accord réciproque (foedus, pactum), fondé sur la fidélité, qui crée entre eux une communauté (societas, consortium) et les transforment en associés (consortes)89, comme l’a souligné Pierre Toubert dont il suffira de reprendre les conclusions utiles pour le sujet. Celui-ci a notamment montré que les clercs carolingiens avaient cherché à proposer un modèle de relations conjugales basées sur celles qui liaient entre elles les élites laïques masculines, à commencer par les liens de fidélité90, impliquant interdits et obligations multiples à l’égard du seigneur. Inversement, si au xiie siècle, les histoires de mariage, d’amour et d’adultère imprègnent la littérature, c’est parce que cela permet, entre autres, par leur intermédiaire, de dénoncer ou de valoriser certains aspects des relations relations vassaliques qui fonctionnent selon la même logique que les liens matrimoniaux91 et de faire réfléchir lecteurs et auditeurs des deux sexes sur les comportements à suivre ou à proscrire. Sur le plan des relations conjugales, la fides recouvre des réalités multiformes mais qui contribuent toutes à fortifier la communauté des époux. Dans les années 820, Jonas d’Orléans, qui lui consacre un chapitre, l’envisage d’abord sur le plan sexuel, selon une triple déclinaison : d’abord l’interdiction de toutes relations avec un autre partenaire que le conjoint légitime, mais aussi des obligations à l’égard de celui-ci, de deux sortes comme on l’a déjà évoqué, d’une part, en s’acquittant du devoir conjugal et d’autre part, en le pratiquant honorablement92. La fidélité conjugale comporte en outre, au-delà du seul aspect charnel, une dimension spirituelle dans la mesure où chacun des époux doit veiller et contribuer au salut de l’autre. Enfin, elle
85 Jonas d’Orléans, II, 4, p. 348-349 ; Yves de Chartres, PL, no 245, col. 251-253 (trad. Merlet, no 246, p. 242-244). 86 Jonas d’Orléans, II, 5, p. 364-365. 87 Vita S. Chrotildis, c. 6-7, p., 344. 88 Vita S. Idae, § 5, p. 142 (voir Annexe 2, textes no 17). 89 P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., p. 300. 90 Ibid., p. 299-300 et 319, suivi par R. Le Jan, « L’épouse du comte … », art. cit., p. 24. 91 K. Nickolaus, Marriage Fictions …, op. cit., p. xxi-xxii. 92 Jonas d’Orléans, II, 4, p. 346-361. Jonas précise, dans les chapitres suivants, comment pratiquer honorablement la sexualité au sein du couple. Voir ce qui en a été dit ci-dessus.
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justifie plus généralement l’entraide entre conjoints, voire le dévouement de celui qui en a la faculté à l’égard de l’autre qui en a besoin93, à l’image du soutien dévoué attendu du vassal à l’égard de son seigneur, et inversement. Pour Jonas d’Orléans, le respect de la pureté dans leurs relations permet aux époux de former une communauté (consortium, societas), pensée donc comme l’association de deux individus de sexes différents liés par la volonté commune de se conformer dans leur vie conjugale à la volonté divine. La communauté des époux est en outre renforcée, selon l’évêque d’Orléans qui cite saint Augustin, par le sacrement qui les lie – à savoir, selon sa formulation augustinienne, comme le signe d’une chose sacrée, image de l’union du Christ et de l’Église94 – et dont la conséquence est que « l’homme et la femme unis par mariage restent inséparables tant qu’ils vivent »95. La réflexion est certes là encore centrée sur la question du mariage, mais elle n’en conduit pas moins à diffuser l’image d’un couple à l’unité et l’identité nettement plus affirmées. Si Jonas d’Orléans formule de manière particulièrement explicite l’idée que les époux, unis par un lien de fidélité et un sacrement, forment une communauté, celle-ci est diffusée, partiellement ou en totalité, par différents types sources, à l’époque carolingienne comme après. La législation capitulaire qui n’a pas vocation à légiférer sur ce genre de question n’en considère pas moins que le couple marié forme une societas, ce dont témoigne le capitulaire de 80696. L’ordo du couronnement de la reine Ermentrude, un peu plus précis, évoque une communauté conjugale (maritale consortium), dont l’idéal serait qu’elle soit fondée sur l’affection et la paix97. Hucbald de Saint-Amand précise que Rictrude et son mari Adalbald forme une communauté de fidélité et d’amour (compage fidei et charitatis)98. Yves de Chartres évoque à plusieurs reprises le pacte conjugal (pactus conjugalis, foedus nuptiarum) qui lie et engage les époux99 et qui constitue la majeure partie du sacrement conjugal (sacramentum conjugale)100 qu’il mentionne par ailleurs dans une autre lettre101. Pour lui, c’est l’existence de ce pacte qui le conduit à considérer, à la suite d’Augustin, un concubinage comme un vrai
93 Ibid., II, 11, p. 414-415. Voir ci-dessus. 94 J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 189. Sur la reprise par Jonas d’Orléans de la théorie du mariage proposé par saint Augustin qui y décèle un triple bien : proles, fides, sacramentum, voir, entre autres, J. Gaudemet, Le mariage …, op. cit., p. 55-56 ; K. Heene, The Legacy of Paradise …, op. cit., p. 66 ; C. Lauranson-Rosaz, « Quod coniugium a Deo sit institutum … », art. cit., p. 31-32. 95 Jonas d’Orléans, II, 5, p. 364-365 (traduction personnelle) : (…) Huius procul dubio sacramenti res est, ut masculus et femina conubio copulati quamdiu uiuunt inseparabiliter perseuerent (…). 96 Capitulaire de 806, MGH Capit, t. I, no 45, c. 12, p. 129. 97 Ordo du couronnement de la reine Ermentrude (866), MGH Capit., II, no 301, t. II, 453 (voir Annexe 2, textes no 6). 98 Vita S. Rictrudis, c. 5, col. 834 (voir Annexe 2, textes no 13). 99 Yves de Chartres, PL, no 148, col. 153 (trad. Merlet, no 151, p. 268) ; no 242, col. 250 (trad. Merlet, no 243, p. 440) ; no 246, col. 253 (trad. Merlet, no 247, p. 445). Pour la lettre no 242, voir Annexe 2, textes no 16. Pour Yves de Chartres, le pacte conjugal prend effet dès les fiançailles, puisque les époux l’ont alors accepté en donnant leur consentement. 100 Yves de Chartres, PL, no 161, col. 165 (trad. Merlet no 164, p. 292) : Qui enim juramento pactum conjugale firmavit, ex majori parte sacramentum conjugale implevit. 101 Ibid., no 218, col. 221 (trad. Merlet no 220, p. 395) (voir Annexe 2, textes no 16).
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mariage102. Si la réflexion – avec une optique juridique – porte sur le lien matrimonial, la conclusion assimile les deux formes de conjugalité et insiste sur l’association formée par les conjoints, que leurs liens soient institutionalisés ou non. Quant à Gratien, il fait du respect de la fidélité et du sacrement une distinction majeure entre ceux qui sont véritablement conjoints et ceux qui n’entretiennent que des relations adultères103, et donc une condition essentielle pour qu’il y ait conjugalité. Il privilégie d’ailleurs, au nom de la force du sacrement, l’union conjugale à la séparation lorsque le droit conteste la légitimité d’un couple104, ce qui témoigne, pour certains au moins des théoriciens, de la primauté de l’engagement personnel sur le lien institutionnel dans la définition du couple. Le sacrement évoqué par Gratien est ici toujours entendu dans sa conception augustinienne105. Le xiie siècle est néanmoins marqué par un renouveau de la réflexion sur le sacrement des noces de la part des théologiens et des canonistes, ce qui aboutit à l’intégration du mariage dans la liste des sacrements, sans que pour autant il y ait encore unanimité sur sa définition exacte106. C’est certes la définition du lien matrimonial qui est en jeu, mais cela a des répercussions sur la perception du couple, envisagé dans une dimension de plus en plus spirituelle107, qui se traduit par des liens de plus en plus forts. Si la réflexion sur la nature des liens conjugaux a profondément évolué au cours du haut Moyen Âge, les missions qui sont conférées au couple par les autorités ecclésiastiques montrent que celles-ci ont très tôt perçue la communauté conjugale dans son unité. Le partage d’une double mission : procréer et s’adonner aux bonnes œuvres
Il arrive en effet parfois, même si ce n’est pas très fréquemment, que le discours souligne la dimension communautaire du couple, non par le biais des liens multiformes entre les conjoints, mais par celui des actes qui les unissent. Durant l’ensemble du haut Moyen Âge, deux d’entre eux lui sont plus particulièrement associés et apparaissent, tacitement ou explicitement, comme relevant de ses fonctions, si ce n’est de ses missions, à savoir la procréation et les bonnes œuvres. La première l’est particulièrement : c’est, après le mariage, ce qui retient l’attention des législateurs, des moralistes et des hagiographes lorsqu’ils évoquent le couple. Il ne s’agit pas de revenir
Ibid., no 148, col. 153 (trad. Merlet no 151, p. 268). Gratien, C. 32, q. 1, c. 10, dictum post, p. 366-367 (voir Annexe 2, textes no 18). Ibid., introduction, p. 73. Gratien considère d’ailleurs comme Augustin qu’il contribue au bien tripartite des noces : fides, proles, sacramentum, ibid., C. 32, q. 2, c. 2, dictum post, p. 376-377. Voir aussi ibid., introduction, p. 59. Il arrive que, dans le décret, le sacrement puisse parfois désigner l’union sexuelle : voir ibid., n. 37, p. 153. Voir aussi J. Werckmeister, « Le mariage sacrement dans le Décret de Gratien », dans Revue de droit canonique, no 42 (1992), p. 237-267. 106 P. Toubert, Le mariage …, op. cit., p. 189-191. 107 Jérôme Baschet lie cette évolution à la dynamique anti-dualiste qui s’affirme alors avec une vigueur particulière, conduisant à insister plus qu’auparavant sur l’union positive de l’âme et du corps en général, et à spiritualiser les réalités corporelles par l’intermédiaire des sacrements, notamment du mariage, ce qui « accentue considérablement la puissance des clercs et leur rôle dans l’ordonnancement et la reproduction de la société chrétienne » : J. Baschet, Corps et âmes …, op. cit., p. 72 et 75. 102 103 104 105
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sur ce qui a été dit dans le chapitre 2 sur le rôle des enfants pour assurer la stabilité du couple et l’identifier, mais de montrer de quelle manière la progéniture participe à la perception du couple en tant que communauté. Dans la loi salique qui prend peu en compte le couple, celui-ci transparait furtivement, par le biais des enfants. La principale préoccupation du législateur est néanmoins de savoir si les enfants sont légitimes ou non, pour fixer leur droit à hériter, ou non, de leurs parents : elle précise ainsi, dans ses versions mérovingiennes comme carolingiennes, que les enfants sont les héritiers légitimes de leurs père et mère108, à moins que le couple ne soit uni par des noces criminelles, ce qui retire aux enfants leur statut d’héritiers légitimes109. Si les enfants se trouvent associés à un couple parental, quelle que soit sa nature juridique, l’accent est davantage mis sur leur statut conditionné par celui de l’union de leurs parents – ce qui a des répercutions juridiques –, que sur la vocation du couple à avoir des enfants. Le législateur envisage d’ailleurs régulièrement les enfants d’un individu, plutôt que d’un couple, en distinguant éventuellement entre ceux qui sont légitimes et ceux qui ne le sont pas, de manière à préciser les droits liés à la filiation110. Pour l’époque mérovingienne, c’est donc l’hagiographie qui diffuse le modèle de couples, dont le mariage est justifié, comme l’a montré Isabelle Réal, par la volonté d’avoir des enfants de manière à perpétuer la lignée et transmettre le patrimoine à des héritiers légitimes111. À ce projet commun, s’ajoute parfois la pratique des bonnes œuvres. Celles-ci constituent, en effet, avec la naissance de cinq enfants, les seuls aspects de la vie conjugale de Salaberge retenus par l’auteur de sa vita : quoique dans les liens du mariage, [Salaberge et son mari Blandin-Baso] s’adonnaient cependant l’un et l’autre aux œuvres chrétiennes (…). Ils pratiquaient en effet l’hospitalité et les aumônes (…). Mais alors qu’avec la faveur de Dieu, ils accomplissaient ces bonnes œuvres et dirigeaient chrétiennement leur vie, ils ne pouvaient avoir d’enfants : aussi, cette femme très chrétienne, inquiète (…), se rendit à la basilique du bienheureux Remi (…) et là elle passa la nuit en veilles et prières. Revenue aussitôt chez elle, (…) elle conçut112. Il s’agit d’abord pour l’auteur de justifier la sainteté de Salaberge, bien qu’elle soit mariée – deux éléments alors peu compatibles –, et donc de souligner d’abord
108 PLS, c. 59, § 1, p. 222 ; LS D, op. cit., c. 43, p. 162 et E, c. 92, p. 163. Voir R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 233. 109 PLS, c. 13, § 11, p. 62-63 ; LS, c. 23, § 16, p. 209 (S). Voir Annexe 2, textes no 1. 110 C’est le cas de Louis le Pieux lorsqu’il organise le partage de l’empire et fixe les règles à suivre ensuite : il envisage la situation où l’un de ses fils laisse à sa mort des fils légitimes (c. 14) et celle où il n’en a pas, mais a des enfants de concubines (c. 15) : Ordinatio imperii, MGH Capit., I, no 136, c. 14, p. 272. Sur les conséquences du statut de l’union des parents en matière d’héritage et de succession pour les enfants, et les transformations de l’époque carolingienne, voir E. Santinelli, « Enfants nés in ou extra legitimo … », art. cit. 111 I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 386-392. 112 Vita S. Sadalbergae, c. 11, p. 55 (trad. p. 664) : (…) licet sub iure coniugii, christiana tamen uterque exercebant opera (…). Erant enim hospitales et in elemosinis dediti (…). Sed cum his favente Domino bonis pollerent et christiano vigore vitam degerent et prolem nullam capere possent, christianissima femina anxia (…) ad basilicam beati Remigi (…) expetiit, ibique vigiliis et orationibus excubans (…). Nec mora domum reversa, (…) concepit (…).
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sa piété, dont les gestes sont néanmoins réalisés en couple pendant sa vie conjugale. La procréation y apparaît même présentée comme une conséquence en principe logique des œuvres chrétiennes et sa réalisation miraculeuse à la suite des prières de la sainte en fait une volonté de Dieu, ce qui permet en outre de passer sous silence les relations charnelles. Si la conception est attribuée à la seule Salaberge et qu’il n’est fait mention que de sa seule inquiétude avant d’y parvenir, ce qu’il faut lier à la manière déjà évoquée d’appréhender le rôle des femmes sur ce plan113, la vita n’en fait pas moins une attente du couple, l’hagiographe utilisant le pluriel pour évoquer les actes pieux comme l’incapacité à concevoir. L’association de la procréation et des bonnes œuvres comme actes réalisés conjointement par les couples présentés en modèles, se retrouve ensuite, avec cependant une approche plus positive de la procréation à partir de l’époque carolingienne. Quelques capitulaires y font allusion. Celui de Charlemagne adressé à un missus (801-812) envisage certes, successivement puisqu’il s’agit de définir comment chacun doit servir « fidèlement à la place qu’il occupe », le rôle de l’épouse et celui du mari qui ne sont donc pas montrés agissant conjointement, mais il y est question d’enfants, d’aumônes et de rendre à Dieu ce qui lui est dû114. La collection d’Anségise, qui les associe davantage, rappelle que les parents doivent s’appliquer à instruire les enfants que Dieu leur a donnés115. Jonas d’Orléans, comme les moralistes plus généralement, se montre plus précis. Dès le premier chapitre du livre II consacré à ceux qui sont mariés, il évoque les deux aspects et rappelle, en suivant saint Augustin, que l’union d’un homme et d’une femme est un bien si elle a pour objectif la procréation : cela implique donc le devoir de la chair, mais les époux ne doivent pas pour autant en oublier ce qu’ils doivent à Dieu en matière de bonnes œuvres116. À la fin de la section dédiée aux conseils sur le bon usage de la conjugalité, deux chapitres portent sur le rôle du couple – aristocratique – envisagé conjointement dans sa fonction parentale (c. 14) et domestique (c. 16). Le premier insiste sur l’instruction qu’il doit donner à ses enfants, basée sur la nécessité de vivre chaste et d’honorer Dieu. Le second l’invite à exercer le ministère pastoral dans sa maison, en veillant à ce que le comportement de ceux qui lui sont soumis ne mette pas en danger le salut de leur âme117. Les deux missions sont étroitement liées : il appartient à chaque couple de contribuer, à son niveau, à veiller sur la société chrétienne et à la perpétuer118. Il en ressort donc, à partir du ixe siècle, une perception du couple, davantage pensé dans son unité,
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Voir chapitre 2. Avertissement à un missus (801-812), MGH Capit. I, no 121, p. 240 (voir Annexe 2, textes no 6). Collection d’Anségise, l. II, c. 44, MGH Capit. I, no 183, p. 423 (voir Annexe 2, textes no 6). Jonas d’Orléans, II, 1, p. 314-331, en particulier p. 316-317 et p. 330-331. Ibid., II, 14, en particulier p. 430-431 et II, 16, notamment p. 451-452 (voir Annexe 2, textes no 8). L’idée de la responsabilité morale d’un couple aristocratique quant au comportement des gens de sa maison est reprise par le concile de Meaux-Paris (845-846), promulgué en capitulaire, même si le canon insiste moins sur celle d’une mission conjugale et en fait surtout une fonction de l’épouse : MGH Capit. t. II, no 293, p. 388-421 (voir Annexe 2, textes no 6). 118 Voir aussi P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., p. 262-264 et C. Lauranson-Rosaz, « Quod coniugium … », art. cit., p. 31.
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réalisée en particulier autour de la mission chrétienne définie comme la sienne. L’hagiographie ne diffuse pas d’autre discours : Hucbald de Saint-Amand précise que Rictrude et Adélbald, « unis dans une même parole et une action pareillement consentie, honoraient Dieu (…), servant tous les jours le Seigneur (…) » et que leur union, bénie par le Seigneur, donne naissance à plusieurs enfants qu’ils élèvent et instruisent dans la crainte du Seigneur119. La vie d’Ide de Boulogne, moins explicite, n’en souligne pas moins, les bonnes œuvres de la sainte, soutenues par son époux, et les enfants engendrés avec la clémence divine, dans le cadre d’un mariage chaste120. Le discours normatif, sans faire de la conjugalité sa priorité, s’intéresse donc néanmoins de plus en plus à ce qui fait la « nostrité » du couple. Les législateurs, moralistes et hagiographes prennent progressivement davantage en compte la communauté que doit former le couple, ce qui fait gagner en netteté le modèle conjugal proposé, même si les uns et les autres n’insistent pas forcément sur les mêmes aspects. Encore imprécis à l’époque mérovingienne où il apparaît essentiellement perçu comme une cellule de vie qui partage une même maison et des relations sexuelles, il est envisagé à l’époque carolingienne comme une véritable communauté, fondée sur l’amour, le respect et l’entraide réciproques, mais aussi la volonté commune de soutenir et de perpétuer la société chrétienne, par la procréation et l’éducation chrétienne des enfants, ainsi que par les bonnes œuvres et l’encadrement moral des dépendants. Si les théoriciens sont pétris des mêmes références bibliques et patristiques, ils bénéficient à l’époque carolingienne du renouveau culturel qui touche le monde franc à partir du viiie siècle, ce qui leur permet de disposer de toutes les autorités nécessaires, à commencer par l’œuvre de saint Augustin, pour élaborer et justifier leur discours sur la conjugalité, à un moment où l’organisation de la société et la place du couple se trouvent repensées. Ils tirent ensuite profit du renouveau des études juridiques et théologiques aux xie-xiie siècles, à un moment où l’Église renforce sa hiérarchie, son autorité et son caractère englobant, en particulier en matière de conjugalité. Si le discours normatif s’attache à préciser le modèle conjugal vers lequel les laïcs sont invités à tendre, c’est qu’il n’est pas suivi dans les faits, ou du moins pas par tous, ce qui invite à analyser ce que le reste de la documentation laisse voir en matière de pratiques.
Créer une communauté conjugale ? Le discours normatif qui s’intéresse quasi exclusivement aux couples mariés incite ceux-ci, de plus en plus à partir de l’époque carolingienne, à développer leur « nostrité » : cela signifie-t-il que le mariage pouvait ne pas conduire à la construction d’une communauté conjugale ? La question se justifie d’autant que certaines allusions, déjà relevées, laissent supposer que cela pouvait être le cas, et que, dans les élites au moins, les avantages procurés par les stratégies matrimoniales importaient
119 Vita S. Rictrudis, c. 5-6, col. 834 (voir Annexe 2, textes no 13). 120 Vita S. Idae, § 4, p. 142 (voir Annexe 2, textes no 17).
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davantage que leurs traductions concrètes au quotidien. Il importe donc de saisir ce qu’il en était réellement en croisant les données fournies tant par les autres types de sources écrites que par l’archéologie et l’iconographie : Quels sont les éléments mis en commun et partagés par les époux ou ceux qui sont présentés comme tels, voire par les autres types de conjoints ? Le sont-ils par tous les couples et de la même manière ? Apparaissent-ils comme caractéristiques de la conjugalité ? Sociologues et pychologues considèrent aujourd’hui qu’il est nécessaire à tout couple de mettre en commun un certain nombre de choses qui participent à la culture et l’identité conjugales, même si leur nature et leur dosage varient de l’un à l’autre. Parmi elles, trois méritent d’être discutées pour le haut Moyen Âge : l’espace, le temps et les revenus121. Lieux partagés : même maison, même chambre, même lit ?
La conjugalité est souvent associée à la cohabitation de deux individus. C’est même probablement souvent la cohabitation qui fait le couple, comme le chapitre 1 l’a suggéré pour la grande majorité qui ne fait pas partie des élites laïques. Il en résulte des espaces partagés, voire des lieux symboliquement liés au couple et qui lui sont propres, dont il s’agit de mieux saisir la nature et la réalité. Le premier espace partagé par le couple est la maison, dont la recherche a montré qu’elle était propre à chacun, dans tous les milieux sociaux122, même si les conjoints, mariés ou non, n’y vivaient pas forcément seuls avec leurs enfants, accueillant parfois un parent isolé dans le milieu paysan ou des apprentis dans le milieu artisan, s’entourant toujours de domestiques et de fidèles, voire de parents et amis de passage ou encore de concubines, dans les élites123. La maison des humbles retient peu l’attention, mais l’hagiographie y fait parfois allusion, à l’image de plusieurs notices insérées à la fin du vie siècle, par Grégoire de Tours dans son De gloria confessorum ou son De Gloria martyrum, mais aussi de la vie de saint Gall, des miracles d’Austreberte ou de la vie de Saint Pardoux, rédigés au viiie siècle, qui mettent en scène des couples paysans dans leur maison (domus, hospitiolum, hospitium, tugurium) à l’occasion du récit des miracles opérés par les saints124. Les autres sources narratives l’évoquent parfois en y faisant allusion au détour d’un récit : Grégoire de Tours qui condamne les pratiques dépravées de l’abbé Dagulf, notamment sa liaison avec la femme d’un voisin, le montre se rendant dans la maison de ce couple. S’il est difficile de saisir le milieu social de celui-ci, dont il est juste précisé qu’il vit sur les terres du monastère, l’utilisation du terme hospitolium (masure, chaumière) laisse supposer son origine paysanne125. Que
121 Voir entre autres, E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 144-145. 122 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 334-339. 123 Ibid., p. 339-343 ; P. Godding, « La famille dans le droit urbain de l’Europe du Nord-Ouest au bas Moyen Âge », dans M. Carlier, T. Soens (dir.), The Household …, op. cit., p. 25. 124 Grégoire de Tours, GC, no 30, p. 316 ; Id., De la gloire des martyrs, éd. MGH SRM 1.2, no 10, p. 45 ; no 47, p. 70-71 ; no 103, p. 108 ; Vita Galli vetustissima, éd. B. Krusch, MGH SRM 4, c. 9, p. 255 ; Miracula Austrebertae, éd. AA SS febr 2, c. 20, p. 426 ; Vita Pardulfi, éd. B. Krusch, W. Levison, MGH SRM 7, c. 20, p. 37-38. Les textes ont été traduits par I. Réal, Vies de saints …, op. cit., 308-312. 125 DLH, VIII, 19, p. 385 (trad., p. 149).
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l’anecdote soit véridique ou non, elle implique, pour participer au discrédit de Dagulf, de s’appuyer sur des réalités ordinaires pour ses contemporains, à savoir ici, un couple de paysans qui vit dans sa maison. Les chartes évoquent aussi parfois, même si c’est rarement, les manses sur lesquels habitent (residere, inhabitare) un couple paysan (libre ou serf) avec ses enfants126, ce qui suppose une même résidence. Pour les campagnes, les progrès de l’archéologie confirment, sur ce plan, les rares données des textes : la taille (souvent quelques dizaines de m2 pour la partie domestique) et l’organisation (peu cloisonnée pour autant que cela puisse être détecté) des maisons paysannes sont adaptées à une famille conjugale127. Pour Simone Roux et Françoise Piponnier qui synthétisent les données relatives à un corpus d’une centaine de maisons rurales ou urbaines fouillées, datant des xiie-mi xvie siècles, « l’équation ‘une maison = une famille’ paraît une norme fondamentale »128, ce qui n’exclut pas que cela soit déjà le cas au haut Moyen Âge pour lequel il n’y a pas d’étude équivalente. Pour les élites, les mentions sont un peu plus nombreuses dans les sources écrites, même si ce n’est pas une donnée privilégiée par les auteurs qui évoquent parfois un individu dans sa maison, mais ne précise pas forcément qui y vit avec lui. Certains indices laissent néanmoins supposer que chaque couple dispose de sa propre maison, où il vit entouré de ses proches, célibataires, et de ses domestiques. Grégoire de Tours (vie siècle) évoque ainsi la maison (domus) d’Eulalius, où est venue s’établir Tétradie après son mariage, conformément aux pratiques communes qui font de la résidence virilocale la norme, et où vivent aussi d’autres individus au service du couple, notamment des servantes129. Il précise aussi que Waddon, gravement blessé, est ramené par son fils dans sa maison (domus), où il rend l’âme au milieu des larmes de son épouse et de ses enfants130. Selon Ermold le Noir (ixe siècle) qui met en scène le départ en campagne du roi breton Murman, celui-ci confie la maison à sa femme, ses enfants et ses familiers131. Richer (xe siècle) présente Mons comme une place forte où vivent Régnier, son épouse et leurs fils en bas âge, ainsi que des hommes
126 Par exemple, Cluny IV, no 2896 (1035), p. 98 : (…) unum mansum ubi Durannus residet et uxore sua et filiabus illorum (…) ; no 2925 (1039), p. 126-127 : (…) unum mansum in villa quæ dicitur Liver, cum omnibus appenditiis suis, cum servi ibi inhabitante, nomine Constabulo, cum uxore et infantibus eorum (…). 127 P. Toubert, « Le moment carolingien », art. cit., p. 326 ; J. Chapelot, R. Fossier, Le village et la maison au Moyen Âge, Paris, 1980, p. 79-113 et p. 222-250 ; Un village au temps de Charlemagne. Moines et paysans de l’abbaye de Saint-Denis, du viie siècle à l’an mil, catalogue d’exposition, Paris, 1988, p. 150-152 ; E. Faure-Boucharlat (dir.), Vivre à la campagne au Moyen Âge, l’habitat rural du ve au xiie siècle (Bresse, Lyonnais, Dauphiné), d’après les sources archéologiques, Lyon, 2001, p. 78-82 pour la synthèse ; E. Faure-Boucharlat, J. L. Brochier, « Les établissements ruraux : implantation, organisation et architecture », dans O. Maufras (dir.,), Habitats, nécropoles et paysages dans la moyenne et la basse vallée du Rhône (viie-xve siècle). Contribution des travaux du TGV-Méditerranée à l’étude des sociétés rurales médiévales, Paris, 2006,p. 266. 128 S. Roux, F. Piponnier, « Distribution et fonctions des maisons », dans Y. Esquieu, J. M. Pesez (dir.), Cent maisons médiévales en France (du xiie au milieu du xvie siècle). Un corpus et une esquisse, Paris, 1998, p. 92. 129 DLH, X, 8, p. 489 (trad., II, p. 268). Voir Annexe 2, textes no 3. 130 DLH, IX, 35, p. 456-457 (trad., II, p. 231). 131 Ermold le Noir, III, v. 1622, p. 124-125 : Vos, servate domum, conjux, proles, famulique.
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d’armes (milites) et des domestiques (famuli)132. Quant à Lambert d’Ardres (xiie siècle), il décrit la tour d’Ardres, reconstruite vers 1120, en précisant la destination des différentes pièces, prévues pour le couple seigneurial, ses enfants non mariés, les domestiques et les hommes de la garnison133. Si chaque couple a sa maison, cela n’exclut pas qu’un couple ait plusieurs maisons – ce que permet la structure dispersée du patrimoine aristocratique –, et qu’il se déplace de l’une à l’autre pour des raisons à la fois politiques, économiques, sociales et religieuses134, à l’image de Baudouin V de Hainaut et de Marguerite que Gislebert de Mons montre ou laisse supposer tantôt à Valenciennes, tantôt à Mons, tantôt à Bruges, où ils ont des résidences135, quand il précise le lieu où ils se trouvent. Il est possible que cette dispersion ait facilité la vie quotidienne des couples polygames – sur laquelle les sources sont d’une grande discrétion –, en évitant la cohabitation des différentes femmes et donc en limitant les rivalités entre coépouses ou entre épouses et concubines136. Si l’on en croit Grégoire de Tours, le duc Amolon profite de l’absence de sa femme, envoyée dans une autre villa, pour s’amouracher d’une jeune fille et la mettre dans son lit. C’est certes, pour l’auteur, surtout l’occasion de critiquer Amalon, puni pour son comportement, et de vanter les mérites de la jeune fille qui résiste (IX, 27), mais son anecdote s’inspire probablement de pratiques considérées comme ordinaires. Quelques décennies plus tard, Frédégaire, sans être très explicite, précise néanmoins que le roi Dagobert abandonne la reine Gomatrude dans le domaine de Reuilly, puis qu’il se marie avec Nanthilde et que, l’année suivante, à l’occasion d’une tournée en Austrasie, il fait entrer dans sa couche Ragnetrude (IV, 58), ce qui peut suggérer une répartition des épouses et concubines à l’échelle du royaume, sans exclure la cohabitation de certaines d’entre elles. La cohabitation des couples polygames semble en effet aussi pratiquée, ce que peut suggérer Jonas de Bobbio, suivi par Frédégaire, lorsqu’il évoque la possibilité pour le roi Thierry de remplacer à la cour ses femmes, qualifiées de concubines, par une reine137. Tout en étant beaucoup moins fréquente, elle apparaît aussi attestée dans les milieux modestes. Dans les années 760-770, Arbéo de Freising évoque dans le cadre de son discours en faveur de la monogamie le cas, déjà évoqué, d’un campagnard qui cohabite avec deux femmes, la cécité de sa première épouse l’ayant conduit, tout en conservant celle-ci, à en prendre une autre. Si la documentation reste silencieuse sur le fonctionnement des couples polygames, on sait aujourd’hui qu’il est généralement scrupuleusement réglementé, autour notamment d’un système de
132 Richer, III, 8-10, t. II, p. 16-19. 133 Lambert d’Ardres, c. 127, p. 624 (trad., p. 296-298). Voir G. Duby, Le chevalier, …, op. cit., p. 1355-1356 ; Id., Dames du xiie siècle, t. 2 : op. cit., p. 163-164. 134 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 71-76. 135 Gislebert de Mons, c. 63, p. 102 et c. 68, p. 107-108 (à Valenciennes), c. 114, p. 174 et c. 206, p. 292 (à Mons), c. 213-215, p. 298 (à Bruges). 136 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 272. 137 Jonas de Bobbio, I, 18, p. 86 (trad., p. 135) ; Frédégaire, IV, 36, p. 102-103. Sur la transgression par les rois mérovingiens des règles sociales – en particulier matrimoniales –, comme facteurs de distinction, voir R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 229-230.
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tours pour les obligations domestiques et sexuelles138, ce qui n’exclut cependant pas des formes variées d’organisation spatiale, impliquant la cohabitation des conjoints, permanente ou intermittente. Partager une même maison n’exclut pas en effet des séparations temporaires pour le couple, qu’il soit monogame comme polygame. Celles-ci sont fréquentes et peuvent être longues dans les milieux élitaires, ce qui favorise le concubinage et l’adultère – même si ce type de relations s’explique davantage dans le cadre d’enjeux compétitifs qu’en termes de libido139 –, sans parler des aventures extraconjugales sans lendemain. Ces absences sont le plus souvent le fait des hommes, conduits à quitter leur femme, pour répondre à leurs obligations militaires, politiques et sociales, ce qui fait de l’épouse l’élément stable du couple. La documentation en témoigne, du vie au xiie siècle, pour les rois lorsqu’ils partent en campagne militaire, même s’il arrive parfois que la reine accompagne son royal époux140, et à un moindre degré pour les aristocrates. La plupart des exemples donnés ci-dessus pour montrer que chaque couple aristocratique disposait de sa propre maison s’inscrit dans le contexte du départ ou du retour du mari. La Vie de Sainte Rictrude, écrite en 907, précise que lorsqu’Adalbald se rend en mission en Gascogne, il laisse son épouse Rictrude dans la maison conjugale en Artois. Quant aux historiens des croisades, pour n’ajouter que cet exemple, ils témoignent du départ de nombreux hommes, princes et vassaux, sans leur femme pour la majorité, ce que confirment aussi plusieurs lettres141. Si la séparation résulte le plus souvent de l’absence du mari, il arrive qu’elle soit le fait de la femme : Grégoire de Tours précise que le duc Amalon envoie son épouse dans une autre villa pour s’occuper 138 S. Fainzang, O. Journet, La femme de mon mari …, op. cit., p. 63-64. 139 Voir chapitre 1. La documentation emploie souvent le terme de concubines pour les hommes et d’adultère pour les femmes, ce qui ne place pas sur le même plan les relations hors couple légitime des hommes et des femmes : pour l’Aragon de la fin du Moyen Âge, voir M. Charageat, La délinquance matrimoniale …, op. cit., p. 171-178 ; pour l’Italie, D. Lett, « ‘Femmes tenues’ … », art. cit., p. 175-177. 140 Pour ne prendre que l’exemple du couple formé par Pépin III et Berthe, les annales royales qui n’évoquent que les aller et retours du roi et de son armée à l’occasion des campagnes annuelles menées en Aquitaine contre Waifre dans les années 760, mentionnent la présence de la reine en 768 : Annales royales, a. 760-768, p. 18-26. Certains indices montrent que Berthe est aussi partie, en 754, avec Pépin III pour l’Italie, mais que la maladie de son beau-frère Carloman l’a contrainte à s’arrêter avec lui à Vienne, probablement autant pour le soigner que le surveiller : voir J. Nelson, « Bertrada », art. cit., p. 104. 141 Voir entre autres Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana, éd. J. Bongars, Recueil des Historiens des croisades, Historiens occidentaux, III, Paris 1866, c. 2, p. 328 ; Guibert de Nogent, Dei gesta per Francos, éd. R. B. C. Huygens, Turnhout, 1996, II, 12-18, p. 128-135 (trad. M-C. Garand, Geste de Dieu par les Francs. Histoire de la première croisade, Turnhout, 1998, p. 94-101) et III, 10, p. 156 (trad. p. 122). Sur cette question, E. Santinelli, « ‘… quand le mari quitta son épouse si chérie …’ (Foucher de Chartres). De celles qui restent pendant la première croisade », dans J-C. Herbin, M-G. Grossel (dir.), Croisades ? Approches littéraires, historiques et philologiques, Valenciennes, 2009, p. 195-203. Sur la lettre célèbre d’Étienne de Blois parti à la première croisade écrite à sa femme Adèle restée dans la principauté de Blois en 1097-1098, voir le texte dans Recueil des Historiens des Croisades, Hist. Occid., 3, no 1 et 2, p. 886-890 et l’analyse de K. Loprete, Adela of Blois : Countess and Lord (c. 1067-1137), Dublin, 2007, notamment p. 94-101 pour le rôle d’Adèle en l’absence de son mari. Voir aussi la lettre, évoquée chapitre 1, d’Yves de Chartres (PL, no 125, col. 137) à propos des épouses de croisés, restées en Occident et dites fornicatrices en l’absence de leurs maris.
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de son exploitation142 ; Flodoard évoque le voyage de la reine Gerberge auprès de son frère Otton pour obtenir son soutien143 ; Gislebert de Mons enregistre le pèlerinage réalisé par la comtesse de Hainaut Marguerite144. Pour la fin du Moyen Âge, éclairée par une documentation plus abondante et diversifiée, en particulier les registres de comptabilité qui permettent de préciser les itinéraires des conjoints, Stéphanie Richard a montré qu’il n’était pas inhabituel que les couples princiers vivent séparés plus de la moitié du temps – avec des fluctuations au cours des mois et interannuelles –, du fait de l’importante mobilité des maris comme des épouses, amenés à se déplacer sans leur conjoint pour diverses raisons sans pour autant vouloir s’éviter. Il est impossible pour le haut Moyen Âge d’évaluer le partage du temps des époux entre corésidence et éloignement145, mais certains indices laissent supposer que les séparations régulières, plus ou moins longues, y constituent tout autant une réalité aussi importante que la vie commune. Comme le souligne Elisabeth Van Houts, la vie conjugale a pu rimer avec solitude pour les conjoints des milieux élitaires du haut Moyen Âge146. Si la documentation qui s’intéresse principalement aux élites renseigne d’abord sur les situations qui les concernent, il arrive qu’elle évoque aussi de telles séparations pour les milieux plus modestes. Grégoire de Tours précise que l’abbé Dagulf profite de l’absence temporaire de son voisin pour venir passer la nuit avec sa femme147. Les polyptyques font figurer, parmi les services exigés des tenanciers, des corvées de charrois dans des lieux qui impliquent une absence de plusieurs jours pour les hommes qui y sont astreints. Une formule de Saint-Gall de la seconde moitié du ixe siècle envisage le cas d’un homme sur le point de partir à la guerre ou ailleurs, laissant notamment sa femme et ses enfants148 : la rédaction d’un tel modèle d’acte laisse supposer une certaine fréquence de ce type de situation et donc penser que les hommes concernés ne sont pas qu’issus de l’aristocratie mais aussi du milieu des alleutiers, plus ou moins modestes, les uns et les autres cherchant à protéger leurs proches et leurs biens pendant leur absence et en cas de décès. Si ce texte envisage la question de la séparation et des dispositions en matière de protection que cela implique, d’autres, comme l’anecdote de Grégoire de Tours, la lettre d’Yves de Chartres relative aux femmes de croisés ou certains récits empruntés à la littérature courtoise, montrent que chez les humbles comme dans les élites, les séparations pouvaient favoriser les
142 DLH, IX, 27, p. 445 (trad., t. II, p. 219). 143 Flodoard, a. 949, p. 122. Voir R. Le Jan, « La reine Gerberge, entre Carolingiens et Ottoniens », dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 35 et Ead.« D’une cour à l’autre : les voyages des reines de Francie au xe siècle », dans ibid., p. 49. 144 Gislebert de Mons, c. 105, p. 150. 145 S. Richard, Vie et morts des couples princiers …, op. cit., en particulier le chapitre [3] consacré à « l’éloignement au quotidien ». 146 E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 113-114. 147 DHL, VIII, 19, p. 385 (trad., t. II, p. 149). 148 Formules de Saint-Gall rédigées au temps de Salomon III, MGH Form., no 8, p. 401-402 : karta illius, qui, in bellum profecturus vel ubicumque, matrem cum uxore, cum filio vel filia parvula reliquerit (…).
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relations extraconjugales, voire certaines formes de conjugalité, sans pour autant remettre en cause le couple légitime ou considéré comme tel. Parmi les couples, régulièrement séparés pour des durées plus ou moins longues, trois se distinguent dans le corpus par leur particularité sur ce plan : celui de Dhuoda et de Bernard (ixe siècle), plus souvent séparé qu’ensemble pendant plusieurs années149 ; celui d’Emma de Blois et Guillaume IV d’Aquitaine (xe siècle) dont les démêlés conjugaux font alterner longues séparations et réconciliations150 ; celui d’Héloise et Abélard (xiie siècle), réuni avant le mariage et séparé ensuite151. Les trois parcours témoignent donc que le mariage n’aboutit pas forcément au partage de la vie conjugale, mais la manière dont ils sont évoqués dans la documentation laisse supposer que ce type de comportement, même s’il n’est pas extraordinaire, présente des formes extrèmes qui le sont. L’absence d’une véritable cohabitation est-elle pour autant incompatible avec la conjugalité, alors qu’aujourd’hui les sociologues reconnaissent l’existence de couples non-cohabitant152 ? Dans les 3 cas évoqués, le lien matrimonial identifie clairement les couples qui se définissent donc essentiellement comme des couples maritaux, comme c’est aussi le cas pour les époux qui se séparent lorsque l’un d’entre eux ou les deux entrent au monastère. Le mariage conduit donc, au sein des élites, à des formes de conjugalité particulières, où la cohabitation, tout en étant régulièrement pratiquée par la plupart des couples, n’apparaît pas comme indispensable à la perception d’une identité conjugale ni à la conscience de former une communauté conjugale, contrairement aux autres milieux, où tous les couples, quel que soit leur statut juridique, se définissent d’abord comme une communauté de vie au sein d’une même maison153. Si la maison reste le plus souvent associée au couple, quelques références éparses à la chambre posent la question d’un espace réservée à son intimité. Pour certains aujourd’hui, à l’image de la psychiatre Annie Boyer-Labrouche, c’est l’intimité – c’est-à-dire ce qui n’appartient qu’à lui et reste secret aux autres – qui crée le couple154. Si les questions ne se posent pas de la même façon au haut Moyen Âge, il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’existence d’un lieu partagé par le couple et rien que par lui. A-t-il fallu attendre l’époque moderne, selon l’idée communément admise popularisée par le sociologue Norbert Elias, pour désocialiser la chambre à coucher, c’est-à-dire lui enlever ses fonctions publiques
149 P. Depreux, Prosopographie …, op. cit., no 50, p. 137-139 ; R. Le Jan, « Dhuoda … », art. cit., p. 110 ; J. Meyer, « La comtesse Dhuoda … », art. cit., p. 20 ; J. Nelson, « Du couple … », art. cit., p. 28. 150 E. Carpentier, « Un couple tumultueux … », art. cit., p. 205-211 ; E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 87-89. La chronologie des phases de vie commune et de séparation restent cependant difficiles à établir. 151 G. Lobrichon, Héloïse …, op. cit., p. 171-172 et 207. 152 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 30. 153 Stéphanie Richard qui ouvre son livre sur ce constat conclut de même à la particularité des milieux princiers sur ce plan à la fin du Moyen Âge : S. Richard, Vie et morts des couples princiers …, op. cit., p. 23 et le chapitre [3] consacré à « l’éloignement au quotidien ». 154 A. Boyer-Labrouche, De la séduction …, op. cit., p. 24.
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et lui conférer un caractère privé, permettant au couple de s’isoler, notamment lors de ses ébats sexuels155 ? Comme nous l’avons déjà évoqué à propos de la conjugalité des clercs, le concile d’Orléans IV (541)156 interdit aux évêques, mariés avant leur ordination, de faire chambre (cellula) commune avec leur épouse, ce qui laisse supposer que l’existence de pièces réservées au couple aristocratique devait être plutôt courante. Une anecdote rapportée à la fin du vie siècle par Grégoire de Tours dans son De gloria confessorum semble le confirmer : elle explique qu’un homme marié décide, lorsqu’il devient évêque, de faire lit séparé avec sa femme, ce qui le conduit à dormir dans une chambre (cubiculum) qui lui est propre157. Fortunat fait allusion, dans sa Vie de sainte Radegonde, à la chambre (cubiculum) où dorment le roi et la reine158 et évoque par ailleurs la chambre (thalamus) conjugale dans plusieurs poèmes159. À la fin du xe siècle, Richer précise que, lorsqu’il est question de s’emparer de la place forte de Mons, pendant l’absence de Régnier, une attention particulière est apportée à la chambre, refuge de sa femme et de ses enfants. Il y est question à deux reprises de la dominae cubiculum160, mais l’expression me semble davantage liée à la situation du moment où l’épouse de Régnier est seule qu’à l’indice de la pratique des chambres séparées par les époux. De même, si l’on doit à Baudri de Bourgueil un poème célèbre sur la chambre (thalamus) d’Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, mariée à Étienne-Henri de Blois161, cela ne signifie pas forcément que chacun des époux disposait de sa propre chambre. Le poème qui, tout en s’appuyant sur des éléments possibles, propose une description idéale plutôt que réelle, est destiné à la comtesse et rédigé à sa gloire : Baudri se focalise par conséquent sur celle-ci, dont il s’attache à souligner l’érudition et la puissance, peut-être pour obtenir son patronage162. En outre, les vers 61 à 66 laissent supposer que son mari est absent : or, Étienne-Henri participe à la première croisade entre 1096 et 1099 et retourne en Terre Sainte en 1101-1102163. En l’absence du mari, la chambre conjugale devient celle de l’épouse. La description par Lambert d’Ardres, au tournant des xiie et xiiie siècles, de la tour d’Ardres (telle qu’elle aurait été
155 G. Eid (dir.), L’intimité …, op. cit., p. 29 ; N. Elias, La civilisation des moeurs, trad. fr. Paris, 1969, rééd. 1991, p. 232, 259, 262 et 275. Pour certains, il faut attendre le xixe siècle pour que les conditions matérielles permettent « une vie conjugale réelle, dans l’intimité d’appartements personnels qui permettent l’isolement des jeunes couples » : E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 24. 156 Conciles mérovingiens, Orléans IV (541), c. 17, t. I, p. 274-275. 157 Grégoire de Tours, GC, no 77, p. 344. 158 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 5, p. 66-67. 159 Fortunat, Poèmes, par exemple, VI, 1, p. 44 et X, 2, p. 63. 160 Richer, III, 8-9, p. 16-19. 161 Baudri de Bourgueil, no 134, t. II, p. 2-43. Le terme thalamus est employé à 3 reprises au pluriel au début du poème (p. 4-5) et 3 fois au singulier à la fin (p. 42-43). 162 Voir notamment J-Y Tilliette, « La chambre de la comtesse Adèle : savoir scientifique et technique littéraire dans le c. CXCVI de Baudri de Bourgueil », dans Romania, 102 (1981), p. 145-171 ; S. A. Brown, M. W. Herren, « The Adelae comitissae of Baudri of Bourgeuil and the Bayeux Tapestry », dans Anglo-Norman Studies, 16 (1993), p. 71. 163 S. A. Brown, M. W. Herren, « The Adelae comitissae … », art. cit., p. 69-70.
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reconstruite vers 1120) montre que le couple seigneurial dispose d’une chambre (camera) particulière : Au second niveau, il y avait l’habitation et l’espace de vie commun des habitants où se trouvaient les provisions des panetiers et des échansons, ainsi que la grande chambre où couchaient le seigneur et son épouse, à côté de laquelle se trouvait une pièce qui servait de chambre où dormaient les servantes et les enfants164. Certes, la grande chambre du couple seigneurial sert aussi de salle commune, puisque la tour n’en comporte pas d’autre, ce que confirment d’autres allusions repérées dans la documentation, à l’image d’une charte datée de 1117 qui précise que c’est « assis sur leur lit » que le couple comtal de Guînes (Manasses et Emma) approuve la donation réalisée par un vassal165. Cela n’exclut cependant pas que le soir, la salle perde son caractère public pour se transformer en espace réservé au couple, ce dont témoigne la séparation avec les jeunes enfants et les servantes, installés dans une autre pièce. Les lais de Marie de France, comme les romans de Chrétiens de Troyes, qui doivent avoir une résonnance pour leurs contemporains mettent en scène des couples qui partagent une même chambre qui leur est propre, à l’image de la mère d’Yonec, du chevalier dans Le Laüstic et d’Érec, avec leurs conjoints respectifs166, ce qui laisse supposer une pratique courante, si ce n’est la norme. L’archéologie, à défaut d’identifier des chambres et encore moins des chambres conjugales, repère pour les résidences élitaires différents espaces, dont la taille et l’organisation suggèrent une distinction entre pièces de réception et d’habitation, aula et camerae167, ce qui peut conférer une certaine réalité aux données textuelles. Ces données, certes très fragmentaires, montrent néanmoins qu’au xiie siècle, la norme ne paraît pas encore être
164 Lambert d’Ardres, c. 127, p. 624 (trad., p. 296-298) : In secunda autem area fuit habitatio et communis inhabitantium conversatio, in qua erant penora, hinc panetariorium, hinc pincernarum, hinc magna domini et uxoris sue, in qua accubabant, camera, cui contiguum erat latibulum, pedisse quarum videlicet et puerorum camera vel dormitorium. 165 G. Duby, Dames du xiie siècle, t. 2 : op. cit., p. 206-207. 166 Marie de France, Lais, op. cit., « Yonec » : la dame est enfermée par son mari dans leur chambre, où il la rejoint le soir et veille à refermer la porte dès qu’il s’en va le matin ; « Le Laüstic » ou « Le Rossignol » : le chevalier se demande pourquoi sa femme se lève chaque nuit pour aller à la fenêtre de leur chambre ; Chrétien de Troyes, Érec et Énide, op. cit., p. 53 et 90, et plus allusivement p. 65 et 136/138. 167 Voir entre autres, J. Gardelles, « Les palais dans l’Europe occidentale du xe au xiie siècle », dans Cahiers de Civilisation Médiévale, 19/74 (1976), p. 119-124 ; L. Bourgeois, « Les résidences des élites et les fortifications du haut Moyen Âge en France et en Belgique dans leur cadre historiographique (1955-2005) », dans Cahiers de Civilisation Médiévale, no 49 (2006), p. 130-132 ; L. Bourgeois, N. Dieudonné-Glad, I. Rodet-Belarbi, « Vivre à Andone : architecture, activités et critères de distinction », dans L. Bourgeois (dir.), Une résidence des comtes d’Angoulême autour de l’an mil. Le Castrum d’Andone. Fouille d’André Debord, Caen, 2009, p. 440-457 ; A. Renoux, « Architecture, pouvoir et représentation en milieu royal et princier dans la France du nord aux xe et xie siècles », dans C. Ehlers, J. Jarnut, M. Wemhoff (dir.), Zentren herrschaftlicher Repräsentation im Hochmittelalter. Geschichte, Architektur und Zeremoniell, 2007, p. 26-30, 39-40 et 45-49 ; Ead., « Continuité et changement : stratégies princières et mises en œuvre castrales dans la France du nord aux xe et début du xie siècles », dans P. Ettel, A. M. Flambard Hericher, K. O’Conor (dir.), L’origine du Château médiéval, Château Gaillard 25, Caen, 2012, p. 330-334.
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à la singularisation, dans les résidences élitaires, de chambres, voire d’appartements, distincts pour le mari et sa femme, qui devient la règle générale pour la haute noblesse à la fin du Moyen Âge168. Si les indices fournis par les textes et l’archéologie laissent supposer que les couples élitaires disposaient très certainement d’une chambre qui leur était réservée, elles sont beaucoup plus rares pour les milieux plus modestes. La recherche récente a néanmoins montré que, pour les xiie-mi xvie siècles, le croisement des informations textuelles et archéologiques mettait en avant la distinction dans la plupart des maisons, rurales comme urbaines, même les plus modestes, d’une part, d’un espace commun à la famille et où sont reçues les personnes extérieures et d’autre part, d’un espace plus privé et intime, qualifié de camera, dont le nombre s’accroît avec la taille de la maison et le rang social de ses habitants169. La présence d’une camera au moins pourrait donc traduire, comme chez les élites, la volonté de réserver au couple un espace d’intimité à l’intérieur de la maison. Si le xiie siècle apparaît comme une période charnière dans l’évolution de la maison dite élémentaire, avec l’apparition d’une, voire plusieurs, petites pièces adjacentes de la salle commune170, la présence de ces pièces supplémentaires est néanmoins parfois attestée aussi pour le haut Moyen Âge171. En outre, la difficulté des archéologues à repérer les cloisonnements légers, voire l’impossibilité de les détecter s’il s’agit de structures mobiles172, n’exclut pas que les couples aient cherché, même symboliquement à se constituer des espaces réservés. Si la prospérité du xiie siècle a favorisé l’aménagement intérieur des maisons, notamment au profit du couple, l’attention qui lui est portée n’est peut-être pas pour autant une nouveauté. Les sources antérieures font quelques allusions, rares il est vrai, à des chambres conjugales : la Vie de saint Emmeran, rédigée par Arbéo de Freising dans les années 760-770, précise qu’un couple d’esclaves qui vient de se marier se dirige vers sa demeure (habitaculus) où il doit s’unir et pénètre dans la chambre (cubiculum)173. Les formules de bénédiction de chambre, parfois prononcées à l’occasion d’un mariage174, laissent supposer que les élites n’étaient pas seules à disposer, dans la maison, d’un espace réservé à leur intimité, même si celui-ci pouvait avoir des configurations différentes selon le milieu social. Même si les données ne sont pas très nombreuses, il semble, sans forcément nier l’existence
168 P. Contamine, « Espaces féminins, espaces masculins dans quelques demeures aristocratiques françaises, xive-xvie siècle », dans J. Hirschbiegel, W. Paravicini (dir.), Das Frauenzimmer : die Frau bei Hofe in Spätmittelalter und früher Neuzeit, Stuttgart, 2000, p. 83. Voir aussi pour les couples princiers de la maison d’Orléans, S. Richard, Vie et morts des couples princiers …, op. cit., p. 208-209. 169 S. Roux, F. Piponnier, « Distribution et fonctions des maisons », art. cit., p. 90 ; J. M. Pesez, « Perspectives », dans Y. Esquieu, J. M. Pesez (dir.), Cent maisons médiévales …, op. cit., p. 449. 170 J. Chapelot, R. Fossier, Le village et la maison …, op. cit., p. 223 et 247. 171 Ibid., p. 90, p. 222-223. 172 La pratique existe aussi dans les milieux élitaires, si l’on en croit l’un des lais de Marie de France qui mentionne un panneau divisant, dans une chambre, l’espace réservé au couple seigneurial et celui de la jeune fille au service de la dame qui y dormait quand le mari était absent : Guigemar (v. 245-251 ; 364-368). 173 Arbéo de Freising, c. 39, p. 515 (trad. I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 202). 174 G. Mathon, Le mariage des chrétiens, I : Des origines au concile de Trente, Lille, 1993, p. 82 ; C. de la Roncière, « Le mariage au Moyen Âge », art. cit., p. 288-291.
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de toute promiscuité, que l’on ait davantage cherché à préserver l’intimité conjugale qu’on ne l’a longtemps cru. Plus qu’à la chambre, le couple est néanmoins associé au lit, que la terminologie ne distingue pas toujours, il est vrai, de la chambre : thalamus et t(h)orum désignent aussi bien l’un que l’autre, sans qu’il soit toujours possible de trancher. Les poètes font néanmoins de ce lieu, qu’il soit chambre ou lit, celui qui est par excellence partagé par le couple, « le confident des rites du pacte conjugal », comme le dit métaphoriquement Baudri de Bourgueil175. Les deux termes sont aussi parfois employés dans le sens le mariage176, ce qui témoigne des liens étroits entre chambre, lit et conjugalité. Le contexte permet cependant parfois de trancher et les références au lectus (voire au stratus) ne laissent aucune ambigüité sur ce meuble, très souvent explicitement associé au couple. Plusieurs modèles de libellum dotis insérés dans les formulaires d’Angers (fin vie siècle) et de Sens (ixe siècle) prévoient, parmi les biens que le mari s’engage à donner à son épouse et qui doivent notamment permettre l’installation du couple, un lit ou du linge de lit177. Grégoire de Tours met en avant à plusieurs reprises dans son œuvre hagiographique et historique des couples qui dorment chastement dans le même lit178, et dans ses Dix livres d’Histoires, d’autres qui s’y unissent179. Fortunat évoque, dans la vie de sainte Radegonde, le lit (lectulus) dans lequel dort le couple royal180, même si ce n’est pas forcément ensemble chaque nuit181, et mentionne très souvent la couche lorsqu’il évoque un couple dans ses poèmes182. La Vie de saint Emmeran (viiie siècle) précise qu’après avoir été publiquement marié, le couple paysan pénètre dans le lit (lectus), situé dans la chambre183. Plus tardivement, Raoul Glaber (xie siècle) précise qu’un marchand (mango) qui invente la vie de saints dont il « découvre »
175 Baudri de Bourgueil, no 8, t. I, p. 32 : thalamus (…) conscius (…) maritali (…) federe. 176 Par exemple, Fortunat, Poèmes, IV, 18, p. 149 ; VIII, 3, p. 146 ; Ermold le Noir, II, p. 87 ; Baudri de Bourgueil, no 134, t. II, p. 4. 177 MGH Form., Formules d’Angers, no 1, p. 5 (lectarium ad lecto vestito) ; no 40, p. 17 (lectus vestitus) ; no 54, p. 23 (lectus vestitus) ; Formule de Sens no 25, p. 196 (lectaria condigna ad lectos tantos). 178 Grégoire de Tours, GC, no 31, p. 317 (in uno strato) ; no 74, p. 342 (thorum) ; no 75, p. 343 (stratus, thorum). Voir aussi no 77, p. 344 : l’épouse d’un homme devenu évêque supporte mal que celui-ci fasse désormais lit (lectulus) séparé et souhaiterait à nouveau partager le même lit (in uno strato). DHL, I, 47, p. 30-31 (trad. p. 65-66) : in uno strato. La vie d’Amâtre (vie siècle), c. 5 (Vita S. Amatoris, p. 53) présente le cas d’un couple qui, dans son lit (thorus, stratus) à la suite des noces, décide de garder leur union chaste, de même pour celle de saint Emmeran (viiie siècle), à la seule différence que l’épouse y est récalcitrante, c. 39-40 (Arbéo de Freising, p. 515-516) (lectus) : les textes sont traduits par I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 172-173 et p. 202-203. 179 DHL, III, 22, p. 122 : stratus (trad. p. 167) ; IV, 3, p. 136 : stratus (trad., p. 182) ; IV, 25, p. 156 : torum (trad., p. 206) ; VIII, 19, p. 385-386 : stratus (trad., t. II, p. 149) ; IX, 27, p. 445 : torum (trad., t. II, p. 220). 180 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 5, p. 66-67. 181 Outre les absences du roi, notamment pour raison militaire, la polygamie de celui-ci implique une rotation des partenaires : le lit n’accueille pas toujours le couple, ni forcément ce couple, sans que l’on sache qui du roi ou de ses partenaires changent de lit pour rejoindre l’autre. 182 Par exemple, Fortunat, Poèmes, IV, 26, t. I, p. 155 (torum) ; IV, 28, t. I, p. 163 (cubicule) ; VI, 1, t. II, p. 45 (cubile) ; VI, 5, t. II, p. 61 et 70 (torum) ; IX, 2, t. III, p. 19 (torum) ; X, 2, t. III, p. 63 (torum). 183 Arbéo de Freising, c. 39, p. 515, trad. I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 202.
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les reliques explique aux autorités ecclésiastiques détenir ses informations d’un ange qui « presque chaque nuit [l’]enlève à [son] lit (lectulus) à l’insu de [son] épouse »184. S’il est difficile de mesurer le rang social de ce marchand, la mention d’un lit dans une maison paysanne par Grégoire de Tours (vie siècle) et Arbéo de Freising (viiie siècle)185, de même que l’interdiction, à titre de pénitence, pour un couple de dormir dans un même lit prévue par certains pénitentiels186 laissent supposer que ce meuble n’était pas propre aux élites, ce qui ne veut pas dire qu’il se présentait matériellement de la même manière dans tous les milieux187. Le lectus qui est dans la chambre d’Adèle est décrit par Baudri de Bourgueil comme une œuvre d’art188 : si cela participe à sa stratégie de séduction de la comtesse, il n’est pas fantaisiste de penser qu’au sein des élites, le lit, notamment conjugal, ait pu comme d’autres biens mobiliers relevant du trésor, être considéré comme un objet de luxe189, alors qu’il n’était que simple paillasse chez les plus humbles190. L’iconographie en a conservé quelques représentations, à l’image de cette enluminure d’un manuscrit du xie siècle illustrant la vie de sainte Radegonde qui en reproduit un modèle déjà élaboré (illustration 2). L’hagiographie, les romans et les poèmes du Moyen Âge central mettent aussi régulièrement en scène des couples ensemble dans leur lit191, ce qui est présenté comme habituel et laisse supposer une pratique suffisamment fréquente pour rendre leurs anecdotes plausibles et donc leur discours pertinent. Elisabeth Van Houts considère aussi que la norme dans les élites semble avoir été pour les époux de partager le lit conjugal192. Le lit n’est certes pas un meuble réservé au couple, mais s’il est un meuble particulièrement associé au couple, c’est, hier comme aujourd’hui, le lit qui permet aux conjoints de se retrouver régulièrement, ce qui en fait un lieu symbolique de la conjugalité, même si dans les élites, il n’est pas toujours partagé par le couple, du fait des absences du mari et de la fréquente polygamie masculine. Si la documentation
184 Raoul Glaber, IV, 7, p. 236-237. 185 DLH, VIII, 19, p. 385-386 : stratum (trad., p. 149) ; Arbéo de Freising, c. 39, p. 515 : lectus. 186 Pénitentiel de Finian, c. 45, trad. M. Vogel, Le pécheur et la pénitence …, op. cit., p. 61. 187 D. Alexandre-Bidon, P. Mane, « La vie quotidienne à travers les enluminures carolingiennes », dans J. Cuisenier, R. Guadagnin (dir.), Un village au temps de Charlemagne : moines et paysans de l’abbaye de Saint-Denis du viie siècle à l’an mil, Catalogue d’exposition, Paris, 1988, p. 344. 188 Baudri de Bourgueil, no 134, t. II, p. 31-42. 189 L’existence de lits somptueux est confirmée par l’archéologie qui a en mis à jour quelques exemplaires retrouvés dans des tombes élitaires, en particulier dans celles datées du ixe siècle à Oseberg (Norvège), sans qu’il soit possible néanmoins de prouver qu’il s’agit de lits conjugaux : voir G. Gustafson, « La trouvaille d’Oseberg (Norvège) », dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, no 52/6 (1908), p. 390 et 392. La littérature courtoise offre aussi quelques descriptions de lits sculptés, incrustés de matériaux précieux et garnis de draps, coussins et couvertures en étoffes luxueuses : cas dans Guigemar (v. 170-182), l’un des lais de Marie de France, et dans Érec et Énide de Chrétien de Troyes, op. cit., p. 18. 190 Voir aussi E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 106-107. 191 Ibid., p. 106-108. Les références données ci-dessus (n. 166) dans les Lais de Marie de France et dans Érec et Énide de Chrétien de Troyes pour le partage d’une même chambre sont aussi valables pour celui d’un même lit. 192 E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 103.
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Illustration 2 : Radegonde quitte la nuit le lit conjugal pour prier (c. 5), Vie de sainte Radegonde, par Venance Fortunat († peu après 600), Médiathèque François Mitterrand (Poitiers), ms. 250 (136), xie siècle, fol. 24 (détail)
évoque peu l’intimité du couple, ce qui ne signifie pas que celui-ci ne l’ait pas recherché, quelques allusions l’associent néanmoins à des lieux – maison, voire chambre, et surtout lit – qui participent à l’identité conjugale et laissent supposer des occasions pour lui de partager certains moments. Moments partagés : discuter et décider ensemble ?
Si le couple apparaît davantage associé à des espaces qu’à des temps partagés, la documentation n’en évoque pas moins des moments où les conjoints sont ensemble, pas seulement pour copuler, mais aussi pour discuter notamment. Or les sociologues soulignent aujourd’hui l’importance de la conversation ordinaire, dans la mesure où elle permet notamment « de construire, de produire et d’entretenir la réalité groupale du couple »193. Il s’agit donc d’évaluer de quelle manière les couples se trouvent amenés à converser et dans quelle mesure ces échanges communicationnels sont perçus comme un élément contribuant à la structuration du couple. Le lit, on l’a dit, réunit régulièrement le couple : s’il est l’occasion de moments partagés pour les plaisirs terrestres (mundanae illecebrae ; temporalia voluptiosa
193 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 149. Voir aussi J. C. Kauffman, Sociologie du couple, op. cit., p. 111.
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gaudia)194, les embrassements (amplexus)195, les étreintes (complexus)196, le coït (coitus)197, auxquels les sources font parfois allusion, mais discrètement et, à l’exception des poètes, surtout pour en fustiger les excès ou glorifier ceux qui y renoncent, il favorise aussi les discussions au coucher ou au réveil, sur lesquels les auteurs insistent davantage. Plusieurs vies de saint précisent ainsi que le couple décide, le soir de ses noces, une fois couché, de rester chaste198. Si la décision s’inscrit dans un discours qui cherche à justifier qu’un saint puisse avoir été marié à un moment où l’on considère la conjugalité incompatible avec la sainteté199 ou à promouvoir la monogamie, elle n’en est pas moins replacée dans le cadre d’une scène qui paraît plausible à l’auditoire pour tous les milieux, puisque si la majorité des vitae envisage les élites, la vie de saint Emmeran présente le cas d’un couple paysan. D’autres sources mettent aussi en scène la nuit de noces, avec les discussions qui précèdent, cette fois, la consommation du mariage. C’est le cas du Liber historiae Francorum (viiie siècle), suivi – même si c’est plus synthétiquement – par la Vita sanctae Chrotildis (xe siècle) : après les festivités, une fois les époux seuls, Clotilde sollicite une faveur de Clovis avant de s’unir à lui, ce qui conduit le couple à discuter sur le souhait de la première de voir son mari se convertir et le refus du second200. L’objectif est d’expliquer les étapes de la conversion de Clovis et de souligner le rôle de Clotilde, ce qui participe à sa sainteté, mais la mise en scène des échanges conjugaux, verbaux avant d’être charnels, doit apparaître suffisamment convaincante pour rendre vraisemblable le discours. D’autres sources témoignent des discussions conjugales alitées en dehors de la nuit de noces. Pour Ermold le Noir, alors que Witchaire est quasiment parvenu à convaincre Murman le roi des Bretons de se plier aux volontés de Louis le Pieux, la nuit passée avec sa femme suffit à retourner sa volonté201. Là encore, il s’agit de justifier la guerre menée par l’empereur dont il sort victorieux, ce qui contribue à sa gloire, mais en utilisant des pratiques connues de tous : ici, la décision prise conjugalement, de refuser la soumission, après discussion nocturne. Au xiie siècle, Chrétien de Troyes offre aussi, à travers Érec et Énide, le modèle d’un couple qui profite du coucher ou du réveil pour discuter, dans l’intimité conjugale, de sujets divers202 : le récit est certes romanesque et il vise à défendre la compatibilité de l’amour et du mariage, mais il utilise, pour les ressorts de l’intrigue, des scènes qui doivent être habituelles pour un grand nombre de ses lecteurs et lectrices, du moins pour celles et ceux qui participent à des couples fonctionnant sur la base d’une entente minimum, probablement majoritaires comme Vita S. Amatoris, c. 5 p. 53 ; Arbeo de Freising, c. 39, p. 515. Fortunat, Poèmes, IV, 26, p. 155 ; VI, 1, p. 45 et 50. Baudri de Bourgueil, no 8, p. 32. Grégoire de Tours, GC, no 31, p. 317 ; Baudri de Bourgueil, no 154, p. 83. C’est le cas notamment de la vie d’Amâtre (vie siècle), c. 5 (Vita S. Amatoris, p. 53) et de celle de saint Emmeran (viiie siècle), c. 39-40 (Arbéo de Freising, p. 515-516) : les textes sont traduits par I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 172-173 et p. 202-203. Sur les couples chastes, voir S. Joye, « Couples chastes … », art. cit., p. 53-58. 199 I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 241-243. 200 LHF, c. 12, p. 36-37 ; Vita S. Chrotildis, c. 5, p. 343-344. 201 Ermold le Noir, III, p. 109-113. 202 Chrétien de Troyes, Érec et Énide, op. cit., p. 65-68. 194 195 196 197 198
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on l’a vu. Enfin, il arrive que soit évoqué le récit d’un rêve que l’un des conjoints fait à l’autre au réveil pour savoir ce qu’il en pense : ainsi en est-il pour Mummole et sa femme mentionnés par Fortunat (vie siècle) et pour Renaud et la sienne mis en scène par Odon de Cluny (xe siècle). Si l’objectif des deux hagiographes est par le biais de ces anecdotes de témoigner des miracles de Radegonde pour le premier et de Géraud pour le second203, ils ne s’en appuient pas moins eux aussi sur une habitude qui parle à tous. Le fait de partager le même lit apparaît donc propice aux discussions conjugales, ce que les auteurs laissent supposer d’une grande banalité dans tous les milieux sociaux204. Les moments partagés autour de discussions ne sont pas que nocturnes ou matinaux, ce dont témoigne la documentation du vie au xiie siècle, même si les occurrences ne sont pas très fréquentes. L’une des situations les plus souvent éclairées est celle où l’épouse donne des conseils ou fait des suggestions à son mari. Elle correspond en effet au modèle de l’épouse conseillère diffusé depuis des siècles par les milieux ecclésiastiques, qui l’adaptent à l’époque carolingienne en assimilant le consilium dû par l’épouse à son mari au conseil que celui-ci doit au roi205. La question des rapports de genre au sein du couple sera analysée dans le chapitre suivant pour nous consacrer ici au contexte dans lequel ceux-ci s’inscrivent, à savoir les conversations entre époux. Dans une société dominée par les hommes, l’allusion aux bons ou mauvais conseils donnés par les épouses permet certes le plus souvent, comme dans les Dix livres d’histoires de Grégoire de Tours, de justifier les actes de leurs maris et de les critiquer, quand ils suivent les mauvais conseils comme lorsqu’ils ne suivent pas les bons206. Cela laisse néanmoins aussi supposer, au risque de faire perdre de leur pertinence aux récits, d’une part, que l’on considère comme habituelles les conversations conjugales, y compris sur des sujets qui dépassent les simples questions liées à la vie quotidienne, et d’autre part, que chacun des époux peut exprimer son point de vue. Les auteurs évoquent principalement, il est vrai, des couples mariés, ou présentés comme tels, parce qu’ils privilégient ce modèle conjugal, mais il leur arrive néanmoins de faire allusion à des échanges entre un homme et la concubine qu’il a en plus de son épouse, ce qui montre qu’il partage avec elle d’autres moments que ceux voués à la sexualité. Si l’on suit Grégoire de Tours, Galswinthe, mariée à Chilpéric, se plaint constamment au roi des injures qu’elle doit supporter ainsi que du manque de considération qu’il lui témoigne et celui-ci l’apaise par de douces paroles, mais l’auteur laisse aussi supposer le maintien des relations avec Frédégonde, qui semble alors avoir le statut de concubine207. S’il
203 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 38, p. 112-113 ; Vita S. Geraldi Auriliacensis comitis, IV, 11, col. 702 (trad. IV, 13, p. 212). 204 Voir aussi E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 107-108. 205 R. Le Jan, « L’épouse du comte … », art. cit., p. 24. 206 DLH, III, 4, p. 100 (trad. p. 144) ; IV, 3, p. 136 (trad., p. 182) ; V, 34, p. 239-240 (trad., p. 295-296) ; V, 39, p. 245 (trad., p. 302) ; VI, 35, p. 306 (trad., t. II, p. 54) ; VIII, 39, p. 405 (trad., p. 171-172) ; IX, 35, p. 456 (trad. p. 231). Sur l’influence des femmes sur leur mari, voir S. Joye, « Grégoire de Tours et les femmes … », art. cit., p. 77-82 et p. 86-89. 207 DLH, IV, 28, p. 160-161 (trad. p. 210).
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reste vague sur la nature de ces relations, le Liber historiae Francorum, plus tardif, précise que c’est à l’instigation de Frédégonde, que le roi tue Galswinthe208, ce qui implique, pour l’auteur209, qu’un roi est susceptible de partager des discussions avec son épouse comme sa concubine. De même, pour Hincmar de Reims, c’est poussé par sa concubine Waldrade que le roi Lothaire aurait renvoyé son épouse Theutberge210. Si c’est un moyen classique de reporter sur un.e mauvais.e conseiller. ère, la responsabilité d’une décision condamnée par une partie des milieux ecclésiastiques – en particulier l’auteur –, cela n’en témoigne pas moins d’un type de relation commun à toutes les formes de conjugalité qui prévoit des discussions entre les conjoints. Si l’association plus étroite des épouses à l’exercice du pouvoir de leurs maris conduit ceux-ci à solliciter plus systématiquement à partir de l’époque carolingienne leur conseil, cela n’exclut pas qu’avant le viiie siècle, des décisions sur toutes sortes de sujet aient été discutées et prises conjointement par les couples, même si toutes ne l’étaient pas. Ces moments partagés autour de conversations qui débouchent parfois sur les projets communs contribuent à la perception du couple, dès le vie siècle même si elle devient plus nette ensuite, comme une union à la fois de la chair et de l’esprit. C’est ce que retient Fortunat (vie siècle) dans l’épitaphe de Vilihute : Avec son corps, elle partagea sa couche, mais, plus encore, elle était unie à son mari par le cœur (…) celle qui te fut unie par la pensée, les sentiments et le corps211. C’est aussi ce qu’il souhaite, de manière plus évasive, à Sigebert et Brunehaut, dans le poème rédigé à l’occasion de leur mariage en 566 : « soyez unis de corps et liés par le cœur »212. De même, au ixe siècle, dans la lettre de consolation qu’il adresse à Eginhard douloureusement atteint par la mort de son épouse, Loup évoque l’attachement de son ami au corps de son épouse et le grand amour qu’il avait conçu pour elle213. Au siècle suivant, Richer souligne à propos de Louis V et Adélaïde, mariés vers 980, que : l’amour conjugal (amor conjugalis) était chez eux presque nul (…). Ils refusaient de faire lit commun (cubiculum commune) (…). Leur conversation se bornait à quelques paroles très brèves214.
208 LHF, c. 31, p. 104-105. 209 L’auteur serait issu de l’aristocratie laïque si l’on suit l’hypothèse de Stéphane Lebecq : LHF, introduction, p. xxxix. 210 Annales de Saint-Bertin, a. 862, p. 93-94 (voir Annexe 2, textes no 10). 211 Fortunat, Poèmes, IV, 26, t. I, p. 155 : Corpore iuncta toro / Plus pectore nexa marito ; p. 161 : sensu, animo, tibi corpore iunctam. 212 Ibid., VI, 1, t. II, p. 50 : iuncti membris et corde iugati. 213 Loup de Ferrières, Correspondance, op. cit., no 4 (avril 936), p. 28-29 et 33-34. 214 Richer, III, 94, t. II, p. 118-121.
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Le moine rémois, en témoignant des dysfonctionnements du couple, souligne en négatif les fondements des relations et de la vie conjugales jugés habituels – si ce n’est observés –, basés sur l’amour, les relations sexuelles et les conversations215, impliquant notamment lieux et moments partagés. Pour Richer, leur absence conduit à la rupture du couple formé par Louis V et Adélaïde qui n’en était pas véritablement un. Quant à Baudri de Bourgueil, il reprend, au xie siècle, à peu près les mêmes ingrédients lorsqu’il définit dans l’un de ses poèmes ce qui unit les deux esprits des époux : « l’amour conjugal, la constance inébranlable de l’amour, les étreintes données et échangées et l’occasion de parler l’un avec l’autre »216. Il s’agit certes de poésie savante, où Baudri joue des mots et témoigne de son érudition217, mais le croisement des sources montre que sentiments, sexe et conversations contribuent, en renforçant les liens entre les conjoints par des moments de complicité charnelle et spirituelle, à affirmer leur unité, ce qui en fait des éléments essentiels dans la définition du couple. Certains lais de Marie de France (xiie siècle) opposent d’ailleurs, au-delà du jeu poétique et de l’érudition, des couples malheureux, qui ne partagent pas grand chose – par choix lorsqu’ils sont mariés ou contraints quand ils ne le sont pas –, et des couples heureux, parfois mariés, plus souvent amants, à l’unisson pour goûter les plaisirs charnels, mais aussi parler et rire218. Dans « Milon », l’auteure montre même que si les débuts du couple sont marqués par des relations charnelles, c’est l’échange de lettres par l’intermédiaire d’un cygne et quelques rencontres qui le font perdurer pendant vingt ans jusqu’à la mort du mari que la jeune fille a été contrainte d’épouser par son père219. Si la plupart des couples, quels que soient leur statut et leur milieu, partagent des lieux et des moments, plus ou moins fréquemment selon les situations, il peut s’y ajouter, en particulier pour les élites, un patrimoine.
215 Sur l’analyse de ce passage, voir S. Joye, E. Santinelli-Foltz, « Le couple … », art. cit., p. 10-17. 216 Baudri de Bourgueil, no 8, p. 32 : iugalis amor, tenor inconuulsus amoris / Libatique suo conplesus more uicissim / Dandaque mox nobis occasio colloquiorum / Reuera poterunt mentes unire duorum. 217 Ibid., introduction, p. xix, xxvii et xxxii. 218 Marie de France, Lais, op. cit. C’est le cas, en particulier, de « Yonec » (p. 408-455) : sa mère souffre de la sollitude, enfermée dans une chambre par son vieux mari qui ne la retrouve que pour se coucher (v. 28-29 ; 37-41) et est prête à se laisser mourir (v. 49-50), mais elle retrouve sa gaité et sa beauté, à partir du moment où elle rit, joue, parle et prend son plaisir avec son amant (v. 193-194, 220, 271-272), père d’Yonec (v. 327-330). « Guigemar » (p. 168-239) présente une situation comparable qui s’achève néanmoins par une fin heureuse pour le couple amoureux un temps séparé, contrairement aux parents d’Yonec qui ne se retrouvent que dans la tombe. Le début de « Bisclavet » (p. 308-333) met en scène un couple marié qui s’aime, se sert dans les bras, s’embrasse, se cajole et discute (v. 21-62). 219 Marie de France, Lais, op. cit., p. 470-511. « Milon » raconte l’histoire d’un chevalier qui s’est épris de la fille d’un seigneur avec laquelle il a secrètement un fils (v. 49-108 et 445-456), avec laquelle il échange des lettres par l’intermédiaire d’un cygne pendant vingt ans et qu’il rencontre quelques fois (v. 161-235), alors qu’elle a été mariée à un autre par son père (v. 124-125), avant de finir par l’épouser après la mort du dit mari (v. 516 et 527-528). Pour l’analyse de ce lai, voir R.L Krueger, « The Wound, the Knot … », art. cit., p. 76-78.
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Biens partagés : la création d’un patrimoine conjugal ?
Au haut Moyen Âge, la séparation des biens entre les époux n’exclut pas qu’il puisse aussi y avoir un patrimoine conjugal ni que le couple considère comme les siens les biens de l’un ou de l’autre conjoint220, pas plus qu’aujourd’hui le fait que chaque conjoint dispose d’un compte bancaire personnel n’empêche l’ouverture d’un compte joint ni que le couple dépense à son profit les revenus dont il dispose quelle qu’en soit l’origine. Or ces pratiques qui exigent parfois des démarches particulières témoignent de la conscience de former un couple, en même temps qu’elles participent à l’identité du couple. Il convient donc d’analyser dans quelle mesure il y a patrimoine commun, comment, dans une perspective genrée, chacun y contribue et de quelle manière il est envisagé comme symbolique de la communauté conjugale. Si la documentation n’est pas toujours explicite sur ce qui appartient aux uns et aux autres, elle n’en témoigne pas moins sans ambiguïté que les époux, tout en disposant chacun d’un patrimoine propre, peuvent avoir des biens communs. Un modèle de testament au profit du dernier vivant des époux et des enfants, inséré dans le formulaire de Marculf (fin viie siècle) distingue ainsi à côté des biens hérités par chacun de ses parents ou obtenus en dot, voire autrement, ceux acquis ensemble (quod pariter adquaesimus) ou mis en valeur conjointement (pariter laboravimus)221. Sans être aussi précise, la Lex Ribuaria, rédigée à la fin du vie ou au début du viie siècle, n’en fait pas moins allusion aux biens acquis conjointement par les époux (re quod simul conlaboraverint)222, de même que le capitulaire de 821 qui n’envisage néanmoins que les bénéfices (conlaborationis, quam simul in beneficio conlaboraverunt)223. Dans la mesure où les deux dispositions législatives s’attachent à préciser les droits auxquels peut prétendre l’épouse, après la mort de son mari, les acquêts réalisés par la communauté conjugale apparaissent ordinaires, si ce n’est normal. Pour les époques plus tardives, à défaut de données générales, les actes de la pratique y font ponctuellement référence. Pour ne prendre que quelques exemples répartis dans le temps et l’espace, une charte datée de 920 conservée par Cluny évoque les biens que donnent Gundulric et sa femme Ettela à leurs deux fils, dont certains ont été acquis par eux d’un certain Bernard (res quae de Benardo
220 R. Le Jan, « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 38. 221 MGH Form., Formules de Marculf, l. II, no 17, p. 86-87 : (…) ego illi et coniux mea illa (…) testamentum nostrum concedimus (…) quicquid in omnibus pridie quam moriamur tenere videmur, quicquid ex proprietatae paraentum vel proprio laborae seu ex munificentia piis principibus percipere meruimus vel de quibuslibet titulis atquae contractis, vinditionibus, cessiones, donationes vel undique, Domino adiuvante, ad nostram pervenit dominationem, tu tunc, dulcissima coniux mea illa, vosque, dulcissimi filli mei illi, heredes quoque meos vos esse volo (…). Licet de omnibus, dum advivimus, nostrum reservavimus usum, sed dum in villas aliquas, quas superius nominavimus (…) quod pariter, stante coniugio, adquaesivimus, predicta coniux nostra tertia habere potuerat (…). Itemque ego illa, ancilla tua, domine et iogalis meus ille (…) si tu, domne et iogalis meus mihi suprestis fueris, omni corpore facultatis meae, quantumcumque ex successione parentum habere videor, vel in tuo servitio pariter laboravimus, et quod in tercia mea accepi, in intaegrum, quicquid exinde facire elegeris (…) faciendi liberam habeas voluntatem (…). 222 Lex Ribuaria, éd. F. Beyerle, R. Buchner, MGH LL III. 2, Hanovre 1951, c. 41, § 2, p. 95. 223 MGH Capit., no 148, c. 9, p. 301.
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conquesivimus)224. Vers 1015, le prêtre Eulalius, sa femme Adalgardis et leurs six enfants offrent à Saint-Cyprien de Poitiers une terre dont ils ont fait l’acquisition (comparaverant)225. Vers 1112, deux couples et leurs enfants cèdent aux moines du même monastère la moitié d’un étang et un moulin qui leur avaient été donnés par un certain Hugues226. En 1193, le comte Baudouin V de Hainaut et de Flandre se porte garant pour l’achat réalisé conjointement par Gauthier de Sottegem et son épouse Richilde d’Audenarde, qui lui en sont solidairement redevables227. Si les chartes mentionnent plus souvent des laïcs, elles permettent parfois d’approcher les couples formés par les clercs, à l’image de celui d’Eulalius : si le petit nombre d’ecclésiastiques qui apparaît en couple dans les chartes peut laisser supposer un comportement particulier, peut-être liée à la nécessité de respecter une certaine discrétion, ceux qui y figurent ne se distinguent pas des autres couples en matière de gestion du patrimoine, ce qui les conduit notamment à se constituer avec leurs femmes – officiellement épousées ou non – un patrimoine commun qui contribue à conforter la communauté conjugale, souvent élargie aux enfants. Les chartes éclairent aussi, si l’on en juge par les précisions données, le milieu de la paysannerie aisée et témoignent de pratiques similaires. En 986 ou 987, un acte du comte Guillaume IV de Poitiers évoque ainsi une terre qu’Adrald et sa femme Emma, moyennant l’acquitement d’un cens, tiendront, possèderont, planteront, cultiveront leur vie durant (quamdiu superstites fuerint, teneant, possideant, plantent, edificent)228. De même, une notice du cartulaire de Saint-Aubin d’Angers datée de 1060-1081 rappelle qu’un certain Richard a acheté avec son épouse (cum uxore sua), Ausende, une terre, où ensemble, par leur travail, ils ont mis en valeur une vigne229. Si ce type d’indication est rare, il n’en témoigne par moins de la solidarité conjugale établie autour du patrimoine commun. Plus révélateurs d’une possible volonté de disposer d’un patrimoine commun, certains actes de la pratique enregistrent des transferts de droits qui aboutissent à transformer des biens personnels, du mari comme de la femme, en patrimoine conjugal. La transaction peut être opérée de diverses manières : soit directement d’un conjoint à l’autre, soit par l’intermédiaire d’une communauté religieuse, ce qui y ajoute d’autres avantages. La pratique en est attestée par plusieurs modèles insérés dans les formulaires élaborés entre le vie et le ixe siècle et quelques actes de la pratique plus tardifs. Le premier cas de figure peut se décliner de deux façons. Il peut avoir un effet immédiat, par le biais d’une donation, voire d’une vente, faite au conjoint. C’est ce que prévoit par exemple une formule de Tours (viiie siècle), avec
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Cluny I, no 222, p. 211-212. Saint-Cyprien de Poitiers, no 140, p. 95. Ibid., no 51, p. 50. Duvivier, no 81, p. 166-167. Saint-Cyprien de Poitiers, no 308, p. 192-193. Saint-Aubin d’Angers, no 76, p. 93 : (…) de proprio labore cum uxore sua emerat atque coedificaverat.
