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French, English Pages 380 [368] Year 2022
Collection Images plurielles : scènes et écrans Dirigée par Patricia Caillé et Claude Forest (cinéma) et Sylvie Chalaye (théâtre) Cette collection entend promouvoir les recherches concernant les cinématographies et les expressions scéniques des Suds qui méritent de gagner en visibilité et d'être mieux documentées, notamment celles d’Afrique, du Moyen Orient, de l’Océan indien et des Amériques. Sans négliger les apports de la critique et de l’analyse esthétique, elle s’intéresse principalement au fonctionnement des filières audiovisuelles, cinématographiques et théâtrales – production, distribution, exploitation, diffusion sous toutes ses formes–, ainsi qu’aux publics et à la réception des œuvres. La collection souhaite favoriser les approches historiques issues du dépouillement d’archives et des enquêtes de terrain, afin d’œuvrer à combler le déficit de données permettant de cartographier et de comprendre les enjeux et les acteurs des transformations profondes à la fois géopolitiques, politiques, sociales, technologiques, anthropologiques et culturelles qui affectent le théâtre et la scène comme le film et ses usages. La collection comprend deux séries : l’une est destinée à accueillir les travaux les plus développés, l’autre, au format de poche, a pour vocation d’explorer de nouveaux champs ou questionnements, y compris méthodologiques. Images plurielles : scènes et écrans privilégie, hors de tout dogmatisme, la lisibilité du texte, la pluralité des approches, la liberté des idées et la valeur des contenus.
À L’ŒUVRE AU CINÉMA ! PROFESSIONNELLES EN AFRIQUE ET AU MOYEN-ORIENT
© L’Harmattan, 2022 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr/ ISBN : 978-2-343-25397-8 EAN : 9782343253978
Ouvrages des mêmes autrices : Patricia CAILLÉ : « Circulation des films : Afrique du Nord et Moyen Orient », Africultures, nº 101-102, 2016 (codirigé avec Nolwenn Mingant et Abdelfettah Benchenna). Regarder des films en Afriques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017 (codirigé avec Claude Forest). Pratiques et usages du film en Afriques francophones : Maroc, Tchad, Togo, Tunisie, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2019 (codirigé avec Claude Forest). Raluca CALIN : Du financement du cinéma et de l’audiovisuel à la consolidation d’une politique culturelle européenne, Clermont-Ferrand, Institut universitaire Varenne, 2018.
Nous dédions cet ouvrage à toutes les professionnelles qui oeuvrent en cinéma et dont l’activité à été brutalement mise à l’arrêt par la COVID-19, à toutes celles qui ont continué à réinventer le cinéma envers et contre tout. Pour que les élans subsistent en attendant des jours meilleurs…
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TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION .............................................................................................. 11 Patricia Caillé
PARTIE I - PARCOURS SINGULIERS .................................................. 29 Andrée Davanture, monteuse. Un œil à l’écoute ! .............................................. 31 Claude Forest Marie-Josée Sanselme, plume francophone du cinéaste franco-israélien Amos Gitaï .................................................................................................................... 57 Marie-Pierre Ulloa Heiny Srour, un engagement aux marges du cinéma libanais ............................. 83 Patricia Caillé Kahena Attia, une cinéaste qui transcende les limites du métier de monteuse.. 107 Ons Kamoun
PARTIE II - PARCOURS PIONNIERS................................................. 129 Third Cinema Inheritances and Contemporary Politico-Commercial Women’s Films and Filmmaking in Ghana ....................................................................... 131 Dennis-Brook Prince Lotsu The Female Gaze in South African Film: Katinka Heyns and Contemporary Women Filmmakers .......................................................................................... 153 Anna-Marie Jansen Van Vuuren Nujoom Alghanem: Filming in the United Arab Emirates ............................... 177 Alejandra Val Cubero
PARTIE III – ÉTATS DES LIEUX ........................................................ 193 Courage, persévérance et solidarité : Les femmes cinéastes face aux obstacles d’une industrie à domination masculine en Turquie ......................................... 195 Hülya Uğur Tanrıöver and Gülsenem Gün Présence des femmes dans l’activité cinématographique au Cameroun ........... 217 Lambert Ndzana Réalisatrices ouest africaines francophones. Portraits croisés Burkina Faso et Sénégal .............................................................................................................. 233 Mame Rokhaya Ndoye
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PARTIE IV – NOUVELLES GÉNÉRATIONS DE LA CONTESTATION ....................................................................................247 (R)Évolutions tacites : Trajectoires cinématographiques éthiopiennes............. 249 Raluca Calin Contesting the Status Quo: The Rise of Women Filmmakers in Ghana ........... 269 Dennis-Brook Prince Lotsu Les femmes dans le cinéma algérien contemporain .......................................... 295 Salima Tenfiche Femmes réalisatrices en Tunisie : Une tradition révolutionnaire ? ................... 315 Emna Mrabet Réalisatrices qataries, vitrine d’un cinéma en devenir ? ................................... 331 Stéphanie Pourquier-Jacquin
BIBLIOGRAPHIE....................................................................................355 NOTICES BIO-BIBLIOGRAPHIQUES................................................375
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INTRODUCTION AFRIQUE ET MOYEN ORIENT : RENDRE COMPTE DU PARCOURS DE PROFESSIONNELLES
ɶ UVRANT EN CINÉMA Patricia Caillé
CREM UR 3476 – Université de Strasbourg
Nous avions lancé en 2018 dans le cadre du réseau Histoire, économie, sociologie des cinémas d’Afrique et du Moyen Orient (HESCALE), un appel à contributions destiné à initier une conversation universitaire autour de recherches sur l’activité en cinéma examinée au prisme du genre en Afrique et au Moyen Orient, et ce volume en est l’aboutissement. Comme nous l’avions noté, le rapport entre femmes et cinéma dans ces espaces comme au-delà, renvoie depuis les pays dans lesquels ces films circulent, en premier lieu à des enjeux symboliques forts liés à la condition des femmes telle qu’elle a pu constituer une thématique récurrente dans les films. La liste des films dont le récit explore l’oppression des femmes comme leurs stratégies de résistance, est longue depuis Hurlements (Omar Khlifi, 1974), Fatma 75 (Selma Baccar, 1976), Bal Poussière (Henri Duparc, 1988), La citadelle (Mohamed Chouikh, 1988), jusqu’à Silences du palais (Moufida Tlatli, 1993), Fatima, l’Algérienne de Dakar (Med Hondo, 2004), ou encore des coproductions plus récentes et maintes fois primées Et maintenant, on va où ? (Nadine Labaki, 2011), Wadjda (Haifaa Al Mansour, 2012), Much Loved (Nabil Ayouch, 2015), La Belle et la meute (Kaouther Ben Hania, 2017), Papicha (Mounia Meddour, 2019), etc. Ces films d’auteur et d’autrice qui depuis les années 1990 circulent un peu dans les régions concernées même lorsqu’ils sont censurés dans les pays d’origine, s’exportent bien au-delà pour certains d’entre eux, la censure pouvant d’ailleurs contribuer à leur notoriété. Le plus souvent coproduits avec des pays européens francophones, ils ont su paradoxalement séduire une critique ambivalente vis-à-vis d’une telle catégorie, qui n’a eu de cesse de s’étonner et d’aimer encore là où on aurait pu redouter la lourdeur du film convenu, voire même le film-à-thèse1, une critique qui ne boude pas non plus le plaisir d’un spectacle parfois exotisant2 !
1 Les exemples sont nombreux. Nous citerons ici, par exemple, Vincent Ostria à propos de Fatma de Khaled Ghorbal : « Dénué des arabesques habituelles des films maghrébins (pathos, fatalisme, folklore, bonhomie bouffonne), Fatma déroule un destin complexe et nuancé. » OSTRIA Vincent, « Fatma », Les Inrockuptibles, 12 mai 2001. 2 Dans Le Point, le critique ravive le motif du harem à propos de La Saison des hommes (2000) de Moufida Tlatli : « leurs épouses, tisseuses de tapis reléguées dans une villa de l’île de Djerba.
Et c’est en interrogeant la fertilisation croisée entre discours critiques, reconnaissance institutionnelle et production de savoirs plus académiques que nous pouvons esquisser les enjeux de ces premiers travaux de recherche concernant le cinéma en Afrique et au Moyen Orient. Dans le titre de l’émission radiophonique diffusée sur France Culture en février 2020 consacrée au « Cinéma maghrébin : la femme au centre de l’écran3 », la référence essentialisante à « la femme » peut surprendre. Elle rappelle aussi incidemment qu’un film par une réalisatrice qui met au centre un plutôt qu’une protagoniste, a toutes les chances de passer inaperçu. Le regard porté sur ces films a pourtant évolué ces dernières années, et cette émission souligne le passage d’un intérêt pour la condition des femmes dans les films maghrébins aux films par des réalisatrices, en l’occurrence Un divan à Tunis (2019) de Manele Labidi et Adam (2019) de Myriam Touzani. Pensés avant tout comme le signe de l’engagement politique et cinématographique des nouveaux cinémas nationaux et des femmes au sein de ceux-ci, ces films sont évalués à l’aune de la dénonciation de traditions aliénantes pour les individus, et de leur résistance à des pouvoirs autoritaires, les femmes constituant un enjeu symbolique particulièrement important. Il serait tentant de voir dans cet activisme produit par les discours la raison de leur exclusion des lieux de légitimation des cinémas mondiaux. Le politique ayant supplanté l’artistique, les compétitions officielles des grands festivals internationaux n’auraient de prime abord retenu que peu d’entre eux, sauf dans des sections parallèles ou des manifestations plus locales dédiées aux aires culturelles spécifiques, une impression sans doute trompeuse. L’écart entre le petit nombre de films par des réalisatrices, leur budget modeste, et le nombre de sélections ferait sans doute l’objet d’une étude intéressante, car les recherches rassemblées ici font ressortir une activité de longue date par des réalisatrices comme des techniciennes en cinéma. Elles montrent aussi que les films par des réalisatrices d’Afrique et du Moyen Orient sélectionnés et primés dans de grands festivals internationaux ne sont pas rares : L’Enfant endormi (Yasmine Kassari, 2004) a remporté un très grand nombre de prix, avant lui Les silences du Palais (Moufida Tlatli, 1994) avait raflé le Tanit d’or aux Journées cinématographiques de Carthage et une mention spéciale du Jury de la Caméra d’or à Cannes. Et bien avant les succès critiques et commerciaux des films de Nadine Labaki, les films des réalisatrices libanaises
Le reste du temps, celle-ci les attendent, Pénélopes frustrées… La réalisatrice… restitue avec pudeur et sans hystérie la folie menaçant ces « femmes entre elles » que la tradition oblige à un huis clos ritualisé ». F.-G.L., « La saison des hommes », Le Point, 22 décembre 2000. 3 La Grande table des idées par Olivia Gesbert, émission radiophonique, France Culture, le 4 février 2020, https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-culture/cinemamaghrebin -la-femme-au-centre-de-lecran
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étaient présents dans maints festivals internationaux dès les années 19904. S’ils sont sélectionnés et primés, les films par des réalisatrices ne passent pas pour autant à la postérité, comme si leur succès engendrait une surprise sans cesse renouvelée de leur accession à une notoriété au demeurant fugace. Dans quelle mesure ces prix ont-ils renouvelé la liste des « classiques » sur lesquels sont fondées les cinématographies nationales ? Qui peut nommer une réalisatrice ayant œuvré au Bénin, au Ghana ou en Syrie ? Ou associer un pays ou des films aux noms de Salem Mekuria, Sarah Maldoror ou de Kaltoum Bornaz ? À notre connaissance, il n’existe qu’un seul ouvrage collectif sur une réalisatrice des pays du Maghreb, Farida Benlyazid, une monographie est en cours de rédaction5, et une monographie sur la réalisatrice libanaise Jocelyne Saab (1948-2015)6. Il est encore trop tôt pour savoir si le Grand prix du Festival de Cannes en 2019 attribué à Atlantique (2019) de Mati Diop, une coproduction francobelgo-sénégalaise, ou le Prix du jury attribué par le même festival l’année d’avant à Capharnaüm (2018) de Nadine Labaki, une coproduction libanofrançaise, dont le récit n’est plus tant centré sur des femmes protagonistes que sur la question des droits humains des enfants, ou si l’attention médiatique autour de L’homme qui a vendu sa peau (2020) de Kaouther Ben Hania en compétition à la Mostra de Venise, puis sélectionné pour représenter la Tunisie aux Oscars 2021, et shortlisté – là encore un film avec un protagoniste – sont la marque d’une vraie reconnaissance des institutions et d’un renouveau du regard critique. Les approches issues du genre visent « à rendre compte des processus sociaux de production, de légitimation, de transgression et de transformation de différences sexuées hiérarchisées entre femmes et hommes, entre féminin et masculin7 », et lorsqu’il s’agit des cinémas d’Afrique et du Moyen Orient, on ne peut occulter les relations asymétriques et les rapports de domination issus d’un passé colonial. Comme le soulignent Abir Kréfa et Amélie Le Renard dans un petit ouvrage récent et stimulant, Genre et Féminismes au Moyen Orient & au Maghreb8, l’impérialisme européen au XIXe siècle est fondé sur
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Voir les prix remportés par les réalisatrices libanaises, Nabiha Lotfi, Jocelyne Saab, Randa Chahal Sebbag dans « Heiny Srour, un engagement aux marges du cinéma libanais » par Patricia Caillé dans ce volume. 5 Association marocaine des critiques de cinéma (dir.), L’œuvre cinématographique de Farida Belyazid, Rabat, ministère de la Communication, 2010 ; Une monographie sera publiée prochainement par Florence Martin. 6 ROUXEL Mathilde, Jocelyne Saab. La mémoire indomptée, Beyrouth, Éditions Dar An-Nahar, 2015. 7 BUSCATTO Marie, Sociologie du genre, Paris, Armand Colin, 2014, p. 13. 8 KREFA Abir et LE RENARD Amélie, Genre et Féminismes au Moyen Orient & au Maghreb, Paris, Éditions Amsterdam, 2019.
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la hiérarchisation entre les peuples et les nations, elle-même reposant sur les relations entre les sexes. Les normes de genre largement construites sur l’oppression des femmes musulmanes, à travers les stéréotypes de la réclusion de celles-ci et de la séparation des sexes, ont servi à justifier la colonisation et l’appropriation des ressources tandis que les colonisateurs volant prétendument au secours des femmes musulmanes détournaient le regard des inégalités de genre auxquelles les Européennes étaient également soumises et contre lesquelles elles ont lutté9. Les recherches ne peuvent que porter une attention soutenue à l’articulation complexe du genre avec d’autres catégories d’analyse, la race, la classe, comme l’âge, la tension entre espace urbain et rural, etc., dans des démarches largement exploratoires et expérimentales. Les questionnements et les démarches dans la production des savoirs concernant ces cinématographies diffèrent d’un continent à l’autre, d’un environnement académique à un autre ! De nombreux mémoires et thèses menés dans les pays du Maghreb et du Moyen Orient ou dans les universités françaises et plus largement occidentales, explorent les dimensions sociales et genrées des récits et des formes de films associés aux pays concernés, avant de disparaître dans les archives des institutions sans que ceux-ci n’aient jamais été accessibles au-delà d’un lectorat confidentiel, ni publiés10. Une conversation académique intense s’est développée dans les départements de langues et cultures francophones et arabes des universités anglophones depuis les années 199011 autour de ces films qui pourtant ne sont jamais parvenus à une distribution commerciale dans ces pays. Les recherches ont été menées sur la construction des identités dans un contexte postcolonial, des questionnements issus de la littérature et transposés aux films. On passe rapidement d’un intérêt pour les stratégies de résistance développées par les protagonistes, leur quête de liberté contre des traditions oppressantes, l’accès à la subjectivité dans une modernité qui affecte les temporalités12 à une exploration des films par des réalisatrices, un déplacement de la focale qui fait de la création filmique le lieu de la résis-
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Ibid., p. 30-31. À titre d’exemples, deux réalisatrices maghrébines sont les autrices d’une thèse : CHERABILABIDI Nadia, Les représentations sociales dans le cinéma algérien de 1964 à 1980, Thèse sous la direction de Michel Colin, Université de Paris 3, soutenue en 1987 ; BARGACH Selma, Le statut et le rôle de la femme dans le cinéma marocain, Thèse sous la direction de Daniel Serceau, Université de Paris 1, soutenue en 1997 ; FONTAINE Aline, L’essor des réalisatrices libanaises, Mémoire sous la direction de Max Sanier, Université de Lyon 2, 2008. 11 Depuis SHOHAT Ella, « Framing Post-Third-Worldist Culture: Gender and Nation in Middle Eastern North-African Film and Video », Jouvert: A Journal of Postcolonial Studies, vol. 7, nᵒ 2, 1997 ; KHANNOUS Touria, « The Subaltern Speaks: Assia Djebar’s La Nouba », Film Criticism, vol. 26, nᵒ 2, Winter 2001-2002, p. 41-61, etc. 12 MARTIN Florence, Screens and Veils : Maghrebi Women’s Cinema, Bloomington, IN, Indiana University Press, 2011, 271 p. 10
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tance. Les analyses puisent dans les théories féministes du film largement fondées sur la construction genrée du regard et de la subjectivité13, ainsi que la reproduction des relations de pouvoir qu’elles engendrent dans le plaisir suscité par les films, la question des races et des sexualités étant au cœur des récits coloniaux14. Il s’est agi de débusquer les stéréotypes du cinéma colonial que les films issus des indépendances ont contestés, puis d’examiner la façon dont les réalisatrices ont dû réinscrire les voix et l’expérience des femmes qui avaient été occultées par les grands récits tiers-mondistes, sans pour autant souscrire à un féminisme occidental qui n’avait pas davantage prêté attention à la spécificité du contexte dans lequel des femmes ont pu forger une quête d’émancipation15. Comme les textes littéraires avant eux, les films d’Afrique et du Moyen Orient ont enrichi les recherches de nouveaux questionnements dans les départements concernés, d’autant que le développement des éditions VHS et DVD les rendaient très accessibles à moindre coût pour de nombreuses médiathèques universitaires, d’où la contribution très importante de diffuseurs tels que La Médiathèque des trois Mondes à Paris16, de Trigon Films en Suisse, et d’autres. Un tel ancrage disciplinaire explique l’attention soutenue aux traits culturels par le biais de l’analyse des récits et des formes, aux dépens d’un intérêt pour les conditions de production des films, leur circulation et leur réception, même si les travaux de recherche sur les films réalisés par des femmes17, comme sur le parcours des réalisatrices18 ou plus rarement sur la circulation
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Voir, par exemple, NAAMAN Dorit, « Woman/Nation: A Postcolonial Look at Female Subjectivity », Quarterly Review of Film and Video, vol.17, nº 4, 2000, p. 333-342. 14 KAPLAN E. Ann, Looking for the Other: Feminism, Film and the Imperial Gaze, New York and London, Routledge, 1997, 358 p.; McClintock Anne, Imperial Leather: Race, Gender and Sexuality in the Colonial Context, New York and Oxon, Routledge, 1995, 464 p. 15 SHOHAT Ella, op. cit. 16 Fondée en 1980 par Dominique Senthiles et qui cessa son activité en 2012, la M3M a permis la circulation de nombreux films maghrébins et africains en VHS puis en DVD. 17 SHOHAT Ella, op. cit.; NAAMAN Dorit, op. cit.; DÖNMEZ-COLIN Gönül, Women in Islamic Cinema, London, Reaktion Books, 2004; LAVIOSA Flavia (dir.), Visions of Struggle in Women’s Filmmaking in the Mediterranean, New York, NY, Palgrave Macmillan, 2010, 256 p.; GAUCH Suzanne, « Now You See It, Now You Don’t: Transnational Feminist Spectatorship and Farida Benlyazid’s A Door to the Sky », Camera Obscura, nᵒ 24, 2009, p. 107–37; MARTIN, 2011, op. cit. ; WHITE Patricia, Women’s Cinema, World Cinema: Projecting Contemporary Feminisms, Durham, Duke University Press, 2015, 280 p. 18 GABOUS Abdelkrim, Silence elles tournent. Les femmes et le cinéma en Tunisie, Tunis, Cérès Éditions, 1998 ; HILLAUER Rebecca, Encyclopedia of Arab Women Filmmakers, annotated edition, The American University in Cairo Press, 2006, 484 p.; CAILLÉ Patricia, « Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie des réalisatrices ou la construction du Maghreb dans un contexte postcolonial », Maghreb et Sciences Sociales, 2010, p. 261–77; ROLLET Brigitte, « Celebrating 40 Years of Films Made by Women Directors in Francophone Africa », Journal of African Cinemas, nᵒ 4, 2012, p. 139–44 ; UĞUR TANRIÖVER Hülya, « Women as Film Directors in
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de leurs films19 ont aussi pour ambition de mettre en relief des films moins visibles et leurs autrices, d’interroger les mécanismes de cette invisibilité, et de valoriser ainsi un ou des patrimoines cinématographiques des réalisatrices tout en posant la question de leur spécificité. L’intérêt porté au postcolonial en littérature outre-Atlantique et outreManche a aussi rapidement gagné les départements de lettres et de littérature comparée en France20. Dès 1998, reprenant les travaux d’Edward Said sur « l’orientalisme », comme « système de savoir européen sur l’Orient accompagnant et justifiant l’expansion coloniale21 », Jean-Marc Moura revisite la littérature francophone à la recherche de stratégies de résistance à la manière de The Empire Writes Back22, un ouvrage fondateur paru presqu’une décennie plus tôt aux États-Unis. Il voit l’originalité de la critique postcoloniale dans sa capacité à penser « l’empire (colonial) dans ses relations aux textes, et pas seulement littéraires »23. De tels travaux ne s’étendent pourtant que marginalement aux films24. En 2013, Samuel Lelièvre notait à propos de l’histoire du cinéma, « quand un certain nombre de centres universitaires anglo-saxons ont développé des travaux sur une histoire postcoloniale, l’université française a semblé revenir à un certain conservatisme disciplinaire et dans ses objets
Turkish Cinema, European Journal of Women’s Studies, 2016, vol. 24, nᵒ 4, p. 321-335 ; ELLERSON Beti, « Travelling gazes: Glocal imaginaries in the transcontinental, transnational, exilic, migration and diaspora cinematic experiences of African Women », Black Camera, vol. 8, n° 2, 2017, p. 272-89. 19 ROLLET Brigitte, « D’une rive de la Méditerranée à l’autre : financement, diffusion et reconnaissance des réalisatrices du Maghreb », Africultures, n° 89-90, 2012, p. 84–91 ; CAILLÉ Patricia, « Mapping the Circulation of Films by Women Filmmakers with Maghrebi Funding in the Digital Age », dans Hagener Malte et al. (dir.), The State of Post-Cinema: Tracing the Moving Image in the Age of Digital Dissemination, London, Palgrave Macmillan, 2016; CAILLÉ Patricia, « La circulation des films maghrébins : Une question de genre ? », Africultures, n° 101-102, 2016, p. 70-87. 20 Ces recherches sont d’ailleurs critiquées par Emmanuelle Sibeud pour s’être « égarées » dans « des formes anhistoriques d’histoire contreproductives faute de prendre en compte les initiatives des acteurs et leurs logiques propres ». SIBEUD Emmanuelle, « De la controverse autour des études postcoloniales à l’histoire intellectuelle de la décolonisation en France », Diogène, nᵒ 2-3-4, 2017, p. 98. 21 MOURA Jean-Marc, La littérature postcoloniale, « nouveau roman » de l’âge global, Paris, PUF, 1998. 22 ASHCROFT Bill et al, The Empire Writes Back: Theory and Practice in Post-Colonial Literatures, London and New York, Routledge, 1989, 296 p. 23 Ibid., p. 8. L’Orientalisme a été critiqué comme étant une approche politique des questionnements scientifiques. 24 BRAHIMI Denise, op. cit. ; KUMMER Ida, « Mères et filles dans le cinéma maghrébin ou l’effet de verre », CinémAction, nº 111, 2004.
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d’études25 ». Mehdi Derfoufi et James Berclaz-Lewis étendent le même constat aux études cinématographiques rétives à toute approche transdisciplinaire, précisant que les approches postcoloniales marginales ne servent au mieux qu’à faire une place aux films des Suds sans pour autant remettre en cause les représentations ou « les rapports inégaux de pouvoir » et refonder « les épistémologies dominantes26 ». Dans l’ensemble la France revendiquant l’universalisme, est restée longtemps aveugle aux concepts de genre et de race comme outils d’analyse. Controversée, la race au singulier qui renvoie à un « discours critique27 », est souvent remplacée et euphémisée par « l’ethnicité », ce qui paradoxalement réessentialise les différences. Face à la montée de la contestation contre les violences policières portée par l’exemple états-unien au printemps 2020, Emmanuel Macron, président de la République, reproche ainsi aux universitaires « l’ethnicisation de la question sociale » qui aurait « cassé la République en deux », tandis que les ministres de l’Éducation Jean-Michel Blanquer et de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, s’en prendront quelques mois plus tard aux sciences sociales « gangrénées » par « l’islamogauchisme » qui privilégient les approches militantes dont il et elle questionnent la scientificité devant une communauté universitaire consternée. Emmanuelle Sibeud insiste pourtant sur le « discret mais solide épanouissement de l’histoire de la colonisation depuis les années 1990 », et les historien.nes en France ont certainement contribué à l’élargissement des questionnements portant sur le cinéma dans les colonies en Tunisie, en Algérie ou plus largement en Afrique francophone s’intéressant à la circulation, à la programmation, au spectacle cinématographique comme à la réception des films28, même si le genre est peu présent. Par contre, Sibeud questionne le sens flou du postcolonial dans des analyses qui s’en revendiquent, et dont le projet serait « d’inventorier et de déconstruire », les « soubassements idéologiques » des
25 LELIÈVRE Samuel, « Les cinémas africains dans l’histoire. D’une historiographie (éthique) à venir », 1895, revue d’histoire du cinéma, nᵒ 69, 2013, p. 136-147, http://journals.openedition.org/1895/4614 (consulté le 23 décembre 2020). 26 DERFOUFI Mehdi et BERCLAZ-LEWIS James, « Pour une autre histoire du cinéma français : blanchité et maghrébinité de la francité », Diogène, nᵒ 1-2-3, 2017, p. 111. 27 La race « au singulier » renvoie à un discours critique qui « désigne par là un rapport de pouvoir qui structure, selon des modalités diverses en fonction des contextes et des époques, la place sociale assignée à tel ou tel groupe au nom de ce qui est censé être la radicale altérité de son origine (géographique, culturelle ou religieuse). Et c’est justement la manière dont l’origine est utilisée pour hiérarchiser qui distingue la race d’autres rapports de pouvoir, notamment le genre et la classe ». Voir MAZOUZ Sarah, Race, Paris, Anamosa, 2020, p. 26. 28 GEORG Odile, Fantomas sous les tropiques, Paris, Vendémiaire, 2015, 285 p. ; CORRIOU Morgan, Un nouveau loisir en situation coloniale : Le cinéma dans la Tunisie du Protectorat (1896-1956), Thèse de doctorat dirigée par Omar Carlier, Université de Paris 7, 2011.
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rapports de domination qui se sont perpétués « malgré les décolonisations successives29 ». La France est pourtant le premier marché mondial pour la distribution commerciale de films d’Afrique et du Moyen Orient. Ancienne puissance coloniale, elle a organisé la distribution des films dans ses colonies et elle se targue d’une culture du cinéma qui valorise la diversité des films, tant dans l’origine que dans les genres, c’est ainsi qu’on peut voir en France un éventail de films bien plus grand sur les écrans des cinémas que dans n’importe quel autre pays au monde. Les films qui sortent sur les écrans sont généralement ceux qui sont coproduits avec d’anciennes colonies ou protectorats français—on voit proportionnellement très peu de films ghanéens, nigerians, égyptiens ou sud-africains—le résultat d’une politique d’influence menée à travers le développement de programmes de soutien aux films même si de telles aides sont moins généreuses aujourd’hui30. À l’inverse, les chercheur.e.s en études cinématographiques qui en France s’intéressent à ces films d’Afrique et du Moyen Orient sont peu nombreux, encore moins ceux et celles qui privilégient des approches genre ou plus largement des studies et/ou qui s’intéressent au fonctionnement des secteurs31. Cette indifférence aux objets tranche singulièrement avec le débat critique soutenu et très politisé autour de ces mêmes cinémas qui eut lieu tout au long des années 1970 et 1980 dans les revues de cinéma francophones, des échanges fondés sur une connaissance encyclopédique des films, des acteurs et des enjeux des nouvelles cinématographies nationales. Alors même que « Culture impériale et différence sexuelle », abrégé d’un article traduit d’Ella Shohat, se glisse dès 1993 dans un numéro de CinémAction consacré aux théories féministes sur le cinéma32, cette somme d’articles traduits censée disséminer les fondements d’un nouveau champ de recherche
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SIBEUD Emmanuelle, op. cit., p. 96-97. FOREST Claude, « Un demi-siècle de production entre la France et l’Afrique sud-saharienne », dans Claude Forest (dir.), Produire des films. Afriques et Moyen Orient, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2018, p. 31-52. 31 La colonisation avait donné lieu à une production filmique importante de films français, les travaux francophones qui y sont consacrés nombreux aussi, sont eux restés relativement isolés. Voir BOULANGER Pierre, Le cinéma colonial : De l’Atlantide à Lawrence d’Arabie, Paris, Éditions Seghers, 1975, 291 p. ; RAMIREZ Francis et ROLOT Christian, Histoire du cinéma colonial au Zaïre, au Rwanda au au Burundi, Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale, 1985, 527 p. ; BENALI Abdelkader, Le cinéma colonial au Maghreb : l’imaginaire en trompe l’œil, Paris, Éditions du Cerf, 1998, 371 p. 32 SHOHAT Ella, « Culture impériale et différence sexuelle », dans Reynaud Bérénice et Vincendeau Ginette (dir.), 20 ans de théories féministes au cinéma. Grande-Bretagne et États-Unis, CinémAction, nᵒ 67, 1993, p. 40-45. 30
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dans le monde francophone sera peu reprise jusqu’au développement des approches genre en France liées notamment aux travaux de Geneviève Sellier et Noël Burch33. Quelques chercheurs en sciences sociales se sont intéressés aux corps ou aux figures du Maghrébin dans le cinéma français34, certaines analyses optant pour une approche genrée35. Plus récemment, Derfoufi et BerclazLewis ont interrogé l’occultation de la maghrébinité dans l’histoire du cinéma français36 et les « mécanismes de l’hégémonie culturelle blanche37 ». Ces approches qui attribuent à ces dernières un rôle non seulement scientifique, mais aussi politique et social, ont sans doute nourri les réserves de chercheurs mal à l’aise avec un militantisme perçu comme allant à l’encontre d’une posture scientifique dans un monde universitaire peu sensible aux enjeux des « savoirs situés »38. Si des recherches à partir d’ancrages disciplinaires divers ont permis de renouveler les questionnements et les démarches, l’indifférence des études filmiques et la subséquente dispersion des recherches dans des disciplines qui institutionnellement dialoguent peu entre elles, sont allés à l’encontre d’échanges ou d’une conversation transdisciplinaire soutenue, comme de toute discussion des cadres conceptuels et méthodologiques au regard de la confrontation aux terrains. De la même façon, les emballements médiatico-
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SELLIER Geneviève, La Nouvelle vague, un cinéma au masculin singulier, Paris, CNRS, 2005 ; BURCH Noël et SELLIER Geneviève, La drôle de guerre des sexes du cinéma français : 1930-1956, Paris, Nathan Université, 1996 ; BURCH Noël et SELLIER Geneviève, Le cinéma au prisme des rapports sociaux de sexe, Paris, Vrin, 2009. 34 Voir, par exemple, SAVARESE Éric, « Réinventer l’autre : le corps des Maghrébins dans le cinéma français de 1962 à nos jours », Hermès, vol. 2, nᵒ 30, 2001, p. 177-185 ; CADÉ Michel, « Aller-retour et va-et-vient : Les Maghrébins dans le cinéma français », Diasporas, Histoire et Sociétés, nᵒ 4, 2004, p. 70-80. 35 Voir en particulier, GAERTNER Julien, « Troublantes relations sur grand écran », dans Driss El Yazami, Yvan Gastaut, Naïma Yahi (dir.), Générations : un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France. Catalogue de l’exposition Générations. Paris, Gallimard/Cité nationale de l'histoire de l'immigration/Génériques, 2009 ; KUMMER Ida, op. cit. ; KEALFOHER Leslie, « Les voix des femmes maghrébines en France dans les courts-métrages de production française », p. 33-37, ou TARR Carrie, « Le rôle des femmes dans le cinéma des réalisatrices d’origine maghrébine en France », dans Naïma Yahi (dir.) « Images et représentations des Maghrébins dans le cinéma en France », Migrance, nᵒ 37, 2011, p. 47-53 ; ou voir la traduction d’un ouvrage anglophone : DURMELAT Sylvie et SWAMY Vinay (dir.), Les écrans de l’intégration. L’immigration maghrébine dans le cinéma français, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2015, 340 p. 36 DERFOUFI et BERCLAZ-LEWIS, op. cit., p. 110-124. 37 Ibid., p. 122. 38 Ibid., p. 112. Voir HARAWAY Dona, « Savoirs situés : question de la science dans le féminisme et privilège de la perspective partielle », dans une anthologie établie par Allard Laurence et al., Le Manifeste Cyborg et autres essais. Sciences – Fictions – Féminisme, Paris, Exils (Essais), 2007, p. 107-143.
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politiques auxquels les universitaires interpelés se sentent sommés de répondre afin de contrer cette délégitimation, engendrent un narcissisme francocentré aux dépens d’un intérêt pour la façon dont des productions audiovisuelles minorées esthétiquement et commercialement sont produites et circulent. Les chercheur.es du réseau HESCALE partagent des questionnements communs et sont mus par la nécessité d’initier des conversations universitaires transcontinentales, tout en étant conscients des grandes disparités qui caractérisent l’organisation des secteurs, les modèles de production, l’accès aux films, les usages ou la réception de ces productions entre l’Afrique sud-saharienne, l’Afrique du Nord et le Moyen Orient, comme les moyens accessibles aux chercheur.es. Et la présente recherche entend rendre compte de la façon dont les femmes sont parties prenantes de la reconfiguration dynamique de secteurs cinématographiques en Afrique et au Moyen Orient qui sont le lieu d’un renouvellement des modèles économiques et culturels. Ceux-ci se caractérisent entre autres par un nouveau rapport aux productions locales et aux usages qu’elles suscitent. Notre objectif est donc de décentrer et de provincialiser l’Europe en interrogeant la transformation des rapports de force NordSud. Les articles rassemblés ici s’inscrivent dans le sillon ébauché par Abdelkrim Gabous en Tunisie dans Silence, elles tournent ! Les femmes et le cinéma en Tunisie, paru en 1998, ou de l’anthologie de Rebecca Hillauer, Arab Women Filmmakers publiée en 200539. L’un des enjeux fondamentaux de ce projet est de recenser les contributions et donc de nommer ces femmes très investies hier et aujourd’hui dans une activité de production, de réalisation de films et qui ont contribué, bien au-delà, au développement des secteurs tout en restant souvent dans l’ombre. Une telle approche implique ici de ne pas limiter notre focale à une certaine conception du cinéma d’auteur issue d’une diplomatie d’influence déjà évoquée qui a marqué les productions dans les pays anciennement colonisés par la France40 dans la période post indépendance. De tels films ne circulent guère en dehors des festivals, et nous entendons ici resituer ce cinéma dans un ensemble de productions plus vastes, certaines à bas coût qui sont privilégiées par des publics locaux ou régionaux. Il s’agissait donc de s’émanciper de la francophonie afin de rendre compte de la porosité des pratiques entre des aires linguistiques différentes, et de rendre compte aussi de la réceptivité de publics locaux des aires francophones à des productions audiovisuelles largement issues ou influencées par les aires anglophones, et dont le Ghana et le Nigeria
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GABOUS, op. cit. ; HILLAUER, op. cit. FOREST Claude, 2018, op. cit.
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constituent les exemples les plus emblématiques41. D’où une redéfinition de ce qu’est le cinéma et des pratiques de ses actrices et acteurs qui mènent plusieurs activités de front, ainsi que des catégories linguistiques au sein desquelles ces cinémas ont été étudiés. Ce projet a ainsi pour ambition de sortir de l’idéologie du « rattrapage42 » qui nous invite à penser les cinématographies moyen orientales et africaines comme étant perpétuellement à la remorque des cinémas occidentaux ou asiatiques qui seraient plus avancés esthétiquement et resteraient le modèle, ceci valant aussi pour la condition des femmes perpétuellement pensée comme déficitaire par rapport à celle des femmes en Occident et donc sous observation d’un ordre mondial plus vaste. Rappelons qu’en Tunisie ou au Liban, la présence des réalisatrices de longs-métrages est proportionnellement plus forte qu’en France, et les scores des films par des réalisatrices au box-office tunisien sont également proportionnellement supérieurs, ceux des films de Nadine Labaki à travers le monde le sont tout autant. De la même façon, les femmes s’aventurent dans le film de divertissement, Ismahane Lahmar en Tunisie a réalisé une comédie Woh ! (2016), ou Jihane El Bahar au Maroc avec Au pays des merveilles (2017), atteint la deuxième place du box-office marocain lors de sa sortie, un succès garanti par deux têtes d’affiche. Loin du lieu commun des femmes aux marges de secteurs particulièrement exclusifs, ce que montrent tous ces travaux est la très grande diversité des contextes. À ce titre, les différentes contributions interrogent et rendent compte de la capacité d’agir de ces protagonistes, la façon dont elles se sont intégrées dans des filières, sont parvenues à se faire une place et à maintenir une activité. Mais au-delà de cela, elles révèlent aussi comment l’ambition de ces professionnelles n’est pas seulement de réaliser leurs films, dans des secteurs plus ou moins structurés, et dont l’économie reste dans certains pays, largement informelle, mais de mettre en œuvre et développer des dispositifs permettant de pérenniser l’activité de ces filières et de rendre celles-ci plus inclusives. Elles s’engagent avec une énergie hors du commun, pour le développement plus global de ces secteurs, que ce soit en Algérie, en Éthiopie, au Ghana, au Liban, en Tunisie, en Turquie ou depuis la France, par la mise en œuvre de projets comptant sur des coopérations et la solidarité des paires. Elles intègrent la formation à l’activité et visent l’accroissement indispensable des compétences globales nécessaires à l’amélioration de la qualité des productions. En cela, ces femmes comptent
41 GARRITANO Carmela, African Video Movies and Global Desires: A Ghanaian History, Athens, Ohio University Press, 2013, 284 p. ; BARROT Pierre (dir.), Le phénomène vidéo au Nigeria, Paris, L’Harmattan, 2005. 42 Nous reprenons ce terme à Lotfi Achour, un réalisateur tunisien. Entretien avec l’autrice, Sidi Bou Saïd, le 16 février 2020.
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davantage sur leur ingéniosité, des soutiens locaux et internationaux s’appuyant sur des « amitiés cinématographiques »43, des sollicitations par le biais de leurs réseaux, plutôt que sur de très hypothétiques ressources étatiques, sans pour autant perdre de vue la nécessité de faire du lobbying au niveau local pour des politiques plus favorables au cinéma. Comme nous l’avons déjà noté, la légitimité du cinéma d’auteur qui idéalise le rôle du réalisateur44, a oblitéré la contribution d’un grand nombre de collaborateurs et collaboratrices à la réalisation d’un film, les reléguant par défaut au rang de simple assistance technique ou d’exécution. Une des ambitions de ce volume était donc d’explorer l’activité des femmes à tous les autres postes qui sont le plus souvent restés dans l’ombre. Et les contributions rassemblées ici prouvent à quel point le cinéma reste associé principalement aux différentes figures de la réalisation. Néanmoins, les textes consacrés à des monteuses et à une scénariste démontrent avec vigueur la contribution créative de ces femmes. Le rapprochement des parcours d’Andrée Davanture et de Kahena Attia qui se définissent comme des monteuses, nous interpelle dans leur attachement indéfectible au montage, un engagement à chaque fois renouvelé de « comprendre l’intention profonde de l’auteur, le désir caché, la tentative inaboutie », pour reprendre l’expression de Davanture45. Il nous permet de saisir l’envergure de leur contribution, la façon qu’elles ont d’envisager les enjeux plus vastes des cinémas africains pour l’une à travers la création d’une association permettant la production, et pour l’autre d’un cinéma national tunisien en participant au lancement d’une société de production qui a fait date, Cinétéléfilms. D’autres recherches s’attachent ici à un premier recensement des femmes dans certains corps de métier, à la façon dont les processus de recrutement sélectionnent des candidat.es, ou la façon dont les interactions entre hommes et femmes sont vécues au quotidien dans les équipes et sur les tournages46. Nous avons divisé ce volume en quatre parties, les deux premières étant consacrées à des trajectoires de professionnelles en cinéma, tout en distinguant celles dont l’originalité est restée sans filiation, et que nous considérons ici comme des destins singuliers, et celles dont l’œuvre pionnière a contribué au développement ou à la transformation des secteurs. Parmi les destins singuliers, l’article fondé sur le dépouillement d’archives inexploitées, que Claude Forest consacre à Davanture (1933-2014), met en relief la façon dont celle-ci
43 MARKS Laura, « Circulation d’œuvres expérimentales : créativité dans les systèmes métastables », Africultures, nᵒ 101-102, 2016, p. 336-351. 44 SELLIER Geneviève, 2005, op. cit. 45 Voir article par Claude Forest dans cet ouvrage, « Andrée Davanture, un œil à l’écoute ! ». 46 GAUDY Camille, « Être une femme sur un plateau de tournage », Ethnologie française, vol. 38, nº 1, 2008, p. 107-117.
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a su tirer parti de toutes les ressources pourtant rares. Davanture contribue pendant les deux dernières décennies du XXe siècle à la production, à la réalisation sans renoncer à monter un grand nombre de films africains avant que le ministère de la Coopération ne change ses orientations et lâche l’association. Marie-Pierre Ulloa met en lumière les différents cercles de collaboration qui sous-tendent l’œuvre du cinéaste Amos Gitaï, pour explorer la relation étroite de ce dernier avec la scénariste française, Marie-José Sanselme, venue au cinéma à travers sa rencontre avec Gitaï, le commanditaire exclusif de son activité en cinéma. Le dialogue fondé sur un amour partagé de la littérature, constitue une étape incontournable du développement de la plupart des films de ce cinéaste, et un détour par la langue française, qui requiert à chaque fois la capacité pour elle de se fondre dans son imaginaire jusqu’à devenir le « je » de Gitaï. Cet échange multiforme les amène à une co-scénarisation, avant que Gitaï ne dérobe l’aboutissement de ces échanges pour en emporter le résultat vers l’étape suivante de la création. Réinscrivant le parcours d’Heiny Srour dans le paysage du cinéma libanais au sein d’une génération de réalisatrices nées au Liban, Patricia Caillé interroge la place accordée à Heiny Srour dans le Tiers cinéma, dans le cinéma militant féministe et dans une cinématographie nationale. Elle spécule ensuite sur la marginalité de Srour, dont le documentaire L’heure de la libération a sonné (1974) est le fragile témoin d’une révolution qui a brièvement transformé l’ordre genré et générationnel d’un mouvement de résistance. Malgré la forte notoriété que ce documentaire confère à son autrice, Srour demeurera en marge de l’histoire d’un cinéma national. Dans une forme expérimentale, un dialogue avec Kahena Attia, une monteuse nomade et libre qui a beaucoup œuvré pour le développement d’un cinéma d’auteur en Tunisie et au-delà, Ons Kamoun explore la façon dont les choix de formation, professionnels et personnels s’entrelacent pour constituer un parcours atypique faits de recommencements qui nourrissent une certaine indépendance et permettent à Attia de développer les fondations d’une conception du cinéma au-delà d’appartenances corporatistes. Dans la deuxième partie consacrée aux femmes pionnières, Dennis-Brook Prince Lotsu revisite le cinéma ghanéen à partir du parcours de Leila Djansi dans une réflexion sur le cinéma engagé, celle du Troisième cinéma que Fernando Solanas a redéfini dans un débat comme « un cinéma de la décolonisation, qui exprime la volonté de libération nationale, anti-mythique, anti-bourgeois, antiraciste, populaire47 » contre un cinéma commercial existant. Une telle approche peut surprendre pour une réalisatrice ghanéenne résidant aux
47 SOLANAS Fernando et GETINO Octavio, « L’heure des brasiers. Vers un troisième cinéma », Tricontinental (édition française), nᵒ 3, 1969, p. 4-23 ; SOLANAS Fernando, CinémAction, nᵒ 1, dans une table ronde, 1978.
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États-Unis, donc à la fois dedans et dehors, et dont les films sont très populaires. Mais Lotsu analyse ici la transformation du mode de production des films ghanéens, de leur distribution et de leur exploitation, pour mettre en relief le caractère hybride d’un cinéma politique et commercial dont il cherche à évaluer l’efficacité. Ce faisant, il souligne deux tendances, celle issue d’un cinéma tiers-mondiste censé élever la conscientisation citoyenne tandis que l’autre moins ouvertement militant cherche à rendre compte de l’expérience qu’ont les individus au quotidien des régimes oppressifs et des rapports de domination. C’est clairement dans cette deuxième tendance que s’inscrit le travail de Leila Djansi. Comme Leila Djansi au Ghana, la carrière de Katinka Heyns en Afrique du Sud est marquée par des succès d’estime, son film Paljas (Clown magique, 1998) a concouru pour un Oscar dans la catégorie des films en langues étrangères. Anna-Marie Jansen Van Vuuren se penche ainsi sur la trajectoire de cette réalisatrice sud-africaine blanche, qui s’inscrit dans les pas de Truida Pohl, autrice du premier film par une réalisatrice en Afrique du Sud en 1962, Man die Donker, pour la resituer dans une histoire de l’engagement des réalisatrices sud-africaines dans une lutte pour l’accès à la fabrication d’images dans leurs propres termes, et souvent en résistant aux choix du secteur, un accès auquel les réalisatrices non-blanches ne parviendront qu’au milieu des années 1990. Alejandra Val Cubero documente le parcours de Nujoom Alghanem, première documentariste émiratie qui, contre toute attente, a pu se forger une œuvre en cinéma en dépit d’une culture qui ne l’y prédisposait pas. Cette dernière retracera avec une grande sensibilité les destins d’hommes et de femmes ordinaires que les transformations sociales et culturelles rapides engendrées par un culte de la modernité a effacés, avant de s’attacher aux parcours artistes de ses proches. Les deux dernières parties sont consacrées à des états des lieux nationaux de la présence des femmes dans les filières, des difficultés qu’elles rencontrent, des moyens dont elles usent pour parvenir à faire des films. Dans cette tâche de défrichage, les autrices et auteurs des textes rassemblés ici ont été confrontés à des données au mieux fragmentaires, d’où d’importants travaux de terrain destinés à dénombrer et recenser les professionnelles afin d’offrir une vision plus exhaustive de l’activité des secteurs et de leur présence au sein de ces derniers. Seuls le Centre cinématographique marocain et le National Film and Video Foundation (NFVF) en Afrique du Sud48 ont le souci de la publication régulière des chiffres concernant l’attribution des fonds publics et
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Le NFVF produit des rapports et des statistiques concernant l’activité du cinéma en Afrique du Sud, https://www.nfvf.co.za/home/22/files/2020/Research (consulté le 11 sept. 2020).
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de statistiques genrées sur l’activité des secteurs49. Un tel projet nous semblait important afin de rendre compte en premier lieu de la diversité des situations, des initiatives qu’ont pris les femmes souvent rapidement occultées et oubliées dans le paysage de secteurs précaires qui ont connu un rapide développement ces dernières années même si les effets à plus long terme de la mise à l’arrêt des secteurs à cause de la Covid 19 nous empêchent de présager du futur. En ouverture de la troisième partie, Hülya Uğur Tanriöver et Gülsenem Gün ont effectué un recensement des réalisatrices et des productrices en Turquie et une enquête sur leurs conditions de travail. Rappelant que le premier film par une réalisatrice, Cahide Sonku aussi actrice, date de 1950, elles décrivent les facteurs qui ont contribué à l’augmentation du nombre de films par des réalisatrices qui représentent presque 10 % du total des films produits contre 2 % avant les années 2000. Tanriöver et Gün se sont intéressées aux contraintes institutionnelles et organisationnelles qui pèsent sur les projets portés par des réalisatrices, en particulier l’accès à des financements moindres, la plus grande difficulté à imposer une autorité face à des équipes largement masculines, le sentiment d’être en permanence observées par des collaborateurs à l’affut d’une faiblesse prouvant leurs limites, etc., et les moyens que les réalisatrices mettent en œuvre collectivement pour améliorer ces conditions. À partir d’une enquête de terrain menée auprès des femmes œuvrant en cinéma dans les zones francophones et anglophones, Lambert Ndzana propose une synthèse des films réalisés par des femmes au Cameroun, à commencer par le parcours exceptionnel de Sita Bella (1933-2006) première réalisatrice camerounaise, et distingue les différentes activités que les Camerounaises exercent avant d’aborder la question de la formation, un aspect particulièrement crucial pour le développement de ce secteur. Ce faisant, il évoque aussi les stéréotypes genrés qui peuvent freiner leur engagement ou la manière dont leur présence est perçue. Au-delà de l’état des lieux, les contributions de la quatrième partie interrogent la capacité d’agir que s’arrogent les nouvelles générations de contester les statu quo, les moyens qu’elles ont utilisés pour s’insérer et insuffler non seulement des regards neufs, de nouvelles propositions esthétiques mais aussi le souci qu’elles ont d’initier de nouvelles pratiques pouvant contribuer à l’intégration d’un nombre plus grand de femmes. L’enjeu est enfin d’interroger la façon dont la création cinématographique peut constituer une vitrine, celle d’une ouverture politique toute relative, vite récupérée par une communica-
49 Voir, par exemple, les derniers bilans statistiques annuels publiés par le Centre cinématographique marocain, https://www.ccm.ma/bilan-cinematographique (consulté le 7 novembre 2020).
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tion officielle efficace, la promotion du cinéma comme vecteur de la construction d’identités alternatives à la fois dans les pays de production ou au-delà de ses frontières. Raluca Calin explore un secteur d’activité peu connu en Éthiopie, un des pays les plus peuplés d’Afrique, peu doté en termes d’équipements, et peu organisé en termes de formation et de production et qui produit des films à bas coût prisés par les publics locaux. Elle montre comment des femmes formées à l’étranger ont réinvesti le secteur pour le structurer en faisant de la production des films un lieu de formation pour les recrues locales. Dennis-Brooke Prince Lotsu examine la façon dont les réalisatrices ghanéennes ont pu s’intégrer dans une industrie du cinéma passée, lors du tournant vidéo au milieu des années 70, aux mains d’entreprises privées dans une concurrence commerciale rude, et la façon dont elles ont développé, dans un secteur déficitaire en termes d’infrastructure, des projets à travers des collaborations au Ghana et au-delà qui leur ont permis d’autofinancer leurs films. Dans un secteur cinématographique en plein essor en Tunisie, Emna Mrabet explore à partir d’une enquête de terrain portant sur « la formation et le parcours, le processus d’écriture, l’économie des films, leur diffusion », la spécificité de la réalisation par des femmes en Tunisie, la façon dont elles sont parvenues à s’imposer depuis la révolution du 14 janvier 2011. Elle retrace ainsi le parcours de deux générations de réalisatrices confrontées au sexisme, avant d’analyser les personnages féminins dans leurs films, autant de réponses aux imaginaires stéréotypés qui hantent le rapport des institutions et des publics aux personnages de femmes dans les films. Salima Tenfiche propose d’examiner « le degré de féminisation des métiers du cinéma » à tous les niveaux de la chaîne de production des films en Algérie. Ce faisant, elle met en relief une opposition entre un cinéma de glorification nationale entièrement masculin et richement doté, qui produit des biopics sur des héros de la révolution, et un cinéma indépendant, plus inclusif, qui se développe avec de bien plus petits budgets en marge de la tutelle de l’État algérien. Elle consacre une partie de son étude à l’engagement de Habiba Djahnine essentiel à la formation au documentaire d’un nombre conséquent de réalisatrices. Stéphanie PourquierJacquin s’intéresse à une nouvelle génération de réalisatrices qataries et aux enjeux de la promotion d’une activité très féminisée, dans un pays sans culture ni secteur du cinéma, et qui s’est lancé récemment dans le soutien à la production cinématographique dans la région avec la création en 2009 du Doha Film Institute. Faut-il y voir une « opportunité à saisir pour des femmes qui n’ont pas eu la possibilité de trouver leur place dans des carrières essentiellement occupées par des hommes, la revendication d’un point de vue, d’une vision, d’apporter un regard nouveau » ou un support communicationnel permettant à l’État afin d’améliorer son image ? De manière oblique, ce premier volume fait ressortir la participation des femmes à la diffusion et à la valorisation des films comme au développement 26
des secteurs et des cultures du cinéma. S’agit-il d’un souci genré de s’investir pour le bien de l’ensemble des acteurs des secteurs concernés comme celui des publics ? Sans doute. Les femmes sont nombreuses à prendre en charge la formation des nouvelles générations, l’organisation de manifestations, la gestion de salles destinées à la programmation de films plus fragiles comme au Liban ou encore au sous-titrage et doublage des films essentiels à l’élargissement des publics qu’ils peuvent toucher comme au Cameroun. Ce faisant, ces travaux mettent en lumière également certains a priori que nous avons déjà évoqués : si les nombreux films primés ont déjà apporté à leurs autrices une notoriété, celle-ci est trop éphémère pour affecter les hiérarchies culturelles et les œuvres autour desquelles se sont construits les grands récits des cinémas nationaux. Analyser la façon dont le genre s’inscrit dans des rapports de pouvoir économique, culturel et politique ayant trait au cinéma, opère dans l’activité des professionnels, le fonctionnement des institutions, et affecte les hiérarchies des intermédiaires du jugement comme les pratiques des publics est essentiel, mais il reste à trouver les moyens par lesquels institutions culturelles, savoirs universitaires et actions militantes peuvent contribuer conjointement à la réécriture de telles histoires.
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PARTIE I - PARCOURS SINGULIERS
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Andrée Davanture, monteuse. Un œil à l’écoute ! Claude Forest Paris 3/ Sorbonne nouvelle - IRCAV EA 185
ABSTRACT L’ambition de cette contribution est de retracer le très riche et original parcours professionnel d’Andrée Davanture, qui exerça de 1952 jusqu’à son décès en 2014. Malgré la maladie, elle continuera de monter jusqu’au bout de ses forces, laissant inachevé à 81 ans un dernier film de Souleymane Cissé qu’il lui dédiera, O Ka, après un bilan de plus de 150 films, autant français qu’africains, montés durant une carrière ininterrompue durant 62 ans au service du film, en demeurant à chaque fois à l’écoute du réalisateur. Comme pour tant d’autres, il ne reste que peu de traces écrites de son travail qui fut toutefois considérable. L’incomplétude de données officielles – qui recensent au mieux le tiers de son travail – ont rendu longue et délicate la quête minutieuse des données précises la concernant, à commencer par la reconstitution de son impressionnante filmographie, au niveau insoupçonné au début de l’entreprise, mais également sa manière de travailler, sa grande générosité, son ouverture aux autres, son écoute permanente. Cela a été permis grâce à plusieurs dizaines de rencontres et d’entretiens, avec ses proches, de nombreux assistants monteurs qu’elle s’appliqua toute sa vie durant à former avec ténacité et exigence, et qui deviendront eux-mêmes monteurs ensuite, des administratifs et producteurs au sein de la structure qu’elle créa en 1980 (Atria), des fonctionnaires des ministères avec lesquels elle collabora, et évidemment des réalisateurs de toutes nationalités. Cette approche mémorielle qualitative est complétée par un accès au fonds d’Atria, déposé par ses soins aux Archives départementales de Seine saint Denis en 20041.
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L’ampleur et la richesse du matériau qui s’y trouve, ainsi que la générosité des nombreuses rencontres effectuées lors de la recherche pour cette contribution, m’ont incité à reconstituer à la suite une biographie de cette monteuse exceptionnelle, parue depuis dans cette même collection : Andrée Davanture, la passion du montage, Paris, L’Harmattan, 2021, 452 p.
INTRODUCTION Si les hautes compétences techniques de Madame Davanture ont permis de sauver bien des films, elles ont aussi contribué à rehausser la valeur d’une certaine coopération et donné à celle-ci une dimension nouvelle : celle du cœur. Lucien Patry2 Professionnellement chef monteuse depuis 1965, Andrée Davanture avait rejoint le bureau cinéma du ministère de la Coopération en mars 1974, peu de temps après découvert les films africains. À la suite de la maladie puis du décès de Jean-René Debrix en 1978, de l’incendie des bâtiments du Bureau du cinéma et de sa cellule technique en mars 1979, l’augmentation des demandes de cinéastes africains semble effrayer le ministère de la Coopération qui supprime l’aide directe aux cinéastes africains, ferme la section montage de son Bureau cinéma et licencie ses techniciennes fin 1980. Dès lors des professionnels se regroupent hors de l’administration publique, mais avec son soutien, autour d’Andrée Davanture et Marie-Christine Rougerie son assistante monteuse, dans une Association technique de recherches et d’informations audiovisuelles (Atria), à laquelle s’adosse une coopérative de production (ATRIASCOP)3 assurant spécifiquement la production exécutive de films initiés sans producteur. L’objectif, militant et reposant aussi sur de nombreux concours bénévoles, visait à offrir une assistance à la réalisation et à la production d’œuvres cinématographiques africaines. C’est elle qui permettra à une quarantaine de films et plusieurs dizaines de longs métrages de s’achever, et à de nombreux réalisateurs africains (Souleymane Cissé, Jean-Pierre Dikongué Pipa, Gaston Kaboré, etc.) d’accéder à une stature internationale. Lâchée financièrement vingt ans plus tard par un ministère de la Coopération absorbé par le ministère des Affaires étrangères (MAE) qui souhaitait désormais davantage de retombées en France et s’intéressait davantage à la francophonie.
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PATRY Lucien, courrier à M. Moreau s/c M. Debrix, « Compte rendu d’activité de la Section technique Cinéma 1974 », 20 février 1975 ; AD93 257J/28. 3 Les archives papier d’ATRIA et ATRIASCOP ont été soigneusement classées par Claude Le Gallou, monteuse et administratrice d’ATRIA, puis selon la volonté d’Andrée Davanture, déposées en 2004 aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (indiquées ici AD93), la Cinémathèque française les ayant refusées. Elles y sont conservées et - après que leur classement matériel et intellectuel définitif ait été effectué - communicables sous la référence 257 J. Leur accès m’a été autorisé par sa fille Claire Davanture qui a également généreusement échangé avec moi. Elles ont constitué une ressource importante pour cette présentation, alimentée d’entretiens avec quatorze professionnels ayant travaillé avec elle, réalisateurs, assistantsmonteurs ou collaboratrices : que tous en soient ici chaleureusement remerciés.
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Victime également de plusieurs factures impayées, la structure cesse ses activités en 1999 et sera dissoute sans qu’aucune structure technique équivalente n’ait jamais vu le jour depuis. Andrée Davanture poursuit alors individuellement son travail de monteuse dans d’autres espaces jusqu’à son décès en juillet 2014, inachevant un dernier film, africain, O Ka, que Souleymane Cissé lui dédiera.
L’APPRENTISSAGE DU MÉTIER Née Vincensini le 11 octobre 1933 à Poggio di Nazza, un village de montagne du centre de la Corse, Andrée Davanture grandira en étant la septième dans une famille de neuf enfants, de condition très modeste. Sans moyens pour financer des études supérieures, elle commence à travailler à 18 ans. Semblant avoir choisi le montage parce qu'elle « aimait la synthèse4 », elle effectue classiquement des stages, d'abord de six mois en laboratoire, d’octobre 1951 à avril 1952, puis sur deux longs métrages (LM) et quelques documentaires, essentiellement au sein du laboratoire LCM (Laboratoires cinématographiques modernes) à Montreuil sous-bois. La monteuse Victoria Mercanton5, militante communiste dotée d’une très forte personnalité, deviendra son mentor pour ses débuts dans le métier. Elle aborde ensuite en 1953 une carrière d’assistante monteuse qui durera douze ans, ce qui va l’amener à travailler sur une trentaine de LM français, ainsi que quelques courts métrages (CM) et séries documentaires pour la télévision qui gagnait alors en puissance, soit au total deux à trois LM par an, avant de devenir chef monteuse à 32 ans. ASSISTANTE-MONTEUSE (1953-1968) Ce début de carrière était tout à fait conforme aux normes et usages de l’époque. En effet, depuis le gouvernement de Vichy, la loi du 26 octobre 1940 réglemente les professions cinématographiques et institue une carte d’identité professionnelle obligatoire pour pouvoir exercer un métier dans ce secteur. Toutefois, à l’origine l’intention était surtout de contrôler et d’interdire l’accès à certaines catégories (juifs et communistes essentiellement), l’attribution se faisant de manière sélective et temporaire ; elle se transformera après-guerre en une attribution automatique et définitive sous le respect de certains critères professionnels ou administratifs. Cette obligation n’a été supprimée que récemment6, mais à l’époque considérée, l’application de l'article 15 du Code
4 CUSTERS Raf et BAKER Mariet, entretien avec Andrée Davanture, festival d’Amsterdam, 1995 ; AD93, 257J/756. 5 Née Pozner et d’origine russe, elle montera plus d’une soixantaine de films durant sa carrière commencée en 1938, dont la quasi-totalité de ceux de Roger Vadim. 6 Ordonnance no 2009-901 du 24 juillet 2009.
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de l'industrie cinématographique imposait que les collaborateurs de création du film soient titulaires de cette carte d’identité professionnelle délivrée par le Centre national de la cinématographie7. Les critères évoluèrent dans le temps, ceux d’assistant monteur et chef monteur seront redéfinis en 1964, ce dont Andrée Davanture bénéficia simultanément le 17 septembre 1965 (carte 2.202 du CNC), puisqu’elle remplissait largement les conditions de chef-monteur (assistant-monteur ayant exercé leurs fonctions dans six films français de long métrage), après avoir satisfait à celles d’assistante. La féminisation du titre n’était pas encore officiellement en vigueur, bien qu’usuellement pratiquée dans les génériques. À ce stade, il convient toutefois d’évoquer brièvement l’évolution de ce métier puisqu’originellement davantage pratiqué par des femmes. Sans en retracer toute l’histoire, comme d'autres, ce métier n’est pas né immédiatement avec le cinématographe, aussi certains points paraissent utiles à souligner, notamment pour mieux comprendre la conception qu’en avait Andrée Davanture8.
Tables de collage, Studios Éclair, 1935
À l’origine, l’ensemble des scènes étaient souvent tournées selon un ordre chronologique, voire avec une seule prise de vue, en étant toujours de courte durée du fait des contraintes des caméras, et elles étaient conçues et écrites selon un ordre très précis, avec des plans numérotés. En laboratoire, le travail 7
Janine Rannou retrace son évolution. Voir, RANNOU Janine, « Un système de réglementation professionnelle en crise : la carte d'identité professionnelle de la cinématographie », Formation Emploi, n° 39, 1992, p. 19-34. 8 Pour l’évolution des premiers temps voir notamment : DENIS Sébastien, « À la recherche du monteur. La lente émergence d’un métier (France-1895-1935) », 1895 revue d’histoire du cinéma, n° 65, hiver 2011, p. 52-81.
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consistait uniquement à couper la pellicule (souvent directement le négatif en France), puis pratiquer le « bout à bout » et coller les plans les uns à la suite des autres selon les indications écrites du réalisateur, qui n’assistait jamais à l’opération. Tâche industrielle et répétitive d’exécution, ne nécessitant aucune qualification, les femmes avaient trouvé facilement à s’employer dans ce travail de colleuse, de même qu’elles seules occupaient essentiellement d’autres tâches au sein de cette industrie naissante : tirage et séchage de la pellicule, coloriage au pochoir, etc. Dès la Première Guerre, issue notamment des États-Unis où la division du travail et l’industrialisation du processus de fabrication des films se mirent en place précocement, eut lieu une réflexion sur la dynamique des assemblages des plans, et apparut une conception éditoriale des assemblages avec distinction et séparation nette de deux métiers cutting et editing, soit en France (coupeuse)-colleuse et monteuse. L’importance du montage fut rapidement mise en évidence par des innovateurs tels Dziga Vertov en U.R.S.S. (Le Ciné-œil, 1923 ; L'homme à la caméra, 1929) et toute l’école soviétique9 autour de Koulechov. Souvent mené par l’opérateur qui le considérait comme partie intégrante de sa fonction10, ou supervisé par le réalisateur, cette action fut progressivement investie par des hommes, phénomène accéléré avec le développement de la fiction et l’allongement de la durée des films (Naissance d'une nation, D. W. Griffith, 1915, 190’, etc.) puis la généralisation du long métrage. Le passage au sonore, et donc la plus grande difficulté de perpétuer le simple bout à bout en raison des dialogues qui créaient une autre dynamique dans le récit, supprima progressivement le métier de colleuse, tandis que celui de monteur se masculinisa fortement11. La Seconde Guerre rétablit une parité, qui perdure de nos jours dans la plupart des pays, dont la France12. L’évolution professionnelle d’Andrée Davanture se fit d’ailleurs dans ce cadre puisque pour l’ensemble des films sur lesquels elle travailla en tant
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Pour un développement : CHATEAU Dominique, Contribution à l’histoire du concept de montage. Koulechov, Poudovkine, Vertov et Eisenstein, Paris, L’Harmattan, 2019, 170 p. 10 Tels certains opérateurs des frères Lumière puis de Charles Pathé, qui ne mentionnaient même pas l’opération du montage dans leurs génériques : MESGUICH Félix, Tours de manivelle, Paris, Grasset, 1933, 303 p. 11 Sur les 166 LM français des années trente, on ne compte plus ainsi que 50 femmes créditées au générique, soit 30 % : CHIRAT Raymond, Catalogue des films français de longs métrages, 1929-1939, Bruxelles, Cinémathèque royale de Belgique, 1975, 138 p. Mais leur place était plus importante dans les autres formes filmées moins réputées, CM, actualités, etc. 12 En 2019, le métier de monteur est ainsi l’un des très rares en ce cas, avec 42,5 % des emplois pourvus par des femmes, les autres étant très fortement genrés (scripte, costumière, habilleuse à plus des trois quarts pour les femmes, machiniste, électricien, mixeur à plus de 90% pour les hommes, etc.). Les études du CNC, La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle, CNC, mars 2020, 123 p.
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qu’assistante-monteuse, de 1953 à 1968 elle connut 8 chef-monteuses (pour 12 films) et 8 chef-monteurs (mais pour 19 films). Sans pouvoir en tirer une généralité statistique, il convient de constater que sur cet échantillon le taux d’employabilité a donc été moitié plus élevé pour les hommes, et de fait, l’un d’entre eux compta particulièrement dans sa carrière professionnelle, Gabriel Rongier, qu’elle assista sur douze LM entre 1957 et 1962 (né en 1921, débutant en 1948, il en monta plus d’une cinquantaine dans sa carrière). Dès lors, l’ensemble des métiers artistiques, dont cinématographiques, se construisant sur l’acquisition d’un capital social et relationnel, il n’est pas surprenant de constater que Rongier possédait lui-même son réseau de réalisateurs avec lesquels il travaillait de manière privilégiée (Raoul André, Henri Verneuil…) dont certains feront ultérieurement appel à Andrée Davanture sans lui, tel Claude Bernard-Aubert. Un autre réseau se constituera ensuite (1963-1968) autour de Marie-Sophie Dubus qui commençait sa carrière de chef-monteuse, leur collaboration s’effectuant notamment sur quatre longs métrages de Robert Hossein (Maigret voit rouge, 1963 ; Une corde… un colt…, 1967, etc.). Elle demeurera l’une de ses meilleures amies, et durant cette décennie elles formèrent avec d’autres, notamment monteuses comme Monique Nana, Françoise Duez, Marie-Josèphe Yoyotte, les sœurs Engerer, un groupe de jeunes femmes indépendantes et joyeuses. Marie-Sophie Dubus, qui eut un temps Frédéric Rossif comme compagnon avec lequel travaillera aussi Andrée Davanture (La route romane, 1970), montera au moins une quarantaine de longs métrages, mais fit surtout carrière à la télévision, recevant à ce titre le 7 d'or du meilleur montage en 199413. Elle contribua à introduire Andrée Davanture dans ce nouveau milieu dans lequel elle commençait à exercer pleinement son métier. CHEF-MONTEUSE À LA TÉLÉVISION (1963-1973) Si elle avait déjà été assistante en 1962 pour Télé Hachette sur une série concernant l’histoire des civilisations, et l’année suivante sur des téléfilms de la télé suédoise, c’est à partir de 1965 et jusqu’en 1973 qu’elle y travaillera essentiellement, s’éloignant du cinéma où elle ne participera qu’à trois LM durant cette période. Elle montera de 1966 à 1971 plusieurs grands reportages de deux célèbres émissions d’alors : Information Première de Pierre Desgraupes, et Cinq colonnes à la une produite par Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et réalisé par Igor Barrère, les grands noms des débuts de la télévision publique française. Pour la première, elle y retrouvera son
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Les 7 d’or se voulurent pour la télévision française l’équivalent des Césars au cinéma, retransmettant en direct une cérémonie de récompenses qui se tint de manière irrégulière entre 1985 et 2003.
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compatriote corse Ange Casta14 avec lequel, au-delà de la connivence de leurs origines communes, une solide amitié se nouera, et sous la direction duquel elle montera un téléfilm se déroulant en Corse (Colomba, 1968) et plusieurs documentaires sur les sujets internationaux brûlants du moment (Palestine et Vietnam). Sa méthode de travail et sa relation aux réalisateurs s’était mise en place : « Avec Dédée on ne commençait jamais par travailler directement. On s’asseyait, on discutait, pas du film mais de tout, de rien, de la vie, de la famille, des sujets d’actualité… Ça durait deux heures parfois, et puis à un moment on se levait et on y allait, et ensuite on dépassait largement l’horaire prévu pour finir le travail ; elle ne comptait pas son temps15. » Cet abord facile mettra les gens en confiance, les jeunes réalisateurs notamment, renforcé par sa générosité, sa disponibilité et son sens de l’écoute qui seront une constante dans son comportement. Lors de ses montages pour Cinq colonnes à la une, elle rencontrera une autre pionnière de la télévision qu’elle suivra, sa secrétaire générale Éliane Victor16, lorsqu’elle produira ensuite une nouvelle série de 65 reportages, Les femmes aussi. Elle en montera plusieurs épisodes entre 1965 et 1969, dont En Inde, Un automne à Rieupeyroux, Un couple comme les autres, Celles du voyage. Elle participera ensuite pour Télé Hachette à plusieurs séries pour enfants (Les aventures de Babar, Caroline sur la lune) dont elle montera quelques épisodes, ainsi que plusieurs documentaires jusqu’en 1974. À cette date également, elle montera deux des films de la trilogie documentaire sur la Corse réalisée par sa sœur Noëlle Vincensini accompagnée de Jean-François Bertrand, Da fassi una spulendata (1974), puis Stondé (1985). Durant cette période télé, elle apprécia et développa l’esprit d’équipe, plus particulièrement en montant les documentaires de réalisateurs expérimentés comme Pierre Cardinal pour trois films de montage d’images d’archives (Mémoires de guerre du Général de Gaulle, 1972), qui complétèrent sa formation et auxquels elle se référera longtemps. Sur le troisième LM cinéma de cette période télé, elle travailla avec MarieChristine Rougerie pour l’assister, et c’est avec elle qu’elle se lancera dans
14 Admis à l’IDHEC en 1949, il effectuera la quasi-totalité de sa carrière à la télévision publique qu’il défendra ardemment, où il réalisera plus d’une centaine de documentaires, reportages et quelques fictions. Il deviendra Président de la SCAM (Société civile des auteurs multimedia) de 2003 à 2007. 15 Ange Casta, entretien avec l’auteur, 11 avril 2019. 16 Elle raconte son parcours, et notamment sa difficulté à imposer cette émission en laquelle personne ne croyait y compris Desgraupes, dans VICTOR Eliane, Profession femme, Paris, Grasset, 2008, 223 p.
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une nouvelle phase de sa vie professionnelle, qui les emmènera pour une collaboration sur une vingtaine de films.
AU MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION (1974-1980) Attirée par la différence, curieuse de tout ce qui pouvait lui apporter un autre regard, par les autres cultures, elle avait toujours été intéressée par l’Afrique. Elle découvre réellement le cinéma africain en mars 1974, lorsqu’elle rejoint la section technique du Bureau du cinéma au ministère de la Coopération. Les travaux de montage et de sonorisation étaient auparavant assurés par de nombreux monteurs engagés film par film, dont Bernard Lefèvre (qui avait monté une dizaine de LM français, notamment ceux de Charles Gérard), remplacé parfois par Paul Séguin (documentariste et réalisateur de CM), et surtout Danièle Tessier. Après avoir travaillé dans le son, cette dernière débuta dans le montage avec des documentaires de Jean Rouch, et pour le ministère de la Coopération elle montera notamment deux films d’Oumarou Ganda. À leur départ, c’est à Dédée qu’il sera essentiellement fait appel pour monter les films, et elle deviendra ensuite l’unique chef monteuse du service, jusqu’à sa suppression en 1980. Elle sera principalement assistée de Marie-Christine Rougerie et accessoirement de Dominique Saint Cyr, chargées notamment de la mise en ordre des rushes et de leur synchronisation. Travaillant sous la direction technique de Lucien Patry, ce dernier, cinéaste de formation (issu de la première promotion de l’IDHEC en 1944-45), avait été conseiller technique au ministère de l’Agriculture, chargé de mission à la Cinémathèque française auprès de Henri Langlois, avant de travailler au ministère de la Coopération où il dirigea cette section technique cinéma de sa création début 1962 à sa dissolution en 1982, demeurant au MAE jusqu’en mai 1987. Il réalisa par ailleurs plusieurs films documentaires pour la télévision et le cinéma, dont La dernière moisson (1977) avec Davanture au montage. Le Bureau cinéma dont dépendait cette section fut dirigée par Jean-René Debrix qui en insuffla l’âme de 1963 jusque début 1976, puis par Luc Dariosecq. Aux indépendances de ses anciennes colonies africaines (1960), l’État français avait adopté une politique de coopération plutôt que d’assimilation, et souhaitait apporter un soutien appuyé aux nouveaux États, notamment afin de préserver des liens économiques et culturels avec eux, d’abord pour y conserver ses propres intérêts. La forme choisie, l’aide technique et économique, et sa centralisation à Paris, vont forger les caractéristiques essentielles de l’intervention française dans le champ cinématographique dans toute l’Afrique
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sud saharienne francophone, dont le bureau du cinéma sera l’instrument direct durant toute son existence17. Depuis sa création le service technique du bureau du cinéma avait aidé à la réalisation de nombreux films, dont une dizaine de longs métrages. Cela avait au début davantage concerné des reportages liés aux actualités filmées car après les indépendances il importait de créer un service produisant des images africaines pour remplacer les actualités françaises. Ce furent ensuite en sus quasi exclusivement des petits documentaires et des courts métrages, à commencer par ceux de Paulin Soumanou Vieyra, Sembène Ousmane étant également indirectement soutenu pour Borom Sarret (1963, 20’) qui fut primé au festival de Tours, lança sa carrière et dont la découverte par Andrée Davanture quelques années plus tard lui suscita une vive émotion et lui donna envie de monter des films par des Africains. Le soutien aux LM commença en 1969 puis s’amplifia en 1974 avec l’arrivée d’Andrée Davanture que Patry avait engagée notamment pour monter le film d’une femme18, Safi Faye (Lettre paysanne, 1975). Passionnée, elle s’investit de plus en plus dans les films africains et prit la direction du montage dans la section. Rapidement elle se rendit compte que pour les réalisateurs africains comme pour tant d’autres pour leur premier film, l’écart était grand dans leur esprit entre les rushes qu’ils pouvaient visionner et la représentation intérieure qu’ils s’étaient fait de leur récit. D’inévitables manques et insuffisances techniques apparaissaient par non maitrise de l’outil cinématographique, et le visionnage sur le petit écran de la table de montage en a immanquablement déconcerté plus d’un. Loin de donner des leçons, avec une vraie rigueur professionnelle mais ne pensant pas être détentrice d'une réalité technique ni d’une maîtrise de l'outil cinématographique, comme accompagnatrice de talents avec d’autres techniciens expérimentés elle contribuera fortement à l’apprentissage technique de leur métier pour ces réalisateurs lors des longues journées de travail, dépassant souvent les douze heures d’affilée, surtout à l’approche du mixage final. Le montage se révèle en effet souvent comme une période révélatrice aussi bien pour le réalisateur que le monteur. Professionnelle sans jamais porter de jugement, Dédée « souhaitait écrire une partition comme elle aimait tant le dire. Elle avait affaire à de grands artistes et ils écrivaient ensemble une mélodie19. » Cela contribua indubitablement à un bilan quantitatif impressionnant pour une si petite équipe, pas moins de huit films ayant été
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Pour une analyse détaillée des soutiens financiers de la France, voir Claude Forest, Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018), Paris, L’Harmattan, 2018, p. 64. 18 BARLET Olivier, « La coopération française à ses débuts : entretien avec Lucien Patry », Paris, 1995, afrimages.net/category/documents, consulté le 17 avril 2019. 19 THOMAS Annabel, entretien avec l’auteur, 28 juin 2019.
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finalisés au cours de cette année 1974. En sus de L’étoile noire (Djingareye Maiga, 90’, Niger), et le Panorama du cinéma africain (Mohamed Diop, 45’, Sénégal), six furent montés par Davanture : Sous le signe du vaudou (Pascal Abikanlou, 90’, Dahomey), Musée national du Niger (Jean-Paul Vuillin, 45’, Niger), Walanda - La leçon (Alkaly Kaba, 90’, Mali), Kouami (Jacques Do Kokou, 30’, Togo), Lettre paysanne (Kaddu beykat) (Safi Faye, 90’, Sénégal), Muna moto (L’enfant de l’autre) (Jean-Pierre Dikongué Pipa, 100’, Cameroun). Sorti en salles l’année suivante, ce dernier film connut un succès international retentissant en festivals en obtenant notamment le Grand Prix Festival international du film de l’Ensemble francophone (Genève, 1975), le Prix Georges Sadoul (France, 1975), le Tanit d’argent aux JCC (Tunisie, 1976), et surtout l’Étalon d’or et le 1er Prix OCIC au Fespaco (Ouagadougou, 1976), attirant l’attention sur le cinéma par des Africains, mais également sur le soutien de la France et la réputation de celle qui était progressivement devenue « Dédée » dans toute la profession. Car, au-delà de sa technicité et de son savoir-faire, sa disponibilité et son écoute se mirent au service des cinéastes et de ce cinéma qu’elle découvrait et dont elle épousa la cause, touchée par les formes différentes du récit et de la relation au temps qu’ils incarnaient. De manière imprévue et non intentionnelle, sa qualité relationnelle sut instaurer une confiance profonde dépassant la stricte relation institutionnelle, et permit de nouer des amitiés sincères profitables à l’émergence et l’épanouissement de ces cinématographies naissantes, ce qui autorisa Lucien Patry à conclure son bilan annuel en indiquant que « c’est ainsi qu’entre ces cinéastes et l’équipe de montage un courant a passé. Les relations humaines et professionnelles qui se sont établies ont certainement permis de faire progresser une certaine forme originale de coopération20 ». En dehors de Sembène, Djibril Diop et quelques autres, tous ces cinéastes tournaient en 16 mm à l'époque, avec de faibles moyens, et il est d’ailleurs symptomatique que hors le Sénégal, ce furent les pays les plus pauvres qui furent les plus prolifiques (Haute-Volta, Niger, Mali). Poussé par Dédée, le bureau cinéma se professionnalisa et incita ceux qui le pouvaient à faire des formations, dont l’IDHEC (Bassori Timité en 1964, Désiré Ecaré, Henri Duparc en 1966, etc.). Puis Andrée Davanture découvrit les difficultés de tourner en Afrique lors de sa mission pour la télévision béninoise en 1976-77, et notamment sur Le Prix de la liberté de Pipa sur lequel elle se rendit, où rien ne s’avéra aisé, à commencer par les relations entre les deux équipes, camerounaise et française. En sus du caractère du réalisateur, d’un certain mépris de la
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PATRY Lucien, op. cit., p. 2.
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part de techniciens français et des réticences de l’ambassade de Yaoundé21, si cela fut un peu douloureux pour elle, elle apprit beaucoup et en revint convaincue : La connaissance du terrain est indispensable, et me fait envisager sous un tout autre angle notre aide (…) Je n’en veux pour exemple que le temps perdu, à chaque retard (et il y en a souvent) tout prend des proportions inutiles et impossibles – nos normes européennes sont inapplicables ici (…) les causes de retard sont multiples, déficience de l’équipe africaine, acteur en ballade, crise de palu, promesses non tenues par telle ou telle administration ; ici il n’y a pas de rigueur22. Mais loin de se décourager ou d’incriminer les Africains, elle en tira la conclusion que « bien des choses sont à revoir » du côté français, notamment dans le recrutement des techniciens africains, dans l’établissement de leurs contrats qui doivent être différents pour s’adapter à chaque situation locale (d’autres bases financières que celui du paiement à la semaine par exemple), envisager de plus longues durées de tournage, organiser des stages de formation à leur attention en sus et dehors du temps de tournage, etc. À deux exceptions près, elle se consacra ainsi durant cette période uniquement au montage de longs métrages par des Africains, une quinzaine au total avant la suppression de la cellule montage de cette section technique du ministère de la Coopération située rue de la Boétie à Paris, dans le 8ème arrondissement.
ANDRÉE DAVANTURE ET ATRIA (1980-1999) Plusieurs facteurs conduisirent à la fermeture de la section montage du Bureau du cinéma. Outre le retrait puis le décès de Debrix en novembre 1978, les bâtiments de la cellule technique furent touchés par un incendie en mars 1979, ce qui força l’équipe à monter ailleurs (à Auditel principalement) et posa la question de leur reconstruction et du rachat de matériel. Également des pressions furent exercées par des gouvernements africains pour contrôler leur production nationale23, et parallèlement l’augmentation des demandes de cinéastes sembla effrayer le ministère de la Coopération qui décida alors d’arrêter l’aide directe aux réalisateurs africains et de fermer la section montage
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Dans son courrier du 25 novembre 1977, Michel Berthod, adjoint au sous-directeur des actions culturelles au MC, demande explicitement de ne pas participer à la finition du film en l’attente de certaines garanties ; AD93 257J/28. 22 Courrier d’Andrée Davanture du 23 octobre 1977 ; AD93 257J/28. 23 Sur l’ambivalence des relations, voir notamment : Olivier Barlet, « France, je t’aime ; France, je te hais : les cinémas d’Afrique dans le trouble de la coopération », Africultures, vol. 83, n° 1, 2011, p. 52.
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rémunérée par le CAI (Consortium audiovisuel international) qui cessa ses activités fin 1980, licenciant les deux monteuses le 17 septembre. Ayant commencé à y réfléchir antérieurement, Andrée Davanture, Marie-Christine Rougerie et des professionnels ayant travaillé autour des cinémas d’Afrique se regroupèrent hors de l’administration dans une Association technique de recherches et d’informations audiovisuelles (Atria)24, à laquelle s’adossa à partir de juin 1981 une Société coopérative ouvrière de production à capital variable (ATRIASCOP) composée d’une dizaine de personnes, pour assurer spécifiquement les opérations commerciales, à commencer par la production exécutive des films africains initiés sans producteur. Longtemps gérée officiellement par Francis Lloria, elle obtint du CNC la carte d’autorisation d’exercice en tant qu’industrie technique, puis également de producteur spécialisé. L’objectif, militant et reposant ainsi sur de nombreux concours bénévoles, visait à offrir une assistance à la réalisation et à la production d’œuvres cinématographiques, au début essentiellement africaines. Conçue comme un bureau d’accueil et de coordination, installée à partir de l’été 1982 au 16 boulevard Jules Ferry, Paris 11ème, Atria développera quatre axes principaux : une assistance technique à tous les stades de la conception et réalisation des films ; la formation notamment en accueillant régulièrement des stagiaires (tant en montage qu’en réalisation/production) ; l’information et la documentation en étant en relation avec les universités, la presse et les institutions, en constituant progressivement un fond très conséquent ; et elle servit enfin de centre de coordination, par relais auprès d’une cinquantaine de festivals internationaux (information et réception des organisateurs, visionnage des films, acheminement des copies et des dossiers de presse, organisation des transits, etc.) et fut aussi fréquemment sollicitée pour la programmation de rétrospectives sur le cinéma africain. Atria bâtit ainsi une relation privilégiée avec de nombreux festivals, dont le FESPACO pour lequel elle participa à l’envoi régulier de films tirés en France, comme à la création de la cinémathèque d’Ouagadougou, mais également pour les festivals d’Amiens, des 3 continents à Nantes ou de Namur. Dédée, était très soucieuse de diffuser ces films à l’international au même titre que tous les autres et avec le même prestige, et elle était très souvent contactée, y compris par Gilles Jacob, le délégué général du festival de Cannes, notamment pour alimenter sa sélection en films de qualité réalisés par des Africains.
24 Journal Officiel n° 245 du 19 octobre 1980. Les membres fondateurs en sont Andrée Davanture, Georges Garcia (économiste), Alain Garnier (chef-opérateur son), Étienne Carton de Grammont (directeur de la photographie), Jacques Lombard (ethnologue et réalisateur), Férid Boughedir (critique et réalisateur), Marie-Christine Rougerie (chef-monteuse) et Jean-Jacques Schakmundès (directeur de production).
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Jusqu’à sa fermeture vingt ans plus tard, Dédée fut l’âme et la cheville ouvrière d’Atria, des amitiés fidèles la secondant au fil du temps. Sans détailler ici son fonctionnement, au niveau financier, l’association, fondée grâce à une subvention initiale de 90 KF de la CIMADE et un peu de matériel issu du ministère de la Coopération, 400 KF en 1982 et 300 KF en 1983 furent versés par le Fonds d’investissement culturel pour acheter les autres tables de montage. Elle vécut avec des subventions relativement modestes, du ministère de la Coopération jusqu’en 1990, et accessoirement de celui de la Culture. Le CNC aida également (30 KF en 1983, 200 KF en 1991, etc.), divers organismes complétant le financement par de petites subventions dont l’obtention était irrégulière et s’avéra de plus en plus difficile, le cumul variant de 240 KF (1986) à 670 KF (1994)25. De son côté, grâce à l’expertise des techniciens et à l’engagement de Dédée, la coopérative gérait annuellement environ 3 MF de chiffre d’affaires issus des productions, par lesquelles les monteurs étaient directement rémunérés, et sur lesquelles la structure percevait en général un pourcentage de 10 % (7 % de frais généraux et 3 % de frais financiers). En sus, la location des cinq salles de montage – dont les deux premières tables étaient issues du service technique cinéma après sa fermeture – permettait de financer environ la moitié des frais fixes de la structure. Par militantisme en soutien au cinéma par des Africains, et par amitié pour Dédée et l’équipe, de nombreux techniciens travaillèrent bénévolement ou en étant faiblement rémunérés, essentiellement les dix premières années, la situation se modifiant en 1990 avec la conjoncture économique26 et le changement de législation interdisant aux intermittents du spectacle d’effectuer des prestations bénévoles tout en touchant les prestations ASSEDIC. Un fonctionnement militant, familial et parfois atypique caractérisa la structure, mais un besoin de financement récurrent y amena des tensions, d’autant que le succès d’Atria provoquait un appel d’air pour les projets africains et multipliait les besoins, de plus en plus complexes et diversifiés, qui touchaient toute la vie du film, et pas seulement le montage. Dédée fut personnellement amenée à davantage superviser et coordonner plusieurs productions à partir de 1991, notamment Rabi (Gaston Kaboré, 1992), Octobre (Abderrahmane Sissoko, 1992), etc., ne comptant pas son temps, ne refusant de parler à personne, soutenant amicalement nombre de projets sans en être rémunérée ni créditée au générique. « Atria était un lieu de rencontre pour tous les cinéastes, pas seulement africains, de grands noms y ont monté leurs films, tels Gérard Mordillat (Vive la sociale, 1984…), Hervé Leroux (Reprise,
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Comptes annuels d’ATRIA et ATRIASCOP, AD93 257J/557. La fréquentation en salles françaises chute de moitié entre 1982 et 1992, la production passe de 231 LM en 1981 à 146 en 1990, entraînant une nette tension sur le marché du travail dans le cinéma français. 26
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1996…), Jean-Louis Comolli ou d’autres moins connus comme Yves de Peretti (Tabu, dernier voyage, 1996…), etc. Les Africains bénéficiaient de tarifs préférentiels mais tout Paris venait monter ses films à Atria ! Et tout le monde s'y rencontrait. C'était une ouverture, un lieu d'échange entre tous les réalisateurs (pas seulement africains), car Dédée se battait justement contre la "ghettoïsation" de ce cinéma27. » Son esprit de famille et son engagement militant étaient unanimement salués et reconnus, d’aucuns allant jusqu’à l’appeler officiellement « camarade », notamment au plus fort de la révolution sankariste, tel Nissa Traoré, le secrétaire général de l’Union nationale des cinéastes du Burkina. Claude Le Gallou s’y trouvait par ailleurs à cette date, enseignant le montage à l’INAFEC (1982-1986), ayant un peu participé comme monteuse à l’aventure Atria mais surtout comme administratrice, la composition du bureau de l’association changeant selon les disponibilités des bonnes volontés amicales, d’aucuns prêtant volontiers leur nom ou leur renommée, mais pouvant difficilement s’engager avec une telle intensité sur une aussi longue durée28. Sa connaissance des réseaux permettait de faciliter la rédaction des dossiers notamment auprès des institutions qui subventionnaient, d’ouvrir des portes, de trouver les bons techniciens, les équipes étant le plus souvent mixtes tant pour des raisons de matériels disponibles, de savoir-faire sur certains postes clés, que pour des motifs juridiques, les aides françaises étant liées par imposition d’une clause de dépenser la moitié ou plus des subventions au profit de personnels ou entreprises françaises, dont souvent la postproduction donc le montage29. Les projets étaient juridiquement et financièrement portés par la coopérative, ATRIASCOP, avec Nelly Dumas comme directrice administrative et financière (1981-1990). N’étant pas salariée de la structure qu’elle animait, pour chaque projet, Dédée comme tous les techniciens se voyait rémunérée film par film par la société de production correspondante, touchant le salaire prévu par la convention collective30.
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Annabel Thomas, entretien avec l’auteur, 28 juin 2019. La présidence d’ATRIA sera ainsi successivement assurée par Georges Garcia (1980), Andrée Davanture (1982), Marie-Christine Lafont (1983-1999), le reste du bureau tournant également. Et des huit fondateurs, seule Marie-Christine Rougerie contribua durablement à l’entreprise. 29 FOREST Claude, Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018), op. cit., p. 66. 30 Sur Neak Sre (Les gens de la rizière), elle signa ainsi le 24 août 1992 un contrat de disponibilité entre le 1er décembre 1992 et le 15 février 1993 pour douze semaines au minimum au salaire hebdomadaire de 5417F ; AD 93, 257J/28. 28
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Dédée au montage sur une table Atlas 16 mm dans les locaux d’Atria
L’expertise d’Atria dans les difficultés liées aux relations avec les pays d’Afrique de cultures très différentes en fit rapidement un point de passage reconnu par tous les professionnels, jouant un rôle dont il n’est pas certain que les institutions eussent pleinement conscience, tant dans les retombées économiques pour la filière française que pour le soutien quantitatif important mais peu onéreux qu’elle apportait à tous ces cinéastes. Sur ce plan, la personnalité de Dédée joua un rôle fondamental dans la réussite, l’attractivité et la pérennité de la structure qui permit à plus d’une trentaine de films africains de se monter, ainsi qu’à une dizaine d’autres Suds, notamment ceux du Cambodgien Rithy Panh (Les gens de la rizière, 1993…), mais surtout à plus de 600 autres d’être accompagnés, à des titres divers. Les contradictions et difficultés que leurs réalisateurs rencontraient étaient d’abord d’ordre culturel. En effet, à chaque étape de leur film, le premier public qu’ils rencontraient, à commencer par les professionnels, était français, ou européen, lié à l’origine des financements obtenus. Du scénariste qui venait soutenir, voir réécrire, le projet, aux techniciens jusqu’aux bailleurs de fonds ou premiers spectateurs des projections, tous avaient, inévitablement, le regard de leur propre culture, leurs attentes, critères d’évaluation, goûts, conscients ou non, donnant leur avis ou cherchant à orienter la fabrication du film. En face, le réalisateur se retrouvait souvent seul, davantage encore s’il venait de son pays sans être issu de la diaspora, et devant porter dans une relation asymétrique – de surcroit renforcée par la dépendance financière – le projet avec sa vision personnelle structurellement différente, générant souvent des niveaux d’incompréhension ou de contradiction assez élevés. Certes, les plus forts ont pu faire aboutir leurs films, mais beaucoup, dans ces coproductions Nord/Sud, aboutirent à des résultats bâtards, ou non conformes à leur vision initiale, ce qui était à l’opposé de celle de Dédée et de toute l’équipe d’Atria. 45
Sur ce plan, sa culture et sa formation furent déterminantes. Adhérente au parti communiste et baignant longtemps dans un environnement idéologiquement marqué, si elle s’en était éloignée après 1968, son adhésion à la CGT spectacles se maintiendra après la scission de 198131 et perdurera jusqu’au bout, et elle en garda toujours un goût et une attention aux autres, ainsi qu’un sens aigu du partage et du collectif. Sous son impulsion Atria construisit ainsi explicitement une éthique fondée sur le respect de l’autonomie, se mettant au service de l’artiste pensé comme unique initiateur de l’œuvre, répondant aux demandes, et n’imposant pas une vision préalable, fut-ce au nom d’une meilleure technicité ou compréhension qui s’en serait trouvée améliorée. Les témoignages sont unanimes sur ce qui ne fut « pas une maison de production mais une enseigne – il faudrait écrire « chez ATRIA » (…) Accueillant avec patience les projets d’aspirants cinéastes dans leurs premières démarches, Atria est une halte dans le sens où elle relance les scénarios en les individuant. (…) Atria est la formule qui prend son temps en même temps qu’elle peut accepter des projets, une machine à dire « oui ». (…) Surtout pas des oreilles de médecins qui écouteraient ce grand malade que l’on imagine être le réalisateur sans moyens (…) Bref, Atria n’a jamais fait de l’humanitaire 24 images secondes. Pas un lieu où l’on consolerait, mais un lieu où l’on travaillerait32. »
31 Schématiquement, eut lieu en 1980 un vif débat au sein des techniciens entre ceux qui souhaitaient adopter des revendications concernant indistinctement le cinéma et la télévision, et ceux qui considéraient qu’il fallait séparer les secteurs (la « noblesse » du cinéma de fiction ne devant pas se mélanger avec les « roturiers » de la télé de flux). La césure regroupait par ailleurs les sensibilités d’extrême gauche et une fraction du parti communiste, dont Dédée, qui restèrent en l’actuel SPIAC-CGT (Syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma), et ceux, dont Victoria Mercanton, qui rejoignirent le syndicat des techniciens qui devint le SNTPCT (Syndicat national des travailleurs de la production cinématographique et télévisuelle). Il est à noter qu’à aucun moment n’eut lieu de débat significatif sur la place des femmes dans les métiers concernés. 32 TEGUIA Tariq, « Réclamation », 11 mai 1999 ; AD93 257j/3. Réalisateur algérien, Dédée l’aida sur ses CM et monta deux LM.
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Séance de travail à Atria : Mustapha Diop, Gaston Kaboré, Emmanuel Sanou
« DD ne cherchait pas à éliminer les fautes et les maladresses, voire des insuffisances dans le scénario, la mise en scène ou le langage cinématographique, bien au contraire elle voulait toujours comprendre l’intention profonde de l’auteur, le désir caché, la tentative inaboutie33. » « Qui fut un meilleur guide sur le chemin de l’intégrité, de l’affirmation et de la différence ? Qui a toujours lutté contre toute tentative de formatage ? Qui m’a toujours encouragé, montré le sens de mon travail ? Qui pouvait rendre limpide la réponse à " pourquoi " faire un film et " pourquoi "cela vaut tous les sacrifices ? Qui avait la suprême exigence de révéler aux yeux du spectateur l’univers de l’autre ? Il suffisait d’être curieux, alors DD vous emmenait sur son bateau ivre… 34. » « Regarder Dédée travailler était l’affirmation que le film que j’avais en tête était possible. Elle dirigeait son travail comme un chef d’orchestre, elle écoutait le film, elle fermait les yeux, le geste suspendu à sa pensée (…). En la voyant avec Souleymane Cissé ou Gaston Kaboré ou d’autres, il y avait la même ardeur, la même flamme dans ses yeux. Le soutien qu’elle donnait à chacun de nous était animé par la conscience qu’elle avait de l’acte. Elle nous nourrissait de cette énergie-là, elle s’engageait dans le film, le faisait sien. Il fallait que le film existe par lui-même et que sa voix soit reconnue pour elle-même. Sa fidélité au sujet était inébranlable35. » Ces témoignages de réalisateurs sont évidemment partagés par ceux qui furent ses collaborateurs, notamment en l’aidant au montage. « Libre, c’est le 33 KABORÉ Gaston, « Andrée Davanture, chevaucheuse d’imaginaires », La Lettre AFC, n°246, 2 octobre 2014. 34 PAHN Rithy, « Sur le bateau ivre d’Andrée Davanture », La Lettre AFC n°246, 2 octobre 2014. 35 VAN LEEUW Philippe, « Dédée Davanture, marraine du cinéma », La Lettre AFC, n° 245, 3 septembre 2014.
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mot qui définirait le mieux Andrée Davanture. Libre de l’espace, libre de pensée, libre du temps, libre de la vie. Libérer le réalisateur, libérer le film pour inventer, inventer une écriture filmique, en respectant la matière, et surtout les rushes36. » Ci-dessous : Tables de montage à Atria 35 mm CTM et 16 mm ATLAS
Mais le fonctionnement financier de ce lieu atypique le fut également, avec de nombreuses contraintes et incertitudes matérielles, jusqu’à sa disparition au bout de deux pleines décennies. La prise en charge des réalisateurs demandait beaucoup de temps, notamment pour leur expliquer le fonctionnement des mécanismes administratifs français, exigeant une disponibilité quasi permanente au début, alors que la structure n’avait les moyens que pour rémunérer deux personnes. Ce furent essentiellement Claude Le Gallou en tant que chargée des programmes37, et sur la seconde décennie Annabel Thomas comme secrétaire administrative, chargée de l’accueil et du développement de la diffusion des films, la totalité des revenus issus des ventes ou locations étant reversée aux ayants-droit, sans prise de commission de la part d’Atria. L’essentiel du fonctionnement était assuré par les bénévoles, dans un grand esprit d’ouverture et de bienveillance insufflé par Dédée, qui ne se fit elle-même pas rémunérer par les deux structures qu’elle avait initiées, mais dont la personnalité permit de profonds et durables échanges d’expérience. « Au début il y avait une très grande prise en charge, certains par la suite ont mis en place leurs propres réseaux, c’était d’ailleurs un de nos buts, mais malgré cela ils passaient toujours pour une raison ou pour une autre. Nous étions à l’écoute, nous n’étions pas là pour faire du business. (…) Nous devions nous adapter à
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MOLLA Rodolphe, « Andrée Davanture, si particulière et libre », La Lettre AFC, n° 246, 2 octobre 2014. 37 Claude Le Gallou qui avait fait l’IDHEC en 1958 dans la section montage, croisa Dédée quelques années plus tard à Antégor alors que celle-ci travaillait sur les films d’Ange Casta. Elle aura un parcours très diversifié à l’international, qu’elle relate dans son autobiographie : Une fille du siècle, Paris, L’Harmattan, 2019, 308 p.
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chaque demande et accepter de profondes différences, ce qui est plus simple à dire qu’à vivre38. » Cela passait par un temps considérable à simplement parler, échanger, de tout, de rien, de la vie, des ennuis et joies personnelles, Dédée étant très curieuse des autres et ne cessant de leur poser des questions, de les faire se sentir unique, et cela dans la vie courante comme professionnelle, les démarrages de journée et les pauses étant consacrés aux échanges informels, conçus comme des moments essentiels. « Quand on prenait le café tout le monde discutait sans protocole, ceux qui étaient arrivés avant, ceux qui étaient arrivés après, tout le monde s’enfermait ensemble. Pour un court métrage, pour un documentaire, on déjeunait ensemble, tout le monde se mélangeait et participait39. » Le rôle d’ATRIA/ATRIASCOP fut considérable, d’un apport technique fondamental pour les cinéastes africains. D’abord quantitativement : on comptait à l’édition 1997 du Fespaco pas moins de huit films en compétition pour lesquels ces structures avaient participé à titres divers, et notamment en production exécutive. Au total Atria permit l’aboutissement de 42 LM africains entre 1980 et 1999, Dédée assurant le montage sur une trentaine d’entre eux. Mais également qualitativement, car si elle n’aimait guère les honneurs et récompenses pour elle-même (elle refusera fermement d’être décorée de l’ordre des Arts et Lettres), considérant que seul le travail le méritait et pas les personnes, sur la période, en sus de tous ceux qui ne furent « que » nominés pour des festivals, après les six durant son passage au bureau du cinéma, le palmarès auquel elle contribua est impressionnant. Ce ne furent en effet pas moins de quatorze films qu’elle monta durant cette période – soit un film sur deux ! – qui reçurent des prix lors de festivals internationaux, dont la moitié par des Africains, et six coréalisés par des femmes : Finyé (Le Vent- Souleymane Cissé, 1981), Paweogo (L’émigrant- Kollo Sanou, 1982), Wênd kûuni, le don de Dieu (Gaston Kaboré, 1983), Yeelen, La lumière (Souleymane Cissé, 1987)40, Zan Boko (Bras de fer- Gaston Kaboré, 1988), Site 2. Aux abords des frontières (Rithy Panh, 1989), Les mémoires de Binduté Da (Michèle Fiéloux et Jacques Lombard, 1989), Lung Ta. Les cavaliers du vent (Marie-Jaoul de Poncheville, Franz-Christoph Giercke, 1990), Tinpis run (Pengau Nengo, 1991), Les gens de la rizière (Neak sre - Rithy Panh, 1993), Puk nini (Ouvre
38 DAVANTURE Andrée, « Atria : Davanture en aventure », Lettre de la SRF, n°67, septembre/octobre 1989, p. 3. 39 MOLLA Rodolphe, entretien avec l’auteur, 7 avril 2019. 40 Yeelen fut le premier, et seul, film d’un Africain du sud du Sahara à être primé à Cannes (prix du jury, 1987).
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les yeux - Fanta Régina Nacro, 1995), Mossane (Safi Faye, 1995), Le truc de Konaté (Fanta Régina Nacro, 1998), Os mutantes (Teresa Villaverde, 1998). Car parallèlement, également en fonction des propositions qui lui étaient faites et de ses disponibilités, elle monta à l’extérieur des films d’autres origines, française évidemment, mais également d’Asie et aussi d’autres pays européens, dont ceux de Teresa Villaverde qu’elle suivra pour en monter certains au Portugal (Eau et sel, 2001, etc.). Si l’Histoire ne peut se réécrire, et si elle affirmait qu’on ne pouvait monter un bon film avec de mauvais rushes, il est tout de même certain que, sans elle, nombre d’entre eux n’auraient pas eu cette reconnaissance internationale, voire n’auraient pas abouti à une forme aussi respectueuse de la vision initiale des cinéastes.
Andrée Davanture, Claire Mersadier, Mansour Wade, Claude Le Gallou au Fespaco 1993
« Une accoucheuse de l’imaginaire, c’est vraiment ça qu’elle était, pas une technicienne du montage au sens où beaucoup ont de la dextérité d’ailleurs. Elle ne voulait pas s’encombrer des aspects techniques, elle allait au cœur des films, elle avait cette magie de pouvoir pénétrer dans les histoires, de ressentir ce que la personne voulait dire, et de ne pas supprimer chaque chose qui a priori paraissait être un accroc. C’est comme s’il y avait un tissu et on veut enlever tous les fils qui pendent : elle, elle ne réagissait pas de cette manière. Elle se disait : c’est une tentative de dire quelque chose, peut-être que ce n’est pas entièrement abouti mais parfois même laisser la trace de cette tentative, c’est ça qui devenait l’histoire. C’est ce que moi j’avais senti, et j’ai vu comment elle était avec tous les autres. J’étais très attentif à cela et à la limite ça
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me touchait davantage de la voir travailler avec d’autres parce que je comprenais comment nous avions travaillé nous-mêmes. Elle avait un grand respect des auteurs, et elle disait toujours : ‘Ce sont eux les auteurs de leur film’41. » La dévaluation de 50 % du franc CFA le 1er janvier 1994 porta un rude coup aux capacités de financement des Africains francophones, puis le décès en mars 1997 de Jacques Foccart, l’homme de la Françafrique, celui qui avait créé cette conception de la coopération comme outil d’une diplomatie d’influence, suivi par la nouvelle éthique du gouvernement de Lionel Jospin (juin 1997 – mai 2002) modifièrent profondément la politique africaine de la France. Le ministère de la Coopération remania totalement les fondements même de son existence, se faisant absorber le 1er janvier 1999 par le ministère des Affaires étrangères. Inévitablement, prétextant l’absence de définition claire de la mission d’Atria au moment de sa conception, mais également de la nécessité de réinvestir dans du matériel de montage numérique, celui d’Atria étant devenu obsolète, il lui attribua une dernière subvention de clôture en 1998, et réorienta sa politique de soutien par l’octroi direct de subventions aux projets de réalisation décidés par des commissions. Lâchée par le ministère de la Coopération qui souhaitait désormais davantage de retombées en France42 et se souciait davantage de la francophonie, mais victime également de nombreuses factures impayées de la part de certaines équipes africaines, Atria licenciera son personnel en août 1998 et ATRIASCOP se mettra en liquidation l’année suivante pour être radiée du registre du commerce le 19 octobre 1999, sans qu’aucune structure technique équivalente n’ait jamais vu le jour depuis ; une époque s’achevait.
APRÈS ATRIA (2000-2014) Pour tenter de rebondir et de valoriser le fonds de documentation sur les films d’Afrique, sur les conseils de Jean-Pierre Bekolo un projet de site internet (atriafilm, @u-delà du cinéma) fut monté avec Nelly Dumas, mais rapidement abandonné, faute de financement. Finalement l’ensemble des archives de l’association Atria (fonds papier, audio, vidéo et pellicule), représentant pas moins de 120 mètres linéaires, achèvera d’être déposé aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis le 21 décembre 2004 par Rodolphe Molla.
