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PLURALISME RELIGIEUX : UNE COMPARAISON FRANCO-VIETNAMIENNE ACTES DU COLLOQUE ORGANISÉ À HANOI LES 5-6 OCTOBRE 2007
BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
SCIENCES RELIGIEUSES
VOLUME
164
Illustration de couverture : Spirales d’encens suspendues dans la cour d’un temple, Hô-Chi-Minh-Ville. Photographie Nicolas Cornet © Nicolas Cornet.
PLURALISME RELIGIEUX : UNE COMPARAISON FRANCO-VIETNAMIENNE ACTES DU COLLOQUE ORGANISÉ À HANOI LES 5-6 OCTOBRE 2007
Sous la direction de Pascal Bourdeaux, Philippe Hoffmann et Nguyễn Hồng Dương
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La Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses Aon?£e en et MicCe ?e KlPN ?e cent NoiSante QolPHeN Me࠲¢te la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études (Paris, Sorbonne). ans l’esprit de la section qui met en čuvre une étude scienti࠱que, la©que et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes ٻEuda©sme, christianisme, islam ٻqu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la (ésopotamie et l’ÉgTpte anciennes, dans la "r¢ce et la -ome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE, anciens él¢ves de l’École, chercheurs invités)ڎ. Directeur de la collection : Gilbert DAHAN Directeur adjoint : Arnaud SÉRANDOUR Secrétaires d’édition : Cécile GUIVARCH, Anna WAIDE Comité de rédaction : Denise AIGLE, Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Jean--obert ARMOGATHE, Hubert BOST, Marie-Odile BOULNOIS, Jean-Daniel DUBOIS, Vincent GOOSSAERT, Michael HOUSEMAN, Alain LEZ BOULLUEC, Marie-Joseph PIERRE, Jean-Noël ROBERT
© 2013 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2013/0095/189 ISBN 978-2-503-55047-3 Printed on acid-free paper
Carte administrative du Viêt Nam (provinces, villes)
PROLOGUE Le présent ouvrage est le fruit d’une coopération franco-vietnamienne en sciences religieuses dont les premiers contacts remontent au début des annéesZ . Avant cette date, des échanges avaient bien sµr préexisté mais l’histoire mouvementée de ces derni¢res décennies avait entra¨né plus de ruptures que de continuité dans les échanges institutionnels initiés par l’École pratique des hautes études et l’École française d’Extrême-Orient en particulier. Si l’on remonte aux origines, pendant tout le XIXeZsi¢cle, l’orientalisme classique avait certes fondé et enrichi notre savoir sur les religions anciennes de l’Asie ; puis la découverte in situ des cultes, des croyances et des pratiques religieuses au début du si¢cle passé avait commencé à mettre à distance le di࠰usionnisme ambiant pour mieux appréhender les religions vécues et les sociétés constitutives de cette aire culturelle située entre Inde et Chine. Une coproduction de la recherche avait même émergé avec pour e࠰et de diversi࠱er, hors d’Occident, les référents et les outils conceptuels de la dé࠱nition du religieux. Mais les con࠲its postcoloniaux qui ont déstabilisé et embrasé l’Asie du Sud-Est ont rendu par la suite les terrains et les sources di࠳cilement accessibles autant qu’ils ont placé les religions au cœur des passions idéologiques qui ont rivalisé dans la construction des États nations. L’analyse des discours religieux peut en témoigner autant que la médiatisation des tensions et des crispations religieuses d’alors, en particulier au ViêtZNam. Engagé vers une modernité pensée dans toute sa multiplicité et multipolarité, voire une ultramodernité, le champ religieux y est soumis depuis aux e࠰ets complexes et conjugués de l’uni࠱cation nationale, de la transition de l’État et de l’intégration internationale. Plus que tout autre pays de la région, le ViêtZNam symbolise ainsi les enjeux contemporains du XXeZsi¢cle en Asie et recouvre nombre de questionnements politiques et épistémologiques fondamentaux du religieux. La politique de rénovation (Ëզi Jլi) initiée en en -épublique socialiste du ViêtZNam a impulsé, avec quelques années de décalage, une rénovation de la politique religieuse découlant elle-même d’un renversement paradigmatique et multidimensionnel des phénom¢nes religieux. Conjointement à l’organisation réguli¢re de séminaires de formation à l’invitation de l’Institut des recherches sur les religions qui venait alors de se créer à Hanoi, une premi¢re convention signée entre cet Institut et la Section des sciences religieuses de l’EPHE a formalisé à la ࠱n des annéesZ un accord de partenariat. Celui-ci vise à favoriser les échanges entre chercheurs et étudiants, à mener des recherches pratiques sur les situations locales actuelles et passées, à analyser ces derni¢res 7
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à l’aide des outils conceptuels des sciences sociales des religions. D’une phrase, il s’agit d’embrasser par jeux d’échelles l’ensemble des recon࠱gurations de la modernité religieuse et de les comprendre sous une double facette cognitive et pragmatique. Parmi les premiers jalons structurant depuis cette coopération, mentionnons la tenue en Sorbonne d’un colloque inaugural, lesZ7 et 8Zjuillet , o³ a été discuté le statut des e sciences religieuses u en !rance et au ViêtZ Nam. Les actes ont fait l’objet d’une publication bilingue 1. EntreZ etZ 8 ensuite, le programme FSP (Fonds de solidarité prioritaire) intitulé « Appui à la recherche sur les enjeux de la transition économique et sociale au Vietnam » a retenu et ࠱nancé un projet coordonné par l’Institut de recherches sur les religions et l’École pratique des hautes études pour étudier les interactions de la modernité religieuse et de la politique de rénovation sur les recon࠱gurations des mondes bouddhistes et chrétiens au ViêtZNam. C’est dans le cadre de ce projet que s’est tenu à Hanoi, les et octobre 7, le second colloque franco-vietnamien portant sur l’étude comparée du pluralisme religieux . Si les intervenants français y ont présenté le pluralisme religieux sous di࠰érentes approches disciplinaires, en se référant essentiellement au christianisme et en considérant la question aux niveaux national et européen, les intervenants vietnamiens ont, quant à eux, utilisé le vecteur du pluralisme religieux pour décrire le « changement » de la vie religieuse, autrement dit la pluralisation d’une situation religieuse locale et ses e࠰ets induits, depuis une vingtaine d’années, sur la transition de la gestion étatique. Un premier panel a comparé la situation du pluralisme religieux en contextes monothéistes et polythéistes en prenant pour objets de ré࠲exion le catholicisme, le bouddhisme et le rapport État-religions. Le second a abordé la modernité religieuse et les régulations (nationales et supranationales) de la pluralité religieuse mises aux défis par les nouveaux mouvements religieux et les minorités protestantes évangéliques. Le troisi¢me panel a permis aux chercheurs vietnamiens de présenter les évolutions contemporaines du paysage religieux de leur pays depuis l’instauration de la politique du Ëզi Jլi et l’intégration graduelle du ViêtZNam dans l’économie mondialisée. Un dernier panel animé par des jeunes chercheurs français et vietnamiens a complété ce panorama par la présentation synthétique de leurs travaux les plus récents. La table-ronde ࠱nale a permis d’apporter des éclaircissements sur la régulation juridique, le prosélytisme évangélique, la politique religieuse au ViêtZNam, la diversité du bouddhisme ; elle a permis également d’évoquer les tendances qui semblent poindre au ViêtZNam au sujet du choix de mod¢le de la©cité et de l’émergence d’une société civile, comme l’a rappelé en cl®ture l’allocation du doyen Philippe Ho࠰mann.
1. ÊO ,UANG HũNG, C LANGLOIS (éd.), Études de sciences religieuses en #rance et au 3i¤t࢙+aJ, Nxb &H3H (maison d’édition des sciences sociales), Hanoi 7.
. Pour plus de détails, voir le compte rendu de P.ZBOURDEAUX, « Pluralisme religieuxZ: regards croisés France-Vietnam, Hanoi, - octobre 7 », Moussons 1 1 ( ), p.Z88-.
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Prologue
Des di࠳cultés de divers ordres ont ralenti un processus de publication bilingue que tous les participants auraient naturellement souhaité plus rapide. LaZsolution proposée a été ࠱nalement de publier un premier ouvrage en vietnamien puis de traduire ce dernier en français. L’ouvrage en vietnamien a été publié au second semestre 11 ; la version française l’a été un peu plus d’un an apr¢s. ParZsouci de parallélisme, nous avons publié et traduit en intégralité les communications originales 3 ou lég¢rement remaniées. Les contributions, pas moins de vingt-six, de format et de nature di࠰érentes, permettent d’illustrer nombre de facettes de la diversité vietnamienne et d’éclairer par le comparatisme le questionnement universel du pluralisme. Le lecteur se rendra compte que certaines données relatives à la politique religieuse vietnamienne (politique d’enregistrement des organisations religieuses notamment) n’ont pas été actualisées par les auteurs. Nous avons respecté ce choix dans la mesure o³, d’une part, les orientations en mati¢re de politique religieuse n’ont pas fondamentalement changé et que des documents de synth¢se sont facilement accessibles, dans la mesure d’autre part o³ ces articles re࠲¢tent ࠱nalement un temps particulier, un instantané de la recherche académique, de la politique religieuse et de l’intégration internationale du ViêtZNam au milieu des années . Par souci de cohérence interne cependant, nous avons opté pour une autre composition de la table des mati¢res. La traduction, assurée également par l’auteur de ces quelques lignes, s’est voulue à la fois la plus ࠱d¢le au style de l’auteur et la plus accessible au lectorat qui n’est pas naturellement connaisseur de toutes les subtilités régionales, culturelles, linguistiques, politiques et historiques du ViêtZNam. Elle a pu béné࠱cier des avis éclairés de nos coll¢gues de l’Institut de recherches sur les religions (en particulier Nguy՚n ,uզc TuԺn et Hoàng Thՠ §ch Ngբc) ainsi que de l’aide ponctuelle du personnel de l’École française d’Extrême-Orient à Hanoi (mesdames TrԼn Thՠ Lan Anh, Vģ Thՠ Mai Anh). ,ue tous trouvent ici l’expression de toute notre reconnaissance. Le lexique religieux et la terminologie spéci࠱que apparaissent entre parenth¢ses et quelques ajouts ou annotations ont été apportés pour faciliter la compréhension. Cet ouvrage apporte ainsi au lecteur francophone des données de premi¢re main sur la politique, sur la pensée et sur les recherches religieuses au ViêtZNam en ce début de XXIeZsi¢cle. Il contribue aussi à sa façon à une ré࠲exion comparée sur les sciences sociales des religions qui, en l’occurrence, a débuté depuis une vingtaine d’années, qui se poursuit depuis et que nous espérons voir se pérenniser dans un intérêt partagé d’échanges, de compréhension et de connaissances mutuelles. Entre la tenue du premier colloque franco-vietnamien deZ1999 et la publication des actes, nous avions été endeuillés par le départ de deux contributeurs et 3. Pour ce qui est de la table ronde des jeunes chercheurs français en particulier, les textes sont restés à l’état de ࠱ches de synth¢se. Le lecteur intéressé peut se référer singuli¢rement à l’article de l’un d’eux (M. BOU,UET, « Vietnamese Party-State and -eligious Pluralism since 198: uilding the Fatherland » Sojourn, Journal of Social Issues in Southeast Asia (janv.
1), p.Z9-18) et aux publications plus approfondies (ouvrages et articles) des autres auteurs (Pascal ourdeaux, Christian Culas et Jérémy Jammes).
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amis, ,uch Thanh Tm Langlet et 4ves Lambert. Nous devons rappeler non sans tristesse celui, récent, du professeur Nguy՚n Duy Hinh, à qui nous souhaitons rendre particuli¢rement hommage pour son œuvre et son engagement dans les études bouddhiques. Deux articles publiés dans cet ouvrage l’illustrent. ,u’il y trouve ici la reconnaissance de l’ensemble des acteurs de cette coopération franco-vietnamienne en sciences religieuses. Et même bien au-delàڎ Pascal BOURDEAUX
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PRÉSENTATION DE L’ÉDITION VIETNAMIENNE (PARUE EN 2011) Le présent ouvrage est le recueil de l’ensemble des contributions du colloque qui a été organisé dans le cadre du projet de recherche franco-vietnamien (FSPZA3d.7)Z: «ZModernité religieuse et Êժi mհiZ: de la recon࠱guration des mondes bouddhistes et chrétiens au ViêtZNamZ». Les articles français ont été traduits et les présentations en vietnamien retravaillées. Leur contenu s’est concentré autour des questions essentielles soulevées pendant le colloque et que l’on peut résumer ainsi. En France, pays dont l’histoire chrétienne est multiséculaire, qui a été la fille a¨née de l’église catholique romaine, qui a aussi vu éclater le con࠲it entre catholiques et protestants, le pluralisme religieux vise en théorie à réguler juridiquement la pluralité. Dans les rapports discutés au sein de l’Union européenne, les pays membres ne font plus uniquement état du christianisme (catholicisme, protestantisme) mais aussi d’autres religionsZ: islam, juda©sme, bouddhisme, hindouisme ڎEn dépit d’une révision de la pensée, la question reste de savoir si l’élaboration d’un mod¢le séculier est envisageable. Alors que cette Union Européenne se réalise aux niveaux monétaire et économique, alors qu’elle forme une institution politique, qu’en est-il du r¢glement des questions religieuses Il y a eu des fortes tensions, en France par exemple entre certaines sensibilités de l’islam et l’État lorsque les él¢ves se sont vus interdire le port du voile à l’école. Certaines des contributions présentes analysent les premiers dé࠱s de la pluralisation religieuse au ViêtZ Nam. Autour de cette question théorique, un fond européen perdure, à la fois politique et religieuxZ : l’État français et les églises évangéliques depuis le XIXeZ si¢cle ; les rénovations des activités religieuses au ViêtZNam ; l’œuvre des catholiques français au service de la république la©que (19- 7) ; l’article interrogeant la situation plane du monde comme dialectique du pluralisme religieux. Un nombre appréciable de ces textes re࠲¢te aussi les diverses facettes du pluralisme religieux au ViêtZ Nam commeZ : les évolutions du catholicisme vietnamien au prisme de l’acculturation de la foi chrétienne ; la pratique religieuse des jeunes catholiques aujourd’hui ; l’état ancien et actuel des communautés protestantes ; l’expression du monachisme bouddhique khmer en contexte pluraliste ; le bouddhisme pensé dans sa complexité spéci࠱que ou dans ses relations à l’économie. Nous ne pouvons pas ne pas rappeler ici les opinions personnelles du professeur ÊՌngZNghiêm VԶn, « vénérable » auteur de recherches religieuses qui depuis plus de vingt ans s’est obstiné à approfondir sa pensée en promouvant sa conception d’une religion des Ancêtres (ÊԶo Thղ Tժ Tiên) qu’il nomme 11
+guVՖn Hդng !Ūśng
religion traditionnelle (t®n gio truVՒn thբng). Des opinions opposées s’expriment certes, mais ce qu’il a exposé est sensé et convaincant. Les autres articles traitent d’aspects di࠰érents comme la religion des Chams et les cérémonies collectives qu’elle engendre au Centre-ViêtZNam. Une preuve marquante de la rénovation de la politique religieuse au ViêtZNam est la directive nj 1 du chef du gouvernement sur le protestantisme. Cette derni¢re est analysée et commentée. Ce livre est ainsi un recueil pluriel mais qui a sa cohérence interne. Chaque texte est exposé avec son style propre et la diversité des approches captive un lecteur qui passe d’un aspect à un autre. Pour la traduction en vietnamien, nous nous sommes e࠰orcés de rester au plus pr¢s du lexique, en particulier du lexique religieux, mais nul doute que des erreurs se sont glissées malgré nous. Nous remercions les lecteurs pour leur clémence et pour leurs éventuels commentaires. Malgré cela, l’œuvre réalisée se rév¢le précieuse et tr¢s respectable. Nous sommes heureux de présenter ce livre aux lecteurs ! Hanoi, 18 mars 11 Institut de recherches sur les religions Le directeur NGU4ՙN HէNG DŪśng
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L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LES RELIGIONS DU MONDE
Jean--obert ARMOGATHE École pratique des hautes études, Paris
Il y a plusieurs mani¢res d’envisager le pluralisme religieuxZ: ce peut être le point de vue d’un État la©que, qui respecte la liberté des cultes, mais ce peut être aussi ٻZet c’est le point de vue que nous retenons iciZ ٻcelui d’une religion par rapport aux autres. L’Église catholique a connu à cet égard une profonde ré࠲exion dans les cinquante derni¢res années. Le souci des « autres religions » n’a jamais été absent, depuis que le christianisme s’est organisé dans l’Empire romain, principalement à -ome et à AlexandrieZ : il a fallu que les ࠱d¢les se situent par rapport au juda©sme, tr¢s t®t, mais aussi par rapport à la religion civile de l’Empire et aux autres grandes religions de la MéditerranéeZ: le culte d’Isis, celui de Mithra, celui des aalsZsyriens (prédominants sous les Sév¢re), le manichéisme et puis en࠱n les sectes gnostiques dérivées du juda©sme et du christianisme. L’historien Tacite écrit au début du IIeZsi¢cleZ: « à -ome a࠴ue de toutes parts et s’étale tout ce qu’on peut trouver d’atroce et d’indécent » (AnnalesZXV, 44). Les grandes philosophies, le pythagorisme, le sto©cisme, les néoplatonismes surtout, proposent aussi des comportements religieux et des rituels d’initiation et de pratique cultuelle. Au milieu du IIIeZsi¢cle, le génie de Plotin permet de condenser au sein des cultes solaires le dernier succ¢s des polythéismes. Le christianisme s’est codi࠱é dans di࠰érentes écoles, mettant l’accent sur une théologie de l’histoire, tenant bon sur la distinction entre humain et divin, tout en intégrant diverses données de l’hellénisme pa©en. L’apparition de l’islam est source de con࠲its armés, mais le christianisme s’e࠰orce aussi de conquérir sur le mode missionnaire, par la connaissance de la nouvelle religion. À la même époque, le théologien persan Sohrawardi propose une synth¢se de croyances, et des encyclopédies religieuses sont rédigées dans des milieux syncrétistes. L’expansion de l’Europe entra¨ne la rencontre avec de nouvelles formes de penséesZ : religions traditionnelles en Amérique et en Afrique, hindouisme, bouddhismes, sagesse confucéenne, tao©sme en Asie. AuxZXVIIe etZXVIIIeZsi¢cles, les Églises chrétiennes occidentales mettent au point une théorie de la missionZ: les missionnaires sont souvent les premiers anthropologues, ils favorisent les contacts, et leur curiosité est à la source d’échanges fructueux et d’une meilleure 13
Jean /obert ArJogathe
connaissance en Occident d’autres formes de vie religieuse (pensons au succ¢s des )ettres édiࠩantes des missionnaires jésuites en Inde et en Chine). En même temps, leurs analyses proc¢dent d’un double préjugéZ: le mépris pour ce qu’ils tiennent pour des « superstitions », et l’identi࠱cation des religions et des cultes avec des idéologies déjà connues en Europe (le « spinozisme » des hindous). L’évolution philosophique en Europe, les mutations de la géopolitique conduisent à une connaissance meilleure et à des a࠰rontements. Le christianisme s’implante profondément hors de l’Europe et des Amériques, avec des chrétiens et un clergé locaux (MaxiJuJ illud, eno¨tZ XV, 1919 et /eruJ Ecclesiae, PieZ XI, 19 ). Une « théologie des religions non-chrétiennes » est élaborée, et le pape PieZXII prend fortement partie pour adapter le christianisme aux attentes et coutumes des nouvelles terres évangélisées (Evangelii praecones, 191)Z: « chez les peuples qui l’embrassent, l’Évangile ne détruit et n’éteint rien de ce qui est bon, honnête et beau dans leur caract¢re et leur génie propre ». L’usage des langues locales (dont le missel chinois préparé enZ 1949) accompagne la nomination d’évêques autochtones. L’Église catholique se met à l’écoute des cultures. Pendant longtemps, la mission a été considérée comme un combat pour convertir des non-catholiques au christianisme catholique. Désormais, l’intérêt ethnologique ouvert par des missionnaires va conduire à prendre en considération les autres religions comme « naturelles », et à y trouver des racines, des points d’attente ou des points d’appui pour y insérer le christianisme. Le deuxi¢me concile du Vatican a adopté enZ19 une !éclaration sur les relations de l’Église [catholique] avec les religions non-chrétiennes (+ostra aetate). Parmi les textes conciliaires, une déclaration est le plus bas niveau de décision (les deux autres portent sur la liberté religieuse enZ19 et sur l’éducation chrétienne, la même année)Z: le texte ainsi adopté n’a aucune portée ni dogmatique ni disciplinaire, il s’agit seulement, comme le précise le titre, d’une simple « déclaration ». C’est un texte tr¢s bref, le plus court des textes conciliaires, cinq courts chapitresZ : un préambule (« tous les peuples forment une seule communauté »), puis un paragraphe sur les religions non-chrétiennes en général (« l’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions », comme disait le pape PieZXII), le chapitreZ3 sur l’islam, le chapitreZ4 sur le juda©sme, un peu plus long, puis une conclusion sur « la fraternité universelle, excluant toute discrimination ». Un décret sur l’activité missionnaire est adopté quelques semaines plus tard (Ad Gentes) ; on a pu en noter les di࠰érences avec +ostra aetate, mais aussi les contradictions internes ou, du moins, l’exposition de deux théologies di࠰érentes de la missionZ: 6ڎ8 les paragraphes généraux ( et 1) dé࠱nissent l’activité missionnaire comme le fait de révéler, de communiquer aux hommes l’amour que Dieu leur porte (il s’agit là du point de vue moderne et innovateur), tandis que le paragraphe 6, le plus long, parle d’agréger des personnes, par le baptême, à l’Église, ce qui est la position missionnaire traditionnelle.
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)’Église catholique et les religions du Jonde
L’évolution des trente années suivantes a été spectaculaireZ: on est passé d’une théologie des religions non-chrétiennes à une théologie des religions du monde ; les autres religions ne sont plus seulement appréciées en fonction de leur rapport à l’Église catholique, mais en fonction de leur rapport au salut universel proposé à tous par Dieu en Christ et dans l’Esprit. Désormais, l’accent est mis sur le centrage de tout le devenir humain autour du th¢me de l’unité de la création et de la rédemption. Cette évolution est reconnue par le pape Jean-PaulZII, dans un discours au Conseil ponti࠱cal pour le dialogue interreligieux en 1987Z: Le dialogue entre les religions est un élément de la mission de l’Église ; la proclamation de l’œuvre salvi࠱que de Dieu en Notre Seigneur Jésus-Christ en est un autre. Il ne saurait être question de choisir l’un et d’ignorer l’autre ou de le rejeter.
Ce texte rév¢le clairement les pressions auxquelles le pape était soumis de la part des adversaires de l’initiative qu’il avait prise en invitant à Assise des représentants de toutes les religions du monde à se rencontrer pour jeµner et prier. L’événement eut lieu le 7Zoctobre 1986Z: les chefs des principales Églises, les représentants de nombreuses religions, cent trente personnes au total, ont répondu à l’invitation du pape. Chacun a pu prier dans des lieux di࠰érents pendant cette journée, et une grande célébration ࠱nale a réuni des intentions de pri¢re pour la paix et la justice dans le monde. Les éléments les plus conservateurs, surtout chez les catholiques, ont vivement condamné cette initiative. Le pape a dµ s’en expliquer dans son discours aux cardinaux le
Zdécembre 1986 en en proposant les justi࠱cations théologiquesZ : le dialogue aujourd’hui n’est plus un dialogue avec les religions non-chrétiennes, mais entre les religions du monde, ou plus exactement avec les traditions religieuses. On est passé d’une théologie des religions non-chrétiennes à une théologie des religionsZ: les religions non-chrétiennes ne sont plus seulement appréciées en fonction de leur rapport à l’Église catholique, mais en fonction de leur rapport au salut universel proposé à tous par Dieu en Christ et dans l’Esprit. L’accent est mis désormais sur le centrage de tout le devenir humain autour du th¢me de l’unité de la création et de la rédemption. C’est le sens du préambule de la déclaration +ostra AetateZ: Tous les peuples forment une seule communauté ; ils ont une seule origine 6ڎ8, ils ont aussi une seule ࠱n derni¢re, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous.
La ré࠲exion s’est prolongée. Ce qu’on a appelé « l’esprit d’Assise », vivement attaqué par les courants traditionalistes, a fait l’objet de plusieurs documents ponti࠱caux, les deux plus notables étant l’encyclique /edeJptoris Missio du 7Zdécembre 199 et le document !ialogue et Annonce du 19Zmai 1991. !ialogue et Annonce reprend et compl¢te le document du Zseptembre 1984 intitulé !ialogue et Mission De la mission à l’annonce, on mesure le chemin parcouru en sept ans. Ce dernier document a d’ailleurs fait l’objet de quatre rédactions di࠰érentes avant d’atteindre le texte dé࠱nitif. La noteZ8 du texte fut la plus discutéeZ: dans sa forme dé࠱nitive, elle accepte que l’on utilise le terme évangélisation au sens large et le mot annonce au sens restreint. Tout se joue en
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e࠰et dans les termes. Le mot conversion est un mot ambiguZ: il peut s’agir du changement de son adhésion religieuse, la conversion des uns étant l’apostasie des autres ; mais on peut aussi entendre un retour à Dieu avec le dessein de lui soumettre pleinement sa propre vie. Il conviendrait, ce qui dépasse le cadre de cette intervention, de revenir sur plusieurs mots-clefs du rapport de l’Église catholique avec les traditions religieuses. Plusieurs mots sont à double sens comme conversion, Jission, évangélisation. L’attitude actuelle de l’Église catholique semble vouloir tenir compte de cette polysémie. Elle est globalement passée du respect à la collaboration, et le paragrapheZ17 de la déclaration !ialogue et Annonce reconna¨tZ: 6ڎ8 la présence de valeurs positives, non seulement dans la vie religieuse personnelle des croyants des autres traditions religieuses, mais aussi dans les traditions religieuses elles-mêmes auxquelles ils appartiennent.
Une tension a été ainsi créée, non seulement par rapport aux éléments intégristes qui accusent l’Église catholique et ses responsables d’avoir abandonné l’idéal missionnaire de la conversion, mais entre les acteurs actuels de la missionZ: jusqu’o³ peut-on aller dans la reconnaissance de ce qu’il y a de bon dans l’autre sans abandonner ses propres positions et être en mesure de les lui rendre désirables Peut-on à la foi conforter quelqu’un dans sa religion (« mieux vaut un bon musulman qu’un mauvais chrétien ») et souhaiter qu’il adh¢re aux valeurs que l’on croit véridiques On a assisté à une conversion croissante de la théorie missionnaire à une approche christologiqueZ : ce qui importe, c’est le salut du monde. Le dicton médiéval « hors de l’Église, pas de salut » est réinterprété, en particulier par le cardinal Congar, comme un dogme christologiqueZ : le salut ne vient que du Christ seul. Mais de telles lectures mettent en péril l’ecclésiologieZ: quelle Église peut être identi࠱ée dans une telle approche universaliste des religions C’est pour cela qu’un durcissement a été noté chez les instances du magist¢re catholique sur l’ecclésiologie, en vue de donner des dé࠱nitions fermes et claires de l’Église. Le dernier document en date, émanant de la Congrégation pour la doctrine de la foi (juilletZ 7), se contente de rappeler le document !oJinus Jesus établi en aoµtZ par le préfet -atzingerZ: cette !éclaration part d’une a࠳rmationZ:Z« la révélation de Jésus-Christ est dé࠱nitive et compl¢te », « la révélation de la plénitude de la vérité divine est réalisée dans le myst¢re de Jésus-Christ ». Il n’y a pas de théologie chrétienne sans cette a࠳rmation, ce qui revient à écarter un relativisme religieux qui verrait dans les religions non-bibliques 1 un complément de la révélation chrétienne. Il semble que l’expresssion la plus récente de ce relativisme soit celle du p¢re jésuite indien Anthony deZ Mello (1931-1987), dont les écrits, tr¢s répandus dans le monde anglophone, ont fait l’objet d’une mise en garde détaillée de la Congrégation ( 4Zjuin 1998). Le p¢re
1. L’expression « religions bibliques » nous permet de désigner ensemble le juda©sme et le christianisme.
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)’Église catholique et les religions du Jonde
de Mello manifestait une opinion favorable envers Jésus, dont il se déclarait un disciple. Mais il le tenait pour un ma¨tre parmi d’autres, la seule di࠰érence étant que Jésus était un « éveillé » et un être totalement libre. Il ne reconnaissait pas Jésus comme Fils de Dieu, mais comme quelqu’un qui enseigne que tous les hommes sont des ࠱ls de Dieu. La foi théologale (« nous ne devons croire en nul autre que Dieu, le P¢re, le Fils et le Saint-Esprit ») doit être tenue fermement pour essentiellement distincte des croyances des autres religions, qui n’en constituent pas moins des trésors humains de sagesse et de religiosité. De la même mani¢re, il est cohérent avec l’a࠳rmation de la foi chrétienne de réserver l’adjectif « inspirés » aux seuls textes des Écritures canoniques ; des textes religieux non bibliques peuvent contenir des éléments qui éveillent au salut, mais c’est du christianisme même qu’ils reçoivent cette lumi¢re. Le mot Église veut dire tout à la fois l’Église visible et l’Église invisible, le corps des ࠱d¢les (ce qu’on appelle aujourd’hui la communauté chrétienne) et l’institution de salut fondée par Jésus-Christ, « c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » ()uJen gentiuJ, n.Z 1). L’Église catholique a constamment manifesté son désaccord avec une interprétation restrictive. Il su࠳t de rappeler, dans la constitution Unigenitus (1713), la condamnation de la 9eZ proposition de ,uesnelZ : « hors de l’Église, aucune grce n’est donnée » et, tout pr¢s de nous, enZ1949, l’a࠰aire FeeneyZ: des p¢res jésuites de oston College avaient enseigné que tous ceux qui n’appartenaient pas expressément à l’unité visible de l’Église catholique étaient damnés et ils taxaient d’hérésie ceux qui niaient cette th¢se. Exclus par le recteur du Coll¢ge, ils furent défendus publiquement par un théologien jésuite américain, Leonard Feeney. Interdit par MgrZCushing, archevêque de oston, le P.ZFeeney fut ࠱nalement excommunié enZ193. Le Saint-O࠳ce avait envoyé le 8Zaoµt 1949 une lettre à l’archevêque de oston, qui fut rendue publique en 19 . Apr¢s avoir rappelé que l’Église est l’unique institution o࠰rant aux hommes le salut dans Jésus-Christ, le dicast¢re romain rappelle qu’il y a plusieurs modes d’appartenance à l’Église, de fait ou tout au moins par désir, re vel salteJ voto. Cette distinction classique (au moins depuis le XIIeZsi¢cle pour les sacrements) a été largement explicitée par -obert ellarmin, théologien jésuite de la ࠱n du XVIeZsi¢cle, sous la forme d’une distinction entre le corps et l’me de l’Église 3. L’exclusion de la position étroite (de type Feeney) ne signi࠱e pas pour autant l’acceptation d’une position latitudinaire, o³ le relativisme des religions (« toutes les religions se valent ») conduit à l’indi࠰érentisme (« à quoi bon s’en préoccuper »). La théologie de la bonne foi suppose en e࠰et une recherche inqui¢te de la vérité.
. atéchisJe de l’Église catholique, aZ178. 3. !e Ecclesia Jilitante III, c.Z3.
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LA RÉNOVATION DU CATHOLICISME VIETNAMIEN AU PRISME DE L’ACCULTURATION DE LA CROYANCE
NGU4ՙN HէNG DŪśng Institut de recherches sur les religions, Hanoi
&ࢩ-OL?I¤J>QFNRB La religion est un produit de la culture. Les grandes cultures du monde, aussi bien passées qu’actuelles, sont cependant réciproquement régies par la religion. Certains spécialistes de ces questions prétendent que « la religion se trouve profondément ancrée dans la culture 1. » Dans le monothéisme, le polythéisme ou le panthéisme, la croyance est au cœur de la religion. ,ue cette religion-ci soit lche dans son organisation, que celle-là ait des lieux de cultes tr¢s simples, il n’existe pour autant pas de religion qui n’exprime une foi. La foi/conviction est le pivot de la religion. Lorsqu’il n’yZa plus de ࠱d¢les pour exprimer et conserver la foi d’une religion, pour vivre conformément à cette derni¢re, cela n’en signi࠱e rien moins que sa disparition. La foi catholique ne déroge pas à cette r¢gle. Mener des recherches sur l’insertion de la foi catholique dans la culture vietnamienne signi࠱e comprendre les évolutions profondes du catholicisme sous l’angle culturel. ien que l’acculturation de la foi ait été à -ome une préoccupation du Saint-Si¢ge depuis de nombreux si¢cles, un catholicisme d’expression vietnamienne a pris corps di࠳cilement. Un tel processus d’intégration ne signi࠱e pas abandonner la foi chrétienne dans sa nature mais vivre le catholicisme « à la mani¢re vietnamienne », pour que la foi catholique prenne ࠱nalement un caract¢re vietnamien. Conséquence directe de l’histoire missionnaire, de l’uniformité du droit canon et des orientations du Vatican, l’acculturation du catholicisme vietnamien s’est opérée en plusieurs étapes. La question s’est réellement posée avec le concile du VaticanZII (196 -196), avant de se développer largement par la suite,
1. Trc Tn ¦nh, 1®n gio l· giԴi [Interprétation religieuse8, [version chinoise8, Nxb x hծi khoa hբc và V½n hiՔn xuԺt bԸn x, Hanoi 1999.
19
+guVՖn Hդng !Ūśng
surtout apr¢s que l’Assemblée des évêques du ViêtZNam a e࠰ectivement exprimé l’orientation pastorale qu’elle souhaitait suivre dans la LettreZcommune de 198. Comprendre en profondeur cet aspect exige d’examiner le passé, autrement dit, regarder la situation antérieure à la politique de rénovation (Ëզi࢙Jլi). Voyons comment cette acculturation s’est e࠰ectuée et quels en ont été les résultats. &&ࢩ!BPPLRO@BPPLRQBOO>FKBPOBJLKQ>KQARM>PP¤ Sit®t que l’évangélisation catholique a montré quelques signes tangibles au ViêtZNam, le Vatican a accordé tout son soutien pour qu’y soient « semées les graines de l’évangile » et qu’on y enseigne la foi chrétienne tout en portant une attention à son acculturation. Le rite romain s’appliquait généralement aux églises locales qui, toutes, formaient le catholicisme romain. ien que l’Évangile et la foi ne ࠱ssent qu’un, le Saint-Si¢ge recommanda aux deux évêques, PierreZLambert deZlaZMotte et François Pallu, nommés à la tête des deux vicariats apostoliques (Êàng Trong, Êàng Ngoài) fondés enZ169, d’enraciner la foi chrétienne dans le socle même de la culture locale 3. Par de telles recommandations, -ome reconnaissait que pour di࠰user le christianisme aupr¢s de la population locale, elle ne pouvait pas en négliger sa culture. Les deux évêques laiss¢rent malheureusement ces recommandations sans e࠰ets. C’est alors que les premiers contacts se produisirent, lesquels montrent que la foi chrétienne ne s’inséra pas dans la culture. La foi importée resta rigide même si l’on savait que t®t ou tard elle serait rattrapée par cette culture que l’évangélisation cherchait pourtant à éliminer. Le pape PaulZ VI abonda dans ce sens, convaincu qu’il était que « la dissociation de l’évangile et de la culture a été certainement une tragédie de notre temps et des périodesZ antérieures » (ENZ ) 4. Pendant longtemps, à l’exception de quelques missionnaires jésuites préoccupés malgré tout par cette question, les ordres missionnaires ont rejeté, sciemment ou pas, la culture vietnamienne lorsqu’ils évangélisaient la population locale. La culture vietnamienne est une culture ouverte qui a accepté toutes les religions importées comme le confucianisme, le bouddhisme, le tao©sme. MaisZcomme elle a subi une mise à l’écart de la part du catholicisme, elle a à son tour rejeté la foi chrétienne.
. Littéralement région Intérieure (Centre-ViêtZNam, alors dominé par les princes Nguy՚n) et région Extérieure (Nord-Viêt Nam, dominé par les Trՠnh). Ces expressions servaient à distinguer au XVIIeZsi¢cle les deux principautés de l’empire du ÊԶi Nam qui restaient o࠳ciellement uni࠱ées sous l’autorité de la seule dynastie légitime des Lê (ndt). 3. TrԼn Tam T՞nh, 1hԾp gi v lŪղi gŪśJ, [la croix et le glaive8, Nxb TrՐ, H®-Chi-Minh-Ville 1998. 4. 3½n ha v Ëպc tin-Hֈ niJ n½J ti bԴn bo gio xպ 3it +aJ -
[Culture et #oi, e࢙anniversaire de la réédition du journal Paroisse vietnaJienne -
8, Paris
4, p. 8.
)a rénovation du catholicisJe vietnaJien
Les communautés catholiques qui vivent dans leurs villages, dans leurs paroisses depuis des si¢cles, se sont désolidarisées des villages traditionnels pour se regrouper et vivre repliées sur elles-mêmes. Ces communautés ont repoussé à la lisi¢re du village tout ce qui était contraire à leur foi dans le but de préserver leur religion. Tout ceci a mené ces communautés à se marginaliser de la société, tout particuli¢rement du point de vue culturel. Les festivités, les célébrations de mariages et de funérailles, les chansons populaires, les croyances populaires (culte aux génies tutélaires, aux patrons de métiers, culte des ancêtres, toutes autres formes de cultes) ont disparu dans ces villages et dans ces paroisses . Les non-catholiques se représentaient les catholiques uniquement comme des personnes qui murmuraient des pri¢res, qui se plaignaient lorsqu’arrivait le carême et qui exultaient lorsque cette période se terminait en࠱n 6. Seuls les catholiques pouvaient comprendre véritablement le sens de leurs actes, seuls eux savaient. Mais au regard des non-catholiques, ces derniers paraissaient comme totalement hermétiques. D¢s les débuts de l’évangélisation, le clergé missionnaire et les missionnaires vietnamiens étaient objectivement conscients de la nécessité d’insérer la foi chrétienne à la culture vietnamienne. Avec persévérance, ils ont mis à exécution leur conception missionnaire. Ils se sont e࠰orcés d’étudier cette question voire même de faire fusionner foi et culture. Leurs succ¢s ont été certes tr¢s modestes mais ils ont permis aux communautés catholiques nouvellement établies de vivre une foi vivante dans plusieurs domaines de la culture. On peut mentionner de tr¢s nombreuses personnalités comme le missionnaire LքZ4ZÊoan (ڈZ1678), les p¢res ÊՌng Êվc TuԺn (183-191 ), Philippe -osario ՞nh (179-183 ), Philippe Phan V½n Minh (181-183), TrԼn Lպc (18 -1899), les évêques Nguy՚n T¬ng (1868-1949), Hը Ngբc CԾn (1876-1948). On peut a࠳rmer qu’ils ont été desZ« ap®tres de la culture ». Il faut reconna¨tre aussi qu’en dépit des interdits, bien qu’on leur ait assené que pour maintenir leur foi il fallait exclure toute autre religion, toute croyance traditionnelle considérée comme mauvaise (ËԲo rբi), exclure par conséquent nombre d’aspects culturels contraires à leur foi, les catholiques ont malgré tout su vivre «Zà leur mani¢re leur religionZ» dans leurs paroisses. C’est un aspect que l’église catholique vietnamienne estime depuis la ࠱n du XXeZ si¢cle avec objectivité et même qu’elle encourage. La contribution des missionnaires à « vivre sa religion à la façon vietnamienne » est restée modeste, mais elle est une des sources profondes qui nourrit la foi des paroissiens.
. Sch thuԾt lԲi cc 1hŪ chung Ë՜a phԾn 1V Êng +goi [)ivre relatant les )ettres coJJunes des diocèses occidentaux du !ang +goai8, imprimé à &Ր SՌt, 198, p. 7. 6. « Vào m³a » (entrer dans la saison), « ra m³a » (sortir de la saison) sont des formes populaires pour parler dans le delta du ࠲euve -ouge du carême catholique. C’est la période pendant laquelle les chrétiens se remémorent la Passion du christZ: la tristesse puis le chagrin laissent place à la ferveur commémorant sa résurrection.
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Les catholiques y rép¢tent souvent cette phraseZ: « Avant d’être catholique, je suis vietnamien ». La culture locale s’est intégrée petit à petit à leur foi chrétienne, sur le mode d’une « procession d’enracinement ». Grce à cette profondeur et aux e࠰ets du temps, elle s’est clairement révélée une nécessité. Et comme il devait en être ainsi, un certain nombre de vieux curés occidentaux ont accepté la situation, pendant que d’autres prêtres occidentaux ont apporté leur soutien. Par exemple, avant la -évolution d’Aoµt (194), les catholiques de l’évêché de Pht Di՜m (province de Ninh ¦nh) qui voulaient chanter du Ca Tr³ 7 dans les cérémonies religieuses provoquaient instantanément la réaction des prêtres occidentaux. Ils disaient ne pouvoir introduire des éléments non-catholiques dans la religion. Mais les chrétiens de cet endroit persist¢rent, ils invit¢rent les missionnaires à des représentations non-catholiques pour les convaincre. Et ࠱nalement, ils accept¢rent. C’est dans ces temps anciens que les missionnaires et les chrétiens ont entretenu et ra࠰ermi ces sources souterraines en gardant l’espoir qu’elles jailliraient le moment venu. L’occasion a tout d’abord été l’esprit de « rénovation » et d’engagement dans le monde du concile VaticanZII (196 -196), de conviction en la nécessité d’intégrer la foi chrétienne aux cultures locales. À ce moment-là émergea la tendance culturelle de « vietnamisation de la religion ». Le but était de transformer cette croyance importée et rigide, de faire de cette religion occidentale (ËԲo 1V) une religion orientale (ËԲo 1a). Et permettre aux catholiques de vivre leur religion dans l’esprit de leur culture, par une imprégnation culturelle de la croyance catholique. &&&ࢩ)ڂBUMOBPPFLKABI@@>ڂRIQRO>QFLK@EO¤QFBKKBA>KPIBP )BQQOBP@LJJRKBP IBP)BQQOBPABP¤S¥NRBP IBP@LKC¤OBK@BP IBPO¤@BKQP@LIILNRBPP@FBKQF࠲NRBP Provisoirement reléguée ٻZ pour diverses raisonsZ ٻentreZ 197 etZ 198, la question de l’acculturation de la croyance rena¨t sous l’in࠲uence de la commission des évêques du ViêtZNam. Dans la Lettre commune deZ198, cette commission, en plus d’a࠳rmer la même orientation que celle de la nation, a࠳rme vouloir « construire dans l’église un mode de vie et suivre une voie qui décrivent une foi adaptée aux traditions nationales » (njZ 9). Le 11eZ paragraphe de la Lettre commune exprime de façon plus concr¢te encore cette orientationZ: À propos de la seconde mission de tracer pour l’église une voie qui adapte la croyance aux traditions nationales. Nous voulons réaliser ce que le Concile Vatican II a proclaméZ: toutes les beautés de l’me et des pensées humaines, des cérémonies et des cultures de chaque peuple, ne doivent pas être détruites par les activités de l’église mais rendues saines, valorisées et ra࠰ermies pour servir humblement la gloire de Dieu et la recherche du bonheur humain (GHZ17,1) [ڎ8.
7. Poésie chantée apparue au avoir été un art de cour.
XI eZsi¢cle
qui s’est popularisée sous des formes profanes apr¢s
)a rénovation du catholicisJe vietnaJien
De telle sorte qu’une voie à approfondir est celle de la ible et de la théologie a࠱n de ma¨triser l’essence de la foi. Un autre chemin consiste à comprendre le mode de vie de chaque peuple pour découvrir les valeurs spéci࠱ques à chaque pays. Puis nous extrayons de ce trésor culturel ce qui est intéressant pour édi࠱er un mode de vie et une mani¢re d’exprimer sa foi qui soient mieux adaptés aux traditions de chaque peuple vivant simultanément chez lui et dans l’église (njZ11). L’inculturation de la foi a été rappelée dans un certain nombre de Lettres communes ou de Lettres des évêques de la commission épiscopale du ViêtZNam. La Lettre commune deZ199 décrit cette question dans son paragrapheZ9 sous le titreZ: Construire un Jode de vie et une Janière d’expriJer sa foi plus conforJes l’identité nationale Depuis les origines, nos p¢res ont su mettre en avant les bons aspects du joyau culturel national pour exprimer notre foi et notre relation à DieuZ: depuis la musique, les arts, l’architecture, les cérémonies jusqu’aux organisations familiales, villageoises, paroissiales. Aujourd’hui les échanges entre peuples rapprochent de plus en plus les cultures qui s’acceptent aisément et mutuellement. Aller à la recherche de l’identité culturelle nationale ne signi࠱e pas uniquement retrouver les choses anciennes, c’est aussi chercher comment cet esprit national s’exprime dans les pri¢res, les chants, dans les célébrations du culte, dans la vie quotidienne comme dans la méditation ou dans le langage théologique. Ce travail doit être aussi fait par les ethnies minoritaires, a࠱n que chaque peuple puisse préserver son identité au sein de l’église. Apr¢s seulement douzeZannées d’un chemin certes court mais de mise en œuvre e࠰ective de la Lettre commune deZ 198, les évêques vietnamiens ont pu faire le bilan de ce qui avait été réalisé en mati¢re d’inculturation de la foi, de ce qui restait inachevé et de ce qui méritait d’être poursuivi. Arrivé à ce point, en dehors de cette question d’acculturation de la foi, la Lettre commune appelait aussi à une intégration soutenue du mode de vie chrétien à la culture vietnamienne. La lettre de la commission des évêques deZ a pointé la question de l’intégration culturelle de façon plus pénétrante encore quand elle a exprimé la proposition suivanteZ: 3ivre, téJoigner et propager l’Évangile la Janière vietnaJienne (Sբng, lJ chպng v loan bo 1in Mռng theo cung cch 3it +aJ). Situé au fondement même des lettres communes et des lettres des évêques, présent à l’esprit des 3Z grandes questions traitées enZ 1998 par la conférence générale des évêques d’Asie à laquelle la conférence des évêques du ViêtZNam a participé à -ome 8, ce processus d’acculturation chrétienne a commencé à porter ses fruits. On peut le voir tout d’abord dans les colloques scienti࠱ques que l’église organise ou bien qu’elle coordonne avec des chercheurs qui n’y sont pas a࠳liés. On peut relater un certain nombre de conférences représentatives.
8. Lettre de la commission épiscopale du Viêt Nam de 1998.
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La conférence, «Z La vénération des Ancêtres par les catholiquesZ », a été organisée à l’archevêché de HuՔ ( 7- 9Zoctobre 1999) avec la participation de chercheurs non-catholiques. Ce colloque a traité de sujets tels que les croyances et le culte des ancêtres dans le passé et dans le présent ; la question ne rel¢ve pas uniquement de la croyance mais aussi d’une culture spirituelleZqui permet d’évaluer comment les catholiques pratiquent le culte des ancêtres. Une autre conférence, «Z,uelques aspects de la culture catholique vietnamienne des origines au XXeZ si¢cleZ », s’est tenue à l’archevêché de HuՔ ( 4- 7Z octobre
). Le contenu s’est concentré autour des apports du catholicisme vietnamien en mati¢re d’intégration culturelle. Des chercheurs non-catholiques y ont aussi participé. Au mois de décembreZ , le comité épiscopal en charge de la culture et la commission épiscopale du ViêtZNam ont organisé le colloqueZ: «Z-egard sur VaticanZ II 4Z ans apr¢sZ ». Les contenus principaux du colloque étaientZ : les relations entre prêtres, paroissiens et gens pauvres ; la mani¢re d’intégrer le clergé régulier dans la société ; l’enseignement de l’évangile en contexte de globalisation ; le r®le des chrétiens face aux négligences de l’éducation morale, aux aspects erronés du dogme, aux faiblesses de la vie religieuse, morale et sociale ; l’in࠲uence chrétienne dans les relations conjugales (égalité hommefemme), dans l’économie de marché ; les questions de responsabilité dans la procréation, l’enseignement moral, l’humanisme ; morale et vertu des moyens de communications. Au sujet de l’intégration culturelle proprement dite, un des trois crit¢res de base du colloque a a࠳rmé que «Zl’église s’est formée au Viêt Nam en totale conformité à l’évangile et elle s’est e࠰orcée à forger sa propre identité en dehors de la matrice culturelle occidentale 9Z». Les 14Z et 1Z mai 3, à l’archevêché d’Hը-Ch§-Minh-Ville, le comité épiscopal pour le culte, la propagande, la culture, la musique et les arts sacrés a organisé un colloque sur le th¢meZ: «ZExpérience d’acculturation chrétienne au Viêt NamZ». Il s’est placé dans le prolongement de la rétrospective consacrée au Concile VaticanZII. Ce colloque a analysé sur troisZsi¢cles les expériences pratiques et les résultats du processus d’intégration du point de vue matrimonial, funéraire et liturgique. Il a porté son regard sur quelques formes artistiques de la pri¢re, de la contemplation, des chants religieux. Tous ces sujets évoqués ont des liens avec la langue, la littérature, l’architecture, les arts, les us et coutumes, la religion, la liturgie ڎ1 Le colloque, «ZVivre sa religion à la mani¢re vietnamienneZ» a été co-organisé par le comité la©c et l’archevêché de HuՔ ( -
Zavril 4). DesZchercheurs non-catholiques y ont participé. HuitZexposés composant troisZpanels ontZprésenté comment les catholiques vietnamiens vivent leur religion, comment s’organisent
9. C®ng gio v dn tժc [CatholicisJe et nation, mensuel8 98 (fév. 3). 1. Ibid, 1 (juin 3), p.Z9-93.
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)a rénovation du catholicisJe vietnaJien
la catéch¢se et les catéchistes,Z quelle est la situation des chrétiens et de leur mission d’évangélisation 11. Les Z et 1Z septembre , s’est tenue à Hը-Ch§-Minh-Ville la conférence de la présidence et du secrétariat du comité de solidarité catholique du ViêtZNam. 4 a été présenté le rapport d’activités pour le premier semestre . À cette session, la présidence du comité a organisé le colloque scienti࠱que «Z,uaranteZans apr¢s le concile VaticanZII, Zans de concrétisation de la Lettre commune deZ198 de la commission des évêques du Viêt Nam 1 Z». Toutes ces conférences ont été organisées par l’Église avec la participation de chercheurs non-catholiques. Les 7- 8Z avril 6, un colloque s’est tenu à Hanoi, organisé cette fois-ci par l’Institut de recherches sur les religions (Académie des sciences sociales du ViêtZNam). Le th¢me étaitZ: «ZCatholicisme et nationZ: passé et présentZ». Ce colloque a vu la participation d’évêques, de prêtres, de religieux, de chrétiens. Les communications ont débattu des relations manifestes entre le catholicisme et la nation, de démocratie y compris dans les pays qui ont connu la période de transition vers le socialisme ; elles ont cherché à clari࠱er les bases théoriques et pratiques de l’orientation intitulée « Cheminer avec la nation » (Ëդng hnh c³ng dn tժc) que les catholiques vietnamiens adoptent pour comprendre la portée nationale de leur pratique dans le processus révolutionnaire 13. Ainsi, en l’espace de neuf années, deZ1999 àZ 6, septZgrands colloques ont été organisés. La nouveauté par rapport aux colloques antérieurs est que si l’Église en a été l’organisatrice, des chercheurs non a࠳liés y ont aussi participé. Et lorsque les colloques ont été organisés par des instituts publics de recherche, des hommes d’églises, des dignitaires, des religieux y ont inversement participé. On peut parler d’une forme de rénovation à l’égard de l’Église catholique. Cette rénovation met ࠱n au monologue en faveur du dialogue, elle ouvre de nouvelles voies dans le domaine de la recherche scienti࠱que. Examiné sous cet angle, on peut aussi parler d’intégration scienti࠱que. Ces colloques ont traité de l’intégration culturelle dans des sessions enti¢res, d’autres n’ont compté qu’un ou deux exposés. Mais denses ou insipides du point de vue scienti࠱que, tous ces colloques ont planté plus profondément de nouveaux jalons ; ils ont aussi indiqué la voie vers un nouvel horizon ouvrant sur l’intégration de la foi chrétienne dans la culture vietnamienne. Il est égaleJent nécessaire d’évoquer sur le plan théorique d’autres activités traitant de la question de l’intégration. Dans ces conférences et ces colloques, la question du syst¢me culturel n’a pas été placée au premier rang, c’est l’e࠳cience de l’intégration qui a été plut®t débattue. Prenons l’exemple de la réunion annuelle de la commission permanente de la commission épiscopale sur les chrétiens organisée à la paroisse de Ph´ Trung (dioc¢se d’Hը-Ch§-Minh-Ville)
11. Ibid, 144 (semaine du 3 au 9 avril 4). 1 . +gŪծi c®ng gio 3it +aJ [)e catholique vietnaJien, journal8 4 ( ). 13. Ibid, 19 ( 6).
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le 4Zseptembre 3. La directive pour l’annéeZ 4 était en deux voletsZ: le premierZconsistait à valoriser les trésors culturels du catholicisme ٻZcomme la contemplation, les vœux, les pri¢res, les chants, les hymnes, les cérémoniesZ ٻen vue d’enrichir une existence vertueuse 14. Ou bien prenons encore les communiqués de l’évêché qui demandent aux prêtres, aux religieux, aux paroissiens de faire attention à ne pas s’isoler pendant le mois de dévotion (par o࠰randesZde ࠲eurs) à la Vierge Marie, pendant le carême ou lors des célébrations solennelles. Par exemple, le CoJJuniqué de l’év¤ché de 1hi B¦nh au sujet de la 3ierge Marie deZ stipuleZ: La dévotion est une forme de vertu populaire tr¢s appréciable pour exprimer avec simplicité et sincérité le respect à la Vierge Marie. Nous la maintenons et la valorisons, mais il faut la préserver pour son seul caract¢re vertueux, autrement dit en préserver les éléments suivantsZ[ڎ8Z: les danses et les chants doivent garder un caract¢re vertueux et artistique. Il faut employer les intonations traditionnelles qui foisonnent dans les dioc¢ses ou bien suivre le recueil de chants sacrés du cardinal Jésus-Marie Trՠnh V½n C½n. Il est formellement interdit de pratiquer soi-même des danses, des chants qui n’auraient pas été autorisés par le comité 1.
La théorie préc¢de toujours de son éclairage la pratique. Les fruits que le catholicisme vietnamien a récoltés depuisZ198 sont foisonnants 16 sur le plan de l’inculturation chrétienne. Les résultats laissent voir que le catholicisme vietnamien « a construit et continue de construire dans l’Église un mode de vie et une façon de témoigner sa foi adaptée aux traditions nationales », comme l’avait déjà exprimée la commission épiscopale du ViêtZNam dans sa Lettre commune deZ198.
14. Ibid, 11 (octobre 3). 1. Évêque Nguy՚n V½n Sang, Gio huԶn phնc vն [)e¡ons de Jorales8, document interne, p.Z49-. 16. Sur cette question, voirZ: Nguy՚n Hըng DŪśng, « Ūհc ËŪղng hծi nhՂp v½n ha dn tծc cռa C®ng gio Vi՜tZNam » [L’intégration du catholicisme vietnamien à la culture nationale8, +ghi¤n cպu t®n gio [Revue des recherches sur les religions8 (janv.Z1999) ; « C®ng Ëըng VaticanZII մ Vi՜tZNam (nh¦n tր gc Ëծ l· luՂn vՖ hծi nhՂp v½n ha)Z» [Le concile VaticanZII au ViêtZNam (vu sous l’angle théorique de l’intégration culturelle)8, +ghi¤n cպu t®n gio (mars 1) ; « Hծi nhՂp v½n ha &it® gio vհi v½n ha truyՖn thզng Vi՜t Nam trong lՠch sւ [Historique de l’acculturation catholique à la culture traditionnelle vietnamienne », +ghi¤n cպu Ê®ng +aJ { [Revue de recherches sur l’Asie du Sud-Est8 (janv.Z1993) ; +ghi lՖ v lբi sբng C®ng gio trong v½n ha 3it +aJ [#¤tes et Jode de vie catholiques dans la culture vietnaJienne8, Nxb &HXH, Hanoi 1 ; 1®n gio trong Jբi quan h v½n ha v pht triՔn հ 3it +aJ [La religion dans les relations culturelles et le développeJent au 3i¤t +aJ8, NxbZ&HXH, Hanoi 4.
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« VIVRE SA FOI AUJOURD’HUI ». ))"11/"-01,/)"!"ࢩ
ET LA JEUNESSE CATHOLIQUE
NGU4ՙN TH՟ THU HՆng Institut de recherches sur les religions, Hanoi
&ࢩ)BP>KK¤BPࢩ ࢩP>SLFOP>ڂA>MQBOMLROJFBRUPڂ¤M>KLRFO Au cours des annéesZ 198, le Parti communiste vietnamien a engagé un programme de réformes a࠰ectant tous les aspects de la vie sociale, appelé Ëզi࢙Jլi. Cette politique de rénovation a été officiellement mise en application à partir de VIeZCongr¢s du Parti en 1986. La rénovation économique a été sa premi¢re préoccupation. Au début de ce XXIeZsi¢cle, le ViêtZNam commence la rénovation des autres domaines sociopolitiques, des autres champs de la pensée, de la cultureڎ EnZ198, pendant que le Parti communiste et l’État réorientaient le développement économique du pays, la conférence épiscopale du ViêtZNam nouvellement fondée a tenu à Hanoi sa premi¢re Assemblée pléni¢re des évêques du pays (hժi ngh՜ cc giJ Jնc ton quբc). Elle a a࠳rmé son inclination à « exercer la totalité de sa mission pastorale selon les formes et les méthodes les mieux adaptées aux circonstances » (cf. Christus !oJinus, 3,Z1). Elle a aussi déployé son principal mot d’ordre pour cette nouvelle période de développementZ : « Nous devons être l’Église de Jésus-Christ logée au cœur même de la nation vietnamienne. » Fid¢le au Concile VaticanZII et à son esprit « d’ouverture, de dialogue et d’union avec la société dans laquelle on vit », l’Église catholique du ViêtZNam a préconisé la voie de « vivre l’évangile au cœur de la nation » (sբng ph´c J giրa l¬ng dn tբc), d’éduquer les fid¢les dans le témoignage de leur foi en même temps que dans l’édification du bon citoyen disposé par ses qualités à servir la patrie. Dans le cadre d’évolution actuel, les structures économiques changeantes du pays ont des répercussions culturelles et sociales. Tout comme les autres religions, le catholicisme a évolué dans sa structure démographique, dans l’expression de la foi, dans les activités paroissiales ڎUne composante particuli¢rement réceptive à ces changements est sa jeunesse. Composante essentielle, la jeunesse vietnamienne doit faire actuellement face à de nombreux dé࠱s. Elle
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doit résoudre les questions que tout pays en voie de développement rencontre, comme les e࠰ets de la globalisation et des migrations, le « choc des cultures », le déclin et l’inadaptation du syst¢me éducatif ٻZ phénom¢ne partagé par de nombreux paysZ ٻqui entra¨nent des comportements malhonnêtes dans les études ainsi que des ࠲éaux sociaux comme la drogue, la prostitution ou l’avortementڎ EntreZ 198 etZ , en plus des fruits de la rénovation économique, la société vietnamienne a traversé les perturbations que provoquent l’accession à l’abondance matérielle et la crise des valeurs morales. Les milieux éducatifs cherchent depuis avec perplexité à instaurer une série de réformes rehaussant les valeurs et la dignité de l’homme, ou pour parler comme Marx « l’ensemble des relations sociales ». ,u’on le veuille ou non, lorsqu’on observe le chemin parcouru par la perestroiHa (exZU-SS), la politique de « réforme et d’ouverture » (Chine populaire), la politique du renouveau (ViêtZNam, Laos) ou aujourd’hui l’évolution des formes sociales traditionnelles dans le contexte de globalisation, on voit que la société est a࠰ectée par ce qu’Émile Durkheim nomme l’anomie. Les normes vertueuses de la tradition sont ébranlées et perdent leur capacité d’orientation et de conservation intrins¢que des actions sociales. Dans la période actuelle d’ouverture économique, cette dualité de la situation sociale est manifeste chez les jeunes. Aux c®tés d’une frange qui a࠳rme son idéal de faire prospérer le pays, son assiduité à l’étude et au travail, sa volonté de contribuer au développement de la nation, une autre partie de la jeunesse se trouve engagée sur la mauvaise pente d’une vie idéalisée et individualiste. Sceptique, radicale, désabusée par le temps présent, elle est désorientée et ne sait comment envisager son avenir. Ces jeunes tombent dans le tourbillon d’une vie repliée sur soi, ils se détachent des valeurs morales collectives et s’en a࠰ranchissent pour se ࠱xer des objectifs de vie strictement personnels. EnZ1999, sur un nombre de toxicomanes qui s’élevait à 183 , 7 ࢠ d’entre eux appartenaient aux classes d’ge de la jeunesse 1. Ces chi࠰res montrent la dangerosité de la drogue, particuli¢rement aupr¢s des jeunes, un des trois ࠲éaux sociaux actuels avec la prostitution et le sida. Les jeunes catholiques qui tombent dans ce second cercle vicieux de la prostitution sont considérés comme des ࠱d¢les peu ou plus pratiquants, jouisseurs, paresseux, en perte de toute moralité et de tout idéal de vieڎ Au début des annéesZ , la rénovation s’est réalisée simultanément dans de nombreux domaines culturels, politiques, sociaux ڎPour saisir clairement le r®le déterminant de la jeunesse dans la prospérité de la nation, l’État vietnamien a, comme dans d’autres pays, instauré une politique éducative visant à former une main-d’œuvre hautement quali࠱ée, à redéfinir les normes morales traditionnelles tout en reconnaissant et en respectant conjointement les normes spéci࠱ques à la jeunesse, y compris les manifestations d’un mode de vie que l’on considérait auparavant ٻZ par nature et sans qu’on y porte plus attention comme de pures importations occidentales (vêtements, musique, conceptions du
1. « Comment détecter les jeunes qui se droguent et les en empêcher », (iՐn thպc ngV naV [Connaissances actuelles8 (janv. 1997), p.Z14.
8
« Vivre sa foi aujourd’hui »
mariage et de la famille)ڎ. Les jeunes croyants qui s’éloignent d’une conception étriquée, formelle et routini¢re de la religion, ne portent d’intérêt qu’aux grandes cérémonies solennelles. Ce qui est vu par une partie des dignitaires religieux comme une forme de protestation n’est, pour ces jeunes ࠱d¢les, que la volonté manifeste d’adapter leur pratique au temps présent. Deux courants de pensée traversent de part en part l’église catholique du ViêtZ Nam, l’une innovante, l’autre routini¢re. Cette évidence a࠴eure toutes les préoccupations actuelles de la jeunesse catholique et de la jeunesse dans son ensemble. Selon les chi࠰res de l’enquête générale sur la population et les ménages datée du 1erZ septembre 1999, 14 718 971Z Vietnamiens déclaraient avoir une religion, soit 19, 3ࢠZde la population totale. Parmi ces personnes, on comptait 7 14 93Z bouddhistes (9, 3 ࢠ de la population totale), 111 119 catholiques (6, 69 ࢠ), 1 17 896 bouddhistes H¬a HԸo (1, 3 ࢠ), 86 74 caoda©stes (1, 1 ࢠ), 41 134 protestants (, 3 ࢠ), 63 147Zmusulmans. Parmi eux, 33 68Zdéclaraient une religion indéterminée. En࠱n, 61 79 1Zse déclaraient sans religion . Ces chi࠰res montrent que le nombre de ࠱d¢les déclarant un attachement religieux concerne un pourcentage non négligeable de la population totale. La pensée et la pratique quotidienne de ces communautés religieuses contribuent grandement à l’a࠳rmation des formes sociales contemporaines. D’évidence, à l’intérieur de chaque religion, la distance semble se creuser entre les générations. C’est à ce moment précis de l’intégration et du développement, à l’heure o³ se décha¨nent les technologies de l’information en happant une part massive de chaque communauté religieuse, que la jeunesse pén¢tre dans les turbulences du marché globalisé en s’éloignant petit à petit des valeurs religieuses et des traditions sociales. Chaque individu cherche sa propre voie en mobilisant de nouveaux éléments de morale et de culture. &&ࢩ)>ڂA>DBf3FSOBP>CLF>RGLROAڂERFvBQI>GBRKBPPB@>QELIFNRB On ne rel¢ve a priori aucune contradiction entre l’œuvre de l’Église qui consiste à guider la jeunesse vers le bon accomplissement de sa vie et le programme national de prévention de la santé de la jeunesse ( - 1) engagé par le comité pour la population, la famille et la jeunesse du ViêtZNam. Celui-ci vise à améliorer une situation qui voit se dégrader les considérations sur l’amour, la sexualité, le mariage, la famille et o³ les ࠲éaux sociaux (drogue, prostitution, sida) entra¨nent de la déchéance physique. « Vivre sa foi aujourd’hui » est le th¢me majeur de la Lettre pastorale deZ 6 rédigée par la Conférence épiscopale du ViêtZNam. Cette orientation succ¢de à celle des années 198 ٻZ « Vivre l’évangile au cœur de la nation » tout en poursuivant l’adoration et la méditation sur le myst¢re de l’eucharistie contenues dans la Lettre commune de 4- . En ce début de XXIeZsi¢cle, elle a࠳rme vouloir reconsidérer ce que « vivre sa foi » signi࠱e dans la société actuelle et poursuivre ses orientations pastorales aupr¢s des catholiques et de sa
. RecenseJent général de la population, p.Z11 .
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jeunesse notamment. Au fondement de « Vivre sa religion » se trouve la trinité divine de vouloir exprimer son amour, son obéissance et sa disponibilité pour témoigner d’une vie riche et dynamique menée dans l’esprit de servir. Dans un tel contexte d’entrée dans la globalisation, la Lettre pastorale deZ 6 expose concr¢tement le sens catholique de ce qu’est « vivre sa religion », par l’édification d’un homme nouveau, en accord avec ses valeurs, engagé à servir les pauvres et disponible pour construire une société égalitaire. En pratique et face à la confusion des valeurs traditionnelles, les dispositions religieuses ont peu à peu perdu leur ascendant moral sur la jeunesse, du moins en ont elles su࠳samment perdu pour empêcher que la jeunesse ne glisse vers les ࠲éaux sociaux. Les moyens de contraceptions naturelles ne proposent pas de garantie su࠳sante pour une jeunesse encore mal informée sur la sexualité et sur les pratiques protégées. Il est inéluctable que de tels angles morts a࠰ectent la réalité des activités communautaires, aussi bien séculi¢res que religieuses. La constitution de la -épublique socialiste du ViêtZNam deZ199 , amendée et complétée enZ 1, stipuleZdans son Article 64Zque « L’État prot¢ge le mariage et la famille ». La loi sur le mariage et la famille promulguée en ࠱xe dans son ArticleZ9, l’ge de mariage à Zans pour les hommes et à 18Zans pour les ࠱lles. L’ordonnance sur la population de 3 ࠱xe les droits et les devoirs du citoyen en mati¢re de démographieZ: Article 4Z : réaliser le planning familial, fonder une famille, stable, égalitaire, heureuse, durable et composée de peu d’enfants. Article 1 (alinéaZ )Z: Mari et femme, en tant que couple et qu’individus, ont comme obligationZ: a. d’utiliser toutes les méthodes contraceptives ; b. de préserver leur santé et de trouver les moyens de prévenir les infections génitales, les MST, le sida.
À l’égard de la jeunesse, ce texte reste insu࠳sant. Aussi, des ré࠲exions plus concr¢tes ont-elles été formulées lorsque les décrets d’application de la loi sur la jeunesse deZ ont été discutésZ: ٻZla jeunesse doit être instruite sur les questions de genre, d’amitié, d’amour, de sexualité, de mariage et de famille ; ٻZ avant de fonder une famille heureuse et durable, chaque homme et chaque femme sont responsables de leur suivi médical et de l’obtention des certi࠱cats médicaux de bonne santé. Le ViêtZNam est considéré aujourd’hui comme un des pays o³ le taux d’avortement est le plus élevé au monde. Le numéro du journal 1uզi trՌ (La࢙jeunesse) du 1Zseptembre 6 explique que ࢠ des avortements concernent les jeunes, que ࢠ des ࠱lles accouchent avant d’atteindre leurs 18Z ans et que 1 ࢠ des ࠱lles de moins de Zans sont dans le même cas. eaucoup de jeunes femmes qui avortent en clinique, beaucoup de jeunes drogués qui viennent y passer le testZHIV se désaffilient de leur religion. L’Église catholique n’a pas encore mené d’enquête réelle sur la jeunesse étudiante ou sur les jeunes migrants (parmi lesquels beaucoup viennent des bastions catholiques) pour considérer la physionomie d’ensemble de ces probl¢mes qui touchent aussi ses jeunes. 3
« Vivre sa foi aujourd’hui »
Dans les zones rurales pauvres, le pourcentage de mariages précoces pointe des insu࠳sances dans l’application de la loi. Les jeunes viennent en ville pour travailler, vivre, étudier mais lorsqu’ils décident de se marier, ils reviennent en général à l’église de leur paroisse. Pour les catholiques, le mariage à l’église est vraiment porteur de sens et reste perçu comme une obligation. Il n’exige pas de certi࠱cats médicaux ou d’attestations de santé. La délicate gestion des travailleurs migrants catholiques a mené petit à petit à la situation de ne plus pouvoir contr®ler les ࠲éaux sociaux ou les mariages précoces ni sur les lieux d’origine, ni sur les lieux d’immigration. La question du rapport que la jeunesse entretient avec la religion fait s’en poser de multiples autres. Elle se formalise en conformité aux directives et aux politiques sur la jeunesse du Vatican, de la conférence des évêques d’Asie, de la conférence épiscopale du ViêtZNam. En dépit de l’esprit du concile VaticanZII, fait de dialogue, d’ouverture et d’adaptation de l’église à la société locale, on attribue toujours à la pensée socialiste un r®le particulier dans ses relations à la pensée catholique. Les positions traditionnelles de l’église en mati¢re de modes de vie de la jeunesse ou du planning familial concernent uniquement la mise en application des méthodes contraceptives naturelles. Aussi sont-elles, en réalité, encore éloignées des politiques de l’État qui édictent que chaque famille doit avoir un ou deux enfants maximum pour que les caractéristiques d’ensemble de la jeunesse soient rehaussées. Sur le plan de la citoyenneté, les jeunes catholiques ont les mêmes droits et devoirs que l’ensemble de la jeunesse citoyenne du ViêtZ Nam. Ils doivent respecter les « normes juridiques relatives aux droits et devoirs de la jeunesse » que l’État promulgue pour « édifier la patrie du ViêtZNam socialiste » selon des objectifs politiques concretsZ: « un peuple riche, un pays fort, une société égalitaire, démocratique, civilisée ». Devenir membre des jeunesses d’avant-garde ou des mouvements de jeunesse dans les écoles primaires est une étape importante pour acquérir une morale universelle et pour gagner en maturité grce aux e࠰orts qui y sont fournis. Par ailleurs, ces normes sont aussi une façon de préserver la morale des jeunes qui souhaitent ensuite intégrer une organisation sociopolitique légale. En considérant ces deux aspects, on comprend donc que pour réaliser harmonieusement l’adage « une bonne vie, une belle religion » (tբt Ëծi, ËՊp ËԲo), la pensée des jeunes catholiques doit nécessairement frayer un cheminement intérieur complexe balisé d’un c®té par les normes sociales de la citoyenneté (en l’occurrence la loi sur la jeunesse) et de l’autre par les normes religieuses du droit canon. Depuis la politique d’ouverture, on voit clairement le nombre d’étudiants catholiques augmenter réguli¢rement à l’université et dans les grandes écoles. Une grande partie de ces étudiants est membre des jeunesses communistes ; ils participent simultanément à l’organisation syndicale de leur école, aux activités paroissiales du « groupe d’él¢ves catholiques » en engageant des activités et des discussions a priori assez similaires. Mais si l’on se réf¢re à une seule orientation de pensée, on s’aperçoit alors que les di࠰érences sont nombreuses 31
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et que les manifestations formelles rel¢vent du pragmatisme. LaZ situation est similaire pour les él¢ves catholiques du secondaire. Existe-t-il chez ces jeunes ࠱d¢les un sentiment distinct d’appartenance communautaire et d’appartenance religieuse S’agit-il d’une manifestation identitaire commune à la jeunesse qui se distinguerait uniquement lors des activités religieuses Le nombre croissant de catholiques à l’université et dans les grandes écoles est un marqueur positif qui rév¢le notamment l’assouplissement et l’ouverture de la politique sociale, culturelle et éducative de l’État ; de même qu’il fait prendre conscience de l’apport intellectuel de la communauté catholique. L’expression de la foi religieuse découle en grande partie de l’in࠲uence des identités culturelles nationales et des conditions géo-religieuses concr¢tes. L’universalité des résolutions du droit canon ࠱xe cependant une similitude des expressions du développement communautaire. Les travaux sur la jeunesse scrupuleux et objectifs menés notamment par les chercheurs de l’École pratique des hautes études et du laboratoire Groupe Sociétés, -eligions, La©cités (GS-LZ: 4ves Lambert, Denis Pelletier )ڎnous sont utiles pour aborder la physionomie de la jeunesse catholique vietnamienne, surtout depuis que se réduisent les di࠰érences Est-Ouest et que se forme, petit à petit, un « monde plat ». En févrierZ 7, nous avons mené une enquête indépendante aupr¢s d’un groupe de jeunes écoliers et d’étudiants catholiques, dans plusieurs écoles secondaires, universités et grandes écoles de Hanoi. La définition de l’ge des sujets qui forment la jeunesse a suscité de nombreux débats. Une telle approche par ge n’est en e࠰et pas uni࠱ée. Selon l’OMS, un mineur (thnh ni¤n) est dé࠱ni comme une personne gée deZ 1 àZ 19Z ans, un junior/jeune homme (thanh niên) est lui gé deZ18 àZ 4Zans. Pour l’OMS toujours, la jeunesse comprend donc l’ensemble des personnes gées entreZ1 etZ 4Zans. Au ViêtZNam, l’activité des mouvements de jeunesse concerne des gens gés deZ9 àZ3Zans. En Asie orientale, 3Zans est considéré comme l’ge de maturité. LaZlimite d’ge de la jeunesse est ࠱xée à 3Zans, lorsqu’on entre en pleine capacité de son développement intellectuel, de ses compétences, de son autonomie. Mais dans la période que l’on traverse, on estime en même temps que c’est ce groupe de personnes qui rencontre le plus de probl¢mes psychologiques et physiques, et qui éprouve en particulier des di࠳cultés à se reproduire. Dans notre étude sur les modes de vie, nous avons ciblé les jeunes gés deZ18 àZ Zans, qui ont suivi une formation supérieure et qui forment l’élite de l’Église. Dans ce groupe de ࠱d¢les, les cas de conscience sont plus faciles à détecter qu’aupr¢s de jeunes qui ont un niveau d’études inférieur ou qui sont précocement entrés dans la vie active. Le groupe des lycéens et des étudiants est considéré comme le noyau dur de la jeunesse catholique. Parmi les 1Z personnes interrogées, 1Zétaient des hommes ; un était de niveau masterZet Zde niveau universitaire ; sur les 4Z ࠱lles, 33 étudiaient à l’université. Les autres étaient des jeunes d’écoles supérieures et secondaires, voire de primaire générale pour quelques-unes d’entre elles. La question posée était la suivanteZ: classez par centre d’intérêt (de 1ZàZ8) les th¢mes suivantsZ: 3
« Vivre sa foi aujourd’hui »
1. santé ;
. amour et famille ; 3. religions, croyances ; 4. démocratie ; . nature et environnement ; 6. argent ; 7. travail ; 8. équité de la loi.
Il s’agit d’une des 3Zentrées du questionnaire sociologique que nous avons posé aux enquêtés catholiques sans distinction de sexe, d’ge, de niveau d’études et de profession. Nous avons choisi cette question pour saisir ce que signi࠱e vouloir vivre dans l’esprit de « se rénover soi-même » (Canh tn bԴn thn), expression que l’on trouve dans la Lettre pastorale de 6 et qui est tout particuli¢rement destinée à cette frange éduquée de la jeunesse catholique. Les résultats de l’enquête concordent assez logiquement avec les approches théoriques du changement social à laquelle nous nous sommes intéressée précédemmentZ: 4 , 7 ࢠ des gens interrogés consid¢rent la santé comme leur premi¢re préoccupation ; Le th¢me « amour et famille » est classé en premier par 19, 9 ࢠ, en second par 4 , 73 ࢠ et en troisi¢me pour
, 73 ࢠ des gens interrogés ; La religion et les croyances sont un centre d’intérêt assez bien placéZ:
, 4 ࢠ des enquêtés placent cette entrée en premier, 6, 36 ࢠ en second et
, 4 ࢠ enZtroisi¢me ; 1, 91 ࢠ placent le travail en premier. L’argent ne semble pas être d’un intérêt majeur pour les jeunes. À l’inverse des questions ci-dessus, les aspects plus abstraits comme la démocratie, l’équité de la loi, l’environnement ne semblent pas intéresser les jeunesZ: seuls , 91 ࢠ de la jeunesse croyante consid¢rent la démocratie comme un probl¢me qu’il faut placer en premier, 3, 61 ࢠ le classent en second, 3, 64 ࢠ en troisi¢me. Concernant la nature et l’environnement, même si tous les quotidiens et les médias de masse alertent constamment sur les dangers de la pollution au ViêtZNam et dans les pays en voie de développement, il semble que les jeunes ne s’en préoccupent pas. , 91 ࢠ consid¢rent cette entrée comme probl¢me majeur, , 91 ࢠ le placent en second, 9, 9 ࢠ en troisi¢me. L’équité de la loi reste actuellement assez éloignée des préoccupations quotidiennes de la jeunesseZ: , 91 ࢠ le placent en premier, , 73 ࢠ en second, , 73 ࢠ en troisi¢me. Pour estimer la physionomie actuelle de la jeunesse (donc de la jeunesse pratiquante), on doit se fonder sur di࠰érents éléments comme le niveau de réussite professionnelle, la ma¨trise des nouvelles technologies, l’esprit d’innovation ڎet prendre en considération l’ensemble des droits et des devoirs essentiels de la jeunesse. Au vu des résultats ci-dessus, l’ébauche fait naturellement voir que la raison d’être des jeunes est aujourd’hui principalement motivée par des questionnements individuels plut®t que par les grands idéaux politiques et sociaux que leurs parents ont mis en œuvre. L’esprit de la Lettre pastorale de 6 incite les jeunes catholiques à se rénover par eux-mêmes pour mieux servir. C’est en même temps une orientation 33
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raisonnable qui s’accorde en ce début de XXIeZsi¢cle avec celle ࠱xée à la jeunesse vietnamienne dans son ensemble et qui veut que « là o³ il y a besoin de la jeunesse on la trouve, là o³ il y a des di࠳cultés on peut compter aussiZsur elle ».
&&&ࢩ/¤PRIQ>QABPBKNR¥QBP Santé (1)
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Amour et famille ( )
-eligions, croyances (3)
Démocratie (4)
Environnement, écologie ()
47, 7 ࢠ
19, 9 ࢠ
, 4 ࢠ
, 91 ࢠ
, 91 ࢠ
16, 36 ࢠ
4 , 73 ࢠ
6, 36 ࢠ
3, 64 ࢠ
, 91 ࢠ
4, ࢠ
, 73 ࢠ
, 4 ࢠ
3, 64 ࢠ
9, 9 ࢠ
, 4 ࢠ
6, 36 ࢠ
1, ࢠ
, 91 ࢠ
11, 8 ࢠ
, 91 ࢠ
4, ࢠ
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1, 8 ࢠ
1, ࢠ
3, 64 ࢠ
, 91 ࢠ
3, 64 ࢠ
6, 36 ࢠ
, 91 ࢠ
, 91 ࢠ
3, 64 ࢠ
1, 8 ࢠ
13, 64 ࢠ
6, 36 ࢠ
, 91 ࢠ
, ࢠ
, ࢠ
9, 9 ࢠ
, ࢠ
1, ࢠ
1, ࢠ
1, ࢠ
1, ࢠ
1, ࢠ
Argent (6)
Travail (7)
Équité de la loi (8)
, 73 ࢠ
1, 8 ࢠ
, 91 ࢠ
1, 8 ࢠ
7, 7 ࢠ
, 73 ࢠ
, 91 ࢠ
1, 91 ࢠ
, 73 ࢠ
8, 18 ࢠ
, 4 ࢠ
1, 91 ࢠ
, 91 ࢠ
17, 7 ࢠ
19, 9 ࢠ
19, 9 ࢠ
1 , 73 ࢠ
16, 36 ࢠ
8, 18 ࢠ
, ࢠ
, 73 ࢠ
38, 18 ࢠ
4, ࢠ
4, ࢠ
1, ࢠ
1, ࢠ
1, ࢠ
« Vivre sa foi aujourd’hui »
Centres d’intérêts
Santé (1)
Amour et famille (2)
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Religions, croyances (3) Démocratie (4)
Nature et environnement (5)
Argent (6)
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« Vivre sa foi aujourd’hui »
Travail (7)
Équité de la loi (8)
Références bibliographiques Cc quV phԲJ php luԾt liên quan ËՐn quVՒn v nghãa vն cոa thanh niên [Les norJes juridiques concernant les droits et les devoirs de la jeunesse], Nxb ch§nh trՠ quզc gia, Hanoi 6. Hip th®ng [CoJJunion, bulletin d’information de la conférence des évêques du ViêtZNam] 37 (sept.-oct. 6). LuԾt 1hanh niên cոa Jժt sբ nŪլc trên thՐ giլi [La loi sur la jeunesse dans diࠨérents paVs du Jonde], Nxb ch§nh trՠ quզc gia, Hanoi 6. Cc ThŪ chung cռa Hծi gim mպc Viêt Nam [Lettres communes de la conférence des évêques du Viêt Nam des années 198, 1, 4, 5 et 6]. Vģ Thՠ ThiՖng, LŪu §ch Ngբc, « Sվc khդe sinh sԸn cռa thanh niên Vi՜t Nam » [Sexualité et jeunesse vietnamienne], programme d’enquête -hiya, Hanoi
6.
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LES CATHOLIQUES FRANÇAIS "1)/-2)&.2").2"
Denis PELLETIER Groupe Sociétés, Religions, Laïcités École pratique des hautes études, Paris
&2KPF£@IBAB@LK࠳FQPBQAB@LJMOLJFP 1. Le trauJatisJe de ien que la la©cité française ne se confonde pas avec la séparation des Églises et de l’État, la loi deZ195 a été un moment fort de l’a࠰rontement entre l’Église catholique et la -épublique. Pourtant, d¢sZ195, les voies d’un compromis se dessinaient déjà. Nous pouvons analyser cette situation paradoxale en quatre points. a. La séparation des Églises et de l’État intervient apr¢s plusieurs années d’a࠰rontement entre les dirigeants du catholicisme français et les dirigeants républicains1. Ces derniers sont au pouvoir depuisZ 1879. Durant les annéesZ 1881-1886, ils ont voté une série de lois qui la©cisaient l’école primaire. Aux yeux des -épublicains, l’école publique devait devenir le lieu o³ les enfants français feraient l’apprentissage de la citoyenneté. Une morale républicaine, fondée sur la science, devait remplacer la morale catholique. ÀZpartir deZ1897, l’opinion française fut secouée par l’a࠰aireZ Dreyfus, au cours de laquelle les élites catholiques se retrouv¢rent en majorité dans le camp des antidreyfusards, à la fois hostiles à Dreyfus et à la -épublique . Au début du XXeZsi¢cle, les républicains vot¢rent une série de lois qui avaient pour but d’interdire les congrégations religieuses, de contr®ler la formation d’associations religieuses et de réduire le pouvoir de l’Église. Les lois anticléricales avaient pour but de renforcer la démocratie à laquelle le catholicisme semblait
1. J.-M.Z MAYEUR, La séparation des Églises et de l’État, Éditions de l’Atelier, Paris 5 ; J.Z LALOUETTE, La séparation des Églises et de l’État, Seuil, Paris 5 ; M.Z LARKIN, Church and State after the !reVfus Aࠨair 1he Separation Issue in #rance, Macmillan, Londres 1974 ; D.ZMOULINET, J.-P.ZCHANTIN (éd.), La séparation de࢙ Les hoJJes et les lieux, Éditions de l’Atelier, Paris 5.
. J.-M. MAYEUR, « Les catholiques français », dans M.ZDROUIN (dir.), L’Aࠨaire !reVfus de A Z, Flammarion, Paris 1994, p. 33-341 ; P.ZPIERRARD, Les chrétiens et l’aࠨaire !reVfus, Éditions de l’Atelier, Paris 1998.
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!enis Pelletier
s’opposer. eaucoup de catholiques avaient donc des raisons de penser que la loi deZ195 avait au fond pour but de les faire dispara¨tre du paysage politique et même culturel français 3. b. Il y avait déjà eu des projets de séparation tout au long du XIXeZsi¢cle. ,uant à l’idée de la©cité, elle était considérée par les catholiques, à juste titre, comme un héritage de la -évolutionZ française. Or, la -évolutionZ française représentait aux yeux de beaucoup d’entre eux une catastropheZ: « Ce qui distingue la -évolutionZ française, et qui en fait un événement unique dans l’histoire, c’est qu’elle est mauvaise, absolument 4 », avait écrit Joseph deZMaistre enZ1796. En renversant la monarchie de droit divin, la -évolution française avait dépossédé le catholicisme de son pouvoir politique 5. DeZ181 àZ195, la France vécut sous le régime duZconcordat. Sous ce régime (dans ce syst¢me), ce n’était plus l’Église qui était à l’origine de l’État, mais l’État qui protégeait les cultes, tous les cultes, y compris le protestantisme et, à partir deZ1831, le juda©sme. En mettant ࠱n au concordat, les républicains mettaient en œuvre une idée de la la©cité dans laquelle les religions devaient être tenues à l’écart de l’espace public politique 6. Si protestants et juifs acceptaient sans mal la la©cité et la Séparation, il n’en allait pas de même pour les catholiques. Ces derniers y voyaient l’ach¢vement d’un processus qui avait commencé avec la déchristianisation révolutionnaireZ: le traumatisme deZ195 renforça celui de 1789-179 . c. Pour comprendre cette histoire, il faut bienZsµr prendre en compte le r®le de la papauté. Depuis le milieu du XIXeZ si¢cle, -ome considérait que l’Église catholique était une « forteresse assiégée » par la modernité. En 1864, le pape PieZIX publia le SVllabus, un catalogue des « erreurs modernes » au premier rang desquelles il fallait compter l’idéologie du progr¢s, le libéralisme et le rationalisme. Plus diplomate, le pape LéonZXIII invita enZ1891 les catholiques français à se rallier à la -épublique 7. Mais cette ouverture échoua devant la mé࠱ance des évêques et celle des républicains, puis à cause de l’a࠰aireZDreyfus. Au début du XXeZ si¢cle, l’Église catholique était secouée, particuli¢rement en France, par le débat entre vérité religieuse et vérité scienti࠱que 8. Or, on l’a dit, nombre
3. Ch. SORREL, La République contre les congrégations Histoire d’une passion fran¡aise - , Cerf, Paris 3 ; P.ZCABANEL, J.-M.ZDURAND (éd.), Le grand exil des congrégations religieuses fran¡aises -, Cerf, Paris 5. 4. J. DEZMAISTRE, Considérations sur la France, Londres 1796. 5. M. VOVELLE, , la Révolution contre l’Église !e la Raison l’être suprêJe, Complexe, ruxelles 1988. 6. J. AUBÉROT, Laïcité -
Entre passion et raison, Seuil, Paris 4 ; « La -épublique ne reconna¨t aucun culte », Archives de sciences sociales des religions, njZ 1 9, janvier-marsZ 5Z(-.ZHERMON-ELOT, éd.) ; « La©cité, séparation, sécularisation 195- 5 », VingtièJe siècle Revue d’Histoire 87 (juil.-sept. 5), J.-F.ZCHANET, D.ZPELLETIER, éd. 7. D.ZPELLETIER, Les catholiques en France depuis , La Découverte, Paris 1997, p.Z48-49 ; K. CHADWICK (éd.), CatholicisJ, Politics and SocietV in 1Tentieth CenturV France, Liverpool University Press, Liverpool 1. 8. P. COLIN, L’audace et le soup¡on La crise du JodernisJe dans le catholicisJe fran¡ais -, Desclée de rouwer, Paris 1997 ; M. GUASCO, Il ModernisJo I fatti, le Idee, i
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de républicains voulaient fonder la morale collective sur la science, contre la religion qu’ils assimilaient à une superstition. En 196, le pape PieZX refusa la loi de séparation, et obligea les évêques français à adopter son point de vue. Deux raisons expliquent son intransigeance. D’une part, mal informé par les milieux conservateurs, le pape surestimait le mécontentement des ࠱d¢les français face à la loi ; d’autre part, il craignait que d’autres pays ne suivent l’exemple de la France, ce qui aurait renforcé l’isolement de -ome sur la sc¢ne italienne et internationale. d. Pourtant, en 195 déjà, on rencontrait dans la société française des forces qui pouvaient apaiser le con࠲it entre l’Église catholique et l’État républicain. EnZ 194-195, un premier projet de loi, beaucoup plus rigoureux contre les religions, fut repoussé à la suite de la protestation d’intellectuels et d’hommes politiquesZ : ils ne voulaient pas d’une la©cité hostile aux religions, mais d’un simple partage des r®les entre le politique et le religieux. Parmi les catholiques, un certain nombre de libéraux, souvent républicains et qui avaient soutenu l’innocence du capitaine Dreyfus, étaient prêts à faire « l’essai loyal » de la loi de séparation. En࠱n, il est remarquable de constater que les Français eux-mêmes, dont plus de 8 ࢠ étaient de confession catholique, accept¢rent cette séparationZ: aux élections législatives deZ196, ils plac¢rent à nouveau au pouvoir la majorité radicale qui venait de voter la séparation.
. L’apaiseJent progressif des conࠪits Pour comprendre la mani¢re dont le catholicisme français a ࠱ni par accepter l’idéal de la©cité construit par des républicains souvent anticléricaux, il faut se rappeler que ce catholicisme n’a jamais été monolithique. Il a toujours été pluraliste. D¢s le début du XXeZsi¢cle, on rencontre des dirigeants catholiques hostiles à la démocratie, et d’autres qui l’acceptent. On rencontre aussi des militants qui font de la politique, et d’autres qui s’engagent sur le terrain social. Entre les annéesZ19 et les annéesZ196, on peut distinguer trois processus 9. a. La plus grande partie des militants catholiques se détournent de la politique pour s’engager sur le terrain social et culturel. Ils pro࠱tent de la loi deZ191, qui autorise de mani¢re tr¢s souple l’organisation d’associations (c’est cette loi qui a permis la création des partis politiques, et qui a fait de la France un des pays o³ le mouvement associatif est le plus développé du monde), pour créer des mouvements de jeunes, des syndicats professionnels, des organisations d’éducation populaire. Ils sont souvent hostiles à la -épublique la©que et lui reprochent sa politique anticléricale. Mais ils utilisent l’espace démocratique que leur o࠰re cette -épublique pour exprimer leurs idées, défendre leurs intérêts et tenter de transformer la société. D’une certaine mani¢re, ils participent donc au débat démocratique, à la démocratie quotidienne, et donc à la formation d’une culture
personnaggi, San Paolo Edizioni, -omeZ1995. 9. D. PELLETIER, « Un si¢cle d’engagements catholiques », dans .Z DURIEZ, E.Z FOUILLOUX, D.Z PELLETIER, N.Z VIET-DEPAULE, Les catholiques dans la République -
, Éditions de l’Atelier, ParisZ 5, p.Z19-5.
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républicaine. Peu à peu, cet engagement militant les rapprochera de l’idéal la©c. Au début des annéesZ 196, la plupart de ces mouvements avaient accepté les r¢gles de la vie démocratique. Certains, mêmes, s’étaient ouverts à des militants non chrétiens et avaient renoncé à leur dénomination confessionnelle. b. Un certain nombre de militants politiques, qui étaient souvent des catholiques libéraux, ont joué un r®le important à l’intérieur de la droite française 1. Ceux-là acceptaient de faire la di࠰érence entre leur engagement politique et leur croyance religieuse. Ils étaient catholiques, certes, mais ce n’était pas en tant que catholiques qu’ils s’engageaient en politique. Toutefois, ils ont joué un r®le important dans la mise en place de la politique sociale, de la politique familiale, et aussi dans le cadre de la colonisation. Pendant la Premi¢re Guerre mondiale, ils ont été à la pointe de l’Union sacrée contre l’Allemagne. Entre les deux guerres, ils ont défendu une vision conservatrice de la -épublique, tr¢s attachée à l’ordre social, souvent mé࠱ante à l’égard du su࠰rage universel. EntreZ 194 etZ 1944, certains d’entre eux ont joué un r®le dans la politique du régime de Vichy, qui collabora avec le nazisme 11. Mais d’autres se sont engagés dans la -ésistanceZ: le général deZGaulle est un bon exemple de ces catholiques libéraux et conservateurs, qui défendirent la -épublique par patriotisme tout en étant des chrétiens pratiquants. c. Il faut en࠱n parler d’un troisi¢me processus, dans lequel -ome a joué un r®le. Au début du XXeZ si¢cle, une partie de la bourgeoisie catholique a commencé à soutenir l’ActionZfrançaise de CharlesZMaurras. Fondée enZ1898, l’Action française était une ligue d’extrême-droite, nationaliste, antisémite et xénophobe. Elle refusait la démocratie et rêvait d’un retour à la monarchie. Charles Maurras n’était sans doute pas croyant, mais il défendait le catholicisme contre la -épublique, parce que la religion était pour lui un pilier de l’ordre social réactionnaire qu’il voulait rétablir. EnZ19 6, pour des raisons à la fois politiques et théologiques, le pape PieZXI condamna l’Action française et interdit aux catholiques de la fréquenter 1 . Cette décision ouvrit la voie à la démocratie chrétienne, elle renforça aussi le r®le des militants engagés sur le terrain socialZ: la Jeunesse ouvri¢re chrétienne, la Jeunesse étudiante chrétienne, la Jeunesse agricole catholique, leurs branches féminines, devinrent alors des lieux d’apprentissage de la démocratie, puisque l’engagement nationaliste était désormais interdit 13. ien sµr, les choses ne sont pas simples. eaucoup de militants catholiques, encore mé࠱ants à l’égard de la -épublique, ont soutenu enZ194 le maréchalZPétain et sa « -évolution nationale ». La plupart des évêques ont soutenu jusqu’au bout le
1. H. LEBOVICS, 1rue France 1he 4ars over Cultural Identities
-, Cornell University Press, Ithaca 1995. 11. 2.ZD. HALLS, Politics, SocietV and ChristianitV in VichV France, erg Publishers, Oxford 1995. 1 . J. PREVOTAT, Les catholiques et l’Action française Histoire d’une condaJnation, , Fayard, Paris . 13. G. CHOLVY (dir.), Histoire des organisations et JouveJents chrétiens de jeunesse en France XIXe-XXe siècles, Cerf, Paris 1999.
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régime de Vichy. Mais il y a eu aussi des militants chrétiens dans la -ésistance 14. Lorsque la France fut libérée de l’occupation nazie, enZ 1944, les deux seules nouvelles forces politiques issues de la -ésistance étaient issues du catholicismeZ: le Mouvement républicain populaire était un parti d’inspiration démocratechrétienne, et le mouvement gaulliste était, comme je l’ai déjà dit, marqué par la culture catholique. Ainsi, on peut dire que la Libération de la France marqua la réintégration des catholiques dans la -épublique. Il y avait encore des con࠲its, en particulier à propos de l’école la©que. Mais la constitution deZ1946 mentionna la la©cité parmi ses principes, et les démocrates chrétiens accept¢rent de la voter. ,uant à ceux qui étaient restés nationalistes, ils étaient discrédités par l’échec du régime deZVichy. Ils le furent à nouveau, quelques années plus tard, quand ils défendirent l’Algérie française contre le général deZGaulle. Ce n’est que beaucoup plus tard, dans les annéesZ198, qu’une extrême-droite catholique a recommencé à peser dans le débat politique, en soutenant le Front national de Jean-Marie LeZPen 15. 3. Le tournant des années a. Du milieu des annéesZ196 à la ࠱n des annéesZ197, la société française a traversé une période troublée, dominée par l’interrogation sur les valeurs communes. Les événements de MaiZ 68 ont servi de révélateur à ce changement. Le sociologue HenriZMendras a désigné cette période comme celle de la « Seconde révolution française », une révolution qui fut culturelle et sociale plus que politique 16. D’un c®té, la société française tirait les béné࠱ces de plusieurs décennies de croissance économique, mais les premiers e࠰ets du ch®mage se faisaient sentir, à partir de la « crise du pétrole » en 1973-1974. De l’autre, un certain nombre d’institutions, l’École, l’Université, la Famille, étaient remises en cause par la génération des sixties. C’est aussi le temps de l’émancipation féminine, du combat pour la contraception et pour l’avortement. Avec le recul, on peut penser que cette génération de jeunes gens portait sur ses épaules une mutation profonde de la société française, une mutation qu’elle prenait en chargeZen contestant l’ordre politique et social. D’une certaine mani¢re, comme toutes les sociétés prosp¢res, la société française sortait du temps de la seconde révolution industrielle pour entrer dans la société de consommation et de globalisation qui est la n®tre aujourd’hui 17. Il faut avoir à l’esprit ce contexte pour comprendre la position actuelle de l’Église catholique à l’égard de la la©cité. Durant les annéesZ1968, le catholicisme
14. E. FOUILLOUX, Les chrétiens français entre crise et libération -, Seuil, Paris 1997 ; . COMTE, L’honneur et la conscience Catholiques français en résistance -, Éditions de l’Atelier, Paris 1998. 15. X. TERNISIEN, L’extrêJe-droite et l’Église, repols, Paris 1997. 16. H. MENDRAS, La seconde Révolution française, Gallimard, Paris 1988. 17. K. -OSS, MaV’ and its afterlives, The University of Chicago Press, Chicago ; Ph.ZARTIÈRES, M.ZZANCARINI (éd.), Une histoire collective -, La Découverte, Paris
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a été entra¨né de deux mani¢res dans cette crise des valeurs collectives. D’une part, les catholiques de gauche, en particulier les jeunes, ont participé à la contestation des institutions. Il a existé un « gauchisme chrétien » comme il existait un « gauchisme politique ». D’autre part, la place du catholicisme dans la société française a été modi࠱ée, et l’on peut dire aujourd’hui qu’elle s’est a࠰aiblie 18. Mais cette période de crise religieuse fut aussi une période dynamique. Pour les catholiques, elle est marquée par les conséquences du concile VaticanZ II. De septembreZ196 à décembreZ1965, à quatre reprises, tous les évêques catholiques du monde se réunirent à -ome pour mettre en œuvre ce que l’on appela « l’aggiornamento » de l’Église catholique. Il s’agissait d’une volonté d’ouvrir le catholicisme à la culture moderne, avec ses valeurs d’individualisme, de respect des droits de l’homme, de démocratie, de liberté de croyance, etc. Le Concile a contribué à faire de l’Église un des meilleurs partisans de la la©cité française. b. Pour des raisons multiples, le catholicisme français est sorti a࠰aibli de cette période. Depuis le milieu du si¢cle précédent, son emprise sur la société reposait sur trois piliers qui tous entr¢rent alors en crise. D’une part, le nombre des prêtres commença à diminuer rapidement, à la fois parce que les vocations devenaient plus rares et parce que plus de 1 ࢠ d’entre eux démissionn¢rent pendant la période ٻZon disait qu’ils « retournaient à l’état la©c 19 ». D’autre part, les mouvements catholiques, en particulier les mouvements de jeunes, perdirent aussi une grande partie de leurs militants. En࠱n, l’autorité de l’Église, le magist¢re de -ome et des évêques, fut contestée de toutes parts. À gauche, on reprochait à l’Église de refuser la contraception, l’avortementZ: le concile VaticanZII avait fait na¨tre des espoirs que l’hostilité de -ome à l’égard de la morale moderne devait décevoir . À l’extrême-droite, les catholiques intégristes et les catholiques traditionalistes refusaient de suivre les réformes issues du concile 1. Comme le disait alors Jacques Duquesne, un bon observateur de l’actualité religieuseZ: « ڄ-ome a parlé, le débat est closڅ. Ce vieil adage n’est plus véri࠱é. Au contraire, quand -ome parle, un débat s’ouvre ». En quelques années, la pratique religieuse s’est également e࠰ondrée en France. Du point de vue de l’histoire de la la©cité, cette crise a eu plusieurs conséquences. Parce qu’il semblait tr¢s a࠰aibli, le catholicisme ne faisait plus peurZ: il n’apparaissait plus comme un possible danger pour la -épublique. D’ailleurs, les évêques de France se ralliaient eux-mêmes à la r¢gle démocratique. Depuis la ࠱n des annéesZ 195, ils ne donnaient plus de consigne de vote au moment des élections. EnZ197 , pour la premi¢re fois de leur histoire, ils publi¢rent un document dans lequel ils reconnaissaient o࠳ciellement le pluralisme politique
18. D. PELLETIER, La crise catholique Religion, société, politique en France -, Payot, Paris 5. 19. M. SEVEGRAND, Vers une Église sans prêtres La crise du clergé séculier en France , PU-, -ennes 4.
. M. SEVEGRAND, Les enfants du bon !ieu Les catholiques français et la procréation au XX e࢙siècle, Albin Michel, Paris 1995.