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réciprocité entre les époux230 et plusieurs chartes de Cluny (à partir de la fin du ixe siècle) qui enregistrent des transferts de l’époux à l’épouse comme l’inverse231, même si le premier cas de figure est plus fréquent, parce qu’il intègre des donations qui complètent la dotation initiale232. Cela ne signifie cependant pas que le donateur se dessaisisse de tous ses droits, comme le précise explicitement la charte qui enregistre, en 932, la donation que fait Eldéart à sa femme Isnart, prévoyant qu’ils en jouissent ensemble de leur vivant233, ou encore celle, datée de 935, qui témoigne de la situation inverse, Rihelt donnant à la même condition différents biens à son mari Ainon234. Si l’on perçoit mal les enjeux qui se cachent derrière ces transactions, et notamment le rôle des familles, susceptibles de faire pression dans le cadre des échanges de biens qui accompagnent celui des femmes, ces transferts n’en aboutissent pas moins à la création d’un patrimoine commun au couple. Ces transferts opérés directement entre les époux peuvent aussi être différés à la mort du conjoint donateur, mais ils n’en lient pas moins le couple autour des biens concernés. Nous reviendrons au chapitre suivant sur ce qu’ils peuvent traduire des relations conjugales et de la manière dont le couple envisage la mort, pour nous concentrer ici sur leurs répercussions concrètes, conduisant à la consitution d’un patrimoine conjugal. Les règles de l’héritage, on le sait, n’accordent aucun droit sur les biens du conjoint qui reviennent à ses enfants et, à défaut, à ses consanguins, selon un ordre précisément défini par la loi235. Tout individu a cependant la possibilité de céder une partie de son patrimoine à d’autres que ses héritiers légitimes, notamment son conjoint, ce qui doit néanmoins faire l’objet d’un acte spécifique pour éviter les
230 MGH Form., Formulae Turonenses (Tours, viiie siècle), c. 18, p. 145. Si l’objectif avoué est que le conjoint puisse jouir de ces biens après la mort de l’autre, le modèle laisse supposer que le transfert prend effet immédiatement. Une formule d’Angers prévoit de même la donation d’un homme à sa femme, mais sans envisager de réciprocité : no 35, p. 16. 231 Cluny I., no 20 (874 ?), p. 24-25 (vente à l’épouse) ; no 75 (902), p. 84-85 (donation à l’épouse) ; no 96 (908), p. 107-108 (donation à l’épouse pour sa vie durant) ; no 197 (914), p. 184-185 (donation à l’épouse) ; no 233 (922), p. 223-225 (donation à l’épouse) ; no 254 (925-926), p. 245-246 (donation à l’épouse) ; no 358 (928 ?) p. 335-336 (donation à l’épouse) ; no 366 (928), p. 345 (donation au mari) ; no 370 (928), p. 348 (donation à l’épouse) ; no 380 (930), p. 362 (donation à l’épouse) ; no 400 (932), p. 386 (donation à l’épouse) ; no 406 (932), p. 392 (donation à l’épouse) ; no 437 (935), p. 425-426 (donation au mari) ; no 454 (936), p. 443 (donation au mari) ; no 476 (937), p. 461-462 (donation au mari) ; no 740 (949), p. 696-697 (donation au mari) ; no 858 (953), p. 812-813 (donation à l’épouse), etc. 232 R. Le Jan, « Douaires et pouvoirs des reines en Francie et en Germanie (vie-xe siècle) », dans Ead., Femmes, …, op. cit., p. 73-75. 233 Cluny I, no 406 (932), p. 392 : Dilecta seniore mea nomen Isnart et ego Eldeart dono tibi, pro amore et bona voluntate, de res meas (…) ; dum modo vivimus pariter usum et fructum, et qualis desuper vivit de nos pariter ad illum pervenit, et post nostrum dicessum ad infantes nostros pervenit (…). 234 Cluny I, no 437, p. 425-426 : Dilecto atque multum amabile seniore meo, nomine Ainone, ego in Dei nomine Rihelt, uxor tua. Ego in pro amore et prompta bona volencia mea que contra te abeo, in pro ipsa amore dono tibi aliquit de res meas (…) ego tibi dono, ea tamen racione de ipsas res et de ipso manso, quamdiu nos vivimus, pariter usum et fructum possideamus, et qualis de nos pars parem suum supervixerit, ipsas res et ipsos mansos faciat quiquit volueris perpetualiter (…). 235 PLS, c. 59, p. 222-223. Voir R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 233 ; H. W. Goetz, « La circulation des biens … », art. cit., p. 876-877.
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contestations236. Neuf modèles, issus de six formulaires rédigés à des moments et en des lieux différents, enregistrent la concession réciproque au conjoint survivant, de tout ou partie de ce qui est laissé en héritage237, ce qui témoigne d’une pratique qui ne devait pas être rare. Si dans ce cas, le transfert se trouve retardé, il n’en confère pas moins un droit de regard immédiat au conjoint bénéficiaire. Certaines formules prévoient d’ailleurs une gestion conjointe du vivant des deux époux, explicitement en précisant qu’ils s’en réservent l’usage ou implicitement en évoquant la possibilité de réaliser ensemble des donations à des communautés religieuses238. S’il est difficile de saisir les motivations réelles de tels gestes, ils n’en conduisent pas moins, là aussi, à associer le couple à certains biens. En dehors des transferts directs entre époux, ce résultat peut aussi être obtenu, par le biais d’une transaction opérée par l’intermédiaire d’une communauté religieuse, même si l’on mesure mal s’il en est l’objectif ou la conséquence, compte tenu des bénéfices multiformes procurés par les liens ainsi noués avec églises et monastères, tant sur le plan spirituel que politique, social, voire économique. Dans les années 927-942, un certain Rotlan donne ainsi un champ aux moines de Cluny qui lui en concèdent à la place un autre, non seulement à lui mais aussi à sa femme pour leur vie durant239. L’échange avec le monastère qui permet de créer des liens avec lui et répond probablement à des intérêts réciproques de nature économique voire sociale, aboutit pour le couple à se trouver davantage associé au second champ qu’au premier sur lequel Rotlan semblait seul détenir des droits. Si ce type de concession ne concerne pas que des couples, deux d’entre elles favorisent plus nettement la 236 Certaines formules justifient ainsi, dans leur préambule, la rédaction d’un acte : MGH Form., Formulae Marculfi, l. II, c. 7, p. 79 : « Ce que les époux, restés affectionnés, veulent, par amour, se donner réciproquement de leurs biens propres, il est nécessaire qu’un acte écrit le fixe pour que cela ne puisse pas, par la suite, être contesté par leurs héritiers ou quelqu’un d’autre ». Même idée exprimée dans Formulae Turonenses, no 17, p. 144. 237 MGH Form., Formulae Andecavenses (Angers, fin vie siècle), no 41, p. 18-19 ; Formulae Marculfi (région parisienne, fin viie siècle), l. I, no 12, p. 50-51 et l. II, no 7, p. 79-80 ; Formulae Turonenses (Tours, viiie siècle), c. 17, p. 144-145 ; Formulae Salicae Merkelianae (Paris ou Tours, fin viiie siècle), no 16, p. 247 ; Formulae Salicae Lindenbrogianae (Salzbourg, ixe siècle), no 13, p. 275-276 ; Formulae Augienses (Reichenau, ixe siècle), no 26 et no 27, p. 359. Lorsqu’il y a des enfants, la concession est faite au conjoint survivant pour sa vie durant : Formulae Marculfi, II, 17, p. 86-88. Un dixième modèle n’envisage que le cas où la femme survit à son mari : Formulae Salica Lindenbrogianae, add. no 1, p. 282. Sur la pratique, appelée affatomie dans la législation franque, de la désignation d’un héritier, autre que celui prévu par la loi, en l’absence de postérité, voir E. Santinelli, « Continuité ou rupture ? L’adoption dans le droit mérovingien », dans D. Lett, C. Lucken (dir.), L’adoption. Droits et pratiques, dans Médiévales, no 35 (automne 1998), p. 9-18 ; Ead., « Ni Morgengabe … », art. cit., p. 255-256 ; Ead., Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 81-82 ; O. Kano, « Dater deux actes du formulaire de Marculfe (I, 12 et 13) : quelques remarques sur l’évolution de l’affatomie », dans S. Sato (dir), Herméneutique du texte d’histoire …, op. cit.,p. 33-44. 238 MGH Form., Formulae Marculfi, l. II, no 7, p. 79-80 ; II, 17, p. 86-88 (dum advivimus, nostrum reservavimus usum) ; Formulae Augienses, no 26, p. 359 (quod pro animae remedio ad loca sanctorum condovimus / delegavimus). 239 Cluny I, no 325, p. 316 : (…) In primis donat Rotlannus in Andir unum campum, ut monachi Sancti Petri omni tempore teneant ; et econtra donant monachi in villa Cheidas unum campum jam dicto viro Rotlanno et uxori ejus, ut, quamdiu ipsi duo vixerint, ipsum campum teneant, et post illorum discessum ad Sanctum Petrum revertatur (…).
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communauté conjugale autour du patrimoine : celles qui prévoient, en l’échange de la donation des biens de l’un des conjoints, soit la réserve d’usufruit soit la rétrocession en précaire – qui s’accompagne du paiement d’un cens240 – au profit, dans les deux cas, des deux époux. La jouissance conjugale s’en trouve, dans l’une comme l’autre formule, à la fois légitimée et protégée par la communauté religieuse qui en est devenue propriétaire241. Seuls les formulaires les plus tardifs, rédigés au ixe siècle en Alémanie, ont prévu des modèles pour de telles dispositions242, ce qui laisse supposer que la pratique n’est peut-être pas de beaucoup antérieure à ce siècle, mais elle est alors suffisamment fréquente pour que l’on juge nécessaire d’élaborer de tels documents. Les cartulaires en ont conservés des témoignages à partir de la fin du viiie siècle243 et encore plus du xe siècle pour les autres régions. Pour les transactions qui comportent une réserve d’usufruit, les chartes montrent qu’elles concernent des biens issus du patrimoine de l’épouse comme du mari. Vers 960, Amelio Aganardus concède plusieurs alleux qui lui appartiennent à l’abbaye de Lezat, mais en garde la jouissance avec sa femme Treja, tant qu’ils vivent l’un et l’autre244. Vers 1030, le vicomte Wigo et sa femme Eufemie donnent à Cluny, après leur mort à tous les deux, deux biens, dont l’un provient de l’héritage qu’a reçu Eufémie, de telle sorte qu’ils puissent de leur vivant les tenir et les posséder245. Vers 1060-1067, Ingenald lègue aux moines de Saint-Aubin d’Angers sa part de pêcherie, après sa mort, et la totalité après celle de son épouse, si celle-ci lui survit246. S’il est difficile de saisir le degré d’initiative de chacun et les pressions qui peuvent s’exercer, les transferts n’en témoignent pas moins d’une participation des deux sexes à constitution d’un patrimoine conjugal. En ce qui concerne les précaires, elles sont dites offertes, s’il n’y a pas de contrepartie matérielle de la part de la communauté religieuse bénéficiaire, et rémunérées, si celle-ci accorde aux donateurs, en plus de la jouissance des biens rétrocédés, celle d’autres revenus. Si les couples n’ont pas le monopole de telles transactions, ils en usent, ce qui aboutit à renforcer les droits usufruitiers des deux conjoints sur certains biens et même, dans le cas des précaires rémunérées, d’accroître leur patrimoine, et donc d’affermir la communauté conjugale. Comme pour les donations avec réserve d’usufruit, la transformation, par ce biais, de biens personnels en patrimoine conjugal, est le fait des maris comme des femmes. Les Formulae Augienses (ixe siècle) intègrent
240 Le cens dédommage le monastère pour l’usufruit conservé et rémunère la protection de celui-ci, tout en reconnaissant ses droits de propriété. Sur les précaires, voir L. Morelle, « Les ‘actes de précaire’, instruments de transferts patrimoniaux (France du Nord et de l’Est, viiie-xie siècle) », dans Les transferts patrimoniaux en Europe occidentale, viiie-xe siècle, dans Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge, no 111/2 (1999), p. 607-647, notamment p. 612-614 ; L. Feller, « Précaires et livelli. Les transferts patrimoniaux ad tempus en Italie », ibid., p. 742-745. 241 Voir aussi E. Santinelli, « Ni Morgengabe … », art. cit., p. 256-258 ; Ead., Des femmes éplorées ? …, op. cit., 82-85. 242 Voir ci-après. 243 R. Le Jan donne des exemples de précaires ainsi accordées à la fin du viiie siècle à des couples par les monastères de Gorze et de Prüm : R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 353. 244 Lézat, no 207, t. I, p. 160-161. 245 Cluny IV, no 2831, t. IV, p. 34-35. 246 Saint-Aubin d’Angers, no 259, p. 301.
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deux modèles d’actes qui prévoient la donation par un individu, qu’il soit homme ou une femme, d’un bien dont il conserve la jouissance sa vie durant moyennant l’acquittement d’un cens, de même qu’après sa mort, son conjoint (précaire offerte)247, ce qui est un moyen de lui transférer des droits. Deux formules de Saint Gall datées de 887 proposent des modèles de précaires rémunérées : Moi, untel, (…) je donne au monastère de saint untel (…) un de mes biens dans tel ou tel lieu issu de mon héritage légitime paternel, et en dehors de mes acquisitions (…) à la condition que moi et ma femme unetelle, nous possédions, notre vie durant, ces biens qui nous ont été rendus et que nous recevions en plus en bénéfice une hoba issue des biens du monastère dans la susdite villa, dont nous possèderons l’usufruit248. La transaction permet ainsi au couple de voir les droits de l’un et de l’autre reconnus sur des biens qui ne relevaient jusque-là que du mari, tout en arrondissant le patrimoine conjugal. Si les formulaires n’envisagent que le cas d’une démarche maritale, les chartes témoignent pour les siècles suivants qu’il ne s’agit pas d’une pratique genrée : hommes comme femmes en usent, ce qui profite au couple. En 885, Rodin concède ainsi certains de ses biens à Saint-Bertin pour, moyennant un cens annuel de cinq sous, les reprendre en précaire augmentés de plusieurs manses avec sa femme Ava et ses enfants249. En 900, Gui et sa femme Emma donnent à Saint-Martin de Tours deux alleux, dont l’un au moins était détenu par Emma, qui leur sont rétrocédés en précaire en y ajoutant une villa, le tout pour un cens annuel de dix sous250. Une notice du début du xie siècle rapporte qu’un chevalier du nom de Gradulf a donné à Saint-Père de Chartres un alleu issu de la dot de sa femme Oda, repris en précaire et augmenté d’une terre pour en jouir ensemble tant que l’un et l’autre vivent, avec retour des deux biens au monastère après leur mort à tous les deux251. Dans ce dernier cas, on peut certes s’interroger sur la mention du seul Gradulf comme acteur de la donation qui porte pourtant sur des biens de sa femme : si cela peut s’expliquer parce qu’il est venu seul au monastère ou que le scribe ne retient que ses gestes, sans exclure une participation d’Oda aux décisions ni même sa présence, cela peut aussi être l’indice du rôle dominateur du mari qui ne pourrait cependant être généralisé en s’appuyant sur ce seul argument puisque la plupart des transactions qui concernent le patrimoine des femmes évoque leur intervention,
247 MGH Form., Formulae Augienses, coll B, no 4 et 5, p. 350-351. 248 MGH Form., Formulae Sangallenses Miscellaneae, no 14, p. 385-386.Texte similaire dans le modèle suivant, no 15, p. 386. 249 Gysseling, no 46, p. 80. 250 P. Gasnault, Les actes privés de l’abbaye de Saint-Martin de Tours du viiie au xiie siècle, Paris, 1955, Pièces justificatives, no 1, p. 55-57. 251 Saint-Père de Chartres, V, 7, t. I, p. 99 : (…) ante nostram praesentiam veniens miles quidam, nomine Gradulfus, humiliter expetiit, ut de quadam nostri predicti monasterii precariam sibi feceremus, et ipse, pro compensatione, quemdam alodum suum delegaverat nostris usibus ; ea videlicet ratione, ut, quamdiu vixerent ipse et uxor ejus, nomine Oda, in cujus dote est praedictus alodus, utrumque tenerent ; post decessum vero eorum, utrumque fratribus remaneret.
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seule ou avec leur mari, pour transmettre ou consentir. En outre, la concession a pour effet de conforter les intérêts de chacun des époux comme du couple : Gradulf y gagne certes de pouvoir jouir de la dot de sa femme, si celle-ci décède avant lui, mais Oda peut compter sur la protection du monastère – désormais propriétaire – si elle survit à son mari, non seulement à l’égard de l’alleu issu de sa dot, mais aussi de la terre acquise, et avant que l’un ou l’autre ne meurt, ils bénéficient ensemble d’un patrimoine accru, sans compter les avantages procurés par les liens avec le monastère. Il reste cependant difficile d’évaluer dans quelle mesure les couples s’intéressaient à ce patrimoine commun et jugeaient utile de l’accroître, plutôt que de s’attacher à le faire individuellement : si les actes de la pratique permettent parfois d’observer le transfert des droits, ce qui a le mérite de témoigner de leur existence, beaucoup plus souvent, il y est question d’individus qui agissent davantage seul qu’en couple – sans pour autant exclure que cela corresponde à une déformation de la réalité – et disposent de biens dont on ne connaît pas l’origine, ce qui empêche toute généralisation. Pour autant, les chartes font apparaître des milliers de couples et, ce qui réunit les conjoints, c’est la gestion du patrimoine, même s’ils n’en ont pas l’exclusivité. Les transactions ne sont certes pas liées qu’à des considérations matérielles, mais elles conduisent à renforcer, dans la forme si ce n’est dans les faits, la communauté conjugale autour d’un patrimoine qui apparaît régulièrement géré conjointement, à défaut d’être juridiquement commun, et qui mêle les biens respectifs de chacun des époux. Or si les témoignages se multiplient à partir du xe siècle, ce qu’il faut lier à la fois aux mutations documentaires et aux transformations politiques, sociales et religieuses qui affectent alors la société252, ils existent dès le vie siècle. En 691, Vuademerus et sa femme Ercanfreda donnent en effet, à plusieurs églises et abbayes situées au nord du royaume, des villae, « telles qu’ils les possèdent à ce jour » (sicut a nobis, presente tempore, est possessum), avant de préciser que certaines sont issues de la part d’Ercanfreda et d’autres de celle de Vuademerus253. En 762, Pépin III et Berthe donnent ensemble (pariter), au monastère de Prüm qu’ils ont fait édifier, des terres provenant notamment de l’héritage de leurs pères respectifs254. De même, Evrard de Frioul et sa femme Gisèle effectuent ensemble, si l’on en croit la charte écrite vers 865 qui emploie des verbes et adjectifs possessifs au pluriel, le partage de leurs biens entre leurs enfants, alors que l’on sait que certains biens étaient issus du patrimoine de l’un ou l’autre des époux255. Dans un milieu socialement moins élevé
252 Voir ce qui a été dit en introduction. 253 Chartes originales antérieures à 1121 …, op. cit., no 4494 (http://www.cn-telma.fr/originaux/charte4494/). Voir Annexe 2, texte no 4. 254 MGH, Diplom., I, no 16, p. 22-23 : donamus pariter ego et coniux mea Bertrada ad ipsum sacratissimum locum, quem (…) construximus, res proprietatis nostrae (…), tam illa portione, quem de genitore meo Karolo mihi advenit, quam et illa portione ipsius Bertradane, quam genitor suus Heribertus ei in alode dereliquit (…). 255 Cysoing, no 1, p. 1-5. La date de ce testament a été avancée par certains aux années 863-864, et fixée à vers 865, par Stéphane Lebecq qui en a publié une traduction : S. Lebecq, « Le testament d’Evrard et Gisèle de Cysoing. Présentation et traduction », dans L. Jégou et al. (dir.), Splendor reginae …, op. cit., 61-66. Sur ce testament, voir la présentation de S. Lebecq, ibid., p. 59-60 ; P. Grierson, « The Identity of the
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et plus méridional, Vualdo et son épouse Sierada donnent en 880 (?) une partie de leur héritage à un autre couple256. La formulation est plus vague, mais l’emploi du pluriel peut laisser supposer qu’il s’agit de biens hérités par l’un et l’autre, dont ils disposent ensemble. Quant à Geoffroi Martel et son épouse Agnès, lorsqu’ils fondent, en 1047, l’abbaye de Saintes, ils la dotent – précise le début de la charte – de biens hérités ou acquis autrement, dont certains sont ensuite explicitement présentés comme appartenant à l’un ou l’autre des époux257. La communauté conjugale n’est pas affirmée qu’à l’occasion de transactions qui concernent des biens à la fois de l’un et l’autre. Elle fonctionne aussi lorsque celles-ci portent exclusivement sur les biens de l’un ou l’autre, et pas plus sur ceux de l’épouse que du mari, au contraire. En 914, Anselard et sa femme Gotestiva vendent ainsi à Arlebald des biens qualifiés de res nostras dont certains appartenaient pourtant au père et à la mère d’Anselard et relève donc de son patrimoine propre258. À la fin du xie siècle, un certain Stephanus et sa femme Roscella renoncent au profit de l’abbaye de Marchiennes à une dime dont Stéphanus avait hérité de son père259. Vers l’an 1000, Adeline et son mari Robert abandonnent à Cluny un bien qui avait été donné en dot à Adeline par sa mère260. À la fin du xie siècle, un chevalier, Robert de Fossé, et sa femme Agnès donnent à Saint-Père de Chartres une église dont la charte précise qu’elle avait était construite par la mère d’Agnès261. À défaut de pouvoir généraliser, il ressort néanmoins des actes diplomatiques que les couples sont régulièrement associés à un patrimoine considéré comme le leur, constitués des biens acquis séparément par les maris et les femmes mais aussi ensemble, ce qui conduit les conjoints à participer à sa construction indépendamment de leur sexe, même si cela n’est pas à égalité. Il est possible que certains couples aient même recherché à renforcer la communauté conjugale en transformant des biens personnels en patrimoine conjugal. S’il est difficile d’en évaluer la fréquence, le patrimoine partagé, formellement si ce n’est juridiquement, apparaît comme un élément essentiel d’identification du couple. Si les actes diplomatiques en témoignent pour les élites aristocratiques et à un moindre degré paysannes, les polyptyques le montrent pour les tenanciers du ixe siècle, en associant le plus souvent un couple,
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Unnamed Fisc in the Brevia exempla », dans Revue belge de Philologie et d’Histoire, 18 (1939), p. 437-459 ; Id., « La maison d’Évrard de Frioul et les origines du comté de Flandre », dans Revue du Nord, 24 (1938), p. 241-266 ; C. La Rocca, L. Provero, « The Dead and his Gifts. The Will of Eberhard, Count of Friuli, and his Wife Gisela, Daughter of Louis the Pious (863-864) », dans F. Theuws, J. Nelson (dir.), Rituals of Power. From Late Antiquity to the Early Middle Ages, Leiden-Boston-Koln, 2000, p. 225-280. Cluny I, no 23, p. 27-28. La charte suivante, no 24 (881), p. 28-29, enregistre de même la vente par un couple à un autre, de biens qui lui sont parvenus par héritage. Cartulaire de l’abbaye royale de Saintes, éd. T. Grasilier, Niort, 1871, no 1, p. 1-5. Cluny I, no 194, p. 181-182. Cas de figure similaire no 45 (891), p. 53 ; no 236 (923), p. 227-228 ; no 322 (927-942), p. 314-315 ; no 394 (931), p. 375. Duvivier, no 54 (1181), p. 107. Cluny III, no 2528, t. III, p. 600. Saint-Père de Chartres, VII, 15, t. I, p. 138 : (…) quidam miles, nomine Rodbertus Fossatensis, atque Agnes, ejus venerabilis conjunx, (…) Castellariorum aecclesiam, coemento et lapide constructam a sanctimoniali femina, nomine Hadvisa, matre videlicet praefate Agnetis (…) nostro loco contulerunt (…).
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quel que soit le statut juridique des conjoints, à un manse qu’il tient solidairement et exploite conjointement262. Il ressort donc de la documentation qu’à bien des égards, les couples, ou du moins une large partie d’entre eux, quels qu’en soient le statut et la forme, se comportent comme tels, dans la mesure où ils partagent un espace-temps commun, indispensable à la pratique d’une vie conjugale, ainsi que des intérêts communs, liés à un patrimoine qui regroupe des biens appartenant à l’un, à l’autre ou au deux. Cela ne signifie cependant pas que leur capacité à construire une « nostrité » n’ait pas présenté des oscillations au cours des années partagées, ni conjugué toujours l’ensemble des éléments, ni été envisagée de manière exclusive dans le cadre d’un couple légitime monogame, en particulier au sein des élites, ce qui explique le rappel des comportements attendus par le discours idéologique. Si le partage plus ou moins continu et complice d’une vie commune est un moyen d’évaluer la réalité de la communauté conjugale, l’affichage public du couple en est un autre.
Construire une identité conjugale ? En dehors des couples qui sont évoqués vivant sous un même toit, partageant des conversations et des revenus, la documentation associe parfois les conjoints à l’occasion de certains gestes, réalisés conjointement, voire par l’un d’eux en présence – est-il précisé – de l’autre, ce qui n’exclut pas d’autres participants. Il en a déjà été ponctuellement question pour montrer la place reconnue au couple, les missions qui lui sont assignées ou les traces de sa perception comme communauté conjugale. Il convient néanmoins d’y revenir, avec l’objectif, cette fois, d’analyser en quoi les actes réalisés conjointement, voire la présence concomitante, sont susceptibles de participer à l’identité et la culture conjugales. Faut-il y voir le témoignage d’une conjugalité qui s’exprime « naturellement » en dehors comme dans le cadre de la vie conjugale quotidienne ? Ou bien d’une stratégie calculée qui vise à mettre en scène le couple et, dans ce cas, quel couple, mis en scène par qui et pourquoi ? Enfin, qui dit mise en scène, suppose un décalage possible avec la réalité qu’il faut mesurer, d’autant que les psychanalystes ont montré, comme nous l’avons déjà évoqué, qu’il fallait distinguer couple public et couple privé263, et que l’actualité des deux dernières décennies a popularisé l’idée, à propos de la conjugalité de François Mitterrand, qu’il ne fallait pas se laisser abuser par les apparences264. Après avoir montré comment et
262 J. P. Devroey, « Femmes au miroir des polyptyques … », art. cit., p. 237. Voir aussi Annexe 2, textes no 7. 263 Voir ci-dessus. 264 Alors que pendant longtemps, seul le couple officiel formé par François et Danièle Mitterrand n’a été connu, on a progressivement appris l’existence d’un autre couple, celui qui liait François à Anne Pingeot, et compris que si seul le premier était mis en scène publiquement, le second, bien qu’officieux, comptait – ou du moins a fini par compter – probablement davantage affectivement, à en croire les 1217 lettres d’amour rédigées en une trentaine années à sa deuxième compagne par celui qui était ainsi partagé entre deux vies conjugales : voir A. Chemin, G. Catalano, Une famille au secret : Le président, Anne
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pourquoi les couples apparaissent de plus en plus associés et même mis en scène, il faudra donc s’interroger sur les rapports entre pratiques et représentations. Des couples de plus en plus associés
Au cours du haut Moyen Âge, la documentation enregistre un nombre de plus en plus important de conjoints, mariés ou présentés comme tels, agissant ensemble, ce qui conforte la communauté conjugale et accroît, comme nous l’avons vu au chapitre 2, la visibilité des couples, en particulier dans les élites laïques. Cela n’exclut cependant pas qu’elle mentionne bien plus d’individus qui interviennent sans qu’il y ait allusion à leurs conjoints. Pourquoi est-il donc parfois souligné que certains gestes se font en couple ? En quelles occasions ? Les mentions de plus en plus nombreuses et précises traduisent-elles une association réellement plus étroite du couple, qui se donne donc à voir comme tel aux autres, ou bien seulement une attention accrue des auteurs à ce type de comportement ? Et dans ce dernier cas, est-ce parce que cela correspond à une réalité, à l’idée qu’ils s’en font ou à un idéal souhaité ? Il s’agit donc ici de préciser les domaines dans lesquels les individus apparaissent en couple, de manière à la fois à comprendre le rôle social du couple et ce qui justifie l’intervention en couple, ou du moins la présentation du geste comme telle, mais aussi à expliquer pourquoi les témoignages de cette association deviennent plus fréquents à partir de l’époque carolingienne. Du vie au xiie siècle, les sources mentionnent des couples – principalement des milieux élitaires – qui interviennent ensemble à l’occasion du mariage ou de l’oblation de leurs enfants, ainsi que de la fondation d’un monastère ou d’une transaction avec une communauté religieuse, voire avec des particuliers, ce qui participe, on le sait, aux stratégies familiales, mais renforce aussi la communauté conjugale en la transformant en acteur social et économique solidaire. La documentation témoigne certes des domaines d’intervention qui retiennent alors principalement l’attention, dans la mesure où ils s’incrivent dans la compétition qui opposent les élites entre elles pour l’exercice du pouvoir. Elle n’en souligne pas moins l’intervention publique des couples, ce qui constitue autant d’occasions d’être reconnus comme tels. Pour le vie siècle, la vie d’Amâtre montre ainsi que les parents du saint sont non seulement associés pour décider du mariage de leur fils, mais aussi, pendant les festivités, pour lui signifier que le moment est venu de rejoindre la chambre nuptiale265, ce qui donne au couple parental une place centrale au milieu des invités. Comme l’objectif est de souligner la supériorité de la chasteté, en montrant que le nouveau couple renonce dès sa nuit de noces aux relations charnelles, il faut que le récit, dans lequel s’inscrit la décision conjugale de rester chaste, corresponde à une représentation suffisamment fidèle de la réalité du vie siècle. Or, la participation conjointe des deux époux se justifie
et Mazarine, Paris, 2005, en particulier, p. 22-23 sur le pacte conclu entre les deux époux, libres chacun, mais demeurant un couple pour les enfants, la famille, les amis et la France, et F. Mitterrand, Lettres à Anne (1962-1995), Paris 2016. 265 Vita S. Amatoris, c. 3, p. 52 (trad. I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 172).
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dans une société caractérisée par un système d’alliance qui associe notamment leurs familles réciproques et symbolise, comme nous l’avons vu au chapitre 2, l’adhésion de celles-ci. Il en est de même de l’oblation – beaucoup moins fréquente – des enfants, fils ou filles, offerts par leurs père et mère à une communauté monastique pour y devenir moines ou moniales, dont la pratique, reconnue à partir du ive siècle et dont témoigne notamment, vers le milieu du vie siècle, la règle de saint Benoit266 ou encore la notice de Grégoire de Tours consacrée à Nizier de Trêves267, permet au couple parental, à l’unité affirmée, dans la forme si ce n’est dans les faits, – et plus largement au groupe familial – d’être lié au monastère268. En dehors des liens noués et entretenus par le biais des enfants, le couple se trouve parfois associé pour fonder des monastères ou leur faire des donations, ce qui constitue des gestes sociaux, visant notamment à conforter le réseau d’alliances, autant que des actes pieux, comme l’a montré la recherche au cours des dernières décennies. Les monastères fondés sont certes destinés à accueillir moines ou moniales voués à la prière pour le salut de tous en général et de leurs bienfaiteurs en particulier, mais ils doivent aussi constituer des points d’appui politiques destinés à légitimer l’autorité des fondateurs et à ancrer territorialement leur pouvoir. Quant aux donations, mais aussi toutes les formes de transactions, réalisées au profit d’une communauté ou avec elle, elles sont certes souvent présentées comme destinées à racheter les péchés, mais elles apparaissent aussi comme autant de moyens d’établir ou de renouveler les liens avec la communauté et, par son intermédiaire, avec tous ceux qui gravitent autour d’elle269. Si ces gestes s’inscrivent dans des stratégies de groupes, ils n’en sont pas moins parfois centrés sur un couple. Pour le vie siècle, le concile d’Orléans IV (549) confirme les biens donnés par le roi Childebert et son
266 La règle de saint Benoit, éd. J. de Neufville et trad. A. de Vogüé, t. 2, Paris, 1972, c. 59, p. 632-635 : si le début du texte qui évoque les parents (parentes) peut prêter à confusion, la fin évoque la procédure pour ceux qui offrent leur fils (filium), ce qui associe bien l’oblation aux père et mère et non à une parenté plus large, même si celle-ci peut être partie prenante. Sur la rédaction de la règle non loin de Rome dans les années qui ont suivi 530, et sa diffusion en Gaule à la fin du siècle, notamment par le biais de Colomban, voir l’introduction, t. 1, p. 166-172. 267 Grégoire de Tours, Liber vitae Patrum (BHL 6541), éd. W. Arndt et B. Krusch, MGH SRM 1-2, Hanovre, 1885, no 17, c. 1, p. 278 : studiosissimis enutritis parentibus, litteris institutus, abbati cuidam in monasterio commendabat (trad. I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 326 : ses parents l’élevèrent avec le plus grand soin, l’intruisirent dans les lettres et le remirent à l’abbé du monastère). 268 Sur l’oblation, voir J. Boswell, Au bon cœur des inconnus : les enfants abandonnés, de l’Antiquité à la Renaissance, trad. fr. Paris, 1993, p. 164-181 ; M. de Jong, In Samuel’s Image : Child Oblation in the Early Medieval West, Leyde, New York, Cologne, 1996. 269 Voir notamment R. Le Jan, « Monastères de femmes, violence et compétition pour le pouvoir dans la Francie du viie siècle », dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 89-107 ; B. H. Rosenwein, T. Head, S. Farmer, « Monks and their Ennemies : a Comparative Approach », dans Speculum, no 66 (oct. 1991), p. 764-796 ; S. D. White, Custom, Kinship and Gifts to Saints …, op. cit. ; B. Rosenwein, To Be the Neighbor of Saint Peter …, op. cit. ; M. McLaughlin, Consorting with Saints …, op. cit. ; E. Magnani-Soares-Christen E., Monastères et aristocratie en Provence, milieu xe - début xiie siècle, Münster, 1999 ; F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin xe - début xive siècle : l’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, 2002 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 176-180 et p. 317-321 ; Ead., « Autour des morts vers l’an mil … », art. cit., p. 22-25.
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épouse la reine Ultrogothe à l’hospice qu’ils ont fondé à Lyon270, Fortunat évoque le temple de saint Saturnin construit à Toulouse par Launebode avec l’aide de son épouse Bérétrude271 et un modèle d’acte du formulaire d’Angers prévoit la donation d’une partie de leurs biens par un couple de rang illustre au monastère qu’ils ont édifié ensemble272. Il est certes difficile de saisir précisément le degré d’initiative des couples et leur marge de manœuvre : ces gestes n’en permettent pas moins aux couples, royaux et aristocratiques, en développant des stratégies communes – ce qui ne signifie pas uniquement conjugales – de « s’officialiser en tant qu’acteur social »273. Si les fondations monastiques sont alors peu nombreuses274 et les transactions à leur profit par conséquent relativement restreintes275, ce qui réduit les occasions pour le couple de paraître ensemble, le formulaire d’Angers, élaboré à la fin du vie siècle, intègre plusieurs modèles d’actes qui témoignent des démarches régulièrement réalisées conjointement par les époux pour asseoir juridiquement leurs droits sur le patrimoine, et donc de leur visibilité comme communauté conjugale276. Si de tels témoignages sont attestés dès le vie siècle, force est de reconnaître qu’ils sont peu nombreux, même si certains indices laissent supposer des pratiques relativement communes, et qu’ils se multiplient ensuite, en particulier à partir de l’époque carolingienne, et plus encore du xe siècle. Il convient néanmoins d’expliquer prudemment cette évolution. La plus grande visibilité du couple, résultant des occurences plus nombreuses, qui peut laisser supposer à la fois une conscience plus aiguë de la conjugalité et la volonté de l’affirmer publiquement est d’abord liée à une documentation plus abondante et plus diversifiée : les chartes, qui se multiplient de manière exponentielle entre le vie et le xiie siècle, du fait de l’usage plus fréquent de l’écrit et des liens plus étroits noués avec les communautés religieuses plus nombreuses, font notamment sortir de l’ombre une multitude de couples. Pourtant, certaines recherches ont montré que les donations conjointes réalisés par les époux étaient restées proportionnellement minoritaires (autour de 15% dans le monde Franc) et relativement stables du viiie au xie siècle277. Si, dans une perspective centrée sur l’image publique
270 Conciles mérovingiens, Orléans V, c. 15, t. I, p. 310-313. 271 Fortunat, Poèmes, II, 8, p. 61-62. 272 MGH Form., Formules d’Angers, no 46, p. 20 : ego in Dei nomen inlustro vir illi necnon et cogive mea inlustra matrona illa, convenit nobis unianimiter pertractantis, ut aliquid de rebus nostris in monastirio nostro, quem communiter edificavimus (…) concidere debemus. 273 R. Le Jan, « Le couple … », art. cit., p. 38. 274 On estime qu’il y avait 220 monastères fondés en Gaule à la fin du vie siècle et 550 à fin du viie siècle : H. Atsma, « Les monastères urbains du nord de la Gaule », dans P. Riché (dir.), La christianisation des pays entre Loire et Rhin (ive-viie siècle), dans Revue d’histoire de l’Église de France, no 62/168 (1976), p. 168. 275 Le formulaire d’Angers prévoit néanmoins deux modèles de transactions conjugales réalisées avec un monastère, ce qui montre que sans être très fréquentes du fait du petit nombre de monastères, elles ne sont cependant pas rares : MGH Form., Formules d’Angers, no 27, p. 13 (vente) ; no 46, p. 20 (donation, déjà citée). 276 MGH Form., Formules d’Angers, no 2, p. 5 ; no 9, p. 7 ; no 17, p. 10 ; no 25, p. 12 ; no 31, p. 14 ; no 37, p. 16 ; no 59, p. 25 (outre les no 27, p. 13 et no 46, p. 20 déjà cités). Voir aussi I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 329-331, avec la traduction partielle de certains de ces modèles. 277 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 354 ; Ead., « Le couple … », art. cit., p. 38-39.
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du couple – ou du moins la représentation qui en est donnée –, on prend en compte, non pas seulement les donations conjointes, mais l’ensemble des actes qui associent les deux époux, quelle que soit la nature de leur participation (codonation mais aussi donation de l’un en présence, sur le conseil, à la demande, avec le consentement ou le signum de l’autre), la proportion s’élève significativement, surtout à partir du ixe siècle à l’échelon royal, et du xe siècle, dans les milieux aristocratiques : 57% des 1890 chartes du xe siècle278 conservées par Cluny font ainsi intervenir explicitement ensemble des couples. La pratique n’est pas nouvelle : un acte aujourd’hui perdu enregistre ainsi la confirmation d’une donation de Clovis II (639-657) au monastère qui devient Montier-la-Celle, avec l’approbation (annuente) de la vénérable reine Bathilde279. Vers 690, Thierry III donne une villa sur la suggestion (ad suggestionem) de sa reine Clotilde notamment280. Si de telles précisions – rares il est vrai – sont plus tardives pour les donations aristocratiques, le principe en est attesté, à la même époque, par l’hagiographie : la vie de Salaberge, rédigée à la fin du viie siècle, précise ainsi que c’est « avec l’accord de son époux, [que la sainte] commença à construire, dans les faubourgs de la ville de Langres, dans un lieu hérité de son père, un monastère de jeunes filles qu’elle dota généreusement de ses propres revenus issus de la succession paternelle »281. L’objectif étant de vanter les mérites de la conversion monastique, l’hagiographe ne peut manquer de décrire les pratiques de son temps qui laissent supposer la collaboration des époux pour la gestion du patrimoine, du moins lorsqu’il s’agit des biens de l’épouse. Or, comme toutes ces dispositions ont des répercussions sociales et que les gestes constituent un langage essentiel de la société altimédiévale282, il y a tout lieu de penser que les textes mettent par écrit ce qui s’est d’abord traduit par des démarches orales et gestuelles compréhensibles par tous, accordant parfois une place centrale au couple, au milieu d’autres acteurs. Si l’association du conjoint n’est pas nouvelle, elle devient néanmoins plus fréquente ensuite. D’abord, à l’échelon royal. Les diplômes royaux, plus nombreux à partir du ixe siècle, évoquent régulièrement, même si ce n’est pas très souvent, que le privilège a été accordé à la prière (per deprecatione), à la demande (petire), sur la suggestion (ad suggestionem), l’exhortation (hortatu) ou l’intervention (interventu) de la reine, voire avec son accord (favente) ou sa confirmation (confirmante), à l’image de ceux de Charles le Chauve (840-877) et de Louis IV d’Outre-Mer (936-954) pour ne prendre que ces deux exemples283. Il en résulte une image plus
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J’ai soustrait du total les 23 chartes dont l’édition d’A. Bernard et A. Bruel ne donne pas le texte. Die Urkunden der Merowinger, éd. T. Kölzer, MGH Dipl., Hanovre, 2001, dep. 226, t. II, p. 595. Ibid., no 131, p. 332-334. Vita S. Sadalbergae, c. 12, p. 56 (trad. p. 665) : (…) conniventia existente mariti, coenobium in suburbio Lingonicae urbis, in hereditate vel successione hereditatis paternae conatur extruere quod propriis reditibus praedioum suorum ex successione hereditatis paternae (…) nobiliter ditavit. 282 J. C. Schmitt, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, 1990. 283 Charles le Chauve, no 12 (842 ?), t. I, p. 30 ; no 182 (856), p. 484 ; no 212-213 (859), p. 537-539 ; no 223 (860), p. 562 ; no 248 (862), t. II, p. 69 ; no 269 (864), p. 106 ; no 277-278 (864), p. 121-122 ; no 329bis (842-869), p. 228 ; no 416 (875-876), p. 431 ; no 433 (877), p. 467. Recueil des actes de Louis IV (936-954), éd. M. Prou, P. Lauer, Paris, 1914, no 32-33 (949), p. 77-79 ; no 38 (951), p. 89 ; no 53 (slnd), p. 106.
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nette du couple royal dans sa dimension publique, ou du moins de certains d’entre eux, sans que l’on saisisse véritablement pourquoi le roi intervient parfois avec la reine, donc en couple, et beaucoup plus souvent sans elle, ou du moins sans que sa présence ou son intervention soit notée. L’association plus fréquente du conjoint, en particulier par le biais de son consentement, se diffuse ensuite dans l’aristocratie de l’ensemble des régions étudiées et, si elle résulte le plus souvent d’initiatives masculines, dans la mesure où les transactions sont plus souvent le fait des hommes, elle est parfois due à des initiatives féminines, ou du moins présentées comme telles, ce qui laisse supposer que les deux sexes contribuent à l’affirmation publique du couple. En 908, Arhintrude donne ainsi différents biens à son gendre et à sa fille, avec le consentement de son époux Gombert (jugalus meus Gonbertus in consentiente) et quelques années plus tard, un certain Landricus donne des biens à Cluny, avec le consentement de sa femme Ada (consentiente conjuge mea Ada)284. Vers 975, Aldesinde donne une vigne à Saint-Cyprien, avec le consentement de son mari (consentiente jugale meo) et vers 1020, Abraham vend une terre au même monastère, avec le consentement et selon la volonté (per consensu hac voluntate) de sa femme Hildegarde285. La notice de 1047-1067 déjà évoquée qui enregistre l’importante donation réalisée par Agnès, veuve d’Hubert de Durtal, au profit de Saint-Aubin d’Angers, est faite selon la volonté et avec l’accord (cum voluntate et assensu) de son second mari Renaud de Maulévrier286. Dans les années 1160, le comte Baudouin IV de Hainaut autorise l’abbaye de Vicoigne à construire deux moulins avec l’accord (assensu) de sa femme Alix287 et dans les deux décennies qui suivent, son successeur fait de même plusieurs concessions aux monastères hainuyers, avec l’accord (assensu), la faveur (favor) ou la laudatio de son épouse Marguerite288. Deux chartes enregistrent aussi la situation inverse : les donations de Marguerite aux monastères d’Orsinval et de Warneton sont réalisées avec le consentement (ex consensu) de son époux Baudouin V289. Comme pour la Bourgogne, le Poitou et l’Anjou, la mise en avant de la communauté conjugale par le biais de ces formules se retrouve aussi, dans les régions septentrionales, lorsque les bienfaiteurs sont issus de la petite et moyenne aristocratie. En 1170, le châtelain Gislenus de Bellomonte complète, avec l’accord (assensu) de sa femme Alaïde, la donation de Sara de Quartes à l’abbaye d’Alne et peu après Gilles de Saint-Aubert fait une donation à l’église de Quievy et à celle de Saint-Aubert, avec l’assentiment (assentientibus, concedente) de sa femme Mathilde, pour ne prendre que ces deux exemples290. Certaines chartes témoignent des mêmes pratiques pour les couples de clercs : en 968, le prêtre Vuitold participe ainsi à une donation au profit de Cluny que souscrit sa femme
284 Cluny I, no 99 (908), p. 110-111 et no 134 (910-927), p. 143-144. 285 Saint-Cyprien de Poitiers, no 246 (v. 975), p. 160-161 et no 311 (vers 1020), p. 194. 286 Saint-Aubin d’Angers, no 287, p. 329-332 (éd. et trad. E. Santinelli, « Ni Morgengabe … », art. cit., p. 272-275). 287 Duvivier, no 29 (1163-1168), p. 59. 288 Ibid., no 35 (1172), p. 70 ; no 44 (1176), p. 86 ; no 50 (1180), p. 101 ; no 74 (1190), p. 151. 289 Ibid., no 89-90 (1194), p. 180-182. 290 Ibid., no 31 (1170), p. 64 ; no 37 (fin 1173 ?), p. 73 ; no 38 (1174), p. 75.
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Constance, ce qui vaut consentement291. Certes, le conjoint n’est pas forcément seul à approuver la transaction qui associe souvent aussi les enfants, voire d’autres membres de la parenté, le seigneur ou le vassal, du fait à la fois des droits détenus sur le patrimoine mais aussi pour participer aux relations sociales, par le biais de la laudatio parentum qui s’est développée durant les xe-xiie siècles dans le royaume comme ailleurs292. Il figure néanmoins fréquemment parmi les parents consentants, souvent en première position, ce qui place le couple au cœur de la transaction : si celle-ci s’inscrit dans des stratégies impliquant les réseaux dans lesquels le couple s’insère et s’il est impossible de saisir pour le conjoint – comme pour les autres parents –, la nature du consentement (sincère ou formel), ni de savoir s’il pouvait être en mesure de s’opposer à l’opération, les gestes et leur consignation écrite n’en traduisent pas moins l’affirmation et la reconnaissance du couple dans sa dimension communautaire. Or différents indices laissent supposer que l’affichage de plus en plus affirmé de la communauté conjugale, telle qu’elle apparaît dans la documentation diplomatique, est probablement nettement en dessous de la réalité. En ce qui concerne l’échelon royal, bien qu’ait été soulignée l’image plus nette du couple royal qui ressortait des diplômes, en particulier de Charles le Chauve et de Louis IV d’Outre-mer, il n’en demeure pas moins pour reprendre ces deux exemples, que les reines, Richilde et Gerberge, ne sont que très peu explicitement associées au roi (intervenant respectivement dans 2 et 11% des diplômes), alors que d’autres sources témoignent qu’elles ont été étroitement associées au pouvoir royal de leur époux293, ce qui laisse supposer leur présence, si ce n’est leur influence, dans un nombre de cas plus important. En ce qui concerne les élites aristocratiques, l’abondant recueil des chartes au profit de Cluny (près de 4400 chartes pour la période début ixe-fin xiie siècle), qui n’en constitue pas moins qu’un reflet partiel et imparfait de ce qui a été alors produit294, permet de saisir les limites de la documentation et des données transmises. D’une part, la formulation des actes varie d’un manuscrit à l’autre et cela se traduit parfois par l’ajout ou l’omission du conjoint. Le texte retenu d’une charte du premier tiers du xie siècle, issu d’une copie du xviiie siècle, enregistre ainsi la souscription du comte Otton de Macon, suivie de celle de son fils Renaud, alors qu’il est précisé en note, qu’une autre version, issue de ce qui a été appelé le 291 Cluny II, no 1233, p. 323-324 : S. Vuitoldi, presbiteri, et Constantiæ femine, quæ consensit. 292 La pratique de la laudatio parentum – consentement d’une partie de la parenté aux transferts de patrimoine, apparu au viiie siècle pour se développer aux xie-xiie siècle – a été étudiée dans l’ouest de la France par S. White, Custom, Kinship and Gifts to saints …, op. cit. Voir aussi R. Le Jan, « Malo ordine tenent. Transferts patrimoniaux et conflits dans le monde franc (viie-xe siècle) », [1999] rééd. dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 133-135 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 328-337. 293 E. Santinelli, « Brunehilde, Bathilde, Hildegarde, Richilde, Gerberge étaient-elles considérées comme des femmes de pouvoir ? La perception masculine du pouvoir royal féminin et son évolution du vie au xe siècle », dans A. Nayt-Dubois, E. Santinelli-Foltz (dir.), Femmes de pouvoir et pouvoir des femmes dans l’Occident médiéval et moderne, Valenciennes, 2009, p. 71-80. 294 S. Barret, « Cluny, Note sur le Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny d’Auguste Bernard et Alexandre Bruel », dans Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, no 13 (2009). http://cem.revues.org/ index11017.html.
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cartulaire B compilé probablement à la fin du xie siècle, intercale, entre les deux hommes, Adda, épouse d’Otton et mère de Renaud295. Il n’est donc pas exclu que certains actes enregistrés comme ceux d’un individu soit en fait ceux d’un couple. D’autre part, certaines chartes mentionnent dans le même texte des individus, hommes et femmes, avec leur conjoint et d’autres sans. Une charte datée de 10051006 enregistre ainsi la vente effectuée par quatre hommes dont un seul souscrit avec sa femme296. Une autre, rédigée entre 993 et 1032, consigne la donation réalisée par trois couples, ainsi qu’une femme associée à ses quatre fils297. Si l’on ne peut écarter des raisons juridiques – les conjoints ne sont pas mentionnés parce qu’ils n’ont pas de droit sur les biens concernés –, ne peut-on supposer, dans la mesure où ces transactions sont aussi créatrices de liens recherchés, que ceux qu’elles engagent ne sont pas forcément mariés, soit qu’ils ne le sont pas encore, soit qu’ils ne le sont plus, compte tenu, comme on l’a vu, de la précarité du lien conjugal298. Il en résulterait alors l’idée qu’en règle générale, un individu, lorsqu’il a un conjoint, intervient en couple. Si, pour certains membres des élites, facilement identifiables, les chartes enregistrent néanmoins certaines transactions sans mentionner le conjoint, alors que son existence est par ailleurs attestée, cela n’exclut pas sa présence, ni même sa participation. Il est en effet possible que l’on ait cherché à conserver plus particulièrement le souvenir d’une intervention en couple lorsqu’étaient concernés des biens ou une communauté religieuse avec lesquels étaient entretenus des liens privilégiés et qu’il s’agissait d’entretenir la mémoire familiale299. Enfin, si les chartes précisent le plus souvent qu’un individu est, selon son sexe, mari ou femme d’un autre, cela n’est pas toujours le cas, sans que l’on sache s’il s’agit d’une méconnaissance, d’un oubli, d’une information jugée inutile, évidente ou encore que l’on cherche à dissimuler. À la fin du xe siècle, Humbert et Emeldis figurent parmi les souscripteurs de deux chartes : dans l’une, il est précisé qu’Emeldis est l’uxor d’Humbert, mais pas dans l’autre où le couple n’est donc pas identifié300. De même, à une date inconnue entre 1049 et 1109, Raoul et Eva apparaissent dans deux chartes : la première précise qu’Eva, qui donne son accord, est épouse du donateur Raoul, contrairement à la seconde qui la fait souscrire à la suite de Raoul sans autre
295 Cluny III, no 2655 (1007-1031), p. 690-691, en particulier n. 3, p. 691. 296 Cluny III, no 2624 (1005-1006), p. 668-669 : Nos venditores, Constantius, Dodo, Arembertus, Adalaldus, vendimus monachis Cluniensibus (…) S. Constantii, et Dodonis, Aremberti, Adalaldi, qui fieri et firmare rogaverunt. S. uxoris ejusdem Costantii Adaluldis, et filii eorum Duranni, qui laudaverunt et ipsi firmaverunt. 297 Cluny III, no 1995 (993-1032), p. 207-209 : [ego] Rotbaldus et uxor sua Inginildis, Aldebertus et uxor sua Ava, Ricaudus et uxor sua Elisabeth et filii illorum, Agina et filii sui, Gaucilinus, Datilus, Nevolongus, Otbertus (…) donamus (…). 298 Voir chapitre 2. 299 L. Verdon, « Le couple, stratégie d’identité et de perpétuation des lignages (Provence, xe-xiie siècle). Réflexion à partir de l’exemple des Agoult », dans S. Joye et al. (dir.), Le couple …, op. cit., p. 116. 300 Cluny III, no 2266 (994), p. 398 : S. Hugonis, qui fieri et firmare rogavit. S. Humberti. S. Emeldis. S. Berardi. S. Vuichardi ; no 2402 (997), p. 495 : S. Arlebaldus et uxor sua Rotrudis, qui firmare rogaverunt. S. Unbertus et uxor sua Emeldis. S. Odonis. S. Richardi. S. Arberti. S. Bladini.
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précision301. Or, de nombreuses chartes mentionnent des hommes et des femmes qui interviennent ensemble, sans que leurs liens soient explicités, parmi lesquels figurent, à n’en pas douter des couples, qui passent donc inaperçus, du moins aux lecteurs d’aujourd’hui. Ce type d’imprécision ne concerne pas que les épouses, comme le montre un cas repéré dans le cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers. Quatre actes datés de 1090 environ mentionnent une femme du nom de Thomase et un homme appelé Simon Maingot : si deux d’entre eux identifient celui-ci comme le mari de Thomase, les deux autres enregistrent sa souscription, sans autre précision302. Or, ces transactions permettent, entre autres, d’associer Simon Maingot, qui est le deuxième époux de Thomase, à un réseau d’alliance dans lequel s’insérait le premier couple de celle-ci303 : si la seule lecture des chartes, prises isolément, peut ne voir dans deux cas que l’intervention d’une femme, sans conjoint, l’analyse de l’ensemble du dossier laisse supposer non seulement une transaction conjugale, mais aussi des gestes visant à témoigner de la communauté conjugale, nouvellement constituée. Parmi les souscripteurs, voire même les auteurs, des chartes, se cachent donc des maris et des épouses, et par conséquent des couples qui, invisibles aujourd’hui, étaient pour la plupart reconnus comme tels par leurs contemporains. Si les sources diplomatiques tendent plutôt à minimiser l’intervention en couple, il y a de fortes probabilités pour que l’association plus fréquente des couples corresponde à une réalité, et non pas seulement à une manière de présenter les choses par des autorités, plus attentives à la conjugalité, visant à promouvoir un modèle conjugal fondé sur la collaboration des époux, même si cela y participe. L’ensemble de la documentation témoigne d’ailleurs que le renforcement de l’affichage public du couple ne se traduit pas que par le biais de la gestion du patrimoine dont les enjeux dépassent les simples considérations matérielles : il se manifeste en diverses occasions, ce qu’il faut lier à l’association plus étroite de l’épouse à l’exercice du pouvoir à partir de l’époque carolingienne, et encore plus du xe siècle, d’abord à l’échelon royal, avant que le modèle ne se diffuse dans l’aristocratie, du fait des transformations des structures du pouvoir et de la parenté304. Il ne s’agit pas ici de revenir sur la manière dont reines et aristocrates ont pu participer à l’exercice du pouvoir, ce qui a fait l’objet de plusieurs études305, mais d’en mesurer les répercussions pour le couple et sa représentation. Trois types de circonstances seront ici analysés : les déplacements, la création ou le renouvellement des liens de fidélité ou vassalité 301 Cluny IV, no 3050, p. 239 : Notum sit omnibus hominibus presentibus et futuris, quod Rodulfus, gratia Dei conpunctus, annuente uxore sua Eva et filiis suis Tetbaldo scilicet et Rotberto, Rodulfo, Widone, et Widrico (…) dedit Cluniacensi æcclesiæ (…) ; no 3051, t. 4, p. 239 : S. Rodulfi, qui fieri et firmare precepit. S. Ævæ. S. Tetbaldi, Rotberti, Rodulfi, Widonis, Widrici. S. Goscoldi monachi. S. Willelmi sacerdotis. 302 Saint-Cyprien de Poitiers, no 105, p. 81-82 ; no 109, p. 83 ; no 116 p. 85-86 ; no 141, p. 96. Voir textes en Annexe 2, no 15. 303 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 349-350. 304 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 356-365 ; J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit. ; T. Evergates (dir.), Aristocratic women …, op. cit. 305 Voir notamment, pour les reines, P. Stafford, Queens …, op. cit., p. 115-142 ; J. Nelson, « Queens as Jezebels : the Careers of Brunehild and Bathild in Merovingian History », dans D. Baker (dir.), Medieval Women, Oxford, 1978, p. 31-77 ; Ead., « Les reines carolingiennes », art. cit. ; J. Hyam, « Ermentrude and
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et les souscriptions seigneuriales. En ce qui concernent les premiers, comme l’a rappelé Régine le Jan, « les voyages royaux font partie intégrante des techniques ritualisées du pouvoir »306. Or, jusqu’au xe siècle, les déplacements du couple royal ont une coloration domestique : la royauté étant itinérante, la reine, maîtresse du palais, suit, en règle générale, le roi dans ses déplacements307. Cela n’exclut cependant pas quelques exceptions, dues à la personnalité singulière de la reine et au contexte particulier. Il est ainsi possible comme l’a suggéré Marc Reydellet, à la lecture des poèmes de Fortunat, que la tournée du royaume entreprise par Sigebert à la suite de son mariage en 575 avec Brunehaut ait pu avoir pour but de « présenter la reine à ses sujets »308. Or, comme de tels voyages, attestés pour les nouveaux rois309, s’apparentent à une prise de possession rituelle de l’espace, cela pourrait témoigner de la volonté du roi de renforcer son pouvoir territorial en y associant son épouse310. Deux siècles plus tard, les Annales royales, rédigées sur l’ordre de Charlemagne vers 790, précisent que le roi part, fin 780, pour Rome avec sa femme, la reine Hildegarde311. Le voyage ayant pour but de faire sacrer et couronner leurs fils Pépin et Louis par le pape, l’association d’Hildegarde, en tant que mère des héritiers, permet d’afficher le couple royal dans son rôle politique. Quelques décennies après, c’est accompagné de sa femme [Ermentrude], précise Hincmar dans les Annales de Saint-Bertin, que Charles le Chauve se dirige en 861 vers la Bourgogne, appelé par certains grands pour prendre le contrôle du royaume de Provence aux dépens de son neveu312. Certes, la reine n’est pas nommée, mais elle vient de l’être au début de la phrase pour préciser que le roi, avant de partir, a chargé l’oncle de celle-ci, Adalard, de veiller sur son fils Louis [le Bègue] auquel il a confié le royaume, ce qui identifie clairement l’épouse Richildis », dans M. T. Gibson, J. L. Nelson (dir.), Charles the Bald, Court and Kingdom, Oxford, 1990, p. 153-168 ; R. Le Jan, « La reine Gerberge entre Carolingiens et Ottoniens », dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 30-38. Pour les élites aristocratiques, T. Evergates (dir.), Aristocratic women …, op. cit. 306 R. Le Jan, « D’une cour à l’autre : les voyages des reines de Francie au xe siècle », dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 39. 307 Ibid., p. 42. 308 Fortunat, Poèmes, introduction, p. ix-x. Il serait notamment passé à Mayence, Cologne et Trêves. 309 Par exemple, DLH, IV, 14, p. 145 (trad., t. I, p. 194) : Après la mort de Théodebald, Clotaire recueillit le royaume et en fit le tour (Chlotarius post mortem Theodovaldi cum regno Franciae suscepisset atque eum circuiret (…) ; VII, 10, p. 102 (trad., t. II, p. 85) : Gondovald est proclamé roi à Brive et fait ensuite le tour des cités alentour (Gundovaldus (…) rex est levatus (…) ibat per civitates in circuitu positas). Plus tardivement, Frédégaire, IV, c. 57-58, p. 46-48 : à la mort de Clotaire II (629), Dagobert récupère l’héritage de son père et part faire une tournée en Burgondie. 310 E. Santinelli, « Les reines mérovingiennes ont-elles une politique territoriale ? », dans R. Soussignan, E. Santinelli (dir.), Territoires et frontières en Gaule du Nord et dans les espaces septentrionaux francs, dans Revue du Nord, t. 85, no 351 (juin/septembre 2003), p. 638. Sur Brunehaut et son rôle, voir J. Nelson, « Queens as Jezebels … », art. cit., p. 31-77 et plus récemment B. Dumézil, La reine Brunehaut, Paris, 2008. 311 Annales royales, p. 56. Même précision donnée par les Annales Mettenses priores, rédigées au début du ixe siècle, probablement par la sœur de Charlemagne, Gisèle : Annales Mettenses priores, éd. B. von Simson, MGH SRG in usum scholarum, Hanovre, 1905, a. 780, p. 68. Sur ces annales, voir J. Nelson, « la perception du pouvoir chez les historiennes du Moyen Âge » [1992], rééd. dans Ead., The Frankish World, 750-950, Londres, 1996, p. 191-194. 312 Annales de Saint-Bertin,a. 861, p. 87.
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royale. Or compte tenu des visées de l’expédition, à un moment où, après la grave crise de 858-859313, le roi s’attache à consolider son autorité en s’appuyant, notamment, sur Ermentrude dont l’influence s’accroît, le déplacement en couple manifeste de manière évidente l’association de la reine l’exercice du pouvoir314. À partir du xe siècle, la reine participe plus systématiquement aux tournées qui manifestent la puissance royale et sa présence donne « désormais au voyage royal un caractère publique et solennel perçu par tous »315 qui renforce la communauté conjugale. Il en est ensuite de même dans le milieu princier, qui reproduit à l’échelon local, le modèle royal. C’est ensemble, si l’on suit Gislebert de Mons, que Baudouin V de Hainaut et Marguerite vont à Mons en 1179 pour négocier le mariage de leur fille avec le jeune roi Philippe Auguste, qu’ils se rendent en 1188 auprès du comte de Flandre pour solliciter son aide contre le comte de Champagne, qu’ils entrent dans Gand en 1191 puis reviennent quelques temps après en Flandre, avant d’aller rejoindre le roi à Arras316. Certes, la présence de Marguerite n’est évoquée par le chroniqueur que lorsqu’il est question d’affaires liées à la Flandre, dont son frère est comte et dont elle devient héritière. Si cela n’exclut pas qu’elle ait aussi accompagné Baudouin V dans d’autres déplacements, ce que l’auteur juge moins utile de signaler, il n’en demeure pas moins que le déplacement en couple, même si l’on ne sait pas comment il s’organisait concrètement, et notamment si les époux chevauchaient côte à côte317, renforce l’image d’un pouvoir exercé conjugalement. En dehors des cortèges, la communauté conjugale se trouve aussi affirmée, dans le cadre de l’exercice du pouvoir, à l’occasion des rituels qui créent ou renouvellent les liens de fidélité et de vassalité. Une lettre de Gerbert d’Aurillac qui évoque, en 985, la réconciliation du duc Hugues Capet avec Lothaire précise ainsi que celui-ci embrasse le roi et la reine [Emma]318, ce qui implique sa fidélité à l’égard du couple royal et renforce l’identité de celui-ci. Un rituel similaire est noté par Gislebert de Mons, lorsque Jacques d’Avesnes se réconcilie (temporairement) avec son seigneur, le comte Baudouin V : il s’engage par serment, mais aussi, précise Gislebert, par 313 J. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 208-215 : une partie de l’aristocratie du royaume de Charles le Chauve fait appel à Louis le Germanique qui pénètre dans le royaume avec son armée. 314 J. Hyam, « Ermentrude and Richildis », art. cit., p. 153-168. 315 R. Le Jan, « D’une cour à l’autre … », art. cit., p. 42-43. 316 Gislebert de Mons, c. 94, p. 129 (trad., p. 205) : comitem Hanoniensem et ejus uxorem Margharetam Montibus requisierunt ; c. 147, p. 225 (trad. p. 385) : Audiens autem comes Hanoniensis comitem Campanie cum tot et tantis probissimis militibus in malum suum adventurum, ipse cum nobilissima comitissa uxore Marghareta (…) comitem Flandrensem adiit ; c. 178, p. 264-265 (trad., t. II, p. 37-39) : comes Gandavum cum uxore sua venit (…) perrexit in Flandriam cum uxore sua Marghareta ; c. 188, p. 276 (trad., p. 57) : Comes Flandensis et Hanonensis et marchio Namurcensis die predicto Atrebatum cum uxore sua Marghareta comitissa venit. 317 La littérature courtoise laisse supposer qu’au xiie siècle, il n’était pas surprenant que les couples se déplacent côte à côte (ce qui ne signifie pas que c’était systématique) : Chrétien de Troyes évoque ainsi plusieurs déplacements, effectués par Érec et Énide, à la tête de leur escorte : Chrétien de Troyes, Érec et Énide, op. cit., p. 37, p. 59 ; La geste de Raoul de Cambrai met aussi en scène Bernier et Béatrice, nouvellement mariés, chevauchant ensemble à la tête de la leur : Raoul de Cambrai …, op. cit., laisse 266-267, p. 382-385. 318 Gerbert d’Aurillac, Correspondance, éd. et trad. P. Riché, J. P. Callu, 2 t., Paris, 1991-1993, no 59 (985), t. I, p. 148-153 : Dux Hugo (…) regem ac reginam osculatus est (…).
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un baiser de paix et d’amitié donné au comte et à la comtesse (ainsi qu’à leurs trois fils)319, ce qui fait de Jacques d’Avesnes un vassal du couple. Le chroniqueur hainuyer précise par ailleurs que, lorsque Marguerite hérite de la Flandre, à la mort de son frère, « Baudouin V et sa femme (…) se rendent en Flandre pour y recevoir l’hommage » de leurs vassaux320 puis que c’est ensemble qu’ils vont faire hommage lige et fidélité au roi321. Il témoigne donc que c’est le couple qui se trouve intégré aux relations féodo-vassaliques : c’est en couple que Baudouin V et Marguerite prêtent et reçoivent des hommages, qu’ils prennent et concèdent des fiefs. La pratique est confirmée par les conventions féodales, rédigées, en particulier au xie siècle, dans les régions méridionales où l’organisation des relations humaines repose davantage sur l’existence de textes écrits : le seigneur s’y présente régulièrement comme un couple seigneurial et, beaucoup moins souvent, le vassal comme un couple vassalique322. L’une de ces conventions enregistre ainsi, en 1065, l’engagement du vicomte Udalard Bernard à l’égard du couple comtal de Barcelone, Raimond Béranger et Almodis, dont la solidarité dans la fonction seigneuriale se trouve affirmée par la répétition tout au long du texte de ce que doit, jure ou promet Udalard au comte et à la comtesse qui en retour lui remettent plusieurs biens en fief323. En ce qui concerne les vassaux, en dehors des engagements réalisés en couple, figurent parfois ceux d’un individu, homme ou femme, qui promettent qu’il en sera fait de même par leur conjoint dès qu’ils se seront mariés324, ce qui témoigne de la multiplication de telles cérémonies centrées sur le
319 Gislebert de Mons, c. 113, p. 170 (t. 14, p. 279) : osculo pacis et dilectionis comiti et comitisse et eorum filiorum Balduino, Philippo et Henrico, dato. 320 Ibid., c. 178, p. 265 (trad., t. 15, p. 39) : comes (…) perrexit in Flandriam cum uxore sua Marghareta, ad suscipienda hominia sua. Si l’expression manque de précision, le fait que Marguerite prête hommage au roi (voir note suivante) et qu’elle a reçu auparavant l’hommage des vassaux flamands de son frère (c. 82, p. 121 (trad. t. 14, p. 189) : Philippus comes Flandrie (…) Balduino comiti Hanoniensi et ejus uxori Margharete comitisse ab hominibus suis fidelitates et securitates exhiberi fecit.) laisse supposer que Marguerite les a aussi reçus avec Baudouin lors de l’entrée en fonction du couple. 321 Ibid., c. 188, p. 276 (t. 15, p. 57) : Comes (…) cum uxore sua Margareta comitissa venit, et domino regi pro Flandria ligium fecerunt hominium et fidelitatem. Pour d’autres exemples d’hommage prêté par une femme, c. 8, p. 12 (Richilde veuve), c. 102, p. 146 (Elisabeth, à la suite de son époux Wildric de Luxembourg) ; c. 189, p. 276-277 (Marguerite de Blois). 322 H. Débax, « Le lien d’homme à homme au féminin … », art. cit., p. 71-82 ; L. Verdon, « La place des femmes dans les actes de la pratique féodale du xie au xiiie siècle », dans A. Bleton-Ruget, M. Pacaut, M. Rubellin (dir.), Regards croisés sur l’œuvre de Georges Duby. Femmes et féodalité, Lyon, 2000, p. 179-193. 323 Liber feudorum maior, éd. F. Miquel Rossel, t. I, Barcelone, 1945, no 337, p. 358-360. Sur les conventions et le Liber, voir P. Bonnassie, « Les conventions féodales dans la Catalogne du xie siècle, dans les structures sociales de l’Aquitaine, du Languedoc et de l’Espagne au premier âge féodal », dans Annales du Midi, t. 80, no 89 (1968), p. 529-561 ; A. J. Kosto, « The Liber Feodorum Maior of the Counts of Barcelona : The Cartulary as an Expression of Power », dans Journal of Medieval History, 27 (2001), p. 1-22 ; M. Zimmermann, Écrire et lire en Catalogne (ixe-xiie siècle), Madrid, 2003, p. 22-60 ; P. Chastang, « La préface du Liber instrumentorum memorialis des Guilhem de Montpellier ou les enjeux de la rédaction d’un cartulaire laïque méridional », dans D. Le Blévec (dir.), Les cartulaires méridionaux, Paris, 2006, p. 108-111 ; F. Rodríguez Bernal, « Entre le récit historique et le discours politique : le Liber Feudorum Maior d’Alfons II, roi d’Aragon », dans R. Castano, F. Latella, T. Sorrenti (dir.), Comunicazione e propaganda nei secoli XII e XIII, Rome, 2007, p. 541-562. 324 H. Débax, « Le lien d’homme à homme au féminin … », art. cit., p. 72-73 et 76-77.
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couple. Cela ne signifie cependant pas que les engagements se font systématiquement en couple : si les femmes participent aux relations féodo-vassaliques, celles-ci n’en ont pas moins un caractère principalement masculin qui se justifie par la recherche souvent prioritaire d’une aide ou d’une protection militaire. La participation plus fréquente des femmes aux cérémonies qui nouent ces liens contribue néanmoins à témoigner publiquement de la communauté conjugale et de son intégration aux réseaux de fidélité. Enfin, ces témoignages se trouvent renforcés par les mentions de couples seigneuriaux consentant ou souscrivant les concessions réalisées par leurs fidèles qui se multiplient dans les chartes à partir du xe siècle pour le milieu royal et l’ensemble des élites. En 949, Gerberge donne son accord aux dispositions prises par le comte Adalbert et ses vassaux, Eilbert et son épouse Hersende, concernant le monastère d’Homblières qu’entérine son époux Louis IV et, à une date inconnue, elle confirme l’autorisation accordée par celui-ci à l’archevêque de Reims Artaud de réformer et doter le monastère de Saint-Basle de Verzy325. Dans les années 958-987, Airard et sa femme Hersende affranchissent un collibert, avec l’accord en premier lieu du couple ducal comtal d’Anjou, Geoffroi Grisegonelle et Adèle326. En 969, la dotation du prieuré de Chateau-Larcher fondé par Ebbon et sa femme Ode, s’accompagne de plusieurs donations réalisés par quatre milites, présentés comme ceux d’Ebbon, dont un, Ayglus, donne avec sa femme Beia. Or la donation de ce couple de vassaux est souscrite par le couple d’Aquitaine, Guillaume IV et Emma, et le couple vicomtal de Thouars, Herbert et Aldearde327, ce qui lie vassaux et seigneurs à la fondation, mais renforce aussi l’image d’un pouvoir exercé en couple. De même, en 1035, le chevalier Gédouin et sa femme, avec leur fils Geoffroi, font mettre par écrit les donations qu’ils ont faites à l’abbaye de Pontlevoy, avec l’approbation du comte Eudes, de la comtesse Ermengarde – donc du couple comtal de Blois – et de leurs fils Thibaud et Étienne, desquels ils tiennent les biens donnés en bénéfice : la charte souscrite par l’ensemble des membres des deux familles conjugales et plus de 40 autres personnes328, permet, tout en associant les uns et les autres à un geste pieux et aux relations avec le monastère, de rappeler à chacun son appartenance à un même réseau de fidélité et d’alliance, ainsi que la place de chacun, et en particulier des couples, dans les relations hiérarchiques. Les mêmes pratiques sont attestées dans les régions plus méridionales ou septentrionales. Un certain Hugo fait ainsi, en 1048, une donation à Saint-Victor, souscrite par le 325 Recueil des actes de Louis IV, roi de France (936-954), éd. P. Lauer, Paris, 1913, no 32, p. 76-77 et no 53, p. 106-107. 326 Le livre des serfs de Marmoutier, éd. A. Salmon, Tours, 1864, no 73, p. 70. 327 Saint-Cyprien de Poitiers, no 401, p. 248-254. 328 L. Lex, Eudes, comte de Blois, Tours, Chartres, Troyes et Meaux (995-1037) et Thibaud son frère (995-1004), Troyes, 1892, Pièces justificatives, no 29, p. 165-169 : (…) ego Gelduinus, vir seculari militiae subditus, et Adenors, uxor mea, Gauffredusque filius noster, nostrorum reminiscentes multitudinem peccatorum et ultimi judici diem fortiter expavescentes (…) concedimus (…) quod huic nostro facto libenter annuit comes Odo et Ermengardis comitissa, filii quoque eorum, Tedbaldus et Stephanus, ex quorum beneficio tenemus que prefatte ecclesie tribuimus (…). Signum Odoni comitis. Signum Ermengardis comitissa. Signum Tedbaudi comitis. Signum Stephani comitis. Signum Theodorici episcopi. Signum Gelduini. Signum Adenors, uxori sue. Signum filii eorum (…).
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couple vicomtal de Marseille, Foulques et Odile329. En 1174, Albert le Comte donne certains de ses biens à l’abbaye de Vicoigne avec l’accord du couple comtal hainuyer, Baudouin V et Marguerite330. Une donation réalisée à Marmoutier dans le deuxième tiers du xie siècle confirme qu’il en est de même pour la petite aristocratie, puisque les trois colliberts donnés par le chevalier Maurice le sont avec l’autorisation de sa femme Hubeline, ainsi que l’accord de Guinebert, qui tenait de lui ces colliberts, et de son épouse Asceline331. Comme pour les déplacements ou la création des liens de fidélité, les époux n’apparaissent cependant le plus souvent associés que dans une minorité de cas, même si cela reflète une image biaisée de la réalité. Il n’en reste pas moins que ces interventions – attestées – en couple impliquent des gestes publics réalisés conjointement et que leur plus grand nombre contribue à renforcer l’identité conjugale des détenteurs du pouvoir. La perception d’une association de plus en plus étroite du couple, en particulier pour exercer l’autorité, est renforcée par sa mise en scène en tant que tel dans le cadre de cérémonies particulièrement symboliques. Des couples de plus en plus souvent mis en scène
Si la documentation évoque peu, pour l’époque mérovingienne, des couples qui paraissent publiquement ensemble, cela n’est plus le cas ensuite, ce qui renforce leur visibilité, à l’échelon royal d’abord, puis dans les milieux aristocratiques, mais questionne aussi sur le sens des mises en scène. À l’époque mérovingienne, le roi qui hérite du pouvoir y associe son épouse, ou du moins certaines d’entre elles. Pour autant, les sources qui se focalisent sur le roi prêtent peu attention à la reine, alors que divers indices laissent supposer qu’elle a probablement été, dans certains cas, davantage présente et impliquée que ce que tend à montrer le discours qui, centré sur les hommes et élaboré à leur intention, déforme ainsi la perception que l’on a du couple. D’une part, il est fait parfois allusion au rôle de la reine aux côtés du roi. Fortunat précise ainsi, dans un poème adressé à Chilpéric que son épouse Frédégonde partage avec lui le sommet du pouvoir (culmen participata regit) et qu’elle dirige conjointement avec lui (pariter tecum moderante)332. Ce poème est, certes, à la louange de son destinataire, mais Fortunat n’a pas de raison particulière à travestir la réalité sur ce plan, au risque de déplaire au roi, en particulier à un moment où celui-ci est confronté à l’accusation d’adultère portée contre la reine Frédégonde et l’évêque Bertrand de Bordeaux333. Son contemporain, Grégoire de Tours, évoque d’ailleurs la destruction des livres d’imposition par le roi et la reine qui les brûlent pour expier leurs péchés. Si l’auteur replace leur geste dans un cadre domestique, puisqu’il s’agit par ce biais d’obtenir la clémence divine pour leurs deux fils malades334, et que c’est pour lui l’occasion de souligner la tyrannie du couple royal neustrien, la décision de 329 330 331 332 333 334
Saint-Victor de Marseille, no 80, t. I, p. 109. Duvivier, no 40, p. 77. Le livre des serfs de Marmoutier, op. cit., no 88, p. 82-83. Fortunat, Poèmes, IX, 1, t. III, p. 13-14. Le poème est rédigé pendant le concile de Berny (580) qui examine cette accusation. DHL, V, 34, p. 239-240 (trad., p. 296).
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lever ou non des impôts relève des pouvoirs régaliens et Grégoire montre un couple agissant de concert sur cette question. De même, en ce qui concerne le couple royal austrasien contemporain, s’il ne mentionne qu’une seule fois la présence de Brunehaut aux côtés de Sigebert335, il évoque après la mort du roi le reproche qu’aurait fait un aristocrate à Brunehaut « d’avoir gouverné le royaume sous [son] époux »336. Si la critique est révélatrice des compétitions qui se jouent dans l’entourage royal, elle suggère aussi que la reine ne s’est pas contentée de rester dans l’ombre du roi. Un siècle plus tard, la Vita Bathildis souligne que la reine « exerce le pouvoir avec roi Clovis [II] »337. S’il s’agit de souligner, peu après la mort de Bathilde, les vertus qui en font une sainte, pour en promouvoir le culte, et de témoigner de son rôle en faveur des écclésiastiques et des communautés religieuses du temps où elle était mariée au roi, la moniale de Chelles qui en est l’auteure ne s’en appuie pas moins sur des réalités qui supposent une visibilité du couple royal dans l’exercice du pouvoir. Nous ne nous intéresserons pas ici à la manière dont se traduit concrètement ce partage du pouvoir, ce qui sera analysé au chapitre suivant : nous voulions juste montrer que ces remarques pouvaient laisser supposer, pour certains couples royaux, un affichage public dont les sources ne font pas mention. En dehors des allusions ponctuelles au rôle de la reine, il est possible d’arriver à la même conclusion par déduction. En effet, si les reines mérovingiennes sont peu mentionnées du vivant du roi, elles sortent de l’ombre après sa mort, lorsqu’elles gouvernent au nom de leurs fils mineurs, à l’image notamment de Brunehaut, Frédégonde et Bathilde338. Or, si cela implique pour elles – comme pour n’importe quel détenteur du pouvoir –, de disposer d’un réseau d’alliés, constitué pendant leur vie conjugale et consolidé ensuite, leur capacité à intervenir dans tous les domaines et la reconnaissance de leur autorité – y compris lorsqu’elles sont issues de la domesticité comme Frédégonde et Bathilde –, militent en faveur d’une expérience acquise du vivant du roi. Cela ne signifie pas forcément qu’elles étaient associées aux actes de souveraineté du roi – nous y reviendrons –, mais tout porte à croire qu’elles y assistaient fréquemment et que l’entourage royal identifiait le couple régnant. Or, si, pour Sigebert et Clovis II, une seule reine est connue, ce n’est pas le cas pour Chilpéric, polygame avéré339 : les informations données par Grégoire de Tours et Fortunat laissent supposer que, dans la sphère publique, le couple formé par Chilpéric et Frédégonde a fini par être privilégié, du fait à la fois de la personnalité de la reine, par ailleurs mère des seuls héritiers qui finissent par rester au roi, et de l’affection de celui-ci pour elle340. La mise en scène publique des faveurs du mari constitue en effet,
335 DLH, IV, 51, p. 187-188 (trad., p. 240) : Brunehaut vient, avec ses fils, rejoindre Sigebert à Paris, à la suite des conquêtes réalisées par le roi aux dépens de son frère Chilpéric. 336 DLH, VI, 4, p. 268 (trad., t. II, p. 11). Voir E. Santinelli, « Brunehilde … », art. cit., p. 64. 337 Vita S. Bathildis, op. cit., c. 4, p. 487 (trad., p. 32) : domna Bathildis una cum regis Chlodovei imperio (…). 338 E. Santinelli, Des femmes éplorées ?…, op. cit., p. 359-361 et 370. Voir aussi J. Nelson, « Queens as Jezebels … », art. cit. et I. Wood, The Merovingian Kingdoms …, op. cit., p. 121-136. 339 Voir chapitre 1. 340 Voir chapitre 2.
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dans les couples polygames, un enjeu, dans les rivalités qui opposent les coépouses341. Si les sources mérovingiennes minimisent certainement la place de la reine, ou du moins de certaines d’entre elles, ce qui réduit la visibilité du couple royal, il n’en reste pas moins que l’épouse du roi est associée à la fonction royale, selon le bon vouloir de celui-ci et tant qu’il le souhaite, sans pour autant participer à la regalis potestas, réservée au seul roi : cela contribue à expliquer la faible attention portée au couple royal, et donc à son éventuelle mise en scène en certaines occasions. Cela n’est plus le cas sous les Carolingiens, comme l’ont montré les études sur le Queenship, c’est-à-dire la souveraineté féminine : la reine, dont la fonction est désormais institutionnalisée, détient des pouvoirs réels et légitimes, ce que symbolise, fait nouveau, son association aux rituels inauguraux342. Ce n’est cependant pas ce qu’il en résulte pour sa place et son rôle qui nous retiendra ici, mais le fait que le rituel favorise une représentation du pouvoir qui s’exerce en couple. À plusieurs reprises en effet, les sources soulignent que le couple accède à la royauté, voire est couronné343, ensemble. Pour le Pippinide Childebrand qui est le deuxième continuateur de la Chronique de Frédégaire et écrit peu après les événements, « Pépin (…) est élevé à la royauté (…) avec la reine Bertrade (una cum regina Bertradane) »344, ce que confirment d’autres sources qui y ajoutent les deux fils du couple – Charles et Carloman –, en particulier une lettre du pape Étienne datée de 757345. Le nouveau couple royal se trouve ainsi doublement associé à l’exercice du pouvoir, comme l’a souligné Janet Nelson : non seulement en étant consacré et institué à la royauté ensemble, mais aussi en étant identifié, du fait de l’association des fils, comme le couple dont se trouve issue la nouvelle lignée royale346. Quelques décennies plus tard, Thégan et Ermold le Noir évoquent le couronnement par le pape Étienne IV, en 816, de Louis le Pieux et d’Ermengarde, même si la préséance est accordée à Louis347. Les Annales royales ne mentionnent cependant, pour ces deux cérémonies, que Pépin III et Louis le Pieux, de même que l’Astronome pour
341 S. Fainzang, O. Journet, La femme de mon mari …, op. cit., p. 106. 342 Pour une approche générale, voir L. O. Fradenburg, « Rethinking Queenship », dans Ead.(dir.), Women and Sovereignty, Edinburgh, 1992, p. 1-13 ; J. C. Parsons, « Introduction : Family, Sex, and Power : the Rhythms of Medieval Queenship », dans Id. (dir.), Medieval Queenship, New York, 1993, p. 1-11 ; A. J. Duggan, « Introduction », dans Ead. (dir.), Queens and Queenship …, op. cit., p. xv-xxi. Sur le tournant carolingien, voir P. Delogu, « ‘Consors regni’ : un problema carolingio », dans Bolletino dell instituto storico italiano per il medio evo e archivio muratoriano, 76 (1964), notamment p. 85-98 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 361 ; J. Nelson, « Early Medieval Rites of Queen-Making … », art. cit., p. 301-315 ; Ead., « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 121-132 ; G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, La France avant la France …, op. cit., p. 592-597. 343 Sur les nouveautés du cérémonial d’inauguration royale, à partir des Carolingiens, avec l’introduction de l’onction, puis du couronnement, voir R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 174-175. 344 Frédégaire, Continuations, c. 33, p. 234-235. 345 Codex Carolinus, éd. W. Gundlach, MGH Epist. III, Berlin, 1892, no 11, p. 505. 346 J. Nelson, « La famille de Charlemagne », art. cit., p. 196 ; Ead., « Bertrada », art. cit., p. 102. 347 Thégan, Gesta Hludowici imperatoris, éd. E. Tremp, MGH SRG 64, 1995, c. 17, p. 198 ; Ermold le Noir, II, p. 86-87.
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le second348, preuve que les contemporains n’accordent pas la même attention au couple et que le silence sur la présence d’un individu ne constitue pas une preuve. À la génération suivante, si Charles le Chauve a été sacré avant d’épouser Ermentrude, il organise ensuite, si l’on suit Hincmar dans les Annales de Saint-Bertin, une cérémonie de couronnement qui associe le couple : Charles le Chauve ayant demandé en 866 aux évêques de sacrer reine sa femme Ermentrude (ut uxorem suam Hirmintrudem in reginam sacrarent), ils lui placèrent une couronne [sur la tête] de même qu’à lui (una cum eo illi coronam imposuerunt)349. Les cérémonies de couronnement ne sont pas les seules occasions de mettre en scène le couple royal : les assemblées judiciaires, les audiences et autres rassemblements politiques ou religieux, qui relèvent tout autant de la communication symbolique350, favorisés par le développement entre 790 et 820 de la société de cour et du cérémoniel, lié à la compétition avec Byzance351, peuvent l’être aussi, ce qui semble avoir été plus souvent le cas à partir du règne de Louis le Pieux352. Cela n’empêche cependant pas que Nibelung, commanditaire de la troisième continuation de la Chronique de Frédégaire, précise dès la génération de Pépin III, que c’est en présence du roi et de son épouse (ad praesentiam regis cum uxore sua) qu’est conduit, pour qu’il soit décidé de son sort, Remistanius – qui s’était montré infidèle –, par les comtes qui viennent de le capturer353. À la génération de Louis le Pieux, une Lettre de Loup (futur abbé de Ferrière) datée de 837, rappelle qu’il a été, l’année précédente, alors qu’il sollicitait audience pour l’une de ses affaires, « amené en présence de l’empereur et reçu avec une extrême bonté par lui et par la reine (ab eo atque regina) »354. À celle de Charles le Chauve, Hincmar précise, dans les Annales de Saint-Bertin, que le concile réuni à Ponthion en 876 se clôt en présence de l’impératrice Richilde – que deux évêques sont allés chercher –, couronnée aux côtés de l’empereur, par les laudes chantées pour le pape, l’empereur, l’impératrice et les autres, alors que tous les évêques se trouvent debout, chacun selon son rang355. Si comme le souligne Régine Le Jan, cette très forte ritualisation
348 Astronome, c. 26, p. 364 ; Annales royales, a. 751 et 754, p. 8-12 et 816, p. 144. 349 Annales de Saint-Bertin, a. 866, p. 129. 350 R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 167. 351 M. McCormick, Eternal Victory : Triumphal Rulership in Late Antiquity, Byzantium and the Early Medieval West, Cambridge, 1986, p. 363-364 ; J. Nelson, « Was Charlemagne’s Court a Courtly Society ? », dans C. Cubitt (dir.), Court Culture in the Early Middle Ages : the Proceedings of the First Alcuin Conference, Turnhout, 2003, p. 38-57 ; suivies par R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 171-173. 352 R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 188. 353 Frédégaire, Continuations, c. 51, p. 258-259. 354 Loup de Ferrières, Correspondance, op. cit., no 11, t. I, p. 84-85. 355 Annales de Saint-Bertin, a. 876, p. 131 (trad p. 181) : (…) aduxerunt Richildem imperatricem coronatam in synodum ; et stante illa iuxta imperatorem, surrexerunt omnes, stantes quique in grado suo. Tunc incoeperunt laudes (…) et post laudes peractas in domnum apostilicum et domnum imperatorem ac imperatricem et ceteros (…) data oratione (…) soluta est synodus. Sur les Laudes royales apparues dans le royaume des Francs dans le 3e quart du viiie siècle, voir E. Kantorowicz, Laudes regiae : une étude des acclamations liturgiques et du culte du souverain au Moyen Âge, trad. fr., Paris, 2004, p. 47 et R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 175.
