Brève relation du voyage de la Nouvelle-France 9782763732473, 276373247X

« Le 3e jour de juillet, nous sortîmes de Tadoussac et nous allâmes mouiller à l’Échafaud-aux-Basques. C’est un lieu ain

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French Pages 78 [80] Year 2006

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Qui est Paul Lejeune ?
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Brève relation du voyage de la Nouvelle-France
 9782763732473, 276373247X

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Brève relation du voyage de la Nouvelle-France

Paul Lejeune

Brève relation du voyage de la Nouvelle-France Édition de Sébastien Côté, annoté avec la collaboration de Réal Ouellet

Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.

Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année de la Société de ­développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.

Mise en pages : Diane Trottier Maquette de couverture : Laurie Patry

Dépôt légal 3e trimestre 2020 ISBN 978-2-7637-3246-6 ISBN PDF 9782763732473

Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com

Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l­ ’Université Laval.

Table des matières

Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Qui est Paul Lejeune ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 À propos de la deuxième édition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Note sur l’établissement du texte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Crédits et remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Brève relation du voyage de la Nouvelle-France. . . . . . . . . . 21 Privilège du Roi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Lexique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Présentation « Ils me menèrent vers leur gros […] et j’appris d’eux que j’étais en France et n’étais point en Europe, car j’étais en la Nouvelle-France. » –Cyrano de Bergerac, L’Autre monde, p. 49.

Au moment où Sébastien Cramoisy imprime à Paris la Brève relation du voyage de la Nouvelle-France du Père Paul Lejeune, le thème des Amériques ne porte plus le sceau de la nouveauté, pas plus d’ailleurs que les termes « Canada » et « Nouvelle-France ». En effet, dans l’Europe du début du xviie siècle, a fortiori au sein des milieux lettrés, le Nouveau Monde a déjà quelque peu perdu de son effervescence initiale. Cela s’explique aisément par un siècle et demi de familiarisation progressive avec le continent, à tout le moins par l’entremise du discours. C’est donc dire que ces territoires jusque-là inconnus des Européens, de même que leurs habitants, se ­trouvèrent d’emblée au cœur de productions textuelles de toutes sortes, publiées tant en latin que dans de nombreuses langues vernaculaires européennes. Parmi celles-ci, comme on le sait, l’anglais, l’espagnol, le français et le portugais devinrent les principales langues coloniales des Amériques. Pour ne donner qu’un exemple de la remarquable intensité de l’activité littéraire mise en branle dans la foulée des récits de Christophe 9

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Colomb (pour citer le voyageur le plus connu), il suffit de rappeler à qui s’étonnerait que Marc Lescarbot ait écrit une Histoire de la Nouvelle-France aussi tôt qu’en 1609, que le Milanais Girolamo Benzoni l’avait largement devancé en publiant dès 1565, à Venise, La Historia del Mondo Nuovo. De ce point de vue, il apparaît assez clairement que la conquête des Amériques fut aussi menée à la pointe de la plume. D’ailleurs, bien que Jacques Cartier ait navigué dans les eaux du fleuve Saint-Laurent dès 1534 et qu’il en ait tiré des récits indispensables à l’historiographie canadienne, il faut souligner que les tensions géopolitiques européennes suscitées par la découverte du Nouveau Monde et sa colonisation se reflètent assez fidèlement dans le discours. Ainsi, peu importe leur nature, la plupart des ouvrages colo­ niaux publiés au cours du long xvie siècle traitent du Mexique, des Antilles ou d’une des régions de l’actuelle Amérique du Sud. Parmi ces dernières, le cas du Brésil présente un intérêt particulier, non seule­ ment à cause de la précocité et de l’invraisemblable diversité des récits qu’il a inspirés, mais aussi en raison de l’importance historique et littéraire du corpus émanant des établissements éphémères que furent la France Antarctique (1555-1560) et la France Équinoxiale (1612-1615), deux vestiges de l’Amérique française faits d’encre et de papier. C’est ainsi qu’aux côtés de relations de voyages rédigées par des aventuriers, telles que la Warhaftige

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Historia und beschreibung eyner Landtschafft der Wilden Nacketen, Grimmigen Menschfresser-Leuthen in der Newenwelt America gelegen (1557), de Hans Staden, ou encore les Warhafftige Historien einer Wunderbaren Schiffart (1567), d’Ulrich Schmidel, on trouve Les Singularités de la France Antarctique (1557), d’André Thevet, História da província Santa Cruz (1576), de Pero de Magalhães de Gândavo, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil (1578), de Jean de Léry, et Histoire de la mission des pères capucins en l’isle de Maragnan et terres circonvoisines (1614), de Claude d’Abbeville, sans oublier la matière des cinq volumes des Monumenta Brasiliæ (15381565), qui regroupent les premiers textes des Jésuites du Brésil. Malgré le long hiatus qui sépare le dernier voyage de Cartier (1541-1542) du passage de Samuel de Champlain dans le fleuve Saint-Laurent, événements relatés dans Des Sauvages (1603), la Nouvelle-France n’est pas en reste dans les lettres coloniales des Amériques. Au contraire, compte tenu de la fondation tardive de la colonie nordique et de son rythme de peuplement fort modeste (comparativement à ses voisines du sud), sa formidable productivité semble d’autant plus disproportionnée que le corpus s’est surtout développé en français et, dans une moindre mesure, en latin. En un mot, à la différence du Brésil, par exemple, le corpus des années fondatrices de la Nouvelle-France n’a pas profité de la multiplicité des points de vue offerts par l’apport d’autres langues vernaculaires européennes.

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Outre Cartier, largement repris dans les derniers chapitres des Singularités, ce que Thevet reconnaît en  toutes lettres (« ainsi que lui-même [Cartier] m’a  récité1 »), et le prolifique Champlain, il faut notam­ment mentionner Le Grand Voyage du pays des Hurons (1632) du récollet Gabriel Sagard, un contemporain de Paul Lejeune, ainsi que les écrits de Marie de l’Incarnation (1599-1672). À ces contributions s’ajoute ce qu’il convient d’appeler provisoirement, faute de mieux, l’œuvre collective des Jésuites, c’està-dire les célèbres Relations proprement dites, mais aussi tout un ensemble de textes patiemment compilés par Lucien Campeau dans les neuf volumes des Monumenta Novæ Franciæ (1602-1661). Or, parmi les auteurs des premiers temps de la NouvelleFrance, le nom de Paul Lejeune ressort nettement. Qui est Paul Lejeune ? Dans le Dictionnaire biographique du Canada, dont sont issues les données de la présente section, Léon Pouliot résume la vie de ce missionnaire en termes éloquents : « supérieur des Jésuites de Québec de 1632 à 1639, premier rédacteur des Relations des Jésuites de la Nouvelle-France, missionnaire à Québec, Sillery, Tadoussac, Trois-Rivières et Montréal, de 1639 à 1649, procureur de la mission canadienne (1649-1662), né à Vitry-le-François, diocèse de Châlons-Sur-Marne, en 1591, décédé à Paris le 7 août 1. André Thevet, Le Brésil d’André Thevet. Les Singularités de la France Antarctique (1557), éd. Frank Lestringant, Paris, Éditions Chandeigne, 1997, p. 278.

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16642 ». Il avait donc environ quarante ans à son arrivée dans la colonie laurentienne. Né de parents calvinistes une vingtaine d’années à peine après le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572), il se convertit au catholicisme à l’âge de 16 ans, avant d’entreprendre en 1615 « ses études de philosophie au collège Henri iv de La Flèche ». C’est là qu’il fit la connaissance du Père Énemond Massé, tout juste rentré d’Acadie, qui jouera un rôle capital dans la vie de ses disciples en suscitant chez plusieurs d’entre eux la vocation missionnaire. Ainsi, au moment où il est « nommé supérieur général de la mission du Canada », Lejeune dispose non seulement d’une solide formation en philosophie (La Flèche, 1615-1618) et en théologie (Paris, 16221626), mais aussi d’une expérience d’enseignement conséquente, d’abord « aux collèges de Rennes (16181619) et de Bourges (1619-1622) », puis à Nevers (1626-1628) et Caen (1629-1630). Aussi ne faut-il pas s’étonner des points de vue adoptés par Lejeune, ni des sujets abordés dans sa Brève relation, qui tous témoignent de sa formation de fin lettré. À mi-chemin entre le journal de voyage et la lettre, mais assurément de nature privée, Lejeune ne la destinait pas à la publication, mais bien d’abord à son supérieur. Or, bien qu’écrit au fil de la plume, « [c]e récit, fait de choses si étonnantes pour un Français du xviie siècle et si joliment racontées, plut au père Barthélemy Jacquinot, provincial de Paris, qui en 2.

Léon Pouliot, « Le Jeune, Paul », dans le Dictionnaire biographique du Canada.

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commanda aussitôt l’impression ». S’il faut admettre que rarement Lejeune se dépare de son ton sérieux, pas plus qu’il n’affiche la même candeur que Sagard, son contemporain, sa Brève relation ne manque toutefois pas de fraîcheur. Cet enthousiasme tangible pour le Nouveau Monde s’avère d’autant plus admi­ rable qu’il émane d’un homme qui « n’avait pas demandé l’apostolat lointain », comme il le rappelle à plusieurs reprises, notamment dans l’incipit. La tardive découverte de son inclination pour le lointain au contact de la Nouvelle-France et de ses habitants ne l’empêchera pas, en somme, d’être « regardé comme le fonda­teur des missions des Jésuites du Canada » et « tenu en très haute estime par l’autorité civile ». Enfin, souligne Pouliot, « de tous les mérites du père Le Jeune, le plus grand est sans doute d’avoir été le premier, le plus abondant et le plus efficace des rédacteurs des Relations des Jésuites ». À propos de la deuxième édition Il convient maintenant de dire quelques mots sur la présente édition de la Brève relation et d’en définir l’esprit. Au moment de sa première impression en 2011, il s’agissait du premier tirage à part de la Relation depuis sa publication en 1632 (contrairement à celle de 1634, déjà deux fois honorée). C’était également la première fois qu’on en modernisait l’orthographe et la ponctuation. Comme les chercheurs disposent déjà d’une édition savante des Relations les plus anciennes (incluses dans les Monumenta Novæ Franciæ de Campeau), il me

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semblait nécessaire de rapprocher le texte de ses lecteurs contemporains. La réédition reste entièrement fidèle à ces principes. Grâce à cette approche pédagogique, étayée par des notes et un lexique (appelé par des *), il va sans dire que l’œuvre de Lejeune gagne en lisibilité. En vérité, cette édition ne fait que reproduire une pratique courante en France depuis des décennies déjà, laquelle se manifeste dans les nombreuses collections chargées de construire et de perpétuer le canon littéraire national. Qu’on le veuille ou non, le regard que l’on jette sur les classiques enseignés à l’école se trouve lourdement infléchi par les éditions disponibles sur le marché. D’ailleurs, Roland Barthes n’écrivait-il pas en 1971 que « [l]’histoire de la littérature, c’est un objet essentiellement scolaire, qui n’existe précisément que par son enseignement », bref que « [l]a littérature, c’est ce qui s’enseigne, un point c’est tout3 » ? Or, donner à la Nouvelle-France une existence littéraire (ou la lui rendre) ne va pas de soi. Si nous savons bien que l’orthographe employée par Racine ou Molière ne différait pas tellement de celle de Marie de l’Incarnation, par exemple, il ne viendrait à l’idée de personne, au nom d’une quelconque authenticité historique, de réclamer des collections de classiques scolaires qu’elles effectuent un retour aux origines. Ce ne serait pas là s’acquitter de leur mission pédagogique. Pour nous en convaincre, 3.

Roland Barthes, « Réflexions sur un manuel », dans Serge Doubrovsky et Tzvetan Todorov (dir.), L’enseignement de la littérature, Paris, Plon, 1971, p. 170.

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imaginons un instant qu’au lieu d’enseigner Le Cid dans la version normalisée que nous connaissons, nous devions plutôt le donner à lire tel qu’il parut en 1637 : Mais ie ſens que pour toy ma pitié s’intereſſe, I’admire ton courage, & ie plains ta ieuneſſe, Ne cherche point à faire un coup d’eſſay fatal, Dispenſe ma valeur d’un combat inégal, Trop peu d’honneur pour moy ſuiuroit cette victoire, A vaincre ſans peril on triomphe ſans gloire, On te croiroit touſiours abatu ſans effort, Et i’aurois ſeulement le regret de ta mort (II, 2).