1. L. PERRIN, L’aࠨaire Lefebvre, Cerf, Paris 1989.
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des ࠱d¢les. Ce texte s’intitulait « Pour une pratique chrétienne de la politique ». Désormais, les catholiques étaient autorisés à militer dans tous les partis politiques, y compris au Parti socialiste ou au Parti communiste français. En࠱n, on prit conscience que la crise traversée par l’Église catholique ressemblait fort à celle que subissaient alors les institutions de la -épubliqueZ : de même que l’on quittait les mouvements chrétiens, on commençait à se détourner des partis politiques. De même que l’on contestait les institutions religieuses, on contestait les institutions politiquesZ: l’Université, la Justice, l’État. En quelques années, la -épublique française et l’Église catholique devinrent en quelque sorte solidaires l’une de l’autre, apr¢s s’être a࠰rontées pendant des décennies. C’est ainsi que le catholicisme français a achevé de se rallier à la la©cité française. &&)B@>QELIF@FPJB RKMFIFBOABI>I>ª@FQ¤CO>K¢>FPB 1. Les évêques, l’école, la République a. Depuis le début des annéesZ198, les évêques catholiques français ont publié trois documents consacrés à la politique. Le premier, paru enZ1991, s’intitulait « PolitiqueZ: l’a࠰aire de tous ». EnZ1996, l’engagement politique occupait quatre pages d’un document plus ample, intitulé « Lettres aux catholiques de France » et rédigé apr¢s de tr¢s longues consultations aupr¢s de militants et de ࠱d¢les. En࠱n, un dernier texte est paru enZ1999, sous le titre « -éhabiliter la politique ». Lorsque l’on compare le document deZ1999 à celui deZ197 , on mesure le chemin parcouru par l’Église catholique. Le plus ancien, intitulé « Église, politique et foi », marquait la rupture avec pr¢s d’un si¢cle de dévalorisation de l’engagement politique. Il était en quelque sorte un texte de « rattrapage », dans lequel l’Église de France achevait son ralliement à la -épublique la©que. C’était aussi un document complexe, qui mobilisait les sciences sociales pour un discours théorique sur l’espace public. Le document deZ 1999 est au contraire un texte assez modeste dans lequel les évêques se contentent de se situer comme des acteurs de la vie politique, mais des acteurs comme les autres, sans formuler un magist¢re impératifZ: « Notre foi chrétienne, écrivent-ils, ne nous donne ni instruments originaux d’analyse et de stratégie, ni mod¢les institutionnels à appliquer, mais elle nous incite à contribuer à la recherche commune ». Et, en conclusionZ: « L’Église n’a ni compétence technique propre ni pouvoir institutionnel à ࠱nalité politique ». Le discours est tr¢s consensuel. Mieux, le titre, « -éhabiliter la politique » semble indiquer que l’Église catholique vient au secours d’une -épublique dont la légitimité serait en crise. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. J’ai déjà dit que les évêques de France ne donnent plus de consigne de vote au moment des élections. En fait, ils en donnent deuxZ: d’une part, à plusieurs reprises, ils ont condamné le FrontZnational, c’est-àdire le parti français d’extrême-droiteZdirigé par Jean-Marie LeZPen ; d’autre part, ils appellent les citoyens à participer au vote, et luttent donc contre l’abstention qu’ils présentent comme un danger pour la démocratie. b. D’une mani¢re analogue, l’École n’est plus vraiment un lieu d’a࠰rontement entre l’Église et la -épublique, même si le statut réservé à l’enseignement privé, 45
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tr¢s majoritairement catholique en France, fait encore débat. Apr¢s des décennies d’a࠰rontement, renforcées par le fait que le régime de Vichy, sous la domination nazie, avait favorisé l’enseignement privé, la loiZDebré deZ1959 a établi un équilibre entre l’école privée catholique et l’école publique républicaine. Désormais, la plus grande partie de l’enseignement catholique est ࠱nancée par des fonds publics, sous réserve que les dirigeants des écoles privées acceptent les r¢gles communes en ce qui concerne le recrutement et la formation de leurs professeurs, ainsi que le contenu de leurs enseignements. Il faut rappeler par ailleurs que des aum®niers peuvent intervenir au sein des écoles publiques. Lorsque, enZ1983 etZ1984, Alain Savary, ministre de l’Éducation du gouvernement socialiste de PierreZMauroy, a voulu modi࠱er cet équilibre en faveur de l’école publique, plusieurs centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour l’en empêcher. ,uelques années plus tard, enZ 1994, lorsque François ayrou, ministre de l’Éducation de Jacques Chirac, a voulu faire pencher la balance en faveur de l’enseignement privé, il en a aussi été empêché par l’opinion
. Tout se passe donc comme si les Français avaient enterré la hache de guerre entre l’Église et la -épublique, comme s’ils étaient attachés à l’équilibre auquel on est parvenu apr¢s des décennies de « guerre scolaire ». En fait, les débats sur l’école ont changé de contenu. Ce qui suscite désormais l’inquiétude de l’opinion, c’est l’échec scolaire des él¢ves, c’est la violence à l’école. Et lorsqu’une confession religieuse suscite l’inquiétude de l’opinion, ce n’est plus le catholicisme mais l’islam. Je pense bien sµr à « l’a࠰aire du voileZislamique » et à la loi qui a interdit les signes religieux à l’école en 4 3. Les évêques de France ont marqué leur opposition à cette loi, qu’ils estimaient inutile et injuste. Mais ils ont rappelé que les citoyens devaient obéir à la loi. D’une certaine mani¢re, ils sont devenus de fermes défenseurs de la la©cité, dans laquelle ils voient un élément de liberté philosophique et religieuse. Ils consid¢rent que la -épublique la©que et l’Église catholique ont en commun le respect des droits de la personne humaine.
. Ce qui a changé dans le paVsage politico-religieux français a. On ne peut comprendre cette réconciliation entre les catholiques et la -épublique sans prendre en compte l’évolution du paysage politico-religieux. En janvierZ 7, un sondage d’opinion paru dans le magazine Le Monde des religions a fait le point sur les appartenances religieuses en France. À la questionZ: « ,uelle est votre religion, si vous en avez une », les réponses étaient les suivantesZ: ٻcatholiqueZ: 51 ࢠ ; ٻsans religionZ: 31 ࢠ ; ٻchrétienne sans précisionZ: 5 ࢠ ;
. J.-F. CHANET, « Du Comte de Falloux aux mécomptes de François ayrou », VingtièJe siècle Revue d’histoire 87 (juil.-sept. 5), p. 1-4.
3. D. PELLETIER, « L’École, l’Europe, les corpsZ : la la©cité et le voile », VingtièJe siècle Revue d’histoire 87 (juil.-sept.Z 5), p.Z159-176 ; « Tradition, séparation, intimité. Les ڄsignes d’appartenance religieuse څdans une société sécularisée », dans Les voiles dévoilés, pudeur, foi, élégance, Éditions lyonnaises d’Art et d’Histoire, Lyon 9, p.Z96-11.
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ٻmusulmaneZ: 4 ࢠ ; ٻprotestanteZ: 3 ࢠ ; ٻjuiveZ: 1 ࢠ ; ٻautres religionsZ: 1 ࢠ ; ٻne se prononcent pasZ: 4 ࢠ. Du point de vue qui nous préoccupe, il y a deux mani¢res d’interpréter ce sondage. On peut souligner le recul du catholicisme en FranceZ: à peine la moitié des Français se réclament désormais d’une confession religieuse qui a longtemps été en situation de domination hégémonique, et qui l’était encore voici cinquante ans. De ce point de vue, l’emprise de l’Église catholique sur la société française s’est considérablement a࠰aiblie. Mais on peut aussi souligner que ce recul s’est surtout produit au pro࠱t des non-croyantsZ: catholiques et non croyants réunis représentent toujours au moins 8 ࢠ de la société française ; chrétiens et non croyants représentent 89 ࢠ de la société française, contre seulement 6 ࢠ aux religions non chrétiennes. La société française demeure massivement dominée par la confrontation entre les chrétiens et les non-croyants, c’est-à-dire, d’une certaine mani¢re, entre les catholiques et la -épublique. Or, la société française a désormais le sentiment d’être devenue une société multiconfessionnelle 4. Autrement-dit, le multiconfessionalisme français est paradoxalZ: c’est un multiconfessionalisme vécu, et qui doit à ce titre être pris au sérieux. Mais la statistique ne le con࠱rme pas vraiment. Aucune autre confession que le catholicisme ne dépasse 4 ࢠ de la population. On peut expliquer ce contraste entre la statistique et le sentiment dominant d’une mani¢re assez simpleZ: d’une part, l’islam, récemment devenu la deuxi¢me confession religieuse française, modi࠱e l’équilibre de la la©cité, suscite tant®t l’intérêt, tant®t l’inquiétude de l’opinion parce qu’il semble particuli¢rement dynamique 5. D’autre part, c’est par ses marges et ses minorités que le champ religieux dans son ensemble se recompose. Le r®le historique d’une confession religieuse n’est évidemment pas seulement lié à son poids démographiqueZ: dans l’histoire de la France comme dans celle de l’Europe, le juda©sme tient une place sans commune mesure avec la proportion de croyants juifs dans la population. Aujourd’hui, dans une conjoncture de déstabilisation des grandes institutions religieuses, les groupes minoritaires sont devenus plus visibles, ils p¢sent davantage dans l’invention des nouvelles mani¢res de croire 6. b. D’un point de vue politique, cette situation a des conséquences pour les catholiques et leurs dirigeants. D’un c®té, membres d’une confession dominante, ils se sentent aussi davantage que les autres visés par la critiqueZ : l’historien catholique -enéZ-émond parle ainsi d’un « nouvel anti-christianisme » qui est
4. D. PELLETIER, « Les transformations du champ religieux en France depuis 1958 », dans J.Z GARRIGUES, S.Z GUILLAUME, J.-F.Z SIRINELLI (dir.), CoJprendre la Ve࢙ République, PUF, Paris
1, p. 85-13.
5. O. -OY, La laïcité face l’islaJ, Stock, Paris 5 ; M. ARKOUN (éd.), Histoire de l’islaJ et des JusulJans en France, Albin Michel, Paris 6.
6. D. HERVIEU-LÉGER, Le pèlerin et le converti La religion en JouveJent, Flammarion, Paris 1999 ; La religion en Jiettes ou la question des sectes, Calmann-Lévy, Paris 1.
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à ses yeux un « nouvel anti-catholicisme 7 ». Les catholiques peuvent être tentés de se comporter comme les porte-paroles de l’ensemble des croyants, toutes religions confondues, aupr¢s des autorités politiques. Mais, d’un autre c®té, ils ont le sentiment d’être devenus minoritairesZ: si plus de 5 ࢠ des Français se disent encore catholiques, moins de 1 ࢠ d’entre eux ont encore une pratique religieuse canonique et réguli¢re 8. Ceux qui se disent catholiques sont nombreux, ceux qui observent le catholicisme de la mani¢re dont -ome le souhaite ٻZles catholiques pratiquants au sens classique du termeZ ٻsont au contraire peu nombreux. Monseigneur Hippolyte Simon, voici quelques années, s’interrogeait sur le fait qu’on allait peut-être « vers une France pa©enne 9 ». Il visait par là l’incapacité de l’Église à convaincre les Français qui se réclament d’elle de suivre ses préceptes. La sociologue Dani¢leZHervieu-Léger a récemment parlé de « l’exculturation du catholicisme français », une mani¢re de désigner le fait que le catholicisme n’est plus capable de peser sur l’espace social et les représentations collectives des Français, et qu’il sort en quelque sorte de la culture commune 3. ien sµr, les choses ne sont pas si simples. Culturellement, socialement, le catholicisme est encore bien présent dans la société française. Il est présent comme un patrimoine, rendu visible par les édi࠱ces religieux, et comme une histoire commune, un héritage partagé même par ceux qui ne s’en réclament pas directement. Il est présent comme une sorte de répertoire d’images et de récits mis à la disposition de tous, y compris de ceux qui n’y croient pas. Il est aussi présent, comme les autres confessions religieuses, dans les comités d’expertise mis en place par la -épublique, en particulier dans les comités d’éthique. Or, ces questions de la morale collective, de la mémoire commune, du patrimoine et de l’histoire, sont devenues des enjeux politiques de premi¢re importance. Au fond, on peut dire que la réconciliation entre la -épublique et le catholicisme a été en grande partie rendue possible par une « culturalisation » du politique. 3. Les nouveaux enjeux de la laïcité Cette réconciliation est-elle compl¢te Pour répondre à cette question, nous devons prendre la mesure des nouveaux enjeux de la la©cité. Le premier de ces enjeux est sans doute l’émancipation féminine et, plus généralement, la question du genre. Pendant longtemps, les femmes avaient été tenues à l’écart de la -épublique la©queZ: ce n’est qu’apr¢s la seconde guerre mondiale qu’elles ont obtenu le droit de vote. À travers la récente « a࠰aire du foulard islamique », les débats sur le statut des femmes dans la société ont croisé la question de la la©cité. Au même moment, on posait la question de la parité homme-femme dans la vie publique et politique. Des questions analogues sont posées à propos de la recomposition du mod¢le familial. Légiférer sur les familles nouvelles, sur
7. -. -ÉMOND, Le nouvel anti-christianisJe, Desclée de rouwer, Paris 5.
8. C. MULLER, J.--. ERTRAND, ,³ sont passés les catholiques , Desclée de rouwer, Paris
.
9. H. SIMON, Vers une France païenne , Cana, Paris 1999. 3. D. HERVIEU-LÉGER, CatholicisJe, la ࠩn d’un Jonde, ayard, Paris 3.
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Les catholiques français et la République laïque
l’homoparentalité, le mariage homosexuel, les familles recomposées, a été posé par un certain nombre d’intellectuels et d’intellectuelles, par des hommes et des femmes politiques, comme une exigence de la la©cité 31. Il en va de même de toute une série de lois qui ont pour conséquences l’intervention de l’État dans ce qui était autrefois considéré comme la sph¢re intimeZ: cela va de la libéralisation de l’avortement jusqu’à la lutte contre les violences conjugales. En࠱n, les politiques du corps, depuis la biogénétique jusqu’à l’accompagnement des mourants et la question de l’euthanasie, en passant par la procréation assistée et le travail sur les cellules-souches, ont également été présentées en termes de la©cité. Or, sur chacun de ces domaines, l’attitude de l’Église catholique est restée particuli¢rement intransigeante. ,u’il s’agisse du féminisme, de la procréation assistée, des nouvelles mani¢res de « faire famille », -ome et les évêques ont tendance à refuser toute prise de distance à l’égard de ce qu’ils consid¢rent comme un « ordre naturel » menacé par les technologies nouvelles, par le relchement moral, et par l’introduction d’une logique mercantile appliquée aux corps et aux tissus vivants. Or ces questions ont ࠱ni par prendre une place importante dans le débat sur la la©cité, ce qui pourrait marquer les limites du ralliement de l’Église catholique à la la©cité. Il ne faut pas toutefois réduire le catholicisme français au magist¢re de -ome ou des évêquesZ: comme tous les Français, les catholiques français sont probablement divisés sur ces enjeux, ce qui n’interdit pas l’apaisement par ailleurs. Ainsi, la question posée dans le titre de cette intervention conduit-elle à une réponse nuancée. Le rapprochement progressif entre l’Église catholique et l’État la©que est d’abord, en France, le résultat d’un long processus d’a࠰rontements et de compromis, l’aboutissement d’un mouvement par lequel deux adversaires, à force de s’a࠰ronter et de rechercher des issues à leurs con࠲its, ont ࠱ni par se reconna¨tre mutuellement. Mais cet apaisement a partie liée avec l’a࠰aiblissement objectif des deux récents partenaires. D’une part l’Église, devenue minoritaire, d’autant plus consensuelle dans ses prises de positions politiques qu’elle a dµ renoncer à une grande partie de son emprise sur la société depuis les annéesZ197, ne fait plus peur à l’État qui peut même avoir recours à elle pour des raisons d’apaisement social ou d’expertise morale. D’autre part, la -épublique est désormais en quête d’une légitimité que lui conteste notre « société des individus », et la réconciliation avec l’Église catholique (avec les religions, plus généralement) peut correspondre à la recherche des valeurs communes qui permettraient de résister à la crise générale du sens commun. Dans cette perspective, la France s’orienterait de plus en plus vers une la©cité de compromis avec les confessions religieuses, ce qui reviendrait à rapprocher son mod¢le de celui de la plupart des autres pays en Europe et dans le monde 3 .
31. E. FASSIN, Libertés, égalité, sexualités Actualité politique des questions sexuelles Entretiens avec Clarisse Fabre, elfond, Paris 4 ; F. ROCHEFORT, « La©cité et droits des femmesZ: quelques jalons pour une ré࠲exion historique », Archives de philosophie du droit 48 ( 4), p. 95-17. 3 . J.-P. WILLAIME, Europe et religions Les enjeux du XXIe siècle, Fayard, Paris 4.
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LES CATHOLIQUES VIETNAMIENS FACE À UNE TRANSFORMATION AUSSI SINGULIÈRE QUE NÉCESSAIRE
NGUYՙN Nghՠ Institut des sciences sociales du Sud du Viêt࢙+aJ en retraite
Jusqu’à récemment, l’ensemble de l’Église vietnamienne et des catholiques en particulier ont eu tendance à vivre leur religion, à préserver leur foi, bref à pratiquer plut®t qu’à penser une théologie qui façonnerait un syst¢me correspondant à leur conviction religieuse. &2KBQBKA>K@BSFSOBMIRQ¯QP>CLFNRڂMBKPBOI>QE¤LILDFB Faire ces remarques am¢ne à pointer le manque d’ambition de projets théologiques qui auraient pu mener les catholiques vietnamiens à élaborer au cours des si¢cles précédents leur propre syst¢me et leur propre méthode. Cette absence est facilement observable lorsqu’on s’intéresse aux églises catholiques, ou chrétiennes en général, dans des régions qui ne sont pas de tradition chrétienne ou qui, autrement dit, sont à ranger avec le ViêtZNam du c®té des terres de mission. Sri Lanka ne compte pas seulement un Tissa alasurya qui, à travers des productions telles que la théologie globale (1984) ou Sainte Marie ou la libération de l’hoJJe (199) a discuté sans imitation servile des grandes questions théologiques comme le péché originel, la nature divine du Christ, le dogme marial, au point ensuite d’avoir rencontré de nombreuses di࠳cultés avec le minist¢re de la doctrine de la foi. L’on peut aussi mentionner un Aloysius Pieris, théologien des « deux sacrements de réparationZ: sacrement du Jourdain des croyances extrême-orientales, sacrement du calvaire des a࠰amés d’Asie » qui pr®ne l’orientation vers une théologie de la libération asiatique ; ou encore en Inde le théologien -yan partisan d’une théologie chrétienne d’inspiration indienne. En embrassant plus généralement le christianisme sans distinguer le catholicisme du protestantisme, on peut penser à la théologie Mingjung, théologie populaire promueZpar le coréen Ahn yung Mu, qui s’e࠰orce de trouver une mani¢re de lire et de rendre accessible la -évélation de Dieu aux personnes qui sont culturellement, politiquement et économiquement défavorisées ; les productions théologiques comme !ieu plein de coJpassion ; La théologie du cœur asiatique ڎde Song Choan Seng, théologien ta©wanais, qui est venu à 51
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Hը-Ch§-Minh-Ville à la ࠱n de l’annéeZ 199 pour exhorter à produire une théologie des réalités asiatiques, ou encore celles de Kosuke Koyama, cél¢bre japonais auteur de la théologie du buࠬeڎ De tels jugements peuvent encore se véri࠱er par l’analyse des revues nombreuses et variées publiées au ࠱l du temps par l’Église catholique vietnamienne. Il est vrai que les écrits catholiques publiés depuis le début du XXeZsi¢cle ont été tr¢s nombreux et que certains ont même été parmi les tout premiers journaux de langue vietnamienne. Si l’on se limite à la presse, on dénombre pr¢s de cinquanteZtitres de journaux composés de quotidiens, d’hebdomadaires, de mensuels. Il y a aussi les livres d’auteurs catholiques vietnamiens, les traductions d’auteurs étrangers qui tous forment donc une longue liste ڎMais de nos jours, nombre de ces livres et journaux en appellent essentiellement à la « morale », à un renforcement de la morale. Autrement dit, ces productions ont une visée pastorale, celle d’aider les ࠱d¢les à comprendre et à appliquer au quotidien les vérités de la religion plut®t que de produire une théologie appréhendée sous toutes ses dimensions. Dire de l’Église et des catholiques en particulier qu’ils sont tournés vers la pratique plut®t que vers la ré࠲exion théologique ne cherche pas à comparer cette situation par rapport à d’autres, elle ne cherche pas non plus à l’évaluer véritablement. Nous voulons simplement souligner une spéci࠱cité du catholicisme vietnamien. Et si l’on cherchait une transformation du catholicisme vietnamien ou une de ses évolutions marquantes, c’est essentiellement dans le domaine de la pratique que nous devrions tout d’abord chercher. Insistons ici sur un changement typique et facile à percevoir sur le temps long qu’est le rapport au « culte des Ancêtres. » &&SLIRQFLKA>KPIBALJ>FKBABI>MO>QFNRBOBIFDFBRPB eaucoup de non-catholiques se sont montrés assez désorientés lorsqu’en entrant dans une maison catholique, ils ont fait face à un autel des Ancêtres sur lequel reposaient des photos des membres défunts, des ࠲eurs, une assiette de fruits, des btonnets d’encens formant des volutes de fumée pour célébrer les morts. Ou bien lorsqu’ils ont prié à c®té d’un catholique venu exprimer à un ami non-catholique endeuillé ses condoléances en se prosternant lui aussi devant le cercueil du défunt ڎDes sc¢nes et des gestes qui dans un passé pas si lointain, ont été l’objet de débats, souvent vifs, au sein de l’Église catholique et même au-delà. Les débats ont porté sur l’autorisation accordée ou pas aux catholiques d’e࠰ectuer de tels gestes, à la mani¢re du défunt, comme eux-mêmes les faisaient avant leur a࠳liation au catholicisme, ou comme le font ordinairement les non-catholiques autour d’eux. Un manuscrit de l’évêque Pigneau deZéhaine traitant des échanges et des débats entre les théologiens et le vicaire apostolique des provinces du Sud de la Chine à la ࠱n du XVIIIeZ si¢cle montre comment a persisté la question sur la querelle des rites. Car cette question n’a été en réalité réglée d’une mani¢re relativement tranchée qu’en 1939 pour les églises chinoise et japonaise, et en 1964 pour l’église vietnamienne.
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Les catholiques vietnaJiens face au changeJent
Mais qu’est ce qui a réellement changé Ne seraient-ce pas le regard, la conception, la doctrine des catholiques vietnamiens envers les défuntsZqui ont changé La réponse n’est pas si di࠳cile car en réalité, elle était déjà prête. L’archevêque Nguy՚n V½n ¦nh, de l’ancien archevêché de Saigon, expliqua dans une lettre aux ࠱d¢les datée du 15Zoctobre 1964 que le Saint-Si¢ge autorisait le catholicisme vietnamien à appliquer les instructions Pane coJpertuJ estZsur la façon d’honorer les Ancêtres comme suitZ: Maintenant est venue l’heure o³ le niveau de compréhension de l’homme a autorisé le progr¢s et o³ les relations dans le monde actuel aident tout un chacun à reconna¨tre et à distinguer nombre de questions ardues concernant le rapport du monde à la sph¢re du surnaturel ; aux superstitions et aux croyances, à la façon d’honorer et de rendre un culte ; aussi tout comme l’Ancien Testament a cédé la place au Nouveau Testament, alors que le Saint-Si¢ge temporisait jusqu’à maintenant pour que les catholiques vietnamiens préparent peu à peu la façon d’honorer les Ancêtres et les vies consacrées ; aujourd’hui, avec les grces du Saint-Esprit en accord avec l’esprit d’engagement du concile Vatican II, et estimant que les ࠱d¢les vietnamiens sont arrivés à maturité, en ce jour crucial du
Zoctobre 1964, le Saint-Si¢ge a rati࠱é la requête de la hiérarchie de l’Église du Viêt Nam demandant qu’y soient appliquées et qu’y soient données les instructions Plane coJpertuJ estZque la Congrégation pour l’évangélisation des peuples avait annoncées à la hiérarchie [catholique] chinoise il y a 5 ans 1.
Les directives concr¢tes et détaillées de l’Église ont aussi clairement délimité le domaine et le sens de ces évolutions .
1. Pendant la seconde guerre mondiale, les autorités chinoises ont donné l’ordre que tous les él¢ves de toute confession devraient se prosterner devant les tablettes ancestrales de Confucius. ÀZ l’évêque Gaspais, vicaire apostolique de Kirin (Mandchourie), appartenant aux Missions étrang¢res de Paris, les autorités chinoises avaient répondu le 5Z mars 1935 que ces rituels n’avaient aucun caract¢re religieux et que baisser la tête devant les tablettes de Confucius n’était qu’une mani¢re d’exprimer sa déférence envers un Sage. Le 8Zmai 1936, -ome a autorisé les catholiques chinois à honorer leur respect à Confucius selon le rituel prescrit. La même année, -ome a autorisé les catholiques japonais à participer aux cérémonies organisées par l’État pour exhorter le sens patriotique, la ࠱délité à l’Empereur et aux héros nationaux, elle les a autorisés à participer aux funérailles et aux mariages selon les cérémonies coutumi¢res japonaises sous prétexte que même si elles avaient précédemment un sens religieux, ces cérémonies n’avaient plus, compte tenu du cadre régional et de l’opinion publique, qu’une signi࠱cation de réciprocité sociale et d’amitié.
. Toutes ces directives ont été présentées par les évêques du ViêtZNam le 14Znovembre 1974. Elles ont eu pour objectif d’éviter les méprises ou les confusions entre prier Dieu, vénérer les Saints et honorer les Ancêtres. Ces directives étaient composées comme suitZ: – l’autel des Ancêtres, en souvenir et respect des parents et des ancêtres, est placé sous l’autel de Dieu dans la maison, à condition de ne rien déposer qui manifesterait des croyances superstitieuses comme une e࠳gie du défunt (hդn bԲch) ; – brµler de l’encens, poser des lampes sur l’autel des ancêtres et s’y prosterner devant sont des attitudes pieuses et respectueuses autorisées ; – le jour d’anniversaire de la mort est le jour o³ l’on cél¢bre ses morts en famille, en respect des coutumes locales mais à condition d’abandonner les pratiques superstitieuses, de réduire
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Les changements sont en réalité assez limités dans ce domaine. Garder en mémoire les personnes décédées de la famille, celles qui nous sont ch¢res, est quelque chose que l’on trouve depuis tr¢s longtemps dans l’église catholique et tout d’abord dans la cérémonie du requiem (JդZcԸu) que l’on cél¢bre le 3eZjour apr¢s l’inhumation du mort. Cette mani¢re rappelle la ࠱n des trenteZ jours de lamentations des défunts selon l’habitude grecque et juive. En de nombreux lieux du ViêtZNam et à l’occasion des cérémonies du 3eZjour, 7eZjour, 49eZjour, de la premi¢re année et des troisZ ans de mort, les catholiques ont l’habitude d’inviter à l’église la parenté et les amis pour les sacrements, puis à la maison pour prononcer des pri¢res en mémoire du défunt. eaucoup de familles catholiques à Hը-Ch§-Minh-Ville retournent apr¢s 3Zjours sur le tombeau du défunt comme tous leurs compatriotes le font ordinairement, mais en pratiquant un rite particulierZ: ils déposent des ࠲eurs, des fruits, brµlent des btonnets d’encens et des bougies, lisent des pri¢res. Puis le représentant de la famille prononce des paroles de séparation d’avec le défunt, exprime ses remerciements aux participants de sacrements et de pri¢res dirigés à l’intention d’un corps qui s’en est retourné trop t®t reposer aupr¢s de Dieu. Ainsi les catholiques conservent-ils comme leurs compatriotes leurs devoirs envers les défunts de la famille, mais ils les réalisent selon leur propre croyance en la destinée du mort –Zcette croyance ne change pasZ– et selon des procédés qui visent essentiellement à décrire cette croyance. Lorsqu’on parle plus largement de changement ou de transformations du catholicisme vietnamien, on ne peut pas écarter cet autre aspect qu’est l’organisation de l’église, concr¢tement de la paroisse. Avec l’église en son centre, la paroisse est le lieu de célébration des cérémonies religieuses, des activités associatives, le lieu de « retour » o³ l’on consolide sa conscience catholique, l’espace o³ le catholique exprime sa mani¢re d’être et qui contribue grandement à la stabilité de sa spiritualité. Les travailleurs catholiques doivent quitter leur communauté habituelle pour subvenir à leurs besoins primaires, ils s’en éloignent pour se rendre dans des centres urbains en plein développement. Là, ils font face à de nouveaux probl¢mes, ils doivent a࠰ronter un nouvel environnement de vie ; sur ces « étranges terres lointaines », ils peuvent éprouver des di࠳cultés pour y adapter correctement leurs besoins religieux et y mettre en pratique leurs principes moraux. L’essentiel de la presse et des livres catholiques aident cependant, comme on l’a dit précédemment, les ࠱d¢les à comprendre toujours plus claire-
ou de modi࠱er les o࠰randes (fruits, encens) pour exprimer avec justesse son respect et ses remerciements envers les parentsڎ – pendant les noces, les ࠱ancés peuvent faire des prosternations devant l’autel des Ancêtres, car ce sont des rituels qui expriment la reconnaissance, la piété envers les parents, une façon de se présenter devant eux ; – pendant les funérailles, on peut se prosterner devant la dépouille, brµler mains jointes de l’encens selon les coutumes locales, pour manifester son respect envers le disparu, tout comme l’Église permet d’allumer des bougies, d’o࠰rir de l’encens, de s’incliner devant le défunt.
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Les catholiques vietnaJiens face au changeJent
ment les textes sacrés, les rites, la beauté et la valeur sacrée des activités du quotidien qui se conforment à leur foi catholique ڎen créant de plus en plus d’a࠳nités avec leur pratique et avec toutes les activités du passé. &&&2K>RQOB@E>KDBJBKQNRڂFIBPQK¤@BPP>FOBABMLROPRFSOB A>KPIڂ¤DIFPB@>QELIFNRBSFBQK>JFBKKB Nous avons dit précédemment que le catholicisme vietnamien a une plus grande propension à la pratique qu’à la ré࠲exion théologique. En conséquence de quoi il a toujours manqué des programmes de théologie systématiques. En réalité, pour ne pas para¨tre trop injuste, nous devons rappeler les e࠰orts qui sont de plus en plus soutenus pour orienter les livres et les journaux catholiques vietnamiens vers cette réflexion théologique. Un des principaux artisans de cet e࠰ort est certainement Nguy՚n NgբcZLan et son œuvre intitulée « Chemin ou forteresse 3. » Cette collection de livres peut être vue comme les preuves d’un changement propice et d’une évolution en cours. Elle incite à vivre sa foi en s’ouvrant pour accueillir le Saint-Esprit, en étant bien présent dans la vie, en s’engageant pour l’histoire. Elle n’a pas d’objectif authentiquement politique, comme peut l’être une révolution sociale, mais elle œuvre pour propager et réaliser le salut, à l’image du Christ, point de départ du Christianisme, qui est né dans la rue, a vécu sur les routes et est Jort au Jilieu du cheJin. Ces e࠰orts se poursuivent dans la presse catholique et se renforcent en se diversi࠱ant de plus en plus. Ils sont comme autant de pépini¢res qui cultiveraient une nouvelle variété d’arbre à c®té des productions préexistantes et de nature essentiellement morale ou pastorale.
3. Nguy՚n Ngբc Lan, !Ūծng haV Pho Ëi, Nxb Trinh bay, Saigon 1969.
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QUELQUES REMARQUES 02/) ,**2+21-/,1"01+1"23&
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NGUYՙN XU|N H³ng Institut de recherches sur les religions, Hanoi
&KQOLAR@QFLK En l’espace d’une vingtaine d’années, le protestantisme s’est tr¢s rapidement développé au ViêtZNam. Alors qu’ils étaient avantZ1975, les protestants sont aujourd’hui plus de 8 . L’expansion de cette communauté religieuse est un marqueur fort de la représentation générale que l’on se fait de la pluralité religieuse en période d’ouverture et d’intégration. De plus, des évolutions et des modes d’actions complexes se produisent actuellement au sein de cette religion. Telle sera l’objet de notre exposé. I. 0QOR@QROB @LJMLPFQFLKBQM>OQF@RI>OFQ¤PABI>@LJJRK>RQ¤MOLQBP
Q>KQB>R3F¥Qࢩ+>JABMRFPPBPLOFDFKBP 1. Spéciࠩcités des tVpes sectes et églises Malgré la présence d’une mission protestante française et d’une société biblique anglaise au début du XXeZ si¢cle 1, il a fallu attendre l’arrivée des missionnaires de la Christian and Missionary Alliance (CMA) enZ1911 pour que l’évangélisation des populations vietnamiennes débute réellement. La CMA, société missionnaire multidénominationnelle, a été créée en Amérique du Nord en 1897 par le pasteur Albert enjamin Simpson (1843-1919) en se fondant sur quelques caractéristiques du calvinisme et sur le mode d’organisation des églises presbytériennes, baptistes, mennonite ڎSon crédo a aussi été in࠲uencé par la théologie dominante du début du XXeZsi¢cle .
1. La mission protestante française du pasteur Théophile oisset est venue en Indochine entre 1884 et 194, 3 temples protestants furent fondés à Hanoi, Haiphong et Saigon pour assurer le service aupr¢s des ࠱d¢les européens. La société biblique avait pour nom British and Foreign Bible SocietV.
. Nguy՚n Xun H³ng, « T¦m hiu vՖ Hծi truyՖn gio Tin Lành CMA và lՠch sւ quan h՜ giքa tժ chվc này vհi Hծi Thnh Tin Lành Vi՜t Nam » [-echerche sur la société missionnaire
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Même si l’Église adventiste du 7eZjour est apparue peu de temps apr¢s (1915), la propagation initiale du protestantisme au ViêtZNam (période 1911-1954) a été essentiellement le fait de la CMA. Puisant à cette source, une communauté de type Église s’est formée avec des caractéristiques originelles relativement nombreuses. Parmi les 4 Zpremiers ࠱d¢les, 14 ont reçu le baptême avantZ1954. Pendant la période 1954-1975, du fait de l’in࠲uence américaine et de conditions favorables, de tr¢s nombreuses églises, sectes et organisations protestantes sont apparues du Sud du ViêtZNam, notamment les baptistes, les mennonites, les pentec®tistes, les témoins de Jéhovah, les presbytériens ڎMais jusqu’enZ1975, le prosélytisme de ces groupes n’a pas été tr¢s concluant. L’organisation la plus massive est, de façon écrasante, l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam (Hժi thnh 1in Lnh Vit +aJ JiՒn +aJ) ; établie par la CMA avantZ 1975, elle regroupe approximativement 6 Z baptisés pour
Z࠱d¢les. Au cours de ces vingt derni¢res années de développement économique, de démocratisation, d’échanges et de coopération internationauxڎ, l’évangélisation s’est accrue avec en corollaire une composition plus diversi࠱ée et plus complexe du protestantisme vietnamien. Les dénominations et les églises de dimension internationale ont décuplé leur prosélytisme en renouant tout d’abord les relations avec des églises qui préexistaient avantZ1975, puis via les communautés de migrants et de rapatriés (réfugiés, retour de mainZd’œuvre)ڎ. L’existence d’organisations non-gouvernementales a࠳liées pour certaines à des églises ou des organisations protestantes internationales, marque aussi la présence de ces nouvelles églises et organisations protestantes. En complément, l’Église protestante du ViêtZ Nam, hériti¢re directe de laZCMA, voit de nombreux dignitaires ou ࠱d¢les faire sécession et fonder des nouvelles organisations, des sectes protestantes, qui provoquent ainsi au sein même de cette communauté une vive concurrence pour attirer les ࠱d¢les. D’apr¢s des statistiques o࠳cieuses et imprécises, conséquences de ces scissions et des réunions récurrentes de ces groupes et sectes, il y aurait actuellement Zgrandes organisations protestantesZ: l’Église protestante du Sud du ViêtZNam (Hժi thnh 1in Lnh Vit +aJ JiՒn +aJ) et l’Église protestante du Nord du ViêtZ Nam (Hժi thnh 1in Lnh Vit +aJ JiՒn BՀc). Toutes deux sont issues de laZCMA et regroupent pr¢s de 6 Zadeptes. À quoi il faut ajouter plus de 7Zautres sectes et groupes protestants qui comptabilisent plus de 1 Z࠱d¢les 3.
de la CMA et sur ses relations avec l’Église protestante du ViêtZNam], document non publié de l’Institut de recherches sur les religions, 6, 48 p. 3. Parmi ces groupes, plus d’une quarantaine sont d’in࠲uence pentec®tiste (ngģ tuԸn), 1Zsont baptistes (báp tít), Zadventistes (cś Ëբc phնc lJ), Zmennonites, Zpresbytériens (trŪհng lo),
Zméthodistes (giáJ l·). On compte aussi la présence de l’Église des témoins deZJéhovah, et des dizaines d’autres petits groupes distincts mais dont on ne peut démêler clairement les éléments de doctrine.
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La coJJunauté protestante au Viêt࢙+aJ
Analyser ce phénom¢ne de « pluralisation des groupes et des sectes » au sein de la communauté protestante du ViêtZNam pose selon nous plusieurs probl¢mes. La pluralité des églises et des sectes est une spéci࠱cité originelle du protestantisme qui vise à rehausser le caract¢re démocratique et la liberté individuelle dans le culte et dans la communion avec Dieu. Comparée à la situation générale du protestantisme dans le monde, celle du ViêtZ Nam n’a donc rien d’exceptionnel. Les implantations et les développements suivent un processus identique avec cependant un décalage dans le temps et une intensité moindre. Mais du fait des spéci࠱cités de l’histoire missionnaire, des prémices de cette communauté protestante et des interactions mentionnées, ce phénom¢ne présente des particularités qui méritent attention. Si les scissions, les divisions, les fondations de sectes trouvent généralement en Occident leurs origines dans des disputes doctrinales et théologiques avant de toucher des questions d’organisations, de personnes, d’attribution et de pouvoir dans l’église, la situation semble être inversée dans le cas vietnamien. Dans sa globalité, malgré pr¢s d’un si¢cle de propagation, le protestantisme et sa doctrine restent étrangers à la culture traditionnelle. Les études bibliques, la formation théologique ne sont pas tr¢s élevées même parmi les dignitaires protestants, et il faudra encore œuvrer longtemps avant de voir poindre « une théologie extrême-orientale. » En conséquence de quoi, la scission des groupes et des branches, l’apparition de nouvelles sectes protestantes, s’expliquent en réalité par des motivations principalement mondaines (organisation, o࠳ce, intérêt), et par la volonté d’attirer les aides ࠱nanci¢res d’organisations missionnaires étrang¢res. On comprend ici plus clairement ce qu’est dans le monde protestant occidental le fonctionnement de « l’industrie » missionnaire. Les églises, les sectes, les sociétés missionnaires qui se campent ࠱¢rement sur leur éminente vocation religieuse « de prêcher l’évangile partout dans le monde pour sauver les mes fautives » fonctionnent sur les mêmes principesZ capitalistes que les multinationales en quête d’investissements. Les succ¢s de l’évangélisation dans les régions éloignées, aupr¢s des groupes minoritaires, sont pour la mission une publicité extrêmement captivante pour lever des fonds aupr¢s des ࠱d¢les. Cette propagande est encore plus e࠳cace quand ces résultats sont obtenus dans des régions et des pays qui, selon les dires, « suivent une idéologie athée antireligieuse ! ». Ainsi, on comprend aisément que les groupes protestants qui attirent peu de ࠱d¢les crient haut et fort à la « répression des autorités » pour gagner en notoriété et recevoir de l’argent. Alors que l’État vietnamien applique et poursuit bien évidemment une politique respectueuse de la liberté de croyance. Il faut en࠱n ajouter que face à la di࠳culté des conversions, aux particularités des cultures et des modes de vie, la plupart de ces organisations concurrentes agissent dans la clandestinité. La politique de l’État respecte donc la liberté de croyance et de religion de tous les citoyens. Pour mener des activités légales, les organisations religieuses stabilisées dans le temps et dans leur structure doivent être enregistrées et présenter une charte pour obtenir apr¢s validation une reconnaissance o࠳cielle. 59
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Jusqu’à maintenant, en dehors des deux principales organisations protestantes, trois sectes sont en attente de reconnaissance de leur personnalité juridique.
. Les protestants et leurs particularisJes À ce jour, aucun programme de recherche, aucune enquête sociologique menée à l’intérieur ou de l’extérieur de l’église n’ont encore étudié la composition de la communauté protestante. La périodisation de l’histoire missionnaire et les statistiques des circonscriptions et des paroisses nous permettent néanmoins d’observer la répartition géographique des ࠱d¢les et d’en relever les spéci࠱cités. Voici quelques remarques de dignitaires faites au sujet de l’actualité protestante: D’un point de vue général, avantZ1975, on classait d’abord le Sud, puis le Centre, puis le Nord en mati¢re de dynamique de développement régional. Apr¢sZ1975 cet ordre s’est inversé en Centre, puis Sud, puis Nord. C’est la région Centre, notamment les 4Zprovinces des Hauts-Plateaux (ÊՄk LՄk, Gia Lai, Kon Tum, Lm Êըng) qui se développe aujourd’hui le plus. Au cours de ces deux décennies, c’est au Nord que le protestantisme s’est le moins développé. Sur le plan ethnique, la masse des Hinh protestants (87 ࢠ de la population totale) représente 6,Z 5Z fois les populations minoritaires. Mais en chi࠰res absolus, le nombre d’adeptes entre ces deux blocs est à peu pr¢s équivalent. Cela signi࠱e que le niveau du prosélytisme dans les régions Hinh est bas. Dans les zones Hinh, le protestantisme se développe essentiellement en ville alors qu’aupr¢s des minorités ethniques, il se développe en zone rurale 4.
Les missionnaires étrangers auparavant, les dignitaires vietnamiens aujourd’hui avancent des chi࠰res mais sans en questionner la source. Une analyse objective fondée sur une di࠰érenciation culturelle et religieuse serait à ce sujet nécessaire. Les missionnaires de la CMA, bien qu’a࠳liés à une alliance multidénominationnelle, ont été in࠲uencés par les fondements conservateurs et routiniers d’un calvinisme et d’un presbytérianisme alors prépondérants dans les branches protestantes. Le manque d’esprit de conciliation fait qu’ils consid¢rent leur religion comme « authentique et unique », les autres usages et croyances sont pour eux erronés et fautifs, ils sont l’incarnation du pouvoir de Satan. Le mode de vie des ࠱d¢les est en particulier ࠱xé de façon stricte pour prier, non pas des images, mais Dieu ڎCe qui, à propos du culte des ancêtres, a singuli¢rement choqué la communauté sociale. Le probl¢me épineux du christianisme et de son atteinte au culte des ancêtres n’est pas nouveau ni en Chine ni au ViêtZNam o³ tous les missionnaires catholiques l’ont croisé. Du fait des particularités de son prosélytisme individuel, de son enseignement direct, de sa missiologie, de ses débats, de la dépréciation des
4. Secrétariat de la commission religieuse (ubtg/vp), Projet du plan d’évangélisation
-
, document njZ3, 1Zoctobre 4.
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Saintsڎ, le protestantisme a fait germer un con࠲it éminemment plus frontal et profond. Le prosélytisme est par ailleurs entré ouvertement en con࠲it avec les coutumes familiales, les traditions culturelles et les croyances locales. Les Vietnamiens ont beau faire preuve de tolérance religieuse, ils ont ࠱nalement réagi énergiquement. Selon les propres écrits de dignitaires protestants, la plupart des convertis ont dµ quitter leur famille, leur lignée, leur village. Certains ont même été déshérités ou bien attachés, battus, leurs vêtements lacérés ou brµlés ڎcar ces personnes avaient osé briser les btonnets d’encens, emporter les autels, couper et brµler les tablettes ancestrales ڎC’est pour cette raison que la masse appelle le protestantisme « la religion de l’abandon des grands-parents », la « religion des États-Unis. » Tel est l’épineux probl¢me qui traverse de bout en bout cette histoire missionnaire. Aujourd’hui encore, apr¢s plus d’un si¢cle de prosélytisme et en dépit des mutations de la société traditionnelle, les protestants nouvellement convertis ressentent toujours une forte pression de la part de leur famille, de leur parenté et de la communauté. Peut-être est-ce ce choc, ce con࠲it avec la culture traditionnelle vietnamienne, avec le culte des ancêtres notamment, avec les coutumes familiales et sociales que l’on retiendra dans tout ce processus de di࠰usion du protestantisme au ViêtZNam 5. On comprend mieux pourquoi les premiers convertis ont été des interpr¢tes, des secrétaires des services ferroviaires, des fonctionnaires de banqueڎ refZdes personnes qui avaient quitté la communauté villageoise et qui étaient déjà in࠲uencées par la pensée et la culture occidentales. La plupart d’entre eux n’étaient plus tenus par les relations communautaires traditionnelles. Ceci étant dit, le protestantisme s’est surtout développé jusqu’à aujourd’hui en milieu urbain et dans les milieux bourgeois. Une cause de son échec dans les villages du delta du ࠲euve -ouge est que la culture villageoise y est tr¢s ancrée. Au Sud et au Centre du pays, la ࠱bre villageoise n’est pas aussi étroite. Et c’est au sein des communautés migrantes de ces nouvelles régions que les conversions ont été les plus nombreuses. La situation est bien di࠰érente du c®té des minorités ethniques. Les missionnaires protestants ont commencé l’évangélisation de ces populations à la ࠱n des annéesZ19 . Pendant la période 1954-1975, on a vu se déployer tous les moyens de di࠰usion modernes, on a mobilisé l’anthropologie et la linguistique, on a coordonné des missions spéci࠱ques d’évangélisation directe et indirecte. En dépit de tout cela, les résultats ont été modestes face à la vitalité des syst¢mes de croyances traditionnelles de ces populations montagnardes. Depuis une vingtaine d’années, de nombreux probl¢mes ont germé dans ces régions montagnardes, tous liés aux di࠳cultés socio-économiques, au déclin de
5. Nguy՚n Xun H³ng, « T¦m hiu nhքng h՜ quԸ cռa vi՜c truyՖn gio Tin Lành Ëժi vհi v½n ha truyՖn thզng, t§n ngŪնng t®n gio tԶi Vi՜t Nam » [-echerches sur les répercussions de l’évangélisation protestante sur la culture traditionnelle, les croyances et les religions au ViêtZNam], +ghiên cպu t®n giáo 3 ( ), p. 45-54.
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la culture traditionnelle et des syst¢mes de croyances anciens. Ces conditions expliquent que les dignitaires protestants voient leur évangélisation progresser et le nombre de ࠱d¢les cro¨tre. Actuellement, on compte pr¢s de 3 Zprotestants au sein de ces populations, ce qui représente pr¢s de la moitié du nombre de protestants au ViêtZNam. En résumé, si l’on dresse l’aperçu d’un si¢cle d’expansion, la communauté protestante du ViêtZNam se caractérise parZ: –Z un nombre relativement important de sectes et d’églisesZ : à c®té des deux grandes organisations, l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam et l’Église protestante du Nord du ViêtZNam, on compte une dizaine de petites sectes et des groupes protestants apparus récemment qui ne sont pas encore su࠳samment stables et puissants. – un nombre d’adeptes d’environ 8 Z mes. Même si au cours de ces derni¢res années son expansion a été rapide, la communauté protestante reste la communauté d’une religion minoritaire. Parmi les ࠱d¢les, plus de la moitié sont des Hinh, la plupart appartiennent aux couches urbaines, principalement concentrées au Sud et au Centre du pays. Un peu moins de la moitié du reste est issue des populations des hauts-plateaux du Centre et des montagnes du Nord. II. @QFSFQ¤POBIFDFBRPBPBQPL@FL ¤@LKLJFNRBP ABP@LJJRK>RQ¤PMOLQBPQ>KQBP 1. Vie religieuse des coJJunautés protestantes La plupart des activités individuelles et communautaires des protestants s’expriment dans le cadre des organisations paroissiales. D¢s le début de l’évangélisation, les missionnaires ont édifié une institution, des principes de gestion, ils ont adossé les activités de leur église aux principes de la démocratie parlementaire, ils ont reconnu un pouvoir d’indépendance et d’administration à chaque paroisse et à son groupe de ࠱d¢les. Ceux qui assurent l’éducation et l’enseignement moral doivent comprendre, vivre, pratiquer selon les principes suivantsZ: – expier ses fautes, reconna¨tre Dieu comme unique sauveur, être baptisé, considérer la bible comme unique vade-JecuJ pour vivre et pour agir ; – être actif dans le prosélytisme ; – contribuer ࠱nanci¢rement à l’entretien de l’église ; – adopter un mode de vie, une profession, des façons de parler qui sont conformes aux décisions de l’église. Sur le mod¢le calviniste, les missionnaires ont également édi࠱é un mode strict de contr®le et d’organisation de la vie quotidienne du ࠱d¢le. S’il enfreint la loi, ce dernier devra subir de lourdes sanctions disciplinaires. La conséquence en est que la vie sociale de l’adepte est, sous toutes ses facettes, tant à l’intérieur de la communauté qu’à l’extérieur, régie par la religion. Chanter des cantiques, lire la ible, prier, écouter le prêche du pasteurڎ sont des pratiques cultuelles indispensables pour honorer Dieu le dimanche. Le cérémonial et le sens démocratique protestants apportent con࠱ance, hardiesse, satisfaction, joie au ࠱d¢le tout en rendant cette religion particuli¢rement attrac6
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tive. Le rite, par ses formes spirituelles et culturelles spéci࠱ques, permet de se mettre à distance de la pression de l’environnement urbain et industriel. S’ajoutent à cela deux façons de resserrer les relations intracommunautaires que sontZles visites de pasteurs ou de ceux qui ont en charge la paroisse, et les réunions de pri¢re en famille pendant la semaine. Il s’agit de mani¢res assez e࠳caces pour renforcer la foi des ࠱d¢les au sein de cette minorité religieuse tout en favorisant un contr®le réciproque. Cette façon de porter une « attention » tr¢s étroite a naturellement sa face négative, celle de la perte de liberté individuelle, lorsqu’apparaissent des contradictions ou des désaccords insolubles et préjudiciables pour la vie de la paroisse. Les enquêtes sociologiques menées dans des paroisses protestantes à Hը-Ch§-Minh-Ville, DՄk LՄk, Gia Lai, Lm Êըng et Hanoi entreZ 1 etZ 6 ont montré que les activités cultuelles ont globalement prospéré au cours de cette période et qu’elles ont répondu aux besoins des ࠱d¢les et des dignitaires en mati¢re de livres saints, de lieux de culte, de formation religieuse ڎMalgré des manques plus nombreux dans les zones de montagnes que dans les grandes villes. Les protestants sont en général des personnes laborieuses, vertueuses, respectueuses de la loi et qui contribuent au développement socio-économique.
. Rapport des coJJunautés protestantes l’éconoJie et l’environneJent socio-éconoJique Le protestantisme est une religion spéci࠱que de la société capitaliste occidentale, la situation économique du fid¢le décide de l’existence et du développement des modes d’organisation et des activités de cette religion. Dans chaque paroisse, structure indépendante et autonome, chaque ࠱d¢le a la responsabilité de contribuer à tous les besoins de son église. ,u’il s’agisse du salaire du pasteur comme de l’entretien de sa famille. ,u’il s’agisse encore des factures d’eau et d’électricité, de l’achat de matériel, des frais d’entretien de l’église, des coµts de l’évangélisation. Plus il y a de ࠱d¢les, et de ࠱d¢les riches qui font des dons importants, plus l’église cro¨t. En dehors de sa « mission sacrée », le prosélytisme poursuit en conséquence un but mondain qui est celui d’accro¨tre les sources ࠱nanci¢res. S’ils ont la ma¨trise des ࠱nances de l’église, les paroissiens peuvent inviter le pasteur administrateur et participer directement à la gestion de la paroisse. Le pasteur qui propage le message religieux et qui préside l’église locale doit être un berger zélé et dynamique sachant accro¨tre le nombre de ses ࠱d¢les, les conseiller dans leur vie comme dans leur travail pour qu’ils augmentent leurs ressources. Ce mécanisme fonctionne selon les principes tr¢s stricts de cette religion sécularisée. Au cours de ces derni¢res années, les transformations socio-économiques du pays ont aussi eu beaucoup d’e࠰ets sur cette communauté religieuse. Le développement de l’économie de marché, la question des salaires et de l’emploi, l’explosion des technologies de l’information ont également créé des probl¢mes dans ces églisesZ: 63
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– auparavant, on faisait appel à des dignitaires qui respectaient les normes de la pauvreté et de l’isolement pour consacrer leur temps à « servir le seigneur ». Mais aujourd’hui, ces derniers poss¢dent des fonds propres (biens immobiliers), ce qui in࠲uence le mode de répartition des tches et de gestion de l’église. LesZjeunes ont beaucoup de passions à assouvir et choisissent un avenir certainement plus captivant que celui du pastorat ; –Z l’éducation morale et religieuse rencontre beaucoup de di࠳cultés face à la concurrence des idées la©ques ou des syst¢mes de pensée des autres religions ; –Zl’intensi࠱cation des relations avec les sociétés missionnaires et les organisations protestantes internationales et régionales a࠰ectent beaucoup de dignitaires et certains de leurs adjoints qui cherchent aussi pour leur propre compte des aides ࠱nanci¢res extérieures. L’attribution des r®les dans l’église ou encore la place à accorder à l’argent provoquent des con࠲its internes ; –Z proclamer l’exclusivité et l’authenticité du salut et de l’évangileZ provoque souvent de la perplexité car beaucoup trop de sectes et de groupes protestants se disputent le champ missionnaire. En particulier, là o³ les ࠱d¢les sont issus de minorités ethniques, o³ les gens sont pauvres, les dons à l’église sont dérisoires, raison pour laquelle la plupart des dignitaires n’esp¢rent que par des ressources extérieures. Cette situation malsaine a des e࠰ets négatifs. Certaines sectes engagent des campagnes d’évangélisation express, inscrivent à leur insu des convertis issus des populations ethniques dans le seul but d’attirer des fonds étrangers. Alors que par essence ces ࠱d¢les ne comprennent que vaguement ce que signi࠱e leur « œuvre salvatrice. » 3. Mode de vie et relations extracoJJunautaires des protestants Sous l’in࠲uence des missionnaires et des enseignements bibliques pris comme unique socle de leur croyance et de leur existence, les protestants sont généralement persuadés que leur religion est « la seule authentique », « la seule salvatrice » ڎLesZ autres croyances et religions ne sont que « superstitions et dévoiements », l’œuvre de « Satan » qui fait de leurs ࠱d¢les des « pêcheurs. » Tout ࠱d¢le conscient de ses devoirs et responsabilités œuvre à la propagation de sa religion car il ne s’agit pas uniquement d’« exécuter l’ordre de Dieu », c’est aussi œuvrer e࠳cacement à la prospérité de la paroisse, à l’obtention de subsides pour son église. Ainsi, les premi¢res relations nouées dans les milieux extracommunautaires visent-ils à persuader les gens rencontrés. Les protestants ne manquent pas une occasion pour parler religion à leurs proches, leurs amis, leurs coll¢gues, leurs voisins. Il n’est pas rare qu’ils brµlent d’impatience, qu’ils utilisent des formes de contrainte, qu’ils jouent de pression psychologique pour les inviter à les rejoindre sans se soucier de la réaction de leurs interlocuteurs. LesZ gens extérieurs les regardent généralement avec étonnement et circonspection. DuZ fait de leur opposition extrême au culte des Ancêtres et à toute autre religion, ces derniers éprouvent peu de sympathie et de respect à leur égard sans que cela ne préjuge bien sµr d’aucune forme de discrimination religieuse.
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Dans les régions o³ vivent les minorités ethniques, le prosélytisme et l’attirance religieuse se sont avérés plus complexes ces derni¢res années. L’e࠰ort de certains missionnaires pour éradiquer les coutumes et les expressions culturelles issues des croyances traditionnelles a provoqué beaucoup de réactions, de divisions au sein des communautés locales et des familles, ce qui n’a pas été sans e࠰ets sur la communauté sociale. Même si la religion des missionnaires am¢ne du changement dans la façon de vivre, dans la culture, dans les modes d’organisation (travail, production) de ces populations en transmettant une part de culture occidentale par l’évangélisation, cette derni¢re n’est certainement pas le progr¢s et la perfection que ces missionnaires déclament généralement. eaucoup de sectes, de groupes protestants, antithétiques par nature aux conceptions traditionnelles de la société occidentale se sont « exportées » ici en concevant les minorités ethniques comme « un chantier d’évangélisation » idéal pour éprouver leur prosélytisme. Tr¢s souvent la ible seule, au travers de citations tirées du Nouveau Testament ou de l’Ancien Testament, leur permet de « soigner par la foi », de révéler les « fausses prophéties », d’inciter à l’abstinence, d’appeler à la pri¢re, à l’exultation, aux pleurs, à « l’attente de la présence de Dieu » ڎIls font ainsi progresser leur religion face aux croyances populaires traitées de superstition et de dévoiements. Vu de l’extérieur, les protestants forment une communauté aux caractéristiques assez contrastéesZ: – d’un c®té, la plupart d’entre eux sont des gens laborieux, vertueux, qui vivent simplement, honnêtement, qui restent à l’écart des ࠲éaux de l’alcool, du jeu et de la drogue. Dotés d’un sens de l’épargne, ils sont productifs et prompts aux a࠰aires. Ils s’évertuent en࠱n à rendre leur vie et la société bonnes et paisibles ; – d’un autre c®té, on les regarde souvent comme des « exaltés » qui placent le sacré et leur morale religieuse au-dessus de tout, qui restent indi࠰érents aux probl¢mes sociaux et qui consacrent sans retenue temps et argent pour servir leur église et leur groupe religieux. Tout ceci ࠱nit par en faire des gens à part, qui détonnent aux yeux de nombreux compatriotes. Même s’il persiste encore beaucoup de probl¢mes et qu’il existe des points de vue divergents, l’existence –Zet l’expansionZ– de la communauté protestante est une nouveauté atypique dans la vie religieuse, culturelle et sociale du ViêtZNam. C’est sµrement un des traits les plus évidents du pluralisme religieux qui s’y fait jour en ces temps d’ouverture et d’intégration. III. RQL @LJMO¤EBKPFLKABI>@LJJRK>RQ¤MOLQBPQ>KQB Apr¢s un si¢cle de présence au ViêtZ Nam, les dignitaires protestants ont commencé à compiler et à évaluer leurs contributions et leur attache à l’évangélisation. Cela a débuté dans les annéesZ 197 lorsque l’évangélisation a montré des signes de ralentissement. Les dignitaires se sont souciés de la situation et se sont demandés comment se situait « le christianisme (c’est-à-dire le protestantisme) par rapport à la culture vietnamienne ». Leur réponse fut qu’il devait
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« abandonner sa teinte occidentale pour pouvoir être acclamé plus largement au ViêtZNam 6. » eaucoup de dignitaires ont alors appelé à acculturer la religion, à repousser l’in࠲uence des missionnaires étrangers, à faire appel à « des missionnaires asiatiques pour l’Asie. » De plus, il devenait nécessaire de « fonder un comité de recherche sur la culture nationale, trouver les formes cultuelles et l’enseignement qui soient adaptés à l’me et à la culture nationale 7. » À la ࠱n des annéesZ199, période de débats et d’élaboration de la nouvelle charte de l’Église, les protestants ont discuté avec enthousiasme des façons de nationaliser leur Église. Lê V½n Thi՜n, dans une de ses interventions intitulée « Orientations de l’Assemblée générale du protestantisme pour l’ensemble du pays » a pointé la nécessité d’appliquer « le principe des trois ڄtuڅZpour être soi-même » (nguVên tՀc 1aJ 1ւ), autrement dit, l’auto-établissement (tւ tr՜), l’autonomie (tւ lԾp) et l’auto-extension (tւ HhՐch trŪśng). À propos de culture religieuse, l’auteur exprime des jugements et des orientations concr¢tesZ: L’expansion de l’Église protestante du Viêt Nam n’est pas une ple figure de celle des Églises occidentales, il faut vraiment l’indigéniser, surtout dans les domaines du culte, des chants, de l’architecture, des lettresڎ
Poursuivant, l’auteur esp¢re même proposer à l’Église protestante du ViêtZNam une théologie propre qui fournirait une explication biblique adaptée aux hommes et à la société actuelle 8. Plus pr¢s de nous, un pasteur du comité d’évangélisation de l’Église protestante du Sud du ViêtZNam a relu les grandes questions de l’histoire missionnaire en exprimant ces jugementsZ: – le protestantisme a été en conflit avec nombre de traditions de la culture nationale ; – le protestantisme demande aux ࠱d¢les d’observer de façon rigoureuse un certain nombre de préceptes ; – le protestantisme a une teinte occidentale qui ne s’adapte pas à la psychologie vietnamienne 9. Tout en commentant ces heurts culturels et en reconnaissant que certains « heurtsZsont inévitables » comme le prosélytisme, l’auteur consent que « d’autres heurts peuvent être évités » en utilisant par exemple des instruments de musique traditionnels (gongs des minorités ethniques), en célébrant des fêtes populairesڎ Cet auteur n’hésite pas non plus à reconna¨tre que le protestantisme est le
6. 1hánh Hinh nguVt san [Le Jensuel de la Bible] (nov. 1971), p.Z 1-
. 7. Ibid, p. 14. 8. Lê V½n Thi՜n, « HŪհng vՖ ÊԶi Hծi Tin Lành toàn quզc » [Orientations de l’Assemblée générale du protestantisme pour l’ensemble du pays], document interne non publié, Nha Trang
1. L’auteur est actuellement le secrétaire général de l’Église protestante du Sud du Viêt Nam. 9. H³ynh Thiên ւu, « KhԸo lŪոc vՖ c®ng cuծc truyên gio tԶi Vi՜tZNam » [-echerches sur l’œuvre missionnaire au Viêt Nam], document interne non publié, 4.
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vecteur d’expressions culturelles exog¢nesZ: la musique occidentale (cantiques), l’architecture occidentale, le style d’écriture et le vocabulaire occidentaux, les méthodes d’évangélisation moulés sur le mod¢le occidentalڎ Au cours des deux derni¢res sessions de cette Assemblée générale, les opinions ont exprimé l’urgence et la nécessité de vietnamiser la religion ; l’intégration à la culture nationale est devenue la principale orientation des dignitaires protestants. Une telle réforme est sujette à de vifs débats car il faut en même temps préserver le conservatisme théologique du calvinisme. Ces débats ne sont pas encore arrivés à leurs termes. IV. "KDRFPBAB@LK@IRPFLKࢩ@LJJRK>RQ¤MOLQBPQ>KQB BQMBOPMB@QFSBPABA¤SBILMMBJBKQPL@F>I Depuis plus d’un quart de si¢cle, depuis que le pays est indépendant, en paix et qu’il est entré dans l’¢re de l’industrialisation, de la modernisation, de la démocratisation, les religions ont compris la nécessité de trouver une issue sociale et religieuse qui s’accorde avec l’édification de la nation. L’Église protestante du Sud du ViêtZNam, l’organisation la plus importante du pays, proclame dans sa nouvelle charte de 1Z: La devise de l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam estZ : Vivre l’Évangile, servir Dieu, servir la patrie et la nation. Éduquer les ࠱d¢les dans l’amour du pays, le devoir citoyen, le respect de la loi, la solidarité nationale sert à construire la patrie et à préserver la paix. Chaque chrétien a la responsabilité de construire la société dans laquelle il vit [ ]ڎIl doit participer aux activités sociales locales, préserver la solidarité, servir de tout son cœur à la paix sociale et à la tranquillité à laquelle chacun aspire 1ڎ
L’a࠳rmation des dignitaires protestants de cheminer avec la patrie, de s’accorder avec les sources de la culture nationale est un long parcours semé de di࠳cultés et d’entraves. Même s’il existe encore beaucoup de probl¢mes intrins¢ques, le choix judicieux de cette orientation religieuse et sociale est le moteur qui poussera cette communauté religieuse à s’intégrer toujours mieux dans la communauté nationale et à contribuer à l’œuvre actuelle d’édi࠱cation du pays.
1. Hժi 1hánh 1in Lnh Vit +aJ Jiên +aJ HiՐn ChŪśng
[Charte de
de l’Église protestante de la région Sud du Viêt +aJ], Nxb T®n Gio, Hanoi 1.
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L’ÉTAT FRANÇAIS ET LES ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES DU XIXBࢩ0& )"{+,0',2/0
Sébastien FATH Groupe Sociétés, Religions, Laïcités École pratique des hautes études, Paris
&KQOLAR@QFLK Parmi les chrétiens, ceux qui se développent le plus aujourd’hui se rattachent à la tendance « évangélique » du protestantisme. Ces évangéliques (Evangelicals en anglais) regroupent entreZ4 etZ5Zmillions de chrétiens dans le monde. On retrouve chez eux les traits essentiels du protestantisme, à savoir un accent prioritaire sur laZible, accessible à tous les ࠱d¢les, le refus d’un clergé célibataire et la souplesse institutionnelle préférée au centralisme monarchique. Mais ils se caractérisent aussi par quatre traits particuliers, qui permettent de reconna¨tre, à l’intérieur du protestantisme, leur sensibilité. IlsZvalorisentZ: – le r®le prescriptif de la ible dans tous les domaines (biblicisme), – l’unicité du salut en Jésus-Christ cruci࠱é et ressuscité (crucicentrisme), – la nécessité de changer sa vie sous l’e࠰et de la foi (conversion) – l’engagement militant (activisme prosélyte et missionnaire), dans le cadre d’associations de convertis qui prennent généralement la forme d’Églises de professants 1. Ainsi dé࠱nis, ces protestantsZ évangéliquesZ se sont implantés en France depuis le début du XIXeZsi¢cle, jusqu’à atteindre, enZ 7, un e࠰ectif d’environ 4 Z ࠱d¢les . Ils constituent une petite minorité religieuse dans un pays massivement catholique et de plus en plus sécularisé. ÀZce titre, ils ont participé, parmi beaucoup d’autres, au développement d’une culture religieuse pluraliste, inscrite dans le cadre républicain qui s’impose progressivement en France. Ils l’ont fait de trois mani¢res.
1. Ce qui veut dire que dans ces communautés, on ne peut pas être membre si on n’a pas professé publiquement sa foi devant l’assemblée.
. Voir S. FATH, !u ghetto au réseau Le protestantisJe évangélique en France,
-
, Labor et Fides, Gen¢ve 5.
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Sébastien Fath
D’abord, en refusant la ࠱xité du paysage religieuxZ: pour eux, toute personne doit avoir le droit de se convertir, même si elle est déjà catholique ou rattachée à une autre religion. Ensuite, en reconnaissant (le plus souvent) la validité de voies chrétiennes di࠰érentes (c’est-à-dire d’une légitime diversité d’Églises) dans l’acc¢s au salut. En࠱n, en exprimant dans leurs rangs, conformément à la tradition protestante, une tr¢s grande diversité d’organisations, de structures et d’églises, des plus œcuméniques (méthodistes, libristes, Fédération baptiste) aux plus sectaires. Face à cette culture religieuse prosélyte et plurielle, l’État français a réagi de mani¢re di࠰érente suivant les périodes. Jusqu’enZ 1875, c’est-à-dire avant l’établissement durable de la IIIeZ-épublique, il témoigne beaucoup de mé࠱ance pour ces protestantsZ(I). Ensuite, jusque dans les annéesZ195, l’État républicain consid¢re ces évangéliques avec sympathieZ(II). En࠱n, les cinquante derni¢res années marquent une période nouvelle, plus mé࠱anteZ (III), dans un contexte o³ la France fait face à la fois à une sécularisation accélérée, et à un pluralisme religieux sans précédent. &-IRO>IFPJBOBPQOBFKQBQQ>Q>RQLOFQ>FOBࢩ ABP¤S>KD¤IFNRBPAFP@OFJFK¤P
Habitué à une culture politique centralisée, hiérarchique et fortement institutionnalisée, l’État français a commencé à considérer les protestants évangéliques avec mé࠱ance. Il appara¨t dérouté par un type de société religieuse aux antipodes de l’institution catholique, il peine à situer clairement ses interlocuteurs, et se montre mal à l’aise devant la souplesse et la faiblesse des institutions évangéliques supra-locales. Au XIXeZsi¢cle, avant l’instauration durable de la IIIeZ-épublique (1875), c’est la mé࠱ance qui domine, pour des motifs divers. Les groupes évangéliques sont alors tr¢s peu nombreux. Ils ne rel¢vent pas du concordat, mode d’organisation qui o࠳cialise un partenariat entre l’État (qui ࠱nance le clergé et les lieux de culte) et les principaux acteurs religieux du pays (catholicisme d’abord, protestantisme réformé et luthérien, juda©sme). Leur évangélisation active, menée en direction de populations d’origine catholique ou protestante, appara¨t généralement comme une menace pour « l’ordre public » et pour le statu quo confessionnel que l’État cherche alors à favoriser au nom de la paix civile ڎet des liens souvent assez privilégiés avec le catholicisme, « religion de la grande majorité des Français ». Mal connus, les protestants évangéliques suscitent mé࠱ance et interrogations. Leur structure généralement de type congrégationaliste ne favorise pas les relations. Ce « congrégationalisme » est un mode d’organisation qui postule l’autonomie de l’assemblée locale des ࠱d¢les, seule souveraine, sur un mode tr¢s di࠰érent des organisations de type « Église-institution » comme l’Église catholique, dont l’armature centralisée est famili¢re à l’État. Jusqu’enZ 1875, les préfets et les ministres des cultes manifestent du coup vis-à-vis des évangéliques une vigilance active. Plusieurs enquêtes sont conduites a࠱n de savoir comment s’organisent les évangéliques, pour conna¨tre aussi 7
L’État français et les églises évangéliques
leurs chefs et représentants éventuels. D’une mani¢re générale, on note alors la souplesse d’organisation, le primat des assemblées locales, ce qui ne manque pas d’inquiéter un pouvoir politique alors soucieux de faire régner l’ordre et d’éviter, dans la mesure du possible (et au besoin par la répression) les « conciliabules 3 démocratiques » au sein des assemblées protestantes. Dans un courrier deZ1854 évoquant les diverses a࠰aires d’évangélisation protestante réprimées par l’État (Haute-Vienne, Sarthe, -h®ne, baptistes de l’Aisne), le ministre de la Justice résume cette inquiétudeZ: [ ]ڎJe saisis la nouvelle occasion qui se présente, Monsieur et cher coll¢gue, de vous signaler les dangers de ce prosélytisme sans garanties, qui, obéissant à une impulsion étrang¢re venue de Gen¢ve, peut cacher dans des dehors religieux des associations démagogiques, ou qui, ne reconnaissant pas en religion le principe d’autorité, ne doit certainement pas être disposées à le respecter dans l’ordre 4 politique .
-eligion valorisant la libre recherche spirituelle de l’individu, le protestantisme est forcément suspect aux yeux d’un État autoritaire, qu’il soit monarchique (entreZ1815 etZ1848) ou impérial (entreZ185 etZ187). Cette mé࠱ance est redoublée, dans le cas des évangéliques, par le fait que ces derniers sont séparés de l’État (au contraire des autres protestants) et soumis à un mode d’organisation de type souvent autogestionnaire et local, appuyé sur des pratiques démocratiques qui font peur aux régimes en place. L’organisation souple et locale des évangéliques, qui di࠰¢re profondément de l’Église-institution, appara¨t comme hostile au « principe d’autorité » et source de subversion potentielle. On n’est pas si loin ici de la distinction e࠰ectuée par Paul Harrison, qui distingue l’autorité (basée sur des r¢gles écrites et une institution) et le pouvoir (basé sur des r¢gles informelles) 5. Un groupe religieux de type congrégationaliste, comme celui des protestants évangéliques, limite « l’autorité » (dé࠱nie en rapport avec des institutions). Dans une con࠱guration politique autoritaire, les protestants évangéliques passent donc comme porteurs d’une culture anti-autoritaire, et sont donc suspects, ce qui explique qu’au cours des premi¢res décennies du XIXeZ si¢cle, les évangéliques sont réguli¢rement soumis à des discriminationsZ: di࠳cultés à se réunir (dans un contexte o³ la liberté d’association n’existe pas encore), proc¢s-verbaux et amendes, parfois emprisonnements. Dans le cas des baptistes de France, une des branches du courant évangélique, au moins quinze baptistes ont été mis en prison pour raisons religieuses en l’espace d’un demi-si¢cle. Il faut néanmoins souligner que la mé࠱ance de l’État n’a pas été uniforme. Elle a varié selon les contextes nationaux et locaux, et elle s’est graduellement
3. Lettre du préfet de la Sarthe au Ministère de l’Instruction Publique et des Cultes, 4Zjuin 1858 ( p.), Archives Nationales, cote F19Z1 9 6. 4. Lettre du Ministre de la Justice au Ministre de l’Instruction Publique et des Cultes, 8Zavril 1857 (4 p.), Archives Nationales, cote F19Z19 6. 5. P. M. HARRISON, AuthoritV and PoTer in the Free Church 1radition, A social Case StudV of the AJerican Baptist Convention, Carbondale, IllinoisZ1971 (19591).
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atténuée durant la décennieZ186. Avec l’instauration durable de la -épublique, elle laisse place à une certaine fascination. &&-IRO>IFPJB>@@ORBQQ>QO¤MR?IF@>FKࢩ ABP¤S>KD¤IFNRBPMBO¢RPMLPFQFSBJBKQ >KK¤BP De 1875 environ au premier tiers du XXeZsi¢cle, le regard de l’État change sur les protestants évangéliques français. Désormais, la -épublique s’est installée, et pour longtemps. Le principe de la souveraineté démocratique des citoyens, la la©cité, la liberté d’association s’imposent. Dans ce contexte, la traditionnelle réticence des protestants de type congrégationaliste pour « l’autorité », pour les institutions lourdes, revêt une signi࠱cation politique nouvelle aux yeux des élites républicaines. Ces derni¢res, en dépit du courant anticlérical (et parfois antireligieux) qui pén¢tre certains de leurs rangs, se montrent alors passablement fascinées par le creuset presque libertaire qu’ils croient parfois percevoir dans ces « Églises locales ». Cette fascination est signi࠱cative chez Pierre Larousse, 6 dont le Grand dictionnaire universel fait montre d’un vif intérêt pour les protestants, en particulier ceux qui, comme les évangéliques, s’a࠳rment dans le cadre de groupes associatifs militants (proches du type « sectaire » tel qu’il est dé࠱ni 7 classiquement par Max Weber et Ernst Troeltsch ). En dépit du « fanatisme » qu’il déplore au sein de ces congrégations, Pierre Larousse se montre fasciné 8 par le « principe actif de civilisation » qu’elles portent en germe , à l’image des 9 méthodistes ou des baptistes chez qui « même les femmes » peuvent voter . La dimension d’autogestion, la valorisation de l’individu, la participation des femmes, la solidarité associative des communautés évangéliques, voire la mise en valeur, chez tous ces groupes, de la séparation des Églises et de l’État (qui n’est certes pas encore d’actualité dans les annéesZ187, mais qui est déjà débattue) attirent soudain l’attention d’une partie du camp républicain, en dépit du caract¢re ultra-minoritaire de ces protestants en France. Dans un contexte o³ le cléricalisme devient l’ennemi pour une large partie des -épublicains, c’est le mod¢le de « l’Église-institution » tel qu’il est défendu par l’Église catholique qui subit désormais la mé࠱ance du politique. La nouvelle société politique qui se construit ne veut plus d’une institution catholique « englobant la société et englobé(e) par la société 1 ». Un véritable « échange symbolique » s’op¢reZ: les proscrits ou les relégués de hier (pour cause de rejet du « principe d’autorité ») reçoivent soudain la sympathie de l’État, tandis que
6. Gigantesque outil de formation de la bourgeoisie républicaine, le Grand Dictionnaire Universel compte quinze volumes et deux suppléments, soit plus de pagesZ(!). Il est paru pour l’essentiel deZ1866 àZ1876, soit la période de basculement vers la -épublique. 7. Soit une association volontaire d’individus religieusement quali࠱és, a࠳chant une opposition assez marquée avec un certain nombre de valeurs ambiantes. 8. P. LAROUSSE, Grand dictionnaire universel, Slatkine, Paris 198 (réimpression de l’édition de Paris 1866-791), article « Méthodiste », t. XI, 1re partie, p.Z155. 9. Ibid, article « aptisme », t. II, eZpartie, p. 194. 1. É. POULAT, Le catholicisJe sous observation, Le Centurion, Paris 1983, p. 161.
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l’Église-institution honorée hier se couvre soudain d’une ombre menaçanteZ : c’est désormais elle, et non plus les groupes minoritaires, qui risque de saper le nouvel ordre politique tel que la -épublique le dé࠱nit. Cette revalorisation du mod¢le social de groupes de type évangélique n’a évidemment joué qu’à l’extrême marge du débat politique français. On n’en observe pas moins des signes dans l’histoire évangélique du tournant desZ XIXe et XXeZ si¢cles. Ainsi, certains maires républicains n’hésitent pas à o࠰rir gratuitement la salle municipale à certains orateurs évangéliques baptistes (au nom d’un même combat contre le cléricalisme de « l’Église-institution »). ÀZLandricourt, enZ1878 (Aisne), un maire (d’origine catholique) se joint même au pasteur baptiste pour distribuer 11 des tracts d’évangélisation lors d’un enterrement ! Le raisonnement implicite qui semble avoir joué durant les premi¢res décennies de la Troisi¢me -épublique est le suivantZ: mieux vaut des groupes religieux séparés de l’État, qui fonctionnent sur un mode associatif, souple, minoritaire et hostile à une forte autorité institutionnelle, qu’une Église-institution qui concurrence, par son autorité, celle de l’État. La question du « pouvoir » interne aux groupes minoritaires n’appara¨t pas, alors, comme un enjeu social ni un motif d’inquiétude ou d’interrogation. Un nouveau pluralisme religieux s’installe, né du désengagement de l’État, qui rompt le Concordat avec la séparation des Églises et de l’État. Les lois sur les associations (191-195) posent alors un cadre dans lequel s’ins¢rent sans di࠳cultés les Églises évangéliques (et les autres protestants, anciennement « concordataires » ou non), et l’État n’en demande pas davantage. Mais apr¢s quelques décennies de fonctionnement républicain et le ralliement massif et dé࠱nitif des catholiques à la -épublique, la perception étatique de la réalité congrégationaliste des protestants évangéliques s’est à nouveau modi࠱ée. &&&-IRO>IFPJBA¤JRIQFMIF¤BQP¤@RI>OFP>QFLKࢩ RKQ>QMIRPJ¤࠲>KQABMRFPIBP>KK¤BPࢩ Dans la seconde moitié du XXeZsi¢cle, les rapports entre l’État français et les protestants évangéliques sont globalement assez similaires à ceux qui se sont établis aux débuts de la IIIeZ-épublique. La liberté de culte des évangéliques est totale, dans le cadre d’une société pluraliste et « la©que à la française » o³ toutes les religions ont le même statut. On discerne cependant, à la marge, une certaine évolution dans la mani¢re dont l’État et les collectivités locales perçoivent des groupes volontaires et associatifs du type évangélique. On ne revient pas à l’attitude discriminatoire d’avantZ1875, mais une lég¢re mé࠱ance est perceptible. Elle s’atteste ponctuellement par certaines di࠳cultés locales rencontrées par les évangéliques pour obtenir des terrains o³ construire des lieux de culte 1 , ou par les appels des autorités à se structurer davantage, ce qui revient à encourager
11. Cf. American aptist Missionary Union, SixtV-Fifth Annual Report, oston 1879, p. 68. 1 . Cf. S.ZLEZARS, « Les évangéliques, en plein essor, peinent à trouver des lieux de culte », Le Monde (8Zmars 7).
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l’adhésion à la Fédération protestante de France. Pourquoi cette évolution ,uatre param¢tres sont à prendre en compte. Le premier facteur d’explication est le déclin du catholicisme. Apr¢sZ195, le « combat des deux France » est depuis longtemps gagné par le mouvement républicain. L’Église-institution ne constitue plus une menace potentielle et appara¨t même, au contraire, comme un générateur de lien social à l’heure o³ la modernité désenchantée, le ch®mage croissant, l’éclatement des familles para¨t fragiliser quelque peu la cohésion nationale. L’autorité institutionnelle de l’Église catholique (et des Églises « minoritaires » mais « institutionnelles » comme l’Église réformée de France par exemple) se trouve, du coup, fortement revalorisée. Désutopisé, plus pragmatique, l’État « chercherait plus à suivre les 13 évolutions de la société civile qu’à les précéder, encore moins à la provoquer ». La dimension éventuellement libertaire voire révolutionnaire des groupes minoritaires évangéliques fascine d¢s lors beaucoup moins qu’à la ࠱n du XIXeZsi¢cle. LaZpriorité passe désormais à l’apaisement et à la cohésion, en s’appuyant sur les forces symboliques majeures du pays, dont le catholicisme constitue toujours un élément-clef, en dépit de sa perte d’in࠲uence réguli¢re. Le second facteur d’explication est la pluralisation croissante du paysage religieux français. Le pluralisme religieux se démultiplie, avec l’essor de l’islam, mais aussi l’implantation du bouddhisme et de multiples mouvements religieux minoritaires. Ce pluralisme démultiplié a conduit les élites politiques et les observateurs à une certaine perplexité. On avait cru, durant les annéesZ195 àZ197, que le religieux était voué à un déclin dé࠱nitif dans les sociétés sécularisées, et voilà qu’il revient en force ! Le phénom¢ne des dites « sectes », tr¢s médiatisé, participe largement de ce désarroi d’une partie du corps social face à une pluralisation religieuse que la génération née au milieu du si¢cle n’attendait pas. Dans ce nouveau contexte, le rapport autorité-pouvoir tel qu’il est vécu chez les protestants évangéliques (et dans d’autres groupes de ce type) se voit connoté di࠰éremment. L’accent du politique n’est plus sur la faiblesse de l’autorité institutionnelle (rassurante, au début du XXeZsi¢cle), mais sur la di࠳culté à cerner le « pouvoir » interne qui régule ces groupes. Le faible degré d’institutionnalisation de ces « Églises locales » suscite une perplexité nouvelle, dans un contexte de vigilance « anti-secte » o³ certains groupes protestants, y compris (quoique tr¢s rarement) les évangéliques, peuvent à l’occasion être mentionnés. Dans le 14 rapport parlementaire sur les sectes de Jacques Guyard et d’Alain Gest , on découvre ainsi que les sectes « se sont installées en deux vagues » principales. La premi¢re remonte au début du XXeZ si¢cle, qui a vu des mouvements religieux nés pour la plupart dans des pays anglo-saxons s’enraciner dans la société française. Témoins de Jéhovah, mormons, pentec®tistes, adventistes, baptistes.
13. J.-P.Z WILLAIME, « État, éthique et religion », Cahiers internationaux de sociologie LXXXVIII (199), p. . 14. A. GEST (président de la commission d’enquête) et J. GUYARD (rapporteur), Les sectes en France, Rapport de l’AsseJblée +ationale 1468 (1996), p. 3 .
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Diverses stratégies sont mises en œuvre par l’État pour juguler le manque d’autorité institutionnelle repérable des groupes hostiles au mod¢le « classique » de « l’Église » centralisée. L’encouragement à l’adhésion à la Fédération protestante de France constitue le moyen le plus souvent employé pour accentuer une « visibilité institutionnelle » des diverses tendances du protestantisme. Il a notamment joué dans le cas de l’Église évangélique de Pentec®te de esançon, qui a ࠱guré dans la liste du rapport parlementaire de 1996 sur les sectes. Ce groupe évangélique de type pentec®tiste a ainsi été interpelléZ: « votre appartenance à la F.ZP.ZF. serait bien évidemment de nature à éclairer dé࠱nitivement l’opinion publique », écrit Antoire GuerrierZdeZDumast, président de l’Observatoire interministériel sur les sectes, à Daniel Gloeckler, l’un des responsables de 15 « l’Église » en question . Un troisi¢me facteur qui peut contribuer à expliquer un léger regain de mé࠱ance des autorités à l’égard des protestants évangéliques est l’impact de la globalisation. Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ont consacré l’hégémonie mondiale des États-Unis. Force est de constater qu’une partie des élites françaises s’en est mal accommodée, en dépit des liens d’amitié qui unissent les deux pays. Lentement dépossédée des moyens d’exercer, comme jadis, son in࠲uence mondiale, immergée de plus en plus inéluctablement dans un processus de globalisation qu’elle ne peut ma¨triser seule, la France et ses élites ont réagi avec un mélange d’adaptation et de crispation. Une de ces crispations, sur le terrain religieux, s’est traduite par une mé࠱ance renouvelée pour les in࠲uences religieuses jugées étrang¢res, en particulier l’islam, mais aussi le protestantisme évangélique. Ce dernier est volontiers associé, dans une certaine presse, à l’in࠲uence américaine. L’hebdomadaire Marianne décrit ainsi le milieu religieux du président ush comme une « secte 16 », tandis que l’hebdomadaire Le +ouvel ,bservateur estime que les évangéliques rel¢vent d’une « secte qui veut conquérir le monde 17 ». ,ue ces titres soient caricaturaux et excessivement simpli࠱cateurs est l’évidence même. En dépit de liens parfois étroits avec les États-Unis, les protestants évangéliques français développent des positions propres, qui ne se calquent généralement pas sur celles des Américains. Mais ces titres de presse ont attiré l’attention d’un large lectorat français. Dans un pays particuli¢rement soucieux de son indépendance culturelle et politique vis-à-vis des États-Unis, de telles descriptions des Églises évangéliques ont nourri, dans certains cercles, une mé࠱ance qui s’est parfois traduite, sur le terrain, par des di࠳cultés concr¢tes, par exemple à agnolet, enZ 3, o³ le maire décide
15. Courrier du 4 septembre 1997, transmis par Daniel Gloekler. 16. « La secte ush attaque », couverture de Marianne 39 (semaine duZ 4 auZ3Zmars 3). 17. Le mouvement « s’exporte aussi facilement que le fast-food », « s’enracine partout » au travers de « missionnaires de choc », des « croisés de l’Apocalypse », « néochrétiens » qui ne « manqueront pas d’entrer en guerre totale contre leurs voisins »! ڎixit S. ZEGHIDOUR, « Les évangéliques, la secte qui veut conquérir le monde », dossier du +ouvel ,bservateur 51 ( 6Zfév. 4).
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d’exproprier une Église évangélique, en critiquant au passage le pasteur David ThabotZ: il « mélange la religion et le business, à l’américaine 18 ». Un dernier facteur qui nourrit une certaine mé࠱ance à l’égard des évangéliques, est leur dynamique prosélyte 19. L’évangélisation, la di࠰usion de la « onne Nouvelle » (Évangile) est en principe non négociable pour un protestant qui revendique l’identité évangélique. L’appel à « faire des disciples » retentit dans toutes les assemblées, suscitant de multiples initiatives d’o࠰re de salut. Or, cette orientation prosélyte s’oppose de plus en plus au développement d’une culture de l’indi࠰érenciation religieuse et de l’euphémisation des absolus. Ce mouvement de désutopisation et de montée de la relativité dépasse le strict terrain religieux. L’idéal civique et la©c lui-même n’en sort pas indemne. Les grands récits fédérateurs et normatifs perdent de leur pertinence au pro࠱t d’une cohabitation de multiples o࠰res de sens, sur fond d’une individuation croissante des options. Ce contexte dessine les contours d’une modernité désenchantée qu’on quali࠱e aujourd’hui d’« ultramodernité ». Marquée par une dimension autocritique et autoré࠲exive, cette derni¢re induit des e࠰ets à double sensZ : les absolus sont contestés (en particulier en terrain religieux), mais la rationalité instrumentale, elle aussi questionnée, n’en sort pas indemne, générant à la marge nostalgies des lieux et des temps structurés, réinvestissements dans le « spirituel » et dans des o࠰res religieuses alternatives. C’est dans ce double mouvement qu’il faut comprendre le développement, depuis les annéesZ197, d’un « religieusement correct », ou « religieux libéral », dont les traits familiers se sont aujourd’hui imposés sur la sc¢ne médiatique française. Ce religieux int¢gre à la fois la relativité des absolus (aucune religion ne saurait prétendre au monopole du Paradis), la conformité aux valeurs des !roits de l’hoJJe (parmi les absolus, celles-ci sont généralement préservées par la critique ultramoderne), et les besoins contemporains de spiritualité. Dans ce contexte, la demande religieuse actuelle a tendance à s’orienter en direction d’o࠰res qui privilégient autonomie, écoute et « services spirituels ponctuels », préférés aux engagements contraignants dans la durée. Le « à chacun sa voie » s’est imposé dans l’espace public, rendant le prosélytisme religieux assez mal vu. On accepte « d’autant mieux le religieux » qu’il est « tranquille et en perte d’in࠲uence. On l’accepte beaucoup moins bien d¢s lors qu’il redevient militant et conquérant 1 ». Dans cette con࠱guration, il n’est pas tr¢s étonnant de constater que l’insistance des évangéliques sur l’annonce du salut en « Jésus-Christ seul » tranche, et suscite des remous, conduisant par exemple certaines municipalités
18. M. LEFEBVRE-ILLIEZ, « Des Églises et une mosquée sous la menace d’une expulsion », RéforJe (1 mai 5). 19. On utilise ici le mot « prosélytisme » dans son sens classique, qui évoque l’idée de « faire des disciples », et non pas dans le sens péjoratif qu’il peut parfois avoir, devenant synonyme de « racolage » ou de mise en avant des spéci࠱cités d’un mouvement comme condition de salut.
. F. CHAMPION, M. COHEN, Sectes et déJocratie, Seuil, Paris 1999, p.Z54-55.
1. J.-P. WILLAIME, dans F. FRÉGOSI, J-P.Z WILLAIME, Le religieux dans la coJJune Les régulations locales du pluralisJe religieux en France, Labor et Fides, Gen¢ve 1, p.Z361.
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à refuser la tenue d’un stand de littérature chrétienne au marché local, souvent au motif de « créer un précédent
». La peur d’une surench¢re au prosélytisme En deux si¢cles d’histoire, l’observation des réactions politiques et sociales à la présence protestante évangélique en France rév¢le l’ampleur des mutations du pluralisme religieux. -estreint et cloisonné durant la majeure partie du XIXeZsi¢cle, il s’est assoupli, libéralisé, permettant aux évangéliques de pro࠱ter d’une liberté beaucoup plus grande qu’auparavant. Mais l’élargissement constant de la diversité religieuse et du pluralisme religieux et culturel, combiné avec une sécularisation en profondeur de la société, a conduit à certaines crispations récentes dans la mani¢re dont les évangéliques sont perçus. Cependant, rien n’indique qu’on assiste à un renversement de tendance. En e࠰et, du c®té de l’État, le choix d’une société démocratique et pluraliste appara¨t comme durable et irréversible. -éprimer les réunions évangéliques comme cela pouvait parfois se faire il y a un si¢cle et demi appara¨t d¢s lors inimaginable. Par ailleurs, du c®té des évangéliques, les Églises et réseaux qui se rattachent à cette tendance acceptent eux-aussi la loi républicaine et le pluralisme culturel et religieux. Paci࠱ques et bien intégrées, activement engagées dans la société (y compris sur le plan caritatif), les assemblées évangéliques séduisent des centaines de milliers de Français et sont là pour rester. On peut donc considérer qu’à moins d’une crise majeure, que celle-ci touche la -épublique ou les protestants évangéliques, la phase de mé࠱ance actuelle vis-à-vis des évangéliques ne peut être interprétée comme une mise en cause durable du pluralisme, mais plut®t comme le sympt®me d’une phase d’adaptation au travers de laquelle la société française s’habitue à une pluralité religieuse sans précédent.
. ExempleZ: la ville de Villefranche refuse au pasteur de l’Église évangélique de éligny un stand au marché municipal, au motif de « créer un précédent qui pourrait par la suite la placer devant certaines di࠳cultés ». Lettre de Jean-Jacques Pignard, maire de Villefranche, au pasteur de l’Église évangélique de éligny, 5Zoctobre 1995.
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À PROPOS D’UNE PARTICULARITÉ CONCEPTUELLE !2,2!!%&0*"3&"1+*&"+ࢩ0 ,*-)"5&1
NGUYՙN ,UեC TuԺn Institut de recherches sur les religions, Hanoi
Dans sa physionomie contemporaine, le bouddhisme vietnamien présente quatreZ particularités dont l’une est sa complexité. Le terme de « complexité » est utilisé dans ce cas précis car nous voulons embrasser l’ensemble des éléments constituant la nation multi-ethnique –Zcomposée de 54Zgroupes ethnolinguistiquesZ– qu’est le ViêtZNam même si l’élément viêt reste prépondérant. On peut analyser cette complexité selon les crit¢res suivantsZ: –Zcomplexité de la base socio-ethnique perceptible à travers les legs historiques (point de vue diachronique) ; – complexité des branches telles qu’elles sont dé࠱nies par l’Église bouddhique du ViêtZNamZ: JahaVana (BՀc t®ng), theravada (+aJ t®ng), et ordre mendiant ((hԶt࢙sã) selon un point de vue transversal ; – complexité de ses relations aux autres religions (point de vue transversal). I. Tous les Vietnamiens ne sont pas bouddhistes. Mais on peut rappeler en préliminaire qu’historiquement, beaucoup de groupes ethniques (cas des ethnies Hmong, Dao, Tày, Thi, N³ng, MŪղng 1) ont suivi le bouddhisme, l’ont concilié avec le confucianisme et le tao©sme ou avec les religions autochtones ڎ-appelons de plus que les Ch½m et les Khmers ont reçu un bouddhisme qui a, parall¢lement au brahmanisme, combiné le JahaVana et le theravada. De nombreux auteurs européens, américains, vietnamiens ont abordé ces sujets dans leurs recherches, nous n’y revenons pas. Parmi les groupes ethniques qui ont adopté le bouddhisme, celui des Viêt est celui qui a joué le premier r®le dans son apparition au cours des deux derniers millénaires. On perçoit ici une particularité de l’histoire religieuse
1. Dans de nombreux textes de cultes rédigés en écriture « sino-vietnamienne » (appelons-la ainsi pour exprimer la langue démotique « n®m » de ces peuples), les éléments bouddhiques sont mélangés aux éléments confucéens, tao©stes et aux croyances autochtones. Le bouddhisme n’y est plus intégral, mais ces bribes jouent encore un r®le égal aux autres religions citées. Il est cependant tellement indigénisé que les chercheurs n’y portent plus attention. ,uelques-unes de nos campagnes ont porté un regard di࠰érent sur ces hybridations.
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de nations pluriethniques, telles que la Chine en Asie orientale et le ViêtZNam en Asie du Sud-Est. Les événements historiques que le ViêtZNam a vécus à l’époque moderne et contemporaine expliquent que les religions s’y distinguent intrins¢quement de celles de la ChineZ: on y voit ainsi le legs d’un confucianisme qui a été mis en échec, d’un tao©sme qui n’est que la relique d’un passé lointain, d’un bouddhisme qui a traversé de sérieuses crises, ou encore d’un catholicisme qui a renforcé son pouvoir et qui s’est développé de façon inconsidérée grce au soutien des autorités colonialistes apr¢s le traité deZ1884 (traité Paten®tre). Depuis, le bouddhisme s’est toujours trouvé en présence de cette religion importée et dominatrice qu’est le catholicisme. La crise aiguë du bouddhisme à partir de la seconde moitié du XIXeZsi¢cle a incité à sa réforme et à sa rénovation dans les annéesZ 19 . De fait, le bouddhisme et son patrimoine historique multiforme n’ont jamais été unifiés au niveau national. L’uni࠱cation est, dans son essence, un processus long qui reste encore inachevé. D’o³ cet attribut de « complexité » pour quali࠱er le bouddhisme vietnamien contemporain. Comme nous l’avons rappelé, le bouddhisme contemporain a connu de grands bouleversements, surtout apr¢s le mouvement de rénovation –Zon pourrait aller jusqu’à utiliser le terme de « révolution »Z– qui a essentiellement a࠰ecté le bouddhisme des Viêt et, dans une moindre mesure, celui des Hoa (Chinois du ViêtZ Nam). La complexité est une résultante dont il faut tenir compte, on ne peut pas écarter totalement les héritages d’un patrimoine multiséculaire, ou dit autrement, ces héritages sont une des grandes particularités ethno-régionales. Le XXeZ si¢cle témoigne de cette complexité (pluralité du bouddhisme dans l’espace), même si dans un même élan, un processus a incité à uni࠱er le corps du bouddhisme vietnamien en laissant de c®té les divergences du passé. Il s’agit là d’une autre particularité historique du bouddhisme que nous n’avons pas encore mentionnéeZ: son caract¢re unitaire. En élargissant le regard, on s’aperçoit que les vicissitudes du ViêtZNam et du monde au cours du si¢cle passé, ou pour le dire autrement, la soumission totale du ViêtZNam aux incidences du monde, ont provoqué de profondes transformations du bouddhisme sous l’e࠰et de dynamiques internes. Les conditions requises ne sont pas encore réunies pour en faire la synth¢se, nous n’en avons qu’une idée partielle. Mais nous pouvons relever deux éléments dynamiques déterminantsZ: l’introduction du marxisme-léninisme au ViêtZNam et l’e࠰ondrement des régimes socialistes en Europe deZl’Est et en UnionZsoviétique. Il ne s’agit pas d’une abstraction mais bien d’une des réalités historiques du XXeZsi¢cle. Le marxisme, le marxisme-léninisme puis le « socialisme réel » sont devenus le visage et le foyer de luttes idéologiques, de luttes des classes, de luttes
. Aujourd’hui, beaucoup sont dans le Parti, l’État, les services responsables du domaine de la pensée théorique, critiques à l’égard de ce mod¢le qui a réellement existé pendant 7Zans en Union soviétique et dans l’ex-Europe de l’Est notamment.
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z propos d’une particularité conceptuelle du bouddhisJe vietnaJien
mondiales entre nations pendant presque tout le XXeZsi¢cle. Érigés quasiment en archétypes, ces trois courants révolutionnaires sont, depuis la seconde moitié du XXeZsi¢cle, habituellement considérés comme le moteur qui fera passer le monde de l’¢re du capitalisme et de l’impérialisme à celle du communisme apr¢s une transition par le socialisme. Durant cette période, le socialisme a eu une énorme force d’attraction. En particulier apr¢s que la Chine l’a adopté et que les régimes politiques qui en émanaient ne se limitaient plus à la sph¢re européenne mais aussi à celle de l’Asie. La Chine a eu historiquement une in࠲uence majeure sur de nombreuses nations asiatiques –Zparmi lesquelles le ViêtZNamZ– notamment àZtravers la matrice de l’écriture lorsque ces nations ont éclos culturellement. Pour cette raison, les changements en Chine auront toujours une in࠲uence forte sur le ViêtZNam. Ces liens historiques n’épargnent pas non plus la sph¢re bouddhique. Nous avons déjà eu l’occasion de le rappeler dans une recherche sur le vénérable Tai Xu (1hái HŪ ËԲi sŪ) et sur l’in࠲uence au ViêtZNam de sa comparaison du socialisme et du bouddhisme. Il n’est pas super࠲u de rappeler que même si la théorie du socialisme est un véritable contrepoids idéologique dont le bouddhisme doit tenir compte, la fascination pour une société idéale dans laquelle dispara¨trait l’exploitation humaine a incité beaucoup de bonzes à voir dans le socialisme une théorie avec laquelle ils pourraient cheminer pour, d’une part, annihiler l’oppressionZet l’injustice et, d’autre part, faire concorder les enseignements du bouddha avec une sorte d’égalité humaine dans la recherche de la libération (nirvana). Il faut naturellement reconna¨tre que les divergences entre ces deux théories sont assez évidentes, surtout lorsque l’on consid¢re les objectifs sociaux, le sens accordé à la vie et les interactions entre ces deux aspects. Apr¢s que le régime socialiste est entré en grave récession dans les derni¢res décennies du XXeZsi¢cle, un certain nombre de ces spéci࠱cités ont surgi, lesquelles sont désormais pour les bonzes un « obstacle » à leur connaissance du socialismeZ: – le marxisme-léninisme montre entre autres que l’on peut comprendre le monde dans son unité matérielle et que l’on peut le modi࠱er, le changer par des révolutions sociales qui permettront à la société humaine d’atteindre l’étape ultime du communisme scienti࠱que. ,uel dommage qu’en pratique, l’actualité n’ait encore pu témoigner d’une telle théorie. En dissertant de la sorte, le marxisme-léninisme veut réformer la société à partir des conditions disponibles, réformer l’homme de l’extérieur pour résoudre dé࠱nitivement l’inégalité entre les hommes. ,uand il l’a réalisé avec succ¢s dans un certain nombre de pays, le socialisme a eu un e࠰et d’attraction tr¢s fort sur de nombreux autres pays. La formation du tiers-monde a été une réponse précise au mod¢le socialiste. Il est vraiment regrettable que ses développements ultérieurs, surtout à partir des annéesZ197, autrement dit les écueils du développement économique, la stagnation, la bureaucratie, la corruption, le manque de transparence, aient fait échouer les régimes socialistes tombés en crise à la face du monde. Ce qui sugg¢re tout autant qu’une révolution sociale d’un type nouveau n’a toujours pas pu se réaliser dans les conditions réelles. LeZViêtZNam est, parmi les nations socialistes, celle qui a eu la chance d’avoir échappé à l’e࠰ondrement. Mais pour préserver ce régime, le Parti communiste vietnamien a dµ mettre en place une politique de rénovation, tout d’abord écono81
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mique, idéologique ensuite, pour proclamer la voie d’un socialisme qui reste d’une part à édifier en partant des expériences pratiques puis d’autre part, à théoriser sous un mod¢le s’écartant de ceux préexistants. Les réalisations économiques, sociales et culturelles au cours de ces vingtZannées ont beaucoup fait changer la société vietnamienne, mais sans que ces réalisations ne reposent sur les principes d’un socialisme scienti࠱que « classique » ; – quant au bouddhisme, l’essence de son enseignement montre qu’il n’y a ni début ni ࠱n du monde ou de l’homme, que toute chose est impermanence, non-soi et que la vérité (si l’on peut parler ainsi) est la délivrance ultime (quels que soient les degrés de changement de la situation sociale). À la place d’une transformation sociale par la lutte sociale, le bouddhisme propose essentiellement une autotransformation de l’homme par lui-même qui dépassera ainsi la sou࠰rance 3. Cette théorie du bouddhisme est encore « démontrable » aujourd’hui, même si l’homme a fait des progr¢s immenses dans de nombreux domaines de l’existence. La raison de cette digression sur les deux théories, examinées uniquement dans leurs procédés théoriques, est que le parall¢le dressé entre socialisme et bouddhisme –Zsemblables en leur origineZ– est une tendance essentielle qui s’est généralisée par le passé. Mais du fait des réalités brutales de la ࠱n du XXeZsi¢cle, ce parall¢le s’est teinté de « paradoxe », faisant qu’aujourd’hui l’opinion consid¢re seulement ce rapport comme une relation provisoire, faite d’accommodements, de compromis plut®t qu’une relation réellement combinée qui r¢glerait conjointement les probl¢mes de la société. Ce que l’on vient d’énoncer peut se voir clairement. L’Église bouddhique du ViêtZNam a certes pour devise « Dharma, nation et socialisme », mais le socialisme a beaucoup évolué pour, comme nous l’avons dit, entrer en récession, ce qui fait que cette devise fondée sur l’homologie des troisZ propositions ne résout pas réellement les subtiles contradictions internes. Ces insu࠳sances in࠲uencent la pensée politique de beaucoup de bonzes et des bouddhistes la©cs en général. ,uand le Parti communiste vietnamien proclame fermement la voie du socialisme, il faut évaluer clairement quels contenus élémentaires du socialisme ont été édi࠱és, ceux qui ont été compris, ceux qui ont été reconsidérés et ceux qui se confrontent toujours au monde réel. Il s’agit là d’une spéci࠱cité de taille dans la façon d’expliquer ce qu’est dorénavant le socialisme. Il faut également saisir une autre réalité. Le ViêtZNam ne vit pas isolé et hors du monde ; les grands bouleversements du monde ne peuvent pas ne pas avoir d’e࠰ets. D’o³ la réalité des interactions (à la fois positives et négatives) entre un grand syst¢me (monde) et un petit syst¢me (ViêtZNam) comme loi existentielle à laquelle on ne peut échapper, qu’on le veuille ou non. Les bonzes et les bouddhistes ne se situent pas en dehors de ces contradictions de pensée. D’un c®té, ils sont d’accord pour édi࠱er une société harmonieuse, d’un autre c®té, ils ressentent ce que le ouddha leur a enseigné avec force pour soigner l’me humaine rongée par les trois poisons. Passons sur les études qui ont
3. Même si le niveau du progr¢s matériel atteint des sommets, la souffrance est toujours une « constante » si l’on reste avide de biens et de désir.
