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French Pages 456 [445] Year 2016
Jean-Pierre Jolivet
De la solution à l’oxyde 2e édition Chimie aqueuse des cations métalliques Synthèse de nanostructures
S A V O I R S
A C T U E L S
EDP Sciences/CNRS Éditions
Dans la même collection : La matière en désordre, Étienne Guyon, Jean-Pierre Hulin et Daniel Bideau, ISBN : 978-2-7598-1069-7 Physique quantique - Fondements (Tome 1), Michel Le Bellac ISBN : 978-2-7598-0803-8 Physique quantique - Applications et exercices corrigés (Tome 2), Michel Le Bellac ISBN : 978-2-7598-0804-5 Rhéophysique - La matière dans tous ses états, Philippe Coussot ISBN : 978-2-7598-0759-8 Hydrodynamique physique - 3e édition, Étienne Guyon, Jean-Pierre Hulin et Luc Petit ISBN : 978-2-7598-0561-7 Symétrie et propriétés physiques des cristaux, Cécile Malgrange, Christian Ricolleau et Françoise Lefaucheux ISBN : 978-2-7598-0499-3 Comprenons-nous vraiment la mécanique quantique ?, Franck Laloë ISBN : 978-2-7598-0621-8 Les milieux granulaires - Entre fluide et solide, Bruno Andreotti, Yoël Forterre et Olivier Pouliquen ISBN : 978-2-7598-0097-1 Orbitales frontières (2e édition) - Manuel pratique, Nguyên Trong Anh ISBN : 978-2-8688-3879-7 Molécules chirales - Stéréochimie et propriétés, André Collet, Jeanne Crassous, Jean-Pierre Dutasta et Laure Guy ISBN : 978-2-8688-3849-0
Image de couverture : image de microscopie électronique en transmission d’une nanostructure d’oxyde de manganèse en forme de double cône creux. Le diamètre est d’environ 300 nm et l’épaisseur des parois d’environ 10 nm (Portehault 2009). Imprimé en France. c 2015, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf, 91944 Les Ulis Cedex A et CNRS Éditions, 15, rue Malebranche, 75005 Paris. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35. ISBN EDP Sciences 978-2-7598-1668-2 ISBN CNRS Éditions 978-2-271-09005-8
Table des matières Avant-propos
vii
1 Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration 1.1 Propriétés spécifiques des nanoparticules . . . . . . . . . . 1.1.1 Effets de volume . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.2 Effets de surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.3 Effets de taille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Nécessités dans l’élaboration des nanoparticules . . . . . .
. . . . .
. . . . .
1 2 2 7 10 17
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. . . . . .
19 20 20 22 24 30 32
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38
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41
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49 49
. . . .
49
. . . .
56 58 58 63
2 L’eau et les cations en solution 2.1 L’eau solvant, physicochimie du liquide . . . . . . . . . . 2.1.1 Structure électronique de la molécule d’eau . . . 2.1.2 Structure de l’eau liquide . . . . . . . . . . . . . 2.1.3 Hydratation des ions, structure des solutions . . 2.1.4 L’eau dans les conditions hydrothermales . . . . 2.2 Acidité et spéciation des cations en solution aqueuse . . 2.3 Mécanisme de l’hydroxylation des cations en solution et des réactions d’oxydo-réduction . . . . . . . . . . . . 2.4 Annexe. Évaluation des charges partielles sur les atomes d’une combinaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Condensation des cations en solution : polycations, polyanions 3.1 Hydroxylation et condensation des cations . . . . . . . 3.1.1 Généralités sur la réaction de condensation en solution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.2 Les différentes classes de cations vis-à-vis de la condensation . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Olation et polycations . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Mécanisme et considérations structurales . . . 3.2.2 Les polycations du chrome III . . . . . . . . .
. . . . . .
. . . .
. . . .
. . . .
iv
De la solution à l’oxyde 3.3
Oxolation et polyanions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1 Éléments du bloc p . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.2 Éléments de transition à haut degré d’oxydation : polyoxo-métallates . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4 Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes 4.1 Formation du solide : aspect thermodynamique et structural . 4.1.1 Éléments divalents : Mg, Ni, Cu, Pd, Pt, Zn . . . . . 4.1.2 Hydroxydes doubles lamellaires . . . . . . . . . . . . 4.1.3 Éléments trivalents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.4 Éléments tétravalents et pentavalents : Si, Sb . . . . . 4.1.5 Éléments de transition à hauts degrés d’oxydation : V, Mo, W . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.6 Oxydes polymétalliques . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 Cinétique de la formation du solide et mécanismes de cristallisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.1 Les étapes de la précipitation . . . . . . . . . . . . . . 4.2.2 Nucléation et croissance : énergétique et dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.3 Mécanismes de cristallisation et évolution morphologique des nanoparticules en suspension . . . 4.2.4 Effet du chauffage micro-onde sur la nucléation et la cristallisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
66 69 75 111 112 113 120 123 130 138 153 154 155 158 168 180
5 Chimie et physico-chimie de surface des oxydes 185 5.1 Interface oxyde-solution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 5.1.1 Origine de la charge électrique de surface . . . . . . . 186 5.1.2 Acidité de surface : modèle de complexation multisite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 5.2 Solvatation et structure de l’interface . . . . . . . . . . . . . . 197 5.2.1 Solvatation des particules . . . . . . . . . . . . . . . . 197 5.2.2 Interactions surface-électrolytes . . . . . . . . . . . . 199 5.3 Stabilité des dispersions de nanoparticules vis-à-vis de l’agrégation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204 5.4 Réactivité de surface : adsorption . . . . . . . . . . . . . . . . 208 5.4.1 Interactions électrostatiques, complexes à sphère externe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 5.4.2 Interactions spécifiques, complexes à sphère interne . 210 5.4.3 Adsorption et transferts à l’interface oxyde-solution . 219 5.4.4 Adsorption et énergie de surface : contrôle de la taille et de la morphologie des particules par l’acidité du milieu de synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Table des matières
v
6 Alumines et aluminosilicates 6.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2 Hydroxylation et condensation en solution : les polycations 6.3 Formation des phases solides . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3.1 Hydroxydes, oxyhydroxydes et oxydes d’aluminium 6.3.2 Aluminosilicates . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale 7.1 Spéciation du fer et condensation en solution aqueuse . . . 7.2 Formation des phases solides . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2.1 Hydroxyde ferreux et dérivés oxydés : feroxyhyte et lépidocrocite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2.2 Composés ferriques : goethite, hématite, akaganéite 7.2.3 Phases mixtes ferriques-ferreuses : rouilles vertes et magnétite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2.4 Ferrites polymétalliques : spinelles, hexaferrite et grenats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium 8.1 Spéciation des cations TiIV , MnIV , ZrIV en solution . . . 8.2 Oxydes de titane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.2.1 Précipitation de TiIV en milieu acide ou neutre . 8.2.2 Transformation de titanates lamellaires . . . . . 8.2.3 Oxydation du TiIII et du Ti0 en milieu acide ou neutre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.2.4 Synthèse du titanate de baryum BaTiO3 . . . . 8.3 Oxydes de manganèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.3.1 Les principales phases solides du dioxyde MnO2 8.3.2 Précipitation des oxydes de manganèse . . . . . 8.4 Oxydes de zirconium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.4.1 Variétés cristallines de la zircone . . . . . . . . . 8.4.2 Précipitation de la zircone . . . . . . . . . . . . 8.4.3 Synthèse de la zircone stabilisée . . . . . . . . .
. . . . .
233 233 234 243 244 256
. .
265 267 272
. .
272 274
.
294
.
313
. . . .
. . . .
. . . .
319 320 321 323 335
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
339 345 348 348 350 363 364 365 369
Conclusion
375
Références
377
Index
431
Avant-propos Les nanomatériaux suscitent un intérêt considérable à cause de leur comportement spécifique et de leur usage de plus en plus diversifié. Parmi eux, les oxydes métalliques tiennent une place de choix en raison de la diversité de leurs propriétés. La synthèse de nanoparticules d’oxydes avec contrôle de la structure cristalline, de la forme, de la taille et de la distribution de taille afin d’optimiser leurs propriétés est l’un des objectifs de la chimie des colloïdes depuis des décades. Elle est toujours l’objet d’un intense effort comme l’atteste l’énorme quantité d’articles publiés encore actuellement sur le sujet. Parmi les diverses voies de synthèse, la précipitation en solution aqueuse à partir de sels métalliques est la méthode la plus répandue et la plus versatile pour former des nanoparticules d’oxydes dans les conditions d’une « chimie verte ». Elle répond à une démarche d’éco-conception des matériaux car elle ne requiert pas de solvants ni de ligands susceptibles d’effets indésirables voire toxiques. L’intérêt environnemental de la technique s’ajoute par conséquent à l’intérêt technologique. L’objectif de cet ouvrage est de donner une vue synthétique et systématique de la formation des nanoparticules d’oxydes en solution aqueuse. Il s’adresse aux étudiants, aux ingénieurs et aux chercheurs intéressés par cette problématique non seulement dans le domaine des matériaux, mais aussi en géochimie et en minéralogie, deux domaines fortement concernés par la chimie aqueuse des cations métalliques. Ce livre est en fait la seconde édition totalement refondue de l’ouvrage « De la solution à l’oxyde » paru chez le même éditeur en 1994. Les concepts de base de la chimie des cations en solution sont toujours d’actualité, mais en vingt ans, d’immenses progrès ont été accomplis : la précipitation de la plupart des éléments métalliques a été largement explorée, la croissance par agrégation ordonnée est maintenant une évidence expérimentale, des modélisations théoriques concernant l’énergie de surface et la dynamique des phénomènes de nucléation-croissance ont été développées. . . Il était donc nécessaire d’actualiser la présentation des connaissances dans ce domaine et c’est pourquoi j’ai réécrit ce livre, toujours sur la base du cours que je présentais à l’Université Pierre et Marie Curie, à Paris, dans le cursus du master Matériaux. La nouvelle structure de l’ouvrage rassemble dans les quatre premiers chapitres, les concepts : spécificité des
viii
De la solution à l’oxyde
nanostructures, condensation des cations en solution, aspects structuraux et cinétiques de la précipitation, réactivité de surface des oxydes. La chimie de quelques éléments importants au plan technologique et environnemental, tels l’aluminium, le fer, le titane, le manganèse et le zirconium est décrite dans les trois chapitres suivants. J’adresse de chaleureux remerciements à Philippe Belleville, Corinne Chanéac, David Chiche, Anne Duchateau, Cédric Froidefond, Julien Hernandez, Hanno Kamp, Magali Koelsh, Stéphane Lemonnier, Micaela Nazaraly, Thierry Pagès, Céline Pérégo, Agnès Pottier, David Portehault, Tamar Saison, Lionel Vayssières qui ont accompli leurs travaux de thèse sous ma (co)responsabilité. Leurs résultats ont considérablement nourri cet ouvrage. Je remercie Élisabeth Tronc, Marc Henry, Corinne Chanéac, Sophie Cassaignon, Olivier Durupthy et tous les stagiaires post-doctorants pour les travaux que nous avons réalisés en commun. Qu’ils trouvent ici un témoignage de ma reconnaissance et de mon amitié. J’exprime ma gratitude à tous les collègues du milieu universitaire, français et étranger, et aussi du secteur industriel qui, à travers diverses collaborations ou lors de simples échanges, ont contribué de près ou de plus loin à cet ouvrage. Je remercie tout particulièrement Benjamin Gilbert, Alain Manceau et Claudine Noguera pour leurs conseils et nos discussions passionnantes. J’adresse enfin reconnaissance et amitié à Jacques Livage et à Clément Sanchez pour la qualité des relations scientifiques que nous avons entretenues et les heureuses années que nous avons vécues au laboratoire de Chimie de la Matière Condensée de Paris.
Liste des principales abréviations utilisées EXAFS : spectroscopie d’absorption des rayons X MEB : microscopie électronique en balayage MET : microscopie électronique en transmission METHR : microscopie électronique en transmission à haute résolution PCN : point de charge nulle PIE : point isoélectrique RMN : résonance magnétique nucléaire RPE : résonance paramagnétique électronique SAXS : diffusion des rayons X aux petits angles
viii
De la solution à l’oxyde
nanostructures, condensation des cations en solution, aspects structuraux et cinétiques de la précipitation, réactivité de surface des oxydes. La chimie de quelques éléments importants au plan technologique et environnemental, tels l’aluminium, le fer, le titane, le manganèse et le zirconium est décrite dans les trois chapitres suivants. J’adresse de chaleureux remerciements à Philippe Belleville, Corinne Chanéac, David Chiche, Anne Duchateau, Cédric Froidefond, Julien Hernandez, Hanno Kamp, Magali Koelsh, Stéphane Lemonnier, Micaela Nazaraly, Thierry Pagès, Céline Pérégo, Agnès Pottier, David Portehault, Tamar Saison, Lionel Vayssières qui ont accompli leurs travaux de thèse sous ma (co)responsabilité. Leurs résultats ont considérablement nourri cet ouvrage. Je remercie Élisabeth Tronc, Marc Henry, Corinne Chanéac, Sophie Cassaignon, Olivier Durupthy et tous les stagiaires post-doctorants pour les travaux que nous avons réalisés en commun. Qu’ils trouvent ici un témoignage de ma reconnaissance et de mon amitié. J’exprime ma gratitude à tous les collègues du milieu universitaire, français et étranger, et aussi du secteur industriel qui, à travers diverses collaborations ou lors de simples échanges, ont contribué de près ou de plus loin à cet ouvrage. Je remercie tout particulièrement Benjamin Gilbert, Alain Manceau et Claudine Noguera pour leurs conseils et nos discussions passionnantes. J’adresse enfin reconnaissance et amitié à Jacques Livage et à Clément Sanchez pour la qualité des relations scientifiques que nous avons entretenues et les heureuses années que nous avons vécues au laboratoire de Chimie de la Matière Condensée de Paris.
Liste des principales abréviations utilisées EXAFS : spectroscopie d’absorption des rayons X MEB : microscopie électronique en balayage MET : microscopie électronique en transmission METHR : microscopie électronique en transmission à haute résolution PCN : point de charge nulle PIE : point isoélectrique RMN : résonance magnétique nucléaire RPE : résonance paramagnétique électronique SAXS : diffusion des rayons X aux petits angles
Chapitre 1 Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration Le concept de matériau désigne la matière à l’état solide dotée de propriétés exploitables pour des applications pratiques. C’est en effet à l’état solide que la matière possède la meilleure résistance mécanique et la plus grande inertie chimique qui lui confèrent solidité et pérennité. C’est aussi à l’état solide que se manifestent nombre de propriétés, par exemple optiques, électriques, magnétiques, qui ont donné lieu à de considérables développements technologiques. Un exemple remarquable est celui de l’électronique qui a dû son gigantesque développement au silicium dopé. Un matériau peut ainsi être défini comme un solide utile. Un solide possède des propriétés qui dépendent directement de sa composition chimique, de sa structure cristalline, de sa structure électronique, de sa texture et aussi de sa morphologie ou de sa mise en forme. Ce dernier point, souvent négligé, est parfaitement illustré par le verre, formé de silice amorphe SiO2 , largement utilisé pour ses multiples qualités telles l’inertie chimique, la résistance mécanique, la transparence optique, la faible conductivité thermique, le caractère isolant électrique, propriétés qui peuvent être exploitées grâce aux possibilités très diverses de mise forme : verre plat (transparence pour les vitrages), verre creux (inertie chimique et résistance mécanique pour les bouteilles et le flaconnage), fibres courtes (laine de verre pour l’isolation thermique) et longues (fibres optiques), pièces massives (isolateurs de lignes électriques), films minces (couches isolantes dans l’électronique miniaturisée). Les oxydes métalliques présentent une très large gamme de propriétés exploitables pour des applications extrêmement diverses. La silice, SiO2 , sous forme de verre plat possède d’excellentes propriétés optiques. D’autres oxydes tels LiNbO3 , KTiOPO4 manifestent d’intéressantes propriétés d’optique non linéaire qui permettent de modifier la longueur d’onde de la lumière transmise. Certains oxydes peuvent être de bons isolants électriques mais
2
De la solution à l’oxyde
d’autres sont de véritables conducteurs électroniques (VO2 , Nax WO3 ), des conducteurs ioniques (alumines β NaAl11 O17 , NaSiCON Na3 Zr2 PSi2 O12 , zircones cubiques stabilisées Zr1−x Yx O2−x/2 ), voire des supraconducteurs YBa2 Cu3 O7−x , Bi4 Sr3 Ca3 Cu4 O16+x . Des composés tels BaTiO3 , PbZr1−x Tix O3 , PbMg1/3 Nb2/3 O3 sont des solides ferroélectriques largement utilisés dans la réalisation de composants électroniques miniaturisés, tandis que le ferrite spinelle γ-Fe2 O3 , l’hexaferrite de baryum BaFe12 O19 et le grenat Y3 Fe5 O12 sont des solides ferrimagnétiques plus ou moins coercitifs qui en font des matériaux destinés à l’enregistrement magnétique ou à la fabrication d’aimants permanents. Des solides tels des alumines et des aluminosilicates (argiles et zéolithes) sont utilisés dans de très nombreux domaines en particulier comme absorbants et catalyseurs en raison de leur texture qui comporte des espaces interfoliaires ou des canaux permettant la diffusion de diverses espèces ioniques ou moléculaires. En plus des propriétés liées à la structure cristalline et à la composition chimique des solides, il existe des propriétés spécifiquement liées à la taille et à la forme des particules lorsqu’elles ont une taille nanométrique (de un à quelques dizaines de nanomètres). Ces propriétés sont maintenant exploitées pour de multiples applications, par exemple le domaine des matériaux (composites, membranes à porosité contrôlée, renforcement et ignifugation de polymères, revêtements hydrophobes, ferrofluides, etc.), le domaine de l’énergie (photopiles, vitrages autonettoyants, traitements antireflets des miroirs pour laser de puissance, etc.), le domaine médical (diagnostic, vectorisation, imagerie) ou encore celui de l’environnement (dépollution catalytique des gaz d’échappements diesel, nanofiltration de l’eau, etc.). L’intérêt pour la matière ultradivisée a fait apparaître la notion de nanomatériau dont l’origine de quelques particularités est précisée ci-après.
1.1
Propriétés spécifiques des nanoparticules
La matière ultradivisée a suscité depuis quelques décades un très grand intérêt scientifique et technologique qui a conduit au concept de nanomatériau (Moret 2006, DIGITIP 2004). Un nanomatériau est ainsi désigné en référence à la taille de ses constituants individuels, en général de quelques nanomètres à la centaine de nanomètres, qui possèdent des propriétés spécifiques à cette faible taille par rapport à celles de la même substance à l’état massif. Ces propriétés peuvent être une physique particulière engendrée par le petit volume de matière d’une nanoparticule et/ou une réactivité chimique exacerbée en raison de l’énorme quantité de surface développée par les nanoparticules qui peut atteindre plusieurs milliers de m2 g−1 .
1.1.1
Effets de volume
De très petits volumes de matière solide présentent des propriétés différentes de celles de l’état massif (taille micronique ou au-delà) vis-à-vis de
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
3
l’interaction énergie-matière mise en jeu avec la lumière et avec des champs électriques ou magnétiques. L’origine du phénomène tient au fait qu’une dimension au moins de l’objet est de l’ordre de grandeur d’une longueur fondamentale de la physique, par exemple le libre parcours moyen de l’électron dans le solide, la longueur d’onde de la lumière, la distance de propagation des phonons dans le solide, la taille des monodomaines magnétiques. Il en résulte des effets spécifiques dus au confinement quantique (voir plus loin) qui dépendent de la taille et de la forme des particules ou des domaines cristallins. Ces effets ont donné lieu au développement de divers secteurs scientifiques et techniques dont les lois sont à présent relativement bien établies telles la plasmonique, la photonique, la spintronique et le nanomagnétisme. Parmi les conséquences de l’effet de taille les plus immédiates à observer, on trouve la couleur variée des dispersions de nanoparticules de semi-conducteurs tels les chalcogénures de cadmium et de zinc et celle des nanoparticules de métaux tels l’or, l’argent ou le cuivre. Les chalcogénures de cadmium ou de zinc, CdE, ZnE (E = S, Se, Te) sont des semi-conducteurs dont les propriétés optiques (absorption, fluorescence) sont fortement dépendantes des effets de taille à cause de la modification de la structure électronique du solide. L’absorption optique correspond à l’excitation des électrons depuis les états occupés les plus hauts (niveaux de la bande de valence) vers les états vides les plus bas (niveaux de la bande de conduction) et la différence d’énergie entre ces états (gap) fixe la longueur d’onde d’absorption et aussi la couleur du matériau (Fig. 1.1a). L’effet est remarquablement mis en évidence par le déplacement du pic d’absorption de la lumière vers les plus courtes longueurs d’onde (blue shift) pour des nanoparticules de CdSe de taille décroissante (Fig. 1.1b). La fluorescence est l’émission de lumière qui accompagne le retour à l’état fondamental d’électrons préalablement excités par un rayonnement ultra-violet par exemple. La couleur de la lumière de fluorescence dépend, pour la même raison que pour l’absorption, de la taille des nanoparticules (Fig. 1.1c). Au-delà d’une dizaine de nanomètres, l’effet de taille sur la structure électronique devient insignifiant. L’or est un solide de couleur jaune, même sous forme de très fines pellicules de quelques micromètres d’épaisseur utilisées par exemple pour la dorure, tandis que les dispersions de nanoparticules prennent des colorations très variées, depuis le rouge jusqu’au vert ou le bleu. Pour des conducteurs métalliques, l’effet de taille s’exerce sur l’oscillation du nuage des électrons de conduction du métal engendrée par l’excitation lumineuse. Il en résulte une résonance plasmon qui modifie l’absorption de la lumière (Fig. 1.2a, b) (Xia 2005). L’énergie absorbée dépend de la longueur d’onde selon la relation : 3/2
E(λ) =
24πN a3 εm λ
εi (r + 2χεm )2 + ε2i
N représente la densité des nanoparticules, a leur rayon, εi et εr les parties imaginaires et réelles de leur constante diélectrique, εm est la constante
4
De la solution à l’oxyde
(a) E BC
Absorption (ua)
(b)
BV solide
8.3 6.5 5.1 4.3 3.7 3.2 2.3 1.9 1.6 1.2 nm
gap
atome molécule
11.5
300
400 500 600 700 Longueur d’onde (nm)
(c)
Fig. 1.1 – (a) Structure électronique schématique montrant la démultiplication des niveaux d’énergie disponibles en fonction de la taille de l’objet et donc du nombre d’orbitales atomiques impliquées. Il en résulte une variation de la largeur de la bande d’énergie interdite (gap). (b) Spectres d’absorption optique de nanoparticules de CdSe dispersées dans l’hexane, avec des tailles moyennes allant de 1,2 à 11,5 nm c American Chemical Society). (reproduit avec autorisation d’après Murray 1993 (c) Émission lumineuse sous irradiation UV de nanoparticules de CdSe dispersées dans l’hexane. La taille des particules varie de 1,5 nm (bleu) à 7 nm (rouge) (image aimablement fournie par Benoît Dubertret, ESPCI, Paris). (Une version en couleurs de la figure 1.1c est disponible en fin d’ouvrage.)
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
(b)
Champ électrique
Nanoparticules d’or
Nuage électronique
Coefficient d’absorption
(a)
5
12 Cube Prisme
10 8
Pyramide
Cylindre Sphère
6 4 2 0 300
400
500
600
700
Longueur d’onde (nm)
(c)
(d)
50 nm
50 nm
Fig. 1.2 – (a) Schéma des oscillations collectives des électrons (plasmon) dans une particule sphérique d’or induites par le champ électrique de la lumière (d’après Xia 2005). (b) Coefficients d’absorption calculés pour des particules d’argent de même volume équivalent à celui d’une sphère de 50 nm de rayon mais de formes différentes (d’après Haes 2005). (c et d) Images MET de dispersions aqueuses de nanosphères et de nanobâtonnets d’or et couleurs de ces dispersions (reproduit d’après Liz Marzan 2004 avec l’autorisation de Elsevier). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
diélectrique du milieu environnant les nanoparticules. Le paramètre χ est relatif à leur forme. Il est égal à 1 pour une sphère, 17 pour un sphéroïde de rapport d’aspect 5/1. La figure 1.2b représente les spectres d’absorption calculés pour des particules d’argent de formes différentes et dont le comportement est analogue à celui de l’or (Haes 2005). Le maximum d’absorption lumineuse, qui va de 400 à 650 nm, couvre tout le domaine du visible et par conséquent la couleur des dispersions peut aller du bleu au rouge en passant par le jaune et le vert (Fig. 1.2c, d). Le même phénomène existe pour d’autres métaux tels l’argent, gris à l’état massif et le cuivre (Kerker 1985). Des nanoparticules de cuivre métallique ont été utilisées depuis des temps très anciens pour colorer les verres dits « verres rubis ». Ce procédé, encore utilisé de nos jours pour des effets décoratifs, est surtout réservé au développement de nouvelles technologies comme la plasmonique. Un autre phénomène dû à l’effet de taille est la relaxation magnétique qui apparaît dans des matériaux magnétiques et notamment dans des nanoparticules d’oxyde de fer de structure spinelle (γ-Fe2 O3 ). Le matériau est
6
De la solution à l’oxyde
(d) (b)
θ
Direction d’aimantation facile
Moment magnétique de la nanoparticule
(a) 50 nm
6.1 nm
7.7 nm
(c)
10.4 nm
E > 30 nm
EB 0
180
θ
–8
0
+8 mm/s
Fig. 1.3 – (a) Image MET de nanoparticules de maghémite γ-Fe2 O3 . (b) Fluctuations du moment magnétique d’une particule autour d’un axe d’aimantation facile dans la direction de l’axe ou dans la direction opposée. (c) Schéma de la barrière d’énergie EB qui limite le retournement de l’aimantation (θ = 0 ou 180◦ ). Dans chacun des deux puits d’énergie correspondant à θ = 0 et 180◦ , il existe des niveaux vibrationnels correspondant à l’oscillation du moment magnétique dans la direction de l’axe et dans celle opposée. (d) Spectres Mössbauer enregistrés à température ambiante de dispersions de particules de taille variable entre 6 et 30 nm.
ferrimagnétique parce que les moments magnétiques portés par les ions Fe3+ localisés dans les sites tétraédriques et dans les sites octaédriques occupés du réseau oxygéné (Chap. 5) sont fortement couplés de manière antiparallèle. Le moment global d’un domaine magnétique est non nul car les populations des différents types de sites sont différentes. Le moment magnétique global est orienté autour d’une direction dite « d’aimantation facile » (l’axe 111 de la maille cubique de la maghémite). En fait, le moment magnétique global vibre thermiquement autour de la direction d’aimantation facile et le retournement de l’aimantation se produit à la fréquence τ = τ0 expEB . EB , l’énergie de barrière, est donnée par EB = KV /kT (Fig. 1.3). K est la constante d’anisotropie magnétocristalline, V le volume du domaine magnétique et kT le paramètre d’agitation thermique. Dans le solide massif, l’énergie de barrière est grande et le retournement de l’aimantation n’a pas lieu sauf si la température est très élevée. Avec des particules de taille nanométrique, l’énergie de barrière devient comparable à kT, de sorte que le moment magnétique fluctue et relaxe à température ambiante. Le phénomène est mis en évidence par la spectroscopie Mössbauer de nanoparticules de différentes tailles dispersées dans des matrices rigides formées par un polymère (Fig. 1.3d). Le spectre à température ambiante de particules de 30 nm de diamètre est formé d’un sextuplet caractéristique d’un système magnétique bloqué (l’énergie de barrière est
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
7
largement supérieure à l’agitation thermique). Le spectre de particules de taille plus faible, formé d’un doublet paramagnétique est en revanche caractéristique d’un système dynamique. Des nanoparticules de 6 nm de diamètre par exemple se comportent comme des ions paramagnétiques avec une aimantation qui relaxe totalement à température ambiante, l’énergie de barrière étant devenue très inférieure à l’agitation thermique. C’est le phénomène de superparamagnétisme, car le moment qui relaxe est celui de la particule entière (les moments individuels restent ferrimagnétiquement couplés) et non celui d’un ion isolé (Dormann 1997). Un autre exemple d’effet de volume concerne l’insertion du lithium dans la structure rutile de TiO2 selon la réaction : TiO2 + Li+ + e− ⇔ Lix TiO2 L’insertion d’un ion Li+ dans le solide est compensée par la réduction d’un ion TiIV en TiIII . Avec des particules de rutile microniques, la réaction n’a pratiquement pas lieu (x = 0,03) à cause de la compacité et de la rigidité de la structure qui ne peut pas tolérer l’augmentation de la taille de l’ion titane (r Ti4+ = 0,60 Å, r Ti3+ = 0,67 Å), donc l’introduction du lithium. Avec des particules de TiO2 d’environ 10 nm d’épaisseur et 200 nm de longueur synthétisées par précipitation à partir de solutions aqueuses acides de TiCl4 (Chap. 7), la réaction peut s’accomplir jusqu’à x ≈ 0,85 à température ambiante selon différents processus (Baudrin 2007) : électrochimiquement (dans une cellule de type Swagelock, l’échantillon étant mélangé avec du carbone en présence de LiPF6 pour assurer la conduction électrique) (Fig. 1.5), chimiquement (avec du n-butyl lithium en solution dans l’hexane) ou encore mécaniquement (par broyage de TiO2 et de lithium métallique sous atmosphère d’argon). L’étude structurale montre que la réaction induit l’expansion de la maille cristalline d’environ 10 % pour x = 0,6 (Fig. 1.4). Pour un taux de réduction et donc d’intercalation plus élevé, le TiO2 rutile se transforme irréversiblement en LiTiO2 (structure type NaCl) qui possède une capacité électrochimique réversible de 0,5 Li/Ti avec une bonne cyclabilité. Ainsi, du fait de leur très petite taille, les particules de dioxyde de titane rutile permettent l’intercalation d’ions Li+ et offrent la possibilité de former d’intéressants matériaux d’électrodes.
1.1.2
Effets de surface
La diminution de taille des objets s’accompagne d’un effet de surface car le rapport surface/volume croît considérablement quand la taille de l’objet diminue. Pour des sphères de rayon r, ce rapport varie comme 3/r. Pour un oxyde métallique dont la structure forme un empilement compact, environ 5 % des atomes d’oxygène d’une sphère de 20 nm de diamètre sont des atomes de surface, tandis que pour une sphère de 15 nm, 15 % des atomes sont des
8
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
D~ 10 nm a (Å) 4.85 4.75 b
4.65
c
c (Å) 2.98 Capacité spécifique (mA.kg-1) Potentiel (V vs Li+/Li0)
0
80
160 240
a
2.96
320
2.94 200 nm
3
Nanobâtonnets (≈10 nm)
V
(Å3)
69 67
2
65 1
Massif (≈1μm) 0
0.2 0.4 0.6 0.8 x dans LixTiO2
63
10 nm 0
0.2
0.4 0.6 0.8 x dans LixTiO2
Fig. 1.4 – (a) Image MET de nanobâtonnets de rutile TiO2 et courbes de cyclage galvanostatique de particules micro- et nanométriques. (b) Variation des paramètres et du volume de la maille cristalline rutile des nanobâtonnets au cours de l’insertion électrochimique du lithium. Pour x > 0,6, la structure se transforme en LiTiO2 de type NaCl (reproduit d’après Baudrin 2007 avec l’autorisation de Elsevier).
atomes de surface et la proportion atteint 60 % pour des sphères de 2 nm. Dans les nanomatériaux densifiés, il en résulte des propriétés nouvelles et intéressantes. On obtient ainsi des métaux nanostructurés ultradurs à mesure que la taille des cristaux est faible (Fig. 1.5), tandis qu’avec des céramiques, le matériau devient « superplastique » par rapport au solide renfermant des grains de taille micronique ou plus (Siegel 1994). L’origine de ce comportement inhabituel réside dans l’accroissement de la quantité des joints de grains dans le matériau provoqué par la diminution de taille des grains. Dans le cas des métaux, les joints de grains agissent comme des barrières qui limitent le glissement des plans atomiques sous contrainte mécanique, ce qui accroît la dureté et la résistance à la déformation des métaux nanotexturés. Dans le cas des céramiques, matériaux intrinsèquement durs et cassants, les joints permettent au contraire le mouvement relatif des grains ce qui confère une certaine déformabilité qui rend le matériau nanotexturé moins fragile que le matériau classique. La très grande surface spécifique des systèmes nanométriques leur confère une réactivité physicochimique élevée. Il en résulte de fortes interactions des
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
(b) 12
dureté (GPa)
10
Fe
8
Ni
6 4 Cu
2 0 100
15 d (nm)
5
déformation relative (%)
(a)
9
5
ZnO
4 TiO2
3 2 1 10
100 d (nm)
1000
Fig. 1.5 – (a) Variation de la dureté à température ambiante de quelques métaux en fonction de la taille des grains. La dureté est de 2 à 5 fois plus importante pour les nanophases que pour les échantillons à gros grains. (b) Déformation relative d’échantillons nanophasés de ZnO et TiO2 en fonction de la taille des grains (d’après Siegel 1994). nanoparticules avec leur environnement qui donnent lieu à divers phénomènes mettant en jeu l’adsorption : solvatation, charge électrostatique de surface et dispersion des oxydes dans l’eau, adsorption et transport d’espèces ioniques ou moléculaires dans les eaux naturelles, effets biologiques et éventuellement toxicité lors de l’interaction avec des cellules ou des organismes vivants. Les effets de surface interviennent aussi sur la réactivité (électro)chimique des nanoparticules, comme l’a montré la catalyse hétérogène (Li 2010). Par exemple, l’activité du palladium sur l’hydrogénation du pyrène croît de deux ordres de grandeur lorsque la taille des particules passe de 10 à 2 nm (Wilcoxon 1994). L’oxyde de magnésium nanométrique s’avère un meilleur absorbant de gaz acides comme SO2 et CO2 et de dérivés chlorés du benzène que le composé conventionnel de granulométrie plus élevée (Li 1994, Stark 1994). À la fois, l’augmentation de la surface, la présence de défauts et des distorsions structurales contribuent à l’activité chimique du catalyseur. La réactivité accrue des nanomatériaux leur confère de bonnes performances dans la remédiation environnementale (Khin 2012). La forte réactivité de la surface peut aussi être mise à profit dans le contrôle de la forme et de la taille des nanoparticules au cours de leur synthèse (Chap. 4). L’effet de taille s’exerce ainsi sur diverses propriétés de la matière et il est important d’examiner son influence sur les principaux facteurs de la réactivité que sont la stabilité thermodynamique, la structure cristalline et la structure électronique du solide.
10
1.1.3
De la solution à l’oxyde
Effets de taille
Les systèmes nanométriques d’oxydes présentent un intérêt technologique évident. Ils tiennent aussi une très grande importance dans l’environnement à cause de leur ubiquité et de leur diversité chimique et structurale (Hochella 2002, 2008). Certains de ces systèmes, en particulier les oxydes de fer et de manganèse, donnent lieu à de très importants phénomènes redox susceptibles de réguler le cycle de nombreux éléments dans l’environnement (Hem 1977, Stumm 1992). Les réactions redox entre les ions FeII solubles et les phases solides ferriques jouent aussi un rôle important dans la mobilisation et la transformation d’éléments lourds tels l’arsenic et le plomb (Charlet 2011, Dong 2000). La compréhension du fonctionnement de tels systèmes nécessite de savoir comment la taille de nanoparticules influence leur réactivité. La question est complexe et demeure encore ouverte malgré un grand nombre d’études expérimentales. Il est intuitif de penser que la réactivité d’un solide augmente avec la diminution de taille des cristaux, à cause d’une plus grande surface spécifique exposée, une plus forte proportion de zones catalytiquement actives comportant des sites de coordination spécifiques ou des défauts structuraux ou géométriques (marches, terrasses, coins) qui fournissent des avantages cinétiques. De nombreux exemples montrent qu’il en est effectivement ainsi, mais il existe certains cas où la réactivité des nanoparticules baisse lorsque leur taille diminue. Il convient par conséquent d’examiner brièvement les principales conséquences de l’effet de taille sur les caractéristiques thermodynamiques, structurales et électroniques des nano-oxydes. Afin de considérer des systèmes comparables avec des structures cristallines variées, les exemples choisis concernent les oxydes de fer, mais les concepts exposés sont transposables à bien d’autres systèmes nanostructurés.
a) Stabilité thermodynamique L’augmentation de la quantité de surface avec la diminution de la taille des nanoparticules, depuis le domaine milli- ou micrométrique jusqu’au domaine nanométrique, fait que la composante énergétique de surface (toujours positive) devient compétitive avec la composante de volume (toujours négative) de l’enthalpie libre de formation (ΔG = ΔGvol + ΔGsurf ) du système ultradivisé (§ 3.2.2). Cela montre que le système ultradivisé est intrinsèquement métastable par rapport au système massif et si des transformations sont cinétiquement possibles (par vieillissement d’Ostwald et/ou par agrégation dans des dispersions aqueuses (§ 3.2.3), un tel système évolue spontanément pour réduire la quantité des interfaces. Dans le cas de systèmes polymorphes tels les oxydes de fer, de manganèse, de titane, d’aluminium, cela entraîne le changement des stabilités relatives des différents polymorphes. En effet, à l’état
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
11
massif, leurs enthalpies de formation (ΔH) ne sont en général pas très différentes et leur entropie (ΔS) est similaire, de sorte que la métastabilité (ΔG = ΔH + TΔS) des phases les moins stables n’est pas très élevée. Il s’ensuit qu’une phase métastable à l’état massif peut devenir, grâce à la composante de surface, le plus stable des polymorphes à l’état nanométrique (Navrotsky 2003, 2008, Laberty 1998, Zhang 1998, Fritsch 1997, Birkner 2012). Il est intéressant de remarquer que si des nanoparticules d’une phase métastable sont placées dans des conditions expérimentales dans lesquelles la croissance (la diminution de la quantité de surface) n’est pas possible ou est très limitée, par exemple par dispersion dans une matrice rigide inerte tel un verre de silice ou un polymère, cette phase est considérablement stabilisée vis-à-vis de sa transformation cristalline même à température élevée. C’est par exemple le cas de nanoparticules d’anatase TiO2 dont la transformation en rutile, qui intervient vers 300 ◦ C dans les échantillons pulvérulents, est repoussée à 800 ◦ C lorsque les particules sont dispersées dans un verre de silice (Pottier 2003). Des nanoparticules de maghémite à l’état de poudre se transforment en hématite vers 400 ◦ C mais dispersées dans un verre de silice, la formation de l’hématite n’a lieu que vers 1 400 ◦ C lorsque la matrice de silice cristallise en cristobalite, en permettant l’agrégation des particules (Chanéac 1996). Vers 1 200 ◦ C, lorsque la matrice de silice commence à ramollir et permet la diffusion et l’agrégation limitée des particules, on peut obtenir une phase rare d’oxyde de fer, ε-Fe2 O3 (Chap. 5) (Tronc 1998). Cette phase, isotype de l’alumine κ (alumine de transition), peut être considérée comme intermédiaire entre la maghémite (isotype de l’alumine γ) et l’hématite (isotype du corindon, α-Al2 O3 ). Sans effet de confinement, la maghémite se transforme directement en hématite à basse température. Ainsi, tant que le système ne peut pas dissiper l’énergie de surface, l’abaissement de l’enthalpie libre ne peut pas avoir lieu et la transformation est bloquée. L’hydratation des surfaces joue aussi un rôle très important car elle abaisse notablement la tension interfaciale (§ 4.4.4). En outre, la solubilité des particules croît en général avec la diminution de taille (Alexander 1957, Stumm 1996), ce qui peut être un facteur important de la réactivité, notamment lorsque des phénomènes biogéochimiques sont impliqués. Ainsi, en environnement aqueux, des transformations de phases complexes peuvent intervenir (Fig. 1.6). Typiquement, la goethite, α-FeOOH, devient thermodynamiquement stable par rapport à l’hématite, α-Fe2 O3 , pour une taille de particule supposée sphérique plus petite que 60 nm, tandis que la lépidocrocite, γ-FeOOH, devient plus stable que la maghémite, γ-Fe2 O3 , pour des tailles de particules plus petites que 12 nm (Navrotsky 2008). Des phénomènes similaires ont aussi lieu avec les oxydes de titane (Gribb 1997, Zhang 1998) et les oxydes de manganèse qui présentent une cristallochimie très variée (Birkner 2012) (Chap. 7). La taille des particules exerce donc un rôle majeur sur la formation et la stabilité des différentes phases, mais des facteurs cinétiques peuvent limiter les transformations.
12
De la solution à l’oxyde
30 ferrihydrite
ΔG (kJ mol-1)
maghémite 20 lépidocrocite akaganéite goethite 10
hématite 0
0
10 20 Surface spécifique (m2mol-1)
30
Fig. 1.6 – Enthalpies libres de transformation de polymorphes d’oxydes et oxyhydroxyde de fer (avec des surfaces hydratées) en hématite massive et eau liquide à 298 K calculées en fonction de la surface spécifique (exprimée en m2 par mole de fer pour tenir compte de la stœchiométrie des phases de différentes compositions). La pente des droites représente l’énergie de surface hydratée. Les points de croisement correspondent aux changements de stabilités relatives des différentes phases (d’après Navrotsky 2008). b) Structure cristalline et défauts structuraux Les nanocristaux sont souvent caractérisés par un désordre cristallin et aussi par des distorsions internes qui résultent de fortes reconstructions de surface dont les effets peuvent se propager jusqu’au cœur du cristal (Gilbert 2004). La petite taille des particules impose une forte courbure de la surface et/ou la juxtaposition de nombreuses facettes. En outre, la souscoordination des atomes de surface auxquels il manque la moitié des voisins crée des contraintes mécaniques qui provoquent très probablement de tels effets (Waychunas 2005). À cause du désordre de surface, la structure et la composition chimique de la surface des nanocristaux peuvent aussi être différentes de celles du volume. La maghémite, γ-Fe2 O3 , synthétisée par coprécipitation des ions FeIII et FeII , voit sa structure cristalline altérée par un désordre qui croît avec la diminution de la taille en dessous d’une dizaine de nanomètres, désordre qui s’accompagne de la création de lacunes cationiques dans les sites tétraédriques de surface (Brice-Profeta 2005). Ces défauts, qui n’existent pas ou peu dans des
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
Lacunes de FeTd
(a)
(b)
13
As(III)
(c)
(d)
Fig. 1.7 – Structure des faces de type (111) de la maghémite γ-Fe2 O3 et schéma des sites d’adsorption de AsIII sur des nanoparticules de maghémite de 6 nm de diamètre basé sur les informations déduites des données de diffraction des rayons X et de spectroscopie d’absorption des rayons X au seuil K de As. (a) Structure idéale typique des microparticules. (b) Nanoparticule présentant des lacunes de fer tétraédrique. (c) Remplissage par l’arsenic des sites les plus réactifs à faible taux de couverture de la surface. (d) Adsorption sur les positions du réseau à un taux de couverture plus élevé permettant la diminution de l’énergie de surface (d’après Auffan 2008). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.) particules de plus grande taille, peuvent être révélés par leur réactivité. Ils constituent notamment des sites spécifiques pour l’adsorption et la coordination de AsIII (Auffan 2008). Le sujet est très important car la présence de fortes quantités d’arsenic dans certaines eaux naturelles entraîne de graves problèmes de santé publique dans diverses régions du monde et l’adsorption pourrait être un moyen d’immobiliser fortement l’arsenic dans le sol. De ce point de vue, les nanoparticules de maghémite présentent un comportement inhabituel. La quantité d’arsenic adsorbé augmente de 0,02 à 1,8 mmol.g−1 quand la taille des particules passe de 300 à 11 nm (Yuan 2005). Les quantités adsorbées normalisées par unité de surface sont cependant les mêmes pour des particules de 300 et 20 nm de diamètre (6 micromoles/m2 ou 3,6 atomes/nm2 ). On peut ainsi conclure que le mécanisme d’adsorption est le même dans ce domaine de taille. En revanche, pour des particules plus petites, la capacité d’adsorption augmente et des particules de 11 nm de diamètre adsorbent environ 3 fois plus d’arsenic par unité de surface (18 micromoles/m2 ou 11 atomes/nm2 ). Le changement de structure de surface qui provoque l’apparition de nouveaux sites d’adsorption et l’abaissement significatif de l’énergie de surface (Jolivet 2004, Navrotsky 2008) permettent ainsi d’expliquer un tel accroissement de la capacité d’adsorption. Deux mécanismes sont alors impliqués dans l’adsorption de l’arsenic sur les nanoparticules de maghémite : à faible taux de couverture, l’arsenic se loge dans les sites les plus réactifs (lacunes de fer tétraédrique) au centre d’un cycle hexagonal d’ions fer octaédrique (Fig. 1.7). Lorsque ces sites sont saturés, l’arsenic se fixe ensuite sous forme de complexe
14
De la solution à l’oxyde
tridentate dans les sites classiques d’adsorption, sites seulement disponibles avec les plus grandes particules (Morin 2009). Puisque l’adsorption entraîne l’abaissement de l’énergie de surface (§ 4.4.4), on pourrait s’attendre à ce que la diminution de taille des particules exalte l’adsorption. Il est toutefois difficile de tirer une loi générale de comportement. En effet, si la normalisation en masse indique pour de nombreux systèmes que le taux d’adsorption croît avec la réduction de taille des particules, il n’en est pas de même à partir de la normalisation en surface spécifique. Par exemple, lors de l’adsorption des ions HgII sur la goethite, le taux de couverture de particules de 5 nm est inférieur à celui de particules de 25 et 75 nm de taille moyenne (Waychunas 2005). En fait, l’étude structurale par spectroscopie d’absorption des rayons X (EXAFS) de nanoparticules de goethite montre que la diminution de taille des particules accroît le désordre de surface et crée des sites distordus sur lesquels la coordination des cations est géométriquement défavorisée. L’effet inverse est aussi observé. La présence de défauts plus nombreux à la surface de particules d’hématite de taille décroissante (88, 25, 7 nm) favorise au contraire la coordination des ions Cu2+ fortement distordus par l’effet Jahn-Teller (Madden 2006). Il est probable que les défauts constituent des sites favorables adaptés à la basse symétrie de la sphère de coordination des ions cuivre. Ces effets sont toutefois parfois occultés à cause de l’agrégation des particules qui intervient très souvent dans les dispersions aqueuses ou les aérosols et qui diminue la surface accessible. c) Structure électronique L’effet de taille intervient aussi pour modifier la structure électronique du solide ultradivisé par rapport à celle du solide massif. On peut schématiquement déduire la structure électronique du solide par l’extrapolation de celle de complexes de coordination (Burdett 1995, Sherman 1984). Les éléments clés de la réactivité d’un complexe d’un élément de transition ou d’une molécule sont l’écart d’énergie entre l’orbitale moléculaire la plus haute occupée (highest-occupied molecular orbital, HOMO) et l’orbitale moléculaire la plus basse vide (lowest-unoccupied molecular orbital, LUMO), ainsi que la population électronique de l’HOMO. Dans le cas du solide, la démultiplication des niveaux orbitalaires en interaction conduit au concept de bandes d’énergie et les analogues de l’HOMO et de la LUMO sont la bande de valence (BV) et la bande de conduction (BC). On passe ainsi progressivement d’un modèle de bandes d’énergie pour le solide massif à un modèle orbitalaire discret pour une entité de taille moléculaire, avec une variation continue du gap (modèle de bande) ou de l’écart HOMO-LUMO (orbitales moléculaires) (Fig. 1.1a et 1.8). Pour des matériaux isolants et semi-conducteurs, la BV est totalement occupée et la BC est vide. Ces deux bandes sont séparées en énergie par une bande interdite ou gap d’énergie (BG) qui est en général moins large que la différence énergétique HOMO-LUMO de l’unité moléculaire correspondante. Pour les oxydes et oxyhydroxydes de fer (hématite, goethite par exemple)
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
15
E Energie du vide (0) Potentiel d’ionisation
Affinité électronique Bande de conduction
Bande interdite
Energie de Fermi Bande de valence
Fig. 1.8 – Schéma de la structure électronique du solide montrant les bandes de valence (BV) et de conduction (BC) séparées par une bande interdite ou band gap (BG). Pour les isolants et les semi-conducteurs, le niveau d’énergie de Fermi est localisé entre la BV totalement pleine et la BC complètement vide à 0 K.
à l’état massif, le BG est de l’ordre de 2 eV. Pour un isolant tel SiO2 , le BG est d’environ 9 eV. La magnétite, Fe3 O4 , avec un BG d’environ 0,1 eV est un semi-métal. Le BG représente l’énergie nécessaire pour exciter un électron depuis la BV vers la BC où il peut se déplacer en dehors de l’interaction électrostatique avec le trou créé dans la BV (paire électron-trou). À température ambiante, l’énergie thermique ou lumineuse permet l’excitation d’un petit nombre d’électrons vers la BC, d’où la faible conductivité électrique de l’hématite par exemple. La taille du domaine d’interaction (état lié) de plus basse énergie d’une paire électron-trou (exciton) est caractérisée par le rayon de Bohr. Dans le domaine nanométrique, la taille du solide devient comparable au rayon de Bohr de sorte qu’un électron et un trou ne peuvent jamais être suffisamment loin l’un de l’autre pour que leur interaction soit négligeable. C’est l’effet de confinement qui entraîne par conséquent l’augmentation de l’énergie minimum nécessaire pour exciter un électron, c’est-à-dire l’augmentation du BG. Une manifestation de cet effet est le blue shift dans l’absorption lumineuse qui accompagne la diminution de taille de semi-conducteurs (Murray 1993) (Fig. 1.1). La largeur du BG est le plus souvent déterminée expérimentalement par spectroscopie d’absorption optique UV-visible et par spectroscopie d’absorption et d’émission des rayons X (Gilbert 2009, Chernyshova 2010). Pour les solides massifs, les données expérimentales trouvées dans la littérature coïncident en général. Mais dans le régime nanométrique, on trouve parfois des données contradictoires. Par exemple, dans le cas de TiO2 où il n’y a pas d’effet d’échange d’électrons 3d (les ions Ti4+ ont la configuration électronique d0 ), les états dans la bande de conduction devraient être délocalisés et aucun réel effet de confinement quantique n’est attendu avec
16
De la solution à l’oxyde
le modèle de « l’électron dans la boîte » (Gilbert 2005). Il y a toutefois un débat intense pour savoir s’il y a ou non un confinement quantique dans TiO2 (par exemple Satoh 2008, Monticone 2000). La conclusion semble qu’il n’y a confinement quantique dans TiO2 que dans des particules de moins d’un nanomètre ! Il existe aussi des avis contradictoires pour les oxydes de fer et en particulier l’hématite qui est un matériau plus compliqué à cause de l’énergie d’échange entre électrons 3d (les ions ferriques ont la configuration électronique d5 ) et il est généralement admis que les états dans la BC sont localisés autour des ions métalliques. Les données d’absorption UV-visible indiquent toutefois une ouverture du BG de 2,18 eV pour des particules d’hématite de 120 nm, 2,55 eV pour 38 nm et 2,95 eV pour 7 nm (Chernyshova 2010). Pourtant, la modélisation des fonctions d’onde des électrons 3d dans les oxydes montre qu’elles sont localisées sur un ou deux voisins (Rosso 2003), de sorte qu’il est difficile d’imaginer comment de telles fonctions localisées peuvent subir un effet de confinement dans une « boîte » de 7 nm. En accord avec cette idée, la spectroscopie d’absorption des rayons X mous ne met pas en évidence de changement de la largeur de la bande interdite pour l’hématite massive et pour des particules de 30 à 8 nm (Gilbert 2009). Des efforts à la fois théoriques et expérimentaux sont nécessaires pour bien comprendre le fonctionnement de tels semi-conducteurs renfermant des électrons d. Un point important à prendre en compte est la pureté des phases étudiées et de grandes précautions doivent être prises pour éviter la présence de phases parasites, par exemple la ferrihydrite et la goethite qui contaminent souvent les échantillons d’hématite formée par thermolyse des solutions acides de FeIII . Ces phases ne sont pas détectées par diffraction des rayons X mais les spectroscopies y sont très sensibles et leur présence pourrait être une cause de divergence dans les données expérimentales et dans leur interprétation. Le désordre de surface, causé en partie par la sous-coordination des atomes de surface, peut être plus ou moins atténué par l’adsorption de ligands fortement chélatants. C’est le cas des ènediols fixés sur des nanoparticules d’oxyde de titane et d’oxyde de fer (Rajh 2002). La fixation du ligand peut restructurer la surface en assurant le complément de coordinence des cations et il peut aussi modifier la structure électronique du solide. En effet, la formation de complexes à transfert de charge produit un fort couplage électronique entre le ligand et la surface, ce qui introduit des états d’énergie à l’intérieur de la bande interdite. Le spectre d’absorption optique des particules complexées est alors décalé vers les faibles énergies en créant le phénomène de « sensibilisation ». L’adsorption de ligands ènediols de pouvoir complexant croissant sur des particules d’hématite de 6 nm de diamètre provoque ainsi la diminution de la largeur de la bande interdite qui passe de 2 à 1,40, 1,12 et 0,89 eV avec l’alizarine, l’acide ascorbique et la dopamine respectivement (Fig. 1.9) (Rajh 2002). Un phénomène analogue est mis en jeu dans le greffage de colorants sur des nanoparticules d’oxyde de titane dans les cellules photovoltaïques à colorant (Grätzel 1983).
1. Introduction Matériaux et nanomatériaux : propriétés, élaboration
17
eV 0,0
BC
1,0 2,0 3,0
+AA
+DA Fe2O3
BV NH3+
O HO
DA
+AL
O HOH2C O CHOH
O OH
OH
OH
AA
AL
Fig. 1.9 – Schéma de la modification de la structure électronique de nanoparticules d’hématite par coordination en surface de ligands ènediol (dopamine (DA), acide ascorbique (AA) et alizarine (AL)) (Rajh 2002). Des états électroniques sont introduits dans la bande interdite de l’oxyde de sorte que l’excitation des électrons vers la BC demande moins d’énergie.
1.2
Nécessités dans l’élaboration des nanoparticules
Le développement des nanosciences et de leurs applications technologiques dans de nombreux domaines tels l’optique, l’électronique, le magnétisme, la catalyse, l’imagerie, le diagnostic médical, etc. nécessite l’élaboration de nanomatériaux et de nanoparticules ayant des tailles, des formes et des structures cristallines parfaitement contrôlées car ces facteurs influencent très directement leurs propriétés. En fait, même si beaucoup de progrès ont été accomplis dans le développement de techniques et d’outils analytiques très performants permettant la caractérisation de nanostructures et la compréhension de leurs propriétés physiques, c’est réellement la synthèse de nanoparticules bien définies qui a constitué l’étape clé du progrès des nanosciences, par exemple la découverte des nanotubes de carbone (Ijima 1991, 1993), la synthèse de points ou boîtes quantiques bien définis (Berry 1967, Efros 1982, Rossetti 1983), la réalisation de multicouches métalliques pour l’effet de magnéto-résistance géante (Grünberg 1986, Baibich 1988, Fert 1997). Les solides ultradispersés sous forme de nanoparticules sont des systèmes intrinsèquement métastables à cause de l’existence d’une énorme quantité de surface et d’interfaces. La surface apporte une contribution positive à l’enthalpie libre du système (§ 1.1.3a) et si les énergies d’activation ne sont
18
De la solution à l’oxyde
pas trop élevées, l’évolution spontanée peut se produire pour augmenter la taille des nanoparticules ou former des domaines structurés afin de diminuer la surface totale. En conséquence, on comprend facilement que les systèmes ultradispersés doivent être synthétisés par des techniques relativement douces n’introduisant pas trop d’énergie afin de conserver leur état de métastabilité. Des additifs ou des conditions de synthèse permettant de minimiser l’énergie de surface sont en général nécessaires pour éviter le frittage, la recristallisation ou l’agrégation des nanoparticules. Dans ces conditions, n’importe quel matériau solide peut être obtenu à l’échelle nanométrique. Les méthodes de synthèse de nanoparticules sont classées en deux catégories, celles qui mettent en jeu la division d’un solide massif et celles qui sont basées sur l’association d’entités de taille moléculaire. – La division d’un solide massif constitue l’approche top-down. Elle met en œuvre la mécanosynthèse (broyage ou attrition), la volatilisation d’un solide par ablation laser par exemple et la condensation des composants volatilisés. Cette approche est utilisée pour quelques matériaux et particulièrement les matériaux carbonés. Rentrent dans cette catégorie les techniques de gravure qui permettent de « nanostructurer » des surfaces. – La condensation d’entités moléculaires en phase gazeuse ou en solution constitue l’approche bottom-up dans laquelle la chimie des complexes métalliques en solution tient une place importante. Cette approche est la plus fréquente pour la synthèse de nanoparticules d’oxydes, de chalcogénures et de métaux. La chimie en phase liquide permet de produire commodément et de façon reproductible des nanoparticules de matériaux divers de taille, de forme, de structure et de composition contrôlées. Elle permet aussi leur dispersion en milieu aqueux ou non aqueux, car il est possible de modifier la surface de ces particules pour divers usages et pour les compatibiliser avec des systèmes biologiques. La précipitation en solution aqueuse à partir de sels métalliques (chlorures, nitrates, sulfates, etc.) est la méthode la plus répandue pour former des nanoparticules d’oxydes. C’est l’objet de ce livre. Des complexes métalloorganiques (le métal est dans un environnement oxygéné formé de liaisons M-OC) ou organométalliques (environnement oxygéné du métal formé de liaisons M-C, M-N ou M-B) peuvent être utilisés dans des processus hydrolytiques ou non hydrolytiques pour former des nanoparticules d’oxydes, mais le coût et la difficulté de manipulation de ces composés limitent leur utilisation. Ce type de précurseur est néanmoins intéressant pour fonctionnaliser des nanoparticules d’oxydes avec divers groupements organiques et former des systèmes hybrides organiques-inorganiques. Des articles de revue récents et des ouvrages de référence font le point sur ce type de nanomatériaux (Brinker 1990, Gomez-Romero 2003, Sanchez 2005) qui ne sont donc pas abordés dans cet ouvrage.
Chapitre 2 L’eau et les cations en solution L’eau possède un exceptionnel pouvoir de dissolution des minéraux. L’innocuité, la stabilité chimique et l’état liquide de l’eau sur un large domaine de température en font le milieu réactionnel de choix au laboratoire et dans l’industrie. L’aptitude de l’eau à dissoudre des solides ioniques et ionocovalents provient de la forte polarité de la molécule (moment dipolaire μ = 1,84 Debye) et de la constante diélectrique élevée du liquide (ε = 78,5). La polarité de la molécule d’eau lui confère un pouvoir solvatant élevé, c’est-à-dire la capacité de se fixer sur les ions à cause des interactions dipolaires électriques. L’eau est aussi un liquide ionisant, c’est-à-dire apte à polariser une liaison iono-covalente à cause de son caractère base de Lewis (donneur d’électrons). C’est le phénomène de solvolyse qui provoque l’ionisation de la molécule HCl en milieu aqueux par exemple. La constante diélectrique élevée du liquide le rend dissociant, c’est-à-dire capable d’abaisser les forces élec− trostatiques attractives entre cations et anions solvatés, H+ solvat´ e et Clsolvat´ e. Cela permet leur dispersion dans l’eau (la force attractive F entre des charges q et q à la distance r est donnée par la loi de Coulomb, F = qq /εr2 ). Ces deux caractéristiques sont rarement réunies dans les liquides usuels. Par exemple, le moment dipolaire de la molécule d’éthanol (μ = 1,69 Debye) est voisin de celui de l’eau, mais la constante diélectrique est beaucoup plus faible (ε = 24,3). L’alcool, liquide solvatant mais peu dissociant, est un mauvais solvant des composés ioniques. La dissolution dans l’eau d’un solide ionique tel le chlorure de sodium se limite à l’interaction dipolaire avec les ions Na+ et Cl− et à la dispersion des ions solvatés, quel que soit le pH du milieu. Des cations de charge plus élevée et particulièrement les cations de transition retiennent un certain nombre de molécules d’eau autour d’eux dont la première couche forme un complexe de coordination [M(OH2 )N ]z+ avec une géométrie bien définie. Les molécules d’eau sont de véritables ligands car, aux interactions dipolaires, s’ajoute un effet donneur électronique σ de l’eau vers les orbitales vides du cation. Dans de tels complexes, les molécules d’eau coordinées peuvent être plus ou moins stables. Certaines d’entre elles perdent spontanément des protons et se
20
De la solution à l’oxyde
transforment en ligands hydroxo (OH− ) ou oxo (O2− ), selon leur état de polarisation dans le complexe. Le caractère acide des cations en solution résulte ainsi de l’échange de protons entre le complexe solvaté et les molécules de solvant. La présence du ligand hydroxo dans la sphère de coordination détermine la réactivité des cations métalliques vis-à-vis des phénomènes de condensation. Il est donc important de connaître la nature de la sphère de coordination des cations en solution dans des conditions diverses d’acidité, de concentration, de température, etc. pour contrôler leur condensation.
2.1 2.1.1
L’eau solvant, physicochimie du liquide Structure électronique de la molécule d’eau
La molécule d’eau présente la symétrie C2v . Ses orbitales moléculaires (OM) sont décrites par des combinaisons linéaires des orbitales atomiques (OA) des atomes d’oxygène (2s, 2p) et d’hydrogène (1s). Elles ont l’une des symétries correspondant aux quatre représentations irréductibles du groupe C2v (a1 , a2 , b1 , b2 ). Les calculs théoriques conduisent aux expressions suivantes des quatre OM de plus basse énergie (Chabanel 1991) : 1a1 1b2 2a1 1b1
0, 85(2s) + 0, 13(2pz ) + 0, 81(1sa + 1sb ) 0, 54(2py ) + 0, 78(1sa − 1sb ) 0, 46(2s) − 0, 83(2pz ) − 0, 33(1sa + 1sb ) (2px )
E E E E
= −36 = −19 = −14 = −12
eV eV eV eV
Chacune des OM occupées contient deux électrons, tandis que les OM antiliantes d’énergie plus élevée (3a1 , 2b2 ) sont vides (Fig. 2.1). Le spectre photoélectronique de l’eau met en évidence le caractère liant des OM 1b2 et 2a1 (présence d’une structure fine de vibration) tandis que l’OM 1b1 est strictement non liante (Turner 1970). Les principales propriétés de l’eau peuvent être déduites de la structure électronique de la molécule. • La forte polarité qui justifie le pouvoir solvatant des ions est due à la différence d’électronégativité (χ) de l’oxygène et de l’hydrogène. La tendance de l’oxygène (χO = 3,5) à attirer la charge électronique de liaison est beaucoup plus grande que celle de l’hydrogène (χH = 2,1). Les coefficients élevés des OA de l’oxygène dans l’expression des OM occupées indiquent que la densité électronique se trouve déportée vers l’oxygène. La charge électronique portée par chacun des atomes (charge partielle) peut être calculée à partir de l’expression des OM donnée ci-dessus. Par commodité, on utilise le modèle des charges partielles qui, bien que relatif et approximatif, permet d’estimer simplement les charges portées par les atomes dans une combinaison (§ 2.4).
2. L’eau et les cations en solution
21
E 2b2*
2b2*
3a1*
3a1* 1s
2p
1b1
1b1
2a1
2a1
eV -13
1b1 2a1
-15
1b2
-17 1b2
2s
1a1
OA de O
H 2O
1b2
1a1
-19 -21
OSAT (2 OA de H)
(a)
(b)
(c)
Fig. 2.1 – (a) Diagramme schématique et conventionnel d’orbitales moléculaires de la molécule d’eau. (b) Représentation des recouvrements orbitalaires. (c) Spectre de photoélectrons de la molécule d’eau (adapté d’après Turner 1970).
D’après la relation (A.10), l’électronégativité moyenne χ de la molécule d’eau s’écrit : 2 χ∗ + χ∗O ∗H χ= = 2,49 (2/ χH ) + (1/ χ∗O ) et d’après (A.8) : δ(H) =
χ − χ∗H = +0,2 1, 36 χ∗H
δ(O) =
χ − χ∗O = −0,4 1, 36 χ∗O
La forte polarité des atomes d’hydrogène et d’oxygène rend compte du moment dipolaire élevé de la molécule et de ses propriétés acido-basiques. • Le caractère base de Lewis de la molécule est dû aux électrons de l’OM 2a1 . Cette OM est essentiellement formée de l’hybridation des OA 2s et 2pz de l’oxygène. Elle est fortement délocalisée vers l’extérieur de la molécule comme l’indiquent les forts coefficients des OA correspondantes et les contributions négatives dans la combinaison. La molécule d’eau se comporte comme un ligand donneur d’un doublet σ, d’où ses propriétés ionisantes et son aptitude à se coordiner avec des acides de Lewis (propriétés complexantes). Par contre, l’OM b1 non liante, totalement localisée sur l’oxygène (Fig. 2.1), ne présente qu’un très faible caractère donneur π et ne permet pas la formation d’une liaison.
22
2.1.2
De la solution à l’oxyde
Structure de l’eau liquide
L’eau pure possède des propriétés très particulières par rapport à celles de composés analogues tels H2 S, H2 Se, H2 Te : les températures d’ébullition et de fusion sont anormalement élevées ; la variation de volume est négative à la fusion ; le maximum de densité se situe à 4 ◦ C ; la diffusion des protons et des ions hydroxyles dans l’eau est particulièrement rapide par rapport à celle des autres ions. Ces particularités résultent de l’association des molécules d’eau par liaison hydrogène. Une telle interaction intervient lorsque l’atome d’hydrogène, lié à un atome très électronégatif (F, O, N), s’associe à un autre atome électronégatif (schéma 2.1).
H O
+ H O
H
H
Schéma 2.1 – Au sein de cette liaison, l’atome d’hydrogène peut occuper deux positions d’énergie minimum, voisines chacune de l’un des atomes d’oxygène. Ces deux positions sont séparées par une faible barrière de potentiel que l’hydrogène peut traverser par effet tunnel. L’énergie de la liaison hydrogène est de l’ordre de 20 à 40 kJ mol−1 . Dans les conditions normales, l’eau cristallise sous forme de glace hexagonale dans laquelle les liaisons hydrogène, fortement directionnelles, permettent à chaque atome d’oxygène de s’entourer d’un tétraèdre presque régulier d’atomes d’hydrogène (Fig. 2.2). La rupture d’un certain nombre de liaisons hydrogène lors de la fusion de la glace diminue les contraintes géométriques entre les molécules d’eau qui deviennent mobiles et peuvent se rapprocher les unes des autres. C’est pourquoi la densité augmente et passe par un maximum vers 4 ◦ C, température au-delà de laquelle l’agitation thermique devient prépondérante et entraîne la dilatation du liquide. Les calculs de dynamique moléculaire (Rahman 1973, Stillinger 1980) montrent qu’à température ordinaire, la proportion de molécules isolées dans le liquide est très faible (Fig. 2.2). Les molécules forment en majorité des assemblages polygonaux dont la géométrie locale est tétraédrique. Ces associations de dimensions limitées ont une durée de vie très courte, de l’ordre de 10−10 s, mais elles se reforment constamment (Geissler 2001). La structure du liquide n’est donc pas topologiquement reliée à celle de la glace hexagonale. Le liquide peut être considéré comme formant un réseau tridimensionnel désordonné de liaisons hydrogène qui établissent des connexions statistiques permettant le transfert rapide du proton et de l’ion hydroxyle (Stillinger 1980, Symons 1981, HeadGordon 2002). Le pouvoir ionisant et dissociant de l’eau liquide entraîne l’autodissociation notable des molécules : − Ke = |H3 O+ | |HO− | = 10−14 à 25 ◦ C 2H2 O ⇔ H3 O+ solvaté + HOsolvaté
2. L’eau et les cations en solution
23
0.4
0.2
(a)
0 1 2 3 4 Liaisons H (b)
(c)
Fig. 2.2 – (a) Structure de la glace hexagonale (longueur des liaisons O... H... O
2,76 Å, O-H 1 Å, O... H 1,75 Å, angles H-O-H 109,5◦ . (b) Fractions de molécules engagées dans différents nombres de liaisons H dans l’eau liquide à 10 ◦ C. (c) Schéma du réseau des liaisons hydrogène dans l’eau liquide (les molécules sont représentées par des points) (d’après Rahman 1973).
d’où le caractère amphotère des molécules d’eau qui confère au liquide le rôle de solvant protique. Ses propriétés acido-basiques sont liées à l’échange du proton entre l’eau et des donneurs (acides) ou des accepteurs (bases) de protons. La structure de l’ion oxonium H3 O+ a été étudiée par RMN du proton sur des monohydrates cristallisés d’acides forts (HClO4 ,H2 O ; HNO3 ,H2 O ; H2 SO4 ,H2 O) (Richards 1951, O’Reilly 1971). Les résultats s’accordent avec une géométrie plane ou légèrement pyramidale formant des angles H-O-H de 120◦ ou 118◦ respectivement, avec des distances H-H de 1,72 Å. La solvatation de l’ion oxonium par des molécules d’eau s’établit au moyen de liaisons hydrogène pour former des entités [H3 O, nH2 O]+ . Le degré de solvatation, c’est-à-dire le nombre de molécules d’eau constituant la « sphère de coordination », est variable selon que l’ion est en solution aqueuse ou engagé dans un réseau solide. L’ion hydrogène diaquo [H2 O-H-OH2 ]+ (n = 1) a été identifié par diffraction des rayons X et des neutrons dans des cristaux de HBr,2H2 O et de certains complexes, par exemple trans (Co(en)2 Cl2 )Cl,2H2 O,HCl (Ardon 1987). Les distances O... O dans l’ion diaquo sont de l’ordre de 2,40 Å, l’hydrogène étant en position approximativement centrée par rapport aux atomes d’oxygène. En solution, les informations structurales déduites de la diffraction des rayons X et des neutrons indiquent la présence de quatre molécules d’eau dans l’environnement immédiat de l’ion H3 O+ (n = 4) (Magini 1988, Ohtaki 1993). La diffraction des neutrons indique une configuration tétraédrique de l’ion oxonium solvaté dans des solutions aqueuses molaires de HCl ou HBr (Ohtomo 1981), alors que l’analyse des fonctions de distribution radiale obtenues par diffraction des rayons X sur des solutions d’acide chlorhydrique concentré, révèle une géométrie pyramidale (Lee 1983). Trois molécules d’eau
24
De la solution à l’oxyde H
O 2,9Å H O
H H
+
O
H
H
O
O H
(a)
O
H
H 2,8Å
H H
H
190 kJ mol-1 2,4Å
H O
H 40 kJ mol-1 O
H
H
O
H
H O H
H
(b)
Fig. 2.3 – Structures probables des solvates (a) du proton [H9 O4 ]+ et (b) de l’ion
hydroxyle [H7 O4 ]− .
de solvatation établissent avec l’ion H3 O+ des liaisons hydrogène courtes (distance O... O 2,44 Å). La quatrième molécule d’eau, beaucoup plus éloignée (distance O... O 2,90 Å analogue à celle observée dans l’eau pure), occupe le sommet d’une pyramide trigonale (Fig. 2.3). Les résultats différents obtenus par les deux techniques s’expliquent par le fait que la diffraction de neutrons ne donne qu’une valeur moyenne des distances O... O (Lee 1983). L’énergie des liaisons courtes, calculée par la méthode des orbitales moléculaires, est de l’ordre 190 kJ mol−1 et celle de la liaison longue est quasiment nulle. Une des molécules d’eau est donc en interaction très faible, de sorte que l’on peut considérer le proton solvaté comme l’entité moléculaire [H9 O4 ]+ , elle-même solvatée par d’autres molécules d’eau au moyen de liaisons hydrogène plus faibles, de l’ordre de 20 à 40 kJ mol−1 . L’ion hydroxyle HO− , présent dans la structure de nombreux complexes à l’état monosolvaté [HO-H-OH]− (distance O... O 2,29 Å), existe en solution sous forme de l’entité moléculaire [H7 O4 ]− , elle-même solvatée par d’autres molécules d’eau (Ardon 1987, Marx 2010) (Fig. 2.3). Cet ion est la base de Brönstedt la plus forte dans l’eau. C’est pour cela que l’autodissociation des molécules est faible et que l’ion O2− n’existe pas en solution aqueuse. En conséquence, les oxydes se dissolvent toujours dans l’eau parce qu’une réaction acido-basique de protonation des ions O2− intervient.
2.1.3
Hydratation des ions, structure des solutions
La structure des ions solvatés est déduite des données de techniques spectroscopiques (EXAFS, XANES, RMN, infrarouge, Raman), de diffraction et de diffusion (rayons X, neutrons) (Magini 1988, Ohtaki 1993). Ces techniques montrent que les cations solvatés sont associés aux molécules d’eau par l’atome d’oxygène, alors que les anions le sont par les atomes d’hydrogène (Fig. 2.4).
2. L’eau et les cations en solution
25
Première couche de solvatation +
Deuxième couche de solvatation
-
Fig. 2.4 – Schéma de l’hydratation de cations (à gauche) et d’anions hydrophiles (à droite) en solution aqueuse.
Le nombre de molécules d’eau participant à la solvatation d’un cation augmente lorsque son pouvoir polarisant croît, c’est-à-dire lorsque sa charge z augmente et que son rayon r diminue. Le pouvoir polarisant d’un ion est caractérisé par le rapport z/r2 . L’attraction et l’organisation des molécules d’eau autour des ions sous l’effet des interactions dipolaires s’exercent sur plusieurs couches et il convient de distinguer la première « sphère » d’hydratation, comprenant les molécules d’eau au contact du cation, des couches suivantes plus éloignées. La dynamique de formation et de rupture des liaisons H entre les molécules d’eau participant à la sphère de solvatation est beaucoup plus lente que celle intervenant entre les molécules du sein du liquide, comme le montre la spectroscopie femto-seconde non linéaire dans l’infrarouge moyen. La technique permet de distinguer l’absorption des liaisons O-H des molécules d’eau de solvatation et celle des molécules du liquide (Kropman 2001). La constante de temps de l’oscillateur H-O... Y− (12 ps pour Cl− et 25 ps pour I− en solution 1 mol.l−1 ) est environ 20 à 50 fois plus grande que celle (500 fs) de l’oscillateur H-O... H caractéristique de l’eau liquide. La grande différence de dynamique des liaisons hydrogène résulte de la différence de structure des deux zones. Dans le sein du liquide, le réseau tridimensionnel désordonné permet la simultanéité de formation et de rupture des liaisons hydrogène. De ce fait, le coût énergétique de la rupture d’une liaison H est faible (le temps de corrélation est bref) car il est compensé par la formation simultanée d’une nouvelle liaison H à un autre endroit. En revanche, dans la première couche de solvatation des anions, l’élimination d’une molécule d’eau implique la rupture de la structure de solvatation avec un coût énergétique élevé car il ne peut pas être aussi facilement compensé que dans le liquide. Cela signifie que le temps de corrélation important dans la couche de solvatation n’est pas le résultat de l’interaction directe entre un ion et l’eau environnante, mais qu’il est lié à l’interaction mutuelle des molécules d’eau dans la couche de solvatation qui possèdent un arrangement ordonné autour de l’ion. Le phénomène apparaît donc de nature essentiellement entropique. En outre, le temps de corrélation plus court dans la sphère de solvatation de l’ion chlorure que dans celle de
26
De la solution à l’oxyde
l’ion bromure ou iodure indique aussi qu’il semble non seulement déterminé par l’énergie de liaison des molécules d’eau dans la couche de solvatation, mais aussi par la fréquence de déformation de la cage de solvant, plus petite pour Cl− que pour Br− et I− . a) La première sphère d’hydratation Les cations monovalents tels que les ions alcalins s’entourent d’une première couche d’hydratation dont la composition et la géométrie sont assez mal définies. L’ion Li+ , le plus petit de la série et le plus polarisant, s’entoure de quatre molécules d’eau en symétrie tétraédrique. Les ions plus gros et moins polarisants (Na+ , K+ , Cs+ ) possèdent une première sphère de solvatation constituée de six à huit molécules d’eau (Tab. 2.1). Tab. 2.1 – Rayons ioniques r (Å), coordinence usuelle N, pouvoir polarisant z/r2 , enthalpies d’hydratation à 25 ◦ C ΔH (kJ mol−1 ) et constantes de vitesse d’échange k (s−1 ) des molécules d’eau dans la première sphère de coordination de cations métalliques (Basolo 1958).
