Protéines ! - Voyage au centre de la cellule: Voyage au centre de la cellule 9782759826773

Les protéines rendent de nombreux services à la cellule. Elles lui permettent de se nourrir, respirer, croître et se mul

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French Pages 104 Year 2021

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Protéines ! - Voyage au centre de la cellule: Voyage au centre de la cellule
 9782759826773

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Sophie Sacquin-Mora - Antoine Taly

Un voyage au centre de la cellule

Anmryn

3

I O U Q R U O P S MAI ?   S E N I É T O R P PARLER DE Si aujourd’hui vous entrez le mot protéines dans un

Qui permet à la cellule de se nourrir, de respirer,

moteur de recherche, il y a fort à parier qu’il vous

de croître et de se multiplier ?

répondra en premier lieu diététique et muscula­

Qui lui permet de communiquer avec ses petites

tion, alors même que ces drôles de molécules

camarades ?

(qui ne représentent pourtant pas moins de 50 %

Qui la défend contre les invasions micro-

du poids sec de nos cellules) savent faire bien

biennes ?

d’autres choses que gonfler nos biscotos.

En un mot comme en cent, qui c’est qui se tape

Mais voilà, dans les programmes de sciences

tout le boulot dans la cellule ?

de la vie, que ce soit au collège ou au lycée, il n’y en a que pour l’ADN, cette molécule reine

Dans ce livre, nous voulons rendre hommage

qui détermine le mode d’emploi de tout orga-

aux ouvrières invisibles, aux petites mains, aux

nisme vivant via le code génétique (et qui, soit

masses laborieuses du vivant sans lesquelles nos

dit en passant, ne représente, elle, qu’environ

cellules, et par là même notre organisme tout

3 % du poids sec de nos cellules).

entier, ne pourraient fonctionner correctement.

Certes, coder, c’est bien beau, mais qui c’est qui le lit, ce fameux code génétique ?

Dans ces pages, nous venons donc vous

Qui c’est qui copie, qui réplique, qui traduit, qui

raconter la passionnante histoire des protéines,

transcrit, qui répare et qui le met en application ?

ces fabuleuses molécules à tout faire du vivant !

COMMENT FON CTIONNE CE LIVRE ?

Dans le premier chapitre (Back to basics), on commence par vous présenter tout ce qu’il faut savoir sur les protéines pour comprendre leur structure et leur fonctionnement. Après quoi, les lecteurs les plus curieux pourront découvrir quand et comment les scientifiques ont commencé à s’intéresser aux protéines, et les méthodes qu’ils utilisent pour les étudier. Les chapitres suivants de l’ouvrage présentent toute une série de protéines regroupées autour de grands thèmes comme la vie quotidienne, la santé ou les biotechnologies. Chacun de ces courts chapitres peut être lu indépendamment des autres, dans l’ordre ou le désordre, c’est à vous de choisir ! À la toute fin de l’ouvrage, on trouve un glossaire qui vient rappeler un certain nombre de définitions et une bibliographie.

SOMMAIRE 1. BACK TO BASICS...................................................................................................7 Les virus attaquent !..........................................................................................................8 Les protéines, des molécules clés du vivant........................................................... 10 Les acides aminés, briques élémentaires des protéines......................................13 Une protéine, ça ressemble à quoi ?.......................................................................... 16 S’il te plaît, dessine-moi une protéine !..................................................................... 19 Au fait, à quoi ça sert une protéine ?......................................................................... 21 Comprendre le nom des protéines............................................................................ 23 2. ET COMMENT ON SAIT TOUT ÇA ?................................................................. 25 Une (pas si) brève histoire des protéines................................................................26 La cristallographie, des Nobel et des protéines...................................................... 28 E pur si muove ! La RMN, pour des protéines en mouvement...........................31 Winter is coming, l’âge de la cryo-EM.................................................................... 33 Du côté de la théorie......................................................................................................35 3. LES PROTÉINES DU QUOTIDIEN, CELLES QUI FONT TOURNER LA BARAQUE..................................................... 37 Dans la fabriquedes protéines.................................................................................... 39 Les chaperons, c’est l’histoire d’une grue, qui monte une grue, qui monte une grue…...................................................................................................... 41 Les globines, la grande famille qui voit la vie en rouge....................................... 44 On the road again ! Voyager à travers la cellule.................................................... 47 La télomérase, l’élixir de jeunesse des chromosomes........................................ 51 4. DES PROTÉINES POUR NOS CINQ SENS............................................................53 L’olfaction, des protéines plein le nez...................................................................... 55 La rhodopsine,une protéine rien que pour nos yeux..............................................57 Des goûts et des protéines..........................................................................................59 Des protéines jusqu’au bout des doigts................................................................... 61 Une protéine presto, prestissimo !............................................................................. 63 5. PROTÉINE ET BIO­TECHNO-LOGIES : DU TUNING DANS LES ÉPROUVETTES...................................................................................65 La GFP, un Nobel en technicolor.................................................................................67 La soie des araignées, un textile pour demain ?.....................................................70 Les moules font de la résistance...............................................................................72 Les biopiles, quand les protéines se mettent au turbin......................................... 74 CRISPR-Cas9, la boîte à outils du génome............................................................76 6. DU CÔTÉ OBSCUR DES PROTÉINES....................................................................79 Les toxines, du curare au botox, comment dompter le vivant ?.......................81 L’agrégation amylo de, quand les protéines se la jouent Walking Dead................83 Poison/contre-poison, la course à l’armement protéique................................... 85 La ricine, permis de tuer pour une protéine...............................................................87 Un seul résidu vous manque et tout est déformé.................................................. 89 CONCLUSION...............................................................................................................92 BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................99 LES AUTEURS.............................................................................................................103

1

BACK TO BASICS

8

LES VIRUS ATTA QUENT !

Chaque année, quand reviennent l’hiver et son

jusqu’au plafond. Mais ces livres, il faut bien

flot de microbes, les virus sont de retour pour

que de temps à autre quelqu’un les ouvre, les

nous jouer un mauvais tour semer la terreur et

lise, les recopie et parfois les répare. Ces livres,

la désolation dans nos foyers. Partout ce ne sont

ils ne serviraient pas à grand-chose si jamais

plus que nez qui coulent, gorges qui grattent et

personne ne venait diffuser les connaissances et

estomacs barbouillés, tandis qu’un cri s’élève :

savoir-faire qu’ils contiennent hors de la bibliothèque et dans le vaste monde cellulaire.

Mais pourquoi tant de glaires ? Toutes ces tâches, ce sont les protéines qui les Parfois, à l’approche des fêtes, entre deux

accomplissent. Une infatigable armée de biblio-

mouchoirs et une tasse de tisane, on se prend à

thécaires, d’archivistes, de traducteurs, d’ingé­

rêver d’un monde en paix, un monde où, touchés

nieurs ou autres, qui permet à la cellule de

par l’esprit de Noël, les virus auraient soudaine-

respirer, de fabriquer de l’énergie, de croître et

ment décrété une trêve hivernale… en vain.

de se reproduire. Bref, tout simplement de vivre.

Mais si nous subissons constamment les assauts

Et les virus alors ?

de ces envahisseurs microscopiques, c’est qu’eux-mêmes n’ont pas d’autre choix pour

Et bien les virus possèdent également leur petite

croître et se multiplier que de nous infecter. Il

bibliothèque personnelle en ADN (ou ARN).

manque en effet aux virus un outil indispensable

Mais leur gros souci, c’est qu’ils sont complè-

pour se reproduire et qu’ils viennent donc nous

tement analphabètes, et qu’ils ne peuvent donc

emprunter sans vergogne à chaque fois qu’ils

rien en tirer !

squattent nos cellules : la machinerie protéique. Alors plutôt que de cocher la case  patience

La quoi ?

et cours du soir, ils ont développé une stratégie de type piraterie. Sitôt après avoir

Vous avez probablement déjà entendu parler

pénétré dans une cellule, un virus va prendre

de l’ADN (de son vrai nom acide désoxyribo-

en otage les bibliothécaires, traducteurs et

nucléique), cette formidable molécule qui, grâce

ingénieurs de son hôte, et les forcer à reco-

au code génétique, stocke toutes les informations

pier en masse l’ADN (ou l’ARN) viral. Une

nécessaires à la fabrication et au bon fonction-

fois celui-ci soigneusement emballé (dans des

nement d’un être vivant. Logé au cœur de nos

enveloppes également formées de protéines et

cellules, l’ADN c’est un peu comme une grande

aussi fabriquées par nos pauvres otages), les

bibliothèque de la vie, avec ses rayonnages

multiples copies de la bibliothèque virale vont

pleins à craquer de livres et qui monteraient

finir par quitter la cellule infectée et démarrer

9

à leur tour une vie de flibuste à l’image de

Dans ce livre, nous allons donc vous emmener

leur glorieux ancêtre. Souvenez-vous en lors

à la rencontre de ce petit peuple de la cellule,

de votre prochain rhume, le combat des virus

celui que tout le monde viral nous envie et sans

contre notre espèce n’a rien de personnel, ils

lequel la grande bibliothèque de l’ADN ne

en veulent simplement à nos protéines.

serait d’aucune utilité aux êtres vivants.

Bienvenue chez les protéines !

10

LES PROTÉINES, DES MOLÉCULES CLÉS DU VIVANT Prenez place dans la machine à remonter le temps, à la recherche des origines de la vie ! Notre histoire commence sur la Terre primi-

par la vie, du fond des océans aux sommets

tive il y a plus de 4 milliards d’années, avant

des montagnes. Malheureusement, les traces

que celle-ci ne soit entièrement colonisée

fossiles des premiers organismes vivants ne

11

sont pas aussi faciles à lire que les squelettes

Aujourd’hui ce sont les êtres vivants qui

de dinosaures, et les origines de la vie restent

fabriquent les molécules biologiques, mais

un sujet pour le moins mystérieux. Pour en

comment celles-ci ont-elles pu apparaître dans

savoir plus, il va donc nous falloir remonter

un monde sans vie (dit aussi  abiotique)  ? Le

le temps depuis l’époque contemporaine, et

biochimiste russe Alexandre Oparine a proposé

analyser les organismes vivants actuels, afin

que les molécules organiques pourraient être

d’en déduire des caractéristiques communes

apparues spontanément sur la Terre primitive.

qui seraient partagées par tous. L’ensemble

Cette possibilité a ensuite été démontrée par les

des êtres vivants est constitué d’une ou

expériences de Urey et Miller dans lesquelles

plusieurs cellules et l’on pense généralement

un milieu aqueux mimant ce que l’on appelle la

que l’orga­nisme qui est à l’origine de tous

soupe primitive (méthane, ammoniaque, eau et

les êtres vivants actuels (largement connu par

hydrogène), associé à une décharge électrique

son acronyme anglais,  LUCA, Last Universal

comme source d’énergie (reproduisant les

Common Ancestor) avait une organisation

éclairs), permet l’apparition spontanée d’une

similaire, avec une cellule.

partie des molécules biologiques, notamment des acides aminés.

Dans une cellule, les ingrédients moléculaires se répartissent entre quatre grandes familles de

Certains présentent l’hypothèse d’une appa-

composés à base de carbone (appelés égale-

rition extra-terrestre et d’une arrivée sur terre

ment molécules organiques). Les membres de

de biomolécules via des météorites. Cela ne

chacune de ces familles ont tous leur utilité

modifie pas le raisonnement mais ne fait que

propre pour les organismes vivants :

reporter à plus loin la synthèse abiotique des

• les sucres (connus aussi comme les glucides

biomolécules.

quand on parle de nutrition) sont une source d’énergie pour l’organisme ;

Mais il existe un autre paradoxe : les molécules

• les acides gras  (ou  lipides) permettent de

présentées plus haut dépendent les unes des

former la membrane cellulaire. C’est donc grâce

autres. Dans notre monde vivant actuel, aucune

aux lipides qu’il y a un intérieur et un extérieur

d’entre elles ne pourrait fonctionner seule. On

pour chaque organisme et chaque cellule !

se retrouve donc avec un problème d’œuf et de

• les nucléotides, dits aussi acides nucléiques,

poule ancestral : quelle molécule biologique a

sont les briques élémentaires de l’ADN (ainsi

bien pu apparaître la première ?

que de l’ARN), la molécule qui contient l’information génétique et va jouer le rôle de mode

L’hypothèse privilégiée actuellement est celle

d’emploi de la cellule ;

d’un monde ARN dans lequel l’ARN (le petit nom

• et enfin,  les protéines  sont composées

de l’acide ribonucléique, qui est donc un cousin

d’acides aminés (appelés aussi résidus), et vont

du célèbre ADN, ou acide ­désoxyribonucléique)

faire fonctionner tout ce petit monde, en suivant

était capable d’assurer plusieurs fonctions biolo-

le plan fourni par l’ADN.

giques, que ce soit le stockage de l’information ou la catalyse de réactions chimiques. Dans la

Si l’on cherche à remonter le temps avant

préhistoire des molécules du vivant, l’ARN aurait

LUCA, vers la transition du non-vivant vers le

donc tenu le rôle du chasseur-cueilleur non spécia-

vivant, on rencontre une série de paradoxes.

lisé. Le passage vers LUCA s’est ensuite effectué

Tout d’abord, comment toutes ces molécules

avec l’apparition, d’une part de l’ADN, dédié

sont-elles apparues ?

au seul stockage de l’information, et d’autre

12

part des protéines, qui permettent de réaliser

Pourtant, si on y regarde bien, elles sont au cœur

des réactions chimiques variées et hautement

de la science contemporaine. Depuis le début du

spécialisées. Ce petit peuple moléculaire labo-

siècle, ce sont pas moins de 16 prix Nobel (en

rieux aurait alors donné un avantage compétitif

médecine ou en chimie) qui ont été attribués à des

aux cellules capables de les synthétiser.

travaux de recherche concernant des protéines. Ces molécules, qui présentent une variété quasi

Pourquoi se focaliser sur les protéines ?

infinie, permettent aux organismes vivants de remplir des fonctions extrêmement diverses, et

Et bien tout simplement parce qu’elles sont fasci-

représentent souvent un avantage évolutif pour

nantes dans leur diversité. Mais contrairement à

ceux-ci. Dans cet ouvrage, nous allons donc vous

l’ADN qui se retrouve souvent sous les projec-

présenter le grand bestiaire de ces extraordi-

teurs, les protéines sont encore trop méconnues

naires machines chimiques. Il est temps de faire

du grand public !

connaissance avec les fabuleuses protéines !

13

, S É N I M A S E D LES ACI S E R I A T N E M É L BRIQUES É S E N I É T O R P S E D Les protéines sont des macromolécules. Elles

Si on attache un petit nombre d’acides aminés

sont formées par l’association de molécules plus

les uns à la suite des autres (de deux à quelques

petites, les acides aminés. Il existe 20 acides

dizaines), on parle de  peptide. Dans le cas

aminés naturels que l’on retrouve dans les proté-

d’une chaîne plus longue, on a alors affaire à

ines de la totalité des êtres vivants connus, et

une protéine. La diversité des acides aminés et

qui présentent une grande variété de tailles, de

de leurs combinaisons est à l’origine de la diver-

formes et de propriétés chimiques.

sité structurale et fonctionnelle des protéines.

14

Dans les acides aminés on trouve majori-

• les ponts disulfure sont les liaisons covalentes

tairement du carbone, de l’hydrogène, de

qui vont se former entre deux atomes de soufre

l’azote et de l’oxygène, et puis aussi parfois

portés par des cystéines ;

un peu de soufre. Tous les acides aminés

• les liaisons ioniques, dites aussi ponts salins,

comportent un atome de carbone central (dit

se forment entre des atomes portant des charges

souvent carbone α) relié à une fonction amine

opposées ;

d’une part et une fonction acide d’autre part.

• les liaisons hydrogène apparaissent lorsqu’un

Le carbone α est également relié à une série

atome d’hydrogène est pris en sandwich entre

d’atomes qui caractérise l’acide aminé consi-

deux atomes plus électronégatifs que lui

déré et que l’on appelle la chaîne latérale (notée

(oxygène ou azote). Une liaison hydrogène

R de manière générale).

sera d’autant plus forte que les trois atomes impliqués dans celle-ci sont bien alignés ;

Dans une protéine, les fonctions amine et acide

• les liaisons de van der Waals entraînent un

de deux acides aminés successifs ont réagi

regroupement des chaînes latérales non polaires

entre elles pour former une liaison peptidique

loin du solvant aqueux (qui est, lui, polaire).

et une molécule d’eau. L’enchaînement liaison peptidique/carbone  α/liaison peptidique…

Ces trois derniers types de liaisons sont dits

constitue alors le squelette de la protéine.

non covalents, les atomes associés ne vont pas partager d’électrons. Les liaisons non cova-

Au sein d’un acide aminé et dans le cadre de

lentes sont beaucoup moins costaudes que les

la liaison peptidique, les atomes sont reliés

liaisons covalentes, mais elles sont néanmoins

entre eux par des liaisons covalentes. Ce type

essentielles pour donner à la protéine sa struc-

de liaison particulièrement robuste résulte

ture tridimensionnelle. Elles sont également à

de la mise en commun d’un ou deux élec-

l’origine des interactions qui peuvent se former

trons par chacun des atomes impliqués dans

entre plusieurs protéines.

celle-ci. Notez que cette garde partagée des électrons n’est pas toujours parfaitement équi-

Dans chaque type d’acide aminé, la chaîne

table, certains atomes (tels que l’oxygène et

latérale présente des propriétés chimiques

l’azote) sont plus électronégatifs que d’autres

particulières qui vont influer sur la structure et

(les atomes de carbone et d’hydrogène) et vont

la fonction de la protéine dont il fait partie.

avoir tendance à capter les électrons vers eux.

Les acides aminés non polaires, hydrophobes,

Dans ce cas, on dira que la liaison et du même

vont surtout se retrouver au cœur de la protéine,

coup la molécule qui la contient sont polaires.

tandis que les résidus hydrophiles (ou polaires)

Lorsque la chaîne d’acides aminés se replie sur

et parfois chargés se retrouvent préférentielle-

elle-même, il peut également se former d’autres

ment à la surface de la protéine, en contact

types de liaisons, covalentes ou non :

avec le solvant aqueux.

15

La grande parade des acides aminés naturels

16

UNE PROTÉINE , ÇA RESSEMBLE À Q UOI ? Les protéines présentent une très grande variété

va appeler la  ­structure  primaire, ou encore

de formes et de tailles. Celles-ci peuvent en effet

la séquence protéique. Les séquences protéiques

être constituées de 50 à plus de 30 000 acides

ont un sens de lecture (qui indique l’ordre dans

aminés (pour l’immense titine que l’on peut

lequel les résidus ont été associés les uns aux

trouver dans les muscles). Et si on s’intéresse

autres par le ribosome). On démarre toujours

aux très grands assemblages de plusieurs

par un atome d’azote (au niveau de l’extrémité

protéines, on peut même monter à plus de

que l’on appelle donc N-terminale, N étant le

300 000 acides aminés dans les enveloppes

symbole de l’azote), qui correspond à la fonc-

de virus. En biochimie, on décrira la structure

tion amine (NH2) portée par le premier acide

d’une chaîne protéique en distinguant quatre

aminé, et on conclut par un atome de carbone

niveaux ­d’organisation :

(au niveau de l’extrémité C-terminale) de la

• Tout commence en suivant le plan fourni

fonction acide (COOH) du dernier acide aminé

par l’ADN. Le ribosome (qui est lui-même

de la chaîne protéique.

un énorme assemblage de protéines avec

• La structure secondaire décrit les arrangements

lequel vous pourrez faire plus ample connais-

locaux de ces acides aminés qui sont générale-

sance un peu plus loin dans ce livre) va lire

ment stabilisés par des liaisons hydrogène (cf.

la séquence de nucléotides de l’ADN et la

le chapitre précédent). Boucles, hélices  α ou

déchiffrer grâce au code génétique. Cela

feuillets β, plusieurs éléments de structure secon-

donne l’enchaînement des acides aminés

daire distincts peuvent coexister au sein d’une

(ou résidus) constitutifs de la protéine, que l’on

même chaîne protéique.

Les liaisons hydrogène (en magenta) maintiennent la forme des éléments de structure secondaires en se formant au sein des hélices α et entre les brins des feuillets β.

17

• La structure tertiaire décrit comment plusieurs

plus là-dessus, il faut faire un tour au chapitre 6).

éléments de structure secondaire vont s’agencer les

Enfin, on appelle  structure native  la structure

uns par rapport aux autres au sein d’un domaine

d’une protéine qui lui permet de réaliser une

protéique. Pour décrire la forme d’ensemble

fonction biologique donnée (cf. le chapitre

d’une protéine, qui peut donc comporter plusieurs

suivant). Lorsque cette structure est modifiée

domaines et fluctuer au cours du temps, on parlera

(par exemple sous l’effet de la chaleur ou suite

de conformation ou de repliement protéique.