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démontré clairement ce que le bouddhisme réalise pour soigner ces trois poisons pour se demanderZplut®tZ: s’agit-il bien, comme on vient de l’exposer, de manquements à la morale sociale de notre pays D’un point de vue strictement politique, on peut également parler de complexité à propos du comportement des bonzes envers l’État, la Nation et la -évolution au cours du XXeZsi¢cle, du comportement des populations du ViêtZNam (ou pour parler comme le président Hը Ch§ Minh, du peuple vietnamien) qui ont accompli la révolution sous l’étendard de la Démocratie, de la -épublique, de la Nation et du Socialisme. Pour de nombreuses raisons, notamment du fait que le ViêtZNam ait dµ subir de puissants envahisseurs ; en conséquence du contexte fait de tensions entre grandes puissances et surtout de division déchirante et regrettable entre régimes duZ Nord et duZ Sud, le bouddhisme n’a pu échapper à ces probl¢mes insolubles lorsqu’il a dµ adopter un comportement politique envers chacun des régimes. Il va sans dire que les bonzes se sont alors idéologiquement divisés en dépit d’un enseignement bouddhique qui n’incite aucunement le ࠱d¢le à participer activement à la vie politique. Les conséquences de cette division ont marqué d’une empreinte indélébile le bouddhisme en son cœur, et il faudra encore beaucoup de temps avant de pouvoir l’e࠰acer. Un autre aspect de la complexité, de nature di࠰érente, concerne l’institutionnalisation du bouddhisme sous la forme d’Église. Lorsque le bouddhisme vietnamien a dé࠱ni enZ1951 une institution moderne, distincte du sangha primitif et traditionnel pour élaborer un mod¢le qui lui est propre, celui-ci a dµ affronter apr¢s coup des probl¢mes internes d’une grande complexité qu’aucun des acteurs de cette premi¢re uni࠱cation n’auraient pu anticiper. Ainsi, qu’on le veuille ou non, la complexité du bouddhisme vietnamien au XXeZsi¢cle, aussi surprenante soit-elle, est devenue l’une des particularités majeures dont il faut tenir compte. D’o³ provient cette spéci࠱cité S’agit-il d’un phénom¢ne apparu uniquement au cours du si¢cleZprécédent Dans son long développement, l’histoire du bouddhisme mondial montre quelques particularités. Le XXeZsi¢cle peut être décrit comme le si¢cle o³ le monde s’est réduit sous les multiples e࠰ets de la science et des techniques, de la technologie et des médias. Pour autant, on ne peut pas quali࠱er ce monde d’unique et d’homog¢ne. Le bouddhisme conna¨tra aussi des divergences car il n’existe pas comme un élément isolé. L’autre facette de la question est la complexité ethno-territoriale qui régit le bouddhisme vietnamien. Nous avons eu l’occasion de rappeler la non-participation des populations khm¢res aux a࠰aires internes du bouddhisme des Viêt, car les a࠰aires religieuses, celles du bouddhisme en particulier, sont rarement séparées des questions ethniques au Viêt Nam. On ne pourrait faire oublier aux Khmers leurs origines même si cette vérité n’est pas toujours facile à entendre. Dans les moments favorables, ces contradictions historiques n’ont pas lieu d’être exprimées, mais dans des périodes de tensions, elles le sont au point de devenir explosives. Les forces politiques qui luttent contre l’État vietnamien, notamment ceux qui s’auto-proclament HhJer HroJ, ont utilisé ces contradictions historiques pour diviser la nation.
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Si on l’analyse sur une base ethnique, la complexité du bouddhisme vietnamien se perçoit dans l’utilisation des deux écritures pli et han-viêt. Comme cet état s’est maintenu jusqu’au XXeZsi¢cle, nous avons naturellement la fausse impression qu’il y aurait deux bouddhismes aux origines di࠰érentes. De plus, dans sa propagation aupr¢s des masses populaires, le bouddhisme a emprunté des formes et des procédés divers, aussi ces di࠰érences se sont-elles accentuées. La complexité est aussi d’ordre culturel, elle provient d’un pluralisme culturel que l’on cherche depuis peu seulement à faire converger. Une réalité bien di࠰érente des si¢cles précédents, qui a apporté une complexité supplémentaire, est la division du pays en trois « kֈ » à l’époque coloniale, puis en deux « miՖn » apr¢s 1954. L’intégrité territoriale, l’indépendance, l’uni࠱cation et la souveraineté nationales sont pourtant primordiales. On perçoit ces revendications aussi bien dans le bouddhisme qu’au niveau de la nation qui cherche à maintenir ses traditions. Naturellement, une di࠰érence est ࠲agrante dans le domaine de la pensée politico-religieuse. L’intégration religieuse qui s’est faite entre le bouddhisme et les religions d’origine indienne, chinoise et autochtones a certes provoqué la complexité religieuse du bouddhisme contemporain. Mais on ne voit aucune di࠰érence dans le domaine de la pensée politique. Précisons maintenant quelles sont les di࠰érentes branches bouddhiques au ViêtZ Nam. L’Église bouddhique du ViêtZ Nam consid¢re o࠳ciellement, toutes traditions et écoles confondues, les branches 4 suivantesZ: – le bouddhisme de l’école du Nord, de contenu essentiellement JahaVana qui s’est développé à travers l’écriture han-viêt (existe pour les Hoa chinois, et les Viêt) ; – le bouddhisme de l’école du Sud, de contenu essentiellement theravada, d’écritures pli-viêt (pratiqué par les Khmers, les Viêt) ; – la branche des moines mendiants (HhԶt sã), branche nouvellement apparue enZ194 et présente uniquement au Sud du ViêtZNam 5.
4. L’expression « h՜ phi »Z[que nous traduisons par branche bouddhique, ndt] s’est répandue apr¢s l’uni࠱cation du bouddhisme en 1981. 5. Les expressions « école du Nord », « école du Sud », « moines mendiants » sont utilisées par l’ensemble des bouddhologues, dont moi-même sans être pourtant compl¢tement convaincantes. La raison tient peut-être au fait que l’on trouve cette distinction aux origines du Chan chinois lorsque Hong Jen -HoՆng NhՀn- (61-674) scinda à partir d’une même source deux écolesZ : l’école du Nord de Thn Tu –ZZhishanZ– (65-76) qui n’est pas essentielle et l’école du Sud de Huineng –ZHuê NangZ– (638-713), qui par son prestige est la lignée principale du chan chinois. Du fait de cette similarité, l’utilisation de ce terme par l’Église bouddhique du ViêtZ Nam ne satisfait peut-être pas les chercheurs. Ou bien est-ce le manque de clarté des événements historiques et du contenu bouddhique lorsque celui-ci a pénétré l’Asie du Sud-Est qui rend son utilisation peu convaincante Les interrogations des chercheurs sont tr¢s nombreuses, mais il n’est pas totalement injusti࠱é que l’Église utilise cette forme nominative si l’on fait attention au fait que le bouddhisme primitif est essentiellement prépondérant chez les Khmers comparé au bouddhisme JahaVana qui est essentiel chez les Viêt et les Hoa.
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Clari࠱ons encore un peu. D’apr¢s les statistiques de l’Église bouddhique du ViêtZNam, les branches comptaient enZ 1 le nombre de religieux (tu sã), bonzes (t½ng) et bonzesses (ni), suivantZ: – nombre total de religieux bouddhiquesZ: 33 66 dontZ: - école du NordZ: 1 6 ; - école du SudZ: 9 415 ; - ordre des moines mendiantsZ: 1 67. – nombre total de lieux de cultes bouddhiques 6Z: 14 43 - école du NordZ: 1 954 ; - école du SudZ: 469 ; - ermitages des moines mendiantsZ: 361 ; - centres de méditationsZ: 357 ; - monast¢resZ: 568. Ces nombres de religieux et de structures religieuses o࠳cielles ne sont pas tr¢s importants lorsqu’on les reporte à une population de 8Z millions d’habitants. EtZles statistiques n’ont peut-être pas encore comptabilisé les religieux qui n’appartiennent pas à cette Église bouddhique (o࠳cielle). II. La complexité interne du bouddhisme vietnamien ne provient pas uniquement de son organisation en branches. Comme pour chaque religion, elle provient du ࠱d¢le que l’on dénomme « phՂt tւ » dans le bouddhisme. Même si toute dé࠱nition a ses propres limites, il faut naturellement dé࠱nir clairement ce que recouvre cette expression avant de faire le lien avec l’organisation bouddhique Gia ˦nh PhՂt tւ. En partant des dé࠱nitions qui circulent 7, deux points sont dignes d’intérêtZ: premi¢rement, ce terme embrasse la totalité des religieux (xuԶt gia) et des ࠱d¢les qui pratiquent à domicile (tԲi gia). Il est tr¢s important numériquement et reste tr¢s « ࠲ou » à propos des branches bouddhiques concernées et qui sont à l’extérieur et à l’intérieur du pays. Aussi est-ce la doctrine de chaque secte bouddhiste qui fait la qualité intrins¢que de chaque ࠱d¢le. Est-il envisageable de prendre de façon transversale l’ensemble des ࠱d¢les des écoles du Nord (Viêt, Hoa), du Sud (Khmers, Viêt), des moines mendiants (Viêt) et d’estimer leur niveau de connaissances de la doctrine et des r¢gles monastiques comme l’Église bouddhique du ViêtZNam l’a࠳rme Certainement pas. Si l’on approfondissait, beaucoup d’autres questions resteraient sans réponse. Deuxi¢mement, cette dé࠱nition ne tient pas compte du changement social et de l’apport des ࠱d¢les bouddhistes à la société moderne, hormis leur œuvre de conservation du dharJa. La Loi des religieux
6. Église bouddhique du ViêtZNam, « ans sur le chemin de l’édi࠱cation et du développement », édité par Giác +gժ,
. 7. Par exemple la dé࠱nition de ʬan Trung C¬n dans le dictionnaire du bouddhisJe (www.vietshare.com).
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et des pratiquants à domicile di࠰¢re sur les recommandations du niHaVa et sur la façon de les réaliser 8. Nous n’avons malheureusement pas le chi࠰re précis de l’ensemble des bouddhistes (religieux et pratiquants la©cs). Le document le plus récent du bureau gouvernemental des a࠰aires religieuses 9 a࠳rme que les bouddhistes sont au nombre de 9 38 64. Contentons-nous provisoirement de ces chi࠰res. Malgré de tels chi࠰res o࠳ciels, on ne peut pas nier qu’en réalité les pratiquants du bouddhisme à domicile sont encore évalués sur le crit¢re de définition du syncrétisme religieux présent de longue date dans notre pays. Pourquoi une telle situation Il y a diverses façons d’y répondre, mais la cause ci-dessous m¢ne ce probl¢me de délimitation à une évidenceZ: Le bouddhisme a en soi un mode de propagation religieuse que nous quali࠱ons d’élastique (selon la terminologie bouddhique HhՐ cś HhՐ l·, thuԾn duVên, t³V duVen). D’une « religion » qui nie toute création universelle –Zgrand soi, individu, soiZ–, qui consid¢re l’univers et l’homme comme observant la loi de l’impermanence et du non-soi, o³ seul le nirvana peut être l’ultime délivrance, le bouddhisme a essentiellement évolué vers une forme de « divinisation » des principes que l’on peut conna¨tre par l’expérience d’une vie religieuse. Ceci est devenu encore plus « erroné » quand le bouddhisme a dµ dévier de chemin et s’adapter aux croyances populaires en des forces de libération et de salut de l’esprit (selon l’expression ban ph´c giáng h՞a). C’est une habitude que les bouddhistes pratiquants des deux écoles, immergés qu’ils sont dans des traditions polythéistes, n’ont pu totalement éradiquer au point que le bouddha et les boddhisattvas sont devenus des sortes de génies à invoquer et à vénérer. Les traditions polythéistes ne sont pas mortes et il semble même qu’elles se renforcent. -econnu o࠳ciellement ou pas, le syncrétisme liant le bouddhisme aux religions historiques et aux religions traditionnelles du ViêtZNam est une réalité. Les bouddhistes du Nord, du Centre et du Sud du ViêtZ Nam manifestent di࠰éremment ce syncrétisme religieux, surtout au Sud lorsqu’on observe les populations khm¢res, viêt et hoa. Les di࠰érences de pratiques ont été analysées sous l’angle ethnologique mais elles sont peu décrites sous celui des sciences religieuses. Modestement, nous pensons que le moment est venu de pr®ner une recherche pluridisciplinaire croisant les méthodes de l’histoire, de la sociologie, de l’ethno-anthropologie, des études bouddhiques. Le manque de prise en compte des préceptes bouddhiques est une cause du
8. Cet aspect nous m¢nerait trop loin car il y a des r¢gles pour les bikkhu en général, celles pour les bikkhuni puis encore les Lois des boddhisattvas ڎCes nouvelles Lois des boddhisattvas ont été élargies aux ࠱d¢les qui pratiquent à domicile, toutefois elles embrassent en totalité les r¢gles des religieux ; et cela sans évoquer le bouddhisme primitif qui a ses r¢gles monastiques propres, soit générales soit spéci࠱quesڎ 9. an t®n gio ch§nh phռ [ureau gouvernemental des a࠰aires religieuses], 1i liu phզ biՐn Pháp lnh tín ngŪղng t®n giáo [!ocuJent de diࠨusion de l’,rdonnance sur les croVances et les religions], Nxb t®n gio, Hanoi 4, p. 34. Faisons attention au fait que ce petit livre nous donne des chi࠰res sans préciser le type de recensement. Il s’agit tr¢s certainement d’un recensement réalisé par le ureau des a࠰aires religieuses au niveau provincial.
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manque de profondeur dans ces recherches, car en simpli࠱ant la dé࠱nition du bouddhisme et des bouddhistes, nous isolons généralement la doctrine. Les théories s’appliquent « de l’extérieur » et non pas à partir de l’engagement vécu de l’intérieur, c’est-à-dire depuis la réalité du sujet, du ࠱d¢le bouddhiste. Si l’on revient à la question du syncrétisme religieux en repartant du bouddhisme, nous observons que les raisons de ce besoin réel d’intégration existent à la base des trois conceptsZ suivantsZ : HhՐ l·, HhՐ cś et t³V duVên. (hՐ l· suit une tradition historique qui démarre avec Sakyamuni et qui suit l’axe du temps. Selon cette conception, les principes élémentaires de la délivrance totale doivent se maintenir, mais ils doivent ensuite s’adapter et s’accorder aux sociétés et aux pays. Les méthodes de l’histoire et des études bouddhiques s’accordent pour mener des recherches sur ce concept. (hՐ࢙cś est l’adaptation et l’accord à l’espace environnant, autrement dit à l’existence sociale des collectivités humaines, des individus sur qui le bouddhisme se déploie. La circonstance représente ici le socle spirituel et social de chaque individu en tant que membre d’une société dé࠱nie. 1³V࢙duVên, c’est aller plus en profondeur dans l’individu, dans l’opportunité du salut, ce qui signi࠱e qu’il faut se baser aussi sur l’état général et mental de chaque personne pour que celle-ci prenne conscience des principes élémentaires de la délivrance. Ces conceptions n’ont vraiment rien de con࠱dentiel dans l’histoire du bouddhisme. Mais lorsqu’on m¢ne une recherche sur le temps présent, on les laisse généralement ࠱ler alors que les deux écoles du Nord et de l’école du Sud s’y réf¢rent toujours dans leur prosélytisme. Consentons provisoirement à cette explication, en n’oubliant pas qu’un tel ࠲ou existe dans de nombreux pays d’Asie orientale et d’Asie du Sud-Est. Au Japon par exemple, toute personne, à l’exception des chrétiens, peut se considérer comme ࠱d¢le d’une religion tout en exprimant en même temps sa croyance en d’autres religions qu’il pratique également 1. ,uelle est la situation actuelleZau ViêtZNam L’Église consid¢re comme bouddhistes les personnes qui ont reçu le baptême et à qui on délivre un certi࠱cat. En réalité, la question se résume au nombre de personnes à qui on en fournit. Mais dans quelles conditions vit la personne qui obtient ce certi࠱cat Sa compréhension découle-t-elle d’une croyance ou bien
1. Voir par exemple, J-P. BERTHON « -eligions, croyances et conceptions du monde » dans J-F.ZSABOURET (éd.), L’état du Japon et de ses habitants, éd. La découverte, Paris 1989, p.Z 17-
8. Dans cet article, il écritZp.Z 17Z: « Une des di࠳cultés de l’étude du fait religieux au Japon tient dans la ࠲uidité du phénom¢ne. La tradition religieuse japonaise est le produit de traditions indig¢nes (shinto©sme) et continentales (bouddhisme, tao©sme, confucianisme). Selon ses besoins ou les services que la religion procure, une personne peut appartenir à plusieurs groupes religieux à la fois, ou bien combiner, à l’intérieur d’une tradition, des éléments étrangers à celle-ci. Cela appara¨t clairement à la lecture des statistiques religieuses qui pourraient induire l’observateur étranger à considérer les Japonais comme un peuple ڄsurreligieuxڅ. Au 31Z décembre 1985, l’Annuaire des religions recensait 17 15 537 adeptes des di࠰érentes religions, alors que le Japon ne comptait que 119,Z3Zmillions d’habitants. »
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inversement ,uelles sont ses motivations réelles L’Église n’a pas encore porté toute l’attention à ces questions qui restent sans réponses 11. ,uant aux chercheurs, comment font-ils pour dé࠱nir de mani¢re qualitative ce qu’est un authentiqueZbouddhiste La question mérite d’être posée car il s’agit de procédés di࠰érents lorsqu’on donne à voir que l’on est une personne assidue à la pagode, ou bien qu’on lit et qu’on observe les paroles et la doctrine bouddhiques, ou encore qu’on prend le froc et qu’on pratique à la façon des moines sous la direction d’un ma¨tre ou pas ڎNguy՚n Duy Hinh explique qu’il faut distinguer deux sortes de ࠱d¢lesZ: les bouddhistes pratiquants (thuԸn thnh) et les bouddhistes qui suivent (dans un monast¢re ou à domicile, la masse populaire qui suit). Plus que toute autre religion, le bouddhisme a rendu le travail de dé࠱nition de l’adepte particuli¢rement di࠳cile. Le probl¢me ne se réduit pas simplement à l’attribution du certi࠱cat. Car s’il en était ainsi, le nombre de ࠱d¢les bouddhistes dans notre pays ne serait pas tr¢s élevé. La complexité repose sur le fait que tout village au ViêtZ Nam a une pagode (et parfois plusieurs), matérialisant ainsi la présence du bouddhisme. Notre discernement se rapprocherait d’un certain degré de vérité si quasiment tous les membres du village allaient à la pagode porter un culte au ouddha. Mais nous serions gênés en apprenant que leur compréhension de l’enseignement et du canon est tr¢s limitée, pour ne pas dire nulle dans certaines régions. Il est bien sµr nécessaire de distinguer ici les ࠱d¢les du Nord de ceux du Centre et du Sud du pays, et au Sud, di࠰érencier les Hoa, les Viêt, les Khmers. La di࠰érence dans ce cas-là est essentiellement dans la compréhension de la doctrine et du canon. Mais entre ces ethnies, se distinguent aussi les deux traditions de l’école du Nord et de l’école du Sud. En laissant cet aspect de c®té, il faut reconna¨tre qu’au Centre et au Sud, la compréhension de la doctrine et de la Loi par les bouddhistes la©cs est plus profonde et plus solide que chez ceux du Nord. Ces remarques ne sont pas intuitives mais basées sur des enquêtes sociologiques et sur des observations de terrain. Depuis les annéesZ 199 1 , même si elles ne sont pas devenues un syst¢me d’indicateurs sociologiques continus et uni࠱és selon les crit¢res de dé࠱nition propres à l’Institut de recherches sur les religions, les observations sociologiques démontrent malgré tout le ࠲ou qui émane des bouddhistes et de leur comportement religieux. C’est là aussi une di࠳culté pour cerner les bouddhistes la©cs vietnamiens sur des crit¢res qualitatifs alors qu’il devient vraiment indispensable d’en préciser la physionomie. Voilà encore une « dette » que la société réclame à ses chercheurs.
11. Le fait que l’Église consid¢re les personnes qui ont reçu le baptême bouddhique et à qui on délivre un certi࠱cat comme bouddhistes est une conception tr¢s générale. Il faut faire attention au fait que dans sa charte, l’Église bouddhique du ViêtZNam n’a pas d’article dé࠱nissant le ࠱d¢le bouddhiste. Charte, commission centrale de la culture de l’Église bouddhique du ViêtZNam, 1993, année bouddhiqueZ 537. 1 . Apr¢s la promulgation enZ 199 des directives o࠳cielles du bureau politique du Parti communiste vietnamien par la résolution 4/TW, le caract¢re manifeste de la croyance s’est révélé publiquement chez beaucoup de gens qui allaient à la pagode.
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III. Nous avons parlé des relations complexes que le bouddhisme entretient avec les autres religions. ,u’est-ce qui peut en témoigner Dans ces relations transversales, comment les religions interagissent-elles ,uelles en sont les conséquences Le cadre de cet article nous permet seulement de développer quelques-unes de ces relations. Faisons quelques suggestions que nous pourrons approfondir par la suite. Véri࠱er la compatibilité et les oppositions (les intellectuels bouddhistes parlent de « contraste ») entre les religions est un travail nécessaire et utile qui nous incite à reconsidérer certains probl¢mes anciens. On traite habituellement ces derniers en expliquant qu’il n’y a pas eu de « guerre de religion » au ViêtZNam, seulement des con࠲its locaux aux moments charni¢res du XIXeZsi¢cle, lorsque le ViêtZNam risquait de devoir se soumettre au colonialisme occidental. Un autre aspect de cette question est que s’il y a eu des con࠲its locaux, c’était uniquement entre, d’un c®té, des religions introduites depuis des si¢cles et que l’État monarchique du ÊԶiZ Vi՜t vénérait (confucianisme, bouddhisme, tao©sme) et de l’autre c®té le catholicisme, pris alors pour du paganisme et qui marchait dans les pas des soldats des corps expéditionnaires occidentaux. Il faut souligner que parmi les deux religions originaires d’Europe et des États-Unis que sont le catholicisme et le protestantisme, ce dernier est arrivé au ViêtZNam tr¢s tardivement (o࠳ciellement en 1911 à ÊàZNՊng) 13. Ces opinions se fondent sur ce que les documents historiques nous ont légué. Il est vrai que dans toute son histoire, notre pays n’a connu aucune guerre faite au nom d’un étendard religieux. Mais on ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu de protestations religieuses. La religion des Viêt a combattu la religion des envahisseurs chinois venus du Nord ; puis les religions chinoises vietnamisées ont combattu la religion pa©enne occidentale au débutZdu XIXeZsi¢cle ; le sommet de la contestation religieuse dans notre pays s’est déroulé en 1963 mais avec cependant une teinte plus politique que religieuse. La guerre idéologique évoquée précédemment est un aspect marquant du XXeZ si¢cle. Le bouddhisme n’a pas pu rester à l’écart, il a clairement exprimé chacune de ses manifestations au cours du si¢cle. Pour le dire de façon succincteZ: le bouddhisme ne cherche pas vraiment à devenir une force politique. Il s’intéresse aux diverses tendances politiques et cherche à établir des relations amicales, si possible au niveau des autorités politiques car cela va dans le sens de la propagation du dharJa et de l’élucidation de la doctrine. Le soul¢vement du bouddhisme contre le régime de Ng® ʦnh Di՜m enZ1963 ne prouve pas que le bouddhisme ait été une force politique singuli¢re. En réalité, il a été à ce moment-là la cause premi¢re de ce pittoresque renversement et il s’est ensuite tenu à l’écart, tel un témoin, de la liquidation du régime de Ng® ʦnh Di՜m par des o࠳ciers de Saigon. Mais il a suscité la suspicion des régimes successifs, il a parfois été jugulé, ce qui
13. Sur l’introduction du protestantisme, voirZ: pasteur Lê V½n Thi, Bբn JŪծi sáu n½J chպc vն [࢙ans de service JéJoires], Cś quan xuԺt bԸn tin lành, SaigonZ1971. L’appellation de « bonne nouvelle » pour traduire « protestantisme » du français est intéressante en soi. Mais ce n’est pas le sujet de cet article. Se référer pour cela aux travaux de Nguy՚n Xun H³ng.
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a provoqué des immolations répétées de religieux et de la©cs jusqu’enZ1973 avant que cela ne cesse provisoirement 14. Nous pouvons voir concr¢tement des superpositions dans les relations entre le bouddhisme et les autres religions. Avec le catholicisme et le protestantisme, il n’existe pas de relations directes ; non pas que ces deux religions dépendent des autorités colonialistes et pro-étrang¢res du Sud apr¢sZ1954, mais parce que leur origine est essentiellement occidentale (Europe, États-Unis). Les manifestations théologiques de ces deux religions et les recherches dont elles font l’objet en Occident ont pourtant reçu un écho tr¢s fort dans le monde bouddhique. Nous avons eu l’occasion de faire référence précédemment au fait que les spécialistes du bouddhisme avaient étudié formellement les catéchismes chrétiens pour savoir comment généraliser et divulguer leur propre doctrine. Et lorsque les recherches bouddhiques ont pris un caract¢re historique, qu’elles ont commencé à comparer les textes sacrés, qu’elles ont traité de l’épanouissement du bouddhisme en Europe à partir du milieu du XIXeZsi¢cle et tout au long du XXeZ si¢cle, alors elles ont eu immédiatement un tr¢s grand retentissement dans la pensée et sur les conceptions bouddhiques des pays d’Asie. Le Japon, premier lieu d’application de ces méthodes de recherche, a connu des succ¢s retentissants. Nous avons eu l’occasion par exemple de nous délecter des écrits d’un tr¢s haut niveau de Daistez Suzuki, Le bouddhisJe Wen 15. Comme l’ont approuvé les bouddhologues japonais, puis chinois, le bouddhisme était, pour la premi¢re fois dans l’histoire des relations Est-Ouest, débattu des points de vue philosophique, psychologique, sociologique, sur un pied d’égalité avec l’Occident. Pour la premi¢re fois étaient proposés des « correctifs » bienveillants envers les lacunes des chercheurs occidentaux qui n’étaient coutumiers que de théologie et d’activités chrétiennes. Ces aboutissements du bouddhisme mondialisé ont eu une forte in࠲uence sur le bouddhisme vietnamien. Adoptant jusqu’alors une attitude passive et partiellement misanthrope, le bouddhisme vietnamien a aussi intégré comme les autres pays asiatiques le mouvement de rénovation au cours des deux premi¢res décennies du XIXeZsi¢cle. Sur le strict plan de l’organisation, le bouddhisme a regardé avec curiosité, quoi que de l’extérieur, les activités de ces deux religions avant d’en tirer rapidement expérience pour fonder des organisations bouddhistes spéci࠱ques. NousZ avons mentionné l’étude attentive de l’ecclésiologie catholique par les bonzes et les intellectuels bouddhistes pour fonder l’Association générale du bouddhisme vietnamien enZ 1951. Naturellement, il n’était pas concevable de reproduire la forme originelle de l’Église catholique. Les bonzes et les intellectuels bouddhistes des trois régions ne sachant ࠱nalement pas comment faire pour réaliser l’uni࠱cation, c’est la Fédération mondiale du bouddhisme fondée à Colombo enZ195 qui « suggéra » au bouddhisme vietnamien de fonder une organisation particuli¢re qui
14. Th§ch Thi՜n Hoa, n½J chԶn hŪng PhԾt Giáo [5Zannées de rénovation du bouddhisme], Vi՜n Ha ÊԶo xuԺt bԸn, Saigon 1973. 15. D.ZT.ZSUZUKI, 1hiՒn luԾn [Essai sur le bouddhisJe Zen], 3Zvol., trad. Tu՜ S֎ et T´c Thiên, Nxb TpHCM, H®-Chi-Minh-Ville 1998. Trad. fr. Albin Michel, Paris 197 .
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deviendrait une « branche »Zdu bouddhisme mondial. Le vénérable TզZLien était présent parmi les dirigeants de ce congr¢s fédéral. Il n’empêche que l’in࠲uence du catholicisme sur les groupes et sur les associations bouddhistes a été extrêmement forte. Sont apparus le Groupe d’éducation morale de la jeunesse (Êon thanh niên Ëպc dնc), puis l’Organisation bouddhiste familiale et la©que (Gia ˦nh PhԾt ha phզ, 1943) qui, en se rapprochant, ont formé enZ1951 l’Association du bouddhisme familial, Gia ˦nh PhԾt tվ. Le catholicisme n’est présent que depuis quelques si¢cles, mais les formes de ses organisations religieuses locales sont tr¢s serrées. En dehors de structures qui appliquent directement les directives de -ome, on trouve des associations réparties par sexe, par ge ou par domaines (santé, actions charitables, éducation). Le bouddhisme s’est inspiré de toutes ces formes d’organisation. Pour que rien ne l’entrave, l’emprunt s’est fait tout d’abord sans mot dire, sans bruit, sans hostilité, dans le Centre du pays et dans la ville de HuՔ. Une autre facette constitutive de cette étude a été la lecture de la presse. LesZ premiers journaux de l’Association bouddhique (hժi phԾt h՞c) ont prouvé les avantages d’un tel mode de communication. Le contenu de ces journaux ne visait qu’un seul motifZ: présenter et di࠰user largement la délivrance enseignée par le ouddha tout en combattant les méprises, les calomnies et les critiques envers le bouddhisme. De façon tr¢s méritoire et respectable, les journaux ont utilisé l’écriture vietnamienne moderne pour transférer la plupart du contenu bouddhique. Ils ont contribué à rendre en vietnamien la majeure partie du langage religieux des bonzes et des lettrés qui recélait nombre de mots confus ou hermétiques. eaucoup de journaux, comme Viên࢙ |J, utilisaient aussi un français soutenu pour enseigner le dhVana et donner à conna¨tre aux Français cette religion traditionnelle du ViêtZ Nam. La compréhension des trois langues utilisées habituellement à l’époque coloniale par les intellectuels bouddhistes a fait que la culture bouddhique vietnamienne s’est, d’un c®té, diversi࠱ée, et qu’elle est devenue, d’un autre, une arme redoutable pour défendre les principes bouddhiques devant les assauts des profanes et des pensées hostiles. La presse a réalisé l’œuvre inédite d’attaquer frontalement les vices, les falsi࠱cations intéressées des pratiquants religieux, des la©cs et des ࠱d¢les. C’est là un des apports capitaux de la presse bouddhique. Ce travail d’extraction des scories du bouddhisme s’est réalisé dans toutes les publications, mais c’est la presse qui a été à la pointe de ce combat. Il est di࠳cile de les dénombrer, mais tous ces déchets ont été relevés nommément, et les auteurs ont montré la façon de les éliminer. Lorsqu’on parle des liens entre le bouddhisme et les autres religions, on ne peut pas ne pas parler de combat idéologique. Au cours des années 19 -195, la rivalité était d’un certain point de vue paisible, puis elle s’est animée pour devenir franche et directe. Dans ce combat, les bouddhistes ont suivi leur doctrine pour a࠰ronter les principes élémentaires des religions théistes. Mais ils ont également combattu les organisations et les dignitaires de ces religions. Apr¢s 1975, par l’installation à l’étranger de dignitaires et d’intellectuels bouddhistes vietnamiens, ce combat a atteint des sommets en particulier aux États-Unis. Mais il ne s’agissait pas de porter atteinte au catholicisme –Zou dans une certaine mesure au protestantismeZ– etZà la foi chrétienneZ: des gens ont tiré les leçons de l’évangélisation et 91
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critiqué le bouddhisme pour son abandon des régions des Hauts-Plateaux, pour ne pas y avoir apporté le canon bouddhique aupr¢s des montagnards. En comparant la complexité de telles relations, on ne peut pas se satisfaire des résumés qui disent que le bouddhisme a subi ou pas l’in࠲uence du catholicisme et du protestantisme. En regardant de plus pr¢s, on voit que le bouddhisme contemporain n’a pas abandonné les conceptions et les principes du confucianisme et du tao©sme. De ce point de vue, il n’y a pas eu de ruptures au XXeZsi¢cle. L’animisme, Cao Êài, Hդa HԸo, TՠnhZËծ CŪ sã PhՂt hծi, sont des sujets qui ont été abordés en détail ailleurs. Le « refuge » de l’animisme dans le bouddhisme ne mérite donc pas que l’on approfondisse. ,uant au bouddhisme H¬aZHԸo, sa relation au bouddhisme est à la fois étroite et distante. Parmi les historiens du bouddhisme, certains classent le H¬a HԸo (qui était avant le ւu Sśn Kֈ HŪśng et le Tվ |n Hi՚u Nghãa) comme une branche bouddhiste du fait de sa proximité doctrinale, ou pour parler plus justement, ils consid¢rent que le H¬a HԸo a pris une partie de la doctrine pour édi࠱er la sienne propre. Envers le caoda©sme, rien à dire de plus sur les relations avec le bouddhismeZ: car comme pour les deux autres religions indig¢nes du Sud apparues au début du XXeZsi¢cle (H¬a HԸo, Tՠnh Ëծ CŪ sã PhՂt hծi), il a seulement et principalement été question d’emprunt au bouddhisme et pas l’inverse. Il y a ainsi une sorte de rapports de continuité entre ces religions. Mais ces rapports témoignent de la vitalité du bouddhisme, en particulier depuis la région du Centre, qui impr¢gne profondément depuis tr¢s longtemps la vie du peuple. Nous savons que les gens du Centre et du Sud sont plus pratiquants que les gens du Nord. Ce n’est pas uniquement dans le Centre et le Sud que le nombre de pagodes et de ࠱d¢les est le plus élevé, c’est aussi là que sont apparues des nouvelles religions d’essence bouddhique. En résumé, la complexité est une particularité majeure du bouddhisme vietnamien contemporain, mais si on n’y porte pas attention, il est tr¢s facile de l’oublier car ces particularités ressortent rarement sur le plan social ou sur celui des activités religieuses. Nous nous sommes e࠰orcés de faire ressortir ces particularités. Nous y reviendrons d¢s que possible pour identi࠱er et approfondir les transformations du corps du bouddhisme dans cette nouvelle étape de développement que conna¨t aujourd’hui la société vietnamienne.
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1ࢩ+* EN CONTEXTE D’OUVERTURE ET D’INTÉGRATION
TRԻN HէNG Liên Institut des sciences sociales de la région Sud, Viêt࢙+aJ
La religion, le bouddhisme en particulier, est une des principales activités spirituelles du peuple vietnamien. En tant que forme de conscience sociale, le bouddhisme a un caract¢re plus conservateur que les autres éléments relevant des superstructures. Lorsque les autres éléments de la société évoluent, ceux qui forment le domaine de la conscience sociale évoluent aussi naturellement en raison de leurs relations dialectiques. Il y a maintenant Zans, depuisZ1986, que le ViêtZNam a ouvert une nouvelle page de son histoire. Les changements qui ont a࠰ecté la société dans son ensemble ont favorisé son intégration régionale et mondiale. Le bouddhisme et, à un certain degré, ses interactions, ont in࠲uencé ces changements multiformes et le processus d’ouverture. C’est une question importante à considérer aux niveaux macro et micro et pour laquelle il est nécessaire de procéder à des recherches quantitatives. Cet article n’aborde que les évolutions du bouddhisme vietnamien dans le Sud du pays, c’est-à-dire dans une région o³ l’on trouve le plus grand nombre de sectes bouddhiques, o³ se concentrent les trois branches du bouddhisme (JahaVana, theravada, bonzes mendiants), o³ sont également apparues des sectes d’essence bouddhique (ւu Sśn Kֈ HŪśng, Tվ |n HiՔu Nghãa, PhՂt Gio H¬a HԸo 1). De telles évolutions dépendent en partie de l’environnement économique, politique et social du pays ainsi que des relations, aussi bien positives que négatives, entretenues avec le reste du monde. Face aux dé࠱s de l’ouverture et de l’intégration internationale, le bouddhisme vietnamien doit savoir évoluer
1. À l’origine, ces mouvements n’avaient pas encore parachevé leur organisation, ils n’avaient pas de syst¢me sacerdotal, pas de base religieuse (ւu Sśn Kֈ HŪśng, PhՂt Gio H¬a HԸo) ; apr¢s 1945, le bouddhisme H¬aZHԸo s’est organisé en Église mais celle-ci n’a plus été active apr¢sZ1975. En 1999, le bureau des a࠰aires religieuses du gouvernement a autorisé le bouddhisme H¬a HԸo à former un comité de représentation. EnZ 4, l’Église du bouddhisme H¬aZHԸo a été reconnue comme l’une des sixZgrandes religions du ViêtZNam. En 6, le Tվ |n HiՔu Nghãa a vu ses activités enregistrées.
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par lui-même pour conserver ses traits culturels essentiels. -éciproquement, devant les demandes de pays étrangers qui souhaitent instaurer des relations amicales, dans le domaine bouddhique notamment, le bouddhisme vietnamien est aussi contraint d’évoluer. Le bouddhisme reste ainsi toujours soumis aux e࠰ets conjugués des dynamiques internes et des pressions extérieures. Examinons ces évolutions sur les plansZ de la connaissance et des modes d’actions, ou pour le dire autrement, examinons le fond et la forme actuels du bouddhisme du Sud. &ࢩ@NRFPFQFLKABP@LKK>FPP>K@BP Les sixZ congr¢s tenus depuis la fondation de l’Église bouddhique du ViêtZNam témoignent de l’évolution de cette Église pour s’adapter peu à peu aux nouveaux rythmes de la vie moderne. Le changement se perçoit tout d’abord dans la meilleure acquisition des connaissances par les membres du conseil du sangha et par ceux de la commission de gestion. Dans beaucoup de domaines, les évolutions ont été graduelles, tout comme le rajeunissement démographique des dirigeants de l’Église, mais il y eu en même temps des mutations rapides et visibles comme l’éclosion de nouveaux talents et l’augmentation des biens pour aider les pauvres ; ou bien la multiplication du nombre d’écoliers et d’étudiants qui int¢grent l’université bouddhique ou qui partent faire des études à l’étranger ڎL’acquisition de ces connaissances est la marque d’une nouvelle étape de la rénovation du bouddhisme initiée sous les e࠰ets de l’ouverture et de l’intégration. &&ࢩ*LABPA@>ڂQFLK Depuis plus de vingtZans de politique de rénovation (Ëզi Jլi), les activités bouddhiques s’expriment, en particulier au Sud, sous de multiples facettes et dans de nombreux domaines. On ne peut naturellement pas traiter une telle question dans un seul article, aussi nous ne considérons ici que les évolutions les plus significatives et les plus manifestes qui découlent du processus d’intégration et de mise en relations avec l’étrangerZ: la restauration des pagodes, l’évolution des modes de propagation du dharJa, les modes de vie et la formation des moines, l’expansion en࠱n des activités sociales et de charité à destination notamment de l’étranger. 1. Restauration des pagodes Les évolutions les plus nettes du bouddhisme du Sud concernent essentiellement la rénovation et la restauration des pagodes et des lieux de méditationڎ C’est une particularité notable lorsqu’on compare avec les autres régions du Centre et du Nord du pays. Il est impossible de comptabiliser dans leur ensemble les pagodes restaurées ou celles qui ont fait l’objet de rénovations intérieures et extérieures. En se limitant au seul bouddhisme theravada des
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Khmers et à ses 45 Zpagodes, c’est 7 ࢠ d’entre elles qui ont été rénovées . Par exemple, sur les 65Zpagodes que compte la province d’AnZGiang, 64Zont été restaurées. La plupart de ces travaux béné࠱cient de l’aide publique et de fonds envoyés depuis l’étranger. Un grand nombre de pagodes ont investi des centaines de millions de dongs [milliers de dollars] en réparations. ÀZ Hը-Ch§-Minh-Ville, au cours des cinqZ derni¢res années ( - 7),
Zpagodes ont été restaurées, soit 17, 84 ࢠ de l’ensemble d’apr¢s des chi࠰res avancés en 7 par l’Église bouddhique 3. Avant la politique de Ëզi Jլi, tout ceci était di࠳cile à réaliser car les ressources publiques et les transferts d’argent étaient limités, de même que les obtentions de permis de construire.
.ZRénovation des Jodes de propagation du dharma La transmission de la doctrine et des contenus du dharJa a varié selon les conditions et les périodes historiques, conformément à l’esprit bouddhique qui avise de « transmettre la loiZen s’adaptant aux circonstances » (HhՐ l· HhՐ cś). La large di࠰usion de la doctrine se fait aujourd’hui grce à des moyens de communications modernes, rapides et e࠳caces. La restauration des pagodes va de pair avec l’acc¢s aux outils de l’information. Les médias de masse ont grandement contribué à communiquer sur les particularités du pluralisme et à le concilier à une culture bouddhique qui n’y était pas accoutumée. Grce aux technologies de l’information, les pays bouddhiques de la région sont en mesure de mieux se conna¨tre. Mais ce ne sont pas uniquement les pays du bouddhisme theravada qui sont amenés à mieux se comprendre, ces conditions favorables permettent aux moines et aux bouddhistes vietnamiens des di࠰érentes branches de s’informer rapidement sur le monde bouddhiste. eaucoup de sites internet donnent acc¢s à de nouvelles connaissances et fournissent des ré࠲exions profondes sur le bouddhisme mondial. Les sites internet vietnamiens sont abondants et contribuent aussi à rénover les façons de propager le dharJa 4. Les pagodes ouvrent aussi leur propre site comme les pagodes PhՂt ,uang ou Gic Lm à Hը-Ch§-Minh-Ville 5, contrairement à l’Église bouddhiste du ViêtZNam qui n’a toujours pas de site o࠳ciel. La propagation du dharJa authentique apporte la paix en chacun. Pour mener cette action à sa plus haute considération, les conférenciers doivent suivre au quotidien les évolutions sociales en contexte globalisé []ڎ, s’e࠰orcer d’appro-
. Par exemple, la restauration des porches des Wat XՐo Me, Sêry Trà SՔt, Phy Chp à ScZTr½ngڎ 3. -estauration par exemple des pagodes du bouddhisme mahayana (Թn ,uang, Phժ ,uang, Nam Thiên NhԺt Trպ)Zou celles de l’ordre des bonzes mendiants (tՠnh x Gic ,uang)ڎ 4. Voir notamment thuvienhoasen.org ; daophatngaynay.com ; langmai.org ; adida.us ; phatgiaonguyenthuy.com ; quangduc.com ; chuyenphapluan.com ; phatviet.com ; vanhoaphatgiao. com. 5. Voir chuaphatquang.net ; todinhgiaclam.comڎ
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fondir et de préciser leurs connaissances a࠱n d’y ajuster un enseignement qui soit approprié pour le développement du pays 6.
Le « dharma sur internet » représente une forme nouvelle de propagation qui obtient des résultats probants et qui s’adapte au besoin d’écoute du canon bouddhique d’une partie de la population. En di࠰usant l’adresse et les heures d’activités de la « sanghaZ online », tout le monde peut écouter le canon, échanger avec des ma¨tres. Une personne de cette communauté en ligne fait part de son opinionZ: Le bouddhisme vietnamien a accru sa contribution au bouddhisme mondial en e࠰ectuant l’importanteZmission de propager aujourd’hui le dharJa. À l’¢re de l’intégration, cette œuvre est primordiale aux échanges culturels que le ViêtZ Nam instaure avec les cultures et les croyances religieuses des autres nations du monde 7.
De jeunes moines ont organisé des séjours à l’étranger pour prêcher dans des salles de conférences sans que l’initiative n’en revienne à l’Église bouddhiste du ViêtZNam ou à son comité de gestion. En dehors de la di࠰usion sur internet, la propagation du dharJa aupr¢s des minorités ethniques est la marque d’une autre évolution. On peut voir ces séances de propagation du dharJa organisées dans les régions éloignées du Sud comme une réaction bouddhiste à l’onde conquérante du protestantisme. Des bonzes, des la©cs sont allés enseigner les sĥtra dans les provinces orientales de ¦nh PhŪհc, Ty Ninh, Êըng Nai ڎLa pagode HoՆng Php (HcZ M®n) organise réguli¢rement des séances de prêches, on y trouve des enregistrements utiles pour une large di࠰usion dans et hors du pays. Auparavant, les sĥtra étaient psalmodiés, les prêches bouddhiques étaient enregistrés sur cassette, sur vidéo ڎGrce aux améliorations techniques, on les trouve aujourd’hui sous formes de DVD, de VCD ڎLe canon bouddhique se di࠰use aussi par les multiples biais de la musique moderne, du thétre rénové (cԴi lŪśng), du cinéma qui adapte à l’écran la vie de ouddha ou celle des illustres bouddhistes. 3.ZÉvolution de la vie quotidienne des Joines Dans la région occidentale (delta du Mékong), le bouddhisme est présent depuis tr¢s longtemps dans la vie des communautés khm¢res. On note aujourd’hui beaucoup de changements dans la vie quotidienne et dans la pratique de l’aum®ne. Le r®le des écoles de pagodes décline. Sous les contraintes d’une vie en groupe et des études disséminées en diverses écoles –Zécoles supérieures, écoles élémentaires de pli, écoles publiques à ScZ TrangZ –, les bonzes ont abandonné petit à petit la tradition theravadine de mendier à l’aube autour
6. Vénérable Th§ch Tr§ ,uԸng, « HoՆng Php trong thղi hծi nhՂp » (LaZ propagation du dharJa à l’heure de l’intégration), Giác +gժ 13 ( 7), p.Z4. 7. Ch´c Ph´, « Vài vԺn ËՖ vՖ hoՆng php trong thղi hծi nhՂp » (,uelques questions sur la propagation du dharJa à l’heure de l’intégration), Giác +gժ 13 ( 7), p.Z39.
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du village. IlsZ ne pratiquent plus l’aum®ne quotidiennement. En échange, ils reçoivent de la part des Wen 8 de la nourriture qu’ils ram¢nent et qu’ils partagent à la pagode. Dans les écoles, l’anglais a été ajouté aux programmes d’enseignement alors que jusqu’aux annéesZ199, seul le pli était enseigné. La formation en langues étrang¢res et en informatique a permis aux bonzes de s’intégrer facilement aux réseaux internationaux d’informations bouddhiques. Dans beaucoup de pagodes khm¢res du delta du Mékong, à ScZ Trang, TràZ Vinh, AnZGiang, les jeunes bonzes utilisent des téléphones portables. Ils tissent ainsi des réseaux sociaux assez larges, étendus au Cambodge, à la Tha©lande, au Myanmar ڎ,uelques bonzes détenteurs d’un doctorat ont reçu des invitations d’écoles ou de centres bouddhiques de réputation internationale aux États-Unis, en Tha©lande, en Australie, au Myanmar ڎeaucoup de pagodes du Sud sont ainsi reliées à la globosph¢re et deviennent un relais actif dans la propagation du dharJa et dans l’enseignement religieux. Au cours de ces derni¢res années, la mise en relation avec le bouddhisme des autres pays s’est clairement réalisée par la participation de moines à de nombreuses conférences internationales à Taiwan ou en Chine. Et pour la premi¢re fois depuis l’instauration du Ëզi Jլi, une rencontre de même envergure a été co-organisée au ViêtZNam sur le th¢me du « bouddhisme à l’ge moderne, opportunités et dé࠱s 9 ». L’organisation d’un colloque international à Hը-Ch§-Minh-Ville a démontré les progr¢s rapides et profonds réalisés par les jeunes bonzes vietnamiens, en particulier ceux du Sud, qui ont été capables de faire des présentations, d’échanger, de participer au travail de traduction, d’assurer le bon déroulement du programme, de nouer des relations étroites avec les dirigeants d’organisations bouddhistes mondiales. Dans de nombreux colloques internationaux ou conférences au sommet traitant du bouddhisme 1, on a pu noter également la participation de jeunes bonzes originaires d’Hը-Ch§-Minh-Ville 11.
8. Le Wen est une unité composée de plusieurs familles khm¢res bouddhistes pratiquantes. Selon le r¢glement, chaque famille a la mission d’o࠰rir à date fixe et à tour de r®le du riz aux bonzes. 9. Ce colloque organisé à l’institut bouddhique à Hը-Ch§-Minh-Ville lesZ15 etZ16Zjuillet 6 a fait converger des centaines de participants du Viêt Nam et de 1 pays étrangers comme les États-Unis, le Japon, Sri Lanka, la Chine, la France, l’Allemagne, la Tha©lande, l’Australie, le Canada, l’Inde ڎ8Z communications de scienti࠱ques, d’intellectuels, de dirigeants d’organisations bouddhistes ont été présentées. 1. Par exemple, l’Asian uddhist Conference for Peace en présence de représentants de la Mongolie, du Laosڎ, les conférences au sommet sur les religions aux États-Unis, au Japon, en Tha©lande, au Cambodge ڎla conférence sur le mémorial éternel du ouddha au Sri Lanka ; la conférence internationale sur la mondialisation à erlin ; la conférence sur l’éducation bouddhiste au XXI eZ si¢cle à Giang To (Chine) ; le colloque sur le bouddhisme et l’Église ouddhique du Viêt Nam organisée aux États-Unis ; la IVeZconférence du bouddhisme mondial en Tha©lande. 11. Th§ch Êըng ժn (pagode X Lոi), Th§ch NhՂt Tր (pagode Gic Ngծ), Th§ch Minh Thành (branche des moines mendiants)ڎ
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1rԸn Hդng Liên
Depuis que le pays s’est ouvert, l’établissement de relations cordiales entre organisations bouddhistes vietnamiennes et étrang¢res s’est renforcé. Un comité bouddhiste international a été fondé. Lors de la IVeZ conférence du bouddhisme mondial ( 7) organisée en Tha©lande, le président de la -épublique, Nguy՚n TԺnZDģng, a envoyé ses félicitations et exprimé au nom du gouvernement vietnamien sa proposition d’organiser la prochaine conférence mondiale du bouddhisme au ViêtZNam en 8. C’est une preuve notable de l’ouverture sur le monde auquel proc¢de le bouddhisme vietnamien. On note ainsi d’importantes évolutions dans le quotidien des moines du Sud ; ces évolutions en ont entra¨né d’autres, en particulier à Hը-Ch§-Minh-Ville, o³ les bonzes qui suivent des formations doctorales ou postdoctorales (université des sciences sociales et humaines, université de la culture) ne peuvent plus observer les rites quatreZfois par jour. -ajoutons au sujet des bonzesses et des supérieures que « les jeunes nonnes font face aujourd’hui aux risques d’un re࠲ux, d’un déclin de la morale, ce qui est contraire à l’idéal de délivrance des disciples du ouddha 1 ». Partout sur les routes, de jeunes nonnes s’amusent et parlent à tue-tête. ,uelques anciennes moniales roulent sur de grosses cylindrées, portent un masque, glissent dans la rue comme si elles volaient, chahutent à proximité de l’école supérieure d’études bouddhiques. Sans parler des bonzesses qui, tout en arborant le blason de l’Institut bouddhique, se donnent rendez-vous dans des cafés ou des restaurants bien en vue ڎdes pratiquantes bouddhistes ont alerté à de multiples reprisesZsur de tels faits 13.
Ceci laisse éclater au grand jour le caract¢re de plus en plus mondain du bouddhisme et l’orientation plus nette encore de son engagement dans la société. 4.࢙Évolutions de la forJation Jusqu’enZ 6, plus de Zbonzes sont allés étudier à l’étranger, vingtZont obtenu un master et vingt autres un doctorat. D’autres ont suivi des études en France, en Inde, au Myanmar, en Chine, au Sri Lanka, en Tha©lande, à Taiwan, en Australie, au Japon ڎparmi eux, on comptait dixZ Khmers pratiquant le theravada 14. Le pourcentage des dipl®més reste faible mais on perçoit malgré tout une tendance au rel¢vement de la formation des bonzes. Dans la majorité des cas, ceux qui partent étudier à l’étranger s’auto࠱nancent ou sont supportés par les ࠱d¢les. Une évolution flagrante de la période actuelle est l’expansion des deux branches du bouddhisme theravada et de l’ordre des bonzes mendiants (HhԶtZsã). Auparavant, peu de moines a࠳liés à ces deux branches partaient
1 . Communication de la bonzesse DŪոc Sվ à la pagode Phժ Êà (district de ¦nh ThԶnh) lors la conférence organisée par l’Église bouddhiste à Hը-Ch§-Minh-Ville lesZ etZ 1Zavril . 13. Communication sur la situation des bonzesses à Hը-Ch§-Minh-Ville, conférence organisée par l’Église bouddhiste à Hը-Ch§-Minh-Ville lesZ et 1Zavril . 14. D’apr¢s le rapport de synth¢se pour l’année 5 du comité central d’éducation des bonzes (Église bouddhique du ViêtZNam).
98
Les évolutions du bouddhisJe au Sud du Viêt࢙+aJ
étudier à l’étranger en comparaison des bonzes du mahayana. Mais à Hը-Ch§-Minh-Ville aujourd’hui, le nombre de bonzes mendiants qui sont partis à l’étranger ou qui ont obtenu un doctorat rév¢le un vrai succ¢s de ces vingtZ années de rénovation politique 15. La prise de conscience de l’égalité homme-femme ressemble à un son de cloche qui a éveillé les nonnes du Sud. Il y a pr¢s de cinquanteZ ans, la supérieure NhŪZ Thanh, fondatrice enZ 1956 de l’Ordre des bonzesses du Sud (+i bժ +aJ Vit) 16, l’avait déjà relevé mais à présent, le développement est d’une toute autre portée. Lors d’un récent colloque international, une nonne a fait une présentation sur la contribution e࠳ciente des nonnes 17. L’Institut d’études du bouddhisme theravada des Khmers du Sud (H՞c vin PhԾt giáo +aJ t®ng HhJer +aJ bժ) a été fondé à CԼn Thś, ville qui est à la fois le poumon économique et le centre culturel du delta du Mékong ; c’est la marque là aussi d’une nouvelle phase dans le développement du bouddhisme du Sud. 5.ZÉlargir le cadre des actions sociales et caritatives Les actions sociales et caritatives sont des activités notables du bouddhisme vietnamien. Pendant de nombreuses mandatures, le comité de gestion de l’Église bouddhique de Hը-Ch§-Minh-Ville et des provinces voisines s’est e࠰orcé, dans un esprit de compassion, de sortir de la mis¢re des millions de familles infortunées. La politique « d’ouverture et de rénovation » a permis aux instincts humanitaires de s’exprimer toujours plus et de s’orienter à l’occasion vers l’étranger pour venir en aide aux victimes de calamités. Lors du tsunami qui a touché l’Asie du Sud-Est (Indonésie, Tha©lande)ڎ, la somme des dons a ainsi dépassé les 475Zmillions de d®ngs (env. 3 ZdollarsZUS) 18. Plus localement, des aides ont été versées à une école de Hը-Ch§-Minh-Ville qui s’occupe d’éduquer une centaine de jeunes déclassés du quartier 4, ainsi qu’à des « maisons du cœur » (nh hԴo tJ) dans le pays et à l’étranger. Par ailleurs, les sommes d’argent et les produits de valeur que l’Église bouddhique reçoit dans le Sud pour contribuer aux activités sociales et caritatives augmentent rapidement d’une année sur l’autre, au point d’atteindre des sommets à Hը-Ch§-Minh-Ville. Les tableaux ci-dessous comparent les contributions à chacune des mandatures de l’Église bouddhiqueZ:
15. Mentionnons parmi d’autres Th§ch Minh Thành, Th§ch nք Hu՜ Liên. 16. À propos de cette organisation, voir TrԼn Hըng Liên, PhԾt Giáo +aJ Bժ [Le bouddhisme au Sud du Viêt࢙+am], Nxb TPHCM 1996, p.Z5-53. 17. Th§ch nք Hu՜ Liên, « TiՖm n½ng Ëng gp cռa ni giհiZ : sվ m՜nh c th thֆc hi՜n » [La contribution potentielle des nonnesZ: une mission réalisable], colloque « PhՂt gio trong thղi Ëժi mհiZ: cś hծi và thc thվc » [Le bouddhisme à l’ge moderneZ: opportunité et dé࠱s], Hը-Ch§-Minh-Ville, 15-16 juillet 7. 18. Église bouddhiste du Viêt Nam à Hը-Ch§-Minh-Ville, Rapport de sVnthèse des aࠨaires bouddhiques, VIe࢙ mandature
-
Z et orientations des activités bouddhiques pour la VIIeZmandature
- , Hը-Ch§-Minh-Ville 6, p.Z 1.
99
1rԸn Hդng Liên
Mandature
Contribution en argent d®ngs
Contributions matérielles
1987-199
181 448 65
365Zcercueils ; 3 Zkg de riz ; 1 Zkg de sel ; 1 19Zvêtements ; 38Zlitres d’essence ; soutien à la pri¢re ; installation de puits d’eau potable ; construction de deux écoles ; une télévision couleur pour un h®pitalڎ
199-1993
5 46 67
4 664Zkg de riz ; médicaments ; vêtements ; 943Zcercueils ; 6Zmaisons pour les descendants de morts pour la patrie ; 3, Zkg de ࠱l d’or.
1993-1997
31 83 84 89
9 1 51Zkg de riz ; 1 36Zcercueils ; 18Zmaisons pour les descendants de morts pour la patrie ; 8 barques ; 5Ztonnes de médicaments ; biens divers.
1997-
178
7 698 3
- 7
15 657 4
1 733 3Zkg de riz ; 15 7 Zopérations ophtalmologiques ; outils de décortiqueries (545 etZ143) ; fabrication de pontsZ: 58Zkm ; 176Zpuits creusés ; 179Zcercueils ; 14Zmaisons pour les descendants de morts pour la patrie ; 816Zmaisons du cœur ; Zécoles ; 1 Zsalles d’études ; 1 Zkm de routes.
Tableau 1Z: 1ableau comparé des contributions pour les œuvres sociales et caritatives relevées chaque mandature de l’Assemble Générale du bouddhisme Hդ-Chí-Minh-Ville Source࢙ compilation des rapports de sVnthèse pour les mandatures࢙II, III, IV, V et࢙VI de࢙l’Église bouddhique Hդ-Chí-Minh-Ville les statistiques de la première mandature sont manquantes
Ce tableau montre une augmentation rapide des contributions en argent et en nature. Le rapport est deZ1 àZ6 entre la IIIeZmandature et laZIVe, deZ1 àZ4 entre laZIVe et la VIeZmandature. Si l’on compare les contributions versées au comité central des œuvres sociales et charitables avec celles recueillies spéci࠱quement dans le Sud (ensemble des provinces du delta du Mékong et Hը-Ch§-Minh-Ville), on s’aperçoit que pour l’annéeZ 5, la part majeure provient de cette région et, en particulier, de Hը-Ch§-Minh-Ville. Pendant la VIeZmandature, les contributions matérielles se sont diversi࠱ées, elles se sont ouvertes aux devises étrang¢res et elles ont élargi le cadre d’action à l’étranger. Les contributions augmentent aussi de façon appréciable.
1
Les évolutions du bouddhisme au Sud du Viêt࢙+am
Région
Contribution en devises vietnamiennes d®ngs
Somme en devises étrangères ࢢ࢙US
% en dôngs
Comité central des œuvres sociales et charitables
114 857 8 5
17 41
1
Comité des œuvres 47 3 6 8 1 sociales et charitables Hդ-Chí-Minh-Ville
13 77
4
Comité des œuvres 9 11 771 sociales et charitables du Sud
13 77
79
Tableau Z: Comparaison par comités des contributions et des fonds pour les œuvres sociales et caritatives en
Source࢙ SVnthèse des rapports pour l’année࢙
du comité central des œuvres sociales et charitables et des comités provinciaux, Église bouddhique du Viêt࢙+am, VIe࢙mandature, Ve࢙session
Dans le contexte d’ouverture et d’intégration du ViêtZNam, les évolutions du bouddhisme au Sud du pays peuvent se résumer comme suitZ: Comme pour le reste du pays, l’acquisition de connaissances nouvelles a progressé. Il est nécessaire que ce savoir s’adapte à l’air du temps et qu’il favorise le développement du bouddhisme. Cette période de changements aussi bien positifs que négatifs est celle d’une modernisation multiforme du bouddhisme. La restauration de pagodes, la rénovation des modes de propagation du dharma, les évolutions de la vie quotidienne des moines, leur meilleure formation, l’élargissement vers l’étranger des œuvres sociales et caritatives sont les traits caractéristiques du processus d’intégration du bouddhisme vietnamien dans le bouddhisme mondial. Ils étaient inexistants vingtZans auparavant. Les évolutions actuelles expriment deux tendancesZ: celle d’une modernisation plurielle (architecture, instruments utilisés, moyens de communication et d’information )ڎqui a࠰ecte aussi la « modernisation » de l’homme ; celle également d’une sécularisation de la classe des moines qui n’est pas sans lien avec cette modernisation multiforme. Il n’a pas fallu attendre l’intégration au monde du bouddhisme vietnamien pour voir cette tendance appara¨tre. ÀZdi࠰érentes périodes historiques, lorsque les bonzes s’éloignaient des préceptes et de la loi bouddhique, les risques de sécularisation surgissaient à di࠰érents niveaux. La nature de la sécularisation des bonzes vietnamiens, ceux du Sud en particulier, mériterait une attention soutenue et l’élaboration de programmes de recherches à la fois qualitatives et quantitatives. Les contributions assez positives du bouddhisme du Sud se retrouvent ainsi dans quatreZdomaines de coopération internationaleZ: les activités en faveur de la paix ; les activités culturelles et éducatives ; l’amitié entre les peuples ; l’action en faveur des bouddhistes la©cs vietnamiens de l’outre-mer. Dans ces domaines, tous di࠰érents les uns des autres, le bouddhisme du Sud a su montrer tout son dynamisme. 11
1rԸn Hդng Liên
La particularité du Sud fait que le bouddhisme y a évolué dans divers domaines. Sur ces terres nouvelles, le processus de modernisation est lié à une « revitalisation » et à une forte décomposition dans le delta du Mékong des autres cultes d’origine bouddhique. Par des dynamiques distinctes, en réponse à la demande des pratiquants et d’une situation concr¢te du pays, le bureau des a࠰aires religieuses du gouvernement a o࠳ciellement reconnu, conformément aux vœux présentés par chaque organisation, sixZgrandes religions entreZ1999 etZ 6 ; il a de plus enregistré les activités du Tվ |n HiՔu Nghãa et du Tՠnh Ëծ CŪ sã PhՂt hծi enZ 6. On voit ainsi que le processus d’intégration et de globalisation religieuse dans le Sud du pays a entra¨né la « formation de nouvellesZreligionsZ» qui puisent dans certains cultes du delta du Mékong. Dans ce processus d’intégration et d’ouverture du Viêt Nam, le bouddhisme, en particulier au Sud, continue de se moderniser tout en gardant le même cap de développement que celui du pays et de la nation. F?IFLDO>MEFB C. KEYES, « VՖ t®n gio và t§nh hi՜n ËԶi մ Vi՜t Nam » [-eligion et modernité au ViêtZNam], 5Ūa v +aV 59 ( 6). Ch´c Ph´, « Vài vԺn ËՖ vՖ hoՆng php trong thղi hծi nhՂp » (,uelques questions sur la propagation du dharma à l’heure de l’intégration), Giác +gժ 13 ( 7). Église bouddhiste du ViêtZNam à Hը-Ch§-Minh-Ville, Rapport de sVnthèse des aࠨaires bouddhiques, VIe mandature
-
Zet orientations des activités bouddhiques pour la VIIe mandature
- , H®-Chi-Minh-Ville 6. Hը Trբng Hoài, « T®n gio մ Vi՜t Nam trŪհc nhքng biՔn Ëժi cռa thղi ËԶi » [Les religions au Viêt Nam face aux évolutions présentes], L·࢙luԾn chính tr՜ 1 ( 1). Lê MԶnh Tht (dir.), PhԾt giáo thծi Ëզi mլi࢙ cś hժi v thách thպc [Le bouddhisme l’ge moderne, opportunités et déࠩs], Actes du colloque organisé à Hը-Ch§-Minh-Ville le 15-16 juillet 6, Vi՜n Nghiên cվu phՂt hբc Vi՜t Nam. Vénérable Th§ch Tr§ ,uԸng, « HoՆng Php trong thղi hծi nhՂp » (La propagation du dharma à l’heure de l’intégration), Giác +gժ 13 ( 7), p. 4. TrԼn Hըng Liên, PhԾt Giáo +am Bժ [Le bouddhisme au Sud du ViêtZ+am], Nxb TPHCM 1996. Vi՜n th®ng tin khoa hբc x hծi, 1ôn giáo v Ëծi sբng hin ËԲi [Religion et vie moderne], Th®ng tin KHXH, Hanoi 1.
1
BOUDDHISME ET ÉCONOMIE DES ORIGINES À NOS JOURS
NGUYՙN DUY Hinh Institut de recherches sur les religions, Hanoi
L’homme doit s’alimenter ; s’il ne mange pas, il meurt. Lorsque le prince héritier Siddhrta s’assit en méditant dans les contreforts de l’Himalaya, lui aussi dut manger, ne serait-ce qu’une graine de sésame. Mais manger quotidiennement une graine de sésame n’est pas su࠳sant, on meurt fatalement par manque d’énergie, même en maintenant le corps dans un état absolument statique. LeZprince héritier, en voyant la mort si proche se rendit compte subitement que ce n’était pas la bonne mani¢re de chercher la vérité mais seulement celle de découvrir par une attitude certes calme, pure et sublime, la mort. ÀZla surprise de ses cinqZdisciples indignés, il se leva. Nanda lui fournit un bol de lait. LeZprince héritier mangea et retrouva la santé, il alla s’asseoir sous le ࠱cus plongé dans la méditation ࠱nale de l’éveil. Ainsi, s’il n’avait pas mangé, Sakyamuni n’aurait jamais existé. Graine de sésame ou bol de lait, tous deux sont des biens économiques, ils proviennent de la force de travail de l’homme qui produit ou cueille ces produits dans la nature. Ce sont des résultats économiques. Sakyamuni n’a jamais produit une graine de sésame ni un bol de lait. Sa doctrine préconise l’aum®ne et non pas la production. Le pli bhiHsu a donné en chinois t¦ Hheo, que l’on a traduit en vietnamien par HhԶt sã (moine mendiant). La partie du !harmagupta vinaVa stipule que le t¦ Hheo porte quotidiennement un bol à aum®ne et mange un seul repas à midi précise. Ce que l’on mendie un jour, ne serait-ce qu’un grain de sel, doit être mangé et non pas gardé pour plus tard. Sakyamuni a guidé un groupe de disciples qui, dans les soutras, sont généralement arrondis au nombre deZ 5. Ces soutras mentionnent aussi les aristocrates, les riches commerçants qui ont invité Sakyamuni et ses disciples à manger. Ils disent aussi que Sakyamuni est allé mendier en compagnie d’Ananda et de Maha Kasapa. ,ui s’intéresse au bouddhisme doit conna¨tre cette conception de la mendicité. Pour Max Weber, la mendicité a une signi࠱cation non-économique, elle n’apporte aucun développement économique. C’est juste. Mais le bouddhisme n’est pas une théorie économique. L’esprit humain n’est pas uniquement fait de nourriture matérielle. L’ensemble des philosophes, de Max Weber (1864-19 )
13
+guVՖn !uV Hinh
à Emmanuel Kant (17 4-184) ou Friedrich Hegel (177-1831) sont cél¢bres non pas pour leurs théories sur les nourritures matérielles mais sur celles qui concernent les nourritures spirituelles. Sakyamuni est aussi un philosophe qui a discuté de la nourriture spirituelle qui se manifeste sous forme religieuse. Cela étant dit, essayons maintenant de chercher le sens philosophique et économique de cette doctrine de la mendicité. La mendicité a trois objectifsZ: – premi¢rement, celui de ne pas être coupable d’avidité. En terme de consommation, on ne doit pas manger avec exc¢s, vivre dans l’opulence, s’habiller de belles parures de même que l’on ne doit pas non plus se morti࠱er ; telle est la pensée de la voie médiane que Sakyamuni a prêchée pour la premi¢re fois au parc des gazelles. Cette pensée sur l’asc¢se est la premi¢re libération de la traditionnelle morti࠱cation indienne ; – secondement, considérant que le karma pousse l’homme vers les a࠰res de la transmigration, le bonze n’est pas autorisé à accumuler de fortune ou à accéder à la propriété ; – troisi¢mement, l’aum®ne reçue permet d’aider les gens à échapper au karma. Un si¢cle plus tard environ, la situation avait changé. Le second concile dut résoudre les contradictions internes au clergé de l’Inde orientale et occidentale. Le débat sur le canon formulé en dixZ questions fut une seconde délivrance de l’asc¢se. On élargit ainsi les commandements pour autoriser le mendiant à recevoir aussi des o࠰randes en argent en lieu et place de produits alimentaires, à conserver les aliments comme le sel pour les jours suivants, à manger apr¢s midi. Le biHHhu put posséder des biens personnels. Tels sont les prémices de la pensée du mahaVana. Lorsque le bouddhisme pénétra en Chine, les dynasties féodales décid¢rent de construire des pagodes, d’entretenir les bonzes pour que ceux-ci traduisent l’enseignement. Je n’ai jamais pu trouver de documents parlant de bonzes mendiants à l’époque des Han et des Tang. Lorsqu’apparurent les premiers méditants vivant à la campagne, le bonze Pai-tchang Houai-hai (7 -814) ࠱t la recommandation suivanteZ: « bch trŪոng thanh quy », autrement dit « un jour sans travail est un jour sans repas ». C’est la premi¢re marque d’abandon du principe de mendicité des biHHhu au pro࠱t d’activités économiques auto-su࠳santes. Dans la réalité, le sangha chinois jouit de monast¢res construits par les autorités féodales, ce qui assurait aux bonzes qui y vivaient l’alimentation de base sans avoir à mendier quotidiennement. Si un bonze était amené à se déplacer, c’était pour aller étudier la religion et non pas pour mendier. Plus tard, la situation du clergé chinois s’améliora au point de voir prospérer des monast¢res tels que celui de Shaolin. Aujourd’hui, c’est une véritable entreprise économique qui a son site Internet. Naturellement, les contributions du peuple restaient toujours o࠳ciellement la source économique qui permettait de construire les pagodes, de fondre des cloches, de dorer les statues, d’ouvrir des écoles ou des associations ڎL’apparition de grands domaines bouddhistes à l’époque Tang et même plus t®t ne fut ࠱nalement pas un phénom¢ne économique de grande ampleur.
14
Bouddhisme et économie࢙des origines nos jours
Car le régime seigneurial s’était déjà formé précédemment autour des grandes familles et des mandarins féodaux. Au ViêtZNam, la situation est di࠰érente. ,uand le bouddhisme se développa au XIeZ si¢cle, les grands domaines bouddhistes venaient juste d’appara¨tre. Leur expansion se révéla sous l’action du roi L· Nhn T®ng qui enZ188 noti࠱a par ordonnance de diviser les pagodes cél¢bres en trois catégories (éminente, moyenne, petite), ceci a࠱n que les hauts mandarins civils qui en avaient la charge pussent s’y présenter. À ce moment-là, les pagodes regorgeaient en e࠰et d’une importante main-d’œuvre sur les rizi¢res et d’autant de matériels dans les entrep®ts. Les pagodes possédaient beaucoup de biens, de rizi¢res et de serfs qui travaillaient sur leurs terres comme on le voyait encore à l’époque des TrԼn, par exemple à la pagode ,uֈnh Lm. ÀZl’époque des TrԼn justement, à c®té des grands domaines bouddhistes, sont apparus ceux de nobles proches de la dynastie régnante. Ils défrich¢rent les terres et fond¢rent des villages. La famille TrԼn o࠰rait habituellement des centaines de mԼu 1 de rizi¢res aux pagodes. Le bouddhisme vietnamien était réellement devenu un acteur de l’économie et il devint dans le cadre de la petite économie paysanne une organisation de production de grande envergure. CeZfut là, apr¢s la premi¢re transition de la mendicité vers l’autosu࠳sance, une nouvelle phase de développement vers l’agriculture marchande. Ces grands domaines bouddhistes présentaient naturellement un risque pour la dynastie TrԼn. Les jeunes hommes qui voulaient se soustraire aux imp®ts et corvées ou à la conscription se faisaient en e࠰et serviteurs dans ces domaines. L’histoire dit que la moitié du pays rentra dans les ordres. L’État ne ma¨trisait plus les sources de ses contribuables pour parer aux invasions. EnZ1381, la cour mobilisa les bonzes encore vaillants pour lutter contre le Champa. EnZ 1396, on congédia des pagodes les bonzes gés de moins de cinquanteZans. Pour rétablir la puissance de l’État, la familleZHը réforma le régime des jeunes bonzes sans position sociale, les rizi¢res etc., mais il était déjà trop tard. Il faudra attendre l’insurrection du propriétaire plébéien LêZ Lոi avant de pouvoir reprendre l’indépendance des mains de la dynastie chinoise des Ming. D¢s lors le bouddhisme re࠲ua. La nouvelle dynastie régnante ordonna aux mandarins en charge de la terre de défricher uniquement pour fonder des nouveaux villages et non pas pour créer des grands domaines religieux ou nobiliaires. Jusqu’à la révolution d’aoµtZ1945, les pagodes possédaient cependant encore des rizi¢res pour subvenir aux besoins des bonzesses, des bonzes et à leurs activités religieuses. Actuellement, le mouvement bouddhiste cherche une forme nouvelle d’action sociale. Portons notre attention sur ces diverses formesZ: dans un certain nombre de pays occidentaux comme la France ou les États-Unis, la méditation bouddhique (dhVna) et le bouddhisme tibétain sont essentiellement pratiqués sous forme de méditation assise pour évacuer le stress produit par une vie a࠰airée et tournée
1. Unité de mesure correspondant à quelques acres.
15
+guVՖn !uV Hinh
vers les activités matérielles. Dans ces pays, o³ la migration de populations asiatiques est croissante, de nombreuses organisations bouddhistes apparaissent, surtout sous forme de club. Mais le bouddhisme n’a pas encore profondément pénétré la culture occidentale. De plus, une nouvelle forme de charité est apparue à Taiwan. Les pagodes se lancent dans des activités économiques et commerciales de type capitaliste pour dégager des pro࠱ts. Les béné࠱ces sont redistribués dans des activités caritatives de grande envergure comme la construction d’h®pitaux modernes, la fondation d’écoles pour y enseigner les programmes classiques ou le bouddhisme. Une charité moderne est apparue. En࠱n, le bouddhisme chinois prend des formes sociopolitiques assez originales. EnZ1993, Zhao Puchu, de l’institut bouddhique chinois, avait émis l’idée d’un « fil d’or »Zqui reliait la Chine, la Corée et le Japon. Il proposa d’organiser un forum bouddhiste mondial fondé sur cette idée. Apr¢s un délai de préparation, le premier forum du bouddhisme mondial s’est ࠱nalement ouvert le 13Zavril 6 dans la province de Zhejiang. Plus de milleZreprésentants, bonzes, bouddhologues, administrateurs, sont venus de 37Zpays et de tous les continents. Le représentant du ViêtZNam était Hà 4Քn Thi du bureau des a࠰aires religieuses du gouvernement. Le slogan du forum était « L’harmonie du monde provient du cœur ». Exprimer sa reconnaissance au Cœur des origines, avoir le cœur serein signi࠱e se soumettre au cœur serein du pays ; au cœur serein des hommes ; au cœur serein d’un monde en paix. C’est la nouvelle pensée des Six harmonies. Le forum s’est terminé le 17Z avril par la publication de la « proclamation généraleZde Puduoshan ». Le texte intégral est comme suitZ: Nous vivons tous sur une même plan¢te en jouissant des bienfaits des sciences et des technologies, mais nous faisons également face ensemble aux désastres environnementaux, aux con࠲itsZet aux crimesZ: l’environnement est de plus en plus pollué, l’écart entre richesse et pauvreté cro¨t, les typhons et les tsunamis grondent avec fracas, des épidémies inconnues se répandent, les con࠲its armés sont incessants, le terrorisme prosp¢re. Hormis les initiatives en faveur de la paix et du développement, le monde n’est pas harmonieux, les gens sont en désaccord, l’esprit n’est pas en paix. La paix est l’espoir éternel de l’humanité, la concorde est le magni࠱que royaume de l’aspiration humaine. À l’instar des grandes traditions spirituelles de l’humanité, le bouddhisme, à commencer par le ouddha lui-même, a cherché la voie vers un monde harmonieux et vers la tranquillité du cœur. Le cœur est la chose la plus importante pour conna¨tre à leurs sources les r¢gles religieuses du bouddhisme. Toutes viennent du cœur. Si tous les êtres humains s’e࠰orcent de suivre les principes du bouddhisme à cœur ouvert, d’annihiler toutes formes d’ambition, de col¢re et de passion, alors un tel cœur tranquille, en remontant de l’individu à la famille, de la famille au pays et au monde, contribuera à purifier un territoire national heureux et calme, contribuera à un monde paci࠱que. Faisons le vœu qu’un bon Cœur se renforce, que la vertu resplendisse pour que l’esprit humain soit réconcilié.
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Bouddhisme et économie࢙des origines nos jours
Faisons le vœu que l’esprit soit durable et le corps robuste pour que la famille soit heureuse et joyeuse. Faisons le vœu de l’empathie et de l’entraide égalitaire pour que les relations humaines deviennent amicales. Faisons le vœu que chacun réalise ses souhaits dans le respect mutuel pour que la société respire la bonne entente. Faisons le vœu du droit de jouissance pour chacun, dans le respect de la tolérance et de la concorde. Faisons le vœu que l’Esprit traite avec l’Esprit, que la rancune devienne amitié pour que notre monde soit en paix. Faisons en sorte de suivre les paroles du vénérable ouddhaZ : en pensant constamment à faire le bien, en dirigeant toujours notre Esprit vers l’harmonie, vers la pratique de la compassion, l’humanité sera unie et le monde prosp¢re. Un monde en harmonie est de la responsabilité de chacun, l’harmonie du monde provient du Cœur.
Cette proclamation parle de cœur paisible, de famille harmonieuse, d’humanité qui vit en bonne intelligence, d’un monde en paix. Tout ceci est tourné vers la même ࠱nalité d’un monde harmonieux dans lequel ne se distinguent plus les nations, les peuples, les riches, les pauvres, les religions et les croyances. Cette pensée du cœur serein pour un pays serein a pour contenu l’harmonie entre la terre, l’homme, le monde. Autrement dit, la sérénité de l’élément terre signi࠱e à la fois protéger l’environnement des pollutions, lutter contre la guerre, le terrorisme, les massacres, construire un monde fort et pur qui soit à l’image du paradis de l’Ouest de la Terre Pure. Pour rester en paix, une me sereine cherche à résoudre les tensions entre classes sociales, entre riches et pauvres, à vivre en toute quiétude. Un esprit paisible pour un monde paisible vise à protéger la paix dans le monde. -éformer sous une forme nouvelle l’ancienne pensée bouddhique des sixZharmonies a été la premi¢re avancée de ce forum en mati¢re d’enseignement bouddhique. L’ancienne pensée des six r¢gles de concorde était ainsiZ: Dans le Mahayana, le respect des six harmonies indique l’intention du bonze d’être en harmonie avec ses obligations. La concorde a deux sens. Le premier donne à la théorie de la concorde le même sens que la théorie de l’extinction. C’est la voie du Saint homme qui a fondé la religion. Le second est celui de la conciliation des moines et des six modes d’appartenance pour comprendre la voie. Premi¢rementZ: unité physique dans le culte ; deuxi¢mement, unité de la parole ; troisi¢mementZ: unité mentale dans la foi ; quatri¢mementZ: unité morale dans l’observance des préceptes ; cinqui¢mementZ : unité doctrinale ; sixi¢mementZ: unité économique dans la jouissance collective des biens .
. Êinh Phc Ըo, PhԾt h՞c ËԲi tպ ËiՔn, PhՂt gio xuԺt bԸn x Ժn hành, Êài Մc 1996, p.Z64 . Si l’on se réf¢re dans ce dictionnaire du bouddhisme à l’entrée « Lպc h¬a k§nh », on s’aperçoit
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+guVՖn !uV Hinh
Pour résumer, l’ancienne pensée amidiste parle de la pratique ordinaire du bonze qui se réf¢re au concept de Paix (H¬a) comme fondement pratique pour éviter tout con࠲it avec ses coreligionnaires. Le nouvel amidisme part également du sens originel du caract¢re H¬a. Depuis le début, le bouddhisme a rejeté le syst¢me des castes du brahmanisme, c’est pourquoi on y trouve l’idée que l’homme na¨t de mani¢re égale, identique, en paix. Mais ce caract¢re H¬a a pris une signi࠱cation pour l’ensemble de l’humanité et pas uniquement pour les hommes qui entrent en religion. La Paix provient du Cœur, elle passe de l’individu à la famille, à la nation, au monde pour faire de cette terre une « terre pure » (de l’amidisme) sans pollution, sans guerre. C’est la terre pure humaine, une forme nouvelle du paradis de l’Ouest du bouddhisme de la terre pure. Cette théorie de la terre pure humaine n’est pas une doctrine économique, de même que le bouddhisme n’est pas en-soi une théorie économique. EnZce sens, Max Weber fait preuve d’injustice lorsqu’il se place du point de vue économique pour critiquer le bouddhisme et surestimer le protestantisme. LeZbouddhisme est une théorie spirituelle qui fournit à l’hommeZ des nourritures spirituelles ; l’homme produit des aliments et des biens qu’il o࠰re aux bonzes, les bonzes en prêchant la loi bouddhique o࠰rent des nourritures spirituelles à leurs donateurs. La théorie de la terre pure humaine est une création nouvelle dans le cadre du monde actuel, elle favorise l’établissement de la paix dans chaque pays, dans le monde entier, de sorte que l’économie peut se développer rapidement et devenir utile à l’ensemble de l’humanité. La proclamation de Puduoshan est un nouveau développement du bouddhisme chinois, un développement du bouddhisme de la Terre Pure qui appelle à l’organisation d’un 7e concileZpour a࠳rmer un nouvel amidisme. Mais en Chine est également apparu un autre mouvement qui ne suit pas du tout l’orientation de la Terre Pure puisqu’il vise à fonder des pagodes, à fondre des cloches et des statues dans toutes les provinces. Si l’on regarde à nouveau dans notre pays, un mouvement de rénovation du bouddhisme de la Terre Pure est aussi apparu au cours de la seconde moitié du XXeZsi¢cle. Il a commencé par fonder dans le Sud l’association « Lպc h¬a liên x » puis il a aussi joué de son in࠲uence sur l’amidisme au Nord. Aujourd’hui, le mouvement similaire qui pousse à construire des pagodes, à fondre des statues et des cloches imposantes est trépidant. Dans le contexte bouillonnant de l’économie de marché, la Terre et l’Argent sont les deux facteurs qui déterminent les chantiers de construction. Mais dans ces projets de construction de pagodes, de monast¢res, de confection de cloches et de statues, en vue d’organiser de grandes cérémonies pour le repos des mes, d’accompagner des parents à la pagodeڎ, la terre et l’argent ne représentent rien. Si l’on veut de la terre, on trouve de la terre, si l’on veut de l’argent, on trouve de l’argent. L’économie de marché apporte des
que ce texte sur le respect des six harmonies appara¨t sous di࠰érentes appellations (par exemple Nhn vŪśng kinh, Tժ ˦nh sֆ uyên) mais son contenu reste identique.
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Bouddhisme et économie࢙des origines nos jours
biens aux entrepreneurs qui se font donateurs d’aum®nes. Leurs femmes et leurs enfants vont à la pagode, ils prient pour la prospérité, pour la longévité, pour leur propre intérêt et non pas pour la Terre Pure ou pour le nirvana. Ces personnes n’aspirent pas à devenir des boddhisattvas ! Ils fournissent aux bonzes ce qu’il leur faut pour leur vie matérielle. La pagode des parfums (ch³a hŪśng) a ainsi été le lieu d’innombrables incidents ! C’est donc ainsi que l’économie de marché a « rénové » le bouddhisme. Et pour réagir face à l’économie de marché, les actions politiques et l’entraide bouddhique peinent à se maintenir. Seuls sont e࠰ervescents les moments o³ l’on vient consulter les jours et heures fastes, o³ l’on veut dissiper un malheur. Sans compter qu’un certain nombre de mendiants habillés en jaune et portant le bol à aum®ne sont arrêtés par la police car il s’agit de faux bonzes. L’Église bouddhiste du ViêtZNam devrait selon moi étudier le bouddhisme dans le monde, surtout le bouddhisme ta©wanais, pour comprendre ses relations à l’économie de marché et son enseignement de l’entraide. Ceci pour que les formes ancestrales de mendicité –Z que je consid¢re comme des o࠰randes classiquesZ – puissent se transformer en o࠰randes modernes comme j’ai eu l’occasion de les présenter lors d’un colloque sur le bouddhisme contemporain.
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COMMUNAUTÉ ET COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE AU VIÊT NAM
ÊՋNG THՓ ÊԶi Institut de recherches sur les religions, Hanoi
Vivre et agir au sein d’une communauté est un fondement ontologique. Chaque peuple présente cependant des spéci࠱cités qui dépendent de déterminants géo-historiques distincts. LesZcommunautés religieuses suivent également des prescriptions particuli¢res. Dans cet article, j’analyse les répercussions de ces déterminants géo-historiques sur la formation de l’esprit communautaire des Vietnamiens et sur les relations que ce dernier entretient avec les communautés religieuses. Dans la société vietnamienne, nous savons que trois communautés principales imbriquées l’une dans l’autre se retrouvent à l’échelle du foyer, du village et du pays. À l’échelon du foyerZ: nous utilisons le concept de maisonnée composée de membres vivant sous un même toit en partageant des liens matrimoniaux et de consanguinité. Il peut se composer d’une famille nucléaire ou bien former plus largement ce que du point de vue administratif l’on nomme un foyer (hժ). AuZfondement de ces liens matrimoniaux et de consanguinité, nous trouvons de solides relations économiques nouées entre les membres de la maisonnée qui font ainsi du foVer une unité de production. Au ViêtZNam, la riziculture irriguée englobe toutes les phases de production traditionnelles, lesquelles demandent des forces de production di࠰érenciées. LeZlabourage exige des hommes bien portants ; le plantage et l’entretien du riz de même que le vannage du paddy nécessitent des gens soigneux et persévérants –Zceci correspond au travail des femmes. Les activités qui demandent du temps, comme garder ou faire pa¨tre les bu࠴es, sont à la charge des enfants gés de plus de septZ ans ڎLe foyer devient par conséquent une unité de production intégrée, o³ chaque membre de la maisonnée a un r®le bien dé࠱ni, les femmes en particulier. L’in࠲uence multiséculaire du confucianisme a certes donné à la famille un caract¢re patriarcal mais il n’empêche pas les m¢res et les femmes d’avoir du pouvoir et d’être respectées. À cet échelon et sur le plan des croyances, on peut voir dans chaque maison des espaces cultuels dédiés au culte des génies, des patrons de métiers, du ciel 111
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(extérieur) ڎL’autel le plus important, celui qui ne manque jamais, est celui consacré aux ancêtres. Dans chaque maison, l’autel qui abrite le culte aux mnes des générations antérieures (entre trois et cinqZgénérations) se situe à l’endroit le plus solennel. On honore les membres décédés, hommes comme femmes. Les existences encore antérieures sont honorées dans la maison du culte des ancêtres (tռ ËŪծng) qui se rattache à la communauté élargie de la lignée (chi࢙hժ) ou de la phratrie (gia࢙tժc). Dans les foyers, on ne trouve donc pas uniquement les membres vivants, on se trouve aussi en présence des mnes des proches disparus qui participent aux événements majeursZ: examens, maladies, noces, construction de maison, fêtes du nouvel an lunaire ڎDans ce culte des Ancêtres, le p¢re est considéré comme l’h®te et comme le ma¨tre de cérémonie, cependant chaque membre y participe et en pratique, les m¢res jouent habituellement un r®le essentiel et décisif dans l’organisation des anniversaires de la mort (ngV࢙giը). À l’échelon du village, la communauté se tisse à travers les relations interpersonnelles des résidents d’un même terroir. Mais elle repose, ce qui n’est pas moins important, sur les relations économiques, sur les alliances matrimoniales, sur les coutumes et les croyances. À nouveau, on trouve la riziculture irriguée comme mode de production essentiel, ce qui oblige les membres de la communauté villageoise à s’unir. Dans la riziculture irriguée, le point nodal est le contr®le du niveau de l’eau. Les paysans ont tiré de leur expérience l’enseignement suivantZ: « l’eau en premier, l’engrais en second, l’entretien en troisi¢me, la variété en quatri¢me » (+hԶt nŪլc, nh¦ phn, tam cԸn, tպ giբng). Autrement dit, amener l’eau, irriguer, drainer, lutter contre les inondations et les aléas climatiques sont des activités qui doivent être e࠰ectuées réguli¢rement car ce sont elles qui décident du rendement des récoltes. Un tel travail ne peut être réalisé par une famille seule, l’approvisionnement ou l’évacuation de l’eau des rizi¢res de tel foyer exige souvent l’approbation de familles voisines ; l’entente entre foyers est nécessaire. C’est pour cette raison principale que le village forme avant tout un organe de gestion de l’eau entre foyers et qu’on lui demande de savoir réguler prioritairement l’hydraulique avant bien d’autres domaines de compétences (sécurité, administration, célébration de cultes)ڎ. De fait, le village devient une unité administrative. Comme l’ont con࠱rmé de nombreux chercheurs. L’interdépendance dans la production entra¨ne une interdépendance dans de nombreux autres domaines. Les relations matrimoniales et de parenté dans le village sont tr¢s étendues, au point que les niveaux de parenté s’empi¢tent, s’enchevêtrent comme les comptinesZ le re࠲¢tentZ : « la salamandre est le grand p¢re du varan, le varan est le p¢re du gecko, le gecko est la m¢re de la salamandre » ou bien «Zle ma©s est la tante du soja, le soja est le grand fr¢re du concombre, le concombre est le fr¢re du melon jaune, le melon d’eau est la demoiselle de la past¢que, la past¢que est l’oncle du ma©s » ou encore « le coucou koël est le jeune oncle de la pie, la pie est la tante a¨née du damier, le damier est l’oncle a¨né de l’étourneau, l’étourneau est l’oncle maternel du martin
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Communauté et communauté religieuse au Viêt +am
noir qui est le petit fr¢re du koël » 1. Dans la vie courante, chaque foyer –Zautrement dit les membres du villageZ– a toujours considéré l’entraide comme une obligation érigée en coutumes villageoises (hŪśng Ūլc) qui prennent valeur de loi. Du point de vue religieux, bien qu’il puisse y avoir de nombreuses croyances et religions dans le village, celle qui domine en étant, de plus, commune à l’ensemble des villageois est la croyance aux génies tutélaires (thnh h¬ang). Chaque village cél¢bre son génie tutélaire (« À tel village, tel génie célébré », thnh lng no lng ԶV thծ) au cours de festivités spéciales. Le génie tutélaire est la divinité protectrice de la communauté villageoise, à qui l’on attribue souvent unZsurnom et dans de nombreux cas un nom personnel. Le génie est généralement le génie des villages antiques. Lorsqu’on en examine les origines, on s’aperçoit qu’il peut être un élément naturel (arbre, terre, pierre, ࠲euve, arroyo), un animal (serpent, tigre, crocodile)ڎ, un phénom¢ne naturel in࠲uant sur l’agriculture (nuages, pluie, tonnerre, éclairs ; )ڎil peut aussi être une personnalité ayant mené des actions d’éclat pour le pays, ou encore une personne ordinaire mais morte à une heure magique, ce qui fait d’elle un bienfaiteur aux yeux des gens ڎAuxZXV-XVIeZsi¢cles, lorsque le confucianisme prit une forme exclusive, le ÊԶiZVi՜t renforça son autorité en voulant assurer un contr®le étatique étroit descendant jusqu’au village, ce qui ࠱t appara¨tre des contradictions entre l’autorité centrale et l’administration villageoise, entre le confucianisme, les croyances et les usages villageois archa©ques. La croyance aux génies tutélaires qui émergeait alors devint la solution pour concilier ces contradictions. Par le pouvoir du roi d’instituer les génies tutélaires (thnh h¬ang) en divinité villageoise (thԸn lng), l’État central accepta l’autonomie administrative du village en contrepartie de quoi le village accepta la gestion de l’État centralisateur. La seule croyance aux divinités rattachées spéciࠩquement au village évolua vers une croyance aux génies tutélaires ayant une double a࠳liation au village et au paysZ: chaque génie était simultanément le représentant d’un village précis devant l’État central, le représentant de l’État central face aux villageois. La contradiction entre le village et l’État était aussi bien de nature politique que culturelle et religieuse. LaZ croyance aux génies tutélaires est en conséquence une seule et même croyance qui int¢gre des éléments politiques, culturels et religieux. La protection du génie tutélaire rel¢ve pour la communauté villageoise de sa propre sacralisation. L’intérêt communautaire doit se placer au-dessus de l’intérêt du foyer. Jadis, il fut décidé que dans de nombreux villages les maisons ne devraient pas être plus hautes que le btiment o³ l’on honore le génie tutélaire, la maison communale (˦nh). La fête du village –Zcérémonie en l’honneur du génieZ– est la célébration collective la plus importante à laquelle les familles, les individus, les mouvements associatifs (assemblée de la jeunesse, conseil des
1. (ք nhông l ông Hք Ë, Hք Ë l cha cՀc HՐ, cՀc HՐ l mՊ Hք nhông L´a ngô l cô ËԾu nnh, ËԾu nnh l anh dŪa chuժt, dŪa chuժt l ruժt dŪa gang, dŪa gang l nng dŪa hԶu, dŪa hԶu l cԾu l´a ngô 1u h´ l ch´ bդ các, bդ các l bác chim ri, chim ri l d¦ sáo sԾu, sáo sԾu l cԾu sáo Ëen, sáo Ëen l em tu h´. La traduction ne peut rendre ni la sonorité des expressions ni la subtilité des relations humaines, qui reposent sur le syst¢me complexe de la parenté [ndt].
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anciens, l’union des Lettrés, associations des bonzesses, des femmes )ڎont l’occasion de participer, de contribuer à l’e࠰ort collectif, de tenir leur rang au sein de la communauté. Le conseil villageois réuni annuellement est le ciment et le procréateur de l’esprit communautaire. Les leçons de l’histoire ont montré que les préconisations politiques qui ne porteraient pas une attention su࠳sante aux traditions villageoises échoueraientZ: la politique des hameaux stratégiques du régime de Ng® ʦnh Di՜m au Sud du ViêtZ Nam enZ 196 , la réforme agraire au Nord du pays dans les années 1953-1956, le mod¢le de coopérative économique au niveau du district dans les annéesZ198 en sont des exemples typiques. À l’échelon du pays, les Vietnamiens sont parmi les premiers peuples à avoir formé précocement une nation. L’État de V½n Lang, celui de |uZLԶc ont été fondés avant que la dynastie Han n’occupe le Viêt Nam enZ 8 avant notreZ¢re. D’apr¢s les travaux de nombreux chercheurs, deux raisons essentielles expliquent la formation de ces ÉtatsZ: la premi¢re est que les Vietnamiens ont dµ s’organiser tr¢s t®t quand ils ont progressivement conquis le delta du ࠲euve -ouge. En particulier, lorsque le syst¢me d’endiguement a émergé, l’État est devenu avant tout une organisation collective de construction et de protection des digues pour lutter contre les inondations, les aléas climatiques, les phénom¢nes naturels exceptionnels touchant cette région. Secondement, le modeste peuple viêt a toujours dµ faire face aux invasions et aux assimilations des puissants états du Nord. Sans union, il n’aurait tout simplement pas pu exister. Ainsi, considérer l’intérêt général, l’intérêt de l’ensemble pour solidariser la communauté, est un trait de caract¢re particulier et typique des Vietnamiens, lequel découle principalement des conditions géographiques, économiques, politiques. Dans toute son histoire, lorsque le peuple est solidaire, il peut battre des ennemis même supérieurs à lui, alors que lorsqu’il se divise, le peuple perd le pays. Ainsi habitués à devoir faire face aux invasions venues du Nord, lesZViêt n’ont pas cherché à construire de longue muraille. L’union de la communauté est devenue l’arme la plus e࠳cace qui leur a permis de se perpétuer. AuZXIIIeZsi¢cle, les hauts dirigeants de la résistance contre les Mongols ont conclu que la cause essentielle de la victoire avait résidé dans l’accord unanimeZ: « mon roi est un cœur pour lequel fr¢res et sœurs nous nous unissons ». Le président H®ZChiZMinh a tiré les conclusions de cette tradition historique en lançant son appel à la grande union (ËԲi Ëon HՐt). Ce n’est pas simplement faire preuve de solidarité, cela signi࠱e créer une grande union, une solidarité sans limites. Même à l’égard des envahisseurs, une fois que la victoire générale était acquise, le ViêtZNam ancien fournissait des barques et des provisions aux ennemis pour que ces derniers puissent rentrer chez eux. La solidarité permettait ainsi de transformer l’adversaire en ami. Cet esprit de conciliation a imprégné les domaines religieux à tel point que dans certains cas, ce qui pourra en surprendre certains, les Vietnamiens honor¢rent aussi les ennemis qui avaient envahi leur pays. Il faut poursuivre sur cet aspect en disant que les Vietnamiens sont solidaires, communautaires mais qu’en même temps, ils sont tr¢s ouverts sur l’extérieurZ: ils sont tr¢s amicaux envers les étrangers et ne se montrent pas envieux des 114
Communauté et communauté religieuse au Viêt +am
autres cultures. C’est essentiellement grce à cette attitude qu’ils adoptent tr¢s rapidement les cultures étrang¢res. Ils ne les adoptent pas en intégralité mais ils se réapproprient seulement ce qui est proche de la leur, ce qui sert tr¢s concr¢tement leurs intérêts. L’histoire montre que les Vietnamiens adoptent l’essentiel de la culture de l’autre pour pouvoir mieux s’y confronter. Ils ont ainsi adopté de façon sélective la culture chinoise a࠱n de construire un État fort pouvant résister à l’invasion des di࠰érents États chinois. Au début du XXeZsi¢cle, ils ont puisé dans la pensée occidentale pour en faire une arme de résistance contre la domination française et contre l’invasion américaine. L’esprit de solidarité nationale a été mythifié par la légende du dragon et de la fée, il a fondé la croyance en des parents communs (LԶc Long ,un et |uZCś), il a donné naissance au culte national des roisZH³ng, au culte des héros nationaux et de tous ceux qui ont œuvré pour le bien du peuple et du pays. Cet esprit communautaire est ainsi à la fois l’exigence d’une existence nationale en même temps que le produit même de cette existence. Il serait erroné de penser que cet esprit communautaire est d’essence spirituelle plut®t qu’économique ou politique. Les Vietnamiens vivent dans une communauté qui transcende tous les domaines. C’est à la fois une communauté de production, une communauté d’action, une communauté de sang, une communauté de croyance aux di࠰érents échelons du foyer, du village, du pays. Le domaine du religieux ne peut pas être détaché de la communauté, il répond tout d’abord aux besoins de cohésion communautaire, à la sacralisation de la communauté. Cette derni¢re poss¢de ainsi à tous les niveaux des caractéristiques intangibles. Et c’est parce que la religion et la croyance visent essentiellement à satisfaire les besoins d’existence de la communauté qu’elles portent en elles peu d’éléments liés à l’individu. De même, religion et croyances s’orientent vers la vie réelle plut®t que vers la métaphysique. Les religions présentes au ViêtZNam, même celles d’origine étrang¢re, ont pour préoccupations principales la vie collective de la communauté. Par exemple, lorsque le bouddhisme est apparu au ViêtZNam, celui-ci s’est rapidement accordé avec les croyances autochtones pour former une croyance d’inspiration bouddhique qui s’est répandue dans le delta du ࠲euve -ouge. LaZ SainteZ M¢re ManZ NŪśng (+ր thԸn Man +Ūśng) et toutes ses ࠱lles sont devenues des divinités bouddhiques. D’une religion appréciée pour sa voie de salut individuel, pour sa haute portée philosophique, le bouddhisme s’est lié aux divinités féminines de la société paysanne locale pour former des cultes ruraux et des festivités paysannes. Il est devenu une religion servant à protéger concr¢tement l’existence de la communauté. Dans chaque village, il y a généralement une pagode principale –Zla pagode du villageZ–, endroit o³ les vieilles dames et les femmes viennent célébrer les fêtes majeures, o³ elles se réunissent, partagent leurs préoccupations, contribuent de façon appréciable à la cohésion de la communauté. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le confucianisme a aussi englobé sous un vernis confucéen des pratiques cultuelles. Mais celles-ci restent par essence et aux trois échelons di࠰érents d’anciennes croyances traditionnelles. 115
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Le tao©sme s’est fondu dans toutes les formes de croyances populaires au point qu’on ne peut clairement le distinguer. Depuis le XVIeZ si¢cle, le christianisme a commencé à se propager au ViêtZNam, et tr¢s t®t, il a incité à la fondation de villages distincts en faisant de la communauté villageoise l’unité des activités religieuses. Dans le cas du mouvement religieux ւu Sśn Kֈ HŪśng (apparu au Sud du pays au milieu du XIXeZsi¢cle) ou dans celui du culte H¬a HԸo (apparu également au Sud au début du XXeZ si¢cle), qui comptent de nos jours encore plusieurs millions d’adeptes, la reconnaissance envers le pays et les compatriotes est considérée comme le principal devoir des ࠱d¢les. Mieux, ces reconnaissances sont un mode de pratique religieuse, elles sont la religion qui fait l’homme. Une autre grande religion du Sud, le caoda©sme, demande quant à elle aux adeptes de penser à leurs devoirs séculiers avant de penser à une vie religieuse. Pour n’importe quelle religion, les activités quali࠱ées de religieuses sont avant tout des activités communautaires. Les funérailles, les noces, le soin aux malades, l’entraide face aux di࠳cultés, toutes sont des activités communautaires quotidiennes qui peuvent prendre des tournures religieuses comme dans les cas de dons sous formes d’argent (công Ëպc) ou de travail bénévole (công quԴ). Par l’adoption d’activités communautaires, les religions présentes au Viêt Nam peuvent s’a࠳rmer, se maintenir et se développer. La société vietnamienne est dans une des plus importantes périodes de changements de son histoire. La tradition laisse place à la modernité, l’isolement à l’intégration mondiale, les activités agricoles au commerce, à l’industrie et aux services, l’économie dirigée à l’économie de marché. Les conditions sont vraiment di࠰érentesZ: pour les Vietnamiens, le monde actuel ne se limite plus uniquement à la Chine. Le ViêtZNam peut se lier d’amitié avec de nombreux pays parmi lesquels des nations fortes. Le développement du commerce incite à la formation d’organisations régionales et internationales qui sont autant de contrepoids. Pour tous les pays, les relations multilatérales ont mené à une interdépendance entre membres, entre pays, entre régions, et pas uniquement des situations de dépendance des petits pays face aux plus puissants. Le monde est en train de devenir « plat » (Thomas Friedman), les valeurs universelles sont de plus en plus intégrées, les codes de conduite internationaux sont reconnus par la quasi-totalité des pays. La politique de grande solidarité est la voie pour que le ViêtZNam puisse se défendre seul et qu’il puisse s’insérer positivement au monde. Il ne s’agit pas uniquement de solidarité nationale mais de solidarité avec l’ensemble des pays des cinqZ continents, avec les anciens adversaires comme la Chine, la France, les États-Unis, grce à une coopération culturelle et économique, par la formation et le développement des intérêts communs. Ainsi la solidarité communautaire et celle liant les cinqZcontinents sont la force, l’arme la plus e࠳cace du ViêtZNam aujourd’hui. Dans un tel environnement, la communauté sociale conna¨t aussi de grandes transformationsZ au ViêtZ Nam. Aujourd’hui, la communauté nationale résulte tout d’abord d’un phénom¢ne nouveauZ: la nation se compose partiellement de personnes, pr¢s de troisZmillions, qui vivent à l’étranger, en particulier dans les 116
Communauté et communauté religieuse au Viêt +am
pays avancés o³ les potentialités économiques et intellectuelles sont élevées. Ces personnes ont formé et forment toujours un canal important des échanges culturels, scienti࠱ques et économiques. Dans un même élan, le nombre de Vietnamiens qui s’expatrient sous des formes diverses augmente d’une façon inégalée. Lorsqu’ils rentrent au pays dotés de vues plus larges, d’acquis culturels (et religieux), ils agissent avec force sur la conception générale de la société. LeZnombre de sociétés étrang¢res, d’étrangers qui viennent au ViêtZNam pour des raisons touristiques, économiques, d’études ڎaugmente aussi tr¢s rapidement en provoquant les mêmes e࠰ets. Les mariages entre Vietnamiens et étrangers sont aujourd’hui chose courante. Le réseau d’information et de communication s’est développé à pas de géant, internet s’est imposé comme une nécessité pour une grande partie de la population, la jeunesse en particulier, qui ne peut plus être contrainte. Ainsi, depuis la politique de rénovation engagée enZ1986, les contacts, les échanges, les correspondances entre di࠰érents points de vue économiques, politiques, culturels se sont multipliés. Le ViêtZNam en est arrivé à participer de ce « monde plat ». Par ailleurs, le village lui-même changeZ: le r®le de l’agriculture se réduit au détriment d’une pluralisation des activités professionnelles. Une part notable de la jeunesse quitte le village pour trouver du travail en ville. Les solides relations villageoises sur lesquelles repose la production rizicole se réduisent. Il en est de même des relations de parenté et matrimoniales. En࠱n, aussi bien dans la communauté nationale que dans la communauté villageoise, l’écart entre les riches et les pauvres se creuse, il se creuse même beaucoup, et ces divisions sont en train de former di࠰érentes castes. L’urbanisation, le développement de l’industrie, du commerce et des services modifient rapidement les structures démographiques. En constatant ces particularités, il semble que la communauté traditionnelle commence à se désagréger. Personne ne peut prévoir o³ ce processus m¢nera. LeZcaract¢re communautaire, force principale des Vietnamiens serait-il menacé Étrangement, si l’on regarde le tableau religieux, on perçoit le phénom¢ne inverse. Les activités renforcent un caract¢re communautaire en mutationZ : lesZ cérémonies religieuses et certains cultes traditionnels se restaurent avec force, plus importants, plus nombreux, plus ardents chaque année. AuZtemple des rois H³ng, l’anniversaire de mort en l’honneur de la patrie (lՖ hժi ËՒn H³ng giը tզ chung) est devenue fête nationale. Toutes les cérémonies en l’honneur des rois, des héros nationaux sont rehaussées. Les enfants d’une même parenté ou de descendance commune trouvent le moyen de se réunir, de restaurer les célébrations en l’honneur des ancêtres, de ࠱nancer la reconstruction de leurs tombeaux et de leurs temples. Les caisses d’entraide, d’encouragement aux études, de charité se multiplient dans chaque lignée, dans chaque village. CesZactes contiennent implicitement un sens religieuxZ: beaucoup de personnes qui contribuent à ces caisses et aux œuvres caritatives attendent en retour la protection des divinités bouddhiques pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. LaZ contribution non négligeable de cet esprit communautaire et, à un autre 117
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niveau, d’une certaine religiosité, est à porter au compte des résultats concluants dans la lutte contre la pauvreté. À raison, le moment est venu d’évaluer avec justesse le niveau et le r®le appréciable des religions et des cultes dans la conservation et dans le maintien de l’esprit communautaire ; celui-là même qui est la force essentielle des Vietnamiens, dans l’histoire, et plus encore, dans la situation actuelle.