Ions Li+ Cs+
r 0,59 1,70
N 4 8
z/r2 2,87 0,35
−ΔH 522 285
k 5.108 5.109
Mg2+ Ba2+
0,49 1,43
4 10
8,32 0,98
1940 1320
105 ≈109
Cr2+ Fe2+ Ni2+ Al3+ Fe3+ Cr3+
0,82 0,77 0,70 0,53 0,65 0,63
6 6 6 6 6 6
2,97 3,37 4,08 10,68 7,10 7,56
1930 1956 2120 4700 4450 4620
3.108 3.106 4.104 ≈1 102 3.10−6
La symétrie de la sphère de solvatation de ces derniers cations ne peut être clairement précisée parce que les molécules de solvatation s’échangent rapidement avec celles du milieu (Ohtaki 1993) et que leur nombre varie avec la concentration, la température et la nature des anions présents en solution. Ces cations à couches électroniques complètes développent avec les molécules d’eau des interactions électrostatiques relativement faibles et la liaison est de nature ionique. Les interactions électrostatiques entre les molécules d’eau et les cations des familles s et p de plus petite taille et de charge plus élevée sont plus fortes, comme en attestent les énergies d’hydratation (Tab. 2.1). La géométrie des cations hydratés est alors bien définie. Les différentes techniques de diffraction des rayons X, des neutrons et des électrons et diverses méthodes spectroscopiques (Magini 1988, Ohtaki 1993) indiquent une
2. L’eau et les cations en solution
27
t1u* E 4p (t1u) a1g* 4s (a1g) eg *
3d (eg, t2g)
t2g
Δ
t1u
(a1g, eg, t1u)
a1g eg OA du cation M
OSAT (6 ligands L) Complexe ML6
Fig. 2.5 – Diagramme d’énergie des orbitales moléculaires de complexes ML6 octaédriques d’éléments de transition mettant en jeu uniquement des interactions métal-ligand de type σ. Les orbitales atomiques (OA) du métal et les orbitales de symétrie adaptée terminales (OSAT) des ligands sont repérées par leurs étiquettes de symétrie. Les OSAT sont des combinaisons linéaires des OM 2a1 de l’eau (Fig. 2.1). Le paramètre du champ cristallin, Δ, représente l’énergie de levée de dégénérescence des orbitales d du cation dans le complexe.
symétrie tétraédrique pour le cation tétraaquo [Be(OH2 )4 ]2+ , octaédrique pour les ions hexaaquo [M(OH2 )6 ]2+ (M = Mg, Ca, Zn, Cd, Hg, Pb, etc.) et [Al(OH2 )6 ]3+ , antiprismatique à base carrée pour [Sr(OH2 )8 ]2+ par exemple. La coordinence de ces cations est directement liée à leur taille. Les ions divalents et trivalents de la première série de transition, de taille assez voisine, sont tous hexacoordinés. Le modèle des orbitales moléculaires rend compte du système de liaison dans le complexe (Fig. 2.5). Les interactions entre les molécules d’eau et ces cations résultent clairement du rôle de ligand donneur σ joué par les molécules d’eau. De ce fait, la liaison possède un caractère ionocovalent et les cations hydratés constituent de véritables complexes de coordination. Des distorsions du polyèdre de coordination sont observées avec Cr2+ et 2+ Cu , de configurations électroniques d4 et d9 respectivement, en raison de
28
De la solution à l’oxyde
l’effet Jahn-Teller. La labilité des molécules d’eau coordinées aux ions de transition est très variable (Tab. 2.1). Certains complexes hexaaquo, fortement stabilisés par le champ cristallin, sont inertes vis-à-vis des réactions de substitution. C’est le cas des ions [Ni(OH2 )6 ]2+ et [Cr(OH2 )6 ]3+ , de configurations électroniques respectives d8 (t2g 6 eg 2 ) et d3 (t2g 3 eg 0 ), pour lesquels la formation de l’état de transition au cours de la substitution entraîne le changement de configuration électronique le plus coûteux en énergie (Basolo 1958) (§ 3.2.1). Les cations à haut degré d’oxydation (+IV et au-delà) sont trop polarisants pour que des molécules d’eau participent à la sphère de coordination. Ainsi, les éléments du groupe p (SiIV , SnIV , SbV , etc.) forment des complexes anioniques oxohydroxo. Les éléments de transition (VV , CrVI , MoVI , WVI , MnVII ), de très petite taille, adoptent la coordinence 4 tétraédrique dans des complexes tétraoxo anioniques (MO4 )(8−z)− où le transfert électronique M ← O s’effectue au travers d’un système très covalent de liaisons σ et π qui abaisse fortement le caractère basique de l’oxygène (§ 2.2). b) Les sphères externes de solvatation La seconde sphère de solvatation des cations est plus difficile à caractériser à cause de la grande vitesse d’échange des molécules d’eau avec celles du sein de la solution. Les études, réalisées par les techniques citées précédemment et par simulation, laissent penser que pour la grande majorité des cations, douze molécules d’eau constituent l’environnement immédiat de l’ion solvaté. La distance moyenne O... O entre les atomes d’oxygène des molécules d’eau de la première sphère de solvatation et ceux de la seconde, de l’ordre de 2,7 Å, est plus courte que la distance intermoléculaire moyenne dans l’eau pure (de l’ordre de 2,9 Å) (Magini 1988, Ohtaki 1993). Le nombre de couches de molécules d’eau attirées et orientées par un cation croît avec son pouvoir polarisant. c) La structure des solutions La présence d’un cation en solution se manifeste par un ordre local des molécules d’eau dû aux interactions dipolaires qui se propagent au-delà de sa deuxième sphère de solvatation. De quatre à cinq couches de molécules d’eau sont concernées par la diffusion des ions en solution. On peut définir l’hydratation d’un ion par le nombre de molécules d’eau qu’il entraîne dans son mouvement à travers la solution, tandis que sa coordinence correspond au nombre des molécules d’eau en contact avec lui, dans la première sphère de solvatation. L’orientation et l’ordre de la couche d’hydratation modifient notablement la structure du solvant (Franck 1957). Une solution de LiCl est plus visqueuse (1,146 cP à 20 ◦ C, 0,1 mol.l−1 ) que l’eau pure à même température (1 cP), alors qu’une solution de CsCl l’est moins (0,947 cP à 20 ◦ C, 0,1 mol.l−1 ). Les ions de petite taille, à haute densité de charge, modifient localement la structure primitive de l’eau par la rupture de liaisons hydrogène
2. L’eau et les cations en solution
29
et la réorganisation de nombreuses couches de solvant autour d’eux selon une structure complètement différente de celle qui existe dans le liquide pur. Un tel comportement est caractéristique d’ions tels que Li+ , Na+ , Mg2+ , F− , HO− . Ces ions sont dits « structurants de type I ». Les ions de charge et de taille moyennes développent avec l’eau des interactions suffisamment fortes pour rompre localement les liaisons hydrogène, mais ils ne parviennent pas à immobiliser autour d’eux de nombreuses molécules de solvant. La perte de la structure primitive de l’eau n’est pas compensée par la restructuration des molécules d’eau autour de l’ion. C’est le cas par exemple − − des ions K+ , Cs+ , NH+ 4 , NO3 , ClO4 qui sont dits « déstructurants » ou « brisants ». La solvatation de ces ions est beaucoup plus faible que celle des ions structurants, d’où l’abaissement de la viscosité d’une solution d’ions Cs+ par rapport à une solution d’ions Li+ . Les ions très peu polarisants tels les cations ammonium quaternaires [NR4 ]+ (R = CH3 , C2 H5 , etc.) ne sont pas capables de briser le réseau de liaisons hydrogène de l’eau, mais ils sont incorporés dans le liquide en modifiant considérablement son architecture locale. Le liquide forme autour d’eux des cages polyédriques analogues à celles trouvées dans les clathrates (Symons 1981) ou les zéolithes (Hesse 1991) (Fig. 2.6b). Ce type d’interaction est parfois nommé « interaction hydrophobe » par opposition au caractère hydrophile des ions structurants de type I. Ces ions sont dits « structurants de type II ». Ces trois comportements se distinguent nettement sur la variation de l’enthalpie de transfert depuis l’eau vers le carbonate de propylène d’ions monovalents de taille variable (Krishnan 1969) (Fig. 2.6a). Les ions brisants, qui développent avec l’eau les interactions les plus faibles, ont une énergie de transfert minimum. ΔH eau →carbonate de propylène (kJ.mol-1) NBu4+
16
NPr4+ 0
Li+
NEt4+
Na+ -16
K+ + + Rb Cs
NMe4+
+
2 4 6 rayon ionique (Å)
(a)
(b)
Fig. 2.6 – (a) Variation de l’enthalpie de transfert d’ions de taille variable depuis l’eau vers le carbonate de propylène (reproduit avec autorisation d’après Krishnan c American Chemical Society). (b) Schéma de la solvatation d’ions structu1969, rants de type II. Les molécules d’eau sont représentées par des points.
30
De la solution à l’oxyde
2.1.4
L’eau dans les conditions hydrothermales
Les conditions hydrothermales d’un milieu aqueux correspondent aux températures et aux pressions supérieures à 100 ◦ C et 1 bar respectivement. Ces conditions permettent de modifier considérablement la chimie des cations en solution. Elles favorisent la formation de structures métastables, plus complexes, de symétrie plus basse et mettant en jeu de plus faibles variations d’enthalpie et d’entropie que dans des conditions « normales » (Rabenau 1985, Stein 1993). Les conditions hydrothermales sont aussi celles des processus géologiques au cours desquels de nombreux minéraux ont été formés. Au laboratoire, de telles conditions sont réalisées par chauffage d’une solution dans une enceinte close (autoclave ou bombe hydrothermale) à des températures de l’ordre de 200 à 400 ◦ C. Les zéolithes sont un exemple particulièrement démonstratif de l’utilisation de telles conditions de synthèse (Barrer 1982). D’autres sont présentés dans la suite. Bien qu’à l’heure actuelle, aucune systématique ne soit dégagée pour rendre compte du rôle de ces conditions sur la nature des produits de réaction, il est vraisemblable que les propriétés du solvant jouent un rôle fondamental car ces dernières sont très largement influencées par la température et la pression. Les propriétés thermodynamiques de l’eau jusqu’à des températures de 1 000 ◦ C et des pressions de plusieurs dizaines de kbars sont bien connues. Les données quantitatives sont rassemblées dans de nombreux articles de revue (Haar 1984, Rabenau 1985, Akiya 2002). Trois points essentiels sont à retenir : • la constante diélectrique de l’eau s’abaisse lorsque la température augmente. Elle croît par élévation de pression (Seward 1981) (Fig. 2.7a). Les solutions hydrothermales se caractérisent donc par de faibles constantes diélectriques et les électrolytes totalement dissociés dans les conditions normales y forment préférentiellement des paires d’ions ou des complexes de faible charge électrostatique. Les sels inorganiques sont moins solubles que dans les conditions normales. L’eau tend ainsi à se comporter comme un solvant organique polaire ; • la viscosité de l’eau s’abaisse avec l’élévation de température (Tödheide 1972), ce qui entraîne une plus grande mobilité des espèces dissoutes que dans les conditions normales ; • le produit ionique de l’eau augmente fortement avec la température (Holzapfel 1966) (Fig. 2.7b). Les mesures de conductivité permettent d’établir la loi de variation du produit ionique avec la température : log Ke = –(3 018/T) – 3,55. L’élévation de température favorise la dissociation de l’eau et augmente la concentration des ions H+ et OH− . L’échelle d’acidité de l’eau (définie par –logKe ) est ainsi réduite. La force des acides et des bases est donc sensiblement modifiée par rapport aux conditions « normales ». Conjointement à la diminution de la constante diélectrique du milieu, l’influence des
2. L’eau et les cations en solution
31
5
0 90
-4 60
3
50
log Ke
P kbar
80 70
point critique
40 30 20
10 5
1
-8
T °C 1000 750 500 250 100
-12
25 équilibre liquide-gaz
100
300
500
700
°C (a)
0.5
équilibre solideliquide
1 1.5 3 densité (g/cm ) (b)
Fig. 2.7 – (a) Variation de la constante diélectrique de l’eau en fonction de la température et de la pression (adapté d’après Seward 1981). (b) Variation du produit ionique Ke de l’eau en fonction de la température et de la densité du liquide (adapté d’après Holzapfel 1966). conditions hydrothermales sur le comportement des couples acido-basiques de type HA/A− et HB+ /B peut alors être très différente, comme cela est le cas dans les conditions « normales » pour des solvants tels que l’eau et l’alcool par exemple (Charlot 1967). C’est ce qui explique que la basicité de l’ion chlorure par exemple se renforce considérablement dans les conditions hydrothermales. Dans l’eau à 500 ◦ C et 2 kbar, la constante de l’équilibre : Cl− + H2 O ⇔ HCl + HO− est de neuf ordres de grandeur supérieure à celle relative aux conditions normales (Tödheide 1972). C’est peut-être pour cette raison que les cations ammonium quaternaire [R4 N]+ et des amines R-NH2 , R2 -NH et R3 -N (R représente une chaîne hydrocarbonée) jouent un rôle particulier dans la synthèse hydrothermale de composés à structure zéolithique (Barrer 1982, Ferey 2008). Ces amines forment des couples acido-basiques de type HB+ /B et sont capables, de même que les cations [R4 N]+ , de mettre en jeu des effets stériques et une balance hydrophilehydrophobe ajustables par la structure des groupements R, ainsi que des interactions électrostatiques et des liaisons hydrogène avec diverses entités ioniques ou moléculaires en solution. Dans des conditions hydrothermales douces, jusqu’à des températures de l’ordre de 200 ◦ C en présence de phase liquide, l’augmentation de pression jusqu’à une dizaine de bars ne semble pas avoir de rôle significatif sur la nature des produits obtenus. En revanche, les effets thermiques, qui interviennent sur l’abaissement des barrières cinétiques, jouent surtout sur la modification des
32
De la solution à l’oxyde
propriétés physico-chimiques du solvant en favorisant les interactions électrostatiques et la formation de liaisons hydrogène. Ces interactions, qui jouent un rôle majeur dans la reconnaissance moléculaire caractérisant la formation des cryptates (Dietrich 1991), sont sans doute à l’origine des structures très étonnantes de certains solides formés dans ces conditions. L’état actuel de la connaissance de ces milieux réactionnels nécessite cependant d’observer une certaine prudence dans l’interprétation des mécanismes mis en jeu dans de telles conditions.
2.2
Acidité et spéciation des cations en solution aqueuse
Les structures électroniques du complexe hexaaquo (Fig. 2.5) et de la molécule d’eau (Fig. 2.1) montrent que le recouvrement des orbitales de valence du cation et des molécules d’eau de solvatation permet le transfert électronique depuis l’OM 2a1 de l’eau vers les OA vides ou partiellement remplies du cation. Le transfert est d’autant plus important (la liaison M-O est d’autant plus forte) que le cation est polarisant, c’est-à-dire qu’il possède une charge élevée et un petit rayon. Le transfert M ← OH2 a pour effet d’abaisser la densité électronique dans l’OM liante 2a1 de la molécule d’eau, donc d’affaiblir la liaison O-H. Le caractère ionique de la liaison O-H dans les molécules d’eau coordinées s’accroît (voir Tab. A2) et ces molécules se comportent en acides plus forts que les molécules d’eau solvant. Elles ont tendance à se déprotoner selon les équilibres : (z−2)+ + 2H+ [M-OH2 ]z+ ⇔ [M-OH](z−1)+ + H+ aq ⇔ [M-O] aq
(2.1)
L’acidité de l’aquo-ion dépend de l’importance des transferts σ et le cation peut se trouver coordiné à trois types de ligands : aquo (H2 O), hydroxo (HO− ) et oxo (O2− ). Les éléments de faible charge formelle (z = 1, 2) polarisent peu l’oxygène. Ils forment des complexes cationiques aquo dans un large domaine d’acidité. Les oxydes de ces éléments sont ioniques et présentent un comportement basique dans l’eau : Li2 O + 9H2 O → 2[Li(OH2 )4 ]+ + 2HO− aq De l’autre côté de la classification, les éléments de charge élevée (z = 5, 6, 7) polarisent fortement l’oxygène et forment des complexes oxo anioniques. Les oxydes sont covalents et acides dans l’eau : z=5 z=6 z=7
+ N2 O5 + H2 O → 2NO− 3 + 2Haq 2− + SO3 + H2 O → SO4 + 2Haq + Cl2 O7 + H2 O → 2ClO− 4 + 2Haq
2. L’eau et les cations en solution
33
Certains éléments métalliques possèdent différents degrés d’oxydation. Leurs oxydes peuvent alors présenter les deux types de comportement : 3+ basique pour CrIII : Cr2 O3 + 9H2 O + 6H+ aq → 2[Cr(OH2 )6 ] VI − 2− et acide pour Cr : CrO3 + 2HOaq → [CrO4 ] + H2 O
Le comportement des cations vis-à-vis de l’hydrolyse est bien connu. Il est décrit par des constantes d’équilibre thermodynamique (Baes 1976, Charlot 1969, Ringbom 1967, Sillen 1964, 1971, Kragten 1978) qui permettent le calcul de la distribution des espèces en fonction du pH, de la concentration de la solution et de la présence de ligands quelconques (Ringbom 1967). Des diagrammes de spéciation sont expérimentalement déterminés pour la plupart des éléments (Fig. 2.8). % Fe 100
% Fe 100 h=0 2 80
3
80
h=0
1
60
60
40
40
20
3
% Zr 100 Zr4 3 80
4
1
60 4
40 2 1 h=0
20
20
2 4 6
8 Fe2+
10
12 pH
1
5 Fe3+
r=0,77 Å
10
0
pH
5
3
60
pH
r=0,64 Å
r=0,80 Å χ = 1,29
% Si 100
h=0
80
10
Zr4+
χ = 1,72 % Al 100
5
4 80
h=4
5
60
2
40
40
20
Al13
1 2
4
6 Al3+
8 10 12 pH r=0,53 Å
χ = 1,47
6 20 6
8
10
Si4+
12 pH
r=0,26 Å
χ = 1,74
Fig. 2.8 – Diagrammes de spéciation calculés pour des solutions très diluées (10−5 mol.l−1 et 10−2 mol.l−1 pour Fe2+ et Zr4+ ) de quelques cations de rayon ionique r et d’électronégativité χ. h est le degré de déprotonation du complexe [M(OH2 )N ]z+ . Al13 et Zr4 désignent les formes condensées polycationiques correspondant à h = 2,5 et 2 respectivement (§ 2.5). Les courbes en pointillés correspondent aux zones de précipitation d’un solide (adapté d’après Baes 1976).
34
De la solution à l’oxyde
L’acidité d’un cation dépend de ses caractéristiques intrinsèques (charge formelle, taille, nature de l’élément) et les équilibres en solution peuvent être déplacés en changeant l’acidité du milieu. Il est ainsi possible de modifier dans une certaine mesure la nature de la sphère de coordination du cation. Les diagrammes de spéciation montrent l’effet du pouvoir polarisant du cation (taille, charge et électronégativité) sur son acidité dans l’eau. Ainsi, les ions ferreux forment des complexes hexaaquo sur un large domaine d’acidité et l’hydroxylation ne débute que vers pH 7 tandis que l’hydroxylation des ions ferriques se produit dès pH 0. À même charge que l’ion ferrique et bien que possédant une taille plus faible, l’ion Al3+ est cependant nettement moins acide à cause d’une électronégativité plus faible. Bien que plus gros et moins électronégatif que l’ion ferrique, la charge plus élevée de l’ion Zr4+ le rend nettement plus acide : le complexe [Zr(OH2 )8 ]4+ n’existe quasiment pas en solution, même à pH 0. Avec l’ion Si4+ , la diminution de taille et l’augmentation de l’électronégativité accroissent tellement le pouvoir polarisant du cation que les molécules d’eau n’existent plus dans la sphère de coordination du cation dont la forme la plus acide est l’acide silicique, Si(OH)4 , un complexe purement hydroxo. Le degré d’hydroxylation, h, d’un cation en solution, qui s’écrit de façon générale : [M(OH2 )N ]z+ ⇔ [M(OH)h (OH2 )(N −h) ](z−h)+ + hH+ aq dépend principalement de quatre paramètres. Trois sont intrinsèques au cation : le degré d’oxydation, la taille et l’électronégativité. Le quatrième est extrinsèque, c’est l’acidité du milieu qui peut être ajustée par addition de base ou d’acide. La température et la concentration sont aussi des facteurs importants de l’état d’hydroxylation d’un cation en solution (§ 2.3). On peut résumer l’ensemble des données thermodynamiques sur un diagramme empirique qui indique le type de ligand présent selon la charge du cation et le pH du milieu (Jorgensen 1963, Kepert 1972) (Fig. 2.9). Dans la zone aquo, toutes les molécules d’eau coordinées conservent leurs protons, alors que, dans la zone oxo, l’oxygène ne peut pas être protoné. Dans la zone hydroxo, au moins un ligand hydroxo est présent dans la sphère de coordination. L’ion MnVII existe sous la forme tétraoxo [MnO4 ]− quel que soit le pH. Cette forme ne présente pas de caractère basique en raison de la faible densité de charge sur les atomes d’oxygène, très fortement polarisés par le cation extrêmement chargé et très petit. Autrement dit, le composé MnO3 OH est un acide très fort dans l’eau. Les formes hydroxo et aquo du cation n’existent pas en solution dans le domaine habituel d’acidité (Baes 1976). À l’opposé, l’ion MnII manifeste dans l’eau un caractère acide peu marqué. À pH < 6, il forme le complexe hexaaquo [Mn(OH2 )6 ]2+ . L’addition de base permet de former des complexes aquohydroxo mais le cation MnII en solution est incapable de
2. L’eau et les cations en solution
35
z +7 +6
O2-
+5 +4 +3
HO-
+2
H 2O
+1 0
14
pH
Fig. 2.9 – Diagramme indiquant la nature des ligands dans la sphère de coordination d’un cation selon sa charge formelle, z, et le pH du milieu. polariser suffisamment l’oxygène pour rompre la liaison OH du ligand hydroxo et former le ligand O2− . L’ion CrVI existe dans l’eau à pH > 7 sous la forme tétraoxo [CrO4 ]2− . À pH < 7, la protonation est possible car la polarisation de l’oxygène par l’ion CrVI est moins forte que par l’ion MnVII . L’espèce [CrO3 (OH)]− existe en solution vers pH 4. En milieu plus acide, la forme CrO2 (OH)2 prédomine en solution très diluée. Il est cependant impossible d’obtenir des formes cationiques du CrVI correspondant à une protonation supplémentaire des atomes d’oxygène liés au chrome. Cela se produit en revanche avec l’ion CrIII qui forme le complexe hexaaquo [Cr(OH2 )6 ]3+ à pH < 2. Vers pH 4-5, la forme hydroxo Cr(OH)3 (OH2 )3 conduit à l’hydroxyde qui se redissout en milieu alcalin sous forme de chromite, [Cr(OH)4 (OH2 )2 ]− , mais le ligand oxo n’apparaît pas dans la sphère de coordination du CrIII en solution basique du fait de la trop faible polarisation de l’oxygène par le cation. L’augmentation de la polarisation de l’oxygène par des cations de charge croissante est bien illustrée dans la série des formes tétraédriques suivantes :
pK1
SiIV (OH)4 9,8
PV O(OH)3 2,1
SVI O2 (OH)2 (–1)
ClVII O3 (OH) (–9)
À mesure que la charge du cation s’élève, le nombre de ligands oxo coordinés à l’élément central augmente aux dépens des ligands hydroxo et l’acidité de ces derniers croît comme le montre l’évolution de la constante d’acidité. Les ligands oxo ne présentent pas de caractère basique car ils sont liés au cation par un système de liaisons σ et π et, de ce fait, ne sont pas protonables. La diminution de la taille du cation abaisse sa coordinence, N, et accroît aussi son pouvoir polarisant. L’effet se remarque bien sur les formes les plus
36
De la solution à l’oxyde
acides des éléments suivants : Ti4+ Si4+ C4+
r (Å) 0,68 0,41 0,15
N 6 4 3
Forme la plus acide aquohydroxo [Ti(OH)2 (OH2 )4 ]2+ aquohydroxo [Si(OH)3 (OH2 )]+ oxohydroxo [CO(OH)2 ]0
Les deux facteurs charge et taille interviennent ensemble puisque la taille de l’ion dépend de sa charge. L’effet simultané de ces deux facteurs apparaît clairement dans la série des oxydes de chlore (Wells 1991) :
z(Cl) pK
HClO +1 7,3
HClO2 +3 2
HClO3 +5 0
HClO4 +7 (–9)
Quelques points concernant des spécifications de certains cations méritent d’être discutés. • Beaucoup d’éléments divalent sont hexacoordinés et présentent une acidité relativement faible. Leur hydroxylation débute vers pH 6,5-7. Toutefois, dans la série NiII , PdII , PtII , l’acidité du palladium et du platine, dont l’hydroxylation intervient entre pH 0 et 1 (Baes 1976), est beaucoup plus importante que celle du nickel. Pour ces trois cations de configuration électronique d8 , le paramètre de champ cristallin du ligand aquo augmente notablement pour les éléments des 2e et 3e séries des éléments de transition, ce qui stabilise la configuration diamagnétique (dxz ,dyz )4 (dxy )2 (dz 2 )2 (dx 2 −y 2 )0 avec la coordinence 4 plan carré du Pd et du Pt (Purcell 1985). De ce fait, en dépit de l’augmentation de taille du cation, la polarisation exercée par celui-ci sur chaque ligand aquo est plus importante dans les complexes plan carré [M(OH2 )4 ]2+ du palladium et du platine que dans les complexes hexacoordinés [M(OH2 )6 ]2+ du nickel, ce qui explique leurs différences d’acidité. • En principe, la première sphère de coordination des cations comporte des ligands qui mettent en jeu l’échange d’un seul proton, typiquement des ligands aquo, aquo-hydroxo, hydroxo-oxo ou oxo, selon le pouvoir polarisant du cation et l’acidité du milieu. Cela peut cependant ne pas être toujours le cas à cause du raccourcissement des liaisons par recouvrements π, phénomène courant pour certains cations de petite taille et de charge formelle élevée (z ≥ 4). Le vanadium VV de rayon ionique 0,54 Å est typique. L’espèce [V(OH2 )6 ]5+ n’existe pas en solution aqueuse, même en milieu très acide. Son taux d’hydrolyse spontanée est 4 et l’espèce majoritaire en milieu très acide est l’ion vanadique cis-dioxo, [VO2 (OH2 )4 ]+ (Baes 1976, Charlot 1969, Pope 1983). La configuration dioxoaquo est privilégiée par rapport aux configurations [VO(OH)2 (OH2 )3 ]+ ou [V(OH)4 (OH2 )2 ]+ parce que le cation, fortement polarisant, forme des liaisons V-O avec un caractère π très
2. L’eau et les cations en solution
37
marqué permettant d’abaisser sa charge partielle et donc l’ionicité des liaisons dans le complexe. Il en résulte une forte distorsion de l’environnement du cation. Cet effet est atténué avec le vanadium VIV , de degré d’oxydation plus faible et de taille plus grande (rayon ionique 0,59 Å) que le VV . Le VIV forme l’ion vanadyle [VO(OH2 )5 ]2+ contenant une seule liaison V-O courte (1,6 Å) (Ballhausen 1962, Selbin 1965, Kevan 1984). Le caractère π des liaisons courtes abaisse fortement la basicité du ligand oxo et rend compte de la stabilité à l’état monomère des cations vanadique et vanadyle en solution. Il est à souligner que les molécules d’eau en trans des liaisons V-O courtes sont très éloignées du vanadium (longueurs de liaison V... O 2,4 Å dans l’ion vanadyle), ce qui explique leur forte labilité et les coordinences variées des ions VIV et VV (Boas 1987, Cotton 1980). Le titane IV, de rayon ionique 0,61 Å, légèrement plus gros que VIV , ne semble pas former de telles liaisons oxo. Le complexe [Ti(OH)2 (OH2 )4 ]2+ , fortement acide, forme les espèces [Ti(OH)3 (OH2 )3 ]+ et [Ti(OH)4 (OH2 )2 ]0 instables à l’état monomère (Baes 1976). • Un autre point intéressant à souligner est l’abaissement de la coordinence de certains cations de faible charge formelle (z < 4) solubles en milieu basique sous des formes anioniques tétrahydroxo (typiquement Al3+ , Zn2+ ) et tétraoxo (Fe3+ , cf. Chap. 7). La réduction de coordinence s’explique par la diminution de la polarisation de l’eau de coordination avec la réduction de la charge globale du complexe qui accompagne l’augmentation du pH du milieu. L’augmentation de la vitesse d’échange des molécules d’eau coordinées peut être corrélée à la diminution de leur charge partielle (Tab. 2.2). Tab. 2.2 – Constante de vitesse d’échange des molécules d’eau k (s−1 , 25 ◦ C) dans différentes espèces hydroxylées du ferIII (d’après Dodgen 1981 et Grant 1981).
k
[Fe(OH2 )6 ]3+ 1,7 102
[Fe(OH)(OH2 )5 ]2+ 4,5 105
[Fe(OH)2 (OH2 )4 ]+ 106
Dans la forme non chargée M(OH)z (OH2 )N −z , les molécules d’eau portent une charge partielle quasiment nulle, de sorte qu’il est difficile de leur attribuer un comportement de ligand. Ces molécules peuvent être considérées comme faisant partie de la deuxième sphère d’hydratation. Avec l’aluminium par exemple, la charge partielle des molécules d’eau dans le complexe hexacoordiné du cation à différents taux d’hydrolyse s’abaisse régulièrement jusqu’à devenir négative (Tab. 2.3). Cette dernière situation est bien sûr irréaliste car elle impliquerait un transfert de densité électronique dirigé depuis le cation vers la molécule d’eau. En fait, les spectres RMN de 27 Al indiquent effectivement une coordinence 4 de l’aluminium en milieu alcalin (Akitt 1989), ce qui montre
38
De la solution à l’oxyde
Tab. 2.3 – Évaluation de la charge partielle de la molécule d’eau dans la sphère de coordination de l’aluminium en fonction du taux d’hydrolyse du cation.
χ δ(H2 O)
[Al(OH2 )6 ]3+ [Al(OH)(OH2 )5 ]2+ [Al(OH)2 (OH2 )4 ]+ [Al(OH)3 (OH2 )3 ]0 [Al(OH)4 (OH2 )2 ]− 2,754 2,675 2,588 2,487 2,373 +0,37 +0,26 +0,14 0 -0,16
bien que, dans ces conditions, les molécules d’eau ont perdu leur aptitude nucléophile en raison de l’abaissement de la charge partielle du cation. Les cations d’éléments de transition de charge formelle élevée (z > 4), fortement polarisants et hexacoordinés en milieu acide, adoptent en milieu alcalin la coordinence tétraédrique pour des raisons différentes. À cause de leur petite taille et de la présence d’orbitales d vides et de faible énergie, les formes tétraoxo sont stabilisées par la formation d’un système de liaisons π, comme cela a été vu précédemment.
2.3
Mécanisme de l’hydroxylation des cations en solution et des réactions d’oxydo-réduction
En raison de la forte labilité des molécules d’eau dans la plupart des complexes aquo (Tab. 2.1 et 2.2), l’hydroxylation par neutralisation de ces complexes peut être considérée comme une réaction d’échange de ligand par substitution : (z−1)+ + H2 O [M(OH2 )N ]z+ + HO− aq → [M(OH)(OH2 )N −z ]
Cependant, le réseau de liaisons hydrogène du liquide assure un chemin de diffusion rapide pour le proton et l’ion HO− , de sorte que la réaction peut beaucoup plus probablement procéder par l’attaque directe du ligand aquo par l’ion hydroxyle :
M
O
H H
...-O
M H
H
... H
O-
O H
Il en est de même dans le cas de l’hydroxylation des formes oxo. Il est en effet peu vraisemblable que le ligand oxo, fortement nucléophile et de basicité très élevée, puisse être substitué par l’ion hydroxyle. La réaction doit par conséquent procéder par l’attaque directe du ligand oxo par le proton ou par l’eau elle-même : (q−1)− + H2 O [MON ]q− + H+ aq → [MON −1 (OH)]
2. L’eau et les cations en solution
M
... H
O-
+ O
39
H M
O
H
H
... O
H H
La cinétique de l’hydroxylation par alcalinisation, extrêmement rapide (Baes 1976), est sous contrôle diffusionnel, ce qui signifie que la vitesse de la réaction est seulement limitée par la vitesse d’approche des réactifs. L’hydrolyse est à proprement parler une neutralisation effectuée par la molécule d’eau : [M(OH2 )N ]z+ + hH2 O → [M(OH)h (OH2 )N −h ](z−h)+ + hH+ aq Pour cette réaction, les données thermodynamiques sont (Baes 1976) : ΔH◦298 = (75,2 − 9,6z) kJ mol−1 , ΔS◦298 = (−148,4 + 73,1z) J mol−1 , et : ΔG◦298 = (119,5 – 31,35z) kJ mol−1 . La réaction est spontanée (ΔG◦ < 0) pour les éléments de charge supérieure ou égale à 4. En conséquence, à température ambiante, les éléments tétravalents n’existent pas sous forme de complexes purement aquo, même en milieu fortement acide. Pour les éléments de charge z inférieure à 4, ΔG◦ ne devient négatif que si la température est supérieure à 298 K. Il est donc nécessaire de chauffer la solution pour réaliser une hydrolyse du cation (hydrolyse forcée ou thermohydrolyse). Cette technique est mise à profit pour préparer des dispersions de particules homogènes en taille (Matijevic 1980, 1986). En effet, la neutralisation d’une solution par addition d’une base forme inévitablement des gradients locaux de pH, entraînant l’hétérogénéité des produits d’hydrolyse qui se condensent de façon anarchique. Ils conduisent souvent à des solides amorphes et, dans ces conditions, la taille des particules est fréquemment hétérogène à cause de la superposition dans le temps des phénomènes cinétiques de nucléation et de croissance de la phase solide (§ 4.2). Le chauffage vers 50 à 100 ◦ C d’une solution d’un cation permet, notamment avec des éléments trivalents (Al, Fe, Cr), de réaliser l’hydrolyse de façon homogène dans des conditions proches de celles de l’équilibre thermodynamique. La faible vitesse de formation des précurseurs hydrolysés permet alors de découpler du point de vue cinétique les étapes de nucléation et de croissance. Cela permet d’obtenir de faibles dispersions de taille des particules de solide. Différents exemples d’application de la thermohydrolyse sont indiqués dans la suite. Les réactions redox mettant en jeu des complexes métalliques solubles sont le plus souvent intimement liées à l’acidité du milieu. L’acidité détermine d’une part la nature des complexes aquo, hydroxo ou oxo susceptibles d’être impliqués et d’autre part elle peut intervenir dans le mécanisme même du transfert d’électrons. La réaction entre un réducteur (Red 1) et un oxydant
40
De la solution à l’oxyde
(a) Ox1
Red1 e-
MnVII
Ox2
Red2
rion 0,27Å (b)
Réactifs
MnVII rion 0,67Å
Produits
E ΔG* ΔG°
Coordonnée réactionnelle Fig. 2.10 – Schémas représentant (a) le changement de taille des réactifs et des produits et (b) le profil énergétique correspondant dans l’échange redox en solution. La différence d’énergie entre l’intersection des courbes et l’état initial représente l’énergie d’activation ΔG* du processus, tandis que la différence d’énergie entre l’état initial et l’état final représente l’enthalpie libre ΔG◦ de la réaction.
(Ox 2) peut procéder selon un mécanisme par sphère externe (SE, contact des sphères de coordination des réactifs) ou par sphère interne (SI, substitution et formation d’un ligand pontant lorsque l’un au moins des réactifs comporte des ligands labiles) (Souchay 1969a). Dans les deux cas, l’échange d’électron entraîne une variation de taille de l’ion métallique. Pour que le transfert ait lieu, la compression et la dilatation de la sphère de coordination du réducteur et de l’oxydant respectivement doivent intervenir pour égaliser leurs niveaux d’énergie. Cette respiration des complexes engendrée thermiquement est caractérisée par les courbes d’énergie vibrationnelle du système (Fig. 2.10). L’électron est transféré au sein de l’état de transition (SE ou SI) lorsque la taille des sphères de coordination des réactifs est accordée, c’est-à-dire lorsqu’ils possèdent la même énergie, ce qui correspond à l’intersection des courbes du profil énergétique. Quel rôle l’acidité peut-elle avoir dans le transfert
2. L’eau et les cations en solution
41
redox entre complexes oxo, hydroxo ou aquo solubles ? Considérons la réduction de l’ion permanganate [MnO4 ]− en solution aqueuse qui produit le complexe [Mn(OH2 )6 ]2+ . On doit écrire la demi-réaction redox sous la forme : [MnVII O4 ]− + 5e− + 8H+ + 2H2 O → [MnII (OH2 )6 ]2+ qui rend compte du bilan des charges et des ligands. Les protons impliqués dans la réaction sont nécessaires pour conserver la neutralité électrique, mais leur rôle est essentiellement de contribuer à la dilatation de la sphère de coordination du MnVII (rayon ionique 0,27 Å) par protonation des ligands oxo pour produire in fine des ligands aquo coordinant l’ion MnII (rayon ionique 0,67 Å). Cette réaction qui met en jeu l’échange de 5 électrons par atome de manganèse entraîne une augmentation considérable de taille du cation. La réaction nécessite par conséquent un milieu fortement acide pour forcer la protonation du permangante dans l’état de transition et pour stabiliser le complexe [MnII (OH2 )6 ]2+ . Si l’acidité n’est pas suffisante, c’est en général après l’échange de trois électrons par atome de manganèse que la réaction cesse en produisant du MnIV coordiné à des ligands hydroxo et aquo selon la demi-réaction : [MnVII O4 ]− + 3e− + 4H+ + 2H2 O → [MnIV (OH)4 (OH2 )2 ]0 La réaction s’accompagne de la précipitation de l’oxyde MnO2 et la réduction ultérieure du manganèse ne peut se poursuivre, même en présence d’un excès de réactif. Le contrôle de l’acidité du milieu redox peut ainsi permettre de contrôler la précipitation de certaines phases. Des exemples concernant le titane et le manganèse sont données dans le chapitre 7. Le couplage entre l’acidité et le transfert redox en solution aqueuse est ici basé sur des arguments cinétiques. Néanmoins on peut aussi observer sur les diagrammes thermodynamiques potentiel-pH que le pouvoir oxydant de la plupart des couples redox solubles est maximum en milieu acide, ce qui correspond au fait que la sphère de coordination des cations y est toujours la plus dilatée. Bien sûr, l’acidité du milieu contrôle aussi la nature des réactifs en présence, complexes solubles et/ou solides.
2.4
Annexe. Évaluation des charges partielles sur les atomes d’une combinaison
Pour prévoir l’éventualité d’une réaction, il est utile de connaître la distribution de densité électronique caractérisée par les charges « partielles » portées par les atomes au sein de l’entité considérée. Beaucoup de tentatives ont été faites dans ce but, mais aucune méthode ne donne entière satisfaction parce qu’une charge portée par un atome n’est pas une grandeur mesurable. Le modèle des charges partielles (Henry 1988, 1992) basé sur le principe de Sanderson d’égalisation des électronégativités dans un composé (Sanderson 1951)
42
De la solution à l’oxyde
ne permet, pas plus que d’autres méthodes, d’obtenir des estimations absolues des charges. Son application à l’étude de certains problèmes de réactivité en solution, tel le comportement d’un élément vis-à-vis des phénomènes de condensation, s’avère cependant intéressante à cause de sa simplicité et parce qu’il permet dans certains cas de palier l’absence de données expérimentales. a) Ionocovalence et charges partielles La liaison chimique entre des atomes est décrite par des orbitales moléculaires qui caractérisent la situation des électrons de liaison dans le champ des noyaux. Dans le cas le plus simple d’une molécule A-B, une orbitale moléculaire liante de la forme : Ψ = aψA + bψB indique la contribution des orbitales atomiques ψA et ψB au moyen des coefficients a et b. Ils caractérisent l’ionicité de la liaison qui est directement reliée à l’énergie des orbitales de valence et à l’électronégativité des atomes neutres χA et χB . L’atome le plus électronégatif attire les électrons de la liaison et acquiert une charge partielle négative, l’atome le moins électronégatif acquiert une charge partielle positive. Pour des atomes d’électronégativité très différente, le cas limite a = 0 et b = 1 correspond à une densité de recouvrement nulle. L’orbitale moléculaire dégénère en deux orbitales atomiques dont l’une capte les deux électrons de la liaison qui est alors purement ionique. Les charges sont alors +1(A) et –1(B). La charge formelle correspond au degré d’oxydation d’un atome. Elle représente la charge de l’atome isolé ou dans une combinaison purement ionique. Elle permet d’établir la stœchiométrie d’une combinaison en se basant sur les charges –2 de l’oxygène et +1 de l’hydrogène. La charge partielle d’un atome dans une combinaison est définie par la population atomique globale, qui comprend sa charge formelle (degré d’oxydation) et la moitié de la charge de recouvrement due à la liaison avec les autres atomes (population de Mulliken), celle-ci étant considérée comme localisée sur les atomes (Chabanel 1991). En fait, les électrons « donnés » par les ligands n’ont qu’une faible probabilité de présence sur l’atome considéré. Cela signifie qu’il n’y a pas de phénomène d’oxydo-réduction pour abaisser à +0,65 la charge formelle +7 du manganèse dans le complexe [MnO4 ]− (Viste 1964). De même, dans le complexe octaédrique [Ni(OH2 )6 ]2+ , les mesures magnétiques montrent bien qu’il s’agit d’un ion d8 (configuration t2g 6 eg 2 ) avec un moment magnétique correspondant à deux électrons célibataires. Le spectre électronique du complexe correspond aux transitions entre les termes de la configuration d8 en symétrie Oh . La covalence partielle de la liaison se traduit en fait par des paramètres différents pour l’ion Ni2+ de ceux de l’ion libre, tels que la constante de couplage spin-orbite et l’abaissement du paramètre de répulsion inter-électronique (paramètre de Raccah).
2. L’eau et les cations en solution
43
E
I1 A
z-2
z-1 z z+1 Nombre d’électrons
Fig. A1 – Schéma de la variation de l’énergie totale d’un atome de numéro atomique Z en fonction du nombre d’électrons (d’après Chermette 1985).
b) L’électronégativité L’électronégativité exprime la tendance pour un atome dans une molécule à attirer les électrons (Pauling 1939). Le concept est très flexible et de nombreuses échelles ont été proposées pour le définir (Chermette 1985). Dans la suite, l’électronégativité absolue, comme définie par (Pearson 1991) sera la seule considérée. Électronégativité absolue. La variation de l’énergie totale E d’un atome isolé en fonction du nombre N d’électrons autour du noyau de numéro atomique Z est représentée sur la figure A1. En considérant la variation continue et différentiable, Parr et al. (Parr 1978) ont montré que la pente ∂E/∂N est rigoureusement égale au potentiel chimique des électrons : −μe = −(∂E/∂N )z
(A.1)
Le développement au second ordre de l’expression de l’énergie s’écrit (Chermette 1985) : E(N ) ≈ E(Z) + (N − Z)(∂E/∂N )ν + [(N − Z)2 /2!](∂ 2 E/∂N 2 )ν Le potentiel de première ionisation I et l’affinité électronique A s’expriment selon : I ≈ E(Z − 1) − E(Z) = −(∂E/∂N )ν + 1/2(∂ 2 E/∂N 2 )ν A ≈ E(Z) − E(Z + 1) = −(∂E/∂N )ν − 1/2(∂ 2 E/∂N 2 )ν
44
De la solution à l’oxyde
et il vient : (1/2)(I + A) ≈ −(∂E/∂N )ν = −μe = χ
(A.2)
La quantité −(∂E/∂N ) a été nommée « électronégativité absolue » (Iczkowski 1961). Cette définition introduit l’électronégativité comme un potentiel chimique électronique, au même titre qu’un potentiel chimique thermodynamique : dans un système quelconque d’atomes hors d’équilibre, il doit y avoir un flux de densité électronique depuis les régions de potentiel élevé vers les régions de potentiel plus faible. On obtient une estimation absolue de l’électronégativité parce que le potentiel d’ionisation et l’affinité électronique se réfèrent à l’état fondamental de l’atome (Pearson 1991). La dureté de l’atome (au sens de Pearson) représente la résistance du potentiel chimique électronique au changement du nombre d’électrons autour de l’atome (Pearson 1963, 1991, Parr 1983). Elle s’exprime sous la forme : ηa = (1/2)(∂μ/∂N )ν = (1/2)(∂ 2 E/∂N 2 )ν = (1/2)(I − A)
(A.3)
La dureté d’un atome dépend directement de sa taille. Puisque l’énergie E est proportionnelle au rapport q2 /r (q charge électrique, r distance), la dureté est donc proportionnelle à r−1 . Ainsi, plus un système est confiné dans l’espace, plus il est dur, moins il est polarisable. D’après la définition (éq. (A.2)), l’électronégativité absolue d’un atome est une fonction de sa charge et la relation s’écrit : χa = −μe = −μ◦e + ηΔN −μ◦e
χ◦a )
(A.4)
(= est relatif à l’atome neutre (état standard). Le terme ηΔN traduit l’écart à l’état standard dû à la variation de charge ΔN . La relation (A.4) ne s’applique en toute rigueur qu’à des atomes isolés. Lorsque des atomes s’approchent, ils subissent un potentiel externe du fait de leur proximité (approche d’autres noyaux et d’électrons). L’électronégativité absolue indique seulement le sens dans lequel aura lieu le flux de densité électronique entre deux atomes et caractérise donc la réactivité chimique d’atomes libres (Pearson 1991). Les considérations ci-dessus s’appliquent aussi bien à un atome qu’à une molécule. L’électronégativité absolue est un concept compatible avec le modèle des OM. En effet, le potentiel de première ionisation d’une molécule diamagnétique est, au signe près, l’énergie de la plus haute orbitale occupée (HOMO). L’affinité électronique est l’énergie de l’orbitale vide la plus basse (LUMO) (Pearson 1991). Le potentiel chimique électronique μe = −χa est donc la moyenne des énergies de ces orbitales et la dureté η représente la moitié de leur écart d’énergie (demi-gap). Le caractère donneur ou accepteur d’un ligand vis-à-vis d’un métal ou d’un ion métallique peut ainsi être indiqué par la comparaison de leurs électronégativités respectives. Beaucoup d’autres évaluations plus ou moins empiriques de l’électronégativité ont été proposées (Chermette 1985). Celle d’Allred et Rochow (Allred 1958) est basée sur la force d’attraction électrostatique des électrons par le
2. L’eau et les cations en solution
45
noyau Zeff /r2 . Zeff est la charge nucléaire effective calculée au moyen des règles de Slater, r est le rayon covalent de l’atome proposé par Pauling. De ce fait, la taille et la forme de l’atome en combinaison sont prises en compte. L’électronégativité absolue caractérise des atomes isolés et leur tendance à réagir (potentiel chimique électronique). Elle ne prend pas en compte le changement de taille et de forme de la densité électronique et du potentiel externe auquel sont soumis les électrons des atomes lorsqu’ils se combinent. c) Modèle des charges partielles L’électronégativité, définie comme un potentiel, est une fonction de la charge de l’atome (éq. (A.4)). Le principe du modèle consiste à établir cette fonction et à considérer que, dans une combinaison, les électronégativités des différents atomes s’ajustent par variation de la charge. Variation de l’électronégativité avec la charge. On considère des atomes neutres formant une combinaison. Les termes absolus χa et η a des atomes libres subissent une perturbation Δχ et Δη du fait des changements de forme et de taille des atomes dans la combinaison (effet de covalence). Le potentiel électronique local sur chaque atome neutre i s’exprime alors par (χai + Δχ). En raison des transferts électroniques dus à la formation de la liaison, les charges partielles des atomes créent un potentiel électrostatique qui s’ajoute au potentiel électronique local. Le potentiel électrostatique comprend un terme (ηai + Δη)δi qui résulte de la présence de la charge δ i sur l’atome i et un terme Σ(δi /Rij ) lié à la présence de charges δ j portées par les atomes voisins j aux distances Rij . L’électronégativité des atomes combinés est alors donnée par (Mortier 1986) : n χi = χai + Δχ + (ηai + Δη)δi + (δj /Rij ) (A.5) j=i,j=1
Cette expression nécessite de connaître les perturbations que subissent les électronégativités et les duretés du fait de la combinaison, mais comme les termes Δχ et Δη sont inconnus, on pose : χ∗ = χa + Δχ
η ∗ = ηa + Δη
Dans ces expressions, on choisit les électronégativités χ∗ d’Allred et Rochow, qui sont calculables pour tous les éléments. La dureté et l’électronégativité sont liées. Puisque η est proportionnelle à l’inverse d’une distance, le choix des électronégativités d’Allred et Rochow (χ ∝ Zeff /r2 ) permet d’écrire (Henry 1988) : √ (A.6) η ∗ = k χ∗ où k est une constante d’ajustement.
46
De la solution à l’oxyde
Principe d’égalisation des électronégativités. La formation d’une liaison entre des atomes A et B d’électronégativités différentes entraîne un transfert électronique dirigé de A vers B si l’atome B est le plus électronégatif. Celui-ci acquiert une charge partielle négative et son électronégativité diminue. L’atome A acquiert une charge partielle positive et son électronégativité augmente. Les électronégativités des deux atomes, différentes lorsqu’ils sont sans interaction, convergent l’une vers l’autre lorsqu’ils sont liés. Les transferts cessent lorsque les électronégativités deviennent égales à une valeur moyenne χ. Cela résume le principe d’égalisation des électronégativités postulé par R.T. Sanderson (Sanderson 1951). L’électronégativité étant définie comme un potentiel, l’égalisation des électronégativités qui concerne les transferts d’électrons entre atomes est équivalente à l’égalisation des potentiels chimiques (μ = ∂G/∂n) qui concerne les transferts de matière. Le sens des transferts électroniques entre les atomes est fixé par les valeurs relatives des électronégativités. L’intensité des transferts dépend de la dureté des atomes liés. Le principe peut être généralisé à des édifices atomiques plus complexes et les divers transferts électroniques cessent lorsque chaque atome dans le groupement a acquis la même électronégativité moyenne χ qui est aussi celle du groupement. La connaissance de cette valeur moyenne permet, en principe, d’évaluer les charges sur les atomes du groupement. Évaluation de l’électronégativité moyenne. En première approximation, on néglige, pour un atome dans un édifice, la perturbation induite par la présence des atomes voisins de l’atome i devant la perturbation due à la présence de la charge δ i sur cet atome. L’électronégativité de l’atome i dans un groupement quelconque s’exprime alors selon l’expression (Henry 1988) : (A.7) χi = χ∗i + ηi∗ δi avec ηi∗ = k χ∗i Le calibrage de la constante k est effectué à partir des charges dans NaF (δ(Na) = –δ(F) = 0,75) proposées par Sanderson (Sanderson 1976). En utilisant les électronégativités de l’échelle d’Allred-Rochow, on obtient k = 1,36. À l’équilibre, dans le groupement d’atomes, le principe d’égalisation des électronégativités conduit à : χi = χ∗i + ηi∗ δi = χ, d’où : (A.8) δi = (χ − χ∗i )/ηi∗ La conservation de la charge globale z de l’édifice s’exprime par : Σi δi = z
(A.9)
et on obtient finalement : χ=
χ∗i + 1,36z ∗ i (1/ χi )
i
(A.10)
2. L’eau et les cations en solution
47
Tab. A.1 – Électronégativités d’Allred-Rochow χ∗ des éléments compilées à partir des données de (Little 1960, Batsanov 1968 et Zhang 1982).
Tab. A.2 – Distribution de charges calculées pour quelques complexes hexaaquo. L’électronégativité moyenne est calculée avec l’équation (A.10) et les charges sont évaluées à partir des équations (A.8) et (A.7). Les électronégativités des éléments sont données dans le tableau A.1. Complexe 2+
[Mn(OH2 )6 ] 3+ [Cr(OH2 )6 ] 4+ [Ti(OH2 )6 ]
χ
δ(M)
δ(O)
δ(H)
δ(H2 O)
2,657 2,762 2,848
+0,59 +0,68 +0,98
−0,33 −0,29 −0,25
+0,28 +0,34 +0,38
+0,23 +0,39 +0,51
χ peut ainsi être calculé pour n’importe quel groupement d’atomes, à partir de la composition, de la charge z du groupement et des électronégativités de chacun des atomes (Tab. A.1). On peut alors très facilement accéder à la distribution des charges partielles. Un exemple de calcul de distribution des charges dans quelques complexes aquo [M(OH2 )6 ]z+ est donné dans le tableau A.2. Approximations et limitations du modèle. Considérer que χi varie linéairement avec la charge δ i selon la relation (A.7) revient à dire que seule la composition de l’édifice chimique gouverne la distribution des charges. Cela rend les isomères structuraux indiscernables, ce qui est évidemment une limitation considérable du modèle. En fait, la structure des espèces en solution n’est souvent pas connue avec précision et l’approche simplifiée consiste à négliger le terme (Σδj /Rij ) devant χ∗i dans l’équation (A.5).
48
De la solution à l’oxyde
Même si χ∗ est une électronégativité qui prend en compte les effets moyens de structure et d’environnement, les résultats du modèle doivent être considérés avec précaution dès que des particularités structurales interviennent. C’est en particulier le cas lorsque des recouvrements π ont lieu, comme dans les borates (§ 2.6.1) et les oxométallates (§ 2.6.2). Le même genre de difficulté se rencontre pour des atomes de même nature chimique qui sont traités indifféremment par le modèle, quelles que soient leur charge formelle (degré d’oxydation) et leur coordination. Il faut clairement préciser que les charges calculées dépendent de l’évaluation de la dureté ηi∗ des atomes avec la constante de calibrage k. Cela signifie que l’on calcule des charges relatives, dépendantes de la référence utilisée pour le calibrage. Celui-ci a été effectué sans considérations géométriques et aucun facteur géométrique n’entre dans le calcul de l’électronégativité moyenne. Cela constitue une approximation grossière qu’il convient de ne pas oublier lors de l’analyse de la distribution des charges dans une entité quelconque. Il faut donc garder présent à l’esprit le fait que le modèle ne doit pas être utilisé pour tenter de retrouver une propriété quelconque liée à la structure de l’édifice. Bien que l’approche soit très simple, le modèle s’avère néanmoins un guide intéressant pour l’étude de la réactivité en solution et particulièrement pour la compréhension et la systématisation des phénomènes d’hydrolyse et de condensation.
Chapitre 3 Condensation des cations en solution : polycations, polyanions La condensation de complexes en solution forme des entités dans lesquelles des cations, identiques ou différents, sont reliés entre eux par des ponts oxygénés, HO− ou O2− . Le phénomène intervient par addition de base à des complexes aquo : 2[Cr(OH2 )6 ]3+ + 2HO− → [Cr2 (OH)2 (OH2 )8 ]4+ + 2H2 O ou par addition d’acide à un complexe anionique : 4[SiO2 (OH)2 ]2− + 4H+ → [Si4 O8 (OH)4 ]4− + 4H2 O Cela signifie que les formes purement aquo ou purement oxo sont stables et que leur condensation est initiée par hydroxylation. Avec des complexes hydroxylés électriquement chargés, la réaction conduit à des entités discrètes et solubles, des polycations ou des polyanions dont la taille, caractérisée par le degré de condensation, dépend en premier lieu des conditions d’acidité. Ce chapitre concerne l’étude de la formation de ces espèces. Avec des formes hydroxylées non chargées, la réaction peut se prolonger et former un solide, par exemple l’hydroxyde hydraté Cr(OH)3 (OH2 )3 ou la silice hydratée SiO2 , nH2 O. La formation du solide fait l’objet des chapitres suivants.
3.1 3.1.1
Hydroxylation et condensation des cations Généralités sur la réaction de condensation en solution
a) Mécanisme Étant donné que, dans la très grande majorité des cas, le cation conserve la même coordinence dans les complexes monomères et dans les espèces condensées, la réaction est une substitution qui peut procéder selon l’un de trois
Energie potentielle
50
De la solution à l’oxyde
M
X
M
M
Y
X
Y Y
M
X
X
M
X
M
Y
X M
Y
M M
Y
M
X
M
Y
M
X
M
Y
Coordonnée réactionnelle
(a)
(b)
(c)
Fig. 3.1 – Chemins réactionnels dissociatif (a), associatif (b) et par déplacement direct (c) des réactions de substitution nucléophiles.
mécanismes simples : dissociation, association et mécanisme concerté ou déplacement direct (Basolo 1958, Purcell 1985). La substitution dissociative implique un mécanisme en deux étapes faisant intervenir la formation d’un intermédiaire réactionnel à coordinence réduite. Le complexe initial possède suffisamment d’énergie due aux fluctuations thermiques pour rompre spontanément une liaison et se dissocier du groupe partant qui de ce fait est très labile. Dans la deuxième étape du mécanisme, le groupe entrant complète la coordinence du cation (Fig. 3.1a). La substitution associative est aussi un processus en deux étapes mettant en jeu la formation initiale d’un intermédiaire dans lequel la coordinence du cation est augmentée. La liaison avec le groupe entrant (première étape) précède l’élimination du groupe partant (deuxième étape) (Fig. 3.1b). Dans un mécanisme concerté, ou déplacement direct, la substitution procède en une seule étape dans laquelle le groupe entrant et le groupe partant participent à la fois à la formation de l’état de transition. La formation de la liaison avec le groupe entrant et la rupture de la liaison du groupe partant sont synchronisées (Fig. 3.1c). Les mécanismes associatifs et par déplacement direct sont généralement difficiles à distinguer, à moins qu’un intermédiaire puisse être directement identifié. Dans chacun de ces mécanismes, les états de transition sont très réactifs. C’est donc la première étape qui détermine la vitesse de la réaction globale et, de ce fait, le processus dissociatif est nommé substitution nucléophile unimoléculaire SN1 . Le processus associatif et celui par déplacement direct, qui nécessitent deux partenaires dans la constitution de l’état de transition, sont des substitutions nucléophiles bimoléculaires SN2 . La réaction de condensation par substitution implique un donneur de charge, le nucléophile, capable d’attaquer le cation métallique, porteur d’une charge positive et accepteur d’électrons. Le cation doit aussi posséder un groupe coordiné susceptible d’être éliminé (groupe partant). Les ligands le plus facilement éliminables sont porteurs d’une charge positive δ + . En milieu non complexant, trois types de ligands sont susceptibles d’exister dans
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
51
la sphère de coordination du cation. Il s’agit des ligands aquo (H2 O), hydroxo (OH) et oxo (O). Quels rôles peuvent-ils jouer dans les réactions de substitution nucléophiles ? Considérons des espèces aquo [M(OH2 )N ]z+ . La charge partielle du métal est positive, celle du ligand aquo l’est aussi : 2+
[Mn(OH2 )6 ] 3+ [Cr(OH2 )6 ]
χ = 2,657 χ = 2,756
δ(Mn) = +0,59 δ(Cr) = +0,68
δ(H2 O) = +0,23 δ(H2 O) = +0,39
Le ligand aquo ne manifeste aucun pouvoir nucléophile et n’agit que comme groupe partant. Il ne peut y avoir condensation d’espèces aquo seules puisque la molécule d’eau coordinée n’exerce jamais le rôle de nucléophile. Dans des formes oxo [MON ](2N −z)− , la charge partielle du métal est positive et celle du ligand oxo est fortement négative : −
[MnO4 ] − [CrO4 ]
χ = 2,533 χ = 2,055
δ(Mn) = +0,52 δ(Cr) = +0,27
δ(O) = −0,38 δ(O) = −0,57
Le ligand oxo pourrait être un très bon nucléophile. En fait, les charges calculées des ligands oxo sont certainement erronées dans la mesure où un fort caractère π des liaisons M-O intervient dans les espèces oxo. Le caractère basique, donc le pouvoir nucléophile des atomes d’oxygène est vraisemblablement beaucoup plus faible que celui attendu pour de telles valeurs de charges partielles. Le caractère π des liaisons ne permet pas non plus aux ligands oxo de jouer le rôle de groupe partant. En conséquence, il ne peut y avoir condensation d’espèces purement oxo. Dans les formes aquohydroxo [M(OH)h (OH2 )z−h ](z−h)+ , des ligands nucléophiles (OH− ) et des groupes partant (H2 O) sont simultanément présents. Le ligand hydroxo possède en général une charge partielle négative. Si sa charge partielle était positive, le ligand serait acide et perdrait son proton. En effet, la charge de l’oxygène, toujours négative, ne suffirait pas à écranter les répulsions cation-proton. Le ligand hydroxo possède par conséquent un pouvoir nucléophile et la présence du ligand aquo autorise donc la réaction de condensation. Dans ces conditions, la réaction conduit à la formation de ponts hydroxo :
Comme le ligand aquo est en général très labile, la réaction procède vraisemblablement selon un mécanisme dissociatif SN1 avec formation d’un intermédiaire à coordinence réduite. La rupture de la liaison M-OH2 précède la formation du pont M-OH-M. Toutefois avec des éléments de transition fortement stabilisés en symétrie octaédrique par le champ cristallin (Cr3+ , Ni2+ ), la labilité de l’eau de coordination est très faible et la condensation procède
52
De la solution à l’oxyde
selon un mécanisme associatif avec formation temporaire du ligand pontant [H3 O2 ]− (§ 3.2.1). Les ligands OH pontants sont nommés groupes « ol » pour les différencier des ligands hydroxo terminaux (Rollinson 1956, Baran 1971). La réaction qui entraîne la formation d’un pont hydroxo est nommée « olation ». Dans les complexes oxohydroxo [MON −h (OH)h ](2N −h−z)− , en l’absence de ligand aquo dans la sphère de coordination, un ligand hydroxo peut être susceptible de jouer le rôle de groupe partant si, par transfert de proton dans l’état de transition d’un mécanisme SN2 , la formation du ligand aquo est possible. Le proton du pont ol de l’état de transition, plus acide que ceux des ligands hydroxo terminaux, peut migrer sur l’un d’entre eux pour générer le ligand aquo. Celui-ci est éliminable si sa charge partielle est positive. Dans ce cas, la condensation s’effectue avec formation de ponts oxo et procède par oxolation (Rollinson 1956) :
Dans la mesure où il n’existe pas de groupe labile dans la sphère de coordination des réactifs, le mécanisme de la réaction d’oxolation est de type associatif. La coordinence de l’état de transition doit augmenter d’une unité avant qu’un groupe partant ne soit généré. On observe expérimentalement que l’oxolation est souvent plus lente que l’olation. Par exemple, la condensation par oxolation de l’acide silicique Si(OH)4 , de vanadates ou de tungstates est beaucoup plus lente que la condensation par olation des complexes aquo-hydroxo du fer ou du titane. Il est possible que la différence de mécanisme rende l’olation intrinsèquement plus rapide que l’oxolation. La comparaison est cependant délicate car il faudrait étudier, toutes choses égales d’ailleurs, la cinétique de chaque réaction avec le même élément chimique. En outre, la génération du groupe partant dans l’oxolation est fortement dépendante de l’acidité du milieu, de sorte que la réaction est très sensible à la catalyse acido-basique. L’effet est remarquablement illustré avec les silicates (§ 3.3). On voit donc que la présence d’un ligand hydroxo porteur d’une charge négative (nucléophile) dans la sphère de coordination du cation est indispensable pour que la condensation ait lieu. Ce n’est toutefois pas une condition suffisante. L’attaque nucléophile par le ligand hydroxo n’est effective que si le cation est capable de subir cette attaque, c’est-à-dire si son caractère électrophile est suffisant. En règle générale, on constate sur de nombreux exemples que la condensation n’a lieu que si la charge partielle du cation dans le précurseur est supérieure ou égale à 0,3, lorsque la charge est évaluée avec le modèle utilisé (§ 2.4). Cette valeur empirique est le seuil pour que la
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
53
condensation ait lieu, quelle que soit la valeur de la charge négative du ligand hydroxo. En conséquence, le critère de condensation en solution devient la double condition : δ(OH) < 0
δ(M) > +0,3
La validité du critère est vérifiée sur quelques exemples : pour l’ion [Cr(OH)(OH2 )5 ]2+ , δ(OH) = –0,02 et δ(Cr) = +0,64. Le monomère se condense par olation et différents polycations sont observés en solution (§ 3.2.2). Dans la forme la plus basique des silicates en solution, [SiO2 (OH)2 ]2− , on trouve δ(OH) = −0,55 et δ(Si) = +0,20. Bien que possédant des groupes OH très fortement nucléophiles, cette espèce ne se condense pas car la charge sur le silicium est trop faible. En revanche, avec l’espèce [SiO(OH)3 ]− , pour laquelle δ(OH) = –0,30 et δ(Si) = +0,35, la condensation intervient et engendre par oxolation différents polysilicates (§ 3.3.1). Avec les phosphates, il vient : [PO3 (OH)]2− − [PO2 (OH)2 ] [PO(OH)3 ]
χ = 2,18 χ = 2,49 χ = 2,71
δ(P) = +0,03 δ(P) = +0,19 δ(P) = +0,35
δ(OH) = –0,48 δ(OH) = –0,20 δ(OH) = 0,0
La condensation des phosphates n’a pas lieu parce que le pouvoir électrophile du cation est trop faible et l’acide phosphorique ne se condense pas non plus à cause de l’absence de pouvoir nucléophile du ligand OH. La première acidité de l’acide phosphorique est assez forte et le ligand OH n’est pas stable. La condensation du phosphate ne peut donc s’effectuer spontanément en solution aqueuse. Des polyphosphates solubles existent à l’état métastable et sont plus ou moins rapidement hydrolysés en milieu acide. La condensation est obtenue à l’état solide et par chauffage pour forcer la déshydratation (van Wazer 1958). b) Structure Le taux d’hydroxylation du cation qui détermine le nombre de ligands hydroxo présents dans sa sphère de coordination, caractérise la fonctionnalité du complexe vis-à-vis de la condensation. Le ligand hydroxo étant capable d’établir une, deux ou trois liaisons au moyen de ses OM faiblement liante 2σ et non liantes π (Fig. 3.2), les coordinences des ponts oxygénés le plus souvent rencontrées sont les suivantes (schéma 3.1) :
µ2-O(H)
2 µ2-O(H)
3 µ2-O(H)
Schéma 3.1 –
3 µ2-O(H) + µ3-O(H)
54
De la solution à l’oxyde
Le simple pont μ2 -O(H) correspond à la liaison des polyèdres de coordination par un sommet et le double pont 2μ2 -O(H) à une liaison par arête. La liaison des polyèdres de coordination par une face (pont 3μ2 -O(H)) est rare. Le pont μ3 -O(H) qui relie trois polyèdres par de simples ponts hydroxo ou oxo est fréquemment formé. À mesure que le nombre de sommets communs aux polyèdres de coordination croît, les répulsions électrostatiques entre les cations sont de plus en plus fortes. La liaison de tétraèdres par arête entraîne des répulsions électrostatiques très fortes et la liaison de tétraèdres par des faces n’est jamais observée, aussi bien en solution qu’à l’état solide. Les répulsions sont moindres entre octaèdres et les ponts par arête sont fréquents, ceux par face sont plus rares.
E 4σ∗ 3σ∗ 1s
2p
π
2σ
2s 1σ OA de O
OM de HO-
OA de H
Fig. 3.2 – Diagramme d’énergie schématique des orbitales moléculaires de l’ion HO− .
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
55
c) Terminaison Dans des conditions acido-basiques données, l’interruption de la condensation peut intervenir à un stade très variable : la réaction peut être limitée à la formation d’oligomères ou se prolonger indéfiniment jusqu’à la précipitation d’un solide. La condensation du chromate [CrO4 ]2− ne dépasse pas le stade du dimère [Cr2 O7 ]2− et CrVI ne précipite jamais en solution. En revanche, CrIII forme une série de polycations solubles tant que le taux d’hydroxylation h est inférieur à 2,5 (voir plus loin) et précipite l’hydroxyde vers h = 3. La condensation de complexes hydroxylés et électriquement chargés s’arrête toujours à un stade fini, plus ou moins avancé, laissant en solution des espèces discrètes, polycations ou polyanions selon que le complexe monomère est un cation ou un anion. En effet, l’accumulation de charges électriques sur un oligomère ne peut pas se poursuivre indéfiniment. À quel stade doit cesser la condensation ? Dès que les conditions qui autorisent la réaction de substitution nucléophile sur l’oligomère ne sont plus satisfaites. Comme la condensation entraîne l’élimination d’eau, la variation de la composition du produit de réaction change son électronégativité moyenne en provoquant une redistribution de la charge à l’intérieur du motif et donc une modification de la réactivité des groupes fonctionnels. En conséquence, les ligands OH dans l’oligomère peuvent perdre leur pouvoir nucléophile (δ(OH) devient nulle ou positive) et les cations peuvent perdre leur pouvoir électrophile (δ(M) devient inférieure à +0,3). En général, le pouvoir nucléophile des ligands hydroxo s’annule dans des polycations, le pouvoir électrophile du cation s’annule dans des polyanions. Avec les complexes électriquement neutres, l’élimination d’eau n’entraîne jamais une variation suffisante de l’électronégativité moyenne pour annuler la réactivité des groupes fonctionnels, quel que soit le stade de la condensation. Elle se poursuit indéfiniment jusqu’à la précipitation d’un solide, hydroxyde, oxyhydroxyde ou oxyde plus ou moins hydraté, voire de sel basique en présence de ligands complexants. En résumé, la condensation des cations en solution est initiée par la présence du ligand hydroxo dans la sphère de coordination du cation. L’hydroxylation du cation métallique peut être réalisée par une réaction acidobasique (neutralisation, thermolyse, etc.). Elle peut aussi résulter d’une réaction d’oxydo-réduction. En effet, la réduction d’une forme oxo abaisse la charge du cation et la polarisation des ligands oxo, ce qui permet la protonation des ligands. Inversement, l’oxydation d’un cation aquo, en augmentant la charge du cation et la polarisation des ligands entraîne la déprotonation et l’existence du ligand hydroxo (Fig. 3.3). Deux réactions, respectivement l’olation et l’oxolation, assurent alors le développement de la condensation. La condensation des complexes hydroxylés cationiques et anioniques est toujours limitée. Elle mène à des polycations et des polyanions respectivement. La formation d’un solide nécessite la présence de complexes de charge nulle.
56
De la solution à l’oxyde
z +7 O2-
+6 +5
+H+ +e-
+4
HO-
-e-
+3
+HO-
+2
H 2O
+1
pH
0
14
Fig. 3.3 – Schéma des possibilités d’initiation des réactions de condensation des cations métalliques en solution : acidification ou réduction de complexes oxo et alcalinisation ou oxydation de complexes aquo.
3.1.2
Les différentes classes de cations vis-à-vis de la condensation
Le classement des éléments en fonction de leur charge formelle z (Fig. 2.9 et 3.3) doit être affiné car des paramètres tels l’électronégativité, la taille, la configuration électronique doivent être pris en compte pour préciser les propriétés acido-basiques et le comportement des cations en solution. Le bore et l’aluminium (z = +3) par exemple possèdent des chimies en solution radicalement différentes. Il en est de même du silicium et du titane (z = +4) ou encore du phosphore, de l’antimoine et du vanadium (z = +5). Les exemples considérés dans la suite permettront d’affiner cette analyse. Un diagramme charge-électronégativité (Fig. 3.4) (Henry 1992) permet néanmoins de systématiser le comportement des éléments chimiques vis-à-vis des phénomènes de condensation et de précipitation dans l’eau, comportement qui, à première vue, apparaît très disparate. La forme moléculaire de charge nulle MON H2N −z d’un élément de degré d’oxydation z peut avoir différents comportements : ce peut être une base forte (faibles valeurs de z et de χM ) ou un acide fort (z et χM élevés). Aucune réaction de condensation ne peut donc avoir lieu en solution et l’élément existe sous forme monomère, cationique (Na+ , xH2 O, zone I) ou anionique ([ClO4 ]− , zone V du diagramme). Dans les autres zones, la charge partielle négative des ligands hydroxo dans la forme MON H2N −z évite leur dissociation acide. Il y a donc condensation. La zone II correspond à des éléments d’électronégativité modérée avec de bas degrés d’oxydation qui se condensent par olation pour former des hydroxydes stables, tels AgI , CaII , MgII , MnII , AlIII par exemple.
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
57
Fig. 3.4 – Diagramme charge-électronégativité indiquant les cinq classes de comportement de la forme non chargée MON H2N −z d’un cation Mz+ . Dans les zones I et V, l’élément reste monomère et soluble. Les éléments figurant dans la zone II se condensent seulement par olation, ceux de la zone IV par oxolation. Les deux processus de condensation peuvent être simultanés pour les éléments situés dans la zone III. Les frontières délimitant les différentes zones ont été calculées selon le modèle des charges partielles (Henry 1992). Dans la zone III du diagramme, les hydroxydes ne sont pas stables et la condensation par olation et oxolation mène à des oxyhydroxydes (FeIII , CrIII ) ou des oxydes (ZrIV , TiIV ). Les éléments présents dans la zone IV du diagramme se condensent par oxolation et forment des polyacides de degré de condensation très variable. Certains éléments de transition de haute charge formelle (VV , CrVI , MoVI , WVI ) polarisent très fortement les ligands hydroxo et forment des polyanions. Certains de ces éléments (VV , MoVI , WVI ) peuvent aussi former des solides après évolution plus ou moins lente (heures, jours) des solutions. Les polyanions ne sont alors pas directement impliqués et la croissance du solide semble toujours devoir mettre en jeu au moins une étape d’olation entre des espèces monomères ou oligomères résultant d’équilibres préalables de décondensation du polyanion (§ 4.1.4). L’antimoine SbV et l’étain SnIV forment par oxolation des polyacides et des oxydes, mais une ou plusieurs étapes d’olation sont mises en jeu car les précurseurs de charge nulle, Sb(OH)5 (OH2 ), Sn(OH)4 (OH2 )2 ,
58
De la solution à l’oxyde
possèdent des ligands aquo. Bien que l’acide silicique Si(OH)4 ne puisse se condenser que par oxolation, il forme cependant un solide hydraté dans lequel des ligands hydroxo terminaux présentent un caractère fortement acide. Dans ces différents cas, le solide peut être assimilé à un polyanion/polyacide de très haute masse molaire. Dans le cas du bore, bien que les ligands hydroxo de l’entité moléculaire B(OH)3 possèdent une charge partielle négative, l’acide borique ne se condense pas parce que la charge partielle du cation reste trop faible. La forme monomère B(OH)3 est stable en solution et la phase solide obtenue par séchage est constituée d’unités monomères liées par des liaisons hydrogène. La coordinence trois du bore dans l’acide borique est stabilisée par interaction π des liaisons B-OH. Par alcalinisation, les borates adoptent la coordinence tétraédrique et forment des polyanions (§ 3.3.1). La figure 3.4 résume et rationalise pour tous les éléments de la classification périodique les propriétés acido-basiques et les comportements possibles vis-àvis de la condensation en solution. L’étude des spécificités de comportement qui existent néanmoins parmi les éléments d’une même classe fait l’objet des chapitres suivants.
3.2
Olation et polycations
La condensation des cations par olation procède par formation de ponts hydroxo (ponts ol). Le ligand OH de l’un des complexes joue le rôle de groupe entrant dans la substitution d’une molécule d’eau d’un autre complexe. Il ne subit donc qu’un changement de coordinence en passant de la situation de ligand terminal dans un monomère à celle de ligand pontant dans une espèce condensée selon le schéma : -M-OH + -M-OH2 → -M-OH-M- + H2 O Ce mécanisme, qui nécessite la préexistence du groupe aquo partant, concerne par conséquent des complexes aquo-hydroxo [M(OH)h (OH2 )(N −h) ](z−h)+ cationiques ou neutres (h ≤ z), formés par des éléments de degré d’oxydation inférieur ou égal à 4. La condensation aboutit à des polycations solubles si h < z, à des solides si h = z.
3.2.1
Mécanisme et considérations structurales
La réaction, qui met en jeu l’élimination du ligand aquo, est cinétiquement gouvernée par la labilité de la liaison M-OH2 . La labilité est en général d’autant plus élevée que la charge formelle z du cation est faible et que sa taille est grande (faible pouvoir polarisant du cation) (Eigen 1963, Kruger 1982) (Tab. 2.1). La condensation doit alors procéder selon un mécanisme dissociatif (SN1 ) mettant en jeu un intermédiaire à coordinence réduite (Fig. 3.5).
Energie potentielle
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
M
δ+ M
OH2
59
δ+ H δ− O M M
EA
δ+ OH2
M M
H O
M
Coordonnée réactionnelle Fig. 3.5 – Schéma du profil énergétique du mécanisme dissociatif de la substitution nucléophile. EA représente l’énergie d’activation de la réaction. L’énergie d’activation du processus est très faible et la réaction d’olation est en général très rapide, pratiquement sous contrôle diffusionnel. Des facteurs particuliers, tels la présence de ligands fortement complexants ou des effets stériques et/ou électroniques, peuvent modifier le mécanisme réactionnel. C’est typiquement le cas des éléments de transition dont l’énergie de stabilisation par le champ cristallin (ESCC) en symétrie octaédrique est élevée (Cr3+ d3 , Ni2+ d8 ) et qui forment des complexes aquo inertes à la substitution (Purcell 1985). La variation importante d’ESCC due au changement de symétrie de l’état de transition contribue fortement à l’énergie d’activation de la réaction. Ainsi, pour la formation d’un intermédiaire pentacoordiné de symétrie C4v par exemple : Sym´ etrie
[M(OH2 )6 ]3+ → [M(OH2 )5 ]3+ + H2 O Oh
C4v
la variation d’ESCC s’écrit : δ ESCC = ESCCC4v – ESCCOh . Pour Fe3+ (d5 haut spin), δ ESCC = 0. La liaison Fe-OH2 est très labile et la constante de vitesse de la réaction ci-dessus est d’environ 102 s−1 . Elle est de l’ordre de 10−6 s−1 pour Cr3+ pour lequel δ ESCC = +0,2Δ (Δ représente l’énergie d’éclatement des orbitales d du cation dans le complexe octaédrique, Fig. 2.5). Pour ces éléments inertes à la substitution, en particulier CoIII (configuration électronique d6 bas spin) et CrIII (d3 ), cations fortement stabilisés par le champ cristallin en symétrie octaédrique, le mécanisme de condensation est plus complexe. L’étude structurale d’oligomères de ces cations révèle l’existence du ligand pontant [H3 O2 ]− (Ardon 1987) (Fig. 3.6). Ce ligand est formé par liaison hydrogène entre le ligand OH de l’un des partenaires et le ligand H2 O de l’autre. Le ligand [H3 O2 ]− est bien sûr instable, mais son existence, même temporaire, montre que la condensation procède, pour ces éléments,
60
De la solution à l’oxyde
selon un mécanisme associatif avec formation d’un complexe à sphère externe ou d’une paire d’ions dans l’état de transition :
H M OH + H 2O M
M
O . . .H O
M
H
(a)
(b)
Ligand pontant [H3O2]-
(c)
Fig. 3.6 – (a) Fragment de la chaîne de trans-[Co(en)2 (H3 O2 )]2n+ , 2n ClO4 − n
comportant le ligand [H3 O2 ]− dans lequel le proton apparaît en position approximativement centrée le long de l’axe O-O (distances O-O : 2,44 Å, O-H : 1,22 Å, O-Hnon pontant de l’ordre de 0,95 Å). Structure cristalline des complexes [(tren)Co(H3 O2 )2 -Co(tren)]4+ (b) et Cis[(bipy)2 Cr(H3 O2 )2 Cr(bipy)2 ]4+ (c) [en : éthylènediamine ; bipy : bipyridine ; tren : triaminotriéthylamine] (reproduit avec c American Chemical Society). autorisation d’après Ardon 1985
Les calculs de dynamique moléculaire (Rustad 2006) montrent que l’établissement d’un pont [H3 O2 ] entraîne la formation d’un second pont (liaison par arête commune) selon un processus autocatalytique (une liaison favorise la formation d’une autre). Ensuite, l’évolution vers le complexe di-μOH s’effectue selon un mécanisme mettant en jeu l’élimination d’une molécule d’eau axiale ou équatoriale coordinée sur un des cations. Cela provoque la déprotonation et la rupture d’un des ponts [H3 O2 ] avec formation d’une structure transitoire dans laquelle le ligand OH complète la coordinence du cation sous-coordiné (Fig. 3.7).
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
OHa
(a)
OHa
OHb
(b) OHb OHa
61
OHb
(c)
OHa OHb
(d)
(e)
Fig. 3.7 – Mécanisme de transformation du pont M-H3 O2 -M (a) en pont M-OH-M (e) : (b) perte d’une molécule d’eau et déprotonation du pont H3 O2 ; (c) formation d’une structure avec contact OHa -OHb ; (d) rotation de OHb et attaque nucléophile de OHa sur le cation sous-coordiné (reproduit avec autorisation d’après Rustad 2006 c American Chemical Society).
La condensation d’espèces monohydroxylées peut conduire à des chaînes de polyèdres liés par des sommets ou préférentiellement à des dimères dans lesquels les polyèdres sont liés par une arête au moyen d’un double pont ol. Celui-ci est formé par olation intramoléculaire après l’établissement du premier pont. Si un ligand hydroxo pontant conserve un pouvoir nucléophile suffisant, le même mécanisme peut encore intervenir avec un troisième cation pour aboutir à un pont μ3 -OH. D’éventuels ligands complexants et volumineux limitent, par des effets stériques, la liaison des polyèdres de coordination par arêtes (Fig. 3.6). La structure des espèces condensées est conditionnée par certains facteurs. • Le taux d’hydroxylation, h, fixe le nombre de ligands pouvant former de simples, doubles ou triples ponts ol. Le taux d’hydroxylation représente, en première approche, la fonctionnalité du cation dans le processus de condensation. • La géométrie du polyèdre de coordination limite le mode d’association car le partage de sommets, d’arêtes ou de faces entraîne des distances de plus en plus courtes entre les cations. La liaison d’octaèdres par arêtes est la plus courante. Elle est rare par des faces. Elle existe dans certains complexes amino-hydroxo du CoIII ([Co2 (OH)3 (NH3 )6 ]3+ , [Co3 (OH)6 (NH3 )6 ]3+ ) (Fig. 3.8) qui ne sont toutefois pas directement formés par hydrolyse en raison de l’inertie chimique du Co3+ (d6 bas
62
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
(c)
(d)
Fig. 3.8 – Représentation de quelques polycations présentant différents modes de liaison entre polyèdres de coordination : (a) [Co2 (OH)3 (NH3 )6 ]3+ ; (b) [Co3 (OH)6 (NH3 )6 ]3+ ; (c) [Pb6 O(OH)6 (OH2 )4 ]4+ ; (d) [Bi6 (OH)12 (OH2 )x ]6+ .
spin), mais par oxydation de complexes du cobalt (II) (Jones 1964, Purcell 1985). La liaison d’octaèdres par faces se rencontre essentiellement dans les oxydes de structure de type corindon formée par des éléments trivalents. • La cyclisation stabilise le pont par sommet μ2 -OH. Ce pont en général peu stable se rencontre dans quelques polycations d’éléments bivalents et trivalents, notamment de Be3+ et Au3+ (Baran 1971). Un cas intéressant est celui du polycation formé par Bi3+ [Bi6 (OH)12 (OH2 )x ]6+ (Fig. 3.8) formé de simples ponts hydroxo qui constituent les arêtes d’un octaèdre d’atomes de bismuth. Il semble que des interactions métal-métal (dBi−Bi = 3,71 Å) concourent à la stabilisation de cette géométrie (Maroni 1968). Il en est peut-être de même dans le polycation du Pb2+ , [Pb6 O(OH)6 (OH2 )4 ]4+ (Fig. 3.8), où l’une des distances, 3,44 Å, est très courte alors que les autres varient de 3,67 à 4,09 Å (Spiro 1969). En l’absence de tels facteurs, le pont par sommets est peu stable et le partage d’arêtes entre octaèdres est beaucoup plus fréquent. La formation du double pont hydroxo dans des espèces discrètes apparaît en effet plus favorisée, pour des raisons entropiques et structurales, qu’une condensation en chaîne qui conduirait à des espèces de haute masse molaire. La condensation de complexes cationiques [M(OH)h (OH2 )N −h ](z−h)+ (h < z) est toujours limitée. Elle cesse spontanément lorsqu’un degré de condensation fini est atteint. Les espèces condensées restent solubles sous forme de polycations qui sont en général des entités de taille moléculaire. À mesure que le degré de condensation croît, l’accumulation de charges électriques sur les espèces condensées ainsi que le changement de composition dû à la déshydratation abaissent le caractère nucléophile des ligands hydroxo. Ces deux facteurs augmentent l’électronégativité moyenne du polycation, ce qui élève les charges δ(OH) et δ(M) et la condensation cesse dès que les critères de condensation ne sont plus satisfaits. Le degré de condensation des polycations est alors d’autant plus grand que le taux d’hydrolyse des complexes est élevé parce que les ligands hydroxo, plus nombreux dans des complexes moins chargés, conservent leur activité nucléophile jusqu’à des stades de
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
63
condensation plus avancés. Le cas du chrome (III) présenté ci-dessous est tout à fait exemplaire.