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KABORÉ Gaston, entretien avec l’auteur, 26 mai 2019. Cet épisode est développé dans BARLET Olivier, « Le lâchage d’ATRIA, entretien avec Andrée Davanture », dans LELIÈVRE Samuel (dir.), Cinémas africains, une oasis dans le désert ? Paris, Corlet/Télérama, CinémAction n° 106, 1° trim. 2003, p. 72-76. 42
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Stéphanie Combot, Annabel Thomas, (?), Claude Le Gallou et Dédée à Atria, 1994
Ce dernier fut l’un des très rares hommes que Dédée prit comme assistantmonteur, et celui avec lequel elle travailla le plus longtemps (de 1994 à 2008), sur une quinzaine de films, et il convient à ce stade d’évoquer succinctement plusieurs traits de ses méthode et conception du travail. La première a été pour elle l’importance de la forte proximité, du partage et des amitiés dans le travail, dont on relèvera qu’elles furent essentiellement féminines : du temps d’Atria toutes les personnes administratrices, et toutes les assistantes sauf un furent des femmes. Et tout au long de sa carrière, elle travailla ainsi au moins43 une vingtaine de fois avec Marie Christine de Rougerie, qui fut également l’un des piliers d’Atria, une demi-douzaine avec Jenny Frenck, un peu moins avec Dominique Saint Cyr, Juliana Sanchez, puis sur la dernière période avec Anne Reydellet, Barbara Bossuet et Barbara Serré. Ses origines corses, ses combats et affinités féministes des années soixante forgèrent assurément son tempérament combatif et ses collaborations en ce sens. Le second point est l’aspect social, également forgé indirectement par son militantisme, notamment syndical qu’elle assurera jusqu’au bout auprès des homologues de sa profession. Le soutien aux réalisateurs, notamment africains, ne représentait évidemment pas un plan de carrière ni une aspiration à se rapprocher des positions dominantes au sein du cinéma, et celui de ses assistants au montage obéissait donc à une logique similaire. On rechercherait dans la longue liste de films qu’elle monta - mais avec nettement moins de noms différents d’assistants en raison de sa fidélité et de son plaisir à travailler avec des personnes que sa compétence et sa renommée lui avaient permis de 43 Notamment sur les films de la décennie 1970 et les courts métrages, il ne nous a pas été possible de retrouver les noms de tous les assistants monteurs, pas toujours crédités au générique, Dédée en montant également un certain nombre toute seule.
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toujours choisir, voire imposer - des noms de professionnels issus de familles aisées ou des grandes écoles. Ses choix d’assistants n’étaient pas dictés par une rationalisation mais par un ressenti, y compris de compatibilité de caractère, avec elle-même bien sûr, mais également avec le tempérament du réalisateur avec lequel il allait falloir travailler. Cette affinité s’établissait ainsi, ou non, avec des gens en qui elle décelait une envie et un potentiel, mais massivement issus de milieu modeste, comme le fut le sien. « Je me suis toujours dit qu’elle m’avait choisie entre autres aussi en raison de mon parcours. Je ne connaissais personne, je venais de nulle part, j’ai commencé le cinéma très tard, enfin bref rien ne m’y amène et je viens d’une classe populaire, moyenne. Ça l’intrigue, ça l’intéresse et elle préfère donner cette place d’assistant à moi plutôt qu’à quelqu’un qui sort de la Fémis ou d’une école réputée… et je pense qu’on avait tous des parcours pas tout à fait dans la norme pour ce milieu, ou en tout cas pas privilégiés socialement44. » Le souci de transmettre l’habitait également, et elle accompagna en cela non seulement les nombreux cinéastes débutants, même, et souvent, de manière informelle lorsqu’ils l’appelaient ou passaient la voir, notamment dans les locaux d’Atria, mais aussi tous ses assistants et assistantes, leur expliquant, leur indiquant simplement son chemin de pensée, sans jamais user de sa position ou de sa légitimité, pourtant très grande au sein du métier. Ce fut grâce à cette reconnaissance qu’elle put, jusqu’à son dernier film, imposer aux productions la présence constante d’une personne assistante à ses côtés, sur tous les films, alors même que l’abandon de la pellicule n’imposait plus une seconde personne pour manipuler les fichiers numériques sur ordinateur. Elle en fit toutefois un combat et une question de principe jusqu’à la fin, ne s’asseyant que très rarement derrière un clavier pour utiliser les logiciels de montage, qu’elle connaissait pourtant par ailleurs, laissant volontairement cette manipulation à l’assistant. Jusqu’au bout, durant dix ans elle continua de la sorte, se tenant à ses côtés et lui donnant des indications, et cela pour au moins trois raisons. La première était un fort réflexe syndical, de préservation du métier et des emplois ; également elle perpétuait de la sorte son savoir-faire en assurant l’importance de cet acte de transmission, de passer le savoir et la méthode qui est bien autre chose que la technicité de la maîtrise d’un outil, manuel ou informatique. Et par ailleurs, la formation de cette équipe lui permettait de conserver le temps de la réflexion, de la mise en ordre mental, du « montage dans sa tête », telle une partition – temps auparavant permis par la temporalité de la manipulation physique des bandes. Elle le faisait très simplement, en proximité, « avec Andrée on écoutait et on participait, on pouvait vraiment participer, il n’y avait pas d’enjeu, chacun pouvait donner son point de vue45 ».
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BOSSUET Barbara, entretien avec l’auteur, 11 juin 2019. MOLLA Rodolphe, entretien cité.
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Si elle finit sa carrière en ne montant plus qu’en numérique à partir de 2004, cela ne changea pas sa pratique ni son mode de travail. Carrière d’Andrée Davanture (1953-2014) Type de films CM et télé
Nationalité
LM
France
Asie Europe
Afriques
Assistante-monteuse (1953-1968) >11*
25
> 36
-
-
Chef-monteuse à la télévision (1963-1976) >12*
9
6
21
>16
2
Chef-monteuse au cinéma I – 1967 – 1980 8 -
-
22
II - 1980-1999 (ATRIA) 18
22
8
3
29
III – 2000-2014 9
24
5
8
20
13
71
Total >59
98
>73
*Pour la télévision, elle monta plusieurs épisodes d’une même série Toutefois, depuis la fin d’Atria et suivant en cela un effet de mode fréquemment observé dans tous les milieux culturels, sans qu’elle le recherche, l’origine des films se réorienta durant la dernière période de son activité. Les Africains francophones du sud du Sahara qui l’avaient tant sollicitée se tournèrent davantage vers les guichets institutionnels, remplacés par certains d’Afrique du Nord (Tariq Teguia, Khaled Ghorbal, etc.) ou d’Europe comme Teresa Villaverde, pour lesquels elle fut toujours aussi active. Physiquement malade et fatiguée, elle ne diminua pourtant guère son rythme de travail les dernières années. Loin d’un rapport, soit d’assujettissement du monteur au pouvoir du réalisateur qui se considèrerait comme un démiurge, ou inversement, de la donneuse de leçon qui impose une vision du monde tel que cette pratique se rencontrera ensuite dans tant de commissions « d’aide » aux cinémas des Suds, il est certain que l’essor d’un certain cinéma africain francophone n’aurait pas
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connu la forme qu’elle adopta sans l’éthique et la pratique de Dédée. De nombreux films n’auraient pas abouti ou auraient fini très différemment, et de nombreux réalisateurs n’auraient pas connu une telle carrière sans cette « monteuse de profession et utopiste de tempérament qui a insufflé assez d’énergie et de foi dans cette cause pour que se crée une dynamique permettant la création et le maintien d’Atria46 », malgré toutes les difficultés rencontrées, notamment financières. Réduire professionnellement Andrée Davanture à son activité de monteuse de films africains serait assurément méconnaître toute sa longue période de formation au service de la télévision et du cinéma français, puis son accompagnement ultérieur des réalisateurs français ou européens qui la sollicitèrent. Mais si un nombre majoritaire des films qu’elle monta furent issus de ce continent, elle marqua incontestablement ceux d’origine africaine. D’abord quantitativement avec plus de sept dizaines d’œuvres, dont les deux tiers de LM, mais surtout esthétiquement, par sa fonction « d’accoucheuse » reconnue publiquement par tant de réalisateurs (Kaboré, Panh, Cissé, etc.). Car à cet œil d’une grande acuité qui pouvait repérer avant de monter à l’image près si le raccord allait être bon « à l’image près ! Et ça c’était énorme : elle me disait de rajouter trois images et la différence était flagrante. À trois images près !47 ». C’était sa capacité d’écoute sans préjugés qui faisait sa grande force en se mettant au service des cinéastes. Il lui importait sans cesse de « rester le plus neutre possible. Ne pas intervenir sur les sujets, c'était vraiment son cheval de bataille : laisser chacun s'exprimer comme il en avait envie et l'aider à trouver le meilleur en lui. Laisser chacun exprimer à sa façon, qu'il puisse dire ce qu'il avait à dire, sans jugement et lui offrir la liberté. C'est ce qu'elle disait : la liberté d'être soi48 ».
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DUMAS Nelly, courrier à Roland, 15 octobre 1992 ; AD93 257J/34. BOSSUET Barbara, entretien cité. 48 THOMAS Annabel, entretien avec l’auteur, 9 mai 2019. 47
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Marie-Josée Sanselme, plume francophone du cinéaste franco-israélien Amos Gitaï Marie-Pierre Ulloa Stanford University
ABSTRACT Cet article propose d’explorer la place de Marie-José Sanselme, la scénariste du cinéaste israélien Amos Gitaï, sous l’angle du regard qu’elle porte sur son travail et par là même, sur sa contribution dans l’histoire du cinéma d’auteur, tant par sa perdurance que par son exclusivité. Il s’agit d’éclairer son apport en tant que scénariste qui participe à l’ « hypostase Gitaï » permettant l’éclosion des films du cinéaste en ayant toujours à l’esprit que son regard est immanquablement partiel sur l’ensemble du processus du geste filmique dont seul le cinéaste est l’ultime l’auteur. Gitaï est le seul à porter le film et à porter un regard global sur les différentes strates qui l’ont aidé à composer son œuvre. D’autres acteurs entrent en jeu tout au long du processus collectif de la fabrication d’un film qui se caractérise par l’hétérogénéité des intervenants (cinéaste, scénariste, acteurs, directeurs de photographie, ingénieur-son, régisseurs, monteurs, conseillers musique, etc.) dont seul le cinéaste-chef d’orchestre maîtrise le geste final et en détient la signature. Maillon central de l’œuvre du cinéaste depuis l'an 2000, nous arguons que c’est à partir du début de sa collaboration avec Marie-José Sanselme que les carrières française et internationale d’Amos Gitaï ont pris leur envol. Sa contribution décisive dans le parcours du cinéaste est comme une image inversée de la discrétion de sa visibilité médiatique qui peut être appréhendée en métaphore de la situation de collaboratrices non cinéastes dans le milieu du cinéma francophone pour des raisons structurelles, générationnelles et subjectives.
INTRODUCTION Cette photographie-paysage capture le moment emblématique du couronnement de la carrière d’un.e cinéaste, la montée des marches du festival du film international de Cannes. Rite de passage de la consécration cinématographique d’un.e cinéaste et de son équipe, il est symbolisé par l’ascension du
tapis rouge du plus prestigieux des festivals de cinéma depuis son lancement en 19461 :
Photo du film Kippur d’Amos Gitaï, mai 2000 à Cannes. Crédits : Pascal Guyot, AFP
Le sujet central de la photographie est le cinéaste franco-israélien Amos Gitaï mais sa composition attire le regard sur une autre personne, à la droite du cinéaste, qui n'est autre que sa mère, Efratia Gitaï (1909-2004), intellectuelle juive née en Palestine, présence toujours centrale dans la vie de son fils. Cette photo livre aussi l’équilibre de l’univers Gitaï avec, au premier plan, sa famille et son lien intergénérationnel : sa mère qui se trouve entre lui et sa femme Rivka Gitaï, leur fille Keren, en robe violette, qui se trouve entre Amos Gitaï et son acteur-alter ego du film Kippur, Liron Levo, qui lui-même se trouve à côté de leur fils Ben (absents de la photo). Cette photographie offre aussi au regard une hypostase de l’univers créatif de Gitaï : outre Gitaï lui-même qui est au centre de l’univers, il repose sur une structure solide qui a fait ses preuves sur la durée s’appuyant sur des personnes-clés : le premier cercle, celui de la famille, avec sa femme Rivka, professeure d'hébreu à l'université de Haïfa, intellectuelle érudite et discrète dont la contribution au travail de Gitaï est incommensurable depuis la fin des années soixante-dix. Comme lui, Rivka Gitaï vient de la ville portuaire de Haïfa ; une longue histoire et une langue commune les lient ainsi que leurs enfants, Ben et Keren, qui participent à leur manière au processus créatif.
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Le Festival de Cannes devait voir son lancement originel en 1939 mais la Seconde Guerre mondiale a entraîné le report de cette inauguration à l’après-guerre, en 1946.
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La photographie montre aussi l'autre famille, celle du cinéma : ce trio qu'il forme depuis 2000 avec Laurent Truchot, en smoking blanc à la droite de Gitaï sur la photo, et avec Marie-José Sanselme, en robe à fleurs, qui se trouve directement derrière Gitaï. Si Laurent Truchot est officiellement son producteur et Marie-José Sanselme sa co-scénariste, tous deux se caractérisent par leur multifonctionnalité au sein de l’univers Gitaïen. Premier collaborateur du cinéaste depuis 1986, Laurent Truchot est à la fois son producteur délégué, le manager de leur maison de production Agav Films, son bras droit qui l’accompagne lors des repérages de lieux de tournage, dans les festivals. Il est aussi caméraman sur certains films. Pièce maîtresse dans cet univers, toucheà-tout bricoleur « de génie » selon Gitaï et Sanselme, il élabore les plans de tournage et fait disparaître maints obstacles qui pourraient entraver la concrétisation des projets du cinéaste. Un troisième cercle apparaît aussi sur cette image, composé de ses collaborateurs qui lui sont fidèles et auxquels il est fidèle depuis des années : Ilan Moscovitch, le directeur artistique et directeur de casting de ses films israéliens, Sari Turgeman, sa scripte sur plusieurs films avant qu’elle ne crée sa propre école d’écriture de scénarios et de « script doctor ». S'ajoutent à ce troisième cercle, non présents sur la photo, Alex Claude, son ingénieur du son, complice au long cours, à l’oreille musicale à l'unisson de celle de Gitaï, Louis Sclavis, Simon et Markus Stockhausen pour la musique, son attaché de presse à l’international Richard Lormand2. Selon les tournages et les périodes, ce troisième cercle comprend aussi Nurith Aviv et Eric Gautier, ses directeurs de la photographie, les monteurs Isabelle Ingold et Yuval Orr, sans oublier ses acteurs fétiches qui reviennent de film en film, Yaël Abecassis, Hanna Schygulla, Liron Levo, Hiam Abbass, Hanna Laszlo, Sarah Adler, Youssef Abu-Warda, Ophrah Shemesh et Jeanne Moreau. Un quatrième cercle se matérialise également, celui des amitiés du monde de la culture, des festivals et des cinémathèques. Amos Gitaï est un « entrepreneur de réseaux3 », fin connaisseur et acteur du système culturel français, cette diplomatie culturelle qui n’a pas d'équivalent dans le monde, dont les ramifications internationales promeuvent la culture française et francophone hors frontières tout en soutenant les artistes étrangers en France, tels Amos Gitaï ou Abbas Kiarostami.
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Alex Claude (1955-2019) et Richard Lormand (1962-2018) sont décédés en 2018 et 2019. Voir ALEXANDRE Olivier, La Règle de l’exception. Écologie du cinéma français, Paris, EHESS, 2015, et ALEXANDRE Olivier, LAMBERBOURG Adeline, « Le singulier collectif. L’auteur à travers ses réseaux », Sociologie de l'Art (OPuS 25 & 26), nᵒ 2016, p. 63-82.
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Le rôle déterminant de Jérôme Clément et d’ARTE (Association relative aux télévisions européennes) est à souligner en particulier. Président-fondateur de la chaîne franco-allemande durant vingt ans (1991-2011), une amitié forte le lie à Gitaï. Jérôme Clément et son équipe d’ARTE, dont Thierry Garrel en tant que directeur de l’unité « documentaires » de la chaîne, ont soutenu la filmographie de Gitaï sur la durée de manière décisive. Les réseaux francophones et internationaux sont aussi cultivés par Gitaï qui sait créer des amitiés pérennes : de Frédéric Maire, ancien directeur du festival de Locarno, directeur de la Cinémathèque suisse depuis 20094 à Hou Hanru, directeur artistique du MAXXI, le Musée national des arts du XXIe siècle de Rome5, de Richard Penã, professeur de cinéma à l'université de Columbia, à Alberto Barbera, directeur du festival de la Mostra de Venise, de Léon Cakoff et Renata de Almeida, directeurs du Festival international du film de São Paulo à Akira Tochigi, conservateur pour le cinéma au Musée national d’art moderne du Japon, d’Aviva Weintraub, directrice du Festival du film juif de New York à Paul Willemen6, ancien directeur du British Film Institute qui a publié le premier ouvrage académique consacré à la filmographie de Gitaï7. En France, ses amitiés comprennent les éditeurs Antoine Gallimard et Colline Faure-Poirée chez Gallimard, Michèle Kokosowski, personne-clé du monde du théâtre, Sylvie Pras en charge du cinéma au centre Pompidou, Dominique Païni au palais de Tokyo, sans oublier ses amitiés cinéphiliques avec des noms respectés de la critique française, passés par des postes à responsabilité au sein des Cahiers du cinéma, Serge Toubiana, Jean-Michel Frodon8 et Antoine de Baecque, nouveau-venu dans le giron Gitaïen depuis 2019, ainsi que le critique et réalisateur Toshi Fujiwara au Japon et l’architecte-urbaniste Stefano Boeri en Italie9. Cette liste est loin d’être exhaustive et Gitaï a de solides relais avant tout en Israël, mais aussi en Italie, États-Unis, Brésil, Belgique, Mexique, Inde, etc., mais elle reflète combien l’organisation de l’univers Gitaï repose sur des murs porteurs. Les amitiés admiratives qu’il cultive avec certains cinéastes s’agrègent à ce cercle : Abbas Kiarostami jusqu’à son décès en 2016, Philippe Garrel, Costa-Gavras, Alejandro Inarritu. Entre tous ces cercles, se dessine un
4 La cinémathèque suisse a organisé une rétrospective Gitaï en 2014, « Tout Gitaï pour 50 », https://www.cinematheque.ch/f/actualites/article/tout-amos-Gitaï-pour-50/ 5 Le MAXXI a organisé en 2016 une exposition « Amos Gitaï. Chronicle of an assassination foretold », https://www.maxxi.art/en/events/cronaca-di-un-assassinio-annunciato/ 6 Paul Willemen (1944-2012). 7 WILLEMEN Paul, The Films of Amos Gitaï, A montage, London, British Film Institute, 1993, 132 p. 8 Amos Gitaï a co-écrit plusieurs ouvrages avec Jean-Michel Frodon depuis 2009. 9 Toshi Fujiwara a réalisé le making-off de Kedma, Independence: Around the Film Kedma by Amos Gitaï, 2002.
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autre cercle diagonal de travail et d’amitié qui traverse tous les précédents, celui des femmes10. Cet article propose d’explorer la place de Marie-José Sanselme, la scénariste dans l’hypostase Gitaï, sous l’angle du regard qu’elle porte sur son travail11 et par là même, sur sa contribution dans l’histoire du cinéma d’auteur, tant par sa perdurance que par son exclusivité. Il s’agit d’éclairer son apport en tant que scénariste qui participe à la « ruche Gitaï » permettant l’éclosion des films du cinéaste en ayant toujours à l’esprit que d’autres acteurs entrent en jeu tout au long du processus collectif de la fabrication d’un film qui se caractérise par l’hétérogénéité des intervenants (cinéaste, scénariste, acteurs, directeurs de photographie, ingénieur-son, régisseurs, monteurs, conseillers, etc.) dont seul le cinéaste-chef d’orchestre maîtrise le geste final et en détient la signature. Maillon central de l’œuvre du cinéaste depuis l'an 2000, nous arguons que c’est à partir du début de sa collaboration avec Marie-José Sanselme que la carrière française et internationale d’Amos Gitaï a véritablement pris son envol : vingt-et-un films en vingt ans de collaboration (2000-2020)12. Sa contribution décisive dans le parcours du cinéaste est comme une image inversée de la discrétion de sa visibilité médiatique qui peut être appréhendée en métaphore de la situation de collaboratrices non cinéastes dans le milieu du cinéma francophone pour des raisons structurelles, générationnelles et personnelles. Or, la place des femmes au centre du processus de création de l’artiste (archivistes, actrices, directrices de la photographie, monteuses, productrices, scénaristes, scriptes) montre qu’elles sont au cœur de la quotidienneté créative de l’artiste Gitaï : -Rivka Gitaï, la femme du cinéaste, joue un rôle crucial pour la dimension hébraïque et israélienne. Précieuse alliée pour la recherche de documents en hébreu, elle est l’archiviste de la famille et de nombre de ses films13. C'est elle
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Voir FRODON Jean-Michel, « Équation des frontières et des femmes », in FRODON JeanMichel, GITAÏ Amos, SANSELME Marie-José, Amos Gitaï - Genèses, Paris, Gallimard, 2009, et voir entretien vidéo avec ULLOA Marie-Pierre, « Amos Gitaï : Exile on Main Street », Stanford, octobre 2014. 11 Regard forcément subjectif et partiel sur le processus global du geste filmique dont l’auteur est uniquement le cinéaste Amos Gitaï qui, lui, porte un regard global sur les différentes strates qui l’ont aidé à composer son film. 12 Voir la filmographie abrégée du site du Collège de France, https://www.college-de-france.fr/site/amos-GitaÏ/Filmographie-abregee.htm 13 Amos Gitaï parle d’elle, de sa personnalité indépendante, de la nécessité de son espace de liberté, du fait qu'elle n'aime pas venir sur les tournages dans son film Guerre et Paix à Vesoul (1997). C’est un dialogue entre lui et le cinéaste palestinien Elia Suleiman, filmé dans le train qui les mène de Paris à Vesoul où ils sont les invités du Festival international des cinémas
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qui a réuni les lettres d’Efratia Gitaï publiées chez Gallimard14. C’est elle aussi qui a décrypté les documents inédits de la commission Shamgar de la cour suprême israélienne, mandatée d’enquêter sur les manquements à la sécurité du premier ministre Yitzhak Rabin au moment de son assassinat le 4 novembre 1995. Son épouse depuis 1980, Rivka Gitaï a retranscrit le manuscrit de plus de 800 pages de la thèse en architecture de Gitaï, déposée en 1986 à l'université de Berkeley15, avant d’entreprendre elle-même une thèse à l’université de Paris VIII sur la place de la littérature hébraïque dans la constitution des institutions sociales à travers les thématiques de l’exil et de la rédemption. -les directrices de la photographie et le toucher du regard de deux directrices en particulier : Nurith Aviv - la complice des débuts, première femme reconnue directrice de la photographie par le CNC16. Elle collabore avec Gitaï sur Journal de campagne (1982), Berlin Jérusalem (1989), Wadi (1981), Wadi 10 ans après (1991), Wadi Grand Canyon (2001), News from Home, News from House (2005) - et Caroline Champetier17, qui a travaillé avec Gitaï sur Terre promise (2004) et sur Plus tard, tu comprendras (2008). -les monteuses Monica Coleman et Isabelle Ingold qui a collaboré avec lui de 2004 à 2015. Isabelle Ingold a travaillé au montage de huit films de Gitaï qui considère l’étape du montage comme la pénultième du processus de création cinématographique avant la phase finale, celle du mixage. -les scriptes Sari Turgeman sur Kippur et Kedma et Clémentine Schaeffer sur Plus tard, tu comprendras. -les actrices : Yaël Abecassis, Hanna Schygulla, Hiam Abbass, Hanna Laszlo, Sarah Adler, Jeanne Moreau (pour celles qui sont apparues dans deux films, voire plus).
d'Asie : Gitaï y présente Arena of a Murder et Suleiman Chronicle of a Disappearance, l’un sur la disparition de Rabin et l’autre de l’identité palestinienne. 14 GITAÏ Efratia, Correspondance, 1929-1994, édition de Rivka Gitaï, Paris, Gallimard, 2010. Également publiée en hébreu, italien, portugais et anglais. 15 GITAÏ Amos, Communities in Transition: Five Urban Jewish Communities and Their Architecture, Berkeley, vol. 1 & 2, 1986. 16 Centre national du cinéma et de l’image animée, fondé en 1946. 17 Caroline Champetier a obtenu le César de la meilleure photographie en 2011 pour le film Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois. Elle a collaboré avec Jean-Luc Godard, Laetitia Masson, Jacques Doillon, Benoît Jacquot, Margarethe von Trotta. Gitaï a collaboré avec plusieurs directeurs de la photographie césarisés : Henri Alekan, Renato Berta, Eric Gautier et Caroline Champetier.
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-les productrices18 : Nicole Collet et Catherine Dussart notamment19. -la scénariste, Marie-José Sanselme : elle occupe une place à part car elle est la scénariste d’un seul cinéaste depuis 2000. Connue dans le milieu du cinéma comme la collaboratrice incontournable de Gitaï, elle ne l’est pas du grand public.
GITAÏ SEUL EN SCÈNE « Amos Gitaï monte en chaire au Collège de France » titrait Le Monde en septembre 201820 pour annoncer l’élection du cinéaste franco-israélien à la chaire annuelle de création artistique du Collège de France, deux ans après l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou et huit ans après le peintre allemand Anselm Kiefer. C’est un immense honneur qui consacre le statut d’intellectuel de Gitaï ainsi que sa carrière au rayonnement international en plaçant l’artiste au panthéon de la reconnaissance académique française dont la mission est la démocratisation du savoir pour tous. Cette consécration avalise son rôle d’intellectuel de premier plan dans la France des années 201021. Régulièrement consulté par les médias francophones, italophones, anglophones, en plus des médias israéliens, pour décrypter le conflit israélo-palestinien, il donne aussi son avis sur des questions tant socio-politiques qu’urbaines et environnementales liées à ses compétences en architecture22. Gitaï est notamment le grand témoin - invité d’honneur du forum de Bamako de février 2020
18 Ses relations avec les producteurs sont complexes et peuvent se traduire en rapports de force. À l’exception d’ARTE et de Michel Propper (Kadosh, Kippur, Promised Land, et Kedma in extremis, en remplacement de Marin Karmitz), Gitaï n'a pas de relations pérennes avec un producteur. Il a entretenu des relations difficiles avec certains d’entre eux, dont Marin Karmitz sur le film Kedma (relations tendues analysées par Marie-José Sanselme in Genèses, op. cit., p. 7678) mais aussi avec Sylvie Pialat pour Rabin, the Last Day et avec Serge Moati sur Plus tard, tu comprendras. C’est à la fois un signe de son indépendance d’esprit et de création mais aussi de la fragilité de son édifice car il doit toujours repartir à la recherche de financements. 19 Nicole Collet est la productrice de Plus tard, tu comprendras et Catherine Dussart d’Un Tramway à Jérusalem et de Laila in Haifa. 20 MANDELBAUM Jacques, « Amos Gitaï monte en chaire au Collège de France », Le Monde, 12 septembre 2018. 21 Déjà en 1997, Elia Suleiman notait cette capacité de Gitaï « d'extérioriser le conflit et d’en donner une analyse politique », dans Guerre et Paix à Vesoul (film documentaire, France, 1997). Néanmoins, il ne jouit de cette situation de respectabilité intellectuelle que depuis les années 2010 et notons qu’il est le seul cinéaste à occuper ce statut en France. 22 VARDI Alexandra, « Israeli director Amos Gitaï calls for ecological rethink after coronavirus », The Times of Israel, May 21, 2020.
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sur le thème « L’Afrique à l’horizon 2040 : entre mémoires et avenirs » aux débats centrés sur la démographie, la relance économique, l’état et la culture23. Selon la définition française de l’intellectuel24, Gitaï exerce une autorité sur la scène médiatique internationale et est un « intellectuel dans la cité25 » en France, en Italie et en Israël au nom de cette aura que lui confère une expertise reconnue dans deux domaines précis, celui du septième art et celui de l’architecte, guidée par un esprit citoyen26. La figure de l’intellectuel critique, à la parole porteuse, jadis dévolue aux « intellectuels totaux »27, philosophes écrivains engagés dans les affaires de la Cité, tels Jean-Paul Sartre et Albert Camus28, des années 1940 aux années 1960, puis aux penseurs en sciences humaines et sociales comme Pierre Bourdieu, Michel Foucault, Roland Barthes, Julia Kristeva et Jacques Derrida des années 1970 à la première moitié des années 200029 aurait-elle trouvé un héritier en la personne du cinéaste architecte Amos Gitaï ? À l’ancrage multiculturel, Gitaï occupe un pôle central du champ intellectuel institutionnel francophone depuis 201030.
23 « L’Afrique à l’horizon 2040 : entre mémoires et avenirs », Agenda Bamako 20-22/02 – XXème forum de Bamako, Africapress.paris, 2 janvier 2020, https://www.africapresse.paris/AGENDA-BAMAKO-20-22-02-XXe-Forum-de-Bamako-L-Afrique-a-l-horizon-2040entre?lang=fr 24 Sur la notion d’intellectuel, voir GRANJON Marie-Christine, TREBITSCH Michel (dir.), Pour une histoire comparée des intellectuels, Bruxelles, Ed. Complexe, 1998 ; WINOCK Michel, Le Siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997. 25 En reprenant le titre de l’ouvrage de Michel Winock, « Esprit », des intellectuels dans la cité, 1930-1950, Paris, Seuil, Point-Histoire, 1996. 26 Dans le numéro 118 de la RIS, il est interrogé par le géopolitologue BONIFACE Pascal, « Lettre à Pascal Boniface : quelques réflexions sur la façon dont s’est forgée l’identité israélienne », RIS, Revue internationale et stratégique, « les défis de la décennie 2020-2030 », nᵒ 118, été 2020. Il pilote également la série d’entretiens Architecture en Israël, conversations avec Amos Gitaï, 368 min, 2014. 27 Notion bourdieusienne de l’intellectuel total : « l’intellectuel total, présent sur tous les fronts de la pensée, philosophe, critique, romancier, homme de théâtre », dans BOURDIEU Pierre, « Sartre, l'invention de l'intellectuel total », Libération, 31 mars 1983. 28 Il s'inspire de l’œuvre d’Albert Camus, Lettres à un ami allemand (1945) pour son poème filmique Letter to a friend in Gaza (2018) dans lequel il apparaît, comme dans la pièce qui s’ensuivit au théâtre de la ville (espace Cardin) à Paris à l’automne 2019. 29 Le magistère moral de Jacques Derrida sur la scène intellectuelle se clôt en 2004 (19302004), mais perdure à travers son œuvre. 30 Premier cinéaste à occuper cette chaire prestigieuse, son œuvre qualifiée de « grande voix du septième art israélien sur la scène internationale »30, a été récompensée par de nombreux prix, tant en France qu'à l'étranger30, parmi lesquels un Léopard d'honneur à Locarno pour l'ensemble de son œuvre (2008), le prix Roberto Rossellini de la Mostra de Venise (2005), le prix Robert Bresson (2013), le prix Paradjanov (2014), le prix d’interprétation féminine au festival international du film de Cannes en 2005 décerné à l’actrice Hanna Laszlo pour Free Zone et le prix Human Rights Film Network Award au festival de Venise en 2015 pour Rabin, the Last Day. Officier des Arts et des Lettres de la République française, il est aussi chevalier de la Légion d’honneur depuis 2017.
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Il jouit d’une exposition médiatique exceptionnelle pour un artiste au cinéma politique jugé exigeant. Pour preuve, ses films sortis sur les écrans en 2018, Un Tramway à Jérusalem, ainsi que son essai cinématographique Lettre à un ami de Gaza, inspiré des Lettres à un ami allemand d’Albert Camus lui ont valu les honneurs d’une vaste presse31. Le parcours institutionnel très français d’Amos Gitaï s'inscrit pleinement dans ce statut unique du cinéma en France en tant qu’exception culturelle qui valorise la dimension prométhéenne de l'auteur32. Derrière cette figure tutélaire, se dessine une réalité plus complexe qui s’enracine notamment dans le dialogue créatif noué avec sa scénariste Marie-José Sanselme depuis Kippur, première collaboration officielle du duo, présenté au festival de Cannes en l’an 2000.
SANSELME AVANT GITAÏ À ses côtés depuis 1999, elle est sa scénariste attitrée et exclusive ; MarieJosé Sanselme ne collabore avec aucun autre cinéaste. Elle n’appartient pas à la guilde française des scénaristes, le syndicat officiel qui représente et défend la profession des scénaristes en France33. Elle a travaillé avec d'autres scéna-
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Gitaï est à la fois présent dans les pages de la presse dite « grand public » et dans les rubriques de la presse culturelle plus élitiste. Il a fait l’objet de sept articles solo, de 2017 à 2021, dans les sections « cinéma », « international » et « spectacles” de Paris-Match : un article sur la présentation de son documentaire A l'Ouest du Jourdain, au festival de Cannes en 2017, un article sur la remise de la légion d'honneur le 27 octobre 2017 par la ministre de la Culture Françoise Nyssen, dans lequel il est présenté comme « une figure incontournable de la gauche israélienne », un entretien en tant que grand témoin sur la situation bloquée en Israël en 2018, « Je crains la domination des forces autoritaires en Israël », un billet, « Israël éternelle terre promise », en mai 2018, un article sur le tournage de son film à Jérusalem, Un Tramway à Jérusalem en 2019, et un article en septembre 2021 sur la sortie de Laïla in Haifa, « Amos Gitaï : l’éducation civique », enfin un autre sur l’adaptation théâtrale de son essai cinématographique Lettre à un ami de Gaza en 2019. Son actualité et ses interventions sont aussi couvertes par les quotidiens Libération, Le Monde, les hebdomadaires culturels Télérama et Les Inrocks mais aussi par Haaretz et Times of Israël en Israël, Senses of Cinema, The Hollywood Reporter et du New York Times aux États-Unis et par les quotidiens italiens La Stampa, Corriere della Serra, et La Repubblica, etc. 32 Née avec la Nouvelle Vague avant de conquérir le monde, cette conception du cinéma d’auteur perdure dans la structuration du milieu cinématographique comme l'a montré le sociologue Olivier Alexandre dans son essai La Règle de l’exception, Écologie du cinéma français qui renverse la doxa pour capter les raisons et les ramifications de cette originalité française. Derrière la façade enchantée, le cinéma français est un terrain miné dans lequel Gitaï excelle, lui qui est un des rares cinéastes vivants à avoir fait la guerre, celle de Kippur en 1973, au cours de laquelle il a failli perdre la vie et dont il rend compte dans Kippur (2000). 33 Voir la guilde française des scénaristes, https://www.guildedesscenaristes.org
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ristes, notamment avec Jacky Cukier dont le regard sur le scénario de Désengagement (2007)34 a été crucial pour sortir d’une impasse scénaristique et épisodiquement avec l'écrivain Marc Weitzman pour Kedma (2002), Promised Land (2004) et Rabin, the Last Day (2015) mais c'est elle qui est exclusivement aux commandes du scénario depuis le film Alila (2003), en duo avec Gitaï. Si Gitaï incarne la figure du cinéaste - auteur charismatique, il ne vient pas du milieu de la critique de cinéma, passage souvent obligé pour les cinéastes « d’art et d’essai » avant le passage à l’acte de la réalisation, ni de celui des écoles de cinéma ou des études littéraires. Il vient triplement d'ailleurs, de l’architecture, d'Israël et du milieu universitaire contestataire de Berkeley des années 1970. Gitaï a grandi dans un milieu intellectuel littéraire, mélomane35 et politisé. La présence de Sanselme à ses côtés depuis l’an 2000 est venue renforcer cette culture littéraire, en lui donnant accès à des codes et référents culturels français qu’il ne maîtrisait pas pleinement auparavant. Dans la « grande famille » du cinéma, Marie-José Sanselme est perçue comme « la scénariste de », mais qui connaît Marie-José Sanselme ? Inconnue du grand public, Marie-José Sanselme se fait discrète. Femme de mots, le verbe médiatique est rare chez elle. Elle n’intervient pas sur les plateaux de télévision ni dans la presse ni sur les réseaux sociaux. Elle ne reçoit pas non plus les honneurs de la profession. Et pourtant, « sans elle, je n’aurais fait que la moitié de mes films depuis vingt ans », nous déclarait Amos Gitaï en juin 201936. Fille aînée de Josette Lauret et du colonel Pierre Sanselme (1926-2016), Marie-José Sanselme est petite-fille de militaire blessé à Verdun et fille de Grand-Croix de la Légion d’honneur. Son père, résistant du Queyras, appartenait au 7e RTA, Régiment de tirailleurs algériens, l'un des plus décorés de l’armée française. En poste en Extrême-Orient de 1951 à 1954, combattant de la guerre d'Indochine, il est rescapé de Diên Biên Phủ37, où il sera témoin des pires atrocités et fera partie des survivants des camps du Viêt-Minh38. Il sera à la tête d'une compagnie d'appelés durant la guerre d'Algérie puis en poste en Allemagne où Marie-José Sanselme passera une partie de son enfance. Aînée des trois filles du couple, Marie-José Sanselme nourrissait une relation forte avec son père. Elle a pu l’interroger sur son expérience guerrière, de
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Jacky Cukier était le scénariste de Yom Yom (1998). Voir mon entretien avec Amos Gitaï, “Le cinéma est plus autoritaire que la littérature”, La Vie des idées, mai 2015. 36 Propos recueillis par l’auteure, Collège de France, Paris, 6 Juin 2019. 37 La bataille de Diên Biên Phủ (13 mars–7 mai 1954), entre le Vietminh et l’armée française, scella la fin de la guerre d'Indochine en se soldant par la défaite de l’armée française. 38 Sur 11 721 prisonniers, seuls 3290 reviendront. 35
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la Seconde Guerre mondiale aux guerres de décolonisation. Cette connaissance intuitive sera un précieux viatique lors de l’écriture de Kippur. Après des études de lettres, Marie-José Sanselme enseigne durant quatre années en collège et lycée. Elle quitte le milieu enseignant au début des années 1990. Après une expérience exaltante de trois ans à l'Association française d'action artistique (AFAA), en tant que chargée de l’information auprès du directeur de l'époque, Jean Digne, elle devient attachée culturelle à l’ambassade de France à Tel Aviv. Nommée en septembre 1994, elle y restera jusqu'en 1998. Depuis 2001, Marie-José Sanselme est rédactrice en chef adjointe de la Revue internationale d'éducation de Sèvres du CIEP, le Centre international d'études pédagogiques, fonction qu'elle exerce à temps plein39. Son rapport à Israël est lointain et livresque dans un premier temps : elle découvre l’histoire de la « terre promise » dans le cadre de son éducation chez les sœurs Notre-Dame de Sion de Marseille40, durant son adolescence. Elle la découvre à travers la lecture des livres d’Isaac Bashevis Singer de la bibliothèque de ce lycée catholique qui éveille sa curiosité pour le milieu religieux hassidique polonais. Elle effectue dans un second temps un premier voyage en Israël au moment de la première intifada (1987-1993) avant de s'y installer en 1994. À son arrivée, La jeune trentenaire est d’emblée plongée dans l’atmosphère effervescente des premières retombées du processus de paix postaccords d'Oslo de 1993 et du retour de Yasser Arafat à Gaza. Elle ne parle pas la langue du pays mais elle a soif de sociabilité et part à la rencontre des artistes israéliens. Durant les quatre années où elle vit en Israël, cohabitent la promesse de paix et la violence des attentats dans les espaces citadins. L'espoir soulevé par les accords d’Oslo, teinté d'inquiétude, est anéanti en trois temps : l’assassinat d'Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995, le massacre de Cana par l'armée israélienne sous la direction de Shimon Pères dans un camp palestinien de l’ONU au Liban en 1996 et l'élection de Benjamin Netanyahou au rang de premier ministre, événements que Marie-José Sanselme vit sur place, à côté et avec la société israélienne. C'est dans cette atmosphère politique d'arrêt du processus de paix qu'elle fait la connaissance d’Amos Gitaï en 1997, à la cinémathèque de Jérusalem. Elle dit le rencontrer en s’excusant de ne pas connaître son œuvre inaugurée plus de quinze ans auparavant (House, 1980, Journal de campagne, 1982). Sanselme a le sentiment de pallier un manque, elle, l’attachée culturelle française qui se retrouve face à un des représentants les plus connus de la scène
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La RIES est une revue réputée dans le monde pédagogique qui publie plusieurs numéros par an sur les politiques d’éducation dans le monde. 40 Fondée en 1856 par les frères Théodore et Alphonse Ratisbonne.
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culturelle israélienne. Gitaï a déjà noué des liens forts avec la France de François Mitterrand et de Jack Lang qui l'a accueilli, lui et sa famille, dès les années 1980 quand il ne pouvait plus tourner en Israël. Il est citoyen français quand elle le rencontre et jouit déjà d'un statut privilégié de l’entre-deux, entre France et Israël. Rentré en Israël depuis 1993, suite aux accords d'Oslo, sa réputation de cinéaste novateur et politiquement engagé du côté du processus de paix impulsé par Rabin et son entourage, le précède. La connexion entre Sanselme et Gitaï est instantanée. Elle commence à travailler avec lui sur Kadosh mais elle ne sera officiellement créditée pour son travail qu'à partir du film Kippur. Marie-José Sanselme a une solide expérience des réseaux culturels français et francophones avant de commencer à travailler avec Gitaï. Elle est aussi pétrie de culture classique et moderne. Le recours à la littérature est une ressource constante dans la filmographie de Gitaï, habitée par la littérature, depuis Esther (1986), une adaptation-tableau de l'histoire biblique d’Esther jusqu’à son projet au long cours jamais réalisé, celui de l'adaptation de L’Homme sans qualités de Robert Musil41, livre de chevet de Gitaï pour comprendre son époque « parce qu’il décrit les méandres du monde contemporain, une situation de décadence et de perte de valeurs »42 déjà à l’origine du film Désengagement43. Si Gitaï était un cinéaste respecté des cinéphiles avant le début de sa collaboration avec Sanselme – ses documentaires Field Diary sur la guerre du Liban (1982) et le premier volet de la trilogie House (1980) sur le destin d’une maison à Jérusalem avant et après 1948, avaient été salués par la critique comme l’œuvre d’un jeune grand cinéaste44 – ce n’est cependant qu’à partir du moment où il collabore avec Sanselme qu’il consolide sa présence dans le champ cinématographique international, que sa production s’envole (au rythme d'un film par an) et qu’il rencontre un vrai succès d’estime auprès du public. Depuis Kippur (2000), Gitaï et Sanselme ont collaboré ensemble sur vingt-et-un films, films dont l’aimant géographique est Israël et la Palestine (Kedma, Eden, Alila, Promised Land, Disengagement, Free Zone, Ana Arabia, Rabin) jusqu’aux plus récents, Un Tramway à Jérusalem (2018) et Laila in Haifa (2019), mais également sur des adaptations de romans français (Roses à crédit, d’Elsa Triolet, Plus tard, tu comprendras de Jérôme Clément) ainsi que sur l’adaptation du Retour des Amours perdues de Yehoshua Kenaz
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Un roman inachevé de l’auteur autrichien, Robert Musil, dont les deux premières parties sont parues en allemand en 1930 et 1932. 42 Voir CREUTZ Norbert, « Le cinéma du mercredi. Amos Gitaï l’engagé reformule l’identité israélienne, 25 juin 2008, https://www.letemps.ch/culture/samedi-culturel-demande-amos-Gitaï-cineaste-israelien 43 Entretien Marie-José Sanselme avec l'auteure, 21 juillet 2019. 44 DANEY Serge, Libération, 1er mars 1982.
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(Alila) et de Tsili d’Aharon Appelfeld45. Sanselme a aussi œuvré à l’écriture de plusieurs adaptations théâtrales et autres contributions de conseil artistique sur le poème auto-bio-cinématographique46 de Gitaï consacré à son père, l’architecte Munio Weinraub, Lullaby for my father.
KIPPUR (2000) OU LE PACTE D’ÉCRITURE Il y a un avant et un après Kippur dans la carrière de Gitaï et c'est précisément sur ce film que le nom de Marie-José Sanselme défile pour la première fois à l’écran, en tant que coscénariste, au générique. Gitaï a mis vingt-sept ans pour évoquer son expérience traumatisante de la guerre de Kippur à travers le langage cinématographique47. Le principal fil directeur de toute l’œuvre d’Amos, c'est la question du témoignage et de l'expérience subjective, toujours quelqu’un dit « je » dans les films d’Amos [...] C’est le pacte sur lequel s’est construite notre toute première collaboration, puisque Kippur était un film de guerre autobiographique, dans lequel il s’agissait pour Amos de revenir sur son expérience de la guerre et sur son expérience émotionnelle. Je pense que c’est pour cela qu’il n’arrivait pas à l'écrire, qu’il lui était impossible de la formuler sous forme de scénario de fiction. […] je ne comprenais pas pourquoi il faisait appel à moi pour écrire ça jusqu’au jour où j’ai compris intuitivement, sans même le théoriser ou le comprendre de façon rationnelle, qu’il fallait que je me mette à sa place. J’ai écrit douze pages, une sorte de roman qui commençait à la première personne. [...] j’ai imaginé que j'étais Amos et quand je lui ai montré, il m’a dit « oui, c’est ça ». Notre pacte d'écriture depuis le début s’est noué là-dessus. À un moment donné, il faut que je puisse me connecter sur ce que j’imagine qu'il a envie de faire puisqu'il ne veut pas, il ne peut pas le dire, selon les films, pour imaginer ce que pourrait être une mise en fiction de ce désir qu’il a de faire un film. C'est pour cela qu’on ne parle jamais des personnages, on ne parle jamais de ce que les gens appellent « l’arc narratif » [...] À un moment donné, je suis ce « je », à l’écriture48.
45 Deux romans publiés respectivement en
1959, 2005 et un recueil de nouvelles publié en 1997. D'après le mot “autobiocinématographie” forgé par le philosophe Jacques Derrida, dans le documentaire de Safaa Fathy, D’ailleurs, Derrida, 1999. 47 Le 11 octobre 1973, le jour de ses vingt-trois ans, l’hélicoptère à bord duquel Gitaï se trouvait avec son unité est heurtée par un missile syrien. Il voit son camarade décapité sous ses yeux. Blessé, Gitaï est transporté à l'hôpital. Traumatisé, il dessine et il partira loin d’Israël, en Californie, sur le campus de l’université de Berkeley. 48 Entretien, Marie-José Sanselme avec l’auteure, 21 juillet 2019. 46
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Le déclic de l’écriture de Kippur, enrayée jusque-là, passe par Sanselme. Gitaï la charge49 de se mettre dans sa peau de soldat israélien risquant sa vie pour défendre son pays en guerre, elle, Française pétrie de culture humaniste et d’éducation catholique qui est « dedans, dehors ». Dehors, car ce n’est ni son genre, ni son histoire, ni son pays, ni sa langue. Dedans, car elle a une intuition intime de la peur en guerre, de la difficulté du retour à la banalité et à la quotidienneté après la fin des hostilités car son enfance et adolescence ont été imprégnées de ces questionnements auprès de son père, héros de guerre. Elle a retrouvé ces échos personnels et paternels dans l’expérience qu’Amos Gitaï voulait mettre en scène dans son film. Cette fonction d’ordre presque cathartique qu’elle endosse permettra à Gitaï de déployer et de diriger son énergie créatrice dans la voie intimement souhaitée : J'étais bloqué avec vingt pages écrites et je ne parvenais pas à aller plus loin, explique Amos Gitaï. Marie-José m'a aidé à trouver une forme narrative qui me permettait de rendre compte de mon expérience de cette guerre. Elle est restée une collaboratrice essentielle, car elle connaît la société israélienne pour avoir vécu là-bas, tout en ayant le regard extérieur nécessaire50. Avec Kippur (2000) Gitaï connaît le succès international pour son film le plus personnel à ce jour. Si Gitaï reste maître à bord du tournage et du fulgurant langage visuel qu'il invente, sans l’écriture du scénario de Kippur par Sanselme, il n’aurait certainement pas connu le même destin, tant auprès de la critique que du public. Ce succès du film récompense à la fois la maturité artistique de Gitaï et consacre la place du cinéma israélien sur la scène internationale, et sera déterminant pour créer les conditions favorables de la suite de sa carrière. Présenté au festival international du film de Cannes, Kippur est d’emblée considéré comme un grand film qui fait date. Depuis, les films de Gitaï ont été présentés à maintes reprises au festival de Cannes en compétition et dans les compétitions parallèles51, ainsi qu'à la Mostra de Venise52, au festival de Toronto, au festival de Locarno. Il est le cinéaste israélien le plus présent en compétition officielle de grands festivals internationaux, en déployant une stratégie de carrière ancrée dans le système cinématographique français
49 Dans tous les sens du terme, c’est une mission, une marque de confiance mais aussi une charge. 50 Amos Gitaï in DOUIN Jean-Luc, « Un scénario à quatre mains et deux cultures », Le Monde, 8 avril 2008. Gitaï était dans le tâtonnement avant de trouver le la du scénario avec Marie-José Sanselme. Outre sa propre tentative d'écriture avortée, il avait fait appel à un scénariste israélien au début du processus d’écriture mais sans donner suite. 51 Kadosh, Kippur, Kedma, Free Zone en compétition officielle et À l’Ouest du Jourdain à la Quinzaine des réalisateurs. 52 Ana Arabia (2013), Tsili (2014), Rabin, the Last Day (2015), Laila in Haifa (2020), entre autres.
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qui le propulse à l’international. Depuis Kippur, Sanselme est une pièce majeure de l’échiquier Gitaïen, d’assemblage des différents éléments disjoints du film. Pour chaque projet, elle part à la recherche du film, de la justesse de la fiction pour traduire en écriture un témoignage, tel celui de l’assassinat de Rabin53, ou une expérience extrême comme celle des rescapés de l’Holocauste naviguant vers la Palestine sur Kedma54. Son rôle multifonctionnel se lit aussi dans l’accélération de la production artistique fictionnelle de Gitaï, prolifique depuis 2000. Elle se décline selon les trois phases du processus créatif : en amont du tournage, durant le tournage et en aval du tournage.
EN AMONT DU TOURNAGE Amos Gitaï travaille sur tous les fronts et multiplie les ressources dans les prémices de la fabrique du film. Il met en concurrence et en parallèle le travail de plusieurs collaborateurs, parfois sans leur préciser qu'ils travaillent sur le même projet. Gitaï aime compartimentaliser son travail, en plus de l’apport constant de Sanselme pour le volet de la recherche en langue française et en langue anglaise. L’accumulation de documents en tous genres, archives écrites, visuelles, sonores, figurines, etc., est un passage obligé de l’amont et Sanselme est parfois aussi à l’origine de l’idée du film. C’est le cas pour deux films centrés sur des figures d'héroïnes dont les destins les relient de l’Holocauste à Israël : Ana Arabia55, dont elle détaille le processus de création dans sa contribution à l’ouvrage collectif Amos Gitaï. Architecte de la mémoire56, et Tsili en suggérant l’idée de l’adaptation du roman d’Aharon Appelfeld au cinéaste. Elle prend part aux repérages des lieux, et effectue souvent les déplacements avec Laurent Truchot et Amos Gitaï, afin de « humer » l’ambiance que Gitaï veut insuffler à ses tournages, le « mood » qu’il veut rendre à l’écran, un rythme étranger à la technique d'écriture du scénario. Marie-José Sanselme emprunte la métaphore féline pour expliquer son rôle à ses côtés au moment du « location scouting » :
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Elle dit avoir écrit ce scénario « dans une sorte de transe », allant très loin dans l'épuisement physique. 54 Voir le témoignage de Marie-José Sanselme sur le tournage de Kedma dans FRODON JeanMichel, GITAÏ Amos, SANSELME Marie-José, Amos Gitaï - Genèses, op. cit. 55 SANSELME Marie-José, dans ORLEAN et al. (dir.), Amos Gitaï. Architecte de la mémoire, Paris, Gallimard-La Cinémathèque française, 2014, p. 163. Voir aussi ROUCHY Marie-Elisabeth, « Amos Gitaï : j'aime que les plateaux de cinéma deviennent un lieu de rencontre », L’Obs, 23 octobre 2014. 56 FRODON et al., op. cit.
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Il envoie beaucoup sur des fausses pistes au début. Fondamentalement il sait qu’il a un désir de film mais il ne peut pas exprimer les contours de ce désir de film. Cela ne passe pas par une pré-verbalisation de sa part. Il faut être comme un chat à ses côtés pour imaginer, comprendre ce qu’il est en train de regarder et c’est pour cela que les repérages faits ensemble ont tellement d’importance par le simple fait qu’on est ensemble dans les mêmes lieux57. Il pratique beaucoup l’attention flottante et il y a la mienne et comme nous sommes en affinité, il y a des moments où cela se recoupe. Je vais repérer des choses que je vais mettre ensuite dans les scénarios que lui-même a sans doute aussi repérées mais pas forcément signalées. Il y a beaucoup de non-dits dans notre communication, beaucoup d’implicite58. Cet état fusionnel se prolonge en visites de musées qui comptent aussi dans ce processus d’imprégnation de la phase de pré-écriture de scénario, voire en parallèle de l’écriture. Gitaï est un arpenteur avide de musées, par sa fréquentation personnelle muséale de par le monde, et de par ses propres installations muséales. Il a exposé son œuvre et celle de son père architecte dans les musées européens et américains de renom (MOMA à New York, Centre Pompidou à Paris, Reina Sofia à Madrid, MAXXI à Rome). Il a ouvert le premier musée d’architecture d’Israël59 en 2012, dans les locaux de l’ancien atelier de son père architecte à Haïfa. Ces actes révèlent combien le geste muséal importe dans son univers personnel. Si accompagner Gitaï sur les lieux de repérage est un ressort important de l’élan de l’écriture, l’acte physique d’écrire est du ressort presque exclusif de Sanselme. Pièce-maîtresse du processus de création fictionnelle, la mise en forme du scénario lui revient. Un habitus de travail s'inaugure sur Kippur dont la routinisation sera instituée par la suite : Je suis la seule à écrire. Je parle avec lui quand je n'y arrive pas. Il m'aide avec des lectures. À un moment donné mon rôle consiste à être lui, à écrire « je » à sa place, comme si j’étais lui tout en étant moi. […] Le scénario va décrire l'intention profonde du film, la musique, ce que le film souhaite proposer, y compris formellement. Le processus d'écrire, à un moment donné, passe par de la traduction. Il passe par du non-verbal. Il passe par des conversations, par une préparation des ingrédients. Tout le monde devient ingrédient : le scénario est un ingrédient, les comédiens sont un ingrédient, le lieu est un énorme ingrédient. Au moment du tournage, il n'y a plus de hiérarchie entre les choses. Tout est sur la table, sur le plan de travail comme des possibilités de matière. Ce n'est pas de l’improvisation parce que les matériaux ont été 57
Entretien avec l’auteure, 21 juillet 2019. Ibid. 59 Munio Gitaï Weinraub Architecture Museum, https://www.munioGitaïmuseum.com 58
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très bien préparés. C’est comme un collage. C'est un geste qui est de collage et non pas de montage d'atmosphère. C'est dans les interstices que cela se passe, dans les recouvrements, y compris dans les incohérences narratives. Amos Gitaï annote des carnets en hébreu sous forme poétique. Le poème est son mode de prédilection scripturale et le téléphone, son mode oral. S’ils dialoguent et mettent en forme verbale, Marie-José Sanselme met en forme écrite. Si Gitaï n’écrit pas le scénario per se, il est coscénariste car il est cocréateur. Elle est coscénariste et non pas scénariste car c'est un travail à deux, un travail de retour incessant de l'écrit vers l'oral, entre carnet, écran d'ordinateur et téléphone. Il propose, il relit, il amende. Il partage la maternité du texte car si c’est grâce à elle qu’il accède à la souveraineté scripturale scénaristique, il est co-créateur du texte. De plus, le véritable travail de création a lieu sur le plateau et dans l’après-tournage. La part d’irréductible, d’inclassable et d’incréé de la création revient à Gitaï. C’est lui le cinéaste, l’auteur du film. Le scénario n’est que la charpente de l’édifice, un support de pré-simulation au service de l’œuvre cinématographique : Le cinéma d’Amos n’est pas un cinéma psychologique mais de situations entre des personnes et un lieu. Le repérage est dans le scénario, tout le monde (scénariste, producteur, acteurs) va sur les lieux du tournage pour s'en imprégner comme des éponges. On change de posture. Au début, je travaille seule avec lui, même sans lui […] je rêve ce film, après Amos travaille avec le chef op et là je suis exclue. Il veut être libre, avoir la possibilité d'ouvrir le film à d'autres, aussi aux comédiens. Avant le début du tournage, il me demande de réécrire une nouvelle version, comme un processus d'appropriation collective. Au début, je pense être propriétaire du projet puis ce sont les comédiens, le chef op qui le pensent60.
60 Voir à cet égard le témoignage de Renato Berta à propos du tournage de Kippur, lors de sa « masterclass » à l’école des médias de l’UQAM à Montréal, le 19 février 2008 : « Amos Gitaï, un hélicoptère et moi : Avec Amos Gitaï, j’échangeais vraiment beaucoup sur la manière adéquate de filmer certaines choses. Évidemment, c’était toujours lui qui décidait à la fin, mais nous nourrissions le projet ensemble. Kippur est un véritable exemple à cet égard [...] Simplement en nous disant : « on va mettre une caméra dans un hélico et on va voir le résultat… ». Enfin, je vais vous montrer des plans, tournés de façon extrêmement pragmatique, qui nous ont conduit vers notre scénario. C’est vrai, au départ ce n’était pas une idée pour une mise en scène. Nous savions simplement que nous voulions filmer des sauvetages. » https://chairerenemalo.uqam.ca/classes-de-maitres/classe-des-maitres-renato-berta/
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L’AUTO-INTERFILMIQUE 61 L’écriture du scénario, ce voyage de la mise en mots, est aussi agrémentée de la connaissance précise que la scénariste a de la filmographie Gitaïenne et de la manière de filmer de Gitaï, qu’elle anticipe parfois : Mon territoire, c’est l’écriture mais quand j’écris, je pense à la mise en scène. Parfois, je me dis, il aura peut-être envie de faire un plan-séquence alors je vais l’écrire comme ça celle-là, pour préparer la possibilité d’un plan-séquence. De fait, je me comporte plus avec des suppositions de mise en scène quand j’écris qu’avec des suppositions de construction romanesque. Quand j’écris, c’est toujours en fonction de ce que j'imagine ce dont Amos va pouvoir se saisir62. Fine connaisseuse de son univers cinématographique, elle insère aussi des éléments auto-interfilmiques, d'auto-référence filmique dans l’écriture des scénarios. Cette dimension d’auto-citation dans et de l’œuvre de Gitaï est de plus en plus présente dans ses films, au fil du temps. Sanselme maîtrise ces passerelles d’intertextualité filmique. En voici quelques exemples : -L'Ecclésiaste, avec la voix de Hannah Schygullah, revient comme une comptine intérieure, c’est une source constante de méditation dans certains films et installations théâtrales. -Le couple Youssef & Miriam de la trilogie Wadi (1981-1991-2001) est une référence qui revient comme un leitmotiv de plusieurs films. Ana Arabia (2013) peut aussi s’interpréter comme une transcription en fiction de Wadi, d’une histoire d’amour-défi entre une juive et un musulman. -Une source d’inspiration commune préside au scénario de Désengagement, film écrit en 2007 qui se passe entre Avignon et Gaza, et celui de Laila in Haifa tourné en décembre 2019 à Haifa : L’Homme sans qualités de Robert Musil. - Le documentaire Guerre et Paix à Vesoul (1997) met en scène le cinéaste palestinien Elia Suleiman et l’israélien Amos Gitaï. C’est un dialogue filmé entre les deux artistes engagés dans un train entre Paris et Vesoul, puis à Vesoul, où les deux cinéastes sont invités au festival des cinémas d’Asie. C’est à la fois un hommage formel au cinéma63, une réflexion sur l'état des relations entre Israël et la Palestine ainsi que sur la France de Vesoul qu'ils rendent exotique à leur tour. Un écho visuel d’intérieur ferroviaire de ce documentaire 61
Sur la notion d’interfilmique, voir TRIAS Jean-Philippe, L’Interfilmique : Intertextualité en cinéma et mémoire des films, Thèse de doctorat, Université de Lille III, 2016. 62 Entretien avec l’auteure, 2 août 2019. 63 La Chinoise de Jean-Luc Godard (1967) surgit à l’esprit, à l’écran.
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se retrouve dans la scène d'ouverture du film Désengagement avec l’actrice palestinienne Hiam Abbass et l’acteur israélien de Kippur, Liron Levo64. Ces éléments récurrents d’auto-citation accentuent la dimension mémorielle de la démarche du cinéaste65. En créant ces relations interfilmiques, Gitaï ancre la mémoire du cinéma dans la mémoire de ses propres films et vice versa. L’auto-interfilmique consolide son positionnement de cinéaste dans le sillon cinématographique mondial et notamment dans celui qui traverse le circuit cinéphilique et commercial des festivals.
LE VERTIGE DES LANGUES Avant même leur première collaboration officielle sur le film Kippur et officieuse sur Kadosh, Marie-José Sanselme faisait son baptême du feu en traduisant de l’anglais vers le français la note d’intention du film Une Maison à Jérusalem, que Gitaï avait écrite sous forme de poème pour le transmettre à Thierry Garrel, à la tête de la politique documentaire d’ARTE. C’est une traduction de trois pages que Sanselme fait « à titre amical » 66. C’est ainsi que leur modus vivendi multilinguistique s’inaugure : Amos Gitaï prend des notes en hébreu sur ses carnets et pense son film en hébreu. Il traduit oralement ses poèmes en anglais pour Marie-José Sanselme qui les retranscrit en français : « je suis son truchement67 » relève-t-elle. Il n’écrit pas en français mais il lit en français. Tous les scénarios des films sont écrits par Sanselme et ils le sont en français. Dans un second temps, si le film se tourne en une langue autre en plus du français (hébreu, anglais, yiddish, arabe, russe etc.), le scénario fait l’objet d’une retraduction en hébreu et en anglais. Sanselme corrige alors la traduction en anglais. Ainsi, il n’y a pas de texte original mais un vertige des langues, entre écrit et oralité qui réaffirme le statut du duo68. Ce tourbillon des langues, ce va-et-vient entre l’hébreu originel, l’anglais transitionnel et le français traductionnel pour un retour vers l’anglais communicationnel est aussi un signe
64 Liron Levo joue également dans Alila, Désengagement, Free Zone, Le dernier jour d’Yitzhak Rabin, Un Tramway à Jérusalem. 65 Cette démarche Gitaïenne se prolonge au-delà même de son cinéma. C’est aussi une démarche présente dans sa relation à ses parents dont il veut inscrire la trace dans la mémoire israélienne, à travers un musée de l’architecture qu’il a créé à Haifa sur le site du studio de son père et à travers la publication de la correspondance épistolaire de sa mère. 66 Entretien Marie-José Sanselme avec l’auteure, 21 juillet 2019. 67 Le mot « truchement » vient de l’arabe « turgumân » qui signifie interprète, traducteur. 68 Voir les archives de Stanford pour les films Tsili (anglais, français, yiddish) et les films de la trilogie des frontières (Promised Land, Free Zone, Désengagement).
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de la créolisation69 du cinéma de Gitaï, sur le mode du passage d’une langue à l’autre, non pas d’un métissage des langues mais d’une poétique de la traduction70 et d’une traduction tant au niveau de l’oralité du dialogue entre Gitaï et Sanselme en deux langues, que de l’écrit, de la traduction de l’oral en anglais à l’écrit en français. D’autre part, lors de l’étape suivante du film, cohabite une pluralité linguistique sur les plateaux de tournage des films de Gitaï qui se transforment en une sorte d’utopie linguistique. Prenons l’exemple d’Un Tramway à Jérusalem (2018) : les langues des passagers qui montent et descendent du tramway sont l'hébreu, le français, l’anglais, l’allemand, l’italien, l’arabe, le yiddish, et la chanson de la fin est en latin. Ce processus de créolisation se traduit ultimement à l’écran avec l’introduction d'une quatrième langue, celle des sous-titres car les films de Gitaï ne sont pas compréhensibles sans le recours aux sous-titres. Sanselme élabore les sous-titres des films en français et corrige les sous-titres en anglais que d’autres ont écrits. La langue du sous-titrage est un autre domaine où s’exerce la multifonctionnalité de la scénariste.
AU COURS DU TOURNAGE Si Marie-José Sanselme est le « je » de Gitaï au moment de l'écriture du scénario71, s'ils sont ensemble ce duo singulier, elle ne l'est plus au moment
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La créolisation est un concept développé par le penseur-poète antillais Edouard Glissant qui la définit ainsi dans son Traité du Tout-Monde69 : « La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments. On prévoirait ce que donnera un métissage, mais non pas une créolisation », in Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 37. Le cinéma de Gitaï est un cinéma de la créolisation en ce sens qu’il met en rhizome plusieurs cultures qui s’entrecroisent en un même lieu, le territoire israélo-palestinien, aux significations polysémiques. 70 Dans son film Guerre & paix à Vesoul (1997), une séance édifiante montre Gitaï et Suleiman interviewés par la presse locale. Gitaï s’improvise passeur de langues, médiateur franco-palestinien, traducteur de deux langues qui ne sont pas ses langues premières : il traduit en anglais pour Suleiman les questions que les journalistes lui posent en français et vice versa : il traduit en français les réponses données en anglais par Suleiman. Gitaï, face au dialogue de sourds entre le journaliste et Suleiman, de dire en plaisantant : « je vais devenir fou comme traducteur » (43’). Face aux journalistes qui cherchent à donner une tournure politique à leur présence commune à Vesoul, Suleiman déclare que leur langue commune est la langue du cinéma. 71 Cette notion du « mon « je » de travail est Amos » dans le regard que Sanselme porte sur sa façon fusionnelle de travailler avec Gitaï peut se lire en filigrane dans ce propos de Gitaï sur son film Roses à crédit, adaptation du roman éponyme d’Elsa Triolet, que Sanselme a co-écrite avec Gitaï. Cette évocation fait partie de la lettre que Gitaï a soumise à L’Humanité à l’occasion des cinquante ans de la disparition d’Elsa Triolet : « Elle [Elsa Triolet] mérite la magnifique distribution que nous réunissons pour le film La belle Léa Seydoux, Pierre Arditi qui me parle de son parent Elias Canetti, Arielle Dombasle l’extravagante Valeria Bruni Tedeschi André
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du tournage. Elle se retrouve dépossédée de son texte et cette dépossession est une étape attendue et entendue du processus créatif. Elle s’efface alors et laisse d’autres subjectivités entrer en jeu, pour devenir le singulier collectif du plateau de tournage : À partir du moment où le film quitte mes mains exclusives pour aller vers celles d’Amos et des autres, l'écriture continue mais autrement. Je ne peux pas dire « je suis l’auteure du scénario ». Je suis l'auteure d'une partie du scénario qui a conduit à ce film. […] À partir du moment où ce changement se fait, Amos m’exclut de ce changement. Il ne veut pas que je sois là. Il me fait venir sur les tournages mais il ne faut pas que je gêne ce qui est en train de se produire. Il ne peut pas faire un film à partir des mots. Il fait un film à partir des gens et à partir des lieux. C'est cette articulation des gens, des corps, des lieux et de la caméra qui fait qu’il y aura le film mais ce n’est pas fondamentalement le scénario. Le cinéaste prend alors seul pleine possession du texte. Il construit son film à partir du scénario mais aussi à partir de son travail de préparation avec les autres membres de son équipe. Les conversations avec l’acteur Hippolyte Girardot ont joué un grand rôle dans la réalisation du film Plus tard, tu comprendras, confie Gitaï en exemple72. Un autre maillon essentiel dans cette mécanique huilée se met en branle : le rôle primordial de la scripte. Durant une dizaine d'années, ce fut Sari Turgeman sur Kippur et Kedma notamment, puis Clémentine Schaeffer sur Plus tard qui enregistre tout ce qui se passe durant les répétitions et sur le plateau et lie le film dans sa continuité.
Wilms Filmés en plans-séquences composés avec Eric Gautier sur la musique de Louis Sclavis à l’accordéon la crème de la crème des talents français » in « Le Feu d’Elsa ». L’Humanité, hors-série, juin 2020, p. 109. Gitaï mentionne dans cette même lettre, outre Gautier et Sclavis, les producteurs Serge Moati et Nicole Collet mais pas nommément Sanselme qui semble être incluse dans ce « nous » unitaire : « la magnifique distribution que nous réunissons ». 72 Entretien téléphonique avec l’auteure, 24 mai 2020.
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Photo prise en décembre 2019 lors du tournage de Laila in Haifa, avec Amos Gitaï au centre visionnant et commentant les rushes, et Laurent Truchot sur l’extrême gauche de l’image, montrant la « ruche » Gitaï, fédérée autour du cinéaste.
Une autre étape est le dialogue avec l’équipe technique : les conversations avec l'ingénieur du son, le décorateur et avec le ou la directrice de la photographie. La relation entre le cinéaste et le chef op est primordiale. Il s’agit de trouver la forme du film, d’inventer son langage visuel. C’est ainsi qu’il relate sa méthode de travail sur le film Roses à crédit : La construction en plans-séquences permet de raconter la trajectoire de Marjoline chapitre après chapitre, comme une succession de blocs de continuité temporelle. Ce n'est pas une démarche courante à la télévision où l'on privilégie les champs contre-champs. Et c'était un vrai défi, tant technique qu'esthétique. Avec mon chef opérateur, Eric Gautier (directeur photo pour Alain Resnais, Olivier Assayas, Arnaud Desplechin, ndlr), nous avons beaucoup expérimenté en amont. Pour moi, les repérages ne servent pas seulement à trouver de beaux paysages, mais aussi à simuler le tournage. Les répétitions ne servent pas tant à travailler le texte qu'à préparer les prises de vues avec les acteurs et les techniciens. Tout le monde est sur le plateau trois semaines avant le début des prises de vues. Ce qui me permet, lors du tournage, de travailler plus vite, même sur des plans aux mouvements de caméra complexes. Pour « libérer » la mise en scène, Eric a privilégié des lumières très diffuses qui ne bloquaient pas les acteurs à un emplacement précis73.
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DOUHAIRE Samuel, « Amos Gitaï : mon film a été sacrifié à cause de jeux de pouvoir bureaucratique », Télérama, 22 juin 2012.
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Entre aussi en scène son producteur Laurent Truchot qui construit le plan du film en incorporant tous les éléments du kaléidoscope, en tenant compte des considérations tant financières que techniques. La « ruche Gitaï » s’ébranle alors pour faire naître son film. Chef d’orchestre, Gitaï sollicite l’avis des uns et des autres, des acteurs aux steadycamers, des ingénieurs du son aux directeurs de la photographie, pour livrer in fine son film, sa bataille. Une fois le film tourné, parfois sur le tournage même, l’étape décisive du montage se fait au jour le jour74 : Amos Gitaï est en dialogue avec ses monteurs et élague souvent, sans peur des ellipses de narration. Marie-José Sanselme fait appel à la métaphore de l’accordéon pour expliquer le processus d’éclosion du film selon son angle de vision à elle, forcément partiel, qui inclut ce processus de dépossession de son texte : C’est comme un accordéon, cette façon de travailler. Au départ, je suis seule. C’est tout serré. Ensuite, il y a bien sûr Amos. Au fur et à mesure, des gens vont entrer dans le processus d’écriture et puis cela va se resserrer après au moment du montage, au moment du sous-titrage. Amos va redevenir seul portant son film mais il y a eu ce mouvement d’accordéon et ce passage de témoins. Sur certains plateaux de tournages, la scénariste est présente et Gitaï lui demande de réécrire le scénario au jour le jour. Ce fut le cas sur Plus tard, l’adaptation du récit autobiographique de Jérôme Clément. C’est une histoire d'expérience subjective, celle de Clément qui prend pleinement conscience de sa judéité au moment de la mort de sa mère75. Or Gitaï prend des libertés avec le scénario original écrit par Jérôme Clément et Dan Franck en faisant jouer le rôle de la fille fictive de Clément par une jeune fille arabe, Mouna Soualem, la fille de l’actrice palestinienne Hiam Abbas et de l'acteur français d’origine algérienne Zinedine Soualem. La teneur « française » du film rendait la présence de Marie-José Sanselme sur le tournage indispensable puisque le film est tourné exclusivement en langue française avec des comédiens français, une équipe technique française. La nécessité de la présence de sa scénariste était impérieuse pour Gitaï pour qui tourner en langue française requiert un effort supplémentaire. Au contraire du tournage de Rabin, the Last Day (2015), ce film, tourné en Israël et en hébreu, ne comprenait pas cette injonction de la présence de sa scénariste même si elle avait écrit le scénario en français et en anglais. Dans la mesure où elle ne maîtrisait pas l'hébreu, elle ne pouvait pas habiter le texte. Elle restait au seuil d’un texte qu’elle avait paradoxalement pensé et écrit. Ainsi, en fonction des circonstances particulières de la fabrique
74 Entretien avec Isabelle Ingold, monteuse de huit films de Gitaï, San Francisco, 11 novembre 2019. 75 Voir les archives du film, Stanford University, https://exhibits.stanford.edu/Gitaï
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de chaque film, sa présence est nécessaire ou non, sollicitée ou non par le cinéaste.
EN AVAL DU TOURNAGE Marie-José Sanselme se remet en selle au moment de la sortie du film. De par sa maîtrise de l'écrit et de l'œuvre Gitaï, elle est pleinement impliquée dans les modalités de réception-promotion des films. Au-delà de l'écriture des scénarios76, elle intervient sur certaines interviews écrites que Gitaï donne aux journaux français et francophones. Elle participe activement à l’écriture de la visibilité médiatique de Gitaï en ligne, à travers la rédaction des notes biobibliographiques en français et en anglais pour la chaire de création artistique du site du Collège de France en 2019 et pour d’autres supports. Elle révise aussi le texte de sa leçon inaugurale du Collège, « La caméra est une sorte de fétiche : filmer au Proche-Orient »77. Elle a co-écrit les dossiers de presse avec l’attaché de presse à l'international, Richard Lormand. Elle relit les traductions en anglais qui ont été commanditées à d’autres. Elle co-signe le livre Amos Gitaï. Genèses avec Jean-Michel Frodon et Amos Gitaï. Elle relit les épreuves d’autres ouvrages qu'il signe seul. Elle n’est pas la seule à intervenir dans cette chaîne de collaborations mais elle est la cheville ouvrière de l’univers francophone du cinéaste78. Si elle joue un rôle certain dans la transmission de son œuvre à travers les dispositifs de médiation que sont les relations avec la presse, elle ne peut pas s’exprimer en son nom sur les films. C’est un principe et une stratégie mis en place par Gitaï qui veut contrôler le message de ses films et assumer seul le geste créatif et la responsabilité éthico-politique du film. Ses films ont un contenu politique que Gitaï ne veut pas voir détourné, instrumentalisé ni édulcoré par d’autres. Ce contrôle s’exerce sur tous les collaborateurs du film. Ils ne peuvent avoir un discours d’escorte sur le message du film mais chacun est libre de témoigner du travail avec Gitaï. Tel est le cas d’Anne Parillaud, qui, des années après avoir tourné Promised Land (2004) répond à la question suivante d’un journal luxembourgeois en 2017 :
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Tous les scénarios sont des commandes, dans le sens où le développement de l’écriture est financé par un producteur ou productrice, sauf pour Ana Arabia. Certains scénarios ont été écrits à la vitesse-éclair comme Free Zone que Marie-José Sanselme a écrit en trois mois et demi, financé par ARTE. Même durée d’écriture pour Laila in Haïfa. 77 GITAÏ Amos, La caméra est une sorte de fétiche. Filmer au Moyen Orient, Leçon inaugurale du Collège de France, Paris, Fayard, 2019. 78 Cet article se concentre exclusivement sur l’univers francophone de l’hypostase Gitaï. Il existe un vaste réseau israélien hébréophone également, qui s’appuie sur des relais et des collaborateurs de longue date, dans lequel sa femme Rivka tient un rôle primordial.
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Parmi tous les réalisateurs avec lesquels vous avez travaillé, lequel vous a le plus marqué ? Il y en a trois qui m’ont marquée et pour diverses raisons. Il y a d’abord eu Luc Besson qui m’a inculqué la notion de personnage avec Nikita. C’est d’ailleurs depuis ce moment-là que je n’ai plus voulu fabriquer le personnage mais être le personnage. Puis, il y a eu Catherine Breillat avec Sex is Comedy, parce que j’ai compris ce qu’est l’abandon à un metteur en scène. Et enfin le troisième est Amos Gitaï pour le film Terre promise, où j’ai compris ce qu’était l’abandon à un film. Ces trois films sont donc pour moi des films clés. Ceci dit, je découvrirai peut-être d’autres clés plus tard. Ce qui est paradoxal, c’est que ce ne sont pas nécessairement ces films-là que j’ai le plus aimé faire ou qui ont le mieux marché79. Les acteurs de ses films, aussi célèbres soient-ils, n’interviennent que rarement dans la promotion des films. Une fois le film sorti en salle ou présenté en festival, seul le cinéaste reste en scène. La scénariste se fait discrète et les mécanismes de minoration de sa présence oscillent entre une dimension objective et structurelle - elle n’est pas l’auteure du film - et une autre plus subjective et générationnelle, d’intériorisation d’une non médiatisation anticipée. Néanmoins, sa prise de parole publique est plus fréquente depuis 2014. Cet infléchissement se constate depuis la rétrospective organisée à la Cinémathèque française, suivie de la sortie du film Rabin, the Last Day (2015), qu’elle considère comme son meilleur scénario à ce jour. Cette sortie coïncide aussi avec la fin de vie et la disparition de son père en 2016, dont elle était proche et au parcours en résonance avec celui d’Amos Gitaï. Si elle ne s’est pas exprimée publiquement lors de la présentation du film Rabin, the Last Day, à la Mostra de Venise en septembre 2015, elle s’est exprimée en duo avec Amos Gitaï à plusieurs reprises par la suite. Elle défend le film au Festival international du film juif de Bruxelles (BJIFF) en 2016 avec Gitaï. Elle livre des communications publiques dans le cadre de rencontres universitaires, lors du colloque de clôture de la chaire de création artistique au Collège de France en juin 2019 avec Gitaï, où elle présente avec lui le fruit de leur collaboration sur le film Tsili. Elle intervient seule en scène pour la présentation des archives Gitaï lors du colloque organisé par l’École nationale des chartes et la Bibliothèque nationale de France en décembre 2019 à Paris. Si Sanselme est présente en salle lors de festivals et des premières et si Amos
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PARILLAUD Anne, « J’ai besoin de personnages forts pour exister », Le Quotidien, 20 février 2017, https://lequotidien.lu/culture/cinema-anne-parillaud-jai-besoin-de-personnagesforts-pour-exister/
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Gitaï ne manque pas une occasion de la nommer et de la remercier publiquement, elle reste en retrait. C’est aussi par choix personnel, mais elle est omniprésente de la naissance du projet de film jusqu'aux dernières étapes de sa diffusion, de sa gestation à sa mise en forme écrite et à sa réception planétaire. L’étape du processus de création duquel elle se trouve reléguée à la périphérie est celle, capitale, de la recherche et de l’invention de l’image, du langage visuel, la raison d’être du cinéma. Ainsi, au terme de cette analyse du répertoire multiple de la scénariste Marie-José Sanselme auprès du cinéaste franco-israélien Amos Gitaï, socialisé au sein du milieu politique de la gauche laïque et progressiste de Haifa, l’apport au long cours de Marie-José Sanselme, en tant que plume francophone du cinéaste, représente une dimension fondamentale des mécanismes de déploiement de l’hypostase Gitaï, l’artiste et l’intellectuel, tout en œuvrant dans le sens d'un plus grand partage des genres depuis 2014. Le statut unique de Gitaï dans le champ cinématographique et médiatique international repose en partie sur la contribution de sa scénariste venue d’ailleurs, venue du monde des lettres françaises, d’un substrat culturel catholique et des réseaux de la diplomatie culturelle francophone. Le capital social et culturel de Marie-José Sanselme, en plus des affinités littéraires et de la sensibilité commune du duo cinéaste-scénariste, sont des atouts précieux dans la quête Gitaïenne d’ancrage dans son pays d’adoption et de reconnaissance institutionnelle francophone dans la moyenne et la longue durée80, plus que de celle, ponctuelle, du nombre d’entrées de ses films, et dans une stratégie de territorialisation de sa filmographie au-delà des frontières proche-orientales tant politiques que linguistiques des lieux de son pays natal et de sa langue première.
80 La question des archives Gitaï, savamment dispersées entre Cinémathèque française, Bibliothèque nationale de France, Centre Pompidou, MOMA de New York, Bibliothèque nationale d’Israël et Stanford University, est une autre grille d’analyse de cette volonté d’inscrire son œuvre, et les archives familiales, dans un dessein patrimonial triangulaire entre Europe, ÉtatsUnis et Israël, en faisant fi des frontières linguistiques et politiques.
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Heiny Srour, un engagement aux marges du cinéma libanais Patricia Caillé CREM UR 3476 - Université de Strasbourg
ABSTRACT Au Liban plus qu’ailleurs, le succès international des films de Nadine Labaki tendrait à nous faire oublier que les réalisatrices sont présentes dès les années 1970 et s’imposent au fil du dernier quart du XXe siècle avec des films sélectionnés dans des festivals internationaux. Nous resituerons ici le parcours singulier d’Heiny Srour parmi les autres femmes cinéastes de sa génération. Née juste après l’indépendance du Liban, dans la communauté juive sépharade de Beyrouth, prise en étau entre une communauté conservatrice dont elle reconnaît la profonde influence, et un environnement plus vaste qui décourageait l’expression politique de cette même communauté, Srour dit s’être forgé une identité pratiquement dans la clandestinité. Farouche défenseure de l’émancipation des femmes, son documentaire L’heure de la libération a sonné (1974) tourné dans des conditions difficiles, garde la mémoire d’une brève révolution en marche dans l’armée qui lutta au Yémen contre la volonté d’accaparement des richesses par le Royaume Uni, les États-Unis et leurs alliés, et pour la libération des « colonies internes », les femmes et les enfants au sein du mouvement de résistance. Ce documentaire montré au Festival de Cannes procure une forte notoriété à l’autrice qui poursuivra dix ans plus tard avec un long-métrage expérimental, Leila et les loups (1984), sur la condition des femmes palestiniennes et libanaises. Interrogeant la jeunesse de Srour passée au Liban, le parcours professionnel et personnel, la production, la circulation et la réception des films, nous tenterons de comprendre les éléments de la valorisation des films et de leur autrice ainsi que les obstacles à leur patrimonialisation.
INTRODUCTION : CINÉMA AU LIBAN ET PRÉSENCE DES FEMMES Né au tournant des années 1920 de la répartition du Proche-Orient entre la France et le Royaume-Uni scellée par les accords Sykes-Picot en 2016 et la Déclaration Balfour en 1917, le Grand Liban est placé sous mandat français. Soucieuses de garder un accès à des ressources fossiles, les puissances européennes avaient alors renié la promesse britannique faite aux peuples du
Moyen Orient de l’accès à l’auto-détermination. Indépendant depuis 1943, cinq ans avant la création d’Israël, le Liban a connu un formidable essor économique très inégalement partagé dans les années 1950 et 1960. Le secteur cinématographique s’est consolidé grâce à l’importante migration des personnels du cinéma égyptien nationalisé en 1963 par Gamal Abdel Nasser, ce qui a contribué à l’augmentation très rapide de la production libanaise, d’autant que le pays était déjà un hub pour la distribution des films dans toute la région1. Activité de loisir prisée, les Libanais allaient au cinéma plus de 20 fois par an en moyenne2, consommant des films états-uniens en majorité, égyptiens, mais aussi britanniques, français ou soviétiques3, et quelques films plus politiques réalisés également dans le pays. Les tensions internes liées à une coexistence de plus en plus inéquitable de différents groupes sociaux et confessionnels, les tensions externes entretenues par divers mouvements qui n’avaient pas renoncé au rêve d’une Grande Syrie ou du panarabisme, ont mené le Liban à une guerre civile très meurtrière (1975-1990) dans laquelle de nombreuses communautés se sont déchirées, réduisant l’activité cinématographique à néant. Le cinéma renaît après la guerre dans un engagement politique, en premier lieu contre le pacte de réconciliation très vite signé en 1991, considéré par beaucoup comme un droit à l’amnistie pour les bourreaux avant que tout travail de mémoire soit possible4. Alors que la grande époque du cinéma au Liban est liée au divertissement, nous connaissons aujourd’hui le cinéma libanais pour les films réalisés après la guerre civile dans un pays exsangue et en ruines, qui explorent un profond traumatisme, avec de nombreuses approches expérimentales et formelles, ce qui revient d’ailleurs à occulter toute une production à bas coût de films de genre5. Les cinéastes libanais n’ont de cesse de vouloir amener ce cinéma très politique à différents publics, via différents mé-
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MINGANT Nolwenn, « Cinéma hollywoodien en Afrique du Nord et au Moyen Orient : une cartographie du marché », Africultures nᵒ 101-102, p. 128-151 ; CHAKRA Gianluca, « Croissance exponentielle au Moyen Orient », entretien de Nolwenn Mingant, Africultures nᵒ 101102, p. 190-201. 2 Daniel Livingston indiquait que l’indice de fréquentation du cinéma de 22,7 au Liban était le plus élevé au monde après Hong Kong, tandis que Georges Sadoul le situait à 16. Voir LIVINGSTON Daniel, « Lebanese Cinema », Film Quarterly, vol, 62, nᵒ2, p. 36 ; SADOUL Georges (dir.), Les Cinémas des pays arabes, Beyrouth, Centre interarabe du cinéma et de la télévision, 1966, p. 287. 3 Chiffres tirés de Livingston pour l’année 1964, Ibid., p. 36. 4 CALARGÉ Carla, Mémoires fragmentées d’une guerre obsédante. L’anamnèse dans la production culturelle francophone (2000-2015), Leiden et Boston, Brill-Rodopi, 2017. 55 ZACCAK Hady, « Petites et grandes guerres. Une filmographie de longs métrages tournés pendant la guerre civile (1975-1990) », Regards, Revue des arts du spectacle (Université SaintJoseph, Beyrouth), nᵒ 20, p. 141-55.
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dias, différents formats, etc., tant le réseau d’une cinquantaine d’établissements multi-écrans6, dominé par des groupes régionaux tels Grand Cinémas ou le circuit Empire cinémas, est accaparé par les films de genre importés, même si le film libanais tire son épingle du jeu7. Les films libanais ont repris du terrain depuis 2007 et représentaient un quart des entrées en 2018. D’où des films libanais populaires, des comédies et quelques auteurs à carrure internationale, et un cinéma national de la marge, ancré dans une profonde blessure, une guerre meurtrière. Pourtant, fin janvier 2020, le cinéma Metropolis, dont la programmation de films indépendants était assurée par l’association éponyme, est fermé sans préavis par la filiale Empire cinémas Sofil qui en assurait « la gestion financière, technique et opérationnelle8 ». L’une des deux salles art et essai au Liban qui justement programmait des films locaux, disparaissait malgré une levée de fonds réussie par l’association en septembre 2019, une initiative qui devait permettre de maintenir cette offre très fragile. Malgré ses assises précaires, le cinéma au Liban fait aussi figure d’exception, alors qu’on déplore le plus souvent la piètre présence des réalisatrices, lieu hautement symbolique associé à la création, les femmes sont partout présentes dans la mobilisation pour le cinéma. Dans un pays de sept millions d’habitants caractérisé par un pouvoir politique partagé entre les différentes confessions, une économie livrée au libéralisme et donc une absence de soutien à la culture, le fonds dédié à l’industrie cinématographique est de 180 000 euros9. La Fondation Liban Cinéma présidée par Maya de Freige, avec la collaboration de Myriam El Hajj, documentariste, comme presque toutes les initiatives destinées à promouvoir le cinéma, les associations et festivals sont dirigés par des femmes. L’Orient-Le-Jour, premier quotidien libanais en français, fait ainsi la liste de la présence libanaise à Cannes en 201410 :
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MARKS Laura, « Circulation d’œuvres expérimentales : créativité dans les systèmes métastables », Africultures, nᵒ 101-102, 2016, p. 336-351. 7 Par exemple, parmi les dix premiers films du box-office au Liban, on comptait cinq films libanais. Voir Rami, « 2018 – Box-office in Lebanon », Blog 961, https://www.plus961.com/ 2019/03/2018-box-office-results-in-lebanon/ (consulté le 30 mars 2020). 8 Voir le communiqué sur le site du Metropolis qui condamne la mainmise de la classe dirigeante contre les initiatives culturelles, https://metropoliscinema.net/film/333/%D8%A8%D9 %8A%D8%A7%D9%86%20|%20statement (consultée le 19 février 2020). 9 DE FREIGE Maya, Présidente de la Fondation Liban Cinéma, entretien avec Patricia Caillé à la FLC, le 27 septembre 2019. 10 « Le pavillon libanais affirme sa présence à Cannes », L’Orient, Le Jour, 15 mai 2014. https://www.lorientlejour.com/article/867276/le-pavillon-libanais-affirme-sa-presence-acannes.html (consultée le 19 février 2020).
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Le Festival du film libanais avec Pierre Sarraf et Carole Mezher ; le Beirut International Film Festival avec Colette Naufal ; le Cultural Resistance Film Festival (Tripoli, Beyrouth, Zahlé, Liban-Sud) avec Jocelyne Saab ; Beirut DC avec Zeina Sfeir ainsi que l'association Métropolis avec Hania Mroué et Rabih Khoury, le Screen Institute Beirut (Paul Baboudgian) et AFAC (Fondation arabe pour les arts et la culture) avec Zeina Mismar. Les deux tiers de la délégation sont des femmes. La figure la plus en vue de la réalisation au Liban et dans le monde est certainement Nadine Labaki, aussi actrice, avec ses trois longs-métrages qui ont eu un vrai succès critique et commercial, Caramel (2007) sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, Et maintenant on va où ? (2011) maintes fois primés, avec 325 000 billets vendus au Liban11, et Capharnaüm (2018), prix du Jury à Cannes, sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger et récipiendaire de nombreux autres prix. Ce dernier a fait plus de 188 000 entrées au Liban dans les trois premiers mois de sa sortie en 2018 et près d’un million en Europe ensuite12. Formée au cinéma à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Labaki réalise des clips vidéo et des spots publicitaires primés avant de remettre le Liban sur la carte des cinémas nationaux, loin devant un autre réalisateur dont les films ont également fait grand bruit Ziad Doueiri, formé aux États-Unis, tous deux représentants « du renouveau du cinéma libanais pour avoir dynamisé la création cinématographique après la guerre civile » et « emblématique à la fois d’une expression internationale et moyen orientale13 » qui sont parvenus à toucher de larges publics. Y aurait-il une exception libanaise ? L’État libanais s’étant désintéressé du cinéma, aurait-il laissé les femmes s’en emparer au-delà de la réalisation ? Les femmes qui œuvrent au cinéma au Liban mettent à mal un certain nombre de préjugés. Comme nous le verrons, l’activité des femmes libanaises dans le cinéma n’est pas nouvelle, et cet article interroge l’écart entre la mention récurrente du nom de Heiny Srour parmi les femmes cinéastes qui ont laissé leur marque dans le cinéma, et le nombre relativement restreint de travaux de recherche
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Voir FAYAD Gaëlle, L’économie du cinéma libanais : ce rêve d’industrialisation, Thèse de doctorat, sous la direction de Joël Augros, Université de Paris 3, 2020, p 102. 12 Le premier film de Labaki a fait 1,3 million d’entrées dans l’Union européenne, le second 609 000 et le troisième 983 000. Voir base de données Lumière de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, https://lumiere.obs.coe.int/web/ search/index.php; Voir STEPHAN Laure, « Succès pour Capharnaüm au Liban », Le Monde, 17 octobre 2018, https://www.lemonde.fr/cinema/article/2018/10/17/capharnaum-les-oublies-des-bas-fonds-de-beyrouth_5370529_3476.html 13 Voir DOUEIRI Ziad et PASSEVANT Christine, « Guerre civile et cinéma populaire », L’homme et la société, nᵒ 4, 2004, p. 145-160.
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effectivement consacrés à l’analyse de son œuvre14. Heiny Srour est créditée pour la réalisation d’un premier très court-métrage, Pain de nos montagnes (1968) qui a disparu pendant la guerre civile libanaise. Sélectionné pour le prix de la Critique à Cannes en 1974, son documentaire militant L’heure de la libération a sonné (1974, 60’) sur la lutte menée par les femmes et les hommes du Front populaire pour la libération d’Oman et du Golfe arabe (FPLOGA) contre l’impérialisme, lui assure une importante notoriété. Elle réalise ensuite un long-métrage de fiction, Leïla et les loups (1984, 90’) dans une approche plus expérimentale, lui aussi remarqué. Elle poursuivra avec un court-métrage, The Singing Cheikh (1991, 10’), et Les Yeux du cœur (1998, 52’), un prémontage élargi du court-métrage précité qu’Heiny Srour n’a pas pu terminer professionnellement, ainsi qu’un documentaire tourné en vidéo Rising above : Women of Vietnam (1996, 52’), dont elle ne revendique pas la version finale. Elle réalise une vidéo, Women Global Strike 2000 (2000) autofinancé par un collectif anglais « Wages for Housework Campaign » sur la grève internationale des femmes du 8 mars 2000. Le processus de valorisation d’une œuvre ne peut être séparé d’un certain nombre de conditions : les sources de financement et le budget du film qui déterminent les circuits par lesquels il accèdera à des publics, sa visibilité et sa capacité à atteindre les instances de légitimation, à capter l’attention des critiques et autres intermédiaires du jugement, et donc à la fois le réseau relationnel de son autrice et les thématiques privilégiées par les programmateurs de manifestations à un moment donné, l’éventail de films réalisés disponibles parmi lesquels faire une sélection à ce moment-là, ou les questionnements prisés par les chercheurs dans un lieu donné, etc. Quels éléments d’un film et du parcours de son auteur les mémoires collectives et les histoires du cinéma conservent-elles ? Quel est l’héritage laissé par un film, une œuvre ou leur autrice ? Cette recherche qui s’appuie d’une part, sur les traces de la circulation des films et des discours qu’ils ont suscités, et d’autre part, sur un entretien avec Heiny Srour, interrogera les contraintes qui ont très tôt déterminé le rapport d’Heiny Srour au monde et à la politique, la capacité d’agir de la réalisatrice au regard des discours qui façonnent dans le temps cette réputation et des catégories d’analyse qui la structurent. Dans un premier temps, nous retracerons brièvement le parcours biographique de Heiny Srour pour le resituer dans celui d’une génération de réalisatrices au Liban, afin d’interroger les termes de sa contribution au cinéma et les repères signifiants de sa présence dans le patrimoine cinématographique. Puis nous examinerons le cycle de vie de 14 Voir Olivier Hadouchi qui terminait une analyse de L’heure de la libération a sonné, dans SHAFIK Viola (dir.), Documentary Filmmaking in the Middle East and North Africa, Le Caire, American University in Cairo Press, à paraître.
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L’heure de la libération a sonné (1974), sa production, sa circulation, et la construction de la réputation de son autrice afin de spéculer sur les enjeux de la valorisation des films ou d’une œuvre. Nous mettrons ainsi en perspective la réception critique de ses films, des textes qu’elle a rédigés, et les éléments qui participent à la construction de sa réputation dans les savoirs et discours produits, afin d’envisager les conditions et les obstacles à la construction et aux usages d’une œuvre.
CONTOURNER LES ASSIGNATIONS IDENTITAIRES ET CONTRAINTES D’UNE JEUNESSE LIBANAISE On ne peut comprendre un parcours tel que celui d’Heiny Srour sans démêler l’écheveau des déterminations politiques, sociales, religieuses, linguistiques et culturelles qui ont affecté le parcours de cette réalisatrice tout en nourrissant son identité et sa démarche. Née dans une famille juive sépharade de Beyrouth en 1947, quatre ans après l’indépendance du Liban et un an avant la création d’Israël15, Heiny Srour se revendique comme une citoyenne libanaise née « dans une famille très enracinée dans sa communauté et très enracinée dans son sol national », mais avec « une ouverture sur d’autres communautés16 », une partie de sa famille étant musulmane. Elle décrit une enfance dans une famille conservatrice, patriarcale qui avait le souci de maintenir sa réputation auprès des siens, « un système dans lequel on était très ligoté », à la fois par la famille et par le groupe religieux et culturel17. À cette époque, les Libanais de confession juive se disaient apolitiques n’osant pas parler politique de peur d’être perçus comme des « espions à la solde d’Israël ». Srour évoque ainsi une communauté qui « votait à droite18 » et soutenait les phalangistes, des chrétiens maronites conservateurs, y voyant « des gens qui les protègeraient ». Contactée par l’organisation de jeunesse des Phalanges pour par-
15 Nous tirons ces éléments biographiques d’une série d’entretiens téléphoniques avec Heiny Srour menés les 26, 27, 30 et 31 mars 2020. 16 Ibid. 17 Voir SROUR Heiny, « Assise entre trois chaises », tapuscrit en anglais dans lequel elle raconte son humiliation lorsque son père mit le cinéaste algérien Abdelaziz Tolbi à la porte parce qu’Heiny et lui lisaient de la poésie dans sa chambre : « Il se croyait dans la maison de la cinéaste guerrière dont la presse lui avait dit qu’elle avait marché 400 km à pied sous les bombes pour filmer la guérilla la plus radicale du monde arabe, chose qu’aucun homme n’avait osé faire… ». Elle évoque une vie « déchirée entre les dures pressions et l’atmosphère grisante de mes pairs où je me dépasse et donne le meilleur de moi-même, et mon milieu familial qui vit à des années-lumière de ma vie publique ». Texte non publié, transmis par son autrice. 18 Entretien avec Heiny Srour, le 26 mars. Kirsten Schulze analyse le rapport des Libanais de la communauté juive aux Phalanges Kata’ib (chrétiens maronites), lié à la peur de violences émanant des communautés musulmanes. SCHULZE Kirsten, The Jews of Lebanon: Between Coexistence and Conflict, Brighton and Portland, Sussex Academic Press, 2001, p. 170-71.
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ticiper à un camp d’été, alors qu’elle était enfant, Srour rêvait de faire du camping et de grimper aux arbres, sans comprendre les raisons pour lesquelles ses parents s’y étaient opposés, son insistance les faisant céder. Elle y avait entendu parler de « patriotisme » ou d’« amour du Liban », et trouva alors « très bien d’aimer son pays et de donner au pays où on est ». C’est beaucoup plus tard qu’elle découvrira aussi que les juifs communistes avaient été poussés à l’émigration vers Israël, au prétexte qu’il n’y avait pas de place pour eux au Liban. Alors même qu’on associe la création d’Israël à la domination du monde arabe par le soutien de l’Occident, l’appartenance à la communauté juive de Beyrouth situe Srour dans une relation ambiguë entre refus de la soumission aux règles d’une communauté conservatrice dont elle goûtait néanmoins la beauté de la culture, et nécessité de construire un rapport à la politique en dehors de rapports de domination qui l’empêchent. La jeune fille très tôt intéressée par la politique alors taboue, qui avait osé laisser entendre qu’elle était peut-être athée, pouvait mettre en péril la réputation familiale, d’où la menace paternelle de lui interdire de poursuivre ses études. Srour évoque aussi les difficultés économiques de sa famille, ressenties comme une injustice sociale. Son père, propriétaire de pharmacies, avait dû vendre ses officines faute d’avoir le titre requis au Liban pour être autorisé à exercer, ce qui affecta les moyens, le style de vie, et l’éducation qu’elle reçut, la faisant passer d’une langue à l’autre, de l’école protestante qu’elle aimait beaucoup à l’Alliance israélite qu’elle détestait, ayant dû renoncer aux activités artistiques qu’elle affectionnait, le ballet, le dessin et la musique. Srour décrit également une famille dans laquelle on parlait et lisait en français, la langue du colonisateur et de la bibliothèque des propriétaires de l’appartement que ses parents avaient loué, ce qui lui a permis de lire les grands classiques, en particulier Les Misérables de Victor Hugo dont elle retint le sens de la justice sociale, etc. Le français était devenu pour elle la langue de l’émancipation sociale et des femmes, d’autant qu’elle détestait l’enseignement des langues sémites à cause de méthodes d’apprentissage fondées sur la sanction. Elle décrit pourtant l’arabe comme la langue de ses racines culturelles, une langue qu’elle a pu conserver seulement grâce aux conversations avec ses grands-parents illettrés mais qui lui ont transmis le patrimoine musical sépharade, en particulier le chant hébraïque pratiqué par son père et son grand-père, ou les récits des Mille et une nuits que lui contait sa grand-mère, un héritage qui viendra nourrir Leïla et les loups. Ces quelques éléments biographiques suggèrent l’intériorisation de nombreuses contraintes dans la construction d’une identité minoritaire juive dans un pays arabe à la croisée de l’autorité paternelle qui réprouve ses ambitions, et donc des dispositions artistiques contrariées malgré les alliances familiales 89
qu’elle a pu mobiliser à son profit parfois, dans une enfance et une jeunesse traversées par les turbulences de l’histoire du Moyen Orient. Srour évoque ainsi un développement intellectuel qui n’a pu se faire que dans « la clandestinité » à travers des lectures politiques et d’autres activités scolaires et extrascolaires. Elle participe alors à un ciné-club animé par un de ses professeurs Pierre Barbéris19, qui lui fera découvrir La condition humaine d’André Malraux, un tournant de sa réflexion sur le monde, puis elle s’attaque au Manifeste du parti communiste de Karl Marx. À cette période, le cinéma est indissociable d’une manière d’appréhender les rapports de force géopolitiques, ce que révèlent d’ailleurs ses films. Elle partira ensuite à Paris pour se lancer dans une thèse en anthropologie sociale, étudiera avec Maxime Rodinson, un penseur aux marges de l’institution universitaire dont il se méfiait et qui a tenté « d’appliquer les méthodes d’analyse marxiste au monde musulman20 », une opportunité qui rapprochera Srour d’une conception idéologique du cinéma acquise à la périphérie des institutions universitaires et cinématographiques. L’intérêt de Srour pour les activités artistiques semble l’avoir amenée au cinéma presque par accident même si le cinéma dit-elle, « réunit toutes ces choses que je n’ai pas pu accomplir quand j’étais enfant et adolescente. Il réunit tous ces arts ».
FILMS PAR DES RÉALISATRICES DANS LE MONDE ARABE : QUELS QUESTIONNEMENTS ? Souligné dans l’appel à contributions pour ce projet21, la relation entre films et femmes en Afrique et au Moyen Orient renvoie immédiatement aux nombreux récits filmiques qui portent sur l’émancipation des femmes et qui sont le fait de réalisateurs comme de réalisatrices. Notre étude sur le Maroc et la Tunisie montre que les films par des réalisateurs ont très souvent eu un plus grand succès commercial22, le succès récent de Un divan à Tunis (Manele Labidi, 2019) et Papicha (Mounia Meddour, 2019) comme avant eux les films
19 Pierre Barbéris (1926-2014) deviendra un grand spécialiste de la littérature française du dixneuvième. 20 Voir BRISSON Thomas, « Les intellectuels arabes et l'orientalisme parisien (1955-1980) : comment penser la transformation des savoirs en sciences humaines ? », Revue française de sociologie, vol. 49, nᵒ 2, 2008, p. 269-299, https://www.cairn-int.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2008-2-page-269.htm 21 Voir l’appel à contribution « Les filières cinématographiques en Afrique et au Moyen Orient au prisme du genre » lancé en 2018 http://www.groupe-hescale.com/les-filieres-cinematographiques-en-afrique-et-au-Moyen Orient-au-prisme-du-genre/ 22 CAILLÉ Patricia, « La ‘condition des femmes’ au Maghreb fait recette sur le marché européen du film ! Maroc-Tunisie 1990-2019 », Regards. Revue des arts du spectacle (Université Saint-Joseph, Beyrouth), nᵒ 24, 2020, https://journals.usj.edu.lb/regards/article/view/481
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de Nadine Labaki déjà cités, qui ont fait entre 635 000 et 1 400 000 entrées en Europe, demeurent de singulières exceptions23. Alors même que les films par des réalisatrices, des films d’auteur, sont souvent plus valorisés dans les festivals, ils peinent à accéder à une visibilité suffisante pour une valorisation commerciale24. De la même façon, alors que la question de la condition des femmes à travers les films est primordiale, celles des conditions d’accès à l’activité en cinéma, de la place et du parcours des femmes dans les secteurs, sont longtemps demeurées des points aveugles dans les discours médiatiques et dans les secteurs même si les choses changent25. Par contre, à quelques exceptions près26, les films par des réalisatrices font l’objet de nombreuses publications et recherches universitaires qui portent sur la vision que ces femmes cinéastes ont du monde, sur l’imaginaire dans lequel elles puisent afin d’éclairer l’analyse de leurs films, plutôt que sur leur activité professionnelle, que ce soit à l’échelle nationale27, ou bien encore régionale arabe28, maghrébine29, méditerranéenne30. Ces travaux qui s’attachent presque exclusivement aux films dont les protagonistes sont des femmes, tentent le plus souvent de recouvrer dans les récits et les formes, l’expérience et la lutte des femmes pour leur émancipation. La production des savoirs est-elle prise dans une contradiction : hisser les cinémas arabes au rang des cinémas prisés qui sont occidentaux et donc promouvoir les parcours des femmes en cultivant le mythe de l’autrice faisant ainsi abstraction des rapports de force inhérents aux conditions de production artisanale d’un secteur ? Une telle production des savoirs court aussi le risque de reproduire des stéréotypes et des hiérarchies, celles de
23 Voir
Base de données Lumière : https://lumiere.obs.coe.int/search Selon son producteur Jean-Jacques Andrien, L’enfant endormi (Yasmine Kassari, 2004) était le film le plus primé au Maroc comme en Belgique même s’il est considéré comme un film relativement marginal de chaque côté de la Méditerranée. Entretien avec l’autrice, 2015. 25 Alors qu’on vante le plus grand nombre de réalisatrices au Maroc, le nombre de films par des réalisatrices n’a fait que suivre l’augmentation du nombre de films produits et reste en dessous des 10%. 26 GABOUS Abdelkrim, Silence ! Elles tournent. Les femmes et le cinéma en Tunisie, Tunis, Cérès Éditions, 1998 ; HILLAUER Rebecca, Encyclopedia of Arab Women Filmmakers, Cairo, American University in Cairo Press, 2006. 27 PAPAGIANNI Chrysavgi, « Women filmmakers in the United Arab Emirates », dans Karen Ross et al. (dir.), The International Encyclopedia of Gender, Media, and Communication, Hoboken N.J., Wiley Publishers, 2020. 28 ARMES Roy, « Women Pioneers of Arab Cinema”, Screen, vol. 48, nᵒ 4, 2007, p. 517-520; VAN DE PEER Stefanie, Negotiating Dissidence: The Pioneering Women of Arab Documentary, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2017. 29 KUMMER Ida, « Mères et filles dans le cinéma maghrébin ou l’effet de serre », CinémAction, nᵒ 111, 2004, p. 113-118 ; MARTIN Florence, Screens and Veils: Maghrebi Women’s Cinema, Bloomington, Indiana University Press, 2011. 30 LAVIOSA Flavia (dir.), Visions of Struggle in Women’s Filmmaking in the Mediterranean, New York, Palgrave Macmillan, 2010. 24
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la supériorité des cinémas occidentaux, comme celle des femmes plus émancipées au Nord, des modèles vers lesquels les sociétés arabes devraient tendre. Comme le montrent Abir Kréfa et Amélie le Renard, les sociétés arabes sont très diverses et les femmes ont depuis longtemps participé aux débats et lutté contre les empires coloniaux et pour leur émancipation31. En 1997, Ella Shohat qui situe sa réflexion sur le cinéma dans un posttiers-mondisme, soulignait déjà la façon dont les réalisatrices féministes du tiers-monde avaient participé à l’écriture de contre-récits permettant aux colonisés de se réapproprier un monde dont le colonialisme les avait expulsés. Elles ont tenté de mettre en relief la façon dont le colonialisme et le nationalisme avaient affecté différemment les hommes et les femmes. Leurs films sont une critique à la fois du nationalisme anticolonial et d’un féminisme eurocentrique occidental qui les ignoraient tout autant32, ce que notre entretien avec Heiny Srour confirme. Comment dans ces conditions situer à la fois la démarche de cette réalisatrice et la réception de ses films à laquelle Shohat faisait d’ailleurs allusion ?