À la difficulté du registre et de la versification classique s’ajoute ici le double obstacle posé par l’orthographe et la typographie désuètes. De plus, il y a fort à parier que les jeunes lecteurs n’aspirent pas au même type de gloire que celle érigée en principe par le comte de Gormas, père de Chimène ! Heureu­ sement, par le truchement de ses classiques scolaires, l’institution littéraire française a déterminé qu’il était plus important qu’élèves et étudiants lisent d’abord Le Cid, avant de se pencher sur le texte dans toute sa matérialité historique. Pourtant, en ce qui concerne le corpus de la Nouvelle-France, ce même souci de lisibilité semble plus rare. Sans doute la somme de travail nécessaire aux éditions critiques publiées au cours des dernières décennies constitue-t-elle un frein aux démarches de ce genre. En effet, si dix ans d’efforts ont permis de procurer l’édition définitive d’un texte épuisé depuis deux siècles, pourquoi en proposer concurremment

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une autre version, en apparence diminuée ? Cela dit, pour ce qui est des Relations des Jésuites, en général, et de la Brève relation de Lejeune, en particulier, il semble que la question se pose autrement. D’une part, nous disposons déjà de plusieurs rééditions qui toutes, depuis celle de Québec (1858), respectent l’orthographe d’origine. D’autre part, toutes ces éditions datent de plusieurs années et s’insèrent dans des volumes aux formats difficiles à manipuler dans le cadre des activités d’enseignement. Enfin, un simple coup d’œil à l’incipit de l’édition originale achèvera de convaincre les plus sceptiques à l’égard des motifs invoqués : MON R. Pere, Eſtant aduerti de voſtre part, le dernier iour de Mars, qu’il falloit au pluſtoſt m’embarquer au Haure de grace, pour tirer droit à la Nouuelle France : l’aiſe & le contentement que i’en reſenti en mon ame fut ſi grand, que de vingt ans ie ne penſe pas en auoir eu vn pareil, ny qu’aucune lettre m’ait eſté tant agreable4.

Note sur l’établissement du texte La présente édition s’appuie sur le texte original de la Brieve Relation du Voyage de la Nouvelle France, publiée à Paris vers la fin de 1632. Compte tenu de l’extrême rareté de cet ouvrage et de l’impossibilité première d’en consulter une version numérisée, que ce soit sur le site de Gallica (Bibliothèque nationale de France) ou celui de Bibliothèque et Archives Canada (Ottawa), je me suis d’abord basé sur la copie 4. Paul Lejeune, Brieve Relation du Voyage de la Nouvelle France, Paris, Sébastien Cramoisy, 1632, p. 3.

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d’un des deux exemplaires conservés à la O. Meredith Wilson Library de la University of Minnesota (cote 1632 Je1). Depuis la première édition de cet ouvrage en 2011, j’ai pu consulter en mains propres l’exemplaire de la Bibliothèque de l’Arsenal (BnF, Paris, cote  8-H-17984), grâce auquel j’ai confirmé ma transcription initiale. Selon James McCoy, il existerait une seule édition de cette Relation, dont il identifie néanmoins deux variantes mineures. En effet, les volumes examinés ne se distinguent que par un élément typographique de la page de titre. Partout ailleurs, ils se révèlent rigoureusement identiques. Étant donné le mode de production artisanal du livre au xviie siècle, McCoy suppose que cette Relation n’a connu qu’un seul tirage, dont on aurait très légèrement modifié la page de titre en cours d’impression. À l’époque, une authentique seconde édition, même voulue identique à l’originale, aurait inévitablement produit son lot de variantes dans le corps du texte. L’exemplaire ayant servi de base à la présente édition appartient à la Variante 1 décrite par McCoy, alors que l’exemplaire de l’Arsenal fait partie de la Variante 25. En ce qui concerne la modernisation de l’orthographe et de la ponctuation, nous avons procédé de la manière suivante. En plus de remplacer partout le s long (ſ) par un s moderne, nous avons normalisé l’orthographe pour qu’elle présente aux lecteurs un 5.

James C. McCoy, Jesuit Relations of Canada (1632-1673). A Bibliography, Paris, Arthur Rau, 1937, p. x et 2-3.

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visage plus familier. Ainsi, « Ie sorti », « Estans au Haure » , « jusques » et « incõmoditez » sont devenus « Je sortis », « Étant au Havre », « jusque » et « incommodités », sans mention. Ce lissage ne concerne donc ni la syntaxe, ni le vocabulaire, qui restent quant à eux rigoureusement fidèles au texte original. Au besoin, une note explicative propose une interprétation. En revanche, la ponctuation d’origine, dont les règles diffèrent considérablement des pratiques contemporaines, plus sensibles à la syntaxe qu’au souffle, a été repensée. Dans le même esprit de lisibilité, des paragraphes ont été aménagés. Enfin, nous avons résolu les abréviations, corrigé les fautes manifestes et comblé les omissions de l’imprimeur. Crédits et remerciements Le Portrait du Révérend Père Paul Le Jeune de la Compagnie de Jésus (1665) qui orne la page couverture est l’œuvre du graveur René Lochon. Il fait partie de la collection de Bibliothèque et Archives Canada (Ottawa), cote MIKAN 2919673. Quant à la reproduction utilisée, elle provient de Wikimedia Commons et relève du domaine public. La gravure représentant les cigognes, enseigne de l’imprimeur parisien Sébastien Cramoisy, est tirée de l’ouvrage de James McCoy, Jesuit Relations of Canada (1632-1673), p. 50 (planche xi). Quant à la signature de Paul Lejeune reproduite à la fin de la Brève relation, elle provient d’une lettre autographe conservée aux Archives des Jésuites au

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Canada (cote : AJC-GLC, Q-0001, 226 ; Lettre du Père Paul Le Jeune s.j. à la Révérende Mère de SaintBonaventure, Supérieure de l’Hôtel-Dieu de Québec, le 10 mars 1656). Enfin, je voudrais remercier ceux et celles qui, à différentes étapes de ce projet, m’ont apporté une aide inestimable : l’Association des professeur.e.s de français des universités et collèges canadiens (APFUCC), qui a permis, grâce à sa collection Les Public’ de l’APFUCC et à de nombreux souscripteurs, la publication en 2011 de la première édition du présent ouvrage, maintenant épuisée ; les Archives des Jésuites au Canada ; Réal Ouellet (Université Laval), pour son érudition, sa ­générosité et la passion qu’il m’a transmise pour la Nouvelle-France ; Denis Couillard, pour deux remarques judicieuses ; Adina Ruiu, pour sa connaissance de la rhétorique épistolaire jésuite ; mes collègues, qui ont pris le risque de mettre la Brève relation au programme de leurs cours malgré la confidentialité de la première édition ; et, bien sûr, mes étudiant.e.s de l’Université Carleton qui, depuis 2010, sont les plus fidèles lecteurs de cette œuvre. Sébastien Côté D’un bureau ensoleillé, à Gatineau, ce 14 de février 2020.

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Mon Révérend Père, étant averti de votre part, le dernier jour de mars, qu’il fallait au plus tôt m’embarquer au Havre de Grâce pour tirer droit à la Nouvelle-France, l’aise et le contentement que j’en ressentis en mon âme fut si grand que, de vingt ans, je ne pense pas en avoir eu un pareil, ni qu’aucune lettre m’ait été tant agréable. Je sortis de Dieppe le lendemain et, passant à Rouen, nous nous joignîmes de compagnie le Père de Nouë1, notre frère Gilbert2 et moi. Étant au Havre, nous  allâmes saluer Monsieur du Pont 3, neveu de Mon­s eigneur le 1. Arrivé au Canada en 1626, Anne de Nouë (1587-1646) accompagna le jésuite Brébeuf et le récollet La Roche d’Aillon chez les Hurons, installés sur la rive de la baie Georgienne. Rentré en France en 1629, il revint au Canada en 1632 pour travailler à Québec et Trois-Rivières (note de Réal Ouellet, désormais RO). 2. Le frère Gilbert Burel (1585-1661) avait déjà séjourné en Nouvelle-France en 1625. D’après Campeau (Monumenta, p. 810), il serait rentré en France en 1637 (RO). 3. Le gouverneur du Havre, François de Vignerot, marquis de Pont-Courlai (Monumenta, p. 298, note 4). 23

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cardinal4, lequel nous donna un écrit signé de sa main, par lequel il témoignait que c’était la volonté de mondit Seigneur que nous passassions en la Nouvelle-France. Nous avons une singulière obligation à la charité de Monsieur le curé du Havre et des mères ursulines, car comme nous n’avions point prévu notre départ, si le Père Charles Lalemant5 à Rouen et ces honnêtes personnes au Havre ne nous eussent assistés dans l’empressement où nous nous trouvions, sans doute nous étions mal. Du Havre, nous tirâmes à Honfleur et, le jour de Quasimodo, 18 d’avril, nous fîmes voile. Nous eûmes au commencement un très beau temps et en dix jours nous fîmes environ six cents lieues*, mais à peine en pûmes-nous faire deux cents les trente-trois jours suivants. Ces bons jours passés, nous n’eûmes quasi que tempêtes ou vent contraire, hormis quelques bonnes heures qui nous venaient de temps en temps. J’avais quelquefois vu la mer en colère des fenêtres de notre petite maison de Dieppe, mais c’est bien autre chose de sentir dessous soi la furie de l’océan que de la contempler du rivage. Nous étions des trois et quatre jours à la cape*, comme parlent les mariniers. Notre gouvernail attaché, on 4. Le cardinal de Richelieu (1585-1642), premier ministre de Louis xiii. Il fonda la Compagnie des Cent-Associés de la Nouvelle-France en 1627 (RO). 5. Le jésuite Charles (1587-1674), frère aîné des pères Pierre et Jérôme, supérieur de la mission de Québec (1625-1629), rentra en France en 1629, puis revint en Nouvelle-France de 1634 à 1638, où il enseigna au collège de Québec (RO).

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laissait aller le vaisseau au gré des vagues et des ondes, qui le portaient parfois sur des montagnes d’eau, puis tout à coup dans des abîmes. Vous eussiez dit que les vents étaient déchaînés contre nous. À tous coups, nous craignions qu’ils ne brisassent nos mâts ou que le vaisseau ne s’ouvrît. Et de fait, il se fit une voie d’eau, laquelle nous aurait coulés6 à fond si elle fût arrivée plus bas, ainsi que j’entendais dire. C’est autre chose de méditer de la mort dans sa cellule devant l’image du crucifix, autre chose d’y penser dans une tempête et devant la mort même. Je vous dirai néanmoins ingénument qu’encore que la nature désire sa conservation, que néanmoins au fond de l’âme je sentais autant ou plus d’inclination à la mort qu’à la vie. Je me mettais devant les yeux que Celui qui m’avait conduit dessus la mer avait de très bons desseins et qu’il Le fallait laisser faire. Je n’osais Lui rien demander pour moi, sinon de Lui présenter ma vie pour tout l’équipage. Quand je me figurais que peut-être, dans peu d’heures, je me verrais au milieu des vagues et, par aventure, dans l’épaisseur d’une nuit très obscure, j’avais quelque consolation en cette pensée, m’imaginant que là où il y aurait moins de la créature, qu’il y aurait plus du Créateur, et que ce serait là proprement mourir de Sa main. Mais ma faiblesse me fait craindre que,

6. Dans l’original, on lit « nous auroit coulé » (p. 6). L’usage moderne ferait ­l’accord avec nous, plutôt qu’avec vaisseau.

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peut-être, si cela fût arrivé, j’eusse bien changé de pensée et d’affection. Au reste, nous avons trouvé l’hiver dans l’été, c’est-à-dire dans le mois de mai et une partie de juin. Les vents et la bruine nous glaçaient. Le Père de Nouë a eu les pieds et les mains gelés7. Ajoutez une douleur de tête ou de cœur qui ne me quitta quasi jamais le premier mois, une grande soif, parce que nous ne mangions que choses salées, et il n’y avait point de fontaine d’eau douce dans notre vaisseau. Nos cabanes étaient si grandes que nous n’y pouvions être8 ni debout, ni à genoux, ni assis. Et qui pis est, l’eau pendant la pluie me tombait parfois sur la face. Toutes ces incommodités étaient communes aux autres, les pauvres matelots enduraient bien davantage. Tout cela est passé, Dieu merci, je n’eusse pas voulu être en France. Tous ces petits travaux ne nous ont point encore, comme je crois, donné la moindre tristesse de notre départ. Dieu ne se laisse jamais vaincre. Si on Lui donne des oboles, Il donne des mines d’or. Encore me semble-t-il que je me suis mieux porté que le Père de Nouë, lequel a été fort longtemps sans quasi pouvoir manger. Pour notre frère, il est comme ces animaux amphibies : il se porte aussi bien sur la mer que sur la terre. 7. 8.