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« traduit le développement d’un Queenship », en même temps qu’ « une sorte de déplacement de la frontière du genre »356, elle aboutit aussi à renforcer l’image du couple royal dans le cadre d’un cérémonial qui prévoit plus souvent et régulièrement l’association de la reine au roi. Les festivités, qu’elles soient religieuses ou profanes, sont aussi l’occasion pour le couple royal de paraître ensemble et donc d’affirmer son identité. Si elles existent de tout temps, elles semblent avoir été particulièrement utilisées par les Carolingiens, comme les autres cérémonies, comme mode de communication visant à renforcer l’identité du groupe autour d’émotions partagées et de valeurs communes, tout en mettant « en scène l’ordonnancement de la société, dans sa double dimension, terrestre et céleste », du fait de l’investissement plus grand de la liturgie et de l’interpénétration plus importante des domaines politiques et religieux357. Si le plus souvent, les récits qui en ont conservé le souvenir visent à souligner la puissance du roi, dominant le reste de la société358, généralement envisagée dans sa dimension masculine, il arrive que lui soit associée la reine, à l’image de la description des festivités organisées à l’occasion du baptême du roi danois et de sa suite (826) qu’en a fait Ermold le Noir qui accorde une place à part à Louis le Pieux et Judith359. Il est vrai que, même si ces festivités ont réellement eu lieu, le poète en reconstruit la réalité : comme les autres descriptions de cérémonies, son poème reproduit l’image idéale d’une société harmonieusement ordonnée et hiérarchisée, dominée par l’empereur soutenu par ses proches, ce qui n’exclut pas des tensions perceptibles, liées à la coopétition (c’est à dire la collaboration tout en rivalisant)360. Ermold espérant, en magnifiant l’autorité et la splendeur royales, obtenir son retour en grâce, on peut considérer que l’image qu’il donne de Louis le Pieux et Judith correspond à la représentation du couple royal que s’en font les élites. Or, si l’on suit le poète, le couple impérial franc est ensemble à Ingelheim (v. 2060-2061), où il est rejoint par le couple royal danois (v. 2180-2181) ; Louis le Pieux devient parrain d’Harold (v. 2240) et Judith marraine de l’épouse de celui-ci (v. 2242) ; une fois au palais, l’un et l’autre comblent de présents leurs filleuls respectifs (v. 2254 et 2266) ; le cortège qui mène Francs et Danois à l’église pour la célébration de la messe est conduit par Louis le Pieux (v. 2290), suivi par son fils Lothaire – associé au pouvoir impérial – et Harold (v. 2298), mais les souverains sont suivis par leurs épouses, Judith (v. 2301), puis la femme d’Harold (v. 2308), les uns et les autres entourés et escortés de nombreux individus, « selon une parfaite hiérarchie de genre et de rang »361. Si
356 R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 188-189. 357 Ibid., p. 167-168 et 177-178. 358 Ibid., p. 177-180. 359 Sur ces festivités et l’analyse de la description qu’en fait Ermold, voir R. Le Jan, « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 42 et surtout Ead., « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 184-193. 360 R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 189-192. Sur la coopétition, concept utilisé en sciences sociales, repris par les haut Médiévistes, ibid., p. 186 et R. Le Jan, G. Bührer-Thierry, S. Gasparri (dir.), Coopétition. Rivaliser, coopérer dans les sociétés du haut Moyen Âge (500-1100), Turnhout, 2019. 361 R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 185.
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Ermold ne s’intéresse plus ensuite à l’épouse du roi danois quand il est question des festivités laïques, il insiste en revanche sur le couple impérial franc, côte à côte lors du festin organisé au palais (v. 2354), entouré de nombreux aristocrates pendant la chasse – même si les deux groupes autour de chacun des conjoints n’y participent pas de la même manière (v. 2364 et 2378-2380) –, assis sur un même lit lors du repas champêtre qui suit (v. 2425). Certes, Ermold qui fait œuvre de poète, imprégné de culture antique, cherche à flatter Louis le Pieux dont il espère la mansuétude, ce qui le conduit à souligner aussi à cette occasion la richesse et l’autorité de l’empereur qui fait l’admiration du couple royal danois (v. 2318-2323) et à préciser, qu’après les festivités religieuses et laïques, Harold se place lui et son royaume sous la domination de Louis le Pieux (v. 2481-2487), ce qui revient à associer le pouvoir royal aux seuls hommes. Néanmoins, dans une société dominée par les hommes, la réalisation par ceux-ci des gestes qui engagent n’exclut pas la participation ni l’association des épouses, ni donc que les engagements soient considérés comme des actes qui obligent les couples, nous y reviendrons. D’ailleurs, le poème se clôt sur un appel à la clémence lancé par Ermold à Louis le Pieux, mais aussi à « toi, Judith, digne épouse qui détiens par droit avec lui la dignité impériale » (digna sibi conjux (…) quae secum imperii culmina jure tenes, v. 2644-2645)362. Ermold, en exil pour avoir trahi, considère manifestement que son sort ne relève pas que du seul empereur et qu’il espère trouver un soutien auprès de Judith, même si le rapport de force à la cour n’est pas alors favorable à celle-ci363 : c’est reconnaître l’autorité du couple, dont la mise en scène lors des festivités est le reflet, ce qu’il n’aurait pas souligné si cela n’avait pas correspondu à la réalité, au risque de déplaire au souverain dont il attend une faveur. Comme le souligne Janet Nelson, le panégyrique n’exclut pas la référence à des réalités sociales364. C’est aussi à l’époque carolingienne que l’iconographie commence à accorder, même si c’est timidement, une place à la reine, ce qui participe à la diffusion de l’image du couple royal. Pour mieux asseoir leur autorité, les souverains ont en effet davantage que leurs prédécesseurs utilisé les supports visuels et encouragé, dans ce cadre, en plus des cérémonies savamment orchestrées, la reproduction de leur portrait, en particulier, par le biais de l’enluminure des bibles365. Le plus souvent, ces enluminures illustrent la représentation classique du souverain gouvernant la société chrétienne et assurant la médiation entre mondes céleste et terrestre366. L’une
362 Ermold le Noir, IV, p. 166-167, p. 170-189 et p. 200-201. 363 R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 186-192. 364 J. Nelson, « The Lord Anointed and the People’s Choice : Carolingian Royal Ritual », dans D. Cannadine, S. Price (dir.), Rituals of Royalty. Power and Ceremonial in Traditionnal Societies, Cambridge, 1987, p. 167-169. 365 R. Le Jan, « Les cérémonies carolingiennes … », art. cit., p. 168-169. 366 Ibid., p. 179. Sur le développement, en lien avec celui de la réflexion idéologique sur le pouvoir, d’une nouvelle représentation de la majesté royale pendant les règnes de Louis le Pieux et de ses fils, en particulier Charles le Chauve, voir D. Alibert, Les Carolingiens et leurs images, Iconographie et idéologie, Thèse dactylographiée, Paris IV, 1994 et A. O. Poilpré, Maiestas Domini : une image de l’Église en Occident, ve-ixe siècle, Paris, 2005.
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d’elles se distingue par le fait qu’elle y fait aussi figurer la reine – une des rarissimes représentations de reines carolingiennes –, et donne donc à voir une image du couple royal (illustration 3). Elle est peinte sur la page de dédicace de la bible que Charles le Chauve fait réaliser pour l’offrir au pape Jean VIII à l’occasion de son couronnement impérial en 875 : le roi y est représenté en majesté accompagnée de la reine Richilde, ce que précise explicitement l’inscription qui figure sur le globe que tient le souverain dans sa main gauche, sollicitant la protection du Christ pour Charles et Richilde367. Certes, seul Charles le Chauve apparaît en majesté et couronné, mais la main droite de Richilde posée sur l’enceinte qui abrite son époux et sa main gauche sur son ventre qui laisse supposer une naissance prochaine – alors que le poème situé au bas de la page évoque la descendance qui doit succéder à Charles –368, l’associe au pouvoir royal et à une mission de nature dynastique. Si la représentation du couple royal ne place pas les deux conjoints sur un même plan, elle n’en n’affirme pas moins son identité, en soulignant sa vocation commune à exercer et à transmettre l’autorité – ce qui est confirmé par le reste de la documentation369 –, et renforce sa visibilité. Or la bible étant commanditée par le roi, elle correspond à l’image que celui-ci s’en fait et qu’il entend montrer aux autres. À la même époque, un ivoire sculpté (de 18 × 12 cm environ) donne aussi la réprésentation d’un autre couple royal (illustration 4), même si c’est de manière quelque peu différente. La scène n’est pas, en effet, centrée sur le roi, mais sur Remi. L’ivoire reproduit en effet de manière superposée trois des miracles du saint. Il a vraisemblablement été produit à Reims, au moment où l’archevêque Hincmar, ancien conseiller du roi Charles le Chauve, écrit une nouvelle vie de saint Remi qui introduit le mythe de la Sainte Ampoule370, ce qui en fait peut-être le commanditaire. C’est le troisième miracle, figuré au registre inférieur, qui nous intéresse ici : il représente le baptême de Clovis réalisé, en présence de la reine Clotilde, par Remi avec l’huile sainte miraculeusement apportée par une colombe.
367 C. Frugoni, « La femme imaginée », dans C. Klapish-Zuber (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. II : Le Moyen Âge, Paris, rééd., 2002, p. 478 ; A. O. Poilpré, Maiestas Domini …, op. cit.,p. 261 ; D. Alibert, « Naissance des idéologies médiévales dans les images politiques carolingiennes », dans E. Santinelli-Foltz, C. G. Schwentzel (dir.), La puissance royale : Image et pouvoir de l’Antiquité au Moyen Âge, Rennes, 2012, p. 89-91 ; Id., « Un homme, une femme et des enfants : autour du couple dans quelques images du haut Moyen-Âge », dans S. Joye et al. (dir.), Le couple …, op. cit., p. 72. 368 D. Alibert, « Naissance des idéologies médiévales … », art. cit., p. 89-91 ; Id., « Un homme, une femme … », art. cit., p. 72. 369 E. Santinelli, « Brunehilde, … », art. cit., p. 71-77. 370 La datation traditionnelle fixe la réalisation de l’ivoire vers 880, au moment de l’achèvement de la rédaction définitive de la vita : D. Gaborit-Chopin, Ivoires du Moyen Âge, Paris, 1968, p. 68 et 190 (pl. 83) ; J. C. Poulain, « Geneviève, Clovis et Rémi : entre politque et Religion », dans M. Rouche (dir.), Clovis, Histoire et Mémoire, t. I : Clovis et son temps, l’événement, Paris, 1997, p. 340 ; G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, La France avant la France …, op. cit., p. 429-431 ; J. C. Bonne, « Ornementation et représentation », dans J. Baschet, P. O. Dittmar (dir.), Les images dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2015, p. 204. Marie-Céline Isaïa propose cependant d’y voir l’illustration d’une étape intermédiaire de la vita écrite avant 869 : M. C. Isaïa, Remi de Reims. Mémoire d’un saint, histoire d’une église, Paris, 2010, p. 527-528.
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Illustration 3 : Charles le Chauve et Richilde, Bible de Saint-Paul-hors-les-Murs. Rome, Saint-Paul-hors-les-Murs, fol. 1ro (manuscrit du ixe siècle)
Or, dans une scène éminemment masculine, intégrée dans une composition construite avec une grande précision, la présence de Clotilde, parée de sa couronne, attribut royal par excellence – du moins à l’époque carolingienne –, a forcément du sens, d’autant que Clovis et Clotilde sont les seuls laïcs de la scène : non seulement Clotilde a été l’intermédiaire entre Clovis et Remi, ce que précise notamment la vie
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Illustration 4 : Le baptême de Clovis en présence de la reine Clotilde, Amiens, musée de Picardie (plaque de reliure en ivoire, vers 880, détail)
du saint, et donc entre le roi et le christianisme, mais elle incarne aussi la royauté à laquelle elle est pleinement associée et qui exige, pour en être reconnu pleinement dépositaire, d’avoir reçu le baptême, ce qui est son cas et bientôt celui de Clovis. Elle annonce, par ailleurs la postérité que Remi a promise la veille au couple en prière, s’il soutenait l’Église et n’abandonnait pas la voie du salut (c. 14). Il en résulte la volonté de montrer l’image, assez proche de celle donnée par la bible de Saint-Paulhors-les-Murs, d’un couple royal solidaire dans l’exercice du pouvoir royal et ses relations avec l’Église. Si les cérémonies de toutes natures et l’iconographie ne font que ponctuellement apparaître les reines aux côtés des rois, l’époque carolingienne n’en est pas moins marquée par des témoignages de plus en plus nombreux de la volonté de mettre en scène le couple royal, du fait à la fois du mode de transmission patrilinéaire de la royauté mais aussi de l’application des règles du bon gouvernement qui implique pour le roi d’associer la reine à l’exercice du pouvoir371. Les mentions se multiplient ensuite, pour le milieu royal mais aussi, à partir du xe siècle, les milieux princiers puis seigneuriaux qui reproduisent le modèle royal, et renforcent, du fait de l’émiettement du pouvoir, l’image d’une communauté conjugale qui s’affirme particulièrement à l’occasion des actes d’autorité. Si l’on en croit les chroniques du xiie siècle, confirmées par des actes diplomatiques du xie siècle, le couple formé par Geoffroi Martel et Agnès apparaît côte à côte, en Anjou où Geoffroi a hérité du pouvoir comtal et en Aquitaine où Agnès, veuve du duc Guillaume V, exerce l’autorité au nom de ses jeunes fils, pour présider les plaids, décider de la construction
371 C’est ce que l’on peut déduire du chapitre 5 du Liber rectoribus christianis de Sédulius Scottus, vraisemblablement rédigé en 869, lorsque Charles le Chauve se fait couronner roi de Lotharingie à Metz et qu’il se prépare à épouser Richilde : E. Santinelli, « Brunehilde, … », art. cit., p. 74-75.
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de châteaux, assister à la dédicace d’églises au milieu d’une foule de laïcs et de clercs de tous milieux, exiger de tous leurs fidèles, laïques et ecclésiastiques, qu’ils confirment leurs fondations monastiques, etc.372. Les actes diplomatiques montrent qu’il en est de même pour les couples seigneuriaux, à l’image de quelques chartes au profit de Saint-Père de Chartres qui associent, au tournant du xie et du xiie siècle, Guillaume Gouet et son épouse Eustachie dans leurs fonctions seigneuriales373. Certains événements apparaissent aussi, comme pour le milieu royal, propices à la mise en scène du couple aristocratique. C’est le cas notamment au moment de l’entrée en fonction et lors des festivités qui sont autant d’occasions d’inviter parents, fidèles et alliés et de réaffirmer liens et hiérarchies. Gislebert de Mons rapporte ainsi qu’en 1171, Baudouin V, après avoir succédé à son père, avec sa femme Marguerite dans le comté de Hainaut (cum Marghareta uxore sua successit), fête avec elle noël à Valenciennes, entouré de 500 chevaliers374, ce qui est l’occasion pour le nouveau couple comtal d’imposer son autorité et de la faire reconnaître. Trois ans auparavant, c’est en couple que ses parents, le comte Baudouin IV et la comtesse Alix, ont présidé les cérémonies liées à son adoubement, célébré avec honneur et dans la joie à Valenciennes375. Le départ pour la croisade a aussi été l’occasion pour certains couples de s’afficher publiquement. Ainsi si l’on en croit Foucher de Chartres : 372 Chronique de Saint-Maixent (751-1140), éd. et trad. J. Verdon, Paris, 1979, a. 1044, p. 122-123 : « La comtesse avec ses deux fils Pierre et Geoffroi, et accompagnée de Geoffroi Martel, leur père nourricier et son mari, vinrent à Poitiers et y tinrent un plaid en présence de tous les puissants du Poitou » (Agnes comitissa, veniens Pictavis cum duobus filiis suis Petro atque Gaufredo, unacumque cum nutricione eorum Gaufredo Martello, suoque marito, cum omnibus Pictavorum obtimatibus fecerunt placitum) ; Chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Saint-Maixent (815-1198), éd. A. Richard, Archives historique du Poitou, t. 16, Poitiers, 1887, no 102 (1040-1044), p. 126-128 : le préambule de la charte précise que la donation qu’elle enregistre a été réalisée « aux temps où régnait en Francie Henri, fils du roi Robert, mais où il y avait dans le comté de Poitiers le seigneur duc Guillaume, avec son frère Geoffroi et leur mère la comtesse Agnès, ainsi que le vénérable comte Geoffroi, leur beau-père » (temporibus quibus regnabat Einricus filius Rotberti regis in Francia, in pago tamen persistante domno Willelmo duce cum suo germano Gosfredo, necne eorum genetrice Agnete comitisse, venerabilem quoque Gosfredum comitem uitricum illorum cum eis) ; Histoire de Saint-Florent de Saumur, éd. P. Marchegay, E. Mabille, Chronique des Églises d’Anjou, op. cit., p. 282 : [en 1032] Foulques avec son fils Geoffroi et l’épouse de celui-ci Agnès (…) se rendirent à Saint-Florent-le-Vieil et fixèrent [la construction du] château dans la partie occidentale (Fulco vero cum filio Gaufredo et uxore Agnete (…) Glomnam Montem tetenderunt et in occidentali parte castellum déterminaverunt) et p. 292 : Affuit et Gaufridus Andegavensium comes, cum honorabili matri suae Hildegarde et conjuge sua nomine Agne, et cum eo multi viri nobiles necnon populus utriusque sexus infinitae multitudinis, abbate et monachi et cleri quorum non es numerus. Tum dedicata est aeclesia [de Saint-Florent] (…) Anno incarnationis MXLI facta fuit ista dedicatio. Cartulaire de la Trinité de Vendôme, éd. C. Métais, Paris, 1893, no 35 (1040), p. 55-60 : (…) ego comes et uxor Agnes mea (…) monasterium in honorem sanctae et individuae Trinitatis, in possessione nostra, apud castrum Vindocinum (…) a novo fundaremus (…) et fideles nostos nobiles que viros utriusque ordinis tam clericos quam laicos corroborare rogavimus (…). Signum Goffridi comitis Andegavorum. Signum Agnetis conjugis suae (…) ; no 77 (1040-1049), p. 146-147 : les moines de la Trinité de Vendôme viennent plaider leur cause devant le couple comtal (ante comitem Gausfredum et Agnetem comitissam, eorum judicio causam probaturi), dont le jugement (iudicante comite et comitissa) leur donne gain de cause dans le conflit qui les oppose à Renaud de Château-Renaud. 373 Saint-Père de Chartres, l. III, no 17, p. 479 et no 36, p. 494. Sur ce couple, voir A. Livingstone, « Aristocratic Women in the Chartrain », dans T. Evergates, Aristocratic women …, op. cit., p. 66-68. 374 Gislebert de Mons, c. 67, p. 106 et c. 68, p. 107-108 (trad., t. 14, p. 161 et p. 165). 375 Ibid., c. 55, p. 95 (trad. p. 141).
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Combien fut grande la douleur (…) quand le mari quitta son épouse si chérie (…) l’époux évoquait à son épouse le moment de son retour qui, si la vie restait sa compagne avec le consentement de Dieu, le ramènerait à elle. Il la recommandait au Seigneur, lui offrait un baiser et lui promettait, en pleurant, qu’il allait revenir. Mais celle-ci, craignant de ne plus jamais le revoir, manquait de force pour se soutenir et s’écroulait inanimée par terre, se lamentant pour son ami qu’elle perdait vivant comme s’il était déjà mort376. Si Foucher présente la scène de manière générale, il est possible qu’il se soit inspiré du départ d’Étienne-Henri de Blois, auquel il a probablement assisté pour être parti avec lui et qui n’a pas manqué de donner lieu à un cérémonial, la participation à l’expédition contribuant au prestige princier. L’épouse n’est donc pas seule à assister au départ de son mari : parents et amis se trouvent réunis pour l’occasion. La scène ne s’en trouve pas moins centrée sur les adieux du couple, dont les gestes relèvent en partie des conventions, de manière à manifester l’attachement des uns et des autres377. Au-delà des sentiments éprouvés à l’égard de la séparation, le rôle central du couple, ici princier, au moment du départ se justifie dans la mesure où c’est aussi un moyen de rappeler à tous le pouvoir exercé conjointement, temporairement confié à la seule épouse. Gislebert de Mons, moins pathétique, le confirme, pour Philippe d’Alsace, lorsqu’il prend la croix en 1190 : « en présence du comte de Hainaut, de la comtesse Marguerite – sa sœur, dont il a fait son héritière – et de leurs fils, il confia la garde et la protection de sa terre à son épouse Mathilde »378. L’iconographie multiplie aussi les représentations de couples, ce qui laisse supposer leur plus grande visibilité, en même temps qu’elle y contribue. Il n’y a pas eu dépouillement systématique, mais quelques exemples suffiront à le montrer. L’une des 15 enluminures décorant un évangéliaire daté des années 1050-1060, représente ainsi Irmengarde et son époux Werner (illustration 5). Certes, c’est Irmengarde qui en a fait la commande après la mort de son mari, comme le précise l’inscription qui encadre l’enluminure, pour le donner à un monastère, peut-être Saint-Mihiel (à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Metz, donc sur les marges orientales de la Francie Occidentale)379, ce qui n’exclut pas une décision
376 Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana, op. cit., c. 2, p. 328. 377 Voir E. Santinelli, « ‘… quand le mari quitta son épouse si chérie …’ … », art. cit., p. 195-204. 378 Gislebert de Mons, c. 167, p. 248-249 (trad., t. 15, p. 9) : terram suam custodie et protectioni uxoris sue Mathildis (…) commisit. Pour d’autres exemples dans la seconde moitié du xiie siècle, voir P. Corbet, « Entre Aliénor d’Aquitaine et Blanche de Castille : les princesses au pouvoir dans la France de l’est », dans C. Zey (dir.), Mächtige Frauen ? Königinnen und Fürstinnen im europäischen Mittelalter (11.-14. Jahrhundert), Zürich, 2015, p. 232-234. 379 Werner a été identifié par K. Schmid comme un membre de la puissante famille des comtes de Souabe, tué au combat (en 1040 ou 1053, selon qu’il s’agit de Werner I ou II). Irmengarde a alors fait transcrire et peindre l’évangéliaire, pour l’âme de son époux : voir H. Platelle, « Nouvel éclairage sur un trésor de notre bibliothèque : Les recherches du Professeur Karl Schmid sur l’Évangéliaire du xie siècle, dit de Saint-Mihiel », dans Ensemble d’Écoles Supérieures et de facultés catholiques, 1 (mars 1983),p. 25-30 ; Id., « L’épouse ‘gardienne, aimante de la vie et de l’âme de son mari’ », dans M. Rouche, J. Heuclin (dir.), La femme au Moyen Âge …, op. cit., p. 176-177.
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Illustration 5 : Irmengarde et Werner donnant un évangéliaire, Lille, bibliothèque de l’université catholique, ms. 1, fol. 253v°(xie siècle)
prise conjointement avant la mort de Werner. L’enluminure présente en tous les cas la donation du livre liturgique comme un acte conjugal380, ce qui témoigne de la volonté d’Irmengarde, si ce n’est des deux conjoints, d’afficher le couple comme une communauté
380 Chiara Frugoni a repéré, dans un manuscrit d’un siècle antérieur (v. 940-970), une autre enluminure présentant un geste conjugal similaire : Dirk II de Hollande et sa femme Hildegarde offrant un évangéliaire au monastère d’Egmont : C. Frugoni, « La femme imaginée », art. cit., p. 479-481.
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Illustration 6 : Raimond-Béranger I et Almodis Illustration 7 : Bernard-Atton IV Trencavel et de la Marche / Guillem-Ramon et Adélaïde Cécile de la Marche (enluminure, xiie siècle) e (enluminure, xii siècle)
solidaire, notamment pour nouer des liens sociaux avec la communauté religieuse. Sur les marges méridionales du monde franc, Le Liber feudorum maior, transcrit et enluminé en Catalogne à la fin du xiie siècle, intègre plusieurs enluminures, représentant des couples, à l’image des deux reproduites ci-dessus qui y ont été repérées381. La première enluminure (illustration 6) illustre l’achat réalisé, en 1067, par le couple comtal de Barcelone à celui de Cerdagne de ses droits sur Carcassonne382 et la seconde (illustration 7) les fiançailles, en 1110, par le couple vicomtal de Béziers, de leur fille, Ermengarde, à Gausfred III de Roussillon383. Comme toute représentation graphique, elles ne traduisent qu’une partie des réalités. Elles n’en accordent pas moins, dans les deux cas, une place centrale aux couples, à l’occasion de gestes qui les engagent, et témoignent, comme les textes, d’une perception de plus en plus aiguë de la communauté conjugale qui se met communément en scène dans ses relations sociales comme dans l’exercice du pouvoir. Cette représentation peut parfois prendre un caractère plus imposant et permanent, à l’image d’une sculpture, provenant du cloître de Belval, représentant vraisemblablement le couple comtal de Vaudémont, Hugues Ier et Adeline (illustration 8). 381 Liber feudorum maior, op. cit., vol. 2, illustrations IX et XI. Sur la composition et les fonctions de ce cartulaire, voir les références données ci-dessus n. 323. 382 Ibid., no 824, vol. 2, p. 311. 383 Ibid., no 786, vol. 2, p. 269-270.
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Illustration 8 : Anonyme, Le retour du Croisé, calcaire sculpté, 3e ¼ du xiie s., Provenance : ancien prieuré de Belval (Vosges), Dépôt de l’Etat, IOnv. D. 2004.0.2, Palais des ducs de Lorraine, Musée lorrain, Nancy/Photo Michel Bourguet 384
La sculpture, d’une hauteur d’1,29 mètre, qui représente un homme en croisé – en insistant davantage sur le pèlerin que sur le guerrier – et une femme enlacés souligne l’unité du couple. Hugues de Vaudémont – dont le comté relève de l’Empire mais qui est lié aux ducs de Bourgogne par sa femme Adeline – est en effet connu pour avoir participé à la deuxième croisade aux côtés de Louis VII. Si Michel Parisse a montré qu’il était rentré comme les autres croisés lorrains en 1149, et non une dizaine d’années plus tard385 –, le couple n’en a pas moins été séparé deux ans : la statue vise 384 La photo figure sur le site du musée : https://musee-lorrain.nancy.fr/fr/collections/les-oeuvres-majeures/ le-retour-du-croise-41 ; Elle a été reproduite dans La France Romane au temps des Capétiens (987-1152), Catalogue d’exposition, Musée du Louvre, Paris, 2005, no 107, p. 160. 385 On a longtemps considéré qu’Hugues de Vaudémont n’avait été de retour qu’entre 1161 et 1163, ce qui l’avait fait considérer comme mort, mais que son épouse ne s’en était pas pour autant remariée, ce qui témoignait de sa fidélité. Cette version romancée doit cependant être oubliée puisque la souscription d’une charte datée de 1149 montre qu’Hugues était alors déjà rentré en Occident et une chronique du xive siècle enregistre sa mort en 1154 : M. Parisse, « Des Lorrains en croisade : La maison de Bar », dans D. Coulon, C. Otten-Froux, P. Pagès, D. Valérien (dir.), Chemins d’outre-mer : Études d’histoire sur la Méditerranée médiévale offertes à Michel Balard, 2 t., Paris, 2004, t. 2, p. 666-668.
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peut-être à célébrer la fidélité conjugale, ce que peut réfléter l’unité affichée. Elle se trouve néanmoins dans un lieu, étroitement lié au pouvoir comtal de Vaudémont386, et peut donc aussi offrir, à tous ceux qui passent devant, l’image d’un pouvoir qui s’exerce en couple, que l’initiative en soit revenue au couple, au survivant des conjoints, ou à leur(s) héritier(s). Certes, les artistes pas plus que les auteurs de texte ne jugent forcément nécessaire d’associer les épouses à leurs maris, dans la mesure où la domination masculine qui caractérise la société altimédiévale conduit à privilégier les hommes et leurs actes. Cela n’exclut cependant pas que chacun reconnaisse la place du couple, ainsi que son rôle. D’ailleurs, le fait que, comme pour les reines, les épouses aristocratiques sont en mesure de se substituer à leur mari, après leur mort, pour assurer la continuité dynastique, ou de leur vivant, lorsque leur éloignement, leur captivité, voire leur maladie, les empêchent d’exercer le pouvoir387, témoignent de la conscience, tant du couple que de l’entourage et du reste de la société, d’un pouvoir exercé conjugalement, qui transparaît clairement à l’occasion de rituels démonstratifs, dont la documentation n’a conservé que quelques témoignages. Pour autant, l’affichage public du couple, s’il conforte son identité aux yeux de l’extérieur, n’atteste en rien de la réalité de la communauté conjugale. Être ou paraître ?
Le couple apparaît certes comme une réalité qui s’affirme et s’affiche de plus en plus. La documentation n’en témoigne cependant que pour les élites, essentiellement dans le cadre des stratégies sociales et politiques, et elle n’évoque que des couples légitimement mariés, alors que la polygynie était fréquente388. Cela ne peut manquer d’interroger sur la nature exacte des couples ainsi affichés. Certes, il est possible que, pour bien des couples, paraître ensemble ne constitue qu’un aspect de la collaboration quotidienne qui les unit et contribue, comme les gestes et sentiments partagés, à renforcer la communauté conjugale. Il y a néanmoins parmi les couples qui agissent conjointement des époux qui n’éprouvent qu’indifférence, antipathie voire haine l’un pour l’autre et qui, contraints de rester mariés au nom des intérêts familiaux, voire des impératifs idéologiques389, se contentent d’une conjugalité de façade : dans ce cas, paraître ensemble ne signifie pas autre chose que se conformer au rôle attendu du couple par les groupements dans lesquels celui-ci s’insère, sans que cela corresponde à la construction d’une véritable communauté conjugale. Il est vrai que la documentation permet rarement d’établir les faits. Les Annales de Saint-Bertin en
386 Le prieuré de Belval aurait été fondé par les parents d’Hugues – Gérard et Hadwige – qui y ont étés inhumés. Hugues y est à son tour enseveli à leurs côtés. Il est d’ailleurs possible que la sculpture ait été liée au monument funéraire associé à sa sépulture, et peut-être celle de sa femme sur laquelle on n’a aucune information mais dont tout porte à croire qu’elle s’est trouvée aux côtés de celle de son mari : La France Romane, op. cit., p. 160 ; M. François, Histoire des comtes et du comté de Vaudémont, des origines à 1473, Nancy, 1935. 387 Entre autres, E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 366-369 et p. 372-374. 388 Voir chapitre 1. 389 Voir chapitre 2.
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fournissent néanmoins quelques indices en ce qui concerne Lothaire II et Theutberge. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, après s’être séparé de Theutberge et avoir obtenu par décision conciliaire l’autorisation d’épouser Waldrade, Lothaire II est contraint, en 865, par ordre pontifical, de reprendre officiellement la première et de renoncer tout aussi officiellement à la seconde390. Dans ce contexte, c’est ensemble, « parés de la dignité royale et couronnés », que Lothaire et Theutberge assistent, à la messe célébrée à Gondreville, avant le retour à Rome du légat pontifical391. Theutberge n’en est pas moins épouse « que de nom » (nomine tantum), précise Hincmar, lorsque l’année suivante, le couple royal de Francie occidentale, Charles le Chauve et Ermentrude, vient à la rencontre de Lothaire au palais d’Attigny, ce qui conduit au rappel de Theutberge partie en pèlerinage392, pour participer avec lui à l’élaboration d’un nouveau système d’alliance contre le pape393. Hincmar qui a argumenté en défaveur du divorce de Lothaire II et Theutberge n’est pas dupe. La reine, en tant qu’épouse légitime, participe aux rencontres et cérémonies officielles aux côtés du roi, ce dont témoigne aussi le fait qu’après la mort de Lothaire II (869), Charles le Chauve, devenu veuf, s’empresse d’épouser une de ses nièces (Richilde)394, de manière à bénéficier de la légitimité de celle qui est identifiée comme la reine, en même temps que de son réseau d’alliance. Pour autant, tout laisse supposer que chacun sait que ce n’est pas avec Theutberge que Lothaire II partage son quotidien. Outre la reprise des démarches pour s’en séparer395, Hincmar évoque plusieurs lettres qui laissent peu de doute sur la situation. Une missive du pape, transmise à Charles le Chauve en 867, traite ainsi des épouses (uxores) de Lothaire et ordonne l’envoi à Rome de Waldrade, ce qui prouve que celle-ci, pourtant remise au légat pontifical moins de deux ans avant pour y être conduite, n’y est pas restée longtemps396. De même, d’autres lettres apportées l’année suivante aux évêques des différents royaumes carolingiens contiennent l’absolution de Waldrade à condition qu’elle renonce à tout lien avec Lothaire II397. Enfin, Hincmar n’hésite pas à comparer celui-ci à Judas lorsqu’il rapporte que le pape398 accepte, en 869, de lui donner la communion, après avoir obtenu de lui l’assurance qu’il n’avait eu avec Waldrade, depuis l’excommunication de celle-ci par son prédécesseur, aucune cohabitation, ni union charnelle, ni même
390 Voir chapitre 2. 391 Annales de Saint-Bertin, a. 865, p. 122 (trad. p. 96) : Hlotario et Theodberga regio cultu paratis et coronatis (voir Annexe 2, textes no 10). 392 Ibid., a. 866, p. 129 (trad. p. 104). Voir Annexe 2, textes no 10. 393 Sur le rôle actif d’Ermentrude dans les années 850-860, en particulier dans les négociations entre Charles le Chauve et Lothaire, voir J. Hyam, « Ermentrude and Richildis », art. cit., p. 158-164. Sur celui de Theutberge, nullement passive, pendant les années 865-869, voir K. Heidecker, The Divorce of Lothaire II …, op. cit., p. 153-154, 168-172, 177. 394 Ibid., a. 869, p. 167 (trad. p. 145). 395 Voir chapitre 2. 396 Annales de Saint-Bertin, a. 865, p. 122 (trad. p. 96) ; a. 867, p. 136 (trad. p. 110). Voir Annexe 2, textes no 10. 397 Ibid., a. 868, p. 143 (trad. p. 118) : Absolutio autem ipsius Vualdradae ea conditione est facta ut Hlotario nullo pacto cohereat. Voir Annexe 2, textes no 10. 398 Il s’agit d’Hadrien II, plus ouvert à la négociation sur cette question que son prédécesseur, Nicolas Ier († novembre 867) : voir K. Heidecker, The Divorce of Lothaire II …, op. cit., p. 174-178.
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une quelconque conversation399. L’archevêque de Reims interpréte d’ailleurs la mort de Lothaire et de ceux de sa suite sur la route du retour comme un jugement de Dieu (iudicium Dei)400. Pour Hincmar, il ne fait pas de doute – ce qu’il condamne – que c’est davantage avec Waldrade qu’avec Theutberge que Lothaire II forme une véritable communauté conjugale, avec un espace-temps partagé qui l’identifie comme telle401. Certes, il est difficile, compte tenu des enjeux spécifiques de cette affaire et des forces qu’elles mobilisent, de savoir si ce type de situation est répandue. Pour une période un peu plus tardive, l’étude des stratégies matrimoniales des princes normands montre que, jusqu’au milieu du xie siècle, ceux-ci cumulent souvent deux formes d’unions, celles acceptées pour créer des alliances, évoquées dans les sources mais restant sans descendance, et celles choisies, fécondes, cohabitantes, mais sur lesquelles la documentation reste silencieuse402, ce qui peut correspondre à la déclinaison de la conjugalité selon une forme publique et une autre plus domestique. Ces pratiques normandes sont néanmoins considérées par les auteurs du xie siècle comme spécifiques, liées aux origines danoises des princes403, ce qui peut laisser supposer que, sans être forcément rares, elles ne sont pas généralisées, du moins sous cette forme. Il faut dire aussi que la durée de vie conjugale est alors généralement courte404 : la mort, voire les séparations, permettent finalement régulièrement de régler la question des incompatibilités trop fortes. D’un autre côté, le discours des clercs, plus insistant à partir de l’époque carolingienne, sur les attentions multiformes que se doivent les époux, laisse supposer que le modèle d’une communauté conjugale solidaire ne constituait pas une norme suivie par tous, du moins au sein des élites auxquelles les ecclésiastiques s’adressent principalement. Compte tenu du décalage possible, plus ou moins prononcé, entre ce qui paraît et ce qui est, l’association plus fréquente des époux, observée dans les sources à partir de l’époque carolingienne, ne traduit donc pas forcément une communauté conjugale plus forte. En outre, dans la mesure où l’affichage public est étroitement lié à des considérations sociales et politiques, il est mis en pratique dès la prise de fonction ou le mariage, selon la chronologie des événements : il apparaît donc indépendant de la durée de vie conjugale et de la maturation d’un projet commun.
399 Annales de Saint-Bertin, a. 869, p. 154 (trad. p. 131) : sacram communionem hac conuenientia ei donauerit, si, postquam Nicolaus papa Vualdradam excommunicauit, nullum cum ea contubernium uel carnalis copulae mercimonium, quin nec conloquium quoddam habuerit. Ipse autem infelix more Iudae (…) sacram communionem sub hac conuentione acciperere non pertinuit nec recusauit (…). 400 Ibid., a. 869, p. 156 (trad. p. 134). 401 Karl Heidecker souligne aussi la situation exceptionnelle des années 865-869 : Theutberge a le titre officiel de reine en tant qu’épouse légitime, mais c’est Waldrade qui dispose de l’influence politique dont bénéficie généralement une reine, en tant que partenaire affective de Lothaire et mère de son seul fils : K. Heidecker, The Divorce of Lothaire II …, op. cit., 154 et 170. 402 F. Lefebvre, Les mariages des ducs de Normandie, de 911 à 1066, mémoire de maîtrise dactylograhié, dir. M. Aurell, Poitiers, 1991, en particulier, p. 66-67. 403 Raoul Glaber, IV, 20, p. 258-259 ; The Gesta Normannorum ducum of William of Jumieges, Orderic Vitalis and Robert of Torigny, éd. et trad. angl. E. M. C. Van Houts, 2 t., Oxford, 1992, II, 6, p. 58-59 et III, 2, p. 79. Sur le mariage more danico, voir chapitre 1. 404 Voir chapitre 2.
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Si paraître ensemble n’est pas la garantie de former une véritable communauté conjugale en dehors de la vie publique, cela permet néanmoins d’opérer une hiérarchie entre les couples, lorsqu’il y a polygamie, qu’elle soit institutionnalisée ou non. On se souvient de la distinction opérée par Fortunat, dans la vie de Radegonde, entre les reines publicae et publicanae405. Si dans le cas de Clotaire Ier, son affichage public avec la fille du roi des Thuringiens vaincu répond notamment à des objectifs politiques, à l’époque mérovingienne où les rois sont régulièrement polygames, la compétition entre les reines se traduit aussi par leurs efforts pour se montrer en public aux côtés du roi : pour Chilpéric, son couple avec Frédégonde finit, comme on l’a vu, par s’imposer comme le couple officiel, ce que laisse supposer Grégoire de Tours étant confirmé, comme nous y reviendrons, par l’élection d’un même lieu de sépulture406 ; pour Dagobert, le seul couple auquel la Chronique de Frédégaire donne un peu de visibilité, alors qu’elle souligne la polygamie du roi, est celui formé avec Nanthilde, inhumé lui aussi ensemble, ce qui conduit à une conclusion similaire407. De même, comme l’a souligné Régine le Jan, la victoire de Plectrude sur Alpaïs, si tant est qu’il s’agisse d’individus plutôt que de groupes familiaux, se traduit par l’affichage politique du seul couple formé par Pépin II avec elle408. À partir du moment où le mariage est ensuite promu par les autorités civiles et religieuses comme seule forme d’union légitime, paraître en couple à l’occasion des manifestations créatrices de liens permet d’identifier l’épouse légitime, comme on l’a vu pour Lothaire II et une partie des premiers princes normands, et cela, quelle que soit la nature des relations conjugales entretenues par ailleurs. Cela contribue à expliquer la focalisation des sources sur les couples mariés et leur silence sur ceux considérés comme illégitimes, alors que l’on sait qu’ils peuvent exister simultanément, ce dont témoigne notamment Gislebert de Mons pour Baudouin V de Hainaut409. Dans cette logique, c’est aussi un moyen pour certains couples d’affirmer une légitimité qui leur est contestée, à l’image des clercs qui font des donations avec leurs femmes ou du roi Philippe Ier qui s’affiche avec Bertrade et prépare son couronnement410. Cela traduit alors la volonté d’affirmer publiquement une communauté conjugale réelle. Le croisement des données montre donc combien il est difficile, hier comme aujourd’hui, de saisir à sa juste mesure, à partir des données ponctuelles et filtrées, ce que recouvre exactement la conjugalité. Certes, le nombre de couples sortant de l’ombre est croissant au cours du haut Moyen Âge et leurs domaines d’interventions 405 Fortunat, Vita S. Radegundis, c. 12, p. 76-77. Voir chapitre 1. 406 Sur la question des lieux de sépulture pour les couples, voir le chapitre 4. 407 Frédégaire, IV, 58, p. 148-149, 60, p. 150-151 ; 79, p. 181. 408 R. Le Jan, « Le couple … », art. cit., p. 37, 39 et 41. 409 Gislebert de Mons, c. 227, p. 311 (éd. et trad., t. 15, p. 127). Voir chapitre 1. 410 Des exemples de donations réalisées par des clercs ont été donnés chapitre 1 et ci-dessus. Sur l’attitude de Philippe Ier et Bertrade, voir notamment Yves de Chartres (Leclercq), no 28, p. 116-119 : (…) le seigneur vous interdit, de par son autorité apostolique la couche de cette femme que vous traitez comme épouse (…). Elle défend aussi à tous les évêques de poser la couronne sur la tête de cette femme, avec laquelle – presque toute la terre le sait – vous vous êtes illicitement uni selon la chair ; Recueil des actes de Philippe Ier roi de France (1059-1108), éd. M. Prou, Paris, 1908, no 157-158 (1106), p. 391-396 et no 168 (101-1108), p. 411 ; ainsi que plus généralement sur ce couple, G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1166-1174.
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conjointes, qui se diversifient, deviennent plus concrets. Si cela peut refléter une plus forte conjugalisation de la société à partir de l’époque carolingienne, favorisée non seulement par le durcissement du discours en faveur de la monogamie et de l’indissolubilité, mais aussi – et surtout – par les transformations sociales et politiques, cela ne signifie pas pour autant que tous les couples partageaient une véritable vie conjugale.
Conclusion Même si le couple ne fait pas l’objet d’une réflexion aussi poussée qu’aujourd’hui, il n’y en a pas moins conscience au haut Moyen Âge qu’il forme une communauté partageant un certain nombre de choses, ce qui l’identifie comme tel et participe à sa structuration, en contribuant à l’élaboration d’une culture et d’une identité conjugales. Les contours de ce qui définit la « nostrité » varient néanmoins d’un couple à l’autre, en fonction des milieux sociaux et au cours des siècles. Pour bon nombre, la communauté conjugale, qu’elle fasse ou non l’objet d’une reconnaissance institutionnalisée, repose sur le partage d’une même maison, de relations sexuelles, d’intérêts communs, d’un attachement réciproque, avec cependant d’importantes nuances entre les couples – en termes de continuité au cours du cycle de la vie conjugale et de complicité – et sans que l’absence de l’un des éléments ne remette nécessairement en cause la conjugalité. Dans les élites, où la polygamie masculine est fréquente, officiellement à l’époque mérovingienne et officieusement ensuite, il peut y avoir démultiplication de la communauté conjugale du fait de l’existence de plusieurs partenaires, selon deux modalités principales : le partage de l’ensemble des éléments alternativement avec chacune d’elles, ou la répartition entre elles des éléments partagés (souvent les intérêts avec l’une ; la sexualité et les liens affectifs avec l’autre ; et une cohabitation aléatoire compte tenu du mode de vie itinérant des élites), la seconde forme s’imposant plus nettement à partir de l’époque carolingienne et des efforts pour imposer la monogamie. Si pour la grande majorité des humbles, la cohabitation qui officialise le plus souvent l’entrée en conjugalité s’accompagne d’une véritable communauté de vie, ce n’est donc pas forcément le cas pour les élites en mesure de réduire au strict minimum la vie conjugale avec le conjoint épousé. C’est en partie pour y remédier que le discours idéologique insiste davantage à partir de l’époque carolingienne sur la communauté d’affection et de solidarité que doivent former les époux. Si la définition du couple s’en trouve complétée, voire repensée, l’intérêt nouveau qui lui est porté contribue aussi à expliquer la plus grande attention accordée aux gestes réalisés en commun. Il en résulte une plus grande visibilité du couple qui apparaît plus régulièrement uni pour établir ses enfants et gérer le patrimoine, donc nouer des alliances. Celle-ci est cependant davantage liée à une documentation plus abondante et diversifiée qu’à une nouveauté dans les pratiques. En revanche, l’association plus étroite de l’épouse à l’exercice du pouvoir, ce qui est nouveau, d’abord à l’échelon royal, et encore plus dans l’aristocratie qui en reproduit ensuite le modèle, diffuse l’image d’une communauté conjugale désormais associée dans les actes d’autorité et les cérémonies qui mettent en scène le pouvoir.
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Dans une société dominée par les hommes, les gestes qui engagent n’en restent pas moins principalement masculins, mais les épouses qui y assistent fréquemment, y sont plus souvent associées : si la documentation, écrite comme iconographique, les enregistre plus fréquemment, elle n’en minimise pas moins les décisions prises, ainsi que les parutions et les interventions faites en couple. Il y a tout lieu de penser que le couple acquiert à partir du ixe, et surtout du xe siècle, une identité nettement plus affirmée, en tant que communauté d’action, qui témoigne de la place qui lui est alors pleinement reconnue, sans que cela ne s’accompagne cependant forcément d’une communauté de vie. Quoi qu’il en soit, la plus grande perception du couple dans son unité n’implique pas que les deux partenaires qui le constituent y participent de la même manière. Le dernier chapitre s’intéresse donc à son fonctionnement interne.
C hapitre 4
Fonctionner en couple : s’ouvrir à l’altérité ?
La perception du couple comme une communauté, à l’identité de plus en plus affirmée même si cela ne traduit pas forcément une complicité réelle, n’exclut pas qu’il soit formé de deux partenaires différents en interrelation plus ou moins forte. Chacun s’accorde aujourd’hui à considérer que le couple oscille, avec des formes qui varient de l’un à l’autre et au cours du cycle conjugal, entre fusion et distanciation, entre désir de proximité, voire d’imbrication, et affirmation identitaire de chacun, entre dépendance par peur de la solitude et recherche d’accomplissement personnel1. L’approche actuelle qui prend en compte la montée de l’individualisme, à défaut de pouvoir être reproduite telle quelle pour les époques anciennes, invite néanmoins, après avoir envisagé le couple dans son unité, à s’intéresser aux deux individus qui le constituent : Comment sont pensés la place et le rôle de chacun d’eux ? Sur quelles bases s’organisent les relations entre eux ? Quelle est la marge de manœuvre des uns et des autres face aux conventions sociales ? Psychologues, sociologues et philosophes soulignent aujourd’hui que l’union conjugale est une forme d’ouverture à l’altérité, dans la mesure où elle peut, dans le cas d’une conjugalité aimante, transformer la relation de côte-à-côte en mouvement de l’un vers l’autre, ce qui conduit notamment à accepter l’autre tel qu’il est et à se soucier de l’autre en plus de soi2. Qu’en est-il au haut Moyen Âge ? Dans quelle mesure le conjoint est-il perçu comme autre et lui est-il reconnu une place tenant compte de ses différences ? En outre, la question de l’altérité se combine avec celle du genre, dans la mesure où le couple unit au haut Moyen Âge deux individus, dont l’un est homme et l’autre femme, et où la société attribue des rôles différents à chacun des deux sexes. Comment s’organise la communauté conjugale autour des deux pôles masculin et féminin et comment ceux-ci s’articulent-ils entre eux ? De quelles manières s’affirment les identités sexuées dans le couple ? Quels sont les modèles de comportements et de relations attendus dans un couple, considéré alors comme bisexué par définition ? Quelle est la place du genre au regard des autres variables identitaires – notamment la position dans le cycle de la vie, le milieu social, la personnalité – ou contextuelles – en particulier, le statut conjugal, le degré d’affinité et l’existence ou non d’enfants – pour expliquer 1 Entre autres, P. Jonckheere, L’union conjugale …, op. cit., p. 64, 76 et 86 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 103 ; E. Smadja, V. Garcia, « Introduction à une approche psychanalytique du couple », dans Le journal des psychologues, no 284 (2011/1), p. 29 ; S. Chaumier, « Vers de nouveaux liens conjugaux », art. cit. ; S. Hefez, D. Laufer, La danse du couple, op. cit., p. 13 ; A. Boyer-Labrouche, De la séduction …, op. cit., p. 24-38 ; J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, op. cit., p. 10 ; M. Segalen, A. Martial, Sociologie de la famille, op. cit., p. 103. 2 P. Jonckheere, L’union conjugale …, op. cit., p. 30, 43-44, 50-52, 58.
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la nature du rôle de chacun des conjoints et de leurs liens ? Ce chapitre a donc pour objectif de questionner la manière dont est envisagée, dans le couple, la vie avec l’autre, mais aussi – ce qui est tout aussi instructif sur la nature des relations conjugales et la place accordée au couple – sans l’autre, la question se posant avec une certaine acuité au haut Moyen Âge – comme plus largement dans les sociétés marquées par une faible espérance de vie – du fait de la dissolution souvent rapide du couple par la mort prématurée de l’un des conjoints3. Il importe donc d’abord de comprendre comment fonctionnent les couples du haut Moyen Âge, avant d’analyser comment ils se préparent à la mort et ce que devient le lien conjugal après le décès de l’un des conjoints.
Fonctionner ensemble, mais différemment, au profit des intérêts communs ? Le chapitre 3 a montré que le couple apparaissait de plus en plus comme une communauté de décision et d’action, du moins pour celui qui est marié ou présenté comme tel. Cela ne signifie pas pour autant que les deux conjoints y occupent une place similaire. Comme le souligne le psychanalyste Serge Hefez, il y a dans tout groupe, et donc dans le couple, des rôles différenciés, fonction des compétences de chacun, ce qui conduit à une auto-organisation fondée sur la complémentarité4. Cela n’exclut pas que ces compétences puissent relever davantage de la culture que de la nature, ni qu’elles engendrent des rapports inégaux, notamment entre les sexes5. Pour les anthropologues, la division sexuée des tâches est universelle et dans bien des cas, c’est elle qui rend indispensable la conjugalité6. La répartition des tâches et les rapports inégaux auxquels elle conduit s’inscrivent en outre dans les échanges multiformes qui s’opèrent entre les conjoints. Les relations conjugales sont en effet aujourd’hui analysées en termes d’échanges de services, mais aussi de gestes, de biens et de sentiments, circulant de l’un à l’autre conjoint, essentiels compte tenu de la logique structurante du don mutuel. Cela ne signifie cependant pas que chacun donne ni attende la même chose, ni que l’échange soit équilibré7. Même si la documentation du haut Moyen Âge est particulièrement avare sur le sujet, il importe d’essayer de saisir comment s’organisent et évoluent les relations au sein
3 Voir chapitre 2. 4 S. Hefez, D. Laufer, La danse du couple, op. cit., p. 16. 5 Entre autres, M. Godelier, Métamorphose de la parenté, op. cit., p. 527-528 ; A. Testart, L’amazone et la cuisinière, anthropologie de la division sexuelle du travail, Paris, Gallimard, 2014, notamment p. 16-24, 89 et 136 ; D. Simard, L’amour à l’épreuve du couple, op. cit., p. 77-78 ; C. Guionnet, E. Neveu, Féminins/ Masculins …, op. cit., p. 158-159 ; C. Klapish-Zuber, « Introduction », dans Ead. (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. II : Le Moyen Âge, Paris, rééd., 2002, p. 14. 6 C. Lévi-Strauss, « La famille », art. cit., p. 74 et 79 ; F. Héritier, Masculin/féminin …, op. cit., p. 29 ; E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 11 ; C. Guillonnet, E. Neveu, Féminins/masculins …, op. cit., p. 158. 7 M. Perrot, « Les échanges à l’intérieur de la famille », dans F. de Singly (dir.), La famille, l’état des savoirs, Paris, 1991, p. 100-104 ; J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, op. cit., p. 103-109.
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du couple, en envisageant d’abord la question de la complémentarité, puis celle de la hiérarchie et enfin celle des attentes. Agir dans la complémentarité ?
Si l’on en croit les données fournies par la documentation, au haut Moyen Âge, les conjoints agissent plus souvent séparément qu’ensemble, ce qui ne signifie pas pour autant que les gestes de l’un et l’autre n’ont pas de lien avec la vie conjugale. Il s’agit donc de mesurer qui fait quoi et le sens de ces actes : initiative individuelle ou stratégie de couple ? Or, les psychanalystes qui ont repéré des fonctionnements conjugaux très différents, distinguent aujourd’hui trois catégories de couples : imbriqués (ou fissionnels), juxtaposés et fusionnels. Les premiers considèrent que la vie de couple n’exclut pas que chacun des conjoints conserve son individualité et mène aussi sa propre vie, ce qui conduit les partenaires à se partager entre territoire conjugal et espace personnel. Les seconds privilégient une distinction nette entre le monde et les occupations de chacun des conjoints qui partagent certes un même toit mais en vivant chacun indépendamment. Quant aux troisièmes, ils n’envisagent rien qui ne soit fait ensemble8. S’il ne saurait être question de reproduire telle quelle les catégories, le schéma peut guider la réflexion pour évaluer la nature des couples du haut Moyen Âge, ou du moins ce que l’on en perçoit. Si la plupart des sources se contente d’enregistrer les faits et gestes des individus, sans préciser qui intervient avec eux quand cela n’est pas nécessaire, ni pourquoi ils sont seuls mentionnés, le discours idéologique explique – du moins pour les couples mariés à commencer par ceux appartenant aux élites – l’intervention séparée des conjoints, ce qui ne signifie pas sans rapport, par le partage sexuel des tâches opéré entre eux. Dans la mesure où l’organisation sociale des rôles masculins et féminins est définie par des normes propres à chaque société, cela permet de saisir la manière dont elle est pensée, mais aussi les évolutions qu’elle connaît au cours du haut Moyen Âge. Le discours insiste sur la complémentarité des rôles, dont la forme se modifie néanmoins, ce qui implique d’en analyser la chronologie et d’en comparer les données avec ce que l’on peut percevoir des pratiques. Les premières mentions explicites datent du ixe siècle. Pour le milieu royal, il en est question dans le De ordine palatii, connu par le texte d’Hincmar de Reims, rédigé vers 882 pour le roi Carloman, sur la base d’une version élaborée vraisemblablement vers 812 par Adalard de Corbie pour Bernard d’Italie, à partir de son expérience à la cour de Charlemagne9 : le chapitre 22 explique qu’il appartient à la reine, secondée par le chambrier, de veiller à l’honneur du palais et de recevoir les dons annuels des vassaux, voire les cadeaux des ambassadeurs, afin que « le roi eût toujours l’esprit
8 S. Hefez, D. Laufer, La danse du couple, op. cit., p. 97-106 ; S. Hefez, « En couple, mais comment ? », dans M. Vaillant, A. Morris (dir.), Encyclopédie …, op. cit., p. 85. L’adjectif fissionnel est utilisé par S. Chaumier, « Vers de nouveaux liens conjugaux », art. cit. 9 J. Nelson, « Aachen as Place of Power » [2001], réimpr. dans Ead., Courts, Elites …, op. cit., no XIV, p. 10-15.
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libre de toute préoccupation quant aux affaires domestiques ou palatines pour l’organisation et la conservation de la situation dans tout le royaume »10, ce qui justifie la nécessité pour tout roi d’avoir une reine. Un tel partage entre le roi, auquel revient le gouvernement du royaume, et la reine, à laquelle incombe la direction du palais, ne fait que reproduire la répartition sexuelle des tâches traditionnelle qui assigne, dans la plupart des sociétés, la gestion domestique principalement à la femme et des fonctions jugées plus nobles et davantage orientées vers l’extérieur à l’homme, même si cette dichotomie qui relève de la construction sociale comporte des nuances11. À l’échelon royal, le rôle de maîtresse du palais dépasse néanmoins la simple organisation de la vie quotidienne de la cour, tant la sphère du palais est à la fois publique et privée12 : ses responsabilités dans l’approvisionnement de la table royale, l’organisation des festins, la réception des vassaux et des hôtes de marque, etc. amènent la reine à contrôler une partie du trésor ainsi que la gestion des domaines fiscaux – ce que confirme le capitulaire De Villis13 –, à diriger le personnel du palais et à être en relation avec les élites de passage à la cour qu’il importe de lier à la cause royale, tout en filtrant leur accès au roi. Non seulement la reine est responsable de l’honneur et de l’éclat de la cour, reflet de l’autorité royale, mais, la cour étant lieu de compétition, elle participe aussi à l’assise du pouvoir royal en œuvrant à gagner ou à conserver des soutiens au roi et en les hiérarchisant14. Le fonctionnement du couple royal n’apparaît donc pas juxtaposé : si certaines occupations relèvent du roi et d’autres de la reine, toutes participent au même objectif, dont l’un et l’autre se trouvent coresponsables et solidaires. Si le De ordine palatii témoigne explicitement d’une répartition des territoires d’intervention au sein du couple royal carolingien avec des enjeux communs, quelques allusions laissent supposer qu’elle était aussi pratiquée du temps des Mérovingiens,
10 Hincmar, De ordine palatii, c. 22, MGH Capit., II, p. 525 ; éd. et trad. all. T. Gross, R. Schieffer, MGH, Fontes iuris germanici in usum scholarum separatim éditi, 3, Hanovre, 1980, p. 72-74. 11 Entre autres, M. Godelier, Métamorphose de la parenté, op. cit., p. 528 ; A. Testart, L’amazone …, op. cit., p. 87-88 ; C. Klapish-Zuber, « Introduction », art. cit., p. 15 ; D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 151-152. Sur la remise en cause de la division genrée de l’espace par les données de l’archéologie, voir R. Le Jan, « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 38, à la suite de S. Croix, Work and Space in Rural Settlements in Viking-Age Scandinavia - Gender Perspective, thèse dactylographiée, université d’Aarhus, 2012. 12 G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, La France avant la France …, op. cit., p. 593. 13 MGH Capit., c. 16, p. 84. Voir S. Wemple, Women Frankish Society …, op. cit., p. 98 et D. Herlihy, « Land, Family … », art. cit., p. 24-25. 14 P. Stafford, Queens …, op. cit., p. 93-94, 99-100 et 104 ; G. Bürher-Thierry, « La reine adultère », art. cit., p. 301-304 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 349 ; J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 122-123. Sur les critiques, réelles ou inventées, formulées à l’encontre de Judith, visant à remettre en cause sa capacité à gouverner aux côtés de Louis le Pieux, du fait de son incapacité à assurer la moralité et donc l’honneur de la cour, ce qui témoigne des responsabilités de la reine sur ce plan, voir aussi G. Bürher-Thierry, « Reines adultères … », art. cit., p. 152-154 ; M. de Jong, « Bride Shows Revisited : Praise, Slander and Exegesis in the Reign of the Empress Judith », dans L. Brubaker, J. M. H. Smith (dir.), Gender in Early Medieval World, East and West, 300 to 900, Cambridge, 2004, p. 264 et p. 271 ; Ead., The Penitential State. Authority and Atonement in the Age of Louis the Pious, 814-840, Cambridge, 2009, p. 41-42, 200-205.
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ou du moins par les couples qui étaient considérés comme officiels, même si le rôle de la reine dans la direction du palais y était moins public15. Dans le poème – déjà évoqué – que Fortunat adresse, en 580, à Chilpéric, il souligne, nous l’avons vu, que le couple royal partage l’exercice de l’autorité, mais la suite du poème montre que cela ne se traduit pas de la même manière pour les deux époux. Il retient, pour Chilpéric, sa puissance militaire ainsi que sa justice intègre et, pour Frédégonde, ses conseils avisés, la générosité de ses présents aux fidèles, le soutien qu’elle apporte au roi, ainsi que les prières qu’elle fait dire à son intention16. De même, un siècle plus tard, pour la moniale de Chelles qui rédige la vita sanctae Bathildis, la reine partage le pouvoir avec le roi Clovis II, ce qui se traduit pour elle par la gestion domestique du palais et les affaires religieuses : Elle était comme une mère pour les grands, une fille pour les prêtres ; excellente mère nourricière pour les jeunes gens et les adolescents, elle était aimable pour tous, chérissant les prêtres comme des pères, les moines comme des frères et les pauvres comme une pieuse nourrice. À chacun de ceux-ci elle distribuait de larges aumônes et veillait à ce que les décisions des princes soient conformes à leur dignité ; elle exhortait toujours les jeunes au zèle pour la religion et intervenait sans cesse, humblement, auprès du roi en faveur des églises et des pauvres17. Dans les deux cas, qui font l’éloge pour l’un du roi et pour l’autre de la reine, il peut y avoir exagération sur les portraits proposés, mais aucune raison de mettre en avant un fonctionnement du couple royal qui serait totalement déconnecté des réalités sociales, au risque de brouiller le message à faire passer. Cela pose néanmoins la question des couples polygames : si l’on ne connait qu’une seule reine à Clovis II – peut-être du fait d’une hiérarchisation accrue entre les femmes du roi, après la mort de son père Dagobert (639), dernier grand souverain mérovingien –, cela n’est pas le cas pour Chilpéric, polygame notoire comme d’autres rois mérovingiens, même si Frédégonde a probablement réussi à s’imposer comme partenaire privilégiée18. Si cela ne modifie pas les fonctions qui relèvent du roi, que deviennent celles qui sont assignées à la reine, lorsqu’il y a plusieurs reines ? Intervenaient-elles toutes et de la même manière dans la gestion du quotidien et comme médiatrices entre le roi et les élites laïques et religieuses ? Conjointement ? Indépendamment ? Hiérarchiquement ? À tour de rôle ? Si tout porte à croire que la dignité de regina, conféré par le roi à certaines de ses épouses et leur octroyant une véritable fonction dans l’entourage
15 J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 123. 16 Fortunat, Poèmes, op. cit., IX, 1, t. III, p. 11-14. 17 Vita S. Bathildis, c. 4, p. 485-486 (trad., p. 31) : (…) regi obtemperabat ut domino et principibus se ostenderat ut mater, sacerdotibus ut filia, iuvenibus seu adolescentibus ut optima nutrix, eratque amabilis omnibus, diligens valde sacerdotes ut patres, monachos ut fratres, pauperes ut pia nutrix, largasque elemosinas distribuens singulis, principum honorem conservans consiliaque eorum congrua retinens, iuvenes ad religiosa studia semper exortans, regi humiliter et assidue pro aecclesiis et pauperibus suggerens. (…) domna Bathildis una cum regis Chlodovei imperio (…). La version carolingienne qui reprend l’essentiel du passage se contente d’ajouter à la liste de ceux bénéficiant de l’attention de la reine les peregrini, les veuves et les orphelins. 18 Voir chapitre 3.
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royal19, conduit toutes celles qui en sont parées à user de la place et de la marge de manœuvre qui leur sont reconnues et à être courtisées – au premier sens du terme – pour les mêmes raisons, la documentation, discrète sur la polygamie20, ne permet pas de trancher sur les modalités de la répartition des responsabilités entre les reines simultanées. Il n’est pas impossible que les différentes formules aient pu être mises en pratique, l’option retenue variant en fonction de la cohabitation ou de la dispersion des épouses21, ainsi que de la capacité des reines à coopérer, tout en rivalisant – donc à être en coopétition22 –, les études sur les couples polygames actuels montrant que les rivalités permanentes entre les coépouses se combinent avec des liens d’amitié et de complicité23. Quelques témoignages du ixe siècle laissent supposer que la complémentarité des rôles au sein du couple, par le partage sexuel des tâches organisé autour des fonctions domestiques pour l’épouse et des fonctions socialement valorisées pour le mari, n’est pas propre au milieu royal. Dans une lettre qu’il adresse à Loup en 836, Eginhard explique que la douleur éprouvée depuis la mort de son épouse, l’empêche de s’occuper tant de ses affaires que de celles de ses amis et qu’il sent « cruellement [son absence] quotidiennement dans toute activité, dans toute occupation, dans toute l’administration de la maison et de la familia, dans tout ce qui relève des obligations divines et humaines à organiser et ordonner »24. Quant à Loup, il constate dans la réponse qu’il lui fait que : Ce malheureux événement vous a conduit, alors que vous êtes ennuyé par les affaires quotidiennes, à mesurer, maintenant que vous surcharge le poids des affaires domestiques et divines, [désormais] placé et rassemblé dans sa totalité sur vos épaules, combien la fidèle société de cette mémorable femme [la] rendait légère25. Outre la répartition des tâches, les deux lettres, qui témoignent des réalités et non d’une idéologie, montrent que dans l’aristocratie, comme à l’échelon royal, c’est parce que l’épouse se charge de la gestion domestique et des liens avec le monde religieux que le mari peut pleinement se consacrer à ses « affaires »26 qui s’intègrent, comme les relations avec l’Église, dans les stratégies qui profitent tant au couple qu’au groupe dans lequel il s’insère. Si les deux époux ne se chargent pas des mêmes choses, ils n’en collaborent pas moins ensemble, même si c’est différemment, aux intérêts du couple. Eginhard ne semble néanmoins le mesurer qu’une fois sa femme disparue, ce qui pose la question de savoir si chacun vaquait à ses occupations, conformément au rôle qui lui était assigné, ou s’il y avait conscience d’œuvrer conjugalement, mais
19 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 360-361. 20 Voir chapitre 1. 21 Voir chapitre 3. 22 Sur ce concept, voir chapitre 3. 23 S. Fainzang, O. Journet, La femme de mon mari …, op. cit., p. 89 et 97. 24 Loup de ferrières, Correspondance, no 3 (janv.-mars 836), p. 13-19 (voir Annexe 2, textes no 9). 25 Ibid., no 4 (avril 836), p. 20-21 (voir Annexe 2, textes no 9). 26 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 349 ; D. Herlihy, « Land, Family … », art. cit., p. 24.
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différemment, à la même cause. Quoi qu’il en soit, la vie conjugale chaste, menée par Eginhard, après s’être retiré à Seligenstadt avec Emma ne modifie pas le fonctionnement du couple autour de la répartition des tâches, essentielle dans les couples de laïcs, vivant chastement ou non, comme dans ceux des clercs27. On se rappelle que la législation canonique et capitulaire laisse supposer, au ixe siècle comme avant, que la plupart des clercs pratique une conjugalité plus ou moins dissimulée, justifiant la présence d’une femme chez eux par la nécessité d’assumer les charges domestiques28. Quelques allusions montrent que c’était déjà le cas pour les élites laïques des siècles précédents et qu’il y avait parfois une véritable collaboration complémentaire. Un poème de Fortunat, dédié à Palatina, mariée au duc Bodogisèle, vante la vigilance de l’épouse qui permet d’augmenter l’éclat du palais du mari29. Dans un autre, consacré à la basilique Saint-Martin, fondée par Léonce II et son épouse Placidine, il montre que si ceux-ci sont associés dans une entreprise à vocation religieuse et sociale, leur participation ne s’en fait pas moins sur la base d’une répartition des rôles – lui construit, elle décore –30 qui reproduit celle des charges politiques et domestiques. Les quelques données dont on dispose ne concernent cependant que des couples mariés, présentés comme monogames, ce qui ne permet pas plus que dans le milieu royal de préciser la répartition des rôles dans les couples polygames, pourtant fréquents31. Si la collaboration sur la base du partage des tâches correspond à la réalité, certains indices laissent néanmoins supposer que la répartition des rôles entre les sexes n’est pas aussi tranchée qu’on le croit : la capacité des femmes, ou du moins de certaines, à se substituer à leur mari après leur mort comme cheffe de famille, voire à exercer l’autorité au nom d’un fils ou d’un petit-fils, mineur32, témoigne que leur domaine d’action ne se réduit pas à la sphère domestique, y compris durant la vie conjugale, ce qui leur permet de pouvoir ensuite assurer la continuité ; inversement, Eginhard se trouve, après la mort de sa femme, surchargé, on l’a vu, « par le poids des affaires domestiques et divines »33, ce qui montre que les hommes ne sont pas totalement exclus de ces domaines et que leur capacité à les assumer implique qu’ils y participent au cours de la vie conjugale. D’ailleurs, les chartes qui enregistrent les donations au profit des communautés religieuses et prévoient des contre-dons spirituels les attribuent plus souvent à des hommes seuls ou à des couples qu’à des femmes seules34, ce qui montre que les affaires religieuses – qui sont rarement seulement religieuses – ne sont pas un domaine réservé aux seules épouses. 27 D. Herlihy, « Land, Family … », art. cit., p. 30. 28 Voir chapitre 1. 29 Fortunat, Poèmes, VII, 6, p. 92-93. 30 Ibid., I, 6, p. 25-26 : certantesque simul, hic facit, illa colit. 31 Voir chapitre 1. 32 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 221-224 et p. 369-374. 33 Voir ci-dessus. De même, Grégoire de Tours précise que lorsque Berthegonde décide de rester dans le monastère que sa mère a fondé à Tours, elle demande à son mari de repartir sans elle et de gouverner leurs biens et leurs enfants : DLH, IX, 33, p. 452 (trad., t. II, p. 226). Sur cet épisode, voir S. Joye, « L’accusation de rapt comme motif de séparation des époux durant l’antiquité tardive et le haut Moyen Âge », dans E. Santinelli (dir.), Séparation …, op. cit., p. 47-49. 34 Entre autres, E. Santinelli, « Les femmes et la mort … », p. 19.
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Il en est de même dans la paysannerie, même si les enjeux diffèrent. Jean-Pierre Devroey a en effet montré que l’analyse des polyptyques, et en particulier des corvées dues par les tenanciers, témoignait, pour le ixe siècle, d’une complémentarité similaire dans les couples de cette catégorie de paysans : à l’homme revient, dans un territoire qui s’étend aux champs et aux forêts, la mise en culture des terres céréalières et des vignes, la coupe et l’artisanat du bois, ainsi que les charrois ; à sa femme, dans le cadre de la sphère domestique, de la maison au jardin et au gynécée, le soin des enfants, l’entretien du jardin et de la basse-cour, ainsi que la production textile. Pas plus que dans les élites, cela n’exclut cependant des activités réalisées conjointement, à la maison comme en dehors, notamment à l’occasion de la fenaison, des moissons et des vendanges35. Pour autant, l’Admonitio generalis (789) ne retient que les activités séparées, élargissant la répartition mise en lumière par les polyptyques à l’ensemble de la paysannerie, puisque lorsqu’il s’agit de préciser les travaux interdits les jours du Seigneur pour assister à la messe, il y a distinction entre ce qui est proscrit aux hommes, à savoir les travaux des champs et du bois (opera ruralia) et ce qui l’est aux femmes, à savoir les travaux textiles (opera textilia)36. Il en est de même dans l’iconographie. La Bible de Moûtier-Grandval réalisée dans le scriptorium de Saint-Martin de Tours entre 834 et 84337, illustre ainsi, dans la dernière des 4 scènes superposées d’une enluminure consacrée à Adam et Ève (illustration 9), le passage de la Genèse (3, 16-23) où le couple, chassé du paradis (tiers gauche de l’image), se trouve condamné pour Ève à enfanter dans la douleur, et pour Adam, à devoir cultiver la terre pour pouvoir se nourrir (2/3 droit de l’image). L’enlumineur symbolise, la répartition sexuelle des tâches domestiques et agricoles, ou encore de reproduction et de production comme le souligne Didier Lett38, en représentant Ève allaitant Caïn, premier fils du couple (Gen 4, 1), sous un arc fait de branches et d’une guirlande de feuilles pouvant symboliser la maison, tandis qu’Adam peine, au dehors, à labourer la terre avec une bêche. Pour le christianisme qui imprègne la société médiévale, la répartition des activités entre mari et femme a un fondement biblique et se trouve justifiée par le péché originel : elle apparaît comme la punition du premier couple humain pour avoir bravé l’interdit divin39. L’image contribue à la construction sociale des rôles de l’époux et de l’épouse, différents et complémentaires : le mari, par son travail, permet de nourrir le couple, et donc à sa femme d’allaiter
35 J. P. Devroey, « Les femmes au miroir des polyptyques … », art. cit., p. 234-235. Voir aussi R. Fossier, « La femme dans les sociétés occidentales », art. cit., p. 194 et 198 ; J. C. Russell, Late Ancient and Medieval Population, Philadelphie, 1958, p. 13 ; S. Wemple, Women in Frankish Society …, op. cit., p. 70. Sur la collaboration des couples paysans aux charges domestiques familiales, ce qui remet en cause la nouveauté de la figure du « nouveau père » de la fin du xxe siècle, voir D. Alexandre-Bidon, D. Lett, Les enfants au Moyen Âge, ve-xves, Paris, 1997, p. 112-114. 36 MGH Capit., I, no 22, c. 81, p. 61. Voir J. P. Devroey, « Les femmes au miroir des polyptyques … », art. cit., p. 229. 37 G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, La France avant la France …, op. cit., p. 589. 38 D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 149. Voir aussi C. Guionnet, E. Neveu, Féminins/Masculins …, op. cit., p. 156 et sur la représentation d’Adam et Ève, C. Frugoni, « L’iconographie de la femme au cours des xe-xiie siècles », dans Cahier de civilisation Médiévale, no 20 (1977), p. 178 ; P. Mane, Le travail à la campagne au Moyen Âge. Étude iconographique, Paris, 2006, p. 29. 39 D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 149.
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Illustration 9 : Adam bêchant et Ève allaitant, Bible de Moûtier-Grandval, Londres, British Library, add. 10546, fol. 5vo
l’enfant qui prolonge le couple à la génération suivante. Néanmoins, même si une telle représentation repose sur certaines réalités, l’iconographie n’en reproduit, pas plus que les textes, un reflet fidèle : à la fin du Moyen Âge, mieux documenté, même s’il existe des activités considérées comme féminines et d’autres masculines, la plupart des activités agricoles et artisanales apparaissent mixtes40, ce dont témoignent, comme on l’a vu, les polyptyques pour les grands domaines du ixe siècle. Le couple imbriqué ou fissionnel, faisant alterner activités réalisées en couple et occupations sexuées, correspondrait au modèle le plus fréquent, ce qui n’exclut pas une variété de déclinaisons dans la manière de vivre les unes et les autres, en fonction notamment du degré d’affinité entre les conjoints. Pour autant, même si les sphères féminines et masculines sont beaucoup moins tranchées qu’on ne l’a longtemps pensé, cela n’exclut pas, dans le cadre d’une activité réalisée ensemble, qu’il y ait répartition sexuée des tâches, variable d’une région à l’autre41, et donc complémentarité du mari et de la femme. Les siècles suivants proposent le même type de représentation, comme le montrent trois exemples illustrant la situation dans le milieu royal, princier et paysan, respectivement aux xe, xie et xiie siècles. La Vie de Clotilde, rédigée, vers 960, par un auteur, à l’identité incertaine mais lié au milieu rémois42, présente le modèle d’un couple royal qui décide ensemble de la construction d’une basilique, ce dont se charge la reine tandis que le roi part à la guerre43. Le rôle de la reine comme médiatrice avec l’Église et les élites
40 Entre autres, D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 152-156 et p. 159-162 ; F. Antoni, « Entre la complémentarité et la dépendance : rôle économique et travail des femmes et des enfants dans le monde rural valencien au bas Moyen Âge », dans A. Stella (dir.), Les dépendances au travail, dans Médiévales, no 30 (1996), p. 24-29 ; P. Bernardi, « Relations familiales et rapports professionnels chez les artisans du bâtiment en Provence à la fin du Moyen Âge », dans ibid., p. 61-63. 41 D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 152 ; P. Mane, Le travail à la campagne …, op. cit., p. 154, p. 180-182, p. 217, p. 258, p. 271, p. 284, p. 291, p. 300-302, p. 308, p. 348, p. 369, p. 372. 42 Voir chapitre 2, n. 15. 43 Vita S. Chrotildis, c. 8, p. 345 : Placuit consilium regi, quod regina dedit. Tunc cum exercitu magno rex perrexit, regina Parisius remansit ecclesiamque sanctorum apostolorum edificavit (Cet avis donné par la reine convint au roi. Alors le roi partit avec une grande armée et la reine resta à Paris et éleva l’église des saints Apôtres). Voir E. Santinelli, « Aux côtés de Clovis … », art. cit., p. 84-85.
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laïques ne relève cependant pas que des représentations : il est largement confirmé par les sources diplomatiques. Isabelle Rosé a ainsi montré que les actes diplomatiques mettent en lumière le réseau, quasi invisible dans les sources narratives, au centre duquel se trouve la reine Emma et que celle-ci met au service du couple royal, formé avec Raoul44. Un siècle plus tard, le moine Pierre offre, aux milieux princiers, le même modèle de fonctionnement conjugal, lorsqu’il rapporte le contexte dans lequel a été fondé, un siècle auparavant, le monastère de Maillezais45, par le couple ducal d’Aquitaine, à l’issue d’une discussion sur des événements inhabituels. En effet, lors d’une partie de chasse, un chevalier est miraculeusement paralysé puis guéri, grâce à l’intervention de la comtesse Emma : responsable de la familia – intégrant les chevaliers de passage ou vivant dans l’entourage du couple seigneurial – en tant que maîtresse de maison, c’est en effet vers elle que se tournent les compagnons du chevalier frappé par un mystérieux mal. Après avoir compris son origine (le chevalier, tout occupé à poursuivre un sanglier, a profané sans s’en apercevoir une ancienne église) et pris les dispositions qui s’imposaient, il lui revient d’en informer son époux le duc Guillaume IV, à la chasse quand il ne combat pas les Normands dont les raids frappent à nouveau le bas Poitou46, de manière à interpréter ensemble la volonté de Dieu qui s’est manifestée, croit-on alors, par le biais de ces événements. Emma suggère alors de restaurer un monastère et « (…) parce que le bien du royaume et les tâches de la guerre te requièrent, ce sera à moi de m’attacher à l’œuvre (…) ». Le héros, sous le charme de ces paroles, satisfait entièrement à ses justes prières et la supplie de hâter la construction47. L’auteur donne, ce qui est fréquent, un caractère miraculeux aux origines de son monastère pour en renforcer le prestige48, mais pour le rendre plausible, il replace néanmoins son récit dans un cadre réel pour ses contemporains : celui du partage des tâches au sein d’un couple princier qui agit dans la complémentarité pour asseoir le pouvoir ducal, le duc se chargeant des affaires politiques et militaires, et son épouse des responsabilités domestiques et religieuses. En ce sens, les fréquentes mentions d’individus intervenant sans conjoint, loin de signifier une totale indifférence à l’égard de leur conjugalité, peuvent tout simplement reproduire une telle répartition complémentaire entre les époux. Enfin, la bible de Manerius (illustration 10), enluminée dans le dernier quart du xiie siècle en Champagne ou en Bourgogne, propose une représentation d’Adam et Ève qui diffère certes quelque peu de celle de Moûtier-Granval en insistant davantage sur les activités économiques (textile pour la femme ; agricole pour le mari) et les outils (quenouille pour la première ; houe, bêche et serpe pour le second), mais souligne tout autant la complémentarité, voire l’accentue en plaçant les deux personnages, masculin et féminin, dans un même espace, la même position et face à face. 44 I. Rosé, « D’un réseau à l’autre ? Itinéraire de la reine Emma († 934) à travers les actes diplomatiques de son entourage », dans L. Jégou, S. Joye, T. Lienhard, J. Schneider (dir.), Faire Lien : aristocratie, réseaux et échanges compétitifs, Paris, 2015, p. 131-143. 45 Chronique de Maillezais. Pour la datation entre 1067 et 1072-1073, ibid., introduction, p. 16-17. 46 Ibid., introduction, p. 41-42. 47 Ibid., I, A, p. 100-103. 48 Ibid., introduction, p. 43.
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Illustration 10 : Adam cultivant et Ève filant, Bible de Manerius (dernier quart du xiie siècle), Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 8, fol. 7vo49 cliché IRHT
49 P. Mane, Le travail à la Campagne …, op. cit., pl. I et p. 29.
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La complémentarité fait certes l’objet d’un discours construit, elle n’en repose pas moins sur des réalités, fondées sur la conscience d’un couple bisexué et la nécessité d’élaborer des règles de fonctionnement conjugal. Les sociologues et les psychologues ont montré que celles-ci reposaient aujourd’hui sur un accord entre les partenaires, ce qui n’exclut ni des ajustements quotidiens, ni l’influence des normes sociales, et que le respecter permettait d’éviter les conflits conjugaux : en se conformant à son rôle, chacun évite en effet d’empiéter sur le territoire l’autre50, ce qui revient à reconnaître et accepter l’altérité51. Que l’accord ait été, au haut Moyen Âge, implicite – du fait des contraintes sociales – ou négocié – du moins pour certains aspects, comme le mettent en avant certains des textes analysés –, il conduit aussi, dans une société où tous les couples sont hétérosexuels, à renforcer les identités sexuées52. Si les sources témoignent, certes subjectivement, du vie au xiie siècle, d’une répartition des tâches complémentaires dans le couple pour l’ensemble des milieux sociaux, elles en enregistrent néanmoins, pour les élites, des formes nouvelles qui s’ajoutent aux traditionnelles à partir des Carolingiens, du fait de l’association plus étroite de l’épouse à l’exercice du pouvoir, et renforcent la complémentarité des époux. Elles se traduisent de trois manières. La première, de nature territoriale, est attestée à partir du viiie siècle : en l’absence du mari, parti guerroyer, l’épouse apparaît à plusieurs reprises investie du pouvoir dans l’espace délaissé. L’exercice de l’autorité se trouve ainsi dédoublée entre les deux membres du couple royal qui l’assument de manière complémentaire, certes temporairement, dans deux territoires différents. Régine le Jan l’a déjà noté pour Swanahilde qui, dans les années 730, remplace Charles Martel – certes pas roi, mais exerçant un pouvoir de nature royale – pendant son absence et pour Fastrade qui, à la fin du viiie siècle, rend des jugements pendant que Charlemagne est en Saxe, voire même agit comme une sorte de régente53. La documentation témoigne de pratiques similaires pour les siècles suivants : en 875, Richilde exerce l’autorité dans le royaume pendant que Charles le Chauve est en Italie, puisque c’est elle qui ordonne aux grands de repousser une attaque et qu’elle délivre des diplômes54 ; en 945-946, il en est de même pour Gerberge pendant que Louis IV est prisonnier des Normands puis d’Hugues le Grand, puisque c’est à elle que l’on s’adresse pour négocier la libération du roi et que c’est elle qui se charge de demander des secours à son frère, le roi Otton55. Certes, dans ce dernier cas, si la complémentarité comporte une dimension territoriale moins nette, elle n’en existe 50 J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, op. cit., p. 91-94, suivi par E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 147. Sur les règles explicites et implicites expliquant le fonctionnement du couple, voir S. Hefez, « En couple, mais comment ? », art. cit., p. 87-88. 51 E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 103. 52 C’est aussi le cas aujourd’hui dans les couples hétérosexuels : ibid. 53 R. Le Jan, « Le couple aristocratique … », art. cit., p. 41. Pour Fastrade, voir aussi J. Nelson, « La famille de Charlemagne », art. cit., p. 206-207 ; Ead., « The Sitting of the Concil at Fankfort : some Reflexion on Family and Politics »[1997], réimpr. dans Ead., Rulers and Ruling …, op. cit., no XIII, p. 159-161. 54 Annales de Saint-Bertin, a. 875, p. 127 : ad quem obsistendum primores regni karoli, iubente Richilde regina, sacramento se confirmaverunt ; Charles le Chauve, no 416 (875-876), p. 430. Voir J. Nelson, Charles le Chauve, op. cit., p. 260-264 et E. Santinelli, « Brunehilde, … », art. cit., p. 76. 55 Flodoard, a. 945, p. 98-99 et a. 946, p. 101. Voir, E. Santinelli, « Brunehilde, … », art. cit., p. 79.
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pas moins du fait que l’incapacité momentanée du roi à exercer physiquement le pouvoir dans le royaume conduit la reine à se substituer à son mari. De telles pratiques se diffusent ensuite dans l’aristocratie qui reproduit à l’échelon local le modèle du gouvernement royal. Dans les années 1060-1080, Mathilde assume, à plusieurs reprises, pendant plusieurs mois, le gouvernement du duché de Normandie pendant que son mari Guillaume entreprend la conquête de l’Angleterre, puis que la situation exige son séjour outre Manche56. À la fin du xie siècle, pendant que leurs maris Étienne-Henri de Blois et Robert II de Flandre participent à la première croisade, Adèle et Clémence gèrent, y compris militairement, leurs principautés respectives, en concertation à distance avec eux57. Il en est de même dans le milieu seigneurial, ce dont plusieurs chartes de Saint-Père de Chartres témoignent pour Eustachie agissant en domina dans la seigneurie d’Alluyes, pendant que son mari, Guillaume Gouet, est en Terre Sainte58. À la fin du xiie siècle, Marguerite gouverne le Hainaut pendant que le comte Baudouin V est parti soutenir le roi d’Angleterre, ce qui l’amène à prendre la tête de l’armée pour combattre Jacques d’Avesnes59. La seconde forme de complémentarité, attestée plus tardivement, est en quelque sorte inversée : la reine se charge de missions diplomatiques que le roi ne peut pas faire sans témoigner de sa faiblesse, comme l’a montré Régine le Jan à partir de l’étude des voyages réalisés par les reines de Francie au xe siècle. Alors qu’en 947 et probablement en 948, Louis IV et Gerberge se rendent en couple auprès du roi Otton, ce n’est plus le cas en 949, à un moment où le pouvoir du roi est en cours d’affirmation : la reine fait seule le déplacement pour solliciter une nouvelle fois l’aide d’Otton contre Hugues le Grand60. De même, en 988, lorsqu’il faut négocier un pacte d’amitié avec l’impératrice Théophano au dessus de laquelle Hugues Capet se considère, c’est la reine Adélaïde qui est missionnée pour la rencontrer61. Si pour
56 Guillaume est absent de Normandie à quatre reprises : de septembre 1066 à mars 1067, de décembre 1067 à 1073 (Mathilde vient le rejoindre en mai 1068 et reste en Angleterre jusqu’au printemps 1069), de l’automne 1075 à celui de 1076, fin 1082 à 1083, voir P. Zumthor, Guillaume le Conquérant, Paris, 2003, p. 277, 306, 311, 313, 317, 337, 341, 343, 378-379. 57 K. LoPrete, « Adela of Blois : Familial Alliances and Female Lordship », dans T. Evergates (dir.), Aristocratic Women …, op. cit., p. 20 ; T. de Hemptinne, « Les épouses des croisés et pèlerins flamands aux xie et xiie siècles : l’exemple des comtesses de Flandre Clémence et Sibylle », dans M. Balard (dir.), Autour de la première croisade, Paris, 1996, p. 87-92 ; Ead., « Women as Mediators between the Powers of Comitatus and Sacerdotium. Two Countesses of Flanders in the Eleventh and Twelfth Centuries », dans M. Gosman, A. Vanderjagt, J. Veenstra (dir.), The Propagation of Power in the Medieval West, Groningen, 1997, p. 293-297 ; H. Spremberg, « Clementia, Gräfin von Flandern » (1964), rééd. dans Id., Mittelalter und demokatischen Geschichtscreibung, Berlin, 1971, p. 198-201 ; E. Santinelli, « ‘… quand le mari quitta son épouse si chérie …’… », art. cit., p. 207-210. 58 Saint-Père de Chartres, t. II, l. III, no 6, p. 474-475, no 12-13, p. 477, no 27, p. 486-488, no 29-30, p. 488-490. Voir l’analyse d’A. Livingstone, « Aristocratic Women … », art. cit., p. 63. 59 Gislebert de Mons, c. 74, p. 113-114 (trad. t. 14, p. 175-177. Patrick Corbet souligne, pour les mi xiie-mi xiiie siècles, l’opportunité qu’ont représenté les croisades, pour les femmes qui ont été plus souvent conduites à exercer le pouvoir, du fait des absences et encore plus du surcroît de décès des hommes : P. Corbet, « Entre Aliénor d’Aquitaine et Blanche de Castille … », art. cit., p. 232-234 et p. 241. 60 R. Le Jan, « D’une cour à l’autre … », art. cit., p. 49 ; Ead., « La reine Gerberge … », art. cit., p. 35. 61 R. Le Jan, « D’une cour à l’autre … », art. cit., p. 44-47.