LES PIONNIÈRES DU CINÉMA AU LIBAN Quatre autres réalisatrices de la même génération sont actives dès les années 197033, Nabiha Lotfi (1937-2015), Jocelyne Saab (1948-2015), Leyla Assaf-Tengroth (1946-), Randa Chahal Sebbag (1953-2008)34. Nous limiterons notre analyse au parcours à trois d’entre elles que Srour a croisées sans les côtoyer, ni bien les connaître35. Toutes ces réalisatrices ont vécu longtemps
31
Voir KREFA Abir et LE RENARD Amélie, Genre & Féminismes au Moyen Orient & au Maghreb, Paris, Éditions Amsterdam, 2019, p. 28-49. 32 SHOHAT Ella, « Framing Post – Third-Worldist Culture: Gender and Nation in Middle Eastern North African Film and Video”, Jouvert: A Journal of Postcolonial Studies, vol. 7, nᵒ 2, 1997, https://legacy.chass.ncsu.edu/jouvert/v1i1/SHOHAT.HTM 33 Dans le numéro spécial des Cahiers du cinéma consacré à l’histoire des réalisatrices (nᵒ 757, juillet-août 2019), les premières cinéastes du monde arabe apparaissent dans les années 1970, elles sont trois, deux d’entre elles sont libanaises, Heiny Srour et Jocelyne Saab connue comme reporter de guerre, la troisième est une romancière algérienne de réputation internationale, Assia Djebar, créditée pour deux films, dont La nouba des femmes du Mont Chenoua (1978), premier film par une réalisatrice algérienne. 34 Nous n’avons pas retenu les parcours d’Olga Naccache (1953-) dont les premiers films datent du milieu des années 1980, ni celui de Leyla Assaf-Tengroth (1946-) qui a réalisé de très nombreux documentaires maintes fois primés : Voir http://cadmosfilm.se/films/. Née au Liban et partie vivre en Suède en 1966, à l’âge de 19 ans, son parcours est plus spécifiquement lié à la Suède. 35 Dans son mémoire, Paula Layoun compare également diverses trajectoires. LAYOUN Paula, « Quand les femmes libanaises font leur cinéma », Mémoire de master 2 sous la direction de José Moure, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, soutenu en septembre 2016, https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01438809/document (consulté le 20 novembre 2020).
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en dehors du Liban même si elles y sont revenues plus ou moins régulièrement pour tourner leurs films. Nabiha Lotfi souvent considérée comme une réalisatrice égyptienne, avait été exclue de l’American University in Beyrouth alors qu’elle était étudiante, pour avoir manifesté son opposition au Pacte de Bagdad en 1955, une alliance militaire au temps de la guerre froide, un OTAN moyen oriental destiné à asseoir la présence américaine dans la région. Gamal Abdel Nasser l’aurait alors invitée à venir étudier au Caire où elle obtiendra un diplôme en littérature arabe avant de rejoindre la haute école du cinéma. Lotfi a réalisé de nombreux documentaires dont Les Mille ans du Caire (1969), Prière dans le Vieux Caire (1971), Tell al-Zaatar (1975), Le Monastère Sainte Catherine (1980), Ma poupée (1983), Hassan et l'oiseau et Jeux d'enfants (1989), Vers où ? (1991), Message de Hegaza (1994), Rue Mohamed Ali (2003), Carioca (2009)36, comme des fictions. Elle a œuvré aussi pour la cause palestinienne avec notamment Because the roots will never die (1977) sur le massacre perpétré dans un camp palestinien par les phalangistes, un film soutenu par l’Union des documentaristes arabes fondée à Bagdad en 197537. Elle est la co-fondatrice d’un mouvement celui du Nouveau cinéma égyptien en 1986, et créditée pour sa contribution à la création de l’Association des réalisatrices en Égypte en 1990. C’est d’ailleurs parmi les pionnières du cinéma égyptien qu’elle sera honorée aux Journées cinématographiques de Carthage en 2016. Née dans une famille chrétienne maronite aisée, ayant grandi dans Beyrouth ouest, quartier cosmopolite où vivent de nombreux intellectuels de gauche, Jocelyne Saab qui s’engage pour la cause palestinienne, suit une formation en économie avant de devenir journaliste, photographe. La réalisatrice dont le nom est le plus souvent cité, ne serait-ce par le volume de sa contribution, une trentaine de documentaires et plusieurs fictions, est devenue reporter de guerre38. Ses documentaires pour la télévision et pour le cinéma chroniquent de nombreux aspects politiques de la guerre au Liban, des conflits au Proche Orient, en Égypte, en Iran et même du Sahara. Saab se tourne aussi vers la fiction avec Une vie suspendue (1985) projeté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, et Dunia (2005) produit et initialement censuré en Égypte,
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Voir base de données Sudplanète, http://www.spla.pro/file.person.nabiha-lotfi.5757.html Film perdu et retrouvé qui a été restauré à la fin des années 2010. Voir aussi NEIDHARDT Irit, « The Documentary and the Arab: On Fictionalization and Emancipation », dans Mapping Arab Documentary, Berlin, DoxBox, 2017, p. 10-24, https://dox-box.org/wp-content/uploads/2018/11/DOXBOX-MappingArabDoc-Report2017Eng.pdf 38 Voir ROUXEL Mathilde, Jocelyne Saab, la mémoire indomptée 1970-2015, Beyrouth, Dar en Nahar, 2015. 37
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qui lui valut des menaces de mort par les fondamentalistes. Au fil de sa carrière, elle en est venue à réaliser des films de plus en plus personnels, dont certains seront des installations dans les musées39. Issues de trois communautés différentes, Srour, Lotfi et Saab sont arrivées au cinéma dans le même ferment contestataire des années 1960 et 1970, après avoir acquis une culture politique par des trajectoires très diverses, une formation par la lecture et le ciné-club ainsi que des études en anthropologie, pour l’une, des études en sciences politiques à AUB et le militantisme politique pour l’autre, et en tant que reporter aguerrie des conflits qui ont secoué la région et au-delà pour la troisième, ce que Saab évoque : Le recours au cinéma, notamment au documentaire, en vue de provoquer ou d’accompagner des changements sociaux, de dénoncer ou de fournir des bases pour l’action, tout cela était très présent quand j’ai commencé. L’effervescence des années 1960 continuait d’agiter une grande partie de la jeunesse dans le monde. Donc, sans doute avec l’énergie et peut-être aussi l’inconscience propre à la jeunesse, je me retrouve à couvrir des guerres ayant des conséquences très importantes à l’échelle régionale mais aussi mondiale40. La cause palestinienne et la dénonciation de l’occupation israélienne sont un enjeu identitaire clé dans le monde arabe. Si une telle conception du cinéma les amène progressivement au cinéma et à l’expérimentation formelle, ce dernier aspect est moins souvent noté et rarement analysé dans les termes posés par les réalisatrices. C’est dans ce contexte que l’émancipation des femmes devient une problématique prisée des films, et pour Heiny Srour la revendication première. Saab réalise des reportages pour la télévision dès le début des années 1970, à la différence des deux autres réalisatrices, sa quête devient progressivement une des œuvres fondatrices du Nouveau cinéma libanais, un cinéma aux prises avec l’histoire de la guerre civile au Liban qui commence avec Le Liban dans la tourmente (1975). Son travail documentaire met en avant le « je » d’une reporter, cinéaste en devenir, transformée par la guerre. Dans Beyrouth, ma ville (1982), le film « le plus important » et celui qui lui « tenait le plus à cœur41 », la réalisatrice revient dans la maison de sa famille détruite lors des
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Voir ROUXEL Mathilde, « La résistance tenace d’une cinéaste libanaise », Orient XXI, 12 janvier 2019. https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/jocelyne-saab-poursuivre-la-resistance,2852 40 McPHEE Christina, « #Olivierhadouchi. Conversations avec la réalisatrice Jocelyne Saab », www.criticalsecret.net, February 11, 2017, https://www.criticalsecret.net/OlivierHadouchiConversations-avec 41 Ibid.
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combats. Alors que la caméra parcourt les ruines, elle apparaît à l’écran micro en main, avec calme et dignité, une émotion dans la voix. La reporter de guerre devient cinéaste tout en prêtant corps à la citoyenne libanaise affectée par la guerre et voix à l’expérience intime et subjective de la guerre : Voilà ! C’est ma maison, ce qu’il en reste. Et je ne peux plus vous parler des autres, c’est cynique mais… Voilà ! Là, c’était ma chambre, là nous préparions un film, c’étaient deux étages. Au fond, ce n’est pas grave parce que… ce n’est que des murs après tout et nous sommes tous sortis vivants. À penser le nombre de morts qu’il y a depuis quelques jours, d’une part à cause des bombardements des Israéliens, à cause des bagarres intérieures… […]. L’essentiel c’est de survivre, de vivre, c’est vrai que cette maison, c’est la tradition, que ça me fait quelque chose au cœur, que c’est cent cinquante ans d’histoire. C’est mon identité, c’est comme pour tout le monde, c’est l’identité de tous les Libanais qui perdent leur maison, leurs biens, en plus comme on ne sait plus à qui se référer, on ne sait plus qui on est. La maison de famille dévastée devient l’histoire de l’identité perdue de tous les Libanais confrontés, comme la réalisatrice, à la perte de leurs biens, mais privilégiés qu’ils et elles sont pourtant d’être encore en vie. Ce faisant, le documentaire fait de l’expérience vécue de manière réflexive, une douleur intime et partagée par tout.es devant la perte d’identité nationale, au-delà de toute considération de classe, de religion ou de genre. Et comme nous le verrons, la quête d’identité par l’intime est souvent le premier des attendus des films par des femmes, et certainement l’enjeu premier des recherches ayant pour objet l’œuvre de réalisatrices. Un peu plus jeune, Randa Chahal Sabbag née à Tripoli au Liban, d’une mère chrétienne irakienne et d’un père musulman sunnite, découvre le cinéma par le ciné-club. Formée au cinéma à Paris puis à l’Institut Lumière, elle rentre à Beyrouth quand éclate la guerre et fait ses armes par un documentaire sur les racines de l’éclatement du Liban dans Pas à pas (1979) coproduit par le Centre palestinien du cinéma. Longtemps membre du Parti communiste, son rôle de messager pendant la guerre lui aurait permis de circuler dans la ville et aurait forgé son expérience de celle-ci42. Comme Jocelyne Saab, elle réalise en 1995 un documentaire personnel dans une démarche différente. Construit rétrospectivement sur l’expérience et la mémoire que sa famille a de la guerre civile, Nos guerres imprudentes (1995) est pour Chahal Sebbag le « lien » qu’elle crée pour « discipliner les images de la ville, maintenant que l’esprit ressemble à un terrain vague, que nous avons perdu la guerre. Reprendre les souvenirs de face sans affrontements pour un dernier adieu à cette ville que
42
Voir SNAIJE Olivia, « Randa Chahal », Obituary, The Guardian, 8 octobre 2008.
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j’ai tant aimée et que je ne finis pas de quitter43 ». À la différence de Saab, Chahal Sebbag renonce au « nous » et évoque le documentaire comme substituant à l’histoire impossible de la ville réduite à néant, l’histoire d’un rapport personnel à celle-ci. Celui-ci tient lieu du vide laissé par la guerre sans pourtant jamais pouvoir combler la béance, tout juste met-il de l’ordre dans les images créant l’illusion d’un deuil impossible. Ce « terrain vague » constituera la pierre de touche du nouveau cinéma libanais. Chahal Sebbag se tourne aussi vers la fiction, à travers des films politiques qui ont obtenu une reconnaissance critique et dans les instances de légitimation institutionnelle à l’étranger. Sélectionné à la Mostra de Venise, Écrans de sable (1992) conte l’histoire de deux femmes, l’une répudiée, l’autre documentaliste nouvellement employée dans une bibliothèque sans aucun livre, et se situe dans le monde dystopique d’une dictature musulmane qui assujettit les individus par écrans interposés. Les Infidèles (1997) évoque la relation entre un diplomate français et un musulman fondamentaliste, Civilisées (2000), qui obtiendra le Lion d’argent à Venise, est une comédie noire censurée au Liban, mettant en scène les domestiques restés seuls à entretenir les appartements de leurs employeurs qui ont fui la guerre. Chahal Sabbag réalise ensuite Le Cerf-volant (2003) produit par Humbert Balsan, producteur de Youssef Chahine et Elie Suleiman, qui récolte le Grand prix du jury à Venise en 2003 et connaît une distribution en salle en Europe francophone. La maladie emporte Randa Chahal avant qu’elle ait pu mener à bien sa comédie musicale Tant pis pour eux avec le producteur libano-américain Élie Samaha. L’esquisse de ces parcours montre comment un pays trois fois plus petit que la Belgique avec la moitié de sa population, comptait dans le dernier quart du XXe siècle cinq réalisatrices toutes reconnues dont trois dans des grands festivals internationaux. Parmi les réalisateurs actifs à cette même époque, dans un pays alors sans instance de légitimation des films, qui plus est en guerre, la critique comme les textes plus académiques ont retenu les noms de Maroun Baghdadi formé à l’IDHEC, et Borhane Alaouié, un réalisateur formé à l’INSAS à Bruxelles de 1968 à 1973. Kafr Kasem (Alaouié, 1975), une fiction libano-belge-syrienne, du nom du village palestinien massacré par l’armée israélienne en 1956 obtient le Tanit d’or aux JCC à Tunis en 1974 et le premier prix du Festival du film de Moscou l’année suivante. Le film est décrit par des critiques et spécialistes du cinéma arabe en France dans les années 1970 et 1980 comme « une des œuvres les plus importantes des cinémas
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Voir Nos guerres imprudentes, Site de Randa Chahal, https://www.randachahal.com/nosguerres-imprudentes
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arabes44 », « le meilleur film jamais tourné sur la Palestine » ou faisant partie des « dix films meilleurs films arabes45 », alors que le nom de Jocelyne Saab dans ces mêmes publications apparaît une fois, tandis qu’Heiny Srour n’est pas citée. C’est aussi à Borhane Alaouié qu’on demande de faire le point sur le cinéma des luttes dans le monde arabe dans un dossier très fourni des Cahiers du cinéma46.
LES VOIX D’UNE RÉVOLUTION INCONNUE Heiny Srour termine en 1974, juste avant le début de la guerre civile libanaise, L’heure de la libération a sonné, un documentaire qui évoque avec méthode et conviction une révolution dans le Dhofar, une région au sud du Sultanat d’Oman, menée par le Front de libération populaire d’Oman et du Golfe arabe (FLPOGA) déterminé à s’affranchir de l’occupation britannique, soutenue pourtant par les Américains, l’Arabie saoudite, le Shah d’Iran et le roi Hussein de Jordanie. Srour, contactée par un porte-parole du FPLOGA, avait eu connaissance de ce conflit alors qu’elle était journaliste à Beyrouth. Financé par les collectes menées par l’Union générale des étudiants d’Irak en Angleterre et auprès de travailleurs sud-yéménites à Sheffield, Birmingham et Cardiff47, ce documentaire militant doit sa finalisation à une subvention de l’Agence de coopération culturelle et technique fondée en 1970, l’ancêtre de l’Organisation internationale de la francophonie, alors dirigée par le Tunisien Tahar Cheriaa. Dans la veine du manifeste de Fernando Solanas et Octavio Getino48, « Vers un troisième cinéma » publié un an plus tôt, un cinéma qui « reconnaît la lutte anti-impérialiste des peuples du tiers monde et ses équivalents dans les métropoles impérialistes comme l’axe d’une révolution mondiale49 », L’heure
44 CLUNY Claude Michel, Dictionnaire des nouveaux cinémas arabes, Paris, Sinbad, 1978, p. 108 ; Voir aussi ROULEAU Éric, « ‘Kafr-Kassem’ de Borhan Alouie », Le Monde, le 26 mai 1975. 45 BERRAH Mouny et al., « Dictionnaire de 80 cinéastes arabes », CinémAction, nᵒ 43, 1987, p. 173. 46 « Entretien avec Borhan Alaouié », propos recueillis par Jean Narboni et Dominique Villain, Cahiers du cinéma, nᵒ 254-55, décembre 1974-janvier 1975, p. 59-72. 47 Sont également cités au générique les cinéastes britanniques du Cinema Action et Berwich St Film Collective, et de nombreux chercheurs et responsables d’institutions en Grande-Bretagne et dans les pays arabes. 48 SOLANAS Fernando et GETINO Octavio, « L’heure des brasiers. Vers un troisième cinéma », Tricontinental, nᵒ 14, 1969, p. 4-23. http://collections.cinematheque.qc.ca/wp-content/uploads/2015/06/ Solanas_Cin%C3%A9ma-politique_2_eq.pdf 49 HENNEBELLE Guy, Quinze ans de cinéma mondial. 1960-1975, Paris, Éditions du Cerf, 1975. Dans un entretien aux Cahiers du cinéma en 1974, Srour martèle : « Est notre ennemi tout cinéma qui ne parle pas et pour la dénoncer - de l’oppression nationale et sociale sous
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de la libération a sonné devient « partie prenante » de cette révolution50, d’autant qu’au moment où le documentaire circule, le FPLOGA est en train de perdre le combat. Outre une lutte contre l’impérialisme, Srour porte à la connaissance du monde la première révolution pacifique qui a libéré les « colonies internes », c’est-à-dire les femmes et les enfants, et pratiqué la discrimination positive, et ce grâce à l’exemple de Cuba et du Vietnam, qui transforme une lutte tribale commencée dès 1965, en une lutte pour un socialisme « laïc, démocratique et féministe ». La lutte féministe devient la condition de la lutte contre l’impérialisme. Ce documentaire est ainsi pour Srour une opportunité de « montrer ce qu’était une guerre populaire » dans un combat mené pied à pied contre « cette nullité de gauche arabe qui voulait enlever au marxisme sa force la plus subversive qui était la libération de la femme51 ». Le documentaire est divisé en deux parties, le premier tiers expose les forces en présence et le contexte historique de cette lutte anti-impérialiste qui implique la vassalisation d’Oman afin de garantir l’accès des Britanniques et des Américains au pétrole. Elle alterne images fixes et filmées d’archives, des photos des combattants très jeunes tandis que la bande son ponctuée par des chants des combattants, démontre par deux voix off les enjeux géopolitiques du conflit. Bien documentée, la dénonciation argumentée de l’hégémonie et de l’hypocrisie des puissances occidentales dans leur volonté de préserver l’accès à l’énergie fossile affirme un point de vue, tout en ouvrant la parole aux combattants. La seconde partie est constituée de prises de vue du front en action et d’entretiens avec des hommes, des femmes, des enfants de cette armée en lutte qui font ressortir l’étonnante jeunesse et la tout aussi étonnante maturité des protagonistes de ce combat. Une conviction tranquille dans l’interaction émane des plans sur les conseils dans lesquels les enfants débattent collectivement et critiquent de manière constructive la façon dont les opérations sont menées et les problèmes rencontrés. Tourné en 1971 dans des conditions très difficiles, avec une équipe réduite, un chef opérateur Jean-Michel Humeau, un ingénieur du son, Jean-Louis Ughetto, un assistant-réalisateur, Is’hac Ibrahim Souleily, L’heure de la libération a sonné est l’aboutissement d’un long périple. L’équipe a parcouru des centaines de kilomètres à pied afin de rejoindre la route rouge, ligne de front qui opposait l’armée de libération alors parvenue à reconquérir un tiers du
toutes ses formes, y compris de l’oppression féminine ». SROUR Heiny, « L’heure de la libération a sonné. Entretien avec Heiny Srour », Les Cahiers du cinéma, nᵒ 253, p. 51. 50 KADYO Claude, « L’heure de la libération a sonné », Libération, le 2 décembre 1974. 51 Heiny Srour oppose cette « guerre populaire » à la révolution palestinienne dont les détournements d’avion faisaient les manchettes des quotidiens, des actions au fort retentissement médiatique, mais qui n’étaient pas populaires. Entretien avec l’autrice, op. cit.
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territoire national aux forces britanniques. Consciente des conditions de production, Srour qui porte comme un stigmate le fait de n’avoir jamais fait d’école de cinéma, reconnaît son impréparation physique et son illettrisme en termes de réalisation et donc sa grande dépendance vis-à-vis de son équipe. Et d’insister que si « pour la première fois au Moyen Orient, les sans-voix eurent enfin une voix », c’est grâce à la batterie solaire qu’avait inventée Jean-Michel Humeau. Cette dépendance est pourtant à double tranchant puisqu’à l’inverse la réalisation collective lui réserve un amer désappointement à la vue des rushes qui, à son sens, ne rendaient pas assez compte de la présence des femmes au front. Elle déplore alors l’incapacité dans laquelle elle était de faire part de ses attentes à son équipe, du fait de son manque de légitimité autant que du manque d’intérêt de ces derniers pour les femmes au combat, ce qui lui fait dire : « Quand j'ai vu les rushes, je me suis dit que Michel avait fait son film avec mon argent », ce qui l’amène aussi à penser que « c'est le problème d'être pionnière et d'être illettrée techniquement. Si j'avais fait une école de cinéma, j'aurais pris la caméra et filmé les choses qui m'importaient. C'est ça être pionnière, c'est ne pas réaliser complètement ses rêves, du moins quand on est une femme ».
RÉCEPTION ET NOTORIÉTÉ INTERNATIONALES Premier film par une femme arabe programmé au festival de Cannes, le documentaire est projeté dans la Semaine de la critique en 1974. Fort de cette notoriété, le film est distribué par Nef diffusion sur un écran parisien en novembre de la même année, mais cette réception nous alerte aussi sur les espaces éclatés géographiquement et institutionnellement dans lesquels ce film et son autrice sont reconnus. Afin de mieux comprendre les raisons de sa marginalisation sachant que Srour termine le documentaire juste avant qu’éclate la guerre civile au Liban, il est important d’examiner ce dont on fait l’éloge et où. Les critiques en France insistent sur l’utilité de la démarche qui consiste à donner voix et image à ce combat largement inconnu, sur la « rigueur historique » de la démonstration des enjeux géopolitiques52, et adhèrent à la vision défendue avec vigueur par Heiny Srour53. En cela, on vante une esthétique de la pauvreté : une « construction » qui est « irréfutable » et qui « ferme la voie à toute ambiguïté, à tout ce qui pourrait nous distraire de l’essentiel54 », dans
52 ROMANET Ignacio, « L’heure de la libération a sonné », Le Monde diplomatique, n° 247, octobre 1974. 53 DURAN Michel, « L’heure de la libération a sonné », Le Canard enchaîné, 4 novembre 1974. 54 P. M., « Un document pudique et passionné », Le Quotidien de Paris, 7 novembre 1974.
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un documentaire qualifié d’« exemplaire », « un modèle de film militant », par Télérama tant en termes du positionnement de la réalisatrice que de méthode ou de réflexivité vis-à-vis du medium. L’hebdomadaire consacre un article important aux conditions de réalisation et au final inscrit le documentaire dans une lutte panarabe contre l’impérialisme55, un film qui « qui se situe à l’avantgarde du cinéma arabe contemporain56 », d’autant que d’autres y voient un film « programmatique », « un des tout premiers films arabes » à se réclamer « du marxisme-léninisme57 ». Seul bémol, Paulin Soumanou Vieyra dans la recension du Festival international des films des espaces francophones à Dinard, justifie la non-sélection du film par sa « qualité technique » moindre que celles des autres films programmés58. Néanmoins, l’intérêt pour cette révolution ne renverse pas l’ordre genré du monde. Mis à part Libération et Le Monde Diplomatique qui reprennent les termes de Srour et mettent en avant la révolution qui transforme ses femmes en combattantes pour leur libération de l’impérialisme comme pour leurs droits, c’est plus souvent leur participation à la lutte contre l’impérialisme qui est louée. Les décolonisations étaient alors assez largement soutenues, tandis que la lutte pour la libération des femmes est régionalisée et réintégrée dans un « système d’infériorisation culturelle59 », une lutte qui serait spécifique au monde arabe, une réception critique qui contient et limite la portée révolutionnaire défendue par Srour. Quand Heiny Srour martèle dans un court entretien aux Cahiers du cinéma que « c’est bien la première fois dans le monde arabe, qu’une force politique organisée considère que la libération de la femme est une fin en soi et pas seulement un moyen de se débarrasser de l’impérialisme60 », les critiques ne l’entendent pas, ni lorsque plus tard elle déclare : « J’ai découvert dans le Dhofar que la libération des femmes ne dépend que du niveau de radicalité qu’un mouvement ou une société choisit61 ». L’Heure de la libération a sonné interpelle les féministes très actives en France à ce moment-là. La question de la place des femmes dans le cinéma a été initialement soulevée dans les années 1970 par des militantes féministes, le plus fort symbole de cet engagement étant sans doute le Festival internatio-
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BOIVIN Robert, Entretien avec Heiny Srour, Télérama, 4 novembre 1974, p. 14-16. Voir HENNEBELLE, op. cit., p. 233. 57 HENNEBELLE Guy, « L’heure de la libération a sonné », Écran, nᵒ 31, décembre 1974, p. 71. 58 VIEYRA Paulin Soumanou, « 6ème Festival des films d’expression française », Présence africaine, vol. 4, nº 92, 1974, p. 190-195. 59 Voir KREFA Abir et LE RENARD Amélie, op. cit., p. 12. 60 Op. cit, p. 49. 61 JIMARNUS SABA Mary, « Interview: Heiny Srour on The Hour of Liberation Has Arrived », Screen Slate, 3 juin 2019. https://www.screenslate.com/articles/90 56
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nal des films par des femmes de Créteil créé en 1979 par Jackie Buet et Élizabeth Tréhard, que Buet dirige encore aujourd’hui, et avant lui le premier festival organisé en 1974 à Paris par le collectif Musidora (du nom d’une actrice française du cinéma muet devenue cinéaste), un collectif qui invitait déjà les femmes à soutenir les films faits par des femmes en allant les voir62. Les Cahiers du cinéma promouvait déjà en 1968 une révolution en cinéma et à travers le cinéma63, d’où la distinction entre le cinéma destiné à documenter et promouvoir les luttes menées par des femmes et la lutte des femmes au sein d’un secteur largement dominé par les hommes afin de faire des films de cinéma qui rendent compte de leur regard. « Le regard des femmes, c’est ce que vous ne voyez pas. Ce qui est soustrait et dérobé […]. Ce n’est pas la qualité de ce regard qui est en cause—dans le sens hiérarchique—il n’est pas meilleur... ; il n’est pas plus efficace, immédiat…, mais il manque. Et ce manque est suicidaire64 ». Et c’est dans cet espace qu’Heiny Srour documente un combat fondé sur l’égalité des enfants, des femmes et des hommes, et qu’elle évoque aussi sa situation en tant que réalisatrice arabe. Elle est ainsi l’autrice du dernier texte du volume publié par les femmes de Musidora, « Femme, Arabe… et cinéaste65 » dans lequel elle expose la pensée structurante de sa conception des rapports de force dans le monde : « Pour moi les possédants – impérialistes, féodaux ou bourgeois – restent les ennemis principaux, car il se trouve que la société de classe avec son inévitable tandem oppresseurs opprimés est la composante majeure de l’oppression féminine66 », il s’agit alors pour les réalisatrices arabes de « franchir les obstacles inhérents à la condition de cinéaste du tiers-monde et de cinéaste femme67 ». Pour autant la véhémente dénonciation du manque de légitimité et donc des rapports de domination qu’elle subit auprès de ses pairs, comme le dénigrement répété de son approche, ne sont guère entendus au-delà de l’intérêt ponctuel de ce milieu militant. Dernier et seul texte par une femme qui n’est pas européenne, et donc à la marge, le texte de Srour est aussi en décalage par rapport à la quête d’un « regard de femmes » tel que l’imagine le collectif de Musidora68. La question que pose
62
MUSIDORA des femmes de (collectif), paroles… elles tournent !, Paris, Éditions des femmes, 1976, p. 7-8. 63 VINCENDEAU Ginette, « ‘Not looking back at 68’: Contemporary French Women Filmmakers », dans Hanley David et Kerr Pat (dir.), May ‘68: Coming of Age, London, Palgrave Macmillan, 1989, p. 152-62. 64 FORRESTER Viviane, « Le regard des femmes », dans des femmes de Musidora, paroles… elles tournent, Paris, Éditions des femmes, 1976, p. 12-13. 65 SROUR Heiny, « Femme, Arabe… et cinéaste », dans des femmes de Musidora, paroles… elles tournent, Paris, Éditions des femmes, 1976, p. 225-240. 66 Ibid., p. 228. 67 Ibid., p. 232. 68 De la même façon, Srour prend une distance avec le mouvement, considèrant que les « excès » du MLF le détournent du combat que les femmes doivent mener.
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L’heure de la libération a sonné dont le titre n’est pas sans rappeler le documentaire L’heure des brasiers (1968) par Getino et Solanas, et dont l’argumentation est assez caractéristique du troisième cinéma, est ailleurs. Alors même que le documentaire bénéficie d’une réception critique élogieuse, cette réception en limite le caractère transgressif par sa réinscription dans un mouvement dont Heiny Srour tentait justement de le faire sortir et par le rappel de sa moindre qualité esthétique. Srour ayant ensuite vécu en Grande-Bretagne pendant des années, c’est Tahar Cheriaa qui lui signale la possibilité de candidater à un prix du scénario lancé par l’Agence de coopération culturelle et technique dont l’obtention lui permettra de mettre en œuvre Leila et les Loups (1984), une production britannique avec un financement du British Film Institute, de la Belgique et des Pays-Bas. Fondée sur un conte des Mille et une nuits, puisant dans le patrimoine de la chanson juive, cette fiction qui rejette la continuité du récit romanesque, explore dans une forme expérimentale le rôle des femmes dans les luttes nationales au Liban et en Palestine, les acteurs et actrices incarnant plusieurs personnages. Le film tourné en partie en Syrie obtient une presse élogieuse lors de sa sortie en Grande Bretagne en octobre 1984. Mais les critiques notent le hiatus entre les publics et les connaissances requises pour comprendre le film qui promeut la lutte des femmes au Proche Orient69. Bien que les deux films réalisés par Heiny Srour, l’un documentaire militant, l’autre fiction expérimentale, produits par des pays différents, parviennent à s’imposer dans des festivals internationaux, ils s’insèrent dans des circuits distincts, ont été distribués dans des pays différents et touché de petits publics mobilisés, sans que Srour puisse en tirer une valorisation cumulée des œuvres. L’heure de la libération a sonné a été interdit dans la plupart des pays arabes, au Liban pendant plus de 45 ans, même si une projection au Metropolis à Beyrouth lors du festival du cinéma libanais a été autorisée en 2018 sans que la censure ne soit pour autant clairement levée. Srour obtiendra que le CNC français prenne en charge, par le biais d’un distributeur, la restauration du film tout en gardant les droits, au milieu des années 2010, puis en 2019. Aucune édition VHS ou DVD de L’heure de la libération a sonné ou de Leïla et les loups n’a permis l’acquisition par des bibliothèques municipales, universitaires ou autres. L’accès aux films est limité aux manifestations cinématographiques militantes ou de recherche, festivals régionaux ou thématiques, etc., qui même s’ils sont nombreux ne touchent que des publics de niche.
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Voir AKOMFRAH John, « Before the wolves », City Limits, April 11, 1985, p. 5.
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Premières de couverture de quelques-uns des ouvrages cités.
En l’absence d’un accès aux films, ce sont les images empruntées à L’heure de la révolution a sonné et dans une moindre mesure à Leïla et les loups qui au fil du temps sont devenues emblématiques de son combat, et un vecteur important de la reconnaissance et de la réputation d’Heiny Srour, de manière implicite parfois pour certains lecteurs. Alors même que Srour déplore le manque d’images de femmes dans son documentaire, plusieurs photogrammes tirés de plans rapprochés de jeunes femmes sont reproduits et ce sont à la fois, la jeunesse, la force du regard, combinée au port de l’uniforme et d’une arme qui constituent les éléments distinctifs jusqu’à en devenir des synecdoques du film et de l’engagement de son autrice. La beauté saisissante de ces très jeunes femmes en vêtements de combat accroupies dans une posture très masculine le canon du fusil reposant nonchalamment au creux de l’épaule associe la lutte d’un peuple à un visage, et de la même façon les mains floues en gros plan suggèrent qu’elle frappe dans ses mains. Le plan rapproché de cette jeune femme dont on ignore le nom, comme Heiny Srour d’ailleurs, frappe l’imagination des spectateurs et des lecteurs, pour incarner à lui seul, la lutte du FPLOGA, telle que Srour l’entend. Il illustre des couvertures de revues, celle de Téléciné de novembre 1974, celle de l’ouvrage Guy Hennebelle, 15 ans de cinéma mondial en 1975, ou encore la traduction en français du roman égyptien Warda de Sonallah Ibrahim publié en 2000, un récit sur la libération du Dhofar70. C’est aussi une photo de Leïla et les loups qui illustre l’encyclopédie que Rebecca Hillauer consacre aux femmes cinéastes arabes71 ou un ouvrage italien sur le cinéma arabe72.
70 La traduction française, IBRAHIM Sonallah, Warda, trans. Richard Jacquemond, Actes Sud, 2002. 71 Op. cit. 72 MORINI Andrea et al. (dir.), Il Cinema dei paesi arabi, Venise, Saggi Marsilio, 1993.
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Le nom « Heiny Srour » associé à une thématique unique qui traverse son œuvre, un combat féministe pour la libération des femmes comme étant indissociable des luttes contre l’impérialisme dans les pays arabes, suscite l’attention ponctuelle et répétée de journalistes, d’universitaires et d’organisateurs de festivals. Si ce nom a été progressivement intégré aux anthologies du cinéma, il opère plutôt comme le symbole de l’engagement, d’une femme qui considère le cinéma comme une arme de combat pour la cause des femmes. Et la façon qu’a eu Heiny Srour de se battre pour faire des films dans ses propres termes, récusant avec énergie les versions de ses films qu’elle considère non-abouties, confirme qu’il s’est agi d’un combat solitaire73. L’heure de la libération a sonné est ainsi le seul film cité dans la bibliographie du colloque « Femmes révoltées74 ». Nicole Brenez appelant à une « histoire insubordonnée et rebelle du cinéma », va d’ailleurs dans le même sens avec la liste des réalisateurs et techniciens—parmi eux Heiny Srour, le chef opérateur et l’ingénieur du son de ce même documentaire—qui dans « l’univers du cinéma de la domination », ont « brisé le siège, « ont réussi une percée magistrale », et « ont refusé la division destructrice entre fonction combattante et fonction poétique75 ». Dans ce contexte, le statut de la révolution féministe qu’elle prône reste aussi ambigu que les photogrammes tirés de L’heure de la libération a sonné ou de Leïla et les loups, des symboles certes puissants de son œuvre sans pour autant qu’ils amènent à une analyse des films dont l’accès est strictement contrôlé par leur autrice. Ils sont à la fois l’impulsion et le point d’appui pour une autre manière d’aborder le cinéma, d’en faire la recherche ou l’enseignement.
CONCLUSION Nonobstant l’augmentation exponentielle du nombre de productions audiovisuelles qui comprime d’autant la part des films relevant du cinéma, et encore davantage celle de films anciens et/ou de patrimoine dans la consommation des spectateurs, la reconfiguration des cultures cinématographiques s’opère certainement davantage autour des produits de la culture de masse que des films politiques. À quelques exceptions près, seuls les films édités en VHS ou en DVD ou accessibles via des plateformes, ont été intégrés aux fonds des médiathèques universitaires. Un rapide survol du catalogue mondial des fonds
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Elle conteste, par exemple, la projection de Les Yeux du cœur par FR3 qu’elle considère non autorisée. 74 « Femmes révoltées. Mobilisations, parcours, représentations et imaginaires politiques – Méditerranée arabe 1950-2020 », Appel à communication, blog du projet européen DREAM, https://dream.hypotheses.org/1390 75 BRENEZ Nicole, « For an Insubordinate (of Rebellious) History of Cinema”, Framework: The Journal of Cinema and Media, vol. 50, nᵒ 1-2, 2009, p. 197-201.
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documentaires montre que, mis à part l’Heure des brasiers, titre associé au manifeste de Fernando Solanas et Octavio Getino, « Vers un troisième cinéma76 », peu de films de ce mouvement, considéré comme un moment historique certes situé mais important du cinéma, sont sortis sur ces supports mobiles. En l’absence d’une telle conservation institutionnelle des films, la mémoire de ce mouvement devient l’apanage de manifestations militantes. Quels publics citeraient aujourd’hui un film militant des années 1970 lié au Moyen Orient ou, en l’occurrence, Kafr Kassem de Borhane Alaouié, hormis les quelques festivals qui se donnent pour mission de préserver un tel héritage par le seul biais de leur programmation77 ? Plusieurs éléments jouent contre la présence de Srour et de ses films dans un répertoire, fut-il du cinéma libanais, féministe ou du tiers cinéma. Sorti à contretemps du moment historique qui a depuis contribué à dessiner une histoire du cinéma libanais ancrée dans la mémoire de la guerre civile, L’heure de la libération a sonné, évoque une révolution inconnue et éphémère, une révolution à laquelle un public aurait sans doute du mal à s’identifier malgré les enjeux géopolitiques moyen orientaux qui la sous-tendent. Alors que l’auteur et le national demeurent les catégories fondamentales dans la production des savoirs au cinéma, le Liban n’est pas le lieu du film. En outre, à la différence de Jocelyne Saab ou de Randa Chahal Sabbag, Heiny Srour ne convoque pas le « je » de la subjectivité. Sans doute a-t-elle intériorisé les risques liés à l’expression politique pour les gens de sa communauté d’origine au Liban. Au-delà des foudres de sa famille ou de la communauté qui veille, ses collègues syriens la convainquent de ne pas ébruiter sa judaïté, pour ne pas mettre en péril le tournage de Leïla et les loups78. Un premier obstacle à une reconnaissance dans le temps serait-il donc l’écart qui existe entre l’identité que Srour revendique dans un rapport fort au Liban, à sa famille et à son patrimoine culturel sans jamais pouvoir en faire la matière intime explorée et travaillée par ses films ? Enfin, la question de l’émancipation des femmes dans les films, puis celles des films par des femmes, étant devenues importantes dans la production des savoirs universitaires comme dans la programmation des festivals, les films par des femmes bénéficient d’une attention plus soutenue, L’heure de la libération a sonné aussi. Mais les difficultés auxquelles les femmes étaient confrontées dans leur interaction avec le milieu du cinéma ne suscitaient alors pas
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SOLANAS et GETINO, op. cit. La première projection du film aux États-Unis eut lieu à New York, le 1er octobre 2017 organisé dans une association et projeté dans un centre dédié au cinéma indépendant. 78 Voir SROUR Heiny, « Assise entre trois chaises », texte dans lequel Srour aborde sa judaïté, op. cit. 77
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grand intérêt quand Srour déplorait la manière dont ses collègues ont minoré son travail en tant que « Femme, Arabe… cinéaste » pour reprendre le titre d’un de ses textes79. Et quand les féministes de Musidora affirment la nécessité d’imposer la spécificité du regard des femmes jusque-là exclu au cinéma, Srour est à des lieux de leurs questionnements. Dans sa lutte pour la reconnaissance d’une révolution, elle se bat avec les mêmes armes que ses collègues hommes au Moyen Orient, même si elle le fait plutôt en dépit d’eux qu’avec eux. Si la réception critique de ses films souligne une connaissance experte des tensions géopolitiques du Moyen Orient, cette qualité ne détourne-t-elle pas les discours de la réflexion sur une esthétique du film pourtant présente dans Leïla et les loups (1984) ? Ce qui nous amène à spéculer sur l’idée qu’une œuvre par une réalisatrice pour qu’elle retienne l’attention, doit avant tout poser la question de l’identité des femmes et y répondre par une expérience subjective et donc située, des attendus auxquels les films de Heiny Srour ne se conforment pas. Enfin, très simplement aussi, l’assignation d’un film à la nationalité de son auteur facilite souvent la constitution de corpus de films représentatifs d’une région ou d’un continent considérés implicitement comme la somme des pays qui la composent80. Les tables des matières des ouvrages privilégiant les catégories régionales sont, à ce titre, édifiantes dans la manière presqu’automatique qu’elles ont de privilégier des films permettant d’assimiler l’auteur et l’œuvre à un pays81. Et là encore, les films d’Heiny Srour n’entrent pas dans ce schéma.
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MUSIDORA, des femmes de (collectif), 1974, op. cit. Une approche contre laquelle s’érigeait le projet de Viola Shafik. Voir SHAFIK Viola, Arab Cinema, History and Culture, Le Caire, American University in Cairo Press, 2007. 81 Les exemples sont nombreux de GUGLER Joseph, Film in the Middle East and North Africa: Creative Dissidence, Austin, University of Texas Press, 2011, jusqu’à GINSBERG Terri et LIPPARD Chris (dir.), Cinema of the Arab World: Contemporary Directions in Theory and Practice, London, Palgrave Macmillan, 2020. 80
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Kahena Attia, une cinéaste qui transcende les limites du métier de monteuse Ons KAMOUN ESAC / IRMC, Tunis
ABSTRACT Kahena Attia est une figure éminente des cinémas tunisien, africain et arabe. C’est l’une des premières monteuses formées à l’IDHEC à Paris et diplômées en 1968 qui, à leur retour au pays, ont pu ancrer la capacité d’agir des femmes dans les filières au point de transformer la création cinématographique tunisienne. Dans ce texte, K. Attia nous achemine, à travers sa production discursive de forme narrative, de l’histoire personnelle vers celle de la filière du montage en particulier et des cinémas du Sud dans leur globalité. À partir d’une expérience endogène, elle insiste sur l’intelligence du montage en tant qu’écriture, amenée par le cinéma d’auteur, reléguant ainsi la notion de « couturières du cinéma » introduite par le cinéma hollywoodien et qui engage les femmes dans le cadre de travaux où elles n’étaient que subalternes, « des petites mains avec de grands ciseaux », au temps où les réalisateurs et les producteurs étaient maîtres absolus de la situation. Néanmoins, même si les milieux professionnels qu’elle a fréquentés, en France, en Algérie, puis en Tunisie présentent des configurations différentes sur la base du genre, ils attestent tous d’une réalité commune : les femmes monteuses préfèrent intégrer les institutions pour jouir du confort et de la stabilité. Mais Kahena Attia a préféré « rester libre » pour échapper à toute forme d’aliénation. Aujourd’hui, avec le changement des mécanismes de la production, elle fait le constat d’une régression qui s’installe et d’un étrange retour au « stade de la couturière ».
INTRODUCTION Trois importantes figures féminines ont accompagné le cinéma tunisien dès le début des années 1970 : Kahena Attia Riveill, Moufida Ben Slimane Tlatli1 et Kalthoum Bornaz2. Premières femmes admises à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) à Paris, elles faisaient toutes partie de la 23è 1
GABOUS Abdelkrim, Silence elles tournent ! Les femmes et le cinéma en Tunisie, Tunis, Éditions Cérès, 1998, p. 194-195. 2 BORNAZ BACCAR Alia, BORNAZ Kalthoum, l’Étoile à la recherche du fil perdu, Tunis, Éditions Simpact, 2017, p. 52-55.
promotion de la section scripte-montage et furent diplômées la même année, en 1968. Le retour au pays de ces trois figures et l’intégration de toute une génération ayant vécu mai 68 a nettement transformé le paysage cinématographique et a contribué à sa mixité. Ce trio de pionnières a, non seulement ancré la capacité d’agir des femmes dans les filières scripte-montage et plus tard réalisation et production, mais il a aussi enrichi la création cinématographique tunisienne d’une manière plus générale. En effet, Moufida Tlatli (1947-2021), après avoir travaillé au montage de films arabes importants dont Sejnane (1973) et Aziza (1979) de Abdellatif Ben Ammar, Omar Gatlato (1976) de Merzak Allouache, Nahla (1976) de Farouk Belloufa, Les Baliseurs du désert (1984) de Nacer Khemir, Le Cantique des pierres (1990) de Michel Khleifi et Halfaouine, l'enfant des terrasses (1990) de Férid Boughédir, se reconvertit finalement dans la réalisation et sort Les Silences du palais (1994) qui remporte d’importants prix dont le Tanit d'or aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) et une mention spéciale du jury de la Caméra d'or au Festival de Cannes, ensuite La Saison des hommes (2000) et Nadia et Sarra (2004) avant de mettre fin à sa carrière. Kalthoum Bornaz (1945-2016), quant à elle, monte essentiellement des courts-métrages et travaille aussi comme scripte ou assistante à la réalisation sur des films français : Les Magiciens (1976) de Claude Chabrol et Jésus de Nazareth (1977) de Franco Zeffirelli, ou tunisiens : Yusra (1971) de Rachid Ferchiou, Sejnane (1973) et Aziza (1979) de Abdellatif Ben Ammar, Les Baliseurs du désert (1984) de Nacer Khemir, Le Sultan de la médina (1992) de Moncef Dhouib, Khorma, Le Crieur de Nouvelles (2002) de Jilani Saadi. Elle aussi se reconvertit à la réalisation et commence par les courts-métrages Couleurs fertiles (1986), Regard de mouette (1992), Nuit de noces à Tunis (1996), La Forêt d'El Medfoun (2000) et Trois personnages en quête d'un théâtre (1988) et passe ensuite à la production pour faire ses deux longs-métrages Keswa, le fil perdu (1998) et L'Autre moitié du ciel (2008). Il s’agit, dans cette étude d’examiner le parcours de Kahena Attia, qui, à l’inverse de ses deux compatriotes, fait le choix du montage. Cela dit, elle ne sera pas connue en tant que réalisatrice bien qu’elle ait écrit plusieurs scénarii déposés, Le langage des signes (2000) et Chrysalide (2001), et qu’elle ait réalisé le court-documentaire Le jeu du « moi » rond (2005). Cependant, en préférant accompagner les projets réalisés par des cinéastes engagés, elle devient non seulement une figure de proue des cinémas africain et arabe, mais en plus, elle concrétise leurs liens aujourd’hui disparus. Croyant en la richesse du récit de vie et de la méthode biographique et en l'importance du « parler de soi », comme une manière de « parler des autres », cet article donnera la parole à Kahena Attia qui nous conduira à travers sa production discursive de forme narrative, de l’histoire personnelle vers celle 108
de sa filière, le montage. Ce travail de terrain consiste en plusieurs entretiens avec elle sur une période de dix-sept mois (mars 2019-juillet 2020) entrecoupés par la crise sanitaire du coronavirus. La collecte de données concernant la formation académique des premières monteuses tunisiennes à une période cruciale du développement des cinémas algérien et tunisien, est portée par le regard de Kahena Attia à partir de son expérience endogène. Cette cinéaste croit en l’importance du montage en tant qu’écriture depuis l’avènement du cinéma d’auteur, transcendant ainsi la notion de « couturières du cinéma » introduite par le cinéma hollywoodien qui engage les femmes dans le cadre de travaux où elles ne sont que subalternes, « des petites mains avec de grands ciseaux » selon ses propres termes. Kahena Attia est née en 1946 à Tunis. Elle y vit jusqu’à l’âge de dix-neuf ans et y réside depuis son retour de France en 1984. C’est une citadine issue d’une famille traditionnelle à majorité de filles dont le père est originaire de la ville de Sousse et la mère de Tunis. Elle fait ses études secondaires au Lycée rue du Pacha et réussit son baccalauréat avec brio (première à l’échelle nationale). Ensuite, elle fait des études universitaires dans différents domaines (sciences naturelles, cinéma, psychologie), ce qui donne à son parcours un aspect atypique.
ARRIVÉE AU CINÉMA L’ENTRÉE AU CINÉMA : UNE NÉCESSITÉ ÉCONOMIQUE QUI S’EST TRANSFORMÉE EN RÊVE Kahena Attia commence à exercer, par hasard, le métier gratifiant de monteuse en 1966 à la télévision tunisienne dans sa phase expérimentale, alors qu’elle est étudiante en sciences naturelles à la Faculté des sciences de Tunis. Elle intègre la Radiodiffusion-télévision tunisienne (RTT) et travaille au début en tant que stagiaire en montage dans la cellule du journal télévisé sous la direction de M. Lelli, un chef monteur italien. Il faut noter qu’au début, la RTT avait pour mission de diffuser les actualités tunisiennes et en particulier les activités du président de la République. Le travail de montage consiste à rassembler, synchroniser et à faire la continuité. Les monteurs travaillent sur de l’« inversible » (dont l’image peut être observée directement sur table lumineuse) et sur du 16 mm avec des tables de montage (Atlas, Moviola), des visionneuses, des colleuses et des synchroniseuses. Ces deux formats concernent particulièrement les actualités, les reportages et les documentaires. Cette opération se fait en lien avec des laboratoires de développement internes, une fois le montage précisé par le chef monteur qui lui-même reçoit les instructions du responsable du journal télévisé. K. At109
tia exerce ensuite le scriptanat, en tant que stagiaire, dans les séries dramatiques (ancêtres des sitcoms actuels) qui étaient tournées en studio. À cette époque, nous étions deux ou trois personnes (entre autres Najet Ben Slimane partie tout de suite après pour faire carrière dans la télévision Suisse) qui étions intéressées par ce métier. Nous n’étions pas techniquement formées pour, mais n’étions pas non plus des petites mains. J’ai pu accéder à ce poste malgré le fait que je n’avais pas d’expérience préalable car les responsables se sont rendu compte que j’avais l’envie de faire... Je recevais à peu près 50 dinars par mois et je me souviens que j’ai donné mon premier salaire à mon père, une manière de m’affirmer. Je voulais coûte que coûte faire du cinéma, mais mon père ne voulait pas. Il me disait : « Tu feras des études en sciences naturelles, de la géologie ou de la recherche pétrolière. Tu auras un travail réel d’avenir. » REFUS DU PÈRE ET INTERVENTION DE TAHAR CHERIAA Chaque année l’IDHEC de Paris proposait un quota permettant aux étudiants étrangers d’intégrer les différentes filières, à la condition d’avoir assuré préalablement un minimum de deux années d’enseignement supérieur. K. Attia ambitionnait d’intégrer l’institut mais son père ne voulait rien entendre à ce sujet. À cette époque, au ministère de la Culture, elle rencontra Tahar Cheriaa (1927- 2010), considéré comme le « père du cinéma tunisien et africain » qui était en pleins préparatifs des JCC. Ce dernier l’encouragea vivement à passer les examens d’entrée à l’IDHEC et intervint auprès de son père Mohamed Attia (1903-1986) qui était son directeur au Collège Sadiki, pépinière des élites tunisiennes. C’est ainsi que deux figures de la paternité opèrent à son affranchissement. Tahar Cheriaa était élève de mon père qui l’avait beaucoup aidé, car lorsqu’il était au Collège Sadiki, il avait des problèmes avec les autorités coloniales et s’était retrouvé expulsé du collège pour des raisons d’indiscipline et de participation à des manifestations. Mon père, ne pouvant pas le réintégrer lui a dit : « Tu continues à suivre tes études sans rien dire aux autorités. Je t’y autorise personnellement et tu as ma bénédiction pour assister à tous les cours, mais tu ne te manifestes pas ! ». Tahar Cheriaa a pu donc continuer sa scolarité et passer son bac. Soutenant ma candidature, il a réussi à convaincre mon père de me laisser partir à Paris et de rejoindre l’IDHEC.
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DÉCOUVERTE DU CINÉMA ET DÉBUTS DE LA RÉSISTANCE Mon lien au cinéma se réduisait à une expérience cinéphilique familiale. Dans ma famille on organisait des projections privées de films essentiellement hollywoodiens (westerns). C’était très drôle, parce qu’à chaque fois où il y avait un baiser, un de mes oncles prenait la chaise et la mettait devant le projecteur pour que les gosses ne voient rien. Des films d’auteurs européens, dont La Passion de Jeanne d'Arc [1927] de Dreyer m’avaient particulièrement marquée. C’était fascinant pour moi de recouper les existences de personnages hors du commun : d’abord la Kahina3 dont je porte le prénom, puis Jeanne d’Arc. Je m’identifiais à ce monde d’héroïnes et de résistantes. À cette époque, je n’étais affiliée ni à la FTCC, ni à la FTCA. Et même si les JCC venaient d’être lancées, je ne les ai pas fréquentées. Au départ, en Tunisie, j’étais rebelle, mais ma rébellion ne dépassait pas le premier degré. Rien de mon engagement politique futur n’était établi puisque ça ne convenait pas à ma situation familiale, elle-même en conflit permanent avec Bourguiba4 à l’époque. Mon histoire personnelle est à l’origine de ma colère contre un régime qui nous a injustement brimés et particulièrement mon père. Il a été accusé de trahison, de corruption et de n’avoir pas soutenu le mouvement national tunisien car il empêchait les élèves du primaire et du secondaire de sortir du collège pour participer aux manifestations organisées par le Parti destourien dirigé par Bourguiba. Pourtant lorsqu’ils étaient jeunes, Bourguiba et lui étaient amis et lorsque ce dernier était étudiant en France, mon père lui a apporté tout le soutien matériel et moral. Mon père était un militant du savoir et non un politique. Il lui fallait empêcher la fermeture du collège menacé par l’administration du protectorat et former des futurs cadres du pays pour son indépendance. Avec ma famille nombreuse, nous avons vécu difficilement cette période de l’après indépendance. Ça a été dur pour moi de me retrouver, à un moment donné, face à un père qui, tout d’un coup, est devenu pour moi un « personnage »… filmique. Je pense à l’affaire Dreyfus.
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Ce prénom a une connotation particulière en Tunisie, il revient à une reine berbère qui a résisté à l’occupation arabo-musulmane. 4 Habib Bourguiba (1903-2000) est un homme d'État tunisien et président de la République (1957-1987).
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LES ÉTUDES À L’IDHEC À PARIS Kahena Attia réussit à intégrer l’IDHEC et à rejoindre les promotions précédentes d’étudiants tunisiens, des hommes qui étaient destinés essentiellement aux sections image (Abdellatif Ban Ammar, Lotfi Laayouni, Brahim Babai) et réalisation (Hammouda Ben Hlima, Othmen Ben Salem, Hassen Daldoul). Désormais, elle entame une longue expérience de l’altérité. L’engagement dans la section se fait préalablement à Tunis (administrativement), au niveau de la bourse octroyée par l’État pour étudier le montage selon la demande de l’IDHEC. Comme à la Fémis d’aujourd’hui, les étudiants étrangers sont admis pour le compte d’un État et, selon un quota, l’école donne un certain nombre de places pour chaque pays demandeur. L’orientation sur la base du genre a probablement rendu l’IDHEC plus accessible pour K. Attia et ses compatriotes. Cette sélection transparaît déjà du plus grand nombre d’étudiantes dans la section scripte-montage par rapport à la section réalisation. M. Tlatli témoigne de sa première perception de la sélection : « Arrivée à l’IDHEC, surprise, quels sont les métiers ? Toutes les filles françaises, anglaises, arabes ou autres devaient faire scripte ou montage. Rien d’autre. À cette époque-là, les garçons pouvaient faire réalisation, production, cadre, etc. 5 » Le fait qu’on soit des filles a peut-être encouragé la direction de l’IDHEC à nous admettre au montage et il était, peut-être, plus facile pour nous de trouver du travail dans cette spécialité car la réalisation était réduite à un cercle très restreint. Pour beaucoup, parmi les Français ou les étrangers qui avaient choisi la réalisation, c'était plutôt dur par manque de places dans le métier. Pour devenir réalisateur, il fallait avoir de l'argent, une boîte de production, une visibilité. C'était trop compliqué. Ceci dit, la formation est initialement la même pour tout le monde. La première année est un tronc commun pour toutes les sections : histoire et psychologie du cinéma, réalisation, image, son, montage, décor et production assurés par des enseignants distingués tels que Jean Mitry, Georges Sadoul, MarieThérèse Cléris6, etc. et différents intervenants professionnels. Ensuite, au cours de l’enseignement, les étudiants se spécialisent. Les exercices assurés par les étudiants se faisaient dans le cadre de travaux communs et des films de
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KHÉLIL Hédi (dir.), Le Parcours et la trace : témoignages et documents sur le cinéma tunisien, Salammbo, Mediacom, 2002, p. 189. 6 Marie-Thérèse Cléris est cheffe monteuse française. Elle est connue pour son ouvrage, CLERIS Marie-Thérèse, Michèle O'Glor, La scripte : au cinéma et à la télévision, Paris, IDHEC, 1975.
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fin d’année par un système de rotation de façon à ce que chacun participe aux différents départements jusqu’à la finition. Ce système nous permettait d’assurer, par nos préférences et nos compétences, toutes les autres sections, en fin de parcours, durant ces trois années de formation commune. Notre formation de spécialité était extrêmement large, elle englobait les différents courants et écoles de cinéma (russe, américaine et européenne) par l’écriture et l’analyse de scénarios, par les différents modes de narration et différents modes de montage, côté théorique. Pour la pratique, nous avions à manipuler des rushes de tournages faits dans le cadre de l’école et quelques archives. Nous avions du 35 mm, du 16 mm et du super 16 que nous manipulions sur des tables de montage. Nous apprenions à couper, coller, organiser et écrire en collaboration avec nos camarades des autres sections, qu’ils soient français, étrangers (Amérique latine et Afrique du Nord) ou tunisiens, dont nos camarades tunisiens des promotions précédentes. Durant les études ou même pendant les premières années de carrière, la question du choix de la réalisation ne se pose pas vraiment pour les monteurs. C’est le marché du travail qui le conditionne. Les ressortissants de l’IDHEC sont généralement embauchés soit à l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF)7 qui se transforme en la Société française de production (SFP)8, soit ils deviennent des critiques de cinéma ou encore enseignants. Pour K. Attia, le choix du montage était lié à l’équilibre de sa vie familiale et à sa sédentarité en France et c’est là que plus tard, elle intègre l’unité de production de la SFP, institution d’une notoriété certaine dans laquelle elle est salariée et où elle apprend réellement le métier du montage. Elle y travaille sur toutes sortes de films, de documentaires et de reportages. Au départ, j’avais éventuellement des projets d’engagement professionnel, puis j’ai fait une rencontre et une vie affective s’est installée. Là, je me suis dit que, hors du fait que j’ai étudié le montage, il me fallait travailler. Plus tard, ma vie affective a déterminé mes choix professionnels et ma décision de rester en France, ce qui signifiait que je devais m’y installer et trouver un travail stable. Ça a été plus facile pour moi d’intégrer une structure où le montage est accessible parce que c’était plus compliqué pour la réalisation. Le fait d’être femme a peut-être agi à cette époque quant à mon choix de faire carrière dans le montage.
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K. Attia y travaille en tant qu’assistante-monteuse de 1971 à 1974. K. Attia y travaille en tant qu’assistante-monteuse puis monteuse jusqu’en 1976.
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L’INCONTOURNABLE APPARTENANCE IDÉOLOGIQUE K. Attia n’aurait pas pu faire la même carrière si elle n’avait pas une vision particulière du monde. Elle n’aurait pas choisi les mêmes thématiques ni accompagné les mêmes réalisateurs ou les mêmes cinématographies (du Tiersmonde). Le départ en France n’a pas été une simple libération. Du fait que j’étais rebelle, je ne pouvais qu'être libre. Être rebelle c’est résister à tout ce qui est contraire à ses propres principes. Si je n’étais pas libre, je n’aurais jamais pu être rebelle et je serais probablement rentrée dans les rangs. De par mon éloignement géographique ainsi que mon choix de vie affective, j’ai commencé à prendre mes distances de mon milieu familial d’origine où les conventions et les traditions se transformaient en contraintes, des contraintes que mon milieu familial tentait encore de m’imposer et que je refusais. Je me suis engagée socialement et idéologiquement dans ce nouveau mode de vie car j’ai pris conscience de tout ce qui existait autour de moi. La réalité très concrète, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie (1962), marquée par les événements de 68, la guerre du Vietnam, et surtout les arrestations des membres du mouvement Perspectives et du Parti communiste en Tunisie (sans oublier l’instauration du Parti socialiste destourien (PSD) qui devient un parti unique en 1964), sont en contradiction avec ce que K. Attia a intégré dans son mental à travers ses souvenirs et ne lui correspondent désormais plus. Mai 68 qui la marque profondément, fut l’occasion de sa première contribution à des évènements révolutionnaires : des manifestations dans la rue, des séances de projections à la Sorbonne suivies de discussions interminables en présence de plusieurs intervenants de mondes différents (cinéma, littérature, sciences humaines, journalisme). « La fièvre révolutionnaire touche tout le monde et tout le monde bougeait », même les étudiants de l’IDHEC, ceux qui venaient des différents continents, notamment du Brésil, d’Argentine, d’Algérie et d’Égypte. Leurs revendications sont sociales et en rapport avec leurs conditions de vie. Il fallait acquérir toutes les libertés, celles des pays qui les concernaient, qui sortaient des guerres de libération nationales, celles d’écrire, de parler, de gagner sa vie, de vivre décemment et de réaliser les films qu’ils voulaient, traitant des thématiques qu’ils voulaient. Nous, Tunisiens en France, étions en rupture avec Bourguiba à cette époque-là, nous nous sommes retrouvés dans cette mouvance de prise de conscience qui nous permettait, d’un seul coup, de devenir sympathisants avec ces mouvements et acteurs de changement alors que nous n’étions pas encore structurés. Là, j’ai intégré les cellules progressistes, cellules de base qui soutenaient le Parti communiste tunisien (PCT) qui 114
était à cette époque interdit en Tunisie9. Cette rencontre avec le parti s’est faite à travers des compagnons dans les lieux universitaires ou cafés que nous fréquentions et les manifestations auxquelles nous participions. J’ai ainsi fait la connaissance d’étudiants algériens engagés politiquement. Certains d’entre eux deviendront des réalisateurs. Et c’est là que j’ai rencontré mon futur mari qui était militant politique dans le Parti communiste algérien (PCA). À cette époque, des mouvements estudiantins algériens forts étaient dans l’opposition. Ils s’organisaient politiquement contre le régime militaire de Houari Boumédiène suite au coup d’État de 1965 contre Ahmed Ben Bella qualifié de « réajustement révolutionnaire » et ce dans le cadre de l’Union nationale des étudiants algériens (UNEA) en Algérie ainsi qu’en France. Les évènements nationaux quotidiens se rallient au mouvement intellectuel français. Parallèlement, dans les pays arabes, des revendications sociales et politiques se donnent à voir dans les films des Égyptiens Youssef Chahine, Salah Abu Seif, etc. Plusieurs cinémas commencent à émerger avec les mouvements du cinéma d’auteur et l’éclosion d’une cinématographie des pays qui vivaient les libérations nationales récentes. Mes rencontres se sont faites dans ce milieu fréquenté aussi par des réalisateurs arabes comme Férid Boughedir avec lequel j’ai collaboré sur son premier court-métrage Le Roumi (1968), Merzak Allouache et Farouk Belloufa. Tous fréquentaient le 115 Boulevard St Michel, local de l’Association des étudiants musulmans nord-africains. Taïeb Louhichi y projetait ses premiers films dont le court documentaire Le Métayer (1976)10. C’était la preuve d’un cinéma arabe qui était balbutiant mais qui existait, sous forme d’images, de documentaires et de reportages. J’ai découvert donc le cinéma arabe en étant à Paris. Dès le départ, K. Attia choisit de ne pas faire carrière dans le cinéma commercial, même en France avec les opportunités qui se présentaient. Cette décision découle de son engagement social et politique. Elle n'était pas adhérente à des groupes audiovisuels militants pour des causes spécifiques, mais ses convictions ont dicté ses choix ultérieurs, que son parcours assez atypique et singulier, familial du moins, et les rencontres importantes qu’elle a faites, confirment définitivement. Disons que j’étais dans ce qu’on pouvait appeler un « profil gauchiste » et c’est cet engagement-là qui a déterminé mes choix de thématiques
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En 1963, le PCT est interdit. Certains de ses membres sont persécutés par les autorités puis condamnés en 1968 lors du procès du mouvement Perspectives à des peines de prison. 10 Le Métayer (1976) relate le combat quotidien d’un métayer qui revendique sa part de la terre qu'il travaille.
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dans les travaux que j’avais à faire particulièrement dans le cadre de la SFP. Donc j’ai travaillé sur des documentaires qui touchaient plus à la vie politique de la France dont celui, extrêmement riche et instructif, sur Jacques Duclos, ancien dirigeant du Parti communiste français (PCF). Ma vie évoluait réellement autour de ces choix. J’étais en contact permanent avec des collègues français dont l’engagement, sur les plans personnel et idéologique, était total. Avec eux, je me sentais investie du même combat. LE QUOTIDIEN AVEC LES ÉQUIPES MASCULINES Dans les « cellules progressistes » nous échangions les idées à égalité. Filles et garçons réfléchissions à des questions nationales, à la réalité de notre pays et au moyen d’y être libre. Nous ne pensions pas à la question de l’égalité. Nous n’en étions même pas conscients. Personnellement, je n’ai jamais considéré qu’il y avait une différence entre les femmes et les hommes. Dans ma famille non plus. L’inégalité des sexes n’était pas pour moi une considération immédiate et je ne pouvais ni l’imaginer, ni la prévoir. L’idée de l’égalité salariale n’effleurait même pas mon esprit. Il fallait travailler c’est tout. En tant que nouvelle recrue fraîchement diplômée, c’était déjà énorme de se retrouver dans un circuit de production (stable). À la SFP les salaires étaient déjà annoncés, les revendications étaient l’affaire du syndicat. La prise de conscience ne s’est faite que tardivement en intégrant, en tant qu’indépendante, le vrai circuit professionnel. Là, il fallait que je défende mon salaire, c’està-dire que je devais m’aligner, et là j’ai commencé à regarder les chiffres. EN FRANCE, À L’ORTF PUIS À LA SFP En France, assistante à l’ORTF puis à la SFP, K. Attia travaille aussi bien avec des chefs monteurs hommes que des cheffes monteuses femmes. Il est important de noter que, dans une institution publique, les femmes étaient plus présentes dans la section montage qu’ailleurs. J’étais en contact permanent avec des cheffes monteuses, cependant les hommes aussi occupaient des postes de chefs monteurs. Je ne peux pas affirmer qu’ils étaient plus nombreux que les femmes, mais il est vrai que, très vite, ils quittaient la section montage pour la réalisation, ce qui n’était pas le cas des femmes. Je n’avais pas de préférence par rapport au genre, mon souci était le sujet et l’intérêt du projet. D’ailleurs tout au long de mon parcours, je n'ai jamais fait attention si mon assistant était homme ou femme mais finalement, il s’avère que la majorité est 116
masculine. On est peut-être en train d'aller vers un équilibrage du genre dans les filières. Grâce au cumul des expériences et des années et selon la voie normale du métier, K. Attia acquiert sa carte professionnelle et passe cheffe monteuse. Ce passage se fait juste avant son départ en Algérie. Son mari décide de partir en Algérie et elle le suit. Encore une fois, sa vie familiale la pousse à renoncer au parcours professionnel tracé. Mon mari est rentré en Algérie puisqu’il était algérien et engagé politiquement. C’était l’époque où tous les progressistes algériens, entre autres les partisans du PCA, rejoignaient le pays pour le mettre sur pied à la demande de Boumédiène. J'ai dû quitter la France pour aller en Algérie. Une fois là-bas, j’ai commencé une nouvelle expérience professionnelle algérienne. EN ALGÉRIE À LA RTA ET À L’ONCIC À Alger, Kahena Attia a travaillé dans le cadre de l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (ONCIC) dans la section documentaire et dans le cadre de la Radio-télévision algérienne (RTA) où travaillaient tous les réalisateurs algériens. Il faut noter qu’à l’époque, le cinéma algérien était financé par un État socialiste. Il lui a fallu passer par le syndicat (très sélectif) sachant qu’intégrer un établissement étatique constituait pour les techniciens locaux une concurrence menaçante. J'ai commencé en tant qu’indépendante et ça m'a coûté très cher, car tout était à refaire, pourtant à Paris j'avais tout et j'avais surtout une protection sociale. Cette période très instable a été très dure pour moi. Dans ce milieu professionnel on accepte difficilement une étrangère, c'est pire qu’en Égypte. Mon rapport même au cinéma algérien était très compliqué. Ces gens ne m’ont pas admise. Ça a été un peu le phénomène « communautaire ». Cependant, à la RTA, K. Attia rencontre plusieurs réalisateurs avec lesquels elle collabore sur des films importants et crée des liens forts d’amitié et de complicité professionnelle dont Moussa Haddad avec lequel elle collaborera sur Boualem zid el goudem (1980) et Le défi (1980), Farouk Belloufa et Ahmed Lallem. Les anecdotes du métier dénotent aussi le caractère mégalomane de quelques autres réalisateurs. Il y avait un réalisateur algérien célèbre avec lequel il était question de travailler, mais après, je me suis rendu compte qu'il fallait m’abstenir car c’était un « macho horrible ». On raconte qu’il lançait des chaussures à la figure de ses collaborateurs et qu’il faisait souvent des crises 117
de mégalomanie. On raconte même qu’il a mordu un de ses chefs monteurs au nez et il le lui a coupé. Cela dit, K. Attia ne cache pas sa déception à propos de son expérience en Algérie où elle a subi des situations très agaçantes dues au fait qu’elle soit à la fois femme, étrangère et communiste. J’ai l’impression que la présence de la femme dans le milieu professionnel dérange les hommes parce que ça va leur créer des soucis dans leurs couples. Ils se disent : « Elle veut être libre !? L'Algérie n'est pas le pays de Liberté ». Même les camarades d'antan à l’IDHEC, avaient oublié leurs revendications de jeunesse. J’ai vécu le même rejet, en dehors du monde professionnel, de la part d’anciens compagnons militants du PCA. Une fois à Alger, ils ne sont pas venus vers moi, j'étais déjà codée tunisienne, française et communiste. C'est compliqué ! Dans leur nouvelle configuration en Algérie, ils se sont complètement transformés. Il fallait d'abord arriver à comprendre ce type de rapport pour savoir qu’il fallait prendre ses distances. Lorsqu'on est arrivés là-bas, j'invitais les gens chez moi comme à Paris, pour moi c'était pareil. Puis, j’ai remarqué que les hommes venaient à nos soirées, mais sans leurs épouses, jusqu'au moment où je me suis dit : « Mais attends, il y a quelque chose qui cloche ! Pourquoi je ne vois pas vos femmes ? » C’est alors que j’ai compris à quel point les tabous autour de la femme étaient ancrés dans cette société, mais surtout dans les têtes de ces hommes qui ont pourtant étudié le cinéma en France et qui ont milité pour la gauche en France. Ce que j’ai vécu en Algérie était violent. Même installée en Algérie, K. Attia continue de retourner en France pour monter Le Voyage de Sélim (1978) de Régina Martial (réalisatrice française qui a vécu en Algérie et qu’elle a rencontrée à la SFP) qui traite, à l’époque déjà, de la migration et du racisme « ordinaire ». C’est intéressant de noter à ce titre que son premier film en tant que cheffe monteuse est réalisé par une femme et que le titre du film est tiré du prénom du fils de K. Attia. Également, elle rentre régulièrement en Tunisie pour les projets internationaux de Carthago Films. Durant l’un de ces projets, ses parents sont expulsés de leur maison par Bourguiba qui gardait rancune du fait que son père n’a jamais exprimé ni de regret, ni de pardon de ne pas avoir été l’un de ses « inconditionnels ». Elle décide alors de rester en Tunisie. Son mari et ses enfants la rejoignent et décident tous de s’installer définitivement à Tunis.
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EN TUNISIE DE CARTHAGO FILMS À CINÉTÉLÉFILMS La première expérience professionnelle de K. Attia se fait durant ses vacances d’étudiante, avec Hammouda Ben Hlima (1935-2017), issu de la première génération de cinéastes tunisiens diplômés de l’IDHEC, d’abord en tant que scripte sur le tournage de Khlifa le teigneux (1970)11, ensuite en tant que monteuse sur le court-métrage Le Réverbère (1973). Grâce à son expérience de monteuse-stagiaire très impliquée à la même époque, avec Fernando Arrabal sur Viva la muerte (1970)12, dans le cadre de la Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique (SATPEC), son intérêt pour la personnalité de Arrabal et ses écrits, dont le sujet du film cité (la période franquiste et le traitement psychologique des personnages), ont été déterminants dans la confirmation de son choix, c'est-à-dire l'approche de l'intériorité humaine. C’est ainsi qu’elle suit, après ses études à l’IDHEC et jusqu’en 1970, des études en psychologie à Censier (Paris) puisqu’elle est déterminée à aller encore plus loin et au-delà de son cursus cinématographique. Plus tard, et toujours durant ses congés professionnels, elle retrouve les plateaux de Carthago Films qui assurait des productions de facture internationale. C’est dans ce cadre qu’elle travaille en tant que monteuse au sein d’équipes tuniso-étrangères comptant plusieurs ressortissants d’écoles européennes (qu’elle retrouvera ensuite sur des réalisations tunisiennes) avec des chefs monteurs internationaux tels que Barry Peters sur The Day Christ Died (1979) de James Cellan, Hervé de Luze sur Deux heures moins le quart avant Jésus Christ (1980) de Jean Yanne et sur Pirates (1986) de Roman Polanski et surtout Alberto Gallitti sur deux films de Philippe Clair : Tais-toi quand tu parles (1981) et Plus beau que moi tu meurs (1983). Elle collabore plus tard en tant que cheffe monteuse sur Le Collier perdu de la colombe (1991) de Nacer Khemir. Au début de ma collaboration avec Carthago Films, j'ai été sollicitée par Tarek Ben Ammar personnellement et j’y étais intégrée en tant que technicienne tunisienne. J'ai été assistante au montage, et j'ai beaucoup appris avec Alberto Gallitti chef monteur de Dino Risi. Une fois le matériel regroupé et développé dans le laboratoire de la SATPEC, il est renvoyé sur l’unité de montage qui comptait un chef-monteur, un premier assistant et un deuxième assistant au montage. La salle de montage 11 Khlifa le teigneux a mis fin à l’image du héros national en introduisant celle de l’anti-héros d’où son importance dans l’histoire du cinéma tunisien. 12 D’après K. Attia, les images très dérangeantes du film (Classifications CNC : interdit aux 12 ans, art et essai) obligent la cheffe monteuse Laurence Leininger (enceinte à l'époque) à quitter le projet. C’est K. Attia qui termine le film.
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(table de montage 35 mm, synchroniseuse) et la salle de projection, étaient installées soit à proximité du plateau de tournage ou des lieux de résidence. Le matériel est dérushé, le dérushage étant l'opération qui consiste à mettre les rushes dans des « bins » (tableaux de rangement de rushes), puis répertorié. Il faut repérer et inscrire les images qui sont « bonnes » (ne présentent pas d’anomalie technique) et faire de même pour les plans suivant les claps, puis faire la synchro. C'est cette phase technique primaire qui permet de cerner le matériel et connaître le nombre d'heures filmées. Le réalisateur, le monteur et la scripte (confirmée) reprennent le découpage et le comparent avec ce qui a été filmé. Le matériel est ensuite organisé en continuité scénaristique prêt pour un premier visionnage par le réalisateur et l’équipe de tournage. Après, le monteur, sous la supervision de son chef, procède aux différentes coupes selon les indications du réalisateur. Galliti travaillait d’une façon extrêmement collaborative et sereine avec la réalisation du fait de son expérience. D’autres collaborations avec d’autres chefs-monteurs étaient différentes selon les tempéraments et les expériences de chacun et surtout les relations qu’ils avaient avec leurs réalisateurs : s’ils étaient directifs ou non. Par exemple, pour Pirates de Roman Polanski, les rapports étaient plus complexes vu le caractère conflictuel du réalisateur et les incertitudes qu’il avait avec la production. Cependant, je trouvais très agaçant que le chef monteur qui avait des propositions intéressantes sur lesquelles nous avions travaillé ensemble au préalable, n’osait pas contredire le réalisateur. Dans ses collaborations tunisiennes qui ont précédé son retour en Tunisie, K. Attia n'était pas intégrée dans les groupes de travail déjà constitués des sociétés de production officielles. C’est à partir de son retour définitif en 1984 qu’elle est contestée par les camarades qu’elle avait connus dans le passé en France. Parmi eux, peu ont travaillé à l'étranger avant de rentrer en Tunisie soit par choix personnel soit par difficulté d’insertion dans le marché du travail. Ils la traitent d’« expatriée ». Un rapport conflictuel la confronte aux cinéastes et techniciens locaux ravivant les mêmes questions : un tel comportement est-il dû à la difficulté des conditions du métier et de l’étroitesse du marché, à la misogynie des cinéastes hommes, ou à une jalousie due à l’incompétence ou à un rapport de force favorable aux hommes ? Moi, j'ai eu un cursus totalement différent des leurs. Mon choix de demeurer en France, conditionné par ma vie affective, a choqué beaucoup de ces collègues et lorsque je suis revenue en Tunisie, ça a été pour eux très pénible de m'accepter. Ils ne pouvaient pas admettre quelqu'un venant de l'extérieur et qu'il fallait ingérer. Notre rapport a donc été assez conflictuel. Malheureusement, c'était des camarades que je considérais avant mon retour comme proches, mais ils avaient choisi ailleurs… Et j'ai eu droit de la part de certains d'entre eux à des critiques telles que : 120
« Pourquoi tu es revenue ? On n'avait pas besoin de toi ! ». Moi j'étais revenue pour maintes raisons. C'est mon pays, c'est ma plateforme de développement à partir de laquelle j'étais partie. Je ne pouvais pas m'interdire de revenir, même si je venais effectivement en tant qu’« expatriée », si ce terme est approprié. Malgré tout, c'était aussi mes camarades et je savais qu'ils avaient des volontés d'affirmer une cinématographie en Tunisie. C'était la raison pour laquelle ils avaient fait des études et qu'ils étaient rentrés. D'ailleurs, ils m’en ont voulu de ne pas être rentrée avec eux, même s'ils ne l'ont jamais directement exprimé. Chacun sa vie, mais la séparation était quand même assez sensible en France et même en Tunisie. Ce sont des gens qui appliquaient aussi le système du communautarisme : « avec nous ou contre nous ». Je parle de ceux qu'on appelait les « dinosaures », ceux qui, à l'époque, occupaient le terrain, c’est-à-dire les lieux de tournage. Jusqu'à aujourd'hui, il y a quelque chose qui nous sépare ou plutôt beaucoup de choses ! Des non-dits. J'estime que j'ai une étendue, sur les plans intellectuel et psychologique, qui est beaucoup plus vaste que la leur, parce que j'ai traversé plus de choses qu’eux sans jamais reculer. Malgré cela, j’allais le plus possible avec tout le monde, dans le travail et dans les relations. K. Attia n’a réellement commencé à travailler sur les films tunisiens que lorsqu’elle a quitté Carthago Films à l’arrêt de ses productions. Avec un groupe de collègues formant un noyau d’amis proches avec des formations technique et universitaire similaires, ils décident de créer en 1983 une société de production Cinétéléfilms qui ambitionne de faire des films tunisiens destinés principalement au public tunisien, sous la direction du producteur Ahmed Baha-Eddine Attia (1945-2007), « technicien pressé travaillant pour les films dans tous les continents depuis 1966 », qui veut cesser de demeurer « mercenaire du cinéma mondial » et qui réussira par la suite à produire les films les plus importants des années 80 et 90. Un système rotatif d’écriture en consultation et de production a été mis en place de manière à permettre à chacun de faire ses films en bénéficiant de l’implication de toute l’équipe. Nouri Bouzid travaille longtemps au sein de cette nouvelle structure et collabore avec K. Attia qui est scripte sur son premier film L'homme de cendres (1986) et cheffe monteuse sur Les Sabots en or (1988), C'est Shéhérazade qu'on assassine court-métrage dans La Guerre du Golfe… et après ! (1992), Bezness (1992) et Tunisiennes (1997). C’est aussi le cas de Moncef Dhouib qui collabore avec elle en tant que cheffe monteuse sur trois courts-métrages El Jem (1985) qui
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est un documentaire, La transe (1990) et Tourba (1994), en plus du long-métrage Le Sultan de la médina (1992)13. Ces personnes talentueuses avaient fait les mêmes études, avaient le même parcours et étaient similaires sur les plans intellectuel et technique, ce qui les rendait suffisamment aptes à assurer. Nous avons décidé de nous lancer dans cette aventure suite au film Les Anges (1984) de Ridha Behi. Les sujets des films qui suivirent nous intéressaient tous car nous étions de la même famille intellectuelle. Nous avons travaillé ensemble parce que nous avions un esprit de groupe et moi j'approuvais le système de la coopérative parce qu’il nous permettait à tous, par système de rotation des tâches, d’assurer une qualité de bonne fin. D'ailleurs le film Le Sultan de la médina de Moncef Dhouib a été fait dans cette vision-là et c’est aussi le cas de plusieurs courts-métrages du même réalisateur. J’ai beaucoup travaillé avec Hmaied14 et je dirai plutôt que c’est lui qui travaillait avec moi dans le cadre d'une structure commune et qui me soutenait dans mes propositions d’écriture cinématographique. Lui et moi pensions de la même manière. (…) J’arrive maintenant à l’autre aspect : Hmaied était mon cousin germain, nous avons grandi ensemble, nous avions pratiquement le même âge, nous avions réellement les mêmes positions15. La collaboration entre Kahena Attia et A. B. E. Attia évolue jusqu’à ce qu’ils s’associent tous les deux (et avec d’autres amis) dans ATA pour intégrer le secteur du matériel de tournage et de l’exploitation dans le but de promouvoir le film tunisien qui, à l’époque, rendait frileux les distributeurs car jugé trop osé et ils font l’acquisition de la salle Le Mondial. Conscients tous les deux de la fragilité du marché intérieur, l'ouverture sur le marché international (principalement français) se présente à eux comme une incontournable alternative. Au début des années 1990, avec d’autres partenaires, ils mettent en place une société de production française à Paris qu’ils appellent Transmed pour bénéficier directement des apports de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Ils s’y associent en tant que coproducteurs. K. Attia est responsable de la post-production, l’une des fonctions les plus fondamentales. Pour moi le travail avec Hmaied était important parce que lui il assurait la garantie de bonne fin. Ensemble nous avons tenté de nous ouvrir à la
13 K. Attia collabore aussi au tournage, en tant que scripte et assistante à la réalisation (suite au désistement de K. Bornaz). 14 Surnom familier de A. B. E. Attia. 15 MIDUNI Hamid, Ahmed Baha Eddine Attia : Une vie comme au cinéma, Tunis, Rives Productions, 2008, p. 75.
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France mais ça a été beaucoup plus compliqué dans un marché restreint, une concurrence grandissante et un rapport de force qui n'était pas tout le temps en notre faveur, réduisant tout impact. Très vite, nous nous sommes rendu compte des difficultés. Ce sont les boites de production européennes (Suisse, France, Belgique, Hollande) qui existaient dans le cadre de coproductions avec les pays en voie de développement, dits « pays culturellement soutenus par la francophonie », qui venaient nous chercher et non le contraire. D’abord les films étaient de qualité, mais en plus, ces producteurs savaient qu’il y avait une contrepartie numéraire importante dans la subvention octroyée par le ministère de la Coopération et des organisations intergouvernementales et lors de la distribution dans le marché européen. Mon intégration dans cette structure n’a duré que cinq ans puis j'ai vite déchanté car j’ai préféré rester libre. L’expérience dans la production n’a pas trop duré ; la disparition de A. B. E. Attia ralentit puis met fin à une collaboration étroite avec Cinétéléfilms qui prit ses distances, étant donné que les productions se sont de plus en plus espacées ; ce qui pousse K. Attia, toujours fidèle au montage, sa fonction de prédilection, mais fidèle surtout à son principe d’indépendance, à repartir dans une nouvelle et grande virée internationale (Albanie, France, Maroc, Algérie, Palestine, Arabie-Saoudite, Liban, Syrie, Suisse, Canada, Espagne, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Koweït, Belgique, Tunisie). J’ai toujours été indépendante. En dehors de la période où j'étais à la SFP, j'ai toujours été un électron libre. Je ne supporte pas de me retrouver ligotée parce que je rêve dans la rébellion. Même dans le cadre de mon mariage, j'ai toujours été très libre parce que je n'ai jamais considéré le mariage comme une structure contraignante. Avec mes enfants, non plus, je n'ai pas eu de réelles contraintes, (en riant) mais quelques fois ça a un peu nui à ma relation avec eux. Quelque part, mon fils et ma fille me reprochent de ne pas être tout le temps là. Il faut dire que je n’ai été en permanence avec ma famille que pendant la période française, là je n’avais encore qu’un enfant et durant les deux premières années de la période algérienne lorsque j’ai eu mon deuxième.
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DE LA PELLICULE AU NUMÉRIQUE : OÙ EN EST LA COUTURIÈRE DU CINÉMA ? L’histoire du cinéma révèle que la fonction des premières femmes dans le montage était de seulement couper. Elles ont commencé comme « coupeuses » à l’instar de Dorothy Arzner16. K. Attia reconnaît à quel point l’avènement du cinéma d’auteur a changé le « statut » de la monteuse femme. Le métier a été révolutionné grâce à l’émergence d’un certain style de cinéma. Depuis l’avènement du cinéma, en France et aux États-Unis, les femmes ont toujours été présentes dans le cadre de travaux de montage, mais elles étaient subalternes dans les laboratoires de négatif. Les producteurs et réalisateurs étaient seuls maîtres de la situation. La dimension du montage est devenue importante à partir du moment où a commencé à émerger un certain style de cinéma, c’est-à-dire lorsque le cinéma est passé au stade de l'auteur. Ainsi, les réalisateurs ne travaillaient plus de la même manière avec la personne qui était au montage. Cette dernière devenait elle-même le centre nodal où le film devait se construire, donc ce n'était plus du tout le même rapport. Avant, c'étaient les « petites mains », aujourd’hui, elles participent à l’écriture du film. On peut dire que c’est grâce au cinéma d’auteur que les femmes ont pu transformer la création cinématographique et laisser leur empreinte. Moufida Tlatli rapporte des termes empruntés du champ lexical de la couture, employés par son entourage familial ou professionnel : « J’ai adoré ce métier parce qu’en fait il ressemblait au vœu de mon père finalement, écouter, accompagner, comme une infirmière, des films un peu malades. On m’a appelée la brodeuse, la couturière, la raccrocheuse, et j’ai beaucoup aimé faire ça parce qu’en fait c’était un produit brut de gens qui, comme moi, débutaient17 ». Ces qualificatifs qui ne lui semblent pas péjoratifs, sont mal acceptés par K. Attia qui explique : Le terme de « couturière de cinéma » venait pratiquement du montage négatif : des gens qui collaient comme des automates, des femmes, des « petites mains », des ouvrières tout simplement. Certains leur donnaient faussement le caractère de « couturière » car elles étaient soi-disant méticuleuses et avaient le sens du détail, dociles et résignées, correspondant ainsi, dans l'imaginaire, à cette image de « couturière ». Les femmes étaient également plus rentables. Ainsi, c'étaient les femmes qui travaillaient dans les laboratoires à l’instar des laboratoires Éclair,
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Dorothy Arzner (1897-1979) engagée comme dactylographe aux studios Paramount, finit par réaliser dix-sept longs-métrages dont sept montés par des hommes. 17 BALON Lorraine, « Parcours de femmes : Moufida Tlatli, Ingrid Sinclair et Nadine Labaki », Africultures, publiée le 1 juillet 2008 http://africultures.com/parcours-de-femmes-moufida-tlatli-ingrid-sinclair-et-nadine-labaki-7790/ (consultée le 31 juillet 2021).
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puisque c'était la main d'œuvre la plus accessible et la moins chère. Pour elles, elles se considéraient comme des ouvrières d’usine et n'avaient aucun engagement vis-à-vis d'un langage cinématographique. Elles ne pensaient pas le montage, c'était vraiment des femmes de terrain. Nous, du temps de l’IDHEC, nous apprenions à faire ce type de travaux mais ce n’était pas notre destination. Par la suite nous n’avions plus fait du montage négatif, nous étions concernés par le montage positif (le collage négatif se faisait par grattage et colle. Le collage positif se faisait par des colleuses et du scotch). En effet, à l'époque du cinéma argentique, lorsque le film est monté en positif et fini, les ouvrières passent au montage négatif en utilisant des appareils et de la colle. Le montage négatif connaît en lui-même des évolutions : entre autres l’invention des trucages et des effets visuels décidés par la réalisation au moment de l’écriture du scénario (le fondu au noir, le fondu enchainé, etc.). Ces effets prennent du sens. Leur réalisation se fait au montage négatif, impliquant ainsi les mêmes ouvrières, responsables du négatif. La procédure reste la même jusqu'au moment où, avec l'évolution de la technique et le passage à la vidéo, le montage négatif devenait caduc. Il y a eu une prise en charge, de la part du cinéma d'auteur, de tout le secteur de fabrication du film supprimant toute ségrégation entre le laboratoire de montage négatif et la créativité. Tout d'un coup, la monteuse n’était plus la compagne du réalisateur mais sa compagne de créativité. Beaucoup de réalisateurs (la plupart) étaient en concubinage avec leurs monteuses, entre autres Godard, mais la collaboration ne durait pas et ne restait possible que parce que le niveau du réalisateur était supérieur à celui de sa monteuse. Dès que le niveau change, il y a renversement d’équilibre et la collaboration s'arrête. Il y a même rupture de la vie commune. À l’achèvement d’un projet, il fallait que l'un des deux partenaires reste dans l'ombre, c'est très rare que les deux aient réclamé la même appropriation. Je pense particulièrement à la présence de la femme dans le cinéma égyptien. Rachida Abdel Salam18, qui était plus âgée que nous, avait accompagné Youssef Chahine, depuis le début des années soixante jusqu’à la fin de sa vie, avait monté dix-neuf de ses films les plus connus et était reconnue comme monteuse. En Algérie, il n'y avait pas de monteuses femmes, c'était les hommes qui montaient, à l’instar de Lakhdar
18 Rachida Abdel Salam (1932-2008) monte, entre 1959 et 2004, trente-six films pour des réalisateurs égyptiens célèbres, dont Youssef Chahine, Henry Barakat (Le péché, 1965), Helmy Rafla (L’idole des foules, 1967), Hussein Kamal (Quelque chose à craindre, 1969), Radwan Al Kashif (La sueur des palmiers, 1998).
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Hamina et Rachid Ben Allal. Il faudra attendre la venue de Yamina Béchir19, épouse du réalisateur Mohamed Chouikh, et dont la formation était interne à l’ONCIC, contrairement aux monteuses tunisiennes dont la formation était académique. Pendant longtemps elle fut l’unique femme monteuse d’Algérie. Pour revenir aux monteuses de la télévision tunisienne, celles de la première génération ont fait des études universitaires dans des domaines éloignés du cinéma avant d'intégrer la télévision. Leurs vocations étaient au départ littéraires ou de sciences humaines. Elles ont dû suivre des formations internes et des stages techniques au centre de formation de la télévision pour exercer les différents métiers de scripte, montage, décor, costume. Pour l’ensemble, elles appliquaient les instructions des réalisateurs et on ne leur demandait pas d’être critique. Ce sont leurs études supérieures préalables qui les ont aidées à percer dans le secteur. Beaucoup d’entre elles sont devenues les compagnes des réalisateurs avec lesquels elles ont constitué des vies de famille : Bakhta Essid épouse de Slah Essid, Sabiha Essghir épouse de Haj Slimane (chef opérateur), Lilia Ben Youssef épouse de Youssef Ben Youssef (chef opérateur). C’est aussi le cas au cinéma : Mika Ben Miled épouse de Hatem Ben Miled, Sabah Kastally épouse de Abdellatif Ben Ammar, Ghalia Lacroix épouse de Abdellatif Kechiche, etc.20. Il est à remarquer que la télévision tunisienne refusera plus tard d'embaucher les techniciens dont les monteuses (même si elles sont ressortissantes d'écoles de cinéma) et tout personnel intermittent pour continuer de recruter de la même manière des femmes qui seront formées en interne. Vu la stabilité de leur emploi, le personnel féminin dont les monteuses, a pu bénéficier en fin de carrière de retraites honorables qui les mettaient avec leurs familles à l’abri des soucis matériels, contrairement aux monteuses de cinéma. Celles-ci persistent, dans la recherche de leur emploi, de penser à un système de protection sociale contraignant et parfois insuffisant au regard de leur état de santé.
LE STATUT DU MONTEUR AUJOURD’HUI : UN RETOUR AU « STADE DE LA COUTURIÈRE » Je suis peut-être satisfaite de mon parcours professionnel mais le constat de la situation du montage aujourd'hui ne me convainc pas. Quand je regarde autour de moi, la situation ne me plaît pas et le futur du métier
19 Yamina Bachir-Chouikh, née en 1954, monte Le Cri des hommes (1994) de Okacha Touita et la plupart des réalisations de Mohammed Chouikh : La Citadelle (1989), Youcef ou la légende du septième dormant (1993), L'Arche du désert (1997), Douar de femmes (2005). Elle réalise Rachida (2002) et le documentaire Hier... aujourd'hui et demain (2010). 20 GABOUS Abdelkrim, op. cit. Voir le répertoire des techniciennes en fin d’ouvrage.
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n'existe pas. Il est non seulement banalisé pour des raisons de marché, mais en plus, ce marché qui phagocyte la créativité n'autorise plus l'émergence de personnes inventives avantageant un système qui formate les films. Le montage est devenu très sectorisé. Le système permet d'entrer dans le département montage en tant que technicien-monteur et d'appliquer, durant un certain nombre de semaines (en général quatre semaines), un travail, même s'il est créatif, il est purement technique. K. Attia affirme qu’elle peut être aussi engagée dans le film que le réalisateur lui-même et qu’elle peut en être profondément marquée. Cependant, le marché exerce désormais une pression parfois castratrice de la créativité de la personne qui fait le montage et favorise la visibilité exclusive du réalisateur et du producteur puisque c'est eux qu'on retrouve à la fin de la chaîne de fabrication. La cinéaste, qui a pu de par son statut et son ancienneté se dégager de la partie technique, affirme que la technique a bousculé la créativité de la nouvelle génération. Le système ramène les monteuses et les monteurs à ce stade de « la couturière », même s’ils travaillent aujourd’hui sur le numérique, il les réduit à une fonction essentiellement technique, matérielle, physique et non intellectuelle de la « petite main ». Le geste est le même : au lieu de couper la pellicule avec des ciseaux, on pianote sur le clavier d'un ordinateur et on remarque qu’on revient au point de départ de l'histoire de l'industrie cinématographique.
CONCLUSION L’apport considérable de Kahena Attia au monde de la production des images durant ces dernières cinquante années est indéniable. Elle est l’icône d’une génération de pionnières dont la formation académique consolidée par une carrière internationale participe à l’essor des cinématographies africaine, arabe et tunisienne. Son métier de cinéaste s’apparente à une victoire, puisqu’il est d’un côté un métier de terrain, de création et d’intellect, et de l’autre un métier d’indépendance, d’engagement et d’altérité. Son récit est la preuve que le passage de la féminité à l’altérité, s’opère à travers différentes figures de la paternité aussi bien de collaboration, de coopération mais aussi conflictuelles. Raconter la filière du montage à travers des fragments phares d’une carrière aussi prolifique (comptant plus d’une centaine de films de tous les continents) que celle de K. Attia est en soi une opportunité pour la compréhension des cinématographies et de leurs contextes. En nous acheminant de l’histoire personnelle vers celle du groupe dans le métier, vers celle de l’évolution du cinéma, la figure emblématique de K. Attia confirme l’imbrication entre la petite et la grande histoire.
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L’histoire de l’industrie cinématographique laisse à penser que le montage est, par excellence, un métier de femme vu son caractère sédentaire et stable. Il s’avère, selon les expériences et les témoignages, que les monteuses ne le choisissent pas pour son côté « contrôlé » : un métier qui les engage à travailler à des heures administratives, dans des lieux connus, loin des plateaux de tournage qui peuvent avoir lieu n'importe où, puisqu’elles assurent souvent aussi le scriptanat21 pour le bon déroulement de la post-production. D’ailleurs, il est intéressant de rendre compte d’une « masculinisation » progressive du métier aujourd’hui. Les milieux professionnels que K. Attia a fréquentés, en France, en Algérie, puis en Tunisie présentent des configurations différentes concernant leur constitution et la hiérarchie qui les régit sur la base du genre, mais ils attestent tous d’une réalité commune : les femmes préfèrent intégrer les institutions publiques (télévisions) ou les sociétés de production et s'y installer le plus longtemps possible. L’évolution du marché du cinéma et le changement des mécanismes de la production font que, aujourd'hui, précisément le montage pratiqué particulièrement par la composante féminine, devient presque subsidiaire. Il ne semble plus aussi essentiel qu'auparavant. Est-ce dû à une crise économique, à une explosion des effectifs, à une régression de mentalités ou à une sorte d'inversion des rapports de force ? Le rapport de force se révèle physique puisqu'il se fait par l'exclusion des personnes de la fabrication réelle du film. Le film, en réalité produit mental et pluriel d’une équipe, est vu de plus en plus comme l'œuvre d'un personnage solitaire : le réalisateur. Finalement, ce n'est pas tant la différence des sexes qui régit le rapport dominant-dominé mais plutôt la hiérarchie producteur-réalisateur-technicien. La domination est encore plus grande lorsqu'il s'agit d'une monteuse femme parce qu'elle ne réagit pas de la même manière, de par les rapports sociaux qui existent déjà au-delà du métier, étant elle-même intégrée dans une structure sociale où la femme, malgré les droits énoncés dans le Code du statut personnel tunisien, a moins de liberté de parole et d'intervention que l'homme. Ce même rapport va se perpétuer dans le cadre du métier. Une forme de régression s’installe et c'est étrange de remarquer que ce processus imposé par le système de production revient en boucle et nous ramène au « stade de la couturière » et des ouvrières des usines (laboratoires de négatif) avec leurs gestes mécaniques, comptabilisés au kilomètre de bobine, sans élan intellectuel, fragmentés par le travail à la chaîne et contraints par la limite de la durée et l’obligation du gain.
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Qui renvoie au terme genré de script-girl.
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PARTIE II - PARCOURS PIONNIERS
Third Cinema Inheritances and Contemporary PoliticoCommercial Women’s Films and Filmmaking in Ghana Dennis-Brook Prince Lotsu University of Queensland – Australia
ABSTRACT African cinema has been variously classified as political, didactic, and committed to “the lives and struggles of the people of the Third World1”. Given this, early African cinema had been conceptualised as incompatible with the entertainment model of First Cinema (Hollywood) and rather committed to the continent’s political, social and economic crisis. This paper problematises the universally used phrase Third Cinema and explores how it can be examined in relation to recent women’s filmmaking practices in Ghana. It contends that the idea of African cinema as Third Cinema has, over the past two decades, experienced significant hybridisation and therefore cannot be solely defined from the reductive militant and political points of view, but rather from a social realist perspective that considers the changing dynamics of independent film production, exhibition, and distribution. Thus, by examining the entertainment and militant or political dichotomies of African cinema and their confluence as evidenced in contemporary filmmaking practices, I question, just like Mweze Ngangura2, the extent to which the current highly commercialised cinematic environment has augmented the ‘political’ efficacy of the growing volume of hybridized politico-commercial and entertaining films emerging from women filmmakers from Ghana.
INTRODUCTION “All films are political, but films are not all political in the same way”, asserts Mike Wayne at the start of his examination of Third Cinema, a theoretical formulation that has had a huge direct influence on early filmmaking
1
GABRIEL Teshome H., Third Cinema in the Third World: The Aesthetics of Liberation, Ann Arbor, Umi Research Press, 1982; GABRIEL Teshome H., “Towards a Critical Theory of Third World Films”, Critical Interventions, vol. 5, n° 1, 2011, p. 187-203. 2 NGANGURA Nweze, “African Cinema: Militancy or Entertainment?”, in Imruh Bakari and Mbye B. Cham (dir.), African Experiences of Cinema, London, British Film Institute, 1996, p. 60-64.
in Latin America and Africa3. In Political Film: The Dialectics of Third Cinema, Wayne affirms Third Cinema’s relational dynamics with First and Second Cinemas rather than geographical difference and calls for a further interrogation of Third Cinema in order to develop it into a theory. Proposed by two Argentine film directors, Fernando Solanas and Octavio Getino4, Third Cinema or its other variants, political cinema, cinéma engagé (engaged cinema), or militant cinema, is a “certain philosophy of cinema as an art” that is neither in First (Hollywood/Commercial) nor Second (Western auteur/art-house) Cinemas. Rather, according to De Laurot, “it is a spirit that should underlie the function of cinema in society. To create a cinema autonomous as an art and powerful as a social force5”. It is “all cinema in a country in which the people have taken power and are constructing their definitive liberation”, it “is a political, militant and revolutionary cinema6. Third Cinema, hence, is a form of committed filmmaking where the filmmaker is conscious in the use of his/her art – subject-matter and style – to create awareness about social realities and offer lasting solutions. It consists of not only the attempt to document and trace social and political specificities, but also to interrogate and analyse present situations, propose solutions which assist and alleviate the current condition as well as make projections into the future. This makes an engaged filmmaker an activist who uses her/his art as an expression of his/her “conscience” and “consciousness”, in the expression of the “universe of a given situation”; an expression that transcends the individual filmmaker’s individuality to encompass a “deep personal existential necessity7”. The impulse for engaged filmmaking, therefore, hinges on the ability of the filmmaker to transform socio-political experiences, via the artistic medium, into historical facts, which through observation of everyday circumstances, the “engaged” filmmaker conveys and historicises8. While Third Cinema formulations have had such an influence on early filmmaking practices in the “Third World”, due in part to the function of cinema as a tool of political liberation, its tricontinental or “three Worlds theory”, as Ella Shohat frames it, “flattens heterogeneity, masks contradictions and elides differences9”; a position echoed by other African film directors like 3
WAYNE Mike, Political film: The dialectics of third cinema, London, Pluto Press, 2001, p. 1. SOLANAS Fernando and GETINO Octavio, “Toward a Third Cinema”, Cineaste, vol. 4, nᵒ 3, 1970, p. 1-10. 5 Emphasis as in original. de LAUROT Yves, “Yves de Laurot Defines Cinéma engagé”, Cinéaste, vol. 3, nᵒ 4, 1970, p. 3. 6 GETINO Octavio, “The Cinema as Political Fact”, Third Text, vol. 25, n° 1, 2011, p. 41. 7 De LAUROT, 1970, op. cit., p. 5. 8 BUCHSBAUM Jonathan, “One, Two… Third Cinemas”, Third Text, vol. 25, nᵒ 1, 2011, p. 13-28. 9 SHOHAT Ella, “Framing Post-Third-Worldist Culture: Gender and Nation in Middle Eastern/North African Film and Video”, A Journal of Postcolonial Studies, vol. 1, nᵒ 1, 1997, p. 7. 4
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Jean-Pierre Bekolo (Cameroon), Idrissa Ouedraogo (Burkina Faso) and Joseph Gaï Ramaka (Senegal), all who accuse Third Cinema’s influence on African cinema as alienating African filmgoers and instituting confidential distributions that make it difficult for filmgoers to access African films10. However, while these concerns may have some validity, Mike Wayne reminds us that “Third Cinema is not to be restricted to the so-called Third World [because] First, Second and Third Cinemas do not designate geographical areas, but institutional structures/working practices, associated aesthetic strategies and their attendant cultural politics11” and how such become defining characteristics of a particular filmmaking approach. From this perspective, this paper problematises the concept of Third Cinema and explores how it can be examined in relation to recent women’s filmmaking practices in Ghana. Taking Leila Djansi as a cinéaste engagé, I examine the extent to which the current highly commercialised filmmaking environment has augmented the “political” efficacy of the growing volume of hybridized politico-commercial and entertaining films emerging from Ghana. By exploring the ways in which her film instrumentation is comparable to the career path of other women or men filmmakers who direct more apolitical films, I argue that the idea of African cinema as Third Cinema cannot be solely defined from the reductive militant and political points of view, but rather from a social realist perspective that takes into account the changing dynamics of independent film production, exhibition, and distribution.
BACKGROUND: FILMMAKING IN GHANA AND THIRD CINEMA ARTICULATIONS Ghana’s film sector is a subset of West-African Anglophone cinema and African cinema12. Although Ghanaian cinema is older than Nigerian cinema, scholarly studies on Ghanaian films and the film industry is nascent. Until the 10 See BARLET Olivier, African Cinemas: Decolonizing the Gaze, London, Zed Books London, 2000, 315 p.; MARTIN, Michael T. et RAMAKA Joseph Gaï, “Joseph Gaï Ramaka: ‘I Am Not a Filmmaker Engagé. I Am an Ordinary Citizen Engagé’”, Research in African Literatures, vol. 40, n° 3, 2009, p. 206-219; NWACHUKWU Frank, Questioning African Cinema: Conversations with Filmmakers, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002, 319 p. 11 WAYNE, 2001, op. cit, p. 6. 12 Just like the “wood” taxonomy, after Hollywood, of some of the film producing hubs on the African continent, English-language films in Ghana are neologised as Ghallywood or Ghollywood by stakeholders in that sector, while the local language films produced in Kumasi, a major local language film production centre, has the derivative Kumawood. See YAMOAH Michael, “The New Wave in Ghana’s Video Film Industry: Exploring the Kumawood Model”, International Journal of ICT and Management, vol. 2, n° 2, 2014, p. 155. Others include Nollywood for Nigerian films, Bongowood for Tanzanian films. See OVERBERGH Ann, “Innovation and its Obstacles in Tanzania’s Bongowood”, Journal of African Cinemas, vol. 7, n° 2, 2015, p. 137-151.