Dans l’original, on lit « gelées » (p. 7), Lejeune faisant l’accord avec le substantif le plus rapproché, respectant ainsi l’usage de l’époque. Ici, il faut lire : « Nos chambres n’étaient pas très grandes, si bien que nous n’y pouvions être… ».

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Le jour de la Pentecôte9, comme j’étais prêt de prêcher, ce que je faisais ordinairement les dimanches et bonnes fêtes, un de nos matelots se mit à crier molue, molue* ! Il avait jeté sa ligne et en tirait une grande. Il y avait déjà quelques jours que nous étions sur le banc10, mais on n’avait quasi rien pris. Ce jour-là, on en prit tant qu’on voulut. C’était un plaisir de voir une si grande tuerie et tant de ce sang répandu sur le tillac de notre navire. Ce rafraîchissement nous vint fort à propos, après de si longues bourrasques. Le mardi d’après, premier jour de juin, nous vîmes les terres. Elles étaient encore toutes couvertes de neiges, l’hiver étant11 toujours grand en ces pays, et l’a été extrêmement cette année. Quelques jours auparavant, savoir est le 15 et 18 de mai, étant encore éloignés des terres environ deux cents lieues*, nous avions rencontré deux glaces d’une énorme grandeur flottant12 dans la mer. Elles étaient plus longues que notre vaisseau et plus hautes que nos mâts. Le soleil donnant dessus, vous eussiez dit être des églises ou plutôt des montagnes de cristal. À peine aurais-je cru cela si je ne l’avais vu. Quand on en rencontre quantité 9. Le 30 mai 1632, six semaines après la Quasimodo (RO). 10. Il s’agit du Grand Banc de Terre-Neuve, où « [l]a plupart des navires s’arrêtaient […] pour y pêcher la morue, renouvelant le ravitaillement » (Monumenta, p. 282, note 4). 11. Par souci de lisibilité, je restitue le participe présent, conforme à l’usage moderne, mais omis dans l’original (p. 9). 12. Dans l’original, on lit « flottantes » (p. 10), Lejeune employant le participe présent comme un adjectif verbal. L’usage moderne omet l’accord.

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et qu’un navire se trouve embarrassé là-dedans, il est bientôt mis en pièces. Le jeudi 3 de juin, nous entrâmes dans le pays par l’un des plus beaux fleuves du monde. La grande île de Terre-Neuve le ferme en son embouchure, lui laissant deux endroits par où il se dégorge dans la mer, l’un au nord et l’autre au sud. Nous entrâmes par celui-ci, qui est large environ de 13 ou 14 lieues*. Sitôt que vous êtes entrés, vous découvrez un golfe de 150 lieues* de largeur. En montant plus haut, au lieu où cette grande rivière commence à s’étrécir, elle a bien encore de largeur 37 lieues*. Où nous sommes à Québec, éloignés de13 plus de 200 lieues* de l’embouchure, elle a bien encore une14 demi-lieue*. À l’entrée de ce golfe, nous vîmes deux rochers : l’un paraissait rond, l’autre carré. Vous diriez que Dieu les a plantés au milieu des eaux comme deux colombiers pour servir de lieu de retraite aux oiseaux, qui s’y retirent en si grande quantité qu’on marche dessus eux. Et si on ne se tient bien ferme, ils s’élèvent en si grand nombre qu’ils renversent les personnes. On en rapporte des chaloupes ou petits bateaux tout pleins quand le temps permet qu’on les aborde. Les Français les ont nommées les îles aux Oiseaux15. On vient dans ce golfe pour pêcher des baleines (nous y 13. Dans l’original, on lit « esloignez plus de 200. lieuës » (p. 11). 14. Dans l’original, on lit « elle a bien encor demie lieuë » (p. 11). 15. Les rochers aux Oiseaux, situés « à 12 milles nautiques à l’est de l’île [Brion] » (Monumenta, p. 301, note 8), près des îles de la Madeleine, sont depuis 1974 « un refuge d’oiseaux migrateurs » (Commission de toponymie du Québec).

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en avons vu quantité), pour pêcher aussi des molues*. J’y ai vu grand nombre de loups marins, nos gens en tuèrent quelques-uns. Il se trouve dans cette grande rivière nommée de Saint-Laurent des marsouins blancs, et non ailleurs. Les Anglais les appellent des baleines blanches, parce16 qu’elles sont fort grandes à comparaison des marsouins. Ils montent jusqu’à Québec. Le jour de la Sainte Trinité17, nous fûmes contraints de relâcher à Gaspé. C’est une grande baie d’eau qui entre dans ce pays. C’est ici où nous mîmes pied à terre pour la première fois depuis notre départ. Jamais homme après un long voyage n’est rentré dans son pays avec plus de contentement que nous entrions au nôtre (c’est ainsi que nous appelions ces misérables contrées). Nous y trouvâmes deux vaisseaux, l’un de Honfleur, l’autre de Biscaye18, qui étaient venus pour la pêche des molues*. Nous priâmes ceux de Honfleur de nous dresser un autel pour dire la Sainte Messe dans leur cabane. Ce fut à qui y mettrait la main, tant ils étaient aises. Aussi leur disais-je en riant qu’en bâtissant leur cabane, ils ne pensaient pas bâtir une chapelle. Comme je vins à l’Évangile qui se lit ce jour-là à la messe, et qui était le premier que je prononçais en ces terres, je fus bien étonné entendant ces paroles du Fils de Dieu à ses 16. Dans l’original, on lit « pource » (p. 12). Toutes ces occurrences ont été résolues de la même façon. 17. Le 6 juin 1632 (Monumenta, p. 301, note 10). 18. Région du Pays basque, autour de Bilbao.

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disciples : Data est mihi omnis potestas in cælo et in terra, euntes ergo docete omnes gentes baptisantes eos in nomine Patris, etc. Ecce ego vobiscum, etc.19. Je pris bon augure de ces paroles, quoique je visse bien qu’elles ne s’adressaient pas à une personne si misérable que moi. Aussi m’est-il avis que je viens ici comme les pionniers, qui marchent les premiers pour faire les tranchées, et par après les braves soldats viennent assiéger et prendre la place. Après la messe, nous entrâmes dans les bois. Il y avait encore quantité de neige, si ferme qu’elle nous portait. Le matin, il gela assez fort. Comme j’allais laver mes mains à un torrent d’eau qui découlait des montagnes, je trouvai les bords tout glacés. Nos gens tuèrent ici quelques perdrix fort grises et aussi grosses que nos poules de France. Ils tuèrent aussi quelques lièvres plus pattus que les nôtres, et encore un peu blancs, car les lièvres en ce pays-ci sont tout blancs pendant les neiges et, pendant l’été, ils reprennent leur couleur, semblable à celle des lièvres de l’Europe. Le jour suivant, nous nous remîmes sous voile et, le 18 de juin, nous mouillâmes à Tadoussac. C’est une autre baie d’eau ou une anse fort petite, auprès de laquelle se trouve un fleuve nommé Saguenay20, 19. Matthieu 28, 19-20 : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, etc. Voici que je suis avec vous, etc. » (RO). 20. Dans l’original, on lit « Sagué » (pour Sagné), ce qui constitue un bon exemple des erreurs typographiques induites par la toponymie de la

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qui se jette dans la grande rivière de Saint-Laurent. Ce fleuve est aussi beau que la Seine, quasi aussi rapide que le Rhône21 et plus profond que plusieurs endroits de la mer, car on dit qu’il a bien 80 brasses* de profondeur aux endroits où il est le moins profond. Comme nous allions dire la Sainte Messe à terre, l’un de nos soldats tua un grand aigle auprès de son aire. Il avait la tête et le col tout blancs, le bec et les pieds jaunes, le reste du corps noirâtre. Il était gros comme un coq d’Inde*. Nous avons ici séjourné depuis le 14 juin jusqu’au 3 de juillet, c’est-à-dire 19 jours. Il faisait encore grand froid quand nous y arrivâmes, mais avant que d’en partir, nous y avons ressenti de grandes chaleurs. Et cependant, ce n’était que le printemps, puisque les arbres étaient seulement fleuris. En fort peu de temps, les feuilles, les boutons, les fleurs et les fruits paraissent ici, et mûrissent. J’entends les fruits sauvages, car il n’y en a point d’autres. Or, c’est ici que j’ai vu des Sauvages* pour la première fois. Sitôt qu’ils aperçurent notre vaisseau, ils firent des feux, et deux d’entre eux nous vindrent22 aborder dans un petit canot fait d’écorce fort proprement. Le lendemain, un Sagamo* avec dix ou douze Nouvelle-France. Ici, privé de repères, l’imprimeur a simplement inversé deux caractères identiques, soit le n et le u. 21. Dans l’original, on lit « Rosne ». S’agit-il du Petit Rosne, minuscule rivière du Val-d’Oise, ou du Rhône ? Le contexte semble favoriser le second, d’autant plus que dans une version manuscrite antérieure de quelques jours, Lejeune écrivait « Rhosne » (Monumenta, p. 285). 22. Variante du passé simple du verbe venir, aujourd’hui vinrent.

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Sauvages* nous vint voir. Il me semblait, les voyant entrer dans la chambre de notre capitaine, où j’étais pour lors, que je voyais ces masques qui courent en France à Carême-prenant*. Il y en avait qui avaient le nez peint en bleu, les yeux, les sourcils, les joues peints en noir et le reste du visage en rouge. Et ces couleurs sont vives et luisantes comme celles de nos masques. D’autres avaient des raies noires, rouges et bleues, tirées des oreilles à la bouche. D’autres étaient tout noirs, hormis le haut du front et les parties voisines des oreilles et le bout du menton, si bien qu’on eût vraiment dit qu’ils étaient masqués. Il y en avait qui n’avaient qu’une raie noire, large d’un ruban, tirée d’une oreille à l’autre au travers des yeux, et trois petites raies sur les joues. Leur couleur naturelle est comme celle de ces gueux de France qui sont demi rôtis au soleil, et je ne doute point que les Sauvages* ne fussent très blancs s’ils étaient bien couverts. De dire comme ils sont vêtus, il est bien difficile. Les hommes, quand il fait un peu chaud, vont tout nus, hormis une pièce de peau qu’ils mettent au-dessous du nombril jusqu’aux cuisses. Quand il fait froid, ou bien à l’imitation des Européens, ils se couvrent de peaux de castor, d’ours, de renard et d’autres tels animaux, mais si maussadement que cela n’empêche pas qu’on ne voie la plupart de leurs corps. J’en ai vu de vêtus de peau d’ours, justement comme on peint saint Jean Baptiste. Cette peau velue au-dehors leur allait sous un bras

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et sur l’autre, et leur battait jusqu’aux genoux. Ils étaient ceints au travers du corps d’une corde de boyau. Il y en a de vêtus entièrement, ils ressemblent tous à ce philosophe de la Grèce qui ne portait rien sur soi qu’il n’eût fait23. Il ne faut pas employer beaucoup d’années pour apprendre tous leurs métiers. Ils vont tous tête nue, hommes et femmes. Ils portent les cheveux longs, ils les ont tous noirs, graissés et luisants. Ils les lient par derrière, sinon quand ils portent le deuil. Les femmes sont honnêtement couvertes. Elles ont des peaux jointes sur les épaules avec des cordes, et ces peaux leur battent depuis le col jusqu’aux genoux. Elles se ceignent aussi d’une corde le reste du corps. La tête, les bras et les jambes sont découvertes. Il y en a néanmoins qui portent des manches, des chausses et des souliers, mais sans autre façon que celle que la nécessité leur a apprise. Maintenant qu’ils traitent* des capots, des couvertures, des draps, des chemises avec les Français, il y en a plusieurs qui s’en couvrent. Mais leurs chemises sont aussi blanches et aussi grasses que des torchons de cuisine, ils ne les blanchissent jamais. Au reste, ils sont de bonne taille, le corps bien fait, les membres très bien proportionnés et ne sont point si massifs que je les croyais. Ils ont un assez bon sens, ils ne parlent point tous ensemble, ains* 23. Il s’agit du sophiste grec Hippias (ve siècle av. J.-C.), que Platon attaque dans ses Dialogues. Il était aussi poète, dramaturge et historien. Il ne nous reste de lui que quelques fragments (RO).