à une réaction chimique), on parlera alors

• Finalement la structure quaternaire définit l’as-

de dénaturation de la protéine.

semblage au sein d’un complexe de plusieurs chaînes protéiques déjà repliées (que l’on appellera alors des sous-unités). Toutes les proté-

Vous pensez pouvoir déterminer la structure

ines ne comportent pas forcément plusieurs

native d’une protéine ?

sous-unités et donc de structure quaternaire. La prédiction d’une structure protéique (secondaire, tertiaire et éventuellement quaternaire si C’est quoi une protéine native ?

la molécule présente plusieurs chaînes) à partir de sa seule séquence d’acides aminés est un

On parle de protéine  native, ou encore de

problème incroyablement complexe qui occupe

forme  sauvage  de la protéine, lorsque sa

les chercheur·se·s en biologie structurale depuis

séquence est celle produite majoritairement

plusieurs décennies.

par une population d’organismes vivants, et de variant (ou mutant), lorsque cette séquence

Les méthodes actuelles utilisent les outils déve-

native a été modifiée ponctuellement au niveau

loppés en chimie théorique et en bioinforma-

de l’ADN, et donc de la protéine.

tique, et sont régulièrement confrontées lors de l’expérience CASP (Critical Assessment of

Une mutation peut être :

protein Structure Prediction) qui a démarré en

• spontanée : la mutation d’un acide aminé vers

1994 et a lieu tous les deux ans. À cette occa-

un autre dans la séquence d’une protéine peut

sion, des chercheur·se·s du monde entier travail-

se produire spontanément : c’est le moteur de

lant sur le sujet entrent en compétition et doivent

l’évolution avec la sélection naturelle. En effet

proposer les meilleures prédictions de structure

la sélection naturelle se fait sur une population

possible pour des protéines.

dans laquelle il y a des différences et favorise les individus qui sont les plus adaptés à un environnement et à un moment donnés ;

Vous voulez tenter votre chance ?

• artificielle : les mutations peuvent également être provoquées lors d’expériences en labora-

C’est possible grâce à un projet de science

toire, il s’agit alors d’évolution dirigée.

citoyenne : le logiciel Foldit

Les modifications de la séquence d’une protéine

(https://fold.it/portal/info/about) 

peuvent être sans conséquence sur celle-ci ; dans

vous apprend à replier les protéines dans le

ce cas, on parlera de  variant  d’une protéine

cadre d’un jeu vidéo !

quand il n’y a pas de pathologie associée à une mutation. Mais parfois, au contraire, les variations

Les meilleur·e·s joueur·se·s de Foldit ont ainsi

de séquence peuvent avoir un fort impact sur la

pu contribuer à la détermination de la structure

structure et l’activité protéiques (et pour en savoir

d’une protéine virale que les chercheur·se·s et

18

leurs ordinateurs n’avaient pas réussi à résoudre.

ou qui ne vont se replier que dans le cadre d’une

À l’origine, les chercheur·se·s sont parti·e·s

interaction avec d’autres biomolécules (protéine,

du principe qu’une protéine devait forcément

ADN, membrane lipidique). Ces IDP (Intrinsically

adopter une structure secondaire, et/ou tertiaire,

Disordered Proteins) sont pourtant parfaitement

bien définie pour être fonctionnelle. On sait

fonctionnelles et mêmes indispensables à de

désormais qu’il existe aussi toute une catégorie

nombreux processus cellulaires. Bref, les cher-

de protéines dites  intrinsèquement désordon­

cheur·se·s ont encore du pain sur la planche avant

nées qui ne possèdent pas de structure native,

d’épuiser le sujet du (non)-repliement protéique !

19

E N I S S E D , T Î S’IL TE PLA !   E N I É T O R P E MOI UN Il existe des dizaines de façons de représenter les protéines, chacune d’entre elles sert à mieux mettre en avant une caractéristique particulière de la molécule. voici quelques exemples de représentations possibles parmi les plus courantes : Si on s’intéresse avant tout aux liaisons chimiques entre atomes, on peut utiliser de simples lignes, ou encore une représentation en bâtons de réglisse. Si on veut voir un peu mieux la position relative des a.

atomes, on passera à un modèle de type  boules-­ bâtonnets. Et si on souhaite visualiser le volume occupé dans

b.

l’espace par chacun des atomes, on utilise plutôt des sphères. c.

On peut aussi représenter la surface de la protéine telle qu’elle serait vue par une petite molécule (par exemple de l’eau). Ce type de représentation permet de mieux voir l’entrée des cavités que de petites molécules (des ligands) pourraient utiliser pour entrer en contact avec

d.

la protéine. Il arrive que l’on ne s’intéresse qu’à la forme prise par le squelette de la protéine (l’enchaînement des liaisons peptidiques), sans vouloir visualiser les chaînes latérales. Dans ce cas, un simple modèle en tube fera l’affaire. e.

Enfin, la représentation cartoon (mise au point par Jane Richardson au début des années quatre-vingt) permet de mettre en valeur les structures secondaires de la protéine telles que les hélices α et les feuillets β ; elle permet de bien souligner

la beauté et la régularité des structures moléculaires et sera donc principalement utilisée dans cet ouvrage. Dans cette représentation, les flèches utilisées f.

pour montrer les feuillets β indiquent également le sens de lecture de la chaîne protéique (du N- vers le C-terminal).

Six nuances de protéine : l’inhibiteur de la chymotrypsine vu à l’aide de six modes de représentation différents, bâtons de réglisse (a), boules-bâtonnets (b), sphères (c), surface (d), tube (e) et cartoon (f).

20

Les couleurs utilisées dans le dessin peuvent aussi

s cientifiquement, c’est tout un art. Et pour ­

nous apporter des informations sur la molécule.

admirer les plus beaux modèles de proté-

Sur la figure montrant la chymotrypsine, chaque

ines, on peut faire un tour sur la Protein Data

type d’atome a sa couleur propre (les atomes

Bank (PDB de son petit nom, www.rcsb.org/

de carbone sont en bleu cyan, ceux d’oxygène

pdb/home/home.do). Ce site web contient

en magenta, ceux d’azote en violet, etc.). Mais

plus de 150  000  structures expérimentales

la couleur peut également servir à indiquer les

de protéines et met régulièrement en avant

différents types d’acides aminés (polaires ou

ses spécimens les plus passionnants sous la

apolaires) ou encore la charge électrostatique

rubrique Molécule du mois. On y trouve notam-

d’un atome.

ment les magnifiques illustrations de  David Goodsell, dont le travail à la frontière de la

Représenter une protéine d’une manière à

science et de l’art fait la joie et l’admiration

la fois élégante, compréhensible et exacte

des biochimistes depuis près de vingt ans.

21

T R E S A Ç I O U AU FAIT, À Q ? E N I É T O R P UNE

!) (Spoiler : à tout

Les protéines sont des molécules remarquable-

de petites molécules dont notre organisme a

ment polyvalentes qui peuvent avoir des fonc-

besoin. Elles peuvent par exemple copier l’ADN

tions très diverses. Celles-ci se distribuent géné-

via la DNA polymérase (cf. le chapitre 3). Cette

ralement en catégories :

propriété est centrale dans le vivant (pas de vie

• La liaison.  Au sein d’un organisme vivant,

sans catalyse) et ouvre de nombreuses applica-

l’essentiel des protéines fonctionne dans le

tions du côté des biotechnologies.

cadre d’interactions avec d’autres molécules,

• Les commutateurs.  Les interactions avec

qui peuvent être également des protéines, mais

d’autres molécules vont également servir à

aussi des molécules plus petites que l’on appel-

réguler l’activité d’une protéine en induisant

lera des ligands, substrats ou encore cofacteurs.

notamment de grands mouvements internes

Ces interactions se font le plus souvent via un

qui permettent d’alterner entre deux formes

site de fixation spécifique du partenaire molé-

de cette même protéine, une forme active et

culaire (c’est par exemple le cas des anticorps).

l’autre inactive. Via ce phénomène d’allos-

• La catalyse.  Les protéines peuvent faciliter

térie, des petites molécules peuvent ainsi jouer

des réactions chimiques, telles que la rupture

un rôle d’interrupteur fonctionnel en se fixant

ou la formation de liaisons covalentes au sein

à une protéine.

22

• Structure.  Les protéines structurales (par

filaments d’actine (entraînant ainsi la contrac-

exemple la tubuline du chapitre 3) vont former

tion des muscles).

de grands assemblages qui vont déterminer la

• Stockage. La ferritine stocke le fer et

forme d’une cellule. Elles sont aussi à l’origine

la myoglobine (chapitre 3) nous sert de réserve

des biomatériaux tels que la peau (via le colla-

d’oxygène.

gène), la soie (chapitre 5), les cheveux, la corne

• Transmission d’un signal. Parmi les hormones

ou les plumes (ces trois derniers exemples étant

protéiques, l’insuline régule le taux de glucose

formés de kératine).

dans le sang.

• Transport.  Après avoir fixé un composé

• Réception d’un signal. La rhodopsine (chapitre 4)

chimique, une protéine va pouvoir l’acheminer

dans l’œil est sensible à la lumière, les récepteurs

jusqu’aux cellules qui en ont besoin dans notre

du bulbe olfactif (chapitre 4) nous donnent accès

organisme. L’exemple type est l’hémoglobine

au monde merveilleux des odeurs. On retrouvera

(chapitre  3), notre coursier en oxygène et

aussi des récepteurs à la surface des cellules et

dioxyde de carbone.

dans leur noyau.

• Moteur.  Les changements de conformations

• Et plein d’autres choses encore  que nous

de la kinésine (chapitre 3) et de la myosine leur

comptons vous présenter dans les pages à

permettent de déambuler au sein de la cellule,

venir…

l’une le long des microtubules, et l’autre sur les

23

M O N E L E R D COMPREN S E N I É T O R P S E D Dis-moi comment tu t’appelles et je te dirai ce

former les microtubules, la préfoldine aide les

que tu fais.

protéines à se replier (to fold  en anglais), et l’hémagglutinine a ainsi été nommée car elle

Hydrogénase, hémagglutinine, HSP et GFP…

a la faculté d’agglomérer les globules rouges

Si en première lecture les noms des protéines

riches en hémoglobine.

peuvent sembler bien compliqués (voire même

• NomDuGène Chaque protéine étant encodée

un peu barbares), en creusant un peu on s’aper-

par un gène, il arrive que celui-ci soit décou-

çoit assez vite que les biochimistes manquent en

vert (et donc nommé) avant sa protéine asso-

fait cruellement d’imagination quand il s’agit de

ciée. Celle-ci prendra alors un nom dérivé

nommer leurs objets d’étude préférés. La plupart

de son gène. Ainsi la protéine  PER  vient du

des protéines portent en effet un nom qui vient

gène period, tandis que TIM, sa meilleure amie,

simplement nous raconter (le plus souvent en

est produite par le gène timeless.

anglais) leur fonction dans l’organisme.

• XYZ Là on touche le fond en matière d’imagination. Quand leur fonction s’avère être trop

Voici donc un bref passage en revue des noms

complexe pour se résumer en un mot, certaines

que vous serez amenés à rencontrer dans ce

protéines se retrouvent alors baptisées avec un

livre ou ailleurs :

acronyme. Les  HSP  ne sont rien d’autre que

• Machinase Comme le suffixe -ase l’indique,

les  Heat Shock Proteins, des protéines expri-

machinase est une enzyme. C’est-à-dire

mées en cas de choc thermique. Et  GFP  est

qu’elle a pour mission de faciliter une réaction

la Green Fluorescent Protein, la protéine fluores-

chimique (durant laquelle des liaisons cova-

cente verte. Ah ça, on peut dire que certains ne

lentes seront formées ou rompues) associée à

se foulent pas des masses pour nommer leurs

l’élément machin. L’hydrogénase par exemple

découvertes !

est chargée de transformer les molécules de dihydrogène  H2 en ions  H+. La  DNA poly-

Bon, on critique, on critique, mais il existe aussi

mérase  dont vous allez croiser le chemin au

parmi les chercheurs en biochimie quelques petits

chapitre  3 a quant à elle pour job de poly-

rigolos qui aiment apporter un peu de fantaisie

mériser l’ADN (DNA pour nos amis anglo-

au sein de leur communauté scientifique. Et c’est

phones). Ce premier mode d’appellation a été

ainsi que certaines protéines se voient affublées

très officiellement proposé en 1898 par Émile

de noms qui sortent des sentiers battus. On peut

Duclaux (qui fut un disciple de Pasteur).

citer les protéines Sonic Hedgehog et la pika­

• Trucmuchine  Manifestement, le boulot de

churine, toutes deux nommées en référence à

trucmuchine est associé à l’élément trucmuche,

des personnages célèbres de jeux vidéo. Et si

mais il ne s’agit pas forcément d’une réaction

finalement les biochimistes étaient des geeks

chimique. La tubuline va ainsi s’assembler pour

comme les autres ?

2

ET COMMENT ON SAIT TOUT ÇA ?

26

UNE (PAS SI) B RÈVE HISTOIRE DES P ROTÉINES Quand on s’intéresse aux protéines, on fait de

acides aminés sera quant à elle progressive-

la biochimie, c’est-à-dire de la chimie, mais

ment établie entre 1820 et 1920).

centrée sur les molécules du vivant (soit donc les

•  Les protéines sont des composés sensibles à

protéines, mais aussi les acides nucléiques, les

la température.

lipides, ou encore les sucres). On fait généralement remonter l’acte de naissance de la chimie

Au cours du xixe siècle, la science des protéines

dite moderne aux travaux de Lavoisier (dans les

sera surtout une science des enzymes, ces subs-

années 1770-1780), qui ont permis de mettre

tances actives qui rendent possible (ou accé-

en évidence que la matière était composée d’élé-

lèrent, on parle alors de catalyseurs) une réac-

ments simples (tels que l’oxygène ou l’hydrogène)

tion chimique. Comme la digestion de la viande

susceptibles de se combiner entre eux (pour

par les sucs gastriques, ou la fermentation qui

former de l’eau par exemple), menant ainsi au

va convertir les sucres en alcool. Les chimistes

célèbre Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se

vont identifier tout un tas d’enzymes, chacune

transforme. Les techniques d’analyse élémentaire

associée à une réaction chimique bien spéci-

des composés mises au point à cette époque vont

fique, et se pencher sur leur fonctionnement.

permettre aux chimistes de s’en donner à cœur joie pendant tout le xixe siècle en dépiautant tout

Au départ, le rôle des réactions chimiques

ce qui leur passe à portée de main.

dans le vivant est encore peu clair, et traditionnellement chimie et biologie étaient deux

Vers 1838, un chimiste néerlandais du nom

disciplines bien séparées. Il faut attendre 1842

de Gerrit Mulder (sans Scully), ayant travaillé

et les travaux de Justus von Liebig (qui est

sur le blanc d’œuf, utilise pour la première fois

surtout passé à la postérité pour avoir inventé

le terme  protéine  (du grec  protos, premier).

le bouillon cube) pour que le lien entre méta-

Celui-ci désigne un groupe de substances

bolisme et réactions chimiques soit fermement

omniprésentes dans le vivant, que l’on trouve

établi. Mais à cette époque on comprend encore

à la fois chez les animaux et les plantes, et qui

assez mal comment ces molécules peuvent bien

sont composées essentiellement de carbone,

fonctionner. Beaucoup de chercheurs (dont

d’azote, d’oxygène et d’hydrogène, avec

Pasteur, en opposition à Liebig) pensaient alors

parfois également un peu de soufre ou de

que l’activité d’une enzyme était toujours liée à

phosphore. Durant les décennies qui vont

une force vitale et que les cellules productrices

suivre, on n’en saura pas tellement plus au

d’enzyme devaient donc être vivantes pour que

niveau atomique sur les ­protéines sinon que :

les réactions chimiques aient lieu.

• Il s’agit de grosses molécules. • Elles n’ont pas toutes la même composition

Dès 1872, Maria Manasseina, médecin russe,

(la formule chimique de chacun des différents

avait pourtant publié des travaux expérimentaux

27

montrant que la fermentation alcoolique pouvait

aminés qui les composent sont associés via

se produire hors du milieu cellulaire. Mais la

des liaisons peptidiques. Puis, dans les années

controverse ne s’acheva finalement qu’en 1897,

1920-1930, de nouvelles méthodes expérimen-

quand Eduard Buchner eut des résultats simi-

tales permettent d’évaluer leur masse (venant

laires (en s’abstenant bien de mentionner ceux

ainsi confirmer qu’il s’agit bien de très gros

de sa prédécesseur, dont il avait pourtant eu

bestiaux moléculaires). Enfin, à partir des années

connaissance…) en obtenant de la fermentation

1940, on commence à s’attaquer à la détermina-

alcoolique avec un extrait de levure dépourvu de

tion de la séquence, l’enchaînement des acides

cellules (et donc absolument pas vivant). Lesdits

aminés le long de la chaîne protéique. En 1955,

résultats lui valurent d’ailleurs le prix Nobel de

Frederick Sanger réussissait à établir la séquence

chimie en 1907 (soit 4  ans après la mort de

primaire des 51 acides aminés de l’insuline (ce

Maria Manasseina) : Bouillon cube 1 – Vaccin

qui lui vaudra un prix Nobel trois ans plus tard).

anti-rabique 0.

Il ne restait alors plus qu’à savoir quelle forme ces énormes molécules pouvaient bien prendre

Au début du

siècle, les choses se mettent à

dans l’espace. Cet objectif fut atteint par la cris-

bouger un peu plus pour nos protéines. Déjà, les

tallographie, dont nous allons vous conter la

chimistes finissent par comprendre que les acides

grande aventure au chapitre suivant.

e

xx

28

LA CRISTALLOG RAPHIE, DES NOBEL ET DES PROTÉINES Comme on a pu le voir au chapitre précédent,

on parle de cristal, on imagine tout de suite des

le concept de protéine a été défini bien long-

matériaux précieux comme le diamant. Mais on

temps avant que l’on n’ait la moindre idée de

peut former des cristaux avec des choses beau-

ce à quoi ces drôles de molécules pouvaient

coup plus triviales, comme du sel de cuisine, du

bien ressembler. Et c’est la cristallographie qui

sucre, ou encore des protéines !

nous a fourni les premiers clichés de protéines. Obtenir de beaux cristaux (bien réguliers et On le devine aisément, la cristallographie c’est

d’une taille suffisante) reste d’ailleurs encore un

l’étude des cristaux. Et un cristal, c’est un état

défi pour les cristallographes qui s’intéressent

particulier de la matière solide où les atomes

aux structures protéiques. Toutes les protéines

sont positionnés de manière régulière dans les

ne sont pas faciles à cristalliser et chacune

trois dimensions de l’espace, faisant ainsi appa-

nécessite souvent des conditions (de composi-

raître la répétition d’un motif périodique. Quand

tion de la solution où le cristal se forme) qui lui

Soirée disco chez les protéines : même à -173 °C, il y a toujours de l’ambiance dans le diffractomètre.

29

sont propres. Mais de la qualité des cristaux

la molécule. Ce froid plus que polaire est indis-

produits dépendra la qualité de la structure

pensable pour obtenir un cliché bien net de notre

obtenue ensuite, alors les chercheur·se·s ont

protéine. En effet, les atomes d’une molécule

appris à être patient·e·s !

s’agitent d’autant plus que leur environnement est chaud. À température ambiante, les atomes

Une fois obtenu le cristal de protéine, on va le

dansent la samba et la photo serait toute floue. À

refroidir à –173 °C et le placer dans un diffracto-

–173 °C, chacun garde bien sagement sa place

mètre qui va nous donner accès à la structure de

en attendant que sorte le petit oiseau.

Brainstorming au labo de cristallo, circa 1930.

30

Dans le diffractomètre, on envoie des rayons X

ces diagrammes pouvaient bien correspondre. Il

sur le cristal. En traversant l’échantillon, ces

fallut encore une vingtaine d’années avant que

rayons vont être dispersés dans toutes les direc-

Linus Pauling n’élucide (en 1951) le mystère des

tions (diffractés donc) en mode boule à facette.

diagrammes de diffraction et montre que les

Mais loin d’être le fruit du hasard, ces direc-

types α et β correspondaient aux hélices α et

tions de diffraction dépendent de la position

feuillets β que nous connaissons bien désormais.

de chaque atome au sein du cristal, elles repré-

Trois ans plus tard, en 1954, Pauling recevait

sentent une signature unique de la protéine.

un prix Nobel de chimie pour l’ensemble de ses

Cette signature est néanmoins loin d’être

travaux (et de deux !).

simple à déchiffrer, et sa lecture nécessite des calculs d’autant plus longs et compliqués que la

Mais une protéine, ce sont plusieurs éléments

protéine étudiée est volumineuse et sa structure

de structure secondaire (les hélices et feuillets),

irrégulière. Mais au final, l’étude du diagramme

dont l’agencement est la plupart du temps assez

de diffraction  produit lors de l’expérience va

irrégulier. Déterminer la structure d’une protéine

donc nous permettre de remonter à la structure

globulaire représentait donc encore un problème

atomique de la protéine.

complexe. Après de longs essais et tâtonnements, ce furent finalement Max Perutz et John Kendrew

La technique de la cristallographie a été mise

qui parvinrent les premiers à résoudre les struc-

au point par William Henry Bragg et William

tures tertiaire et quaternaire de l’hémoglobine et

Lawrence Bragg (qui étaient père et fils) au

de la myoglobine vers 1960. En 1962, nos deux

  siècle. Leurs travaux fondateurs

compères recevaient le prix Nobel de chimie

pour l’étude des solides cristallins furent récom-

pour cette avancée majeure dans l’étude des

pensés par un prix Nobel de physique dès

protéines (et un, et deux, et trois !).

début du

xx

e

1915 (et de un !), mais il a fallu encore quelques décennies de recherches avant d ­ ’obtenir des

Après ces premiers succès, les déterminations

structures protéiques.

de structure se sont enchaînées et la  Protein Data Bank a été créée en 1971 afin d’archiver

Dans un premier temps, les scientifiques ont fait

et de rendre accessible aux chercheur·se·s

avec les diffractomètres ce qu’ils font sponta-

du monde entier l’ensemble des structures

nément avec toute nouvelle expérience, ils ont

protéiques obtenues (tout d’abord par cris-

collé dedans tout ce qui leur tombait sous la

tallographie, et ensuite aussi par d’autres

main, juste pour voir, et notamment des maté-

méthodes que nous aborderons brièvement

riaux fibreux : soie, laine, cellulose (certaines

dans les pages suivantes). Quand on demanda

recherches étaient financées par l’industrie

à William Lawrence Bragg à quoi pourraient

textile, ceci expliquant sans doute cela), et

bien servir tous ces travaux, il répondit Revenez

même un cheveu de Mozart !

dans cinquante ans et quelqu’un vous le dira.