3.2.2
Les polycations du chrome III
Bien que l’étude de la condensation du CrIII en solution soit très compliquée du fait de la lenteur de ses réactions, l’inertie chimique des espèces formées est mise à profit pour leur séparation et leur analyse. Plusieurs espèces sont isolées par séparation sur résine échangeuse d’ions dans les solutions hydrolysées à h = HO− /Cr ≈ 1 et dont le pH est voisin de 4. Il s’agit d’oligomères dont les constantes d’acidité sont reportées dans le tableau 3.1. Tab. 3.1 – Acidité des polycations du chrome (III) (Stünzi 1989). Complexes [Cr(OH2 )6 ]3+ [Cr2 (OH)2 (OH2 )8 ]4+ [Cr3 (OH)2 (OH2 )9 ]5+ [Cr4 (OH)6 (OH2 )10 ]6+ [Cr4 O(OH)5 (OH2 )10 ]5+
pK 4,3 3,7 4,3 3,5 0,9
Les premières étapes de condensation du CrIII procèdent par la formation de complexes binucléaires à sphère externe, mettant en jeu le ligand bidentate [H3 O2 ]− formé par liaison hydrogène intramoléculaire (Fig. 3.9). L’élimination d’une molécule d’eau forme le dimère dans lequel les polyèdres sont liés par un sommet. L’élimination d’une seconde molécule d’eau conduit à l’ion di-μ-OH dans lequel les polyèdres sont liés par une arête (Thompson 1981, Rotzinger 1986). Un changement de couleur accompagne ces transformations : le précurseur h = 0 et le complexe binucléaire hydraté sont verts, l’ion di-μ-hydroxo est bleu (Mønsted 1985). Les équilibres entre le monomère et les différents dimères ont été caractérisés du point de vue thermodynamique (Merakis 1989). Pour le monomère h = 1 [Cr(OH)(OH2 )5 ]2+ , on calcule : χ = 2,69, δ(Cr) = +0,64, δ(OH) = –0,02 et pour le dimère [Cr2 (OH)2 (OH2 )8 ]4+ on a : χ = 2,73, δ(Cr) = +0,66, δ(OH) = +0,01 La condensation du complexe h = 1 stoppe donc au stade du dimère du fait de l’absence de pouvoir nucléophile des groupes OH pontants. La structure cristalline du dimère a été résolue par diffraction X sur des monocristaux obtenus après dissolution de l’hydroxyde dans l’acide paratoluène sulfonique ou mésitylène-2 sulfonique (Spiccia 1987).
64
De la solution à l’oxyde
Fig. 3.9 – Représentation schématique de l’interconversion des polycations du CrIII en solution aqueuse en fonction du taux d’hydroxylation h.
L’acidité du dimère [Cr2 (OH)2 (OH2 )8 ]4+ est plus forte que celle du monomère (Tab. 3.1) en raison d’une liaison hydrogène intramoléculaire entre deux molécules d’eau en cis par rapport au plan équatorial du motif. Cette liaison stabilise la forme déprotonée [Cr2 (OH)3 (OH2 )7 ]3+ au moyen du ligand pontant [H3 O2 ]− (Fig. 3.9). Il en est de même pour la forme cis[Cr2 (OH)2 (OH2 )2 (NH3 )6 ]4+ , plus acide que la forme trans qui ne peut pas former de liaisons hydrogène intramoléculaires (Mønsted 1985).
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
65
Le dimère déprotoné [Cr2 (OH)3 (OH2 )7 ]3+ forme d’autres polycations car l’abaissement de sa charge renforce le pouvoir nucléophile des groupes hydroxo (χ = 2,68, δ(OH) = –0,03). Il peut réagir de différentes façons : • avec l’espèce h = 1, il forme le trimère [Cr3 (OH)4 (OH2 )9 ]5+ , comprenant trois ponts μ2 -OH et un pont central μ3 -OH (Fig. 3.9). Cette espèce, pour laquelle on calcule : χ = 2,72, δ(Cr) = +0,66, δ(OH) = +0,01, est stable. C’est aussi la plus inerte des polycations du chrome (Finholt 1981, Spiccia 1988, Stünzi 1983, 1989) ; • avec lui-même et se dimériser pour former le tétramère plan [Cr4 (OH)6 (OH2 )10 ]6+ (structure II, Fig. 3.9). Ce même tétramère plan peut aussi être formé à partir du trimère et d’un précurseur h = 2 via une forme intermédiaire [Cr4 (OH)6 (OH2 )11 ]6+ (forme I, Fig. 3.9) (Stünzi 1983) qui subit une olation interne. À pH plus élevé, la déprotonation du pont μ3 -OH dans la forme I conduit, par oxolation interne, au tétramère [Cr4 O(OH)5 (OH2 )10 ]5+ (structure III, Fig. 3.9). Les études cinétiques ont en effet montré que l’interconversion entre les formes (II) et (III) dépendait de l’acidité du milieu (Stünzi 1984). Cette analyse est étayée par le fait que l’acidification du tétramère conduit, quelle que soit la façon dont il a été formé, au mélange monomère-trimère. Le tétramère, synthétisé par réaction du monomère marqué au 51 Cr avec le trimère non marqué en grand excès (afin éviter la formation du tétramère à partir du monomère seul) et isolé par séparation sur résine échangeuse d’ions, conduit, après dégradation en milieu acide, à un mélange de monomère et de trimère qui renferment tous les deux la même quantité de 51 Cr (Stünzi 1983). Ce résultat permet d’exclure d’autres configurations qui ne pourraient donner lieu à l’échange du 51 Cr, telle la forme représentée sur le schéma 3.2. L’étude par spectroscopie d’absorption des rayons X de solutions hydroxylées de CrIII a montré, via la mise en évidence des différentes liaisons Cr-Cr, l’existence des polycations tétramères [Cr4 (OH)6 (OH2 )11 ]6+ (Structure I) et [Cr4 O(OH)5 (OH2 )10 ]5+ (Structure III) (Roussel 2001).
OH Cr
Cr OH
HO
OH Cr
HO
OH
Cr Schéma 3.2 – Des polycations analogues existent avec l’aluminium (Chap. 6) et très probablement avec le fer ferrique. Les polycations du fer sont cependant beaucoup
66
De la solution à l’oxyde
moins bien connus que ceux du chrome ou de l’aluminium à cause de la très grande labilité des complexes ferriques. Seuls quelques polycations (dimère, trimère) ont été caractérisés dans les solutions acides (pH < 1,5) (van der Woude 1983). L’existence des complexes aquo [(H2 O)4 Fe2 (OH)2 (OH2 )4 ]4+ et [(H2 O)5 Fe2 O(OH2 )5 ]4+ semble très probable malgré l’absence de données structurales. De nombreux complexes polynucléaires du fer (III) ont cependant été caractérisés, mais leur stabilisation en solution nécessite la coordination de ligands multidentates fortement complexants (Chap. 7). À la différence des complexes hydroxylés électriquement chargés, la condensation des complexes neutres M(OH)z (OH2 )N −z (h = z) n’est pas limitée et ils forment des particules de taille nanométrique, c’est-à-dire des fragments de solide. L’augmentation de l’électronégativité moyenne de l’objet en croissance, due seulement à la déshydratation, n’est jamais suffisante pour que les ligands hydroxo perdent leur pouvoir nucléophile. Il en résulte la précipitation d’une phase solide, en principe d’hydroxyde M(OH)z (Chap. 4). Il est important de souligner que les polycations ne sont jamais les germes du solide obtenu à des taux d’hydroxylation plus élevés. Il n’existe en effet pas de relation structurale entre les polycations et le solide final. L’alcalinisation progressive de la solution entraîne la modification plus ou moins rapide des espèces condensées, très labiles et, lorsque les conditions de formation de l’hydroxyde sont satisfaites, leur trace structurale est perdue. Avec les polycations les plus inertes, ceux du chrome (III) et du nickel (II) notamment, l’annulation de leur charge par alcalinisation permet de conserver leur structure dans le solide non organisé formé sous contrôle cinétique par floculation rapide. Néanmoins, les entités condensées et agrégées se réarrangent plus ou moins rapidement en éliminant de l’eau ce qui entraîne la cristallisation du solide. Lors de la thermohydrolyse de solutions acides, l’effet thermique et l’acidité du milieu permettent souvent d’accéder directement à des phases solides thermodynamiquement stables qui peuvent donc être différentes de celles formées par neutralisation. C’est aussi le cas lors du vieillissement par dissolution-cristallisation de certaines phases métastables. Quelques exemples caractéristiques sont étudiés dans la suite.
3.3
Oxolation et polyanions
L’oxolation entraîne la formation de ponts oxo entre les cations lorsqu’aucun ligand aquo n’est présent dans leur sphère de coordination. Cette réaction concerne par conséquent des éléments de charge formelle élevée (z ≥ 4) qui existent sous forme d’anions oxo ou oxohydroxo monomères en milieu dilué, alcalin ou neutre et qui se condensent par acidification. Dans la forme anionique oxohydroxo d’un élément, les ligands portent une charge partielle fortement négative. La formation d’un pont oxo entre de telles entités dans lesquelles la coordinence maximum du cation est satisfaite
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
67
Energie potentielle
implique une substitution et donc la formation d’une molécule d’eau jouant le rôle de groupe partant. Celle-ci ne préexiste pas dans la sphère de coordination des partenaires. Il semble par conséquent probable que la réaction d’oxolation procède globalement selon un mécanisme associatif SN2 qui peut être décomposé en deux étapes (Fig. 3.10) : (i) addition nucléophile avec formation d’un pont ol qui conduit à un état de transition instable du fait de l’augmentation de coordinence ; (ii) transfert du proton depuis le pont ol vers un ligand OH terminal pour former un ligand aquo éliminable.
M
OH
HO
OH2
M M
O M
δ+ M
δ− OH HO
EA
M
OH M
M
HO
M
O M
Coordonnée réactionnelle Fig. 3.10 – Schéma du profil énergétique du mécanisme associatif de la substitution nucléophile. EA est l’énergie d’activation de la réaction.
L’eau éliminée préexiste dans la sphère de coordination des cations sous forme de ligands OH et non pas sous forme d’eau de coordination (ligand aquo). Cela permet à la vitesse de la réaction d’oxolation d’être fortement liée à l’acidité du milieu. La réaction peut être catalysée et on distingue sur le plan cinétique l’oxolation basique, acide ou neutre. Cette dernière est en général la plus lente comme le montre par exemple le comportement des silicates : la vitesse de condensation est 10 fois plus grande à pH 1 qu’à pH 2, minimum à pH 3 et 100 fois plus grande à pH 6 qu’à pH 4 (Fig. 3.11). La catalyse basique de la réaction est due aux ions hydroxyles du milieu qui interviennent sur les centres positivement chargés des réactifs (Souchay 1969a). Il peut s’agir du cation lui-même ou de protons des ligands hydroxo du cation. Comme on considère des formes oxohydroxo ou hydroxo de cations à coordinence saturée, ce sont les protons des groupes hydroxo qui sont attaqués par les ions hydroxyles. La charge négative de l’oxygène nucléophile est accrue et la première étape de la réaction d’oxolation est donc facilitée. Cela peut
68
De la solution à l’oxyde
4
log V
3 2 1
0
2
4
6
8
pH Fig. 3.11 – Vitesse de disparition du monomère silicique Si(OH)4 à différents pH (6 g/L de SiO2 , 20 ◦ C) (d’après Coudurier 1971). être schématisé par le mécanisme concerté suivant faisant intervenir des ions hydroxyles et des molécules d’eau : HO -... M
Hδ+ Oδ- + M
HO ... H O... H
[M
H
H ... H O ... M ... O... ] H
H O
O
M-O-M + HO- + 2H2O
L’augmentation du pH a deux effets contraires. Il renforce l’effet de catalyse en favorisant la déprotonation de groupes hydroxo, donc en augmentant leur pouvoir nucléophile. Ce faisant, il abaisse le nombre de ligands hydroxo dans les précurseurs (le taux d’hydroxylation s’élève). Le nombre de groupes éliminables diminuant, la réaction, donc la croissance, s’en trouve limitée. La catalyse acide de l’oxolation s’exerce sur les centres négativement chargés des réactifs. La protonation de ligands hydroxo facilite la formation de ligands aquo éliminables dans l’état de transition et renforce l’acidité du pont ol. C’est donc la seconde étape de la réaction qui se trouve favorisée : Hδ+
δ-
M O M OH...H+
Hδ+ δ+ [M O M OH2]+
δ+ ...
OH2
H
[M O ] M+ + H2O
M-O-M + H3O+
Si l’acidité du milieu croît, la formation d’espèces aquohydroxo positivement chargées est possible. Celles-ci subissent d’autant plus facilement l’attaque nucléophile des formes hydroxo. L’élimination du proton, qui permet d’abaisser la charge de l’état de transition, est aussi facilitée. Cependant, un
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
69
excès d’acide inhibe le pouvoir nucléophile des ligands hydroxo et, de ce fait, limite la réaction. L’oxolation peut ainsi s’effectuer dans un large domaine de pH. La vitesse de la réaction sera minimum lorsque les espèces réagissantes ont une charge nulle (oxolation neutre). Ces effets n’interviennent pas dans la réaction d’olation qui met en jeu des formes aquohydroxo dont la vitesse de condensation n’est limitée que par la labilité de la molécule d’eau. On a vu que la condensation par olation de formes cationiques était toujours limitée. Il en est de même pour la condensation par la seule réaction d’oxolation entre formes anioniques. (i) La condensation peut cesser parce que tous les ligands hydroxo ont réagi et qu’il n’y a plus de groupe éliminable sur le polymère en croissance. La condensation est limitée par le taux d’acidification des précurseurs. Pour les vanadates acidifiés dans le rapport H+ /V = 1, la réaction stoppe à la formation de dimères pyrovanadates : 2[VO3 (OH)]2− → [V2 O7 ]4− + H2 O La condensation des pyrovanadates se poursuit néanmoins si le taux d’acidification est plus élevé. (ii) Les ligands hydroxo d’une espèce condensée peuvent devenir trop acides. La réaction s’arrête faute, à nouveau, de groupe éliminable. C’est typiquement le cas du chromate [CrO4 ]2− qui forme par acidification le bichromate [Cr2 O7 ]2− , mais la condensation ne peut se poursuivre quel que soit le taux d’acidification car l’acide chromique « Cr2 O5 (OH)2 » est un acide fort toujours dissocié en solution. La condensation entraîne l’augmentation de l’électronégativité moyenne de l’espèce formée, donc l’accroissement de la charge partielle des ligands hydroxo et la perte de leur pouvoir nucléophile. Ces généralités vont être observées sur un certain nombre d’exemples caractéristiques.
3.3.1
Éléments du bloc p
a) Silicates Dans la plupart des composés oxygénés du silicium, l’unité de base est le tétraèdre SiO4 qui peut se lier par des sommets mais non par des arêtes. Ce mode de liaison entraînerait des répulsions Si-Si trop fortes. La chimie des silicates en solution est très complexe du fait du grand nombre d’espèces existantes et d’équilibres entre elles (Baes 1976, Iler 1979). Les solutions de silicates sont obtenues par dissolution du métasilicate Na2 SiO3 constitué de chaînes infinies de tétraèdres SiO4 (Wells 1991). La rupture de ces chaînes dans l’eau est quasi immédiate et la dissolution est rapide. Les différentes formes siliciques monomères à considérer en solution sont rassemblées dans le tableau 3.2.
70
De la solution à l’oxyde
Tab. 3.2 – Caractéristiques des silicates monomères en solution. Forme [SiO2 (OH)2 ]2− [SiO(OH)3 ]− [Si(OH)4 ]0 [Si(OH)3 (OH)2 ]+
pK
χ 2,10
δ(OH) −0,55
δ(Si) +0,20
2,37
−0,30
+0,35
2,58
−0,12
+0,47
2,74
+0,03
+0,56
13 9,9 2
L’espèce [SiO2 (OH)2 ]2− est une base très forte qui n’existe en solution aqueuse qu’en milieu très fortement alcalin. Bien que la basicité des groupements hydroxo soit très élevée, cette espèce ne se condense pas car la charge partielle du silicium est trop faible en raison du très intense transfert électronique ligands-cation. La diminution de la basicité du milieu fait apparaître l’espèce [SiO(OH)3 ]− dans laquelle, du fait de la présence de trois groupes hydroxo, la charge partielle du silicium est accrue. À faible concentration, cette forme ne se condense pas sur elle-même mais elle peut subir l’attaque nucléophile de l’espèce [SiO2 (OH)2 ]2− avec laquelle elle coexiste en solution et former le pyrosilicate constitué de deux tétraèdres reliés par un sommet : [SiO(OH)3 ]− + [SiO2 (OH)2 ]2− → [Si2 O4 (OH)3 ]3− + H2 O Ce dimère est une espèce stable en raison du pouvoir électrophile trop faible du silicium (χ = 2,183, δ(Si) = +0,25, δ(OH) = –0,22). Cependant, [SiO(OH)3 ]− est susceptible de s’autocondenser : 2 [SiO(OH)3 ]− → [Si2 O3 (OH)4 ]2− + H2 O pour former un dimère pour lequel on calcule : χ = 2,346, δ(OH) = –0,33, δ(Si) = +0,34. La condensation ne doit donc pas s’arrêter à ce stade. Les techniques de RMN haute résolution ont permis la caractérisation in situ des espèces en solution concentrée (Knight 1988, 1989 ; Harris 1977, 1981, 1982a, 1983a,b, 1984). Vers pH ≈ 12, l’oxolation entre les formes [SiO2 (OH)2 ]2− et [SiO(OH)3 ]− conduit à une vingtaine d’oligomères anioniques formés par liaison de tétraèdres par sommets, depuis le dimère jusqu’au décamère (Fig. 2.22). Les polysilicates sont en majorité cycliques et branchés, avec un degré de connexion des tétraèdres au maximum de 3. La nature du cation présent en solution influence considérablement la structure des oligomères cycliques. Avec les ions tétralkylammonium [NR4 ]+ (R = CH3 , C2 H5 , C3 H7 , etc.), des cages constituées de doubles cycles de
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
71
3 à 5 tétraèdres SiO4 sont stabilisées et identifiées en solution (Harris 1982b, Knight 1986). L’hydroxyde de tétraméthylammonium favorise l’octamère cubique [Si8 O20 Hx ](8−x)− (Fig. 3.12), obtenu indirectement après le passage par l’hexamère prismatique [Si6 O15 Hx ](6−x)− . Celui-ci est le terme de l’évolution des solutions en présence d’hydroxyde de tétraéthylammonium. Avec l’hydroxyde de tétrabutylammonium, c’est le décamère [Si10 O25 Hx ](10−x)− qui semble favorisé. La structure cristalline de ces différentes espèces a été déterminée par diffraction des rayons X, en utilisant comme cation divers complexes éthylènediamine d’éléments de transition. L’effet des ions tétralkylammonium n’est pas clairement établi. Il peut être dû à la structuration particulière du solvant exercée par ce type d’ions et/ou à leur pouvoir de polarisation des anions. En présence de [N(CH3 )4 ]+ , 80 % des silicates existent en solution sous forme du double cycle à quatre atomes de silicium, [Si8 O20 Hx ](8−x)− . L’addition d’ions Na+ détruit rapidement les motifs cubiques pour former des cycles simples [Si4 O12 Hx ](4−x)− . Les liaisons transverses entre cycles sont brisées, probablement du fait de l’affinité très forte du cation Na+ solvaté envers l’oxygène basique du silicate.
Dimère
Trimères
Hexamères
Hexamère
Tétramères
Heptamère
Pentamères
Octamères
Nonamère
octamère et décamère prismatiques
Fig. 3.12 – Principales structures des silicates en solution aqueuse (concentration en silicium 1,5 mol.l−1 , KOH/Si = 1, 22 ◦ C). Les tétraèdres SiO4 , représentés par différents symboles, partagent 1 (), 2 () ou 3 () sommets. Les cages de doubles cycles sont stabilisées en solution par les cations tétralkylammonium (adaté d’après Knight 1988).
72
De la solution à l’oxyde
b) Borates Le bore est un élément de forte électronégativité (χB = 2,02) qui forme un très petit cation B3+ (r = 0,27 Å). En solution aqueuse, le bore est caractérisé par deux coordinences, tétraédrique dans le borate [B(OH)4 ]− , trigonale dans l’acide borique B(OH)3 . Le pKa du couple est égal à 9,5 (Baes 1976). Les deux formes sont stables à l’état monomère, le borate à pH > 11, l’acide borique à pH < 7. L’acidification du borate entraîne la réduction de la coordinence du bore : [B(OH)4 ]− + H+ solvat → B(OH)3 + H2 O Cela explique que l’acide borique se comporte comme un acide de Lewis, jouant son rôle d’acide comme accepteur d’ion OH− plutôt que comme donneur de proton : B(OH)3 + OH− → [B(OH)4 ]− On pourrait considérer en solution la présence d’une molécule d’eau de coordination sur l’acide borique, molécule constituant le donneur de proton : B(OH)3 (OH2 ) + H2 O → [B(OH)4 ]− + H3 O+ En fait, la RMN du 11 B en solution (Momii 1967, Smith 1972) et les structures établies à l’état solide (Farmer 1982) montrent le bore en symétrie D3h dans l’acide borique. C’est pourquoi on considère la forme B(OH)3 . La réduction de coordinence du bore au cours de l’acidification en solution aqueuse, phénomène qui n’est jamais observé avec les autres éléments, peut s’expliquer par un effet donneur π des trois ligands hydroxo, de même que dans les halogénures BX3 (Purcell 1985). L’ion [B(OH)4 ]− a la symétrie Td . Le diagramme d’OM est représenté sur la figure 3.13a. Le caractère donneur π des ligands n’intervient que faiblement et les OA de symétrie π des ligands restent non liantes. La protonation du borate forme un ligand H2 O avec allongement de la liaison B-O et abaissement de la symétrie (C3v ). La molécule d’eau peut alors facilement s’éliminer de la sphère de coordination du complexe B(OH)3 (OH2 ). D’une part, la petite taille du bore n’est pas favorable au maintien de la coordinence 4 (rB3+ /rO2− = 0,19 < 0,225, valeur caractéristique de la coordinence tétraédrique dans le modèle ionique). D’autre part, le passage à la symétrie D3h permet aux trois ligands hydroxo d’établir des interactions p(π)-p(π) entre l’orbitale vide pz du bore et une orbitale de symétrie π de chacun des ligands (Fig. 3.13c). Il en résulte trois liaisons σ fortes (notées a 1 et e sur la figure 3.13b) et une liaison π (notée a2 ). L’effet donneur π des ligands dans l’acide borique entraîne l’abaissement des charges partielles portées par le bore et les ligands hydroxo, par rapport à celles qui résulteraient de liaisons σ seules. Cela est sans doute la raison pour laquelle l’acide borique ne se condense ni en solution ni à l’état solide.
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
(a)
t 2* a*
t2
e'* a1'* a2"*
(b) LUMO
e, t1 , t2
a
a1'
a, t2 4 AO s
B
B(OH)4
-
4 OH
-
a1' e' σ a1' a2" e' e" π 9 AO p
a 2" e' a1'
a a, t2
LUMO
a2' e' e" ...
a, t2 σ e, t1 , t2 π 12 AO p
...
t2
a 2" e'
B
73
(c) OH HO
a1' e'
a1' e'
B(OH)3
3 OH
B OH
3 AO s -
Fig. 3.13 – Diagrammes d’énergie schématiques des orbitales moléculaires (a) de l’ion [B(OH)4 ]− et (b) de la molécule B(OH)3 . Les diagrammes sont tracés par analogie avec ceux des molécules BX4 − et BX3 respectivement (LUMO : lowestunoccupied molecular orbital). (c) Schéma de la molécule B(OH)3 montrant les orbitales p(π) de chaque ligand OH et l’orbitale pz du bore mises en jeu dans le recouvrement π. Les mesures de potentiométrie (Lefebvre 1957, Ingri 1962, Messmer 1972) montrent que les deux espèces, borate et acide borique, se condensent entre elles. Le taux d’acidification du borate doit donc être compris entre 0 et 1 pour que les deux formes soient simultanément présentes en solution (11 > pH > 7) et la condensation passe par un maximum entre ces deux valeurs. Ceci se traduit par un point de concours sur les courbes de titrage potentiométriques (Fig. 3.14).
12 11 pH
0.6M 10 0.05M
9 8 7
0
0.2 0.4 0.6 0.8 1 H+consommés/B
Fig. 3.14 – Courbes de titrage protométrique du borate à différentes concentrations, mettant en évidence un point de concours correspondant à un maximum dans la condensation en solution. Les courbes sont corrigées au moyen de la fonction de formation qui permet de ne tenir compte que des protons effectivement consommés dans la réaction (d’après Lefebvre 1957).
74
De la solution à l’oxyde
Les titrages potentiométriques indiquent que l’acidification du borate forme successivement un dimère en solution diluée, un tétramère en solution concentrée d’acidité p = H+ ajout´ e /B = 1/2, puis un trimère (p = 2/3). Pour p = 1/2, la formation du dimère s’écrit : [B(OH)4 ]− + B(OH)3 → [B2 O(OH)5 ]− + H2 O À forte concentration (0,4 mol l−1 ), le dimère se dimérise à son tour et forme le tétramère cyclique [B4 O5 (OH)2 ]2− (Fig. 3.15) : 2[B2 O(OH)5 ]− → [B4 O5 (OH)2 ]2− + 3H2 O Par acidification plus poussée (p = 2/3), il se forme le trimère : [B(OH)4 ]− + 2B(OH)3 → [B3 O3 (OH)4 ]− + 2H2 O qui est stable en solution en raison de la cyclisation (Fig. 3.15). 2-
-
-
B O
H (a)
(b)
(c)
Fig. 3.15 – Représentation schématique de la structure des polyborates (a), des acides borique (b) et métaborique (c).
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
75
Pour p > 2/3, le système se décondense et l’acide borique monomère prédomine en solution. Il semblerait que vers p = 4/5, la condensation aille jusqu’au pentaborate (Fig. 3.15) : [B(OH)4 ]− + 4B(OH)3 → [B5 O6 (OH)4 ]− + 6H2 O L’existence de cette espèce en solution, déduite des études de RMN, est controversée (Momii 1967, Smith 1972). Sa durée de vie en solution doit être très courte car le pentaborate de potassium hydraté K[B5 O6 (OH)4 ] 2H2 O s’hydrolyse rapidement en solution. Dans la majorité des composés condensés du bore, la structure de base est un cycle à 6 sommets (3 atomes de bore et 3 d’oxygène) qui renferme toujours un ou deux atomes de bore tétraédrique. Ceux-ci peuvent assurer des connexions entre les cycles (Wells 1991) (Fig. 3.15). La cyclisation explique les condensations observées en solution. À l’état solide, l’acide borique forme aussi des cycles constitués de monomères reliés entre eux par des liaisons hydrogène. Le bore adoptant une coordination trigonale, il se développe alors une structure en couches (Fig. 3.15b). La déshydratation du trimère au-delà de 100 ◦ C forme l’acide métaborique HBO2 qui peut exister sous différentes variétés cristallines. La phase orthorhombique, obtenue par trempe, est constituée de trimères cycliques réunis par liaisons hydrogène dans une structure en couches (Fig. 3.15c). La phase monoclinique est formée de chaînes de composition [B3 O4 (OH)(OH2 )]n dans lesquelles coexistent des atomes de bore en coordinence 3 et 4, tandis que dans la variété cubique, les groupes BO4 tétraédriques sont reliés par liaisons hydrogène (Wells 1991). Les polyborates métalliques trouvent d’importantes applications industrielles : le borax Na2 B4 O5 (OH)4 ,8H2 O (chaînes de tétramères réunies par liaisons hydrogène), dont la production est chiffrée en millions de tonnes par an, est très utilisé pour la fabrication de céramiques, fibres de verre, isolants, émaux, retardateurs de feu, etc. L’anhydride borique B2 O3 (réseau partiellement ordonné de cycles B2 O3 ) est principalement utilisé dans la fabrication des verres borosilicatés (pyrex). C’est un adjuvant intéressant du fait de son faible coefficient de dilatation thermique et qui confère au verre une bonne résistance aux chocs thermiques.
3.3.2
Éléments de transition à haut degré d’oxydation : polyoxométallates
Sous leur état d’oxydation maximum, les éléments VV , CrVI , MoVI , WVI , de configuration électronique d0 existent en milieu alcalin sous la forme Mn tétraoxo [MO4 ](8−z)− monomère (Baes 1976). Par acidification, ces éléments se condensent de façon d’autant plus marquée que l’acide correspondant est faible, c’est-à-dire que le ligand OH est VII
76
De la solution à l’oxyde
Tab. 3.3 – Caractéristiques de quelques éléments de transition à haut degré d’oxydation et de configuration électronique d0 . [VO4 ]3− [CrO4 ]2− [MnO4 ]− [MoO4 ]2− [WO4 ]2− 13,2 5,6 (-2) 3,9 4 7,5 0,8 3,9 4 r (Å) 0,56 0,52 0,46 0,62 0,67 0,40 0,37 0,33 0,44 0,48 rM /rO a N 4-5-6 4 4 4-6 4-6 Condensationb 10 2 1 7-8 7-12 a 2− Le rayon de l’ion oxyde O est pris égal à 1,40 Å. Le rayon des cations est celui indiqué par Shannon et Prewitt (Shannon 1969). b Degré de condensation maximum des isopolyanions formés en milieu aqueux. Forme pK
stable dans le complexe. Dans la série VV , CrVI , MnVII , la force de l’acide croît avec la charge du cation et, par suite, le degré de condensation diminue (Tab. 3.3). MnVII n’existe que sous forme du permanganate [MnO4 ]− monomère. Le pouvoir polarisant du cation est extrême et l’acide permanganique, « MnO3 (OH) », n’existe pas sous forme moléculaire en solution diluée. Pour la même charge formelle, le degré de condensation croît dans la colonne de la classification CrVI , MoVI , WVI . Dans ce groupe, la force de l’acide s’abaisse, mais la variation de condensation ne peut être justifiée aussi simplement car la taille du cation augmente et l’augmentation de coordinence s’en trouve favorisée. Ainsi MoVI et surtout WVI ne forment pas d’espèces condensées à partir du motif tétraédrique. Dans la forme tétraoxo, les éléments de transition de configuration électronique d0 sont susceptibles de mettre en jeu leurs orbitales atomiques d et p dans des liaisons π avec les ligands oxo. Il s’agit essentiellement des orbitales de symétrie e, car celles de symétrie t2 (d et p), déjà engagées dans les liaisons σ, ne peuvent participer qu’à de faibles recouvrements (Fig. 3.16) (Purcell 1985, Figgis 1966, Ballhausen 1964). Les liaisons π peuvent être très fortes dans les oxoanions, notamment dans [MnO4 ]− du fait du fort pouvoir polarisant du MnVII dû à sa petite taille et à sa charge formelle élevée. Cela explique que les ligands oxo dans [MnO4 ]− soient très peu basiques et ne se protonent pas, même en milieu fortement acide. Avec des cations de configuration d0 plus gros et de charge formelle plus faible, la coordinence tétraédrique reste favorisée car les OM antiliantes sont vides. Toutefois, les recouvrements π sont moins forts et le caractère basique des ligands oxo s’affirme. Leur protonation est possible et la formation de ligands hydroxo abaisse encore les transferts π. Dans ces conditions, la demande électrophile des cations les plus gros, qui n’est plus compensée par des liaisons π assez fortes, provoque l’augmentation de coordinence par condensation avec addition de tétraèdres ou par solvatation en milieu acide. Ainsi, dans un environnement octaédrique en symétrie
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
77
Fig. 3.16 – Diagramme d’énergie schématique des orbitales moléculaires de l’ion [MnO4 ]− .
Oh , D4h ou C4v et même avec un système σ seul, le cation acquiert une meilleure stabilisation par le champ de ligands qu’avec une coordinence 4 dans un système σ et π. Par comparaison, le TiIV de taille comparable à celle
78
De la solution à l’oxyde
de MoVI et WVI mais de charge formelle plus faible, n’établit pas de liaisons π. Il conserve la coordinence 6 dans des complexes aquohydroxo aussi bien que dans le solide. Le stade de protonation pour lequel le changement de coordinence a lieu est en liaison directe avec la taille et la charge formelle du cation car le caractère basique des ligands oxo est d’autant plus faible que le cation est polarisant. Le passage de la coordinence 4 à 6 est observé dans le cas de VV pour le taux de protonation H+ /V = 3 correspondant à l’espèce [VO(OH)3 ]0 . Pour MoVI et WVI , l’extension de coordinence intervient plus tôt, lorsque 1 < H+ /M < 2 où se forment les espèces [MO3 (OH)]− et [MO2 (OH)2 ]0 . Cela explique que WVI ou très rarement MoVI ne forment pas d’espèces condensées à partir de motifs tétraédriques. Les ions CrVI et MnVII ont une taille trop faible pour dépasser la coordinence 4. Le changement de coordinence nécessite en effet un rapport des rayons ioniques du cation à l’oxygène voisin de 0,414, valeur correspondant à la taille des sites octaédriques dans un empilement compact d’atomes d’oxygène (Tab. 3.3). C’est sans doute l’impossibilité de ces deux éléments à dépasser la coordinence 4 qui limite considérablement leur chimie en solution. L’extension de la coordinence du cation peut s’effectuer selon deux mécanismes qui interviennent dans des domaines d’acidité différents. (i) Les formes anioniques tétraédriques protonées [MOa (OH)b ]x− (a + b = 4) peuvent se condenser par addition nucléophile (VV , MoVI , WVI ). La protonation allonge les liaisons M-OH et atténue leur caractère π. Ce mécanisme conduit à la liaison des polyèdres par des arêtes (Kepert 1962, Tytko 1976) (Fig. 3.17a). (ii) Dans les espèces de charge nulle, le cation peut accroître sa coordinence par solvatation, c’est-à-dire par addition de ligands aquo (Fig. 3.17b). Dans ces conditions, l’eau est un meilleur agent nucléophile que le ligand OH de ces espèces. Un tel mécanisme permet d’interpréter, comme on le verra par la suite, la formation des oxydes de vanadium et de tungstène.
+2H2O
2 [MO3(OH)]x- + 2H+
(a)
H2O H2O
[MO3(OH)]
[MO3(OH)(OH2)2]
(b)
Fig. 3.17 – Représentation schématique de l’addition de tétraèdres par acidification (a) et de l’extension de coordinence par solvatation (b) de complexes tétraoxo d’éléments de transition.
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
79
a) Isopolyoxométallates Vanadates. La condensation des vanadates en solution se manifeste de façon exemplaire par le déplacement des courbes de titrage protométriques à différentes concentrations en vanadate (Baes 1976, Souchay 1969a,b) (Fig. 3.18). Les étapes successives sont de plus bien différenciées par des points équivalents nettement marqués.
vanadate pyrovanadate 13 11 métavanadates 0.1 0.01 0.001
pH
9 7
décavanadate
5 3 0.001 0.01
1
monomère vanadique
0.1
0
1
2 3 + H consommés /V
Fig. 3.18 – Courbes de titrage de solutions de vanadate à différentes concentrations en vanadium (d’après Baes 1976) et structure des espèces formées aux différents stades de protonation. De p = H+ consomm´ e /V = 0 à 1, le déplacement des courbes de titrage est tel que ΔpH/ΔlogC > 0. Il y a donc condensation et le point équivalent marque la formation du pyrovanadate : 2[VO4 ]3− + 2H+ → [V2 O7 ]4− + H2 O ou encore 2[VO3 (OH)]2− → [V2 O7 ]4− + H2 O Le pyrovanadate est constitué de deux tétraèdres assemblés par un sommet, de même que [P2 O7 ]4− et [Cr2 O7 ]4− . Dans ces conditions d’acidité (pH > 12), l’ion pyrovanadate est stable.
80
De la solution à l’oxyde
De p = 1 à 2 (9 > pH > 6), le terme ΔpH/ΔlogC est positif et le second point équivalent marque la formation des métavanadates [V4 O12 ]4− , tétramères cycliques : 4[VO4 ]3− + 8H+ → [V4 O12 ]4− + 4H2 O soit : 4[VO2 (OH)2 ]− → [V4 O12 ]4− + 4H2 O
5
H2VO42-540
-560 (a)
-580
-540
Fig. 3.19 – (a) Déplacements chimiques RMN du
-560
V4O124V5O15
5-
HV2O73-
HVO42-520 δv ppm
V4O136- HV4O135-
7
V5O155-
HV2O73-
9
H2V2O72-
pH
11
V4O124-
V2O74-
HVO42-
La constitution des solutions de métavanadates est en fait plus complexe, comme l’indiquent les études de RMN du 51 V couplées à la potentiométrie (Heath 1981). En milieu très alcalin, on observe un pic unique attribué au monomère [VO4 ]3− (Fig. 3.19a). Au cours de l’acidification, d’autres pics apparaissent (Fig. 3.19b). La variation du déplacement chimique de certains de ces pics avec le pH traduit l’existence de formes protonées du vanadate ([HVO4 ]2− , [H2 VO4 ]− ) et du pyrovanadate ([HV2 O7 ]3− , [H2 V2 O7 ]2− ). Cependant, les pics restent uniques car les équilibres de protonation sont plus rapides que le temps d’observation de la RMN et c’est donc une situation moyenne (une raie d’échange) qui est observée.
-580
-600
(b) 51
V des principales espèces vanadiques en fonction du pH du milieu. (b) Spectre RMN du 51 V d’une solution à pH 8,3 (CV = 10−2 mol.l−1 ) (reproduit d’après Heath 1981 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
Dans la région de formation du métavanadate (9 > pH > 6), deux pics apparaissent dont la position est indépendante du pH. Les espèces correspondantes ne participent donc pas à des équilibres de protonation et les pics sont attribués au tétramère [V4 O12 ]4− et au pentamère [V5 O15 ]5− . La finesse des pics laisse supposer une haute symétrie autour d’atomes de vanadium structuralement identiques : il s’agit de cycles à 4 et 5 tétraèdres VO4 enchaînés par des sommets. Un faible pic à 570 ppm (Fig. 3.19 a), qui peut être attribué
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
81
à un tétramère linéaire [V4 O13 ]6− et sa forme protonée [HV4 O13 ]5− , fusionne à pH < 9 avec celui de [V4 O12 ]4− cyclique. À l’état solide, les métavanadates ont des structures d’anions linéaires (Pope 1983, Kepert 1972) : chaînes infinies de tétraèdres liés par des sommets (KVO3 ) ou de bipyramides trigonales distordues (KVO3 , H2 O) dans lesquelles le vanadium est pentacoordiné. Par acidification au-delà de p = 2, les solutions de vanadate deviennent orange et le déplacement des courbes de titrage avec la concentration est tel que ΔpH/ΔlogC > 0. La condensation se poursuit et le point équivalent vers pH3 (H+ /V = 2,5) marque la formation du décavanadate : 10[VO4 ]3− + 25H+ → [HV10 O28 ]5− + 12H2 O ou : 5[VO2 (OH)2 ]− + 5[VO(OH)3 ]0 → [HV10 O28 ]5− + 12H2 O L’addition de tétraèdres permettant la coordinence octaédrique du vanadium a lieu dans cette région d’acidité où les équilibres sont lents. Le décavanadate est constitué de 10 octaèdres VO6 reliés par des arêtes (Fig. 3.18 et 3.20). Les études de RMN du 51 V permettent d’établir que l’ion décavanadique conserve la même structure en solution et à l’état solide (Day 1987). Trois types d’ions vanadium (notés 1, 2, 3 sur la figure 3.20a) existent dans les rapports 1/2/2. Leurs polyèdres de coordination partagent respectivement sept, quatre et cinq arêtes. L’agencement aussi compact d’octaèdres provoque d’importantes répulsions entre les atomes de vanadium qui se trouvent fortement déplacés vers l’extérieur du polyanion. Les longueurs des liaisons VO varient de 1,60 Å (V-Oterminal ) à 2,32 Å (V-Ocentral ). La forte distorsion
3 a
d
c
b
2
1
(a)
(b)
Fig. 3.20 – (a) Géométrie de l’ion [V10 O28 ]6− . Le site de protonation dans l’eau
de la forme [HV10 O28 ]5− est noté a, ceux de la forme [H2 V10 O28 ]4− sont notés b et c, et ceux de [H3 V10 O28 ]3− en milieu H2 O/CH3 CN sont notés a, b, d (adapté c American Chemical Society). (b) Schéma de avec autorisation d’après Day 1987 la forme à demi liée mise en jeu dans l’échange des atomes d’oxygène (reproduit d’après Comba 1988 avec l’autorisation de Wiley).
82
De la solution à l’oxyde
des polyèdres de coordination du vanadium dans le polyanion explique que les atomes d’oxygène externes soient peu basiques. La forme la plus protonée du décavanadate dans l’eau est [H2 V10 O28 ]4− (point équivalent à H+ /V = 2,6, Fig. 3.18). En milieu eau /acétonitrile (εCH3CN = 36,2), moins dissociant que l’eau pure, il est possible d’obtenir la forme [H3 V10 O28 ]3− . Les différents types de sites protonés sont identifiés par des mesures de diffraction X et de RMN multinucléaires (1 H, 17 O, 51 V) (Day 1987). Les atomes d’oxygène terminaux des liaisons V=O très courtes ne sont pas protonables. Dans l’ion [HV10 O28 ]5− , les oxygènes en μ3 (site a sur la figure 3.20) s’avèrent les plus basiques et l’un d’entre eux fixe le proton. Cela entraîne l’allongement des liaisons V-O impliquées (+0,1 Å) et il s’ensuit une importante redistribution de la charge dans le polyanion, si bien que les sites de protonation ultérieurs ne sont pas les mêmes (Fig. 3.20a). L’ion [H2 V10 O28 ]4− peut être facilement déprotoné et forme l’ion [V10 O28 ]6− par addition de soude. La lenteur des équilibres dans cette zone d’acidité évite la formation des métavanadates (Souchay 1969b). Bien que le polyanion décavanadique soit une espèce thermodynamiquement stable avec une structure très compacte et des liaisons V-O fortement distordues, il est le siège d’une fluxionalité importante. Tous les atomes d’oxygène de la structure sont relativement rapidement échangeables avec l’oxygène des molécules d’eau de la solution et avec des vitesses comparables (6 h ≤ t1/2 ≤ 11 h à 298 K) (Comba 1988). L’étude, menée par RMN de 17 O sur le décavanadate enrichi dissous dans l’eau naturelle, montre que l’échange procède avec formation d’une espèce intermédiaire à demi-liée, c’est-à-dire comportant la rupture d’un certain nombre de liaisons sans séparation de fragments (Fig. 3.20b). L’acidification plus poussée de l’ion [H2 V10 O28 ]4− (H+ /V > 2,6) ne forme pas les espèces protonées que l’on pourrait attendre. Dans cette zone d’acidité, le terme ΔpH/ΔlogC est négatif (Fig. 3.18) et le système se décondense pour libérer le cation vanadique [VO2 (OH2 )4 ]+ octaédrique (Souchay 1969a, b) selon l’équilibre formel : [H2 V10 O28 ]4− + 14H3 O+ + 18H2 O ⇔ 10[VO2 (OH2 )4 ]+ Le point de concours des courbes de titrage à H+ /V = 2,6 marque donc un maximum dans la condensation. La décondensation du système dans cette zone d’acidité peut être interprétée par la nature de la sphère de coordination du VV dans le monomère. On a vu (§ 2.2) qu’en raison du pouvoir polarisant élevé du VV , celui-ci semble mieux stabilisé dans une forme dioxo-aquo [VO2 (OH2 )4 ]+ avec l’intervention de liaisons π que dans des formes oxohydroxo-aquo [VO(OH)2 (OH2 )3 ]+ ou hydroxoaquo [V(OH)4 (OH2 )2 ]+ . De ce fait, la condensation est inhibée parce que les deux groupes oxo sont engagés dans des liaisons V-O très courtes qui annihilent le caractère nucléophile de ces ligands qui demeurent par conséquent très peu basiques et non protonables.
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
83
Le décavanadate est le plus grand isopolyanion formé dans l’eau par le VV en présence de cations alcalins ou du proton. Le changement du solvant et/ou de la nature des cations permet de former des structures originales de polyanions vanadiques. Par exemple, le chauffage au reflux du décavanadate H2 V10 O28 [Nn Bu)4 ]4 dans l’acétonitrile pendant 1 à 2 minutes permet d’isoler, sous forme de sel de tétraphénylphosphonium, l’anion [CH3 CN,V12 O32 ]4− (Day 1989). Constitué de pyramides VV O5 , il présente la particularité d’avoir une structure très ouverte, en forme de panier renfermant quasi totalement une molécule d’acétonitrile (Fig. 2.31a). Le reflux prolongé de H3 V10 O28 [Nn Bu)4 ]3 dans l’acétonitrile conduit en revanche à un polyanion très compact [V13 O34 ]3− dont la structure est basée sur des octaèdres VV O6 très distordus (Hou 1992) (Fig. 3.21b). La structure rappelle celle du métatungstate (Fig. 3.24) mais les groupes trivanadiques et le treizième atome de vanadium constituent un arrangement plan en deux couches beaucoup plus compact.
c c N
(a)
(b)
c c N
Fig. 3.21 – Structures (a) de l’ion [V12 O32 ]4− (reproduit avec autorisation d’après c American Chemical Society) et (b) de l’ion [V13 O34 ]3− (reproduit Day 1989 c American Chemical Society). Les atomes de avec autorisation d’après Hou 1992 vanadium sont représentés par des cercles pleins.
84
De la solution à l’oxyde
Molybdates. À pH > 7, les molybdates et les tungstates existent en solution sous forme tétraoxo [MO4 ]2− et forment par acidification de nombreux polyanions. Il s’agit de systèmes complexes et l’on examinera seulement quelques composés parmi les plus stables. Les équilibres de condensation des molybdates en solution sont atteints rapidement alors que ceux des tungstates sont beaucoup plus lents (quelques jours, voire quelques mois à température ambiante). Dans ce dernier cas, les espèces stables ne sont en général formées qu’après le passage par de nombreux intermédiaires. La courbe de titrage d’une solution de molybdate ne présente pas de point équivalent nettement marqué, mais une zone d’équivalence assez étalée vers H+ /Mo = 1,5 (Souchay 1969b) (Fig. 3.22). Cela traduit la coexistence de nombreux équilibres et par conséquent d’espèces différentes. 10-1 M 3.10-2 10-2 3.10-3 10-3 3.10-4 10-4
6 5 4 pH
2), des espèces polycationiques solubles sont formées sans apparition de phases solides, même après évolution. Des hydrates molybdiques, obtenus en milieu fortement acide sont décrits plus loin. Par addition de base, tous ces composés sont rapidement détruits et forment le molybdate monomère [MoO4 ]2− . Tungstates. L’acidification du tungstate en milieu aqueux conduit à un grand nombre de polytungstates dont deux seulement sont thermodynamiquement stables. Il s’agit : • du paratungstate B, douze fois condensé, formé vers pH 6 : 12[WO4 ]2− + 14H+ → [H2 W12 O42 ]10− + 6H2 O • du α-métatungstate, également douze fois condensé, formé vers pH 4 : 12[WO4 ]2− + 18H+ → [H2 W12 O40 ]6− + 8H2 O Ces deux polyanions représentent le terme de l’évolution de solutions acidifiées dans les proportions H+ /W = 1,17 et 1,5 respectivement. Le paratungstate B cristallise après un à deux jours à température ambiante. Le α-métatungstate est complètement formé en quinze jours à 50 ◦ C. La structure de ces espèces (Fig. 3.24) comprend des groupes tritungstiques linéaires W3 O14 et cycliques W3 O13 constitués d’octaèdres reliés par des arêtes. Ces motifs sont connectés par des sommets : deux groupes linéaires et deux groupes cycliques constituent le paratungstate B ; quatre groupes cycliques forment le α-métatungstate (structure de Keggin) (Pope 1983, Kepert 1962). L’agencement des groupes tritungstiques forme dans les deux cas une cavité centrale où se logent deux protons. Ceux-ci sont identifiés par diffraction de neutrons et par RMN (Pope 1983). Ces deux protons sont fixés sur l’atome d’oxygène commun aux trois octaèdres dans les groupements cycliques (ponts μ3 -O). Dans le α-méta, les protons internes ne sont pas titrables par une base ni échangeables avec le solvant du fait de leur non-accessibilité (Pope 1966). En revanche, ceux du para B, plus accessibles, s’échangent rapidement avec l’eau (Launay 1976a). Dans la structure du α-méta, les quatre atomes d’oxygène en ponts μ3 constituent une cage tétraédrique qui peut être occupée par divers éléments tels PV , SiIV , GeIV , pour former des hétéropolyanions (Souchay 1969b, Pope 1983). Quelques phosphatotungstates sont décrits plus loin.
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
[WO4]2- + x H+
87
Milieu aqueux
1.14 Para A [W7O24]6- [H3W6O22]5-
c a
1.17
Para B [H2W12O42]10-
1.45 Méthanol 1.50
[H8W11O40]6- ? Ψ meta ?
Faible force ionique et/ou [NR4]+
1.60
1.67
b
β-[H2W12O40]6β-meta
α-[H2W12O40]6α-meta
H 2O CH3OH
[W10O32]2-
[W6O19]2H+/W Fig. 3.24 – Structure de quelques polyanions tungstiques. Les deux polyanions (para B, α-méta) résultent d’une série de transformations complexes. Seuls certains intermédiaires ont été structuralement caractérisés en solution par RMN du 183 W et 17 O (Maksimovskaya 1985, Hasting 1992). La complexité du système provient des cinétiques très variées (de quelques secondes à plusieurs semaines) des réactions impliquées dans de nombreux équilibres (Souchay 1969b, Pope 1983). L’acidification du tungstate [WO4 ]2− vers pH 6 forme rapidement un tungstate sept fois condensé (paratungstate A, [W7 O24 ]6− ) : 7[WO4 ]2− + 8H+ → [W7 O24 ]6− + 4H2 O La structure cristalline du polyanion, établie à partir d’un sel de pipéridinium (C5 H10 NH2 )6 [W7 O24 ] (Pope 1983), est analogue à celle du
88
De la solution à l’oxyde
paramolybdate. Le paratungstate A a longtemps été considéré comme un hexatungstate (Souchay 1969b). Après une longue controverse, il a été établi que la forme la plus probable pour le taux d’acidification 1,15H+ /W (8H+ /7W) était l’heptatungstate (Fuchs 1979). Bien qu’un hexatungstate [H3 W6 O22 ]5− ait été mis en évidence en solution par spectroscopie infrarouge et Raman et structuralement caractérisé par diffraction X sous forme du sel de sodium (Hartl 1993) (Fig. 3.24), il semble représenter une forme très minoritaire de polytungstate. Cela donne une idée du nombre des espèces possibles en solution dans un si faible intervalle d’acidité et de la complexité de leurs équilibres d’interconversion. Le para A ne se protone pas au moins jusqu’à pH 5,5 (pas de déplacement des signaux RMN avec le pH [Hasting 1992]) et il se transforme lentement en para B. La formation en milieu plus acide du α-métatungstate n’est pas non plus directe. Elle semble se dérouler à partir de la formation rapide du para A qui se transforme en une espèce non identifiée, le ψ-métatungstate. Celui-ci formerait à son tour l’isomère β-métatungstate dont l’évolution lente conduit au α-métatungstate stable. L’isomérie α-β consiste en une rotation de 120◦ de l’un des groupes tritungstiques autour de l’axe C3 (Fig. 3.24). L’étude de l’acidification de solutions concentrées de para B par RMN du tungstène et de l’oxygène (Hasting 1992) montre qu’il fixe un proton supplémentaire (pKa = 4,59) pour former l’ion [H3 W12 O42 ]9− . On a vu précédemment que deux protons résident sur les ponts μ3 -O à l’intérieur de la cavité centrale du polyanion (sites a). L’analyse du déplacement des signaux RMN avec l’acidité du milieu montre que les sites de protonation ultérieurs sont majoritairement les ponts μ2 -O de type b internes au polyanion et des sites externes μ2 -O de type c (Fig. 3.24). Plusieurs isomères protonés [H3 W12 O42 ]9− sont supposés exister. Certains portent trois protons internes, dont deux sur des sites b, ce qui entraîne le déplacement de l’un des protons des ponts μ3 -O. Le même phénomène est observé avec le décavanate (Fig. 3.20), pour lequel le deuxième et le troisième stade de protonation modifient tous les sites de protonation. D’autres formes isomères de [H3 W12 O42 ]9− porteraient le troisième proton en échange rapide sur les sites externes μ2 -O de type c. L’interconversion des formes isomères semble limitée par la vitesse d’échange du proton entre les sites internes et externes du polyanion. Ces espèces protonées sont métastables. Elles évoluent vers un intermédiaire caractérisé par l’absence d’éléments de symétrie. Cette espèce semble être un dérivé lacunaire du para B, [H8 W11 O40 ]6− , résultant de l’élimination d’un octaèdre WO6 de l’un des groupements tritungstiques linéaires (Hasting 1992) (Fig. 3.24). Une telle espèce pourrait être l’un des intermédiaires assurant la transformation par acidification en α-métatungstate ou en décatungstate jaune [W10 O32 ]2− , le seul isopolytungstate coloré. Ce dernier est formé dans l’eau en milieu plus acide (H+ /W > 1,5, pH < 2), à faible force ionique et/ou en présence de cations ammonium quaternaires (Souchay 1969b) (Fig. 3.24). Le décatungstate est métastable dans l’eau et
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
89
se transforme lentement en α-métatungstate. Il peut être stabilisé en milieu non aqueux (méthanol, DMSO). L’acidification du tungstate dans le méthanol conduit à un hexatungstate [W6 O19 ]2− de structure très compacte, isostructural avec celui formé par le molybdène, le niobium et le tantale (Fig. 3.24). L’addition d’eau le transforme rapidement en décatungstate [W10 O32 ]2− (temps de demi-réaction 8 min à 25 ◦ C). La transformation inverse du décatungstate en solution dans le méthanol est beaucoup plus lente (t1/2 = 4 jours à 35 ◦ C). En solvant mixte (addition d’eau), les deux ions sont en équilibre. Comme dans les polyvanadates et les polymolybdates, les polyèdres de coordination dans les polyanions tungstiques sont très distordus : dans les octaèdres WO6 des groupes cycliques, la liaison W-Oterminal est particulièrement courte (1,70 Å) et la liaison W-Ocentral , très longue (2,26 Å), est située en trans. Le cation se trouve ainsi déplacé vers l’extérieur du polyanion en raison du caractère π de la liaison W-Ot . Cette liaison courte crée une couche d’atomes d’oxygène externes très fortement polarisés vers l’intérieur du polyanion par des interactions dπ-pπ (de même que dans V10 O28 ). Les atomes d’oxygène terminaux sont donc peu basiques, ce qui limite leur protonation et ne permet donc pas de condensation ultérieure par élimination d’eau. On peut aussi considérer que, si la condensation se prolongeait, il deviendrait beaucoup plus difficile pour les cations métalliques de se déplacer pour réduire leurs répulsions et le partage des arêtes cesserait. Ainsi, plus le métal est petit, mieux la relaxation des interactions peut s’effectuer et, par conséquent, plus le nombre d’octaèdres liés par arêtes est grand par unité polyanionique : RV(V) [V10 O28 ]6−
>
RMo(VI) [Mo8 O26 ]4−
≈
RW(VI) [W7 O24 ]6−
Des polyanions du tungstène et du molybdène plus grands peuvent être formés ([H2 W12 O40 ]6− , [Mo36 O112 (H2 O)16 ]8− ), mais ils mettent en jeu le partage d’octaèdres par des sommets pour atténuer les répulsions électrostatiques entre les ions métalliques. Un point mérite d’être soulevé concernant la différence de comportement entre MoVI et WVI . Il n’existe que peu de polymolybdates et polytungstates isostructuraux : le para A [M7 O24 ]6− , l’hexa compact [M6 O19 ]2− . La majorité des polymolybdates sont de type cis-dioxo (deux atomes d’oxygène terminaux en cis), alors que la majorité des polytungstates est de type mono-oxo (un seul oxygène terminal par octaèdre). Le seul tungstate cis-dioxo (para A) est instable par rapport au molybdate. Il est difficile de justifier cette différence de comportement. Étant donné que les liaisons simples M-O dans les polyanions tungstiques et molybdiques ont la même longueur (1,92 Å), il est probable qu’un meilleur recouvrement orbitalaire est obtenu avec le tungstène puisque l’expansion des orbitales 5d est plus grande que celle des orbitales 4d. Les molybdates pourraient alors avoir tendance à compenser la faiblesse des liaisons simples par un plus grand nombre de liaisons π multiples.
90
De la solution à l’oxyde
Ot W O O Oe O Oa x
Liaison W-Oe s*x, y
Liaison W-Ot
z
p*xz, yz y
z2 x2-y2 xz yz xy
px,y,z pxz,yz
OA W
sx, y
Liaison W-Oa s*z
px,y,z
sz
px,y,z
OA O
Fig. 3.25 – Diagrammes simplifiés d’orbitales moléculaires pour les différentes liaisons W-O dans le complexe WO6 de symétrie C4v . La différence de configuration des deux éléments entraîne aussi une conséquence intéressante quant aux possibilités de réduction du métal. La déformation de l’octaèdre WO6 implique la symétrie C4v du polyèdre, du fait du raccourcissement de la liaison W-Ot . Cette liaison, trop courte pour présenter un caractère σ, peut être considérée comme une double liaison π. Un diagramme simplifié d’orbitales moléculaires (Fig. 3.25) montre que, dans la symétrie considérée, l’orbitale dxy demeure toujours non liante, alors que dans le cas du molybdène, cette orbitale dxy est utilisée pour établir la deuxième liaison π correspondant à la configuration cis-dioxo. On comprend dès lors que la réduction à deux électrons soit réversible dans le polyanion tungstique : les électrons se placent dans l’orbitale dxy vacante. Son caractère non liant n’entraîne que peu de changements structuraux. Au contraire, dans la configuration cis-dioxo, les électrons doivent se placer dans des orbitales disponibles antiliantes, ce qui entraîne un changement structural important et l’irréversibilité de la réduction (Launay 1976b). Le caractère réversible de la réduction des polyanions tungstiques leur confère des potentialités catalytiques, le polyanion assurant le transfert électronique au cours de réactions rédox en solution. La forme initiale est régénérée par réoxydation à l’air (Pope 1983). L’intérêt des polyoxométallates dans ce domaine est renforcé du fait de leur forte acidité de Brönsted. L’activité biologique de certains polyoxométallates en font aussi des candidats potentiels pour des applications médicales, en particulier les hétéropolyanions (Pope 1991) qui forment de vastes et très riches familles de composés. b) Hétéropolyoxométallates Des polyanions plus grands que ceux examinés jusqu’ici peuvent être formés par condensation des anions vanadiques, molybdiques ou tungstiques en présence de différents types d’hétéroatomes : • des éléments différents, par exemple PV , AsV , SiIV , BIII sous forme de phosphate, arsénate, silicate, borate, capables de complexer l’élément de transition et d’être incorporés dans la structure pendant la formation du polyanion ;
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
91
• des cations métalliques à bas degré d’oxydation (éléments de transition, lanthanides) capables de réaliser l’assemblage de fragments plus ou moins lacunaires de polyoxométallates ; • des formes réduites des éléments eux-mêmes, tels VIV , MoV , WV qui participent au processus de polycondensation ; • le ligand sulfure S2− qui, avec le ligand oxo, forme des oxothiométallates. Quelques exemples démonstratifs de la grande diversité structurale des hétéropolymétallates sont indiqués ci-dessous. Ces entités offrent en effet des propriétés remarquables dans des domaines variés tels la catalyse, le magnétisme, la luminescence entre autres (Sécheresse 2013). Polyvanadates. Les oxopolyvanadates du VIV ou à valence mixte VIV -VV formés en solution aqueuse possèdent des architectures en forme de motifs creux englobant divers ions, molécules ou motifs autour desquels s’édifie la structure. Le vanadium IV forme à partir du sulfate VOSO4 en milieu alcalin (pH 14) l’ion [V18 O42 ]12− . L’enchaînement de pyramides VIV O5 par des arêtes et des sommets forme une sphère creuse, la structure de Schlemper (Fig. 3.26a) (Johnson 1978), qui enferme une molécule d’eau dans la cavité centrale de 4,5 Å de diamètre. Les atomes de VIV (configuration électronique d1 ), distants en moyenne de 2,95 Å, présentent un couplage antiferromagnétique. La réduction de KVO3 par l’hydroxyde d’hydrazine puis l’addition d’HCl, HBr ou HI forme le composé K9 [H4 VIV 18 O42 (X)], 16H2 O avec X = Cl, Br ou I (Müller 1990). L’anion halogénure se trouve au centre de la sphère creuse dont la structure est très voisine de celle de Schlemper (Fig. 3.26b). Une cage analogue incluant un anion nitrate (Müller 1991a) existe dans [HVIV 12 VV 6 O42 (NO3 )]10− (Fig. 3.26c). Le traitement de V2 O5 par LiCO3 puis par le sulfate d’hydrazine forme le composé Li7 [VIV 8 VV 7 O36 (CO3 )], 39H2 O dont la coquille V15 O36 5− enferme l’ion carbonate (Müller 1990) (Fig. 3.26d). La réduction partielle de NH4 VO3 en solution aqueuse par le sulfate d’hydrazine forme le composé V19 : [V19 O41 (OH)9 ], 8NH4 , 11H2 O. Douze octaèdres VIV O6 et six tétraèdres VV O4 constituent un ellipsoïde qui enferme un tétraèdre VV O4 dont les sommets sont communs à quatre octaèdres de la coquille (Müller 1988) (Fig. 3.26e). Ce composé chauffé à 75 ◦ C en solution aqueuse en présence de NEt4 BF4 et NaN3 forme [H2 VIV V 8 V 10 O44 (N3 )](NEt4 )5 (Müller 1991b) (Fig. 3.26f). La cage creuse contient l’ion azoture N3 − . Traité par NEt4 ClO4 dans les mêmes conditions, le composé V19 forme [HVIV 8 VV 14 O54 (ClO4 )](NEt4 )6 (Müller 1991b) (Fig. 3.26g). La cage creuse encapsule l’ion perchlorate. Enfin, la réduction de KVO3 en solution aqueuse à 90 ◦ C par l’hydroxyde d’hydrazine et le traitement par l’acide acétique forme K10 [V34 O82 ], 20 H2 O dont la structure, constituée d’une cage de trente atomes de vanadium (12 VIV , 18 VV ) en coordinence 5 pyramidale, enferme un cœur [VIV 4 O4 ]O4 (Müller 1991c) (Fig. 3.26h).
92
De la solution à l’oxyde
(a)
(c)
(b)
(d)
(f)
(e)
(g)
(h)
Fig. 3.26 – Structure de cages polyoxovanadiques. (a) Structure de Schlemper [V18 O42 (H2 O)]12− (reproduit d’après Pope 1983 avec autorisation de Springer) ; (b) [H4 V18 O42 (X)]9− (X = Cl, Br ou I) ; (c) [HV18 O42 (NO3 )]10− ; (e) [V19 O41 (OH)9 ]8− ; (f ) [H2 V18 O44 (N3 )]5− ; (d) [V15 O36 (CO3 )]7− ; 6− 10− ; (h) [V34 O82 ] . (Reproduit avec autorisation d’après (g) [HV22 O54 (ClO4 )] c Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA). Müller 1988,1990, 1991a, b − − Dans ces structures, les anions encapsulés (ClO− 4 , N3 , NO3 ) ne font pas partie intégrante de la charpente. Leurs positions dans la cavité centrale du polyanion sont fixées sans désordre cristallographique par des interactions faibles avec les atomes de vanadium et d’oxygène de la coquille (Müller 1991b). Dans l’ion [H2 V18 O44 (N3 )]5− , les plus courtes distances N... O sont 3,05 Å. Dans [HV22 O54 (ClO4 )]6− , les plus courtes distances V... OClO3 sont 2,96 Å. Dans l’anion [VIV 12 VV 2 O22 (OH)2 (OH2 )2 (C6 H5 PO3 )2 ]6− (Müller 1992), la coquille qui comporte cette fois les ligands C6 H5 PO3 (Fig. 3.27) enferme deux molécules d’eau, deux ions Cl− et deux cations NH4 + . Ces ions forment,
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
93
Cl N H O VV (Ph)P VlV
Fig. 3.27 – Structure de l’anion [V14 O22 (OH)2 (OH2 )2 (C6 H5 PO3 )2 ]6− (reproduit d’après Müller 1992 avec autorisation de Nature Publishing Group).
à l’intérieur de la cage, un cycle plan et les distances entre eux sont comparables à celles qui existent dans le réseau NH4 Cl. Les liaisons hydrogène à l’intérieur de la cavité semblent très certainement contribuer aux interactions électrostatiques qui entraînent une telle organisation. D’un point de vue purement topologique, cette famille de polyoxovanadates illustre un processus d’organisation moléculaire tout à fait particulier en chimie inorganique. L’encapsulation d’anions ou de molécules dans des coquilles elles-mêmes anioniques apparaît orienter et contrôler l’architecture du système, d’où les noms d’effet « template » ou de supercomplexe « hôteinvité » qui ne sont pas sans rappeler la chimie des zéolithes ou la chimie organique supramoléculaire (Dietrich 1991). Ce type d’assemblage de pyramides en forme de coquille semble imposé par la présence de l’anion (halogénure, nitrate, perchlorate, groupement V4 O4 ) assez volumineux et susceptible de combiner des interactions faibles répulsives avec les atomes d’oxygène coordinés au vanadium et attractives avec le cation lui-même. Ces dernières sont rendues possibles en raison de la coordinence pyramidale du vanadium et de l’effet trans de la liaison terminale V=O. Phosphatotungstates. De nombreuses espèces anioniques telles le silicate, germanate, arsénate, borate et en particulier le phosphate peuvent être incorporées dans la structure des polyanions en formant des hétéropolyoxométallates. Le phosphate est l’hétéroanion qui forme la plus grande variété de
94
De la solution à l’oxyde
composés avec MoVI , WVI et VV . Les phosphatotungstates sont intéressants à considérer pour leur diversité structurale. La plupart des phosphatotungstates se rattachent à trois types structuraux. Le premier est celui du polyanion de Keggin α-[PW12 O40 ]3− (Keggin 1934) (Fig. 3.28 et 3.29). Sa structure est analogue à celle du α-métatungstate [H2 W12 O40 ]6− (Fig. 3.24), mais la cage centrale est occupée par le tétraèdre phosphorique lié par chacun de ses sommets aux quatre atomes d’oxygène en μ3 de la cage. Le polyanion est formé par action d’un excès d’acide phosphorique sur le tunsgtate de sodium Na2 WO4 dissous dans l’eau chaude, après addition d’acide chlorhydrique. Il cristallise par refroidissement de la solution (Souchay 1969b).
α
β
γ
δ
ε
Fig. 3.28 – Isomères de la structure de Keggin. Les trimères ayant tourné de π/3 à partir de la forme α sont représentés en blanc (reproduit d’après Pope 1983 avec autorisation de Springer).
(a)
(b)
(c)
(d)
Fig. 3.29 – Structure de (a) α-[PW12 O40 ]3− (structure de Keggin) et des
dérivés lacunaires (b) α-[PW11 O39 ]7− ; (c) Aα-[PW9 O34 ]9− . (d) Structure de [PW10 O36 ]7− (adapté d’après Knoth 1981).
Cinq isomères du polyanion de Keggin sont possibles (Fig. 3.28). Ils correspondent à la rotation de π/3 de 1, 2, 3 ou 4 groupes tritungstiques formant les isomères β, γ, δ et ε respectivement, entraînant de ce fait le changement du mode de connexion des groupes trimères qui passe du partage de sommets au partage d’arêtes. La forme α paraît la plus stable car les répulsions cation-cation sont minimisées et les recouvrements dπ-pπ sont favorisés (Pope 1983). L’isomère β est inconnu, l’isomère γ est rare. La forme δ existe dans le polycation Al30 (trois groupes trimères ont tourné et sont connectés par des arêtes, le quatrième est lié par des sommets) et le polycation Al13 est
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
95
l’isomère ε où les quatre groupes Al3 O13 sont liés par des arêtes. Le signal très large sur les spectres RMN-MAS 27 Al témoigne de la forte distorsion de l’environnement octaédrique des ions Al3+ dans cet isomère. L’isomère α est aussi présent parmi les formes polycationiques de l’aluminium, dans la zunyite, un aluminosilicate (Chap. 6). α-[PW12 O40 ]3− est très soluble dans l’eau mais son domaine de stabilité est réduit (pH < 1). Il est converti en dérivés lacunaires par perte d’atomes de tungstène. Il est ainsi à l’origine d’une famille d’hétéropolyanions dont la structure se rattache à celle de Keggin. Par alcalinisation, il conduit rapidement et réversiblement aux espèces suivantes (Contant 1987) : α-[PW12 O40 ]3−
⇔
α-[PW11 O39 ]7−
⇔
[HPO4 ]2− + [WO4 ]2−
⇔
Aα-[PW9 O34 ]9−
Leurs structures (Fig. 3.29) sont déduites pour la plupart des études en solution (Contant 1987) et des résultats de RMN du 31 P (Massart 1977). Toutes ces espèces peuvent être synthétisées directement par acidification de mélanges de tungstate et de phosphate (Contant 1987). Le traitement d’acide tungstique par l’hydroxyde de césium puis la neutralisation de la solution jusqu’à pH 7 par de l’acide phosphorique forme le composé Cs6 P2 W5 O23 . L’anion [P2 W5 O23 ]6− est constitué d’un cycle formé d’octaèdres WO6 dont trois partagent deux arêtes et deux partagent une arête et un sommet (Fig. 3.30). Les tétraèdres phosphorique sont tricoordinés (Knoth 1981). Chauffé dans l’eau à 100 ◦ C, ce composé forme rapidement l’ion [PW10 O36 ]7− (Fig. 3.29) dont la structure dérive de celle de Keggin par rotation de π/3 de deux groupes tritungstiques et l’élimination de deux octaèdres (Knoth 1981). Ces modifications structurales laissent supposer une grande complexité des équilibres en solution et soulignent l’importance de la nature du cation. En présence de sodium ou de potassium à la place du césium, la synthèse conduit à [PW9 O34 ]9− . Le second type structural phosphatotungstique est celui du polyanion α-[P2 W18 O62 ]6− (structure de Dawson) dont la structure est formée par la
Fig. 3.30 – Structure de l’anion [P2 W5 O23 ]6− (adapté d’après Knoth 1981).
96
De la solution à l’oxyde
réunion de deux unités α-PW9 par des sommets d’octaèdres (Fig. 3.31a) (Dawson 1953, D’Amour 1976). Il est obtenu par chauffage au reflux du tungstate de sodium en présence d’un excès d’acide phosphorique. Il existe un isomère β dans lequel un des groupes polaires W3 O13 a tourné de 60◦ (Acerete 1979, Contant 1985). Les deux isomères sont séparés par cristallisation fractionnée des sels d’ammonium. Par alcalinisation, α-P2 W18 forme une série de composés lacunaires par élimination d’octaèdres polaires (Contant 1977) : α-[P2 W18 O62 ]6−
⇔ ⇔
α-[P2 W17 O61 ]10− ⇔ [HPO4 ]2− + [WO4 ]2−
α-[P2 W15 O56 ]12−
L’addition de α-[P2 W15 O56 ]12− dans une solution de chlorure ferrique en présence de NaCl concentré et chauffage du mélange à 80 ◦ C pendant 5 minutes forment après quelques jours des cristaux de Na12 [FeIII 4 (H2 O)2 (P2 W15 O56 )2 ], 58H2 O (Zhang 1997). Deux polyanions lacunaires α-P2 W15 sont réunis par un tétramère ferrique dans lequel les cations fer sont liés par des arêtes (Fig. 3.31f). En fait, les cations qui assurent la liaison entre les deux parties phosphatotungstiques sont coordinés aux 12 sommets des octaèdres tungstiques et aux 2 sommets des tétraèdres phosphoriques. Deux molécules d’eau
Fe3+ HO(a)
HO(b)
HO-
(c) H+ (f)
(d)
(e)
Fig. 3.31 – Structures de (a) α-[P2 W18 O62 ]6− (structure de Dawson) et des dérivés
lacunaires (b) α-[P2 W17 O61 ]10− ; (c) α-[P2 W15 O56 ]12− ; (d) [H2 P2 W12 O48 ]12− ; (e) [P8 W48 O184 ]40− (les ions potassium internes à la couronne sont représentés par c American des ellipsoïdes) (reproduit avec autorisation d’après Contant 1985, Chemical Society) ; (f ) [FeIII 4 (H2 O)2 (P2 W15 O56 )2 ]12− (d’après Zhang 1997).
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
97
complètent la coordinence des cations. Des structures analogues sont obtenues avec des cations divalents (Co, Cu, Zn) (Finke 1983). Par perte d’octaèdres équatoriaux et polaires, α-[P2 W17 O61 ]10− forme [H2 P2 W12 O48 ]12− (Fig. 3.31d). Ce dernier, en tampon acétate de lithium/acide acétique et en présence d’ions potassium exclusivement, laisse déposer des cristaux de K28 Li5 H7 P8 W48 O184 (Contant 1985). En fait, les ions [P2 W17 O61 ]10− et [H7 P8 W48 O184 ]33− sont formés concurremment au cours de l’acidification de α-P2 W12 selon un ensemble d’équilibres complexes mettant en jeu plusieurs espèces et des phénomènes d’isomérisation. La structure cyclique de [H7 P8 W48 O184 ]33− (Fig. 3.31e) est formée par l’association de quatre unités P2 W12 bout-à-bout. Le cycle enferme huit cations K+ localisés à des distances des atomes d’oxygène internes variant de 2,7 à 3,1 Å. Le reste de la charge de l’anion est compensé par des cations K+ et Li+ situés à l’extérieur de la couronne. Le polyanion ne se forme qu’en présence d’ions potassium, mais tous les ions alcalins (K+ , Li+ ) sont échangeables par des protons. Les ions potassium doivent donc jouer un rôle clé dans la synthèse. Le phénomène semble analogue à celui observé avec les cages polyvanadiques et on peut penser qu’un effet « template » soit également à l’origine de sa formation. Un autre exemple de roue phosphatotungstique est l’anion de Preyssler [NaP5 W30 O110 ]14− (Preyssler 1970, Alizadeh 1985) (Fig. 3.32). Le cycle enferme un cation Na+ indispensable à sa formation et statistiquement distribué sur deux sites localisés sur l’axe C5 du cycle. Les deux sites, distants de 2,50 Å, ne peuvent être simultanément garnis par du sodium. Ce dernier, non échangeable par des protons, peut l’être par du calcium après traitement à
C5
C5
(a)
(b)
Fig. 3.32 – (a) Structure de [NaP5 W30 O110 ]14− . (b) Fragment PW6 O32 représenté parallèlement à l’axe C5 . Les flèches perpendiculaires à l’axe C5 indiquent les plans de localisation de l’ion sodium à l’intérieur de la couronne (reproduit avec c American Chemical Society). autorisation d’après Alizadeh 1985,
98
De la solution à l’oxyde
120 ◦ C pendant plusieurs heures. Cet anion semble être un sous-produit de la synthèse de P2 W18 (Preyssler 1970). Le troisième type structural de composés phosphatotungstiques est illustré par le polyanion [H6 P2 W21 O74 ]6− . Sa structure dérive formellement de celle de P2 W18 par l’insertion de trois atomes de tungstène en coordinence 6 entre les deux moitiés PW9 (Tourné 1986) (Fig. 3.33a). L’un de ces atomes de tungstène du plan équatorial, repoussé vers l’extérieur du polyanion, est coordiné à l’atome d’oxygène d’une molécule d’eau interne qui établit des liaisons hydrogène avec les deux autres atomes d’oxygène internes du même plan. Les deux autres atomes de tungstène du plan équatorial portent chacun une molécule d’eau de coordination à l’extérieur du polyanion, de sorte que la formulation est [P2 W21 O71 (OH2 )3 ]6− .
(a)
(b)
(c)
(d)
Fig. 3.33 – Structure idéalisée du polyanion [P2 W21 O71 (OH2 )3 ]6− (a) (d’après
Tourné 1986). Structure des dérivés lacunaires [P2 W20 O70 (OH2 )2 ]10− (b) et [P2 W20 O72 ]14− (c). (d) Schéma structural proposé pour [P2 W19 O69 (OH2 )]14− c 2008 Canadian Science (reproduit avec autorisation d’après Contant 1987, Publishing).
Le polyanion est formé par acidification de α-K9 PW9 O34 ou K7 PW11 O39 avec la quantité stœchiométrique de tungstate (Contant 1987, Tourné 1986), mais la présence de potassium ou de rubidium est indispensable. Le polyanion, stable en milieu acide (pH < 2), est dégradé à pH plus élevé en [P2 W20 O70 (OH2 )2 ]10− et [P2 W19 O69 (OH2 )]14− (Contant 1987). Leur structure dérive de celle de P2 W21 par élimination d’un, puis de deux atomes de tungstène de jonction entre les moitiés PW9 (Fig. 3.33). P2 W20 existe sous forme de deux « isomères » qui se distinguent par la rotation de 60◦ d’un des groupes PW9 (Fig. 3.33b et c) et la présence de molécules d’eau de coordination sur les atomes de tungstène de jonction en configuration trans-dioxo (Contant 1987, Fuchs 1984). L’un de ces ions (Fig. 3.33b) se comporte comme un ligand tétradentate d’éléments de transition tel que le CoII , le cobalt occupant la lacune de tungstène (Contant 1987). [P2 W19 O69 (OH2 )]14− résulte de l’alcalinisation de P2 W20 vers pH 7 (Contant 1987) ou de l’acidification à pH légèrement inférieur à 7 du mélange
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
99
stœchiométrique de tungstate et de phosphate à l’ébullition, en présence de potassium. Peu stable (il se décompose en PW11 ), il forme néanmoins des complexes avec CoII . Comme les autres polyanions de cette série, il nécessite la présence de potassium pour sa formation. Du fait d’un seul atome de tungstène de jonction (Fig. 3.33e), la présence de ces cations à l’intérieur du polyanion permet d’assurer la stabilité de l’édifice en maintenant ouvertes les deux mâchoires du polyanion. Signalons enfin l’existence de phosphatotungstates riches en phosphate. Il s’agit des ions [P5 W18 O75 (OH)3 ]20− (Fuchs 1988), [P4 W14 O58 ]12− (Fuchs 1988, Thouvenot 1988), [P6 W18 O79 ]20− (Fuchs 1988) et [P4 W8 O40 ]12− (Gatehouse 1983) (Fig. 3.34).