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le deuxième cas, la lettre écrite par Gerbert d’Aurillac au nom du roi montre que celui-ci est partie prenante de l’affaire62, ce qui en fait une démarche conjugale, dans le premier cas, Flodoard n’évoque que Gerberge se rendant chez son frère pour les fêtes de Pâques sans mentionner Louis IV63, ce qui pourrait laisser supposer un déplacement personnel, là où il y a stratégie conjugale. Cela invite à rester prudent sur les conclusions à tirer quant aux actions présentées comme individuelles : nous y reviendrons. Enfin, une troisième forme de complémentarité se manifeste, à partir du xe siècle, dans des domaines auparavant réservés au seul roi64. C’est le cas du domaine militaire : s’il arrivait auparavant à la reine d’accompagner son royal époux dans les expéditions militaires, elle n’y jouait aucun rôle actif. Cela n’est plus le cas à partir du xe siècle : Flodoard et Richer rapportent, à plusieurs reprises, que la volonté d’imposer l’autorité royale se traduit par la prise d’une ville (Laon, Reims, Verdun), dont la garde est confiée à la reine pendant que le roi poursuit l’expédition avec l’armée65. Cette coopération complémentaire est ensuite attestée, au siècle suivant, pour les couples aristocratiques, même si ce n’est pas forcément l’aspect militaire qui est principalement retenu. Adémar de Chabannes précise ainsi, dans sa Chronique contemporaine des événements, que les rivalités qui opposent l’Anjou et le Maine se traduisent notamment par l’action conjointe du couple comtal angevin pour s’emparer en 1025 du couple comtal du Maine, Foulques Nerra se chargeant d’Herbert et Hildegarde s’occupant ensuite de l’épouse d’Herbert appelée aussi Hildegarde66. L’auteur, hostile à Foulques, présente certes les choses à sa manière, mais il n’en témoigne pas moins que l’association des épouses au pouvoir comtal s’accompagne d’une complémentarité plus étroite qui se traduit par une participation des comtesses plus active, sans être identique à celle des comtes, aux entreprises visant à conforter l’autorité princière. Liées à des impératifs politiques, ces nouvelles formes de partenariat complémentaire, toujours temporaires, n’en témoignent pas pour autant forcément d’une ouverture plus grande à l’altérité ni d’un fonctionnement plus fusionnel des couples, dans la mesure où comme on l’a vu, il fallait distinguer la vie publique de l’intimité quotidienne67. En outre, toutes les formes de complémentarité, anciennes ou nouvelles, ne placent pas les conjoints sur un même plan.
62 Gerbert d’Aurillac, Correspondance, op. cit., no 120, t. 1, p. 286-289. 63 Flodoard, a. 949, p. 122. 64 La reine n’y intervenait qu’en cas de veuvage : voir E. Santinelli, Des femmes éplorées ?…, op. cit., p. 370 et 380. 65 C’est le cas pour Raoul et Emma en 927 et 933 ; pour Louis IV et Gerberge en 946 et 948 ; pour Lothaire et Emma en 984 : voir R. Le Jan, « D’une cour à l’autre … », art. cit., p. 43-44. 66 Adémar de Chabannes, III, 64, p. 184 (trad., p. 284). Voir B. Bachrach, Fulk Nerra, the Neo Roman Consul, 987-1040. A Political Biography of the Angevin Count, Londres, 1993, p. 173-177 ; B. Lemesle, La société aristocratique dans le Haut-Maine, Rennes, 1999, p. 23-24 ; E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 80-81. 67 Voir chapitre 3.
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Respecter la hiérarchie entre les sexes ?
Non seulement la répartition sexuée des tâches est universelle, mais son déséquilibre au profit des hommes l’est tout autant, ce qui conduit les historiens, à la suite des anthropologues, à parler de complémentarité asymétrique68. Dans la plupart des sociétés, les hommes confisquent en effet les tâches jugées les plus nobles, ne laissant aux femmes que l’accès à celles qui sont dévaluées parce que pensées subalternes, de même qu’ils se réservent les outils, instruments et techniques les plus sophistiqués ou perfectionnés, de manière à asseoir leur domination69. Si l’on a longtemps privilégié des explications naturelles – les hommes seraient dotés de compétences que les femmes n’ont pas et inversement –, dans la mesure où elles sont rassurantes face à l’incompréhension de l’autre et qu’elles dédouanent chacun de la responsabilité de son comportement, on s’accorde aujourd’hui, tout en reconnaissant des différences biologiques entre hommes et femmes, donc liées à la nature, à faire de la domination masculine le produit de la culture et des discours idéologiques élaborés au cours des siècles pour la justifier70. Il s’agit donc de comprendre et d’expliquer les modèles mis en avant par le haut Moyen Âge, avec leurs répercussions dans le couple, et de les confronter à ce que l’on peut percevoir des réalités. Le haut Moyen Âge n’échappe pas à la règle : le discours précédemment analysé sur la nature des relations conjugales ne vise pas tant à promouvoir une complémentarité qui existe dans les faits qu’à imposer un modèle de construction sociale qui établit la hiérarchie des rôles masculin et féminin. Il se plait à rappeler, pour tous les milieux sociaux, même si ce n’est pas tout à fait de la même manière, et du vie au xiie siècle, même si c’est beaucoup plus précisément à partir de l’époque carolingienne, que l’épouse n’agit que sous l’autorité de son mari, qu’elle s’empresse d’exécuter ses ordres, qu’elle n’est que sa servante et lui, son maître, et que si elle peut donner son avis, la décision revient à celui-ci. Les témoignages les plus nombreux concernent les élites royales et aristocratiques, qui retiennent essentiellement l’attention et auxquelles le discours est principalement destiné. À la fin du vie siècle, Grégoire de Tours précise que c’est le duc Amalon qui décide d’envoyer son épouse dans une autre villa pour s’occuper de son exploitation71. À la fin du viie siècle, la vie de sainte Bathilde offre le modèle d’une reine qui « obéissait au roi comme à son maître/seigneur »72. Quelques décennies après, le Liber historiae Francorum, achevé en 727, met en scène Clotilde suggérant à Clovis, dont elle se présente comme la servante (tua ancilla),
68 P. Tabet, La construction sociale de l’inégalité des sexes : des outils et des corps, Paris, 1998, p. 15 ; M. Godelier, Métamorphose de la parenté …, op. cit., p. 527 ; L. L. Downs, F. Lefebvre, « ‘Boys Will Be Men and Girls Will Be Boys’ : division sexuelle et travail dans la métallurgie (France et Angleterre, 1914-1939) », dans Annales. Histoire, Sciences Sociales, 54e année, no 3 (1999), p. 561-586 ; D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 156. 69 M. Godelier, Métamorphose de la parenté …, op. cit., p. 527-529 ; A. Testart, L’amazone …, op. cit., p. 136 ; P. Tabet, La construction sociale …, op. cit., p. 9-75 ; D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., p. 155-156. 70 C. Levi-Strauss, « Famille », art. cit., p. 79-80 ; D. Sinard, L’amour …, op. cit., p. 77-80. 71 DLH., IX, 27, p. 445 (trad., t. II, p. 219). 72 Vita S. Bathildis, c. 4, p. 485 : (…) regi obtemperabat ut domino (…).
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d’élever une église en l’honneur de l’apôtre Pierre pour bénéficier du soutien de Dieu au cours de l’expédition contre les Wisigoths pour laquelle le roi s’apprête à partir, puis le roi décidant de la réalisation du projet qui lui convient73. Peu importe ici que les liens entre la fondation et la campagne d’Aquitaine correspondent ou non à la réalité : ce qu’il faut retenir, ce sont les relations au sein du couple royal, telles qu’elles sont présentées, à la fois hiérarchiques et complémentaires. C’est aussi ce qui ressort, au ixe siècle, du De ordine palatii, même si c’est un autre aspect de la complémentarité qui est envisagé : le chapitre 22 précise en effet que c’est sur l’ordre du roi (jubente rege) qu’il revient parfois à la reine de s’occuper avec le chambrier des dons apportées par les ambassades étrangères. De même, dans le Liber rectoribus christianis de Sédulius Scottus rédigé, si l’on suit l’hypothèse de Nikolaus Staubach, en 869-870, pour Charles le Chauve dans le contexte de son couronnement comme roi de Lotharingie et de son mariage avec Richilde74, le chapitre 5 qui précise le rôle de la reine commence par rappeler la hiérarchie à respecter au sein du couple royal : le roi se doit de dominer sa femme et celle-ci d’être soumise à son époux75. Un des capitulaires de Charlemagne du début du ixe siècle exigeant que « chacun serve à la place qu’il occupe », fait de la soumission d’une femme à son mari une règle générale, en s’appuyant sur un verset de saint Paul (Ep 5, 24)76, ce qui lui donne une justification biblique : la mise en ordre de la société, pour respecter les plans divins, se prolonge au sein de la cellule conjugale. Quelques décennies plus tard, dans la Vie de sainte Rictrude rédigée en 907, Hucbald de Saint-Amand présente pour l’aristocratie, le même modèle d’épouse soumise, regagnant à contrecœur sa maison en Artois, sur l’ordre (jussum) de son mari Adalbald qu’elle avait accompagné un peu au début de son expédition en direction de la Gascogne77. Si les autorités religieuses, soutenues par les souverains, conçoivent à partir de l’époque carolingienne le couple comme
73 LHF, c. 17, p. 54-57. Deux siècles après, la Vita S. Chrotildis (c. 5, p. 343), qui présente aussi Clotilde comme la servante de Clovis, reprend l’essentiel de cette version, si ce n’est qu’elle précise que la reine se charge de faire élever la basilique pendant que le roi est parti avec son armée. Sur cette fondation, voir E. Santinelli-foltz, « Aux côtés de Clovis … », p. 84-85. 74 N. Staubach, Rex Christianus. Hofkultur und Herrschaftspropaganda im Reich Karls der Kahlen. Teil II : die Grundlegung der « religion royale », Köln-Weimar-Wien, Böhlau, 1993, p. 105-112 ; A. Dubreucq, Miroirs des princes et littérature parénétique à l’époque carolingienne : la Voie royale, HDR dactylographiée, Paris, 1998, p. 46. 75 Sédulius Scottus, Liber rectoribus christianis, éd. S. Hellman, rééd. Francfort, Minerva, 1966, c. 5, p. 34-35 (trad. angl E. G. Doyle, On Christian Rulers and the Poems, Binghamton, p. 59-60) : (…) uxorem propriam (…) regere debet. (…) decet (…) viro suo (…) esse (…) subditam (…). Voir J. Nelson, « Les reines carolingiennes », art. cit., p. 123 ; E. Santinelli, « Brunehilde … », art. cit., p. 74. 76 Charlemagne, Avertissement à un missus (801-812), MGH Capit., I, no 121, p. 240 (voir Annexe 2, textes no 6). Saint Paul justifie cette hiérarchie en reprenant la comparaison de l’union du Christ et de l’Église, modèle de l’union conjugale : le mari est le chef de la femme, tout comme le Christ est le chef de l’Église (Ep 5, 23) et, comme l’Église est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris (Ep 5, 24). La suite du capitulaire qui enjoint aux maris d’estimer leur épouse s’inspire du même passage de la lettre aux Ephésiens : les maris doivent aimer leurs femmes, comme le Christ aime son Église (Ep, 5, 28). La règle, rappelée inlassablement par le droit canonique, est intégrée au décret de Gratien : E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 123. 77 Vita S. Rictrudis, c. 7, col. 835 (voir Annexe 2, textes no 13).
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une communauté d’affection et de solidarité conduisant chacun des conjoints à être attentif à l’autre78, voire les relations conjugales comme un pacte entre égaux79, l’égalité des époux n’est envisagée que dans la réciprocité des droits et devoirs et il ne fait de doute pour personne que la communauté des époux est hiérarchisée, ce qui est indispensable, considère-t-on, à l’harmonie du couple, comme à celle du monde. À la fin du siècle suivant, le moine Pierre ne présente pas d’autre modèle lorsqu’il rapporte les discussions du couple ducal d’Aquitaine (Guillaume IV-Emma) qui conduisent à la fondation du monastère de Maillezais : Et l’épouse, ayant comme l’intuition que Dieu inspire les sentiments de son mari, lui dit : « Mon seigneur, ce n’est pas sans raison, ce me semble, que de tels événements arrivent à ton époque ; je pense même que Dieu t’a appelé à de plus grandes actions ». Quant à lui, il répondit : « J’avoue que telle est ma pensée ; mais j’en suis encore à m’interroger pour savoir comment cela pourra se faire. Pour toi, si tu as quelque conseil à me donner à ce propos, dis-moi quelle résolution pourrait être arrêtée pour le bien commun ». « Que soit restauré, dit-elle, si cela te convient un monastère pour le service de Dieu et que soient ordonnées les dépenses nécessaires aux constructeurs. Et parce que le bien du royaume et les tâches de la guerre te requièrent, ce sera à moi de m’attacher à l’œuvre, si tu le commandes (…) ». Le héros, sous le charme de ces paroles, satisfait entièrement à ses justes prières et la supplie de hâter la construction80. Quand bien même l’auteur qui écrit un siècle après les événements, propose une version personnelle, mais plausible, du contexte de la décision conjugale, il n’en replace pas moins le partage des tâches entre les époux dans le cadre de la soumission de l’épouse aux décisions (« si cela te convient ») et aux ordres (« si tu le commandes ») de son mari. Ensuite, au dire du moine Pierre, l’abandon par le couple d’un fonctionnement sur cette base – initiative d’Emma, certes attribuée à l’inconduite de Guillaume, qui entraine la séparation – aboutit à faire reculer « la surabondance de biens » qui existait jusque-là81, et donc à introduire le désordre dans la principauté. Un discours similaire en faveur des relations hiérarchisées au sein du couple se retrouve au xiie siècle. Odeline, « habituée à ne jamais s’opposer aux volontés » (eius uoluntati nunquam resistere assueta) de son mari Ansoud et lui « obéissant, selon sa conduite habituelle » (solitoque more oboediens marito), correspond, pour Ordéric Vital, au modèle de la bonne épouse82. Quant à Abélard, il rappelle plus généralement que « le sexe le plus faible ne saurait se passer de l’aide du sexe le plus fort et c’est pourquoi l’Apôtre a ordonné que le
78 Voir chapitre 3. 79 P. Toubert, « La théorie du mariage … », art. cit., p. 304. 80 Chronique de Maillezais, I, A, p. 100-103 (traduction avec quelques adaptations personnelles). 81 Ibid., I, B, p. 102-107. Voir E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 87-89. 82 Orderic Vital, l. V, c. 19, t. 3, p. 196. Voir D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., p. 169 ; Id., « Les épouses dans l’aristocratie anglo-normande des xie-xiie siècles, d’après l’histoire ecclésiastique d’Ordéric Vital », dans J. Teyssot (dir.), Le mariage au Moyen Âge, xie-xve siècles, Clermont-Ferrand, 1997, p. 20-21.
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mari commande à la femme, comme s’il en était le chef ou la tête [I Cor 11, 3 ; Eph., 5, 22-24 ; Col. 3, 18] »83. Comme beaucoup, il ne retient des citations scripturaires que celles qui justifient la domination masculine, en particulier au sein du couple, en lui donnant un fondement biblique84. Pour autant, les théologiens du xiie siècle insistent davantage sur l’association égalitaire créée par le mariage, problement en lien avec son accession à la dignité de sacrement, que sur le rapport hiérarchique qu’il induit, tout en reconnaissant qu’il en comporte un, à l’image de la relation vassalique, à la fois égalitaire et hiérarchique85. Lorsque le discours porte, ce qui est beaucoup moins fréquent, sur les relations conjugales dans la paysannerie ou du moins sur l’idée que les élites s’en font, il propose, même si les formes diffèrent, le même type de représentation. À la fin du vie siècle, dans l’une de ses notices hagiographiques, Grégoire de Tours évoque en effet un homme, s’apprêtant à aller chercher du bois dans la forêt, demandant, « comme c’est la coutume des paysans, de la nourriture à sa femme qui lui en fournit sans délai »86. Si la formule est moins explicite que lorsqu’il est question des élites, on n’en retrouve pas moins, autour du partage des tâches, un modèle de relations conjugales qui souligne l’obéissance de l’épouse aux exigences de son mari. Au xe siècle, Odon de Cluny montre, ce que l’on a déjà évoqué87, combien le comte Géraud est offusqué lorsqu’il croise une paysanne labourant un petit champ alors que c’est un travail d’homme : l’anecdote qui doit être vraisemblable pour ne pas faire douter des vertus du héros témoigne que les femmes sont tout à fait capables de conduire la charrue, au moins lorsque les impératifs l’exigent – ici l’incapacité du mari, malade, à le faire, alors qu’il est urgent de semer –88, mais que, dans le discours, la répartition des rôles au sein du couple associe les hommes aux activités valorisées, du fait notamment de l’utilisation d’outils, en particulier lorsqu’ils sont pourvus de parties métalliques au coût important89, ce qui introduit une hiérarchie entre les époux90. Les deux enluminures précédemment analysées (ill. 9 et 10) témoignant au ixe et au xiie siècle de la complémentarité des activités dans le couple paysan, à partir de la représentation d’Adam et Ève, diffusent un message identique, en
83 Lettres d’Abélard et Héloïse, op. cit., no 1, p. 124-127. 84 Pour les citations bibliques, soulignant pour les unes la hiérarchie entre hommes et femmes et pour d’autres leur égalité voir M. Bernos, Femmes et gens d’Église ds la France classique, xviie-xviiie s, Paris, 2003, p. 13-14 et 42-47. 85 J. Baschet, Corps et âmes …, op. cit.,p. 107-110. 86 Grégoire de Tours, GC, no 30, p. 316. 87 Voir chapitre 1. 88 Vita S. Geraldi Auriliacensis comitis, l. I, c. 21, col. 656 (trad., I, 28, p. 249). 89 Au haut Moyen Âge, l’outillage, agricole comme textile, est essentiellement en bois, même si l’usage de parties métalliques se développe en même temps que la métallurgie à partir du xe siècle : voir entres autres, G. Fourquin, « Le premier Moyen Âge » et « Le temps de la croissance », dans G. Duby, A. Wallon (dir.), Histoire de la France rurale, t. I : Des origines à 1340, Paris, 1975, p. 366-367 et p. 448-452 ; P. Reigniez, L’outil agricole en France au Moyen Âge, Paris, 2002 dont l’analyse débute au xe siècle et l’approche principalement archéologique conduit à privilégier les outils avec parties métalliques. 90 D. Lett, Hommes et femmes …, op. cit., 153-157.
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dotant seul Adam d’un outil dans la première, et de trois avec parties métalliques dans la seconde. Le discours en faveur du respect de la hiérarchie entre les sexes au sein du couple dépasse la question du partage des tâches pour s’appliquer dans tous les aspects de la vie conjugale91. En témoigne symboliquement l’« oubli » régulier, dans les sources narratives et diplomatiques, du nom de l’épouse, quel que soit son rang social, alors que celui du mari est quasi systématiquement donné. Par ailleurs, dans une société compétitive92 dominée par les hommes, les stratégies déployées pour acquérir, défendre et renforcer richesse, prestige et puissance mises en lumière par la documentation apparaissent d’abord masculines, quand bien même les épouses y participent avec leurs maris. Enfin, pour ne prendre qu’un dernier exemple, lorsqu’il y a désaccord dans le couple, c’est la position du mari qui prévaut. Le concile de Compiègne promulgué en capitulaire, en 757, par Pépin III lui donne force de loi si la justice est saisie93. Quant à Guibert de Nogent, il en donne au xiie siècle un témoignage concret dans son autobiographie : il est, en effet, persuadé que si son père avait survécu, « quand serait venu pour [lui] le temps propre à l’étude des lettres, [son père] aurait brisé le vœu qu’il avait formulé » à sa naissance de le destiner à la vie religieuse94, alors que sa mère, promue cheffe de famille après la mort de son mari, respecte l’engagement pris à son sujet, ce qui laisse supposer qu’elle aurait dû sinon se plier à la décision maritale. Même si, on l’a déjà précisé, Guibert reconstruit son passé et donne sa perception des relations entretenues par ses parents, il n’en reproduit pas moins les normes sociales de son temps95. Pour autant, ce discours quasi invariable, en faveur d’une hiérarchie entre les sexes96, correspond-il à la réalité ou ne reflète-t-il qu’un idéal à imposer ? La plupart des documents qui nous sont parvenus, ne l’oublions pas, sont produits par une élite masculine qui défend ses intérêts. Le manuel rédigé par Dhuoda au début des années 840 montre néanmoins que certaines femmes des élites se conforment à l’attitude soumise que l’on attend d’elles, ou du moins donnent d’elles une image qui correspond à ce modèle : Dhuoda y précise qu’elle est restée à Uzès pour défendre les intérêts de son mari, par ordre (sub iussione) de celui-ci, qu’elle considère comme son maître et son seigneur (dominus et senior)97. À la fin du siècle suivant, la lettre, rédigée par Gerbert au nom d’Hugues Capet, tout juste promu à la royauté, à l’intention de l’impératrice Théophano témoigne que certains hommes des élites considèrent que 91 Voir aussi E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 124-125. 92 Sur la compétition au haut Moyen Âge, voir F. Bougard, R. Le Jan, T. Lienhard (dir.), Agôn. La compétition, ve-xiie siècle, Turnhout, 2012 ; P. Depreux, F. Bougard, R. Le Jan (dir.), La compétition et le sacré au haut Moyen Âge : entre médiation et exclusion, Turnhout, 2015. 93 Capitulaire de Compiègne, MGH Capit., I, no 15, c. 20, p. 39. 94 Guibert de Nogent, Autobiographie, op. cit., l. I, c. 4, p. 24. Pour le vœu à la naissance : l. I, c. 3, p. 18-19. 95 Voir chapitre 2. 96 Jérôme Baschet a récemment montré qu’au haut Moyen Âge, l’explication, avancée par Augustin, de la domination de l’homme sur la femme, liée à la hiérarchie de l’âme (auquel est associé l’homme) et du corps (auquel est associée la femme), est moins omniprésente qu’on pourrait le penser : J. Baschet, Corps et âmes …, op. cit.,p. 100-111. 97 Dhuoda, Manuel …, op. cit., préface, p. 87 ; I, 7, p. 117 ; X, 4, p. 351-353.
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l’exercice du pouvoir, qui associe alors plus étroitement épouse, ne place pas pour autant mari et femme sur le même plan, ou du moins qu’ils donnent d’eux cette image : Hugues Capet y reconnaît en effet certes « officiellement la participation de la reine [Adélaïde] au pouvoir royal, mais sous son autorité et par délégation », comme l’a souligné Régine le Jan98. La littérature courtoise du xiie siècle ne propose pas de modèles véritablement différents99, ce qui laisse supposer leur acceptation. Chrétien de Troyes met en scène une Énide hésitant à désobéir aux ordres de son mari et ne s’y résolvant que pour le sauver et Marie de France, des épouses malheureuses qui trouvent des subterfurges pour échapper à leur quotidien, mais ne remettent pas en cause l’autorité maritale. Il en résulte pour les uns comme pour les autres la perception de l’altérité du conjoint et son acceptation, même si l’objectif n’est pas forcément comme aujourd’hui de participer à son épanouissement personnel. La juste compréhension du vécu reste néanmoins difficilement saisissable tant la documentation qui nous est parvenue transmet un discours construit. Plusieurs éléments incitent néanmoins à penser que le fonctionnement du couple sur la base de relations hiérarchisées tel qu’il est donné en modèle correspond, dans les élites, à une part de réalité et permettent d’expliquer pourquoi certains couples au moins s’y conforment. D’une part, la société altimédiévale est caractérisée par de profondes inégalités, en particulier de genre, les femmes relevant de l’autorité protectrice des hommes qui exercent en contrepartie leur tutelle sur elles. Protection contre soumission, soumission contre affection, gestion domestique contre prestige social : comme le souligne Maurice Godelier, les rapports inégaux, notamment entre les sexes et donc entre les conjoints, se présentent comme des « échanges » entre eux, ce qui permet d’assurer le consentement passif, voire même actif, de celles – plus souvent que de ceux – qui les subissent100. D’autre part, dans une société dominée par les hommes, c’est à eux que reviennent, sauf exception, les gestes qui engagent, ce qui place, de fait, leurs épouses en retrait, même lorsqu’elles sont présentes, et donc, consciemment ou inconsciemment, davantage en position d’auxiliaires que de partenaires à part entière. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’influence du discours normatif qui peut intervenir plus particulièrement à deux niveaux. Tout d’abord, les sociologues ont établi, même s’ils envisagent un contexte différent, un lien entre le mode de répartition des rôles au sein du couple et la densité des réseaux de relations des époux en dehors du foyer : plus ce réseau est dense – ce qui est le cas pour les couples des élites du haut Moyen Âge –, et plus les relations entre les époux se trouvent hiérarchisées, ce qu’il faut lier à la pression informelle des membres du groupe, parvenus à un consensus sur les normes101. Ensuite, il faut aussi prendre en compte le fait que l’exercice du pouvoir, multiforme, principalement réservé aux hommes, est perçu dans sa globalité, en particulier à partir de l’époque carolingienne 98 Gerbert d’Aurillac, Correspondance, op. cit., no 180 (988), p. 287. Voir R. Le Jan, « D’une cour à l’autre … », art. cit., p. 39, 44-45 et 47. Pour une situation analogue dans le milieu comtal, Ead., « L’épouse du comte … », art. cit., p. 29. 99 E. Van Houts, Married Life …, op. cit., p. 125. 100 M. Godelier, Métamorphose de la parenté …, op. cit., p. 528. 101 M. Segalen, A. Martial, Sociologie de la famille, op. cit., p. 102.
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marquée par une volonté de mise en ordre de la société : ceux qui sont incapables d’imposer leur domination à leur épouse ne sont pas plus en mesure d’asseoir leur autorité hors de la sphère familiale, comme en témoignent, pour l’échelon royal, le discours plus ou moins allusif des contemporains de Louis le Pieux102 et la critique voilée de Raoul Glaber à l’égard de Robert le Pieux103. Il appartient donc aux détenteurs de pouvoir de témoigner qu’ils sont maîtres chez eux et à leurs épouses qu’elles leur sont soumises au risque d’affaiblir non seulement la puissance des premiers, auxquels les secondes sont associées, mais aussi celle des groupements dans lesquels ils s’insèrent. La mise en scène, voire la pratique, de relations conjugales hiérarchisées n’implique cependant pas une domination masculine constante ni systématique. D’une part, la valorisation d’une complémentarité asymétrique entre les époux n’aurait pas besoin d’être régulièrement rappelée si celle-ci était appliquée par tous les couples. D’autre part, la documentation témoigne que les épouses bénéficient d’une certaine marge de manœuvre et capacité d’action dans les affaires qui sont de leur ressort, même si cela n’exclut pas forcément une intervention du mari, en amont comme en aval, ni des objectifs conjugaux derrière des entreprises présentées comme individuelles. Elles disposent d’un patrimoine, et donc des moyens matériels de nouer des relations sociales, en particulier de se constituer un réseau de fidélité personnel même s’il profite au couple, à l’image de Frédégonde104, au vie siècle, d’Agnès, remariée à Renaud de Maulévrier105, au xie siècle, ou de Marguerite de Flandre106, au xiie siècle. Elles donnent parfois audience indépendamment de leurs maris, comme l’épouse
102 L’Astronome fait ainsi le lien entre l’adultère de la reine et la volonté de Lothaire de voir son père renoncer à la royauté : Astronome, c. 44, p. 456-458. Quant à Agobard de Lyon qui attribue l’adultère de Judith à l’incapacité du roi à la satisfaire sexuellement, il associe la souillure de la couche royale et la confusion qui règne dans le royaume : Agobard de Lyon, Liber Apologeticus I, éd. L. Van Acker, Agobardi Lugdunensis opera omnia, Turnhout, 1981, c. 2, p. 309. Sur le contexte des années 830-833, marquées par les révoltes des fils de Louis le Pieux contre leur père et l’accusation d’adultère portée contre Judith, voir G. Bührer-Thierry, « La reine adultère », art. cit., p. 301-302 ; Ead., « Reines adultères … », art. cit., p. 152-153 ; M. de Jong, « Bride Shows Revisited … », art. cit., p. 267-272 ; Ead., The Penitential State …, op. cit., p. 41-50 et 195-196. 103 Raoul Glaber évoque, parmi les critiques qu’il formule à l’égard de la reine Constance, le fait qu’« elle dominait son mari » (erat (…) mariti magistra), ce qui contribue à expliquer les conflits – auxquels elle n’est pas étrangère – qui opposent ensuite non seulement son époux et leurs fils mais aussi leurs armées, ce qui double donc le conflit familial d’une guerre civile : Raoul Glaber, III, 32, p. 202-203 et III, 35, p. 308-209. Sur les relations de ce couple, voir E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 90-91. 104 DLH, IV, 51, p. 188 (trad. t. I, p. 240) ; VI, 32, p. 303 (trad. t. II, p. 51) ; VI, 45, p. 318 (trad. t. II, p. 69). Voir D. Harisson, The Age of Abbesses and Queens, Lund, 1998, p. 127 et 357-362. 105 Saint-Aubin d’Angers, no 287, p. 329-332, trad. E. Santinelli, « Ni Morgengabe, ni tertia, … », art. cit., p. 273-275 ; pour l’analyse, Ead., Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 334-335, 348-349 et 352. La charte mentionne notamment l’un des vassaux d’Agnès, Guillaume de Montsoreau, parce qu’il tient en fief une partie des biens donnés. 106 Gislebert de Mons, c. 147, p. 225 (trad., t. 14, p. 385) et c. 215, p. 298-299 (trad., t. 15, p. 101-103). Voir E. Santinelli, « Ille et ejus uxor … », art. cit., p. 75.
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d’Ursus107 au vie siècle, Bérétrude108 au viie siècle, ou Gerberge109 et la comtesse Adélaïde110, au xe siècle. Elles partent sans conjoint en pèlerinage, comme Salaberge111 au viie siècle, ou Marguerite de Flandre112 au xiie siècle, voire en expédition comme la comtesse Emma au dire du moine Pierre qui écrit au xie siècle113. Il n’est certes pas sûr que toutes ces épouses aient réellement agit de la sorte, notamment celles qui sont évoquées dans le cadre d’un discours qui ne les concerne qu’indirectement, mais pour que les anecdotes qui les mettent en scène aient du sens, il faut néanmoins que les informations données à leur sujet soient plausibles. La capacité de certaines épouses à user de cette marge de manœuvre et de certains maris à la reconnaître et à l’utiliser, ce qui intervient davantage lorsque les époux ont acquis l’expérience de quelques années passées ensemble qu’au début de la vie conjugale, a pu conduire à brouiller, dans certains couples, la répartition des rôles masculin et féminin, en même temps qu’elle attisait la compétition, dans l’entourage du mari, entre l’épouse pour conserver son influence et ses rivaux masculins pour la diminuer. Si, dans la plupart des cas, le couple a tout intérêt à collaborer, il arrive néanmoins que les époux, liés à des intérêts divergents, se retrouvent en compétition l’un contre l’autre, ce qui conduit l’épouse à sortir du rôle qui est traditionnellement le sien et aboutit à une situation comparable114. C’est dans ce double contexte qu’il faut probablement comprendre à la fois les accusations portées à l’encontre des femmes qui gouvernent à la place de leur mari, ce dont témoigne Grégoire de Tours à propos de Brunehaut115, ou de celles qui dominent leur mari, comme Constance, selon Raoul Glaber116, ou Bertrade
107 DLH, IV, 46, p. 181 (trad. t. I, p. 233-234) : Andarchius qui souhaite épouser la fille d’Ursus s’adresse à son épouse pour solliciter son aide pour y arriver. 108 Frédégaire (IV, 44, p. 126-127) rapporte que Leudemond évêque de Sion se rend auprès de la reine Bertetrude/Bérétrude, épouse de Clotaire II, pour lui soumettre une proposition et qu’après, la reine se retire dans sa chambre. 109 Si l’on en croit Flodoard (a. 953, p. 135), en 953, Hugues le Grand sollicite une entrevue de la reine Gerberge pour qu’elle contribue à le réconcilier avec le roi. Comme la reine est ensuite remerciée pour son intervention réussie, on peut en déduire que la rencontre a bien eu lieu. 110 Une charte au profit des moines de Marmoutier montre que ceux-ci sont venus, vers 992-995, au château de Blois et qu’ils ont rencontré successivement, semble-t-il, le comte Thibaud pour porter plainte contre les mauvaises coutumes exigées de leurs tenanciers par certains de ses ministériaux, puis la comtesse Adélaïde, son épouse, pour se plaindre d’un tonlieu qui leur est abusivement réclamé : L. Lex, Eudes, comte de Blois …, op. cit., Pièces justificatives, no 4 (992-995), p. 126-127. 111 Vita S. Sadalbergae, c. 11, p. 55 (trad., p. 664). Salaberge se rend à Saint-Remi de Reims, espérant obtenir par ses prières qu’il lui naisse un enfant. Voir chapitre 2. 112 Gislebert de Mons, c. 105, p. 150 (trad., p. 243). 113 Chronique de Maillezais, I, B, p. 102-105 : le moine Pierre explique qu’Emma « cheminait dans les plaines du pays de Talmond » (dum illa per campestria Thalmonensis terrae iter faceret), avec son escorte, lorsqu’elle rencontre la vicomtesse de Thouars qui se déplaçait elle-même à cheval sans que l’on en connaisse le contexte, puis qu’elle se rend ensuite à Chinon avec une petite troupe. 114 Sur la compétition opposant les époux, voir E. Santinelli, « Le couple dans les stratégies compétitives … », art. cit., p. 86-91. 115 DLH, VI, 4, p. 268 (trad., t. II, p. 11) : l’auteur évoque le reproche qu’aurait fait un aristocrate à Brunehaut « d’avoir gouverné le royaume sous [son] époux » (tibi sub viro tenuisse regnum). Voir chapitre 3. 116 Raoul Glaber, III, 32, p. 202-203. Voir n. 99.
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de Montfort, selon Suger qui n’en fait pas une exception117, ainsi que le discours rappelant la hiérarchie à respecter entre les sexes. Cela vaut néanmoins davantage dans les milieux et les contextes où il y a des enjeux de pouvoir. En ce sens, si l’on ne peut exclure des rapports de domination dans les catégories sociales moins élevées, les relations conjugales ne sont probablement pas aussi hiérarchisées dans la paysannerie et l’artisanat urbain, où les enjeux de pouvoir ne sont pas du même ordre que dans les élites, ce qui va dans le sens aussi du constat des sociologues établissant que plus les réseaux dans lesquels s’insèrent les conjoints sont lâches, moins les rôles sont séparés entre mari et femme et plus les relations sont égalitaires118. Cela rejoint aussi la thèse de Martha Howel qui, analysant la situation à la fin du Moyen Âge, considère que la richesse basée sur des biens ou droits fonciers – cas des élites du haut Moyen Âge – favorise la domination maritale, alors que la richesse mobilière – cas des paysans et artisans – favorise les relations basées sur l’amour, le compagnonnage et l’amitié119. Il n’est d’ailleurs pas impossible que l’évolution de la dotation des épouses qui accroît, entre le viie et le ixe siècle, la part des biens fonciers aux dépens des biens mobiliers, avant de se diversifier au xie siècle120 ait conduit à renforcer les rapports hiérarchiques entre les époux : ces siècles correspondent en effet à un moment où, à la fois, la terre, principale source de revenus et de richesse, fait l’objet d’un contrôle accru121 et où le discours sur la soumission de l’épouse à son mari se fait plus précis. Ce renforcement des rapports hiérarchiques au sein du couple serait néanmoins en partie contrebalancé dans les milieux élitaires à partir du xe siècle par de nouvelles formes d’association au pouvoir122. Il faut aussi probablement distinguer selon les lieux, le cycle de la vie et les partenaires, en particulier dans les élites : les rapports hiérarchiques démonstratifs sont moins nécessaires dans le cadre de l’intimité conjugale, où le couple peut discuter et décider ensemble d’égal à égal, que dans les manifestations publiques où il est en représentation, de même qu’ils le sont moins lorsque le mari a fait les preuves de son autorité et que celle-ci est incontestée, ou encore dans un couple où l’affection partagée conduit chacun à être attentif à l’autre123. Or, les couples des
117 Suger, Vie de Louis VI …, op. cit., c. 18, p. 122-123 : Suger range Bertrade dans la catégorie des maîtresses femmes (viragines), c’est-à-dire « des femmes qui ont coutume, en leur audace, de mettre sous leurs pieds leurs maris » (maritos suppeditare). 118 M. Segalen, A. Martial, Sociologie de la famille, op. cit., p. 102-103. 119 M. Howell, « The Properties of Marriage in Late Medieval Europe : Commercial Wealth and the Creation of Modern Marriage », dans I. Davies, M. Müller, R. S. Jones (dir.), Love, Marriage and Family Ties in the Late Middle Ages, Turnhout, 2003, notamment p. 30. 120 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 192-204. Voir aussi ci-après. 121 S. Joye, « Fabrique d’une loi … », art. cit., p. 98-99. 122 Je remercie Régine le Jan pour cette suggestion. 123 Dans le roman de Chrétien de Troyes, Érec et Énide (v. 1170), qui inscrit la fiction dans les pratiques sociales contemporaines, l’autorité maritale, nullement affichée tant qu’il y a concorde conjugale, s’affirme lorsque le couple a perdu de son unité harmonieuse et que les relations se sont distendues entre les conjoints, du fait des rivalités entre Énide et l’entourage masculin d’Érec : Chrétien de Troyes, Érec et Énide, op. cit., p. 73-129 pour la phase de dispute conjugale, p. 75, 81, 93, 113 pour l’affirmation de la domination maritale.
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milieux populaires ne sont pas mariés pour la plupart124 et dans les élites, si certains mariages aboutissent à une conjugalité aimante125, il arrive que ce résultat soit davantage obtenu pour le mari dans le cadre d’une union avec une autre partenaire que l’épouse légitime, voire pour une épouse – la situation étant beaucoup plus rare – avec un autre que son mari. Même si toutes les unions considérées comme illégitimes ne reposaient pas sur des sentiments partagés, il n’est pas impossible que l’ouverture vers l’altérité, telle qu’on la conçoit aujourd’hui dans le couple sur la base de l’égalité et de la réciprocité, ait été plus prononcée dans les couples formés de manière informelle que dans ceux dotés d’une reconnaissance institutionnelle. Cela invite à s’interroger sur ce que les individus sont susceptibles d’attendre du couple, voire des différentes formes de couple, notamment pour les élites masculines souvent polygames. Trouver ensemble sa place dans le couple et s’y épanouir ?
Sociologues et psychanalystes sont unanimes à considérer qu’une relation conjugale harmonieuse implique de réussir à construire un agencement satisfaisant où chacun trouve sa place et s’y épanouisse, ce qui implique pour l’un et l’autre des conjoints d’aider l’autre à y parvenir126. Cela ne signifie cependant pas que cela se traduit de la même manière pour hommes et femmes, dont les études montrent, aujourd’hui, qu’ils n’attendent pas la même chose du couple. Entre autres différences, les premiers, moins centrés sur le couple, s’en servent néanmoins comme socle, voire tremplin pour s’investir à l’extérieur, alors que les secondes sont davantage concentrées sur la relation conjugale et en attendent plus127. Les questions ne se posent certes pas au haut Moyen Âge comme aujourd’hui dans nos sociétés occidentales, du fait que le couple ne se forme pas de la même manière et qu’il repose sur des bases qui diffèrent, mais l’approche n’est pas sans intérêt et conduit à se demander ce que les conjoints pouvaient alors attendre du couple, s’ils envisageaient de s’y épanouir et s’ils se souciaient de permettre à l’autre d’y trouver une place qui lui convienne. À défaut de pouvoir saisir des certitudes à partir d’une documentation très lacunaire et subjective sur ces questions, quelques hypothèses pourront être formulées, en distinguant, compte tenu de la diversité des formes de conjugalité altimédiévales, les deux aspects – trouver sa place et s’épanouir. En ce qui concerne le premier, il est vrai que les individus n’ont guère le choix. Dans une société qui tolère peu le célibat si ce n’est pour ceux qui se consacrent à Dieu, la plupart est vouée à vivre en couple, de manière institutionnalisée ou non, par nécessité, même si ces nécessités ne sont pas du même ordre dans les élites 124 Voir chapitre 1. 125 Voir chapitre 2. 126 A. Valtier, « Vivre à deux », dans M. Vaillant, A. Morris (dir.), Encyclopédie de la vie familiale …, op. cit., p. 81-83. 127 S. Hefez, D. Laufer, La danse du couple …, op. cit., p. 78 ; J. C. Kaufmann, Sociologie du couple, op. cit., p. 76, 104, 116, suivi par E. Smadja, Le couple …, op. cit., p. 150.
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(alliances, transmission de l’héritage) et dans les milieux populaires (partage des tâches, descendance pour être pris en charge dans ses vieux jours). À défaut de n’avoir choisi pas plus leur devenir que bien souvent leur conjoint, hommes comme femmes, contraints de partager ensemble leur existence – ou du moins certains aspects dans les élites –, peuvent néanmoins parvenir à s’entendre sur un mode de fonctionnement acceptable pour chacun et retirer l’un et l’autre de leur statut de conjoint un certain nombre d’avantages qui conduit à accepter la place imposée. Le partage des tâches, qui n’exclut pas des activités communes, permet à chacun des conjoints de disposer d’une certaine latitude pour gérer les affaires qui relèvent de ses domaines de compétences, avec probablement une marge de manœuvre plus importante dans les élites, où les aléas de la vie politiques et militaires conduisent les couples à être séparés non seulement plus souvent, mais aussi sur de plus longues périodes128. Le respect par chacun des responsabilités de l’autre, comme le souci de chacun d’assumer au mieux les siennes, peuvent être perçus comme les indices des efforts de la part de chacun des conjoints pour occuper la place qui est la sienne et pour respecter celle de l’autre. Il reste cependant difficile de savoir quelle est la proportion de couples à parvenir à cet équilibre, qui implique d’accepter l’altérité. Le fait que chacun y trouve un intérêt réciproque peut laisser supposer qu’elle n’est pas négligeable. C’est en particulier le cas pour les conjoints mariés dans les élites. Pour le mari, il est essentiel, comme on l’a vu129, qu’il puisse s’appuyer sur son épouse pour pouvoir se consacrer pleinement aux stratégies qui permettent de renforcer sa puissance, en même temps que celle du couple et des groupes auxquels celui-ci se trouve lié. Pour l’épouse, c’est à la fois, un moyen de bénéficier d’une autonomie plus importante que lorsqu’elle était jeune fille sous la tutelle de ses parents, voire d’une véritable autorité à partir du moment où elle se trouve davantage associée à l’exercice du pouvoir, et la possibilité d’en retirer un statut social qui s’élève parallèlement à la réussite du mari. En ce sens, il faut remettre en cause l’idée que conjugalité serait une fin en soi pour les femmes et seulement un accessoire pour les hommes : même si c’est de manière différente (elle permet pour les femmes, elle facilite pour les hommes), elle ouvre les premières comme les seconds sur le monde extérieur. Les anecdotes qui mettent en scène de mauvais maris et des épouses indignes n’assumant pas leur rôle ou remettant en cause la place de l’autre, ou encore le discours critiquant de tels comportements et prônant des modèles inverses témoignent néanmoins que le consensus conjugal n’est pas universel et que, même s’il existe un temps, il peut être remis en cause au cours du cycle de la vie conjugale, sans qu’il soit possible de faire la part entre les raisons proprement conjugales (négation de l’altérité du conjoint ou incapacité à évoluer, voire à vieillir, ensemble) et les causes extérieures (renversement d’alliance, meilleure opportunité)130. Ainsi en est-il d’Eulalius à l’égard de Tétradie
128 Voir chapitre 3. 129 Voir ci-dessus. 130 Voir chapitre 2.
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au vie siècle131 ou d’Aliénor à l’égard Louis VII au xiie siècle132, si l’on en juge par le discours des contemporains de chaque couple, ou plus généralement des maris qui « renvoient ou délaissent leurs épouses sous prétexte des malheurs et adversités qui leur arrivent », si l’on en croit Jonas d’Orléans qui condamne de tels agissements133. En outre, dans les élites, le mari peut tout à fait reconnaître sa place à son épouse, tout en entretenant des relations conjugales avec d’autres partenaires qui occupent une autre place. Dans une société dominée par les hommes et où la polygynie participe à la compétition qui les oppose, chacun semble s’accommoder de la situation, ce que laisse supposer Gislebert de Mons par exemple à l’échelon comtal hainuyer134, mais encore faut-il que chacun accepte sa place et n’empiète pas sur celle des autres. Il y a ainsi dysfonctionnement lorsqu’il est question de remplacer l’épouse par la concubine, comme en témoignent l’affaire de Lothaire II déjà évoquée135, ce qui ne correspond cependant pas à la norme. Lorsqu’il y a polyandrie, ce qui est moins fréquent, la question se pose différemment, puisque les relations qu’une femme peut entretenir avec un autre homme que son mari le sont, on l’a vu, secrètement136, ce qui ne remet pas en question sa place en tant que tel. Si dans bien des cas, les nécessités conduisent les couples à s’entendre, avec plus ou moins de complicité, sur la place de chacun, cela ne signifie pas pour autant que les conjoints considèrent leur vie conjugale comme épanouissante. Certes, les sociétés du passé n’accordent pas la même attention qu’aujourd’hui à la recherche du bonheur, de soi comme de l’autre137, mais les sources n’en témoignent pas moins qu’il y avait au haut Moyen Âge des couples plus ou moins heureux et des conjoints plus ou moins altruistes. Le discours moraliste, hagiographique et poétique montre, comme on l’a vu, que l’on conçoit le bonheur partagé comme un idéal à atteindre138. Quelques indications éparses dans les épitaphes, les lettres et les sources narratives témoignent, malgré le discours construit, du plaisir procuré à certains individus par leur vie conjugale, à l’image de Fastrade et Charlemagne à la fin du viiie siècle139, de
131 Tétradie quitte Eulalius, ne supportant plus d’avoir « perdu la situation honorable qui était la sienne dans la maison de son mari », dans la mesure où celui-ci la néglige au profit de servantes, la frappe et dilapide ses parures et son or : DLH, X, 8, p. 489 (trad., t. II, p. 269). Voir Annexe 2, textes no 3. 132 La séparation de Louis VII et d’Aliénor intervient en 1152, après 15 ans de mariage, en arguant de leur consanguinité, alors que le couple n’a pas de fils et que la reine est accusée d’adultère, voire qu’il y a désaccord politique entre les époux : voir G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1305-1309 ; J. Flori, Aliénor d’Aquitaine …, op. cit., p. 78-82 ; M. Aurell, « Aliénor d’Aquitaine en son temps », art. cit., p. 8-9. 133 Jonas d’Orléans, II, 11, t. I, p. 414-415 : Uiri uxores suas dimittere aut neglegere sine periculo animae suae possunt. Voir chapitre 3. 134 Voir chapitre 1. 135 Voir chapitre 1. 136 Voir chapitre 1. 137 Entre autres, A. Comte-Sponville, J. Delumeau, A. Farge, La plus belle histoire du bonheur, Paris, 2004, rééd. 2006 ; M. Faucheux, Histoire du bonheur, Paris, 2002, rééd. 2007 ; G. Minois, L’âge d’or : histoire de la poursuite du bonheur, Paris, 2009. 138 Voir chapitre 2. 139 Annales royales, a. 787, p. 76. Voir chapitre 2.
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Goda et Godemar de Melle au début du ixe siècle140, ou encore d’Héloïse et Abélard au xiie siècle, avant que le couple ne soit contraint à la séparation141. L’hagiographie offre du vie au xiie siècle un modèle de relation conjugale, basée sur l’entraide et le soutien mutuels142, qui témoigne, au risque de dévaloriser les vertus des saints et saintes, que certains conjoints sont suffisamment attachés l’un à l’autre, et donc comblés par leur relation, pour sacrifier une part d’eux au profit de l’autre. Dans l’un de ses poèmes, Fortunat – qui ne peut se permettre des suggestions inconcevables ou déraisonnables – invite Chilpéric à veiller à ce que son épouse Frédégonde ne soit pas triste et qu’elle trouve le bonheur dans sa couche143. À partir du moment où la monogamie a été imposée plus fermement, il n’est cependant pas exclu, même si les sources sont encore plus discrètes à ce sujet, que ce soit en dehors du couple légitime qu’ait été trouvée une forme d’épanouissement conjugal. Cela n’empêche pas néanmoins les individus polygames, de manière officielle ou non, de s’épanouir simultanément, hier comme aujourd’hui, dans plusieurs relations conjugales, apportant chacune leur lot de satisfactions. Pour autant, il est difficile, là encore, de savoir quelle proportion de couples, mariés ou non, pouvait être ainsi de connivence et « savourer ensemble la quiétude de l’inquiétude partagée », pour reprendre la définition qu’en donne Paul Jonckheere144. Si la documentation enregistre quelques cas d’hommes, comme Guillaume IV d’Aquitaine145 ou Louis VII146, et de femmes, à l’image de Galswinthe147, de Dhuoda148 ou de Godelive149, qui apparaissent insatisfaits des conditions dans lesquelles leur vie conjugale est pratiquée, voire en souffrent, ou encore de couples que trop de choses séparent pour pouvoir se supporter mutuellement, à l’image de 140 C. Treffort, Mémoires carolingiennes …, op. cit., p. 115-116 et Ead., « Adda, Goda et les autres … », art. cit., p. 246. Voir chapitre 2. 141 Lettres d’Abélard et Héloïse, op. cit., en particulier, no 1, p. 60-63 ; no 2, p. 148-149 ; no 3, p. 172-175 et 180-181. 142 Voir chapitre 3. 143 Fortunat, Poèmes, IX, 2, t. III, p. 19. 144 P. Jonckheere, L’union conjugale …, op. cit., p. 30. 145 Selon le moine Pierre de Maillezais, face aux reproches de sa femme Emma, le duc d’Aquitaine aurait d’abord fait la sourde oreille, puis, après que celle-ci s’est vengée de la vicomtesse de Thouars, serait rentré dans une colère implacable et enfin, après qu’elle l’a quitté pour la seconde fois, aurait fait preuve de mépris à son égard : Chronique de Maillezais, I, B, p. 102-105 et E, p. 113-115. 146 Suger mentionne la rancœur (rancor) que le roi ressent peut-être, dans une lettre qu’il lui écrit peu après les événements dont Louis VII l’a informé (Suger, Œuvres, t. II : Lettres de Suger, Chartes de Suger, Vie de Suger par le moine Guillaume, éd. et trad. F. Gasparri, Paris, 2001, no 6, p. 38-39), et Jean de Salisbury précise dans son Historia Ponticalis, rédigée entre 1148 et 1161, que le roi est très troublé (plurimum turbatus est) des familiarités du prince d’Antioche à l’égard de la reine, de la volonté de celle-ci de rester à Antioche pendant que le roi part pour Jérusalem et de son souhait d’annuler leur mariage pour consanguinité ( Jean de Salisbury, Historia Pontificalis, éd. et trad. angl. M. Chibnall, The Historia Ponticalis of John of Salisbury,Oxford, 1986, c. 23, p. 52-53). Voir J. Flori, Aliénor d’Aquitaine …, op. cit., p. 317-323. 147 Grégoire de Tours explique que Galswinthe, après s’être plainte « au roi d’avoir à supporter des injures et de ne jouir auprès de lui d’aucune considération », demande à pouvoir rentrer chez elle : DLH, IV, 28, p. 160 (trad. t. I, p. 210). 148 Dhuoda dit souffrir d’être seule à Uzès, séparée de son mari et de ses fils, ce qui ne l’empêche pas de leur souhaiter d’être heureux et gais : Dhuoda, Manuel …, op. cit., préface, p. 87 et I, 7, p. 117. 149 Godelieve ne supportant plus d’être maltraitée par son mari s’enfuit et retourne chez son père : Drogon de Bergues, Vita S. Godeliph, op. cit., c. 4-5. Voir G. Duby, Le chevalier …, op. cit., p. 1262.
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Louis V et d’Adélaïde150, le plus souvent rien n’est dit de ce que ressentent les maris comme les épouses : il n’est donc pas plus possible de savoir comment les femmes vivent la polygamie de leur mari, le désintérêt, voire le mépris, que celui-ci peut leur manifester, que de saisir ce qu’éprouvent les hommes à l’égard d’une épouse témoignant d’un comportement similaire à leur égard ou polyandre notoire, qu’elle soit partie prenante ou que la polyandrie lui soit imposée par un puissant. Percevoir correctement le fonctionnement du couple s’avère donc complexe, du fait de la diversité des situations et du filtre de la documentation. S’il apparaît fondé sur la complémentarité, bien des domaines semblent partagés ce qui invite à nuancer le partage sexuel des tâches tels qu’il est fréquemment présenté. S’il prend aussi en compte la domination masculine qui constitue une réalité dans la société altimédiévale, celle-ci pourrait se manifester davantage lors des démonstrations de pouvoir que dans l’intimité du quotidien. Enfin, s’il aboutit certainement le plus souvent à un mode de relations paisibles, du fait de l’acceptation par chacun de sa place et de son rôle comme ceux de l’autre, il ne conduit pas forcément à une relation épanouie poussant chacun des conjoints à être attentif à l’autre. L’approche des relations conjugales peut être enrichie par l’analyse de l’attitude des conjoints face à la mort, non pas tant pour savoir si cela représente un soulagement ou une souffrance dans une société où ils sont nombreux à ne pas s’être choisis sans que cela n’empêche cependant la naissance d’une affection, mais pour saisir comment ils se préparent et vivent la séparation provoquée par la mort.
Envisager et préparer la mort ensemble ? La durée de la vie conjugale n’est jamais très longue, on l’a vu151, du fait principalement de la mort prématurée de l’un ou l’autre conjoint. La documentation montre que certains couples au moins en ont conscience et qu’ils anticipent les conséquences de la mort qui frappe rarement en même temps les deux membres du couple et pose la question du devenir de chacun. Dans la mesure où la mort constitue l’aboutissement de toute vie et qu’elle représente une rupture, les individus, du haut Moyen Âge comme des autres sociétés, s’y préparent152, même si cela ne s’accompagne pas pour tous de démarches spécifiques. Mais dans quelle mesure y associent-ils leur conjoint et se soucient-ils de lui ? Il s’agit donc d’analyser dans quels contextes, comment et pourquoi, la perspective de la mort se trouve envisagée dans une optique conjugale, de manière à évaluer ce que cela peut traduire du fonctionnement des couples, mais aussi du souvenir qu’ils cherchent à laisser d’eux. Seront ainsi successivement 150 Richer explique que, lui étant « encore un adolescent et elle déjà une vieille femme, l’opposition de leurs habitudes provoqua entre eux des dissentiments (…) Ceci dura entre eux près de deux ans ; puis leur désaccord devint tel qu’un divorce ne tarda pas à s’en suivre » : Richer, III, 94, p. 118-121. Voir S. Joye, E. Santinelli-Foltz, « Le couple … », art. cit., p. 15-17. 151 Voir chapitre 2. 152 M. Godelier (dir.), La mort et ses au-delà, Paris, 2014, en particulier pour le Moyen Âge, J. C. Schmitt, « La mort dans le Moyen Âge chrétien », p. 179-201, notamment p. 184.
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étudiées trois types de dispositions prises par les conjoints, vivants, ensemble ou individuellement, pour se préparer à la mort de l’un d’eux, voire à celle de l’un et l’autre : celles qui préparent l’avenir du survivant, celles qui fixent la dernière demeure de l’un et l’autre et celles qui concernent le legs de l’héritage. Se préparer à la mort en se souciant du devenir du survivant ?
Chacun le sait : la vie ici-bas n’est pas éternelle et le plus souvent l’un des conjoints est amené à survivre à l’autre. Or la mort de l’un des membres du couple peut fragiliser la situation du survivant, dans une société qui n’accorde aux individus aucun droit sur le patrimoine du conjoint et où les puissants n’hésitent pas à profiter des difficultés rencontrées par leurs rivaux. Certains couples cherchent néanmoins à l’éviter, en prenant par anticipation les mesures nécessaires. La documentation témoigne, en effet, principalement pour les élites, du souci des conjoints d’assurer la sécurité matérielle et personnelle du survivant : si cela répond à des impératifs sociaux et politiques, on ne peut exclure que cela puisse révéler un véritable souci de l’autre qui se prolonge au-delà de la mort. Elle envisage plus souvent le cas où l’époux veille à assurer la protection de sa femme, mais elle enregistre aussi certaines stratégies qui aboutissent, comme nous l’avons évoqué à propos des transferts de patrimoine entre époux par l’intermédiaire des communautés religieuses153, à la situation inverse, voire à celle où le couple agissant solidairement se soucie du survivant quel qu’il soit. Le premier cas de figure est le plus fréquent, puisque, dans une société où la protection est exercée par les hommes, la mort du mari bouleverse la situation de sa femme, alors que la mort de l’épouse ne change, le plus souvent, rien sur ce plan pour celle de son époux : même si le partage des tâches rend nécessaire chaque conjoint, la mort n’a pas les mêmes conséquences selon que le survivant est homme ou femme. L’épouse relève de la protection personnelle et matérielle de son mari qui l’assume de son vivant, mais veille aussi à sa prise en charge s’il venait à décéder avant elle : qu’il s’agisse pour lui de se soumettre aux obligations morales dues à l’épouse ou aux pressions de celle-ci et de sa famille, il en résulte une forme de continuité de la communauté conjugale qui perdure au-delà de la séparation provoquée par la mort. Je me contenterai de reprendre les principales conclusions auxquelles je suis parvenue dans mon étude consacrée à la question154, complétées ici de manière à souligner ce que l’on peut en déduire des relations conjugales. Dès la formation du couple, la question de la sécurité matérielle de la femme en cas de veuvage est prise en compte, puisque la dotation de l’épouse par le mari vise entre autres à l’assurer, après avoir profité à la communauté conjugale. Si les biens échangés à cette occasion font l’objet de négociations entre les deux groupes familiaux qui s’allient par le biais du mariage, ils n’en sont pas moins remis par le mari à sa femme, ce dont témoignent plusieurs formules des vie-ixe siècles et de nombreux
153 Voir chapitre 3. 154 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 62-86.
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actes de la pratique des viiie-xiie siècles155, ce qui replace le geste dans le cadre de la conjugalité. Régine Le Jan a montré en outre que la dos ex marito, attestée dès le vie siècle, constituée de revenus fonciers dans les milieux élitaires, après avoir coexisté pendant les trois premiers siècles du Moyen Âge, avec la Morgengabe, composée de biens mobiliers, s’est progressivement imposée au ixe siècle aux dépens de celle-ci, parce qu’elle garantissait mieux la sécurité matérielle de l’épouse, ce qui témoigne d’une conscience plus nette du couple à une époque marquée par la conjugalisation du modèle familial156. Si cela ne reflète pas forcément une relation conjugale plus forte, il en résulte néanmoins l’image d’un mari plus attentif au devenir de sa femme. Par ailleurs, si certaines lois, formules et actes de la pratique prévoient parfois la concession de ces biens en toute propriété, d’autres précisent qu’il ne s’agit que de droits usufruitiers qui doivent notamment revenir, après la mort de la bénéficiaire, aux enfants nés du couple formé par celui qui les a donnés et celle qui les a reçus. Si le choix entre les deux options résulte probablement davantage du rapport de force existant entre les deux groupes familiaux au moment des négociations du mariage que de la nature des relations conjugales envisagées, il en résulte un fonctionnement du couple différent autour de ces biens qui participent à la vie conjugale avant de servir en cas de veuvage157. La première confère une certaine indépendance à l’épouse dans le couple, ce qui ne signifie pas qu’elle en dispose forcément, ni que, dans ce cas, elle agisse en toute autonomie sans conseil ni pression, notamment de son mari tant qu’il vit. Le pouvoir que cela procure à l’épouse explique notamment qu’au xe siècle, les reines de Francie, au rôle croissant sans être reconnues comme de véritables consortes regni à l’image de leurs homologues ottoniennes, n’aient reçu, au moment du mariage, que des biens réduits sans commune mesure avec la dotation des reines de Germanie158. La seconde option aboutit quant à elle à renforcer plus nettement l’unité du couple autour des enfants et du patrimoine, du vivant des deux conjoints, mais aussi après la mort de l’un ou l’autre, puisque l’on conserve le souvenir du couple parental dont l’union s’est accompagnée de la dotation de la mère par le père, dont les enfants sont héritiers. Quoi qu’il en soit, la reconnaissance de l’altérité, par le biais de la dotation, apparaît davantage répondre à une norme juridique et sociale qu’à un véritable mouvement vers l’autre, même si l’un n’exclut pas l’autre. En effet, si la dotation de l’épouse témoigne du souci d’assurer sa sécurité matérielle en cas de veuvage, elle ne rend qu’imparfaitement compte de la réalité conjugale. Dans les élites, intégrée dans les transferts qui accompagnent le mariage, elle fait, on l’a dit, l’objet de négociations entre les familles et dépend du degré d’association au
155 Outre la bibliographie donnée dans l’ouvrage précédent, voir F. Bougard et al., (dir.), Dots et douaires …, op. cit. 156 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 268-270 et 366-367 ; Ead., « Aux origines du douaire … », art. cit., en particulier p. 57-61. Sur la nature, la composition, la diversité et les évolutions de la dotation de l’épouse, voir aussi F. Bougard et al. (dir.), Dots et douaires …, op. cit. 157 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 324-331. 158 R. Le Jan, « Douaires et pouvoirs des reines en Francie et en Germanie (vie-xe siècle) », dans Ead., Femmes …, op. cit., p. 77-80.
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pouvoir de l’épouse, sans tenir compte des sentiments qui n’ont pas eu le temps de naître entre des conjoints, mariés sans s’être choisis, même si les formules justifient souvent le don par l’amour. Dans les milieux plus modestes, même lorsqu’il y a mariage et dot, il n’est pas sûr que celle-ci soit suffisante pour assurer la sécurité matérielle de l’épouse, ce qui ne signifie pas forcément que le mari se soucie moins du devenir de sa femme si celle-ci devait lui survivre. Il en est de même dans les couples où l’épouse n’a pas été dotée ou du moins n’a pas reçu un libellum dotis qui en fixe par écrit le contenu, comme en témoigne une formule de Sens déjà évoquée, de la seconde moitié du viiie siècle159, ce qui reste une réalité même après que les Carolingiens en ont fait une condition du mariage légitime160. En outre, rien n’exclut que les couples non mariés, donc sans avoir prévu officiellement de gain de survie pour la femme en cas de « veuvage », aient envisagé, au cours de leur vie conjugale, d’autres formes de dons pour s’y substituer, notamment dans les milieux élitaires pour les concubines, ou du moins certaines. Formules et chartes témoignent en effet, pour les élites, que la dot n’est pas le seul moyen pour un mari d’assurer la sécurité matérielle de sa femme : la dotation initiale peut ensuite être complétée par l’époux161, du fait de l’acquisition d’un surplus de richesse, de la naissance d’un enfant qui conforte l’union conjugale, de l’évolution du rapport de force dans et entre les groupes familiaux ou d’enjeux plus ou moins perceptibles, mais peut-être aussi du fait d’un attachement plus fort ressenti par les conjoints l’un pour l’autre. À l’époque mérovingienne, la promotion de certaines femmes de naissance non-libre au statut de reine s’est accompagnée de la donation de biens mobiliers, voire fonciers162. Il n’est pas impossible qu’une fois la monogamie plus fermement imposée, les élites masculines aient plus généralement fait de même avec les concubines officiellement reconnues. Pour autant, tout complément de dotation n’est pas forcément l’indice d’un attachement plus important du mari à sa femme et de son souci de conforter sa sécurité matérielle, comme en témoigne le cas de Lothaire II qui offre, en 866, 20 villae en toute propriété à Theutberge, lorsqu’il est contraint par le pape de la reprendre comme épouse163, ou de Guillaume IV d’Aquitaine qui, en 989, restitue, pour qu’elle en fasse ce qu’elle veut, son douaire augmenté à son épouse Emma qui l’a quitté, après avoir obtenu son retour164. Si dans l’un comme l’autre cas, il s’agit
159 MGH Form., Formules de Sens, Appendice, no 1, p. 208 : le modèle d’acte prévoit qu’un homme qui a épousé une femme sans lui avoir octroyé une dot par charte fasse des enfants qui lui en sont nés ses héritiers. Voir chapitre 1. 160 R. Le Jan, « Aux origines du douaire … », art. cit., p. 58 ; Ead., « Douaires et pouvoirs … », art. cit., p. 71. 161 Voir chapitre 3 sur les transferts entre époux, ainsi que R. Le Jan, « Douaires et pouvoirs … », art. cit., p. 70-71 et p. 73-76. 162 R. Le Jan, « Douaires et pouvoirs … », art. cit., p. 70-71. 163 MGH Diplomata Karolinorum, t. III, Berlin, 1966, Diplômes de Lothaire II, no 27, p. 429. Voir R. Le Jan, « Douaires et pouvoirs … », art. cit., p. 73. Sur les relations entre Lothaire II et Theutberge, voir chapitre 1 et 3, ainsi que l’annexe 2, textes no 10. 164 Charte éditée par J. Besly, Histoire des comtes de Poictou et ducs de Guyenne, Paris, 1647, no 38, p. 273-274 et Chronique de Maillezais, I, B, p. 106-107 et introduction, p. 38 et 65 ; voir E. Carpentier, « Un couple tumultueux … », art. cit., p. 211.
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par ce biais de témoigner publiquement de la restauration de la conjugalité, cela aboutit aussi à conforter l’indépendance matérielle de l’épouse, du vivant de son mari comme après. L’historien reste néanmoins démuni face à la rareté des actes écrits enregistrant les transactions intrafamiliales : outre qu’elles ne faisaient pas forcément l’objet d’une charte, même lorsque cela a été le cas, le texte en a rarement été conservé165. Si les pratiques laissent supposer que l’on est attentif à la question de la sécurité matérielle des épouses en cas de veuvage, cela n’est pas forcément la seule préoccupation des maris. Divers indices montrent que, lorsque la situation présente des risques, ils se soucient d’assurer la protection de leur épouse, en la confiant, s’ils venaient à mourir, à un proche en qui ils ont confiance. Grégoire de Tours précise que, parmi les dispositions prises, en 587 à Andelot, par les rois Gontran et Childebert II qui scellent définitivement leur alliance contre les Neustriens, le premier s’engage, s’il devait survivre au second, à prendre sous sa protection et sa défense la reine Faileuba, épouse de celui-ci166. Selon la Chronique de Frédégaire, lorsqu’en 639, le roi Dagobert sent sa fin proche, alors que son fils Clovis II est mineur, il fait venir le maire du palais de Neustrie pour lui confier son épouse, la reine Nanthilde, et son fils167. Il est difficile de connaître la situation conjugale du roi à ce moment, mais l’auteur qui a souligné sa polygamie dans un chapitre qui concerne les années 629-630168, ne le montre se souciant à sa mort que d’une seule reine, ce qui peut confirmer l’hypothèse, avancée au chapitre précédent, d’un couple privilégié par les rois polygames. Si la documentation se concentre principalement sur ce couple, parce que Nanthilde est reine et mère de l’héritier Clovis II, rien n’empêche que le roi ait aussi prévu des dispositions en faveur de ses autres partenaires, reconnues légitimes ou non, en particulier de Ragnetrude – si tant est qu’elle est toujours en vie169 –, mère de Sigebert qui partage l’héritage paternel avec Clovis et qu’il convient donc tout autant de protéger. Deux siècles plus tard, l’Astronome souligne que lorsque Louis le Pieux dicte son testament sur son lit de mort, inquiet des prétentions de son fils aîné Lothaire, il prévoit de donner à celui-ci une couronne et une épée richement décorées, « à condition qu’il soit fidèle à Charles et Judith » (ut fidem Karolo et Iudith servaret)170, son fils et son épouse, demi-frère et belle-mère de son aîné. À la génération suivante, dans le contexte des rivalités entre ses fils et leurs descendants, le pacte de Tuzey qui, 165 H. W. Goetz, « La circulation des biens … », art. cit., p. 861. Comme le souligne l’auteur, ce sont essentiellement les « archives » des églises qui nous ont été transmises. Or, les transactions intrafamiliales, ne concernant pas les églises, même lorsqu’un texte les a fixées par écrit, il ne figurait pas dans ces « archives », ou lorsqu’il y a transité, parce que certains biens sont ensuite passés dans le patrimoine d’une église, il en a été écarté au profit de l’acte enregistrant leur acquisition par la communauté religieuse. Les archives de Cluny en ont conservé néanmoins un nombre non négligeable pour les ixe-début xe siècles. 166 DLH, IX, 20, p. 436 (trad. t. II, p. 209). 167 Frédégaire, IV, 79, p. 180-181. 168 Frédégaire, IV, 58-60, p. 148-151. 169 Elle le serait pour C. Settipani qui l’identifie avec l’épouse du comte Waldebert mentionnée en 663 : C. Settipani, Les ancêtres de Charlemagne, Paris, 1989, rééd. 2014, p. 138-139. 170 Astronome, c. 63, p. 348.
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en 865, renouvelle entre Louis le Germanique et Charles le Chauve leur promesse d’aide mutuelle, prévoit notamment que le survivant des deux rois assure à la femme et aux enfants du défunt l’aide nécessaire et leur fasse preuve de fidélité171. Les sources n’enregistrent cependant qu’exceptionnellement de tels accords qui concernent exclusivement le milieu royal et se justifient par les désordres que peut provoquer la mort du roi. L’enjeu principal dans ces différentes situations est d’assurer la continuité du pouvoir royal au profit de l’héritier désigné par le roi, mais celui-ci ne s’en soucie pas moins aussi de son épouse, et pas forcément dans le seul but politique de permettre la transition entre père et fils, puisque que dans les deux derniers cas cités, les fils sont déjà majeurs et associés au pouvoir, ce qui limite le rôle de la mère sur ce plan, même si son soutien reste un atout. Pour autant, cela ne signifie pas que ce type de dispositions étaient réservées au milieu royal, ni limitées aux cas dont le souvenir a été conservé par les sources. Le chapitre 1 a montré que d’une manière générale, les hommes s’attachaient à assurer, en cas de menace, la protection de leurs épouses, comme de leurs enfants, ce qui peut laisser supposer que les maris ont cherché, à leur mort, en particulier en contexte difficile, à confier leur femme à un proche ou une communauté religieuse, plus que ne le mentionne la documentation, même s’il est difficile de faire la part entre les sentiments et les intérêts. En outre, en dehors des contextes particuliers qui exigent de fixer les obligations de chacun, voire de désigner précisément le protecteur, il y a très probablement entente tacite, notamment au sein de la parenté dont la protection est l’une des fonctions, pour prendre en charge femme et enfants laissés par un défunt, tant par humanité que pour préserver l’honneur du groupe. Si les sources évoquent plus souvent le cas d’hommes se souciant de la sécurité personnelle et matérielle de leur épouse, il arrive qu’elles témoignent de la situation inverse, par le biais de transactions avec les communautés religieuses qui, comme nous l’avons vu172, permettent à l’épouse de transférer à son mari des droits sur le patrimoine, mais aussi des alliances qui perdurent si elle devait mourir avant lui. Les conjoints ne se contentent pas de prendre chacun, même si les décisions sont conjointes, des dispositions pour conforter la situation de l’autre en cas de veuvage : il leur arrive aussi parfois d’envisager ensemble indifféremment la survie de l’un ou l’autre, ce qui témoigne d’un souci commun pour le devenir de l’autre, et donc d’une véritable conscience de et du couple, même si cela ne traduit pas forcément un attachement réel. Nous avons déjà évoqué173 les transactions réalisées par des couples – donations avec réserve d’usufruit ou précaires – qui prévoient le plus souvent une jouissance des deux conjoints tant qu’ils sont en vie, ce qui permet, notamment, au survivant de disposer de revenus et de bénéficier de la protection du monastère qui en détient la propriété. En dehors de ces dispositions, certains actes précisent explicitement, à partir du xie siècle, que le couple bénéficie ou peut bénéficier de liens privilégiés, incluant des bienfaits matériels et spirituels
171 Pacte de Tuzey (865), c. 4, MGH Capit., p. 166. 172 Voir chapitre 3. 173 Voir chapitre 3.
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de diverses natures174, dont l’une des conséquences si ce n’est l’une des causes est de pouvoir compter sur la protection de la communauté religieuse, ensemble puis séparément après la mort de l’un des conjoints. Une charte datée de 1049-1109, précise ainsi que Rainald et sa femme Berthe ont donné divers biens à Cluny pour être reçus dans la societas des moines175. À la fin du xie siècle, Eico et son épouse Girberga font une donation à l’abbaye de Lézat, à la double condition que, d’une part, ils puissent jouir des biens donnés leur vie durant, de même qu’à celui d’entre eux qui survivra à l’autre, et d’autre part, qu’ils soient reçus au monastère s’ils n’ont plus les moyens de vivre176. Une notice de la même époque, explique que Bernard Frossevillain, sa femme Algarde et leur fils Tescelin ont donné, vers 1056-1060, tous leurs biens à saint Aubin pour entrer dans le benefactum du monastère angevin. Ils en jouissent cependant leur vie durant et ils reçoivent en plus à titre viager un arpent de terre. Au décès de chacun d’entre eux, le monastère récupère les biens du défunt et, après la mort de tous les trois, l’arpent concédé177. La perspective de pouvoir se réfugier au monastère en cas de besoin, dans le premier cas, et bénéficier de sa familiarité dans le second, permet au couple d’envisager, entre autres, plus sereinement les conséquences de la mort de l’un ou l’autre. La documentation témoigne ainsi que certains couples se sont souciés des conséquences de la mort de l’un des conjoints pour le survivant, même si c’est plus souvent dans le cas où celui-ci était l’épouse, et que, pour certains, cela peut traduire une certaine attention, si ce n’est un attachement, à l’autre, sans exclure néanmoins d’autres préoccupations. Il reste cependant difficile d’apprécier la proportion des couples qui prennent explicitement de telles mesures et s’ouvrent suffisamment sur l’altérité pour que chacun se soucie du sort de l’autre après sa propre mort. L’hypothèse d’une conjugalité aimante relativement courante – sans être généralisée – dans tous les milieux, née du partage de la vie quotidienne, peut laisser supposer qu’elle n’était pas négligeable, mais tous ces couples avaient-ils pour autant les moyens de préparer les lendemains ? Quant à ceux qui ne sont liés que par l’indifférence, quand ce n’est par l’aversion, cela n’empêche pas, notamment dans les élites, qu’ils respectent les comportements fixés par la norme, prévoyant notamment d’assurer la sécurité matérielle et personnelle de ceux relevant de leur autorité protectrice, à commencer par l’épouse. Si les conjoints, ensemble ou séparément, se soucient parfois du survivant, ils se préoccupent aussi du défunt, et plus particulièrement de sa sépulture.
174 Sur le privilège d’être associés à la communauté monastique, de bénéficier de sa familiaritas, de son benefactum ou de sa societas orationum, c’est-à-dire de ses prières et de divers avantages matériels, voir D. Barthélémy, La société dans le comté de Vendôme …, op. cit., p. 425-428 ; M. McLaughlin, Consorting with Saints …, op. cit., p. 133-177, en particulier p. 159-165, sur l’évolution de la nature des liens entre élites laïques et communautés religieuses entre le viiie et xie siècle et l’intensification des privilèges liturgiques à partir de l’an mil environ. 175 Cluny IV, no 3134, t. 4, p. 298-299. 176 Lézat, no 819 (1075-1081). 177 Saint-Aubin, no 329 (avant 1096), p. 378.
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Prévoir d’être réunis ou séparés par la sépulture ?
La mort sépare les conjoints, mais elle peut aussi les réunir à nouveau lorsque le survivant, après sa propre mort, rejoint le défunt en étant inhumé à ses côtés. Si certains couples ont leur sépulture dans des lieux distincts, d’autres ont les leurs regroupées en un même endroit. Les sources précisent parfois que cela résulte de la décision de l’un ou l’autre conjoint, voire d’un choix de couple pris du vivant des deux conjoints, ce qui peut s’apparenter, dans le cas d’un regroupement des tombes conjugales, à la volonté de faire perdurer le couple au-delà de la mort et de laisser le souvenir d’un couple uni, conformément au modèle que l’Église cherche à diffuser178, même si la raison peut être autre. Cela n’exclut cependant pas, dans un cas comme dans l’autre, des pressions familiales pour imposer les stratégies en matière de contrôle territorial, dans la mesure où les lieux d’inhumation sont, pour les élites, des lieux de mémoire et donc de pouvoir, et où le domaine funéraire participe à la compétition sociale179. Il convient donc de préciser le sens de cette pratique et de mesurer le rôle des uns et des autres de manière à évaluer la place et le rôle du couple et ce que cela peut traduire des relations au sein du couple. Du vie au xiie siècle, certains couples se trouvent inhumés ensemble, ce que soulignent parfois les sources. Grégoire de Tours rapporte que la reine Clotilde fut ensevelie « aux côtés du roi Clovis » (ad latus Chlodovechi regis sepulta est)180. Le fait qu’il précise qu’elle est morte à Tours et qu’elle a été transportée à Paris montre que le couple ne s’est pas retrouvé uni dans la tombe par hasard. Grégoire souligne d’ailleurs le rôle des rois Childebert et Clotaire, fils de Clotilde et Clovis, lors des funérailles de leur mère et probablement pour organiser le transport de son corps en grande pompe, ce qui peut laisser supposer leur intervention dans ce choix, dont ils peuvent tirer profit sur le plan politique : ajouter, dans les années 540181, le corps de Clotilde à ceux des membres de la famille qui se trouvent déjà dans la basilique des Saints-Apôtres182, permet de renforcer le prestige de la basilique comme lieu de mémoire dynastique, voire l’importance symbolique de Paris comme siège historique de la dynastie183, et donc l’autorité
178 C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, op. cit., p. 171-172. 179 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 45-52 ; M. Polfer, « Le rituel funéraire mérovingien et la problématique des sépultures ‘aristocratiques’ des 5e-7e siècles ap. J.-C. », dans M. Margue (dir.), Sépulture, mort et représentation du pouvoir, Luxembourg, 2006, p. 59-60 ; G. Halsall, « La christianisation de la région de Metz à travers les sources archéologiques (5e-7e siècle) : problèmes et possibilités », dans M. Polfer (dir.), L’évangélisation des régions entre Meuse et Moselle et la fondation de l’abbaye d’Echternach (ve-ixe siècle), Luxembourg, 2000, p. 131-141. 180 DLH, IV, 1, p. 135 (trad., p. 181). 181 Les données sur la date de la mort de Clotilde sont contradictoires, ce qui explique les différentes dates retenues : 544, 545 ou 548. 182 Outre Clovis, se trouvent inhumés dans la basilique la fille du couple, Clotilde, et deux de leurs petits-fils : DLH, III, 10, p. 107 (trad., p. 152) et 18, p. 119 (trad., p. 164). 183 Voir entre autres R. Le Jan, Les Mérovingiens, op. cit., p. 35-36 ; R.-H. Bautier, « Quand et comment Paris devint capitale », 1979, rééd. dans Id., Recherches sur l’histoire de la France médiévale, des Mérovingiens aux premiers Capétiens, Hampshire, 1991, p. 17-29.
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des deux fils encore vivants du couple face aux descendants de Thierry, issus d’une première union de Clovis, dont l’autorité est centrée sur l’est du royaume. Si tel est le cas, cela revient aussi à réunir le couple fondateur – de la basilique comme de la dynastie – et à lui reconnaître ce double rôle184. Le choix peut cependant être celui de Clotilde ou du couple royal, que les fils ont respecté, d’autant plus qu’ils en espèrent des bénéfices politiques, et qu’ils cherchent peut-être, de ce fait, à l’instrumentaliser en organisant des rituels fastueux. La basilique a été, selon l’hypothèse la plus vraisemblable, fondée par le couple royal, ce qui lie étroitement à ce lieu le roi comme la reine. Dans la mesure où la fondation répond par ailleurs à des motivations multiples, tant religieuses que politiques, il n’est pas impossible que le couple ait décidé, dès sa fondation ou après, de rester associés à un symbole de leur autorité en choisissant d’en faire leur lieu de sépulture commune. Le modèle de Constantin qui a peut-être été suivi aurait été, dans ce cas, adapté, puisque le mausolée dynastique élevé dans sa nouvelle capitale de Constantinople par l’empereur romain, certes dans une autre situation conjugale que Clovis, n’accueille que sa seule sépulture185. Si, dans le monde franc du début du vie siècle, la décision d’être inhumés ensemble dans un même lieu a été conjugale, les raisons en sont d’abord politiques : il s’agit de conserver la mémoire d’un couple associé dans l’exercice du pouvoir. Mais cela n’exclut pas par ailleurs des raisons plus sentimentales qui pourraient pousser les conjoints à vouloir se retrouver symboliquement dans la mort. L’œuvre hagiographique de Grégoire de Tours qui montre que la pratique n’est pas spécifique au milieu royal peut le laisser supposer. Quatre notices issues De la gloire des confesseurs mentionnent des couples inhumés ensemble. La première qui figure aussi dans les Dix livres d’histoires, évoque l’histoire d’un couple resté chaste pendant plusieurs années avant de se vouer à la vie religieuse. À la mort de sa femme, l’homme la fait inhumer dans une sépulture qu’il avait préparée, puis à sa propre mort quelques temps après il est à son tour enseveli à la place qui l’attendait : tous les deux dans la même église, mais contre des murs différents. Par miracle, les deux sépulcres sont peu après retrouvés ensemble (pariter), ce qui vaut au couple d’être appelés par les habitants les deux amants (duo amantes)186. Les retrouvailles des époux dans la mort sont semble-t-il considérés comme une preuve d’amour, non seulement pour les élites ecclésiastiques qui peuvent y voir le témoignage de la fidélité que se doivent les époux dans la vie comme dans la mort, mais aussi pour la population. La seconde notice concerne un autre sénateur de Dijon du nom d’Hilaire et sa femme qui forment un couple chaste dans le sens où ils pratiquent une sexualité mesurée, puisqu’ils ont des enfants. À la mort de l’homme, il est déposé dans un sépulcre qui 184 E. Santinelli-foltz, « Aux côtés de Clovis … », art. cit., p. 84-85. 185 Voir P. Périn, « La tombe de Clovis », dans Media in Francia. Recueil de mélanges offerts à Karl Ferdinand Werner, Paris, 1989, p. 367-368 ; P. Maraval, Constantin le Grand : empereur romain, empereur chrétien : 306-337, Paris, 2011 (rééd. 2014), p. 192-193 et 224. Constantin meurt en 337, après ses deux épouses successives, Minerva († avant 307) et Fausta († 327). 186 Grégoire de Tours, GC, no 31, p. 317 ; DLH, I, 47, p. 31 (trad., p. 67) qui précise que l’homme est un sénateur de Dijon appelé Injurieux.
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accueille un an après sa femme, puisqu’il était assez grand pour cela et que le mari l’avait ordonné ainsi (juxta imperium viri). Par miracle encore, lorsque l’épouse est placée dans le tombeau, l’époux embrasse sa tête, ce qui fait l’admiration du peuple qui en déduit notamment qu’il y avait eu beaucoup d’affection entre eux dans ce monde187. Si l’ordre donné par le mari de voir sa femme inhumée à ses côtés peut suggérer la volonté de voir la seconde soumise au premier dans la vie comme dans la mort, il peut aussi correspondre aux instructions données, après décision conjugale, aux proches ou aux fossoyeurs, la hiérarchie au sein du couple faisant de l’époux son porte-parole. L’anecdote, loin d’insister sur des rapports hiérarchiques au sein du couple, souligne plutôt l’harmonie qui unit les conjoints, basée sur la pratique de la chasteté, la crainte de Dieu et une affection réciproque. D’ailleurs, la troisième notice qui concerne un couple uni par l’affection spirituelle – et non la luxure, selon Grégoire de Tours –, témoigne de la situation inverse donnant l’initiative à la femme : celle-ci, sur le point de mourir, prie son mari, Rétice, de faire déposer à sa propre mort son corps dans le même sépulcre que le sien, afin qu’unis dans un même lit par l’amour de la chasteté, ils le restent dans le sépulcre. Bien que Rétice soit devenu évêque d’Autun, cela ne l’empêche pas plusieurs années après, d’être déposé auprès de « sa très douce épouse », selon le vœu de celle-ci, après que ses ossements se soient miraculeusement placés d’un côté du large sépulcre prévu pour deux (ut eos unius sepulcri amplitudo susciperet)188. Quant à la quatrième notice, elle ne donne pas d’indication sur le couple qu’elle évoque ensuite, mais elle s’intéresse à un grand sarcophage dans un oratoire de Saintes, contenant – était-il dit – deux défunts, le mari et sa femme (sepultus fuisse duos, sponsum scilicet et sponsam)189. Un tel regroupement des époux ne relève pas que du discours puisque l’archéologie qui a mis à jour des sépultures doubles, avec deux squelettes adultes d’homme et de femme, peut laisser supposer qu’il s’agit d’une pratique réelle, sans être très fréquente, même s’il est impossible de prouver archéologiquement qu’il s’agit d’un couple conjugal190. Si les sources écrites postérieures témoignent rarement avec une telle précision de la manière dont les époux se trouvent matériellement inhumés ensemble, elles
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Grégoire de Tours, GC, no 41, p. 323-324. Ibid., no 74, p. 342. Ibid., no 59, p. 332. Par exemple, sarcophage no 45 de la nécropole mérovingienne de la butte de l’Isle-d’Aumont, à quelques kilomètres au sud de Troyes : J. Scapula, « Fouilles de la Butte d’Isle-Aumont (Aube) », dans Gallia, no 8/1 (1950), p. 77-94 (p. 88, fig. 6). Ou encore C. Tchirakadzé, « Une sépulture double d’époque mérovingienne à Desandans (Doubs) », dans Revue archéologique de l’est et du centre est de la France, no 36 (1985), p. 145 et n. 3. La tombe 5 de la rue P. Audry de Lyon (1ère moitié viie siècle) comporte 2 compartiments, dont un seulement est occupé par un homme : G. Gisclon et al., « Lyon, 54 rue Pierre Audry », dans E. Faure-Boucharlat (dir.), Vivre à la Campagne …, op. cit., Lyon, 2001 p. 373-374. Il est possible que le second ait été prévu pour son épouse qui, pour une raison inconnue, n’y a finalement pas été inhumée. Pour l’Italie, voir L. Jorgensen, « Castel Trosino and Nocera Umbra. A Chronological and Social Analysis of Family Burial Practices in Lombard Italy (6th-8th cent. A.D.) », dans Acta archeologica, no 62 (1991), p. 42 et I. Barbiera, « Buried Together, Buried Alone : Christian Commemoration and Kinship in the Early Middle Ages », dans Early Medieval Europe, no 23/4, (no 2015), p. 405.