Nombre de ces matériaux étaient composés

En 2010, soit cinquante ans après les

de protéines (comme la kératine de la laine et

premières structures de Perutz et Kendrew,

des cheveux) et dès les années trente, les cher-

la PDB hébergeait plus de 50 000 structures

cheur·se·s remarquèrent que dans ce cas le

protéiques. En 2020, on a passé la barre des

diffractomètre produisait essentiellement deux

150 000 structures et cet ensemble de données

types de diagrammes de diffraction, qui furent

a une valeur inestimable pour les biochimistes

nommés α et β, mais sans que l’on sache pour

tout autour du globe qui tentent de comprendre

autant à quelles structures à l’échelle atomique

comment fonctionne leur protéine favorite.

31

!   E V O U M I S E PUR R U O P , N M R A L S E N I É T O R P S E D T N E M E V U O EN M Le développement de la cristallographie a

Dès le début des années soixante, les chercheurs

représenté une avancée cruciale pour la déter-

se sont penchés sur les potentialités de la réso-

mination de la structure tri-dimensionnelle des

nance magnétique nucléaire pour l’obtention de

protéines, et l’écrasante majorité (près de 90 %)

structures protéiques. La RMN (connue égale-

des structures disponibles dans la PDB en 2020

ment en imagerie médicale sous le nom d’IRM,

a été obtenue par cette méthode. Néanmoins

imagerie par résonance magnétique) exploite le

les protéines sont parfois des petits êtres retors

fait que certains atomes, que l’on peut justement

et certaines sont tout simplement impossibles à

trouver dans une protéine (l’hydrogène, mais

cristalliser. Il a donc fallu développer d’autres

aussi des isotopes du carbone, de l’azote ou

approches pour élucider la structure de ces

de l’oxygène), vont réagir lorsqu’ils sont placés

fortes têtes.

dans un champ magnétique (on dit qu’ils entrent

32

en résonance). Et cette réaction dépendra de ce

de toute la molécule, qu’elles sont susceptibles

qu’il y a tout autour de l’atome considéré. Le

de présenter quand elles sont actives. Or dans

spectre RMN d’une protéine nous apporte donc

le diffractomètre, toutes congelées qu’elles sont

tout un tas d’informations sur l’environnement

à –173  °C, nos petites protéines se tiennent

local de chacun des atomes d’hydrogène de

bien alignées au garde-à-vous. C’est certes

la molécule (et notamment quels types d’acides

fort pratique pour leur tirer le portrait avec une

aminés se trouvent à proximité de celui-ci). En

netteté sans pareille, mais en ce qui concerne

recoupant ces informations, on peut alors (non

l’observation des mouvements fonctionnels de

sans peine !) remonter à la structure globale de

ces machines miniatures, ça rend les choses un

la protéine.

peu plus compliquées.

Les premières structures pour des protéines

Dans le spectromètre RMN, l’ambiance est,

de taille moyenne furent obtenues par cette

disons, nettement moins rigide. Les protéines

méthode dans le courant des années quatre-

sont en solution à température ambiante (autour

vingt, et le premier dépôt d’une structure RMN

de 20 °C) et peuvent joyeusement remuer leur

dans la PDB eut lieu en 1989. En 2002, les

popotin. Bien sûr, cela ne facilite pas la tâche des

travaux associés au développement de cette

chercheurs qui tentent de déterminer leur struc-

méthode recevaient un prix Nobel de chimie, et

ture, mais cette agitation va permettre d’accéder

presque 20 ans plus tard, environ 7 % des struc-

à des  ensembles conformationnels  : soit des

tures déposées dans la PDB ont été produites

groupes de structures proches mais qui présentent

par spectrométrie RMN.

de légères variations, et qui nous informent ainsi sur des changements de forme qu’une protéine

« Tout ce que les objets vivants peuvent faire

peut subir dans l’exercice de ses fonctions.

peut être compris à partir des mouvements d’agitation et de vibration des atomes. »

La spectroscopie RMN représente donc une

R. Feynman (2000) Leçons sur la physique. Éditions Odile Jacob.

alternative de choix à la cristallographie,

S’il existe des molécules qui illustrent à la

Elle nécessite en effet d’avoir une plus grande

perfection cette citation du physicien Richard

quantité de protéines à disposition (ce qui n’est

Feynman, ce sont bien les protéines. En effet,

pas toujours aisé) et fut longtemps limitée à des

pour l’immense majorité d’entre elles, leur acti-

molécules de taille moyenne (en dessous de

vité biologique est non seulement déterminée

300 résidus). Récemment, les progrès méthodo-

par leur structure, mais aussi par leur dyna-

logiques ont permis de repousser cette limite et

mique interne. C’est-à-dire leur flexibilité, et

la structure de gros systèmes protéines compor-

tous les mouvements et déformations, que ce

tant plus de 1 000 résidus est enfin devenue

soit au niveau de quelques résidus ou à l’échelle

accessible à la RMN.

néanmoins elle a également ses limitations.

33

, G N I M O C S I WINTER M E O Y R C A L L’ÂGE DE Donc on résume, la cristallographie c’est top

les biochimistes ont commencé à explorer une

pour les protéines qui daignent cristalliser, la

­troisième voie, celle de la microscopie électro-

RMN c’est super si votre protéine chouchoute

nique. Dans un microscope électronique, on

n’est pas trop grosse et que vous pouvez en

éclaire l’échantillon avec des électrons, et non de

produire une bonne plâtrée.

la lumière, et c’est ce qui va permettre de voir des objets beaucoup plus petits que ceux que l’on

Ah ben oui, mais moi je travaille sur une protéine

observe dans un microscope ordinaire. Le léger

membranaire maousse, qui coûte un bras à

souci avec cette méthode, c’est que le faisceau

fabriquer et qui ne supporte pas d’être extraite

d’électrons a tendance à beaucoup chauffer.

de sa membrane lipidique.

Quand il s’agit d’observer un échantillon minéral ça va bien, mais les protéines, elles, se retrou-

Toi, tu sors.

vaient toutes cuites. Second inconvénient de la

Non, je plaisante, en vrai, Impossible n’est

méthode, dans un microscope électronique les

pas chercheur, et dès les années soixante-dix,

échantillons sont placés dans le vide. Or les

Force est de reconnaître que pour une protéine, le cryo-microscope c’est nettement moins amusant qu’un spectro RMN.

34

protéines ne sont heureuses que lorsqu’elles

à l’exposition au faisceau d’électrons. On fait

sont plongées dans un solvant (le plus souvent

donc d’une pierre deux coups et c’est ainsi que

de l’eau) ou insérées dans une membrane lipi-

l’on est passé à la cryo-microscopie électro-

dique. Privées de leur environnement naturel,

nique (cryo-EM).

elles sont dénaturées et l’image alors produite par le microscope n’aura plus rien à voir avec

En 1991, la première structure protéique déter-

celle d’une protéine en état de marche.

minée par cryo-EM était déposée dans la PDB. Trente ans plus tard, la méthode n’est certes à

Les solutions à ces deux problèmes se sont

l’origine que d’à peine d’3  % des structures

progressivement mises en place au cours des

déposées, mais alors quelles structures ! C’est

dernières décennies, en passant notamment par

en effet à cette technique que l’on doit les plus

la vitrification des échantillons. Les protéines en

belles images d’immenses assemblages

solution vont être refroidies  très  rapidement

protéiques, tels que l’enveloppe du virus HIV,

dans de l’éthane liquide (à –160 °C). Si rapide-

qui contient plusieurs centaines de protéines

ment qu’elles vont garder leur structure native,

assemblées entre elles et totalise plus de

et les molécules d’eau qui les entourent restent

300 000 résidus (soit un système 2 000 fois

désordonnées et n’auront pas le temps de

plus gros que la petite myoglobine des débuts).

former des cristaux de glace qui viendraient

La cryo-EM a ouvert le temps des géants pour

perturber l’observation dans le microscope. Qui

la biologie structurale et les travaux qui ont

plus est, ce passage à basse température

permis son développement se sont vus récom-

permet à l’échantillon de résister plus longtemps

pensés d’un prix Nobel de Chimie en 2017.

Cinquante ans séparent la structure de la petite myoglobine (1 chaîne, 150 résidus) de celle de l’enveloppe du VIH (1 300 chaînes, 313 000 résidus).

35

E I R O É H T A L DU CÔTÉ DE

Pendant qu’on s’agitait dans les laboratoires

Pour ce faire, les chercheur·e·s théoricien·ne·s

expérimentaux, les théoriciens n’étaient pas

ont recours à la dynamique moléculaire (DM).

tranquilles à se la couler douce, loin s’en faut !

Cette technique de modélisation repose sur l’idée centrale que si l’on sait décrire correc-

Si après les débuts de la cristallographie et

tement un système (soit les positions et les

jusqu’au début des années soixante-dix on

vitesses de tous les atomes qui le constituent

voyait encore les protéines comme des systèmes

à un moment donné), et que l’on sait égale-

plutôt rigides, les informations fournies par les

ment comment tous ces atomes interagissent

structures RMN concernant la flexibilité de ces

entre eux, alors on est capable de calculer,

molécules ont tôt fait de briser cette image. Une

ou simuler, les mouvements de ces atomes au

protéine fonctionnelle, c’est un juste équilibre

cours du temps. Bien entendu, plus le système

entre rigidité et dynamique. Et on a vite voulu

que l’on souhaite simuler est gros (et comprend

en savoir plus sur la façon dont les atomes

donc un grand nombre d’atomes), ou plus on

pouvaient bien s’agiter en leur sein.

souhaite effectuer la simulation sur un temps long, plus les calculs seront longs à réaliser.

Attention, la consommation de vidéos de protéines sur Internet peut très vite devenir addictive…

36

Faire une simulation de dynamique molécu-

mais qu’il a fallu attendre 1976 pour voir

laire, c’est un peu comme tourner un petit film

la première simulation d’une petite protéine de

en stop-motion qui montrerait les mouvements

60  acides aminés (soit environ 500  atomes)

des atomes dans la protéine au cours du

pendant quelques picosecondes. Quarante ans

temps et nous aiderait à mieux comprendre

et plein d’améliorations plus tard, que ce soit du

son fonctionnement. C’est parfois rigolo à

côté des ordinateurs ou du côté des méthodes

regarder (on sait s’amuser dans les labo-

de calcul, on est désormais capable d’uti-

ratoires, et une simple recherche avec les

liser la dynamique moléculaire pour  simuler

mots Protein molecular dynamics sur Youtube

­l’enveloppe du virus du VIH (1 300 protéines

vous donnera plein de jolis résultats), mais

comprenant plus de 300 000 acides aminés,

c’est surtout sacrément utile. Car cela permet

soit 64 millions d’atomes en tenant compte de

d’observer des déplacements très rapides des

l’eau qui entoure le système) pendant un peu

atomes qui sont complètement inaccessibles

plus d’une microseconde (10–6  s), cela reste

aux expérimentateurs. Le souci, c’est que ces

encore très court, mais c’est néanmoins suffisant

mouvements se déroulent sur des intervalles

pour apprendre plein de choses sur le fonction-

de temps très courts, qui vont de la pico- à la

nement d’une protéine !

milliseconde (de 10

–12

 à 10  s), si bien que –3

les 24 images/seconde d’un film classique ne

Plus généralement, le domaine de la modélisa-

nous permettraient pas d’y voir grand-chose.

tion moléculaire (qui comprend donc la dyna-

Heureusement pour les chercheur·se·s, dans

mique moléculaire, ses variantes, et encore des

une simulation on calcule l’état du système

tas d’autres techniques de simulation) a désor-

environ toutes les 2 femtosecondes (10

 s),

mais atteint son âge adulte. Les calculs réalisés

ce qui nous fait donc pas moins de cinq cent

sur les protéines peuvent reproduire des résultats

mille milliards d’images par seconde !

expérimentaux mais peuvent également guider

–15

les chercheur·se·s quand il s’agit de concevoir Alors certes, comme ça on y voit nettement

de nouvelles expériences, en prédisant les résul-

plus clair, mais cela coûte également très cher

tats de celles-ci. Et en 2013, la discipline a donc

en temps de calcul. Les avancées dans cette

célébré dignement sa majorité, via l’attribution

­technique ont donc longtemps été tributaires des

d’un prix Nobel de chimie à Martin Karplus (un

progrès réalisés pour augmenter la puissance

des papas de la première simulation de 1976, et

des ordinateurs qui effectuent lesdits calculs.

ancien étudiant de Linus Pauling que nous avons

C’est ainsi que les bases de cette méthode

rencontré au chapitre sur la cristallographie),

ont été posées dans les années cinquante,

Michael Levitt et Arieh Warshel.

3

LES PROTÉINES DU QUOTIDIEN, CELLES QUI FONT TOURNER LA BARAQUE

38

On l’a dit, la machinerie protéique est indispensable au bon fonctionnement de tout être vivant. Mais l’armée moléculaire chargée d’activer et d’entretenir notre corps est innombrable, et il serait illusoire de vouloir présenter toutes les ouvrières impliquées dans ce grand ballet collectif (à l’heure actuelle, on estime que les 20 000 gènes du génome humain pourraient produire jusqu’à un million de protéines distinctes !). Nous avons donc choisi de ne vous présenter qu’une infime fraction d’entre elles, parmi les plus célèbres, sur la base d’une sélection complètement arbi­ traire, forcément subjective, et un peu esthétique aussi (car qui pourrait résister au charme discret de la kinésine et de ses grands pieds ?)

39

E U Q I R B A F A L DANS S E N I É T O R P S E D Pour construire des protéines, on part du plan

une copie du plan initial et peuvent donc varier

qui se trouve dans l’ADN. Pour reprendre la

d’un individu à l’autre. Ils vont servir de support

métaphore de la bibliothèque de notre intro-

à l’étape de traduction.

duction, l’ADN est un document précieux

• La traduction. Ensuite les choses se compliquent

auquel il est interdit de sortir du noyau. Il va

un peu. Cette deuxième étape repose sur un très

donc d’abord falloir synthétiser un ARN, une

grand ensemble moléculaire, formé d’ARN et

sorte de copie fidèle des informations conte-

de protéines, qui va catalyser la synthèse des

nues dans l’ADN, et c’est à partir de cet ARN

protéines : le ribosome. La traduction repose sur

qui peut, lui, quitter le noyau, que les protéines

le code génétique qui fait correspondre chaque

sont synthétisées. Il s’agit donc d’un mécanisme

acide aminé à un codon, une séquence de

en plusieurs étapes :

3 bases de l’ARN. Le code génétique est universel,

• La transcription. Pour démarrer le processus,

tous les organismes vivants ont le même ! C’est

il faut copier le plan initial, contenu dans la

d’ailleurs un des arguments pour dire que tous

séquence d’ADN. Pour ce travail de reproduc-

les êtres vivants ont un ancêtre unique (LUCA,

tion, les cellules utilisent une enzyme (encore une

que nous avons évoqué au chapitre 1).

protéine donc) : l’ARN polymérase (littéralement Une observation qui laisse penser que les proté-

Les ARN ainsi synthétisés sont dits messagers

ines seraient apparues après l’ARN est le fait

(ARNm), car ils peuvent, eux, sortir du noyau

que le cœur du ribosome ne contient que de

et se déplacer dans le cytoplasme jusqu’aux

l’ARN. On peut donc imaginer un ribosome

appareils de production des ­protéines. Ils sont

primitif uniquement constitué d’ARN.

Image de David Goodsell pour la Molécule du mois, https://pdb101.rcsb.org/motm/40

l’enzyme qui synthétise un polymère d’ARN).

L’ARN polymérase en action : la protéine (en bleu et vert) se déplace le long de la double hélice d’ADN (en saumon) et produit un ARN (en rose).

40

Les experts à l’assaut de l’ADN ! Ou comment le système de copie de l’ADN est Par David Goodsell pour la Molécule du mois, https://pdb101.rcsb.org/motm/40

utilisé par la police scientifique… Copier l’ADN, les humains ont aussi appris à le faire ! En utilisant une ADN polymérase, on peut copier de l’ADN. Si on le fait plusieurs fois, on effectue une réaction en chaîne (PCR, Polymerase Chain Reaction, en anglais) un peu comme une photocopieuse à ADN. Cela multiplie les traces d’ADN d’un échantillon et permet Les deux sous-unités du ribosome avec les composants protéiques en bleu et l’ARN en saumon. L’étude de cet énorme complexe s’est vue récompensée par un Prix Nobel de chimie en 2009

donc de l’analyser.

Un détail d’importance qui a des conséquences

à leurs inventeurs en  1993 et elle est surtout

très concrètes dans notre vie quotidienne est que

connue du grand public comme outil de

les ribosomes des humains et ceux des bactéries

diagnostic pour les infections au coronavirus.

sont différents. C’est ce qui permet à certains

C’est une méthode de diagnostic direct, puisque

antibiotiques d’agir en bloquant les ribosomes

l’on va détecter la présence de matériel géné-

bactériens tout en laissant nos petites cellules

tique (ARN) du virus chez la personne testée. Il

humaines tranquilles. Les virus quant à eux

sert donc à identifier les personnes porteuses

sont des parasites : ils n’ont pas leurs propres

du virus au moment du test. Si le virus est bien

ribosomes mais viennent squatter ceux de leur

présent dans l’échantillon prélevé, on va récu-

hôte ! Et c’est pour cela qu’il est inutile de tenter

pérer son matériel génétique (qui est de l’ARN),

de lutter contre un virus à coups d’antibiotiques.

le convertir en ADN, et le multiplier via la PCR,

• Le repliement. Une fois la séquence primaire

qui se déroule en trois étapes :

obtenue, il faut encore que la protéine prenne

• dénaturation  : on chauffe l’ADN à 95  °C

la bonne forme en trois dimensions, c’est le

pour séparer les deux brins ;

repliement, dont nous vous parlerons plus en

• reconnaissance  : on emploie des  amorces,

détail au chapitre suivant.

soit deux petits brins d’ADN (longs d’environ

Cette approche a valu le prix Nobel de chimie

20 bases) dont la séquence est complémentaire L’ensemble de ce processus dépend du plan

de celle de l’ADN que l’on cherche à détecter.

initial, une modification de la séquence d’ADN

Elles vont se fixer à l’ADN du virus et indiquer

peut donc induire une modification de la

à la polymérase quel ADN doit être répliqué.

protéine, ce qui peut avoir des conséquences

Cette étape se fait à environ 60 °C ;

sur son fonctionnement (on pourra trouver un

• multiplication : la polymérase fait son taf sur

exemple détaillé au chapitre 6).

l’ADN identifié par les amorces.

Au laboratoire, on peut introduire des modifica-

Après quoi on recommence ces trois étapes,

tions volontairement et l’on parlera alors d’évo-

et très rapidement on a une multiplication du

lution dirigée (et nous verrons une application

matériel génétique que l’on cherche à identifier.

de cette approche au chapitre 5).

41

T S E ’ C , S N O R LES CHAPE , E U R G E N U ’ D L’HISTOIRE , E U R G E N U QUI MONTE … E U R G E N U QUI MONTE En théorie, le repliement de la chaîne protéique

En effet, la plupart des protéines contiennent

à la sortie du ribosome peut se faire de manière

dans leur séquence des domaines composés de

autonome et spontanée, comme si notre molé-

résidus hydrophobes. Une fois la chaîne correc-

cule était un petit origami autopliant. Néan-

tement repliée, ces résidus vont se retrouver au

moins, dans certains cas, par exemple des

centre de la structure tertiaire, loin du solvant

protéines particulièrement volumineuses ou des

aqueux, formant ainsi ce que l’on appelle le

assemblages complexes comprenant plusieurs

cœur hydrophobe de la protéine. Mais avant

chaînes, la protéine nouvellement produite

que le repliement ne soit achevé, les domaines

va être assistée dans son repliement par un

hydrophobes d’une protéine sont susceptibles

chaperon.

d’interagir entre eux et de former des agrégats,

42

c’est-à-dire des amas de protéines à la structure

toxine ou au stress oxydant. Ces modifications

incorrecte et qui peuvent s’avérer être toxiques

du milieu cellulaire sont susceptibles de déna-

pour notre organisme (cf. le chapitre 6).

turer les protéines, ce qui leur fait ainsi perdre leur activité biologique et facilite leur agrégation.