(a)
(b)
(c)
(d)
Fig. 3.34 – Structure des polyanions (a) [P5 W18 O75 (OH)3 ]20− (Fuchs 1988) ;
(b) [P4 W14 O58 ]12− (reproduit avec autorisation d’après Thouvenot 1988, c American Chemical Society) ; (c) [P6 W18 O79 ]20− (Fuchs 1988) ; (d) [P4 W8 O40 ]12− (reproduit d’après Gatehouse 1983 avec autorisation de IUCr).
Ces polyanions sont formés en milieu concentré de mélanges de Na2 WO4 et Na2 HPO4 dans le rapport 3/1, acidifiés par l’acide acétique ou perchlorique en présence de solvants variés. Leur structure, construite à partir d’octaèdres distordus liés par des arêtes et des sommets, ne semble pas apparentée à l’une des familles précédentes. Bien qu’il soit toujours possible de reconnaître dans ces structures des fragments plus ou moins grands de la structure de Keggin, on observe la présence de différents groupes phosphoriques tétra et/ou tricoordinés. Ces exemples de polyanions phosphatotungstiques montrent la variété structurale apportée par l’anion phosphate, ligand tri- ou tétrapontant. La présence de cations en solution (Fe3+ , Co2+ , Cu2+ , Zn2+ ) introduit une variété structurale supplémentaire par la possibilité d’assemblage d’entités lacunaires. Un dernier exemple du rôle des cations dans la formation de polytungstates géants est donné par l’effet conjoint de l’arsenic (III) et du cérium (III) sur la condensation du tungstate. L’hétéroanion [AsIII 12 CeIII 16 (H2 O)36 W148 O524 ]76− est obtenu à partir du mélange de
100
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
Fig. 3.35 – Représentation du polyanion [AsIII 12 CeIII 16 (H2 O)36 W148 O524 ]76− de face (a) et de profil (b) (en gris foncé, octaèdres WO6 , en gris clair polyèdres CeOx , les points représentent les atomes d’As) (d’après Wassermann 1997). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
tungstate, As2 O3 et nitrate de cérium à pH 7 et à chaud (Wassermann 1997) (Fig. 3.35). C’est le plus grand polytungstate connu à ce jour. Polymolybdates. Les polymolybdates à valences mixtes fournissent des exemples particulièrement spectaculaires de polyanions géants (Müller 1998, 2003). Ces polyanions constituent les « bleus de molybdène » qui sont des systèmes complexes, connus et étudiés depuis plus de deux siècles en particulier par les chimistes danois Scheele et Berzelius, mais la détermination de leur structure est très récente. Le groupe de A. Müller à Bielefeld en Allemagne a apporté une contribution exceptionnelle à cette chimie des polyanions géants. La présence d’ions réduits MoV étend et diversifie d’une manière étonnante la chimie en solution du MoVI en favorisant l’édification de structures géantes sphériques et circulaires. Les raisons de leur formation ne sont pas encore clairement établies, mais leur croissance et leur structure sont très sensibles à de nombreux paramètres : acidité du milieu, taux de réduction, nature du réducteur et des anions présents, température. La réduction du MoVI a pour effet d’augmenter la charge du polyanion et donc sa solubilité, ainsi que d’accroître son caractère nucléophile, ce qui lui permet de fixer des groupements électrophiles supplémentaires, donc de favoriser la croissance. On peut observer le phénomène sur le système suivant. L’acidification du molybdate [MoO4 ]2− en présence de phosphate produit, comme avec le tungstate, la forme α du polyanion de Keggin [PMoVI 12 O40 ]3− . En revanche, après réduction d’une partie du molybdate, on obtient encore
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
101
l’ion de Keggin mais sous sa variété ε. La stabilité du cœur polyanionique nécessite cependant la protonation et la coordination de cations métalliques, comme dans le composé [PMoV 8 MoVI 14 O36 (OH)4 (La(OH2 )4 )4 ]5− (Mialane 2002). La réduction complète du molybdate en milieu acide mène aussi au polyanion ε-Keggin [Hx MoV 12 O40 ](20−x)− stabilisé par quatre centres métalliques, par exemple [MoV 12 O30 (OH)10 H2 (Ni(OH2 )3 )4 ] (Müller 2000). En présence de molybdate, le cœur ε-Keggin fixe quatre groupements molybdiques MoVI O3 pour donner l’entité (Mo16 ), [Hx MoV 12 O40 (MoVI O3 )4 ](20−x)− , qui cristallise sous la forme du composé (CH3 NH2 )6 [H2 Mo16 (OH)12 O40 ] (Khan 1993) (Fig. 3.36). Les quatre centres MoVI de ces derniers groupements peuvent à leur tour être réduits, ce qui leur permet de servir de points d’ancrage de groupements molybdiques supplémentaires (Mo10 ), [H3 MoV 4 MoVI 6 O29 ]+ , et (Mo11 ), [H5 MoV 6 MoVI 5 O31 ]3+ , pour former le polyanion (Mo37 ) (Müller 1998b) (Fig. 3.36). [H3MoV4MoVI6O29]+
[H5MoV6MoVI5O31]3+
4 (MoVIO3)
V VI (20-x)[HxMoV12O40](20-x)- [HxMo 12O40(Mo O3)4]
{Mo16}
{Mo10}-ligand
{Mo16}-coeur
{Mo11}-ligand
{Mo37}
Fig. 3.36 – Schéma de formation du complexe (Mo37 ) par fixation de 4 groupements MoVI O3 représentés en gris clair sur le cœur molybdique ε-Keggin [Hx MoV 12 O40 ](20−x)− puis par fixation des ligands (Mo10 ) et (Mo11 ) représentés en boules et tiges (reproduit d’après Müller 2003 avec autorisation de Elsevier). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.) La présence de deux fragments distincts (Mo10 ) et (Mo11 ) peut s’expliquer par la protonation asymétrique de trois des quatre ponts μ3 O qui forment la cavité centrale du polyanion et qui lui confère une distribution de charge asymétrique. Cet exemple montre bien le rôle des espèces réduites, mais ces différentes espèces ne sont cependant pas obtenues successivement comme pourrait le laisser attendre le modèle ci-dessus. (Mo16 ) est formé par réduction avec l’hydrazine à 85 ◦ C de l’heptamolybdate dissous dans l’eau en présence d’acide phénylphosphonique et cristallisé par addition ultérieure de chlorure de diméthylammonium dissous dans le diméthylformamide (Khan 1993). (Mo37 ) est obtenu par réduction avec l’hydrazine à 100 ◦ C de l’heptamolybdate en milieu acide acétique (Müller 1998b). Dans certaines conditions de réduction du molybdate en solution, il se forme un motif (Mo6 ) comportant une bipyramide pentagonale MoO7 partageant des arêtes coplanaires avec 5 octaèdres MoO6 (Fig. 3.37). Ce motif
102
De la solution à l’oxyde
Fig. 3.37 – Schéma de la structure du polyanion [Mo132 O372 (CH3 COO)30
(H2 O)72 ]42− comportant 12 unités (Mo6 ) (représentées en gris foncé) liés par des ponts (Mo2 ) (représentés en gris clair) (d’après Müller 1998c). (Une version en couleur de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
est à la base de la structure de divers polyanions très particuliers ayant une architecture en forme de sphère creuse ou de roue dont quelques exemples sont présentés ci-dessous. La réduction du molybdate par l’hydrazine, à température ambiante et en milieu acide acétique concentré, forme un polyanion de forme sphérique creuse renfermant 132 atomes de molybdène [MoVI 72 MoV 60 O372 (CH3 COO)30 (H2 O)72 ]42− . La structure (Fig. 3.37) est formée par les motifs (Mo6 ) disposés sur les douze sommets d’un icosaèdre et reliés par des ponts (MoV 2 O4 (CH3 COO))+ . La coloration rouge brun du polyanion indique que les ions MoV (4d1 ) sont associés par paires diamagnétiques et qu’il n’y a pas de transfert de charge MoV → MoVI à travers la structure. Ce polyanion appartient à la famille des keplerates, ainsi nommée à cause de leur similitude avec le premier modèle de l’univers de Kepler (Müller 2003). La formation d’un tel polyanion nécessite très probablement un ensemble de réactions permettant la formation de ces unités pentagonales puis leur liaison sur les positions correctes de la symétrie icosaédrique. Les conditions d’acidité, de réduction et de complexation des molybdates offrent certainement des possibilités extrêmement nombreuses pour permettre une telle auto-organisation du système. L’architecture circulaire du polyanion (Mo154 ) [MoVI 126 MoV 28 (NO)14 O448 H14 (H2 O)70 ]28− (Müller 1995) donne un autre exemple d’association des
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
103
C7
Fig. 3.38 – Schéma de la structure de la roue (Mo154 ). À gauche, vue parallèle à l’axe C7 . Un motif (Mo6 ) avec des octaèdres MoO6 de liaison sont représentés en polyèdres. À droite, vue perpendiculaire à l’axe C7 (reproduit d’après Müller 1999a avec l’autorisation de The Royal Society of Chemistry). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.) motifs pentagonaux (Mo6 ) (Fig. 3.38). Quatorze de ces motifs analogues à ceux existant dans le keplerate (Mo132 ) sont reliés entre eux par des octaèdres MoO6 liés par des sommets. Le composé est bleu foncé, indiquant une mobilité électronique par transfert de charge MoV → MoVI . Il est formé, parmi d’autres espèces polyanioniques, par réduction du molybdate avec l’hydroxylamine à 70 ◦ C en milieu acide chlorhydrique. Les mêmes motifs (Mo6 ) reliés entre eux par partage de sommets avec des octaèdres MoO6 se retrouvent dans les roues (Mo176 ) et (Mo248 ) (Müller 1999b) (Fig. 3.39). Le polyanion (Mo176 ) est formé quasi immédiatement dans une solution de molybdate acidifié par HCl avec l’acide ascorbique comme réducteur et son vieillissement en solution en présence d’un excès de molybdate forme le polyanion (Mo248 ). Ce dernier peut être considéré comme formé par addition de deux entités (Mo36 ) qui constituent les flasques de la roue (Fig. 3.39). Ces composés sont aussi bleu foncé. La réduction du molybdate par le tétrathionate Na2 S2 O4 à température ambiante en milieu acide sulfurique forme le plus grand polyanion connu à ce jour (Mo368 ) [Hx MoV 112 MoVI 256 O1032 (H2 O)240 (SO4 )48 ]48− qui renferme encore le motif pentagonal (Mo6 ) (Müller 2002) (Fig. 3.40). Ces quelques exemples d’hétéropolymolybdates renfermant des centres MoV et MoVI montrent la richesse de leur chimie structurale. Il existe bien d’autres espèces, en particulier les hétéropolymolybdates renfermant non seulement des centres MoV et MoVI , mais aussi d’autres centres métalliques (Müller 1998a).
104
De la solution à l’oxyde
(Mo176)
(Mo248)
(Mo36) (Mo176) (Mo36)
8,5Å
Fig. 3.39 – Représentation schématique des polyanions (Mo176 ) et (Mo248 ) (les polyèdres MoO7 sont représentés en bleu turquoise). Vue de la cavité interne de (Mo248 ) et représentation de l’association des deux fragments (Mo36 ) avec (Mo172 ) (reproduit d’après Müller 1999b avec autorisation de Nature Publishing Group). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
C4
Fig. 3.40 – Schéma de la structure du polyanion (Mo368 ) perpendiculairement (à gauche) et parallèlement (à droite) à l’axe C4 (les polyèdres MoO7 sont représentés en bleu turquoise) (reproduit d’après Müller 2002 avec autorisation de Wiley). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.) Oxothiomolybdates. Les sulfures métalliques (MoS2 , WS2 ) possèdent d’intéressantes propriétés électroniques mises à profit par exemple pour la catalyse d’hydrotraitement dans l’industrie pétrolière. Beaucoup de métalloenzymes doivent aussi leur activité à la liaison Mo-S et W-S. On peut alors s’attendre à ce que l’introduction du ligand sulfido S2− en substitution du ligand oxo dans des polyoxométallates entraîne des modifications significatives de leurs caractéristiques structurales et électroniques et leur confère
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
105
d’intéressantes propriétés. Une contribution majeure à la chimie de tels composés a été apportée par le groupe de F. Sécheresse à Versailles. L’utilisation de précurseurs sulfurés du type [MS4 ]2− (M = Mo, W) présente l’inconvénient de mettre en jeu d’intenses transferts redox entre le soufre et le métal ce qui entraîne la formation de centres MV ou MIV au sein d’entités faiblement condensées. La sulfuration directe de polyoxométallates conduit aussi fréquemment à la réduction de centres métalliques. Une voie de synthèse très versatile est basée sur l’utilisation du cation [Mo2 S2 O2 (OH2 )6 ]2+ (Sécheresse 2005). Cette entité est en effet capable de s’autocondenser pour former une grande diversité d’architectures cycliques et de servir de ligand pour associer divers polyoxométallates lacunaires préformés. Le dication [Mo2 S2 O2 (OH2 )6 ]2+ renferme deux centres MoV octaédriques et les deux ligands sulfido assurent la liaison par arête des deux octaèdres (Fig. 3.41).
I3-
Fig. 3.41 – Schéma structuraux des précurseurs [(S2 )MoOS2 MoO(S2 )]2− et [Mo2 S2 O2 (OH2 )6 ]2+ (reproduit d’après Cadot 2012 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). La très courte distance Mo-Mo, 2,8 Å, en comparaison de la distance MoVI - MoVI 3,5 Å, révèle des interactions métal-métal qui stabilisent le dication en solution, même en milieu très fortement acide. Le dication est synthétisé par oxydation avec l’iode des ligands disulfure terminaux de l’entité [(S2 )MoOS2 MoO(S2 )]2− . Le dication [Mo2 S2 O2 (OH2 )6 ]2+ peut s’autocondenser par olation au cours de l’alcalinisation en solution aqueuse qui génère des ligands hydroxo équatoriaux. Recristallisé dans l’eau pure, on obtient un cycle non chargé formé par l’enchaînement de six motifs via des doubles ponts hydroxo [Mo12 S12 O12 (OH)12 (OH2 )6 ] (Fig. 3.42a). Le dication est reformé réversiblement par acidification. Le processus de cyclisation peut être efficacement contrôlé par diverses espèces agissant comme « templates ». En présence d’halogénures, l’interaction entre les molécules d’eau à l’intérieur du cycle et celle des centres MoV avec deux ions halogénure entraîne la recristallisation sous forme de cycle à 5 motifs (10 MoV ) comportant deux ions halogénures disposés de part et d’autre du cycle (Fig. 3.42b). L’utilisation de divers dicarboxylates permet de modifier la taille et la forme des cycles molybdiques (Sécheresse 2005). Ainsi, avec l’oxalate (C2 O4 2− ), le glutarate (H6 C5 O4 2− ) et le pimélate (H10 C7 O4 2− ), on obtient
106
De la solution à l’oxyde
des cycles à 8, 10 et 12 Mo respectivement dans lesquels le carboxylate coordine deux paires d’ions MoV diamétralement opposées (Fig. 3.43). On observe qu’il n’y a plus d’eau dans les composés Mo10 -glu et Mo12 -pim, les centres MoV non coordinés au carboxylate adoptant la coordinence 5 pyramidale. En revanche, avec le tricarboxylate 1,3,5 méthylcarboxylatobenzène (trimésate) de symétrie ternaire, on obtient un cycle parfaitement circulaire à 12 Mo octaédriques.
(a)
(b)
Fig. 3.42 – Schéma structuraux des cycles (a) [Mo12 S12 O12 (OH)12 (OH2 )6 ] et (b) X2 [Mo10 S10 O10 (OH)10 (OH2 )5 ]2− (X=Cl, I). La représentation « space filling » met en évidence la formation d’un cluster compact (X2 (OH2 )5 )2− à l’intérieur du cycle (d’après Sécheresse 2005).
(a)
(b)
(c)
(d)
Fig. 3.43 – Schéma structuraux des cycles [Mo2n S2n O2n (OH)2n (OH2 )n ] en présence du ligand oxalate (a), glutarate (b), pimélate (c) et trimésate (d) (d’après Sécheresse 2005). C’est probablement la possibilité du molybdène d’adopter la coordinence 6 ou 5 qui confère une grande flexibilité structurale à ces espèces. Il est intéressant de noter que cette flexibilité est associée à une forte fluxionalité. La dynamique a été suivie par l’évolution thermique des spectres RMN du proton dans les zones de résonance des ponts OH et des groupements CH2 des chaînes alkyl, sur les composés en solution dans CD3 CN dans le domaine 320-226 K (Cadot 2002). À température ambiante, le glutarate roule de façon aléatoire dans la cavité avec un saut concerté des deux carboxylates sur
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
107
l’ensemble des 10 atomes de molybdène du cycle. Il y a une synergie dans le mouvement du glutarate dans le cycle : le saut d’un carboxylate d’un Mo à un autre entraîne une déformation du cycle et réciproquement, une déformation du cycle induit la rotation du ligand interne. À basse température (226 K), la dynamique est très lente à l’échelle de temps de la RMN, donnant un signal de composé gelé. Le comportement du pimélate est analogue, tandis que l’oxalate ne présente pas de dépendance thermique. L’oxalate, lié à tous les molybdènes dans le cycle à 8 Mo, assure une grande rigidité du cycle et tous les Mo dans un environnement octaédrique évitent la rotation de l’oxalate à l’intérieur du cycle. À pH > 11, le dication est déprotoné et forme le dianion stable [Mo2 S2 O2 (OH)4 (OH2 )2 ]2− . En présence de molybdate MoO4 2− et vers pH 5, la condensation du motif (Mo2 S2 O2 ) se produit toujours en formant un cycle qui enferme un octaèdre MoVI dans le composé [Mo9 S8 O12 (OH)8 (H2 O)2 ]2− (Fig. 3.44a) (Dolbecq 1998). Cet exemple montre encore la forte tendance à cycliser du dimère (Mo2 S2 O2 ), tendance qui s’explique par sa bifonctionnalité due aux ligands aquo déprotonables en positions équatoriales. Toutefois, dans des conditions expérimentales différentes (mélange de la solution acide de Mo2 S2 O2 avec une solution concentrée de molybdate en tampon acétate d’ammonium, pH 4), on obtient le macrocycle [(MoVI 8 O28 )4 (MoV 2 O2 S2 )4 ]24− constitué de quatre très rares isomères de l’octamolybdate [Mo8 O28 ]8− liés par quatre fragments Mo2 S2 O2 (Fig. 3.44b) (Korenev 2010). Ici, la géométrie des clusters MoVI 8 ne permet évidemment pas la cyclisation des fragments thiomolybdiques.
(a)
(b)
Fig. 3.44 – Schéma structural (a) du composé [Mo9 S8 O12 (OH)8 (H2 O)2 ]2− dans
lequel un octaèdre MoVI O6 est inclus dans un cycle MoV 8 (reproduit d’après Dolbecq 1998 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry) et (b) du composé [(MoVI 8 O28 )4 (MoV 2 O2 S2 )4 ]24− (Korenev 2010).
108
De la solution à l’oxyde
La combinaison du dication [Mo2 S2 O2 (OH2 )6 ]2+ avec des polyoxométallates lacunaires permet d’engendrer une très grande variété de polyoxothiométallates, le fragment oxothio pouvant se comporter en ligand chélatant ou pontant (Cadot 2012). Sur les polyanions à double lacune [XW10 O32 ]8− (X = Si, P) dérivés de la structure de Keggin (cf. Fig. 3.29), le dication s’ajuste exactement à la lacune en établissant quatre liaisons W-O-Mo et en conservant la symétrie initiale C2v (Cadot 1996a,b) (Fig. 3.45). L’intérêt de ces dérivés soufrés réside dans la modulation de l’énergie des orbitales frontières par la substitution oxygène/soufre (Rohmer 2001). Avec des dérivés monolacunaires, tels [PW11 O39 ]7− (Fig. 2.39) ou [P2 W17 O61 ]10− (Fig. 3.31), le dication ne peut plus être chélatant et il joue alors le rôle pontant. Deux unités lacunaires sont ainsi réunies par un double pont (Mo2 S2 O2 )2 qui contraint les deux fragments Mo2 S2 O2 à interagir et éliminer deux molécules d’eau (Fig. 3.45).
Mo
S
O S
W
(b)
Si
(a) transoïde
cisoïde (c)
Fig. 3.45 – Schéma de la structure (a) du composé γ-[SiW10 Mo2 S2 O38 ]6− (reproc American Chemical Society) et (b) duit avec autorisation d’après Cadot 1996b du composé [(P2 W17 O61 )2 (Mo4 S4 O4 (OH2 )2 )]16− montrant le groupe Mo4 central (reproduit d’après Pilette 2011 avec autorisation de Wiley) ; (c) vue du dessus montrant la disposition transoïde des deux parties P2 W17 . (Le composé donne lieu en solution à l’isomérisation transoïde (30 %)-cisoïde (70 %) à température ambiante).
L’association de polyoxométallates trivacants avec le dication soufré conduit à des motifs évidemment plus complexes. Par exemple, le polyanion [PW9 O34 ]9− (Fig. 3.29c), dont la lacune constitue une couronne de 6 atomes d’oxygène terminaux (21 Å de périmètre), est le siège de la coordination de trois fragments Mo2 S2 O2 disposés en piliers permettant l’association de deux polyanions (Fig. 3.46) (Béreau 1999). Avec [P2 W15 O56 ]12− (Fig. 3.31),
3. Condensation des cations en solution : polycations, polyanions
109
la couronne lacunaire est plus petite (17 Å de périmètre) et l’oxygène de la liaison P-O intervient pour éviter la dimérisation. Il s’ensuit un arrangement plan tétramère beaucoup plus complexe dans lequel les quatre polyanions P2 W15 sont réunis par deux rubans (Mo8 S8 (OH)8 (OH)2 (H2 O)5 )6+ ) dans lesquels les fragments (Mo2 O2 S2 ) sont réunis par des doubles ponts hydroxo, comme dans les cycles examinés précédemment (Fig. 3.46) (Cadot 2003).
liaison O-P
3
3 2
4
4
1
1
(a)
(b)
2
(c)
Fig. 3.46 – Schémas structuraux (a) du dimère [(PW9 O34 )2 (Mo2 S2 O2 (OH2 )3 ] c American Chemi(reproduit avec autorisation d’après Béreau 1999 cal Society), (b) du polyanion [P2 W15 O56 ]12− et (c) du tétramère [(αH2 P2 W15 O56 )4 {Mo2 O2 S2 (H2 O)2 }4 -{Mo4 S4 O4 (OH)2 (H2 O)}2 ]28− (les octaèdres MoO4 S2 sont connectés par des arêtes S-S communes [jonctions 1-2 et 3-4], par des sommets O [jonctions 2-3] et par des faces [jonctions 4-4]) (reproduit d’après Cadot 2003 avec autorisation de Wiley). Ces quelques exemples montrent les potentialités des polyoxothiométallates synthétisés à partir du fragment [Mo2 S2 O2 (OH2 )6 ]2+ . Il en existe d’autres, par exemple [Mo3 S4 (OH2 )9 ]4+ (Cadot 2012) qui permettent d’élargir encore la diversité des espèces formées et, plus généralement, de constater la richesse et la diversité de la chimie des hétéropolyoxométallates.
Chapitre 4 Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes La formation des oxydes à partir de complexes métalliques solubles est décrite par le terme générique de « précipitation » qui recouvre un ensemble de phénomènes complexes et imbriqués. Le processus est gouverné par des contingences thermodynamiques, structurales et cinétiques qu’il convient d’examiner en détail pour comprendre le rôle et l’influence des conditions de synthèse sur les caractéristiques du solide obtenu. La chimie du processus est une réaction de condensation, olation ou oxolation, de complexes hydroxylés de charge nulle. Elle forme des particules de taille très variable sur le domaine nano- à micrométrique qui sont des portions de solide identifiables par diverses techniques telles la diffraction et la diffusion des rayons X, la microscopie électronique ou la diffusion de la lumière. Ces objets possèdent les propriétés spécifiques du solide qui peuvent être modulées par leur taille, notamment dans le domaine nanométrique (Chap. 1). Ils ont une surface caractérisée par une physico-chimie particulière (aptitude à se disperser en milieu aqueux ou non aqueux, à s’agréger, à fixer diverses espèces en solution), dont on peut contrôler l’énergie pour ajuster leur forme et leur taille (Chap. 5). On peut aussi contrôler la structure cristalline de solides polymorphes par le choix du chemin réactionnel de leur formation. La connaissance des processus qui interviennent en solution permet ainsi d’exploiter la grande versatilité de la synthèse de nanostructures en solution. L’objectif de ce chapitre est, en premier lieu, de montrer que la structure cristalline du solide peut, dans beaucoup de cas, être anticipée à partir des caractéristiques des complexes précurseurs telles la fonctionnalité, la géométrie, la réactivité, la configuration électronique. Ce point fait l’objet de l’aspect structural de la formation du solide. Ensuite, il s’agit de comprendre pourquoi la précipitation forme des petites particules, en général de taille nano- ou micrométrique et comment le mécanisme de cristallisation influence leur morphologie. Cette question concerne la cinétique du phénomène de précipitation.
112
4.1
De la solution à l’oxyde
Formation du solide : aspect thermodynamique et structural
L’hydroxylation des complexes métalliques est la condition nécessaire à leur condensation. Toutefois, la condensation de complexes électriquement chargés, qui entraîne l’augmentation de la charge électrique de l’objet en croissance, s’avère toujours limitée et elle conduit à des entités de taille moléculaire, des polycations ou des polyanions selon que les précurseurs sont des complexes aquohydroxo ou oxohydroxo respectivement. L’arrêt de la condensation à un stade toujours assez peu avancé de la croissance est dû à l’augmentation de la charge de l’entité qui entraîne la perte du caractère nucléophile des ligands hydroxo dans les polycations ou la perte du caractère électrophile des centres métalliques dans les polyanions (Chap. 3). La condensation de complexes non chargés s’effectue au contraire sans limitation et conduit au solide. La précipitation peut intervenir sur un domaine d’acidité relativement large, parfois bien au-delà de la zone de prédominance de la forme de charge nulle. En effet, différentes formes d’un cation donné coexistent et si la concentration de la forme de charge nulle est suffisante pour dépasser la solubilité, la précipitation a lieu en déplaçant les équilibres en solution. De façon très générale, la précipitation des complexes aquohydroxo de formule [M(OH)z (OH2 )N −z ]0 élimine toute l’eau de coordination en formant l’hydroxyde M(OH)z (1 ≤ z ≤ 4), tandis que les complexes oxohydroxo [MOa (OH)b ]0 qui se condensent par oxolation éliminent leurs ligands hydroxo en formant l’oxyde MOz/2 (4 ≤ z ≤ 6). Les hydroxydes M(OH)z peuvent ne pas être stables et ils se déshydratent spontanément plus ou moins rapidement pour former des oxyhydroxydes MOOH ou des oxydes hydratés. La réaction, qui a lieu à l’état solide, provoque en général la cristallisation ou un réarrangement structural important. Elle est d’autant plus favorisée que la polarisation des ligands hydroxo par le cation dans l’hydroxyde est importante, c’est-à-dire que la charge formelle (le degré d’oxydation) du cation est élevée. Les hydroxydes d’éléments divalents M(OH)2 (M = Mn, Fe, Co, Ni, etc.) sont en général stables (à l’abri de l’oxydation) et ils peuvent être caractérisés par diffraction des rayons X entre autres techniques. Les choses sont plus contrastées avec les éléments trivalents qui forment des hydroxydes et des oxyhydroxydes stables (Al(OH)3 , AlOOH), des oxyhydroxydes et des oxydes (FeOOH, Fe2 O3 ), des hydroxydes, oxydroxydes et oxydes (Cr(OH)3 (OH2 )3 , CrOOH, Cr2 O3 ). Avec les éléments tétravalents (Ti, Zr), la polarisation des ligands hydroxo est telle que seuls les oxydes TiO2 et ZrO2 sont des formes stables. Les éléments qui se condensent par oxolation forment des oxydes le plus souvent hydratés qui sont en fait des macropolyacides. Les ligands hydroxo résiduels deviennent dans le solide des acides forts qui libèrent des protons localisés dans des sites particuliers de la structure ou en surface des particules. Quelques exemples concernant des oxydes d’éléments à hauts degrés d’oxydation, silicium, antimoine, vanadium et tungstène, sont examinés ci-après.
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
113
olation
olation
olation
(a)
(b)
(c)
Fig. 4.1 – (a) Chemin réactionnel possible de la formation des feuillets de type brucite et (b) empilement des feuillets dans la structure brucite. (c) Image MET de particules de brucite Mg(OH)2 (d’après Pottier 1999).
4.1.1
Éléments divalents : Mg, Ni, Cu, Pd, Pt, Zn
La neutralisation à h = 2 des éléments divalents forme en général très rapidement l’hydroxyde M(OH)2 qui, pour beaucoup d’entre eux (Mg, Mn, Fe, Co, Ni, etc.), possède la structure lamellaire de type brucite Mg(OH)2 (Wells 1991) et une morphologie de plaquette hexagonale. Les feuillets de la structure sont constitués d’octaèdres M(OH)6 liés par des ponts μ3 -OH (Fig. 4.1). On peut aisément comprendre pourquoi ce type structural est formé à partir du complexe de charge nulle [M(OH)2 (OH2 )4 ]0 . La première étape de condensation de ce complexe bifonctionnel est la formation d’un dimère lié par un pont 2 μ2 -OH (partage d’arête). Du fait de la faible charge du cation, le ligand μ2 -OH possède encore dans le dimère un fort pouvoir nucléophile qui lui permet d’augmenter sa coordinence en formant des ponts μ3 -OH dans des tétramères plans. Ceux-ci peuvent former directement les feuillets caractéristiques de la structure brucite qui s’empilent au moyen de liaisons de van der Waals pour former des plaquettes hexagonales. On peut ainsi considérer que les tétramères plans constituent les unités qui assurent la croissance du solide, toute l’eau de coordination étant éliminée dans le processus. Bien que ce schéma global permette de comprendre la formation du type structural brucite, il est important d’observer les particularités de certains éléments divalents. a) Magnésium L’acidité du milieu de précipitation de la brucite Mg(OH)2 influence notablement la texture des particules. Celles-ci sont formées par introduction progressive de la solution de nitrate de magnésium dans une solution de soude dont le pH est maintenu constant au moyen d’un dispositif potentiométrique (Pottier 1999). Les solides formés à pH 10, 11 et 12, vieillis en suspension et séchés à 60 ◦ C présentent tous les paramètres de maille cristalline de la brucite.
De la solution à l’oxyde
4,76 Å
114
80 nm
10 20 30 40 50 60 70
(a)
110
001 5,2Å 4,7Å 100
102
7,56 Å
101
111 113 200
80 nm
10 20 30 40 50 60 70
(b) Fig. 4.2 – Images MET, diagrammes de diffraction X et représentation de la structure des particules d’hydroxyde de magnésium formées et vieillies (a) à pH 12, (b) à pH 10 (d’après Pottier 1999).
Le diamètre des plaquettes varie peu mais leur épaisseur, qui croît avec l’augmentation du pH comme l’indique la largeur variable des raies d’indices hkl des diagrammes de diffraction X, atteint environ 10 nm pour les échantillons formés à pH 12. En revanche, le solide formé à pH 10 et conservé à température ambiante a un aspect de gel et le diagramme de diffraction X du solide séché à l’ambiante présente une raie 001 nettement dédoublée qui correspond à un paramètre de maille c de 7,6 Å au lieu de 4,77 Å pour la brucite (Fig. 4.2). Cela est compatible avec l’existence d’une phase de type « brucite hydratée » comportant des molécules d’eau dans l’espace interfoliaire mais sans désordre turbostratique dans l’empilement des feuillets qui provoquerait l’extinction des raies hkl. Étant donné que la solubilité de l’hydroxyde croît brutalement à pH < 12 (10−3 mol.l−1 à pH 10), il semble plus probable que des complexes partiellement hydroxylés [Mg(OH)(OH2 )5 ]+ soient adsorbés non seulement sur les faces latérales mais aussi sur les faces basales des feuillets en mettant en jeu des interactions par liaison hydrogène voire la substitution de molécules
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
300 nm
OH/Ni = 0,6
300 nm
OH/Ni = 1,6
115
300 nm
OH/Ni = 2
Fig. 4.3 – Images MET de suspensions d’hydroxyde de nickel vieillies pendant c American Chemical 1 mois (reproduit avec autorisation d’après Defontaine 2003 Society).
d’eau très labiles (Fig. 4.2). La présence de tels complexes adsorbés et chargés permettrait en effet de stabiliser le solide à l’état gel par l’accumulation de charges sur les feuillets, ce qui entraînerait l’augmentation de l’écartement des feuillets d’une épaisseur correspondant approximativement à une molécule d’eau. Cette hypothèse est renforcée par le fait que lorsque le solide formé à pH 10 est vieilli à pH 12, le dédoublement de la raie 001 disparaît et des plaquettes hexagonales bien constituées sont obtenues. L’augmentation du pH doit en effet provoquer la destruction des complexes adsorbés et forcer leur intégration dans le solide cristallin. b) Nickel L’hydroxylation progressive des ions Ni2+ par de la soude a été suivie par spectroscopie d’absorption des rayons X (EXAFS), diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS) et microscopie électronique en transmission (Defontaine 2003). Dès les faibles taux d’hydroxylation, on observe la coexistence de deux phases : pour OH/Ni = 0,6, des baguettes de 1 à 2 nm de largeur et environ 200 nm de longueur, agrégées en fibres d’environ 4 à 15 nm de diamètre et 1 μm de longueur sont en présence de complexes solubles dont l’étude EXAFS révèle qu’il s’agit de monomères. Pour OH/Ni = 1,6, le solide est constitué de fibres et de fines plaquettes hexagonales d’hydroxyde Ni(OH)2 , et pour OH/Ni = 2, les fibres ont complètement disparu pour laisser place à des plaquettes très bien formées (Fig. 4.3). Au taux d’hydroxylation global de 0,6, l’espèce majoritaire en solution est la forme h = 1 des complexes [Ni(OH)h (OH2 )6−h ](2−h)+ (0 ≤ h ≤ 2). La condensation de ce complexe doit former des polycations mais, au lieu de produire des entités compactes, le processus engendre des chaînes polycationiques dont la topologie analysée par EXAFS et le diamètre évalué par SAXS correspondent bien à l’association des tétramères plans (Fig. 4.4). Dans le
116
De la solution à l’oxyde
+ +
+
+
+ + + + + + + + + ++ + + + +
+
+ OH/Ni = 1
+
+
+ + + + + + + ++ ++ + + + + -n H2O -2 H2O agrégation + + + + ++ + + + + 1 nm + + + + ++ + + + +
Fig. 4.4 – Schéma de la formation des fibres polycationiques à partir du complexe c American [Ni(OH)(OH2 )5 ]+ (reproduit avec autorisation d’après Defontaine 2003 Chemical Society). dimère [Ni2 (OH)2 (OH2 )8 ]2+ , la charge partielle des ligands μ2 -OH est négative et les molécules d’eau portent une charge positive. Les ligands hydroxo peuvent alors augmenter leur coordination en formant des ligands μ3 -OH dans des tétramères plans avec élimination de molécules d’eau. Le processus se prolonge mais puisque les tétramères sont positivement chargés, la minimisation des interactions électrostatiques doit orienter la croissance pour former des chaînes polycationiques qui à leur tour s’agrègent en fibres comme le montre la microscopie électronique (Fig. 4.3). Ces structures sont cependant fragiles car l’addition de base jusqu’au rapport OH/Ni = 2 forme le complexe non chargé h = 2 qui se condense de manière bidimensionnelle et qui conduit à l’hydroxyde avec reconstruction du solide existant pour former les plaquettes hexagonales. Il est très probable que cette singularité de comportement du nickel soit due à l’inertie des ions Ni2+ vis-à-vis des réactions de substitution nucléophile. En effet, la configuration électronique d8 stabilise très fortement le cation en symétrie octaédrique, de sorte que les changements de géométrie de l’environnement imposés par les mécanismes de substitution mettent en jeu des énergies d’activation importantes. Ainsi, la reconstruction des motifs polycationiques au cours de l’hydroxylation du cation doit être relativement difficile, ce qui entraîne la formation des fibres polycationiques avant la restructuration en plaquettes de Ni(OH)2 . C’est aussi très probablement en raison de l’inertie des ions Ni2+ à la substitution que la précipitation de Ni(OH)2 par action de l’ammoniaque sur le nitrate de nickel forme un composé turbostratique, dans lequel les feuillets d’hydroxyde sont empilés de manière parallèle mais désorientés les uns par rapport aux autres (le diagramme de diffraction est composé de bandes hk et de raies 00l) (Le Bihan 1972). Une quantité notable d’eau associée aux feuillets par liaison hydrogène ainsi que des ligands nitrate fortement liés résidant entre les feuillets et difficilement éliminés gênent en effet la structuration du solide.
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
117
Cu(OH)2(OH2)4 Cu(OH)2
CuO
Fig. 4.5 – Schéma de la formation de l’hydroxyde de cuivre. Structures cristallines de l’hydroxyde Cu(OH)2 et de l’oxyde de cuivre CuO. c) Cuivre L’hydroxyde de cuivre Cu(OH)2 ne cristallise pas avec la structure brucite. Il adopte la structure de type boehmite, γ-AlOOH, ou lépidocrocite, γ-FeOOH, formée de plans ondulés d’octaèdres liés par des arêtes (Fig. 4.5) (Wells 1991). Cette particularité tient très probablement à la distorsion par effet Jahn-Teller du polyèdre de coordination des ions Cu2+ de configuration électronique d9 . Le complexe hexaaquo [Cu(OH2 )6 ]2+ possède deux longueurs de liaison Cu-O très distinctes, 2,40 et 1,94 Å, qui entraînent une polarisation et par conséquent une acidité très différenciée des molécules d’eau de coordination selon qu’elles sont en position axiale ou équatoriale dans le polyèdre. Les molécules d’eau les plus acides sont celles ayant les liaisons les plus courtes. L’hydroxylation du complexe se trouve ainsi confinée dans le plan équatorial, ce qui oriente la condensation par olation des complexes de charge nulle pour former des chaînes qui ne comportent plus que les molécules d’eau en position axiale. Celles-ci se trouvent éliminées dans la condensation interchaînes qui forme les plans ondulés de la structure en permettant d’accroître la coordinence des ligands OH dans des ponts μ4 -OH (Fig. 4.5). Du fait de la coordinence 5 de l’oxygène dans ces ponts, l’hydroxyde est instable et il se transforme facilement à pH élevé en suspension ou par chauffage modéré à l’état solide en oxyde CuO, la ténorite, dans laquelle le cuivre adopte la coordinence 4 dans les chaînes de complexes plan-carré (distances Cu-O 1,955) avec deux interactions à plus longue distance avec des atomes d’oxygène de chaînes voisines (distances Cu-O 2,776 Å). d) Palladium et platine Les cations Pd2+ et Pt2+ , de même configuration électronique d8 que le nickel (II), ne forment pas d’hydroxydes stables. Leur précipitation conduit directement à l’oxyde MO (M = Pd, Pt), dans lequel le cation adopte la coordinence 4 plan-carré (Wells 1991). Cette coordinence, aussi adoptée par les cations Pd2+ et Pt2+ dans leurs complexes en solution (§ 2.2), explique la
118
De la solution à l’oxyde
(b)
(c)
12 8 pH 4 0
2
20 nm
Floculation
(a)
1 Vol. base
10
30
50
70
°2θ
Fig. 4.6 – (a) Courbe de titrage par la soude d’une solution acide de nitrate de pal-
ladium (CP d = 5.10−2 mol.l−1 ) ; (b) image MET des particules isolées et d’agrégats de PdO précipités à pH 2,8 (les particules isolées ont un diamètre moyen de 1,8 nm) ; (c) diagrammes de diffraction X du solide formé (1) par addition de soude dans une solution de nitrate de palladium, (2) par thermolyse à 100 ◦ C pendant 5 heures d’une solution acide de nitrate de palladium (les barres verticales schématisent le diagramme de diffraction de PdO) (d’après Pagès 1998).
forte acidité des formes aquo dont le pKa est voisin de 2. Ainsi, l’hydroxylation et la précipitation du palladium par addition de soude dans une solution de nitrate est quasi complète dès pH 3 (Pagès 1998) (Fig. 4.6). Le diagramme de diffraction du solide immédiatement formé correspond à l’oxyde PdO. Les particules sont sphéroïdales et leur diamètre, évalué par microscopie électronique et par l’élargissement des raies de diffraction X, est voisin de 2 nm. La taille des particules s’avère très peu dépendante de l’acidité du milieu, de la nature de la base et de la température de précipitation entre l’ambiante et 80 ◦ C. Il est très difficile d’obtenir des particules de taille plus importante, ce qui laisse penser que la réaction d’oxolation qui mène à l’oxyde est très rapide. En effet, l’hydroxyde n’est jamais détecté. La thermolyse à 100 ◦ C de solutions acides mène néanmoins après 5 heures à des particules de PdO de 4 nm de diamètre moyen. Dans ces conditions, la nucléation du solide est restreinte et la croissance est donc plus marquée sans que les équilibres de dissolution-cristallisation interviennent (§ 4.2). On peut ainsi admettre que la condensation des complexes de charge nulle [M(OH)2 (OH2 )2 ] s’effectue par olation en conduisant à des chaînons de composition M(OH)2 (Fig. 4.7) et que les chaînons, à leur tour, se condensent par oxolation pour éliminer de l’eau et former les ligands oxo en coordinence tétraédrique, caractéristiques de la structure de l’oxyde. La structure de PdO et PtO est proche de celle de CuO, avec une plus haute symétrie. e) Zinc Les exemples précédents montrent que l’on peut interpréter simplement le comportement de certains ions divalents ainsi que la structure cristalline
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
[M(OH)2(OH2)2]0 olation
[M(OH)2]0
119
ligand O
oxolation
PdO, PtO
Fig. 4.7 – Schéma de la formation possible de l’oxyde de palladium ou de platine. Structure cristalline des oxydes PdO et PtO. des solides formés en tenant compte d’effets électroniques particuliers qui interviennent sur la réactivité ou la stéréochimie du cation. Pour d’autres éléments, en particulier le zinc, les choses sont plus compliquées car le cation Zn2+ est trop petit pour former un hydroxyde de structure type brucite et la précipitation du zinc mène en général à l’oxyde ZnO de structure würtzite (Fig. 4.8c). Le zinc existe en milieu acide sous forme hexaaquo [Zn(OH2 )6 ]2+ qui présente une faible tendance à l’hydroxylation. Le zinc possède aussi une forte solubilité en milieu alcalin sous forme de zincates [Zn(OH)3 OH2 ]− et [Zn(OH)4 ]2− , du fait de sa propension à adopter la coordinence 4 tétraédrique. Le domaine de précipitation du zinc est de ce fait assez réduit, entre pH 8 et 11 approximativement (Baes 1976). L’alcalinisation au moyen d’ammoniaque à un pH compris entre 10 et 11 d’une solution de nitrate de zinc à température ambiante forme un hydroxyde, la wülfingite ε-Zn(OH)2 , dans lequel les ions Zn2+ sont dans un environnement tétraédrique d’ions hydroxyle avec des tétraèdres liés par sommets (Fig. 4.8b). Cette phase est majoritaire depuis l’ambiante jusqu’à une température de précipitation de 60 ◦ C et à partir de 70 ◦ C, l’oxyde ZnO se forme exclusivement comme l’indiquent la diffraction des rayons X et la spectroscopie infrarouge (ZnO est transparent au rayonnement infrarouge tandis que les liaisons O-H absorbent fortement) (Nicholas 2012, Rai 2012) (Fig. 4.8a). Il a également été montré de façon très convaincante, en particulier au moyen de techniques d’échange isotopique et de tracage de 18 O, que l’oxyde ZnO est principalement formé par transformation in situ de l’hydroxyde selon une réaction de déshydratation à l’état solide et non pas par dissolution-cristallisation, la réaction étant d’autant plus favorisée que la température est élevée. La surface des particules conserve néanmoins une structure d’hydroxyde (Nicholas 2012). Un important contrôle morphologique peut alors être exercé, soit par les conditions de la réaction, en particulier en jouant sur la croissance de l’hydroxyde avant sa transformation en oxyde, c’est-à-dire en précipitant le zinc à chaud ou en chauffant la suspension après vieillissement à l’ambiante (McBride 2003), soit par la présence de divers ligands multidentates,
120
(a)
De la solution à l’oxyde (110)
(101) (111)
20°C ε-Zn(OH)2 (201)
(211) (002)
(101)
70°C ZnO
(100)
(110)
(102)
20
(b)
30
40
50
(103)
60 °2θ
(c)
(d)
2 μm
Fig. 4.8 – (a) Diagrammes de diffraction des rayons X synchrotron du solide précipité par l’ammoniaque dans la solution de nitrate de zinc à différentes températures (reproduit d’après Nicholas 2012 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). Structures (b) de la wülfingite Zn(OH)2 et (c) de la würtzite ZnO. (d) Images MEB de nanoparticules de ZnO formées à 90 ◦ C par précipitation au moyen de la décomposition d’hexaméthylène tétramine en présence (de gauche à droite) de glycolate (monodentate), malate (bidentate) et citrate (tridentate). Les particules formées en présence de glycolate sont indiscernables de l’échantillon témoin c American Chemical Society). (reproduit avec autorisation d’après Meagley 2012
notamment le citrate (Palombo 2009, Rai 2012, Meagley 2012) (Fig. 4.8d). Une énorme littérature concerne la synthèse de nanoparticules de ZnO en raison de l’intérêt de ce nanomatériau pour diverses applications dans les dispositifs piézoélectriques et, comme semi-conducteur à grand gap, dans les diodes électroluminescentes.
4.1.2
Hydroxydes doubles lamellaires
Les hydroxydes doubles lamellaires (HDL) constituent une famille d’hydroxydes mixtes de cations di- et trivalents. Leur structure est formée de l’empilement de feuillets de type brucite [MII 1−x M’III x (OH)2 ]x+ dans
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
121
Fig. 4.9 – Structure cristalline de l’hydrotalcite [Mg6 Al2 (OH)16 ]CO3 , 4H2 O (les groupes carbonate sont représentés entre les feuillets). lesquels une partie des cations divalents est remplacée par des cations trivalents (Fig. 4.9). Les feuillets possèdent donc une charge positive qui est compensée par celle d’anions présents dans l’espace interfoliaire (Cavani 1991) et échangeables (Miyata 1983). Le prototype structural est le minéral hydrotalcite, [Mg6 Al2 (OH)16 ]CO3 , 4H2 O, ainsi nommé à cause de sa ressemblance au talc. Un autre minéral isostructural est la pyroaurite, composé renfermant du fer ferrique, [Mg6 Fe2 (OH)16 ]CO3 , 4H2 O. La famille des HDL comprend de très nombreux composés, avec une grande variété de cations divalents (Mg, Zn, Ni, Co, Mn, etc.) et trivalents (Al, Cr, Fe, V, Co, Ga, etc.) et aussi d’anions (CO3 2− , SO4 2− , Cl− , NO3 − , etc.). Des molécules d’eau sont présentes dans l’espace interfoliaire. En fait, beaucoup de cations sont susceptibles d’occuper les sites métalliques des feuillets brucitiques, pour peu qu’ils aient des tailles convenables. Les ions Be2+ sont trop petits et les ions Ba2+ sont trop gros pour adopter la coordinence octaédrique et peupler les sites cationiques du réseau. De très nombreux anions, y compris des ions complexes, des hétéropolymétallates ou des anions organiques peuvent être introduits dans la structure en faisant varier la taille de l’espace interfoliaire (Miyata 1983, Cavani 1991, Costantino 1997). Les HDL sont très facilement formés par coprécipitation des cations sur III le domaine de composition 0,2 ≤ M /MII ≤ 0,33. L’alcalinisation peut être effectuée avec de la soude, du carbonate de sodium (Reichle 1986, Cavani 1991) ou encore avec l’urée (Costantino 1998, Ogawa 2002, Adachi 2003). Le vieillissement des suspensions à chaud (90-100 ◦ C) ou dans les conditions hydrothermales permet d’obtenir des particules bien définies et bien cristallisées (Fig. 4.10). Les courbes de titrage des mélanges 2M2+ + Al3+ (Boclair 1999a) montrent que l’alcalinisation débute par la précipitation de l’hydroxyde Al(OH)3 , suivie de la formation de l’HDL lors de l’hydroxylation du cation divalent, comme l’indiquent les deux paliers successifs des courbes de titrage (Fig. 4.11) ainsi que l’analyse structurale du solide formé.
122
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
2 μm
2 μm
Fig. 4.10 – Images MEB de particules d’hydrotalcite [Mg6 Al2 (OH)16 ]CO3 , 4H2 O synthétisées (a) par coprécipitation à 20 ◦ C à pH 10 (tampon carbonate de sodium, vieillisement pendant 25 heures) qui induit l’agrégation des plaquettes en rose des sables et (b) par précipitation à l’urée à 90 ◦ C, vieillissement pendant 48 heures (reproduit d’après Adachi 2003 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
9 8 pH
7 6
2M2+-Al3+
5 4 3 2
2M2+-Cr3+ HO-
Fig. 4.11 – Courbe de titrage du mélange 2M2+ + Al3+ : les deux points équivalents successifs qui correspondent à l’addition de quantités de base dans le rapport 3/4 indiquent la neutralisation complète des ions Al3+ à pH 4 puis celle des ions M2+ à pH 8. La courbe de titrage du mélange 2Zn2+ + Cr3+ par de la soude ne fait apparaître qu’un seul point équivalent à pH 8 correspondant à la même quantité globale de base, ce qui montre que l’hydroxylation des deux cations est simultanée (adapté d’après Boclair 1999a, b).
Le mécanisme mis en jeu dans la formation de l’HDL implique la transformation de l’hydroxyde d’aluminium formé initialement, sous l’action de l’adsorption des ions divalents partiellement hydroxylés. En effet, le pH de formation de l’HDL est nettement inférieur au pH de précipitation de l’hydroxyde M(OH)2 du cation divalent seul. Il semble donc que la phase HDL résulte d’un mécanisme de dissolution-cristallisation comme le montre de
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
123
Fig. 4.12 – Association des complexes [Zn2 Cr(OH)6 (OH2 )8 ]+ , [Zn2 Cr(OH)6
(OH2 )7 ]+ et [Zn3 Cr(OH)6 (OH2 )12 ]3+ pour former les feuillets HDL [Zn2 Cr(OH)6 ]+ (d’après Roussel 2001). Les octaèdres gris foncé et gris clair représentent les polyèdres de coordination du zinc et du chrome respectivement.
façon très convaincante une étude réalisée par EXAFS, SAXS et MET de la formation de la phase Ni2 Ga, avec des cations choisis pour leur bonne absorption des rayons X (Defontaine 2004a, b). Le même mécanisme est aussi mis en jeu dans la cristallisation des composés ferriques-ferreux isostructuraux, les rouilles vertes (§ 7.2.3). Le mécanisme de formation des HDL à base de chrome (III) est différent. En effet, les courbes de titrage des mélanges M2+ + Cr3+ ne comportent qu’un seul palier vers pH 3-4, limité par un point équivalent qui marque la formation de l’HDL (Fig. 4.11) (Boclair 1999b). L’étude de la formation à pH 5 de l’HDL Zn2 Cr(OH)6 Cl, 2H2 O par EXAFS aux seuils K du chrome et du zinc (Roussel 2001) montre très clairement que dans la solution, les ions Zn2+ coexistent sous forme de complexes hexaaquo avec divers complexes et polycations du chrome et avec la phase HDL solide. Celle-ci est formée en une seule étape au cours de l’addition des cations dans la solution car la précipitation initiale d’un trihydroxyde, comme dans le cas de l’aluminium, n’intervient pas. Puisque les complexes hexaquo du zinc sont incapables de se condenser dans ces conditions et que les complexes hydroxylés de l’ion Cr3+ , inertes vis-à-vis de la condensation (§ 3.2 et § 4.1.3), sont des espèces fortement nucléophiles, on peut en conclure que des complexes mixtes sont formés avec la même stœchiométrie que celle du mélange initial (Zn/Cr = 2) selon le schéma : [Cr(OH)x (OH2 )6−x ](3−x)+ + 2[Zn(OH2 )6 ]2+ + (6 − x) OH− → [Zn2 (μ2 -OH)4 Cr(OH)x (OH2 )8 ]+ + (10 − x) H2 O La condensation ultérieure de ces complexes mixtes peut s’effectuer par élimination de toute l’eau coordinée au zinc et formation de ponts μ3 -OH pour aboutir à la formation des feuillets positivement chargés [Zn2 Cr(OH)6 ]+ de la phase HDL (Fig. 4.12). Ce chemin réactionnel permet de comprendre comment peut s’établir l’ordre cationique dans le feuillet qui conduit à ce qu’un ion chrome soit toujours entouré par six ions zinc et que la stœchiométrie Zn/Cr = 2 soit toujours la seule observée pour ce type d’HDL.
S mol.l-1
124
De la solution à l’oxyde
10-2 Al(OH)3
« Fe(OH)3 »
Cr(OH)3
10-5 2
6
10
2
2
6 10 pH
6
10
Fig. 4.13 – Diagrammes de solubilité des ions FeIII , AlIII , CrIII (d’après Charlot 1969).
4.1.3
Éléments trivalents
L’aluminium, le chrome et le fer sont des exemples très intéressants parmi les éléments trivalents à cause de la richesse de leurs cristallochimies, de leurs propriétés et de leurs multiples usages pour des applications technologiques extrêmement diverses. L’aluminium et le fer sont en outre des éléments qui jouent un rôle majeur dans l’environnement, du fait de leur abondance dans la croûte terrestre et de leur implication dans de nombreux processus biogéochimiques. Leur étude détaillée fait l’objet des chapitres 6 (l’aluminium) et 7 (le fer). Nous examinons dans cette partie les caractères spécifiques qui permettent de comprendre les différences de comportement des trois éléments qui possèdent pourtant des ressemblances marquées. La chimie des éléments trivalents en solution est très diversifiée (§ 3.2). Le chrome forme des petits polycations cinétiquement stables alors que le fer, très labile, conduit dans des conditions semblables à des nanoparticules. L’aluminium est le seul des trois éléments à former le polycation « Al13 » par hydroxylation dans l’eau. La chimie structurale de ces trois éléments est tout aussi variée, même s’ils forment des oxyhydroxydes MOOH et des oxydes M2 O3 isostructuraux qui sont obtenus dans des conditions très distinctes. Ces différences de comportement peuvent être interprétées à partir de la taille et de la configuration électronique des éléments. L’acidité des cations en solution décroît dans l’ordre Fe, Al, Cr, comme l’indique le pH de début de précipitation (Fig. 4.13). Quelques caractéristiques des ions sont rassemblées dans le tableau 4.1. Tab. 4.1 – Caractéristiques de quelques éléments trivalents.
Configuration électronique Rayon ionique (Å) χ∗ M
Al3+ 2p6 0,53 1,47
Cr3+ 3d3 0,65 1,59
Fe3+ 3d5 0,64 1,72
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
125
L’hydroxylation des cations aquo : [M(OH2 )6 ]3+ + H2 O ⇔ [M(OH)(OH2 )5 ]2+ + H3 O+ solvat´e est rapide dans les trois cas (k ≈ 105 s−1 ) (Baes 1976). L’hydrolyse est en effet une simple réaction acide-base qui concerne l’échange de protons entre les molécules d’eau coordinées et le solvant et dont l’énergie d’activation est très faible (§ 2.3). La labilité de l’eau de coordination des trois cations est en revanche très variable, ce qui entraîne des cinétiques d’olation très différentes. Les constantes de vitesse d’échange des molécules d’eau de coordination sont de l’ordre de 10−6 , 1 et 102 s−1 pour Cr3+ , Al3+ et Fe3+ respectivement (Basolo 1958). Le chrome (III), de configuration électronique d3 fortement stabilisée par le champ cristallin en symétrie octaédrique, est caractérisé par une très grande inertie chimique vis-à-vis des réactions de substitution (§ 3.2). Pour le fer (III), de configuration d5 haut spin dans un environnement oxygéné, l’effet du champ cristallin est nul quelle que soit la symétrie du cation, d’où la grande labilité de l’eau de coordination. Celle de l’aluminium est moindre à cause de la plus petite taille du cation Al3+ et donc de la polarisation plus marquée des molécules d’eau coordinées. La précipitation des trois cations intervient vers le taux d’hydroxylation h ≈ 2,5 à partir duquel la concentration du complexe de charge nulle est suffisante pour que la nucléation du solide ait lieu. L’hydroxylation du cation peut être effectuée selon différentes techniques : addition de base, thermohydrolyse ou traitement hydrothermal. Ces modes opératoires conduisent le plus souvent, pour un élément donné, à des phases de structure cristalline et de morphologie distinctes. Des facteurs cinétiques et/ou thermodynamiques affectant le comportement des complexes en solution ainsi que le solvant lui-même sont en effet susceptibles d’intervenir pour orienter le chemin réactionnel. L’alcalinisation rapide d’une solution de nitrate d’aluminium vers pH 6 à 7 avec de la soude ou de l’ammoniac conduit immédiatement à la formation d’un gel translucide et amorphe vis-à-vis de la diffraction des rayons X. La RMN 27 Al indique la présence quasi exclusive d’aluminium en coordinence octaédrique. La transparence du gel indique l’absence de particules ou de domaines organisés susceptibles de diffuser la lumière. Néanmoins, le gel résulte de l’agrégation très rapide d’entités de degré de condensation très variable formées au cours de l’alcalinisation et qui n’ont pas le temps de s’organiser à grande distance à cause de l’augmentation brutale de la viscosité qui bloque leur mouvement dans le milieu. Le gel est un matériau métastable du fait de son caractère désordonné et très hydraté (le solvant se trouve bloqué dans un réseau « solide » très lâche et la présence du solvant empêche ce réseau de s’effondrer). Le moteur de l’évolution est la cristallisation du solide qui permet la libération de l’énergie de réseau et l’abaissement de l’enthalpie libre du système, mais la nature des phases formées dépend de l’acidité du milieu : à pH 6-7, il se forme l’oxyhydroxyde γ-AlOOH (boehmite) alors qu’à pH ≤ 5 ou à pH ≥ 8, on obtient l’hydroxyde Al(OH)3 de variété gibbsite
126
De la solution à l’oxyde
ou bayerite respectivement (Chap. 6). Le chemin réactionnel suivi dans la transformation du gel est lié à la solubilité de l’aluminium : structuration et déshydratation à l’état solide à pH 6-7, dissolution et cristallisation de part et d’autre de ce domaine d’acidité. À pH < 6 et à pH > 8, la transformation du gel peut s’effectuer via le transport de matière par la phase liquide (§ 4.2.3). Des espèces solubles, générées lentement et à faible concentration, donc vraisemblablement monomères, alimentent la formation de l’hydroxyde Al(OH)3 qui, à température ambiante, est thermodynamiquement plus stable que la boehmite (ΔG◦ f 298K (kJ mol.l−1 ) : Al(OH)3 = –546, γ-AlOOH = –436). Le comportement des ions ferriques est assez semblable à celui des ions Al3+ . L’addition de base dans une solution de nitrate ferrique forme dès les milieux acides (pH 2-2,5) un précipité gélatineux car la condensation des ions ferriques est difficile à limiter en raison de leur forte labilité. Les gels ferriques sont constitués d’oxyhydroxydes fortement hydratés et très mal organisés (ferrihydrites) dont la composition est approximativement Fe4 (O, OH, H2 O)12 (Chap. 7). Le vieillissement des gels ferriques en suspension à température ambiante ou sous chauffage modéré conduit, à 5 ≤ pH ≤ 10, majoritairement à l’hématite α-Fe2 O3 et, en dehors de cet intervalle de pH, à la goethite α-FeOOH. L’hydroxyde ferrique Fe(OH)3 n’existe pas. L’évolution des gels ferriques met en jeu, comme dans le cas des gels d’aluminium, les deux types de mécanismes. Les comportements de l’aluminium et du fer sont similaires en formant quasi-immédiatement des gels non structurés et qui évoluent selon des mécanismes analogues (transformation du solide in situ ou par dissolutioncristallisation) selon l’acidité du milieu. Les deux cations sont très réactifs vis-à-vis de la condensation et de la précipitation, mais en raison du pouvoir polarisant plus élevé du fer que de l’aluminium vis-à-vis des ligands oxygénés, il se forme des hydroxydes et des oxyhydroxydes avec Al3+ , des oxyhydroxydes et l’oxyde avec Fe3+ . Le chrome (III) se différencie de ses deux congénères par son exceptionnelle inertie chimique. L’addition rapide de base dans une solution d’ions Cr3+ conduit aussi à la formation d’un gel qui résulte de l’association par annulation de la charge des complexes solubles et de celle des polycations préexistants, sans faire intervenir, au moins dans un premier temps, la substitution de ligands. On obtient ainsi différents hydroxydes hydratés de chrome (III) constitués d’agrégats des espèces moléculaires préexistant en solution. L’ion monomère [Cr(OH2 )6 ]3+ précipite par addition de base l’hydroxyde hydraté Cr(OH)3 (OH2 )3 gris-bleu, dans lequel les octaèdres Cr(OH)3 (OH2 )3 sont liés par des doubles ponts [H3 O2 ]− formés par liaison hydrogène entre les ligands hydroxo et aquo (Spiccia 1986, Giovanoli 1973). L’hydroxyde de chrome peut aussi être obtenu par acidification de solutions fortement alcalines de chromite [Cr(OH)4 (OH2 )2 ]− (Spiccia 1988). Il renferme des plans d’hexagones analogues à ceux existant dans les hydroxydes d’aluminium
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
H
H ... H O
H
O H
O M H ... O O H O H H H (a)
M
127
H
O H ... O M O
...
O ... H
H
H (b) Schéma 4.1 –
Ligand pontant [H3O2]H O H (a)
H O (b)
Fig. 4.14 – (a) Structure schématique des feuillets dans l’hydroxyde de chrome Cr(OH)3 (OH2 )3 . Les octaèdres [Cr(OH)3 (OH2 )3 ] sont réunis par le ligand pontant [H3 O2 ]− . (b) Structure des feuillets dans l’hydroxyde d’aluminium Al(OH)3 formés d’octaèdres Al(OH)6 partageant chacun trois arêtes.
Al(OH)3 (Fig. 4.14). Cette phase peut être décrite en considérant que des groupes [H3 O2 ]− constituent des ligands chélatants entre le précurseur monomère [M(OH)3 (OH2 )3 ]0 ou [M(O2 H3 )3 ]0 (schéma 4.1a). Le mode de coordination des ligands [H3 O2 ]− peut très facilement devenir pontant par un simple changement d’orientation des liaisons hydrogène entre les groupes OH et OH2 (schéma 4.1b). La formation de chaînes et de cycles est donc possible. Leur taille est fixée par les contraintes stériques imposées par les ligands pontants. Les cycles pouvant ainsi s’agréger facilement constituent les embryons de la phase solide. À cause de l’inertie chimique du chrome (III), la structure des polycations dimère et trimère (Fig. 3.9) est préservée lors de leur neutralisation en tampon pyridine (pH ≈ 6,9) qui forme les hydroxydes Cr2 (μ-OH)2 (OH)4 (OH2 )4 , 2H2 O bleu-vert (Spiccia 1987a) et Cr3 (μ-OH)4 (OH)5 (OH2 )4 , 4H2 O vert clair (Spiccia 1988). Ici aussi les entités dimères et trimères respectivement sont reliées dans le gel par le ligand [H3 O2 ]− . Ces hydroxydes et Cr(OH)3 ne sont
128
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
(c)
Fig. 4.15 – Schéma des structures de la bœhmite γ-AlOOH (a), de la goethite α-FeOOH (b) et de α-CrOOH (c). cependant pas des phases stables car ils se transforment dès 60 ◦ C ou par vieillissement à température ordinaire en une phase verte amorphe caractéristique des gels de chrome (Singh 1983), puis en oxyhydroxyde CrOOH et en oxyde Cr2 O3 plus ou moins hydraté (Spiccia 1986, 1987b, 1988, Saraswat 1984, Swayambunathan 1989). La formation des hydroxydes hydratés de chrome (III) résulte de l’inertie chimique du cation vis-à-vis des réactions de substitution de ligands, et finalement, le chrome se rapproche davantage du fer que de l’aluminium en formant en solution oxyhydroxyde et oxyde. La thermolyse vers 80 à 100 ◦ C de solutions acides des complexes hexaaquo des éléments trivalents provoque leur hydroxylation et la précipitation. Le chauffage de solutions d’ions AlIII forme la boehmite γ-AlOOH sur un très large domaine de pH (Fig. 4.15, Chap. 6) (Baker 1974). En milieu acide (1 < pH < 3), le FeIII mène à l’hématite α-Fe2 O3 et à pH plus élevé à la goethite α-FeOOH. La thermolyse de solutions acides de CrIII conduit à des oxyhydroxydes dont la composition et la structure sont mal définies. Le chauffage prolongé (plusieurs mois) mène à α-CrOOH (Pottier 1999) et à l’oxyde Cr2 O3 hydraté (Swayambunathan 1989, Yang 2011b). Le traitement hydrothermal des solutions (T > 100 ◦ C) permet d’obtenir d’autres oxyhydroxydes tels le diaspore α-AlOOH isostructural avec la goethite, les variétés α-CrOOH de structure brucite (Hamilton 1963, Yang 2011a), β-CrOOH isostructural avec InOOH (Pernet 1977) et une variété γ-CrOOH (Christensen 1966, 1976). Dans le processus de thermolyse, la déprotonation est lente de sorte que la condensation au cours de l’hydroxylation progressive peut former des entités structuralement analogues aux polycations, entités qui peuvent ensuite s’agréger et se condenser à mesure de leur formation pour conduire à un solide organisé. On peut ainsi concevoir la formation des solides à partir des tétramères [M4 O(OH)10 (OH2 )5 ]0 ou [M4 (OH)12 (OH2 )4 ]0 (Fig. 4.16) qui constituent de bons modèles stucturaux des germes d’oxyhydroxydes et dont on a vu lors de l’étude des premiers stades de condensation des éléments trivalents en solution qu’ils résultent du basculement dans un sens ou dans l’autre d’un octaèdre fixé sur un trimère compact.
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
[M4O(OH)10(OH2)5]0
129
[M4(OH)12(OH2)4]0
Fig. 4.16 – Formes possibles du tétramère formé par les éléments MIII .
(a)
olation et oxolation ligands aquo
hydroxo
oxo
(b)
olation
(c)
oxolation
olation
Fig. 4.17 – Chemins réactionnels possibles de formation en solution de la boehmite γ-AlOOH (a), de la goethite α-FeOOH (b) et de α-CrOOH (c). Le tétramère à pont μ4 -O paraît favorisé avec l’aluminium en raison de l’acidité marquée du pont μ3 -OH, ce qui confère un caractère nucléophile plus important au pont μ3 -O− qu’aux ponts μ2 -OH. La condensation du motif [Al4 O(OH)10 (OH2 )5 ]0 par olation et oxolation pourrait conduire directement aux feuillets ondulés AlO(OH) renfermant les ponts μ4 -O et μ2 -OH. Ces feuillets caractéristiques de la phase γ-AlOOH sont réunis par des liaisons hydrogène entre les groupes hydroxo de feuillets adjacents (Fig. 4.17a). Dans le cas du fer et du chrome, la configuration plane du tétramère [M4 (OH)12 (OH2 )4 ]0 (Fig. 4.16) est favorisée (Roussel 2001) et on peut
130
De la solution à l’oxyde
interpréter facilement la différenciation structurale des oxyhydroxydes par la cinétique du processus de condensation de ces unités. La forte labilité du fer ferrique conduit à privilégier la formation de doubles chaînons d’octaèdres par olation, qui peuvent ensuite se réunir par oxolation pour créer les ponts μ3 -O caractéristiques de la goethite (Fig. 4.17b). Avec le chrome (III), les réactions de condensation par olation et par oxolation du précurseur plan deviennent cinétiquement compétitives et, au lieu de former des chaînes par olation rapide comme dans le cas de la goethite, les deux réactions simultanées conduisent aux feuillets renfermant les ponts μ3 -OH et μ3 -O caractéristiques de la phase α-CrOOH (Fig. 3.17c).
4.1.4
Éléments tétravalents et pentavalents : Si, Sb
Les éléments tétravalents appartiennent, pour la plupart d’entre eux, à deux groupes de la classification : le bloc d (famille du titane) de faible électronégativité (χ ≈ 1,25) et le bloc p (famille du silicium) d’électronégativité beaucoup plus élevée (χ ≈ 1,90). Ces éléments possèdent des comportements très différents et ils n’existent en solution que dans des domaines d’acidité très restreints (Tab. 4.2) : ceux du bloc d ne sont solubles qu’en milieu très fortement acide sous forme cationique hydroxo-aquo et ils se condensent par olation, tandis que les éléments du bloc p forment par oxolation des polyanions oxo ou oxo-hydroxo en milieu fortement alcalin (Charlot 1969, Baes 1976). La situation de ces éléments dans la partie médiane du diagramme charge-pH (z = 4) explique leur hydroxylation sur l’ensemble du domaine d’acidité et par conséquent leur forte tendance à précipiter. Le diagramme charge-électronégativité (Fig. 3.4) prévoit la formation d’oxydes (Ti, Zr, Hf, Ce, Th, V, Mn) et de polyanions (Si, Ge, Sn, Pb). Les hydroxydes M(OH)4 , peu stables à cause de la forte polarisation du ligand hydroxo par le cation, se déshydratent spontanément pour former des oxydes hydratés MO2 , nH2 O souvent polymorphes. En raison de la richesse de leur cristallochimie, le titane, le manganèse et le zirconium, sont étudiés dans le chapitre 8. Le cas du vanadium (IV) est traité avec les éléments de transition à haut degré d’oxydation (§ 4.1.5). Nous abordons ici le comportement du silicium dans les silicates qui se condensent par oxolation et, à titre de comparaison, on considère le cas d’un élément pentavalent du bloc p, l’antimoine. Tab. 4.2 – Caractéristiques de quelques éléments tétravalents. Ti Zr χ∗ M 1,32 1,29 Config. électron Ray. ionique (Å) 0,60 0,72 Coordinence 6 Solubilité
Hf Ce Th V Mn Si Ge Sn Pb 1,36 1,17 1,24 1,56 1,63 1,74 2 1,89 1,92 d1 d3 p6 d0 0,71 1,03 1,0 0,59 0,53 0,26 0,54 0,69 0,77 7-8 4-5-6 6 4 4-6 6 6 pH < 0,5-1 pH > 10-12
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
131
a) Silicate SiIV Les silicates ont une importance minéralogique considérable du fait de l’abondance du silicium dans la croûte terrestre et de ses multiples combinaisons avec de nombreux éléments métalliques qui forment de très vastes classes de matériaux (Wells 1991). Nous nous intéressons à la « silice » issue de la précipitation en solution des silicates anioniques solubles (Chap. 3). Quelques aluminosilicates sont étudiés au chapitre 6. L’acidification d’une solution de silicate de sodium par addition d’acide entre pH 3 et pH 9 forme l’acide silicique Si(OH)4 , espèce non chargée qui prédomine en solution diluée (Baes 1976). L’acidification peut être réalisée sur résine échangeuse d’ions afin d’éviter la présence du sel de sodium dans la solution. L’oxolation conduit à des gels de « silice hydratée » amorphe SiO2 , xH2 O (Iler 1979). En fait, ce n’est pas l’oxyde qui se forme, mais un gel polymérique très fortement hydraté dans lequel persistent de nombreuses fonctions terminales silanol Si-OH avec un caractère acide très marqué (pK de l’ordre de 2). On peut considérer que le gel est constitué de polyanions de grande taille qui s’agrègent par condensation « secondaire » entre groupes silanols appartenant à différents motifs. L’étude par SAXS et diffusion de la lumière des étapes initiales de la condensation du silicate en milieu neutre (pH ≈ 7) montre que des germes de taille de l’ordre de 2 nm croissent jusqu’à 8 nm environ après quelques heures de vieillissement et forment des nanoparticules de « silice » amorphe ayant une structure polymérique ouverte et peu dense avec une dimension fractale de 2,2 (Tobler 2009). Contrairement aux précipités et gels formés par de nombreux cations octaédriques, ceux du silicium ne sont jamais cristallins. Les chaînes de tétraèdres liés par des sommets n’ont pas tendance à s’associer et à s’organiser spontanément pour former des solides compacts, de sorte que le matériau reste fortement hydraté (la stœchiométrie des solides correspond grossièrement à SiO(OH)2 ). La cristallisation de la silice en quartz ou en cristobalite nécessite une température de chauffage supérieure à 1 000 ◦ C. Dans la zone de prédominance de l’espèce Si(OH)4 vers pH 3, la réaction de condensation est lente. Elle est fortement accélérée lorsque l’acidité du milieu s’éloigne de pH 3. La variation de la vitesse de consommation du monomère rend compte de la catalyse acide ou basique de la réaction selon le domaine d’acidité (§ 3.3). Vers pH 7-8, la gélification est instantanée. La catalyse est due à la présence de la forme [SiO(OH)3 ]− qui favorise l’attaque nucléophile. À pH < 2, c’est la présence de l’espèce [Si(OH)3 (OH2 )]+ qui favorise l’élimination d’eau et accélère la réaction. Les particules formées à partir des milieux alcalins ou acides possèdent des morphologies très différentes (Iler 1979, Coudurier 1971). À pH > 3, la masse molaire des espèces en solution croît très vite dès le début de la réaction. Les chaînes, fortement ramifiées, forment un réseau tridimensionnel et les particules sont sphériques, avec un diamètre de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres. Elles gélifient sous forme de gels particulaires. À pH < 3, la
132
De la solution à l’oxyde
masse molaire reste relativement faible durant tout le processus. La condensation engendre surtout des oligomères (degré de condensation de 2 à 6) qui s’agrègent et gélifient lentement en formant des amas diffus de très petites particules de taille de l’ordre de 5 nm (gels polymériques). L’effet de l’acidité du milieu sur la morphologie des particules peut être interprété en considérant les mécanismes invoqués pour la catalyse de l’oxolation (§ 3.3). On peut prévoir l’architecture du polymère en considérant, à un stade peu avancé de la condensation, une chaîne plus ou moins ramifiée comportant différents types de groupes (schéma 4.2) :
H O A
HO H O A
HO O H
OH
C
HO B
OH
H O B OH
O H
A
OH
O H
O H Schéma 4.2 –
On peut ainsi considérer des groupes Si(OH)3 (OX) [A], Si(OH)2 (OX)2 [B], Si(OH)(OX)3 [C], dans lesquels X représente le reste de la chaîne dont la composition moyenne est celle du matériau SiO(OH)2 . Le groupe X est ainsi un ligand d’électronégativité moyenne égale à celle du matériau : χ(X) = χ(SiO(OH)2 ) = 2,63. On peut alors calculer les charges partielles sur les différents sites (Tab. 4.3). En milieu alcalin, la catalyse concerne la première étape du mécanisme de condensation, c’est-à-dire l’attaque nucléophile par les formes anioniques (ou par l’ion HO− ). On observe que la charge du silicium sur tous les sites de la chaîne en cours de croissance est plus élevée que dans le monomère Tab. 4.3 – Charges partielles calculées (§ 2.4) sur les différents types de sites de polymères siliciques. Site A B C
χ 2,64 2,78 2,71
δ(Si) +0,50 +0,58 +0,54
δ(OH) −0,06 +0,06 0
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
133
(δ(Si) = 0,47). C’est donc sur la chaîne que l’attaque nucléophile des anions siliciques doit s’effectuer, préférentiellement sur les sites où la charge partielle du cation est la plus élevée c’est-à-dire en milieu de chaîne (sites B, C). La condensation doit donc produire beaucoup de points de ramification, conformément à ce qui est observé. Si le milieu est acide, la catalyse concerne la deuxième étape du mécanisme de condensation. L’élimination du proton du pont ol dans l’état de transition est facilitée par la protonation d’un ligand OH qui favorise la formation du groupe partant (ligand aquo). Les ligands OH concernés sont ceux situés en bout de chaîne, qui présentent la charge partielle la plus négative, ou ceux du monomère Si(OH)4 lui-même. Il en résulte la croissance de chaînes faiblement connectées et de bas degré de condensation. La morphologie des particules est ainsi très dépendante des conditions d’acidité dans lesquelles est effectuée la condensation. Des particules de silice très homogènes en taille sont obtenues par hydroxylation d’alcoxydes de silicium Si(OR)4 en solution dans l’alcool parent ROH (R désigne un groupement alkyl). Ce type de précurseur métallo-organique (Bradley 1978, Turova 2002) réagit avec l’eau pour former des dérivés hydroxylés qui se condensent par oxolation (Brinker 1990). L’hydroxylation et la condensation sont schématiquement représentées par : M(OR)z + z H2 O → M(OH)z + z ROH M(OH)z → MOz/2 + z/2 H2 O Avec les complexes métalliques en solution aqueuse, l’hydroxylation est une réaction acide-base et la condensation est une substitution nucléophile. Pour les alcoxydes en milieu organique, l’eau est un réactif et l’hydroxylation et la condensation procèdent toutes les deux selon un mécanisme associatif bimoléculaire SN2 en formant des intermédiaires réactionnels dans lesquels la coordinence de l’élément métallique est augmentée, comme l’indique le schéma suivant : Hydroxylation H
H
H O
O M OR
M OR
H
H
HO M O
R
HO M
+ ROH
Condensation
En conséquence, la réactivité des alcoxydes métalliques, vis-à-vis à la fois de l’hydrolyse et de la condensation, est gouvernée par le caractère électrophile du
134
De la solution à l’oxyde
Conc. Silice soluble (mol.l-1)
0.5 Si(OEt)4
0.4 0.3
Nucléation 0.2 0.1
Si(OH)(OEt)3
0.0 0
(a)
(b)
100 200 300 400 500 600 700 800 Temps (mn)
Fig. 4.18 – (a) Image MEB de nanoparticules de silice (diamètre moyen 23 nm) synthétisées selon la méthode de Stöber par hydrolyse de Si(O-CH2 CH3 )4 en milieu eau/éthanol/NH3 . (b) Variation de la concentration du tétraéthoxyorthosilicate en solution dans l’éthanol (initialement 0,5 mol.l−1 ) en présence d’eau (2,2 mol.l−1 ) et d’ammoniac (0,1 mol.l−1 ). Le terme « nucléation » dénote la détection des particules primaires par SAXS (reproduit d’après Green 2003 avec autorisation de Elsevier).
métal (son pouvoir polarisant), l’effet stérique des ligands alcoxy et la structure moléculaire du complexe (monomère ou oligomère). Ce dernier caractère dépend beaucoup de la différence entre le degré d’oxydation du cation, z, et sa coordinence préférée, N. Les alcoxydes de silicium (χSi = 1,74, z = N = 4), toujours monomères, sont peu réactifs dans l’eau tandis que les alcoxydes de titane par exemple (χTi = 1,32, z = 4, N = 6) sont des oligomères extrêmement sensibles à l’humidité à cause de la frustration de coordinence, 4 ou 5, dans les alcoxydes. La réactivité des alcoxydes de silicium diminue fortement quand la taille des groupes OR augmente en raison de l’effet stérique et du caractère hydrophobe croissant. En présence d’un excès d’eau à pH 7, le temps de gel à 20 ◦ C est de 44 heures pour le méthoxyde Si(O-CH3 )4 , 240 heures pour l’éthoxyde Si(O-CH2 CH3 )4 et 550 heures pour le butoxyde Si(O-(CH2 )2 CH3 )4 . L’acidité du milieu influence très fortement la vitesse de l’hydrolyse et de la condensation et, comme en milieu aqueux, modifie la morphologie des produits. Dans un excès d’eau et en milieu acide (pH ≤ 4), les alcoxydes de silicium forment des gels polymériques transparents tandis qu’en milieu basique (pH ≥ 8), la condensation est accélérée par rapport au milieu neutre et elle forme des particules de silice hydratée parfaitement sphériques et monodisperses (Fig. 4.18a). C’est le principe de la méthode de Stöber d’élaboration de nanoparticules de silice de 5 à 2 000 nm à partir d’alcoxydes de silicium en solution dans l’alcool avec un excès d’eau en présence d’ammoniaque (Stöber 1968). La monodispersité en taille des particules est due au fait que l’hydroxylation est lente et la condensation rapide. La RMN du 29 Si et du 13 C, qui permet de suivre
135
Stabilité du sol instable instable métastable stable dissolution agrégation σ>0 σ=0 σ 6, la charge de surface devient suffisante pour que le sol reste stable (Iler 1979). Les gels de silice sont souvent utilisés comme milieu de dispersion de particules variées pour former des matériaux composites. Dans ce but, il est préférable de polymériser la silice en milieu acide afin de former, après gélification et séchage, une matrice polymérique homogène et transparente. La polymérisation en milieu alcalin produit au contraire un système particulaire de grande surface spécifique pouvant servir de support à des ions ou à des particules. Les opales sont des silices hydratées, SiO2 , nH2 O, amorphes, formées par dépôt de silicate provenant de l’érosion et du lessivage de roches. Ces minéraux sont constitués de particules sphériques de taille très uniforme d’environ 200 nm de diamètre. Ces particules peuvent être, selon leur lieu de formation, des particules primaires ou des agrégats sphériques monodisperses d’objets d’environ 25 à 50 nm de diamètre, eux-mêmes monodisperses. Ces sphères sont empilées en formant des petits domaines quasi cristallins qui diffractent la lumière visible et qui présentent donc des couleurs vives et variées (Gaillou 2008) (Fig. 4.20). Dans les conditions géologiques de formation, le transport de matière provoqué par l’érosion et la dissolution des roches mères s’effectue à très faible concentration, de sorte que la précipitation, à pH neutre ou légèrement alcalin, s’est effectuée avec une nette séparation des étapes de nucléation et de croissance permettant de former des particules très homogènes en taille (§ 4.2).