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enregistrent régulièrement le cas de couples, royaux et aristocratiques, qui ont, ou prévoient, leurs sépultures dans un même lieu. Un diplôme octroyé par Clovis II à Saint-Denis rappelle en 654 que « dans ce lieu reposent [ses] parents, le seigneur Dagobert et la seigneure Nanthilde » (in quo eciam loco genetores nostri domnus Dagobercthus et domna Nathechildis videntur requiescere)191. La charte qui enregistre, en 691, les donations de Vuademerus et de son épouse Ercamberta à plusieurs églises et abbayes au nord du royaume franc, précise que le couple a prévu d’être inhumé dans l’abbaye de Précy (ubi sepulturas nostras ibidem habimus reconde[tas])192. La deuxième vie de sainte Aldegonde († v. 684), rédigée dans la seconde moitié du ixe siècle, qui précise, contrairement à la première, où est inhumée Aldégonde, note qu’elle le fut dans le domaine de Coulsore où ses deux parents (uterque parens suus) et sa sœur Waudru avaient, selon ce qui en était dit, leurs sépultures193. L’archéologie qui identifie, dans les cimetières à rangées comme dans les nécropoles familiales domaniales, des tombes privilégiées masculines et féminines placées à proximité peut laisser supposer qu’il s’agit de celles de couples, ce qui, sans exclure des raisons sentimentales, manifesterait dans la mort une supériorité qui s’affirme conjugalement, que ce choix résulte de la volonté du couple lui-même, du survivant, ou des héritiers qui s’en servent pour renforcer ou légitimer la leur194. C’est l’hypothèse retenue par exemple par Bailey Young pour les cimetières mérovingiens austrasiens de Lavoye et Mazerny195.
191 Die Urkunden der Merowinger, op. cit., no 85, p. 218. Sur la féminisation du titre seigneurial, voir chapitre 2, n. 217. 192 Chartes originales antérieures à 1121 …, op. cit., no 4494 (http://www.cn-telma.fr/originaux/charte4494/). voir Annexe 2, texte no 4. 193 Vita S. Aldegundis secunda (BHL 245), c. 27, éd. W. Levison sous le titre de Clausula Aldegundis, MGH SRM 6, p. 90. Sur la date de rédaction, voir A. M. Helvétius, Abbayes, évêques et laïques. Une politique du pouvoir en Hainaut au Moyen Âge (viie-xie siècle), Bruxelles, 1994, p. 159-160 et 318-320 ; synthèse de C. Mériaux, Gallia irradiata …, p. 346. 194 Pour la synthèse des acquis et les difficultés méthodologiques auxquelles sont aujourd’hui confrontés les archéologues, voir M. Polfer, « Le rituel funéraire mérovingien … », art. cit., p. 31-65. Voir aussi P. Demolon, « Cimetière et chapelle rurale mérovingienne à Hordain (Nord) », dans Septentrion, no 4 (1974), p. 71-72 ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 45-52 ; R. Vanmechelen, O. Vrielynck, « Bossut-Gottechain et Haillot (Belgique) : deux cimetières mérovingiens, deux expressions de la sépulture privilégiée », dans A. Alduc-Le Bargousse (dir.), Inhumations de prestige ou prestige de l’inhumation, Caen, 2009, p. 30, 32, 41 (pour Bossut-Gottechain dans la région de Louvain) et p. 52 (pour Haillot dans la région de Namur). Les travaux de Lars Jorgensen ont mis en lumière, dans d’autres espaces (danois, lombard, germanique), l’organisation des cimetières par groupes familiaux, parfois autour d’une paire de tombes privilégiées avec des équipements sexuellement différentiés, interprétées comme celles du couple leader du groupe à chaque génération : en particulier, L. Jorgensen, « Family Burial Practices and Inheritance Systems. The Development of an Iron Age Society from 500 to 1000 on Bornhold, Denmark », dans Acta archeologica, no 58 (1987), p. 28 ; Id., « Castel Trosino and Nocera Umbra … », p. 39. Je remercie Anne Nissen d’avoir attiré mon attention sur ces travaux. 195 B. K. Young, « Exemple aristocratique et mode funéraire dans la Gaule mérovingienne », dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, no 41/ 2 (1986), p. 386-387 (pour Lavoye), p. 396, 398-399 et 401 (pour Mazerny).
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Plan 1 : Tombes du couple fondateur d’une église (no 212 et 213) dans le cimetière à rangées de Mazerny196
196 Ibid., p. 298. Je remercie Bailey Young et Patrick Périn de m'avoir autorisée à publier le plan du premier, élaboré à l'aide de celui fourni par le second.
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Plan 2 : Tombes du couple fondateur (101 et 102) dans la nécropole familiale de Millau197
197 V. Gallien, Document final de Synthèse. Millau. « Aire de repos de Brocuéjouls », Afan Grand Sud-Ouest, DDE de l’Aveyron, SRA Midi-Pyrénée, Toulouse, 2001, annexe 1.1, fig. 16 (plan), et annexe 1.2, photo 4. Je remercie l'auteure de m'avoir autorisée à publier ces deux documents.
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Illustration 11 : Vue générale du site archéologique vers l’est. À l’arrière plan, les tombes surélevées 101 et 102 (photo de V. Gallien)
L’organisation du cimetière de Mazerny (plan 1) fait ressortir deux tombes privilégiées voisines (no 212 et 213), l’une masculine, l’autre féminine, interprétées comme celles du couple fondateur. C’est aussi l’hypothèse privilégiée par Véronique Gallien pour la nécropole familiale méridionale mise à jour lors la fouille réalisée en juillet 2001 à l’entrée nord du viaduc de Millau (plan 2). Les deux sépultures (n° 101 et 102) du viie siècle, occupées par un homme et une femme, installées côte à côte, à l’extrémité sud-est de la nécropole, se distinguent par leur construction soignée, suffisamment élevée pour les rendre bien visibles en surface, comme le montre la photo (illustration 11). Ces données tendraient à laisser croire à la présence d’un couple fondateur qui inaugure ou participe au développement de la nécropole. S’il s’agit bien d’un couple conjugal – ce que l’archéologie est incapable de prouver –, les sépultures non seulement le mettent en scène dans le cimetière, mais tout en soulignant aussi la hiérarchie au sein du couple, qui se manifeste dans la mort comme dans la vie, puisque la sépulture masculine est plus haute (30 à 40 cm par rapport aux autres tombes) que la féminine (20 à 30 cm), sans qu’il soit possible de savoir qui en a décidé ainsi198. Les mêmes hypothèses peuvent être avancées lorsque s’impose ensuite une nouvelle mode funéraire, au sein des élites, pour illustrer leur statut particulier, qui 198 Je remercie Véronique Gallien non seulement de m’avoir informée des résultats de cette fouille, mais aussi de m’avoir compilé les données issues des divers résumés de PCR, Archéologie Médiévale et autres BSR, ainsi que du rapport de fouille.
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consiste à opter pour l’inhumation dans une église ou un monastère, parfois fondés pour l’occasion199, dont le rôle – qui inclut l’entretien de la mémoire des puissants – est autant politique que religieux. Les sources écrites témoignent sans ambigüité que certains couples sont inhumés côte à côte dans des églises. Eginhard précise ainsi que Charlemagne fait inhumer sa mère Berthe « avec les plus grands honneurs dans la basilique Saint-Denis où reposait déjà Pépin, son père »200. Richer (xe siècle) rapporte que Lothaire est « enseveli à Reims dans le monastère de Saint-Remi, aux côtés de son père et de sa mère » (cum patre et matre)201. Quelques décennies plus tard, Adémar de Chabannes évoque une église du monastère de Trémolat où ont été enterrés le comte du Périgord, Félix Aureolus, et Principia, père et mère de saint Cybard202 († 581), ce qui en accroît le prestige au xie siècle, particulièrement pour Adémar qui a été moine à Saint-Cybard d’Angoulême, et témoigne d’une pratique commune à ce moment-là, comme aux siècles qui précèdent. Raoul Glaber précise qu’en 1032, lorsque meurt la reine Constance, « elle est transportée dans la basilique de Saint-Denis et inhumée auprès du roi » (iuxta regem)203. Vers 1070, une charte de l’évêque Isembert II de Poitiers évoque ses parents, Manasses et Amélie, inhumés dans le monastère poitevin de Saint-Cyprien204. En 1087, une autre du comte Baudouin II de Hainaut rappelle que son père Baudouin et sa mère Richilde reposent à Hasnon205. Au xiie siècle, Ordéric Vital rapporte que lorsque sa mère meurt, son fils, le chevalier Ansoud, « enterra son corps avec honneur dans la nef de l’église, près de celui qui avait partagé sa couche » (iuxta consortem thori)206 et Gislebert de Mons que Baudouin IV de Hainaut et Alix sont inhumés à Sainte-Waudru de Mons207, le comte 199 M. Polfer, « Le rituel funéraire mérovingien … », art. cit., p. 29. Sur l’apparition et le développement de l’inhumation ad sanctos, voir Y. Duval, Auprès des saints, corps et âme. L’inhumation « ad sanctos » dans la chrétienté d’Orient et d’Occident du iiie au viie siècle, Paris, 1988. Sur le privilège que représente l’inhumation à l’intérieur même d’un édifice religieux à proximité d’un corps saint, voir C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, op. cit., p. 177. Sur l’enjeu que représente la sépulture à l’époque carolingienne et encore plus dans la société seigneuriale des xie-xiie siècles, comme support du souvenir familial puis comme point d’ancrage d’une identité lignagère, voir Ead., « Autour de quelques exemples lotharingiens : réflexions générales sur les enjeux de la sépulture entre le ixe et le xiie siècles », dans Margue M. (dir.), Sépulture …, op. cit., p. 78-93 ; B. Meijns, « L’élection d’une sépulture comme affirmation politique. Les sépultures des princes territoriaux (ixe-xiiie siècle) », dans S. Balace, A. de Poorter (dir.), Entre Paradis et Enfer. Mourir au Moyen Âge, 600-1600, Catalogue d’exposition, Bruxelles, 2010, p. 182-193 ; M. Lauwers, « Le ‘sépulcre des pères’ et les ‘ancêtres’ … », art. cit., p. 70-72 ; Id., La mémoire des ancêtres, op. cit., p. 294-300. 200 Eginhard, Vie de Charlemagne, op. cit., c. 18, p. 44-45. 201 Richer, III, 110, p. 142-143. 202 Adémar de Chabannes, III, 36, p. 158 (trad., p. 247). 203 Raoul Glaber, III, 36, p. 210-211. 204 Saint-Cyprien de Poitiers, no 19, p. 124-126. 205 Duvivier, no 6, p. 18. 206 Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique, op. cit., V, 19, t. 3, p. 180. 207 Gislebert de Mons, c. 244, p. 320 (trad., t. 15, p. 143). Dans deux autres passages, sans mentionner explicitement que le couple comtal est inhumé ensemble, il est précisé à quelques lignes d’intervalle que le comte et la comtesse reposent à Sainte-Waudru de Mons : c. 1 et 19, p. 2 et 33-34 (trad., t. 14, p. 3 et 53-55). Voir M. de Waha, J. Dugnoille, « Mort et sépulture des comtes de Hainaut jusqu’en 1195 », dans M. Margue (dir.), Sépulture, …, op. cit.,p. 430.
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y ayant retrouvé son épouse, décédée deux ans avant lui208. La pratique rejoint, dans certains cas au moins, l’idéal des ecclésiastiques qui considèrent que l’homme ne peut pas plus séparer ce que Dieu a uni dans la mort que dans la vie et que les époux doivent être inhumés dans un même sépulcre209. Dans une société, où les individus connaissent souvent plusieurs expériences conjugales210, cela ne peut cependant pas être le cas pour tous les couples, même si la pratique paraît commune. Lorsque les sources évoquent l’inhumation des conjoints dans un même lieu, elles en font le plus souvent le constat, sans préciser ce qui la motive, ni qui l’a décidée. L’étude du contexte, sur lequel on a parfois des précisions, permet cependant de montrer que celle-ci ne résulte pas du hasard, ni de considérations théologiques seules. Pour ne prendre qu’un exemple, Baudouin, en 1070, puis Richilde en 1086, sont inhumés dans le monastère d’Hasnon, situé à la frontière de la Flandre et du Hainaut, ce qui permet de rappeler symboliquement le rôle du couple à l’origine de l’union des deux principautés sous leur autorité, du fait des droits de chacun d’eux sur l’une d’elle. Gislebert, qui écrit plus d’un siècle après les événements, souligne l’attention portée par le comte à ce monastère qu’il a fait reconstruire211, ce qui peut justifier qu’il ait participé au choix de cette communauté comme lieu de sépulture. La mise en avant de celui-ci n’exclut cependant pas la participation de Richilde pour décider de la reconstruction du monastère comme de son élection comme lieu d’inhumation, ce qui conforte l’autorité de ses fils qui succèdent à leur père. Lorsque Richilde meurt, elle rejoint Baudouin à Hasnon, alors qu’elle est liée à d’autres monastères hainuyers et qu’Hasnon se trouve excentré par rapport au Hainaut que leur fils Baudouin II a seul réussi à conserver de l’héritage de ses parents212. Cela peut néanmoins correspondre, sans nier le respect d’une décision qui aurait pu être prise conjointement avec Baudouin de son vivant, à la volonté de rappeler les droits de l’héritier du couple sur la Flandre – dont s’est emparé son oncle paternel Robert le Frison –, voire la limite à ne pas franchir par celui-ci. Que cela relève du choix de Richilde ou de son fils, cela associe clairement le couple au gouvernement de la double principauté et en conserve la mémoire. La constitution des lignages, qui a accompagné la patrimonialisation des honneurs, s’est partout traduite par l’association plus étroite au pouvoir de l’épouse aristocratique, mère des héritiers, et donc par son inhumation dans une nécropole familiale sacralisant le pouvoir213, souvent aux côtés de son mari. Si la pratique existe depuis les premiers siècles du
208 Gislebert de Mons, respectivement c. 55, p. 96 (trad., t. 14, p. 143) et c. 66, p. 105-106 (trad., t. 14, p. 161). 209 Burchard de Worms le rappelle au début du xie siècle, en s’appuyant sur Jérôme et Augustin : Burchard de Worms, Decretorum libri XX, l. III, c. 160-163, éd. G. Fransen, T. Kölzer, Darmstadt, 1992, p. 71. 210 Voir chapitre 2. 211 Gislebert de Mons, c. 2, p. 3 et c. 5, p. 6 (trad., t. 14, p. 5 et 9). 212 Voir E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 376-377 ; Ead., « Les femmes et la mémoire dans le Hainaut … », art. cit., p. 53 et 58. 213 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 50-52 ; M. Lauwers, La mémoire des ancêtres …, op. cit., p. 294-300 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 42-43 ; E. Magnani, Monastères et aristocratie en Provence, milieu xe siècle-début xiie siècle, Münster, 1999, en particulier, p. 123 (nécropole comtale de Montmajour) et p. 247-250 (Saint-Michel de Cousson, nécropole familiale des Riez).
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Moyen Âge, les sources l’enregistrent beaucoup plus fréquemment à partir du xe siècle. La construction d’une conscience familiale, autour des communautés accueillant les sépultures des détenteurs du pouvoir, s’est accompagnée de celle d’une conscience conjugale, favorisée par la commémoration des couples ancestraux, comme l’a montré le chapitre 2. Il en résulte non seulement une représentation du couple associé dans l’exercice du pouvoir, comme nous l’avions noté à propos de la memoria, mais aussi sa mise en scène, lorsque les deux tombeaux se trouvent placés côte à côte. Les sources ne soulignent cependant pas forcément que les couples sont inhumés ensemble, ce qui n’est peut-être pas utile parce que chacun le sait ou que la précision ne participe pas au message que l’auteur veut faire passer. Le croisement des informations permet néanmoins d’en repérer une multitude, ce qui ne veut pas dire que tous avaient leur dernière demeure en un même lieu. L’étude des couples royaux pour lesquels on connait le lieu de sépulture permet de préciser la fréquence et le sens de la pratique. Tableau 11 : Sépultures réunies ou séparées des couples royaux214
Couples royaux
Inhumés ensemble
Inhumés séparément
Clovis († 511) – Clotilde († 544-548) Clotaire Ier († 561) – Arégonde († v. 580) Childebert Ier († 558) – Ultrogothe Sigebert († 575) – Brunehaut († 613) Chilpéric Ier († 584) – Frédégonde († 597) Clotaire II († 529) -Bérétrude († 518-519) Dagobert († 639) – Nanthilde († 642) Clovis II († 657) – Bathilde († 680) Childéric II († 675) - Bilihilde († 675) Pépin III († 768) – Berthe († 768)
Basilique des SaintsApôtres
Saint-Médard de Soissons / Saint-Denis Saint-Germain-des Prés
Saint-Médard de Soissons / Saint-Martin d’Autun Saint-Germain-des Prés Saint-Germain-des Prés Saint-Denis
Saint-Denis /Chelles
Saint-Germain-des Prés Saint-Denis
214 Tableau réalisé pour l’essentiel à partir des informations fournies par A. Erlande-Brandeburg, Le roi est mort. Études sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois de France jusqu’à la fin du xiiie siècle, Paris, 1975. En gras, celui des conjoints qui rejoint l’autre.
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Couples royaux
Inhumés ensemble
Inhumés séparément
Charlemagne († 814) – Hildegarde († 783) – Fastrade († 794) – Liutgarde († 800) Louis le Pieux († 840) – Ermengarde († 818) – Judith († 843) Charles II le Chauve († 877) – Ermentrude († 768) Charles III le Simple († 929) – Frérone († 917) Louis IV d’Outre-mer († 954) – Gerberge († 969) Hugues Capet († 996) – Adélaïde († 1004) Robert Le Pieux († 1031) – Constance († 1032) Henri Ier († 1060) – Mathilde († 1044) Philippe Ier († 1108) – Bertrade († 1117) Louis VII († 1180) – Constance de Castille († 1160) – Adèle de Champagne († 1206) Philippe Auguste († 1223) – Isabelle de Hainaut († 1180) – Agnès de Méran († 1201)
Aix-la-Chapelle / Saint-Arnoul de Metz Saint-Alban de Mayence Saint-Martin de Tours Saint-Arnoul de Metz Cathédrale d’Angers Saint-Martin de Tours
Saint-Denis Saint-Remi de Reims
Saint-Fursy de Péronne / Saint-Rémi de Reims
Saint-Denis
Saint-Denis
Saint-Denis
Saint-Benoît sur Loire / Haute-Bruyère Saint-Port de Barbeau / Saint-Denis Pontigny Saint-Denis / Notre-Dame de Paris Mantes
Quatre constats majeurs ressortent de ce tableau. D’une part, les couples royaux qui inaugurent des dynasties se trouvent inhumés ensemble, ce qui doit probablement contribuer à légitimer l’autorité de leurs héritiers : c’est le cas de Clovis et Clotilde, de Pépin III et Berthe, d’Hugues Capet et Adélaïde ; c’est aussi celui de Louis IV et Gerberge, qui marquent le retour des Carolingiens, après une parenthèse robertienne. Le contexte influe donc sur les situations, les couples pouvant se trouver unis ou séparés dans la mort, que cela corresponde ou non à leur souhait. Il en résulte d’autre part, pour les couples réunis dans un même lieu d’inhumation, la volonté d’associer clairement le couple royal à l’exercice du pouvoir, ce qui conduit le conjoint survivant à rejoindre le défunt, quel que soit son sexe : si dans la plupart des cas, c’est la reine qui retrouve le roi, il arrive que ce soit la situation inverse : Clotaire II, Charles le Chauve et Henri Ier rejoignent leurs épouses respectives dans la tombe. Dans les trois cas, les rois se sont remariés après le décès de celle-ci, ce qui montrent que les unions successives ne font pas tomber dans l’oubli les couples précédents, y compris lorsqu’ils n’ont pas donné naissance à un héritier, comme dans le cas d’Henri Ier et de Mathilde et ce qui était,
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semble-t-il, prévu pour Charles le Simple et Frérone215, et lorsqu’ils n’ont pas eu une durée très longue (10 ans dans ces deux cas). Quant aux dernières épouses de ces rois, si l’on ne sait pas si Sigihilde a survécu à Clotaire II, les veuves de Charles le Chauve et d’Henri ne finissent pas aux côtés de leur mari, ce qui s’explique probablement par l’absence d’héritier pour Richilde, et par le remariage pour Anne de Kiev, ce qui les écarte l’une et l’autre des lieux de pouvoir associés à la royauté et ne justifie pas, au moment de leur mort, une inhumation dans une nécropole royale. En outre, bien que les rois aient souvent eus plusieurs épouses successives, voire simultanées, aucun ne partage un lieu de sépulture avec plus d’une épouse, et inversement, ce qui renforce l’image du couple royal, même si cela me semble davantage dû aux aléas de la vie qu’à une volonté délibérée puisque, nous l’avons vu en étudiant la memoria, les individus, tant hommes que femmes, assument les différents couples qu’ils ont pu former en se souciant de tous leurs conjoints, morts comme vivants. Hasard ou pas, la visibilité en sort renforcée pour les rois mérovingiens réputés polygames, ce qui conforte l’image d’un couple privilégié pour les actes d’autorité : Chilpéric et Frédégonde, Dagobert et Nanthilde se trouvent associés dans la mort, comme les sources laissent supposer qu’ils l’ont été particulièrement dans la vie216. Que l’initiative revienne au couple, à la reine devenue veuve ou à son fils, sa mise en œuvre témoigne de l’intérêt que cela représente en termes de prestige et de pouvoir. Enfin, le fait que certains couples royaux ne sont pas inhumés ensemble ne doit pas forcément être interprété comme une négation de la conjugalité, notamment lorsque la pratique s’inscrit dans un contexte où le pouvoir royal est fort, comme sous le règne de Charlemagne, ou en cours de restauration, comme au xiie siècle : prolongeant la complémentarité des époux dans l’exercice du pouvoir durant leur vie conjugale, elle permet de développer d’autres stratégies d’ancrage territorial du pouvoir en démultipliant les points d’appui, par le biais des lieux d’inhumation distincts pour les membres de la famille royale, ce qui n’exclut pas que cela traduise aussi des liens particuliers entre l’un des conjoints et une communauté religieuse, voire l’indifférence quand ce n’est pas le désamour entre les conjoints. Si le couple royal perd en visibilité, il n’en contribue pas moins, ensemble, après la mort à défendre indirectement par ce biais les intérêts de sa descendance. L’étude de Philippe Plagnieux sur les travaux réalisés dans le chevet de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés au milieu
215 Frérone est en effet inhumée en 917 à Reims, « cité royale au temps de Charles le Simple », et plus particulièrement à Saint-Rémi, avec lequel le couple entretenait des liens privilégiés, ce qui peut laisser supposer que le roi est aussi prévu d’y élire sépulture, mais une révolte l’écarte du pouvoir et il finit par mourir en captivité, ce qui explique son inhumation dans une communauté secondaire. Sur les liens du couple avec Saint-Remi de Reims, voir A. Eckel, Charles le Simple, Paris, 1899, p. 11-16 ; R. Mc Kitterick, « The Carolingians Kings and the See of Rheims, 882-987 », dans D. Bullough, R. Collins, P. Wormald (dir.), Ideal and Reality in Frankish and Anglo-Saxon Society. Studies Presented to J. M. Wallace-Hadrill, Oxford, 1983, p. 231-234 ; P. Depreux, « Saint Remi et la royauté carolingienne », dans Revue historique, 285 (1991), p. 250-254 ; C. Mériaux, « Affirmation d’une métropole : Reims du ve au xe siècle », dans P. Demouy (dir.), Reims, une métropole dans l’histoire : la ville antique et médiévale, Paris, 2014, p. 125-126. 216 Voir chapitre 3.
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Plan 3 : Réorganisation des sépultures royales mérovingiennes dans abbatiale de SaintGermain-des-Prés (mi xiie siècle)217
du xiie siècle, répondant à un programme liturgique et symbolique précis, visant notamment à exalter les origines du monastère, montre qu’il y a alors pleine conscience d’un pouvoir exercé conjugalement : si l’on ne sait pas exactement comment étaient disposés à l’origine les tombeaux des souverains mérovingiens inhumés à proximité de l’autel Saint-Vincent, dont le souvenir est toujours conservé six siècles après, ils se trouvent alors placés par couple : Chilpéric et Frédégonde contre le mur nord ; Clotaire II et Bérétrude contre le mur Sud ; Childebert et Ultrogoth derrière le maître autel 218. Si l’on ne peut exclure que l’inhumation dans un même lieu ait eu pour objectif, entre autres, d’unir dans la mort des couples attachés l’un à l’autre dans la vie, elle a pu réunir en un même endroit des époux qui ont fini par se détester, à l’image d’Henri II Plantagenêt, plus angevin qu’anglais, et d’Aliénor d’Aquitaine, ensevelis côte à côte à Fontevraud, alors que celle-ci a été retenue en captivité pendant 15 ans par son mari. Si le choix du lieu revient pour le roi à Guillaume le Maréchal, guidé par des raisons matérielles mais aussi par les liens d’Henri II avec l’abbaye, c’est la reine qui décide ensuite d’y rejoindre son époux en même temps que son fils Richard et sa fille Jeanne, moyen de contribuer, dans la mort comme dans la vie, à l’affirmation
217 Annales de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés (555-1743), BnF, ms fr 18816, fol. 66. 218 P. Plagnieux. « L’abbatiale de Saint-Germain-des-Prés et les débuts de l’architecture gothique », dans Bulletin Monumental, no 158/1 (2000) p. 10-12 et 26-27, ainsi que p. 23 pour le plan.
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de la puissance dynastique219. Fontevraud entretient ainsi la mémoire d’un couple uni, voire fusionnel, dans la mort, alors qu’il a été juxtaposé, puis séparé, pendant plus de la moitié du temps où il a été marié. Le fait pour un couple royal d’être réuni ou non dans un même lieu de sépulture, sans exclure forcément l’influence des sentiments conjugaux qu’ils relèvent de l’affection, de l’indifférence, de l’aversion ou de la haine, dépend donc du contexte spécifique dans lequel vivent et meurent les conjoints et répond principalement à des stratégies que l’on ne perçoit pas toujours forcément et qui évoluent. Il en est de même dans l’aristocratie, comme l’a montré Georges Declercq qui est arrivé aux mêmes conclusions en analysant le mode de sépulture des couples comtaux de Flandre des ixe-xiie siècles. Il propose en effet d’expliquer le passage du regroupement conjugal des sépultures à Saint-Pierre de Gand, pratiqué dans les années 918-1035, à la dispersion observée entre le milieu du xie et le début xiie siècle, où chacun des conjoints opte pour sa fondation privilégiée, par le renforcement de l’autorité princière qui rend moins nécessaire d’organiser la mémoire autour d’un unique centre religieux et se traduit par la volonté de mieux manifester son emprise territoriale en y organisant la mémoire de la dynastie comtale et des couples princiers dans l’ensemble de la principauté220. Si une telle séparation des époux peut refléter le fonctionnement réel du couple durant sa vie conjugale, sur la base d’un partenariat plus que d’une véritable association affective, elle ne s’en explique pas moins, comme le regroupement des tombes conjugales plus fréquent, par des stratégies politiques. La pratique qui consiste à privilégier l’inhumation en couple, sans exclure des sépultures séparées pour répondre aux aléas de la vie ou à des stratégies particulières, n’est pas propre à la France : elle est attestée en Germanie comme en Espagne notamment221. Si elle ne traduit pas forcément une complicité conjugale qui n’existait peut-être pas, elle contribue à la représentation du couple lié dans la mort après l’avoir été dans la vie. Le plus souvent, il est difficile de saisir la part qui revient au couple dans ce choix, dont on ne sait s’il a anticipé la question de la mort sur ce plan. Il arrive néanmoins que les sources témoignent de son rôle actif, même si cela n’exclut pas des pressions extérieures. Deux types de témoignages mettent plus particulièrement en valeur la conjugalité. Le premier, le moins probant, montre des individus prendre des dispositions pour être le moment venu inhumés aux côtés de leur conjoint défunt. En 874, Gisèle fait ainsi une donation à l’abbaye de Cysoing pour que son époux Evrard, mort en 219 J. Flori, Aliénor d’Aquitaine …, op. cit., p. 154-155 (captivité), p. 190 (inhumation d’Henri II à Fontevraud), p. 285-286 (choix de Fontevraud par Aliénor). Les Gisants commandés par Aliénor pour Henri II et Richard et probablement pour elle-même, sont l’expression d’une idéologie politique valorisant la dynastie Plantagenêt (ibid., p. 286). Voir aussi A. Erlande-Brandenburg, « Le Gisant d’Aliénor d’Aquitaine », dans M. Aurell (dir.), Aliénor d’Aquitaine …, op. cit., p. 175-178. 220 G. Declercq, « Entre mémoire dynastique et représentation politique : les sépultures des comtes et comtesses de Flandre (879-1128) », dans Margue M. (dir.), Sépulture …, op. cit., p. 321-372. 221 P. Corbet, Les saints ottoniens …, op. cit., p. 47 et 250 (Édith et Otton inhumés à Magdebourg), p. 131, 220 et 250 (Henri et Mathilde inhumés à Quedlinburg) ; Id., « Pro anima senioris sui … », art. cit., p. 241 et p. 247 ; R. Walker, « Images of Royal and Aristocratic Burial in Northern Spain, c. 950-c. 1250 », dans E. Van Houts (dir.), Medieval Memories : Men, Women, and the Past in Europe, 700-1300, Harlow, 2001, p. 159-162.
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Italie et dont elle a fait revenir les restes, puisse être enterré près de l’autel « selon le désir de ma volonté », précise-t-elle222, alors qu’une autre de ses concessions a prévu quatre ans auparavant sa propre sépulture dans ce même lieu223. À terme, il est donc prévu que le couple repose ensemble à Cysoing, ce qui aura été permis par l’action de Gisèle. Pour autant cela n’exclut pas que Gisèle puisse se contenter de mettre à exécution des choix prévus auparavant par le couple. Certes, le cœur du pouvoir d’Evrard était situé en Frioul, mais le couple a aussi des possessions entre Scarpe et Escaut, auxquelles il accorde de l’importance, puisqu’il y fonde le monastère de Cysoing : cela peut justifier qu’il y ait songé pour sa sépulture, d’autant que le corps d’Evrard est transféré avec l’aide de son fils Unroch qui a hérité des possessions italiennes224 et renonce donc à un lieu de mémoire lié à la sépulture de son père. Si le rôle de Gisèle a été essentiel dans la construction de la mémoire familiale et sa continuité autour de Cysoing225, cela n’interdit pas une décision conjugale en amont. À la fin du vie siècle, Fortunat avait déjà évoqué le cas de Brumachius, mort en Italie lors d’une ambassade, dont l’épouse Frigia, par amour (amando), ramène le corps, pour pouvoir continuer à l’honorer comme elle l’avait fait de son vivant226. Le poète insiste, ce qui est fréquent dans les épitaphes, sur l’affection qui lie les époux et il n’y est pas question de sépulture commune, mais le rapatriement du corps n’en est pas moins attribué à l’épouse et justifié par la volonté de bénéficier de la proximité de sa dépouille. L’inhumation du couple dans un même lieu à l’initiative de l’épouse est beaucoup plus clairement exprimée vers 961-962 par Folcuin, moine à Sithiu/SaintBertin devenu plus tard (965) abbé de Lobbes, dans ses Gesta abbatum Sithiensium227. L’auteur explique qu’en 918, à la mort du comte Baudouin II, sa veuve Elfstrude se prononce pour une sépulture au monastère de Saint-Pierre-au-Mont-Blandin à Gand, contre l’avis de certains vassaux en faveur de Sithiu où reposait le père du comte, parce qu’elle « désirait être inhumée avec lui dans le même cimetière » (cupiens cum illo pariter in uno cimeterio concinerari) et qu’« il n’était pas encore permis d’inhumer une femme dans le monastère de Saint-Bertin (…) »228. L’auteur, qui témoigne des enjeux que représente une sépulture princière et des débats que cela suscite, justifie donc que son monastère n’ait pas accueilli une deuxième tombe comtale – Baudouin II, après Baudouin I229 – par la volonté de la comtesse de pouvoir être dans la mort, aux côtés de son mari, comme elle l’avait été dans la vie. Si Folcuin met en avant 222 Cysoing, no 5 (1er juillet 874), p. 10-11. 223 Ibid., no 4 (2 avril 870), p. 8-9. 224 Ibid., no 1, p. 1, trad. S. Lebecq, « Le testament d’Evrard et Gisèle de Cysoing … », art. cit., p. 61. Sur la fondation de Cysoing, voir la présentation de S. Lebecq, ibid., p. 60 ; C. Mériaux, Gallia irradiata …, op. cit., p. 143. 225 C. La Rocca, L. Provero, « The Dead and his Gifts … », art. cit., p. 266 ; E. Santinelli, « Les femmes et la mémoire dans le Hainaut … », art. cit., p. 56-57. 226 Fortunat, Poèmes, op. cit., IV, 20, p. 150-151. 227 C. Mériaux, Gallia Irradiata …, op. cit., p. 25. 228 Folcuin, Gesta abbatum Sithiensium, MGH SS, 13, c. 103, p. 627. 229 Sur le rôle, à partir de la fin du ixe siècle, des monastères-nécropoles familiales dans la sacralisation du pouvoir des familles aristocratiques et l’organisation de leur memoria, voir entre autres R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 50-51 ; M. Lauwers, « Le ‘sépulcre des pères’ et les ‘ancêtres’ … », art. cit., p. 67-78.
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Elfstrude, dont le souhait peut traduire un attachement conjugal qu’elle souhaite prolonger dans la mort, sans exclure d’autres motivations sociales et politiques, cela n’empêche pas que ce choix ait pu être pris d’un commun accord avec Baudouin et que la comtesse, lui ayant survécu, se soit chargée de sa mise en œuvre. Ce type de disposition n’est pas propre aux femmes, comme le montre une charte datée de 948 qui témoigne de la situation inverse : elle enregistre la donation que fait un certain Bodo à Cluny pour la sépulture de sa défunte femme Teotana, ainsi que pour la sienne le moment venu230. Si Bodo se charge, au moment de la mort de son épouse, des démarches qui doivent conduire à ce que le couple soit inhumé ensemble à Cluny, rien n’interdit que la décision ait été prise conjointement du vivant de Teotana. Certains actes individuels pourraient donc là encore cacher des décisions conjugales et les faire aboutir, prolongeant ainsi la complémentarité qui existait dans le couple du vivant des deux conjoints. Le deuxième type de témoignage montre en effet que l’inhumation d’un couple au même endroit est régulièrement prévue en couple, ce qui participe aux stratégies conjugales, même si cela peut répondre aussi à des motivations plus sentimentales. Une notice rapporte qu’en 875, deux aristocrates bretons, Deurhoiarn et sa femme Roiantken, liés depuis plus de vingt ans à Redon, ont pris des dispositions pour être inhumés ensemble dans le petit monastère de Saint-Maixent, où les moines ont trouvé refuge du fait des raids normands. Ces dispositions sont ensuite mises à exécution à la mort de Deurhoiarn en 876, par sa veuve et le fils du couple, Iarnwocon, puis à celle de Roiantken, quelques temps après, par celui-ci231. À partir du xe siècle, les chartes enregistrant des donations pro sepultura se multiplient232. Celles de Cluny ont ainsi conservé la trace de nombreuses concessions réalisées par des couples, voire par l’un des conjoints du vivant de l’autre et souvent avec son accord, pour que le monastère accueille la sépulture des deux époux233. Une charte de la fin du xie siècle conservée par le cartulaire de Lézat prévoit que Bernard et son épouse Ermengarde soient inhumés avec honneur dans le monastère234, de même qu’une autre contemporaine pour Eicio et Girberge235. Quant au cartulaire de Saint-Sernin de Toulouse, il comporte un acte de 1093 qui fixe la répartition des sépultures entre Saint-Sernin et la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse et prévoit que les élites habitant la paroisse Saint-Étienne, notamment les chevaliers et leurs femmes (milites omnes et
230 Cluny I, no 727, p. 683-684. 231 Cartulaire de l’abbaye de Redon, éd. A. De Courson, Paris, 1863, no 236 (875-878), cité par M. McLaughlin, Consorting with saints …, op. cit., p. 1 et p. 133. 232 C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, op. cit., p. 177. 233 Par exemple, Cluny I, no 129 (910-927), p. 140-141 ; no 144 (910-927), p. 150 ; no 146 (910-927), p. 151-152 ; no 182 (910-927), p. 170 ; no 520 (940 env.), p. 506 ; no 535 (941), p. 521-522 ; no 597 (942-954), p. 563-564 ; no 727 (948), p. 683-684 ; no 813 (951), p. 767-768 ; Cluny II,no 1589 (982), p. 632-633 ; Cluny III, no 2040 (993-1048), p. 246-247 ; no 2375 (996-1031), p. 476-477 ; no 2537 (1001), p. 607 ; no 2702 (1016), p. 727 ; Cluny IV, no 3160-3161 (1049-1109 ?), p. 316-317 ; no 3190 (1049-1109 ?), p. 333-334 ; no 3237 (1049-1109 ?), p. 361. 234 Lézat, no 815 [… 1075-1081 …], p. 591-592. 235 Ibid., no 819 [1075-1081], p. 594-595.
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eorum uxores), soient inhumés dans le premier236, ce qui laisse supposer que la norme était d’enterrer les couples ensemble, même s’il est difficile de savoir si les sépultures des conjoints se trouvaient regroupées, en particulier pour les couples des milieux modestes inhumés de plus en plus au cours du haut Moyen Âge dans le cimetière paroissial237. Il en résulte cependant, au moins pour les élites, l’image d’une certaine continuité du couple qui entend perdurer au-delà de la mort, voire d’un attachement qui veut se poursuivre dans la mort, ce qui ne correspond pas forcément à la réalité, davantage guidée par des stratégies politiques238. Si le couple se soucie du sort du survivant comme du défunt, il se préoccupe aussi de ce qu’il laisse. Prévoir ensemble la répartition de l’héritage ?
La mort pose la question de l’héritage laissé par le couple. Le patrimoine reste certes séparé et revient aux héritiers, selon un ordre précisément défini par la loi qui privilégie les enfants et les consanguins de chacun des conjoints239, mais certains biens ont été acquis ensemble et le patrimoine est souvent, comme nous l’avons vu, envisagé comme celui du couple, du moins lorsqu’il est marié, et donc géré conjointement. Si le couple en use dans le cadre de stratégies à la fois conjugales et familiales, il arrive qu’il prévoit son devenir après la mort de l’un et l’autre conjoint, ce qui témoigne de sa volonté de décider ensemble de la transmission de ce qu’il a construit de concert, même si cela n’exclut pas des influences extérieures. La loi privilégie la transmission de l’héritage aux enfants, mais elle ne fixe pas la répartition entre eux. En outre, chaque individu peut prévoir avant sa mort le transfert d’une partie de son patrimoine à d’autres que ses héritiers directs, ce qui nécessite un accord écrit pour éviter toute contestation. Certains de ces textes ont été conservés, notamment lorsque le bénéficiaire était une communauté religieuse. Dans une société qui se christianise et où l’Église s’est progressivement imposée comme intermédiaire pour œuvrer au salut des morts240, les couples – du moins, ceux des élites qui ont des biens – ont de plus en plus prévu d’en réserver une partie pour assurer le salut de leur âme, en les donnant à une communauté religieuse chargée de prier pour eux. Ces donations, qu’elles soient le fait de couples ou non, s’inscrivent néanmoins dans des stratégies
236 Cartulaire de Saint-Sernin, no 2 (1093), t. II.1, p. 471-474. 237 C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, op. cit., p. 143-147, p. 153-157 et p. 165-167 ; Plus généralement, M. Lauwers, Naissance du cimetière : lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005. 238 Je pense qu’il faut nuancer ce que j’avais écrit en insistant sur les signes d’affection, dont témoignerait la volonté des individus d’être inhumés en couple (E. Santinelli, Des femmes éplorées ?…, op. cit., p. 42-43) : les situations sont plus complexes. 239 PLS, c. 59, p. 222-223, analysé par R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 233. Voir aussi H. W. Goetz, « La circulation des biens … », art. cit., p. 876-877. 240 Voir entre autres C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, op. cit., p. 85-112 ; M. Lauwers, La mémoire des ancêtres …, op. cit., p. 172-194 ; R. Amiet, « Le culte chrétien pour les défunts », dans D. Alexandre-Bidon, C. Treffort (dir.), À réveiller les morts. La mort au quotidien dans l’Occident médiéval, Lyon, 1993, p. 277-286 ; J. Le Goff, J. C. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, 1999, notices « Au-delà », rédigée par J. Le Goff, p. 89-102, « Corps et âme » par J. C. Schmitt, p. 230-245, et « Mort(s) », par M. Lauwers, p. 771-789.
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complexes qui, tout en recherchant des bienfaits spirituels dans l’au-delà, doivent conforter les intérêts conjugaux et familiaux présents et parfois même permettre qu’ils perdurent après la mort des donateurs. Il convient de préciser comment les couples ont parfois organisé la répartition de leur héritage, aux profits des enfants, voire d’autres individus, et des communautés religieuses, et ce que cela peut traduire à la fois des relations conjugales, de la représentation qu’en donnent les sources et de la mémoire que le couple en laisse. Les couples, dont l’une des fonctions est d’avoir des enfants pour leur transmettre l’héritage, privilégient par conséquent la transmission de leurs biens à leur profit. La naissance de plusieurs enfants peut cependant poser la question de la répartition du patrimoine entre eux. Jusqu’à la fin du ixe siècle, tous les enfants241 sont juridiquement cohéritiers de leurs parents, ce qui ne signifie pas qu’ils soient pour autant traités à égalité, mais, sauf en cas de gestion en indivision, il faut fixer concrètement la répartition. Les sources montrent que le couple parental peut s’en soucier de son vivant. Une formule de Marculf (viie siècle) prévoit, par exemple, l’enregistrement d’un testament, présenté comme celui d’un couple : « Moi, un tel, et mon épouse, une telle (…) nous avons établi notre testament (…) » (testamentum nostrorum concedimus)242. La suite du texte distingue ensuite ce qui est prévu, à la mort de l’un et de l’autre, pour les biens du mari (partagés entre sa femme et ses enfants) et ceux de sa femme (dont la jouissance revient à son époux). Elle peut laisser supposer un rôle majeur du mari dans la répartition du patrimoine entre les enfants, mais le testament insiste à plusieurs reprises sur la jouissance commune des biens tant qu’ils vivent l’un et l’autre, les décisions prises conjointement (sicut nobis pariter convenit), notamment pour assigner les biens aux enfants et la responsabilité du survivant pour mettre à exécution les dispositions prises, ce qui milite plutôt en faveur d’un testament élaboré ensemble par le couple. Celui, rédigé vers 865, par Evrard et Gisèle l’affirme clairement. Le texte explique dès les premières lignes et rappelle à la fin qu’il s’agit d’une décision conjointe : Moi, Evrard, comte, ai décidé avec mon épouse (cum conjuge mea) Gisèle comment nos enfants devront après notre mort hériter en pleine possession de notre bien que nous avons partagé entre eux d’une manière raisonnable et minutieuse, sans qu’il y ait d’opposition ni de contestation querelleuse, ainsi que des esclaves et autres biens meubles qui nous appartiennent. (...) nous voulons par dessus tout que ces dispositions soient entérinées ainsi que nous les avons prescrites. Au nom de Dieu, moi, Evrard, comte, ai décidé avec ma femme (cum conjuge) Gisèle que le testament de ce partage soit établi entre nos enfants243.
241 À partir de l’époque carolingienne, il y a cependant distinction entre enfants légitimes et illégitimes : voir E. Santinelli, « Naître in ou extra legitimo matrimonio … », art. cit., p. 73-74. 242 MGH Form., Formulae Marculfi, II, 17, p. 86-88. 243 Cysoing, no 1, p. 1-5 (trad. S. Lebecq, « Le testament d’Evrard et Gisèle de Cysoing … », art. cit., p. 61-66 et, pour la datation, p. 61).
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Le testament enregistre la répartition des biens envisagés comme celui du couple, entre leurs sept enfants (4 garçons et 3 filles) qui reçoivent tous des biens fonciers, des biens mobiliers et des livres, précisément définis, même si les garçons sont avantagés sur les filles, que les enfants voués au siècle ne reçoivent pas le même type d’objets et de livres que ceux destinés à une carrière religieuse, et que le fils aîné se distingue de ses frères en recevant, notamment, les possessions lombardes et alamanes de son père244 et en se trouvant chargé de distribuer ce que le couple pourrait acquérir d’ici sa mort. À partir de la fin du ixe siècle, la mise en place des lignages qui conduit souvent, même si ce n’est pas systématiquement, à privilégier la primogéniture masculine n’exclut pas pour autant les cadets, ni les filles de toute part d’héritage : même si les biens qui leur sont donnés font généralement partie des biens marginaux – acquêts, héritage maternel, biens mobiliers245 –, il n’en faut pas moins choisir ce qui est transmis à chacun. Si la documentation n’a pas conservé le texte de telles répartitions réalisées par des couples, elle évoque les biens que tel individu, garçon ou fille, a reçus de ses parents, père et mère associés, ce qui peut en être la trace. Vers 934 (?), l’évêque de Poitiers, Frotier, qui a réédifié le monastère de Saint-Cyprien, lui donne des biens qu’il a acquis en héritage de son père et sa mère (ex hereditate mea, que ex genitore et genetrice devenit michi)246. En 972, Robert donne à Cluny des biens qui lui proviennent de son père et de sa mère (de patre ac matre obvenerunt)247. Si la formulation peut laisser douter, comme dans ces deux actes, d’une action conjointe des parents, elle est parfois sans équivoque. En 946, Girard et Suficia, qui ont au moins quatre fils répartissent les biens qu’ils ont dans la villa de Sevanis entre deux d’entre eux, ce qui doit prendre effet après leur mort, puisqu’ils en gardent la jouissance jusque-là248. Au début du xiie siècle, Arnaud Raimond et sa femme Guascheta donnent à leur fils Guillaume, moine à Lézat une église et divers revenus avec l’accord de leurs trois autres fils249. Pour les filles, c’est surtout lorsqu’il est question de la dot, considérée comme une part d’héritage, qu’il y a parfois allusion aux père et mère. En 1010, Auscende donne à Notre-Dame de Saintes « l’alleu dont elle a hérité et que lui ont donné son père et sa mère le jour de ses noces »250. À la fin du xie siècle, Aimeric et son épouse Ava donnent leur fille en mariage à Raimond Porcel, avec une partie de leur héritage (aliquid de hereditate nostra)251. Les biens donnés aux enfants en avance d’héritage, aux filles comme aux fils, peuvent néanmoins toujours être complétés ensuite par les parents, notamment au moment de leur mort252. Les concessions réalisées par
244 R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 236 ; C. La Rocca, L. Provero, « The Dead and his Gifts … », art. cit., p. 234 et 245-258. 245 D. Lett, Famille et parenté dans l’Occident médiéval, ve-xve siècle, Paris, 2000, p. 28-30. 246 Saint-Cyprien de Poitiers, no 3, p. 4-5. 247 Cluny II, no 1317, p. 392-393. 248 Cluny I, no 693, p. 647-648. 249 Lézat, no 1737 [… 1114-1126 …], t. II, p. 507-508. 250 Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes, éd. T. Grasilier, Niort, 1871, no 140, p. 106. 251 Lézat, no 1152 [1071-1093], t. II, p. 110-111. 252 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 207-208.
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le couple parental au profit de communautés religieuses avec réserve d’usufruit pour les deux conjoints et un ou plusieurs enfants peuvent aussi être considérées comme un moyen de préparer la transmission de l’héritage. Une charte, datée des années 996-1031, prévoit ainsi que Gui et sa femme Emenilde, qui ont au moins deux fils et une fille, donnent à Cluny une partie de leur héritage, avec l’accord de leur fils Raoul, à condition que de leur vivant à tous les trois, ils puissent en jouir253. De telles précisions sur l’origine du patrimoine ou les transferts intrafamiliaux sont plutôt rares, mais les références plus nombreuses aux biens ex hereditate ou à ceux acquis jure paterno et materno ou encore obtenus du père ou de la mère, voire des parents – terme pouvant désigner les géniteurs comme d’autres consanguins –, qui ne retiennent que ce qui est utile juridiquement, n’excluent pas des décisions prises ensemble de manière anticipée par les deux parents. Même lorsqu’il n’est question que des biens transmis par un seul des parents, la seule mention de celui-ci, qui peut se justifier par les droits qu’il détient seul, n’empêche pas que la transmission puisse avoir été décidée par les deux parents – à moins que l’un ou l’autre ne soit déjà décédé –, y compris pour les élites masculines quand elles prévoient une part d’héritage à un enfant né hors mariage légitime. Cela ne signifie pas que le couple parental agisse toujours conjointement sur ce plan, mais la documentation laisse supposer que, comme pour tout ce qui relève des enfants, c’est souvent un domaine partagé où il apparaît associé, même si la documentation ne retient que le cas des couples mariés. Si les couples préparent leur mort en organisant, probablement fréquemment de concert, le transfert de leur patrimoine à leurs enfants, ils prévoient aussi parfois ensemble, du moins dans les élites et pour les couples mariés, d’en réserver une part pour assurer le salut de leur âme, ce qui se traduit de plus en plus par des donations aux communautés religieuses chargées de prier à leur intention et s’intègre dans un système d’échanges où, aux dons matériels, répondent des contre-dons spirituels, notamment au profit des défunts. La question de la memoria a été envisagée au chapitre 2 pour montrer qu’elle contribuait à entretenir la mémoire des couples. Il s’agit d’y revenir en se focalisant sur le couple donateur ou celui auquel appartient l’individu, homme ou femme, à l’initiative d’une donation, pour mesurer comment chacun, ensemble ou séparément, se soucie du sort de l’autre dans l’au-delà. En effet, si les donations pro anima s’inscrivent dans des relations complexes qui impliquent les communautés ecclésiastiques, les donateurs, les défunts, voire les pauvres, et répondent à des motivations sociales254, elles ont aussi des objectifs spirituels sur lesquels insistent les chartes précieusement conservées par les communautés bénéficiaires. Or, la documentation montre que c’est un objectif parfois recherché en couple, pour le couple : les stratégies développées ensemble pour défendre ses intérêts communs concernent la vie ici-bas comme l’au-delà. Les témoignages qui
253 Cluny III, no 2360, p. 466-467. 254 J. Wollasch,« Les moines et la mémoire des morts », dans D. Iogna-Prat, J.-C. Picard (dir.), Religion et Culture autour de l’an mil. Royaume capétien et Lotharingie, Paris, Picard, 1990, p. 47-54 ; M. Lauwers, La mémoire des ancêtres …,p. 69-100 et 172-193 ; Id., « Le ‘sépulcre des pères’ … », art. cit., p. 75 ; M. McLaughlin, Consorting with Saints …, op. cit.,p. 133-178.
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existent dès le vie siècle se multiplient à partir du ixe siècle avec le développement de la prise en charge de la prière pour les morts (memoria) par l’Église. Les formulaires prévoient des modèles d’acte de donations conjugales à des communautés pour racheter les péchés des donateurs et espérer une rétribution éternelle au profit de leur âme et d’autres concernant d’autres types de transferts de patrimoine qui y font allusion. Les formulaires d’Auvergne (fin vie siècle) et de Marculf (viie siècle) intègrent ainsi un modèle d’affranchissement d’esclaves réalisé par un couple pour le salut de son âme255, ce qui est aussi évoqué dans l’une des formules Augienses (ixe siècle)256, preuve, puisqu’il n’y a pas d’autres intervenants, que la question du salut fait partie des préoccupations des couples christianisés. Plusieurs formules d’Angers (fin vie siècle), de Marculf (viie siècle) et Augienses (ixe siècle) prévoient des donations à des monastères réalisées par un couple pour son âme, effectives immédiatement dans le premier et le troisième cas257, après la mort des deux conjoints dans le second258. Un modèle issu des formulae Augienses envisage le même type de dispositions dans le cadre d’une précaire259. Plusieurs formulaires incluent par ailleurs des modèles de donations entre époux ou de testaments qui évoquent ce qui a été donné par les époux aux lieux saints pour leur âme260. Les actes de la pratique qui enregistrent, dans l’ensemble des régions du monde franc, les concessions concrètes réalisées par les couples royaux et aristocratiques les justifient régulièrement par le souci d’assurer leur salut. La charte, déjà évoquée, qui enregistre, en 691, les donations de Vuademerus et de son épouse Ercamberta à plusieurs églises et abbayes au nord du royaume franc, précise que le couple les a faites pour l’âme des deux conjoints (pro animis nostris)261. En 762, Pépin III et Berthe donnent, pour le remède de leur âme notamment, différents biens au monastère de Prüm qu’ils ont fondé262, pour leur salut futur (pro futura salute), rappelle trois décennies plus tard, un diplôme de leur fils Charlemagne263. Le testament d’Evrard et de Gisèle qui répartit, vers 865, le patrimoine conjugal entre les enfants du couple évoque aussi les biens que le couple entend faire distribuer, après sa mort (post nostrum obitum), pour le salut de son âme (pro salute anime nostre), en particulier la moitié de ce qu’il pourrait acquérir après la rédaction de l’acte264. Dans les années 910-927, Itbert et sa femme Alsende concèdent une partie de leur héritage à Cluny pro remedio animarum nostrarum265 et dans les
255 MGH Form., Formulae Arvernenses (vie siècle), no 4, p. 30 ; Formulae Marculfi (viie siècle), II, 32, p. 95. 256 Ibid., Formulae Augienses (ixe siècle), coll. A, no 13, p. 344. 257 Ibid., Formulae Andecavenses (vie siècle), no 46, p. 20-21(le modèle précise que le monastère bénéficiaire a été édifié par le couple communiter) ; Formulae Augienses (ixe siècle), coll. B, no 1, p. 347-348. 258 Ibid., Formulae Marculfi, II, 3, p. 74-76. 259 Ibid., Formulae Augienses, coll. A, no 13, p. 344. 260 Ibid., Formulae Marculfi (viie siècle), II, 7, p. 79-80, reproduit quasiment à l’identique dans les Formulae Augienses (ixe siècle), coll. B, no 26, p. 359 ; Formulae Marculfi, II, 17, p. 86-87. 261 Chartes originales antérieures à 1121 …, op. cit., no 4494 (http://www.cn-telma.fr/originaux/charte4494/). voir Annexe 2, texte no 4. 262 MGH Diplomata Karolinorum I, éd. E. Mühlbacher, Hanovre, 1906, no 16, p. 21-25. 263 Ibid., no 165 (790), p. 222-224. 264 Cysoing, no 1, p. 5 (trad. S. Lebecq, « Le testament d’Evrard et Gisèle de Cysoing … », art. cit.,p. 66). 265 Cluny I, no 144, p. 150.
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années 936-957 Adhelard et sa femme Fulcuera donnent une serve à Saint-Ghislain (Hainaut) pro anime nostre redemptione266. En 1047, Geoffroi Martel et Agnès dotent de nombreux biens le monastère Notre-Dame de Saintes qu’ils ont fondé pour remédier notamment à leurs péchés en vue du jugement dernier267. Vers 1138 (?), Raimond Roger de Padern et sa femme Ermengarde donnent avec leurs trois fils, différents droits à l’abbaye de Lézat (Languedoc) pour le remède de leur âme entre autres268. En 1176, Baudouin V de Hainaut, avec l’accord de son épouse Marguerite, concède à l’abbaye de Vicoigne (Hainaut) une partie de ses biens pro remedium nostrarum269. Le fait que les motivations pieuses soient aussi parfois mentionnées par d’autres types de sources laisse supposer qu’il ne s’agit pas que d’une expression intégrée dans les formulaires. Deux lettres de Loup de Ferrières rappellent ainsi, dans les années 845-847, la donation de la celle de Saint-Josse qu’avait faite à son monastère l’empereur Louis le Pieux à la demande de l’impératrice Judith, pour que les moines prient pour leur salut notamment270. Gislebert de Mons évoque une donation réalisée par le couple hainuyer Baudouin V et Marguerite au profit de Sainte-Aldegonde de Maubeuge dont l’abbesse et la communauté s’engagent en retour, après leur mort, à célébrer solennellement à perpétuité leur anniversaire pour leur âme271. Quelles que soient les motivations réelles de ces gestes, ils offrent, ou du moins les textes qui en conservent le souvenir, l’image de couples solidaires dans la vie comme dans la mort et attentifs à obtenir, souvent ensemble, le salut de chacun, conformément au modèle conjugal proposé par les moralistes272. Il reste cependant difficile de mesurer la sincérité de ce qui pourrait apparaître comme une ouverture à l’altérité, dans la mesure où le choix des bénéficiaires des contre-dons spirituels est guidé par des considérations sociales et politiques, même si le rôle des liens affectifs peut aussi intervenir. D’ailleurs, compte tenu des implications multiformes de ces donations, pour l’exercice du pouvoir comme pour la mémoire qui en est conservée, elles ne concernent que des couples légitimes, à l’image de Baudouin V de Hainaut et de Marguerite, alors que l’on sait que le comte connait d’autres formes de conjugalité273. Cela ne signifie pas forcément que celui-ci n’était pas attaché à son épouse, ni qu’il n’ait pas souhaité assurer son salut autant que le sien, mais les pratiques et les enjeux de pouvoir tendent à l’imposer, quelle que soit la nature réelle des relations conjugales. Inversement, la documentation ne conserve pas de trace de dispositions prises par un couple illégitime pour assurer son salut, ou par un individu pour l’âme d’un conjoint illégitime, ce qui ne signifie pas forcément que les uns et les autres ne s’en soient pas souciés.
Duvivier, no 3, p. 11. Cartulaire de l’Abbaye Notre-Dame de Saintes, op. cit., no 1, p. 1-5. Lézat, no 1040, t. II, p. 36-37. Duvivier, no 44, p. 86-87. Loup de Ferrières, Correspondance, op. cit., no 42, p. 177 et no 57, p. 233. Gislebert de Mons, c. 242, p. 318-319 (trad., t. 15, p. 141) : post eorum decessum pro animabus ipsorum perpetuum cum veneratione celebravit anniversarium. 272 Voir chapitre 3. 273 Voir chapitre 1. 266 267 268 269 270 271
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Si des témoignages existent partout quant aux dispositions prises par les couples mariés pour assurer ensemble leur salut dans l’au-delà, par le biais notamment de donations pro anima, il n’en reste pas moins que de nombreux actes enregistrent des concessions réalisées par des individus, seuls – hommes plus souvent que femmes – ou en couple qui ne mentionnent aucun souci pour l’âme du ou des conjoints, voire aucun contre-don spirituel attendu. Pour autant, faut-il en conclure que certains individus n’y sont pas attentifs ? Sans l’exclure, il faut nuancer les conclusions dans ce sens. D’une part, l’approche de la pratique se fait par le filtre des sources, dont il est difficile de savoir pourquoi certaines précisions sont données par les unes et non par les autres. Ainsi, les actes insérés dans le cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers justifient peu les gestes des bienfaiteurs et donc mentionnent peu le souci qu’ils ont de leur âme, alors que les donations pro anima sont plus fréquemment évoqués par d’autres cartulaires de la région comme celui de Saint-Nicolas de Poitiers et par les chartes au profit de Saint-Maixent, par exemple. En particulier, alors que le cartulaire de Saint-Cyprien inclut deux donations réalisées vers 960 par le vicomte Cadelon et sa femme Sénégonde, sans rien évoquer de leurs préoccupations spirituelles, la charte datée des mêmes années qui enregistre une autre donation du couple au profit de Saint-Maixent s’en fait l’écho en introduisant un préambule qui rappelle que les biens acquis ici-bas peuvent servir à mériter la vie éternelle et en soulignant que ce qui est donné l’est en aumône274. Il faut donc très certainement tenir compte des procédés de rédaction. D’autre part, même lorsque les données ont une même origine, elles montrent que le couple, ou l’un des conjoints, réalise des concessions qui font tantôt allusion aux contre-dons spirituels au profit du couple et tantôt n’en font pas état. C’est le cas des diplômes de Charles le Chauve, élaborés ou du moins validés par la chancellerie royale. Sur les 321 actes qui nous sont parvenus alors qu’il est marié à Ermentrude (842-869), 67 (21%) prévoient des contre-dons spirituels à son intention sans allusion à la reine, 71 (22%) y associent son épouse. On retrouve, pour le couple qu’il forme ensuite avec Richilde (870-877) des proportions du même ordre et une répartition équivalente entre les actes qui mentionnent le salut du roi et celui du couple royal : sur les 130 diplômes de Charles le Chauve, 27 (21%) associent la reine à la memoria du roi, contre 25 (19%) qui envisagent celle du roi sans la mentionner. J’ai avancé l’hypothèse, dans un article sur le sujet, que les dispositions mémoriales en faveur du couple plutôt que du roi seul pouvait être liées, d’une part, à des moments et des lieux particuliers où celui-ci devaient conforter son autorité, voire sa légitimité, et d’autre part aux liens privilégiés avec certaines communautés religieuses qui seraient plus spécialement chargées d’entretenir la mémoire des couples royaux275. Un acte qui ne mentionne pas de contre-dons spirituels, en particulier pour le couple, ne signifie pas que le roi, voire le couple royal, ne s’en soucie pas, ce qui est probablement aussi plus généralement le cas pour les milieux élitaires.
274 Saint-Cyprien de Poitiers, no 460 (958 ou 959) et no 461 (963 ou 964), p. 285 ; Chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Saint-Maixent …, op. cit., no 29 (964), p. 44-45. 275 E. Santinelli-Foltz, « In memoria regine. Entretenir la mémoire de la reine à la lumière des diplômes de Charles le Chauve », dans L. Jégou et al. (dir.), Splendor Reginae …, op. cit., p. 212-228.
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Tout laisse donc supposer que, compte tenu des implications de la mort, les individus s’attachent à préparer la leur, ce qui se fait souvent en couple dans les élites, où les enjeux sont importants, dans la mesure où les dispositions prises, tant matérielles que sociales et spirituelles, participent aux stratégies conjugales et, au-delà, familiales. La perspective de la séparation par la mort conduit ainsi régulièrement à rapprocher d’abord le couple, tout en le sensibilisant à la question de l’altérité, même si les mesures décidées ne visent pas toujours tant à s’assurer du sort de l’autre qu’à protéger des intérêts familiaux. Certaines d’entre elles, prolongeant d’une façon ou d’une autre la communauté conjugale au-delà de la mort, révèlent par ailleurs que les conjoints n’envisagent pas forcément que la mort rompe tout lien entre eux.
Rester lié au conjoint défunt ? Préparer la mort est une chose, la vivre en est une autre. Si la mort constitue une rupture, elle ne supprime pas pour autant tous les liens entre vivants et défunts, en particulier entre ceux qui ont été liés par la conjugalité. La mort de l’un des conjoints met certes fin au couple d’un point de vue physique et, lorsqu’il est marié, juridique. Après un temps de deuil, marqué par des rites d’accompagnement du défunt et de séparation avec lui, le survivant peut notamment conclure une nouvelle union et former un nouveau couple276, même si, depuis les Pères de l’Antiquité tardive, l’Église invite les fidèles, à profiter de la libération des liens matrimoniaux pour renoncer l’état conjugal entaché du péché de chair et à s’élever vers un idéal de perfection, chaste et tourné vers Dieu277. Que le survivant se remarie – voire s’engage à nouveau d’une manière qui s’y apparente –, ce qui correspond à la norme278, ou qu’il renonce à la conjugalité, il n’en reste pas moins lié au défunt diversement. De quelles manières le lien conjugal se trouve-t-il maintenu ? Quelles sont les conséquences de la pluralité des expériences conjugales sur ce plan ? La nature des formes prises par ce maintien dépend-il du type de relations que les conjoints ont entretenu du vivant de l’un et l’autre ? Tous les individus restent-ils attachés d’une manière ou d’une autre à leurs conjoints ? Les comportements à l’égard du défunt diffèrent-ils selon que le survivant est homme ou femme ? L’objectif est donc de comprendre comment et pourquoi le lien conjugal peut se trouver conservé et ce que cela traduit des relations au sein du couple, ou de l’image que l’on veut en donner. La documentation évoque plus particulièrement, du moins pour les couples mariés issus des élites, quatre types de liens entre les conjoints, dont l’un est vivant et l’autre mort, en dehors des transferts de patrimoine et des enfants qui, comme cela a déjà été évoqué, les lient, qu’ils soient mariés ou non, matériellement et par une descendance commune279 : le maintien du 276 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 109-117. 277 M. Humbert, Le remariage à Rome. Étude d’histoire juridique et sociale, Milan, 1972, p. 327 et 365 ; I. Réal, Vies de saints …, op. cit., p. 217-221 ; P. Corbet, « Pro anima senoiris sui … », art. cit., p. 235 ; Id., Les saints ottoniens …, op. cit., p. 193 ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 118-120 et p. 157. 278 Voir chapitre 2. 279 Voir chapitre 3, pour le patrimoine, et chapitre 2, pour les enfants.
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vocabulaire conjugal ; l’entretien du souvenir du défunt ; les échanges conjugaux lors de visions ; le souci de l’âme du défunt. Ils seront successivement étudiés. Conserver la terminologie conjugale
Tout au long de la période, la documentation utilise les termes d’uxor, conjux, vir et senior (dans le sens de mari), même lorsque le conjoint est défunt. Si elle n’envisage que des couples mariés, ou présentés comme tels, elle les évoque avec des approches très diverses, du fait de la nature différente des sources, et dans le cadre de situations extrêmement variées, ce qui laisse supposer une pratique courante. Cela ne signifie cependant pas que le lien conjugal soit rappelé avec le même objectif : il s’agit ainsi tantôt de souligner une relation incestueuse ou la fidélité au conjoint défunt, tantôt de suggérer des droits ou des avantages liés à la conjugalité passée, tantôt encore de préciser l’évolution de la situation conjugale d’un individu, les différentes explications pouvant se cumuler. Il n’empêche que, comme je l’ai montré dans mon étude sur le veuvage, la terminologie de la conjugalité est le plus souvent préféré, lorsqu’il est question d’un individu en particulier, à celle de la viduité (vidua/viduus ; relicta/relictus)280, ce qui laisse supposer que le lien conjugal qui a existé n’est pas complètement rompu avec la mort du conjoint. Au vie siècle, Grégoire de Tours évoque, par exemple, dans ses Dix livres d’histoires, le duc Magnoald qui, après la mort de son frère, mit la femme de celui-ci (uxorem fratris) dans son lit281 et, dans son Liber in gloria confessorum, une femme qui vit dans l’entourage de la basilique Notre-Dame de Lyon, où se trouve inhumé son mari (vir), dont – est-il précisé – elle reste considérée comme la coniux282. Au viie siècle, la Chronique de Frédégaire indique qu’après la mort de Mummolus, sa femme (uxorem eius) Sidonie est présentée au roi Gontran283. Les Annales royales expliquent qu’en 771, après la mort de Carloman, sa femme (uxor Carlomanni) part pour l’Italie284. Eginhard et Loup échangent en 836 des lettres sur la mort de l’épouse (conjux, uxor) du premier dont la douleur et les tourments dureront jusqu’à sa propre mort285. Plusieurs diplômes de Charles le Chauve évoquent son épouse (conjux) Ermentrude et son épouse (conjux) Richilde, certains précisant que la première est défunte et la seconde vivante286. Dans la première moitié du xe siècle, une charte de donation au profit de Cluny d’un certain Maingod pour l’âme de sa sœur Ève, décédée, est souscrite par Tecelin, époux (senior) de celle-ci287. Quelques 280 E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 24. 281 DLH, VIII, 36, p. 404 (trad., t. II, p. 171). 282 Grégoire de Tours, GC, no 64, p. 335-336. Voir aussi ci-après ce qui concerne les visions et le souci de l’âme du conjoint défunt. 283 Frédégaire, IV, 4, p. 66-67. 284 Annales royales, a. 771, p. 32. 285 Loup de Ferrières, Correspondance, op. cit., nos 2-4, p. 10-41. 286 Charles le Chauve, no 355 (871), t. II, p. 290 : valde nobis amabilis conjugis Irmintrudis (…) Richildis dulcissimae nobis conjugis ; no 379 (875), p. 349 : Hirmintrude olim conjuge nosta, (…) conjuge nostra Richilde regina, quam nunc (…) regio thoro copulatam habemus ; no 444 (877), p. 499 : conjuge nostra Hirmentrudi quae decessit et Richildi quae superest. 287 Cluny III, no 2013 (993-1048), p. 225.
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décennies plus tard, une lettre écrite en 986 par Gerbert au nom de la reine Emma fait part à la mère de celle-ci, l’impératrice Adélaïde, de la mort de son mari (vir) et lui demande de le chérir288. Richer précise qu’après la mort de Gislebert (939), le roi Louis IV épouse la femme de celui-ci (ejus uxor), Gerberge289 et un diplôme de la reine daté de 968 présente Gislebert comme son vir290, près de 30 ans après sa mort. Vers 1015, une charte du comte Robert de Mortain mentionne son épouse (uxor) défunte – Bileeldis – et sa femme en vie Asceline291. Une notice déjà évoquée datée de 1047-1067 mentionne qu’Agnès a d’abord été épouse (uxor) du chevalier Hubert de Durtal, avant d’être celle actuelle de Renaud292. Quelques années plus tard, une charte au profit de Saint-Père de Chartres fait allusion aux deux maris (seniores) de Mahilde d’Alluyes, Guillaume, puis Geoffroi293. En 1105, une autre enregistrant la donation à Lézat de Vacher d’Espeireger, homme très noble, sollicite des faveurs pour son épouse (uxor), récemment décédée294. Gislebert de Mons explique, dans sa Chronique du Hainaut, qu’en 1191, après la mort du comte Philippe de Flandre, sa femme (uxor) Mathilde s’attache à fléchir le roi en sa faveur295 et une charte datée de 1192 la présente de même comme l’épouse (uxor) du comte de Flandre et de Vermandois296. Ces quelques exemples sélectionnés parmi d’autres, concernant le milieu élitaire principalement éclairé par les sources, appellent quatre remarques. D’une part, si les références à un lien conjugal antérieur sont plus nombreuses pour les femmes, ce qui peut s’expliquer par un veuvage féminin plus fréquent et une fidélité plus grande exigée de l’épouse que du mari, dans la vie comme après la mort du conjoint, elles sont aussi attestées pour les hommes : l’attachement au lien conjugal, quelle qu’en soit la raison et la nature – pas forcément d’ordre sentimental –, est donc partagé par les deux sexes, ce qui ne veut pas dire que tous les individus, hommes comme femmes, y accordent la même importance. D’autre part, cet attachement perdure pour les deux sexes même lorsqu’il y a remariage : la formation d’un nouveau couple ne fait pas tomber dans l’oubli les précédents, la pluralité des expériences conjugales étant assumée par celui ou celle qui les a vécues comme par le nouveau conjoint. Cela confirme ce qui avait déjà été noté à propos de l’entretien de la mémoire des couples défunts297. En troisième lieu, si certaines mentions sont enregistrées peu après le décès du conjoint, ce qui peut laisser supposer que cet attachement est temporaire, d’autres soulignent le lien conjugal plusieurs années après la mort du conjoint : la mémoire du couple, quelle que soit la durée de l’union et son rang dans
288 Gerbert d’Aurillac, Correspondance, op. cit., no 74, t. I, p. 180-183. 289 Richer, II, 19, t. I, p. 156-157. 290 Diplomata reginarum, éd. Recueil des Historiens de la Gaule et de la France, t. IX, no 5, p. 666. 291 Recueil des actes des ducs de Normandie, éd. M. Fauroux, Caen, 1961, no 16, p. 97. 292 Saint-Aubin d’Angers, no 287, p. 329 (trad. E. Santinelli, « Ni ‘Morgengabe’, … », art. cit., p. 272). 293 Saint-Père de Chartres, l. VII, no 67 (avant 1070), p. 193. 294 Lézat,no 1607, t. II, p. 431. 295 Gislebert de Mons, c. 184, p. 271 (trad., t. 15, p. 49). 296 Duvivier, no 79, p. 161. 297 Voir chapitre 2.
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les expériences conjugales, se trouve conservée à jamais, même si elle est plus ou moins explicitement mobilisée selon les situations. Enfin, si dans plusieurs cas, le rappel du lien conjugal peut s’expliquer par les droits – réels ou prétendus – qui en résultent et sont réaffirmés par ce biais, cela n’exclut pas des motivations affectives qui conduisent à faire perdurer symboliquement le couple séparé par la mort et pourraient témoigner d’une véritable ouverture vers l’altérité, durant la vie conjugale comme après. Entretenir le souvenir du défunt
Le conjoint survivant peut aussi rester lié au défunt en entretenant son souvenir d’une manière ou d’une autre. Fortunat semble y faire allusion dans le poème de consolation qu’il adresse à la reine Ultrogothe. Il y décrit de manière idyllique le jardin contigu à la basilique Saint-Vincent (plus tard Saint-Germain-des-Prés), où se trouve inhumé son époux le roi Childebert, à l’origine de la construction de la basilique et de la réalisation du jardin. Si l’auteur en fait une préfiguration du paradis où tous les espoirs sont permis pour le couple royal, il souligne aussi que c’est un lieu qui garde le souvenir du roi bienfaisant et où la reine trouve le bonheur298. Or, le poème a très certainement été écrit dans le contexte du retour de la reine à Paris, permis par son neveu Charibert, après plusieurs années d’exil imposé par son beau-frère Clotaire299 : le jeu poétique (écho à Virgile et description à deux niveaux, matériel et spirituel300) n’exclut pas la référence à des pratiques réelles qui conduisent la reine à fréquenter une basilique à laquelle elle a été liée du vivant du roi et où elle trouve un réconfort, en se recueillant sur son tombeau ou dans le jardin associé à sa mémoire, ce qui la conduit d’ailleurs à être ensuite inhumée auprès de son époux. Il est vrai que les sources ne mentionnent pas explicitement le recueillement des individus sur la tombe de leurs proches en général, et de leur conjoint en particulier, mais l’interdiction des offrandes et des veillées funéraires301, voire des repas commémoratifs302, de même que la construction de monuments funéraires ostentatoires destinés à symboliser la puissance du défunt et de son groupe de parenté comme la présence d’épitaphes qui invitent parfois les fidèles à prier pour les défunts303 laissent supposer que les vivants visitaient les morts et conservaient leur souvenir. Il n’est donc pas impossible que lorsqu’un individu est attesté dans un lieu où se trouve inhumé son conjoint, il
298 Fortunat, Poèmes, VI, 6 (Sur le Jardin d’Ulthrogothe), t. II, p. 76. J. W. George, Venantius Fortunatus. A latin Poet in Merovingian Gaul, Oxford, 1992, p. 101-105. 299 DLH, IV, 20 et 22, p. 152 et 155 (trad., p. 202 et 205) ; Fortunat, Poèmes, op. cit., VI, 2 (Sur le roi Caribert), p. 53. J. W. George, Venantius Fortunatus …, op. cit., p. 101-102. 300 J. W. George, Venantius Fortunatus …, op. cit., p. 103-104. 301 Corrector Burchardi, c. 79 et 82, éd. F. W. H. Wasserscheleben, Die Bussordnungen der abendländischen Kirche, Graz, 1958, p. 648 (c. 79 : trad. C. Vogel, Le pécheur …, op. cit., c. 91, p. 93). 302 C. Treffort, L’Église carolingienne et la mort, op. cit., p. 112-114. 303 C’est le cas de celle sur le tombeau d’Hincmar qui invite les fidèles à demander pour lui le repos de son âme : Flodoard, Histoire de l’Église de Reims, III, 30, éd. M. Stratmann, MGH SS 36, Hanovre, 1998, p. 363. Voir plus généralement C. Treffort, Mémoires carolingiennes …, op. cit.
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se rende sur sa tombe, ce qui entretiendrait, par ce biais, les liens conjugaux. Il faut cependant distinguer entre les gestes démonstratifs, partagés par les deux sexes, et ceux qui le sont moins, probablement davantage féminins que masculins, compte tenu qu’au haut Moyen Âge, comme dans d’autres sociétés, les femmes jouent un rôle généralement plus important – sans être exclusif – que les hommes dans l’entretien de la mémoire304. Si les motifs politiques expliquent que le souvenir du défunt soit parfois entretenu de manière démonstrative, cela n’exclut pas qu’ils correspondent parfois à un attachement sincère que le survivant entend manifester, y compris par des gestes plus discrets, peut-être étendus aux conjoints illégitimes. Inversement, lorsqu’il n’y a pas d’intérêt à conserver le souvenir d’un couple, dont l’union n’a par ailleurs été marquée par aucune affection, il y a fort à parier que les liens se distendent avec la mort. L’entretien du souvenir du défunt par le conjoint survivant peut aussi se faire par le biais du rappel de ses actes illustres : si cela rehausse le prestige familial, cela contribue aussi à maintenir présent le mort au milieu des vivants. Les sources n’insistent pas particulièrement sur le rôle du conjoint sur ce plan, mais elles laissent parfois supposer des initiatives de sa part, même si elles s’inscrivent dans des entreprises plus vastes qui dépassent l’attention portée au seul conjoint. La duchesse normande Gunnor qui est l’une des principales sources d’information de Dudon de Saint-Quentin lorsqu’il rédige, peu après la mort de son époux, le duc Richard ier († 996), son De moribus et actis primorum Normanniae ducum305, dont le quatrième livre est consacré à celui-ci, participe ainsi à la promotion de ses hauts faits. De même, les liens que Guillaume le Conquérant entretient, après la mort de son épouse Mathilde († 1083), avec les deux abbayes que le couple a fondées à Caen, la Trinité et Saint-Étienne, à commencer par la première à laquelle Mathilde était particulièrement liée et qui accueille sa sépulture selon son souhait306, laissent supposer que le duc conserve le souvenir de ces fondations communes et de l’attention que leur a portée sa femme. Dans l’un comme l’autre cas, le discours et les gestes visent à conforter l’autorité du survivant, qu’il soit homme ou femme, et de la génération suivante, mais il n’en
304 J. H. Dechaux, Le souvenir des morts …, op. cit., p. 144-148 ; C. Clément, J. Kristeva, Le féminin et le sacré, Paris, 1998, notamment p. 113. Pour l’époque médiévale : K. Leyser, Rule and Conflict in Early Medieval Society. Ottonian Saxony, Londres, 1979, p. 72 ; G. Althoff, Adels - und Königsfamilien im Spiegel ihrer Memorialüberlieferung. Studien zum Totengedanken der Billunger und Ottonen, Munich, 1984, notamment p. 238-242 ; P. Corbet, Les saints ottoniens …, op. cit., p. 196-200 et p. 263-265 ; Id., « Pro anima senioris sui … », art. cit. ; R. Le Jan, Famille …, op. cit., p. 54-57 ; P. Geary, La mémoire et l’oubli …, op. cit., p. 88-118 ; M. Lauwers, La mémoire des ancêtres …, op. cit., p. 425-459 ; E. Santinelli, Des femmes éplorée ? …, op. cit., notamment p. 281 et 309. 305 Bauduin P., La première Normandie (xe-xie siècles). Sur les frontières de la haute Normandie : identité et construction d’une principauté, Caen, Presses universitaires de Caen, 2004, p. 63-66. 306 Les actes de Guillaume le Conquérant et de la reine Mathilde pour les abbayes caennaises, éd. L. Musset, Caen, 1967, no 24, p. 132-134 (nos 2-19, p. 52-125 pour les liens du couple avec les deux abbayes du vivant de Mathilde) ; Charters and Custumals of the Abbey of Holy Trinity Caen, éd. M. Chibnall, 2 t., Oxford, 1982, t. I, introduction, p. xxi-xxv ; L. Musset, « La reine Mathilde et la fondation de la Trinité de Caen (Abbaye aux Dames) », Mémoires de l’Académie nationale des Sciences, Arts et Belles Lettres de Caen, 21, 1984, p. 191-210.
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souligne pas moins aussi les liens conjugaux mis en avant d’une manière ou d’une autre. Sans exclure des motivations affectives qui peuvent justifier la volonté d’entretenir le souvenir du défunt, dans une société où le veuvage est fréquent et où les droits se transmettent en ligne maternelle comme paternelle, il appartient au veuf ou à la veuve de les faire valoir en rappelant les liens conjugaux, que cela soit par la rédaction de textes à vocation historique, des gestes rituels, un discours oral ou autrement. Voir le défunt en vision
La documentation est plus explicite sur les liens maintenus entre les époux séparés par la mort lorsqu’elle fait le récit de l’apparition d’un défunt à son conjoint vivant ou du voyage de celui-ci dans l’au-delà. Cela relève certes de l’imaginaire des vivants, mais cela n’en témoigne pas moins de la représentation que l’on pouvait se faire des relations entre ici-bas et au-delà. À la fin du vie siècle, Grégoire de Tours mentionne ainsi, dans l’une des notices du Liber in gloria confessorum, l’apparition miraculeuse d’un homme défunt à sa très douce épouse (dulcissima coniux) pour lui révéler que le vin de Gaza que, par fidélité à son affection pour lui (caritas tua), elle donne au seigneur pour son âme est subtilisé par un diacre qui s’en réserve l’usage307. L’objectif est certes de dénoncer le comportement du diacre, mais le moyen utilisé pour y parvenir met en scène la révélation qu’aurait faite un mari défunt à sa femme en vie. Au début du xiie siècle, Guibert de Nogent explique de même, dans son Autobiographie, que sa mère avait « de très fréquentes visions au cours desquelles lui étaient révélées, en images fort expressives, les douleurs dont le père [de l’auteur], pour expier, était affligé. (…) la vision prodigieuse des tourments internes de son époux défunt l’enflammait, en lui faisant rechercher assidûment l’intercession en sa faveur »308 et qu’une nuit, comme celle-ci le lui a raconté, après avoir senti son âme quitter son corps, elle voit son défunt mari et discute avec lui : mesurant ses souffrances dans l’antichambre de l’enfer, elle s’enquiert, émue, de savoir « si la prière, l’aumône et le saint sacrifice » qu’elle offre fréquemment pour son âme « lui procure quelque soulagement », ce à quoi il acquiesce309. Il s’agit certes de la perception que l’auteur se fait de la relation entre ses parents, quand bien même il affirme s’appuyer sur ce que lui a raconté sa mère, mais il n’en considère pas moins que celle-ci s’est trouvée en contact avec son mari défunt par le biais de visions. Dans l’un comme dans l’autre cas, le discours met en avant le modèle du pieux veuvage recommandé aux épouses par les autorités ecclésiastiques : soucieuses du salut de leurs époux, elles doivent œuvrer pour atténuer leurs souffrances dans l’au-delà, prolongeant dans la mort le soutien qu’elles leur apportaient dans la vie310, ce que Grégoire de Tours justifie par l’affection qui lie les époux. Cela témoigne des efforts de l’Église pour encadrer les 307 Grégoire de Tours, GC, no 64, p. 335-336. 308 Guibert de Nogent, Autobiographie, op. cit., I, 18, p. 146-149. 309 Ibid., p. 148-153. Pour l’analyse de ce rêve, voir J.-C. Schmitt, Les revenants. Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, 1994, p. 64-68. 310 P. Corbet, « Pro anima senioris sui … », art. cit. ; E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 282-285.
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relations entre morts et vivants et affirmer la valeur des suffrages des vivants pour influer sur la décision de Dieu quant au devenir de l’âme des défunts ou rendre plus tolérable son sort dans l’au-delà, voire diminuer son temps d’épreuve311. C’est dans ce cadre que se sont multipliés les récits de revenants comme des voyages dans l’au-delà (visiones), plus nettement à partir de l’époque carolingienne avec le renforcement de l’encadrement ecclésiastique des rites funéraires, et plus encore après l’an mil avec l’essor du culte des morts. La mise en scène des morts, principalement des hommes, sollicitant les suffrages – prières, messes, aumônes – de leurs parents et amis pour leur salut, témoignent des solidarités en général, et de celles qui unissent les époux en particulier312. Si les visions ne présentent, pour celles – peu nombreuses – qui mettent en scène des couples, que le cas de figure d’une épouse soucieuse du sort de son mari défunt, et pas l’inverse, ce qui pourrait laisser supposer une préoccupation féminine et être l’indice d’une attention plus importante de la femme à l’égard de son mari que l’inverse, les donations pro anima, en très grand nombre, font du salut de l’âme du conjoint un souci partagé par les hommes comme par les femmes. Se soucier de son âme
Les témoignages les plus nombreux relatifs aux liens conservés par les époux séparés par la mort sont ceux qui s’opèrent par l’intermédiaire des communautés religieuses, le survivant sollicitant, en échange d’un don, les prières pour l’âme de son conjoint défunt, dans la mesure où l’accord est enregistré par écrit et conservé par la communauté bénéficiaire de la transaction. La pratique a déjà été analysée : il ne s’agit pas de revenir sur les dispositions spirituelles prises par anticipation, alors que les deux conjoints sont vivants, mais d’analyser comment se comporte ensuite, lorsque cela n’est plus le cas, le survivant à l’égard du défunt. De telles concessions, on l’a vu, répondent à des motivations multiples, notamment sociales et politiques, mais certaines – très nombreuses – n’en prévoient pas moins des contre-dons spirituels, au profit du conjoint défunt notamment, qui révèlent que la collaboration qui existait entre les époux de leur vivant se poursuit, en règle générale, après la séparation provoquée par la mort de l’un d’eux. Comme le souligne Patrick Geary, le don perpétue les liens créés pendant la vie, même s’il redéfinit la place des uns et des autres313. D’autres études ont montré que le souci de l’âme du conjoint défunt par le biais d’une donation pro anima est attesté dans l’ensemble du royaume franc – même si des différences d’intensité sont parfois observables d’une région à l’autre – et tout au long de la période, à partir du viie siècle – ce qui n’exclut pas une pratique antérieure. Il l’est par ailleurs, plus fréquemment à partir de l’époque carolingienne, marquée par le développement de la memoria, l’affirmation du rôle de l’Église comme intermédiaire de plus en
311 R. Amiet, « Le culte chrétien pour les défunts », art. cit., p. 280-281 ; M. Lauwers, La mémoire des ancêtres …, op. cit., p. ix et 69-85 ; J. Le Goff, La naissance du Purgatoire, Paris, 1981, notamment p. 86-173. 312 J.-C. Schmitt, Les revenants …, op. cit., p. 14-17, 68, 79-81 et 93. 313 P. Geary, « Échanges et relations entre les vivants et les morts … », art. cit., p. 11.