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les uns après les autres, s’écoutant patiemment. Un Sagamo* ou capitaine, dînant un jour en la chambre du nôtre, voulant dire quelque chose et ne trouvant point le loisir parce qu’on parlait toujours, enfin pria la compagnie qu’on lui donnât un peu de temps pour parler à son tour, et tout seul, comme il fit. Or, comme dans les grandes étendues de ces pays-ci, il y a quantité de nations, toutes barbares, aussi se font-elles la guerre les unes les autres fort souvent. À notre arrivée à Tadoussac, les Sauvages* revenaient de la guerre contre les Iroquois et en avaient pris neuf. Ceux de Québec en tenaient six et ceux de Tadoussac, trois. Monsieur Émery de Caën24 les fut voir, il désirait sauver la vie au plus jeune. Je plaidai fort pour tous trois, mais on me dit qu’il fallait de grands présents et je n’en avais point. Arrivés donc que nous fûmes aux cabanes des Sauvages*, qui sont faites de perches et couvertes d’écorces assez grossièrement (le faîte n’est point couvert pour recevoir le jour par là et donner issue à la fumée), nous entrâmes dans celle du capitaine de guerre, qui était longuette. Il y avait trois feux au milieu, les uns éloignés des autres de cinq ou six pieds. Étant entrés, nous nous assîmes de part et

24. Né en 1603 au sein d’une famille marchande de Rouen, « général de la flotte de la Nouvelle-France, il joua en celle-ci un rôle important de 1621 à 1632 ». Désigné le 4 mars 1632 par son frère Guillaume pour reprendre possession de Québec, ce qu’il fera le 13 juillet, il quitta la colonie en mai 1633. « On perd sa trace par la suite » (Monumenta, p. 810-811).

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d’autre à plate terre, couverte de petites branches de sapin (ils n’ont point d’autres sièges). Cela fait, on fit venir les prisonniers qui s’assirent les uns auprès des autres. Le plus âgé avait plus de 60 ans, le second environ 30, le troisième était un jeune garçon de 15 à 16 ans. Ils se mirent tous à chanter pour montrer qu’ils ne craignaient point la mort, quoique très cruelle. Leur chant me semble fort désagréable, la cadence finissait toujours par ces aspirations réitérées : « oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! hem ! hem ! hem ! », etc. Après qu’ils eurent bien chanté, on les fit danser les uns après les autres. Le plus âgé se lève le premier et commence à marcher du long de la cabane tout nu, hormis, comme j’ai dit, un morceau de peau qui lui couvrait ce que la nature a caché. Il frappait des pieds la terre en marchant et chantait incessamment*. Voilà toute sa danse, pendant laquelle tous les autres Sauvages* qui étaient dans la cabane frappaient des mains ou se battaient la cuisse, tirant cette aspiration du fond de l’estomac : « a-ah, a-ah, a-ah ». Et puis, quand le prisonnier s’arrêtait, ils criaient : « o-oh ! o-oh ! o-oh ! » Et l’un se rasseyant, l’autre se mettait à danser. Monsieur de Caën demanda quand on les ferait mourir. Ils répondirent : le lendemain. Je les fus voir encore et je trouvai trois pieux de bois dressés, où on les devait exécuter. Mais il vint nouvelle de Québec qu’on traitait* de paix avec les Iroquois et qu’il faudrait peut-être rendre les prisonniers. Ainsi, leur

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mort fut retardée. Il n’y a cruauté semblable à celle qu’ils exercent contre leurs ennemis. Sitôt qu’ils les ont pris, ils leur arrachent les ongles à belles dents. Je vis les doigts de ces pauvres misérables qui me faisaient pitié et une plaie assez grande au bras de l’un d’eux. On me dit que c’était une morsure de celui qui l’avait pris. L’autre avait une partie du doigt emporté et je lui demandai si le feu lui avait fait cela. Je croyais que ce fût une brûlure, il me fit signe qu’on lui avait emporté la pièce avec les dents. Je remarquai la cruauté même des filles et des femmes pendant que ces pauvres prisonniers dansaient, car comme ils passaient devant le feu, elles soufflaient et poussaient la flamme dessus eux pour les brûler. Quand ils les font mourir, ils les attachent à un poteau. Puis, les filles aussi bien que les hommes leur appliquent des tisons ardents et flambants aux parties les plus sensibles du corps, aux côtés, aux cuisses, à la poitrine et en plusieurs autres endroits. Ils leur lèvent la peau de la tête, puis jettent sur le crâne ou le têt* découvert du sablon tout brûlant. Ils leur percent les bras au poignet avec des bâtons pointus et leur arrachent les nerfs par ces trous. Bref, ils les font souffrir tout ce que la cruauté et le diable leur mettent25 en l’esprit. Enfin, pour dernière catastrophe, ils les mangent et les dévorent quasi tout crus26. Si nous étions pris des Iroquois, peut-être 25. Dans l’original, on lit « met » (p. 24). 26. Le thème de l’anthropophagie est très présent dans la culture occidentale. On le trouve chez Hérodote quand il parle des Scythes buveurs de sang

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nous en faudrait-il passer par là, pour autant que nous demeurons avec les Montagnards27, leurs ennemis. Ils sont si enragés contre tout ce qui leur fait du mal qu’ils mangent les poux et toute autre vermine qu’ils trouvent sur eux, non pour aucun goût qu’ils y aient, mais seulement, disent-ils, pour se venger et pour manger ceux qui les mangent. Pendant que ces pauvres captifs chantaient et dansaient, il y en avait de notre équipage qui se riaient voyant cette barbarie. Mais ô mon Dieu, quel triste sujet de rire ! C’est la vérité que le cœur me fendait. Je ne pensais nullement venir en Canada quand on m’y a envoyé, je ne sentais aucune affection particulière pour les Sauvages*, si bien à faire l’obéissance, quand on m’eût dû envoyer encore plus loin mille fois28. Mais je puis dire que quand j’aurais eu de l’aversion de ce pays, voyant ce que j’ai déjà vu, je serais touché, eussé-je le cœur de bronze29. Plût à humain et de leurs alliés androphages (L’Enquête, livre iv : 64 et 106), dans la mythologie gréco-romaine (Cronos-Saturne qui dévore ses enfants), dans les contes et les chansons populaires et même dans le dogme catholique (par l’Eucharistie, le chrétien ingère le corps du Christ). Le thème se développera considérablement au xvie siècle, avec les nombreuses relations de voyages en Amérique, plus particulièrement aux Antilles et au Brésil (Staden, Thevet, Léry, etc.). Là-dessus, voir Lestringant et Boucher (RO). 27. Montagnards, nation amérindienne alliée des Français. Aujourd’hui, Montagnais ou Innus. 28. Ici, il faut lire : « Je ne pensais nullement venir en Canada quand on m’y a envoyé, je ne sentais aucune affection particulière pour les Sauvages, mais je devais obéir, même si l’on avait dû m’envoyer encore mille fois plus loin. » 29. Ici, il faut lire : « Mais je puis dire qu’advenant le cas où j’aurais eu de l’aversion pour ce pays, en voyant ce que j’ai déjà vu, je serais touché, même si j’avais un cœur de bronze. »

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Dieu que ceux qui peuvent assister ces pauvres âmes et contribuer quelque chose à leur salut fussent ici seulement pour trois jours. Je ne crois pas que l’affection de les secourir ne saisît puissamment leur âme. Qu’on ne s’étonne point de ces barbaries. Avant que la foi fût reçue en Allemagne, en Espagne, en Angleterre, ces peuples n’étaient pas plus polis*. L’esprit ne manque pas aux Sauvages* de Canada, si bien l’éducation et l’instruction. Ils sont déjà las de leurs misères et nous tendent les bras pour être assistés. Il me semble que les nations qui ont une demeure stable se convertiraient aisément. Je puis dire des Hurons tout ce que nous en a écrit il y a quelque temps le père d’un jeune homme des Paraquais30, savoir est qu’il y a grandement à souffrir parmi eux, mais qu’il s’y peut faire de grands fruits, et que si les consolations de la terre y manquent, celles du Paradis s’y goûtent déjà. Il ne faut que savoir la langue. Et si le Père Brébeuf n’eût point été contraint par les Anglais de s’en retourner d’ici, lesquels s’étaient emparés du fort des Français, il aurait déjà bien avancé la gloire de Dieu en ce pays-là31. Pour les nations étranges et vagabondes, comme sont celles où nous sommes demeurant à Québec, il y aura plus de difficulté. Le moyen, à mon 30. Les Guaranis du Paraguay, chez qui les Jésuites espagnols avaient fondé des « réductions » en 1610 (RO). 31. Le jésuite Jean de Brébeuf était missionnaire à Québec quand les frères Kirke s’en emparèrent en 1629 (RO).

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avis, de les aider, c’est de dresser des séminaires et prendre leurs enfants qui sont bien éveillés et fort gentils. On instruira les pères par le moyen des enfants. Voire même, il y en a déjà quelques-uns d’entre eux qui commencent à cultiver la terre et semer du blé d’Inde. Leur vie fâcheuse et très misé­ rable leur ennuie, mais en un mot, la promesse du Père Éternel à son Fils s’effectuera tôt ou tard. Dabo tibi gentes hæreditatem tuam, et possessionem tuam terminos terræ32. On a fait de grands fruits dans les Indes orientales et dans l’Amérique méridionale33, quoiqu’on ait trouvé en ces pays-là non seulement des vices à combattre, mais encore des superstitions étranges, auxquelles ces peuples étaient plus attachés qu’à leur propre vie. En la Nouvelle-France, il n’y a que les péchés à détruire, et encore en petit nombre, car ces pauvres gens, si éloignés de toutes délices, ne sont pas adonnés à beaucoup d’offenses. De superstition ou fausse religion, s’il y en a en quelques endroits, c’est bien peu. Les Canadiens ne pensent qu’à vivre et à se venger de leurs ennemis, ils ne sont attachés au culte d’aucune divinité. Ils peuvent prendre plusieurs femmes, cepen­dant ils n’en ont qu’une. J’ai ouï parler d’un seul qui en a deux, encore lui en fait-on reproche. Il est vrai que celui qui saurait leur langue les manierait comme il voudrait. C’est à 32. Psaumes 2, 8 : « Je te donnerai les nations en héritage et les confins de la terre en possession » (RO). 33. Allusion à la Chine et à divers pays de l’Amérique latine, où les Jésuites eurent de nombreuses missions dès le milieu du xvie siècle (RO).

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quoi je me vais appliquer, mais j’avancerai fort peu cette année, pour les raisons que j’écrirai en particulier à Votre Révérence. Mais retournons à la suite de notre voyage. Quelque temps auparavant que nous levassions les ancres de Tadoussac, il s’éleva un grain*, comme parlent les matelots, ou une tempête si furieuse qu’elle nous jeta bien avant dans le péril, quoique nous fussions en la maison d’assurance. C’est ainsi que j’appelle la baie de Tadoussac. Les tonnerres grondaient horriblement, les vents furieux firent tellement plier notre vaisseau, que si ce grain* eût continué, il l’eût renversé sens dessus dessous. Mais cette furie ne dura pas et, ainsi, nous échappâmes à ce danger34. Le 3e jour de juillet, nous sortîmes de Tadoussac et nous allâmes mouiller à l’Échafaud-aux-Basques35. C’est un lieu ainsi appelé, à cause que les Basques viennent jusque-là pour prendre des baleines. Comme il était grand calme et que nous attendions la marée, je mis pied à terre : je pensai être mangé des maringouins*. Ce sont de petites mouches36 importunes au possible. Les grands bois qui sont ici en engendrent de plusieurs espèces. Il y a des mouches com­munes, des mousquilles*, des mouches luisantes*, 34. Dans l’original, on lit « & ainsi nous échapasmes ce danger » (p. 29). 35. Depuis la fin du xvie siècle, les Basques ont pénétré l’estuaire du SaintLaurent pour chasser la baleine et commercer avec les Amérindiens à Chafaud-aux-Basques (quinze kilomètres à l’ouest de Tadoussac) et à l’île aux Basques (en face de Trois-Pistoles). À ce sujet, voir Turgeon (RO). 36. Dans l’original, on lit « ce sont petites mouches » (p. 30).