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systematic reviews and surveys of scholars like Africanus Aveh, Beti Ellerson, Birgit Meyer, Carmela Garritano, and Lindiwe Dovey13, Ghana’s film sector often tends to be subsumed under the umbrella of Nollywood14, which
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AVEH Michael Africanus, Culture, Identity, Nationalism and the African Cinema: The Dream and Current Challenges, Doctoral Dissertation, University of Ghana Legon, Ghana, 2011; AVEH Africanus, “The ‘Nigerianization ’of Ghanaian eyes”, Journal of African Cinemas, vol. 6, n° 1, 2014, p. 109-122; ELLERSON Beti, “The Female Body as Symbol of Change and Dichotomy: Conflicting Paradigms in the Representation of Women in African Film”, Matatu, vol. 19, n° 1, 1997, p. 31-41; ELLERSON Beti, “Arts: Film Directors and Film Stars: Sub-Saharan Africa”, dans Suad Joseph (dir.), Encyclopedia of Women and Islamic Culture, 2007,https://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedia-of-women-and-islamic-cultures/*-EWICCOM_0290d; ELLERSON Beti, “African women and the documentary: storytelling, visualizing history, from the personal to the political”, Black Camera, vol. 8, n° 1, 2016, p. 233-239; ELLERSON Beti, “Traveling Gazes: Glocal Imaginaries in the Transcontinental, Transnational, Exilic, Migration, and Diasporic Cinematic Experiences of African Women”, Black Camera, vol. 8, n° 2, 2017, p. 272-289; MEYER Birgit, “Popular Ghanaian Cinema and ‘African Heritage’”, Africa Today, vol. 46, n° 2, 1999, p. 93-114; MEYER Birgit, “Occult Forces on Screen: Representation and the Danger of Mimesis in Popular Ghanaian Films”, Etnofoor, vol. 15, n° 1/2, 2002a, p. 212-221; MEYER Birgit, “Pentecostalism, prosperity and popular cinema in Ghana”, Culture and Religion, vol. 3, n° 1, 2002b, p. 67-87; MEYER Birgit, Religion, Media, and the Public Sphere, Bloomington, Indiana University Press, 2005, 325 p.; MEYER Birgit, “Ghanaian Popular Video Movies between State Film Policies and Nollywood”, in Mahir Saul & Austen Ralph A. (dir.). Viewing African Cinema in the 21st Century, Athens, Ohio University Press, 2010, p. 42-62; MEYER Birgit, Sensational Movies: Video, Vision, and Christianity in Ghana, Berkeley, California, University of California Press, 2015, 408 p.; GARRITANO Carmela, “Contesting Authenticities: The Emergence of Local Video Production in Ghana”, Critical Arts: A Journal of South-North Cultural Studies, vol. 22, n° 1, 2008, p. 21-48; GARRITANO Carmela, “Nollywood in the Context of Globalization”, Black Camera, vol. 4, n° 1, 2012, p. 3-4.; GARRITANO Carmela, African Video Movies and Global Desires: A Ghanaian History, Athens, Ohio University Press, 2013, 284 p. GARRITANO Carmela, “Introduction : Nollywood—An Archive of African Worldliness”, Black Camera, vol. 5, n° 2, 2014, p. 44-52; DOVEY Lindiwe, “African film and video: pleasure, politics, performance”, Journal of African Cultural Studies, vol. 22, n° 1, 2010, p. 1-6.; DOVEY Lindiwe, “New looks: The rise of African women filmmakers”, Feminist Africa, vol. 16, 2012, p. 18-36; DOVEY Lindiwe, Curating Africa in the Age of Film Festivals, New York, Palgrave Macmillan, 2015a, 270 p.; DOVEY Lindiwe, “Through the Eye of a Film Festival: Toward a Curatorial and Spectator Centered Approach to the Study of African Screen Media”, Cinema Journal, vol. 54, n° 2, 2015b, p. 126-132. 14 Film production and its ancillary services in the British colonies began with the Colonial Film Unit of the then Gold Coast before cascading to the other colonies. In 1903, cinema was introduced in Ghana, but it was not until in 1949 that film production started. Even with the phenomenon of video filmmaking, which commenced earlier in Ghana, it was its 1992 emergence in Lagos, Nigeria, that signalled the beginning of viable film sector due to the volumes of films it churned out at its start. Currently, Nigerian films (Nollywood) are transnational commodities on the African continent and diaspora. These works are also critically reviewed by scholars of African cinema, cultural studies and postcolonial studies. See DIAWARA Manthia, African Film: New Forms of Aesthetics and Politics, Munich, Prestel, 2010, 320 p.; GARRITANO, 2012, op. cit.; KRINGS Matthias & OKOME Onookome (dir.), Global Nollywood: The Transnational Dimensions of an African Video Film Industry, Bloomington, Indiana University
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has received substantial scholarly attention in the last two decades. As an emergent form of cultural production, the evolution of cinema from the erstwhile Gold Coast to Ghana can be classified into three epochs of cultural colonisations: the era of the Colonial Film Unit (CFU), which spans from 1939 to 1947; the period of the Gold Coast Film Unit (GCFU) between 1947 and 1957 and the post-colonial or post-independent era from 1957. Whiles the London-based CFU period was characterised by British filmmakers who produced over 200 non-theatrical propaganda films aimed at “addressing and homogenising disparate groups of colonial subjects” and galvanising support for the colonial government’s agenda15, the era of Sean Graham and the GCFU, however, initiated films which, although reflective of the socio-cultural specificities, were dominated by colonial ideologies that sought to constitute the colonised in ways intrinsically alien to them16. Many films of this era, like Progress in Kojokrom (1954) and Mr. Mensah Builds a House (1956), all directed by Sean Graham, sought to instil in the colonial subjects their civic duties such as cleanliness and payment of taxes. On the other hand, films in post-colonial Ghana (from 1957), like cinema in Africa in general, have been disproportionately populated with political and didactic overtones aimed at creating awareness or shaping the consciousness of the citizenry17. As a result, as Meyer notes, Ghanaian films are often “designed and appreciated as occasions for learning…excitement and pleasure but also yield a lesson that could be carried into one’s personal life18”. On a number of levels, early post-colonial films were often political and reflective of the political exigencies of the epoch. In part, the politicisation of post-colonial films in Ghana was, due to Kwame Nkrumah’s use of film as a tool of political emancipation of the entire continent. Early post-colonial Ghanaian films also owed their political impetus to political currents on the continent of Africa and subsequently to the popularity of Third Cinema conceptualisation on the African continent.
Press, 2013, 382 p.; OKOME Onookome, “Nollywood, Lagos, and the Good-Time Woman”, Research in African Literatures, vol. 43, n° 4, 2012, p. 166-186. 15 RICE Tom, “‘Are you Proud to be British?’: Mobile Film Shows, Local Voices and the Demise of the British Empire in Africa”, Historical Journal of Film, Radio Television, vol. 36, n° 3, 2016, p. 1. 16 Ibid. ; RICE Tom, “From the Inside: the Colonial Film Unit and the Beginning of the End”, in L. J. Grieveson and C. MacCabe (dir.), Film and the End of Empire, London, Palgrave Macmillan, 2011, p. 135-153; SANDON Emma, RICE Tom, and BLOOM Peter, “Changing the World: Sean Graham”, Journal of British Cinema and Television, vol. 10, n° 3, 2013, p. 52453. 17 AVEH, 2010, 2011, op. cit.; GARRITANO, 2013, op. cit.; HAYNES Jonathan, “A Literature Review: Nigerian and Ghanaian Videos”, Journal of African Cultural Studies, vol. 22, n° 1, 2010, p. 105-120. 18 MEYER, 2015, op. cit., p. 290.
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Variously classified as political, didactic, and committed to “the lives and struggles of the people of the Third World19”, Third Cinema emerged in the 1960s and the 1970s and purveyed as a theoretical framework characterising African cinema through Teshome Gabriel’s (1982) seminal work, Third Cinema in the Third World. Characterised as a form of artistic engagement defined by socialist politics, Third Cinema conceptualisations are a response to some peculiarities of content, form and style of the emergent filmmaking in the “so-called” Third World20. It is a cinema of “social and cultural emancipation21”. By the late 1970s to the early 1980s, Third Cinema theorisations such as cinéma engagé had gained acceptance among the scholarly and filmmaking community and had become foundational principles of filmmaking or an attempt to “shoot back” to the West, as Melissa Thackway terms it22. Conceptualised as a cinema in opposition to First and Second Cinemas, early African cinema as Third Cinema, as echoed by Ferid Boughedir, was unlike Western entertainment, opium cinema which “…functions outside of real life and real-life problems” by “…diverting or moving the audience away from reality, granting them a momentary escape which delays the conscientisation process23”. Third Cinema was considered a tool for social transformation and a political praxis aimed at raising consciousness. Institutionalised by filmmakers of the Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) through manifestoes like the 1973 “Resolution of the Third World Film-makers”, the 1975 “Algiers Charter on African Cinema” and the 1982 “Niamey Manifesto of African Filmmakers”, cinema in Africa was set as a political agenda committed to the liberation struggle of the newly independent African nations24. Earlier cineastes like Ousmane Sembene (Emitai, 1971; Camp de Thiaroye, 1988), Djibril Diop Mambéty’s (Touki Bouki, 1973) and Cheick Oumar Sissoko (Finzan, 1989) applied themselves vigorously to the tenets of cinéma engagé as the early films set a political and militant tone; both in setting the agenda for politically contentious narratives that explored colonialism, Western and Af-
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GABRIEL, 1982, op. cit. p. xi; GABRIEL, 2011, op. cit. ‘So-called’ because as demonstrated by Mike Wayne, political films are not only restricted to specific geographical spaces (Third World). This is because even in the First and Second Cinemas (Hollywood/ Western cinemas) there are films that are both political in their own rights and in a manner conceptualised by Third Cinema. To determine the ‘political-ness’ of a particular film, hence, rests on an examination of the extent of its relationship with the other two Cinemas (First and Second). WAYNE, 2001, op. cit. 21 Ibid., p. 1. 22 THACKWAY Melissa, Africa shoots back: alternative perspectives in sub-Saharan francophone African film, Bloomington, Indiana University Press, 2003, 312 p. 23 Ibid., p. 70. 24 BAKARI Ishaq I. and MBYE Cham B. (dir.), African Experiences of Cinema, London, British Film Institute, 1996, 286 p. 20
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rican religious conflations, the confrontation of cultural and social values, politics and governance, and socially provocative discourses on marriage, gender and sexuality, and modernism. As Kenneth Harrow observed, “[t]he terms of resistance were so powerfully set by Sembène and his generation, it becomes almost impossible for any filmmaker or novelist not to take a politically engaged position25”. In the case of Ghana, the context of post-colonial filmmaking exhibited similar remnants of Third Cinema inheritances, its politicisation and didacticism, which have shaped the cinematic outlook of the earlier films to the extent of becoming a major stylistic and aesthetic differentiator between filmmakers, classification of filmmakers based on their social and ideological consciousness, and the impact of their films on narratives of specific eras. Africanus Aveh, mapping filmmaking practices in Ghana from the post-colonial/independent era to the advent of video filmmaking, identifies three categories of filmmakers – the older generation, younger generation and film enthusiasts or “artisanal filmmakers”, as Carmela Garritano refers to them26. The films of the older generation explored politically explicit notions of race, cultural imperialism, identity crises of the neo-colonial elites, tradition and modernity, and were often interspersed with elements of folklore which fit into the “colonial confrontation[al]” narrative category described by Diawara27. Starting with the political praxis of the older generation filmmakers like Ato Yanney (His Majesty’s Sergeant, 1983), Kwaw Ansah (Heritage Africa, 1988), John Akomfrah (Testament, 1988) and King Ampaw (Juju, 1986), many of whom experienced the independent struggle and shared in the ideological formative years of cinema on the continent, their films mirror Third Cinema formulations and explored the nexus of colonial struggle, race, imperialism, Western acculturation and the cultural alienation of the African elites28. Men produced and directed during this period. Even though Efua
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HARROW Kenneth W., Postcolonial African Cinema: From Political Engagement to Postmodernism, Bloomington, Indiana University Press, 2007, p. 19. 26 GARRITANO Carmela, 2013, op. cit., p. 87. 27 DIAWARA Manthia, African Cinema: Politics & Culture, Bloomington, Indiana University Press, 1992, 192 p. 28 Both Yanney and Ansah were, for instance, overtly political with their films. While Yanney’s His Majesty’s Sergeant (1983) presents a politically charged narrative in which Jafa, the African soldier conscripted to fight in WWII, questions the necessity of the colonised fighting the war of the colonisers, Ansah’s Heritage Africa (1988) depicts the effects of colonialism, the neo-colonial universe of the newly independent African countries and the confusion of the new political elites, which is set in motion by their alienation from their cultural roots and ideals. Through a series of religious motifs and metaphors, starting with the protagonist who anglicises his name Bosomefi to Bosomfield, Ansah satirises the colonised mentality of the Africans and their reverence for Eurocentric values to the neglect of their cultural identity. Bosomfield’s penultimate misfortune occurs when he gives out his ancestral heritage – the heirloom – to his
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Sutherland’s documentary film, Araba: The Village Story (1967), done in collaboration with the American television network ABC, appeared before these films and was acclaimed as innovative model in the area of Theatre for Development, it was rather steep in orality, poetics and performativity. Many influential women of the era worked in journalism or television: Eva Lokko, the first female Director-General of the Ghana Broadcasting Corporation; Gifty Afenyi-Dadzie and Adjoa Yeboah-Afari, two female presidents of the Ghana Journalists Association. Whereas the post-independent era of the older generation saw fewer women directors in Ghana’s film sector, the younger generation of the early 1990s up to the turn of the century comprised directors like Veronica Cudjoe and Veronica Quarshie-Nai29 who ushered in a cadre of women directors with films like Suzzy (1992) and Tears of Joy (1995) respectively. Subsequently came Afi Yakubu and other contemporary filmmakers like Shirley FrimpongManso30, Juliet Asante, Leila Djansi, and Nicole Amarteifio whose films fit into Aveh’s category of younger generation31. The films of the younger generation mark a significant departure from those of the older generation. While
European superior. Here, Ansah not only mocks the neo-colonial elites’ alienation from their cultural and ancestral roots, but he also critiques the wholesale Christian proselytisation and Anglicisation of Africans who were made to adopt English names as a precondition for baptism. 29 Veronica Quarshie-Nai is one of the early women filmmakers who actively produced and directed films during the period of the advent of video filmmaking in Ghana. The majority of her works, which were produced in the 1990s, explored gender and patriarchal relations, relationships and marriage, which Africanus Aveh (2010) considers as subjects emblematic of the era and the condition of Quarshie-Nai and her women peers. Some of her noted works include Ripples (2000) and A Stab in the Dark (1999). 30 Shirley Frimpong-Manso is one of the versatile female filmmakers, resident in Ghana. Her works explore diverse socio-cultural issues: gender and sexuality, relationships, marriage, corruption and betrayal, but from a totally commercial and entertainment model perspective. She has directed over a dozen feature films, shorts and television series: Life and Living It (2009), The Perfect Picture (2009), Scorned (2009), A Sting in a Tale (2009), Six Hours to Christmas (2010), Checkmate (2010), Adams Apple (2011), Peep (2011), Contract (2012), Adams Apple (2012), Potomato (2013), Tenant (2013), Big for Nothing (2013), Stranger in my Bed (2013), Love or Something Like that (2014), V- Republic (2014), Devil in the Detail (2014), Grey Dawn (2015), Rebecca (2016), Shampaign (2016), Potato Potahto (2017). Many of these films are available on her on-demand platform, Sparrow Station. See http://sparrowstation.com 31 There are three sub-categories of active younger generation Ghanaian filmmakers: 1) those who reside and make films in Ghana, among which are women film directors like Shirley Frimpong-Manso, Juliet Asante, Comfort Arthur, Zynell Zuh, Yvonne Nelson, Yvonne Okoro, and male directors like Ramesh Jai, Kofi Asamoah, Peter Sedufia, Kwabena Ghansah, Kofi Kyei, Pascal Aka (Ivorian resident in Ghana) and Pascal Amanfo (Nigerian resident in Ghana); 2) those resident in the diaspora and who produce their works in the diaspora, like Amma Asante, Frances Bodomo and Sam Kessie), and those who are resident in the diaspora but return to undertake film productions in both Ghana and the diaspora, like Leila Djansi, Priscilla Anany, and Akosua Adoma Owusu.
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the films of the older generation exhibited traces of political and militant tenets of Third Cinema, the films of this new generation of filmmakers explored socio-cultural issues, their stance was less overtly political, in the sense of the militant and revolutionary. Their stories addressed subjects like sexuality and gender relations, love, relationship, marriage, fantasy, riches, cheating husbands and prostitutes32, all of which are recurrent themes in films classified by Stoneman as “modern social” and Diawara as “social realist narrative” films33. From the mid-1990s to the late 1990s, emerging at the height of the Nollywood invasion of the Ghanaian market, came the third category of filmmakers in Ghana, a group of artisanal filmmakers who, with no professional film training, “follow their instincts and abilities to tell stories”34. This category of filmmakers, the majority of whom were males (Socrates Ibrahim Sarfo, Augustine Abbey, Harry Laud, Bob Smith Jr., Albert Kuvodu etc.), comprised self-trained directors and producers, individuals who were previously businessmen, merchants, distributors of Hollywood blockbuster films, but who, with the emergence of video filmmaking, started to direct and produce movies35. These artisanal filmmakers operate as sole-proprietary ventures, exerting full control over the entire filmmaking process by performing multiple roles as producers, directors, actors and in some cases editors. As a result, artisanal filmmakers treat filmmaking as a business where profit must be maximised at all cost. They capitalise on topical narratives and gossips which sell quickly,
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AVEH, 2011, op. cit. DIAWARA, 1992, op. cit.; STONEMAN Rod, “South/South Axis: For a Cinema Built by, with and for Africans”, in Imruh Bakari and Mbye B. Cham (dir.), op.cit., 1996, p. 175-180. 34 AVEH, 2011, op. cit., p. 8. Further historical overview of the Ghana film industry, NAFTI and its graduates’ involvement in shaping the film industry in Ghana, from the post-independence era to the inception of video filmmaking is available in Carmela Garritano’s African Video Movies and Global Desires: A Ghanaian History, 2013, p. 88-119. 35 AVEH, 2011, op. cit.; Meyer, 2015, op. cit. William Akufo is credited for starting video filmmaking in Ghana. See DIAWARA Manthia, “African cinema today”, Visual Anthropology Review, vol. 6, n° 1, 1990, p. 65-74; GARRITANO, 2013, op. cit.; MEYER, 2015, op. cit ; UKADIKE, 2002, op. cit. Some of his contemporaries include Asare Hackman, Socrates Sarfo, Augustine Abbey, Hajia Hawa Meizongo, Moro Yaro and Harry Laud. Socrates Sarfo, currently the Director of Programmes and Projects at the Commission for National Culture, is the most controversial and vocal artisanal filmmaker who, prior to his appointment, endorsed the making of pornographic movies in Ghana. See https://www.ghanaweb.com/GhanaHomePage/NewsArchive/Socrate-Sarfo-endorses-production-of-porn-movies-385879. He is also noted for culturally sensitive and controversial subject matters: homosexuality, nudity and ‘mild’ pornography. Crazy Love (2015), Hot Fork (2008), Ghost Tears (1992) and The Sisterhood (n.d) are a few of his works on culturally sensitive issues. Leila Djansi started her filmmaking career with Socrates Sarfo as a screenwriter and producer before subsequently starting to direct her own works. 33
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and thereby lack the ideological or political sensibility of the earlier two categories of filmmakers. Similarly, these stories often reinforce patriarchal stereotypes with an excessive concentration on witchcraft, magical powers, fetishism, and Pentecostalism36. The ideological, artistic and aesthetic differences seen in these different groups have, over the past one and half decades since the emergence of video filmmaking in Ghana, created serious divides among filmmakers and served as a source of resentment towards the younger generation and artisanal filmmakers who have been accused of abandoning the political, militant and ideological imperative of filmmaking. Some of the outspoken critics of the video film industry and its artisanal filmmakers have been older generation filmmakers, Ato Yanney, Kwaw Ansah and Chris Tsui Hesse, all who have accused the artisanal moviemakers as parading in stereotypical narratives, “all juju”, while entreating them to make films that do not deviate from “Kwame Nkrumah’s vision for pedagogical and ideological roles of cinema in modern Africa37”. Addressing the 2017 graduating class of the National Film and Television Institute (NAFTI, Accra), Kwaw Ansah admonished the student filmmakers to avoid what he called the “very dangerous trend” of video filmmakers’ – superstition: “There is no short cut. How relevant are your stories going to be to enable us to shift from the gutters in which we find ourselves; it is very important. Ghana and Africa are being swallowed by superstition and a number of our performers have engaged themselves in following
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AVEH, 2011, op. cit.; GARRITANO, 2013, op. cit.; MEYER, 2015, op. cit. GARRITANO, 2013, op. cit., p. 85; JORGENSEN Anne Mette, “Sankofa and modern authenticity in Ghanaian film and television”, in M. B. Eriksson (dir.), Same and other: Negotiating African identity in cultural production, 2001, p. 119-142; MEYER, 2015, op. cit., p. 5557; PFAFF Francoise and ANSAH Kwaw, “Conversation with Ghanaian Filmmaker Kwaw Ansah”, Research in African Literatures, vol. 26, n° 3, 1995, p. 186-193; The British Colonial Film Unit established in the Gold Coast never encouraged the production of feature films that had the capacity to decolonise the minds of the people. This necessitated Nkrumah’s reconstitution of the Colonial Film Unit to Ghana Film Industry Corporation (GFIC). The views of these older generation filmmakers mirror the objectives of the GFIC: “To contribute to the economic, social, and political development of the country; to stimulate qualitative growth and change in all spheres of our national life; to promote the ethical state, personality, and culture of the African and to give him wide international exposure; to help remedy the harm the Western media, particularly film, has done and continues to do to the African through the presentation of distorted pictures and information about him and the manipulation of his mind; to entertain the people; and to protect the consciousness of the Ghanaian from the onslaught of foreign values and their manifestation of obscenity, violence, and vulgarity” (quoted in SAKYI Kwamina, The Problems and Achievements of the Ghana Film Industry Corporation and the Growth and Development of the Film Industry in Ghana, Doctoral thesis, Legon, University of Ghana, 1996, p. 2). See, also, MEYER, 2015, op. cit. 37
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what is not helping our development – superstition38”. Obviously, for the older generation, films have to be didactic, ideological and politically subversive as a tool for decolonising the mind. Unlike earlier postcolonial filmmaking, most recent films made in Ghana (from 2000 onward) have been shot on video and been almost exclusively apolitical and conceptualised to operate within a commercial and entertainment framework39, where the appeal of the didactic and political seems to have waned due to the shifting dynamics of independent film production and reception. This dwindling appeal brings to the fore questions of the validity of Third Cinema’s cinéma engagé formulations in an environment populated by multiplicities of filmmaking practices on the continent40. While some of the younger generation filmmakers (both male and female) have attempted films of different genres and themes which may incorporate social critique, the contemporary economic imperatives of filmmaking (independent film financing and exhibition for that matter) do not make it economically viable for younger generation filmmakers to make films that are overtly political and didactic, in a manner done by the older generation. Notwithstanding these ideological differences and the independent film financing challenges characterising current filmmaking practices, one thing apparent from filmmakers’ engagement in Ghana, and on the African continent in general, is the two broad approaches to making a politically engaged film. On the one hand, ‘engagement’ functions as a militant approach that responds to public political protests, where the film is used as a tool of raise consciousness of the citizenry41; and on the other, ‘engagement’ assumes a much subtler, less overt and militant, exploration of
38 AYAMGHA Belinda, “Government is Committed to Film, TV and Creative Arts Industry – Minister”, BusinessGhana, November 29, 2017, (accessed April 15, 2019), https://www.businessghana.com/site/news/general/156047/Government-is-committed-to-Film-TV-and-Creative-Arts-industry-Minister 39 GARRITANO, 2013, op. cit.; MEYER, 2015, op. cit. 40 TCHEUYAP Alexie, Postnationalist African Cinemas. Manchester, Manchester University Press, 2011, 269 p. By 2009, probably out of the recognition of changing dynamics of filmmaking, film genres and audiences’ distaste for overtly political and ideological films, Kwaw Ansah commissioned The Good Old Days (2010) film project which was less political and ideological, but somewhat didactic and moralising in capturing the nostalgic imagination of the past. These subsequent projects were more commercial and entertaining with their mix of comic love, family life, childhood prank and mischief. The 24-episode period piece includes The Love of AA (2010), Papa Lasisi Good Bicycle (2011), Suffering to Lose (2012), Praising the Lord Plus One (2014). 41 I must say some of these films are few among current African filmmakers, except for period (historicised) films (Sankofa, Haile Gerima, 1993), biographical dramas (A United Kingdom, Amma Asante, 2016) or feature news documentaries; a recent one being Militia in the Heart of the Nation (2019) by Manasseh Azure Awuni. See https://www.youtube.com/ watch?v=RdZSOkMxET8
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socio-political issues and oppressive regimes that are inherent in the daily experiences of people. While the first subgroup is characterised by the post-colonial militant experience of the developing world (reminiscent of the older generation filmmakers), the second subgroup is typified by questions of gender relations, cultural practices, reproductive and sexual health rights, and the myriad challenges of a contemporary citizenry in urbanised spaces. It is in this respect that contemporary feminist engagement with film and, for that matter, much of Leila Djansi’s work, as I will soon examine, serves as a hybrid, in tone and texture, of the polarities.
LEILA DJANSI: A CINÉASTE ENGAGÉE Djansi is one of Ghana’s female film directors who resides in Los Angeles, USA, but returns home occasionally to produce films in Ghana. As a constituent of the younger generation filmmakers and a trained filmmaker from Savannah College of Art and Design42, Djansi commenced filmmaking as screenwriter for Babina (2000), after which she went on to work with Socrates Sarfo, an artisanal filmmaker, as writer and line producer for The Sisterhood, a feature film which explored gay and lesbian rights; and Legacy of Love which she wrote and produced under the auspices of the Ghana Film Industry Corporation43. With her contemporary, Shirley Frimpong-Manso, already making waves with her first feature film, Life and Living It (2009), Djansi fully launched her career in Ghana as a director, few months after FrimpongManso’s debut, with the feature film, I Sing of a Well (2009). However, it was not until 2010 that Djansi and her Los Angeles-based Turning Point Pictures made footholds in the Ghana film industry with Sinking Sands (2010). Djansi has since gone on to produce feature length films like Ties that Bind (2011), A Northern Affair (2012), And Then There Was You (2013), Where Children Play (2015), Like Cotton Twines (2016), 40 & Single (2018) and Miss Havisham Effect (forthcoming). She is also noted for earlier short films: Ebbe (2012), Grass between My Lips (2009) – explores female genital circumcision and forced early marriage – and Subcity (2007). Djansi’s film praxis is characterised by narratives that focus on social, cultural and economic issues, with particular attention to the position of women and the marginalised in Ghana. Djansi is a strong advocate for women’s liberation, subjectivity, and a celebrant of women with a voice. According to Djansi, “telling women’s stories is a duty, speaking up for women’s rights is
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Djansi started her film training at the National Film and Television Institute (NAFTI) but transitioned to Savannah College of Art and Design in Savannah, Georgia, USA. 43 NELMES Jill, Women Screenwriters: An International Guide, London, Palgrave Macmillan UK, 2015, 913 p.
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a responsibility, [and] putting our [women] stories in the spotlight is a passion44”. An engagement with the film medium, for her, must make a meaningful impact in the lives of humanity, especially that of women and the marginalised. As a feminist, social advocate and a committed filmmaker whose intention is to effect a change with her narratives, Djansi commits to what she calls the “dark and thematic stories” or narratives ordinarily neglected by mainstream cinema in Ghana45. At the start of her career, Djansi concentrated on film narratives that explore domestic abuse and violence against women under repressive regimes. In her much-acclaimed second feature film Sinking Sands (2010), Djansi represents gender and domestic violence as a somewhat generic form of abuse with little local specificity. Her treatment of gender violence and abuse in this work is reflective of current global emancipatory debates and discussions on women’s empowerment, liberation and self-actualisation. Through the protagonist, Pabi, Leila Djansi foregrounds the often-untold stories of domestic abuse, spousal rape, and torture, which women experience in marriage. In her subsequent projects, Ties that Bind (2011) and A Northern Affair (2014), Leila Djansi moves on to introduce elements of more culturally specific forms of violence that originate as local myths and religious practices. In these films are embedded narratives infused with religious practices as ritualistic violation of women’s bodies, societal predilection for procreation, violation of women’s sexual and reproductive health rights, myths and paedophilia, which are questioned as a violation of women’s bodily autonomy. In Like Cotton Twines (2016), the local specificity evident in Ties that Bind and A Northern Affair assumes centrality as she turns her attention to the far more extreme acts of violence that come from the cultural practices of female genital excision and the practice of Trokosi – a form of deity servitude – that have deep cultural roots. Reflecting on one of her films, Sinking Sands (2011), Djansi affirms her political sensibility and the sub-textual tendency of her narratives: This film [Sinking Sands] will always have a special place in my heart. It was my foray into finding my own unique voice as an artist. Every single moment was intentional, and I tried experimenting with literary devices. In this clip, Pabi is pricked by a rose. Roses are thorny. So are relationships. As pretty as they are on the surface, they harbour dangerous crevices. Pabi licks the blood off her thumb. At that exact moment, Jimah gives her money to abort a pregnancy. The blood from her thumb foreshadowed her losing her baby, which at that time was still a clot of
44 DJANSI Leila Afua, “Telling Women’s Stories is a DUTY”, Facebook, January 22, 2017, (accessed October 2, 2018), https://www.facebook.com/hashtag/tiesthatbind?source=note 45 Ibid.
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blood in her womb. This is how I like to tell stories. Lots and lots of subtext46. All Djansi’s films, except And Then There Was You (2013), Where Children Play (2015), and Miss Havisham Effect (forthcoming), have been filmed on location in Ghana and have dealt with the specific social and cultural conditions of women with the aim of stimulating debate. Unlike her contemporary Shirley Frimpong-Manso (The Perfect Picture, 2009; A Sting in a Tale, 2009; Checkmate, 2010; Potomanto, 2013) and other actresses turned directors/ producers like Zynnell Zuh (When Love Comes Around, 2014; Love Regardless, 2015), Kafui Danku (Devil in a Dress, 2014; Happy Death Day, 2014; I Do, 2015; Any Other Monday, 2016), and Yvonne Nelson (Single and Married, 2012; House of Gold, 2013; If Tomorrow Never Comes, 2016; and Sin City, 2019) who articulate themselves to issues of relationships and the modern-day imaginings of urbanite women and men in Accra’s growing gentrified communities, Djansi articulates herself to a hybridised feminist narrative engagement and filmmaking practices that represent a fusion between political filmmaking and Hollywood box-office enticements, one that does not only aim at audience gratification but instigates a level of re-awakening in the viewer. Djansi’s narratives capture the specificities of women’s social and cultural experience, the dynamics of social relations, the gendered cultural constitution of women, and the impact of certain cultural practices on women’s self-actualisation. By deploying a mix of mainstream entertainment and commercial fare with political narratives, Djansi frames her messages through disquieting visuals that heighten the political charge of the films and elicit the viewer’s empathy for victims of abuse. Djansi’s most political film, Like Cotton Twines (2016), for instance, invokes what Mbye Cham terms “a critical engagement with, and interrogation of, the African past” by creating a narrative that historicises the past “as a way of reflecting on, and coming to terms with, the crises and challenges confronting contemporary African societies”47. In this film, Djansi’s presentation of violence operates as a critique of much more specific cultural practices which, like nature, have “inflicted a lot of physical pain on us [women] … culturally or traditionally inflicted pain – widowhood rites, female genital mutilation...48”. Like Cotton Twines revolves around a pubescent girl, Tuigi, and the
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DJANSI Leila Afua, « Sinking Sands », Facebook, September 30, 2017, https://www.facebook.com/leilajeweldjansi/videos/1704393399603241/ (accessed October 2, 2018). 47 CHAM Mbye, “Film and history in Africa: A critical survey of current trends and tendencies”, in Françoise Pfaff (dir.), Focus on African films, Bloomington, Indiana UP, 2004, p. 49. 48 DJANSI Leila Afua, “The Woman and Herself”, Leila’s party Blog, February 7, 2014, http://leilasparty.blogspot.com.au/2014/02/the-woman-and-herself.html (accessed June 3, 2018).
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attempts of an African-American volunteer teacher, Micah Brown (Jay Elise), to save her from a deity servitude in a shrine. At the onset of her first menstrual cycle, Tuigi is abducted and made to undergo genital excision to transition her into adulthood. However, when her father, Yema, kills a fellow hunter whom he mistakes for game, he, as custom demands, offers his virgin daughter to the gods in atonement for his crime. From thence, Tuigi begins to experience the harsh realities of being a girl in a society where a daughter is either commoditised through marriage or made a bonded servant to deities. Her education and life come under threat as she is raped, forced to labour and subjected to ritual servitude and finally dies in childbirth. Djansi presents a historicised account of FGM and Trokosi49, the violence and trauma embedded in their practice, and their sexual exploitation of girls. The story of Tuigi, as Djansi herself reveals, is the “story of every single girl that exists or that have existed or that will exist, unfortunately. It’s a particular pattern that they [trokosis] go through50”. For instance, through the capture and excision ordeals of Tuigi, Djansi reveals some of the characteristic violence inherent in the circumcision process, which account for its conceptualisation as ‘mutilation’. The first of this kind of violence is evident in the abduction and circumcision process. Tuigi’s circumcision procedure is characterised by ruthlessness, evident in her seizure at night by two strong abductors
49 Female genital cutting and Trokosi are long-standing traditions observed in some African countries. FGM involves the partial or total excision of the labia minora or majora of the female genitalia for non-medical purposes. UNICEF, “Female genital mutilation/cutting: a global concern”, 2016, (accessed August 12, 2018), https://data.unicef.org/resources/female-genital-mutilationcutting-global-concern/. Trokosi, on the contrary, is a 17th century cultural and religious system practised in some ethnic cultures in Ghana, Togo, Benin, and Nigeria as a form of spiritual atonement. The practice involves families offering their virgin daughters to ‘fetish’ priests to serve at shrines as an act of atonement. These maidens are offered to deities to appease them for crimes committed by kin or as a form of appreciation for a deity’s magnanimity. See BASTINE Nathan A., “The Role of the Media in Protecting Women’s and Children’s Rights in Democratic Ghana: Lensing the Trokosi System in Ghana”, Africa Media & Democracy Journal, vol. 1, n° 1, 2012, p. 1-23. Female genital cutting is variously conceptualised as female genital circumcision (FGC), female genital excision (FGE) or female genital mutilation (FGM); each assuming specific ideological positions across global discourse and disciplines. In the context of this paper, I used the term female genital mutilation (FGM) which is in line with the representational strategy adopted by Leila Djansi. This, however, is contrary to the sense in which the fictional agents linguistically rationalise the phenomenon – cutting/excision. It is instructive to note that, over the last century, the practice has acquired other descriptive terms across specific disciplines and for specific purposes. Due to its pejorative connotations, some scholars have rejected the rather widely used FGM, for culturally sensitive variance FGC. See COOK, R. et al., Reproductive Health and Human Rights: Integrating Medicine, Ethics, and Law. Oxford, UK, Clarendon Press, 2003. 50 HATCHETT Keisha, “Interview: Like Cotton Twines Filmmaker Leila Djansi on Slavery, Black Unity and Diversity in Hollywood”, The Mary Sue, 20 January 2017 (accessed August 15, 2017) https://www.themarysue.com/interview-like-cotton-twines/
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and the circumciser. Due to the unwillingness of the victims of circumcision, such tactics are mostly deployed to instil fear in and overpower the victims in case they attempt to elope. By depicting the use of absolute force in the FGM practice, Djansi calls attention not only to the physical helplessness of its victims but also to the symbolic domination inherent in its performance that robs women of their subjectivity. Thus, once a girl reaches puberty, she loses her personhood and is placed under strict surveillance by her family who patiently waits for signs of maturity to commoditise her. This is evident in the retort of Tuigi’s father, Yema, when he learns of Tuigi’s first menstrual cycle: “Other girls became women at a much younger age. She chose to keep us all waiting” (Like Cotton Twines, 2016). Although ordinarily this pronouncement may seem inconsequential, it reflects a certain level of the victims’ entanglement in familial oppression that results from their embroilment in a multitude of cultural practices inhibiting any expression of their individuality. Djansi’s presentation of the excision instrument – a crude knife sterilised with the spittle of the circumciser – also points to the abjection inherent in the practice. The unhygienic condition of implements used in circumcisions often leave victims at the mercy of their circumcisers. Victims, most times, are exposed to microbial infections that may degenerate into obstetric and gynaecological complications or even death. Not only are irreparable physical scars exacted on the bodies, but the act also further leaves indelible impressions in the psyches of its victims. Djansi’s presentation of the socio-historical conditions of violence surrounding FGM reveals how the practice enmeshes women and girls in a cycle of symbolic violence – to invoke Bourdieu’s category – that takes a toll on their physical and emotional well-being. Like Nana Obiri Yeboah and Maximilian Claussen’s The Cursed Ones (2015), a gripping drama of a girl accused of witchcraft and the attempts of a disillusioned journalist to free her from the fetters of socio-cultural superstitions, Djansi, in Like Cotton Twines, situates her critique of the oppressive Trokosi system and the social ambivalence surrounding the freedom of its victims within a broader historical and cultural context where patriarchal kinship structure and social marginalisation exacerbate violence against women and deepen the vulnerability of the victims. To heighten the political efficacy of this narrative, Djansi adopts protagonists whose perspectives embody the contemporary complexities and specificities of the issues she presents so as to make the viewer identify with their conditions. By focusing on the pains and trauma of these women victims, depicted through graphic images that highlight the violence and horror of their predicaments, Djansi evokes in the viewer a sense of disquietude, one that alienates the viewer from the perpetrators of violence and arouses empathy for the victims. However, in order to ensure that the films are capable of affecting change in a contemporary setting, Djansi glocalises the contexts of violence 146
in a manner that it gains broader appeal, engages with different audiences, while at the same time bringing into the fray a very specific commentary on particular sets of conditions that influence the phenomena of violence, religiospiritual rituals, FGM and Trokosi. In this regard, this film, like other films of Djansi, becomes exemplary of what African cinema theorist Manthia Diawara terms “social realist cinema”; a form of filmmaking that “positions the spectator by addressing the issues of women’s liberation in contemporary African society51”. Although a younger generation filmmaker, Djansi’s film praxis constitutes a bit of a hybrid artistic performance which represents something new and cuts across the polarities of filmmaking in the annals of Ghanaian cinema. In fact, Djansi’s filmmaking has much more in common with the younger generation although she seems to heed the call of the older generation for overtly political films more than some of her contemporaries while, simultaneously, operating according to the same kind of principles as some of the artisanal filmmakers in terms of her approach and borrowing from genre conventions and film service approach. However, she borrows from more popular modes of filmmaking that inspire change more effectively than overly didactic filmmaking which necessarily has limited appeal. While being much more commercially aware, like the artisanal filmmakers, Djansi’s imperative rests in being not purely commercial but rather political in a far more pragmatic and instrumental way than many of the other overtly political filmmakers in whose wake she follows. As she notes, the Ghanaian filmmakers need to steer away from stereotypes and tell realistic human-interest stories that resonate with the audience, and not the “fancy cars, fancy homes, [and] fancy ways of speaking English, showing that we have fancy houses in Africa; fancy houses a select few in Africa have, while the majority still live in poverty” or movies which “survive largely on fantasies and desires, [and] unrealistic offerings52”. Thus, for Leila Djansi, filmmakers must take time to ask themselves “pertinent, soul searching, hard, difficult questions. Have my gains been for my own enjoyment, or have I used my God-given wisdom and intellect to affect the world53?” While Djansi seems to articulate herself to a specific mode of narrative engagement and filmmaking approach, her views and opinions about the film industries in Ghana and Nigeria (Nollywood) are not always received with
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DIAWARA, 1990, op. cit., p. 67. DJANSI Leila Afua, “Ghanaian Cinema - Have we sold our birthright ?”, Leila’s party Blog, 2014b, http://leilasparty.blogspot.com.au/2014/02/ghana-does-not-need-to-make-more-movies.html (accessed June 3, 2018). 53 DJANSI Leila Afua, “African Christianity”, Leila’s Party Blog, 2014a, http://leilasparty.blogspot.com.au/2014/02/african-christianity.html (accessed June 3, 2018). 52
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kindness. On many occasions, Djansi has been caught in the crosshairs with other film directors and celebrities, particularly on social media, who deem her critique of the industry as unsavoury. For instance, when Djansi alludes to the name, Nollywood, as having connotations similar to Adolf Hitler, and why she thinks the new crop of Nigerian films should be classified as independent films and not subsumed under the umbrella of Nollywood, her comments drew criticisms from a cross-section of Nollywood actors54. Many of the commentators like Stella Damasus, Omotola Jalade Ekeinde, and Kate Henshaw-Nuttal regarded the comparison as disparaging and insensitive, citing Djansi’s previous collaboration with Nollywood actors on her films, Sinking Sands (2010) and Ties that Bind (2011). Despite such criticisms, Djansi contends that when people are tagged as controversial for what they say, “know [that] what they speak represents the desires of the weak, the desires of those who may not have the platform to speak55”, and that validation alone is gratifying enough. Explaining further her position on the issue and how, whether Nollywood (as in the case of the Nigerian film sector), Ghallywood or Kumawood (as in the case of the Akan language filmmaking sector in Ghana), identity is crucial to the growth of the film industry in Anglophone Africa, Djansi reiterates: New Nollywood films are made with lots of money and resilience. These new films from Nollywood are films aiming at globalising the African film scene. Africa is so disrespected and through films, we can change that narrative. To limit the potential of these films by tagging them also Nollywood is not fair. Every film from the continent is called Nollywood. Sinking Sands, which happens to be Jimmy Jean-Louis’ foray into that world, is called Nollywood film; Ties that Bind, Nollywood. I am called a Nollywood filmmaker. I am Not. I have the right to decide my identity. I will not apologise56. Djansi’s denunciation of the Nollywood tag and the ambivalence that attends to her critique of the film industry are often the results of her insideroutsider positional as a Ghanaian-American, as has been the questions of home and belonging, which characterises twenty-first-century women’s filmmaking and cross-border migration. While an increasing number of Ghanaian filmmakers have either chosen to or been forced to go on the move and make new homes (Akosua Adoma Owusu, Priscilla Anany, Frances Bodoma, etc.),
54 “Ghanaian Filmmaker sparks Ire of Nollywood Faithful”, The Nation, February 6, 2016, https://thenationonlineng.net/ghanaian-filmmaker-sparks-ire-of-nollywood-faithful/ (accessed July 4, 2017). 55 DJANSI Leila Afua, “What’s in a Name? – Updated”, Leila’s Party Blog, 2016, http://leilasparty.blogspot.com.au/2016/02/whats-in-name.html (accessed June 3, 2018). 56 Ibid.
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thus complicating questions of attachment or belonging, we also witness a growing political desire of exclusive, static notions of home, as is the case of Shirley Frimpong-Manso and many of the women filmmakers resident in Ghana. However, for Djansi, there is a changing conception of home and belonging, one that is no longer an idealised stability but fluid in terms of space and time. As a filmmaker who resides in Los Angeles but shuttles between the USA and Ghana to make films, home, like identity for Djansi, is a space invested with meaning and constantly re-negotiated not only through the choice of narratives but strategies of film instrumentation. An understanding of these dynamics underscore her refusal to be lumped into the Nollywood category. Rather, in line with the tenets of engaged cinema, Djansi amplifies the political value of her narratives and the global reach of her engagé messages through the deployment of multiple channels of distribution and exhibition platforms with her films. Aside theatrical releases and DVD sales, Djansi’s films are distributed on VOD platforms like Amazon Prime, Netflix, IrokoTV and Urban Movie Channel (UMC). In addition, Djansi’s films were nominated and won awards at such festivals as the Savannah Film Festival, Cannes, Riverbend Film Festival, BAFTA/LA Pan-African Film Festival Awards, LA Choice Awards, African Academy Awards, WorldFest Platinum Awards, Ghana Movie Awards among others. By using these cross-cutting distributing and exhibiting platforms, Djansi’s political messages are not restricted to a particular medium but possess the potential of reaching far wider audience demography, and resultantly creating the intended conscientisation. Although Djansi is able to make breakthroughs in distribution and exhibition, she acknowledges the difficulties and the need for Africa “to create its own systems of filmmaking and distribution” in order for African films to have a stronghold and “look attractive to others57”. This is because “for the most part, Hollywood does not buy films because they have watched it. They buy films based on precedence58”. Nonetheless, Djansi observes such feats are achievable through industry networks, friendships and collaborations, or what Laura Marks terms “cinematic friendships59”. Djansi provides and draws on such support to her network of friends and associates in the film industry, both at home and in the diaspora. As Djansi reveals that “[several] filmmakers reached out to me asking about wider distribution: a good number are my friends, and we talked about the challenges of filmmaking60”. In this way,
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DJANSI Leila Afua, “What Ellen Degeneres and Delta are really teaching us - African filmmakers”, Leila’s Party Blog, 2014d, http://leilasparty.blogspot.com.au/2014/06/what-ellen-degeneres-and-delta-are.htm (accessed June 3, 2018). 58 DJANSI Leila Afua, 2016, op. cit. 59 MARKS Laura U., Hanan Al-cinema: Affections for the Moving Image, The MIT Press, Massachusetts, 2015, 416 p. 60 DJANSI Leila Afua, 2016, op. cit.
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Djansi’s film instrumentation and politicised narratives can be likened to what Olivier Barlet describes as “militant, but not banner-waving” in “denouncing both obsolete customs61”, as characteristic of Third Cinema and engagé filmmaking in Africa in the 1960s. To double down on this political imperative and in line with the tenets of engagé film praxis, Djansi filmed Like Cotton Twines, for instance, in the Volta Region of Ghana, the home of the Trokosi practice, in both English and the indigenous language of the community – Ewe. Upon the initial theatrical release of the film, Djansi screened the film in the regional capital, Ho. Djansi considers such strategic deployment of the film instructive to getting the message down to the people to effect change. As she indicates in an interview prior to the premiere: “It is loaning my voice to women, not only in the Volta Region but all over Ghana and the world. We want to tell ourselves that education is a powerful tool for advancement and change. Education in a four-walled classroom is essential… so is skill acquisition which also provides income, financial independence. An independent woman is a powerful woman, a woman who can stand up for herself and her children62”. The film praxis of Djansi is further characterised by a mix of professionals, creative and production teams drawn from a wide network of friends, family, and associates, the majority of whom are women. From the producing, casting, costume and makeup to editing departments, Djansi has filled these portfolios with women filmmakers on all her films, just as she continues to mentor young filmmakers and builds new affinities with others in the industry. As she reveals: “One advice I give to a lot of people who come to me seeking help [is] be patient. Don’t seek to prove anything to anyone. I’m mentoring a young lady currently and that is what I keep telling her. Be patient, be patient. She’s not listening, and I’ve decided not to force her. Like me, she’ll learn the hard way63”. Djansi’s film praxis also comprises an assemblage of actors of different nationalities and cultural backgrounds; actors whose participation on the project gives the films a unique political voice. Aside from the use of Ghanaian actors, Djansi deploys a cross-section of performers from Nigeria (Omotola Jalade Ekeinde, Yemi Blaq) and the African-American diaspora (Kimberly Elise, Jay Ellis, Jimmy Jean-Louis, Miranda Bailey, Randall Batinkoff,
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BARLET, 2000, op. cit., p. 109. OverKapacity, “After sweeping 2016 Ghana Movie Awards, ‘Like Cotton Twines’ premieres in Ho Christmas day”, December 12, 2016, https://www.eventlabgh.com/after-sweeping-2016ghana-movie-awards-like-cotton-twines-premieres-in-ho-on-christmas-day/ (accessed October 1, 2017). 63 DJANSI Leila Afua, “Regrets: I Have Had a Few”, Leila’s Party Blog March 1, 2014, http://leilasparty.blogspot.com.au/2014/03/regrets-i-have-had-few.html (accessed June 3, 2018). 62
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Dave Harper, Durant Fowler) who perform different character roles. And, although the conditions presented in these films are somewhat specific to Ghana and, in some cases, the communities in which the films are shot, Djansi deploys some of these actors and actresses (characters) in roles through which they critique the specificities of traditional practices. In Like Cotton Twines (2016), this is demonstrated through the altered cultural perspectives which the ‘foreign’ characters, Micah (Jay Ellis) and Alison Dean (Miranda Bailey), bring to the discussions of the issues of FGM, child-marriage, rape and Trokosi. By using these culturally diverse performers, Djansi attempts to elevate the experiences (pain and trauma) of these victims of FGM and Trokosi, from the realms of the local, to and beyond the national and international, one requiring a global intervention.
CONCLUSION Djansi’s film praxis, as evidenced by her films and activist engagement in the creative economy of Ghana and African-American diasporic community, positions her and her works at the political conjuncture of what Olivier Barlet terms “Toward Humanity”. Barlet in his study of contemporary African cinema, observes that African filmmaking in the 2000s is typified by new cultural introspective investigations that “create an aesthetic to suit the contemporary needs of its audience64”; an aesthetic tradition to which Djansi applies herself. In a reaction to critiques of A Northern Affair as not reflecting her auteurship, Djansi confirms that the film is “edited to suit its budget and taste of the audience it is meant for. When you are an auteur, the great challenge is making commercial fare. You get lost because you still want a part of you in the material even though you know it shouldn’t [be]65.” Djansi’s assertion underscores the interconnection between political filmmakers’ fictional diegesis and the material world, as stipulated by the proponents of cinéma engagé. It also resonates with Mike Wayne’s assertion that political films are marked by their commitment to the social and cultural liberation of the people; “a proximity to the social, historical and cultural specificities of the epoch”. Nonetheless, while such films can be made “in conditions which are temporally and spatially distant from revolutionary conjunctures, inspiration, political tradition, and memory are the umbilical cord that nourishes” their value in contemporary urban settings such as Ghana66. The medium of Djansi’s films is not only an ideological apparatus which performs socialising and institutional
64 BARLET Olivier, Contemporary African Cinema, East Lansing, MI, Michigan State University Press, 2016, p. 116. 65 DJANSI Leila Afua, “Protecting the Brand - 50,000 vs. 500,000”, Leila’s Party Blog, 2014c, http://leilasparty.blogspot.com.au/2014/02/protecting-brand-50000-vrs-500000.html 66 WAYNE, 2001, op. cit., p. 1 and p. 9.
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functions, but the films also become society’s mechanism of social and cultural transformation of the subjects’ desires and perceptions; a mirror through which society sees itself. Through her deployment of the commercial and entertainment fare, and a multiple distribution and exhibition platforms, Djansi’s political messages attain a higher possibility of getting down to a wider audience and effecting change. In doing this, Djansi carves a slightly different trajectory for herself, one that follows in the political film traditions of a certain school of filmmaking constitutive of Third Cinema and African filmmaking, including films made by women, and various modes of contemporary filmmaking. Meanwhile, she produces something remarkably idiosyncratic because of the way she navigates a path between all of the various movements, aesthetics, ideologies and different sets of industrial conditions.
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The Female Gaze in South African Film: Katinka Heyns and Contemporary Women Filmmakers Anna-Marie Jansen van Vuuren Film Programme, Department of Visual Communication, Faculty of Arts and Design, Tshwane University of Technology
ABSTRACT In South Africa, a country with one of the oldest cinema industries in the world, the first woman-directed film would only appear in 1962. Since 2011, more than thirty South African-produced features have been released yearly at local cinemas. Usually less than three of these features are directed by women. Some years none of the features have women directors. Yet, since the seventies, director Katinka Heyns has made her mark with critical and commercial success within this male-dominated industry. Within this chapter, I discuss Heyns’ representation of women within some of her notable film and television titles. I also mention the women crew that she collaborated with. Heyns influenced many South African women directors who featured strong women as protagonists in their feature films. To conclude this chapter, I focus on three of them who acknowledge Heyns’ influence on their careers. Meg Rickards, Hanneke Schutte and René van Rooyen are all thematically preoccupied with women’s narratives. In their character-driven stories there are clear women’s gazes in terms of performance, cinematography, and production design. Like Heyns, Schutte and Van Rooyen use magical realism elements in their stories. Through their oeuvre, one could argue that they in turn will inspire future women directors in the South African film industry.
INTRODUCTION In 1997, American poet and civil rights activist Maya Angelou handed the legendary “Crystal Award for Women in Film and Television” to South African director Katinka Heyns. In the following year, Heyns’ feature Paljas was South Africa’s first ever entry to the foreign language category of the Oscars. Heyns was the first woman to be recognized in the National Film and Video Foundation (NFVF)’s Hall of Fame. With these honours, Heyns broke a lance
for a woman in a male-dominated local film industry that replicated the foreign industry in terms of gender-power relations1. In a country with one of the oldest cinema industries in the world2, it is shocking that the first woman-directed film would only appear in 1962, namely Truida Pohl’s Man in die Donker. During the history of South African cinema, only a few female directors managed to make features: Diana Ginsberg, Anna Neethling-Pohl, Marie du Toit, Louise Smit, Elaine Proctor, Helena Noguiera, Jean Stew, Stefanie Scholt, Amanda Lane, Meg Rickards, Claire Angelique, Minky Schlesinger, Jann Turner, Sara Bletcher and only since the mid-1990s have black female directors been able to break into the industry, for example Jayan Moodley, Rayda Jacobs, Joyti Mistry, Palesa Nkosi, Xoliswa Sithole and Shamim Sharif3”. At the time of writing, only a few names can be added to the list, namely Roberta Durrant, Nomiso Dumisa, Carey McKenzie, Karen van Schalkwyk, Hanneke Schutte and René van Rooyen. Since 2011, more than thirty South African-produced features are released yearly at local cinemas. Usually less than three of these features are directed by women, some years none of the features have women directors. Lesley Marx observes that: While Helena Nogueira and Elaine Proctor immediately come to mind as risk-taking directors who have tried to challenge the masculine domain of filmmaking… it is fair to say that only Katinka Heyns has managed to make her mark, with some degree of critical and commercial success, in a country that does not treat its own [female] filmmakers with much enthusiasm and that, to an alarming degree, privileges Hollywood over local production4. Born in 1947, Katinka Heyns grew up in a middleclass Afrikaans family in South Africa. Though her father Wilhelm was a promising scientist, corporate politics renegaded him to a small outpost close to Kempton Park5. Her
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MARX Lesley, “Katinka Heyns: Questioning Afrikaans Culture”, in J. Levitin, J. Plessis and V. Raoul (dir.), Women Filmmakers: Refocusing. Routledge, London, 2003, p. 331. 2 Scholars set the advent of the South African film industry as during the Anglo-Boer War of 1899–1902, when the first cinematographers filmed newsreels of battles and even staged their own propaganda films. 3 BOTHA Martin P., “The Cinema of Katinka Heyns”, Kinema: a Journal for Film and Audiovisual Media, Spring 2015. 4 MARX, 2003, op. cit., p. 341. 5 Wilhelm Heyns served the Allied Forces during World War II. In the 1940s many South Africans were sympathetic to Germany, firstly because the country assisted the Boers during the Anglo-Boer War and secondly, many South Africans had family members in South West Africa (then a German colony). Thus Heyns’ father was deemed “problematic” or “politically incorrect” by his employer, De Beers.
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mother, Katie, was a teacher. According to Heyns, she had two grandmothers and a father who were storytellers. Her father was so convincing that as a child Heyns collected hairpins for fictional mermaids6. During primary school he sent her for speech lessons in order to improve her English. Her then drama teacher Noëlle du Toit encouraged Heyns to apply for a scholarship to attend a public high school for girls in Pretoria (Afrikaanse Hoër Meisieskool), because of its strong arts and culture-focus. Being surrounded by women in her adolescent years would set the table for the thematic preoccupations of her stories in later years. After high school, Heyns registered for a Bachelor’s degree in Drama at the University of Pretoria7. At the time, she did not aspire to be an actress but thought it looked more interesting than the other options. She loved children and hoped to use the degree as a springboard to work with them8. It was at the university where Heyns would meet one of her earliest mentors, Truida Louw.
HEYNS’ MENTORS TRUIDA LOUW Truida Louw (née Pohl) began her career as a journalist at two widely read South African magazines before her husband’s career took them to the Netherlands in 19509. Upon their return to South Africa in 1959 (and three years after the introduction of the state-subsidy system), Louw created the company Trio Films with Aletta Gericke and Renee van der Walt. Under the Trio Films banner, Louw produced and directed two features, the noir thriller Man in die Donker (Man in the Dark, 1962) and the comedy Huis op Horings (House on Horns, 1963)10. Louw is recognised as being the first woman to direct a theatrically released feature film in the country and within the strong Calvinistic patriarchal society, it was quite a feat. With Man in die Donker, Louw transcended the conventional “point and shoot”-style of cinematography by using the camera as narrator and exploring the contrast between light and darkness as a stylistic device. The shadows serve as antagonist, with the unsuspecting audience fearing what is lurking in
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BARNARD Simon, Katinka, Cape Town, kykNET, 2018. The first dedicated film degree in South Africa (mainly aimed at training technicians) was established in 1971 at the Kollege vir Gevorderde Hoër Onderwys (later becoming Technikon Pretoria and now known as Tshwane University of Technology). The film department is a full member of CILECT and boast of many award-winning alumni. 8 HEYNS Katinka, Personal interview with the author in Stellenbosch, March 2017. 9 Louw was married to the Afrikaans poet and intellectual N. P. van Wyk Louw. 10 In both these films, Louw was credited under her maiden name, Truida Pohl. 7
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the darkness11. At a time when South African cinema focused “on entertainment value rather than on provocative experimentation with filmic form and content12”, Man in die Donker was a bold exception. Heyns adds, “Truida Louw was fearless. She was incredibly intelligent and worked very instinctively, using all her senses13”. She acknowledges that subconsciously Louw paved the way for other South African women directors. Yet after the release of Louw’s second feature the country’s subsidy system changed and put more emphasis on films being commercial products that need to follow market trends14. In 1964, the South African Board of Trade and Industry stated in their report, The Monopolistic Conditions in the Procurement, Production and Distribution of Motion Pictures in the Republic of South Africa that to sustain the industry filmmakers had to create products that would be popular in foreign markets, like the USA and Asia15. This did not bode well for the women of Trio Films who were more interested in experimenting with the film medium than generating box-office income. This is probably why Louw did not direct more films16. A decade passed before a woman would direct a South African feature film again, namely Anna Neethling-Pohl with Afspraak in die Kalahari (Appointment in the Kalahari, 1973). Heyns and Louw’s paths crossed while Heyns was a student and Louw a lecturer at the University’s drama department. Heyns credits Louw with introducing her to the infinite possibilities of the film medium. “She mentored us by showing us films, films and more films.” The 1957 Russian film The cranes are flying by Mikhail Kalatozov is one that Heyns still recollects to this day, “The unique performances as well as the exceptional cinematography was so different to the style we had gotten used to in the ever-popular romances, westerns and action films17”. When Heyns began directing for television in the seventies, Louw still informally advised her in terms of artistic choices. In an iconic moment in Heyns’ film Fiela se Kind (Fiela’s child, 1988), the character Benjamin shouts
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VAN NIEROP Leon, Daar doer in die fliek: ʼn Persoonlike blik op die geskiedenis van die Afrikaanse rolprent, Pretoria, Protea, 2016, p. 132. 12 MARX, 2003, op. cit., p. 330. 13 Most of the interviews were conducted in the Afrikaans language and translated into English for this chapter. 14 This followed a survey by the Board of Trade and Industry that highlighted the difficulty experienced by South African producers to distribute their films in a market where exhibitors favoured imported foreign films. 15 S.A. Film Weekly, Volume 2, nᵒ 8, 1964. 16 LOUW L. and LOUW KEMP R., Reflecting on Truida Pohl-Louw, 2019, Unpublished research. 17 HEYNES Katinka, Telephone interview with the author, 6 October 2019.
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to Nina: “Ek is Fiela se Kind!” (I am Fiela’s Child!). This was Louw’s suggestion, as she told Heyns that the name of the famous novel should feature at least once in the film18.
Katinka Heyns and Simon Barnard who portrays young Benjamin
Although Heyns was influenced by Louw, their approach to directing differ. Louw preferred using beautiful actors, while Heyns favoured strong performances over looks. Reflecting on this, Heyns explains that “beautiful” is a relative term. She might have gained this perception of “subjective beauty” from Rautenbach, who was frequently criticised for casting so-called ugly actors, especially for Afrikaans characters. Heyns argues that Rautenbach used actors who represented and looked like real people. With her 1998 film Paljas (Magical clown, 1998), Heyns rejected producer Anant Singh’s suggestion to cast either an American like Meryl Streep or a conventional South African beauty like Sandra Prinsloo as the female lead. By opting to cast Aletta Bezuidenhout and by filming her with minimal makeup, Heyns achieved “a moving portrayal of a disillusioned, hard-working, spiritually drained woman whose strong-boned face takes on a kind of majesty, associated, paradoxically, with the tough sensuality of the [Karoo] landscape that has helped drain her19”.
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MATTHEE Dalene, Fiela Se Kind, Cape Town, Tafelberg, 1985. MARX, 2003, op. cit., p. 334.
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JANS RAUTENBACH Heyns’ career began in the late 1960s when the fragmented South African industry boasted one of the largest cinema-going populations in the world, yet the films produced were influenced either by Hollywood, corporate business interests or the apartheid government through its national subsidy system20. As such, “films about Afrikaners were encouraged to represent the culture and community in its most idealized form: morally pure women and upright men21”. Filmmakers were reluctant to “work towards ideological emancipation and to investigate their own unique society22”. Notable exceptions to the rule included Jans Rautenbach, Emil Nofal, Ross Devenish and David Bensusan. These auteur directors questioned the dominant myths and “cracks in apartheid ideology” through narrative, performance, camera direction, art design, sound and editing23. On Rautenbach24, Tomaselli states that “like [Jean] Vigo [he] used his camera as a weapon, not as an anaesthetic25”, and Van Zyl agrees that in his time he was “the only director in South Africa with enough integrity to make HIS film, not the film the public wants26”. Hence Heyns benefited from Rautenbach’s mentorship as well as other contemporary artists. She came of age amidst a group of groundbreaking Afrikaans writers called Die Sestigers27 “who were by no means complacent or supportive of the status quo28”. After graduating, the Cape Performing Arts Board (CAPAB or KRUIK) employed Heyns as a theatre performer. Fellow CAPAB actor Cobus 20
MAINGARD Jacqueline, South African National Cinema, Oxon UK, Routledge, 2007. MARX, 2003, op. cit., p. 340. 22 TOMASELLI Keyan G., The South-African Film industry, Johannesburg, African Studies Institute, 1979, p. 3. 23 BOTHA, 2015, op. cit., p. 57. 24 Rautenbach grew up in a poor mining household. After studying theology on a scholarship for three years, he moved to Bloemfontein and worked as a clerk. He studied criminology parttime before moving to Pretoria to take up a position as a criminologist at the Central Jail. In 1963, he resigned to pursue a career in the film industry with Jamie Uys films. He soon left to join producer Emil Nofal’s new company. Nofal was born to ethnic Lebanese parents and often classified as “non-white” in the then South Africa. See Botha, 2015, op. cit., p. 59. 25 TOMASELLI, 1979, op. cit., p. 46. 26 In 1965, South-African director Elmo de Witt established a plot formula with his film Debbie that appeared in innumerable permutations: “a simple innocent daughter of the earth is seduced by a villainous urban Afrikaner”. This became the blueprint for what Afrikaan audiences came to expect from their films. See TOMASELLI, 1979, op. cit., p. 11. According to Botha, the use of obsolete symbols and often-stereotypical portrayals led to a “misconception about who and what the Afrikaner was”. See BOTHA, 2015, op. cit., p. 77. 27 The “Sixties Generation” included writers such as André Brink, Breyten Breytenbach and Chris Barnard who contested the dominant system through formal experimentation and the provocation of their subject matter. 28 MARX, 2003, op. cit., p. 331. 21
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Rossouw starred in Rautenbach’s controversial film Die Kandidaat (The candidate, 1968) and subsequently introduced Heyns to him. Rossouw suggested Heyns for a minor role in Rautenbach’s new film Katrina (1969). Based on the stage play Try for White29, it tells the story of a “coloured”30 woman who pretends to be white in segregated South Africa31. Heyns was reluctant to audition for a screen role, because she did not consider herself the “beauty queen”-type that audiences preferred. However, Rossouw convinced her to trust Rautenbach and after a nerve-wrecking audition, she got the part. They even compromised that Heyns would not wear a swimming costume, although one of her most important scenes takes place on the beach. In Katrina (1969), Heyns portrays the small but important role of Alida Brink, a white woman unaware that her fiancé was born into a coloured family. As she was still on contract with CAPAB, Heyns performed in the theatre at night, and rehearsed and filmed with Rautenbach during the day. Despite this routine, Heyns managed to avoid the exaggerated “overacting” theatrical style in her performance of Alida. Following on thematic questions he posed a year prior in his film Die Kandidaat, with Katrina Rautenbach aptly revealed the governing Nationalist Party’s obsession with race, Calvinistic morality and patriarchal control, “which manifested itself in all forms of cultural expression32”. Though raising thought-provoking and controversial questions, Rautenbach mainly cast white actors as coloured characters. According to him, this was to prevent the film from being banned outright, and thus negating the potential to address local audiences. While receiving death threats from the far right, Rautenbach enlisted the help from prominent journalists to battle the censors who wanted to make extensive cuts. In the end, it was released with minor edits33.
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Try for White, was a very popular play written in the late 1950s by Basil Warner, but it was never formally published until 2003 by the South-African Theater Journal. 30 “Coloured” is a contested racial term, often used with the prefix “so-called” to indicate its problematic nature. The “coloured” people of South Africa “are usually described as being of mixed race, including descendants of the indigenous Khoisan, Dutch and English settlers, Black Africans, and the Javanese, Malay and Indian slaves”. The term is not accepted by all traditionally categorised in that racial designation, with some choosing to identify as “Khoisan”, “bruin” (brown) or “black”. See BOSCH Tanja, “Online coloured identities: A virtual ethnography”, in Adrian HADLAND et al. (dir.), Power, Politics and Identity in South African Media, Cape Town, HSRC Press, 2008, p. 184. 31 Heyns continues Rautenbach’s examination of cultural identity in Fiela se Kind (1987) and Paljas (1998). 32 MARX, 2003, op. cit., p. 30. 33 BOTHA Martin P., Jans Rautenbach: dromer, baanbreker en auteur, Parklands, Genugtig!, 2006.
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In the psychological thriller Jannie Totsiens (Jannie Goodbye, 1970), Rautenbach allegorizes Afrikanerdom to be like a madhouse. Heyns portrays Linda, a character who lives in a mental institution because she is like a child stuck in a grown-up’s body. Critics hailed Heyns’ portrayal of the naïve and innocent Linda. KOOS ROETS It was on the set of Jannie Totsiens that Heyns met her first husband, cinematographer Koos Roets34. His cinematography is praised as a strong contributing factor to making the film “an avant-garde masterpiece35”. Heyns explains that it was Roets who first taught her about cinematography. During their first date he used the salt and pepper shakers at candlelight to explain the role of the camera and atmospheric lighting in film production. Metaphorically, Heyns explains that Roets ignited the flame for cinema within her, and then gave her the candle. “Roets is an excellent teacher. Maybe because he comes from a family of teachers36”. Roets again served as Rautenbach’s cinematographer on Pappa Lap (Daddy dearest, 1971). After Jannie Totsiens Rautenbach took Heyns under his wing37 and tasked her with finding a premise for his next film. Coming from the prestigious Afrikaans girls’ school, Heyns still remembered the traumatic experience of her “matric” dance38, where she could not compete with the daughters of rich businessmen and ministers, especially in terms of her dress, which she did not particularly like. Rautenbach liked her idea and collaborated with Heyns in writing a type of Cinderella story that thematically represented the class divisions among Afrikaners, especially those who were termed “bywoners”39. With Pappa Lap, Heyns became involved in all aspects of production, from script editing and continuity to working with the production designer Wendy Malan on props and costumes. Rautenbach used a neo-
34 Roets did not have a formal film education but learned on the job from cinematographer Judex Viljoen and David Mashilo (from the camera department at Jamie Uys Films). 35 TOMASELLI Keyan G., The cinema of apartheid: race and class in South African film, London, Routledge, 1989, p. 129. 36 HEYNS, 2019, op. cit. 37 Tomaselli explains that the South African Film and Television Technicians Association (SAFTTA) was formed in 1974, with no women members at the time. “Until the early 1970s the South African industry was fragmented, its component sectors isolated from each other with little interaction at any level”. See TOMASELLI, 1979, op. cit., p. 56. 38 “Matric” is the name of the last year of high school in South Africa. The formal matric farewell is like prom, with only the matric students attending the dance. 39 “Bywoners” was the derogatory name for the marginalized group of poor Afrikaners who did not own their own property, and instead worked on other people’s farms in exchange for board and lodging.
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realistic directing style and encouraging his actors to be more natural. In terms of lighting Heyns witnessed Roets’s technical talent first-hand. In certain scenes, Roets used candles as the only light source to create a distinctive moody feel. Pappa Lap was set in the desert-like landscape of the Karoo where Heyns would also decades later film Paljas. In the next two years Heyns would star as leading lady in two of the films where Roets was the director, namely Die Sersant en die Tigermoth (The Sergeant and the Tigermoth, 1973) and Babbelkous en Bruidegom (Chatterbox and groom, 1974). The last film that Heyns would act in for Rautenbach was 1975’s Eendag op ʼn Reëndag (On a rainy day, 1975). While adapting a successful radio serial, Rautenbach created the character of Hester (Sussie) Botha especially for her40. Roets was again the cinematographer and Rautenbach’s right hand-man. For this performance, Heyns received recognition through the industry’s Rapport Oscar.
Babbelkous en Bruidegom - Katinka Heyns behind the camera. Surrounded from left to right by: Tobie Cronje, Koos Roets, George Ballot and Marko van der Colff. Photo Credit: Permission by MNET.
With Roets’ encouragement, Heyns bid farewell to her partnership with Rautenbach and they created their own company, Sonneblom Films. Apart from still occasionally acting in drama series and made for television movies, Heyns focused her attention on making documentaries and dubbing series for the South African Broadcasting Corporation (SABC). According to Heyns, the latter served as a type of informal film education, as she studied “the cream
40 Heyns tells this story in the documentary Katinka (2018). The documentary was made by her son Simon Barnard, in recognition of an award given to Heyns by the Afrikaans satellite channel kykNET, in honour of her contribution to the Afrikaans Film and TV industry.
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of the crop” in terms of foreign films and drama series whilst being the dubbing director. She notes that especially the Scandinavian and Russian productions made a profound impression on her. After acting in her last television production, Willem, her co-star Tobie Cronjé and Roets suggested that she direct her own television series. With the series ʼn Rand ʼn Droom (A coin per dream, 1977) Heyns made her debut as director. Emil Nofal was behind the story idea and author P. G. du Plessis (1934-2017) wrote the screenplay. As she portrayed one of the series’ leading roles, Heyns was reliant on Roets as technical director and he took most of the decisions in terms of cinematography style and lighting. They continued this partnership with the series TJ 7 in 1978. This time Heyns decided to use her experience of disciplined theatre practice and she choreographed all the actors’ movements similar to blocking a stage play. In retrospect, Heyns fondly remembers how Roets had to do whatever was necessary to shoot: “Whether he used a handheld camera or a tripod, Koos had to keep up with me and the actors”. With the release of the series, the English press referred to Heyns being the “Woody Allen of South Africa”, but according to her it can be attributed to the fact that she refused to let Roets cut between takes. “I choreographed it in such a way that we did not have to cut before the end of a scene. I suspect that was what made my style look like Allen’s for that specific series”41.
COMING INTO HER OWN AS A DIRECTOR FIELA SE KIND (FIELA’S CHILD, 1988) Heyns co-produced her feature debut Fiela se Kind (1988) with Edgar Bold. She collaborated with many women crewmembers, such as the assistant director Lieza Louw, production designer Birrie le Roux, costume designer Diana Cilliers, and editor Avril Beukes. As Roets was filming another production, James Robb was the cinematographer. It is based on Dalene Matthee’s internationally acclaimed South African novel. Though Matthee wrote the first drafts of the screenplay, in the end she permitted Heyns’ then husband, award-winning playwright and author Chris Barnard to complete the task. Set between 1874 and 1886, the narrative centres on the white boy Benjamin, who is taken from the only mother he has ever known, the coloured woman, Fiela Komoetie. A magistrate rules that Benjamin is actually the missing son of a poor-white family of woodcutters, the Van Rooyens. Already set up to be improbable at the beginning of the story, at the
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HEYNS, 2019, op. cit.
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end it is revealed to be a lie. Where Benjamin was loved and well-provided for in the Komoetie home, he is now at the mercy of a draconian father, Elias, and a mother, Barta who “is cowed into silence for much of the film42”. Hence, Heyns questions the nuclear family, which would become a recurring theme in her work. Critics agree that Fiela se Kind, whilst set in the period before apartheid was formally legislated, exposes the racist roots of the policy where the British “colonial rulers claim the right to make life splintering decisions based on race43”. Yet Heyns emphasises that she did not make it to preach about apartheid. Instead, she told story of a boy, later a man, and his struggle in returning to his mother. As the character, Fiela Komoetie comments: “God may forgive us for many sins, but not for those we commit against a child”. The film’s editor, Avril Beukes, argues that although Heyns might not have set out to make a film about race and power relations, she did. “Thinking back to that time period in South Africa, just imagine the impact it had on the white, Afrikaans community. The realities of the country had been hidden from them for decades. They were deliberately shielded from the majority of their fellow black South Africans. And suddenly there is this book, and then this film that shakes them and forces them to step into the shoes of a woman who is being torn apart by policies that still very much existed in 198844”. Beukes, now an editor in Los Angeles, for (amongst others) Ava DuVernay, says she still employs the many skills and life lessons she learnt from Heyns up to this day. In casting actress Shaleen Surtie-Richards as Fiela, Heyns fulfilled a promise that she made to Rautenbach years prior – that she would never cast a white actor in a coloured character’s role. Surtie-Richards won the AA Life/M-Net Vita Film award for her portrayal of Fiela, the woman who stood up against oppression in a white dominated patriarchal society. In the real world, SurtieRichards45 fought her own battles against oppression and said that she would only attend the première at the Upington cinema in the Northern Cape if the wall that separates the white and coloured audiences in the segregated cinema be broken down. Because of the film’s popularity, cinema owners agreed, and the cast and crew regarded this as a personal victory for the film.
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MARX, 2003, op. cit., p. 336. BOTHA, Martin P., South African Cinema 1896-2010, Intellect, Bristol, 2012, p. 139. 44 BEUKES Avril, E-mail correspondence with the author, 14 October 2019. 45 Surtie-Richards became a household name in the first South African “serial” or soapie, Egoli. More than 20 years later, she reprised her role as Fiela in a stage adaptation of Matthee’s novel. In the 2019 remake of the film Fiela se Kind, director Brett Michael Innes would cast theatre actress Zenobia Kloppers in Fiela’s role. 43
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DIE STORIE VAN KLARA (1991) Similar to Fiela, Heyns’ next film, Die Storie van Klara Viljee (1991), was a hit with critics and audiences alike. Heyns produced the film and enlisted long-time collaborator Roets, editor Ronelle Loots and composer Sue Grealy. Chris Barnard wrote an original screenplay for the film, based on an idea by Dalene Matthee. When orphan Klara’s fiancé drowns, she decides that the ocean robbed her of those closest to her, and thus henceforth she would deny the sea’s presence by building a house on the landward side of a dune. The leading actress, Anna-Mart van der Merwe, comments that the early nineties were the formative years of her career, and that she was surprised that Heyns allowed her to contribute to the storytelling process. “She watched me closely in order to understand me as a person. Through understanding me, she in turn helped me to represent the character truthfully46” (2018). Thus, she compares Heyns to a “grande voyeur” in a positive sense. “Katinka looks at a person and attempts to understand them from a childlike magical curiosity”. Van der Merwe compares her to a seamstress who works intuitively while giving attention to detail. “Often she begins her directing process at a place that seems unclear or unmotivated to you as an actor. But then you must just follow her blindly, because like a seamstress who delicately embroiders a piece of fabric stitch by stich – all will be revealed when you see the end project and realise what she had been planning all along47”. At a key point of the film, Klara realises that her fiancé only pretended to drown in order to abandon her. She makes peace with the sea and decides to remove the dune in front of her cottage by using only a plough and a donkey. This almost impossible task is “a strong metaphor for Klara’s embracing her life after her denial of reality”. Botha argues that, the film is a profound feminist statement and a challenge to all women to emancipate themselves from patriarchy48. PALJAS (1998) Paljas (Magic clown, 1998) was the first Afrikaans film of note to be made in a democratic South Africa. Anant Singh, the heavyweight producer behind films like Sarafina! (Darrell Roodt, 1992) and Cry, the Beloved Country (Darrell Roodt, 1995) was the producer. Heyns surrounded herself with many of her previous collaborators, such as Koos Roets (cinematographer), Avril Beukes (editor), Birrie le Roux (production designer), Diana Cilliers (costume 46
VAN DER MERWE Anna-Marie, Interview with Simon Barnard for the documentary Katinka. Unpublished recording, 2018. 47 Ibid. 48 BOTHA, 2012, op. cit., p. 142.
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designer), Sue Grealy (composer) as well as new allies like Genevieve Hofmeyr (co-producer). The financiers wanted her to make the film in English, but Heyns refused, feeling that it would shatter the story’s authenticity. Barnard wrote an original screenplay using an Afrikaans family, the McDonalds, as his protagonists. The father and patriarch, Hendrik McDonald (Marius Weyers) is the stationmaster of the railway in the small Karoo town, Toorwater (magical water) during the 1960s – “a time when poverty amongst Afrikaners was a reality49”. Hendrik has an estranged relationship with his wife, Katrien (Aletta Bezuidenhout), and their children, Emma and Willem. All four are lonely, but they have become so separated from one another that they cannot reconnect. Heyns emphasizes this loneliness by depicting the characters staring out of windows, as if the windows and the house are keeping them hostage. With his camera, Roets captures the characters’ isolation against the backdrop of the honest harshness of the semi-desert Karoo landscape50. Scholars compare the McDonald family’s disconnectedness with the outside to the perceived detachment of the Afrikaner from the rest of South Africa, especially after the transition to black majority rule in 199451. Then a clown Manuel arrives with a travelling circus and befriends Willem, who suffers from selective mutism. Manuel and Willem paint each other’s faces, dress up in clown costumes and play concertinas on the deserted dirt road. Through this therapy, Willem finally manages to say his first word, “speel” (play) and even the rest of the family discovers joy within themselves again. While the story is set in a vast and majestic landscape, it is within the small moments that Heyns captures the essence of human relationships: Manuel drawing a smile on Willem’s face, Katrien putting on lipstick for the first time in years, and Hendrik wiping a tear from his face. Through the clown’s transformative powers, Heyns employs magical realism to depict a message of hope to her viewers. Though Paljas hit a box office hurdle by being released on the same weekend as James Cameron’s Titanic, it soon touched audiences and was selected as South Africa’s first ever entry into the foreign language category of the Academy Awards.
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BOTHA, 2015, op. cit. JANSEN VAN VUUREN Anna-Marie and VERSTER Wanda, “From rural naïveté to urban discontent: Framing postapartheid South African film identities”, Journal of African Cinemas, vol. 10, nᵒ 1-2, 2018, p. 111-129. 51 TOMASELLI Keyan G., Encountering Modernity: Twentieth-Century South African Cinemas, Rozenberg-Unisa Press, Pretoria, 2006, p. 144. 50
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FEAST OF THE UNINVITED (2008) In the many films and drama series set against the backdrop of the South African Anglo-Boer War (1899-1902) women were mainly cast in supporting roles, with the dominant narratives centering on the battle between the British empire and the two Boer republics. With the strong Van Wyk women driving the plot of the series Feast of the Uninvited, Heyns veered away from this trend and instead opted to illustrate the women’s traumatic experiences of the war. In the first few episodes of the series, the Boer Daantjie van Wyk (Neil Sandilands) is set up as a tragic anti-hero. Despite boasting beforehand about the number of enemy soldiers he intended to shoot, when the battle broke out, he was paralysed with fear. His black servant Soldaat (Maurice Carpede) had to drag him out of the enemy firing line. After being resented for his “cowardice”, he fakes his own death and goes into hiding as a vagabond. One night he returns to the Van Wyk farmstead to steal food and supplies. Hiding behind a sack, he passes his wife/“widow” Magrieta’s bedroom. He enters like a thief and instead of revealing his identity to her, puts a pillow on her face and rapes her. Soon after this incident, British soldiers burn down the farm and take the women, children and servants to concentration camps. When the rape episode was broadcasted, it ignited controversy amongst Afrikaans audiences who could not identify with one of their “heroic” ancestors, a Boer, being a rapist. In the last episode the black domestic worker Siena (Tina Mnumzana) returns to the farm after being held at a black concentration camp. She tells her employer and confidante Martie van Wyk that the soldiers and camp wardens demanded sexual favours in exchange for food. An emotional Siena tells Martie, “I was too hungry to say no”. With these few words, we are given a brief glance into Siena’s suffering, but are left to imagine the other traumas that might have befallen her during her absence of the story. According to Heyns, she was disappointed by the process of making the series. Originally, she agreed with Du Plessis that it would focus on the women’s physical and emotional plight. However, when the commercial broadcaster MNET commissioned the series in English, Du Plessis invented the narrator as a device that would explain to the viewer why these Afrikaans characters were speaking English. Throughout the series, the narrator (Cobus Rossouw) would break the third and fourth wall by speaking to both the characters as well as the audience. Heyns disagreed with this, as she felt that the presence of a male narrator would take the agency from the women “living” their own story. However, Du Plessis refused to change his mind and the broadcaster supported him.
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There was also friction about the rape scene. Du Plessis preferred to only hint at the rape and wanted to avoid showing it on screen52. Heyns, on her part, felt that the severity of rape could not only be alluded to. The viewer had to feel moral disgust for the character’s deplorable actions. Consequently, Heyns and Roets devised a strategy to “horror-fy” the rape, giving the viewer a sense of Magrieta’s pain and humiliation without having a voyeuristic portrayal of the carnal act on screen. Before going to bed, Magrieta blows out the candle and thus extinguishes the only light source in the room. Daantjie enters in the darkness and climbs on top of Magrieta. Through experimenting with shallow focus, Roets created a grainy effect. The viewer might have difficulty in distinguishing certain shapes on screen, but you are subconsciously primed as if you are watching a horror film, with the rapist being the monster53. In 2013, Heyns dubbed the series in Afrikaans for the pay channel kykNET. Through editing she removed all the scenes featuring the narrator. Yet despite many creative victories, she still describes it as one of her most difficult projects in terms of budget, extreme weather conditions, and even the farmhouse location almost burning down after an accidental fire. DIE WONDERWERKER (2012) With Die Wonderwerker (The Miracle Worker, 2012) Heyns and screenwriter Chris Barnard uses melodrama to portray a snapshot from the life of poet and scientist Eugène Marais during his brief stay with the Van Rooyen family in the Waterberg54. They teamed up with producer André Scholtz, cinematographer Koos Roets, and editor Ronelle Loots. The film is told from the point of view of the orphan Jane Bradshaw (Anneke Weideman) whose voice-over begins and bookends the story. The Van Rooyens are mesmerised by Marais and his ability to heal through hypnoses. Despite most reviewers labelling Die Wonderwerker as a tale about Marais, it is his interaction with women (most notably Jane and Maria van Rooyen) that serves as the story’s driving force. Marais is not foregrounded but is rather distanced through Jane’s voice-over or through being the object
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This seems reminiscent of the historic report by Klasie Havenga documenting many of the actual rapes that took place during the war. It was embargoed until 1982. 53 JANSEN VAN VUUREN Anna-Marie, “Penetrating Trauma: Representing Rape in the Historical Drama Series Feast of the Uninvited”, Communicatio. South African Journal for Communication Theory and Research, vol. 44, nᵒ 4, 2018, op. cit., p. 73–87. 54 Marais was also the focus of Ross Devenish’s 1977 film, The Guest, that uses realist and allegorical modes “to dramatize and illuminate themes of alienation, oppression, suffering, despair and sometimes a hard-won, if temporary and provisional, hope”. Marx, 2014, p. 250. The latter is also a theme explored in Paljas.
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of women characters’ intrigued conversation55. The film does deal with Marais’s addiction to morphine, but still I interpret Jane to be the protagonist undergoing the greatest change. Therefore, even in her filmic portrayal of a well-known South African man, Heyns finds a lens to represent women. DIE REBELLIE VAN LAFRAS VERWEY (2017) Heyns produced the feature, Die Rebellie van Lafras Verwey (Lafras Verwey’s rebellion, 2017) with Genevieve Hofmeyr. Her son, Simon Barnard, directed and adapted the screenplay from Chris Barnard’s 1975 radio drama with cinematography by Willie Nel and editing by Avril Beukes. Barnard completed the screenplay shortly before his father passed away. It was initially difficult for Heyns to step back and let her son fulfil his role as director, but in the end, she concedes to have learnt from him. “He is similar to his father. Chris’ brain worked slowly, like a watch, whereas I get excited quickly, especially when the adrenalin kicks in. But Simon’s screenplay moved me in the same manner that his father’s ones did56”.
THEMATIC CONCERNS, AND HEYNS AS AUTEUR A WOMAN’S GAZE Botha describes Heyns as an auteur director, defining auteurism to usually involve a singular vision and a recurring set of themes in the director’s oeuvre57. He uses the term “collaborative authorship” because of the significant contributions made by Chris Barnard and Koos Roets to Heyns’ work. It is precisely because of her collaboration with these two men that she is hesitant to define herself as a feminist. “It might be disingenuous to label me a feminist when I strongly leaned on Chris and Koos to realise my vision”. Yet with most of her work Heyns encourages us to gaze through a woman’s eyes, like Fiela se Kind, Die Storie van Klara Viljee, Paljas, Feast of the Uninvited and Die Wonderwerker and where the plight of the characters often diverts our attention away from the men who might have appeared to be the heroes of the story. Actors Dawid Minnaar and Anna-Mart van der Merwe attribute Heyns’ success as a director and storyteller to her ability to tap into a character’s inner world. “She understands the emotional toll a role has on a performer, and
55 MARX Lesley, “‘How much does anyone need to know about Eugène Marais?’ The Guest and Die Wonderwerker”, South African Theatre Journal, vol. 27, nᵒ 3, 2014, p. 257. 56 OPPERMAN A. J., “Lafras Verwey: Seun laat Chris Barnard voortleef”, http://netwerk24.com/Vermaak/Flieks/lafras-verwey-seun-laat-chris-barnard-voortleef20170310, (accessed 23 March 2017). 57 BOTHA, 2015, op. cit.
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therefore she cherishes and supports them during the gruelling journey58”. Editor Avril Beukes directed many “behind the scenes”-featurettes of Heyns’ productions and often observed her on set. “When watching an actor perform, she would mouth the words along with them. She knew how the character would behave, feel and be. I don’t think an actor could ask more from a director59”. MAGICAL REALISM AND THE FAMILY Magical realism is a distinguishing factor in Heyns’ work and her own guardian angel, “Jemima”, has guided providence to smile on her while making most of her productions. While Heyns thematically illustrates the disintegration of the family, at the end of her films she restores harmony and demonstrates the positive impact of a strong family bond on the individual. The clown’s “magic” heals the dysfunctional family in the aptly named film Paljas, while Marais “magically” transforms Jane and her broom into dance partners in Die Wonderwerker. Marais’s framing in the latter speaks to Heyns’ “attraction to the qualities of song in Marais’s poems as well as his interest in the paranormal, his affection for children – and fairies60”. Marx identifies the same elements in terms of Nina’s character Nina in Fiela se Kind, “a kind of wood nymph of the Knysna Forest with her musical bottles”, and of Klara Viljee she notes that there is a tentative play on fables when the character moves the sand dune and dances on the beach. Because Africa is a space filled with historical traumas transferred by generations, Heyns’ focus on healing, restoration and transformation in her narratives is a welcome one. THE ROLE OF LANDSCAPES Heyns often uses rural landscapes as the harsh setting plays a role in the characters’ identities and motivations. Heyns explores “loneliness” and “isolation” in Paljas whilst filming in the actual town called Toorwater, close to where they filmed Pappa Lap. Thus, Heyns’ relationship with the landscape has a connection to personal memory, as it has with many Afrikaners, especially of her generation. In the small-town setting of Die storie van Klara Viljee, Roets “does wonders with South African light in his hauntingly beautiful pastoral images of the coastal milieu61”.
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VAN DER MERWE, 2018, op. cit. BEUKES, 2019, op. cit. 60 MARX, 2014, op. cit., p. 256. 61 BOTHA, 2015, op. cit. 59
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With Fiela se Kind, Heyns visually pays tribute to Matthee’s magical relationship with nature (which is evident in all Matthee’s novels). James Robb’s cinematography, accompanied by the haunting bagpipes that formed part of Johnny Boshoff’s score, offers a complex tribute to the diverse South African landscape: from the plains of the Langekloof-valley to the forest called “Komse-bos” and the ocean surrounding Knysna62. The landscape lends itself to Heyns’ on-screen fairy tale: of a hero (Benjamin) or heroine (Fiela) overcoming obstacles and being reunited in the end.
CONTEMPORARY SOUTH AFRICAN WOMEN DIRECTORS Heyns influenced many contemporary South African women directors who used strong Afrikaans women as protagonists in their feature films. In this section I focus on Meg Rickards, Hanneke Schutte and René van Rooyen, because they have acknowledged Heyns’ influence on their work in terms of performance, cinematography and production design. All three of the directors discussed have written the screenplays of their feature films. MEG RICKARDS Meg Rickards remembers watching Fiela se Kind when she was in high school, and Paljas as a young adult. She explains that although Heyns did not consciously influence her directing style, she recalls “being glad to know that there was a successful female director out there in Katinka Heyns 63”. Rickards is a director, producer and documentary maker. She studied fine arts and literature at the University of Cape Town, before winning a Commonwealth scholarship for the London Film School where she completed the film Azure (2002). She developed two projects at the Binger Film Lab in Amsterdam and worked in continuity before writing and directing the television drama Land of Thirst (2008). Rickards’ award-winning documentary feature, 1994: The Bloody Miracle (2014) influenced her feature film Tess, because she decided with cinematographer Bert Haitsma to give Tess a documentarylike style. Tess (2017), based on Tracey Farren’s novel Whiplash64 introduces us to a young sex worker in Cape Town. Throughout the narrative, we discover that she was sexually molested as a child. It is a strong character-driven story with the viewer gaining empathy with Tess, especially when she falls pregnant after
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BOTHA, 2012, op. cit., p. 140. RICKARDS Meg, E-mail correspondence with the author, 29 May 2019. 64 Re-published in 2017 as Tess with a cover featuring a photograph of the film. 63
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being raped. Rickards explains that she felt a kind of kinship with her main character, and she wanted the audience to have the same subjective experience. Therefore, Haitsma used a hand-held camera and tracking shots behind or next to the character to put the viewer in her shoes. Similar to the “horror”fying rape scene in Feast of the Uninvited, Rickards uses cinematography and the soundscape to capture “the beautiful nightmare” that Tess experiences in Muizenberg’s underbelly. During the rape we hear the diegetic sound of the wind coupled with the non-diegetic recording of a train chugging by, echoing Tess’s childhood abuse in a railway house. Rickards also uses the landscape and space optimally as part of her storytelling process: At the beginning of the film, we frequently see shots of Tess’ empty apartment and as an allegory for Tess’s bleak existence. Then subtly the space fills as the character finds her voice. Tess won numerous awards at the Durban International Film Festival and leading lady Christia Visser walked away with the best actress award at the Silwerskermfees. Since it features strong themes of abuse and exploitation of women, Rickards included many women in her cast and crew. This included the Danish editor Linda Man and the actors like Lee-Ann van Rooi and Quenita Adams, who bring insight to their characters. Rickards states that she does not mind working with them as long as they are sensitive to the material. “It is important to have a balance between men and women on set; therefore, I want to see more women fulfil key roles in what has been a male-dominated industry”. HANNEKE SCHUTTE Hanneke Schutte began her career in the advertising industry, before taking a screenwriting course at Wits University. In 2013, she won the South African leg of the Los Angeles-based Jameson First Shot competition with her short film Saving Norman starring William “Willem” Dafoe. Her comedy Jimmy in Pink (2013) was chosen as the best feature film at the Beloit International Film Festival. Schutte explains that her advertising background influenced her to direct instinctively. Despite a lack of formal training, her next feature Meerkat Maantuig (Meerkat Moon Craft, 2018) was selected for fourteen international film festivals. Schutte ascribes this success to being open to collaboration and never being hesitant to ask advice from experienced filmmakers. Schutte explains that, in a country where historically women directors were scarce, Heyns has been a huge inspiration. “Her strong, complex female characters, eye for detail and beautiful cinematography have influenced my work on many levels. Her films and series have a distinguishable personality – they look and feel different. Later on, I was able to value her female gaze. With
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this gaze she offered us insight into her characters’ interior journeys. Most importantly – she never shies away from bold choices65”. Schutte used her own female gaze and unique visual stylisation in Meerkat Maantuig. Whilst loosely based on Riana Scheepers’ novel Blinde Sambok, Schutte brought her own vision to the story and changed many of the plot elements. The teenager, Gideonette de la Rey (Anchen du Plessis) fears dying at a young age, because all her family members with the name “Gideon de la Rey” died in freak accidents. After her father’s sudden death, her mother sends Gideonette to her grandparents in the Magoebaskloof/Modjadjikloof-forest, in the hope that the magical setting will help her overcome her fear. Schutte explains that as a child she was prone to the same fear that Gideonette struggles with. Being able to identify with the character helped her in creating a threedimensional character arc. “I wanted her to be both light and dark and have real teenager complexities. She can be kind and generous, but also selfish and withdrawn66”. These binary oppositions are reflected in light and dark contrasts within the lighting, cinematography-style, and the editing grade. As a thematic play on fear vs. freedom, Schutte and cinematographer Willie Nel explored close-up claustrophobic shots in contrast to the wide shots of the forest and its open landscapes. Meerkat Maantuig could also be read as an allegory of a woman’s struggle to find her voice and succeed in the art world: “in a sense, Hanneke embodies that and perhaps unfairly is an example for other female creatives to follow67”. Schutte explains that it is tough as a woman to get a film made. “Fortunately, I have been able to work with incredible producers who trusted my vision for the story68”. Most of Schutte’s crew consisted of women, including assistant director Candice Smith, art director Jacqueline Lotz, costume designer Mary-Sue Morris and assistant editor Miriam Arndt. Because of the female-driven narrative, it was incredibly important to her to have a woman composer and sound designer. “Claire Vandeleur created a delicate and intuitive score that perfectly captured Gideonette’s emotional journey. I love working with women as they bring different energies and perspectives to a film69”.
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SCHUTTE Hanneke, E-mail correspondence with the author, 16 June 2019. Ibid. 67 VERGOTINE Benito, “The Honest Truth about a Film Called Meerkat Maantuig”, Smile 90.4, March 20, 2018, https://smile904.fm/the-honest-truth-about-a-film-called-meerkat-maantuig/ (accessed 20 June 2019). 68 SCHUTTE, 2019, op. cit. 69 Ibid. 66
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RENÉ VAN ROOYEN René van Rooyen completed a Bachelor’s Degree in Marketing at Stellenbosch University before studying directing at the Cape Town branch of AFDA, The School for the Creative Economy70. Thereafter she volunteered as the assistant for Oscar-winning director Marleen Gorris on her feature Heaven and Earth (2012). According to Van Rooyen, she gained invaluable experience from shadowing Gorris: from auditioning actors to sticking to a budget. In the next couple of years, Van Rooyen entered numerous short film competitions while working as a commercial and television insert director. In 2012, her short film Nantes won Best Short and Best Short Film Director at the Silwerskermfees in Camps Bay, South Africa. Nantes is an aesthetically beautiful film about the grief-stricken 27-year-old Danelle who returns to her family home in the Cape Winelands. Danelle is magically transported back in time – to 1951. The characters she meets in the past challenges her to decide on her future. In 2014, Van Rooyen made Pathology (2014), a dystopian short film where one woman, Eliza, attempts to find a cure for a life- threatening and highly contagious virus. In the same year she collaborated with her husband (writer/director) Corné van Rooyen as co-writer and associate producer on his first feature Hollywood in my Huis (Hollywood in my house)71. It was a creative, modern revisioning of the Cinderella tale with a South African twist, and somewhat of an ode to Rautenbach and Heyns’ Pappa Lap. In 2015, Van Rooyen made her debut as feature film director with Mooirivier, a multiplot romantic comedy72. Van Rooyen took seven years to adapt Dalene Matthee’s novel Toorbos (Magical forest, 2020) for the screen73. Toorbos is a magical and symbolic period drama set in the Knysna forest (like Matthee’s Fiela se Kind). The narrative progressively follows the free-spirited Karoliena, who is coaxed into marriage and thereafter has to navigate the realities of progress and the oppression of the 1930s. Van Rooyen uses Karoliena to explore femininity through fragility and power, a theme underpinned by Heyns. Van Rooyen explains the relevance of Heyns on her career: “Culturally we are privileged as Afrikaans women to have strong identities combined with the self-confidence to find our voice in the cultural industry, because histori-
70 AFDA is a monopoly of film schools with branches in Johannesburg, Cape Town, Port Elizabeth and Durban. 71 In 2016, she collaborated with her husband again in co-writing and co-producing the film Vaselinetjie. 72 The producers asked Van Rooyen to write and direct Mooirivier based on a concept they had. 73 MATTHEE Dalene, Toorbos, Cape Town, Tafelberg, 2003.
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cally we have strong dynamic women (poets, painters and politicians) to admire”. Van Rooyen, distantly related to Truida Louw, was raised with the knowledge of these predecessors and the belief that she could achieve the same. “As a young girl with dreams of filmmaking, I appreciated Heyns without giving a thought to her male counterparts. I assumed, at least in Afrikaans, that unconventional directing was a woman’s role”. Van Rooyen also draws inspiration from Jane Campion. Still she emphasises that she has her own identity and directing style. “I do however have great respect for Katinka’s honest approach to her characters coupled with a sensitivity in directing actors. Similarly, I believe in doing extensive research before stepping onto location74”. With Toorbos, Van Rooyen’s crew consisted of many women, like cinematographer Sunel Haasbroek, art director Merishen Kruger, first assistant director Maricia Pieterse, Sulet Meintjies and Marne van der Burgh-Blaau on wardrobe, and Marie van Wyk as continuity. Yet she emphasises that she would never select a crew based on gender. I determine who would be the best fit for the crew by looking at who is creatively closest aligned to my vision. Coincidently, with Toorbos the crew ended up being 50/50 in terms of men and women. Van Rooyen does identify as a feminist director, still, she challenges the so-called “victimhood” attitude that she feels many women in the film industry have. “It is difficult to get your first break as a feature film director, whether you are a man or a woman. That's just the way the business works. You constantly need to convince and prove to the decision makers why you’re worthy, especially as a young director75”.
CONCLUSION At the time of writing, Katinka Heyns has directed thirteen feature films, numerous television dramas and documentaries. In the seventies and eighties, she dubbed most of the series broadcast in Afrikaans for the SABC. Thus, “her successful productivity sets her apart from other women directors in the country76”. Heyns manages to make aesthetic art films with women-centred themes that are commercially successful in a territory where most box-office hits are either from Hollywood or local products that follow the Hollywood formula.
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VAN ROOYEN René, E-mail correspondence with the author, 17 July 2019. Ibid. 76 MARX, 2003, op. cit., p. 331. 75
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Heyns deserves a place in cinema history “in a context in which African film studies continues to be marginalized within the global academy77”.
ACKNOWLEDGEMENTS I am indebted to Keyan Tomaselli for his mentorship during my postdoctoral fellowship at the University of Johannesburg. I acknowledge the assistance of Katinka Heyns, Simon Barnard, Lieza Louw and Eunice Visser. Lastly, a word of thanks to the Silwerskermfees, as many of the interviews were conducted during the film festival.
77 DOVEY Lindiwe, “Towards Alternative Histories and Herstories of African Filmmaking”, in Harrow Kenneth & Garritano Carmela (dir.), A companion to African Cinema, Hoboken NJ and Chichester UK, John Wiley & Sons-Blackwell, 2019, p. 469.
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Nujoom Alghanem: Filming in the United Arab Emirates Alejandra Val Cubero Universidad Carlos III de Madrid
ABSTRACT Nujoom Alghanem began filming in the United Arab Emirates at the end of the 1990s. Raised by her grandparents in a traditional neighborhood in Dubai, she was a pioneer in the field of journalism and documentary filmmaking, although she considers herself as an artist and a poet. Alghanem started her university studies in the UAE but such an education system did not suit her intellectual needs. She went on to obtain degrees from Ohio University in the United States and Griffith University in Australia. Back in the Emirates, she began filming many of the stories she had encountered as a journalist, with a nostalgic and anthropological approach: Between Two Banks (1999) about the last rower of Dubai´s creek; Al Mureed (2008) a film about Sheikh Abdul Raheem Almureed, one of the country's most important Sufis in the region; an old healer living in a small village in Sharjah portraited in Hamama (2010); Nearby Sky (2014) about the first woman in the UAE who dared to take part in a camel beauty contest; or Sounds of the Sea (2015) which tells the story of a fishing community of Um Al Quwain. Her last documentary about nature/old traditions/rural spaces is Honey, Rain and Dust (2016) where three beekeepers tried to survive in the mountains of Al Hajar al Gharbi. As a humanist, Nujoom Alghanem has also directed documentaries about artists: Amal (2011), portraying a Syrian actress; Red, Blue, Yellow (2013) about the painter Najat Makki and Sharp Tools (2017) about her friend Hassan Sharif. Alghanem’s career is unique in a context like the UAE. She has been a pioneer in the field of journalism and is a pioneer in the UAE audiovisual field, where it is unusual to find directors with more than two feature films or documentaries.
INTRODUCTION The United Arab Emirates is a small country with an area of 83,600 km2, sharing borders with Saudi Arabia and the Sultanate of Oman1. It has a desert climate and is composed of seven emirates: Abu Dhabi, Dubai, Sharjah,
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This research was supported by FEDER (Fondo Europeo de Desarollo Regional). Ministry of Science, Innovation and Universities in Spain. Project CSO2017-85290-P.
Ajman, Umm al-Quwain, Ras al-Khaimah and Fujairah. The United Arab Emirates (UAE) was founded in 1971 and currently has a population of approximately 9.5 million2. International expatriates make up more than eighty percent of the total population, although no official data is available. The Emiratis, most of whom are Sunni Muslims, are a minority within their country. The Emirates began its economic and social transformation in the 1960s, when the first oil fields were discovered and the first schools, hospitals and roads were built. The history of UAE cinema is recent - it’s no more than 30 years old. Ali Al Abdul's Abr Sabeel (1989) is considered the country's first feature film, although it was never released in commercial theatres. During the 1950s, the British settled in the area known as the Trucial States where they began filming documentaries. These documentaries were funded mainly by the oil companies like British Petroleum, and they focused on the harshness of life in the desert and the changes brought about in the Middle East after the discovery of the reserves of “black gold”. The first documentary These Are Trucial States (1958) that broached such issues, is archived at the Imperial War Museum in London3. Ten years later the documentary Farewell Arabia (1968) directed by Randal Beattie described this area from a clearly colonialist point of view encompassing the early years of Sheikh Zayed, leader and ruler of the United Arab Emirates4. However, it was only at the beginning of the twenty-first century that the UAE film scene began to change and Emirati filmmakers began their work. The year 2001 saw the genesis of the Emirati Film Competition. Ali Al Jabri, the future director of the Abu Dhabi Film Festival, together with Masoud Amralla Al Ali, the future director of the Dubai International Film Festival, created a three-day event and screened fifty-eight UAE shorts. Three years later, the Dubai International Film Festival (DIFF) opened5. Documentaries by Nujoom Alghanem were screened for the first time in both the Abu Dhabi Film Festival (2009-2015) and the Dubai International Film Festival (20062017). These festivals were, until their closure, very important places for the promotion of Arab cinema in general and for Emirati cinema in particular. They funded and distributed numerous Emirati films which gave rise to a 2
World Bank, World Development Indicators database (2018). https://cutt.ly/RhbZEW, (retrieved September 10, 2020). 3 REISZ Tood, “Landscapes of Production: Filming Dubai and the Trucial States”, Journal of Urban History, nº 44, vol. 2, 2017, p. 1–20. 4 The documentary is based on the book Farewell Arabia, written by the journalist David Holden in 1966. HOLDEN David, Farewell Arabia, London, Faber and Faber, 1966. 5 The Middle East International Film Festival was renamed Abu Dhabi Film Festival (ADFF) in 2009. Another festival emerging almost at the same time was The Gulf Film Festival in Dubai, running from 2008 to 2014.