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ÊՋNG NGHIM VԶn Premier directeur de l’Institut de recherches sur les religions, Hanoi
I. Lors du colloque franco-vietnamien qui s’est tenu à Paris enZ1999, j’avais présenté quelques ré࠲exions sur les particularités religieuses du ViêtZ Nam. JeZ voudrais ici présenter une forme religieuse traditionnelle répandue au ViêtZNamZ: le culte des Ancêtres (ËԲo thծ c´ng tզ tiên). L’essence des religions a été discutée par d’illustres auteurs, faisant penser qu’il n’y aurait plus rien à discuter, qu’il est tout au plus nécessaire de ré࠲échir aux nouveaux phénom¢nes religieux nés dans les annéesZ 197. Tout au plus, fallait-il méditer les prévisions d’André MalrauxZ: Le probl¢me capital de la ࠱n du si¢cle sera le probl¢me religieux –Z sous une forme aussi di࠰érente de celle que nous connaissons, que le christianisme le fut des religions antiques. Mais cela ne sera plus le probl¢me suprême 1.
Parlant ici d’une religion traditionnelle, nous n’avons certainement rien à redouter de ce point de vue. Nous pouvons être d’accord avec Feuerbach et son livre L’essence du christianisme (1841), puis avec Marx qui compléta en montrant que Feuerbach abordait seulement l’homme abstrait sans parler de l’homme situé dans un monde pluriel. Ce dernier commenteZ: L’homme n’est pas un être abstrait qui se dissimule quelque part en dehors du monde. L’homme est par essence le monde humain, l’État, la société. Cet État, cette société, ont produit la religion .
L’adjectif « ce » implique que la réalité dépend des particularités et des traditions de chaque nation et de multiples populations, la religion se manifeste ainsi sous des formes di࠰érentes, de façon plurielle. À la ࠱n du XIXeZ si¢cle, les connaissances sur les civilisations extraeuropéennes se sont accumulées, grce aux géographes et aux anthropologues qui ont suivi l’expansion des nations capitalistes européennes, grce à la science des religions comparées que MaxZMuller a fondée, grce en࠱n à EdwardZTylor,
1. J-P. BACOT (éd.), Sortie des religions, retour du religieux, Astragale éd., Lille 199 , p. 35.
. M ARX-ENGELS, Čuvres complètes, vol.Z1, Nxb ch§nh trՠ quզc gia, Hanoi 1993, p.Z561.
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théoricien de l’animisme qui dans son œuvre cél¢bre, Primitive culture, s’est e࠰orcé de chercher l’essence de la religion. Il a repoussé indirectement la conception théologique occidentale qui dominait à l’époque en voulant attribuer uniquement à la religion la foi en une divinité. À ce même moment, il lut Albert -éville qui écrivitZ: La religion est la détermination de la vie humaine par le sentiment d’un lien unissant l’esprit humain à l’esprit mystérieux dont il reconna¨t la domination sur le monde et sur lui-même et auquel il aime à se sentir uni 3.
Si l’on comprend le terme divinité dans ce sens précis et strict, une telle dé࠱nition écartait donc en son temps une multitude d’événements religieux. Tylor écritZ: Si l’on comprend la religion comme avoir la foi en un être suprême, à un jugement apr¢s la mort, comme honorer les idoles, pratiquer le sacri࠱ce rituel, ou bien comme des dogmes ou des cérémonies relativement répandues, alors il faut naturellement repousser beaucoup de tribus en dehors du monde religieux. Cette dé࠱nition trop restrictive et imparfaite a mené d’une façon générale à l’homogénéisation de la religion et à quelques développements particuliers de la religion 4.
Dans tous les syst¢mes religieux, on trouve la conception commune d’une dépendance de l’existence humaine à une volonté suprême détentrice ou bien du pouvoir de protéger et de sauvegarder, ou bien d’entra¨ner la déchéance de l’homme. Partant de cette conception commune, Tylor arrive à la conclusion qu’« il serait peut-être plus judicieux de poser la foi en des êtres spirituels comme dé࠱nition minimum de la religion 5. » Dans le chapitre qu’il consacre à l’animisme, constatant que ses manifestations sont d’une telle diversité dans les cultures des peuples « primitifs », il se met à la recherche du contenu minimal pour dominer un objet maximal de forme religieuse. La dé࠱nition de Tylor sur l’objet religieux a été reprise par les auteurs occidentaux de la ࠱n du XIXeZsi¢cle et du début du XXeZsi¢cle, en remplaçant la notion d’esprit par celle plus large de surnaturel. Des auteurs ont montré que lorsqu’on m¢ne généralement des recherches sur les formes religieuses, on ne s’arrête pas à son stade primitif et à l’a࠳rmation de la dualité nature/surnature de l’objet religion. Cette conception a été bien évidemment réfutée par les tenants du monothéisme primitif, surtout par Wilhelm Schmidt dans son ouvrage les origines de la notion de !ieu 6. Au ViêtZNam, la majorité des populations autochtones ne connaissait pas aussi clairement cette notion de Dieu, hormis
3. A. R ÉVILLE, « Prolégom¢nes à l’histoire des religions », dans É. D URKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, Paris 1968, p. 4. 4. E. TYLOR, « V½n ha nguyên thռy », dans V½n ha ngh thuԾt, Hanoi , p.Z 498-944 [La࢙civilisation primitive, trad. de l’anglais, -einwald, Paris 1876-1878, vol.]. 5. Ibid 6. Cité dans S.Z A. TOKAREV, Les religions dans l’histoire du monde (en russe), Politisdat, Moscou 1964.
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sous une forme mythique 7, avant qu’une partie d’entre elle ne découvre le christianisme. Avec l’apparition de Durkheim, fondateur de la sociologie française, les conceptions de Tylor ont été reconsidérées. Apr¢s avoir reconnu le mérite de ses conceptions, Durkheim en a relevé les limites. Il a attiré l’attentionZcomme suitZ: Toutes les croyances religieuses connues, qu’elles soient simples ou complexes, présentent un même caract¢re communZ: elles supposent une classi࠱cation des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en deux classes, en deux genres opposés, désignés généralement par deux termes distincts qui traduisent assez bien les mots de profane et de sacré. La division du monde en deux domaines comprenant, l’un tout ce qui est sacré, l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse ; les croyances, les mythes, les gnomes, les légendes sont ou des représentations ou des syst¢mes de représentations qui expriment la nature des choses sacrées, les vertus et les pouvoirs qui leur sont attribués, leur histoire, leurs rapports les unes avec les autres et avec les choses profanes 8.
Il observe tr¢s justement qu’on ne peut lier étroitement « les choses sacrées que l’on appelle des dieux ou des esprits [ ]ڎElles sont volontiers considérées comme supérieures en dignité et en pouvoir aux choses profanes et particuli¢rement à l’homme, quand celui-ci n’est qu’un homme et qu’il n’a, par lui-même, rien de sacré. » Apr¢s avoir analysé que cette impuissance, cette dépendance se produisent et ne prennent un caract¢re religieux que lorsque seulement ces deux catégories absolues ne s’unissent pas, il con࠱rme que selon lui « il n’existe pas dans l’histoire de la pensée humaine un autre exemple de deux catégories de choses aussi profondément di࠰érenciées, aussi radicalement opposées l’une à l’autre. » Durkheim a ainsi montré que la dualité de Tylor était trop large et qu’il était nécessaire de la restreindre, aussi proposa-t-il de la reconsidérer uniquement comme une base de recherche sur les religions. Hubert, él¢ve de Durkheim, conçoit le couple sacré-profane comme une idée-m¢re de la religion. Joachim Wach estimeZla « religion comme expérience du sacré. » Cette conception a reçu l’accueil favorable des chercheurs liés à l’école de l’ontologie qui se sont e࠰orcés de trouver une explication au sacré et à son apparition. La conception de Mircea Éliade sur l’hiérophanie éclaire le champ religieux avec les notions de temps et espace du sacré. Tous ces chercheurs reconnaissent le fait que le christianisme et les autres religions se sont uniquement manifestés en Europe et dans les pays de traditions pastorales et d’élevage. Cette révolution n’a pas touché l’Inde du Sud ni l’Extrême-Orient, lieux o³ l’hindouisme, le bouddhisme, le confucianisme, le tao©sme et même le shinto©sme ou le culte des ancêtres dominaient. Là, on n’y trouve pas de distinction claire entre les mondes sacrés et profanes,
7. ÊՌng Nghiêm VԶn, « The Flood Myth and the Origin of Ethnic Groups in Southeast Asia », 1he Journal of American FolHlore 16, 4 1 (1993), p. 34-337. 8. É. DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, p. 5-51. Les passages entre guillemets qui suivent sont de cet auteur.
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entre l’invisible et le visible, la vie et la mort, le monde ici-bas et le monde surnaturel, la nature et le divin, les démons. Toutes ces pensées sembleraient ne faire qu’une, mais elles ne sont pas totalement une. Elles sont duales. Il se rév¢le en e࠰et que l’homme peut vivre en même temps entre ces deux mondes, mais en distinguant plus clairement que quiconque ces deux mondes 9. Sakyamuni et les bodhisattvas, Confucius, Lao Tseu et les divinités tao©stes, les mes des ancêtres ont tous été personnifiés en divinités mais ils sont encore pensés comme des hommes de chair et de sang, la distinction n’est pas claire. Le Ciel est considéré comme un être sacré mais sans forme concr¢te, il est vu comme le vénérable oncle ou mari du crapaud capable d’appeler le tonnerre et la pluie pour servir les cultures et agir dans la vie quotidienne 1. II.ZAinsi, avant de rentrer en contact avec l’Occident, comme HըZCh§ZMinh l’a justement ditZ : « Les gens d’Annam n’ont pas de religion selon le mode de pensée des Européens 11. » C’est également l’opinion de Léopold Cadi¢re, chercheur sur les croyances et les pratiques religieuses des Vietnamiens qui écrivait, il y a plusieurs décenniesZ: Si l’on entend par religion la croyance à un tre absolu, in࠱niment grand et in࠱niment parfait ; l’union par l’esprit à cet tre partout présent ; l’union par les élans du cœur à ce Dieu in࠱niment bon,Zqui gouverne et maintient tout ; en࠱n la reconnaissance de ses perfections in࠱nies par un culte digne de lui, il faut dire que le Vietnamien n’est pas religieux. La notion d’un Être Suprême lui échappe ; il vit sans Dieu. Mais si l’on entend par religion la croyance, la croyance pratique in࠲uant sur la conduite de la vie, à un monde surnaturel, il faut reconna¨tre que le peuple vietnamien poss¢de cette vertu à un haut degré 1 .
Plus pr¢s de nous, le président PhԶm V½n Êըng, ࠱d¢le él¢ve du président Hը, observait de façon similaireZ: « Les Vietnamiens ne suivent pas de religion comme cela se produit dans les autres pays 13. » On peut a࠳rmer que l’on se situe encore dans le domaine de la religion en général, mais certainement pas dans celui des religions monothéistes. Aussi, la religion traditionnelle des Vietnamiens qui s’est di࠰usée, quelle est-elle Si l’on consid¢re chaque peuple à son stade initial pour y observer la forme religieuse principale ; si l’on ne consid¢re pas les formes religieuses qui ont une organisation supérieure pouvant devenir un État dans l’État, si l’on
9. ÊՌng Nghiêm VԶn, « -é࠲exions sur quelques caractéristiques de la religion au Viêt Nam » ; Êo ,uang HŪng, C LANGLOIS (éd.), Études de sciences religieuses en France et au Viêt +am, Nxb KHXH, Hanoi 7, p. 691-74 . 1. En fonction des ethnies, le crapaud est le ࠱ls (viêt) ou la femme du ciel (Whuang etc.). Voir A.ZDORÉ, « Des Yue aux Zhuang du Guangxi, une perspective ethno-historique », Histoire ࢡ࢙anthropologie 1 (1995), p. 4-34. 11. Hը Ch§ Minh, 1on 1Ծp [Čuvres complètes], Nxb ch§nh trՠ quզc gia, Hanoi , t.ZI, p.Z465. 1 . L. CADIÈRE, CroVances et pratiques religieuses des Vietnamiens ( eZ éd.), t.Z III, École française d’Extrême-Orient, Paris 199 (réimp.), p.Z68. 13. PhԶm V½n Êըng, V½n ha v Ëզi mլi [Culture et renouveau], Nxb ch§nh trՠ quզc gia, HanoiZ1994, p.Z75.
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consid¢re à égalité l’ensemble des traits culturels parmi lesquels la religion, alors comme le remarquait Lévi-Strauss, il n’y a pas de raison de distinguer les religions inférieures des religions supérieures comme on le fait actuellement au ViêtZNam en commettant l’erreur de mettre d’un c®té les croyances, sousentendu inférieures, de l’autre les religions, prétendues supérieures, alors que ces religions se sont seulement organisées socialement pour répondre au temps présent, ou pour le dire plus justement, pour s’allier à la situation politique du pays 14. Claude -ivi¢re dit justementZque « pas une preuve ne permet d’a࠳rmer l’antériorité d’un culte ou d’une croyance sur une autre 15. » De sorte que l’essentiel est pour un individu ou une communauté, la conviction ou la foi comme crit¢re unique d’a࠳liation à une quelconque religion. Dans la société traditionnelle vietnamienne, il faut concevoir le culte des Ancêtres dans un sens large, composé de plusieurs niveaux de mises en correspondanceZ: l’État vén¢re les roisZH³ng mi-mythiques, mi-véridiques ; le village vén¢re les génies tutélaires, les personnages historiques, les fondateurs ou protecteurs de villages ; la lignée familiale vén¢re les mnes des ancêtres disparus. Le bureau des a࠰aires religieuses a réglementé six religions principales et leur organisation par souci de gestion. Le culte des Ancêtres est la religion la plus répandue, y compris aupr¢s des ࠱d¢les des autres religions qui le suivent aussi. ParZexemple, le confucianisme pris sous sa forme religieuse présentait du temps du régime féodal des aspects sociopolitiques. Apr¢s la révolution d’aoµtZ1945, il n’a plus été suivi mais son in࠲uence est cependant restée grande. Au point que Nguy՚n KhՄc Vi՜n a publié l’article « Confucianisme et marxisme au ViêtZ Nam », dans la revue La Pensée, le confucianisme étant selon les propres paroles de Confucius une doctrine pour ce bas mondeZ: « Vՠ n½ng sŪ nhn, an n½ng sֆ qռy »Z(on ne vén¢re pas les hommes, comment peut-on vénérer les mauvais esprits) ; « Vՠ tri sinh, an tri tւ » (On ne sait pas ce qu’est la vie, comment pourrait-on savoir ce qu’est la mort). À l’époque des Han, il y avait plus de 5Ztemples à Confucius, sans parler de ses écrits, dont une seule page en caract¢res devenait chose sacrée. Le confucianisme a été pris en note, systématisé, avec pour source et fondement
14. Les colonialistes français qui soutenaient le catholicisme ont entra¨né des réactions qui se sont exprimées par une rénovation du bouddhisme dans les annéesZ19 -193, la naissance du caoda©sme (19 6) et celle de la religion H¬a HԸo (194). Les impérialistes américains à l’époque de Ng® ʦnh Di՜m ont continué de préconiser le catholicisme comme religion d’État, provoquant les manifestations des bouddhistes et des Saints hommes et Saintes femmes (ËԲo ông b). Le résultat en a été le renversement de Di՜m et son assassinat. Dans le temps de la résistance contre les Français et les Américains, les religions de la zone temporairement occupée avaient des organisations militaires pour lutter contre l’indépendance. S’agissait-il d’organisations originellement religieuses Selon moi, les organisations ne reposent sur aucune essence religieuse. Tout au plus peut-on être d’accord avec 4ves Lambert lorsqu’il dit que chaque religion a des institutions, parfois solides comme un État, parfois ࠲ottantes, comme dans le cas du bouddhisme au Viêt Nam. Ce n’est pas pour autant que telle religion est supérieure à telle autre. Voir 4.ZLAMBERT, « La dé࠱nition de la religion et l’identité religieuse » dans P.ZMILTION (éd.) Religiosité, religions et identités religieuses, Vrin, Grenoble 1998 (-echerches sur la philosophie et le langage 19), p. 83-35. 15. C. R IVIÈRE, Socio-anthropologie des religions, A. Colin, ParisZ1994, p. 4.
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le caract¢re «ZHiՔuZ», celui de la piété ࠱liale. Le culte H¬aZHԸo, poursuite du ւu Sśn Kֈ HŪśng (XIXeZsi¢cle) et le culte Tվ |n HiՔu Nghãa ont tous deux pris pour crit¢re les « quatre reconnaissances » aux ancêtres, aux compatriotes, au triple joyau et à l’humanité. Le caoda©sme suit le tao©sme (pratique de divination par la corbeille à bec, cԸu cś) mais il n’a pas pu abandonner la doctrine du confucianisme, aussi accueille-t-il Confucius et les divinités sur son autel. Le bouddhisme enseigne le non-être, explique que la vie est sou࠰rance, que le nirvana ressemble à l’état de la surface d’un lac dans une montagne profonde, mais au ViêtZ Nam on estime pourtant le VuZ Lan (ullambana, fête des mes errantes), on plante de l’encens pour les parents défunts à la pagode. Le catholicisme s’est représenté à une certaine période les ancêtres, les personnages et les héros patriotiques comme des esprits malé࠱ques. Il refusait que les ࠱d¢les leur portent un culte sous peine d’excommunier celui qui enfreindrait l’interdit. Les ࠱d¢les devaient dissimuler les autels, ils les rentraient dans des greniers à riz ou bien ils les conservaient chez des familles non catholiques. Là, ils y brµlaient de l’encens, symbole du culte des Ancêtres. EnZ1939, conformément à l’esprit de la bulle Plane Comportum est (8Zdécembre 1939), le pape PieZXIII autorisa les catholiques chinois à pratiquer le culte des ancêtres 16. Cette situation a été acclamée par les ࠱d¢les du Nord et du Sud du ViêtZNam. Mais à cause de la guerre, cette autorisation se réalisa plus tardivement au Nord du pays. C’est pourquoi, d’apr¢s les premi¢res enquêtes sociologiques réalisées par l’Institut de recherches sur les religions en 199 -1994, seuls 64, ࢠ des catholiques interrogés pratiquaient le culte des Ancêtres au Nord alors qu’à HuՔ, le pourcentage montait à 98, 3 ࢠ et qu’à Hը-Chí-Minh-Ville il était de 97, 8 ࢠ. Lors de la seconde enquête, le chi࠰re à Hanoi atteignait 94, 7 ࢠ, et se rapprochait ainsi des résultats obtenus à HuՔ et à Hը-Chí-Minh-Ville. Dans le livre EntreW dans l’espérance 17, le pape loue le culte des Ancêtres tout comme le confucianisme et le tao©sme. Il présente ces deux religions comme « quelque chose qui est proche de la parole du Christianisme », en particulier le culte des Ancêtres qui est « une forme particuli¢rement proche du christianisme ! »ZIl est dommage que les églises protestantes, malgré leur devise au ViêtZNam (« vivre l’évangile pour servir Dieu, servir la patrie et la nation ») renient encore le culte des ancêtres.
16. Dans un colloque portant sur la vénération des ancêtres (tôn Hính tզ tiên), les catholiques utilisaient habituellement le mot « t®n k§nh » (vénérer). Ils l’utilisaient car ils voulaient appliquer le mot « thղ c´ng » (porter le culte) uniquement pour Dieu le P¢re. Pour la Vierge Marie, ils utilisaient aussi le terme « t®n k§nh ». Les non-catholiques utilisaient eux le terme « thղ c´ng tժ tiên » pour « pratiquer le culte des ancêtres. » ,uelques personnes ont contesté cette utilisation. La chose amusante est que pendant ses conclusions, l’évêque de HuՔ prit l’habitude de dire « thղ c´ng tժ tien ». Pour les Vietnamiens, cette religion a réellement un sens tr¢s fort qu’on ne peut rejeter. 17. JEAN-PAUL II, EntreW dans l’espérance, Paris 1994, p. 18, trad. en vietnamien de TrԼn Thi Ê՞nh.
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III. J’ai pu clairement identi࠱er une forme antérieure du culte des morts chez les Sedang. La communauté a une coutume villageoise selon laquelle sit®t ࠱nie la saison des récoltes, on revit pendant une période de dix à quinzeZjours les temps originels d’une économie faite de cueillette et de chasse, sans outils métalliques ni briquet. Le village fait du feu en frottant des pierres, on déterre des tubercules, on cueille des fruits, on chasse des petits animaux. La nuit, tout le monde s’assied autour du feu, les jeunes à l’extérieur, les femmes, leurs enfants et les vieux à l’intérieur du cercle. La journée, la communauté évoque les esprits, les êtres surnaturels, surtout les mnes des villageois décédés. Elle les invite à s’amuser avec leurs descendants à l’occasion des vacances de l’hiver-printemps. Ce mois est habituellement appelé le mois ning nśng. Des fêtes s’y déroulent sans interruption d’un village à un autre, autour de la grande maison commune (nh rông). Les ahnars voisins n’ont pas la même coutume de retourner dans la forêt pour vivre de façon primitive, mais ils ont celle d’appeler les mnes (atu) dont celles des chefs de tribu (ataµ bru) qui pén¢trent dans les mnes des vivants, à l’exception de celles qui sont malfaisantes, c’est-à-dire celles des gens qui n’ont pas pu procréer, qui sont morts en bas ge, noyés, touchés de malemortڎ L’endroit o³ repose le mort (mang lung) se situe dans la forêt, au pied de la montagne Lś Khśng, simplement séparée de notre monde par une falaise abrupte. Les ahnars invoquent aussi les mnes des esprits, des êtres surnaturels, des ancêtres pour qu’ils reviennent s’amuser avec les descendants. Sur les Hauts-Plateaux, il semble y avoir une conception commune à toutes les ethnies selon laquelle ces atu vivent à mang lung pendant une période, se transforment en des gouttes de rosée qui se déposent sur les branches des arbres, sur les feuilles, sur l’herbe en attendant de rena¨tre au cours d’une fête pendant laquelle on les sou࠴e dans l’oreille des nouveau-nés 18. Les ahnars, les Sedang et les autres ethnies de la région des Hauts-Plateaux n’ont pas chez eux de lieu de culte pour honorer les atu. Ils doivent continuellement s’occuper des défunts, pendant une durée qui peut être plus ou moins longue, jusqu’aux moissons. À la saison des moissons, ils font la cérémonie de l’abandon du tombeau (pś thí), apr¢s avoir construit pour le mort un tumulus su࠳samment orné d’ustensiles du quotidien. Chez d’autres minorités ethniques qui vivent dans les montagnes du Nord, la coutume de vénérer les ancêtres de la lignée existe aussi, mais elle s’e࠰ectue di࠰éremment. Prenons comme mod¢le les Thais des régions de l’Ouest et du Nord-Ouest qui sont peu sinisés. À l’occasion de la nouvelle année, tous les
18. L’enfant qui na¨t n’a pas encore d’me. Apr¢s 5-1Zjours, la m¢re ou un ma¨tre des rites (pdu) porte l’enfant alors plus robuste dans la végétation. Le pdu et la m¢re se succ¢dent pour prononcer le nom du mort qui n’a pas transmigré. Une fois le nom de la personne prononcé, le bras du bébé cherche à ttons une goutte de rosée, l’me du mort qui pén¢tre le bébé. Le Pdu ou la m¢re prend une goutte de rosée, sou࠴e sur l’oreille du bébé qui, à partir de ce moment-là, a une me. Ainsi, les Bahnars ont une coutume taboue d’appeler le nom des morts qui n’ont pas encore transmigré, de peur de se séparer de ces personnes qui ne peuvent transmigrer.
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habitants de la circonscription (mŪծng) organisent la fête pour rendre un culte au terroir (xên mŪծng). Au cours de ces cérémonies, ils félicitent les a-nha vivants et cél¢brent les mnes des a-nha qui sont morts. Tout le mŪղng doit participer et lire l’arbre généalogique des lignées nobles. À la suite du xên mŪծng, chaque village organise sa fête pour rendre un culte au village (xên bԴn), c’est-à-dire vénérer les esprits et les mnes des disparus du village. Puis dans chaque maison, on organise la cérémonie du xên hŪśn pour vénérer les mnes des disparus de la lignée. Pour les chefs de familles morts dans l’année, ils font la cérémonie du pԲt tông qui consiste en une o࠰rande de riz au mort pendant quinze jours consécutifs. Si le chef de famille vient de mourir, son me se trouve dans trois endroitsZ: sur le colo hong, l’autel intérieur qui prot¢ge les descendants, sur un terrain servant de cimeti¢re (bi tha ma), en࠱n dans le ciel o³ elle prie les Ancêtres. C’est pour cette raison que le champ qui sert de cimeti¢re est généralement appelé le mŪծng ma ou le bԴn ma (circonscription ou village des morts), distinct des mŪծng ou des bԴn des vivants (mŪծng Hôn, bԴn Hôn). Ces célébrations sont les principales de l’année, habituellement organisées dans l’interm¢de qui succ¢de aux moissons et qui préc¢de la saison de remise en culture. Les minorités ethniques ne pratiquent pas d’anniversaire individuel de la mort mais des anniversaires collectifs pour l’ensemble de la famille. Les N³ngs vén¢rent les Ancêtres jusqu’à neufZgénérations. Les trois premi¢res générations du p¢re, du grand-p¢re et de l’arri¢re-grand-p¢re sont vénérées sur l’autel avec les descendants, les trois précédentes (de la quatri¢me à la sixi¢me génération) sont vénérées sur le seuil de la porte de la maison pour protéger des mauvais esprits visant le chef de famille, les ancêtres des septi¢me, huiti¢me et neuvi¢me générations sont en࠱n vénérés dans l’abri qui prot¢ge les animaux domestiques. Seuls les Viêt, en tant qu’ethnie, ont un syst¢me spéci࠱que scrupuleusement organisé autour des conceptions de l’État, du village, de la familleZ: Une particularité des sociétés traditionnelles d’Extrême-Orient est le culte du ciel, le culte des êtres surnaturels et des êtres éminents liés à la Terre, aux deux éléments du 4in et du 4ang. Pour les paysans qui pratiquent la riziculture irriguée, ils sont à la fois proches et sacrés. Dans l’histoire ancienne, le culte du Ciel était réservé au -oi –Z l’EmpereurZ – qui était le ࠱ls du ciel. Les gens étaient incapables ou n’étaient pas autorisés à porter ce culte au Ciel qui était uniquement organisé sur trois sites, au palais K§nh thiên, sur l’esplanade X tՄc (cérémonie d’o࠰randes aux génies de la terre et du riz) et sur l’esplanade du Nam giao (sacri࠱ce au ciel et à la terre). Dans le Sud du pays, région éloignée de la cour, il existait depuis longtemps la coutume simple mais solennelle de vénérer le Ciel généralement la nuit du nouvel an lunaire, à l’aide d’un autel et d’o࠰randes rudimentaires. Cette coutume s’est répandue dans tout le pays. Par substitution au culte du ciel, se répand actuellement dans tout le pays le culte des rois H³ng, fondateurs de l’État. Le jour d’anniversaire de la mort est le dixi¢me jour du troisi¢me mois lunaire, jour que la -épublique socialiste du ViêtZ Nam consid¢re comme fête nationale et qui est célébrée par le peuple entier. Le temple des roisZH³ng à Ph´ZThբ est le 1 6
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principal lieu de p¢lerinage, lieu o³ les habitants viennent de tout le pays brµler de l’encens et saluer la m¢re-patrie. Le confucianisme a le mérite d’avoir systématisé en doctrine les éléments qui étaient enfouis dans la société villageoise traditionnelle, d’avoir érigé un savoir relatif à Monsieur le Ciel et aux esprits des régions qu’il dirige. Chaque année, sur une parcelle de terre sacrée et considérée comme le centre originel du pays 19, lieu o³ un ࠱l invisible lie le ciel avec le monde ici-bas, le roi implore le Ciel, l’ange gardien du peuple, de la lignée royale et du roi lui-même, pour favoriser une belle année. Le roi o࠳cie en personne, il ne c¢de aucun pouvoir, à l’instar d’un immortel devant l’autel du génie tutélaire, d’un chef de lignée ou d’un a¨né devant l’autel de la lignée ou de la famille. Le roi laboure lui-même symboliquement la terre en premier, ouvrant ainsi l’année agricole. Dans le cadre villageois, on trouve la coutume de célébrer le génie tutélaire, l’ange gardien de la communauté villageoise. Ces génies ont des origines diverses mais qui sont toujours en liens avec le village. Cela peut être un génie de la nature comme le génie de la montagne, du ࠲euve, de la terre ; tous ces génies de la nature ont pour origine un arbre, une pierre, des animaux sauvages, des animaux aquatiques ڎParfois les esprits ont, pour une quelconque raison, noué en secret des relations sacrées avec la communauté. Parfois encore il s’agit d’ancêtres fondateurs de métiers, fondateurs de villages, des bienfaiteurs du village ou des personnes qui ont acquis des mérites envers le pays, des hautes personnalités culturelles ou religieuses ڎque les rois ont tous institués. C’est la raison pour laquelle on trouve parfois dans certains villages, l’unité sociale de base du pays, un génie tutélaire que le roi a désigné et d’autres génies que le peuple a lui-même érigés en culte. Dans certains villages, on peut trouver cinq ou sept génies tutélaires protecteurs dans cinq ou sept maisons communales (˦nh) di࠰érentes . C’est en ce lieu que le génie du village doté de ses fonctions protectrices et propitiatoires est célébré par la communauté ڎque ce génie fµt érigé par les villageois, qu’il fµt nommé par le roi, ou bien que les deux tissassent ensemble le lien sacré entre les membres décédés et ceux encore vivants. Depuis peu, dans de nombreux endroits, les génies tutélaires sont des héros patriotiques qui ont combattu contre les Français ou les Américains. Ce sont des héros modernes comme Nguy՚n Trung Trֆc, Nguy՚n An Ninh, parfois même des héros communistes comme la générale Nguy՚n Thՠ Êՠnh. Faisons attention cependant, car si les cérémonies célébrées à la Cour étaient toujours in࠲uencées par le confucianisme, à l’inverse le contenu et le rite du génie tutélaire sont d’imprégnation paysanne. C’est un bien précieux à exploiter. En œuvrant pour la préservation et pour la valorisation de l’identité culturelle nationale, l’État préconise d’ampli࠱er ces fêtes villageoises, d’organiser des festivals à l’occasion de l’anniversaire de la mort des héros méritoires envers la Nation et envers les
19. Autrefois c’était la montagne ÊըngZCժ, c’est-à-dire la montagne N³ng. Le roi célébrait une cérémonie pour que tous les mandarins manifestent leur ࠱délité.
. Phan KՔ §nh, Vit +am phong tնc [Mœurs et coutumes du ViêtZ+am], Nxb v½n ha th®ng tin, Hanoi 5 (réimp.).
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ÊՈng +ghiêm VԲn
personnages historiques. Du Nord au Sud, un air de fêtes anime le début du printemps, éveille l’esprit sacré du peuple, fait prendre conscience qu’il faut savoir « boire à la source pour se souvenir des origines. » L’idée de communauté fondée sur la consanguinité se réalise par le culte des Ancêtres ou par le culte des morts partageant cette consanguinité. Il s’agit des personnes de la parenté, c’est-à-dire ceux d’une même lignée dont on conna¨t l’ancêtre ou encore de personnes de la famille dont on ne conna¨t pas tr¢s clairement l’ancestralité directe (personnes en dehors de la lignée). Les ancêtres, proches ou lointains, sont considérés comme les anges gardiens de la lignée, de la parenté et de la famille. Selon cette conception, les grands-parents et les ancêtres interviennent dans le destin de leurs descendants, c’est pourquoi les descendants sont à la fois redevables et apeurés d’être blmés. Les descendants ne posent sur l’autel que les tablettes des ancêtres des quatreZderni¢res générations 1 ; quant aux générations antérieures à la cinqui¢me génération, on leur brµle de l’encens et on leur fait des o࠰randes sur le tombeau familial. Conformément à la coutume, les ancêtres sont vénérés par les descendants vivants qui ont la responsabilité de s’occuper d’eux pour mener une vie paisible dans le monde ici-bas, et pour permettre aux ancêtres de se réunir et de « festoyer » avec les descendants. En retour, ils esp¢rent que les descendants pourront être protégés par ces gardiens de l’honneur de la lignée et de la famille. Lorsqu’ils retournent dans l’au-delà, les descendants sont à leur tour les êtres nouvellement vénérés par un culte des morts. À la di࠰érence de l’Occident o³ l’homme est un homme qui prie Dieu, qui vén¢re les saints, l’homme est en Extrême-Orient un homme qui porte un culte aux esprits surnaturels, aux ancêtres, aux parents et qui lui-même sera vénéré le moment venu par ses descendants. Si quelqu’un a un mérite envers la Nation, le village, les compatriotes ou les villageois lui porteront un culte. LesZrelations entre les morts, les vivants et les futures naissances sont du point de vue religieux, le pivot de la spiritualité extrême-orientale. Au ViêtZNam, seuls les rois qui avaient apporté un bienfait à l’État étaient vénérés. Personne ne vén¢re un tra¨tre à la patrie même s’il a du talent. LesZhommes et les femmes sont en général vénérés à l’identique car les femmes préservent la lignée et jouent un r®le important dans la société. C’est une spéci࠱cité du ViêtZNam. Sur l’autel des Ancêtres, on trouve de l’encens pour le grand-p¢re, pour le p¢re mais aussi pour la grand-m¢re et pour la m¢re. Le culte des Ancêtres pratiqué par les personnes qui ont un lien de consanguinité ne s’exprime pas uniquement par le culte rendu le jour d’anniversaire de la mort (giը chԲp), le premier jour du mois lunaire et le quinzi¢me jour du mois lunaire. Il s’exprime aussi à travers tous les rites de passage qui jalonnent le cycle de l’existence (naissance, mariage, vieillesse, funérailles )ڎet même au-delà (entretien des tombeaux, préoccupation de la vie dans l’au-delà). C’est
1. (hԴo tֈZ: parents ; tզ HhԴoZ: grand-parents ; tՂng tզ HhԴoZ: arri¢re-grands-parents ; cao tՂng tզ HhԴoZ: trisa©euls.
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Le culte des Ancêtres
pourquoi Nguy՚n {i ,uզc autrement dit HըZCh§ZMinh faisait cette remarque en 19 3Z: Pratiquer le culte des Ancêtres est un phénom¢ne social total [ ]ڎAu sein de la famille et du village, les personnes gées pratiquent avec ferveur ce culte
.
On trouve aussi dans ce culte des actes qui visent à protéger l’honneur de la communauté (nation, village, foyer) par la morale, par l’exhortation à faire le bien, à devenir des personnes vertueuses, à apporter la gloire au village, à la famille, à la lignée. Si l’on réussissait à abandonner petit à petit les coutumes prosa©ques (comme déplacer les tombeaux, chercher un endroit propice pour les tombes, observer la direction du sol )ڎet si l’on réduisait certains rites compliqués chronophages et dispendieux, nous serions alors en présence d’une sorte de religion saine, pure, positive, ou pour parler comme Delumeau, « d’un culte des morts par lequel l’homme, au début de son histoire, a manifesté son irréductible originalité 3. » Par le culte aux rois H³ng, par celui aux bienfaiteurs du pays ou du village, par celui aux morts d’une même lignée, le culte des Ancêtres a noué entre eux les membres de la communauté territoriale et ceux de la communauté consanguine. En chaque vietnamien, il y a en vérité, deux personnes rattachées à deux communautésZ: celle du sang et celle du sol. Une chose étrange au Viêt +am est qu’il V a une homogénéité naturelle entre les relations de consanguinité et les relations au sol ou sociales que l’homogénéité des termes d’adresse dans la famille et dans la société conࠩrme ,u bien, pourrait-on dire que les Vietnamiens ont hissé les relations sociales au rang des relations familiales ou qu’inversement ils ont élargi les relations familiales au niveau de la société Actuellement, la mondialisation crée un risque d’ethnocide, pas uniquement pour notre pays ou pour les pays en voie développement mais pour toutes les populations, pour tous les pays. Le culte des Ancêtres, parmi d’autres éléments de la culture nationale, contribue à ranimer la morale de l’homme vietnamien et à a࠳rmer son enracinement. Il évite les errements en montant une digue contre les tendances assimilationnistes. Jean-Marie Auzias observe tr¢s justement que dans la période actuelle, l’assimilation nationale est la suite du génocide 4. JeZ rajoute que ceci n’est pas uniquement provoqué par les armes mais aussi par la culture. La mort corporelle est une chose qui e࠰raie les hommes de ce monde ici-bas, mais pour les Vietnamiens, penser à la mort, c’est penser au lieu d’origine, là o³ vivent les grands parents et les ancêtres, c’est retourner au sacré de la communautéZ : famille, village, paVs. C’est pourquoi ils ressentent une moindre peur et quand ils vivent, ils savent se ma¨triser pour calmer leur
. Hը Ch§ Minh, 1on 1Ծp [Čuvres complètes], p. 479. La phrase de l’auteur témoigne que ce dernier comprend le culte des ancêtres comme n’étant pas étroitement lié aux relations de consanguinité.
3. J. DELUMEAU, Le fait religieux, Fayard, Paris 1996, p. 774.
4. « Paraphrasant Clausewitz (La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens), nous dironsZ : L’ethnocide, c’est la continuation du génocide par l’assimilation », J.-M.ZAUZIAS, L’anthropologie contemporaine, PUF, Paris 1976, p. 136.
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crainte des ancêtres. Le culte des Ancêtres porte ainsi des traits positifs. Il fait que l’homme du présent se voit comme le sceau de l’histoire de la communauté, le trait d’union entre le passé et l’avenir, la part la plus sacrée et la plus vénérable. Il l’incite à estimer sa propre responsabilité dans la vie avant de rejoindre ses ancêtres. PhԶm V½n Êըng, dans une œuvre récente a écrit ainsiZ: Parler de religion, c’est pratiquer un culte, chaque personne porte le culte à ses parents, chaque lignée porte un culte à ses ancêtres, chaque village porte un culte à son génie tutélaire et aux héros défenseurs de la patrie, aux patrons de corporations, aux personnages historiques. C’est une particularité culturelle remarquable de l’homme vietnamien que de garder de tout temps en mémoire les personnes qui on le mérite d’avoir fondé l’existence présente de chaque famille dans chaque village 5.
Je me permets de prolonger en disant que la nation porte un culte aux rois H³ng. Est-ce là peut-être aussi le culte des Ancêtres ou, plus largement, le syst¢me religieux national.
5. PhԶm V½n Êըng, V½n ha v Ëզi mլi [Culture et renouveau], p.Z75.
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PLURALISME RELIGIEUX ET RECONFIGURATION 0, &, ,+,*&.2"!"0%210 -)1"25 !2 "+1/" 3&
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Mathieu BOU,UET École pratique des hautes études, Paris
Le travail que je présente ici ne correspond pas à des résultats de travaux de recherche, il s’agit au contraire d’un projet de recherche. Les a࠳rmations et conclusions que je présenterai sont donc développées avec beaucoup de précautions, et il ne s’agit au mieux que d’hypoth¢ses qui restent à véri࠱er (ouZà in࠱rmer) et de points de départ d’une étude qui doit se dérouler au cours des trois prochaines années. &KQOLAR@QFLK Depuis la réuni࠱cation vietnamienne deZ1975, les hauts-plateaux du Centre du ViêtZNam ont connu une évolution radicale à de nombreux points de vueZ: politique, économique, social. Les Hauts-Plateaux hébergent, depuis avant la réuni࠱cation, une diversité culturelle et religieuse tr¢s importante, du fait de la présence de plusieurs ethnies distinctes, aux pratiques cultuelles di࠰érentes. Depuis la réuni࠱cation, et notamment depuis le début des annéesZ198, cette diversité a connu une évolution radicale, en lien avec la transformation socioéconomique de la régionZ : les pratiques anciennes ont évolué et de nouvelles pratiques sont apparues. On peut parler, pour les hauts-plateaux du Centre, comme dans le reste du ViêtZNam, de pluralisme religieux, dans la mesure o³ la diversité des pratiques et des croyances est reconnue par tous, et o³ les di࠰érents cultes (cultes des primo habitants –Zanimistes ou nonZ–, cultes chrétiens, pratiques bouddhistes, culte des ancêtres, caoda©sme, etc.) coexistent sans heurts notables. Il peut s’agir cependant d’un pluralisme particulier, dans la mesure o³ ce pluralisme religieux s’accompagne d’une importante diversité ethnique, comme dans la plupart des zones montagneuses du ViêtZ Nam. Les évolutions de ce pluralisme, au cours des trenteZderni¢res années, se sont faites en parall¢le de l’évolution socio-économique de la région, qui s’inscrit dans le développement du ViêtZNam, mais qui représente des traits particuliers, du fait de sa géographie physique et humaine et de son histoire. 131
Mathieu Bouquet
&ࢩ2KMBRAڂEFPQLFOBO¤@BKQB Alors que cette région, comme beaucoup de régions montagneuses du pays, était restée à la périphérie de la vie politique vietnamienne, concentrée essentiellement dans les plaines jusqu’au XXeZsi¢cle, les hauts-plateaux du Centre ont fait l’objet d’une politique volontariste et d’un développement accéléré depuis une trentaine d’années. Cette évolution s’est appuyée sur l’arrivée dans la région de Vietnamiens des plaines, en provenance des deltas notamment. Ces nouveaux arrivants sont venus cohabiter avec des populations installées plus anciennement dans la région, notamment les populations des « ethnies montagnardes », majoritaires en nombre sur les Hauts-Plateaux, et qui possédaient des cultures et des pratiques sociales, économiques et religieuses relativement distinctes de celles de leurs compatriotes des plaines. D¢s la réuni࠱cation enZ1975, la priorité du gouvernement vietnamien a été la reconstruction et le développement du pays dans une perspective d’intégration nationale. Cette orientation s’est notamment concrétisée par la volonté d’asseoir la ma¨trise de l’État sur tout le territoire national, et notamment sur les régions périphériques, au sens politique comme au sens physique du terme. Les hauts-plateaux du Centre ont été le lieu privilégié de cette politiqueZ: il s’agissait alors d’une région considérée comme « vierge », relativement peu peuplée, et qui constituait de plus une zone frontali¢re avec le Cambodge. L’intégration de cette région dans l’espace national s’est notamment concrétisée par des mesures plus ou moins incitatives d’établissement de nouvelles populations sur les Hauts-Plateaux, en provenance des deltas ou des villes des plaines, du Nord comme du Sud et à destination, notamment, des « nouvelles zones économiques » (Hhu Hinh tՐ mլi) 1. L’arrivée de ces populations, socialement et politiquement tr¢s diverses –Z il pouvait s’agir de personnes indésirables pour leur passé politique comme de bras devenus inutiles avec la ࠱n de l’économie de guerreZ–, mais ethniquement homog¢nes –Zil s’agissait quasi uniquement de Hinh, ethnie largement majoritaire au ViêtZNam, mais numériquement minoritaire sur les Hauts-Plateaux jusqu’aux annéesZ198Z–, a modi࠱é radicalement la vie sociale et économique de la région. Le développement économique de la région, essentiellement l’œuvre des nouveaux arrivants, notamment par l’extension des cultures visant l’exportation (café, noix de cajou, poivre, coton), a par ailleurs profondément et durablement transformé le paysage, en faisant littéralement dispara¨tre la forêt .
1. Voir notamment les travaux de Andrew Hardy sur les migrations intérieures au ViêtZNam.
. Cette évolution est particuli¢rement notable autour de an Me Thu®t, comme le mentionnent la plupart des ethnologues ayant connu le terrain dans sa con࠱guration pré-1975.
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Pluralisme religieux et reconࠩguration socio-économique des Hauts-Plateaux
&&ࢩ)ڂFJM>@QABI>OB@LK࠲DRO>QFLKPL@FL ¤@LKLJFNRB PROIBPfJLKQ>DK>OAPv Le projet de conquêteZet de développement des hautes terres comprenait également l’intégration des populations autochtones, les « ethnies montagnardes » dans la nation vietnamienne, par le biais d’une politique de « vietnamisation ». Cette politique ne visait pas à assimiler les « populations minoritaires » au sens o³ elles auraient été contraintes d’abandonner leurs cultures pour se fondre dans une culture vietnamienne homog¢ne, mais à leur faire pro࠱ter des bienfaits des progr¢s socio-économiques et à les faire accéder à la modernité (par exemple en les faisant renoncer aux pratiques « superstitieuses » –Zmê tín࢙–, perçues comme une entrave au progr¢s social de ces populations), dans une perspective fortement in࠲uencée par l’approche marxiste de l’évolution sociale (mais qui rejoignait aussi les préoccupations de certains missionnaires présents avantZ1975 dans la région). Cette politique a notamment poussé à la sédentarisation des populations semi-nomades et à leur intégration dans l’espace social vietnamien. Le développement économique a par ailleurs eu un impact indirect sur le « monde » et les représentations culturelles des montagnards, du fait des transformations de l’écologie locale, la forêt constituant jusqu’alors un objet culturel à plusieurs titres. Pour les pratiques religieuses notamment, dans la mesure o³ les croyances traditionnelles de nombreux « montagnards » reposent largement sur la magie de la forêt. L’arrivée de populations en provenance des plaines a également recomposé le tissu social existant, dans la mesure o³ les nouveaux arrivants ont été les principaux acteurs et donc béné࠱ciaires du développement économique, les « montagnards » éprouvant plus de di࠳cultés à s’adapter aux nouvelles r¢gles imposées par un pouvoir politique dominé par l’approche vietnamienne (même si de nombreux cadres pouvaient être issus de minorités ethniques, ils mettaient en œuvre la politique du Parti communiste vietnamien, et avaient pour la plupart déjà rompu avec les pratiques traditionnelles). Cette nouvelle donne économique, écologique et culturelle a fait des montagnards des villageois « à moitié déracinés sur leurs propres terres » 3. &&&ࢩ)BPOB@LJMLPFQFLKPOBIFDFBRPBPBQI>AFSBOPFQ¤ Depuis les annéesZ198, les hauts-plateaux du Centre du ViêtZNam ont connu, comme le reste du pays, un « renouveauZreligieux », qui a concerné l’ensemble des populations de la région à des degrés divers et selon des modalités di࠰érentesZ: augmentation de la fréquentation des lieux de culte des diverses religions (notamment les pagodes urbaines), mixité ethnique interne à une même religion (catholicisme, par exemple), développement de nouvelles formes de religiosité (une des plus dynamiques étant le mouvement évangélique).
3. 4.Z GOUDINEAU, préface à M. GUÉRIN, A.Z HARDY, Nguyen Van Chinh, S.Z T.Z .Z HWEE, !es montagnards aux minorités ethniques ٷ.uelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt +am et du Cambodge , L’Harmattan-I-ASEC, Paris 3.
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Mathieu Bouquet
Cette recomposition religieuse n’est pas spéci࠱que aux Hauts-Plateaux, dans la mesure o³ elle est observée sur l’ensemble du territoire vietnamien, et notamment dans les zones urbaines des plaines, o³ la circulation des hommes et les migrations s’est intensi࠱ée. Mais au sein de cette évolution générale vietnamienne, qui elle-même s’inscrit dans des phénom¢nes plus larges au niveau régional (Asie duZSud-Est) et même dans un cadre plus global, les Hauts-Plateaux représentent certaines spéci࠱cités. L’objectif de ma recherche est d’identiࠩer ces spéciࠩcités, locales, de la recomposition du paVsage religieux pluriel des Hauts-PlateauxZ: – dans une région o³ la diversité ethnique, culturelle et religieuse est poussée son extrême l’échelle vietnamienne. Cette diversité a précédé de longtemps les modi࠱cations observées depuisZ 1975, et avait déjà fait l’objet d’évolutions majeures, dans la mesure o³ les Hauts-Plateaux ont été un des lieux privilégiés de propagation du christianisme à l’époque coloniale (avec des succ¢s limités toutefois). Elle reste cependant une des caractéristiques majeures de la société des Hauts-Plateaux, et constitue un des principaux dé࠱s pour l’appareil politique dans la perspective d’une intégration nationale ; –ࢩ dans une région qui a connu, plus que le reste du paVs, une modiࠩcation radicale de son sVstème socio-économique et des équilibres ethniques, culturels, et même écologiques. Il ne s’est pas agi seulement de la mise en œuvre du programme socialiste vietnamien dans sa version orthodoxe puis réformée –Zles Hauts-Plateaux ont connu de ce point de vue une évolution qui s’inscrit dans le cadre nationalZ–, mais également d’évolutions dont les dimensions dépassent, à certains points de vue, notamment par l’ampleur des migrations et la recomposition des équilibres ethniques, les modi࠱cations nationales. De mani¢re générale, ces spéci࠱cités locales sont à placer en regard des phénom¢nes observés au niveau national (par exemple l’augmentation de fréquentation des pagodes et des lieux de p¢lerinage) voire mondial (le développement de certaines formes de protestantisme évangélique, et leur instrumentalisation à des ࠱ns politiques, n’est pas spéci࠱que à la région des hautesZterres vietnamiennes). Le travail envisagé s’inscrit donc dans une démarche comparative, qui vise à articuler la recon࠱guration religieuse locale avec des évolutions observables dans des espaces plus larges, et notamment le cadre politique national en évolution. &3ࢩ.RBINRBPMFPQBPMLRORKB¤QRABABPOB@LK࠲DRO>QFLKPOBIFDFBRPBP PROIBP%>RQP -I>QB>RU Il me semble intéressant a priori de mettre en regard le pluralisme religieux et la diversité ethnique, a࠱n de voir comment le brassage des populations a pu in࠲uencer les recompositions religieuses. On peut par exemple citer le cas de la religion catholique, qui rassemble de nouveaux arrivants comme des pratiquants issus des « minorités ».
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Pluralisme religieux et reconࠩguration socio-économique des Hauts-Plateaux
Un autre axe spéci࠱que d’explication des recon࠱gurations de l’espace religieux des Hauts-Plateaux peut également être la distinction entre « nouveaux arrivants » et « primo habitants », sans distinction ethnique, a࠱n d’identi࠱er l’impact qu’ont pu avoir les migrations et leurs conséquences (déracinement pour les premiers, transformations de l’environnement et de la société pour les seconds) sur les pratiques de l’ensemble des habitants actuels de la région.
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3&+$1ࢩ+0!"-,)&1&.2"!"/+,31&,+ ET DE TRANSFORMATIONS DE LA VIE RELIGIEUSE !+0)/$&,+!"%2Ք
DũŚNG VIՓT Hըng Bureau des aࠨaires religieuses de la province de 1hռa 1hiên HuՐ
La religion représente une forme de conscience sociale. Dans de nombreuses régions du ViêtZ Nam, son existence et son développement in࠲uencent la vie politique et culturelle, la psychologie, les modes de vie et les coutumes des populations. Du point de vue religieux, ThրaZThiênZHuՔ est une région majeure par le pourcentage, supérieur à 6 ࢠ, de personnes se réclamant d’une religion. Il y a dans cette province quatreZreligions principalesZ: le bouddhisme, le catholicisme, le protestantisme et le caoda©sme en plus de quelques autres activités religieusesZ: le culte local des saintes déesses-m¢res (1iên thiên thánh giáo, le culte des ancêtres, les croyances populaires (culte aux génies tutélaires, cultes agraires). Parmi ces religions, les deux qui ont le plus d’in࠲uence sur la vie spirituelle et quotidienne de la population sont le bouddhisme et le catholicisme. Au cours de ces vingtZ derni¢res années de politique de rénovation, les activités religieuses ont particuli¢rement évolué en volume et en nature en apportant ainsi de nombreuses contributions positives à la société. &ࢩMBO¢RAڂEFPQLFOBOBIFDFBRPB1Eց>1EF¥K%RՕ 1. Bouddhisme Le bouddhisme est présent dans la région de ThuՂn Ha (actuellement Thրa Thiên HuՔ) depuis que les Viêt, en provenance du Nord, s’y sont installés. À c®té des croyances populaires traditionnelles, le bouddhisme s’est instauré comme la religion principale régissant la vie spirituelle de la population. Au XVIeZsi¢cle, Nguy՚n Hoàng fut désigné pour diriger le ThuՂnZ,uԸng, les princes Nguy՚n ࠱rent alors du bouddhisme le fondement de la vie spirituelle. Les pagodes ThiՖnZLm, ,uզcZ|n, LongZ,uang, ԸoZ,uզc ont été construites au cours du XVIIe et du XVIIIeZsi¢cles. Pendant les guerres opposant les familles princi¢res Trՠnh, Nguy՚n et TyZ Sśn, le bouddhisme entra en
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!Ūśng ViՐt Hդng
décadence mais il conserva une certaine in࠲uence sur la population et les ࠱d¢les. HuՔ peut être vue comme le berceau du mouvement de rel¢vement du bouddhisme du début du XXeZ si¢cle. C’est là que sont apparues plusieurs organisations bouddhiques comme l’Association bouddhique d’Annam (An࢙ +am PhԾt H՞c Hժi), la Jeunesse d’éducation morale (1hanh niên Ëպc dնc), l’Association du bouddhisme familial (Gia ˦nh phԾt quá phզ). Au cours des deux guerres de résistance et d’indépendance du pays, le bouddhisme de HuՔ a toujours agi aux c®tés du peuple pour préserver le pays. eaucoup de bonzes, de ࠱d¢les, de la©cs bouddhistes ont suivi la révolution nationale. Devenus des personnalités et des intellectuels représentatifs, beaucoup de bonzes entourant le vénérable Th§ch Ê®n HՂu ont mené des actions en faveur des masses populaires, ils ont bravé les dangers pour soutenir la révolution sous diverses formes d’aide, de ravitaillement, de dissimulation des cadres dans les monast¢res, les centres de méditation, les ermitages. Aujourd’hui, on compte dans la province plus de 3 Zbouddhistes, soit plus de 35 ࢠ de la population totale, sans compter les nombreux sympathisants qui viennent à la pagode pour pratiquer le culte bouddhique en symbiose parfois avec le culte des ancêtres. On dénombre 1378Z bonzes etZbonzessesZ: 14Zvénérables, 48Zbonzes supérieurs, 3 3Zbonzes, 9Zvénérables femmes, 48Zbonzesses supérieures, 96Zbonzesses, 764Zmoniales. On compte dans la province 1 8Z pagodes et centres de méditation dontZ 9 qui sont des temples-m¢res, 96Z pagodons. Il y a environ Z groupes a࠳liés aux jeunesses bouddhistes (Gia࢙ ˦nh phԾt࢙ tվ), soit 76 7 Z membres (él¢ves) et 1845Za¨nés (huVnh࢙trŪհng) qui agissent sous la direction du comité de gestion de l’Église bouddhique. On trouve aussi une université bouddhique, une école bouddhique du second degré, des centaines d’écoles maternelles ainsi que de nombreux dispensaires gratuits. À c®té de ces organisations bouddhiques légales, on trouve aussi un groupe de fanatiques qui s’est autoproclamé « groupe des moines de Thրa Thiên HuՔ » ; sécessionnistes de l’Église bouddhique, 3Zvénérables, 1Zsupérieurs et plus d’une centaine de bonzes se sont auto-désignés à leurs fonctions. LesZannées précédentes, ce groupe s’est opposé au comité de gestion et a créé de nombreuses di࠳cultés internes au bouddhisme.
. Catholicisme Le catholicisme a pénétré au ViêtZNam à partir deZ1533 pour se développer avec force au XVIIeZ si¢cle. Le 7Z aoµt 185, l’Église romaine a fondé le vicariat apostolique de HuՔ avec pour nom originel « vicariat apostolique du ÊàngZTrong. » EnZ19 4, le nom a changé en vicariat apostolique de HuՔ qui englobait les actuelles provinces de Thրa Thiên HuՔ, ,uԸng Trՠ et une partie de celle de ,uԸng ¦nh. EnZ 196, l’évêché a été rehaussé en archevêché lorsque le Saint-Si¢ge a instauré des hauts dignitaires vietnamiens et les troisZprovinces ecclésiales d’Hanoi, HuՔ et Saigon.
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Rénovation et transformations de la vie religieuse dans la région de HuՐ
L’évêché de HuՔ se situe à un niveau administratif qui le rattache directement au Vatican. Il se décompose en 5Zdoyennés et 69Zparoisses, il compte 64 4 Z catholiques, Z évêques (archevêque, évêque assistant), 116Z prêtres, 531Z moines. Il abrite 13 Z églises et chapelles, 1Z grand séminaire, 9Z ordres religieux (4Z masculins, 5Z féminins), pr¢s de Z associations, beaucoup de maternelles et de dispensaires gratuits. L’archevêché se compose de l’archevêque, de l’évêque auxiliaire, du prêtre secrétaire, du prêtre administrateur, de la commission consultative, de l’assemblée des prêtres et de tous les bureaux spécialisés. Ses bases matériellesZsont l’archevêché, la cathédrale, le grand séminaire, les monast¢res et les centaines d’églises et chapelles. 3. Protestantisme Le protestantisme s’est di࠰usé au ViêtZNam à partir deZ1911. Dans le Thրa Thiên HuՔ, l’Église évangélique de HuՔ a été fondée enZ19 7. -esitué dans le cadre religieux général, le protestantisme y est peu développé. Actuellement, deuxZ églises locales sont actives, l’église de HuՔ (située 16ZNguy՚n Du) et celle de Sՠa (district de ,uԸngZÊiՖn) toutes deux rattachées à l’Église protestante de la région Sud du ViêtZNam avec à leur tête
Zpasteurs pourZ347 ࠱d¢les. En dehors de l’Église protestante du ViêtZNam, on trouve à HuՔ beaucoup d’autres sectes et dénominations protestantes comme la « Christian fellowshipZhouse church », l’Église adventiste, l’Église mennonite, l’Église baptiste. Ces sectes n’ont ni temples ni chapelles, elles utilisent habituellement la maison d’un ࠱d¢le comme lieu de réunion et de di࠰usion religieuse (entreZ5 etZ7Zpersonnes). Auparavant, un certain nombre de personnes sont venues de l’étranger sans autorisation pour faire du prosélytisme dans les districts de NamZÊ®ng, Ph´ZLծc, PhongZÊiՖn. Ce prosélytisme dissimulé derri¢re des actions humanitaires et caritatives prend la forme de distributions d’argent, de bibles. Les zones d’actions sont essentiellement les régions éloignées, les zones d’habitation des ethnies minoritaires et les milieux sociaux qui rencontrent de nombreuses di࠳cultés économiques. 4. Caodaïsme Le caoda©sme, religion indig¢ne, est apparu originellement dans le Sud du pays. Le caoda©sme à Thրa ThiênZHuՔ se rattache à la branche de TyZNinh (l’une des vingtZsectes qui a sa terre sainte à TyZNinh). On compte actuellement 167Z࠱d¢les qui n’ont pas de dignitaires, simplement Zdesservants subalternes qui o࠳cient à l’oratoire rue H³ng VŪśng. D’un point de vue général, le caoda©sme de Ty Ninh n’est pas développé à HuՔ. En dehors des religions ainsi présentées, la majorité de la population de Thրa Thiên HuՔ pratique le culte des ancêtres. ,uelques personnes pratiquent le culte des déesses-m¢res (Tien thiên thánh giáo). Ces derni¢res années, quelques mouvements sectaires comme Thanh HԴi vô thŪմng sŪ, Tm linh thԸn quVՒn, T՜nh Ëժ tông, ont mené clandestinement et illégalement des activités qui ont toutes été enrayées. 139
!Ūśng ViՐt Hդng
&&)BP@E>KDBJBKQPOBIFDFBRU1Eց>1EF¥K%RՕ 1. Eࠨectivité des changements Au cours de ces derni¢res années, en concomitance avec les rapides changements économiques, politiques et sociaux, la situation religieuse dans la province comme dans tout le pays a fortement évolué dans les domaines du prosélytisme, des constructions d’églises, de la formation des dignitaires et des activités caritatives. Pour les annéesZ1987 et 7, nous pouvons avancer les chi࠰res suivantsZ: @QFSFQ¤POBIFDFBRPBP
-¤OFLAB>KQ¤OFBROB -¤OFLAB >RËզFJլF ARËզFJլF
LJJBKQ>FOBP
LRAAEFPJB +LJ?OBABMO>QFNR>KQPBQABAFDKFQ>FOBPAugmentation – pratiquants la©cs, ࠱d¢les
env.
env. 35
15
– religieux
env. 95
1378
4 8
– vénérable supérieur
1
17
7
– bonze supérieur
3
48
4
– bonze
env. 15
3 3
173
– supérieure
4
9
5
– bonzesse
6
49
3
– jeune bonzesse
157
95
138
– samanera, moniale
515
769
54
– personnes qui ne vont pas à la pagode mais qui honorent ouddha et mangent végétarien
1
3
env. 17
15
45
– pagodes
env. 7
3 1
51
– université bouddhique
--
1
1
– écoles secondaire et supérieure
1
1
)FBRUAB@RIQB – pagodes o³ vivent les bonzes
14
Rénovation et transformations de la vie religieuse dans la région de HuՐ
@QFSFQ¤PPL@F>IBPBQ@>OFQ>QFSBP – cr¢ches
1
6
5
– service médical
4
– orphelinat, maison de retraite
–
1
1
¤O¤JLKFBPOBIFDFBRPBPBKKLJ?OBABMBOPLKKBP – Vesak à la pagode TրZÊàm
env. 3
5
– fête en l’honneur d’Avalokitésvara
entre 1 et 1
8
– comité de district de l’église bouddhique
–
8
8
– association bouddhiste Gia ˦nh phՂt tւ
–
198
198
– comité de protection deZla pagode
env. 5
3 1
71
– dignitaires membres duZFront de la Patrie
5
15
1
env. 53
env.Z59
6
– évêques
1
1
– prêtres
env. 8
116
36
– ordres religieux
9
9
-
– églises, chapelles
1
13
3
– grand séminaire
–
1
1
,OD>KFP>QFLKABIڂÉDIFPB
>QELIF@FPJB )>ª@PBQ@IBO@P – chrétiens – religieux
)FBRUAB@RIQB
– jardins d’enfants
11
9
– dispensaire
1
3
¤O¤JLKFBPOBIFDFBRPBPBKKLJ?OBABMBOPLKKBP – Noël à la cathédrale
3
1
7
141
!Ūśng ViՐt Hդng
– cérémonie à NotreDame-de-La-Vang
15 à
plus de
xZ1
– commission paroissiale
56
69
13
– comité de gestion de l’église
–
,OD>KFP>QFLKABIڂÉDIFPB
>LA>ªPJB – ࠱d¢les
98
167
77
– oratoire
1
1
-
-OLQBPQ>KQFPJB – branches rattachées à la fédération des églises du ViêtZNam
Zpersonnes
317
87
– pasteurs
1
1
– autres sectes non enregistrées
–
5
présence à HuՔ à partir de
. Comparaison par confession des activités religieuses D’apr¢s les chi࠰res relatifs aux pratiques, le développement des religions à Thրa Thiên HuՔ n’est pas égalZ: Le caoda©sme est un culte autochtone constitué d’éléments tao©stes, bouddhistes, confucianistes et qui préserve le culte des ancêtres ; il est en même temps un syncrétisme mélangeant les pensées occidentales et orientales. DeZfait, il s’adapte mal aux gens de la province et de la ville, c’est pourquoi cette religion ne se développe pas. Le protestantisme est une nouvelle religion, qui s’est séparée du catholicisme en 1517. Le processus de pénétration au ViêtZNam a été lent (1911), il est apparu à HuՔ uniquement enZ 19 7, raison pour laquelle il ne peut rivaliser face au bouddhisme et au catholicisme. 3. Activités bénéࠩques du catholicisme et du bouddhisme Ces mêmes chi࠰res tirés de la pratique montrent que les activités religieuses continuent de se développer dans tous les domaines. Nous citons quelques activités représentativesZ:
14
Rénovation et transformations de la vie religieuse dans la région de HuՐ
– renforcement de l’organisation ecclésialeZ: le catholicisme a une organisation visible qui se structure depuis le Vatican jusqu’aux paroisses. Actuellement, l’archevêché de HuՔ développe de nombreuses organisations religieuses de base dans les régions éloignées (13Znouvelles paroisses). De façon similaire, le bouddhisme a fondé des dizaines d’unités religieuses de base et intermédiaires (71Zcomités de protection de pagodes, 8Zcomités de représentation de district). Au sujet de l’assise matérielle, la plupart des lieux de culte actuels ont été restaurés ou construits ex nihilo (pr¢s de 8 ࢠ de l’ensemble), parmi lesquels beaucoup ont été construits dans les zones d’altitude comme la pagode PhՂt |n (district de Nam Ê®ng), la pagode de Sśn Thռy, l’église de Sśn Thռy (district de AZLŪհi), l’église Քn Cռi (district montagneux de Phong ÊiՖn) ; – célébrations annuellesZ: depuis l’anZ , les cérémonies organisées annuellement de façon tr¢s solennelle et monumentale captivent des centaines de milliers de ࠱d¢les et de spectateurs ; – formation des dignitairesZ : le grand séminaire catholique fondé enZ 1994 a formé six promotions, 17Zséminaristes parmi lesquelsZ13 ont été consacrés prêtres. L’Institut bouddhique fondé enZ 1997 a lui formé troisZ promotions et 35Znovices. Parmi eux, 5Zsont sortis licenciés en bouddhisme et sont partis faire des études supérieures en Inde, en Chine, au Myanmarڎ – activités sociales et caritativesZ : les deux grandes religions de la province s’engagent dans le domaine éducatif aupr¢s de cr¢ches, construisent des dispensaires gratuits, des hospices, des orphelinats pour entretenir les personnes gées grabataires et les orphelins démunis. Toutes les religions développent ces actions humanitaires et toutes sorte d’activités d’entraide sociale pour propager leur enseignement, ce qui est peut-être la forme de propagation religieuse la plus e࠳cace ; – aide aux victimes des inondationsZ: au moins une fois par an, des inondations provoquent de grands malheurs et beaucoup de miséreux, aussi est-ce l’occasion pour toutes les organisations religieuses de montrer leur altruisme, leur humanisme, leur philanthropie et leur compassion. Chaque année, les fonds d’aide des bouddhistes et des catholiques s’él¢vent en moyenne àZ7 ou 8Zmilliards de d®ngs (env. 4 Zeuros). Les années o³ les inondations sont encore plus ravageuses, ces chi࠰res peuvent doubler ou tripler. Les activités essentiellement éducatives, sociales, médicales, d’entraideڎ des religions ont contribué positivement au développement social et économique de la province. En particulier dans les districts et dans les villages éloignés qui rencontrent de graves di࠳cultés, qui sont matériellement démunis. L’approbation de ces activités a également démontré le r®le positif que jouent au quotidien les organisations religieuses à l’égard de la société, de même qu’elle souligne la politique de liberté et d’ouverture du Parti et de l’État à l’égard des religions dans la période de Ëզi mլi.
143
!Ūśng ViՐt Hդng
-LROO¤PRJBO Pendant les vingtZ années de mise en application de la politique gouvernementale de rénovation à l’égard des religions, les activités religieuses ont continué de se développer avec ampleur et profondeur. Les dignitaires et les ࠱d¢les ont manifesté leur entrain pour réaliser positivement une bonne vie et une belle religion (tբt Ëծi ËՊp ËԲo), ils ont participé avec les autorités à l’élaboration des politiques qui soient « utiles au pays et pro࠱tables au peuple » (ích࢙ quբc lմi dn). Pour de nombreuses raisons, il existe aussi à Thրa Thiên HuՔ un certain nombre de dissidents religieux qui vivent hors-la-loi et à l’écart des églises légitimes ڎCertains utilisent même la liberté religieuse pour mener des activités politiques ou porter atteinte à la grande solidarité nationale. Ces personnes sont heureusement peu nombreuses et ont peu de prestige aupr¢s de la population. Leurs activités sont condamnées par les dignitaires et les ࠱d¢les et punies par la loi. Globalement, les activités des églises sont normales et stables ; elles se développent positivement en accord avec les autorités de la nation et en accord avec leur propre doctrine.
144
LA PLURALITÉ RELIGIEUSE !+0)"!")1!2ࢩ*(,+$ 2*,*"+1!")"*ڂ/$"+ "!2,2!!%&0*"%ࢩ%Ը, QUELQUES REMARQUES HISTORIQUES
Pascal BOURDEAUX École pratique des hautes études, Paris
&KQOLAR@QFLK Dans cette succincte communication, je n’aborderai pas le pluralisme religieux en tant que tel mais analyserai plut®t en amont le contexte sociopolitique qui incite l’État, gestionnaire de la diversité religieuse, à ré࠲échir à un temps donné à sa plausible instauration. Je veux parler de la préexistence –Zou nonZ – d’une pluralité religieuse, de l’e࠰et d’innovations menant à des formes de pluralisation religieuse, et parfois même, de la conjonction de ces deux facteurs. J’illustrerai ce point de vue en présentant la pluralité religieuse d’une région spéci࠱que du ViêtZNam, le delta duZMékong, à une période précise, le premier tiers du XXeZsi¢cle, dans un contexte politique dé࠱ni, celui de la situation coloniale. En prolongement, je souhaite présenter les formes de pluralisation religieuse qui s’y sont exprimées au point d’être devenues aujourd’hui des traits caractéristiques de cette région. Les dynamiques locales illustrent en e࠰et une situation de diversité religieuse qui, à cette époque, s’est recon࠱gurée sous les e࠰ets simultanés de nouvelles initiatives missionnaires, de l’institutionnalisation d’ordre et d’associations bouddhiques, de l’émergence de nouveaux mouvements religieux. ,uels qu’aient été, alors, les e࠰ets de la loi de séparation deZ 195, quels qu’aient été, plus tard, les aléas historiques qu’a connu le ViêtZNam durant la seconde moitié du XXeZsi¢cle, ce qui aurait pu entra¨ner l’instauration d’un régime de reconnaissance des cultes et des associations religieuses émergentes a été grandement contraint ; de sorte que le processus n’a pu être, en son temps, mené à terme. Ce n’est qu’à partir des annéesZ199, par la redé࠱nition d’une politique religieuse instaurant de nouveaux rapports Églises-État, que la question de la pluralité religieuse s’est posée dans sa globalité. Et celle a࠰ectant les réalités religieuses du ViêtZNam méridional a ressurgi de façon graduelle. Sans redes145
Pascal Bourdeaux
siner l’ensemble de la séquence, un simple retour historique sur ces phénom¢nes d’émergence peut aider à éclairer la situation contemporaine du ViêtZNam. Ici comme ailleurs, l’État doit tenir compte d’une pluralité religieuse désormais mondialisée ; il doit aussi se positionner par rapport au régime de la©cité et opter, le cas échéant, pour un de ses mod¢les. Cette présentation reprend de façon tr¢s synthétique les éléments saillants du chapitre de ma th¢se de doctorat 1 consacré au renouveau de l’expression religieuse dans le delta du Mékong. J’y ai distingué troisZ sous-partiesZ : leZsubstratum religieux o³ je décris une pluralité religieuse replacée dans son épaisseur historique (cultes régionaux, croyances populaires, grandes religions constituées). Puis je m’intéresse au mouvement de rénovation religieuseZ: si le mouvement de rénovation du bouddhisme (phong tro chԶn hŪng phԾt giáo) est le plus connu, il n’est en e࠰et pas le seul. La pluralité religieuse est alors considérée d’un point de vue dynamique ; elle se double d’une ré࠲exion sur le pluralisme religieux pour voir comment les autorités coloniales ont cherché à façonner l’ensemble de la sph¢re religieuse indochinoise en se fondant sur les connaissances et les conceptions de l’époque. Le dernier aspect consiste en࠱n en une description détaillée de la situation religieuse de l’Ouest du delta du Mékong, particuli¢rement de la zone d’émergence du bouddhisme H¬aZHԸo (juilletZ1939) dont le centre névralgique se situe dans l’actuelle province d’AnZGiang. La démarche a ainsi consisté à lier le contexte historique des annéesZ19 -193 à l’environnement socioculturel local pour, ࠱nalement, tenter de réaliser une géographie religieuse faisant appara¨tre l’implantation de communautés religieuses distinctes, les zones de mixité, les zones soumises à des nouvelles activités missionnaires (villages de colonisation catholique, conversion au caoda©sme, création de stations missionnaires protestantes, renouveau bouddhiste)ڎ, voire même d’une géographie sacrée faisant appara¨tre les principaux lieux de culte, les lieux de p¢lerinage, autrement dit les réseaux et les marqueurs géographiques liés à telle croyance ou à telle autre. En dé࠱nissant l’espace de la sorte, il ressort que le bouddhisme H¬aZHԸo n’appara¨t pas dans une zone de colonisation récente ou dans un isolat anomique. Il surgit au cœur d’un espace social qui se caractérise par un maillage dense de villages fondés auxZ XVIIIe etZXIXeZsi¢cles et dans un environnement ethno-religieux pluriel. Là sont apparues de nouvelles expressions religieuses d¢s le milieu du XIXeZsi¢cle, autrement dit en conséquence directe ou en réaction à la conquête coloniale. En procédant ainsi, je ne me suis pas limité à décrire le panorama de la pluralité religieuse, j’ai aussi commencé à poser une série d’interrogations
1. P. OURDEAUX, « Émergence et constitution de la communauté du ouddhisme H¬aZHԸo ; contribution à l’histoire sociale du delta du MékongZ1935-1955 », EPHE, Paris 3. Le premier chapitre propose une dé࠱nition du delta du Mékong sous divers angles historique, géographique, culturel et dans une double perspective nationale (le delta du Mékong comme marge de l’espace vietnamien) et régionale (comme carrefour de l’Asie du Sud-Est péninsulaire).
146
La pluralité religieuse dans le delta du MéHong
découlant d’une épistémologie des sciences religieuses ou provenant de l’appréhension empirique du terrain . Mosa©que ethno-culturelle, le delta du Mékong est en résumé un lieu de contact, d’emprunt, de superposition et de rupture entre di࠰érentes croyances. Véritable front pionnier, qui plus est dans sa partie occidentale, il est également un territoire de mission, le lieu de nombreuses expériences religieuses et de vie en communautés religieuses. Tentons d’en résumer la situation. &ࢩ)BPR?PQO>QRJOBIFDFBRUARABIQ>AR*¤HLKD Le premier point à mentionnerZest que le delta du Mékong abrite l’ensemble des grandes confessions. Sans caricaturer à outrance, nos pouvons dire que toutes les composantes ethniques présentes dans le delta du Mékong, en particulier dans sa partie occidentale, suivent une tradition religieuse qui leur est propre, qui renforce à la fois leur cohésion sociale et leurs spéci࠱cités culturelles. L’islam est ainsi pratiqué par la communauté ch½m de Chu Êզc formée par la migration de Ch½m venus des provinces du Centre-ViêtZNam au début du XIXeZsi¢cle en même temps que par l’assimilation de populations malaises ayant transité par le Cambodge. Alors que les quelques dizaines de milliers –Zdans les années 193Z– de Ch½m du Centre sont divisés en bouddhistes, brahmanistes (Haࠩr ou balamôn) et musulmans (bani), les 8 –ZenZ1936Z– Ch½m du delta du Mékong forment, eux, une communauté beaucoup plus homog¢ne. Marcel Ner con࠱rme que l’agglomérat de quelques villages avec ses deux mosquées et son école coranique est devenue à cette époque une « métropole spirituelle pour tout le petit monde islamique du Sud-Ouest de l’Indochine française », en contact direct par ailleurs avec « les blocs islamisés de la Malaisie britannique et de l’Arabie 3 ». Au milieu des annéesZ193, la mosquée Moubarak de Chu Giang (Thánh ËŪծng hժi giáo Mubarát) devient le second p®le de rayonnement de l’islam apr¢s Saigon qui abrite la grande Mosquée construite en 1935 et
. Parmi les th¢mes principaux, mentionnonsZ: – la compréhension et l’étude des pratiques religieuses asiatiques au regard des conceptions religieuses et scienti࠱ques occidentales. – l’intensi࠱cation des débats interreligieux. – l’importation aux colonies des luttes idéologiques qui ont animé la IIIeZ-épublique. – la politique religieuse des autorités colonialesZ et sa répercussion sur les cultes indig¢nes. Car, si du point de vue autochtone et individuel, la pratique religieuse reste une activité humaine régissant essentiellement la vie familiale et villageoise, considérée du point de vue colonial, elle doit s’inscrire avant tout dans un cadre institutionnel et clari࠱er ses rapports avec l’administration d¢s lors qu’elle entre dans le domaine de la vie publique. – la signi࠱cation du mouvement de rénovation du bouddhisme et les raisons de son antécédence au Sud du ViêtZNam par rapport aux autres régions du pays. – l’imprégnation de cultes locaux, tout particuli¢rement le culte ւu Sśn Kֈ HŪśng, peu connu et mal perçu par les autorités coloniales, qui pourtant explique la réactivation de la croyance millénariste et l’e࠰ervescence particuli¢re du delta du Mékong à la ࠱n des annéesZ193. 3. M. NER, « Les musulmans de l’Indochine française », BEFEO XLI- (194 ), p.Z156-158.
147
Pascal Bourdeaux
la mosquée tamoule de Chո Lհn (193 ). Il est à noter que cette communauté musulmane fortement structurée et homog¢ne vit à proximité (3Zkm environ) du village H¬a HԸo. Seconde composante ethno-religieuse facilement distinguable, la population cambodgienne de Cochinchine pratique dans sa quasi unanimité le bouddhisme theravada (phԾt giáo tiՔu thռa). Avant tout espace cultuel, le Tat (ou monast¢re) est aussi un dispensaire et le lieu o³ se déroulent nombre d’activités culturelles, sociales, éducatives, intellectuelles. Au milieu des annéesZ 193, on recense pr¢s de 4Z Tat. On trouve la majorité de ces temples ou monast¢res dans les provinces de TràZVinh, ScZTr½ng. Une seconde zone de concentration se situe dans les provinces frontali¢res de Chu Êզc, Hà Tiên, -Զch G§a. Étant exclusivement cambodgien jusqu’à la ࠱n des annéesZ193, ce sangha prend par conséquent une signi࠱cation ethnique ࠱nissant par lier intrins¢quement bouddhisme theravada et communauté cambodgienne. Il faut cependant relativiser l’homogénéité des pratiques rituelles de la communauté cambodgienne de Cochinchine. D’une part, cet enseignement théorique n’est pas toujours suivi de façon rigoureuse, au point qu’il peut être localement teinté de croyances populaires qui n’ont rien à voir avec le bouddhisme primitif. Notons par exemple la consultation de guérisseurs (Hru), l’utilisation d’amulettes, la croyance en la protection de tatouages rituels, ou encore la vénération de génies locaux de la nature. D’autre part, le theravada se trouve divisé, comme au Siam, en deux écoles qui divergent sur les pratiques, les sectes mahaniHaV et thammaVut. Le sangha khmer de Cochinchine se trouve lui aussi au cœur des questions de réorganisation. La troisi¢me composante ethnique exprimée par la présence chinoise (Hoa) est la plus di࠳cile à appréhender. L’organisation en cinq congrégations (bang) permet néanmoins de cerner quelques traits caractéristiques. La congrégation place au premier niveau de la cohésion communautaire un réseau de solidarité socio-économique, que renforce un second niveau constitué par les pratiques cultuelles reliant spéci࠱quement le groupe ainsi formé à sa ville ou sa région d’origine. Dans l’Ouest du delta du Mékong, la congrégation de Chaozhou (triՒu chu) est en proportion la plus importante alors que dans les autres provinces du delta, la présence des Chinois originaires de Hainan, Fukiên (ph´c Hiên) ou Canton (quԴng Ëông) s’équilibre. Hormis quelques familles converties au christianisme (notamment à Chո Lհn), et si l’on écarte en plus les cultes domestiques (cultes des ancêtres, cultes aux génies du foyer )ڎégalement pratiqués par les Vietnamiens, les Chinois se retrouvent autour de cultes publics célébrés dans les temples construits par les premiers migrants. Ils vouent ainsi des cultes spéci࠱ques dans des lieux consacrés qui leur sont propres, qu’ils soient bouddhistes (pour l’essentiel), tao©stes, confucéens, ou encore qu’il s’agisse de temples dédiés à des héros chinois divinisés ou à des personnages mythiques (impératrice du Ciel ou tianhou, empereur de Jade, déesse de la fécondité)ڎ. En dehors de ces pratiques identitaires chinoises, l’in࠲uence de la pensée chinoise impr¢gne de longue date l’univers mental vietnamien. Il en est ainsi 148
La pluralité religieuse dans le delta du MéHong
du bouddhisme mahayana qui, passé par le ࠱ltre chinois, a intégré d’autres divinités tao©stes dans son panthéon, d’autres cultes civils confucéens, au point de constituer ce syst¢me religieux des « trois doctrines » (tam࢙giáo) créant ce que Georges Maspéro a appelé une « religion populaire moderne ». Une double in࠲uence religieuse chinoise est donc perceptible au Sud du ViêtZ NamZ : une premi¢re véhiculée par une culture lettrée, une seconde constitutive de la culture populaire et qui découle directement de la présence nombreuse de Chinois et de leurs cultes locaux transplantés dans les provinces. ouddhisme ou tao©sme se déclinent ainsi sous des formes savantes ou populaires, sous des formes plus ou moins orthodoxes, comme le prouvent les fondations de temples, de lieux de méditation, d’ermitages ainsi que la résurgence de sociétés secr¢tes (telle la thiên Ë՜a hժi) aux rituels (d’initiation notamment) et apparats plus ou moins religieux. Ces rappels décrivent ainsi une mosa©que qui n’est cependant ni ࠱gée ni cloisonnée. Des contacts existaient entre ces diverses communautés, notamment entre bouddhistes vietnamiens, chinois et cambodgiens, entre musulmans chams, cambodgiens, malais et indiens, entre ma¨tres tao©stes chinois et vietnamiens. La conséquence en est une grande tolérance des pratiques religieuses, une acceptation de cette pluralité ethno-religieuse, une interpénétration de ces di࠰érents éléments. D’un point de vue confessionnel, le catholicisme vietnamien forme un groupe religieux facilement distinguable. Cette seconde chrétienté d’Asie apr¢s celle des Philippines, touchait alors pr¢s de 1/1eZde la population vietnamienne au début du XXeZsi¢cle. -ejointe par d’autres congrégations religieuses, la Société des missions étrang¢res de Paris qui a inauguré ses missions d’Extrême-Orient troisZsi¢cles auparavant garde sa position prééminente grce au rayonnement de ses activités pastorales et à ses rapports avec le pouvoir colonial. Les territoires de mission initiaux vont être redé࠱nis suite à la conquête de la Cochinchine et à l’instauration du régime de protectorat sur le royaume du Cambodge. Sans reproduire pour autant les découpages politiques ou administratifsZ: la mission du Cambodge intégrait ainsi durant la période coloniale une part non négligeable de la asse Cochinchine, soit pr¢s de la moitié du delta du Mékong. Le catholicisme était vivace dans les provinces occidentales du delta, non seulement dans les chefs-lieux de province mais aussi dans les zones avancées de colonisation récente. S’il restait un culte exog¢ne et lié à la mission civilisatrice cherchant à convertir des pa©ens, il jouait aussi dans ces régions reculées une fonction économique et sociale en plus de ses fonctions morales et éducatives. Par ses œuvres, il structurait et encadrait fortement ces chrétientés de front pionnier. Pour caractériser le bouddhisme mahayana pratiqué par la population vietnamienne, rappelons qu’il s’agit d’une forme beaucoup plus mondaine, moins ecclési࠱ée et, de fait, beaucoup plus atomisée que le bouddhisme theravada. Ses principales écoles se rattachent à la source principale du dhyna ou amidisme, lequel insiste sur la méditation et l’illumination plut®t que sur la confrontation intellectuelle ou les rites jugés inutiles pour parvenir à la délivrance. Apr¢s 149
Pascal Bourdeaux
une période de rayonnement concrétisé par la fondation de la premi¢re secte dhyaniste vietnamienne au XIIIeZsi¢cle (tr´c lm YՐn࢙Tվ), le bouddhisme va se diluer dans un syncrétisme populaire à géométrie variable, le tam giáo. Et bien que les autorités princi¢res de l’époque favoris¢rent l’organisation de deux autres sectes dhyanistes (to Ëông et lm tՐ, le bouddhisme devint avant toutZ: [ ]ڎun instrument politique dont [les Nguy՚n] us¢rent pour consolider leur autorité, tandis que les moines se voyaient réduits au r®le de gardiens de pagode o࠳ciels et de ma¨tres de cérémonies. L’esprit du bouddhisme se perdit au point de provoquer un relchement quasi général de la discipline dans les monast¢res, o³ le ouddha était adoré à l’égal d’un dieu qu’on pensait se rendre favorable par des o࠰randes 4.
Pendant la conquête coloniale française et jusqu’au début du XXeZsi¢cle, ces tendances ne s’invers¢rent pas. Mais en conséquence de multiples in࠲uences (antécédence de l’indianisation du royaume du Champa, préexistence du bouddhisme khmer lui-même in࠲uencé par le brahmanisme, migration chinoise suite à la déchéance de la dynastie Ming), le bouddhisme vietnamien a, de longue date, re࠲été au Sud une situation beaucoup plus complexe. Et si le bouddhisme chan (thiՒn) est prédominant, on ne peut pas nier l’impact du bouddhisme de la Terre Pure (amidisme), forme de piétisme populaire qui vén¢re le bouddha Amitbha (A࢙di d Pht) et ses bodhisattvas, tous symboles de sagesse et de compassion que l’on invoque pour sa protection et son salut. Cette situation a également favorisé l’émergence d’une vénération particuli¢re du bouddha Maitreya, qui, localement rapproche la conception authentique du ouddha du futur issu de la tradition theravada de la version chinoise du « bouddha au gros ventre », symbole avant tout de bonheur et de générositéZ: ce culte est l’une des sources des croyances millénaristes spéci࠱ques du Sud-ViêtZ Nam. Le rapprochement entre la fonction religieuse de certains bonzes et leurs pratiques ésotériques, pour lesquelles la masse paysanne est tr¢s encline, donne naissance à une forme particuli¢re de bouddhisme messianique. Caractéristique de la région, il existe de façon sporadique et s’ampli࠱e en fonction du charisme personnel. Cette pratique du bouddhisme, bien que tr¢s peu ritualisée, impr¢gne malgré tout profondément la vie familiale et sociale des Vietnamiens venus s’installer dans le delta du Mékong. Le sentiment religieux et la dévotion, même mêlés de croyances populaires, y étaient d’autant plus expressifs que le confucianisme y était moins a࠰ermi dans cette zone pionni¢re. Le bouddhisme, malgré son éclatement et son manque d’homogénéité, jouait un r®le de substitution, sur le plan éthique et surtout pratique. Comme l’écrit PaulZ Mus, « son intervention est à la fois un substitut en cas de défaillance des institutions assurant l’ordre normal, et un correctif pour les redresser 5 ». Il n’était cependant pas un élément de structuration sociale par manque d’organisation et du fait de la « décadence »
4. Mai Tho Truyên, « Le ouddhisme au Viêt Nam » dans -.Z deZ BERVAL, Présences du Bouddhisme, France-Asie XVI, 153-157 (196), p. 81. 5. P. MUS, L’angle de l’Asie, Hermann, Paris 1977, p. 1.
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de son enseignement, tant dans la formation des bonzes que dans la di࠰usion des préceptes. Les pratiques étaient par conséquent dissolues, hétérog¢nes et dépendaient localement de la personnalité des bonzes et de leur acceptation de certains rites propitiatoires non bouddhistes qui les faisaient passer aux yeux de la paysannerie pour des ông ËԲo , autrement dit des experts en religion ou des saints hommes. D’origine mal dé࠱nie, issu de la tradition tao©ste, ce terme qui signi࠱e littéralement « celui qui suit la voie » pourrait se traduire par « moine guérisseur », « bonze guérisseur ». Il se réf¢re avant tout à des hommes vertueux qui, en plus des connaissances religieuses rituelles ou doctrinales essentiellement bouddhistes, déclarent des aptitudes particuli¢res en mati¢re de guérisons, de géomancie ou de divination. Vivant solitaires dans les quelques lieux d’altitude ou bien émergés dans la masse paysanne, ils acqui¢rent leur notoriété en fonction de leur vertu, de leur degré de connaissances, de compétences ou d’ambition personnelle. Ainsi, parmi les croyances régionales qui int¢grent indistinctement l’univers mental de la population paysanne, mentionnons le culte des immortels (important dans la zone des SeptZ Montagnes o³ vivent retirés des ermites que l’on vient parfois consulter), les cultes villageois aux génies tutélaires (fondateurs de villages, héros divinisés)ڎ, les cultes liés aux rites agraires, à la nature ou à la fertilité, mais aussi des cultes liés à la protection du territoire tel que le culte de la « Déesse du royaume » (à Ch´a Xվ 7) dont la mystérieuse statue érigée dans un temple au bas du mont Sam attire un nombre important de p¢lerins venus y chercher sa propitiation. Ce culte est devenu au début du XXe si¢cle tr¢s populaire pour les Cochinchinois en particulier aupr¢s des femmes. Et c’est le mont Sam o³ il se trouve qui ࠱nit par former un véritable complexe religieux et un haut lieu de p¢lerinageZ: outre le temple dédié à cette déesse, on trouve en e࠰et à c®té le mausolée d’un important mandarin (ThoԶi Ngբc HԼu) qui dirigea le creusement des deux principaux canaux de la région au début du XIXeZsi¢cle et que l’on commémore comme un des bienfaiteurs de cette région. On y trouve aussi une importante pagode (TyZAn) et le tombeau d’une célébrité locale qui y a terminé sa vie sous le nom bouddhique de Php T½ng. Il n’est autre que le PhՂt ThԼy Ty An, le Bouddha Maître de la Paix de l’Ouest, fondateur du culte ւu Sśn Kֈ HŪśng (Montagne sacrée au parfum étrange). Ce culte doit être ici présenté de façon plus détaillée car il a servi de matrice à plusieurs cultes millénaristes parmi lesquels son dernier avatar, le bouddhisme H¬a HԸo.
6. TԶ Ch§ ÊԶi TrŪղng, ThԸn, ngŪծi v ËԶt Vit [Les genies, les homes et la terre du Viêt࢙+am], V½n Ngh՜, Westminster (États-Unis) 1, p. 334-348. 7. La tradition rapporte qu’au cours d’une invasion siamoise, ces derniers voulurent s’emparer d’une statue de déesse d’origine vraisemblablement hindouiste trouvée au sommet du mont. Mais le poids les en empêcha. Il durent la laisser à ࠲anc de montagne. Des Vietnamiens retrouv¢rent la statue de pierre, ࠱rent appel à un médium qui conseilla alors à cent femmes de la déplacer jusqu’à l’endroit o³ la statue élirait domicile pour la vénérer.
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Son fondateur, petit paysan de la région, mena une vie errante dans le delta du Mékong avant de commencer enZ1849 une courte prédicationZjusqu’à sa mort enZ 1856. L’empereur Tֆ Êվc lui imposa d’intégrer l’ordre monastique lm tՐ pour entraver de la sorte la création d’une nouvelle dissidence bouddhique. Son langage hermétique, les soins et guérisons prodigués, l’enseignement remettant en cause nombre de privil¢ges ࠱rent de ce oblat iconoclaste un personnage hautement charismatique. Critique à l’égard des bonzes et des ermites tao©stes ignorants et peu vertueux (ou à l’inverse trop spéculatifs), il dénonçait la vie monastique et toutes sortes de pratiques superstitieuses menant à l’idoltrie et incitant à des dépenses ostentatoires. Pr®nant un bouddhisme amidiste, la©que et engagé dans le monde, il mit cet enseignement à la portée de la masse des paysans défricheurs en simpli࠱ant les rites et les symboles bouddhiques, en insistant sur la spontanéité de la compassion, sur le respect de la piété ࠱liale, de la loyauté et des quatre reconnaissances (tպ࢙n) envers ses parents et ancêtres, envers le tripitaHa (ouddha, Dharma, Sangha), envers la patrie, envers en࠱n ses compatriotes et l’ensemble de l’humanité. Le ւu Sśn Kֈ HŪśng est également porteur d’une eschatologie qui se situe à la croisée de plusieurs traditions. Le PhՂt ThԼy Ty An annonça l’approche d’une période de grandes sou࠰rances et de malheurs devant se concrétiser par une vague d’épidémies et par la déchéance de la dynastie impériale sous les assauts de conquérants occidentaux. Seuls les hommes vertueux seront autorisés à vivre dans le paradis du bouddha Amitbha apr¢s jugement de leurs mérites lors du « congr¢s de la ࠲eur du dragon » (Hժi Long Hoa). À l’issue de cette réunion exceptionnelle surgira de la montagne mystérieuse (ւu Sśn assimilée au massif des Sept Montagnes dites thԶt࢙sśn) un roi éclairé (Minh࢙VŪśng) sacré et omnipotent siégeant sur son tr®ne de lotus blanc. Cette venue sonnera le glas de l’¢re du dér¢glement karmique et annoncera l’entrée dans une nouvelle ¢re d’harmonie ((ք HŪśng) propice à l’accession au paradis de l’Ouest (TV An). Le ւu Sśn Kֈ HŪśng est devenu en quelques années une croyance populaire d’envergure régionale ; et son fondateur l’archétype du guide charismatique interprétant à sa façon le « renversement du monde » tout en œuvrant à la fondation de nouvelles colonies agricoles et à la défense de la patrie. Jusqu’au milieu des annéesZ193, le souvenir du PhՂt ThԼy Ty An et de son enseignement resta vivant. Moyen, à l’origine, d’intégration sociale et culturelle, ce culte devint pour un temps le support idéologique à des soul¢vements populaires. ,uant au mythe du « roi éclairé », il se réadapta en fonction du « milieu charismatique ». Cette croyance millénariste est, en résumé, un vecteur important de la recon࠱guration religieuse qui s’op¢re localement dans le premier tiers du XXeZsi¢cle, et qui se joint non sans contradiction aux e࠰ets bien plus généraux de la rationalisation et de l’institutionnalisation du religieux. &&ࢩ)BJLRSBJBKQABO¤KLS>QFLKOBIFDFBRPB À l’exemple de la Chine et du vénérable TaiZ Xu qui rédige enZ 1918 un manifeste en faveur de la « rénovation du bouddhisme », un mouvement similaire toucha l’ensemble des pays de la péninsule indochinoise au cours des 15
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annéesZ19 . En Cochinchine, le mouvement s’intensi࠱a avec la parution d’une série d’articles appelant à la rénovation du bouddhisme, puis avec la fondation enZ1931 de la Société d’études bouddhiques de Cochinchine, hժi࢙phԾt࢙h՞c. Des ࠱liales apparurent à Huê en févrierZ193 , ainsi qu’à Hanoi enZ1933. D’autres associations ont demandé dans ce prolongement leur enregistrement aupr¢s des autorités coloniales, lesquelles n’accord¢rent enZ1935 le statut d’associations cultuelles qu’à six d’entre elles uniquement. En contrepartie de leur reconnaissance o࠳cielle par les autorités coloniales, ces associations avaient le devoir de stipuler leur raison sociale et leurs modes d’action. LeZgouvernement de Cochinchine souhaitait ainsi favoriser le rel¢vement de la doctrine bouddhiste (rénovation de la pratique, uni࠱cation d’un sangha, maintien de la discipline, revalorisation des activités « paroissiales » et des œuvres sociales,Ztraduction et di࠰usion d’écrits religieux en quբc ngր) tout en gardant un contr®le sur ces associations. Nous nous trouvons ici au cœur des enjeux de l’institutionnalisation du bouddhisme. Au Cambodge, cette question se posait avec une plus grande acuité encore puisque le bouddhisme y est élevé au rang de religion d’État. Si des premi¢res réformes avaient été entreprises d¢s le XIXeZsi¢cle (en suivant l’exemple de Ceylan et du Siam) et poursuivies par le roi Monivong (formation d’une commission d’étude du tripitaHa –Z canon des écritures bouddhiquesZ – en 19 9), elles se poursuivirent sous le patronage scienti࠱que des autorités françaises et sous son in࠲uence politique directe (création d’une École supérieure de pli enZ 19
, de la iblioth¢que royale de Phnom Penh enZ19 5, de l’Institut bouddhique de Phnom Penh). -appelons ici que le delta du Mékong se situe géographiquement entre deux centres importants de la rénovation bouddhique (Saigon, Phnom Penh) qui toucha simultanément les traditions mahayana et theravada. Le delta a été lui-même le lieu d’initiativesZlocales puisque parmi les six associations mentionnées, trois y avaient leur si¢ge social (à Trà Vinh, Long Xuyên, Sc Tr½ng) et une y fonda une communauté religieuse (t՜nh Ëժ cŪ sã phԾt hժi à Sa Êéc) tournée vers la pratique de l’amidisme et l’action médicale. D’autres associations y furent reconnues par la suite. Trois autres initiatives prouvent en࠱n le dynamisme de cette région dans la rénovation du bouddhismeZpuisque c’est de là que sont provenues, au cours des annéesZ193, une organisation monastique féminine, la premi¢re organisation vietnamienne du bouddhisme theravada à l’initiative d’un groupe de Vietnamiens du Cambodge (1938), en࠱n un ordre mendiant (hê phái (hԶt Sُ) en 1943. Mais l’innovation la plus marquante et durable reste la création en 19 6 d’une nouvelle religion stricto sensu, le caoda©sme qui doit certainement beaucoup à la rencontre du tao©sme religieux, du positivisme occidental, des formes de pérennialisme et d’universalisme telle qu’on les retrouve dans la théosophie, le néo-hindouisme ou les idées franc-maçonnes. Devant également beaucoup aux interactions culturelles entre Orient et Occident et au développement de discours interreligieux, il se proclame au début une forme de « bouddhisme rénové » tout en cherchant à fusionner les grandes traditions religieuses a࠱n de retrouver 153
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« l’unité primordiale ». Il attire les foules par la pratique de la méditation qu’il propose, par ses rituels d’initiation et par ses séances de spiritisme qui reprennent des pratiques répandues dans les provinces (sectes minh). En octobreZ19 6, une requête des fondateurs du culte est déposée aupr¢s des instances coloniales pour en demander la reconnaissance o࠳cielle. Lê V½n Trung, son premier patriarche, débute sa campagne de prosélytisme religieux, crée des missions d’évangélisation, fonde des lieux de culte, met en place une organisation ecclésiastique. En mars 19 7, l’édi࠱cation d’une cathédrale destinée à devenir le « Saint-Si¢ge » du culte Cao Êài est entreprise dans la province de Ty Ninh. Elaboré par un groupe d’intellectuels francisés de Saigon, le caoda©sme trouve rapidement une assise populaire. Dans le delta du Mékong, les premiers centres importants apparaissent localement avant de former, à partir deZ 193 , des organisations plus ou moins indépendantes de l’organisation centrale originelle. Outre l’indigénisation du catholicisme qui s’a࠳rme (publication de l’encyclique Maximum illud en novembreZ 1919 puis nomination des deux premiers évêques vietnamiens enZ 1933 etZ 1938), appara¨t également au cours de ces mêmes années une nouvelle forme de prosélytisme protestant. La « Christian and Missionary Alliance » s’installe en Indochine (Tourane, actuelle Êà NՊng) enZ 1911 ; en 1918, cette même mission évangélique de l’Indochine française entreprend son œuvre en Cochinchine o³ elle édi࠱e ses premiers temples à l’est de Saigon (LiZThiêu) et dans la ville chinoise de ChոZLհn. Le protestantisme missionnaire qui débuta enZ 19 1 dans le delta du Mékong comptait en 1939 sixZmissionnaires américains et canadiens résidant à Saigon et à CԼn Thś. Ils auraient formé en quelques mois « 46Z pasteurs et évangélistes indig¢nes qui dirigent 67Zoratoires, pour 643Z࠱d¢les 8 ». Une seconde mission protestante de moindre importance, la Société des missions adventistes de France, est également autorisée d’œuvrer en Cochinchine (19 9) et au Cambodge (193). A la veille de la seconde guerre mondiale, la mission adventiste du 7eZjour con࠱rmait la présence de quatre pasteurs, trois américains et un français, qui travaillaient « notamment à Long Xuyên, CԼn Thś, Saigon, M®n, -Զch Gi, Tri T®n, Ti՜n ՠnh et G¬ C®ng 9 ». &&&ࢩ-BO@BMQFLKABI>MIRO>IFP>QFLKOBIFDFBRPB PROI>QBOOBAڂ¤IB@QFLKAR?LRAAEFPJB%>ࢩ%ԹL Si l’on tente de prendre en compte le substratum religieux et le dynamisme de la rénovation des annéesZ193, on s’aperçoit ainsi que la région d’émergence du bouddhisme H¬aZHԸo était traversée par une pluralité religieuse et surtout animée d’une ferveur religieuse qui concernait l’ensemble de la population et
8. Lettre de monsieur Irwin, directeur de la Mission évangélique américaine au gouvernement de la Cochinchine, 1erZ juillet 1939 (dossier SL 4693, centre njZ des Archives nationales du ViêtZNam). 9. Lettre du secrétaire général de l’Indochine de la Société des missions adventistes de France, 19Zjuin 1939 (dossier SL 4693, centre njZ des Archives nationales du ViêtZNam).