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des maringouins* et des grosses mouches*, et quantité d’autres. Les grosses mouches* piquent furieusement et la douleur qui provient de cette piqûre, et qui est fort cuisante, dure assez longtemps. Il y a peu de ces grosses mouches*. Les mousquilles* sont extrêmement petites ; à peine les peut-on voir, mais on les sent bien. Les mouches luisantes* ne font point de mal ; vous diriez la nuit que ce sont des étincelles de feu. Elles jettent plus de lumière que les vers luisants que j’ai vus en France. Tenant une de ces mouches et l’appliquant auprès d’un livre, je lirais fort bien. Pour les maringouins*, c’est l’importunité même. On ne saurait travailler, notamment à l’air, pendant leur règne si on n’a de la fumée auprès de soi37 pour les chasser. Il y a des personnes qui sont contraintes de se mettre au lit venant des bois, tant ils sont offensés*. J’en ai vu qui avaient le col, les joues, tout le visage si enflé, qu’on ne leur voyait plus les yeux. Ils mettent un homme tout en sang quand ils l’abordent, ils font la guerre aux uns plus qu’aux autres. Ils m’ont traité jusqu’ici assez doucement : je n’enfle point quand ils me piquent, ce qui n’arrive qu’à fort peu de personnes si on n’y est accoutumé38. Si le pays était essarté* et habité, ces bestioles ne s’y trouveraient point, car déjà il s’en trouve fort peu au fort de Québec, à cause qu’on coupe les bois voisins.

37. Dans l’original, on lit « auprés soy » (p. 31). 38. Dans l’original, on lit « si on y est accoustumé » (p. 31).

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Le 4 de juillet, nous levâmes l’ancre pour aborder à quatre lieues* de Québec, mais le vent était si furieux que nous pensâmes faire naufrage dans le port. Avant que d’arriver à Québec, on rencontre au milieu de cette grande rivière une île nommée de Saint-Laurent39, qui a bien sept lieues* de long. Elle n’est éloignée du bout plus occidental que d’une lieue* de la demeure des Français. Environ le milieu de cette île, on jeta l’ancre pour s’arrêter, mais les vents et la marée poussaient notre navire avec une telle impétuosité que le câble se rompit comme un filet et l’ancre demeura dans l’eau. À un quart de lieue* de là, on en jette une autre : le câble se rompit tout de même que le premier. Dedans ce trouble, comme les vents redoublaient, le câble qui tenait notre bateau attaché derrière notre navire se rompit aussi et, en un instant, notre bateau disparut. À trois jours de là, quelques Sauvages* nous vindrent apporter nouvelle du lieu où il s’était allé échouer. S’il eût rencontré des roches aussi bien qu’il rencontra de la vase, il se fût brisé en cent pièces. Si cette bourrasque nous eût pris une heure plus tôt en un endroit fort dangereux, nos pilotes disaient que c’était fait de nous. Enfin, quand nous fûmes à environ40 trois quarts de lieues* du bout de notre pèlerinage, on jeta le troisième ancre41, qui nous arrêta. Une barque française que nous avions 39. L’île d’Orléans. 40. Dans l’original, on lit « nous fumes environ » (p. 33). 41. Bien que le mot ancre soit généralement féminin au xviie siècle, selon l’Académie et Furetière, ce dernier précise : « Les gens de mer le font souvent masculin. » Dans ce paragraphe, Lejeune emploie les deux genres.

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rencontrée à Tadoussac, et qui venait avec nous, perdit deux ancres aussi bien que nous. Enfin, le 5 de juillet, qui était un lundi, deux mois et 18 jours depuis le 18 d’avril que nous partîmes, nous arrivâmes au port tant désiré. Nous mouillâmes l’ancre devant le fort que tenaient les Anglais. Nous vîmes au bas du fort la pauvre habitation de Québec toute brûlée42. Les Anglais, qui étaient venus en ce pays-ci pour piller et non pour édifier*, ont brûlé non seulement la plus grande partie d’un corps de logis que le Père Charles Lalemant avait fait dresser, mais encore toute cette pauvre habitation, en laquelle on ne voit plus que des murailles de pierres toutes bouleversées. Cela incommode fort les Français, qui ne savent où se loger. Le lendemain, on envoya sommer le capitaine Thomas Kirke43, Français de nation, né à Dieppe, qui s’est retiré en Angleterre et qui, avec David et Louis Kirke44, ses frères, et un nommé Jacques Michel, aussi Dieppois, tous huguenots, s’étaient venus jeter 42. Il s’agit de la seconde habitation, reconstruite par Champlain, en pierre, dans les années 1620 sur l’emplacement de celle de 1608. Les frères Kirke l’auraient incendiée en 1629. Plus loin, Lejeune désigne la maison de Notre-Dame-des-Anges. 43. Dans l’original, on lit « Ker » (p. 34) : « aventurier, frère cadet de Sir David Kirke, né vers 1603 à Dieppe, mort après 1641 » (John S. Moir, « Kirke, Thomas », dans le Dictionnaire biographique du Canada). 44. Deux des quatre frères de Thomas. Sir David (Dieppe, ca. 1597 – Londres, 1654) fut « aventurier, négociant, colonisateur, chef de l’expédition qui s’empara de Québec en 1629, et plus tard gouverneur de Terre-Neuve ». Quant à Sir Louis, ou Lewis (Dieppe, ca. 1599 – ?, avant 1683), lui aussi aventurier et trafiquant, il fut « commandant en second des expéditions envoyées pour prendre Québec en 1628 e[t] 1629. […]. Il s’acquit l’estime des Français par sa conduite chevaleresque et le généreux traitement qu’il

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sur ce pauvre pays, où ils ont fait de grands dégâts et empêché de très grands biens. Ce pauvre Jacques Michel, plein de mélancolie, ne se voyant point récompensé des Anglais, ou plutôt des Français reniés et anglisés, comme il prétendait, pressé en outre d’un remords de conscience d’avoir assisté ces nouveaux Anglais contre ceux de sa patrie, mourut subitement quelque temps après la prise de ce pays-ci. Il fut enterré à Tadoussac. J’ai appris ici que les Sauvages* le déterrèrent et firent toute sorte d’ignominie à son corps, le mirent en pièces, le donnèrent à leurs chiens : voilà le salaire des perfides ! Je prie Dieu qu’il ouvre les yeux aux autres. Monsieur Émery de Caën avait déjà envoyé de Tadoussac une chaloupe, avec un extrait des Commis­ sions et Lettres Patentes des Rois de France et d’Angleterre, par lesquelles il était commandé au capitaine anglais de rendre le fort dans huit jours45. Les lettres vues, il fit réponse qu’il obéirait quand il aurait vu l’original. On lui porta donc le lendemain de notre arrivée. Cependant, nous allâmes célébrer la Sainte Messe en la maison la plus ancienne de ce pays-ci. C’est la maison de Madame Hébert, qui s’est habituée* auprès du fort du vivant de son mari. Elle a une belle famille. Sa fille est ici mariée à un honnête Français46. accorda au clergé catholique prisonnier des Anglais à Québec » (John S. Moir, dans le Dictionnaire biographique du Canada). 45. Voir Le Mercure françois, t. 18, 1633, p. 39-56. 46. Mariée en premières noces à Louis Hébert (1565 ?-1627), premier colon établi en Nouvelle-France, Marie Rollet († 1649) avait un fils et une fille (Guillaume et Guillemette). En 1629, elle épousa en secondes noces Guil-

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Dieu les bénit tous les jours : il leur a donné de très beaux enfants, leur bestial* est en très bon point, leurs terres leur rapportent de bon grain. C’est l’unique famille de Français habituée en Canada. Ils cherchaient les moyens de retourner en France, mais ayant appris que les Français retournaient à Québec, ils commencèrent à revivre. Quand ils virent arriver ces pavillons blancs sur les mâts de nos vais­seaux, ils ne savaient à qui dire leur contentement. Mais quand ils nous virent en leur maison47 pour y dire la Sainte Messe, qu’ils n’avaient point entendue depuis trois ans, bon Dieu, quelle joie ! Les larmes tombaient des yeux quasi à tous, de l’extrême contentement qu’ils avaient. Ô que nous chantâmes de bon cœur le Te Deum laudamus48 ! C’était justement le jour de l’octave de saint Pierre et saint Paul. Le Te Deum chanté, j’offris à Dieu le premier sacrifice à Québec. L’Anglais, ayant vu les patentes signées de la main de son roi, promit qu’il sortirait dans la huitaine et, de fait, il commença à s’y disposer, quoique avec regret. Mais ses gens étaient tous bien aises du retour des Français : on ne leur donnait que six livres de pain au poids de France pour toute leur laume Hubou. Guillemette Hébert, qui avait épousé l’« honnête Français » Guillaume Couillard, avait quatre enfants, soit Louise (1625), Marguerite (1626), Louis (1629) et Élisabeth (1631). 47. Campeau rappelle que « [l]a maison de madame Hébert se trouvait sur le site où s’élève aujourd’hui le vieux Séminaire de Québec, sur le cap Diamant » (Monumenta, p. 311, note 27). Le contour en est désormais tracé à même les pavés de la cour. 48. Chant de louange et d’action de grâces qui commence par « Te Deum laudamus », soit Dieu, nous te louons (RO).

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semaine. Ils nous disaient que les Sauvages* les avaient aidés à vivre la plupart du temps. Le mardi suivant, 13 de juillet, ils remirent le fort entre les mains de Monsieur Émery de Caën et de Monsieur du Plessis-Bochart49, son lieutenant. Et le même jour firent voile dans deux navires qu’ils avaient à l’ancre. Dieu sait si nos Français furent joyeux, voyant déloger ces Français anglisés, qui ont fait tant de maux en ces misérables contrées et qui sont cause que plusieurs Sauvages* ne sont pas baptisés, notam­ ment aux Hurons, où la foi produirait maintenant des fruits dignes de la table de Dieu si ces ennemis de la vérité, de la vraie vertu et de leur patrie ne se fussent point jetés à la traverse. Dieu soit béni de tout, c’est à nos Français de penser à leur conservation et à mettre en peu de temps ce pays-ci en tel état qu’ils aient fort peu à faire des vivres de France, ce qui leur sera bien aisé s’ils veulent travailler. Les Anglais délogeant*, nous sommes rentrés dans notre petite maison. Nous y avons trouvé pour tous meubles deux tables de bois telles quelles, les portes, fenêtres, châssis, tous brisés et enlevés : tout s’en va en ruine. C’est encore pis en la maison des pères récollets. Nous avons trouvé nos terres défrichées couvertes de pois ; nos pères les avaient laissées à l’Anglais couvertes de fourment*, d’orge et de blé d’Inde. Et cependant, ce capitaine Thomas Kirke a 49. Théodore Charles Bochart du Plessis (1585-1642), lieutenant d’Émery de Caën et amiral de la flotte des Cent-Associés. Il fréquenta la NouvelleFrance de 1632 à 1637 (Monumenta, p. 802-803).

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vendu la récolte de ces pois, refusant de nous les donner pour les fruits qu’il avait trouvés sur nos terres. Notre Seigneur soit honoré pour jamais : quand on est en un mauvais passage, il s’en faut tirer comme on peut. C’est beaucoup qu’un tel hôte soit sorti de notre maison et de tout le pays, nous avons maintenant prou* de quoi exercer la patience. Je me trompe, c’est Dieu même qui porte la croix qu’Il nous donne, car en vérité elle nous semble petite, quoiqu’il y ait de quoi souffrir. Retournons aux Sauvages* et en disons encore deux petits mots. La veille de notre départ de Tadoussac vindrent nouvelles que les prisonniers iroquois avaient été mis à mort à Québec et que ceux de Tadoussac devaient le lendemain passer le pas. Je me remets à plaider leur cause et promets de donner ce qu’il faudrait pour les nourrir, passant en France, voire de trouver personnes qui les recevraient sitôt qu’ils y seraient arrivés. Je me confiais en la charité de plusieurs honnêtes personnes qui n’auraient pas refusé une aumône pour racheter les corps de ces misérables des supplices qu’ils ont endurés, et leur âme de la damnation éternelle. J’aborde donc Monsieur du Plessis, notre lieutenant, je lui fais appréhender* l’affaire. On fait des aumônes en France pour retirer des emprisonnés pour des dettes, et pourquoi ne travaillera-t-on point pour ces pauvres esclaves de Satan ? Je lui fais mes offres, que nous donnerions tout ce que nous pourrions. Il embrasse l’affaire et la propose le soir entre ceux qui mangeaient en la table

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de notre capitaine. On repart qu’il faudrait de grands présents pour leur sauver la vie. Monsieur du Plessis dit qu’on donnerait ce qu’on pourrait et qu’au reste, il ne faudrait pas grand-chose, qu’on pourrait demander ces trois prisonniers iroquois comme en échange d’un Français qu’ils ont tué il y a quelques années, ou à tout le moins en demander deux et qu’assurément on les aurait. Le truchement* qui leur avait parlé m’avait assuré que la chose était facile. Là-dessus, on forme mille difficultés et l’un de la compagnie s’écria qu’il fallait qu’ils mou­rus­sent, qu’il les étranglerait plutôt, que c’étaient des coquins et que, parlant à un Sauvage* de Québec, il lui avait donné avis de les faire mourir. Si la mort de ces misérables apportait quelque profit à la traite* des peaux qu’on vient faire en ce pays-ci, ce zèle de mort aurait quelque couleur. Mais leur vie et leur mort ne font50 rien pour la traite*. Ô qu’il importe beaucoup de bien choisir les personnes qu’on envoie en ce pays-ci ! Il est vrai que Monsieur Émery de Caën n’approuva point cette cruauté. Quoi que c’en soit, le vent nous étant favorable, le jour suivant nous fîmes voile et laissâmes là ces trois pauvres abandonnés entre les mains de leurs ennemis, qui en traitèrent deux d’une horrible façon, car ils n’ont point tué le plus jeune, à ce qu’on nous a dit.