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small generation of filmmakers in the last ten years, filmmakers who share certain similar characteristics: most of them are male, no older than forty years old, have been trained mainly in England and the United States, and try to make films for large popular audiences (action, adventure, horror movies). Among them, the most outstanding directors are Ali F. Mostafa and his movies City of Life (2009), From A to B (2014) and the thriller The Worthy (2016); Nawaf Al-Janahi’s The Circle (2009) and See Shadows (2011); Majid Al Ansari with Zinzana (2015) and his TV series’ Paranormal (2020); Ahmed Zain´s Grandmother’s Farm I and II (2013-2015); Hamed Saleh´s Our Argentinian Maid (2018); Mohammed Saeed Harib´s Rashid & Rajab (2019); and Tariq Alkazim who has made three movies in the past four years: Tale of Shadows (2017), the thriller Until Midnight (2018) and A Tale of Shadows: illusions (2020). Beyond all these feature films, I will highlight three others: Only Men go to the Grave (2016) by Abdulla Khalifa Al Kaabi (1986), which deals with taboo subjects (sexuality, lesbianism...), Humaid Al Suwaidi´s Abdullah (2015) about a young man from a conservative family with a passion for music and Musk (2019) about divorce and family ties. Until now only one woman, Nayla Al Khaja, has made a feature film: The Shadow (2019), a horror film based on a real-life experience of her young relative, whose family thought he was possessed. But still the United Arab Emirates is a country for short movies: Amal Al-Agroobi who made four shorts Half Emirati (2012) about having one Emirati parent – usually the father – and one foreign mother – most commonly from India, the Philippines or the Arab world. Following the success of this first short, she made The Brain That Sings (2013), Under the Hat (2016) and Vanish in Smoke (2019). Other examples of Emirati women filmmakers are Shakti Bhagchandani who has so far only made the short film How to make a bomb in the kitchen of your mom (2018) but she lives and works in the USA; the Somali-born but raised and educated in the UAE Hana Mire who made a documentary Rajada Dalka (2017) about Somalia´s women national basketball team, and the producer Hana Makki who co-directed the documentary As One: The Autism Project (2014), and produced several documentaries like Unlocking Doors of Cinema (2019) and a TV feature documentary exploring the life and work of Syrian Filmmaker Muhammad Malas Back to the Wild (2018). In this context we can conclude that there are still not a lot of filmmakers in the UAE, and Nujoom Alghahem among all of them has had a long career as a filmmaker, video artist, but also journalist and poet.
LIFE AND WORK OF NUJOOM ALGHANEM: FROM POETRY TO THE IMAGE Nujoom Alghanem was born in 1962 in Dubai. During her childhood she was able to see how the Emirates and particularly Dubai was undergoing an 179
unprecedented urban change. It had gone from a city with hardly any roads, tourists or shopping centers to the cosmopolitan, dynamic, futuristic and controversial city that it is today. Nujoom Alghanem's grandparents lived in Bur Dubai, a traditional seaside district, and from the roof of their house, the young woman spent hours watching the traditional boats or dhows that sailed slowly towards the saltwater creek. Her childhood was spent in the home of her maternal grandparents. Her parents decided that she should live with her grandparents “because I was born after three boys and I don´t think my father took it very well … even though after my birth three other girls were born! However, this feeling of rejection, which has always been with me, was in the end good. In my grandparents' house there were not only many more books, but I grew up with my aunts, a painter and a teacher, who had a decisive influence on my life and worried about my education6”. The Emirates was and still is a conservative country in terms of gender relations. Emirati women, at least on paper, have the same rights as men and the same access to education, employment and social benefits7. However, The Personal Status Law, which is based on Sharia law and governs matters such as marriage and divorce, severely discriminates against women 8. Alghanem, despite living in this traditional context, was lucky to be surrounded by her grandparents and aunts, all of whom focused on the world of art, which opened new intellectual and emotional windows for the filmmaker; she probably enjoyed a certain freedom that she would not have had in her father's house. Very early Nujoom was interested in Arabic literature and later in the novels that her aunts brought home. She attended the first edition of the
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ALGHANEM Nujoom, Interview with the author, June 2019. See the page devoted to “Women’s rights in the UEA” on the official website of the State. https://u.ae/en/about-the-uae/human-rights-in-the-uae/women-rights-in-the-uae (retrieved November 8, 2020). 8 This law obliges women to have a male guardian and they cannot drive or work without his consent, which violates their right to freedom of movement guaranteed by Article 29 of the UAE constitution. The last Personal Status Law dates from 2005. It gives the husband the right to the “willful obedience” of his wife, and it is his right that his wife should look after the house and raise his children. An example of being disobedient is a woman working in a job without her husband’s consent. Furthermore, as women are only physical guardians to their children, they only have a right to custody until their children turn 13 and 11, for girls and boys respectively. Sharia law allows men to marry up to four women, and men hold the unilateral right to divorce. If an Emirati woman wants to marry a foreign man, she must obtain a license, or otherwise risks losing her citizenship. Men, on the other hand, are free to marry foreign women and are able to transfer Emirati nationality to their wives. Furthermore, nationality can only be passed on to children by the father. The International Campaign for Freedom in the United Arab Emirates (ICFUAE): http://icfuae.org.uk/issues/women’s-rights-uae (retrieved November 15, 2019). 7
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International Book Fair in the city of Sharjah in 1982, which would become one of the most important cultural events in the Middle East. Poetry was her passion from a very early age and at the same time that she started reading the Emirati poets Nujoom Ousha bint Khalifa Al Suwaidi, Salma bint Almajidi bin Dhaher, Sheikha Sana'a bint Mana Al Maktoum and Juma Bin Hindi Al Muhair, she began to write her first verses. “These Arab poets paved the way for poetry for the rest of us”, she said in an interview9. Alghanem started writing Nabati poetry or classical poetry and a couple of years later switched to a more avant-garde form. Nabati poetry is a fundamental pillar in the identity and tribal values of the Arabian Peninsula10. It is poetry that deals with important themes for Bedouin culture such as the desert, love, loss, the sea, or exile, which Alghanem will obsessively reflect upon again and again in her documentaries. From poetry she went on to journalism, never forgetting the former, and took her first steps as a journalist in Al Ittihad at the age of twenty-one11. At that time there were no women working as journalists in the UAE or at least no one as young as she was12. This profession led her to travel through a country undergoing profound social change and from there she collected topics for her poems, articles and documentaries. Her family didn´t allow her to work as a journalist in Al Ittihad, a newspaper founded in 1982, whose headquarters were in Abu Dhabi, more than a hundred kilometers from where Alghanem lived but then they changed their mind. As she pointed out in an interview, “It was strange for my family to see me working. My father objected at the beginning but then he was a great supporter. My mother was not happy at all but then she started to see my name in the newspaper and relaxed. She also began to see other women working13”.
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KHALAF Hala, “Emirati Women’s Day: Interview with poet and filmmaker Nujoom Al Ghanem”, The National, August 24, 2016. https://www.thenational.ae/arts-culture/emiratiwomen-s-day-interview-with-poet-and-filmmaker-nujoom-al-ghanem-1.154580 (retrieved December 20, 2019). 10 After several years spent experimenting with tradition, Nujoom Alghahem embarked on a freer style at the end of the seventies and began to publish her first verses in the eighties: Masa’a Al Jannah (The Night of Heaven) in 1989. In 1991 Al Jarair (The Consequences), Rawahel (Journeyings) in 1996; Manazel Al Jilnaar (Homes of Pomegranate Blossoms) in 2000; La Wasf Lima Ana Feeh (No Describing what I am) in 2005; Malaikat Al Ashwaaq Al Baeeda (Angels of Distant Longing) in 2008; Heavy Night on the Night in 2010 and I Fall into Myself in 2012. 11 The title means “The Union”, it is still one of the most widely read daily newspapers in the UAE. 12 ALGHANEM Nujoom, op. cit. 13 KENNEDY Philippa, “The Dream Builder”, The National, August 16, 2009. https://www.thenational.ae/arts-culture/the-dream-builder-1.519779 (retrieved August 20, 2019). Even today there are still few Emirati women working in the private sector.
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After several years of full-time work, her boss and editor at Al Ittihad encouraged her to continue her education because having a bachelor's degree was the only way for her to get a better salary. Alghanem had dreamed of studying abroad, which did not please her parents. She thought about going to London to study art, but then she opted for the United States and a friend helped her with all the paperwork to register. She was finally accepted and “it was this same friend who phoned my house to say that I had been selected, but when my father heard the news he became furious and my dream of going abroad evaporated14”. Her parents decided that if she wanted to study her only option was Al Ain University, the oldest public university in the Emirates, founded in 1976 and only for women. Alghanem left university shortly thereafter: “I felt like a prisoner of campus life. We lived in a residence and we were not able to go out, I was the only one who had worked, I had my car, my freedom also, and neither outside nor inside the classrooms did I find intellectual stimuli15”. After leaving university she continued her work as a journalist and began to participate in different literary and artistic gatherings attended by Emirati intellectuals such as the painter Hassan Sharif, to whom years later she dedicated one of her documentaries. At that time, she met the poet, historian and writer Khalid Albudoor who became her husband and her main support. Alghanem emphasizes that her marriage to him was for love, and it was not arranged by either of the families16. After several years of marriage and three young daughters, Alghanem received a scholarship from the UAE government and the family settled in the United States at Ohio University where she completed a degree in Communication in 1996. Alghanem continued with a master's degree in film production at Griffith University in Australia where she graduated in 1999. After having lived abroad for more than six years, the family decided to return to the Emirates and Alghanem became head of the cultural department at Al Ittihad. Her ever-growing passion for cinema compelled her to give up her job as a journalist in 2006 and devote herself entirely to film.
Women fill 66 % of public positions generally because these positions offer flexible hours, better salaries, benefits and conditions. Women’s rights in the UAE (2019). https://www.government.ae/en/about-the-uae/human-rights-in-the-uae/women-rights-in-the-uaem, (retrieved November 1, 2019). At the same time, government jobs are perceived as socially appropriate, as they are jobs only for Emiratis. 14 Op. cit. 15 Ibid. 16 Arranged marriages remain the general rule in most Emirati families where the family seeks a husband or a wife belonging to the same clan or tribe. However, more educated women and higher divorce rates have made “love marriages” more and more common.
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DOCUMENTARIES: A NOSTALGIC LOOK AT THE PAST The return to the Emirates was difficult; on the one hand she did not want her daughters to grow up abroad and not speak Arabic, but on the other hand, Alghanem – who now mastered English, a language she did not speak when she arrived in the United States – could see very different worlds and different ways of creating opening up to her. And while working as a journalist and raising three daughters, she wrote her first script and started shooting at a time when there were no film directors in the Emirates, and no film by a woman17. She was a pioneer in the field of journalism, and she would likewise become a pioneer in the United Arab Emirates film landscape.
Illustration: Nujoom Alghanem
Her first documentary Between Two Banks (1999) was funded by Abu Dhabi Cultural Foundation. Alghanem drew upon ideas she had kept in her memory during her years as a journalist and became interested in characters who had somehow lived between two worlds, unique witnesses to the transformation process of the Emirates18. Between Two Banks portrays Khamees Marzouq, the last rower of the creek, a natural estuary that flows about ten kilometers inland, which the ancients called the Zara River and that separates the two traditional neighborhoods of Deira and Bur Dubai. Khamees Marzouq went from one shore to the other when there were no motorboats, carrying goods and passengers, every day of the year for fourteen hours a day, to earn the few rupees that fed him. Now sitting in the cove where he goes to every
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Her master’s thesis was her first short films Ice Cream and The Park, both made in 1997. Cultural Foundation in Abu Dhabi is an institution founded in 1981. It has given generous grants to writers, artists, filmmakers to develop Emirati art in the region. https://culturalfoundation.ae/ (retrieved July 15, 2019). 18
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morning, he remembers his childhood and youth, his marriage without children, his relationship with the sea, and the boat as home, companion, and sustenance: this “old boat has been my mother, my father and my children”, he reflects in the documentary. Life near the sea reappears in Sounds of the Sea (2015), which tells the story of a fishing community of Um Al Quwain, an emirate in the North of the country, the closest to Iran and one of the poorest, as there is no oil there. Humaid Al Shehi, leader of the folkloric society of Umm Al Quwain, insists that traditional songs linked to the sea not be forgotten, songs that are disappearing from collective consciousness because today fishermen are immigrants, generally from India, Pakistan, Sri Lanka or Bangladesh, whereas they were Emiratis in the past. Al Shehi, along with other former fishermen and friends, tries to reenact what will be the last crossing of his crew with his teacher Saif Alzibadi, one of the elders who knows more songs of the sea. Fishing in the Emirates was mainly related to the pearl industry that flourished in this region until the middle of the 20th century. “The Ghous Al Kabir” (The Big Dive) took place from June to September, the months when the temperature reaches fifty degrees centigrade, but the water is clearer and calmer. The fishing boats could carry about thirty passengers, mostly men of various ages, among whom were the owner of the boat (Nukhadh), the captain (Saldal) who knew where the oyster reserves were, the divers and those in charge of entertainment during the long months on the boat (Naham), who were normally those who also recited poetry. With the advent of artificial pearl cultivation from Japan, this type of fishing gradually disappeared.
Illustration: Posters for the documentary Between Two Banks and Hamama (2010)
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Between her first and her second documentary there was a silence of almost ten years due to the difficulties she had in finding funding, and to the complexity of bringing in a technical team from abroad. In 2008, she shot Al Mureed (2008), a film about Sheikh Abdul Raheem Almureed, one of the country's most important Sufi. With this documentary, Nujoom Alghahem became better known in the Emirates. Al Mureed won the prize for Best documentary from the Gulf at the Emirates Film Competition in Abu Dhabi, leading to a grant for the production of what would be her third feature documentary and one of the most appreciated by the public: Hamama (2010). In this documentary, Alghanem portrayed the life of an elderly woman who had learned natural healing techniques by observing her mother and then began treating patients with massage, herbs and cauterization. Hamama lived in a small village in Sharjah and despite being almost blind and hard of hearing, she spent her days preparing her food and milking cows and goats while attending to all those who came to her home in search of a cure for their ailments. Hamama knew the properties of plants only by her sense of smell and she could recognize a person's illness by touching their body. Hamama’s knowledge disappeared with her death in 2012, and such figures have ceased to exist in the Emirates, like most of the characters Alghanem portrays. The UAE population currently lives in urban areas, with little contact with the desert and even less with the countryside, as immigrants perform all manual tasks. The old woman, who spent her days listening to the Koran on the radio and drinking coffee, testified that she had never watched television and she slept on the sand while protesting the road they were building in front of her house. Hamama was independent, active, very stubborn, and the austerity in which she lived, transports us back to the culture of the Bedouins before the arrival of wealth from oil, wealth that has eroded a way of living and being. Hamama won the Special Jury Prize at the Dubai International Film Festival in 2010 and the Best Documentary Award at the Swedish Arab Film Festival in 2011. In Nearby Sky (2014), Nujoom Alghahem once again portrays a character who goes against the tide, telling the story of Fatima Ali Alhameli, the first UAE woman who dared to take part in a camel beauty festival despite the opposition of her community and even her children, because such fairs are exclusively for men. Fatima, born in the Liwa desert in Abu Dhabi, is illiterate, and has worked all her life in camel breeding, from which she obtains milk, meat and skin, which she then sells. Fatima is now a middle-aged woman who, aided by a young Sudanese man, grooms the best camels to win prizes. The documentary, funded by Enjaaz, Watani and the Abu Dhabi Music and Arts Foundation (ADMAF), was shown at numerous festivals in the area and in Asia and was widely reported upon in the press.
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Another documentary that revolves around the traditional life in the Emirates is Honey, Rain and Dust (2016), produced by Nahar Production and coproduced by Enjaaz and Sanad with the support of ADMAF19. The documentary begins with the text: “From ancient times in the northeast of the Emirates, beekeepers were dedicated to the care of hives and their bees, using traditional procedures. Some of them, especially women, continue to use these methods, while others have developed different techniques to increase production”. The first image shows an astonishingly starry sky; one of the beekeepers and a protagonist of the documentary, Ghareeb, the middle-aged father of seven sons and four daughters, points out that the star that shines brightest is Canoplus and everything is connected to it. In the following sequence, Aisha, an elderly woman, appears in front of the camera, recalling certain moments in her life: married at seventeen to her cousin, she is now a grandmother, although she feels anguished because her son Ali has left for London and she does not know if he will return. Aisha has been a beekeeper since she can remember and she is sad to think that the bees are disappearing from the mountains of Al Hajar al Gharbi. Both Aisha and Ghareeb mention that the care of the bees was taught to them by their father and to him by their grandfather and they are now teaching their children, although they do not think they will continue with this profession. Both carefully tend the acacias, a tree 5 to 12 meters high, with a thin trunk, which bears a small fruit from March to November and feeds the bees that then produce their honey in June. Both also complain that bees are being imported from outside that are much more voracious and that devour native bees. They reproach the growing use of insecticides and pesticides and the increasing construction throughout the area that lead to the progressive disappearance of the bees and their honey.
DOCUMENTING ARTISTS Nujoom Alghanem considers herself an artist: she writes, paints, takes photographs and makes films. Her studio in Al Safa, in Dubai, a few blocks from the Arabian Sea, is decorated with hundreds of portraits that she has painted in recent years, using different techniques and formats. In this space with large open windows, next to her house and with several tables full of books, papers and materials, she spends most of her time devising projects and meeting, with tea and some delicious dates, those interested in her work.
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Abu Dhabi Music and Art Foundation (ADMAF) is a non-profit cultural institution founded in 1996 to promote artists in the Middle East. http://admaf.org/the-foundation/, (retrieved July 15, 2019).
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Artists are another social group Nujoom Alghanem is very interested in. In Amal (2011), Alghanem followed in the footsteps of a middle-aged Syrian actress who arrived in Abu Dhabi months before the outbreak of war in her country. Her work in a children’s TV program does not keep her from experiencing the loneliness and melancholy of not knowing how her family is in Syria. The documentary tells us not only about external exile but also about the internal exile suffered by those who leave their country20. Alghanem empathizes with Amal; she is the only expatriate whom she has portrayed in her documentaries, the only foreigner who speaks to us of the uprooting and sadness that invade those who are forced to leave and must adapt to a new context. Two years later she filmed her most intimate documentary, Red, Blue, Yellow (2013) about the painter Najat Makki, a pioneer of the visual arts in the Emirates and one of the first artists to be awarded a government scholarship to go and study art at Cairo University of Fine Arts in the late 1980s. Born in 1956 into a middle-class family interested in the arts, she is seen in the first sequence touching a wall. Touch and sight are very important in this documentary. As a child, the painter spent her afternoons in the spice shop in the Dubai medina and at home she embroidered and painted with her sisters. Najat had a strong relationship with her mother, with whom she lived until her death, and it was the mother who refused several marriage proposals for her daughter in order to allow her to be free, because she understood, as the painter also mentions, that “my work as an artist was hardly compatible with family life”. Najat Makki lives alone in a small, humble house in a mostly Indian neighborhood and devotes all her energy to painting. The economic difficulties combined with the lack of space to store the pieces that are found in every single corner of the house are intensified when a water leak ruins the paintings stored in the bathroom. The artist highlights the importance of her family and the encouragement of her art teacher at the Khawla bint Alazwar Primary School that helped her develop her passion for art. Najat Makki and other friends founded The Emirates Fine Arts Society in 1980, an institution of mostly foreign-educated artists the aim of which was to meet and promote UAE art. At the end of the documentary, we discover that the painter is actually Nujoom Alghanem's aunt, the same one with whom she lived as a child. Both of them share a passion for art and freedom. Alghanem's most recent documentary, which received more international awards than any of her previous films, has been Sharp Tools (2017) about the artist and personal friend, Hassan Sharif (1951-2016). The documentary was
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This feature documentary was funded by ADMAF (https://admaf.org/).
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filmed when Hassan was very ill with cancer and shortly before he died21. Alghanem introduces her poems for the first time in her documentaries, giving rhythm to the whole work. The artist appears working in Al Barsha's studio in Dubai, sometimes alone, sometimes with his collaborators. His working materials are mainly those that we use in everyday life and that we sometimes discard, such as paper, cardboard or plastic. Hassan Sharif was a conceptual artist who worked with all media, ranging from drawing, painting, installation and performance. At the end of the 1970s, he obtained a scholarship from the Emirati Government to study at the Byam Shaw School of Arts in London, where he arrived in 1979. At the time, Sharif was already known in the Emirates for his acidic vignettes about the rapid industrialization of the Emirates. And when he returned to the UAE in the 1980s, he began to stage performances such as counting cars on a street or searching for the letter T on a page of a newspaper, seeking uselessness as a gesture, provocation as an action, in a country where the first universities had just opened, and where established art revolved around calligraphy. Hassan was one of the founders of the Emirates Fine Arts Society and the Art Atelier in the Youth Theater and Arts. He also founded The Flying House which promoted Emirati artists. Sharif was also the first UAE citizen to present his work at the Arab Museum of Modern Art in Doha, and he was selected for the Venice Biennale in 2009. Hassan, like Hamama, like Amal, like Nujoom herself, has strayed from the official paths and they are characters who have trod alternative courses generally untraveled, in a society that is still as conservative as the Emirates.
CONCLUSION The protagonists of Alghanem’s films share, despite their difference of class and age, several characteristics: they are all provocateurs, in a country where provocation is disapproved of. And especially the women protagonists of Alghanem’s documentaries, are women of strong character, who work and know what they want. All their protagonists are also artisans, they take time to do their work, and to do it well, whether it be fishing, taking care of camels, searching for medicinal plants, taking care of bees, painting or making a radio programme. They are characters who, to a greater or lesser extent, display a reticence regarding neoliberal modernization. In Hamama, the healer wants to continue sleeping outside in the sand, even though the family says she's too old for that,
21 Produced by Sharjah Art Foundation (http://www.sharjahart.org/), and Nahar Production (https://www.naharproductions.ae), with the support of ADMAF (http://admaf.org/the-foundation/).
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and she's enraged by the road they plan to build right in front of her house. In Honey, Rain & Dust, Aisha waits impatiently for the arrival of the rains while she sees how a group of cyclists, most of them young expatriates with expensive mountain bikes, cross a road where the bees are living: “but what are you going to do, that's the way we have to be - kind to those who come from outside”. Alghanem’s career is unique. She was a pioneer in the field of journalism, and she is a pioneer in the UAE audiovisual field, where it is unusual to find directors with more than two feature films or documentaries. Her boldness and will, her family support, her childhood experiences of being raised with her grandparents and aunts, living and studying abroad as the mother of three daughters, the support of her husband and friend, and the different scholarships and grants she obtained have all been key for Alghanem in the making of more than ten documentaries. And she is trying to continue in spite of difficulties. The Dubai Film Festival, which was one of the springboards for the promotion of her work, closed its doors in 2017 and is not expected to be held again. Public subsidies are disappearing, and due to the conflictual relations between the Emirates and Qatar, the former can´t apply for film subsidies from the Doha Film Institute, ranging from the support for screenwriting to the production or post-production of the works. On the other hand, there are no film schools in the Emirates, so it is difficult to find Emiratis with experience in the audiovisual field22. Most of the collaborators come from abroad and the post-production of their works is always done abroad. Her husband Khalid Albudoor has been one of her most loyal collaborators, with whom she founded Nahar Production, which has produced most of her documentaries. These documentaries have been screened thanks to the help from different public institutions, both the Abu Dhabi Music and Arts Foundation, Enjaaz and Sanad23.
22 New York University (Abu Dhabi) offers a Film and New Media major and Zayed University (Dubai & Abu Dhabi) a Bachelor in Communication & Media Sciences (Concentration in Media Production and Storytelling). 23 In 2008, the Government in Abu Dhabi launched Image Nation, a production company seeking to promote a local film industry. Hamama was the least time-consuming documentary because of the Al Mureed Award (2008). Her other documentaries took her more than five years to make, and she estimates that each one cost around one hundred and forty thousand dollars. Nujoom Alghahem's documentaries have won numerous awards Sharp Tools (2017) won ten regional and international awards. Honey, Rain and Dust (2016) and Nearby Sky (2014) won the Best Non-Fiction Prize at the Murh Features Competition at the Dubai International Film Festival (DIFF) and Best Documentary from the GCC Film Festival (2016, Abu Dhabi). Sound of the Sea (2014) won the Special Jury Prize at the Alexandria Mediterranean Countries Film Festival and Amal (2011), which won several awards including a Special Jury Prize from the Beirut International Film Festival. In addition, some of Alghanem’s other documentary films
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In recent years, Nujoom Alghanem has focused on the realization of video art pieces. At the 2018 Sharhaj Islamic Arts Festival, she made an installation together with the UAE artist Yusuf. This installation of great poetic beauty explores Islamic numerology in which certain letters correspond to certain numbers and the ninety-nine sacred names are recited. And recently her 26minute video installation Passages was chosen to represent the Emirates at the Venice Art Biennale in 2019. The piece is based on her poem “The Passerby Collects the Moonlight”, which Alghanem describes as a story of migration and exile from a psychological, physical and emotional point of view24. In the Emirates new filmmakers are appearing, albeit very timidly so, who are following the path of Nujoom Alghahem. One of these already mentioned in this paper is Nayla Al Khaja who recently shot the horror film The Shadow (2019), also made the short films Arabana (2006), Marra/Once (2008) Manal (2010) and Haywan/Animal (2016) advocating feminist perspectives on contemporary life in the Gulf25. Other short films focusing on cultural heritage are Lahjatna/Our Accent (2011) directed by Mariam Al Nuaimi, Al Kandourah (2010), directed by Maitha Al Haddad and Lamya Al Mualla and Nisf Emirati/ Half Emirati (2012) by Amal Al-Agroobi about Emirati people who have a foreign parent. However, it is in Saudi Arabia, a neighboring country, a historical ally and also one with a recent film history, where an interesting generation of women directors is appearing, from the award-winning Haifaa alMansour to Shahad Ameen and her first feature film Sayidat Al Bahr/Scales (2019) and Hanna Salef Alfassi and her short film Lollipop (2018). Although in the past five years the most important film festival in the area, the Dubai Film Festival (2004-2017), has shut down, other means to promote filmmaking in the Emirates have appeared: In 2019, the National Media Council (NMC) launched the National Program for Supporting Emirati Films and in 2020 Image Nation Abu Dhabi and New York University Abu Dhabi started the Arab Film Studio Young Filmmakers workshop for Emiratis between the ages of 16 to 18 to learn how to produce and direct short films26. Finally, The Sharjah Art Foundation launched the same year the third edition of the annual
include Hamama (2010), Between Two Banks (1999), and Al Mureed (2008), winner of the Best Documentary in the Gulf from the Abu Dhabi Film Festival. 24 ALGHANEM Nujoom, op. cit. 25 Nayla Al Khaja founded the Scene Film Club in Dubai (2007-present). http://new.thesceneclub.com/about/, and Butheina Kazim´s Cinema Akil (2014-present) is an alternative cinema on Alserkal Avenue. https://www.cinemaakil.com/ (retrieved August 28, 2019). 26 Image Nation Abu Dhabi is a media and entertainment company, producing local and international films. It creates films, TV series, documentaries, global productions for international markets and not only in the Gulf region Image Nation: https://imagenationabudhabi.com/. It has produced nine Emirati movies, and five Emirati TV shows.
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Sharjah Film Platform (SFP)27. In this context we hope that Nujoom Alghanem will continue making documentaries, writing poetry, painting and performing and become a mentor to the new generation of directors appearing in the Emirates, and therefore, in the Gulf. We will be there to witness it. FILMOGRAPHY Sharp Tools (2017) Feature Documentary. Honey, Rain, & Dust (2016) Feature Documentary. Nearby Sky (2014) Feature Documentary. Sounds of the sea (2014) Feature Documentary. Red Blue Yellow (2013) Feature Documentary. The Young Fighter (2013) Short Documentary. Amal (2011) Feature Documentary. Salma’s Dinner (2011) Short Fiction. Hamama (2010) Feature Documentary. Al Mureed (2008) Feature Documentary. Between Two Banks (1999) Short Documentary. The Park (1997) Short Fiction. Ice Cream (1997) Short Fiction
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Sharjah Film Platform was launched by the Sharjah Art Foundation in 2018 as a resource to support filmmaking in the UAE and the surrounding region. The SFP features a public program of talks, panel discussions and workshops that bring film experts from around the world to Sharjah, and premieres films supported by the Short Film Production Grant. The SFP furthers the foundation’s longstanding commitment to film programming and commission. http://sharjahart.org/sharjah-art-foundation/programme/sharjah-film-platform
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PARTIE III – ÉTATS DES LIEUX
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Courage, persévérance et solidarité : Les femmes cinéastes face aux obstacles d’une industrie à domination masculine en Turquie Hülya Uğur Tanrıöver et Gülsenem Gün Université de Galatasaray
ABSTRACT Comme dans beaucoup de pays, en Turquie aussi les femmes ont eu accès aux métiers du cinéma bien plus tardivement que les hommes, et leur place « derrière la caméra » reste très limitée pratiquement jusqu’aux années 2000. Notre recherche se situe dans la continuité d’un travail que nous avons réalisé en 2014 et qui dressait un bilan de la présence des réalisatrices du cinéma turc. Les conditions de production et de distribution de films qui se sont transformées en l’espace de ces dernières années rendant plus difficile la production cinématographique, mais aussi l’émergence d’un mouvement de femmes au sein même de ce secteur, nous ont poussées à réviser notre problématique de manière à y intégrer les stratégies de résistance, voire de survie des femmes cinéastes. Après une mise à jour des données quantitatives, nous avons interrogé et observé les cinéastes femmes par une méthode qualitative ethnographique (entretiens et observation par immersion dans des réseaux). Les résultats de ce travail nous montrent que c’est leur courage et leur volonté délibérée d’expression et de création qui poussent les femmes à affronter les nombreuses difficultés des industries de films. Et depuis 2018, celles-ci s’organisent au sein de différents réseaux informels, pour produire, se faire entendre et lutter ensemble contre la domination de la mentalité machiste dans ce secteur où règnent des réseaux d’influence à domination masculine. Cette présence plus affirmée des femmes dans le cinéma montre qu’il ne s’agit pas d’un simple changement dans la structure professionnelle mais bien d’une orientation, voire de revendication identitaire de genre.
INTRODUCTION Comme le précise Mulvey1, une des pionnières des théories féministes de films, les priorités politiques du protoféminisme ont, à juste titre, privilégié
1
MULVEY Laura, “Hollywood Cinema and Feminist Film Theory”, Iris, Revue de théorie de l’image et du son, nᵒ 26, automne 1998, p. 26.
les analyses sur les représentations des femmes dans les films et la construction de celles-ci dans un objectif voyeuriste, optant ainsi pour un « simplisme iconoclaste2 ». Or ce qui est plus difficile, c’est de dépasser cette étape de la polémique. C’est dans cet objectif que les recherches en études cinématographiques sur l’égalité de genre se sont orientées, notamment depuis le début des années 2000, vers de nouveaux objets. La présence et les conditions d’existence des femmes dans les industries de films est un des domaines les plus riches, d’autant que leur problématisation nécessite une approche interdisciplinaire et permet l’emprunt d’outils théoriques et méthodologiques des disciplines comme les études de genre et la sociologie du travail. Nous constatons la même tendance dans les milieux de recherche en Turquie, avec toutefois un peu plus de retard par rapport à ceux européens et américains. Ce retard s’explique surtout par les conditions difficiles qu’affrontent les chercheur.es en général, notamment dans les universités où le manque de budgets de recherche et les charges de travail excessives constituent les obstacles majeurs au développement d’études approfondies. Notre recherche dont nous partagerons les premiers résultats dans cet article, se situe dans la continuité d’un travail que nous avons réalisé en 20143 qui dressait un bilan quantitatif de la présence des réalisatrices du cinéma turc, tentait d’expliciter les facteurs ayant incité les femmes à rentrer de plus en plus nombreuses dans les industries de film et s’interrogeait sur les caractéristiques de leurs œuvres de manière à savoir si on peut les considérer comme « films de femmes ». Les conditions de production et de distribution de films qui se sont transformées en l’espace de ces quelques années rendant plus difficile la production cinématographique, mais aussi l’émergence d’un mouvement de femmes au sein même de ce secteur nous ont poussées à réviser notre problématique de manière à y intégrer les stratégies de résistance, voire de survie, que les réalisatrices turques ont développées, pour pouvoir continuer à produire. Cette nouvelle problématique nous a incitées à adopter une méthode qualitative ethnographique plus élaborée avec un travail sur le terrain incluant aux côtés des entretiens individuels et collectifs, l’observation participante par immersion notamment dans les réseaux informels de cinéastes femmes. Notre corpus était au départ limité aux réalisatrices ayant au moins un long métrage dans leur filmographie. Mais au fil des entretiens, nous avons constaté que les productrices de ces réalisatrices étaient aussi impliquées dans les problèmes vécus, et qu’elles étaient très actives dans la formation des organisations de
2 Mulvey déplorait alors que la recherche ait été limitée aux images (aux représentations) stéréotypées, invitant à les détruire pour les remplacer, ce qu'elle trouvait simpliste puisqu'il aurait plutôt fallu se demander comment elles étaient produites (par qui ?) et reçues. 3 UĞUR TANRIÖVER Hülya, “Women as Film Directors in Turkish Cinema”, European Journals of Women Studies, vol. 24, nᵒ 4, 2016, p. 1-15.
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lutte pour les droits des femmes dans le cinéma. Nous avons par conséquent inclus les productrices, dont certaines à titre de membres d’organisations, dans notre corpus. Dans le cadre des entretiens individuels et collectifs, et des réunions auxquelles nous avons participé (5 au total), 12 réalisatrices et 8 productrices ont été interviewées, et de nombreuses autres ont été observées. Le travail sur le terrain a été réalisé entre mai 2019 et mars 2020. Pour la partie introductive de la recherche où il est question de dresser un bilan quantitatif, nous avons continué le repérage des films réalisés par des femmes sur des sites spécialisés (boxoffice Turquie, IMDB et sites officiels des films distribués dans des salles). Il convient à ce point de préciser qu’en raison de l’importance des industries de films à l’heure actuelle, regroupant en son sein aussi bien la production de documentaires que celle des séries télévisées ou encore de courts métrages, nous avons dû limiter notre corpus. Les données chiffrées sont relatives aux longs métrages qui ont été distribués par le circuit classique et programmés dans des salles de cinéma. Par conséquent, les réalisatrices auxquelles nous nous référons sont celles qui ont au moins un long métrage sorti en salle dans leur filmographie.
RÉALISATRICES DU CINÉMA TURC : ÉTAT DES LIEUX Le premier film, Vatan ve Namik Kemal/La patrie et Namik Kemal remonte à 1951. Sa réalisatrice, Cahide Sonku, qui a été initialement actrice et n’a pas cessé cette carrière par la suite, est restée longtemps dans la mémoire collective du cinéma turc comme telle, et l’on attribuera pratiquement jusqu’aux années 2000, le titre de « première réalisatrice » à Bilge Olgaç, certainement en raison du grand nombre de films qu’elle a réalisés au cours de sa courte carrière4. Même cette perception nous montre que les données quantitatives sont importantes pour comprendre les raisons profondes de l’inégalité de genre, dans les industries de films comme ailleurs. C’est aussi ce que souligne Patricia White : « (L)es chiffres ne constituent peut-être pas le domaine le plus adéquat pour nous interroger sur le rôle des femmes au cinéma mais le problème de la parité la plus fondamentale leur attribue une fonction bien légitime pour commencer à réfléchir5 », d’autant que l’augmentation des films réalisés par des femmes ne peut être considérée comme une simple donnée quantitative, comme le rappelle Anneke Smelik : « D’innombrables films réalisés par
4
UĞUR TANRIÖVER Hülya, 2016, op. cit. WHITE Patricia, « The Last Days of Women’S Cinema », Camera Obscura 63, vol. 21, nᵒ 3, 2006, p. 145-151. 5
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des femmes depuis plusieurs années constituent la preuve du fait que les réalisatrices se constituent en sujets sociaux et historiques par différents moyens6. » Il est d’ailleurs significatif qu’il n’existe dans ce domaine aucune donnée officielle en Turquie. Comme l’observent notamment les économistes féministes, cette négligence est au fond « politique » et traduit l’inconscient collectif des institutions publiques qui ignorent les questions de genre. Par conséquent, ce sont les universitaires qui ont collecté et produit les données quantitatives sur la présence des réalisatrices au cinéma, sur leur filmographie et sur les films réalisés par les femmes à compter des années 2000, parallèlement au développement des études de genre et de travaux interdisciplinaires combinant celles-ci avec les études cinématographiques7. Les réalisatrices ont intégré tard les industries de films en Turquie, et elles ont eu une présence très limitée au début, un début qui s’étale pratiquement sur trois décennies8. Il est important de noter qu’il s’agit pourtant là d’une période fort glorieuse (1950-1980) des industries de films, de « l’âge d’or » du cinéma turc. On peut par conséquent dire que le cinéma turc n’était pas du tout accueillant pour les femmes, quelles qu’en soient les raisons aussi bien générales (la place et la condition des femmes dans la société turque) que particulières (l’organisation assez « artisanale » de ce secteur industriel) de cette exclusion9. Si l’on voit une légère croissance du nombre de réalisatrices dans les années 1990, et ce malgré la grande crise que traverse le cinéma turc, c’est surtout à partir des années 2000 (plus précisément de 2005, c’est-à-dire quelques années après ce que nous avons défini comme le « take off du cinéma turc »10) que les femmes commencent à faire plus nettement acte de présence dans différents métiers du cinéma comme la production, la réalisation, la direction photo, etc. Ainsi les réalisatrices commencent à être plus visibles et leurs films plus identifiés en raison aussi du développement parallèle du cinéma d’auteur au cours de ces années. En effet, le cinéma turc connaît depuis
6
SMELIK Anneke, Feminist Sinema ve Film Teorisi, İstanbul, Ve Ayna Çatladı, agorakitaplığı, 2008, p. 27 (la citation a été traduite par nous). 7 ÖZTÜRK Semire Ruken, Sinemanın Dişil Yüzü, Ankara, Om Yayınları, 2004 ; UĞUR TANRIÖVER, 2016, op. cit. 8 La croissance relative au cours de la décennie 1970-1979 est directement liée à la présence et à la productivité d’une réalisatrice qui a produit un nombre important de films, dont des films très populaires de genre : Bilge Olgaç. 9 ÖZTÜRK, 2004, op. cit. ; DÖNMEZ COLIN Gönül, « Women in Turkish cinema: Their presence and absence as images and as image-makers », Third Text, vol. 24, nᵒ 1, 2010, p. 91-105 ; UĞUR TANRIÖVER Hülya, 2016, op. cit. 10 UĞUR TANRIÖVER Hülya, « Le cinéma turc : analyse d’un succès artistique et commercial », dans Füsun Türkmen Ayse et Boeckel Pierre (dir.), 20 ans de changement en Turquie (1992-2012), Paris, L’Harmattan, 2013, p. 128.
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les années 2000 une forte croissance dans deux directions : le cinéma populaire grand public et le cinéma d’auteur « art et essai ». Cette situation se traduit par le nombre d’entrées qui commence à battre des records et contribue à l’ouverture de nouvelles salles de cinéma d’une part, par une reconnaissance d’une « Nouvelle vague » turque11 des cinéastes qui remportent des prix dans de grands festivals internationaux de l’autre. Tableau nᵒ 1. Nombre de films réalisés par les femmes en Turquie12
Période
Films
Films de réalisatrices 96
% de films réalisés par des femmes 1.6
1950-2002
6035
2002-2013
552
45
8.2
2014-2018
718
68
9.4
7305
209
2.8
TOTAL
Comme on peut l’observer dans le Tableau nᵒ 1, le taux de films réalisés par les femmes qui n’atteint même pas 2 % de la production totale au cours des cinquante premières années de leur présence sur le marché, a pratiquement quintuplé en l’espace de quinze ans, pour frôler les 10 %. Bien que limitée, cette augmentation du nombre de réalisatrices peut être expliquée par plusieurs facteurs, comme dans d’autres industries de films à travers le monde : un plus grand accès des filles à l’enseignement supérieur parallèlement à la multiplication de départements de cinéma-télévision dans les universités ; les possibilités de financement de la production des films art et essai (instauration du système d’aide publique au cinéma, amélioration du soutien Eurimages, de nouvelles formes d’aide financière) ; les progrès techniques rendant possibles les productions moins coûteuses et enfin un soutien aux femmes sous forme de solidarité de la part d’une partie des milieux du cinéma, notamment des 11
Nous utilisons ce concept malgré qu’il soit controversé et critiqué notamment par les chercheur.es qui interrogent la dimension genrée de cette “école” de cinéma. O’SHAUGHNESSY, Martin, « De la Révolution aux trente glorieuses ou comment raconter l’histoire de la France au masculin », Iris, Revue de théorie de l’image et du son, nᵒ 26, automne 1998, p. 33-48 ; MEINENGER Sylvestre, « Faux-semblants : masochisme masculin et politique des auteurs », Iris, Revue de théorie de l’image et du son, nᵒ 26, automne 1998, p. 65-82 ; SELLIER Geneviève, La Nouvelle Vague. Un cinéma au masculin singulier, Paris, CNRS Éditions, 2005, 217 p. 12 Sources : Pour 1950-2002, ÖZTÜRK, 2004, op. cit. ; pour 2003-2013, UĞUR TANRIÖVER Hülya, op. cit. 2016 ; les données 2013-2019 ont été collectées dans le cadre de cette recherche. Nous remercions Mesdames Gamzehan Binici et Elif Bayer, doctorantes à la Faculté de communication de Tirebolu (Université de Giresun, Turquie) qui ont contribué à la collecte de ces données dans le cadre du cours doctoral Genre et médias au cours des années 2018-2019.
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critiques féministes, encouragé par la présence confirmée de deux festivals de films de femmes en Turquie.13 Par ailleurs, il faut noter également que l’augmentation du taux de films réalisés par les femmes est aussi le résultat d’une décroissance du volume total de productions en général. Malgré d’importantes améliorations après les années 2000, la production cinématographique en Turquie, en très bonne forme quant au nombre total d’entrées, reste limitée en nombre de films produits. Le tableau nᵒ 1 nous montre que nous sommes loin de la parité dans les industries de films en Turquie. Mais cette croissance du nombre de films réalisés par les femmes, qui dépasse en moins de 20 ans la production des 70 premières années, peut tout de même être considérée comme une avancée. Il convient toutefois de le considérer et de noter un autre point important quant à l’analyse genrée des industries cinématographiques. Il s’agit de l’importance du nombre de réalisatrices qui arrivent sur le marché avec leur premier film. Comme l’ont déjà souligné d’autres chercheur.es14, on doit également interroger la présence des réalisatrices en fonction de la durabilité de l’exercice de leur profession, en termes économiques. Autrement dit, combien de réalisatrices exercent leur métier d’une manière stable ? Quelles sont celles qui peuvent continuer leur œuvre au-delà de leur « premier film » ? Le tableau nᵒ 2 montre que de 2009 à 2018, de plus en plus de réalisatrices intègrent le marché. Mais les premiers films représentent plus de la moitié des productions réalisées par des femmes chaque année. Cela porte ainsi le nombre de « nouvelles réalisatrices » à 67 au cours des dix dernières années, presque le triple du nombre de réalisatrices (23 au total) qui ont produit tout au long du demisiècle allant de 1950 à 200215. Les particularités des films réalisés par les femmes en Turquie, comme ailleurs, est un objet d’étude en soi. De ce fait et pour ne pas déborder du cadre de notre travail, nous ne pouvons procéder ici à une analyse détaillée de ceuxci. Il serait toutefois utile de dire quelques mots, à tout le moins pour donner une idée, de l’ensemble de cette production. Nous devons à ce titre souligner au premier abord un point important : les films réalisés par les femmes présentent en fait une grande diversité thématique et stylistique. Les femmes qui ont fait, notamment au cours des dix dernières années un cinéma populaire, ont réalisé des films fantastiques d’horreur, des films d’animation (plus limités
13
DÖNMEZ COLIN Gönül, op. cit. ; UĞUR TANRIÖVER, op. cit., 2016. PUAUX Françoise, « Préambule », « Mort le machisme ? », Cinémaction, nᵒ 99, 2001, p. 914 ; AUDÉ Françoise, Cinéma d’elles 1981–2001. Situation des cinéastes femmes dans le cinéma français, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2002. 15 ÖZTÜRK, 2004, op.cit., p. 34. 14
200
en nombre) et surtout des comédies ou drames romantiques dans la lignée des célèbres séries télévisées turques. Tableau nᵒ 2. Évolution du nombre de réalisatrices et de leurs films 2004-2018 Année
Nombre total de films
Films par des femmes
Nbre réalisatrices
% films par des femmes
2004
18
–
–
–
2005
29
2
2
6.9
2006
34
1
1 (1 nouv.)
2.9
2007
43
4
4 (1 nouv.)
9.3
2008
51
3
3 (3 nouv.)
5.9
2009
70
8
8 (5 nouv.)
11.0
2010
66
4
4 (4 nouv.)
6.0
2011
71
8
10 (8 nouv.)
14.0
2012
58
5
5 (3 nouv.)
8.6
2013
87
10
2014
112
13
2015
136
15
2016
139
13
2017
151
11
2018
180
16
10 (7 nouv.) 13 (10 nouv.) 15 (10 nouv.) 13 (6 nouv.) 11 (5 nouv.) 16 (9 nouv.)
11.0
5 nouv.
27 nouv.
11.6 13.9 9.3 7.2 8.8
40 nouv.
Celles qui ont fait des films art et essai ont aussi signé des œuvres traitant de thèmes variés, et non seulement de la « condition des femmes » ou sujets considérés comme féminins comme leurs homologues maghrébines16 par 16
CAILLÉ Patricia, « Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie des réalisatrices ou la construction du Maghreb dans un contexte postcolonial », Maghreb et Sciences Sociales, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 261-277 ; ROLLET Brigitte, « D’une rive de la Méditerranée à l’autre : financement, diffusion et reconnaissance des réalisatrices du Maghreb », Africultures, nᵒ 89-90, 2012, p. 8491.
201
exemple. Il existe certes des films traitant du viol, de la violence domestique ou de l’inceste. Mais, ceux-ci ne sont pas majoritaires et pour ne donner que quelques exemples, on peut parler des films traitant du travail précaire, de la prise en charge des personnes âgées ou encore de la situation des réfugiés syriens. À noter aussi qu’une biographie du poète Nazım Hikmet a été filmée par une réalisatrice (Biket İlhan, 2007). Plusieurs points communs existent entre ces productions, comme par exemple la présence de protagonistes femmes conçues de manière bien plus différente que dans le cinéma art et essai des prétendus grands auteurs-hommes. Ils traduisent une volonté d’expression différente qui confirme l’observation de Smelik : « Les réalisatrices féministes qui ont supprimé les anciennes formes de représentations, se sont mises à la recherche de nouveaux moyens pour représenter la vie et l’expérience des femmes, pour filmer la subjectivité féminine et pour s’adresser au public féminin17. » Mais nous proposons de reporter cette problématique qui nécessite plus d’investigation à un autre travail.
OBSTACLES ET / OU EMBÛCHES De nos jours, il n’est facile pratiquement pour personne de faire un film, notamment s’il s’agit d’un cinéma plus ou moins non conforme aux règles de popularité, aux impératifs commerciaux. Surtout en cette période où les réseaux de production, de distribution et de programmation tendent à une certaine monopolisation en Turquie, et où les fonds publics de soutien au cinéma sont attribués en fonction de critères qui frôlent parfois une censure invisible18. Mais ces obstacles sont encore plus forts pour les femmes. C’est ce qui explique, entre autres, la participation volontaire des personnes interviewées ou observées à notre étude. En effet, il y a quelques années, certaines réalisatrices ne voulaient pas être un objet d’étude en tant que femmes dans le cinéma, considérant que ce qualificatif « cinéma des femmes » pourrait détourner l’attention de leur œuvre ou alors considérer leur cinéma comme plus ou moins mineur. Elles partageaient à ce titre les mêmes préoccupations que leurs homologues maghrébines, comme le souligne Caillé qui précise que « faire des recherches sur ‘les réalisatrices’ ne relève pas de l’évidence, d’autant que ces dernières ne revendiquent pas, voire dénoncent une appartenance à une catégorie qu’elles considèrent comme les confinant à un type de films et les
17
SMELIK, op. cit., p. 221. Comme par exemple, un changement dans la constitution du comité d’évaluation privilégiant les milieux proches du pouvoir ou certaines restrictions imposées pour la distribution des films classés 18 +.
18
202
empêchant ainsi de prétendre accéder au rang de cinéaste19. » De nos jours, pratiquement toutes les réalisatrices et productrices que nous avons interviewées semblent au contraire conscientes de la discrimination à laquelle elles sont confrontées en général, même si au niveau personnel, elles ne sont pas toujours directement touchées. Le premier grand obstacle dont font état toutes les femmes (et auquel tous les cinéastes faisant du cinéma d’auteur ont également été confrontés) est celui du financement. La question de la production et donc du financement d’un film se pose à deux niveaux pour les femmes, en relation avec des motifs différents suivant qu’il s’agisse de celle de films populaires ou art et essai. Ainsi, les femmes qui veulent faire du cinéma populaire doivent, comme l’exige le fonctionnement de la filière cinématographique, faire face aux exigences de grands producteurs. Elles sont dans ce cas, les moins souvent préférées puisque comme partout ailleurs la production industrielle où règne la domination masculine, ne veut pas « risquer » les grands budgets et choisit de travailler avec des réalisateurs déjà populaires, mettant en quelque sorte une barrière pour les femmes. Une jeune réalisatrice souligne ce fait en disant que « le producteur a une confiance presqu’inconditionnelle quand il s’agit d’un homme, alors qu’il a du mal à faire confiance à une femme ». Une autre réalisatrice rappelle que c’est surtout au sujet de la créativité que l’on constate ce manque de confiance : La plus grande discrimination c’est au sujet de l’argent investi. À qui va-t-on confier l’argent ? Au niveau du travail professionnel. Bon, il y a maintenant des productrices! Ça c’est autre chose… Mais dès qu’au niveau créatif il y a une femme, c’est là que l’on voit la plus grande résistance. C’est là qu’on privilégie les hommes. Si certaines grandes sociétés ont commencé à travailler avec des réalisatrices, c’est en référence à leur carrière à la télévision (réalisatrices de séries télévisées) ou alors ce choix sous-tend une certaine discrimination horizontale confiant aux femmes les films pour enfants. Le cinéma art et essai est aussi la scène de difficultés multiples pour les femmes. Au sujet de l’aide publique, par exemple, les productrices soulignent que, même dans les cas où la Direction générale du cinéma semble ne pas faire de discrimination, le montant des aides allouées est beaucoup plus bas pour les projets des femmes. Cela pousse souvent à une sorte d’auto-restriction,
19 CAILLÉ Patricia, « La circulation des films maghrébins par des réalisatrices : une question de genre ? », Dossier Africultures, vol. 1, n° 101-102, 2015, p. 71.
203
précise une réalisatrice, on essaie de faire des budgets beaucoup plus réduits que nécessaires pour avoir plus de chances. Quant au travail de réalisation ou de direction proprement dit, le premier grand problème dont parlent pratiquement toutes les réalisatrices est celui de la reconnaissance de l’autorité sur le plateau de tournage. Déjà Türkan Şoray, grande comédienne des années 1970-80, connue comme la « sultana » du cinéma turc qui, à partir de 1972, a également réalisé quelques films, disait à cette époque-là : « le premier pas pour être réalisatrice, c’est d’établir son autorité sur le plateau20 ». Nous avons entendu pratiquement les mêmes propos de la part d’une des réalisatrices les plus productives des années 2000, lors d’une réunion en janvier 2020 : Il y a cette difficulté d’entendre une femme donner des ordres mais je sais, par ma propre expérience, qu’au fur et à mesure de l’entendre cela s’atténue ; ils finissent par s’adapter. Et ils y sont bien obligés parce que c’est un travail. C’est leur gagne-pain. Une autre interviewée donne plus de précisions quant aux conditions d’émergence de ce problème de la reconnaissance de l’autorité de la réalisatrice : Le deuxième moment de rupture (la discrimination), c’est en fait le premier moment de crise sur le plateau de tournage. Quand tu es réalisatrice, on t’évalue par rapport à ce que tu fais pour surmonter la crise sur ton plateau. À ce niveau-là également, on observe une discrimination vis-à-vis des femmes à qui on ne reconnaît même pas le droit d’hésiter, comme le souligne une réalisatrice. Vous avez l’impression qu’on vous guette, qu’il y a des gens qui vous regardent en se disant « que va-t-elle faire ? » Or vous pouvez hésiter, avoir besoin de souffler un peu, mais tout ça peut donner lieu à des malentendus si vous êtes une femme (…) Dès que vous êtes confuse, vous êtes automatiquement considérée comme « une femme qui ne sait pas quoi faire » par les gens. Alors que si c’est un homme… le réflexe va dans le sens de dire : « mais... c’est un artiste. Il réfléchit ». Un autre obstacle, non sans rapport avec le premier, est l’atmosphère et les pratiques de tournage viriles. Sous prétexte de la difficulté du travail et des impératifs qui poussent les équipes parfois à des heures supplémentaires, des conditions peu confortables, etc., les relations au sein d’une équipe suivent, même de nos jours, le schéma traditionnel du maître et des apprentis : cris,
20
Cité par DÖNMEZ-COLIN Gönül, op. cit., p. 99.
204
violences verbales, insultes (toujours sexistes) sont monnaie courante. Face à cette situation, certaines réalisatrices se sont « adaptées » notamment à la période où elles étaient pratiquement absentes dans le cinéma. Ainsi, Birsen Kaya, réalisatrice (scénariste et productrice également) au début des années 1970 dit que quand elle ordonnait, c’était net. Je criais fort, je jurais comme un mec quand ils m’énervaient. Sinon tu ne pouvais pas exister. Tu dois être autoritaire, être comme un homme… tu dois cesser d’être femme21. Pratiquement 50 ans après, on retrouve la même situation comme le précise une réalisatrice que nous avons interviewée : « J’ai pratiquement abandonné ma féminité pendant 10 ans, j’insultais comme un homme, etc., entre mes 2535 ans. ». Enfin une productrice note en référence à son expérience de codirection (un homme et une femme), que la directrice se transformait en homme sur le plateau « c’était visible à l’œil nu » dit-elle. Ce qui n’est pas un cas spécifique à la Turquie selon Gaudy qui reporte dans un travail récent des comportements similaires en France : les femmes sur un plateau doivent s’adapter et s’intégrer aux tournages par un comportement masculin ; et les réalisatrices, pour être réalisatrices, elles fument ou adoptent d’autres comportements considérés comme « virils22 ». Surmonter cette difficulté est surtout difficile quand il s’agit d’un premier film. L’expérience, avec bien entendu le discours sur les travaux antérieurs d’une réalisatrice deviennent des atouts majeurs dans la reconnaissance de l’autorité sur le plateau, comme le souligne de nos jours une réalisatrice. Mais plusieurs réalisatrices insistent aussi sur le fait qu’elles refusent de s’adapter à ces pratiques pas seulement viriles mais en fait sexistes : « Je comprends tout à fait le fait de se viriliser, de se transformer en homme. Tout est tellement masculin. Mais, par exemple, sur notre plateau, on n’a presque pas élevé la voix. » Adopter un comportement « viril » c’est aussi nécessaire notamment quand il s’agit pour les femmes d’intégrer le secteur. Les étudiantes en stage ou les assistantes qui en sont à leur début insistent sur ce point pour faire état d’un autre problème, moins courant quand il s’agit de réalisatrices qui, par définition sont le « patron », mais très radical : le harcèlement sexuel. Comme nous y reviendrons, le #MeToo à la turque n’a pas tardé à s’organiser tellement cette question est présente dans les équipes. Avant de s’organiser pour agir
21
Cité par ÖZTURK, op. cit., p.433. GAUDY Camille, « Être une femme sur un plateau de tournage », Ethnologie française, vol. 38, nᵒ 1, 2008, p. 107-117, https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2008-1page-107.htm, p. 115-116, consulté le 22 août 2019. 22
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ensemble, les femmes se déguisaient en quelque sorte en homme, pour éviter ces situations. Ce qui est également le cas en France : « étant trop féminines, elles risquent (les femmes sur un plateau) de devenir objets de drague pour les techniciens » dit Gaudy23. À noter tout de même qu’en Turquie il y a une hiérarchie verticale dans une équipe de tournage. Une réalisatrice remarque que jamais un technicien n’oserait harceler une actrice ou une directrice photo. « En fait, c’est une hiérarchie de classe », ajoute-t-elle.
OSER FAIRE « SON FILM » : COURAGE ET PERSÉVÉRANCE Malgré tous ces obstacles, comme en témoigne leur présence progressivement confirmée dans le cinéma, de plus en plus de femmes finissent par pouvoir faire « leur » film, en trouvant des solutions à chacun de ces problèmes, en développant des stratégies adaptées. Comme le souligne une réalisatrice qui a fait son premier long métrage en 2018 : « la volonté d’écrire, cette grande passion de vouloir raconter une histoire pousse à dépasser au-delà des obstacles, ‘les conditions sont dures, etc.’… Tu t’en fiches si tu es animée par une grande passion. » La question du financement des films art et essai, la plus cruciale comme on l’a souligné, oriente les réalisatrices d’abord et avant tout vers des producteurs et productrices qui font partie intégrante du projet. Nous avons déjà souligné dans un travail antérieur24, comme d’autres chercheur.e.s en Turquie ou dans certains autres pays, que ces films étaient finalement des auto-productions ou pouvant être considérés comme telles. La majorité des réalisatrices que nous avons interviewées a travaillé avec des productrices qui poussent leur recherche de financement au-delà des possibilités très limitées de fonds publics auxquels on pense au sujet du cinéma indépendant. En effet, le Fonds de soutien au cinéma du ministère turc de la Culture qui est dirigé par un comité constitué de représentants de différents métiers du cinéma, choisit toutefois de manière tout à fait arbitraire. Et tout.e un.e chacun.e sait que ce sont les réseaux clientélistes à domination masculine, ou encore la proximité du pouvoir politique, qui ont une influence majeure dans la sélection, notamment depuis quelques années. Il est à remarquer que le nombre de films de femmes ayant eu un soutien du ministère a diminué. Ainsi une réalisatrice qui a fait son premier long métrage en 2013 dit :
23 24
GAUDY, op. cit., p. 115. UĞUR TANRIÖVER, op. cit.
206
Moi j’ai eu le soutien du ministère. C’était ma chance. À cette époquelà, dans le comité, il y avait des gens ayant fait partie des jurys de festivals où mes court-métrages avaient eu des prix, etc. Ils me connaissaient. Mais de nos jours… c’est difficile. Même de très bons projets sont refusés. Une autre réalisatrice qui, plusieurs années après son premier long métrage, vient de terminer un court métrage dit avoir éliminé d’office le soutien du ministère pour ce dernier projet précisant qu’elle avait eu des tas de problèmes, des poursuites en justice, etc., avec le ministère au sujet de son premier film. Ainsi la plupart des réalisatrices ou de leurs productrices disent qu’elles recherchent des fonds ailleurs que dans le circuit classique. Certaines auprès des organismes de « pitching platforms » comme Meetings on the Bridge organisé par le Festival international de films d’Istanbul. D’autres partagent différentes expériences de soutien comme ceux d’organisations non gouvernementales ou d’une jeune maison de production qui fait des films populaires et investit une petite part de son bénéfice dans des projets art et essai. Le fait qu’une des réalisatrices les plus productives ait profité, pour son dernier long métrage (documentaire), d’un crédit « pour les artisans », alloué en fait aux menuisiers ou cordonniers par une banque publique, provoquent des rires parmi les femmes avec qui elle discute. « Mais, rajoute-t-elle, c’est normal en fait, puisque dans ces conditions, nous faisons un travail artisanal ». Les réseaux internationaux, les possibilités de pitching à l’étranger et les co-productions avec l’Europe constituent une autre source d’inspiration et de soutien financier pour les réalisatrices et les productrices. Une réalisatrice, après avoir parlé de ses courts métrages qui ont été programmés dans différents festivals européens, et même achetés pour des chaînes spécialisées, dit : Du coup, j’ai comme l’impression qu’à l’étranger (i.e. en Europe) ces processus sont tout de même plus objectifs. Bon, il y a d’autres difficultés, mais quand même ! Ainsi dès le début pour mon long métrage j’ai pensé à la co-production. Dans le film, le soutien du ministère turc n’est pas grand-chose. C’est surtout les fonds allemands et Eurimages qui ont été déterminants. Eurimages qui a constitué, depuis sa fondation, une des sources majeures de réalisation de films art et essai en Turquie ne paraît pourtant pas toujours accessible pour toutes. Comme le précise une productrice : C’est difficile avec Eurimages. D’abord ils exigent des fonds nationaux puis aussi des fonds des co-producteurs. Eurimages c’est un peu… vous avez déjà presque tout ce qu’il faut et ça c’est un dernier soutien pour 207
démarrer. Autrement dit, pour les premiers films, c’est pratiquement impossible. Aussi bien pour la question du budget que pour celle beaucoup plus générale de la pratique professionnelle, beaucoup de réalisatrices et pratiquement toutes celles qui font du cinéma art et essai soulignent l’importance de travailler avec une équipe, souvent restreinte, qui soutient le projet. « Jusque-là nous avons fait nos projets pratiquement toutes seules. Aussi parce que nous sommes expérimentées dans la prise de vue et le montage », dit une documentariste qui a fait son premier long métrage en 2012, « mais le long métrage nécessite forcément une équipe », rajoute-t-elle. « Moi je préfère toujours travailler avec des petites équipes. Nous avons donc travaillé avec une équipe de 9 ou 10 personnes mais qui participaient de tout cœur au projet. J’avais beaucoup de chance. » Une autre réalisatrice insiste sur l’importance de ce choix pour éviter aussi les problèmes de relations professionnelles sur le plateau : Spontanément on a travaillé en petite équipe pour le film. Mon mari, puis des ami.es dont la plupart sont des camarades de classe de l’université, des gens avec qui j’ai travaillé pour mes courts-métrages (…) Je sais ce que vous subissez en tant que femme sur un plateau. Mais là c’était des amis.e.s. Je n’ai pas eu de soucis pendant le tournage, je travaillais uniquement pour faire le film et non pour « me faire écouter, assurer qu’ils me respectent, etc. ». Une autre réalisatrice exprime la même tendance en ces termes : « Tu dépenses ton énergie pour travailler avec les gens qui peuvent te rendre ce que tu donnes du point de vue affectif et intellectuel. » Nous pouvons voir que travailler avec des personnes et notamment des femmes qui adhèrent à leur projet rassurent les réalisatrices dans leur pratique professionnelle. Elles se sentent non pas « inspectées » dans leur travail mais soutenues. La question de l’établissement de l’autorité sur le plateau ne semble plus se poser dès lors qu’on est « une équipe » dès le départ, notamment pour un premier film comme elles le soulignent. Par ailleurs la présence d’une réalisatrice et/ou d’une productrice et d’une équipe choisie par elles, composée de personnes, notamment de femmes qui ont « la même longueur d’ondes » comme le dit une interviewée constitue une barrière au harcèlement sexuel. « Le ‘#MeToo’ en Turquie (…) ce n’est pas facile. Nous savons ce qui se passe parfois de très près. Ce que je fais, moi, je ne laisse aucun de ces hommes s’infiltrer sur mon plateau », dit une productrice. Il arrive même parfois que ces femmes plus conscientes du problème interviennent d’office sur le tournage. Comme le remarque une réalisatrice, « il y a eu des cas de harcèlement sexuel sur mon plateau. Le pire c’est que ces femmes ne considéraient pas cela 208
comme du harcèlement. Ma réaction a été spontanée et sévère... aucune tolérance pour ce genre de comportements. » Les femmes cinéastes que nous avons interviewées et observées ont aussi des revendications parfois très concrètes pour trouver des solutions à leurs problèmes. Elles exigent par exemple un quota au ministère de la Culture pour que les femmes puissent bénéficier plus des fonds de soutien au cinéma. Ainsi, un groupe de femmes a adressé en 2019 un courrier électronique à une responsable du ministère pour faire part de cette volonté. Il est resté sans réponse. Par ailleurs, elles font aussi des propositions à leurs collègues ou à celles qui vont se lancer dans le cinéma : Moi, je propose aux femmes d’augmenter la production, d’une manière ou d’une autre, en faisant des films expérimentaux, des moyens métrages, des choses en ligne, en jouant sur les formes du documentaire, sans se limiter aux circuits de distribution et aux salles. C’est trop gênant de se limiter aux longs métrages de fiction ; cela crée aussi une pression. Trop absurde de vouloir faire absolument un film pour les grands festivals. Ce n’est pas ça l’objectif majeur pour faire un film. Aller à Cannes, à Berlin, d’autant que pour aller là il ne suffit pas de faire de bons films, il y a d’autres dynamiques. Nous avons vu que pour parvenir à faire leurs films, les réalisatrices en appellent de toute façon au travail d’équipe et que leurs équipes sont souvent constituées de bien plus de femmes que sur les plateaux des hommes. Cette nécessité réelle de la solidarité des femmes dans les industries de films est aussi ouvertement exprimée par nos interviewées qui soulignent l’importance de l’organisation des femmes dans ce secteur. « Il y a des organisations de femmes en Turquie aussi et c’est d’un grand soutien. Il est déjà difficile d'être une femme en Turquie (…) Mais les organisations de femmes ça a été une grande motivation. » On peut comprendre l’observation d’une productrice qui a pris position au sujet des problèmes vécus par les réalisatrices, ou les femmes dans les métiers du cinéma en général en ces termes simples mais clairs : « On ne peut résoudre tous ces problèmes qu’en s’organisant. »
« ENSEMBLE NOUS SOMMES PLUS FORTES » : RÉAGIR ET AGIR POUR SE FAIRE ENTENDRE Si elle a connu une période de mouvances sociales avec un mouvement syndical assez fort dans les années 1970, la Turquie est rentrée, comme beaucoup de pays, dans une ère de désyndicalisation ; encore plus forte et plus « forcée » que dans certains autres pays en raison du coup d’État militaire de 1980 qui a interdit toute organisation syndicale, dissout les anciens partis politiques et contrôlé de manière répressive même les initiatives associatives. 209
Ce n’est qu’une, voire deux décennies plus tard, que les organisations professionnelles et syndicales ont commencé à faire acte de présence et ce, dans les conditions générales défavorables de l’ère de la globalisation. Considérant sa structure longtemps artisanale et sa difficile reconstruction en secteur industriel, il n’est pas étonnant de voir que l’organisation professionnelle dans les industries de film reste, même de nos jours, assez chaotique : quelques syndicats, des organisations sous forme d’union de différents métiers, des associations également par métier. Cette situation est certes due à des facteurs que nous ne pouvons développer ici mais touchent de près les femmes qui travaillent dans le cinéma puisqu’elles y sont moins nombreuses et moins « anciennes ». Par ailleurs, le fait qu’elles soient souvent en début de carrière et confrontées à un environnement non seulement viril mais aussi et surtout machiste comme nous venons de le souligner, ont empêché les femmes de faire acte de présence dans ces nombreuses organisations : leur nombre était jusqu’à très récemment bien limité notamment dans les équipes dirigeantes et il n’y a eu, dans le passé aucune revendication spécifique aux femmes dans les actions de ces organisations. La première initiative officiellement déclarée pour former une organisation de femmes cinéastes a été celle de la fondation de Film Fatales Turkey, en 2016. Ce sont deux jeunes réalisatrices et une productrice formées aux ÉtatsUnis et au Canada, qui se sont chargées de représenter cette organisation américaine, fondée en 2013. Il s’agissait de regrouper les réalisatrices ayant produit au moins un long métrage de fiction pour le cinéma ou la télévision avec comme objectif principal de remédier aux problèmes de financement, de distribution, etc. Mais cette organisation n’a pas pu avoir d’activité concrète, sinon la socialisation professionnelle de ses membres malgré le grand effort de ses fondatrices et à peine deux années plus tard, l’organisation centrale américaine a fait appel à la dissolution de sa section turque, sous des prétextes administratifs, largement sous influence politique. En effet, les relations officielles turco-américaines étaient, à cette époque, fortement perturbées et le gouvernement américain affichait la Turquie dans la liste des pays avec lesquels il conseillait de réduire au minimum les contacts et engagements, même au niveau des ONG. Ses fondatrices et quelques membres des plus actives ont décidé de fonder une autre organisation, comme nous le verrons ci-dessous. Plusieurs réalisatrices et productrices que nous avons interviewées ont dit que le mouvement de lutte pour les droits des femmes dans le cinéma a été lancé par le Festival international itinérant de films de femmes FILMMOR. Nous avions déjà souligné l’importance des deux festivals de films de femmes, dans la croissance en nombre de femmes cinéastes et dans leur visibilité ; ces festivals donnaient à chaque édition la parole aux femmes du cinéma turc, dans le cadre des tables rondes ou des débats sur les films programmés. Mais FILMMOR a lancé une série de débats intitulée « Rencontres du secteur », 210
dans l’objectif de donner la parole aux femmes exerçant différents métiers du cinéma. Ainsi, l’organisation d’une table ronde25 sur le thème de « Un portefeuille à soi : les productrices nouvelle génération », lors de la 16ème édition du Festival, en mars 2018, a réuni neuf productrices de cinéma, qui, après les débats sur l’importance de la solidarité et de l’organisation, ont fondé par une déclaration l’initiative de « Mor Yapımcılar »26. « Depuis la fondation de Mor Yapımcılar, je ne me sens plus seule comme avant. C’est tellement rassurant pour nous » déclare une des productrices que nous avons interviewées. Le Festival international de films de femmes Uçan Süpürge (Flying Broom) d’Ankara a suivi l’exemple de FILMMOR et organisé des tables rondes sur les thèmes de la présence des femmes dans le cinéma, en mai de cette même année. L’année 2018 a été décisive pour l’organisation des femmes travaillant dans les industries du film en Turquie. En effet, après l’organisation de Mor Yapımcılar, d’autres initiatives ont été lancées en cette même année. Fiyaka (abrégé de « Femmes qui font des films ») a été fondée en août 2018, par l’équipe qui avait lancé Film Fatales auparavant. Elle comptait 70 membres. Cette organisation déclare comme objectif principal la recherche de fonds de financement pour les cinéastes femmes, mais traite aussi, d’après leur déclaration à la presse, d’autres problèmes concernant les femmes. Mais une de ses fondatrices que nous avons interviewée, précise : Est-ce parce qu’il n’y avait plus le label Film Fatales, ou parce qu’il y avait eu de problèmes personnels d’hostilité ou autres entre certains membres à cette époque-là ? Je ne sais pas, mais de moins en moins de personnes participaient aux réunions. On ne répondait pas aux messages. Bref, ça avait perdu son sérieux. (…) Il y avait trop de différences entre les membres ; aucune volontaire pour travailler. Et nous avons (les fondatrices, les quelques membres actives) décidé de laisser tomber. Le groupe s’est dissout. Nous avons tout de même gardé le groupe WhatsApp. Si quelqu’une a besoin de quelque chose de précis, elle nous contacte. Une des membres actives de Fiyaka, persuadée que c’était une perte de ne pas faire fonctionner cette organisation, d’autant qu’il y avait quelques projets en cours, a décidé de fonder une nouvelle organisation, avec l’appui de quatre autres femmes du même groupe. C’est ainsi qu’a été lancé le Women with a
25 À noter que la même année, une autre table ronde était organisée sur le thème « C’est le moment : harcèlement sexuel dans le cinéma en Turquie », dans la mouvance de #MeToo. 26 Mor Yapımcılar signifie les productrices violettes. Le violet, couleur du féminisme, est omniprésent dans tous les mouvements de femmes qui adoptent cette politique en Turquie. Ainsi le Festival Filmmor aussi porte cette couleur en son nom (Films violets).
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Movie Camera (WMC), en septembre 2018, à Antalya Film Forum27, profitant pour cette occasion des représentantes d’EWA (European Women’s Audiovisual Network). Cette organisation regroupe seulement les réalisatrices et productrices ayant au moins un long métrage ou un court-métrage programmé dans un festival international. En 2020, WMC compte 27 membres et définit son objectif en ces termes : La plus grande motivation c’est que les réalisatrices et productrices puissent se rencontrer afin de créer de nouvelles méthodes pour réaliser leurs projets, à une période où on a de plus en plus de problèmes pour faire un film. Une de ses fondatrices dit que cette organisation est également ouverte aux pays voisins, notamment ceux des Balkans et du Moyen Orient. Peut-être pour remédier à la flexibilité tournant au laxisme de Fiyaka, WMC a des règles bien définies quant à l’organisation périodique des réunions, des ateliers créatifs, etc. La responsable que nous avons interviewée précise « n’avoir pas eu d’activités communes avec les autres organisations de femmes dans le cinéma » mais ajoute qu’elle les considère toutes comme étant très précieuses ; et aussi que la plupart des membres de MWC font également partie des autres groupes. Contrairement à ces organisations, plutôt limitées dans leur portée et leurs activités, c’est le mouvement similaire à celui de #MeToo intitulé Susma Bitsin (Ne te tais pas... que cela finisse) qui s’est transformé en un groupe de « femmes travaillant dans les industries de films » et qui a eu le plus d’impact dans le cinéma comme dans l’opinion publique en général. Cela a commencé, en mai 2018, par une action « Twitter » de protestation contre quelques grandes figures masculines du cinéma turc, dont Nuri Bilge Ceylan, bien connu des festivals et publics européens. Cette protestation a été comme l’avant-première des activités de ce groupe. Après la publication d’une photo de groupe de réalisateurs trinquant, un sourire sarcastique à la bouche, avec comme légende « Nous nous sommes réunis pour soutenir la campagne #MeToo » ponctuée par un émoji de sourire. Mor Yapımcılar qui venait de se constituer en mars a lancé une action avec l’hashtag « #moijenerigolepas ». Par la suite, en novembre 2018, une jeune comédienne jouant dans une des séries télévisées les plus populaires a fait savoir par une déclaration de presse qu’elle avait été victime d’insultes, de violences et de harcèlement sexuel de la part d’un comédien, son partenaire dans la série, et a porté plainte devant la justice. Mor Yapımcılar mais aussi un nombre important de femmes ont exprimé leur solidarité avec cette comédienne et un appel a été lancé pour réunir les femmes travaillant dans tous les métiers des industries de films autour de ce thème :
27 C’est une plateforme de pitching organisée dans le cadre du Festival Orange d’Or d’Antalya (le festival national le plus ancien et prestigieux en Turquie).
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réagir contre le harcèlement sexuel. Une productrice, fondatrice de Mor Yapımcılar très active dans le mouvement des femmes dans le cinéma, qui a réservé une salle de café pour la réunion, rapporte sa grande surprise en ces termes : Le patron du café m’a demandé combien on sera. Je lui ai dit : ‘je ne sais pas…30, peut-être 40’. Finalement 136 femmes étaient là. J’en avais des larmes aux yeux d’émotion et de joie. Une réalisatrice exprime ses sentiments dans des termes similaires : C’était absolument extraordinaire. On avait l’impression de ne pas être seules, d’être fortes, on se disait ‘désormais ces hommes ne peuvent plus nous faire ce qu’ils faisaient auparavant’. Dans notre recherche exploratoire sur chacune de ces organisations, nous avons constaté que c’est Susma Bitsin qui semble être la plus active, du moins la plus « visible » dans les médias, notamment les médias sociaux. Ses actions ont eu des effets concrets, comme l’ouverture de procès contre le harcèlement sexuel, ou l’expulsion d’un des membres de l’Association des critiques de films, suite à ses articles incitant à la haine contre certaines réalisatrices. Le groupe a également fait acte de solidarité avec des femmes qui ne travaillent pas dans le cinéma, comme par exemple les ouvrières en grève d’une usine de cosmétiques. Susma Bitsin a établi une liste des « principes contre le harcèlement et le mobbing », distribuée par ses membres sur les plateaux de tournage, organise des réunions périodiques (même si les périodes ne sont pas fixes) et fonctionne autour d’un groupe de courrier électronique. À leur dernière réunion programmée le 8 mars 2020, avant la « marche de la nuit » qu’organisent conjointement toutes les organisations de femmes à Istanbul et qui est très sévèrement réprimée par la police depuis plusieurs années, où nous étions présentes, il y a eu une trentaine de participantes malgré des obstacles physiques dressés par la police (avenues et rues obstruées par des barrières). Les formes organisationnelles de chacune de ces initiatives des femmes nous montrent qu’il s’agit, du moins pour l’instant, d’une structure flexible, sans hiérarchie ou division de travail strictes, sans principes de travail préétablis. Cela s’explique d’abord et avant tout par les particularités des industries du film et des femmes qui en font partie en Turquie : travail pratiquement non réglementé, précarité, absence de garanties d’emploi mais aussi de droits intellectuels, bref un secteur artisanal dominé par un « esprit de corps » viril, pour ne pas dire machiste. Mais, comme l’ont souligné les femmes de différents métiers du cinéma au cours des réunions de Susma Bitsin auxquelles nous avons participé, même le fait de se retrouver ensemble, de partager les problèmes et les expériences, de 213
demander de l’aide en cas de difficulté, c’est déjà « formidable ». Il s’agit parfois de bonnes adresses pour le sous-titrage ou alors la dénonciation d’un réalisateur, connu jusque-là par sa position « démocrate » et que les assistantes portent sur leur « liste noire » pour refuser une éventuelle offre d’emploi. Comme le souligne une productrice « nous organisons des ‘journées taboulé’28, nous nous passons des recettes de cuisine. Et alors ? C’est formidable ! On fait connaissance, on se sent plus fortes. » Malgré leur volonté de se retrouver au sein d’organisations regroupant « les femmes du cinéma » comme elles disent, celles actives dans des organisations professionnelles mixtes, comme le Syndicat des comédiens ou le Syndicat des gens du cinéma et de la télévision, ne sont pas pour la formation de groupes de femmes à l’intérieur de celles-ci ; ce qui traduit une revendication d’identité professionnelle mais consciente des conditions genrées. Par contre, elles agissent afin d’obtenir plus de représentativité au niveau des postes de direction et le fait que ces deux syndicats aient des présidentes peut être considéré comme un acquis dans cette voie.
CONCLUSION Les conditions d’existence et de travail des réalisatrices et des productrices dans le cinéma turc sont, de nos jours encore, fragiles et précaires. Les obstacles qu’elles rencontrent et les moyens de les dépasser qu’elles déploient au fil de leur expérience professionnelle sont en fait similaires à celles de leurs homologues dans d’autres pays. Mais à la différence de ce que White observe au sujet des pays occidentaux, lorsqu’elle affirme que la mouvance des années 1970 semble s’éteindre, que beaucoup de publications ou encore d’organisations de femmes tendent à disparaître29, la situation des cinéastes (tout comme des universitaires ou des activistes féministes) turques constitue un contre-exemple. C’est à compter des années 2000 et parallèlement à leur croissance en nombre dans le box-office, que les femmes ont commencé à faire acte de présence, et ont lancé des mouvements d’entraide et de solidarité pour produire,
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Il s’agit d’une vieille tradition de réunions périodiques des femmes (souvent des femmes au foyer) alternativement chez chacune des membres du groupe. Chaque participante apporte un plat cuisiné par elle. Le « kısır » (sorte de taboulé à la turque) étant souvent un des plats préférés, on appelle ces réunions des « journées du kısır / taboulé ». Dans le discours sexiste, cette appellation traduit en fait un mépris et désigne « les femmes qui n’ont rien à faire et passent leur temps à des commérages ». Les troisième et quatrième vagues du féminisme en Turquie réhabilitent ces pratiques féminines, tout comme par exemple celle de lire dans le marc du café, etc., comme autant de moyens de socialisation entre femmes pouvant nourrir aussi les luttes pour l’égalité. 29 WHITE, op. cit.
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se faire entendre et lutter ensemble contre la domination de la mentalité machiste dans ce secteur qui n’a toujours pas pu se constituer en industrie proprement dite, avec notamment des réseaux d’influence à domination masculine. Et elles portent cette volonté de produire et d’agir ensemble au-delà des frontières, comme nous le montre l’existence de deux festivals internationaux de films de femmes, de films de réalisatrices qui sont des co-productions européennes ou encore de leurs contacts avec leurs homologues d’autres pays, comme le souligne une productrice en ces termes : « Dans des ateliers, des formations à l’étranger c’est très enrichissant de rencontrer des femmes cinéastes d’autres pays : nous constatons une communauté d’intérêts et aussi de pratiques. » Nous sommes certes loin de la parité comme de l’égalité des droits dans les industries du film, mais le fait de voir qu’il y a eu, en l’espace d’une quinzaine d’années, de plus en plus de réalisatrices et surtout de voir qu’elles veulent et peuvent s’organiser pour l’obtention de leurs droits et la reconnaissance de leur travail nous donne de l’espoir pour les années à venir.
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Présence des femmes dans l’activité cinématographique au Cameroun Lambert NDZANA Paris 3/ Sorbonne nouvelle - IRCAV EA 185
ABSTRACT La pratique de la production cinématographique au Cameroun date des années 1960 avec l’avènement de l’indépendance. À ses débuts, très peu de femmes se sont impliquées dans l’exercice de cette profession à cause du contexte social de l’époque qui considérait la femme comme une mère au foyer qui n’a pas besoin d’exercer un métier en général, encore moins un métier lié au cinéma. Nous observons qu’au-delà de la production audiovisuelle et cinématographique, une nouvelle vague de Camerounaises s’implique davantage depuis une décennie dans l’exercice des métiers techniques, l’organisation des festivals de cinéma et la diffusion des films au Cameroun. Dans cet article, nous questionnons et analysons les aspects liés à l’émergence des Camerounaises dans le milieu cinématographique et audiovisuel. Nous examinons sous l’angle de la production, le parcours de quelques productrices, réalisatrices et techniciennes, la formation à travers les structures locales et extérieures, l’accès au financement et la conciliation entre vie de famille et travail ainsi que les discriminations auxquelles elles font face dans l’exercice de leur métier. Notre étude qui concerne des femmes aussi bien du milieu de la télévision que du cinéma, est basée sur un corpus de femmes qui, bien que réduit, est représentatif des différentes classes sociales. Au-delà du questionnaire, nous avons mené plusieurs entretiens et observations afin de comprendre davantage le contexte de travail de la gent féminine dans le cadre du cinéma et de l’audiovisuel camerounais pour faire ainsi ressortir une photographie de la situation des femmes dans ce milieu.
INTRODUCTION Le Cameroun est un pays situé en Afrique centrale. Il a une population estimée à environ 21 millions d’habitants, avec 70 % résidant dans la zone francophone qui occupe huit des dix régions que compte le pays. Il a la particularité d’avoir un secteur cinématographique et audiovisuel francophone et anglophone. Les populations des deux régions de la zone anglophone bien que minoritaires (30 %), se démarquent activement avec une approche particulière en ce qui concerne les productions cinématographiques et audiovisuelles. Sur
une échelle de grandeur, le français est parlé par environ 70 % de la population contre 30 % pour l'anglais1. Le secteur cinématographique et audiovisuel est en pleine expansion au Cameroun depuis les années 2000 avec l’arrivée du numérique. Nous sommes en effet passés d’une minorité de cinéastes dans les années d’indépendance en 1960 à une pluralité de cinéastes venant de divers milieux. Les cinéastes de sexe féminin représentent à peu près un tiers par rapport à ceux du sexe masculin2. Cette expansion, bien que bénéfique, progresse dans un contexte anarchique et non structuré. Les textes législatifs sur le cinéma au Cameroun par exemple sont obsolètes et mériteraient d’être mis à jour en intégrant les pratiques et contraintes actuelles. Le tout premier texte officiel de ce secteur est la loi n° 88/017 du 16 décembre 1988 fixant l’orientation de l’activité cinématographique au Cameroun accompagnée de la loi n° 88/013 du 16 décembre 1988 portant sur l’institution des droits et taxes affectés au développement de l’industrie cinématographique. Ces deux lois seront immédiatement suivies par le décret n°89/493 du 20 mars 1989 fixant les règles générales d’hygiène, de sécurité et de police dans les salles de spectacle cinématographique sachant que dans cette période le Cameroun comptait trente-deux salles de cinéma réparties sur l’étendue du territoire. Le décret n° 90/1462 du 09 novembre 1990 porte, quant à lui, sur l’obtention des autorisations d’exercice de l’activité cinématographique. Dans la période d’octobre 2009 à août 2018, le ministère des Arts et de la culture (Minac) à travers sa Direction de la cinématographie et des programmes audiovisuels (DCPA), a accordé un total de 317 visas d’exploitation de films courts et longs métrages. Le visa d'exploitation au Cameroun est destiné à trois modes de diffusion : l'exploitation fixe (la salle de cinéma), le DVD et l'exploitation ambulante (en dehors des salles de cinéma). Des 317 films courts et longs métrages ayant obtenu les visas d’exploitation au ministère des Arts et de la culture, ceux réalisés par les femmes représentent un pourcentage de 15 %, dont 5 % sont des courts métrages et 10% de longs métrages. Il est important de préciser que les femmes cinéastes de la zone anglophone du Cameroun ont la particularité de ne solliciter des visas que pour les longs métrages réalisés par elles.
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Site officiel de la présidence de la République du Cameroun [En ligne], consulté le 13 avril 2016 : https://www.prc.cm/fr/le-cameroun/presentation 2 Nous nous appuyons sur les statistiques d’une enquête menée dans le cadre de notre thèse. NDZANA Lambert, « Regards croisés sur les systèmes de production cinématographique et audiovisuelle des zones anglophone et francophone du Cameroun (2009 – 2015) », sous la direction de Claude Forest, et soutenue le 25 septembre 2020, Université Sorbonne Nouvelle.
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LE CADRE ET LA MÉTHODE DE NOTRE RECHERCHE Notre étude s’est déroulée sur une période de seize mois allant de septembre 2018 à décembre 2019. Au Cameroun, il n’existe pas de registre des membres du secteur, et l’exercice des métiers se déroule souvent dans un cadre informel. Il était question pour nous, à travers plusieurs enquêtes et entretiens, d’interroger différentes femmes travaillant dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel. Ces enquêtes et entretiens se sont effectués principalement dans la ville de Yaoundé3. Cette ville est celle dans laquelle on retrouve une immense communauté de cinéastes qui essaient d’exercer tant bien que mal leurs métiers. Ces enquêtes et entretiens ont néanmoins concerné les femmes résidant dans d’autres villes camerounaises. La première enquête par questionnaire, réalisée dans le cadre de notre thèse4, a concerné seize femmes ayant produit, réalisé ou écrit un film court ou long métrage entre 2009 à 2015. La seconde sous forme d’entretiens individuels a concerné quatre femmes techniciennes. Le choix des personnes interviewées s’est basé pour le cas des techniciennes, sur celles qui avaient déjà travaillé sur un projet de film (court métrage, long métrage, série ou documentaire) qui s’est réalisé.
PRODUCTION DES FILMS PAR LES CAMEROUNAISES Produire un film, court- ou long-métrage, demeure un exploit en Afrique. Toutes les difficultés liées à cette production ont poussé la nouvelle vague de « cinéastes » camerounaises à se tourner davantage vers la série télé. Elles basculent ainsi du cinéma à l’audiovisuel qui leur offre plus de souplesse et de possibilités. En effet, pour cette jeunesse active, l’audiovisuel est moins contraignant, accessible à tous et surtout donne l’opportunité concrète de gagner de l’argent en bout de chaîne, à travers la vente des droits de diffusion à une télévision. C’est dans ce sillage que les femmes exerçant les métiers du cinéma et de l’audiovisuel au Cameroun se sont frayé un chemin. Il leur est dorénavant possible de s’exprimer de bout en bout dans la chaîne de production en occupant plusieurs postes dans la technique. La toute première femme camerounaise francophone à s’aventurer dans le milieu du cinéma fut la célèbre Thérèse Mbida Bella, plus connue sous le nom
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Yaoundé, « ville aux sept collines » de par les sept collines qui l’encerclent, est peuplée de plus de quatre millions d’habitants et s’étend sur 183 km2. C’est la capitale politique du Cameroun qui regroupe toutes les institutions de l’État. 4 Notre thèse nous a permis de mener plusieurs enquêtes de terrain dont celle sur questionnaire qui a concerné un échantillon de 65 cinéastes camerounais issues des zone francophone et anglophone du Cameroun. Voir NDZANA, 2020, op. cit.
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de Sita Bella. Elle fait partie des tous premiers journalistes formés à la Société de radio de la France d’Outre-mer (SORAFOM) dans les années 19505. Elle fut pilote d’avion, mannequin et la première journaliste camerounaise. Il est nécessaire de noter que, dans le processus de fabrication des films en pellicule à cette époque dans la zone francophone, le sexe féminin intervenait surtout devant la caméra notamment à travers l’interprétation. À l’opposé, les femmes des régions anglophones du Cameroun se démarquent dans les années 2000, grâce aux rôles tenus par elles autant devant que derrière la caméra. Notre échantillon, représentatif de la période 2009-2015 à Yaoundé (pour la zone francophone) et à Buea (pour la zone anglophone), nous montre que les femmes cinéastes enquêtées de la zone francophone sont plus intéressées par la réalisation et l’écriture du scénario. Par contre, en zone anglophone, elles se soucient plus de la production, certainement à cause de l’environnement et des conditions de travail qui diffèrent. En effet, en zone francophone, il y a eu pendant de longues années la possibilité d’obtenir des subventions pour la production des films. Les films produits dans ce contexte de subventions n’avaient pas une obligation de rentabilisation, ils faisaient souvent le tour des festivals, lieux privilégiés dans lesquels les réalisatrices étaient mises en avant. Ce qui pourrait justifier partiellement cet intérêt particulier à la réalisation. Les cinéastes de la zone anglophone quant à elles n’ont pas évolué dans cette logique de subventions et elles mettent un accent sur la distribution. La productrice anglophone est celle qui se chargera de monter le projet, de trouver des financements personnels et puis elle devra trouver les voies et moyens pour vendre son film et avoir un retour sur investissement.
GENRE DES FILMS PRODUITS ET RÉALISÉS PAR DES CAMEROUNAISES Dans la zone francophone, Thérèse Sita Bella est celle qui ouvre le bal en réalisant le second film dit camerounais juste après les indépendances en 1963. C’est un documentaire de trente minutes intitulé Tam-Tam à Paris. Il est produit au format cinéma 16 mm avec des capitaux privés et réalisé une année après le tout premier film documentaire du Camerounais Jean Paul Ngassa coréalisé avec Philippe Brunet Aventure en France en 1962.
5 « Thérèse Sita Bella parle de la presse et de l’élégance ». Entretien avec Marie Pouya, Amina, nᵒ 233, 1989, reproduit par le Centre pour l’étude et la recherche sur les femmes africaines dans le cinéma, https://www.africanwomenincinema.org/AFWC/Amina_Sita_Bella.html (consulté le 11 avril 2021).
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Sita Bella est l’unique réalisatrice camerounaise connue pour avoir tourné avec la pellicule 16 mm pour le cinéma. Zenabou Pomboura, diplômée du Conservatoire du cinéma français où elle se spécialise dans le métier de scripte, demeure également la seule scripte camerounaise à avoir travaillé sur la quasi-totalité des plateaux de films de cinéma tournés en pellicule au Cameroun. En 1995, elle travaille dans le projet Les Intellectuels de la rue. C’est le premier long métrage de la Camerounaise Chantal Londji Dang qui porte sur la thématique des enfants de la rue au Cameroun. Cette dernière est diplômée d’une licence en communication de l’Université Laval, couronnée par un concours d’intégration des minorités dans les médias de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. À l’aube du millénaire, Yolande Ekoumou Samba, réalisatrice à la télévision camerounaise prendra le relais en réalisant le long métrage Itilga (L’héritage) tourné en 2000 avec un équipement vidéo en Betacam SP. Elle a été formée en communication audiovisuelle à l’université de Valenciennes dans les années 1980 et a par la suite obtenu une maîtrise en science des métiers de l’image et du son à l’université Aix-en-Provence suivi d’un DESS en management de la culture audiovisuelle à l’université de Valenciennes. En 2006, Hélène Ebah, réalisatrice indépendante, diplômée d’un bachelor en réalisation cinématographique à l’EICAR en France et d’une licence en cinéma à Paris 3, sortira du lot en réalisant Les blessures inguérissables. À travers ce tout premier long métrage, elle se distingue des autres réalisatrices camerounaises par ses convictions en tant que féministe et utilise le cinéma pour exprimer son point de vue : Je me retrouve en train de produire mes propres films parce que je n’ai pas trouvé des producteurs. Et j’ai des convictions assez fortes pour croire que ce que je fais peut plaire ou ce que je fais peut gêner. Je pense que le cinéma peut servir un peu à parler de notre société et donc je pense que c’est ce que je fais. […] Ne pas trouver de producteurs, ce n’est pas ce qui doit m’arrêter6. Joséphine Ndagnou, réalisatrice également à la télévision camerounaise, a obtenu un diplôme en réalisation audiovisuelle à l’ESRA en France, suivi d’une maîtrise en études cinématographiques et audiovisuelles à Paris 1 Sorbonne. Elle produira et réalisera en 2007 le téléfilm Paris à tout prix. Ce téléfilm, produit avec un budget de 150 000 000 FCFA (228 693 EUR) selon elle, demeure à ce jour le plus coûteux parmi tous les téléfilms produits par un.e
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EBAH Hélène, entretien issu d’un documentaire, dans NDZANA Lambert, Autopsie du cinéma africain, Yaoundé, 2008.
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Camerounais.e. Il fait partie des derniers téléfilms camerounais à avoir bénéficié d’une programmation dans quatre salles de cinéma au Cameroun (les cinémas Abbia, le Capitole, l’Empire et le Wouri) avant la fermeture totale des salles en 2009. En 2013, Françoise Elong en provenance de la France où elle a étudié, réalisera le long métrage Waka et en 2015 ce sera au tour de Crescence Bekolo de scénariser et produire le long métrage Il a le dernier mot (2014). Dans le domaine du documentaire, Osvalde Lewat, se fait connaître grâce à quatre documentaires dont le premier réalisé en 2003, Au-delà de la peine, qu’elle présente comme « l’histoire vraie d’une vie brisée », « le récit simple et touchant d’une bataille au cœur de l’absurde ». Condamné à quatre années de prison ferme, Owono Pierre va finalement passer trente-trois ans en détention. Continuant pourtant à se battre pour sa libération, qu’adviendra-t-il s’il parvient à reconquérir sa liberté7 ? Osvalde Lewat est la seconde cinéaste camerounaise, après Sita Bella, à réaliser un documentaire sorti en salle, Une affaire de Nègres (2006). Ce film de 90 minutes, tourné en vidéo et kinescopé en 35 mm, est sorti en salle en France en septembre 2009. Dans la zone anglophone, les pratiques cinématographiques et audiovisuelles sont plus récentes. Depuis les années 2000, à peine une dizaine de femmes cinéastes interviennent dans les métiers techniques et artistiques. Comme productrices, quelques-unes se sont démarquées de par leurs réalisations. Nous pouvons citer sur le plan local, Elung Brenda Shey basée à Limbe, qui travaille dans une société pétrolière de la place, ce qui lui procure des revenus suffisants pour en investir une partie dans la production de ses films et séries. Elle s’est démarquée dès le départ à travers la production de la série Samba8, largement diffusée au Cameroun et à l’étranger. Itambi Delphine basée à Buea s’efforce, quant à elle, d’acquérir de l’expérience et de se former. Elle exerce les fonctions de productrice, réalisatrice et scénariste pour ses propres productions ou pour celles de ses collègues. Elle a produit notamment son propre long métrage Ward Zee9 en 2018.
7 Voir le site personnel d’Osvalde Lewat : https://osvaldelewat.com/films/ (consulté le 13 août 2019). 8 Samba, série télévisée produite en 2016, raconte l'histoire de deux femmes qui décident de porter leur label de mode à une classe mondiale. Elles feront face à un ennemi improbable. 9 C’est un thriller qui infiltre un réseau d’enlèvement de nouveaux nés, phénomène récurrent.
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EXERCICE DES MÉTIERS TECHNIQUES ET ARTISTIQUES DES CINÉASTES CAMEROUNAISES Nous notons que la moyenne d’âge des femmes enquêtées qui exercent dans le cinéma est de 40 ans et correspond à la génération intermédiaire des années 1990-2000. La moitié d’entre elles est soit en couple, soit mariée avec deux enfants en moyenne. Ce paramètre sur un plan social et même personnel des femmes concernées est très important au Cameroun. Les femmes continuent de subir une pression familiale et se retrouvent contraintes à suivre un certain canevas. Après les études pour celles qui en ont l’opportunité, elles feront la fierté des leurs en se mariant ou du moins en faisant un enfant, la recherche d’un travail n’étant pas prioritaire. Comme dans la plupart des pays africains, c’est toujours à l’homme que revient la responsabilité de subvenir aux besoins de sa famille dont fait partie son épouse ou compagne. Contrairement aux cinéastes hommes enquêtés dans le cadre de notre thèse, la majorité des femmes cinéastes, bien qu’en couple, est en location et n’est pas propriétaire d’une maison. Le fait de posséder une maison au Cameroun est une source de stabilité et de réussite sociale. À ce titre, les réalisateurs sont l’exception contrairement à la majorité des artistes des autres filières. Le métier pratiqué majoritairement par les cinéastes camerounaises selon notre étude est celui de scénariste comme on peut le noter dans le graphique nᵒ 2 qui suit. L’écriture du scénario demeure un exercice de création qui n’exige pas du point de vue du créateur un dispositif ou une logistique spéciale et contraignante. L’auteur a juste besoin de se retrouver dans un endroit calme, en possession d’un stylo et d’un bloc-note ou alors d’un ordinateur. Concernant les projets de courts métrages, le coût moyen payé pour l’écriture est de 670 000 FCFA (1 021 EUR). Pour les scénaristes camerounaises, c’est aussi un lieu pour extérioriser toutes les souffrances et joies cumulées au fil du temps. J’étais en train d’écrire pour la première fois et je constate que j’étais en train d’écrire pour un homme. […] Mon acteur était un acteur homme au départ, à la fin c’était une actrice qui était l’héroïne. J’ai essayé de comprendre pourquoi. J’ai constaté qu’on nous a formés au Cameroun à savoir que c’est l’homme qui doit être le héros. Mais quand une femme se met à écrire, elle se met en jeu, en action, et c’est elle qui est l’héroïne. C’est ça la différence10.
10
MATIP Tatiana, comédienne, entretien à Yaoundé, le 14 août 2019.
223
Graphique nᵒ 1. Classement des types de films produits par les enquêtées 140 120 100 PRODUITS
80
REALISES
60
ECRITS
40 20 0 CM
LM
DOC
SERIE
PAS CON
La pratique des métiers de la réalisation et plus récemment de la production seconde l’écriture du scénario. Pour ce qui concerne la production, les femmes cinéastes des régions anglophones viennent en tête à cause du contexte socioéconomique plutôt difficile de ces régions anglophones, qui les contraint à s’affirmer à tout prix. Elles s’engagent dans un processus long et laborieux jonché d’abus, de critiques et arrachent ainsi au prix fort leur notoriété. Graphique nᵒ 2. Classement des types de films produits par des Camerounaises Pas concernées 1%
Séries 8%
Courts métrages 56%
Documentaires 21%
Longs métrages 14%
Suivant le listing des films de notre échantillon, les productrices camerounaises produisent majoritairement du court métrage (56 %), ensuite du documentaire (21 %), du long métrage (14 %) et de la série TV (8 %). L’usage du court métrage, généralement considéré comme un passage d’essai où on se fait la main, explique aisément qu’il soit le plus pratiqué. L’enquête révèle que les coûts de production d’un court métrage produit par les femmes aux commandes vont de 425 000 FCFA à 2 546 000 FCFA (648 à 3 882 EUR) avec une moyenne de 1 480 000 FCFA (2 556 EUR). Le financement de ces productions provient essentiellement de fonds propres, à quelques exceptions près de celles qui réussissent à décrocher un sponsor ou des partenaires institutionnels nationaux ou internationaux. Cela est rendu 224
possible avec l’élan de solidarité féminine dont beaucoup bénéficient dans la réalisation de leurs projets. Le documentaire suit parce qu’il a également l’avantage de nécessiter une équipe technique réduite sans besoin d’équipe artistique comme c’est le cas pour la fiction. Les femmes représentent environ le quart de l’équipe technique des productions aussi bien de longs métrages que de courts métrages. Ce qui sousentend la faible présence des techniciennes sur les plateaux de tournage. Nous avons constaté que l’actorat semble être un passage incontournable ou une porte d’entrée pour celles qui veulent faire carrière dans le cinéma. Il est par conséquent en grande partie le lieu où l'on trouve le plus grand nombre de femmes dans le cinéma camerounais. Graphique nᵒ 3. Métier principal exercé par notre échantillon
Les deux tiers des femmes de notre échantillon exercent majoritairement des métiers artistiques et de création telles la réalisation et l’écriture de scénario. Pour les domaines de la production et de la technique, un tiers des femmes s’y intéresse. Il faut souligner que pendant longtemps, les métiers techniques du cinéma, notamment ceux liés à l’image et au son, n’ont pas intéressé de prime abord les Camerounaises. Les contraintes physiques liées à la pratique de ces métiers exigeaient d’avoir une certaine force physique pour pouvoir soit porter et se déplacer avec une caméra de plus de quinze kilos à l’épaule, soit tenir debout pendant un long moment une perche ou un enregistreur professionnel de marque Nagra11 pour la prise de son.
11
Marque d’enregistreur sonore analogique portable utilisant des bandes magnétiques, conçu à partir de 1950 par l’ingénieur suisse d’origine polonaise Stefan Kudeslski.
225
L’IMPLICATION DES CAMEROUNAISES DANS LA DIFFUSION DES FILMS De nos jours, on peut noter la présence des femmes aussi bien dans la production des films que dans leur diffusion tant à la télévision que dans les festivals de cinéma au Cameroun. Parmi la trentaine de festivals recensés12, cinq sont initiés et dirigés par des femmes avec à la clé un « festival de films des femmes » qui leur est spécialement dédié. Evodie Ngueyeli, doctorante en cinéma à l’université de Yaoundé 1, est la première déléguée adjointe d’un festival de cinéma dédié à la gente féminine au Cameroun. Dénommé Miss Me Binga qui signifie en français « regards de femmes », ce festival existe depuis 2010 et a fait l’objet d’un soutien important et régulier du centre culturel Goethe Institut de Yaoundé. Cette initiative sera directement suivie par Joséphine Arice Siapi Tchowa qui créera en 2011 le Festival international de film mixte (FIFMI) de Ngaoundéré dans la région du nord Cameroun. Malheureusement, elle sera contrainte de marquer un arrêt dans l’organisation de son festival, faute de soutiens financiers. Nous notons aussi d’autres déléguées de festivals que sont Alvine Kouambo pour le festival international du cinéma indépendant de Bafoussam depuis 2013, Sylvie Nwet pour le Yahra film festival depuis 2014 et Fadimatou Ahmat Gadjama pour le Cinesah festival à Garoua depuis 2015. Sur le plan organisationnel, nous observons les mêmes déboires liés à la sélection, à la programmation et la diffusion des films identiques à ceux des festivals de films ayant des délégués hommes à leur tête. « Si un travail évident de rigueur doit être fait, de préparation, de délégation de tâches, de transparence et d’honnêteté financière, il nous semble tout aussi important d’interroger l’imaginaire collectif13. » Pour ce qui est de la diffusion, le Cinéma numérique ambulant (CNA) est présidé au Cameroun par Stéphanie Dogmo, journaliste et critique de cinéma, diplômée en journalisme et en sociologie. Cette initiative permet de porter le cinéma aux populations locales dans les zones les plus enclavées du pays à travers des diffusions en plein air. Dans le secteur de la traduction, du doublage et sous-titrage français-anglais, Ketsia Fodjon est celle qui s’est démarquée et imposée. Après plusieurs
12
NDZANA Lambert, « Les festivals de cinéma au Cameroun. Le parcours du combattant », dans FOREST Claude (dir.), Festivals de cinéma en Afriques francophones, Paris, L’Harmattan, 2020, p. 177. 13 NDZANA Clément, « Imaginaires, culture et pluralité des publics au Cameroun », dans FOREST Claude (dir.), Festivals de cinéma en Afriques francophones, Paris, Éditions L’Harmattan, 2020, p. 176.
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formations dans le domaine de la traduction et du doublage en français et en anglais, elle a exercé dans la traduction simultanée dans plusieurs manifestations prestigieuses comme le Fespaco, sans oublier de multiples conférences, séminaires internationaux et colloques. Elle œuvre depuis plusieurs années dans le secteur du doublage des films et des séries grâce à la maîtrise de cet art qui lui a permis de développer ses méthodes propres tenant compte de son environnement local. Le milieu de la recherche en cinéma n’est pas en reste. L’Association camerounaise interuniversitaire de recherche en cinéma (Acirec), créée le 22 septembre 2018, a recensé une quarantaine de chercheurs parmi lesquels on dénombre une dizaine de femmes, dont 24 doctorants en cinéma dans les universités camerounaises, 7 sont des femmes. L’une de ces chercheuses, Annette Angoua, maîtresse de conférences, est directrice de l’Institut des beauxarts de Nkongsamba.
FORMATION DES TECHNICIEN.NES CAMEROUNAISES La formation demeure un secteur sous-développé au Cameroun. Il existe certes beaucoup de centres de formation, écoles et universités d’État, mais la formation délivrée en cinéma et audiovisuel n’est pas souvent à la hauteur des attentes des apprenants. Très peu de structures de formation disposent d’équipements techniques pour la pratique et pour des enseignants professionnels. Les apprenantes se retrouvent donc souvent livrées à elles-mêmes : C’était vraiment sans expérience, du genre tu viens sur un plateau et tu fais comme ça, sans savoir exactement ce que tu fais, donc au fur et à mesure tu apprends. À un moment donné, je me suis rendu compte qu’il y avait nécessité de se former, de comprendre ce que tu fais14. L’arrivée de la télévision dans les années 1980 a fait naître l’unique vague des Camerounaises formées en France pour jouer un rôle derrière les caméras, cette fois aussi bien à la télévision qu’au cinéma. Cela sera davantage renforcé avec l’avènement du numérique dans les années 2000 qui permettra à la gent féminine de s’aventurer dans plusieurs métiers du cinéma et de l’audiovisuel malgré les multiples blocages et difficultés auxquels elle fera face. Force est de constater au sein de notre échantillon, qu’en dehors d’un projet de formation en écriture sur une période de trois ans organisé par l’Union européenne en 2012, la plupart des formations cinématographiques ou audiovisuelles suivies par nos enquêtées sont de très courte durée et organisées dans
14
Feue YOUGANG Agnès, entretien à Yaoundé, le 9 juillet 2017.