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l’ensemble des cultes. À c®té d’associations d’études bouddhiques qui œuvraient dans les provinces, diverses formes de prosélytisme ont cherché conjointement à réactiver des croyances anciennes ou à en implanter de nouvelles teintées d’ascétisme, de mysticisme, de syncrétisme ou de réformisme. Dans la province de Long Xuyên, le regain du bouddhisme semblait briller d’un nouvel éclat, notamment dans la délégation de Chո Mհi qui reste un haut lieu de la tradition ւu Sśn Kֈ HŪśng. C’est dans cette même délégation que le caoda©sme connut pendant un temps ses premiers développements avant de décliner à partir deZ1934. La communauté catholique y était également importante. Il s’y est en e࠰et formé d¢s la ࠱n du XVIIIeZ si¢cle de vigoureuses chrétientés à N½ngZ G³ (5Z ࠱d¢les) et sur l’¨le de C³Z LaoZ Giêng qui abritait plusieurs milliers de ࠱d¢les, les établissements des P¢res de la Mission du Cambodge, ceux des Sœurs de la Providence du Cambodge, un séminaire, un h®pital, un noviciat, une cr¢che et un orphelinat, tous fondés dans les annéesZ188. Sur cette ¨le se dresse aussi une église btie enZ 1877, restaurée dans les annéesZ 19 , qui en faisait, aux dires du chef des services civils de l’Indochine, « le monument le plus important de la province. » Elle con࠱rmait surtout cette ¨le dans sa fonction de « centre de la mission du Cambodge 1. » Notons en࠱n enZ1939, la présence à Long Xuyên d’une église protestante dépendant de la mission évangélique et, chose plus remarquable, l’un des deux seuls temples qu’avait construits la mission adventiste du 7eZjour en Cochinchine. Dans la province voisine de Chu Êզc en࠱n, on notait la même ferveur populaire. Deux p¢lerinages avaient lieu dans la région des Sept Montagnes, sur le Mont Sam, à la pagode Phi Lai. Dans les délégations du Nord de la province (Hըng Ngֆ, Tn Chu), la même ferveur bouddhique était tout aussi perceptible. En plus de la communauté ch½m d’obédience musulmane mentionnée précédemment, il faut y noter également l’apparition d¢sZ 19 8 du caoda©sme (¨le de C³ Lao Ty et délégation de Tn Chu) même si une dizaine d’années apr¢s, il ne subsistait que sous une forme isolée autour de quelques notables et de leurs proches 11. Dans la délégation de Tn Chu, deux petites chrétientés se développ¢rent enZ 1931 etZ 193 , mais la majorité catholique se concentrait surtout dans la délégation de Hըng Ngֆ et sur l’¨le de C³ZLao Ty o³ vivaient sixZ missionnairesZ pour 6 catholiques (sur 45 Z habitants) qui fréquentaient cinqZéglises 1 . Le protestantisme ࠱t également son apparition à Tn Chu (fondation d’un oratoire et d’un petit noyau de ࠱d¢les dans le village de Ph´ An adjacent au village de Hդa HԸo) et sur la rive opposée de l’¨le de C³ Lao Ty.
1. V. DUVERNOY, Monographie de la province de Long 5uVên, Moniteur de l’Indochine, Hanoi 19 4. 11. Hue-Tm H® Tai, Millenarianism and Peasant Politics in Viêt +am, Harvard University Press, Cambridge 1983, p. 88. 1 . -apport d’inspection de la province de Chaudoc e࠰ectuée par l’inspecteur -enou duZ18 au Zmai 1944, 3Zjuin 1944 (dossier D1-368, centre njZ des Archives nationales du ViêtZNam).
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Dresser le panorama religieux dans le delta du Mékong, autant que cela puisse être réalisable et e࠳cient pour mieux comprendre le contexte d’émergence du bouddhisme H¬a HԸo, rév¢le ainsi une situation plus complexe qu’on ne l’imaginait au départ et même bien plus dynamique que ce que l’on a tenté de décrire ici. Au point que nous pourrions a࠳rmer –Zou au moins soumettre l’hypoth¢seZ– que ce n’est pas l’anomie religieuse mais plut®t la pluralisation religieuse qui s’est fait jour à cette époque et dans cette région qui en expliquerait l’émergence. Ce ne serait donc pas le manque d’emprise religieuse ou de structuration sociale que viendrait combler le bouddhisme H¬a HԸo, ce n’est pas non plus une pluralisation religieuse de circonstance qui aurait provoqué des procédés d’imitation et des formes de mimétisme ; cette saturation, cette proximité et cette simultanéité d’innovations religieuses, qui plus est en milieu rural, pourraient bien se révéler au contraire un vecteur primordial de ce revivalisme.
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)3&"*,+ )"!"0,+7"0(%*"/0 EN CONTEXTE DE PLURALISATION ET DE MODERNISATION RELIGIEUSE
NGUYՙN MԵNH CŪղng Institut de recherches sur les religions, Hanoi
Les Khmers du delta du Mékong forment une société de classes. Depuis la libération du Sud du ViêtZNam, depuis surtout l’entrée dans l’¢re de la rénovation (Ëզi mլi), les régions o³ se concentrent ces populations se sont radicalement transformées. Toutes les couches de la société se sont restructurées. Les bonzes, les intellectuels khmers forment une couche sociale relativement nombreuse dont l’État et le Parti se préoccupent depuis longtemps pour leur créer les conditions de se ra࠰ermir, de se développer et pour qu’ils puissent assumer leur r®le social au sein de la communauté. Dans notre monde moderne, les bonzes et les bouddhistes khmers parviennent à consacrer un temps su࠳sant à leur vie spirituelle, cependant leur « foi » et leurs pratiques religieuses ont ࠱ni par devenir plurielles et complexes. Tout au long de leur existence, de la naissance jusqu’à l’ge adulte, les Khmers suivent ouddha et doivent passer de « nombreux étés » à prendre le froc à la pagode. Les Khmers, tant les hommes que les femmes, pensent que leurs ࠱ls deviennent des honnêtes hommes uniquement apr¢s leur passage par la pagode. Apr¢s plusieurs années de noviciat, les garçons en ge de se marier participent à la cérémonie du s՜H (quitter le froc), ils réint¢grent le monde ordinaire et la vie séculi¢re, se marient et ont des enfants qui, s’ils sont mles, poursuivront ce cycle d’entrée dans les ordres. Aujourd’hui cependant, du fait des transformations nombreuses de la société moderne, on voit que beaucoup de jeunes garçons du delta du Mékong et même de PhnomZPenh (Cambodge) n’ont pu préserver ces coutumes désu¢tes. Les garçons préf¢rent désormais se consacrer assidµment à leurs études. Ils esp¢rent acquérir des connaissances qui seront utiles à la communauté nationale, aussi aller à la pagode pour devenir un « homme » selon les conceptions passées n’a plus lieu d’être. Grce à ce savoir scienti࠱que et technique, ces jeunes khmers ne sont plus autant soumis aux r¢gles monastiques. De plus, face à eux se pro࠱lent de tr¢s nombreuses formes religieuses qui se développent parall¢lement au bouddhisme theravada khmer. Le choix de leur « croyance » n’a ainsi jamais été aussi impérieux qu’actuellement. 157
+guVՖn MԲnh CŪծng
Depuis le début du XXeZsi¢cle, on compte parmi les Khmers du ViêtZNam (Hhmer࢙+am Bժ) un petit groupe de catholiques. Les gens appellent encore cette religion la « religion de la terre » (ËԲo ËԶt) car on distribuait jadis aux convertis un lopin pour leur permettre de vivre de leur travail. Au cœur même de la société khm¢re de Sc Tr½ng, a ainsi été préservée l’église Saint Michel (nh thծ Micae). Érigée sur le riche district de Long Phú, cette église catholique est décorée selon l’architecture traditionnelle khm¢re. La différence tient essentiellement à la forme de la croix qui se distingue de celles des églises européennes. Apr¢s un si¢cle d’existence, on observe que cette assemblée catholique khm¢re s’est faiblement développée mais qu’elle existe toujours en faisant preuve d’une vitalité tenace. En ce début de XXIeZ si¢cle, nous avons eu l’occasion de visiter plusieurs provinces du delta du Mékong. Nous savions que le district de Thi ¦nh (CàZ Mau) abrite des églises catholiques en plus de pagodes khm¢res. À c®té des catholiques viêt (Hinh), on dénombre également un nombre assez important de ࠱d¢les khmers dont on dénigre la prétendue cupidité qui leur aurait fait abandonner leur ancienne religion bouddhiste. ,uoi qu’il en soit, ils sont et restent des Khmers catholiques. Depuis quelques années, une nouvelle religion, le protestantisme, s’est répandue à partir de CԼn Thś dans les provinces du delta du Mékong. La secte qui aurait tout d’abord pénétré les communautés khm¢res à Kiên Giang, An Giang, CԼn Thś et dans les autres provinces est la « Christian Fellowship House Church » (liên hրu cś dբc) forte de plusieurs milliers d’adeptes. Au début des années , on ne comptait que quelques centaines de croyants dans les provinces mentionnées ci-dessus, mais aujourd’hui ils sont plusieurs milliers à s’être a࠳liés à cette église. Ce chi࠰re montre la pluralisation religieuse des Khmers du Viêt Nam. Les Khmers du delta mais également ceux du Cambodge réorientent leur foi non plus uniquement vers le bouddhisme mais vers d’autres religions comme le catholicisme, l’anglicanisme, les cultes autochtones (neaH ta), leZbouddhisme mahayana, la secte Thanh HԸi v® thŪոng sŪ ڎqui sont apparues apr¢s le génocide de Pol Pot. Les Khmers forment un peuple en soi, une nation multi-religieuse dont les modalités religieuses di࠰¢rent selon les périodes historiques. D¢s la naissance du royaume du Chen La, les Khmers ont intégré les cultes au ciel, à la lune, ceux portés aux génies des serpents, des ࠲euves, des montagnes ڎEnsuite, ils ont hérité du syst¢me religieux des habitants du Founan et des e࠰ets religieux de la seconde indianisation. Il s’agit de l’indianisation le plus forte qui a atteint le plus profondément l’ensemble des habitants de l’Asie du Sud-Est. Les Khmers ont alors adopté le syst¢me du Dieu--oi ou DevaZraja, (Vua-ThԸn). Chaque roi s’attribuait un pseudonyme et une titulature divine, se faisait ériger un grandiose monument religieux. Dans le royaume ancien du Chen La, on ne peut pas distinguer le bouddhisme du brahmanisme. Le pluralisme religieux se retrouve dans les titres royaux et dans les patronymes khmers. -oyauté et divinité forment un syst¢me interpénétré de palais royaux et de monuments religieux vraiment 158
La vie monacale des bonWes Hhmers
di࠳ciles à dissocier. Sur le cél¢bre site d’Angkor, les temples d’Angkor Wat et d’Angkor Thom, ou plus justement les cinq tours du Wat et les sourires du ayon qui symbolisent simultanément l’autorité séculi¢re et le droit divin vont de pair. ,uand on visite Angkor, on s’aperçoit que les deux tours ne ࠱gurent pas deux entités mais bien une, en chacune d’elle s’y perçoit toujours la fusion du pouvoir royal et du droit divin, et vice et versa. Ces symboles religieux khmers sont des symboles doubles. Sous les sourires du ayon de rahma (dieu créateur) se trouvent les dieux traditionnels des Khmers comme Shiva (le destructeur), Vishnu (le protecteur) ainsi que toutes les statues bouddhiques comme celles d’Amitabha et d’Avalokitésvara qui ne sont pas authentiquement brahmanistes. En outre, les statues que l’on voit à Angkor sont des statues portant les traits du bouddhisme mahayana daté entre leZXe et leZXIVeZsi¢cles. C’est apr¢s la chute d’Angkor et la mise sous dépendance siamoise que les Khmers ont vraiment commencé à adopter la nouvelle forme religieuse du bouddhisme du petit véhicule (hinaVana) ou, comme on l’appelle aujourd’hui, le bouddhisme du Sud (phԾt giáo +am tông Hhmer). Il a fallu ainsi attendre le XVeZ si¢cle avant que les Khmers n’adoptent le bouddhisme du Sud. Dans son expansion, ce bouddhisme s’est divisé en deux ordres, l’un massif et populaire (mahaniHaV), l’autre nobiliaire (thommaVut). Ces deux ordres sont encore puissamment représentés au Cambodge. À c®té du roi, on trouve deux bonzes supérieurs (sangha rajah). Les représentants de ces deux ordres populaires et nobiliaires existent encore mais ils vivent désormais à l’écart du roi. Ces deux branches sont présentes à An Giang et Kiên Giang, mais comme ici le bouddhisme n’y est pas religion d’État comme au Cambodge, la branche thommaVut n’est au ViêtZNam qu’une simple survivance. Cela fait malgré tout appara¨tre le pluralisme intrins¢que du bouddhisme khmer au ViêtZ Nam. Ce cas concret de segmentationZ du bouddhisme khmer peut être considéré comme un processus d’auto-pluralisation religieuse. Les convictions et les pratiques religieuses des Khmers ont évolué de façon notable dans le contexte de l’économie de marché. Depuis ces derni¢res années, peu de Khmers (surtout chez les jeunes) vont à la pagode pour participer aux fêtes traditionnelles. Même si la pagode reste toujours le centre du hameau (phum), du village (sc), quel r®le joue le bouddhisme aujourd’hui dans la vie courante ,uels en sont les e࠰ets de la modernité &"KQOBOBKOBIFDFLKPBILKIB@>KLKQO>AFQFLKKBI Le canon est constitutif de ce que sont les bonzes et les bouddhistes à la pagode. Les r¢gles de la doctrine bouddhique obligent les enfants mles à prendre le froc pendant un temps donné, et le maillage dense de pagodes sur le territoire khmer a ࠱ni par faire des bonzes une couche sociale assez nombreuse. À certaines périodes de l’année, les bonzes sont tr¢s nombreux dans la pagode, des dizaines, des centaines et parfois même plus d’un millier. Le réseau tr¢s serré de pagodes et de bonzes a aussi créé dans le delta du Mékong un syst¢me spéci࠱que et des modes étroits de gestion. Chaque pagode a un comité en charge des activités spirituelles des habitants des hameaux et des villages. Le bouddhisme garde une in࠲uence forte sur les 159
+guVՖn MԲnh CŪծng
activités sociales des Khmers, et les bonzes y ont une position et un r®le particuliers. Cette couche sociale vit grce aux contributions du peuple tr¢s dévoué. D’un point de vue administratif, les bonzes ne participent ni à la production ni à la gestion sociale, mais les paroles et les opinions des bonzes dans la pagode, comme celles des luc Hrou (« lok grĥZ: enseignant), desZmeHon (« megaӠ »Z: chef des bonzes au niveau provincial), des anuHou (« anugaӠ », chef en second) ont une signi࠱cation importante dans la vie villageoise. Le bouddhisme ne s’appuie pas uniquement sur des articles de loi de portée générale, il édicte des r¢gles pratiques tr¢s concr¢tes qui fondent le cadre légal spéci࠱que des pagodes et des diverses branches et sectes. Le bouddhisme khmer édicteZ: Tout enfant mle doit aller à la pagode pendant une période minimale d’un mois et qui peut durer toute la vie. Lorsqu’il désire rentrer chez lui, ce dernier en fait la demande (s՜H), s’il souhaite y rester à vie, il le peut aussi. Une fois rentré chez lui, celui qui veut retourner à la pagode de façon réguli¢re le peut également. Tout le monde doit passer par la pagode. Le roi comme le peuple. ,ui ne s’exécute pas sera déconsidéré par la communauté, vu comme une personne sans esprit bouddhique qui ne comprend pas les principes de l’existence. La vie courante montre clairement que les mles qui n’ont pas pris le froc auront réellement des di࠳cultés à se marier. Tels sont les principes qui in࠲uencent fortement la vie des Khmers et celle de tous ceux de la nation vietnamienne qui entrent en religion à la façon du bouddhisme du Sud.
Dans un certain nombre de pays de la région (Cambodge, Tha©lande, Indonésie, Myanmar, Laos), les bonzes sont des personnes sacrées qui portent continuellement la soutane. Si un bonze se rév¢le un dangereux délinquant, la loi dit qu’il sera poursuivi apr¢s son expulsion de l’ordre par le comité des bonzes lorsqu’il retourne à l’état de citoyen lambda. Les personnes en contact avec les bonzes doivent les interpeller par leur titre particulier et non par leur nom civil. Dans la société, les bonzes ne participent ni aux a࠰aires publiques, ni aux activités gouvernementales, ils ne votent pas, ne s’engagent pas dans des activités politiques, ne font pas de testament, ne témoignent pas au tribunal, ne peuvent porter plainte même s’ils sont injuriés, battus, volésڎ Une personne qui veut entrer en religion est acceptée à condition de rejeter sa précédente religion, de comprendre explicitement la doctrine bouddhique et d’en respecter les préceptes. Dans la pagode, les bonzes sont de deux rangs, sadi (samanera) et tք࢙HhŪu (biHHhu). Tout novice de moins de vingt ans est obligatoirement sadi, il faut avoir plus de vingtZans pour devenir tք HhŪu. Un homme mµr qui souhaite rester au grade de sadi toute sa vie le peut aussi sans contrainte. EnZfonction du grade, les r¢gles sont au nombre deZ15 pour les sadi et deZ
7 pour les tք HhŪu. La pagode accueille les novices qui ont rempli les conditions ci-dessousZ: – acceptation des parents ; – consentement de la femme si l’homme est marié ; – être pur, ne pas avoir tué ni volé (même un vol insigni࠱ant). En cas de tels torts, il n’est pas possible de devenir moine ; 16
La vie monacale des bonWes Hhmers
– qui veut se faire moine doit posséder quelques ustensiles et un ma¨tre qui le guideZ: un bol à o࠰randes ; une soutane. L’entrée dans les ordres doit se faire de façon tr¢s scrupuleuse, le bonze choisit le jour de célébration de l’entrée en religion ; avec l’aide des amis ou des proches, on rase la tête, la barbe et les sourcils du candidat. Ce dernier se rasera ensuite deux fois par mois, deux jours avant la pleine lune et deux jours avant la mi-lune. La famille fait l’annonce de la cérémonie en organisant un festin pour les amis et les proches. À l’heure du départ, le novice s’habille d’une pi¢ce de tissu blanc nouée dans le dos, qu’on appelle sampot, une tunique blanche, une écharpe blanche sur l’épaule gauche qui couvre aussi le visage pour marquer qu’il quitte le monde séculier. Autrefois, les novices montaient sur un cheval pour se rendre de leur maison à la pagode. Le cheval harnaché de façon somptueuse rappelait que Sakyamuni était lui aussi entré en religion en sortant à cheval de son palais. Un homme tenait les rênes, un autre le parasol pour le futur bonze. Aujourd’hui, on n’utilise plus de chevaux ou de parasols, on se rend à la pagode, sur le lieu de la célébration, à pied ou en voiture. Les parents, la femme et les enfants, les proches et les amis forment un cort¢ge. Un orchestre de musique suit. Devant, une personne danse en portant un masque de monstre (VaH), une canne à la main et une épée. Il cherche à faire obstacle au groupe qui se dirige vers la pagode. Cette métaphore symbolise les troupes de Mara qui port¢rent entrave à Sakyamuni lorsque celui-ci entra en religion. Le groupe pén¢tre dans la pagode, tout le monde se tient debout dans le lieu saint o³ les attendent les bonzes, l’opbaHchia (« upasachea ») et les 1Zbonzes témoins de la cérémonie. Le novice doit répondre aux questions suivantesZ: – as-tu plus de ans – t’es-tu muni d’un bol à o࠰rande pour aller mendier – ta soutane est-elle faite selon les r¢gles – as-tu des blessures ou des plaies sur le corps – as-tu menti – as-tu la gale – as-tu des hémorro©des – as-tu de l’asthme – es-tu le servant de quelqu’un – es-tu célibataire ou marié – as-tu reçu l’accord de tes parents pour entrer en religion (s’il s’agit d’un serviteur, le bonze demande s’il a reçu l’accord du patron) – as-tu des dettes – es-tu serviteur du (roi) gouvernement – es-tu réellement un homme et non pas un monstre ou un serpent 1
1. Dans les premiers temps du bouddhisme, un tigre qui s’était transformé en homme pour troubler le ouddha demanda à ce dernier de recevoir le baptême bouddhique. Une fois qu’il eut découvert la duperie et pour éviter une telle déconvenue, le ouddha recommanda à ses disciples de poser cette question à toute personne désirant entrer dans les ordres.
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+guVՖn MԲnh CŪծng
Apr¢s avoir répondu, le novice doit lire les soutras qu’il a étudiés et répondre aux questions relatives aux lois de l’État. Les deux bonzes assistants (crou sôtgrĥ sĥtr) prononcent ensuite les lois les plus sacrées de la pagode. Celui qui n’adh¢re pas aux textes, qui ne retient pas les r¢gles, qui ne répond pas correctement aux questions des bonzes n’est pas autorisé à entrer en religion, il doit s’en retourner et étudier à nouveau. Celui qui est accepté change de nom, il prend le nom religieux que le bonze supérieur lui attribue. Il met le froc, honore la triple corbeille et devient bonze. La cérémonie d’entrée en religion peut se faire toute l’année, à l’exception des trois mois d’été (juillet, aoµt et septembre de l’année lunaire) qui sont la période pendant laquelle les bonzes rentrent étudier. Le bonze va tête nue, il ne porte pas de casque, pas de chapeau mais il peut se protéger sous une ombrelle de tissu blanc ou jaune. D’apr¢s les soutras bouddhiques, le bonze doit aller pied nu mais pour éviter de se blesser avec des épines et a࠱n de préserver son hygi¢ne, cette prescription a été abandonnée. On a posé comme r¢gle spéciale celle de porter des sandales sans chaussettes, pas trop hautes, uniformes et unicolores. Autrefois, la soutane était confectionnée à partir de bouts d’éto࠰e ramassés sur la route et teints avec de la terre. Aujourd’hui, le froc est fait non pas d’une seule pi¢ce qui couvrirait enti¢rement des bonzes mais de plusieurs bouts de tissus cousus entre eux et teints en jaune clair ou foncé. Lorsqu’il est dans la pagode ou à la maison, le bonze doit garder l’épaule droite découverte et quand il sort, il la recouvre. Pour ne pas succomber aux tentations, lorsque le bonze a du travail à e࠰ectuer à l’extérieur, ou bien qu’il rend visite à des parents, il doit s’y rendre avec un bonze ami. Le bonze ne peut pas pénétrer dans une maison dans laquelle se trouve une femme seule, ni même prendre un chemin sur lequel une femme se trouve pareillement seule. Le bonze, sadi ou tք HhŪu, suit les dix préceptes du bouddhaZ: – ne pas tuer ; – ne pas voler ; – ne pas être lubrique ; – ne pas mentir ; – ne pas boire d’alcool ; – ne pas manger apr¢s midi ; – ne pas écouter de musique ou de chant ; – ne pas utiliser de parfum, ne pas porter de parures ; – ne pas s’asseoir à des places trop élevées ou trop prestigieuses ; – ne pas utiliser d’argent. Deux fois par jour, t®t le matin et tard le soir, les tք HhŪu font l’examen de leurs torts de la journée. Ils invitent un bonze de rang supérieur et lui promettent de ne pas récidiver. S’il est coupable, le bonze doit avouer et promettre à un ami de respecter sa parole. Il s’agit là de fautes mineures, que l’on peut corriger par la loi bouddhique, contrairement aux fautes plus lourdes.
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La vie monacale des bonWes Hhmers
Concernant les activités communes, les bonzes se réunissent dans le temple
Zfois parZmois, lesZ15e et 3eZjours du mois lunaire, pour examiner les fautes des 15Zderniers jours. Chaque bonze récite le sĥtra p»ԂimoHHha (viet. bademot) puis tous commencent à présenter leurs fautes deux par deux avant de les évoquer devant le bonze supérieur. Chacun présente ses fautes et le bonze supérieur décide. ,ui n’expose pas ses fautes se rend coupable d’un crime à l’égard de ouddha. Ensuite, les gens qui se sont dévoilés sont punis pendant plusieurs jours, le calcul se fait à partir du jour fautif jusqu’au lever du jour suivant. Il n’y a pas de délation entre bonzes, car dénoncer est une faute. Un bonze témoin d’un délit conseille le responsable de façon constructive. Mais si un bonze fait une faute trop lourde qu’on ne peut dissimuler, alors le bonze témoin doit en référer au supérieur pour préserver la réputation de la pagode. Pour les fautes minimes, on récite les soutras et on promet au bonze supérieur de ne pas récidiver. En cas de faute grave, on supporte sa peine voire même on quitte le froc et la pagode. Au rang de sadi, les dix fautes graves sontZ: – tuer tout être vivant, les hommes, les animaux et les insectes ; – voler, même une chose modeste ; – la luxureZ : s’adonner indistinctement à des relations charnelles avec des femmes, des animaux, des hommes, des hermaphrodites ; – mentir sous deux formes distinctes, soit des mensonges courants (ino࠰ensifs), soit des mensonges qui portent des préjudices moraux ou matériels à celui qui les écoute ; – boire de l’alcool ou toute boisson enivrante ; – mépriser ou calomnier le ouddha ; – injurier le canon bouddhique, les paroles enseignées par le ouddha ou les soutras ; – injurier le sangha, mépriser les bonzes supérieurs ; – avoir des pensées aberrantes et des croyances pa©ennes (considérer par exemple que la mendicité n’est pas un bienfait mais du gaspillage inutile) ; – avoir des relations sexuelles avec des bonzesses. De son vivant, le bouddha acceptait l’ordination de femmes, mais cela a disparu depuis. Au rang de tք HhŪu, les quatre fautes graves sontZ: – avoir des relations charnelles (hommes, femmes, animaux, hermaphrodites, divinités, fant®mes ou mauvais esprits transformés en femmes) ; – tuerZ toute forme humaine d¢s sa plus simple formation fœtale. Pour cette raison, les r¢glements ne permettent pas aux bonzes de se faire médicastres car a࠰ecter par inadvertance le fœtus revient à tuer un être vivant ; – voler ne serait-ce qu’une cigarette, un objet de peu de valeur ; – mentir, ࠲agorner comme prétendre que l’on rentre en contemplation, en extase, qu’on entre en contact avec des Immortels, que son me a quitté son corps pour rencontrer des défunts. Les bonzes décident ainsi de la peine encourue en fonction des fautes. LesZsadi qui sont fautifs –Zmais pas au point de devoir quitter la pagodeZ– sont laissés au soleil, frappés par la pierre, ou bien s’acquittent de travaux pénibles
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+guVՖn MԲnh CŪծng
ou sales (comme nettoyer l’enclos des bu࠴es). Ensuite, ils doivent réitérer les prosternations de prise de refuge, sous la présidence de quatreZbonzes supérieurs et d’un tք HhŪu qui valide la séance. En cas de fautes graves, présentées ci-dessus, les tք HhŪu doivent quitter le froc et rentrer chez eux. Pour les trois plus lég¢res fautes commises, ils sont laissés à l’écart, sans contact avec les autres bonzes, avec interdiction d’aller mendier (la pagode leur fournit la ration quotidienne), de participer aux cérémonies dans la pagode, de béné࠱cier des biens matériels fournis par les ࠱d¢les (soutane, ustensiles divers)ڎ. En résumé, pendant ce temps d’isolement, le bonze fautif vit comme une personne de l’extérieur à la seule di࠰érence que lui porte une tenue jaune. La durée d’isolement dépend de la décision du supérieur, de la gravité de la faute exprimée, dissimulée ou révélée. Par exemple, une faute exprimée ou découverte apr¢s un mois entrainera proportionnellement une sanction d’un mois, si c’est un an, elle sera d’une année. &&)>QO>KPCLOJ>QFLKARsanghaHEJBOABMRFP Le Sud du ViêtZNam, depuis le jour de sa libération (3Zavril 1975) a connu des transformations fondamentales et plus ࠲agrantes encore depuis les années de rénovation des annéesZ 199. Ces changements ont fortement agi sur le monachisme khmer. Nous pouvons cerner précisément ces changements à la lecture des statistiques relatives aux bonzes, aux noviciats, à l’ge d’entrée en religionڎ Période (année) Population
Nombre de bonzes
1975
1 151
1979
7
1
11
1985
8 46
1995
7 5
Juin 1998
1 39 83
Commentaires d’apr¢s TrԼn Hըng Liên
8 361
1. D’apr¢s les chi࠰res du service des statistiques pour l’année 1979.
. Th§ch DŪśng Nhśn,Z« Tham luՂn cռa ËԶi di՜n hծi sŪ si yêu nŪհc miՖn ty nam bծ » [Intervention du représentant de l’association des bonzes patriotes du delta du Mékong], Actes de la VIIe conférence des délégués du bouddhisme uni࠱é, 4-7 novembre 1981, H®ZChiZMinhZVille p. - Tableau 1Z: +ombre de (hmers faisant une retraite annuelle la pagode
Apr¢s examen et agrégation de 8Zprovinces du delta du Mékong, il y avait en juinZ 1998 8 17 bonzes (, 78 ࢠ de la population khm¢re). Ces chi࠰res ont baissé entre 1975 et 1999. La moyenne des retraitants par pagode baisse également.
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La vie monacale des bonWes Hhmers
Période
Nombre
1975
9
1985
19
1995
16
1999
13
Tableau Z: MoVenne annuelle de retraitants par pagode
Dans les 8Zprovinces déjà citées, le pourcentage de jeunes bonzes est tr¢s élevé. Le niveau de culture générale des bonzes est tr¢s faible dans toutes les pagodes. Actuellement, 7 ࢠ des bonzes ont un niveau de culture élémentaire, 1 ࢠ ne connaissent pas l’écriture vietnamienne (quբc ngր) . Certains parlent un vietnamien altéré (commune de Chu L½ng, district de Tri T®n, province d’An Giang). Tr¢s peu de bonzes excellent en langue et écriture p»li. Ce sont des contraintes lourdes pour transmettre et di࠰user la doctrine, pour encadrer les activités religieuses. Concernant les bonzes gardiens de pagodesZ: les abbés qui administrent la pagode ne sont pas tr¢s gés et la tendance actuelle est à la diminution de leur nombre. Pagodes |ge recensées moyen des abbés
|ge et nombre des abbés
-3
31-4
41-5
An Giang
43
34
1
Զc Lieu
6
41
3
CԼn Thś
11
4
5
1
Cà Mau
5
39
3
Kiên Giang
71
4
33
11
6
6
13
Sc Tr½ng
43
5
5
8
3
3
5
19
Trà Vinh
1
6
1
5
1
1
4
Vãnh Long
5
(1)
Général
196
43
76
38
19
6
13
44
39 ࢠ
19 ࢠ
1 ࢠ
3ࢠ
7ࢠ
ࢠ
Province
ࢠ
51-6 61-7
1
7
6
3 3
1
Tableau 3Z: |ge des bonWes qui administrent les pagodes actuellement
. Données statistiques extraites des enquêtes menées en 1998-1999.
165
+guVՖn MԲnh CŪծng
L’ge moyen des gardiens de pagodes est ainsi de 43Z ans. Les bonzes gés entreZ etZ3Zans sont le double des trentenaires. Leur nombre est pr¢s deZ4Zfois celui des quadragénaires, 13Zfois celui des quinquagénaires et pr¢s de 6Zfois celui des bonzes sexagénaires. Cette situation pose de tr¢s nombreuses questions aux bonzes supérieurs du bouddhisme khmer, aux responsables de la politique religieuse à tous les niveaux de la gestion étatique. Elles concernent notamment les solutions à trouver pour satisfaire les besoins concrets des bonzes et les aider à créer un corps bien formé, expérimenté dans son r®le d’administration de pagodes et de guideZ dans l’enseignement de la doctrine, d’organisation des cérémonies, de jugement des comportements. Un probl¢me plus important encore concerne la gestion des biens matériels, lesquels ont une valeur économique, culturelle, traditionnelle, historique. D’évidence, la modernisation a poussé les Khmers à faire des choix dans leur croyance tout comme dans leurs pratiques religieuses. Ces derniers peuvent non seulement suivre le bouddhisme du Sud mais également d’autres formes religieuses sans être obligés de rester inféodés à leurs traditions. Leur croyance, en évoluant, a créé une diversité religieuse. A࠱n de conserver leur religion, les bonzes khmers doivent par conséquent nécessairement s’adapter aux besoins de la vie moderne en assouplissant les activités et les r¢gles monastiques. Du fait de la modernité, beaucoup de bonzes khmers enfreignent les r¢gles traditionnelles ; c’est aussi une raison qui explique pourquoi les Khmers sont de moins en moins nombreux à prendre le froc alors qu’ils sont toujours plus nombreux à suivre d’autres religions. S’il n’y a pas d’auto-pluralisme ou d’innovation interne, arrivera peut-être un moment o³ le bouddhisme des Khmers sera une religion désu¢te, arriérée, dévitalisée à c®té d’autres religions bien plus vivantes. Voire même viendra un moment o³ le bouddhisme des Khmers deviendra un obstacle au développement de la société moderne.
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NGUYՙN ÊսC TruyՔn Institut de sociologie, Hanoi NGUYՙN TH՟ THU HՆng Institut de recherches sur les religions, Hanoi
&KQOLAR@QFLK En questionnant l’in࠲uence supposée de la religion et de l’ethnicité sur les transformations sociales, nous voudrions discuter quelques hypoth¢ses relatives au r®le des religions sur la structuration sociale de la communauté ch½m. Nous cherchons de même à comprendre quelles sont les fonctions de ces religions dans l’établissement des normes sociales. Une recherche de terrain a été e࠰ectuée par un groupe de chercheurs de l’Institut de sociologie en 3, un autre de l’Institut de recherches sur les religions en 6, dans plusieurs communes des provinces de NinhZThuՂn et de ¦nhZThuՂn, au Centre-ViêtZNam 1. Nous avons adopté une démarche pluridisciplinaire liant la sociologie, l’économie, l’anthropologie et l’histoire pour diriger des entretiens qualitatifs et quantitatifs ciblés. Les enquêtés étaient des simples gens, des dignitaires religieux, des cadres administratifs de di࠰érents niveaux (commune, quartiers, chef-lieu, district). Il s’agit de la premi¢re étude sociologique consacrée aux Ch½m, aussi sera-til nécessaire de véri࠱er les questions soulevées de mani¢re plus systématique et élargie, en faisant appel aux autres disciplines mentionnées avant de s’autoriser des interprétations plus élaborées. Les hypoth¢ses de recherche se fondent essentiellement sur les réalités socio-économiques des Ch½m qui ont subi dans le passé l’emprise forte des composantes ethniques et religieuses. Ces réalités ne sont pas immuables, elles changent selon les orientations et les périodes historiques, sous l’e࠰et d’interactions à la fois internes et externes à la communauté. Ces attributs ethno-religieux
1. Toutes les communes appartiennent aux districts représentatifs de Ninh PhŪհc (Ninh ThuՂn) et de Մc ¦nh (¦nh ThuՂn).
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ont eu et ont encore une emprise sur la structure sociale de la communauté ch½m. Ils sont à la fois des productions et des composants de ce processus social. Les recherches actuelles font appara¨tre des évolutions liées aux conditions de vie actuelles, mais aussi aux particularités socio-économiques et aux traditions religieuses et culturelles de la communauté. Cet article se base sur la théorie de l’acteur social. Ce syst¢me théorique postule que la réalité sociale a toujours pour fondement les formes de relations et de structures sociales, en tant qu’elle forment le cadre normatif des connaissances et des actes sociaux du sujet. On ne peut percevoir l’évolution des savoirs et des actes sociaux des sujets que lorsque leurs normes ou leurs structures sociales ont changé et vice et versa. Nous considérons ici l’individu, la famille, la communauté ch½m comme autant d’acteurs sociaux. Les normes sociales et religieuses re࠲¢tent l’ordre et la structure sociale qui se réalisent ainsi à travers le régime matrilinéaire, la vie communautaire et les religions. Les activités engagées dans des conditions économiques, sociales et historiques concr¢tes sont les bases d’une réalité qui permet d’envisager les relations entre l’individu et les formes d’organisations sociales ainsi que leurs évolutions. Ces évolutions sociales rév¢lent les formes d’organisations sociales passées, leurs métamorphoses dans le temps et l’espace, elles postulent ainsi le processus du changement actuel et passé. Le schéma d’analyse est le suivantZ: l’analyse des normes sociales et religieuses permet tout d’abord de se représenter les principes passés d’organisation et de structures sociales de la communauté ch½m ; deuxi¢mement, l’analyse des transformations de l’économie productive laisse percevoir les transformations des relations familiales et communautaires dans la société ch½m. Troisi¢mement, nous analysons l’évolution actuelle des normes religieuses, familiales et sociales des Ch½m. Cette présentation se concentre essentiellement sur les relations entre les normes religieuses, les rites et les organisations sociales. Parler d’organisations sociales, c’est parler naturellement des organisations sociopolitiques, du rapport aux organisations politiques (organes locaux du Parti, Front de la Patrie, collectivités politiques, structures de pouvoir que composent l’assemblée populaire ou le comité populaire de la commune, etc.) Mais nous limitons ici nos propos aux structures civiles et à la situation des normes religieuses dans les organisations sociales. &/BIFDFLKBQLOD>KFP>QFLKPPL@F>IBPABP E¾J 1. Religion et organisations sociales des Ch½m balamôn Par tradition, il n’existait dans la communauté ch½m que des organisations sociales familiales de type matrilinéaire. À partir du niveau du hameau (pleV), c’est-à-dire au-dessus de l’organisation de la lignée, aucune forme d’organisation sociale régionale n’existait. Une organisation sociale civile –Ztelle qu’elle a existé et qu’elle existe encoreZ– n’a pu appara¨tre qu’en entretenant des relations étroites avec des religions importées. Les recherches sur les rites hindous et sur
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Religion, rites et organisation sociale de la communauté ch½m
le r®le des brahmanes dans les deux provinces con࠱rment ces suppositions. Le syst¢me rituel de l’hindouisme des Ch½m balam®n se décomposeZainsiZ: – cérémonie sacrificielle aux divinités suprêmes dans les temples-tours par l’ensemble de la communauté placée sous l’autorité des brahmanes (paseh) ; – rites agraires à l’intérieur ou à l’extérieur de l’enceinte de la tour que les brahmanes et les o࠳ciants (issus du peuple) e࠰ectuent avec la participation de la communauté ch½m ; – rites domestiques et individuels (mariage, enterrement) que les brahmanes et les o࠳ciants (issus du peuple) e࠰ectuent. Dans ce syst¢me rituel, les cérémonies de sacri࠱ce aux divinités représentent l’« absolu », « la naissance de toute entité » (comme PoZ4ang, PoZNagar). Les relations originelles des Ch½m pratiquant le brahmanisme se manifestent dans les temples tours. Les rites agraires déterminent les relations des Ch½m avec leurs divinités et les forces surnaturelles anthropomorphisées qui régissent les phénom¢nes naturels environnants. Dans tous ces rites, les rois ch½m devenaient les divinités protectrices de la communauté ou d’un village. Les villages consacraient des rizi¢res pour le service d’un temple-tour car les Ch½m considéraient généralement que les divinités qui y logeaient protégeaient leur communauté. Les rites domestiques qui fondent essentiellement les relations entre l’individu et la lignée se sont adaptés au brahmanisme. Ne reposant pas que sur des rites mais également sur des croyances et sur une doctrine dé࠱nissant les relations que l’homme et la communauté entretiennent avec le cosmos et l’audelà, l’hindouisme a pu uni࠱er le culte des ancêtres et les croyances animistes des Ch½m. Par leur fonction religieuse éminente, les brahmanes ont eu autrefois un véritable pouvoir d’intercession dans les relations familiales, sociales et nationalesZ: ils avaient pour mission de défendre non seulement les croyances et la doctrine mais aussi l’unité de la communauté et l’ordre social en se référant au brahmanisme. Les paseh pouvaient suivre et contr®ler les actes et les relations sociales de chaque membre de leur communauté religieuse à travers des rites qui débutaient à la naissance, qui se poursuivaient à la maturité (entrer en religion, se marier, pratiquer le culte des ancêtres) et jusqu’à la mort (mise en bi¢re). Leur pouvoir religieux se faisait pouvoir sur l’organisation sociale communautaire. En conséquence, les organisations sociales situées en dehors de la famille et de la lignée suivent le principe patrilinéaire. Les religieux, les prêtres avant tout, sont élus selon le principe de succession p¢re-࠱ls. Le prêtre doit avoir un ࠱ls qui, en étudiant, deviendra paseh. C’est lui qui prendra en charge l’incinération de son p¢re le moment venu et qui héritera de la plus haute fonction religieuse de la communauté. Sur le plan social, la succession au tr®ne des rois ch½m s’e࠰ectuait selon le même principe patrilinéaire. Les reines devaient se plier à l’autorité du roi. Lorsque le roi mourrait, la reine devait le suivre dans la mort. Dans les temples ch½m, on ne vén¢re pas uniquement Po Nagar ou le génie m¢re (thԸn mՊ), on honore aussi Po 4ang ou le génie p¢re (thԸn࢙cha), symbole de cet esprit du régime patrilinéaire. Les religieux étaient des hommes qui conservaient simple169
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ment le r®le principal de célébration des rites de la communauté. LesZfemmes, elles, ne participaient que dans le r®le de Madame « Muk -ija » autrement dit la dame qui o࠳cie dans certains rites agraires à caract¢re magique .
. Religion et organisation sociale des Ch½m bni Analogue à celle des Ch½m balam®n, l’organisation villageoise ou sociale des Ch½m bàni (littéralement ࠩls du prophète) est essentiellement gérée par des dignitaires religieux. Dans chaque communauté bàni, on trouve une mosquée que l’on appelle encore « Thang P® » ou « Thang mŪgik », principal lieu o³ viennent les religieux et les ࠱d¢les le jour des cérémonies. Pour les communautés ch½m bàni, la mosquée est aussi le centre des activités sociales et politiques. « Chaque question importante concernant la vie du village est discutée ici, à l’occasion des cérémonies, lorsque tous les religieux du village se réunissent et que tous les ࠱d¢les viennent pour les cérémonies 3. » Selon les principes généraux de l’islam, chaque ࠱d¢le est égal devant Allah et doit réaliser les devoirs dictés par le coran. Les religieux (thV chang) ont pour seule mission de guider les cérémonies du vendredi à la mosquée et les pri¢res des ࠱d¢les. Ces thV chang sont des dignitaires qui ont rang d’imam, de Hho tip (lecteur, Hhtib), de muWsin (muezzin), mais toutes leurs missions peuvent aussi bien être assumées par n’importe quel ࠱d¢le. C’est ce qui se produit généralement dans l’islam. Chez les Ch½m bàni, ces religieux ont cependant eu tendance à devenir un groupe de professionnels totalement distincts des ࠱d¢les. Ils se rasent la tête, portent des vêtements spéciaux, étudient et lisent le coran en arabe, observent la doctrine musulmane de façon plus rigoureuse que les ࠱d¢les. En tant qu’o࠳ciants, ils ont une autorité totale pour diriger les cérémonies. Chaque pleV a entreZ 15 etZ 3Z religieux musulmans. À leur tête, on trouve le chef spirituel (Ôn-gru) 4. Les dignitaires religieux bàni sont de quatre gradesZdi࠰érentsZ: Les thV chang, grade le moins élevé, peuvent être de 4 niveaux di࠰érents d¢s qu’ils participent aux cérémonies religieusesZ: j½maH (jum’ah), talavis (taraTih), posit, pôtrong. Les thV tip (Hho tip, Hhtib) se chargent des cérémonies à la mosquée le vendredi midi et de quelques cérémonies privées, mais ils ne peuvent pas enseigner la doctrine. Les thV mŪm (imam), d’un temps de vie religieuse d’au moins 15Z ans, commandent les cérémonies à la mosquée le vendredi. Ils peuvent assurer toutes les cérémonies religieuses. Les imams émérites peuvent être choisis thaV mam pahpluh ou être élevés au statut des 4 imams de la religion.
. Phan V½n Dզp, Tôn giáo cոa ngŪծi Cham հ Vit +am [La religion des Chams au Viêt +am]. Nxb KHXH, H® Chi Minh Ville 199 , p. 66 3. Ibid p. 11. 4. Ibid.
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ThV CԴ (Ôn-gru) est la fonction la plus élevée du village et de la mosquée bàni. C’est lui qui tranche chaque litige civil et religieux dans le hameau, qui dirige les cérémonies. Il a autorité pour décider les jours de fêtes, e࠰ectuer les cérémonies privées, se coordonner avec les autres religieux pour les fêtes particuli¢res (sacri࠱ces à la pluie et aux moissons dits cԸu ËԴo, fondation de villages ou de mosquées). Le comité de direction de la mosquée se compose de trois religieux de rangs d’acar à imam, il est l’outil qui organise le pleV bni. Pendant la mandature qui va deZ3 àZ5Zans, il organise la vie religieuse de la communauté et représente cette derni¢re lors des cérémonies qui se tiennent dans d’autres mosquées 5. Ainsi dé࠱nies, les taches les plus importantes de ces dignitaires bàni sont donc religieuses et communautaires. Ces derniers les dirigent en assumant la formation reçue dans les domaines religieux et culturels. Une telle situation existe car la majorité des Ch½m sont dans l’impossibilité d’étudier, ils ne connaissent pas les caract¢res, ni le sanskrit, ni le ch½m, ni l’arabe. Comme la majorité ne ma¨trise pas l’écriture et la doctrine religieuses, les Ch½m ne sont pas capables d’assumer de r®le social aux divers échelons de la communauté. Ne connaissant pas le dogme musulman, ils imitent machinalement les rites transmis oralement. C’est essentiellement pour cela que, de fait, la répartition des r®les a transformé ce groupe de religieux en une classe détentrice d’un pouvoir spécial. Le représentant en est le « SŪ cԸ » qui a le pouvoir éminent sur la vie religieuse et sur la vie sociale. L’introduction de la religion musulmane (bàni), tout comme du brahmanisme (balam®n), est venue compenser les insu࠳sances structurelles de la société locale qui ne dépassent pas le stade des relations familiales et lignag¢res de type matrilinéaire. Elles ne peuvent engendrer des relations sociales plus larges qui serviraient de socle à des formes communautaires régionales, nationales ou étatiques (royaume du C½mpa). L’introduction de la religion bàni a permis aux Ch½m de renforcer des unités sociales régionales en adaptant les relations familiales et lignag¢res à un syst¢me de relations élargies au niveau villageois (pleV). En réadaptant l’ancienne organisation sociale villageoise, le « SŪ cԸ » et le clergé ont su garder leur emprise sur l’ensemble des taches religieuses et communautaires. Le mois du ramadan n’est pas uniquement le mois d’abstinence et de célébrations des plus dévots, c’est aussi le temps de la pratique pour l’ensemble des ࠱d¢les, celui du partage des repas la nuit, de délibération des a࠰aires civiles et religieuses villageoises, d’élection du comité de direction de la mosquée, de r¢glement des di࠰érents dans la communauté 6. 3. Religion et organisation sociale de la communauté des Ch½m islam L’apparition de l’islam stricto sensu dans la région du Centre-Sud est récente, elle date des annéesZ196. De ce fait, le pourcentage de musulmans dans les
5. Ibid p.Z111-11 . 6. Ibid p.Z114.
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deux provinces de ¦nh ThuՂn et Ninh ThuՂn est tr¢s faible. Dans le canton de PhŪհc Nam, seule une quarantaine de familles sur plus d’une centaine suit les préceptes de l’islam. Deux entretiens avec un groupe de Ch½m musulmans ont fourni des premi¢res informations utiles bien qu’insu࠳santes pour cerner toutes les caractéristiques de ce groupe. La particularité de l’islam, comme on l’a dit précédemment, est que chaque ࠱d¢le, pas uniquement les dignitaires, doit adopter rigoureusement la loi musulmane. La di࠰érence fondamentale entre les Ch½m bàni et les Ch½m musulmans réside dans l’observance des 5Zr¢glesZ: – la con࠱ance absolue en Allah et en son proph¢te Mohammed ; – faire rituellement cinq pri¢res par jour ; – jeµner pendant le mois du ramadan ; – pratiquer la charité envers les pauvres de la communauté ; – faire le p¢lerinage à la Mecque. La conception égalitaire de la doctrine musulmane interdit naturellement aux religieux d’avoir un pouvoir particulier sur la communauté de ࠱d¢les comme c’est le cas chez les bàni et les hindouistes. La connaissance des communautés musulmanes des deux provinces informe aussi sur les attributs généraux de cette religion. Le haHem est une fonction élective par la communauté, elle ne se transmet pas par héritage du p¢re (questionZ 6). Ce dignitaire guide uniquement les ࠱d¢les dans leur pratique à la mosquée, il n’a pas autorité pour enseigner le coran dont il n’a pas forcément une compréhension supérieure à celle des ࠱d¢les. Dans la mosquée, il n’y a pas d’ordre prioritaire pour quelque groupe que ce soit. Le seul ordre est celui de l’arrivée, « qui arrive t®t s’assoie devant, qui arrive tard s’assoie derri¢re » (questionZ 6). Les haHem peuvent être révoqués s’ils n’ont pas la quali࠱cation su࠳sante ou s’ils commettent des erreurs de doctrine. Cet extrait d’entretien le re࠲¢teZ: ,.
Z: De quel prestige béné࠱cie le haHem dans votre islam -éponseZ: Ici, on n’élit que les anciens, ceux qui ont le prestige pour remplir la fonction de haHem. Les anciens sans talent sont-ils éligibles Non, ils ne peuvent l’être. Il doit être ainsi talentueux, gé et savant Oui. De quoi doit-il être savant À dire vrai, ils ne sont pas encore tr¢s doués sur les textes, mais ils sont bons avec les gens du village. ons de quelle mani¢re Ils agissent avec équité.
Ce qui s’est produit chez les Ch½m bàni, les balam®n et même chez les Ch½mZmusulmans du delta du Mékong (Chu Êզc), ne s’est pas produit chez les Ch½m musulmansZde Ninh ThuՂn et de ¦nh ThuՂnZ: à savoir que les digni17
Religion, rites et organisation sociale de la communauté ch½m
taires musulmans ne peuvent détenir aucun pouvoir civil et religieux sur leur communauté. À Chau Êզc, à Ty Ninh, chaque village est organisé en une unité administrative. La personne qui est à sa tête est le haHem, il est élu par l’ensemble. C’est un homme prestigieux car il comprend mieux que quiconque la doctrine et les coutumes. Sa mission est de faire suivre la pratique religieuse et de résoudre les con࠲its en s’appuyant sur la doctrine. Le haHem désigne apr¢s accord de la population un assistant appelé naep. Dans chaque village, on élit en plus un chef de hameau (ahlV). C’est un relais de transmission, il demande les instructions et les opinions du haHem, il g¢re tous les lieux de culte. Plus largement, les haHem peuvent se réunir dans une localité pour y résoudre les probl¢mes internes de la population. À c®té des haHem, des naep, des ahlV, on trouve les conseillers qui étudient les coutumes musulmanes en profondeur. En particulier les imams, les tuôn, les hadji. Toutes ces personnes ont un savoir et un prestige infaillibles 7. Les haHem de Ninh ThuՂn et de ¦nh ThuՂn ne jouent pas un r®le notable dans la communauté ch½m car ces musulmans ne forment qu’une minorité. De plus, l’organisation sociale civile a été préservée au niveau régional par les autres religions. Ainsi lorsque des activités communes à l’ensemble de la communauté sont organisées, les haHem ne conduisent que leurs propres rites religieux, même si les festivités sont organisées en commun avec les bàni et les balam®n (questionZ
). 4. Régime matrilinéaire, normes religieuses locales et rôle des femmes dans la communauté ch½m aujourd’hui Tout comme pour les deux groupes religieux présentés ci-dessus, l’organisation sociale des Ch½m du Centre-Sud repose sur le matriarcat. Il ne s’agit pas seulement d’une coutume, c’est un soutien apporté à chacun de la naissance jusqu’à la mort. On peut s’interroger sur la portée locale, au niveau individuel et communautaire, du matriarcat dans la préservation des fondements économiques et juridiques. Malgré les nombreuses transformations y compris celles a࠰ectant l’économie locale, l’économie familiale repose toujours sur une agriculture de zones escarpées qui n’est pas auto-su࠳sante. Plus de la moitié des paysans, principalement des hommes, doivent trouver d’autres sources conséquentes de revenus. Les femmes gardent toujours un r®le important de surveillance de la vie familiale et du travail agricole. C’est peut-être pour cette raison que les hommes ne sont pas capables de se substituer totalement au matriarcat. Les femmes restent le pilier économique pour chacun des membres de la famille, aussi bien le mari que les parents et les enfants. Cette base socio-économique explique la position dominante des femmes dans la communauté ch½m. Ce que nous pouvons véri࠱er à travers cette questionZ:
7. Vi՜n dn tծc hբc (Institut d’ethnologie), Các dn tժc ít ngŪծi հ Vit +am [Minorités du Viêt࢙+am], Nxb KHXH, Hanoi 1984, p. 67.
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,uestion 6Z: Ici, y a-t-il des cas o³ l’accouchement d’une ࠱lle maintient le désir d’avoir un garçon Oui, il faut au moins un garçon et une ࠱lle avant de penser à s’arrêter. Dans ce cas, que signi࠱e avoir un garçon Le garçon renforce la famille. Si par hasard la ࠱lle est faible alors le garçon peut la défendre. En général, nous avons besoin de femmes. Si une famille aZ4 ouZ5Z࠱lles et que les parents proclament vouloir s’arrêter là, ils le peuvent. Mais s’ils ont 7, 8Zgarçons et toujours pas de ࠱lle, ils ont beau prétendre s’arrêter, ils ne le feront pas. Ils disent que lorsqu’ils seront vieux, personne ne sera là pour s’occuper d’eux, car selon le régime matriarcal, le ࠱ls qui se marie suit sa femme. Si l’on n’a pas de ࠱lle, personne ne nous entretiendra.
5. Transformations socioéconomiques et préservation des particularités ethno-religieuses l’époque du Ëժi mհi Dans la communauté ch½m des provinces de ¦nh ThuՂn et Ninh ThuՂn, les transformations apportées par le Ëզi mլi se sont tout d’abord manifestées dans la vie économique. Grce à la politique de distribution des terres agricoles, à la politique d’emprunt élargi accordée aux régions déshéritées, les activités productives ch½m (monoculture rizicole autosu࠳sante) ont commencé à se réorienter vers l’élevage, l’artisanat, le défrichement, bref à transformer les structures de productions agricoles. Ces activités économiques rapportent, tout particuli¢rement l’élevage de bœufs, de ch¢vres, de moutons, qui ont su répondre aux demandes du marché. En plus de rapporter des béné࠱ces économiques, le développement de l’élevage tire le meilleur parti du travail excédentaire à la campagne, il utilise moins de ressources en eau et il produit de la fumure utile aux cultures. Dans l’agriculture, la solution a consisté à glisser d’une riziculture à deuxZrécoltes incertaines vers un syst¢me plus sµr d’une récolte de riz et d’une récolte de coton qui supporte mieux la sécheresse. Les habitants de ces deux provinces développent en plus la culture des arbres fruitiers, la culture fourrag¢re pour nourrir les animauxڎ Ces progr¢s économiques n’en sont naturellement qu’à leurs débuts et les contraintes agricoles sont encore tr¢s importantes. La gestion hydraulique ne permet pas encore d’approvisionner l’ensemble de la surface rizicole pendant l’année et beaucoup de terres restent en friche. Le manque d’emploi oblige pr¢s de la moitié des habitants à chercher du travail à l’extérieur de la communauté (faire de l’élevage, se louer, proposer ses services en ville) ڎL’artisanat a du mal à trouver son marché et se développe par conséquent peu. L’élevage consiste essentiellement à entretenir du bétail sous une forme salariée. Les deux provinces restent ainsi des provinces pauvres. Cette transformation des structures agricoles a entrainé une amélioration des conditions de vie, une meilleure entraide éducative et une amélioration de la situation sanitaire. Les naissances multiples se réduisent à 3ZouZ4Zenfants par famille. L’allongement de la vie incite les gens à faire plus attention à l’hygi¢ne et à leur cadre de vie. Le pourcentage des étudiants augmente y compris dans le 174
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secondaire et à l’université. La jeunesse a un niveau culturel élevé, c’est pourquoi le pourcentage de formation professionnelle et de recherche d’emploi en ville augmente. La mobilité de la population s’intensi࠱e et se diversi࠱e, le pourcentage de personnes qui sortent de la communauté augmente rapidement. Les activités qui se cantonnent uniquement au cadre communautaire se réduisent en proportion de façon notable. Aujourd’hui, la di࠰érenciation sociale est essentiellement liée au particularisme religieux. Lorsqu’on sort de la communauté, le mariage interethnique ou interreligieux reçoit souvent l’assentiment et la sympathie de la communauté et de la famille. Les mariages interethniques sont acceptés par la communauté si l’homme accepte de suivre la religion de sa femme. Les échanges, les interactions culturelles entre les régions et les ethnies ont commencé à gommer les di࠰érences sociales et religieuses entre Ch½m. eaucoup de couples s’écartent des entraves religieuses et communautaires pour vivre ensemble en enregistrant uniquement leur union civile aupr¢s des autorités communales. L’ouverture d’esprit est un changement positif perceptible dans l’autonomisation des organisations sociales villageoises par rapport aux organisations religieuses. Les brahmanes ou les bàni n’ont plus la même emprise sur la vie sociale. Les autorités locales et les organisations sociales soucieuses d’aider les compatriotes ch½m en mati¢re de production, d’économie, de santé, de planning familial ont incité ces derniers à se rapprocher d’une vie plus sécularisée et mieux intégrée au corps social. Le r®le des autorités, de la loi et de toutes les organisations sociales ont eu une in࠲uence forte sur les communautés ch½m pour combattre les contraintes des institutions sociales traditionnelles comme le matriarcat, le mariage religieux, les rites funéraires qui se montrent désormais inadaptées aux situations sociales. Le travail des autorités qui jugent les con࠲its de séparation des biens entre enfants ou lors des divorces consiste essentiellement à a࠳rmer la prééminence de la loi sur les coutumes traditionnelles. L’enregistrement d’une union civile est aussi un acte fort. Choisir le moment d’enterrer un défunt sans forcément suivre les coutumes religieuses montre là-aussi la prééminence des institutions socioculturelles sur des institutions socioreligieuses qui ne sont plus adaptées. Ces changements socioéconomiques exigent évidemment de franchir des étapes de façon transitoire pour garantir à la communauté ch½m un développement socioculturel équilibré. Les di࠳cultés rencontrées dans la production agricole et dans la vie économique ne peuvent pas encore démentir totalement la fonction sociale des institutions de parenté proches du matriarcat. La préservation de l’identité ethnique et religieuse est liée à la reconnaissance du r®le de la femme et à la position des dignitaires religieux dans la vie communautaire. En restant une réalité sociale, ils demeurent indispensables. Les changements apportés par l’économie de marché ont été et sont encore des défis pour les normes sociales traditionnelles. L’esprit individualiste a produit et continue de produire des valeurs et des normes qui sont plus en phase avec les objectifs de carri¢re personnelle qu’avec la cohésion communautaire. Les Ch½m hindouistes ou bàni se rapprochent dans ce domaine de l’opinion 175
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des Kinh (ou Viêt) plus soucieux d’investir dans les valeurs symboliques, dans les cérémonies familiales et dans les études des enfants. L’indi࠰érence pour la langue ch½m (à 9 ࢠ) indique une tendance intégrative plus spontanée, une volonté de s’insérer culturellement à la communauté nationale. Ces transformations socioéconomiques sont positives et l’action des politiques publiques y est fondamentale. La voie du développement économique s’adapte de mieux en mieux aux conditions naturelles et environnementales de la région et les résultats initiaux sont probants. En se perfectionnant et en s’intensi࠱ant, les autorités locales et les organisations politiques de base auront un r®le décisionnel plus grand dans le processus de développement de la communauté ch½m. D’évidence, les caractéristiques bureaucratiques et administratives ne permettent pas encore aux organisations sociales de base d’avoir un r®le important dans le domaine civil. L’aide aux pauvres rel¢ve encore surtout des institutions familiales ou communautaires. Les questions de coutumes et de spiritualité sont encore comprises dans le cadre communautaire et religieux. L’indi࠰érence à l’égard des traditions et de l’identité culturelle communautaire des Ch½m peut mener à des dérives telles que l’individualisme ou le reniement des bonnes traditions culturelles. L’étatisation des festivités et des temples-tours qui ne sont rien d’autre que le centre religieux et culturel des Ch½m explique peut-être aussi que certains se désintéressent de leurs origines et de leurs traditions. L’amélioration de la vie communautaire ch½m ne peut pas se limiter aux seuls aspects économiques et matériels, elle doit se réaliser en portant attention à la vie spirituelle, à sa conformité aux traditions culturelles et religieuses. Le progr¢s économique a entra¨né des changements fondamentaux. Les changements sociaux ont pu être contr®lés et réglés, et c’est depuis peu que l’on peut aider les communautés ch½m à s’intégrer sciemment à la société en en prévenant les e࠰ets négatifs. LK@IRPFLK L’histoire des Ch½m du Centre-ViêtZ Nam nous met en présence d’une communauté qui est à la fois ethnique et religieuse. La cohésion et le développement des relations sociales reposent sur des particularités ethniques. Elles ont incité les Ch½m à se tourner vers les religions exotiques qui leur ont permis de structurer leurs relations communautaires dans un syst¢me régional ou national plus large et plus complexe. La société ch½m, lorsqu’elle était encore clanique ou tribale, était une société rurale de zone escarpée. L’agriculture n’était pas autosu࠳sante c’est pourquoi son union avec les cultures sur brµlis, l’élevage de grands troupeaux lui a apporté des traits de nomadisme. Ces organisations socioéconomiques ont entra¨né la réévaluation du syst¢me matriarcal comme pour la plupart des populations minoritaires des Hauts-Plateaux. Mais le développement de la communauté ch½m supposait qu’elle dépasst ensuite les limites claniques ou tribales traditionnelles pour devenir une communauté territoriale voire nationale.
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À l’époque du royaume du C½mpa, l’organisation sociale provenait de l’union de deux principes contrairesZ: le matriarcat dans les relations familiales et de parenté ; le patriarcat dans les relations communautaires, sociales et nationales. Apr¢s la disparition du royaume du C½mpa, la référence à l’hindouisme n’a plus été nécessaire. Mais les besoins de cohésion sociale, ethnique et territoriale ont perduré, c’est pourquoi l’islam bàni a pu être considéré à partir du XVeZsi¢cle comme une forme d’organisation sociale de substitution. Par l’union de ces principes et de ces mod¢les d’organisations sociales, on comprend le r®le décisif qu’a joué un syst¢me de croyances uni࠱é –Zpar réadaptation de religions indig¢nes et importéesZ – dans la structuration sociale. Une fois la structuration sociale parachevée, la pénétration religieuse a continué mais les religions apparues ensuite (cas de l’islam) ont pu di࠳cilement jouer un r®le aussi prépondérant que celui de l’hindouisme ou de l’islam bàni dans l’organisation sociale locale. La fonction sociale de la religion dé࠱nit le r®le social des dignitaires religieux dans la vie communautaire ch½m. Le r®le des « SŪ cԸ » prouve clairement le r®le de la religion dans le r¢glement des questions civiles, ce que les organisations sociopolitiques ne se sont pas encore souciées, raison pour laquelle elles ne peuvent pas se substituer au r®le des religions.
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Christian CULAS Institut de recherche sur le Sud-Est asiatique IRSEA-C+RS Maison Asie-Paciࠩque, université de Provence, Marseille
Les Hmong, appelés historiquement Miao en Chine et Méo en Asie du Sud-Est, occupent les régions montagneuses de la Chine du Sud-Ouest, du ViêtZ Nam, du Laos, de Tha©lande et de irmanie (actuel Myanmar). Ils sont environ 3, 5Zmillions en Asie. Originaires de Chine du Sud, les Hmong commenc¢rent leur migration vers le Nord de la péninsule indochinoise dans au milieu du XIXeZsi¢cle, pour des raisons économiques et politiques. Le chamanisme joue un r®le prépondérant dans les pratiques cultuelles de ce peuple, même si d’autres religions coexistent. En e࠰et, dans les rites hmong (chamaniques ou non), on observe des traces de bouddhisme chinois mahayana (grand véhicule) avec des cultes à Kuan 4in (en chinois, ,uan |m en vietnamien et Ka 4in en hmong), un substrat culturel tao©ste en࠱n, au Laos et en Tha©lande, des emprunts récents au bouddhisme theravada (iconographie et certains interdits alimentaires). Je ne parlerai pas ici des in࠲uences du christianismeZperceptibles historiquement par l’impact des missionnaires catholiques en Chine, au Vietnam et au Laos et, depuis une dizaine d’années, par le développement du prosélytisme des groupes protestants. Malgré leur dispersion sur un tr¢s vaste territoire montagneux à cheval sur cinq pays 1, les di࠰érents groupes hmong parlent des langues tr¢s similaires. Leurs pratiques culturelles et sociales sont relativement homog¢nes, mis à part quelques emprunts récents, environ 5Zans, d’éléments bouddhiques aux populations voisines de Tha©lande et du Laos.
1. Sur les migrations des Hmong en Asie, se reporter à Ch. C ULAS, J. MICHAUD, « Les Hmong de la péninsule indochinoiseZ: Migrations et histoire », Autrepart-Cahiers des Sciences Humaines de l’ORSTOM [+ouvelle Série] (mars 1997), p. 79-14.
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Christian Culas
&ࢩ)B@E>J>KFPJB OBIFDFLKM>OBU@BIIBK@BABP%JLKD Les rites chamaniques hmong ont été abondamment étudiés , à tel point que les ethnologues parlent souvent du chamanisme comme de « la religion » des Hmong. Cette simpli࠱cation est intéressante car elle rend assez justement compte de la mani¢re dont les Hmong présentent eux-mêmes leurs relations avec le monde surnaturel. En e࠰et, il n’existe pas, en langue hmong courante 3, de terme générique pour décrire l’ensemble des pratiques rituelles et des représentations religieuses du groupe, et ce sont toujours les rites chamaniques qui sont présentés comme la pratique la plus importante. En hmong, l’expression ua neeb [prononcer « ua neng »] signi࠱e littéralement « faire les esprits auxiliaires neeb », c’est-à-dire « réaliser un rite chamanique » ; cette expression générique est également synonyme de l’ensemble des pratiques religieuses du groupe. C’est par un vocabulaire exprimant l’action que les Hmong se représentent leur chamanismeZ : ils « font » ua les esprits, ils « appellent » les mes hu plig [hou pli], etc. Des notions telles que « croire » et « croyance » sont, dans leurs langues, exclusivement appliquées aux religions étrang¢resZ: bouddhisme, christianisme et islam. Il existe donc un vocabulaire spéci࠱que pour parler de leur religion traditionnelle (pratiques rituelles et croyances) et pour parler des croyances conçues comme étrang¢res. Ce point relatif au champ lexical me semble important à soulever pour voir ce qu’il en est pour d’autres populations. Il est utile pour comprendre les représentations relatives aux religions pensées comme « traditionnelles » et celles pensées comme « étrang¢res ». &&ࢩ)BPOFQBP@E>J>KFNRBPSFP¤BMOFK@FM>IBJBKQQE¤O>MBRQFNRB Pour les Hmong, un rite chamanique commence toujours par une demande. Un des membres de la communauté villageoise vient voir le chamane de son choix –Zcar ils y a toujours plusieurs chamanes, même dans les plus petits villages de
. Ch. CULAS,ZLe Messianisme hmong aux࢙XIXe et࢙XXe࢙siècles La dVnamique religieuse comme instrument politique, éd. du CN-S, Paris 5 ; Ch. CULAS, « Chamanisme et messianisme hmong en Asie du Sud-EstZ : acéphalité traditionnelle et innovations politico-religieuses » dans .Z RAC DEZ LAZ PERRIERE, D. AIGLE, J.-P.Z CHAUMEIL (éd.), La Politique des esprits Chamanismes et religions universalisantes en Asie du Sud-Est, Société d’ethnologie, Université de ParisZX-Nanterre , p. 59-9 ; J.ZLEMOINE, Entre la maladie et la mort࢙ le chamane hmong sur les chemins de l’au-del, Pandora, angkok 1987 ; J. L EMOINE, « Techniques de l’action directeZ: variations miao-yao dans l’intervention chamanique », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient 79/ (199 ), p.Z149-18 ; G. MORÉCHAND, « Principaux traits du chamanisme Méo lanc en Indochine », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient XLVIII/ (1955), p. 59-558 ; G. MORÉCHAND, « Le chamanisme des Hmong », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient LIV (1968), p. 53- 94 ; J. MOTTIN, Allons faire le Tour du Ciel et de la Terre Le chamanisme des Hmong vu dans les textes, Don osco Press, angkok 1981. 3. Certains intellectuels hmong du Laos ou de Tha©lande ont conçu des termes nouveaux pour englober la notion de religion. Dans leurs élans pour établir une « Nouvelle -eligion » uni࠱catrice et salvatrice, les disciples de certains chefs messianiques ont également créé des néologismes di࠰érents des premiers.
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Le chamane hmong࢙ le pragmatisme des esprits
montagneZ– pour lui faire part d’un probl¢me, qui peut être de nature variéeZ: un enfant est tombé et pleure plus longtemps que de coutume, une personne sou࠰re du ventre ou de la tête, de probl¢mes conjugaux, un parent souhaite redonner de l’énergie vitale à une personne en ࠱n de vie, les bu࠴es sont malades et on ne parvient pas à les soigner, etc. Le chamane peut accepter de prendre en charge le patient, comme il peut refuser. J’ai vu un chamane hmong en Tha©lande parer au plus pressé et envoyer d’urgence un accidenté de la route au dispensaire, expliquant qu’il s’occuperait des mes choquées de cette personne seulement apr¢s qu’elle aurait reçu les premiers soins médicaux. En outre, quand la vie arrive à son terme, le chamane demande à ce que les o࠳ciants funéraires, spécialistes des rites de passage vers le monde des ancêtres, prennent le relais. Le chamane hmong ne s’occupe que des vivants, qu’il traite individuellement ; toutefois, pour certaines épidémies, il peut e࠰ectuer un rite collectif. Mais cela est exceptionnel et tous les chamanes ne poss¢dent pas les compétences pour les réaliser. Le traitement individualisé du patient découle directement des conceptions de la maladie et de ses causes. ien que les Hmong reconnaissent volontiers l’e࠳cacité de la médecine moderne sur certaines pathologies, il n’en demeure pas moins que si le trouble s’est déclenché à un moment précis sur telle personne, c’est à cause d’un déséquilibre au sein des mes (ou principes vitaux) qui si¢gent en chaque être humain. Selon les traditions locales au ViêtZNam et en Tha©lande, ces mes sont au nombre deZ 1 àZ 3, réparties sur l’ensemble du corps. La premi¢re étape du rite chamanique thérapeutique est dite ua neeb saib [ua neng chaV]Z: « faire les esprits neeb pour voir ». Il s’agit du diagnostic de l’ensemble des mes du patient, qui peuvent être a࠰aiblies, ou même avoir disparu du corps du patient. Dans les deux cas, des esprits sauvages issus du monde surnaturel sont tenus pour responsables ; ils devront donc être d’abord identi࠱és avec précisions puis repérés dans le monde surnaturel par le chamane (le chamane est en quelques sorte celui qui conna¨t bien la géographie du monde surnaturel). C’est une tche délicate, ces esprits sauvages étant innombrables et pouvant se dissimuler dans n’importe quel coin du monde surnaturel, qui comprend plusieurs niveaux. Ce monde surnaturel est à l’image du monde terrestre avec des plaines, des montagnes, des rivi¢res, des océans, etc. &&&ࢩ)B@E>J>KBEJLKD RKࢩfD¤K¤O>Iv>PPFPQ¤ABQOLRMBP@E>J>KFNRBP Le rappel des troupes chamaniques commence devant l’autel personnel que chaque chamane se doit de construire dans la pi¢ce principale de sa maison, et o³ « atterrissent » les esprits auxiliaires. Tel un général d’armée, le chamane rassemble les esprits auxiliaires qui sont ses aides les plus précieuses lors de ses « visites » dans le monde surnaturel. Précisons que dans les conceptions hmong, le chamane qui voyage dans le monde surnaturel est aveugle, d’o³ le port d’un voile de couleur sombre devant les yeux. Les esprits auxiliaires, considérés comme ses ࠱ls et ses ࠱lles, l’aideront dans les combats contre les esprits sauvages prédateurs d’mes humaines. Dans les discours du chamane, ces esprits l’appellent « p¢re » (txiv).
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Une fois les troupes en ordre, le chamane les inspecte avec soin. Commence alors la chevauchée pour retrouver les mes égarées du patient. Les esprits sauvages sont capables de se déplacer dans n’importe quel milieuZ : dans les prairies, à la vitesse du cheval ; dans les forêts profondes, lestes comme la gazelle ; dans l’eau, aussi rapides que la loutre ; dans les airs, comme l’aigle ; et même sous la terre, comme la taupe. De leur c®té, les esprits auxiliaires du chamane poss¢dent la même capacité d’action que les esprits prédateurs, c’est pourquoi ils sont désignés par le nom de l’animal le plus apte à sentir, à voir, à écouter et à se déplacer dans un milieu spéci࠱que. ,uand la troupe du chamane retrouve en࠱n les mes enlevées, elle doit les ramener dans le monde terrestre, c’est-à-dire leur faire réintégrer le corps du patient, a࠱n de rétablir l’équilibre rompu. Mais c’est sans compter sur les pi¢ges et les ruses des esprits sauvages qui ne lchent pas si facilement leur proie. Comme dans toute bonne épicerie de village en Asie, un savant marchandage entre le chamane et l’esprit responsable de l’enl¢vement s’engage. L’esprit négocie en position de force, voulant obtenir un beau bu࠴e contre les mes. Le chamane rend compte, en temps réel, de ce marchandage au patient, qui l’incite évidemment à faire baisser les ench¢res. Par sa force de persuasion, le chamane parvient à ramener les mes au prix raisonnable d’un poulet de belle taille. La volaille promise aux esprits sauvages sera sacri࠱ée, son me et l’odeur de sa viande iront les nourrir, et ainsi les mes enlevées du patient réintégreront son corps. &3ࢩ*LFKPOFPNR¤BP IBPMO>QFNRBPAFSFK>QLFOBP Dans les pratiques chamaniques hmong, il existe des rites moins longs, moins périlleux et demandant donc moins de mise en sc¢ne. Ce sont parmi d’autres les rites d’appel de l’me hu plig, réalisés par exemple à la naissance d’un enfant. Notons dans ce cas précis, le soutien inconditionnel de (ab࢙Yeeb, prononciation hmong de Kuan 4in, le bodhisattva féminin chinois de la compassion, héritage du bouddhisme que les Hmong ont emprunté aux Chinois il y a plusieurs si¢cles. Les chamanes, ainsi que les o࠳ciants funéraires (qui ne sont jamais des chamanes), lancent sur le sol des « moitiés divinatoires » (txTm Huam en hmong) a࠱n de mesurer les chances de réussite des rites. Ces moitiés sont fabriquées à partir d’une corne de bu࠴e ou une racine courbe de bambou coupée dans le sens de la longueurZ: en e࠰ectuant une série de jetés au sol, il est possible de répondre à des questions simples. Les moitiés divinatoires sont également utilisées aux mêmes ࠱ns dans la religion populaire en Chine du Sud. 3ࢩ LJJBKQABSFBKQ LK@E>J>KB@EBWIBP%JLKD Chaque chamane hmong a connu, dans l’enfance, des troubles persistants, le plus souvent des ࠱¢vres cycliques qu’aucun traitement chamanique ou thérapeutique moderne n’est parvenu à réduire. Un ma¨tre de chamanisme diagnostique alors que des esprits auxiliaires sans p¢re, c’est-à-dire sans chamane pour les faire travailler, cherchent à investir le malade. Plusieurs années seront ainsi 18
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nécessaires pour dé࠱nir la nature précise de ces auxiliaires et le ma¨tre pourra alors commencer l’initiation du jeune chamane. La formation est longue et peut varier dans ses modalités d’un groupe hmong à l’autre, mais le principal objectif est que le futur chamane parvienne à constituer une équipe soudée avec ses esprits auxiliairesZ: c’est une question de tempérament, de respect mutuel et de capacité à travailler ensemble. Les Hmong disent que certains auxiliaires tr¢s compétents sont néanmoins impossibles à apprivoiser à cause de leurs comportements versatiles. Le jeune chamane commencera par réaliser des rites simples, à c®té de son ma¨tre. Ensuite seulement (cette étape peut durer plusieurs années), il construira son autel. C’est l’installation de ce site d’accueil destiné à ses esprits auxiliaires qui permettra au chamane de devenir autonome a࠱n de réaliser ses performances rituelles. Chez les Hmong, on ne choisit donc pas de devenir chamaneZ: c’est plut®t un savant mélange entre le choix e࠰ectué, croit-on, par les esprits auxiliaires, et celui de la communauté villageoise qui perçoit dans tel individu de fortes capacités de conciliation et de médiation. Le chamane est perçu comme un médiateur entre les hommes, d’abord, mais également entre le monde terrestre et celui des espritsZ: sa fonction est de maintenir l’équilibre entre les deux. Aucun sentiment mystique ou sacré, aucun respect spéci࠱que, aucun pouvoir politique non plus ne s’applique au chamane hmong, au-delà du respect de ses compétences d’artisan de la relation avec les esprits auxiliaires et les prédateurs d’mes. En fait, on est chamane comme on serait forgeron, charpentier ou plombier. Dans les villages de montagne, en e࠰et, les activités artisanales sont toujours secondaires, elles viennent seulement en complément du travail de la terre. F?IFLDO>MEFB N. CHINDARSI, The Religion of the Hmong +jua, The Siam Society, angkok 1976. Ch. CULAS,Z Le Messianisme hmong aux XIXe et XXe࢙ siècles La dVnamique religieuse comme instrument politique, éd. du CN-S, Paris 5. — « Innovation and Tradition in -ituals and Cosmology among Hmong MessianismZand Chamanism in South-East Asia », dans Ch.ZCULAS, G ZY ZLEE, J ZMICHAUD, N ZTAPP (éd.), The Hmong Miao in Asia, Silkworm ooks Edition, Chiang Mai 4, p.Z97-1 8. —, en collab. avec J MICHAUD, « From China to Upper Indochina: An Overview of Hmong (Miao) Migrations », dans Ch.Z CULAS, G Z Y Z LEE, J Z MICHAUD, N ZTAPP (éd.), The Hmong Miao in Asia, Silkworm ooks Edition, Chiang Mai
4, p.Z61-96. — « Chamanisme et messianisme hmong en Asie du Sud-EstZ: acéphalité traditionnelle et innovations politico-religieuses », dans .ZRAC DEZLA PERRIERE, D.Z AIGLE, J.-P. CHAUMEIL (éd.), La Politique des esprits Chamanismes et religions universalisantes en Asie du Sud-Est, Société d’ethnologie, Université de Paris X-Nanterre , p. 59-9.
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— « Migrants, -unaways and Opium growers. Origins of the Hmong in Laos and Siam in the Nineteenth and Early Twentieth Centuries », dans J ZMICHAUD (éd.), Turbulent Times and Enduring Peoples Mountain Minorities in the South-East Asian Massif, Curzon Press, Londres , p. 9-48. — et J. MICHAUD, « Les Hmong de la péninsule indochinoiseZ: Migrations et histoire », Autrepart-Cahiers des Sciences Humaines de l’ORSTOM [+ouvelle Série] 3 (1997), p. 79-14. —, G ZY LEE, J MICHAUD, N TAPP (éd.), The Hmong Miao in Asia, Silkworm ooks Edition, Chiang Mai 4. J. LEMOINE, Entre la maladie et la mort࢙ le chamane hmong sur les chemins de l’au-del, Pandora, angkok 1987. — « Techniques de l’action directeZ : variations miao-yao dans l’intervention chamanique », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient LXXIX/ (199 ), p. 149-18 . G. MORÉCHAND, « Principaux traits du chamanisme Méo lanc en Indochine », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient XLVIII/ (1955), p. 59-558. — « Le chamanisme des Hmong », Bulletin de l’École française d’ExtrêmeOrient LIV (1968), p. 53- 94. J. MOTTIN, Allons faire le Tour du Ciel et de la Terre Le chamanisme des Hmong vu dans les textes, Don osco Press, angkok 1981. — « A Hmong Shaman’s Séance », Asian FolHlore Studies 43/1 (1984), p.Z99-18. N. TAPP, « Hmong -eligion », Asian FolHlore Studies 48/1 (1989), p. 59-94.
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Jérémy JAMMES Chercheur associé Groupe Sociétés, Religions, Laïcités
Voilà déjà de nombreuses années que le caoda©sme, mouvement religieux apparu en Cochinchine dans les annéesZ19 , est au cœur de mes recherches universitaires en ethnologie. À l’origine de ma curiosité, se trouve un étonnement. Avant même de rencontrer des adeptes caoda©stes, en phase de « pré-terrain » pour reprendre le terme de Georges Condominas, je découvrais en e࠰et un décalage évident entre, d’une part, ce que je pouvais lire dans la presse, les récits des anciens de l’Indochine, les guides touristiques, voire même des études socio-historiques et, d’autre part, les chi࠰res évoqués par ces mêmes sources. De tels documents ont en e࠰et pour usage de présenter le caoda©sme comme, je cite ces leitmotivs « une secte politico-religieuse », « une tradition sectaire », « une société secr¢te », « une religion kitch » ou encore « une fantaisie orientale de type Walt Disney » (Greene, 1955Z: 13). Le vocabulaire n’a jamais été à court d’invention depuis les annéesZ19 pour dénommer le caoda©sme, au risque de réduire le phénom¢ne à un simple cliché d’appareil photographique, un souvenir de l’époque coloniale, un aperçu fallacieux. Dans le sillon émergent des lectures souvent trop rapides et super࠱cielles de la religion Cao Êài, de la foi qui peut animer ses adeptes et des actions sociales qu’une telle adhésion (politique et/ou religieuse) exprime et gén¢re à la fois. De même, il est nécessaire de prendre avec précaution une catégorie comme « nouveau mouvement religieux » (NM-) laquelle sous-tend implicitement que l’on aurait à faire à une création ex nihilo, coupée du temps long de l’Histoire. Cette expression est d’ailleurs contredite par les adeptes eux-mêmes qui se consid¢rent comme les héritiers d’une longue tradition théologique universelle, et il me para¨t di࠳cile de garder l’expression NM- pour appréhender le caoda©sme, en donnant l’impression que l’analyse scienti࠱que (catégorie étique) est quelque peu « hors champ » ou déconnectée de la réalité et des représentations du phénom¢ne religieux étudié (catégorie émique). En fait, les mêmes sources précisent que les dignitaires de cette religion se recrutaient majoritairement dans les années 19 -195 parmi les petits, moyens et hauts fonctionnaires vietnamiens du gouvernement colonial. DeZ même, 185
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quelque 5 Z personnes, principalement des paysans, sont venues grossir les rangs des premiers adeptes, durant les quatre premi¢res années d’existence de cette religion. D’un c®té, une dé࠱nition péjorative, de l’autre la réalité d’un enthousiasme religieux entre les mains d’une élite locale. Le décalage m’est apparu ࠲agrant et méritait que je gratte le vernis et les couleurs clinquantes du Saint-Si¢ge de Ty Ninh pour tenter de mieux comprendre ce phénom¢ne religieux de masse du Sud du Viêt Nam. Dans le cadre de la ma¨trise 1, j’ai débuté un terrain aupr¢s d’une communauté caoda©ste à Vitry-sur-Seine, en banlieue parisienne. Ma principale découverte dans ce temple fut la pratique réguli¢re d’une activité médiumnique. Deux fois par an, une divinité daignait descendre dans le corps de la médium pour communiquer ses enseignements, ses oracles. ,uelques lectures m’ont rapidement appris que cette activité médiumnique et oraculaire dite cś b´t, « l’organe du pinceau » –Z hériti¢re de la technique fuji du sectarisme chinoisZ– tient une place fondamentale dans l’émergence et le développement du caoda©sme, ainsi que dans les pratiques cultuelles et relationnelles de ses adeptes. La présentation qui va suivre reviendra sur les résultats de recherche extraits de mon travail de th¢se intituléZ: «ZLe caoda©smeZ: rituels médiumniques, oracles et exég¢ses – Approche ethnologique d’un mouvement religieux vietnamien et de ses réseaux Z». Tout en évoquant la méthode employée pour aborder un si vaste sujet, je reviendrai sur mes données historiques et ethnographiques qui témoignent de l’importance du caoda©sme dans l’histoire du Viêt Nam, mais également de sa vitalité sous une forme plurielle dans la société vietnamienne contemporaine. &ࢩ/¤PB>RUMIROFBIPAR@>LA>ªPJB Le paysage qu’o࠰re aujourd’hui la religion CaoZ Êài est fait de centaines d’oratoires (thánh thԶt) et de centres de méditation (thánh t՜nh). Certains de ces lieux sont indépendants, d’autres se rattachent à une structure englobante, c’està-dire un Saint-Si¢ge (t¬a thánh) ou une « sainte assemblée » (hժi thánh). Un e࠰ort constant a été de mettre à jour une con࠱guration relationnelle des temples caoda©stes. Une quinzaine de « saints-si¢ges » caoda©stes dessine un maillage complexe de réseaux de solidarité ou de concurrence, lequel entretient avec l’activité médiumnique un rapport singulier à l’histoire mais aussi à l’ambition politique, économique et religieuse de leurs dignitaires. Je ne peux ici développer l’éclatement et les di࠰érents modes de légitimation que fournit une cascade de réseaux à l’institution caoda©ste et à ses dignitaires. Disons en quelques mots que les premiers caoda©stes ont montré leur capacité à rallier entre eux des réseaux endog¢nes (entrepreneurs, enseignants, dignitaires Minh, militants politiques, etc.) et exog¢nes (spirites, francs-maçons,
1. Sous la direction de ernard Formoso, soutenue en 1998 à ParisZX-Nanterre.
. Sous la direction de ernard Formoso et soutenue en novembre 6 à ParisZX-Nanterre.
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Caodaïsme, réseaux et pluralité
collaborateurs français indigénophiles) à la population colonisée. Ces schémas relationnels expriment la complexité et les évolutions continues de la société cochinchinoise au tournant du XXeZsi¢cle. IlsZmettent en sc¢ne des acteurs qui sont pour la plupart à l’intersection de trois mondes culturels –Z vietnamien, français et chinoisZ– constitutifs de la société coloniale. La pénétration, par une majorité de dignitaires, de ces trois sph¢res culturelles, est source d’une ambivalence identitaire qui transpara¨t dans le caoda©sme, sa doctrine volontairement syncrétique, ses pratiques spirites et médiumniques. Prenant progressivement forme dans un milieu cochinchinois en pleine mutation, un phénom¢ne social comme le caoda©sme ne peut renvoyer à une cause unique, mais doit se penser comme un maillage socioculturel complexe, mobilisant à la fois des solidarités familiales, amicales, mais aussi professionnelles ou confessionnelles. Pour cela, le caoda©sme se distinguerait des révoltes, jacqueries, émeutes ou mouvements de col¢re spontanés qu’a pu conna¨tre la Cochinchine avant et pendant le gouvernement colonial. MaisZces mêmes p®les de solidarités sont mis à mal par des rivalités de personnes ou de groupes, qui produisent une série de schismes. &&ࢩ-OFPBBK@LJMQBABPP@EFPJBP Les études consacrées aux caoda©stes se focalisent sur le premier Saint-Si¢ge historique de Ty Ninh et sa mani¢re de réaliser ce projet nationaliste. Sans sous-estimer la cohérence de ce courant de pensée religieuse, on trouve sous le terme générique de « caoda©ste » des tendances théologiques et des orientations politiques assez di࠰érentes. C’est en tout cas ce que rév¢le la succession de schismes qui a commencé d¢s 19 6 –Z l’année de la déclaration o࠳cielle du caoda©sme aux autorités colonialesZ – avec le choix du « premier adepte » Ng® V½n Chiêu de se tourner vers une pratique ascétique et méditative, plut®t que vers le prosélytisme et l’engagement politique. DeZmême, j’ai trouvé sur le terrain des sensibilités et des pratiques religieuses assez di࠰érentes. La formation de schismes est synonyme d’une forme de renouveau religieux, qui développe parfois des attitudes intransigeantes envers une autre branche et se crispe sur des particularismes locaux. Ainsi, en dehors des principes canoniques, la mésentente et les stratégies d’intérêt individuel r¢gnent, donnant quelquefois lieu à de sév¢res amputations au sein même du caoda©sme. Plus largement, une image monolithique de la religion Cao Êài, de sa production oraculaire et a࢙fortiori de ses activités médiumniques, ne correspond pas à la réalité d’un tissu de « saints-si¢ges », de rami࠱cations et d’institutions communautaires. Ce fait schismatique oblige le chercheur à reconsidérer la nature précise de ceux qui continuent de « se dire et d’être caoda©stes ». D¢s lors, la question se pose de savoir si telle branche est bien ou mal attachée à la structure hiérarchique de Ty Ninh, si elle en accepte les ordres ou, au contraire, si elle s’en est a࠰ranchie. Cette nouvelle question renvoie directement à la gen¢se de ces branches, aux positions politiques et religieuses de leurs membres, à leur désir d’autonomie, à leur idéal d’émancipation propre, à leur logique (souvent localisée) de ralliement et de soudure communautaire. 187
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Les branches prétendent détenir une nouvelle « orthodoxie » théologique, même si Ty Ninh continue de faire ࠱gure de tronc commun historique. Dans ce sens, il est fréquent encore aujourd’hui d’entendre de la bouche de ࠱d¢les de di࠰érentes branches dire que « le Saint-Si¢ge de Ty Ninh est la racine de l’arbre et non une de ses branches ڎune racine donne vie aux branches, non le contraire 3 ». Mais en même temps, toutes les branches caoda©stes chercheront à éveiller et à entretenir la croyance en leur « légitimité » par rapport au premier Saint-Si¢ge de référence, s’e࠰orçant de justi࠱er leur dissidence de Ty Ninh et leurs propres actions et orientations sociales. L’existence de plusieurs branches (chí phái), mais également d’organes (cś quan) de réuni࠱cation de ces branches, incite à produire de nouveaux lieux d’investigation, mettant en relief des particularismes sociologiques en mati¢re de médiumnité, de production et de circulation des oracles, des discours de légitimation, etc. Par ailleurs, les branches religieuses ou les organes indépendants sont de moindre taille par rapport à l’organisation de Ty Ninh. ranches et organes o࠰rent ainsi un cadre social idéal pour dégager les référents identitaires et les ajustements par rapport à l’institution initiale et au projet commun et initial de « religion nationale » (quբc ËԲo). &&&ࢩ Ŝ.R>K-Eի1E¯KD$FL)¸ËԷFËԷL Prenant à contre-pied les recherches classiques sur le caoda©sme, mes recherches de terrain se sont (entre autres) concentrées sur l’étude du Cś ,uan Phժ Th®ng Gio L· ÊԶi ÊԶo qui propose un programme de réuni࠱cation. Dans le cadre de ma th¢se, je me suis concentré sur cet « Organe de Di࠰usion de la Doctrine de la Grande Voie » indépendant et in࠲uent (politiquement et religieusement), à la croisée de plusieurs branches, qui nous fait pénétrer dans le monde des missionnaires et des principaux idéologues de cette religion, passés et contemporains. Cet organe est une véritable pépini¢re d’exég¢tes depuis au moins les annéesZ196 et s’inscrit dans une tradition de théologiens qui prennent la plume depuis le début des années 193. Les orateurs de cet organe urbain sont encore aujourd’hui réguli¢rement invités par de nombreux « saints-si¢ges » et oratoires caoda©stes ou mêmes journaux la©cs, s’exprimant sur un sujet de théologie et distribuant gratuitement leurs articles ou livres. Ses missionnaires participent ou coordonnent la plupart des activités de prêches ou de méditation caoda©ste du Sud et du Centre du pays, et on trouve ses exég¢tes ou ses publications jusque dans nos banlieues parisiennes ou en Californie. À partir de ce point privilégié, ma ré࠲exion s’est consacrée au ferment identitaire de ce groupe et du caoda©smeZ: l’activité missionnaire. Cet organe propose en e࠰et, comme nulle part ailleurs aujourd’hui au sein de la religion, un catéchisme de nature syncrétique aux enfants d’adeptes, lesquels apprennent
3. « T¬a Thánh TV +inh l Gբc ڊGբc Hhông thՔ l nhánh ËŪմc, m l phԸn quan tr՞ng ËՔ nԴV sanh các nhánh ».
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Caodaïsme, réseaux et pluralité
les rituels et le canon de di࠰érentes religionsZ : les trois matrices doctrinales sino-vietnamiennes (bouddhisme, confucianisme, tao©sme), le juda©sme, le catholicisme, le protestantisme, le brahmanisme, la religion ahai. Les jeunes adultes (plus de 18Zans) entrent ensuite en religion et consacrent une partie de leur temps quotidien à la profession (non rémunérée) de missionnaire (giáo sã). Ce cursus fait appel à des connaissances approfondies sur des sujets variés, tels que l’histoire, les langues étrang¢res, les sciences occidentales, mais aussi le spiritisme et la théosophie. À ce titre, les messages médiumniques reçus par l’esprit du caoda©ste patriote et communiste Cao TriՖu Pht dans les années 196-197 cimentent l’ensemble de ces disciplines, leur donnant une cohérence pédagogique. L’activité médiumnique du cś b´t tient une place privilégiée dans le fonctionnement de cet organe missionnaire et de son projet de réuni࠱cation des branches caoda©stes. Un nombre restreint de personnes est autorisé à assister à ces séances, dont l’enjeu est la transmission et un acc¢s à un « savoir-faire rituel ancestral », à une « tradition », mais aussi à un renouvellement de corpus exégétique (les textes reçus par voie médiumnique d’un esprit prenant alors la forme de commentaires de paraboles des di࠰érentes religions). Sur ce point, un r®le fondamental est joué par les membres des « associations religieuses » Minh (qui signi࠱e « Lumi¢re » en chinois), dont le culte, les pratiques médiumniques et le panthéon s’inscrivent dans une tradition du « sectarisme chinois » ou plus exactement des « sociétés rédemptrices chinoises » (redemptive societies), formules récentes utilisées par des sociologues et historiens des religiosités chinoises et faisant référence à une vague spéci࠱que d’organisations qui proposent un salut de type religieux à un moment précis de l’histoire chinoise, la -épublique (Goossaert et Palmer, 11). C’est à partir des plus vietnamisés d’entre ces associations ou mod¢les de « sociétés rédemptrices » Minh que va se mettre en place le caoda©sme dans les annéesZ 19 (Smith, 197 et 1971), partageant les mêmes préoccupations politiques, territoriales, nationalistes et certaines activités religieuses communes, dont le médiumnisme oraculaire. Ce processus de vietnamisation souligne un phénom¢ne de récupération du patrimoine symbolique, liturgique, mythologique de la tradition sectaire chinoise par les Vietnamiens, phénom¢ne qui fait partie intégrante du processus d’élaboration sociale du caoda©sme, d’une part, de la rénovation du bouddhisme au ViêtZNam, d’autre part. Le dynamisme contemporain de ces échanges et les enjeux de la transmission du savoir médiumnique trouvent leurs racines dans les annéesZ 19 , fournissant alors aux caoda©stes leur premier instrument médiumnique (la « corbeille à bec » ou ËԲi ng՞c cś) et, par là, leur panthéon, leurs textes et leur doctrine issus de cette même tradition sectaire chinoise. Les associations Minh –Zet notamment le temple Minh L· qui vient d’être o࠳ciellement reconnu en aoµtZ 7, ce qui conf¢re pleine autorité à ses actionsZ– continuent de servir, en quelque sorte, de leviers à cet organe caoda©ste, procurant à ses missionnaires une légitimité en mati¢re de savoir-faire médiumnique, de compétence rituelle et d’interprétation exégétique. 189
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Cet exemple témoigne, une fois de plus, de la complexité de la religion Cao Êài et de ses ressorts identitaires dans l’actuelle société vietnamienne. &3ࢩ,RSBOQROB La vitalité du caoda©sme est en࠱n repérable en situation outre-mer, re࠲étant les enjeux de la mondialisation. Sur ce th¢me, le r®le joué par les quinze à trente mille caoda©stes vivant principalement aux États-Unis, en Australie et en France est fondamental et fait partie de mes préoccupations depuis mon terrain en banlieue parisienne à la ࠱n des années 199. Par leur publication religieuse, par les structures catéchistiques mises en place outre-mer (prenant parfois la forme du scoutisme), mais également par leur retour au ViêtZNam sous forme d’investissement ࠱nancier, de subventions lors de catastrophes naturelles, ou de p¢lerinages dans les temples ancestraux du ViêtZNam, les caoda©stes outre-mer jouent un r®le réel dans la société et l’économie vietnamienne contemporaines, dynamisant le caoda©sme, la circulation de ses adeptes et de leurs idées. Il s’agira à l’avenir de revenir sur ces di࠰érentes et originales rami࠱cations du caoda©sme, au ViêtZNam ou outre-mer, en partenariat avec des chercheurs vietnamiens, éclairant ensemble les di࠰érentes facettes de ce mouvement religieux qui se veut plus qu’une « simple secte spirite » comme trop souvent et de mani¢re réductrice on l’a entendu. F?IFLDO>MEFBPBIB@QFSB S. BLAGOV, The Cao Êi, A neT religious movement, The Institute of Oriental studies, Moscou 1999. Do Thien, Vietnamese Supernaturalism ٷVieTs from the southern region, -outledge Curzon, Londres 3. Êլ VԶn L·, T¦m hiՔu ÊԲo Cao Êi [Comprendre le caodaïsme], Perris, Californie, Cao Êi Giáo Vit +am HԴi +goԲi [La religion Cao Êi des Vietnamiens d’outre-mer], Perris (CA) 1988 Êuc Nguyên (Nguy՚n V½n Hըng), Cao i Tռ ÊiՔn [!ictionnaire du caodaïsme], H® Chi Minh-ville (non publié) . V. GOOSSAERT, D. PALMER, The Religious .uestion in Modern China, University of Chicago Press, Chicago 11. J. HOSKINS, « A Posthumous -eturn from Exile: The Legacy of an Anticolonial -eligious Leader in Today’s Vietnam », Southeast Asian Studies vol.Z 1 ( ) ( 1 ), p.Z 13- 46. Hue Nhan (V¯ Thành Chu), L՜ch sվ ÊԲo Cao Êi - [Histoire du caoda©sme (19 6-1938)], Nxb t®n gio, H® Chi Minh-ville 8. — L՜ch sվ ÊԲo Cao Êi, .uVՔn I (hai ÊԲo [Histoire du caodaïsme Le début], Nxb t®n gio, Hը-Ch§-Minh-Ville 5. J. JAMMES, Les oracles du Cao Êi, Les Indes savantes, Paris (à para¨tre en 13). — “Divination and Politics in Southern Vietnam: -oots of Caodaismڅ, Social 19
Caodaïsme, réseaux et pluralité
Compass 57, 3 (2010), p.Z357-371. V. OLIVER, Caodai spiritism, a studV of religion in Vietnamese societV, rill, Leyde 1976. -. SMITH, « An Introduction to Caodaism, 1.ZOrigins and early history », Bulletin of the School of Oriental and African Studies XXXIII, (197), p.Z335-349. — « An Introduction to Caodaism, .Zeliefs and Organization », Bulletin of the School of Oriental and African Studies XXXIII, 3 (1971), p.Z573-589. J. WERNER, Peasant politics and religious sectarianism, peasant and priest in the Cao !ai in Viet +am, 4ale University Southeast Asia Studies, NewZHaven 1981.