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plus obligé dans les relations entre les vivants et les morts et les liens accrus entre l’aristocratie et les monastères314. Enfin, si les donations pro anima sont réalisées par les deux sexes, les chartes témoignent néanmoins de comportements différents pour les hommes et les femmes : proportionnellement, celles-ci apparaissent prévoir plus fréquemment des contre-dons spirituels au profit de leurs époux, que les hommes pour leurs épouses, ce qu’il faut lier à un rôle différent des hommes et des femmes dans l’entretien de la mémoire, sans pour autant considérer que l’absence de référence au salut du conjoint signifie l’indifférence du bienfaiteur à son égard315. Les hommes, moins enclins à prévoir des dispositions spirituelles, sont, en effet, loin de se désintéresser du sort de leurs épouses dans l’au-delà et, si l’on en croit certains témoignages, la réciprocité est attendue sur ce plan de chacun des conjoints. Dans la lettre de consolation que Loup adresse en 836 à Eginhard en deuil de sa femme, il considère que Dieu qui « veut le salut de tous les hommes (…) a veillé, par cette mort prématurée, à celui d’Eginhard et de sa femme » : en effet, « il est préférable pour les fidèles époux, puisque l’un d’eux doit rester, que le survivant soit celui qui est le plus robuste pour supporter le désastre et le mieux à même de prendre soin des honneurs dus selon la coutume chrétienne. En effet, la différence de mérite ne s’évalue pas selon le sexe mais selon l’âme ». Or, « jamais, si elle vous eût survécu, elle n’eut pu travailler à votre salut éternel autant que vous au sien et au votre »316. Pour Loup, il appartient donc au survivant, quel que soit son sexe, d’œuvrer au salut du conjoint défunt et il reconnaît que les époux ne sont pas forcément armés de la même manière pour le faire. S’il reste vague sur la manière de travailler au salut, ce qui peut se faire par la prière dite personnellement ou sollicitée des « professionnels » que sont les moines, plusieurs modèles d’actes témoignent de la réciprocité des époux en matière de donation pro anima. C’est le cas notamment d’un modèle issu du formulaire de Marculf (viie siècle) qui prévoit une donation entre époux : chacun des époux précise que si le survivant récupère l’usufruit du patrimoine du défunt, il a la possibilité, après la mort de l’autre, de donner aux lieux saints une partie des
314 Sur le souci de l’âme du conjoint, voir E. Santinelli, Femmes éplorées ? …, op. cit., p. 285-289. Pour la Germanie Ottonienne, avec une analyse n’envisageant que les gestes pro anima mariti, P. Corbet, Les Saints ottoniens. …, op. cit.,p. 194-200 et Id., « Pro anima senioris sui … », art. cit., p. 233-254. Sur les transformations qui expliquent le développement des donations pro anima à partir de l’époque carolingienne, voir les références bibliographiques données au chapitre 2. 315 E. Santinelli, « Les femmes et la mémoire dans le Hainaut … », art. cit., p. 63-64 ; Ead., « Les femmes et la mémoire : le rôle des comtesses dans la Francie occidentale du xie siècle », dans F. Bougard, C. La Rocca, R. le Jan (dir.), Sauver son âme et se perpétuer, Rome, 2005, p. 462-465 ; Ead., « Autour des morts vers l’an mil … », art. cit., p. 37-38 ; Ead., « Les femmes et la mort au miroir des chartes languedociennes (ixe-xiie siècles) », dans C. Klapisch-Zuber et al. (dir.), Les femmes dans l’espace nord-méditerranéen, op. cit., p. 26. 316 Loup de Ferrières, Correspondance, op. cit., no 4, p. 22-24 : (…) cum Deus omnes homines salvos velit fieri (…) vobis et uxori ejus etiam immaturo excessu consultum. (…) fidis optandum conjugibus, cum uter eorum remansurus sit, eum fore superstitem, qui sit et ad calamitatem ferendam robustior et ad justa de more christiano curanda magis idoneus. Non enim sexu differentia virtutis, sed animo capienda est. (…) numquam si supervixisset, tantum vestrae, quamtum vos et illius et vestrae perpetuae saluti procurare potuisset (…).
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biens pour assurer leur salut commun (pro commune mercide)317. Le survivant est donc invité, qu’il soit homme ou femme, à œuvrer au salut du défunt comme au sien. En effet, les donations prévoyant des contre-dons spirituels pour le conjoint défunt y associent très souvent le bienfaiteur survivant, comme en témoignent implicitement la lettre de Loup et explicitement la formule de Marculf, de même que la plupart des chartes enregistrant ce type de disposition : non seulement le survivant reste fidèle à son conjoint défunt en se souciant de son devenir, mais il lui appartient de continuer à défendre les intérêts du couple, dans l’au-delà comme ici-bas. La memoria conserve ainsi la visibilité du couple, qui n’existe plus dans le monde terrestre du fait de la disparition de l’un des conjoints. Elle offre aussi la représentation d’une conjugalité tournée vers l’altérité, le survivant se montrant attentif au sort du défunt dans l’au-delà, ce qui ne signifie ni qu’il ne se soucie que de lui, ni que son attention est sincère et désintéressée. La memoria permet par ailleurs à un individu, homme comme femme, d’entretenir un lien avec un conjoint défunt, même s’il est remarié et dans ce cas souvent en y associant le nouveau conjoint, voire avec plusieurs, s’il a connu des veuvages successifs, ce qui montre qu’il peut s’investir simultanément, même si c’est différemment, dans plusieurs relations conjugales et s’acquitter de ses fonctions à l’égard de chaque conjoint (memoria à l’égard du ou des défunt(s) ; gestion du patrimoine et des alliances avec le conjoint vivant). En 875, une donation de Charles le Chauve à Saint-Denis prévoit ainsi des dispositions spirituelles, par le biais de l’entretien du luminaire, pour lui, son épouse défunte Ermentrude et sa femme actuelle Richilde318. Au début du xe siècle, Aremburge effectue une donation pour son âme et celle de ses époux successifs Robert et Joceran319. En 987-988, le chevalier Arpadius et son épouse Frediburg concèdent des biens à Notre-Dame d’Homblières pour l’âme du premier mari défunt de Frediburg, Robert, et la leur320. Vers 1015, le comte Robert de Mortain donne un de ses alleux au monastère du Mont-Saint-Michel, pour le salut de son âme, de celle de son épouse défunte Bileeldis et de celle qui est en vie Asceline321. Vers 1050, Grécie concède un de ses biens à Saint-Nicolas d’Angers pour la rédemption de son âme, celle de son premier mari, Bellay, et celle du second, Geoffroi Martel322. Avant 1070, Mahilde effectue une donation à Saint-Père de Chartres pour la rédemption de son âme et
317 MGH Form., Formulae Marculfi, l. II, no 7, p. 79-80. Voir aussi II, 17, p. 86-88 (testament d’un couple prévoyant pour le survivant la possibilité de faire des donations pro anima). 318 Charles le Chauve, no 379, t. II, p. 347-350 (voir Annexe 2, texte no 11). 319 Cluny I, no 143 (910-927), p. 149-150 : pro remedio animæ meæ, (…) et pro anima senioris mei Rothberti et senioris mei Jotceranni salute (…). 320 The Cartulary and charters of Notre-Dame d’Homblières, éd. T. Evergates, G. Constable, Cambridge, 1990, no 21, p. 66 : (…) pro primi nominatae coniugis mariti iam defuncti, vocabulo Roberti, (…) ac pro suis necne uxoris (…). 321 Recueil des actes des ducs de Normandie …, op. cit., no 16, p. 97 : (…) pro animae meae salute, ac deinceps pro remedio animae uxoris meae Bileeldis defunctae et pro viventis Ascelinae (…). 322 De rerum scitu dignissimarum a prima fundatione monasterii S. Nicolai Andecavensis, éd. L. Lepelletier, Angers, 1935, p. 16 : (…) pro redemptione propriae animae & conjugis mei Berlaei (…) pro salute quoque (…) praecipue domini mei praecellensimi comitis Gauffredi (…).
Fo nct i o nne r e n co u ple
de celle de ses deux époux, Guillaume, puis Geoffroi323. Dans la deuxième moitié du xie siècle, Emma concède une partie de son héritage à Cluny pour son âme, celle de son mari Bernard déjà mort et celle de son mari actuel Geoffroi324. Si les donations pro anima répondent d’abord à des objectifs politiques et sociaux, qui se cachent derrière les motivations spirituelles avouées, rien n’empêche, dans une société de plus en plus profondément christianisée, que celles-ci soient réelles et que le geste vise aussi sincèrement à assurer le salut du défunt, témoignant ainsi d’une solidarité qui perdure au sein du couple au-delà de la mort, quelle que soit la situation conjugale du survivant. L’énumération des conjoints successifs tend cependant, même si elle conserve la mémoire de la pluralité des expériences conjugales, à gommer la spécificité de chaque relation conjugale, en mettant sur le même plan tous les couples, qu’ils aient fonctionné harmonieusement ou non. Dans les élites, seules perceptibles, la mort n’entraine donc généralement pas une séparation totale du couple. Les conjoints, que le survivant soit homme ou femme, restent liés par le souvenir de leur conjugalité passée, les droits et devoirs qu’elle implique, voire les sentiments qu’elle a pu faire naître. Le rappel des liens conjugaux antérieurs confirme, ce qu’avait aussi montré le chapitre 2, que le couple correspond à une réalité, parfaitement identifiée par les intéressés comme par le reste de la société, que ne remet pas en cause la pluralité des expériences conjugales, pas plus que leur courte durée. Les gestes destinés à assurer le salut du défunt offre l’image, en partie réelle, d’une solidarité au-delà de la mort qui devait exister durant la vie conjugale et milite en faveur d’une conjugalité basée, en règle générale sur l’entraide et la complémentarité. Dans les deux cas, l’autre est donc bien perçu comme tel, mais il est difficile, alors que les démarches s’inscrivent dans des stratégies qui dépassent le couple, de saisir si le mouvement vers l’autre qu’elles entrainent est contraint ou sincère, l’une ou l’autre option dépendant du degré d’attachement affectif entre les conjoints.
Conclusion Même s’il n’est pas simple de percevoir la réalité du fonctionnement du couple, tant le discours, quand il s’y intéresse, est construit, quelques éléments émergent du croisement des données éparses. La plupart des couples, du moins ceux qui sont mariés ou considérés comme tels, fonctionnent, dans tous les milieux même si c’est avec des déclinaisons différentes, sur la base d’une collaboration complémentaire entre les conjoints. Durant la vie conjugale, cela se traduit, par une répartition sexuée des tâches, même si elle est moins tranchée dans la réalité que ne le suppose un discours qui entend construire une nette distinction entre les sexes, bien des activités étant communes et celles relevant plus spécialement d’un sexe n’excluant
323 Saint-Père de Chartres, l. VII, no 67, p. 193. 324 Cluny IV, no 3092 (1049-1109 ?), p. 265-266 : pro anima mea et (…) ac senioris mei Bernardi, olim defuncti, in Christo quiescentis, itemque senioris mei Gaufredi (…).
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pas la participation de l’autre. Même s’il est difficile de transposer les catégories actuelles, le couple imbriqué (ou fissionnel) apparaît le plus proche du modèle le plus courant au haut Moyen Âge, sans qu’il corresponde forcément à un choix délibéré des conjoints, ni qu’il s’accompagne toujours d’une affection partagée. Dans une société dominée par les hommes, la complémentarité est asymétrique, sans que la domination masculine ne se manifeste néanmoins dans les couples, constamment, de la même manière, ni avec la même intensité. Les nécessités de la vie quotidienne et d’être solidaires pour défendre les intérêts du couple conduisent le plus souvent les partenaires à accepter chacun, ne serait-ce qu’implicitement, la place et le rôle qui leur incombent, ainsi que ceux de l’autre, ce qui aboutit à une certaine harmonie conjugale, si ce n’est parfois à un véritable épanouissement. La solidarité qui lie les conjoints de leur vivant se prolonge régulièrement au-delà de la mort, le souvenir du lien conjugal étant conservé à jamais, chacun se souciant du sort de l’autre, et le couple contribuant ensemble, par les biens transmis ou, pour les élites, par le lieu de sépulture choisi, aux intérêts de leurs héritiers. Si elle n’est pas toujours manifeste, ni ne résulte d’une politique délibérée des conjoints dans ce sens, c’est du moins la représentation qui en est donnée, plus ou moins conforme à la réalité. La pluralité des expériences conjugales successives et leur courte durée moyenne ne modifie pas ce schéma, reproduit autant de fois qu’il y a de couples. Cela ne signifie cependant pas que le fonctionnement soit identique pour tous les couples, dans tous les milieux sociaux, tout au long de la vie conjugale et durant tout le haut Moyen Âge. Pour les élites sur lesquelles on a principalement quelques données, il faut distinguer les couples légitimes, qui fonctionnent selon le schéma général présenté, de ceux qui ne le sont pas et reposent sur des relations différentes qui n’excluent pas des formes de solidarités, mais officieuses ou du moins non enregistrées par la documentation. Il faut aussi différencier les moments où le pouvoir est en représentation et qu’il importe à son détenteur, homme le plus souvent, de témoigner de son autorité, y compris sur le plan conjugal, ce qui se traduit par un affichage plus marqué de la hiérarchie au sein du couple que lors des moments d’intimité qu’ils partagent seuls. Il faut aussi prendre en compte les transformations qui conduisent, à partir de l’époque carolingienne, à l’association plus étroite de l’épouse à l’exercice du pouvoir et donc à des formes nouvelles de complémentarité conjugale, sans que les couples ne soient forcément pour autant plus fusionnels. Enfin, la question du degré d’affinité entre les conjoints n’est probablement pas négligeable : si l’absence d’affinité ne modifie pas forcément le fonctionnement du couple, chacun pouvant se conformer à son rôle, du moins un temps et dans certaines limites, même en ne ressentant qu’indifférence pour l’autre, l’existence d’une affinité peut lui donner un autre sens en faisant concorder l’être et le paraître, la communauté d’affection et d’intérêt, et en permettant une ouverture sur l’altérité, chacun respectant l’autre, ses différences, son territoire, et se souciant, en toute sincérité, de son bien-être et de son devenir.
Conclusion
Comme dans de nombreuses sociétés, la conjugalité apparaît comme la norme au haut Moyen Âge et, comme ailleurs, si l’on sait qu’il y a des couples autour desquels, entre autres, se structure la société, il est beaucoup plus difficile de saisir la nature précise du lien conjugal. La première leçon de cette étude est qu’il ne faut pas se laisser abuser, sur la question de la conjugalité pas plus que sur les autres, par la documentation écrite qui, cherchant à présenter comme des normes ce qui n’est qu’un idéal souhaité, n’enregistre qu’une partie des données, au besoin déformées, pour participer à la promotion du modèle conjugal proposé par une minorité, principalement ecclésiastique, à une autre, celle des élites laïques. Tous les couples n’étaient pas mariés, monogames, formant une communauté de résidence, d’affection et de solidarité hiérarchisée s’exprimant dans tous les domaines de la vie conjugale et uniformément pendant toute sa durée. Même s’il n’est question que ponctuellement des couples, de manière générale comme pour ceux qui sont envisagés plus précisément mais sur lesquels les informations sont très parcellaires, c’est la diversité des situations et des parcours qui ressort du croisement des différents types de source. Le couple apparaît donc comme une réalité complexe à définir et à saisir dans son fonctionnement. La relecture des sources à la lumière des questionnements actuels des sociologues et des psychologues, voire des anthropologues et des philosophes, permet néanmoins de dégager quatre conclusions principales. En premier lieu, le couple apparaît comme une réalité multiforme. Si la conjugalité constitue la norme dans tous les milieux sociaux, y compris pour le clergé, elle s’y décline avec des formes variées (mariage ou concubinage, monogamie ou polygamie), plus ou moins privilégiées selon le milieu social. Les élites laïques connaissent souvent différents types de couples, institutionnalisés ou informels, choisis en fonction des impératifs stratégiques et de la place dans le cycle de la vie. Si la participation à ces couples peut être successive, elle est aussi souvent simultanée, du fait de la fréquence de la polygamie masculine, participant à la compétition qui oppose les élites. Dans les milieux paysans et artisans, il y a tout lieu de penser que, pour des raisons matérielles, la plupart des couples sont monogames et résultent plus souvent du choix de cohabiter que de la célébration de cérémonies officielles, même si la documentation les présentent comme mariés, dans la mesure où la stabilité de l’union assimile celle-ci à un mariage. Quant aux clercs, la majorité d’entre eux, refusant la règle du célibat, pratiquent la conjugalité, par le biais du mariage ou du concubinage en fonction du contexte local, et respectent généralement la monogamie. Les couples mariés seraient donc minoritaires et se rencontreraient principalement dans les élites, cumulés, pour les laïcs, avec d’autres formes de conjugalité. Cela n’empêche pas cependant
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le couple monogame stable, tel qu’il apparaît dans les milieux populaires beaucoup plus nombreux, d’être majoritaire. En second lieu, chaque couple, qu’il soit marié ou non, se trouve à l’intersection de deux familles et de deux réseaux, dont le poids varie néanmoins en fonction du milieu social des conjoints et, dans les élites, de la nature de l’union (légitime ou non). Il est aussi intermédiaire entre les générations, puisque la majorité des couples de tout milieu se prolongent dans une descendance, contribuant à les souder, à laquelle ils transmettent droits et mémoire hérités de leurs propres parents. Symbole et produit de l’alliance de deux groupes, le couple participe aux stratégies, plus ou moins développées selon le milieu social, qui visent à la conforter, à renforcer les intérêts communs et à les faire perdurer à la génération suivante. Si les décisions, dont les enjeux diffèrent entre les élites et les autres milieux, sont souvent collectives, ce qui n’exclut pas une certaine marge de manœuvre pour les individus, et que la pression familiale peut être forte, l’exécution n’en est pas moins laissée au couple plus directement concerné par les biens à transférer ou les enfants à établir, ce qui revient à le reconnaître comme entité à part entière, étroitement lié aux groupements dans lesquels il s’insère, mais sans s’y diluer. Compte tenu de son rôle, chaque couple se trouve donc clairement identifié et sa mémoire entretenue, même si la forme et l’intensité avec laquelle elle l’est varient en fonction du milieu social et, dans les élites, du statut du couple, et cela, quels que soient la durée – généralement courte, une quinzaine d’années en moyenne – de la vie conjugale, la naissance ou non d’enfants et le nombre d’expériences conjugales vécues – souvent deux ou trois -. La précarité et l’instabilité des couples ne remettent pas en cause la conscience de l’existence et du rôle de chacun d’eux. D’ailleurs, l’importance reconnue au couple et à ce qu’il représente contribue à expliquer que les conjoints, voire les familles, aient cherché à le protéger lorsqu’il était menacé et les ennemis, extérieurs ou non à la parenté, à lui nuire. Dans une société dominée par les hommes, la documentation privilégie néanmoins les gestes masculins et ne mentionne les couples que lorsqu’il est nécessaire d’en conserver la trace écrite pour justifier des droits ou des stratégies, ce qui conduit, dans ce cas, à privilégier les couples mariés avec enfants des élites, alors qu’ils ne représentent qu’une minorité. En troisième lieu, le couple est identifié comme tel dans la société parce qu’il partage un espace-temps et des intérêts communs, ce qui contribue à la structuration de la communauté conjugale. La vie conjugale s’organise d’ailleurs autour de la collaboration, souvent complémentaire et solidaire, dans la vie quotidienne et au-delà de la mort, même si cela se décline différemment selon les milieux sociaux et les époques, mais aussi selon la place dans le cycle conjugal, le degré d’affinité entre les conjoints et, dans les élites, la nature des couples. Pour autant l’image du couple donnée aux autres ou perçue par les autres ne correspond qu’imparfaitement à la réalité de la vie conjugale – ce qui justifie le rappel, en particulier à l’intention des élites, du modèle de comportement attendu en matière de conjugalité : d’une part, l’association des époux, voire la mise en scène du couple légitime royal et aristocratique, en certaines occasions, de leur vivant comme après leur mort, pour répondre à des enjeux sociaux et politiques, ne traduit pas forcément une complicité réelle dans la vie conjugale, parfois réduite au strict minimum ; d’autre part, le discours sur la hiérarchie à respecter
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entre les sexes au sein du couple et la pratique qui conduit l’épouse à être en retrait par rapport à son mari à l’occasion des démonstrations d’autorité ne signifie pas que la domination masculine s’exerçaient forcément concrètement ou constamment dans le cadre de l’intimité de la vie quotidienne. Dans une société où la plupart des individus sont contraints à la conjugalité et ne choisissent pas leur conjoint, les nécessités conduisent souvent les partenaires à parvenir, consciemment ou non, à une entente qui rende le quotidien acceptable et permette au couple de fonctionner pour défendre ses intérêts et ceux du groupe dans lequel il s’insère, certes d’ordres différents selon les milieux. Si l’entente s’avère parfois impossible ou qu’elle évolue vers le désamour et conduit à l’indifférence, voire au conflit, elle peut aussi faire naître une véritable affection, nourrie des joies et malheurs partagés, et ouvrir à l’altérité, même si dans les élites, ce n’est pas forcément dans le cadre du couple légitime ou dans ce seul cadre. En quatrième lieu, même si certaines caractéristiques de la conjugalité se retrouvent du vie au xiie siècle, le haut Moyen Âge n’en est pas moins marqué par certaines évolutions dans le discours comme dans les pratiques. L’époque carolingienne est ainsi apparue comme un tournant, sur ce plan comme bien d’autres. Alors qu’aux trois siècles précédents, la question retient peu l’attention, ce qui ne signifie pas aucune conscience de la réalité sociale représentée par le couple, l’époque carolingienne est marquée, dans le cadre du renouveau culturel et de la mise en ordre de la société, par une réflexion sur la conjugalité, entendue comme seule réservée aux laïcs, et sur la place du couple dans la société, ce qui conduit à lui porter une attention nouvelle, mais concentrée sur les seuls couples mariés, présentés comme monogames, qui correspondent au modèle proposé. À défaut d’imposer le célibat aux clercs, le mariage et la monogamie à tous les laïcs et le couple comme une communauté d’affection et d’entraide, les autorités ecclésiastiques, soutenues par le pouvoir royal, considèrent comme valides les couples qui substituent le concubinage au mariage, ce qui les rapprochent des couples mariés voire les y assimilent, et parviennent, pour les élites masculines souvent polygames, à ne faire reconnaître qu’un seul couple légitime et donc à hiérarchiser les couples auxquels un homme se trouve lié. Cet intérêt nouveau pour le couple, à un moment où la documentation devient plus nombreuse et diversifiée et où se développent les relations avec les communautés religieuses par le biais desquelles ont principalement été conservés les textes comme les représentations iconographiques, contribue à donner une plus grande visibilité aux couples, reconnus légitimes, ou du moins valides, en les faisant sortir de l’ombre, pour tous les milieux sociaux. Si, pour les élites, les couples apparaissent plus souvent associés dans des domaines plus diversifiés, cela n’est cependant pas dû qu’à des évolutions idéologiques et documentaires : même si cela ne signifie pas qu’auparavant les couples n’agissaient pas conjointement, ils semblent alors le faire davantage publiquement, ce qu’il faut lier à l’association plus étroite de l’épouse à l’exercice du pouvoir et au développement de nouvelles pratiques (organisation de la memoria, mise en scène du pouvoir royal, diffusion de la laudatio parentum). Il en résulte, d’abord à l’échelon royal puis dans les milieux aristocratiques, un affichage plus net des couples, de leur vivant comme après leur mort, et de nouvelles formes de complémentarité qui traduisent l’affirmation de la communauté conjugale dans l’exercice du pouvoir et
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diffusent une représentation du pouvoir s’exerçant en couple, même si le rôle de chacun des conjoints n’est pas pour autant identique. Le mouvement s’amplifie à partir du xe siècle, avec l’accélération de l’émiettement du pouvoir et de l’organisation des groupes familiaux en lignages : du xe au xiie siècle, la compétition entre élites se livre davantage en couple qu’auparavant. Cela ne signifie pas que les couples sont plus solides ni plus complices au-delà de l’image publique qu’ils donnent d’eux, mais cela renforce la représentation d’une société plus nettement structurée par la conjugalité. Pour autant, celle-ci ne correspond qu’imparfaitement au modèle mis en avant par une partie des autorités religieuses. En effet, le discours alors beaucoup plus ferme d’une minorité d’ecclésiastiques, réformateurs grégoriens, en faveur du célibat des clercs et de la promotion du mariage comme sacrement n’empêche pas une large partie du clergé d’y résister pour continuer à pratiquer la conjugalité, ni des laïcs, et en particulier des élites masculines, d’en user comme ils l’entendent, au besoin en rompant leur couple légitime ou en multipliant les couples pour répondre à leurs intérêts tant familiaux que personnels. Les pratiques élitaires ne sont cependant pas celles de l’ensemble de la société et les possibilités offertes et saisies par certains ne doivent pas déformer une réalité qui plaide en faveur d’une conjugalité, attachante si ce n’est aimante, partagée par bien des couples, y compris mariés, ce que confirment les recherches récentes centrées sur les derniers siècles du Moyen Âge éclairés par une documentation nettement plus abondante et diversifiée1. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait ni généralité, ni continuité en matière de conjugalité du xiie au xve siècle, en particulier sur le plan politique, compte tenu d’un nouveau contexte marqué notamment par l’émergence et l’affirmation de l’État moderne et des pouvoirs urbains, sans compter le développement d’une pensée antiféministe plus virulente, transformant, dans certains milieux sociaux et régionaux, les formes de collaboration conjugale sans exclure le maintien de certaines d’entre elles2. Il appartient néanmoins aux spécialistes du bas Moyen Âge le soin de faire la synthèse sur le discours et les pratiques des derniers siècles médiévaux.
1 Entre autres, G. Hancke, L’amour, …, op. cit. ; E. Crouzet-Pavan, « Les faux-semblants d’une histoire des relations affectives : l’exemple italien », dans M. Carlier, T. Soens (dir.), The Household in Late Medieval Cities …, op. cit., p. 158-163 ; L. L. Otis-Cour, « Mariage d’amour, charité et société dans les ‘romans de couple’ médiévaux », dans Le Moyen Âge, no 111 (2005), p. 275-292 ; D. Lett, « Maris et femmes : avant-propos », dans Questes, no 20 (2011), p. 1-11 ; M. Charageat, « Couples et amour … », art. cit. ; D. Chamboduc de Saint Pulgent, B. Longhi, « Maris et femmes : introduction » et « Maris et femmes : conclusion », dans ibid., p. 12-37 et p. 101-104. 2 Entre autres, Reines et Princesses au Moyen Âge, op. cit., vol. 1 : Les reines et les princesses et le pouvoir ; A. Nayt-Dubois, E. Santinelli-Foltz (dir.), Femmes de pouvoir …, op. cit. ; E. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse, B. Schnerb (dir.), Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, 2012 ; C. Becchia, « Les dames et la cité des hommes … », art. cit. ; D. Lett, Famille et parenté …, op. cit., p. 172-175 ; Id., Hommes et femmes …, op. cit., p. 138-146.
A nnexes
Annexe 1 : Le vocabulaire du couple et de la conjugalité
Le tableau suivant recense les principaux termes associés au couple, classés de manière thématique et ensuite, par ordre alphabétique Terme latin Coniuncti (coninctus, a, um) Conjugati (conjugati, orum) Coniuges (coniux, iugis) Coniungentes (coniungens, tis) Copulati (copulati, orum) Iugales (Iugalis, is) Nubentes (nubens, tis) Genitores Parentes (parens, tis) Pares (par, is) Coniugalis, e Coniugatus, a, um Iugalis, e Maritalis, e Matrimonialis, e Nuptialis, e Uxorius, a, um
Traduction Les conjoints, époux, parents Ceux qui (se) sont unis Les époux Les conjoints Ceux qui sont unis / vont s’unir Ceux qui (se) sont mariés Les époux Ceux qui (se) sont mariés Géniteurs Les parents (père et mère) Les conjoints Conjugal Conjugal Marié Conjugal Nuptial, conjugal Matrimonial, conjugal Nuptial, conjugal Conjugal
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Terme latin Commixtio, onis Compages, is Concubitus, us Coniunctio, onis Coniugii consortium, ii Coniugium, ii Consortio, onis Consortium, ii Consortia iugalis Con(n)ubium, ii Contubernium, ii Copula, ae Copula conubii / coniugii Copula matrimonialis Copula nuptiarum Copulatio, onis Iugum, i Matrimonium, ii Nuptiae, arum Societas, atis Societas iugalis Sors iugalis Thalamus, i T(h)orus, i Uxorium vinculum Contubernium, i Permixtio, onis Societas, atis Admixtio, onis Carnalis/carnis commixtio, onis Carnalis coniunctio, onis Carnalis consortium, ii Carnalis/carnis copulatio / copula Coeo, ire Cognosco, are uxorem Coitus, us Commercium (maritale, carnale) Commisceo, ere Commixtio, onis Concubitus, us Concumbo, ere
Traduction Lien, union, mariage, concubinage Union Union, communauté Union Union, liaison Union conjugale Union Association, communauté, union Communauté, union Communauté conjugale Mariage Lien, liaison, concubinage Lien, union, couple Union du mariage Union matrimoniale Lien du mariage Mariage, union Union, lien du mariage Mariage / Contrat de mariage ? dot ? Noces, mariage Communauté Communauté conjugale Lien conjugal Mariage, lit Mariage, lit Lien conjugal Cohabitation Cohabitation, concubinage Cohabitation ? Communauté (de vie) Union charnelle, accouplement, copulation Mélange, union sexuelle Union charnelle, de la chair Union charnelle Union charnelle Union de la chair S’unir, former un tout Connaître (avoir des relations sexuelles avec) sa femme Union sexuelle Rapport / relation / commerce charnel (conjugal) S’unir charnellement Union charnelle, mélange Accouplement Coucher avec, s’accoupler
A nne xe 1
Terme latin
Traduction
Coniugium, ii Copula, ae Copula matrimonialis Copulatio, onis Copulo, are Consortium carnale Debitum Debitum coniugale, carnale, carnis Fornicatio, onis Fornico, are In uno corpore se sociare Inter se nuptiis fungi Misceo, ere Officium, ii Opus, eris iugale Permisceo, ere Permixtio, onis Conjugatus, i Homen, inis Iocalus/iugalus, i Maritus, i sponsus Vir, i
Union conjugale sexuelle Lien, union (sexuelle) Union matrimoniale Union charnelle, copulation S’unir charnellement, copuler Union charnelle Dette, devoir (charnel, conjugal) Dette, devoir charnel, conjugal, de chair Fornication Forniquer S’unir pour ne faire qu’un seul corps Accomplir (/consommer) les noces entre soit Se mêler, se lier, s’unir (charnellement) Devoir Acte conjugal Se mêler, s’unir sexuellement Coït, mélange, relation (sexuelle) Mari, épouse, conjoint, la concubine Le mari - l’homme Époux, celui qui est marié Homme, mari Mari Mari Mari, fiancé Homme, mari
Cogiva Coniux, ugis Contectalis, is Contubernalis, is Femina, ae Lateralis, is Marita, ae Matrona, ae Mulier, is Nupta, ae Particeps, icis Socia, ae / sociata, ae Sponsa, ae Uxor, oris
L’épouse - la femme Épouse, conjointe Épouse, conjointe Épouse Compagne Femme, épouse Épouse, compagne Femme mariée Matrone, femme mariée Femme mariée, épouse Femme mariée, épouse Compagne Compagne Épouse, fiancée Épouse
Coniux, iugis Iugalis, is Par, is Pars, partis
Le conjoint Conjoint(e) Époux / épouse Époux, égal, pair Partie, « moitié »
Concuba, ae Concubina, ae Pel(l)ex, icis Meretrix, icis
La concubine Concubine Concubine Maîtresse, prostituée
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a n n e xe s
Terme latin Accipio, ere virum / mulierem Alligo, are Copulo, are Coniugio copulare Coniugium habere Coniugo, are Coniungo, ere Contraho, ere Convenio, ire Ducere / accipere uxorem Conjugem sortiri Ducere virum Illem/illam accipere In coniugium (io) / matrimonium (io) accipere / ducere In coniugio sociari / sociare / Copulare In coniugium sumere Innecto, ere Iungo, ere In matrimonio ducere uxorem ligare Matrimonium contrahere Maritum accipere Nubo, ere Se sociare matrimonio Socio, are Uxorem habere / tenere Dimitto, ere Discedo, ere Discidium, ii Disiungo, ere Divortium, ii Diverto, ere Divortio, ire Relictio, onis Relinquo, ere Repudium, ii Séparatio, onis Separo, are Sequestratio, onis Sequestro, are Solvo, ere
Traduction (Se) marier, (s’) unir, épouser Épouser (recevoir/accepter en mariage) un homme / une femme Attacher Unir, se marier S’unir par mariage Contracter un mariage Unir, marier, se marier Unir (tomber d’accord) Se marier Se marier Prendre pour épouse, épouser Choisir / obtenir une épouse Prendre pour époux, épouser Épouser (un homme / une femme) Épouser (recevoir en mariage) S’unir en mariage Épouser (prendre/recevoir en mariage) Unir Unir Prendre une femme en mariage Lier, unir (par mariage) Contracter un mariage Prendre pour époux Se marier Se lier par mariage Unir (s’approprier, être associé) Avoir une épouse (Se) séparer, divorcer, quitter Quitter (renoncer à), renvoyer S’écarter de, s’en aller, quitter Séparation, déchirement Séparer (désunir) Divorce Se séparer, divorcer Divorcer Séparation Laisser, négliger Répudiation Séparation Séparer Séparation Éloigner Délier, rompre, renvoyer
A nne xe 1
Terme latin Adulter, i ; adultera, ae ; Adulterus, a, um Adulterinus, a, um Adulterium, ii Adultero, are M(o)echor, ari M(o)echus, i Pater et mater Genitor et genitrix Socer et socrus Avus et avia Rex et regina Imperator et imperatrix Augustus et augusta Comes et comitissa dominus et domina
Traduction (Être, vivre dans, commettre l’) adultère Adultère Adultérin Adultère Commettre l’ / être adultère Vivre dans / commettre l’adultère Homme adultère Association de statut Père et mère Géniteur et génitrice Beau-père et belle-mère (= parents du conjoint) Grand-père et grand-mère, aïeul et aïeule Roi et reine Empereur et impératrice Auguste et auguste Comte et comtesse Seigneur et seigneure (plutôt que dame)
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Annexe 2 : Textes choisis
1. Le couple dans la loi salique 2. Le couple dans les canons des conciles mérovingiens 3. Eulalius, Tétradie et Didier, d’après Grégoire de Tours (fin vie siècle) 4. Charte de donation de Vuademerus et son épouse Ercamberta à plusieurs églises et abbayes du nord de la France (691) : extraits 5. Pépin III, Capitulaire de Compiègne (757) 6. Le couple dans une sélection de capitulaires (ixe siècle) 7. Le couple dans le polyptyque de Saint-Germain des Près (abbé Irminon, années 820) : aperçu 8. Le couple dans le De institutione laicali de Jonas d’Orléans (années 820) : morceaux choisis 9. Eginhard et sa femme Emma, d’après la correspondance de Loup et d’Eginhard (836) : extraits 10. Lothaire II, Theutberge et Waldrade, d’après les Annales de Saint-Bertin : extraits 11. La mémoire du couple royal dans le diplôme no 379 (875) de Charles le Chauve en faveur de Saint-Denis 12. Couples élitaires et paysans dans les chartes de Cluny : exemples (vers 900) 13. Le couple dans la Vie de sainte Rictrude (Hucbald de Saint-Amand, 907) 14. Le couple dans la famille d’Odulric, d’après les chartes no 2010-2012 de Cluny (993-1048) 15. Thomase, Albert et Simon Maingot dans les chartes de Saint-Cyprien de Poitiers (vers 1090) 16. Le couple dans les lettres d’Yves de Chartres (au tournant des xie et xiie siècles) : extraits 17. Le couple dans la Vie d’Ide de Boulogne (années 1130) 18. Le couple dans le Décret de Gratien (xiie siècle) : extraits
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298
a n n e xe s 1. Le couple dans la loi salique1
PLS
LS D
LS S
Texte latin du PLS
dispositions
c. 1, § 3
c. 1
c. 1, § 3
c. 1, p. 18-20 : De manire § 3, p. 19 : Et ille qui alium manit cum testibus ad domum illius ambulare debet et sic eum manire debet aut, si non praesens fuerit, uxorem illius aut quemcumque de familia eius appelet, ut illi faciat notum, quod ab illo manitus est
c. 1 : De la citation en justice § 3 : Si quelqu’un cite un autre en justice, il doit se rendre avec des témoins dans la maison de celui-ci et le citer à comparaître, et s’il n’est pas présent, qu’il appelle sa femme ou quiconque de sa famille pour qu’il lui soit notifié qu’il est cité en justice par lui.
c. 13
c. 14
c. 23
c. 13, p. 59-63 : De rapto ingenuorum vel mulierum § 10, p. 62 : Si quis litam alienam ad coniugium sociauerit (…). § 11, p. 62-63 : Si quis sororis aut fratris filiam aut certe ulterius gradus consobrinam aut certe fratris uxorem aut auunculi sceleratis nuptiis sibi iunxerit, hanc poenam subiaceant, ut de tale consortio separentur ; atque etiam, si filios habuerint, non habentur legitimi heredes, sed infamia sint notati.
c. 13 : Du rapt des ingénuiles et des femmes
§ 10
§ 15
§ 11
§ 16
§ 12
§ 8
§ 12 : Si quis uero sponsam alienam tulerit et sibi in conjugium copulauerit (…)
§ 14
§ 10
§ 14 : Si quis puella sponsata dructe ducente [ad maritum et eam] in uia [aliquis] adsallierit et cum ipsa uiolenter moechatus fuerit (…)
§ 10 : [30 sous pour celui qui a épousé la lite d’autrui]. § 11 : Si quelqu’un s’est uni par des noces criminelles avec la fille de sa sœur ou de son frère, ou avec une cousine au deuxième degré ou avec la femme de son frère ou de son oncle, qu’ils subissent cette peine, à savoir d’être séparés d’une telle union ; et s’ils ont eu des enfants, que ceux-ci ne soient pas [reconnus comme] héritiers légitimes, mais marqués par l’infamie. (…) § 12 : [62 sous et demi à acquitter] si quelqu’un a enlevé la fiancée d’un autre et l’a épousée (…) § 14 : [200 sous à acquitter] si quelqu’un attaque une jeune fille fiancée en route pour rejoindre son mari et commet violemment l’adultère avec elle. (…)
1 Pactus legis salicae, éd. K.A. Eckhardt, MGH LL, IV.1, Hanovre, 1962. Le tableau donne aussi les correspondances dans les versions révisées par Charlemagne : la lex salica emendata de 798 en 100 titres (ms. D) puis la lex salica Karolina du début ixe siècle en 70 titres (ms. S) : Lex salica, éd. K. A. Eckhardt, MGH LL 4.2, Hanovre, 1969. Sur la loi salique, élaborée de manière progressive et plurielle entre 500 et 800, les débats qu’elle suscite et les renouvellements de son approche par la recherche récente, voir notamment K. Ubl, « L’origine contestée de la loi salique. Une mise au point », trad. T. Lienhard dans Revue de l’Institut Français d’Histoire en Allemagne, no 1 (2009), 208-234 ; E. Renart, « Le Pactus legis salicae, règlement militaire romain ou code de lois compilé sous Clovis ? », dans Bibliothèque de l’École des chartes, no 167 (2009), p. 331-352 ; M. Coumert, « Les ‘prologues’ de la loi salique :les premiers temps des Francs suivant les copistes carolingiens », dans dans M. Kazanski, P. Périn (dir.), Autour du règne de Clovis. Les grands dans l’Europe du haut Moyen Âge. Histoire et archéologie, Louvain, 2020, p. 43-57 ; Ead., « Faire parler le silence : la tradition manuscrite de la loi salique », dans A. Bayard, B. Dumézil, S. Joye (dir.), L’Austrasie. Pouvoirs, espaces et identités à la charnière de l’Antiquité et du Moyen Âge (à paraître).
Anne xe 2 c. 15
c. 15
§ 1
c. 25
c. 23, § 12
c. 36
c. 67
c. 15, p. 70-71 : De eo qui uxorem alienam tulerit vivo marito § 1, p. 70 : Si quis uxorem alienam tulerit vivo marito (…) c. 25, p. 93-96 : De adulteriis ancillarum
§ 3, p. 94 : Si quis ingenuus cum ancilla aliena publice se iunxerit (…)
§ 3
§ 3
§ 4
§ 4, p. 94 : Similiter et ingenua, si seruo alieno in coniugio acceperit (…) § 6 § 7, p. 96 : Si servus ancillam alienam extra uoluntate domini sui in coniugium sociauerit (…) c. 24 c. 44, p. 168-173 : De reipus (79/24) § 1, p. 168 : Sicut adsolet homo moriens et uiduam dimiserit, qui eam voluerit accipere (…)
§ 7
§ 4
c. 44 c. 79
c. 55 § 4
c. 19 c. 21 sans référence § 5 à l’épouse
c. 56
c. 91
§ 6
c. 2
c. 55, p. 205-209 : De corporibus expoliatis § 4, p. 206-207 : Si quis corpus iam sepultum effodierit et expoliauerit (…) Et qui ei, antequam parentibus conponat, aut panem aut hospitalem dederit, seu uxor sua proxima (…) iudicetur.
299
c. 15 : Des homicides et de celui qui s’empare de l’épouse d’autrui du vivant du mari [200 sous à acquitter] si quelqu’un s’empare de l’épouse d’autrui du vivant du mari (…) c. 25 : De l’adultère des esclaves (des 2 sexes) § 3 : [Condamnation à la servitude] si un homme libre s’est uni publiquement à l’esclave d’autrui (…) § 4 : Pareillement, si une femme libre a accepté d’épouser l’esclave d’autrui (…) § 7 : [3 sous à acquitter] si un esclave épouse une femme esclave sans l’accord de son maître (…) c. 44 : Du reipus [Procédure à suivre + 62 sous et demi de reipus à acquitter] pour celui qui, selon l’usage, après la mort d’un homme ayant laissé une veuve, souhaite épouser celleci (…) c. 55 : Des cadavres dépouillés
§ 4 : Si quelqu’un a déterré et dépouillé un corps déjà inhumé (…) [15 sous à acquitter], pour celui qui, avant qu’il ne se soit entendu avec ses parents, lui accorde le pain ou l’hospitalité, qu’il soit l’un de ses parents ou la plus proche, son épouse (…) c. 56, p. 210 : De eo qui ad mallum uenire c. 56 : De celui qui refuse de venir au mallus contemnit § 6, p. 213 : (…) quicumque eaum aut [15 sous à acquitter] pour quiconque pauerit aut hospitame dederit, etiamsi uxor nourrit ou accorde l’hospitalité [à celui sua propria (…) iudicetur. qui refuse d’aller au mallus], y compris pour sa propre épouse (…)
3 00
a n n e xe s 2. Le couple dans les canons des conciles mérovingiens2
Concile (date)
canon
terminologie
disposition
Orléans III c. 2 Vt nullus clericorum a subdiacono (538) I, p. 232-233 et supra, qui uxores in proposito suo accipere inhibentur, propria, si forte iam habeat, misceatur uxori quod, si fecerit (…) ab officio deponatur (…)
Qu’aucun des clercs, à partir du sous diaconat et au-delà – à qui leur engagement interdit de prendre des épouses –, ne s’unisse à son épouse s’il se trouvaient en avoir déjà une. Sinon, qu’ils soient déposés de leur office (…).
De his [clericis], qui ex concubinis c. 10 I, p. 238-239 filios habent et uxores legitimas habuerunt aut defunctis uxoribus sibi concubinas publice crederint sociendas, id obseruandum esse censuimus, ut, sicut eos, qui iam sunt clerici per ignorantiam ordinati, non remouemus, ita statuimus, ne ulterius ordinentur.
Au sujet des clercs majeurs qui ont des enfants nés de concubines alors qu’ils avaient des épouses légitimes ou qui, après la mort de leurs épouses, ont cru pouvoir s’unir publiquement à des concubines, nous avons décidé d’observer cela : ceux qui ont déjà été ordonnés clercs par ignorance ne seront pas rejetés ; les autres ne seront plus ordonnés dorénavant.
(…) Christianis quoque omnibus c. 14 I, p. 242-245 intedicimus, ne iudaeorum coniugiis misceantur. Quod si fecerint, usque ad sequastrationem, quisque ille est, comnunione pellatur.
Nous interdisons aussi aux chrétiens de s’unir par mariage à des juifs. S’ils le font, qu’ils soient, quels qu’ils soient, exclus de la communion, jusqu’à leur séparation
c. 19 D e rap tor ib u s ui rg i num I, p. 246-247 consecratarum seu in propositao sub deuotione uiuentium id statuimus, ut si quis (…) uim inferre praesumpserita communione ecclesiastica usque ad exitum repellatur (…). Quod si, quae rapta dicitur, cum raptore habitare consenserit, et ipsa excommunicatione simili feriatur. Quae forma et paenitentibus ac uiduis in proposito manentibus sub districtione ecclesiastica conseruetur (…).
Au sujet des ravisseurs de vierges consacrées ou qui ont fait vœu de vivre dans la dévotion, nous statuons que si quelqu’un ose [leur] faire violence (…), qu’il soit exclu de la communion ecclésiastique jusqu’à la mort (…) Si celle, dite enlevée, accepte d’habiter avec son ravisseur, qu’elle soit frappée de la même excommunication. Que cette mesure soit aussi appliquée quand il s’agit de pénitentes et de veuves qui ont pris un engagement ratifié par l’Église.
2 Les canons des conciles mérovingiens (vie-viie siècles), éd. et trad. J. Gaudemet, B. Basdevant, 2 t., Paris, 1989. Les traductions des extraits donnés sont cependant personnelles.
Anne xe 2
c. 27 (…) Vt ne quis benedictionem I, p. 252-253 paenitentiae (…) coniugatis nisi ex consensu partium et aetate iam plena eam dare non audeat. Lyon III (583)
(…) ut nullum clericum ab odine c. 1 II, p. 446- sancto antistitis usque ad subdiaconi 447 gradum mulierem praeter matrem, amitam et sororem in hospitio suo habere liceat. Placuit etiam, ut, si quicumque uxoribus iuncti ad diaconatus aut presbyteratus ordinem quoquo modo peruenerint, non solum lecto, sed etiam frequentatione quotidiana debeant de uxoribus suis sequestrari. Quod si, quod Deus auertat, de eorum familiari contubernio post acceptam benedictionem infans natum paurerit, ab officii gradu priuetur.
Macon II (585)
Incestam copulationem, in qua nec c. 18 II, p. 476- coniunx nec nuptiae recte appellari 477 sanxerunt, catholica (…) ecclesia et grauitoribus poenis eos afficere promittit, qui (…) quod nefas est (…).
c. 10 De incestis coniunctionibus. Si quis Clichy (626 ou 627) II, p. 534-535 infra prescriptum canone gradum incestuoso ordine cum his personis, quibus a diuinis regulis prohibitum est, coniux est, usquequo paenitentiam sequestratione testentur, utrique communione priventur et neque in palatio habere militiam neque in forum agendarum causarum licentiam non habentur. Nam quomodo predicti se incestuose coniunxerit, episcopi seu presbyteri, in quorum diocesi uel pago actum fuerit, regi uel iudicibus scelus perpetratum adnuntient, ut, cum ipsis denuntiatum fuerit, se ab eorum communione aut cohabitione sequestrent. Res autem eorum ad proprios parentes usque ad sequestrationem perueniant (…).
301
(…) Que personne n’ose donner la bénédiction des pénitents (…) à des gens mariés, sans le consentement du conjoint ni avant un âge déjà accompli. (…) qu’il ne soit permis à aucun clerc, depuis le saint ordre de l’épiscopat jusqu’à la dignité de sous-diacre, d’avoir sous son toit une femme autre que sa mère, sa tante et sa sœur. Il a aussi été admis que les hommes unis à des épouses qui parviennent, de quelle que façon que cela soit, au diaconat ou à la prêtrise doivent se séparer de leurs femmes, non seulement quant au lit, mais aussi quant à la vie quotidienne. Si, après la réception de l’ordination, un enfant naissait de leur cohabitation familière, ce que Dieu rejette, que ce clerc soit privé de la dignité de sa fonction. Quant à l’union incestueuse, pour laquelle les lois ont interdit de parler juridiquement de conjoints et de noces, l’Église catholique (…) promet de frapper des plus graves peines ceux [qui commettent ce sacrilège] Des unions incestueuses. Si quelqu’un s’est uni de manière incestueuse, en dessous du degré canonique prescrit, avec une de ces personnes que les préceptes divins lui interdisent, qu’ils soient l’un et l’autre privés de la communion jusqu’à ce qu’ils aient témoigné de leur [désir de] pénitence par la séparation et qu’ils ne puissent exercer une fonction au palais, ni traiter d’affaires au tribunal. Lorsque de tels gens se sont unis de manière incestueuse, que les évêques ou prêtres du diocèse ou du pagus où cela s’est fait, dénoncent le crime perpétré au roi et aux juges pour que ceux-ci, une fois informés, s’abstiennent de la communion ou de la cohabitation avec eux. Que leurs biens reviennent à leurs parents jusqu’à ce qu’ils se séparent (…).
302
a n n e xe s 3. Eulalius, Tétradie et Didier, d’après Grégoire de Tours (fin vie siècle)3
VIII, 27, p. 390 : (…) Tunc ibi Eulalius adfuit, quasi pro coniuge, quae eum spreverat et ad Desiderium transierat, causaturus ; sed in ridiculo et humiliatate redactus siluit. Desiderius vero remuneratus a rege (…)
trad. t. II, p. 155 : (…) En même temps se présente [au roi Gontran] Eulalius, venu prétendument pour l’entretenir au sujet de son épouse qui l’avait abandonné et était passée à Didier ; mais ayant été tourné en ridicule et humilié, il se tut. Quant à Didier, il reçut des cadeaux du roi (…).
VIII, 45, p. 411 : (…) Desiderius dux (…) cum Tetradia uxore sua, quam Eulalio nunc Arverno comite abstullerat, in termino Tholosano (…)
trad. t. II, p. 179 : [Le duc Didier] passant dans le Toulousain avec son épouse Tétradie qu’il avait enlevée à Eulalius, maintenant comte d’Auvergne (…).
X, VIII, p. 489-491 : In confinio vero termini Arverni, Gabalitani atque Ruteni sinodus episcoporum facta est contra Tetradiam, relictam quondam Desiderii, eo quod repeteret ad eam Eulalius comes res, quas ab eo fugiens secum tullisset. Sed hanc causam, vel qualiter Eulalium reliquerit vel quemadmodum ad Desiderium confugirit, altius memorandam putavi (…)
trad. t. II, p. 267-270 : Aux confins des territoires de l’Auvergne, du Gévaudan et du Rouergue se tint un synode d’évêques contre Tétradie, veuve de feu Didier, à laquelle le comte Eulalius réclamait des biens qu’elle avait emportés avec elle en le fuyant. Mais j’ai pensé qu’il fallait reprendre de plus haut cette affaire en exposant pourquoi elle avait abandonné Eulalius et comment elle s’était réfugiée auprès de Didier. (…) [Eulalius qui agissait souvent de manière déraisonnable et est soupçonné d’avoir étranglé sa mère] avait une épouse, Tétradie (…) ; mais comme il s’abandonnait dans sa maison au concubinage avec des servantes, il se mit à négliger sa femme et lorsqu’il revenait de se prostituer, il lui infligeait souvent des coups très violents. Il avait en outre, pour ses nombreux forfaits, contracté quelques dettes à cause desquelles il dilapidait les joyaux et l’or de son épouse. Finalement cette femme, qui était en proie à ces difficultés et qui avait perdu la situation honorable dont elle jouissait dans la maison de son mari, est convoitée, pendant que son mari
Habebat enim uxorem Tetradiam (…). Sed cum in domo sua vir ancillarum concubitu misceretur, coniugem neglegere coepit, et cum ab scorto reverteretut, gravissimis eam plagis saepius adficiebat. Sed et pro multis sceleribus debita nonulla contraxerat, in qua ornamenta et aurum uxoris saepissime evertebat. Denique inter has augustias mulier collocata, cum honorem omnem, quem in domo viri habuerat, perdidissit et ille abisset ad regem, haec a Viro (…) mariti sui nepote, concupiscitur, scilicet ut, quia ille perdiderat coniugem, huilus matrimonio iungeretur. Virus autem timens inimicitias avunculi, mulierem Desiderio duci transmisit, videlicet ut succedente tempore copularetur ei.
3 Grégoire de Tours, Decem libri historiarum, éd. B. Krusch, MGH SRM 1.1, Hanovre, 1951 ; trad. R. Latouche, 2 t., Paris, 1999 (quelques modifications ont été apportées à la traduction proposée par Robert Latouche). Sur cette œuvre, M. Heinzelmann, Gregory of Tours : History and Society in the Sixth Century, trad. angl., Cambridge, 2001.
Anne xe 2
Quae omnem substantium viri sui tam in auro quam in argento vel vestimentis movere poterant, cum seniore filio secum sustulit, relictum in domo alium iuniorem. Rediens vero Eulalius ex itinere, conperit quae accresserant. (…) super Virum nepotem suum inruit eumque (…) interimit. Audiens autem Desiderius, qui et ipse uxorem nuper perdederat, quod scilicet Virus interfectus fuisset, coniugio suo Tedradiam sociavit. Eulalius vero puellam de monasterium Lugduninse diripuit eamque accepit (…).
Et alia muta mala fecit, quae enarrari perlongum est. (…) Igitur coniuncti, ut diximus, sacerdotes et viri magnifici (…). Tetradia ab Agyno repraesentatur, atque Eulalius contra eam causaturus accessit. Cumque res, quas de eius, abiens ad Desiderium, domo abstulerat, inquereret, iudicatum est Tetradiae, ut quadrupla satisfactione ablata restitueret, filiosque, quos de Desiderio conpecerat, incestos habere ; illud etiam ordinantes, ut, si haec, quae Eulalio est iussa, dissolveret, accedendi in Arverno licentia praeberetur resque suas, que ei ex paterna successione obvenerant, absque calumnia frueretur. Quod ita factum est.
303
était parti chez le roi, par Vir (…), le neveu de son mari, qui souhaitait, parce qu’il avait perdu sa femme, s’unir à elle par le mariage. Toutefois, Vir craignant l’inimitié de son oncle, envoya la femme au duc Didier pour l’épouser ensuite. Laissant son plus jeune fils à la maison, celle-ci partit avec son fils aîné, en emportant tous les biens de son mari qu’ils purent, tant en or, qu’en argent et en vêtements. Or, en revenant de son voyage, Eulalius constata ce qui s’était passé. (…) il fondit sur son neveu Vir et l’assassina (…). En apprenant que Vir avait été tué, Didier, qui lui aussi avait perdu récemment sa femme, épousa Tétradie. Quant à Eulalius, il enleva d’un monastère de Lyon une jeune fille et la prit avec lui (…). [il a plusieurs concubines, assassine plusieurs membres de sa parenté]. Il commit beaucoup d’autres méfaits qu’il serait trop long de raconter (…). Les évêques et les hommes magnifiques se réunirent donc (…). Tétradie était représentée par Aginus, et Eulalius comparut pour plaider contre elle ; puis comme il réclamait les biens qu’en partant chez Didier elle avait enlevés de sa maison, il fut jugé à l’encontre de Tétradie qu’elle devait restituer au quadruple les biens enlevés et que les enfants qu’elle avait conçus de Didier seraient considérés comme adultérins. On décida toutefois que si elle s’acquittait de ce qu’on avait exigé qu’elle payât à Eulalius, l’autorisation de se rendre en Auvergne lui serait accordée et qu’elle pourrait jouir, sans craindre une revendication, de ses propres biens qui lui étaient venus de la succession paternelle ; c’est ce qui eut lieu.
3 04
a n n e xe s 4. Charte de donation de Vuademerus et son épouse Ercamberta à plusieurs églises et abbayes du nord de la France (691) (extraits)4.
(…) do]namus donatumque in perpetuo esse volomus ad basilica Domnae Stefanae, in Parisius, ubi domnus Sigofridus, pontefex, preesse veditur, villa cognom[enante in pago Ca]miliacinsi, cum omne merito vel ageciencias et soledet[a]tes, sicut a nos, presente tempore, est possessum. Simile modo, donamus (…) ad monastirio domnae [… ?…] predictata, abbatissa, praeesse veditur, villa cognomenante Ingolinocurti, in pago Camiliacinsi, cum omne integritate vel mereto suo, sicut et no[s … ?…] vedimur. Pare modo, donamus ad basilica Domne Germanae, ubi vir venerabilis Landebertus, abba, preesse veditur, villa cognomenanti Fraxineto, in pago Pin[… ?…] vel meret[o] suo agiciencias vel quicquid, presente tempore, quieto ordene, a nobis ibidem est possessum. Simile modo, donamus (…). Donamus, in Dei nomene, [… ?… P]risciaco, in pago Camiliacinsi, ad domno Martino in ipso Prisciaco, ubi vir venerabilis Farulfus, abba, preesse veditur, ubi sepulturas nostras ibidem habimus reconde[tas … ?…] (…) ut dulcissema conjux mea, Ercamberta, stante ista omnia, quod superius diximus, se nos superstitis aderat et Deo, si vovirit, villas cognomenantis Lubaria, in pago Oxminsi [… ?…] (…)
(…) nous donnons, et nous voulons que ce don soit fait pour toujours à la basilique du seigneur Étienne, à Paris, où le seigneur Sigefroi est évêque, la villa de [?] dans le pagus de Chambly, avec tout ce que nous y possedons à ce jour en revenus, annexes et rentes. De manière semblable, nous donnons au monastère de la seigneure5 […] susdite est abbesse, la villa d’Agnicourt, dans le pagus de Chambly, avec tout ce que nous y avons […] en intégralité et en revenus. De pareille manière, nous donnons à la basilique du seigneur Germain, où l’homme vénérable Lambert est abbé, la villa de Fraxineto, dans le pagus de Pin[?], avec tout ce que nous y possedons à ce jour en toute quiétude en revenus, annexes ou autres. De manière semblable, nous donnons (…). Nous donnons, au nom de Dieu […] de Précy, dans le pagus de Chambly, où l’homme vénérable Farulf est abbé, là où nous avons prévu que soient placées nos sépultures (…) que ma très douce épouse Ercanberta, ayant assisté à tout ce que nous avons dit ci-dessus, si elle devait nous survivre et se vouer à Dieu, […] les villae de Lubaria, dans le pagus d’Oxminsi […] (…)
4 Chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, éd. C. Giraud, J.-B. Renault et B.-M. Tock, no 4494 (http://www.cn-telma.fr/originaux/charte4494/). Les [...] correspondent aux passages qui n'ont pu être reconstitués dans l'édition ; les (...) ceux que je n’ai pas retenus car inutiles pour la question de la conjugalité. 5 Je féminise comme d’autres le titre seigneurial.
Anne xe 2
Ercamberta, se mihi superstitis fuerit, suprascriptas villas, tam de parti sua quam et de parti nostra, in sua faciat revocare domenacione et monistirio, ubi se eligirit d[… ?…] re suis et futuris temporebus ad ipso monastirio pr[e]dictas villas debiant proficire in augemento. Et ut hec delibiracio nostra, quaem pro animis nostris dare decrivimus, [… ?…]tur et per tempora conservitur, sicut lex edocit, reservata ad heredis nostros villas cognomenantis Edoniaco et Miscello, in pago Cadrocino, Oxello et Buciaco in [pago … ?…] tamen stante ista omnia, quod superius comuni convenencia ficimus, convinit, ut, qui pare suo superstetis aderat, ris pare suo possedire debirit, ut neque vo[s … ?…] nisi pro [h]umane mercidem amborum ad loca sanctorum delegare debirit. Unde duas epistulas uno tenore coniscriptas inter nos fieri et firmare convinit, ea racione, ut [… ?…]evo[…] ecclesia Parisiaci, ubi apostholicus domnos et pater noster Sigofridus preesse veditur, recondatur et alia eo modo coniscripta, qui de nos pare suo superstitis aderat habi[… ?…]di[…]ui[… ?…] quarta parte reservavimus. (…)
Actum Camiliaco, vico publico, quod ficit minsis [… ?…] X […], anno XVII rigni domni nostri Theoderice gloriosissimi regis. Ego in Dei nomine, Vuademiris, hanc epistola, a me facta, religi et [subscripsi]. Ghranno sub[scripsi]. [S]ignum vir inl. Acerelio. Signum Bosone. ERCAMBERTA SUB[SCRIPSI].
305
si Ercamberta me survit, qu’elle fasse rappeler dans sa donation ces villae mentionnées cidessus, issues tant de sa part que de la notre, et qu’au monastère, où elle aura choisi […] et que dans les temps futurs, les susdites villae profitent à ce même monastère par leur mise en valeur. Et pour que cette donation que nous avons décidé de faire pour nos âmes […] et soit conservé(e ?) à jamais, comme la loi l’enseigne, nos villae d’Edoniaco et Miscello, dans le pagus de Cadrocino et celles d’Oxello et Buciaco, dans celui de […] étant réservées à nos héritiers […] ayant toutefois assisté à tout ce que nous avons fait par la convention commune [mentionnée] ci-dessus, il a été convenu que celui qui survivrait à son conjoint possèderait les biens de son conjoint afin que […] à moins qu’il ne les concède avec bienveillance pour le salut des deux [conjoints] à des lieux saints. C’est pourquoi il a été convenu de faire entre nous et de confirmer deux lettres d’un seul tenant, à la condition que […] soit remise à l’église de Paris où le seigneur pape et notre père Sigefroi et l’autre écrite de cette façon à celui de nous qui survivra à son conjoint […] nous nous réservons le quart. Fait à Camiliaco, vicus public, au mois de […], la xviie année du règne de notre seigneur Thierry, très glorieux roi. Moi, au nom de Dieu, Vuademerus, j’ai relu et [souscrit] cette lettre que j’ai faite. Ghanno [j’ai souscrit]. S. l’homme ill. Acerelio. S. Boson. Ercamberta [j’ai souscrit].
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a n n e xe s 5. Pépin III, Capitulaire de Compiègne (757)6
c. 1 : Si in quarta progenie reperti fuerint coniuncti, c. 1 : S’il a été découvert que ceux qui se sont unis sont liés au 4e degré, nous ne les séparons pas. non separamus c. 2 : In tercia vero si reperti fuerint, separentur c. 2 : S’il a été découvert qu’ils sont liés au 3e degré, qu’ils soient séparés c. 3 : Et eos, qui unus in quarta alius in tercia sibi c. 3 : Nous séparons ceux qui se sont unis pour lesquels il est découvert qu’ils sont liés entre eux pertinent et coniuncti in veniuntur, separamus au 4e et 3e degré. c. 4 : si duo in tertcio loco sibi pertinent, sive vir c. 4 : Si deux individus sont liés au 3e degré, soit sive femina, aut unus in tercio et alter in quarto, l’homme, soit la femme, ou l’un au 3e degré et uno mortuo, non licet alterum accipere uxorem l’autre au 4e, une fois l’homme mort, un autre eius ; et in inventi fuerint, separentur. Una lex est ne peut épouser l’épouse de celui-ci ; et si c’est de viris et feminis. découvert, qu’ils soient séparés. Il y a une seule loi pour les hommes et les femmes c. 5 : Mulier, si sine commeatu viri sui velum in caput c. 5 : Si une femme a pris le voile sans l’accord miserit, si viro placuerit, recipiat iterum ad coniugium de son mari, si son mari le souhaite, il peut la reprendre de nouveau en mariage. c. 6 : Si quis Francam filiastram suam contra c. 6 : Si quelqu’un a donné sa belle-fille franque voluntatem ipsius et matris et parentum dederit contre sa volonté, celle de sa mère et de ses parents, viro ingenuo aut servo vel ecclesiastico, et illa noluerit à un homme libre ou esclave ou à un ecclésiastique, habere ipsum et reliquerit eum, potestatem habent et que celle-ci ne veut l’avoir et l’abandonne, ses parentes ipsius dare ei alium maritum. Et ipsa alium parents ont le droit de la donner à un autre mari. habet, quam postea accepit, non separentur. Et si elle a un autre [mari], qu’elle a ensuite accepté, qu’ils ne soient pas séparés. c. 7 : si Francus homo acceperit mulierem et sperat c. 7 : Si un homme franc a épousé une femme en quod ingenua sit, et postea invenit quod non est pensant qu’elle est ingénuile et qu’il découvre ingenua, dimittat eam, si vult, et accipiat aliam. ensuite qu’elle n’est pas ingénuile et qu’il la quitte, Similiter et femina ingenua. s’il le veut, et en épouse une autre. Il en est de même pour une femme ingénuile. c. 8 : Si femina ingenua accepit servum et sciebat tunc c. 8 : Si une femme ingénuile a épousé un esclave quod servus erat, habeat interim quo vivit. Una lex et qu’elle savait alors qu’il était esclave, qu’elle l’ait tant qu’il vit. Il y a une seule loi pour les est de viris et feminis. hommes et les femmes c. 9 : Homo francus accepit beneficium de seniore suo, c. 9 : Si un homme franc reçoit un bénéfice de et duxit secum vassalum, et postea fuit ibi mortuus son seigneur et que celui-ci part avec son vassal ipse senior et dimisit ibi ipsum vassalum ; et post et qu’après il meurt là-bas et laisse là le vassal ; et hoc accepit alius homo ipsum beneficium, et pro hoc qu’après un autre homme reçoit le bénéfice et que, ut melius potuisset habere illum vassalum, dedit ei pour avoir le meilleur du vassal, il lui donne une mulierem de ipso beneficio, et habuit ipsam aliquo femme issue du bénéfice, et le vassal l’a quelques tempore ; et dimissa ipsa, reversus est ad parentes temps ; puis l’abandonnant, il revient auprès des senioris sui mortui, et accepit ibi uxorem, et modo parents de son défunt seigneur, et reçoit là une habet eam. Definitum est, quod illam qua postea épouse qu’il a maintenant. Il est arrêté qu’il ait accepit, ipsam habet. celle qu’il a reçue ensuite.
6 MGH Capit., I, no 15, p. 37-39.
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c. 10 : Si quis, uxore accepta, invenit eam apud fratrem suum contaminatam, ipsam dimittens accepit aliam, ipsamque contaminatam invenit, uxor eius legitima est propterea quia nec ipse virgo fuit illo tempore. Quod si tertiam postea acceperit, revertat ad medianam ; et ipsa posterior potestaem habeat alio viro se coniungere. c. 11 : Si quis homo habet mulierem legitimam, et frater eius adulteravit cum ea, ille frater vel illa femina qui adulterium perpetraverunt, interim quo vivunt numquam habeant coniugium. Ille cujus uxor fuit, si vult, potestatem habet accipere aliam. c. 12 c. 13 : Si pater sponsam filii sui oppresserit, et postea filius ipsam acceperit, pater eius postea non habeat uxorem, et ipsa femina non habeat virum, quia non dixit quod pater eius cum ipsa mansisset ; filius vero eius qui nesciens fecit accipiat mulierem legittimam c. 14 c. 15 : Si quis filiastram aut filiastrum ante episcopum ad confirmationem tenuerit, separetur ab uxore sua et alteram non accipiat. Similiter et femina alterum non accipiat. c. 16 : Si quis dimiserit uxorem suam et dederit comiatum pro religionis causa infra monasterium Deo servire aut foras monasterium dederit licentiam velare, sicut diximus propter Deum, vir illius accipiat mulierem legittimam. Similiter et mulier faciat. Georgius consensit.
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c. 10 : Si quelqu’un découvre que sa femme, consentante, s’est souillée auprès de son frère, et l’ayant quittée en a épousé une autre, et qu’il découvre qu’elle est elle-même souillée, elle est (reste) son épouse légitime, pour cette raison que lui n’était pas vierge non plus à ce moment. Et si après, il en épouse une troisième, qu’il revienne à la seconde et que celle qu’il a eu après ait le droit de se marier à un autre homme. c. 11 : Si quelqu’un a une femme légitime et que son frère a commis l’adultère avec elle, ce frère et cette femme qui ont accompli l’adultère, qu’ils ne puissent jamais contracter un mariage tant qu’ils vivront. Celui dont c’était la femme, s’il le veut, a le droit d’en épouser une autre. c. 12 / baptême c. 13 : Si un père a violé la fiancée de son fils et qu’après son fils l’a épousé, qu’ensuite son père ne puisse avoir d’épouse et que cette femme n’ait pas de mari, parce qu’elle n’a pas dit [au fils] que son père est resté avec elle ; son fils qui ne le savait pas peut épouser une femme légitime c. 14 / femme qui a pris le saint voile spontanément c. 15 : Si quelqu’un a tenu sa belle-fille ou son beau fils devant l’évêque pour la confirmation, qu’il soit séparé de sa femme et n’en épouse pas d’autre. De même une femme ne peut épouser un autre [homme] c. 16 : Si un homme a quitté sa femme et lui a donné, pour raison religieuse, sa permission pour servir Dieu dans un monastère ou lui a donné la liberté de prendre le voile hors d’un monastère pour Dieu, comme nous l’avons dit, que son mari puisse épouser une femme légitime. De même peut faire une femme. Georges y a consenti.
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c. 17 : Si quis cum matre et filia in adulterio mansit, nesciente matre quod cum filia sua mansisset, similiter et filia nescivit quod cum matre sua mansisset, postea ille vir, si acceperit, mulierem dimittat, usque in diem mortis suae non habeat uxorem, et illa mulier quam reliquerit accipiat virum ; et illa mater et filia cum quibus in adulterio mansit, ambabus nescientibus quod cum matre et filia mansisset, habant viros. Nam si notitiam illarum venerit hoc scelus, dimittant maritos et agant poenitentiam, et illorum mariti posteriores accipiant mulieres.
c. 18 : similiter et de duabus sororibus, qui cum una in adulterio mansit et alteram in publico accepit, non habeat mulierem usque in diem mortis. et illae duae sorores, si nescierunt, habeant maritos ; et si in notitiam eis venit, superiorem formam servent. c. 19 : si quis leprosus mulierem habeat sanam, si vult ei donare comiatum ut accipiat virum, ipsa femina, si vult, accipiat. Similiter et vir. c. 20 : si quis vir accepit mulierem et habuit ipsam aliquo tempore, et ipsa femina dicit quod non mansisset cum ea, et ille vir dicit quod sic fecit, in veritate viri consistat, quia caput est mulieris. De muliere, quae dicit quod vir suus ei commercium maritale non reddidit. Georgius consensit c. 21 : Si qui propter faidam fugiunt in alias patrias et dimittunt uxores suas, nec illi viri nec illae feminae, accipiant coniugium.
c. 17 : Si quelqu’un vit dans l’adultère avec une mère et sa fille, la mère ne sachant pas qu’il demeure avec sa fille et la fille ne sachant pas qu’il demeure avec sa mère et qu’ensuite cet homme délaisse sa femme s’il en a épousée une, qu’il ne puisse plus avoir d’épouse jusqu’au jour de sa mort et que cette femme qu’il a abandonnée puisse épouser un [autre] homme. Et la mère et la fille avec qui il est resté (a vécu) dans l’adultère, les deux ignorant qu’il est resté avec la mère et la fille, qu’elles puissent avoir des maris. Si ce crime venait à leur connaissance, qu’elles laissent leur mari et fasse pénitence et que ces maris postérieurs puissent avoir des femmes. c. 18 : De même, pour deux sœurs, si quelqu’un vit dans l’adultère avec l’une et a épousé l’autre publiquement, qu’il ne puisse avoir de femme jusqu’au jour de sa mort. Et si ces deux sœurs l’ignorent, qu’elles puissent avoir des maris. Mais si cela vient à leur connaissance, qu’elles appliquent la disposition précédente. c. 19 : Si un lépreux a une femme saine, il peut lui donner, s’il le veut, la permission de se marier avec un [autre] homme, ce que cette femme peut accepter, si elle le veut. De même pour un homme. c. 20 : Si un homme épouse une femme et l’a quelque temps et que cette femme dit qu’il n’est pas resté avec elle et que cet homme dit qu’il l’a fait, qu’il en soit selon la version du mari, parce qu’il est la tête de la femme (Ep., 5, 23). [De même,] au sujet d’une femme qui dit que son mari ne lui rend pas le commerce conjugal. Georges y a consenti. c. 21 : Si certains fuient dans d’autres patries pour cause de faide et abandonnent leur épouse, que ni ces hommes, ni ces femmes ne contractent un [nouveau] mariage.
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6. Le couple dans une sélection de capitulaires (ixe siècle)
Charlemagne, Partage du royaume (806) I, 45, p. 126-130 c. 12, p. 129 : Si quae autem feminae, sicut fieri solet, inter partes et regna legitime fuerint ad coniugium postulatae, non denegentur iuste poscentibus, sed liceat eas vicissim dare et accipere et adfinitatibus populos inter se sociari. Ipsae vero feminae potestatem habeant rerum suarum in regno unde exierant, quamquam in alio propter mariti societatem habitare debeant
Si des femmes, comme c’est la coutume, ont été demandées en mariage légitimement, alors qu’elles sont dans une autre partie du royaume, qu’elles ne soient pas refusées à ceux qui les ont exigées justement, mais qu’au contraire, il soit permis de les donner et de les recevoir [pour que] les peuples soient unis entre eux par l’alliance. Que ces femmes aient le contrôle de leurs biens dans le royaume qu’elles quittent, bien qu’elles doivent habiter dans un autre du fait de la communauté de [vie avec] leur mari.
c. 17, p. 129 : De filiabus autem nostris, sororibus scilicet praedictorum filiorum nostrorum, iubemus, ut post nostrum ab hoc corpore discessum licentiam habeat unaquaeque eligendi sub cuius fratris tutela et defensione se conferre velit. Et qualiscunque ex illis monasticam vitam elegerit (…). Quae autem iuste et racionabiliter a condigno viro ad coniugium fuerit quaesita et iei ipsa coniugalis vita placuerit, non ei denegetur a fratribus suis, si et viri postulantis et feminae consentientis honesta et rationabilis fuerit voluntas. Charlemagne, Avertissement à un missus (801-812)
Concernant nos filles, c’est-à-dire les sœurs de nos dits fils, nous ordonnons qu’après la mort de notre corps, chacune d’elles ait la liberté de choisir sous la tutelle et protection de quel frère elle veut se placer. Celle qui choisit la vie monastique (…). Celle qui a été demandé en mariage de manière légitime et raisonnable par un homme digne et à laquelle la vie conjugale plait, qu’il ne lui soit pas refusé par ses frères, si c’est la volonté honnête et raisonnable de l’homme qui demande et de la femme qui consent.
I, 121, p. 238-240 3e §, p. 240 : Unusquisque in eo ordine Deo serviat fideliter in quo ille est. Mulier sint subiecti viri sui in omni bonitate et pudicitia, custodiant se a fornicatione et beneficiis et abritiis, quoniam qui hoc facit Deo repugnant. Nutriant filios suos in Dei timore et faciant aelemosinas ex tantum, quantum habet hilarem mentem et bona volutatem. Viri diligant uxorem suam, et inhosnesta verba non dicat ei, gubernare domus suas in bonitate, Conveniant ad aecclesia frequentius ; reddant hominibus que debent sine
Que chacun servent fidèlement à la place qu’il occupe. Que les femmes soient soumises à leur mari (Ep., 5, 24) en toute loyauté et pudeur, qu’elles se gardent de la fornication, des bienfaits et des comportements cupides, puisque ceux qui font cela s’opposent à Dieu. Qu’elles éduquent leurs enfants dans la crainte de Dieu et fassent autant d’aumônes qu’elles ont l’esprit joyeux et bonne volonté. Que les hommes estiment leur épouse (Ep., 5, 28), qu’ils ne lui disent pas de paroles honteuses, qu’ils gouvernent leur maison avec loyauté, qu’ils la rassemblent assez fréquemment à l’église. Qu’ils rendent aux hommes ce qu’ils doivent sans réclamation et à Dieu ce qui est
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murmurationem et Deo que Dei sunt cum bona voluntate. Filii diligant parentes suos et honoret illos ; non sint illi inobedientes, caveant se a futtis et homicidis et fornicationibus ; quando ad legitima etate veniunt, legitimam ducant uxorem, nisi forte illi plus placeant in Dei servitio intraret.
à Dieu avec bonne volonté. Que les enfants estiment leurs parents et les honorent. Qu’ils ne soient pas désobéissants, Qu’ils se gardent des vols, homicides et fornications. Quand ils parviennent à la majorité qu’ils épousent une femme légitime, à moins que, par hasard, ils ne préfèrent rentrer au service de Dieu.
Louis le Pieux, Capitulaire des missi (821) I, 148, p. 301 c. 6 : De his qui se dicunt propter incestum res proprias amisisse constitutum est ut, si ante proximum quinquennium, quando placitum nostrum habuimus in Compendio, easdem res amiserunt, non eis restituantur.
Il a été établi, au sujet de ceux qui disent avoir perdu leurs biens propres pour cause d’inceste, que s’ils ont perdu ces biens dans une période proche des 5 ans avant que nous tenions notre plaid à Compiègne (816, c. 5), qu’ils ne leur soient pas restitués.
c. 9 : Volumus ut uxores defunctorum post obitum maritorum tertiam partem conlaborationis, quam simul in beneficio conlaboraverunt, accipiant. Et de his rebus quas is qui illud beneficium habuit aliunde adduxit vel conparavit vel ei ab amicis suis conlatum est, has volumus tam ad orphanos defunctorum quam ad uxores eorum pervenire. Concile de Rome, réuni par Eugène II (826), promulgué en capitulaire par Louis le Pieux
Nous voulons que les épouses des défunts reçoivent après la mort de leur mari le tiers des acquêts qu’ils ont acquis ensemble en bénéfice. Quant aux biens que celui qui a eu ce bénéfice qu’il a apporté ou obtenu d’ailleurs ou qui lui ont été concédés par ses amis, nous voulons qu’ils reviennent tant aux orphelins des défunts qu’à leur épouse.
I, 180, p. 370-377 c. 15, p. 374 : De suspectis sacerdotibus. Si quispiam sacerdotum, id est episcopus, presbyter, diaconus, etiam subdiaconus de quacumque femina crimine fornicationis suspicatus, post primam secundamque et tertiam admonitionem metropolitani vel alterius episcopi aut eius cui subiacere videtur inveniatur fabulari cum ea vel aliquo modo cum ea conversari, canonice iudicetur. Quapropter unusquisque episcoporum in tali re studiose ac diligenter curam habere debet, ne ecclesia Christi a propriis possit sordidari ministris, quia, cum propriam uxorem habere non permittitur, maxime ab omni femina sit abstienendus.
Des clercs suspects. Si quelque clerc, à savoir un évêque, un prêtre, un diacre, même un sous diacre, est suspecté du crime de fornication avec n’importe quelle femme, après avoir reçu un, puis deux et enfin trois avertissements de son métropolitain, d’un autre évêque ou de celui auquel il est soumis, pour avoir parlé avec elle ou pour vivre avec elle de quelque manière que ce soit, qu’il soit jugé canoniquement. C’est pourquoi chaque évêque doit avoir soin de veiller de manière zélée et scrupuleuse pour que l’église du Christ ne puisse être souillée par ses propres ministres, parce que, comme il ne leur est pas permis d’avoir leur propre épouse, ils doivent encore plus s’abstenir de toute femme
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c. 29, p. 375 : De feminis sub religioso habitu existentibus. Feminae vero quae habitum religiosum aut velamen sub obtemptu religiositatis suscipiunt, cum essent viro potentes, deinceps viros sociari non permittantur, sed eligentes monasterium regulariter vivant aut in domibus susceptum habitum caste observent : contra autem turpes inventae providentia episcopi emendentur.
Des femmes qui vivent sous l’habit religieux. Les femmes qui ont reçu l’habit religieux ou le voile, sous prétexte de piété, alors qu’elles sont puissamment attachées à l’homme, il ne leur est pas permis ensuite d’être unies à des maris : elles doivent choisir de vivre régulièrement dans un monastère ou de respecter chastement dans leur maison l’habit reçu. Que ces situations honteuses découvertes par la prévoyance de l’évêque soient corrigées.
c. 36, p. 376 : De his qui adhibitam sibi uxorem relinquunt et aliam sociant. Nulli liceat, excepta ausa fornicationis, adhibitam uxorem relinquere et deinde aliam copulare ; alioquin transgressorem priori convenit sociari coniugio. Sin autem vir et uxor divertere pro sola religiosa inter se consenserint vita, nullatenus sine conscientia episcopi fiat, ut ab eo singulariter proviso constituantur loco. Nam uxore nolente, aut altero eorum, etiam pro tali re matrimonium non solvat.
De ceux qui ont laissé leur épouse attitrée et s’unissent à une autre. Qu’il ne soit permis à personne, excepté pour cause de fornication, de laisser son épouse attitrée et de s’unir ensuite à une autre. Au reste, il convient que le pêcheur soit uni à la première union. Si au contraire le mari et la femme ont consenti (convenu) entre eux de se séparer pour la seule vie religieuse, que cela ne soit nullement fait sans la connaissance de l’évêque, afin qu’ils soient établis isolément par lui dans un lieu adapté. En effet, si l’épouse ne le veut pas, ou l’autre d’eux [donc le mari], même pour une telle chose, le mariage ne peut être rompu.
c. 37, p. 377 : Ut non licaeat uno tempore duas habere uxores, uxoremve et concubinam. Nulli liceat uno tempore duas habere uxores, uxoremve et concubinam, quia cum domni non sit lucrum, animae fit detrimentum. Nam sicut Christus castam observat eclesiam, ita vir castum debet custodire coniugium.
Qu’il ne soit pas permis d’avoir en même temps deux épouses ou une épouse et une concubine. Qu’il ne soit permis à personne d’avoir en même temps deux épouses ou une épouse et une concubine, parce que comme il n’y a pas d’avantage à la maison, cela se fait au détriment de l’âme. En effet, comme le Christ respecte une église chaste, le mari doit garder une union chaste.
Collection d’Anségise (827) I, 183, p. 423 l. II, c. 44 : De eruditione filiorum a parentibus et patrinis. Ut parentes filios suos et patrini eos quos de fonte lavacri suscipiunt erudire summopere studeant : illi, quia eos genuerunt et eis a Domino dati sunt, isti, quia pro eis fideiussores existunt.
De l’instruction des enfants par les parents et parrains. Que les parents s’appliquent à instruire leurs enfants avec le plus grand soin, de même que les parrains qui les ont reçus des fonts baptismaux : ceux-là, car ils les ont engendrés et leur ont été donnés par Dieu ; ceux-ci, car ils sont garants pour eux.
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Concile de Meaux-Paris (845-846), promulgué en capitulaire par Charles le Chauve II, 293, p. 388-421 c. 69, p. 414-415 : Si quis vivente marito coniugem illius adulterasse accusatur et, eo in proximo defuncto, eandem sumpsisse dinoscitur, omnimodis penitentie publice subigatur. De quo etiam post penitentiam prefata si expedierit servabitur regula ; nisi forte idem aut mulier virum qui mortuus fuerat occidisse notentur, aut propinquitas, vel alia quelibet actio criminalis impediat. Quod si probatum fuerit sine ulla spe coniugii cum penitentia perpetuo maneant. Si autem negaverit (…) purgent legamiter famam suae opinionis et sumpto utantur coniugio, si alia, ut diximus, non praepedit ratio.
Si un homme est accusé d’avoir commis l’adultère avec une femme du vivant de son mari et que, celui-ci étant proche de la mort, il est reconnu l’avoir prise, qu’il soit de toute manière soumis à la pénitence publique. Si, après la pénitence, cela est opportun pour lui, que la règle susdite soit observée [le mariage légitime, après un rapt, si l’âge et l’incontinence l’exigent : c. 65], à moins que lui ou la femme n’aient été reconnus avoir tué l’homme qui est mort, ou que la parenté ou une quelconque autre action criminelle ne l’empêchent. Si cela est prouvé qu’ils fassent pénitence continuellement, sans espoir de mariage. S’il nie [l’adultère comme l’homicide], qu’ils se disculpent légalement de la rumeur de l’opinion [des accusateurs] et jouissent du mariage conclu, si, comme nous l’avons dit, aucune autre condition n’y fait obstacle.
c. 77, p. 419 : Provideant viri potentes et maxime potentes feminae, ut in suis domibus adulteria et luxuriae concubinaticae et incesta adulteria non vigeant. Et suos presbyteros, qui cum eis in capellam vadunt, huiusmodi virtutem habere faciant, quatinus omnia vitia in domibus suis resecent (…).
Que les hommes puissants, et surtout les femmes puissantes, veillent à ce que les adultères, les concubinages luxurieux et les adultères incestueux ne regorgent pas dans leurs maisons. Et qu’ils demandent aux prêtres qui les accompagnent à la chapelle, de faire preuve de vertu de la même manière, afin qu’ils suppriment tous les vices de leurs maisons (…).
Couronnement de la reine Ermentrude (866) II, 301, p. 453 : adlocutio duorum episcoporum in Discours de deux évêques dans l’église de saint ecclesia sancti Medardi, quando Hermintrudis fuit Médard, quand Ermentrude a été consacrée reine. consecrata in reginam. Volumus vos scire, fratres, quia domnus et senior noster Karolus rex gloriosus nostrae humilitatis petiit devotionem, ut auctoritate ministerii nobis a Deo conlati, sicut ipse in regem est unctus et consecratus episcopali auctoritate, unctione sacra et benedictione, veluti in scripturis legimus Dominum praecepisse, ut reges ungerentur et sacrarentur in regiam potestatem, ita uxorem suam dominam nostram in nomine reginae benedicamus, sicut et a sede apostolica et a nostris decessoribus antea de aliis factum comperimus. (…)
Nous voulons que vous sachiez, frères, que notre seigneur et maître Charles, roi glorieux, a imploré la dévotion de notre humilité pour que, par l’autorité du ministère qui nous a été conféré par Dieu, de même que lui-même avait été oint et consacré roi, par l’autorité épiscopale, avec l’onction sacrée et la bénédiction, comme nous lisons dans les écritures que le Seigneur recommande que les rois soient oints et sacrés pour [leur conférer] le pouvoir royal, de même nous bénissons son épouse, notre seigneure7, [en lui conférant] le titre de reine, comme nous savons que cela a été fait auparavant par le siège apostolique et nos prédécesseurs pour les autres. (…)
7 Comme d’autres, je féminise le titre, le terme de « dame » généralement utilisé pour traduire « domina » me paraissant mal souligner l’équivalence avec le terme masculin, notamment en matière d’exercice de l’autorité.
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Oratio : Domine sancte, pater omnipotens, aeterne Deus, qui potestate virtutis tuae de nihilo cuncta fecisti et dispositis universatis exordiis homini ad imaginem tuam facto inseparabile mulieris adiutorium condidisti ac femineo corpori de virili dedisti carne principium docens, quia, quod ex uno placuit tibi institui, non liceat ab homine separari, respice propitius super hanc famulam tuam maritali iunctam consortio, quae tua se expetit protectione muniri. Sit in ea iugum dilectionis et pacis (…).
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Prière : Seigneur saint, père tout puissant, Dieu éternel, toi qui a tout fait de rien par la puissance de ta vertu, qui a façonné, une fois décidés les débuts de l’univers, l’aide inséparable d’une femme à l’homme fait à ton image et a donné [forme] au corps féminin à partir de la chair de l’homme, en enseignant le principe que ce qu’il t’a plu d’instituer à partir d’un, il n’est pas permis à l’homme de le séparer, porte un regard bienveillant sur cette [femme], ta servante, unie dans une communauté conjugale qui aspire à être placée sous ta protection. Qu’il y ait en elle une union d’affection et de paix.