50. Dans l’original, on lit « leur vie et leur mort ne fait » (p. 42). L’usage moderne réclame l’accord.

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Arrivés que nous fûmes à Québec, on nous raconta la mort de six prisonniers que les Sauvages* tenaient, laquelle est arrivée pour l’ivrognerie que les Européens ont ici apportée. Le ministre anglais, qui au reste n’était point de la même religion que ses ouailles, car il était protestant ou luthérien (les Kirke sont calvinistes ou de quelque autre religion plus libertine, aussi ont-ils tenu six mois en prison ce pauvre ministre dedans notre maison), lequel m’a raconté que les Montagnards voulaient traiter* la paix avec les Iroquois et que celui qui tenait les prisonniers lui avait promis qu’on ne les ferait point mourir. Néanmoins, ce misérable étant ivre d’eaude-vie, qu’il avait traitée* avec les Anglais pour des castors, appela son frère et lui commanda d’aller donner un coup de couteau à l’un des Iroquois et le tuer, ce qu’il fit. Voilà les pensées de la paix évanouies, on parle de la mort des autres. Le ministre, entendant cela, dit à ce Sauvage* qu’il n’avait point tenu sa parole, faisant mourir ce prisonnier. « C’est toi, répond le Sauvage*, et les tiens qui l’ont tué, car si tu ne nous donnais point d’eau-de-vie, ni de vin, nous ne ferions point cela. » Et de fait, depuis que je suis ici, je n’ai vu que des Sauvages* ivres. On les entend crier et tempêter jour et nuit, ils se battent et se blessent les uns les autres, ils tuent le bestial* de Madame Hébert et, quand ils sont retournés à leur bon sens, ils vous disent : « Ce n’est pas nous qui avons fait cela, mais toi qui nous donnes cette boisson. » Ont-ils cuvé leur vin, ils sont entre eux

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aussi grands amis qu’auparavant, se disant l’un l’autre : « Tu es mon frère, je t’aime, ce n’est pas moi qui t’ai blessé, mais la boisson qui s’est servi de mon bras. » J’en ai vu de tout meurtris par la face, les femmes mêmes s’enivrent et crient comme des enragées. Je m’attends bien qu’ils tueront l’un de ces jours quelques Français, ce qu’ils ont déjà pensé faire ; et passé huit heures du matin, il ne fait pas bon les aller voir sans armes quand ils ont du vin. Quelques-uns de nos gens y étant allés après le dîner, un Sauvage* les voulut assommer à coups de haches, mais d’autres Sauvages* qui n’étaient pas ivres vindrent au secours. Quand l’un d’eux est bien ivre, les autres le lient par les pieds et par les bras, s’ils le peuvent attraper. Quelques-uns de leurs capitaines sont venus prier les Français de ne plus traiter* d’eau-de-vie, ni de vin, disant qu’ils seraient cause de la mort de leurs gens. C’est bien le pis quand ils en voient devant eux d’autres autant ivres qu’ils sauraient être. Mais finissons le discours de ces Iroquois. On  fit parler au capitaine anglais s’il en voulait quelques-uns. Comme il entendit qu’il fallait faire quelque présent, il répondit que non et qu’ils en fissent ce qu’ils voudraient. Voici donc comme ils les traitèrent. Ils leur avaient arraché les ongles avec les dents sitôt qu’ils furent pris. Ils leur coupèrent les doigts le jour de leur supplice, puis leur lièrent les deux

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bras ensemble par le poignet de la main avec un cordeau, et deux hommes, de part et d’autre, le tiraient tant qu’ils pouvaient. Ce cordeau entrait dans la chair et brisait les os de ces pauvres misérables, qui criaient horriblement. Ayant les mains ainsi accommodées, on les attacha à des poteaux, et les filles et les femmes donnaient des présents aux hommes, afin qu’ils les laissassent tourmenter à leur gré ces pauvres victimes. Je n’assistai point à ce supplice, je n’aurais pu supporter cette cruauté diabolique. Mais ceux qui étaient présents me dirent, sitôt que nous fûmes arrivés, qu’ils n’avaient jamais vu rien de semblable. Vous eussiez vu ces femmes enragées, criant, hurlant, leur appliquer des feux aux parties les plus sensibles et les plus vergogneuses*, les piquer avec des alènes*, les mordre à belles dents comme des furies, leur fendre la chair avec des couteaux : bref, exercer tout ce que la rage peut suggé­rer à une femme. Elles jetaient sur eux du feu, des cendres brûlantes, du sable tout ardent, et quand les suppliciés jetaient quelques cris, tous les autres criaient encore plus fort, afin qu’on n’entendît point leurs gémissements et qu’on ne fût touché de compassion. On leur coupa le haut du front avec un couteau, puis on enleva la peau de leur tête et jetat-on du sable ardent sur le têt* découvert. Mainte­ nant, il y a des Sauvages* qui portent ces peaux couvertes de leurs cheveux et moustaches, par bravade. On voit encore plus de deux cents coups d’alènes* dans ces peaux. Bref, ils exercèrent sur eux

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toutes les cruautés que j’ai dites ci-dessus51, parlant de ce que j’avais vu à Tadoussac, et plusieurs autres dont je ne me souviens pas maintenant. Quand on leur représente que ces cruautés sont horribles et indignes d’un homme, ils répondent : « Tu n’as point de courage de laisser vivre tes ennemis. Quand les Iroquois nous prennent, ils nous en font encore pis, voilà pourquoi nous les traitons le plus mal qu’il nous est possible ». Ils firent mourir un Sagamo* iroquois. Homme puissant et courageux, il chantait dans ses tourments. Quand on lui vint dire qu’il fallait mourir, il dit, comme tout joyeux : « Allons, j’en suis content, j’ai pris quantité de Montagnards, mes amis en prendront encore et vengeront bien ma mort. » Là-dessus il se mit à raconter ses prouesses et dire adieu à ses parents, ses amis, et aux alliés de sa nation, au capitaine flamand qui va traiter* des peaux au pays des Iroquois par la mer du Nord. Après qu’on lui eut coupé les doigts, brisé les os des bras, arraché la peau de la tête, qu’on l’eut rôti et brûlé de tous côtés, on le détacha, et ce pauvre misérable s’en courut droit à la rivière, qui n’était pas loin de là, pour se rafraîchir. Ils le reprirent, lui firent encore endurer le feu une autre fois. Il était tout noir, tout grillé, la graisse fondait et sortait de son corps. Et avec tout cela, il s’enfuit encore pour la seconde fois ; et l’ayant repris, ils le brûlèrent pour 51. Dans l’original, on lit « les cruautez que j’ay dit » (p. 48). L’usage moderne réclame l’accord.

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la troisième. Enfin, il mourut dans ces tourments. Comme ils le voyaient tomber, ils lui ouvrirent la poitrine, lui arrachant le cœur et le donnant à manger à leurs petits enfants. Le reste était pour eux. Voilà une étrange barbarie. Maintenant, ces pauvres misérables sont en crainte, car les Iroquois sont tous les jours aux aguets pour surprendre les Montagnards et leur en faire autant. C’est pourquoi notre capitaine, voulant envoyer quelqu’un aux Hurons, n’a jamais pu trouver aucun Sauvage* qui y voulût aller. C’est assez parlé de leur cruauté, disons deux mots de leur simplicité. Un Sauvage*, venant voir cet hiver le capitaine anglais et voyant que tout était couvert de neige, eut compassion de son frère qui est enterré auprès de l’habitation des Français. Voilà pourquoi il lui dit : « Monsieur, vous n’avez point pitié de mon pauvre frère. L’air est si beau et le soleil si chaud et, néanmoins, vous ne faites point ôter la neige de dessus sa fosse pour le réchauffer un petit. » On eut beau lui dire que les corps morts n’avaient aucun sentiment, il fallut découvrir cette fosse pour le contenter. Un autre, assistant aux litanies que disaient quelques Français et entendant qu’on disait souvent ces paroles, ora pro nobis52, comme il ne les entendait pas bien prononcer, il croyait qu’on disait, carocana ouabis, c’est-à-dire « du pain blanc ». Il s’étonnait que si souvent on réitérât ces paroles : carocana ouabis, 52. C’est-à-dire, Priez pour nous.

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« du pain blanc, du pain blanc », etc. Ils croient que le tonnerre est un oiseau, et un Sauvage* demandait un jour à un Français si on n’en prenait point en France. Lui ayant dit qu’oui, il le supplia de lui en apporter un, mais fort petit : il craignait qu’il ne l’épouvantât s’il eût été grand53. Voici une chose qui m’a consolé. Un certain Sauvage* nommé la Nasse, qui demeurait auprès de nos pères et cultivait la terre, voyant que les Anglais le molestaient, s’était retiré dans des îles où il avait continué à cultiver la terre. Entendant que nous étions de retour, il nous54 est venu voir et nous a promis qu’il reviendra à se cabaner auprès de nous, qu’il nous donnera son petit-fils. Ce sera notre premier pensionnaire. Nous lui apprendrons à lire et à écrire. Ce bon homme dit que les Sauvages* ne sont pas bien, qu’il veut être notre frère et vivre comme nous. Madame Hébert nous a dit qu’il y a longtemps qu’il souhaitait notre retour. Plusieurs Sauvages* nous demandent des nouvelles du Révérend Père Lalemant, du Père Massé et du Père Brébeuf, qu’ils appellent fort bien par leur nom, et s’enquêtent s’ils ne retourneront point l’année qui vient. Ces bonnes gens ont confiance en nous, en voici un exemple.

53. Selon Campeau, ce Français serait Étienne Brûlé (Monumenta, p. 317, note 36). 54. Dans l’original, on lit « nous est venu voir » (p. 52).

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Le 6 d’août, Monsieur Émery de Caën nous étant venu voir en notre petite maison éloignée du fort d’une55 bonne demi-lieue*, il demeura à dîner avec nous. Pendant que nous étions en table, voilà deux familles de Sauvages* qui entrent jusqu’au lieu où nous étions, hommes, femmes et petits enfants. La première porte de notre maison étant ouverte, tout est ouvert : les Anglais ont brisé les autres. Voilà pourquoi ces bonnes gens furent plutôt dans la chambre où nous étions qu’on ne s’en fût pris garde. Ils me voulaient prier de leur garder quelque bagage. Je remarquai leur patience, car quoiqu’ils fussent en chemin d’un long voyage qu’ils allaient faire, jamais néanmoins ils ne nous interrompirent pendant le dîner, ni après, tandis qu’ils me virent avec notre capitaine. Ils s’assirent de part et d’autre, et je leur fis donner à chacun un morceau de pain, ce qu’ils aiment fort. Enfin, Monsieur de Caën étant parti, l’un d’eux m’aborde et me dit : ania kir capitana ?, « mon frère, es-tu capitaine ? ». Ils demandaient le supérieur de la maison. Ils appellent leur capitaine Sagamo*, mais par la fréquentation des Européens, ils se servent du mot de capitana. Notre frère leur répondit eoco, c’est-à-dire « oui ». Là-dessus, il me fait une harangue, me disant qu’ils s’en allaient à la chasse ou à la pêche des castors, et que je leur gardasse leur équipage, qu’ils reviendraient quand les feuilles tomberaient des arbres. Ils me 55. Dans l’original, on lit « fort une bonne » (p. 53).