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
137
b) Antimonate SbV L’antimoine (V) est soluble en milieu alcalin sous la forme hexacoordinée [Sb(OH)6 ]− . Cette espèce est stable à l’état monomère en raison du pouvoir électrophile trop faible du cation. On calcule en effet χ = 2,478, δ(OH) = –0,21, δ(Sb) = +0,26 < 0,3. La condensation intervient par acidification et forme des polyanions et des gels. Les polyanions antimoniques sont mal connus. La potentiométrie semble indiquer la formation d’une espèce 12 fois condensée pour H/Sb = 0,6 dont la structure est inconnue (Lefebvre 1963). L’acidification de l’antimonate de potassium KSb(OH)6 en solution par échange d’ions K+ /H+ sur résine (afin d’éviter l’augmentation de la force ionique du milieu et la floculation) forme immédiatement une suspension opalescente qui devient limpide après une trentaine de minutes à température ordinaire. La cristallisation de l’acide antimonique HSbO3 , 1,5 H2 O de structure pyrochlore intervient après 24 heures de vieillissement (Abe 1968, Lemerle 1972, 1973, Clearfield 1982). La formation du solide peut être interprétée à partir de l’espèce hydroxoaquo de charge nulle Sb(OH)5 (OH2 ), apte à se condenser à la fois par olation et par oxolation (χ = 2,60, δ(Sb) = +0,32, δ(OH) = –0,10, δ(H2 O) = +0,16). Comme dans beaucoup de systèmes, cette forme très réactive et produite brutalement en grande concentration se condense immédiatement de manière anarchique conduisant à des particules amorphes qui provoquent l’opalescence de la suspension. Le vieillissement entraîne la disparition de l’opalescence puis la cristallisation du solide (Lemerle 1972, 1973). L’intervention d’équilibres de dissolution-cristallisation permet de générer le complexe de charge nulle [Sb(OH)5 (OH2 )]0 contenant une molécule d’eau de coordination qui se condense par conséquent préférentiellement par olation pour former de petits cycles d’octaèdres liés par des sommets, Sb3 (OH)15 , probablement plus rigides et plus stables que des chaînes (Fig. 4.21). Ces cycles peuvent encore fixer rapidement par olation puis par oxolation un quatrième octaèdre pour former des tétramères Sb4 O2 (OH)16 . Ces motifs peuvent à leur tour former directement par oxolation le réseau pyrochlore qui se formule SbO2 (OH), H2 O. Il est à remarquer que dans ce processus, il reste dans le solide un ligand hydroxo par antimoine. Ce ligand fortement acide (χ = 2,819, δ(OH) = +0,10) est dissocié au contact de l’eau d’hydratation du solide qui apparaît ainsi mieux représenté par l’écriture [H3 O+ , SbO3 − ], 0,5 H2 O, en accord avec l’étude RMN 1 H de l’acide antimonique (Chowdhry 1982). L’oxyde hydraté est en fait un polyacide fort dont les protons délocalisés dans les canaux de la structure assurent la forte conductivité ionique (England 1980, Chowdhry 1982) et sont facilement échangeables par des cations alcalins ou par l’ion argent (Baestle 1968, Jolivet 1972). Bien que spéculatif, un tel schéma permet de rendre compte des phénomènes observés.
138
De la solution à l’oxyde
Sb(OH)5(OH2) olation
Sb4O2(OH)16
olation oxolation
oxolation
(a) (b)
SbO2(OH)
50 nm
Fig. 4.21 – (a) Chemin réactionnel possible pour la formation de l’acide antimonique de structure pyrochlore en solution. Dans le solide, les octaèdres SbO6 sont reliés entre eux par des ponts oxo (liaisons par sommets). Les protons solvatés sont distribués dans les canaux hexagonaux de la structure. (b) Image MEB de nanoparticules d’acide antimonique formées par acidification à pH 3 d’hexahydroxoantimonate de potassium et chauffage à 95 ◦ C pendant 7 jours (T. Garry et C. Chanéac, résultats non publiés).
4.1.5
Éléments de transition à hauts degrés d’oxydation : V, Mo, W
Les éléments de transition à degré d’oxydation maximum tels VV , MoVI , W donnent lieu à une très riche chimie aqueuse avec la formation de polyoxométallates et de polyacides (Chap. 3). Ils sont aussi capables de former des solides dont l’architecture peut, dans une certaine mesure, être prévue à partir des caractéristiques du précurseur moléculaire de charge nulle, tels les hydrates vanadique, tungstique et molybdique. La réduction limitée des précurseurs de ces oxydes en solution permet d’accéder à de nouvelles phases telles le dioxyde de vanadium (VIV ) et les bronzes hexagonaux du tungstène (WIV ,WV ) qui possèdent d’intéressantes propriétés (opto)électroniques. VI
a) Vanadate VV Dans les conditions du titrage du vanadate de sodium ou d’ammonium (§ 3.3.2a), à force ionique importante, aucune phase solide n’apparaît lorsque l’acidification correspond à la zone de formation de l’espèce de charge nulle (H+ /V = 3). Le décavanadate est en équilibre avec le cation [VO2 (OH2 )4 ]+ non condensé et les phénomènes cinétiques sont tels que l’on passe directement d’une forme à l’autre (Baes 1976, Kepert 1962). Toutefois, si on laisse
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
139
200 nm
Fig. 4.22 – Cliché MET du gel vanadique V2 O5 , nH2 O formé par acidification sur résine du métavanadate de sodium. évoluer une solution acidifiée à H+ /V = 3 à faible force ionique, l’acidification étant réalisée par échange d’ion sur résine, elle gélifie en devenant rouge foncé après quelques heures si la concentration en vanadium est supérieure à 0,1 mol.l−1 (Hazel 1953, Gharbi 1982). Le gel vanadique d’oxyde V2 O5 , nH2 O est constitué de l’enchevêtrement de rubans de plusieurs centaines de nanomètres de longueur, d’environ 10 nm de large et 1 nm d’épaisseur (Legendre 1983a) (Fig. 4.22). La structure cristalline des rubans (Fig. 4.23) est tout à fait différente de celle du polyanion décavanadique formé immédiatement après l’acidification.
oxolation
oxolation
olation
Fig. 4.23 – Chemin réactionnel possible pour la formation du gel vanadique V2 O5 , nH2 O à partir du précurseur neutre VO(OH)3 (OH2 )2 .
140
De la solution à l’oxyde
Le polyanion n’est donc certainement pas le germe structural du solide. En fait, comme dans beaucoup d’autres cas, des équilibres de décondensation du polyanion permettent de générer des précurseurs de charge nulle qui, à leur tour, sont éliminés de la solution par condensation illimitée en formant le solide. Pour cela, l’acidification doit être conduite en milieu de faible force ionique qui privilégie les espèces de faible charge électrostatique (Souchay 1968). La formation de l’oxyde V2 O5 peut être interprétée en faisant intervenir les formes monomères de charge nulle [VO(OH)3 (OH2 )2 ]0 et [VO2 (OH)(OH2 )3 ]0 qui doivent être en équilibre avec le décavanadate. À mesure de leur apparition en solution, ces espèces se condensent par olation puisque les ligands hydroxo et aquo sont simultanément présents. La formation de chaînes résulte de la structure des précurseurs car les liaisons courtes V=O bloquent la condensation le long de leurs axes. On peut alors proposer différents modèles de chaînes selon le précurseur considéré (schéma 4.3).
O
O H2O O
V OH2
OH2 OH + H2O O
O OH2 OH2 V OH V OH O OH2 OH2 O
OH2 OH
V
H2O O
OH2 olation
O
O OH OH H2O V OH + H2O V OH HO HO OH2 OH2
Type II O
O OH OH H2O V OH V OH HO HO OH2 OH2 Type I
Schéma 4.3 – Les chaînes de type II (schéma 4.3) éventuellement formées par le précurseur dioxo n’ont pas la possibilité de s’associer entre elles puisqu’elles ne disposent pas de ligands hydroxo terminaux. En revanche, la condensation ultérieure par oxolation des chaînes de type I (schéma 4.3) stabilise les ponts μ2 -OH en ponts μ3 -O et conduit à la formation de rubans dont l’empilement est assuré par des liaisons hydrogène (Legendre 1983b) (Fig. 4.23). Par déshydratation thermique, l’oxyde V2 O5 cristallise. Ce chemin réactionnel est très simplifié car la gélification de l’acide vanadique nécessite des traces de VIV qui apparaissent spontanément au cours de l’acidification sur résine ou par addition d’alcool (Gharbi 1982, Lemerle 1980). Le rôle catalytique du VIV ne semble pas encore élucidé (Poznarsky 1994). On peut penser qu’il sert d’amorceur de la condensation initiale par olation
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
141
des complexes vanadiques ou dans la condensation interchaînes par oxolation. En effet, le pouvoir nucléophile des ligands hydroxo dans le complexe du VIV , [VO(OH)2 (OH2 )3 ]0 , est supérieur à celui des ligands hydroxo présents dans les formes correspondantes du VV , en raison de la plus faible charge formelle du cation. Le traitement de l’oxyde V2 O5 dans les conditions hydrothermales douces (150-200 ◦ C) en présence de divers composants organiques susceptibles de réduire partiellement le vanadium V conduit à une collection d’oxydes avec diverses structures, pour la plupart lamellaires, qui offrent d’intéressantes propriétés électrochimiques (Chirayil 1998). La conductivité des gels vanadiques est à la fois ionique et électronique. La conductivité ionique, résultant de la mobilité des protons dans les espaces interfoliaires gonflés d’eau, intervient dans les gels humides. La conductivité électronique, due à la mobilité des électrons entre les sites VIV et VV dans le réseau, se manifeste seule dans les gels déshydratés (Sanchez 1983). Il en résulte d’intéressantes applications, telle la fabrication de dorsales antistatiques sur pellicules photographiques (Kodak-Pathé 1979). Bien que schématique, le mécanisme proposé permet de souligner que la formation de l’oxyde ne résulte pas d’une réaction d’oxolation seule. Il en est de même avec d’autres éléments (SnIV , SbV , WVI ) et il est important de rappeler que la formation de phases solides d’oxydes métalliques par précipitation met toujours en jeu au moins une étape d’olation car l’oxolation seule ne conduit en fait qu’à des polyoxoanions (Chap. 3). b) Vanadyle VIV Le vanadium IV existe en milieu acide (pH ≤ 2) sous forme du complexe [VO(OH2 )5 ]2+ bleu clair de symétrie C4v (Selbin 1965) (§ 2.2). L’hydroxylation et la condensation débutent dès pH 2,5, ce qui se traduit par l’apparition d’une coloration verte. La précipitation intervient vers pH 3 en formant un solide de couleur marron dont la composition et la structure ne sont pas clairement établies car l’oxydation est suceptible d’intervenir. Ainsi, la thermolyse à 95 ◦ C pendant plusieurs jours de solutions de chlorure de vanadyle fournit différents solides selon l’acidité du milieu, ajustée par addition de soude dans la solution initialement acide (Goulpeau 2002) : • à pH voisin de 2,5, on obtient un solide de couleur verte constitué de baguettes assez plates, d’environ 100 nm d’épaisseur et 0,5 μm de longueur. Le diagramme de diffraction des rayons X de cette phase est caractérisé par une série de raies indexables avec des indices (00l), ce qui correspondrait à une phase lamellaire ayant une distance inter-réticulaire de 10,8 Å. Le diagramme de diffraction est proche de celui d’un bronze naturel, la fernandinite (Ca, Na, K)x V2 O5 , H2 O, où le degré d’oxydation moyen du vanadium est 4,8 et dont la structure est formée de feuillets de type V2 O5 (Evans 1994) (Fig. 4.24) ;
142
De la solution à l’oxyde
100 nm
200 nm
(a)
(b)
(c)
Fig. 4.24 – (a) Image MET de nanobaguettes formées par thermolyse à pH 2,6 de chlorure de vanadyle ; (b) feuillet de la structure de la fernandinite ; (c) image MET de particules en forme de ruban dans l’hydrate de Gain (d’après Goulpeau 2002).
• dans les solutions de pH compris entre 3 et 6, on obtient un solide rose, dénommé l’hydrate de Gain dont la composition est VO2 , (1 + x)H2 O (0,05 < x < 0,17) (Théobald 1975). Le solide, dont la structure est inconnue, forme des rubans d’environ 50 nm de section et 1 μm de longueur (Fig. 4.24) ; • à pH 8, le solide formé est constitué de petites particules plus ou moins sphéroïdales d’environ 5 nm de diamètre. Le diagramme de diffraction des rayons X de cette phase, assez mal défini, présente néanmoins des similitudes avec celui du bronze Na1,8 V2 O5 (Carpy 1975) où le degré d’oxydation moyen du vanadium est 4,1. La chimie aqueuse du VIV s’avère complexe et on constate que la précipitation de l’oxyde VO2 de type rutile n’intervient pas dans ces conditions. On peut alors penser à réduire chimiquement des précurseurs vanadiques. La démarche permet d’obtenir deux phases bien identifiées, la häggite V2 O3 (OH)2 et la duttonite VO(OH)2 , parmi les nombreux autres oxydes et oxyhydroxydes connus du VIV (Théobald 1975, Martin-Besnardière 2013). Ces deux phases possèdent des structures lamellaires formées de simples ou de doubles chaînes d’octaèdres VO6 distordus, réunies par partage de sommets (Fig. 4.25). La häggite présente une transition isolant-semi-conducteur à 66 K et ses énormes variations de résistivité avec la température pourraient en faire un composant intéressant de nanosystèmes tels les transistors à effet de champ, les capteurs de température, etc. (Wu 2009). Ces deux phases sont obtenues dans des conditions très proches : à une solution de métavanadate de sodium NaVO3 (0,15 mol.l−1 ) est ajoutée de l’hydrazine (rapport molaire N2 H4 /V = 2,5). Le pH est ensuite ajusté par addition d’acide chlorhydrique concentré et le mélange est chauffé à 95 ◦ C pendant 4 à 5 jours. L’ajustement du pH à 3,6 permet d’obtenir la häggite sous forme de baguettes de 10 nm de section et de 200 nm à 1 μm de longueur, tandis qu’à pH 4, on obtient
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
(a)
143
(d)
(b) d001=4,78Å
200 nm
(c)
5 nm
50 nm
(e)
Fig. 4.25 – (a, b) Images MET de particules de häggite ; (c) structure des feuillets de la häggite ; (d) image MET de particules de duttonite ; (e) structure des feuillets de la duttonite (d’après Martin-Besnardière 2013). la duttonite sous forme de bâtonnets de 5 nm de section et 5 à 25 nm de longueur (Martin-Besnardière 2013) (Fig. 4.25). Dans les deux cas, la direction de croissance des particules est parallèle à l’axe des chaînes d’octaèdres liés par arêtes. L’effet brutal du pH sur le changement structural semble résulter de son influence sur la solubilité du vanadium IV : à pH 4, la solubilité est très faible et la solution est incolore en présence de duttonite tandis qu’à pH 3,6 pendant toute la durée de la synthèse de la häggite, la solution est bleue en raison de la solubilité du vanadium. La synthèse ne se déroule cependant pas de manière directe. Après 1 heure de chauffage du mélange réactionnel à pH 3,6, il se forme un solide gris, amorphe à la diffraction des rayons X. Après cinq heures, l’hydrate de Gain (de même composition que la duttonite) est présent, puis la häggite apparaît après 1 jour de chauffage et sa proportion croît jusqu’à la disparition de l’hydrate de Gain après 4 jours de réaction. La spectroscopie d’absorption des rayons X réalisée avec le rayonnement synchrotron au seuil K du vanadium confirme le degré d’oxydation IV dans la häggite, comme cela avait été récemment suggéré (Wu 2009), à la différence des premières études structurales qui proposaient un degré d’oxydation mixte 3,5 (Evans 1960). En outre, cette technique a permis de montrer que la réduction du vanadium a lieu en deux étapes avant le chauffage, la moitié environ étant réduite dès l’addition d’hydrazine (pH 7,2) et le reste lors de l’acidification à pH 3,6 qui provoque aussi la précipitation. Compte tenu de la solubilité
144
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
(c)
2 μm
5 μm
5 μm (d)
(e)
1 μm
50 nm
Fig. 4.26 – Images MET (a, b) de microparticules de VO2 M en forme d’astérisque ; (c) d’un microbâtonnet de VO2 M en présence de nanobâtonnets de VO2 B ; d’une branche de microcristal en forme d’astérisque de VO2 M avec le diagramme de diffraction électronique ; (e) de nanoparticules de VO2 M. (Reproduit avec autorisation c American Chemical Society). d’après Son 2010 notable du vanadium IV durant la formation de la häggite, on peut admettre que sa formation, aux dépens de l’hydrate de Gain, résulte d’un phénomène de dissolution-cristallisation. La phase monoclinique de l’oxyde VO2 (VO2 M) qui donne lieu, avec la phase rutile à la transition isolant-métal, peut être obtenue sous forme de micro- et de nanoparticules à des températures plus élevées en conditions hydrothermales (Son 2010). La procédure consiste à réduire l’oxyde V2 O5 par l’hydrazine en milieu acide sulfurique à 60 ◦ C (ou à partir de sulfate de vanadyle, VOSO4 , en solution acide en présence d’hydrazine), puis d’ajuster le pH de la solution entre 4 et 10 par addition de soude, ce qui provoque la précipitation d’un solide gris à brun. Ce précipité amorphe, qui contient probablement de l’hydrazine, est lavé et dispersé dans de l’eau puis chauffé à 220 ou 230 ◦ C pendant 48 heures. Quand le pH de la suspension avant le traitement hydrothermal est ajusté entre 4 et 5,5, on obtient des microcristaux de VO2 M en forme d’astérisque ou de bâtonnet accompagnés de quantités variables de nanobâtonnets de la phase VO2 B, tandis que pour des pH plus élevés, on obtient des nanocristaux de VO2 M en forme de plaquette hexagonale (Fig. 4.26). (VO2 B est une phase monoclinique, différente de la phase usuelle de type rutile, isotype de la phase Nax TiO2 (§ 8.2.2) (Théobald 1976).) Compte tenu de la différence de taille des cristaux des phases VO2 M et de
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
(a)
145
(b)
Fig. 4.27 – Images en microscopie optique de microbâtonnets de VO2 M déposés sur un substrat de silice et chauffés à différentes températures. La couleur foncée des bâtonnets correspond à leur état conducteur. À droite sur l’image (a), l’état conducteur apparaît entre 69 et 70 ◦ C tandis qu’à gauche, il apparaît entre 70 et 72 ◦ C. Sur l’image (b), le bâtonnet de 20 μm de longueur devient conducteur entre c American Chemical 68,2 et 68,8 ◦ C (Reproduit avec autorisation d’après Son 2010 Society). VO2 B, la séparation par décantation ou dissolution en milieu acide dilué est relativement aisée. Les particules en forme d’astérisque sont constituées de six plaquettes d’épaisseur variable entre 50 à 200 nm et dont la croissance s’est effectuée à partir de leur centre. Leur largeur varie de 1 à 5 μm et leur longueur de 1 à 20 μm. La morphologie des particules dépend de multiples facteurs, en particulier la concentration en vanadium, le pH, la température. Un point important est que, quel que soit le précurseur, oxyde vanadique ou sulfate de vanadyle, la présence d’hydrazine avant le traitement hydrothermal est indispensable à la formation de VO2 M, sinon seule la phase VO2 B est obtenue (Son 2010). Il semble donc très probable que l’hydrazine joue un rôle important en tant que ligand pour orienter la croissance cristalline, mais l’étude du mécanisme doit être poussée plus avant pour clarifier ce point. Il est intéressant d’observer que les microbâtonnets de la phase VO2 M donnent effectivement lieu à la transition isolant-métal vers 68 ◦ C. On peut mettre en évidence le phénomène par l’observation en microscopie optique de bâtonnets déposés sur un substrat chauffé (Fig. 4.27). La phase conductrice à haute température est plus foncée que la phase isolante car elle absorbe plus fortement la lumière. On rappelle que la phase haute température, VO2 R, adopte la structure rutile dans laquelle les ions V4+ sont régulièrement espacés dans les chaînes d’octaèdres liés par arêtes, tandis que la phase basse température subit une distorsion structurale qui entraîne l’alternance de distances longues et courtes entre les ions V4+ dans les chaînes. Cet effet provoque une modification de la structure électronique en ouvrant une bande interdite juste au niveau de
146
De la solution à l’oxyde
dV-V = 3,165Å et 2,619
dV-V = 2,856Å E VO2R T > 68°C
t2g (dxy)
M-O σ*
M-O σ*
M-O π*
M-O π*
M-M σ
VO2M T < 68°C
M-O σ* M-M σ
M-O π
M-O π
M-O σ
M-O σ
Fig. 4.28 – Schéma des chaînes d’octaèdres VO6 liés par arêtes dans la phase rutile VO2 R (T > 68 ◦ C) où les ions V4+ sont régulièrement espacés (à gauche) et dans la phase monoclinique VO2 M (T < 68 ◦ C) où les ions V4+ alternent avec des distances courtes et longues (à droite). Le schéma de la structure électronique montre que l’interaction entre les orbitales de symétrie t2g des ions V4+ dans les chaînes de la phase rutile forme une bande M-Mσ partiellement peuplée par les électrons d qui assurent la conductivité. Le changement structural provoque l’éclatement de cette bande en une bande M-Mσ pleine (isolante) et une bande M-Mσ ∗ vide séparées en énergie par une bande interdite (distorsion de Peierls). Fermi, rendant le solide isolant (Fig. 4.28). C’est le phénomène de distorsion de Peierls (Burdett 1995). c) Molybdate MoVI , tungstate WVI et bronzes de tungstène La différence de comportement des ions MoVI et WVI dans la formation des polyanions (§ 3.3) se manifeste aussi dans la formation des phases solides d’oxydes hydratés. Le tungstène apparaît beaucoup plus versatile que le molybdène à travers la variété structurale de ses oxydes formés à partir de solutions, comme l’ont très bien montré les travaux de Figlarz et al. (Figlarz 1985, 1989). De même que pour les vanadates, le vieillissement ou le chauffage de solutions d’acide tungstique à faible force ionique (obtenu par passage du tungstate de sodium sur résine échangeuse d’ions sous forme protonée) s’accompagne de la formation d’un trouble, puis d’un précipité après quelques heures. À faible concentration (CW < 0,5 mol.l−1 ), on obtient l’hydrate WO3 ,2H2 O jaune pâle, tandis qu’à CW > 0,7 mol.l−1 , il s’agit de WO3 ,H2 O jaune foncé (Kepert 1978). Leurs structures sont lamellaires et les particules forment des empilements ordonnés de plaquettes ou tactoïdes
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
147
5 μm (a)
(b)
Fig. 4.29 – (a) Cliché MEB (d’après Chemseddine 1984) et (b) structure des feuillets du gel tungstique WO3 ,H2 O formé par acidification sur résine du tunsgtate de sodium.
(Chemseddine 1984, 1987) (Fig. 4.29a). Les feuillets de ces hydrates sont formés par liaison des octaèdres WO5 OH2 par sommets, la molécule d’eau étant alternativement au-dessus et en dessous du plan (Fig. 4.29b). Dans le dihydrate, la molécule d’eau supplémentaire est placée entre les feuillets. Ces hydrates sont aussi obtenus par acidification du tungstate NaWO4 par HCl concentré (HCl ≈ 3 mol.l−1 ) (Freedman 1959). L’hydrate WO3 ,2H2 O précipite à température ambiante, WO3 ,H2 O est formé à 100 ◦ C. L’acidification du tungstate sur résine produit immédiatement le décatungstate en équilibre avec le monomère octaédrique [WO(OH)4 (OH2 )]0 . À la différence du vanadate, une seule molécule d’eau est présente dans la sphère de coordination, en trans du groupe oxo. La condensation selon cet axe est donc bloquée et la seule réaction possible est l’oxolation qui assure la croissance bidimensionnelle par formation de ponts μ2 -O. Les feuillets ainsi formés s’empilent les uns sur les autres de façon plus ou moins ordonnée et sont réunis par des liaisons hydrogène entre des molécules d’eau et les groupes oxo de part et d’autre des feuillets tungstiques. Avec le molybdène, l’hydrate MoO3 ,2H2 O précipite très lentement, après environ trois semaines, à partir d’une solution de molybdate de sodium en milieu acide nitrique concentré (≈ 4 mol.l−1 ) à température ambiante. Par dissolution de l’hydrate en milieu acide chlorhydrique 12 mol.l−1 , ramené ensuite par dilution à une concentration en acide de 3 mol.l−1 , l’hydrate MoO3 ,H2 O cristallise. Ces deux hydrates, formés de feuillets d’octaèdres partageant des sommets, sont isomorphes de leurs homologues tungstiques (Figlarz 1985), mais ils se forment plus difficilement puisque des conditions plus brutales de synthèse sont nécessaires pour que le partage de sommets d’octaèdres ait lieu dans le cas du molybdène. Ce comportement rappelle celui observé dans les polyanions tungstiques et molybdiques.
148
De la solution à l’oxyde
Le traitement hydrothermal à 120 ◦ C du gel tungstique ou d’une suspension de l’hydrate WO3 ,2H2 O forme l’hydrate WO3 ,1/3H2 O. Il se présente sous forme d’aiguilles ou de plaquettes selon le précurseur utilisé (Figlarz 1985, 1989) (Fig. 4.30a, b). Des nanoplaquettes hexagonales de cet hydrate (Fig. 4.30c) peuvent aussi être obtenues par traitement hydrothermal entre 100 et 200 ◦ C du complexe peroxo issu de la dissolution de l’acide tungstique dans l’eau oxygénée (Zhou 2008). La structure orthorhombique de l’hydrate WO3 ,1/3H2 O est constituée de feuillets plans de deux types d’octaèdres, WO6 et WO4 (OH2 )2 , liés par six et quatre sommets respectivement et formant des cycles hexagonaux et trigonaux (Fig. 4.30d). Les plans, décalés dans l’empilement, sont reliés par les sommets des octaèdres WO6 (Fig. 4.30e).
1 μm
0.1 μm (a)
200 nm
(b)
(d)
(c)
(e)
Fig. 4.30 – Images MET de particules de l’hydrate WO3 ,1/3H2 O en forme d’aiguilles obtenu par synthèse hydrothermale à partir du gel tungstique (a) et de plaquettes à partir de l’hydrate WO3 ,H2 O (b) (reproduit d’après Figlarz 1989 avec autorisation de Elsevier). (c) Empilement de feuillets formant des nanodisques obtenus par traitement hydrothermal de complexes peroxo du tungstate (reproduit c American Chemical Society). (d) Structure avec autorisation d’après Zhou 2008 des feuillets comportant des octaèdres WO6 (gris clair) et WO4 (OH2 )2 (gris foncé) et (e) assemblage des feuillets dans l’hydrate WO3 ,1/3H2 O.
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
149
WO3 ,1/3 H2 O, stable jusqu’à 250 ◦ C, se déshydrate à plus haute température et forme l’oxyde WO3 hexagonal. Sa structure est formée des mêmes plans que dans l’hydrate, mais en coïncidence (Fig. 4.31), de sorte que le réseau renferme des canaux hexagonaux dans lesquels il est possible d’insérer chimiquement ou électro-chimiquement de l’hydrogène ou des cations alcalins (Li+ , Na+ ), ce qui conduit à la formation de bronzes hexagonaux Mx WO3 (Figlarz 1989). L’insertion chimique du n-butyl-Li ou du naphtalène-Li(Na) est réversible jusqu’à x = 1. Au-delà, l’insertion entraîne l’amorphisation de l’oxyde.
+
250°C
(a)
400°C
(d)
(b)
(c)
(e)
Fig. 4.31 – Structures cristallines (a) de l’hydrate tungstique WO3 ,1/3 H2 O : plans 001 en empilement décalé ; (b) de l’oxyde WO3 hexagonal : plans 001 en empilement éclipsé formant les canaux le long de l’axe c ; (c) du bronze hexagonal Mx WO3 ; (d) de l’oxyde WO3 monoclinique ; (e) de l’oxyde WO3 pyrochlore. La transformation de l’hydrate WO3 ,1/3 H2 O en WO3 hexagonal conserve la morphologie des particules initiales. Bien qu’une filiation structurale directe puisse être imaginée entre ces deux phases, la transformation s’effectue en fait par reconstruction de la structure (Figlarz 1989). L’élimination de l’eau provoque en effet le réarrangement des liaisons W-O, mais l’arrangement des liaisons est très semblable dans les plans 001 des deux phases. Par conséquent, l’énergie de nucléation de l’oxyde hexagonal métastable est minimale et des germes d’oxyde apparaissent en premier lieu sur les plans 001 de l’hydrate. La transformation procède par le déplacement progressif et orienté de l’interface oxyde-hydrate. Vers 400 ◦ C, l’oxyde WO3 hexagonal se transforme en WO3 monoclinique (Fig. 4.31). Dans ce cas, la transformation est non pseudomorphe, mais elle procède aussi par germination orientée de la phase thermodynamiquement stable.
150
De la solution à l’oxyde
100 nm
50 nm
(a)
10 nm
(c)
(d)
(b) (e) Fig. 4.32 – (a) Image MET des particules et (b) structure des plans (001) de la phase WO3 h. (c) Image MEB à effet de champ. (d) Image METHR et (e) structure des plans (001) de la phase WO3 h . (D’après Martin-Benardière 2013.) L’oxyde anhydre WO3 hexagonal peut être synthétisé dans des conditions douces par chauffage à 95 ◦ C de la solution de tungstate de sodium Na2 WO4 acidifiée avec HCl à pH 1,3 (Martin-Besnardière 2013). Les particules sont des bâtonnets de 10-15 nm de diamètre et 50-100 nm de long. Les canaux à section hexagonale de la structure sont orientés le long des bâtonnets (Fig. 4.32a, b). La même synthèse mais en présence d’hydrazine permet de former le bronze hexagonal (NH4 )x WO3 (Martin-Besnardière 2013). Le mélange initial acidifié forme une suspension d’aspect blanc laiteux, signe que la réduction du WVI n’intervient pas, mais que la complexation du tungstate a lieu comme l’indique la spectroscopie infrarouge par la présence de bandes d’absorption caractéristiques de liaisons W-O-N. Le chauffage entraîne la réduction avec l’apparition de la couleur bleue caractéristique des ions WV et l’insertion d’ions ammonium dans les canaux de la structure. Des bâtonnets de 10 nm de diamètre et 50 nm de long, semblables à ceux obtenus en conditions non réductrices sont formés. La quantité d’hydrazine influe peu sur la morphologie des particules. En revanche, elle détermine le taux de réduction (et la couleur bleue) du tungstène qui peut atteindre le taux WV /WVI de 0,07. Si le chauffage à 95 ◦ C du mélange acidifié blanc laiteux contenant l’hydrazine n’intervient qu’après une douzaine d’heures de maturation à température ambiante, on obtient une nouvelle phase du bronze hexagonal, WO3 h (Fig. 4.32c, d), qui se différencie de la précédente par l’agencement des octogones d’octaèdres dans les plans
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
151
(001) de la structure, formant des cycles à 6, 4 et 3 octaèdres (Fig. 4.32e). Les particules se présentent sous forme de plaquettes de 50 à 100 nm de diamètre et de 5 à 10 nm d’épaisseur dont la particularité est que les canaux à section hexagonale sont perpendiculaires aux faces basales des plaquettes (MartinBenardière 2013). Dans cette nouvelle phase, il semble que la réduction du tungstène soit compensée par l’insertion de protons au lieu d’ions ammonium ou sodium. Des défauts structuraux sont engendrés par la rotation de 30◦ de cycles à 6 octaèdres dans les plans (001). Le traitement hydrothermal à 110 ◦ C d’une solution d’acide molybdique obtenue par acification sur résine de molybdate ou par dissolution de l’hydrate MoO3 ,2H2 O forme aussi l’hydrate MoO3 ,1/3H2 O. Sa morphologie est différente de celle de son homologue tungstique (Fig. 4.33) mais ils sont isostructuraux (Freedman 1959).
2 μm Fig. 4.33 – Image MEB de particules de l’hydrate MoO3 ,1/3H2 O obtenu par synthèse hydrothermale (reproduit d’après Figlarz 1989 avec autorisation de Elsevier). La déshydration à 300 ◦ C de MoO3 ,1/3H2 O conduit à la variété monoclinique de l’oxyde MoO3 . La transformation de MoO3 ,1/3H2 O en oxyde monoclinique procède, de même que pour les composés tungstiques correspondants, selon un mécanisme de nucléation et de croissance orientée. Toutefois, dans les phases molybdiques, l’arrangement commun des liaisons Mo-O est de type ReO3 , ce qui justifie que la phase monoclinique de l’oxyde MoO3 ait la plus faible énergie de nucléation. Celle-ci est cependant métastable et elle se transforme à 400 ◦ C en variété orthorhombique (Fig. 4.34) dans laquelle on retrouve la configuration cis-dioxo du molybdène, configuration caractéristique des polyanions stables du MoVI . La différence de comportement des hydrates et oxydes tungstiques et molybdiques résulte probablement, comme pour les polyanions, d’une différence d’interactions π dans les liaisons W-O et Mo-O (Pope 1983, Figlarz 1989).
152
De la solution à l’oxyde
z
z y x
x
Fig. 4.34 – Structure de l’oxyde MoO3 orthorhombique. L’effet des cations sur l’orientation structurale des phases solides se manifeste avec le tungstène qui forme, en présence de Cs+ ou de Rb+ , une phase pyrochlore d’oxyde tungstique Mx WO3 , avec M = Cs+ , Rb+ et 0,3 < x < 0,5 (Figlarz 1989) (Fig. 4.31e). La synthèse peut être réalisée par chauffage à 90 ◦ C d’une solution de tungstate de sodium et de carbonate de césium ou de rubidium acidifiée à pH 3. Une autre voie de synthèse de ces phases consiste à porter à l’ébullition la solution de carbonate et de tungstate dans l’éthylèneglycol acidifiée par de l’acide acétique (Figlarz 1989). La réaction est totale après 20 heures de chauffage. Le chauffage du paratungstate B (NH4 )2 W12 O41 ,5H2 O dans les mêmes conditions forme la phase pyrochlore (NH4 )0,25 WO3 . Les canaux tridimensionnels du réseau pyrochlore permettent l’échange facile et complet des ions ammonium par des protons en milieu acide. Les ions Cs+ et Rb+ le sont plus difficilement en raison de leur taille. Contrairement à l’acide antimonique de même structure pyrochlore (§ 4.1.4), l’eau contenue dans la phase WO3 ,0,5H2 O protonée et équilibrée à l’humidité atmosphérique est très mobile car elle est très faiblement liée à la charpente non électriquement chargée du réseau (Figlarz 1989). L’ensemble de cette étude d’éléments de degrés d’oxydation croissants montre que l’augmentation de la charge formelle (degré d’oxydation) du cation accroît la polarisation de ses ligands oxygénés et renforce l’acidité du complexe de charge nulle. La précipitation intervient par conséquent dès les milieux très acides. Les cations de haute charge formelle manifestent cependant une propension à former des espèces discrètes (polyanions) plutôt que des réseaux infinis. Deux paramètres paraissent essentiels : la taille du cation et son aptitude à être un bon accepteur π. Ce dernier caractère résulte de l’aptitude du cation à mettre en jeu dans la liaison métal-oxygène des orbitales d vides de faible énergie. Les liaisons M-O de type π, dans lesquelles l’oxygène perd quasiment toute propriété basique, sont par conséquent des liaisons terminales qui limitent en général fortement la condensation du métal à la formation d’oligomères (polyoxoanions). Ce comportement est typique
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
153
des éléments de transition. Pour ces éléments, la taille de l’ion métallique intervient aussi pour limiter la condensation car, trop faible comme dans le cas de CrVI , elle peut interdire l’extension de la coordinence. Des éléments tels que SiIV , SnIV , GeIV , SbV , TeVI par exemple, ont des tailles comparables à celles de MoVI et WVI . Ils n’offrent cependant pas la possibilité d’établir des liaisons π avec l’oxygène (pas d’oxygène terminal) du fait de l’absence d’orbitales d accessibles. Les polyoxoanions formés dans certaines conditions d’acidité peuvent croître et se transformer pour donner lieu, par acidification plus poussée, à des structures étendues de chaînes, de plans ou de réseaux de tétraèdres (Si), de tétraèdres et d’octaèdres (Ge), ou d’octaèdres (Sn, Sb, Te). Il n’existe pas de liaison courte M-O dans le polyèdre de coordination pour limiter la protonation et la condensation. L’exemple du PV est à rappeler ici : l’existence de la double liaison P=O abaisse le pouvoir électrophile du cation, ce qui évite la condensation du phosphate en solution. Pour tous ces éléments, plus la polarisation exercée par le cation est élevée, plus le caractère acide des ligands oxygénés du solide formé est important, ce qui se traduit par un point de charge nulle d’autant plus bas (§ 5.1.1).
4.1.6
Oxydes polymétalliques
L’association de cations différents dans le même réseau cristallin lors de la coprécipitation impose des contraintes de différents ordres. Du point de vue thermodynamique, la phase mixte doit être au moins aussi stable que les phases simples formées par chacun des cations seuls. En outre, leurs pH de précipitation doivent être voisins afin que leur hydroxylation intervienne dans la même zone d’acidité. Les réactivités des cations et particulièrement leurs vitesses de condensation doivent aussi être comparables pour que leur incorporation dans la phase solide soit simultanée. Enfin, les cations doivent présenter des compatibilités de taille, de charge et de coordinence afin de permettre leur coexistence dans la même phase cristalline. Toutes ces conditions sont rarement réunies par des cations de degrés d’oxydation différents, de sorte que la précipitation de leurs mélanges conduit le plus souvent à leur ségrégation, soit entre la phase solide et la solution, soit dans deux ou plusieurs phases solides. La synthèse de nanoparticules d’oxydes polymétalliques est cependant possible dans des conditions douces et diverses stratégies peuvent être mises en jeu. On peut profiter de la forte réactivité des nanoparticules des phases ségrégées sous forme d’hydroxydes ou oxyhydroxydes amorphes ou cristallisés et les faire réagir par thermolyse, traitement hydrothermal ou chauffage microondes de la suspension aqueuse. Du fait de la petite taille des particules, la phase mixte peut se former par diffusion des ions d’une phase à l’autre ou au cours d’un processus de dissolution-cristallisation. Un tel mécanisme intervient par exemple dans la formation des HDL (§ 4.1.2) et des rouilles vertes (§ 7.2.3).
154
De la solution à l’oxyde
On peut aussi dans certains cas coprécipiter des cations au même degré d’oxydation, puis provoquer l’oxydation du solide pour former la phase désirée. On peut aussi obtenir la phase mixte en associant d’abord les cations avec la stœchiométrie convenable au sein d’un complexe formé par des ligands multidentates organiques, par exemple de type polycarboxylate : oxalate, citrate, malonate. Ces complexes mixtes peuvent ensuite être thermiquement totalement dégradés en formant l’oxyde recherché (Marcilly 1970). Une technique similaire consiste à ajouter un polyol dans la solution des cations renfermant l’acide organique, ce qui permet non seulement la chélation des cations, mais aussi l’estérification de l’acide et la formation d’une résine polyester qui permet d’éviter la ségrégation des cations (Pechini 1967). Le traitement thermique ultérieur au-delà de 600 ◦ C environ permet de dégrader toute la matière organique et d’obtenir l’oxyde à des températures en général nettement plus basses que celles nécessaires dans la voie céramique classique qui met en jeu le mélange, le broyage et le chauffage des poudres d’oxydes. L’inconvénient de la technique Pechini peut être de former des goudrons difficilement éliminables lors du traitement thermique. Ces différentes stratégies, qui permettent de former de très nombreuses phases d’oxydes polymétalliques, sont illustrées en particulier avec la synthèse de trois types de ferrites : spinelles MFe2 O4 , hexaferrite BaFe12 O19 , grenat de fer et d’yttrium Y3 Fe5 O12 (Chap. 7), celle du titanate de baryum BaTiO3 et des zircones cubiques stabilisées (Chap. 8).
4.2
Cinétique de la formation du solide et mécanismes de cristallisation
On peut se demander pourquoi le solide résultant de la précipitation est constitué de particules dont la taille moyenne peut varier de quelques nanomètres à plusieurs microns avec une distribution de tailles pouvant être plus ou moins large, pourquoi la morphologie des particules d’un type donné d’oxyde peut être très différente selon les conditions de synthèse et enfin pourquoi le vieillissement de la suspension, après la précipitation proprement dite, entraîne souvent de profonds changements dimensionnels, morphologiques et structuraux. Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’examiner les étapes successives de la précipitation, puis d’étudier la dynamique du système. Il est important de remarquer dès à présent que la croissance des particules implique, dans toutes les étapes, la même chimie que celle étudiée dans la partie précédente. Il s’agit toujours de réactions de condensation par olation et/ou oxolation qui se produisent entre complexes monomères (nucléation), entre complexes monomères et objets de taille variable (croissance), entre objets nanométriques (agrégation). Le facteur majeur est la concentration du précurseur (sursaturation) car elle influence l’occurrence et la vitesse des différentes étapes du processus. Il est aussi très important de contrôler
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
155
d’autres paramètres, notamment l’acidité, la force ionique, la présence de divers ligands, car ils déterminent les caractéristiques de la surface des objets en croissance (densité de charge électrostatique, signe de la charge, présence d’espèces adsorbées, etc.) et notamment la réactivité et l’agrégation.
4.2.1
Les étapes de la précipitation
La précipitation d’un oxy(hydroxy)de fait intervenir quatre étapes principales (Haruta 1986, Sugimoto 1987) : a) Génération du précurseur de charge nulle [M(OH)z (OH2 )N−z ]0 , apte à se condenser jusqu’à former une phase solide L’hydroxylation du cation est une réaction acido-basique très rapide, mais la vitesse de formation du précurseur de charge nulle en solution peut être très variable selon que la réaction est effectuée par addition brutale de base, par thermohydrolyse en milieu acide ou par décomposition thermique d’une base retard telle l’urée. b) Formation de germes ou nuclei, par condensation (olation ou oxolation) des précurseurs de charge nulle La vitesse de condensation du précurseur dépend de sa concentration. Au début de l’hydroxylation du cation, la vitesse est quasiment nulle (zone I, Fig. 4.35). Le précurseur s’accumule en solution et, à partir d’un seuil critique Cmin , la vitesse de condensation augmente brutalement. Des entités polynucléaires, les germes dont la taille est de l’ordre du nanomètre, sont alors formées de façon « explosive » dans tout le sein de la solution (zone II, Fig. 4.35). La nucléation est en effet un phénomène brutal car, d’ordre cinétique apparent élevé, il peut être extrêmement rapide ou au contraire inexistant dans un étroit domaine de concentration. Si la vitesse de génération du précurseur est nettement plus lente que la vitesse de condensation, la concentration du précurseur se trouve alors brutalement abaissée par la germination et la condensation ralentit donc tout aussi brutalement. La formation de nouveaux germes n’a alors plus lieu. c) Croissance des germes jusqu’au stade de particules primaires À une concentration inférieure à Cmin , la nucléation (l’autocondensation des précurseurs) n’a quasiment plus lieu. En effet, les précurseurs qui apparaissent en solution se trouvent capturés par les germes existants selon le même processus chimique de condensation, olation et/ou oxolation, que durant la germination. Bien sûr, les cinétiques de ces deux étapes sont gouvernées par des phénomènes différents, diffusion des complexes en solution pour la
156
De la solution à l’oxyde Nombre
Taille
I
II
III
IV V Temps
Concentration Cmax Cmin Csat I
I
III
II
(a)
n c Csat
II
Cmin Cmax
Concentration
III Temps
(c)
(b) Fig. 4.35 – Évolution schématique (a) du nombre et de la taille de particules formées en solution et (b) de la concentration C du précurseur soluble de la phase solide (diagramme de LaMer, d’après LaMer 1950) au cours de la précipitation. La vitesse de condensation, nulle à C < Cmin , devient infinie à C ≥ Cmax . Csat est la solubilité de la phase solide. (c) Vitesses de nucléation (n) et de croissance (c) en fonction de la concentration du précurseur en solution. Les régions notées I, II et III se correspondent dans les trois schémas. germination, diffusion et réaction de surface pour la croissance. La croissance des germes consomme alors les précurseurs jusqu’à ce que la saturation de la solution, c’est-à-dire la solubilité de la phase solide, soit atteinte (zone III, Fig. 4.35). La croissance est un processus plus progressif que la nucléation. Pour obtenir des particules de taille uniforme, il est nécessaire, en première approximation, que les phases de nucléation et de croissance soient nettement séparées afin qu’une seule étape de formation de germes ait lieu et que leur croissance intervienne par consommation de tout le reste de matière disponible. Cela implique que la vitesse de nucléation soit très supérieure à celle de la génération du précurseur et que la concentration du précurseur soit suffisamment faible. Dans ces conditions, la nucléation est brève et découplée de la phase de croissance. Cette situation correspond au modèle classique de LaMer permettant de rendre compte de la formation de dispersions monodisperses de soufre par dismutation du thiosulfate en milieu acide (LaMer 1950). De belles validations expérimentales de ce modèle ont été récemment obtenues avec la formation de particules de silice amorphe hydratée (Fouilloux 2011) (Fig. 4.36). Si la vitesse de nucléation n’est pas assez grande par rapport à la vitesse de génération du précurseur et/ou si sa concentration est élevée, celle-ci demeure en permanence supérieure à la concentration critique Cmin , de sorte que nucléation et croissance sont simultanées. Dans ce cas, selon le mécanisme de
[Si] en solution (10-3 mol.l-1)
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
157
20 15 10 5 200 nm 0 0 (a)
40
80 120 160 Temps (mn)
200 (b)
Fig. 4.36 – (a) Évolution de la concentration du silicium en solution lors de la réaction de Si(O-CH2 CH3 )4 au contact d’une solution aqueuse de L-arginine 40 mM (pH 10, 80 ◦ C) ; (b) image MEB des particules formées en fin de réaction (reproduit c American Chemical Society). avec autorisation d’après Fouilloux 2011
croissance des germes, la dynamique du processus peut être très complexe, ce qui conduit à une taille moyenne de particules très variable avec différentes largeurs de distributions de tailles. Différentes situations sont examinées plus loin. d) Vieillissement des particules primaires, qui entraîne très souvent diverses modifications en suspension À ce stade, les particules formées sont en général des objets nanométriques qui peuvent être amorphes ou cristallins et posséder des morphologies particulières. Les particules ne sont donc pas dans leur état de plus grande stabilité thermodynamique qui correspondrait à un rapport surface/volume minimal de la variété cristalline la plus dense du matériau. Le vieillissement des suspensions permet l’évolution du système solide-solution vers un état thermodynamiquement plus stable grâce à divers mécanismes (dissolutioncristallisation ou « mûrissement d’Ostwald », agrégation, agrégation ordonnée, transformation in situ) qui permettent de réduire la surface spécifique du matériau (zone IV, Fig. 4.35) et/ou d’assurer la structuration ou le changement structural et morphologique des particules. Le vieillissement est ainsi l’un des phénomènes les plus importants à considérer dans la synthèse, car c’est lui qui détermine les caractéristiques finales des particules obtenues par précipitation. À partir de cette approche schématique et globale de la précipitation, on peut examiner de façon plus approfondie les divers mécanismes et processus impliqués dans le phénomène.
158
4.2.2
De la solution à l’oxyde
Nucléation et croissance : énergétique et dynamique
Le phénomène de précipitation est difficile à étudier car il intervient en général trop brutalement pour être observé expérimentalement. Beaucoup de modèles ont été élaborés pour rendre compte de la formation de petites particules en solution. À travers la théorie classique de la nucléation, une approche théorique récente permet de caractériser la dynamique du phénomène. a) Nucléation Considérons la formation d’un cristal Pn de taille n à partir de n précurseurs P (complexes de charge nulle) selon un processus d’auto-condensation en solution (germination homogène) : n P ⇔ Pn La variation d’enthalpie libre de la réaction, ΔG◦ , comprend un terme de volume dû à la différence de potentiel chimique (μS − μL ) de l’entité P dans la solution et dans le solide et un terme représentant l’énergie nécessaire à la création de la surface, A, du cristal (Nielsen 1964) : ΔG◦ = ΔG◦vol + ΔG◦surf = n(μs − μL ) + Aγ
(4.1)
γ est la tension (ou l’énergie) interfaciale γ = ∂G/∂A, que l’on suppose isotrope pour la simplicité. En assimilant activités et concentrations, la différence de potentiel chimique s’écrit : (μS − μL ) = kT Ln(cS /cL ) = −kT LnS. cL représente la concentration du précurseur en solution, cS la solubilité de la phase solide et S = cL /cS est le rapport de sursaturation de la solution. Le cristal (ou germe) supposé sphérique, formé par n précurseurs de volume moléculaire v, a un rayon r = (3nv/4π)1/3 et une surface A = n2/3 (36πv2 )1/3 . L’enthalpie libre de réaction s’écrit alors : ΔG◦ = −nkT LnS + n2/3 (36πν 2 )1/3 γ
(4.2)
La solution étant sursaturée (S > 1) et la tension interfaciale γ positive, le premier terme de l’équation (4.2) est négatif et le second positif. La variation d’enthalpie libre de formation d’un germe comporte donc un maximum ΔG◦∗ (Fig. 4.37). Ce maximum représente la barrière d’activation du processus, l’équivalent de la formation du complexe activé dans l’état de transition d’une réaction chimique. La cinétique de nucléation apparaît ainsi contrôlée par le poids relatif des énergies de surface et de volume. La taille du germe critique, formé au maximum de ΔG◦ et susceptible de grossir ultérieurement, est donné par ∂(ΔG◦ )/∂n = 0, soit : n∗ = 32πγ 3 ν 2 /3(kT LnS)3
(4.3)
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
159
ΔG°
Sa < 1
ΔG°*
a
b
n*
Sc > Sb > 1
c
n
Fig. 4.37 – Variation de l’enthalpie libre de formation de germes en fonction du nombre de précurseurs n associés dans le germe. La courbe a correspond à une solution non sursaturée (S < 1) ; les courbes b et c correspondent à une solution sursaturée, avec Sc > Sb > 1. La variation d’enthalpie libre correspondante s’écrit : ΔG◦∗ = (n∗ /2)kT LnS = 16πγ 3 ν 2 /3(kT LnS)2 = (4π/3)γr∗2
(4.4)
avec le rayon du germe critique, calculé à partir de l’équation (4.3), donné par l’équation de Gibbs-Kelvin : r∗ = (3n∗ ν/4π)1/3 = 2γν/kT LnS
(4.5)
Du fait de l’existence d’une énergie d’activation du processus de nucléation, les germes se forment et se résorbent de manière statistique. Mais, puisque la précipitation est spontanée (S > 1), la probabilité de croissance des germes est supérieure à celle de redissolution, ce qui aboutit à un régime stationnaire de nucléation. La vitesse (ou le taux) de nucléation J représente le nombre de germes formés par unité de temps et de volume. Il s’exprime sous la forme (Nielsen 1964) : (4.6) J = J0 exp(−ΔGN /kT ) J0 est relié à la fréquence des collisions entre précurseurs. Sa valeur est comprise entre 1010 et 1035 s−1 .cm−3 . ΔGN représente l’énergie d’activation nécessaire à la nucléation et comprend deux principales contributions. L’une est la hauteur de la barrière énergétique ΔG◦∗ correspondant à la formation d’un germe suffisamment gros pour être stable (éq. (4.4)). L’autre composante, ΔGR , est relative au type de réaction chimique (olation et/ou oxolation) mise en jeu dans le processus. Elle est typiquement de l’ordre de 35 kJ.mol−1 , mais la catalyse acide ou basique de l’oxolation abaisse l’énergie d’activation de la réaction à une valeur de l’ordre de quelques kJ.mol−1 (Krüger 1982).
160
De la solution à l’oxyde
La vitesse de nucléation peut donc s’écrire sous la forme : J = J0 exp[(−ΔG∗ + ΔGR )/kT )] = J0 [−16πγ 3 ν 2 /3(kT )3 (LnS)2 ] J0
(4.7)
R
= J0 exp[(−ΔG /kT )]. La nucléation est d’autant plus facile, c’estavec à-dire rapide, et les germes d’autant plus petits que la tension interfaciale solide-solution est faible et la sursaturation élevée. La nucléation est difficile à étudier expérimentalement car sa vitesse varie très brutalement avec la concentration. À 300 K, avec des paramètres typiques pour des oxydes (γ ≈ 30 à 100 mJ.m−2 , v ≈ quelques dizaines d’Å3 , J0 ≈ 1030 cm−3 .s−1 ), 105 germes sont formés par cm3 et par seconde pour S = 100. Cela signifie que la réaction est instantanée, alors que pour S = 10, la nucléation est impossible puisqu’un seul germe apparaît en 1070 secondes. Les germes sont aussi des entités difficiles à détecter en raison de leur petite taille (le degré de condensation n* est typiquement de quelques dizaines d’unités). En général, on détermine par diffusion de la lumière ou des rayons X par exemple le « temps d’induction » tind au moment où l’intensité diffusée varie brutalement (Dhont 1992, Tobler 2009, Fouilloux 2011). À partir de la taille finale et de la quantité de solide formé, on peut calculer le nombre de particules et déterminer une pseudo-vitesse de nucléation J = N/tind . Les mesures effectuées à différentes sursaturations S permettent d’évaluer le terme préexponentiel J0 ainsi que la tension interfaciale γ du solide (Nielsen 1964, Mersmann 1990, Bennema 1990). La nucléation n’a pas d’ordre cinétique défini au sens strict, bien que les données expérimentales log J = f (log S) s’ajustent approximativement selon une droite sur quelques décades de J (Nielsen 1964). Dans un domaine restreint de concentration, il est possible d’écrire J = kn Cn , où n est sensiblement égal au nombre n* de monomères constituant le germe critique. Cela n’est qu’une approximation car n* est lui-même une fonction de S (éq. (4.3)) et la probabilité d’une collision simultanée de n* précurseurs monomères est bien évidemment extraordinairement faible. La formation du germe critique résulte plus vraisemblablement d’étapes bimoléculaires successives, mais elle peut néanmoins dépendre d’une puissance n* de la concentration en admettant que toutes les étapes, rapides, participent à l’équilibre global (Stumm 1970, Markov 1995). b) Croissance Les germes critiques n* sont en équilibre instable avec la solution car ils correspondent au maximum de la variation ΔG◦ = f (n). Selon la valeur instantanée de la sursaturation, ils peuvent aussi bien se résorber s’ils deviennent sous-critiques (r < r*) ou croître s’ils deviennent supercritiques (r > r*), car ∂(ΔG◦ )/∂n < 0 dans les deux cas. La loi de croissance pouvant décrire correctement le phénomène doit donc dépendre de la taille et on peut la supposer proportionnelle à la sursaturation (S – S*), S* étant la sursaturation correspondant au germe critique r* (éq. (4.5)) (Noguera 2006a). La loi doit aussi
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
161
dépendre du processus limitant la croissance, c’est-à-dire la capture des complexes en solution par les germes, qui peut être une réaction de surface ou la diffusion des complexes en solution. On peut ainsi écrire : dr/dt = κ(S − S ∗ ) = κ[S − exp(2γν/kT r)]
(4.8)
pour un processus limité par une réaction de surface et remplacer la constante de proportionnalité κ par κ/r pour une croissance limitée par la diffusion. On observe, à la fois pour la nucléation et pour la croissance, que le paramètre clé est la sursaturation de la solution et que, dans un système chimique clos, cette grandeur varie (globalement diminue) tout au long du processus. En conséquence, sauf dans des systèmes où la concentration est suffisamment faible pour qu’il ne se produise qu’une seule phase de nucléation brusque et très brève, suivie d’une croissance formant des particules très homogène en taille (conditions de LaMer, Fig. 4.35), nucléation et croissance sont simultanées sur une période plus ou moins longue. Il s’ensuit que l’abaissement de sursaturation produit des germes dont la taille augmente puisque les conditions de criticité évoluent, ce qui provoque simultanément la résorption de particules formées au début du processus et dont la croissance n’était pas suffisante pour qu’elles deviennent, à un instant quelconque, supercritiques. Les processus de nucléation et de croissance exercent ainsi un effet de retour sur la sursaturation, effet proportionnel au nombre total d’unités de croissance (de cations métalliques) qui ont changé de phase, entre la solution et le solide. Ces considérations constituent le modèle de Noguera et al. qui montre quantitativement l’intrication des différents processus dans la dynamique du phénomène de précipitation (Noguera 2006a, b). La caractérisation de l’évolution du système nécessite de connaître la dépendance temporelle de la sursaturation de la solution et celle de la population des particules. À un temps t, la population comprend toutes les particules qui ont été formées à tous les instants t1 < t et qui ont grossi dans l’intervalle {t1 – t}. Il est donc nécessaire d’introduire des fonctions à deux variables, telles n(t1 , t) et r(t1 , t), qui représentent respectivement la taille et le rayon au temps t des particules nées au temps t1 , et de calculer leur évolution. À partir des équations (4.5) et (4.8), on peut exprimer la taille n(t1 , t) au temps t, des particules générées à chaque instant t1 (Noguera 2006a) : 1/3 t 2u 2u 2/3 + w(n(t1 , t )) S(t ) − exp dt n(t1 , t) = ) (lnS(t1 ))3 n(t , t 1 t1 (4.9) avec u = 16πγ 3 ν 2 /3(kT )3 et w = 3κ(4π/3ν)2/3 . Le premier terme de l’équation (4.9) représente la taille des germes générés au temps t1 et le second leur croissance (algébrique) dans l’intervalle {t1 – t}.
162
De la solution à l’oxyde Dans un système clos, la conservation de masse s’écrit : c(t) = c(t=0) − Q(t)/NA
c(t) représente la concentration du précurseur en solution (en ignorant la spéciation du cation) et Q(t) désigne la quantité de cations ayant changé de phase, NA est le nombre d’Avogadro. Q(t) est donnée par : Q(t) =
0
t
J(t1 )(n(t1 , t) − 1)dt1
(4.10)
J(t1 ) est la vitesse de nucléation instantanée (éq. (4.7)). L’effet de retour de la nucléation-croissance sur la sursaturation s’écrit alors au moyen de la loi de conservation : t u J0 exp (4.11) (n(t1 , t) − 1)dt1 S(t) = S(t=0) = − cs NA 0 (lnS(t1 ))2 La résolution numérique du système d’équations couplées (4.9) et (4.11) est effectuée avec le code de calcul NANOKIN (Noguera 2006b, Fritz 2009a, b), en utilisant un jeu de paramètres u, w, J0 typiques des oxydes. La valeur de u varie de 1 à 1 000 quand γ varie sur la gamme 50-1500 mJ.m−2 , v est de l’ordre de quelques dizaines d’Å3 et le domaine de température de 300 à 1 500 K. w qui caractérise la vitesse de croissance des particules, varie de 10−4 à 103 avec un terme κ, de l’ordre de 4.10−7 m.s−1 pour la croissance hydrothermale du quartz, pouvant varier de 7 ordres de grandeur entre 0 et 300 ◦ C. Les solubilités varient dans la gamme 10−3 -10−8 mol.l−1 . La valeur de la sursaturation Sc correspond à une vitesse de nucléation F(Sc ) qui serait de 1 germe par seconde et par unité de volume (Sc = Cmin /Csat ). Dans le domaine 1 < S < Sc , la nucléation est thermodynamiquement possible mais elle est inobservable dans une échelle de temps raisonnable. Dans le cas d’une vitesse de croissance rapide et d’une sursaturation supérieure à 1, la simulation montre trois régimes successifs au cours de l’évolution (Fig. 4.38a) : (i) une rapide diminution de S sur un très bref intervalle de temps. Durant cette période, la nucléation est intense (S0 Sc ) et la croissance pratiquement inexistante (Fig. 4.39, t2 ) ; (ii) un quasi-plateau de variation de S. Les deux processus ont lieu simultanément : formation de germes dont la taille critique augmente et croissance algébrique des germes précédemment formés. La figure 4.39 représente l’évolution de la taille de la population des particules : la courbe n(t1 , t) est représentée comme une fonction de t1 (temps de formation du germe) pour quatre instants successifs, t2 < t3 < t4 < t5 . Les courbes en pointillé représentent la taille des germes critiques n(t1 , t1 ) qui, comme attendu, reste pratiquement constante tant que S(t) reste sur la zone
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
6 S0
S0 6
(a)
(b)
5 S (t)
S (t)
5
163
4 tc
3 2
tc
3 Sc
2
Sc 0
4
10
20
t
0
30
(104)s
10
20 30 4 t (10 )s
40
Fig. 4.38 – Variation de la sursaturation S(t) en fonction du temps (éq. (3.10)) calculée avec les paramètres (a) u = 24, w = 2.10−4 , J = 1,26.103 et S0 = 6,3 et (b) u = 24, w = 2.10−4 , J = 1,26.10−4 et S0 = 6,3 (reproduit d’après Noguera 2006b avec autorisation de Elsevier). 40
40
30
30
#1
t2
t3
20
20
10
10
0 0
2
4 6 t1 (103)s
0
8
40
0
10
20 30 t1 (103)s
40
80 #2
30
t4
t5
60
20
40
10
20
#2 #1
0 0
20
40 3
t1 (10 )s
60
0
0
20 40 60 80 100 t1 (103)s
Fig. 4.39 – Dépendance de la taille des particules n(t1 ,t) (lignes continues) et de la taille des germes n(t1 ,t1 ) (lignes en pointillé) pour quatre instants successifs t2 < t3 < t4 < t5 (u = 24, w = 2.10−4 , J = 1,26.103 et S0 = 6,3) (reproduit d’après Noguera 2006b avec autorisation de Elsevier).
164
De la solution à l’oxyde
plateau. On constate que la plupart des particules initiales sont résorbées et seules quelques classes de particules formées durant le régime plateau (notées #1 et #2 sur la figure 4.39) sont capables de grossir. En fait, le comportement opposé entre certaines classes de particules formées à différentes époques du processus est dû au fait que la loi de croissance dépend de la taille : seules des particules de taille supercritique sont capables de croître. Ainsi, aux temps t2 et t3 , toutes les particules sont sous-critiques, sauf celles notées #1 qui ont nucléé vers t ≈ 15.103 s et qui ont une taille légèrement plus grande que lors de la nucléation. Ces particules ont été supercritiques pendant un certain temps mais à t3 , elles sont partiellement résorbées. Elles le sont complètement à t4 et t5 tandis que les particules d’une autre classe (notée #2) qui ont nucléé à t ≈ 40.103 s sont supercritiques et leur taille va croître jusqu’à la fin du processus. La zone plateau dans l’évolution de la sursaturation correspond à une dynamique très complexe où les processus antagonistes de nucléationcroissance et résorption des germes sont quasi équilibrés. Néanmoins, de petits écarts entre les deux tendances provoquent des oscillations de S (Fig. 4.38a) qui apparaissent comme la condition nécessaire pour la croissance des particules : toutes celles qui ont nucléé en dehors des intervalles de temps durant lesquels dS/dt > 0 se résorbent et seront absentes dans l’étape de vieillissement. À la fin du plateau, la taille des particules est importante (n(t1 , t) n(t, t)) et leur vitesse de croissance augmente fortement. La résorption ne peut plus équilibrer la croissance, ce qui provoque une chute brutale de S(t). La nucléation devient négligeable (S(t) < Sc , F < 1) ; (iii) quand t > tc (Fig. 4.38a), la nucléation n’a quasiment plus lieu et le système parvient dans l’étape de vieillissement. La précipitation est quasi totale (la concentration de la solution correspond à la solubilité du solide). Dans ce régime, l’évolution du système est gouvernée par la réduction de la surface des particules qui conduit à la disparition des plus petites particules pour augmenter la taille des plus grosses. C’est le mûrissement (vieillissement) d’Ostwald (§ 4.2.3). Théoriquement, il devrait conduire à l’existence d’une seule particule rassemblant toute la matière solide du système, mais le processus se trouve cinétiquement limité et il conduit seulement à l’étalement de la distribution de tailles des particules. Celle-ci s’exprime sous la forme : t exp(−u/(lnS(t1 ))2 )δ(n − n(t1 , t))dt1 (4.12) P (n, t) = 0 t exp(−u/(lnS(t1 ))2 )dt1 0 (δ est le symbole de Kronecker) et elle est représentée sur la figure 4.40. Il est instructif de comparer les résultats obtenus ci-dessus avec ceux produits par d’autres lois de croissance. La première ne met en jeu que la nucléation et la seconde décrit nucléation et croissance indépendante de la taille.
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
165
P(n) x 100
0,12
0,08
0,04
0
500
1000 1500 n
2000
Fig. 4.40 – Distribution des tailles des particules P(n,t) calculées selon l’équation (4.12) pour t = 860 s (u = 24, w = 2.10−4 , J = 1,26.103 et S0 = 6,3) (reproduit d’après Noguera 2006b avec autorisation de Elsevier). L’équation (4.9) donnant la taille des particules en fonction du temps devient, dans le premier cas : 2u n(t1 , t) = 3 (4.13) ln S(t1 ) et dans le second : n(t1 , t) =
2u + (lnS(t1 ))3
t
t1
2
w(n(t1 , t )) 3 (S(t ) − 1)dt
(4.14)
L’équation (4.10) décrivant l’effet de retour sur la sursaturation reste la même. Dans le cas de la nucléation seule, la sursaturation décroît très rapidement et tend vers une valeur asymptotique plus grande que Sc , sans présenter de plateau ni de régime de vieillissement (Fig. 4.41a). La valeur de Sc ne peut être atteinte à cause de la trop faible fréquence de nucléation. Comme les particules conservent la taille des germes, la distribution de tailles (Fig. 4.41b) montre que les particules les plus nombreuses sont celles formées au début de la précipitation lorsque S(t) est la plus importante. Dans le cas de la croissance indépendante de la taille, la sursaturation présente aussi une forte diminution initiale due à la nucléation, puis une seconde correspondant au processus de croissance. La concentration atteint une valeur de S bien inférieure à Sc (Fig. 4.41c). L’échelle de temps entre les deux cas est naturellement différente et la durée de la seconde étape est d’autant plus courte que le paramètre w augmente, c’est-à-dire que la croissance intervient. Il faut aussi remarquer que le temps critique tc dans l’abaissement de S est
De la solution à l’oxyde
6
0.06
5
0.04
P (n)
S (t)
166
4
0.02
3 0
2 4 t1 (105)s
(c)
20
40
60
0.08
6 5 4 3 2 1
0
n
(b)
0.06 P (n)
S (t)
(a)
0
6
0.04 0.02
0
2
4 6 t1 (105)s
0
8 (d)
0 10 20 30 40 n
Fig. 4.41 – (a) Variation de la sursaturation S(t) (éq. (4.13)), et (b) distribution de S0 de S0
tailles des particules au temps t = 6.105 s (u = 24, w = 0, J = 1,26.103 et = 6,3). (c) Variation de la sursaturation S(t) (éq. (4.14)) et (d) distribution tailles des particules au temps t = 104 s (u = 24, w = 2.10−4 , J = 1,26.103 et = 6,3) (reproduit d’après Noguera 2006b avec autorisation de Elsevier).
d’environ deux ordres de grandeurs plus court que dans le cas d’une loi de croissance dépendant de la taille car le processus de résorption qui ralentit la diminution de S n’intervient pas. Toutes les particules formées existent au terme de la précipitation selon une distribution de tailles représentée sur la figure 4.41d. Dans le cas d’une réaction de condensation très lente et/ou d’une sursaturation très faible, la sursaturation présente une zone plateau au début de l’évolution, avant de décroître brutalement (Fig. 4.38b). La zone plateau est parfois qualifiée de « période d’induction ». En fait, il ne s’agit pas d’une période dans laquelle rien ne se passe, mais d’une période où les processus de nucléation, croissance et résorption sont en compétition, de sorte que la concentration en solution ne semble pas évoluer. C’est par exemple un phénomène observé lors de la précipitation de la silice amorphe à partir de solutions d’acide silicique très dilué (Rothbaum 1979, Noguera 2015). Le modèle de Noguera et al. apporte des informations fondamentales et inédites sur la dynamique du processus de précipitation. La possibilité de suivre
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes
167
le devenir de toutes les particules à mesure de leur nucléation met particulièrement bien en évidence l’effet de la résorption des objets sous-critiques et l’impact de la loi de croissance sur la distribution de taille des particules formées au terme du processus. La forme de la distribution permet ainsi d’avoir une idée du mécanisme de croissance intervenant dans un système donné. Il est utile de rappeler que le germe critique est d’autant plus petit (la précipitation est facile, le nombre de germes est grand pour une quantité donnée de matière) que la sursaturation est élevée, la tension interfaciale est faible et la phase formée est métastable, c’est-à-dire soluble. Pour de nombreux solides, il existe une corrélation entre l’abaissement de la tension interfaciale et l’accroissement de la solubilité (Bennema 1990). La tension interfaciale est fortement influencée par la composition de surface du solide (équation de Gibbs). C’est un paramètre qui peut donc être contrôlé par les conditions physico-chimiques du milieu de synthèse (l’acidité qui gouverne les équilibres d’adsorption des protons et la densité de charge de surface, l’adsorption de ligands) pour contrôler la taille des particules et éventuellement leur évolution en solution (§ 5.4.4). Pour un solide polymorphe (oxydes de fer, d’aluminium ou de titane par exemple), la tension interfaciale est d’autant plus faible que la phase est moins stable, c’est-à-dire moins dense. Une expression empirique est donnée par γ = (2E/d)(a/π)2 où E représente le module d’Young, d la distance réticulaire des plans constituant la face cristalline exposée, a le rayon ionique du cation. Comme d est inversement proportionnelle à la masse volumique, γ augmente avec la densité. Les phases les plus métastables sont donc cinétiquement favorisées (l’enthalpie libre de formation du germe critique, ΔG◦∗ , est proportionnelle au terme γ 3 /(LnS)2 , éq. (4.4)). Bien souvent, la vitesse de condensation des complexes de charge nulle est telle que le solide n’a pas le temps de cristalliser et les premiers stades de la précipitation forment un solide amorphe (aluminium et fer ferrique par exemple). C’est alors durant le vieillissement (au-delà du tc du modèle de Noguera) que l’évolution vers un équilibre thermodynamique a lieu et que le solide peut cristalliser, changer de phase et diminuer la surface spécifique pour abaisser l’enthalpie libre du système. La sursaturation initiale est sans doute le paramètre le plus important. Elle peut varier d’une manière considérable entre la synthèse de nanoparticules d’oxydes par thermolyse en milieu acide (le précurseur est généré par chauffage de la solution aqueuse et le solide est formé sous une faible sursaturation) et la précipitation d’un cation métallique par addition brutale d’une solution molaire d’un sel soluble dans un excès de soude. Dans le premier cas, le processus peut durer quelques heures voire quelques jours tandis que dans le second, il est quasi instantané. Toutes choses égales d’ailleurs (notamment la température), la taille des germes sera dans ces deux cas très différente (Fig. 4.37, éq. (4.3)), ainsi que la dynamique, voire le processus de croissance. Dans le second cas, les mécanismes physico-chimiques, en particulier la résorption des particules sous-critiques, n’ont pas le temps de se produire sous
168
De la solution à l’oxyde
la trop forte contrainte cinétique due à l’énorme sursaturation initiale. Il est probable qu’un tel système sera l’objet d’une importante transformation au cours du vieillissement.
4.2.3
Mécanismes de cristallisation et évolution morphologique des nanoparticules en suspension
Les étapes de nucléation et de croissance forment des particules sous contrôle cinétique selon un chemin réactionnel correspondant à l’énergie d’activation minimum dans les conditions d’évolution du système (acidité, concentration, température, etc.). Il en découle que les produits formés ne sont généralement pas dans l’état de stabilité thermodynamique. Le vieillissement des suspensions, qui s’effectue sur une échelle de temps pouvant être très grande (heures, jours ou mois), permet au système de tendre vers, ou d’accéder à l’état stable. C’est pourquoi le vieillissement s’accompagne de la modification de certaines des caractéristiques des particules. Le moteur de la transformation est l’abaissement d’enthalpie libre dû à la diminution de l’aire totale du système provoquée par le grossissement des particules, à leur changement morphologique, à l’élimination de l’énergie de réseau engendrée par la cristallisation ou encore au changement de phase cristalline. Deux principaux mécanismes sont à l’œuvre dans ces conditions : la dissolution-cristallisation et/ou l’agrégation ordonnée, parfois nommée attachement orienté. a) Dissolution-cristallisation : mûrissement d’Ostwald Grossissement des particules. À l’issue des étapes de nucléation et de croissance, le solide se présente dans la très grande majorité des cas sous forme de particules dont la distribution des tailles est plus ou moins large. En fait, l’équation de Gibbs-Kelvin (éq. (4.5)) indique que pour une saturation S*, seules des particules d’une seule taille r* sont en équilibre avec la solution. Pour les particules telles que r < r*, la solution n’apparaît pas saturée et elles doivent se redissoudre. Celles pour lesquelles r > r* trouvent au contraire une solution sursaturée et doivent grossir. Ces conditions engendrent alors un processus qui met en jeu le transport de matière via la solution au moyen d’équilibres de « dissolution-cristallisation ». (C’est le même processus qui engendre la résorption des germes sous-critiques et la croissance de ceux surcritiques au moment de la nucléation). Un exemple est donné par l’évolution de la distribution de taille de particules de magnétite, Fe3 O4 , (Chap. 6), formées par coprécipitation d’ions ferriques et ferreux (Fig. 4.42a). Cette évolution spontanée est due au fait que le véritable état de stabilité thermodynamique serait atteint si toute la matière précipitée était rassemblée dans une seule particule. L’aire de la surface du solide serait alors minimum (éq. (4.1)). En pratique, l’évolution, assez lente, cesse avant que l’ensemble des particules ait été transformé et un état de pseudo-équilibre est atteint car elle intervient à très faible concentration d’espèces solubles (S ≈ 1), l’augmentation
4. Formation des oxydes en solution : structures et mécanismes f%
t 1h
D nm 7.7
4h
8.4
48 h
10.2
D (nm) f/fmax 1
10 1 heure 4 heures 48 heures
0.5 120 h 10.6
10 5
15 D nm
(a)
169
6 2
0
1
2 D/D
(b)
9
10
11
12 pH
(c)
Fig. 4.42 – (a) Évolution de la distribution de tailles de particules de magnétite Fe3 O4 au cours du vieillissement en suspension (pH 9). (b) Distribution de tailles normalisée pour différents temps d’évolution (d’après Belleville 1991). (c) Taille moyenne des particules de magnétite formées à différents pH dès la précipitation () et après 8 jours d’évolution () (d’après Vayssières 1998). de taille des particules ralentit leur vitesse de dissolution et le processus, qui entraîne la rupture de liaisons hydroxo ou oxo, nécessite une activation. L’évolution se manifeste par un décalage de la distribution dû à la disparition des plus petites particules et la formation de plus grosses, c’est typiquement le mûrissement d’Ostwald. Le traitement cinétique quantitatif du phénomène (Nielsen 1964, 1967, Dunning 1973) montre que ce processus de croissance secondaire entraîne la modification de la forme de la distribution absolue de tailles des particules, mais la distribution normalisée (Fig. 4.42b) est stationnaire. Cette particularité permet de vérifier que la croissance secondaire des particules obéit à la loi d’Ostwald, sans l’intervention d’autres phénomènes tels l’agrégation ou la coalescence. Le mûrissement d’Ostwald peut être évité ou fortement limité si la force motrice du processus, la tension interfaciale, est fortement abaissée. La loi de Gibbs, dγ = −Γi dμi , indique que la tension de surface dépend de sa composition via l’adsorption de diverses espèces. Pour ce faire, la précipitation peut être effectuée à un pH éloigné du point de charge nulle de la surface (Fig. 4.42c). Dans ce cas, les équilibres d’adsorption-désorption du proton permettent de charger électrostatiquement la surface pendant toute la durée de la précipitation, ce qui entraîne la diminution de la tension interfaciale (§ 5.4.4). La précipitation peut aussi être effectuée en présence d’une espèce spécifiquement adsorbable sur l’oxyde. Il est ainsi possible de contrôler la taille, voire la forme des nanoparticules si le phénomène d’adsorption s’exerce spécifiquement sur certaines faces cristallines.