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*,+!"-)1,2-0
NGUYՙN DUY Hinh Institut de recherches sur les religions, Hanoi
&ࢩ*LKABMI>Qڏ En avrilZ 5, Thomas Friedman a publié le livre The 4orld Is Flat a Brief HistorV of the TTentV-First CenturV, réédité et augmenté en janvierZ 6 ; en maiZ 6 la maison d’édition de la jeunesse (Nxb trՐ) en a publié une traduction en vietnamien. La traduction et la publication en quբc ngր ont peut-être été plus rapides encore que pour Harry Potter ! Alors qu’Harry Potter n’est qu’un conte pour enfants, The 4orld Is Flat est une œuvre ardue de prospective et de prévision historique sur la mondialisation au XXIeZsi¢cle. Un commentaire sur la globalisation. Deux des ouvrages de cet auteur, The 4orld Is Flat et précédemment The Lexus and the Olive Tree sont des best-sellers. La traduction en vietnamien de The Lexus and the Olive Tree fait 733Zpages, pour un format 15ZxZ Zcm ; The 4orld Is Flat fait 818Zpages. Je donne ces détails pour ceux qui n’auraient pas encore eu l’occasion de les lire et pour qu’ils se rendent compte de la taille monumentale de ces deux ouvrages et de l’érudition de Friedman. L’auteur qui a voyagé dans le monde entier, en Orient, en Occident est venu au ViêtZNam enZ1995. Essayons de circonscrire ce qu’il a vu à Hanoi. « Chapitre ࢙ réunir ses forces ou s’opposer aux oppositions) » Pendant l’hiverZ1995, je suis allé à Hanoi. Chaque matin lorsque je faisais de la gymnastique, je me baladais autour des pagodes pr¢s du petit lac de l’épée restituée, au centre de Hanoi ; et chaque matin, je rencontrais une jeune dame vietnamienne assise sur une petite allée, avec à c®té d’elle une balance. Elle proposait aux gens de vérifier leurs poids contre un peu d’argent. Et chaque matin, je lui donnais un dollar apr¢s être monté dessus. Ce n’était pas pour savoir combien je pesais – je savais exactement quel était mon poids (et si je m’en souviens bien, sa balance n’était pas tr¢s juste). Mais, en montant ainsi sur la balance, je voulais contribuer à la globalisation du Viêt Nam. Sans qu’elle l’exprime envers moi, la ligne de conduite de cette dame étaitZla suivanteZ: « ,uel que soit l’objet, grand ou petit, vends-le, troque-le, loue-le, hypoth¢que-le ڎpour en tirer pro࠱t, améliorer la vie et rentrer dans le jeu. »
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Cette femme et sa balance exprimaient concr¢tement l’essentiel de la globalisation, ce que pourtant l’on rappelle peu dans les délibérations des comités d’administration et des ࠱nances, des fonds d’investissement et des hautes r¢glementations techniques. À savoir que la mondialisation commence par les couches inférieures, dans la rue, dans l’me et les aspirations de l’homme. 1 La mondialisation débute par cette femme à Hanoi qui, assise au bord d’un chemin, se sert d’une balance comme d’un ticket pour intégrer un monde qui s’accél¢re [nous soulignons].
Monsieur Friedman est retourné depuis à Hanoi. La dame a remplacé sa balance de petite taille par une balance plus sophistiquée, « made in China », qui tout en un calcule le poids, la taille, la pression sanguine, le rythme cardiaque et qui annonce même en vietnamien l’état de santé de la personne en question. L’ensemble pour uniquement 1 ou Zd®ngs, et non plus un dollar [env. 15 Z d®ngs d’alors] comme précédemment. eaucoup de jeunes directeurs de SA-L ont changé leur vélo pour une moto Honda, puis cette moto pour une voiture d’occasion ou une Lexus. On trouve des cafés internet à tous les coins de rue. Des jeunes d’à peine 1Zans sont rivés sur les écrans à cliquer non pas
4/ 4 mais des semaines enti¢res sans interruption. Internet met en réseau une multitude d’ordinateurs. Chater, ouvrir des pages web, email ڎsont « monnaie courante dans la rue ». Pitoyables sont les vieux professeurs arriérés qui ne savent pas utiliser internet ni même un ordinateur et qui continuent d’écrire à la main ou à taper leurs conférences à la machine ! Dans les colloques, beaucoup de personnes utilisent leur ordinateur portable posé sur la table pour de temps en temps cliquer et avoir l’air d’un expert de la « culture lap top ». Kentucky Fried Chicken, les fruits américains, le hip-hop américain, tout ça c’est « OK ». Les zones industrielles qui ouvrent dans toutes les provinces accueillent des investisseurs américains, coréens, japonais ڎdes millions de dollars. Certains entrepreneurs vietnamiens investissent aussi dans les pays étrangers. Poissonchat, crevette, café, textile de marques vietnamiennes pén¢trent aux États-Unis en allant jusqu’à pousser au dumping ! L’Airbus A38 lors de son premier vol a atterri à l’aéroport de NծiZài à Hanoi, beaucoup de correspondants vietnamiens ont été invités à monter et à s’assoir aux places luxueuses, à y déguster les mets délicats servis. Deux paysans vietnamiens ont conçu trois hélicopt¢res qui ne demandent qu’à voler. ,uelques entrepreneurs ont demandé l’autorisation de créer des compagnies aériennes privées. Des th¢ses de doctorat, des articles scienti࠱ques sont mis sur des sites internet 3. De nombreux livres chinois ou anglais traduits en vietnamien ont permis aux gens qui ne connaissent pas les langues étrang¢res de les lire et de s’y référer sur internet. O࠳ciellement, internet est arrivé au ViêtZNam en 1997, mais dans le journal national télévisé du 1Zseptembre 7, on informait qu’il y avait dans l’ensemble du pays 1 Zmillions
1. T. FRIEDMAN, The Lexus and the Olive Tree [trad.], Nxb Tr, Hanoi 5, p.553-554
. Souligné par Nguy՚n Duy Hinh. 3. Comme kinh truong A Hàm, kinh trung A Hàm, Kinh tp A Hàm, http://quangduc.com.
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d’utilisateurs d’internet, soit 1Zhabitant surZ7 qui se connecte au réseau. Ainsi de suite et ainsi de suite. Hanoi est déjà mondialisée, Monsieur Friedman. Monsieur Friedman, Hanoi est plate, plate à tous les niveaux, venez-vous en rendre compte. Et même, pas besoin de venir, allez sur le web et vous verrez tout ce qui est plat et tout ce qui ne l’est pas. Le bonze Th§ch ,uԸng Êծ a distribué de l’argent à des déclassés pour les exciter contre le gouvernement, lancé sur internet une liste de personnes qui avaient reçu ou pas de l’argent avec leurs photos. Venez monsieur et vous verrez aussi la mondialisation de la religion qu’on ne trouve pas dans votre livre, vous qui avez mis la religion à l’écart de votre XXIeZsi¢cle. La prospective est une discipline scienti࠱que bien développée aux États-Unis. On trouve à foison les productions d’auteurs qui prédisent le XXIeZsi¢cle. Certains de ces livres ont été traduits en vietnamien avant l’anZ . J’en ai lu quelquesuns, mais ceux que je préf¢re sont les trois œuvres d’Alvin To࠰elerZ: Le choc du futur (197), La troisième vague (198), Les nouveaux pouvoirs (199). To࠰eler a prédit le r®le que jouerait prochainement, c’est-à-dire au XXIeZsi¢cle, la technologie, essentiellement l’informatique et les moyens de communications mondiaux, dans les transformations de l’économie et des cultures humaines. To࠰eler ne s’intéresse pas uniquement au r®le de la science et des techniques sur la vie économique, il s’intéresse aussi aux actions du développement économique sur la culture immatérielle. ien qu’il ne présente le concept de globalisation dans aucun de ces troisZ livres, c’est bien de cela qu’il s’agit. C’est devenu depuis le sujet central des deuxZlivres de Friedman. Mais Friedman a commis une erreur en rajoutant comme sous-titre « une br¢ve histoire du XXIeZsi¢cle. » Son livre n’est pas une synth¢se historique du monde au XXIeZ si¢cle, c’en est uniquement le résumé d’une « histoire économique. » Le contenu principal des deux livres de Friedman témoigne des progr¢s scienti࠱ques et techniques que réalisera l’économie mondiale au XXIeZ si¢cle parmi lesquels il souligne le r®le d’internet. Dans la version traduite du monde plat, Êinh H¬ang ThՄng résume ainsi en préface l’œuvre de l’auteurZ: Friedman ampli࠱e la sonnerie du tocsinZ : la globalisationZ entre dans une phase d’accélération, de sorte que le monde de petite taille devient encore plus petit tout en se nivelant +ous vivons dans un monde plat ! Dans ce monde, ce ne sont pas seulement les nations, les multinationales comme Dell, IM, Walmart, mais tout individu o³ qu’il se trouve sur cette plan¢te (il su࠳t juste de s’unir sur internet et de rapprocher les nouveaux outils du monde moderne) qui peut collaborer grce à ces cha¨nons de la globalisation pour créer de la valeur ajoutée. Le gteau de la globalisation devient tous les jours plus grand mais en même temps plus di࠳cile à partager ڎÀ l’aube du XXIeZsi¢cle, Friedman a d’un c®té mis en exergue les actions de ce monde plat envers les nations, les entreprises, les populations et en particulier envers l’individu ; d’un autre c®té, il a aussi clairement montré comment les États, les sociétés et le monde pouvaient et avaient besoin de s’adapter à cette « idéologie du plat » pour exister et se développer. »
Du point de vue de l’économie et de l’industrie postmodernes, il n’y a rien à redire. Mais si « l’histoire du XXIeZsi¢cle » est uniquement ainsi, alors Friedman 195
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a oublié un passage cél¢bre de la ibleZdisant que l’« on ne vit pas uniquement de ce que l’on mange, mais encore des paroles que Dieu a ordonnées. 4 » Lorsque l’Union soviétique s’est désagrégée, on a pris l’habitude d’écrire qu’« il n’y a pas que le pain ». ,ue l’on soit chrétien ou pas, la conception de l’humanité ne peut pas uniquement reposer sur la vie matérielle, la vie spirituelle est aussi une vérité suprême. Dans cet article, je veux parler d’un monde qui est peut-être plat du point de vue économique mais qui du point de vue culturel –Z et j’aborderai ici, la religionZ– ne l’est pas. &&ࢩ)BXXIBࢩPF£@IBKڂBPQM>PMI>QJ>FPMIROFBI OBIFDFBRPBJBKQMIROFBI Avant les annéesZ , le professeur François Houtard est venu pour la premi¢re fois à Hanoi sur invitation de l’Institut de sociologie. L’Institut de recherches sur les religions l’a invité à discuter de la situation des religions dans le monde et de nous raconter sa visite à Cuba lorsqu’il accompagna le Saint-Si¢ge pour rencontrer Fidel Castro. Au cours de cette discussion, j’ai exposé mes conceptions sur le XXIeZsi¢cle religieux. J’ai dit que les nouveaux mouvements religieux (NM-) se développeraient, puis que se ࠱xeraient petit à petit une ou plusieurs nouvelles religions. -écemment, les deux grandes religions que sont le bouddhisme et le christianisme ont achevé leur développement interne en mati¢res doctrinale, liturgique, ecclésiologique, c’est pourquoi de nouveaux phénom¢nes religieux ont poussé comme des champignons. En Occident, ces NM- ont surgi du christianisme ; en Orient du bouddhisme. Le religieux se métamorphose. Il est encore trop t®t pour évaluer ces NM- que je ne consid¢re d’ailleurs pas encore comme des religions. Le professeur Houtard était fondamentalement d’accord avec moi et rappela que la religion se métamorphose mais ne meurt pas. Lorsqu’elle a participé à une conférence internationale organisée àZ Hanoi enZ 6, la chercheuse Eileen aker, venue de Londres, a présenté une communication tr¢s intéressante sur les NM-. Elle a notamment présenté certaines de ces nouvelles religions qui ont atteint le stade de la seconde génération d’adeptes. Êլ ,uang HŪng a abordé dans un article la globalisation et la pluralisation religieuses 5. Dans cette étude, il se réf¢re à la conférence de l’Association française de sociologie des religions organisée à Paris enZ . Il propose deux dé࠱nitions de la globalisation religieuse. La premi¢re dé࠱nition est celle du groupe de chercheurs réunis à cette conférence. Elle dit en substance que la globalisation religieuse doit être avant
4. (inh Thánh tr՞n bժ, Cւu ũլc v Tn ũլc [Sainte Bible, Ancien Testament et +ouveau Testament], Nxb TpHCM, H®-Chi-Minh-Ville 1998, p.Z1848. 5. Êլ ,uang HŪng, « T¬an cu ha t®n gioZ: khi ni՜m, biu hi՜n và mԺy vԺn ËՖ ËՌt ra » [Globalisation religieuse࢙ concept, manifestation et problématique], +ghiên cպu tôn giáo (fév.
6).
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tout pensée comme le passage de la dimension internationale, essentiellement comprise comme relations interétatiques, à une dimension transnationaleZ: les stratégies d’extension religieuse ne sont plus ou peu liées aux autorités politiques souveraines mais simplement subordonnées à la sph¢re de nouvelles logiques, logiques qui ne dépendent plus des relations entre États. Si l’exportation des religions au cours des si¢cles passés a été étroitement liée à l’histoire des états colonisateurs, les courants religieux actuels se sont plus adaptés à ces logiques. Aujourd’hui, la globalisation religieuse échappe au contr®le des États et dépasse les fronti¢res. Par ailleurs, ces courants religieux ne sont plus limités aux rapports Nord-Sud, ils sont devenus multiples. Êլ ,uang HŪng porte en estime cette dé࠱nition, « en particulier ڄl’exportation څdes religions quittant leur continent d’origine, autrement dit la déterritorialisation qui se déroule aussi à travers ces nouveaux courants. » Permettons-nous de commenter un instant. Certaines personnes ont écrit que la religion s’était globalisée avant même que le concept de globalisation n’apparaisse, c’est-à-dire avant la seconde moitié du XXeZ si¢cle. Je ne mentionnerai que trois modestes dossiers. Le bouddhisme s’est exporté de sa région d’origine au IIIeZsi¢cle avant notre ¢re pour aller au SriZLanka, puis en Chine au IeZsi¢cle de notre ¢re, au ViêtZNam au IIeZsi¢cle environ. Le christianisme est apparu au ViêtZNam au XVIeZsi¢cle. L’islam a pénétré en Inde vers le XIeZsi¢cle. Au début, ces exportations se faisaient sous la forme d’une di࠰usion culturelle paci࠱que. Les missionnaires se déplaçaient grce aux navires de commerce. C’est seulement lorsque les colonialistes français ont fait feu sur Êà NՊng (anciennement Tourane) que l’exportation du christianisme s’est trouvée étroitement liée à l’histoire coloniale française. Pendant un temps assezZlong, les missionnaires ont été théoriquement aux avant-postes du colonialisme, ce qui a fait sens. À présent est venu le moment de s’en retourner à une religion qui aspire en soi-même à ouvrir le royaume céleste, à se dissocier de l’exploitation colonialiste pour ouvrir le royaume céleste. Dans l’histoire des missions chrétiennes, à l’exception de quelques missionnaires qui ont aidé les militaires français à la conquête du ViêtZ Nam, d’autres se sont souciés d’évangélisation sans s’impliquer dans les a࠰aires coloniales. Parler d’« exportation » religieuse, comme ci-dessus, c’est consentir à un raisonnement en termes de « soldat d’avant-garde ». Vis-à-vis des grandes religions sans fronti¢res que sont le christianisme, le bouddhisme, l’islam, la transnationalisation n’a pas attendu la globalisation religieuse. Toutes les grandes religions se veulent globales. Mais si l’on parle de la globalisation religieuse actuelle, alors aborde-t-on un tout autre probl¢me. Êլ ,uang HŪng propose dans l’article une seconde dé࠱nitionZ: Une dé࠱nition de la globalisation religieuse qui mérite attention est celle de David Lehmann. L’auteur débute en comparant la globalisation économique à la globalisation religieuse, puis il en tire ses commentairesZ: conjointement à la globalisation économique (uniformisation et aspiration de régions éloignées vers un marché mondial concurrentiel), la globalisation religieuse est, à l’inverse, le démant¢lement des fronti¢res et la création simultanée de fronti¢res nouvelles.
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En , David Lehmann a publié Religion and GlobaliWation pour démontrer que la théorie de la globalisation en vigueur était fausse lorsqu’on l’appliquait à la religion. Ce professeur de Cambridge avance l’idée que la religion doit être considérée comme un « acteur originellement globalisant » (original globaliWer). Il a démontré que le caract¢re transnational était la base de toutes les grandes religions, niant ainsi la conception selon laquelle l’économie de marché serait le moteur essentiel de la globalisation religieuse. Ce que je comprends de David Lehmann est que la religion représente le «Zglobalisant originelZ» (original globaliWer), la religion ne se globalise pas en conséquence de la globalisation de l’économie comme le décrit Friedman. D’apr¢s moi, David Lehmann ne s’oppose pas à la globalisation de la religion, laquelle est selon lui un phénom¢ne intrins¢que ; il distingue la religion globalisée dans les contextes pré-moderne et moderne. Avant même que l’économie moderne ne soit devenue globalisée, la religion était déjà un phénom¢ne transnational qui avait brisé toutes les barri¢res aux fronti¢resڎ J’ai mentionné précédemment la phase de globalisation du bouddhisme qui a eu lieu entre le IIIeZsi¢cle avant notre ¢reZet le IIeZsi¢cle de notre ¢re ; celle du christianisme à partir du XVIeZsi¢cle, celle de l’islam au XIeZsi¢cle. Les spécialistes des sciences religieuses séparent les religions en deux grands ensemblesZ: les religions du monde (ou cosmopolites) comme le bouddhisme ou le christianismeZet les religions locales comme le sikhisme en Inde, le lama©sme en Chine, le shinto©sme au Japon ڎCette distinction n’est pas vraiment scienti࠱que mais elle dissocie les grandes religions qui se sont répandues en dehors de leur région d’origine des religions qui ne se sont pas encore exportées. Cette situation existait avant la conclusion de la seconde guerre mondiale, ce qui signi࠱e qu’avantZ1945, un certain nombre de religions étaient globalisées. Les missionnaires partaient dans les navires de commerce pour évangéliser loin de leur région d’origine. La globalisation économique a fourni de nouveaux outils à la globalisation des religions, pour l’essentiel des moyens de communications qui ont permis aux religions de glisser d’une globalisation pré-moderne vers une globalisation moderne. C’est selon moi, l’aspect principal de la globalisation religieuse moderne. Les missionnaires ne viennent plus fouler péniblement le sol de régions lointaines, ils adoptent des moyens de communications modernes, internet en particulier, qui atteignent chaque individu dans les moindres recoins du monde. Internet est né vers les annéesZ1969, il est présent au ViêtZNam depuisZ1997, mais aujourd’hui les utilisateurs du web sont plus de 1 Z millions ! Le mouvement religieux ÊԶo Vàng Chվ, qui est une forme de protestantisme, a pu se di࠰user via les ondes aupr¢s des populations montagnardes minoritaires du Nord-Ouest du ViêtZNam avant même l’apparition d’internet. Aujourd’hui, toutes les religions, grandes ou petites, peuvent créer des sites internet, tout individu peut lire les textes sacrés des religions qui sont inconnues dans son propre pays. Le concept de pluralisme est apparu en sciences religieuses. Tout comme pour celui de la globalisation religieuse, le concept de pluralisme religieux a plus d’une seule dé࠱nition car ces deux théories en
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sont encore à l’état embryonnaire et n’ont pas eu su࠳samment de temps pour se stabiliser. D’apr¢s moi, le pluralisme ne signi࠱e pas l’accroissement du nombre de ࠱d¢les de telle religion ou de telle autre, il est l’apparition d’adeptes, nombreux ou pas, de NM-. Suivons en deux formes. Premi¢rement, la globalisation d’un certain nombre de religions, de phénom¢nes religieux qui avant cela étaient essentiellement régionaux, signi࠱e leur exportation hors de leur aire d’origine. C’est le cas du lama©sme qui a pénétré en Occident. Deuxi¢mement, des nouveaux phénom¢nes religieux apparaissent en divers lieux, il s’agit de pseudo-religions qui ne sont encore jamais apparues ailleurs dans le monde (Zion Gate en Allemagne, AUM au Japon, Falun Gong en Chine, Php m®n ,uan |m au Viêt Nam). C’est une des particularités de la globalisation religieuse actuelle, pourtant elle n’a encore pas donné lieu à des programmes de recherche poussés et objectifs. Dans le cas de NM- clairement identi࠱és, leur niveau de globalisation n’est naturellement pas encore tr¢s élevé. Eileen aker qui étudie depuis de nombreuses années les NM- a écrit récemment un texte intitulé Les déࠩs des religions avec pour sous-titre « A informal non-academic paper », pour signi࠱er que cet article a un caract¢re informatif et non pas académique. ElleZécritZ: D’évidence, toute religion est nouvelle lorsqu’elle commence à exister. ien sµr un savoir préexiste, car il ne peut y avoir de création ex nihilo, il y a toujours historiquement union avec des nouvelles pensées, des structures ou des aspects nouveaux issus de conceptions du passé. Ces nouveaux courants religieux apparaissent en général au moment de troubles provoqués par des migrations, des conquêtes, des ࠲éaux naturels, des incidents politiques ou économiques, ou bien par l’apparition de nouvelles technologies qui entra¨nent des innovations professionnelles ou des mutations culturelles. En même temps, la croyance, la liturgie, la pratique quotidienne, les activités des « vieilles religions » sont parfois en constante évolution du fait de l’apparition de nouvelles conceptions du monde, de nouvelles religions ou de nouvelles communautés migrantes. Dans la société moderne, la globalisation découle de l’élargissement toujours plus important, aussi bien géographiquement que socialement, des transmissions et des traductions qui m¢nent, comparé à avant, à un pluralisme culturel et religieux toujours plus important et qui propose des possibilités de choix qui n’existaient pas jusqu’alors dans ce que l’on appelle aujourd’hui le «Zsupermarché religieuxZ» et/ou spirituel 6.
Eileen aker a fondé l’INFO-M (réseau d’informations sur les mouvements religieux), à la London School of Economics pour fournir à qui le souhaite des informations sur les religions minoritaires.
6. D’apr¢s la traduction de la communication d’Eileen aker au colloque international vietnamo-américainZ « egining the Conversation: -eligion and -ule of Law in Southeast Asia », 6-11 septembre 6, Hanoi.
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Elle a reconnu que son texte n’avait pas de valeur académique, qu’il était sans prétention, mais il n’a pas été sans in࠲uence sur l’étude des nouvelles religions qui n’ont pas encore de programme académique vraiment établi. L’auteur a naturellement abordé la question du marché religieux et aussi communiqué sur la globalisation religieuse. J’approuve totalement les conceptions de l’auteur sur les NM-.ZMoi-même, je ne les appelle pas « nouvelle religion » car une existence de ZouZ3Zgénérations, comme dans le cas des Enfants de Dieu, n’est pas encore su࠳sante. L’instabilité de ces mouvements est véri࠱ée par Eileen aker dans le cas de l’Uni࠱cation Church qui apr¢s un quart de si¢cle a vu en Occident la grande majorité des Uniࠩés de la deuxi¢me génération quitter le mouvement 7. Les NM- sont ainsi une particularité du pluralisme religieux. Dans l’article intitulé +eT religious Movements 8, Elisabeth Arweck distingue 7Z genres de NM- dont les Z premiers sont directement liées aux traditions religieuses orientales et chrétienne. Elisabeth Arweck dénombre les 9Z NM- les plus connus comme le Falungong en Chine, AUM au Japon, les Enfants de Dieu en Angleterre, People’s Temple aux EU ڎElle cite des chi࠰res qui, selon les documents, font varier ces groupes aux États-Unis entreZ 135 etZ 5 et qui en répertorientZ 6 en Angleterre 9. Cet article est bien plus complet que celui d’Eileen aker. En 1, Dani¢le Hervieu-Léger a abordé la question des NM- dans son livre LaZreligion en miettes ou la question des sectes. Tout comme David Lehmann, l’auteur a participé en à la conférence de l’Association Française de Sociologie des -eligions à Paris. Le livre débute par citer un article de presse du 8Zfévrier paru dans France-Soir sous le titreZ: « SectesZ: à quand l’interdiction » L’article commente un rapport de la MILS (Mission interministérielle de lutte contre les sectes) envoyée au Premier Ministre d’alors, Lionel Jospin, qui propose d’interdire deux groupes particuli¢rement dangereuxZ : l’Église de scientologie, en proc¢s pour escroquerie et l’Ordre du Temple solaire, qui a commis un massacre enZ 1995. Le sujet de ce livre concerne les droits de l’homme, la liberté religieuse envers des NM- que l’auteur nomme sectes. Le point de vue adopté pour estimer les torts des nouveaux mouvements religieux et pour en relever leurs aspects négatifs est strictement juridique. L’auteur cite un rapport de la commission d’enquête parlementaire deZ1995 envoyé au gouvernement qui répertoriait en France 17 Zgroupes religieux coercitifs (p.Z45). CelaZme semble trop peu mais je n’ai pas lu d’autres chi࠰res réactualisés. Du point de vue des sciences religieuses, je n’approuve pas fondamentalement la conception de l’auteur bien que ce livre sur les NM- soit tr¢s intéressant. Mais j’approuve naturellement la position défensive en mati¢re de sécurité nationale que tout pouvoir central doit garantir avec autorité pour lutter contre la dangerosité des
7. Ibid 8. E. A RWECK « New religious Movements », dans L. WOODHEAD, P. FLETCHER, H. K AWANAMI, D. SMITH (éd.), Religions in Modern 4orld, -outledge, Londres 1, p. 64- 88. 9. Ibid., p. 74.
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NM-. Les autorités américaines ont eu raison de réprimer par la force le groupe de David Koresh et d’expulser le groupe Osho, idem pour le gouvernement chinois qui a réprimé le Falun Gong ou le gouvernement japonais qui a chtié AUM ڎDroits de l’homme, liberté religieuse, droit, sécurité nationale sont des catégories historiques, ce qui signi࠱e qu’elles ont un caract¢re spatio-temporel et non pas absolu et abstrait. Aucun mod¢le d’État ne peut s’imposer sur un autre, autrement dit on ne peut pas « globaliser » un mod¢le quel qu’il soit. Du point de vue des sciences religieuses, j’approuve avec Eileen aker et Elisabeth Arweck les conceptions selon lesquelles lesZNM- sont des nouveaux groupes religieux qui cherchent à répondre à des nouveaux besoins sociaux ; encore instables, ils présentent des aspects à la fois positifs et négatifs qui n’en font pas encore des « nouvelles religions » (tôn giáo mլi) mais plut®t des « nouveaux groupes religieux » (nhm tôn giáo mլi), des « nouveaux mouvements religieux » (phong tro tôn giáo mլi). CesZNM- que je quali࠱e personnellement de « nouveaux phénom¢nes religieux » (hin tŪմng tôn giáo mլi) apparaissent lorsque les « religionsZanciennes» sont arrivées à un tel point de développement qu’elles ne peuvent plus répondre aux besoins spirituels modernes même si ces « religionsZanciennes » s’évertuent vraiment à trouver un mode de « rénovation ». Au ViêtZ Nam, une femme gourou concourt à l’existence de ces nouveaux phénom¢nes religieux. Il s’agit de ÊՌng Thՠ Trinh, ma¨tresse suprême du mouvement Php m®n ,uan |mZ qui m¢ne un prosélytisme hors la loi apr¢s s’être autoproclamée Thanh HԸi V® ThŪոng SŪ. ÊՌng Thՠ Trinh est née dans une famille catholique dans la province de ,uԸng Ngi (Centre), s’est mariée, est partie en Allemagne, a étudié la religion en Inde, puis à Taiwan pour propager une religion qui a été condamnée pour sa nocivité (t giáo). Elle a installé un service de propagande religieuse aux États-Unis qui héberge un site web et qui publie de nombreux livres, des cassettes etc. EnZ 1, j’ai présenté la pratique religieuse et les méthodes développées par Thanh HԸi V® ThŪոng SŪ dans l’article « recherches sur l’extrasensoriel et les religions dans quelques pays du monde 1 ». À l’image de Sakyamuni, Thanh HԸi se consid¢re comme une Vénérable Suprême (Vô ThŪմng SŪ). Sa théorie religieuse est un mélange de bouddhisme, de christianisme et d’instructions curieuses sous un vernis religieux. Tout en continuant à gagner des ࠱d¢les, Thanh HԸi v® thŪոng sŪ a fait des spectacles de danse et s’est mariée. Dans ce même article, j’ai abordé les nouvelles religions aux États-Unis, au Japon, en Chine. Au Japon, les nouvelles religions représentaient enZ 1958 environ 5Zgroupes religieux ; quant aux religions sans personnalité juridique (c’est-à-dire les NM-), elles s’él¢vent à des dizaines de milliers.
1. Nguy՚n Duy Hinh, « Nghiên cŪu ngoԶi cԸm và t®n gio մ mծt sզ nŪհc trên thՔ giհi » [-echerche sur l’extrasensoriel et le religieux dans quelques pays du monde] dans Mժt sբ bi vՒ tôn giáo h՞c [.uelques articles d’études religieuses], Nxb KHXH, Hanoi 7, p. 814-8 6.
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Les nouveaux phénom¢nes religieux ne sont pas la conséquence de la globalisation économique, ils lui sont antérieurs, mais cette derni¢re leur apporte des nouveaux moyens de communication qui les aide à se di࠰user plus rapidement, plus largement, même si l’on continue de distinguer deux grands groupes, l’un en Occident, l’autre en Orient. En résumé, le monde est plat du point de vue économique, mais il ne l’est pas du point de vue religieux.Z Même si, comparé à la période pré-moderne, la « planitude » de l’économie favorise une accélération de la globalisation religieuse et la formation d’un supermarché du religieux, elle incite les nations au pluralisme religieux et place chaque individu face à ce supermarché du religieux dans lequel on trouve beaucoup plus que la seule croyance de sa « vieille religion ». Parfois, il est di࠳cile de comprendre les choix d’a࠳liation, comme dans le cas du People’s Temple créé aux États-Unis par Jim Jones et qui a mené au « suicide collectif » de 914Z࠱d¢les, ou encore celui du groupe AUM qui a utilisé au Japon du sarin pour tuer des gens. DeZtelles religions ont-elles encore un caract¢re humaniste Vue dans sa globalité, j’estime que cette théorie du monde plat propose en réalité une américanisation de l’économie et place les États-Unis au rang d’unique dirigeant du monde. Un mouvement de lutte contre la mondialisation est apparu depuis peu dans de nombreux pays, surtout dans les grands pays industrialisés. Selon la loi de l’histoire, le monde n’est jamais plat, il se développe toujours sans s’uniformiser. Même sur le plan économique apparaissent clairement des traits de multipolarité. La globalisation se prévaut de la période de désagrégation du bloc socialiste, de la disparition provisoire de la bipolarité. Du point de vue religieux, on a vu que l’exportation de grandes religions comme le catholicisme, le protestantisme, l’islam, le bouddhisme, loin de leur région d’origine était apparue bien avant la théorie de la globalisation. Une ambition telle n’a cependant jamais été atteinte alors qu’aujourd’hui les moyens de communications, les transports, internet sont capables d’unir leurs e࠰ets. Tout comme les cultures humaines, les religions du monde gardent toujours un caract¢re de pluralité car la religion est une composante de la culture humaine à la fois partagée et spéci࠱que à chaque pays. J’apprécie tout particuli¢rement les deux concepts d’« original globalizer » de David Lehmann. J’entends le terme de globaliWer comme « celui qui globalise », « le globalisant », « la substance globalisante » ; et original comme « originel », « primitif ». Je traduis l’expression par « globalisantZoriginel » (cái ton cԸu ha gբc). Ces deux mots montrent que d¢s les origines, les religions se sont globalisées sans attendre que la globalisation de l’économie n’apparaisse. La globalisation religieuse est antérieure à la globalisation économique, la globalisation économique n’entra¨ne pas la globalisation religieuse. J’aime aussi l’expression « supermarché religieux et/ou spirituel » de aker en optant plut®t pour « supermarché religieux ». La globalisation religieuse pré-moderne est une tendance qui s’est manifestée précédemment à travers quelques grandes religions comme le christianisme ou
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le bouddhisme. La globalisation religieuse moderne tire béné࠱ce de la globalisation économique, des nouveaux instruments de communication, essentiellement internet. Elle développe rapidement un marché religieux, place tout individu dans la possibilité d’« acheter » une religion choisie dans le supermarché religieux et non pas propagée par des missionnaires ou par un quelconque pouvoir exclusif. Ce sont les conditions requises à l’individualisation de la religion. Naturellement, l’entrée dans le supermarché religieux pour « acheter » une religion ne concerne dans le monde que les personnes qui ont un certain niveau de connaissances, cela ne concerne pas encore les gens ordinaires. Comparés au pluralisme religieux pré-moderne, les NM- représentent donc la spéci࠱cité principale du pluralisme religieux actuel. Pour l’essentiel, il ne consiste pas en l’augmentation du nombre de ࠱d¢les ou de croyances à c®té des « vieilles religions » globalisées, le changement réel par rapport à la période pré-moderne est l’apparition de centaines, de milliers de NM- qui agitent le spectre religieux de nombreux pays. Tentons de décrire un mod¢le théorique du pluralisme religieux actuelZ: – religions autochtones à l’exemple du shinto©sme au Japon ; – religions globalisées avant 1945 comme le christianisme, le bouddhisme, l’islam ; – religions anciennes de caract¢re local qui se sont exportées apr¢s 1945 comme le lama©sme ; – les NM- autochtones ou importés. D’évidence, la situation concr¢te de chaque pays fait que l’on ne peut pas systématiser. Je consid¢re l’actuel spectre religieux vietnamien comme suitZ: – religions autochtonesZ: cultes des génies tutélaires ; – religions anciennes présentes avant 1945Z: bouddhisme, catholicisme, protestantisme, brahmanisme, caoda©sme ; – religions anciennes implantées apr¢s 1945Z: islam pratiqué par les Chams ; – NM-Z: Thanh HԸi V® ThŪոng SŪ, Vàng Chվ (prosélytisme illégal). Il ne s’agit que de conceptions personnelles et préliminaires pour décrire la situation religieuse actuelle du ViêtZ Nam, pour inciter les chercheurs à en débattre. Spéci࠱cité de la globalisation religieuse, les NM- commencent juste à être étudiés. Dans cette forêt de champignons, on en trouve à la fois des « comestibles » et des « vénéneux ». Il faut encore attendre pour que les NM- se développent, qu’ils stabilisent leur « force », que les faibles soient éliminés, que les champignons vénéneux disparaissent pour que les comestibles se développent durablement. De même qu’il faut encore attendre que les chercheurs les étudient sous tous leurs aspects et pas uniquement pour en critiquer les aspects négatifs. Je conclurai cet article en citant à nouveau Eileen akerZ: Voici quelques ré࠲exions sur la situation actuelle du pluralisme religieux. Présentées sous la forme d’un article informel. Et non-académique.
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LES PREMIERS DÉFIS DU PLURALISME RELIGIEUX AU VIÊT NAM
Êի ,UANG HŪng Institut de recherches sur les religions, Hanoi
Nous estimions jusqu’à peu que le pluralisme religieux était une question centrale de ces derni¢res décennies liée à la modernité des pays d’Europe et d’Amérique duZ Nord. Le cœur du probl¢me étant, dans ces pays de tradition monothéiste, l’acceptation de religions minoritaires issues de phénom¢nes migratoires ou encore de réalités géo-religieuses nouvelles découlant d’une globalisation de plus en plus forte et de plus en plus complexe. Visiblement, l’expression « pluralisme » « ne pose aucun probl¢me » au ViêtZNam. Ce pays a un syst¢me religieux fondamentalement pluriel, composé de religions autochtones et de religions exog¢nes qui fait qu’en dehors du juda©sme et de l’orthodoxie, toutes les autres religions y sont représentées. EtZnous ne parlons pas bien sµr de la présence croissante de nouveaux mouvements religieux (NM-). Nous nous sommes intéressés depuis peu de temps seulement à cette question pourtant fondamentale du pluralisme. Nous avons encore en mémoire les suggestions du futurologue américain Alvin To࠴er pour qui l’une des particularités observable était le « marché des biens spirituels. » Il a aussi laissé entendre que le pluralisme qui se dessine spontanément en Occident a des aspects à la fois constructifs et négatifs. Alvin To࠴er sugg¢re aussi que l’apport illimité de théories religieuses et de réalités mystico-religieuses ne vise qu’à satisfaire une expansion des besoins individuels et sociaux. IlZva même jusqu’à prévoir l’utilisation des « produits spirituels » comme des modes d’actions terroristes pour lutter contre l’État. Mais il reste fondamentalement con࠱antZcar selon lui, « dans la politique chaotique de ce marché spirituel germeront les graines d’une culture positive adaptée aux besoins de notre temps 1. »
1. A. TOFFLER, The third Tave, antam books, NewZ4ork 198, p. 31. Voir l’article traduit de E.ZG.ZBALAGUSHKIN, « Cc t®n gio mհi vհi t§nh cch là hi՜n tŪոng v½n ha-x hծi và tŪ tŪմng h՜ » [Les nouvelles religions, phénom¢nes socio-culturels et syst¢mes de pensée] dans Tôn giáo v Ëծi sբng hin ËԲi [Religion et vie moderne], vol.Z3, Vi՜n th®ng tin khoa hբc x hծi, Hanoi 1998, p. 113-1 .
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Plus récemment, pour éclairer la situation religieuse vietnamienne à la lumi¢re du pluralisme, j’ai étayé les bases théoriques et pratiques de cette question en me référant aux conceptions du professeur Jean-Paul Willaime selon lequelZ: Aujourd’hui en Europe, la reconnaissance du pluralisme religieux n’existe pas seulement au niveau institutionnel, mais aussi au niveau de la culture et des mentalités. De plus en plus de personnes abandonnent en e࠰et un point de vue exclusiviste en admettant, non seulement qu’il y a d’autres religions que la leur, mais que ces autres religions ont leur vérité [ ]ڎLa pluralisation institutionnelle du religieux laissait la place à la perdurance d’un imaginaire de l’unité à dimension religieuse. Le pluralisme était contenu dans un cadre institutionnel structurant une segmentation culturelle plus ou moins prononcée. ,ue ce soit à travers un régime de cultes reconnus ou de séparation plus stricte des Églises et de l’État, dans le cadre d’un syst¢me de piliers ou d’une compartimentation géographique, les di࠰érenciations religieuses et philosophiques ont engendré de véritables enceintes idéologiques à la perméabilité tr¢s contr®lée par rapport à leur environnement. Comme dans leur langue maternelle, les individus se mouvaient, de la naissance à la mort, dans l’univers symbolique qui leur était familierZ: le pluralisme était externe, il n’était pas interne. La pluralisation culturelle du religieux au niveau des individus et au niveau des organisations religieuses elles-mêmes met par contre plus en cause la fonction d’intégration sociale globale du religieux. L’on assiste, dans le domaine religieux comme dans d’autres domaines, à une mutation de la structuration du lien social du groupe au réseau, mutation qui tendrait à indiquer une perte de dimension politique du religieux. Apr¢s la perte d’in࠲uence de la fronti¢risation politique du religieux, on assiste à une relative perte d’in࠲uence au niveau de la fronti¢risation culturelle qu’avait induite la formation de milieux confessionnels assez imperméables les uns aux autres. Ce qui n’empêche pas les cultures confessionnelles de rester souvent plus prégnantes qu’on ne le pense, notamment dans leur capacité à servir de support à des identités collectives . »
Ces opinions profondes m’ont incité à chercher quels étaient les premiers dé࠱s du pluralisme religieux au ViêtZNam. J’ai distingué quelques manifestations pouvant être considérées comme des particularités du pluralisme vietnamien pour souligner deux des premiers dé࠱s qui se présententZ: le premier défi est culturel et concerne l’identité ; le second défi est institutionnelZet concerne le droit des religions.
. J.-P.ZWILLAIME, « L’approche sociologique des faits religieux » dans Religions et Modernité, Actes de l’Université d’Automne organisée à Guebwiller les 7-3 octobre 3, ScérénZ – C-DP, ParisZ– Versailles 4, p. 94-95.
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Les premiers déࠩs du pluralisme religieux au Viêt +am
&)BPA¤CFPARMIRO>IFPJBOBIFDFBRUBKSBOPI>@RIQROBBQIڂFABKQFQ¤ 1. L’évolution du « sVstème religieux » Le ViêtZNam poss¢de un syst¢me religieux ancien, complexe, composé de trois ensembles principauxZ: –Z les religions et les croyances autochtones qui sont célébrées aux trois niveauxZdi࠰érents de la famille, du village et de la nation. On trouve en correspondance trois formesZreligieusesZ: le culte des Ancêtres, les cultes des génies villageois, les cultes nationaux ou de l’État ; – les religions composant le triple enseignement (tam giáo) –Zconfucianisme, tao©sme, bouddhismeZ– importé de Chine et d’Inde au début de l’¢re chrétienne ; le catholicisme présent depuis la premi¢re moitié du XVIeZsi¢cle, le protestantisme depuis le début du XXeZsi¢cle ; l’islamZet l’hindouisme, legs historiques du royaume du Champa qui perdurent depuis le XeZsi¢cle ; – les nouvelles religions autochtones apparues au début du XXeZsi¢cle comme le caoda©sme (19 6) et le bouddhisme H¬a HԸo (1939). Dans le Sud du pays, d’autres groupes religieux rattachés aux mouvements des SaintsZHommes (ông ËԲo) sont apparus, depuis le ւu Sśn Kֈ HŪśng (mi-XIXeZsi¢cle) jusqu’au Tվ |n HiՔu Nghãa (࠱nZ XIXe), Tՠnh Ëծ cŪ sã phՂt hծi, ÊԶo ng TrԼn( ڎdébut du XXeZsi¢cle). D’apr¢s les recherches de l’Institut de recherches sur les religions, à l’image de ce qui se passe dans de nombreux pays du monde, le ViêtZNam a vu appara¨tre depuisZ1985 des NM- que la population dénomme religions insolites, sectes, religions pa©ennes 3 ڎEn se référant à des statistiques encore fragmentaires datées de la ࠱n des annéesZ 199, ces « religions insolites » (ËԲo lԲ) représenteraient plus de 5Z groupes sectaires sous une soixantaine d’appellations di࠰érentes. Parmi eux, beaucoup de ces groupes sont provenus de l’étranger à la faveur de l’ouverture économique et de l’intégration au marché mondial. On dénombre huit groupes principaux parmi lesquels Thanh HԸi V® ThŪոng SŪ (depuis Taiwan), Omoto et Soka Gakkai (depuis le Japon), la méditation V® Vi (depuis la France), PhՂt MՀu Ëՠa cԼu (depuis la Chine), 4iZguan dao (depuis Taiwan). Nous ne parlons pas de l’importation récente, depuis les États-Unis ou l’Europe, des sectes rattachées à la « famille protestante » qu’il est di࠳cile d’identi࠱er et de distinguer. En dehors de celles qui sont présentes depuis longtemps comme c’est le cas pour la Christian fellowship church, ou encore pour les églises de maison réunies dans des organisations privées 4, de nouveaux
3. Enquêtes de l’Institut de recherches sur les religions menées en 1- sur les « NM- » dans les provinces du Nord ; voir aussi le rapport introductif de Dլ ,uang HŪng au colloque « Hi՜n tŪոng t®n gio mհi, mԺy vԺn ËՖ l· luՂn và thֆc ti՚n » (NM-, questions théoriques et pratiques) publié dans la revue +ghiên cպu tôn giáo (mai 1). 4. Mentionnons « l’Alliance pour la communion protestante du Viêt Nam »Z(Hip hժi thông công tin lnh Vit +am)Zou « l’Amitié pour la communion protestante du ViêtZNam »Z(Hip hժi thông công liên hրu tin lnh Vit +am).
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groupes religieux sont également apparus tels les Témoins de Jéhovah, les Mormonsڎ eaucoup de sectes protestantes présentes au ViêtZNam avantZ1975 (églises baptistes, presbytériennes, mennonite, et pentec®tistes en particulier) ont tout récemment restauré leurs activités dans le contexte d’ouverture et d’intégration. Les groupes sectaires prosp¢rent dans le pays. Il y a ceux qui se détachent du bouddhisme 5. Mais une autre tendance est l’apparition ex nihilo de cultes locaux 6. Le terme ËԲo lԲ qui sert à quali࠱er les sectes, et que je traduis personnellement par « religion inconnue » 7, est une appellation su࠳samment neutre pour être acceptée par la population et par les services de gestion de l’État. Ces derni¢res années, les journaux ont utilisé non sans confusion les termes de cultes pa©ens (t giáo), de sectes (giáo phái, h phái) pour décrire de tels phénom¢nes, au point d’entra¨ner des protestations. ,uant à l’expression « NM- » (hin tŪմng tôn giáo mլi), elle est uniquement adoptée par les spécialistes des religions en imitation de leurs homologues étrangers. Il est tentant de dire que l’apparition d’une quatri¢me catégorie constitutive du « syst¢me religieux » vietnamien, celle des NM-, représente l’un des dé࠱s les plus perceptibles du pluralisme en contexte d’ouverture, d’intégration et de mondialisation. D’une série d’enquêtes e࠰ectuées pendant deux ans dans les provinces du Nord (Thanh Ha, Hà Nծi, Vãnh Phúc, HԸi Ph¬ng) sur les « religions inconnues », nous avons extrait les trois observations suivantesZ: Premièrement, les « religions inconnues » du ViêtZ Nam sont initialement apparues dans le Sud (ex-Cochinchine), sous les noms de sociétés secrètes, Société du Ciel et de la Terre et sous la forme particuli¢re du mouvement des ông ËԲo ou des saints hommes comme nous l’avons mentionné précédemment. ParmiZles plus connus, on trouve le mouvement du ÊԶo Dրa à ՔnZTre (196-1985). Cet espace social présentait clairement « des vides spirituels. » Aujourd’hui la géographie religieuse a semble-t-il changé puisque les « religions inconnues » sont à l’¢re de l’ouverture et de l’intégration plus nombreuses dans les provinces du Nord au point même de s’y concentrer. !euxièmement, comme dans nombre de pays, les « religions inconnues » du ViêtZNam avaient pour « gourou » (giáo chո) 8 un homme, à la fois fondateur et dirigeant religieux. Mais depuis une vingtaine d’années, la majorité des gourous
5. Comme Long Hoa !i LՈc, Hժi PhԾt MԼu, Chn TŪ Tam Hính, Tiên phԾt nhԶt giáo, PhԾt mԼu Ë՜a cԸu. 6. +g՞c PhԾt Hդ Chí Minh, Êon Ph´ Th՞, MԼu hժi Ë՜a cԸu, Thanh Minh v¦ t¦nh dn tժc, LՈc Hդng |u Cś, ÊԲo Thiên Cś, ÊԲo Cô +on, ÊԲo con hiՒn, Chn Hhông ÊԲo Sex, Siêu ha, Cժi nguդn, TrŪծng ng՞ai cԴm Tզ !Ūśng, ʬan cách mԲng PhԾt ËԴn. 7. En français dans le texte (ndt). 8. Guru, du sanskritZ ma¨tre, est celui qui dirige la communauté religieuse des Sikhs au Pendjab. Tous les spécialistes des NM- utilisent ce terme pour parler des leaders des sectes religieuses contemporaines.
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sont des femmes 9Z: par exemple ÊՆng Thՠ Trinh (Thanh HԸi V® ThŪոng SŪ), Êinh Thՠ Hà (ʬan 18 Phú Thբ), Nguy՚n Thՠ LŪśng (Ngբc PhՂt Hը Ch§ Minh), Êào Thՠ Minh (Long Hoa Di LՌc, Sc Sśn, Hanoi), Nguy՚n Thՠ Nզi (ÊԶo C® Non, Thi ¦nh), Nguy՚n Thՠ Ninh (Hծi PhՂt MՀu, HԸi DŪśng)ڎ Troisièmement, à la différence des pays européens ou des États-Unis, les adeptes ne font majoritairement pas partie des classes moyennes, urbaines, jeunes, étudiantes, intellectuelles. Selon la terminologie sociologique actuelle, les ࠱d¢les de ces « religions inconnues » appartiennent massivement à des groupes sociaux d’« exclus »Z: le prolétariat des villes, les cadres ou les militaires en retraite, les travailleurs pauvres, les gens de faible constitution physique ou mentale mais à la capacité su࠳sante pour intégrer techniquement la société de l’information. Nous tirons ces commentaires de l’observation directe de quelques groupes et d’entretiens aupr¢s de certains gourous. Toutes ces derni¢res années, la presse et les médias se sont emparés de ces phénom¢nes. Certaines années, on comptait par centaines les articles publiés dans des dizaines de journaux di࠰érents. La presse a dressé les biographies des gourous, a critiqué ces « religions inconnues » sur les plans culturel et moral.
. .uelques cas représentatifs de ces déࠩs avant d’aborder par comparaison le cas du Viêt࢙+am landine Chélini-Pont, de l’université PaulZ Cézanne Aix-MarseilleZ III, a abordé des questions tr¢s intéressantes dans son article intitulé « l’héritage culturel français face au pluralismeZreligieux. » L’hypoth¢se avancée est que la France, bien que terre d’émigration, préserve fortement son identité culturelle nationale qui rend di࠳cilement acceptable le « multiculturalisme. » La diversité religieuse est une forme nouvelle en France 1, qui est apparue dans la période instable de la mondialisation ڎl’auteur souhaiteZ: [ ]ڎplaider une pédagogie du dialogue, qui suppose que les autorités françaises puissent entendre le langage de la légalité et respectent leur propre droit –Zsouvent plus souple et libéral qu’elles ne le pensentZ– et que les nouveaux groupes religieux acceptent de leur c®té de vivre et de se développer dans une société qui a ses codes et s’est construite bien avant leur présence 11.
L’auteur souligne cette interrogationZ : « Pourquoi les Français sont-ils surpris par les nouvelles religions »Z Sa réponse estZ que « le catholicisme marque inconsciemment les consciences avec une certaine dé࠱nition de ce
9. Vպ c®ng tc t®n gio, ban dn vՂn trung Ūśng [Département des a࠰aires religieuses, Comité central de la mobilisation du peuple], Hժi Ëáp mժt s vԶn ËՒ vՒ ËԲo lԲ հ nŪլc ta hin naV [.uestions réponses sur les religions insolites de notre paVs aujourd’hui], Nxb t®n gio, Hanoi
7. 1. Sur la situation religieuse de la France et sur les sectes, voir . CHÉLINI-PONT, « L’héritage culturel français face au pluralismeZ religieux »,Z !roit et religions, actes du colloque de l’université Aix-Marseille III, Paul Cézanne, Aix-en-Provence 5. 11. Ibid, p. 93- 94.
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qu’est une religion, et la tradition la©que entretient une mé࠱ance tr¢s forte vis-àvis de toute religion 1 . » Les éléments de l’identité culturelle et la©que française sont considérés par l’auteur comme des particularités que l’on ne peut écarter. Défendre l’identité de la -épublique, c’est comprendre la la©cité comme une sorte de religion civile. Mais selon l’auteur, la religion civile s’appuie pour les Américains sur une vénération de la liberté religieuse en apportant un regard optimiste sur la religion, alors que la conviction essentielle de la république française est la la©cité laquelle propage une pensée négative de la religion. landine Chélini-Pont conclutZque « le poids culturel de la religion catholique, associé à la construction de l’identité la©que des Français est une premi¢re explication de la ڄmé࠱ance څfrançaise face au religieux 13. » Il est clair que les NM- sont un dé࠱ pour la France, tant pour son identité culturelle que pour son État la©c. Ne serait-ce même l’Islam qui comptabilise aujourd’hui quatre millions d’adeptes et qui se situe statistiquement en seconde position avant le protestantisme et le juda©sme. La reconnaissance de l’islam dans les lieux publics a posé beaucoup de probl¢mes, plus largement ce sont les questions liées à la liberté religieuse, au culte, à l’intégration des musulmans dans la société française qui ont été posées. L’a࠰aire du « foulard islamique » a questionné les droits fondamentaux de l’individu en mati¢re de la©cité, le respect des traditions culturelles et religieuses ainsi que le comportement de la France envers une partie de ses immigrés de confession musulmane. De même est apparue ces derni¢res décennies la question de l’interdiction ou de l’acceptation des NM- en France comme dans le cas des Témoins de Jéhovah qui a suscité des débats à l’Assemblée nationale et dans l’opinion publique. En contrepoint des vues de cette auteure française, nous faisons référence à des auteurs d’Amérique du Nord et à travers eux à un espace religieux bien di࠰érent de celui de la France. L’Angleterre fournit aussi un témoignage di࠰érent car dans la constitution du royaume, on ne trouve pas de documents juridiques uniques qui abondent dans le sens des droits individuels et de la liberté religieuse. Même si l’église anglicane est l’église dominante, cette religion n’a jamais tenu un rang important dans les enquêtes démographiques du pays. En outre, il n’y a jamais eu de proclamation o࠳cielle pour déterminer les relations entre l’État et l’Église anglicane. Selon Paul Willer, en 1998, l’Angleterre a approuvé, en accord avec le traité européen sur les droits de la personne, la loi relative aux droits de l’homme dans son syst¢me juridique. L’articleZ1 de ce traité soul¢ve pour la premi¢re fois la question des droits des groupes religieux minoritaires, y compris celle de la défense de leurs intérêts devant le tribunal, ce qui n’existait pas jusqu’alors. L’auteur insiste aussi fortement sur un faitZ: dans le cas tout d’abord des nouvelles religions qui découlent des ࠲ux migratoires des derni¢res décennies, face ensuite à la question de l’islam devenue prioritaire apr¢s le 11Zseptembre 1, la loi
1 . Ibid, p. 95. 13. Ibid.
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religieuse anglaise, en particulier ses articles de loi sur le racisme, a montré une capacité nouvelle à défendre les juifs et les sikhs alors qu’elle n’a jamais défendu jusqu’alors les chrétiens dans leur ensemble ou les musulmans car toutes deux sont des religions majoritaires et multiethniques. De plus, la structure démographique de l’Angleterre est en train de muter et les « religions minoritaires » ont des revendications en mati¢re de liberté religieuse et de droits. L’espace urbain n’est plus uniquement occupé par des églises traditionnelles, il l’est aussi par les lieux de cultes d’autres religions, mosquées, temples, salles de pri¢res ڎce qui peut mener à des con࠲its 14. D’évidence, toutes ces incidences sur l’identité culturelle, les traditions religieuses et le droit sont des dé࠱s largement partagés par des nations qui se trouvent face au ࠲ot du pluralisme. 3. Retour au cas du Viêt࢙+am Au ViêtZNam, le dé࠱ essentiel concerne l’identité culturelle. Les Vietnamiens ont de tout temps conservé au cœur de leur spiritualité les vestiges du « triple enseignement puisant à la même source » (tam giáo Ëդng nguVên). Selon cette derni¢re, toute religion est bonne. Mais en réalité, l’apparition de « religions inconnues » a immédiatement entra¨né des réactions culturelles et religieuses. Les Vietnamiens n’attribuent pas en général de faveurs particuli¢res à une spiritualité qui jouerait ainsi le r®le de religion nationale. Le cas du bouddhisme est toujours débattu pour déterminer s’il a été ou non religion d’État aux XI-XIIIeZsi¢cles. De plus, cette façon d’apprécier les religions comme « étranges au début mais dont on s’habitue ensuite » (trŪլc lԲ sau quen) a créé depuis longtemps un « syst¢me » religieux complexe et ouvert aux courants religieux du monde. En quels termes se pose actuellement la question du rapport entre l’identité culturelle et le pluralisme religieux En s’appuyant sur la presse, sur les enquêtes de terrain menées par l’Institut de recherches sur les religions entre 1 et 3, en࠱n sur l’étude publiée par le département des a࠰aires religieuses en 7, « ,uestions-réponses sur les religions inconnues dans notre pays aujourd’hui 15 », nous pouvons faire les deux commentaires suivants à propos des défis du pluralismeZ: Premièrement, l’apparition de NM- (ou « religions inconnues ») –Zmanifestation majeure du pluralisme depuis les annéesZ 1986-1987, provoque une réaction, une condamnation ou une crainte des phénom¢nes religieux « non conventionnels » ; bien qu’ils provoquent beaucoup d’émoi au sein de la population, la vigilance des autorités contre les phénom¢nes de contre-culture fait que leur in࠲uence sur la santé, sur la morale, sur la vie quotidienne provoque ࠱nalement peu de troubles sociaux. À la lecture de la presse et des livres mentionnés,
14. P. WELLER, « Equity, Inclusivity and Participation in a Plural Society: Challenging the Establishment of the Church of England », dans P.Z EDGE, G.Z H ARVEY, LaT and Religion in ContemporarV SocietV, Ashgate Pub Ltd, Aldershot , p. 53-67. 15. Le livre traite des religions inconnues en questions-réponses.
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beaucoup de ces religions inconnues ont pour activité principale la di࠰usion de croyances superstitieuses comme annoncer « la fin du monde », s’autoproclamer « Dieu » ou la réincarnation du ouddha, prétendre être descendant de génies qui s’en retournent sur terre pour sauver l’humanité des malheurs et des ravages. Elles exhortent aussi à lire assidµment les livres saints, à s’éloigner des préoccupations professionnelles tout en incitant à se morti࠱er, à mendier, à « prendre littéralement son envol », à brµler ses biens ڎCes religions qui veulent toutes apporter une solution aux probl¢mes et aux di࠳cultés actuelles se ressemblent toutes sous la forme tr¢s répandue de « religion-pathologie. » L’utilisation thérapeutique ancienne d’amulettes et de philtres par les tao©stes, les sorciers, les ma¨tres de cérémonie, ressemble à s’y méprendre à ce que proposent les gourous des actuelles « religions inconnues »Z: sancti࠱er de l’eau mélangée à de la cendre posée sur un autel, simuler l’exorcisme de fant®mes, composer des décoctions avec des plantes, pratiquer l’hypnose, la contemplation, prétendre chercher en l’homme les sources de ses forces mystérieusesڎ Pendant le colloque organisé en 1 par l’Institut de recherches sur les religions sur les nouveaux mouvements religieux, j’ai expliqué dans ma communication que si les NM- explosaient e࠰ectivement au ViêtZNam, ceux-ci n’avaient pour l’heure créé aucun trouble notable dans les domaines de la psychologie sociale, de la moralité ou de la sécurité publique contrairement au Temple solaire en Occident ou, au Japon, à la secte Aum et son empoisonnement dans le métro de Tokyo ڎMais il faut prolonger en disant que la propagation de croyances superstitieuses par un certain nombre de NM- a créé malgré tout des tragédies singuli¢res au ViêtZNam. Le point culminant a été atteint la nuit du
Zoctobre 1993 à PaZHé, dans ce village peuplé de Thai paci࠱ques et doux de la province de Sśn La. Au cours de cette nuit panique, un massacre de 53Zsectateurs adultes et enfants s’est déroulé sous la direction du roi Liêng, le leader Cà V½n Liêng de la religion Pha tբc ; les personnes à qui est revenue cette mission de décapiter et d’incinérer les victimes ont ensuite retourné les armes contre elles pour ainsi « retourner rapidement au ciel 16. » !euxièmement, la réaction culturelle de la population envers les NMs’exprime sur le plan des pratiques. Auparavant, les « activités religieuses » rattachées au « mouvement des Saints hommes » (Société du ciel et de la terre, ËԲo +Ղm, ËԲo Êպng, ËԲo Ëm )ڎrestaient relativement proches de la vie ordinaire. Le cas du ËԲo dռa est un peu inhabituel car les ࠱d¢les, attachés à leur Saint homme, devaient s’abstenir de se laver, se laissaient pousser les cheveux et vivaient uniquement de noix de coco et de contemplation. -écemment, de nombreux NM- ont mis en pratique divers rituels d’automorti࠱cation vraiment inhumains (se laisser brµler au soleil, s’immerger dans des fosses de chaux), excentriques (cas de la « religion du doigt coupé »), ou
16. an dan vՂn trung Ūśng [Comité central de la mobilisation du peuple], Vն Pahé [L’aࠨaire de Pahé], Hanoi 1993, p. 85.
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traumatiques (tout quitter pour aller se morti࠱er dans la forêt, pour vivre nu en bande comme dans les cas de ËԶo Chn Kh®ng, LŪu V½n Ty). Si l’on observe avec clémence les évolutions spirituelles et le « mode de vie » des NM-, ces explications expriment certainement les premiers dé࠱s que les sectes provoquent à l’égard de l’identité culturelle nationale. Ou pour le dire di࠰éremment, l’apparition de ces NM- reste dans la majorité des cas une anomalie aux yeux de la population. 4. À l’avant-garde de ces questions de sciences religieuses, on trouve beaucoup de chercheurs européens et américains Un certain nombre d’auteurs ont pu dé࠱nir ce que sont les NM- et montrer queZ l’apparition de cette tendance au tournant du XXIeZ si¢cle re࠲¢te une des r¢gles de la mondialisation actuelle, à savoir le passage d’une « religion d’appartenance » à des « religions individuelles » ; avec pour corollaire l’apparition de groupes religieux minoritaires qui surnagent, qui propagent des « fois parall¢les » ڎet qui visent toutes à satisfaire démocratiquement les besoins de l’homme démocratique moderne en mati¢re de foi et de religion. Les recherches et les ré࠲exions sur lesquelles a porté notre attention restent encore inconnues des réalités religieuses vietnamiennes, elles ne sont que des hypoth¢ses de recherches en sciences religieuses, mais elles sont cependant tr¢s utiles. Le probl¢me est que dans leur ensemble, la société et l’État ne reconnaissent généralement pas ces NM- ni dans leur « acceptionZreligieuse » ni comme une forme « a࠰ective » de la vie spirituelle des adeptes. Mais récemment, un certain nombre de ces groupes indig¢nes ou importés ont été reconnus pour la premi¢re fois par l’ÉtatZ: c’est le cas des mouvements T՜nh Ëժ cŪ sã phԾt hժi, Tպ |n HiՐu +ghãa, Ba’hai, Bվu Sśn (ք HŪśngڎ &&)BPA¤࠲PARMLFKQABSRBGROFAFNRBࢩI>NRBPQFLK ABI>OB@LKK>FPP>K@BABPfOBIFDFLKPJFKLOFQ>FOBPv 1. Lorsqu’on aborde le pluralisme religieux, on ne peut pas ne pas débattre du statut juridique des religions minoritaires et des groupes sectaires. Dans le livre Pluralisme et minorités religieuses, dirigé enZ 1991 par le professeur Jean aubérot, les contributeurs se sont intéressés à un certain nombre de ces probl¢mes. Les auteurs ont par exemple observé l’identité de chaque groupe minoritaire (des points de vue religieux et culturels) et l’interaction avec l’identité collective des groupes majoritaires. C’est sans surprise que les groupes minoritaires posent de nombreux probl¢mes et représentent des dé࠱s aux groupes majoritaires et même aux religions dominantes. Les auteurs estiment aussi qu’un cadre expansif du pluralisme religieux entra¨ne le multiculturalisme et autant de dé࠱s juridiques pour une société qui, comme en France, repose sur des institutions sociales neutres 17.
17. J. BAUBÉROT (dir.), Pluralisme et minorités religieuses, Peeters, Louvain-Paris 1991.
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À ce sujet, je ferai personnellement les commentairesZsuivantsZ: Tout au long de ces derni¢res décennies, la reconnaissance des organisations religieuses a été pour de nombreux pays un probl¢me posé dans l’élaboration du droit des religions. En considérant les trois formes d’État la©c que les sociologues des religions ont modélisés, nous voyons qu’il n’y a pas que les pays qui ont choisi le premier ou le troisi¢me mod¢le pour qui cette question est impérieuse ; il en est de même pour ceux qui adoptent le second mod¢le de la©cité. Car dans de nombreux pays, le « respect des religions autres » n’est pas facile à exécuter, surtout quand sous l’e࠰et de la globalisation du religieux, le syst¢me religieux de chaque pays est de plus en plus soumis à la pluralisation ! La question des religions minoritaires a été et reste un dé࠱ pour tout syst¢me juridique. Par exemple, on se trouve dans tel pays d’Asie du Sud-Est en présence d’une tr¢s modeste communauté baptiste. Mais à l’échelle internationale, cette branche du protestantisme se trouve être aux États-Unis la plus importante de toute la communauté protestante. Ou bien prenons les Mormons qui sont aussi tr¢s peu, mais qui avec plus de 5Zmillions de ࠱d¢les aux États-Unis, classent statistiquement leur Église de Jésus-Christ des Saints du dernier jour au 5eZrang derri¢re les catholiques, les baptistes, les méthodistes, la dénomination pentec®tiste « The Church of God in Christ », et devant le juda©sme ! Dans une publication récente, !eࠩnition of Religion, les deux auteurs Cole Durham et Elizabeth Sewell ont proposé la « théorie des concessions limitées »Zpour parler de la dé࠱nition de la religion par l’ÉtatZ: [ ]ڎplus concr¢tement, selon cette théorie, si un groupe se reconna¨t comme une religion ou m¢ne des actions à caract¢re religieux, alors la responsabilité de l’État de respecter et de défendre la religion exige un soutien hypothétique dans l’a࠳rmation du caract¢re religieux de ce groupe et de ses activités. Cette supposition doit s’exprimer avec force et envergure dans la réalité 18.
Même si beaucoup en critiquent les limites lorsqu’on met à exécution le principe de neutralité de l’État vis-à-vis des religions, le second mod¢le, celui de la reconnaissance sélective des organisations religieuses, reste encore appliqué dans de nombreux pays. Le choix du mod¢le reste le choix souverain de chaque État. Ce à quoi il faut rappeler un autre principe fondamental et intangible du droit internationalZ: le principe de non-ingérence dans les a࠰aires internes des États 19 !
. Les dé࠱s de la légalité des groupes religieux minoritaires sont apparus ces derni¢res années au Viêt Nam. On peut a࠳rmer que le décret 34-SL signé à Hanoi le 14Zjuin 1955 par le président Hը Ch§ Minh au nom du gouvernement de la -épublique Démocratique du Viêt Nam a réellement posé les bases de l’édifi-
18. Ibid., p. 158. 19. Êլ ,uang HŪng, « VԺn ËՖ c®ng nhՂn cc tժ chվc t®n gio- tiՔp cՂn so snh trong trŪղng hոp Vi՜t Nam » (La reconnaissance des organisations religieusesZ: approche comparée du cas vietnamien), +ghiên cպu tôn giáo (janv. 7).
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cation d’un mod¢le d’État la©c. Le choix est celui du second mod¢le , celui de la reconnaissance sélective des religions et du respect des autres religions,Zlequel témoigne de son adaptabilité aux conditions religieuses, politiques, sociales et culturelles du Viêt Nam. Si l’on regarde sur le temps long, l’attribution de la personnalité juridique à des organisations religieuses a débuté en 1958 lorsque le vice-président Phan KՔ ToԶi a signé l’acte de reconnaissance de l’Église du bouddhisme uni࠱éZ du Viêt Nam ; cela s’est prolongé bien plus tard par la reconnaissance intégrale (c’est-à-dire du niveau local jusqu’au niveau central) de 6Zreligions que sont le bouddhisme, le catholicisme, le protestantisme, l’islam, le caoda©sme et le bouddhisme H¬aZHԸo. Pendant les premi¢res années du Ëզi mլi, la reconnaissance des organisations religieuses a montré de nets progr¢s du point de vue institutionnelZ : le caoda©sme a vu à lui seul la reconnaissance de 1Zde ses branches entreZ1995 etZ 1997 ; le protestantisme a deux églisesZ : l’Église protestante du Sud du ViêtZNam reconnue en 1 et celle du Nord reconnue en 1957. Si l’on fait le bilan comptable jusqu’en 4, année de proclamation de l’Ordonnance sur les croyances et les religions, l’État a reconnu les 16Zorganisations religieuses suivantesZ: Église bouddhiste du ViêtZNam, Église catholique du ViêtZNam, Église protestante du Nord du Viêt Nam, Église protestante du Sud du ViêtZNam, 1Zorganisations caoda©stes, l’Église du bouddhisme H¬aZHԸo, le bureau de représentation de la communauté musulmane à Hը-Ch§-Minh-Ville. Depuis cette Ordonnance, l’État a enregistré l’activité de 7Znouvelles organisations religieusesZ: Église évangélique du ViêtZNam, Église adventiste du 7eZjour du ViêtZNam, la Fédération baptiste du ViêtZNam, Tՠnh Ëծ cŪ sã phՂt hծi, Tվ |n HiՔu Nghãa, a’hai. Dans un avenir proche, quelques autres organisations protestantes seront enregistrées conformément aux r¢glementations juridiques. À quelles obligations juridiques sont donc habituellement tenus les États qui choisissent le second mod¢le, celui de la reconnaissance sélective des religions, pour respecter les autres religions Dans les États o³ le syst¢me religieux est complexe et divers, ce qui est le cas du ViêtZNam, l’examen des religions minoritaires devient de plus en plus nécessaire. L’Ordonnance sur les croyances et les religions citée ci-dessus, ainsi que les directives njZ1 du Gouvernement sur le protestantisme (4Z février 5) sont selon nous des progr¢s importants dans l’élaboration du droit des religions. C’est aussi naturellement, un pas important vers une résolution des défis du pluralisme au ViêtZNam aujourd’hui.
. -ésumant les mod¢les d’États la©cs en Europe 1Zans apr¢s la loi de séparation deZ195, Jean aubérot a proposé 4 mod¢les idéal-typiquesZ: ethno-religieux, religion civile, pluralisme, la©cité (J.ZBAUBÉROT, Laïcité et sécularisation dans la crise de la modernité en Europe, Cahiers françaisZ 73 [1995]) ; au même moment, Francis Messner a généralisé 3 mod¢les d’État la©cZ: concordat, pluralisme, la©cité neutre (. BASDEVANT-GAUDEMET, F. M ESSNER, Les origines historiques du statut des confessions religieuses dans les paVs de l’union européenne, PUF, Paris 1999). En particulierZ: F. M ESSNER, P-H. P RÉLOT, J-M. WOEHRLING, Traité du droit français des religions, éd. Litec, Paris 3. La classi࠱cation de Messner semblant mieux s’appliquer aux réalités vietnamiennes, nous utilisons son mod¢le pour nos recherches.
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RELIGION ET POLITIQUE EN FRANCE DANS LE CONTEXTE DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE
Jean-Paul WILLAIME Groupe Sociétés, Religions, Laïcités École pratique des hautes études, Paris
Parler des relations entre religion et politique en France demande d’être particuli¢rement vigilant tellement est grand, dans ce domaine, le poids des représentations mythiques 1. Si le schéma de la guerre des deux France catholique et la©que correspond incontestablement à une histoire de relations con࠲ictuelles entre l’Église catholique et la -épublique, reste que les imaginaires de la France catholique, ࠱lle a¨née de l’Église versus la France républicaine et la©que masquent aussi la complexité d’un pays paradoxal qui, d’une part, n’est pas aussi catholique qu’on le croit (inégale profondeur de la christianisation du territoire et importance passée et présente de l’irreligion, r®le historique non négligeable des minorités juive et protestante, forte minorité musulmane à l’heure actuelle) tout en étant profondément marqué par une culture catholique dominante, et, d’autre part, n’est pas aussi la©que qu’on le pense lorsque l’on constate les particularités des relations Églises-État en France qui, dans di࠰érents domaines, notamment ࠱nanciers, ne mettent pas en œuvre une séparation aussi prononcée que celle qui existe aux États-Unis. À bien des égards, le poids de la tradition gallicane est fort en France, une tradition qui a nourri la conception selon laquelle les religions devaient être soumises au pouvoir politique et être des adjuvants symboliques au service de l’intégration nationale. L’analyse des relations Églises-État nous apprend beaucoup sur la culture politique française marquée par une conception de l’État centralisateur et recteur de la société, la tradition d’un État émancipateur et éclairé exerçant un magist¢re sur la société civile. Dans une premi¢re partie, nous rappellerons en quoi le dispositif français des relations État-religions-société est profondément marqué par le poids de l’histoire, une histoire qui a engendré quelques singularités. Dans une seconde, nous
1. Selon landine Chélini-Pont et Jeremy Gun, les États-Unis n’ont, à cet égard, rien à envier à la France, les passions étant grandes, dans chacun de ces pays, d¢s lors qu’il s’agit de religionZ: cf. leur si perspicace ouvrage !ieu en France et aux États-Unis « .uand les mVthes font la loi » (erg International éditeurs, Paris 5).
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analyserons les évolutions et crispations actuelles en considérant trois dossiers signi࠱catifsZd’interrelations entre le politique et le religieuxZ: l’école, les sectes et l’islam (on pourrait ajouter, comme l’a déjà analysé JeanZaubérot, la façon dont se déroule le centenaire deZ195). Dans une troisi¢me et derni¢re partie, nous expliquerons pourquoi l’on assiste en France à une recon࠱guration, que nous quali࠱ons d’ultramoderne, des relations religions-État-société et quelles en sont les conséquences en mati¢re de la©cité. &)BPPFKDRI>OFQ¤PCO>K@L CO>K¢>FPBPࢩIBMLFAPABIڂEFPQLFOB Dans le cas de la France, la la©cisation du religieux s’est accompagnée d’une certaine sacralisation du politique dans laquelle l’État a été investi d’une mission de régénération individuelle et de réforme de la société et donc d’une véritable mission éthique. Ce pli fut pris sous la -évolution française dont le ressort caché « fut de fonder une nouvelle religion, une théocratie civique dont la vocation n’était autre que de remplacer les cadres traditionnels de la croyance ». Tocqueville avait tr¢s bien perçu que la -évolution française fut une révolution politique ayant « opéré à la mani¢re » et ayantZpris « l’aspect d’une révolution religieuse 3 ». Dans le même sens, JackZ A.Z Golstone 4, remarque, en étudiant comparativement diverses révolutions, que ce qui distingue la -évolution française, c’est un « cadre culturel » o³, « pour la premi¢re fois, le cadre eschatologique de l’époque chrétienne, la croyance dans la destruction du passé et la création d’un nouvel ge de vertu apparaissent compl¢tement sécularisés et transformés en une croyance dans les pouvoirs de l’homme pour fabriquer de ses propres mains un monde supérieur ». Comme le précise Pierre irnbaum à propos de l’émancipation des juifs réalisée par la -évolution française, il s’agit d’« un mode spéci࠱que d’entrée dans la modernité à travers un universalisme étatique libérateur mais peu favorable au maintien des particularismes » (nous soulignons) 5. eaucoup plus que dans d’autres pays, en France, l’édi࠱cation de la démocratie et l’institutionnalisation d’un régime républicain se sont donc e࠰ectuées dans une opposition frontale à la religion, en l’occurrence dans un con࠲it ouvert avec l’Église catholique qui, d¢sZ179, se trouvera rejetée dans le camp contrerévolutionnaire. Le poids du con࠲it a été tel dans l’institutionnalisation de la -épublique que celle-ci a souvent pris la forme d’un contre-syst¢me d’emprise face à celui de l’Église catholique, voire d’une véritable contre-Église avec son
. 4. DELOYE, O. I HL, « Deux ࠱gures singuli¢res de l’universelZ: la république et le sacré », dans M. SADOUN (dir.), La démocratie en France Idéologies, Gallimard, Paris , p.Z14 . 3. A. DE TOC,UEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution, GF-Flammarion, Paris 1988 (18561), p.Z16. 4. J. GOLDSTONE, « -évolution dans l’histoire et histoire de la -évolution », Revue française de sociologie XXX-3/4 (juil.-déc. 1989), p.Z45. 5. P. IRNBAUM, « Les juifs entre l’appartenance identitaire et l’entrée dans l’espace publicZ: la -évolution française et le choix des acteurs », Revue française de sociologie XXX-3/4 (juilletdécembre 1989), p.Z497-51.
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clergé, son catéchisme, ses ritesZ: « the nexus of French Enlightenment doctrines resembles a Catholicism inverted and the secular religions produced by France are sometimes a form of Catholicism without Christianity », remarque David Martin 6. ,uant à Pierre ouretz il voit dans « la rivalité mimétique entre l’unité dogmatique pr®née par l’Église catholique et l’idée d’une organicité de la nation républicaine qui lui emprunte en la combattant » une clé de lecture de l’histoire française post-révolutionnaire 7. Dans la guerre des deux France, l’école occupa une place centrale. L’historienne Mona Ozouf écritZ: L’école se confond avec la -évolution elle-même. On la charge de prévenir la dissolution et d’apaiser le tourment d’une société composée d’individus libres et égaux. On lui con࠱e la mission d’imaginer un syst¢me de croyances capable de faire vivre et tenir ensemble ces individus désormais indépendants en lui donnant si possible une séduction et une force comparables à celles de la religion, dont on vient de secouer le joug. Forger une conscience commune patriotique et moraleZ: telle est l’entreprise dans laquelle les révolutionnaires s’engagent délibérément [ ]ڎC’est pourquoi on les verra reprendre à la tradition chrétienne la promesse d’unité que porte le sentiment de la fraternité pour en donner une version la©que et volontariste, celle qui s’éprouve dans la construction commune de la nation 8.
Les républicains s’inscriront pleinement dans cette tradition. En rendant l’enseignement primaire obligatoire et la©que, la loi du 8Zmars 188 remplacera « l’instruction morale et religieuse » par « l’instruction morale et civique ». Le probl¢me le plus crucial consistera, comme l’a remarqué Jean aubérot 9, à élaborer une morale la©que détachée de ses enracinements religieux. En France, la religion est à l’agenda du débat public lorsque à tort ou à raison elle para¨t menaçante pour les libertés individuelles et pour la la©cité de la -épublique. Et quand la religion est à l’agenda du débat public, la confrontation devient philosophico-politiqueZ : comme le remarque le sociologue François Dubet 1Z: [ ]ڎles débats sur la la©cité prennent vite des allures religieuses ; on y parle beaucoup plus aisément des principes que des pratiques. Ainsi, depuis que la société découvre ou redécouvre ses « minorités culturelles », il nous faudrait aujourd’hui trancher entre l’universel et le particulier, entre l’unité nationale et le droit à la di࠰érence, entre la république et la démocratieڎ
6. D. MARTIN, A General TheorV of SeculariWation, Harper Colophon ooks, New 4ork, SanZFrancisco, LondresZ1979, p. 4. 7. P. OURETZ, « La démocratie française au risque du monde », dans M. SADOUN (dir.), La࢙démocratie en France, p. 6-61. 8. M. OZOUF, L’homme régénéré Essais sur la Révolution française, Gallimard, Paris 1989, p. 9. 9. J. AUBÉROT, Vers un nouveau pacte laïque , Seuil, Paris 199 ; La morale laïque contre l’ordre moral, Seuil, Paris 1997. 1. F. DUBET, « La la©cité dans les mutations de l’école », dans M. WIEVIORKA (dir.) Une société fragmentée Le multiculturalisme en débat, La Découverte, Paris 1996, p. 85.
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L’expérience historique française a nourri cette représentation sociale du religieux qui a fait que, dans notre pays, on a réguli¢rement eu tendance à vouloir « arracher l’homme aux tén¢bres de la religion plut®t que simplement aménager les territoires de l’Église et de l’État 11 ». Comparant les États-Unis à la France, Pierre ouretz souligne que l’Amérique « ignore une conception philosophique et politique de la la©cité qui semble requérir en France que la liberté passe par l’arrachement aux opinions religieuses ». L’opposition entre les deux pays réside, selon lui, en cela [ ]ڎque d’un c®té de l’Atlantique c’est la liberté religieuse qui est premi¢re, en sorte que la séparation en découle, tandis que de l’autre et dans un imaginaire de combat contre l’obscurantisme, l’horizon est celui d’une émancipation vis-à-vis des croyances, tout juste mtinée de libéralité à l’égard des opinions « même religieuses ». En ce sens, ce n’est pas une di࠰érence politique sur le degré d’autonomie de l’État qui sépare l’Amérique de la France, mais l’existence de deux mod¢les étrangers l’un à l’autre du rapport des sociétés modernes à l’expérience religieuse. 1
Comparant la France et les États-Unis, landine Chélini-Pont et Jeremy Gun remarquent à juste titre que les deux principes fondamentaux revendiqués par chacun de ces pays, la la©cité en France, la liberté religieuse aux USA, induisent des réactions opposées par rapport au fait religieuxZ: Le principe de la©cité induit irrésistiblement l’idée de mé࠱ance si ce n’est d’hostilité envers la religion, tandis que celui de liberté religieuse sugg¢re sa protection vigilante allant de pair avec le rejet de l’agnosticisme et de l’athéisme. 13
Et nos coll¢gues d’observer que les dispositions récentes adoptées tant aux États-Unis qu’en France font ressortir in ࠱ne « que la France regarde avec suspicion le fait religieux et que l’incroyance inqui¢te les États-Unis 14 ». De là certaines singularités qui caractérisent la France dans le domaine des relations État--eligions-SociétéZ : 1)Z Le caract¢re plus con࠲ictuel en France qu’ailleurs de la confrontation Église/ÉtatZ: depuis la -évolution Française et durant lesZ XIXe et XXeZ si¢cles, la question de la place et du r®le de la religion dans notre pays a été centrale et a généré des clivages profonds et durables ;
)ZLe caract¢re fortement idéologisé du probl¢me avec le poids, plus important en France que dans de nombreux autres pays, de conceptions philosophiques et politiques critiques de la religion (libre pensée, rationalismes, marxismes, franc-maçonneries) 15; 3)ZL’a࠳rmation plus marquée de la suprématie de l’État
11. P. OURETZ, « La démocratie française au risque du monde », dans M. SADOUN (dir.), La démocratie en France, p. 31. 1 . Ibid, p. 58. 13. . CHELINI-PONT, J. GUN, !ieu en France et aux États-Unis, p. . 14. Ibid, p. 3. 15. Le poids relativement important qu’a eu le Parti communiste dans notre pays est aussi une singularité par rapport à la majorité des pays d’Europe de l’Ouest, singularité renforcée par le fait que, comparé aux Partis Communistes espagnol et italien, les ruptures avec la ligne révolutionnaire fut moins forte dans le PCF.
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et de son magist¢re sur la société civile, la tradition d’un État émancipateur et éclairé d’une part, centralisateur et homogénéisateur d’autre part ; 4)ZLaZforte réticence à l’expression publique des appartenances religieuses, la privatisation du religieux étant plus accentuée en France qu’ailleurs en Europe. Même si l’on retrouve, dans des combinaisons et avec des poids variables, certaines de ces dimensions dans d’autres pays, la singularité française réside selon nous dans l’importance qu’elles ont eues dans la con࠱guration socio-historique de notre pays. C’est ce qui fait qu’en France plus qu’ailleurs, ce qui touche à la religion et à sa gestion publique est un point particuli¢rement sensible de l’opinion qui suscite des mobilisations militantes et prend une tournure philosophico-politique et historico-mondiale qui étonne souvent les observateurs étrangers. Charles -enouvier, grand inspirateur du Parti républicain, philosophe kantien, écrivait dans les annéesZ187Z: « L’État est le foyer de l’unité morale de la collectivité, il a charge d’mes aussi bien que les Églises, mais à un titre plus universel 16 ». Cette conception, véritable infrastructure culturelle des relations État-religions en France, reste sous-jacente à bien des réactions aujourd’hui, même si, comme nous allons le voir, des évolutions sensibles s’e࠰ectuent. Dans un récent rapport du Commissariat général du Plan intitulé Religions et intégration sociale, la singularité française des rapports au religieux est bien pointéeZ: alors que, d’une mani¢re générale en Europe, s’op¢re une sécularisation (perte progressive de pertinence sociale du religieux) sans con࠲it, c’est le politique qui, en France, a tenté de réduire l’importance sociale de la religion comme institution. De ce fait, la demande à l’égard de l’État en mati¢re de régulation religieuse (sur les sectes, sur l’islam) est tr¢s forte, tandis qu’une certaine con࠲ictualité persiste sur ces sujets 17. Ou encoreZ: la France conserve une certaine suspicion à l’égard des religions, une plus grande attention portée au risque d’enfermement des mes qu’elles peuvent receler et une forte opposition à la visibilité religieuse mais aussi ethnique 18. Dans une comparaison franco-canadienne 19, nous avons été amené à dire qu’en France, on pratiquait, en mati¢re de prise en compte des expressions et pratiques religieuses dans la sph¢re publique, plut®t un « accommodement raisonné » qu’un « accommodement raisonnable ». ,u’est-ce à dire L’accommodement raisonnable est un accommodement au service des droits individuels. Il s’agit de trouver une modalité permettant de faire droit à des demandes individuelles de conformité à telle ou telle pratique religieuse sans que cela nuise aux droits des autres et aux nécessités du service
16. Ch. -ENOUVIER, « D’o³ vient l’impuissance actuelle de la pensée la©que », Critique philosophique, t.Z (1876), p. 1. 17. Commissariat général du Plan, « -eligions et intégration sociale » (par Cécile Jolly), Cahiers du Plan 8 (juil. 5), p. 11. 18. Ibid, p. 33. 19. J.-P. WILLAIME, « Le mod¢le républicain français d’intégration face à la pluralité religieuse contemporaine », Bulletin d’Histoire Politique 13, 3 (printemps 5), p. 55-67.
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professionnel. L’accommodement raisonnéZest au contraire un accommodement au service de l’État. Il s’agit de limiter les droits individuels au pro࠱t de la citoyenneté républicaine et de la raison d’État. Dans ce cas, le politique prime sur le juridique, même si le juridique n’est pas absent. Dans l’accommodement raisonnable au contraire, c’est le juridique qui prime sur le politique, ce dernier n’étant pas pour autant absent. II. ÉSLIRQFLKPBQ@OFPM>QFLKP Trois th¢mes, tant pour les évolutions qu’ils manifestent que pour les crispations récurrentes qu’ils rév¢lent, constituent de bons analyseurs des relations religions-État-société dans la France actuelleZ: l’école, la question des sectes et nouveaux mouvements religieux, la question de l’islam. Il est signi࠱catif que les deux lois récentes qui ont été votées concernant le fait religieux –Zla loi de 1 contre les sectes et la loi de 4 sur les signes religieux à l’écoleZ– sont des lois qui, tout en abordant des probl¢mes réels nécessitant la vigilance et l’action des pouvoirs publics, manifestent la mé࠱ance traditionnelle de l’État vis-à-vis du religieux. De mani¢re symptomatique, rel¢ve le rapport précité du commissariat du Plan, certaines enquêtes sur les immigrés prennent implicitement comme facteur d’intégration la baisse de la pratique religieuse .
Crispations donc, mais aussi évolutions ڎdont témoigne entre autres ce rapport o࠳ciel d’une instance de la -épublique qui ne craint pas de souligner l’apport citoyen des religions et le fait qu’elles sont « un véhicule d’identité et de solidarité qui continue de jouer un r®le intégrateur pour des individus qui peuvent être en recherches de sens ou de formes anciennes ou nouvelles formes de lien social 1 ». 1.࢙Une institution sensible࢙ l’école L’école reste évidemment un point tr¢s sensible en raison même du fort investissement dont cette institution éducative fait l’objet dans le mod¢le républicain français. Autour de l’école, il y a bien eu entre la -épublique et l’Église catholique une concurrence avivée et con࠲ictuelle pour le contr®le des esprits et l’éducation des mes. Trois dossiers se présentent iciZ: 1)Zles rapports entre écoles publiques et écoles privées et les séquelles de la « guerre scolaire »,
)Zla question de l’enseignement au sujet des religions (comment aborder les faits religieux à l’école) ; 3)Zl’expression religieuse des él¢ves et sa nécessaire limite dans l’espace scolaire.
. Ibid., p. 11. Le rapport fait référence à M.ZTRIBALAT, Faire France, La Découverte, Paris 1995.
1. Ibid, p. 33.
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. La lente résorption de la « guerre scolaire » La la©cité en France a d’abord été une la©cité scolaire et les lois deZ 188 de séparation -eligion/École ont précédé la séparation Églises/État. L’Église catholique restant tr¢s attachée à la dimension éducative de sa mission à travers un réseau d’écoles spéci࠱ques, on comprend que la guerre des deux France catholique et la©que se soit particuli¢rement focalisée autour de l’école. Sans pouvoir retracer ici les di࠰érentes étapes et péripéties des rapports entre écoles publiques et écoles privées, on ne peut pas cependant ne pas mentionner l’étape essentielle que représente la loi du 31Zdécembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés, dite loiZDebré (duZnom du ministre Michel Debré). Cette loi qui, à l’époque, rencontra l’opposition tant des la©ques que des catholiques, s’avéra une loi de paci࠱cation du con࠲it scolaire opposant l’État et l’Église catholique dans leurs prérogatives éducatives. En instituant des contrats permettant aux établissements scolaires privés (à 9 ࢠZ catholiques) d’être ࠱nancés par l’État tout en conservant leur « caract¢re propre » (moyennant certaines conditions comme l’obligation d’accueillir tous les él¢ves quelle que soit leur religion), cette loi a clairement intégré la contribution d’écoles privées confessionnelles au service public de l’Éducation nationale, ce qui était une façon de reconna¨tre que des établissements scolaires ayant un ancrage religieux particulier, pouvaient néanmoins participer à une mission de service public. -econnaissance importante par rapport à une conception considérant que remplir une mission de service public nécessite obligatoirement de s’abstraire de tout ancrage. De façon tr¢s judicieuse, Émile Poulat a remarqué que la loiZDebré deZ1959 inversait la loiZdeZséparation des Églises et de l’État deZ195Z: « celle-ci a renvoyé au droit privé l’exercice public des cultes tandis que la loi de 1959 associe des établissements privés à un service public
». ien que ce con࠲it récurrent soit pratiquement désamorcé aujourd’hui, il est frappant de constater combien il peut resurgir à certaines occasions. Ainsi, en marsZ1984 à Versailles, des milliers de Français, évêques catholiques en tête, se mobilisaient en faveur de l’école privée et contre le projet gouvernemental de créer un « grand service public uni࠱é et la©que de l’éducation nationale ». Dix ans plus tard, en janvier 1994, une imposante manifestation, cette fois-ci en faveur de l’école publique, se déroulait à ParisZ: elle réagissait à la tentative du gouvernement d’autoriser les collectivités locales à ࠱nancer –Zau-delà des 1 ࢠ jusqu’alors autorisésZ– les dépenses d’investissements des établissements privés. S’agissait-il d’un remake de la guerre des deux France qui, une nouvelle fois, s’a࠰rontait sur le terrain scolaire Oui et non. Oui parce qu’à ces deux occasions, c’est bien le clivage traditionnel autour de l’école qui se manifesta à nouveau avec les instrumentalisations politiques classiques auquel il donne lieuZ: la droite en faveur de l’école privée et la gauche en faveur de l’école publique. Non, parce
. É.ZPOULAT, « Actualité de la loi Debré », dans . POUCET (dir.), La loi !ebré Paradoxes de l’État éducateur , Actes du colloque d’Amiens des 9-1 décembre 1999, C-DP, Amiens 1, p. 13.
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qu’au-delà des dimensions imaginaires du con࠲it, il faut noter que tant en raison du contrat d’association avec l’État que la plupart des écoles confessionnelles ont passé qu’en raison des évolutions socio-religieuses générales, les écoles privées confessionnelles se sont fortement la©ciséesZ: elles sont la©ques au niveau de leur corps enseignant, de leurs él¢ves (en vertu du contrat d’association avec l’État, elles sont tenues d’accepter des él¢ves de toutes confessions) et des programmes ; quant aux familles, elles sont peu nombreuses à y mettre leurs enfants pour des raisons religieuses, même si l’identité catholique d’une école est un label inspirant con࠱ance 3 pour certains, y compris au sein de populations musulmanes. Comme l’ont montré di࠰érentes analyses comparant la France et d’autres pays d’Europe 4, une logique concurrentielle s’est développée entre écoles privées et écoles publiques pour capter une demande d’éducation scolaire de plus en plus exposée au choix préférentiel des familles. Dans ce contexte, les écoles privées confessionnelles tentent de faire valoir leurs atouts en insistant sur le caract¢re à la fois plus personnalisé et plus englobant de leur o࠰re éducative, des établissements scolaires publics –Znotamment les lycées des grandes villes- n’étant de leur c®té pas en reste pour faire valoir leurs mérites. À certains égards, l’école publique se privatise en faisant du marketing tandis que l’école privée se publicise en cherchant à s’ouvrir à tous. Évolution profonde qui indique la résorption de la traditionnelle guerre scolaire au pro࠱t de clivages politiques séculiers concernant le r®le respectif de l’initiative publique et de l’initiative privée en mati¢re scolaire 5. 3. La question de l’enseignement au sujet des religions D¢s la ࠱n des annéesZ198, diverses voix ont reposé en France la question de la religion à l’école. L’école la©que n’avait-elle pas dé࠱nitivement réglé le probl¢me en renvoyant les options religieuses au libre choix des familles et en assurant l’autonomie de l’institution scolaire et de ses enseignants vis-à-vis de toute autorité religieuse ÀZbeaucoup d’égards oui, mais la question de la religion à l’école a resurgi dans de tout autres conditions qu’à l’époque de l’institutionnalisation de la la©citéZ: elle resurgissait non pas contre la la©cité, mais en son cœur, et elle constituait d’ailleurs une manifestation tangible de la réussite même de la
3. G. DE LONGEAUX, Christianisme et laïcité, déࠩ pour l’école catholique Enquête en Région parisienne, L’Harmattan, Paris 5.
4. L’enseignement privé en Europe. Travaux de sociologues, géographes et chercheurs en sciences de l’éducation publiés par -obert Hérin, Les !ocuments de la Maison de la Recherche en sciences humaines de Caen 5 (avril 1998). L’enseignement privé en Europe (II) Travaux de sociologues, géographes et chercheurs en sciences de l’éducation publiés par Colette Muller et -émi -ouault, Les !ocuments de la Maison de la Recherche en sciences humaines de Caen 13 (mars 1).
5. Le sujet reste tr¢s sensible comme viennent récemment de le montrer les vives réactions des syndicats enseignants à un propos du ministre de l’Éducation nationale Gilles de -obien disant qu’il fallait donner « aux enseignements privé et public une égalité de moyens de façon à ce que le choix s’exerce dans la plus pleine neutralité des consciences » (Le Monde des 11-1 septembre 5
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la©cité. Il ne s’agissait pas d’introduire la catéch¢se à l’école mais de tirer, dans une perspective la©que, toutes les conséquences du fait que « la connaissance des cultures religieuses est nécessaire à l’intelligence de nos sociétés, de leur passé et de leur présent, de leur patrimoine littéraire et artistique, de leur syst¢me juridique et politique » (rapport du recteur Philippe Joutard sur l’enseignement de l’histoire, de la géographie et des sciences sociales, 1989). On a d’autant plus souligné l’urgence et la nécessité d’une prise en compte plus conséquente des cultures religieuses, certains allant même jusqu’à proposer l’introduction d’un véritable enseignement d’histoire des religions, que les constats sur l’inculture religieuse des él¢ves et étudiants se multipliaient. De là le débatZ : comment, pourquoi, en vue de quoi, par qui, pour qui, l’école pouvait-elle, si l’on estimait qu’elle devait le faire, prendre en compte les cultures religieuses Débat o³ se sont entremêlées toutes sortes d’attentes concernant aussi bien l’école que la religion 6. Le débat a rebondi lorsque, apr¢s le 11Z septembre 1, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, JackZ Lang, éprouva l’impérieuse nécessité de prendre une initiative visant à renforcer l’étude des faits religieux à l’école. En con࠱ant le 3Zdécembre 1 au philosophe -égis Debray une mission sur « l’enseignement du fait religieux dans l’école la©que », le ministre reconnaissait que si « une école authentiquement et sereinement la©que » devait permettre à chaque él¢ve d’accéder « à la compréhension du monde », cela impliquait la prise en compte par les professeurs des « religions comme éléments marquants et, pour une large part, structurants de l’histoire de l’humanité, tant®t facteurs de paix et de modernité, tant®t fauteurs de discorde, de con࠲its meurtriers et de régression 7 ». De là l’urgence d’un passage, comme l’a tr¢s bien dit -égis Debray, « d’une la©cité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une la©cité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre) 8 ». Pour ce faire, le rapport Debray propose un certain nombre de mesures concernant aussi bien les programmes que la formation initiale et continue des professeurs du secondaire, en particulier l’intégration d’un enseignement sur les faits religieux et la la©cité dans les Instituts universitaires de formation des ma¨tres (IUFM). Aujourd’hui, les actions de formation des professeurs dans le domaine de l’histoire et de la sociologie des religions se multiplient dans les di࠰érentes académies suite à la création de l’Institut européen en sciences des religions (IES-) dans le cadre de l’École pratique des hautes études. En ramenant dans le débat public la question de la religion à l’école, le rapport Debray et ses suites ont ravivé craintes et interrogations. Craintes de militants la©ques et franc-maçons sur les risques d’un retour du religieux à l’école, craintes de religieux qu’une approche historique et culturelle des faits
6. J.-P. WILLAIME, « École et religions. -eprésentations et attentes », dans F. MESSNER (dir.), La culture religieuse l’école, Cerf, Paris 1995, p.Z17-35.
7. J. LANG, Préface à -. DEBRAY, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, -apport au ministre de l’Éducation nationale, Odile Jacob, Paris , p. 9-1.
8. -. DEBRAY, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, p.Z43.
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religieux réduise le religieux à un patrimoine dont on étudierait les vestiges sans su࠳samment prêter attention au fait que les religions sont des réalités vivantes qui mobilisent des millions de personnes à travers le monde. Mais, globalement, l’accueil du rapport Debray et des initiatives qui s’en suivirent furent tr¢s positif tant dans les milieux religieux que dans les milieux la©ques, les réactions étant simplement plus mitigées et mé࠱antes parmi les représentants d’une la©cité de combat et parmi les religieux traditionnalistes. La division précédente du travail éducatif qui tendait à exclure l’étude du fait religieux de l’école au nom d’une la©cité d’abstention apparut paradoxalement insu࠳samment la©que. Les religions se révélaient être, en ࠱n de compte, des faits sociaux trop importants pour que l’État républicain et son école en laissent le monopole aux clergés et aux communautés. L’inscription du fait religieux dans la sph¢re publique, en particulier dans le domaine scolaire, s’inscrit « dans un contexte de maturité de la la©cité 9 », un nouvel ge de la la©cité qui est un signe de sa réussite. Comparant la façon dont la neutralité républicaine à l’égard des religions se manifestait dans le domaine scolaire aux États-Unis et en France 3, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il y avait un point commun et une di࠰érence importante. Le point commun, c’est le fait que, dans les deux pays, on bannit de l’école tout enseignement confessionnel des religions. La di࠰érence, c’est que la neutralité républicaine états-unienne exclut les religions de l’école tout en y acceptant Dieu alors qu’en France on exclut Dieu de l’école au pro࠱t des dieux en privilégiant une approche socio-historique et littéraire des religions dans les disciplines scolaires. 4. L’expression religieuse des élèves l’école La question de la la©cité scolaire a encore rebondi en 1989 et les années suivantes au sujet du « foulard musulman » porté par quelques él¢ves, un fait qui a déclenché de multiples débats et polémiques, certains philosophes craignant un « Munich de l’école républicaine ». Cette question, qui met en jeu de nombreuses dimensions en particulier la ligne de partage entre public et privé, la question du corps et des identités sexuées, a divisé la gauche comme la droite même si elle a abouti in ࠱ne à un vote quasi-unanime de la classe politique en faveur de l’interdiction du voile 31. Ce qui a abouti à la loi du 15Zmars 4 limitant l’expression par les él¢ves de telle ou telle identité religieuse, votée par 494Zvoix contreZ36 à l’Assemblée nationale et par 76Zvoix contreZ auZSénatZ:
9. D.Z BORNE, « Les Actes de la DESCO », dans L’enseignement du fait religieux, Scérén, C-DP Académie de Versailles, 3, p. 369. 3. J.-P. WILLAIME (dir.) avec S. MATHIEU, !es maîtres et des dieux Écoles et religions en Europe, elin, Paris 5. 31. Denis Pelletier, dans « L’école, l’Europe, les corps. La la©cité et le voile » (Vingtième siècle Revue d’Histoire 87 [juil.-sept. 5], p. 159-176) o࠰re une analyse bien documentée de ce débat et de ses enjeux. À juste titre, il y voit une mise en jeu « du mod¢le hexagonal de partage entre le politique et le religieux » (p. 159).
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Dans les écoles, les coll¢ges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les él¢ves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le r¢glement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’él¢ve.
La France est le seul pays d’Europe à avoir légiféré pour interdire la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse des él¢ves, en particulier le port du « voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive » (circulaire du 18Zmai 4. relative à la mise en œuvre de la loi du 15Zmars 4). Dans cette a࠰aire, certains rappellent que ce ne sont pas les él¢ves qui sont la©ques, c’est l’école et ses agents en tant qu’institution publique, ce qui implique que cette institution publique qu’est l’école accueille tous les él¢ves dans toute leur diversité. Dans les faits, on a vu peu à peu s’élargir la zone, si l’on peut dire, d’interdiction du foulard, non seulement dans d’autres institutions publiques, mais aussi à l’école même avec la propension actuelle à refuser que des m¢res musulmanes voilées accompagnent des él¢ves avec leurs professeurs lors d’une sortie scolaire. Comme le dit Farhad Khosrokhavar, un coll¢gue sociologue, « la dimension combative de la la©cité est ainsi encouragée contre sa fonction d’intégration », « d’une la©cité d’intégration on passe à une la©cité d’exclusion 3 ». ien que la loi ne porte pas spéci࠱quement sur le foulard musulman, mais sur tous les signes religieux, il est évident que c’est par rapport à la question du foulard musulman qu’elle a été votée. C’est pourquoi on reviendra sur cette question lorsque nous parlerons de l’islam. Un an apr¢s l’application de cette loi, un rapport rendu public ࠱nZaoµtZ 5 en a dressé le bilanZ: « LeZnombre total de signes religieux recensés au cours de l’année 4- 5 est deZ 639, soit deuxZgrandes croix, onzeZturbans sikhs et les autres signes, tous des voiles islamiques 33 », ce qui con࠱rme que l’opinion publique, en parlant de « la loi sur le voile musulman », ne se trompe pas. Durant l’année scolaire 4- 5, si 496Zél¢ves ont accepté de retirer leur « signe religieux », les refus ont débouché sur 47Z exclusions dé࠱nitives des établissements scolaires (44Z pour le port du voile musulman et 3Zpour des turbans sikhs). À ces 47Zél¢ves exclus s’ajoutent 96Z él¢ves qui, apr¢s avoir choisi de partir avant d’être exclus, se sont dirigés vers l’enseignement privé, l’enseignement à distance ou des établissements à l’étranger. À la rentrée scolaire 5, le fait que seulement une douzaine de cas d’él¢ves portant un signe religieux aient été recensés renforce l’idée d’une réussite de la mise en œuvre de la loi. L’avenir nous dira si telle ou telle de ces exclusions débouchera ou non sur une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme (les avis des juristes sont partagés). -este que cette disposition française a souvent été perçue, dans les autres pays d’Europe, comme
3 . F. K HOROSKHAVAR, « La la©cité française à l’épreuve de l’islam », dans J. AUBÉROT (dir.), La laïcité l’épreuve Religions et libertés dans le monde, Universalis, Paris 4, p. 48-49. 33. Déclaration de Hanifa Chéri࠱, Inspectrice générale de l’Éducation nationale, dans Le Monde du 7 aoµt 5.