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a n n e xe s 7. Le couple dans le polyptyque de Saint-Germain des Près (abbé Irminon, années 820) : aperçu8
XI. De Nuuiliaco, p. 95 : [1] Electeus servus et uxor eius colona, nomine Landina, homines sancti germani, manent in Nuuiliaco. Tenet dimidium mansum, habentem de terra arabili bunuaria VI, de prato dimidium aripennum. Arat ad hibernaticum perticas IIIor, ad tramisum XIII. Trahit fimum in cultura dominica, et nihil aliud facit nec reddit propter servitium quod praevidet. [2] Abrahil servus et uxor eius lida, nomine Berthildis, homines sancti Germani. Isti sunt eorum infantes, Abram, Auremannus, Bertrada. Et Ceslinus lidus et uxor eius lida, nomine Leutberga. Isti sunt eorum infantes, Leutgardis, Ingohildis. Et Godalbertus lidus. Isti sunt eorum infantes, Gedalcaus, Celsouildis, Bladouildis. Isti III manent in Nuuiliaco. Tenent mansum I, habentem de terra arabili bunuaria XV, de prato aripennos IIII. Fanciunt angariam in Andegavo, et in mense madio Parisius. Solvunt ad hostem (…) ; et adducunt de ligna duo carra (…). Claudunt in curte dominica (…) Arant ad hibernaticum perticas VIII, ad tramisum perticas XXVI. Inter curvadas et rigas, trahunt fimum in cultura dominica. Solvit unusquisque IIII denarios de capite suo (…) [3] Gislevertus servus et uxor eius lida, nomine Gotberga. Isti sunt eorum infantes (…). Et Sinopus servus et uxor eius ancilla, nomine Froalica. Isti sunt eorum infantes (…). Et Ansegundis ancilla. Isti sunt eorum infantes (…). Isti .III. manent in Nuuiliaco. Tenent mansum .I., (…). Solvunt (…).
Bref de Nully : [1] Éloi, esclave, et son épouse colone, nommée Landine, hommes de saint Germain, résident à Nully. [Le couple] tient un demi manse, [constitué] de 6 bonniers de terre arable [et] un demi-arpent de pré. Il laboure 4 perches pour les blés d’hiver et 13 pour les blés de printemps. Il répand du fumier sur la couture seigneuriale et il ne fait ni ne doit rien d’autre du fait du service qu’il effectue. [2] Abrahil, esclave et son épouse, lide, nommée Berthilde, hommes de saint Germain. Leurs enfants sont Abram, Avremar, Bertrade. Et Ceslin, lide, et son épouse, lide, nommée Leutberge. Leurs enfants sont Leutgarde, Ingohilde. Et Godalbert, lide. Leurs [sic ses] enfants sont Gedalcans, Celsouilde, Blaouilde. Ces 3 [couples]-là résident à Nully. Ils tiennent 1 manse [constitué] de 15 bonniers de terre arable [et] de 4 arpents de pré. Ils font un charroi en Anjou et un à Paris au mois de mai. Ils acquittent pour l’ost (…). ; et ils conduisent deux charriots de bois (…). Ils clôturent dans la cour seigneuriale (…). Ils labourent 8 perches pour les blés d’hiver et 26 pour les blés de printemps. Entre les corvées et les labours dus, ils répandent du fumier sur la couture seigneuriale. Chacun acquitte 4 deniers pour sa tête. [3] Gislevert, esclave, et son épouse lide, nommée Gotberge. Leurs enfants sont (…). Et Sinopus, esclave, et son épouse esclave, nommée Frolaica. Leurs enfants sont (…). Et Ansegudis, esclave. Leurs [sic ses] enfants sont (…). Ces trois [couples]-là résident à Nully. Ils tiennent un manse (…). Ils acquittent (…).
8 Das Polyptychon von Saint-Germain-des-Prés,éd. D. Hägermann, Cologne, 1993. Sur les polyptyques en général, et celui de Saint-Germain en particulier, J. P. Devroey, « Problèmes de critique autour du polyptyque de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés », dans A. Atsma (dir.), La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, Sigmaringen, 1989, t. I, p. 441-465, et Id., « Femmes au miroir des polyptyques : une approche des rapports du couple dans l’exploitation rurale dépendante entre Seine et Rhin au ixe siècle », dans S. Lebecq, A. Dierkens, R. Le Jan, J.-M. Sansterre (dir.), Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident (vie-xie siècles), Lille, 1999, p. 227-249.
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XXI. De Mantula, p. 169-170 : [25] Godalharius colonus et uxor eius colona, nomine Girberta, homines sancti Germani. Ipse Godalharius habet de alia femina colona filios II, Godinum et Godalboldum. Manent (…). Tenent mansum I ingenuilem (…). Solvit (…). [27] Berulfus servus et uxor eius clona de Bisconcella, nomine Ernouildis, homines sancti Germani. Habet ipse Berulfus de alia femina colona filias duas, Bertlindem et Giuaram. Manet (…). Tenet mansum I ingenuilem (…). Solvit (…). [33] Teudulfus colonus, de Siccavalle, et uxor eius colona, nomine Giroildis, homines sancti Germani. Habet ipsa Giroilodis de alio marito colono II infantes, Gilmarum et Bipplinam. Manet (…). Tenet mansum I ingenuilem (…). Solvit (…).
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Bref de Maule : « [25] Godalhar colon et son épouse, colone, nommée Girberte, hommes de saint Germain. Le même Godalhar a d’une autre femme, colone, deux fils, Godin et Godalboldum. Ils résident (…). Ils tiennent 1 manse ingénuile (…). Il acquitte (…). [27] Berulf, esclave, et son épouse, colone de Beconcelle, nommée Ermovildis, hommes de saint Germain. Le même Berulf a d’une autre femme, colone, deux filles, Bertlinde et Givara. Il tient 1 manse ingénuile (…). Il acquitte (…). [33] Teudulf, colon, de Siccavalle, et son épouse, colone, nommée Giroildis, hommes de saint Germain. La même Giroildis a d’un autre mari, colon, deux enfants, Gilmar et Bipplina. Il tient 1 manse ingénuile (…). Il acquitte (…).
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a n n e xe s 8. Le couple dans le De institutione laicali de Jonas d’Orléans (années 820) : morceaux choisis9
II, 2, p. 330-333 : Ut qui uxores ducere uoluerint, sicut II, 2 : Que ceux qui veulent prendre une épouse eas castas et incorruptas cupiunt inuenire, sic ad eas s’appliquent à s’approcher chastes et purs de leur casti et incorrupti studeant accedere. épouse, tout comme ils souhaitent trouver leur épouse chaste et pur. Quidam laicorum amore libidinis superati (…) Certains laïcs dominés par la passion sensuelle (…) interim (…) ad copulam conubii accedant, se corrompent de toutes sortes de façons avant de diuersissimis modis se corrumpunt et uirginale parvenir à l’union du mariage et perdent la parure decus, quod usque ad tempus legitimae uxoris de la virginité qu’ils auraient du garder jusqu’au accipiendae conseruare debuerunt amittunt, necnon et moment de prendre en mariage une épouse benedictione qua Deus copulae primorum hominum légitime ; ils se privent aussi de la bénédiction benedixit (…) se privant. (…) par laquelle Dieu a béni l’union/le couple des premiers hommes (…). Nam et filii qui ex tali concubitu generati sunt (…) in Quant aux enfants engendrés par une telle union, hereditate tamen cum fratribus ex legitimo natis (…) (…) ils ne peuvent hériter comme leurs frères minime succedere ualeant. nés d’un mariage légitime. II, 4, p. 346-347 : De conseruanda fide inter uirum et II, 4 : Sur la fidélité que le mari et l’épouse uxorem ; et quod non liceat coniugatis neque pelicem doivent observer l’un à l’égard de l’autre ; et neque concubam habere. sur l’interdiction aux hommes mariés d’avoir ni maîtresse ni concubine. Non conuenit christianae religioni ut unus multas, Il ne convient pas à la religion chrétienne qu’un aut una diuersos, in uno corpore societ. (…) homme s’unisse avec plusieurs femmes pour ne faire qu’un seul corps, pas plus qu’une femme avec plusieurs hommes p. 360-361 : Patet ergo quod inter uirum et uxorem par pudicitiae forma et coniugalis tori fides sit conseruanda neque fas sit uiro aut causa prolis aut causa luxuriae cum altera, neque mulieri cum altero, uinculum coniugale dissoluere.
Il est donc clair qu’entre mari et femme doivent être conservées la même forme de chasteté ainsi que la fidélité au lit conjugal et qu’il n’est permis ni à l’homme de dissoudre le lien conjugal, [pour s’unir] avec une autre [femme] pour cause de descendance ou de luxure, ni à la femme [pour s’unir] avec un autre [homme].
II, 5, p. 360-361 : Quod uiri in castitate uxores suas Les hommes doivent aimer chastement leurs diligere eisque utpote uasi infirmiori honorem debeant épouses et leur rendre honneur comme à des vases/êtres plus faibles (Pierre 1 P 3, 7)
9 Jonas d’Orléans, De institutione laicali, éd. et trad. O. Dubreucq, 2 t., Paris, 2012-2013 : quelques modifications ont été apportées à la traduction proposée par Odile Dubreucq. Sur ce miroir, rédigé par Jonas, proche de Louis le Pieux devenu évêque d’Orléans en 818, à l’intention du comte Matfrid d’Orléans, puis plus généralement aux comtes, voir l’introduction d’Odile Dubreucq (en particulier p. 33-34, 46-48, 64 et 102), et en dernier lieu F. Veronese, « Contextualizing Mariage : Conjugality and Christian Life in Jonas of Orléans’ De institutione laicali », dans Early Medieval Europe, no 23/4 (nov. 2015), p. 436-456.
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p. 368-369 : Perpandant itaque coniugati quod, sicut praemissa documenta declarant, exteriori pulchritudo et carnalis uxorum delectatio earum interiori casto amori nullatenus sit preferanda. Non sunt igitur in uxoribus divitiae tantum et pulchritudo, sed potius pudicitia et morum probitas quaeranda.
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Que les hommes mariés pèsent soigneusement, comme le montrent les leçons [répertoriées] précédemment, que la beauté extérieure et le plaisir charnel procuré par leurs épouses ne doivent en aucun cas être préférés à un chaste amour intérieur. Ce n’est pas tant la richesse et la beauté qu’il faut rechercher chez une épouse, mais plutôt la chasteté et l’honnêteté des mœurs.
II, 6, p. 368-369 : quod cum uxoribus carnis commixtio L’union charnelle avec les épouses doit se faire gratia fieri debeat prolis, non uoluptatis pour avoir une descendance et non pour le plaisir. II, 11, p. 406-407 : Quod nisi causa fornicationis, Sauf pour cause de fornication, comme l’a dit ut Dominus ait, non sit uxor dimittenda sed potius le Seigneur, l’épouse ne doit pas être renvoyée, sustinenda. mais plutôt soutenue. p. 414-415 : Euidentissimis indiciis conprobatum est uxores, nisi causa fornicationis interueniente, penitus dimitti nec posse nec debere Sicut enim uiri nulla adversitate fracti, nulla molestia corporis correpti ab uxoribus suis se patiuntur dimitti aut neglegi, ita nihilominus propter quasdam aduersitates et calamitates nisi ut preamissum est causa fornicationis, uiri uxores suas dimittere aut neglegere sine periculo animae suae possunt. Et sicut pudicis et honestis feminis moris est uirorum suorum infirmantium et longa aegritudine tabescentium lectulis adsidere eisque famulari et pro uiribus opitulari et in nullo a coniugalis tori fide deficere, ita prorsus dect et christianae professioni congruit ut uiri eandem uicem uxoribus suis rependant.
Ces preuves indiscutables démontrent que l’on ne peut et que l’on ne doit absolument pas renvoyer les épouses, sauf pour cause de fornication. En effet, de même que les hommes/maris ne supportent pas d’être abandonnés ou délaissés par leurs épouses, lorsqu’ils sont affaiblis par l’adversité ou affectés par une maladie corporelle, ils ne peuvent nullement, sous prétexte de quelques adversités ou malheurs, sauf comme susdit pour cause de fornication, renvoyer ou négliger leurs épouses sans danger pour leur âme. Et de même qu’il est de l’habitude des femmes chastes et honnêtes de veiller au chevet de leurs maris quand ils sont affaiblis et se consument en une longue maladie, d’être à leur service, de les assister dans la mesure de leurs forces, de n’abandonner aucunement la fidélité du lit conjugal, il convient tout autant et il est absolument conforme à la foi chrétienne que les hommes fassent de même en retour à l’égard de leurs épouses.
II, 12, p. 416-417 : Quod hi qui causa fornicationis, Ceux qui renvoient leurs épouses pour cause de dimissis uxoribus suis, alias ducunt, Domini sententia fornication et en épousent d’autres doivent être adulteri esse notentur désignés comme adultères, selon la sentence du Seigneur.
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Quod qui uxorem suam, excepta causa fornicationis, Un homme qui a renvoyé son épouse, excepté pour dimiserit et aliam duxerit moechus sit, et qui dimissam cause de fornication, et en a épousée une autre est duxereit simili modo moechus sit (…) adultère et celui qui a épousé une femme renvoyée [par son mari] est de même adultère (…). II, 13, p. 422-423 : De incestis Cum omnis inlicitus concubitus incestus est, multo magis concubitus cum propinquis Deoque dicatis feminis habetur incestus. Qui (…) miscentur incesti, id est incasti, iudicantur.
Des incestueux Quoique tout rapport sexuel illicite soit incestueux, un rapport avec des parentes ou des femmes vouées à Dieu est encore plus incestueux. Ceux qui s’unissent (…) sont jugés incestueux, c’està-dire impurs.
p. 428-429 : Quia ergo christianis incesta coniugia omnino sint vitanda aperte demonstratur (…) ubi (…) mundanae dignitatis nobilitas infamiae denotatur (…) quia qui tali coniugio innectitur denobilitatur ; et filii qui ex tali coniugio nascuntur, in hereditatem secundum mundanae legis censuram non admittuntur. Proinde necesse est ut unusquisque fidelis huiuscemodi incesta coniugia caueat (…) peccati lapsum incurrat et apostolico anathemate percellatur
Il est donc clairement démontré que les chrétiens doivent absolument éviter les unions incestueuses (…) où la noblesse de la dignité humaine est frappée d’infamie (…) car celui qui s’engage dans une telle union perd sa dignité de noble et les enfants qui naissent d’une telle union ne peuvent être institués héritiers en vertu de la loi civile. Par conséquent, il est nécessaire que chaque fidèle veille [à ne pas contracter] d’unions incestueuses (…) de crainte de tomber dans le péché et d’être frappé d’anathème apostolique.
II, 14, p. 430-431 : Ut parentes liberos suos diligenter in timore Dei erudiant, docentes eos qualiter caste uiuere Deumque colere et parentibus honorem debeant inpendere ; et quale periculum eis inmineat que id facere neglexerint.
Que les parents instruisent soigneusement leurs enfants dans la crainte de Dieu, en leur apprenant comment vivre chastes et honorer Dieu et qu’ils doivent rendre honneur à leurs parents ; et quel danger menace ceux qui auront négligé de le faire
II, 15, p. 442-443 : Quod filii debitum honorem Les enfants doivent rendre à leurs parents parentibus inpendere debeant l’honneur qui leur est dû II, 16, p. 451-452 : Ut coniugati in domibus suis pastorale se nouerint exerce debere ministerium Existunt in utroque sexu qui in sibi subiectis plus animarum lucrum quam commodum terrenum quaerunt (…)
Que les époux sachent qu’ils doivent exercer le ministère pastoral dans leurs maisons. Il existe chez l’un et l’autre sexe des gens qui cherchent les bénéfices de l’âme de ceux qui leur sont soumis plutôt que des profits temporels (…).
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9. Eginhard et sa femme Emma, d’après la correspondance de Loup et d’Eginhard (836) : extraits10
Loup de ferrières, Correspondance (829-862), éd. (traduction personnelle) et trad. L. Levillain, 2 t., Paris, 1964 no 3 (janv.-mars 836), p. 13-19 : d’Eginhard à Loup, sur le chagrin causé par la mort d’Emma Omnia mihi studia, omnes curas, tam ad meas quam amicoum causas pertinentes, exemit et excussit dolor quem ex morte olim fidissimae conjugis, jam nunc carissimae sororis ac sociae, gravissimum cepi. Nec finiri posse videtur ; quoniam exstinctionis illius qualitatem adeo tenaciter memoria retinet, ut inde penitus non possit avelli. (…) spes, quam in Martyrum meritis atque interventione collvimus, expectatione nostram es asse frustata est. (…) me equanimiter ferre jubent infortunii molestias, quas ipsi non sentiunt (…) ego cum quotidie in omni actione, in omni negotio, in tota domus ac familiae administratione, in cunctis, quae vel ad divinum vel humanum officium pertitent, disponendis atque odinandis, immaniter sentiam (…)
La douleur très lourde que j’ai éprouvée depuis la mort de ma très fidèle épouse d’autrefois, devenue ensuite une très chère sœur et compagne, empêche et exclut toute attention de ma part et toute gestion relatives tant à mes affaires qu’à celles de mes amis. Elle semble ne pouvoir se finir, car ma mémoire conserve si profondément la qualité de celle qui a disparu qu’elle ne pourra en être complètement arrachée. (…) (…) l’espoir que nous avions placé dans les mérites et l’intervention des Martyrs a totalement frustré notre désir (…). [les autres] m’invitent à supporter avec sérénité la peine de mon malheur qu’eux-mêmes ne ressentent pas (…). Je sens cruellement [son absence] quotidiennement dans toute activité, dans toute occupation, dans toute l’administration de la maison et de la familia, dans tout ce qui relève des obligations divines et humaines à organiser et ordonner (…)
no 4 (avril 836), p. 18-41 : à Eginhard, Consolations (…) sinister ille casus quantum vobis importaverit incommodi cotidianis metiri negotiis cogimini, dum vos onus domesticarum divinarumque rerum, quod illius memorabilis feminae fida societas leve fecerat, vestris ex toto impositum ac relictum cervicibus obruit.
(…) Ce malheureux événement vous a conduit, alors que vous êtes ennuyé par les affaires quotidiennes, à mesurer, maintenant que vous surcharge le poids des affaires domestiques et divines, [désormais] placé et rassemblé dans sa totalité sur vos épaules, combien la fidèle société de cette mémorable femme [le] rendait léger.
10 Sur Eginhard et Loup, voir P. Depreux, Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux (781-840), Sigmaringen, 1997, p. 177-182 (Eginhard) et 322-323 (Loup). Sur ces lettres, voir E. Santinelli, Des femmes éplorées ? …, op. cit., p. 45-46.
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Conjuges, ex duobus corporibus in unam redacti compagem, licet corcordissime vixerint, non una leto resolvuntur et, quantum ad usitatum naturae pertinet ordinem, necesse est unum alteri superesse (…) fidis optandum conjugibus, cum uter eorum remansurus sit, eum fore superstitem, qui sit et ad calamitatem ferendam robustior et ad justa de more christiano curanda magis idoneus. Non enim sexu differentia virtutis, sed animo capienda est. (…)
Certe illa, etsi ex vestro consortio multa dicerat, ita ut non sui sexus modo, verum etiam turbam virorum sua insigni prudentia, gravitate atque honestate, quae res magnam vitae humanae tribuunt dignitatem, longe superaret ac, corpore femina, animo in virum profecerat, ad sapientiae vestrae fastigium numquam penitus aspirasset (…) numquam si supervixisset, tantum vestrae, quamtum vos et illius et vestrae perpetuae saluti procurare potuisset (…)
Bien que les époux, ramenés de deux corps à une seule unité, aient vécu dans le plus grand accord, ils ne sont pas séparés par la mort en même temps ; et autant qu’il relève de l’ordre habituel de la nature, il est nécessaire que l’un survive à l’autre. (…) il est préférable pour les fidèles époux, puisque l’un d’eux doit rester, que le survivant soit celui qui est le plus robuste pour supporter le désastre et le mieux à même de prendre soin des honneurs dus selon la coutume chrétienne. En effet, la différence de mérite ne s’évalue pas selon le sexe mais selon l’âme. (…) Certes, quoiqu’elle avait beaucoup appris de votre union, ce qui la faisait surpasser de beaucoup, non seulement une foule de son sexe mais aussi d’hommes, par sa sagesse, sa rigueur et son honnêteté remarquables, vertus qui donnent sa haute dignité à la vie humaine, et quoique, femme par le corps, elle s’était rapprochée de l’homme par l’esprit, elle n’eut jamais pu atteindre tout à fait le faîte de votre sagesse (…) jamais, si elle vous eût survécu, elle n’eut pu travailler à votre salut éternel autant que vous au sien et au votre (…).
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10. Lothaire II, Theutberge et Waldrade, d’après les Annales de Saint-Bertin : extraits11
a. 858, p. 78 : Hlotharius rex, cogitentibus suis, a. 858 : Le roi Lothaire, forcé par les siens, reprit uxorem quam abiecerat recipit, nec tamen ad thorum sa femme qu’il avait renvoyée ; cependant, il ne admittit, sed custodiae tradit. la mit pas dans son lit, mais la tint prisonnière (trad. Guizot, p. 48 ; trad. Nelson, p. 87). a. 860, p. 82 : Hlotarius reginam suam Teutbergam inreuocabili odio habitam et multis contrarietatibus fatigatam ad hoc compulit ut ipsa coram episcopis confiteretur fratrem suum Hucbertum sibi sodomitico scelere commixtum, unde et penitentiae continuo addicta est atque in monasterium retrusa.
a. 860 : Lothaire qui éprouvait une haine implacable pour sa reine Theutberge, qu’il accablait de nombreuses critiques, la força à avouer devant des évêques qu’elle avait eu avec son frère Hucbert des relations criminelles sodomites, ce qui lui valut d’être condamnée à une pénitence perpétuelle et à être enfermée dans un monastère (trad. Guizot, p. 53 ; trad. Nelson, p. 92).
a. 862, p. 93-94 : Hlotharius Vualdradam concubinam, maleficis, ut ferebatur, artibus dementatus et ipsius pellicis pro qua uxorem suam Theotbergam abiecerat caeco amore inlectus, fauentibus sibi Liutfrido, auunculo suo, et Vualterio, (…) et, quod nefas est dictu, quibusdam etiam regni sui episcopis consentienttibus, coronat et quasi in coniugem et reginam sibi, amicis dolentibus atque contradicentibus, copulat.
a. 862 : Lothaire, troublé à ce que l’on dit par les maléfices de sa concubine Waldrade et poussé par un amour aveugle pour cette prostituée, pour laquelle il avait renvoyé son épouse, Theutberge, la fait couronner avec le soutien de son oncle Liutfrid, et de Walter (…) et avec, ce qui est malheureux à dire, le consentement de certains évêques de son royaume, et la prend comme épouse et reine, malgré la douleur et l’opposition de ses amis (trad. Guizot, p. 64 ; trad. Nelson, p. 102).
a. 863, p. 98 : (…) synodum (…) pro diuortio quod inter Hlotarium et uxorem suam Teutbergam acciderat et pro superinductione concubinae Vualdradae, quam contra leges ecclesiasticas et mundanas in uxorem sibi adsciuerat.
a. 863 : [réunion d’un synode à Metz à la demande du pape Nicolas] sur la question du divorce entre Lothaire et sa femme Theutberge et le remariage de celui-ci avec sa concubine Waldrade, à l’encontre des lois ecclésiastiques et civiles (trad. Guizot, p. 68 ; trad. Nelson, p. 106).
a. 865, p. 118 : (…) nisi uxorem suam Theodbergam a. 865 : [lettre du pape Nicolas menaçant Lothaire reciperet et Vualdradam abiceret (…). d’excommunication] s’il ne reprenait pas sa femme Theutberge et ne renvoyait pas Waldrade (…) (trad. Guizot, p. 92 ; trad. Nelson, p. 123).
11 Annales de Saint-Bertin, éd. F. Grat, J. Vielliard, S. Clémencet, Paris, 1964 (trad. F. Guizot, rééd. Clermont-Ferrand, 2002 ; trad. angl J. Nelson, Manchester-New York, 1991). Les traductions proposées sont personnelles. Les notices de 858 et 860 sont rédigées par Prudence, évêque de Troyes, comme toutes celles des années 835-861. À partir de 861, elles le sont par Hincmar, archevêque de Reims. Sur ces annales, J. Nelson, « The Annals of St Bertin », dans M. Gibson, J. Nelson (dir.), Charles The Bald, Court and Kingdom, Oxford, 1990, p. 23-40. Sur les faits et la position d’Hincmar, voir J. Devisse, Hincmar, archevêque de Reims, 845-882, 3 t., Genève, 1975-1976, t. I, p. 369-370, 383-396, 408-425, 428-429 et 443-453. Sur les relations conjugales de Lothaire II, voir notamment K. Heidecker, The Divorce of Lothar II. Christian Marriage and Political Power in the Carolingian World, Ithaca-Londres, 2010.
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p. 119 : Arsenius ad Duciacum obuiam Hlothario pergit, ducens Theodbergam, quae aliquamdiu honorabilite in regno Karoli deguit ; et accepto sacramento a duodecim hominibus ex parte Hlotharii, eamdem Theodbergam, (…) illi in matrimonium reddidit.
Arsène [légat pontifical] alla à Douzy, à la rencontre de Lothaire, conduisant Theutberge qui, depuis quelque temps, vivait honorablement dans le royaume de Charles [le Chauve]. Après reçu le serment de 12 hommes du côté de Lothaire, (…) il lui rendit Theutberge en mariage (…) (trad. Guizot, p. 93 ; trad. Nelson, p. 124).
p. 122 : Ibi quoque per aliquod dies morans propter Vualdradam, quae illuc ad eum adduci et ab eo in Italiam deduci debebat, Hlothario et Theutberga regio cultu paratis et coronatis, in die Assumptionis sancte Marie missas celebrat, et inde cum praefata Vualdrada (…) pergit (…).
Arsène, demeurant là [à Gondreville] quelques jours pour attendre Waldrade qu’on devait lui amener pour la conduire avec lui en Italie, célébra les messes le jour de l’assomption de sainte Marie, en présence de Lothaire et de Theutberge, parés avec un luxe royal et couronnés, puis il partit avec la susdite Waldrade (…) (trad. Guizot, p. 96 ; trad. Nelson, p. 126).
a. 866, p. 129 : Teutbergam, nomine tantum reginam a. 866 : Theutberge, reine de Lothaire, seulement Hlotharii (…) de nom (trad. Guizot, p. 104 ; trad. Nelson, p. 134). a. 867, p. 136 : (…) de causa uxorum illius, a. 867 : [Lettres du pape Nicolas à Lothaire et Theotbergae uidelicet atque Vualdradae, eandem aux évêques de son royaume] sur l’affaire de Vualdradam mitti romam precipens. ses épouses, à savoir Theutberge et Waldrade, ordonnant d’envoyer Waldrade à Rome (trad. Guizot, p. 110 ; trad. Nelson, p. 138). p. 140 : Hlotharius Theutbergam uxorem suam Romam misit, ut se ipsam criminaretur, quatenus ab eius coniugio separari ualeret. Sed Adrianus papa atque Romani talibus neniis non credentes, iussa est ad uirum suum reuerti.
[Après la mort du pape Nicolas] Lothaire envoie sa femme Theutberge à Rome pour qu’elle s’accuse elle-même, de manière à ce que leur union puisse être séparée. Mais le pape Adrien et les Romains ne croyant pas à de telles fables lui ordonnèrent de revenir auprès de son mari. (trad. Guizot, p. 116 ; trad. Nelson, p. 142-143).
a. 868, p. 143 : (…) epistolam de absolutione a. 868 : Lettre [du pape Adrien] contenant Vualdradae (…) ea conditione est facta ut Hlothario l’absolution de Waldrade (…) à condition qu’elle nullo pacto cohereat. ne reste attachée à Lothaire par aucun pacte (trad. Guizot, p. 118 ; trad. Nelson, p. 144). p. 150 : Hlotharius (…) obtinuit (…) quatenus in Lothaire (…) obtint [de Louis] (…) de ne lui nullo nocumento illi foret, si in coniugem Vualdradam nuire en aucune façon s’il prenait Waldrade en acciperet. mariage (trad. Guizot, p. 126 ; trad. Nelson, p. 150). a. 869, p. 153 : Hlotharius (…) Romam perrexit ut tunc, si posset (…) obtineret quatenus Teutbergam reiceret et Vualdradam resumeret ; ipsamque Teutbergam post se Romam ire praecepit.
a. 869 : Lothaire part pour Rome [pour essayer d’obtenir du pape Adrien] qu’il puisse renvoyer Theutberge et reprendre Waldrade. Et il ordonna à Theutberge de venir à Rome après lui (trad. Guizot, p. 130 ; trad. Nelson, p. 154).
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11. La mémoire du couple royal dans le diplôme no 379 (875) de Charles le Chauve en faveur de Saint-Denis (extraits)12
In nomine sactae et individuae trinitatis, Karolus, gratia Dei rex. Si sacris locis et divinis cultibus mancipatis inibique Deo famulantibus largitionis nostrae munere aliquod conferendo tribuimus, Deum nobis ob id praesenti et in futuro seculo propitiaturum nullatenus dubitamus. Quapropter omnium sanctae Dei ecclesiae, praesentium et futurorum, comperiat generalitas quoniam nos, ob Dei et domini nostri Jhesu Christi amorem specialisque protectoris nostri magni Dionysii venerabilis intercessionis spem, villam juris nostri Riogilum cum omni suarum integritate rerum et mancipiorum, excepto manso Bobleni cum parceriis suis et excepto mansello Ermenrici et lacuna, quae villa sita est in pagis Parisiaco et Pinciacinsi, venerandis fratribus jamdicti domni nostri Dionysii ad agendum perpetualiter subtermissura, conferimus et inviolabili a successoribus nostris traditione confirmamus, eo videlicet jure ut septem luminaria ante altare [sanctae Trinitatis], post quod nos humanis solutum legibus sepeliri obtamus, semper tam in die quam et in nocte, sine aliqua extinctionis intercapedine, ardeant, lumenque in praesenti saeculo perpetualiter tribuant, quarum una sit pro patre nostro sanctae recordationis Hludovuico augusto, altera pro genetrice nostra gloriosa Judith imperatrice, tertia pro nobis, quarta pro Hyrmintrude olim conjuge nostra regina, quinta pro hac etiam conjuge nostra Richilde regina, quam nunc dispositione Dei regio thoro copulatam habemus, sexta pro omni prole nostra vivente seu defuncta, septima pro Bosone et Vuidone ac reliquis familiaribus nostris, quos maxima fidelitatis devotio nobis proquinquiores effecit ; (…) Praeterea ut omni mense ex jamdicta villa fratres generalem de omni re refectionem h[abeant, dece]rnimus atque
Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Charles, roi par la grâce de Dieu. Toutes les fois que nous avons donné quelque chose aux lieux sacrés ainsi qu’à ceux qui s’adonnent aux cultes divins et sont là au service de Dieu, afin d’apporter le témoignage de notre largesse, nous n’avons nullement douté d’obtenir pour cela la faveur de Dieu à notre égard dans le monde présent et futur. C’est pourquoi, que l’ensemble de tous ceux, présents et futurs, qui appartiennent à la sainte Église de Dieu sache que nous, pour l’amour de Dieu et de notre seigneur Jésus-Christ et dans l’espérance de l’intercession du vénérable Denis le grand, notre protecteur particulier, nous concédons aux frères vénérant notre seigneur déjà dit Denis, pour qu’elle leur soit perpétuellement soumise, la villa de Rueil nous appartenant, située dans les pagi du Parisis et du Pincerais, avec l’intégralité de ses biens et de ses mancipia, à l’exception du manse de Boblin avec ses exploitants, de la tenure d’Ermenry et de l’étang, et nous confirmons que cette donation ne pourra être violée par nos successeurs, à condition qu’ils [les frères] brûlent toujours sept lampes, tant de jour que de nuit, sans le moindre moment d’extinction, devant l’autel de la sainte Trinité, derrière lequel nous avons demandé à être inhumé, une fois délivré des lois humaines, et qu’ils en entretiennent perpétuellement la lumière dans le monde présent : que l’une d’elle soit pour notre père Louis auguste de sainte mémoire ; une autre pour notre mère Judith, glorieuse impératrice ; une troisième pour nous ; une quatrième pour la reine Ermentrude, autrefois notre épouse ; une cinquième pour la reine Richilde, l’épouse que nous avons
12 Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. G. Tessier, 3 t., Paris, 1943, 1952, 1955, no 379, t. II, p. 347-350 (http://www.cn-telma.fr//originaux/charte3034/). Sur cette question, voir E. Santinelli, « In memoria regine. Entretenir la mémoire de la reine à la lumière des diplômes de Charles le Chauve », dans S. Joye, T. Lienhard, L. Jégou, J. Schneider (dir.), Splendor Reginae. Passions, genre et famille. Mélanges en l’honneur de Régine Le Jan, Turnhout, 2015, p. 205-228.
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sancimus, ita tamen ut hae refectiones non diebus festis, neque loco aliarum refectionum quas fratres ex aliis rebus habere debent tribuantur. In his ergo generalibus refectionibus, generalis pro nobis fiat commemoratio, neque haec generalis oratio specialem praepediat supplicationem quae pro nobis fieri debetur ex aliis rebus a nobis collatis. In anniversario quoque obitus nostri, Richildis et Bosonis, similis oratio similisque fiat refectio. Non ergo opus erit ut refectio nativitatis nostrae transferatur in obitum, sed manente ea, refectio obitus unde statutum est fiat. Praeter haec autem, quia specialiter nostrum locum illic habemus, ut ita pro nobis sicut pro alico fratre oretur postulamus, neque impediat hoc quod pro rege et abbate agendum est. (…)
maintenant, associée à la couche royale selon le règlement de Dieu ; une sixième pour toute notre progéniture, vivante ou défunte ; une septième pour Boson et Gui ainsi que nos autres familiers dont le très grand dévouement en terme de fidélité à notre égard a renforcé la proximité avec nous. (…) En outre, nous décidons et prescrivons que les frères aient, tous les mois, un repas général grâce à tous les revenus de la villa déjà mentionnée, de telle sorte pourtant que ces repas ne soient pas fixés les jours de fête et qu’ils n’aient pas lieu à la place d’autres repas que les frères ont du fait d’autres biens. Dans ces repas généraux, qu’une commémoration générale soit faite pour nous et que cette prière générale n’exclut pas la supplication particulière qui doit être faite pour nous du fait d’autres biens donnés par nous. Qu’il soit fait une prière semblable et un repas semblable [le jour] anniversaire de notre mort, de celle de Richilde et de Boson. Il ne faudra pas que le repas [pour l’anniversaire] de notre naissance soit transféré le jour de notre mort, mais, tout en le maintenant, qu’il soit établi à partir de là de faire [aussi] un repas [au jour anniversaire] de notre mort. En dehors de cela, nous demandons, parce que nous estimons là spécialement notre monastère que l’on prie pour nous comme pour un frère et que l’on n’entrave pas ce qui doit être réalisé pour le roi et l’abbé (…).
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12. Couples élitaires et paysans dans les chartes de Cluny : exemples (vers 900)13
no 44, p. 52-53 (891 env.) : Dilecta filia nostra Gotestiva, ego quidem in Dei nomen, Mangbodus et uxor sua Utdane, pro bona volencia que circa te abemus, propterea donamus tibi ad die presente, donatumque in perpetuum abere debeas : hoc sunt aliquit de res meas in pago Matisconense, in agro Rofiacense, in ipsa villa Rofiaco. In primis donamus tibi curtilo cum casa (…) ad integrum tibi donamus tibi illas res nostras qui ad ipso curtilo aspiciunt, vel quitquit nos in ipso agro Rofiacense vel in ipsa villa visi sumus abere possidere (…) tres partes ad integrum tibi donamus, quarta vero nos reservavimus, et donamus tibi mancipios nostros, is nominibus : Bertranno et Gausla cum infantibus eorum (…). S. Maingbodi, qui subscripsit, fieri et firmare rogavit. S. Utdane, qui fieri et firmare rogavit. S. Alboino. S. Dodono. S. (…)
no 75 (902), p. 84-85 : Dilecta uxore mea nomen Doddano, ego quidem, in Dei nomine Euraldus, in pro hamore et bona volencia tua mihi bene servisti, propterea dono tibi res qui sunt sitas in pago Matisconense, in hagro Galuniacense, in villa Castello ; in primis dono tibi manso indominicato, cum omni superposito vel acienciis suis (…) ; et dono tibi mancipis meis, his nominibus Harimbol cum uxore sua Landa, cum infantibus suis, et Gotono cum uxore sua vel infantis eorum, sicut superius legitur vel insertum est, totum ad integrum tibi do, trado ad faciendum post hac die quitquit in omnibus facere voluheris in omnibus, nullum contradicentem. (…) Hactum Castello villa. S. Eural, qui donacione ista fieri et firmare rogavit. S. (…)
À notre fille Gotestiva, moi, au nom de Dieu, Magbodus et sa [sic ma] femme Utda, nous te donnons à partir de ce jour, du fait de la bienveillance que nous avons à ton égard, et ce don te sera acquis pour toujours : il s’agit d’un de mes biens dans le pagus de Mâcon, dans le territoire de Ruffey, dans la villa même de Ruffey. Nous te donnons principalement un courtil avec une maison (…) nous te donnons en intégralité ceux de nos biens qui appartiennent à ce même courtil, ainsi que tout ce que nous possédons dans ce même territoire de Ruffey et cette même villa (…) nous t’[en] donnons en intégralité les 3/4 et nous en réservons 1/4, et nous te donnons nos mancipia, nommés : Bertrand et Gaustla avec leurs enfants (…). S. Maingbodus qui a souscrit [et] demandé que cela soit fait et confirmé. S. Utda qui a souscrit et demandé que cela soit fait et confirmé. S. Alboino. S. Dodono. S. (…). À ma chère épouse Doddana, moi, au nom de Dieu, Euraldus, je te donne, du fait de l’amour et de la bienveillance avec lesquels tu m’as bien servi, des biens situés dans le pagus de Mâcon, dans le territoire de Jalogny dans la villa de Château ; Je te donne principalement un manse seigneurial avec tout ce qu’il contient et en dépend (…) ; et je te donne mes mancipia, nommés Harimbol avec son épouse Landa et leurs enfants et Gotono avec son épouse et leurs enfants. Comme c’est précisé et qu’on peut le lire plus haut, je te donne tout en intégralité et te le remets pour qu’après ce jour tu puisses en faire tout ce que tu veux, sans aucune opposition (…). Fait dans la villa de Château. S. Eural qui a demandé que cette donation soit faite et confirmée. S. (…)
13 Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, éd. Bernard A., Bruel A., t. I, Paris, 1876.
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no 187 (912), p. 174 : Sacrosanctae Dei aecclesiae que est constructa in honore Sancti Petri, in pago Matiscensi, ego Teogrimmus et uxor mea Wandilmodis, pro remedio animarum nostrarum, patris et matris, fratrum et Breydiggo quodam, donamus colonias duas, quae consistunt in Noviliaco, cum mancipis his nominibus vocatis : Dominicum videlicet cum uxore sua et omnibus fillis ac filiabus, Lambertum similiter cum uxore sua et fillis ac filiabus (…). S. Teotgrimi et uxoris ejus Vuandilmodae, qui donationem istam fecerunt et firmare rogaverunt. S. (…)
À la sacrosainte église qui est construite en l’honneur de saint Pierre, dans le pagus de Mâcon, moi Teogrimus et mon épouse Wandilmodis, nous donnons, pour le remède de nos âmes, [de celle] de [nos] pères et mères, de [nos] frères et d’un certain Breydiggo, deux coloniae, qui sont situées à Neuilly, avec les mancipia ainsi nommés : Dominique, avec son épouse et tous [leurs] fils et filles, pareillement Lambert avec son épouse et [leurs] fils et filles (…). S. Teogrimus et son épouse Vuandilmoda qui ont fait cette donation et demandé de la confirmer. S. (…)
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13. Le couple dans la vie de sainte Rictrude (Hucbald de Saint-Amand, 907)14
c. 2, col. 831 : (…) Haec claro satis exstitit oriunda c. 2 : [Rictrude] provient d’une très illustre germine, Ernoldo nobili edita, genitore, et Lichia progéniture : elle est née du noble Ernold, son genetrice ex agili pugnacique Wasconum gente (…). père, et de Lichia, sa mère, de l’agile et belliqueux peuple des Gascons (…) c. 3, col. 832 : Prefatus autem rex Dagobertus cum in c. 3 : Bien que, le dit roi Dagobert usait pour le multis optime regalia jura gubernaret, nimium tamen mieux des droits royaux en de nombreuses choses, deditus amori mulierum, eam quam in conjugium il était pourtant adonné à l’amour des femmes : sortitus fuerat, eo quod sterilis esse videretur reliquit, il abandonna celle qu’il avait choisi d’épouser, alteramque in matrimonium accipiens, reginam parce qu’elle s’était révélée stérile, et après en esse voluit. (…) super hoc scelere a pontificibus, avoir épousée une autre, il voulut que celle-ci maximeque a santissimo viro (…) redargeretur soit reine. (…) ce crime lui a été reproché par Amando (…). les évêques et principalement par le très saint homme (…) Amand (…). c. 5, col. 833-834 : (…) Rictrudis puella bonae c. 5. (…) Rictrude, désormais jeune fille aux indolis jam facta nubilis videtur, diligitur atque bonnes dispositions, devient nubile : elle est eligitur a quodam Francigena Adalbaldo nomine, appréciée et élue par un Franc, nommé Adalbald, natalibus orto praeclaris et justis. (…) dignus de naissance glorieuse et légitime. (…), homme plane vir qui maritus existeret dignae Rictrudis. tout à fait digne de devenir le mari de la digne A quo juxta morem desponsatur, dotatur, atque in Rictrude. Selon la coutume, elle lui a été fiancée, contubernium matronale licet quibusdam nolentibus elle a été dotée par lui et introduite dans la puellae consanguineis assumitur. Causa vero uxoris communauté des matrones, bien que certains ducendae non fuit incontinentiae, sed charae sobolis consanguins de la jeune fille ne le veuillent pas. Il habendae. Sed, ea conveniunt in utrisque quae ne prit pas une épouse pour cause d’incontinence spectari solent in eligendo marito vel uxore. In viro mais pour avoir une précieuse descendance. Mais enim virtus, genus, pulchritudo, et sapientia, quae les choses que l’on a coutume de regarder chez ex his ad amoris affectum potior est, inerat. In uxore l’un et l’autre pour choisir un mari ou une femme autem, pulchritudo, genus, divitiae et mores, qui [leur] conviennent. Il y a chez le mari la vertu, la magis quam caetera quaerendi sunt, habebantur. naissance, la beauté et la sagesse qui
14 Hucbald de Saint-Amand, Vita S. Rictrudis, éd. J. P. Migne, PL 132, p. 827-850 (BHL 7247), trad. angl. J. A. Mc Namara, J. E. Halborg, Sainted Women of the Dark Ages, Durham-Londres, 1992, p. 195-219. Hucbald (v. 840-930), moine du puissant monastère de Saint-Amand dont il dirigeait l’école et éminent représentant de la Renaissance Carolingienne, rédige la vita pour la communauté voisine déclinante de Marchiennes qui cherchait à rappeler le prestige de ses débuts. Sur Hucbald de Saint-Amand, son œuvre, sa méthode et la Vita Rictrudis, voir L. Van der Essen, « Hucbald de Saint-Amand (ca. 840-930) et sa place dans le mouvement hagiographique médiéval », dans Revue d’Histoire Ecclésiastique, 19 (1923), p. 522-526 (sur Hucbald) et p. 543-550 (sur la Vita Rictrudis) ; Plus récemment, J. M. H. Smith, « The Hagiography of Hucbald of Saint-Amand », dans Studi medievali, 35/2 (1994), p. 517-542 ; Y. Chartier, « Clavis operum Hucbaldi Elnonensis : bibliographie des œuvres d’Hucbald de Saint-Amand », dans The Journal of Medieval Latin, 5 (1995), plus particulièrement p. 203-205 (sur Hucbald) et p. 211 (sur la vita Rictrudis) ; K. Ugé, « The Legend of Saint Rictrude : Formation and Transformation (Tenth-Twelfth Century) », dans J. Gillingham (dir.), Proceedings of the Baltte Conference 2000, Woodbridge, p. 281-290 (pour le texte d’Hucbald). Synthèse du dossier hagiographique dans C. Mériaux, Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Âge, Stuttgart 2006, p. 365.
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Et ne multis immoremur, secundum Apostolum erat illis honorabile connubium, et torus immaculatus. (…) Igitur compage fidei et charitatis sic adhaerentes sibi ut essent duo in carne una, et non jam duo, quia una caro ; unanimes uno ore et concordi operatione honorificabant Deum et Patrem Domini nostri Jesu Christi, omnibus diebus suis servientes Domino in sanctitate et justitia coram ipso, qui habitare facit unanimes in domo.
c. 6, col. 834 : Nati quoque sunt eis filii secundum benedictionem Domini quam primo dedit homini, Crescite, inquiens, et multiplicamini (…) Quos cum essent parenti eorum justi, et per seipsos, et per familiares sibi servos Dei educaverunt et erudierunt in timore Domini, auctos ab infantia benedictione coelesti (…). c. 7, col. 835 : Posthaec bonae et laudabilis memoriae Adalbaldus devotae Christi famulae Rictrudis maritus a pago Austrebatinse, ubi etiam pluribus locupletabatur possessionibus, eundi Wasconiam (…). Quem nobilis matrona Rictrudis aliquantulum prosequitur, sed quamcitius domum prout ei jussum fuerat moerens revertur (…). Intereundum insidiis malignorum, et (ut fertur) eorum quibus sanctum displicuerat matrimonium, vir iustus appetitur, vulneratur, perimitur (…). Neque multae fiunt morae in his nuntiandis Rictrudi Dei famulae : quae tam tristi percussa relatione, non modico afficitur animi moerore. Augescit sensum dolor, dolore dolentium sobolum, crescit luctus, luctu lugentium familiarium. Transacto tandem aliquando tanti fletus tempore, init cum philochristis sibi familiaribus, maxime cum Amando sanctissimo Dei pontifice, et coepit consilium salubre. Proponit denique ei ille verus consultor animarum illud Pauli apostoli :
est le préférable de tout pour le sentiment de l’amour. Il y a aussi chez l’épouse la beauté, la naissance les richesses et les mœurs qui sont bien plus recherchées que tout le reste. Nous n’insisterons pas davantage : leur union fut, selon l’Apôtre, honorée et leur lit sans souillure (He, 13, 4) (…). Liés l’un à l’autre dans une communauté de foi et de charité, ils étaient donc deux dans une seule chair, et non plus désormais deux mais une seule chair. Unis dans une même parole et une action pareillement consentie, ils honoraient Dieu, père de notre Seigneur JésusChrist, servant tous les jours le Seigneur, dans la sainteté et la justice, en sa présence qui les fait vivre en accord dans leur maison. c. 6. Des enfants leur naissent aussi selon la bénédiction du Seigneur qu’il a donnée en premier à l’homme, en disant « croissez et multipliezvous » (Ge, 1, 28). (…) Comme leurs parents étaient justes, ils sont élèvés et instruits dans la crainte du Seigneur, par eux-mêmes ainsi que leurs familiers servant Dieu, honorés dès l’enfance de la bénédiction céleste (…). c. 7. Après cela, Adalbald, mari de bonne et louable mémoire de la dévote servante du Christ Rictrude, quitte l’Artois où il est riche de nombreuses possessions, pour la Gascogne (…). Sa noble épouse Rictrude l’accompagne un peu, mais elle revient vite à sa maison, triste que l’ordre lui en ait été donné (…). Du fait de l’embuscade meurtrière des méchants, et (comme cela a été rapporté) de ceux à qui le saint mariage avait déplu, l’homme juste est attaqué, blessé, tué. (…) Le délai ne fut pas long pour que cela soit annoncé à la servante de Dieu Rictrude : frappée par cette si triste nouvelle, elle est affectée d’une profonde affliction de l’âme. La douleur qu’elle ressent augmente avec celle de ses enfants qui souffrent et son chagrin croît avec celui des familiers qui se lamentent. Enfin, le temps des pleurs étant terminé, elle commence à prendre un salutaire conseil auprès de ses familiers aimant le Christ et plus
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Mulier alligata est viro, quanto tempore vir ejus vivit : quod si dormierit vir ejus liberata est, cui vult nubat tantum in Domino. Beatior autem erit si hic permanserit secundum meum consilium.
c. 8, col. 837 : (…) quae antea in conjugali vita ferebat trigesimum, postmodum duplicato germine fructum coepit in viduitate ferre sexagesimum (…). c. 9, col. 837 : (…) Pomposas projicit vestes quibus ornabatur nupta, cogitans aliquando ea quae sunt mundi quomodo placeret viro (…).
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particulièrement auprès d’Amand, le très saint pontife de Dieu. Ce vrai conseiller des âmes lui propose ainsi ces paroles de l’apôtre Paul : « La femme est liée à son mari aussi longtemps qu’il vit. Si son mari meurt, elle est libre d’épouser qui elle veut, mais seulement dans le Seigneur. Cependant, elle sera plus heureuse, si elle reste, selon mon conseil, comme elle est » (1, Cor, 7, 39-40). c. 8. (…) elle entreprend de porter le fruit qui était de trente avant, dans sa vie conjugale, à soixante, en doublant la récolte dans le veuvage (…). c. 9. (…) elle abandonne les vêtements majestueux dont elle était parée mariée, en méditant un jour sur ces choses qui sont élégantes afin de plaire au mari (…).
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a n n e xe s 14. Le couple dans la famille d’Odulric, d’après les chartes no 2010-2012 de Cluny (9931048)15
no 2010, p. 298 : (…) ego Odulricus et frater meus Otto notum esse volumus presentibus et futuris omnibus, quod per plurima jam transacta tempora nos et antecessores nostri querelavimus quamdam aecclesiam in honore sancti Sulpicii dicatam, cum villa Lasiacum nominatam et omnibus ad ipsam aecclesiam sive villam pertinentibus, contra Sanctum Petrum et monachos Clunienses ; nunc vero ortatu et monitione domni Odilonis abbatis et domni Warnerii prioris, patris quoque nostri domni Hugonis et cæterorum fidelium et amicorum nostrorum, facimus werpitionem et donationem de ipsa æcclesia et villa et de omnibus ad ipsam sive villam pertinentibus, villis scilicet, silvis, vineis, pratis, terris cultis et incultis, aquis, aquarumque decursibus, exitibus et regressibus, cum omni integritate. Facimus autem werpitionem sive donationem pro remedio animarum nostrarum, Odulrici videlicet et Ottonis, patris quoque nostri Hugonis, avi etiam nostri et aviæ Milonis et Ermengardis, matris quoque Lecilinæ, sed et uxoris meæ Odilæ, necnon et filiorum meorum Milonis et Jarentonis, ac omnium parentum et fidelium nostrorum, et ut habeamus partem et societatem in omnibus benefactis quæ facta fuerint in monasterio Cluniaco et in omnibus locis ad ipsum pertinentibus, in missis, in orationibus, in elemosinis, et specialiter unum pauperum. S. Odulrici. S. Ottonis, fratris sui. S. Hugonis, patris eorum.
(…) moi, Odulric, et mon frère Otton, nous voulons qu’il soit connu de tous, présents et futurs, que durant un long temps, désormais passé, nous et nos ancêtres avons contesté à saint Pierre et aux moines de Cluny une église consacrée en l’honneur de saint Sulpice, avec la villa de Laizé et tout ce qui appartient à cette même église ou à cette villa. Donc, sur l’exhortation et le conseil du seigneur abbé Odilon et du seigneur prieur Garnier, ainsi que de notre père le seigneur Hugues et de tous nos fidèles et amis, nous faisons l’abandon et la donation de cette même église et de cette villa et de tout qui lui appartient de même qu’à la villa, à savoir les villae, les bois, les vignes, les prés, les terres cultivées et incultes, les plans d’eau, ainsi que les cours d’eau, les sorties [exsurgences] et retours [résurgences] d’eau, en toute intégralité. Nous avons fait cet abandon et cette donation pour le remède de nos âmes, à savoir de [nous] Odulric et Otton, ainsi que [celle] de notre père Hugues, notre grand-père et notre grand-mère, Milon et Ermengarde, de mes fils, Milon et Jarenton, et de tous nos parents et fidèles, et afin que nous ayons une part et l’association dans tous les bienfaits qui seront faits dans le monastère de Cluny et dans tous les lieux qui lui appartiennent, dans les messes, les prières, les aumones, et spécialement celles pour les pauvres. S. Odulric. S. Otton, son frère. S. Hugues, leur père.
15 Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, éd. Bernard A., Bruel A., t. III, Paris, 1884. Voir généalogie chapitre 2.
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no 2011, p. 299 : Notum sit cunctis fidelibus, quod ego Hugo pater, et filius meus Odulricus, frater Ottonis, filii mei, noviter defuncti, donamus sive reddimus, pro remedio animæ ipsius, Domino Deo et Petro, ad locum Cluniacum, medietatem de Lasiaco et de omnibus appendiciis ejus, ut Dominus, pro sua pietate, intercedente beato Petro cum omnibus sanctis, concedat sibi veniam omnium delictorum suorum, et perducat eum ad societatem omnium electorum. Et ut fructuosior sit ista elemosina ad salutem et remedium animæ ipsius, associamus ei matrem ejus Ari[m]burgem olim defunctam, et patrem ejus Hugonem, et fratrem ejus Odulricum, et uxores illorum Girildem et Odilam, filios quoque ipsorum et filias, omnesque parentes eorum, tam vivos quam mortuos, ut Dominus pro sua clementia concedere dignetur ut illis omnibus proficiat ad salutem et remedium animarum suarum. (…) no 2012, p. 299-300 : Cunctis tam presentibus quam futuris notum sit, quod nos monachi Clunienses, obtentu donationis suprascriptæ, ex voluntate et consensu domni Odilonis abbatis, omniumque seniorum et fratrum nostrorum, tam presentium quam absentium, donamus his hominibus, Ottoni videlicet, in presenti defuncto, et patri ejus Hugoni, et matri Arimburgæ, et fratri ejus Odulrico, et uxoribus eorum Girildæ et Odilæ, filiis quoque ipsorum et filiabus, et omnibus parentibus illorum, partem et societatem in cunctis benefactis quæ facta fuerunt in presenti loco Cluniaco, et in omnibus appendiciis ejus, in missis, in psalmis, in orationibus, et in cunctis divinis obsequiis. (…)
Qu’il soit connu de tous les fidèles que, moi, Hugues, père, et mon fils Odulric, frère d’Otton, mon fils, récemment décédé, donnons et restituons, pour le remède de l’ âme de celui-ci, au seigneur Dieu et à Pierre, dans le lieu de Cluny, la moitié de Laizé et de toutes ses dépendances, afin que le Seigneur, pour sa piété, avec l’intercession du bienheureux Pierre avec tous les saints, lui accorde le pardon de tous ses péchés et l’introduise dans la communauté de tous les élus. Et afin que cette aumone soit plus fructueuse au salut et au remède de son âme, nous lui associons sa mère Arimburge, déjà défunte, son père Hugues, son frère Odulric et les épouses de ceux-ci Girildis et Odile, ainsi que leurs fils et leurs filles, et tous leurs parents, tant vivants que morts, afin que le Seigneur daigne accorder par sa clémence d’obtenir pour eux tous le salut et le remède de leur âme (…) Qu’il soit connu de tous, présents et futurs, que, nous, moines de Cluny, du fait de la donation transcrite ci-dessus, nous donnons, par la volonté et l’accord du seigneur abbé Odilon et de tous nos seigneurs et frères, à ces hommes, à savoir Otton, défunt à présent, son père Hugues et sa mère Arimburge, son frère Odulric, et leurs épouses Girilda et Odile, ainsi que leurs fils et leurs filles, et tous leurs parents, une part et l’association dans tous les bienfaits qui seront faits dans le présent lieu de Cluny et dans toutes ses dépendances, dans les messes, les psaumes, les prières et tous les services divins. (…)
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a n n e xe s 15. Thomase, Albert et Simon Maingot dans les chartes de Saint-Cyprien de Poitiers (vers 1090)16
no 105, p. 81-82 : Simon Maingodus uxorque ejus Thomasia et Willelmus filius Tomasiae concesserunt monachis Sancti Cipriani aecclesiam de Suilec cum omnibus rebus ad eam pertinentibus, et quecunque Gausfredus presbyter de Vielnai tenuit, quae ad ipsos pertinebant, et hoc quod Albertus Panet ejusque uxor habebant, et quecunque eis in antea ibi daretur illis, et quicquid amplius adquirere valerent. S. Simonis Maingodi. S. Thomasiae. S. Willelmi Arberti. S. Milonis de Niul, Aimerici nepotis ejus, Raimondi de Dulciaco, Willelmi Sarreceni, Gaufredi presbiteri ejusdem aecclesiae, Rainaldi presbiteri, Aldeberti de Alvernia, Petri Stabuli, Gaufredi Prioris, Petri monachi. Philippo regnante. no 109, p. 83 :
Simon Maingot, son épouse Thomase et Guillaume, fils de Thomase, concèdent aux moines de SaintCyprien l’église de Suilec, avec tout ce qui en dépend, ainsi que tout ce que Geoffroi, prêtre de Vielnai, tient et qui leur appartient, et ce qu’Albert Panet et son épouse ont et tout ce qui leur a été donné là par eux auparavant et qui vaut plus que ce qu’ils ont acquis. S. Simon Maingot. S. Thomase. S. Guillaume Albert. S. Milon de Niul, Aimeric son neveu, Raimond de Dulcie, Guillaume Sarrecenus, Geoffroi prêtre de cette église, Renaud prêtre, Aldebert de Alvernia, Pierre l’Étable, Geoffroi prieur, Pierre moine. Sous le règne de Philippe.
Simon Maingodus et Thomasia uxor ejus et Willelmus filius Arberti et Robertus filius Indie, Tomas quoque et uxor ejus Aleaidis, et Aimericus et Petrus, fratres Tomae, Hugo quoque nepos eorum, filius Arberti de Marciaco, per manum Petri episcopi concesserunt monachis Sancti Cipriani aecclesiam Sancti petri de Turagel, quicquid ad illos de ipsa ecclesia pertinebat, ut quod habebant in dominio, monachi haberent, et quod alii de illis in casmento, monachi responderent de omni oblatione altaris, de proferenda, de baptisterio, de sepultura. Iterum concesserunt usque ad sex juctos terrae de suis casamentis, ubicunque eos adquirere potuissent in eadem parrochia, in castellania Mirebellense. S. Willelmi Mirebellensis domno, Rotberti Pictavini, Rainaldi de Duciaco, Milonis, Gisleberti presbiteri, Rotberti de Turagel, Launi militis, Rainaudi presbiteri. Philippo regnante.
Simon Maingot, son épouse Thomase, Guillaume fils d’Albert, Robert fils d’Indie, ainsi que Thomas et son épouse Aleaidis, Aimeric et Pierre, frères de Thomas[e], et leur neveu Hugues, fils d’Arbert de Marcy, concèdent par la main de l’évêque Pierre aux moines de Saint-Cyprien l’église de SaintPierre de Turagel, tout ce qui leur appartient de cette église, de telle sorte que tout ce qu’ils ont en toute propriété, les moines l’obtiennent, et pour ce que d’autres tiennent d’eux en fief, que les moines en répondent quant à l’oblation de tous les autels, les revenus de la paroisse, des baptêmes et des sépultures. D’autre part, ils concèdent jusqu’à six jucti de terre de leurs fiefs, où qu’ils puissent les acquérir dans la même paroisse, dans la châtellenie de Mirebello. S. Guillaume seigneur de Mirebello, Robert Pictavini, Renaud de Dulcie, Milon, Gislebert prêtre, Robert de Turagel, Laun chevalier, Renaud prêtre. Sous le règne de Philippe.
16 Cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers (888-1155), éd. L. Redet, dans Archives historiques du Poitou, III, Poitiers, 1874.
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no 116 p. 85-86 : Tomasa, filia Bosonis Borrelli et Willelmus filius Arbeti et suus, et filiae itidem ejus Rainsendis, Alaardis et Helisabet concesserunt monachis Sancti Cipriani aecclesiam de Charai et fedum presbiterale et quicquid, aecclesie pertinere videbatur, et illam scilicet partem quam habebant et quam Isembertus de Ansee et fratres ejus auferebant. S. Simonis Maingodi, Rainaldi de Dulcia, Martini de Charai, Gaufredi prioris, Isemberti presbiteri, Hunberti juvenis. no 141, p. 96 :
Tomase, fille de Boson Borrel, et Guillaume, fils d’Albert et le sien, et semblablement ses filles, Rainsende, Alaarde et Elisabeth, concèdent aux moines de Saint-Cyprien l’église de Charai, la tenure presbytérale et tout ce qui dépend de cette église, ainsi que la part qu’ils ont et qu’ont enlevé Isembert d’Ansee et ses frères. S. Simon Maingot, Renaud de Dulcie, Martin de Charai, Geoffroi prieur, Isembert prêtre, Hubert le Jeune.
Inter monachos Sancti Cipriani et Rainaldo de Podio Ollant et fratribus ejus fecerunt commutationem de terris suis. Rainaldus accepit terram de Valledoiram prope Mirebello, quae erat alodus Sancti Cipriani, et monachi terram que erat ante molendinum de Gragone, quam habebat in casamento a Tomasa et Willelmo filio Arberti, et ipsis concedentibus factum est ita. S. Rainaldi Abbati, Stephani prioris, Petri Barra. S. Simonis Maingodi, Tomasie, Willemi Arberti. S. Rainaldi de Podio Ollant. S. Millonis, Launi filii Atonis, Rainaldi de Dulcia, Alboini servientis.
Les moines de Saint-Cyprien et Renaud de Piollant et ses frères ont fait entre eux l’échange de leurs terres. Renaud a reçu la terre de Valledoira près de Mirebello, qui était un alleu de Saint-Cyprien, et les moines la terre qui était devant le moulin de Gragon et qu’il avait en fief de Tomase et de Guillaume fils d’Albert, et ceux-ci y ayant consenti, il en a été fait ainsi. S. Renaud Abbé. S. Stéphane/ Étienne prieur, Pierre Barra. S. Simon Maingot, Tomase, Guillaume Albert. S. Renaud de Piollant. S. Milon, Laun fils d’Aton, Renaud de Dulcie, Alboin dépendant.
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a n n e xe s 16. Le couple dans les lettres d’Yves de Chartres (au tournant des xie et xiie siècles) : extraits17
Leclercq, no 16, p. 64-71 : à Gautier, évêque de Meaux (…) humilitatem meam consuluit vestra fraternitas utrum quis habere possit eam mulierem in conjugem quam prius habuit pellicem. Quod idcirco videtur illicitum, quia hactenus apud vos fuit insolitum. (…) Quantum ergo mihi videtur, quod quidam Patres concubinas uxores fieri vetuerunt, honestatem conjugii commendantes et foedam concubinatus consuetudinem coercere cupientes, rigorem justitiae teneri decreverunt. Quod vero alii aliter scripserunt, hoc intelligo, quia intuitu misericordiae quorumdam imbecillitati occurrentes, rigorem canonum temperare maluerunt. In quibus sententiis non alia mihi videtur esse distancia nisi ea quam inter se habent judicium et misericordia, quae, quotiens in usum negotium conveniunt, in discretione rectorum ita consistunt (…).
Leclercq, no 28, p. 116-121 : au roi Philippe (…) domnus papa Urbanus interdicit vobis auctoritate apostolica thorum mulieris quam pro uxore habetis (…). A cujus commixtione si amodo non cessatis, separat vos eadem auctoritas a participatione dominici corporis et sanguinis. Intercidit etiam omnibus episcopis ne capiti illius mulieris coronam imponant, quam ubique pene terrarum dicitur, lateri vestro illicite copulastis. (…)
(…) votre fraternité a consulté mon humilité pour savoir si quelqu’un peut prendre pour épouse la femme qu’il a eue d’abord pour concubine. Ceci vous paraît illicite parce que jusqu’à présent, c’était inaccoutumé chez vous (…). Donc, pour autant qu’il me semble, certains Pères qui ont interdit que les concubines devinsent des épouses, faisant valoir l’honnêteté du mariage et désirant réprimer la honteuse habitude du concubinage, ont décidé d’appliquer la justice dans toute sa rigueur. Mais d’autres ont écrit en un sens différent, ce que je comprends ainsi : voulant dans un dessin de miséricorde, aller au devant de la faiblesse de certains, ils ont préféré modérer la rigueur des canons. Entre ces deux opinions, il ne semble pas qu’il y ait d’autre différence que celle qui existe entre la justice et la miséricorde, lesquelles, chaque fois que, dans une affaire, elles se trouvent en présence, doivent être laissées au discernement des recteurs (…) (…) le seigneur pape Urbain vous interdit, par autorité apostolique, le lit de cette femme que vous avez pour épouse (…). Si dorénavant vous ne mettez pas fin à cette union, la même autorité vous sépare de la participation du corps et du sang du Seigneur. Elle interdit aussi à tous les évêques de poser la couronne sur la tête de cette femme, dont il est dit, presque partout sur terre, que vous l’unissez illicitement à votre corps (…).
17 Yves de Chartres, Correspondance, éd. et trad. J. Leclercq, t. 1 (1090-1098), Paris, 1949 ; éd. et trad. L. Merlet, Chartres, 1885 ; éd. J. P. Migne, PL 162, Paris, 1854, col. 11-288. Les traductions de J. Leclerc, comme de L. Merlet, ont données lieu à des modifications plus ou moins importantes. Sur Yves de Chartres et ses positions sur le mariage, voir entre autres P. Y. Labonte, Le mariage selon Ive de Chartres. Sa formation, son indissolubilité aux différentes phases de sa genèse, Bruges, 1965, B. Basdevant-Gaudemet, « Le mariage d’après la correspondance d’Yves de Chartres » [1983], rééd. dans Ead., Église et autorités. Études d’histoire de droit canonique médiéval, Limoges, 2006, p. 373-391 et C. Rolker, Canon Law and the Letters of Yvo of Chartes, Cambridge, 2009.
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PL, no 125, col. 136-138 : à Daimbert, archevêque (Merlet, no 127, p. 235-236) : de Sens De Hierosolymitanis quorum uxores fornicatae sunt, bene mihi videtur sentire sanctitas vestra quia secundum evangelicam et apostolicam doctrinam oportet eos aut ad proprias uxores redire aut, eis viventibus, sine ulla carnis commistione manere (…). si aliquando apud nos causa fornicationis, tale divortium contigerit, censura ecclesiastica cogimus separatos vel sibi reconciliari, vel sine spe manere conjugii. Quod si hii qui debent uxores virtute praecedere, volunt uxores victrices esse libidinis, ipsi autem vincuntur a libidine qui aliis mulieribus cupiunt adhaerere, monemus eos, ut considerantes fragilitatem vasis mulieribus id infirmiori sexui indulgeant, quod fortiiori indulgeri desiderant (…).
Au sujet de ceux [qui sont partis] à Jérusalem et dont les femmes ont forniqué [en leur absence], il me semble que votre sainteté a bien jugé que selon la doctrine évangélique et apostolique, il faut que ceux-ci, soit retournent auprès de leurs propres femmes, soit qu’ils s’abstiennent, tant qu’elles vivent, de toute union charnelle. (…) quand un divorce arrive chez nous pour cause de fornication, nous forçons, par la censure ecclésiastique, les époux séparés, ou bien à se réconcilier, ou bien à vivre sans espoir d’une nouvelle union. Que si ceux qui doivent donner à leur femme l’exemple de la vertu veulent que celles-ci soient victorieuses de leurs désirs, tandis qu’eux-mêmes sont vaincus par le désir et veulent s’attacher à d’autres femmes, nous les invitons compte tenu de la fragilité du vase, à pardonner aux femmes, c’est-à-dire au sexe faible ce qu’ils désirent qu’on pardonne au sexe fort (…) PL, no 129, col. 139-140 : à Geoffroi, comte de (Merlet, no 132, p. 241-242) : Vendôme (…) audivi te velle ducere in uxorem vicecomitissam Blesensem, cujus defuncto marito fuisti consanguineus (…). Unde tibi mando, et per legem Christianam interdico ferales et incestas nuptias, quas nec lege poteris defendere, nec legitimos de eis haeredes suscipere. (…) excomunicationem incurres, et infamiae notam non evades. Consanguinitas autem inter te et virum praedictae mulieris sic se habet (…)
(…) j’ai appris que tu voulais épouser la vicomtesse de Blois, dont le défunt mari était ton consanguin (…). Je te défends donc et t’interdis, par la loi chrétienne, de contracter ces noces bestiales et incestueuses que tu ne pourras défendre légalement et dont tu ne pourras recevoir des héritiers légitimes. (…) tu encourras l’excommunication et tu ne pourras éviter la marque de l’infamie. La consanguinité entre toi et le mari de la dite femme s’établit ainsi (…).
PL, no 130, col. 140 : à Mathilde, vicomtesse de Blois (Merlet, no 133, p. 243) : (…) monemus et praecipimus per legem Christianam, ut conjugium quod cum comite Vindocinensi te inituram pepigisti, usque ad legitimam discussionem differas (…). Quod si aliter praesumpseris, et excommunicationi subjacebis, et perdes res tuas quas pro hoc conjugio distraxeris. Dicunt enim communes consanguinei Vindocinensis comitis, et Roberti vicecomitis mariti tui defuncti, quia consanguinei fuerunt comes Vindocinensis et Robertus maritus tuus, eo gradu quo litterae comiti missae demonstrant (…)
(…) nous t’avertissons donc et te commandons, au nom de la loi chrétienne, de différer le mariage que tu as promis de conclure avec le comte de Vendôme, jusqu’à ce qu’il y ait une discussion légitime (…). Si tu prétendais faire autrement, tu serais soumise à l’excommunication et tu perdrais les domaines que tu aurais engagés pour ce mariage. Les consanguins communs du comte de Vendôme et du vicomte Robert, ton défunt mari, disent que le comte de Vendôme et Robert, ton mari, étaient parents au degré indiqué par les lettres envoyées au comte (…)
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PL, no 144, col. 150-151 : au pape Pascal
(Merlet, no 147, p. 262-264) :
Notum facimus paternitati vestre quod, tertio Kal. Augusti, plures episcopi, tam Remensis quam Senonensis provinciae, invitati a domno Ricahardo Albanensi episcopo legato vestro, convimus (…) Balgenciacum, ad faciendam absolutionem regis. (…) rex et lateralis sua (…) parati fuerunt abjurare absolute omnem carnalis copulatiae consuetudinem, insuper et mutuam collocutionem, nisi sub testimonio personarum minime suspectarum, usque ad vestram dispensationem (…).
Nous faisons savoir à votre paternité que le 3 des kalendes d’août que nous, évêques en grand nombre des provinces de Reims et de Sens, nous sommes réunis (…) à Beaugency [[1104], sur convocation du seigneur Richard, évêque d’Albano, votre légat, pour procéder à l’absolution du roi (…). Le roi et sa compagne (…) étaient prêts à jurer de renoncer absolument, jusqu’à l’obtention de votre dispense, à toute pratique de l’union charnelle et même à tout entretien mutuel sauf en présence de personnes au-dessus de tout soupçon (…). PL, no 205, col. 210-211 : à Guillaume Chevalier (Merlet, no 206, p. 369) :
Missus a te clericus anxie et diligenter ex tua parte consuluit parvitatem meam et quid sentirem super inhonesta suspicione quam conjecisti in uxorem tuam, opponens ei non esse genitum ex te quod peperit dum morareris in Anglia ; propterea quod, computatis diebus qui sunt inter conceptum et partum inventi sunt minus septem dies quam consuetudo credebatur habere parientium. (…) tempera zelum tuum, ne te et uxorem tuam, et sobolem tuam immoderata severitate trudas in infamiam (…). Sufficiat ergo tibi cum juramento uxoris tuae probatarum personarum testimonium (…).
Un clerc envoyé par toi est venu de ta part consulter anxieusement et scrupuleusement mon humilité, pour savoir ce que je pensais du soupçon déshonorant que tu as émis contre ton épouse, en alléguant que l’enfant qu’elle a mis au monde pendant que tu demeurais en Angleterre n’est pas ta procréation, parce qu’en comptant les jours qui se sont écoulés entre la conception et l’enfantement, il y a sept jours de moins que ce que la coutume prévoit pour les parturientes. (…) modère ton ardeur, et ne vas pas, par une sévérité excessive, précipiter dans l’infamie toi, ta femme et ta progéniture. (…) Qu’il te suffise donc, d’avoir avec le serment de ta femme le témoignage de personnes fiables (…). PL, no 218, col. 221-222 : à Galon, évêque de Paris (Merlet, no 220, p. 395-396) : De canonico Ecclesiae vestrae, qui contra prohibitionem vestram matrimoniales tabulas sibi composuit (…) consilium quod mihi ipsi darem, si aliquam de commissis mihi fratribus uxoria compede astrictum deprehenderem, tutum esse intelligo, videlicet ut sacramentum coniugii maneat, clericus vero qui, postposita clericali continentia, de superiori ordine ad inferiorem descendit, stipendia militiae clericalis amittat. Novit enim vestra dilectio, quando de laica conversatione in clericum quis assumitur, non maritali exercitio, sed divinae tantum militiae didicari (…) instituta est clericalis militia, ut psalmodiae et hymnodiae quotidianum Deo
Au sujet du chanoine de votre église qui, malgré votre défense, s’est uni en établissant des tablettes matrimoniales (…), je donnerai le conseil que je suivrais moi-même si je trouvais de même un des frères qui me sont confiés lié par les chaines du mariage : je pense qu’il est plus sûr que le sacrement du mariage soit conservé, mais que ce clerc qui, rejetant la continence de son ordre, est descendu d’une position supérieure à un état inférieur perde tous les avantages de la milice cléricale. Votre dilection sait, en effet, que celui qui abandonne la condition laïque pour être clerc ne se consacre pas à la condition conjugale,
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offerat sacrifium : quod offerre jure non poterit cui, ut plus placeat uxori quam Deo, lenocinante uxore et fallente carnis voluptate, operam dare necessarium erit. Cum enim secundum Apostolum non concedatur laicis orare, nisi eo tempore quo continent, quanto magis semper debent continere, qui tam pro suis quam pro aliorum delictis jubentur orare. (…) In hunc modum Nicaeni canones et Agatense concilium prohibent clericum non tantum mulierum carnale sortiri consortium, sed etiam domesticum habere contubernium, exceptis illis personis quae non continent aliquod suspicionis argumentum. (…).
mais bien à la milice divine. (…) La milice cléricale a été instituée pour offrir à Dieu le sacrifice quotidien du chant des psaumes et des hymnes : cette tâche qu’il est nécessaire d’offrir, celui qui, séduit par son épouse et abusé par la volupté de la chair, cherche à plaire à sa femme plus qu’à Dieu, ne pourra l’honorer à bon droit. Comme il n’est permis aux laïcs de prier, selon l’Apôtre, que pendant les moments où ils se contiennent (1 Co 7), combien plus doivent toujours se contenir ceux à qui il a été ordonné de prier non seulement pour leurs péchés, mais pour ceux des autres. (…) C’est pour cela que les canons des conciles de Nicée et d’Agde défendent à tout clerc, non seulement de pratiquer l’union charnelle avec des femmes, mais même la cohabitation domestique avec elles, excepté pour ces personnes qui ne présentent aucune apparence de soupçon (…) PL, no 242, col. 249-250 : à Ouen, évêque d’Evreux (Merlet, no 243, p. 438-440) : (…) Si enim divortium facimus inter liberum et ancillam, non conjugium solvimus, sed contubernium male conjunctorum dissolvimus et dissociamus. (…) non dicimus esse conjugium, quod non continet Christi et Ecclesiae sacramentum. Quod minime continere videtur illa copula viri et mulieris, in qua non servatur praeceptum dilectionis. Non enim verum est inter eas personas veram esse dilectionem, quarum altera alteram suo contubernio redigit in servitutem. (…) Si quis autem liber ancillam in matrimonium duxerit, non habebit licentiam dimittere eam, si prius scientes conditionem suam et consentientes matrimonium contraxerunt (…). Ubi vero humana deceptio foedus nuptiarum vitiaverit, tales nuptias non facit Deus, sed homo ; earum separationem facit Deus, non homo.
(…) si nous prononçons le divorce entre un homme libre et une serve, nous ne rompons pas un mariage, mais nous dissolvons et séparons une mauvaise cohabitation de conjoints mal unis. (…) nous disons qu’il n’y a pas là mariage puisqu’il ne contient pas le sacrement du Christ et de l’Église. Celui-ci ne peut absolument pas être contenu dans cette union / couple d’un homme et d’une femme où le principe de l’affection n’est pas observé. En effet, il n’est pas vrai qu’il peut y avoir une vraie affection entre ces personnes, dont l’une réduit l’autre à cohabiter avec elle dans la servitude (…). Si un homme libre épouse une serve, il n’aura pas la possibilité de la renvoyer si [les deux époux] se sont engagés dans le mariage en connaissant avant leur condition et en y consentant (…). Mais là où la tromperie humaine fausse le traité des noces, ce n’est pas Dieu qui fait de telles noces, mais l’homme ; c’est Dieu qui en fait la séparation, non l’homme.
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a n n e xe s 17. Le couple dans la Vie d’Ide de Boulogne (années 1130)18
§ 2, p. 141 : Pater ejus supra potentes atque fama majores, coram imperatore Alemanorum, gradum altiorem & quasi privilegium dignitatis atque potestatis obtinens fuit, nomine Godefridus mater vero ejus, non minus egregia, Doda vocabatur ; unum habentes filium (…) nativitatem praevenientem Idam venerabilem. Illis nimius alta & humilia pro ratione gerentibus, praedicta puella litteris imbuta est, usque ad aetatem congruam in annis suis puerilibus. Dicta vero moribus honestis, non vitae praesentis intendebat lasciviae, sed magis ac magis ad amorem suspirabat coelestis patriae (…) § 3, p. 141 : Quamdam namque nocte cum se sopori dedisset, de supernis cogitans, vidit per somnium (…). Hoc (…) ostendebat sommium, quoniam ex ea procederent, qui ad tempus possiderent regnum et imperium (…). Fuit (…) heros quidam genere nobilissimus, (…) corpore et animo actuque seculari validissimus, longe lateque fama nominatissimus, nomine potens Eustachius. Hic autem Boloniae comes et Dominus praerat (…). Multorum quippe relatione verissima comes Eustachium mores & actus atque puchritudinem praedictae virginis Idae, generisque dignitatem ejus audiens misit nuntios ad praedictum Ducem Godefridum, ut filiam suam sibi daret in conjugium, perquod in sempiternum esset inter illos generositatis eorumdem vinculum. (…) honorificam virginem Idam viris qui propter eam venerant (…) tradiderunt parentes. Appropinquantibus ergo illis Boloniensi territorio, urbs omnis exiit obviam magno cum gaudio.
§ 2 : Son père, appelé Geoffroi, surpassant les puissants et les grands, par sa renommée, obtint une très haute position auprès de l’empereur des Allemands, et pour ainsi dire le privilège de la dignité et de l’autorité. Sa mère, non moins remarquable, s’appelait Doda. Ils avaient un fils (…) quand naquit la vénérable Ide. Ceux-ci ayant une conduite très haute et humble, la dite jeune fille fut imprégnée des lettres pendant ses années d’enfance jusqu’à l’âge convenable. La dite [jeune fille] aux mœurs honnêtes ne s’appliquait pas aux choses présentes de la vie badine, mais aspirait de plus en plus à l’amour de la patrie céleste (…) § 3 : Une nuit, comme elle avait sombré dans le sommeil, en pensant aux choses célestes, elle vit en songe (…). Ce songe montrait (…) que ceux qui naîtraient d’elle posséderaient un jour le royaume et l’empire. (…) Il y avait (…) un héros puissant du nom d’Eustache (…) très noble de naissance, (…) très fort de corps et d’esprit et de conduite laïque, très renommé selon la rumeur lointaine et étendue. Il gouvernait comme comte et seigneur de Boulogne. (…) Le comte d’Eustache, ayant appris par le rapport très véridique de plusieurs personnes, les mœurs, la conduite et la beauté de la dite vierge Ide, ainsi que la dignité de sa naissance, envoya des messagers au dit duc Geoffroi pour qu’il lui donne sa fille en mariage, afin qu’il y ait toujours entre eux un lien de générosité. Les parents remirent l’honorable vierge Ide aux hommes venus la chercher (…). Quand ils arrivèrent sur le territoire de Boulogne, toute la ville sortit pour les accueillir avec une grande joie.
18 Vita S. Idae (Ide de Boulogne), éd. AA SS, avr I, p. 141-144. La vie d’Ide de Boulogne († 1113) est rédigée dans les années 1130 – une vingtaine d’années après la mort de la sainte – est sans doute due à sa petite fille Mathilde, héritière du comté de Boulogne mariée à Étienne de Blois : celle-ci la confie aux moines clunisiens de Vasconviliers dont le monastère a été réformé à l’initiative d’Ide : G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre …, op. cit., p. 1264-1266 ; Id., « La matrone et la mal mariée », dans Id., Mâle Moyen Âge. De l’amour et autres essais, Paris, Flammarion, 1987, réed. 1990, p. 52-58. Elle participe au renouveau de l’hagiographie féminine : I. Van’t Spijker, « Gallia du nord et de l’ouest. Les provinces ecclésiatiques de Tours, Rouen, Reims (950-1130) », dans G. Philippart (dir.), Hagiographies II, Turnhout, 1996, p. 270.
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§ 4, p. 142 : Recepta namque, ut decuit, honorifice, copula est Comiti Boloniae, scilicet Eustachio, pro more Ecclesia Catholicae. Celebratis igitur nuptiis solenniter, venerabilis Ida, quae Dei erant curiosa sub cunsulari dignitate, amabat fideliter quae mundi autem videbantur, non inquirebat pertinaciter. Servato nempe caste conjugio, juxta praeceptum Apostoli, utens viro debite tamquam non habens virum, tres filios, sicut praeindictum erat, coram Dei clementia genuit, apparentes per supradictae visionis vaticinium (…). Factum est autem, cum tantorum esset venerabilis Ida mater esset filiorum, adhuc illis in cunabulis jacentibus, non sinebat alienis sed propriis lac dari uberibus, timens ut pravis contaminarentur moribus.
§ 5, p. 142 : Omnibus amabilem, cunctis placibilem, per omnia laudabilem cum illam Comes conspiceret, non moleste sustinuit : verum etiam ut perseverans ad meliora omnimodo tenderet, admonuit. Tunc quippe Dei famula, viri sui assensu & voluntate imo repleta superna gratia & divina pietate, ecclesias frequentans, magna & devota cum humilitate (…). Agebat solicite pauperum curam, retributionem expectans futuram, viduas & orphanos circumquaque et infirmos (…) orationibus assiduisque juvabat muneribus (…). § 6, p. 142 : Istis & his similibus dum polleret studiis, nobilis vir ejus Eustachius, interveniente morte inevitabili, vitae hujus luce caruit. Tunc vero veneratissima, lege dissoluta conjugii, bona quae faciebat opera non deferens, sed multiplicans est secuta : quia quamvis viri consolatione fuisset desolata, superno amore jugiter laetata (…). § 12, p. 144 : (…) Abbas etenim & monachi S. Vulmari, quoniam vir illius Eustachius senior apud illos supuluts fuerat, jure quasi hereditario corpus uxoris juxta virum quaerebant (…).
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§ 4 : Reçue, comme il le convenait, avec honneur, elle est unie au comte Eustache de Boulogne, selon la coutume de l’Église catholique. Une fois les noces célébrées solennellement, la vénérable Ide, attentive aux choses de Dieu tout en assumant la dignité comtale, aima fidèlement les choses du monde, sans les rechercher obstinément. Conservant, c’est un fait, son mariage chaste, rendant son devoir à son mari comme si elle n’avait pas de mari, selon le précepte de l’Apôtre (1Co 7, 29), elle engendra, comme cela avait été prédit, trois fils par la faveur de la clémence divine, ce qui préparait la prédiction de la dite vision (…). Or, c’est un fait que comme la vénérable Ide était la mère de tels fils, elle ne permettait pas, alors qu’ils étaient encore au berceau, que le lait leur soit donné par des seins étrangers plutôt que les siens, craignant qu’ils ne soient souillés par de mauvaises mœurs (…). § 5 : Comme le comte la voyait aimable envers tous, agréable avec tous, estimée pour tout cela, il ne la supportait pas péniblement : il l’incitait au contraire à tendre vers le meilleur, en persévérant de toute manière. Forte de l’accord et de la volonté de son mari, elle fréquentait les églises avec une pieuse et dévote humilité (…). Elle prenait un soin particulier des pauvres, espérant une récompense future et, par ses prières assidues et ses largesses, elle soulageait les veuves, les orphelins et les infirmes (…). § 6 : Pendant qu’[Ide] s’occupait efficacement de ces œuvres et d’autres semblables, Eustache, son noble époux, frappé par la mort qui survient inévitablement, perdit la lumière de cette vie. Une fois dissoute la loi du mariage, la très vénérable [Ide] n’interrompit pas les bonnes œuvres qu’elle faisait, mais les poursuivit en les multipliant : parce que, quoique privé du soutien de son mari, elle fut immédiatement réjouie par l’amour céleste. § 12 : (…) Puisque son mari le seigneur Eustache était inhumé chez eux, l’abbé et les moines de Saint-Vulmer, demande par droit quasi héréditaire que le corps de l’épouse soit aux côtés de celui de son mari (…).
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a n n e xe s 18. Le couple dans le Décret de Gratien (xiie siècle) : extraits19
C. 27, q. 2, dictum initial, p. 134 : (…) Sunt enim nuptiae siue matrimonium uiri mulierisque coniunctio indiuiduam uite consuetudinem retinens (…) C. 27, q. 2, c. 2, dictum post, p. 138 : Cum ergo inter eos consensus intercesserit qui solus matrimonium facit patet hos coniuges fuisse. Sed queritur quis consensus facit matrimonium, an consensus cohabitationis, an carnalis copule, an uterque ? C. 27, q. 2, c. 18, dictum post, p. 156 : Item Apostolus precipit ut uxor reddat debitum uiro et uir uxori, nisi forte ex consensu ad tempus ut expeditus uacent orationi. Vunde datur intelligi quos sine consensu alterius non licet alteri uacare orationi.
(…) Les noces ou le mariage sont en effet l’union entre un homme et une femme impliquant la pratique de la vie commune (…)20 Puisque entre eux est intervenu le consentement qui seul fait le mariage, il est clair qu’ils étaient conjoints. Mais se pose la question de savoir quel consentement fait le mariage : le consentement à la cohabitation, ou à l’union charnelle, ou les deux ? De même l’Apôtre recommande que la femme s’acquitte du devoir [conjugal] envers son mari et le mari envers sa femme, sinon éventuellement d’un commun accord, pour un temps, afin de se consacrer plus librement à la prière (1 Co 7, 3-5). Nous voyons ainsi que l’un n’a pas le droit de se consacrer à la prière sans l’accord de l’autre. § 1. Item propositum melioris uite uir sumere non § 1. De même, le mari ne peut s’engager par profession dans une vie meilleure sans le potest sine consensu uxoris et e conuerso. consentement de son épouse, et inversement.