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demandèrent fort souvent s’il n’y venait point de larrons en notre maison et regardaient fort bien les endroits où leur bagage serait plus à couvert. Je leur répondis que tout était chez nous en assurance et, leur ayant montré une chambrette qui fermait à clé, ils furent fort contents, mettant là-dedans trois ou quatre paquets couverts d’écorces d’arbres fort proprement, disant qu’il y avait là-dedans de grandes richesses. Je ne sais ce qu’il y a, mais au bout du compte toutes leurs richesses ne sont que pauvreté. Leur or et argent, leurs perles et diamants sont de petits grains blancs de porcelaine qui ne paraissent pas grand-chose. Ayant serré leur bagage, ils me demandèrent un couteau. Je leur en donnai un, puis ils me demandèrent un peu de ficelle pour attacher après un fer de flèche ou un dard, qui a des dents comme une crémaillère. Ils lancent ces dards contre le castor et tiennent toujours le bout de la ficelle, la laissant filer jusqu’au fond de l’eau, où se retire le castor blessé, lequel, ayant perdu son sang, s’affaiblit ; et ils le retirent par cette ficelle, qu’ils ne quittent jamais qu’ils n’aient leur proie. Leur ayant donc fait présent d’un morceau de ficelle, ils me dirent : ania capitana ouias amiscou, « mon frère le capitaine, nous t’apporterons la chair d’un castor », et me firent bien entendre qu’elle ne serait point boucanée*. Ils savent bien que les Français n’aiment point leur boucan. C’est de la chair séchée à la fumée : ils n’ont point d’autre sel que la fumée pour conserver leur viande.

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Un autre Sauvage*, étant encore à Tadoussac, m’apporta deux bouteilles de vin pour lui garder dans ma cabane. Comme il tardait longtemps à les venir requérir, j’avertis le Père de Nouë et notre frère que s’il s’adressait à eux, qu’ils me l’envoyassent. Je craignais qu’il ne les prît pour moi, mais il ne se trompa point. Le soir, comme je disais mon bréviaire, il se vint asseoir auprès de moi et attendit que j’eusse achevé. Alors, il me tira et me dit : ania cabana, « mon frère, allons à ta cabane ». Je l’entendis bien et lui rendis ses bouteilles qui lui avaient coûté de bonnes peaux. Ces exemples font voir la confiance qu’ils ont en nous. En vérité, qui saurait parfaitement leur langue serait puissant parmi eux. Je suis devenu régent en Canada. J’avais l’autre jour un petit Sauvage* d’un côté et un petit Nègre* ou Maure* de l’autre, auxquels j’apprenais à connaître les lettres56. Après tant d’années de régence, me voilà enfin retourné à l’ABC, mais avec un contentement et une satisfaction si grande que je n’eusse pas voulu changer mes deux écoliers pour le plus bel auditoire de France. Ce petit Sauvage* est celui qu’on nous laissera bientôt tout à fait. Ce petit Nègre* a été laissé par les Anglais à cette famille française qui est ici. Nous l’avions pris pour l’instruire et le baptiser, mais 56. Lejeune reviendra au premier pour conclure sa relation. Quant au second, il s’agit d’Olivier Lejeune, son futur filleul. À son sujet, voir Marcel Trudel, « Le Jeune, Olivier », dans le Dictionnaire biographique du Canada, et, plus récemment, Webster et ValMo, Le Grain de sable. Olivier Le Jeune, premier esclave au Canada, Québec, Septentrion, 2019.

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il n’entend pas encore bien la langue. Voilà pourquoi nous attendrons encore quelque temps. Quand on lui parla du baptême, il nous fit rire. Sa maîtresse lui demandant s’il voulait être chrétien, s’il voulait être baptisé et qu’il serait comme nous, il dit qu’oui, mais il demanda si on ne l’écorcherait point en le baptisant. Je crois qu’il avait belle peur, car il avait vu écorcher ces pauvres Sauvages*. Comme il vit qu’on se riait de sa demande, il repartit en son patois, comme il peut : « Vous dites que par le baptême je serai comme vous, je suis noir et vous êtes blancs, il faudra donc m’ôter la peau pour devenir comme vous. » Là-dessus, on se mit encore plus à rire et lui, voyant bien qu’il s’était trompé, se mit à rire comme les autres. Quand je lui dis qu’il prît sa couverture et qu’il s’en retournât chez son maître jusqu’à ce qu’il entendît mieux la langue, il se mit à pleurer et ne voulut jamais reprendre sa couverture. Je lui dis qu’il s’en allât au fort avec le Père de Nouë qui s’y en allait. Il obéit, mais on le rendit en passant à son maître, qui ne s’en peut pas longtemps passer. Autrement, nous l’aurions retenu avec nous. Sa maîtresse, lui demandant pourquoi il n’avait point rapporté sa couverture, il répondit : « Moi point baptisé, point couverture. Ils disaient : viens, baptise-toi. Et moi : point baptisé, moi point baptisé, point retourné, point couverture. » Il voulait dire que nous lui avions promis le baptême et qu’il ne voulait point retourner qu’il ne l’eût reçu. Ce sera dans quelque temps, s’il plaît à Dieu.

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Je supputais l’autre jour combien le soleil se lève plus tôt sur votre horizon que sur le nôtre et je trouvais que vous aviez le jour six heures et un peu davantage plus tôt que nous. Nos mariniers comptent ordinairement 17 lieues* et demie pour un degré de l’équinoxiale* et tout autre grand cercle, et d’ailleurs font état qu’il y a d’ici jusqu’à vous 1000 lieues* et davantage, qui feront par conséquent 57 degrés et 12  minutes d’un grand cercle, sur lequel se doit compter le droit chemin qu’il y a d’ici à vous. Supposant donc notre latitude de 46 degrés et deux tiers et celle de Dieppe de 49 et deux tiers, la supputation faite exactement par la résolution d’un triangle qui se fait sur la terre entre nos deux lieux et le pôle nous donnera 91 degrés et 38 minutes pour l’angle qui se fait au pôle par nos deux méridiens et, par conséquent, pour la pièce de l’équinoxiale*, qui est la mesure dudit angle, laquelle est justement la différence de nos longitudes. Or, ce nombre de degrés étant réduit en temps, comptant une heure pour chaque 15 degrés, nous aurons six heures et six minutes pour le temps que le soleil se lève plus tôt chez vous que chez nous. Si bien que quand un dimanche vous comptez trois heures du matin, nous ne sommes encore qu’à neuf heures du samedi au soir. J’écris ceci environ les huit heures du matin et vous avez deux heures après midi. Que si avec les géographes, pour un degré d’un grand cercle, on comptait 25 lieues*, comme on fait ordinairement des lieues* françaises de moyenne grandeur, alors nos

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1000 lieues* ne feraient que 40 degrés de droit chemin d’ici à vous, et par conséquent la supputation faite comme dessus ne donnerait pour la différence de nos longitudes que 61 degrés et 34 minutes, c’est-à-dire 4 heures et 6 minutes de temps57. Au reste, ce pays-ci est très bon. Sitôt que nous sommes rentrés en notre petite maison environ le 13 de juillet, nous avons foui* et bêché la terre, semé du pourpier*, des naveaux*, planté des faisoles*. Tout n’a point tardé à lever, nous avons bientôt après recueilli de la salade. Le mal était que nos graines étaient gâtées, je dis d’une partie, savoir est celles qu’on a envoyées58 à Monsieur du Plessis, car celles que notre frère a apportées ont très bien réussi. Vous seriez étonné de voir quelque nombre d’épis de seigle qui se sont trouvés parmi nos pois. Elles sont plus longues et mieux grenées que les plus belles que j’aie jamais vues en France. Vendredi dernier, 20 d’août, jour de saint Bernard, étant allé voir un malade à notre bord, c’està-dire à notre vaisseau, pour aller de là saluer

57. La latitude de Québec est 46° 49ʹ N. Toutefois, « [l]e calcul du P. Le Jeune, selon l’une ou l’autre méthode, arrive assez loin de la réalité. L’écart horaire, entre Québec et Paris, est de 5 heures moins 5 minutes environ. Remarquons qu’on n’avait pas alors le moyen de mesurer exactement les longitudes » (Monumenta, p. 320, note 42). 58. Dans l’original, on lit : « sçavoir est qu’on a envoyé » (p. 62). Je rétablis en privilégiant le sens le plus vraisemblable.

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Monsieur de la Rade59 et le capitaine Morieult60, nouvellement arrivés, je pensai être noyé avec deux Français qui étaient avec moi dans un petit canot de Sauvage* dont nous nous servons. La marée était violente. Celui qui était derrière dans ce canot, le voulant détacher du navire, la marée le fit tourner, et le canot, et nous aussi. Nous voilà tous trois emportés par la furie de l’eau, au milieu de cette grande rivière de Saint-Laurent. Ceux du navire crient : « sauve, sauve, au secours », mais il n’y avait point là de chaloupe. Nous attrapons le canot. Comme je vis qu’il tournait si fort que l’eau me passait de beaucoup pardessus la tête et que j’étouffais, je quittai ce canot pour me mettre à nager. Je n’ai jamais bien su ce métier et il y avait plus de 24 ans que je ne l’avais exercé. À peine avais-je avancé de trois brasses que, ma soutane m’enveloppant la tête et les bras, je m’en allais à fond. J’avais déjà donné ma vie à notre Seigneur sans Lui demander qu’Il me retirât de ce danger, croyant qu’il valait mieux Le laisser faire. J’acceptais la mort de bon cœur. Bref, j’étais déjà à demi étouffé quand une chaloupe, qui était sur le bord de la rivière, et deux Sauvages* accoururent dans leur canot : il ne paraissait plus qu’un petit bout de ma soutane. On me retira par là, et si on eût encore tardé un Pater61, j’étais mort. J’avais perdu tout sentiment, parce que l’eau 59. « Raymond de la Rade, beau-frère de Guillaume de Caen » (Monumenta, p. 321, note 45). 60. « Michel Morieu, qu’on reverra à Québec en 1633 » (Monumenta, p. 321, note 46). 61. Il s’agit du « Notre Père » (Pater Noster).

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m’étouffait. Ce n’était point d’appréhension. Je m’étais résolu à mourir dans les eaux dès le premier jour que je mis le pied dans le vaisseau, et j’avais prou* exercé cette résignation dans les tempêtes que nous avons passées sur mer. Le jugement me dura tant que j’eus des forces et me semble que je me voyais mourir, je croyais qu’il y eût plus de mal à être noyé qu’il n’y en a. Bref, nous fûmes tous trois sauvés. J’en suis resté indisposé de l’estomac, j’espère que ce ne sera rien. La volonté de Dieu soit faite, cela ne m’étonne point. Deux Anglais s’étant noyés dans ces canots faits d’écorces, qui sont extrêmement volages*, le capitaine Kirke fit faire un petit bateau de bois pour passer de notre maison au fort, car il y a une rivière entre deux. Je croyais que ce bateau nous demeurerait. Celui qui s’en est saisi l’avait promis au Père de Nouë, mais depuis il s’est ravisé. S’il nous l’eût donné, cela ne serait pas arrivé. Patience ! Il importe peu où on meure, mais si bien comment. Demain, 25 d’août, je dois baptiser un petit enfant iroquois qu’on doit porter en France pour ne retourner jamais plus en ces pays-ci. On l’a donné à un Français qui en a fait présent à Monsieur de la Rade. C’est assez, nous sommes si empressés que je n’ai gardé aucun ordre en ce narré. Votre Révérence m’excusera s’il lui plaît. Je la supplie de secourir ces pauvres peuples qui sont en bon nombre : les Canadiens, Montagnards, Hurons, Algonquins, la nation des Ours, la nation du Pétun*, la nation des Sorciers et quantité d’autres. Je vis arriver les Hurons,

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ils étaient plus de 50 canots. Il faisait fort beau voir cela sur la rivière. Ce sont de grands hommes bien faits et très dignes de compassion, pour ne connaître pas l’Auteur de vie dont ils jouissent et pour n’avoir jamais ouï parler de Celui qui a donné Sa vie et répandu Son sang pour eux. Je pensais conclure ce petit narré le 24 d’août, mais ce ne sera qu’après le baptême de ce petit enfant62. Je viens donc de le baptiser. Monsieur Émery de Caën est son parrain, Madame Couillard, fille de Madame Hébert, est sa marraine. Il a pour nom Louis63, aussi a-t-il été baptisé le jour de saint Louis. Ce pauvre petit, qui n’a environ que quatre ans, pleurait incessamment* devant le baptême et s’enfuyait de nous : je ne le pouvais tenir. Sitôt que j’eus commencé les cérémonies, il ne dit pas un mot, il me regardait attentivement et faisait tout ce que je lui faisais faire. Je croyais qu’il fût Iroquois, mais j’ai appris qu’il est de la nation de Feu. Son père et sa mère, et lui, ont été pris en guerre par les Algonquins, qui ont brûlé les parents et donné l’enfant à nos Français. Louis, jadis Amantacha, nous est venu voir et nous a promis qu’il viendrait l’année suivante pour s’en retourner avec le Père Brébeuf en son pays. Il a de l’esprit et m’a témoigné qu’il avait de bons 62. Le baptême a lieu ici, soit exactement entre les deux phrases, ce qui indique une écriture au fil de la plume. 63. Dans l’original, on lit : « il a nom Louys » (p. 67), d’où l’ajout de la préposition « pour ».