170
De la solution à l’oxyde
La stabilisation par diminution de l’aire de l’interface solide-solution peut aussi intervenir par agrégation des particules. Elle est favorisée par des conditions physico-chimiques du milieu (pH, force ionique) qui minimisent la charge électrique de surface des particules (§ 5.1). En absence d’une double couche électrique, les particules s’attirent et l’agrégation permet, plus facilement et plus rapidement que la croissance cristalline, la diminution de l’étendue de l’interface oxyde-solution et donc l’obtention d’un état de pseudo-stabilité. Il faut noter que l’agrégation n’intervient pas nécessairement à un stade particulier de l’évolution du système. Elle peut avoir lieu dès la nucléation ou à un stade quelconque de la croissance et conduit à la formation de dendrites, de cristaux mosaïques ou de structures fractales (Stanley 1986). L’agrégation des particules primaires favorise les équilibres de dissolutioncristallisation parce que les zones voisines des points de contact des particules, les cous, où le rayon de courbure est négatif (surfaces concaves), ont une solubilité plus faible que celle des zones à rayon de courbure positif (surfaces convexes), comme indiqué sur le schéma 4.4 :
Sr > S∞ r>0
S∞
Sr < S∞
r=∞ r PCN, elle est négative. La surface est caractérisée par un PCN si à pH = PCN il n’y a aucun site chargé tandis qu’au PIE, il y a autant de charges positives que négatives. Il sera vu plus loin que les oxydes sont en général caractérisés par un PIE. Toutefois, par souci de simplicité et en accord avec un usage courant, c’est le terme PCN qui sera utilisé dans la suite. Les principaux facteurs dont
188
De la solution à l’oxyde
Tab. 5.1 – Point de charge nulle de différents oxydes renfermant des cations de degré d’oxydation variable et dont la coordinence est indiquée entre parenthèses (Parks 1965). z +II +III
Oxyde MgO (6) ZnO (4) α-Fe2 O3 (6) α-Al2 O3 (6)
PCN ≈ 12,5 9-10 5,5-9 6,5-10
z + IV +V + VI
Oxyde TiO2 (6) SiO2 (4) Sb2 O5 (6) WO3 (6)
PCN 3,5-6,5 2-4 ≈ 0,5 ≈ 0,4
dépend la valeur du PCN (PIE) sont : • la coordinence des groupes de surface et leur polarisation par le cation. La basicité des atomes d’oxygène de surface est d’autant plus faible que leur coordinence est élevée et que la polarisation par le cation est forte. Plus le cation est petit, chargé et de faible coordinence, plus le transfert électronique M ← O est important et plus l’acidité des groupes de surface est élevée (Tab. 5.1) ; • la structure cristalline et la morphologie des particules. Elles imposent le type et l’étendue relative de différentes faces cristallines et, par conséquent, la proportion des différents groupes de surface mono-, di- ou tricoordinés. Comme chaque type de groupe possède des propriétés acido-basiques distinctes, la morphologie des particules est un paramètre important et le PCN (PIE) n’est donc pas une caractéristique absolue d’un oxyde. Le déplacement du PIE de la boehmite, γ-AlOOH, selon la proportion des faces latérales de nanoplaquettes en est un parfait exemple (Fig. 5.2).
5.1.2
Acidité de surface : modèle de complexation multisite
L’évaluation expérimentale de l’acidité des groupes de surface est impossible et des modélisations sont nécessaires pour interpréter les propriétés de surface des oxydes. Un modèle simple et très performant a été élaboré par le groupe de W. van Riemsdijk à Utrecht (Hiemstra 1989a, 1989b). Ce modèle est basé sur des considérations électrostatiques, en liaison avec la chimie des complexes oxo et hydroxo en solution. On a vu précédemment que les atomes d’oxygène de surface portaient une charge non compensée δ = nv – 2 + p (p est le nombre de protons du ligand de surface). On peut alors considérer les équilibres de protonation suivants : Mn -O(nv-2) + H+ ⇔ Mn -OH(nv-1)
Kn,1 =
(nv)
Kn,2 =
Mn -OH(nv-1) + H+ ⇔ Mn -OH2
[Mn O(nv−2) ][H+ ] [Mn OH(nv−1) ] [Mn OH(nv−1) ][H+ ] (nv)
[Mn OH2
]
(5.1) (5.2)
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
189
50 40
{101} {100}
30
{001}
Potentiel ζ (mV)
{101}
{101}
20
{001}
{100} {101}
10 0 {101}
-10 {101} -20 4
5
6
7
8 pH
9
10
11
12
Fig. 5.2 – Variation expérimentale du potentiel zéta de suspensions de nanoplaquettes de boehmite synthétisées à différents pH (§ 6.3.1b). Le PIE, défini comme le pH pour lequel le potentiel zéta est nul, varie de 8,9 à 10,2 à mesure que la proportion de faces {001}/{101} augmente, ce qui montre clairement la différence d’acidité des groupes μ2 -OH portés par ces faces. Les faces basales {101} ne sont jamais chargées (reproduit d’après Chiche 2011 avec autorisation de PCCP Owner Societies). caractérisés par les constantes de dissociation Kn,1 et Kn,2 . [H+ ] désigne la concentration des protons au voisinage de la surface, reliée à la concentration des protons au sein de la solution par [H+ ]surf = [H+ ]sol exp(−eψ 0 /RT), ψ 0 étant le potentiel électrostatique de surface (§ 5.2.2). La variation d’enthalpie libre des réactions (5.1) et (5.2) est décomposée en une contribution purement électrostatique ΔG0el correspondant à l’énergie électrique mise en jeu par l’approche du proton vers le groupe de surface et en d’autres contributions « chimiques » ΔG0ch non explicitées : ΔG0 = ΔG0el + ΔG0ch
(5.3)
Le principe du calcul consiste à évaluer le terme électrostatique pour chacune des constantes Kn,p . L’utilisation du concept de valence formelle de liaison permet de simplifier le calcul en éliminant l’influence des autres ligands de la sphère de coordination du cation appartenant au groupe de surface. En supposant des charges ponctuelles, le terme ΔG0el , dû à l’approche du
190
De la solution à l’oxyde
H+ Mz+
L
2-
O
r
Fig. 5.3 – Géométrie des groupes de surface -M-OH. proton et aux interactions O-H, OH-H et M-H est donné par : ΔG0el =
zH zO(H) N e2 nzH vN e2 + 4π1 r 4π2 L
(5.4)
L représente la distance M-H et r la distance O-H (Fig. 5.3). zH = 1, zO = –2, zOH = –1. ε1 et ε2 sont les constantes diélectriques microscopiques effectives. ε2 n’a pas de réelle signification physique à cause de la simplicité du modèle. Ce paramètre intervient en un seul terme qui représente en fait une somme d’interactions électrostatiques. La constante d’équilibre s’exprime par : ΔG0 = −RT Ln(1/K) = ΔG0el + ΔG0ch
(5.5)
(on rappelle que K est la constante de dissociation), soit : −RT Ln(1/K) = ΔG0ch +
zH zO(H) N e2 nzH vN e2 + 4π1 r 4π2 L
ou encore : log(1/K) = pK = A − avec :
Bnv L
(5.6)
(5.7)
zH zO(H) N e2 ΔGch zH N e2 − B= 2, 3RT 4π1 r 2, 3RT 2, 3RT 4π2 A et B sont des constantes qui peuvent être estimées par analogie avec les données de la chimie des solutions. La protonation de complexes monomères oxo ou hydroxo (notés m) en solution : A=−
M-O(v-2) + H+ ⇔ MOH(v-1) (v) M-OH(v-1) + H+ ⇔ MOH2
m K1,1
(5.8)
m K1,2
(5.9)
est caractérisée par des constantes d’équilibre (Baes 1976) qui sont bien corrélées au rapport v/L pour des éléments de même structure électronique, dans
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
191
-pKm1,x
20
10
0
0,2
0,4
0,6
v/L (Å) Fig. 5.4 – Variations de la constante de protonation (pK) de complexes monomères hydroxo et oxo en fonction du rapport valence de liaison à la distance de séparation M-H. Le symbole () est relatif à la protonation de complexes neutres hydroxo de métaux à configuration électronique de gaz rare (pKm 1,2 ). Le symbole (o) correspond à la protonation des formes oxo des mêmes éléments (pKm 1,1 ). Les constantes pKm 1,1 et pKm 1,2 d’éléments à configuration d10 sont représentées par les symboles (, ), et celles relatives à l’eau (OH et H2 O) sont notées (). Les valeurs de L sont estimées à partir des rayons ioniques (reproduit d’après Hiemstra 1989a avec autorisation de Elsevier).
un large domaine de charges formelles (1 à 5) et de nombres de coordination (4 à 8) (Fig. 5.4). Les constantes intrinsèques Km 1,x des équilibres de protonation des monomères s’expriment donc sous la forme :
m m log(1/K1,x ) = pK1,x =A −
Bv L
(5.10)
qui est analogue à celle de la relation (5.7), dans laquelle n = 1. Les droites parallèles de la figure 5.3 montrent que les étapes successives de protonation d’espèces oxo et hydroxo diffèrent d’environ 14 unités de pK. L’écart est sensiblement le même pour les couples de l’eau (H3 O+ /H2 O, pK = 0 ; H2 O/HO− , pK = 14). À la différence des polyacides dont les pK successifs sont séparés par 5 unités de pK environ (Phillips 1965), les étapes de protonation concernent ici le même ligand et mettent donc en jeu de très fortes répulsions H-H. Pour les réactions de surface, la principale différence avec les espèces monomères en solution concerne le terme ΔG◦ ch dans l’expression de la constante intrinsèque (éq. (5.6)), en admettant que l’écart entre les constantes Kn,1 et Kn,2 reste le même. Par exemple, avec l’aluminium, la protonation du
192
De la solution à l’oxyde
Faces 001: groupes Al2-OH
Faces hk0: groupes Al2-OH et Al1-OH
-Al2-OH2+
-Al2-OH0
-1,5
-Al1-OH2+1/2
-Al2-O10
-Al1-OH-1/2 12,4
pH
PCN, PIE Fig. 5.5 – Schéma d’une particule de gibbsite Al(OH)3 et caractérisation des sites oxygénés de surface. monomère Al(OH)3 est caractérisée par pKm 1,2 = 5,7 (Baes 1976), alors que la gibbsite Al(OH)3 comporte principalement des groupes de surface réactifs monocoordinés -Al(OH)−1/2 , la valeur expérimentale du pK1,2 est 10 ± 0,5 (Hiemstra 1989a). L’écart des pK résulte des contraintes structurales et de proximité auxquelles sont soumis les groupes protonables sur la surface. Pour les pK des groupes de surface, il faut changer le terme A dans l’équation (5.10), c’est-à-dire faire une translation des droites de la figure 5.4. L’ajustement, effectué à partir de la valeur expérimentale de la protonation des groupes Al-OH simplement coordinés, conduit aux valeurs moyennes A = 34,06 et 20,16 pour les étapes Kn,1 et Kn,2 respectivement et B = 52,7 (les distances L sont exprimées en angströms). Ces valeurs, introduites dans l’équation (5.7), permettent de calculer aisément les constantes de protonation de groupes de différentes structures (mono-, di- ou tricoordinés). La distance M-H (L) qui varie avec le mode de coordination des groupes OH est obtenue à partir des données cristallographiques. Quelques exemples d’application sont indiqués ci-après. Les particules de gibbsite Al(OH)3 ont la forme de plaquettes hexagonales (Fig. 5.5) dont les faces basales {001} ne possèdent que des groupes OH doublement coordinés par les cations (densité 13,8 groupes par nm2 ). Les bords des particules (faces {hk0}) comportent des groupes OH simplement et doublement coordinés (9,6 et 4,8 groupes par nm2 respectivement). Pour les groupes mono-coordinés, la distance L(M −H) est 2,59 Å (Hiemstra 1989b). La relation (5.7) donne : pK1,2 = 20,16 – 52,7 × 0,5/2,59 = 9,98, d’où l’équilibre : -Al-OH−1/2 + H+ ⇔ -Al-OH2 +1/2
pK1,2 = 10
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
193
Le pK de l’équilibre -AlO− /-AlOH−1/2 (pK1,1 = 23,88)a une valeur très élevée. Les groupes simplement coordinés ne sont donc présents que sous les formes -Al-OH−1/2 ou -Al-OH2 +1/2 selon le pH du milieu. Pour les groupes dicoordinés (L(M −H) = 2,43 Å), on calcule : pK2,1 = 34,06 - 52,7 × 1/2,43 = 12,37 -Al2 -O− + H+ ⇔ -Al2 -OH
pK2,1 = 12,3
et pK2,2 = 20,16 - 52,7 × 1/2,43 = –1,53 -Al2 -OH + H+ ⇔ -Al2 -OH2 + pK2,2 = −1,5 Les groupes doublement coordinés n’existent dans le domaine usuel de pH que sous la forme hydroxo Al2 -OH et les faces basales ne sont donc jamais chargées. La charge des particules de gibbsite est portée exclusivement par les faces latérales. Les valeurs des constantes d’équilibre calculées avec le modèle MUSIC sont tout à fait réalistes. On observe que l’acidité des groupes de surface croît très nettement avec leur nombre de coordination. Cet effet est aussi mis en évidence par l’abaissement de l’énergie de liaison du proton des groupes hydroxyles coordinés sur des surfaces de clusters modèles (Kawakami 1985) ainsi que par l’abaissement de la fréquence de résonance infrarouge de la liaison O-H avec le nombre de coordination du ligand hydroxyle (Knözinger 1978) (Tab. 5.2). Cet exemple simple fait ressortir plusieurs points importants : • la charge peut être distribuée de façon très hétérogène sur les particules selon la structure des faces exposées et donc celle des groupes oxygénés de surface, ce qui permet de comprendre que la réactivité des faces cristallines d’une même particule peut être très variable ; • l’acidité des groupes hydroxylés de surface croît avec leur nombre de coordination ; • les groupes oxygénés de surface ne peuvent mettre en jeu que l’échange d’un seul proton dans le domaine de pH accessible en solution aqueuse à cause des répulsions électrostatiques. Cela signifie qu’aucun type de Tab. 5.2 – Comparaison des caractéristiques des groupes hydroxylés de surface d’oxyde d’aluminium Al2 O3 (* d’après Kawakami 1985, ** d’après Knözinger 1978). Groupes de surface pKn,1 calculés (MUSIC) Énergie liaison calculée du proton (eV)* Fréquence d’absorption infrarouge (cm−1 )**
-Al-OH−1/2 24 21 eV
-Al2 -OH 12,3 19,4 eV
-Al3 -OH+1/2 1,6 17,7 eV
3 785-3 800
3 740-3 745
3 700-3 710
194
De la solution à l’oxyde
groupe ne présente de comportement amphotère et que la mise en jeu successive de deux protons sur le même groupe est tout à fait irréaliste, contrairement à ce qui est couramment considéré (Healy 1978) ; • la charge globale de la particule est nulle à pH égal au pK des groupes monocoordinés, non pas parce qu’il n’y a pas de groupes chargés, mais parce qu’il y a autant de groupes positivement et négativement chargés porteurs de la même charge en valeur absolue. Les particules d’oxydes sont donc caractérisées par un point iso-électrique (PIE) plutôt que par un point de charge nulle (PCN) qui suppose une absence totale de groupes chargés. Une variante du modèle MUSIC permet de tenir compte de détails structuraux et de l’effet de solvatation de la surface (Hiemstra 1996). Dans cette version, les constantes des équilibres (5.1) et (5.2) sont exprimées, en fonction de la charge portée par l’oxygène de surface, sous la forme : LnKn,x = -Aδ(O). A est une constante et δ(O) est défini par : δ(O) = –2 + ΣSM + xSH . SM = exp[(r0 -r)/B] est la valence effective de liaison définie par Brown et Altermatt pour la chimie du solide ; r est la distance métal-oxygène dans le solide considéré, r0 et B sont des constantes d’ajustement déterminées empiriquement à partir des bases de données structurales (Brown 1985) ; SH est la valence effective du proton, dont la charge est partagée à 80 % dans la liaison avec l’oxygène dans le groupement hydroxyle de surface et à 20 % avec l’oxygène d’une molécule d’eau de solvatation, au travers d’une liaison hydrogène, comme indiqué sur le schéma 5.1 :
H H
O
0,2
O H 0,8 H
H 0,8 O 0,2 M
M
Schéma 5.1 – Chaque atome d’oxygène reçoit donc 0,8 charge par proton dans une liaison OH et donne 0,2 charge à un proton au travers d’une liaison H. On a donc SH = 0,8 et le bilan de charge s’écrit : δ(O) = –2 + ΣSM + pSH + m(1-SH ) avec p + m = 2 pour un groupe OH monocoordiné, p + m = 1 ou 2 pour un groupe dicoordiné et p + m = 1 pour un groupe tricoordiné. Finalement, le pK peut être calculé par la relation LnKn,x = -A(ΣSj – 2 + m) avec la constante A = 19,8. Un exemple d’application du modèle MUSIC est donné ci-dessous pour l’hématite, α-Fe2 O3 . On considère les groupes oxygénés existant sur les faces
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes C
195
C Face {001}
E
A
B
D
A
A
B
D
E
E C Face {104}
Face {100}
Face {110}
Fig. 5.6 – Schéma de la structure de différentes faces cristallines de l’hématite, α-Fe2 O3 , avec l’identification des différents groupes oxygénés de surface (cf. Fig. 5.7). cristallines les plus fréquemment observées, {001}, {100}, {110} et {104} (cf. Chap. 7) (Fig. 5.6). Pour les ions Fe3+ , r0 = 1,759 Å et B = 0,37 (Brown 1985). Dans le cas de l’hématite, la liaison d’octaèdres par face entraîne d’importantes distorsions du polyèdre de coordination du fer avec des liaisons Fe-O courtes d = 1,946 Å, SFe = 0,603 et des liaisons longues d = 2,116 Å, SFe = 0,381. Sur les différentes faces considérées, on trouve 5 types de groupes comportant des liaisons longues (notées l) et courtes (notées c) ayant chacun leurs propres valeurs de pK (Fig. 5.7). Ainsi, l’utilisation du concept de valence effective de liaison permet une approche plus fine de surfaces complexes, sans tenir compte bien évidemment des phénomènes de reconstruction ou de relaxation. À travers cet exemple, on observe encore que chaque type de groupe de surface ne donne lieu qu’à un seul équilibre de protonation/déprotonation dans le domaine de pH accessible en milieu aqueux. On voit aussi que le renversement de charge est possible et, surtout, que des sites négativement Sites liaisons E
l, l, c
D
c, c
C
l, c
B
l, l
A
c
μ3-OH+0,4
8,6
-0,8 12 μ2-O
μ2-OH+0,2 μ2-OH2+0,9 2
μ2-OH-0,1
μ2-OH2+0,8
6
μ1-OH2+0,6 0
μ3-O-0,6
μ2-OH-0,2 8
-0,9 16 μ2-O μ -O-0,8 20,5 2
μ1-OH-0,2 14
pH
Fig. 5.7 – Acidité des groupes oxygénés de surface de l’hématite (cf. Fig. 5.6) calculée au moyen du modèle MUSIC (voir texte). Les valeurs de pK calculées sont notées en gras.
De la solution à l’oxyde
1 0,8 0,6 0,4 0,2 0
0,2 σ (C.m-2)
σ (C.m-2)
196
Faces 104 110 110
0,1 0 50 nm
-0,1
0 2 4 6 8 10 12 pH
(a)
2
4
6
8
10 12
pH
(b)
(c)
Fig. 5.8 – (a) Simulation au moyen du modèle MUSIC de la variation de la densité de charge de surface avec le pH pour différentes faces de particules d’hématite (les charges sont indiquées en valeur absolue, positives à pH < 8, négatives à pH > 8) ; (b) densité de charge de surface expérimentale des particules d’hématite représentées sur l’image MET (c). (D’après Hernandez 1998.) chargés peuvent exister même si la charge globale de surface est positive. Ce fait permet de comprendre pourquoi l’adsorption de cations peut s’effectuer en milieu acide, à des pH où les particules sont globalement positivement chargées (§ 5.4). En outre, cet exemple montre que les charges globales positives et négatives, de part et d’autre du PCN (PIE), n’ont aucune raison d’être égales en valeur absolue, car chaque site est caractérisé par une charge particulière et le nombre des différents types de sites peut être très variable selon la structure de la surface. La densité superficielle de charge nette, σ 0 , est définie par : δ− − σ0 = (F/A)(Σδ + [Mn -OHδ+ x ] − Σδ [Mn -OHy ])
(5.11)
A est l’aire totale des particules (m2 .l−1 ), F, la constante de Faraday (96 500 C.mol−1 ) ; les quantités entre crochets représentent la concentration (mol.l−1 ) des sites chargés de surface. σ 0 peut atteindre 0,2 à 0,4 C.m−2 selon la nature de l’oxyde et la structure cristalline de la surface (Fig. 5.8). C’est une grandeur mesurable par titrage potentiométrique. La densité de charge mesurée est toujours notablement inférieure à celle qui peut être calculée à partir des considérations précédentes (structure, charge et densité des sites de surface) car il existe des répulsions électrostatiques entre les sites voisins sur la surface, répulsions qui ne permettent pas à tous les sites chargeables, à un pH donné, d’être effectivement chargés. Ce phénomène est bien mis en évidence par l’effet de la force ionique qui réalise l’écrantage électrostatique entre les sites de surface entre eux et entre la surface et les ions en solution, ce qui entraîne la variation de la densité de charge à pH constant (§ 5.2.2). Il faut donc ne pas oublier que les valeurs des charges portées par les groupes oxygénés, évaluées selon les modèles présentés précédemment, ne permettent pas simplement d’évaluer une densité de charge de surface plausible comme l’indiquent les figures 5.8a et b.
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
5.2
197
Solvatation et structure de l’interface
De même que pour les ions en solution, la polarité et l’ionisation des groupes de surface entraînent leur solvatation qui crée une couche d’hydratation très fortement liée à la surface des particules. Cette couche joue un rôle majeur dans la structuration de la zone interfaciale et sur la physicochimie des particules dispersées dans l’eau. Elle intervient essentiellement par des effets d’écrantage électrostatique sur la densité de charge de surface, sur l’étendue de la couche diffuse, sur les interactions inter-particules et la stabilité des dispersions. Nous ne présentons ici qu’un aspect descriptif et qualitatif des phénomènes afin de comprendre leur possible occurrence dans diverses circonstances. L’aspect quantitatif est traité dans des ouvrages de référence (Hiemenz 1977, Israelaschvili 1992, Evans 1994).
5.2.1
Solvatation des particules
Les liaisons hydrogène sont à l’origine de certaines des propriétés de l’eau liquide dont la structure locale est modifiée par la présence d’ions (Chap. 2). Les groupes polarisés et chargés de surface développent aussi de très fortes interactions avec l’eau et la solvatation d’une surface d’oxyde peut être très importante, entraînant une perturbation de la structure du liquide sur quelques couches moléculaires (Michot 2002). Les chaleurs d’immersion et d’adsorption, ainsi que des mesures diélectriques sur α-Fe2 O3 , ThO2 ou SiO2 montrent que les deux à trois couches d’eau physisorbées, adjacentes à la première couche d’eau chimisorbée, responsable de l’hydroxylation de la surface, sont immobilisées par des couples de liaisons hydrogène avec un ordre analogue à celui qui existe dans la glace et qui persiste à la température ambiante (Micale 1985, McCafferty 1971, Holmes 1968, Hair 1969) (Fig. 5.9). L’arrangement des couches de solvatation disparaît progressivement avec la distance à la surface. Au-delà de quelques angströms à plusieurs dizaines d’angströms selon la nature de l’oxyde, on retrouve le comportement de l’eau liquide (Bérubé 1968). Les calculs de dynamique moléculaire des molécules d’eau au voisinage de la face {101} de la boehmite, α-AlOOH, globalement non chargée mais comportant des groupes μ1 -OH−0,5 et μ1 -OH2 +0,5 , montrent qu’une couche dense (0,1 molécule/Å3 ) et bien organisée de molécules d’eau existe jusqu’à une distance de l’ordre de 6 Å où l’on retrouve une densité de molécules d’eau analogue à celle de l’eau liquide (0,033 molécule/Å3 ) (Motta 2012). L’épaisseur de la couche d’eau fortement structurée à la surface des particules, est d’autant plus grande que la surface est polaire et que la densité de charge est élevée. Cette eau de solvatation constitue la « couche compacte de Stern ». Ses caractéristiques (épaisseur, constante diélectrique) sont difficiles ou impossibles à déterminer expérimentalement, mais sa présence permet de différencier les interactions entre la surface et différents
198
De la solution à l’oxyde
H H
H O
H O M O
O
H
H
H
H O M
H O M O
H
O
H
O
H
H
H O
H O
H H O M
O
H
seconde couche physisorbée première couche physisorbée groupes chimisorbés
O
Fig. 5.9 – Schéma de l’adsorption de l’eau sur une surface d’oxyde. électrolytes : le proton, l’ion hydroxyle et les ions indifférents du point de vue acido-basique (voir plus loin). La taille hydrodynamique de particules nanométriques (mesurée par diffusion quasi élastique de la lumière) est souvent largement supérieure à la taille déterminée par microscopie électronique ou par diffraction des rayons X, ce qui indique que les nanoparticules d’oxydes en dispersion dans l’eau s’entourent d’une importante couche de solvatation lorsque la densité de charge de surface est élevée. Il est clair que toute cette eau n’est pas réellement adsorbée mais que, comme pour les ions en solution, l’effet électrostatique et structurant de la surface exerce une influence sur des distances considérables. Un exemple remarquable est celui des nanoparticules d’oxyde de fer γ-Fe2 O3 . Leur diamètre évalué par microscopie et diffraction est de 8 nm, mais en suspension à pH ≈ 2, leur diamètre hydrodynamique est de 14 nm. Une couche d’eau d’environ 3 nm d’épaisseur est donc entraînée dans le mouvement brownien des particules positivement chargées dans la suspension (la charge de surface σ + ≈ 0,3 C.m−2 est équivalente à deux charges électroniques par nm2 ). Ces mêmes particules recueillies par ultrafiltration à pH 2 et séchées à température ambiante sous vide partiel forment une poudre d’aspect complètement sec, qui ressemble à la poudre des particules floculées au PCN et isolées selon la même procédure. Le spectre d’absorption dans le proche infrarouge des deux échantillons montre cependant bien la différence d’hydratation (Fig. 5.10). Les quantités d’eau adsorbée évaluées par thermogravimétrie correspondent respectivement à 5 et 1 couches de molécules par particule. En outre, les nanoparticules recueillies à pH 2 se redispersent spontanément et rapidement dans l’eau, ce qui n’est pas le cas de celles séchées au PCN (cf. § 7.2.3d). La zone de transition entre les couches ordonnées du solvant, dont au moins les premières sont fortement fixées sur la surface, et l’eau « liquide » sont caractérisées par la déstructuration du solvant. De même que pour les ions en solution, les molécules d’eau de cette zone se trouvent sous l’influence de forces compétitives, celles dues aux autres molécules voisines dans la solution
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
199
Réflectance
molécules d’eau associées 0,4
a 0,3 b molécules d’eau isolées 0,2 1200
Fe-OH Fe-O-Fe
1600
2000
2400
λ (nm) Fig. 5.10 – Spectres d’absorption dans le proche infrarouge de particules de γ-Fe2 O3 de 8 nm de diamètre moyen en suspension à pH 2 (a) et au PCN (b), ultrafiltrées et séchées à température ambiante sous vide partiel (d’après Chanéac 1996). Le spectre des particules séchées au PCN indique des molécules d’eau adsorbées isolées les unes des autres tandis que pour les particules séchées à pH 2, l’absorption est essentiellement due à des molécules d’eau associées dans la couche d’hydratation. L’absorption au-delà de 2 000 nm est due aux vibrateurs Fe-OH et Fe-O-Fe des particules.
et celles dues à l’orientation imposée par la surface de la particule. C’est dans cette zone que la viscosité du solvant est minimale et que s’effectue le « glissement » ou le « cisaillement » du solvant lorsque la particule s’y déplace (Bérubé 1968). La structure induite dans la couche de solvatation influence les forces qui s’exercent à petite distance entre surfaces hydratées (Ninham 1981, Israelachvili 1992).
5.2.2
Interactions surface-électrolytes
L’existence d’un réseau de liaisons hydrogène dans toute la phase liquide, y compris dans la couche de solvatation des particules, permet la diffusion facile des ions H+ et HO− vers la surface de l’oxyde. Ils réagissent sur les sites hydroxylés sans que la structuration particulière de l’eau au voisinage de la surface ne soit une gêne à leur déplacement. De ces deux ions, seul le proton est en fait réellement chimisorbé pour créer un ligand OH ou OH2 . Les ions HO− déprotonent des ligands de surface et forment de l’eau. Ces ions sont
De la solution à l’oxyde
plan de glissement du solvant
200
σ0 Couche de Stern
couche diffuse σd
Fig. 5.11 – Schéma de l’interface oxyde-solution aqueuse. La charge de surface est positive. La courbe schématise la variation du potentiel électrostatique ψ 0 à partir de la surface. responsables de la charge σ 0 donc du potentiel électrostatique exercé par cette charge (Fig. 5.11). Les protons et les ions hydroxyles sont nommés IDP, ions déterminant le potentiel. Les forces électrostatiques non spécifiques dues à la charge de surface attirent des ions de charge opposée dans la solution (contre-ions) et repoussent ceux de même charge (co-ions). Selon la nature des contre-ions, leur interaction avec la surface est plus ou moins forte. Les IDP sont bien sûr soumis aux mêmes contraintes et, au moyen du potentiel électrochimique, on introduit dans l’expression des constantes concernant les équilibres acido-basiques de surface, le terme de Maxwell-Boltzman qui relie la concentration des protons au voisinage de la surface à celle dans la zone non électriquement perturbée (celle qui correspond à l’évaluation du pH de la suspension) par : [H+ ]surf = [H+ ]sol exp(–eψ 0 /RT). Certains ions attirés vers la surface par les forces électrostatiques manifestent une affinité particulière pour la couche de solvatation des particules. Avec les oxydes, ce sont les ions structurants qui pénètrent le plus facilement dans la couche ordonnée du solvant car ils ont tendance à préserver l’ordre local dans cette zone. Les ions alcalins, par exemple, sont adsorbés sur des surfaces d’oxydes négativement chargées selon la séquence Li+ > Na+ Cs+ . Cet ordre est dû au fait que les molécules d’eau, peu mobiles au voisinage de la surface, compensent leur perte d’entropie par une augmentation de l’énergie de liaison avec les cations les plus fortement hydratés (Israelachvili 1992). À l’inverse, les nanoparticules d’AgI adsorbent plus spécifiquement les ions
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
201
déstructurants (Lyklema 1981). Les ions Ag+ et I− , eux-mêmes déstructurants, n’entraînent pas une forte solvatation de la surface. La mobilité des ions adsorbés dans la couche de solvatation est restreinte en raison de la structuration particulière de la couche et des forces électrostatiques exercées par la surface. Cela est clairement mis en évidence par les mesures de temps de relaxation par RMN 23 Na (Jang 1987). Le temps de relaxation des ions Na+ adsorbés est plus long que celui des ions Na+ en solution, mais il exclut toutefois la formation de paires d’ions ou de complexes avec des sites négativement chargés de la surface. Les couches de solvatation des ions Na+ adsorbés ne semblent pas perturbées et ces ions, soumis à des forces électrostatiques non spécifiques au sein du réseau de liaisons hydrogène, sont seulement contraints à ne pas diffuser à l’extérieur de la couche de solvatation des particules. Les ions à densité de charge relativement faible, ions brisants tels Cs+ , N(CH3 )4 + , ClO4 − (Chap. 2), ne peuvent pas pénétrer dans la couche d’eau fortement structurée au contact de la surface. Ils restent à une distance minimale d’approche qui correspond à la limite de la couche compacte de Stern que l’on identifie au plan de glissement du solvant dans les mesures électrocinétiques (Fig. 5.11). Soumis à l’attraction électrostatique et à l’agitation thermique, les contre-ions constituent une couche diffuse dans la solution, audelà de la couche de Stern. Le potentiel électrostatique dû à la charge de surface et évalué au début de la couche diffuse, ψ d , est assimilé au potentiel électrocinétique zéta, ζ, calculé à partir de la mobilité électrophorétique (Doane 2012). C’est le seul potentiel expérimentalement mesurable pour des particules d’oxyde. La charge électrique de la couche diffuse, σ d , représente la contre-charge de la particule (Fig. 5.11). Elle compense la charge superficielle et le bilan d’électroneutralité impose σ 0 + σ d = 0. a) Effet de la force ionique sur la densité de charge de surface Le rôle des contre-ions d’une surface chargée n’est pas simplement d’assurer l’électroneutralité de la dispersion. Ces ions, au voisinage de la surface, écrantent les répulsions électrostatiques entre les groupes chargés et modifient par conséquent la charge de surface (Lyklema 1982, Hunter 1987). À un pH fixé, assez loin du PCN, le nombre des sites chargés est limité par leur répulsion mutuelle. L’atténuation des répulsions par les contre-ions adsorbés dans la couche de solvatation permet d’augmenter la charge de surface (Fig. 5.12a). Celle-ci dépend donc, à un pH donné, de la concentration de ces ions, donc du taux d’écrantage. C’est ce que l’on appelle l’effet de sel, mis à profit pour la détermination expérimentale du PCN. À un pH fixé, la charge nette de surface augmente avec la concentration de l’électrolyte, comme le montre le déplacement des courbes de la figure 5.12b. Les ions de l’électrolyte qui s’accumulent vers la surface et qui pénètrent plus ou moins dans la couche de Stern (cations si la charge est négative, anions si elle est positive) écrantent, d’une part les répulsions entre les sites chargés de surface, et d’autre part les répulsions entre la surface et les protons ou ions
202
De la solution à l’oxyde
σ0 C.m-2
10-1 mol.l-1 10-2 mol.l-1
-0,2
10-3 mol.l-1 -0,1 4 0
6 8
10
pH
0,1 0,2 (a)
(b)
Fig. 5.12 – (a) Écrantage des interactions électrostatiques des sites de surface par les ions d’un électrolyte (les anions sont représentés par les grosses sphères pleines et les cations par les petites) ; (b) variation de la charge de surface de TiO2 anatase avec le pH de solutions de NaCl à différentes concentrations (reproduit d’après Sprycha 1984 avec autorisation de Elsevier).
hydroxyles. Ceux-ci sont moins repoussés par la surface. Davantage de sites s’ionisent par addition d’électrolyte et la charge de surface croît. Au PCN, l’électrolyte n’a aucun effet. C’est pourquoi les courbes présentent un point commun d’intersection qui matérialise le PCN (ou point d’effet de sel nul) et qui permet sa détermination expérimentale (Lyklema 1984). b) Effet de la force ionique sur l’étendue de la couche diffuse Dans l’eau, à 25 ◦ C en présence d’un électrolyte symétrique [z:z] de concentration C, la charge de la couche diffuse s’exprime par la relation de Grahame : √ σd = −0,1173 C sinh(19,48z ψd ) (5.12) avec σ d en C.m−2 , C en mol l−1 et ψ d en volts. Dans le domaine des faibles potentiels (zψd 50 mV), on montre (Hiemenz 1977, Shaw 1980) que l’équation de Grahame devient : σd = −εκψd
(5.13)
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes r/ d
r/ d
1
1
203
10-3 M
(1:1) (2:2)
10-2 M 10-1 M 0
(3:3) 0
20
60 (a)
100 r(Å)
20
60 (b)
100 r(Å)
Fig. 5.13 – Variation du potentiel dans la couche diffuse en fonction de la distance évaluée à partir de la couche de Stern (approximation des potentiels faibles). Influence (a) de la concentration de l’électrolyte (1:1) ; (b) de la charge des ions de l’électrolyte (z:z) à la concentration 10−3 mol.l−1 . La valeur repérée (•) de la distance représente la distance κ−1 (d’après Hiemenz 1977).
avec : κ = (2F 2 .I.103 /εRT )1/2 où I représente la force ionique : I = (1/2)Σzi 2 Ci . La variation du potentiel avec la √ distance r s’écrit : ψr = ψd exp[−κ(r − d)]. Dans l’eau à 25 ◦ C, κ = 0,329 I Å−1 . Le terme κ est homogène à l’inverse d’une longueur et κ−1 (longueur de Debye-Hückel) représente couramment « l’épaisseur » de la couche diffuse. Il s’agit d’un abus de langage car sur la distance κ−1 , le potentiel ne chute que de ψd /exp(1) = ψd /2,7. Dans l’approximation des potentiels faibles, la couche diffuse peut être assimilée à un condensateur de capacité Cd = εκ dont les plaques sont séparées par la distance κ−1 . La variation du potentiel dans la solution, en fonction de la distance à la surface, dépend de la concentration et de la charge des ions de l’électrolyte (Fig. 5.13). Les principales observations qui découlent des variations représentées sur la figure 5.13 sont les suivantes : • la zone électriquement perturbée s’étend sur des distances comparables à la dimension des particules nanométriques : κ−1 = 30 Å pour une concentration C = 10−2 mol.l−1 d’électrolyte [1:1] ; • l’épaisseur de la zone perturbée est très sensible à la concentration et à la charge des ions de l’électrolyte, donc à la force ionique. Plus elles augmentent, plus la couche diffuse est comprimée (κ−1 faible) ; • la réponse de la double couche à une variation de force ionique est une variation de la charge et/ou du potentiel.
204
5.3
De la solution à l’oxyde
Stabilité des dispersions de nanoparticules vis-à-vis de l’agrégation
La charge de surface des nanoparticules influence considérablement leurs interactions mutuelles. Ces particules sensibles à l’agitation brownienne peuvent former dans l’eau des suspensions homogènes et stables, des sols, si elles se repoussent et s’éloignent les unes les autres de manière à se disperser spontanément dans le liquide. Si au contraire elles s’attirent et s’agrègent pour former des amas plus ou moins compacts, elles se séparent du liquide et floculent. La stabilité d’un sol exige donc des forces répulsives entre les particules afin qu’une barrière énergétique cinétique limite leur approche. Ces forces peuvent résulter de l’existence de charges électrostatiques sur les surfaces. Le pH de la solution, la nature et la concentration des électrolytes sont dans ce cas les paramètres à considérer. La stabilité des dispersions peut aussi provenir de l’adsorption de macromolécules qui assurent l’encombrement stérique entre les surfaces. La force de l’interaction surface-macromolécule et le taux de couverture des particules sont alors les facteurs qui régissent leur dispersabilité en milieu aqueux ou non aqueux. La stabilité des dispersions diluées de particules chargées vis-à-vis de l’agrégation et de la floculation est décrite par la théorie DLVO (Dejarguin, Landau, Verwey, Overbeek) (Overbeek 1982). Elle établit le bilan des forces agissant entre les particules et permet de déterminer la hauteur de la barrière énergétique susceptible d’éviter le contact permanent. C’est en ce sens que la stabilité des dispersions est dite « cinétique ». Les forces en jeu sont de deux types : des forces attractives (forces de London-van der Waals), omniprésentes et universelles, qui ne dépendent que de la nature des matériaux en présence ; des forces répulsives qui résultent de l’interaction des doubles couches électriques. Comment interviennent ces forces au cours du rapprochement des particules sous l’effet des collisions browniennes ? Le problème est complexe car les énergies d’interaction dépendent du comportement transitoire des doubles couches pendant les collisions. Il est hors du propos de ce livre de présenter le traitement quantitatif du problème. Il paraît cependant utile de décrire qualitativement et brièvement les phénomènes afin de comprendre les mécanismes impliqués dans ce type d’interaction. a) Forces de van der Waals Ces forces, toujours présentes et toujours attractives entre particules de même nature, résultent des fluctuations des interactions dipolaires au niveau moléculaire (Israelachvili 1992, Hunter 1987, Hiemenz 1977). L’énergie potentielle d’interaction varie avec la distance de séparation r des dipôles selon une loi en r−6 . La sommation des interactions de paires entre objets macroscopiques (au regard des dimensions moléculaires) fournit une expression de l’énergie d’interaction en r−2 .
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
205
Dans le cas de deux sphères identiques, de rayon a, dont les surfaces sont distantes de D (distance centre à centre R = D + 2a), l’énergie potentielle d’interaction s’écrit (Overbeek 1977) : 2a2 A 2a2 R2 − 4a2 VA = − + 2 + Ln (5.14) 6 R2 − 4a2 R R2 A est la constante effective de Hamaker pour le système. Elle dépend des constantes de Hamaker des particules et du milieu de dispersion. Pour des objets en interaction dans le vide, la constante de Hamaker est définie (Israelachvili 1992) par : A = π 2 Cρ1 ρ2 . ρ1 et ρ2 sont les nombres d’atomes par unité de volume dans les deux objets, C est le coefficient de l’interaction potentielle de paires d’atomes (V = –Cr−6 ). Pour des particules 1 dans un milieu de dispersion 2, la constante effective de Hamaker s’écrit de façon approchée : A ≈ ( A1 − A2 )2 (5.15) Les valeurs individuelles des constantes A sont en général de l’ordre de quelques kT (3,5 à 8.10−20 J pour les oxydes, 3,7.10−20 J pour l’eau). Pour les petites distances entre les surfaces (D/a 1), l’énergie d’interaction peut être convenablement approchée par : D A L + 2ln VA = − (5.16) 12 D L où L = a + 3D/4. Le caractère attractif de l’interaction est traduit par le fait que VA est négatif. b) Forces électrostatiques Lors de la rencontre de deux particules chargées, l’interpénétration des parties diffuses des doubles couches entraîne l’augmentation du potentiel dans toute la zone de séparation des surfaces, ce qui élève localement la concentration de contre-ions et par conséquent la force ionique, I. Les couches diffuses, constituées des nuages de contre-ions identiques, se repoussent. Même si le domaine de répulsion électrostatique, κ−1 , diminue car κ est proportionnel à I1/2 , l’effet de pression osmotique des contre-ions tend à repousser les particules (Israelachvili 1992, Hunter 1987, Healy 1980). Le rapprochement des particules entraîne aussi l’interaction des couches de Stern. Les forces électrostatiques répulsives sont gouvernées par la physicochimie du système, pH et force ionique de la solution, dont dépendent la charge de surface et l’étendue de la couche diffuse de contre-ions. c) Énergie potentielle totale de l’interaction Elle est la somme des énergies d’attraction et de répulsion VT = VA + VR (Fig. 5.14).
206
De la solution à l’oxyde
VT Barrière d’énergie
Répulsion électrostatique
VT
0 Minimum secondaire Attraction de van der Waals Minimum primaire (a)
0
a b c d e D
D (b)
Fig. 5.14 – (a) Diagramme schématique d’énergie d’interaction VT = VA + VR (ligne continue) en fonction de la distance. (b) Différentes situations selon l’importance relative des énergies de répulsion et d’attraction : (a) les surfaces se repoussent fortement ; (b) les surfaces sont en équilibre stable dans le minimum secondaire s’il est assez prononcé ; (c, d) les surfaces, en équilibre instable, donnent lieu à une agrégation limitée et une floculation lente des particules ; (e) les surfaces s’attirent fortement et les particules floculent rapidement.
L’énergie VR varie de façon exponentielle avec la distance entre les surfaces. Elle dépend du pH et de la force ionique à travers la valeur du potentiel ψ 0 (ou ψ d ) et du terme κ. VA est en première approximation insensible aux conditions physicochimiques du milieu et varie selon une puissance inverse de la distance. Par suite, VA prédomine toujours aux faibles distances d’approche et il en résulte à courte distance (1 à 2 nm), une chute importante de l’énergie d’interaction qui devrait faire tendre VT vers moins l’infini. En fait, aux très courtes distances, les forces répulsives dues à l’interpénétration des couches de solvant fortement orientées (forces structurales) et celles dues au recouvrement des nuages électroniques (forces de Born) l’emportent sur les forces de van der Waals (Ninham 1981, Israelaschvili 1982, Feke 1984), si bien qu’un minimum (minimum primaire) apparaît dans la variation de VT avec la distance (Fig. 5.14). Selon les conditions physicochimiques de la dispersion (pH, force ionique), différentes situations sont à envisager. Pour des surfaces fortement chargées en présence d’électrolyte dilué, donc pour de grandes valeurs de la longueur de Debye κ−1 , les particules se repoussent d’autant plus fortement qu’elles se rapprochent. La barrière d’énergie, correspondant au maximum de VT (Fig. 5.14a), atteint quelques dizaines à une centaine de kT et évite l’agrégation des particules qui sont maintenues dans un état de dispersion cinétiquement stable. Si la charge de surface est faible et la force ionique élevée (Fig. 5.14e), le système est attractif quelle que soit la distance entre les particules et leur floculation est rapide. Pour des surfaces fortement chargées en présence d’électrolyte concentré, il existe un minimum faible (minimum secondaire) dans la variation de l’énergie totale (Fig. 5.14b). Les particules
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
207
se repoussent aux faibles distances d’approche, mais elles peuvent demeurer dans un pseudo-équilibre à la distance du minimum secondaire sans floculer. Cette situation doit caractériser la formation de gel physique dans lequel des agrégats de particules forment un réseau lâche qui emprisonne le solvant qui évite l’effondrement des agrégats et la floculation. L’ensemble forme un milieu semi-rigide caractérisé par des propriétés rhéologiques particulières (Brinker 1990). À mesure que la barrière d’énergie s’abaisse, la stabilité de la dispersion diminue et l’agrégation des particules est possible sinon favorisée. Les cas c et d représentés sur la figure 5.14 illustrent l’état critique cinétiquement instable où la coagulation est lente. Le sol peut apparaître cinétiquement stable parce qu’il s’établit des états stationnaires temporaires, dans lesquels l’agrégation est partiellement compensée par la dispersion. L’état stationnaire permet la formation d’agrégats de taille variable sans que le sol flocule complètement. C’est le régime d’agrégation cinétiquement limitée (Derjaguin 1978). On peut remarquer qu’un électrolyte est d’autant plus floculant que sa concentration, C, et la charge des ions, z, sont importantes (règle de Schulze et Hardy (Overbeek 1980)). Ces deux facteurs contribuent à l’abaissement de la longueur de Debye κ−1 (κ est proportionnel à zC1/2 ) et à l’abaissement de VR . C’est ce qui explique la floculation des boues charriées par les rivières (eau douce) lorsque celles-ci se jettent dans la mer (eau salée). C’est aussi la raison de l’apport de chaux dans les terrains argileux. Les ions bivalents Ca2+ entraînent l’agglomération des particules d’argile sous forme de gros grains ce qui rend le terrain moins compact et permet une meilleure circulation de l’eau. Il ne faut pas oublier que si l’on cherche à former un sol stable par augmentation de la charge de surface en éloignant le pH du PCN par addition d’acide ou de base, on obtient en général l’effet inverse de celui recherché en raison de l’augmentation de la force ionique dans le milieu. Les diagrammes d’énergie d’interaction (Fig. 5.14) indiquent que si les particules parviennent à de petites distances d’approche (par abaissement de la charge ou addition d’électrolyte), le système se trouve dans un puits d’énergie et la dispersion ne devrait plus être possible. L’élimination de l’électrolyte par dialyse par exemple, et/ou l’augmentation de la charge de surface élèvent la barrière d’énergie qui, si elle évite la coagulation lorsque les particules sont éloignées, ne permet plus la dispersion du floculat. Pour qu’il y ait dispersion, il faut que la charge de surface des particules soit compensée par les contre-ions comprimés sur la surface et non pas annulée, pour que les particules conservent leur pellicule d’hydratation fortement structurée et que la distance minimale d’approche des particules reste au moins égale à l’épaisseur des couches de Stern (Frens 1972, 1978, Overbeek 1977). Le contact direct des surfaces doit être évité afin de limiter les forces de van der Waals et les éventuelles réactions de condensation entre groupes oxygénés des surfaces en contact. Les diagrammes qui correspondent à la floculation et à la peptisation des particules (Fig. 5.15) se différencient de ceux de la figure 5.14 par l’absence d’un minimum profond due à la distance minimale d’approche plus grande, limitée à deux fois l’épaisseur de la couche de Stern.
208
De la solution à l’oxyde
V 1019 J d=
C = 0.15M
10
25mV 10
VT0 -5
2δ
VR 10
20
30 0
VT
2δ
d=
10
20
(a) floculation
30 DÅ
DÅ
VA
75mV
VR
VT
VT0
5 0
C = 0.015M
-5
VA
(b) peptisation
Fig. 5.15 – Diagrammes d’énergie d’interaction totale VT correspondant à (a) la floculation et (b) à la peptisation. Épaisseur de la couche de Stern δ = 2 Å ; rayon de la particule a = 500 Å ; constante effective de Hamaker A = 5.10−20 J ; la concentration c d’un électrolyte [1:1] et le potentiel de la couche diffuse ψ d sont indiqués sur les schémas (reproduit d’après Frens 1972 avec autorisation de Elsevier). Selon la vitesse de la floculation, la structure des agrégats est souvent différente. Lorsque les particules coagulent lentement, les agrégats sont compacts et souvent non dispersables (irréversibles) parce que la désolvatation des particules et la relaxation des doubles couches ont le temps de s’effectuer. La compacité de l’agrégat est élevée parce que, dans une telle situation, les particules peuvent renforcer l’énergie attractive de van der Waals en multipliant leurs points de contacts. En revanche, si la floculation est rapide, les agrégats ont généralement une structure lâche et volumineuse à cause de la grande quantité de solvant emprisonné et parce que la vitesse de floculation ne laisse pas la possibilité aux particules de s’ordonner dans l’agrégat. Il sera souvent aisément peptisable, tant que la relaxation des doubles couches n’intervient pas de façon notable. S’il est abandonné pendant un temps suffisamment long, l’agrégat devient progressivement irréversible (coagulat). La charge n’est plus écrantée (compensée) et elle tend à s’abaisser, voire à devenir nulle. C’est la raison pour laquelle la peptisation de petites particules doit être effectuée rapidement après leur floculation.
5.4
Réactivité de surface : adsorption
Des ions ou molécules attirés vers la surface par des forces électrostatiques peuvent pénétrer et résider dans la couche de Stern. Ils peuvent aussi se lier
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
209
chimiquement. Il s’agit en général d’anions complexants, de cations facilement hydrolysables ou de molécules neutres qui forment de véritables complexes de coordination avec les groupes de surface. Selon la force de l’interaction entre l’espèce adsorbée et la surface, il se forme des complexes à sphère externe ou à sphère interne et ces espèces sont dites physi- ou chimisorbées respectivement (Schindler 1987, Haworth 1990). Le phénomène de chimisorption, engendré le plus souvent par des phénomènes acido-basiques, peut rester confiné à la surface et conduire à la formation d’une couche de matière plus ou moins épaisse. Il peut aussi être relayé par des phénomènes redox dans le cœur de la particule avec des solides à mobilité ionique ou électronique et donner lieu à des échanges ioniques et/ou électroniques à travers l’interface solide-solution. L’adsorption intervient dans des domaines aussi variés que le transport de matière dans des eaux naturelles ou industrielles, la géochimie, la catalyse, la stabilisation de dispersions vis-à-vis de l’agrégation, la réalisation de vecteurs médicaux et de diagnostic. L’adsorption de polymères sur des particules d’oxyde permet de fabriquer des matériaux composites organiquesinorganiques. L’importance de l’adsorption (ou de la sorption si la quantité de matière fixée dépasse le stade de la monocouche) est donc considérable et il est utile de connaître le mécanisme de l’interaction entre la surface des particules d’oxydes et diverses espèces en solution.
5.4.1
Interactions électrostatiques, complexes à sphère externe
Des cations non hydrolysables et structurants, tels Li+ , Na+ , s’adsorbent sur des oxydes lorsque la surface est négativement chargée (pH > PCN). Les ions sont attirés vers la surface par des forces non spécifiques : contraintes électrostatiques, solvatation préférentielle dans la couche d’hydratation fortement structurée de la surface (§ 5.2). Le même type d’interaction intervient aussi avec des complexes très stables de divers cations (Cu2+ , Ni2+ , Co2+ ). À forte concentration en ammoniac, les complexes [M(NH3 )6 ]2+ sont adsorbés sur différents substrats (Fuerstenau 1987). La bande d’absorption UV-visible caractéristique du complexe amminé du nickel, n’est pas déplacée par l’adsorption sur la silice (Bonneviot 1989). La surface négativement chargée des oxydes se comporte en fait en contre-ion du complexe cationique en formant tout au plus des paires d’ions. Certains cations aquo peuvent aussi être non spécifiquement adsorbés. C’est le cas des ions Cu2+ en milieu acide (pH < 3) imprégnant des particules de silice à petits pores (< 6 nm). Le signal RPE du cuivre est caractéristique des ions hexaaquo [Cu(OH2 )6 ]2+ en symétrie axiale (Bassetti 1979), mais leur temps de rotation et de réorientation est 1,5 fois plus long que celui des ions en solution aqueuse. Leur mobilité est fortement perturbée par la structuration de l’eau au voisinage de la surface. Les cations paraissent piégés dans les huit à dix couches d’eau de solvatation qui forment une matrice
210
De la solution à l’oxyde
« vitreuse » remplissant les petits pores. Avec des silices à pores plus grands, toute l’eau qui les remplit n’est pas aussi fortement structurée et un second signal RPE, caractéristique des ions [Cu(OH2 )6 ]2+ en solution, se superpose au premier. Des oxydes tels MgO et Al2 O3 , dont le caractère basique est plus marqué que celui de la silice, développent des interactions plus fortes avec les ions [Cu(OH2 )6 ]2+ . Le spectre RPE du cuivre apparaît comme un spectre de solide (Bassetti 1979). Bien que les ions cuivriques ne soient pas désolvatés, les complexes [Cu(OH2 )6 ]2+ sont immobilisés sur la surface. Il en est de même lorsqu’ils sont adsorbés à pH 2,7 sur TiO2 (Bleam 1986), c’est-àdire bien au dessous du PCN de l’oxyde (pH 6,2). Bien que ces ions entraînent l’augmentation de la mobilité électrophorétique de l’oxyde (voir plus loin) parce qu’ils augmentent la charge de surface, leur spectre RPE « statique » est typique de celui d’ions cuivriques hydratés dans un environnement octaédrique distordu. Cela signifie que l’axe de la distorsion tétragonale de l’octaèdre ne change pas d’orientation à l’échelle de temps de la spectroscopie RPE. Dans ce type d’interaction, il n’y a pas de modification de la sphère de coordination des cations adsorbés. Ils sont en fait mieux solvatés par la couche d’hydratation de la surface que par l’eau « liquide », au sein de la solution. En termes de chimie de coordination, les ions cuivriques forment avec la surface des complexes à sphère externe (schéma 5.2) en mettant probablement en jeu des interactions hydrogène entre les groupes hydroxylés de la surface et des molécules d’eau de coordination du cation par l’intermédiaire du ligand pontant [H3 O2 ]− (Ardon 1987, Che 1988) :
H
H M - OH
H 2O +
M - OH
H O
M-O Cu(OH2)42+
H 2O
2A-
Cu(OH2)42+ H
M-O H
O
2A-
H
Schéma 5.2 – Dans le phénomène de « physisorption », la surface joue en fait le rôle d’agent solvatant des cations.
5.4.2
Interactions spécifiques, complexes à sphère interne
Les cations aisément hydrolysables, tels ZnII , CdII , HgII , PbII , AlIII et les éléments de transition, ont une très forte affinité pour les surfaces d’oxydes et l’adsorption peut s’effectuer contre les forces électrostatiques, à des pH inférieurs au PCN de l’oxyde. L’adsorption de ces cations dépend néanmoins
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
211
100
80
60
CrIII
CoII
CaII
%
FeIII
40
20
0
0
2
4
6 pH
8
10
12
Fig. 5.16 – Isothermes d’adsorption à 25 ◦ C du FeIII (1,2.10−4 mol.l−1 ), du CrIII (2.10−4 mol.l−1 ), du CoII (1,2.10−4 mol.l−1 ) et du CaII (1,4.10−4 mol.l−1 ) sur SiO2 en fonction du pH (reproduit d’après James 1972a avec autorisation de Elsevier).
très fortement du pH du milieu car il existe un étroit domaine de pH, de une à deux unités en général, dans lequel le taux d’adsorption (le degré de saturation de la surface) passe de 0 à 100 % (Fig. 5.16) mais le pH où le phénomène intervient ou tout au moins débute est toujours inférieur à celui où les cations seuls en solution sont hydrolysés et précipitent. L’adsorption du CoII sur la gœthite, α-FeOOH, intervient entre pH 6 et 7 (Schenk 1983). Seul en solution, le cobalt forme, vers pH 7, le complexe [Co(OH)(OH2 )5 ]+ et, à la concentration de 0,1 mol.l−1 , l’hydroxyde précipite vers pH 8. L’étude par spectroscopie des rayons X (XPS) indique que le CoII adsorbé existe sous des formes très différentes selon le pH auquel a lieu la réaction (Schenk 1983). À pH < 6,5, le cobalt est adsorbé sous forme d’ions hexaaquo. Le PCN de la surface étant à 6,5, les ions aquo forment des complexes à sphère externe. La densité d’adsorption est faible car la surface est globalement positivement chargée. Entre pH 6,5 et 7,5, les paramètres XPS du Co adsorbé sont très voisins de ceux de l’hydroxyde Co(OH)2 . Puisqu’en solution, à même concentration, le cobalt seul ne s’hydrolyse qu’à pH > 7,4, il est très vraisemblable que hydroxylation des ions CoII soit induite par les groupes de surface et non par la solution. Les groupes hydroxylés de la surface jouent ainsi le rôle de ligands hydrolysants et la chimisorption du cobalt résulte de la formation de complexes à sphère interne. Lorsque l’adsorption
212
De la solution à l’oxyde
A A
B
B C α-Fe2O3 massif -16
0
mm/s
+16
-16
0
(a)
mm/s
+16
(b)
FeIII adsorbés sur des particules d’hématite α- Fe2 O3 à pH 2,5 (a) [A : suspension ; B : après séchage ; C : après chauffage à 600 ◦ C pendant 6 heures] ; à pH 6 (b) [A : suspension ; B : après séchage] c American Chemical Society). (reproduit avec autorisation d’après Ambe 1990
Fig. 5.17 – Spectres Mössbauer (298 K) d’ions
57
56
est effectuée à pH > 8, les données XPS indiquent la présence de Co(OH)2 et CoO(OH) sur la surface. Ces composés sont aussi identifiés par diffraction X et par XPS dans les précipités formés au même pH dans les solutions de cobalt seul. Il semble donc que la précipitation du cobalt ait lieu en solution et que les particules précipitées soient ensuite physisorbées sur la gœthite. Le rôle hydroxylant et condensant de la surface des oxydes est aussi très élégamment montré par l’étude de l’adsorption d’ions 57 FeIII sur de l’hématite α-56 Fe2 O3 (Ambe 1990). Comme l’isotope 56 Fe est silencieux en spectroscopie Mössbauer, le spectre des ions ferriques adsorbés n’est pas obscurci par celui des particules. À pH 2,5, le spectre Mössbauer de la suspension (Fig. 5.17a), constitué d’un sextuplet, montre que tous les ions ferriques adsorbés sont en interaction magnétique avec ceux du substrat. Les paramètres des ions adsorbés (déplacement isomérique, champ hyperfin moyen) sont très proches de ceux de l’hématite massive. Dans la couche adsorbée, les ions ferriques occupent donc des sites caractéristiques de la structure de l’hématite et la couche prolonge le réseau cristallin des particules. À cette acidité, les ions ferriques, incapables de nucléer le solide (et certainement pas dans ces conditions la structure corindon), sont donc hydroxylés par les groupes de surface et chimisorbés. À pH 2,5, la surface de l’oxyde est positivement chargée et les ions ferriques existent en solution diluée (10−3 mol l−1 ) sous les formes [Fe(OH2 )6 ]3+ (70 %), [Fe(OH)(OH2 )5 ]2+ (20 %), [Fe(OH)2 (OH2 )4 ]+ (3 %) et [Fe2 (OH)2 (OH2 )8 ]4+
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
C
A B B Face {100}
213
Face {001}
B A
A
A
Fig. 5.18 – Schéma de faces de particules d’hématite montrant les sites nucléophiles de coordination possibles de complexes ferriques en solution (Fig. 5.6 et 5.7).
(6 %). À ce même pH, les particules d’hématite portent une charge globalement positive. Il existe cependant des groupes de type C négativement chargés, donc nucléophiles, et des groupes de type A et B porteurs d’une molécule d’eau très fortement polarisée et donc aisément substituable par un ligand hydroxo des complexes ferriques (Fig. 5.6 et 5.18). On peut alors comprendre que la surface de l’hématite joue le rôle de ligand hydroxylant et condensant visà-vis des complexes ferriques adsorbés. Les détails structuraux de la surface permettent aussi de comprendre que l’adsorption des ions ferriques s’effectue de manière ordonnée pour placer ces cations sur des sites correspondant à la structure corindon de l’hématite. Lorsque l’adsorption est effectuée à pH 6, le spectre Mössbauer de la suspension ne contient aucun signal. Après séchage, il comporte un intense doublet quadrupolaire accompagné d’une faible composante magnétique (Fig. 5.17b). Dans ces conditions d’acidité, les ions ferriques en solution forment un gel qui se trouve physisorbé par le substrat. L’absence de signal est due à la très faible fraction d’absorption sans recul du rayonnement γ par le gel, faiblement lié sur la surface des particules. La déshydratation à température ambiante de la suspension diminue la mobilité du gel physisorbé dont le spectre Mössbauer est le même que celui des gels ferriques amorphes. À pH 4, l’adsorption met en jeu les deux mécanismes. L’adsorption de cations hydrolysables procède donc selon différents mécanismes qui mettent en compétition l’hydroxylation des cations soit par les groupes nucléophiles de la surface, soit par la solution elle-même (ions HO− , molécules d’eau). Tant que le pH d’hydrolyse et de précipitation des cations en solution n’est pas atteint, la surface est susceptible de se comporter en ligand des ions en solution et de les chimisorber par une véritable réaction de
214
De la solution à l’oxyde
M-O
H
H
H M-O
H O
M’L4
M’L4 H O
M-O H
H
M-O
M-O
+ 2H2O
M’L4 M-O
+ 2H+
H Schéma 5.3 –
substitution et de coordination analogue aux réactions d’olation ou d’oxolation entre espèces hydroxylées en solution (schéma 5.3). Les différents régimes d’interaction entre les ions en solution et la surface, en fonction du pH de la solution (chimisorption des cations, physisorption de l’hydroxyde ou de l’oxyde), sont perceptibles sur les variations de la mobilité électrophorétique des suspensions. La mobilité mE des particules est définie par mE = vE /E. vE est la vitesse de déplacement des particules dans le champ électrique E (Shaw 1980). Selon le signe de la charge des particules, leur déplacement se fait dans le sens du champ ou dans l’autre. À pH = PCN, la mobilité est nulle. L’adsorption d’un cation hydrolysable à une concentration suffisante pour couvrir totalement la surface disponible dans la suspension modifie le comportement électrophorétique des particules. Trois renversements de charge (RC) interviennent avec l’augmentation du pH (Fig. 5.19). Le franchissement du PCN (ou du PIE), localise le RC1 (+/–). Il est voisin de pH 2 pour SiO2 , de 5,5 pour TiO2 (Fig. 5.19). L’adsorption d’entités positivement chargées (ions aquo, complexes hydroxylés) compense progressivement la charge négative de la surface et s’accompagne d’un RC2 (–/+) situé vers pH 8. À mesure que le pH augmente, la charge positive des espèces adsorbées s’abaisse et un RC3 marque le PCN de la couche adsorbée (pH 11). La position des RC2 et RC3 dépendent de la quantité des ions adsorbés. Lorsque la couverture de la surface est totale, le RC3 est identique au PCN de l’hydroxyde ou de l’oxyde formé par le cation adsorbé seul. Le RC2 , inférieur au pH de précipitation du cation seul en solution, marque en fait le pH de début de précipitation du cation sur la surface quasi-totalement couverte (James 1972b, Tewari 1975). Une telle variation de la mobilité électrophorétique des suspensions indique le changement progressif de nature de la surface du substrat au cours de l’adsorption, mais ceci implique la distribution homogène des ions adsorbés sur la surface. En fait, ce comportement n’est pas général car le mécanisme de l’adsorption dépend à la fois de la nature de la surface et de celle des ions adsorbés.
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
(a)
215
(b)
Fig. 5.19 – Variation de la mobilité électrophorétique (a) de quantités variables de SiO2 et (b) de TiO2 , en présence de Co(NO3 )2 (reproduit d’après James 1972b avec autorisation de Elsevier). L’adsorption d’anions ou d’acides faibles peut aussi être spécifique et procéder par substitution de ligands aquo ou hydroxo de la surface de l’oxyde (Blesa 2000). La spectroscopie d’absorption infrarouge montre que des ligands très variés tels l’oxalate, le benzoate, le phosphate, le silicate entre autres substituent des groupes hydroxo monocoordinés sur la surface de divers oxy(hydroxy)des de fer ou d’aluminium. Ces ligands adoptent en général un mode de coordination pontant aux faibles taux d’adsorption et vers pH 3-4 (Parfitt 1977a,b, Atkinson 1974, Cradwick 1972). Les groupes di- et tricoordinés de la surface forment avec les cations sous-jacents des liaisons plus covalentes que les groupes monocoordinés et leur substitution est donc plus difficile. L’adsorption spécifique d’anions est une réaction de complexation de surface et, de façon générale, les anions s’adsorbent d’autant plus efficacement que leur pouvoir complexant en solution est grand (Schindler 1987, Stumm 1987). L’effet chélatant ou pontant qui renforce le pouvoir complexant de l’anion en solution exalte aussi son adsorption. L’EDTA et les aminocarboxylates peuvent former des complexes solubles plus stables que l’oxyde et entraînent la dissolution des petites particules d’oxydes (Chang 1983). Ces ligands sont par exemple utilisés dans le nettoyage d’installations industrielles pour la dissolution des produits de corrosion. L’adsorption d’anions sur des particules magnétiques de maghémite, γ-Fe2 O3 (Chap. 7), met parfaitement en évidence la coordination des cations de surface et la modification de leurs propriétés. Dans la structure spinelle de
216
De la solution à l’oxyde
H3PO4
H3Citr
H2SO4
HNO3 -10
0 mm/s
10
Fig. 5.20 – Spectres Mössbauer (290 K) de particules de γ-Fe2 O3 floculées par différents acides (d’après Tronc 1992b).
cet oxyde, les cations ferriques sont couplés selon l’ordre ferrimagnétique lorsqu’aucun effet de surface n’intervient de façon notable, comme le montre le spectre Mössbauer des poudres de particules floculées avec de l’acide nitrique (Fig. 5.20). Les ions nitrate ne sont que des ions compensateurs de la charge électrostatique de surface. À mesure que l’affinité des espèces adsorbées pour la surface augmente (NO3 − < SO4 2− < HCitr2− < HPO4 2− ), le couplage magnétique des cations de surface s’amenuise. Avec les ligands le plus fortement complexants (citrate et phosphate), les ions ferriques de surface sont totalement découplés et forment des complexes paramagnétiques qui se manifestent par un doublet quadrupolaire superposé à la composante magnétique du cœur des particules (Tronc 1992b). Il est intéressant de comparer l’adsorption du polyanion α-[H2 W12 O40 ]6− à celle du polycation [Al13 O4 (OH)24 (OH2 )12 ]7+ (Al13 ) sur des nanoparticules d’hématite (Fig. 5.21) (Hernandez 1998). Ces entités sont géométriquement très comparables (Fig. 5.22a et 5.23a) (deux structures dérivées du polyanion de Keggin, sphériques et de taille quasi identique, environ 1 nm) mais de charges opposées et quasi équivalentes en valeur absolue (§ 6.2 et § 3.3.2).
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
(a)
217
(b)
σ (C.m-2)
0,2 0,1 0 -0,1 2
4
6
8
10
12
pH Fig. 5.21 – (a) Image MET de nanoparticules d’hématite en forme de rhomboèdres et (b) variation de leur densité de charge de surface avec le pH (d’après Hernandez 1998). Absorbance ×10-5 mol.g-1 W12 ads 6
×10-5 mol.g-1 W12 ads 3
(c)
W12 seul Hématite
4
(b)
1,5
800
2
(a)
0
1
2
×10-4 mol.l-1
0
2
4
(d)
W12 adsorbé
6
8
900
-1
1000 cm
10
pH
Fig. 5.22 – (a) Structure du polyanion [H2 W12 O40 ]6− (W12 ), (b) isotherme d’adsorption sur l’hématite à pH 5, (c) variation de la quantité de polyanion adsorbé en fonction du pH et (d) spectre infrarouge du polyanion seul (sel de sodium) et adsorbé sur l’hématite (d’après Hernandez 1998).
Sur le domaine 2 ≤ pH ≤ 8, le polyanion est stable et ne change pas de charge. L’adsorption sur les particules d’hématite positivement chargées est très rapide et elle entraîne immédiatement la floculation. La spectroscopie infrarouge indique que le polyanion adsorbé conserve sa structure (Fig. 5.22d). La quantité adsorbée dépend du pH du milieu, c’est-à-dire de la densité de charge de surface des particules. L’adsorption est réversible, les polyanions adsorbés à pH 2 sont rapidement quasiment totalement désorbés par augmentation du pH. La quantité adsorbée en fonction du pH s’extrapole à 0 à pH voisin de 10, valeur qui correspond au PCN de l’oxyde (Fig. 5.22c). L’interaction du polyanion avec l’hématite est clairement de nature électrostatique et elle entraîne seulement la compensation de charge entre les deux types d’entités.
218
De la solution à l’oxyde Dhydro (nm)
×10-5 mol.g-1 Al13 ads
(c)
4
(b)
(a) 0
1
2
(d)
200
2 +1000
floculation
Hématite pH5
0 δ (ppm)
3 ×10-4 mol.l-1 Al13
100 -1000
Hématite pH5 + Al13 Sol stable 2
4
6 jours
Fig. 5.23 – (a) Structure du polycation [Al13 O4 (OH)24 (OH2 )12 ]7+ , (b) isotherme
d’adsorption de l’Al13 sur l’hématite à pH 5, (c) spectre RMN 27 Al du polycation adsorbé et (d) variation de la taille hydrodynamique des particules d’hématite en suspension à pH 5 et des particules ayant adsorbé le polycation (d’après Hernandez 1998).
Le polycation Al13 s’adsorbe sur les particules d’hématite positivement chargées. L’étude est effectuée à pH 5 pour être dans les conditions de meilleure stabilité du polycation. La saturation correspond à un taux de couverture d’environ 60 % de la surface totale (Fig. 5.23b), mais l’adsorption entraîne la destruction du polycation. Le spectre RMN solide de 27 Al de l’hématite ayant adsorbé Al13 ne montre que de l’aluminium octaédrique, le signal caractéristique de l’aluminium tétraédrique a totalement disparu (Fig. 5.23c). En revanche, la stabilité des nanoparticules d’hématite vis-à-vis de l’agrégation à pH 5 se trouve considérablement renforcée, comme le montre l’évolution avec le temps du diamètre hydrodynamique des particules (Fig. 5.23d). Alors que les particules d’hématite en suspension à pH 5 s’agrègent et que la taille des agrégats augmente rapidement sur la durée d’une journée, les particules ayant adsorbé Al13 restent stables et l’état de dispersion n’a pratiquement pas changé après une semaine. À pH 5, le potentiel électrocinétique ζ des particules d’hématite, d’environ 10 mV, n’est pas suffisant pour éviter l’agrégation et la floculation est quasi complète après deux jours, tandis qu’à pH 2 avec un potentiel ζ de 32 mV, la dispersion est stable sur de très longues périodes. En présence du polycation Al13 à pH 5, le potentiel ζ des particules est voisin de 30 mV et la suspension est stable sur au moins une semaine, ce qui confirme que l’adsorption du polycation a augmenté la densité de charge électrostatique de surface. On voit donc que l’adsorption d’un cation sur une surface globalement positivement chargée est possible et que le moteur de la réaction est la présence de groupements oxygénés nucléophiles sur la surface (Fig. 5.6 et 5.7). Même si le polycation a été détruit par la coordination sur la surface, ses fragments restent adsorbés et transfèrent leur charge électrostatique à la surface des particules. L’adsorption de macromolécules organiques est sans doute la technique la plus ancienne de stabilisation de dispersions de petites particules. Dans l’ancienne Égypte, des encres stables étaient fabriquées par dispersion de
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
219
nanoparticules de carbone (noir de fumée) dans des solutions aqueuses de gomme d’acacia. L’adsorption de polymères peut permettre d’éviter l’agrégation et l’adhésion des particules lors de la réhydratation de dispersions conservées à sec ou, au contraire, servir de liant entre les particules afin de réaliser des matériaux composites. Le même polymère peut jouer l’un ou l’autre rôle, selon la densité d’adsorption et le taux de saturation de la surface des particules. Différents modes d’interaction peuvent être mis en jeu entre les sites hydroxylés et/ou chargés de la surface de l’oxyde et le type de polymère : liaison hydrogène avec les groupes fonctionnels polaires distribués sur la chaîne de macromolécules non ioniques (polyoxyde d’éthylène, polyacrylamide, alcool polyvinylique. . . ) (Lee 1989, Dickinson 1991), interactions électrostatiques avec des polyélectrolytes (Cohen-Stuart 1991, Wang 1991), coordination ou greffage covalent avec des polymères munis de groupements réactifs tels des groupes alkoxysilanes (Laible 1980). D’excellentes revues traitent en détail la physicochimie de ces systèmes (Napper 1983, De Gennes 1987, Cohen Stuart 1991).
5.4.3
Adsorption et transferts à l’interface oxyde-solution
La chimisorption des cations sur de nombreux oxydes met en jeu l’interaction avec la surface sans que le cœur des particules soit impliqué. L’interface est polarisable, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’échange entre l’intérieur du solide et la solution. Avec des matériaux possédant une mobilité ionique ou électronique tels les échangeurs d’ions, les semi-conducteurs ou les conducteurs, les phénomènes acido-basiques de surface qui provoquent l’adsorption de cations peuvent entraîner une réponse rédox du cœur de la particule qui se manifeste par des transferts d’ions et/ou d’électrons à travers l’interface oxyde-solution. L’interaction des oxydes ferriques en suspension avec des ions ferreux est probablement le système redox du fer le plus étudié à cause de certaines particularités. Elle entraîne l’exaltation du pouvoir réducteur des ions ferreux vis-à-vis d’espèces en solution (Mulvaney 1988, Wehrli 1989, Silvester 2005), grâce à la capacité des ions ferriques formés sur la surface à être structuralement intégrés au solide et ainsi fortement stabilisés par rapport à un produit d’oxydation soluble. Un autre point remarquable est que l’adsorption des ions ferreux, qui résulte d’effets acido-basiques (coordination du cation par les ligands hydroxo de la surface), s’accompagne d’un phénomène redox (transfert électronique FeII -FeIII ) qui entraîne l’échange atomique entre la solution et le solide. Le phénomène a été remarquablement mis en évidence par l’utilisation des isotopes 57 Fe et 56 Fe qui sont respectivement actifs et silencieux en spectroscopie Mössbauer. L’interaction d’ions 57 FeII en solution avec des oxydes 56 FeIII montre des solides renfermant des ions 57 FeIII et le relâchement d’ions 56 FeII dans la solution (Williams 2004). La cinétique et le taux de l’échange dépendent du solide concerné : ferrihydrite, goethite,
220
De la solution à l’oxyde
lépidocrocite, hématite, magnétite, et de paramètres tels le pH et concentration en solution (Jeon 2003, Gorski 2011). En revanche, l’adsorption d’ions ferreux sur des particules de TiO2 n’entraîne pas de transferts Fe2+ -Ti4+ et les ions ferreux adsorbés restent à l’état ferreux (Williams 2004). Ce transfert Fe2+ -Ti4+ est pourtant possible à température ambiante puisqu’il est responsable de la couleur bleue du saphir, mais il est lié à des contingences structurales qui imposent aux deux cations Ti4+ et Fe2+ d’occuper dans la structure corindon des sites octaédriques liés par des faces. L’adsorption d’ions ferreux sur les oxydes ferriques peut ainsi provoquer des effets redox particuliers car elle permet l’injection d’électrons dans le solide. La structure cristalline et les propriétés électroniques du solide apparaissent ainsi les facteurs clés de la réactivité redox des nanoparticules des oxydes de fer. L’adsorption des ions ferreux peut ainsi provoquer la cristallisation de la ferrihydrite en spinelle (Jolivet 1992, Pedersen 2005) et intervenir dans la transformation de la maghémite (§ 7.2.3b). Un exemple très démonstratif concerne l’adsorption d’ions ferreux sur l’hématite α-Fe2 O3 . On a vu précédemment que l’adsorption d’ions ferriques en milieu acide résultait d’une véritable réaction de coordination permettant aux cations adsorbés de se fixer sur des positions cristallographiques du réseau cristallin sousjacent. Dans des conditions d’acidité comparables et jusqu’à pH 7 (conditions dans lesquelles le FeII seul ne précipite pas), l’adsorption d’ions ferreux sur l’hématite entraîne des effets morphologiques très particuliers. Les ions ferreux sont en effet préférentiellement fixés sur les faces basales {001} de particules synthétiques d’hématite tabulaire en formant des pyramides ayant la même orientation cristalline que celle du support, tandis que les faces latérales du type {0hk} des particules subissent une érosion (Fig. 5.24) (Yanina 2008, Rosso 2010). Le phénomène a été suivi par spectroscopie Mössbauer en étudiant l’adsorption d’ions 57 FeII sur des échantillons d’hématite α-56 Fe2 O3 (seuls les ions adsorbés sont détectables par spectroscopie Mössbauer). Le spectre de la phase solide montre des ions ferriques dont les caractéristiques spectrales (déplacement isomérique, champ hyperfin) sont quasiment les mêmes que celles des cations de l’hématite tandis que la solution, qui ne contenait initialement que du 57 FeII , s’enrichit en 56 FeII dans le rapport 1/1 (Larese-Casanova 2007, Rosso 2010). La réflectivité des rayons X montre aussi la quasi-épitaxie de la phase adsorbée et l’absence d’ions ferreux sur la surface (Catalano 2010). On en conclut que l’adsorption oxydante qui a lieu sur les faces {001} est accompagnée par une dissolution réductrice des faces {0hk}. La modélisation des particules d’hématite (§ 5.1.2) montre qu’en milieu acide (pH < 7), la charge de surface globalement positive est essentiellement portée par les faces {hk0} alors que les faces {001} ne sont pratiquement pas chargées ou très faiblement négativement. On comprend dès lors que l’adsorption des ions ferreux s’effectue préférentiellement sur les faces {001} avec oxydation en ions ferriques afin d’accroître l’énergie d’interaction. Le matériau étant semi-conducteur, la diffusion des charges électroniques à travers le
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
(a)
221
(b)
5 μm
5 μm
Fig. 5.24 – Images MEB de plaquettes tabulaires d’hématite de synthèse avant (a) et après (b) réaction à 75 ◦ C pendant 24 heures avec une solution d’ions FeII et d’acide oxalique à pH 2,1, exempte d’oxygène. La croissance de pyramides sur les faces (001) est clairement visible (reproduit avec autorisation d’après Rosso 2010 c American Chemical Society).