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le cadre des festivals de films pour la plupart, et ponctuellement par des organisations associatives comme l’Association des dames de l'image au Cameroun (Adamic). Pourtant selon notre enquête, 80 % des techniciennes sont diplômées du supérieur avec près de 60 % ayant obtenu un master dans différentes disciplines universitaires dont le cinéma. Ce qui sous-entend qu’elles ont le bagage intellectuel nécessaire pour suivre des formations professionnalisantes dans le cinéma et l’audiovisuel. Mais on constate que le manque de structures de formations professionnelles locales est un frein à cette ambition. Les formations en réalisation couvrent la période de 1984 à 2012. Elles sont assurées au Cameroun et en France majoritairement dans des structures de formation professionnelle. C’est le cas de l’École internationale de création audiovisuelle et de réalisation (EICAR) et l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) en France qui ont formé des réalisatrices de la télévision camerounaise. Pour le cas du Cameroun, nous pouvons citer entre autres : l’Institut supérieur de formation aux métiers du cinéma et de l'audiovisuel de l'Afrique centrale (ISCAC) appartenant au cinéaste Bassek Ba Kobhio, le Conseil international des radios-télévisions d'expression française (CIRTEF) et LN International, centre de formation professionnel agréé par l’État appartenant au cinéaste indépendant Lambert Ndzana, qui font partie des structures ayant formé plusieurs autres Camerounaises15. En production, en dehors d’un cycle de deux ans suivi à Paris 8, bon nombre des formations ont été dispensées dans le cadre des festivals de cinéma ou séminaires de courte durée. La postproduction est le secteur dans lequel on trouve très peu de femmes formées, les domaines les plus explorés étant l’écriture et la réalisation. L’une d’elle, Jenet Agbor, actuellement basée en Europe, est la seule à avoir été formée à Lyne University en Suède. Selon Esther Biyiga, diplômée en photographie depuis 2015 : Pour une femme s’asseoir pratiquement dix heures d’affilée sur une chaise devant un écran toute la journée n’est pas évident, elle expose sa santé, elle prend des kilos […]. J’ai pris des kilos à cause du montage, je mange sur place, je ne marche pas quand je fais un projet […], je suis toujours assise minimum 7 à 8 heures par jour16. Nous notons pour finir que dans le secteur de la technique cinématographique et audiovisuelle, les formations sont essentiellement effectuées dans le
15 16
Les structures citées sont celles listées par les enquêtées et la liste n’est pas exhaustive. BIYIGA Esther, entretien à Yaoundé, le 28 juillet 2019.
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cadre des projets financés17 dont les conditions limitées d’accès restreignent d’autant le nombre des bénéficiaires, et réduisent davantage les possibilités des Camerounaises, déjà peu nombreuses, à postuler. En dehors du cadre des projets, les formations se déroulent aussi durant des festivals locaux, avec une durée variable liée à celle du festival, sept jours en moyenne. Au-delà de ces deux lieux, quelques formations, d’une durée de quinze jours, sont organisées par des structures privées.
ATTENTES DES CAMEROUNAISES ÉVOLUANT DANS LE CINÉMA ET L’AUDIOVISUEL L’environnement et les conditions de travail dans le cinéma et l’audiovisuel au Cameroun posent des problèmes récurrents liés à la non structuration du secteur. Il existe certes quelques textes de loi qui définissent le cadre et les modalités qui régissent le fonctionnement de ce secteur, mais ils demandent urgemment une mise à jour qui prenne en compte les conditions et le contexte actuels. Par rapport à cette situation, plusieurs solutions ont été expérimentées aussi bien par l’administration que par quelques professionnels du secteur. Les résultats ne semblent toujours pas convaincants et efficaces. Nous avons essayé de savoir quels seraient, en fonction du parcours singulier des cinéastes camerounaises de notre échantillon, leurs besoins prioritaires. Nous avons regroupé ces besoins en sept grandes catégories couvrant l’ensemble du secteur cinématographique et audiovisuel. Les pourcentages du graphique nᵒ 4 nous montrent que soit les cinéastes camerounaises n’ont pas de véritables besoins prioritaires dans l’exercice de leurs métiers, soit elles estiment que tous ces besoins sont prioritaires au même titre afin qu'elles puissent exercer correctement leur métier. Contrairement aux dires populaires qui réduisent souvent tous les problèmes du cinéma camerounais au manque de financement pour justifier les carences constatées dans les cinémas d’Afrique, les besoins réels sont diversifiés et équilibrés.
17 Parmi les structures qui financent habituellement ces projets, nous pouvons citer les représentations diplomatiques, les centres culturels, les associations, etc.
229
Graphique nᵒ 4. Répartition des besoins prioritaires des femmes pour améliorer leurs conditions de travail dans le cinéma et l’audiovisuel. FORMATION 13%
TEXTES 13%
FINANCEMENT 16%
TECHNICITE 15%
EQUIPEMENTS 15%
DIFFUSION 13% INTERPRETATION 15%
Nous notons que de plus en plus de femmes engagées sur ce terrain dans la pratique de différents métiers liés à la technique prennent conscience de la nécessité de s’affirmer en tant que techniciennes compétentes dans les postes qu’elles occupent sur les plateaux de tournage. Je ne me laisse pas enfermer dans mon statut de femme. Seule la compétence est ma boussole et l'une de mes plus grandes satisfactions, c'est d'avoir concilié ma vie professionnelle et ma vie familiale. Je me sens plutôt privilégiée d'avoir réussi à m'insérer et à être reconnue pour mes qualités professionnelles, dans un milieu professionnel majoritairement masculin18 ! Au-delà de tous ces problèmes matériels, organisationnels et fonctionnels, les Camerounaises qui pratiquent ce métier se retrouvent parfois contraintes d’assumer prioritairement leur fonction de femme au foyer au risque d’être prises à partie par le conjoint ou la famille. Pour celles qui démarrent très jeunes dans le milieu, le mariage devient difficilement accessible de par le fait qu’elles sont absorbées par leur métier qui souvent se pratique à des horaires tardifs et imprévisibles.
CONCLUSION Bien qu’épouse, fiancée, célibataire ou mère, la cinéaste camerounaise reste motivée et déterminée à aller de l’avant et à faire valoir ses compétences dans le domaine. La culture sociale locale qui a pendant des décennies réduit la femme camerounaise à la simple fonction d’épouse ou de mère au foyer, semble officiellement déjà largement dépassée, mais elle demeure dans les habitudes.
18
ZAMBO Annie, camerawomen et photographe, entretien à Yaoundé le 27 juillet 2019.
230
Depuis son adolescence, la jeune fille camerounaise peut déjà faire le choix d’exercer un métier artistique ou technique dans le cinéma ou l’audiovisuel. Elle bute encore sur l’aspect de la formation car plusieurs structures locales de formation n’ont pas l’expertise ou l’équipement technique nécessaire au déroulement d’une formation de qualité. Reste alors la solution de s’expatrier pour celles qui le peuvent et en ont les moyens financiers, aidées par leurs parents ou la grande famille. L’exercice de ces métiers aujourd’hui est bien intégré dans les agendas. Comme dans tous les autres secteurs de la vie active au Cameroun, et le milieu du cinéma et de l’audiovisuel n’y échappe pas, les différentes pratiques professionnelles requièrent de trouver un équilibre ! « Elles doivent donc se montrer professionnelles en toute circonstance et cultiver le goût du travail bien fait. Ce n'est que de cette manière qu'elles pourraient s'imposer dans cet univers et renforcer leur légitimité dans ce milieu professionnel19. »
19
Ibid.
231
Réalisatrices ouest africaines francophones. Portraits croisés Burkina Faso et Sénégal Mame Rokhaya Ndoye UMR CNRS 5316–Université Grenoble-Alpes
ABSTRACT Cet article dresse le portrait des réalisatrices ouest-africaines francophones à travers un une étude comparative des cinématographies du Burkina Faso et du Sénégal. Dans une démarche monographique et comparative entre ces deux pays de traditions cinématographiques différentes, il a pour objectif de faire l’état des lieux de la participation féminine dans le développement de la profession composée majoritairement d’hommes. Cet article est tiré de nos travaux de recherche doctorale sur les réalisateurs de films ouest-africains francophones (2013-2015). Ce travail de terrain nous a conduit à construire une base de données sur les réalisatrices de films dans ces deux pays, cette tranche de la population sous-représentée et très peu visible. En ce qui concerne le corpus utilisé dans cet article, il s’agit de 14 réalisatrices (3 Burkinabè et 11 Sénégalaises). Dans une première partie nous allons présenter les réalisatrices au Burkina Faso et au Sénégal. Dans un deuxième temps, nous mettrons en perspective la place de ces dernières dans la scène cinématographique de ces deux pays. Pour finir, nous allons mettre l’accent sur les conditions de travail.
INTRODUCTION Les cinémas de l’Afrique noire francophone, derniers-nés des cinémas du monde, n’ont éclos qu’en 1960, après les indépendances des pays concernés. Compte tenu d’un certain nombre de déterminants, cette éclosion s’est faite plus ou moins tardivement d’un État à un autre. Si certains pays, comme le Burkina Faso, avaient mis leur cinéma au second plan au profit de la construction des bases d’un développement économique, d’autres, comme le Sénégal, ont utilisé cet art comme médium de revalorisation d’une identité malmenée pendant la période coloniale. Les gouvernements s’efforceront de mettre sur pied leur propre service de cinéma. Les premières productions seront réalisées essentiellement par des hommes à cette époque. Au Sénégal, il s’agira de Blaise Senghor avec Grand Magal de Touba (1962), Paulin Soumanou Vieyra dans Une nation est née
(1962) et Lamb (1963) ou encore Ousmane Sembene avec Borom Sarret (1963) et La Noire de... (1966). Le cinéma burkinabé sera porté par des réalisateurs comme Mamadou Djim Kola avec son film Le sang des parias (1972), René Bernard Yonli dans Sur le chemin de la réconciliation (1976) ou Gaston Kaboré dans Wend Kuuni (1982). La profession va être composée exclusivement d’hommes jusqu’à la réalisation du documentaire camerounais Tam-Tam à Paris en 1963 par Thérèse Sita Bella en suivant la compagnie de danse nationale du Cameroun lors d’une tournée à Paris. Ce documentaire, souvent cité comme le premier film d’une femme d’Afrique subsaharienne, a été présenté en 1969 à la première Semaine du cinéma africain qui deviendra plus tard le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadogou (FESPACO). En 1972, la sénégalaise Safi Faye va sortir son premier court-métrage, La passante. Elle sera considérée comme la première réalisatrice d’Afrique noire comme l’illustrent les propos de cette dernière : « Comme j’étais la première négresse à faire des films, j’ai été connue1. » Célèbre pour ses documentaires, Safi Faye va ouvrir la voie à de nombreuses femmes comme Rose Bekale (Gabon), Aminata Ouedraogo (Burkina Faso), ou Léonie Yangba-Zowe (Centrafrique)2. Il y avait très peu de femmes derrière la caméra dans les années 1970, comme l’indique Thérèse Sita Bella : « À l’époque, nous étions peu nombreuses. Il y avait quelques Antillaises, la Sénégalaise Safi Faye et moi. Mais vous savez, le cinéma n’est pas une affaire de femmes3 ». Il faudra attendre les années 1990 pour voir arriver de nouveaux noms féminins dans le domaine cinématographique africain. Dans cet article, il s’agira de dresser la figure des réalisatrices ouest-africaines francophones à travers un portrait croisé entre le Burkina Faso et le Sénégal. Nous allons dans une première partie dresser le portrait de la réalisatrice au Burkina Faso et au Sénégal. Une deuxième partie mettra en perspective d’une part les raisons de la présence accrue des femmes dans la profession et d’autre part les conditions de travail de ces dernières. Il nous semble, toutefois, important de rappeler le contexte d’étude et l’échantillon que nous allons utiliser dans cet article. Dans le cadre de nos travaux de recherche doctorale sur les réalisateurs de films ouest-africains francophones, nous avons été amenée à effectuer, durant près de trois ans
1
LEQUERET Elizabeth, « Un monde de combats, de rêves et de désirs. L’Afrique filmée par des femmes », Le Monde diplomatique, août 1998, p. 11. 2 Voir la biographie de Safi Faye sur Africultures http://africultures.com/personnes/?no=3647 3 LEQUERET, op. cit., p. 11.
234
(2013-2015), des enquêtes ethnographiques au Burkina Faso et au Sénégal sur un corpus d’enquête de 46 personnes établi en fonction de trois critères d’inclusion et de circonscription. Le premier critère est d’être réalisateur, le deuxième est d’avoir la nationalité ou d’être originaire du Burkina-Faso ou du Sénégal. Le dernier est avoir réalisé au minimum trois films entre 2000 et 2017. Ce travail de terrain nous a conduit à construire une base de données sur les réalisatrices de films dans ces deux pays, cette tranche de la population sous-représentée et très peu visible. La différence d’effectif dans notre corpus composé de 14 réalisatrices (3 Burkinabè et 11 Sénégalaises), s’explique par nos critères d’inclusion à la population d’étude. Les entretiens ont été effectués principalement à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso et à Dakar, la capitale du Sénégal. Nous avons opté pour l’analyse qualitative qui nous semblait la plus cohérente par rapport aux caractéristiques heuristiques de notre échantillon. De fait, notre choix s’est porté sur l’utilisation de l’entretien semi-directif. La flexibilité du guide d’entretien permet aux acteurs de s’exprimer librement sur les thèmes retenus. Il permet, non seulement, de mettre en confiance les enquêtées, mais fournit aussi des informations de grande qualité. Notre guide d’entretien s’est articulé autour de quatre thématiques : la filière cinématographique ; les types d’interactions et d’interlocuteurs ; les conditions de travail et les stratégies d’action collective et/ou individuelle. Nous avons élaboré une grille d’entretien à la fois homogène et adaptable à la réalité de nos terrains, dans la mesure où « mener une enquête comparative suppose alors de faire une recherche approfondie des causes et des schèmes de références qui font sens de façon spécifique pour les interviewés4 ». Nous avons assisté à des conférences, séminaires, des projections de films et d’avant-premières et de festivals. C’était aussi l’occasion de prendre contact avec les réalisatrices afin d’obtenir des rendez-vous avec elles. Avec leur emploi du temps et leurs déplacements, il a été très difficile de rencontrer certaines d’entre elles.
PORTRAIT DES RÉALISATRICES OUEST-AFRICAINES FRANCOPHONES Il est difficile de délimiter la fonction des réalisateurs de films en raison des différences notables entre leurs pratiques et leurs contextes du métier. En dehors du cœur du métier, à savoir le management d’une équipe, le respect
4
LECHAUX Bleuwenn, « Comparer l’engagement d’artistes à Paris et à New York », Terrains & travaux, vol. 21, nᵒ 2, 2012, p. 78, http://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2012-2page-75.htm
235
des orientations de l’œuvre audiovisuelle et la mise en scène, c’est le champ d’intervention du réalisateur de films et la nature des activités du secteur qui stipulent les finalités d’une production audiovisuelle. De ce fait, l’appellation unitaire de ce groupe professionnel masque une plus grande hétérogénéité5. De plus, ces professionnels n’ont pas les mêmes titres universitaires, la même rémunération et encore moins la même position statutaire ou reconnaissance. Les réalisatrices ouest-africaines francophones ne dérogent pas à la règle. Hormis leur appartenance à une même catégorie socioprofessionnelle, le groupe professionnel des réalisatrices au Burkina Faso et au Sénégal est disparate. Ces dernières n’ont pas le même âge, ni la même formation, encore moins une orientation esthétique et artistique semblable. Les données synoptiques des caractéristiques sociodémographiques des tableaux ci-dessous en sont une parfaite illustration. Tableau nᵒ 1 – Données synoptiques des caractéristiques sociodémographiques des réalisatrices (Burkina Faso)
Nom des réalisatrices
Âge
Diplôme
Format
Support ou format de prod
Genre
Nombres de films à partir de 2000
Bayala Marie-Laurentine
35
Bac + 5
Court
DvCam
Documentaire/Fiction
4
Nacro Fanta Régina
54
Bac + 5
Long / Moyen / Court
DvCam/Super 16
Documentaire/Fiction
9
Nikiema Mamounata
38
Bac + 5
Court / Moyen
DvCam
Documentaire
6
Sources : Enquêtes réalisées sur un corpus composé de 14 réalisatrices burkinabées et sénégalaises
Les réalisatrices de notre corpus sont âgées de 33 à 62 ans. En premier lieu, il faut noter la proximité d’âge de notre population dans la mesure où près de deux tiers des professionnelles de l’image ont moins de 40 ans. C’est une population qui se situe majoritairement dans la tranche d’âge 30–50 ans, il n’y a que 2 réalisatrices âgées de plus de 50 ans. L’âge moyen de ces réalisatrices est ainsi de 42 ans.
5
HIRSCHHORN Monique, L’ère des enseignants, Paris, PUF, 1993.
236
Tableau nᵒ 2 – Données synoptiques des caractéristiques sociodémographiques des réalisatrices (Sénégal)
Nom des réalisatrices
Âge
Diplôme
Format
Support ou format de prod
Genre
Nombres de films à partir de 2000
Diabang Angèle
38
Bac + 5
Court / Moyen
DvCam
Documentaire
7
Dièye Ndéye Souna
33
Bac + 5
Long / Moyen / Court
DvCam
Documentaire
3
Diop Alice
38
Bac + 5
Long / Moyen / Court
DvCam
Documentaire
8
Gavron Laurence
62
Bac + 5
Long / Moyen
DvCam
Documentaire
5
Gaye Dyana
42
Bac + 5
Court / Moyen
DvCam/Super 16
Fiction
6
Guéye Maïmouna
38
Bac + 3
Court
DvCam
Documentaire
4
Kâ Marie
41
Bac + 3
Court / Long
DvCam
Documentaire/Fiction/Essai
7
Kandé Senghor Fatou
46
Bac + 5
Long / Moyen / Court
DvCam
Documentaire/Essai
7
Sow Khadidiatou
41
Bac + 2
Court / Moyen
DvCam
Documentaire
5
Sylla Faye Mariama
39
Bac + 3
Court
DvCam
Documentaire/Fiction
6
Thiam Aïcha
38
Bac + 5
Court / Long
DvCam
Documentaire
5
Sources : Données collectées par l’autrice sur un corpus de 14 réalisatrices burkinabées et sénégalaises
L’ensemble de l’échantillon a suivi une formation diplômante en réalisation filmique en module général ou spécialisant tel que le documentaire. Elles ont un niveau de formation allant du Bac+3 à Bac+5. Contrairement à leurs homologues hommes qui ont un niveau moyen de qualification (BTS, DTS et DPS)6, les réalisatrices de notre enquête ont, par le biais de leurs formations, un niveau intermédiaire ou avancé, de connaissances et de savoir-faire professionnel. L’accès à la formation des professionnels de l’audiovisuel a longtemps fait défaut aux pays ouest-africains francophones en général, au Burkina Faso et au Sénégal en particulier. Pendant longtemps, les personnes désireuses de se former en réalisation filmique devaient aller à l’étranger, bien que le Burkina
6
BTS (brevet de technicien supérieur), DTS (diplôme de technicien supérieur), DPS (diplôme professionnel spécialisé).
237
Faso ait abrité, entre 1977 et 1987, la première école de cinéma d’Afrique subsaharienne : l’INAFEC (Institut africain d’éducation cinématographique) de Ouagadougou7. L’offre en formations diplômantes et formelles a commencé à se développer vers les années 2000. Le Burkina Faso dispose de trois structures de formation, dont une publique, et le Sénégal de sept écoles de formation, dont une publique et une associative8, ce qui fait qu’une grande majorité de notre panel s’est formée localement. Le master professionnel de réalisation documentaire de création et de production de documentaire à Saint-Louis au Sénégal9, par exemple, a formé 2 réalisatrices burkinabées et 6 réalisatrices sénégalaises de notre corpus. Le Média centre de Dakar10 créé en 1997 – la première structure de formation en réalisation audiovisuelle cinématographique et télévisuelle du Sénégal – a également été un pionnier dans la formation de ces professionnelles. Des réalisatrices telle qu’Angèle Diabang y ont étudié. Les réalisatrices d’âge avancé telles que Laurence Gavron ou encore Fatou Kandé Senghor ont été formées en France. La réalisatrice burkinabée Fanta Régina Nacro quant à elle a été formée, en partie à l’INAFEC avant de poursuivre ses études en France où elle a obtenu une maîtrise et un DEA d'études cinématographiques et audiovisuelles, en 1986, à Paris IV ainsi qu’une licence de cinéma à l'Université de Paris 1 Sorbonne en 1989. À la fin de leur formation, après la réalisation de leur film sortie d’école, la réalisatrice ouest-africaine francophone opte pour l’assistanat ou l’approfondissement des connaissances par le truchement des formations complémentaires. Ce fut le cas pour l’ensemble de notre panel. Elles ont toutes eu un complément de formation. Ces enseignements prennent la forme de résidences11 d’écriture de scénario, de création ou de réalisation, de master classes, afin d’accroître leur expérience en attendant de réunir les conditions pour réaliser leur film. Sur un total de 272 films de tous genres et de toutes catégories confondues réalisés par les réalisateurs de notre corpus, entre 2000 et 2017, les femmes en ont fait 82 (63 au Sénégal et 19 au Burkina Faso). Le documentaire est le genre le plus usité par ces professionnelles. En dehors de Dyana Gaye, spécialisée
7
Cette école a été créée à la demande de la FEPACI et financée en partie par l’UNESCO. Elle ferma dix ans plus tard. 8 NDOYE Mame Rokhaya, Le cinéma ouest-africain francophone. Et pourtant ils tournent ! Paris, L’Harmattan. (Logiques Sociales), 2019. 9 Ce master au sein de l’Unité de formation et de recherche CRAC (Civilisations, religions, arts et communication) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis a ouvert en 2007. 10 Sous l’initiative de l’ONG (organisation non gouvernementale) norvégienne Forut. 11 Les résidences sont des lieux d’accueil (dans un pays donné) où le professionnel dispose d’un logement et d’un espace de travail.
238
dans la fiction, le reste des réalisatrices de notre corpus ne conçoit essentiellement que des films documentaires. Sur les 82 films réalisés par notre corpus, 57 sont des documentaires, 22 des fictions, 2 des essais et une série télévisée. La proportion est différente entre nos deux pays d’enquêtes. Au Burkina Faso, on note une presque égalité entre les deux genres à savoir 10 documentaires réalisés contre 9 films de fiction. Au Sénégal, il y a une prédominance du documentaire à savoir 47 pour 13 fictions, 2 essais et une série télévisée. La volonté de rendre compte du réel, la maniabilité et la légèreté de ce genre permettent aux professionnelles de laisser libre cours à leur inspiration. Comme nous l’a indiqué la réalisatrice de films sénégalaise Laurence Gavron : « Le documentaire c’est quelque chose qui te met en relation directe avec la population parce que c’est quelque chose de vrai, des réalités qui sont transmises au public ». Toutefois la place importante qu’occupe le genre filmique documentaire dans les productions de ces pays s’explique par les faibles coûts de production et l’utilisation plus courante de l’outil numérique. L’usage du numérique dans la production cinématographique s’est presque imposé au cours de ces dernières années en Afrique de l’Ouest francophone. Ayant longtemps connu des difficultés pour financer leurs œuvres, les réalisatrices burkinabées et sénégalaises ont profité du développement et de l’accessibilité des outils numériques pour obtenir des matériels de tournage légers et de moindre coût. Par ailleurs, au Sénégal, l’existence d’une formation spécifique en réalisation documentaire et la présence du réseau Africadoc12, principal financeur de ladite formation peut constituer un autre facteur favorisant et expliquant cette prédominance. Le programme Africadoc a un impact sur le développement et la diffusion du cinéma documentaire en Afrique de l’Ouest francophone dans le sens où, d’une part, sa formation vulgarise ce genre filmique. D’autre part, il offre des espaces de rencontres et de diffusion à travers le Festival du film documentaire de Saint-Louis (Sénégal) qui se tient tous les ans. Ce réseau a mis en place les « Rencontres Tënk » qui durant 4 jours permettent à 25 réalisateurs de films documentaires de présenter leur projet de films à des professionnels et des producteurs venus essentiellement des pays européens. Les lauréats verront leurs films produits et diffusés à l’intérieur d’une collection intitulée « Lumière d’Afrique ». En dehors de ce circuit de diffusion, les documentaires sont diffusés essentiellement dans les festivals nationaux et internationaux dédiés à ce genre.
12 Africadoc est un programme de l’Association Ardèche images pour le développement du cinéma documentaire africain.
239
La production filmique de la gent féminine en Afrique de l’Ouest francophone ne représente que 30 %13. Ce chiffre rend compte de la place, encore fragile, qu’occupent les réalisatrices de notre panel dans l’environnement cinématographique de cette sous-région. Très rares sont les réalisatrices de nos deux pays d’enquête à remporter de grands prix lors des festivals ou rencontres cinématographiques internationaux. En dehors de quelques sélections lors des festivals, peu de films de réalisatrices burkinabées et sénégalaises ont été primés. Par exemple, l’Étalon de Yennenga, le grand prix du FESPACO, a toujours été remporté par des réalisateurs masculins. Toutefois, nous pouvons noter une percée notable de quelques réalisatrices sur la scène cinématographique africaine. L’algérienne Djamila Sahraoui a remporté l’Étalon d’argent au FESPACO en 2013 avec son long métrage Yema (2012). Plus récemment, la sénégalaise Angèle Diabang a reçu au FESPACO en 2019 le prix de la femme cinéaste de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et le Poulain de bronze pour son court-métrage Un air de kora (2019). Mati Diop qui se revendique francosénégalaise, a décroché le Grand Prix du Festival de Cannes de 2019 avec Atlantique (2019). Les thématiques des films des réalisatrices de notre panel sont diverses et variées. Les images qu’elles proposent veulent être le reflet de leurs préoccupations, mais également celles du public africain féminin. Elles racontent l’histoire de millions de femmes africaines et des questions identitaires de cette tranche de population souvent négligée. De ce fait, la femme y a une place très importante. Pour ces professionnelles, il est plus facile de filmer une femme et sa réalité lorsqu’on l’est soi-même. Elles disent en connaître davantage sur les questions liées à la vie familiale et sociale. Il est important de noter que tous les films de ces professionnelles de l’image n’abordent pas que des thématiques ou des problématiques liées à la femme et n’ont pas que des protagonistes féminins. Elles s’intéressent aussi aux autres faits sociaux qui peuvent participer à la prise de conscience des problèmes sociétaux. Les images de certaines réalisatrices ont des intentions politiques et sociales avec le désir de donner la parole à ceux et celles qu’on entend rarement14. Toutefois, tous leurs films ne sont pas engagés, le divertissement a aussi une grande place dans la production.
13
Ce chiffre est calculé au prorata de l’ensemble de la production totale de ma population d’étude (hommes et femmes). 14 VIDAL Jean-Michel, « Perspectives anthropologiques : images, tradition et cinéma en Afrique noire au sud du Sahara », Cinémas, vol. 11, nᵒ 1, 2000.
240
LA RÉALISATION FILMIQUE AU FÉMININ La particularité du groupe socioprofessionnel des réalisateurs de films au Burkina Faso et au Sénégal réside dans sa forte croissance. Son effectif n’a cessé d’augmenter au fil des années, il est passé de 1 réalisateur répondant à nos critères d’inclusion du corpus en 1981 à 46 en 2009. Graphique nᵒ 1 - Courbe d’évolution annuelle du nombre de réalisateurs de films au Burkina Faso et au Sénégal
Nombre d'e,ntrees professionnelles
Courbes d'évolution annuelle du nombre de réalisateurs de films Effectif cumulé / Burkina-Faso / Sénégal 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Effectif cumulé Entrées totales Effectif Cumulé Entrées - BF Effectif Cumulé Entrées - SN
46
42 31 24
22 17 12
15
14
33
27 17
8
9
10
6
10 7
19
21
36 24
26 16
12
12
12
27 19
1 0 1981
2 0 1982
3 0 1986
4 3 1 1988
9 5 4
10 5
1991
1992
1998
1999
2000
2001
2003
2004
2005
2006
2007
1
2
3
4
9
10
12
17
22
24
27
31
33
36
42
46
1
2
3
3
4
5
6
7
8
9
10
12
12
12
16
19
0
0
0
1
5
5
6
10
14
15
17
19
21
24
26
27
2009
Années Effectif cumulé Entrées totales
Effectif Cumulé Entrées - BF
Effectif Cumulé Entrées - SN
Sources : Enquêtes réalisées sur un corpus composé de 46 réalisateurs burkinabés et sénégalais
Au cours des années 2000, on note une forte présence féminine dans le secteur de la réalisation cinématographique avec 14 femmes sur un panel total de 46 réalisateurs. Ce constat est en soi un signe d’intérêt et d’intégration des femmes dans ce métier. Il est pertinent de questionner cette croissance et de se demander quelles sont les raisons de la plus grande présence de la gent féminine dans cette profession. Cette ouverture s’explique, selon le discours de nos enquêtées, par une prise de conscience des femmes de l’importance de ce médium pour revendiquer leurs droits. Dans cet univers masculin, les réalisatrices parviennent néanmoins à imposer leurs regards artistiques et singuliers derrière la caméra. Ces dernières affirment, à l’instar de leurs confrères masculins, vouloir prendre la parole dans ce secteur qui semble les avoir oubliées et leur impose le regard d’univers réputé, à tort ou à raison, comme « misogyne15 ».
15
Ibid., p. 105.
241
Dorénavant, elles vont s’approprier le cinéma et, par la même occasion, les images. Cette génération de réalisatrices de films se cherche derrière la caméra. Elles sortent des sentiers battus et s’affirment de plus en plus dans un genre qui leur est propre. L’extrait suivant de la réalisatrice burkinabée Marie-Laurentine Bayala en est une illustration : « Il était temps que ce milieu s’ouvre aux femmes. Mais je pense qu’aussi c’est une prise de conscience des femmes qui se disent qu’il faut que l’on se batte. » Par ailleurs, inspirées par leurs précurseurs, ou ayant grandi dans le milieu cinématographique, certaines considèrent leur orientation vers ce métier comme une évidence, comme l’explique la Sénégalaise Mariama Sylla Faye : « Je suis née dans le cinéma, je peux dire, car ma mère était dans la cinématographie. Nous avons regardé des films avant même l’avènement de la télévision dans les années 1960-1970. On avait des projections de films à la maison sur des écrans de 8 m en drap blanc, donc en étant enfant, on a regardé beaucoup de films. » Ces réalisatrices de films, que ce soit au Burkina Faso ou au Sénégal, veulent développer un style particulier. C’est ce qu’explique la réalisatrice de films Rama Thiaw interviewée par Sabine Cessou : « Du point de vue formel et esthétique, nous ne formons pas un mouvement. Par contre, dans l’impulsion, l’enjeu est de se raconter en tant que femme, donner à voir des histoires urbaines et contemporaines, nous avons quelque chose d’important en commun16. » En parallèle, des initiatives encouragent cette présence sur la scène cinématographique en accompagnant les réalisatrices ouest-africaines francophones à accroître leur représentativité dans la production de longs métrages, de fictions et de documentaires. Au Burkina Faso, par exemple, l’Association des producteurs burkinabés a mis en place, en 2016, un programme de fonds d’aide pour ces professionnelles. Ce programme s’articule autour de quatre axes. Le premier volet concerne l’aide à l’écriture ; un fonds de développement aux huit meilleures sociétés de production ; une subvention aux deux meilleurs projets de production de film et enfin, un accompagnement financier pour la promotion de six films réalisés par des femmes. De ces initiatives qui souhaitent promouvoir le cinéma au féminin en Afrique, nous pouvons également citer les festivals dédiés aux femmes. Ces évènements tels que le Festival international du film de femmes de Salé (Maroc), le festival Mis Me Binga (Afrique centrale), le festival Films femmes Afrique (Sénégal) ou encore le Festival africain des films de femmes cinéastes
16
CESSOU Sabine, « Cinéastes sénégalaises : une nouvelle vague ? », RFI, 31 janvier 2014, https://www.rfi.fr/fr/mfi/20140131-cinema-femmes-senegal-nouvelle-vague-rap-immigrationÉtats-Unis-dakar-saint-louis-new-york-paris
242
(Togo) ambitionnent d’offrir plus de perspectives et de visibilité à ces actrices de la cinématographie africaine. La profession reste, néanmoins, encore assez éprouvante pour les réalisatrices. Les cinémas en Afrique de l’Ouest francophone connaissent depuis plusieurs années une crise. Au-delà, d’être très peu compétitif au niveau international à cause de la faiblesse de la filière de production, le domaine cinématographique est caractérisé, également, par une grande informalité. De plus, il connaît des contraintes financières liées à la baisse des fonds d’aide et des subventions étrangères et au désengagement des pouvoirs publics dans le domaine culturel de ces pays. Les lois et décrets promulgués ne sont presque pas ou que partiellement appliqués et le cadre réglementaire et juridique qui régit la profession, est très peu structuré. Une autre problématique de ce secteur d’activité est la quasi-absence de réseaux de distribution ou de diffusion. Les films de cette sous-région circulent essentiellement dans les festivals. Ces difficultés, intrinsèques à la profession, s’avèrent être plus pénalisantes pour les réalisatrices à cause de leur statut de femme et du patriarcat des sociétés burkinabées et sénégalaises. Du fait que dans ces sociétés, les fonctions que peuvent occuper les femmes semblent souvent déjà prédéterminées, en épouser une autre condamne à des résistances sociales. Dans une profession représentée très majoritairement par des hommes et compte tenu de la réalité sociétale, les réalisatrices se retrouvent souvent face à des contestations lorsqu’il s’agit de diriger des équipes composées essentiellement d’hommes. Il n’est pas rare que quelques-uns aient du mal à accepter d’être dirigés par une femme. L’extrait d’entretien avec la réalisatrice de films sénégalaise Khardiatou Sow vient illustrer cet état de fait : « Quand on est une femme et donner des ordres à des hommes, ce n’est pas facile. Moi, par exemple, puisque dans mon équipe il n’y a que des hommes, il y a toujours des soucis. Car ils se disent que je suis une fille et jeune, du coup ils le prennent souvent mal. » Par ailleurs, le regard et les avis de l’entourage familial et amical sur le choix de cette profession qui de surcroit ne nourrit pas son homme pèsent également sur ces professionnelles de l’image. En effet, la distribution des revenus au sein de la profession est fortement inégalitaire. Il est vrai que le métier de réalisation filmique connaît une grande variabilité dans les revenus ainsi qu’une forte dispersion des gains au sein de ce groupe professionnel. Cette situation s’explique par le fait que les artistes – soumis à un marché économique et à une clientèle non spécialiste – dépendent, pour leur subsistance,
243
d’une demande complexe et instable qui n’est régie par aucune autorité culturelle ou sociale17. La rémunération des réalisateurs de films burkinabés et sénégalais est caractérisée par sa faiblesse, n’étant pas proportionnelle à la charge de travail produit. Deux facteurs concourent à cette situation : dans un premier temps, l’absence de revenus fixes. Ces professionnels sont majoritairement payés au cachet et rémunérés à la suite de la vente des droits de diffusion de leurs films à des chaînes de télévision ; une rétribution ponctuelle peut éventuellement être attribuée par l’institut financeur ou le producteur. Dans un second temps, il y a la quasi-inexistence des rémunérations annexes telles que les primes18 accessibles à un salarié dans d’autres domaines ou la vente de produits dérivés de leur création19. D’ailleurs, les rares films ouest-africains francophones distribués sur support DVD sont ceux qui ont travaillé avec un producteur étranger de renom, ou qui ont remporté des prix lors des festivals internationaux. Ici nous faisons, la distinction avec la production audiovisuelle du Nigeria (Nollywood) où la distribution de films se fait essentiellement sur supports VHS ou DVD. Toutefois, cette précarité est plus accentuée chez les réalisatrices du fait qu’elles ne font pas beaucoup de films dans leur carrière. La moyenne annuelle des films réalisés par ces professionnelles de l’image, de notre corpus d’étude, a été de 4 films contre 11 pour leurs collègues masculins sur une période de 17 ans (2000 à 2017). Dès lors, pour assurer leur subsistance économique, ces professionnelles artistiques ont souvent une activité parallèle. Les activités rémunérées occupées en parallèle varient selon la réalisatrice, mais cette pluriactivité s’exerce dans le domaine cinématographique. Si certains tirent leurs revenus de la production ou de la réalisation des films « sur commande » (institutionnels, clips vidéos, etc.), d’autres cherchent à diversifier leurs activités au sein de la filière productive en occupant d’autres tâches ou postes (producteur, assistant, scripte, photo, son, montage, etc.). Tableau nᵒ 3 – Activités professionnelles des réalisatrices (Burkina Faso) Noms des réalisatrices
Année d'entrée dans la profession
Activités professionnelles
Bayala Marie-Laurentine
2007
Réalisation; Scénariste
Nacro Fanta Régina
1991
Direction artistique ; Production ; Réalisation ; Scénariste
Nikiema Mamounata
2009
Production; Réalisation ; Scénariste
Sources : Enquêtes réalisées sur un corpus de 14 réalisatrices burkinabées et sénégalaises
17
FRIEDSON Eliot et al., « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », Revue française de sociologie, vol. 27, nᵒ 3, 1986. 18 Ancienneté, transport, participation ou intéressement. 19 Coffret de films en DVD ou produits dérivés.
244
Toutes les réalisatrices de notre panel ont des activités parallèles à leur métier de réalisation filmique. Les tableaux sur les activités professionnelles des réalisatrices de nos deux pays d’études en sont une illustration. Tableau nᵒ 4 – Activités professionnelles des réalisatrices (Sénégal) Noms des réalisatrices
Année d'entrée dans la profession
Niveau de qualification
Diabang Angèle
2005
Bac + 5
Montage ; Production ; Réalisation ; Scénariste
Activités professionnelles
Dièye Ndéye Souna
2009
Bac + 5
Direction photographique ; Montage ; Réalisation ; Scénariste
Diop Alice
2006
Bac + 5
Direction photographique ; Ingénierie du son ; Réalisation ; Scénariste
Gavron Laurence
1991
Bac + 5
Ecriture ; Ecrivain ; Journaliste ; Photographie ; Réalisation ; Scénariste
Gaye Dyana
2000
Bac + 5
Production ; Réalisation ; Scénariste
Guéye Maïmouna
2004
Bac + 3
Réalisation
Kâ Marie
2000
Bac + 3
Production ; Production déléguée ; Réalisation ; Scénariste
Kandé Senghor Fatou
1998
Bac + 5
Enseignement ; Gestion des costumes ; Photographie ; Production ; Production déléguée ; Réalisation ; Scénariste
Sylla Faye Mariama
2003
Bac + 3
Production ; Réalisation ; Scénariste
Thiam Aïcha
2003
Bac + 5
Administration ; Montage ; Réalisation ; Scénariste
Pouye Khardiata
2001
Bac +3
Gestion des scripts ; Réalisation
Sources : Enquêtes réalisées sur un corpus composé de 14 réalisatrices burkinabées et sénégalaises
À partir de ces tableaux, nous constatons que ces professionnelles de l’image se sont diversifiées en élargissant leurs activités. La sénégalaise Maimouna Guéye est la seule à se consacrer exclusivement à la réalisation. Cela s’explique par le fait qu’elle est employée comme réalisatrice dans une télévision privée sénégalaise. La moitié des réalisatrices enquêtées sont devenues des productrices de films (7 sur 14) et 13 sur les 14 enquêtées sont également scénaristes. Cette diversification des tâches dans le secteur cinématographique répond aussi à une stratégie de réduction des coûts de la production avec la rareté des financements. En effet, la réduction des subventions étrangères combinée au désengagement des gouvernements du secteur cinématographique obligent ces professionnelles à se diversifier et intensifier leur rythme de travail. Sous un autre angle d’analyse, la pluriactivité est aussi un moyen –particulièrement dans le contexte ouest-africain francophone – pour pallier l’inactivité. En effet, la faiblesse de la production dans ces pays fait que le réalisateur de film tourne rarement, cette double activité lui permet de rester en activité. Il faut, toutefois, préciser que cette réalité n’est pas exclusivement féminine, mais concerne tout notre corpus. Leurs collègues hommes exercent aussi une activité parallèle. 245
En dépit de ce contexte désavantageux, les réalisatrices burkinabées et sénégalaises trouvent des solutions pour faire face aux contraintes et continuer à faire des films. Elles mobilisent des ressources et des réseaux pour exercer leur profession de manière optimale. Elles mettent en place des pratiques et des stratégies pour mener à bien leur activité professionnelle. La réduction des coûts de production, l’usage de l’outil numérique, le choix du genre documentaire sont de plus en plus observables chez ces réalisatrices.
CONCLUSION Il a été question de dresser un portrait des réalisatrices ouest-africaines francophones par le truchement d’enquêtes de terrain réalisées sur un panel de réalisatrices burkinabées et sénégalaises. En dépit de la différence de nationalité, de formation ou de parcours professionnel, ces dernières ont le désir de faire des films qui leur ressemblent et qui parlent des problèmes que rencontrent leurs semblables. Elle souhaite être le porte-parole des sans-voix et être le porte flambeau de leurs combats et de leurs aspirations. La réalisatrice burkinabée a beaucoup de ressemblances avec son homologue sénégalaise. Ces ressemblances viennent, particulièrement, du fait qu’elles font face à un système de contraintes équivalent. Elles évoluent dans des conditions socio-économiques similaires caractérisées par un cadre de travail peu ou mal défini juridiquement ; l’absence d’une politique culturelle efficace en faveur du cinéma ; des problèmes structurels de la filière production (une rareté des espaces de diffusion, des conditions de travail précaires, etc.) et des difficultés d’accès au financement. Par ailleurs, bien qu’ayant une formation de niveau intermédiaire ou avancé, elles n’ont pas une rétribution équivalente à leur diplôme. Dès lors, elles ne vivent pas de leur métier et sont dans l’obligation d’avoir une activité parallèle de subsistance. Cette tranche de notre population d’étude est caractérisée par une faiblesse de la production filmique dans les deux pays. Toutefois, des dissemblances entre ces réalisatrices existent du fait qu’elles n’évoluent dans le même contexte local. Par exemple, le choix du genre filmique va s’expliquer par rapport à la réalité du secteur. En raison de la présence de salles fonctionnelles et d’un public cinéphile, les réalisatrices burkinabées peuvent s’orienter vers les films de fiction dans la mesure où ils sont exploitables localement, d’où le même nombre de films de fiction et documentaires produits. Au Sénégal, le documentaire est très attrayant et y occupe une place importante, en raison notamment de la présence du réseau Africadoc qui offre une possibilité de formation, de production et de diffusion. Les réalisatrices burkinabées et sénégalaises ont encore bien des défis à relever. Au-delà de l’accroissement de leur représentativité sur la scène cinématographique, elles doivent continuer à exercer et à se maintenir dans ce contexte d’adversité. 246
PARTIE IV – NOUVELLES GÉNÉRATIONS DE LA CONTESTATION
(R)Évolutions tacites : Trajectoires cinématographiques éthiopiennes Raluca Calin Paris 3/ Sorbonne nouvelle - IRCAV EA 185
ABSTRACT Cette contribution vise à rendre compte du paysage cinématographique en Éthiopie, en prenant comme point de départ et d’ancrage les parcours de productrices, réalisatrices et techniciennes. L’évolution de ces femmes dans les métiers cités, et les enjeux défendus à leur niveau rendent ces trajectoires singulières. À travers ces parcours professionnels nous tentons de dépeindre l’ensemble du paysage cinématographique et audiovisuel dans l’État fédéral d’Addis Abeba commençant par la formation et prenant en considération chacune desdites filières cinématographiques. Enfin, cet écrit démontre comment une politique bottom-up pourrait se dessiner à moyen – long terme en Ethiopie à travers l’engagement de certaines productrices qui mettent en œuvre des schémas de financement audacieux et des modèles de formation et de parrainage pour le moins innovants.
INTRODUCTION Le cinéma est un miroir de la société dans son ensemble1 et à ce titre, que ce soit devant ou derrière l’écran, le monde cinématographique semble représentatif de la société dont il est issu. Partant de ce postulat, le secteur cinématographique éthiopien serait à même de nous indiquer la place qu’y occupent les professionnelles, qui nous intéressent ici. La question à l’origine de cette recherche est de savoir quelle place occupent les femmes dans les filières cinématographiques éthiopiennes dans une optique constructiviste. Si dans un pays comme la France des ouvrages exhaustifs sur la place des femmes dans la réalisation2 sont presque inexistants, que pouvons-nous attendre d’un pays comme l’Éthiopie où la culture est majoritairement informelle et où l’écrit reste encore aujourd’hui l’apanage des
1
GUTFRIEND Cristiane Freitas, « L’imaginaire cinématographique : une représentation culturelle », Sociétés, vol. 94, no 4, 2006, p. 111-19. 2 ROLLET Brigitte et NAUDIER Delphine (dir.), Genre et légitimité culturelle : quelle reconnaissance pour les femmes ?, Bibliothèque du féminisme, Paris, L’Harmattan, 2007.
privilégiés. Devant cette difficulté structurelle, nous nous sommes dirigée vers une méthodologie d’enquête par entretiens. Le manque de financements destinés à cette recherche fin 2019 puis, la situation sanitaire en 2020 nous ont confortée dans la mise en place d’un terrain de recherche exploratoire et plutôt virtuel, l’ensemble des entretiens exploratoires ayant été menés par téléphone, visioconférence ou échanges mail. La première démarche a été de prendre contact avec l’Institut français de Addis-Abeba afin d’avoir un point de départ dans le pays. Nous avons pu nous entretenir avec Christian Merer, le directeur de l’Institut et avec la chargée de coopération culturelle en charge du cinéma, Lucie Guérin, dans le courant du mois de février 2020. Ces derniers nous ont mis en contact avec Tamara Dawit qui avait mené l’enquête suscitée. Enfin, cette dernière nous a ouvert son carnet d’adresses, nous permettant de faire plusieurs entretiens avec des femmes qui travaillent dans le secteur cinématographique et audiovisuel. Compte tenu des médias peu performants, connexions internet approximatives et de l’utilisation de l’anglais comme langue d’échange, qui, dans un cas, comme dans les autres est une langue étrangère et non pas la langue maternelle, nous avons considéré que ces entretiens ont été biaisés. Afin de remédier à cela, nous avons convenu avec les interlocutrices d’un suivi écrit du même échange. De ce fait, nous nous sommes retrouvée dans une posture phénoménologique, de réflexivité sur notre position d’enquêtrice3, qui pourrait faire l’objet, à elle seule, d’un article à part entière. Devant la profusion des récits recueillis et compte tenu de leur diversité, nous avons axé notre enquête dans une démarche ethnologique sous forme de remixe (au sens de combiner des modalités hétérogènes d’une façon imaginative et intelligente)4. Pour cela, nous avons opté pour élargir notre analyse d’inclure des méthodes d’analyse des small stories5, notamment dans le but de donner l’opportunité aux interviewées de se situer elles-mêmes6 dans le paysage cinématographique éthiopien.
3
GEORGASKOPOULOU Alexandra, « Small Stories Research: Methods - Analysis - Outreach », dans de Fina Ana et Georgakopoulou Alexandra, The Handbook of Narrative Analysis, Malden, Oxford et Chichester, Wiley-Blackwell, 2015, p. 255-71. 4 PATRON Sylvie (dir.), Small stories: un nouveau paradigme pour les recherches sur le récit, Paris, Hermann (Cahiers textuel), 2020, p. 36. 5 Citation : « (…) small stories (…) are employed as an umbrella term that covers a gamut of under-represented narrative activities, such as tellings of ongoing events, future and hypothetical events, shared (known) events, but also allusions to tellings, deferrals of tellings, and refusal to tell ». Voir GEORGAKOPOULOU Alexandra, « Thinking big with small stories in narrative and identity analysis », Narrative Inquiry, vol. 16, nᵒ 1, 2006, p. 122. 6 « We are squarely interested in how people use stories in their interactive engagements to construct a sense of who they are, while big story research analyzes the story as a representation of world, and identities. Consequently, the analysis of the construction process of identities
250
Ses objectifs essentiels, définis dans l’introduction, consistent à : 1. Recenser les caractéristiques interactionnelles des small stories, en soulignant leurs relations avec des espaces sociaux déterminés ; 2. Proposer un ensemble d’outils appropriés à l’analyse des small stories ; 3. Démontrer l’intérêt des small stories pour l’étude de la construction de l’identité7. Dans la pratique, nous avons opéré plusieurs entretiens sociologiques à l’aide de visioconférences. Chacun des entretiens avait pour but de nous apporter des éclairages sur : 1. la formation de l’interviewée, 2. son parcours professionnel, 3. ses projets en cours. La partie finale de l’entretien était destinée à une discussion informelle qui avait pour but de demander à chaque interviewée de nous mettre en contact avec d’autres femmes de son réseau qui seraient concernées par cette enquête. À l’origine, cette partie était indépendante de notre grille d’entretien et avait une visée purement opérationnelle qui était celle de rentrer en contact avec des professionnelles que nous ne connaissions pas, donc d’élargir le carnet d’adresses. Cependant, il s’avère qu’en dehors de l’entretien, lorsque les interviewées nous donnaient des noms et coordonnées de leurs consœurs, un paradiscours accompagnait ces éléments. Lors de l’analyse des entretiens, ce discours périphérique situait les personnes et les contextes de rencontres et de travail. Ces small stories, qui n’avaient pas leur place au demeurant dans notre analyse, nous ont permis de mieux cerner les personnalités des professionnelles, leurs relations professionnelles et personnelles. Outre la consolidation a posteriori de l’écosystème professionnel dans lequel ces professionnelles évoluent, elles nous ont permis de comprendre également comment se situaient elles-mêmes par rapport aux autres collègues et connaissances. Cela a apporté une profondeur aux entretiens. Nous en sommes vite arrivée à la conclusion que les femmes que nous avons interviewées n’étaient pas restées dans la logique traditionaliste qui suppose d’occuper une place qui leur était assignée par la religion ou les préjugés sociétaux. Elles s’avèrent être dans une perpétuelle adaptation de leurs carrières suivant des trajectoires et évolutions qu’elles tracent afin de s’émanci-
within the small story approach focuses necessarily on the situational and contextual emergence of identity, whereas the analysis of representations of identities (as “behind” the discourse that is used to “represent” them) relies on these identities as given – pre-existant to their occasioning in sites of engagement ». Voir BAMBERG Michael et GEORGAKOPOULOU Alexandra, « Small Stories as a New Perspective in Narrative and Identity Analysis », Text & Talk, nᵒ 28, 2008, p. 392. 7 PATRON, op. cit. p. 7.
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per des places attribuées par la société et de créer de toutes pièces respectivement les métiers, les secteurs et l’industrie dans lesquels elles souhaiteraient évoluer. Afin d’illustrer ces trajectoires, il est indispensable d’avoir une vision d’ensemble des filières cinématographiques et audiovisuelles en Éthiopie. « Si nous acceptons que la valeur et la signification des films dépendent de leurs contextes de distribution, d’exploitation et de réception, il est impossible d’envisager une dichotomie entre culture et commerce8. » La nature ayant horreur du vide, le manque d’une politique structurante (bottom-down) en termes de cinématographie et audiovisuel a donné l’opportunité au secteur de s’autogérer et par la même occasion de créer de facto des instruments d’action publique9 (bottom-up). ÉTATS DES LIEUX L’Éthiopie est un État de la Corne de l’Afrique, qui fait partie encore aujourd’hui, des plus pauvres d’Afrique. Malgré que le PIB ait triplé depuis 2014, la population vit avec seulement 858 USD (740 EUR) de PIB par an et par habitant (en 2019)10. Deuxième population d’Afrique après le Nigeria, l’Éthiopie compte environ 101 millions d’habitants, et présente une croissance démographique de 2,33 % par an et à titre d’exemple en 2017 le taux de fécondité était de 4,20 enfants par femme. République démocratique fédérale, l’Éthiopie se présente comme constitutionnellement laïque, bien que les religions les plus représentées soient respectivement : orthodoxes 43,5 %, musulmans 33,9 %, protestants 18,6 %. Siège de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et de l’Union africaine, la capitale Addis-Abeba se retrouve depuis 2019 dans une guérilla latente avec le Tigré11, région qui se trouve en plein désaccord politique avec le pouvoir en place. Notre enquête exploratoire se concentrera uniquement sur la région d’Addis-Abeba, qui compte à elle seule 3 352 000 habitants pour une
8
DOVEY Lindiwe, Curating Africa in the age of film festivals, New York, Palgrave McMillan, p. 3, cité par Jedlowski Alessandro, 2019, op. cit., p. 17. 9 HALPERN Charlotte et al. (dir.), L’instrumentation de l’action publique : Controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, 2014. 10 Atlas des populations et pays du monde, https://www.populationdata.net/pays/ethiopie/ (consulté le 25 novembre 2020). 11 Le conflit se transformera dès novembre 2020 en guerre civile, cf. N’KAUA Laurance, « L’Ethiopie, au bord de la guerre civile », Les Échos, 15 novembre 2020 https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/lethiopie-au-bord-de-la-guerre-civile-1265044 (consulté le 12 décembre 2020).
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superficie de 527 km2 et qui condense l’ensemble du secteur cinématographique et audiovisuel du territoire fédéral. Si aujourd’hui beaucoup de films sont produits en Éthiopie, ces derniers ne concernent pas le pays entier. Quatre-vingts langues et deux cents dialectes sont parlés sur l’intégralité du territoire. Cependant, la plupart de ce que l’on appelle génériquement « le cinéma éthiopien » est produit à Addis-Abeba : il s’agit donc d’un cinéma très localisé, mais du seul qui est distribué internationalement et qui crée par défaut l’image du cinéma éthiopien. Malgré un essor considérable dans la production ces dernières années, dresser le paysage cinématographique récent est un préambule indispensable. Ainsi, analyser les infrastructures des cercles et cadres de production et de diffusion12 permet de situer les filières concernées et de donner une vision d’ensemble sur le secteur. À ce titre, les informations les plus récentes que nous avons pu nous procurer sont issues d’une étude réalisée en 2018 par un consortium d’Instituts culturels situés à Addis-Abeba, avec un financement EUNIC13. Cette étude a été initiée par le British Council et l’Institut français et a été opérée par Tamara Dawit et Gobez Media. Il s’agit plutôt d’une enquête par entretiens téléphoniques avec des cinéastes âgés de moins de 35 ans habitant dans l’État fédéral d’Addis-Abeba. C’est pourquoi une vision macro du secteur nous semble indispensable. Sur le plan général, la notion d’industrie est un euphémisme, puisque le pays ne possède aucune structure d’organisation par métier ou filière, afin de faire évoluer les pratiques connues. La nécessité de la création d’une institution nationale publique ou privée pour soutenir la production cinématographique semble être une véritable nécessité. Pour les professionnels, chaque échelon de la filière requiert une attention potentielle de la part du gouvernement pour structurer et développer le secteur. En termes de politique de soutien, tout est à créer dans les champs de l’écriture, du développement ou de la production. La prise en considération par l’État du potentiel en termes d’emploi est également attendue. Les professionnels éthiopiens souhaiteraient que les institutions nationales s’inspirent des pays voisins (Kenya ou Afrique du Sud), afin de mettre en œuvre un accompagnement fiscal pour l’accueil des tournages ou pour aider à l’importation d’équipements ou des professionnels étrangers. L’industrie cinématographique produit environ 180 films par an. Les statistiques produites par Addis Ababa Culture and Tourism Bureau14 mettent en
12 JEDLOWSKI Alessandro, « Afriques audiovisuelles : appréhender les transformations contemporaines au prisme du capitalisme global », Politique africaine, nᵒ 153, 2019, p. 23. 13 European National Institutes for Culture, https://www.eunicglobal.eu/ 14 Ministry of Culture and Tourism, http://www.moct.gov.et/
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évidence que les films produits et diffusés sur le territoire sont dans leur majorité des comédies romantiques et des mélodrames romantiques. Le but de la plupart des opérateurs cinématographiques et audiovisuels est de récupérer leur investissement dans des temps records, ce qui induit une production en accéléré et de moindre qualité. Producteurs et réalisateurs (environ 60 %) rencontrent des difficultés à finaliser leurs premiers films par manque d’argent et sont fréquemment obligés de travailler dans d’autres secteurs que les médias et les arts afin de survivre. Peu de cinéastes ont des capacités entrepreneuriales ou les connaissances nécessaires à la recherche et l’obtention des financements nécessaires à la production d’un film. L’accès à des financements par des fonds étrangers semble être aussi une exception dans le paysage. Les contacts entre les producteurs étrangers et des réalisateurs éthiopiens existent, mais n’aboutissent pas. Les coûts moyens d’un film de long métrage sont compris entre 300 000 ETB et 1 200 000 ETB (entre 6 615 EUR et 26 463 EUR) et ceux d’un court métrage sont autour de 50 000 ETB et 200 000 ETB (entre 1 100 EUR et 4 410 EUR). Ces sommes sont le plus souvent tirées d’économies personnelles. Les équipes techniques et les personnes sont en dessous de la spécialisation et standards internationaux, même par rapport aux pays voisins. Le personnel est peu formé et peu technique. Le coût de la formation étant trop important, tant en rapport avec leur expérience qu’avec leur efficacité. Enfin, l’accès à l’équipement semble très complexe, soit parce que les films sont financés par des ressources propres, soit parce que les écoles n’ont pas les moyens de mettre du matériel à la disposition des étudiants. La majorité des répondants disent avoir tourné leurs films grâce à une caméra Canon 5D et un enregistreur Zoom. La nécessité de producteurs formés est évidente, mais les écoles n’offrent pas de formation professionnalisante dans ce sens. Contrairement aux cas les plus fréquents en termes d’exploitation cinématographique en Afrique, la capitale bénéficie encore d’un réseau de salles : « 15 salles de cinéma sont répertoriées dans la capitale, dont 3 salles publiques pour quelques 3264 places et 12 salles privées d’une centaine de places chacune15 ». Ces dernières diffusent notamment des films nationaux en langue
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SEYOUM Debebe, Film Industry in Ethiopia - Econometric Study of Factors That Determine Its Performance, Mémoire de licence, Université d’Addis-Abeba, juin 2016, p. 35-36. https://www.academia.edu/31446241/film_industry_in_ethiopia_econometric_study_of_factors_that_determine_its_performance (consulté le 17 novembre 2020).
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amharique16 (pour les salles privées) soit du contenu mixte, dont 25 % étranger (notamment Bollywood), pour ce qui est des cinémas gouvernementaux. La raison principale de ce monopole de marché national est la piètre qualité technique des films comparée à une télévision de meilleure qualité. Les cinémas privés visent surtout un potentiel commercial. Les cinémas d’État projettent des films financés et sélectionnés par le ministère de la Culture et du tourisme d’Addis, ce qui induit des films qui promeuvent les valeurs et principes éducatifs appropriés en termes culturels et religieux. Toutefois, malgré cela, la taille des publics potentiels, à savoir des publics urbains de classe moyenne, seraient d’environ 2,7 millions par an dans la capitale. La distribution en Éthiopie est atypique : les entrepreneurs qui s’occupent de la distribution ont tendance à favoriser une seule transaction (films achetés au forfait), mais dans la plupart des cas, les producteurs perdent leurs droits en faveur d’une diffusion télévisuelle. C’est une des raisons principales, avec celle de la récupération rapide de l’investissement, qui fait que les films produits sur le territoire éthiopien n’ont aucune visibilité en dehors des frontières. En termes de remontées des recettes, la plupart des cinémas rémunère les producteurs à 50 %. Les revenus liés à la projection cinématographique sont viables, mais accessibles à une partie très faible des cinéastes. Pour ceux qui y arrivent, cela représente jusqu’à 80 % de leurs revenus. La diffusion TV est encore plus rare et complète les 20 % restants des revenus de ceux qui font partie du sérail. Le cumul des ventes d’un film à différents acteurs de distribution (cinéma/TV/online) est très peu connu et rarement pratiqué. Les ventes à l’international sont inexistantes et de surcroît, les cinéastes n’en connaissent même pas les fondements. Les meilleurs succès restent les comédies. Les films sont souvent tournés dans un mauvais format de diffusion, avec une prise de son médiocre et du copyright douteux quant à la bande son ou aux images d’archive utilisées. Conséquemment, cela entraîne des difficultés de projection en salle. Quant à la télévision, Kana TV se démarque à la fois par la diffusion de films et programmes de provenance internationale doublés en amharique17, et par un programme innovant de stages professionnalisants sur lesquels nous reviendrons. Que ce soient les télévisions privées ou publiques, leur nombre est croissant. Elles produisent leur contenu en interne à hauteur de plus de 90 % et n’achètent du contenu audiovisuel qu’occasionnellement. Sur le contenu acheté, les producteurs sont rémunérés de manière inégale, entre 20
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THOMAS Michael W, Toolkit: Ethiopia and Amharic cinema, SOAS – University of London, https://eprints.soas.ac.uk/32649/1/SW_Lagos_Toolkit_Michael-Thomas_3.pdf (consulté le 17 novembre 2020). 17 Ibid.
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et 70%. La plupart des chaînes demandent l’exclusivité de la diffusion. Pour qu’une collaboration soit possible entre diffuseurs TV et producteurs, ces derniers doivent augmenter la qualité des rendus en termes d’édition, de copyright, et d’écriture ou de développement, etc. Enfin, en termes de formation, deux institutions complémentaires proposent des formations sur le territoire d’Addis-Abeba. La première institution est l’université d’Addis-Abeba, avec un parcours en arts, spécialisé d’abord en études théâtrales et arts du spectacle (1998) puis en arts et production cinématographique (2014-2015)18. Même s’ils plébiscitent une professionnalisation des métiers, l’enquête que nous avons menée indique que les cours sont purement axés sur l’esthétique et la théorie cinématographiques et/ou écriture théâtrale, et l’ancrage dans le paysage professionnel semble lointain. Certains enseignants de ces formations se forment dans les stages mis en place par le programme EUNIC. Une autre institution de formation cinématographique est Blue Nile Film and Television Academy (BNFTA), créée en 2009 par Abraham Haile Biru. Ce dernier est un chef opérateur maintes fois récompensé notamment pour les films de Mahamat-Saleh Haroun, Abouna en 2002 et Darrat en 2006. Cette école délivre une formation d’un an sur la base de cours théoriques et techniques en caméra, lumière, son, réalisation scénario et édition. Financée grâce au projet de coopération Images d’Afrique formation, qui concerne sept établissements, et qui vise en priorité le renforcement des capacités de l’équipe pédagogique19, le processus d’admission à BNFTA est fondé sur une discrimination positive, la moitié des places étant réservées aux femmes, qui reçoivent par ailleurs une bourse d’encouragement à la poursuite de leurs études20. À l’issue de ce cursus, un certificat de formation technique est délivré à une vingtaine d’étudiants par an.
PROFESSIONNELLES DANS LE PAYSAGE CINÉMATOGRAPHIQUE Ainsi, dans notre enquête, nous avons considéré « le genre comme ethos professionnel : manière d’être, de penser et de faire ensemble qui participent
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Cf. la page d’accueil de la formation, http://www.aau.edu.et/cpva/ Voir le dossier de presse, « Images d’Afrique formation », 17 février 2014, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/dossier-presse-IAF-4light_cle05811e.pdf 20 Descriptif de l’école, sur le site officiel de cette dernière, http://www.coloursofthenile.com/about/organisers/blue-nile-film-and-television-academy (consulté le 18 novembre 2020). 19
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d’une forme de capacité d’agir au sein du monde social21 ». Il en ressort plusieurs trajectoires que nous allons décrire et analyser prenant appui sur l’article de Beti Ellerson22. D’abord, ce qui ressort de notre enquête est que le concept de « femme de l’image23 » se substitue à une fonction unique et bien identifiée dans d’autres industries cinématographiques. Ainsi, en Éthiopie, le regard au féminin donne la possibilité de mettre en avant des histoires de femmes, des émotions et des sentiments, de façon à ce que chaque étape du film soit vue par un regard féminin. La possibilité de « regarder » à travers l’œil d’une femme permet par la même occasion la mise en visibilité des histoires de femmes. Ces dernières, grâce à une légitimité acquise au préalable, mettent en question les traditions, par leur seul regard : la discussion devient enfin possible, la femme prend une place à la table des échanges, donc son point de vue peut être enfin entendu. Les femmes que nous avons eu l’opportunité d’interroger se lancent dans ce que l’on pourrait communément appeler du cinéma indépendant ayant vocation à circuler internationalement. Elles visent à la fois un public local et un public international, auxquels elles veulent raconter des histoires éthiopiennes. « La participation active des femmes dans le financement des films et dans la création de mécanismes de distribution alternatifs est visible aujourd’hui grâce à la présence des femmes dans la gestion financière des films depuis 199024. » Il se trouve donc que les entrepreneuses de l’industrie cinématographique ont une position (posture) d’influence et de pouvoir25. Elles produisent des films de qualité, mais peu nombreux. Toutefois, ce sont elles qui sont formées aux standards internationaux que ce soit en termes de techniques cinématographiques, ou encore en pré- et post-production, ce qui dans l’industrie naissante26 semble être plutôt l’exception que la règle.
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NAVARRE Maud et UBBIALI Georges (dir.), Étudier le genre : enjeux contemporains, Dijon, Éditions universitaires de Dijon (coll. « Sociétés »), 2017, p. 75. 22 ELLERSON Beti, « Visualizing Herstories », Blog African Women in Cinema https://www.africanwomenincinema.org/AFWC/Visualizing_Herstories.html (consulté le 10 novembre 2020). 23 Ibid. Voir dans le texte, « women of the image ». 24 « The active participation of women in film financing and in creating alternative distribution mechanism is visible today with females being present in the business side of films since 1990s. » Voir, KASSAHUN Eyerusalem, “Women’s participation in Ethiopian cinema”, dans Thomas Michael et al. (dir.), Cine-Ethiopia: The History and Politics of Film in the Horn of Africa, East Lansing, Michigan State University Press, 2018, p. 133. 25 Ibid., p. 133. 26 Ibid., p 135.
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Parmi ces femmes, plusieurs ont répondu à notre demande d’entretien, nous permettant d’avoir une lecture plus concrète du marché cinématographique en 2020. Une typologie se dégage, qui, sans surprise recouvre les trois grandes catégories de métiers que l’on connaît tout en signalant à la fois les carences et donc la nécessaire porosité entre ces différentes activités ainsi que le brouillage et les perturbations qui peuvent en résulter (dans un secteur qui requiert une adaptation permanente aux moyens disponibles et la compensation des manques). La plupart de ces femmes sont arrivées au cinéma après avoir travaillé dans d’autres secteurs : Mehret Mandefro, dans la recherche médicale et l’ethnologie, Tamara Dawit dans le secteur des médias et de la communication, Selam Endale dans le secteur de l’équipement son, Ethiopia Seyoum comme assistante de production dans une société de production qui faisait des vidéoclips, des publicités télévisées et des films, etc.
LES PRODUCTRICES – MAÎTRESSES D’UNE INDUSTRIE FUTURE
D’OUVRAGE
La maîtrise d’ouvrage est un terme associé à la construction immobilière, mais qui ressemble en tout point à la production. Il s’agit avant tout d’une aventure humaine, qui rassemble des acteurs nombreux et diversifiés, mais qui assument chacun des rôles bien précis. Si les projets sont à chaque fois différents, ils répondent par ailleurs à une méthode et à des étapes définies, de la conception à la livraison. Dans le cas présent, les deux productrices que nous avons interrogées sont les pivots organisationnels de ce que nous pourrons bientôt appeler une industrie cinématographique et audiovisuelle. Leur point commun, en dehors de leur métier d’origine est celui d’avoir vécu et d’avoir été formées dans une culture anglo-saxonne, où l’entreprenariat et l’empowerment sont de mise. Du fait de leur formation et de leur parcours d’excellence, leur retour sur le territoire éthiopien a été rapidement une réussite et elles ont eu à la fois la liberté d’action et la légitimité nécessaire pour développer des projets d’envergure. Toutes deux sont devenues des figures centrales du secteur (cinématographique et audiovisuel) alors qu’elles ne vivent que depuis peu de temps sur le territoire : respectivement six ans pour Tamara Dawit et cinq ans pour Mehret Mandefro. Tamara Dawit est une productrice et réalisatrice éthiopienne, qui a vécu et fait une grande partie de sa carrière au Canada anglophone. À seulement 39 ans elle est une des productrices de renom à Addis. Son cœur de métier est d’être productrice de contenu dramatique, documentaire et web. Après avoir administré l’étude EUNIC sur le territoire éthiopien, grâce à son entreprise 258
Gobez Media elle s’est également spécialisée dans la formation et le renforcement des capacités pour l’industrie cinématographique. Arrivée au cinéma après une carrière dans le domaine de la communication au sein du développement international et de l’industrie de la musique, elle a démarré par la réalisation de documentaires pour la télévision puis du contenu web avant de réaliser et de produire ses propres projets. Cela lui a pris environ sept ou huit ans avant de pouvoir travailler à temps plein dans sa profession de cinéaste. Passionnée par les histoires éthiopiennes qui lui permettent de revisiter la façon dont le monde voit l’Éthiopie, elle mène plusieurs projets liés à son héritage culturel. Contrairement à ce qu’elle a pu vivre au Canada, elle trouve que travailler dans le secteur cinématographique éthiopien est facile et peu sexiste. Cependant, produire en Éthiopie est un jeu lent, tant d’un point de vue financier qu’en termes de gain de confiance des équipes. Selon Dawit, le secteur cinématographique dans le pays a beaucoup de potentiel avec une centaine de millions de spectateurs potentiels. Cependant, une intervention gouvernementale s’avère indispensable sur le plan fiscal, politique et législatif. Elle est alumni de la promotion 2020 de EAVE (European Audiovisual Entrepreneurs) Producers Workshop et parmi les projets en cours, elle développe deux coproductions avec des réalisateurs allemands (une web série et un documentaire), un long métrage de fiction et un long métrage documentaire avec deux réalisateurs éthiopiens. Mehret Mandefro, 43 ans, se présente comme productrice, scénariste, réalisatrice, médecin et anthropologue. A l’origine, elle a fait des études en anthropologie et médecine. Dans le cadre de ses recherches, elle a voulu illustrer ses travaux par un documentaire sur le VIH chez les femmes noires. Elle est restée par la suite dans le secteur cinématographique, notamment en créant Truth Aid, une compagnie de production. Les projets qu’elle met en œuvre portent sur les grandes barrières sociales, les inégalités entre les sexes en Éthiopie, les disparités en matière de santé dans le monde. Née en Éthiopie, elle passe une grande partie de sa vie aux USA où elle fait ses études. Elle siège dans le Conseil consultatif de la commission de création d’emplois du gouvernement éthiopien. Pour elle, les industries créatives (cinéma et télévision) sont un des maillons de la promotion de la croissance économique et des idéaux démocratiques dans le pays. C’est donc la raison pour laquelle elle accompagne ce projet. L’Éthiopie a connu une croissance importante qui réduit selon elle la pauvreté, mais, selon les chiffres de 2018 le taux de chômage en zone urbaine a augmenté de manière générale et ceux qui sont les plus concernés sont les jeunes de 15-29 ans, notamment les femmes. Cela s’explique entre autres par la structure de la population qui est proportionnellement très jeune. 259
Mandefro a déménagé en Éthiopie en 2016 et voyait dans son pays un marché en expansion, propice au développement de son activité de productrice lancée aux États-Unis. Rapidement, elle intègre Kana TV en tant que productrice exécutive et directrice de l’impact social. Son travail consiste à produire des contenus originaux et de qualité en langue amharique, tout en sachant que les compétences et l’éducation liées à la télévision étaient limitées voire absentes sur le marché local. La seule solution envisageable a été un investissement massif dans la formation. Elle invente alors (ou plutôt importe) le modèle des études en apprentissage, rémunérant ses apprentis pour devenir les professionnels de demain. Le recrutement s’est tourné vers des jeunes sortis d’études, en recherche d’un premier emploi, avec une moyenne d’âge d’environ 24 ans et une soif d’apprentissage. Elle crée alors une première série, Héritage, qui rencontre un franc succès, puis Ganja. Plusieurs projets ont été produits et diffusés depuis, mais ce qu’elle retient est la conception d’un modèle de formation qui mène directement à un emploi qualifié. Puisque cette formule ne répondait qu’aux besoins d’une seule entreprise (Kana TV), elle l’a étendue à une coproduction internationale dont elle était la productrice exécutive. En partenariat avec la société publique du tourisme, elle en a fait un « prototype » ou plutôt une bande démo pour démarcher le gouvernement. Les films peuvent promouvoir la croissance économique et attirer des capitaux étrangers, créant par ailleurs la puissance expressive de la nation. Grâce à ce soutien, les apprentis ont pu intégrer des projets d’envergure internationale, acquérir une expérience très riche, puis, ouvrir leurs propres sociétés de production dans le pays, bénéfique pour le secteur. À partir de là, elle a été nommée par le gouvernement éthiopien pour mener un audit du secteur cinématographique et audiovisuel. Elle a pu ainsi faire des recommandations pour intégrer l’économie créative dans le plan d’action national pour l’emploi sous la forme d’une industrie de services à fort potentiel : Éthiopie Crée. Ce cluster a organisé l’exportation de films sur le marché européen et entraîne les cinéastes à pitcher en vue de l’obtention de financements internationaux. L’économie créative est la meilleure solution pour mettre en place la première, à condition « d’enseigner à la société civile comment accéder à de nouvelles idées sans préjugés ». La croissance économique est pour elle une croissance démocratique. Comme Dawit précédemment, Mehret Mandefro vient d’être sélectionnée pour la session 2021 du EAVE Producers Workshop, après avoir intégré le Realness Institute. Penser la professionnalisation du métier par le biais de formations sur le territoire ainsi que par la connaissance des moyens de financement et de fonctionnement de l’industrie cinématographique dans le contexte international s’avère indispensable. Les films sont vus comme des produits commerciaux,
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n’étant produits et vendus uniquement que s’ils sont rentables.27 Ces deux productrices se substituent au système de formation existant (voir notes 9 et 11 de cet article) afin de donner accès à des compétences pouvant être exploitées localement et internationalement. Si l’Université d’Addis-Abeba propose un master en deux ans, cette formation est purement théorique et le matériel dont les étudiants disposent et sur lequel ils se forment est obsolète. La production proprement dite n’est pas enseignée. Quant à Blue Nile28, l’école privée de cinéma, elle propose surtout une formation poussée en réalisation, écriture et esthétique. Ces étudiants et parfois leurs professeurs intègrent les cycles de formation menés par Tamara Dawit ou Mehret Mandefro pour se spécialiser. Nous ne faisons pas de laboratoires techniques, parce que nous n'avons pas la capacité d'accéder à l'équipement nécessaire pour faire ces programmes. Nous nous sommes donc concentrés sur le fait de faire venir des cinéastes qui ont un projet spécifique sur lequel ils travaillent. Ainsi, si un laboratoire est consacré au budget, ils apprennent à faire un budget correctement, à établir un calendrier, à décomposer un scénario en quelque chose sur lequel ils travaillent. Si c'est un laboratoire de développement d'histoire, c'est la même chose, si c'est un laboratoire de préproduction, c'est la même chose, mais vraiment axé sur les compétences commerciales pour le film et le développement des compétences de préparation à l'exportation, parce que ce sont des domaines concrets où il y a un manque d'information. Mais ce sont des choses que nous pouvons enseigner aux gens, sans avoir besoin d'avoir des suites de montage ou du matériel de caméra et toutes ces choses […]. Tous les labos sont gratuits parce que nous savons que les réalisateurs n'ont pas d'argent pour participer. Mais si nous y mettons un prix, la plupart de nos laboratoires, disons si nous faisons un laboratoire pour dix personnes, avec deux formateurs étrangers par semaine, cela nous coûte généralement entre 8 et 10 000 $. Et vous savez, 10 000 $, si le formateur vient des États-Unis, et probablement 8 000 $ s'il vient d'Europe, ou d'ailleurs en Afrique, à cause des différences de coût des vols. Mais nous savons que ce n'est pas abordable pour les cinéastes locaux et nous savons aussi que dans les laboratoires où travaillent 30 à 50 cinéastes, comme c'est le cas dans d'autres instituts culturels, quand on regarde les résultats réels et les prises de vue, ce n'est pas très élevé
27 JEDLOWSKI Alessandro, « Afriques audiovisuelles : appréhender les transformations contemporaines au prisme du capitalisme global », Politique africaine, nᵒ 153, 2019, p. 26. 28 BIRU Hailé, « Une école de cinéma en Ethiopie », Entretien par Olivier Barlet, 26 juillet 2010, Africiné, http://www.africine.org/entretien/une-ecole-de-cinema-en-ethiopie/9602 (consulté le 10 novembre 2020).
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parce qu'il n'y a pas de possibilité de tête-à-tête avec les cinéastes, ou sur leurs projets spécifiques. Nous travaillons avec eux avant et après le programme de formation, puis nous organisons une master class publique plus importante, ouverte à autant de personnes que possible, entre 50 et 150. Mais nous essayons vraiment de maintenir les coûts à un faible niveau. Nous n'hébergeons pas les gens dans des hôtels de luxe, nous ne les nourrissons pas dans des restaurants 5 étoiles. Et nous payons les professeurs pour qu'ils viennent, parce qu'ils travaillent avec des cinéastes et nous leur demandons de prendre des congés pour préparer le matériel. Et ils devraient être payés. Et la plupart d'entre eux sont des gens simples29. Par effet de seuil, nous constatons en Ethiopie que les publics du cinéma s’adaptent à la cinématographie qui leur est programmée ou diffusée en salles : […] Un public local, plus large et plus populaire pour les films éthiopiens produits localement ayant une orientation commerciale ; un public plutôt international, plus sophistiqué politiquement et artistiquement pour les films de la diaspora30. Ce qui rapproche ces visions du cinéma, ce sont les types d’histoires que les femmes aimeraient pouvoir raconter et aussi l’ambition qu’elles ont de participer au développement du secteur. Dans leur démarche, il y a un rôle militant, assimilable au mouvement français de l’éducation populaire. Ces productrices structurent et renforcent la capacité du secteur par des formations. D’abord, grâce à leur parcours d’excellence et leur soif de connaissances, Tamara Dawit et Mehret Mandefro se sont formées à l’international et ont bénéficié de stages d’excellence tant en Europe qu’en Afrique. Elles transmettent ensuite ce savoir-faire grâce aux projets d’envergure qu’elles montent et qui leur permettent d’embaucher des équipes internationales auxquelles elles associent des assistants éthiopiens. Elles font évoluer les identités grâce à leur double culture et à leur quête d’identité (Little white lie, 2015 produit par Mehret Mandefro, ou encore Finding Sally, 2020, produit par Tamara Dawit). Du fait de leur double culture éthiopienne et nord-américaine, l’empowerment est de mise dans chacune de leurs activités. De plus, leurs statuts sociaux et leur accès à des hautes études à l’étranger nous laissent penser
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Extraits de l’entretien mené par l’autrice avec Tamara Dawit le 12 février 2020. JEDLOWSKI Alessandro, « Ethiopian cinema and the politics of migration, at home and abroad », dans Thomas Michael et al. (dir.), Cine-Ethiopia: The History and Politics of Film in the Horn of Africa, East Lansing, Michigan State University Press, 2018, p. 162 (« A local, wider and more popular audience for locally produced, commercially oriented Ethiopian films ; a rather international, more politically and artistically sophisticated audience for diasporic films »). 30
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qu’elles viennent de classes sociales aisées et bénéficient à la fois d’un capital social et financier supérieur à la moyenne. Ce qui leur permet d’entreprendre et d’être légitimes sur un marché hautement concurrentiel. Dans la plupart de leurs projets, elles mettent en place du mentorat et de la formation (sur le tas ou sous forme de workshop formalisé). Le but est toujours celui du transfert de compétences et de savoirs des sachants étrangers à des techniciens locaux. Afin d’encourager les femmes à participer à l’industrie cinématographique, des institutions ou organismes de formation sélectionnent des femmes pour des bourses d’études ou des spécialisations techniques. À ce titre, la cooptation et le training sont essentiels à l’inclusion des femmes dans l’industrie cinématographique à d’autres postes que celui d’actrice. Que ce soit Dawit ou Mandefro, elles ont une vision entrepreneuriale très américaine, doublée d’une formation européenne, les deux ayant suivi le programme destiné aux producteurs ou aux réalisateurs au sein de EAVE. La majorité des productrices sont des femmes émancipées, ayant fait des études et de l’argent à l’étranger. Elles ont toutes en commun le désir de produire et de jouer dans les films, comme si la reconnaissance ne pouvait être acquise qu’avec le crédit écran.
LES RÉALISATRICES – GRIOTS AU FÉMININ Les réalisatrices éthiopiennes travailleraient majoritairement sur les thématiques de la migration, de l’identité et des déplacements des populations, de la prostitution et la pédophilie31. Si dans l’histoire du cinéma éthiopien plusieurs réalisatrices sont connues, elles demeurent toujours en minorité par rapport au nombre des réalisateurs. La discrimination positive dans la sélection des femmes dans la formation au sein du secteur en est un indicateur. Donc occuper le territoire de la réalisation leur permet, entre autres, de faire valoir leur vision de l’histoire, une vision essentiellement féminine qui manquait cruellement. La société patriarcale32 continuerait à jouer un rôle très fort, car l’ensemble des films est soumis à une forte pression traditionnelle de la part des anciens. Des rapports de pouvoir inégalitaires en termes de genre sont mis en avant lors des projections des films racontant les histoires des femmes.
31
KASSAHUN Eyerusalem, « Women’s participation in Ethiopian cinema », dans Thomas Michael et al. (dir.), Cine-Ethiopia: The History and Politics of Film in the Horn of Africa, op. cit., p. 125. 32 Ibid., p. 129.
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Contrairement aux productrices, les réalisatrices de notre panel d’entretiens sont toutes nées et formées en Éthiopie. Des trois, une seule a suivi des cours de réalisation au sein de l’école de cinéma Blue Nile Film and Television Academy (BNFTA), les autres se sont formées sur le tas à ce métier ou ont fait quelques stages de professionnalisation. Leur engagement est surtout celui de raconter des histoires sociétales éthiopiennes, tout en valorisant le point de vue féminin, qui semblerait sous-représenté dans les productions locales. Hiwot Admasu, 32 ans, est réalisatrice et écrivaine. Après une licence en ingénierie électrique, comme Selam Endale (voir ci-dessous) et malgré l’obtention de son diplôme, elle n’a jamais professé dans le secteur. Faisant ses débuts en tant qu’actrice, Admasu se rend compte rapidement que son idéal professionnel est celui d’être réalisatrice. Par voie de conséquence, elle découvre et intègre le cursus de BNFTA. Si beaucoup de ses congénères se dirigent vers la télévision, elle préfère travailler dans le secteur cinématographique car il offre une plus grande liberté de création. Ayant déjà réalisé deux courts-métrages, elle travaille actuellement sur son premier long métrage. Ses films mettent en scène « principalement » des thématiques liées au vécu de jeunes filles ou femmes dans leur rapport à Dieu, à la mort, à la sexualité ou encore à leurs réalisations. Ces projets ont beaucoup circulé dans des festivals internationaux et parfois lors de diffusions sur des chaînes TV européennes. Ce qu’elle identifie comme étant particulièrement difficile est le travail avec les équipes locales, qu’elle trouve imprévisibles. Pour parer à cela, elle travaille avec une productrice locale qui a la capacité de former les équipes tout en concevant un système professionnel. Concernant le secteur, là encore, Admasu considère qu’il y a une recrudescence de plans de formation, que ceuxci soient initiés par des entreprises ou par la télévision. Son projet en cours de développement, Sweet Annoyance, produit par Mehret Mandefro, a obtenu un prix et un financement lors du dernier Festival international du film à Marrakech33. Hawi Kefale, 26 ans, est réalisatrice et illustratrice. Elle est née et a toujours vécu en Éthiopie, tout comme Admasu. Diplômée d’une licence d’architecture, elle intègre une agence publicitaire en tant qu’assistante de direction. Puis, elle devient rapidement directrice artistique. Passionnée depuis sa jeunesse par le cinéma, elle se dirige vers la branche publicitaire de l’agence et c’est ainsi qu’elle débute comme assistante à la réalisation pour un court métrage. À présent, elle travaille sur son premier court métrage d’animation. Elle
33 DALE Martin, « The Gravedigger, Zanka Contact and Sweet Annoyance win Top Prizes at 2nd Atlas Workshops », Variety Magazine, 7 décembre 2019, https://variety.com/2019/film/festivals/the-gravedigger-zanka-contact-sweet-annoyance-atlas-workshops-1203428256/ (consulté le 20 novembre 2020).
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trouve que c’est un défi d’avoir la chance de partir d’une page blanche car on se confronte à soi, à ses limites. Kefale considère que les relations professionnelles sont difficiles à appréhender, à cause d’une certaine méfiance envers les femmes. L’objectif poursuivi par son projet c’est d’amener les gens en voyage, ailleurs, grâce à ses films. Elle souhaite également raconter l’Éthiopie de façon objective. Elle travaille avec des Éthiopiens, mais elle est la seule femme de l’agence. Selon nous, ses rapports avec les autres acteurs de la filière sont complexes pour d’autres raisons que celles évoquées par la réalisatrice. Une des hypothèses serait que son jeune âge et le peu d’expérience (un seul court métrage) ne la confortent pas dans sa posture de réalisatrice légitime. De même, du fait de son métier de directrice artistique et illustratrice, nous pensons qu’elle n’est pas encore reconnue pour ses réalisations cinématographiques, bien que son court métrage ait connu du succès, notamment auprès des Instituts étrangers d’Addis-Abeba qui ont diffusé largement son film. Ethiopia Seyoum, 28 ans, est réalisatrice, scénariste et productrice. Elle fait ses débuts comme assistante de production dans une entreprise qui réalisait des clips musicaux, publicités pour la télévision et films. Puis, elle travaille à la traduction de scripts et au doublage pour une série télévisée. Enfin, après être devenue présentatrice du journal télévisé pour Kana TV, elle se voit proposer l’opportunité de développer une série TV. Très vite, elle se tourne vers la réalisation. Son point fort – sa culture et sa capacité à raconter des émotions qui créent l’empathie. Sa passion et le soutien de sa famille sont essentiels, car elle est autodidacte. Elle a appris sur le tas avec un réalisateur de Los Angeles, qui lui a transmis le métier. Pour elle, le travail en tant que femme est complexe surtout avant d’avoir fait ses preuves et d’avoir acquis une légitimité auprès des équipes. Mais l’entraide et le réseau restent indispensables. Le secteur est porteur mais nécessite une organisation structurelle, tout comme une ouverture internationale. À son avis, inclure la formation aux métiers concrets dans les écoles et concevoir des coproductions internationales demeurent indispensables pour le secteur. Dans les projets en cours, elle produit et réalise une émission télévision pour Kana TV et elle prévoit une ouverture à l’international dans le désir de parfaire ses compétences. Que ce soit Hawi Kefale, qui est parmi les seules femmes à travailler dans le cinéma d’animation, Hiwot Admasu ou Ethiopia Seyoum, toutes s’inscrivent dans un paysage international et ont envie que leurs histoires circulent tant sur le territoire de leur pays qu’ailleurs. Il est important de garder en tête que malgré les nombreuses formations, les trois font état d’une difficulté dans la gestion humaine sur le terrain et du relai qu’elles passent aux producteurs. De même, si pour les productrices le genre ne semblait pas être un obstacle, 265
au niveau des réalisatrices, il semble être une forme de sélection naturelle, ces dernières le vivant comme une forme d’épreuve initiatique avant la légitimation.
LES TECHNICIENNES – RESSOURCES RARES Les techniciennes femmes sont relativement rares dans la région d’AddisAbeba. Surtout celles qui travaillent en dehors des télévisions. Nous avons été mise en contact avec trois techniciennes son (dont deux qui travaillent pour Kana TV), mais seulement une nous a répondu. Après avoir hésité à intégrer son témoignage à cette contribution, du fait de la singularité de cette réponse, nous avons finalement conclu que cette situation est probablement plus représentative que jamais de la nécessité d’explorer davantage ces métiers, malgré le peu de profils similaires rencontrés. Selam Endale, 32 ans, a débuté en tant qu’ingénieure son sur le premier film produit par Fortuna Moges et réalisé en 2016 par Abraham Gezahagne Assefa, Yenegen Alweldim. Elle a fait ses études en ingénierie électrique et a travaillé longtemps dans une entreprise nommée Sound Solutions. La passion pour le cinéma est venue au fur et à mesure de la transmission et de l’apprentissage. Bien qu’elle ait obtenu une licence en ingénierie électrique, pour la profession qu’elle exerce les études à proprement dites sont inexistantes en Éthiopie, donc outre la formation sur le tas dispensée par son employeur passionné, elle a suivi des cours en ligne. Plus tard, le programme de formation par immersion mis en place par Kana TV lui a permis d’acquérir plus d’expérience. Elle travaille à temps plein à la télévision (Kana TV) et au gré des opportunités elle participe aux projets cinématographiques. Si la télévision est assez normée, le travail dans le cinéma lui semble plus stimulant car les attentes sont différentes à chaque projet. Pour elle, le travail est un acte dynamique de création et de transmission des histoires éthiopiennes. Dans les projets en cours, elle produit actuellement une émission de télévision avec Ethiopia Seyoum. Elle travaille avec Tamara Dawit sur un long métrage de fiction et avec Hiwot Admasu sur son court métrage. Elle considère que le parent pauvre de l’industrie est le son pour le moment, l’image ayant pris un peu d’avance. Les métiers techniques sont relativement peu occupés par les femmes à ce jour en Éthiopie. Malgré les différents projets de formation mis en place, les femmes sont peu nombreuses à sauter le pas. Si on se fonde sur l’expérience de Selam Endale, être une femme professionnelle du son permet à ce jour de participer à une multitude de projets d’envergure. Par ailleurs, selon Tamara Dawit, les métiers techniques ne sont pas encore plébiscités par les locaux, la plupart des producteurs faisant des films à vocation internationale étant dans 266
l’obligation de faire venir des équipes internationales. Enfin, le parcours de Endale est également un bon indicateur du bon fonctionnement du réseau professionnel, à condition que les compétences soient le pivot central.
CONCLUSION Cette enquête exploratoire nous a permis de prendre un premier contact avec les acteurs du secteur cinématographique de l’État Fédéral d’AddisAbeba et de dresser le paysage de la filière en 2020, en agrégeant un ensemble très riche de données qui ne sont pas disponibles auprès des institutions nationales. Il s’avère que le cinéma éthiopien de cette région bénéficie de l’essor économique dont profite le pays et laisse l’opportunité aux acteurs du secteur de créer et d’évoluer tant sur le marché national qu’international. Si la plupart des films produits sont distribués et visionnés majoritairement sur le territoire national, seulement quelques projets voient le jour au-delà des frontières. Sur le plan de la structuration du secteur, l’Éthiopie présente un défaut structurel majeur par rapport à d’autres pays similaires, comme le Kenya ou l’Afrique du Sud. Si ces deux derniers bénéficient d’une institution nationale fédérant le secteur et réglementant l’ensemble des décisions, l’Éthiopie est en défaut. Pas de réglementation en vigueur, pas de volonté étatique de développement de ce secteur culturel et créatif, bien que quelques idées germent, comme nous avons pu le voir. La fiscalité en vigueur est plutôt décourageante pour accueillir les tournages et les professionnels étrangers ne sont pas incités à intervenir sur le territoire. Malgré ce manque d’implication étatique, plusieurs actions privées sont en cours dans le pays pour le développement des capacités professionnelles. Par le biais des formations et des stages professionnalisants, une nouvelle génération de professionnel.les voit le jour en Éthiopie, et ce depuis 2014. Que ce soient les écoles privées, les stages mis en place par les différents instituts étrangers d’Addis ou encore les formations initiées par Kana TV, il semblerait que la nouvelle génération soit en voie vers la création de projets ambitieux. Notre enquête exploratoire a également mis en avant les résultats de différentes stratégies de discrimination positive mises en place depuis 2014. Nous avons pu nous entretenir avec des productrices, des réalisatrices et une ingénieure son qui évoluent sur un marché nouveau, international et en libre concurrence. Elles se démarquent notamment par leur pugnacité et leur volonté de transmettre leur savoir, tout en structurant, au mieux le secteur, afin de lui permettre de s’adapter aux standards internationaux. Elles veulent créer des projets d’envergure, qui nécessitent des compétences spécifiques, et font tout leur possible pour les développer et les pérenniser. A l’aune de ces éléments, nous spéculerons que les différentes actrices du secteur que nous avons pu rencontrer seront les futures organisatrices du secteur au niveau étatique. 267
Outre le fait que leur parcours d’excellence laisse envisager une reconnaissance du secteur artistique, par l’obtention de prix dans des festivals de renom par exemple, nous pensons que le modèle d’organisation qu’elles sont en train de mettre en œuvre à une toute petite échelle, sera le noyau dur de la structure étatique à venir. Il s’avère qu’à ce jour, les projets cinématographiques qui font connaître l’Éthiopie sur le marché international sont menés par ces précurseures d’un cinéma d’auteur structuré sur les principes fondateurs de l’Europe.
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Contesting the Status Quo: The Rise of Women Filmmakers in Ghana Dennis-Brook Prince Lotsu University of Queensland – Australia
ABSTRACT Early accounts of filmmaking on the African continent have been dominated by male directors and producers, often with narratives that project the male voice and perspective with little or no subversion of dominant ideology. With the advent of video filmmaking or “video boom”, to use Jonathan Haynes' term, however, in the 1990s came a democratisation of filmmaking in Africa, which contributed to deepening women’s involvement in film production in diverse capacities as producers, screenwriters, directors, cinematographers and editors. In spite of this, there remained limited visibility and lack of systematised study of the works by women filmmakers until the 1970s. This paper examines the role and impact of women filmmakers in Ghana’s privatised and commercialised film industry by charting the micro processes driving women’s filmmaking practices. It specifically focuses on women’s involvement in the circuit of film production in Ghana in the last two decades. It demonstrates that despite infrastructural deficit and economic challenges within the amorphous system of film production in Ghana, women filmmakers have continued to make significant strides and impact film production in the country through self-financing and collaborative strategies that enable them to augment film production while expanding transnational circulation.
INTRODUCTION Ghana’s film sector, since the 1966 overthrow of Ghana’s first President, Kwame Nkrumah, has been grappling with series of political and financial crises that have altered significantly film production in the country. From the 1970s to the mid-1980s, economic crisis, coupled with political instability, adversely affected film production in Ghana. Particularly, celluloid filmmaking, the technology and practice of filmmaking during the period, became stifled as the cost of film stocks and processing skyrocketed1. The crises led to
1
See AVEH Africanus, “The Rise of the Video Film Industry and its Projected Social Impact on Ghanaians”, African Literature Today, vol. 28, 2010, p. 122-132; HAYNES Jonathan, “A Literature Review: Nigerian and Ghanaian Videos”, Journal of African Cultural Studies,
the decline in filmmaking, leaving production in the hands of the elite and veteran filmmakers like Egbert Adjesu (I Told You So, 1970), Kwaw Ansah (Love Brewed in the African Pot, 1980; Heritage Africa, 1989) and King Ampaw (They Call it Love, 1972; Kukurantumi, Road to Accra, 1983; Juju, 1985). Following the economic and political crises of the 1970s and 1980s came the sales of the state film corporation, Ghana Film Industry Corporation (GFIC) in 1996, under the divestiture of state corporations programme. The sales culminated in the privatisation and/or outright sales of state-owned facilities and cinemas, while other surviving infrastructures were financially starved or neglected by successive governments. At the heels of this decline came the evolution of the video filmmaking, which was made possible by the influx of cheap consumer camcorders. Spearheaded by artisanal filmmakers, mostly merchants and distributors of Hollywood blockbusters and Bollywood melodramas, the films of these filmmakers soon gained popularity and filled the gap created by the import deficit of foreign films2. And thus, the film sector became fully democratised, controlled by businessmen and artisanal filmmakers. From the mid-1990s through to the early 2000s, these artisanal filmmakers developed and popularised homegrown techniques of video filmmaking, exhibition and distribution, neologised “Kumawood”3. The Kumawood model is characterised by ad hoc practices or what Ousmane Sembène terms mégotage4 – the bricolage typifying filmmaking practices on the continent. It emphasizes short production cycles and financial turnover over quality, visual aesthetics, narrative form and structure, and thus is characterized by screen acting improvisations, underdeveloped plots, unwarranted serialization, and
vol. 22, n° 1, 2010, p. 105-120; SAUL Mahir and AUSTEN Ralph A. (dir.), Viewing African Cinema in the Twenty-First Century: Art Films and the Nollywood Video Revolution, Ohio University Press, Athens, 2010, 256 p. 2 See GARRITANO Carmela, African Video Movies and Global Desires: A Ghanaian History, Athens, Ohio University Press, 2013, 284 p.; HAYNES Jonathan, “Video Boom: Nigeria and Ghana”, Postcolonial Text, vol. 3, n° 2, 2007, p. 1-10; MEYER Birgit, Religion, Media, and the Public Sphere, Indiana University Press, Bloomington, 2005, 325 p. 3 Coined after the major local language film production centre, Kumasi, the Kumawood model, within academic circles, is euphemised as the Kumasi Business Model, indicating its departure from English-language films that were produced in the capital, Accra. 4 Though variously translated, Sembène used mégotage (scrounging for cigarette butts, as in the case of a poor beginner-smoker who collects the cigarette butts of others) to characterise filmmaking practices on the African continent where, due to financial constraints, filmmakers assemble cast, crew and production equipment or solicit for finances from friends, family and associates for a film project, leading to the making of a zero-budget movie. See DIAWARA Manthia, African Cinema: Politics & Culture, Bloomington, Indiana University Press, 1992, 192 p.; HARROW Kenneth W., Trash: African Cinema from Below, Indiana University Press, Bloomington, 2013, 264 p.
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overall low production values5. These film directors/producers, the majority being males, often reflected on their personal experiences for story inspiration, recycle topical issues or tabloids making the rounds as story ideas, while producing solely for local audiences and commercial benefits, without recourse to the urgency of critical scholarly reviews or analyses. As such, Jonathan Haynes, analysing the body of works produced during the period of the video boom in Nigeria and Ghana, reports of narratives “populated by long-suffering heroines, feckless husbands and their disreputable mistresses, lost and erring children, meddling in-laws, orphans, ghosts, witches, and assorted evil spirits; the protagonists are subjected to extraordinary persecutions, twists of destiny and fate, and various catastrophes6. With the emergence of early women film directors and screen producers like Efua Sutherland, Hajia H. Meizongo, Veronica Cudjoe, Afi Yakubu, Veronica Quarshie-Nai, Yaba Badoe, however, comes the creation of new aesthetics and representations of women with considerable shift in the pattern of narratives, stirring up the national gender discourses that paved the way for women’s participation in the creative economy of the country7. The past two decades have since witnessed an upsurge in women filmmakers as more women continue to make forays into the screen production (film, television, advertising etc.) sector of the economy. Many of these women filmmakers are bridging the gender imbalance and contributing to the development of a new epistemology of narratives and alternative filmmaking practices. Where the construction of images was previously left in the hands of male directors, these women directors bring plurality to the Ghanaian filmic landscape and contest, on the one hand, power relations within the film industry; and on the other, question representations. Irrespective of this renewed female undertaking in film directing, there still exists a knowledge deficit and scholarship on Ghana’s female filmmakers and the film sector. Women filmmakers remain marginalized by their male counterparts and their works either remain unacknowledged or tokenized by critics. Until the critical reviews and systematic explorations of Beti Ellerson, Birgit Meyer, Carmela Garritano and Lindiwe Dovey on African women filmmakers’ praxis, narrative and representations at festivals, focus on female 5
AKROFI Daniel A., Assessing brand Ghallywood: A study of the elements that constitute and characterize the Ghanaian film industry, Masters Thesis, Ashesi Unversity, Accra, 2013. 6 HAYNES Jonathan, 2007, op. cit., p. 4. 7 Before and after the emergence of these Ghanaian women filmmakers, there have been other African women filmmakers like Safi Faye (Senegal), Ngozi Onwurah (Nigeria), Anne Mungai (Kenya), Tsitsi Dangarembga (Zimbabwe), Fanta Regina Nacro (Burkina Faso), Assia Djebar (Algeria), Anne-Laure Folly (Togo), Salem Mekuria (Ethiopia), Wanjiru Kinyanjui (Kenya) Selma Baccar and Moufida Tlatli (Tunisia) whose films contested the status quo, offered alternative perspectives and questioned issues from a woman’s point of view.
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representation in screen production, particularly in English-speaking Africa, remained insignificant as women filmmakers struggled to gain recognition8. For instance, Carmela Garritano’s (2013) African Video Movies and Global Desires: A Ghanaian History9, traces the history of filmmaking from the Gold Coast era through to the evolution of video filmmaking in Ghana, where she dedicates chapters to Veronica Quarshie-Nai and Shirley Frimpong-Manso, while Leila Djansi enjoys only a mention10. The insufficient focus on women filmmakers becomes even more palpable in Jill Nelmes and Jules Selbo’s (2015) collection, Women Screenwriters: An International Guide, where the section on women filmmakers in Ghana is captured in only three pages and with some obvious errors11. Nelmes and Selbo’s attempt to capture women 8
ELLERSON Beti, “The Female Body as Symbol of Change and Dichotomy: Conflicting Paradigms in the Representation of Women in African Film”, Matatu, vol. 19, n° 1, 1997, p. 3141; ELLERSON Beti, “Arts: Film Directors and Film Stars: Sub-Saharan Africa”, dans Suad Joseph (dir.), Encyclopedia of Women and Islamic Culture, 2007, https://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedia-of-women-and-islamic-cultures/*-EWICCOM_0290d; ELLERSON Beti, “African women and the documentary: storytelling, visualizing history, from the personal to the political”, Black Camera, vol. 8, n° 1, 2016, p. 233-239; ELLERSON Beti, “Traveling Gazes: Glocal Imaginaries in the Transcontinental, Transnational, Exilic, Migration, and Diasporic Cinematic Experiences of African Women”, Black Camera, vol. 8, n° 2, 2017, p. 272-289; MEYER Birgit, “Popular Ghanaian Cinema and ‘African Heritage’”, Africa Today, vol. 46, n° 2, 1999, p. 93-114; MEYER Birgit, “Occult Forces on Screen: Representation and the Danger of Mimesis in Popular Ghanaian Films”, Etnofoor, vol. 15, n° 1/2, 2002a, p. 212221; MEYER Birgit, “Pentecostalism, prosperity and popular cinema in Ghana”, Culture and Religion, vol. 3, n° 1, 2002b, p. 67-87; MEYER, 2005, op. cit., 325 p.; MEYER Birgit, “Ghanaian Popular Video Movies between State Film Policies and Nollywood”, in Mahir Saul & Austen Ralph A (dir.). Viewing African Cinema in the 21st Century, Athens, Ohio University Press, 2010, p. 42-62; MEYER Birgit, Sensational Movies: Video, Vision, and Christianity in Ghana, Berkeley, California, University of California Press, 2015, 408 p.; GARRITANO Carmela, “Contesting Authenticities: The Emergence of Local Video Production in Ghana”, Critical Arts: A Journal of South-North Cultural Studies, vol. 22, n° 1, 2008, p. 21-48; GARRITANO Carmela, “Nollywood in the Context of Globalization”, Black Camera, vol. 4, n° 1, 2012, p. 3-4; GARRITANO Carmela, 2013, op. cit.; GARRITANO Carmela, “Introduction: Nollywood—An Archive of African Worldliness”, Black Camera, vol. 5, n° 2, 2014, p. 44-52; DOVEY Lindiwe, “African film and video: pleasure, politics, performance”, Journal of African Cultural Studies, vol. 22, n° 1, 2010, p. 1-6; DOVEY Lindiwe, “New looks: The rise of African women filmmakers”, Feminist Africa, vol. 16, 2012, p. 18-36; DOVEY Lindiwe, Curating Africa in the Age of Film Festivals, New York, Palgrave Macmillan, 2015a, 270 p.; DOVEY Lindiwe, “Through the Eye of a Film Festival: Toward a Curatorial and Spectator Centered Approach to the Study of African Screen Media”, Cinema Journal, vol. 54, n° 2, 2015b, p. 126132. 9 GARRITANO, 2013, op. cit. 10 Cognizant of the many exciting developments occurring in the film sector in Ghana, particularly with respect to the newcomer women filmmakers, Carmela Garritano acknowledges the need for further systematic investigations into the film industry (See GARRITANO, 2013, p. 199). 11 See NELMES Jill and SELBO Jule (dir.), Women Screenwriters: An International Guide, Palgrave Macmillan UK, London, 2015, 913 p. The collection listed Rungano Nyoni and Zina
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filmmakers in Ghana offers brief overviews of the works of Akosua Cyamama Busia and Leila Djansi, while only acknowledging Yaba Badoe and Veronica Quarshie-Nai. To this end, feminist film scholarship has been to question the absence of female authorial representation and voice from the acknowledged growing canon of African feminist cinema and aims at documenting the work of female filmmakers in this burgeoning narrative space while addressing the importance of women in the all-male-dominated filmic space on the continent12. This canon has been substantially espoused by critical studies of other scholars like Jonathan Haynes, Kenneth Harrow, Mbye Cham, Manthia Diawara and Françoise Pfaff13. Mbye Cham and Anne Mungai, for instance, posit the need for African women to add their voice to the debate of contemporary African Cinema, positing that gendered cosmologies often communicate a new epistemology of filmmaking that male filmmakers tended to omit14. While the monographs of Birgit Meyer and Carmela Garritano15 are celebrated for their extensive coverage of filmmaking in Ghana, the volumes privilege historical contexts and thematic analyses of films as “alternative cultural products” emerging from privatised and commercialised filmmaking systems rather than focus on women and the micro processes driving their filmmaking practices. The interstitial spaces of film production from both film service perspective and the standpoint of women filmmakers as agential actors with voice, political agenda and consequently power remain unexplored. In this paper, I focus on women’s involvement in the circuit of film production, distribution and consumption in Ghana in the last two decades by attempting to provide macro-level accounts of the film sector. I chart the role and impact of women filmmakers by drawing synergies between the “prefilmic events such
Saro-Wiwa as Ghanaian women filmmakers when indeed, Nyoni is a Welsh-Zambian director while Saro-Wiwa is a Nigerian. Such errors are usually the results of the often-problematic subsumption of Ghanaian films and filmmakers in the category of Nollywood. 12 Ellerson, 2000, op. cit. 13 HAYNES Jonathan, 2007, op. cit.; HAYNES Jonathan, 2010, op. cit.; HAYNES Jonathan, “Anglophone West Africa: Commercial Video”, in K. W. Harrow (dir.), African Filmmaking: Five Formations, Michigan State University Press, East Lansing, 2017; HARROW Kenneth W., Postcolonial African Cinema : From Political Engagement to Postmodernism, Indiana University Press, Bloomington, 2007, 296 p.; CHAM Mbye, “African Cinema in the Nineties”, African Studies Quarterly, vol 2, n° 1, 1998, p. 47-51; CHAM Mbye, “Film and history in Africa: A critical survey of current trends and tendencies”, In Pfaff Françoise (dir.), Focus on African films, Bloomington, Indiana UP, 2004; DIAWARA, 1992, op. cit.; DIAWARA Manthia, African Film: New Forms of Aesthetics and Politics, Munich, Prestel, 2010, 320 p.; PFAFF Françoise, Twenty-five Black African Filmmakers, Westport CT, Greenwood Press, 1988. 14 CHAM Mbye and MUNGAI Anne, « African women and cinema: A conversation with Anne Mungai », Research in African Literatures, vol 25, n° 3, 1994, p. 93. 15 MEYER, 2015, op. cit.; GARRITANO, 2013, op. cit.