Les protéines chaperons, connues depuis maintenant  une quarantaine d’années, permettent

Un grand nombre de chaperons (mais pas tous)

de faciliter le repliement correct, c’est-à-dire

appartiennent ainsi à la famille des HSP (Heat

dans leur forme fonctionnelle, des protéines,

Shock Proteins), les protéines de choc ther-

notamment en les isolant des partenaires

mique, découvertes, comme leur nom le laisse

potentiellement indésirables qui peuvent être

supposer, après une expérience où des cellules

nombreux, car le milieu cellulaire est extrê-

étaient soumises à de fortes variations de tempé-

mement encombré. Les protéines chaperons

rature. Cette brigade d’élite débarque pour

peuvent également veiller au bon assemblage

remettre de l’ordre et protéger la cellule en cas

des protéines au sein d’un complexe macro-

de grosse chaleur, mais aussi de coup de froid,

moléculaire, mais sans prendre part à la struc-

ou encore d’exposition à des r­ adiations UV. La

ture finale du complexe. Donc pour résumer la

plupart des chaperons permettent un repliement

situation, la mission des protéines chaperons

correct des chaînes dépliées dans des condi-

est de prévenir les interactions incorrectes entre

tions dégradées, mais certaines peuvent égale-

protéines, que ce soit en tant que duègnes ou

ment réparer les dégâts dus au stress. HSP100

comme marieuses. Avouez que leur nom a été

est ainsi capable de déplier une protéine qui

plutôt bien trouvé non ?

aurait adopté une structure incorrecte, avant de la replier dans sa forme native. HSP104, pour

En temps normal, seules 10 à 20 % des protéines

sa part, peut resolubiliser les protéines impli-

nécessitent l’assistance d’un chaperon pour leur

quées dans des agrégats,  les ramenant ainsi

repliement. Mais les chaperons peuvent égale-

dans le droit chemin de leur état natif.

ment être appelés à la rescousse (et par conséquent produits en grande quantité par la cellule)

Il existe une grande variété, en forme et en taille,

en cas de perturbation environnementale :

de protéines chaperons. Côté petits formats,

changement de température, exposition à une

on peut mentionner la préfoldine avec sa jolie

a) L a préfoldine est composée de trois chaînes d’une centaine d’acides aminés chacune, formant deux hélices α, et reliées à leur extrémité par des feuillets β. b) L e complexe GroEl-GroEs résulte de l’assemblage de 21 sous-unités et comprend plus de 6 000 résidus (à droite, on peut voir l’entrée de la cavité qui va abriter les protéines pendant leur repliement).

43

forme de pieuvre, qui va protéger les chaînes

Mais qui va replier les chaperons ?

protéiques des contacts indésirables juste à leur sortie du ribosome. À l’autre bout de l’échelle, on

Si les chaperons sont les grues qui assistent

trouve l’énorme complexe GroEl/GroES, qui est

le montage des structures et assemblages

composé de 21 sous-unités, et forme une cavité

protéiques, la question que l’on se pose sponta-

suffisamment spacieuse pour qu’une protéine

nément est celle de leur propre repliement. Les

puisse s’y replier confortablement. GroEl/GroEs

chaperons de petite taille sont capables de se

va ainsi avaler les chaînes protéiques dépliées,

replier tous seuls comme des grands (!). Quant

et puis les recracher une fois que celles-ci ont

aux gros systèmes, ils peuvent effectivement

adopté leur conformation native en son sein. Si

s’auto-chaperonner. Le complexe GroEL-GroEs

certains chaperons veillent spécifiquement aux

peut ainsi procéder au repliement des chaînes

bonnes fréquentations d’une protéine donnée,

constitutives de ses sous-unités, chaînes qui,

d’autres sont moins regardants quant aux

une fois relâchées dans le cytoplasme, vont

protéines qu’ils vont assister. GroEl/GroEs par

s’assembler, toujours avec l’aide de GroEl-

exemple contribue au bon repliement de plus de

GroEs, pour former un nouvel exemplaire de

80 protéines différentes.

ce complexe.

La voracité de GroEl/GroEs lui joue parfois des tours.

44

LES GLOBINES, LA GRANDE FA MILLE QUI VOIT LA VIE EN ROUGE Les globines sont une grande famille d’hémo-­

C’est aussi la myoglobine qui donne sa couleur

protéines, c’est-à-dire qu’en leur cœur, on

rouge à la viande, couleur qui passe au brun en

trouve un groupement chimique de type hème,

cas de cuisson car l’atome de fer voit alors son

comprenant une molécule de porphyrine au

état d’oxydation changer (on passe d’un cation

centre de laquelle trône un atome de fer qui va

Fe2+ à Fe3+). Si l’on modifie la molécule (on

permettre à la protéine de fixer une molécule

parle souvent de ligand) associée à la protéine,

de dioxygène. Si les globines sont si appréciées

on peut également modifier sa couleur, c’est

des biochimistes, c’est que, outre leurs multiples

ainsi le cas dans les jambons traités au nitrite,

et passionnantes propriétés, elles occupent une

qui arborent une belle couleur rose parce que

place toute particulière dans l’histoire des proté-

le dioxygène lié à l’atome de fer a été remplacé

ines. Ce sont en effet deux membres éminents de

par du monoxyde d’azote (NO).

cette famille, la myoglobine et l’hémo­globine, qui sont à l’origine des toutes premières struc-

L’autre star de la famille, dont la structure a

tures de protéines obtenues par cristallographie

été déterminée en 1960, c’est l’hémoglobine.

aux rayons  X (cf. le chapitre  2), et que nous

Il s’agit cette fois d’un tétramère, la protéine

allons découvrir plus en détail.

est formée de quatre sous-unités présentant chacune un repliement de type globine. L’hémo-

Première par ordre de détermination structu-

globine a pour fonction de transporter le dioxy-

rale (en 1958), la myoglobine est une protéine

gène de nos poumons vers le reste de l’orga-

monomérique (qui ne comprend qu’une seule

nisme, permettant ainsi aux cellules de respirer,

chaîne) et que l’on trouve essentiellement dans

et de ramener ensuite le dioxyde de carbone

les muscles. Sa fonction principale est de stocker

produit par cette respiration vers les poumons.

le dioxygène (pour lequel elle présente une très

Cette protéine se trouve donc essentiellement

forte affinité), qui va servir à produire l’énergie

dans le sang des vertébrés, et elle constitue la

des cellules en cas d’effort. C’est ainsi que les

plus grande part des globules rouges.

muscles des grands mammifères marins (comme la baleine) sont enrichis en myoglobine (qui y

Là encore, la couleur de la protéine dépendra

est dix fois plus concentrée que chez l’homme),

de l’état de son groupe hème. Si celui-ci porte

ce qui va leur permettre de rester longtemps en

une molécule de dioxygène, on retrouve le

apnée. C’est donc grâce à elle que la baleine

rouge vif qui égaye tant de films d’horreur. En

peut plonger jusqu’à 50 minutes, alors que le

l’absence d’oxygène, la protéine devient rouge

record humain est de l’ordre d’une dizaine de

sombre, et si l’atome de fer passe de Fe2+ à

minutes (et ce, sans même utiliser son oxygène

Fe3+, on a alors affaire à de la méthémoglo-

pour se mouvoir sous l’eau !).

bine, de couleur brun-bleutée.

45

L’histoire du mammouth laineux, de l’ornitho-

rigide, permettant de contre-balancer l’effet de

rynque et du poulet

la température (qui entraîne un ramollissement

Ou, comment l’hémoglobine s’est adaptée à la

de la protéine) et d’avoir in fine un fonctionne-

température de fonctionnement des organismes

ment similaire.

De manière générale, les protéines sont des petites choses douillettes qui détestent les variations de température. Leur fonctionnement est optimisé pour une température donnée, et en cas de mauvais réglage du thermostat, on voit vite leur activité se dégrader. Le froid va figer les mouvements internes de la molécule (comme les rouages d’une horloge qui se gripperaient), tandis qu’une chaleur excessive verra sa structure tertiaire se carapater (jusqu’à atteindre un état dénaturé). Les organismes extrémophiles (qui vivent dans des conditions de température très basse ou très élevée) réussissent à survivre car ils ont pu développer des protéines spécifiquement adaptées à leur environnement. Mais on peut également observer de subtiles différences entre des protéines appartenant à la même famille, et issues d’organismes fonctionnant à des températures pourtant proches. C’est ainsi que, dans le cas de l’hémoglobine, des chercheur·se·s ont comparé l’élasticité de la protéine chez l’homme, le poulet et l’ornithorynque. Pour mieux comprendre l’intérêt de cette équipe improbable, il faut savoir qu’il s’agit là de trois organismes endothermes (qui produisent leur chaleur corporelle via leur métabolisme). Chez l’homme le thermostat est réglé

Parler de ses recherches tout en étant pris au sérieux, c’est pas forcément toujours évident…

à 37 °C, chez le poulet on monte à 42 °C, alors que chez l’ornithorynque on descend à 34 °C (ce qui en fait une des plus basses températures

D’autres chercheur·se·s se sont amusé·e·s

corporelles observées pour un animal à sang

à reconstituer l’hémoglobine du mammouth

chaud). Les expériences et les calculs effectués

laineux (à défaut de reconstituer un mammouth

sur ces trois variétés d’hémoglobines ont alors

tout entier). L’antique pachyderme, qui vivait

montré que plus la température corporelle d’un

en Sibérie il y a quelques dizaines de milliers

organisme est élevée, plus son hémoglobine est

­d’années, présente quant à lui une h ­ émoglobine

46

dont la séquence a légèrement varié, lui

l’hémolymphe possède une autre propriété

permettant d’être plus adaptée au froid. Ces

remarquable. Lorsque celle-ci entre en contact

mutations, que l’on ne retrouve pas dans

avec des toxines d’origine bactérienne, même

l’hémoglobine des éléphants actuels, permet-

présentes en quantité infime, l’hémolymphe va

taient à la protéine de mieux fixer l’oxygène à

se gélifier, via l’action d’une série d’enzymes

basse température, facilitant ainsi la survie du

coagulantes, bloquant ainsi l’infection en

mammouth en hiver.

cours. Du fait de cette propriété, l’hémolymphe

Si Jurassic Parc n’est pas encore d’actualité,

de limule est notamment utilisée pour s’assurer

le sang des dinosaures est lui peut-être à notre

de l’absence de toutes toxines dans le milieu

portée et qui sait ce que leurs protéines nous

médical. Les limules sont ainsi pêchées sur

apprendront à ce sujet !

la côte est des États-Unis, où elles se voient prélever jusqu’à 30  % de leur hémolymphe avant d’être rejetées à la mer. Néanmoins

Les organismes qui préfèrent le bleu

cette pratique entraîne une forte mortalité (de l’ordre 20 %) chez les limules ainsi traitées, et

Si l’hémoglobine et ses cousines ont la charge

les populations ont considérablement décliné

d’assurer le transport de l’oxygène chez la

au cours des trente dernières années, mena-

totalité des vertébrés ainsi qu’un grand nombre

çant ainsi cette espèce dont des ancêtres

d’autres espèces (bactéries, champignons ou

étaient déjà présents à la Préhistoire.

plantes), néanmoins elles n’ont pas le monopole de cette fonction dans le vivant. Chez certains mollusques et arthropodes, c’est une autre protéine, l’hémocyanine, qui s’occupe d’acheminer l’oxygène jusqu’aux cellules. Tandis que l’hémoglobine reste confinée à l’intérieur des globules rouges, l’hémocyanine va flotter librement dans l’hémolymphe, le liquide circulatoire qui tient lieu de sang aux arthropodes (arachnides et crustacés). Mais la différence la plus marquante entre ces deux molécules vient des atomes métalliques qu’elles hébergent en leur sein. Alors que l’atome de fer des globines leur confère une couleur rouge-brune caractéristique, l’hémocyanine comporte quant à elle deux atomes de cuivre qui vont donner à la protéine quand elle porte une molécule de dioxygène une superbe couleur bleue. On retrouve cette belle couleur notamment chez la limule, ou  crabe fer à cheval, dont

Fun fact : si le sang menstruel est bleu dans les antiques réclames pour des protections périodiques, c’est que celles-ci étaient initialement destinées à des limules.

47

!   N I A G A D A ON THE RO S R E V A R T À R E VOYAG LA CELLULE Tubuline et microtubules, le réseau autoroutier

Elles ont la particularité de ­s’assembler pour

de la cellule

former des microtubules, c’est-à-dire de longs filaments creux et cylindriques, le plus souvent

Les tubulines appartiennent à la famille des proté-

recouverts d’une armée de protéines associées

ines du cytosquelette (avec leurs cousines l’actine

(les MAPs, dans leur acronyme en anglais) qui

et les filaments intermédiaires), qui confèrent à

vont servir à réguler l’organisation et la dyna-

la cellule sa forme et ses propriétés mécaniques.

mique de l’ensemble.

Dans cette représentation du cytoplasme par David Goodsell (doi: 10.2210/rcsb_pdb/goodsell-gallery-006), on peut observer un microtubule (le gros tube vertical bleu clair) dont l’extrémité est en cours de dépolymérisation.

48

Car loin d’être un élément statique de la cellule,

cellule. Chaque copie de chromosome va alors

le réseau de microtubules est en constante réor-

migrer vers un côté distinct de la cellule en

ganisation. À chaque instant, les microtubules

se déplaçant le long du fuseau mitotique qui

vont croître par l’une de leurs extrémités, via la

leur tient lieu de rails. Une fois l’ensemble des

polymérisation de tubulines en solution dans la

chromosomes répartis de part et d’autre de la

cellule, et décroître de l’autre côté. Cette étape

cellule, celle-ci peut alors se scinder et chacune

de dépolymérisation va quant à elle rejeter des

des deux cellules filles résultantes partira faire

tubulines dans la cellule, qui sont donc alors

sa vie de son côté.

disponibles pour aller polymériser à l’autre extrémité d’un autre microtubule, et la boucle

Prévenir la formation du fuseau mitotique dans

est bouclée !

une cellule, c’est donc entraver sa prolifération et c’est justement ce que font deux composés

Ce cycle de polymérisation/dépolymérisation,

d’origine naturelle que l’on utilise pour lutter

que l’on appelle aussi l’instabilité dynamique,

contre le cancer :

est un aspect essentiel de la fonction des micro-

• la vinblastine  est une toxine produite par

tubules au sein de la cellule. Ceux-ci vont

la pervenche de Madagascar. Elle se fixe sur

notamment tenir lieu de voies de circulation,

la tubuline et empêche la polymérisation de

le long desquelles se déplacent les  protéines

celle-ci pour former des microtubules ;

motrices (avec lesquelles nous ferons plus ample

• le paclitaxel quant à lui est extrait de certaines

connaissance dans les pages suivantes) char-

espèces d’if (contribuant ainsi à la forte toxicité

gées d’acheminer différents éléments à travers

de ces arbres). Contrairement à la vinblastine,

le cytoplasme. On peut donc voir l’ensemble des

le paclitaxel va se fixer sur les microtubules déjà

microtubules comme un réseau routier capable

formés et empêcher leur dépolymérisation. Or

de se réorganiser à chaque instant en créant

cette étape est indispensable pour libérer des tubu-

de nouvelles jonctions pour servir les besoins

lines dans la cellule, qui seront ensuite disponibles

de la cellule. Et si les métaphores magiques

pour s’associer et former le fuseau mitotique.

vous parlent plus, imaginez un peu le réseau mobile d’escaliers dans le château de Poudlard

Chacune à sa manière (en bloquant la polyméri-

sur lesquels galopent en permanence quelques

sation ou la dépolymérisation des microtubules),

petits sorciers en retard pour leur cours. Et ben

ces molécules jouent donc un rôle essentiel dans

les microtubules, c’est un peu ça…

les traitements des cancers par chimiothérapie, si bien qu’elles figurent toutes deux sur la liste

Si la tubuline et les microtubules intéressent

des médicaments essentiels établie par l’Orga-

tant de chercheur·se·s, et tout particulièrement

nisation mondiale de la santé.

en médecine, c’est qu’elles jouent un rôle crucial au moment de la mitose, le phénomène de division cellulaire où une cellule mère se

Lève-toi et marche ! Kinésine et dynéine, les

transforme en deux cellules filles. Lors de cet

sprinteurs cellulaires

événement, le matériel génétique de la cellule a été dupliqué et celle-ci se retrouve donc avec

Si les microtubules tiennent lieu de réseau routier

deux exemplaires de chacun de ses chromo­

dans la cellule, alors la kinésine et la dynéine

somes. De leur côté, les tubulines se sont

sont ses poids lourds. Ces deux protéines

assemblées pour former le  fuseau mitotique,

motrices carburent à l’ATP (une petite ­molécule

une structure reliant les pôles opposés de la

qui sert de source d’énergie ­principale à la

49

cellule) et ont pour mission de transporter des

Kinésine et dynéine se distinguent tout d’abord

gros objets (appelés aussi cargos) à travers le

par leur sens de déplacement. Les microtubules

cytoplasme. En effet, il ne faut pas oublier que

sont en effet des fibres polarisées, avec une

l’intérieur d’une cellule est blindé comme une

extrémité portant une charge positive et l’autre

rame de métro aux heures de pointe. Autant les

portant une charge négative. La kinésine va

petites molécules parviennent à s’y déplacer

migrer du pôle – vers le +, soit le plus souvent

d’un bout à l’autre sans trop de difficultés,

du centre de la cellule vers sa membrane, tandis

autant les objets plus volumineux, tels que les

que la dynéine parcourt le chemin inverse en

vésicules ou les mitochondries, auront absolu-

direction du cœur de la cellule. Une fois à

ment besoin d’aide pour s’y frayer un chemin.

destination, nos joyeux coursiers se détachent

Les protéines motrices vont donc jouer les

du microtubule qu’ils viennent de parcourir

coursiers cellulaires et trottiner joyeusement le

et nagent dans la cellule jusqu’à trouver une

long des microtubules en y traînant leur grosse

nouvelle mission de transport sur un autre micro-

cargaison. Et si celle-ci s’avère trop lourde,

tubule. Il va donc arriver que nos compères se

elles peuvent même se mettre à plusieurs pour

croisent en chemin, mais on ignore encore ce

la déplacer.

qu’ils peuvent bien se raconter…

50

De plus nos coursiers ont beau avoir des fonc-

• De son côté, la dynéine n’a pas été non plus

tions similaires dans la cellule, ils arborent

très gâtée par Mère Nature. Sous une grosse

chacun un look qui lui est propre :

tête où va se fixer la cargaison, on trouve deux

• La kinésine  est constituée de deux longues

immenses guiboles avec certes au bout des

chaînes entrelacées, terminées d’un côté par

pieds de taille raisonnable, mais aussi deux

un domaine qui va se fixer à la cargaison et

énormes genoux du plus bel effet.

à l’autre bout par deux énormes pieds qui vont se déplacer le long du microtubule. Pour

Mais leur physique ingrat n’empêche pas nos

vous faire une idée plus précise de la taille des

protéines d’être des sprinteuses de premier

pieds, disons que si la kinésine était un petit

ordre. La kinésine parcourt en moyenne 1 μm

bonhomme de  1,80  m, il chausserait du 56,

(soit 10–6 m) par seconde, ce qui lui permet de

de quoi se faire appeler Bozo la protéine dans

traverser la cellule en une dizaine de secondes.

la cour de récré !

Cela peut vous sembler ridicule, mais pour

On trouve en ligne plein de belles vidéos

atteindre cette vitesse avec ses gros pieds

montrant des simulations de l’intérieur d’une

de 10  nm (soit un centième de μm) de long,

cellule. Notre préférée (et une des plus connues),

la kinésine effectue une centaine de pas à

c’est The Inner Life of the Cell (https://www.

chaque seconde. À ce rythme, un humain avec

youtube.com/ watch?v=wJyUtbn0O5Y), où

une foulée de 1  m de long pourrait courir à

vous pourrez admirer, entre autres merveilles, la

366 km/h !

balade de la kinésine le long d’un microtubule (à partir de 3 min 35 s).

La kinésine et la dynéine ne sont pas moches. C’est juste qu’elles n’ont pas un physique facile.

51

R I X I L É ’ L , E S A LA TÉLOMÉR DE JEUNESSE S E M O S O M O R H DES C À l’extrémité des chaînes d’ADN qui forment nos

la cellule, comme la séquence de fabrication

chromosomes, on trouve une région comportant

d’une protéine indispensable à son bon fonc-

une même séquence d’ADN de quelques bases

tionnement.

(TTAGGG pour les vertébrés) répétée plusieurs milliers de fois. Cette région, que l’on appelle

Mais cette érosion des extrémités division après

un télomère, ne code pas pour une protéine,

division finit néanmoins par ronger la totalité

mais elle permet de protéger le chromosome.

du télomère (au bout de 50 à 70  divisions).

En effet, lors de chaque division cellulaire, le

Lorsque celui-ci se trouve complètement rati-

nouveau brin d’ADN produit par l’ADN poly-

boisé, la cellule sait alors sa dernière heure

mérase (dont nous avons parlé au chapitre 3)

venue et entre en sénescence, ce qui sonne la

est légèrement plus court que son modèle

fin de la prolifération cellulaire. La longueur

original. La présence des télomères qui vont se

des télomères au bout de nos chromosomes

faire grignoter en bout de séquence ADN évite

décroît donc au cours du temps, et détermine-

donc la perte d’informations ­importantes pour

rait ­l’espérance de vie de nos cellules.