19 Gratien, Décret, Causes 27 à 36 : Le mariage, éd. et trad., J. Werckmeister, Paris, 2011. Certaines traductions ont été légèrement modifiées. La recherche récente a quelque peu bouleversé les connaissances sur l’auteur et son œuvre. La majorité des spécialistes s’accorde ainsi sur l’existence de deux auteurs principaux, enseignants de droit canonique probablement à Bologne, qui auraient écrit deux versions du décret : l’une courte et concise comportant environ 2000 canons et l’autre longue, avec des digressions et des contradictions, doublant le nombre de canons. La date de l’élaboration du décret, et plus particulièrement de ces versions, continue de faire débat (années 1120 puis 1130 pour les tenants de la chronologie longue ; années 1140 pour ceux de la chronologie courte avec deux versions qui se suivent de près), mais il y a unanimité sur l’achèvement en 1170 de la version complète du Décret (qui intègre certains ajouts aux deux versions). Considéré comme le premier traité de droit canonique, il reprend et synthétise l’héritage canonique des origines à la réforme grégorienne, avec pour objectif d’opérer la « concorde des canons discordants », et devient la source principale du droit canonique occidental pour des siècles. Il comporte une partie homogène et cohérente sur le mariage (les Causes 27 à 36) qui est l’une des mieux construites et se présente comme un véritable traité sur la question, ce qui lui vaut d’être appelé par certains le De matrimonio. Sur tout ceci, voir l’introduction de J. Werckmeister, en particulier, p. 15, 20-22, 39, 46-48. Sur Gratien et ses positions sur le mariage, voir aussi entre autres J. Gaudemet, « L’apport de la patristique latine au Décret de Gratien en matière de mariage », dans Studia Gratiana, 2 (1954), repris dans Sociétés et mariage, Strasbourg, 1980, p. 290-319 ; J. A. Brundage, Law, Sex and Christian Society in Medieval Europe, Chicago-Londres, 1987, p. 229-255. 20 Définition rappelée c. 29, q. 1, dictum initial, p. 253.
Anne xe 2
C. 28, q. 1, c. 17, dictum post, p. 242 : Item illud (…) non negat coniugium esse inter infideles. Coniugium enim aliud est legitimum et non ratum, aliud ratum et non legitimum, aliud legitimum et ratum. Legitimum coniugium est quod legali institutione uel prouincie moribus contrahitur. (…) Inter fideles uero ratum coniugium est, quia coniugia semel inita inter eos ulterius solui non possunt. Horum quedam sunt legitima, ueluti cum uxor a parentibus traditur, a sponso dotatur et a sacerdote benedicitur. Hec talia coniugia legitima et rata appellantur. Illorum uero coniugia qui contemptis omnibus illis solempnitatibus solo affectu aliquam sibi in coniugem copulant huiuscemodi coniugium non legitimum, sed ratum tantummodo esse creditur. C. 29, q. 1, dictum initial § 3, p. 256 : (…) Precedit consensus, quando ante carnalem copulam in indiuiduam uite consuetudinem uterque consentit ; subsequitur, quando post concubinalem siue fornicarium coitum consentiunt in idem (…). C. 30, dictum initial, p. 272 : an uxori sue debitum reddere ualeat qui proprium filium de sacro baptismate suscepit ? C. 30, q. 1, c. 10, dictum post, p. 288 : His itaque auctoritatibus apparet quod siue proprium siue tantummodo uiri filium mulier de sacro fonte susceperit, non ideo a uiro suo est separanda. Quod et de uiro similiter oportet intellegi. C. 30, q. 5, c. 8, dictum post, p. 318 : (…) Multa sunt que prohibentur, que si fiant ex postfacto conualescunt. Prohibentur uouentes matrimonia contrahere que tamen si contraxerint inuiolata permanere oportet. Sic et clandestina coniugia contra leges quidem fiunt, tamen contracta dissolui non possunt quia ex legitimo uoto subsequente corroborantur (…).
341
De même, ce texte (…) ne nie pas l’existence des mariages entre infidèles. Autre chose est en effet le mariage légitime et non ratifié, le mariage ratifié et non légitime et le mariage légitime et ratifié. Un mariage légitime est un mariage contracté selon les prescriptions légales ou les coutumes de la province. (…) Le mariage entre fidèles est ratifié, parce qu’une fois commencé entre eux, il ne peut plus être dissous. Certains de ces mariages sont légitimes, par exemple quand l’épouse est donnée par ses parents, qu’elle est dotée par son fiancé et bénie par un prêtre : de tels mariages sont appelés légitimes et ratifiés. Quant aux mariages de ceux qui, méprisant toutes ces solennités, s’unissent à une femme uniquement par sentiment, on considère qu’ils ne sont pas légitimes, mais seulement ratifiés. Le consentement précède quand, avant l’union charnelle, chacun consent à la pratique de la vie commune ; il suit quand ils consentent chacun à la même chose après s’être unis dans le concubinage ou la fornication. (…) celui qui a reçu son propre fils du baptême sacré peut-il rendre le devoir à sa femme ?
C’est pourquoi, d’après ces autorités, il apparaît qu’une femme qui a reçu des fonts sacrés [du baptême] son propre fils ou le fils de son mari ne doit pas pour autant être séparée de son mari. Cela doit être pareillement compris pour le mari. (…) beaucoup de choses interdites sont ensuite validées, si elles sont faites. Ceux qui ont fait des vœux n’ont pas le droit de contracter mariage, mais si ces mariages sont contractés, il faut qu’ils persistent. De même les mariages clandestins se font certes contre les lois, mais, une fois contractés, il ne peuvent être dissous, lorsqu’ils sont corroborés par un vœu légitime subséquent. C. 32, q. 1, c. 10, dictum post, p. 366 : (…) Debet (…) Entre conjoints, il faut en effet respecter enim inter coniuges fides seruari et sacramentum que la fidélité et le sacrement, et si cette fidélité et cum defuerint non coniuges sed adulteri appellantur. ce sacrement manquent, on ne les appelle pas conjoints, mais adultères.
342
a n n e xe s
C. 32, q. 2, c. 2, dictum post, p. 376 : (…) patet quod non propter filiorum procreationem tantum misceri iubentur. (…) C. 32, q. 2, c. 16, dictum post, p. 392 : Premissis auctoritatibus euidenter asseritur quod quamuis aliqui non filiorum procreanduorum sed incontinentiae causa conueniant, tamen coniuges appellantur. C. 32, q. 4, c. 10, dictum post, p. 414 : (…) nullo modo licet alicui uiuente uxore sua uel ex ancilla uel ex alia qualibet filios querere, qui etiam suscepti filiorum nomine iudicantur indigni. Simplex etiam fornicatio sacra scriptura prohibetur. C. 32, q. 5, c. 16, dictum post, p. 438-440 : apparet quod [uiolenter aliena libidine oppressa uim pertulit] nec fornicaria nec adultera dici postest. Vnde nec aliqua occasione ualet dimitti. (…) [Apostolus] datur intelligi quod qualiscumque fuerit uir et uxor, ex quo coniugali affectu sibi adheserint, ulterius ab inuicem discedere non ualent. C. 32, q. 7, c. 26, dictum post, p. 480 : (…) Vt ergo ex premissis colligitur, non licet huic dimissa uxore sua aliam ducere. Manet enim inter eos quoddam uinculum coniugale quod nec ipsa separatione dissoluitur. C. 33, q. 1, dictum initial, p. 490 : (…) postquam uero officio confirmatum fuerit, nisi causa fornicationis non licet uiro uxorem dimittere uel uxori a uiro discedere. C. 33, q. 5, c. 20, dictum post, p. 562 : Euidentissime itaque apparet, ita uirum esse caput mulieris ut nulla uota abstinentie uel religiose conuersationis liceat sibi sine eius licentia Deo offere ; etiamsi uiro permittere repromissa fuerint, non licet ei uotum opere complere cum uir uoluerit reuocare permissum. Vota uero continentie ita alterius permissu ab altero ualent offerri quod post permissionem non ualent in irritum deduci.
(…) il est clair qu’il ne leur est pas ordonné [par l’Apôtre] de s’unir pour la seule procréation des enfants. (…) Les autorités citées précédemment affirment clairement que, même si certains se marient non pour procréer des enfants, mais pour cause d’incontinence, ils n’en sont pas moins appelés conjoints. (…) du vivant de l’épouse, il n’est en aucune façon permis de vouloir des enfants d’une servante ou de toute autre femme. Ces enfants sont jugés indignes du nom de fils. L’Écriture sainte prohibe même la simple fornication. il apparaît que [la femme qui a subi par violence la passion d’un autre] ne peut être considérée ni comme fornicatrice ni comme adultère. C’est pourquoi elle ne peut être renvoyée sous un prétexte quelconque. (…) [l’Apôtre] nous a permis de comprendre que, quels que soient le mari et l’épouse, du fait qu’ils se sont unis par la volonté conjugale, ils ne peuvent se séparer l’un de l’autre par la suite. (…) On peut conclure de ce qui précède qu’il n’est pas permis à cet homme [adultère], une fois sa femme [adultère] renvoyée, de se remarier à une autre. Il reste en effet entre eux un certain lien conjugal, que même la séparation ne dissout pas. (…) après que le mariage a été confirmé par le devoir [c’est-à-dire l’union sexuelle], il n’est plus permis à l’homme de renvoyer sa femme ni à la femme de quitter son mari, sauf pour cause de fornication (…) C’est pourquoi, il apparaît de toute évidence que le mari est la tête de sa femme (Ep., 5, 23), si bien qu’il ne lui est permis d’offrir à Dieu aucun vœu d’abstinence ou de conversion religieuse sans son autorisation ; et même si ces vœux ont été prononcés avec la permission du mari, il ne lui est pas permis de les observer si le mari veut revenir sur son autorisation. En revanche les vœux de continence peuvent être faits par l’un avec la permission de l’autre de telles sortes qu’ils ne puissent plus être annulés après cette permission.
Anne xe 2
C. 35, q. 9, dictum initial, p. 660 : (…) si ecclesia fraude testium aut ignorantia eorum decepta aliquos separauerit, qui post separationem alia coniugia contraxerint, si postea deprehensa fuerit calliditas uel falsa opinio testium, an priora coniugia sint redintegranda ? C. 35, q. 9, c. 2, dictum post, p. 662 : (…) ideo quo a quolibet illicite committuntur, siue a decessoribus admissa inueniuntur, in melius reuocari oportet. Porro illicite uxor a uiro suo separata est, et illo uiuente alii copulata, cum Dominus solius fornicationis causa uxorem uiro suo separari iubeat. Sicut ergo, si aliqua, cuius uir putaretur defunctus, alicui copularetur, et qualibet occasione interueniente ab eius consortio discederet, quamuis iudicio ecclesie cogatur redire ad eum, quem reliquerat, tamen, si post triennium uirum, qui mortuus putabatur, redire contigerit, priora coniugia redintegrabuntur : sic, cum deprehenduntur non fuisse consanguinei qui causa consanguinitatis ob inuicem separati sunt, prioris consortii federa sunt reperanda.
343
(…) si l’Église, abusée par la tromperie des témoins ou leur ignorance, sépare [pour consanguinité] certains [conjoints], et que ceux-ci contractent d’autres mariages après leur séparation, faut-il les rétablir dans leur premier mariage si la tromperie ou l’avis erroné des témoins sont découverts par la suite ? (…) il convient de réviser, pour l’améliorer ce qui est commis ou que les prédécesseurs ont admis illicitement. En outre, cette femme s’est illicitement séparée de son mari et s’est unie du vivant de celui-ci à un autre, malgré le commandement du Seigneur de ne séparer la femme de son mari que pour la seule cause de fornication. (Mt 19, 9). Si donc une femme dont on croyait le mari mort s’est unie à un autre, puis, pour une raison quelconque, quittait la communauté [conjugale] et si un jugement de l’Église l’obligeait à revenir à celui qu’elle avait abandonné, mais que trois ans plus tard, le mari que l’on pensait mort vient à revenir, le premier mariage sera rétabli ; de même si l’on découvre que ceux qui ont été séparés l’un de l’autre pour cause de consanguinité ne sont pas consanguins, les liens de la première union doivent être rétablis.
Annexe 3 : Tableaux généalogiques
Tableau généalogique 1 : Couples connus de la dynastie mérovingienne1
1 Généalogie réalisée principalement à partir de S. Wemple, Women in Frankish Society …, op. cit. ; I. Wood, Merovingian Kingdoms …, op. cit. et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/MedLands/).
346
a n n e xe s Tableau généalogique 2 : Couples connus des souverains carolingiens et capétiens2
Rois
Reines et autres partenaires
Durée de l’union
Enfants
Pépin III († 768) Charlemagne († 814)
Berthe († 783) m. 743/744
25/26 ans (743/744-768)
6
1. Himiltrude 2. Princesse lombarde, s. 770/771 3. Hildegarde († 783), m. 771
? (v. 768- ?) 1/2 ans (769-770/771) 12 ans (771-783)
1 (Pépin le Bossu)
4. Fastrade († 794), m. 783 5. Liutgarde († 800), m. 764/796 6. X 7. Maldegarde 8. Gervinde 9. Reine 10. Adelinde
11 ans (783-794) 4/6 ans (794/796-800)
Louis le Pieux († 840)
1. X 2. Ermengarde († 818), m. v. 794 3. Judith († 843)
21 ans (819-840)
1 1 1 2 1 +2 2 6
3, dont Charles le Chauve 9, dont Louis II le Bègue 5 4, dont Louis III et Carloman 2, dont Charles III + 3 filles
1. Ermentrude († 869) Charles II le Chauve († 877) 2. Richilde († 910) Louis II le Bègue 1. Ansgarde, m. 862, s. 877 († 879) 2. Adélaïde († 901), m. 877 Louis III († 882) Carloman († 884)
24 ans (v. 794-818)
9, dont Louis le Pieux 2
27 ans (842-869) 7 ans (870-877) 15 ans (862-877) 2 ans (877-879)
2 Tableau réalisé principalement à partir de J. Nelson, « La famille de Charlemagne » [1991], réimpr. dans Ead., Rulers and Ruling in the Early Medieval Europe : Alfred, Charles the Bald, and Others, Aldershot, 1999, no XII, p. 194-212 ; Ead., « Women at the Court of Charlemagne : a Case of Montruous Regiment ? », dans J. C. Parsons (dir.), Medieval Queenship, New York, 1993, p. 43-61 ; F. Lot, Les derniers carolingiens. Lothaire, Louis V, Charles de Lorraine (954-991), Paris, 1891 ; A. W. Lewis, Le sang royal. La famille capétienne et l’État, France, xe-xive siècles, trad. fr., Paris, 1986 ; J. Dhondt, « Sept femmes et un trio de rois », dans Contribution à l’histoire économique et sociale, t. III, 1964-1965, Bruxelles, 1965, p. 37-70 et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/ MedLands/). En gras, les femmes qui ont d'autres maris avant ou après.
A nne xe 3
347
Rois
Reines et autres partenaires
Durée de l’union
Enfants
Eudes († 898) Charles III le Simple († 929)
Théodrate († ap. 903)
3
10 ans (907-917) 10/12 ans (917/919-929)
4 6 Louis IV
26 ans (897-923)
1-2 1-2
15 ans (939-954)
7, dont Lothaire
20 ans (966-986)
2 2, dont Louis V
2 ans (880-882)
28 ans (v. 968-996)
3, dont Robert le Pieux
Robert I († 923) Raoul († 936) Louis IV d’Outre-mer († 954) Lothaire († 986) Louis V († 987)
Hugues Capet († 996)
1. X 2. Fréronne († 917), m 907 3. Ogive († ap. 951), m. 917/919, remariée à Herbert de Vermandois 1. X 2. Béatrice de Vermandois († 930), m. 897 Emma († 934) m. v. 915 Gerberge († 969), veuve de Gislebert 1. X 2. Emma d’Italie († ap. 987), m. 966 Adélaïde d’Anjou († v. 1026), veuve d’Etienne de Brioude, puis de Raimond de Toulouse, m. 880, s. 882, remariée à Guillaume d’Arles 1. Adélaïde d’Aquitaine († v. 1004)
Robert Le Pieux 1. Rozala-Suzanne († 1003), († 1031) veuve d’Arnoul II de Flandre, m. 988, s. 991/992 2. Berthe de Bourgogne, veuve d’Eudes de Blois, m. 996/997, s. v. 1004 3. Constance d’Arles († 1032), m. 1004 1. Mathilde de Frise Henri I († 1060) († 1044), m. 1034 2. Anne de Kiev († av. 1080), m. 1051, remariée à Raoul de Valois
3/4 ans (988-991/992) 7/8 ans (996/997-v. 1004) 27 ans (1004-1031) 10 ans (1034-1044) 9 ans (1051-1060)
7, dont Henri I 1 4, dont Philippe I
3 48
a n n e xe s
Rois Philippe I († 1108)
Reines et autres partenaires
1. Berthe de Hollande, m. 1072, s. 1092 2. Bertrade de Montfort († 1117), épouse de Foulque V d’Anjou, m. 1092 1. X Louis VI († 1137) 2. Lucienne de Rochefort, m. 1104, s. 1107 3. Adélaïde de Savoie († 1154), m. 1115 Remariée à Mathieu de Montmorency 1. Aliénor d’Aquitaine Louis VII († 1180) († 1204), m. 1137, s. 1152, remariée à Henri II Plantagenêt 2. Constance de Castille († 1160), m. 1154 3. Adèle de Champagne († 1206), m. 1160 Philippe Auguste 1. Isabelle / Elisabeth de († 1223) Hainaut († 1190), m. 1180 2. Ingeburge de Danemarck, m. & s. 1193 3. Agnès de Méran († 1201), m. 1196 4. X
Durée de l’union
Enfants
20 ans (1072-1092) 16 ans (1092-1108)
3, dont Louis VI
3 ans (1104-1107)
4 1
22 ans (1115-1137)
9, dont Louis VII
15 ans (1137-1152)
2
6 ans (1154-1160)
2
20 ans (1160-1180) 10 ans (1180-1190) quelques mois
3, dont Philippe Auguste 3, dont Louis VIII
5 ans (1196-1201)
2 1
A nne xe 3 Tableau généalogique 3 : Couples princiers connus dans la famille comtale flamande3
3 Généalogie réalisée principalement à partir de F-L. Ganshof, La Flandre sous les premiers comtes, Bruxelles, 1943 ; L. Vanderkindere, La formation territoriale des principautés belges au Moyen Âge, 2 t., Bruxelles, 1902 ; Nicholas D., Medieval Flanders, New York, 1992 et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/MedLands/).
349
3 50
a n n e xe s Tableau généalogique 4 : Couples princiers connus dans la famille comtale de Blois / Champagne4
4 Généalogie réalisée principalement à partir de H. d’Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne depuis le vie jusqu’à la fin du xie siècle, Paris, 1859 ; M. Bur, La formation du comté de Champagne, v. 950 – v. 1150, Nancy, 1977 et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/MedLands/).
A nne xe 3 Tableau généalogique 5 : Couples princiers connus dans la famille ducale de Normandie5
5 Généalogie réalisée principalement à partir de F. Neveux, La Normandie des ducs aux rois, xe-xiie siècle, Rennes, 1998 ; P. Bauduin, La première Normandie (xe-xie siècles). Sur les frontières de la haute Normandie : identité et construction d’une principauté, Caen, 2004 et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/MedLands/).
35 1
3 52
a n n e xe s Tableau généalogique 6 : Couples princiers connus chez les comtes de Poitiers / ducs d’Aquitaine6
6 Généalogie réalisée principalement à partir de A. Richard, Histoire des comtes de Poitou, 778-1204, 2 t., Paris, 1903 et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/MedLands/).
A nne xe 3 Tableau généalogique 7 : Couples connus dans la famille comtale angevine7
7 Généalogie réalisée principalement à partir de L. Halphen, Le comte d’Anjou au xie siècle, Paris, 1906 ; O. Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage au xie siècle, Paris, 1972 et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/MedLands/).
35 3
3 54
a n n e xe s Tableau généalogique 8 : Couples connus dans la famille comtale hainuyère8
8 Généalogie réalisée principalement à partir de L. Vanderkindere, La formation territoriale des principautés belges au Moyen Âge, 2 t., Bruxelles, 1902 ; Gislebert de Mons, Chronique du Hainaut, éd. L. Vanderkindere, Bruxelles, 1904 ; éd. et trad. G. Ménilglaise, dans Mémoires de la société historique et littéraire de Tournai, no 14-15 (1874) et C. Cawley, Medieval Lands : A Prosopography of Medieval European Noble and Royal Families (http://fmg.ac/Projects/MedLands/).
Sources et bibliographie
Abréviations AA SS : Acta sanctorum. Adémar de Chabannes : Adémar de Chabannes, Chronique, éd. P. Bourgain, Turnhout, 1999 ; trad. Y. Chauvin, G. Pon, Turnhout, 2003. Annales de Saint-Bertin : Annales de Saint-Bertin, éd. F. Grat, J. Vielliard, S. Clémencet, Paris, 1854. Annales royales : Annales regni Francorum, éd. G. H. Pertz, F. Kurze, MGH SRG 6, Hanovre, 1895. Arbeo de Freising : Arbeo de Freising, Vita vel passio Haimhrammi episcopi et martyris Ratisbonensis (BHL 2539), éd. B. Krusch, MGH SRM 4, Hanovre, 1902, p. 472-526. Astronome : Astronome (L’), Vita Hludowici imperatoris, éd. E. Tremp, MGH SRG 64, 1995 ; trad. F. Guizot, Paris, 1824, p. 318-423, rééd. E. Roux, Clermont-Ferrand, 2015. Baudri de Bourgueil : Baudri de Bourgueil, Carmina, éd. et trad. J. Y. Tilliette, 2 t., Paris, 1998-2002. BHL : Bibliotheca hagiographica latina antiquae et mediae aetatis, 2 t., Bruxelles, 18981901. Charles le Chauve : Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. C. Tessier, 3 t., Paris, 1943-1955. Cluny I, II, III, IV, V, VI : Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, éd. A. Bernard, A. Bruel, 6 vol., Paris, 1876-1903, t. I, II, III, IV, V, VI. Chronique de Maillezais : Chronique de Maillezais, éd. et trad. G. Pons, Y. Chauvin, La fondation de l’abbaye de Maillezais. Récit du moine Pierre, La-Roche-sur-Yon, 2001. Conciles mérovingiens : Les canons des conciles mérovingiens, éd. et trad. J. Gaudemet, B. Basdevant, 2 vol., Paris, 1989. Cysoing : Cartulaire de l’abbaye de Cysoing et de ses dépendances, éd. I. de Coussemaker, Lille 1884. DLH : Grégoire de Tours, Dix livres d’histoires, éd. B. Krusch, MGH SRM 1.1, Hanovre, 1951 (trad. R. Latouche, Histoire des Francs, 2 t., Paris, réimpr. 1999). Duvivier : Actes et documents anciens intéressant la Belgique, nouvelle série, éd. C. Duvivier, Bruxelles, 1903. Ermold le Noir : Ermold le Noir, Poème sur Louis le Pieux et épîtres au roi Pépin, éd. et trad., E. Faral, Paris 1964.
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s o u rce s e t b i b l i o g r ap h i e
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2 Pour ne pas alourdir davantage la bibliographie, n’y ont pas été reprises les références, centrées sur des problématiques éloignées de la conjugalité, citées qu’une seule fois. Pour un même auteur, ses travaux ont été classés par ordre chronologique.
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Index rerum, locorum et nominum
La liste des conjoints et conjointes d’un individu, comme des œuvres d’un auteur, n’est pas exhaustive Les dates entre parenthèses pour les œuvres sont celles de leur rédaction Abbaye : voir communauté religieuse Abélard Pierre († 1142), chanoine, conjoint d’Héloïse 69-70, 167, 235, 245. Adélaïde d’Anjou († 1026), reine, puis comtesse, conjointe d’Etienne de Brioude, Raimond de Toulouse, Louis V, Guillaume d’Arles 114, 119-120, 126, 133, 176-177, 246, 347. Adélaïde d’Aquitaine († 1104), reine, conjointe d’Hugues Capet 120, 231, 263, 347. Adèle de Normandie († 1137), comtesse de Blois, conjointe d’Etienne-Henri 121, 141, 168, 172, 231, 350-351. Adémar de Chabannes († 1034), moine à Saint-Cybard d’Angoulême, auteur d’une Chronique (1024/1025-1029) 55, 232, 260. Adultère 28, 83-86, 90, 112, 116-117, 146, 156, 158, 165-166, 199, 239n, 295, 298, 307-308, 312, 317-318, 335, 341-342. Affection : voir amour Agnès (xie siècle), conjointe d’Hubert de Durtal et Renaud de Maulévrier 134, 191, 239, 278. Agnès de Bourgogne († v. 1068), conjointe de Guillaume V le Grand, duc d’Aquitaine et Geoffroi Martel, comte d’Anjou 108, 121, 131, 185, 207, 274, 352-353. Aldegonde († v. 684), aristocrate neustrienne 256. Alix de Namur, comtesse de Hainaut († 1169), conjointe de Baudouin IV 191, 208, 260, 354.
Aliénor († 1204), duchesse d’Aquitaine, reine de France, puis d’Angleterre, conjointe de Louis VII puis de Henri II Plantagenêt 31, 102, 120-121, 244, 265, 348, 353-354. Almodis de la Marche († 1071), comtesse, conjointe de Pons II de Toulouse et Raimond-Bérenger I de Barcelone 124, 197. Amantia (vie siècle), mère de saint Amand, conjointe de Sérénus 109-110. Amâtre (vie siècle) 152, 187. Ambroise († 397), Père de l’Église 78, 156. Altérité 34, 219-286. Amour, affection, attachement, tendresse 9-11, 15, 19, 32, 41, 56, 64, 85-87, 110-114, 118, 146-147, 152-155, 161, 176-177, 200, 213, 217, 220, 234, 238, 241-242, 246, 249, 251-252, 254-256, 266-269, 274, 278-281, 285-290, 313, 317, 321, 325, 327-328, 337, 341. Anjou, comté d’Anjou, Angers 86, 100, 115, 121, 125, 131, 171, 180n, 181n, 188, 189n, 191, 198, 207, 232, 263, 273, 278, 284, 314, 353. Voir aussi Agnès de Bourgogne, Bertrade de Montfort, Foulques Nerra, Geoffroi Martel, Grécie, Hildegarde, Saint-Aubin d’Angers. Annales de Saint-Bertin 39, 195, 202, 213, 230n, 297, 321. Annales royales 41, 112, 195, 201, 277. Anne de Kiev († av 1080), reine, conjointe d’Henri Ier, Raoul de Valois 264, 347. Ansoul († 1118), seigneur de Maule, conjoint d’Odeline de Mauvoisin 79, 151, 235, 260.
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in d e x r e r u m , lo co r u m e t n o m i n u m
Anthropologie, anthropologue 11, 24-25, 27, 34, 72, 75, 220, 233, 238, 287. Aquitaine, duc / duchesse / duché d’Aquitaine 35, 55, 104, 115, 121, 125, 131, 191, 198, 207, 228, 234, 352. Voir aussi Agnès, Emma, Guillaume IV, Pierre de Maillezais, Saint-Cyprien de Poitiers. Arbéo, évêque de Freising, auteur d’une Vie de saint Corbinien et d’une Vie de Saint Emmeran (années 760-770) 72, 89, 100, 164, 170-171, 174. Archéologie, sources archéologiques 45, 88, 162-163, 169-170, 172n, 255-259. Arégonde († v. 580), reine, conjointe de Clotaire Ier 80, 111, 262, 345. Aristocratie, élites aristocratiques laïques 15-17, 20-21, 29-30, 39, 46-59, 76, 79-87, 91, 103, 118-125, 131-133, 142, 149, 156, 160, 162, 165, 172, 177, 187, 190-194, 196, 198, 207, 213, 217, 221, 223-225, 227-228, 231-233, 241, 243, 249, 254, 259, 266, 269-270, 272, 275, 278, 283, 287-290, 295, 297, 325-326, 349-354. Voir aussi tous les individus, hommes et femmes, aristocrates, comtes / comtesses, ducs / duchesses. Arras, Artois 165, 196, 234, 328. Artisan, milieu artisan, artisanat urbain 73, 162, 170, 241, 287. Astronome (ixe siècle), biographe de Louis le Pieux 38, 59, 201, 250. Attachement : voir amour Aversion : voir haine Augustin († 430), père de l’Église 19, 67, 74, 78, 150-151, 153, 157-158, 160-161. Autorités ecclésiastiques, autorités religieuses : voir Église Autorités royales, civiles : voir royauté Auxerre 61, 63-64, 131, 153. Basine (ve siècle), reine, conjointe du roi Besin et du roi Childéric 124. Bathilde († v. 680), reine, conjointe de Clovis II 120, 190, 200, 223, 233, 262, 342. Baudouin II († 1098), comte de Hainaut, conjoint d’Ide de Louvain 121, 154, 354.
Baudouin II († 918), comte de Flandre, conjoint d’Elfstrude 120, 267-268, 349. Baudouin III († 1120), comte de Hainaut, conjoint de Yolende 40, 121, 130, 354. Baudouin IV († 1171), comte de Hainaut, conjoint d’Alix de Namur 260, 354. Baudouin V († 1195), comte de Hainaut, conjoint de Marguerite de Flandre 38, 41, 55, 82, 104, 121, 131, 133, 165, 179, 191, 196197, 199, 208-209, 216, 231, 275, 349, 354. Baudouin VI († 1205), comte de Hainaut et de Flandre, conjoint de Marie de Champagne 79, 82, 154, 354. Baudouin VI de Flandre / Ier de Hainaut († 1070), conjoint de Richilde 40, 120, 260-261, 349, 354. Baudri († 1130), abbé de Bourgueil, puis évêque de Dol 168, 171-172, 177. Bérétrude († v. 618/619), reine, conjointe de Clotaire II 240, 262-263, 265, 345. Berthe / Bertrade († 783), reine, conjointe de Pépin III 105-106, 109, 120, 184, 201202, 260, 262-263, 273, 346. Berthe de Bourgogne († v. 1024), comtesse de Blois puis reine, conjointe d’Eudes Ier de Blois et Robert II le Pieux 39, 100, 108, 120-121, 347, 350. Bertrade de Montfort († 1117), comtesse d’Anjou, puis reine, conjointe de Foulque V d’Anjou et Philippe Ier 39, 86, 120-121, 124, 216, 240, 263, 336, 348, 353. Bible, biblique 78, 150, 155, 161 204-205, 226, 228, 234, 236. Voir aussi Paul (saint). Biographie voir Astronome, Eginhard, Guibert de Nogent, Suger, Thégan. Bourgogne 35, 191, 195, 228, 254. Voir aussi Cluny. Brunehaut († 613), reine, conjointe du roi Sigebert 113, 120, 176, 195, 200, 240, 262, 345. Capitulaire 16, 51-52, 65, 72, 77, 84-85, 99n, 101, 117, 145, 148, 157, 160, 178, 222, 225-226, 234, 237, 297, 306-313. Canon : voir concile
i n d e x r e r u m, lo co ru m e t no mi nu m
Capétiens 27, 104, 120, 123, 125, 347348. Voir aussi Adélaïde d’Aquitaine, Aliénor d’Aquitaine, Anne de Kiev, Berthe de Bourgogne, Bertrade de Montfort, Constance, Henri I er, Hugues Capet, Louis VII, Philippe Ier, Philippe Auguste, Robert II le Pieux, RozalaSuzanne. Carolingienne (époque), VIIIe -IXe siècles 19-21, 24-25, 27, 30-31, 42, 49, 65-66, 77, 81-82, 88, 91, 94-98, 118, 126-127, 136-139, 142-143, 147, 149, 152-153, 156-157, 159-161, 175-176, 187, 189-190, 194, 201, 204-207, 215, 217, 230, 233-234, 238, 270n, 273, 282, 286, 289, 297. Carolingiens 52, 120, 123, 125, 138, 249, 263, 346-347. Voir aussi Berthe, Charlemagne, Charles II le Chauve, Charles III le Simple, Emma d’Italie, Ermentrude, Fastrade, Fréronne, Gerberge, Hildegarde, Liutgarde, Lothaire II, Lothaire IV, Louis IV, Pépin III, Richilde, Theutberge, Waldrade Catalogne, comte / comté de Barcelone 124n, 139, 197, 211. Célibat, continence des clercs 18, 59, 62-71, 91, 97-98, 147, 149, 242, 287, 289-290, 336. Chambre conjugale 60-63, 85, 147, 167171, 187. Champagne, comte / comtesse / comté de Blois-Champagne 121, 125, 198, 228, 350. Charibert († 567), roi mérovingien, conjoint de Théodechilde 80, 111, 129n, 279, 345. Charlemagne († 814), roi puis empereur carolingien, conjoint d’Himiltrude, Hildegarde, Liutgarde, Fastrade 41, 49-51, 53, 85, 101, 105-106, 108, 112, 119-120, 126, 129, 145, 160, 195, 201, 221, 230, 244, 260, 263-264, 273, 309, 346. Charles II le Chauve († 877), roi puis empereur carolingien, conjoint d’Ermentude et Richilde 39, 52, 84, 120, 138-139, 190, 192, 195-196, 202, 205-206, 214, 230, 234, 250-251, 263-264, 275, 277, 284, 297, 312, 323-324, 322, 346.
Charles III le Simple († 929), roi carolingien, conjoint de Fréronne, d’Ogive 120, 263264, 347. Charles Martel († 741), maire du palais, conjoint de Rotrude, de Swanahilde 230. Charte, notice, diplôme, testament, convention féodale, cartulaire, sources diplomatiques 15-16, 21, 29, 33, 42-43, 54, 70-72, 77, 82, 88, 111, 115, 128, 131, 133142, 163, 169, 178-187, 189-194, 197-198, 207-208, 225, 228, 230-231, 237, 248-252, 256, 260, 268-275, 278, 283-284, 297, 304305, 323-326, 330-333. Voir aussi Liber feudorum maior. Chartres 35. Voir aussi Foucher et Yves de Chartres, Saint-Père de Chartres. Chaste, chasteté des laïcs 19, 95, 112, 127, 147, 150-151, 153-154, 161, 171, 174, 187, 225, 254-255, 276, 311, 316-318, 339. Childebert Ier († 558), roi mérovingien, conjoint d’Ultrogothe 188, 253, 262, 265, 279, 345. Childebert II († 596), roi mérovingien, conjoint de Faileuba 250, 345. Chilpéric († 584), roi mérovingien, conjoint de Frédégonde, Galswinthe 80, 83, 109, 111-112, 120, 129n, 175-176, 199-200, 216, 223, 245, 262, 264-265, 345. Chrétien de Troyes, auteur d’Érec et Énide (v. 1170) 56, 155, 169, 174, 196n, 238, 241n. Chronique 19, 39-41, 82, 117, 207. Voir aussi Adémar de Chabanne, Frédégaire, Gislebert de Mons Clémence de Bourgogne († v. 1133), comtesse, conjointe de Robert II de Flandre 120, 231, 349. Clerc, ecclésiastique : voir Église Clerc marié, concubinaire, couple de clerc 13, 15, 18, 22, 47, 59-72, 90-91, 97-98, 147148, 153, 168, 179, 191, 216, 225, 287, 290, 300-301, 310, 336-337, 341. Clotaire Ier († 561), roi mérovingien, conjoint d’Ingonde, Arégonde,
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Radegonde, Waldrade 80, 100, 111, 114, 120, 129n, 168, 216, 253, 262, 279, 345. Clotaire II († 629), roi mérovingien, conjoint de Bérétrude, Sigihilde / Sichilde 105, 195n, 262-265, 345. Clotilde († 544-548), reine, conjointe de Clovis 47, 95, 120, 156, 174, 205-207, 227, 233, 253-254, 262-263, 345. Clovis († 511), roi mérovingien, conjoint de Clotilde 47, 120, 156, 174, 205-207, 233, 253-254, 262-263, 345. Clovis II († 657), roi mérovingien, conjoint de Bathilde 48, 120, 190, 200, 223, 250, 256, 262, 345. Cluny 15, 17, 42, 71, 128, 133, 139-140, 178, 180-182, 185, 190-192, 252, 268, 271-273, 277, 284n, 285, 297, 325-326, 330-331. Cohabitation 11, 15, 34, 45, 59-64, 66, 73, 89, 93, 101, 112, 116, 146-149, 162-165, 167, 214-215, 217, 221, 224, 287, 292, 300-301, 309-310, 314-315, 337, 340. Voir aussi communauté conjugale, maison. Collibert : voir paysan Communauté conjugale 9, 11, 14, 19-21, 26, 32, 145-220, 234, 247, 288-289, 313, 328, 341, 343. Communauté religieuse, abbaye, monastère, basilique 21, 30, 51, 54, 56, 65, 70, 102, 112, 116, 133-142, 167, 179, 181-182, 187-190, 200, 208-209, 211, 225, 227-228, 234-235, 247, 251-254, 256, 260-269, 272-275, 279, 282-285, 289, 297, 304-305, 307, 321, 323. Voir aussi Cluny, Cysoing, Fontevraud, Gellone, La Grasse, Lézat, Maillezais, Marchiennes, Marmoutier, Notre-Dame de Saintes, Redon, Saint-Aubin d’Angers, Saint-Bertin, Saint-Cyprien de Poitiers, Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Martin de Tours, Saint-Père de Chartres, Saint-Pierre-au-Mont-Blandin de Gand, Saint-Remi de Reims, Saint-Victor de Marseille, Saints-Apôtres, Vicoigne. Compétition, compétitif 33, 81-82, 85, 105, 115, 123, 165, 187, 199, 202, 215, 222, 237, 240, 244, 287, 290.
Complémentarité, partage des tâches 9-10, 29, 127, 220-232, 247, 264, 268, 285, 288-289. Concile, synode, canon conciliaire, législation canonique 13, 15-16, 18, 38, 47, 59-67, 72, 77-78, 81, 84, 99n, 101-102, 117, 145, 147, 168, 188, 202, 214, 225, 237, 297, 300-302, 312, 321, 334, 336-337. Concorde, entente, harmonie, paix 20, 116, 157, 174, 234-235, 242, 255, 285-286, 289, 313, 328. Concubine, concubinage, concubinat 11, 14, 16, 20, 46-75, 77-82, 129, 157, 162, 164165, 175-176, 244, 249, 287, 289, 293, 300, 302-303, 311-312, 321, 334, 341. Conflit, mésentente, discorde, dispute 32, 86, 111, 114-117, 142, 230, 289. Consanguinité, consanguin : voir Inceste Conseil, suggestion 30, 175-176, 190, 223, 234-235, 248. Constance de Provence († 1032), reine, conjointe de Robert II le Pieux 120, 239n, 240, 260, 263, 348. Conversation, discussion 146-147, 173-177, 186, 215, 235, 310. Coopétition 203, 224. Copulation : voir sexualité Correspondance, lettre, sources épistolaires 13, 16, 21, 50, 58, 65, 69-70, 73, 102, 112, 119, 148, 151, 154, 157, 165, 177, 196, 214, 244, 274, 278, 283, 297, 319-322, 334-339. Voir aussi Eginhard, Gerbert d’Aurillac, Loup de Ferrières, Yves de Chartres. Couple conjugal (définition) 11, 45-46. Couple fusionnel 221, 232, 266, 286. Couple illégitime, informel 12, 16, 22, 28, 33, 46, 71, 82, 91, 126, 131, 141-142, 155, 158, 177, 214-216, 242, 245, 249-250, 272, 274, 276, 280, 286-293. Couple marital, marié, légitime 11-12, 16, 18, 21-22, 33, 40-41, 45-75, 77-79, 82, 91, 94, 131, 135, 139, 141, 146, 155, 157-158, 161, 167, 175, 177-178, 186-187, 213-216, 220-221, 225, 243, 245, 249-50, 269, 272, 274-277, 285-293.
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Couple imbriqué (ou fissionnel) 221, 227, 286. Couple juxtaposé 221-222, 266. Couple parental 11, 107-108, 128-133, 137, 139-141, 159, 187-188, 248, 270, 272. Couronnement : voir rites inauguraux Croisade, croisé 84, 165, 208, 212, 231, 335. Cycle de la vie 29, 50, 91, 93, 219, 241, 243, 287. Cysoing (abbaye) 139, 266-267. Dagobert († 639), roi mérovingien, conjoint de Gomatrude, Nanthilde, Ragnetrude, Vulfegonde, Berechilde 48, 80, 104-106, 108, 120, 122, 126, 133, 154, 164, 195n, 216, 223, 250, 256, 262, 264, 327, 345. Décret de Gratien (v. 1140) 49n, 67, 74, 78, 146, 148-149, 151, 154, 158, 297, 340-343. Déoteria (vie siècle), conjointe d’un homme de Bézier, du roi Théodebert 111, 345. Déplacement : voir voyage Deurhoiarn († 876), aristocrate breton, conjoint de Roiantken 268. Discorde, dispute : voir conflit Discussion : voir conversation Divorce : voir séparation Dhuoda (ixe siècle), conjointe de Bernard de Septimanie, auteure d’un Manuel pour mon fils (v. 841-843) 137-138, 167, 237, 245. Domnole (vie siècle), conjointe de Burgolène et de Nectaire 124. Donation entre époux 179-185. Donation pro anima : voir mémoire Donation pro sepultura 266-268. Dot, dotation, douaire 16, 25, 52, 73, 133-135, 178, 180, 183-184, 241, 247-249, 271, 327, 341. Voir aussi Libellum dotis. Drogon, moine de Saint-Winock, auteur d’une Vie de sainte Godelive (fin XIe siècle) 116. Droit canonique : voir concile, décrétale, Décret de Gratien Durée de la vie conjugale 118-124, 129-130, 135, 142, 145, 215, 240, 246, 264, 278, 285-288.
Eginhard († 840), biographe de Charlemagne, hagiographe, conjoint d’Emma 49-50, 53, 73, 96, 105, 112, 129, 176, 224-225, 260, 277, 283, 297, 319-320. Église, autorités ecclésiastiques, autorités religieuses, clercs, ecclésiastiques 18-20, 22, 24, 26, 47, 54, 57-66, 77-82, 94-101, 119, 126, 135, 141, 146, 149, 151, 155-156, 161, 175-176, 207, 215-216, 224, 227, 234, 253, 261, 281-282, 287, 289-290, 321, 339, 343. Voir aussi concile, Décret de Gratien, Hincmar, Yves de Chartres. Eleanore de Vermandois († 1213), comtesse, conjointe de Godefroi de Hainaut, Guillaume de Nevers, Mathieu d’Alsace et Mathieu de Beaumont 124, 126. Elfstrude († 929), comtesse, conjointe de Baudouin II de Flandre 120, 267-268, 349. Elisabeth / Isabelle de Hainaut († 1190), reine, conjointe de Philippe Auguste 104-105, 120, 133, 196, 263, 348. Elisabeth de Vendôme († 1000), comtesse d’Anjou, conjointe de Foulques Nerra 117, 353. Éloi († 660), évêque de Noyon 130. Emma († 934), reine, conjointe de Raoul 228, 232n, 347. Emma d’Italie († ap. 998), reine, conjointe de Lothaire IV 120, 131, 196, 232n, 278, 347. Emma de Blois († ap. 1004), duchesse d’Aquitaine, conjointe de Guillaume IV 85, 115-116, 121, 167, 198, 228, 235, 240, 249, 352. Enfants, progéniture, descendance, héritier 10-11, 15, 18, 21, 26, 29, 42-43, 47-55, 61, 64, 68, 70-71, 82, 97, 99, 107-110, 118, 126-135, 139, 141-142, 148, 150-152, 158-161, 163, 179, 187-188, 192, 200, 205, 215, 217, 219, 225226, 248, 263-264, 269-276, 286, 288, 298, 300-301, 303, 309-311, 314-318, 324-325, 327-328, 330-333, 336, 338-339, 341-342. Épitaphe 112, 119, 244, 267, 279. Ercamberta (viie siècle), aristocrate neustrienne, conjointe de Vuaderemus 256, 273, 297, 304-305
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Ermengarde († 818), impératrice, conjointe de Louis le Pieux 38, 120, 146, 201, 263, 275, 346. Ermentrude (vie siècle), aristocrate neustrienne 42. Ermentrude († 869), reine, conjointe de Charles le Chauve 39, 120, 138-139, 154155, 157, 195-196, 202, 214, 263, 277, 284, 312, 323, 346. Ermold le Noir († ap. 838), clerc, auteur d’un poème en l’honneur de Louis le Pieux (v. 827) 113, 119, 163, 171n, 174, 201, 203-204. Etienne-Henri († 1102), comte de Blois, conjoint d’Adèle de Normandie 121, 141, 168, 198, 208, 231, 350-351. Eudes I († 996), comte de Blois, conjoint de Berthe de Bourgogne 39, 121, 350. Eudes II († 1037), comte de Blois, conjoint de Mathilde de Normandie, Ermengarde d’Auvergne 121, 198, 350. Eulalius (vie siècle), conjoint de Tétradie 39-40, 114, 163, 243, 297, 302-303. Eulalius (xie siècle), prêtre, conjoint d’Adalgardis 179. Eustachie (xie siècle), seigneure d’Alluyes, conjointe de Guillaume de Gouet 208, 231. Evrard de Frioul : voir Gisèle. Evrard (xiie siècle ?), chevalier, conjoint de (?) et de la mère de Conon, Jean et Raoul 124, 131. Exogamie, endogamie 25, 73, 94, 98. Voir aussi inceste. Fastrade († 794), reine, conjointe de Charlemagne 112-113, 120, 230, 244, 263, 346. Félix Aureolus (vie siècle), comte du Périgord, père de saint Cybard, conjoint de Principia 260. Festivité 174, 187, 203, 208. Fidélité conjugale 84, 86, 95, 146, 155-158, 212, 254, 277-278, 281, 316-317, 319, 341. Fin du Moyen Âge, Bas Moyen Âge 23, 28, 32, 71, 73, 87, 115n, 117, 165n, 166, 170, 241, 261n, 290.
Flandre, comte / comtesse / comté de Flandre 34, 39, 116, 120, 125, 196-197, 261, 266, 349. Voir aussi Baudouin II, Baudouin VI, Clémence de Bourgogne, Elfstrude, Marguerite, Mathilde, Philippe d’Alsace, Richilde, Robert II, RozalaSuzanne, Saint-Pierre- au-Mont-Blandin, Flodoard († 966), chanoine d l’église cathédrale de Reims, auteur d’Annales 41, 166, 230n, 232, 240n, 279n. Folcuin († 990), moine à Sithiu/SaintBertin, puis abbé de Lobbes, auteur des Gestes des abbés de Sithiu (961/962) 267. Fontevraud 71, 97, 265-266. Formule, formulaire, modèle d’acte 42, 52, 133, 166, 170-171, 178-183, 188, 247-249, 270, 273-274, 283-284. Fortunat Venance († 609), poète et hagiographe 47-48, 80, 113-114, 119, 148, 152, 168, 171, 175-176, 188, 195, 199-200, 215, 223, 225, 245, 267, 279. Foucher de Chartres († v. 1127), clerc, auteur d’une Histoire de la première Croisade (v. 1105-1124) 208-209. Foulques Nerra († 1040), comte d’Anjou, conjoint d’Elisabeth de Vendôme et Hildegarde 171, 121, 232. Frédégaire, auteur d’une Chronique (v. 660) 48-49, 80, 105, 164, 195n, 216, 240n, 250, 277. Continuations (mi VIIIe siècle) 40, 81, 201-202. Frédégonde († 597), reine, conjointe de Chilpéric 83, 109, 111-112, 120, 175-176, 199200, 216, 223, 239, 245, 262, 264-265, 345. Fréronne († 917), reine, conjointe de Charles III le Simple 120, 263-264, 347. Fulbert († 956), évêque de Cambrai 100. Gall († 646), moine compagnon de Colomban 130, 162. Gand 196. Voir aussi Saint-Pierre-au-MontBandin. Gellone (abbaye) 136. Genre, genré, identité sexuée, féminin / masculin 14, 28-31, 34, 40, 75, 79-87, 89,
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108, 123, 126, 150-151, 154-156, 165, 175, 178, 183, 203, 218-244, 280, 282, 289, 320. Geoffroi III († 1145), comte de Vendôme, conjoint de Mathilde de Châteaudun 102, 335. Geoffroi Martel († 1060), comte d’Anjou, conjoint d’Agnès de Bourgogne, Grécie, Adèle, Adélaïde la Teutonne 108, 121-122, 126, 131, 134, 185, 207, 274, 284, 353. Géraud d’Aurillac († 909) 88, 151, 175, 236. Gerberge († 969), duchesse puis reine, conjointe du duc Gislebert de Lotharingie, du roi Louis IV d’Outremer 120, 166, 192, 198, 230-232, 240, 260, 263, 278, 347. Gerbert († 1003), moine d’Aurillac, écolâtre à Reims, pape 196, 232, 237, 278. Germanie, Francie orientale, royaume / roi ottonien, Empire 54, 96, 99, 101, 166, 209, 212, 231, 248, 266. Voir aussi Hainaut. Gertrude († 659), abbesse de Nivelles 133. Gesta episcoporum de Cambrai (vers 1024) 100. Geste 108, 131, 186-190, 192, 194, 198-199, 204, 211, 213, 217-218, 220-221, 238, 248, 274, 280-281, 285, 288. Gisèle († ap. 874), princesse carolingienne, conjointe d’Evrard de Frioul 139, 184, 266-267, 270-271, 273. Gislebert de Mons († v. 1224), chanoine au service du comte Baudouin V de Hainaut, auteur d’une Chronique du Hainaut (1196) 38-41, 55, 79, 82, 104, 123-124, 126, 129-131, 133, 154, 164, 166, 196, 208-209, 216, 244, 260-261, 275, 278. Goda (ixe siècle), aristocrate, conjointe de Godemar de Melle 112, 245. Godelive († 1045), conjointe de Bertholf 116, 245. Gontran († 592), roi mérovingien, conjoint de Vénérande, Marcatrude, Austregilde 47, 129n, 277, 302, 345. Gratien : voir décret de Gratien Grécie († ap. 1052), seigneure puis comtesse, conjointe de Bellay de Montreuil
(seigneur angevin), de Geoffroi Martel (comte d’Anjou) 284, 353. Grégoire le Grand († 604), pape, père de l’Église 150-151. Grégoire († v. 594), évêque de Tours, historien et hagiographe38-41, 47, 62-63, 80, 83, 88-90, 95, 100, 103, 111, 114, 116, 124, 129-130, 152-153, 162-166, 168, 171, 175, 188, 199-200, 216, 233, 236, 240, 250, 253-255, 277, 281, 297, 302. Groupe, réseau 24-25, 30, 37, 40, 101, 103-107, 115-116, 123, 132-142, 188, 192, 198, 200, 203, 213-214, 216, 220, 224, 228, 238-239, 241, 243, 247-249, 279, 288-289. Guibert († v. 1125), abbé de Nogent-sousCoucy, auteur d’une autobiographie 69, 106, 109, 237, 281. Guillaume de Gellone († 812/815), conjoint de Cunégonde et Guitburge (/Guibourg /Witburge) 136-138. Guillaume le Pieux († 918), duc d’Aquitaine, conjoint d’Ingelberge 133. Guillaume IV († 996), duc d’Aquitaine, conjoint d’Emma 85, 115-116, 121, 167, 179, 198, 228, 235, 245, 249, 352. Guillaume († 1087), duc de Normandie puis roi d’Angleterre, conjoint de Mathilde de Flandre 54, 102, 121, 141, 168, 231, 280, 349, 351. Guillaume Gouet (xie siècle), conjoint d’Eustachie 208, 231. Gunnor († 1031), duchesse de Normandie, conjointe de Richard Ier 54n, 58, 280, 351. Hagiographie, hagiographe, vie de saint.e, vita 17-19, 32, 38, 48-49, 62-63, 70-72, 7677, 88, 90, 95-96, 109, 112, 116, 130, 132-133, 148, 151-154, 156, 158-162, 172, 174-175, 190, 206-207, 216, 227, 233-234, 236, 244-245, 254-256, 297, 327-329, 338-339. Voir aussi Drogon de Saint-Winock, Eginhard, Grégoire de Tours, Hucbald de SaintAmand, Odon de Cluny. Hainaut, comte / comtesse /comté de Hainaut 34, 55, 100, 121, 125-126, 191, 208,
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231, 244, 261, 273, 354. Voir aussi Alix de Namur, Baudouin I, Baudouin II, Baudouin III, Baudouin IV, Baudouin V, Baudouin VI, Ide de Louvain, Marie de Champagne, Marguerite de Flandre, Richilde, Yolende de Gueldre, Haine, aversion pour le conjoint 83, 116-117, 213, 252, 266, 321. Halitgaire († 830), évêque de Cambrai 78. Harmonie : voir concorde Harold († 852), roi danois 203-204. Hasnon (abbaye) 260-261. Héloïse († 1164), abbesse du Paraclet, conjointe d’Abélard 69-70, 167, 245. Henri Ier († 1060), roi captien, conjoint de Mathilde, Anne de Kiev 120, 263-264, 347. Henri II Plantagenêt († 1189), comte d’Anjou, puis roi d’Angleterre, conjoint d’Aliénor 56n, 121, 265, 348, 353. Hérard († 871), archevêque de Tours 154 Héribert († 997), évêque d’Auxerre 131. Héritage : voir patrimoine Hiérarchie entre les sexes, rapports inégaux, domination masculine 29-30, 37, 116, 218, 220, 233-242, 255, 286-289, 309, 328, 339, 342. Hildegarde († 783), reine, conjointe de Charlemagne 50-51, 106, 119-120, 195, 263, 346. Hildegarde († 1046), comtesse d’Anjou, conjointe de Foulques Nerra 121, 232, 353. Hincmar († 882), archevêque de Reims, auteur des Annales de Saint-Bertin (861862), du De ordine palatii (v. 882), d’une Vie de saint Remi (seconde moitié du ixe siècle) 52, 65, 96, 146, 148-149, 151, 154-156, 176, 195, 202, 205, 214-215, 221, 279n, 321n. Histoire : voir Grégoire de Tours, Liber Historia Francorum, Ordéric Vital, Raoul Glaber. Hommage : voir vassalité Hucbald, moine de Saint-Amand, auteur d’une Vie de Sainte Rictrude (907) 103, 108, 151, 154, 157, 161, 165, 234, 297, 327.
Hugues Capet († 956), duc, puis roi capétien, conjoint d’Adélaïde d’Aquitaine 120, 196, 231, 237, 263, 347. Hugues le Grand († 956), conjoint de [ Judith ?] du Maine, Edith de Wessex, Hadwige de Saxe, Raingarde 131, 230-231. Hugues (xe siècle), conjoint d’Arimburge et de Leceline 139-140. Hugues Ier, comte de Vaudémont, conjoint d’Adeline 211-213. Iconographie 33, 115n, 162, 172, 204-213, 218, 226-227, 236-237, 289. Ide de Boulogne († 1113), comtesse, conjointe d’Eustache de Boulogne 77, 95, 131, 151, 156, 161, 338-339. Ide de Louvain († 1139), comtesse, conjointe Baudouin II de Hainaut 121, 154, 354. Identité du couple 14, 129-142, 145-219. Illégitimité : voir couple illégitime, enfant. Inceste, incestueux, interdit de parenté, consanguinité, consanguin 13, 16, 18, 6061, 63, 68, 80-81, 98-103, 118, 142, 147, 277, 298, 301, 306-308, 310, 312, 318, 335, 343. Indissolubilité 25, 28, 51, 73, 81, 94-97, 99, 116, 118-119, 123, 127, 142, 155, 157, 217. Ingelberge († 919), duchesse, conjointe de Guillaume le Pieux 133. Ingonde (vie siècle), reine, conjointe de Clotaire Ier 80, 111, 345. Intimité 34, 64, 147, 167-174, 232, 241, 246, 286, 289. Irmengarde (xie siècle), conjointe de Werner 209-211. Isidore de Séville († 636), Père de l’Église 49, 73, 78. Itinérance : voir voyage Itte († 652), conjointe de Pépin Ier 133. Jérôme († 420), Père de l’Église 78, 150, 153. Jonas, moine de Bobbio, auteur de la Vie de saint Colomban et de ses disciples (vers 641-642) 48-49, 76, 96, 152, 164. Jonas († v. 843), évêque d’Orléans, auteur du De Institutione laicali (années 820) 12,
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52-53, 77-78, 84, 95, 150, 153-157, 160-161, 244, 297, 316. Judith († 843), impératrice, conjointe de Louis le Pieux 84, 120, 138-139, 202-204, 239n, 250, 263, 274, 323, 346. La Grasse (abbaye) 139. Lambert d’Ardres († v. 1206), prêtre, auteur d’une Chronique des comtes de Guînes et seigneur d’Ardres (1194-1206) 71, 82, 163, 168. Laudatio parentum 191-192, 289. législateur, législation : voir canon, concile, décrétale, Décret de Gratien, loi salique, capitulaire. légitimité, légitime : voir couple marital. Lettre : voir correspondance Lézat (abbaye) 70-71, 182, 252, 268, 271, 274, 278. Libellum dotis, modèle d’acte de dotation 133, 171, 249. Libellum repudii 114. Liber historiae Francorum (727) 40, 80, 174, 176, 233. Liber / Libri memoriales 136. Liber feudorum maior (fin xiie siècle) 211 Lit conjugal 57, 60-63, 95, 104, 145-148, 151, 153, 171-176, 277, 301, 316-317, 321, 328, 334. Littérature courtoise : voir Chrétien de Troyes, Marie de France, Raoul de Cambrai Liutgarde († 840), reine, conjointe de Charlemagne 50, 120, 346. Loi salique, Pactus legis salicae 17-18, 88, 99n, 147, 152, 159, 180, 269, 297-299. Lothaire II († 869), roi de Lotharingie, conjoint de Theutberge, Waldrade 27, 51-52, 96-97, 109, 176, 214-216, 244, 249, 297, 321-322. Lothaire IV († 986), roi carolingien de Francie Occidentale, conjoint d’Emma d’Italie 54, 120, 131, 196, 232n, 260, 346. Louis le Pieux († 840), empereur carolingien, conjoint d’Ermengarde, Judith 38, 51, 53,
65, 77, 84, 101, 120, 138-139, 174, 195, 201-202, 239, 250, 263, 274, 310, 323, 346. Louis IV d’Outre-mer († 954), roi carolingien, conjoint de Gerberge 120, 190, 192, 198, 230-232, 260, 263, 278, 347. Louis V († 987), roi carolingien, conjoint d’Adélaïde d’Anjou 114, 119-120, 133, 176177, 246, 347. Louis VII († 1180), roi capétien, conjoint d’Aliénor, Constance de Castille, Adèle de Champagne 102, 244-245, 263, 348. Loup († 862), moine puis abbé de Ferrières 112, 139, 176, 202, 224, 274, 277, 283-284, 297, 319-320. Lyon 188, 303. Mahilde d’Alluyes (xie siècle), conjointe des seigneurs Guillaume, Geoffroi 278, 284. Maillezais : voir Pierre de Maillezais. Maison 45, 60-63, 76, 88-89, 147-148, 152, 160-167, 217, 226, 298, 302-303, 309, 311312, 318-319, 328. Marchiennes (abbaye) 185, 327n. Marge de manœuvre 25, 48, 57, 107, 189, 219, 224, 239-240, 243, 288. Marguerite de Flandre († 1194), comtesse, conjointe de Baudouin V de Hainaut 55, 82, 121, 131, 133, 164, 166, 191, 196-197, 199, 208-209, 231, 239, 240, 275, 349, 354. Mariage, noces, lien matrimonial 9-11, 15-16, 18-20, 22, 25-29, 38-40, 45-46, 57, 59-77, 91, 93-94, 103, 106, 111, 116, 132-133, 135, 148-149, 155, 157-159, 161, 167, 171, 174, 176, 187, 196, 216, 234, 236, 242, 247-249, 271, 287, 289-290, 294, 298-301, 309-311, 316-317, 322, 327, 334-343. Marie de Champagne († 1204), comtesse, conjointe de Baudouin VI de Hainaut 79, 154, 354. Marie de France, auteure de Lais (v. 1160) 56-57, 85-86, 169, 177, 238. Marmoutier (abbaye) 113, 128, 198n, 199, 240n.
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Mathieu († 1173), comte de Boulogne, conjoint de Marie de Boulogne, Eléanore de Vermandois 124 Mathilde de Châteaudun (xiie siècle), comtesse, conjointe de Geoffroi III de Vendôme 102, 335. Mathilde de Flandre († 1083), duchesse de Normandie puis reine d’Angleterre, conjointe de Guillaume de Normandie 102, 121, 141, 231, 280, 349, 351. Mathilde du Portugal († 1218), conjointe de Philippe d’Alsace, d’Eudes de Bourgogne 120, 125, 209, 278, 349. Mémoire, memoria, souvenir 21, 30, 135-142, 193, 248, 250, 253-254, 261-262, 264, 267, 269, 272-275, 278-286, 288-289, 297, 305, 319, 323-324, 326, 330-331. Mère de Conon, Jean et Raoul (xie siècle), conjointe de Raoul de Nesle et du chevalier Evrard 124, 130. Mère de Guibert de Nogent (xie siècle) : voir Guibert de Nogent. Mérovingienne (époque), VIe – VIIe siècles 17-19, 32, 47-49, 59-65, 76-77, 80, 88, 99, 147-148, 152, 159, 161, 187-189, 195, 199-201, 216-217, 222, 249, 256-259, 297, 300-305. Mérovingiens 48-49, 80, 109, 111-112, 119, 122-123, 125, 129, 223, 264-265, 345. Mésentente : voir conflit Mise en scène du couple, affichage public 199-213, 217, 239, 262, 288-289. Modèle d’acte : voir formule Modèle de comportement 17-20, 22, 30, 52, 62-63, 72, 79, 95, 145, 147, 151, 154, 156, 159-160, 175, 215, 219, 227-228, 233-236, 243, 274, 281, 288-290. Voir aussi mise en scène. Monogamie, monogame 25, 28, 73, 75-79, 81-83, 88-91, 164-165, 174, 186, 217, 225, 245, 249, 287-289. Monastère : voir communauté religieuse Mons 141, 163-164, 168, 196, 260. Voir aussi Gislebert de Mons. Moralistes 17, 19-20, 26, 33, 77-78, 95, 145, 149-150, 155, 158, 160-161, 244, 274. Voir aussi Jonas d’Orléans.
Mort 94, 104-105, 111-112, 116, 119, 122-124, 127-129, 135-142, 153, 180, 183, 199-200, 209, 215, 220, 225, 237, 246-286, 288-289, 298, 300, 306, 308-310, 312, 319, 320, 324, 339, 343. Voir aussi sépulture, veuvage. Moyen Âge central, période postcarolingienne, xe – xiie siècles 14, 21-22, 25-27, 31-32, 54-58, 66-71, 74, 78-79, 82, 85-87, 91, 99, 102, 108-110, 119, 120-124, 139-141, 161, 189-190, 192, 194, 196, 198, 207-208, 215, 218, 227, 231-232, 241, 248, 251,262, 282, 290, 297. Murman († 818), roi des Bretons 163, 174. Nanthilde († v. 642), reine, conjointe de Dagobert 48, 106, 120, 164, 216, 250, 256, 262, 264, 345. Nizier († 573), évêque de Lyon 130. Norme, discours normatif, sources normatives 17-22, 25-28, 32-33, 37-38, 40, 45, 51, 54, 59, 68, 75-77, 79, 91, 94-99, 103, 108, 124, 147-161, 163, 169, 230, 237238, 252, 276, 287. Normandie, duc / duchesse / duché de Normandie 35, 54, 58, 68, 70, 86, 125, 215-216, 230-231, 278, 284, 351. Voir aussi Guillaume, Gunnor, Mathilde de Flandre, Richard Ier. Nostrité 145, 161, 186, 217. Notice : voir charte Notker le Bègue († 912), auteur d’une biographie de Charlemagne 108. Notre-Dame de Saintes (abbaye) 185, 255, 271, 274. Odon(† 942), abbé de Cluny, auteur d’une Vie de Géraud d’Aurillac (v. 930) 88, 151, 175, 236. Odeline de Mauvoisin (xiie siècle), conjointe d’Ansoul de Maule 235. Odulric (xie siècle), conjoint d’Odile 139140, 297, 330-331. Ordéric Vital, moine normand, auteur d’une Histoire ecclésiastique (1114-1141) 70, 79, 151, 235, 260.
i n d e x r e r u m, lo co ru m e t no mi nu m
Otbert (xie siècle), serf de Marmoutier, conjoint de Plectrude 128. Otton (xie siècle), conjoint de Girildis 139-140, 330-331. Pactus legis salicae : voir loi salique Pape, papauté, pontifical 13, 16, 50, 52, 58, 62, 66, 97, 99-102, 106, 148, 195, 201-202, 205, 214, 249, 310, 321-322, 334. Partage des tâches : voir complémentarité Patrimoine, richesse, trésor, héritage, biens 28, 30, 42-43, 51, 54, 72, 81, 111, 115, 131, 142, 159, 178-186, 189, 194, 217, 220, 222, 239, 241, 247-250, 269-276, 283-284, 286, 288, 302-305, 309-310, 316, 323-326, 328, 330-333. Paul (saint), Apôtre 78, 151, 153, 155, 234. Paul Diacre, lettré, auteur des Gestes des évèques de Metz (vers 783) 51, 119. Paysan, paysannerie, dépendant, mancipia, serf, serve, collibert, colon, alleutier 12, 42-45, 72-74, 88-90, 107, 113-114, 127-129, 131, 148, 162-163, 166, 170-171, 179, 185-186, 226-230, 236-237, 241, 287, 297, 314-315, 323, 325-326. Pépin Ier († 640), maire du palais, conjoint d’Itte 133. Pépin II († 714), maire du palais, conjoint de Plectrude et Alpaïs 40, 81, 216. Pépin III († 768), maire du palais, puis roi carolingien, conjoint de Berthe 65, 101, 109, 120, 145, 184, 201-202, 237, 260, 262-263, 273, 297, 306-308, 346. Philippe Ier († 1108), roi capétien, conjoint de Berthe de Hollande et Bertrade de Montfort 39, 86, 120, 216, 263, 336, 348. Philippe Auguste († 1223), roi capétien, conjoint d’Elisabeth / Isabelle de Hainaut, Ingeburge de Danemark, Agnès de Méran 104-105, 120, 133, 196, 263, 348. Philippe d’Alsace († 1191), comte de Flandre, conjoint d’Elisabeth / Isabelle de Vermandois, Mathilde du Portugal 104, 120, 124, 196, 209, 278, 349.
Pierre, moine de Maillezais, auteur d’un récit sur la fondation de son abbaye (v. 1070) 41, 85, 115-116, 228, 235, 240, 245n. Plectrude († ap. 717), conjointe de Pépin II 40, 81, 216. Poème, poèsie, poète 19, 55-56, 71, 80, 87, 109, 111-112, 119, 168, 171-172, 174, 176-177, 195, 199, 204, 223, 225, 244-245, 267, 279. Voir aussi Baudri de Bourgueil, Ermold le Noir, Fortunat. Polygamie, polygynie, polyandrie 20-21, 24, 72, 75-91, 126, 164-165, 172, 200-201, 213, 216-217, 223-225, 242, 244-246, 250, 264, 287, 289, 316, 322. Polyptyque 43-45, 72, 89, 127, 131, 166, 185, 226-227, 297, 314-315. Pouvoir royal : voir royauté Pouvoir civil : voir royauté, aristocratie Pouvoir, exercice du pouvoir 20, 30-32, 37, 51, 81, 119, 129, 139, 142, 176, 187-188, 194-196, 198-201, 204-205, 207, 211, 213, 217, 222-223, 228, 230, 238, 243, 249, 251, 253-254, 261-265, 274, 286, 289-290. Précaire 182-183, 251, 273. Prince, principauté : voir aristocratie. Principia (vie siècle), mère de saint Cybard, conjointe de Félix Aureolus 260. Protection, sécurité 14, 29, 37, 41, 113, 126, 166, 184, 198, 205, 209, 238, 247-252, 309, 313. Provence 35, 195. Psychologie, psychologue, psychanalyse, psychanalyste, psychiatrie, psychiatre 11, 13-14, 34, 81, 93, 107n, 145, 149, 162, 167, 186, 219-221, 230, 242, 287. Radegonde († 587), reine, conjointe de Clotaire Ier 47-48, 80, 114, 120, 148, 152, 168, 171-173, 175, 215, 345. Raoul († 936), roi robertien, conjoint d’Emma 41, 228, 232n, 347. Raoul de Cambrai, chanson de geste (v. 1200) 56, 113. Raoul Glaber, auteur d’Histoires (années 1030-1040) 54-55, 108, 171, 239-240, 260. Redon (abbaye) 268.
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Réformateurs, Réforme grégorienne 25, 66-70, 74, 78, 98, 290, 340n. Réginon, moine puis abbé de Prüm, puis abbé de Saint-Martin de Trêves, auteur d’une collection canonique (v. 906) 78. Reims 34, 54, 65, 109, 198, 205, 227, 232, 260, 263. Voir aussi Hincmar, Remi et Richer. Remariage 28, 39, 47, 94, 124-128, 134, 239, 263-264, 276, 278, 284, 298, 303, 306-308, 312, 315, 321, 329, 335, 342. Voir aussi Séparation, Veuvage. Remi († 533), évêque de Reims 96, 151, 156, 205. Répudiation : voir séparation Réseau : voir groupe Richard Ier († 996), duc de Normandie, conjoint d’Emma, Gunnor 54n, 58, 86, 280, 351. Richesse : voir patrimoine Richer († ap. 998), moine de Saint-Remi de Reims, auteur d’une Histoire 39, 41, 54, 114, 119, 131, 133, 163, 168, 176-177, 232, 246n, 260, 278. Richilde († 910), reine puis impératrice, conjointe de Charles le Chauve 39, 120, 138-139, 192, 202, 205-206, 214, 230, 234, 264, 275, 277, 284, 323-324, 346. Richilde († 1086), comtesse, conjointe de Herman de Hainaut, Baudouin VI de Flandre 40, 120-121, 260-261, 349, 354. Rictrude († 687), conjointe d’Adalbald 77, 95, 103, 108n, 131, 151, 154, 157, 161, 165, 234, 297, 327-329. Rites inauguraux, couronnement, sacre 201-202, 208, 216, 234, 312, 321, 334. Robert II le Pieux († 1031), roi capétien, conjoint de Rozala-Suzanne, Berthe, Constance 39, 100, 108, 120, 239, 260, 263. Robert II († 1111), comte de Flandre, conjoint de Clémence de Bourgogne 120, 231, 349. Robert d’Arbrissel, prêtre, fondateur de l’abbaye de Fontevraud 68n, 71. Roi, reine, échelon/milieu royal, élites royales, couple royal 15, 20, 29-30, 39,
47-53, 59, 80, 83-84, 86, 96-97, 100-101, 104-106, 119-120, 126, 132, 138, 165, 190, 192, 194-195, 198-207, 216-217, 221-224, 227, 230-234, 248, 250-254, 262-266, 275, 288-289, 295, 297, 312, 321-327, 336, 345-348. Roiantken, aristocrate bretonne († v. 878), conjointe de Deurhoiarn 268. Royauté, pouvoir royal, autorités civiles 19, 49, 77, 81, 94, 216, 289. Rozala-Suzanne († 1003), comtesse de Flandre puis reine, conjointe d’Arnoul II de Flandre, du roi Robert II le Pieux 39, 120, 347, 349. Sacre : voir rites inauguraux Sacrement 22, 25, 34, 146, 157-158, 236, 290, 336-337, 341. Saint-Aubin d’Angers (abbaye) 134, 179, 182, 191, 252. Saint-Bertin (abbaye) 183, 267. Saint-Cyprien de Poitiers (abbaye) 70, 179, 191, 194, 260, 271, 275, 297, 332-333. Saint-Denis (abbaye) 138, 256, 260, 262-263, 284, 297, 323-324. Saint-Germain-des-Prés (abbaye) 43-45, 127, 262, 264-265, 279, 297, 314-315. Saint-Martin de Tours (abbaye) 183, 226, 263. Saint-Père de Chartres (abbaye) 183, 185, 208, 231, 278, 284. Saint-Pierre-au-Mont-Blandin de Gand (abbaye) 266-267. Saint-Victor de Marseille (abbaye) 45, 128n, 198. Saints-Apôtres (abbaye parisienne) 253, 262. Salaberge († 670), conjointe de Richram, Blandin-Baso 38-39, 77, 109, 119, 130, 159-160, 190, 240. Sécurité : voir protection Sedulius Scottus, lettré irlandais, auteur du Liber rectoribus christianis (v. 869 ?) 207n, 234. Seigneur, seigneurial : voir Aristocratie Sentiment : voir amour, haine
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Séparation temporaire ou définitive du vivant des conjoints, répudiation, divorce, rupture 20, 25, 33, 39, 57, 67, 76, 94, 96-103, 105-106, 108-109, 114-116, 119, 122-124, 126-127, 129, 132, 142, 158, 177, 214-215, 235, 245, 249, 266, 294, 298, 301-302, 306-308, 311, 313, 316-318, 321-322, 327, 334-337, 341-343. Sépulture, tombe(au) 153, 216, 247, 252-269, 279-280, 286, 304, 323, 339. Sérénus (vie siècle), père de saint Amand, conjoint d’Amantia 109-110. Serf, serve : voir paysan Sexualité, relations sexuelles, sexe, copulation, union charnelle 11, 15-16, 18, 25, 60-63, 80-81, 83-84, 87, 104, 106107, 146-152, 155-156, 160-161, 168, 173-175, 177, 187, 214, 217, 292-293, 308-311, 316-318, 335-337, 339-340, 342. Sigebert († 575), roi mérovingien, conjoint de Brunehaut 41, 80, 113, 120, 176, 195, 200, 262, 345. Sociologie, sociologue 11, 34, 107n, 149, 162, 167, 173, 219, 230, 238, 241-242, 287. Solidarité, entraide conjugale, soutien réciproque 9-10, 113, 152-153, 155-157, 161, 197, 207, 211, 215, 217, 222-223, 234, 245, 274, 282, 285-289, 339. Sources administratives : voir polyptyque Sources archéologiques : voir archéologie Sources diplomatiques : voir charte Sources épistolaires : voir correspondance Sources iconographiques : voir iconographie Sources narratives : voir annales, biographie, chronique, histoire, hagiographie Statut conjugal : voir mariage, concubinage, couple informel / marié Stérilité 78, 101, 107-109, 118, 142, 159, 327 Stratégies familiales, matrimoniales, politiques 9, 18, 25, 27, 39-40, 50, 57, 64, 87, 98, 101-106, 111, 123, 127, 132, 161, 187-188, 192, 213, 215, 224, 253, 264, 266, 269-270, 276, 285, 287-288. Suger († 1154), abbé de Saint-Denis, biographe de Louis VI 13, 104, 240, 245n.
Sunifred († 848), comte de Barcelone, conjoint d’Ermesinde 139. Swanahilde († ap. 741), conjointe de Charles Martel 230. Tendresse : voir amour Terminologie de la conjugalité 12-17, 277279, 291-297. Tétradie (vie siècle), conjointe d’Eulalius, Didier 39-40, 114, 124, 163, 243, 297, 302-303. Thégan († v. 850), auteur des Gestes de l’empereur Louis [le Pieux] 201. Théodebert († 533), roi mérovingien, conjoint de Déoteria, Wisigarde 111, 129n, 345. Théodulfe († v. 820), évêque d’Orléans 150. Theutberge († av. 875), reine, conjointe de Lothaire II 52, 96-97, 109, 176, 214-215, 249, 297, 321-322. Thomase (xie siècle), conjointe de Albert de Saint-Jouin, Simon Maingot 194, 297, 332-333. Toulouse, Toulousain 124n, 188, 268, 302. Tours 179, 181n, 253. Voir aussi Grégoire de Tours, Saint-Martin de Tours. Trésor : voir patrimoine Ultrogothe († ap 561), reine, conjointe de Childebert Ier 189, 262, 265, 279, 345. Valenciennes 164, 208. Vassalité, relations vassaliques / féodovassaliques, hommage 85-86, 106, 156-157, 169, 192, 194, 196-199, 221-222, 236, 267, 306, 332-333. Veuvage, veuf, veuve 29, 38-39, 43, 76, 89, 100, 102, 122-129, 142, 207, 247-252, 264, 267-268, 276-285, 298, 300, 302-305, 310, 329, 339. Voir aussi mort. Vicoigne (abbaye) 191, 199, 274. Vie conjugale 19-21, 26, 32, 62, 65-67, 73, 99, 142, 145-147, 149, 157, 159, 166, 186, 200, 217, 225, 244-245, 248, 279, 285-288, 309.
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in d e x r e r u m , lo co r u m e t n o m i n u m
Vie de saint, vie de sainte, vita : voir hagiographie Vilihute (vie siècle) 119, 176. Violence conjugale : voir haine Visibilité du couple 21, 33, 42, 59, 139, 142143, 187, 189, 200-201, 205, 209, 216-217, 264, 284, 289. Vision, apparition 153, 281-282. Voyage, déplacement, itinérance 41, 85, 148, 194-196, 199, 231-232. Vuaderemus (viie siècle), aristocrate neustrien, conjoint de Ercamberta 256, 273, 297, 304-305 Waldrade († après 558), reine, conjointe des roi mérovingiens Théodebald et
Clotaire Ier, puis du duc bavarois Garibald 100, 345. Waldrade († ap. 868), conjointe de Lothaire II 51, 96-97, 109, 176, 214-215, 297, 321-322. Waudru († fin viie siècle), aristocrate neustrienne, conjointe de Madelgaire 256. Werner († 1040 ou 1053), conjoint d’Irmengarde 209-211. Yolende de Gueldre († 1127), comtesse de Hainaut, conjointe de Baudouin III 39, 121, 130. Yves († 1115), évêque de Chartres 13, 16, 58, 69-70, 74, 82, 84, 90, 102-103, 146, 151, 154-155, 157, 166, 297, 334-339.
Table des illustrations, tableaux, graphiques, plans et textes choisis
Illustrations
Illustration 1 Saint Amand et ses parents, Sérénus et Amantia, Troisième vie de saint Amand, Valenciennes - BM - ms. 0500 (v. 1175), fol. 53 Illustration 2 Radegonde quitte la nuit le lit conjugal pour prier (c. 5), Vie de sainte Radegonde, par Venance Fortunat († peu après 600), Médiathèque François Mitterrand (Poitiers), ms. 250 (136), xie siècle, fol. 24 (détail) Illustration 3 Charles le Chauve et Richilde, Bible de Saint-Paul-hors-les-Murs. Rome, Saint-Paul-hors-les-Murs, fol. 1ro (manuscrit du ixe siècle) Illustration 4 Le baptême de Clovis en présence de la reine Clotilde, Amiens, musée de Picardie (ivoire, vers 880) Illustration 5 Irmengarde et Werner donnant un évangéliaire, Lille, bibliothèque de l’université catholique, ms. 1, fol. 253v°(xie siècle) Illustration 6 Raimond-Béranger I et Almodis de la Marche / Guillem-Ramon et Adélaïde (Liber Feudorum maior, enluminure, xiie siècle) Illustration 7 Bernard-Atton IV Trencavel et Cécile de la Marche (Liber Feudorum maior, enluminure, xiie siècle) Illustration 8 Le retour du Croisé, Sculpture du cloître de Belval (Lorraine), 3e ¼ du xiie s., Palais des ducs de Lorraine, Musée lorrain, Nancy Illustration 9 Adam bêchant et Ève allaitant, Bible de Moûtier-Grandval, Londres, British Library, add. 10546, fol. 5vo Illustration 10 Adam cultivant et Ève filant, Bible de Manerius (dernier quart du xiie siècle), Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 8, fol. 7vo Illustration 11 Vue générale du site archéologique vers l’est. À l’arrière plan, les tombes surélevées 101 et 102 (photo de V. Gallien)
Tableaux
Tableau 1 Tableau 2 Tableau 3 Tableau 4 Tableau 5 Tableau 6 Tableau 7 Tableau 8 Tableau 9
110 173 206 207 210 211 211 212 227 229 259
Les couples de tenanciers dans le polyptyque de Saint-Germain-des-Près 44 Femmes et enfants de Charlemagne selon Eginhard 50 Clercs et vie conjugale : le témoignage des canons mérovingiens 60 Durée de la vie conjugale dans les élites royales et princières 120 Les causes de dissolution des couples dans les élites royales et princières123 Proportion de la pluralité du vécu conjugal au sein des élites 125 Couples et enfants : l’exemple du chevalier Evrard (xiie siècle) 130 Couple et mémoire : la charte de fondation de l’abbaye de Gellone (804) 136 Couple et mémoire : le manuel de Dhuoda (841-843) 138
406
table des illustrations, tableaux, graphiques, plans et textes choisis
Tableau 10 Tableau 11
Couple et memoria dans les chartes no 2010-2012 de Cluny (993-1048) 140 Sépultures réunies ou séparées des couples royaux 262
Textes choisis
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.
10. 11. 12. 13. 14. 15 16. 17. 18.
Le couple dans la loi salique le couple dans les canons des conciles mérovingiens Eulalius, Tétradie et Didier, d’après Grégoire de Tours (fin vie siècle) Charte de donation de Vuademerus et son épouse Ercamberta à plusieurs églises et abbayes du nord de la France (691) (extraits). Pépin III, Capitulaire de Compiègne (757) Le couple dans une sélection de capitulaires (ixe siècle) Le couple dans le polyptyque de Saint-Germain des Près (abbé Irminon, années 820) : aperçu Le couple dans le De institutione laicali de Jonas d’Orléans (années 820) : morceaux choisis Eginhard et sa femme Emma, d’après la correspondance de Loup et d’Eginhard (836) : extraits Lothaire II, Theutberge et Waldrade, d’après les Annales de Saint-Bertin : extraits La mémoire du couple royal dans le diplôme no 379 (875) de Charles le Chauve en faveur de Saint-Denis (extraits) Couples élitaires et paysans dans les chartes de Cluny : exemples (vers 900) Le couple dans la vie de sainte Rictrude (Hucbald de Saint-Amand, 907) Le couple dans la famille d’Odulric, d’après les chartes no 2010-2012 de Cluny (993-1048) Thomase, Albert et Simon Maingot dans les chartes de Saint-Cyprien de Poitiers (vers 1090) Le couple dans les lettres d’Yves de Chartres (au tournant des xie et xiie siècles) : extraits Le couple dans la Vie d’Ide de Boulogne (années 1130) Le couple dans le Décret de Gratien (xiie siècle) : extraits
Tableaux généalogiques
1 2 3 4 5 6 7 8
Couples connus de la dynastie mérovingienne Couples connus des souverains carolingiens et capétiens Couples princiers connus dans la famille comtale flamande Couples princiers connus dans la famille comtale de Blois / Champagne Couples princiers connus dans la famille ducale de Normandie Couples princiers connus chez les comtes de Poitiers / ducs d’Aquitaine Couples connus dans la famille comtale angevine Couples connus dans la famille comtale hainuyère
298 300 302 304 306 309 314 316 319 321 323 325 327 330 332 334 338 340 345 346 349 350 351 352 353 354
table des illustrations, tableaux, graphiques, plans et textes choisis
Graphiques
Graphique no 1 Couples et durée de la vie conjugale
Plans
Plan 1 Plan 2 Plan 3
Tombes du couple fondateur d’une église (no 212 et 213) dans le cimetière à rangées de Mazerny Tombes du couple fondateur (101 et 102) dans la nécropole familiale de Millau Réorganisation des sépultures royales mérovingiennes dans abbatiale de Saint-Germain-des-Prés (mi xiie siècle)
122
257 258 265
407
Table des Matières
Avant-propos
5
Remerciements
7
Introduction Une notion difficile à définir, une réalité difficile à saisir Qu’est-ce qu’un couple ? Comment repérer les couples ? Les pièges de la documentation Une approche historiographique récente par des angles de vue multiples Histoire de la famille et de la parenté Histoire du mariage Histoire des femmes et du genre Histoire du couple Pour une étude globale sur la longue durée
9 11 11 12 17 23 23 25 28 31 33
Chapitre 1 : La conjugalité, une norme diversement vécue 37 Être en couple : la norme ? 37 Untel épouse unetelle, unetelle épouse untel 38 Untel a pour épouse/femme, unetelle est l’épouse d’untel 40 Untel et/avec son épouse/sa femme, untelle et/avec son mari 41 Couple marital ou conjugal ? 45 Les élites laïques : couples légitimes et « illégitimes » 46 Les clercs : majoritairement mariés ou concubinaires 59 Paysans et artisans : en couple souvent par cohabitation 72 Couple monogame ou polygame ? 75 Un discours déformé par l’idéal chrétien de la monogamie 76 Les élites laïques masculines souvent polygames 79 Les autres : monogames en majorité 88 Conclusion91 Chapitre 2 : L’énigme du couple Facteurs structurants et déstructurants du couple Pressions idéologiques Contraintes familiales Fécondité ou stérilité Amour ou mésentente
93 93 94 103 107 110
410
ta bl e d e s m at i è r e s
Précarité et instabilité du couple 118 Des expériences conjugales souvent courtes 118 Des expériences conjugales souvent plurielles 124 Perception nette, visibilité accrue ? 129 À chaque couple, ses enfants 129 Une identité reconnue au sein des groupes de parenté et d’alliés 132 Une mémoire entretenue 135 Conclusion142 Chapitre 3 : Être un couple : vivre, faire et paraître ensemble ? 145 Les fondements du couple selon le discours idéologique 146 Le partage d’une résidence et de relations sexuelles 147 Vers la définition d’une communauté d’affection et d’entraide 152 Le partage d’une double mission : procréer et s’adonner aux bonnes œuvres 158 Créer une communauté conjugale ? 161 Lieux partagés : même maison, même chambre, même lit ? 162 Moments partagés : discuter et décider ensemble ? 173 Biens partagés : la création d’un patrimoine conjugal ? 178 Construire une identité conjugale ? 186 Des couples de plus en plus associés 187 Des couples de plus en plus souvent mis en scène 199 Être ou paraître ? 213 Conclusion217 Chapitre 4 : Fonctionner en couple : s’ouvrir à l’altérité ? 219 Fonctionner ensemble, mais différemment, au profit des intérêts communs ? 220 Agir dans la complémentarité ? 221 Respecter la hiérarchie entre les sexes ? 233 Trouver ensemble sa place dans le couple et s’y épanouir ? 242 Envisager et préparer la mort ensemble ? 246 Se préparer à la mort en se souciant du devenir du survivant ? 247 Prévoir d’être réunis ou séparés par la sépulture ? 253 Prévoir ensemble la répartition de l’héritage ? 269 Rester lié au conjoint défunt ? 276 Conserver la terminologie conjugale 277 Entretenir le souvenir du défunt 279 Voir le défunt en vision 281 Se soucier de son âme 282 Conclusion285
tab le d e s mat i è re s
Conclusion
287
Annexe 1 : Le vocabulaire du couple et de la conjugalité
291
Annexe 2 : Textes choisis
297
Annexe 3 : Tableaux généalogiques
345
Sources et bibliographie 355 Abréviations355 Sources358 Bibliographie364 Index rerum, locorum et nominum
391
Table des illustrations, tableaux, graphiques, plans et textes choisis
407
411