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la réactivation d’une la©cité plut®t intolérante à l’égard des religions 34. Il est d’ailleurs frappant d’observer que si le débat public a, en France, porté sur le port, par quelques jeunes ࠱lles, d’un « foulard » quali࠱é de « musulman », en Allemagne, il a porté sur le port de ce foulard, non par des él¢ves, mais par des enseignantes. En Grande-retagne, il a davantage porté sur le ࠱nancement public d’écoles musulmanes (le souci pour le port du foulard par des él¢ves étant qu’il soit de la couleur de l’uniforme scolaire concerné). D’un pays à l’autre, la résonance sociale et le traitement public d’une même question, l’intégration au sein de l’école publique d’él¢ves manifestant de façon visible leur lien avec une tradition religieuse, di࠰¢rent, aussi bien quant à la prise en compte de la diversité culturelle des él¢ves que dans les modes de traitement des dimensions religieuses dans l’espace scolaire. Si, partout en Europe, l’école publique est bien confrontée à la nécessité de redé࠱nir son pro࠱l par rapport à la pluralisation culturelle comme à l’individualisation des comportements, reste que c’est en France que cette question a eu le plus grand écho. Occasion de réa࠳rmation d’une identité la©que et nationale réticente, de façon générale, à l’expression publique des di࠰érences culturelles et religieuses. 5. La question des sectes et nouveaux mouvements religieux ll est normal que les pouvoirs publics, garants du respect des lois et des libertés individuelles, se soucient des conséquences néfastes éventuelles des engagements religieux pour les droits humains fondamentaux. Mais si l’État a le devoir de protéger la liberté des personnes, il doit aussi protéger la liberté religieuse, ce qui implique aussi, comme Dani¢le Hervieu-Léger l’a tr¢s bien souligné, le respect du droit à la radicalité religieuseZ: Un individu doit pouvoir choisir librement de vivre pauvre, chaste et obéissant, de se donner un ma¨tre spirituel ou de se clo¨trer pour la plus grande gloire de Dieu sans courir le risque d’être placé sous tutelle pour faiblesse mentale et inadaptation sociale 35.
Nathalie Luca, en analysant comparativement, en Europe et dans le monde, la gestion publique des groupes religieux controversés, se demande pourquoi la France « est manifestement plus inqui¢te de la présence des ڄsectes څsur son territoire que ne le sont la majorité des pays d’Europe occidentale 36 ». ÀZnotre sens, c’est sans doute parce que, sous couvert de luttes contre les dérives sectaires, s’est réactivée une attitude hostile à ce que l’engagement religieux pouvait
34. Aux États-Unis, comme l’on sait, cette loi suscita la « préoccupation » des membres du Congr¢s et des réactions de l’ambassadeur itinérant pour la liberté religieuse. Dans un entretien au journal Le Monde le 18 novembre 3, le politologue Aristide Zolberg (N4U) considéra que cette loi risquait d’obliger « les él¢ves à choisir entre les obligations religieuses et leur intégration à la société française, au risque de produire des e࠰ets pervers, en nourrissant ce communautarisme qu’on agite en France comme un épouvantail ». 35. D. HERVIEU-LÉGER, La religion en miettes ou la question des sectes, Calmann-Lévy, Paris
1, p. 185. 36. N. LUCA, Les Sectes, PUF, Paris 4, p.19.
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représenter de mobilisation et d’implication pour les individus qui y croient. L’amalgame pratiqué par un rapport parlementaire entre quelques groupes à probl¢mes et une majorité de groupes ino࠰ensifs d’une part 37, le point de vue tr¢s partisan développé, deZ1998 àZ , par une Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) 38, ont contribué à une approche marquée par une représentation tellement restrictive et biaisée du religieux qu’elle a depuis fait l’objet d’une progressive recti࠱cation publique, notamment face aux questions suscitées à l’étranger par la politique répressive vis-à-vis de groupes religieux parfaitement tolérés dans d’autres pays. La loi About-Picard du 1 Z juin 1 « contre les mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme », bien qu’elle soit heureusement encadrée et limitée dans ses e࠰ets par les principes du droit des libertés, est néanmoins une loi de répression présentant des risques d’application arbitraire, remarque Patrice -olland dans une analyse ࠱ne de cette loi et des débats qui ont présidé à son élaboration 39. Il s’agit en e࠰et d’une loi qui vise les « sectes » tout en avouant qu’on ne peut dé࠱nir une secte, qui introduit un délit d’abus de faiblesse à peine plus objectivable que celui, écarté suite à diverses protestations, de manipulation mentale. Une loi qui, signi࠱cativement, a voulu écarter de son champ d’application « les partis politiques, syndicats et groupements professionnels » (correctif oral de son rapporteur Catherine Picard) comme si l’abus de faiblesse ne pouvait concerner que les groupes religieux. Crispations ڎet évolutions. En e࠰et, la MILS a été dissoute en et remplacée par une Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires qui, en 5, con࠱rme une gestion plus raisonnable et libérale de ce dossier. On remarque en particulier la disparition du terme de « sectes ». Parler de « dérives sectaires » est une façon de signi࠱er que de telles dérives peuvent se produire dans n’importe quel groupe religieux et qu’il n’y a pas d’un c®té des groupes religieux suspects appelés « sectes » et, de l’autre, des groupes irréprochables identi࠱és d¢s lors aux Églises traditionnelles. Cette évolution libérale des pouvoirs publics n’empêche pas la permanence de di࠳cultés locales qui témoignent de façon récurrente que la manifestation publique d’un signe ou d’un engagement religieux est souvent mal perçue dans la société française, l’expression publique de la religion étant vite interprétée en termes de prosélytisme et d’embrigadement attentatoire aux libertés et à l’autonomie individuelle. -enforcée par les réactions souvent négatives à l’égard des populations tziganes, les rassemblements annuels des Tziganes évangéliques (une part importante de
37. Il s’agit du rapport de la commission parlementaire sur les sectes publié le 1 janvier 1996. Ce rapport contenait une liste de 17 groupes qui, d¢s lors qu’ils ࠱guraient sur ce répertoire dressé par les -enseignements généraux, furent considérés comme suspects aussi bien par les pouvoirs publics que par les médias et l’opinion publique. 38. Cette mission, créée en 1998 et présidée par l’ancien ministre Alain Vivien, a été dissoute en et remplacée par une Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. 39. P. -OLLAND, « La loi du 1 juin 1 contre les mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme. Anatomie d’un débat législatif », Archives de Sciences sociales des religions 1 1 (janv.-mars 3), p. 149-166.
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la population tzigane s’est, en France, convertie au protestantisme évangélique et pentec®tiste et la Mission évangélique tzigane est devenue membre de la Fédération protestante de France) se heurtent réguli¢rement à l’opposition des municipalités et des populations locales, les pouvoirs publics départementaux et nationaux (préfets et minist¢re de l’intérieur) devant intervenir pour qu’on laisse la possibilité à ces personnes de faire leur rassemblement et de pratiquer leur culte. Les Églises africaines et antillaises, comme les Témoins de Jéhovah, se heurtent aussi à diverses di࠳cultés. Face à un pluralisme religieux accentué sous la double poussée de la mondialisation et de l’individualisation, l’État français a retrouvé les vieux ré࠲exes de mé࠱ance exacerbée face à un religieux dont on craint toujours qu’il limite les prérogatives de l’État et l’allégeance premi¢re que lui doit l’individu. Di࠳cile acceptation du pluralisme culturel, surtout si telle ou telle coutume appara¨t liée à une culture étrang¢re, di࠳cile acceptation aussi du fait religieux lorsque celui-ci ne se contente pas de rester cantonné à la sph¢re privée ou dans le domaine du culte. Derri¢re la lutte anti-sectes s’est en fait manifestée l’inquiétude des pouvoirs publics et des populations vis-à-vis des personnes ayant fait le choix de vivre di࠰éremment au nom d’un idéal religieux et d’éduquer leurs enfants dans cette perspective. EnZFrance la tolérance au non conformisme semble encore plus faible d¢s lors qu’une dimension religieuse est présente. Cette mé࠱ance exacerbée à l’égard des formes militantes et englobantes de religieux est à notre sens une des séquelles du caract¢re tr¢s con࠲ictuel des rapports entre État et religions dans notre pays. Par ailleurs, il est clair que, dans ces a࠰aires, c’est aussi et toujours la mé࠱ance vis-à-vis du caract¢re transnational des religions qui inqui¢te la souveraineté nationale. Comme en mati¢re économique o³ l’on promeut le « patriotisme économique », il y a une tendance à la protection nationale du territoire symbolique de la -épublique. 6. La question de l’islam L’autre sujet à propos duquel on observe la réactivation de crispations la©ques est l’islam. Ces réactions sont bien entendu renforcées par les impacts du 11Zseptembre, la situation en Irak, le con࠲it israëlo-palestinien et les inquiétudes au sujet du terrorisme, toutes choses qui inclinent les pouvoirs publics à une gestion sécuritaire de l’islam qui ralentit et complique l’insertion tranquille de cette religion dans le paysage religieux de la France. Ceci d’autant plus que les populations musulmanes appartiennent majoritairement aux couches sociales défavorisées et précaires, l’intégration de ces personnes étant loin de se réduire à une question de religion. Farhad Khosrokhavar rappelle que « les musulmans forment la majorité de la population carcérale, leur taux dépassant souvent les 5 ࢠ, avoisinant parfois les 7 ࢠ voire les 8 ࢠ dans les prisons proches des ڄbanlieues څ4 ». Seraient-ils les exclus de la -épublique Le sentiment d’être négativement discriminé est en tout cas particuli¢rement vif parmi les personnes
4. F. K HOSROKHAVAR, L’islam dans les prisons, alland, Paris 4, p.Z11.
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musulmanes. La ࠱ne et passionnante enquête menée par Farhad Khosrokhavar parmi les musulmans incarcérés montre les biais, les faiblesses et lacunes de la prise en compte des particularités musulmanes dans la façon dont sont traités les prisonniers. Ainsi, même dans une prison majoritairement peuplée de musulmans, il y aura des colis spéciaux pour Noël mais rien pour marquer l’A©d, la ࠱n du ramadan 41. Comme l’a fort pertinemment montré Malika Zeghal, la création du Conseil français du culte musulman en avril 3 repose sur une transaction ayant mis en balance une reconnaissance politique de l’islam et l’acceptation des lois de la -épublique, en particulier du principe de la©cité, par les représentants musulmans. Les membres du CFCM ont explicitement reconnu les lois de la -épublique, dans une sorte de « moment concordataire » –Z car le mot même de « reconnaissance » a été prononcéZ– temporaire et instable, ࠱xé dans une procédure de double reconnaissance politique. Pour nombre d’observateurs, celle-ci déroge au principe de la©cité 4 . À cette occasion, l’on a vu des représentants de l’État la©que intervenir dans des interprétations religieuses, par exemple à propos de la façon de pratiquer ou pas le sacri࠱ce de l’A©d el-Kébir, des musulmans s’étonnant d¢s lors de découvrir dans tel ou tel représentant de l’État une autorité religieuse de plus ! Le souci étant de créer un islam français, d’articuler « a global religious ࠱eld onto a self-consciously bounded French nation-state 43 ». De là une nouvelle version de la confrontation de l’idéologie républicaine française, non plus avec le catholicisme, mais avec l’islam, comme nouvelle ࠱gure d’un universalisme religieux qui se laisse di࠳cilement domestiquer dans le cadre national. Dans le document « Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France » de l’annéeZ , les organisations musulmanes sont, selon Malika ZeghalZ: [ ]ڎà la fois reconnues et « domestiquées » par la -épublique dans un processus de double reconnaissance politique, qui a pour condition premi¢re, pour reprendre l’expresion pourtant déniée par le ministre, un « serment de ࠱délité » 44.
Apr¢s la constitution civile du clergé catholique, ne cherche-t-on pas à élaborer aujourd’hui une constitution civile des imams Une constitution civile qui suscite dans le monde musulman des réactions diverses et des oppositions, comme ce fut le cas lorsque le pouvoir politique voulut domestiquer le clergé catholique en en faisant un clergé national. L’on retrouve à cette occasion la
41. « La réception d’un colis pour la fête de la ࠱n du ramadan, l’A©d, ne va pas non plus de soi, l’administration pénitentiaire n’en acceptant qu’à Noël », ibid., p. 13. 4 . M. ZEGHAL, « Le CFCMZ: reconnaissance politique d’un islam français », Archives de Sciences sociales des religions 1 9 (janv.-mars 5), p. 11 . 43. J. OWEN, « Does Islam Have orders Dilemmas of Domestication in a Global -eligious Field », American Anthropologist 16, 1 ( 4), p. 43-55. 44. M.Z ZEGHAL, « Le CFCMZ : reconnaissance politique d’un islam français », p.Z 13. L’auteure fait référence à Al Istichra 1 (mars ), p. 6.
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tentation gallicane de la politique publique à l’égard des religions en France et la pratique implicite d’un syst¢me de cultes reconnus 45. Comme le souligne John owen, « Although their situation is not unique, French Muslims face particularly sharp and explicit con࠲icts because of the simultaneous strength of French -epublican ideology and Islamic universalism 46 ». Sur les vingt-six propositions formulées par le rapport de la « commission de ré࠲exion sur l’application du principe de la©cité dans la -épublique » 47, une seule, celle relative au port de signes religieux à l’école a été retenue à ce jour. La préoccupation centrale et dominante, à l’arri¢re-plan de ce rapport et de loi du 15Zmars 4 est celle des populations musulmanes et de leur intégration dans la société française. De là le sentiment qu’ont certains musulmans et non-musulmans d’une gestion publique du religieux qui discriminerait négativement l’islam en stigmatisant particuli¢rement certaines de ses ࠱d¢les. Au nom de son idéal d’intégration de toutes les personnes, indépendamment de leur sexe, de leur origine ethnique, de leur religion, la la©cité a pris le risque d’exclure quelques jeunes ࠱lles musulmanes de l’école publique. Au nom de l’émancipation féminine, la la©cité risque de discriminer négativement des jeunes ࠱lles alors que de jeunes garçons musulmans pourront eux venir tranquillement à l’école qu’ils portent ou non une barbe et que des jeunes ࠱lles musulmanes, dans d’autres pays d’Europe, peuvent suivre sans probl¢mes majeurs leur scolarité. Dans d’autres pays d’Europe, c’est moins le fait qu’il s’agisse d’un signe d’appartenance religieuse qui est visé dans les réactions vis-à-vis du foulard à l’école, que le fait qu’il s’agit d’un signe musulman. Alors que la France réagit au nom de la la©cité, c’est au nom du privil¢ge accordé à l’identité chrétienne que l’on réagit dans d’autres paysZ: ainsi en Italie o³ la population approuve majoritairement les cruci࠱x dans les salles de classes (le catholicisme étant considéré comme une dimension essentielle de « l’identité » italienne) tout en désapprouvant le port du foulard à l’école 48. Si la position française appara¨t plus cohérente en visant tous les signes religieux, reste qu’en France comme dans les autres pays d’Europe, c’est bien de l’islam dont il est question. Crispations la©ques à propos de l’islam donc, au moment même o³ s’a࠳rment diverses quêtes identitaires et o³ la société française est culturellement et religieusement de plus en plus diversi࠱ée. C’est toute l’identité républicaine française fondée sur l’universalisme abstrait du citoyen qui est ébranlée.
45. Dans notre étude « 195 et la pratique d’une la©cité de reconnaissance sociale des religions » Archives de Sciences sociales des religions 1 9 (janv.-mars 5), p.Z67-8 , nous soutenons la th¢se qu’en dépit de la déclaration formelle de l’article Zde la loi de 195 disant que « la -épublique ne reconna¨t, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », l’État français pratique une politique implicite de cultes reconnus et les subventionne indirectement. 46. J. OWEN, « Does Islam Have orders Dilemmas of Domestication in a Global -eligious Field », p.Z43. 47. On parle de la « Commission Stasi » du nom de son président ernard Stasi, médiateur de la -épublique. 48. Cf. les contributions de Enzo Pace et de Ole -iss dans l’ouvrage !es maîtres et des dieux Écoles et religions en Europe.
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Aujourd’hui, l’universalité ne se gagne plus en abandonnant ses di࠰érences, elle se revendique à partir même de ses di࠰érences. C’est ce que le mod¢le républicain assimilationniste français a quelque peine à admettre, particuli¢rement lorsqu’il est question d’identités religieuses. Mais tout ceci n’empêche pas des évolutions sensibles, la -épublique française n’échappant pas à la recon࠱guration ultramoderne des relations État-religions-société. &&&)>ª@FP>QFLKABI>I>ª@FQ¤BQOB@LK࠲DRO>QFLKRIQO>JLABOKB ABPOBI>QFLKPQ>Q OBIFDFLKP PL@F¤Q¤ 1. Les évolutions religieuses elles-mêmes Aujourd’hui, la France est d’autant plus un pays la©que que, même dans leurs façons d’être catholiques, les Français sont la©ques. Un rapport la©que à la religion a en e࠰et pénétré la conscience catholique elle-même. La France est donc la©que, non seulement parce que sa -épublique l’est et que son opinion publique compte d’ardents défenseurs de la la©cité républicaine (en particulier de l’école publique et de la séparation des Églises et de l’État), elle l’est aussi culturellement parce que c’est la France catholique elle-même qui s’est la©cisée. Ainsi, selon l’enquête ISSP de 1998, les Français catholiques, y compris ceux qui pratiquent réguli¢rement, sont majoritairement favorables à la la©cité scolaire 49. Par rapport à ces évolutions en profondeur, la guerre des deux France, la catholique et la la©que, n’est gu¢re éclairante surtout si elle réactive des imaginaires qui n’ont plus grand chose à voir avec les réalités contemporaines. Guy Gauthier, un ancien dirigeant du mouvement la©que de la Ligue de l’enseignement, apr¢s avoir rappelé que, « par rapport à l’Église, la la©cité est devenue une sorte de double de la catholicité », reconna¨t que « l’identité la©que ne résiste pas, semble-t-il, à une dissémination paci࠱que et molle de l’identité catholique 5 ». Autrement dit, à la crise de l’Église catholique correspondrait une crise de la la©cité, non pas parce que celle-ci serait devenue obsol¢te mais, au contraire, parce que celle-ci a gagnéZ: c’est parce que la la©cité est maintenant inscrite dans les consciences, y compris dans les consciences religieuses elles-mêmes, que réémerge à la fois à l’échelle individuelle et à l’échelle sociétale, la question du religieux. À cet égard, on a pu constater que la réactivation de la querelle catholicola©que autour du 15eZanniversaire du baptême de Clovis et du 16eZanniversaire de la mort de saint MartinZ deZ Tours célébré en septembreZ 1996 dans
49. Avec 53 ࢠ des catholiques se prononçant pour le maintien en l’état de la la©cité scolaire et 16 ࢠ se prononçant pour son renforcement, c’est donc 69 ࢠ des catholiques français qui s’expriment favorablement en faveur de cette la©cité (19 ࢠ seulement souhaitent son assouplissement et 4 ࢠ son abandon). Chez les catholiques français pratiquants réguliers, les scores sont respectivement de 43 ࢠ pour le maintien et de 16 ࢠ pour le renforcement, soit une majorité d’opinion favorable de 59 ࢠ, 31 ࢠ souhaitant son assouplissement et 5 ࢠ son abandon. Cf. là-dessusZ4. LAMBERT, « Les pro࠱ls des Français selon leur opinion sur la la©cité scolaire », dans J. AUDOIN, Ph. PORTIER (dir.), La laïcité Une valeur d’aujourd’hui Contestations et renégociations du modèle français, PU-, -ennes 1, p. 159-17. 5. G. GAUTHIER, Réponses l’enquête (II), Esprit 33 (juin 1997), p. - 1.
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le cadre d’une visite du SouverainZ Pontife en France, a fait long feu malgré les incontestables ambigu©tés de cette « commémoration des origines ». Si, àZl’occasion de ce double anniversaire, certains, en particulier les catholiques traditionnalistes, cherch¢rent à réactiver un imaginaire de chrétienté alors que les la©ques, interpellés par l’imbroglio catholico-national de cette commémoration, dénonçaient une nouvelle alliance du tr®ne et de l’autel, la plupart oubli¢rent le fait qu’aujourd’hui, en France, tous, croyants et incroyants, étaient devenus la©ques. Le pape lui-même, prévenu par l’épiscopat français du réveil de la querelle des deux France à l’occasion de sa venue, se garda bien d’interpeller la France sur son baptême (comme il l’avait fait lors de son premier voyage en France enZ198) et d’évoquer « la France, ࠱lle a¨née de l’Eglise », il invita au contraire, coupant l’herbe sous le pied à ses détracteurs la©ques, la France « à faire progresser sans cesse les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité ». Face à une majorité de croyants devenus eux-mêmes la©ques alors même que s’est e࠰ectué un certain désenchantement du politique, la la©cité est donc confrontée à la nécessité de se repenser. Elle ne peut pas se satisfaire de rejouer la sc¢ne de la guerre des deux France pour prolonger arti࠱ciellement la « rivalité mimétique multiséculaire entre le politique et le religieux 51 » que la France a longtemps connue. Une des sources essentielles du malaise français réside sans doute, comme l’a remarqué Pierre ouretz, dans « une politique vécue comme privée de ses enchantements lorsqu’elle ne s’adresse plus qu’à des sujets métaphysiquement émancipés, quelque chose qui ressemble à un “collapsus des Lumi¢res militantes au milieu des Lumi¢res triomphantes de la démocratie څ5 ».
. Le désenchantement du politique L’analyse croisée des mutations contemporaines du religieux et du politique est instructive parce qu’elle rév¢le des tendances profondes qui concernent la structuration symbolique des individus, leurs motivations militantes, leur intérêt pour le bien commun et la chose publique. Jean-Claude Eslin dans un numéro d’Esprit consacré au « temps des religions sans Dieu 53 », souligne à juste titre la déstructuration, à notre époque, d’une « articulation classique de la religion et du politique, caractérisée par la dualité et par la double autorité symbolique de l’Église et de l’État ». Ce n’est pas seulement l’Église qui a perdu une grande part de son autorité, c’est aussi l’État et le temps n’est plus o³ ce dernier pouvait renforcer sa légitimité en revendiquant son émancipation par rapport à la premi¢re. Les individus ont désacralisé l’une comme l’autre de ces institutions et il est urgent de se demander en quoi « le vide du religieux a des e࠰ets politiques » et en quoi « le vide du politique a des e࠰ets religieux 54 ». Tout
51. P. OURETZ, « La démocratie française au risque du monde », dans M. SADOUN, La démocratie en France, p. 1 5. 5 . Ibid, p. 1 3, qui cite M.ZGAUCHET, La religion dans la démocratie Parcours de la laïcité, Gallimard, Paris 1998, p. 13. 53. J.-Cl. ESLIN, « Indépassable religion », Esprit 6 (juin 1997), p. 11. 54. Ibid, p. 9.
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cela constitue une nouvelle donne qui oblige à repenser, en démocratie, la place et le r®le des religions dans l’espace public et donc les relations Églises/État. La situation actuelle des démocraties occidentales est tout autant marquée par la montée de l’incroyance en politique que par la montée de l’incroyance en religion et l’anomie que l’on observe dans le monde religieux s’observe aussi en politique. Les politistes eux-mêmes parlent d’un « désenchantement démocratique 55 ». La crise du politique a des causes profondes qui s’enracinent dans le fait que « le potentiel de modelage de la société a quitté le syst¢me politique pour s’installer du c®té du syst¢me subpolitique de la modernisation scienti࠱cotechnico-économique 56 », les logiques de la science, de la technique et de l’économie imposant un changement social que les politiques essaient, tant bien que mal, de suivre et de ma¨triser. L’incroyance dans la politique repose donc sur la perception d’une réalité exacte, à savoir que, bien qu’il fasse tout pour laisser croire le contraire, le politique n’a en fait plus grand pouvoir sur la société qu’il prétend gouverner, ses marges de manœuvres sont assez faibles. Ulrich eck résume tr¢s bien le dilemme auquel le politique est confronté aujourd’huiZ: « Les institutions politiques deviennent les administratrices d’une évolution qu’elles n’ont pas plani࠱ées, et sur laquelle elles ne peuvent intervenir, mais dont elles doivent pourtant répondre 57 ». La formule « responsable, mais pas coupable » résume en ࠱n de compte assez bien ce type de situation. Cette incroyance croissante en la capacité du politique à améliorer de façon décisive les choses est d’autant plus paradoxale que l’on a tendance à lui en demander toujours plus. Dans une telle conjoncture, il n’est pas étonnant d’observer une véritable la©cisation du politique, la désintrication du politique par rapport aux grandes visions de l’homme et de la société. Marcel Gauchet a cette formulation tr¢s justeZmettant en relation l’évolution de la croyance religieuse et de la croyance politiqueZ: La croyance religieuse est en train de cesser d’être politique. Elle se vide de ses implications immémoriales quant à la forme de la communauté des hommes. Ce détachement d’avec son tronc originaire lui ouvre un autre avenir. De son c®té, la croyance politique est en train de cesser d’être religieuse. Elle se délivre de la contrainte que le mod¢le sacral continuait secr¢tement d’exercer sur toute représentation possible de la société. Cette émancipation par rapport au cadre initial dans lequel se tenait l’entente de notre monde nous fait entrer dans un nouvel ge de la politique et, plus largement, de l’action historique 58.
L’heure n’est plus, en France, o³ des autorités religieuses se permettaient d’intervenir plus ou moins implicitement pour orienter le choix électoral de leurs ࠱d¢les. Par contre, l’on constate aujourd’hui, ce qui est extrêmement signi࠱catif, que les autorités religieuses s’expriment ouvertement non seulement pour
55. P.ZP ERRINEAU, Le désenchantement démocratique, éditions de l’Aube, Paris 3. 56. U.ZBECK, La société du risque Sur la voie d’une autre modernité, Aubier, Paris 1, p. 45. 57. Ibid, p. 46. 58. M. GAUCHET, La démocratie contre elle-même, Gallimard, Paris , p. 18.
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inciter les Français à remplir leur devoir électoral, mais aussi, pour « réhabiliter le politique 59 » et insister sur l’importance et la dignité de l’exercice de la responsabilité politique. Les deux textes catholique et protestant publiés en
et respectivement intitulés La vie politique nous concerne tous et Espérer en la vie politique, manifestent clairement un des aspects de cette recomposition actuelle du r®le des religions dans la sph¢re publique. IlZs’agit, pour les deux groupements religieux concernés de s’inscrire dans une société de débats tout en veillant à ce que la mobilisation des acteurs de la vie sociale et politique reste forte pour continuer à faire vivre la démocratie. Le second texte, consécutif au premier tour des présidentielles du 1Zavril annonçant un second tour entre Jacques Chirac et Jean-Marie LeZPen, témoigne aussi du souci des Églises de faire barrage à toute perspective politique qui remettrait en cause les droits de l’homme et la démocratie. Sans intervenir dans le débat politique sur le choix des orientations à privilégier et des moyens à adopter, en respectant le pluralisme des options politiques de leurs ࠱d¢les, ces groupements convictionnels réinscrivent le politique dans un sens global et une cohérence d’ensemble qui insistent tout spécialement sur la lutte contre les exclusions de toute sorte et le respect de la dignité de chacun. Ces groupements marquent les limites éthiques de l’exercice de la politique. En même temps, ils motivent chacun à s’engager et à prendre ses responsabilités dans la vie publique. Il s’agit bien, ici, des religions volant au secours de la citoyenneté républicaine et des acquis fondamentaux de la démocratie. Si la démocratie politique s’est historiquement construite dans un rapport souvent con࠲ictuel avec les Églises, tout particuli¢rement avec l’Église catholique, aujourd’hui le fait que les Églises volent au secours d’un politique en perte de crédibilité est symptomatique des recon࠱gurations entre politique et religions. 3. Les mutations du rôle de l’État Ces conditions tout autres dans lesquelles s’exerce aujourd’hui la responsabilité politique modi࠱e profondément le r®le de L’État. La problématisation des morales (du travail, de la famille, du corps )ڎet la pluralisation des syst¢mes de conviction, le moindre impact des grands idéaux éducatifs liés aux idéologies du changement, l’ébranlement du « protocole qui assurait l’articulation de la science et du politique 6 » ont provoqué un désengagement de 1’État par rapport aux conceptions de l’homme et du monde et par rapport aux idéaux éthiques. Autrement dit, l’État est devenu plus neutre aux plans philosophique et éthique, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’on puisse parler d’une totale neutralité éthique de l’État. C’est dans la mesure même o³ la -épublique s’est banalisée et désutopisée en s’émancipant du syst¢me philosophico-moral qui avait présidé à son institutionnalisation, qu’elle est devenue plus la©queZ : elle
59. Conférence des évêques de France, Réhabiliter la politique, Cerf, Paris 1999. 6. L. -OUBAN, « Science, éthique et valeurs politiques », dans . CROUSSE,ZL. -OUBAN (dir.), Progrès scientiࠩque et débat éthique PlaidoVer pour l’analVse politique, Cerf-Cujas, Paris 1989, p.Z164.
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n’oppose plus sa contre-religion à celle de la religion dominante mais cherche à gérer la démocratie et la reconnaissance qu’elle implique du droit des individus à professer divers syst¢mes de convictions et à adopter diverses orientations éthiques. De l’État émancipateur, on est passé à un État aux ambitions plus modestes, à un État qui, à la limite, chercherait plus à suivre les évolutions de la société civile qu’à les précéder, encore moins à les provoquer. L’État n’est plus recteur de la société civile, il tend à en devenir l’animateur. On comprend que, dans une telle situation, l’État soit moins assuré dans ses prétentions à indiquer le sens de l’histoire et à mobiliser en conséquence les citoyens. À la fois parce que la démocratie s’est routinisée (elle est beaucoup moins une démocratie de combat partant à l’assaut de quelque astille) et parce que les individus, au nom de l’autonomie qu’ils ont conquise, réclament le libre choix de leur mode de vie et de leur morale, y compris vis-à-vis de l’État. Il n’y a plus une morale publique évidente à transmettre et les citoyens sont devenus rétifs à l’incorporation philosophico-politico-morale de la -épublique considérée comme « r¢gne de la vertu » (dé࠱nition de la -épublique donnée sous la Convention). C’est ce qui a conduit également à une neutralisation idéologique et éthique de l’école, mutation considérable de l’institution éducative qui parach¢ve, selon nous, sa la©cisation. Dans la gestion publique du religieux et la mise en œuvre de la la©cité, c’est donc aussi le r®le de l’État qui se trouve questionné. Émile Poulat a bien vu que dans les évolutions actuelles de la la©cité, ce qui était en jeu, ce n’était pas « un simple rapport de forces entre la©ques et catholiques » ou entre la©ques et musulmans ajouterions-nous, « c’est beaucoup plus en profondeur, une redistribution et une restructuration de l’espace public 61 ». L’État national se voit tout d’abord relativisé tant par le haut que par le bas ; il est contraint à redé࠱nir ses fonctions entre la mondialisation/européanisation d’une part, les régions et l’a࠳rmation des collectivités locales d’autre part. Philippe Portier écritZ: L’État est en voie de « di࠰érenciation ». Porteur de la transcendance républicaine, il se plaçait hier en surplomb de la société, et reléguait, du coup, l’instance religieuse en dehors de la sph¢re publique. Or, ce mod¢le s’e࠰aceZ: le politique s’ouvre de plus en plus volontiers au social, et multiplie, de là, les zones de contact avec les Églises 6 .
Même si cela suscite résistances et di࠳cultés, la France est de fait engagée dans un nouveau régime de l’action publique o³ le r®le de l’État central est moins important. On voit désormais la puissance publiqueZ:
61. É. POULAT, +otre laïcité publique, p. 46-47. L’auteur poursuitZ: « nous vivons sur une distinction du public et du privé de plus en plus obsol¢te, autant sinon plus que notre notion de « souveraineté nationale » ou celle de « service public ». À vivre sur notre fonds ancien, nous risquons tr¢s vite d’être pris au dépourvu ». 6 . Ph. PORTIER, « De la séparation à la reconnaissance. L’évolution du régime français de la©cité », dans J.--. ARMOGATHE, J.-P. WILLAIME (dir.), Les mutations contemporaines du religieux, repols, Turnhout 3, p.
.
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[ ]ڎaccorder son soutien ࠱nancier à des activités (dans les domaines économique, social, sanitaire, culturel, sportif )ڎqui ne relevaient jusqu’alors que de la seule initiative des acteurs privés. Ce mod¢le inédit de régulation pouvaitil laisser indemne la séparation des Églises et de l’État La réponse se donne d’évidence. Les professions, les syndicats, les associations accédaient à la délibération et à la subvention publiques. Il aurait été contraire à la loi de l’égalité de tenir les communautés de croyances composantes elles aussi de la société civile, à l’écart de cette tendance générale 63.
Philippe Portier souligne que, dans ce nouveau schéma, le gouvernement centralZ: [ ]ڎprivé du monopole de dé࠱nition de l’intérêt général, n’est plus qu’un coopérateur de la loi, dans un processus auquel sont associés de plus en plus étroitement, par diverses formules contractuelles, toutes les institutions de la société civile 64.
C’est dans cette optique que Nicolas Sarkozy ouvre publiquement le débat des aides publiques aux cultesZ: En mati¢re de ࠱nancement public des lieux de culte, je suis convaincu qu’à partir du moment o³ la loi de 195 et la conception française de la la©cité reconnaissent la religion comme un élément important et structurant de la société ainsi que la liberté de croire comme une des grandes libertés, l’État doit poser la question de façon plus ambitieuse qu’aujourd’hui. Ainsi, on trouve naturel que l’État ࠱nance un terrain de football, une biblioth¢que, un thétre, une cr¢che ; mais à partir du moment o³ les besoins sont cultuels, l’État ne devrait plus engager un centime ! 65.
Le rapport du Commissariat général du Plan, quant à lui, ose même avancer, s’agissant du ࠱nancement des lieux de culteZ: une solution qui consisterait à reconna¨tre d’utilité publique certaines associations cultuelles qui pourraient, sous contr®le de l’État (Conseil d’État), recevoir des subventions publiques. La fondation (reconnue d’utilité publique) créée pour le culte musulman est une premi¢re tentative en ce sens, mais elle pourrait être étendue à d’autres cultes minoritaires et appliquée à des associations cultuelles locales 66.
En ré࠲échissant à « l’épuisement de la transcendance collective » tant religieuse que politique, Dominique Schnapper note que cet épuisement risque en France plus qu’ailleurs, « de contribuer au délitement du lien social 67 » car c’est dans notre pays qu’a été poussé « le plus loin l’e࠰ort pour créer, sur le mod¢le religieux et contre lui, une forme de transcendance politique 68 ». Or, à
63. Ibid, p. 11. 64. Ibid, p.Z1-11. 65. N. SARKOZY, La République, les religions, l’espérance, Cerf, Paris 4, p. 1 3. 66. Commissariat général du Plan, « -eligions et intégration sociale », p. 9. 67. D. SCHNAPPER, La démocratie providentielle Essai sur l’égalité contemporaine, Gallimard, Paris , p. 68. 68. Ibid, p. 67.
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l’échelle de l’Europe, si « une forme de transcendance politique » se construit, remarque-t-elle, « elle sera sans doute plus conforme à l’inspiration anglaise, c’est-à-dire moins ambitieuse et métaphysique que celle qu’avait tenté d’établir la -épublique en France 69 ». Il est hautement signi࠱catif que l’auteur de La communauté des citoVens qui a particuli¢rement analysé les modalités françaises de l’intégration socio-politique (La France de l’intégration) et qui est devenue membre du Conseil constitutionnel, conclue son dernier ouvrage en se tournant vers la citoyenneté à l’anglaise. Parce qu’elle « s’incarne dans les libertés concr¢tes des groupes particuliers et dans des pratiques sociales héritées d’un passé sans ruptures fondamentales », celle-ci lui sembleZ: [ ]ڎsans doute mieux adaptée aux exigences de la démocratie providentielle dans laquelle les hommes sont ancrés dans la réalité, le concret et l’immédiat que le projet plus transcendantal – ou républicain – de la citoyenneté à la française, né et imposé contre l’absolutisme royal allié à l’Eglise catholique et sur leur mod¢le 7.
Si l’on quitte la rhétorique de maints discours la©ques, si l’on prête attention aux pratiques quotidiennes des relations pouvoirs publics-religions telles qu’elles se déploient dans les villes de France 71 et au niveau des minist¢res, c’est un autre visage de la la©cité en France qui appara¨t, celui d’une la©cité qui, loin d’enfermer le religieux dans ses dimensions privées et individuelles, le reconna¨t pleinement dans ses dimensions publiques et collectives. Émile Poulat attire l’attention « sur ce fait massif et trop négligéZ: la séparation, c’est ce qui permet la coopération et parfois y contraint 7 ». C’est bien parce qu’Églises et État sont séparés qu’ils peuvent coopérer. Cette application souple et libérale de la loi de 195, renforcée par les évolutions de la gouvernance étatique, aboutit à ce que nous avons appelé une la©cité de reconnaissance sociale des religions 73. 4. Les déࠩs de l’européanisation et de la mondialisation Au plan juridique, il s’av¢re que « l’examen détaillé du statut des cultes en France permet de relativiser sa spéci࠱cité au sein de l’Europe » et que la situation française « est, somme toute, proche des régimes existant en Hollande et en Grande-retagne o³ les soutiens sont essentiellement indirects 74 ». LaZjudiciarisation de la la©cité, c’est-à-dire le fait que la la©cité devient de plus en plus régulée
69. Ibid., p. 74. 7. Ibid, p. 67- 68. 71. Un exemple récent, la 19eZrencontre « Hommes et religions » organisée par Sant’Egidio à Lyon en septembre 5 avec une subvention de 8 Zۣ de la Ville de Lyon malgré la critique de certains au nom de la la©cité. 7 . É. POULAT, « L’esprit d’une ré࠲exion sur notre la©cité publique », dans J.Z AUDOIN, Ph.Z PORTIER (dir.), La laïcité Une valeur d’aujourd’hui Contestations et renégociations du modèle français, PU-, -ennes 1, p. 18. 73. J.-P. WILLAIME, « 195 et la pratique d’une la©cité de reconnaissance sociale des religions », Archives de Sciences sociales des religions 1 9 (janv.-mars 5), p.Z67-8 74. F. MESSNER, « La©cité imaginée et la©cité juridique. Les évolutions du régime des cultes en France », Le !ébat 77 (nov.-déc 1993), p. 94.
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par les juges, marque la normalisation des relations Églises-États en France. Même si l’on constate souvent une di࠳cile réception sociale des décisions prises par des magistrats, notamment sur le terrain des signes d’appartenance religieuses à l’école et de l’ouverture de lieux de cultes de religions réputées sectaires, reste que les tribunaux mettent en œuvre une la©cité qui reconna¨t pleinement la liberté religieuse et ses implications publiques. D¢s lors que l’on quitte la rhétorique idéologique de la guerre des deux France et que l’on traite de l’aménagement pratique de l’exercice de la liberté religieuse, la la©cité se fait raisonnable et applique de fait une politique assez libérale de reconnaissance du religieux. Ce qui n’empêche pas la France de considérer qu’elle a, en la mati¢re, une mission universelle. « Église ou La©cité, la France garde son complexe de “࠱lle a¨née » څécrit à juste titre Émile Poulat 75. Mais sacraliser la la©cité comme un élément essentiel de l’identité nationale risque de faire oublier qu’elle est une construction historique, avec ses pages glorieuses et ses pages d’ombres, et qu’elle est surtout une pratique de gestion des cultes sensible aux évolutions et sachant s’y adapter sans fracas. À trop insister sur la la©cité comme valeur nationale, l’État peut donner l’impression qu’en imposant cette valeur de la -épublique, il impose un code culturel particulier et non quelques principes essentiels au vivre-ensemble dans une démocratie pluraliste et respectueuse des droits de l’homme (telle cette proviseure d’un lycée parisien ayant interpellé une jeune ࠱lle voilée en lui demandant si elle était française ou musulmane !). Si la la©cité est « l’aménagement politique, puis la traduction juridique » (Micheline Milot) de la place de la religion dans des sociétés respectant l’autonomie respective du politique et du religieux et dissociant la citoyenneté de l’appartenance religieuse, il ne s’agit pas prioritairement d’une valeur nationale. La judiciarisation de la la©cité, qui constitue selon nous une des manifestations les plus tangibles de sa libéralisation, désenchante le concept en l’objectivant et en lui faisant perdre ses dimensions polémiques. C’est aussi ce qui doit empêcher de considérer la la©cité comme une exception française. Claude Durand-Prinborgne, professeur de droit public ayant consacré un ouvrage à la la©cité 76, écrit ainsiZ: Si l’expression de la la©cité reste rare dans les dispositions constitutionnelles à l’échelle du monde, la la©cité n’est pas une exception française, ni dans ce monde, ni dans l’espace plus réduit que constitue l’Europe. Les principes qui fondent l’autonomie de la société face au religieux et qui sous-tendent nos solutions exposées ici dépassent les limites hexagonales. Les applications peuvent di࠰érer. Certains États se battent actuellement pour instituer ou défendre leur la©cité, il serait plus qu’inopportun de donner à penser qu’il y aurait un doute français sur la valeur de celle-ci 77.
75. É. POULAT, +otre laïcité publique, p. 41. 76. C. DURAND-P RINBORGNE, La laïcité, Dalloz, Paris 4 ( e éd.). 77. Ibid., p. 195.
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Le juriste Olivier Dorn, concluant une étude sur La©citéZ: le mod¢le français sous in࠲uence européenne, va jusqu’à écrireZ: Force est néanmoins de constater qu’aujourd’hui, en Europe, un État est la©que d’abord par ce qu’il garantit la liberté de conscience et le pluralisme confessionnel et non en raison de la séparation des Églises et de l’État qu’il instaure 78.
Si la la©cité ne signi࠱e pas obligatoirement une stricte séparation ÉglisesÉtat, l’Europe ne peut que renforcer la la©cité de reconnaissance sociale de la religion mise en œuvre par la pratique libérale de la loi deZ 195 et aider la -épublique française à abandonner cette crispation si singuli¢re à l’égard du religieux qu’elle a héritée de son histoire. En Europe en e࠰et, on peut dire que c’est une la©cité de reconnaissance du religieux qui prévaut, c’est-à-dire une la©cité qui, tout en respectant l’autonomie respective de l’État et des religions et en veillant à garantir les principes fondamentaux de libertés et de non-discrimination qu’elle implique, reconna¨t les apports sociaux, éducatifs et civiques des religions et les int¢gre de ce fait dans la sph¢re publique. À l’échelle de l’Europe, la©cité ne signi࠱e pas obligatoirement absence de coopération entre instances publiques et religions, la majorité des pays d’Europe ayant mis en place divers syst¢mes de reconnaissance des cultes les associant à un certain nombre de missions d’intérêt public. Même si des courants anticléricaux existent dans di࠰érents pays, même si des formes militantes de la©cité se rencontrent également (comme en elgique), reste que, globalement, la di࠰érence la plus sensible avec la France est sans aucun doute l’absence dans de nombreux pays de prévention particuli¢re face au religieux en tant que tel. ,uant à l’intégration européenne, elle a, pour la la©cité, essentiellement deux conséquences. Elle renforce tout d’abord sa judiciarisation et son inscription dans le registre des droits de l’homme et des principes fondamentaux des démocraties libérales et pluralistes, quels que soient leur régime des cultes et leurs particularités religieuses C’est la réussite en même temps que la banalisation de la la©cité. Le r®le de la Convention européenne des droits de l’homme est à cet égard non négligeable. Il y a, à l’échelle européenne, une consécration globale des principes fondamentaux de la la©cité, mais qui reste respectueuse des di࠰érents types de relations Églises-État qui prévalent dans les pays membres. Par ailleurs, dans la mani¢re dont les religions et convictions philosophiques organisent leur présence aupr¢s des institutions européennes à ruxelles, la la©cité se trouve surtout prise en compte comme conception philosophique particuli¢re (libre pensée, humanismes athées) à c®té des conceptions religieuses de l’homme et du monde et non comme idéologie supérieure et englobante par rapport aux religions (selon la logique belgo-néerlandaise de la pilarisation o³ le monde la©que est institué comme segment particulier de la société à c®té de mondes religieux). C’est l’optique de la Fédération humaniste européenne qui regroupe les sensibilités philosophiques non religieuses. En
78. O. DORN, Laïcité࢙ le modèle français sous inࠪuence européenne, Fondation -obert Schuman, Paris 4, p. 86.
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découplant ces deux versants de la la©cité, l’européanisation pourrait contribuer à une certaine marginalisation du mod¢le hexagonal de la©cité si, du moins, celui-ci restait ࠱gé ce qui n’est pas du tout le cas. Même si, en e࠰et, on observe réguli¢rement la réactivation de connotations antireligieuses de la la©cité française, notamment face aux probl¢mes des groupes sectaires et d’expressions fanatiques de l’islam, les pratiques françaises de la la©cité ont largement évolué vers une la©cité de reconnaissance sociale des religions qui la met au diapason de l’Europe. C’est seulement une la©cité anticléricale réactivant le magist¢re philosophique de l’État et visant à limiter la liberté religieuse qui peut se sentir menacé par l’européanisation.
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ÉVOCATION DE LA RÉNOVATION RELIGIEUSE AU VIÊT NAM
NG HփU ThԸo Institut de recherches sur les religions et les croVances, Hanoi Institut politique Hդ Chí Minh
&)BP?>PBPABI>O¤KLS>QFLKOBIFDFBRPB>R3F¥Qࢩ+>J La rénovation religieuse a été tout d’abord une orientation de principe, visant à améliorer la gestion sociale des questions religieuses par une meilleure acquisition des connaissances marxistes-léninistes. Il a fallu ensuite surmonter « la maladie enfantine du gauchisme » et appliquer le marxisme-léninisme dans la résolution des probl¢mes religieux. Le Parti communiste vietnamien a par ailleurs porté un intérêt particulier à l’héritage de la pensée HըZCh§ZMinh et à ses développements sur la religion, tant des points de vue théoriques que pratiques. La politique religieuse du Parti et de l’État vietnamien a alors connu des évolutions notables. Grce à l’habileté de ses dirigeants intégrés dans la société et dans l’appareil politique, le bureau politique du Parti a adopté le 16Zoctobre 199 la résolution njZ 4Z: « renforcer les a࠰aires religieuses dans une situation nouvelle. » Cette résolution portait les traits d’une rénovation qui a su ouvrir une br¢che dans les connaissances du PCV sur les questions religieuses. LeZ Zjuillet 1998, le bureau politique a ensuite émis la directive njZ 37 CT/TW « Sur le travail religieux dans une situation nouvelle » ; en prolongement, le comité exécutif central du parti, lors de sa 9eZ session, a promulgué le 1 Z mars 3 la résolution njZ 5 « sur le travail religieux ». Et les rapports du congr¢s des représentants du Parti de toute la patrie, dans sesZ7e, 8e, 9e et 1eZsessions, se sont tous préoccupés des questions religieuses dans un esprit de renouveau. Le PCV y a a࠳rmé la liberté de croyances et de religions ainsi que le r®le de la religion dans la société socialiste. IlZa clairement mentionné que les dirigeants de l’État et les mouvements de masses étaient déterminés à garantir ce droit au quotidien. L’État a par la suite institutionnalisé la politique religieuse du PCV en promulguant les documents réglementaires suivantsZ : arrêté njZ 69-HDT du
1Zmars 1991Z: « prescriptions sur les activités religieuses » ; arrêté njZ 6/1999/ ND-CP du 19Zavril 1999Z: « À propos des activités religieuses » ; « Ordonnance sur les croyances et les religions » du 18Zjuin 4 proclamée par la commission ordinaire de l’Assemblée nationale dans sa XIeZsession ; arrêté njZ
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ND-CP du gouvernement daté du 1erZmars 5Z: « directives pour l’application de quelques éléments de l’ordonnance sur les croyances et les religions. » Dans tous ces documents, l’État a manifesté son impartialité à l’égard de la religion. Son travail consiste à garantir et à faire respecter les besoins du peuple en mati¢re de croyances et de religions ; d’encourager les activités religieuses qui présentent un intérêt pour l’ensemble de la nation, tout en interdisant et en jugeant illégaux les actes qui usent à mauvais escient de la religion. Dans un même élan, l’État clari࠱e aussi les droits et les devoirs de tout individu et de toute organisation religieuse. Il énonce les responsabilités des services de l’État dans la garantie des droits et des devoirs de toute organisation, de tout individu dans les activités spirituelles et religieuses. Il con࠱rme en࠱n à chaque religion son respect de leurs activités internes conformément à ce qui est stipulé dans leur charte et dans leurs statuts. -énover les prescriptions en mati¢re de politique religieuse et de gestion sociale a été la condition préalable pour que les activités religieuses s’épanouissent tout en respectant la loi, les chartes et les statuts. L’État est en particulier tr¢s respectueux du droit international dans la résolution et le r¢glement des activités religieuses dans le pays. L’articleZ38 de l’Ordonnance sur les croyances et les religions reconna¨tZ: Dans le cas o³ certaines dispositions des traités internationaux que la -épublique socialiste du Viêt Nam signe ou auxquels elle s’a࠳lie seraient di࠰érentes de celles de l’Ordonnance, alors celles des traités internationaux seraient appliquées 1.
Dans ce même laps de temps, le Parti et l’État ont autorisé des instituts, des centres d’études et des universités à fonder une discipline scienti࠱que tr¢s nouvelle au ViêtZNamZ: « les sciences religieuses ». Parmi ceux-ci, il y a l’Institut de recherches sur les religions, rattaché à l’Académie des sciences sociales du ViêtZNam, fondé en 199 ; l’Institut de recherches sur les religions et les croyances, rattaché à l’Institut de la politique nationale HըZCh§ZMinh (aujourd’hui Institut de politique et d’administration nationales HըZCh§ZMinh), fondé en 1995 ڎCe sont des bases solides pour rehausser le niveau de connaissances des membres du Parti et du peuple, de même que pour former les cadres qui m¢nent des recherches sur les religions ou qui s’occupent des a࠰aires religieuses. L’évolution des activités religieuses au Viêt Nam proc¢de en࠱n de l’interaction directe et continue d’une situation internationale agitée qui a࠰ecte l’ensemble des situations religieuses partout dans le monde. &&)BPJ>KFCBPQ>QFLKPABI>O¤KLS>QFLKOBIFDFBRPB>R3F¥Qࢩ+>J Le ViêtZNam est un pays pluriethnique de plus de 8Zmillions d’habitants. Pluri-religieux, il compte actuellement 6Zreligions, environ Zmillions d’adeptes, 6 Zdignitaires religieux ou moines,
Zlieux de culte, 16Zorganisations
1. an t®n gio ch§nh phռ (ureau des a࠰aires religieuses du gouvernement), Ti liu phզ biՐn Pháp lnh tín ngŪղng, tôn giáo [!ocuments de diࠨusion de l’Ordonnance sur les croVances et les religions], Nxb t®n gio, Hanoi 4, p. 3.
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religieuses reconnues. Dans leurs manifestations les plus fondamentales, les religions s’y sont rénovées de façon positive ces derni¢res années. 1. La diࠨusion des documents réglementaires n’est pas uniquement destinée aux responsables de la politique religieuse mais aussi aux dignitaires religieux et aux adeptes Au cours de ces derni¢res années, les organes du Parti et de l’État ont organisé des conférences réguli¢res pour expliquer leur politique religieuse. Dans 43Zprovinces et villes sur lesZ64 que compte le pays, 1
1Zréunions se sont tenues en Zans ( 4- 6) pour distribuer à 6 4 39Zdignitaires, religieux et adeptes, l’Ordonnance sur les croyances et les religions et l’arrêté njZ
du gouvernement. Les médias de masse se sont également chargés de di࠰user en continu l’ordonnance et les documents réglementaires concernant la religion. Le bureau des a࠰aires religieuses a édité plus de 6 Zlivrets de l’ordonnance et de l’arrêté ; Z textes relatifs aux croyances et aux religions ; 1 Zplaquettes de présentation de l’ordonnance ; 3 5Zdocuments juridiques sur les religions et les croyances en anglais ; Z documents intitulés « questions-réponses sur le droit des religions et des croyances » en 4Zlangues minoritaires (bahnar, édé, jorai, khmer) ; 3 Z exemplaires du LivreZ blanc sur « La religion et la politique religieuse au ViêtZNam » en vietnamien et en anglais . Les responsables du bureau des a࠰aires religieuses ont aussi rencontré des ambassadeurs et des organisations internationales pour leur présenter la politique religieuse menée. À l’issue de ce travail de communication sur la politique et le droit des religions, les ࠱d¢les et les dignitaires religieux, comme L· Du S®, secrétaire du bureau de représentation de la communauté musulmane à Hը-Ch§-Minh-Ville reconnaissaitZ: Le peuple soutient toujours la politique religieuse de l’État, l’État ne contraint pas la vie religieuse des musulmans et ne manifeste aucune interdiction arbitraire de la vie spirituelle ou religieuse des autres religions en général 3.
. Les organisations religieuses se renforcent et se normalisent Auparavant, seules trois organisations religieuses étaient reconnuesZ au ViêtZNamZ: L’Église protestante du Nord du ViêtZNam ; l’ÉgliseZcatholique du ViêtZ Nam et l’Église bouddhique du ViêtZ Nam. Depuis, l’État a poursuivi la reconnaissance de 13Z organisations religieusesZ : le comité de représentation de la communauté musulmane à Hը-Ch§-Minh-Ville depuis 199 ; 9Zbranches du caoda©sme entreZ1995 etZ ; l’Église du bouddhisme H¬aZHԸo enZ1998 ;
. Selon les chi࠰res du bureau des a࠰aires religieuses. 3. L· Du S®, « Sinh hբat t§n ngŪնng, t®n gio մ Vi՜t Nam lu®n ËŪոc Nhà nŪհc t®n trբng và ËԸm bԸo » [Les activités spirituelles et religieuses au Viêt Nam sont toujours respectées et garanties par l’État], Công Tác Tôn 3 (mai 7), p. 8.
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l’Église protestante du Sud du ViêtZNam en 1 ; le comité de représentation de la communauté musulmane de la province d’An Giang enZ 4. L’État reconna¨t à ce jour 16Zorganisations religieuses. D’autres organisations religieusesZ(Tվ |n HiՔu Nghãa, Tՠnh Ëծ CŪ sã, a’hai, Christian Mission Church )ڎdevraient être d’ici peu légalement reconnues dans le prolongement de l’enregistrement de leurs activités e࠰ectué entre le mois de septembre 6 et aujourd’hui (octobreZ 7). Les dignitaires religieux et leurs ࠱d¢les béné࠱cient des conditions adéquates pour mener leurs activités, manifester leur foi, pratiquer les rites, organiser des festivals et des grandes cérémonies. Chaque année, le Vesak (jour de naissance du bouddha), les fêtes de Noël et de Pques des catholiques et des protestants ; le ramadan des musulmans, les anniversaires de fondation du caoda©sme ou du bouddhisme H¬a HԸo sont organisés solennellement en présence de tr¢s nombreux ࠱d¢les, de personnes non a࠳liées ou sans religion. Nombre de dignitaires ont reconnuZen toute sincérité et objectivité que « nulle part ailleurs qu’au Viêt Nam les activités spirituelles et religieuses trouvaient une telle attention des autorités 4 », que « les activités religieuses se déroulaient toujours favorablement et sans contraintes 5. » 3. Les formations religieuses se multiplient, la qualité et la quantité des dignitaires se renforcent comme jamais Actuellement, l’Église bouddhique du ViêtZNam a 3Zinstituts, 6Zformations supérieures, 31Zécoles secondaires qui ont formé 5 9Zbonzes. L’EV est en train de construire un Institut du bouddhisme theravada pour les Khmers à CԼn Thś et un institut bouddhique à Hը-Ch§-Minh-Ville. À c®té de la formation dans le pays, l’EV s’est aussi souciée de former à l’étranger ses dignitaires aux niveaux master et doctorat (17Z personnes en 1, enZ 5). De toutes les religions, le bouddhisme est celle qui a le plus grand nombre de dignitaires et cette tendance ne se ralentit pasZ : en 1, ils étaient 33 66, enZ 5 ils étaientZ 37 775. Le niveau de formation des dignitaires augmente, grce à un syst¢me de formation interne correct, grce aussi aux relations élargies avec l’étranger. L’Église catholique a aujourd’hui 6Z grands séminaires qui croissent en nombre d’une promotion sur l’autre (1 44Z séminaristes en 1, 1 479 en
5). Le grand séminaire Saint-Joseph à Hը-Ch§-Minh-Ville a ouvert un second établissement à Xun Lծc, dans la province de Êըng Nai. Comme pour l’Église bouddhique, l’Église catholique se soucie beaucoup de la formation de ses dignitaires à l’étranger. Ils sont ainsi plusieurs dizaines par an à partir étudier. L’Église catholique comptait 563Zdignitaires enZ 1, ils étaientZ3 31 en 5. Parmi ceux-là, on dénombre 43Zévêques, Zcardinaux, 3Zarchevêques,
4. Ibid. 5. Nguy՚n V½n Sang, évêque de Thi ¦nh, « Cc sinh hբat t®n gio lu®n ËŪոc su®n sՐ thuՂn lոi » [Les activités religieuses se déroulent toujours favorablement et sans contraintes », Công Tc Tôn Giáo 4-5 (janv.-fév. 6), p. 37.
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476Z prêtres séculiers, 513Z prêtres réguliers. Ils constituent un ensemble de dignitaires bien formés tant en théologie qu’en études séculi¢res. L’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam poss¢de un institut de théologie biblique et la construction d’un nouvel établissement a débuté à Hը-Ch§-Minh-Ville le 3Z aoµt 6. L’institut a pu former deuxZ promotions, soit 15Zproposants. De plus, le comité de gestion de l’Église a ouvert d’autres classes de soutien pour les pasteurs, les pasteurs en exercice et les évangélistes des provinces des Hauts-Plateaux ; en même temps, ceux-ci organisent des investitures et des intégrations de dignitaires aupr¢s des populations montagnardes. Actuellement, le nombre de dignitaires de l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam est de 173Z pasteurs, 1 Z pasteurs en exercice et 71Z évangélistes. La Christian Mission Church a 8Z pasteurs, 4Zpasteurs mandatés et 9Zévangélistes. ,uant à l’Église protestante du Nord du ViêtZNam, elle a 3Zpasteurs et 1Zpasteurs en exercice. En 1, le nombre de dignitaires caoda©stes était deZ7 14, il a augmenté àZ 11 78 en 5. Le bouddhisme H¬a HԸo n’a pas de dignitaires mais des o࠳ciants la©cs. Ils étaient au nombre deZ534 enZ 1, deZ1 9 1 enZ 5. L’islam du ViêtZNam compte en࠱n 695Zdignitaires. Les formalités pour instituer ou nommer les représentants des organisations religieuses dans les provinces et dans les villes sont simples. En 3Zans, 9Zprêtres catholiques ont été institués évêques par le Vatican, tous les évêchés ont un évêque responsable à leur tête, il n’y a donc plus de probl¢mes de « chaise vide » comme auparavant. En 3Zans, selon les rapports deZ38 des 64Zprovinces et villes du pays, le nombre de nominations de dignitaires de toutes les religions s’est élevé àZ3 6 1, le nombre d’étudiants dans les formations religieuses àZ14 446, celui de dipl®més àZ1 38. Pour 5 uniquement, le nombre de dipl®més de toutes les écoles et formations était deZ6 963, les nouveaux entrants étaientZ5 584 alors queZ4 563 poursuivaient encore leur formation. Ces classes, toutes confondues, (soutiens à l’étude du catéchisme, du droit canon, de la gestion de la pagode, de la di࠰usion du dharma, de la méditation bouddhique )ڎparticipent de ces conditions favorables. Globalement, toutes les organisations religieuses au ViêtZNam instituent, nomment, mutent elles-mêmes leurs dignitaires et leurs religieux en se conformant à la charte, aux statuts et aux prescriptions de la loi. 4. !e nouveaux lieux de cultes sont construits ou restaurés légalement Apr¢s plus de vingtZannées de politique du Ëզi࢙mլi, de nombreux lieux de cultes ont été construits ou restaurés. Ce nombre ne cesse de cro¨tre. Les rénovations, restaurations, fondations des lieux de culte sont facilitées par les autorités locales et par l’application de la loi. En 1, il y avait 14 43Z lieux de culte bouddhiques ; ils étaientZ 16 97 enZ 5. Les lieux de culte catholiques sont au nombre de 5 456, et on dénombre
69Z temples protestants. En 1 il y avait 1 79Z lieux de cultes caoda©stes etZ1 335 enZ 5 ; enZ 1, le bouddhisme H¬aZHԸo avait 19Zlieux de culte puisZ34 enZ 5. ,uelques branches protestantes dans les provinces des hauts-plateaux du Centre manquent encore de temples, c’est la raison pour laquelle les autorités
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locales étudient comment leur procurer de la terre pour en construire. Pour la seule annéeZ 5, 4 Zlieux de culte nouveaux ont été construits, 3 Zrestaurés ou rehaussés. Sur cette question, le pasteur PhԶm Trբng Huy, responsable du comité de représentation de l’Église dans la province de Քn Tre expliqueZ: Les demandes d’autorisations pour construire, rénover, agrandir des églises sont tr¢s simples. L’église de Քn Tre était tr¢s exig¶e, mais depuis peu, les autorités ont donné leur accord pour qu’elle s’agrandisse en lui permettant d’acheter un lopin de terre voisin. EnZ 5, les autorités ont aussi autorisé la construction de l’église de ¦nh ÊԶi, les permis de construire ont été obtenus tr¢s simplement. Plus récemment encore, les autorités ont accordé à l’église l’acquisition d’un terrain supplémentaire pour agrandir le temple protestant de ,uհi Sśn (district de Chu Thành) tout en fournissant à l’église la souveraineté sur la terre ڎCe sont les preuves d’une politique religieuse d’ouverture 6.
5. La publication des ouvrages religieux augmente La maison d’édition des religions rattachée au bureau des a࠰aires religieuses du gouvernement a été fondée en avrilZ1999. Jusqu’au mois de maiZ 5, elle a accordé une autorisation de publication pour 133Zlivres, 386Zbiens culturels, soit un total de 6 514 Z imprimés. On y comptabilise pour le bouddhisme 913Zlivres, 6Zproductions culturelles et 939 Zimprimés ; pour le catholicisme, 51Zlivres, 44Zproductions culturelles et 1 4 Zimprimés ; pour le protestantisme, 87Z livres, Z productions culturelles et 4 4 Z imprimés ; pour le caoda©sme Zlivres, 4Zproductions culturelles et Zimprimés ; pour l’islam, Z livres et 4 Z imprimés ; pour le bouddhisme H¬aZ HԸo, 31Z livres, 1 Zproductions culturelles et 46 5Zimprimés. La ible seule a été publiée à plus de 5 Zexemplaires. En plus de la version en langue vietnamienne, elle a aussi été publiée en langues minoritaires comme le bahnar, le édê, le jorai, ce qui a favorisé les activités religieuses de ces populations. De plus, toutes les organisations religieuses ont des journaux, des revues comme la revue de recherches bouddhiques (tԲp chí nghiên cպu phԾt h՞c), le journal Giác +gժ (Éveil), la revue Hip thông (Communion), le journal +gŪծi công giáo Vit +am (Le catholique vietnamien), le journal Công giáo v dn tժc (Catholicisme et nation) ; la revue HŪśng sen (Parfum de lotus) du bouddhisme H¬a HԸo, le bulletin d’information pastorale (ban tin mնc vն), Thông công (Communion) des protestants.
6. Pasteur PhԶm Trբng Huy, « Sinh hբat t®n gio cռa cc t§n hքu ËԶo Tin Lành մ Քn Tre ngày càng thuՂn lոi » [Les activités religieuses de ࠱d¢les protestants de Քn Tre sont de plus en plus favorables], Công Tc Tôn Giáo 1- (janv. 7), p. 8.
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6. Les activités humanitaires et caritatives sont encouragées et sont d’un grand apport pour la société Toutes les organisations religieuses participent tr¢s positivement aux activités sociales, médicales, éducatives, humanitaires ; elles adh¢rent au mouvement d’édi࠱cation d’une vie vertueuse (Ëդi sբng v½n ha, littéralement vie culturelle) dans les zones résidentielles. Les collectes de dons en faveur des victimes de calamités naturelles, la construction de maisons du cœur (nh t¦nh nghãa) ڎsont prises en charge par les organisations religieuses bienveillantes. Les consultations médicales gratuites, l’éducation des orphelins, l’entretien des personnes gées, des in࠱rmes, des malades dont ceux atteints du sida ڎsont aussi le fait d’organisations religieuses, de dignitaires à titre individuel, d’ordres religieux qui contribuent tous à la résolution des probl¢mes sociaux et qui apportent du réconfort à beaucoup d’infortunés. Le bouddhisme H¬a HԸo a une remarquable tradition d’entraideZ: Les œuvres caritatives du bouddhisme H¬a HԸo, diverses et variées,Zconsistent à cuisiner de la soupe pour les hospitalisés pauvres, distribuer des médicaments traditionnels gratuits aux malades, créer des dispensaires traditionnels, o࠰rir des cadeaux aux pauvres ou aux familles touchées par les désastres naturels, les inondations, construire des maisons de la solidarité, rénover ou construire des ponts et des routes ڎSi enZ 5 la somme totale des contributions du bouddhisme H¬a HԸo pour les œuvres caritatives s’élevait à plus de Zmilliards de d®ngs, enZ 6, elle a dépassé les 4Zmilliards 7.
Et la communauté catholique à Hanoi a réalisé « en 5Zans (1997- ) une œuvre caritative de 3 milliards de dongs ; à Êà NՊng de 93Zmillions de d®ngs 8. » 7. Les activités religieuses des communautés protestantes des hauts-plateaux du Centre-Viêt࢙+am et des régions montagneuses du +ord doivent être poursuivies en étant garanties par la loi Dans la région du TyZ Nguyên, suite à la reconnaissance juridique de l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam en févrierZ 1, suite surtout à la directive njZ 1/ 5/CT-TTg, les activités protestantes se sont normalisées. Jusqu’au mois de juilletZ 7, 84Zéglises locales ont été reconnues et plus de 9Znoyaux protestants ont été enregistrés dans le but de satisfaire les besoins de 8 ࢠ des pratiquants de la région (Ty Nguyên et province de ¦nh PhŪհc). Par la reconnaissance des églises locales et l’enregistrement des activités des groupes religieux, les autorités du TyZNguyên ont créé petit à petit les conditions propices à l’activité religieuse, aux investitures, à la formation et à la forti࠱cation théologique des dignitaires, à l’édition de 3 Zbibles bilingues
7. Nguy՚n TԺn ÊԶt, vice président du comité permanent du comité de gestion central du bouddhisme H¬a HԸo, « PhՂt Gio H¬a HԸo nguy՜n gՄn b vհi dn tծc » [Le bouddhisme H¬a HԸo fait le vœu de s’unir à la nation], Công Tác Tôn Giáo 1- (janv. 7), p.Z . 8. Hoàng Thՠ Lan, « ÊԾy mԶnh phong trào thi Ëua yêu nŪհc và hբat Ëծng tր thi՜n x hծi cռa Ëըng bào c ËԶo » [-enforcer le mouvement d’émulation patriotique et les activités caritatives des communautés religieuses], Công Tc Tôn Giáo 3 (mai 7), p. 3.
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+gô Hրu ThԴo
(viet-bahnar, viet-édê, viet-jorai) ڎÀ la suite de la normalisation des activités de l’Église protestante du Sud du ViêtZNam, les autorités régionales ont, de leur propre initiative, orienté et enregistré 17 Zgroupes de protestants qui ne l’étaient pas encore. Dans les zones montagneuses duZ Nord, le protestantisme est depuis 5 présent dans 14Zprovinces. On y dénombre plus de 1 Z࠱d¢les Hmong et Dao. Depuis la directive de 5, tous les niveaux des services administratifs ont accompagné l’enregistrement de groupes religieux. Jusqu’au 3Zjuin 7, 45 l’ont été et des dizaines d’autres préparent leur enregistrement dans l’année. Même s’il ne se déploie que depuis peu, le travail e࠰ectué a obtenu des résultats assez satisfaisants. Les activités du protestantisme sont maintenant stables et se routinisent ; la communauté est enthousiaste, la foi est reconnue par la politique religieuse du Parti et par l’État ; la solidarité entre croyants et non-croyants se renforce et la sécurité régionale est garantie. 8. Les organisations religieuses élargissent leurs contacts internationaux Le principeZsuivant régit les relations internationalesZ: Les relations entre la -épublique Socialiste du ViêtZNam, les États et les organisations religieuses internationales doivent reposer sur les principes du respect de l’indépendance, de la souveraineté, de la non-ingérence dans les a࠰aires intérieures, de l’égalité, cela dans l’intérêt de chaque partie, en accord avec le droit de chaque partie, le droit international et les pratiques internationales 9.
Toutes les organisations religieuses vietnamiennes entretiennent des relations internationales. Mais dans le cadre de la mondialisation, celles-ci sont plus animées que d’autres champs et d’autres domaines de la vie sociale. Vues comme une nécessité au regard des habitudes et des pratiques internationales, ces relations se manifestent par des échanges entre groupes, dignitaires et ࠱d¢les qui participent à des colloques, des formations, des conférences mondiales ou régionales. Inversement, des organisations religieuses étrang¢res viennent au ViêtZ Nam ainsi que des ONG parareligieuses pour y réaliser des projets d’entraide. Il y a peu, l’Église catholique du ViêtZNam est devenue membre o࠳ciel de la conférence des évêques d’Asie ; elle a participé au sommet mondial de la jeunesse ; le cardinal Crescenzio Sepe, du minist¢re de la propagation du Vatican a fait une visite o࠳cielle au ViêtZ Nam. L’Église bouddhique du ViêtZ Nam a invité à deux reprises, en 5 et 7, le ma¨tre de méditation Th§ch NhԺt HԶnh et d’autres ࠱d¢les du village des pruniers o³ il s’est installé en France ; elle a participé à la 4eZconférence au sommet du bouddhisme en Tha©landeZet au dialogue sur les croyances de l’ASEM ; elle a échangé avec les bouddhistes du royaume du Cambodge, l’alliance bouddhique lao, elle a accueilli des groupes bouddhistes et des organisations internationales. LesZ comités de représenta-
9. an t®n gio ch§nh phռ, Ti liu phզ biՐn Pháp lnh tín ngŪղng, tôn giáo [!ocuments de diࠨusion de l’Ordonnance sur les croVances et les religions], p.Z11.
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Évocation de la rénovation religieuse au Viêt +am
tion des communautés musulmanes à Hը-Ch§-Minh-Ville et AnZGiang ont de nombreuses relations avec des organisations musulmanes régionales ; un certain nombre de ࠱d¢les font le p¢lerinage à laZMecque et se forment à la lecture du coran. Pour la seule année 5, 334Zdignitaires et moines ont quitté le pays pour aller étudier, participer à des conférences ou participer à des activités religieuses à l’étranger. Tout ceci témoigne de l’intensi࠱cation des échanges internationaux. Les organisations religieuses du ViêtZ Nam maintiennent des relations ordinaires avec leurs consœurs de l’étranger. Dans un même temps, l’application de la politique religieuse ouverte au dialogue entre les peuples contribue positivement à l’édi࠱cation et à la défense du pays. Dans un tel cadre, la politique qui est menée en faveur de la liberté religieuse suscite la sympathie de la communauté internationale et attire l’aide au développement du pays. &&&.RBINRBPNRBPQFLKPNRFJ¤OFQBKQAڂ¥QOBMLP¤BP Tout d’abord, les religions m¢nent aujourd’hui des activités bien mieux rénovées que précédemment. Les relations harmonieuses entre vie religieuse et profane,Zentre religion et société, restent une question récurrente dont les organisations religieuses et toute la société doivent se soucier pour que la religion reste la religion, qu’elle ne soit pas dénaturée, qu’elle ne régresse pas. Ensuite, il existe toujours des forces néfastes qui tentent d’utiliser les religions à leur compte. Pour garantir les intérêts des croyants et ceux de la société, elles doivent être critiquées et jugées selon la loi. Par ailleurs, le personnel en charge des a࠰aires religieuses doit forti࠱er ses connaissances politiques, juridiques, religieuses. C’est un aspect important, pour ne pas dire primordial, pour que les activités religieuses se déroulent correctement et en conformité avec la loi. En࠱n, il est nécessaire de renforcer l’autonomie administrative des organisations religieuses a࠱n de rehausser, par ce biais, le niveau de culture démocratique des personnes qui ont une religion ou qui n’en ont pas. Les évolutions actuelles de la vie religieuse sont en accord avec la situation sociale du ViêtZ Nam et avec la situation internationale. Elles résultent de la rénovation du syst¢me politique en mati¢re de savoir, des modes de pensée, de responsabilité envers la religion ; elles proviennent également de la rénovation des connaissances de l’ensemble de la société sur les questions religieuses. Dans ce processus, les ࠱d¢les et les dignitaires ont une grande responsabilité pour faire valoir les aspects positifs et limiter les aspects négatifs, pour édifier surtout avec ardeur un pays qui est à la fois porteur de traditions culturelles populaires, civilisé et moderne.
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LA SÉPARATION COMME FORME DE RÉGULATION JURIDIQUE DE LA PLURALITÉ RELIGIEUSE
Patrice ROLLAND Université Paris 5II Val-de-Marne Groupe Sociétés, Religions, Laïcités
Penser la Séparation comme une forme de régulation du fait religieux n’est pas tout à fait évident au premier abord. D’un point de vue idéologique, celle-ci consomme une rupture et manifeste une volonté de situer la religion dans la sph¢re privée. Cette privatisation prétendait retirer aux Églises le droit de se mêler de questions politiques, voire de s’exprimer dans l’espace public. Il est vrai qu’en principe elle interdisait simultanément à l’État de pénétrer dans l’espace religieux. La religion, ainsi rendue à une liberté essentiellement perçue de façon individualiste, paraissait ne plus relever que de la régulation commune de la liberté dans un État de droit, celle qui résulte de la mise en œuvre des libertés reconnues (réunion, expression, association). Or, le régime de séparation n’a pas pu ni voulu organiser cette sorte d’ignorance réciproque dont Augagneur avait pu se faire, un moment, le porte-parole. Non seulement il existe une régulation, mais c’est une régulation propre au fait religieux. La Séparation n’est donc pas une volonté d’ignorer mais une autre mani¢re pour la -épublique de traiter le fait religieux. La régulation des cultes est à la rencontre d’une régulation externe, celle de l’État, et d’une régulation interne organisée de façon variable par chaque religion. Le syst¢me des « cultes reconnus » soumettait la régulation interne à une solide surveillance de l’État. La tradition du gallicanisme politique maintenait la claire prédominance du politique sur le religieux. La Séparation, en mettant ࠱n aux « cultes reconnus », s’ouvre-t-elle à d’autres équilibres Proclamant en premier lieu la liberté individuelle de conscience et la neutralité de l’État, quelle sorte de liberté la loi de 195 peut-elle accorder aux religions prises en tant que communauté de croyants On sait que cette interrogation empêcha longtemps Combes et de nombreux républicains de se rallier à la Séparation. Celle-ci est-elle la ࠱n de toute régulation externe des religions Faut-il s’en remettre à la seule régulation interne dorénavant libre de toute tutelle politique Dans une société qui avait depuis si longtemps l’habitude de raisonner en termes d’utilité sociale, voire d’utilité politique de la religion, la Séparation s’ouvre sur une incertitudeZ:
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quelle sorte de liberté une -épublique, devenue neutre et refusant de faire de la religion un service public ni même une activité d’utilité publique, va-t-elle accorder non pas aux croyants en tant qu’individus mais en tant que collectivité humaine Comment une régulation juridique peut-elle succéder à une régulation politique &ࢩ)>0¤M>O>QFLKKڂBPQM>PRKBA¤O¤DRI>QFLK Les interprétations de la séparation des Églises et de l’État pouvaient, à l’origine, être légitimement nombreuses voire contradictoires. Le bouleversement des formes traditionnelles de rapports entre l’État et les religions et des procédés de régulation du fait religieux pouvait laisser les interpr¢tes dans une certaine perplexité. La pratique juridique a assez rapidement été conduite à préciser ce nouveau type de régulation. 1. Les ambiguïtés de la non reconnaissance ,ue signi࠱e exactement le principe de non reconnaissance posé à l’articleZ de la loi de 195Z: « La -épublique ne reconna¨t, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » S’agit-il d’un désir d’ignorance vindicative comme dans un divorce ou bien d’une indi࠰érence vis-à-vis d’un phénom¢ne religieux en voie de disparition On retrouverait dans les débats parlementaires tous les cas de ࠱gures. La signi࠱cation la plus claire reste la ࠱n du mode de régulation antérieurZ: la régulation concordataire et le régime des « cultes reconnus ». CeZ régime reposait sur l’idée d’une utilité sociale de la religion et sur un accord entre deux pouvoirs, l’État et l’Église. La rupture a consisté à abandonner la considération utilitaire qui conduisait à une gestion politique des cultes sous l’autorité de l’État (gallicanisme politique et administratif) pour s’en tenir au seul souci de la liberté de conscience individuelle et de sa garantie concr¢te. On aurait pu penser que ceci conduirait à la disparition de toute régulation, s’agissant d’un phénom¢ne (les convictions philosophiques ou religieuses) largement considéré dans les milieux républicains comme individuel et privé. S’agit-il du choix d’une autre forme de régulation Du point de vue juridique, il n’existe en pratique qu’une alternative concr¢teZ: ou bien il s’agit d’une régulation de la liberté individuelle des convictions et dans ce cas il n’est pas vraiment besoin de distinguer suivant qu’elles sont religieuses ou non ; ou bien il s’agit d’une régulation qui prend en compte le fait religieux comme tel parce qu’on consid¢re qu’il présente des caract¢res propres qui le distinguent des convictions non religieuses. La religion est ici perçue comme un fait social su࠳samment important pour qu’on ne puisse l’ignorer et qui appelle un régime juridique propre. Dans la premi¢re hypoth¢se, on s’en tient à une approche strictement individualiste du fait religieux. Dans la seconde, on est conduit à élaborer un statut juridique particulier, non à la liberté individuelle de religion, mais à la forme collective ou communautaire de celle-ci. Le régime concret des cultes en France oscille entre ces deux options.
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La Séparation comme forme de régulation juridique
. Une nouvelle forme de régulation du fait religieux Comment nommer cette nouvelle forme de régulation du fait religieux qui commence par une « non reconnaissance » Les « cultes reconnus » étaient une régulation politique car l’alliance conclue entre l’État et les cultes correspondait à des intérêts réciproques. Certes, la priorité était accordée aux besoins de l’État tels que le pouvoir politique du moment pouvait les interpréter souverainement ; les intérêts collectifs des cultes devenaient seconds. En contrepartie d’avantages ࠱nanciers et matériels, les Églises étaient soumises disciplinairement à l’administration. Cette dépendance avait été soigneusement organisée par les articles organiques, non soumis à l’accord de l’Église catholique au moment de la signature du Concordat. L’obligation d’une demande d’autorisation préalable pour accéder à la liberté de culteZ fait bien appara¨tre cette ma¨trise politique de l’État, qu’il s’agisse de la reconnaissance préalable limitée aux quatre cultes principaux, ou de l’autorisation préalable nécessaire aux autres groupes religieux qui n’accédaient malgré celle-ci qu’à une liberté de rang inférieur. La nouvelle régulation issue de la loi de 195 pourrait être appelée juridique pour l’opposer à cette régulation politique en ce sens qu’elle substitue à l’ancienne autorisation préalable un mécanisme de déclaration préalable qui permet à chaque religion d’accéder à un statut de liberté sans attendre la réponse favorable de l’administration. Ce statut est de droit et cette derni¢re ne dispose que d’un recours juridictionnel pour empêcher le culte ou la religion d’en jouir. Il vaudrait mieux, en réalité, parler d’une régulation juridictionnelle car la véritable di࠰érence avec la régulation politique n’est pas dans l’intervention du droit écrit mais dans sa natureZ: la régulation se fait à partir de principes juridiques préalables et connus (« prévus par la loi » dit la Convention européenne des droits de l’homme) dont l’interprétation n’est pas ࠱xée souverainement par l’administration mais par un juge. La régulation peut être dite juridique et non politique non pas en raison de l’existence d’un droit écrit (ce qui était le cas en régime de cultes reconnus) mais parce qu’elle repose sur des principes juridiques dont le pouvoir politique n’a plus la dé࠱nition. Depuis 195 ces principes juridiques ont pour but unique la mise en œuvre de la liberté de conscience et de religion. De ce fait, le r®le du Conseil d’État a considérablement évolué apr¢s cette dateZ : il n’était plus le garant d’un gallicanisme administratif mais, dorénavant, celui de la liberté individuelle de conscience 1. Ces principes ont progressivement acquis la valeur la plus élevée dans la hiérarchie des normes juridiquesZ: de rangZconstitutionnel ou international, ils échappent donc assez largement aux variations des majorités politiques passag¢res. Le législateur ou le pouvoir administratif
1. Jean-François Amedro montre qu’à cette occasion le Conseil d’État a considérablement amélioré et renforcé le r®le du recours pour exc¢s de pouvoir. Il en résulte que la la©cité telle que le juge administratif l’a comprise consiste d’abord dans la mise en œuvre de cette liberté individuelle de conscience proclamée à l’article 1er de la loi de 195 et dans sa garantie (« Le juge administratif et la séparation des Églises et de l’État sous la IIIe -épublique. Un exemple des interactions entre les institutions républicaines et le contr®le juridictionnel de l’administration », Paris II, janvier 11).
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posent des limites au principe général de liberté de religion et des cultes, mais sous le contr®le des juges. Une telle régulation reste principalement entre les mains des juges et non plus des gouvernantsZ : il faut recourir à une loi pour surmonter l’opposition du juge ordinaire comme l’a montré la question du port de signes religieux à l’école publique, à une révision de la constitution pour surmonter celle du Conseil constitutionnel ; celle de la Cour européenne des droits de l’homme exigerait une dénonciation de la Convention européenne. Toute liberté veut une régulation. Le régime des cultes en Séparation repose sur le principe de liberté et non plus sur celui de reconnaissance ou d’autorisation préalable. Deux options possibles s’o࠰rent en théorie à la -épubliqueZ: une régulation selon le droit commun ou selon un droit spéci࠱que. Le choix du droit commun des convictions correspondrait à l’usage des lois de liberté, notamment celles adoptées depuis les annéesZ188 (réunion, presse, association) sans qu’une adaptation particuli¢re soit pratiquée au pro࠱t de la liberté religieuse. En 195, plusieurs propositions parlementaires se ࠱rent en ce sens. L’application d’un droit commun des convictions répondrait à une logique la©que en ce sens qu’il marque bien l’indi࠰érence nouvelle de la -épublique quant à la nature des convictions, toutes traitées de la même façon. La liberté est pour toutes les convictions et les convictions religieuses disposeraient d’un statut su࠳sant avec le droit commun des libertés. Le choix d’un droit spéci࠱que a néanmoins été fait d¢s la loi deZ195 puisque sa plus grande partie porte sur l’organisation des cultes apr¢s l’abrogation du Concordat. Plusieurs raisons conduisent à donner, même en régime la©que, un statut propre aux convictions religieusesZ: la force de l’habitude sociale qui continue de valoriser la religion par rapport à d’autres formes de conviction ; le désir d’un certain contr®le des religions même en régime de liberté (un statut propre oriente la forme donnée à la visibilité de la religion) ; l’insu࠳sance évidente du droit commun des libertés enZ 195 pour assurer l’e࠰ectivité de la liberté religieuse (tout particuli¢rement l’insu࠳sance du statut des associations de la loi deZ191) ; en࠱n, le sentiment que les religions ne sont pas des convictions ordinaires et qu’elles ont besoin d’un statut particulier qui prenne en compte leur particularité. La conséquence de ce statut propre est que l’administration et le juge sont amenés à quali࠱er ce qui est cultuel ou non, et par là à dé࠱nir, implicitement ou explicitement, ce qu’est une religion ou ce qui est religieux. En 195, les évidences historiques et sociologiques étaient telles qu’il n’y eut longtemps aucun probl¢me. Ce n’est plus vrai à la ࠱n du si¢cle. En réalité, ces deux options, droit commun et droit spéci࠱que, ont fonctionné et fonctionnent encore parall¢lement. Ce fut le cas entreZ 195 et 19 3 pour l’Église catholique apr¢s son refus du statut des associations cultuelles de la loi deZ195. Dépourvue, à la suite de ce refus, de tout statut juridique particulier, on lui appliqua logiquement le statut de droit commun des libertés. Les cérémonies du culte furent quali࠱ées de réunions publiques et se virent appliquer la loi deZ1881 sur la liberté de réunion. Devant le refus des catholiques de faire la déclaration préalable requise pour chaque réunion publique, le législateur préféra libéraliser le droit commun par la loi du 8Zmars 197 en supprimant l’obligation de déclaration préalable pour toutes les réunions. Ce double régime
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La Séparation comme forme de régulation juridique
est encore d’actualité au début du XXIeZ si¢cle. Il est celui des « nouveaux mouvements religieux » ou des « sectes » qui n’ont pas voulu ou n’ont pas pu accéder au statut d’association cultuelle. Ces nouvelles convictions disposent ainsi du droit commun des libertés (liberté d’expression et de réunion ; liberté d’association de la loi de 191 ; etc.) qui leur assure une authentique liberté. Mais, elles ne disposent pas des avantages ࠱scaux et patrimoniaux (capacité élargie de recevoir des dons et legs, )ڎattachés au statut d’association cultuelle. Concr¢tement, la distinction du droit commun et du droit spéci࠱que co©ncide pour une part avec la distinction entre les grandes religions traditionnelles et les nouveaux mouvements spirituels. Il subsiste donc bien, malgré le régime de séparation des Églises et de l’État, un mécanisme de reconnaissance qui conduit à un statut juridique et ࠱nancier plus avantageux pour certains cultes. Certes, la Commission européenne des droits de l’homme a veillé à ce que cette distinction ne soit pas discriminatoire et elle a donné en quelque sorte une leçon de la©cité à la France en rappelant que les convictions non religieuses ne peuvent pas être traitées di࠰éremment des convictions religieuses en ce qui concerne le droit de recevoir des dons et legs . Il n’en reste pas moins que la -épublique la©que continue de pratiquer une forme de reconnaissance que n’annonçait pas le principe de séparation. À l’intérieur du régime de séparation et de liberté subsistent donc deux régimes juridiques di࠰érents. ,ue signi࠱e une telle di࠰érenciation Le syst¢me français de séparation et de la©cité semble ainsi se rapprocher, en pratique, du standard européen de régulation du fait religieuxZ: une forme de reconnaissance plus ou moins fortement di࠰érenciée des religions liée à leur insertion dans la société et à leur r®le social positif au pro࠱t de la collectivité. &&ࢩ)BPIFJFQBPAڂRKBO¤DRI>QFLKM>OIBAOLFQ .uid leges sine moribus Les juristes connaissent depuis longtemps les limites du droit et de son e࠳cacité en termes de régulation socialeZ: dans de nombreux domaines les mœurs paraissent plus puissantes pour encadrer les comportements. C’est particuli¢rement vrai s’agissant des faits de conscience, de convictions et de religion. On a pu l’observer lorsque le législateur français a tenté d’élaborer une loi contre les sectes. Il s’est trouvé confronté à de sérieuses di࠳cultés pour en déterminer les crit¢res juridiques ou pour dé࠱nir ce qui paraissait constituer leur plus grand dangerZ: la manipulation mentale. On se trouvait dans cette situation paradoxale o³ le législateur ne voulait pas se contenter des incriminations de droit commun pour lutter contre les abus des sectes mais o³ il ne parvenait pas non plus à dé࠱nir juridiquement ce qui caractérisait ces sectes. Or, dans un droit de liberté, il n’est pas possible de prévoir des sanctions sans une dé࠱nition préalable du délit. La Cour européenne des droits de l’homme
. Commission européenne des droits de l’homme, avis du 6Zjuillet 1994, Union des athées c/ France.
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veille à ce que cette législation réponde aux principes essentiels de la sécurité juridiqueZ: prévisibilité et précision su࠳sante des textes. Des analyses récentes ont cherché à prendre en compte ces di࠳cultés en proposant d’autres formes de régulation des situations religieuses. Devant les limites des mod¢les classiques de répression pénale, on a proposé pour les sectes des dispositifs de médiation ou d’arbitrage 3. Le but serait de mettre en place des « dispositifs de gestion de l’incertitude en mati¢re sectaire ». La prévention par stigmatisation donne des résultats contre-productifs, sans compter les risques d’atteinte aux libertés. La médiation rel¢ve d’expériences « interculturelles ». Elle o࠰re une « voix externe » susceptible de permettre un processus d’autorégulation. De même, le prosélytisme religieux appara¨t comme di࠳cile à encadrer par la loi parce que la liberté religieuse comprend nécessairement le droit d’exprimer et de transmettre ses convictions religieuses. Certes, chacun conçoit qu’il puisse exister un prosélytisme abusif. Mais, en-dehors des hypoth¢ses d’abus les plus grossiers, il est di࠳cile de dé࠱nir légalement et à l’avance ces abus. L’intervention du législateur contre le prosélytisme doit légitimement être soupçonnée, dans la plupart des cas, de vouloir protéger la religion dominante du pays. Dans un régime de liberté, cette dé࠱nition n’est opérée, en pratique, qu’a posteriori par le juge. La régulation juridique montre donc des limites sérieuses en terme de prévention. Dans ces conditions, on a pu proposer un traitement « déontologique » et non plus juridique du prosélytisme 4. Celui-ci consiste à con࠱er aux acteurs eux-mêmes le soin de dé࠱nir un comportement religieux acceptable au regard de la transmission des valeurs religieuses. Le Conseil œcuménique des Églises d¢s les annéesZ195 avait publié des recommandations tendant à distinguer « prosélytisme abusif » et « témoignage chrétien ». La Cour européenne des droits de l’homme s’y est référé dans son arrêt Kokkinakis du
5Zmai 1993. En 1, le Conseil œcuménique des Églises et l’Église catholique ont émis le souhait d’un « code de conduite de la conversion ». Un tel type de code ne peut être sanctionné pénalement mais sa valeur est liée au fait que ce
3. Cf. V. SAROGLOU, L.ZL. CHRISTIANS et al, « Mouvements religieux contestés. Psychologie, droit et politiques de précaution », Academia Press, Gent 5, p. 195 sq. Les auteurs notent en particulierZ: « Trois traits majeurs de ces modalités de résolution alternative des con࠲its sont importants pour notre proposZ: leur déformalisation, leur caract¢re volontaire et leur capacité incitative à une reconstruction des acteurs et des problématiques » (p. 198) 4. S. FERRARI, « La liberté religieuse à l’époque de la globalisation et du postmodernismeZ: la question du prosélytisme », Conscience et liberté 6 ( ), p. 19Z: « Apparemment l’unique voie possible est la recherche d’un accord entre les communautés religieuses disposées à renoncer volontairement à des activités de prosélytisme qui, bien que légitimes en soi, peuvent o࠰enser la sensibilité religieuse et culturelle d’une partie de la populationZ: une sorte de code de déontologie que l’on pourrait faire respecter à travers un mécanisme arbitral géré par les communautés religieuses elles-mêmes. Cette solution présenterait de multiples avantagesZ: elle éviterait l’entremise de l’État dans une question o³ sa compétence est discutable et les risques de violation de la liberté religieuse tr¢s élevés. » ; voir aussi P. -OLLAND « La régulation de la liberté religieuseZ : le cas du prosélytisme », dans G.Z COHEN-JONATHAN, V.Z CONTANTINESCO, V.ZMICHEL et al (dir.), Chemins d’Europe Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Jacqué, Dalloz, Paris 1, p. 575-589.
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sont les acteurs de la vie religieuse qui ont participé directement à l’élaboration de ce code de bonne conduite. Purement volontaire, il laisse, au regard de la loi, subsister une enti¢re liberté du prosélytisme religieux. &&&)>0¤M>O>QFLKBPQRKBO¤DRI>QFLKABI>IF?BOQ¤OBIFDFBRPB Par rapport à la régulation des « cultes reconnus », celle qui est mise en place en 195 a pour but la liberté de conscience et de conviction de l’homme et non le pro࠱t du pouvoir politique, les intérêts des Églises, ou l’utilité de la société. On peut dire que c’est une régulation pour la liberté et par la liberté. La Séparation a mis en place une autonomie réciproque de l’État et des religions. Cette autonomie existe d’abord au pro࠱t de la liberté individuelle de conscience et des convictions, puis, par voie de conséquence, au pro࠱t de la liberté de religion en tant qu’elle appelle le plus souvent une pratique communautaire ou collective. 1. Une régulation juridictionnelle qui dégage un droit commun des libertés Le r®le du juge est ici fondamental et, au demeurant, fort classique pour la mise en œuvre d’une loi de liberté. La loi a posé des principes formulés en termes nécessairement tr¢s généraux surtout en ce qui concerne le principe de liberté de conscience. Le juge français utilise une interprétation et des modes de raisonnement fondés sur une logique de droit des libertésZ: la liberté est le principe et les limites sont une exception d’interprétation stricte ; la sanction a posteriori doit l’emporter sur la prévention a priori car elle comporte de plus grands risques pour la liberté. ,uant à la nature des limites à la liberté religieuse, elle tend, comme pour les autres libertés, à l’objectivité en se ࠱xant principalement sur le respect de l’égal droit d’autrui et sur celui de l’ordre public. En࠱n, l’ordre public lui-même est entendu de plus en plus de façon essentiellement matérielle et objectiveZ: il ne s’agit plus de défendre le régime politique et ses fondements ni même directement les valeurs dominantes de la société, mais essentiellement l’ordre matériel et la sécurité, conditions de la liberté 5. Le juge contr®le l’adéquation et la proportionnalité des limites aux libertés par rapport aux nécessités du maintien de l’ordre public ou du respect des droits d’autrui. Cette tendance s’observe chez tous les juges compétents en mati¢re de liberté, Conseil d’État, Conseil constitutionnel mais aussi Cour européenne des droits de l’homme. Deux exemples illustrent ce mode de construction d’un régime juridique de liberté et du type de régulation qui y correspond. L’arrêt du Conseil d’État Abbé Olivier du 19Z février 199 est particuli¢rement caractéristique de cette démarche. Les limites aux libertés et les besoins de l’ordre public doivent être appréciées de la même façon quelle que soit la liberté ou les personnes en cause. Le maire de Sens ne peut interdire une cérémonie extérieure du culte
5. Pour la con࠱rmation la plus récente de cette analyse voir, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, rapport adopté par l’assemblée générale pléni¢re du Conseil d’État le jeudi 5Zmars 1, notamment p. 4- 8.
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que pour les mêmes motifs de respect de l’ordre public que n’importe quelle autre manifestation publique sous peine de discrimination injusti࠱ée. L’autre exemple provient de l’avis donné le 7Z novembre 1989 par le Conseil d’État à la demande du ministre de l’Éducation nationale. S’éloignant de l’ancienne tradition républicaine qui partait du principe de la©cité, la Haute assemblée posa en premier lieu le principe de la liberté d’expression de ses convictions par l’él¢ve pour en rechercher, seulement en second lieu, les limites éventuelles. Celles-ci sont établies et appréciées exactement dans les mêmes conditions que pour d’autres libertés ou d’autres situations. Ces limites sont objectives car elles consistent dans le respect des droits d’autrui (pas de prosélytisme) et du bon fonctionnement du service public de l’enseignement (ponctualité, obéissance, assiduité aux cours)ڎ. Jusqu’en 4 la jurisprudence mit en œuvre ce schéma, tant®t annulant des sanctions injusti࠱ées, tant®t les con࠱rmant. Le législateur conserve cependant toujours le loisir d’intervenir pour contrecarrer cette logique jurisprudentielleZau nom de principes di࠰érentsZ: laZloi du 15Zmars 4 a substitué à la logique de liberté une logique politique, celle de la défense de la la©cité et de l’identité républicaine en interdisant le port de signes religieux dans l’école publique. La même attitude a pu être observée à propos du port du voile intégral dans les lieux publics o³, apr¢s une étude particuli¢rement réservée du Conseil d’État, le législateur est intervenu avec la loi du 1 Zoctobre 1 tout en évitant en apparence de se situer sur le seul terrain religieux.
. La cohérence d’une régulation pour la liberté La généralité de la loi contraint le juge à compléter le statut de la liberté religieuse. Il parach¢ve la cohérence de cette régulation en précisant certaines notions. La tradition culturelle républicaine est individualiste et la loi deZ195 garantit, en premier lieu, la liberté de conscience. Certains auraient bien voulu s’en tenir là en comprenant la liberté de conscience comme une liberté d’émancipation de l’individu par rapport à ses attaches religieuses traditionnelles. Il n’est pas possible d’envisager la liberté religieuse exclusivement sous l’angle d’un droit individuel. La loi de séparation organise d’ailleurs longuement le régime des cultes. La liberté individuelle de religion (plus que celle de convictions) exige pour être e࠰ective que les aspects collectifs de la pratique religieuse soient reconnus. Parmi les principes qui garantissent l’e࠰ectivité de la liberté de religion, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que les di࠰érents cultes doivent pouvoir disposer d’une personnalité morale qui leur permette de posséder les biens matériels nécessaires à l’exercice de leur liberté religieuse (lieu de culte, de formation religieuse)ڎ, d’ester en justice, de se ࠱nancer. Cette existence en tant que collectivité comprend nécessairement la liberté de désigner ses dirigeants et de choisir ses structures internes. La neutralité de l’État, condition essentielle de la liberté de conscience, a fait elle-même l’objet de précisions. Certes, elle consiste d’abord et le plus souvent en une abstention de l’État. Selon le vieux principe libéral, cette abstention lib¢re l’espace de l’initiative individuelle qui n’est plus encadrée que par
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l’obligation de respecter l’ordre public et les droits égaux d’autrui. Ainsi l’État ignore volontairement l’appartenance religieuse lorsqu’il recrute un agent public ou un fonctionnaire, qu’il attribue une subvention ou qu’il donne une autorisation ڎMais l’expérience a rapidement montré que, dans certaines situations, l’État devait prendre en compte l’appartenance religieuse pour permettre à cette liberté d’exister pleinement. Un maire ne peut arguer du principe de neutralité pour refuser l’abattage rituel dans les abattoirs municipaux sous peine de porter atteinte illégalement à la liberté religieuse 6. De même, alors que la neutralité de l’enseignement public a été comprise comme interdisant les aum®neries à l’intérieur des btiments scolaires, lorsque ces lieux sont des lieux d’enfermement (prisons, h®pitaux, internats, casernes), les aum®neries y sont légitimement admises d¢s la loi deZ195. Le juge a eu encore l’occasion de donner sa pleine signi࠱cation à l’aspect collectif de la liberté religieuse en consacrant le respect de l’autonomie interne des cultes. La question avait été au cœur de la discussion de l’articleZ4 de la loi deZ195 qui aboutissait à la reconnaissance implicite des particularités de l’organisation hiérarchique de l’Église catholique, question longuement débattue par ceux qui voulaient lui imposer une organisation démocratique. Non seulement les cultes sont libres de s’organiser comme bon leur semble mais leurs décisions sur ces questions s’imposent à l’État et au jugeZ: ainsi en est-il de la désignation du ministre du culte qui recevra la jouissance de l’édi࠱ce possédé par la collectivité publique, de la désignation ou de la révocation d’un aum®nier militaire, ou encore de l’agrément donné à un sacri࠱cateur par les autorités religieuses compétentes. La conséquence concr¢te est que la régulation des cultes est assez largement décentralisée puisqu’elle est con࠱ée aux cultes eux-mêmes et que leurs décisions s’imposent aux autorités publiques qui se refusent presque absolument à en contr®ler la validité. Un tribunal qui avait maintenu cette position à propos d’un retrait d’agrément par le Tribunal rabbinique en a cependant marqué une limite possibleZ: en cas de manœuvre dolosive ou frauduleuse, le tribunal civil retrouverait le droit d’examiner la question puisque, dans ce cas, la question ne rel¢ve plus du domaine religieux 7. La tradition française, tr¢s di࠰érente sur ce point de la tradition anglosaxonne, dissocie la liberté et la capacité des associations. La loi deZ191 a donné aux associations de droit commun la plus grande liberté imaginable mais au prix d’une faible capacité. Il a fallu, pour cette raison, créer enZ 195 des associations cultuelles dont la capacité était plus grande a࠱n de permettre aux cultes d’exister pleinement. Deux types d’association sont ouverts entre lesquelles peuvent opter les diverses convictions religieuses. À ce titre, l’État retrouve un authentique pouvoir de régulationZ: il peut toujours refuser a posteriori et sous le contr®le du juge administratif la quali࠱cation de cultuelle que s’est donnée
6. Conseil d’État, 7 mars 1936, Association cultuelle israélite de Valenciennes, -ecueil Lebon, p. 385. 7. Tribunal de grande instance de Paris, 5e ch., 9Zoctobre 1976, SOVEVOCA c/ Association consistoriale israélite de Paris, JCP 1977.II.18664, note J. Carbonnier.
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une association au moment de sa déclaration. Il y a donc un contr®le e࠳cace de l’acc¢s aux avantages du statut cultuel. Celui-ci est d’autant plus signi࠱catif que le Conseil d’État maintient des crit¢res stricts pour reconna¨tre le caract¢re cultuel d’une association. Cette régulation étatique n’est pas systématiquement hostile aux nouveaux mouvements religieux. Apr¢s quelques aménagements, le bouddhisme, l’islam, les Témoins de Jéhovah ont pu accéder à ce statut plus avantageux. La discrimination ne provient pas, ici, de la nouveauté de la religion mais plut®t de la conception que l’administration et le juge se font de la notion de culte et de religion. Celle-ci reste implicitement tr¢s classique et se calque sur les grandes religions monothéistes ou universelles 8. De nouveaux mouvements rentrent mal dans ce cadre. Or, le seul résultat de ce contr®le n’est pas de priver ces mouvements de la liberté des convictions mais de leur interdire l’acc¢s à un statut ࠱nancier et ࠱scal plus avantageux. L’État conserve donc un contr®le sur les formes de présence sociale auxquelles les religions peuvent avoir acc¢s. Il subsiste ainsi dans le régime français de séparation des Églises et de l’État une forme de reconnaissance. Elle pourrait peut-être être jugée discriminatoire au regard des autres associations représentatives de convictions qui n’y ont pas droit. On peut y voir un instrument de régulation de la liberté religieuse puisqu’il s’agit d’une forme de reconnaissance du r®le social positif que peuvent jouer certaines religions (mais non toutes) su࠳samment et anciennement intégrées dans la paysage culturel français. Cette forme de régulation reste néanmoins tout-à-fait implicite par rapport aux principes de séparation et de liberté. &3)>0¤M>O>QFLK@LKPQFQRB Q BIIBRKBO¤DRI>QFLKARMIRO>IFPJB OBIFDFBRU Le pluralisme religieux, pas plus que le pluralisme politique, n’est une tradition française. La tradition catholique comme la tradition républicaine ont privilégié l’unité plut®t que la diversité. La -épublique, en proclamant et en organisant à partir des annéesZ188 les grandes libertés, a néanmoins préparé le terrain d’un pluralisme plus grand dans tous les domaines. Comment la loi de Séparation deZ195 qui ach¢ve ce grand cycle en mati¢re de liberté, int¢gret-elle ce fait de la pluralité religieuse La la©cité ne sacri࠱e-t-elle pas, même indirectement, à cette vieille passion française de l’unité 1. La loi de et le pluralisme religieux Il existait déjà dans le syst¢me des cultes reconnus une forme de pluralisme. Il restait néanmoins assez marginal car les communautés non catholiques étaient peu nombreuses et souvent dispersées. Il était surtout tr¢s limité juridiquement comme en témoigne la répression des Églises libres dans le protestantisme dans la premi¢re moitié du XIXeZsi¢cle. La loi deZ195 en proclamant la liberté de conscience et la liberté pour tous les cultes ouvre une potentialité
8. Voir P. -OLLAND « ,u’est-ce qu’un culte aux yeux de la -épublique » Archives de sciences sociales des religions 1 9 (janv.-mars 5), notamment p. 58 sq.