52

Cette fonction protectrice des télomères a été

qui propose au héros (Jules donc) de créer un

mise en évidence au début des années quatre-

clone immortel, car dopé à la télomérase, de

vingt par les chercheurs Elizabeth Blackburn

Bidule, son cochon d’Inde mourant. Mais ce que

et Jack Szostak. Quelques années plus tard,

Virginia Wilkins oublie de préciser, et qui nous

Carol Greider (qui travaillait dans l’équipe de

sera rappelé avec vigueur par un extra-terrestre

recherche d’Elizabeth Blackburn) découvrait

énervé (et manifestement biologiste) quelques

la télomérase, une enzyme dont le rôle est

pages plus loin, c’est qu’il y a une bonne raison

­justement de réparer les télomères rabougris.

à ce que la télomérase joue d’ordinaire profil

Dans notre organisme, la télomérase est

bas dans nos cellules. Parce qu’une cellule avec

très active au sein des cellules qui doivent

une durée de vie illimitée, c’est également une

se diviser un grand nombre de fois  : cellules

cellule qui peut se mettre à proliférer anarchi-

souches, cellules germinales (qui vont former les

quement, soit une cellule cancéreuse.

gamètes), ou encore le follicule pileux (la cavité où les poils prennent naissance). Dans les autres

On a en effet découvert que dans 80 à 90 %

cellules de base, la télomérase est absente ou

des cas, les cellules cancéreuses humaines

tourne au ralenti, et la dégradation progressive

présentent une activité anormalement haute de

des télomères les condamne ainsi à terme.

la télomérase, ce qui leur permet de se multiplier beaucoup plus que leurs voisines saines. Le

En théorie, une cellule où la télomérase est

rétrécissement des télomères lors de la division

exprimée à foison serait donc immortelle,

cellulaire serait alors un mécanisme protecteur

puisqu’elle pourrait se diviser indéfiniment sans

contre des cellules qui pourraient sinon pulluler

jamais voir les télomères de ses chromosomes

de manière incontrôlée. Plutôt que de chercher à

être complètement rongés !

stimuler la télomérase dans nos cellules saines, les recherches médicales actuelles s’orientent

Cette capacité de la télomérase à affranchir

donc vers les moyens d’inhiber son activité au

nos cellules de leur horloge biologique en fait

sein des tumeurs.

une porte vers l’immortalité qui inspire autant les chercheurs que le grand public. Ainsi, dans

Au final, l’immortalité n’est sans doute pas pour

son excellent album de bande dessinée, Une

demain, mais les travaux de Blackburn, Greider

épatante aventure de Jules, T.4 Un départ préci­

et Szostak nous ont apporté des informations

pité (sorti en 2006), l’auteur Émile Bravo met en

fondamentales sur le vieillissement cellulaire, et

scène le personnage de Virginia Wilkins, géné-

cela leur a valu l’attribution du prix Nobel de

ticienne de génie et prix Nobel de médecine,

médecine en 2009 (pour de vrai celui-là).

4

DES PROTÉINES POUR NOS CINQ SENS

54

Odorat, vue, goût, toucher ou ouie, de la tête aux pieds, les protéines nous accompagnent dans la perception de notre environnement. Si beaucoup de protéines impliquées dans nos cinq sens sont des récepteurs (soit de grosses molécules insérées dans la membrane de la cellule et qui seront activées par une stimulation externe), l’évolution s’est néanmoins avérée pleine de ressources et d’inventivité pour nous permettre d’appréhender le monde qui nous entoure.

55

, N O I T C A F L O ’ L S E N I É T O R P S E D PLEIN LE NEZ La perception des odeurs fait intervenir son lot

un rôle de filtre, en transportant chaque molé-

de protéines. À l’origine du phénomène, il y a

cule odorante vers le récepteur le mieux adapté,

l’interaction entre les molécules odorantes, des

afin d’éviter une saturation des récepteurs.

composés chimiques volatils véhiculés dans l’air inhalé, et les neurones olfactifs situés au fond

Quant aux récepteurs olfactifs, cette grande

des narines (dans la partie supérieure de la

famille protéique a été découverte en 1991

cavité nasale), dans ce qu’on appelle le bulbe

par Linda Buck et Richard Axel et leur a valu

olfactif. Cette zone est recouverte d’un mucus

un  prix Nobel de médecine en 2004. Chez

riche en protéines de transport des molécules

l’être humain, on dénombre près de 400 récep-

odorantes (Odorant Binding Proteins, dites

teurs olfactifs distincts. Ces protéines présentent

aussi OBP). Ancrés dans la surface de chacun

toutes une structure similaire, soit un ensemble

de ces neurones olfactifs, on va retrouver des

de sept hélices α reliées par des boucles et insé-

récepteurs, qui seront cette fois spécifiques pour

rées dans la membrane lipidique à la surface

les molécules odorantes : les récepteurs olfactifs

des neurones olfactifs. Elles vont néanmoins

(RO pour les intimes).

présenter des affinités différentes, et plus ou moins importantes, pour les diverses molécules

Les OBP permettent aux molécules odorantes

odorantes susceptibles de se fixer sur elles. Un

de parvenir jusqu’à la surface des neurones

récepteur donné peut donc interagir, mais de

et ainsi d’interagir avec un RO. Ces petites

manière plus ou moins forte, avec plusieurs

molécules sont en effet très peu solubles dans

molécules odorantes, et, inversement, une

le mucus et les OBP leur serviront donc de petit

même molécule odorante peut activer, plus ou

taxi personnel afin de les mener à bon port. Il

moins intensément, tout un panel de récepteurs

est également possible que ces protéines jouent

olfactifs distincts.

Les protéines de transport des odorants peuvent présenter des structures variées, par exemple l’OBP de porc (code pdb 1E00) à gauche, dont les feuillets en tonneau β entourent la molécule odorante (en magenta), ou encore l’OBP20 du moustique (code pdb 3V2L), à droite, qui est elle formée d’hélices α.

56

Au final, quand nous percevons l’odeur d’une

La nature regorge de composés présentant

molécule, il s’agit de la combinaison unique des

des structures proches et des odeurs voisines

RO (sur les 400 que nous possédons) qui seront

(jusqu’ici tout va bien), de composés présentant

activés par ladite molécule dans le bulbe olfactif.

des structures proches et des odeurs différentes

Le nombre très élevé de combinaisons possibles

(là, ça se corse un peu), ou encore de composés

explique la très grande variété d’odeurs que

avec des structures très différentes mais des

nous sommes capables de percevoir et qui est

odeurs néanmoins proches (non mais on peut

estimée à plus de 10 000 pour un nez entraîné.

savoir ce que c’est que ce dawa !).

Néanmoins, les performances humaines resteront toujours très en deçà de celles des cham-

Un des exemples les plus frappants concerne les

pions de l’odorat que sont les rats et les chiens,

paires d’énantiomères dans le cas des molécules

que la nature a respectivement dotés de près

chirales. Ces composés sont l’image l’un de

de 900 et 1 200 récepteurs olfactifs distincts.

l’autre dans un miroir et néanmoins non superposables l’un sur l’autre, à la manière de nos mains gauche et droite (le mot chiral vient d’ailleurs du mot grec cheir pour la main). Deux énantiomères auront donc des formules chimiques rigoureusement identiques et des formes très proches. Et pourtant, il arrive fréquemment que les membres d’un couple d’énantiomères aient

Contrairement aux OBP, les récepteurs olfactifs présentent tous une structure similaire composée de sept hélices α insérées dans la membrane lipidique du neurone olfactif, et reliées entre elles par des boucles flexibles.

des odeurs très différentes, comme si nos récep-

Notre compréhension du lien entre la taille, la

l’infortunée molécule de la figure suivante, dont

forme d’une molécule odorante et les fonctions

la version droite présente une odeur fraîche

chimiques qu’elle peut porter d’une part, et

et plaisante de pamplemousse, tandis que sa

la façon dont elle va interagir avec les diffé-

version gauche est perçue comme ayant une

rents RO d’autre part, reste encore balbutiante.

odeur soufrée particulièrement nauséabonde !

teurs olfactifs étaient tapissés de petits gants gauches ou droits. C’est par exemple le cas de

Le verdict du miroir à odeur protéique est souvent impitoyable.

57

, E N I S P O D O H LA R N E I R E N I É T O R UNE P X U E Y S O N R U QUE PO Bien sûr, l’odorat n’est pas le seul de nos sens

qu’un rayon lumineux transmet de l’énergie

qui s’appuie sur des protéines pour fonctionner,

au rétinal, celui-ci change de forme (on parle

nos yeux sont également une petite merveille de

d’isomérisation de l’état cis vers l’état trans).

biotechnologie riche en protéines.

Il va alors partir en vadrouille dans la cellule et déclencher toute une cascade de réactions

Au cœur des cellules rétiniennes, on trouve tout

(impliquant également des protéines), qui abou-

d’abord la rhodopsine. Ce récepteur photo­

tiront à la transmission d’un signal nerveux,

sensible, c’est-à-dire qu’il va réagir à la lumière,

via le nerf optique, jusqu’au cerveau. Un fois

est en fait un complexe constitué de deux entités

sa promenade achevée, le rétinal retrouve sa

moléculaires : une matrice protéique, l’opsine,

forme cis et s’en va bien sagement regagner

et en son sein un petit ligand, le rétinal. Lors-

ses pénates au cœur de l’opsine.

Il arrive parfois que le petit cis-rétinal se perde sur le chemin du retour, causant ainsi beaucoup de souci à son opsine.

58

Le rétinal est fabriqué par notre organisme à

les cônes, qui sont eux des cellules dédiées à

partir de vitamine A, une molécule elle-même

la vision de jour et en couleur. Pour ce faire

dérivée de la pro-vitamine A, aussi connue sous

ils existent en trois types, chacun d’entre eux

le nom de β-carotène, et que l’on trouve dans

contenant une variante de la rhodopsine, une

les aliments oranges tels que les abricots ou les

iodopsine, qui absorbera préférentiellement la

carottes. C’est pourquoi on dit souvent de ces

lumière pour une longueur d’onde donnée (vers

dernières qu’elles sont bonnes pour la vue (en

le bleu, le vert ou le rouge). C’est la combi-

plus de nous donner les fesses roses).

naison des signaux transmis par ces trois types de cônes qui nous permet de voir le monde en

L’opsine quant à elle appartient à la grande

technicolor.

famille des GPCR (G Protein Coupled Recep­ tors), un groupe de protéines membranaires

Avec nos trois iodopsines, nous sommes donc

comportant sept hélices  α. Elle a donc pour

plutôt bien servi·e·s par rapport aux mammifères

cousins les récepteurs olfactifs que nous avons

non primates, qui n’ont que deux pigments,

rencontrés plus tôt. Mais alors que ceux-ci

et pas trop mal loti·e·s par rapport aux pois-

réagissent lorsqu’une molécule odorante vient

sons, reptiles et oiseaux, qui eux en possèdent

se fixer à leur surface, la rhodopsine est, elle,

quatre. Mais tout cela reste néanmoins ridicule

activée par un signal lumineux.

par rapport à l’éblouissante crevette-mantepaon, un petit (mais costaud) crustacé à la

Notre rétine humaine comprend deux grandes

robe chamarrée, qui sème la terreur au fond

catégories de cellules. Tout d’abord il y a les

des océans, et dont les yeux comprennent non

bâtonnets, où l’on trouve la rhodopsine. Ceux-ci

pas 2, 3 ou 4, mais pas moins de 12 pigments,

sont dédiés à la vision à basse luminosité et

qui leur permettent notamment de percevoir

n’apportent pas d’information concernant les

les ultraviolets !

couleurs à notre cerveau. Et puis on trouve

Si ça se trouve, 12 pigments, c’est juste le minimum syndical pour contempler une crevette-mante-paon dans sa tenue bigarrée sans avoir la rétine qui saigne.

59

T E S T Û O G S E D S E N I É T O R P S E D Tout comme leurs cousins olfactifs et l’opsine de

Certaines protéines possèdent également la

nos yeux, les récepteurs gustatifs logés au sein

capacité d’activer de manière ­remarquablement

de nos papilles (mais également, quoiqu’en

efficace les récepteurs associés au goût sucré.

plus faible quantité, sur nos gencives, le palais,

À l’heure actuelle, cinq d’entre elles (monelline,

ou à  l’intérieur de nos joues) appartiennent

thaumatine, brazzéine, pentadine et mabin-

à la grande famille des GPCR (soit les récep-

line) sont capables d’induire une sensation

teurs couplés aux protéines  G, le plus grand

durable et intense de sucré, et ceci en utilisant

groupe de récepteurs membranaires rencontré

des quantités très faibles de protéines. Si l’on

chez les mammifères). C’est l’activation d’un ou

ignore encore leur fonctionnement exact au

plusieurs (car certains fonctionnent en binôme)

niveau moléculaire, les scientifiques les soup-

types de récepteurs par une petite molécule

çonnent de bloquer les récepteurs gustatifs dans

(comme un sucre) qui va entraîner la sensation

une forme active, ce qui viendrait expliquer leur

de goût perçue par notre cerveau.

action prolongée en bouche. On estime que leur

De gauche à droite : monelline, thaumatine, brazzéine et mabinline ne se ressemblent pas, mais elles apportent toutes de la joie dans nos papilles.

60

pouvoir sucrant est 100 à 2 000 fois supérieur

D’autres protéines sont également capables de

(à poids égal) à celui du sucre ordinaire, ce qui

surprendre nos papilles. La gurmarine supprime

en fait un peu la #TeamBonheur des protéines.

toute sensation de sucré pendant plusieurs heures chez les rats. Mais heureusement pour

Ces cinq protéines présentent des structures

les amateurs de bonbons, elle est sans effet sur

variées, mais elles sont toutes issues des fruits

les humain·e·s !

d’arbustes poussant en Afrique ou en Chine. Parmi elles, la pentadine et la brazzéine sont

Néoculine (ou curculine) et miraculine quant

extraites du fruit de Pentadiplandra brazzeana,

à elles possèdent l’étonnante propriété de

un arbuste grimpant d’Afrique centrale, dont

produire une forte sensation sucrée… si elles se

les baies extrêmement sucrées sont connues

trouvent en milieu acide !

et consommées de longue date par certains singes (mais pas les  malheureux gorilles,

La miraculine, qui n’a pas de goût propre (alors

dont les récepteurs gustatifs présentent une

que la néoculine possède un goût sucré à la

mutation qui les empêche d’être activés par

base), est extraite d’un petit fruit, la baie miracle,

la brazzéine !) ainsi que par les populations

produite par un arbuste d’Afrique de l’Ouest.

humaines locales. Au Gabon, cette plante est

Associée à une rondelle de citron, des corni-

même nommée oubli dans la langue vernacu-

chons ou d’autres aliments acides, elle produit

laire locale, car l’enfant qui en mange le fruit

une explosion de saveurs sucrées en bouche.

en oublie de revenir au village vers sa mère. Si la sorcière d’Hansel et Gretel avait vécu dans

Les baies fraîches se détériorant rapidement,

les parages, on sait déjà comment elle aurait

plusieurs végétaux ont été génétiquement

décoré sa cabane en pain d’épice !

modifiés afin de produire cette protéine, telles que des tomates ou de la  laitue. Mais cette

Ces protéines représentent des alternatives aux

laitue  tagada  n’est pas juste une blague de

édulcorants classiques (tels que l’aspartame ou

chercheur·se·s, ou une stratégie fourbe pour

la stévia) et ont donc suscité l’intérêt des indus-

aider les parents désespérés à faire manger

triels. Mais leur production reste encore coûteuse

des crudités à leur progéniture.

et difficile, de plus la monelline se dégrade sous l’effet de la chaleur, ce qui la rend inutilisable

La miraculine pourrait également changer la vie

dans votre thé ou café matinal. De leur côté,

des personnes atteintes de cancer et qui suivent

la brazzéine et la pentadine tiennent mieux le

une chimiothérapie. Le traitement induit en effet

choc des hautes températures, et peuvent être

un goût métallique désagréable et qui réduit forte-

produites via des organismes transgéniques

ment l’appétit des malades, alors même qu’ils ont

(la bactérie  E.  coli, ou des plants de pomme

besoin de reprendre des forces. L’ajout de mira-

de terre), mais les travaux sur le sujet, et les

culine à leur régime alimentaire, en masquant ce

demandes d’autorisation sur les marchés améri-

goût désagréable, leur permettrait de recouvrer

cain et européen, sont encore en cours.

l’appétit et d’améliorer leur qualité de vie !

61

U A ’ U Q S U J S E DES PROTÉIN S T G I O D S E D T BOU Nous avons déjà vu que l’odorat, la  vue  ou

lipidique. Cette hélice va être sensible aux défor-

le goût reposent sur le fonctionnement de proté-

mations de la membrane cellulaire (qui peuvent

ines du type récepteur membranaire. C’est égale-

par exemple être induites par des variations de

ment le cas du toucher, où les deux protéines,

la pression sanguine), ce qui va entraîner l’ou-

piezo1 et piezo2 (de la racine grecque piézein,

verture du canal et le passage d’ions calcium

qui signifie presser ou appuyer), qui vont jouer

(Ca2+) vers l’intérieur de la cellule. On va alors

un rôle clé, ont une forme tout à fait particulière.

parler de récepteurs  mécanosensibles, qui

Ces deux récepteurs sont chacun constitués d’un

permettent à la cellule de percevoir les varia-

canal central, associé à une hélice formée de

tions de pression de son environnement et de

trois longues pales insérées dans la membrane

répondre à celles-ci.

Deux vues (du dessus et de côté) des récepteurs piezo1 (à gauche, pdb 6bpz) et piezo2 (à droite, pdb 6kg7), les flèches bleues indiquent le sens de passage des ions calcium qui entrent dans la cellule lorsque le récepteur est ouvert. 

62

Piezo1 et piezo2 sont essentiels à de nombreuses

Au cours du

xxe  siècle,

les propriétés piézoé-

fonctions physiologiques (comme la régulation

lectriques de plusieurs protéines telles que

de la tension artérielle ou la  proprioception),

le collagène (de nos os), le lysozyme (que l’on

mais il existe également un mutant de piezo1

trouve dans le blanc d’œuf ou nos larmes) ou

qui entraîne une déshydratation de la cellule.

la  fibroïne de soie ont également été mises

Cette mutation est particulièrement présente chez

en évidence et intéressent particulièrement

les personnes vivant dans les zones à risque de

les scientifiques. C’est ainsi qu’un groupe de

paludisme, car les cellules déshydratées ont alors

recherche australien s’est notamment penché

une résistance accrue à ce parasite.

sur les capacités de production et de stockage de l’énergie par des fibres de soie. L’objectif

D’autres récepteurs mécanosensibles existent

à terme de ces travaux est la mise en place

dans le vivant avec des formes variées, NOMPC

de matériaux biocompatibles permettant de

par exemple ressemble à un gros ressort qui

générer de l’énergie dans des dispositifs minia-

­s’enfonce à l’intérieur de la cellule et va se fixer

turisés et implantables dans l’organisme. Car,

à son cytosquelette (cf. le chapitre 3) Ce sont

même si l’effet piézoélectrique observé dans

donc les déformations de celui-ci qui entraîneront

les protéines est 10 à 100 fois plus faible que

l’ouverture ou la fermeture du canal ionique.

celui obtenu dans des matériaux modernes (tels que les céramiques), il reste néanmoins suffisant

D’autres protéines sont sensibles à la pression

pour activer de petits appareils médicaux tels

via la  piézoélectricité. Un matériau piézoé-

qu’un pacemaker par exemple.

lectrique possède la faculté de produire un champ électrique lorsqu’il subit une pression,

Pour en savoir plus :

et ­inversement, de se déformer lorsqu’on lui

• Peut-on produire de l’électricité avec nos

impose un champ électrique. Cette propriété

larmes ? Un article sur l’effet piézoélectrique dans

a été initialement mise en évidence par Pierre

le lysozyme (en anglais) : https://www.smithso-

Curie à la fin du xix  siècle dans certains cristaux.

nianmag.com/innovation/your-tears-can-gene-

Elle est notamment exploitée dans le quartz de

rate-electricity-180965135/

e

nos montres, qui se met à osciller régulièrement lorsqu’on lui applique une tension électrique.

Une vue latérale du récepteur mécanosensible NOMPC de la drosophile (pdb 5vkq). Les extensions en hélice qui s’enfoncent dans la cellule vont se fixer aux microtubules. La flèche bleue indique le sens de passage des ions lorsque le récepteur est ouvert.

63

, O T S E R P E N I UNE PROTÉ !   O M I S S I T S E R P La cochlée est un petit os en forme de coquille

mouvements sont dus à l’énergie fournie par

d’escargot logé au cœur de l’oreille interne

une réaction chimique (l’hydrolyse de l’ATP), le

des mammifères. Au sein de celle-ci, on trouve

mouvement de la prestine provient de la fixation

des cellules ciliées externes, dont la fonction

d’un ion, ce qui en fait un capteur du potentiel

est d’amplifier le signal sonore entrant en se

électrique de la cellule.

déformant. Et dans ces cellules ciliées externes, on trouve la prestine, une protéine motrice

Découverte il y a une vingtaine d’années par

qui va être impliquée dans la réponse cellu-

une équipe de recherche américaine, la pres-

laire aux ondes sonores. Elle contient deux

tine doit son nom au terme musical  Presto,

domaines, un canal échangeur d’ions ancré

qui permet de souligner sa rapidité d’action.

dans la membrane cellulaire, qui va permettre

Celle-ci est en effet de quelques micro-secondes

à des ions chlorures (Cl-) d’entrer dans la cellule

(soit 10–6 s), alors que ses collègues protéines

tandis que des carbonates (CO32–) vont quitter

motrices nécessitent plutôt quelques millise-

celle-ci, et un domaine cytoplasmique, où un

condes (10–3 s) pour fonctionner. L’absence de

chlorure pourra se fixer. Cette fixation du chlo-

cette protéine ou des mutations de celle-ci chez

rure entraîne une déformation de la protéine,

un individu seront associées à une perte de ses

qui à son tour va induire un changement de

capacités auditives. Les ions salicylates (qui sont

forme de la cellule ciliée. Contrairement aux

des dérivés de l’acide acétylsalicylique, soit l’as-

autres protéines motrices, comme la  kiné-

pirine) sont également susceptibles de se fixer

sine ou la dynéine (cf. le chapitre 3), dont les

à la prestine, ce qui peut notamment expliquer

Une structure du transporteur d’anions Slc26a9 (PDB 6rtc), un proche cousin de la prestine. Le domaine transmembranaire est indiqué en bleu et le domaine cytoplasmique qui fixe les anions est en rouge.