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sentiments de Dieu. Cette nation est rusée, je ne saurais qu’en dire. Mille recommandations aux saints sacrifices de votre Révérence et aux prières de toute sa province. De votre Révérence, Très humble et obéissant serviteur selon Dieu64,

Du milieu d’un bois de plus de 800 lieues* d’étendue, à Québec, ce 28 d’août 1632.

64. Très fréquente dans le format épistolaire jésuite, cette formule de salutation est composée d’un complément du nom antéposé au groupe nominal. Il pourrait se lire ainsi : « Très humble et obéissant serviteur de votre Révérence devant Dieu ».

Privilège du Roi Nous, Barthélemy Jacquinot, provincial de la Compagnie de Jésus en la province de France, suivant le privilège qui nous a été octroyé par les Rois très chrétiens Henri iii, le 10 mai 1583, Henri iv, le 20 décembre 1606, et Louis xiii, à présent régnant, le 14 février 1612, par lequel il est défendu à tous imprimeurs, ou libraires, de n’imprimer ou faire imprimer aucun livre de ceux qui sont composés par quelqu’un de notredite Compagnie, sans permission des Supérieurs d’icelle, permettons à Sébastien Cramoisy, libraire juré bourgeois de Paris, de pouvoir imprimer pour six ans Brève relation du voyage de la Nouvelle-France, etc. En foi de quoi, nous avons signé la présente le 15 novembre 1632. B. Jacquinot

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Lexique Sauf mention contraire, les définitions sont tirées des cinq dictionnaires suivants : Jean Nicot, Le Trésor de la langue française, 1606. Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690. Dictionnaire de l’Académie, 1re éd., 1694 (A1694). Dictionnaire de l’Académie, 4e éd., 1762 (A1762). Jean-François Féraud, Dictionnaire critique de la langue française (1787-1788).

❦ Ains : « Particule d’opposition, qui signifie mais », dont l’usage est tombé en désuétude au cours du xviie siècle, comme en témoigne la suite de la définition : « Il est vieux et ne se dit guère qu’en raillant dans cette seule phrase : ains, au contraire » (A1694). Alène : « Pointe d’acier emmanchée qui sert à plusieurs artisans pour percer le cuir et y passer du fil, afin d’en attacher plusieurs pièces ensemble » (Furetière). Appréhender : « Craindre. Un brave homme ne doit point appréhender la mort. [I]l ne faut appréhender que d’offenser Dieu. » Autrement, « en termes 67

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de palais, signifie prendre, saisir. Un tel sera pris et appréhendé au corps, et constitué prisonnier » (Furetière). Quant à Lejeune, il semble employer ce verbe au sens figuré de saisir, comprendre. Bestial : Le plus souvent adjectif ; comme substantif : « il se prend quelquefois pour bétail. Ce fermier fait une grande nourriture de bestiaux » (Furetière). Boucané : Du verbe boucaner, soit « faire cuire, faire rôtir la viande à la manière des Sauvages » (A1694). Il s’agit de viande séchée par la fumée. Brasse : « Mesure qui contient la longueur des deux bras étendus, ce qui fait à peu près la longueur de six pieds de Roi » (Furetière). Cape : « On appelle cape, en termes de Marine, la grande voile du grand mât. Mettre à la cape, c’est ne se servir que de la grande voile, portant le gouvernail sous le vent, pour laisser aller le vaisseau à la dérive » (A1762). Carême-prenant : Mardi gras, c’est-à-dire « le jour du mardi qui précède le Carême et quelquefois tout le temps du carnaval depuis les Rois. […] On appelle aussi des Carêmes-prenants des gens du peuple qui se masquent de cent façons ridicules et qui courent les rues. On dit aussi des personnes mal mises qui ont des habits hors de mode et extravagants qu’ils sont habillés en vrais Carêmes-prenants. On dit

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proverbialement qu’il faut faire son Carême-prenant avec sa femme et Pâques avec son curé. On dit aussi populairement, Tout est de Carême-prenant, pour dire que plusieurs petits libertinages sont permis ce jour-là » (Furetière). Coq d’Inde : Dinde ou « gros oiseau domestique, qui a les mêmes qualités d’un coq, et qui a été apporté depuis quelque temps des Indes Occidentales [ou Amérique] » (Furetière). Déloger : « Changer de logis, de demeure. […] Signifie aussi, chasser, obliger à sortir d’un logis […],  céder son logement à des hôtes pour une passade […], décamper […], chasser, mettre en fuite. Les ennemis avaient occupé ce poste, mais notre canon les en a bientôt fait déloger » (Furetière). Édifier : « Bâtir. On ne s’en sert guère qu’en parlant des temples et autres grands bâtiments publics. Édifier une église, un palais, etc. On s’en sert fig[urativement] et alors on l’oppose d’ordinaire à détruire. Ainsi l’on dit d’un homme qui, au lieu de mettre la paix et l’ordre dans un lieu où il a autorité, y apporte du désordre et de la confusion par sa mauvaise conduite, qu’il détruit au lieu d’édifier. […] Il signifie encore fig[urativement] porter à la piété, à la vertu, par l’exemple ou par le discours » (A1694). Équinoxiale : « C’est la même chose que l’équateur, sinon que quand il est représenté sur la terre, on

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l’appelle plutôt équinoxial, ou la ligne équinoxiale, ou simplement la ligne » (Furetière). Essarter : « Défricher en arrachant les bois, les épines : il avait tant d’arpents de bois, il les a essartés, il les a fait essarter » (A1694). Faisole : Ou faséole, « espèce de légume qui est de la nature des fèves. En latin, phaselus, phasiolus » (Furetière). Fouir : « Creuser. Il ne se dit proprement que de la terre » (A1694). Fourment : Variante de froment, soit « [l]a meilleure espèce de blé » (A1694). Grain : « On appelle grains de vent, en termes de marine, certains tourbillons qui se forment tout à coup et qui, à proportion de leur violence, endommagent plus ou moins le vaisseau » (A1694). Grosse mouche : « Les grosses mouches sont les taons, dont la piqûre est très douloureuse » (Monu­ menta, p. 308, note 18). Habituer : « Établir sa demeure en quelque endroit. Plusieurs Hollandais se sont allés habituer aux Indes à Batavia » (Furetière). Incessamment : « Sans discontinuation, sans délai. Les fidèles doivent prier incessamment » (Furetière).

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Lieue : « Espace de terre considéré dans sa longueur, servant à mesurer le chemin et la distance d’un lieu à un autre et contenant plus ou moins de pas géométriques, selon le différent usage des provinces et des pays » (A1694). Jusqu’en 1674, en France, la lieue est une unité de mesure qui équivaut à 3,266 km. Elle sera alors remplacée par la lieue de Paris (3,898 km), puis en 1837 par le système métrique créé sous la Révolution. Maringouin : « Sorte de moucheron qui ressemble au cousin et qui est fort commun dans l’Amérique. Dans ce pays-là on est fort incommodé des maringouins » (A1762). Campeau ajoute que « les maringouins (de marigouy, d’origine brésilienne [tupi] selon le Diction­naire de Trévoux) sont des moustiques (culex) dont la femelle pique et suce le sang, laissant une démangeaison infectieuse » (Monumenta, p. 308, note 18). Quoique emprunté dès le xvie siècle, ce mot est encore couramment employé au Québec, au Canada français et aux Antilles. Maure : « Homme noir, ou femme noire, nés en une région d’Afrique appelée la Mauritanie » (Furetière), de confession musulmane. Ainsi, « pour raison de laquelle religion alcorane [musulmane], le mot de Maure s’est étendu hors de ses premières limites [presque à tous ceux] qui sont de même foi, [hormis les Turcs], lesquels retiennent le nom de Turcs, quoiqu’ils soient alcoranistes » (Nicot).

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Molue : Variante de morue, « poisson de mer qu’on pêche en abondance vers le Canada » (Furetière). Mouche luisante : « Les mouches luisantes, mouches à feu ou lucioles, sont inoffensives et elles éclairent leur vol de nuit de lueurs phosphorescentes émises à courts intervalles » (Monumenta, p. 308, note 18). Mousquille : « Les mousquilles, appelées brûlots au Canada, sont si petites qu’on sent leur piqûre cuisante avant de les voir » (Monumenta, p. 308, note 18). Naveau (au pluriel, naveaux) : Autre forme courante de navet (Furetière). Nègre : « Ce mot ne se met point ici comme un nom de nation, mais seulement parce qu’il entre dans cette façon de parler. Traiter quelqu’un comme un nègre, pour dire Traiter quelqu’un comme un esclave » (A1762). De plus, « on appelle Maures les Peuples de l’Afrique du côté de la Méditerranée et Nègres ceux qui sont du côté de l’Océan et, surtout, ceux qu’on transporte dans les colonies européennes, et qui y servent comme esclaves » (Féraud). Offenser : « [S]ignifie aussi blesser » (A1694). Pétun : « Tabac, herbe dont les feuilles sont fort grandes, qu’on fait sécher pour prendre en fumée, ou pour mâcher, ou qu’on met en poudre pour prendre par le nez » (A1694).

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Polir : « se dit figurément en morale et signifie premièrement civiliser. On a du mal à polir les Barbares, à les ranger dans une société honnête et civile » (Furetière). Ainsi, comme participe passé ou comme adjectif, poli est un synonyme de civilisé. Pourpier : « Herbe potagère. Feuille de pourpier. Salade de pourpier » (A1694). Prou : « Assez, beaucoup » (A1694). Sagamo : Chef, mot souriquois (micmac). À ce sujet, Campeau souligne : « plusieurs mots adoptés par les colons laurentiens sont souriquois plutôt que montagnais : caribou, mocassin. Un exemple frappant est sagamo, titre que Champlain donne en 1603 au chef montagnais Anadabidjou […]. En arrivant à Québec en 1632, le P. Le Jeune apprendra encore des interprètes que la traduction de chef est sagamo. En montagnais, chef se dit oukhimau selon Le Jeune, outchimau selon Silvy, oukimau selon Fabvre » (Monumenta, p. 75*, note 20). Sauvage : Du latin salvaticus, dérivé de silva, soit « forêt » (Robert) ; « se dit aussi de certains peuples qui vivent ordinairement dans les bois, sans religion, sans lois, sans habitation fixe, et plutôt en bêtes qu’en hommes. Les peuples sauvages de l’Amérique, de l’Afrique, etc. En ce sens, il est aussi subst[antif] : les Sauvages de l’Amérique » (A1694).

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Têt : Anciennement test (cf. teste/tête), « crâne, os qui couvre la tête » (A1694). Traiter : « Faire un commerce, négocier, convenir de certaines conditions. Cet officier traite d’une telle charge, d’une telle terre, c’est-à-dire il la marchande » (Furetière). Ainsi, traite des peaux signifie commerce des fourrures. Truchement : « Interprète nécessaire aux personnes qui parlent diverses langues pour se faire entendre les unes des autres. Les ambassadeurs sont toujours accompagnés de truchements. Une femme indienne [la Malinche] fut le truchement de [H]ern[án] Cort[és] en toutes ses expéditions » (Furetière). Vergogneuse : Honteuse, de vergogne, soit la « honte qu’on a de quelque chose » (A1694). Ainsi, les parties « les plus vergogneuses » sont les organes génitaux. Volage : « Inconstant, léger, changeant. C’est un esprit volage qui ne s’applique à rien sérieusement ; il change d’étude, d’emploi, de profession de temps en temps. On ne peut pas faire un bon religieux d’un homme volage. […] Se dit plus particulièrement en  matière d’amour et d’amitié. C’est un berger volage, un amant volage, qui change souvent de maîtresse » (Furetière).

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