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bien plus forte de pluralisme. À cette date, ce n’est pourtant pas encore une véritable réalité. Sociologiquement, la France reste un pays massivement catholique. Idéologiquement, la -épublique qui proclame la Séparation avec la liberté de conscience n’est pas naturellement pluraliste. La tradition « jacobine » qui la marque fortement développe plut®t la passion de l’unité et la crainte des « factions 9 ». Il existe un indéniable pluralisme de fait en mati¢re d’idées politiques ou de convictions philosophiques et religieuses mais il n’est pas spontanément pensé comme une valeur. Dans le domaine proprement religieux, le pluralisme est donc une expérience plut®t tardive en France. Il faut attendre la ࠱n du XXeZsi¢cle pour le voir appara¨tre clairement sur la sc¢ne publique. Il résulte de la conjonction de deux causes indépendantes qui se développent au même momentZ: l’immigration ࠱xe en France des cultes anciennement connus mais non installés sur son territoire métropolitain (bouddhisme, islam) ; la désinstitutionnalisation ou la dérégulation du religieux laisse appara¨tre de nouveaux mouvements religieux. Aucun de ces événements n’était entré dans l’esprit du législateur deZ 195 et les perspectives sociologiques qu’ils avaient en vue étaient passablement di࠰érentes 1. Dans ces conditions la loi de Séparation pouvait-elle servir de cadre juridique approprié à ce pluralisme imprévu
. +eutralité de l’État, pluralisme et régulation du fait religieux La neutralité de l’État et des services publics est la conséquence de l’obligation de respecter également les citoyens dans leurs convictions. Elle se réalise le plus souvent par une abstention de l’État qui ne porte aucun jugement favorable ou défavorable. Une telle neutralité favorise en principe le pluralisme, notamment religieux. Une régulation du religieux qui respecterait le pur pluralisme devrait être absolument égalitaire à l’égard de toutes les convictions et de tous les cultes. Il n’est pourtant pas évident a priori qu’on puisse combiner aisément le strict respect du pluralisme avec la neutralité de l’État et la régulation des cultes. À la stricte égalité qu’exigerait un respect absolu du pluralisme s’opposent plusieurs réalités. La neutralité par abstention ne concerne que l’État. La la©cité est celle de la -épublique et non celle de la société française. Celle-ci établit spontanément des distinctions entre les convictions religieusesZ (en raison de l’ancienneté, du poids démographique, de l’implantation ou de l’insertion sociale des di࠰érents cultes, en࠱n des traditions historiques et culturelles du pays). La société, au contraire de l’État, a donc nécessairement un rapport di࠰érencié aux di࠰érentes religions qui s’y trouvent et porte des jugements de valeur. L’implantation historique massive et ancienne du catholicisme lui donne une visibilité plus grande. C’est spontanément que le Premier ministre
9. Voir P. -OSANVALLON, Le modèle politique français La société civile contre le jacobinisme de nos jours, Le Seuil, Paris 4. 1. Voir P. -OLLAND, « La loi de 195 à l’épreuve des sectes », Études théologiques et religieuses 8 (janv. 7), p. 91-11.
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français a organisé une rencontre annuelle avec les représentants de l’Église catholique sans songer immédiatement à en faire autant avec ceux des Églises protestantes qui exig¢rent de pouvoir être reçues de la même façon. Le culte catholique dispose, de fait, d’un statut ࠱nancier plus avantageuxZ: l’histoire a fait des collectivités publiques, depuis la -évolution, les propriétaires de la plupart des édi࠱ces du culte catholique qu’elles entretiennent à leur frais. Comment faire coexister le principe d’égale liberté et de neutralité avec la réalité de di࠰érences parfois profondes entre les cultes ou des perceptions sociales nullement égalitaires ,uelle régulation concr¢te peut gérer cette situation Il faut en pratique distinguer deux plansZ: celui de la liberté pour lequel l’égalité de traitement est une obligation et celui du statut des cultes qui admet des di࠰érences 11. La liberté religieuse n’exige pas une régulation uniforme. Celle-ci peut prendre en compte d’autres considérations que la seule liberté de conscience et de religion des individus, comme, par exemple, l’ancienneté de la présence historique, le niveau d’insertion sociale et de participation à la vie sociale globale. C’est le sens qu’il faut donner au double niveau qui existe dans le droit des associations en France qui sert d’assise juridique aux religions. La régulation, malgré le principe de séparation et de neutralité de l’État, pratique une forme de reconnaissance implicite qui contredit un peu le principe de non reconnaissance de l’articleZ de la loi deZ195. Le Conseil d’État en contr®lant soigneusement le caract¢re cultuel d’une association marque bien la di࠰érence entre l’association cultuelle et l’association de droit commun de la loi deZ191 (sans parler ici du cas des congrégations). Or, elles n’ont ni les mêmes avantages ࠱scaux ni la même capacité ࠱nanci¢re. La régulation républicaine par souci de respect du pluralisme religieux aboutit à une situation paradoxale. Elle conduit l’État à respecter les décisions internes des religions qui s’imposent à lui. Il en résulte qu’en décentralisant ce pouvoir de régulation interne, il donne nécessairement l’avantage à la majorité au sein d’un culte. Alors que la Séparation a pour e࠰et de garantir et de permettre le développement du pluralisme externe, elle ne garantit pas le pluralisme interne. Le principal objet du débat enZ195 fut le refus de l’Église catholique de se voir imposer un mode de fonctionnement démocratique dans lequel celui-ci aurait pu s’épanouir. De la possibilité d’une expression minoritaire et pluraliste au sein du catholicisme certains républicains espéraient un bouleversement de l’Église romaine poussée vers une sorte de protestantisme. L’État n’impose pas aux religions l’obligation de respecter des minorités en leur sein 1 et, en refusant de
11. La jurisprudence européenne admet que des régimes juridiques di࠰érenciés existent dans les rapports des religions et de l’État. Il est nécessaire que ces di࠰érences reposent sur des justi࠱cations objectives et raisonnables (voir par exempleZ: Commission européenne des droits de l’homme, décision du 11Zjanvier 199 , Iglesia Bautista « El Salvador » c Espagne ). 1 . La Séparation ayant mis ࠱n à l’appel comme d’abus, les tribunaux français refusent de conna¨tre des demandes du clergé ou des ࠱d¢les contre une décision disciplinaire de leur Église (voir E. FOREY, État et institutions religieuses Contribution l’étude des relations entre ordres juridiques, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg 7, p. 89 sq.)
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pratiquer un contr®le sur les décisions majoritaires des cultes, il limite lui-même dans une certaine mesure la pluralité religieuse. Parce qu’il n’est pas possible d’imposer les principes de la la©cité à une religion, seul l’État est tenu au respect du pluralisme. Plus exactement, c’est pour permettre aux religions de continuer à vivre sous le régime de la vérité que l’État, en devenant la©que, a abandonné ce régime en mati¢re de convictions. L’espace de la -épublique la©que a pour e࠰et de permettre aux minorités d’exister en-dehors de la communauté d’origine. Le monopole de fait de l’abattage rituel donné au Consistoire israélite illustre ce paradoxe en excluant du droit d’abattre par eux-mêmes certains groupes religieux minoritaires 13. La logique de l’État la©que voudrait néanmoins que les minorités juives puissent pratiquer l’abattage rituel elles-mêmes selon leur propres r¢gles. Il en est encore de même pour l’usage des édi࠱ces du culte dont les communes sont propriétairesZ : même dans le cas d’une absence d’usage régulier, ils ne peuvent être con࠱és à la minorité traditionnaliste sans l’accord de l’évêque 14. Il peut donc y avoir débat sur la question de savoir dans quelle mesure la la©cité de l’État et le principe de séparation sont ou non favorables au pluralisme des convictions religieuses. Le principe d’une régulation, alors même qu’elle est juridique et non politique, ne tend-il pas nécessairement à réduire ce dernier 3. La pluralité religieuse et le principe de non discrimination En droit, il est plus facile de déterminer apr¢s coup une violation de l’égalité que de la dé࠱nir a priori. Ainsi, la neutralité de l’État à l’égard des cultes ne signi࠱e pas qu’il doive traiter abstraitement de façon égale tous les cultes car ils ne sont pas tous dans la même situation (pour des raisons historiques, sociologiques, démographiques)ڎ. La non discrimination exige que toutes les religions aient la même liberté religieuse mais pas nécessairement sous le même statut. Les di࠰érences sont liées à l’histoire propre de chaque pays. La régulation du pluralisme religieux peut donc être elle-même di࠰érenciée, c’est-à-dire non neutre bien qu’elle ne doive pas être discriminatoire. La di࠰érenciation des situations conduit, en e࠰et, à des formes de reconnaissance qui ne sont pas universelles et à la libre et égale disposition de tous les cultes. LeZ statut associatif de la loi deZ191 est librement ouvert à tous ; le statut de culte de la loi deZ195 n’est pas totalement ouvert puisqu’il fait l’objet d’un contr®le du juge. Il reste que le juge est sensible aux discriminations injusti࠱ées. Alors que la notion de congrégation dans la loi deZ191 désignait à l’évidence dans l’esprit du législateur les seules congrégations catholiques, l’administration a, depuis, fait béné࠱cier de ce statut d’autres religions comme le bouddhisme. Mais les deux domaines o³ la lutte contre la discrimination a abouti à une con࠱rmation
13. Sur ce point la Cour européenne des droits de l’homme a donné raison à l’État français au nom du respect de l’hygi¢ne publique mais sans véri࠱er que celle-ci était réellement menacée par cet abattage minoritaire (CEDH 7 juin , Cha’are Shalom Ve TsedeH c France). 14. Voir par exemple Cour administrative d’appel de ordeaux 7Z avril 4, Association église Saint Éloi, qui constate que la mise à disposition n’est possible qu’apr¢s une désa࠰ectation qui exige l’accord du représentant du culte a࠰ectataire.
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du pluralisme sont le traitement de la religion musulmane et celui des sectes qui constituaient chacune à leur mani¢re une nouveauté en termes de pluralisme dans le paysage religieux français. Les nouveaux mouvements religieux ont fait l’objet d’une tentative manquée de régulation législative particuli¢re. Il est apparu tr¢s di࠳cile de dé࠱nir les sectes, objet de la loi et on a préféré parler de « dérives sectaires ». Le législateur a cherché à sanctionner une activité qui pouvait para¨tre comme la caractéristique essentielle de la secteZ: la manipulation mentale. MaisZdevant la di࠳culté de la dé࠱nition et devant les risques de porter gravement atteinte à la liberté de conscience et de pensée, la loi de 1 s’est contentée de préciser un délit pénal plus ancien, l’abus d’état de faiblesse, qui n’est pas propre aux sectes 15. En ࠱n de compte, la régulation des nouveaux mouvements religieux résulte de l’application du droit commun des libertés ou du droit des cultes pour ceux qui ont fait l’objet d’une reconnaissance cultuelle. Sur ce fondement, la véritable régulation est essentiellement juridictionnelle. La régulation législative issue d’un acte de volonté du législateur se prête à une création ex nihilo de nouvelles r¢gles. La régulation par le juge recourt plut®t à des r¢gles antérieures, à des principes généraux et à un raisonnement analogique, toutes méthodes qui tendent à ramener le fait nouveau vers ce qui est déjà connu et réduisent la discrimination en lissant les di࠰érences. Les « sectes » ou nouveaux mouvements religieux sont ainsi traitées au minimum comme des convictions libres jouissant du droit commun des libertés. IlZ n’y a donc aucune discrimination de ce point de vue. Le syst¢me français de régulation issu de la Séparation est pris entre une logique de neutralité égalitaire et des formes de reconnaissance juridique et sociale qui semblent impossibles à éviter. Le droit européen de la Convention accepte des régimes juridiques di࠰érents pourvu que les éléments fondamentaux de la liberté religieuse soient assurés. La Cour européenne valide aussi bien un régime de séparation, en principe égalitaire, un régime de religion d’État ou un régime de reconnaissance graduée. L’essentiel est de disposer des libertés de base sans pouvoir nécessairement exiger la « grande liberté » dont la jouissance dépend d’une reconnaissance du r®le social joué par le culte en cause. De ce point de vue, un régime juridique reposant sur les seuls principes du droit commun des libertés a été capable d’absorber l’important développement de la pluralité religieuse que représentent les nouveaux mouvements religieux, sans avoir à créer un régime juridique ou une régulation propre. ,uoique l’islam soit une religion traditionnelle, il est néanmoins nouveau dans le paysage français. Il pose cependant des probl¢mes di࠰érents de ceux des « nouveaux mouvements religieux ». Ne constituant pas une nouvelle religion mais une religion ancienne, il ne devrait, en théorie, pas avoir de di࠳culté à se faire reconna¨tre comme culte, une fois bien séparées les activités cultuelles des activités culturelles ou sociales. Il reste que, dans son cas, les probl¢mes de
15. Voir P. -OLLAND, « La loi du 1 juin 1 contre les mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme », Archives de sciences sociales des religions 1 1 ( 3), p.149-166.
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non discrimination ont été ou sont encore sérieux. La question s’est posée de la construction d’édi࠱ces du culte. En principe la séparation interdit toute aide. En pratique, les maires ont utilisé le moyen qui avait déjà été mis au point avantguerre pour la construction d’églises catholiques dans les nouveaux quartiers périphériques des villes et en particulier à Paris. Les « Chantiers du cardinal » ont eu recours au bail emphytéotique pour ne pas avoir à acheter le terrain. La même méthode vient d’être utilisée à plusieurs reprises pour des mosquées. Le Conseil d’État a con࠱rmé la validité de cette procédure que l’ordonnance du
1Zavril 6 avait, par dérogation à la loi deZ195, étendue à la construction d’un édi࠱ce du culte. On peut même observer un traitement égalitaire dans la formation, vivement encouragée par tous les ministres de l’Intérieur, d’un organe représentatif des musulmans en France, à l’instar de ce qui existe dans les cultes qui n’ont pas de hiérarchie religieuse (consistoire protestant ou israélite). Apr¢s des hésitations, on a choisi pour le Conseil français du culte musulman un mod¢le de fédération. LK@IRPFLK Dans toutes les sociétés, les religions ont une présence sociale telle qu’elle appelle une forme de régulation. La séparation des Églises et de l’État ne pouvait méconna¨tre ce fait malgré certaines abstractions idéologiques qui assimilaient les religions à n’importe quelle autre conviction. L’existence d’une régulation juridique des cultes ne viole pas le principe de séparation en organisant une reconnaissance particuli¢re des religions et en organisant un régime juridique di࠰érant en partie du droit commun des associations. Ce fait souligne simplement que la Séparation de 195 ne peut avoir qu’une signi࠱cation politiqueZ: la séparation des religions et du pouvoir politique. -este à savoir quel type de régulation juridique la -épublique allait adopter. Le choix du principe de liberté de conscience et de religion, contre le principe d’utilité sociale de la religion qui dominait le syst¢me concordataire et des cultes reconnus, la conduisit à partager la charge de la régulation des cultes entre la loi de l’État et le droit interne de chaque culte. Cette division du travail était fortement encouragée par l’existence du mod¢le hiérarchique de l’organisation catholique qui continue d’inspirer un « gallicanisme administratif » dans la -épublique. Devant les régulations internes défectueuses ou même inexistantes dans certains cultes la tentation serait pour l’État de se substituer à celles-ci, ou de leur proposer un mod¢le « catholique » de régulation. Les limites et les paris implicites de la -épublique en mati¢re de régulation des cultes apparaissent ici. La gestion des probl¢mes et des inquiétudes soulevées par les « nouveaux mouvements religieux » montre pourtant que les principes communs en mati¢re de liberté ont une capacité de régulation tr¢s largement satisfaisante.
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LES DIRECTIVES DU PREMIER MINISTRE 02/)"-/,1"01+1&0*" 2+'),+&*-,/1+1 DE LA POLITIQUE RELIGIEUSE
NGUYՙN THANH Xun Bureau des aࠨaires religieuses, Hanoi
Dans le panorama général des religions au ViêtZNam, on trouve le protestantisme dont le nombre de ࠱d¢les, du fait d’une pénétration tardive, n’égale pas celui des bouddhistes ou des catholiques. La question du rapport du protestantisme à la Nation, à la culture et à la pensée est tout aussi nouvelle que complexe au ViêtZNam. Dans leur mise en application d’une politique religieuse rénovée, le Parti et l’État ont fourni beaucoup d’e࠰orts pour résoudre les questions relatives au protestantismeZ : apr¢s la promulgation de l’Ordonnance sur les croVances et les religions, le Premier ministre a publié le 4Zfévrier 5 la directive njZ1 concernant un certain nombre de tches relatives au protestantisme. Le protestantisme a été introduit au ViêtZNam à la ࠱n du XIXeZsi¢cle par une société missionnaire nord-américaine, la Christian and Missionary Alliance (Hժi Liên hip Ph´c |m v TruVՒn giáo). Mais c’est enZ1911 que le protestantisme s’est établi tout d’abord à ÊàZNՊng, puis que l’Église protestante du ViêtZNam a été fondée enZ19 4. D’un point de vue général, le protestantisme s’est développé tr¢s lentement par rapport aux autres religions. EnZ 1945, on comptait environ 5Z࠱d¢les, ils étaient 5 enZ1954 et environ enZ1975, tous a࠳liés à une dizaine de dénominations essentiellement concentrées dans la partie sud du pays. Ces derni¢res années, le protestantisme s’est répandu tr¢s rapidement dans les zones urbaines ainsi que dans les zones rurales des hauts-plateaux du Centre et dans les montagnes du Nord-ViêtZNam. Aujourd’hui, on compte plus d’un million d’adeptes et pr¢s de 8Zorganisations et sectes protestantes. Compte tenu des spéci࠱cités du mode de vie religieuse et du processus d’implantation, le protestantisme vietnamien peut se diviser en plusieurs groupes. 1. Les organisations protestantes reconnues juridiquement par l’État – l’Église protestante du Nord du Viêt Nam, reconnue enZ1955, compte actuellement 8 Z࠱d¢les répartis dans 1Zprovinces et villes du Nord ; – l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam trouve son origine dans l’Église protestante du ViêtZNam fondée enZ19 4 ; apr¢sZ1954, elle a été active dans le Sud
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+guVՖn Thanh 5un
du pays. -econnue par l’État enZ 1, elle compte 7 Z࠱d¢les répartis dans 34Zprovinces du Sud.
. Les organisations et sectes protestantes sans personnalité juridique࢙reconnue Elles sont pr¢s d’une cinquantaine et comptabilisent 3 ࠱d¢les actifs dans tout le pays. Elles se répartissent en trois sous-groupesZ: – celles qui étaient présentes avantZ 1975 comme l’Église baptiste, l’Église évangélique, l’Église adventiste du septi¢me jour (Cś Ëբc Phնc lm), la Christian Mission Church (Cś Ëբc TruVՒn giáo), l’Église chrétienne des disciples du Christ (Hժi thánh Môn Ë ÊԶng Christ), l’Église baptiste de la grce (Hժi thánh báp tít |n ËiՔn)ڎ – celles présentes avantZ 1975 mais qui n’ont plus mené d’activités apr¢s cette dateZ(࠱d¢les mennonites, pentec®tistes, presbytériens, témoins de Jéhovah; )ڎ – celles qui sont nouvellement apparues ou qui ont fait scission apr¢sZ1975 avec les branches préexistantes: Église de Nazarene, Évangile de Thimothée (Phúc m Tim®thê), Agapé, Fédération missionnaire (Liên hip TruVՒn giáo), Grace hope Church (|n ËiՔn hV v՞ng), Église du plein évangile (Ph´c m t¬an vՊn) ڎCe sous-groupe répertorie beaucoup d’organisations et de sectes mais peu de ࠱d¢les ; certaines organisations peuvent avoir un seul noyau regroupant quelques dizaines de ࠱d¢les à peine. Le protestantismeZ est aussi présent dans deux régions spéci࠱ques o³ se concentrent des groupes ethniquesZ : les hauts-plateaux du Centre et les montagnes du Nord-Ouest. Le protestantisme a pénétré les Hauts-Plateaux dans les annéesZ193. On comptabilisait environ 6 Z࠱d¢les enZ1975, mais depuis peu, ce chi࠰re a dépassé le seuil des 4 Z࠱d¢les. Dans la région montagneuse du Nord-Ouest, le protestantisme s’est di࠰usé à partir deZ1986, essentiellement aupr¢s des populations Hmong, Dao qui sont aujourd’hui plus de 1 Z࠱d¢les. La majorité des nouveaux convertis sur les Hauts-Plateaux veut se rattacher à l’Église protestante du Sud du ViêtZNam et ceux du Nord-Ouest à l’Église de la région Nord. -estaurer les activités passées du protestantisme correspond à un besoin spirituel d’une partie de la population et témoigne clairement de la politique religieuse rénovée et ouverte de l’État vietnamien. Dans le cas de l’expansion rapide du protestantisme dans les zones d’altitude, l’apparition d’une multitude de sectes conjointe à des formes de prosélytisme jusqu’alors inconnues a posé de nombreux probl¢mes. Il s’est d’abord agi du con࠲it entre culture et croyances traditionnelles d’une part, entre culture et mode de vie protestants d’autre part. Dans un certain nombre de localités, la propagation du protestantisme vient remettre en cause l’ordre et la stabilité de la société, y compris sur les HautsPlateaux o³ de mauvais éléments essaient de tirer avantage de la situation pour créer des troubles sociaux, ou bien dans le Nord-Ouest pour propager un protestantisme à coloration superstitieuse. Le travail e࠰ectué ces derniers temps dans le domaine du protestantisme a apporté des résultats probants. Les activités religieuses se déroulent normalement
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Les directives du Premier ministre sur le protestantisme
dans les lieux de culte rattachés à diverses organisations et sectes. En 1, l’État a reconnu juridiquement l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam et a œuvré pour la normalisation des activités protestantes dans les zones minoritaires du Ty Nguyên, dans les provinces de la cordill¢re annamite. Ainsi, jusqu’enZ 5, 36Z églises locales ont été reconnues sur les Hauts-Plateaux, des dizaines de pasteurs, de pasteurs en fonction, d’évangélistes ont été nommés ou réintégrés. En 3, le gouvernement a accordé l’autorisation à l’Église protestante du Sud du ViêtZ Nam d’ouvrir un institut de théologie biblique à Hը-Ch§-Minh-Ville qui, à ce jour, a formé deux promotions et 15Zétudiants. Dans le même temps, l’État a fait publier des bibles et des catéchismes. Entre 1999 etZ 7, sur plus de
Zmillions de livres religieux imprimés, ce sont pr¢s d’un million de bibles qui ont été ainsi publiées et di࠰uséesڎ Naturellement, certains probl¢mes restent encore à résoudre et d’autres sont même nouvellement apparus. Le travail consiste concr¢tement à diriger et à gérer les activités des églises protestantes reconnues ; enregistrer les activités religieuses et reconna¨tre la personnalité juridique d’organisations et de sectes protestantes ; poursuivre la normalisation des activités protestantes des minorités des Hauts-Plateaux ; suivre les activités religieuses des nouveaux convertis Hmong et Dao dans les zones montagneuses du Nord ڎTout ceci en conformité avec l’Ordonnance sur les croVances et les religions. Ainsi, comparé au bouddhisme, au catholicisme et aux autres religions, le protestantisme présente des di࠰érences en mati¢re d’organisation et de sectes, en mati¢re d’implantation régionale. Elles exigent que l’on porte une attention particuli¢re aux nouvelles couches de populations converties sur les Hauts-Plateaux et dans la région du Nord-Ouest. Face à une telle situation, le Premier ministre a promulgué le 4Z février 5 la directive njZ 1/ 5CT-TTg sur les actions à mener en faveur du protestantisme a࠱n d’uni࠱er à tous les niveaux administratifs, la mise en œuvre d’une politique qui soit conforme à l’Ordonnance sur les croVances et les religions. Contenu de la directive nj࢙ et les premiers résultats obtenus La directive se décompose enZ 9Z paragraphes dont le contenu essentiel est rappelé ci-dessousZ: Premi¢rement, il s’agit de bien mettre à exécution le programme de développement matériel et spirituel du peuple et de créer les conditions pour que les compatriotes protestants s’unissent à la communauté nationale, qu’ils participent aux activités économiques, culturelles et sociales, qu’ils contribuent positivement à l’édi࠱cation et à la défense de la Patrie. Il s’agit en même temps deZ: [ ]ڎrenforcer le travail de propagande et de mobilisation et de créer les conditions favorables pour que les membres du clergé et les ࠱d¢les protestants appliquent correctement la politique du Parti, la législation de l’État concernant la croyance et la religion, qu’ils fassent entrer leurs activités religieuses dans le cadre légal. Il faut encourager l’ensemble du clergé et des ࠱d¢les à
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mener harmonieusement leur vie religieuse et la©que, à rendre un culte à Dieu et servir la patrie et le peuple 1.
Deuxi¢mement, envers les organisations protestantes reconnues comme l’Église protestante du Nord du ViêtZ Nam et l’Église protestante du Sud du ViêtZNamZ: « l’État les guide et les aide à mener des activités religieuses qui soient conformes à la Charte, au r¢glement de l’Église et qu’elles soient respectueuses des prescriptions de la loi ». Il s’agit concr¢tement des activités religieuses des croyants, des dignitaires et des églises, de la formation religieuse, de la publication et de l’édition de livres, de la restauration et de la construction des lieux de culte, des activités caritatives, des relations avec les organisations protestantes internationalesڎ Troisi¢mement, envers les organisations protestantes présentes avantZ 1975 mais non reconnues, si celles-ci m¢nent des activités religieuses authentiques et qu’elles remplissent les conditions pour suivre les dispositions de l’ordonnance sur les croyances et les religions, alors elles peuvent remplir les formalités pour organiser un congr¢s des représentants (assemblée générale), promulguer une charte (statuts), élire le bureau représentatif de l’Église ; elles se verront alors reconna¨tre leur personnalité juridique. ÀZ propos des sectes protestantes qui n’ont pas encore rempli les conditions d’une telle reconnaissance, « si nos compatriotes manifestent un besoin religieux véritable, on leur conseillera de se faire enregistrer aupr¢s des autorités locales des communes et des districts 3 ». Avec le temps, si l’association remplit les conditions pour se conformer à la loi, la discussion sur la reconnaissance sera ouverte. ,uatri¢mement, envers les protestants issus des minorités ethniques des Hauts-Plateaux et des provinces frontali¢res, il faut continuer d’étudier la reconnaissance des églises locales et leur rattachement à l’Église protestante du Sud du ViêtZNam, créer les conditions propices pour que ces populations puissent fonder des lieux de culte, des centres de formation dirigés par des dignitaires qui soient tous reconnus par la loi. Envers les localités qui n’ont pas rempli les conditions de reconnaissance pour fonder une église locale, si les compatriotes croyants ont des besoins religieux authentiques, qui promettent de respecter les directives de la loi, de ne pas agir pour le compte des réactionnaires du FUL-O, de ne pas être en rapports avec le « protestantisme Dega » (par essence une organisation des réactionnaires du FUL-O), alorsZ: [ ]ڎles autorités locales des communes et des districts créeront les conditions pour que nos compatriotes se livrent dans le cadre familial à des activités religieuses
1. Ch՞ thՠ 1/CT-TT ngày 4 thng n½m 5 cռa Thռ TŪհng ch§nh phռ « VՖ mծt sզ c®ng tc Ëզi vհi ËԶo Tin Lành » [Directive nj1 du 4 février 5 du Premier ministre concernant un certain nombre de tches relatives au protestantisme].
. Ibid. 3. Ibid.
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normales. On pourra accepter que les croyants fassent enregistrer une adresse déterminée du village comme lieu de célébration des activités religieuses 4.
Cinqui¢mement, envers les nouveaux convertis issus des minorités ethniques des montagnes du Nord, il est nécessaire de se fonder sur leurs besoins spirituels pour prendre les dispositions convenables. Si ces derniers ont adhéré au protestantisme depuis un certain temps et qu’ils manifestent un besoin religieux véritable, en premier lieu, on leur conseillera de mener leurs activités religieuses en famille, ou bien de faire enregistrer une adresse du village comme lieu de célébration du culte. Lorsque toutes les conditions seront réunies, on facilitera les célébrations courantes conformément aux prescriptions de la loi 5.
Envers la partie des convertis qui ressentent le besoin de se désa࠳lier pour retourner à leurs croyances traditionnelles, il est nécessaire de créer les conditions favorables et de les aider à concrétiser leur souhait. Sixi¢mement, l’État est résolu à combattre les complots et les intrigues des forces qui utilisent la religion et le protestantisme pour entra¨ner les compatriotes à diviser la nation, à s’opposer au pays. Il faut le proclamer publiquement a࠱n que les compatriotes connaissent clairement l’action de faux dignitaires protestants qui violent la loi ;Zmais il faut aussi dans un même temps « interdire et sanctionner strictement les gens qui contraignent les compatriotes à abandonner leur religion, toute forme de pression qui incite à suivre ou à rejeter la religion 6. » Pour appliquer ces dispositions de mani¢re unitaire et synchrone, le Président a souligné tout particuli¢rement qu’il fallait, à tous les échelons et dans toutes les branches de l’État, « organiser en profondeur et exécuter en intégralité des lignes dé࠱nies par le Parti et l’État en mati¢re de croyance et de religion, de même que la politique à l’égard du protestantisme 7. » Deux ans apr¢s l’entrée en vigueur de la directive njZ1, plus d’un millier de groupes protestants des Hauts-Plateaux ont massivement enregistré leurs activités religieuses aupr¢s des autorités de base ; l’Église protestante du Sud du ViêtZNam a reconnu 86Zéglises locales, formé pr¢s de 3Zdignitaires, construit des dizaines de temples ڎDans la région du Nord-Ouest, en dépit des spéci࠱cités culturelles et des modes de vie, ce sont jusqu’à aujourd’hui pr¢s d’une centaine d’églises locales a࠳liées à l’Église protestante du Nord du ViêtZNam qui ont été enregistrées par les autorités de base. Le bureau des a࠰aires religieuses a en particulier tout récemment reconnu 8Zorganisations protestantes et préparé la présentation au PremierZ ministre de la reconnaissance de la personnalité juridique d’une organisation protestante réunissant toutes les conditions juridiques.
4. Ibid. 5. Ibid. 6. Ibid. 7. Ibid.
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En résumé, la situation du protestantisme au ViêtZNam évolue positivement, les activités se déroulent normalement, de façon stable et dans l’observance de la loi. Dans ces conditions d’application de l’Ordonnance sur les croVances et les religions, texte juridique de haute portée, la directive njZ1 du Premier ministre contribue à harmoniser la mise en œuvre de l’Ordonnance en faveur du protestantisme. Elle n’est pas en contradiction avec l’Ordonnance, elle en assure au contraire la bonne mise à exécution et représente ainsi un jalon important de la politique religieuse de l’État vietnamien. /¤C¤OBK@BP Ch՞ thՠ 1/CT-TT ngày 4 thng n½m 5 cռa Thռ TŪհng ch§nh phռ, VՒ mժt sբ công tác Ëբi vլi ËԲo Tin LnhZ[!irective njZ du février
du Premier ministre concernant un certain nombre de tches relatives au protestantisme] V½n bԴn pháp luԾt Viêt +am vՒ tín ngŪղng, tôn giáo [Textes juridiques sur les croVances et les religions], Nxb t®n gio, Hanoi 5. (ֈ VՐu Hժi thánh Tin Lnh miՒn +am [Mémoires de l’Église protestante du Viêt +am région Sud], Hը-Ch§-Minh-Ville 5. BŪլc ËԸu t¦m hiՔu vՒ ËԲo Tin Lnh trên thՐ giլi v հ Vit +am [Comprendre le protestantisme dans le monde et au Viêt +am], Nxb t®n gio, Hanoi .
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LA RÉGULATION DE LA CROYANCE !+0ࢩ)"0-60!")ڂ2+&,+"2/,-"++"ࢩ 3"/02+*,!)" ,**2+!") &1
Philippe PORTIER École pratique des hautes études, Paris
« En Europe, nous sommes tous la©ques 1 », Émile Poulat entend signi࠱er, par cette formule, que les peuples européens ne sont pas rassemblés seulement par des solidarités économiques, mais qu’ils sont liés aussi par le partage d’une commune intelligence du vivre ensemble, trouvant elle-même son fondement dans la philosophie politique de la modernité. Cet ethos européen, trois grands traits permettent de le dé࠱nir. Il s’adosse tout d’abord à une certaine conception du sujet. Dans le monde pré-la©que, celui d’avant la grande rupture des XVIIIe-XIXeZsi¢cles, l’homme est pensé comme créature de DieuZ: il doit à ce titre respecter les devoirs que lui impose Celui qui l’a porté à l’existence. Dans l’univers moderne, l’homme est considéré au contraire comme son propre créateur, « l’auteur de ses propres jours » disait ShakespeareZ: les droits deviennent premiers alors, et l’emportent sur les devoirs. On en saisit l’e࠰et dans le domaine de la religionZ: chacun doit être libre de déterminer à son gré ses adhésions de foi sans que son choix (ou son non-choix) ne débouche sur quelque discrimination que ce soit. Commune ࠱gure du sujet, commune ࠱gure de l’État également. Dans l’¢re théologicopolitique, l’État trouve son principe dans la transcendance. Né de la volonté de Dieu, il est enr®lé au service de son ordreZ: il lui revient de transcrire dans le droit positif les décrets de la loi numineuse. -ien de cela ne subsiste dans le monde la©queZ : institué par les êtres qu’il dirige, le pouvoir est au service de l’homme et de ses droits. Sa fonction est simplement, en assurant l’ordre et la paix, de permettre à chacun de construire, comme il l’entend, son propre univers de vie. À cela s’ajoute une commune conception de l’Église. Elle avait hier le statut d’une institution englobanteZ: douée d’un privil¢ge de véridiction, elle donnait à chacun dans la société les crit¢res de l’action juste. Elle n’est plus,
1. É. POULAT, « En 199, la la©cité pour une confession majoritaireZ: le catholicisme », dans H.ZOST (dir.), Genèse et enjeux de la laïcité, Labor et Fides, Gen¢ve 199, p. 18-19.
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dans le monde moderne, qu’une institution sectorielle. Sa parole n’est plus la vérité, mais une opinion comme les autres que l’État, dans sa souveraineté, peut fort bien méconna¨tre. Le sociologue anglais James eckford a résumé de la sorte cette mutationZ: « L’Église était nagu¢re une institution sociale ; elle n’est plus qu’une ressource culturelle ». Cette nouvelle théorie du vivre ensemble soul¢ve, on le devine, un probl¢me pratiqueZ: comment, dans ce syst¢me politique rendu dorénavant à ses propres raisons, organiser la relation entre l’État et les Églises ,uelle place, dans ce monde dissocié de la transcendance, accorder aux organisations religieuses David Martin, dans sa Théorie générale de la sécularisation , rappelle que la question n’a pas été résolue partout de la même mani¢re. Elle a au fond, expliquet-il, donné lieu à deux grandes réponses juridiques, correspondant à la grande division confessionnelle du continent européen. Dans les pays catholiques s’est mis en place, non sans con࠲it le plus souvent, un syst¢me de type séparatisteZ: c’est sur le fondement d’une dissociation institutionnelle avec l’Église dominante –Z romaineZ – que la modernité ici a trouvé sa forme. Dans les seconds, s’est maintenu au contraire, malgré l’a࠳rmation des Lumi¢res, un mod¢le de religion d’État, caractérisé par la compénétration continuée de l’institution politique et de l’institution ecclésiale. Le schéma produit par David Martin pour analyser l’entrée de l’Europe, aux XVIIIe-XIXeZsi¢cles, dans l’¢re de la subjectivité politique permet-il de rendre compte de la période immédiatement contemporaine Je voudrais, dans les quelques minutes qui me sont imparties, proposer une réponse nuancée. Un premier moment conduira à con࠱rmer la « th¢se de la division »Z: à l’examen, les mod¢les nationaux se distribuent encore autour des deux grands idéaux-types à l’instant énoncés. On ne saurait ignorer cependant le mouvement de fond qui se fait jour depuis quelques décennies. Les pays de l’Union ne restent pas ࠱gés dans la reconduction absolue du même. Ils s’extraient de plus en plus volontiers du « sentier de dépendance » (P.ZPierson) qui les attachait à leur passé pour converger vers un mod¢le commun d’organisation de la relation Églises/État. Il semble bien qu’une « Europe de la religion » soit aujourd’hui, à c®té de l’Europe de l’agriculture ou de l’éducation, en train d’appara¨tre. &2KRKFSBOPCO>DJBKQ¤ Permanence doncZ: telle est la premi¢re leçon qu’il faut extraire de l’analyse des droits nationaux des religions. Les pays non catholiques demeurent régis le plus souvent par une formule de confessionnalité (ou, l’expression est aussi employée, de « pluralisme élitiste ») ; les pays de culture catholique restent
. D. MARTIN, A General TheorV of SeculariWation, lackwell, Oxford 1978.
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࠱d¢les pour leur part au mod¢le de séparation, marqué par un « pluralisme égalitaire 3 ». Abordons le cas, d’abord, des pays confessionnalistes. Leur syst¢me de régulation de la croyance s’articule autour de deux grands principes. LeZpremier est celui de hiérarchisationZ: dans les pays qui l’ont adopté, une religion –Zou parfois deux comme en FinlandeZ – se trouve distinguée des autresZ : elle est appréhendée comme « religion d’État », ou « religion dominante », ou « religion o࠳cielle », et reçoit de ce fait des prérogatives et des responsabilités particuli¢res. Le second est celui de tolérance. Toutes les religions ne béné࠱cient pas certes de la même « reconnaissance » étatique ; elles ont droit de cité néanmoinsZ: la loi leur accorde en principe une pleine liberté d’organisation et de communication, et sanctionne toute discrimination à l’égard de leurs membres pris isolément. Cette formule résume la situationZ : « La liberté des cultes sans doute, pas leur égalité 4 ». Ce syst¢me caractérise en premier lieu la zone protestante de l’Europe 5. La Su¢de l’a expérimenté jusqu’enZ . La Finlande et l’Angleterre la connaissent encore ; et le Danemark bien sµr. Dans ce dernier pays, qu’on peut retenir à titre illustratif, tout est suspendu à l’articleZ4 de la Constitution deZ1953, encore en vigueurZ : « L’Église évangélique luthérienne est l’Église nationale danoise ; elle béné࠱cie à ce titre du soutien de l’État ». Ce soutien se manifeste à un double niveau. Au niveau symbolique, d’une part. C’est à l’institution luthérienne qu’est con࠱é l’important cérémonial du sacre royal, o³ s’exprime la dimension chrétienne de l’imaginaire national ; à elle encore qu’est attribuée la gestion de l’état civil et des cimeti¢res. En outre, l’éducation religieuse, « évangélique » initialement, est considérée comme une discipline ordinaire des programmes d’enseignement. Au niveau ࠱nancier, d’autre part. L’État prend en charge sur son propre budget, en s’appuyant en partie sur la taxe confessionnelle recouvrée aupr¢s des luthériens déclarés, la quasi totalité des frais de fonctionnement et d’équipement de son Église nationale. Les autres confessions ne peuvent béné࠱cier que de subventions ponctuelles, et uniquement pour leurs activités sociales, éducatives ou culturelles. Comme dans tous les syst¢mes de
3. L’opposition entre « syst¢mes à pluralisme élitiste » et « syst¢mes à pluralisme égalitaire » est empruntée à Pauline C®té, « Autorité publique, pluralisation et sectorisation en modernité tardive », Archives de sciences sociales des religions 1 1 (janv.-mars 3), p.Z19-4. Précisons que notre typologie n’est pas exclusive d’autres approches. Celle de Stephen Monsma et Christopher Sopper (The Challenge of Pluralism Church and State in Five !emocracies, -owman and Little࠱ed, LanhamZ1997) distingue les régimes de séparation, de coopération et de religion d’État (ou nationale). Ce découpage n’est pas si éloigné du n®treZ: les deux premi¢res s’int¢grent dans notre catégorie « régimes de séparation », que nous subdivisons en deux catégories (« séparation souple », « séparation rigide »). 4. Nous reprenons ici la formule du précédent « ministre de l’Église » ( 1- 4) danois pour décrire la situation confessionnaliste de son pays. 5. Sur le phénom¢ne d’alliance Église/État dans les pays protestants, voir Ph.Z GORSKI, « Historicizing the Secularization Debate », American Sociological RevieT 65 ( ), p.Z138-167. Dans ce texte, le sociologue américain rappelle d’une part que la modernité peut s’accompagner d’un phénom¢ne de dédi࠰érenciation entre religion et politique ; d’autre part, que cette dédi࠰érenciation vaut surtout dans les pays luthériens (p.Z15).
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confessionnalité, cette o࠳cialisation ne va pas sans contr®leZ: les r¢gles internes de la FolHHirHe sont appelés à être validées par un acte du Parlement (ou par un décret royal) et les pasteurs, intégrés à l’administration d’État, sont appelés à rendre compte de leur activité aupr¢s du minist¢re de l’Église 6. C’est un schéma similaire d’organisation qu’on voit à l’œuvre dans la zone orthodoxe de l’Europe. On pense ici à la Gr¢ce 7. Promulguée « sous les auspices de la tr¢s sainte Trinité une et consubstantielle », la Constitution deZ1975 a࠳rme clairement la position privilégiée de l’OrthodoxieZ : « La religion dominante en Gr¢ce est l’Église orthodoxe orientale du Christ ». Même principe, mêmes e࠰ets. D’abord, l’institution religieuse se voit reconna¨tre un appui symbolique de la part de l’État. Il est prévu par exemple que les autorités –Zle président de la -épublique, les parlementairesZ– prêtent serment, au moment de leur entrée en fonction, « au nom de la tr¢s sainte Trinité » ; quant au syst¢me d’éducation, il se voit assigné, selon la formule de la Loi fondamentale, la charge de transmettre aux él¢ves une « éducation tout à la fois religieuse et nationale ». Certes, on ne conna¨t pas en Gr¢ce l’imp®t d’Église ; il reste que le budget de l’État abonde annuellement l’Église orthodoxe, et salarie ses prêtres. Ce soutien a sa contrepartie juridictionnalisteZ: le personnel religieux est nommé par le minist¢re de l’Éducation et des A࠰aires ecclésiastiques ; quant aux Actes du Saint-SVnode, ils doivent, pour entrer en vigueur, être enregistrés par le parlement et publiés au Journal oࠫciel. Ce contr®le toutefois est assez nominal, tant est puissante la hiérarchie épiscopale. Il s’exerce plus lourdement, en revanche, sur les autres cultesZ: le prosélytisme, qui permettrait aux religions minoritaires d’étendre leur in࠲uence, est interdit par la Constitution même ; et la législation – elle date, sur ce point, du régime de Metaxas à la ࠱n des annéesZ 193 –Z leur impose, lorsqu’elles veulent installer un édi࠱ce cultuel, d’obtenir, outre l’accord de l’État, celui aussi de l’évêque orthodoxe du lieu. On peut s’interroger bien sµr sur le maintien de ce syst¢me de compénétration institutionnelle hérité de l’ge théologico-politique. Comment a-t-il pu résister à l’expansion d’un régime politique dont la singularité est de trouver en lui-même, loin de toute normativité divine, ses propres principes On a proposé ailleurs cette explication 8Z: dans les zones non catholiques de l’Europe, les États n’ont pas eu besoin, pour conquérir leur souveraineté, de se dissocier des Églises dominantes. Orthodoxes ou protestantes, celles-ci n’ont, en e࠰et, nullement fait
6. Ce ne sont là bien sµr que quelques éléments d’analyse. Pour une présentation plus compl¢te, voir, par exemple, J.-P. SORENSEN, The Evangelical Lutheran Church in !enmarH, The Council of Inter-Church relations, Copenhague 1997 ; I. DÜBCEK, « État et Églises au Danemark », dans G. -OBBERS (éd.), État et Églises dans l’Union européenne, Nomos Verlagsgesellschaft, adenaden 1997, p.Z39-59. Le contr®le de l’État n’est pas toujours de pure forme. La ministre de l’Église en poste entre 1 et 4 a de la sorte voulu accentuer son contr®le sur les psautiers et a même engagé une procédure disciplinaire contre un pasteur qui s’était déclaré incroyant. 7. Sur le mod¢le grec, voir, par exemple, C.ZG.ZPAPATHATIS, « Church and State in Greece », Revue européenne des relations Églises-États I (1994), p. 53-59. 8. Ph. PORTIER, « Les la©cités dans l’Union européenneZ: vers une convergence des mod¢les », dans G. SAUPIN, -. FABRE, M. LAUNAY, La tolérance, PU-, -ennes 1999, p.Z3-315.
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obstacle à l’émancipation du politiqueZ: portées par une « théologie de la sécularité », elles ont admis tr¢s vite, se repliant sur la seule administration des a࠰aires spirituelles (et souvent désormais sur la gestion des questions existentielles), que l’État pµt ࠱xer à son gré la politique du pays. Avec ces forces-là, à ce point accommodantes, il n’était pas insensé pour le gouvernement de pérenniser la structure d’alliance des temps pré-modernes. -aison doctrinale, raison sociale également. Dans les zones de référence, la population s’est, jusqu’à une période tr¢s récente, toujours opposée à l’idée d’une relégation de l’Église dominante dans l’espace privé. Massivement rassemblée autour d’elle (souvent à plus de 9 ࢠ), elle en faisait le symbole même de son identité. En décrétant la séparation, l’État aurait pris le risque, dans ces conditions, d’une mesure gravement impopulaire. L’option des pays catholiques (ou à forte présence catholique) a été toute di࠰érente. C’est la voie de la séparation que l’État a retenue, lorsqu’il s’est agi d’entrer dans la modernité. Pour des raisons symétriquement opposées à celles qui expliquent ailleurs le maintien de la confessionnalité. D’abord, le gouvernement n’a pas été confronté ici à la même théologieZ: l’Église romaine –Zau moins jusqu’à VaticanZIIZ– s’est appuyée sans trêve sur la philosophie bellarminienne du « pouvoir indirect » et a, du coup, toujours revendiqué un droit de contr®le sur la détermination des a࠰aires temporelles. Ensuite, la religion, dans la zone concernée, n’a jamais été perçue comme le fondement exclusif de la conscience nationale ; elle est apparue au contraire, à travers l’histoire récente au moins, comme le motif même de sa déchirure (songeons simplement à la « guerre des deux France », à « la guerre des deux Espagne », au (ulturHampf allemand). Voilà qui ne pouvait pas ne pas engendrer la ruptureZ : on voit mal comment l’État aurait pu se maintenir dans l’ancienne compénétration avec une institution ecclésiale qui, dissociée d’une grande partie de la population, le contestait de la sorte dans son dessein d’indépendance. Deux principes, globalement, caractérisent le syst¢me séparatiste. Le principe, d’une part, d’extranéité étatiqueZ: dans le syst¢me confessionnaliste, l’État intervient dans le mode d’organisation des Églises, de l’Église o࠳cielle en tout cas ; il n’en va pas de même dans le régime séparatisteZ: les forces religieuses sont laissées à leur autonomie de fonctionnement. Le principe, d’autre part, d’égalité confessionnelle. Ce mod¢le, en droit du moins, refuse l’idée d’une hiérarchisation entre les cultesZ: traitées de mani¢re équivalente par le pouvoir, les religions disposent toutes des mêmes prérogatives et des mêmes devoirs. S’ils adh¢rent à cette norme de fonctionnement, les syst¢mes de séparation ne sont pas cependant en tous points identiques. Une cartographie plus précise permet de déceler en leur sein deux sous-catégories. Certains pays ont adopté un régime de séparation souple ; d’autres un régime de séparation plus rigide. La « séparation souple », repérable principalement dans les pays du Nord et du Centre de l’Europe (Allemagne, Autriche, elgique, Pays-as) dé࠱nit, dans le cadre certes de la dissociation des instances, un syst¢me de coopération entre les Églises et l’ÉtatZ : le gouvernement se refuse à admettre l’existence d’une « religion o࠳cielle » ; il se montre « bienveillant » cependant à l’égard des insti 79
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tutions ecclésiales, auxquelles il accorde, sur le fondement le plus souvent d’un dispositif concordataire, une dimension proprement publique. Le cas allemand en fournit une illustration tr¢s claire 9. D’abord, laZConstitution (1949) reconna¨t ici, expressément, l’importance sociale du fait religieuxZ: dans le même temps qu’elle fait du dimanche, dédié au « recueillement spirituel », un jour obligatoirement ch®mé, elle rappelle le peuple allemand à « sa responsabilité devant Dieu et les hommes » et, suivant les termes repris de la Constitution de Weimar, accorde aux Églises la possibilité d’accéder au statut de « corporation de droit public ». Ensuite, la puissance publique abonde les institutions religieuses. Les Länder et les communes peuvent, sans risque d’être sanctionnés, soutenir ࠱nanci¢rement les manifestations qu’elles organisent et les constructions qu’elles initient. En outre, un pouvoir légal de taxation leur est reconnu, d¢s lors qu’elles béné࠱cient du statut de corporation de droit publicZ: c’est l’administration ࠱scale qui intervient en prélevant aupr¢s de leurs membres et pour leur compte cet imp®t confessionnel. Surtout, les Églises sont convoquées à intervenir dans l’espace étatique. Elles organisent dans les écoles publiques les cours de religion, que la Loi fondamentale de 1949 a élevés au rang de discipline ordinaire dans le cursus de l’enseignement primaire et secondaire. L’État n’hésite pas de surcro¨t à les associer tr¢s o࠳ciellement à la ré࠲exion et à l’action (pensons aux centres de prévention de l’avortement ou à la demande adressée récemment par le gouvernement d’Angela Merkel aux Églises chrétiennes de contribuer à la reconstruction de l’éthique scolaire) des instances politiques, au niveau central comme au niveau local. Le syst¢me de « séparation rigide » marque la France essentiellement 1, même si on a connu par le passé une tendance analogue en Italie (au moment du Risorgimento), au Portugal (dans les annéesZ 191), en Espagne (dans les annéesZ 193). Ses traits sont symétriquement opposés à ceux du syst¢me de séparation souple. D’abord, la -épublique française n’admet aucune reconnaissance particuli¢re du fait religieux. Si l’on excepte la référence –Zinspirée par la philosophie des Lumi¢resZ – à l’Être suprême dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Constitution deZ 1958 n’évoque nullement la ࠱gure de Dieu, non plus d’ailleurs que l’importance de la spiritualité. En outre, les institutions religieuses ne peuvent prétendre à aucun statut de droit publicZ: elles doivent s’organiser selon les r¢gles du droit privé, soit sous la forme d’associations ordinaires (loi deZ191), soit sous celle d’associations cultuelles
9. Pour une approche plus compl¢te, F.Z MESSNER, « Liberté religieuse, neutralité et coordination entre les États et les Églises. L’exemple de la -épublique fédérale d’Allemagne », Revue d’éthique et de théologie morale, Le supplément 175 (199), p. 95-117. Voir aussi le livre d’O.ZBOBINEAU, !ieu change en paroisse Comparaison d’une paroisse française et d’une paroisse allemande, PU-, -ennes 5. 1. Pour une lecture en ce sens, J. AUER, Politique et Religion, PUF, Paris 1999, p. 7Zsq ; M. KOENIG, « Politics and -eligion in European Nation States. Institutionnal Varieties and Contemporary Transformations », dans . GIESEN, D. SUBER, Religion and Politics Cultural perspectives, rill, Leyde-oston 5, p. 91-315. Ce dernier décrit la France comme un « syst¢me étatiste ».
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(loi deZ 195). Autre di࠰érenceZ : la question du ࠱nancement. Dans le mod¢le français, les cultes ne peuvent, en principe, être soutenus par l’État. C’est ce que précise avec force, revenant sur le « dispositif concordataire », l’articleZ de la loi du 9Zdécembre 195Z: « La -épublique ne subventionne, ni ne salarie aucun culte ». -este en࠱n l’intervention des religions dans l’espace public. Sans doute admet-on, je le disais plus haut, que les forces confessionnelles s’organisent à leur gré et donnent même une expression sociale à la foi qu’elles défendent. On entend cependant qu’elles demeurent à l’écart de la sph¢re étatique. Un exemple parmi d’autres. Partout en Europe existent des cours de religion dans l’enseignement public. Ce n’est pas le cas en France (hormis l’Alsace-Moselle), o³ l’on consid¢re depuis la IIIeZ-épublique que la morale naturelle su࠳t pour fonder l’éthique de la nation. Plusieurs observateurs ont cru pouvoir repérer au cours des toutes derni¢res années une résurgence de ce dessein de relégation dans les positions gouvernementales sur la référence aux « racines chrétiennes de l’Europe » dans le traité portant Constitution de l’Union et dans le débat qui a précédé le vote de la loi du 15Zmars 4 sur le port des signes religieux à l’école publique. Il faudrait expliquer l’origine de cette séparation stricte. Deux raisons au moins semblent avoir joué. La premi¢re est de nature culturelle. La philosophie des Lumi¢res a pris en France, avec d’Holbach, Helvétius, Diderot, un contenu volontiers irréligieuxZ: « faute, disait Hegel, d’avoir connu la -éforme », elle a assimilé la croyance à la « superstition et au fanatisme », et milité donc pour que l’État, incarnation de la raison, s’en dissocie le plus nettement possible. L’Allemagne, ou les Pays-as, n’ont pas connu cette situationZ: la forte présence ici du protestantisme, plus en phase avec les réquisits de l’individualisme moderne, a conduit les philosophes de la subjectivité –Zqu’on songe à Kant ou à FichteZ – à penser l’adhésion religieuse comme une expérience souhaitable, nécessaire même, de l’existence humaine, que la société devait reconna¨tre à sa juste valeur. La seconde est de nature politique. La la©cité s’est imposée en France dans le cadre d’une démocratie « agonistique »Z : le camp catholique, en « guerre » avec le camp républicain, n’a jusqu’aux annéesZ 194 gu¢re pu accéder à la sph¢re de la décision gouvernementale, ni du coup défendre ses intérêts confessionnels autant qu’il l’aurait souhaité. Il n’en a pas été de même dans les pays du Nord de l’Europe. Ici, comme l’a bien montré Arend Lijphart, la démocratie s’est faite « consociative »Z : constitués en « piliers », les catholiques, –Zmais, aussi les protestants comme aux Pays-asZ– , ont pu accéder aux sommets de l’État et obtenir, par négociation avec les élites des autres « piliers », une réponse plus favorable que dans le mod¢le français à leurs revendications. &&2KJLRSBJBKQ@LKSBODBKQ Il appara¨t donc que les droits des religions des di࠰érents pays européens demeurent aujourd’hui encore dans une forte dépendance à l’égard de leurs matrices primordiales. Cet attachement n’est pas un simple reliquat du passéZ: en lui s’exprime d’évidence une part de l’identité des nations. Les auteurs de la Constitution européenne l’ont d’ailleurs parfaitement remarqué, qui ont comme
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« sanctuarisé » le statut national des religionsZ: « L’Union, dispose l’articleZI-5 , respecte et ne préjuge pas du statut dont béné࠱cient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres ». Il reste que la distribution géographique que j’ai à l’instant proposée est sans doute moins précise actuellement qu’elle ne l’était hierZ: une dynamique de convergence est à l’œuvre depuis les annéesZ196-197 qui vient « griser » les zones de référence. Un mod¢le commun de la©cité se met progressivement en place, répondant globalement aux crit¢res (égalité et publicisation des appartenances confessionnelles) propres au syst¢me de « séparation souple ». Ce rapprochement proc¢de d’une double évolution. La premi¢re concerne les pays confessionnalistes. Au cours des derni¢res décennies, ceux-ci ont massivement répudié leur unitarisme religieux pour s’ouvrir –Z tendanciellementZ– à un pluralisme égalitaire. On l’a vu dans certains pays catholiques. On songe à l’Italie par exemple 11. Par les Accords du Latran conclus entre PieZXI et Mussolini, la religion catholique avait été érigée en « religion d’État », avec tous les privil¢ges qui en résultaient (en termes de droit matrimonial, d’organisation de l’Education, de ࠱nancement des cultes). Or, ce régime de préférence –Z maintenu, avec quelques adaptations jurisprudentielles, sous la -épublique elle-mêmeZ– n’est plus dorénavant. À l’orée des années 198, le gouvernement a renégocié avec le Saint-Si¢ge (accords de 1984) les termes de la présence de l’institution romaine dans l’espace public et instauré progressivement un syst¢me de séparation traitant à parité (relative) les di࠰érents cultes. On pense également à l’Espagne 1 . Le franquisme avait, en rupture avec la Constitution de 1931, restauré l’Eglise romaine dans ses « droits ancestraux »Z: reconnu « seule religion de la nation espagnole » par les fueros de 1945, eux-mêmes con࠱rmés par le Concordat deZ1953, le catholicisme s’est vu doté, « conformément à la loi divine et au droit canon », d’immunités et de privil¢ges particuliers (contr®le de l’enseignement public, subventions étatiques, participation à l’élaboration de la législation civile)ڎ. Mais ici non plus le syst¢me n’a pas perduré. La Constitution deZ1978, complétée enZ1976 etZ1979 par des accords nouveaux avec le Vatican, est venue mettre ࠱n au mod¢le confessionnalisteZ: tout en appelant à tenir compte des religions à « enracinement notoire », elle dispose que l’Espagne ne conna¨t plus désormais de « religion d’État ». S’agit-il dans les deux exemples qu’on vient de donner d’un retour au statu࢙quo ante Nullement. Ce retour à la séparation ne s’est pas opéré suivant la logique strictement dissociative de la ࠱n duZ XIXeZsi¢cle et du début duZ XXe. En Italie comme en Espagne, c’est une séparation souple qui a pris corps, fondée sur une reconnaissance publique du fait religieux. Les croyances ne sont pas reléguées dans la sph¢re privée des
11. Sur le mouvement de déconfessionnalisation en Italie, voir par exemple F. MARGIOTTA ROGLIO, « La la©cité en Italie, pays concordataire », dans J. AUBÉROT (dir.), La laïcité l’épreuve Religions et libertés dans le monde, Universalis, Paris 4, p. 77-93. 1 . J.Z G. MARTINEZ DE CARJAVAL, « La sortie du catholicisme d’État en Espagne », Revue d’éthique et de théologie morale, Le Supplément 175 (déc. 199), p.Z 95-117 ; D.Z -OZENBERG, « EspagneZ: l’invention de la la©cité », Sociétés européennes 37 ( ) ; p.Z35-51.
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individus ; elles ont vocation, dans leur pluralité, à être soutenues positivement (࠱nancement étatique des cultes, interventions des religions dans les écoles)ڎ par la puissance étatique. Le cas est tout aussi parlant pour ce qui concerne les pays de confessionnalité non catholique. Tant®t la déconfessionnalisation s’est faite de mani¢re o࠳cielle, comme en Su¢de. Elle s’organisait jusque dans les annéesZ 199 selon un mode d’articulation Églises/État proche du mod¢le danois. Elle est, depuis le 1erZ janvier , entrée elle aussi dans un syst¢me de dissociation ouverte. L’Église luthérienne est soutenue par l’État certes ; elle ne béné࠱cie plus toutefois du statut, qui lui apportait des prérogatives exclusives (dans la gestion des existences administratives ou l’obtention des subventions publiques), de « religion nationale »Z: elle est, si l’on excepte son poids historique et sociologique, une Église ordinaire, sans plus de droits ni de devoirs que les autres confessions. Tant®t la déconfessionnalisation s’est opérée de mani¢re implicite. Tel est le cas en Angleterre notamment. Elle semble avoir conservé son mod¢le traditionnelZ: en dépit d’appels de plus en plus fréquents en faveur du « désétablissement », l’Église anglicane y demeure religion de l’État, soumise au « pouvoir temporel » de la -eine. Pour autant, sa préséance n’est plus ce qu’elle étaitZ : les cultes minoritaires, du catholicisme à l’islam, des divers protestantismes au juda©sme, disposent, en termes de subventionnements (il existe ainsi des écoles catholiques d’État, et depuis quelques années des écoles musulmanes et sikhs ࠱nancées sur fonds publics), en termes aussi d’acc¢s aux espaces de décision politiques ou même d’organisation du cérémonial national, de droits de plus en plus semblables à ceux de l’Église o࠳cielle 13. La Gr¢ce conna¨t une évolution similaire. ien sµr, le projet, formulé d¢s le tournant des annéesZ197-198 par le Premier ministre socialiste Georges Papandréou, de séparer l’Église et l’État n’a toujours pas abouti, malgré l’assentiment sans cesse croissant de la population. Il reste que le droit des religions est a࠰ecté ici aussi par la dynamique de l’égalité. Deux exemples parmi d’autres. L’expression publique des religions non orthodoxes a, on l’a dit, longtemps été prohibée ; elle est depuis le milieu des annéesZ199, à la suite de l’arrêt fameux de la Cour européenne des droits de l’homme ((oHHinaHis contre Grèce, 1993), autorisée. Hier, les cartes d’identité mentionnaient la religion d’appartenance de leurs titulaires. Ce n’est plus le cas désormais. Contraint sur ce point aussi par les institutions européennes, l’État grec s’est converti à la doctrine de la neutralité. En࠱n, la crémation contraire à la
13. Il faudrait ici périodiser. Dans un premier temps, l’Église anglicane a placé sous son in࠲uence les religions minoritaires, jouant le r®le d’interface entre la sph¢re religieuse et la sph¢re politique. On n’en est plus là aujourd’huiZ : les religions minoritaires sont sur le terrain de la représentation publique, ayant argué qu’elles étaient « discriminées », en voie de conquérir leur autonomie. On l’a vu récemment encore avec la mise en place d’un « Groupe de liaison avec la Communauté religieuse » chargée « d’injecter des idées religieuses » dans les politiques publiques en mati¢re de discrimination religieuse, d’éducation ou de culture ou avec l’instauration d’aum®niers musulmans dans les prisons en dehors de l’aum®nerie anglicane. Sur ces points, voir par exemple, F. CHAMPION, Les laïcités européennes au miroir du cas britannique XVIe-XX e࢙siècle, PU-, -ennes 6, p.Z131-158.
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doctrine orthodoxe était interdite jusqu’en 6. Elle est maintenant permise. Il importe d’ajouter que cette « déconfessionnalisation » –Zqu’elle ait pris, comme en Su¢de, forme explicite, ou, comme en Angleterre, forme impliciteZ– ne s’est pas faite sur le fondement d’une privatisation du fait religieux. Comme dans les pays catholiques, les religions font l’objet, par les ࠱nancements qu’elles reçoivent, par les divers dispositifs qui les associent au syst¢me éducatif et souvent à la détermination de certaines politiques publiques, d’une reconnaissance réelle de la part de l’État. Deux facteurs interf¢rent, semble-t-il, dans ce processus de déconfessionnalisation. La confessionnalité se défait « par le haut » tout d’abord, par un e࠰et de la logique européenne. Le droit de l’Union comme celui du Conseil de l’Europe sont inspirés l’un et l’autre par l’axiomatique du « di࠰érentialisme égalitaire »Z: ils entendent, en préservant cependant la régulation nationale, que chacun puisse a࠳rmer librement son identité culturelle et religieuse, et que toutes les religions donc puissent disposer des mêmes prérogatives. Cela ne va pas sans incidences concr¢tesZ: c’est bien sous l’in࠲uence de condamnations pour discriminations in࠲igées par la Cour européenne des droits de l’homme que la Su¢de et la Gr¢ce ont évolué 14. Mais la déconfessionnalisation est venue d’« en bas » également. Les sociétés changentZ: la Su¢de, la Gr¢ce, le Danemark connaissaient hier une forte homogénéité religieuse 15. Il n’en va plus exactement de même aujourd’hui. En leur sein s’installent des poches –Z souvent importantesZ – de populations exog¢nes, musulmanes notamment, ou de populations incroyantes (ou autrement croyantes) détachées de la religion majoritaire. Il fallait bien que le droit s’adapte à cette conjoncture, d’autant d’ailleurs qu’au sein des croyants des di࠰érentes confessions dominantes, l’ethos de la reconnaissance égalitaire devient, suivant une logique tr¢s tocquevillienne, de plus en plus prégnant 16.
14. Sur le r®le de la logique des droits de l’homme, promue par les instances internationales, et l’émergence parall¢le d’une citoyenneté multiculturelle, dans la transformation du droit des religions, voir M.Z KOENIG, « Politics and -eligion in European Nation States. Institutionnal Varieties and Contemporary Transformations ». 15. Le cas de l’Espagne et de l’Italie est di࠰érent. Nominalement catholiques, les populations des deux pays considérés étaient en fait divisées entre une fraction – dominante sous Franco et Mussolini – qui acceptait le r®le recteur de l’Église et une fraction qui la réduisait à n’être qu’un dispensateur de rituels et refusait donc les privil¢ges dont l’État la dotait. 16. On aura soin de noter qu’il peut y avoir, ici ou là, des rétractions confessionnalistes. Le Danemark a connu au cours de ces derni¢res années, sous l’in࠲uence du Parti du Peuple, ce type de réaction. On a vu le minist¢re de l’Église recommander aux enseignants de recentrer leur propos sur la religion chrétienne, en tant qu’elle est au fondement de l’identité nationale ; et le gouvernement appeler la conférence des imams –Z qui venait de prendre position lors des électionsZ– à demeurer dans la sph¢re exclusive du privé. Cela n’empêche pas cependant qu’un mouvement lourd d’égalisation des statuts religieux se manifeste ici aussi, au point qu’on évoque fréquemment depuis les annéesZ199 l’éventualité, comme en Su¢de, d’une séparation de l’Église et de l’État. Celle-ci est défendue assez volontiers par certaines forces politiques (Parti radical par exemple) et par l’Église elle-même excédée par les immixtions du précédent ministre de l’Église. La Gr¢ce conna¨t le même type de rétraction, venant essentiellement de certaines fractions de l’Église orthodoxeZ : « Nous ne pouvons être unis avec ceux qui ne
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Les pays de séparation stricte –Zpensons à la France, mais aussi à ces pays anciennement communistes qui ont rejoint l’Union européenneZ– sont a࠰ectés par un phénom¢ne parall¢le de réassociation. Arrêtons-nous sur le cas français 17. Notre pays a construit, sous la IIIeZ-épublique, un mod¢le assis sur le partage du privé et du publicZ: les di࠰érences religieuses doivent pouvoir s’a࠳rmer dans la sph¢re privée ; elles ne sauraient en revanche pénétrer l’espace public, réservé au seul travail de la raison naturelle. Certains éléments de ce schéma demeurent, sans doute aujourd’hui encoreZ: la pérennité même de la loi deZ195 en atteste, comme d’ailleurs, en partie, la législation récente sur les signes religieux à l’école publique. On ne peut ignorer cependant les mutations qui l’ont frappé depuis les annéesZ196. Marcel Gauchet a résumé le changement d’une formuleZ: en France, « le public s’est privatisé tandis que le privé s’est publicisé 18 ». Deux indices permettent de le démontrer. Le premier concerne le ࠱nancement des activités ecclésiales. Le droit français a développé une lecture tr¢s large, tr¢s extensive de l’articleZ de la loi deZ195. La république d’abord, qui devrait « ne subventionner aucun culte », abonde considérablement, par le truchement des contrats mis en place par la loi Debré enZ 1959, le secteur privé d’éducationZ : les écoles catholiques sont les premi¢res concernées, mais aussi les écoles juives et demain les écoles musulmanes. Il en va de même pour les associations à vocation sportive, culturelle ou sociale liées aux di࠰érentes confessions. Mais le gouvernement soutient aussi les activités religieuses elles-mêmes. La restauration des lieux de culte est prise en charge par les collectivités qui en sont propriétaires. Des aides à la construction interviennent également (mise à disposition de terrains, garanties d’emprunts, soutiens directs même comme à -ennes ou Évry). ,uant aux associations cultuelles, diverses mesures ࠱scales –Zdébouchant sur des exonérations d’imp®tsZ– les assurent de subventionnements indirects. C’est au total, estiment les spécialistes des ࠱nances publiques, plus de neuf milliards d’euros qui sont de la sorte, chaque année, versés aux Églises. Second indiceZ : la publicisation des appartenances religieuses. Elle se manifeste au niveau de l’espace scolaire. Certes, on a voulu récemment extirper de l’école publique les signes « ostensibles », ou « militants », d’appartenance religieuse. Les « signes discrets », « visibles », que certains avaient voulu supprimer, demeurent possibles cependant. En outre, la jurisprudence (et la réglementation) reconna¨t aux él¢ves le droit d’obtenir des autorisations d’absence pour obligation confessionnelle. Plusieurs enquêtes ont montré aussi que les pratiques des administrations sont souvent, à la base, tr¢s respectueuses des croyances, en mati¢re par exemple de détermination des menus scolaires ou
partagent pas la religion orthodoxe », déclarait récemment l’évêque orthodoxe de Salonique, Mgr Anthémos (La Croix, 9 mai 6). 17. Sur l’évolution du régime français de la©cité, Ph.Z PORTIER, « De la séparation à la reconnaissance. L’évolution du régime français de la©cité », dans J.--.ZARMOGATHE, J.-P.ZWILLAIME (dir.), Les mutations contemporaines du religieux, repols, Turnhout 3, p.Z1- 5. 18. M. GAUCHET, La religion dans la démocratie Parcours de la laïcité, Gallimard, Paris 1999, p. 1 5.
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des dates d’examen. L’édiction d’une réglementation tr¢s favorable à l’installation d’aum®neries dans les lycées et coll¢ges (décret deZ196 con࠱rmé par une circulaire deZ1988), comme le développement de l’enseignement du fait religieux à l’école publique, participent également de ce saut qualitatif. Ouverture de l’espace scolaire, ouverture d’autre part de l’espace politique. C’est une innovation de la VeZ-épubliqueZ: les institutions confessionnelles participent de plus en plus fortement aux di࠰érents « réseaux d’action publique », aux di࠰érents « forums » de ré࠲exion et de décision o³ s’élabore la norme collective. La création du Conseil français du culte musulman, l’institutionnalisation de la relation entre le gouvernement et l’Église catholique (et, demain, la Fédération protestante) signalent, parmi d’autres éléments, cette tendance lourde de la vie politique française. Cet assouplissement de la la©cité n’est pas un e࠰et du hasard. Il est le produit sans doute d’une modi࠱cation de notre syst¢me de représentations collectives 19. Nous sommes passés progressivement, rejoignant par là la norme posée par les organisations internationales, d’une épistém¢ « universaliste » à une épistém¢ « di࠰érentialiste ». Celle-ci repose sur une conception inédite du sujet. On a longtemps considéré, dans la France républicaine, que les hommes ne pouvaient être dé࠱nis que par leur raison, et qu’ils devaient donc, pour coller à leur essence, être arrachés à leurs appartenances premi¢res qu’elles fussent ethniques, régionales ou religieuses. On n’en est plus là aujourd’huiZ: on admet tr¢s majoritairement que l’identité de chacun est liée à une mémoire, dépend d’un enracinement auquel il convient de faire droit nécessairement. À cela s’ajoute une approche nouvelle de l’État. Dans le mod¢le d’hier, l’État était pensé comme l’Z « instituteur du social », chargé d’élever ses administrés au niveau de la généralité publique. La « démocratie » se substituant à la « république », on l’appréhende désormais comme le « scribe de l’opinion », sommé de rendre justice simplement aux multiples identités qui structurent la société. Voilà qui nous ram¢ne à la transformation de notre la©citéZ: en s’ouvrant, comme on l’a vu, à la reconnaissance positive des a࠳liations confessionnelles, le droit français des cultes n’a rien fait d’autre en somme que de s’adapter à cette nouvelle donne axiologique, elle-même en lien avec une nouvelle donne institutionnelle (la pesée performative des organisations internationales). Empressons-nous d’ajouter qu’il ne s’agit pas là d’une mise en cause de la sécularisation. On est encore loin de l’entrée dans la « société post-séculi¢re » qu’annonçait J¶rgen HabermasZ: c’est au nom de la défense des tr¢s profanes droits de l’homme que s’op¢re la réinclusion de la religion comme catégorie légitime de l’identité dans la sph¢re publique. Même s’il n’abolit pas totalement les singularités nationales, ce double mouvement –Z déconfessionnalisation ici, réassociation làZ – produit de l’homog¢ne sans aucun douteZ : il dessine, encore timidement, un syst¢me
19. Sur cette hypoth¢se, Ph. PORTIER, « Les mutations de la la©cité française. Éléments d’analyse cognitive », Bulletin d’histoire politique 13, 3 (printemps 5), p. 9-4.
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commun, européen, de régulation de la croyance. Cette la©cité juridique, qui vient couronner la la©cité culturelle, s’organise, me semble-t-il, autour de trois grands principes. Le principe d’égalité d’abordZ: on admet de moins en moins aujourd’hui que les cultes puissent ne pas être traités à parité par les institutions politiques. Le principe de positivité ensuiteZ: l’égalité ne doit pas se vivre dans l’indi࠰érence de l’État. On entend que les religions béné࠱cient, symboliquement et ࠱nanci¢rement, du soutien de la puissance publique. La©cité de « bienveillance » donc, et non point de simple « neutralité ». Le principe de raisonnabilité en࠱n. L’ouverture de l’espace public à la présence du religieux ne peut se faire sans conditions. Il importe qu’elle respecte une normativité supérieureZ: celle des droits de l’homme (auxquels on adjoint souvent les réquisits de l’« ordre public »). Ce n’est pas là seulement, contrairement à ce qui est dit souvent, une particularité hexagonaleZ : les Pays-as, l’Allemagne, l’Angleterre rencontrent aussi ce probl¢me sur leur chemin . Le philosophe américain Michaël Walzer explique dans son Traité sur la Tolérance que l’avenir est sans doute à une « citoyenneté à trait d’union 1 ». Les êtres seront appelés demain à se construire une identité ubiquitaireZ : ils se dé࠱niront certes par leur allégeance à l’universalité d’une communauté politique, mais par leur appartenance aussi à des collectifs plus particuliers, ethniques, régionaux, religieux. C’est en s’adossant à ce mod¢le-là, sans doute, que l’Europe, par ttonnements et approximations, tente aujourd’hui de composer son vivre ensemble.
. Cette interrogation a conduit le gouvernement de Tony lair à remettre en cause récemment la politique de subventionnement des écoles musulmanes. On songe aussi au durcissement des procédures d’intégration des immigrés dans les sociétés néerlandaise et allemande.
1. M. WALZER, Traité sur la tolérance, Gallimard, Paris 1996.
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SYNTHÈSE ET CONCLUSIONS DU COLLOQUE )"-)2/)&0*"/")&$&"25ࢩ /"$/!0 /,&00#/+ " 3&
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Philippe HOFFMANN École pratique des hautes études, Paris
Mesdames et Messieurs, Chers coll¢gues, Permettez-moi, en cl®ture d’un colloque pour l’organisation duquel les chercheurs et enseignants-chercheurs du GS-L et de l’École pratique des hautes études sont in࠱niment reconnaissants à la partie vietnamienne, de vous proposer, sur la base des exposés prononcés, et des riches discussions qui ont été menées tout au long de ces journées, un aperçu conclusif qui sera plut®t ce que l’on pourrait appeler un rapport d’étapeZ: en e࠰et, en employant intentionnellement le mot étape, je voudrais signi࠱er que notre rencontre de Hanoi s’inscrit dans un parcours que nous voulons durable, et qu’elle devra être poursuivie à l’occasion des recherches communes que les chercheurs et enseignants-chercheurs français souhaitent mener avec leurs coll¢gues vietnamiens dans un avenir proche et moyen. Au cours de ce colloque, une vingtaine de communications portaient exclusivement ou principalement sur la réalité vietnamienne, et cinq d’entre elles ont proposé en contrepoint des aperçus précis sur la situation religieuse en France –Z en relation avec la la©cité et avec la construction européenne. Les regards ont bien été croisés, en dépit d’une asymétrie quantitative. Si je suis amené à insister sur les regards –Zfrançais et vietnamienZ– portés sur la réalité religieuse vietnamienne, on ne négligera pas pour autant ce qui s’est dit sur la France et sur l’Europe, vues depuis le ViêtZ Nam. L’expérience du décentrement des regards est toujours scienti࠱quement fructueuse. Des pistes ont été ouvertes, qu’il conviendra de poursuivre, tant il est vrai que la démarche de comparaison a une valeur heuristique majeure dans toutes les sciences humaines et sociales. La restitution que je tenterai donc de faire s’articule autour de trois axes saillants qui me semblent se dégager des communications, et des discussions qui les ont accompagnéesZ:
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Philippe Hoࠨmann
1.Z Les débats autour des notions de « pluralité » et de « pluralisme », et de leurs traductions en langue vietnamienne et en référence à la situation vietnamienne.
.ZL’exceptionnelle vitalité du terrain au ViêtZNam, qui rel¢ve d’une complexité sociale et religieuse en pleine évolution, qui fait montre d’un dynamisme frappant –Zet tout à fait stimulant pour les chercheursZ– et qui s’int¢gre en dé࠱nitive dans un processus général de modernisation du pays. 3.Z Les « principes d’ordre » permettant d’organiser la mati¢re rassemblée par les études historiques et sociologiques, et d’engager des comparaisons entre les situations des deux paysZ: c’est-à-dire les questions liées à la notion problématique de religion, aux cadres historiques et géographiques, aux aspects doctrinaux, en࠱n aux relations entre -eligion, État, Politique et Société. 1. La premi¢re remarque conclusive de ce colloque viserait donc à distinguer clairement les notions de pluralité et de pluralisme en réouvrant le débat qui a notamment animé la derni¢re séance de discussions, et en essayant de replacer ces notions, tout particuli¢rement, dans le contexte asiatique et vietnamien. Dans la langue française, les deux mots, les deux notions, ne se confondent pas, et leur distinction est sémantiquement forte. La pluralité est un fait, elle n’est pas de l’ordre du vœu ou du projet. Nous pouvons tout d’abord la décliner en pluralité –ZobjectiveZ– des religions existantes, en considérant, entre autres crit¢res, la dimension des contenus de doctrine et de croyance –Z étant bien entendu que seuls les faits accessibles à l’enquête sociologique peuvent être pris en compte, la dimension subjective de l’intériorité et de l’adhésion intime des individus étant irréductible, en dernier ressort, à l’observation sociologique. De ce point de vue, la pluralité religieuse au ViêtZ Nam s’impose à l’observateur, qui rel¢ve immédiatement une di࠰érence majeure entre un degré de pluralité religieuse tr¢s élevé (pluralité des religions mais aussi force d’un « régime » religieux de type « polythéiste ») et ce que l’on pourrait appeler le « régime monothéiste » tout à fait majoritaire en France (o³ la di࠰érence des confessions chrétiennes, la présence forte du juda©sme et de l’islam, s’inscrivent dans un même « régime monothéiste » partageant de surcro¨t des origines et des histoires en grande partie communes). Cette pluralité peut ensuite être perçue comme une pluralité interne à di࠰érentes religions. Si la question ne se pose pas en principe pour le catholicisme (unitaire), elle se véri࠱e dans le protestantisme (multiplication interne des sectes et des églises), dans le caoda©sme (intrins¢quement pluriel !), dans le bouddhisme (si l’on fait référence au mouvement de rénovation développé depuis les annéesZ19 ). On assiste alors à un mouvement de multiplication et de di࠰érenciation des religions à l’intérieur d’elles-mêmes et les unes par rapport aux autres. ÀZcela il faut ajouter que l’on doit prendre en considération non seulement la pluralité des sujets croyants (engagés dans le réseau multiple des religions comme vecteurs des diverses croyances, avec des phénom¢nes d’allers et retours, ou d’appartenances multiples), mais aussi la pluralité des destinataires des di࠰érents cultes, tels que Dieu, les dieux, les génies, les ancêtres, les héros. Comme le relevait ÊԶng Nghiêm VԶn, « tout le monde peut recevoir un culte au Viêt-Nam » ! Ce que j’appelais il y a un instant
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SVnthèse et conclusions
le « régime polythéiste » est un trait saillant de la réalité vietnamienne, qui ne pouvait manquer d’intéresser vivement un spécialiste de l’Antiquité grécoromaine comme celui qui vous parle. La notion de « pluralité » doit donc être distinguée de la notion de « pluralisme ». En e࠰et, le « pluralisme », quant à lui, est un projet d’organisation de la réalité religieuse et sociale. Il peut exprimer un jugementZ: se pose alors la question de savoir s’il s’agit d’une bonne chose, ou d’un facteur de dissociation sociale et politique. Il est en࠱n un objet de régulation, notamment juridiqueZ: comment organiser –Zpar exemple dans un état de droit marqué par tel ou tel type de la©citéZ – la coexistence dans une même société, au sein d’un même Etat, d’une pluralité de religions En ce sens, la confrontation des expériences juridiques française et vietnamienne ne peut être que fructueuse. Ces deux notions de « pluralité » et de « pluralisme » ont certes à voir avec la modernité religieuse, dont elles expriment des manifestations, et elles s’articulent l’une à l’autre –Zle projet pluraliste se proposant par exemple d’organiser une pluralité factuelleZ–, mais il n’y a pas pour autant de recouvrement strict entre elles, et leur distinction claire est un pré-requis méthodologique absolument impératif.
. Venons-en maintenant au panorama de l’exceptionnelle vitalité de la réalité religieuse vietnamienne. De ce point de vue, notre colloque a été fascinant, et extrêmement instructif par l’ampleur des vues qui ont été o࠰ertes. Plusieurs exposés présentaient des synth¢ses descriptives (travail de terrain, descriptions ethnographiques, enquêtes sociologiques) tr¢s précieuses car elles fournissaient des données de premi¢re main et elles illustraient les complexités de la situation, ainsi que le dynamisme du processus de modernisation, qui prend parfois la forme de rénovations. Les politiques publiques ont été, comme il se doit, intégrées au champ de l’enquêteZ: ainsi, des études de cas concernant la politique « d’ouverture » au cours de ces trois derni¢res décennies (1987- 7) ont été menées à Huê, à Hը-Ch§-Minh-Ville et dans le Sud. Dans le cas du ViêtZNam comme dans celui de la France, nous assistons à l’émergence de nouvelles con࠱gurations religieuses, qui s’o࠰rent à la comparaison. La complexité du bouddhisme vietnamien a été décrite sur le temps long par Nguy՚n ,uզc TuԺn. Madame TrԼn Hըng Liên a pris exemple du cas particulier de Hը-Chí-Minh-Ville pour montrer l’actuel mouvement de rénovation, dans un contexte d’ouverture internationale, en insistant sur l’utilisation de nouvelles technologies à des ࠱ns religieuses (sites internet de pagodes ou de doctrines bouddhiques ; di࠰usion de l’enseignement sous formes de CD-rom ou de DVD) et sur l’implication grandissante des bouddhistes dans la vie sociale. Dans sa présentation sur le bouddhisme H¬aZHԸo, Pascal ourdeaux a insisté sur la complexité religieuse et sur le phénom¢ne de rénovation engagé au Sud du ViêtZNam, mais aussi dans l’ensemble de la péninsule indochinoise, depuis les annéesZ19 , dans le contexte d’émergence de ce nouveau mouvement religieux. En࠱n l’évocation du bouddhisme du petit véhicule pratiqué par les Khmers ajoute un autre aspect, spéci࠱que, au tableau, de même qu’on a tenté de montrer, par l’évocation de conversions du bouddhisme au protestantisme ou encore
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Philippe Hoࠨmann
d’allers et retours entre bouddhisme et catholicisme selon les aléas économiques, que des « passages » entre les appartenances et pratiques religieuses peuvent être interprétés comme signes de l’ébranlement des convictions sous l’impact de l’économie de marché. Ces faits expriment une ࠪuidité religieuse, qui se traduit par des phénom¢nes de « métissage », de syncrétisme, et l’on pourrait presque parler parfois d’« hybridation »Z: il y a, ainsi, une « vietnamisation » du catholicisme, arrivé au XVIIeZsi¢cle mais perçu comme une « importation », tout comme le protestantisme ou l’islam, arrivé récemment et présent notamment dans le delta du Mékong, dans les communautés Ch½m. Pour le catholicisme, le cas de la cathédrale de PhtZ Di՜m est exemplaire d’un tel métissage, et l’on mentionnera aussi l’autorisation accordée aux catholiques de pratiquer le culte des ancêtres depuisZ1964, ainsi que diverses questions liturgiques qui illustrent cette « vietnamisation ». La pluralité peut donc prendre des formes tr¢s variées, parmi lesquelles ces phénom¢nes d’« hybridation ». Pour ce qui est du caoda©sme, on a déjà rappelé qu’il est structurellement pluriel. Le protestantisme, lui, se développe tr¢s rapidement aupr¢s des minorités ethniques du Nord et des hauts-plateaux du Centre-ViêtZNam, et il faut redire, dans ce contexte, le phénom¢ne de multiplication interne des sectes et des églises protestantes. La vitalité religieuse au ViêtZ Nam a fait l’objet de nombreux exposés. On la perçoit –Z malgré l’insu࠳sance de statistiques généralesZ – à travers la restauration et la construction de nombreux lieux de culte (pagodes, églises) ou à travers l’implication croissante des bouddhistes, par exemple, dans la vie sociale. Êլ ,uang HŪng a insisté sur les « Nouveaux mouvements religieux », les mouvements protestants et les sectes parmi lesquelles les évangélistes, les mormons, les pentec®tistes qui sont considérés au ViêtZNam comme constituant des mouvements « étrangers »Z: phénom¢ne sans doute comparable avec ce qui se passe en Amérique latine –Z et il y aurait là une piste pour une recherche comparative entre deux continents. Ces mouvements connaissent un développement important parmi les minorités ethniques, lesquelles jouent de la dialectique de l’« autochtone » et de « l’étranger », et ils sont moins accommodants que le catholicisme sur le culte des ancêtres –Zauquel la mouvance protestante est hostile. Une telle vitalité se perçoit aussi dans les phénom¢nes desZ « missions » –Z démarche de conception catholique, mais aussi bouddhisteZ – et dans les probl¢mes qu’engendrent ces missions. Par exemple, dans la sph¢re bouddhiste, nombre de moines et de bonzes partent à l’étranger –Zaux États-Unis ou au Canada. Du point de vue catholique, la pratique des missions est liée au projet d’évangélisation, et rencontre la question de la prise en considération des cultures locales. Dans un premier temps, la tentative d’imposer le catholicisme sans prise en compte de la culture vietnamienne s’est heurtée à une résistance populaire qui s’appuyait sur le culte des génies villageois ; puis il y a eu un changement de perspective tr¢s net à partir des annéesZ198 dans le sens d’une meilleure prise de conscience de ces probl¢mes, et d’un projet d’évangélisation « à la vietnamienne » qui soit respectueuse de la culture locale traditionnelle (dans l’esprit de la réforme de VaticanZII). Par ailleurs, l’église catholique elle 9
SVnthèse et conclusions
même a engagé une ré࠲exion d’ensemble sur le pluralisme religieux –Zqui ne se confond évidemment pas avec le point de vue d’un Etat la©que respectant la liberté des cultes. Ce mouvement s’est accompagné, on le sait, de l’émergence d’une véritable théologie des religions du monde. Souvenons-nous de la rencontre interreligieuse à Assise, le 7Zoctobre 1986, qui dé࠱nissait une position médiane entre d’une part une voie étroite et exclusiviste qui imposerait la Vérité (selon l’adage « hors de l’Église point de salut »Z: c’est la théologie traditionnelle de la mission) et d’autre part un relativisme qui tend à considérer que toutes les religions se valent. Nous évoquerons dans un instant une autre manifestation de la vitalité religieuse au ViêtZNamZ: la recherche d’une convergence avec les politiques de l’État, dans le sens d’une participation accrue des religions à la vie sociale, aux œuvres charitables et aux diverses formes d’engagement communautaire (cela vaut notamment pour les bouddhistes et pour les catholiques). 3. Concernant le dernier axe que j’annonçais au début de cette synth¢se –Z les quelques « principes d’ordre » permettant d’organiser et d’uni࠱er les observations variées rassemblées par les enquêtesZ– disons tout d’abord que la dé࠱nition même de la notion de « religion », surtout en contexte vietnamien, reste problématique, au singulier comme au pluriel. Les choses sont relativement claires avec le catholicisme qui se fonde sur un corps de doctrine, sur une organisation, sur des rites et une liturgie. Mais si l’on cherche à appréhender la pluralité des ancêtres, des génies, des dieux, des héros, bref de ceux que l’on appellera les « destinataires » des cultes et des croyances au ViêtZNam, à quel concept de « religion » parvient-on Et qu’en est-il par exemple du chamanisme des Hmong ,uant au culte des ancêtres, alors que ces derniers ne sont pas des dieux, en quel sens rel¢ve-t-il de la religion Or il constitue une croyance nationale, un véritable culte national On en revient alors au probl¢me de la relation comparée des catholiques et des protestants au culte des ancêtresZ: depuisZ1964, on l’a dit, les catholiques ont le droit de le pratiquer, alors que les protestants sont beaucoup moins tolérants à cet égard. ,uant au culte des génies, il crée une identité communautaire, il assume un r®le de valorisation de la solidarité sociale, mais il est aujourd’hui confronté à des probl¢mes causés par les changements économiques (à cause d’un a࠰aiblissement de la cohésion villageoise et sociale). Tout ceci pose en dé࠱nitive la question de savoir comment dé࠱nir le « croyant », notamment le croyant bouddhiste, ainsi que s’y est essayé Nguy՚n ,uզc TuԺn (le « croyant » se dé࠱nit par son rapport au culte des ancêtres, aux dieux, à la pratique de la pagode etc.). Cela pose en࠱n la question de la dé࠱nition exacte de la non croyance dont parlent les statistiques. L’histoire, quant à elle, est un élément d’intelligibilité essentiel pour comprendre la gestion de la pluralité religieuse, la la©cité, ou plut®t les la©cités –Zen tant qu’objet historique, que concept philosophique, que projet politique et juridiqueZ– dans les deux pays, le ViêtZNam et la France. Du c®té français, les jalons sontZ: la -évolution française, la guerre des deux France, l’œuvre juridique deZ195 (Patrice -olland analyse la neutralité de l’État et la séparation deZ195 comme une forme de régulation juridique de la plura 93
Philippe Hoࠨmann
lité religieuse, deux voies de reconnaissance légale étant possibles), et en࠱n la réconciliation qui m¢ne l’Église catholique à devenir un pilier de l’État la©que (et Denis Pelletier replace la question de la la©cité dans son cadre historique à partir de la -évolution française). Il faut également tenir compte, pendant ces derni¢res décennies, de la construction européenne qui conduit à une évolution de la situation française et à l’émergence d’un mod¢le commun –Z un mod¢le européenZ – de la©cité, ainsi que l’ont montré les exposés de Philippe Portier et de Jean-Paul Willaime. On assiste donc à un rapprochement de mod¢les et d’expériences nationales pour élaborer un mod¢le communZà l’EuropeZ: celui d’une séparation souple dans lequel il n’y a pas de religion d’État, mais o³ l’État aide les forces religieuses à s’organiser et à se développer –Zun socle idéologique partagé étant par ailleurs le souci des droits de l’homme. Du c®té vietnamien, l’histoire contemporaine est marquée par la colonisation française sous la IIIeZ-épublique –Zqui a exporté ses luttes idéologiques en mati¢re de politique religieuseZ–, par la lutte pour l’indépendance, puis la réuni࠱cation en 1975 et la formation d’un État la©que et athée qui a redé࠱ni depuis 1986 une politique d’ouverture vers l’économie de marché, la globalisation, et une prise en compte de la pluralité religieuse (àZréguler). La géographie est un autre élément d’intelligibilité, et de distinction, entre les deux pays. La France est uni࠱ée de longue date et se trouve désormais intégrée à l’ensemble européen, au sein duquel se forme une nouvelle la©cité. Le ViêtZNam a dµ, quant à lui, réussir la réuni࠱cation (1975) du pays divisé en Nord et Sud, et intégrer des zones de marges, qu’il s’agisse du delta du Mékong qui forme un ensemble régional commun avec le Cambodge, ou encore des régions d’altitude comme les Hauts-Plateaux o³ interviennent également des param¢tres ethniques (avec une volonté politique d’intégrer les ethnies montagnardes dans la communauté nationale vietnamienne)Z : les Hauts-Plateaux constituent un terrain particuli¢rement intéressant pour étudier, entre autres phénom¢nes religieux, la pénétration des protestantismes. Se dégagent par ailleurs une logique du dedans (la situation nationale dont nous voyons qu’elle est multiple) et une logique du dehors –Zl’Europe, l’Outre-mer et plus généralement l’étranger pour les bouddhistes, par exempleZ– dont l’entrelacement et les interactions sont caractéristiques de la dynamique vietnamienne, dans un contexte asiatique plus large. Un mot sur les doctrines elles-mêmes, et sur les contenus des croyances –Zqui ne doivent jamais être perdus de vue par l’étude sociologique. Divers exposés ont touché à ces questions, et l’on rappellera, par exempleZ: une nouvelle théologie catholique de la pluralité des religions, le syncrétisme constitutif du caoda©sme, certains aspects du renouveau bouddhique (exemple de la secte H¬a HԸo). La notion de « la©cité » elle-même rel¢ve de cette préoccupation doctrinale, car la la©cité est non seulement un objet historique et un projet politique et juridique, mais aussi un concept philosophique sujet à des dé࠱nitions elles-mêmes en débat dans le champ de la philosophie politique, et ouvrant à son tour sur des types d’adhésion qui sont bien de l’ordre de la croyance, comme le montre la réalité française et européenne.
94
SVnthèse et conclusions
Autre dossier doctrinal, tr¢s important, présenté au cours du colloqueZ: celui de la pensée marxiste-léniniste confrontée à l’insistance du fait religieux. On a étudié l’évolution au cours de laquelle la philosophie marxiste – renonçant à l’idée d’un dépérissement inéluctable des religions qui serait induit par l’établissement d’un État socialiste – a pris en compte la réalité des religions existantes, dans le contexte des changements politiques actuels qui a࠰ectent un pays la©que et matérialiste. Ainsi, l’exposé de Nguy՚n ,uզc TuԺn rappelle que le marxisme cherche à transformer le monde (et non pas à l’interpréter࢙ : c’est la formule cél¢bre de Karl Marx dans ses th¢ses sur Feuerbach de 1845), tandis que le bouddhisme cherche à transformer l’me, l’intériorité du sujetZ: il s’agit alors de se changer soi-même selon une conversion intérieure, et cette démarche spirituelle permet de former ainsi de bons citoyens. Dans ce contexte, la communication de Nguy՚n Thՠ Thu HՆng exposant la Lettre commune des évêques vietnamiens pour l’annéeZ 6 apportait un point de vue complémentaire. L’amélioration de la société et sa transformation passent dorénavant aussi par l’amélioration intérieure des individus qui la constituent, et les religions n’apparaissent plus comme des superstructures caduques vouées à l’extinction, mais comme des acteurs engagés dans la transformation sociale. Il faut parler en࠱n –Z et les exemples précédents nous y conduisentZ – des rapports instaurés entre religion, État, politique et société, dans les deux pays. La communication de Denis Pelletier, par exemple, a fourni une vision globale de cette histoire, en France, depuis la -évolution. Et l’on a évoqué, pour le ViêtZNam, des dossiers décisifs comme celui –ZgénéralZ– de la confrontation des religions à une politique d’inspiration marxiste, longtemps hostile, ou encore les tensions interreligieuses perceptibles même s’il n’y a pas de con࠲its directsZ: on a toutefois rappelé l’épisode du renversement de Di՜m, enZ 1963, dans un contexte d’opposition entre bouddhistes et catholiques. Aujourd’hui, la question se pose, assez paradoxalement, de savoir si le ViêtZ Nam est un État la©que. Historiquement, la -épublique socialiste du ViêtZ Nam s’est érigée en un État athée et matérialiste par l’a࠳rmation d’une philosophie forte (le marxisme-léninisme), et en assumant la conception marxiste-léniniste du dépérissement de la religion comme superstructure déterminée en derni¢re instance par l’infrastructure économique et ses corrélats sociaux (voir Marx et Engels, L’idéologie allemande). Puis à partir de 1986 est élaborée une politique d’ouverture et de modernisation qui s’est caractérisée par la prise en compte d’une réalité religieuse –Zriche, plurielle, dynamiqueZ– marquée par des phénom¢nes de recompositions, du syncrétisme, et beaucoup de nouveau (ainsi, les « Nouveaux mouvements religieux »). Cela constitue tout d’abord un changement politique et idéologique important –Zin࠲exion politique dans le sens d’une ouverture, entrée dans l’économie de marché mondialisée et d’autres formes de globalisationZ– qui conduit à redé࠱nir le r®le et la place des religions dans un État et une société socialistes, dans un contexte aussi d’importantes évolutions sociales (a࠰aiblissement de la solidarité, dégradation de l’esprit communautaire, accroissement des écarts sociaux et économiques).
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Philippe Hoࠨmann
Ces évolutions suscitent en retour un intérêt pour divers aspects des religions et de leur place dans l’État et dans la société, qu’il s’agisse de considérer les religions du point de vue de la tradition populaire, comme facteurs d’identité nationale, ou encore sous l’angle de leur utilité sociale. Les religions sont en e࠰et appréciées du point de vue de leur utilité sociale, en ce qu’elles favorisent la cohésion de la sociétéZ: on mentionnera l’encouragement donné aux œuvres charitables (dans le cas par exemple du bouddhisme)Z ou encore la Lettre commune de 6 par laquelle le concile des évêques vietnamiens invite les jeunes catholiques du ViêtZNam à réaliser des « objectifs », à participer à des organisations publiques et à « vivre la religion au sein de la Patrie » tout comme l’ensemble de l’Église. On cherche ainsi à favoriser une convergence avec l’action de l’État, pour édi࠱er une société équitable et juste, soucieuse de développement social. Cette préoccupation d’une utilité des religions aux projets de l’État socialiste mériterait d’être comparée de façon plus approfondie à l’esprit du régime concordataire français, auquel la loi de séparation deZ195 a mis ࠱n. Et la politique de convergence des religions et de l’État construit progressivement un État de droit, avec production de textes, de lois, de décrets. Mesdames et Messieurs, chers coll¢gues, chers h®tes, il me reste à remercier chaleureusement tous les conférenciers et intervenants, mais aussi tous les organisateurs de cette rencontre, toutes les personnes qui se sont employées à préparer, et à porter à la réussite, un colloque de tr¢s haut niveau, gage d’une collaboration qui s’inscrira dans la durée entre l’Académie des sciences sociales du ViêtZNam, le Groupe Sociétés, -eligions, La©cités (EPHE-CN-S) et l’École pratique des hautes études de Paris, dans un contexte de coopération accrue entre les chercheurs du ViêtZ Nam et de la France sur des objets de travail communs. Au nom de tous les participants français, je tiens à dire que nous avons été extrêmement touchés par la qualité et la cordialité de l’accueil qui nous a été réservé, et qui maintiendra longtemps dans nos mémoires ce colloque sur «ZLe pluralisme religieuxZ: regards croisés France-Viêt NamZ».
96
TABLE DES MATIÈRES
Carte administrative du Viêt Nam (provinces, villes)
5
Prologue
7
Présentation de l’édition vietnamienne
11
L’Église catholique et les religions du monde Jean-Robert ARMOGATHE
13
La rénovation du catholicisme vietnamien au prisme de l’acculturation de la croyance +$26Օ+%գ+$ !Ūśng
19
« Vivre sa foi aujourd’hui ». La Lettre pastorale deZ 6 et la jeunesse catholique +$26Օ+1%՛1%2 HՂng
27
Les catholiques français et la -épublique la©que 195- 7 !enis PELLETIER
39
Les catholiques vietnamiens face à une transformation aussi singuli¢re que nécessaire +$26Օ+ +gh՜
51
,uelques remarques sur la communauté protestante au ViêtZNam +$26Օ+52|+ H³ng
57
L’État français et les églises évangéliques du XIXeZsi¢cle à nos jours Sébastien FATH
69
À propos d’une particularité conceptuelle du bouddhisme vietnamienZ: sa complexité +$26Օ+.2ա TuԶn
79
Les évolutions du bouddhisme au sud du ViêtZNam en contexte d’ouverture et d’intégration 1/Է+%գ+$ Liên
93
ouddhisme et économie des origines à nos jours +$26Օ+!26 Hinh
103
97
Communauté et communauté religieuse au Viêt Nam ÊՇ+$1%Տ ÊԲi
111
Le culte des Ancêtres, forme religieuse traditionnelle du ViêtZNam ÊՇ+$+$%&* VԲn
119
Pluralisme religieux et recon࠱guration socio-économique des Hauts-plateaux du Centre-ViêtZNam depuis le début des annéesZ198 Mathieu ,2.2"1 131 VingtZans de politique de rénovation et de transformations de la vie religieuse dans la région de HuՔ !ũŚ+$3&Տ1 Hդng
137
La pluralité religieuse dans le delta duZMékong au moment de l’émergence du bouddhisme H¬aZHԸo ,uelques remarques historiques Pascal ,2/!"25
145
La vie monacale des bonzes khmers en contexte de pluralisation et de modernisation religieuse +$26Օ+*Ա+% CŪծng
157
-eligion, rites et organisation sociale de la communauté ch½m (Centre-Viêt Nam) +$26Օ+Êչ TruVՔn, +$26Օ+1%՛1%2 HՂng
167
Le chamane hmongZ: le pragmatisme des esprits Christian 2)0
179
Caoda©sme, réseaux et pluralité JérémV '**"0
185
Monde plat ou pas +$26Օ+!26 Hinh
193
Les premiers dé࠱s du pluralisme religieux au Viêt Nam Êէ.2+$ HŪng
205
-eligion et politique en France dans le contexte de la construction européenne Jean-Paul WILLAIME
217
Évocation de la rénovation religieuse au Viêt Nam +$%տ2 ThԴo
243
La Séparation comme forme de régulation juridique de la pluralité religieuse Patrice /,))+!
253
98
Les directives du Premier ministre sur le protestantisme, un jalon important de la politique religieuse +$26Օ+1%+% 5un
269
La régulation de la croyance dansZles pays de l’Union européenneZ: vers un mod¢le commun de la©cité Philippe PORTIER
275
Synth¢se et conclusions du colloque. Le pluralisme religieuxZ: regards croisés France-ViêtZNam Philippe HOFFMANN
289
99
&)&,1%.2"!") ڂ,)"!"0%21"012!"0 SCIENCES RELIGIEUSES
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Réalisation : Anna Waide – Service des publications de l’EPHE