64

les troubles auditifs qui ont été observés chez

cheur·se·s ont comparé la séquence de la pres-

des patients en cas d’intoxication à l’aspirine.

tine chez plus d’une cinquantaine d’espèces de

La prestine joue donc un rôle central pour

mammifères (capables ou non d’écholocation)

­l’audition des mammifères, mais il semble qu’elle

et ont montré que les mutations observées entre

soit également impliquée dans les capacités

les séquences sont directement liées à la capa-

d’écholocation de certaines espèces animales.

cité de percevoir les hautes fréquences chez les espèces considérées. Qui plus est, on observe

L’écholocation, c’est cette stratégie qui consiste

des  modifications identiques  de la séquence

à envoyer des sons, le plus souvent des ultra-

protéique au cours de l’évolution pour les

sons avec des fréquences supérieures à 20 kHz,

chauves-souris et les baleines. On a donc un

et à analyser la façon dont ceux-ci reviennent

beau cas d’évolution convergente, où des

vers l’émetteur pour percevoir son environne-

familles animales distinctes possèdent une

ment. C’est la technique à l’origine du sonar

protéine qui a évolué de manière similaire pour

des sous-marins, et cette faculté est particulière-

exercer la même fonction (soit ici la perception

ment développée chez les chauves-souris et les

des hautes fréquences sonores qui permet

cétacés. Il y a une dizaine d’années, des cher-

l’écholocation).

Inutile de venir discuter avec mamie Prestine un jour de migraine, elle est sourde comme un pot !

5

PROTÉINE ET BIO­TECHNOLOGIES : DU TUNING DANS LES ÉPROUVETTES

66

L’ingénierie protéique consiste à modifier la structure ou/et la fonction d’une protéine en modifiant sa séquence d’acides-aminés, afin par exemple d’améliorer une caractéristique précise de ladite protéine. Une des grandes difficultés de l’exercice consiste à être capable de prévoir l’impact que pourra avoir une mutation ponctuelle sur la protéine étudiée et ce domaine de recherche nécessite donc une connaissance approfondie de la relation entre la séquence, la structure et la fonction protéique.

67

L E B O N N U , P LA GF R O L O C I N H C E T EN  Sa belle forme de bigoudi (les connaisseurs

En  1994, Martin Chalfie montre qu’il est

appellent ça un tonneau β) suffirait déjà pour

possible d’exprimer la GFP dans les cellules

émerveiller les biochimistes structuraux, mais si

d’autres organismes que sa méduse originelle,

les chercheurs s’intéressent à la GFP depuis

et surtout qu’elle peut être accrochée à une autre

maintenant plus de cinquante ans, ça n’est pas

protéine d’intérêt, telle une petite remorque

que pour son physique.GFP en effet, c’est le

lumineuse qui lui collerait aux basques. Un bril-

petit nom de la Green Fluorescent Protein, dite

lant avenir s’ouvre alors à notre bigoudi dans

aussi le surligneur du vivant, qui va émettre une

le domaine des biotechnologies, où la GFP va

jolie couleur verte lorsqu’elle est éclairée par de

servir de marqueur non invasif, permettant par

la lumière avec une longueur d’onde de 400 nm

exemple de suivre une mutation génétique.

(soit de la lumière violette). Cette protéine

Dans le domaine de l’imagerie, la GFP permet

produite par la méduse Aequoria victoria a été

également de suivre la mobilité des cellules ou

découverte par Osamu Shimomura  au début

encore les interactions entre protéines.

des années soixante, mais il faudra près de vingt ans de recherches pour percer le secret de sa fluorescence : au centre de son bigoudi, GFP possède un chromophore, soit trois acides aminés consécutifs (Ser65, Tyr66 et Gly67) qui ont réagi ensemble et se sont recombinés pour former un nouveau groupe chimique capable d’absorber et d’émettre de la lumière dans le spectre visible, donnant ainsi à la GFP sa couleur caractéristique.

Le vert c’est bien joli, mais au bout d’un moment ça devient monotone. Heureusement pour les Deux vues de la GFP (dite aussi, le bigoudi) avec son chromophore central en magenta.

adeptes de polychromie, la longueur d’onde de la lumière émise par le chromophore est

68

Dans cette  course vers le rouge, Roger Tsien va particulièrement se distinguer en mettant au point avec son équipe de recherche des variants de la GFP via des changements de la séquence originelle. Ces méthodes de mutagenèse permettent également d’améliorer la stabilité et la luminosité des protéines fluorescentes, et vont aboutir à la série des mFruits, soit un arc-en-ciel protéique dont les éléments portent les noms évocateurs de  banane, orange, Tout petit déjà, le jeune Roger Tsien faisait le désespoir de ses parents, nonobstant des dons artistiques certains.

tomate, mandarine, fraise et cerise.

extrêmement sensible à son environnement ­

En 2008, le prix Nobel de chimie vient récom-

chimique, et il suffit de quelques mutations bien

penser les travaux de nos trois compères,

placées dans la séquence de la protéine pour

Shimomura, Chalfie et Tsien, pour la découverte

modifier sa couleur. Les années 2000 ont ainsi

et le développement de la protéine fluorescente

permis de découvrir tout un tas de cousines de la

verte. La GFP et ses variants permettent d’ob-

GFP chez d’autres organismes marins et présen-

server les processus biologiques et chimiques en

tant de la fluorescence dans le jaune, le bleu ou le

cours dans la cellule et jouent désormais un rôle

rouge. Les techniques d’imagerie cellulaires sont

central dans l’imagerie médicale, par exemple

particulièrement friandes de protéines émettant

pour suivre la croissance de tumeurs cancé-

dans le rouge, au-delà de 600 nm, car ce sont

reuses. Mais surtout, la GFP nous a permis de

les longueurs d’onde qui pénètrent le mieux les

produire d’authentiques souris vertes, donnant

tissus biologiques, permettant ainsi de suivre le

ainsi vie à nos comptines d’enfance, et ça, ça

déplacement de molécules en profondeur dans

valait bien un Nobel.

ces tissus.

Très vite, la coloration à base de protéines fluorescentes devint le dernier cri chez toutes les protéines à la mode.

69

FLUORESCENCE OU BIOLUMINESCENCE ? Comme son nom l’indique, la GFP est fluorescente, c’est-à-dire qu’elle va absorber la lumière à une longueur d’onde donnée (essentiellement vers 400 nm), et ensuite émettre de la lumière à une autre longueur d’onde (510 nm dans le cas du modèle vert le plus classique). Ce processus d’absorption/émission se fait sur des temps très courts (quelques ns), si bien que la fluorescence semble cesser dès que l’éclairage de la protéine est interrompu. Certains organismes vivants peuvent quant à eux produire des protéines bioluminescentes, telles que l’aequorine (issue elle aussi de notre méduse fétiche A. victoria), ou encore la luciférase, qui permet aux lucioles d’éclairer nos nuits d’été. Ces protéines émettent de la lumière non pas suite à l’absorption d’un rayonnement, mais dans le cadre d’une réaction chimique qu’elles vont catalyser. La luciférase par exemple catalyse la réaction d’oxydation de la luciférine, qui va donner lieu à l’émission de lumière dans la gamme jaune-vert.

ET LA PHOSPHORESCENCE ALORS ? La phosphorescence fait appel aux mêmes mécanismes d’absorption/émission que la fluorescence, mais dans ce cas le processus d’émission lumineuse s’avère être nettement plus lent (de quelques minutes à quelques heures), si bien que l’objet illuminé va pouvoir continuer à émettre de la lumière bien après l’interruption de l’éclairage.

70

LA SOIE DES AR AIGNÉES, UN TEXTILE PO UR DEMAIN ? Quand on entend le mot soie, on pense tout de

Si le monde de la recherche s’intéresse à la

suite glamour, robes de bal et cheveux qui le

soie, c’est notamment parce qu’il s’agit d’un

valent bien, mais cette fibre formée de protéines

matériau à la fois résistant et biocompatible,

possède bien d’autres vertus qui font rêver les

ce qui permet des applications biomédicales,

scientifiques !

comme l’utilisation de fils de soie pour les sutures, des pansements pouvant accélérer la

La soie la plus connue du grand public est produite

cicatrisation, ou encore des implants.

par la chenille d’un insecte, le bombyx du mûrier, lorsque celle-ci forme son cocon. Cette fibre est

Les chenilles ne sont pas les seules représentantes

essentiellement composée de deux protéines :

du monde animal capables de produire de la

• la fibroïne d’une part, qui est ainsi nommée en

soie. Cette faculté est partagée  par d’autres

référence à la nature fibreuse du matériau. Cette

insectes (abeilles, guêpes ou fourmis) ainsi que

protéine comprend une succession de domaines

par les araignées. Mais là où notre bombyx

structurés en feuillets β ;

ne peut produire qu’un seul type de fil pour

• et la séricine d’autre part, qui va servir de glu

son cocon, les araignées ont elles la faculté de

et enrober la fibre. Cette protéine qui tient son

fabriquer plusieurs sortes de fils de soie, dont

nom du mot latin pour soie,  sericum, est très

la finesse et la résistance varient en fonction de

riche en  sérine, un acide aminé qui comporte

l’usage qui en est fait. Le fil de soie des araignées

une fonction alcool (-OH) qui va lui permettre de

peut ainsi servir à la capture et ­l’immobilisation

former de nombreuses liaisons hydrogène entre

des proies (via les toiles que nous connaissons

les différentes chaînes protéiques et ainsi assurer

bien), mais aussi de fil d’Ariane, qui permettra

la robustesse du matériau (notez que la sérine fut

à une araignée de retrouver son chemin si elle

ainsi nommée car, à l’origine, cet acide aminé

venait à trop s’éloigner de son abri, ou encore

était justement isolé à partir de protéines de soie).

de corde de rappel. Les araignées ont en effet la capacité de produire un fil auquel elles vont se suspendre, ce qui peut notamment leur permettre d’échapper à un prédateur lorsqu’elles se trouvent en hauteur. La soie comprend alors une autre variété de protéines, la spidroïne (de l’anglais spider), qui présente cette fois une structure en hélices α. Ce fil de rappel est à

Deux protéines présentes dans les fibres de soie : la fibroïne du bombyx (à haut) et la spidroïne des araignées (en bas)

la fois remarquablement fin (avec un diamètre de l’ordre de 5 micromètres, soit la moitié de

71

celui du fil de soie du bombyx) et l’un des maté-

implantés dans des végétaux (comme le tabac),

riaux les plus solides du monde, avec une résis-

et mêmes des  chèvres transgéniques  dont le

tance supérieure à celle de l’acier mais pour

lait contient les précieuses protéines de soie.

un poids six fois moindre. On comprend donc

Après purification du lait, il ne resterait donc

aisément que les groupes de recherche mili-

plus qu’à filer les protéines récupérées. Hélas,

taires se soient penchés plus particulièrement

à l’heure actuelle, les fibres ainsi produites ne

sur ce matériau, qui permettrait notamment la

sont pas à la hauteur de leur modèle naturel en

fabrication de gilets pare-balles ultralégers.

termes de finesse et de résistance.

Malheureusement, l’élevage d’araignées n’a rien

Manifestement, il faudra encore un peu patienter

de trivial. Contrairement aux paisibles chenilles

avant que les Fabuleuses aventures de l’éton­

de bombyx, les araignées sont des prédateurs

nante Spiderchèvre ne sortent sur nos écrans !

et des animaux territoriaux qui ont une fâcheuse tendance à s’entre-dévorer. Il est donc impossible

Pour en savoir plus :

dans ces conditions de produire de grandes

En 2012, le Victoria & Albert Museum de

quantités de soie d’araignée et il a fallu ruser. La

Londres a exposé une cape entièrement tissée

stratégie principalement employée est le recours

en soie dorée prélevée sur plus d’un million de

aux organismes génétiquement modifiés. Les

néphiles de Madagascar (https://www.vam.

gènes responsables de la production de soie

ac.uk/articles/golden-spider-silk). Il s’agit de la

chez les araignées ayant été identifiés, il existe

plus grande pièce textile réalisée en soie d’arai-

déjà des  bombyx mutants  qui produisent une

gnée au monde et la réalisation de ce projet a

soie améliorée. Ces gènes ont également été

nécessité trois ans de travail.

Parce que parfois, même Hollywood n’est pas prêt pour ce qu’on trouve dans les laboratoires de recherche…

72

LES MOULES FO NT DE LA RÉSISTAN CE Si l’expression Faire la moule sur son rocher ne

c’est qu’il est composé de protéines, réparties

vous inspire que mépris pour nos amies

dans une vingtaine de variétés, et dont l’action

bivalves, sachez que leur capacité à adhérer en

concertée va permettre à la moule de vivre

toute saison à des surfaces humides, incrustées

une grande histoire d’amour avec son rocher

de sel, corrodées et gluantes relève pourtant

d’élection. En première ligne, on trouve la

de l’exploit technologique à faire baver tous

famille des Mfp (pour Mussel Foot Proteins, les

les ingénieurs, et ce, qu’ils soient mollusques

protéines du pied de la moule), dont le boulot

ou humains.

est d’adhérer à la surface cible. Pour ce faire, les tyrosines de leur séquence ont été modi-

En effet, la production d’une colle tout terrain

fiées et portent un groupe chimique, la DOPA

pourrait avoir des implications dans l’industrie

(dihydroxyphénylalanine), particulièrement

navale, pour réparer les coques des bateaux

collant. Néanmoins ce groupe est très sensible

avec un matériau résistant à l’eau de mer. Et

à l’oxygène environnant, qui peut le trans-

dans le domaine médical, un adhésif sans

former en dopaquinone nettement moins adhé-

solvant toxique servirait à fermer des plaies sans

sive. Dans le mélange protéique, on va donc

suture et à fabriquer des pansements capables

également rencontrer la Mfp-6. Son rôle est de

d’adhérer même en milieu humide.

servir de protection contre l’oxydation grâce à ses nombreuses cystéines, qui comportent des

À l’origine de cette performance adhésive, il y

groupes chimiques thiols (-SH) qui réagiront

a le byssus, plus couramment appelé barbe, un

avec l’oxygène avant les groupes dopa. Une

ensemble de filaments qui permet au coquillage

troisième catégorie de protéines (les pvfp, car

de s’accrocher à son rocher et que l’on retrouve

elles ont d’abord été identifiées dans la variété

chez plusieurs espèces de bivalves, la moule

de moules vertes Perna viridis) a pour mission

donc, mais aussi par exemple les coquilles

de nettoyer au préalable la zone où le byssus

Saint-Jacques. Ainsi en Méditerranée, le byssus

va se fixer et éloignant les molécules d’eau sur

des grandes nacres (un coquillage géant ancré

sa surface, ce qui facilitera la fixation des Mfp.

dans les fonds marins) était-il connu dès l’Antiquité sous le nom de soie marine. Et cette

Au final, l’adhésion des moules est donc le

matière brune aux reflets dorés aurait même

résultat d’un remarquable travail d’équipe et

servi à la confection de la toison d’or !

représente une performance technologique de pointe, pensez-y la prochaine fois que vous

Mais revenons à nos moules ordinaires. Si leur

dégusterez une grande marmite de celles-ci

byssus a gagné le droit de figurer dans ce livre,

avec des frites !

73

Aux Jeux Protéiques d’hiver, la Team Moules s’est encore une fois distinguée par son sens du collectif.

74

LES BIOPILES, Q UAND LES PROTÉINES SE METTENT AU TURBIN La production d’énergie propre et s’appuyant

Par exemple :

sur des ressources renouvelables est l’un des

H2 ⇒ 2H+ + 2e–

grands enjeux de notre siècle. Et là aussi, les

• à la cathode, le pôle + de la pile, a lieu une

protéines auront un rôle à jouer !

réaction de réduction, qui va consommer les électrons produits à l’anode. Comme celle-ci :

Un grand nombre de recherches autour de

O2 + 4e– ⇒ 2O2–

la production d’énergie concerne les piles à combustibles. Dans ces dispositifs, dont le prin-

Au final, le déplacement des électrons de

cipe a été découvert dans la première moitié du

l’anode vers la cathode produit le courant élec-

 siècle, l’énergie chimique est convertie en

trique, et dans notre exemple, le bilan global de

xix

e

énergie électrique. En pratique, on va coupler deux réactions chimiques, une à chacune des

la réaction est le suivant : 2H2 + O2 ⇒ 2H2O

électrodes de la pile : • à l’anode, le pôle  – de la pile, on réalise

La pile va donc consommer du dihydrogène et

une réaction d’oxydation, qui va produire des

du dioxygène (deux ressources renouvelables)

électrons.

et ne produire que de l’eau !

Schéma de principe d’une biopile à combustible.

75

Néanmoins, pour être efficaces, les électrodes où se produisent ces réactions nécessitent l’utilisation de catalyseurs, souvent élaborés à base de métaux précieux, comme le platine ou le manganèse. Mais ces matériaux sont rares, coûteux, et leur production est source de pollution. Certains groupes de recherche ont donc décidé de s’inspirer du vivant pour développer de nouvelles biopiles où ce sont des enzymes qui tiennent le rôle de catalyseur. Bien entendu, il convient de choisir celles-ci avec soin : • À l’anode, on a sélectionné une hydrogé­ nase (dont le nom vous indique qu’elle attaque

Un modèle d’hydrogénase d’A. aeolicus : la réaction de réduction du dihydrogène a lieu au cœur de la protéine, au niveau des atomes de nickel (en bleu) et de fer (en vert). Après quoi les électrons produits vont passer par les trois centres fer-soufre (en vert et jaune) pour sortir de la protéine.

justement l’hydrogène), mais pas n’importe

• À la cathode on utilise une oxydase (on vous

laquelle ! Celle-ci provient d’Aquifex aeolicus,

laisse deviner avec quelle molécule elle va

une bactérie hyperthermophile qui se déve-

réagir…) qui peut être issue de Bacillus pumilus

loppe à proximité des sources chaudes ou près

(une bactérie) ou Myrothecium verrucaria (une

des volcans marins, à des températures allant

sorte de moisissure) et qui sera également

de 85 °C à 95 °C. Par conséquent, les protéines

­thermostable.

produites par cette bactérie sont particulièrement adaptées pour résister aux fortes tempéra-

La question cruciale dans ce dispositif concerne

tures. Une caractéristique qui s’avère particuliè-

la durée de vie des enzymes une fois que

rement utile au sein de la pile à combustible (où

celles-ci ont été greffées sur les électrodes. Il faut

les réactions chimiques peuvent aussi entraîner

également s’assurer de leur bonne orientation à

un échauffement du milieu).

la surface des électrodes, pour que les électrons, qui sont produits au niveau du site actif situé au cœur de la protéine, puissent rejoindre le plus vite possible l’électrode. Enfin, la fixation sur les électrodes des enzymes ne doit détériorer ni leur structure ni leur flexibilité, afin que celles-ci restent fonctionnelles au sein de la biopile. Au final, les premiers prototypes permettent de produire des petits courants (de l’ordre d’un ampère par mg d’enzyme utilisé), et une de ces biopiles a pu alimenter un petit dispositif électrique durant plusieurs heures. Bien sûr on est encore loin de pouvoir rouler avec

L’oxygénase de M. verrucaria (code pdb 2xll) : la réduction du dioxygène se produit au niveau des trois atomes de cuivre centraux (en orange).

des voitures motorisées par des biopiles, mais qui sait ? Peut-être qu’un jour, à défaut de tigre, nous mettrons des protéines dans notre moteur !