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as the economic infrastructure” and the “post-filmic, which includes distribution and exhibition”16. I ask, what socio-culturally normative challenges do female filmmakers’ encounter or negotiate in their quest to embark on artistic projects and achieve creative expressiveness? How do their creative visions transcend national and sub-continental geographical boundaries to international festival circuits?
THE PACESETTERS: WOMEN FILMMAKERS OF THE 1990S AND 2000S The standpoint of women filmmakers is vital in charting the trajectory of contemporary film production in Ghana. Any discussion and analysis of the social, political and economic environmental factors to their functionality is an essential unit, from the perspective of the standpoint theory. Feminist standpoint theories posit certain socio-political positions occupied by women (and by extension other groups who lack social and economic privilege) that can become sites of epistemic privilege and thus productive starting points for enquiry into questions about not only those who are socially and politically marginalized, but also those who, by dint of social and political privilege, occupy the positions of oppressors. Sandra Harding, a proponent of the feminist standpoint theory, suggests that initiating “research from women’s lives will generate less partial and distorted accounts not only of women’s lives but also of men’s lives and of the whole social order”17. The core tenets of feminist standpoint theory provide the impetus for the examination of the emergence and rise of women film directors, producers, editors and festival directors in Ghana. I begin from the 1990s to 2000s with Veronica Quarshie-Nai and Shirley Frimpong-Manso who, despite the manifold challenges of financing, distribution and piracy, made incursions into the male-dominated film industry to become ground breakers and accomplished cinéastes. VERONICA QUARSHIE-NAI: ARTICULATING THE EXPERIENCES OF WOMEN BEYOND STEREOTYPES At the peak of Nollywood films’ invasion of the Ghana film industry in the mid 1990s came Veronica Quarshie-Nai, then a fresh graduate from the country’s premier film school, the National Film and Television Institute (NAFTI) in 1992. Emerging at a time the industry was described by many as “a man’s world: men wrote, men directed”, Quarshie-Nai’s directorial debut was welcomed as an antidote to the narratives “rife with stereotypes, witches, 16
UREKE and TOMASELLI, 2017, op. cit., p. 75. HARDING Sandra, The Feminist Standpoint Theory Reader: Intellectual and Political Controversies, New York, Routledge, 2004, p. 275. 17
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suffering girlfriends and evil wives” in the ailing film sector18. Quarshie-Nai opened the door for women’s involvement in the film sector and launched a renewed interest in filmmaking, as her films became popular. Leila Djansi, for instance, venerates Quarshie-Nai as the woman who “changed the narrative. She took women from an obscure, stilted and gender imbalanced story lines [sic] to women who owned their space19”. Between 1994 and 2003, QuarshieNai wrote and directed, with the help of her husband, Samuel Nai, more than a dozen movies that became popular during the period. Her debut, Twin Lovers (1994), produced two years after leaving school, was followed by Tears of Joy (1995) and When the Heart Decides (1996), all of which were produced by Piro Films Production, Takoradi. Quarshie-Nai then went on to direct Come Back Lucy (1996) for Fletcher Productions and Thicker Than Blood (1997) for Adams Babs Production. Others like A Stab in The Dark I (1998), A Call at Midnight I (1998), A Stab in the Dark II (1999), Shadows from the Past I (2000), Ripples (2000), Ripples II (2001), Shadows from the Past II (2000), Rage (2003), and Ripples III (2003) produced by Princess Films, followed suit. In spite of the overly serialised nature of these films, a characteristic feature of the era, many of these films reflected the socio-cultural specificities and provided an understanding of the daily struggles of the marginalised, particularly women, in a steadily modernising society and urban landscapes of Ghana. And, although Aveh (2011) cited Quarshie-Nai’s representational strategies as indulging in stereotypical characters of “lecherous pot-bellied businessmen falling for skimpy-skirted young ladies in the game of snatching rich husbands”20, Quarshie-Nai revealed that her vision as a filmmaker is “to make family-oriented films; films that will help raise the image of women, shape society and especially the family21”. Critiques like Aveh’s are only somewhat admissible if one ignores the highly sexist and male-dominated industry of the era. Men controlled the means of production and distribution. Men dictated the stories that were produced, how they are distributed, exhibited and proceeds shared. Women directors had to be adept in navigating this terrain; one of the reasons for which most professionally trained women
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DJANSI Leila Afua, “In Which I Celebrate the Pioneer – Veronica Quarshie”, Leila’s Party Blog, June 29, 2015, http://leilasparty.blogspot.com.au/2015/06/in-which-i-celebrate-pioneerveronica.html (accessed February 21, 2019). 19 Ibid. 20 AVEH, 2011, op. cit., p. 7. 21 QUARSHIE-NAI Veronica, “One-on-One with Veronica Quarshie, a Veteran Female Filmmaker”, Interviewer, F. Addo. (Vol June 25), Daily Guide, Accra, Ghana, https://www.modernghana.com/entertainment/35761/one-on-one-with-veronica-quarshie-aveteran-femal.html (accessed February 22, 2016).
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filmmakers of the epoch sought refuge in the television stations and advertising agencies as producers and production managers. The inhibitions of women filmmakers are summarised when Quarshie-Nai revealed: “My first challenge was to prove myself to producers that I could handle the productions with great expertise. I had to go through the mill and prove myself and thank God I won the hearts of all the male colleagues I worked with22.” Like most career women of the period, Quarshie-Nai bore the double burden of being a mother and a wife as she had to contend with not only the patriarchal structures of the film industry, but also had to juggle between taking care of the family (children and husband) and camping on locations for days. Quarshie-Nai reveals her “time is now divided between family and work; between managing my home and doing my films23”. Although still into film productions, the weights of these commitments and the current economic conditions make it difficult for Quarshie-Nai to commit full-time to filmmaking like she previously did. Nevertheless, Quarshie-Nai acknowledged the zeal, passion and dedication of newcomer women directors and producers like Shirley Frimpong-Manso in filling the gap some years after her exit. SHIRLEY FRIMPONG-MANSO: PURVEYING A COMMERCIAL AND ENTERTAINMENT FILMMAKING PRACTICE About four years after Veronica Quarshie-Nai’s last directed piece (around 2004), constraints of financing plunged the industry into another recession. High volumes of cheap, low-quality films (VCDs) of the Kumawood variety flooded the market, leading to piracy, consumer apathy and disinterest in Ghanaian films. From 2004 through to 2008, the film market was further saturated with high volumes of Nollywood films. Nigerian filmmakers and distributors, realising the distaste for Ghanaian films and the increased consumer demand for the Nollywood variety, partnered with businessmen and distributors in Ghana who facilitated the circulation of these films in Ghana’s cosmopolitan centres. From Accra’s major business centres (Opera Square, Rawlings Park, Makola, Kantamanto) to Kumasi’s Kedjetia Market and Takoradi’s Market Circle, the distribution of Nollywood films flourished, as these films captured the private and personal spaces of Ghanaian households. It was at such a time that Shirley Frimpong-Manso began her foray into the film sector. Prior to enrolling at NAFTI, Shirley pursued a career as a Radio Presenter with the Accra-based station, Radio Gold. Upon completion of NAFTI in 2004 and aware of the financial constraints of filmmaking, Frimpong-Manso worked with the producer/director, Juliet Yaa Asantewa Asante, to develop 22 23
Ibid. Ibid.
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and produce drama series and culinary programmes for television: Heart to Heart, Different Shades of Blue and Personality Kitchen. In 2004, with her Sparrows Productions company, she ventured into the entertainment industry as entertainment critic and producer of the Miss Ghana Pageant. It was not until 2008 that she signalled her incursion into the film sector with her debut feature film, Life and Living It (2009). Currently with over two dozen films and awards to her credit, Frimpong-Manso boasts of a wide array of titles, some of which include Scorned (2009), Perfect Picture (2009), A Sting in a Tale (2009), Checkmate (2010), Potomanto (2013), Contract (2012), Love or Something Like That (2014), Rebecca (2016), Potato Potahto (2017). The narratives of these films articulate the imaginations and experiences of citizens grappling with diverse challenges of tradition, urbanity, and postmodernity, problems reflective of an evolving society. Garritano, for instance, describes Shirley Frimpong-Manso and Veronica Quarshie-Nai as video directors who “have challenged gender stereotypes common in Ghana movies24”. In a more current feminist consideration of Ghanaian films’ negotiation and subversion of the status quo, Kwamena Kwansah-Aidoo and Joyce Osei Owusu (2012) posit that Shirley Frimpong-Manso’s “work has always been feminist-oriented, reflecting a locally-grounded gender awareness that continues to be very much in evidence in some of her later works as a filmmaker25”. They argue that Frimpong-Manso’s Life and Living It (2009) subverts the “status quo of gender relationships usually portrayed in commercial African feature films, as she manages to slip feminist messages into a film environment that is rife with stereotypical images of women”. And “through the complex, entertaining narrative she creates”, she “invites the audience to participate in gender-sensitive critique of ‘culturally embedded’ social practices26”. Indeed, Shirley Frimpong-Manso is by far Ghana’s versatile and acclaimed woman filmmaker currently resident in Ghana. Described by Garritano as a filmmaker “making movies that blur the lines between movies made for local and global audiences”, Frimpong-Manso is credited for reviving the theatregoing culture in the late-2000s27. By the early 2000s, filmmaking in Ghana became threatened with the non-existence of theatres to facilitate theatrical
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GARRITANO, 2013, op. cit., p. 19. KWANSAH-AIDOO Kwamena and OWUSU Joyce O., “Challenging the Status Quo: A Feminist Reading of Shirley Frimpong-Manso’s Life and Living It”, Feminist Africa, vol. 16, 2012, p. 56. 26 Ibid., p. 67. 27 GARRITANO, 2013, op. cit., p. 199. 25
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releases or for television commissioned distribution. Only two functional cinemas existed until the establishment of the Silverbird Cinemas in 200828. The multiplexes of the Nigerian franchise, currently managed by Funmi Onuma29, consist of a total of ten cinema halls of varying seating capacities. that represent about 80 % market share of theatrical distribution. They broadcast via Barco Projectors, 5.1 DOLBY sound and DOLBY Server that is Digital Cinema Package (DCP) compatible. Although the cinema franchise ushered in a new dimension of movie distributions and exhibition, it was not until April 2009 that the managers of the facility accepted Shirley FrimpongManso’s debut film, The Perfect Picture (2009). Initially hesitant about the prospect of the film and turning down the producers’ request to screen at the facility, Silverbird Cinemas only allowed the film to screen after witnessing its successful premiere at the National Theatre. Due to its patronage by Ghanaians, The Perfect Picture had a two-month theatrical screening at the Silverbird cinema30. The success of the film paved the way as managers of the facility opened their doors for other Ghanaian filmmakers. Frimpong-Manso has since become a patron of the Silverbird Cinema. Notwithstanding the financial and distribution conundrums of filmmaking in Ghana at the time, Frimpong-Manso’s films are marked by distinct artistry, aesthetic quality and collaborations. With her unique blend of Nigerian and Ghanaian actors, coupled with a highly commercialised and entertainment fare, her films soon became cross-cultural products and attained cross-border distribution status. Even though Frimpong-Manson commenced her career with financial support from family and friends and later with a loan from financial institutions, the tremendous successes chalked soon launched her into collaborative productions with TV3 Network, Silverbird Cinema and Africa Magic, a subsidiary of MultiChoice’s Satellite television services. FrimpongManso’s show, Peep (2011), was serialised on free to air channel, TV3, while Tenants (2013), Devil in the Detail (2014), and Grey Dawn (2015) were distributed by both her Sparrow Productions’ streaming service, Sparrow Station and Africa Magic. The collaboration propelled Frimpong-Manso’s films beyond Ghana and created opportunities for other filmmakers to exploit the same or similar avenues of exhibition and distribution. After her last film, Potato Potahto (2017), however, Frimpong-Manso hinted about quitting filmmaking, a decision she attributes to the low patronage, high cost of producing films,
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By 2000, the Executive Theatre of the erstwhile GAMA Films and Rex Theatre were the only cinemas that screened films in Ghana, as most of the video producers resorted to selling VCD and DVD copies immediately after premiere. Silverbird Cinemas is a Nigerian cinema franchise that operates cinemas in two of Ghana’s shopping malls: Accra Mall and West Hills Mall. 29 ONUMA Funmi, Interview with author of the article, 22 August 2019. 30 FRIMPONG-MANSO Shirley, “A Conversation with Shirley Frimpong-Manso”, Interviewer, Dennis-B. P. Lotsu, Field interview, Accra, Ghana, August 24, 2019.
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exorbitant interest rates on loans, and lack of governmental support for the industry31. But, rescinding the decision a year later, Frimpong-Manso revealed her decision was rather emotional. Sometimes it gets really difficult and it gets really tough. And then you [start] thinking, what am I doing all this for? When you almost feel like you’re not getting the support; especially for your own place [Ghana]. But, look, I love what I do and I think no matter where I find myself, I’ll continue to do it32. Despite the challenges, Frimpong-Manso’s Potato Potahto (2017) grossed 4 611 admissions in its two-week theatrical screening at the Silverbird Cinema33. BOUNDARY CROSSING: GHANA’S WOMEN FILMMAKERS IN THE DIASPORA Aside from the two resident pacesetter women filmmakers afore-discussed, many of Ghana’s contemporary women filmmakers live between cultures. This category of artists travels across borders, learn new languages and navigate cultures in a way that is inflected in their artistic vision. These boundary-crossing capabilities impose on their creative works a transculturality that compels us to look at their films through a multicultural lens. Diasporic women directors like Leila Djansi34, Akosua Adoma Owusu, Priscilla Anany35, Anita Afonu, Nicole Amarteifio, Amma Asante, Sam Kessie, Frances Nuotama Bodomo, Yaba Badoe36, and Comfort Arthur deploy varied
31 Frimpong-Manso has recently been reported to be in debt, a situation that perhaps explains the three-year absence since her last production. See http://pinkfmonlinegh.com/shirleyfrimpong-manso-and-her-husband-owe-royal-bank/ 32 FRIMPONG-MANSO Shirley, “Video: Shirley Frimpong-Manso abandons thought of quitting production”, September 5, 2018: https://www.myjoyonline.com/entertainment/videoshirley-frimpong-manso-abandons-thought-of-quitting-production/ 33 ONUMA Funmi, op. cit., 2019. 34 Leila Djansi, a contemporary of Shirley Frimpong-Manso, resides in Los Angeles but returns to Ghana to produce films. Some of Djansi’s films include I Sing of a Well (2009), Sinking Sands (2010), Ties that Bind (2011), And Then There Was You (2013), A Northern Affair (2014), Where Children Play (2015), Poisoned Bait (2015), Like Cotton Twines (2016), 40 and Single (2018), and Miss Havisham Effect (Forthcoming). 35 Priscilla Anany is best known for Old Songs (2010), The Nightmare Hour (2011), Hospitals (2013), Children on the Mountain (2016). 36 Yaba Badoe is a British- Ghanaian documentary filmmaker, journalist, and author. Badoe’s acclaimed documentary film, The Witches of Gambaga (2010), presents a provocative and intimate portrait of the gruelling experiences of a community of women condemned to live ostracised and perpetually victimised as witches in Northern Ghana. Although Badoe has over a dozen films to her credit, it was the film The Art of Ama Ata Aidoo (2014) that shot her into prominence.
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narrative and aesthetic approaches that double down on the transnationality of their films and filmmaking practices. Whereas some of these filmmakers reside in Ghana, others live in the diaspora and return to make films at home or elsewhere in the diaspora. Literally and figuratively, these directors and their works cross borders to participate in regional and international festival circuits where they receive recognition for their contribution to the arts. The crosscultural migration of these women filmmakers invests in them a certain outlook on the social and cultural identities of not only the African in the diaspora but also those at home. They interpret their insider/outsider positionality and surroundings through a cultural lens that resonates with E. Ann Kaplan’s looking relations. Kaplan (1997) observes that “looking relations are never innocent. They are always determined by the cultural systems people travelling bring with them37.” Unlike the films of earlier women filmmakers, the films of this generation of artists problematise contemporary fissures of post-colonial discourse on cultural values, attitudes, nationality, citizenship, trans-cultural migration and integration. They use cinema to question their cultural, social and political locations in ways that resonate with the notion of “double consciousness” – the liminal space W. E. B. Du Bois (1903) speaks of regarding being black in America38 – and Frantz Fanon’s (1967) “black skin, white mask39”. The films of this category of women filmmakers demonstrate that “place and origin are no longer exclusive markers of identity, even if they still play vital roles in many people’s self-reading40”. In what follows, I chart the film praxis of Akosua Adoma Owusu, Frances Nuotama Bodomo and Comfort Arthur whose works reflect a sensibility that evokes the ever-changing dynamics of identity politics, its construction and negotiation in the African diaspora of the West. AKOSUA ADOMA OWUSU: TOWARD AN EXPLORATION OF “TRIPLE CONSCIOUSNESS” Noted for films that examine the collision of identities in what she terms “triple consciousness”, Akosua Adoma Owusu remains one of Ghana’s internationally celebrated contemporary women filmmakers whose films have
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KAPLAN E. Ann., Looking for the Other: Feminism, Film, and the Imperial Gaze, Routledge, New York, 1997, p. 6. 38 DU BOIS William E. B., The Souls of Black Folk: Essays and Sketches, Cambridge, Cambridge University Press, 1903, 166 p. 39 FANON Frantz, Black Skin, White Masks, Trans. C. L. Markmann, New York, Grove Press, 1967. 40 EZE Chielozona, “Rethinking African culture and Identity: the Afropolitan Model”, Journal of African Cultural Studies, vol. 26, n° 2, 2014, p. 234-247.
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been screened and exhibited globally. Beginning her career in 2009, the Ghanaian-American avant-garde documentary filmmaker, producer, cinematographer and academic has presented her works on international platforms as either a solo or two-person exhibitions in Europe, South and North Americas, Africa, Asia, and Canada. With about 16 experimental short films and a career spanning 14 years, Owusu is a multiple-awardee who has won over 30 awards with her films: Me Broni Ba (2009), Drexciya (2010-11), Kweku Ananse (2013), Reluctantly Queer (2016), On Monday of Last Week (2017), Mahogany Too (2018), Pelourinho: They Don’t Really Care About Us (2019), and White Afro (2019). Many of these films have been screened at festivals like the International Film Festival Rotterdam, Locarno International Film Festival, Toronto International Film Festival, New Directors/New Films (New York), Berlin international Film Festival, African Film Festival, and the BFI London Film Festival41. Identity constitutes an integral aspect of Owusu’s creative vision. Interpreting Du Bois’ notion of “double consciousness”, Owusu’s films fashion “a third cinematic space or consciousness” of “feminism and queerness”, an intersection of identities that typify African migrants’ identity negotiations within African, white American and black American culture42. Owusu problematises this in Me Broni Ba (2009) as a form of ‘triple consciousness’ where African migrants or first-generation Africans born in the diaspora are excluded from the historical strata of African-Americans, but who are also not, in cultural and linguistic terms, wholly Africans. Such insider/outsider positionality mirrors Owusu’s own experiences as a Ghanaian-American and informs her filmmaking practices, as she recounts about the making Me Broni Ba (2009). I began filming in Ghana as a way to find a place in my Ghanaian heritage. I often refer to myself as a Ghanaian-American, but I do consider myself to be an American filmmaker of Ghanaian descent. When I am in America, I feel very Ghanaian and when I am in Ghana, I feel more American. I started travelling to Ghana with my friends from America to help me with the trauma of dealing with Blackness both in Africa and in the African diaspora. My love for Africa was informed by romantic ideas about the continent as a home awaiting my arrival. Filming in Ghana forms part of this journey43.
41 OWUSU Akosua Adoma, “Akosua Adoma Owusu”, https://akosuaadoma.com/home.html (accessed June 6, 2019). 42 Ibid. 43 OWUSU Akosua Adoma, “Meet Akosua Adoma Owusu”, Interviewer, N. Shezi, Elle Magazine, South Africa, 2015.
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Regardless of the identity enigma, Owusu embraces her cultural diversity and visualises the world through a universal lens. This is evident in the diversity of her thematic explorations and the artistic collaborations and alliances she forges with other filmmakers, scholars and performance artist both in Ghana and the diaspora. Such collaborations have mostly led to film projects in Ghana, Brazil, and the USA through what she calls “a by-any-means-necessary vibe”; an approach that allows her “to just produce the work and then allow the film to be”, not worrying about “how the piece is going to end up44”. One such partnership is with Dr. Yaba Blay, a scholar on skin politics, who collaborates on the screenplay of Owusu’s forthcoming feature, Black Sunshine, a film that problematises the “desires for ‘whiteness’ on a continent that has been racially constructed as the ‘heart of darkness45’”. FRANCES NOUTAMA BODOMO AND THE POLITICS OF ‘ROOTLESSNESS’ Evoking similar tropes of cultural and marginalised identity and lived experiences is the filmmaker Frances Nuotama Bodomo. Born in Ghana, raised in Norway, California and Hong Kong before returning to New York, Bodomo represents a generation of contemporary filmmakers unbound by geographical boundaries. Bodomo’s creative expression is characterised by aesthetics of Afro-futurism and immersive cinema that confront traditional notions of history, memory, identity, home, and spirituality. Similar to Akosua Adoma Owusu’s transcultural sensibility, Bodomo’s positionality as a diasporic filmmaker traverses her narratives and aesthetic vision, particularly her short film, Boneshaker (2013), which she affirms is “loosely autobiographical46”. Boneshaker explores feelings of homelessness and rootlessness that often confront the current generation of Africans in the diaspora, a condition with which Bodomo identifies. As she recounts, “I grew up in constant motion… and as a result have always felt homesick for a home I never had, nostalgic for a place I have never visited47.”
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OWUSU Akosua Adoma, “Akosua Adoma Owusu talks about triple consciousness”, Interviewer, G. Jonhson, Artforum International Magazine, New York, May 3, 2019. 45 Akosua Adoma Owusu’s Black Sunshine is a story of a dark-skinned Ghanaian hairdresser and her young albino daughter whose struggles with their dermatological and hair identities result in distorted perceptions of whiteness from skin lightening products and myths of albinism. See http://www.blacksunshinefilm.com/about (retrieved on March 5, 2019). 46 BODOMO, Frances N., “Frances Bodomo discusses her films Boneshaker and Afronauts”, Interviewer, K. Bradshaw, BOMB Magazine, June 9, 2013, https://bombmagazine.org/articles/frances-bodom (retrieved on March 5, 2019). 47 BODOMO Frances N., “Boneshaker: A tale of deliverance in rural Louisiana starring Quvenzhané Wallis”, Interviewer, K. Metcalfe, NOWNESS Shorts, September, 2016,
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Such questions of ‘landlessness’ and multiple identity, although somewhat problematic, seem liberating for contemporary women filmmakers like Owusu and Bodomo because of the creative freedom they offer. Bodomo capitalises on her ‘rootlessness’ and appropriates its creative affordances such as the freedom to draw on personal experiences or deploy strategies that resonate with Owusu’s by-any-means-necessary vibe in her filmmaking practice. She derives her creative mojo from her lived experiences, which, she notes, are infused into the creative process of Boneshaker. I originally wanted to shoot in Ghana, and I wanted it to be a return story. I was really going to rely on the feelings attached to Accra and southern Ghana to dictate how I shot this movie and the mood of the movie. Very quickly, I realised I wasn’t going to be able to raise the money to fly crew and actors over, so I started looking for a place in America that could provide that same feeling – Louisiana48. Bodomo has since 2013 directed other films like Afronauts (2014), Collective: Unconscious (segment “Everybody Dies!”, 2016) and Random Acts of Flyness (Season 1, 2018); all of which, to a degree, highlight her creative vision of displacement and homelessness. As a young African filmmaker of her generation, Bodomo desires “to tell new stories with new structures, to show new things, but still communicate through narratives”; narratives that do not only question the diasporic African’s sense of home but also fight the representation of Africa beyond “the pot-bellied kids, or the famine, that are the direct response to the Ethiopian hunger crisis in the 1980s49”. And, while she strives for these, Bodomo acknowledges the challenges of women filmmakers: the daunting task of film financing, bottlenecks of local and global reception, and participation at festival circuits. Nevertheless, as Bodomo reveals, she is inspired by other Ghanaian women filmmakers like “Julia Apea, Shirley Frimpong-Manso, Sam Kessie, Akosua Adoma Owusu [who are] doing cutting-edge stuff, respected for that, and not just seen as ‘female filmmakers50’”. COMFORT ARTHUR AND THE ‘BLACK BARBIE’ REVOLUTION While the documentary and feature film sectors of the creative economy have over the past decade earned the confidence of financial institutions, television stations, independent film producers and financiers who invest in film
https://www.nowness.com/series/nowness-shorts/boneshaker-frances-bodomo (retrieved on March 5, 2019) 48 BODOMO, 2013, op. cit. 49 Ibid. 50 Ibid.
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projects, making it easier for women to compete, the animation sector remains starved, untapped and an uncharted territory51. NAFTI continues to train animators and motion graphics professionals every year, yet only a few commit to fulltime animation productions: Samuel Quartey of Animation Africa, Francis Y. Brown of Animaxfyb Studio52, Bertil Toby Svanekiaer and Nii Ofei Dodoo of Indigene BROS Inc.53, and other non-NAFTI trained animators, Jones Abban of Parable Studios and Hugh Sydney Kobla Quist of Zingaro Productions. The majority of Ghana’s trained animators, including the few women animators produced by NAFTI over the years (Ramatu Dadzie, Rachel Ankrah, Daisy Abaya, Priscilla Pobee, and Najilau Dramundu), have due to either the cost or exertion of animating settled for employment in academia or with television networks and advertising agencies as editors and motion graphic specialists. Many of the practicing animators self-finance their projects, rely on grants or the benevolence of institutions such as the Chinese Embassy, Alliance Française, Goethe Institut, Institut français, the French Embassy, the Australian and British High Commissions. The non-existence of incentives for the sector, the drudgery of animating, the one-man-band working conditions, and the low appreciation of animation locally have rendered the sector unattractive to many. Nevertheless, in this obscure, male-dominated creative economy is located Comfort Arthur of Comfy Studio – a multimedia studio in Accra, Ghana. Comfort Arthur is a British-Ghanaian illustrator, animator, and editor. Arthur is a recipient of many national and international awards, starting off with the nomination of The Peculiar Life of a Spider (2015) in the animation categories at the Ghana Movie Awards and the Golden Movie Academy Awards. She is a 2016 recipient of the Best Animation film award for her shot, Imagine (2016) at the Golden Movie Awards. A year after, Arthur’s Black Barbie (2016) propels her to global prominence with over 40 appearances in international film festivals and garnering awards like Best Poetry at the Real51 See ADDO Francis, “Animation Movie Industry Needs Support”, Modern Ghana, 20 January 2009, https://www.modernghana.com/entertainment/8675/animation-movie-industryneeds-support.html 52 Animaxfyb Studio has so far produced animations like The Beggar (2010) and Agorkorli (2014), in collaboration with other animators. It has recently produced and distributed on Amazon Prime the full-length children’s animation, Mmmofra (2020). In an interaction with Francis Brown at the 2019 edition of the Black Star International Film Festival (BSIFF) in Accra, Ghana, he laments about the limited institutions of training and specialisation in animation in the country. This, he observes, adds to the difficulty of undertaking animation film projects, as there are limited human resources for collaborative productions. 53 Indigene BROS, a team of four former students of NAFTI, was incorporated and launched at the 2019 edition of BSIFF in Accra. Their short, Azumah: A Ghanaian Hero (2019) was premiered and won Best Animation at the festival. The animation studio focuses on indigenous narratives: national heroes, folklore, and stories that evoke historical memory, all to create awareness about Ghanaian cultural identity.
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Time Festival, Best Animation at the Ghana Movie Awards and Best Female Director at the 2018 edition of the Black Star International Film Festival (BSIFF). Black Barbie, which stars Ama K. Abebrese, shares some similarities with the Nigerian-born, British-raised Ngozi Onwurah’s Coffee Coloured Children (1988) which explores racial identity and feelings of shame around the body. And, like Owusu’s Me Broni Ba (2009), which evokes notions of black identity and skin-colour politics, Comfort Arthur’s Black Barbie explores norms of beauty as it constellates around the problems of the black skin and the use of skin whitening cream. Arthur’s film is at the juncture of Onwurah’s and Owusu’s film. The ideological intersection of these films signals the ever-growing focus on discourses of identity by not only Ghana’s women filmmakers but the larger generation of African filmmakers in the diaspora, whose lived experiences are a constant negotiation of diverse cultural experiences. While the films of Arthur, Bodomo and Owusu remain in active circulation and enjoy positive reception at international festival circuits, back home the challenge of limited exhibition centres, unstructured marketing and distribution channels hamper the reception of their films. While Silverbird Cinema encourages filmmakers’ patronage of their facilities, the challenge often rests on commercialising animations and short films. The duration of animations and short films and the low to almost non-existent publicity that accompanies some of these films make it somewhat difficult to schedule them at the theatre54. Regardless of the obstacles, Comfort Arthur, like many of the filmmakers in this category, deploy digital innovations such as social media networking sites (Facebook, Instagram), blogs, and websites to promote themselves, while YouTube and Vimeo serve as exhibition platforms for their works. Speaking on her 2019 animation, I’m Living in Ghana, Get Me Out of Here (ILIGGMOOH), she asserts: It’s never good to discard projects. I wrote ILIGGMOOH between 2012 and 2013, but it was only this year [that] I conceptualised it as a miniseries. If you ask me if the wait was good, I’d say, “No! Don’t wait for money, just try and do something.” We had a small budget for this project, literally under $200. We had to use our personal resources; I had to turn my sister’s room into a recording booth. You don’t need to be a great animator to have others share in your artistic expressions or love your work. All you need is a good story. Networking is also very important, make friends with people in the industry, go to film festivals and connect. And draw on these relations to collaborate. In fact, I met some sound designers in Burkina Faso, and we stayed connected. They later became my sound designers. It is always important to showcase 54
ONUMA Funmi, Personal Interview with Onuma Funmi, August 22, 2019.
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yourself, go for screenings of other filmmakers’ works, and support others by sharing their posts on social media. That’s how we grow together55. Importantly, while the pioneer filmmakers discussed earlier had to contend with the arduous conditions of filmmaking in Ghana, many of Ghana’s diasporic women filmmakers are fortunate to receive grants, fellowship awards, in addition to the support of independent film producers, for their films. POST 2010 AND THE NEW WAVE OF ACTORS-TURNED PRODUCERS/DIRECTORS By 2010, Ghana’s film sector witnessed collaborations between Ghanaian and Nigerian directors and producers/distributors on several projects, as the volume of films produced by Ghanaians begins to dwindle. This culminated in the re-emergence of the phenomenon of actors-turned producers/directors. Even though the phenomenon is not new in the history of world cinemas, its emergence in Ghana’s film sector can be traced to the early 1990s through to the 2000s, with Bob Smith’s Diabolo: The Snake Man (1991) which became an instant hit. The success of Bob Smith’s directorial and producing debut spurred other actors like Augustine Abbey (Tricky Twist, 1996; Alokodongo, 1998), Harry Laud (Landlord, 2000; Marijata, 2000), Mikki Osei Berko (Dada Boat, 2003), and Albert Kuvodu (Otoolege, 2005; Twist and Turns (2005) to venture into the directorial domain. Despite their instant rise to fame, their achievements were short-lived. Their one-man-band techniques of production became untenable, leading to the unpopularity of the technique. With its re-emergence, post 2010, however, its female purveyors, like their earlier male counterparts, were greeted with the scepticism of stakeholders in the industry. But, unlike the males who were criticised for producing sub-standard films, the actresses-turned producers/directors were tagged as greedy and accused of encroaching on the male directorial space56. Despite such unsavoury comments and criticisms, the re-emergence of the phenomenon of actors-
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ARTHUR Comfort, Field interview with Comfort Arthur, 4 October 2019. FEBIRI Chris-Vincent Agyepong, “What Is Your Take on Ghanaian Actors/Actresses Becoming Movie Directors & Producers? Should We Be Worried?”, GhanaCelebrities.com (Blog), November 20, 2013, https://www.ghanacelebrities.com/2013/11/20/big-question-takeghanaian-actorsactresses-becoming-movie-directors-producers-worried 56
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turned-producers/directors with women filmmakers like Yvonne Nelson, Selassie Ibrahim, Kafui Danku57, Nadia Buari58, Yvonne Okoro, and Zynnell Zuh have helped in sustaining the industry during such a crucial period when many of male directors feared to invest in filmmaking. YVONNE NELSON: THE WOMAN WHO WEARS MANY HATS Described as an activist, a model, actress and producer, Yvonne Nelson has featured in many Ghanaian and Nigerian movies and she is one of the most influential screen personalities of the new generation, often deploying her celebrity status to campaign on national issues59. Having been on the screen for over a decade, Nelson commenced her foray into film producing with her debut, The Price (2011) which was followed by Single and Married (2012), House of Gold (2013), If Tomorrow Never Comes (2016) and Sin City (2019). As a critic of the film industry, Nelson often takes to social media to register her displeasure with government and stakeholders in the film industry on the lack of support for the creative arts sector or the impact of erratic power supply on filmmaking in Ghana60. At the recent plenary session of Black Star International Film Festival (BSIFF), Nelson reiterates her position on government’s neglect of the creative arts sector. According to Nelson, A lot of investors come into this country every day, and the government tries to bring in investors for other aspects of the economy too, but they don’t think about the entertainment industry. Why don’t they [government] ask them [investors] to also invest in the film industry? Why don’t they sell the creative arts sector to these investors as well? It shows the country’s disregard for the creative arts industry and government’s failure to see that the sector can create jobs for a lot of the youth.
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Kafui Danku is an actress and a former Miss Ghana contestant, like Yvonne Nelson. Having featured in over 30 Ghanaian films like 4Play (2010), Deranged (2017), Alvina: Thunder and Lightning (2013), Kafui Danku branched into film directing and producing with her company, ABC Pictures, which has so far produced Letters to my Mother (2013), Devil in a Dress (2014), Happy Death Day (2014), I Do (2015), and Any Other Monday (2016). 58 While Zynell Zuh produced When love comes Around (2014), Nadia Buari was the Executive Producer of Deranged (2017) which was directed by her brother Jameel Buari. 59 Aside being a critic and an advocate of governmental support for the creative arts industry, Yvonne Nelson has over the years led demonstrations on a number of social issues. See YOURA Bridget Aazore, “Yvonne Nelson planning another #DumsorMustStop demo” Showbiz News, April 2nd, 2019, https://www.graphic.com.gh/entertainment/showbiz-news/yvonnenelson-planning-another-dumsormuststop-demo.html 60 Ibid.
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All they have to do is a little convincing, an assurance to the investors of the potentials of the sector, that they will get their money back61. In an interview with an Accra-based radio station, Hitz FM, Nelson states a similar position, among other things the need for exhibition centres, while justifying the need for actresses to take up the mantle of producing. According to Nelson, there are “no jobs, we (actresses) don’t have movies to do any more. If I don’t produce movies, then we (actresses) all [would be] at home. People finish schools and they are [at] home62.” Whereas Nelson and some of her contemporaries believe the comeback of actors-turned producers holds potentials for the industry, others, like Mimi Andani, the Director of the Golden Movie Awards Africa (GMAA), consider the phenomenon an encroachment. According to Andani, The reason why people say its [industry is] suffering is because of the independent productions. Production houses have stopped producing because actresses have the money and they can just pick a camera and shoot. So, it’s like if I don’t produce, then I don’t act, [and] because the production houses who are supposed to employ the actors are not producing, actors and actresses are competing with them63. Registering her displeasure at the view that actors-turned-producers are complicit in the collapse of the industry, Nelson, in a series of tweets, taunts Andani: “a reality star…turned musician…turned designer…turned event organiser! Well, she is doing something with her life”64. When an industry doesn’t know its priorities, this is what happens. The shallow minds will def [definitely] have a problem with this. The industry has so lost its way and they can’t even see it, they [are] all going in that direction. Dressing up to be posted on SM [social media]. Waiting for the day there will be no production to nominate since that has skipped them65 !
61 NELSON Yvonne, Personal interview with Yvonne Nelson at the Black Star International Film Festival – 2019, August 22, 2019. 62 YUORA Bridget Aazore, “Invest in the entertainment industry–Yvonne Nelson tells government”, https://www.graphic.com.gh/entertainment/showbiz-news/ghana-news-invest-in-theentertainment-industry-yvonne-nelson-tells-government.htm 63 DONKOH Ebenezer, “Yvonne Nelson Slams Director Of Golden Movie Awards Africa, Slay Queens, Talks Dying Ghanaian Movie Industry”, NYDJ, August 2nd, 2017, https://www.nydjlive.com/yvonne-nelson-slams-director-of-golden-movie-awards-africa-slayqueens-talks-dying-ghanaian-movie-industry (accessed April 5, 2018). 64 NELSON Yvonne, “Reality star turned musician”, Twitter, retrieved on July 23, 2017. 65 NELSON Yvonne, “When an industry doesn’t know its priorities”, Twitter, posted on July 23, 2017, https://twitter.com/yvonnenelsongh/status/888993423587504129
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Nelson has often been unapologetic about her critique of successive governments and, when necessary, staged demonstrations with the collaboration of her fellow actors. She has proved formidable as both a social activist and a film producer who deploys the full arsenal of social media to push for political reforms of the creative arts sector, while collaborating with not only women but male filmmakers, Pascal Amanfo and Frank Rajah Arase, as writers and directors for her projects. SELASSIE IBRAHIM: NAVIGATING THE WORLDS OF TELEVISION AND FILM PRODUCING Contributing to this canon of actors-turned producers/directors is Selassie Ibrahim. Like Nelson, Ibrahim started off as an actress but branched into television as a presenter and producer. With her company, Smarty’s Productions, Ibrahim has produced television programmes and films like Frozen Emotion (2006), My Sisters Honour (2009), and The CEO (2010). The difficulty of securing investors for film projects has, after her last feature film, however, necessitated Ibrahim to switch to full-time television producing and presenting. Ibrahim’s foray into television commenced with her programs like “What Men Like” and “Smart People”, which coincided with “The Standpoint” of the iconic woman presenter, Gifty Anti. With others like Deloris Frimpong Manso (popularly known as Delay) and a great number of actresses-turned television presenters, Stacey Amoateng, Nana Ama McBrown, Joselyn Dumas, Naa Ashorkor Mensah Doku and Emelia Brobbey, Ibrahim worked as television producer until June 21, 2019 when she returned to the silver screen with her fourth feature, 40 Looks Good on You (2019). Having experienced the worlds of television and film producing, Ibrahim, like Yvonne Nelson, has been fierce with her critiques of not only government for its neglect of the sector but the deliberate lack of support of the over 53 television stations in Ghana. Ibrahim accuses the television networks of failing to give equal opportunities to local content producers. She also blames the networks’ pervasive patronage of Mexican, Spanish, Chinese and Indian telenovelas on the collapse of the film industry. As Selassie Ibrahim observes in an interview: Ghanaian TV stations are stingy when it comes to paying for content. They have literally pushed us out of business. TV stations do not create space for us to promote our movies. How do I go back on set if they [television stations] are telling me we should do barter? …[H]ow do I pay the writers? Every station is flooded with Spanish, Indian and Chinese telenovelas. Yes it is good, that is how they make money but they
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should also create space for us and be nice to us to help us build the industry66.” Notwithstanding the socio-economic realities of film production in the country, many of these actors-turned directors/producers continue to push the frontiers of women’s engagement with screen production. They collaborate with other women filmmakers as editors, make-up artists, costumiers, production managers and assistants, or cast their colleague actresses in various roles. CIRCUMVENTING THE CHALLENGES OF FINANCING EXHIBITION AND DISTRIBUTION: LAURENE MANAA ABDALLAH AND KETEKE (2017) EXPERIENCE While the challenge of securing funds for film projects remains a fundamental limitation for many trained filmmakers on the African continent, Ghana not excluded, one Ghanaian female filmmaker who, despite the burdens presented, has found inventive means of circumventing this challenge is Laurene Manaa Abdallah.67 Trained in producing at the École internationale de création audiovisuelle et de réalisation (EICAR, France) and film editing at the National Film and Television Institute (NAFTI, Ghana), Laurene Abdallah has worked as editor, second assistant director and production manager for directors like Shirley Frimpong-Manso. In 2016, however, Laurene Abdallah partnered with one of her former students, Peter Sedufia, to produce her debut feature film, Keteke (2017), a film which has won over 10 national and international awards.68 The success of Kekete, according to Abdallah, was the result of the dedication and selflessness of the cast and crew who worked on the project for almost nothing. As a debut feature film for both Abdallah and the director, they devised many inventive strategies not only to solicit funding for the project but also to recruit the crew and secure exhibition and distribute deals. Funding, Abdallah observed, was difficult to secure because of their inexperience and unfamiliarity with the terrain of commercial filmmaking. As they were not yet bankable producers or directors, financiers were hesitant to take risks with them. As such, funding was substantially sought from friends and
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ADU Dennis K., “TV stations pushing actors out of business – Selassie Ibrahim”, June 12, 2019, retrieved on June 14, 2019, https://www.adomonline.com/tv-stations-pushing-actorsout-of-business-selassie-ibrahim/ 67 Aside producing, Laurene Abdallah works as a lecturer at NAFTI where she teaches film editing, producing, film aesthetics and appreciation. 68 Some of the awards Kekete (2017) won include: Best Film at Festival international du cinéma et de l’audiovisuel du Burundi (FESTICAB, 2017), Best Editing and Best Sound at the Golden Movie Awards (2017), Best Actress at Africa International Film Festival (AFRIFF, 2017), and Best Jury Prize at the Luxor Africa Film Festival (2018).
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families, and personal savings, while leveraging on the networks of associates they had formerly worked with. Friends and colleagues with equipment supported, while those capable of providing production services were considerate with their charges. The crew, on the other hand, consisted of a cohort of student filmmakers drawn from the NAFTI. Likewise, being the first feature project for these students, the majority were more eager to earn their first commercial billing than they were in making money69. According to Abdallah: With the issues of actors and stuff, the leverage of familiarity, knowing these people worked to our advantage. And because the script was good, so when the idea of it was sold to them, then my job as the producer was to lobby and negotiate them out of their usual commercial rates. Surprisingly they all accepted and did the work close to nothing70. At its premiere in Ghana, Keteke (2017) made a gross theatrical attendance of 2 853 (approximately $ 43 000 gross). In addition to its box office success, it also, with the support of its distributors, Gravel Road Distribution Group, was distributed via in-flight entertainment platforms on notable airlines – the first in the history of contemporary filmmaking in Ghana71. This initiative was proclaimed on social media as not only inventive, but transnationally positioning Ghanaian popular videos at the intersection of glocalised consumerism72. The in-flight entertainment platforms also provided answers to the country’s growing cinema deficit as well as gratified audiences’ demand for Ghanaian films outside the borders of the country. Another strategy deployed was the institution of promotional competitions that were curated to heighten audience engagement prior to the release of the film. Prior to the release of Keteke (2017), the team initiated a Movie Poster Challenge that afforded the public, particularly people with expertise in graphic design, to design and tend their poster designs into the competition. Winners in the competition were later invited to intern as designers on projects with the production company, OldFilm Productions, as designers. Laurene Abdallah has since then gone on to work as a producer, with the help and support of some of her former film students,
69 ABDALLAH Lauren Manaa, A Conversation with Lauren Manaa Abdallah on Women and the Producing Landscape in Ghana: The Case of Keteke, August 15, 2019, Interviewer: DennisB. P. Lotsu, Field interview, Accra, Ghana. 70 Ibid. 71 The film was hosted on the in-flight entertainment platforms of airlines like KLM, Emirates, Qatar Airways, Ethiopian Airline, Royal Air Maroc, Rwandan Airways, Kenyan Airways, Tunisair, Air Mauritius, Delta Airlines, and Air France. Aside the in-flight entertainment platforms, Keteke was available on online platforms such as CongaTV, KWESÉ International (VOD, SVOD, Pay TV, etc.), etc. 72 Travellers on these airlines took screenshots of the video playing on their mini-screens which they shared on the film’s social media page. https://www.facebook.com/ketekemovie/ videos/vb.1488156104547735/1840206666009342/?type=2&theater
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on films like Sidechic Gang (2018), 40 & Single (2018), which have all made official selections at the Ghana Movie Awards, Africa Movie Academy Awards, Africa Magic Viewers’ Choice Award, and the Golden Movie Awards. The release of Laurene Abdallah’s recent work with Peter Sedufia, AloeVera (2020), coincided with the outbreak of the COVID-19 pandemic, which resulted in the closure of cinemas and the ban on social gatherings in Ghana. She has, however, managed through a partnership with Canal+, to dub the film into foreign languages and to have a release in over 10 cinemas in Francophone West Africa. FILM EXHIBITION: THE RISE OF GLOCALISED FILM FESTIVALS Whereas producers like Laurene Abdallah have identified inventive means out of the financing and distribution quagmires characterising contemporary interstitial filmmaking in Ghana, others lean toward African film scholar, Imruh Bakari’s proposition that for “formal and institutionalised film industry at the national, regional and Pan-African levels” there must be “the means for a viable existence for film festivals in Africa”, by instituting film festivals. To optimise the gains being made by women in the film industry and to create opportunities for further development73, some filmmakers and film scholars like Juliet Asante (The Black Star International Film Festival - BSIFF), Aseye Tameklo (The NDIVA Women’s Film Festival), and Rebecca Ohene-Asah (Benpaali Film Festival) have, for the past four years, turned their attention to curating festivals. The establishment of film festivals by these women filmmakers make productions from across the continent accessible to the public, while also providing special categories for women’s films as a means of encouraging women filmmakers to showcase their works. For instance, the NDIVA Women’s Film Festival, which aims to create the space for women filmmakers to exhibit their works, celebrate each other, network and collaborate, focuses on films that explore women’s related issues by inventing categories like “Films by Women”, “Films by Men about Women”, and “Films by Women about Women”. That is, whiles the festival is women-oriented, it also encourages films by, for and about women74. On the contrary, while Benpaali Young Filmmakers Festival focuses on budding filmmakers between the ages of 15 and 30 and creates the platform, through workshops and teambuilding sessions, for them to share ideas, the
73 BAKARI Imruh, “The Role and Function of Film Festivals in Africa”, in Mano Winston et al. (dir), African Film Cultures: In the Context of Socio-Political Factors, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2017, p. 202. 74 For detailed information about the NDIVA festival, see https://ndivawomensfilmfestival.com/about-us/
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Black Star International Film Festival (BSIFF), a much internationally recognised and patronised event, focuses on submissions from the USA, South America, Europe, and Africa. Each year, filmmakers, actors, facilitators, and film enthusiasts from across Africa and the diaspora congregate in Accra, Ghana, and connect through film. BSIFF, as Juliet Asante notes75, attempts to bridge the gap between filmmakers in the region and those in the diaspora to facilitate cultural exchange, create jobs, open investment opportunities, and enable transfer of skills between regional filmmakers and their global counterparts. Despite the transnational status of these film festivals, their organisers, like those in mainstream filmmaking, encounter challenges of sponsorship. As Asante observes: Sponsorship has been slow because obviously people don’t yet understand or grasp what a festival is even. Though we are beginning to change minds and have some partners come on board, everything has been mainly self-financing. All my life investment has gone into this. However, if I am given the option of not doing this and keeping my life investment, I’d do it again76. Such is the tenacity of Juliet Asante and many other contemporary women filmmakers who defy all odds, venture into film and television production with the aim of not only creating jobs but also sustaining and developing the creative sector.
CONCLUSION In charting the trajectory of women filmmakers in Ghana’s film industry, it is clear that within each individual context of women filmmakers’ engagement with screen production – film or television – as explored here, the participation of women is predominantly shaped by general infrastructural deficits, lack of government support, and nebulous production chains that are not only favourable to men, but also constitute distresses for women filmmakers. Notwithstanding these challenges, however, but through the deployment of different inventive strategies, the film praxis and instrumentation of the women filmmakers examined here resonate with Laura Marks’ “cinematic friendships” which is “grounded in concepts of self-organisation, metastability, perturbation and individuation77”. Writing on experimental cinema and
75 ASANTE Juliet Yaa Asante, A Conversation with Juliet Yaa Asantewa Asante on the Black Star International Film Festival (BSIFF), Interviewer: Dennis-B. P. Lotsu. Field interview, Accra, Ghana, 23 August 2019. 76 Ibid. 77 MARKS Laura U., Hanan Al-cinema: Affections for the Moving Image, The MIT Press, Massachusetts, 2015, p. 23.
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filmmakers’ inventiveness in the Arabic-speaking world, Marks reminds us that considering the challenging conditions under which filmmakers operate, “the best friendships do not confirm what we already are but what makes us become better, that is they bring out the best potentialities78”. Irrespective of the financial and distribution uneasiness that characterised the film industry, the women filmmakers discussed here have demonstrated their passion, determination, and zeal in making incursions into a terrain traditionally deemed masculine. Through their participation in the creative economy of Ghana, they positioned themselves not only to take full advantage of the potentials thereof but also to create opportunities for other women to grow. These women filmmakers and their films continue to cross-boundaries, break barriers, and contribute to the canon of African women filmmakers in the diaspora and on the domestic front. They forge alliances, draw inspiration and support from one another through collaborative filmmaking practices that deploy inventive strategies, which enable them to navigate the gendered filmmaking landscape and the labyrinths of film financing, exhibition and distribution.
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Ibid., p. 23-24.
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Les femmes dans le cinéma algérien contemporain Salima Tenfiche CERILAC - Université Paris 7 Denis Diderot
ABSTRACT Après plus de dix ans de guerre civile (1991-2003) et vingt ans de silence sur la scène internationale, la reprise de la production cinématographique algérienne depuis 2003 a vu émerger deux tendances antagonistes. D’un côté, des épopées de glorification nationale, généreusement financées par l’État, célèbrent les figures historiques de la résistance anticolonialiste ; de l’autre, des documentaires et drames sociaux donnant à voir une société algérienne désillusionnée et déchirée par les années de terrorisme. Notre article proposera une étude comparée de la place des femmes entre les deux tendances antagonistes du cinéma algérien contemporain, devant et derrière la caméra. En nous basant sur une trentaine d’entretiens réalisés avec des professionnel.les entre 2016 et 2018, et sur des éléments collectés durant deux enquêtes de terrain réalisées à l’hiver puis à l’automne 2018, ainsi que sur une analyse des génériques, nous dresserons d’une part un état des lieux sociologique du degré de féminisation des métiers du cinéma en Algérie, à tous les postes de la chaîne cinématographique : réalisation, jeu, technique, production, diffusion, mais aussi administration. À partir des contenus filmiques d’une douzaine de films, nous étudierons d’autre part les manières de représenter les femmes, à travers les rôles qu’elles occupent dans les intrigues autant que les rapports qu’elles entretiennent avec les personnages masculins. Nous tenterons ainsi de montrer que la place de la femme, en tant qu’image ou en tant que professionnelle, constitue un indicateur du processus de décentralisation de la représentation (esthétique et politique) du peuple algérien, allant d’une image officielle figée dans le passé glorieux vers une multiplicité d’images singulières ancrées dans le temps présent.
INTRODUCTION Après plus de vingt ans de silence, le cinéma algérien refait surface depuis une dizaine d’années sur la scène internationale à travers des films ancrés dans le présent qui se distinguent des épopées de glorification nationale financées par l’État, tournées vers le passé. Parmi ces films dits « indépendants » de la tutelle du régime autoritaire algérien et de la censure, de plus en plus de femmes se sont imposées dans le paysage cinématographique algérien,
en tant que réalisatrices, productrices et formatrices aux métiers du cinéma. Mais qu’en est-il des métiers techniques du cinéma ? Existe-t-il des ingénieures du son, des cheffes-opératrices, des monteuses, des étalonneuses en Algérie ? Quelles sont les conditions d’accès des femmes aux métiers du cinéma, dans une société où les femmes pourtant davantage diplômées que les hommes ne jouissent pas de leur entière autonomie et sont soumises au Code de la famille qui les astreint à un statut de « mineure à vie » ? Dans une première partie, nous mesurerons l’évolution du nombre de femmes au poste de réalisatrice à travers les périodes successives de l’histoire du cinéma algérien. Dans une deuxième partie, nous verrons que si les femmes accèdent à la réalisation (à part égale) et à la production, il en va autrement pour les métiers techniques du cinéma. Et dans une dernière partie, nous mettrons en avant le rôle central joué par la cinéaste féministe Habiba Djahnine pour répondre au manque de formation et aux obstacles à l’accès des femmes aux métiers du cinéma en Algérie. Pour rédiger cet article nous nous sommes appuyée sur une trentaine d’entretiens réalisés entre 2016 et 2019 en Algérie et en France, avec des professionnel.les du cinéma algérien, ainsi que sur des éléments collectés durant deux enquêtes de terrain réalisées à l’hiver puis à l’automne 2018 à Alger et Béjaïa, puis lors des Rencontres cinématographiques de Béjaïa en septembre 2019.
FEMME À LA CAMÉRA, DE L’EXCEPTION À L’ÉGALITÉ DEPUIS 1975, UN NOMBRE CROISSANT DE RÉALISATRICES 1 Si dès l’Indépendance en 1962 l’Algérie se dote d’infrastructures nationalisées de production et de distribution cinématographique, il faut attendre 1975 pour voir émerger la première femme cinéaste en Algérie : Assia Djebar (1936-2015), femme de lettres d’expression française, s’empare de la caméra pour réaliser La Nouba des femmes du Mont Chenoua, en 1978, puis La Zerda ou les chants de l’oubli, en 1982. Suite à ce deuxième film, celle qui sera élue à l’Académie française en 2005 dépose à l’ONCIC (l’Office national pour le commerce et l’industrie cinématographique) un troisième scénario adapté du roman autobiographique de Fadhma Aït Mansour Amrouche, Histoire de ma vie (1968). Le film consacré à la vie d’une femme féministe, ber-
1 Toutes les cinéastes dont nous parlerons ici sont nées en Algérie à l’exception de Mounia Meddour, née en Russie.
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bère et catholique exilée en Tunisie, ne verra jamais le jour. Selon la réalisatrice Fatma Zohra Zamoum2, le refus de ce troisième scénario par la commission de lecture du ministère de la Culture serait à l’origine de l’abandon par Assia Djebar de sa carrière de cinéaste. Pour le réalisateur Mahmoud Ben Mahmoud, qui a co-écrit l’adaptation avec Assia Djebar, l’arrêt du projet serait davantage lié à un différend entre Assia Djebar et l’ayant-droit de Fadhma Aït Mansour Amrouche3. Assia Djebar est ainsi l’unique femme cinéaste de l’âge d’or du cinéma algérien, la période qui s’étend de 1962 à 1984, durant laquelle l’industrie cinématographique entièrement nationalisée a produit notamment les films d’Ahmed Rachedi, L’Aube des damnés (1965) primé à Leipzig (RDA) et à Karlovy Vary (Tchécoslovaquie), et ceux de Mohammed Lakhdar-Hamina, parmi lesquels Le Vent des Aurès (1966) qui obtient le prix de la Première œuvre au Festival de Cannes en 1967, ainsi que Chronique des années de braise (1975), qui décroche la Palme d’or du Festival de Cannes en 1975, attribuée pour la première fois à une œuvre africaine ou arabe. La jeune industrie cinématographique algérienne postcoloniale qui vient à peine d’obtenir ses lettres de noblesse sur la scène internationale de la part des instances hégémoniques de légitimation, s’effondre à la fin des années 1980, suite au démantèlement des structures étatiques et à la fin du monopole public de la production et de la distribution, suivis de peu par le déclenchement de la guerre civile (1991-2002). Au cœur de la « décennie noire », une deuxième génération de réalisatrices s’impose en Algérie. Trois réalisatrices prennent la caméra pour s’attaquer à l’actualité de la guerre et de l’islamisme, qui prend les femmes pour cibles privilégiées de leur idéologie conservatrice et de leurs attentats terroristes. Hafsa Zinaï Koudil, née en 1951, d’abord femme de lettres, réalise ainsi Le Démon au féminin (1993)4. Mais sa carrière de cinéaste s’arrête là. En effet la cinéaste aurait été « black listée5 » par les décideurs du ministère de la Culture chargés de l’attribution des financements publics et des autorisations de tournage. Toutefois, selon Fatma Zohra Zamoum, cette mise à l’index brutale ne serait pas seulement liée au contenu du film mais aussi aux préjugés
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Fatma Zohra Zamoum, Table ronde « Femmes et cinéma », Rencontres cinématographiques de Béjaïa, septembre 2019, Algérie. 3 Mahmoud Ben Mahmoud, « Mahmoud Ben Mahmoud : le cinéma comme œuvre collective », entretien avec Patricia Caillé, 1er juillet 2020, Afrimages, afrimages.net [consulté le 14 août 2020]. 4 https://next.liberation.fr/culture/1995/02/20/hafsa-zinai-koudil-je-suis-entree-dans-lecinema-par-bravade-demon-au-feminin_122674 5 Fatma Zohra Zamoum, propos recueillis lors de la Table ronde « Femmes et cinéma », Rencontres cinématographiques de Béjaïa, septembre 2019, Algérie.
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sexistes de ces décideurs publics, exclusivement masculins, qui auraient jugé « insupportable de voir une femme aux commandes6 ». Djamila Sahraoui, née en 1950, formée en France à l’IDHEC à la réalisation et au montage, qui vit en France depuis 1970, se fait ainsi connaître pour ses documentaires La Moitié du ciel d’Allah (1995) ; Algérie, la vie quand même (1999) ; Algérie, la vie toujours (2001). Djamila Sahraoui passe ensuite à la fiction avec deux longs-métrages toujours consacrés à la guerre civile : Barakat ! (2006), récompensé trois fois au FESPACO en 2007 ; puis Yema (2012), sélectionné à la Mostra de Venise en 2012 et Étalon d’argent du Yennenga au Fespaco en 2013. Yamina Bachir-Chouikh, née en 1954, est d’abord scripte, notamment sur les tournages d’Omar Gatlato (Merzak Allouache, 1976) et Vent de sable (Mohammed Lakhdar-Hamina, 1982) puis monteuse pour les films de celui qui deviendra son époux, Mohammed Chouikh. Yamina Bachir-Chouikh passe à son tour derrière la caméra pour réaliser Rachida (2002), une ode à la résistance des femmes face au terrorisme, sélectionnée au Festival de Cannes en 2002 dans la section Un certain regard. Au lendemain de la guerre civile, une troisième génération de femmes cinéastes émerge, notamment à travers deux réalisatrices-productrices qui poursuivent leur carrière aujourd’hui. Fatma Zohra Zamoum, née en 1967, qui a étudié les beaux-arts à Alger et le cinéma à l’Université à Paris, réalise La Pelote de laine (2005), un courtmétrage de fiction primé dans plus d’une dizaine de festivals à travers le monde, puis le documentaire Le Docker noir, Sembène Ousmane (2009), les longs métrages de fiction Z’har (2009) un film expérimental, Kedach Ethabni (2012) et Parkour(s) (2019). Fatma Zohra Zamoum est également romancière et productrice de ses propres films. Habiba Djahnine, née en 1968, figure du féminisme algérien durant les années 1990, est issue du mouvement des ciné-clubs des années 1980. Écrivaine, formatrice et productrice de ses propres films, elle réalise les documentaires Lettre à ma sœur (2006), Autrement citoyens (2008), Retour à la montagne (2010) et Avant de franchir la ligne d’horizon (2011). Nous le verrons plus loin, Habiba Djahnine joue par ailleurs un rôle central dans la relance de l’activité cinématographique en Algérie après la guerre civile, en créant en 2003 un festival associatif, les Rencontres cinématographiques de Béjaia,
6
Ibid.
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qui deviendra aussitôt un rendez-vous incontournable des cinéastes indépendants du pays, ainsi que des ateliers de formation aux techniques audiovisuelles. Citons également la productrice et réalisatrice Nadia Cherabi-Labidi, née à Alger en 1954, ministre de la Culture de 2014 à 2015. Après des études de sociologie à l’Université d’Alger, elle obtient un doctorat en arts du spectacle à Paris. Elle fait carrière dans le cinéma institutionnel, au sein du Centre algérien pour l’art et l’industrie cinématographique (CAAIC), l’organe public de production et de promotion du cinéma étatique. En 1994, Nadia Cherabi-Labidi fonde sa propre maison de production Procom International. Elle produit plusieurs documentaires consacrés à la condition des femmes algériennes pour la télévision, avant de réaliser son premier long-métrage de fiction, L’Envers du miroir (2007), co-produit par la télévision algérienne et le ministère de la Culture, sur un scénario de Sid Ali Masif. Le film, qui dénonce les violences que subissent les femmes seules avec enfants livrées à elles-mêmes en l’absence de protection par les pouvoirs publics, est remarqué au Festival international du film de Marrakech, où il remporte le Grand Prix et le Prix du jury. Nadia Cherabi-Labidi a aussi produit Vivantes ! (Saïd Ould-Khelifa, 2008), un long métrage de fiction inspiré par la série de lynchages de femmes célibataires initié à Hassi Messaoud, dans le sud du pays, en 2001. PARITÉ POUR LA GÉNÉRATION DU RENOUVEAU Depuis 2010, portée par le numérique et s’appuyant sur des co-productions avec l’étranger pour échapper au contrôle et à la censure de l’État, une nouvelle génération de réalisateurs et producteurs a vu le jour, que la presse algérienne comme la presse française qualifient de « nouvelle vague », de « renouveau » ou encore de « nouvelle garde » du cinéma algérien. Ces jeunes cinéastes ont eux-mêmes décidé de fonder en février 2019 le Collectif pour un renouveau algérien du cinéma (le CRAC)7, afin de résister à la censure et dénoncer l’absence de soutien financier et technique de la part des pouvoirs publics. Parmi les réalisateurs de cette génération qui se sont fait connaître sur la scène internationale depuis 2010, par un long-métrage de fiction ou documentaire, on dénombre à ce jour autant de femmes que d’hommes. Six hommes réalisateurs d’un côté : Lamine Ammar-Khodja (Demande à ton ombre, 2011), Djamil Beloucif (Bîr d’eau, a walkmovie, 2013), Hassen Ferhani (Dans ma tête un rond point, 2015), Djamel Kerkar (Atlal, 2016), Mohamed Lakhdar Tati (Fais soin de toi, 2017), Karim Moussaoui (En Attendant les hirondelles, 2017). Six femmes réalisatrices de l’autre : Narimane Mari
7 Voir le manifeste du CRAC sur leur page Facebook : https://www.facebook.com/CRACinema/about/
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(Loubia Hamra, 2013), Sofia Djama (Les Bienheureux, 2017), Bahia Bencheikh El Fegoun (Fragments de rêves, 2018), Meriem Achour Bouakkaz (Feu, 2019), Yasmine Chouikh (Jusqu’à la fin des temps, 2018) et Mounia Meddour (Papicha, 2019). Narimane Mari, née en 1969, autodidacte, productrice et réalisatrice, a remporté trois récompenses au FID Marseille en 2013 (le Grand Prix de la compétition française, la mention spéciale du prix Marseille Espérance ainsi que le prix Renaud Victor) pour son premier long métrage Loubia Hamra (2013), un film expérimental et musical qui revisite la Guerre d’indépendance à travers les aventures d’une bande d’enfants qui se rapprochent d’un jeune appelé de la métropole. Son deuxième long métrage, Le Fort des fous (2015), tout aussi expérimental, est sélectionné à la Documenta 14 et au Festival de Rotterdam 2018. Sofia Djama, née à Oran en 1979, autodidacte, a grandi à Béjaia avant de s’installer à la capitale pour y faire des études de lettres. Elle travaille d’abord dans la publicité avant de se tourner vers le cinéma. À Alger, elle fréquente le ciné-club Chrysalide, berceau de la nouvelle génération de cinéastes, où elle rencontre notamment Karim Moussaoui, Adila Bendimerad, Djamel Kerkar ou encore Hassen Ferhani. Elle tourne deux courts-métrages de fiction en 2012, Les 100 pas de Monsieur X et Mollement un samedi matin, acheté par Arte, avant de réaliser son premier long-métrage, Les Bienheureux (2017), qui remporte trois récompenses à la Mostra de Venise en 2017. Sofia Djama est aussi une activiste féministe. En 2015, elle lance le mouvement #Ma dignité n’est pas dans la longueur de ma jupe, en réaction au renvoi d’une étudiante de l’Université d’Alger en raison d’une jupe jugée trop courte, et déclenche une polémique sur les réseaux sociaux8. Bahia Bencheikh El Fegoun, née en 1977, se forme sur le tas en étant d’abord assistante à la réalisation de longs métrages tournés en Algérie : Il était une fois dans l’Oued (Djamel Bensalah, 2004), El Manara (Belkacem Hadjadj, 2004), La Trahison (Philippe Faucon, 2005), Barakat ! (Djamila Sahraoui, 2006), Algérie, histoires à ne pas dire (Jean-Pierre Lledo, 2007), Morituri (Okacha Touita, 2007). En 2007, elle suit les ateliers d’écriture et de réalisation documentaire créés par Habiba Djahnine, les Béjaia Docs. Elle réalise trois courts-métrages documentaires en 2008 (Le monde selon Karima ; Un collier de perles ; C’est à Constantine). Avec Meriem Achour Bouakkaz, elle tourne son premier long métrage, H’na Barra (2014), un documentaire
8 À propos de cette polémique, voir notamment Madja Abdellah, « Sofia Djama : La prise en otage du corps de la femme est révélatrice du malaise algérien », Jeune Afrique, 4 juin 2015 ; Mounira B., « Sofia Djama, réalisatrice et scénariste qui bouscule les codes de la société algérienne », ChoufChouf, 6 février 2015.
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sur la condition de la femme en Algérie qui dénonce l’absence de liberté de mouvement et le contrôle du corps des femmes dans l’espace public algérien. Son deuxième long métrage, produit par Narimane Mari, Fragments de rêves (2018), donne la parole à des militants et des opposants politiques au régime de Bouteflika. Le film est interdit de diffusion par le ministère de la Culture lors des Rencontres de Béjaia de septembre 2018. Dans le cadre du Hirak, le soulèvement populaire en cours en Algérie depuis le 22 février 2019, le film a finalement été projeté plusieurs fois. Toutefois la projection du film prévue à Constantine en septembre 2019 a encore été interdite par le nouveau ministre de la Culture par intérim. Meriem Achour Bouakkaz passe elle aussi par les ateliers d’écriture documentaire Béjaïa Docs où elle réalise son premier court métrage Harguine Harguine (2008), consacré à l’émigration clandestine. Elle y rencontre Bahia Bencheikh El Fegoun, avec qui elle co-réalisera le documentaire H’na Barra (2014). Après une formation à l’Institut national de l’image et du son de Montréal (l’INIS) au Canada en 2011, elle tourne un autre court métrage documentaire Histoire sans visage (2012) sur les interdits qui pèsent sur les femmes en Algérie, avant de réaliser le long métrage documentaire Nar (2019), qui signifie Feu en arabe. À travers les récits de jeunes Algériens qui ont tenté de s’immoler par le feu et ont survécu, ainsi que les témoignages des membres de la famille de ceux qui y sont parvenus, Meriem Achour Bouakkaz donne à voir ce geste de désespoir individuel comme un acte ultime de résistance. Nar est le cri de révolte de toute une jeunesse, pourtant bien vivante et diplômée, mais rendue impuissante par un régime corrompu et autoritaire autant que par une société figée qui n’offre aucun avenir en dehors de l’ennui, du mariage ou de l’émigration légale ou clandestine. Yasmine Chouikh, née en 1982, fille du réalisateur Mohammed Chouikh et de la monteuse-réalisatrice Yamina Bachir-Chouikh, se forme aux techniques audiovisuelles en réalisant des reportages pour la télévision. Elle présente un programme télévisé consacré au cinéma de 2005 à 2019 pour l’ENTV, la chaîne nationale. Responsable de la catégorie courts métrages au Festival international du film d’Oran, Yasmine Chouikh dirige aussi le Festival international du court-métrage de Taghit en 2007 qui périclite l’année suivante. Elle réalise deux courts métrages de fiction (El Bab, 2006 et El Djinn, 2010) et une série télévisée (Studio 27, 2015) avant de tourner son premier long métrage Jusqu’à la fin des temps (2018), une comédie chorale dans laquelle deux histoires d’amour prennent naissance dans un cimetière. Mounia Meddour, née en 1978 à Moscou, se forme aux techniques audiovisuelles au Centre européen de formation à la production de films (CEFPF) en France et à l’université d’été de la Femis en 2004. D’abord réalisatrice de documentaires pour la télévision (Particules élémentaires, 2007 ; La Cuisine en héritage, 2009 et Le Cinéma algérien, un nouveau souffle, 301
2011), elle tourne ensuite le court-métrage de fiction Edwige (2011), avant de réaliser son premier long métrage Papicha (2019), un drame qui décrit non sans énergie le quotidien d’un groupe d’étudiantes algéroises pleines de vie, dont les projets et les amours sont empêchés par la guerre civile. Le film était sélectionné à la section Un certain regard du Festival de Cannes 2019, César du premier film en 2020, et il a aussi été proposé aux Oscars pour représenter l’Algérie la même année. LE RÔLE CLEF DES FEMMES PRODUCTRICES Au sein de cette nouvelle génération, on compte aussi quatre femmes à la production. Narimane Mari, citée plus haut en tant que réalisatrice, a joué un rôle central dans l’émergence de cette nouvelle génération en tant que productrice. Elle fonde une société de production en France, Centrale Électrique, puis une autre en Algérie, Allers Retours films, qui lui permet de monter des co-productions algéro-françaises. Outre ses propres films, elle a notamment produit les documentaires d’Hassen Ferhani Dans ma tête un rond point (2015), prix Premier au FID Marseille et 143, rue du désert (2019), prix du meilleur réalisateur émergent au Festival de Locarno, ainsi que H’na Barra (Meriem Achour Bouakkaz et Bahia Bencheikh El Fegoun, 2014) et Fragments de rêves (Bahia Bencheikh El Fegoun, 2018). Elle a aussi co-produit Atlal (Djamel Kerkar, 2016). Adila Bendimerad, née en 1984, cette actrice formée au théâtre à Paris a été remarquée notamment pour ses interprétations dans les derniers films de Merzak Allouache Normal ! (2011), Le Repenti (2012) et Les Terrasses (2013), ainsi que dans le moyen métrage fantastique Kindil el Bahr (2015) réalisé par Damien Ounouri, dont elle a co-écrit le scénario. Adila Bendimerad s’est également imposée dans la production, avec sa société Taj Intaj avec laquelle elle a produit le moyen métrage de Karim Moussaoui, Les Jours d’avant (2013). Adila Bendimerad a fondé Taj Intaj avec Jaber Debzi, autre producteur de la nouvelle génération, qui avec sa propre société Prolégomènes a produit le documentaire Atlal (Djamel Kerkar, 2016), prix Premier de FID Marseille en 2016 et En attendant les hirondelles (Karim Moussaoui, 2017) sélectionné à Un certain regard au festival de Cannes de 2017. Tout comme Jaber Debzi, Karim Moussaoui, Djamel Kerkar, Hassen Ferhani et Sofia Djama, Adila Bendimerad était membre du ciné-club Chrysalide, basé à Alger de 2003 à 2008, épicentre de la relance du cinéma algérien qui a participé à former la plupart des réalisateurs et producteurs de cette « nouvelle vague ». Amina Salem-Castaing, née en 1981, a co-fondé la société Bang Bang Production, qui a co-produit notamment Kindil el Bahr (Damien Ounouri, 302
2015) et participé à la post-production du long métrage de fiction Les Bienheureux (Sofia Djama, 2017). Cette productrice formée au Canada a ouvert en septembre 2019 à Cheraga, dans la banlieue d’Alger, le studio de tournage Alpha Tango, qui propose également des activités de post-production, dont notamment un laboratoire d’effets spéciaux. Quant à Karima Chouikh, née en 1983, enfant de la balle, elle a produit le premier long métrage de sa sœur, Yasmine Chouikh, Jusqu’à la fin des temps (2018), qui a remporté notamment l’Annab d’or au Festival d’Annaba du film méditerranéen (FAFM) et prix du meilleur premier film au FESPACO. Ainsi contrairement aux idées reçues, il existe aujourd’hui en Algérie autant de femmes que d’hommes au poste de réalisateur de longs métrages : une égalité des sexes dont aucun pays européen ni nord-américain ne peut se targuer encore à ce jour. Cependant, ce constat n’est vrai que dans le cas du cinéma qualifié de « nouvelle vague », en grande partie financé par la France, voire entièrement dans le cas du film de Sofia Djama, Les Bienheureux (2017). Il en va tout autrement en effet pour le cinéma étatique de glorification nationale, qui ne compte quant à lui aucune réalisatrice, tandis qu'il bénéficie de plusieurs millions de dollars de la part de l’État9.
UN ACCÈS DIFFICILE AUX MÉTIERS TECHNIQUES UNE DICHOTOMIE ENTRE CINÉMA « INDÉPENDANT » ET CINÉMA ÉTATIQUE En 2003, l’État algérien s’est ressaisi du cinéma comme instrument de propagande et a réinvesti l’histoire du pays en remettant à l’honneur la résistance au colonialisme. Afin de recouvrir la mémoire douloureuse de la guerre civile par une séquence du récit national tout aussi douloureuse mais glorieuse, le ministère de la Culture, en partenariat avec le ministère des Moudjahidine10, a consacré chaque année des millions de dollars à la production cinématographique de biopics consacrés à la vie et aux exploits de grandes figures historiques, produits à l’occasion de manifestations de commémoration nationale. Si les films Arezki, l’Indigène (Djamel Bendeddouche, 2007) et Fadhma N’Soumer (Belkacem Hadjadj, 2013) rendent hommage à deux héros du XIXe siècle opposés à la conquête française, tous les autres s’attachent à des héros de la Révolution algérienne. Mostefa Ben Boulaïd (Ahmed Rachedi, 2009) célèbre la mémoire de l’un des fondateurs du Front de libération nationale
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Par exemple, le film Zabana ! (Saïd Ould Khelifa, 2012) a bénéficié d’un budget total de 150 millions de dinars algériens (soit 1,3 million de dollars) de la part de l’État algérien. 10 Contrairement au ministère français des Anciens Combattants, il s’agit ici d’un ministère des « Combattants », très influent dans la société algérienne et dans la vie culturelle du pays.
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(FLN). Zabana ! (Saïd Ould-Khelifa, 2012) rend hommage au premier indépendantiste algérien guillotiné par la France. Krim Belkacem (Ahmed Rachedi, 2012) est consacré à l’un des chefs historiques du FLN durant la guerre. Lotfi (Ahmed Rachedi, 2014) rappelle le sacrifice du jeune colonel de l’Armée de libération nationale, Benali Boudghène dit Lotfi. Opération Maillot (Okacha Touita, 2015) revient sur l’engagement anticolonialiste du jeune déserteur pied-noir Henri Maillot, militant du Parti communiste algérien. Aucun de ces films, dont un seul est consacré à une figure féminine du récit national officiel, Fadhma N’Soumer, n’a été réalisé par une femme. En outre, en 2019, la commission de visionnage chargée d’attribuer les visas d’exploitation ne comptait qu’une seule femme (Najat Taïbouni) parmi les six membres de cette instance officielle. Pour la réalisatrice Fatma Zohra Zamoum, les financeurs, majoritairement masculins, ne s’identifient pas aux personnages féminins, comme si les histoires de femmes ne concernaient que les femmes. Ils considèrent, selon elle, que si le personnage principal du film est une femme, les hommes n’iront pas le voir. La réalisatrice rapporte ainsi les propos de l’un des financeurs du ministère de la Culture, qu’elle a ellemême pu entendre au début des années 2000 : « Une femme et huit milliards [de dinars algériens] : c’est pas possible11. » Or de 2002 à 2014, le ministère de la Culture algérien était dirigé par une femme, Khalida Toumi. Sous le mandat du ministre Azzedine Mihoubi (20152019), la directrice du département dédié au cinéma était une femme, Zahia Bencheikh, et plusieurs de ses chefs de services étaient des femmes, à l’instar de Nabila Rezaïg, cheffe du service « Aide à la création et statut de l’artiste ». Rappelons par ailleurs que le rapport de l’UNESCO de 2018 sur l’égalité des genres en matière d’éducation indiquait que le nombre de femmes diplômées du supérieur est presque deux fois plus élevé que celui des hommes : En Algérie, 63 % de l’ensemble des diplômes du supérieur et 54 % des diplômes des filières des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques sont obtenus par des femmes12. Cependant, ce constat de l’UNESCO, qui montre l’existence d’une forte part de femmes (plus de la moitié) dans des filières traditionnellement occupées par des hommes (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), ne se vérifie pas pour les métiers techniques du cinéma. Le cinéma demeure un milieu encore quasi exclusivement masculin, compte tenu du difficile accès 11 Fatma Zohra Zamoum, propos recueillis lors de la Table ronde Femmes et cinéma, Rencontres cinématographiques de Béjaïa, septembre 2019, Algérie. 12 Rapport mondial de suivi sur l’éducation. Résumé sur l’égalité des genres. 2018, Bibliothèque numérique de l’UNESCO, texte intégral en ligne, p. 16 : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000261655 (consulté le 14 octobre 2019).
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des femmes à ces métiers, lié d’une part à l’absence de formation aux métiers du cinéma en Algérie, et d’autre part au patriarcat. MANQUE DE FORMATION ET PATRIARCAT La parité qui existe au poste de réalisateur au sein de la « nouvelle génération » ne se vérifie pas dans les autres métiers techniques du cinéma, comme le rapporte Leila Saadna qui a eu beaucoup de difficulté à trouver en Algérie des femmes ingénieures du son, cadreuses, et monteuses pour son court métrage Dis-moi Djamila, si je meurs, comment feras-tu ? (2019), produit par Habiba Djahnine : Pour la prise de son et le montage, on a eu beaucoup de difficultés à trouver des femmes. Pour l’image, c’était facile, on a travaillé avec plusieurs femmes qui sont elles-mêmes réalisatrices. Mais pour le son, on a eu beaucoup plus de mal. On a donc fait appel à des copains preneurs de son qui ont donné un atelier à des femmes qui avaient déjà une expérience dans la réalisation et donc dans le son, mais dont ce n’était pas le métier principal. Car en Algérie, il n’y a pas de preneuse de son. Pareil pour le montage, très peu de femmes ont une expérience poussée du montage. Donc ce sont des monteuses venues de France qui avaient déjà travaillé avec Habiba [Djahnine] qui sont venues monter nos films13. En effet, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, les Algériens ne disposent pas de formation dédiée aux techniques du cinéma en Algérie, depuis la fermeture en 1967 de l’Institut national de cinéma d’Alger, trois ans à peine après sa création. Aujourd’hui, seul l’Institut supérieur des métiers des arts du spectacle (ISMAS) dispense un enseignement pratique à la prise de son et à l’image mais cette école publique est davantage destinée aux professionnels de la télévision et du théâtre. Fatma Zohra Zamoum a toutefois tenu à souligner que le manque de formation est également lié pour certains métiers du cinéma à une rupture de transmission des savoir-faire, liée au passage de la pellicule au numérique : Dans le cinéma algérien à l’époque de la pellicule, il y a eu des scriptes et des monteuses, comme Yamina Chouikh. Mais, avec la rupture nu-
13 Leila Saadna, propos recueillis lors la table ronde « Femmes et cinéma » aux Rencontres de Béjaia, Algérie, 23 septembre 2019.
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mérique, ces femmes n’ont pas fait la passation. Il n’y a pas eu transmission de ces métiers aux nouvelles générations. Mais il y a aussi des habilleuses, des costumières et des maquilleuses14. Il existe néanmoins des ateliers ponctuels de formation à l’écriture et à la réalisation, tel que Le Laboratoire d’Alger de l’Institut français d’Alger, pour la réalisation documentaire, ou encore les Béjaïa Docs, une initiative associative, sur laquelle nous reviendrons plus bas, dont ont pu bénéficier de nombreux réalisateurs de la nouvelle génération. Depuis quelques années, des ateliers d’éducation à l’image, ou des rencontres professionnelles de mise en lien entre producteurs et réalisateurs, s’organisent en parallèle des programmations dans le cadre des festivals de cinéma qui ont lieu chaque année : le Festival culturel national du film amazigh (FCNFA) ; le Festival international du cinéma d’Alger (FICA) ; le Festival international d’Oran du film arabe (FIOFA) ; le Festival d’Annaba du film méditerranéen (FAFM) ; et notamment lors des Rencontres cinématographiques de Béjaia (RCB), le festival indépendant du pays. Cependant, l’accès aux métiers du cinéma demeure très difficile en particulier pour les femmes, dans une société où la claustration15 de celles-ci les empêchent de découcher du foyer familial, et ainsi de se rendre en toute autonomie à des formations professionnelles en dehors de leur lieu de résidence, en particulier dans le domaine artistique, synonyme de liberté et donc de liberté sexuelle. Comme le souligne Amina Salem-Castaing, productrice, directrice de la société Bang bang Productions, les interdits familiaux et culturels sont les facteurs majeurs de l’absence des femmes dans les métiers de la culture : Le manque de formation aux métiers du cinéma ne concerne pas que les femmes. Il se trouve à tous les niveaux, hommes et femmes. Moi, par exemple, dans ma boîte de production, je reçois beaucoup de demandes de stage et de formation de la part d’hommes, mais très peu de femmes. Donc peut-être que peu de femmes s’intéressent à ces métiers techniques en Algérie. D’abord parce que je pense que certaines ont peur de se retrouver dans une équipe d’hommes, ça peut les freiner. D’autres ont peur de la réaction de leur famille. Donc il y a déjà un fossé entre hommes et femmes. Ce n’est pas juste une question de manque de formation. […] C’est aussi un métier où on travaille parfois la nuit, où
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Fatma Zohra Zamoum, propos recueillis lors de la Table ronde Femmes et Cinéma, Rencontres cinématographiques de Béjaïa, septembre 2019, Algérie. 15 Voir notamment Rabia Bekkar, « Ségrégation sexuelle et espace urbain en Algérie », in La place des femmes. Les enjeux de l'identité et de l'égalité au regard des sciences sociales, Paris, La Découverte, 1995, p. 227-231.
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on se déplace, et il y a très peu de familles qui acceptent de laisser leur fille libre16. À l’occasion de la table ronde « Femmes et cinéma », qui a eu lieu en septembre 2019 lors des Rencontres cinématographiques de Béjaia et qui réunissait notamment Amina Salem Castaing, Fatma Zohra Zamoum ainsi que de jeunes réalisatrices algériennes, celles-ci convenaient à tour de rôle que « le cinéma est mal vu en Algérie », « les métiers du cinéma sont perçus comme vulgaires, comme des activités honteuses pour une femme ». Les ciné-clubs eux aussi sont vus comme des lieux de libertinage et de dévergondage. Les milieux de l’art sont en effet associés à des espaces de liberté, synonymes de liberté sexuelle. Sara (Mon peuple, les femmes, 2019), une des jeunes réalisatrices présente lors de la table ronde témoigne ainsi de son expérience au sein de sa famille : Tout est plus difficile d’accès aux femmes en Algérie. Ce n’est pas propre aux métiers du cinéma. Avant de partir de chez mes parents, je ne pouvais simplement pas sortir de chez moi quand je le voulais. À 25 ans, je ne pouvais pas dire à mes parents que je partais à Alger faire une formation. Les femmes ne peuvent pas se déplacer librement, donc, pour former les femmes, il faut se déplacer jusqu’à elles17. La jeune réalisatrice, membre active d’un collectif féministe souligne en outre qu’à l’absence de liberté de mouvement des femmes, s’ajoute aussi le harcèlement sexuel que celles-ci subissent dans tous les milieux professionnels et sociaux : « Les récits de harcèlement sont très nombreux, comme celui d’une monteuse harcelée sexuellement dans trois sociétés de production différentes et qui a décidé de ne plus travailler. Un autre obstacle de taille qui réduit encore l’accès des femmes à ces métiers18. » Face à ce manque de formation pour l’ensemble des Algériens et à cette double entrave pour les femmes en particulier (manque de formation et inégalité des sexes) à accéder aux métiers du cinéma, une femme, Habiba Djahnine, a tenté de répondre par de multiples initiatives associatives consacrées à la transmission du cinéma et à la professionnalisation.
16 Amina Salem-Castaing, propos recueillis lors de la table ronde « Femmes et cinéma », Rencontres cinématographiques de Béjaïa, septembre 2019, Algérie. 17 Sara n’a pas souhaité faire connaître son patronyme, propos recueillis lors de la table ronde « Femmes et cinéma », Rencontres cinématographiques de Béjaïa, septembre 2019, Algérie. 18 Ibid.
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HABIBA DJAHNINE, L’ÉCLAIREUSE Depuis les années 1980, à travers plusieurs initiatives associatives, Habiba Djahnine, cinéaste et militante féministe, joue un rôle central dans son pays pour la relance de l’activité cinématographique en général, et pour l’accès des femmes à la formation aux techniques audiovisuelles en particulier. Habiba Djahnine se présente elle-même comme issue de la « génération des jeunes radicaux en colère19 », qui « cherch[aient] à connaître [leur] histoire20 » et qui ont notamment pris part au mouvement social d’octobre 1988. En 1984, soutenue par la fédération algérienne des ciné-clubs et des cinéastes amateurs qui avait alors essaimé sur l’ensemble du territoire, Habiba Djahnine et d’autres militants fondent un premier ciné-club à Béjaia dédié aux femmes : « Notre objectif était de réunir ces femmes à travers une activité culturelle qui pouvait nous amener à parler de notre condition, à échanger librement, et en même temps à nous cultiver et à apprendre des choses21. » Dans les années 1990, en pleine guerre civile, suite au succès de cette première expérience, Habiba Djahnine fonde à nouveau deux ciné-clubs qui se réunissent une fois par semaine dans la salle de la Cinémathèque de Béjaia, l’un réservé aux femmes, et l’autre ouvert à tous les jeunes, lycéens et étudiants, filles et garçons réunis. En 1994, avec sa soeur Nabila, présidente de l’association féministe Thighri N’temttouth (Cri de femme), Habiba Djahnine fonde un autre ciné-club à Tizi Ouzou ainsi qu’un festival dédié aux femmes, « Images et imaginaires de femmes dans le cinéma algérien », initiatives qui prirent fin avec l’assassinat de Nabila Djahnine par des terroristes islamistes en 1995. LES RCB, UN FESTIVAL INDÉPENDANT En 2003, le retour à la paix en Algérie autant que la manifestation l’Année de l’Algérie en France donnent à Habiba Djahnine, alors en exil en France suite à la mort de sa sœur, l’envie d’organiser des rencontres autour du cinéma en Algérie, à Béjaia. Au départ, son objectif était de créer des ateliers destinés à former une cinquantaine de jeunes stagiaires algériens aux techniques cinématographiques pour leur permettre de « construire un regard intérieur22 » au lendemain d’une guerre civile qui avait fait plus de 200 000 morts. Parce qu’elle avait toujours pensé que « c’est en voyant des films qu’on devient cinéaste23 », et constatant que le public avait abandonné les salles de cinéma depuis « la décennie noire », Habiba Djahnine décide de créer, parallèlement 19
Entretien avec Habiba Djahnine, Alger, août 2016. Ibid. 21 Ibid. 22 Ibid. 23 Ibid. 20
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à ces ateliers de formation, un espace de diffusion de films, algériens mais aussi étrangers, qui deviendra aussitôt l’épicentre national de la relance du cinéma algérien contemporain. Avec son association Kaïna cinéma, qu’elle a créée à Paris au début des années 2000, et avec l’aide de Morad Kartoubi du CNC, Habiba Djahnine se rapproche de La Ligue des arts dramatiques et de l’association Project’heurts, pour co-construire ce projet ensemble à Béjaïa. Dans un premier temps, le wali (équivalent du préfet) de Béjaia refuse de donner aux associations l’autorisation d’organiser l’évènement. Selon Habiba Djahnine, le wali de la ville voyait dans ce festival « un moment politique qui risquait d’échapper au contrôle des autorités », dans un contexte politique encore tendu en Kabylie suite à la répression sanglante du Printemps berbère de 2001. La militante féministe réagit aussitôt en adressant un courrier de protestation aux autorités locales, annonçant que si le festival était interdit, les organisateurs projetteraient malgré tous les films « dans la rue, pacifiquement ». Elle obtient finalement l’autorisation d’organiser la première édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB) en 2003. Au début, la manifestation durait neuf jours (aujourd’hui elle se déroule sur une semaine en septembre). Les matinées étaient consacrées à la formation : éducation à l’image, cours d’analyse filmique, enseignement du langage cinématographique, et les après-midis aux projections-débats. La salle de la cinémathèque de Béjaia lui ouvrait ses portes pour les projections qui avaient lieu de 13 h à minuit. Une cinquantaine de films étaient diffusés et débattus par le public et les professionnels présents. Le théâtre régional de Béjaia accueillait quant à lui en matinée les rencontres avec les professionnels du cinéma : tables-rondes avec les cinéastes invités et master classes. En parallèle, Habiba et d’autres professionnels, algériens et étrangers, animaient la formation de 2003 à 2006, auprès d’une cinquantaine de stagiaires. Des cinéastes étrangers étaient invités et pris en charge par les associations. Une plateforme dédiée aux jeunes cinéastes algériens permettait de les faire connaître au public algérien et de leur assurer une visibilité internationale, par la présence de professionnels et d’organisateurs de festivals étrangers. C’est ainsi par exemple que le réalisateur Lyes Salem avait pu présenter son premier courtmétrage Jean Farès (2001), ainsi que le suivant Cousines (2004). Depuis 2006, l’association Project’heurts a pris en charge l’organisation des RCB. Depuis seize ans, le festival s’est imposé dans le pays comme aux yeux des partenaires étrangers, comme un des épicentres de la relance cinématographique en Algérie au lendemain de la guerre civile. Ce festival associatif non compétitif a permis de faire émerger plusieurs cinéastes algériens désormais reconnus sur la scène internationale et demeure encore aujourd’hui le rendez-vous annuel incontournable du cinéma indépendant algérien. 309
BÉJAÏA DOCS, UN ATELIER DE CRÉATION DOCUMENTAIRE À partir de 2007, Habiba Djahnine quitte l’organisation des RCB pour se consacrer pleinement à la formation et à la création de ce qu’elle conçoit comme « l’équivalent algérien des ateliers Varan ». Elle crée ainsi Béjaïa Docs, un atelier de création documentaire ouvert à une dizaine de participants, filles ou garçons, venus de toutes les régions d’Algérie, qui verront passer année après année la plupart des réalisateurs et réalisatrices de la nouvelle génération. Elle raconte ainsi la première édition des Béjaïa Docs en 2007 : Avec tout le boulot que j’ai fait de 2004 à 2006, j’ai trouvé des sous pour acheter du matériel : une unité de montage et une unité de tournage, début 2007. C’était le plus important pour moi. […] J’ai recruté huit stagiaires. C’était la première édition de Béjaïa Docs, on n’avait rien, on était bénévoles, on mangeait des pâtes, on logeait les stagiaires dans une énorme baraque d’un copain et on travaillait dans le salon. On était quatre formateurs, qui logeaient chez moi, trois régisseurs, et huit stagiaires24. En 2014, Habiba Djahnine, déclarait à la revue Films en Bretagne que plus d’une cinquantaine de stagiaires avaient ainsi été formés par les Béjaïa Docs : Chaque promotion ne concerne que huit garçons ou filles, de moins de trente ans. Je ne leur demande qu’une seule chose : avoir un projet de documentaire sur un aspect de leur réalité, sur leur territoire. Pour les sélectionner, je fais le tour de l’Algérie, grandes villes comme petits villages… Au final, je suis les jeunes pendant un an, mais reste en contact par la suite. Ils passent beaucoup de temps sur l’écriture, puis se forment sur toutes les autres étapes de réalisation25. En parallèle de l’atelier de formation des Béjaïa Docs, Habiba Djahnine a aussi créé des rencontres professionnelles, les Rencontres du film documentaire, un moment de formation ouvert au public, qui reposait sur l’invitation de réalisateurs reconnus pour animer des master classes, ainsi que des débats avec le public sur le statut de l’image filmique. L’ATELIER DE TIMIMOUN, UNE RÉSIDENCE CONSACRÉE AUX FEMMES De 2017 à 2019, Habiba Djahnine lance une nouvelle initiative portée par les deux associations qu’elle a elle-même fondées – Kaïna cinéma basée en 24
Ibid. « Habiba Djahnine, Algérienne, poète et documentariste », Films en Bretagne - Union des professionnels, 14 février 2014. https://filmsenbretagne.org/habiba-djahnine-algerienne-poeteet-documentariste/ (consulté le 13 octobre 2019).
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France et le collectif Cinéma et mémoire basé en Algérie – avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert, du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC), du Comité international pour la solidarité avec les Peuples (CISP), du Fonds pour les femmes en Méditerranée, ainsi que de l’ONG CCFD-Terre solidaire. Cette première édition de l’Atelier de création de films documentaires, qui a eu lieu à Timimoun, dans le Sud du pays, était intégralement consacrée à des femmes algériennes. La dimension féministe de la démarche, est affirmée par Habiba Djahnine, qui décrit ainsi l’objectif de l’atelier : Faire et refaire, construire un regard intérieur en interrogeant le réel sans l’épuiser. Construire et déconstruire avec éthique, imagination et respect des autres en réinventant le sens du mot sororité. Tisser les solidarités par des mains tendues. Composer avec les blessures. Débusquer la joie dans un regard, un sourire. Questionner le passé, vivre le présent, inscrire son identité de femme dans chaque geste26. Réunir six jeunes femmes, célibataires, à Timimoun, dans le Sud du pays, pour plusieurs résidences, étalées sur un an et demi, relevait du défi dans une société patriarcale où les femmes ne sont pas libres de leurs déplacements, comme nous l’avons expliqué plus haut. Le choix d’une résidence non mixte était destiné à réduire les obstacles à leur venue, comme en témoigne le processus parcouru par l’une des participantes, Wiame Awres (Les Filles de la Montagnarde, 2019) : Il y a cinq ans, j’aurais été incapable de me déplacer à Timimoun pour participer à l’atelier. Pour moi, tout a commencé, non pas avec la réalisation, mais avec le cercle féministe. J’ai pris conscience qu’on ne pouvait pas se déplacer comme on le voulait, sortir comme on le voulait, créer comme on le voulait. Cet atelier non-mixte permettait de dire à nos parents : « Je vais à Timimoun pour un atelier où il n’y aura que des femmes. » Au début, c’était très angoissant l’idée d’aller seule dans une autre ville. Pour moi, ce fut tout un processus de pouvoir me libérer de ces interdits, de ces peurs. Ça m’a permis de me considérer comme une adulte, comme une personne à part entière, comme une femme et non plus comme une personne qui doit être protégée, qui ne peut pas réfléchir par elle-même. Le film est venu ensuite27. Comme l’explique Leila Saadna, une autre participante, la non-mixité de ces résidences relevait aussi « d’une nécessité absolue » pour le tournage, compte tenu de la ségrégation sexuelle des espaces en Algérie qui conduit à
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Habiba Djahnine, brochure de communication de l’Atelier de création de films documentaires, 2019, p. 5. 27 Wiame Awres, propos recueillis lors la table ronde « Femmes et cinéma », aux Rencontres de Béjaia, Algérie, 23 septembre 2019.
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ce que seules des femmes soient à même de pénétrer dans l’intimité des femmes et dans leurs espaces dédiés, pour récolter des paroles et des images de corps féminins, dans le respect de la dignité des personnes filmées : Pour nos films, on avait besoin de travailler uniquement en équipes de femmes. C’était une nécessité absolue, parce qu’on ne pouvait pas aller filmer des femmes dans des univers de femmes en Algérie, avec des équipes d’hommes. Ça fait aussi partie d’une conscience féministe de dire qu’on veut donner la possibilité aux femmes de travailler en tant que preneuses de son, à l’image, au montage, etc.28. L’atelier d’Habiba Djahnine a finalement réussi à réunir ensemble dans le Sud du pays, loin de chez elles, des femmes venues de différentes régions d’Algérie (Alger, Bouzeguene, Borj Bou Arreridj, Médéa, Sétif, Oran et Constantine) et a abouti à la création de six courts-métrages documentaires consacrés à des portraits de femmes algériennes, qui ont notamment été sélectionnés en Algérie aux Rencontres cinématographiques de Béjaia en septembre 2019, et en France au Festival de cinéma de Douarnenez en août 2019. Le rideau (Kahina Zina, 2019, 26’) dénonce l’absence de la femme dans l’espace public urbain, le harcèlement au quotidien et les agressions sexuelles qu’elles sont amenées à subir si elles franchissent le seuil de l’espace domestique. Selon elle (Kamila Ould Larbi, 2019, 19’), entièrement tourné en intérieur, est construit sous la forme d’un dialogue entre une mère et sa fille sur l’éducation genrée des enfants algériens et les interdits culturels imposés aux femmes. Piment Rouge (Saadia Gacem, 2019, 26’) met en regard un collectif de féministes qui analysent le Code de la famille, et un groupe de femmes de sa famille qui retournent dans leur village déserté suite à la guerre civile. Dans Dis-moi Djamila, si je meurs, comment feras-tu ? (Leïla Saadna, 2019, 33’), la réalisatrice se confronte à un tabou encore actif dans la société algérienne : celui de l’abandon des femmes dont les maris ont émigré en France et ont épousé des Françaises. Nnuba (Sonia At Qasi-Kessi, 2019, 47’) nous emmène au cœur des puissantes montagnes de Kabylie, dans un village où les travaux agricoles sont pris en charge par un collectif de femmes, celles-ci s’organisent à tour de rôle pour faire paître le bétail, ramasser les olives, presser l’huile, défricher les
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Leila Saadna, propos recueillis lors la table ronde « Femmes et cinéma », aux Rencontres de Béjaia, Algérie, 23 septembre 2019.
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champs ou encore nettoyer les tombes du cimetière, entre poésie berbère et récits de vie. Les Filles de la Montagnarde (Wiame Awres, 2019, 40’) articule trois histoires de femmes de trois générations successives : Khadidja la Moudjahida, Turquia, sa fille, la danseuse du Ballet national Algérie et Wiame, sa petite-fille, une jeune botaniste qui colle dans son herbier chaque fleur qu’elle ramasse, Elle n’est autre que la réalisatrice qui collecte dans son film les récits de ces femmes qui composent la mémoire collective algérienne. Quant à Mon Peuple, les femmes (Sara29, 2019, 23’), ce documentaire sonore réunit plusieurs voix de femmes qui s’interrogent sur les possibilités d’action collective et la difficulté de se dire féministe en Algérie. À travers l’ensemble de ses initiatives associatives, Habiba Djahnine a ainsi joué un rôle fondamental dans l’émergence de la nouvelle génération de cinéastes algériens mais aussi sur le plan de la lutte féministe en contribuant à la lente reconquête de l’espace public par les femmes, comme en témoigne avec optimisme Leila Saadna : Au début dans la rue, les gens nous prenaient pour des journalistes et nous posaient des questions. Puis ils se sont habitués à voir des femmes dans la rue prendre des images et des sons. Il faut investir l’espace public, les gens finiront par s’habituer. Et peut-être que dans une dizaine d’années, ce sera davantage accepté.
CONCLUSION Depuis qu’Assia Djebar a ouvert la voie en 1978, le nombre de femmes cinéastes a été multiplié par six en Algérie. Contrairement au cinéma étatique de glorification nationale, qui ne compte aucune réalisatrice, la « nouvelle vague » du cinéma algérien peut se targuer d’une égalité des sexes à l’écriture et à la mise en scène des films. En revanche, même au sein du cinéma « indépendant », les métiers techniques d’ingénieur du son, de chef-opérateur, et de monteur restent encore quasi intégralement occupés par des hommes. Certes la place des femmes dans le cinéma algérien contemporain constitue un indicateur d’affranchissement vis-à-vis de la tutelle et de la censure de l’État, néanmoins l’accès aux métiers du cinéma demeure très difficile pour les femmes, compte tenu des mentalités conservatrices, du patriarcat et de la ségrégation sexuelle des espaces.
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La réalisatrice Sara ne souhaite pas faire connaître son patronyme.
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Femmes réalisatrices en Tunisie : Une tradition révolutionnaire ? Emna Mrabet ESTCA - Université Paris 8
ABSTRACT Les questions relatives à la condition féminine reviennent de façon récurrente dans le cinéma tunisien et ceci dès son avènement. On peut ainsi évoquer Sejnane (1974) de Abdellatif Ben Amar, Les silence du palais (1994) de Moufida Tlatli, Fatma (2001) de Khaled Ghorbal, Satin Rouge (2002) de Raja Amari. Les femmes réalisatrices ont très tôt été présentes dans le champ cinématographique. Salma Baccar qui a débuté sa carrière dans les années 1970, est toujours active et son dernier film El Jaïda (2017), qui traite de la question féminine, a réalisé un grand nombre d’entrées lors de sa sortie en Tunisie. Après une grande phase de stagnation, le secteur du film connaît aujourd’hui un nouvel essor et se trouve en pleine mutation grâce notamment à la création du CNCI et à une volonté de restructuration du secteur. On note par ailleurs un réel engouement du public pour les films tunisiens. La présente étude a pour objectif de mettre en lumière, à travers un travail de terrain, la présence et le rôle joué par les femmes dans le secteur cinématographique en Tunisie, d’observer cette activité depuis les dix dernières années afin d’interroger l’impact de la révolution sur la place octroyée aux femmes. Cette étude s’intéressera également aux réalisatrices résidant aujourd’hui en France afin d’observer les interactions qu’elles tissent avec la Tunisie mais également les perspectives que leur offre leur statut de « femmes de la diaspora ».
INTRODUCTION Grâce au militantisme de personnalités emblématiques telles que Tahar Haddad : intellectuel, syndicaliste et grand militant pour l’évolution des droits des femmes, et Habib Bourguiba, premier chef d’état de la Tunisie indépendante (1956) qui œuvre à moderniser et à laïciser le pays, la Tunisie connaît des avancées sociales considérables dès 1957. Dans la même lignée que les idées modernistes de Tahar Haddad qui prônait l’émancipation des femmes et l’abolition de la polygamie, Bourguiba établit le code du statut personnel en 1957, octroyant aux femmes tunisiennes un statut unique dans le monde arabe. Ce code du statut personnel bouleverse la conception traditionaliste de la famille : interdiction de la polygamie, instauration du divorce qui remplace la
répudiation de la femme. Ce nouveau code introduit le mariage par consentement mutuel et donne aux femmes accès au planning familial. Aussi n’est-il pas surprenant que les questions relatives à la condition féminine reviennent de façon récurrente dans le cinéma tunisien et ceci dès son avènement. On peut ainsi évoquer Sejnane (1974) de Abdellatif Ben Amar, Les silences du palais (1994) de Moufida Tlatli, Fatma (2002) de Khaled Ghorbal, Satin Rouge (2002) de Raja Amari ou encore plus récemment La Belle et la meute (2017) de Kaouther Ben Hania. La représentation de figures féminines se trouve ainsi au cœur de nombreuses œuvres et les présences notables de femmes cinéastes et productrices lui confèrent en grande partie sa singularité. Par ailleurs, comme en attestent certaines études menées sur le sujet1, les femmes réalisatrices ont très tôt été présentes dans le champ cinématographique. À titre d’exemple, la cinéaste Salma Baccar ayant débuté sa carrière dans les années 1970 est toujours active et a récemment été à l’origine d’un film, El Jaïda (2017), traitant de la question féminine et qui s’est démarqué par le nombre d’entrées réalisées lors de sa sortie en Tunisie. Après une grande phase de stagnation, le secteur du film rencontre aujourd’hui un nouvel essor. La phase postrévolutionnaire connaît ainsi un foisonnement artistique qui se traduit notamment par une multiplication des réalisations cinématographiques. Nous assistons ainsi à une diversification des styles et des esthétiques et à l’avènement de tendances qui osent interroger la société sur ses tabous et les barrières qu’elle pose au développement de l’individu comme dans les films La Belle et la meute (2017) de Kaouther Ben Hania et Corps étranger (2018) de Raja Amari. Ces réalisations se voient souvent récompensées par des prix dans des festivals internationaux et sont portées par une manifestation essentielle : les Journées cinématographiques de Carthage. Depuis la révolution, le champ cinématographique se trouve ainsi en pleine mutation grâce notamment à la création du Centre national de la cinématographie et de l’image (CNCI) en 2012 et à une volonté de restructuration du secteur. On note par ailleurs une augmentation du nombre de films depuis la deuxième moitié des années 2010 et un réel engouement du public pour les films tunisiens. De nombreuses études se sont déjà focalisées sur les œuvres cinématographiques réalisées par des femmes dans les pays du Maghreb et en Tunisie2
1 CAILLÉ Patricia, « Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie des réalisatrices ou la construction du Maghreb dans un contexte postcolonial », Socio-anthropologie de l’Image au Maghreb (IRMC), Maghreb et Sciences Sociales 2009-2010, Paris, L’Harmattan, 2010. 2 MARTIN Florence, Screens and Veils: Maghrebi Women’s Cinema, Bloomington, Indiana University Press, 2011; CAILLÉ Patricia, 2010, op. cit. ; CAILLÉ Patricia, « La circulation des
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ainsi que sur les réalisatrices. Nous pouvons ainsi évoquer l’ouvrage de Abdelkrim Gabous Silence elles tournent : les femmes et le cinéma en Tunisie (1998), Women in islamic cinema (2004) de Gönül Dönmez-Colin, ou encore Visions of struggle in Women’s Filmmaking in the Mediterranean (2009)3. Ces études ont pour objectif d’observer la place occupée par les femmes dans le secteur du cinéma et de mettre en exergue la spécificité des films réalisés par des femmes. De notre côté, nous avons choisi de favoriser le travail de terrain et de baser notre étude sur des entretiens effectués avec des réalisatrices tunisiennes résidant en France et en Tunisie en considérant comme point charnière la révolution de 2011. Ces entretiens ont été dirigés par des questions concernant la formation et le parcours, le processus d’écriture, l’économie des films, leur diffusion, le choix de l’équipe technique, la spécificité d’être une réalisatrice tunisienne. Ces réalisatrices ont également été interrogées sur les changements survenus depuis la révolution de 2011 et enfin sur le choix du sujet de leurs films. Cette méthode empirique nous a ainsi permis d’interroger les cinéastes sur leurs pratiques et d’entamer un dialogue sur la situation actuelle des femmes dans le secteur du cinéma en Tunisie. La synthèse, appréhendée à l’aune des résultats obtenus, est ainsi l’occasion de croiser les parcours de différentes réalisatrices tunisiennes afin de mettre en lumière la singularité de chaque parcours, ainsi que la spécificité des procédés de réalisation et d’écriture. Notre choix s’est délibérément porté sur deux générations de réalisatrices. Khedija Lemkecher, Raja Amari et Sonia Chamkhi ont presque le même âge et font leur entrée dans le monde du cinéma quasiment au même moment. Ainsi Khedija Lemkecher commence sa carrière en tant qu’assistante dans la deuxième moitié des années 1990 mais ne passera elle-même à la réalisation qu’en 2010. Raja Amari fait son entrée dans le monde du cinéma de manière presque concomitante, puisqu’elle réalise son premier court métrage de fiction, Avril, en 1998. De la même manière, Sonia Chamkhi coréalise un premier court-métrage (avec Mounir Baaziz) Chambre sans vues en 2000. La deuxième génération de cinéastes est représentée par des réalisatrices qui émergent dans le champ cinématographique après la révolution. Ainsi, bien qu’elle ait réalisé son premier court-métrage professionnel Moi, ma sœur et la chose en 2006, Kaouther Ben Hania commence à se faire connaître à
films maghrébins par des réalisatrices : une question de genre ? », Africultures, n° 101-102, 2016, p. 70-87. 3 GABOUS Abdelkrim, Silence elles tournent ! Les femmes et le cinéma en Tunisie, Tunis, Cérès Édition, 1998 ; DÖNMEZ-COLIN Gönül, Women in Islamic Cinema, London, Reaktion Books, 2004 ; LAVIOSA Flavia (dir.), Visions of Struggle in Women’s Filmmaking in the Mediterranean, New York, Palgrave Macmillan, 2010.