Fe2+aq
Fe2+{001}
Fe3+{001} + e-
Face {001}
solution
Faces {0hk}
solide eΔEsurf Fe3+{0hk} + e-
(a)
Fe2+{0hk}
Fe2+aq
(b)
Fig. 5.25 – (a) Schéma de la modification morphologique des particules d’hématite tabulaires. (b) Schéma du couplage des transferts électroniques sur différentes faces de ces particules. Le gradient de potentiel électrostatique de surface à travers le cristal, chimiquement induit par l’adsorption des ions ferreux (octaèdres clairs), provoque un courant à travers le solide. Le bilan net correspond à l’injection électrons sur les faces {001} et leur élimination à partir des faces {0hk}.
solide permet d’abaisser la densité de charges des zones à plus haut potentiel, en provoquant la réduction des ions ferriques de surface et la dissolution des ions ferreux ainsi générés (Fig. 5.25). Ainsi, l’accumulation de charges ioniques sur certaines faces des particules et la diffusibilité de charges électroniques dans le solide créent les conditions dans lesquelles le transfert de charges interfacial sur une face est couplé au
222
De la solution à l’oxyde
transfert sur d’autres faces par un courant à travers le solide. Autrement dit, le gradient de potentiel (quelques dixièmes de volt à pH 2), induit chimiquement par l’adsorption sur des particules d’hématite, est suffisamment important et la résistivité du cœur du solide est suffisamment faible pour que la croissance de certaines faces soit liée à dissolution simultanée d’autres faces. On a ainsi un véritable cycle redox sans qu’un bilan net de réduction du fer prenne place, avec deux processus interfaciaux couples : • la croissance des faces basales par sorption oxydante : Fe2+ aq → Fe2+ 001 → Fe3+ 001 + e− ; • la dissolution réductrice des faces latérales : Fe3+ hk0 + e− → Fe2+ hk0 → Fe2+ aq . Le couplage de ces deux réactions est assuré par le transport de charge à travers le cristal qui s’effectue suffisamment facilement à température ambiante pour créer un courant faible. Des particules d’hématite beaucoup plus petites (30 m2 .g−1 ), synthétisées par précipitation en solution aqueuse, se comportent différemment et donnent lieu à un évident effet de taille. La sorption des ions ferreux induit aussi un transfert électronique interfacial FeII -FeIII et l’échange d’ions FeII avec la solution, mais la saturation intervient après la formation d’une monocouche. La sorption ultérieure d’ions FeII ion forme de l’hydroxyde ferreux (LareseCasanova 2007). Il semble que le transfert électronique FeII -FeIII ne puisse se produire au-delà de la première couche d’ions fer adsorbés. Il est possible que cette limitation soit due à un désordre de la surface qui entraîne l’incorporation de défauts qui bloquent la cristallisation épitactique de l’hématite (Larese-Casanova 2007, Rosso 2010) et/ou que les contraintes géométriques gênent le recouvrement orbitalaire permettant le transfert de charge FeII -FeIII (Sherman 1987). Il est aussi possible que pour des particules nanométriques, les diverses faces cristallines soient moins bien différenciées et que le gradient de champ électrique soit trop faible pour constituer la force motrice du processus. Le devenir des électrons injectés dans le solide dépend fortement de ses propriétés électroniques. La magnétite, qui est un semi-métal, peut se comporter en agent réducteur vis-à-vis de divers réactifs et former des phases non-stoechiométriques qui peuvent être à leur tour réduites par injection d’électrons : avec la maghémite γ-Fe2 O3 , les ions FeII sont sorbés en construisant une couche d’oxyde en épitaxie, (§ 7.3.2b), les électrons injectés étant délocalisés dans la bande de conduction. Avec un semi-conducteur comme l’hématite, les électrons prennent part à la dissolution réductive comme présenté ci-dessus. Les électrons peuvent aussi être localisés dans un piège tel un état de surface créé par exemple par un ligand fortement chélatant qui crée un complexe à fort couplage électronique ligand-surface et le phénomène de sensibilisation (§ 1.1.3c). Avec un isolant comme la goethite, le fer (II) adsorbé pourra réduire une espèce en solution au voisinage de la surface avec
Plus réducteur
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
Dissolution réductrice
E BC e-
EBC
Eg
Fe2+
eFe3+
Plus oxydant
EBV
223
Adsorption oxydante
Fe2+
3 2
1
Ox Red
Transfert Pièges électronique
Adsorption réductrice
BV
Fig. 5.26 – Schéma de différents devenirs de l’électron injecté dans la bande de conduction des oxydes de fer par adsorption oxydante d’ions ferreux en solution : 1. localisation dans un piège de la structure ; 2. réduction d’un oxydant (polluant) en solution ; 3. dissolution réductrice du solide (d’après Gorski 2011).
un pouvoir réducteur exalté (Silvester 2005, Handler 2009), par exemple CrVI (Deng 1996) ou l’arsenic (Amstaetter 2010). On peut schématiser en termes de structure électronique du solide le devenir des électrons injectés dans les divers oxydes de fer par l’adsorption des ions ferreux (Fig. 5.26) (Gorski 2011). Catalyse redox. Des cations divalents autres que les ions FeII peuvent être adsorbés sur des oxydes de fer et donner lieu à une réactivité redox exaltée. C’est par exemple le cas de l’oxydation des ions MnII par l’oxygène pour former la manganite selon la réaction : Mn2+ + 1/4 O2 + 3/2 H2 O → MnOOH + 2 H+ La réaction est extrêmement lente en phase homogène à pH < 8,5. En présence d’hématite, la réaction est d’autant plus accélérée que les particules sont petites (Madden 2005). Normalisée en surface spécifique, la vitesse de la réaction avec des particules de 37 et 7 nm de diamètre moyen (synthétisées par thermohydrolyse de solutions acides de nitrate ferrique, § 7.2.2) est d’un ordre de grandeur plus grand avec les particules les plus petites. L’accélération de la réaction peut être due à trois principaux effets : l’adsorption du cation MnII augmente son pouvoir réducteur par rapport à celui du cation en solution et abaisse l’enthalpie libre de la réaction (Werhli 1989,
224
De la solution à l’oxyde
Silvester 2005) ; la présence de défauts de surface plus nombreux sur les plus petites particules d’hématite favorise la stabilisation des ions MnIII fortement distordus par effet Jahn-Teller (Junta 1994, Madden 2006) ; l’augmentation du caractère base de Lewis des atomes d’oxygène de surface à mesure que la taille des particules décroît (Noguera 2002) qui favorise l’interaction avec les cations adsorbés. L’effet catalytique résulte de la plus forte adsorption des ions MnII sur les plus petites particules, ce qui abaisse l’énergie d’activation du transfert d’électrons entre les réactifs. De façon quelque peu surprenante, la même réaction d’oxydation des ions MnII en présence d’hématite est trouvée plus lente quand la taille des particules diminue (Chernyshova 2011a). L’étude a été conduite avec des particules de 7, 9 et 38 nm de diamètre obtenues par thermolyse de solutions acides de nitrate ferrique avec le même protocole que dans l’étude ci-dessus, et avec des particules commerciales de 150 nm. Les constantes de vitesse normalisées en surface spécifique sont sensiblement les mêmes dans les deux études, mais pour les plus grandes particules les résultats divergent, probablement à cause de différences dans le protocole expérimental et/ou dans le traitement des données cinétiques. Il semble plus probable que les particules commerciales et celles synthétisées au laboratoire doivent présenter des différences dans le type et l’état des facettes exposées. Le phénomène redox peut être néanmoins interprété au moyen d’un modèle électrochimique dans lequel les deux demi-réactions, oxydation et réduction, sont spatialement séparées et sont électriquement couplées par un transfert de charge à travers le sein ou sur la surface du solide (Chernyshova 2011a, b). Ainsi, au lieu du paradigme « chimique » basé sur le modèle du complexe activé qui suppose la proximité des partenaires redox sur la surface, c’est le changement de la structure électronique de la particule avec la diminution de taille qui détermine sa réactivité (électro)chimique (Fig. 5.27). Dans ce modèle, l’abaissement de réactivité résulterait de l’ouverture de la bande interdite (§ 1.1.3c). Elle est estimée à 2,18, 2,55 et 2,95 eV pour des nanoparticules d’hématite de 120, 38 et 7 nm respectivement (Chernyshova 2010). L’ouverture de la bande interdite est attribuée à l’affaiblissement de l’hybridation des orbitales 3d du fer et 2p de l’oxygène à cause des distorsions du réseau et de la relaxation de la distorsion trigonale des polyèdres de coordination des ions ferriques. Ainsi, l’élévation en énergie de la bande de conduction rend plus difficile l’injection d’électrons et ralentit la réaction redox. Ces considérations soulèvent à nouveau la question de l’effet de taille sur la structure électronique des solides semi-conducteurs, en particulier l’hématite pour laquelle des données contradictoires sont publiées (§ 1.1.3c). Bien qu’il soit théoriquement attendu un changement de structure électronique avec la diminution de taille, la diversité observée du comportement de certaines nanoparticules pourrait être due à des conditions de synthèse et de purification non optimisées, d’où des résultats non reproductibles.
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
(a) Ox1 Red2
e-
225
Produits Red1+Ox2 Site anodique
(c) Site cathodique
Catalyseur Red1+Ox2
(b) e-
Ox1 + eRed1 E°Ox1/Red1
Site Site anodique cathodique
eBC
Red2-eOx2 E°Ox2/Red2
EF
BV
Fig. 5.27 – Schémas du mécanisme chimique (a) et électrochimique (b) de la catalyse hétérogène de la réaction redox Ox1 + Red2 → Red1 + Ox2 . Le mécanisme chimique illustre le transfert de charge entre deux adsorbats à proximité Ox1 et Red2 tandis que le mécanisme électrochimique considère deux sites anodique et cathodique distincts. (c) Schéma du mécanisme électrochimique pour un semi-conducteur de type n (reproduit avec autorisation d’après Chernyshova 2011b c American Chemical Society).
5.4.4
Adsorption et énergie de surface : contrôle de la taille et de la morphologie des particules par l’acidité du milieu de synthèse
L’effet de l’adsorption sur l’énergie de surface de particules dispersées dans un électrolyte est exprimé par l’équation de Gibbs (Hunter 1987) : dγ = −(Σnsi /A)dμi = −ΣΓi dμi
(5.17)
Γi est la densité d’adsorption du constituant i (mol.m−2 ), A est la surface totale des particules et nsi représente le nombre d’entités i adsorbées sous le potentiel chimique μi . γ est l’énergie ou la tension interfaciale (interface solide/liquide). C’est l’énergie nécessaire pour accroître réversiblement et de façon isotherme la surface d’une quantité unitaire (Hunter 1987, Israelaschvili 1992). La tension de surface des solides finement divisés n’est pas, comme celle des liquides, directement mesurable mais elle peut être calculée (Dalal 1987, Ahmed 1966, 1969). Elle varie, pour les oxydes, de 50 à quelques centaines de mJ.m−2 . De très récents travaux mettant en œuvre l’élaboration de dispositifs potentiométriques analogues à des piles de concentration ont permis d’estimer une valeur de l’ordre de 0,35 J.m−2 pour des particules nanométriques d’oxyde de nickel (Croué 2012). En diminuant la tension interfaciale, l’adsorption permet l’extension spontanée de l’interface. Le phénomène est aisément observé avec des systèmes
226
De la solution à l’oxyde
labiles dans lesquels le changement de l’état de dispersion d’une phase dans l’autre ne met pas en jeu la rupture de liaisons fortes, tels les mélanges eauhuile (toluène, cyclohexane). L’eau et l’huile ne sont pas miscibles et les deux phases sont séparées par un interface plan de surface minimum avec une tension interfaciale, typiquement de l’ordre de 0,1 J.m−2 . L’introduction d’un agent tensioactif amphiphile, du dodécylsulfate de sodium par exemple qui s’adsorbe à l’interface eau-huile (la tête polaire -SO3 − de la molécule est solvatée par l’eau tandis que la chaîne aliphatique est en interaction avec l’huile) provoque l’émulsification spontanée parce que la tension interfaciale chute jusqu’à environ 10−3 à 10−4 Jm−2 et l’aire de l’interface peut s’étendre sans contrainte cinétique et sans augmentation de l’enthalpie libre du système. C’est le principe de la formation des microémulsions (Aveyard 1987, Israelaschvili 1992). Dans le cas des oxydes, l’effet de l’adsorption sur des particules déjà formées est difficilement perceptible parce que la stabilité des liaisons métal-oxygène confère au réseau cristallin une forte inertie chimique. On peut toutefois observer un tel effet à travers la variation de taille des particules précipitées à différents pH et forces ioniques ou en présence d’additifs variés (anions complexants, polymères, etc.). Une foison d’articles montre l’influence de ligands plus ou moins complexants pour réduire la taille des particules ou favoriser la croissance de faces cristallines particulières. L’acidité du milieu de synthèse intervient de façon semblable à la complexation sur le contrôle de la taille et/ou de la morphologie des particules. C’est le cas par exemple de la magnétite Fe3 O4 , du dioxyde de titane TiO2 (Fig. 5.28) ou encore de la boehmite γ-AlOOH (§ 6.3.1b). La variation de l’acidité et/ou de la force ionique du milieu de précipitation gouverne le taux de protonation/déprotonation des surfaces d’oxydes et par conséquent modifie leur composition chimique et leur densité de charge électrostatique. Il s’agit d’un effet d’origine thermodynamique qui provient de l’abaissement de l’énergie de surface du solide et qui peut atténuer voire éviter le phénomène de mûrissement d’Ostwald (Overbeek 1978, Stol 1980, Jolivet 2004). On peut évaluer semi-quantitativement l’abaissement de la tension interfaciale et interpréter certains changements morphologiques dus exclusivement à l’effet de l’acidité (Jolivet 2004). La protonation d’une surface d’oxyde (pH < PCN) provoque la variation de la tension interfaciale oxyde-solution comme l’indique l’équation de Gibbs (5.17) : (5.18) dγ = −ΓH dμH De manière similaire, l’effet de la déprotonation de la surface en milieu basique (pH > PCN) s’exprime selon : dγ = +ΓH dμH
(5.19)
(le signe + vient du fait que des protons sont désorbés. On pourrait considérer l’adsorption d’ions hydroxyles, mais ceux-ci ne sont pas réellement liés à la surface puisqu’ils forment de l’eau avec le proton neutralisé.)
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
227
D (nm) 10
t = 8 jours
D (nm) 11
6
t = 24 h
t=0 t=0
9 2 10 9 -2 σ (C.m ) -0,4
11
12
pH
0,6 0,3 0,1 NaNO3 (mol.l-1)
-0,3 -0,2
7 5 0,0
2
3 4
6 7
pH
0,1
-0,1 8
9
10
11 pH
0,2 σ (C.m-2)
(a)
(b)
Fig. 5.28 – Effet du pH sur la taille moyenne et sur la densité de charge de surface de particules de (a) magnétite Fe3 O4 (d’après Vayssières 1998) et (b) TiO2 anatase (d’après Pottier 2003). La taille des particules de magnétite est mesurée dès la précipitation et après 8 jours d’évolution en suspension (25 ◦ C, I = 0,5 M), la densité de charge de surface est mesurée à différentes forces ioniques. La taille moyenne des particules d’anatase est mesurée dès la précipitation et après 24 heures d’évolution en suspension (60 ◦ C). Pour évaluer la densité de sites chargés de la surface selon l’acidité du milieu, on considère qu’au minimum, deux types de sites acide-base différents M1 -OH et M2 -OH interviennent dans le renversement de charge de l’oxyde de part et d’autre du PCN (§ 5.1.2). Les équilibres de surface s’écrivent : (M1 − OH2 )δ1 +1 ⇔ (M1 − OH)δ1 + H+
(5.20)
(M2 − OH)δ2 + OH− ⇔ (M2 − O)δ2 −1 + H2 O
(5.21)
La charge de surface générée par les sites M1 et M2 est représentée sur la figure 5.29. La densité de charge nette de surface est donnée par : σ0 = (F/A)[(δ1 + 1)nM1 OH2 + δ1 nM1 OH + δ2 nM2 OH + (δ2 + 1)nM2 O ] (5.22) nx est le nombre de sites de type x par unité de surface.
228
De la solution à l’oxyde
σ
σ1 +
M1(OH2)δ1+1
M1(OH)δ1
pK2 pK1
σ2 +
σ1 -
PCN M2(OH)δ2 4
5
σ2 -
M2(O)δ2-1 6
7
8
9
10
11
pH Fig. 5.29 – Schéma de la variation de densité de charge de surface en fonction du pH (trait plein) pour deux couples acido-basiques de surface. On considère le cas où pH ≥ PCN et les pK des équilibres (5.20) et (5.21) suffisamment distincts, séparés par 2 à 3 unités de pH. On considère aussi pour la simplification que la charge de surface négative acquise à pH > PCN n’est due qu’à la déprotonation des groupes (M2 -OH) (δ 1 1, situation représentée sur la figure 5.29). La densité de charge est alors donnée par : σ0 = (F/A)[δ2 nM2 OH + (δ2 − 1)nM2 O ]
(5.23)
N2 représente le nombre total de sites actifs (N2 = nM2 OH + nM2 O ). La densité d’adsorption ΓH est donnée par : ΓH = nM2 O /A = (δ2 N2 /A) − (σ0 /F ) = (1/F )(σ2+ − σ0 )
(5.24)
+
σ 2 représente la densité de charge maximale acquise en milieu acide, à pH pK2 , σ 2 − celle acquise à pH pK2 . À l’équilibre, le potentiel chimique des protons adsorbés, égal à celui des protons en solution, est donné par : = μsolution = μ0 + RT lnaH = μ0 + RT ln[H + ] μsurface H H
(5.25)
aH est l’activité du proton en solution. D’après la constante de l’équilibre (5.21), il vient : [H + ] = K2 (nM2 OH /nM2 O ) exp(F ψ0 /RT ) ψ 0 est le potentiel électrostatique de surface.
(5.26)
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes Au moyen des relations nM2 OH (A/F )(σ2+ − σ0 ), on obtient :
et :
229
= (A/F )(σ0 − σ2− ) et nM2 O
=
[H + ] = K2 [(σ0 − σ2− )/(σ2+ − σ0 )] exp(F ψ0 /RT )
(5.27)
dμH = RT dln[(σ0 − σ2− )/(σ2+ − σ0 )] + F dψ0
(5.28)
L’introduction des relations (4.24) et (4.28) dans l’équation (4.19) donne alors : dγ = [(σ2+ − σ0 )/F ][F dψ0 + RT dln[(σ0 − σ2− )/(σ2+ − σ0 )] = (σ2+ − σ0 )dψ0 + (RT /F )(σ2+ − σ0 )dσ0 /(σ0 − σ2− )
(5.29)
L’intégration de l’équation (4.29) nécessite une relation entre le potentiel et la charge de surface. La loi de Nernst n’étant pas applicable aux oxydes, on utilise l’équation de Grahame (éq. (4.12)) : −σd = σ0 = psinh(F ψ0 /2RT ) avec p = 0, 0131(I)1/2
(5.30)
où ∈ est la constante diélectrique de l’eau dans la région interfaciale et I = (1/2)Σci zi2 est la force ionique. En dérivant cette équation, il vient : (5.31) dψ0 = (2RT /F )dσ0 / p2 + σ02 L’intégration de l’équation (5.29) avec γ = γ 0 pour σ 0 = 0 (pH = PCN) donne : Δγ = γ − γ0
= (RT /F )(2p + 2σ2+ sinh−1 (σ0 /p) − 2 p2 + σ02 + (σ2+ − σ2− )ln[1 − (σ0 /σ2− )]
(5.32)
Une expression similaire est obtenue pour l’adsorption de protons à pH < PCN quand la surface est globalement positivement chargée : Δγ = γ − γ0
= (RT /F )(2p + 2σ2− sinh−1 (σ0 /p) − 2 p2 + σ02 + (σ1+ − σ1− )ln[1 − (σ0 /σ1+ )]
(5.33)
Les équations (5.32) et (5.33) montrent bien que la tension interfaciale est maximum au PCN. Il faut toutefois garder à l’esprit que cette approche est très simplifiée et que d’autres facteurs doivent très certainement intervenir, en particulier la forte solvatation des surfaces chargées d’oxydes, la présence de contre-ions au voisinage de la surface, l’effet de la charge de surface sur la longueur des liaisons métal-oxygène, la géométrie de la surface et son rayon
230
De la solution à l’oxyde
mN m-1 0 10-3M
-2
KNO3 1M
KNO3 1M
10-1M 10-3M
-4 -6 Al2O3
ThO2 -8 3
5
7 PCN
9
11 pH
4
6
8
10
pH
PCN
Fig. 5.30 – Variation de l’énergie de surface avec le pH calculée à partir des courbes expérimentales σ = f(pH) à différentes forces ioniques pour ThO2 (reproduit avec c 2008 Canadian Science Publishing) et pour autorisation d’après Ahmed 1966 c American Chemical Al2 O3 (reproduit avec autorisation d’après Ahmed 1969 Society). de courbure. Malheureusement, il est très difficile de prendre en compte ces facteurs dont l’évaluation n’est pas connue. Le modèle permet néanmoins de clarifier l’effet de l’acidité comme paramètre majeur de la synthèse de nanoparticules d’oxydes. La variation de l’énergie interfaciale peut aussi être plus simplement calculée à partir de l’intégration des courbes expérimentales σ = f(pH) à différentes forces ioniques (Fig. 5.30) (Ahmed 1966, 1969). La variation est analogue à celle calculée au moyen des équations ci-dessus. Une forte réduction de la tension interfaciale oxyde-solution, qui peut tendre vers zéro voire devenir négative, est donc attendue à haute force ionique et avec un pH éloigné du PCN. (Une tension de surface négative correspondrait à des conditions d’acidité qui entraîneraient la dissolution de l’oxyde.) Dans ces conditions, la taille des particules diminue à mesure que la densité de charge de surface augmente comme on l’observe avec par exemple la magnétite Fe3 O4 (Vayssières 1998) et avec l’anatase TiO2 (Pottier 2003), le changement de taille des particules étant étroitement corrélée à la variation de la densité de charge de surface (Fig. 5.28). En outre, lorsque la surface est électrostatiquement saturée, le vieillissement d’Ostwald (§ 4.2.3) qui entraîne la réduction de l’aire de la surface par grossissement des particules n’a plus lieu. Il faut remarquer que l’abaissement de la tension de surface a aussi une
5. Chimie et physico-chimie de surface des oxydes
231
conséquence cinétique en favorisant la nucléation du solide (éq. (4.4)), ce qui contribue à la diminution de la taille des particules. Les particules de magnétite et d’anatase formées dans les conditions envisagées ci-dessus sont isotropes et leur forme quasi sphérique n’est pratiquement pas modifiée par le changement de taille parce que toutes les faces cristallines exposées ont sensiblement les mêmes caractéristiques physicochimiques et énergétiques. Il n’en est pas de même pour des particules anisotropes dont chaque type de face possède sa propre physicochimie. L’effet est bien mis en évidence avec la boehmite, γ-AlOOH, qui forme des plaquettes à cause de la structure bidimensionnelle du solide. Selon le pH de formation, les particules ont non seulement une taille différente mais elles comportent des proportions variables des faces latérales (§ 6.3.1b). La modélisation des propriétés acido-basiques des différentes faces de la boehmite permet, au moyen des équations (5.32) et (5.33) d’évaluer les variations d’énergie des différentes faces (Fig. 6.16) et de rendre compte du changement morphologique des particules (Jolivet 2004). On comprend dès lors que le contrôle précis des conditions de précipitation (pH, nature et valeur de la force ionique) permet de maîtriser, dans une certaine mesure, la taille et la morphologie des particules dans le domaine nanométrique, conjointement à l’utilisation de ligands qui ont la capacité d’être adsorbés sur des faces particulières (§ 6.3.1b) et de polymères dont l’adsorption est souvent moins sélective.
Chapitre 6 Alumines et aluminosilicates L’aluminium est le troisième élément le plus abondant dans la croûte terrestre (8,3 % en masse), après l’oxygène (45,5 %) et le silicium (27,2 %). Il forme dans la nature diverses phases oxygénées : hydroxydes Al(OH)3 , oxyhydroxydes AlOOH dont le principal minéral est la bauxite, ainsi que des oxydes, les alumines Al2 O3 . La variété α-Al2 O3 , le corindon, est le composant de diverses gemmes : saphir (Al2 O3 pur, parfaitement incolore), rubis (couleur rouge due à la présence d’ions Cr3+ ), saphir bleu (couleur due à la présence d’ions Ti4+ et Fe2+ ). La teneur des ions étrangers en substitution des ions Al3+ est de quelques pourcents. L’aluminium forme aussi de nombreuses phases naturelles en combinaison avec d’autres éléments, en particulier avec le silicium dans les aluminosilicates : feldspaths, argiles, zéolithes, allophanes et imogolites. Le cycle biogéochimique de l’élément implique de nombreux complexes de l’aluminium en solution (Pédro 2007, Sposito 1989).
6.1
Généralités
Les oxydes et oxy(hydroxy)des d’aluminium sont des matériaux ou des nanomatériaux utilisés dans beaucoup d’applications, par exemple comme phase active pour l’adsorption dans le traitement de l’eau, comme charge inerte en catalyse et charge active dans les polymères, comme matériau réfractaire pour objets de laboratoire et dans l’industrie céramique et encore comme abrasif (Castel 1990, Euzen 2002). L’alumine Al2 O3 est élaborée sous des formes très diverses (tubes, billes, fibres, poudres) pour de très nombreuses applications industrielles (matériel de laboratoire, membranes de filtration, roulements à billes, poudres fines pour supports de catalyseurs). La chimie structurale des oxy(hydroxy)des d’aluminium est riche. Il existe différents hydroxydes Al(OH)3 (gibbsite aussi nommée hydrargillite, bayerite et quelques autres polytypes telles la nordstrandite et la doyleite), des oxyhydroxydes AlOOH (boehmite et diaspore) et une série d’oxydes Al2 O3 nommés alumines « de transition ». Elles possèdent différents degrés d’hydroxylation et d’ordre des cations Al3+ dans le réseau oxygéné, selon leur
234
De la solution à l’oxyde
température de traitement. Elles se rattachent à différents types structuraux (γ, δ, θ, η, κ, etc.). Ces alumines de grande surface spécifique sont couramment rencontrées en catalyse, en particulier l’alumine γ de structure spinelle. L’alumine α (corindon) est la phase thermodynamiquement la plus stable des oxydes d’aluminium. Sa structure est fondée sur un empilement hexagonal compact d’atomes d’oxygène. Les alumines β sont des phases dont la structure, étroitement reliée à la structure spinelle, est stabilisée par l’incorporation d’ions alcalins tels Na+ ou K+ (Wells 1991). Ce chapitre rassemble les principaux aspects de la chimie de l’aluminium en solution aqueuse qui met en jeu les phénomènes de condensation et la formation de polycations et de nanoparticules. L’influence de différents paramètres sur la taille et la forme des particules est étudiée. La formation des aluminosilicates est brièvement abordée.
6.2
Hydroxylation et condensation en solution : les polycations
Les ions Al3+ forment en milieu acide des complexes aquo octaédriques [Al(OH2 )6 ]3+ . Du fait de la polarisation des molécules d’eau coordinées, ces complexes sont des acides et ils forment une série de complexes hydroxylés [Al(OH)h (OH2 )6−h ](3−h)+ , avec h variant de 0 à 4 selon le pH de la solution (Fig. 6.1a) (Baes 1976).
(a)
(b)
Fig. 6.1 – (a) Diagramme de spéciation de l’aluminium en solution diluée (d’après Baes 1976) et (b) spectres RMN 27 Al en solution des complexes de l’aluminium [Al(OH2 )6 ]3+ à pH 1, [Al13 O4 (OH)24 (OH2 )12 ]7+ (« ε-Al13 ») à pH 5 et [Al(OH)4 ]− à pH 12.
6. Alumines et aluminosilicates
235
Le complexe hexaaquo [Al(OH2 )6 ]3+ , stable jusqu’à pH ∼ 4, est moins acide que son homologue ferrique. Avec la même charge (+3) et malgré une plus grande taille (rVIFe3+ = 0,64 Å versus rVIAl3+ = 0,53 Å, Shannon 1976), les ions ferriques sont cependant plus fortement polarisants à cause de l’électronégativité plus forte du fer que de l’aluminium (1,72 versus 1,47 sur l’échelle d’Allred et Rochow). Le complexe correspondant à h = 4, [Al(OH)4 ]− (aluminate), est un anion totalement soluble en milieu fortement alcalin dans lequel l’aluminium est tétracoordiné, comme l’indique clairement la résonance à 80 ppm en RMN 27 Al (Fig. 6.1b). La réduction de coordinence de l’ion Al3+ qui intervient avec l’augmentation du taux d’hydroxylation s’explique par sa relative petite taille et par l’accroissement du transfert électronique ligand → métal. La demande électrophile du cation et par conséquent la polarisation des molécules d’eau dans l’hypothétique complexe [Al(OH)4 (OH2 )2 ]− sont ainsi abaissées et ces molécules de coordination deviennent des molécules de solvatation (§ 2.2). Les ions Al3+ ont aussi tendance à adopter facilement la coordinence tétraédrique dans le solide (oxydes de structure spinelle par exemple) et notamment lorsque les solides sont formés en milieu alcalin (zéolithes, argiles). Les ions Fe3+ peuvent aussi adopter la coordinence 4 dans le solide (magnétite, maghémite), mais plus rarement. En solution, le complexe tétraédrique [FeO4 ]5− n’existe qu’en milieu très fortement alcalin (Chap. 7). Les complexes hydroxylés cationiques de l’aluminium manifestent une forte tendance à la condensation et ils forment par olation des entités polynucléaires solubles. L’aluminate [Al(OH)4 ]− , complexe anionique tétrahydroxo qui pourrait se condenser par oxolation, ne le fait cependant pas facilement, bien que les ligands hydroxo soient fortement nucléophiles (basiques). En effet, le cation aluminium, fortement stabilisé dans son environnement hydroxo par d’intenses transferts ligand → métal, ne peut pas subir d’attaque nucléophile et le complexe reste monomère, sauf à concentration très élevée (≈ 6 mol.l−1 ) où un dimère a été identifié par spectroscopie infrarouge, Raman et RMN 27 Al (Moolenaar 1970). L’addition progressive de base dans une solution de chlorure ou de nitrate d’aluminium à température ambiante dans les conditions d’hydroxylation 0 < h ≤ 2,46 (pH ≤ 4) engendre les complexes aquohydroxo qui se condensent par partage d’arêtes d’octaèdres et forment une série de polycations (Fig. 6.2a) (Akitt 1988, Thompson 1987). Un dimère, un trimère et un tétramère, correspondant à des valeurs formelles de h = 1, 1,33 et 1,76 respectivement, sont globalement caractérisés par une résonance RMN 27 Al située autour de 4 ppm. Leurs quantités relatives varient avec le taux d’hydroxylation et sont à leur maximum vers h = 1. Seul le trimère [Al3 (OH)4 (OH2 )12 ]5+ a été caractérisé par titrage potentiométrique (Brown 1985). Les études de RMN 1 H, 17 O et 27 Al ont confirmé que le dimère di-μ2 hydroxo n’était pas formé en quantité détectable par neutralisation de solutions acides (Akitt 1988, Thompson 1987). Un sulfate du dimère,
236
De la solution à l’oxyde
h=1
h = 1,33
h = 1,75
[Al2(OH)2(OH2)8]4+ [Al3(OH)4(OH2)9]5+ [Al4O(OH)5(OH2)10]5+
150 100 50 0 -50 -100 δ ppm
%Al
(a)
(b)
100 monomère Al13
60 oligomères 20 h = 2,46 [Al13O4(OH)24(OH2)12]7+
150 100 50 0 -50-100 δ ppm
0
1
2
2,5
h
Fig. 6.2 – (a) Schémas structuraux des polycations de l’aluminium et spectres RMN 27 Al en solution ; (b) distribution des espèces en solution (reproduit d’après Akitt 1988 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). caractérisé par diffraction X, cristallise à partir de solutions sulfuriques (Johansson 1962), mais l’étude par RMN 27 Al montre que la dissolution des cristaux dans de l’eau pure entraîne la disparition du dimère au profit du monomère [Al(OH2 )6 ]3+ et d’un polycation trimère de structure inconnue (Akitt 1988). La quantité de ces oligomères diminue au-delà de h = 1 au profit du polycation [Al13 O4 (OH)24 (OH2 )12 ]7+ (« ε-Al13 ») (Fig. 6.2b). Cette espèce, de forme globalement sphérique, est formée de quatre trimères liés par des arêtes enfermant un treizième atome d’aluminium adoptant la coordinence tétraédrique (isomère ε de la structure dite « de Keggin ») (Fig. 6.2a) (Johansson 1963, Akitt 1988). Ce polycation, quantitativement formé pour h = 2,46, est caractérisé par une signature à 63 ppm sur le spectre RMN 27 Al due à l’aluminium central. Un autre pic assez large situé vers 9 ppm est caractéristique des atomes d’aluminium de la coquille en coordinence 6 fortement distordue. Les aires de ces pics sont dans le rapport 12/1. Le polycation Al13 n’est formé qu’avec les cations Al3+ et Ga3+ qui adoptent facilement les coordinences tétra- et octaédriques (Bradley 1990a, 1990b). On ne connaît pas l’analogue avec les cations Fe3+ et Cr3+ , tout au moins dans des conditions chimiques comparables (Bradley 1993). Le cluster Fe13 a été en effet synthétisé en présence de ligands fortement complexants (Murugesu 2005) ou en milieu non aqueux (Bino 2002). Cette singularité du comportement des ions Al3+ par rapport à ses congénères des éléments 3d,
6. Alumines et aluminosilicates
237
Cr3+ et Fe3+ , pour former un tel polycation, s’explique à partir de la structure électronique des trois éléments (§ 4.1.3). On peut interpréter la formation du polycation Al13 à partir de l’espèce trimère [Al3 (OH)4 (OH2 )9 ]5+ . Ce trimère, rencontré dans de nombreux systèmes car le plus apte de par sa géométrie à minimiser les répulsions électrostatiques entre les cations, peut constituer un intermédiaire pour la condensation ultérieure. Dans cette entité, l’atome d’oxygène du pont μ3 -OH établit trois liaisons avec les cations et la quatrième avec le proton. Le cation Al3+ , de petite taille, polarise plus fortement l’oxygène du pont μ3 -OH que celui des ponts μ2 -OH, d’où une plus forte acidité du pont μ3 -OH qui provoque sa dissociation selon : [Al3 (OH)4 (OH2 )9 ]5+ + H2 O → [Al3 O(OH)3 (OH2 )9 ]4+ + H3 O+ Les molécules d’eau en cis par rapport au pont μ3 -O sont aussi rendues plus acides que les molécules d’eau en trans par l’effet de polarisation (Fig. 6.3). La formation du ligand [H3 O2 ]− peut alors favoriser dans des conditions d’hydrolyse modérée (h < 2,6) la déprotonation des ligands aquo en cis : [Al3 O(OH)3 (OH2 )9 ]4+ + 3OH− → [Al3 O(OH)3 (O2 H3 )3 (OH2 )9 ]+ + 3H2 O Le pont μ3 -O du trimère est alors capable d’agir comme ligand nucléophile visà-vis d’un monomère h = 0 mais pour des raisons stériques, la coordinence 6 de l’élément central ne peut être satisfaite et l’aluminium adopte la coordinence tétraédrique. Il se forme finalement le complexe : [Al(OH2 )6 ]3+ + 4[Al3 O(OH)3 (O2 H3 )3 (OH2 )9 ]+ → [Al{Al3 O(OH)3 (O2 H3 )3 (OH2 )3 + }4 ]7+ + 6H2 O Les quatre trimères coordinés à l’atome d’aluminium central peuvent ensuite subir une condensation intramoléculaire par olation avec élimination des molécules d’eau en positions cis : [Al{Al3 O(OH)6 (OH2 )6 }4 ]7+ → [Al13 O4 (OH)24 (OH2 )12 ]7+ + 12H2 O Cette dernière étape permet d’assurer la stabilité du polycation. Elle est favorisée par chauffage vers 80 ◦ C de la solution d’aluminium hydrolysée à h = 2,6. C’est en effet dans ces conditions que sont détectés les signaux RMN caractéristiques du polycation (Thompson 1987). La distorsion des ions aluminium hexacoordinés est importante comme l’indique le signal très élargi, caractéristique d’un noyau quadripolaire en site octaédrique fortement distordu observé sur le spectre RMN-MAS du sulfate du polycation à l’état solide. Ce signal est très différent de celui observé sur les spectres de la même espèce en solution. Ce chemin réactionnel paraît en accord avec les études par RMN 1 H, 17 O 27 et Al de solutions d’aluminium modérément hydrolysées (Akitt 1988). Ces études montrent que seuls de petits oligomères, probablement des trimères,
238
De la solution à l’oxyde (a) -12H2O
-4H+ ligands aquo hydroxo oxo
[Al13O4(OH)24(OH2)12]7+
[Al3O(OH)3(O2H3)3(OH2)3]+
(b)
(c)
600 400 200 0 -200 -400 -600 δ ppm
Fig. 6.3 – (a) Chemin réactionnel possible de formation du polycation ε-[Al13 O4 (OH)24 (OH2 )12 ]7+ ; (b) cliché MEB et (c) spectre RMN-MAS 27 Al du sulfate du polycation (enregistré à 9,4 T, vitesse de rotation 15 kHz ; * bandes de rotation) (d’après Hernandez 1998). et le monomère se condensent directement sans que d’autres intermédiaires n’apparaissent au cours de la formation de Al13 . En outre, le diagramme de spéciation montre bien que les complexes hexaaquo coexistent avec les oligomères sur tout le domaine d’hydroxylation. L’étude de la formation du polycation analogue Ga13 par hydroxylation du chlorure et du nitrate de gallium, menée par RMN 71 Ga et EXAFS au seuil K du gallium (Michot 2000), semble en désaccord avec le chemin réactionnel suggéré ci-dessus pour l’aluminium. L’évolution temporelle et structurale des espèces en solution indique clairement que le polycation Ga13 est construit par association directe de trimères plans et d’un tétramère. Un tel mécanisme est en effet logiquement déduit des résultats expérimentaux et paraît en bon accord avec la spéciation du gallium. Les deux ions n’ont cependant pas le même comportement car le gallium, beaucoup plus électronégatif que l’aluminium (1,82 versus 1,47 sur l’échelle d’Allred et Rochow), est plus facilement hydrolysable. Le complexe [Ga(OH2 )6 ]2+ n’existe quasiment plus au-delà de h = 1 (Baes 1976, Michot 2000) tandis que le complexe hexaaquo de l’aluminium est encore présent en solution au-delà de h = 2, de sorte que la condensation qui aboutit à la formation du Ga13 ne peut s’effectuer qu’à partir des oligomères présents dans la solution.
6. Alumines et aluminosilicates
239
Les sites oxygénés du polycation ε-Al13 présentent une réactivité très différente vis-à-vis de l’échange isotopique avec 17 O, comme le montre l’étude par RMN 17 O de la dissolution du sulfate du polycation dans de l’eau enrichie en présence de BaCl2 (Rustad 2004, Casey 2006). Les 12 molécules d’eau sont instantanément échangeables (temps caractéristique τ 298 10−3 s) : le pic caractéristique du spectre RMN 17 O (20 ppm) apparaît instantanément et reste d’intensité constante. Les atomes d’oxygène μ4 -O sont en revanche inertes à la substitution. L’échange n’intervient que si le polycation est détruit par acidification et reconstruit par addition de base. Le pic caractéristique est alors situé à 55 ppm. L’échange sur les ponts μ2 -OH est caractérisé par un pic RMN à 35 ppm qui croît avec le temps avec une vitesse bi-exponentielle. Les ponts μ2 -OH correspondent à deux résonances non résolues et constituent deux groupes cinétiquement distincts (Fig. 6.4a). Les 12 ponts μ2 -OHb situés dans les groupes trimères sont échangeables lentement (τ 298 17 h) et les 12 autres, μ2 -OHa , qui assurent la liaison entre les groupes trimères, sont échangeables rapidement (τ 298 1 min). Le fait que les quatre sites μ4 -O ne soient pas substituables indique que l’échange de toutes les autres positions atomiques s’effectue sans dissociation complète du polycation, selon un schéma réactionnel illustré sur la figure 6.4. La thermolyse à 80 ◦ C pendant plusieurs jours de solutions de chlorure d’aluminium partiellement hydrolysé (h = 2,25) conduit à un polycation encore plus grand [Al30 O8 (OH)56 (H2 O)24 ]18+ (« Al30 ») (Fig. 6.5). Cette espèce dont l’existence avait été soupçonnée depuis longtemps (Fu 1991) a été caractérisée structuralement plus tardivement (Allouche 2000, Rowsell 2000).
μ2-OH
b
μ2-OH
a
μ4-O (a)
(b)
(c)
(d)
Fig. 6.4 – Forme stable du polycation ε-Al13 (a) et étapes de l’échange isotopique de l’oxygène des ponts μ2 -OHa représentés dans la zone en pointillés : (b) dissociation des liaisons avec le pont μ4 -O ; (c) rupture du pont μ2 -OH ; (d) formation d’un pont H3 O2 − par addition d’une molécule d’eau. La déshydratation du pont entraîne l’échange du pont hydroxyde avec une probabilité de 50 % (reproduit avec c American Chemical Society). autorisation d’après Casey 2006
240
De la solution à l’oxyde
ε-Al13
Al30 80 (a)
40 0 δ ppm (b)
-40
200 160 120 80 40
0 -40 -80 -120 -160 -200
δ ppm (c)
Fig. 6.5 – (a) Structure du polycation [Al30 O8 (OH)56 (H2 O)24 ]18+ ; (b) spectres
RMN 27 Al des espèces Al13 et Al30 en solution (d’après Fu 1991) et (c) spectre RMN MAS 27 Al du sulfate Al30 (SO4 )9 ,xH2 O (130,3 MHz, rot 5 kHz) (* bandes de c American Chemical rotation) (reproduit avec autorisation d’après Rowsell 2000 Society).
De façon étonnante, le polycation est formé de deux parties δ-Al13 connectées par un anneau de quatre octaèdres AlO6 liés entre eux par des sommets. La forme δ-Al13 est un isomère de la structure de Keggin dans lequel trois des groupes trimères sont connectés par des arêtes et le quatrième par des sommets (Fig. 3.28). Cette espèce possède une résonance RMN 27 Al spécifique à 70 ppm, correspondant aux deux ions aluminium en coordinence tétraédrique. La formation du polycation Al30 , (h = 2,25) qui provient de la thermolyse de la solution d’Al13 (h = 2,45), résulte en fait de l’acidification du système provoquée par la thermolyse. On peut donc comprendre qu’une décondensation partielle a lieu transitoirement menant à la production de quelques monomères et simultanément au réarrangement du polycation avec conservation des sites tétraédriques durant tout le processus. Ce mécanisme a été clairement établi par RMN 27 Al au cours de la cinétique de transformation d’une solution d’Al13 par chauffage (Fu 1991) (Fig. 6.6). Le fait remarquable dans cette transformation est l’isomérisation des fragments Al13 . Elle correspond à la rotation de 30◦ d’un des quatre groupes trimères de ε-Al13 qui devient lié aux autres trimères de la coquille par des sommets (isomère δ de la structure de Keggin). C’est à ce groupe que sont liés trois des quatre monomères constituant la partie centrale du polycation, l’un par trois arêtes et deux autres par des sommets (Fig. 6.5).
6. Alumines et aluminosilicates
241
130 h h g e a
90
60
30
0
b
c
d
38 h
f
18 h
6h
-30
δ ppm Fig. 6.6 – Spectres RMN
27
Al (130,3 MHz) montrant l’évolution thermique d’une solution de Al13 Cl7 (0,035 mol.l−1 ) à 85 ◦ C (reproduit avec autorisation d’après Fu c American Chemical Society). 1991
300
200
100
0
-100 -200 -300
δ ppm (a)
(b)
(c)
Fig. 6.7 – Structure du groupement α-Al13 dans la zunyite (a) ; connexion des groupements Al13 dans le cristal par les pentamères siliciques (en gris foncé) et par les ponts Al-O-Al ; (c) spectre RMN 27 Al MAS (11,7T) de la zunyite (reproduit d’après Dirken 1995 avec autorisation de The Mineralogical Society of America).
Il est intéressant de remarquer qu’un autre isomère du groupement Al13 , la forme α dans laquelle les quatre trimères sont reliés par des sommets, existe dans la zunyite Al13 Si5 O20 (OH,F)18 Cl (Fig. 6.7). Ce minéral est présent dans des schistes argileux issus de l’altération hydrothermale des roches volcaniques. Il peut être synthétisé dans les conditions hydrothermales (350-400 ◦ C, 0,1 kbar) à partir du mélange de gibbsite, fluorure et chlorure d’aluminium et gel de silice (Baumer 1974), la présence de fluor en
242
De la solution à l’oxyde
substitution d’ions hydroxyle étant indispensable (Baumer 1968, Konta 1961). Dans le cristal, les unités α-Al13 (Al13 O16 OH24 ) sont reliées entre elles d’une part par des pentamères siliciques (Si5 O16 ) fixés sur les ponts μ2 des trimères et d’autre part par des ponts Al-O-Al formés à partir des liaisons Al-OH terminales des mêmes trimères (Louisnathan 1972) (Fig. 6.7b). Ce groupement possède une signature RMN 27 Al à 71,4 ppm caractéristique de l’aluminium tétraédrique central et à 7,7 ppm pour les atomes d’aluminium hexacoordinés (Dirken 1995) (Fig. 6.7c). Dans les trois formes ε, δ, α du groupement Al13 , la résonance RMN caractéristique de l’aluminium tétracoordiné passe de 63 à 71,4 ppm à mesure que la distance moyenne Al-O diminue : 63 ppm pour ε-Al13 , dAl−O 1,833 Å, 70 ppm pour δ-Al13 , dAl−O moyen 1,812 Å et 71,4 ppm pour α-Al13 , dAl−O 1,800 Å. Cet effet est corrélé au nombre de groupements trimères partageant des sommets autour de l’aluminium tétraédrique central et il semble que le partage de sommets par un trimère avec ses voisins soit provoqué par sa propre coordination à d’autres entités, tels des octaèdres aluminiques qui assurent la jonction entre groupements Al13 dans le polycation Al30 ou des tétraèdres siliciques dans le cristal de zunyite, alors que les unités ε-Al13 dans le cristal de sulfate ne sont reliées aux anions sulfate que par des interactions électrostatiques. Il semble donc que la coordination d’espèces diverses à un trimère impose sa liaison par sommets aux autres trimères dans le groupement Al13 afin d’assurer la stabilité du polycation. Ce mode de liaison permet peut-être la relaxation de la distorsion du polyèdre de coordination des ions Al3+ octaédriques au sein du trimère « complexé ». Il est à remarquer que l’adsorption du polycation Al13 sur des particules d’oxyde de fer entraîne sa décomposition, ce qui montre sa fragilité vis-à-vis de la coordination (§ 5.4.2). Quelques autres polycations de l’aluminium sont obtenus dans des conditions de synthèse inhabituelles. Il s’agit de l’octamère [Al8 (OH)14 (H2 O)18 ]10+ (h = 1,75) (Fig. 6.8a) formé par cristallisation du sulfate après attaque d’aluminium métallique par l’acide sulfurique en présence de faible quantités de mercure (Casey 2005) et du polycation plan [Al13 (OH)24 (H2 O)24 ]15+ (h = 1,84) (Fig. 6.8b) constitué de 13 ions Al hexacoordinés connectés par des arêtes et des sommets (Seichter 1998). Ce polycation, cristallisé sous la forme du chlorure hydraté [Al13 (OH)24 (H2 O)24 ]Cl15 ·13 H2 O, est obtenu après plusieurs jours de vieillissement d’une solution concentrée de chlorure basique d’aluminium (Breuil 1965, Walter-Levy 1962). L’utilisation de ligands aminocarboxylates, en particulier le ligand « heidi », N(CH2 CO2 H)2 (CH2 CH2 OH), permet de former un dimère et le tridécamère plan dans des solutions de rapport Al/heidi = 1/2 à pH 4,3 et Al/heidi = 2/1 à pH 5 respectivement (Jordan 1996). En fait, le ligand heidi, tétradentate, assure à lui seul la condensation des ions Al3+ dans le dimère par la formation de ponts μ3 -O (Fig. 6.8c). À pH plus élevé, il est en concurrence avec les ligands hydroxo et n’est plus coordiné qu’en périphérie du polycation plan Al13 dont le cœur est de type trihydroxyde d’aluminium (Fig. 6.8d).
6. Alumines et aluminosilicates
243
(a)
(b) N O
C OH
Al
O
C
N Al
(c)
(d)
Fig. 6.8 – Schéma structuraux des polycations (a) [Al8 (OH)14 (H2 O)18 ]10+ c American Chemical Society) ; (reproduit avec autorisation d’après Casey 2005 (b) [Al13 (OH)24 (H2 O)24 ]15+ (d’après Seichter 1998) ; (c) [Al(heidi)(H2 O)]2 , 2H2 O et (d) [Al13 (μ3 -OH)6 (μ2 -OH)12 (heidi)6 (H2 O)6 ]3+ (reproduit d’après Jordan 1996 avec autorisation de Elsevier).
6.3
Formation des phases solides
La formation du solide s’effectue à partir de complexes de charge nulle, ce qui correspond formellement à des complexes h = 3 de l’aluminium. En fait, en raison des équilibres entre diverses espèces en solution, le solide apparaît dès le taux d’hydroxylation global d’environ h = 2,5, c’est-à-dire juste au-delà du domaine d’existence du polycation ε-Al13 . Les précurseurs des phases solides sont toujours des complexes non chargés aquo-hydroxo ou oxo-hydroxo, mais d’autres ligands peuvent aussi participer à la sphère de coordination du
244
De la solution à l’oxyde
cation. Si de tels ligands sont fortement complexants (fortement basiques), ils peuvent être incorporés avec une stœchiométrie et des positions cristallographiques bien définies dans le solide que l’on nomme « sel basique ». C’est typiquement le cas des aluminosilicates. Un ligand plus faiblement complexant ne sera pas présent dans le solide final mais il pourra cependant jouer un rôle très important dans la formation du solide durant les étapes transitoires de la précipitation. Le processus mis en œuvre dans la formation du solide, par exemple l’alcalinisation directe (addition de base dans la solution du cation), la thermolyse ou le recours à des conditions hydrothermales ou encore au chauffage micro-onde a aussi une forte influence sur les caractéristiques du solide obtenu. En raison de l’intérêt technologique des « alumines » dans des domaines très variés (minéralogie et géochimie, céramiques, pharmacie, catalyse hétérogène, etc.), le gel aluminique obtenu dans diverses conditions a donné lieu à de très nombreuses études de caractérisation et à une abondante littérature dans les années 1940-1980. L’avènement des techniques de diffraction et diffusion des rayons X et surtout la RMN de l’aluminium ont permis depuis des avancées considérables.
6.3.1
Hydroxydes, oxyhydroxydes et oxydes d’aluminium
a) Hydroxylation par addition de base à température ambiante L’alcalinisation avec de la soude ou de l’ammoniaque du chlorure ou du nitrate d’aluminium en solution jusqu’à pH 6 à 8 forme quasi-instantanément un gel transparent, amorphe par diffraction des rayons X. Le spectre RMN 27 Al du gel présente un signal large centré à ∼ 0 ppm relatif à la coordinence 6 des ions aluminium et aucun pic détectable à 63 ppm caractéristique de l’espèce Al13 (Hernandez 1998) (Fig. 6.9). L’étude par diffusion des rayons X aux petits angles et par RMN 27 Al du gel obtenu par alcalinisation d’une solution d’Al13 préalablement formé en solution montre
(a)
(b)
10
(c)
30
50 2θ
70
400 200 0 -200 -400 δ ppm
Fig. 6.9 – Image MET (a), diagramme de diffraction X (b) et spectre RMN
27
Al (c) du gel aluminique fraîchement préparé par alcalinisation à pH 6 du nitrate d’aluminium. (La flèche sur le spectre RMN indique la position du pic relatif à l’aluminium central téracoordiné du polycation Al13 ).
6. Alumines et aluminosilicates 300 nm
245
log[Alx(OH)y] 1,1 1,2
-2 -4
13,32
-6 -8
1,3 3,4 2,21,0
2
4
100 nm
1,4
6
8 pH
10
12
Boehmite
Gibbsite
Bayerite
50 nm
Fig. 6.10 – Diagramme de solubilité de l’aluminium (les espèces solubles sont désignées sous la forme (x, y) correspondant à la composition [Alx (OH)y ] ; la ligne en gras représente la somme de toutes les espèces en solution). Clichés MET et structures des phases obtenues après vieillissement du gel aluminique à température ambiante et à différents pH (gibbsite à pH < 5, boehmite à 5 < pH < 8, bayerite à pH > 8) (d’après Hernandez 1998.)
qu’il est constitué d’agrégats de clusters qui se densifient progressivement et toute trace du polycation est rapidement perdue (Bottero 1987). En règle générale, les polycations formés transitoirement durant l’alcalinisation progressive de la solution sont rapidement détruits au-delà de leur domaine d’acidité de formation et ces espèces ne peuvent donc être impliquées comme building blocks ou briques de construction dans la formation du solide. Le gel aluminique, fortement métastable, évolue selon différents chemins réactionnels en fonction de l’acidité du milieu pendant le vieillissement. À 5 < pH < 8, le gel se transforme lentement mais spontanément en très petites particules de boehmite, γ-AlOOH (Fig. 6.10). La solubilité de l’aluminium étant très faible à ce pH (de l’ordre de 10−6 mol.l−1 ), la transformation et la structuration procèdent in situ par déshydratation et réarrangement local à l’état solide. Cela explique la très petite taille des particules (la structuration ne peut s’effectuer sur de grandes distances) et par conséquent la très grande surface spécifique du solide (de l’ordre de 300 m2 .g−1 ), et aussi le fait que la phase obtenue ne soit pas la phase la plus stable thermodynamiquement à température ambiante. À pH < 5 ou pH > 8, la solubilité de l’aluminium est plus élevée et la transformation du gel peut par conséquent s’effectuer par un processus de dissolution-cristallisation qui conduit à l’hydroxyde Al(OH)3 , la phase thermodynamiquement stable à température ambiante (Fig. 6.10). La structure du solide est formée de couches d’octèdres Al(OH)6 assemblés par trois de leurs
246
De la solution à l’oxyde
H 2O H2O
(a) Ligands hydroxo
(b)
, aquo
(c) Fig. 6.11 – Schéma d’un chemin réactionnel possible de formation des feuillets Al(OH)3 par redissolution-cristallisation à partir du gel aluminique amorphe. arêtes (Fig. 6.10 et 6.11c). On peut interpréter la formation d’une telle structure par la condensation des complexes octaédriques [Al(OH)3 (OH2 )3 ]0 ou tétraédriques [Al(OH)3 (OH2 )]0 en équilibre avec les autres complexes chargés libérés en solution par le gel amorphe au cours du vieillissement à pH < 6 ou > 8 respectivement. Des dimères constituant le premier stade de la condensation peuvent se former par olation ou, en milieu basique, par addition nucléophile et extension de coordinence (Fig. 6.11a, b). Leur condensation ultérieure, toujours par olation, peut alors former directement les plans caractéristiques de la structure. Le processus est analogue à celui décrit pour la formation des feuillets brucitiques (Chap. 4), mais avec des lacunes cationiques compte tenu de la stœchiométrie du solide, M(OH)3 au lieu de M(OH)2 . Les interactions par liaison hydrogène assurent l’empilement des feuillets et la cohésion de la structure. Le vieillissement du gel forme ainsi la bayerite à pH > 8 et la gibbsite à pH < 5. La précipitation des deux phases est d’autant plus lente que le pH est élevé (bayerite) ou bas (gibbsite), en raison de l’effet de l’acidité du milieu sur la concentration des complexes de charge nulle. Toutefois, la bayerite précipite relativement beaucoup plus rapidement que la gibbsite (une semaine à pH 10 et à température ambiante pour la bayerite, plusieurs mois à pH 4,5 à température ambiante ou 15 jours à 60 ◦ C, pour la gibbsite) (Hernandez 1998). La gibbsite est thermodynamiquement légèrement plus stable à température ambiante que la bayerite (Digne 2002b, Gale 2001). Ces deux phases cristallines sont formées par différents modes d’empilement des mêmes couches Al(OH)3 (Fig. 6.10). Dans la bayerite, les couches successives ont la même orientation (empilement ABAB des plans d’atomes d’oxygène), tandis que dans la gibbsite, les couches successives sont décalées d’une rotation de 30◦
6. Alumines et aluminosilicates
247
(empilement ABBA des plans oxygénés). La précipitation avec l’ammoniaque ou l’éthylène diamine conduit à la nordstrandite dont la structure est intermédiaire entre celles de la gibbsite et de la bayerite, avec l’empilement ABABBABA des plans oxygénés. Les plaquettes de bayerite sont en général fortement agrégées et elles forment diverses morphologies, cylindres et cônes, selon les conditions de synthèse (pH, vitesse d’addition des réactifs, durée de la précipitation) (Lefèvre 2003) tandis que les particules de gibbsite ne sont pas ou peu agrégées et elles peuvent former des dispersions stables après vieillissement du gel aluminique. Cette différence morphologique n’est pas clairement comprise (Schoen 1970). Bien que les mêmes couches d’octaèdres soient mises en jeu dans les deux cas, leurs types d’empilement peuvent résulter, selon le pH, d’un système particulier de liaisons hydrogène intra- et inter-couches (Digne 2002b). Ce peut aussi être le cas pour la nordstrandite et la doyleite (un polytype intermédiaire entre la gibbsite et la nordstrandite) qui sont des phases Al(OH)3 plus rarement rencontrées (Demichellis 2009). La stabilisation des particules de gibbsite vis-à-vis de l’agrégation à pH ≈ 5 pourrait provenir de l’adsorption de polycations, en particulier Al13 , formés en solution dans ces conditions d’acidité lors de la dissolution partielle du gel et en équilibre avec le solide. Il a été observé en effet que des particules d’oxyde de fer (goethite et hématite) pouvaient être stabilisées en suspension aqueuse par adsorption du polycation Al13 à pH 5 (§ 5.4.2) (Hernandez 1998). L’adsorption entraîne la destructuration du polycation mais les fragments adsorbés conservent la charge électrostatique qui permet la stabilisation en suspension des particules et évitent leur agrégation. Un mécanisme semblable pourrait se produire avec les particules de gibbsite, mais l’identification et la caractérisation de polycations de l’aluminium sur une surface d’hydroxyde d’aluminium sont évidemment difficiles. L’acidification de solutions d’aluminate [Al(OH)4 ]− conduit aussi à l’hydroxyde Al(OH)3 . En solution diluée d’aluminium (< 1 mol.l−1 ) et de soude (pH ≤ 14), on obtient la bayerite tandis qu’en milieu concentré, il se forme la gibbsite (Phambu 1996, Li 2005) (Fig. 6.12). En fait, la gibbsite est thermodynamiquement légèrement plus stable que la bayerite et cette dernière phase, par ailleurs rarement observée dans la nature (Schoen 1970, Bentor 1963), précipite seulement dans une zone de pH comprise entre environ 8 et 12. Elle se transforme en gibbsite par vieillissement en suspension. La gibbsite est formée dans le procédé Bayer de production industrielle d’alumines. Le procédé est basé sur le traitement des bauxites en milieu très fortement alcalin (concentration en soude de 3 à 6 mol.l−1 ) et à température entre 140 et 300 ◦ C en autoclave en acier (Hind 1999, Misra 1971). L’aluminium est solubilisé sous forme d’aluminate [Al(OH)4 ]− , ce qui permet la séparation des impuretés insolubles, notamment l’oxyde de fer qui est à l’origine de la couleur rouge du minerai. La solution est ensuite refroidie vers 70-45 ◦ C, diluée et ensemencée pour précipiter la gibbsite. La morphologie des particules obtenues avec le procédé Bayer est très différente de celles formées en milieu
248
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
1 μm
1 μm
50 μm
(c)
Fig. 6.12 – Clichés MEB de particules (a) de bayerite formée à pH 9,4 et c American Chemi(b) à pH 10,4 (reproduit avec autorisation d’après Lefèvre 2003 cal Society), (c) de gibbsite formant des agglomérats désordonnés obtenue selon le procédé Bayer (cliché aimablement fourni par Mathieu Siebentritt, ENSCP, Paris).
acide, vers pH 4-5. L’ensemencement est destiné à former de grosses particules mais leur morphologie peut être très variable. Elle dépend de la nature des cations alcalins présents dans le milieu et aussi des conditions du milieu de synthèse (basicité, concentration en aluminate, température, etc.). Certaines morphologies semblent résulter de divers assemblages de petits hexagones et losanges qui forment de grosses particules prismatiques maclées en mettant en jeu différents méchanismes : arrangement orienté, aggrégation, dissolutionrecristallisation (Sweegers 2001, Freij 2005) (Fig. 6.13). b) Thermohydrolyse L’hydroxylation en solution par thermolyse à 95 ◦ C du nitrate d’aluminium forme la boehmite, γ-AlOOH, la phase thermodynamiquement stable sur tout le domaine d’acidité à cette température (Poisson 1987) (Fig. 6.14), mais la morphologie et la taille des particules dépendent fortement de l’acidité du milieu (Jolivet 2004, Chiche 2008). Les particules formées dans ces conditions, avec une surface spécifique de l’ordre de 100 m2 .g−1 , sont plus grosses que celles issues de l’évolution du gel aluminique à température ambiante à pH d’environ 8. La microscopie électronique et la modélisation des diagrammes de diffraction des rayons X (Chiche 2008) montrent des plaquettes avec différentes extensions des faces latérales (Fig. 6.15). Le changement de forme des particules de boehmite s’explique par l’effet de l’acidité du milieu de synthèse sur l’énergie de surface des particules. En effet, la protonation/déprotonation des groupes oxygénés de surface entraîne le changement de composition chimique de la surface et par conséquent modifie l’énergie de surface (§ 5.4.4). La densité de charge électrostatique de surface traduit le changement de l’état de protonation/déprotonation de la surface par rapport au point de charge nulle (pH ≈ 8). Il s’ensuit que plus la densité
6. Alumines et aluminosilicates
249
(a)
(b)
1 μm
10 μm
(c)
(d)
10 μm Fig. 6.13 – Images MEB de particules de gibbsite obtenue selon le procédé Bayer : hexagones facettés avec des tailles de quelques micromètres (a) et quelques dizaines de micromètres (b), cristaux en forme de blocs (c) et cristaux avec de grandes faces comportant des chanfreins (d) (reproduit d’après Sweegers 2001 avec autorisation de Elsevier).
T°C < 100 m2/g
100
γ-AlOOH 50 Al(OH)3 5
Al(OH)3
300 m2/g 7
9
11
pH
Fig. 6.14 – Schéma du diagramme de phase des (oxy)hydroxydes d’aluminium.
250
De la solution à l’oxyde
100 nm
50 nm
4-5
25 nm
6-7
11 - 12
pH
σ ≈ +0.20 Cm-2 (a)
σ ≈ +0.05 Cm-2
σ ≈ -0.15 Cm-2
γhkl (J.m-2) PCN
{101} 0,8 {100}
{001}
0,6
{010}
(b)
0,4
4
6
8
10
12 pH
Fig. 6.15 – (a) Images MET de différentes morphologies de boehmite obtenues par thermolyse à 95 ◦ C du nitrate d’aluminium à différents pH : fibres formées par empilement de petites plaquettes à pH 4, chaînes de petites plaquettes à pH 6, larges plaquettes à pH 11. Les formes des particules sont déduites de la simulation des diagrammes de diffraction des rayons X (reproduit avec autorisation d’après Chiche c American Chemical Society). Les densités de charge de surface mesurées 2008 par titrage acide-base sont indiquées pour chaque type de particules. (b) Variations calculées de l’énergie de surface de différentes facettes de particules de boehmite avec le pH du milieu, au moyen des équations (5.32) et (5.33) (§ 5.4.4). Les courbes sont positionnées en énergie avec les valeurs de γ 0 des surfaces non chargées obtenues par simulation ab initio (Raybaud 2001). Le maximum des courbes (flèches) correspond au point de charge nulle (PCN) (reproduit d’après Jolivet 2004 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
6. Alumines et aluminosilicates
251
150 002
130 131 022 151 060 132 200 371
021
020
de charge électrostatique est importante en valeur absolue, c’est-à-dire plus le pH est éloigné du point de charge nulle, plus l’abaissement de l’énergie de surface est important et plus le développement de la surface correspondante est énergétiquement favorisé. Dans le cas de la boehmite, la charge électrostatique est portée par les faces latérales, faces {001}, {101}, {100} qui ont l’énergie la plus forte mais variable, tandis que les faces basales {010} qui ne sont jamais chargées ont l’énergie de surface la plus faible et indépendante du pH (Fig. 6.15b). Par conséquent, à mesure que le pH de synthèse est éloigné du point de charge nulle, les particules sont formées avec une diminution de l’énergie des faces latérales qui favorise l’extension relative des faces {101}. L’augmentation de la taille globale des particules est due au fait que les faces basales qui possèdent la plus faible énergie peuvent accompagner la croissance des faces latérales sans pénalité énergétique (Jolivet 2004). Des molécules organiques, tels des polyols et des acides carboxyliques, présentes dans le milieu de synthèse influencent aussi la forme et/ou la taille des nanoparticules de boehmite. Le pouvoir complexant de ces molécules ou « additifs » ne doit pas être trop marqué afin de ne pas former de sels basiques ou de structures complexes telles les alumoxanes, composés hybrides formés par réaction de la boehmite avec des acides carboxyliques (Callender 1997). L’effet d’un polyol, le xylitol C5 H7 (OH)5 , sur la synthèse de la boehmite a été finement caractérisé (Chiche 2009). La présence du polyol (10−2 mol.l−1 ) dans la solution de nitrate d’aluminium (10−1 mol.l−1 ) à pH 11,5 thermolysée à 95 ◦ C pendant une semaine entraîne la diminution de la taille des particules sans changement significatif de la morphologie, mais avec l’augmentation sensible de l’aire des faces latérales du type {101} par rapport à celle des faces basales {010} (Fig. 6.16). Le rapport aires latérales/aires basales est quasiment doublé, il passe de 0,9 à 1,7, entre les synthèses sans et avec xylitol
152 221
(a) (b)
10
30
50
70
(010) (101)
(101)
2θ
Fig. 6.16 – Diagrammes de diffraction des rayons X de particules de boehmite synthétisés à pH 11,5 sans (a) et avec (b) du xylitol, et représentation de la morphologie des particules (reproduit d’après Chiche 2009 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
252
De la solution à l’oxyde
H
O
Face {010}
H O Al Eads(0K) = -87 kJ mol-1
Face {101}
Face {001}
Face {100}
H
Al
O Eads(0K) = -118 kJ mol-1
Eads(0K) = -121 kJ mol-1
Eads(0K) = -77 kJ mol-1
Fig. 6.17 – Représentations des configurations calculées les plus stables de la molécule de xylitol adsorbée sur différentes faces de la boehmite. Les traits interrompus définissent les cavités des faces de la boehmite et les traits pointillés indiquent la courbure locale (reproduit d’après Chiche 2009 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.) respectivement. Dans les conditions de la synthèse, le xylitol adsorbé couvre environ 6 % de la surface des particules. L’isotherme d’adsorption du xylitol sur la boehmite indique une constante d’adsorption assez faible qui suggère l’adsorption de type « moléculaire », c’est-à-dire sans réaction de coordination avec substitution de ligand des ions Al3+ . L’adsorption de la molécule résulte d’une combinaison d’interactions par liaisons hydrogène intra- et inter-moléculaires avec les ligands μ2 -OH de la surface, comme l’indique la modélisation DFT de l’énergie de surface (Fig. 6.17). La modélisation montre que l’adsorption est privilégiée sur les faces latérales {010} et {001} des particules par rapport à celle sur les faces basales, car les faces latérales présentent des cavités dans lesquelles la molécule de xylitol est davantage stabilisée en établissant des liaisons hydrogène tout le long de la courbure de la surface, tandis que les faces basales plus plates ne peuvent mettre en jeu que des interactions dans le même plan (Fig. 6.17). On comprend ainsi pourquoi le xylitol s’adsorbe préférentiellement sur les faces latérales des plaquettes de boehmite et provoque leur changement morphologique. L’effet du polyol est d’autant plus prononcé que sa taille est importante. Ainsi, des molécules linéaires allant de C2 (éthylène-glycol) à C6 (dulcitol) provoquent l’augmentation de la surface spécifique de 180 à 350 m2 .g−1 , ce qui correspond à des plaquettes allant de 12 nm de largeur et 6 nm d’épaisseur, à 6 nm de largeur et 4 nm d’épaisseur (Chiche 2011)
6. Alumines et aluminosilicates
253
S m2g-1 400
350 300 250 200 150
0
1 2 3 4 5 Nombre de groupes OH
6
Fig. 6.18 – Surface spécifique de particules de boehmite synthétisées à pH 11,5 et thermolysées à 95 ◦ C pendant une semaine en absence et en présence de polyols Cn Hn+2 (OH)n de longueur croissante, de C2 à C6 (reproduit d’après Chiche 2011 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
(Fig. 6.18). Sans polyol, la taille moyenne des particules est de 15 nm sur 6,5 nm. Dans tous les cas, les faces latérales {101} des plaquettes sont prédominantes et leur proportion croît avec la taille du polyol. La structure moléculaire du polyol joue aussi un rôle car les configurations thréo (les fonctions OH se trouvent du même côté de la molécule, schéma 6.1) qui peuvent se comporter comme un ligand tridentate sont plus efficaces que les configurations érythro dans lesquelles les groupes OH se trouvent de part et d’autre de la chaîne carbonée de la molécule. Des effets semblables à ceux produits par
Schéma 6.1 –
254
De la solution à l’oxyde
les polyols ont été remarqués avec la gibbsite formée dans les conditions du procédé Bayer (Paulaine 2003). Le traitement hydrothermal de suspensions de sels d’aluminium en présence de surfactants produit d’autres morphologies de nanoparticules de boehmite : nanofibres par chauffage à 120 ◦ C en présence de polyoxyde d’éthylène (POE) du solide formé par précipitation d’aluminate avec de l’acide acétique (Zhu 2004a), nanotiges et nanoplaquettes par chauffage à 200 ◦ C de solutions de nitrate aluminium ajustées à pH 5 et pH 10 respectivement avec de l’hydrazine (Chen 2008), nanotubes par chauffage à 120 ◦ C de chlorure d’aluminium en milieu alcalin en présence de CTAB (bromure de N-cétylN,N,N-triméthylammonium) (Kuang 2003) (Fig. 6.19).
(a)
10 nm
(b)
50 nm
(c)
20 nm
(d)
5 nm
Fig. 6.19 – Images MET de diverses morphologies de nanoparticules de boehmite : c American Chemical (a) fibres (reproduit avec autorisation d’après Zhu 2004a Society), (b) bâtonnets et (c) plaquettes (reproduit d’après Chen 2008 avec autorisation de Elsevier), (d) tubes (reproduit d’après Kuang 2003 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). L’intérêt du contrôle morphologique des nanoparticules de boehmite tient à ce qu’elles se transforment par chauffage vers 450-500 ◦ C en nanoparticules d’alumine γ-Al2 O3 , largement utilisées comme catalyseur ou support de catalyseurs dans l’industrie pétrolière (Euzen 2002). La transformation de la boehmite étant topotatique, la forme et la taille des particules sont conservées (Chiche 2007, Digne 2002) (Fig. 6.20, 6.21). Il est ainsi possible d’optimiser les performances de l’alumine pour une réaction donnée par la promotion de certaines faces cristallines des particules. Par comparaison avec les ions ferriques, le comportement des ions Al3+ paraît gouverné par un pouvoir polarisant des ligands oxygénés plus faible, ce qui donne une plus grande stabilité des ligands hydroxo dans les composés de l’aluminium. Ainsi, les hydroxydes d’aluminium sont des phases stables tandis que le trihydroxyde Fe(OH)3 n’existe pas. Des oxyhydroxydes MOOH sont formés par les deux ions, mais les composés isomorphes sont obtenus dans des conditions très différentes : au contraire de la goethite, α-FeOOH, qui est la phase la plus largement obtenue par précipitation des ions ferriques en solution, la phase isostructurale α-AlOOH, le diaspore, n’est obtenue que par traitement hydrothermal de Al(OH)3 ou γ-Al2 O3 en présence de carbonate de sodium à 380 ◦ C sous 6 kbars (Dillenseger 1995) (Fig. 6.22). La boehmite
6. Alumines et aluminosilicates
AlOOH Boehmite
255
{010}
{110}
{100}
γ-Al2O3 Alumine γ
{110}
500°C {001}
{100} {111}
{101}
Fig. 6.20 – Relation structurale lors de la transformation topotactique d’une particule de boehmite en alumine γ. pH de synthèse 4-5
6-7
1
11-12
2
γ-AlOOH 3
104°
1 2 3
50 nm
50 nm
50 nm
10
30
500 °C, 2 heures
1
2
50 2θ
γ–Al2O3
3
1
50 nm
2
104°
50 nm
70
50 nm
3 20 nm
10
30
50
70
2θ
Fig. 6.21 – Images MET et diagrammes de diffraction des rayons X des différentes morphologies de boehmite formées à différents pH (Fig. 6.16) et des alumines γ correspondantes obtenues par chauffage à 500 ◦ C pendant 2 heures (d’après Chiche 2007). est facilement obtenue par précipitation d’un sel d’aluminium mais la phase ferrique isostructurale, la lépidocrocite, γ-FeOOH, ne peut être obtenue que par oxydation rapide de l’hydroxyde ferreux en suspension (Chap. 7). La formation des alumines Al2 O3 , qui n’intervient jamais en suspension, nécessite le chauffage à l’état solide d’hydroxydes ou d’oxyhydroxydes, tandis que l’hématite α-Fe2 O3 ou la magnétite Fe3 O4 sont facilement précipitées en solution (Cornell 2003).
256
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
50 μm
(c)
25 μm
Fig. 6.22 – Particules de diaspore α-AlOOH obtenues par voie hydrothermale (380 ◦ C, 6 kbars) à partir d’hydroxyde Al(OH)3 (Na2 CO3 1 mol.l−1 ) (a) et à partir d’alumine γ-Al2 O3 (Na2 CO3 0,5 mol.l−1 ) (b) (d’après Dillenseger 1995). (c) Structure du diaspore.
6.3.2
Aluminosilicates
Les aluminosilicates constituent une vaste famille de minéraux (Wells 1991). Ils peuvent être considérés comme des sels basiques ou des complexes mixtes du cation Al3+ par les ligands silicate et hydroxo. Les silicates [SiO4−h (OH)h ](4−h)− sont des entités fortement basiques hautement nucléophiles capables de s’autocondenser pour former des polysilicates anioniques (h < 4) avec une grande variété de structures mises en évidence par RMN du 29 Si (Knight 1988, 1989). L’acide silicique, Si(OH)4 , entité de charge nulle (h = 4), se condense indéfiniment par oxolation pour former la silice amorphe hydratée avec une morphologie qui dépend fortement du pH (Chap. 4) : des gels polymériques optiquement transparents formés de longues chaînes de tétraèdres SiO4 avec peu de points de réticulation et beaucoup de liaisons pendantes Si-OH en milieu acide et des gels fortement diffusants contenant des nanoparticules constituées de chaînes fortement réticulées en milieu neutre (Iler 1979). La silice et les silicates peuvent réagir avec l’aluminium selon différents chemins réactionnels brièvement examinés ci-dessous. a) Adsorption de l’aluminium par la silice amorphe La silice amorphe hydratée réagit avec l’aluminium soluble par adsorption en mettant en jeu différents types d’interactions. Les groupes oxygénés polaires ou chargés à la surface de la silice peuvent induire des interactions électrostatiques non spécifiques avec des molécules ou des complexes métalliques qui forment des complexes de surface à sphère externe à l’intérieur de la couche de solvatation. Ce type d’interaction peut avoir des conséquences variées : la restriction de mobilité de complexes solubles au voisinage de la surface, élégamment mise en évidence par spectroscopie RPE du complexe paramagnétique hexaaquocuivre (II) adsorbé sur la silice à pH 3 (Bassetti 1979, § 5.4.1) ; l’écrantage électrostatique entraînant la déstabilisation des dispersions et la floculation des particules de silice par des floculants à base d’aluminium (Lartiges 1997) ; le transport de polluants, molécules et métaux
6. Alumines et aluminosilicates
257
lourds hydrolysables dans les eaux naturelles. L’adsorption peut aussi résulter d’interactions spécifiques comme dans le processus de chimisorption. Les groupes oxygénés de surface polaires ou chargés agissent comme des ligands hydroxylants envers les cations hydroxylables en solution, ce qui conduit à la coordination de ces cations sur la surface en formant des complexes à sphère interne (§ 5.4.2). Le rôle de la surface est bien mis en évidence car l’adsorption intervient à un pH plus faible que celui qui correspond à l’hydroxylation du cation seul en solution (James 1972). Ce comportement est observé avec beaucoup de particules d’oxydes métalliques, mais la silice amorphe qui possède une forte porosité et une réactivité de surface élevée due à de nombreuses liaisons silanol pendantes fortement nucléophiles, peut non seulement coordiner mais aussi incorporer les ions Al3+ dans son réseau à cause de la capacité du cation à adopter la coordinence 4. Cela a été observé avec la silice colloïdale (Lartiges 1997) et aussi avec la silice d’origine biogénique provenant des frustules de diatomées (Gehlen 2002, Koening 2007). Avec la silice provenant de diatomées mortes, débarassée de la matière organique et incubée avec de l’aluminium très dilué dans l’eau de mer à pH ∼ 8, l’aluminium incorporé présente principalement la coordinence tétraédrique et on observe une diminution inattendue de la distribution de taille des pores, ce qui suggère la formation d’une couche superficielle d’aluminosilicate (Koening 2007). Avec des diatomées vivantes, l’aluminium est exclusivement incorporé en coordinence tétraédrique à l’intérieur du réseau de silice par un mécanisme biosynthétique qui entraîne la diminution de la solubilité de la silice dans l’environnement marin (Gehlen 2002). La silice se trouve stabilisée vis-à-vis de l’hydrolyse et de la dissolution par l’incorporation de l’aluminium qui, probablement, renforce le réseau silicique par élimination des liaisons silanol pendantes réactives et par le remplissage et le lissage de la surface. b) Aluminosilicates cristallisés : zéolithes, argiles, imogolites Les silicates [SiO4−h (OH)h ](4−h)− peuvent se comporter comme des ligands très forts vis-à-vis de l’aluminium en solution, tout comme les phosphates par exemple, mais les silicates ont un rôle spécial car ils peuvent se condenser, à la différence des phosphates qui restent toujours monomères en solution. Cette différence explique la richesse de la cristallochimie des silicates en comparaison de celle des phosphates. Bien que la cristallochimie des aluminosilicates apparaisse très compliquée et indépendamment des conditions spécifiques de leur formation, l’acidité du milieu de synthèse est le paramètre le plus important dans la formation des principaux types structuraux aluminosiliciques. Cela est dû au fait que l’acidité contrôle les réactivités relatives de l’aluminium et des silicates vis-à-vis de la condensation. En effet, en milieu fortement basique (pH autour de 12), les silicates peuvent se condenser et simultanément complexer l’aluminate qui dans ces conditions reste monomère. Il se forme alors des zéolithes constituées d’un réseau tridimensionnel
258
De la solution à l’oxyde
de tétraèdres AlO4 et SiO4 liés par des sommets au moyen de liaisons Si-O-Si et Si-O-Al, mais sans liaisons Al-O-Al. En milieu faiblement basique à légèrement acide (pH 9-5), à la fois les silicates et l’aluminium, cette fois en coordinence octaédrique, se condensent simultanément. L’aluminium forme de lui-même des couches d’octaèdres de type gibbsite, mais la forte capacité complexante des silicates envers l’aluminium oriente leur condensation en formant des couches polysiliciques adjacentes aux couches aluminiques. Différents types de structures sandwich forment ainsi les argiles. En milieu plus acide (pH 5-3), l’aluminium forme encore des couches de type gibbsite mais la tendance de l’acide silicique à se condenser est plus faible (voir la structure des gels d’acide silicique), et il se trouve coordiné en tant que ligand monomère sur la couche aluminique par trois groupements OH de chaque tétraèdre. Ce type de liaison entraîne la courbure de la couche de type gibbsite et la formation des tubes d’imogolite. Une étude plus détaillée est donnée ci-après. Zéolithes. En milieu fortement basique, des unités polysiliciques peuvent se combiner à l’aluminate [Al(OH)4 ]− . Il en résulte une chimie assez complexe des polyanions aluminosiliciques qui ont été structuralement bien caractérisés par RMN du 29 Si et 27 Al NMR (Fig. 6.23) (Swaddle 1994, Mortlock 1991a, b, c). Ces espèces mixtes fortement labiles ne renferment jamais de liaisons Al-O-Al parce que l’aluminate ne peut pas s’auto-condenser. Ces espèces ont été très étudiées car elles sont soupçonnées de former les unités de construction (building blocks) dans la cristallisation des zéolithes. Ces très nombreux composés sont formés d’un réseau tridimensionnel et très ouvert de tétraèdres SiO4 et AlO4 enchaînés par des sommets et formant des cavités et des canaux de taille et de forme variables contenant des molécules d’eau et les cations
[AlSiO7]7-
9-
[AlSi2O10]
[AlSi2O9]7-
Tétraèdre AlO4
[AlSi3O12]9-
[AlSi5O15]7-
[AlSi7O20]9-
Tétraèdre SiO4
Fig. 6.23 – Structures schématiques des polyanions aluminosiliciques formés à pH > 12 en présence d’ions Na+ ou K+ (il n’est pas tenu compte de l’éventuelle protonation des ligands oxo). Les espèces polyédriques sont formées en présence de cations tétralkylammonium NR4 + (d’après Swaddle 1994.)