76

CRISPR-CAS9, LA BOÎTE À OUTILS DU G ÉNOME Avec son joli nom de biscotte suédoise, diffi-

Cas9 (CRISPR associated protein 9), c’est une

cile de passer à côté de cette biotechnologie

protéine (What else?). Plus précisément, c’est

qui fait la une de la science depuis maintenant

une endonucléase, une enzyme qui a la faculté

quelques années. Mais au fait, ça veut dire quoi

de découper l’ADN à un endroit bien précis

CRISPR-Cas9 ?

qui va lui être indiqué par le fragment d’ARN auquel elle est associée. À l’origine, le système

Commençons par le commencement, CRISPR

CRISPR-Cas9 était exploité dans le système

(on prononce  krisper), c’est un acronyme

immunitaire des bactéries. Munie de son ARN

pour Clustered Regular Interspaced Short Palin­

de type CRISPR, Cas9 part faire des confettis

dromic Repeats, soit des courtes répétitions

de l’ADN viral, et celui-ci se retrouve ventilé

palindromiques regroupées et espacées régu-

façon puzzle avant que le virus ait pu attaquer

lièrement (à vos souhaits). En gros, il s’agit de

la cellule infectée. En 2012, les chercheuses

petites séquences d’ADN lisibles dans les deux

Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier

sens (comme un palindrome) et qui sont carac-

ont compris comment hacker ce système. Pour

téristiques de l’ADN viral.

envoyer Cas9 découper l’ADN à l’endroit exact

77

que l’on souhaite dans le génome, il suffit de lui

On comprend donc aisément pourquoi la

fournir le fragment d’ARN complémentaire et

techno­logie s’est diffusée à la vitesse grand V

hop ! Notre binôme se met en route !

dans les laboratoires de recherche. Les applications de CRISPR-Cas9 se sont rapidement

À l’époque de cette découverte, des technolo-

multipliées (seulement cinq ans après sa publi-

gies d’édition du génome existaient déjà, qui

cation, l’article d’origine de Doudna et Char-

mettaient elles aussi en jeu d’autres variétés

pentier avait déjà été cité 2  500  fois) et, en

de nucléases. Mais CRISPR-Cas9 s’est vite

2015, CRISPR-Cas9 était nommée Avancée

avérée être nettement plus précise que ses

scientifique de l’année par le très prestigieux

concurrentes, tout en étant plus simple et moins

magazine  Science. Il faut dire que cette

coûteuse à mettre en œuvre. En effet, jusque-là

année-là les chercheur·se·s avaient frappé

il fallait produire une protéine spécifique pour

fort en termes d’application, avec trois articles

chacune des séquences d’ADN que l’on souhai-

simultanés (publiés dans  Science  justement)

tait découper. Un processus qui pouvait prendre

montrant comment CRISPR-Cas9 pouvait être

plusieurs mois et coûter quelques dizaines de

utilisée pour soigner des souris atteintes de

milliers d’euros. Désormais, il suffit de changer

myopathie de Duchenne. Dans cette maladie, le

le brin d’ARN associé à Cas9 pour la repro-

gène codant pour la dystrophine (une protéine

grammer vers une nouvelle cible, ce qui peut se

essentielle pour la contraction musculaire) est

faire en quelques semaines et pour des sommes

endommagé, ce qui entraîne un affaiblissement

dix fois inférieures. Finalement CRISPR-Cas9 est

musculaire éventuellement fatal aux malades.

aux autres technologies d’édition du génome ce

CRISPR-Cas9 a donc été programmée pour

que l’imprimerie à caractères mobiles fut en son

retirer le fragment endommagé du gène du

temps aux matrices de bois à usage unique…

brin d’ADN. Ce traitement a alors permis de

78

restaurer la fabrication de la dystrophine par

découper sa séquence cible, et elle seule, ou si

une fraction des cellules musculaires chez les

l’enzyme est également susceptible d’attaquer

souris traitées, ce qui a abouti à une améliora-

l’ADN à d’autres emplacements (comportant

tion visible de leur état. Enfin, épilogue de cette

des séquences proches de celles de la cible

success story foudroyante, en octobre  2020,

d’origine), ce qui pourrait avoir des consé-

soit moins de dix ans après la publication de

quences imprévisibles (et potentiellement désa-

leur article fondateur, le prix Nobel de chimie

gréables) pour les organismes traités.

était décerné à Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, pour le développement d’une

Mais comme dit le sage,  Un grand pouvoir

méthode d’édition du génome.

implique de grandes responsabilités. En ­l’occurrence, parce qu’elle ouvre la porte à de

Cette technologie ouvre donc des perspectives

possibles modifications du génome humain,

inédites en termes de thérapie génique dans

CRISPR-Cas9 apporte avec elle son lot de

le cadre de la lutte contre les maladies asso-

questions éthiques sur lesquelles il faudra bien

ciées à un gène particulier. Néanmoins, on ne

entendu se pencher avant une éventuelle géné-

sait pas encore si Cas9 se contente toujours de

ralisation de son utilisation.

6

DU CÔTÉ OBSCUR DES PROTÉINES

80

On l’a vu, les protéines sont les garantes de notre bonne santé. Mais il peut aussi arriver qu’elles nous cherchent des noises. Soit parce qu’elles sont exploitées par des organismes étrangers tels que virus et bactéries lorsqu’ils nous attaquent, soit lorsqu’un défaut de fabrication, de structure ou de fonctionnement va les faire se retourner contre l’organisme même qui les a produites.

81

E R A R U C U D , LES TOXINES T N E M M O C , X AU BOTO ?   T N A V I V E L R DOMPTE Les toxines sont des poisons biologiques qui

dans la membrane de la cellule (que l’on appelle

permettent aux organismes qui les produisent

un récepteur nicotinique, car c’est également sur

de survivre à des situations environnementales

cette protéine que la nicotine va se fixer), ce

difficiles où ils représentent un avantage. Les

qui va induire une paralysie des muscles. Après

toxines végétales (par exemple, la nicotine)

avoir été testé sur l’homme en 1932, il a été

fonctionnent souvent comme une protection

utilisé dès les années quarante comme relaxant

contre certains prédateurs. Chez les animaux,

musculaire pour faciliter la chirurgie.

les toxines ont un potentiel de défense similaire

• La toxine botulique (botox pour le marketing)

et sont également utilisées pour capturer les

produite par une bactérie (Clostridium botu­

proies. Il se trouve que de nombreuses toxines

linum) est quant à elle une grosse protéine qui

sont soit des protéines, soit des molécules qui

comprend plus d’un millier d’acides aminés.

vont interagir avec des protéines, et certaines

Elle aussi provoque la paralysie des muscles

d’entre elles sont actuellement exploitées dans

et est utilisée en injection locale pour relâcher

un cadre médical.

certains muscles du visage et faire ainsi disparaître des rides.

Mais comment passer d’un poison à un médi-

• Un autre bel exemple est la conotoxine,

cament ? On reprendra la fameuse citation de

un petit peptide extrait du cône (un escargot

Paracelse (Philippus Theophrastus Aureolus

marin capable de paralyser ses proies grâce

Bombast von Hohenheim)  : La dose fait le

à son venin). Celle-ci bloque un canal ionique

poison  ou, dans sa version plus complète,

(soit une grosse protéine dont la fonction est

Toutes choses sont du poison et rien n’est sans

de contrôler le passage d’ions à travers la

poison. Seule la dose détermine qu’une chose

membrane cellulaire) jouant un rôle dans la

n’est pas un poison.  On peut tout de même

transmission des signaux nerveux, notamment

noter que, nos connaissances ayant évolué

sur des neurones impliqués dans des voies de la

 siècle, ce concept est maintenant

douleur. Ce peptide a donné un médicament, le

débattu… Néanmoins, de nombreuses molé-

ziconotide, qui a des propriétés analgésiques.

cules, issues d’organismes variés, ont été testées

Enfin, un dernier exemple est un peptide que

dans un contexte pharmacologique et certaines

l’on retrouve dans le venin du monstre de Gila

le sont toujours :

(un gros lézard venimeux d’Amérique du Nord),

• Le curare, qui est extrait de certaines lianes

Exendin-4. Ce peptide a, grâce à sa similitude

d’Amazonie, et est utilisé pour la chasse, est une

avec le glucagon, un effet sur la glycémie et est

molécule qui va se fixer à une protéine insérée

ainsi utilisé dans le cadre du diabète de type 2.

depuis le

e

xvi

82

Mais qui protège les empoisonneurs de leurs

Les dendrobates ne sont pas pour autant

propres poisons ?

­condamnées à une vie de solitude, empoisonnant leurs congénères qui auraient le malheur

Les dendrobates, ces petites grenouilles aux

de les approcher de trop près. Elles sont en effet

couleurs vives que l’on peut rencontrer en

immunisées contre leur propre poison, et ce,

Amérique du Sud sécrètent sur leur peau

par la grâce d’une toute petite mutation de rien

plusieurs molécules empoisonnées. Parmi elles,

du tout dans leur version personnelle des récep-

la batrachotoxine va se fixer à des récep-

teurs canaux. Le remplacement d’une aspara-

teurs canaux des cellules nerveuses et muscu-

gine par une thréonine suffit pour empêcher la

laires, bloquant ainsi leur fonctionnement, ce

toxine de se fixer sur sa protéine cible et évite

qui entraîne à terme la paralysie et la mort.

ainsi aux grenouilles de s’auto-empoisonner.

83

, E D Ï O L Y M A N L’AGRÉGATIO E S S E N I É T O R P QUAND LES D A E D G N I K L A LA JOUENT W On l’a vu au tout début de cet ouvrage

changer de structure pour rejoindre les agrégats

(chapitre 3), la grande majorité des protéines

en cours de formation. C’est ainsi que même la

possède une  structure  bien déterminée (par

sympathique myoglobine de nos muscles peut

sa séquence en acides aminés) et nécessaire

changer de camp et rejoindre la team  β si l’on

à leur bon fonctionnement au sein de notre

perturbe un peu son environnement naturel.

organisme. Mais certaines protéines présentent également un côté obscur, à savoir qu’elles

La protéine prion a été identifiée en 1982 par

peuvent adopter une autre conformation que

Stanley Prusiner, qui cherchait alors à isoler l’agent

leur structure native, et qui sera cette fois asso-

infectieux à l’origine de la maladie de Creutzfeld-

ciée à une pathologie grave.

Jacob chez l’homme (et de l’encéphalopathie bovine spongiforme, la maladie de la vache folle).

La plus tristement célèbre de ces protéines à

Elle doit son nom à la contraction du terme Protei­

double personnalité est le prion. Dans sa forme

naceous Infectious Particle (particule infectieuse

native, le prion est une petite protéine inoffen-

protéique), qui résume sa caractéristique princi-

sive, exprimée dans le système nerveux, et qui

pale. Alors que les chercheur·se·s de l’époque s’at-

se replie en trois hélices α. Mais il peut égale-

tendaient à trouver un virus, une bactérie ou un

ment adopter une structure alternative, compor-

parasite derrière ces maladies, c’était en fait une

tant cette fois des feuillets β, et les protéines ainsi

petite protéine de rien du tout qui tirait les ficelles

repliées vont alors s’agréger en plaques ou en

grâce à son changement conformationnel !

longues fibres, dites amyloïdes, qui vont s’avérer toxiques pour la cellule. Ces agrégats sont d’au-

Cette découverte a initialement rencontré pas mal

tant plus dangereux qu’ils sont remarquablement

de scepticisme dans la communauté scientifique,

stables. Ils résistent aux hautes températures, aux

avant de valoir à son auteur un prix Nobel de

protéases (les protéines en charge de dégrader

médecine en 1997. Près de 40 ans plus tard, on

les molécules indésirables dans la cellule) et

a réussi à identifier plusieurs dizaines d’autres

ne sont même pas reconnus par notre système

protéines susceptibles de s’agréger en fibres

immunitaire (puisqu’ils sont formés de proté-

amyloïdes, et qui sont à l’origine de diverses

ines exprimées par notre organisme et non de

pathologies neurodégénératives, telles que la

corps étrangers). Les fibres sont particulièrement

maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson.

robustes, et leur résistance est comparable à

Néanmoins, on comprend encore mal les facteurs

celle de l’acier ou des fils de soie. Pire encore, les

qui vont amener une protéine à passer du côté

structures amyloïdes sont contagieuses, et telle

obscur et initier la formation des fibres amyloïdes.

une armée de zombies en marche, elles peuvent

Et aujourd’hui, la recherche bat toujours son plein

se propager à d’autres protéines qui étaient au

pour trouver des remèdes à ce qui s’avère être un

départ correctement repliées et vont à leur tour

des grands enjeux médicaux du xxie siècle.

84

Plusieurs générations de petites protéines ont été terrorisées par les épouvantables fibres amyloïdes.

85

E R T N O C / N O POIS À E S R U O C A L POISON, E U Q I É T O R P T N L’ARMEME Nous avons vu précédemment que la nature

et plusieurs espèces de serpents sont également

est richement dotée en termes de poisons natu-

immunisées contre leurs propres morsures.

rels, et parallèlement à l’apparition de ces toxines, un certain nombre d’espèces animales

Mais cette immunité contre les venins peut

ont évolué pour résister à celles-ci. Ce phéno-

également apparaître chez d’autres espèces,

mène est observé chez les espèces venimeuses

qui seront souvent des prédateurs ou des proies

elles-mêmes, dont les protéines récepteurs, qui

potentielles de l’espèce venimeuse. L’intérêt

sont ciblées par le venin, ont été légèrement

des proies à développer cette immunité est

modifiées afin qu’un animal ne s’auto-empoi-

assez évident, puisqu’elle leur permet d’amé-

sonne pas (ça peut arriver à tout le monde de

liorer leurs chances de survie face au préda-

se mordre la langue par erreur, mais si vous

teur, et c’est ainsi que certains petits rongeurs

êtes un cobra c’est un peu plus gênant). C’est

d’Amérique du Nord sont immunisés contre les

notamment le cas chez les dendrobates, ces

morsures de serpents.

petites grenouilles toxiques d’Amérique du Sud,

Moralité : si Scar avait fait alliance avec des ratels dans Le Roi Lion, il serait encore sur le trône à l’heure qu’il est (ou alors les ratels auraient pris le pouvoir…)

86

Inversement, on peut voir des prédateurs déve-

Une autre stratégie rencontrée dans le monde

lopper une immunité contre le poison de leurs

animal pour résister aux empoisonnements

proies. Cette stratégie de niche assure au préda-

consiste à développer des molécules qui vont

teur des ressources qu’il n’aura pas à partager

neutraliser les toxines présentes dans le venin.

avec d’autres espèces de son écosystème qui

C’est ainsi que l’opossum de Virginie parvient

auraient un régime alimentaire proche du sien.

à résister à la morsure de certains serpents.

Un cas assez impressionnant est celui du ratel,

Récemment, des équipes de recherche améri-

dit aussi zorille du Cap, ou blaireau à miel (en

caines ont réussi à isoler un petit peptide dérivé

anglais, honey badger), que l’on peut également

des protéines produites par ce marsupial, et ont

qualifier de mammifère le plus teigneux que la

montré que ce composé était lui aussi capable

création ait jamais connu. Ce mustélidé que l’on

de mettre KO les toxines issues de plusieurs

peut rencontrer en Afrique subsaharienne, en

venins différents. Ces recherches ouvrent donc

Inde et dans la péninsule arabique, est en effet

de nouvelles perspectives pour la conception

réputé pour être particulièrement agressif. Il n’hé-

d’un anti-venin générique contre les morsures

sitera pas à attaquer des prédateurs plus gros

de serpents, qui concernent chaque année

que lui, tels que des lions ou des hyènes, pour

plusieurs milliers de personnes sur le seul terri-

défendre ses propres proies. Si bien qu’il y a

toire américain.

quelques années, cette petite boule de haine pure est passée à la postérité via une vidéo Youtube

Dans un cas comme dans l’autre, l’apparition

virale (www.youtube.com/4r7wHMg5Yjg)

d’une résistance au venin est un bel exemple de

montrant l’animal attaquant tout ce qui bouge,

co-évolution entre deux espèces, et surtout au

qui a popularisé l’expression  Honey Badger

sein du couple de protéines de ces deux espèces

don’t care, que l’on pourrait traduire librement

qui vont interagir. À savoir que l’évolution d’une

par Le ratel s’en bat les steaks.

des protéines est susceptible d’induire à terme l’évolution de l’autre. Chez le ratel, les récep-

Mais si les ratels passionnent les biochimistes,

teurs ont évolué pour ne plus êtres sensibles

c’est surtout du fait de leur immunité au venin

aux toxines produites par les proies dont il se

des serpents et des scorpions, qui repré-

régale. Mais il n’est pas impossible qu’un jour

sentent près du quart de leur alimentation. Les

un serpent se mette à produire une toxine effi-

recherches scientifiques ont montré que, comme

cace sur le ratel, ce qui lui évitera de se faire

pour les dendrobates, cette immunité résulte de

dévorer… jusqu’à ce qu’un ratel produise à son

petites mutations dans le récepteur nicotinique

tour un récepteur mutant et insensible à cette

de l’acétylcholine, la protéine sur laquelle se

nouvelle toxine…

fixent d’ordinaire les toxines présentes dans les venins. On retrouve également les mêmes muta-

Entre proies et prédateurs, c’est donc bien à

tions chez le récepteur du cochon domestique,

une véritable course à l’armement protéique

ce qui représente un exemple amusant d’évolu-

que l’on assiste, mais, évolution oblige, on

tion convergente chez deux espèces éloignées.

avance à un train de sénateur !

87

S I M R E P , E N I LA RIC E N U R U O P R E DE TU PROTÉINE Le ricin (Ricinus communis) est un arbrisseau

Le ricin produit également une protéine, la

originaire d’Afrique tropicale, mais qui est

ricine, qui s’avère être un poison extrêmement

désormais cultivé tout autour du monde comme

violent. La ricine est une lectine, c’est-à-dire

plante ornementale. L’huile qui est extraite par

une protéine capable de se fixer à des sucres,

pression de ses graines a été utilisée dès l’An-

composée de deux domaines, la chaîne A et

tiquité comme combustible dans les lampes et

la chaîne B, qui sont reliées entre elles par un

pour la fabrication des savons. Mais il s’agit

pont disulfure. Sa toxicité provient de l’action

surtout d’un purgatif violent, qui a traumatisé

concertée des deux entités, une stratégie que

des générations d’enfants, auxquels une cuillère

l’on retrouve chez plusieurs toxines, comme

(ou plus) d’huile de ricin était administrée en

celles produites par le choléra. La chaîne B va se

guise de punition. De nos jours, cette huile reste

lier aux sucres présents sur la membrane cellu-

produite pour de nombreux usages industriels,

laire et permettre à la protéine de rentrer dans

comme la préparation de lubrifiants, de pein-

la cellule. Une fois arrivée dans le cytoplasme,

tures ou de produits cosmétiques, mais il n’est

le pont disulfure se rompt, libérant alors la

plus question de l’avaler, ouf !

chaîne  A, qui va elle attaquer les ­ribosomes

88

(cf.  le chapitre  3). Ce domaine catalyse en

enduit de ricine, causant sa mort par empoi-

effet la rupture d’une liaison chimique qui va

sonnement trois jours plus tard… De nos jours,

entraîner la perte d’une adénine, ce qui suffit

la ricine reste une arme potentielle pour les

à mettre hors service la molécule de ribosome

attaques terroristes, du fait de sa toxicité et

touchée. Une seule chaîne  A de ricine peut

de sa facilité de production à partir du ricin.

ainsi inactiver 1  500  ribosomes par minute,

Des lettres empoisonnées à la ricine ont ainsi

entraînant alors la mort de la cellule, qui est

été envoyées au maire de New York, Michael

désormais incapable de produire de nouvelles

Bloomberg, et au président Obama en 2013.

molécules. D’autres plantes, comme l’orge, produisent également des protéines similaires

Cette protéine a également fait parler d’elle sur

à la chaîne A, mais celles-ci étant dépourvues

le petit écran, puisqu’elle joue un rôle important

du domaine leur permettant de pénétrer dans la

dans la série Breaking Bad, où Walter White, le

cellule, elles sont dénuées de toxicité.

personnage principal, va la produire et l’utiliser pour éliminer certains de ses adversaires. Déci-

Fort heureusement pour les chenapans d’antan,

dément, la ricine est un peu le super méchant

une huile de ricin correctement chauffée (lors

des protéines !

de l’extraction) et purifiée ne contient plus de ricine. Celle-ci est particulièrement toxique par

Mais une histoire de super méchant ne saurait

inhalation, injection, un peu moins par inges-

être complète sans rédemption finale, et notre

tion, où elle sera en partie détruite par les

protéine ne fait pas exception à la règle.

enzymes digestives. Les premiers symptômes

Aujourd’hui les chercheur·se·s se penchent

apparaissent quelques heures après l’expo-

sur des usages thérapeutiques potentiels de

sition et aboutissent au décès de la personne

notre tueuse de choc. Une possibilité serait de

empoisonnée en trois à cinq jours.

greffer sa chaîne A sur un anticorps capable de cibler spécifiquement les cellules cancé-

Ce poison est particulièrement connu pour

reuses, en fabriquant ainsi une immunotoxine,

avoir été utilisé en 1978 par les services secrets

ce qui pourrait servir à attaquer des tumeurs de

bulgares (aidés du KGB) pour l’assassinat de

manière ciblée. L’autre option serait d’exploiter

l’écrivain et dissident politique Georgi Markov.

les chaînes B pour faire pénétrer des substances

Alors que celui-ci s’était installé à Londres, un

actives dans la cellule. Quoi qu’il en soit, seul

agent bulgare se servit d’un parapluie trafiqué

l’avenir nous dira si la ricine va réussir à se

pour lui injecter dans le mollet un petit projectile

refaire une réputation…

89

U D I S É R L U E S UN T E E U Q N A M S VOU É M R O F É D T S E TOUT paires de base. Sauf que le génome humain

Nous sommes tous des mutants !

contient lui-même environ 3 milliards de paires Des changements peuvent se produire régu-

de base, ce qui nous fait donc près d’une

lièrement dans la séquence des protéines

chance sur trois qu’une erreur se soit glissée

fabriquées par notre organisme, et ce, pour

dans le code génétique d’une cellule lors de sa

diverses raisons :

division. Et des cellules, notre corps en contient

• Lors d’une erreur de réplication de l’ADN au

un sacré paquet, autour de cent mille milliards

moment de la multiplication cellulaire (c’est-à-

(1014), donc au final ça nous fait une grosse

dire que votre corps s’est gouré en recopiant

quantité d’erreurs en circulation.

son mode d’emploi). Les cellules étant dotées

• Lors d’une erreur de traduction, cette fois c’est

d’un système de contrôle qualité (relecture et

la machinerie en charge de fabriquer des proté-

réparation des erreurs repérées le cas échéant)

ines à partir du code génétique qui a égaré ses

remarquablement performant, de telles modi-

lunettes. Là encore, il existe un contrôle qualité

fications du code génétique sont très rares,

au taquet, mais des erreurs peuvent malgré tout

de l’ordre d’une pour 10 milliards (10 ) de

persister en cours de processus.