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partir de son court-métrage Peau de colle réalisé en 2013. Pour sa part, Leyla Bouzid réalise en 2013 Zakaria, son premier court-métrage produit. Enfin, Erige Sehiri donne naissance à son premier film, Le Facebook de mon père, un documentaire de création en 2012. LA PHASE DE FORMATION Sur les six réalisatrices étudiées, toutes – mise à part Erige Sehiri – ont bénéficié d’une formation dans le domaine du cinéma. Il est à noter que ces formations passent le plus souvent par un parcours effectué dans les écoles ou universités françaises : l’ESRA pour Khédija Lemkecher, la Fémis (section scénario) pour Raja Amari, Leyla Bouzid (en section réalisation) ainsi que Kaouther Ben Hnia (université d’été de la Fémis). Sonia Chamkhi qui occupe actuellement un poste de maîtresse de conférences à l’ESAC (Ecole supérieure de l’audiovisuel et du cinéma de Gammarth) a obtenu un doctorat en cinéma, audiovisuel et télévision à l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et est également diplômée en Design image, réalisation film et écriture du scénario (Institut supérieur des beaux-arts de Tunis et ensuite Université Paris). Elle présente un profil assez atypique dans la mesure où elle porte la triple casquette de cinéaste, écrivaine et chercheuse. Avant de passer à la réalisation, Khedija Lemkecher suit la voie classique de l’assistanat en travaillant sur des tournages tunisiens et étrangers se déroulant en Tunisie. Elle collabore ainsi avec des cinéastes tels que Cédric Klapisch, Nouri Bouzid, Georges Lucas (pour Star Wars tourné dans le sud tunisien), Mahmoud Ben Mahmoud, Patrick Chomet. Elle fait ainsi partie de cette génération qui a pu compléter sa formation en côtoyant des équipes de tournage anglaises et italiennes qui choisissaient la Tunisie comme cadre de décor de leurs péplums. Pour parfaire sa formation, elle travaille en parallèle pour la télévision (réalisation d’une émission en free-lance), réalise des clips, de nombreux spots publicitaires ainsi que des commandes de films institutionnels notamment pour des ONG. Le parcours de Erige Sehiri constitue un exemple assez inédit de migration inverse dans la mesure où elle a grandi en France dans le quartier des Minguettes (banlieue lyonnaise) et a décidé de s’installer en Tunisie à l’avènement de la révolution de 2011. Venant d’une famille ouvrière, elle poursuit des études supérieures aux États-Unis puis au Canada où elle obtient un diplôme en administration des affaires. Le cinéma lui paraissant encore à ce momentlà un domaine inaccessible, elle fait ses débuts en tant qu’animatrice à la radio (radio Montréal, radio Canada) et se dirige tout naturellement vers le journalisme, métier qui se révèlera être une bonne école pour l’apprentissage des techniques de la réalisation (nécessité de filmer et de monter en un temps très court) et pour appréhender la manière dont elle allait saisir et filmer le réel. 318
LE PASSAGE À LA RÉALISATION Après avoir réalisé un film d’école, Khédija Lemkecher écrit son premier court métrage Bonne année (2010), une légende urbaine. La question des femmes est très prégnante dans l’œuvre de la réalisatrice autant dans ses films d’auteur que dans ses films institutionnels et de commande. Son deuxième court-métrage La nuit de la lune aveugle (2014) aborde déjà, dans une veine onirique, des questions féminines à travers l’histoire de trois jeunes femmes qui s’imaginent, lors d’une nuit de la pleine lune, au pays du Jerid rêver chacune à son prince charmant. Malgré leur jeune âge, elles craignent déjà la destinée de la boira, celle qui les condamnera à rester vieilles filles. Le film aborde ainsi la question du mariage dans la société tunisienne et la pression qui pèse sur les femmes non mariées. La réalisatrice entend ainsi soulever des tabous sociaux, questionnements qu’elle réitère dans son dernier court-métrage Bolbol (2017). La cinéaste met au centre du film l’actrice Fatma Ben Saïdane et son physique atypique pour évoquer la question du couple et de la sexualité chez les femmes de plus de 50 ans. Ce film, réalisé dans une veine comique, a reçu le prix du public dans plusieurs festivals internationaux et a récemment été distribué par HAKKA Distribution4 dans le programme Ksayer wou yhayer. Khédija Lemkecher initie également un documentaire pour l’Unicef et l’Unesco portant sur les femmes après la révolution et participe à un documentaire coréalisé par des femmes venant du monde entier, chacune donnant sa vision des femmes réfugiées dans son pays. Le film, produit par l’International Association of Women in Radio and Television, obtient un prix à l’Asia Doc. Erige Sehiri travaille dans le secteur de la finance au Luxembourg en ayant pour objectif de gagner de l’argent pour pouvoir financer son film. Pour son premier documentaire D’objet à sujet portant sur la question des femmes, elle retourne aux Minguettes, son quartier d’origine et trouve appui auprès de son ancienne association de quartier. Elle réalise ainsi une série de portraits de femmes du quartier issues de différentes générations et ayant un poids dans la société civile. Après avoir réalisé Sur le chemin de l’école, un documentaire où elle filme les échanges entre de jeunes Luxembourgeois et des jeunes Palestiniens qui doivent photographier leur chemin d’école, elle s’installe en Palestine et travaille en tant que journaliste indépendante pour des chaînes françaises. Elle réalise alors plusieurs documentaires institutionnels et plusieurs
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HAKKA Distribution est une jeune société de distribution tunisienne créée après la révolution en 2013 pour parer au manque de distribution des films art et essai.
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reportages où elle couvre le conflit israélo-palestinien. Ce passage par le reportage se révèle être une très bonne école pour l’apprentissage du métier. Elle apprend ainsi à filmer, cadrer et monter. Pour son premier documentaire de création, Le Facebook de mon père (2012), elle choisit de suivre seule le retour de son père à Kesra en Tunisie, son village natal, et saisit le changement qui survient en lui lorsqu’il se retrouve seul dans la maison de ses parents. Grâce à sa rencontre avec le cinéaste palestinien Read Antoni, le film est intégré dans un programme Arte regroupant de jeunes réalisateurs et portant sur la question de l’identité. La création de ce premier documentaire est concomitante avec la révolution tunisienne de 2011. C’est à ce moment-là qu’Erige Sehiri s’installe en Tunisie et entame un travail qui va durer cinq ans sur son projet de long métrage documentaire La voie normale (2019). En faisant le portrait croisé de cinq cheminots travaillant sur la ligne 1, surnommée ainsi car c’est la première ligne du pays et la seule construite selon les normes internationales, la cinéaste évoque le contexte de la Tunisie postrévolutionnaire et de la transition démocratique. En parallèle de sa carrière de chercheuse et universitaire, Sonia Chamkhi s’adonne à la réalisation de films documentaires et de fiction. Le court métrage de fiction W’ra Al Blayek/Borderline (2007) ainsi que le documentaire L’art du Mezoued (2010) ont été sélectionnés à de nombreux festivals internationaux : Journées cinématographiques de Carthage, Fespaco, Dubaï International Film, San Francisco, Vues d’Afrique, Namur, Montpellier, Marseille, Festival Méditerranéen de Bruxelles, Festival des films de Femmes de Créteil, Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen Orient et ont également été diffusés par les chaînes de télévision : TV5 Monde, FR3 Corse, BBC, 2MMaroc et Al Wataniya 2-Tunisie. Son implication dans la cause des femmes se révèle dans son documentaire Militantes (2012) pour lequel elle est récipiendaire du grand prix (Awards) de la 52ème édition du Festival international de femmes de Florence (PERSONA). Dans ce film où elle mêle des tranches de vie à des images d’archives, elle fait le portrait de femmes engagées dans la libération et l’édification de la Tunisie, dans leur combat pour la parité contre les injustices et les atteintes aux droits de l’Homme sous la présidence de Habib Bourguiba et celle de Zine El Abidine Ben Ali. UNE HISTOIRE DE FILIATION C’est sans doute la cinéaste Raja Amari qui incarne le mieux cette histoire de filiation. Son exemple est intéressant à observer dans la mesure où cette dernière se situe à la charnière de deux générations de réalisatrices : celle des pionnières et celle actuelle et foisonnante née après la révolution tunisienne. La cinéaste reconnaît ainsi l’importance et l’impact du travail de femmes réalisatrices comme Moufida Tlatli, Kalthoum Bornaz, Selma Baccar. Ces 320
dernières ont permis de baliser le chemin et ont réussi à s’imposer sans discours militant, mais en pratiquant leur art, participant ainsi à la mise en place de conditions de travail favorables pour la génération de réalisatrices qui a suivi. Selon Raja Amari, ceci se ressent au niveau du travail au sein des équipes de tournage en Tunisie où la cinéaste déclare n’avoir jamais éprouvé de difficultés à s’imposer et à installer un rapport de respect : « On sent que ces pionnières ont forcé quelque chose. Elles se sont imposées et nous ont imposées aussi5 ». Par ailleurs, l’œuvre de Raja Amari se caractérise par sa collaboration étroite, dès son premier court-métrage de fiction avec la productrice Dorra Bouchoucha. Devenue une personnalité incontournable dans le paysage cinématographique tunisien depuis une dizaine d’années, Dorra Bouchoucha fait son entrée dans le champ de la production en 1995 en fondant la société de production Nomadis Images. Elle produit et coproduit de nombreux documentaires, courts et longs-métrages de fiction tunisiens et étrangers dont : Sabrya (1997) d’Abderrahmane Sissako, La saison des hommes (2000) de Moufida Tlatli, Barakat ! (2006) de Djamila Sahraoui et l’emblématique Satin Rouge (2002) de Raja Amari. Ce premier film de Raja Amari incarne, sans doute, une rupture avec les œuvres cinématographiques produites jusqu’alors et notamment celles ayant marqué ce que l’on a nommé l’âge d’or du cinéma tunisien telles que Halfaouine (1990) de Férid Boughedir ou encore Les silences du palais (1994) de Moufida Tlatli. On quitte ainsi le décor de la médina pour investir, celui plus moderne de la partie européenne de la ville de Tunis. Satin Rouge relate ainsi la libération de Lilia, veuve élevant seule sa fille, par le biais de la danse orientale. Loin de constituer un détail ornemental ou un intermède divertissant, la danse est ici intégrée au nœud de l’intrigue et participe de l’évolution de l’action. La réalisatrice entend ainsi soulever des tabous sociaux et mener ce personnage féminin jusqu’au bout de sa libération. A travers la danse, le personnage de Lilia reprend possession de son corps et de sa sexualité en prenant pour amant le petit ami de sa fille. Il a ainsi fallu toute l’audace et la témérité de la productrice Dorra Bouchoucha mais également de Hiam Abbas, qui joue ici le rôle principal, pour que la réalisatrice puisse mener à bien son projet. Cette longue collaboration – Dorra Bouchoucha a ensuite produit les autres films de Raja Amari : Les Secrets (2009) et Corps Étranger (2018) – scelle ainsi une complicité née d’une même audace et d’un désir commun d’aborder de nouvelles problématiques dans le cinéma tunisien. Ce duo féminin devient, sans doute ainsi, l’emblème d’un cinéma tunisien transgressif qui ose pousser
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Entretien avec Raja Amari le 22 octobre 2019.
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les limites et interroger les tabous sociaux6. En est témoin la violence de certaines réactions qu’a suscitées la sortie du film en Tunisie et que la réalisatrice explique par le fait que le personnage de Lilia est une mère : La mère est censée incarner des codes de bonne conduite sur lesquels se base la société, tels que : la famille, la vertu et les valeurs à transmettre. Lui faire perdre le contrôle de la « bonne moralité », c’est en quelque sorte déstabiliser cet ordre-là. Lilia va d’ailleurs tout mettre au service de ses désirs, et va jusqu’au bout de la perversité dans la scène finale du film7. DE LA REPRÉSENTATION DES PERSONNAGES FÉMININS Dès ce premier long métrage de fiction, la cinéaste Raja Amari propose une nouvelle façon de représenter les femmes dans le cinéma tunisien et maghrébin. Il est à signaler que ce film a bénéficié d’une réception critique dithyrambique en France et d’un très bon nombre d’entrées. Il témoigne tout de même, quelque part, de la difficulté de faire accepter une telle représentation. Cela serait lié à une prédominance, en Occident, d’images constitutives d’un certain imaginaire fantasmé autour des femmes tunisiennes et maghrébines, imaginaire qui est sans doute à l’origine de l’enfermement des cinéastes eux-mêmes les sommant de répondre (de manière consciente ou non) à une certaine image clichée et attendue. Dorra Bouchoucha évoque ainsi, à propos du personnage de Lilia dans Satin Rouge, la réaction d’une femme présente dans le jury du CNC : Je me souviendrai toujours, à mes débuts, du film Satin rouge de Raja Amari qu'on avait produit […]. Quand notre dossier est passé devant la commission du Fonds Sud du CNC, une membre du jury a dit « Cette femme ne peut pas être tunisienne » parce que soi-disant elle connaissait la Tunisie en y allant quelques jours par an et parce que l'héroïne était arabe et musulmane, elle ne pouvait pas avoir de désirs. On nous demande, dans le monde arabe, qu'une femme dans un film soit le porte-
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« Pour moi c’est essentiel. Le corps c’est notre être au monde. C’est le rapport à nous-mêmes, à l’autre ; et cette libération du corps c’est une manière de s’affranchir, de dire que notre corps nous appartient et que c’est par là que commence notre liberté. On ne peut pas s’accomplir dans les autres aspects de la vie, si nos corps ne sont pas affranchis. Pour moi, c’est essentiel et une société qui étouffe le corps provoque forcément des frustrations énormes qui conduisent à des situations qui sont fédératrices de tragédies et c’est en ça que c’est intéressant pour la dramaturgie ». Raja Amari, entretien réalisé par Emna Mrabet, « Le corps comme territoire, comme lieu de désir », in Culturopoing 18 février 2018, https://www.culturopoing.com/cinema/entretiens-cinema/raja-amari-le-corps-comme-territoire-comme-lieu-de-desir/20180218 7 Raja Amari, entretien réalisé par Anne Le Tiec (non daté), http://www.maghrebdesfilms.fr/satin-rouge.html
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drapeau de toutes les femmes ! Non, elle ne représente qu'elle-même. Ya pas une femme dans le monde arabe, cette réaction est tellement réductrice8. Dès ses premiers courts-métrages de fiction Avril (1998) et Un soir de juillet (2001) la question des femmes habite l’œuvre de la cinéaste Raja Amari. La réalisatrice justifie ce désir de représenter des personnages féminins par la nécessité de parer à un manque d’un certain mode de représentation. Un point de vue féminin serait l’occasion de représenter les femmes dans toute leur complexité et de sortir ainsi d’une vision attendue de la femme tunisienne et maghrébine comme victime de la société patriarcale. Raja Amari s’emploie à créer des personnages d’anti-héroïnes, qui ne sont pas là où on les attend et cela passe par la nécessité de les extirper d’un certain enfermement et par la construction de protagonistes qui renversent la tendance en osant interroger des problématiques fondamentales comme le corps, la sexualité, le corps des autres. Ces personnages féminins, qui sont à la fois dans le dépassement et dans le fantasme, osent ainsi questionner et brouiller les limites imposées par la société (et ceci explique sans doute la polémique qui entoure la sortie de ces films en Tunisie). Par ailleurs, la création de tels personnages répond à un désir de la cinéaste de s’éloigner d’une certaine prédominance du réalisme dans le cinéma tunisien et arabe en général. À la lumière des témoignages de la réalisatrice et de sa productrice, il est intéressant d’observer que la difficulté d’acceptation de tels personnages, qui sont dans un dépassement des limites et qui vont à l’encontre des idées reçues, prévaut autant en Tunisie qu’en France où l’image attendue d’une femme tunisienne ou maghrébine se logerait forcément du côté de la victime soumise à l’oppression d’un certain patriarcat. Dans son long métrage de fiction Aziz Rouhou/ Narcisse (2015), la cinéaste Sonia Chamkhi évoque la question taboue de la bisexualité (le personnage est en quête d’une « identité » sexuelle, tiraillé par un désir ambigu). La construction d’un tel personnage répondait ainsi au besoin d’évoquer une question constituant un « impensé » en Tunisie et par là-même de soulever un débat, ouvert, d’ailleurs, à une problématique plus large qui est le droit à la différence et aux libertés individuelles9. Selon la réalisatrice, le fait que le personnage principal soit incarné par une femme, relève, non pas d’un volontarisme idéologique, mais d’une croyance en un changement et une avancée possible par l’émergence d’un regard porté sur le monde des femmes qui permettrait d’ap-
8 Dorra Bouchoucha, entretien réalisé par Ariane Lavrilleux, Le Point Afrique, 29 septembre 2018 https://www.lepoint.fr/culture/dora-bouchoucha-on-demande-aux -femmes-detre-le-porte-drapeau-de-toutes-les-femmes-29-09-2018-2258828_3.php 9 À ce jour, Les associations des droits humains et LGBT continuent à se battre pour l’abrogation de l’article 230 qui criminalise l’homosexualité.
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porter une autre réponse à nos crises de mal être partagées en Tunisie et ailleurs. Pour sa part, Erige Sehiri observe un changement au niveau du traitement depuis la révolution. Les femmes réalisatrices commenceraient ainsi à se libérer de l’attente d’un certain cinéma de la part des femmes venant du monde arabe et c’est maintenant, selon elle, que l’on commencera à observer ce changement. DU FAIT DIVERS À LA FICTION La cinéaste Kaouther Ben Hania constitue sans doute un exemple de cette mutation à l’œuvre. Dans son premier long métrage, Le Challat de Tunis (2015), la réalisatrice revient sur l’histoire d’un homme en scooter qui, armé d’un couteau, balafrait les fesses des jeunes Tunisiennes qu’il croisait dans la rue, dès lors qu’il les trouvait un peu trop courtement vêtues. Dix ans plus tard, accompagnée d’une petite équipe de tournage, Kaouther Ben Hania revient sur cette histoire survenue en 2003 pour tenter de rencontrer ce personnage afin d’en percer le mystère… Elle décide de faire passer un casting pour trouver celui qui pourra interpréter le Challat dans son film… La cinéaste se saisit ainsi d’un fait divers afin d’opérer une sorte de kaléidoscope de la société tunisienne et d’en révéler le machisme manifeste. Toute l’habileté de la construction narrative est de jouer avec les codes pour opérer un décloisonnement des genres. Il devient dès lors délicat de démêler le vrai du faux, la réalité de la fiction, les acteurs de ceux qui jouent leur propre rôle. Mais ce flou et ce mélange des genres se révèle délibéré car Kaouther Ben Hania entend brouiller les pistes afin de nous inviter à réfléchir sur cette Tunisie postrévolutionnaire – le projet du film a été entamé sous la présidence de Ben Ali et repris après son départ –. Par l’emploi de l’ironie, la cinéaste vise à interpeller « tous les gens qui ont un challat qui sommeille en eux10 » et ainsi faire résonner, « la colère, bien réelle, de femmes tunisiennes11 ». Le mélange entre réalité et fiction devient également un moyen d’interroger « la nature du genre documentaire dans nos sociétés exposées plus que jamais à une avalanche d’images ‘certifiées conformes à la réalité’, quel que soit leur régime politique12 ». Comme chez Raja Amari le corps de la femme est ici l’enjeu principal du film. Tour à tour objet de haine, 10
SOYEUX Marie, « Le Challat de Tunis, La vraie-fausse recherche du balafreur de Tunis », La Croix, 31 mars 2015, https://www.la-croix.com/Culture/Cinema/Le-Challat-de-Tunis-lavraie-fausse-recherche-du-balafreur-de-Tunis-2015-03-31-1297425 https://www.la-croix.com/Culture/Cinema/Le-Challat-de-Tunis-la-vraie-fausse-recherche-dubalafreur-de-Tunis-2015-03-31-1297425 11 Ibid. 12 Ibid.
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de désir, de violence, il devient l’élément catalyseur de l’action et le point de syncrétisme de toutes les frustrations : amoureuses, sexuelles et sociales. Mais là où Amari joue sur l’aboutissement d’un parcours libérateur des personnages, Ben Hania introduit l’autodérision et l’ironie. Toutes deux nous livrent ainsi un état des lieux de cette jeune démocratie, mettant en lumière tous les poids moraux et toutes les chaînes qui pèsent sur les femmes dans une société encore éminemment régie par des lois archaïques et patriarcales. Dans son second long métrage, La Belle et la meute (2017) – sélectionné au festival de Cannes dans la section Un certain regard – Kaouther Ben Hania se saisit à nouveau d’un fait divers qui avait défrayé la chronique juste après la chute du régime de Ben Ali en 2011. Le film est adapté du livre Coupable d’avoir été violée (2013) par Meriem Ben Mohamed. Dans ce livre, l’auteure qui a été violée par des policiers, revient sur le parcours du combattant qu’elle a mené pour défier les institutions de son pays et avoir gain de cause. La grande force du film repose sur le choix de la cinéaste de relater les faits en une nuit de drame qui va littéralement tourner au cauchemar. Malgré l’atteinte et la violence corporelle subies, elle traverse les espaces, vêtue d’un safsari blanc (le voile traditionnel tunisien) censé protéger la honte qui pèse sur son corps. De l’hôpital au poste de police, ces espaces se font de plus en plus menaçants nous révélant le cercle vicieux cauchemardesque qui peu à peu semble l’enfermer, sans que l’on en perçoive l’issue possible. Même les seuls personnages représentant une lueur d’espoir au milieu de la « meute » : son ami Youssef, la policière enceinte, se retrouvent en butte à un système policier aux rouages implacables. Et c’est sans doute cela que révèle indéniablement le film : plus que le dictateur Ben Ali, c’est tout le système de violence, d’impunité et de corruption qu’il a instauré et qui a gangréné l’institution policière. Après avoir fustigé la société tunisienne et son machisme prégnant, dans son premier film Le Challat de Tunis, Kaouther Ben Hania poursuit son investigation de la condition féminine et du corps des femmes qui se trouve ici violenté, agressé, traqué, fragilisé mais néanmoins vainqueur puisque le film se termine sur une note lumineuse et optimiste. L’œuvre devient ainsi le reflet de la promesse d’espoir qui a perlé dans le regard des jeunes Tunisiens aux lendemains de la révolution, la promesse d’un État et d’une société juste, égalitaire, garante de la liberté et de la sécurité des citoyens. La question que l’on pourrait se poser aujourd’hui et notamment en termes d’égalité hommes/ femmes13 est : que sont ces rêves devenus ?
13 À ce jour, la réforme du code successoral initiée par le président défunt Béji Caïd Essebsi et proposant l’instauration de l’égalité dans l’héritage entre femmes et hommes n’a pas été concrétisée.
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LE TOURNANT DE LA RÉVOLUTION Toutes les réalisatrices interrogées s’accordent sur l’importance des changements survenus depuis la révolution qui ont impacté le champ cinématographique, notamment dans le domaine de la censure. Ainsi pour Khadija Lemkecher, il est désormais plus facile d’obtenir une autorisation de tournage, ajouté à cela l’arrivée du numérique, qui « nous a donné des ailes ». Elle a ainsi pu produire le premier film réalisé après la révolution, Bab El Fella (2014) de Moncef Kraïem qui a été censuré durant des années par le régime de Ben Ali (difficulté à travailler au sein de la société de production, contrôle du courrier et blocage pour l’envoi des films à l’étranger). La réalisatrice évoque une libération tardive, à 40 ans. Après la révolution, il lui est désormais possible de tourner plus librement, sans entraves, sans blocage au niveau de l’autorisation de tournage et au niveau de la censure. Cette liberté se traduit par l’augmentation du nombre de films réalisés par la cinéaste : un film tous les deux ans depuis la révolution. Cette libération se ressent à fortiori au niveau de l’émergence et de l’augmentation du nombre de femmes réalisatrices mais aussi du nombre de techniciennes : cadreuses, ingénieures son et directrices photo. La réalisatrice Raja Amari fait le même constat quant à l’augmentation du nombre de femmes réalisatrices et à la concomitance de la révolution avec une liberté plus grande permise par l’arrivée des équipements numériques plus légers qui auraient désacralisé le rapport au cinéma. Aujourd’hui les réalisateurs et réalisatrices peuvent davantage forcer les choses et être plus autonomes au niveau de la technique devenue plus accessible. Elle rajoute cependant une nuance concernant la présence de la censure à l’époque de Ben Ali. Selon elle, les artistes pouvaient s’exprimer mais se devaient de contourner la censure. On note ainsi l’éclosion du documentaire, genre qu’il était difficile de faire exister sous la dictature. La prégnance de la surveillance policière compliquait ainsi toute entreprise de filmer le réel. Il est à noter que la cinéaste, au moment même où nous rédigeons cet article, est en montage de son dernier film documentaire, filmé durant les dernières élections législatives et présidentielles en septembre et octobre 2019, où elle suit le parcours d’une jeune femme noire engagée dans un parti politique. La cinéaste s’est particulièrement intéressée à la manière dont ce personnage de femme s’impose en investissant l’espace, tentant ainsi de révéler ses multiples facettes et ses fragilités. On suit le petit chemin que le personnage emprunte et, à travers lui, ce que vit la société tunisienne dans ce moment de doute et d’interrogation, ce moment en suspens. Raja Amari a délibérément choisi de filmer cette jeune génération qui était encore adolescente au moment de la révolution. Il s’agit d’une jeunesse façonnée par cette révolution, s’inquiétant pour l’avenir de façon différente car le bouleversement est arrivé trop tôt. 326
Se référant à la sortie de son dernier film Corps Étranger en Tunisie, Raja Amari note une libération de la parole survenue depuis la révolution de janvier 2011. Aussi, les rencontres et débats existaient avant la révolution mais se limitaient à un cercle très restreint et très confiné. On constate aujourd’hui une ouverture autorisant un plus large accès des publics à l’intérieur du pays, notamment grâce à l’initiative du CNCI ayant permis l’équipement des maisons de culture en DCP. L’ENVERS DU DÉCOR Khadija Lemkecher et Erige Sehiri, qui tentent de vivre de leur métier de réalisatrice et de productrice, s’accordent sur la présence d’une certaine discrimination non pas tant dans leur pratique du cinéma, en tant qu’autrice, mais davantage sur le marché du travail. Cette discrimination, qui n’est pas à proprement parler liée à la révolution, renvoie davantage à une discrimination sociale touchant les femmes. La différence se ressent dans le domaine des films institutionnels où on note en général une préférence pour les réalisateurs hommes. Considérant ce genre de prestation comme nécessitant de grandes compétences techniques, les clients auraient ainsi tendance à choisir des hommes, jugeant par ailleurs qu’il serait plus compliqué pour les femmes de se déplacer dans des régions reculées. Khadija Lemkecher note ainsi que même les sociétés de communication et les ONG défendant le droit des femmes, préfèrent passer un contrat avec des réalisateurs hommes. La réalisatrice a ainsi dû recourir à la soustraitance pour pouvoir effectuer certains spots, masquant le fait qu’elle était à l’origine de la réalisation du film. Le témoignage de Erige Sehiri corrobore celui de Khadija Lemkecher. La réalisatrice s’entend ainsi souvent poser la question autour de la difficulté de tourner son documentaire dans un milieu d’hommes (celui des cheminots). Mais contrairement aux idées reçues, la cinéaste déclare que le fait d’être une femme a constitué un avantage justement grâce au fait qu’une réalisatrice femme est souvent sous-estimée et n’est pas observée comme un danger. Aussi, personne n’a soupçonné l’aspect politique et critique de son film. Il est à noter que pour pouvoir finaliser la réalisation de son film La voie normale, la cinéaste a dû recourir à un co-producteur tunisien et s’est spontanément dirigée vers la productrice Dorra Bouchoucha. Selon Khadija Lemkecher, les femmes réalisatrices en Tunisie sont davantage marginalisées que les hommes. Elles n’ont pas de statut car la carte professionnelle n’est pas reconnue (la loi n’ayant pas été votée) ni par la police ni par le service des visas (obligation d’avoir une attestation du ministère). Même si les hommes se trouvent dans la même situation, les femmes réalisatrices subissent davantage de marginalisation sociale – difficulté d’obtenir un prêt, sécurité sociale équivalente à celle d’un travailleur journalier – sans 327
doute liée à la non-reconnaissance de ce métier comme pouvant être pratiqué par des femmes, ainsi qu’au poids qui pèse encore sur ces dernières (nécessité au sein de la société de se conformer au rôle et au statut d’épouse et de mère). Par ailleurs, les femmes réalisatrices auraient davantage de difficultés à boucler leur budget. Khadija Lemkecher a eu, pour sa part, recours aux dons des particuliers au niveau des costumes, des décors : elle a reçu par exemple une aide en nature de la part de l’archevêché de Tunis pour la réalisation de Bolbol. Sonia Chamkhi souligne, pour sa part, la disproportion entre la valeur symbolique d’un tel statut (exemplarité de l’émancipation des femmes tunisiennes) et la réalité effective des femmes réalisatrices. Elle évoque ainsi la prégnance d’une certaine misogynie, voire une discrimination à leur égard tout en précisant que cette discrimination n’est pas spécifique mais qu’elle sévit dans tous les domaines14. Elle serait tributaire de la formation des jurys d’aides nationaux et de coproduction, des comités de sélection pour les festivals, les oscars, les prix aux festivals (…) et relèverait davantage du lobbying, des copinages que du critère du genre. Néanmoins la cinéaste revient sur la réalité des femmes sur lesquelles pèsent la plupart des charges et responsabilités familiales. Qui de plus est, se trouvant dévalorisées économiquement par les salaires inégaux et symboliquement par le conservatisme social – qui peut parfois avoir des manifestations réellement dégradantes – les femmes sont les moins pourvues de possibilités d’accès au lobbying et aux cercles d’influence (politique, médiatique …). La cinéaste revient également sur la précarité de ce métier (partagée par la majorité des cinéastes hommes) qu’elle impute à l’absence d’un marché du cinéma en Tunisie : « Parler de marché en ce qui concerne le cinéma tunisien est inopportun (quel marché avec un parc de salles vétustes et en état permanent de dégradation et dont le nombre ne dépasse pas la quinzaine15 ?) »
CONCLUSION Ce travail basé sur une synthèse croisée des divers parcours artistiques de cinéastes tunisiennes, de différentes générations, révélées avant et après la révolution, nous a permis de mettre en lumière le dynamisme à l’œuvre dans le paysage cinématographique et la manière dont celui-ci se conjugue au féminin. Cette étude révèle ainsi le lien étroit qui continue à lier la Tunisie à la France. Ce lien passe tout d’abord par la prégnance de la coproduction française : un accord a été signé avec le Centre du cinéma et de l’image animée 14 Selon Sonia Chamkhi, il suffirait, pour le démontrer objectivement, de comparer le pourcentage des lauréates des universités tunisiennes et celui des femmes pourvues de hautes responsabilités ou grades. 15 Entretien avec Sonia Chamkhi réalisé le 10 novembre 2019.
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français. Cet accord instaure, pour une durée de trois ans (2017-2019), le fonds bilatéral d'aide à la coproduction d'œuvres cinématographiques franco-tunisiennes16. Cette omniprésence de la France est cependant à nuancer. Aussi, tel que précisé dans l’étude effectuée par le projet de recherche MENA portant sur la circulation des films en Afrique du nord et au Moyen Orient, « L’hégémonie d’un rapport postcolonial entre la France et le Maghreb laisse la place à de nouveaux partenariats qui se nouent au sud et/ou avec l’Europe17. » La révolution joue, par ailleurs, un rôle majeur dans le parcours des cinéastes. Cet événement témoigne tout d’abord de l’éclosion du nombre de femmes cinéastes et techniciennes, cette éclosion étant aussi en lien avec le développement des outils numériques, qui désacralise le rapport à la machinerie et à l’industrie cinématographique. La révolution de 2011 constitue, d’autre part, un moment de libération des chaînes de la dictature et de la censure. Cette libération est visible tant à un niveau individuel (la possibilité pour la cinéaste Khadija Lemkecher de commencer à réaliser) qu’au niveau des médias, secteur clé pour la diffusion des films. Naguère inexistante à l’époque de Ben Ali, la promotion passe ainsi par les médias traditionnels (chaînes de radio et de télévision) et s’appuie principalement sur internet et les réseaux sociaux : Facebook constitue par exemple un outil majeur pour la réussite des sorties. L’ère postrévolutionnaire permet, par ailleurs, une diversification tant des sujets traités que des genres filmiques abordés. La production et la diffusion de films comme À peine j’ouvre les yeux (2015) de Leyla Bouzid et La Belle et la meute (2017) de Kaouther Ben Hania auraient été totalement inenvisageables avant la révolution. Ainsi, À peine j’ouvre les yeux, dont l’action se situe juste avant les événements de 2011, évoque ouvertement la contestation du régime de Ben Ali. La Belle et la meute critique, pour sa part, l’abus de pouvoir et l’impunité du système policier créé par la dictature. La diversification des styles donne ainsi un plus large choix au public, qui peut désormais voir des films grand public (El Jaïda de Selma Baccar) ou des films tirant davantage vers l’expérimentation formelle (Le challat de Tunis de Kaouther Ben Hania). Il devient ainsi désormais possible pour une cinéaste comme Raja Amari d’envisager le genre documentaire et d’accompagner de manière plus pacifiée ses films transgressifs se jouant des tabous sociaux. La diffusion de son dernier film Corps Étranger va profiter de l’accompagnement de la réalisatrice en Tunisie et bénéficie de plusieurs projections à travers tout le pays. Malgré les questions taboues qu’il soulève, le film connaît 16
La contribution du CNC est octroyée aux coproducteurs français et s’élève à 400 000 € et celle du CNCI aux coproducteurs tunisiens et s’élève à 160 000 €. 17 BENCHENNA Abdelfettah et al., « Introduction », Africultures, n° 101-102, 2016, p. 4-19.
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un bon accueil auprès du public, ce qui pourrait être vu comme l’indicateur d’une certaine évolution des mentalités et d’une libération de la parole survenue grâce à la révolution. En comparaison avec les autres films de Raja Amari conçus avant la révolution – Satin Rouge (2002) et Les Secrets (2009) – on observe un changement au niveau de la réception du public. Cette libération de la parole se révèle à travers l’instauration d’un débat qui a circulé autour du film et entre les spectateurs, suscitant des discussions sur la question du radicalisme, de la libération du personnage féminin, de sa place dans la société et les raisons de son départ. Cela a par ailleurs été l’occasion d’aborder des questions liées au corps et au désir, questions primordiales dans cette société où la libération de l’individu en général et de la femme en particulier, constitue sans doute le prochain cheval de bataille.
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Réalisatrices qataries, vitrine d’un cinéma en devenir ? Stéphanie Pourquier-Jacquin CNAM – INSEAC / (DICEN-Idf)
ABSTRACT En décembre 2018, le Festival du Film de Ajyal, à Doha, au Qatar, a créé l’événement en mettant en avant le travail de femmes réalisatrices. Alors que la présence des femmes dans l’industrie du septième art et la sous-représentation des femmes dans les nominations et les palmarès des évènements internationaux sont régulièrement pointées du doigt, le Qatar fait office d’exception en communiquant sur le fait que 60 % des cinéastes qui évoluent dans un secteur en pleine émergence sont des femmes. À travers le Doha Film Institute (DFI), la mise en avant de cette caractéristique dans les médias permet de souligner la singularité d’un cinéma en quête de reconnaissance mondiale. Au regard de la volonté politique locale de développement économique et social qui est aujourd’hui affichée par le régime de l’émirat, la focale amenée par les acteurs politiques et culturels du Qatar sur les femmes cinéastes, ainsi que la manière dont les femmes s’investissent dans ce paysage culturel, permettent d’envisager ces différents facteurs comme des éléments de communication politique. Nous pouvons alors y voir un axe de réflexion propice pour aborder et comprendre les dynamiques de la filière cinématographique et de ses acteurs dans un État qui tend à dépasser son image pour s’ouvrir sur le monde. Cette contribution propose d’étudier la singularité de l’industrie cinématographique du Qatar en nous intéressant à la volonté de développement social et économique de l’émirat, puis aux rôles du DFI et de ses évènements avant de nous intéresser aux femmes qui participent à la diffusion de la culture cinématographique qatarie.
INTRODUCTION Nous sommes désormais arrivés à un moment clé pour les pays du Golfe : le développement culturel peut évoluer favorablement ou ne rester qu’un mirage. Antoine PECQUEUR, Céline PORTES1
Observer et lire le Qatar est loin d’être aisé. Rares sont les États qui suscitent autant d’interrogation et délivrent aussi peu de réponses. Hasni ABIDI2 Décembre 2018, le Festival du Film de Ajyal, à Doha, au Qatar, a créé l’événement en mettant en avant le travail de femmes réalisatrices telles que Aisha al-Shammakh, Nouf al-Sulaiti et Amal al-Muftah. Alors que la présence des femmes dans l’industrie du septième art et la sous-représentation des femmes dans les nominations et les palmarès des évènements internationaux sont régulièrement pointées du doigt, le Qatar fait office d’exception en communiquant sur le fait que 60 % des cinéastes qui évoluent dans un secteur en pleine émergence sont des femmes. Fatma al-Remaihi, qui dirige le Festival de Ajyal mais aussi le Doha Film Institute3 met en avant cette caractéristique dans les médias pour souligner la singularité d’un cinéma en quête de reconnaissance mondiale : nous pouvons donc nous interroger sur l’effet d’opportunité que permet le septième art pour les femmes cinéastes de cette région du monde. Le cinéma serait-il un moyen d’affranchissement pour les femmes qataries, offrant ainsi à l’Occident un autre regard sur le Moyen Orient ? En permettant aux femmes de voter, et en possédant le taux de professionnalisation des femmes le plus important au Moyen Orient4, le Qatar tend à offrir un visage progressiste et affiche la volonté de se démarquer des autres pays du Golfe5. Sur fond de tensions diplomatiques et d’accusations de financement du terrorisme, le Qatar chercherait ainsi à s’émanciper et à asseoir hypothétiquement sa place d’État le plus tolérant des pays du Golfe en mettant en avant le travail des femmes réalisatrices.
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PECQUEUR Antoine et PORTES Céline, « De Dubaï au Qatar, la culture asservie. Comment les régimes autoritaires du Golfe tentent de se racheter une virginité », Revue du Crieur, vol. 7, nᵒ 2, 2017, p. 143. 2 ABIDI Hasni, « Qatar : une voie singulière », Géoéconomie, vol. 62, nᵒ 3, 2012, p. 19. 3 Il est désigné par DFI dans cette contribution. 4 Selon les données recensées par la Banque mondiale en 2019, https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SL.TLF.CACT.FE.NE.ZS?locations=QA 5 MOKHEFI Mansouria, « Qatar : forces et faiblesses d'un activisme », Politique étrangère, nᵒ 4, 2012, p. 857.
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Alors que l’industrie cinématographique mondiale se débat, depuis 2017, avec les attaques ad hominem dénonçant une domination masculine parfois abusive et violente et le peu de reconnaissance des femmes cinéastes au sein de la profession, le Qatar prendrait-il le contrepied de l’Occident en offrant aux femmes non seulement un espace d’émancipation professionnelle, mais aussi la promesse de liberté d’expression et d’une reconnaissance de premier plan ? Le cinéma permettrait-il, alors, d’offrir un prétexte à l’éducation et la formation des femmes dans le secteur culturel ? Enfin, la présence, et l’importance, des femmes dans une industrie culturelle bouleverse-t-elle les représentations du pays d’où elles sont originaires ? Autant de questions que nous nous proposons d’aborder dans le cadre de ce projet scientifique sur les filières cinématographiques en Afrique et au Moyen Orient. Cette contribution envisage d’étudier la singularité de l’industrie cinématographique du Qatar en nous intéressant au développement du cinéma qatari et aux outils mis en place, au regard de la volonté politique locale de développement économique et social qui est aujourd’hui affichée par le régime actuel. La focale amenée par les acteurs politiques et culturels du Qatar sur les femmes cinéastes, ainsi que la manière dont les femmes investissent ce paysage culturel en devenir, permet d’envisager ces facteurs non seulement comme des éléments de communication politique aux yeux de l’Occident mais offre un axe de réflexion pour aborder, et tenter de comprendre, les dynamiques de la filière cinématographique et de ses acteurs dans un état encore assez mystérieux aux enjeux culturels que nous pouvons qualifier de récents. En effet, nous pouvons estimer que le Qatar a commencé à s’intéresser concrètement au cinéma à partir de 2009, avec la création du Doha Tribeca Film Festival, ce qui rend particulièrement récent le développement de la filière cinématographique, mais qui ouvre ainsi un champ d’investigation particulièrement singulier et contemporain, permettant ainsi d’envisager des perspectives de recherche plurielles.
UNE VOLONTÉ AFFICHÉE D’OUVERTURE SUR LE MONDE Le Qatar, émirat limitrophe de l’Arabie saoudite, est particulièrement connu pour être un grand producteur et le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié. Dirigé depuis 1995 par la famille des émirs Ben Hamad Al Thani, le Qatar tend, par sa politique extérieure et ses réformes sociales, à se moderniser et à s’affranchir des représentations du Moyen Orient. Le Qatar est aussi connu pour être l’État fondateur de l’empire médiatique Al-Jazzera,
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chaîne de télévision qui est considérée comme jouant un rôle clé dans les processus de démocratisation arabes6. Aujourd’hui, la charia – la loi islamique – y est toujours appliquée et le Qatar est souvent pointé du doigt par Amnesty International7 : qu’il s’agisse des conditions de vie des travailleurs étrangers sur les chantiers, des droits des femmes ou des atteintes portées à la liberté d’expression. Nous pouvons citer, à titre d’exemple, l’emprisonnement en 2012 du poète Mohammed Al Ajami qui avait ému la communauté internationale8. En 2020, le Qatar fait polémique en imposant des contrôles gynécologiques aux passagères de vols de l’aéroport de Doha après la découverte d’un nouveau-né, mettant une fois de plus à mal l’image progressiste et moderne que l’émirat tente de se construire au travers ses nombreux investissements et provoque l’ire des pays des ressortissantes outragées. De fait, le Qatar peut apparaître aujourd’hui comme un état tiraillé entre un régime autoritaire et un désir de modernisation global, pensé comme un projet de société sur les prochaines années. Depuis octobre 2008, le gouvernement qatari s’appuie sur le Qatar National Vision 20309, qui s’apparente à un programme d’action afin de développer le pays et affiche son objectif en ces termes « transformer le Qatar en une société avancée capable de réaliser un développement durable dans le but d’offrir un niveau de vie élevé à tous les citoyens d’ici 203010 ». Ce plan de développement à la fois politique, économique et social repose sur trois piliers majeurs : humain, social, économique et environnemental. Dans son ouvrage intitulé Le miroir des cheikhs paru en 2017, Alexandre Kazerouni rappelle que « le Conseil de coopération du Golfe eut, dès sa fondation en 1981 une ambition culturelle. L’article 4 de sa charte énumère, au nombre de ses objectifs fondamentaux, la recherche de « l’unité » entre États membres et « l’approfondissement et le renforcement » des liens entre « les
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TALON Claire-Gabrielle, « Al Jazeera, objet médiatique original. Une critique des normes journalistiques occidentales », Les Temps Modernes, vol. 664, nᵒ 3, 2011, p. 55-62. 7 Voir « Les droits humains au Qatar en 2020 », Amnesty International, https://www.amnesty.fr/pays/qatar 8 Mohammed Al Ajami, alias Ibn Al-Dhib, avait été condamné à perpétuité pour avoir critiqué le régime qatari en apportant son soutien à la Tunisie lors du Printemps arabe. Soutien controversé des révolutions arabes, le régime a néanmoins condamné le poète pour « atteintes aux symboles de l’État et incitation à renverser le pouvoir ». Sa peine a été commuée à 15 ans d’emprisonnement en février 2013. https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/qatar-un-poete-critique-du-regime-condamne-a-15-ans-de-prison_3318845.html). 9 Portail du gouvernement, https://portal.www.gov.qa 10 Nous avons traduit « transform Qatar into an advanced society capable of achieving sustainable development with the goal of providing a high standard of living for all citizens by 2030 ».
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peuples » dans un certain nombre de domaines dont « l’éducation et la culture11 ». L’auteur insiste ainsi ici sur la dimension progressiste accordée à l’éducation et la culture comme enjeux incontournables pour penser et mettre en place une politique ambitieuse de développement à court, moyen et long terme. DU SPORT À LA CULTURE : UN ENJEU DE VISIBILITÉ L’ouverture du Qatar sur le monde et son inscription dans les dynamiques de mondialisation se sont d’abord formalisées par le sport, comme le souligne Franck Tétart : « Le Qatar a également compris qu’il a tout intérêt à mettre à profit ses revenus gaziers pour financer un secteur avide de dollars, tant la mondialisation et la médiation du sport en ont fait un véritable business à l’audience planétaire ; il en a donc fait une véritable politique12. » Le Qatar s’affiche d’abord, médiatiquement, comme un investisseur, à travers son groupe Qatar Sports Investments fondé en 2005, lors de l’achat de clubs de sports de renommée (parmi lesquels le Paris-Saint-Germain), de postes au sein de fédérations (en tennis notamment) et d’organisation de compétitions sportives sur le territoire qatari. Même si les championnats du monde d’athlétisme qui ont eu lieu du 27 septembre au 6 octobre 2019, ont fait l’objet de polémiques organisationnelles, environnementales et financières, le Qatar s’apprête à accueillir la prochaine Coupe du monde de football qui devrait avoir lieu en 2022. Cette opportunité pour le Qatar fait encore aujourd’hui l’objet de critiques virulentes tant la pertinence d’organiser un évènement sportif sous un climat aride prête à controverses. Néanmoins, ces évènements et investissements sont symptomatiques de la volonté du Qatar de montrer au monde la diversité de leurs activités et le dynamisme de leur état, et ce, audelà du secteur de l’énergie. C’est d’ailleurs ce que souligne Nasser Al-Khelaïfi, président du groupe beIN Media group, président directeur général du Paris-Saint-Germain et membre du comité d’organisation de la coupe du monde de la Fédération internationale de football (FIFA) de 2022 dans un entretien accordé à Pascal Boniface : Par ailleurs, les investissements qataris dans le secteur du sport font écho à l’un des objectifs du gouvernement, qui consiste à diversifier les sources de revenus et de croissance. Cette diversification est déjà bien en place,
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KAZEROUNI Alexandre, « Chapitre 2. La guerre du Golfe et le nouvel ordre culturel régional », dans Le miroir des cheikhs. Musée et politique dans les principautés du golfe Persique, Paris, Presses universitaires de France, 2017, p. 89. 12 TÉTART Frank, « Chapitre 6. Un espace dans la mondialisation : de la rente à la diversification », dans Tétart Frank, op. cit., p. 157.
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puisque plus de 50 % du produit intérieur brut (PIB) du Qatar est généré par des secteurs autres que les hydrocarbures, ce qui nous situe largement devant la majorité des pays producteurs. Au côté de secteurs-clés comme l’éducation et la culture, le sport doit jouer un rôle de plus en plus important dans cette politique de diversification13. Investir pour élargir le champ des possibles : tel semble être le leitmotiv du Qatar dans ses perspectives de développement économique et social. Dans son article intitulé « Qatar, une voie singulière14 », Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) en Suisse, décompose les cinq grands défis à relever pour l’émirat : 1/ conduire la modernisation du pays en préservant les traditions, 2/ répondre aux besoins de la génération actuelle et des générations futures, 3/ gérer la croissance et l’expansion non régulée, 4/ contrôler la taille et la qualité de la main d’œuvre étrangère, 5/ veiller à la croissance de l’économie, au développement social et à la protection de l’environnement. L’objectif de Qatar National Vision 2030 est donc d’opérer une transition depuis l’histoire du Moyen Orient pour se projeter dans un futur croissant, en offrant ainsi au pays une dimension internationale. Ce plan a pour but de donner les cadres nécessaires afin de permettre le développement de différents aspects de la société qatarie, parmi lesquels la culture artistique et le cinéma. Aujourd’hui, le Qatar National Vision 2030 s’inscrit dans le prolongement de la mise en place de projets tels que le Musée d’art islamique à Doha et l’implication financière et médiatique dans les sports et l’olympisme. À ce sujet, Franck Tétart décrit : Ces développements ont pour but de positionner le Qatar comme un centre culturel à l’échelle régionale, où le savoir est partagé et diffusé, et ainsi donner une image de modernité et d’ouverture. Ils sont complétés, dans le cas du Qatar, par l’essor du secteur éducatif, dont l’ambition est de créer dans le cadre de la diversification de l’économie du pays une société de la connaissance, définie dans le cadre d’un programme national de développement à l’horizon 2030, le Qatar National Vision 2030.
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AL KHELAÏFI Nasser, « La stratégie du Qatar dans le domaine du sport », Entretien par Pascal Boniface, Revue internationale et stratégique, vol. 94, nᵒ 2, 2014, p. 103. 14 ABIDI Hasni, op. cit.
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Dès lors, une attention particulière est portée sur l’éducation qui apparaît comme un secteur essentiel tant pour moderniser l’émirat que pour tendre à un développement social et économique. De la même manière, penser l’éducation comme vecteur de progrès permet de penser l’impact concret d’une politique de modernisation sur la jeunesse et de traiter ainsi les questions concernant la professionnalisation. L’ÉDUCATION : LE VRAI DÉFI QATARI Parmi les acteurs de développement, la Qatar Foundation joue un rôle essentiel, comme le rappelle Hasni Abidi : La Qatar Foundation, Fondation du Qatar pour l’éducation, la science et le développement communautaire, est l’une des institutions les plus ambitieuses du pays. Dirigée par la cheikha Mozah, elle s’est donnée pour mission d’accompagner le passage d’une économie du carbone à une économie de la connaissance basée sur le potentiel humain et tournée vers l’avenir. L’idée est aussi de soutenir la formation d’une classe moyenne ayant reçu une éducation de niveau international et disposant d’une expérience professionnelle lui facilitant l’accès au marché de l’emploi15. Fondée en 1995 par l’émir Ahmab ben Kahlifa al Thani, la Fondation du Qatar est un organisme privé sans but lucratif dirigé depuis 2016 par Hind bint Ahmad al Thani, la sœur de l’actuel émir, qui a donc pris la suite de sa mère Mozah bin Nasser al-Missned. Dans son article sur le développement du Qatar au prisme de la scène internationale, Steven Wright relate le rôle tenu par la Qatar Foundation dans les partenariats élaborés auprès d’institutions étrangères de l’enseignement supérieur : La Fondation du Qatar est le principal instrument des relations nouées avec des universités et des centres d’étude étrangers. Dirigée par l’épouse charismatique du précédent émir (et mère de l’actuel), cheikha Mozah bint Nassir, elle a été la force motrice de la création et du développement d’« Education City ». Ce campus héberge les antennes de plusieurs établissements universitaires prestigieux, surtout américains – Virginia Commonwealth, le Weill Medical College de l’Université Cornell, Texas A & M, Carnegie Mellon, l’École des hautes études des relations internationales de l’Université Georgetown, l’Université Northwestern – mais aussi français – HEC Paris – et britannique – le University College de Londres. Des laboratoires d’idées y ont également installé des satel-
15
Ibid.
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lites – la Rand Corporation (Qatar Policy Institute) et la Brookings Institution (Brookings Doha Center) pour les États-Unis et le Royal United Services Institute pour le Royaume-Uni (RUSI Qatar). Le Qatar est devenu l’un des principaux carrefours intellectuels du Moyen Orient. Et la cheikha Mozah bint Nassir est considérée comme une pionnière de la participation des femmes à la vie publique par l’éducation et l’engagement politique16. La Fondation du Qatar joue donc un rôle essentiel dans le déploiement de l’offre de formation qui se veut résolument ouverte à l’international. C’est également le constat que fait Mansouria Mokhefi dans son article sur les forces et les faiblesses de l’activisme au Qatar : « Avec l’accès gratuit à l’éducation et le développement de centres de formation et de recherche de très haut niveau, le Qatar vise à devenir un pôle académique et universitaire d’excellence pour toute la région. La Fondation du Qatar a déjà séduit de prestigieuses universités nord-américaines et européennes17 ». Les accords et les partenariats mis en place dans une optique d’attractivité internationale figurent en effet dans les interviews données par celles qui apparaissent comme les ambassadrices de la volonté de développement culturel de leur pays. Ainsi, dans son interview pour Women in Qatar, Amal Ahmad Al-Muftah évoque sa formation et les études qu’elle a suivies : « Je suis actuellement en dernière année en tant qu’étudiante en communication à l’Université Northwestern. Avant cela, j’ai obtenu mon diplôme de l’Académie du Qatar (QA). En fait, c’est là que j’ai commencé à faire du cinéma et que j’ai décidé que c’était la carrière que je voulais poursuivre18. » L’Université Northwestern évoquée par la réalisatrice est loin de celle située à Evanston, dans la banlieue de Chicago. En effet, il s’agit d’une antenne délocalisée : la Northwestern University in Qatar, située à Doha, permet aujourd’hui aux étudiant.es les plus fortuné.es de poursuivre leurs études en bénéficiant du nom d’une prestigieuse université américaine. Ce type de partenariat mettant en avant la nécessité de mettre l’éducation au cœur du projet politique est porté par la Fondation du Qatar. Depuis 2009, la Fondation du Qatar se veut être un acteur international incontournable sur les questions d’éducation puisqu’elle est à l’origine de l’évènement annuel WISE : World Innovation Summit for Education. L’éducation apparaît donc un moyen d’action du soft power mis en place par l’État
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WRIGHT Steven. « Un « petit État » accède à la scène internationale : la trajectoire du Qatar », Critique internationale, vol. 71, nᵒ 2, 2016, p. 73-88. 17 MOKHEFI Mansouria, op. cit., p. 858. 18 « I am currently in my senior year as a Communications student in Northwestern University. Prior to that I graduated from Qatar Academy (QA). In fact, QA is where I was first introduced to filmmaking and decided that it was the career that I wanted to pursue. »
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qatari pour envisager un futur à l’ère pétrolière, dans un souci de dialogue avec les États occidentaux. L’éducation des filles semble également être au cœur des préoccupations. En effet, dans leur article sur la scolarité des filles à l’échelle mondiale, Christian Baudelot et Roger Establet mettent en avant le fait que, les pays du Golfe, la Libye, le Liban, l’Albanie, le Qatar et les Émirats arabes unis « se montrent particulièrement accueillants aux scolarités féminines. En terre d'Islam comme ailleurs, le rattrapage des garçons par les filles est à l'ordre du jour : le mouvement actuel laisse attendre l'égalité des chances pour une production de 9 300 $ par habitant, et une suprématie féminine au-delà, comme cela se produit aujourd'hui pour le Qatar ou les Émirats19». L’accès à l’enseignement supérieur fait état d’une singularité au sein des pays du Golfe ; au Qatar les jeunes femmes sont encouragées à poursuivre des études supérieures et sont d’ailleurs plus nombreuses que les hommes dans les établissements d’enseignement supérieur. Nous sommes alors amenée à penser que l’éducation devient, au fil des années, un outil de développement incontournable qui semble avoir été bien intégré dans le projet politique de cet état du Golfe comme le moyen de s’affranchir des autres États de cette région du monde et de s’affirmer dans le paysage politique mondial comme un état progressiste en rupture avec une image parfois archaïque d’une culture dominée par les hommes et l’entre-soi masculin. Ce constat encourageant est cependant à relativiser puisque la Fondation du Qatar fait l’objet de controverses qui ternissent alors le dessein du projet de société. En effet, elle apparaîtrait proche de l’Islam radical et fait polémique en Europe car elle aurait versé des fonds à Tariq Ramadan20, islamologue et théologien, qui fait actuellement l’objet de plusieurs plaintes de femmes pour viols et atteintes sexuelles. L’intellectuel suisse a été remarqué par ses prises de position ambiguës sur l’Islam dans les démocraties contemporaines. Entre projets politiques d’ambition et mise en pratique laborieuse sur fond de polémiques, l’intention annoncée dans le Qatar National Vision 2030 semble alors moins évidente. L’affichage, par le biais d’évènements sportifs, culturels prestigieux qui font l’objet d’une médiatisation planétaire semble
19 BAUDELOT Christian et ESTABLET Roger, « La scolarité des filles à l'échelle mondiale », dans Thierry Blöss (dir.), La dialectique des rapports hommes-femmes, Paris, Presses universitaires de France (coll : « Sociologie d'aujourd'hui »), 2001, p. 107. 20 SAUVAGET Bernadette et LE DEVIN Willy, « Le Qatar verserait 35 000 euros par mois à Tariq Ramadan », Libération, le 5 avril 2019. https://www.liberation.fr/france/2019/04/05/leqatar-verserait-35-000-euros-chaque-mois-a-tariq-ramadan_1719428
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s’assombrir et laisse entrevoir, sous les paillettes et les projecteurs, une réalité moins progressiste que le projet politique ne le laisserait l’envisager.
UNE INDUSTRIE EN DEVENIR : LE RÊVE HOLLYWOODIEN DES QATARIS Le cinéma au Qatar est un secteur qui a émergé dans les années 2000, et qui a commencé à avoir une visibilité mondiale à l’aune de deux évènements : le Tribeca Film Festival créé en 2009 à Doha qui avait pour but de mettre en lumière la coopération avec les acteurs occidentaux de l’industrie cinématographique et l’installation du Doha Film Institute (DFI) en 2010, sur lesquels nous reviendrons. Il s’agit donc d’une industrie en devenir, récente, qui a évolué dans le but d’accroître la reconnaissance internationale et qui a bénéficié des fonds d’aide au développement de différents secteurs culturels, notamment par le biais de la Fondation pour le Qatar et des plans de financement de Qatar National Vision 2030. Parmi les structures qui ont contribué au développement de ce secteur d’activité, le DFI a joué un rôle majeur en mettant en place, outre un accompagnement à la création et à la diffusion des œuvres, diverses actions, subventions et festivals afin de contribuer à la visibilité du septième art sur le territoire qatari. L’intérêt porté au développement de la filière cinématographique de ce territoire est le fruit de l’influence de Sheikha Al Mayassa21, fondatrice du DFI qui permet, depuis 2010, d’offrir un établissement institutionnel conséquent dont le but est d’assurer au Qatar une présence à l’international à travers différentes actions. LE DOHA FILM INSTITUTE : UNE INSTITUTION POLYVALENTE Le cinéma pourrait jouer aujourd’hui un rôle conséquent dans le rayonnement de la culture qatari, à la fois dans le monde arabe auquel le pays appartient, mais aussi au sein de l’industrie cinématographique mondiale et c’est pour contribuer à l’essor du cinéma qatari et à son expansion mondiale, que
21 Sheikha Al Massaya, de son nom complet Cheikha Al Mayassa bint Hamad Bin Khalifa AlThani, est une des filles de l’émir du Qatar Hamad bin Khalifa Al-Thani, et la sœur de l’Émir actuel Tamim Al-Thani. Mécène et responsable de Qatar Museums, qui regroupe les institutions muséographiques du territoire, elle est classée en 2014 par Forbes comme l’une des personnes les plus puissantes du monde (source : https://www.forbes.com/profile/sheikha-mayassa-althani/#10720ab36c28).
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Sheikha Al Mayassa crée le Doha Film Institute. Il s’agit d’un organisme culturel indépendant dont l’objectif est de promouvoir la croissance de la communauté cinématographique ; qu’il s’agisse de publics, de cinéastes, réalisateurs ou encore producteurs. De 2010 à 2012, le DFI a été dirigé par Amanda Palmer, qui a été directrice générale de l’institution. Cette britannico-australienne, journaliste internationale de formation, a surtout exercé dans les médias en Europe, Australie, États-Unis et Moyen Orient. Elle est alors chargée de contribuer au développement des industries créatives durables au Qatar, de participer à la diffusion de la culture cinématographique, de développer et de promouvoir les contenus des plateformes transmédias et de porter la croissance du secteur22. Elle fonde notamment le Doha Tribeca Film Festival, premier festival de renommée internationale qui ouvrira ses portes à l’Occident en y faisant intervenir outre Robert de Niro ou Martin Scorsese, de nombreuses personnalités du cinéma. Cet évènement a pu apparaître comme le signal fort envoyé au cinéma mondial en général et à Hollywood en particulier de la volonté de promouvoir non seulement les films arabes, mais aussi internationaux et de s’inscrire dans le paysage international des évènements de diffusion du septième art. Ce festival a eu lieu de 2009 à 2012 et faisait l’objet d’un partenariat entre le DFI et Tribeca Enterprises, société de production de Robert de Niro. Le partenariat avait pour but le lancement d’« un événement qui créerait une fondation durable pour la croissance d’une communauté cinématographique et d’une industrie au Qatar et au Moyen Orient23 ». La coopération et l’évènement festivalier ont cessé en 2012, Tribeca Enterprises estimant avoir rempli son rôle dans la dynamique impulsée par cette manifestation. Si de 2012 à 2014, le DFI a été dirigé par Abdulaziz Al-Khater, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’une transition, le temps de confirmer l’implantation territoriale de l’institution et de mettre en place un évènement qui réponde à d’autres enjeux. En effet, si l’objectif du Doha Tribeca Film Festival était d’ouvrir le Qatar à la culture cinématographique internationale, le Ajyal Festival, créé en 2013, a pour mission de sensibiliser la jeunesse, d’organiser des ateliers et dans l’idéal, de susciter des vocations. D’ailleurs de 2013 à 2017, le Festival porte le nom « Ajyal Youth Film Festival », affichant ainsi que la cible de l’évènement est, précisément, la jeunesse. Nous pouvons considérer que le Ajyal Festival offre une rupture dans la politique culturelle de l’institution, mais il s’agit aussi du moyen de remettre au centre l’une des préoccupations dans l’évolution du Qatar : l’éducation. En s’affichant comme
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Site internet de Amanda Palmer : http://www.amanda-palmer.com KEMP Stuart, « Tribeca Enterprises, Qatar’s Doha Film Institute End Cultural, Festival, Partnership », Hollywood Reporter, April 30th, 2013. https://www.hollywoodreporter.com/news/tribeca-enterprises-qatars-doha-film-448915 23
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une institution de transmission, de rencontres et d’enseignements, le DFI s’inscrit ainsi dans la politique générale de l’émirat. Toutefois, le Qatar ne renonce pas à une visibilité internationale puisque le DFI est présent lors des grands évènements cinématographiques, et continue de diffuser des films internationaux lors du Ajyal Festival. En décembre 2014, Fatma Al-Remaihi, qui faisait partie de l’équipe d’organisation du Doha Tribeca Film Festival dès 2009, est nommée directrice. Il est à noter que l’ancienne programmatrice du Festival de Rotterdam, Ludmila Cvikoka est responsable de la programmation internationale, et Cheryl Izen, canadienne qui a travaillé pour les festivals de Toronto, Dubaï et Abu Dhabi, est coordinatrice des jurys de jeunes du Festival Ajyal de l’Institut. Ces recrutements internationaux confèrent au DFI une volonté, non seulement de féminisation des équipes, mais aussi une ouverture affichée vers le cinéma européen – pour ne pas dire mondial –. Cette caractéristique peut apparaître comme un écueil dans le développement local de la culture cinématographique, comme le souligne Gianluca Chakra, dirigeant de la compagnie de distribution cinématographique Front Row, basée à Dubaï, dans un entretien avec Nolwenn Mingant24 : « Le Doha Film Institute essaie de développer une culture du cinéma au Qatar. De telles initiatives prennent comme modèle le British Film Institute. Mais les personnes qui gèrent le DFI sont des personnes qui ont par exemple travaillé au Festival du Film de Rotterdam, mais pas des personnes qui ont des liens avec l’industrie du film dans le pays. Ils ne sont pas en mesure de fournir des informations car ils ne connaissent pas l’industrie locale. » Parmi les missions du DFI, nous pouvons remarquer, à travers leurs documents de communication, qu’il y a le financement et la production de films locaux, et à travers cette mission, une aide conséquente donnée à la création locale. Au-delà de cette aide accordée au cinéma qatari, le DFI veut aussi promouvoir le cinéma international en étant partie prenante dans la diffusion et la production de films internationaux. Ainsi, au Festival de Cannes 2019, nous avons pu voir que sept films avaient le soutien du DFI : It Must Be Heaven (2019) d'Elie Suleiman, Adam (2019) de Maryam Touzani, Papicha (2019) de Mounia Meddour, Le Miracle du Saint inconnu (2019) d'Alaa Eddine Aljem, Abou Leila (2019) d'Amin SidiBoumédiène, To Live to Sing (2019) de Johnny Ma et L'Orphelinat (2019) de
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CHAKRA Gianluca, « Croissance exponentielle au Moyen Orient », Entretien avec Nolwenn Mingant, Africultures, nᵒ 101-102, 2015, p. 200.
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Shahrbanoo Sadat. Dans un article rédigé pour le média numérique Slate25 et intitulé « Le Qatar se voit déjà en haut de l’affiche du cinéma international », Jean-Michel Frodon revient sur la présence de ce pays – par le biais du DFI – dans la production du cinéma mondial, comme étant le signe d’une volonté de mise en lumière de ce pays : « Cette présence, qui se retrouve dans tous les grands festivals internationaux de par le monde, est la manifestation à ce jour la plus visible d'une stratégie au long cours initiée par le plus grand émirat du Golfe26. » Dans un article consacré au développement du cinéma qatari27, Axel Scoffier, directeur général adjoint et coordinateur général adjoint d’Unifrance, évoque l’impulsion des différents acteurs du secteur cinématographique de l’émirat. En portant la focale sur le DFI et ses différentes actions, l’auteur nous indique qu’il s’agit d’une « stratégie à 360 » tant la volonté de couvrir les différents aspects de l’industrie cinématographique est affiché. Ainsi le DFI s’affiche d’abord comme un financeur de projets locaux et internationaux tout en assurant une visibilité avec la production d’évènements qui, à l’instar du sport, contribuent à la médiatisation des investissements. Le DFI a donc créé, dès son implantation, un fonds de production dédié au cinéma : le DFI Film Financing Program qui soutient les projets des réalisateurs du Moyen Orient et d’Afrique du Nord. Axel Scoffier indique ici qu’en 2012 « le programme soutient en moyenne chaque année 25 projets de films, sous forme de co-productions (dans des proportions allant de 30 à 50 % du budget de chaque film) ou de bourses (les longs métrages de fiction peuvent recevoir jusqu’à 200 000 $, les documentaires jusqu’à 85 000 $) ». En 202028, les montants des bourses font état d’une aide allant jusqu’à 195 000 $ pour les longs métrages, 140 000 $ pour les documentaires. Les courts-métrages font également l’objet de financement puisqu’un court-métrage de fiction peut être financé jusqu’à 30 000 $ et un court-métrage documentaire jusqu’à 25 000 $. Les séries TV et les web séries quant à elles, peuvent percevoir respectivement 20 000 $ ou 30 000 $ de financement29. En communiquant ainsi sur les aides accordées, les formats et les genres concernés, le DFI élargit le spectre de ses possibilités. 25
FRODON Jean-Michel, « Le Qatar se voit déjà en haut de l’affiche du cinéma international », Slate, 13 mai 2019, http://www.slate.fr/story/177027/qatar-cinema-festival-cannes-doha-filminstitute 26 Ibid. 27 SCOFFIER Axel, « Le Qatar, de l’or noir au grand écran », La revue des médias, INA, Octobre 2012. 28 DFI, « Doha Film Institute Grants Programme - FILM General Guidelines », Doha Film Institute, 2020. https://www.dohafilminstitute.com/newsletter/FILM-Submission-Guidelinesand-Materials-English-FALL-2020.pdf 29 DFI, « Doha Film Institute Grants Programme – TV and WEB Series Submission General Guidelines », Doha Film Institute, 2020, https://www.dohafilminstitute.com/newsletter/TVand-WEB-Series-Submission-Guidelines-and-Materials-English-FALL-2020.pdf
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Il s’agit là de montrer la crédibilité de l’institution et la volonté de rendre pérenne l’intérêt porté au secteur cinématographique en se positionnant comme un acteur incontournable tant sur les moyens de production que de diffusion du cinéma tant à l’échelle locale que mondiale, comme le rappelle Axel Scoffier : « L’industrie cinématographique qatarie est donc hybride, mêlant approche locale et internationale. Par l’hybridité des financements des talents, des contenus et des publics, l’institution entend fédérer la production cinématographique arabe et émerger sur la scène internationale comme la tête de ce même cinéma30. » METTRE L’ÉVÉNEMENT CINÉMATOGRAPHIQUE AU CŒUR DU RAYONNEMENT Dans son article consacré à l’émergence du cinéma dans les pays du Golfe, Nolwenn Mingant indique que la stratégie de ces pays est la création et la mise en avant de festivals ayant une dimension internationale. Depuis Dubaï en 2004, l’autrice indique que « Le Qatar quant à lui organise de 2009 à 2012 le Doha Tribeca Film Festival. Ces manifestations présentent les mêmes objectifs. Il s’agit d’abord de créer des lieux de diffusion pour les réalisateurs de la région afin d’encourager l’essor d’une production locale31. » Outre une présence devenue incontournable dans les festivals, le DFI promeut aussi des programmes éducatifs et s’inscrit ainsi comme un acteur incontournable de la culture en offrant, notamment à la jeunesse locale, les outils et les actions nécessaires à la construction d’une culture cinématographique et culturelle ouverte sur le monde, en proposant des projections de films, des rencontres avec des acteurs, des professionnels de l’industrie cinématographique de renommée internationale, des cycles de projections et de formations tels que des séminaires, des stages, des ateliers et des séances d’accompagnement pour les futurs cinéastes ainsi que des formations plus spécialisées consacrées à l’écriture de scénarios, au montage et à la réalisation notamment. Ces temps forts de la transmission d’expérience se déroulent au sein du DFI. Les Youth programmes sont ouverts aux jeunes de 8 à 17 ans au travers des workshops thématiques et un Youth Summer Camp qui permet de participer à des ateliers créatifs animés par des professionnels reconnus. Il a pour objectif l’acquisition de compétences et de construction d’une identité culturelle cinématographique.
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SCOFFIER, 2012, op. cit. MINGANT Nolwenn, « Cinéma : pourquoi il va falloir compter avec les pays du Golfe », La Revue des Médias, INA, 11 février 2014, https://larevuedesmedias.ina.fr/cinema-pourquoi-ilva-falloir-compter-avec-les-pays-du-golfe
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Car l’un des objectifs du DFI se situe également à cet endroit : l’acquisition d’une culture cinématographique commune afin de développer un cinéma porteur de l’identité du Qatar et de contribuer ainsi à la construction d’un socle de références culturelles communes. Dans un article de la Radio télévision suisse (RTS) consacré au Qatar comme « future Mecque du cinéma mondial32 », Mahdi Ali Ali, producteur et réalisateur de courts métrages explique : « Avant 2010, il n’y avait que 3 ou 4 cinéastes au Qatar. Maintenant, grâce au DFI, les programmes de formation et les festivals de cinéma, nous en avons une quarantaine. L’argent est là. La formation est là. L’institut est là. Ce qui nous manque, c’est l’effort des cinéastes pour arriver au bout de leurs films ». Les formations33 programmées à l’automne 2020 et début 2021 sont consacrées au Podcast, à la production et au scénario de courts-métrages, elles seront dispensées en ligne34. L’objectif d’Ajyal Film Festival créé en 2013, une manifestation que nous avons déjà mentionnée, est la mise en lumière de talents locaux tout en initiant une réflexion sur les avancées sociétales. Ce festival qui se déroule au bord du golfe Persique, dans une ambiance qui se veut familiale et populaire, avec la présence d’invités et des animations liées à la pop culture, est avant tout destiné à la jeunesse. En effet, des jurys composés d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes de 8 à 21 ans ont pour mission de récompenser des films. Le festival accueille plus de 500 jeunes issus de 50 pays différents. Ce temps fort de l’institution permet de mettre en avant les jeunes créateurs qataris et de leur donner, à l’issue de cette reconnaissance festivalière, les outils de création et de production pour leurs projets futurs. Les films du festival sont diffusés en ligne, en drivein mais également sur les écrans du réseau Vox qui comporte près de 30 établissements sur le territoire, et qui fait l’objet d’un partenariat avec le DFI. Le secteur de l’exploitation est principalement partagé entre les groupes Vox, Novo et Flik. Autre outil de développement incontournable : l’événement Qumra, qui permet de réunir, autour de la création cinématographique, des acteurs du monde audiovisuel, de la technologie et de la télévision autour de conférences. Il s’agit d’un temps de rencontres professionnelles qui veut se penser comme
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WOLF Rafael, « Le Qatar, future Mecque du cinéma mondial ? », RTS, 30 avril 2019, https://www.rts.ch/info/culture/cinema/10397815-le-qatar-future-mecque-du-cinema-mondial-.html 33 DFI, « Training and Development », 2020, https://www.dohafilminstitute.com/education 34 Nous supposons que la mise en distanciel de ces formations est une conséquence de la pandémie de Covid 19.
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un incubateur de projets afin de motiver la jeune génération de cinéastes qataris à s’investir dans la création et à développer son réseau. À travers cet événement qui permet à la nouvelle génération de créateurs de rencontrer des réalisateurs mondialement connus, c’est aussi un temps de formation qui émerge avec la projection de films internationaux et une attention singulière portée au développement de l’écriture scénaristique. Lancé en 2014, Qumra permet donc d’établir des liens durables entre la création et le financement des projets. Les évènements attachés au DFI ont donc pour objectif de participer à la médiatisation du secteur mais également de faire de l’Institut un acteur fort dans la formation aux métiers du cinéma, en se tournant vers la jeunesse et en étant force de proposition pour permettre de découvrir tous les champs de professionnalisation comme autant de possibles dans une culture dont l’identité cherche à se réinventer. Aujourd’hui, le DFI ouvre son programme de subventions à la télévision et aux séries Web afin de favoriser la production de contenus en langue arabe, s’accordant ainsi avec les préoccupations du monde de l’audiovisuel et leurs perspectives de déploiement au sein de la sphère médiatique. Le fait de se concentrer davantage, par le biais de la formation, sur les projets locaux peut apparaître comme le moyen de ne pas connaître les difficultés rencontrées par d’autres évènements du Moyen Orient. En effet nous pouvons citer l’exemple du Festival d’Abou Dhabi, ou celui de Dubaï, qui ont fait preuve d’une stratégie similaire dans un premier temps, à savoir une ouverture d’abord à l’international pour signifier l’attractivité des territoires du Golfe à l’industrie cinématographique mondiale, avant de se concentrer sur le territoire, comme le signifie cet extrait d’article35 : « En annonçant la décision, les organisateurs ont précisé qu'ils souhaitaient concentrer leurs efforts sur le développement de talents locaux et arabes et sur la façon d'attirer des cinéastes dans la région. Un fonds associé au festival et créé pour venir en aide aux réalisateurs arabes continuera d'exister. » Le festival d’Abou Dhabi a été annulé en 2015, et celui de Dubaï en 2018, pour des raisons semblables : « Les organisateurs ont indiqué que cette décision inaugurait une nouvelle stratégie dédiée à soutenir la croissance et l’évolution des industries du film dans la région. « Avec les grands changements qui se produisent dans l’industrie cinématographique régionale et mondiale, nous cherchons à redéfinir l’approche du Festival international du film de Dubaï pour favoriser la croissance, la créativité et le talent », a déclaré Jamal Al Sharif, président de
35 AFP, « La fin du Festival du film d’Abou Dhabi », La Presse, 7 mai 2015 https://www.lapresse.ca/cinema/nouvelles/201505/07/01-4867853-la-fin-du-festival-du-film-daboudhabi.php
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Dubai Film and TV Commission36. ». Plus récent, on peut supposer que le DFI a pris la mesure de ces expériences préalables et fort de ces constats, a adapté ses objectifs en conséquence, c’est-à-dire en s’ancrant davantage dans le projet politique au long cours du développement de l’émirat et dans la perspective de mettre la jeunesse locale au centre des préoccupations politiques.
DU DOHA FILM INSTITUTE AUX RÉALISATRICES : LES FEMMES SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE ? Comme nous l’avons abordé, la création du DFI est le fait du dynamisme de Sheikha Al Mayassa qui, au fil des années, s’est imposée comme une actrice incontournable de la vie culturelle qatarie. Nous pouvons supposer que l’implication des femmes dans l’expansion de l’industrie cinématographique de ce territoire du Moyen Orient n’est pas seulement due à la sœur de l’émir actuel, même si la présence systématique d’un membre de la famille royale du Qatar dans un plan ou un projet d’investissement peut contribuer à la popularité du secteur ou de l’institution. Cela étant, même si certains membres de la famille Al Thani figurent au tableau du conseil d’administration de l’institut, nous constatons que l’administration et la gestion du DFI a été confiée à deux femmes. L’implication de la Sheikha Al Massaya n’est donc pas anecdotique ici et a potentiellement contribué à la féminisation de l’équipe dirigeante. FEMMES AUX COMMANDES DU DOHA FILM INSTITUTE Nous avons évoqué précédemment le fait que la première directrice du DFI était Amanda Palmer : il s’agissait non seulement d’une femme mais d’une femme occidentale, ce qui envoyait donc un double message à la filière cinématographique sur la volonté d’ouverture du Qatar dans ce secteur à développer. Aujourd’hui, la directrice générale est la Qatarie Fatma Al-Remaihi37. En poste depuis 2014, elle a contribué à redimensionner les missions de l’institut après la fin de la collaboration avec le Tribeca Film Institute. Ce changement est significatif de la volonté d’œuvrer au niveau local avec des évènements
36 CHABAA Qods, « Le Festival international du film de Dubaï annule son édition », post de blog, Le 360, 19 Avril 2018, https://fr.le360.ma/culture/le-festival-international-du-film-dedubai-annule-son-edition-2018-163648 37 « Fatma Al-Remaihi », notice biographique, Variety 500, 2019, https://variety.com/exec/fatma-al-remaihi/
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destinés d’abord à la jeunesse et à la formation. Originaire de Doha38, diplômée de l’université du Qatar en littérature anglaise, elle fait du financement des films arabes une des priorités du DFI, et ancre ce dernier dans un rôle d’« incubateur de créativité au Moyen Orient » selon le classement de Variety. Elle gère à présent un fonds permettant de financer les films du Golfe, le Festival international de Ajyal et le projet Qumra que nous avons évoqués précédemment. Fatma Al-Remaihi, présente à tous les évènements internationaux de l’industrie, qu’il s’agisse du Festival de Cannes ou des Oscars, a contribué à faire du Doha Film Institute (DFI), un outil de développement incontournable pour les créateurs du Moyen Orient, en mettant en lien les professionnels, en élargissant les champs de formation et de découverte du secteur et en rendant le Qatar attractif aux yeux des cinéastes, acteurs et producteurs. Le but du déploiement d’évènements étant non seulement la médiatisation, mais aussi la volonté affichée de donner envie de participer à la construction de la culture cinématographique du territoire. La directrice est secondée par la Libanaise Hanaa Issa39, directrice de la stratégie et du développement. Responsable des programmes cinématographiques et des initiatives de financement de l’institut, elle coordonne également les différents programmes de subventions, de co-productions, les cycles de formation, le développement de l’institut et la programmation. Elle assure, en dialogue avec Fatma Al-Remaihi, la codirection du Qumra et la politique générale du DFI dans le but d’encourager les entreprises locales à investir dans les projets de création de films et de faire de l’industrie cinématographique qatarie une industrie viable et un vecteur de développement économique et culturel incontournable du territoire. Au-delà de l’aspect économique, on peut voir dans la communication de Fatma Al-Remaihi une réelle volonté de développer au Qatar une culture cinématographique, jusqu’alors peu développée : « L’objectif est de construire les possibilités d'existence d'une diversité dans les œuvres, mais en même temps d'une critique indépendante, et d'un public ouvert à d'autres formes que le cinéma dominant », affirme Fatma Al-Remaihi40. La directrice du DFI contribue à la communication autour de la volonté d’ouverture et d’émancipation du pays, comme une figure récurrente des représentations que l’Occident se construit du Qatar aujourd’hui.
38 VIVARELLI Nick, « Doha Film Institute Appoints Fatma Al Remaihi as CEO », Variety, 2014, https://variety.com/2014/film/festivals/doha-film-institute-appoints-fatma-al-remaihias-ceo-1201379561/ 39 Site du Torino Film Lab Festival, « Hanaa Issa », notice biographique, Torinofilmlab, 2018, http://www.torinofilmlab.it/people/5624-hanaa-issa 40 FRODON Jean-Michel, 2019, op. cit.
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La présence des femmes à la tête d’une institution, dans un pays où le développement économique reste l’apanage des hommes, ainsi que la part laissée par ces derniers aux femmes sur la question du développement du secteur cinématographique nous pousse à nous interroger sur cette concession comme opportunité donnée aux femmes de la péninsule arabique de travailler dans une industrie tout juste émergente et dont les enjeux politiques et économiques semblent éloignés des préoccupations pétrolières ou de politique étrangère. C’est d’ailleurs le constat, dans la presse et les médias numériques, que la communication portant sur la surreprésentation des femmes dans la réalisation de projets cinématographiques participait à la construction d’un discours offensif qui nous a incitée, à partir de cette singularité, à porter un œil interrogateur sur les spécificités et les nouvelles dynamiques de la filière cinématographique impulsées par le DFI, et du Qatar à plus forte raison. LE GULF DREAM DES FEMMES CINÉASTES QATARIES Fin 2018, à l’issue de la sixième édition du Festival du film de Ajyal, la communication du Doha Film Institute porte spécifiquement sur un élément singulier qui va, dès lors, tendre à caractériser le cinéma qatari aux yeux du monde. En effet, Fatma Al-Remaihi, dans son bilan, met en lumière le fait que 60 % des films réalisés au Qatar sont le fait de femmes, sans donner plus de précisions sur les genres et les formats de films réalisés ou s’il s’agit de projets aboutis ou non. Cette annonce, reprise par l’AFP et de nombreux médias suscite non seulement l’étonnement, mais aussi une multitude d’interrogations. En effet, en comparaison, les chiffres annoncés par les industries cinématographiques américaines ou européennes semblent faire preuve d’une réalité toute autre tant les représentations des femmes parmi les cinéastes apparaissent comme bien plus faibles41. La communication relayée par l’AFP met en comparaison le fait que le Moyen Orient et l’Afrique du Nord affichent un chiffre de 25 % de femmes cinéastes : le Qatar tient à faire savoir qu’il se situe au-dessus des autres pays du Moyen Orient, comme une marque singulière de l’affranchissement des femmes revendiqué jusqu’alors par l’émirat. Dès lors, nous sommes amenée à nous interroger sur ce chiffre comme indicateur de la volonté du régime qatari à mettre en avant une politique progressiste des conditions de vie des femmes dans les pays du Moyen Orient. En effet, il nous faut rappeler que le Qatar a été le premier pays du Golfe à donner le droit de vote aux femmes en 1999, et qu’avec 51 % de femmes présentes sur le marché du travail, le Qatar veut offrir un visage avant-gardiste dans la
41 À titre comparatif, l’étude du Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNCI en Tunisie) fait état d’un chiffre de 23,3 % de réalisations féminines parmi les films produits en 2018.
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manière dont les femmes s’émancipent au sein de leur territoire. A contrario, dans un état où la charia est appliquée de manière stricte, où les libertés individuelles des femmes sont encore restreintes, certains faits divers42 attestent que les droits des femmes sont encore trop peu considérés. De manière contextuelle, l’émergence des femmes correspond à une période trouble pour un pays qui, depuis 2017, est en rupture avec les autres pays du Golfe. En effet, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte accusent le Qatar de participer activement aux financements du terrorisme en soutenant des groupes terroristes et reprochent également au Qatar de se rapprocher de l’Iran. C’est donc dans un climat délétère que la mise en avant de ces femmes réalisatrices intervient, celles-là même qui sont médiatisées comme étant les « pionnières de Doha »43. Parmi ces femmes réalisatrices mises en lumière, on peut noter la présence de Kholoud Al-Ali, cinéaste qatarie qui s’est fait un nom dans le cinéma d’animation avec ses films Red (2015) et Fragile (2019), qui a travaillé pour la chaîne Al-Jazeera et s’est formée au Doha Film Institute. Photographe de formation, elle s’est fait connaître sur les réseaux sociaux comme influenceuse à partir de 200944. Si elle a bénéficié du soutien financier du DFI pour son premier film, cette femme d’affaires qui possède sa propre société met en avant les raisons qui font du cinéma un secteur d’émancipation féminine : « Le problème avec la réalisation, c’est qu’on ne peut pas en vivre ici. J’ai toujours mon boulot à plein temps. Je possède ma propre société. Et donc, je réalise mes films comme s’il s’agissait d’un hobby. Probablement peu d’hommes peuvent assumer ça45 ». Si l’industrie cinématographique qatarie est un secteur en pleine expansion, il apparaît encore compliqué pour ses acteurs de faire le pas vers la professionnalisation et la démarche d’y consacrer sa vie. Sans doute cela est-il dû à l’omniprésence des hommes dans l’industrie des hydrocarbures depuis de nombreuses années, et le fait de considérer les vocations artistiques avec légèreté. Kholoud Al-Ali met cependant en avant le fait que
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Nous faisons ici référence à une affaire qui avait fait polémique en 2016 : une Néerlandaise de 22 ans avait voulu porter plainte pour viol et s’était fait emprisonner, puis a été condamnée à de la prison avec sursis pour « adultère » puisqu’il s’agissait de relations sexuelles en dehors du mariage. 43 AFP, « Qatari Female ‘Pionneers’ Bask in Filmmaking Spotlight », France 24, 12 janvier 2018. https://www.france24.com/en/20181201-qatari-female-pioneers-baskfilmmaking-spotlight 44 POURÉ Clément, « Sapé comme un Qatari : à la recherche du style de Doha », Vice, 21 août 2018, https://www.vice.com/fr/article/kzy5b3/sape-comme-un-qatari-a-la-recherchedu-style-de-doha 45 WOLF Rafael, « Le Qatar, future Mecque du cinéma mondial ? », RTS, 30 avril 2019, https://www.rts.ch/info/culture/cinema/10397815-le-qatar-future-mecque-du-cinema-mondial-.html
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son appartenance à une catégorie socio-professionnelle privilégiée lui permet de monter des projets. À travers la citation de Kholoud Al-Ali, et la dimension ludique qu’elle attribue à ses réalisations en utilisant le terme « hobby » pour qualifier son activité de cinéaste, nous pouvons supposer que la dimension financière et les difficultés à faire du cinéma son métier interviennent comme un frein aux vocations en devenir. Autre réalisatrice, autre parcours que celui de Amal Ahmad Al-Muftah, autrice à 24 ans, des films Al-Hamali (2014), Al Kora (2014), Smicha (2015) et Sh’hab (2018). Elle a réalisé ses premiers films au lycée avant de continuer ses études à Doha où elle se fait un nom. Elle revient sur la spécificité de la représentation des femmes dans l’industrie cinématographique pour le site Women of Qatar46 : C’est une industrie à prédominance féminine. Je me souviens d’avoir assisté à Made in Qatar, une initiative proposée par le festival du film Ajyal qui projette tous les films réalisés au Qatar au cours de l’année. Au cours des six années pendant lesquelles il a existé, la plupart des participants ont été des femmes, ce qui est une agréable surprise étant donné que la plupart des plus grandes industries cinématographiques, comme Hollywood ou Bollywood, sont incroyablement dominées par les hommes. J’aime vraiment voir leurs films, la qualité, et même la progression des cinéastes au fil des ans – j’ai personnellement participé à la première et la cinquième année et j’espère participer à la sixième également47. La cinéaste semble elle-même surprise de voir l’importance de la représentation des femmes dans ce secteur, mais voit aussi l’effet d’opportunité que cela représente dans un secteur qui semble offrir un espace d’expression et la possibilité de montrer leurs points de vue sur le monde. Le 11 décembre 2020, dans le cadre d’une carte blanche donnée au Doha Film Institute48, neuf courts-métrages seront présentés, parmi lesquels ceux
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« Amal Ahmad Al-Muftah », Women of Qatar, 2 décembre 2018 https://www.womenofqatar.com/interviews/2018/11/30/amal-ahmad-al-muftah 47 Nous avons traduit « It is a very female-dominated industry. I remember attending Made in Qatar, a screening initiative founded by Ajyal that screens all the films made in Qatar during the course of the year. Over the six years that it has existed, most of the participants have been female, which is a pleasant surprise given that most of the biggest film industries, like Hollywood or Bollywood, are incredibly male-dominated. I really enjoy seeing their films, the quality, and even the progression of the filmmakers over the years - I personally participated in the first and fifth year and hope to participate in the sixth as well. » 48 IMA, « Séance courts métrages qataris », 2020, https://www.imarabe.org/fr/cinema/seancecourts-metrages-qataris
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des réalisatrices qataries Dhabya Al-Muhannadi (Maha’mel, 2018, documentaire), Nada Bedair (Paper Kite, 2019, fiction), Kholood Al-Ali (Fragile, 2019, film d’animation) et Amal Al-Muftah (Sh’hab 2018, fiction). Hormis Kholood Al-Ali, dont la biographie n’est pas renseignée, toutes les réalisatrices citées ont fait leurs études à Northwestern University et aspirent à témoigner de la culture qatarie à travers leurs points de vue. La réalisatrice libanaise Alessandra El Chanti (Reviving the Lira’s Glory, 2019), présente dans la programmation, a elle aussi fait ses études à Northwestern : nous pouvons donc nous interroger sur les liens entre l’institution universitaire et le DFI et la manière dont sont accompagnées ces étudiantes, comme des participantes à la formation d’un stéréotype de la réalisatrice qatarie, peut-être au détriment de parcours plus atypique comme celui de Kholoud Al-Ali, qui apparaît médiatiquement49 plus volontiers comme influenceuse sur les réseaux sociaux que réalisatrice de films. En portant attention à la représentation des femmes dans le cinéma qatari, nous envisageons ici l’opportunité à saisir pour des femmes qui n’ont pas eu la possibilité de trouver leur place dans des carrières essentiellement occupées par des hommes, de défendre un point de vue et une vision, de témoigner et d’apporter un regard nouveau. Le Qatar, à travers sa volonté d’afficher plus de modernité, est en fait entraîné par une dynamique globale qui est la féminisation des métiers du cinéma dans les pays arabes. Les recherches menées par Rebecca Hillauer, Abdelkrim Gabous, Florence Martin ou Patricia Caillé ont mis en avant non seulement l’existence mais également les modalités de production et de diffusion des films par des réalisatrices du Maghreb50. Au Moyen Orient, le Liban compte de nombreuses réalisatrices, tout comme en Égypte. Il s’agit là d’un cinéma qui s’est construit dans le temps et dont la femme, d’abord objet d’inspiration et sujet, s’est progressivement glissée derrière la caméra pour y défendre un propos, une vision et un discours parfois politique comme c’est le cas pour des films comme Papicha (2019) de Mounia Meddour, La Belle et la meute (2017) de Kaouther Ben Hania. Il s’agit de films qui tirent aussi leur force et leur inspiration des révolutions arabes qui ont participé à l’émancipation d’une génération de femmes s’affirmant comme des artistes avant tout.
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ROY Hugues, « 4 influenceurs du Qatar qui font le buzz », L’Officiel, 15 juillet 2020, https://www.lofficielmaroc.ma/lifestyle/4-influenceurs-du-qatar-qui-font-le-buzz 50 HILLAUER Rebecca, Encyclopedia of Arab Women Filmakers, Cairo, American University in Cairo Press Series, 2005, 484 p.; GABOUS Abdelkrim, Silence elles tournent ! Les femmes et le cinéma en Tunisie, CREDIF, 1998, 210 p. ; CAILLÉ, 2016, op. cit. ; CAILLÉ Patricia, « Fifak 2013. Expressions sexuées, genrées et générationnelles d’une passion du cinéma en Tunisie », Diogène, vol. 245, nᵒ 1, 2014, p. 104-124 ; MARTIN Florence, « Paroles et musiques. Les audaces des documentaristes maghrébines », Diogène, vol. 245, nᵒ 1, 2014, p. 142154.
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On peut alors s’interroger sur les motivations du Qatar qui, mettant en avant, au sein d’évènements, les réalisatrices, en tant que femmes, et non les films, ne se contentent pas de surfer sur une vague culturelle pour en faire un discours politique tel un coup de projecteur, à un moment donné, sur un secteur dont on sait qu’il peut contribuer, de manière significative à la diffusion d’une culture. Dès lors, la signification du terme « pionnières » employé par les médias numériques prend alors tout son sens, puisqu’il s’agit pour ces cinéastes d’ouvrir la voie et de dépasser le fait même d’être un indicateur de développement pour montrer un cinéma qui s’affranchisse du fait d’être considéré d’abord comme un investissement. Pour le moment, le cinéma qatari ne s’est pas encore fait reconnaître en tant que tel, et la stratégie qui consiste à développer ce secteur de manière globale51 montre que la volonté de développer cette industrie ne peut pas seulement être considérée comme un effet de manche mais aussi comme un projet pérenne qui s’inscrirait dans la perspective globale du développement de l’émirat.
CONCLUSION Axel Scoffier souligne le fait que le mode opératoire est similaire à celui du secteur sportif : « Le cinéma et le sport participent ainsi d’une même logique d’expansion médiatique du Qatar, qui doit se lire comme une stratégie à la fois financière (diversification des placements, secteurs à forte croissance) et géopolitique52. » De la même manière que l’expansion de la chaîne de télévision Al-Jazeera qui est devenue une institution de référence dans le monde, nous sommes amenée à penser que la médiatisation par l’évènementiel et le soutien donné aux acteurs culturels locaux peut contribuer à une diffusion progressive, à la fois dans le domaine de la production d’œuvres et dans celui de collaborations à l’international. De fait, l’incitation à produire et à créer des films dont fait preuve le Doha Film Institute en proposant des formations mais aussi des outils de mentorat, coaching et mises en relation tend à former non pas seulement des femmes, mais toute une jeune génération d’artistes prêts à inventer et à défendre une culture cinématographique qui reste à inventer. Le Doha Film Institute confirme ainsi son rôle de tremplin et apparaît également un support de communication incontournable aujourd’hui pour permettre au Qatar une visibilité sans précédent dans le paysage cinématographique mondial.
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C’est-à-dire en envisageant tous les aspects de cette industrie : la formation, la production, le financement ou encore la diffusion et la présence dans les rendez-vous cinématographiques internationaux. 52 SCOFFIER, 2012, op. cit.
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Dans son article sur l’évolution du statut des femmes dans le monde musulman, Fawsia Al Ashmawi explique que : « Dans les pays du Golfe, les femmes sont parvenues progressivement à prendre leur destin en main et on assiste, de nos jours, à une montée spectaculaire de la participation active des femmes au développement économique et politique de leur pays, surtout aux Émirats arabes unis, à Bahreïn et au Qatar où les femmes jouissent actuellement d’un statut privilégié́ , par rapport à̀ leurs consœurs dans les autres pays de la région53. » Sans doute le cinéma est-il un champ avant tout peu investi par les hommes, et qui peut être envisagé comme une opportunité d’affranchissement par des femmes. Ces dernières, dans la dynamique des révolutions arabes, pourraient aspirer à trouver leur place dans une société tiraillée entre le poids des traditions religieuses et l’attrait de la mondialisation. Il reste néanmoins plausible que les éléments de communication, les investissements sur l’évènementiel cinématographique soient le fait d’une volonté stratégique de faire parler d’un secteur en quête d’investisseurs et d’investissements. Dès lors, les cinéastes présentées à Doha ne seraient plus seulement que les produits d’appel d’un secteur qui, à l’image des investissements dans le sport, tend avant tout à devenir rentable.
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AL ASHMAWI Fawzia, « L'évolution de la femme dans le monde musulman », Société, droit et religion, vol. 4, nᵒ 1, 2014, p. 68.
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NOTICES BIO-BIBLIOGRAPHIQUES Patricia Caillé est enseignante-chercheuse à l’Université de Strasbourg (CREM UR 3476). Elle a cofondé avec Claude Forest en 2016 le réseau de recherche international et multidisciplinaire HESCALE (Histoire, économie, sociologie des cinémas d’Afrique et du Moyen Orient) et codirigé récemment « Circulation des films : Afrique du Nord et Moyen Orient », Africultures nº 101-102 (2015); les ouvrages Regarder des films en Afriques (Septentrion, 2017) et Pratiques et usages du film en Afriques francophones : Maroc, Tchad, Togo, Tunisie (Septentrion, 2019), « Le cinéma européen », Mise au Point (Cahiers de l’AFECCAV), nᵒ 13, 2020. Docteure qualifiée en Sciences de l’information et de la communication Raluca Calin est l’auteure de l’ouvrage issu de la thèse de doctorat, Du financement du cinéma et de l’audiovisuel à la consolidation d’une politique culturelle européenne (Institut universitaire Varenne, 2018). Chercheure en économie et sociologie du cinéma, ses recherches portent notamment sur l’histoire et l’évolution de la filière de la production cinématographique et audiovisuelle en Europe et en Afrique. Associée au laboratoire de l’IRCAV Paris 3 / Sorbonne nouvelle (EA 185), elle a publié plusieurs articles dans des revues scientifiques à comité de lecture ainsi que des chapitres d’ouvrages sur ses thématiques de recherche. Elle est enseignante contractuelle à l’université de Grenoble Alpes et enseigne dans plusieurs universités la production cinématographique européenne. Claude Forest est professeur émérite, chercheur en économie et sociologie du cinéma. Ses travaux portent principalement sur l’histoire économique de la filière cinématographique en Afrique et en France, ainsi que sur la socioéconomie de la demande. Il a notamment publié : Andrée Davanture, la passion du montage, 2021 ; Les salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1926-1980), 2019 ; Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone, 2019 ; Quel film voir ? 2010. Il a dirigé : États et cinéma en Afriques francophones. Pourquoi un désert cinématographique ? 2020 ; Pratiques et usages du film en Afriques francophones. Maroc, Tchad, Togo, Tunisie), (avec Patricia Caillé), 2019 ; Produire des films. Afriques et Moyen Orient, 2018. Gülsenem Gün est maîtresse de conférence associée et responsable du département de cinéma à la Faculté de communication de l’Université Galatasaray. En 2014, elle a soutenu sa thèse à l’université Paris Diderot, intitulée Migration et métissage au cinéma : L’exemple du cinéma turc. Elle a de nombreuses publications sur l’analyse de films et les représentations, notamment celles des immigrés turcs vivant en Allemagne. 375
Anna-Marie Jansen van Vuuren is a screenwriting lecturer within the Film programme at the Department of Visual Communication at the Tshwane University of Technology (Pretoria, South Africa). She is a former Postdoctoral Research Fellow, under mentorship of Keyan Tomaselli, at the University of Johannesburg. Her current research includes the history of, and contemporary South African cinema; the role of representation, ideology and identity within historical films and television; and the role of landscape and city scapes in identity construction (especially relating to Afrikaner identity) in feature films. Her work has been published in journals such as Journal of African Cinemas, and presented at various international conferences. AnnaMarie is a film critic for the website https://www.Bioskoop.co. In her capacity as special film correspondent for RSG Radio Current Affairs (SABC), she has twice been awarded a “Mediaveertjie” for excellence in Afrikaans radio journalism. Ons Kamoun est cinéaste-chercheure, maître-assistante à l'École supérieure de l'audiovisuel et du cinéma de Gammarth et docteure en cinéma, diplômée de l'Université de Toulouse Jean-Jaurès. Son premier long-métrage TRAVELLING (2017) raconte son parcours d’enseignante de cinéma dans le sud tunisien. Elle a enseigné à l'ISAMM de Gabès, où elle a produit une centaine de courts-métrages pour ses étudiants. Puis elle a enseigné l’anthropologie « audiovisuelle » à l’ISSHT de Tunis. Actuellement, elle est chercheure associée à l’Institut de recherches sur le Maghreb contemporain où elle a initié l’Atelier du film de chercheur dans lequel elle accompagne des doctorants en sciences humaines dans la réalisation de films dans leur thèse. Ses champs de recherche privilégiés sont : le récit de soi, le genre, le filmage du réel. Dennis-Brook Prince Lotsu is a doctoral candidate in the School of Languages and Cultures at the University of Queensland. He has diverse experiences that span integrated marketing communication and academia. He previously worked as a Communication Officer with Stratcomm Africa, where he steered the development and implementation of communication strategies for agencies like UNICEF, Planned Parenthood Association of Ghana (PPAG), and Food and Drugs Authority (FDA, Ghana). He has a Master of Philosophy in Communication Studies from the University of Ghana; Bachelor of Arts from the University of Cape Coast, Ghana; and a Post-Graduate Diploma in Teaching and Learning in Higher Education from the University of Education, Winneba, Ghana. His research interests are in African cinema and literature, gender and media studies, visual culture, communications, and cultural phenomenology. Docteure en cinéma, Emna Mrabet est affiliée au laboratoire Sciences et technologies du cinéma et de l’audiovisuel (ESTCA) de l’université Paris 8 où elle enseigne depuis 2010 notamment en esthétique du cinéma, en réalisation documentaire et en analyse de films (Cinémas du Maghreb et du Moyen 376
Orient). Elle est l’autrice de l’ouvrage intitulé Le cinéma d’Abdellatif Kechiche : Prémisses et Devenir (Riveneuve, 2016). Elle a également écrit des articles mettant en perspective et en questionnement les spécificités des œuvres du cinéaste Abdellatif Kechiche, notamment, « Contestation et défense des droits humains chez les cinéastes Abdellatif Kechiche et Rabah Ameur-Zaïmeche » (Studies in French Cinema), « La question identitaire chez les cinéastes issus de l’immigration maghrébine » (L’Harmattan), « Akerman et Kechiche au prisme de la représentation de la sexualité » (Nabraska University Press). Elle a réalisé en 2019 le film À l’Aube de nos rêves portant sur la révolution et postrévolution tunisienne, sélectionné au festival Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen Orient, au Festival du cinéma méditerranéen de Tétouan ainsi qu’aux Rendez-vous de l’histoire de Blois. Elle axe actuellement ses recherches sur les cinématographies du Maghreb et du Moyen Orient et sur le cinéma « guérilla ». Mame Rokhaya Ndoye est docteure en sociologie, spécialisée en socioanthropologie des arts et de la culture et en sociologie visuelle et filmique. Elle travaille sur les cinématographies ouest-africaines francophones notamment burkinabée et sénégalaise. Elle est membre du Centre de recherche ISA (Imaginaire & socio-anthropologie) de l’UMR CNRS 5316 LITT&ARTS– UGA (Université Grenoble Alpes – France) et du Pôle média et communication attaché au CIERVAL–Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherche de la Vallée (Université Gaston Berger – Sénégal). Stéphanie Pourquier-Jacquin est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication au Conservatoire national des arts et métiers, au sein de l’Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle (Cnam-Inseac). Membre du laboratoire DICEN-Idf, ses recherches portent sur l’éducation artistique et culturelle au travers le cinéma et l’éducation à l’image et aux médias. Elle aborde les pratiques cinématographiques et la relation au septième art à travers le temps et les pratiques, de la sortie en salle à la pratique domestique et les usages sociaux du numérique dans la construction de l’identité culturelle. Ses derniers travaux traitent des pratiques cinématographiques des étudiants sous le regard des exploitants, leur affichage sur les réseaux sociaux et l’expérience festivalière des étudiants. Ancienne élève de l’Institut d’études politiques de Lille, Salima Tenfiche est doctorante contractuelle à l’Université Paris 7-Denis Diderot. Elle prépare une thèse sur le cinéma algérien contemporain selon une approche esthétique et politique. Elle s’intéresse aux dynamiques transnationales et aux processus de décentralisation de la fiction nationale post-coloniale à l’œuvre dans les nouvelles écritures cinématographiques. Elle est notamment l’auteure de la communication « Watch me if you can! Un cinéma algérien en quête de diffusion et de réception », donnée dans le cadre du 3è colloque HESCALE de 377
Montréal en 2018, intitulé « Diffusion et distribution des cinémas d’Afrique et du Levant ». Hülya Uğur Tanrıöver est Professeure émérite en radio, télévision et cinéma. Elle a travaillé aux universités de Galatasaray (Istanbul) et de Giresun, où elle a dirigé respectivement le Centre de recherche sur les médias (20072013) et la Chair Unesco pour l’Amélioration de l’égalité de genre et l’émancipation des femmes (2016-2019). Spécialisée en sociologie du cinéma et de la télévision ainsi qu’en études de genre, elle a de nombreuses publications sur l’analyse, la production et la réception de films et de séries télévisées. Diplômée de Sciences Po Paris, docteure de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Marie-Pierre Ulloa est l'auteure de Francis Jeanson, un intellectuel en dissidence, de la Résistance à la guerre d'Algérie (Stanford University Press, 2008) et de Le Nouveau rêve américain, du Maghreb à la Californie, (Éditions du CNRS, 2019). Elle enseigne à l'Université de Stanford dans la division de littératures, cultures, et langues. Alejandra Val Cubero is a Visiting Professor in the Department of Communication at Universidad Carlos III de Madrid, where she teaches Audiovisual Communication. Previously she was an Assistant Professor at Zayed University (UAE). Val Cubero has conducted Postdoctoral Research at Harvard University (USA) and Jawaharlal Nehru (India). She has also worked in the Press Department of the Institute for Women (Ministry of Labor and Social Affairs) and as a consultant at Altai Research in Afghanistan. Val Cubero has published more than twenty articles on topics related to media and cinema and as well as five books. The last two books focus on the life and work of the Bengali film director Aparna Sen (2015) and the French filmmaker Alice Guy (2016). Alejandra Val is also curating the Arab section in different Cinema Festivals like the Women Festival in Madrid and she is currently working on a new book: Contemporary Arab Filmmakers in the Maghreb.
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