10

Lors de la session annuelle de recrutement des X-Men, il y avait toujours beaucoup d’appelés mais peu d’élus…

90

• Et puis parfois notre organisme fait parfai-

Coon, ou encore des  hommes bleus  dans le

tement son boulot, mais c’est l’exposition de

Kentucky, car porteurs d’une forme défectueuse

notre précieux patrimoine génétique à des

d’hémoglobine (la méthémoglobine vue dans

radiations ou des produits chimiques muta-

le chapitre 3 sur les globines) qui transporte

gènes qui vient mettre le bazar dans ses nucléo-

moins bien l’oxygène et donne à leur peau une

tides et par conséquent dans la séquence des

coloration azur du plus bel effet.

protéines fabriquées à partir de celui-ci. C’est également à des protéines mutées que l’on Donc au final, nous sommes tous porteurs de

doit l’hypertrichose des oreilles (dite aussi pour­

protéines mutées, mais dans l’immense majo-

quoi grand-papy avait les oreilles poilues mais

rité des cas, ces mutations n’ont absolument

pas sa fille ?), ou encore le terrible syndrome des

aucun impact sur la structure et la fonction de

cheveux incoiffables qui a dû faire le désespoir

nos protéines, qui vont poursuivre leur activité

de quelques parents (notons que dans ce cas

comme si de rien n’était.

particulier, la triade de protéines responsables a récemment été identifiée par une équipe de

Parfois les mutations ponctuelles dans le code

recherche allemande).

génétique peuvent avoir des conséquences insolites. C’est ainsi qu’on peut rencontrer

Bref, il ne suffit hélas pas d’être un mutant pour

des chats polydactyles (dotés de doigts surnu-

qu’une glorieuse carrière de super-héros s’ouvre

méraires), notamment dans la race Maine

à vous !

91

Malheureusement, il existe aussi des mutations

hydrophobe), nos molécules vont alors avoir

qui seront à l’origine de graves dysfonction-

tendance à s’agréger et à former les globules

nements protéiques, et donc de pathologies.

en faucille caractéristiques de la maladie.

C’est par exemple le cas de la drépanocytose, dite aussi anémie à cellules falciformes. Cette

Suivant l’adage comme quoi à quelque chose

maladie héréditaire est caractérisée par une

malheur est bon, on a néanmoins remarqué que

forme altérée de l’hémoglobine β (cf. toujours

cette mutation de l’hémoglobine était sur-repré-

le chapitre 3 sur les globines), appelée HbS, qui

sentée dans les populations exposées au palu-

va entraîner une déformation (en faucille donc)

disme. La drépanocytose procure en effet une

des globules rouges. Ceux-ci s’en trouvent fragi-

résistance au paludisme à ses porteurs. La

lisés, ce qui peut alors entraîner (entre autres

présence d’HbS induit l’expression d’une autre

joyeusetés) de l’anémie chez les malades.

protéine, l’hème oxygénase-1, qui va jouer

Pourtant, à l’origine de ces problèmes, il y a

un rôle protecteur contre la maladie transmise

une toute petite mutation de rien du tout, le

par le parasite Plasmodium.

­remplacement dans la séquence protéique du glutamate numéro 6 par une valine !

Notons que dans certains cas, les mutations aléatoires peuvent également être bénéfiques pour

En apparence, la protéine native et son mutant

l’organisme qui les porte, car elles aboutissent à

ont donc quasiment la même structure. Mais

une amélioration de la fonction protéique. C’est

voilà, ce petit glutamate  6 est placé à la

ce qui motive certains chercheur·se·s, qui vont

surface de la protéine, et ce résidu chargé

alors faire de l’ingénierie protéique, c’est-à-dire

(et donc polaire et hydrophile) contribue à la

générer des mutants expressément conçus pour

solubilité de l’hémoglobine dans l’eau. Lors-

présenter des propriétés particulières.

qu’il est remplacé par une valine (apolaire et

Le jeu des deux erreurs : une différence s’est glissée sur la chaîne β (en magenta) du tétramère d’hémoglobine humaine de droite, porteur de la mutation Glu6Val. Sauras-tu la retrouver gentil lecteur ?

92

CONCLUSION

Et après ? Il se passe quoi ?

un univers où la structure était reine. Après avoir longtemps échappé à l’observation des

Si l’origine des protéines remonte à la nuit des

expérimentateurs, cette matière noire du monde

temps, notre compréhension de ces merveil-

protéique s’avère être d’une richesse insoup-

leuses nanomachines reste balbutiante. Le mot

çonnée en termes de fonctions cellulaires. Elle

protéine lui-même n’a pas encore deux siècles,

vient illustrer à l’échelle moléculaire l’étonnante

les premières structures obtenues par cristal-

plasticité du vivant, via ces protéines polymor-

lographie viennent tout juste de fêter leurs

phes, capables de se transformer et de changer

soixante ans, et il nous reste encore énormé-

de partenaire au fil du temps et des besoins de

ment à découvrir en ce qui concerne leur fonc-

la cellule.

tionnement. Un autre aspect encore mal connu des protéines concerne leurs interactions, que ce soit entre elles ou avec d’autres molécules biologiques (comme les acides nucléiques ou la membrane lipidique). Loin d’être des cavaliers solitaires, les protéines sont des objets éminemment sociables, qui agissent le plus souvent dans le cadre ­d’assemblages que l’on appelle des complexes protéiques. Ces complexes sont des systèmes dynamiques (comme on a pu le voir pour les microtubules au chapitre 3) et leur évolution au cours du temps dans le milieu cellulaire reste encore très difficile à comprendre. L’étude systématique des interactions entre protéines permet d’établir des cartes d’interactome, mais il nous manque encore beaucoup d’informations pour Au tout début de cet ouvrage, nous avons très

comprendre le fonctionnement exact de ces

brièvement évoqué les IDP, ces protéines qui

interactions. Que ce soit dans le temps (les

sont toutes ou en partie désordonnées. Elles

interactions entre plusieurs protéines sont-elles

représentent à l’heure actuelle un continent

simultanées ou successives ?) ou dans l’espace

encore largement inexploré (car inaccessible

(certains complexes ne se forment que dans un

par les méthodes structurales ordinaires) par

environnement cellulaire spécifique), l’interac-

les biochimistes. Initialement, ces protéines

tome d’un organisme vivant demeure toujours

étaient vues comme une erreur de casting dans

très mystérieux.

93

Image Hauser et al., doi:10.1371/journal.pone.0002292

Bref, les protéines et leur formidable inventivité n’ont pas fini de nous surprendre et de nous inspirer !

La navigation dans l’interactome d’un organisme reste encore un périple compliqué et incertain !

94

GLOSSAIRE Ce terme caractérise l’absence de vivant (du grec bios). Il peut par exemple qualifier un milieu dépourvu d’organismes vivants, ou encore un processus ne faisant intervenir aucun être vivant.

• Abiotique

aminé Un acide aminé est une molécule comprenant une fonction acide carboxylique (un groupe CO2H), et une fonction amine (un groupe NH2). Il existe plusieurs centaines d’acides aminés mais seule une vingtaine servent à fabriquer des protéines.

• Acide

L’acide désoxyribonucléique (ADN) et l’acide ribonucléique (ARN) appartiennent tous deux à la famille des acides nucléiques. L’ADN reste confiné dans le noyau cellulaire et sa fonction principale est de stocker l’information génétique. L’ARN quant à lui peut jouer plusieurs rôles. Il sert notamment de messager entre le noyau, où il copie l’information génétique de l’ADN, et le ribosome qui va fabriquer les protéines à partir de cette information.

• ADN/ARN

En biochimie, l’affinité va décrire la force d’une interaction non covalente entre deux macromolécules biologiques (protéine ou acide nucléique), ou entre une macromolécule biologique et une molécule plus petite (le ligand) qui va se fixer sur un site à sa surface ou au sein d’une cavité interne.

• Affinité

L’allostérie caractérise le comportement d’une protéine quand la fixation d’une molécule en un point de celle-ci modifie la façon dont une seconde molécule pourra se fixer sur un autre site distant de la même protéine. Ce phénomène est souvent associé à des changements conformationnels de la protéine induits ou stabilisés par la fixation de la première molécule.

• Allostérie

Se dit d’un composé chimique qui possède à la fois des fragments polaires et non polaires. En conséquence, ces composés ont tendance à se placer à l’interface entre les molécules hydrophiles et hydrophobes.

• Amphipathique/Amphiphile

Un antigène est une macromolécule (le plus souvent une protéine, mais pas toujours) qui va générer chez un organisme une réponse de son système immunitaire, comme la production de protéines anticorps. Ces anticorps vont alors reconnaître les antigènes et se lier à eux, ce qui permettra de les neutraliser.

• Antigène/Anticorps

95

L’adénosine tri-phosphate (ATP) est une petite molécule rencontrée chez tous les êtres vivants et qui sert de réserve d’énergie (permettant ainsi des réactions chimiques dans l’organisme). Lors de la libération d’énergie, l’ATP va libérer un groupement phosphate (H3PO4) et ainsi former de l’ADP (adénosine di-phosphate). Les cellules vont ensuite régénérer l’ATP en utilisant l’énergie fournie par notre alimentation ou la photosynthèse.

• ATP/ADP

ionique Les canaux ioniques sont des protéines insérées dans la membrane cellulaire, et qui, en alternant entre des formes ouverte ou fermée (dites aussi active ou inactive), vont pouvoir contrôler le passage d’ions à travers celle-ci.

• Canal

C’est une substance qui va augmenter la vitesse (cinétique) d’une réaction chimique, mais n’apparaît pas dans le bilan global de la réaction (car elle est consommée puis régénérée) et ne nécessite d’être utilisée qu’en très petites quantités. Suivant cette définition, la température n’est pas un catalyseur (même si elle impacte effectivement la vitesse des réactions chimiques).

• Catalyseur

latérale Dans un polymère, la chaîne latérale correspond au groupement chimique qui dépasse du squelette répété. Dans le cas des protéines, ce fragment est lié au carbone α du squelette et caractérise chacun des 20 acides aminés.

• Chaîne

Un composé chimique est dit chiral s’il n’est pas superposable à son image dans un miroir (tout comme la main). On appelle alors énantiomères la paire formée par le composé en question et le composé image dans un miroir.

• Chiralité

Les chloroplastes sont des organites spécifiques des cellules végétales et où se déroule la photosynthèse.

• Chloroplaste

En biologie, la coévolution décrit les transformations qui se produisent au cours de l’évolution entre deux espèces (ou plus) à la suite de leurs influences réciproques. Cette définition peut également s’appliquer à deux protéines qui interagissent ensemble, les transformations de l’une induisant des transformations dans l’autre.

• Coévolution

Petite molécule (non protéique) qui est liée à une protéine et est indispensable à l’activité biologique de cette dernière.

• Cofacteur

Le cytoplasme désigne le contenu d’une cellule vivante, à l’exception du noyau s’il s’agit d’une cellule eucaryote.

• Cytoplasme

L’électronégativité d’un élément est une grandeur qui caractérise sa capacité à attirer les électrons lors de la formation d’une liaison chimique avec un autre élément.

• Électronégativité

96

Une enzyme est une protéine dotée de propriétés catalytiques. Elle va rendre possible ou accélérer fortement la vitesse d’une réaction chimique. Le terme enzyme (qui vient du grec zyme, levain) a été introduit en 1878.

• Enzyme

natif/Structure native L’état natif d’une protéine caractérise sa forme fonctionnelle, qui peut être repliée (dans la plupart des cas), mais parfois aussi désordonnée.

• État

Les eucaryotes sont l’ensemble des organismes caractérisés par la présence d’un noyau dans leurs cellules (les animaux et les plantes font partie de ce groupe). Ils sont définis en opposition aux organismes procaryotes (par exemple les bactéries), qui eux ne comportent pas de noyau dans leur cellule.

• Eucaryotes/Procaryotes

convergente L’évolution convergente est un processus où des espèces distinctes, mais soumises à des contraintes environnementales similaires, adoptent indépendamment l’une de l’autre une réponse semblable (en termes de morphologie ou de comportement) à ces contraintes. Ce phénomène s’observe aussi dans le cadre de l’évolution des protéines, par exemple avec l’apparition des protéines responsables de l’écholocation chez les chauves-souris et les cétacés (cf. le chapitre 4).

• Évolution

Une glycoprotéine est une protéine dont les chaînes latérales de certains de ses acides aminés ont été modifiées et portent désormais des groupements oligosides (des chaînes de sucre quoi).

• Glycoprotéine

Deux protéines sont dites homologues si elles dérivent d’un ancêtre commun et qu’elles ont divergé depuis ce dernier. L’homologie va alors caractériser la similarité entre ces protéines. On peut s’intéresser à leur homologie de séquences, qui s’exprime comme un pourcentage de résidus identiques entre les deux protéines, ou à leur homologie de structure, où l’on va cette fois comparer leur repliement.

• Homologue

L’hydrolyse est une réaction chimique, et enzymatique, où une liaison covalente est rompue par action d’une molécule d’eau. Dans le vivant, un exemple courant est la réaction d’hydrolyse de l’ATP en ADP qui va libérer de l’énergie.

• Hydrolyse

Un composé est dit hydrophile s’il a une affinité pour l’eau et tendance à s’y dissoudre. Inversement, un composé hydrophobe aura peu d’affinité pour l’eau et y sera difficilement soluble.

• Hydrophile/Hydrophobe

L’hypoxie désigne un apport insuffisant en oxygène dans un tissu (en opposition à la normoxie, lorsque le taux d’oxygène est normal).

• Hypoxie

97

• Isotope Deux

isotopes sont des atomes dont les noyaux possèdent le même nombre de protons (caractérisant un élément chimique donné), mais des nombres de neutrons différents. Ainsi, le noyau du carbone 14 (souvent utilisé pour dater des objets anciens) comporte 6 protons et 8 neutrons, alors que le carbone 12 (qui est l’isotope majoritaire de cet élément) comporte lui 6 protons et 6 neutrons.

chimique On appelle liaison chimique une interaction attractive entre deux atomes qui va permettre de maintenir une très courte distance entre ceux-ci (moins de 1 nm). Dans les protéines on rencontrera surtout des liaisons covalentes, qui résultent de la mise en commun des électrons entre deux atomes et des liaisons hydrogène, formées entre un atome d’hydrogène et un atome électronégatif (oxygène ou azote).

• Liaison

Un ligand est une petite molécule qui se lie de manière réversible à une macromolécule spécifique, protéine ou acide nucléique. Le ligand joue en général un rôle fonctionnel : stabilisation structurale, catalyse, modulation d’une activité enzymatique, transmission d’un signal, etc.

• Ligand

La mitochondrie est un élément (organite) de la cellule dont la fonction principale est de lui fournir de l’énergie via la production d’ATP.

• Mitochondrie

Les nucléotides sont les molécules de base formant les acides nucléiques (ADN et ARN). L’ADN est formé des quatre nucléotides, adénine, cytosine, guanine et thymine, tandis que dans l’ARN l’uracile remplace la thymine.

• Nucléotide

Un organite est une structure spécialisée de la cellule et délimitée par une membrane lipidique, comme les mitochondries, ou les chloroplastes chez les végétaux.

• Organite

Un peptide est une molécule formée d’un petit nombre d’acides aminés (de deux à quelques dizaines), c’est donc une petite protéine.

• Peptide

Un composé polaire présente en son sein une répartition de charges positives et négatives due à la présence d’éléments chimiques ayant des électronégativités différentes.

• Polaire/Apolaire

Un polymère est une molécule formée par la répétition de nombreuses sous-unités (qui peuvent être identiques ou non).

• Polymère

Dans un polymère, le squelette est la partie répétée de façon régulière. Le long de la chaîne protéique, celui-ci comporte le groupement amide (-N-H), le carbone α et le groupe carbonyle (-C=O) de chaque acide aminé.

• Squelette

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oxydant Le stress oxydant est une forme d’agression des composants de la cellule due à la présence dans celle-ci d’espèces réactives oxygénées ou azotées en excès.

• Stress

Un substrat est une petite molécule qui va subir une réaction chimique au sein d’une enzyme et qui est spécifique à cette enzyme.

• Substrat

Un composé tensioactif modifie la tension de surface entre deux phases. Il s’agit le plus souvent d’une molécule amphiphile, qui va stabiliser le mélange de deux phases non miscibles en interagissant avec l’une par sa partie polaire (ou hydrophile) et avec l’autre via sa partie apolaire (ou hydrophobe).

• Surfactant/Tensioactif

Les synapses correspondent à des zones de contact entre deux neurones ou entre un neurone et un autre type de cellule (muscle, glande…). Il s’agit d’une zone de transmission d’un signal, qui peut être soit électrique, soit chimique (via la diffusion de petites molécules, les neurotransmetteurs).

• Synapse

Les toxines sont des substances toxiques produites par des organismes vivants, y compris des bactéries, des microalgues, des plantes ou des champignons.

• Toxine

C’est le mécanisme de copie de l’information contenue dans l’ADN en molécules d’ARN messagers qui serviront ensuite à la fabrication de protéines au niveau du ribosome.

• Transcription

C’est l’étape de synthèse des protéines au sein du ribosome à partir de l’information génétique contenue dans les ARN messagers.

• Traduction

Une vésicule est un petit compartiment formé d’une double couche de lipides (semblable à la membrane cellulaire) et qui peut servir à stocker ou transporter des molécules dans le cytoplasme.

• Vésicule

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LES AUTEURS Sophie Sacquin-Mora. Après l’agrégation de chimie et une thèse en thermodynamique statistique, j’ai rejoint le Laboratoire de Biochimie Théorique, où je suis chercheuse CNRS depuis 2006. Mes travaux de recherche portent sur le développement de modèles théoriques pour mieux comprendre comment fonctionnent les protéines à l’échelle atomique. Je m’intéresse notamment à leurs propriétés mécaniques et à la façon dont elles interagissent entre elles (je dis parfois que je fais de la sociologie des protéines). Mes grandes passions sont la science, le féminisme et la littérature jeunesse et je parle aussi de tout ça sur Twitter (@sacquin_mo). Antoine Taly. Mon parcours est marqué par les interfaces. J’ai débuté par une thèse en biophysique, entre France et Allemagne, entre expériences et modélisation moléculaire.  J’ai ensuite poursuivi mon parcours via l’institut Pasteur et l’université de Strasbourg, où j’ai rejoint le CNRS. Depuis 2011 je suis également au Laboratoire de Biochimie Théorique, ou je poursuis mes travaux sur la dynamique des protéines et leurs interactions avec les petites molécules. Je m’intéresse aussi beaucoup à la pédagogie, notamment à l’utilisation des jeux, dont je parle aussi sur Twitter (@AntTaly) et Youtube. Anmryn. J’ai fait des sciences molles avec 3 mastères dedans, ce qui m’a permis de bien rebondir puisque j’ai travaillé pour des sites web et l’édition de livres en tous genres et à tous les niveaux. J’ai été enseignante (de français et même de latin) en France et en Corée du Sud et aussi en Pologne, également rédactrice ou traductrice pour plein de supports variés et encore plus de thèmes différents. La vraie vie de hippie, quoi. Et comme toute bonne hippie, entre un projet de yarn bombing pour dénoncer le grand Capital et des tests capillaires impliquant beaucoup trop de henné, je dessine des trucs et des machins souvent carrés pour entrer dans le format Instagram (@anmryn). Comme quoi, on finit toujours par trouver sa case.

Remerciements • Ce livre est dédié à Richard Lavery, qui a accompagné mes premiers pas dans l’univers des protéines et m’a permis de voir toute la beauté de ces fabuleuses machines moléculaires. • Mes remerciements vont également à Marion Montaigne. En 2008 son blog Tu Mourras Moins Bête (http://tumourrasmoinsbete.blogspot.com/) changeait radicalement ma vision de la vulgarisation en montrant qu’il était possible de parler autrement de sciences. SSM • Ce livre est dédié à mon grand-père maternel qui a su me montrer que la science est non seulement passionnante mais peut aussi être pratique et/ou rigolote. Comment oublier son explication du cycle de l’azote pour m’autoriser à faire pipi au fond du jardin, mais pas toujours sur la même plante ! • Mes remerciements vont également à ma mère et à mon fils aîné qui ont relu une version préliminaire du texte introductif, me donnant un retour et soulignant le rôle de chacun dans la transmission du savoir ! AT Merci à Sophie de m’avoir emmenée dans cette aventure ! Et à Antoine de m’avoir acceptée. Bisous à Alan, Rosalie et Maïna. Anmryn

Un ouvrage de la collection Carnet de labo, dirigée par Pierre-Étienne Bertrand Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

Imprimé en France par SEPEC, 01960 Péronnas ISBN (papier) : 978-2-7598-2548-6 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2677-3 Dépôt légal : octobre 2021 © EDP Sciences, 2021 17, avenue du Hoggar 91944 Les Ulis