6. Alumines et aluminosilicates
259
SiO4
AlO4
Cl
Na
H 2O (a)
(b)
Fig. 6.24 – Représentations (a) de la cavité sodalite (Na4 (AlO2 )3 (SiO2 )3 Cl), une unité structurale de base des zéolithes naturelles et (b) de la zéolithe synthétique ZSM-5 (Zeolite Socony Mobil) (Na+ n (H2 O)16 [Aln Si96−n O192 ]) avec n < 27. compensateurs de la charge anionique du réseau aluminosilicate tridimensionnel (Fig. 6.24) (Breck 1974, Barrer 1982). Il existe beaucoup de composés naturels et synthétiques qui sont formés par traitement (hydro)thermal de suspensions concentrées d’hydroxyde d’aluminium ou d’aluminate et de silice ou de silicates en milieu fortement alcalin (hydroxyde de sodium ou de cations tétraalkylammonium), en présence de surfactant comme template (amine ou éther-couronne par exemple). Dans ces conditions, le traitement thermique des suspensions entraîne la formation des précurseurs de charge nulle qui permettent la croissance du solide. Les principaux paramètres contrôlant la structure et la composition du solide sont le rapport Si/Al, le pH, la nature des cations (Na+ , NR4 + par exemple) et du surfactant, la température, la presssion, etc. Argiles. Les argiles forment une très large famille d’aluminosilicates caractérisés par différentes structures bidimentionnelles (phyllosilicates), constituées par l’assemblage de couches d’octaèdres AlO6 (O) et de couches de tétraèdres SiO4 (T). Il y a beaucoup de séquences d’empilement de ces couches, par exemple T-O T-O dans la kaolinite Si2 O2 Al2 (OH)4 ou T-O-T T-O-T dans la pyrophyllite Si4 O10 Al2 (OH)2 . La composition chimique des couches est hautement variable à cause de nombreuses substitutions dans chaque type de couche, par exemple Al3+ ou Fe3+ à Si4+ dans les couches T comme dans la muscovite ou le mica, Al3+ à Si4+ dans les couches T et Mg2+ à Al3+ dans les couches O comme dans la montmorillonite. Ces substitutions induisent un excès de charge négative dans les couches qui est compensé par l’intercalation de cations (K+ , Ca2+ le plus souvent) et aussi de molécules d’eau dans l’espace intercouche comme pour les smectites (Fig. 6.25). Les argiles
260
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
Fig. 6.25 – Structures idéalisées (a) de la kaolinite Si2 O2 Al2 (OH)4 et (b) de la montmorillonite, [Si4 O10 Al2−x M2+x (OH)2 ]Cx nH2 O. naturelles peuvent contenir d’autres cations substituants, en fonction des éléments présents durant leur formation (Caillère 1982, Berry 1972). Au laboratoire, la synthèse des smectites peut s’effectuer selon des conditions de précipitation très variables, à basse température (< 100 ◦ C) ou dans les conditions hydrothermales (Kloprogge 1999). La coprécipitation des éléments Al3+ , M2+ et Si4+ est réalisée en présence d’une base, Ca(OH)2 , NaOH ou KOH, à un pH compris entre 5 à 9. Les conditions nécessaires à la synthèse associent un milieu basique à neutre, une dilution importante, en particulier pour le silicate (concentration de l’ordre de 10−4 - 10−3 mol.l−1 ) et une précipitation lente (Harder 1972, 1977, Decarreau 1980). On peut imaginer un mécanisme possible de formation de l’argile dans le lequel le processus le plus rapide dans de telles conditions acido-basiques est la formation par olation de couches mixtes de type brucite (Mg(OH)2 ) ou de type gibbsite (Al(OH)3 ), incluant les cations Al3+ et M2+ pour former les couches de type O (Fig. 6.26a). À cause de la faible concentration, l’auto-condensation du silicate sous forme d’acide silicique Si(OH)4 ou SiO(OH)− est lente. Ces espèces, à l’état de monomère ou d’oligomères, sont toutefois hautement nucléophiles et sont des complexants forts qui peuvent se fixer sur chaque face des couches O et ensuite se condenser et former les cycles de tétraèdres connectés par des sommets caractéristiques de la structure des couches T (Fig. 6.26b). La tendance à la complexation et en même temps à la condensation impose la connexion entre les couches T et O par des sommets de tétraèdres fixés sur les ponts μ2 OH des couches aluminiques. On peut ainsi comprendre l’origine de la bidimensionalité de la structure des minéraux argileux. Imogolites. Le troisième type d’aluminosilicate cristallisé est l’imogolite. Il s’agit d’un nano-objet tubulaire d’environ 2 nm de diamètre et de plusieurs microns de long, associé en fagots d’environ 30 nm de diamètre, avec la composition Al2 SiO3 (OH)4 (Levard 2008). Comme beaucoup d’autres
6. Alumines et aluminosilicates
(a)
261
(b)
(c)
Fig. 6.26 – Schéma d’un mécanisme possible de formation de minéraux argileux mettant en évidence la complexation de couches d’octaèdres de type brucite par des groupes siliciques qui peuvent former les couches tétraédriques (voir texte).
(a)
(b)
(c)
Fig. 6.27 – (a) Schéma de la structure de l’imogolite montrant les tétraèdres SiO4 liés sur la face interne de la couche de type gibbsite enroulée. (b) Fragments de construction des nanotubes d’imogolite identifiés par spectroscopies RMN et d’absorption des rayons X. (c) Schéma d’un tube d’imogolite à double paroi (reproduit c American Chemical Society). avec autorisation d’après Levard 2010
aluminosilicates naturels, l’imogolite provient de l’altération de verres et de cendres volcaniques. La structure de l’imogolite est formée d’une couche d’octaèdres AlO6 de type gibbsite enroulée pour former un cylindre. Les tétraèdres SiO4 sont isolés et greffés par trois sommets sur la surface interne du tube, à l’aplomb des vides de la couche de gibbsite (Fig. 6.27a, 6.28a) (Cradwick 1972). D’autres composés aluminosiliciques voisins de l’imogolite, les allophanes, ont une variabilité de composition assez large (1 ≤ Al/Si ≤ 2) et
262
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
Fig. 6.28 – Clichés de cryo-MET d’imogolites Al-Ge formés à des concentrations d’aluminium de 0,5 mol.l−1 (a) et 0,25 mol.l−1 (b). Deux types de nanotubes sont visibles : des tubes à double paroi notés 1 et des tubes à simple paroi notés 2. Les petits objets notés 3 sont les précurseurs des nanotubes. Les inserts représentent des agrandissements des zones délimitées en pointillés (reproduit avec autorisation c American Chemical Society). d’après Maillet 2010
présentent un ordre structural à seulement courte distance avec une morphologie variable : sphères et calottes sphériques (Levard 2008, Creton 2008). L’imogolite est synthétisée au laboratoire par chauffage pendant 5 jours à 95 ◦ C de solutions diluées du complexe hydroxylé de l’aluminium (OH/Al = 2, ∼ 10−3 mol.l−1 ) en présence de silicate (tétraéthylorthosilicate, Al/Si = 2) en milieu légèrement acide (pH 3,5-4,5) (Farmer 1977). En comparaison des conditions correspondant à la synthèse des argiles, on observe que le milieu est plus acide, le rapport Si/Al plus faible et la dilution plus forte. Ces facteurs favorisent la condensation de l’aluminium et la formation de complexes aluminosiliciques en évitant l’auto-condensation de l’acide silicique Si(OH)4 résultant de l’hydrolyse de l’alcoxyde. Il a été montré récemment que l’imogolite pouvait être obtenue en milieu plus concentré (concentrations décimolaires), de manière à accroître le rendement de la réaction. Cependant, la croissance de l’imogolite est notablement retardée et nécessite environ un mois de chauffage à 95 ◦ C (Levard 2009). Une telle expérience, réalisée avec du perchlorate d’aluminium et du tétraéthylorthosilicate (Si(OCH2 CH3 )4 ), a permis de montrer au moyen d’observations de RMN 29 Si et 27 Al que la croissance de l’imogolite était limitée par la vitesse de décondensation des espèces polysiliciques formées de façon concomitante. Il est aussi très probable que la complexation de l’aluminium par des monomères siliciques inhibe la formation de la boehmite (comme lors de la formation des argiles). La fixation des tétraèdres siliciques par trois liaisons Si-O-Al provoque la courbure de la couche de gibbsite parce que les distances O-O dans les tétraèdres SiO4 sont plus courtes que dans la couche de gibbsite. Cet effet a été confirmé par modélisation moléculaire et peut être interprété par l’équilibre entre la rigidité mécanique du feuillet aluminosilicique et la dissymétrie de tension interfaciale (Guimaraes 2007). Cet effet a aussi été très joliment démontré en utilisant les analogues
6. Alumines et aluminosilicates
263
au germanium de l’imogolite, synthétisés de façon analogue au composé silicique en utilisant le tétraéthylorthogermanate (Levard 2010, Konduri 2007). En profitant du meilleur contraste électronique entre Al et Ge qu’entre Al et Si, la spectroscopie et la diffusion des rayons X ainsi que la spectroscopie RMN ont montré que la courbure des fragments de type gibbsite était provoquée par la coordination des tétraèdres GeO4 , et que le maximum de courbure était obtenu quand toutes les lacunes de la couche de gibbsite étaient coordinées par des tétraèdres. Le diamètre des imogolites au germanium (2,5 nm) est cependant plus large que celui des imogolites au silicium (2 nm) car le tétraèdre GeO4 , plus grand que le tétraèdre SiO4 , provoque moins de stress dans le feuillet de gibbsite et force donc moins sa courbure. Il a aussi été montré que les précurseurs de l’imogolite étaient des fragments en forme de tuiles courbes, dont la taille est d’environ 5 nm, et qui s’assemblent bord à bord pour former de courtes sections cylindriques (Fig. 6.27b) (Levard 2010). Un modèle cinétique de croissance des nanotubes (Maillet 2011) s’accorde avec un processus en deux étapes : formation très rapide des tuiles courbes (proto-imogolite) avec assemblage bord à bord pour former de courtes unités tubulaires puis association de ces unités par agrégation orientée pour former le nanotube. À des concentrations en aluminium adéquates (0,25 mol.l−1 ), le germanium permet de former des nanotubes d’imogolite à double paroi (Maillet 2010) (Fig. 6.27c, 6.28). Ces structures ont été parfaitement caractérisées par diffusion des rayons X aux petits angles et par spectroscopie infrarouge (Maillet 2010, Thill 2012a). La formation des tubes à double paroi résulte d’un subtil équilibre entre l’énergie d’adhésion des fragments de proto-imogolite et de leur flexibilité. En effet, les tuiles de proto-imogolite portent, à pH 4-5, une charge électrostatique positive due aux groupes Al2 -OH du côté aluminique et sur l’autre face une charge négative due aux liaisons Ge-OH (ou aux liaisons Si-OH). Deux fragments ont donc tendance à s’attirer et à se superposer en raison de l’attraction électrostatique entre la face positive externe d’un feuillet et la charge négative interne de l’autre avec en outre l’établissement de liaisons hydrogène entre ces surfaces solvatées (Fig. 6.29). La flexibilité de ces fragments permet d’adapter leur courbure. Ainsi, lors de la formation d’un nanotube à double paroi, le fragment externe diminue sa courbure et le fragment interne l’augmente, ce qui provoque l’augmentation de l’énergie élastique globale par rapport à la courbure spontanée des deux éléments. Le changement de courbure entraîne le déplacement de certaines bandes d’absorption infrarouge. Ainsi, deux possibilités existent : si l’énergie électrostatique attractive est supérieure à l’accroissement de l’énergie élastique, il se forme un nanotube à double paroi et, dans le cas inverse, la superposition des fragments est plus difficile et ils forment un nanotube à simple paroi (Fig. 6.29) (Thill 2012a, b). Ainsi, dans la série des composés Al2 Six Ge1−x O3 (OH)4 , l’influence des tétraèdres siliciques sur la rigidité du feuillet de type gibbsite est telle que seuls des nanotubes à simple parois sont formés (x = 1) tandis qu’avec le
264
De la solution à l’oxyde
Elasticité
Ec + Ee < 0
Ec > 0
Ec + Ee > 0
Ee < 0 Attraction électrostatique Fig. 6.29 – Schéma du positionnement de fragments de protoimogolite sous l’effet de l’attraction électrostatique. La formation de nanotubes à double ou à simple paroi dépend de la balance énergétique entre l’interaction électrostatique et le changement c American de courbure du feuillet (reproduit avec autorisation d’après Thill 2012b Chemical Society). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
germanium, les contraintes mécaniques sont moindres et on obtient des nanotubes à double paroi (x = 0). La transition structurale est progressive, ce qui signifie que les deux structures coexistent pour x ≤ 0,25. Seuls des nanotubes à simple paroi sont formés par les composés plus riches en silicium (x ≥ 0,25) (Thill 2012a). Les nanotubes à double paroi sont plus gros (diamètre de 3 ± 0,5 nm) et beaucoup plus courts (20 ± 15 nm) que ceux à simple paroi (diamètre de 2,5 ± 0,5 nm, longueur 50 nm). Le modèle cinétique (Maillet 2011) montre en effet que la même quantité de proto-imogolite permet de former moins d’unités tubulaires et que les collisions permettant la croissance des tubes à partir d’unités à double paroi sont environ 5 fois moins efficaces que ceux assurant la formation des nanotubes à simple paroi.
Chapitre 7 Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale Le fer est un élément très abondant dans la croûte terrestre, au quatrième rang (6,2 % en masse) après l’oxygène, le silicium et l’aluminium. Il est présent surtout sous forme d’oxydes et d’oxyhydroxydes ferriques (Fig. 7.1a). On trouve aussi des sulfures (pyrites), du carbonate (sidérite), du silicate (fayalite). Les oxydes de fer sont très utilisés dans divers domaines technologiques : métallurgie, pigments colorés, matériaux magnétiques, catalyseurs, etc. Ils jouent un rôle important dans l’environnement car la dissolution des oxydes ferriques dans les eaux naturelles, promue par les phénomènes acido-basiques, rédox, photochimiques et aussi la médiation microbienne (Stumm 1992, Pédro 2007), permet au fer d’être impliqué dans de nombreux processus biogéochimiques (Cornell 2003, Schmidt 2010, Borch 2010).
1μm
(a)
(b)
0,1μm
Fig. 7.1 – (a) Paysage du Luberon (Sud-Est de la France) montrant un gisement d’ocre (goethite et hématite). (b) Bactérie magnétotactique comportant un alignement de particules de magnétite (d’après Fukumori 2004). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
266
De la solution à l’oxyde
Les oxydes de fer sont présents dans beaucoup d’organismes vivants, végétaux, bactéries, mollusques, animaux et humains, sous diverses formes : • des complexes porphyriniques du fer. Ce sont les centres actifs de l’hémoglobine et de plusieurs ferredoxines impliqués dans diverses fonctions biologiques, en particulier les mécanismes respiratoires et la photosynthèse (Chapman 1997) ; • des nanoparticules d’oxyhydroxydes ferriques amorphes. Elles sont présentes dans la ferritine qui permet la régulation et le stockage du fer dans l’organisme animal et humain (Chasteen 1999) et dans diverses nanophases présentes dans les végétaux sous forme de phytoferritine (McClean 2001) ; • des oxy(hydroxy)des de fer cristallisés produits par divers processus de biominéralisation. La goethite, la lépidocrocite et la magnétite sont les principaux constituants des radulas de mollusques (patelles, chitons). Des nanoparticules de magnétite formées par les bactéries magnétotactiques (Fig. 7.1b) et aussi par les abeilles et les pigeons sont utilisées pour leur orientation sur les lignes de force du champ magnétique terrestre (Mann 1989, Cornell 2003). On peut ajouter les « rouilles vertes », composés ferriques-ferreux qui appartiennent au cycle biogéochimique du fer (Herbillon 2006). La cristallochimie des oxy(hydroxy)des de fer est très riche. Il existe environ une douzaine de types structuraux parmi les composés ferreux, ferriques et mixtes ferriques-ferreux (Fig. 7.2) (Wells 1991, Cornell 2003). La plupart de ces phases sont obtenues à partir de solutions au laboratoire en donnant lieu à une chimie très diversifiée (Blesa 1989, Schwertmann 2000). Elles sont aussi formées en milieu naturel en raison de la très grande variabilité des conditions physicochimiques qui y sont rencontrées : acidité couvrant tout le domaine de pH de 0 à 13 environ, conditions redox allant depuis les milieux oxiques jusqu’aux milieux totalement anoxiques, activité bactérienne qui peut être très intense, salinité très variable depuis des eaux quasiment pures jusqu’à de véritables saumures, présence de très nombreux ligands organiques et inorganiques. La grande versatilité de la chimie aqueuse du fer provient essentiellement de l’existence de deux degrés d’oxydation stables sur un large domaine d’acidité et d’une forte réactivité des complexes du fer vis-à-vis des phénomènes redox et acido-basiques. Ce chapitre a pour objet l’étude de la formation de clusters et de la cristallisation – au laboratoire – des composés ferreux, ferriques et à valence mixte.
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
267
Goethite α-FeOOH
Hématite α-Fe2O3 Magnétite, maghémite γ-Fe2O3 Fe3O4 Fe3O4
Rouille verte (RV) OH/Fetotal
3
Akaganéite β-FeOOH
Fe2O3 FeO(OH)
RV 2 Fe(OH)2 (Fe6(OH)12SO4)
Lépidocrocite γ-FeOOH FeIII/(FeII+FeIII)
0
0,33
0,66
1 Feroxyhyte δ-FeOOH
Fig. 7.2 – Principaux types structuraux des oxy(hydroxy)des de fer en fonction de la teneur en fer ferreux et ferrique et du taux d’hydroxylation OH/Fetotal . (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
7.1
Spéciation du fer et condensation en solution aqueuse
Comme beaucoup d’éléments de transition 3d en solution aqueuse, le fer aux degrés d’oxydation les plus courants, +II et +III, forme des complexes hexaaquo [Fe(OH2 )6 ]z+ dans lesquels la polarisation des molécules d’eau coordinées dépend très fortement du degré d’oxydation et de la taille du cation. C’est ce qui rend les ions ferriques (z = 3, rion = 0,64 Å) beaucoup plus acides que les ions ferreux (z = 2, rion = 0,77 Å) et l’hydroxylation des complexes se produit sur des domaines d’acidité bien distincts : entre pH 7 et 9 à température ambiante pour les ions ferreux, de pH 1 jusqu’à pH 4-5 pour les ions ferriques (Fig. 7.3). Les complexes aquohydroxo [Fe(OH)h (OH2 )6−h ](z−h)+ du fer manifestent une très forte tendance à la condensation. La réaction, qui procède par olation, est très rapide en raison de la forte labilité des molécules d’eau coordinées.
268
De la solution à l’oxyde
(a)
(b) 100
100 h=0
3
4
80 1
60
% Fe
% Fe
80
2
h=0
3
40 20
1
60 40 20
2 4 6
8
10 pH
12
1
5
10 pH
Fig. 7.3 – Spéciation des ions ferreux (a) et des ions ferriques (b) en solution très diluée et à température ambiante. Les valeurs indiquées pour h correspondent aux complexes [Fe(OH)h (OH2 )6−h ](z−h)+ . Les lignes pointillées correspondent à la sursaturation par rapport à Fe(OH)2 (a) et à la goethite α-FeOOH (b). (D’après Baes 1976.)
La formation d’espèces polycationiques ferreuses est très peu documentée. Comme pour d’autres cations divalents, un polycation tétramère [Fe4 (OH)4 (OH2 )12 ]4+ semble être formé au voisinage de pH 6 (Fig. 7.4) à partir des complexes hydroxylés h = 1 (Baes 1976) mais, à notre connaissance, aucune évidence structurale n’a été rapportée. En principe, les complexes h = 1 devraient former des dimères, mais les ligands hydroxo, faiblement polarisés par des cations peu chargés, conservent dans le dimère une basicité élevée de sorte qu’ils tendent à augmenter leur coordinence par association de dimères pour former un tétramère dans lequel tous les ligands hydroxo sont tricoordinés (Fig. 7.4). La chimie du fer ferrique, très riche, est plus compliquée à étudier que celle des autres éléments trivalents (Al, Cr) à cause de la très forte réactivité du FeIII vis-à-vis des réactions de substitution et de condensation. Il est très difficile de stopper la condensation en solution à un stade moléculaire polycationique, même avec un soigneux contrôle du pH comme cela peut être effectué avec les ions Cr3+ et Al3+ . Bien que des dimères et trimères aient été mis en évidence au moyen de techniques d’absorption des rayons X (Bottero 1994), il est probable qu’une fois initiée, l’hydroxylation des complexes ferriques devient de plus en plus facile et conduit à leur partition en solution sous forme de complexes fortement hydroxylés et d’autres qui le sont moins, voire pas du tout. Un tel comportement est par exemple fourni par les ions Ni2+ en solution (§ 4.1.1). Le contrôle de la réactivité des complexes ferriques nécessite par
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
269
OH2 HO H2O OH
[Fe(OH)(OH2)5]+ [Fe4(OH)4(OH2)12]4+ Fig. 7.4 – Espèces ferreuses en solution et formation du polycation [Fe4 (OH)4 (OH2 )12 ]4+ à partir du complexe [Fe(OH)(OH2 )5 ]+ . conséquent l’utilisation de ligands polydentates fortement complexants afin de chélater le cation. On peut ainsi former un tétramère à pH 4,5 en tampon acétate, en faisant réagir à 80 ◦ C le chlorure ferrique et l’acide 1,3-diamino2-hydroxypropane-N,N,N ,N -tétraacétique (HPDTA) en présence d’acétate d’un cation alcalin (Hou 2012). Le ligand HPDTA (schéma 7.1a) se comporte comme un ligand heptadentate capable de coordiner deux cations ferriques par les fonctions carboxylate et amine (schéma 7.1b, les atomes d’oxygène et les atomes d’azote des ligands HPDTA sont notés 1 et 2 respectivement). Deux unités semblables sont réunies par deux ponts oxo ou hydroxo (sphères notées 4) pour former le tétramère. La coordinence des ions ferriques est complétée par des atomes d’oxygène (notés 3) de ligands acétate, carbonate ou de l’eau. Beaucoup d’autres complexes ferriques polycationiques avec des structures très variées ont été obtenus dans divers milieux, aqueux ou non aqueux, avec des ligands polycarboxylates ou polyamino (Lippard 1988, Hagen 1992,
H
H
O
O
N
N O
O O
(a)
O
O
O
H
H
4 3
H
Fe 1
O (b) Schéma 7.1 –
2
1
1
1
1 2
270
De la solution à l’oxyde
4 1
5 4’ 3 2 6 8
9
7 10
11
12
Fig. 7.5 – Représentation de quelques complexes ferriques formés en présence de ligands fortement complexants. Ligands iminodiacétate R-N(COO)2 : [(Me2 hda)2 Fe2 (μ-OH)(μ -NO3 )]2− 1, [(Cl2 hda)2 Fe2 (μ-OH)2 Fe(OH2 )4 ]+ 2, [(4-Phhxta)2 Fe4 (μ-O)(μ-OH)3 ]3− 3, [(2-allyl-4-OMe-hda)4 Fe8 (μ3 -O)4 (μ-OH)4 (en)4 ] 4, et vue du cœur Fe8 (μ3 -O)4 (μ-OH)4 4’ (reproduit d’après Schmitt 2001 avec autorisation de Elsevier Science Ltd), [Fe19 O6 (OH)14 L10 (H2 O)12 ]+ 5, [FeL(H2 O)2 ]2 6, avec L/Fe = 0,5 et 1 respectivement, L(heidi) = (HOCH2 CH2 )N(CH2 COOH)2 (reproduit c Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA) ; avec autorisation d’après Heath 1992 ligand nitrilotripropionate (H3 ntp = N(CH2 CH2 COOH)3 ), [Fe13 (μ3 -OH)6 (μ3 -O)6 (H2 O)6 (Hntp)8 ]5+ 7, (reproduit d’après Murugesu 2005 avec autorisation de Wiley) ; [Fe3 O2 (phen)6 (OOC)2 ]3+ 8, (reproduit avec autorisation d’après Vincent c Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA) ; [Fe8 (μ3 -O)2 (μ2 -OH)12 (tacn)6 ]8+ 1995 ((tacn = 1,4,7-triazacyclononane) 9, (reproduit avec autorisation d’après Wieghardt c Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA) ; [Fe8 (PhCOO)12 (thme)]4 2 Et2 O 1984 10, et [Fe16 (EtO)4 (PhCOO)16 (Hthme)12 ](NO3 )4 .4 CH2 Cl2 .10 H2 O 11, (H3 thme) : 1,1,1-tris(hydroxyméthyl)éthane (Jones 2002) ; [Fe(OMe)2 (O2 CCH2 Cl)]10 12, c American Chemical Society). (reproduit avec autorisation d’après Taft 1990
Kurtz 1990, Schmitt 2001) (Fig. 7.5). En comparaison des polycations de l’aluminium, on peut signaler l’existence du cluster Fe13 , de structure de type Keggin analogue à celle du polycation Al13 (Fig. 7.5, [7]), mais dont la formation a lieu dans des conditions très différentes. Le cluster [Fe13 (μ3 -OH)6
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
271
(μ3 -O)6 (H2 O)6 (Hntp)8 ]5+ est formé dans l’eau en présence du ligand chélatant multipode nitrilotripropionate (Murugesu 2005), tandis que le cluster anionique [Fe13 O4 F24 (OCH3 )12 ]5− , qui comporte les ligands fluorure et méthoxy, est obtenu dans le méthanol à chaud en présence de pyridine (Bino 2002). Dans les polycations ferriques, les ions Fe3+ sont souvent reliés par des ponts oxo plutôt que par des ponts hydroxo (Lippard 1988), comme dans les polycations de l’aluminium ou du chrome (III). On remarque aussi que l’hydroxyde ferrique n’existe pas (voir plus loin), alors que les hydroxydes M(OH)3 de l’aluminium et du chrome sont des phases stables. Le ligand pontant hydroxo s’avère ainsi assez peu stable dans les édifices ferriques, probablement en raison de l’électronégativité plus élevée du fer que celle du chrome et de l’aluminium : le transfert de charge depuis l’oxygène pontant vers les cations Fe3+ est donc plus intense et l’acidité du pont hydroxo plus élevée favorise le pont oxo. Il est aussi possible que la déprotonation du pont hydroxo favorise le recouvrement orbitalaire entre le fer et l’oxygène et optimise l’interaction de superéchange magnétique dans le couplage antiferromagnétique des cations ferriques au sein de nombreuses structures. En milieu très fortement alcalin (NaOH > 10 mol.l−1 ), le fer adopte, comme l’aluminium, la coordinence tétraédrique dans le complexe anionique [FeO4 ]5− (ferrate III). Cette espèce tétraoxo ne se condense pas et à l’état solide, elle existe sous forme d’entités isolées dans le composé Na5 FeO4 (Brachtel 1978). Dans les mêmes conditions, les ions ferreux aussi sont solubles sous forme des entités anioniques [Fe(OH)3 ]− et [Fe(OH)4 ]2− dont la coordinence ne semble pas encore clairement établie (Beverskog 1996). Il existe des ferrates renfermant le fer sous des degrés d’oxydation inhabituels +IV, +V, +VI. Dans ces espèces anioniques tétraoxo [FeO4 ]x− , les liaisons Fe-O sont d’autant plus courtes que le degré d’oxydation du fer croît : dFe−O = 1,889 Å (d.o. +III), 1,807 Å (d.o. +IV), 1,720 Å (d.o. +V), 1,647 Å (d.o. +VI) (Weller 2000, Hoppe 1990, Delattre 2002). Ces espèces sont formées en milieu très fortement alcalin dans diverses conditions : chauffage à 400 ◦ C de FeO en présence de Na2 O2 pour former Na4 FeIV O4 ou encore chauffage à 750 ◦ C du mélange Ba(OH)2 , KOH et Fe2 O3 pour former Ba2 FeIV O4 ; chauffage vers 350 ◦ C de l’hématite Fe2 O3 en présence de peroxyde de sodium ou de potassium sous courant d’oxygène pour former Na2 FeVI O4 (Licht 2008) ; dissolution anodique du fer (Denvir 1996, Lapicque 2002). Toutes ces formes sont instables à l’état solide et en solution acide ou neutre car elles sont des oxydants très puissants (Machala 2008, Rush 1994, Sharma 2004, 2005, 2010). Le ferrate (VI), avec un potentiel standard E◦ ([FeVI O4 ]− /FeIII ) de 2,20 V, est un oxydant plus puissant que l’ozone (E◦ (O3 /O2 ) = 2,07 V). Il est, de ce fait, utilisé pour le traitement de l’eau en cumulant le pouvoir oxydant du ferrate et le rôle floculant de l’oxyhydroxyde ferrique produit par sa réduction (Jiang 2002).
272
7.2
De la solution à l’oxyde
Formation des phases solides
Le précurseur du solide est toujours un complexe aquohydroxo de charge nulle. On peut interpréter la cristallochimie très différente des deux cations FeII et FeIII non seulement à partir de la fonctionnalité des précurseurs, mais aussi selon le processus impliqué dans la formation du solide, par exemple l’addition de base dans la solution des précurseurs ou la thermolyse des solutions acides dans un domaine de température de 60-100 ◦ C. Quelques effets du traitement hydrothermal des solutions sont aussi examinés.
7.2.1
Hydroxyde ferreux et dérivés oxydés : feroxyhyte et lépidocrocite
Le complexe ferreux de charge nulle [Fe(OH)2 (OH2 )4 ]0 , formé à pH ∼ 6 à 7 dans des conditions strictement anaérobies, conduit à l’hydroxyde Fe(OH)2 . Comme les hydroxydes de beaucoup d’éléments divalents, Fe(OH)2 possède la structure de type brucite, formée de l’empilement de feuillets d’octaèdres liés par des arêtes (Fig. 7.6).
olation olation
(a)
(b)
Fig. 7.6 – (a) Chemin réactionnel possible pour la formation de l’hydroxyde ferreux Fe(OH)2 à partir de complexes en solution. (b) Schéma de la structure brucite.
On observe facilement qu’il n’y a pas de relation structurale entre le tétramère compact formé à partir de complexes h = 1 (Fig. 7.4) et l’hydroxyde (Fig. 7.6). Dans les conditions de formation du solide, le précurseur de charge nulle (h = 2), bifonctionnel du point de vue de la condensation, forme des dimères qui peuvent s’assembler par olation pour former des tétramères plans [M4 (OH)8 (OH2 )8 ]0 . Ceux-ci paraissent bien être les germes du solide car ils peuvent ensuite se condenser de manière bidirectionnelle, toujours par olation, et former directement les plans brucitiques de la structure (Fig. 7.6, § 4.1.1). Cet exemple, parmi beaucoup d’autres et ceux de l’aluminium en particulier (Chap. 6), montre que les polycations formés durant le processus d’hydroxylation ne sont pas les éléments de construction du solide. Les polycations très réactifs ne résistent en effet pas au changement d’acidité entre le domaine de leur formation et celui du solide (ici h = 1 et h = 2).
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
273
À l’état solide ou en suspension aqueuse, l’hydroxyde ferreux est très sensible à l’oxydation et différentes phases peuvent être formées selon les conditions d’oxydation. Si elle a lieu rapidement en milieu alcalin (pH ∼ 10 à 12) avec le peroxyde d’hydrogène H2 O2 , on obtient la feroxyhyte, δ-FeOOH (Fig. 7.2). Cette phase conserve la structure de type brucite mais avec de nombreuses fautes d’empilement, voire parfois la présence de cations en sites tétraédriques (Patrat 1983, Drits 1993b, Manceau 1993). Comme la feroxyhyte n’est jamais obtenue par précipitation d’ions ferriques, sa formation procède très vraisemblablement par oxydation in situ de l’hydroxyde ferreux ce qui provoque la déprotonation de la moitié des ligands OH des feuillets. La feroxyhyte apparaît ainsi comme la trace oxydée de l’hydroxyde ferreux. Si l’oxydation de l’hydroxyde ferreux a lieu moins brutalement et notamment à l’air vers pH 7, on obtient la lépidocrocite, γ-FeOOH, isostructurale avec la boehmite, γ-AlOOH (Fig. 7.7).
(a)
(b)
Fig. 7.7 – (a) Cliché MET de particules de lépidocrocite, γ-FeOOH, résultant de l’oxydation à l’air de l’hydroxyde ferreux Fe(OH)2 . (b) Structure cristalline de la lépidocrocite, les petites sphères représentent les atomes d’hydrogène des ligands hydroxo. De même qu’avec la feroxyhyte, cette phase n’est jamais formée directement par précipitation des ions ferriques. Comme l’oxydation des ions ferreux a lieu à pH voisin de 7, au minimum de solubilité des ions ferriques (Fig. 7.8), la transformation résulte très probablement d’une réaction à l’état solide qui, sans doute en raison de la cinétique plus lente du processus, entraîne le réarrangement local des feuillets brucitiques et forme les doubles chaînes d’octaèdres. Ce motif, également présent dans la structure de la goethite et de l’akaganéite, constitue les plans ondulés de la lépidocrocite (Cudennec, 2001, 2003). Le processus engendre aussi la fragmentation des particules de l’hydroxyde initial pour former des nano-objets en forme de lattes de parquet (Fig. 7.7a). La lépidocrocite peut être transformée en hématite, α-Fe2 O3 , ou en maghémite, γ-Fe2 O3 , par déshydratation selon un processus topotactique (Cudennec 2005).
274
De la solution à l’oxyde
log [Fex(OH)y]
0 1,0
-2 -4
1,1
-6 -8
1,2
1,4
3,4 2,2
-10
1,3
-12 0
2
4
6
8
10
12
14
pH Fig. 7.8 – Diagramme de solubilité du gel ferrique amorphe (d’après Baes 1976). (Les espèces solubles sont désignées sous la forme (x, y) correspondant à la composition [Fex (OH)y ]). L’oxydation partielle de l’hydroxyde ferreux entraîne la formation d’autres phases, telles les rouilles vertes et la magnétite qui sont étudiées plus loin (§ 7.2.3).
7.2.2
Composés ferriques : goethite, hématite, akaganéite
Le comportement des ions ferriques en solution est fortement conditionné par les conditions physicochimiques de l’hydroxylation (mise en œuvre, température du milieu, présence d’anions ou de ligands complexants, etc.), ce qui confère à la chimie structurale des oxy(hydroxy)des ferriques une grande complexité qui est aussi accrue par divers effets de surface et de taille (§ 1.1.3). En effet, à l’état nanométrique, certaines phases métastables à l’état massif peuvent devenir thermodynamiquement stables et se former aussi bien dans la synthèse au laboratoire que dans les conditions naturelles, dans des circonstances où elles ne sont pas a priori attendues (Majzlan 2003a,b, 2004, Navrotsky 2008). a) Alcalinisation des solutions : ferrihydrite, goethite, hématite L’addition d’une base à la solution d’ions ferriques résultant de la dissolution du chlorure ou du nitrate ferrique (pH > 3) à température ambiante précipite quasi-instantanément sous forme de très petites particules, de l’ordre de 2 nm, un solide fortement hydraté, sans composition bien définie et mal organisé souvent nommé « gel ferrique » ou ferrihydrite. Son diagramme de diffraction des rayons X présente seulement deux massifs très larges, d’où le nom de ferrihydrite à 2 raies (Jambor 1998, Schwertmann 1999). Beaucoup d’efforts ont été et sont encore déployés pour tenter de caractériser structuralement la ferrihydrite, car il s’agit d’un matériau ubiquiste et important à
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
275
divers égards, notamment du point de vue environnemental du fait de son rôle sequestrant de divers métaux et éléments lourds, en particulier l’arsenic (Dixit 2003, Polizotto 2005). C’est aussi le constituant inorganique de la ferritine, une protéine permettant le stockage et la régulation de la quantité du fer dans des organismes vivants (Chasteen 1999, Theil 1987). La structure de la ferrihydrite donne lieu à une intense controverse qui porte sur la présence de fer tétracoordiné. Certains travaux indiquent que l’ordre local dans la ferrihydrite serait proche de celui de la goethite et de l’akaganéite dans lesquelles le fer est uniquement hexacoordiné (Towe 1967, Combes 1989, Drits 1993a, Manceau 1993, 2014), tandis que d’autres s’accordent sur la présence de proportions importantes (jusqu’à 25 à 30 %) de fer tétracoordiné selon le modèle structural de l’akdalaite VI Al8 IV Al2 O14 (OH)2 (Eggleton 1988, Michel 2007, Maillot 2011, Harrington 2011, Gilbert 2013). La présence de fer ferrique tétracoordiné dans la ferrihydrite est surprenante car, à notre connaissance, il n’en existe pas dans les espèces ferriques solubles (à la différence de l’aluminium et sauf en milieu très fortement alcalin), ni dans les phases ferriques solides autres que la magnétite et la maghémite à structure spinelle. En outre, l’évolution de la ferrihydrite en suspension, en l’absence d’ions ferreux ou d’ions divalents, n’engendre jamais de solides structurés renfermant des sites tétraédriques occupés. Il n’y a donc aucune raison pour que les ions ferriques réduisent spontanément leur coordinence au sein d’une phase particulièrement métastable. L’existence de fer tétraédrique dans la ferrihydrite, qui paraît ainsi fortement douteuse, doit probablement résulter de la technique d’adjustement des spectres expérimentaux de spectroscopie d’absorption des rayons X (EXAFS) (Manceau 2011, 2013, Paktung 2013, Gilbert 2013). À cause de sa faible organisation structurale et de son extrême état de division (l’observation en microscopie électronique en transmission indique des particules de taille moyenne de l’ordre de 2 à 3 nanomètres), la ferrihydrite à deux raies est thermodynamiquement instable. Elle se transforme en suspension dans l’eau en diverses phases cristallisées selon différents chemins réactionnels qui dépendent de l’acidité du milieu et aussi de la présence de divers cations ou anions (Jambor 1998, Cornell 2003). Dans des systèmes purement ferriques et à pH compris entre 5 et 8 environ, la ferrihydrite forme lentement de très petites particules d’hématite, α-Fe2 O3 (Combes 1990). La solubilité du solide étant très faible dans ces conditions d’acidité, de l’ordre de 10−7 mol.l−1 (Fig. 7.8), la transformation doit procéder par déshydratation et réarrangement in situ. Cela explique la formation d’un oxyde sous forme de très petites particules car l’organisation structurale, ne s’effectuant que par élimination d’eau et diffusion des ions dans le solide, ne peut pas se propager sur de grandes distances. Les études de l’évolution du gel ferrique à pH 6,5 et 92 ◦ C par spectroscopie d’absorption des rayons X (Combes 1990) montrent très clairement l’évolution des distances Fe-Fe : jusqu’à 6 heures de vieillissement, on observe des distances de 3,40 et 3,05 Å correspondant au partage de sommets et d’arêtes respectivement entre octaèdres FeO6 , alors
276
De la solution à l’oxyde
qu’au-delà de 6 heures et jusqu’à 130 heures d’évolution où la cristallisation est complète, il apparaît une nouvelle distance courte Fe-Fe à 2,9 Å correspondant au partage de faces entre octaèdres FeO6 et caractéristique de la structure de type corindon de l’hématite (Fig. 7.9)
(c) (a)
Fe-Fe Fe-O
130 h FT(kχ)
36
20 (b)
30
40 50 °2θ
60
70
20
30
40 50 °2θ
60
70
6 1,5 2 3 R(Å)
Fig. 7.9 – (a) Évolution de la fonction de distribution radiale (EXAFS) autour du fer au cours de la cristallisation en hématite d’un gel ferrique en suspension à 92 ◦ C (reproduit d’après Combes 1990 avec autorisation de Elsevier). La flèche indique l’apparition de l’épaulement caractéristique de distances Fe-Fe à 2,86 Å. Diagrammes de diffraction des rayons X de la ferrihydrite à 2 raies (b) et de l’hématite avec le schéma de la structure de l’hématite (c). Quand la solubilité du gel ferrique est plus élevée, à pH inférieur à 4 ou supérieur à 8 environ, la transformation de la ferrihydrite à 2 raies mène à la goethite, α-FeOOH, via un processus de dissolution-cristallisation. À la différence de l’aluminium qui, dans des conditions semblables de synthèse, forme l’hydroxyde Al(OH)3 , on n’obtient pas l’hydroxyde ferrique « Fe(OH)3 ». Cette phase n’a jamais été identifiée, notamment par diffraction des rayons X. Il est probable que cette différence de comportement est due à l’électronégativité plus forte des ions ferriques qui polarisent les ligands hydroxo plus fortement que l’aluminium, ce qui évite la formation d’un hydroxyde ferrique. On observe toutefois qu’un minéral très rare, la bernalite Fe(OH)3 ,nH2 O (0 ≤ n ≤ 0,25), trouvé dans la mine de Broken Hill en Australie, a été structuralement identifié (Birch 1993). Il s’agit en fait d’un hydrate dont la structure de type perovskite, formée d’octaèdres Fe(OH)6 reliés par des sommets, renferme un nombre variable de molécules d’eau (Fig. 7.10). Il n’est pas possible de synthétiser cette phase au laboratoire et les conditions géologiques de sa formation restent mystérieuses, d’autant plus que, dans le gisement, le minéral
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
277
Fig. 7.10 – Structure de la bernalite, Fe(OH)3 0,25 H2 O, formée d’enchaînement d’octaèdres Fe(OH)6 liés par des sommets. Les molécules d’eau incluses dans le cristal sont représentées par des sphères. est associé à de la goethite. Il est possible que cette phase soit stabilisée par la présence de diverses impuretés, silicium, zinc, plomb et aussi carbonate, présentes dans le gisement. La croissance de la goethite à partir du gel ferrique intervient par dissolution-cristallisation avec la mise en œuvre de tétramères plans [M4 (OH)12 (OH2 )4 ]0 (§ 4.1.3). La condensation de ces espèces par olation du fait de la présence de ligands aquo, peut former les embryons des doubles chaînes d’octaèdres caractéristiques de la structure de la goethite (Fig. 7.11). L’oxolation permettant la connexion des doubles chaînes par des ponts μ3 oxo intervient ensuite à cause de la cinétique relative des deux réactions. Un ensemble de liaisons hydrogène existe aussi entre les ligands oxo et hydroxo des doubles chaînes. Ce shéma réactionnel permet de comprendre aisément
Ligands oxo
hydroxo
aquo
Fig. 7.11 – Chemin réactionnel possible de formation de la goethite α-FeOOH par vieillissement à pH 11 et à température ambiante de suspensions de ferrihydrite et image MET des particules.
278
De la solution à l’oxyde
qu’il existe une direction de croissance privilégiée conduisant à la formation de nanobaguettes assez monodisperses de 150 à 200 nm environ de longueur, 25 nm de largeur et 10 nm d’épaisseur. La goethite est principalement utilisée comme pigment jaune dans diverses applications (bâtiment, cosmétique) (Cornell 2003). La forte anisotropie des nanoparticules leur confère, en dispersion concentrée dans l’eau, un comportement de cristal liquide car les particules ont spontanément tendance à s’aligner parallèlement les unes aux autres en formant des phases nématiques (Lemaire 2004). Ces bâtonnets apportent aussi un intéressant renforcement des propriétés mécaniques de polymères organiques, tel le poly(hydroxyéthyl)méthacrylate, grâce à la mise en jeu de fortes interactions entre la surface des particules et les groupements hydroxyle et carboxylate des chaînes de polymères (Chemin 2008). Des ligands complexants du fer tel le phosphate (Parfitt 1992, Rose 1996, 1997, Doelsch 2000) ou le silicate (Pokrovski 2003) retardent ou même évitent la transformation de la ferrihydrite en phases cristallisées. Ces ligands en milieu naturel ont ainsi permis de conserver la présence de ferrihydrite dans les sols les plus anciens (200 000 ans !) en Nouvelle-Zélande. C’est aussi la complexation qui permet le stockage réversible du fer ferrique dans les nanoparticules de ferritine de certains organismes vivants. Les cations métalliques divalents ont aussi un rôle important sur la transformation de la ferrihydrite en phases cristallisées. À faible teneur, beaucoup de cations conditionnent la transformation en goethite, hématite ou ferrite spinelle (§ 7.2.3b), tandis qu’à des concentrations plus élevées, ils permettent la cristallisation de diverses phases polymétalliques (Jambor 1998, Cornell 2003). Un surprenant phénomène naturel est à l’origine de la formation de concrétions ferriques nommées « moqui marbles » ou « iron sandstone marbles » que l’on trouve dans les déserts de l’Utah, du Colorado et de l’Arizona aux ÉtatsUnis, dont le sol est formé de grès hautement ferrugineux (Chan 2002). Ces boules dont la taille peut aller de celle d’un petit pois à celle d’une balle de baseball, sont formées d’un cœur de grès, une concrétion de grains de quartz, enveloppé d’une couche d’épaisseur variable d’hématite ou de goethite (Fig. 7.12). L’environnement étant extrêment riche en oxyde ferrique, les eaux naturelles s’infiltrent en dissolvant l’oxyde et transportent le fer dans le milieu souterrain sous forme ferreuse, en raison de la très grande différence de solubilité des ions FeIII et FeII au voisinage de la neutralité (Stumm 1992). Le blanchiment des dunes dans ces régions résulte ainsi du lessivage du grès sur les temps géologiques, l’alternance de bandes rouges et blanches traduisant le mouvement des eaux naturelles (Fig. 7.12). Lors de la résurgence des eaux chargées de fer, l’oxydation est immédiate et le fer précipite sous forme de ferrihydrite au contact des petites concrétions de grès plus ou moins sphériques. Le précipité constitue alors un ciment qui colmate la porosité du grès. Les dépôts successifs de fer s’effectuent très probablement par nucléation hétérogène et ils forment, par déshydratation/cristallisation en milieu proche de la neutralité,
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
(a)
279
(b)
(c)
Fig. 7.12 – (a) Coyote Buttes, Paria Wilderness Area, frontière de l’Utah-Arizona (États-Unis). Vues d’ensemble (b) et détaillée et en coupe (c) de « moqui marbles ». (Images aimablement fournies par Marjorie Chan, The University of Utah, Salt Lake City). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
des couches d’hématite d’épaisseur milli- à centimétrique. La forme du moqui marble traduit en fait celle du noyau sur lequel s’est effectué le dépôt et qui a pu se former sous diverses influences naturelles, telles le travail de l’eau et/ou du vent pendant des durées géologiques. Des concrétions similaires ont été trouvées sur la planète Mars par le robot Opportunity de la NASA, ce qui pourrait être l’indice d’une présence d’eau dans le passé de la planète. b) Thermolyse des solutions acides : hématite, akaganéite Le chauffage à 90-100 ◦ C de solutions acides de nitrate ou de perchlorate ferrique (1 ≤ pH ≤ 3) ne contenant aucun additif ou anion complexant forme l’hématite (Matijevic 1978, 1988, Jambor 1998, Schwertmann 1999, Cornell 2003). La cristallisation de l’hématite paraît due à plusieurs facteurs. L’acidité du milieu et l’élévation de la température favorisent la condensation par oxolation entre complexes hydroxylés et les contraintes cinétiques pour former la phase la plus stable sont atténuées. Il en résulte la formation de l’oxyde Fe2 O3 et non plus de la goethite FeOOH. Après quelques minutes de chauffage, la solution devient rouge sang et contient de très petites particules d’environ 3 nm de diamètre dont le diagramme de diffraction X est caractéristique de la ferrihydrite à
280
De la solution à l’oxyde
(b)
110
(a)
112
300 115
113 114 50 nm
(c)
nm
2 heures
(f)
100
(e) (d)
60
24 heures
20 50 nm
20 30 40 50 60 70 ° 2θ
20 nm
1.5
2
2.5 3 pH
3.5
Fig. 7.13 – Diagramme de diffraction (a) et image MET (b) de la ferrihydrite à 6 raies obtenue après quelques minutes de thermolyse du nitrate ferrique (CFe = 5.10−3 mol.l−1 , 95 ◦ C, pH ≈ 2) ; diagramme de diffraction après vieillissement des suspensions pendant 2 heures (c) et 24 heures (d) et images MET des particules d’hématite (e). Taille moyenne des particules d’hématite obtenues après thermolyse des solutions de nitrate ferrique à différentes acidités (f ). (D’après Hernandez 1998). 6 raies (Fig. 7.13). Cette phase, mieux organisée que la ferrihydrite à 2 raies, se transforme directement en hématite durant la thermolyse. Après 24 heures (95 ◦ C, pH 2), on obtient de parfaits rhomboèdres bordés par des faces de type {104} de taille voisine de 30 nm (Hernandez 1998, Rodriguez 2007). Plus l’acidité du milieu de thermolyse est forte, plus la croissance des particules d’hématite est lente mais plus leur taille augmente jusqu’à environ une centaine de nanomètres (Fig. 7.13). En effet, plus l’acidité est forte, plus l’hydroxylation des cations et la nucléation du solide sont difficiles mais plus l’agrégation est favorisée à cause de l’accroissement de la force ionique (effet de sel, § 5.3) et plus le mécanisme de dissolution-cristallisation est à l’oœuvre pour alimenter la croissance des particules d’hématite. En milieu moins acide (pH > 3), la thermolyse des solutions ferriques forme un mélange d’hématite et de goethite. Les anions présents dans le milieu de thermolyse ainsi que l’acidité du milieu ont une influence considérable sur la nature du solide formé et sur la morphologie des particules finales (Fig. 7.14, 7.15). On observe que l’anisotropie des particules est d’autant plus prononcée que le pouvoir complexant de l’anion vis-à-vis des ions ferriques est marqué (Matijevic 1978). En présence de concentrations élevées de chlorure (ou à concentration de chlorure ferrique supérieure à 4.10−2 mol.l−1 ), la précipitation à température ambiante ou par thermolyse des solutions acides mène en premier lieu à la formation de
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale (a)
(b)
2 μm
(c)
281 (d)
2 μm
1 μm
Fig. 7.14 – Particules d’hématite α-Fe2 O3 formées par thermohydrolyse de solutions ferriques acides (100 ◦ C, pH 0,5-2,5) en présence des anions (a) Cl− , − − (b) ClO− 4 , (c) NO3 , (d) H2 PO4 (reproduit d’après Matijevic 1978 avec autorisation de Elsevier).
2 μm
(a)
2 μm
(b)
2 μm
(c)
2 μm
(d)
Fig. 7.15 – Particules d’hématite α-Fe2 O3 formées en milieu alcalin : (a) particules
pseudocubiques obtenues dans la suspension FeCl3 1 mol.l−1 + NaOH (OH− /Fe = 5,4) vieillie 8 jours à 100 ◦ C ; (b) plaquettes obtenues dans la suspension FeCl3 1 mol.l−1 + NaOH (OH− /Fe = 8) vieillie 2 heures à 180 ◦ C (reproduit d’après Sugimoto 1993 avec autorisation de Elsevier) ; (c) plaquettes formées en solution alcaline du chélate Fe(III)-triéthanolamine (NaOH 1,2 mol.l−1 , 250 ◦ C) en milieu − − (reproduit d’après Matijevic ClO− 4 et H2 O2 et (d) en milieu NO3 et CH3 COO 1988 avec autorisation de IUPAC).
l’akaganéite, β-FeOOH (Matijevic 1978, Morales 1992, Bottero 1994, Cornell 2003). La structure de cette phase est apparentée à celle de la goethite car elle renferme les mêmes doubles chaînes d’octaèdres, mais la connexion des chaînes par partage de sommets d’octaèdres forme un agencement différent, caractéristique de la structure hollandite (Fig. 7.16). Des ions chlorure sont toujours présents dans le solide dont la composition moyenne est FeOOH, HCl0,12 , H2 O0,25 . Les ions chlorure sont éliminables au cours du titrage du solide par une base. Ils peuvent être réintroduits par acidification sans modification de la structure et échangés par des ions fluorure mais pas par les ions perchlorate, trop volumineux (Paterson 1983, 1984, Cai 2001). Les ions chlorure sont localisés dans les canaux du réseau, au centre du prisme
282
(a)
De la solution à l’oxyde
150 nm
(b)
Fig. 7.16 – (a) Image MET de nanoparticules d’akaganéite, β-FeOOH. (b) Schéma de la structure cristalline. Les grosses sphères au centre des canaux indiquent les sites occupés par les ions chlorure. Les petites sphères représentent les atomes H des ligands hydroxo. formé par 8 atomes d’hydrogène appartenant aux groupes hydroxo des chaînes d’octaèdres. Ils occupent environ les deux tiers des sites et ils compensent la charge positive de sites protonés dans les mêmes canaux (Post 2003). Le chlorure est un complexant assez modeste des ions ferriques en solution (Sillen 1964). À faible taux d’hydroxylation en solution (h = HO− /Fe ≤ 0,3), les mesures d’EXAFS montrent que deux ions Cl− en position trans (distance 2,31 Å) constituent avec quatre atomes d’oxygène (distance 2,01 Å) la sphère de coordination du fer (Combes 1989, Bottero 1994). Les ions Cl− sont progressivement déplacés à mesure que le taux d’hydrolyse augmente. Les premiers stades de condensation du fer, où apparaissent des corrélations Fe-Fe à 3,45 Å et 3,01 Å (liaisons d’octaèdres par des sommets Fe-O-Fe et par des arêtes Fe-(OH)2 -Fe), sont les mêmes qu’en présence d’anions non complexants (NO3 − , ClO4 − ). Pour h > 2, on ne détecte plus de chlorure dans la sphère de coordination du fer au sein des polymères. Néanmoins, des ions Cl− doivent rester piégés dans ces polymères et sur les chaînes à mesure de leur formation à cause d’interactions fortes formant des complexes à sphère externe du type (Fe3+ )3 − O-Hδ+... Clδ− . Les liaisons hydrogène interchaînes entre groupes OH ne peuvent donc pas s’établir comme dans la goethite et à cause de la taille importante des ions chlorure (rCl − = 1,81 Å), l’organisation des liaisons autour d’eux conduit à un autre agencement des doubles chaînes d’octaèdres. Les ions chlorure sembleraient donc agir davantage comme un agent template plutôt que comme un véritable ligand des ions ferriques. Le faible pouvoir complexant du chlorure vis-à-vis des ions ferriques explique aussi que l’oxychlorure FeOCl, dont la structure en couches du type CdCl2 est voisine de celle de la lépidocrocite, γ-FeOOH, ne soit pas formé par précipitation dans des conditions analogues à celle de la formation de l’akaganéite, β-FeOOH, mais par réaction de α-Fe2 O3 avec FeCl3 vers 400 ◦ C en tube scellé (Holt 1983). La forte anisotropie des particules d’akaganéite et leur très grande homogénéité dimensionnelle permettent, en suspension concentrée ou par séchage,
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
283
I 0,5 μm II
III
Fig. 7.17 – Images MEB de domaines smectiques dans des sols secs de nanoparticules hautement monodisperses d’akaganéite. Dans le domaine I, les bouts des particules formant des couches horizontales sont visibles. Dans les domaines II et III, les particules forment des couches verticales et seules les faces des particules sont c American Chemical visibles (reproduit avec autorisation d’après Maeda 1996 Society).
leur agrégation sous forme de remarquables structures ordonnées, nommées couches de Schiller (Fig. 7.17). Ce sont des cristaux liquides smectiques qui présentent de magnifiques couleurs irisées dues à des phénomènes d’interférences lumineuses au sein des domaines organisés (Maeda 1996). L’akaganéite est une phase assez fortement métastable. Par déshydroxylation sous vide à 170 ◦ C, elle forme l’oxyde β-Fe2 O3 du type structural bixbyite β-Mn2 O3 (Fig. 7.18). Cette phase, qui n’existe pas dans la nature, a été identifiée dans certains procédés industriels de traitement des aciers. Elle peut aussi être obtenue par réaction à l’état solide entre NaCl et Fe2 (SO4 )3 à 400 ◦ C (Zboril 2002, Machala 2011) et par traitement hydrothermal à 150 ◦ C de FeCl3 en présence d’urée à pH 9-10 (Rahman 2011). Cette phase n’a été obtenue que sous forme nanométrique. Elle se transforme à 500 ◦ C en hématite. L’akaganéite se transforme en hématite par chauffage des suspensions, en donnant des morphologies très variables selon les conditions expérimentales. Deux mécanismes sont impliqués dans la transformation : dissolutioncristallisation et/ou agrégation ordonnée de particules primaires. Dans la plupart des cas, les particules d’hématite sont hautement monodisperses en taille. À concentration en fer dans le domaine 2.10−2 - 4.10−2 mol.l−1 , l’akaganéite se transforme lentement en particules sphériques, ellipsoïdales ou pseudocubiques de α-Fe2 O3 (Matijevic 1978, Morales 1992, Bailey 1993, Sugimoto 1993, 1996a, 1996b) (Fig. 7.19a, b).
284
De la solution à l’oxyde
Fig. 7.18 – Agencement des octaèdres FeO6 dans la structure cristalline bixbyite de β-Fe2 O3 .
La taille et la morphologie des particules d’hématite dépendent étroitement de l’acidité du milieu de vieillissement, de la taille et de l’agrégation des particules initiales de β-FeOOH qui peuvent servir de support à la nucléation hétérogène. Le mécanisme impliqué est clairement la dissolution/cristallisation, parfaitement illustrée par la formation de particules d’hématite en double ellipsoïde (Fig. 7.19e). Ici, des particules initiales de β-FeOOH de grande taille servent de support à la recristallisation par nucléation hétérogène d’hématite mais, en présence d’une concentration élevée en chlorure, les équilibres de dissolution-cristallisation ne peuvent parvenir à résorber la totalité de l’akaganéite (Matijevic 1978, Bailey 1993). À plus forte concentration en chlorure, la complexation du fer est trop efficace, si bien que les équilibres de recristallisation de l’hématite n’interviennent plus et l’akaganéite se trouve stabilisée au cours du vieillissement des suspensions (Morales 1992). La transformation de l’akaganéite en présence de phosphate donne des particules d’hématite en forme de fuseau dont l’anisotropie est très marquée (Fig. 7.19c, d). Le rapport axial, d’autant plus grand que la quantité de phosphate est importante, atteint la valeur de 6 pour les particules de la figure 7.19d. La croissance des particules, fortement orientée par l’adsorption du phosphate, met en jeu un mécanisme d’agrégation ordonnée de très petites particules primaires d’hématite. L’annulation de la charge électrique de surface qui résulte de l’adsorption du phosphate entraîne l’agrégation parallèlement au grand axe des particules. L’interaction des surfaces et leur désolvatation, ainsi que l’acidité du milieu, sont des facteurs favorables à la désorption lente du phosphate, ce qui permet la transformation des agrégats polycristallins en monocristaux (Morales 1992, Sugimoto 1993). L’intervention du phénomène d’agrégation ordonnée a été joliment démontrée avec un dispositif permettant de réaliser des prélèvements et la trempe des échantillons
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
(a)
285
(b) (e)
(c)
0,2 μm
(d)
1 μm
Fig. 7.19 – Formation de particules de α-Fe2 O3 par thermohydrolyse à 100 ◦ C
de solutions de FeCl3 (0,02 mol.l−1 ) après 8 heures (a) et après 2 jours (b) de vieillissement ; en présence de KH2 PO4 (4,5.10−4 mol.l−1 ) après 8 heures (c) et après 4 jours (d) (reproduit d’après Sugimoto 1996b avec autorisation de Elsevier). (e) Particules d’hématite en double ellipsoïde (reproduit d’après Bailey 1993 avec autorisation de Elsevier).
durant la transformation de l’akaganéite dans des conditions hydrothermales (Fig. 7.20) (Almeida 2010). La croissance de nanobâtonnets de α-Fe2 O3 observée sur les images de la figure 7.20 peut être illustrée par la succession des séquences du schéma 7.2 : (1) précipitation de bâtonnets de β-FeOOH (en gris) ; (2) nucléation de nanoparticules de α-Fe2 O3 (points noirs) ; (3) croissance de nanoparticules de α-Fe2 O3 parmi la phase β-FeOOH en cours de dissolution ; (4) alors que la phase β-FeOOH a totalement disparu, attachement orienté, agrégation et grossissement des nanoparticules de α-Fe2 O3 pour donner la forme finale due à la présence du phosphate (Almeida 2010). Divers autres complexants des ions ferriques (acides-alcools tels le citrate, amino-acides, phosphonates. . . ) et aussi des polymères tel l’alcool polyvinylique, permettent de contrôler la morphologie des particules d’hématite (sphères, cubes, ellipsoïdes) dans le processus de thermohydrolyse de solutions acides de chlorure ferrique (Kandori 1992, 2002, 2006, Ashauer 2008). Comme avec le phosphate, l’anisotropie des particules est d’autant plus marquée que le pouvoir complexant du ligand est élevé, mais de trop fortes concentrations de citrate ou l’usage d’un ligand trop fortement complexant
286
De la solution à l’oxyde
(b)
(c)
(a)
(e)
(d)
Fig. 7.20 – Images MET en champ clair et en contraste de phase des produits obtenus après 30 min de traitement hydrothermal à 200 ◦ C de FeCl3 en présence de phosphate d’ammonium et trempe dans l’azote liquide. (a) β-FeOOH, identifié par les franges de réseau et (b) nanoparticule de α-Fe2 O3 (encadré), identifiée par les franges de réseau et diffraction électronique. (c) Plus grands bâtonnets de α-Fe2 O3 formés après 40 min à 200 ◦ C (∼ 150 nm de longueur, ∼ 25 nm de largeur) parmi de plus petites particules de α-Fe2 O3 (< 10 nm). (d) Grand bâtonnet ellipsoïdal de α-Fe2 O3 formé après 50 min à 200 ◦ C identifié par les franges de réseau et diffraction électronique, (e) caractère filamenteux du bout d’un nanobâtonnet de α-Fe2 O3 en cours de formation (reproduit d’après Almeida 2010 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
(1)
(2)
(3)
(4)
Schéma 7.2 – Reproduit d’après Almeida 2010 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry.
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
(a)
287
(b)
1 μm Fig. 7.21 – Images MEB à effet de champ en vue de dessus (a) et en coupe (b) d’un ensemble de nanotubes d’hématite synthétisés par anodisation pendant 2 minutes à 60 ◦ C d’une lame de fer à un potentiel de 50 V dans l’éthylène glycol contenant 0,3 % en masse de NH4 F et 3,0 % d’eau (reproduit avec autorisation d’après LaTempa 2009 c American Chemical Society).
tel l’EDTA provoquent la dissolution des particules d’hématite (Chang 1983, Zhang 1985). L’hématite peut aussi être obtenue sous forme de nanotubes par oxydation anodique d’une lame de fer métallique dans l’éthylène glycol contenant du fluorure d’ammonium et de l’eau (LaTempa 2009). Le procédé est très semblable à celui utilisé dans la formation de structures tubulaires d’oxyde de titane (Zwilling 1999, Gong 2001) (Fig. 8.31). Le film d’oxyhydroxyde de fer amorphe formé sur la surface du métal est structuré en tubes de 55 nm de diamètre et 3 μm de longueur, avec une épaisseur de paroi d’environ 10 nm (Fig. 7.21). Les dimensions des tubes sont très dépendantes de divers facteurs (température, tension d’anodisation, concentration du fluorure d’ammonium et quantité d’eau). La formation des nanotubes résulte d’une délicate balance entre trois processus simultanés : l’oxydation électrochimique du fer qui forme la couche d’oxyde et acidifie le milieu environnant, la dissolution et le transport dû au champ électrique d’ions fer dans l’électrolyte et la dissolution chimique localisée de l’oxyde par les ions fluorure qui crée la structure tubulaire (§ 8.2.3). Ces processus sont très sensibles à la température qui joue sur la mobilité des espèces solubles dans le milieu. La cristallisation en hématite est effectuée par recuit du matériau à 400 ◦ C sous air. De telles structures nanotubulaires organisées d’hématite semblent présenter d’intéressantes propriétés catalytiques pour la photodissociation de l’eau (Mohapatra 2009). Dans des conditions de précipitation rapide où la solution concentrée et acide de chlorure ferrique est introduite dans de l’eau bouillante, le solide amorphe formé initialement se transforme directement en hématite sans passer par la formation d’akaganéite (Wang 2008). Lorsqu’une importante évaporation du solvant a lieu durant le chauffage et le vieillissement permettant
288
(a)
De la solution à l’oxyde
(b)
Fig. 7.22 – Images MEB d’agrégats de particules d’hématite formées par nucléation rapide à 100 ◦ C à partir de solutions acides de FeCl3 . (a) Disques obtenus après 48 heures de chauffage et évaporation des trois quarts du solvant (concentrations initiales FeCl3 2.10−3 M, HCl 2.10−3 M) ; (b) tétraèdres obtenus après 16 heures de chauffage et évaporation de la moitié du solvant (concentrations initiales FeCl3 c American 10−2 M, HCl 2.10−3 M) (reproduit avec autorisation d’après Wang 2008 Chemical Society). la concentration de la suspension d’un facteur deux à quatre, l’agrégation de particules primaires d’hématite conduit à la formation de disques et de tétraèdres (Fig. 7.22). c) Conditions hydrothermales : hématite Le chauffage de solutions diluées de chlorure ferrique seul ou en présence d’urée avec ou sans bromure de cétyltriméthylammonium (CTAB) entre 120 et 200 ◦ C permet de former des particules d’hématite avec des morphologies prismatiques assez comparables à celles obtenues en thermohydrolyse, à 100 ◦ C au maximum (Almeida 2009, Li 2011, Song 2011) (Fig. 7.23). Le temps de réaction est évidemment raccourci (environ 1 heure à 200 ◦ C) par rapport à celui nécessaire dans la thermolyse des solutions (quelques jours à 100 ◦ C). On peut en conclure que les mécanismes de croissance sont les mêmes dans les deux cas. En revanche, l’effet de divers adjuvants sur la morphologie des particules formées en conditions hydrothermales est considérable comme le montrent les quelques exemples suivants. Des plaquettes polyédrales (Fig. 7.24a) sont obtenues après traitement hydrothermal à 180 ◦ C pendant 30 heures d’une suspension de goethite formée par alcalinisation à pH 11 de sulfate ferreux en présence de CTAB (Jia 2007). Ici, la morphologie issue du mécanisme de dissolution-cristallisation impliqué dans le changement structural semble fortement influencée par le CTAB. Des nanotubes (Fig. 7.24b) sont formés par traitement hydrothermal à 220 ◦ C pendant 48 heures de solutions acides de FeCl3 en présence de
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale (a)
(b)
100 nm
(c)
100 nm
289 (d)
200 nm
100 nm
Fig. 7.23 – Images MET de particules d’hématite synthétisées en conditions hydrothermales pendant 2 heures à partir de solutions de FeCl3 à 160 ◦ C (a) et c American Chemical 200 ◦ C (b) (reproduit avec autorisation d’après Almeida 2009 Society). Images MEB de particules parallépipédiques d’hématite obtenues (c) par chauffage à 120 ◦ C pendant 15 heures de solutions de FeCl3 en présence d’urée et présentant des faces d’indices {012}, {01-4} et {-210} (reproduit d’après Li 2011 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry) et (d) par chauffage à 170 ◦ C pendant 24 heures de solutions de FeCl3 en présence d’urée et de bromure de cétyltriméthylammonium (CTAB) (reproduit d’après Song 2011 avec autorisation de Elsevier).
(a)
(b)
(c)
20 nm
Fig. 7.24 – Images de microscopie électronique de particules d’hématite (a) plaquettes formées à partir de goethite (reproduit d’après Jia 2007 avec autorisation de Wiley), (b) nanotubes (reproduit d’après Jia 2005 avec autorisation de Wiley) et (c) pseudo-cubes (reproduit avec autorisation d’après Wang 2009 c American Chemical Society) formés à partir de FeCl3 en présence de différents adjuvants en conditions hydrothermales (voir texte).
phosphate (pH = 1,8, PO4 /Fe = 0,04) (Jia 2005). Le mécanisme impliqué dans la formation des tubes est assez étonnant : après 2 heures de réaction à 220 ◦ C, des particules en forme de cigare orienté selon la direction (001) tout à fait comparables à celles obtenues par thermolyse des solutions (Fig. 7.19d) sont formées, puis un phénomène de dissolution creuse progressivement les particules depuis les bouts pour les transformer en tubes. La dissolution est engendrée à la fois par l’acidité du milieu et la complexation des ions ferriques par le phosphate. La température paraît critique pour la morphologie : à 180 ◦ C, des particules en forme de cigare sont formées et à 200 ◦ C, seuls quelques nanotubes sont obtenus. L’acidité et la concentration
290
De la solution à l’oxyde
OR
RO O
O OR
(a)
n
(b)
Fig. 7.25 – (a) Image MEB de particules d’hématite en forme de bipyramide tronquée à base hexagonale, présentant des faces latérales {101} et des faces basales c American Chemical Society). {001} (reproduit avec autorisation d’après Van 2012 (b) Schéma du motif du polymère cellulosique avec R = CH2 CO2 − . en phosphate sont aussi des paramètres critiques pour la synthèse de ces tubes. Un point tout à fait remarquable est que la réduction par l’hydrogène à 360 ◦ C de ces tubes d’hématite à l’état sec et la réoxydation à l’air à 240 ◦ C permettent de former de façon topotactique des tubes de maghémite, γ Fe2 O3 (Jia 2005). Des nanocubes (Fig. 7.24c) très homogènes en taille limités par des faces d’indices {012} sont obtenus par traitement hydrothermal à 180 ◦ C pendant 20 heures de mélanges de FeCl3 , oléate et acide oléique en milieu hydroalcoolique (Wang 2009). Le contrôle morphologique semble dû à l’adsorption de l’oléate, le rapport molaire oléate/Fe devant être au moins égal à 3 pour obtenir des particules cubiques de taille homogène. L’évolution morphologique au cours du traitement hydrothermal montre que la formation des pseudocubes résulte de l’agrégation de particules primaires. Des particules d’hématite en forme de bipyramide tronquée à base hexagonale (Fig. 7.25) (Van 2012) sont obtenues par traitement hydrothermal à 160 ◦ C pendant 8 heures d’hexacyanoferrate de potassium K3 [Fe(CN)6 ] en présence d’hydrazine et d’un polymère chargé, le carbométhylcellulose de sodium. L’adsorption du polymère cellulosique et la présence d’hydrazine semblent les conditions nécessaires pour favoriser la dispersion et la croissance des faces {001} et {101} respectivement. Des chaînes droites en forme de chapelet constituées de nanoparticules d’hématite en forme de bipyramide tronquée à base hexagonale ont été formées par traitement hydrothermal à 180 ◦ C pendant 12 heures du mélange de chlorure ferrique, oléate de sodium, oleylamine et acide oléique en solution dans un milieu formé d’eau, éthanol, n-hexane et n-octane (Meng 2010). Les chaînes comportent une douzaine de motifs de forme et de taille remarquablement homogènes (Fig. 7.26), assemblés par un processus d’agrégation ordonnée qui place en contact quasi parfait les faces de type {006}, perpendiculaires à la direction [001] de la structure rhomboédrique de l’hématite. Ce mécanisme
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale (a)
(b)
(c)
291
(e) 20 nm
(d) 20 nm
Fig. 7.26 – (a) Image MEB de chaînes de nanoparticules d’hématite ; (b et c) images MET de chaînes droites et vue des particules individuelles en forme de bipyramide tronquée dans les chaînes ; (d) diagramme de diffraction électronique montrant l’orientation des faces {006} ; (e) image MET montrant des particules individuelles et des tronçons de chaîne en cours de formation (reproduit avec autoc American Chemical Society). risation d’après Meng 2010 est confirmé par l’observation en microscopie électronique d’échantillons en cours de croissance qui montre des particules individuelles et des tronçons dont le diamètre est déjà celui des chaînes. On peut alors admettre que les surfactants permettent la formation des bipyramides comportant 12 faces du type {113} et que les troncatures basales {006}, peut-être les moins protégées par les ligands et les plus énergétiques, soient le siège de l’agrégation ordonnée voire de la recristallisation des particules individuelles. Un phénomène très spectaculaire conduisant aussi à la formation de chapelets de nanoparticules intervient lors du traitement de nanoparticules rhomboédriques d’hématite par l’hydrazine en milieu très fortement alcalin à chaud (Duchateau 2013). Les nanoparticules initiales sont synthétisées par thermolyse à 95 ◦ C de nitrate ferrique en milieu acide (§ 7.2.2b). Ces particules sont ensuite traitées pendant deux jours en milieu eau-soude (50 % massique en eau, 50 % massique en soude) à 110 ◦ C en présence d’hydrazine. Les images de microscopie électronique font apparaître un changement morphologique des particules et leur agrégation ordonnée qui forme des chaînes selon la direction normale aux faces {001} (Fig. 7.27). En l’absence d’hydrazine, le traitement en milieu alcalin et chaud ne modifie pas de manière significative les particules d’hématite. L’hydrazine N2 H4 est une base de Lewis capable de se coordiner aux cations métalliques (Manimekalai 2011) et c’est aussi un réducteur relativement puissant (E◦ = –1,16 V à pH 14). Dans la réaction avec les nanoparticules d’hématite, l’hydrazine conduit d’abord à leur changement morphologique très probablement induit par la complexation sur les faces disponibles de type {104}. L’adsorption de l’hydrazine peut alors lui permettre de jouer son rôle de réducteur et entraîner l’injection d’électrons dans les particules en provoquant la dissolution réductrice sous forme de complexes ferreux à partir des coins qui sont les zones les plus réactives. Le phénomène a été décrit lors de l’étude de l’adsorption d’ions ferreux sur l’hématite (§ 5.4.3). La dissolution entraîne ainsi l’apparition des faces {001}, faces par lesquelles
292
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
(c) (01-4) (1-1-4) (-10-4)
100 nm
(d)
100 nm
(e)
100 nm
(f) (01-4) (1-1-4) (001) (-10-4)
100 nm
Fig. 7.27 – Nanoparticules d’hématite obtenues par thermolyse en milieu acide de nitrate ferrique (en haut) et traitées en milieu alcalin à 110 ◦ C en présence d’hydrazine (en bas) : (a, d) images MEB ; (b, e) images MET ; (c, f ) schéma de la morphologie des deux types de particules (d’après Duchateau 2013). intervient l’agrégation orientée des particules au sein des chaînes (Fig. 7.28). Après traitement prolongé à 110 ◦ C, l’hématite est d’abord réduite en magnétite puis en fer métallique (Duchateau 2013). Des nanodisques d’hématite ont été obtenus par traitement hydrothermal de solutions de FeCl3 en présence de phosphate (Bao 2011) ou de silicate (Qu 2013). Le chauffage du chlorure ferrique à 200 ◦ C pendant 12 heures en présence de phosphate forme des disques d’environ 150 nm de diamètre et 15 nm d’épaisseur. L’addition d’éthylène glycol permet de diminuer le diamètre des disques. En présence de silicate, les disques de 150 nm de diamètre et 5 nm d’épaisseur sont empilés pour former des objets d’environ 50 nm d’épaisseur qui contiennent du silicate entre les disques. Dans les deux cas, la morphologie des disques résulte de l’adsorption du ligand phosphate ou silicate sur les faces basales {001} des particules. Un autre exemple illustrant la versatilité morphologique de l’hématite est celui des structures dendritiques obtenues par traitement hydrothermal à partir de 140 ◦ C de l’hexacyanoferrate K3 [Fe(CN)6 ] à la concentration 0,015 mol.l−1 pendant deux jours (Fig. 7.29) (Cao 2005). L’hématite est la seule phase identifiée par diffraction des rayons X et spectroscopie Mössbauer. Les particules se présentent sous forme de sapin avec des branches implantées de part et d’autre du tronc (Fig. 7.29a-c) et plus rarement sous forme de cristaux de neige avec une symétrie d’ordre 6 (Fig. 7.29d). Les raisons de la formation de telles structures ne sont pas clairement établies, mais
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
293
5 nm Fig. 7.28 – Image MET à haute résolution montrant le contact entre deux particules au sein d’une chaîne, après traitement de l’hématite en milieu alcalin en présence d’hydrazine. En insert, image de diffraction électronique (d’après Duchateau 2013). (a)
(b)
1 nm
(c)
(d)
500 nm
200 nm 500 nm
(e)
(f)
300 nm
(g)
300 nm
300 nm
Fig. 7.29 – Images MEB (a-c) et MET (d) de particules d’hématites formées
par traitement hydrothermal de K3 [Fe(CN)6 ] 0,015 M à 140 ◦ C ; images MEB de particules obtenues par traitement hydrothermal de K3 [Fe(CN)6 ] 0,01 M à 140 (e), 170 (f ) et 200 ◦ C (g) (reproduit d’après Cao 2005 avec autorisation de Wiley).
l’hexacyanoferrate de potassium s’avère le précurseur indispensable. L’augmentation de la température de synthèse et l’accroissement de la concentration du précurseur abaissent le caractère dendritique des particules pour aller vers un nanobâtonnet comportant des excroissances (Fig. 7.29e-f).
294
De la solution à l’oxyde
En dépit de ce que l’on pourrait attendre avec une structure cristalline très compacte, stable et aussi très contrainte par la distorsion des octaèdres ferriques, l’hématite fait preuve d’une étonnante variabilité morphologique sous forme de nanoparticules élaborées dans des conditions physicochimiques très diverses, en particulier par traitement hydrothermal de différents précurseurs et en présence de ligands et/ou de surfactants variés.
7.2.3
Phases mixtes ferriques-ferreuses : rouilles vertes et magnétite
La présence d’ions ferriques et ferreux en solution oriente le processus de condensation vers la formation de phases à valence mixte telles les rouilles vertes qui appartiennent au type structural hydrotalcite, et la magnétite du type structural spinelle. La formation de ces phases dépend essentiellement de la composition du système définie par le rapport x = [Fe3+ /(Fe2+ +Fe3+ )] et du pH du milieu (Fig. 7.2). Pour les rouilles vertes, x est proche de 0,33 tandis que x est égal à 0,66 pour la magnétite et varie continuement jusqu’à x = 1 pour la maghémite. Un caractère particulier tient au fait que des électrons sont mobiles à température ordinaire dans la structure spinelle tandis qu’il n’y a pas de sauts électroniques dans le réseau bidimensionnel des rouilles vertes. Les rouilles vertes sont des intermédiaires très réactifs dans la corrosion aqueuse du fer et elles abondent dans les sols réductomorphiques où elles interviennent notablement dans l’activité bactérienne (Bourrié 1999, Berthelin 2006, Pédro 2007). Les oxydes spinelle sont des matériaux ferrimagnétiques utilisés dans beaucoup d’applications technologiques (Cornell 2003) et, en particulier, sous forme de nanoparticules, pour le diagnostic médical et la thérapie (hyperthermie et vectorisation) (Mornet 2004, Laurent 2008). a) Rouilles vertes Pour x ≤ 0,33 et OH− /Fetotal = 2 (pH ≈ 8), l’hydroxylation du mélange forme une phase dont la structure est dérivée du type brucite de Fe(OH)2 et de couleur bleu-vert (Fig. 7.30 et 7.33). La présence d’ions Fe3+ dans des sites octaédriques des feuillets brucitiques leur confère une charge positive puisque les feuillets Fe(OH)2 sont électrostatiquement neutres. La compensation de charge est effectuée par l’intercalation d’anions dans le solide, d’où la dénomination « d’argiles anioniques » par opposition aux aluminosilicates dont les feuillets sont chargés négativement (§ 6.3.2). Il existe différentes familles de rouilles vertes selon la nature des anions intercalés. Le prototype structural est la phase carbonatée, l’hydrotalcite, [Mg6 Al2 (OH)16 ]CO3 ·4H2 O (Génin 2005). Le carbonate et le chlorure forment la phase rouille verte de type I où le rapport FeII /FeIII est variable de x = 0,25 à 0,33, tandis que des anions tétraédriques tels le sulfate ou l’arsénate forment la rouille verte de type II dont la composition est fixe, égale à x = 0,33 (Refait 1998, Géhin 2002, Génin 2005, 2006a).
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
(a)
(b)
500 nm
(c)
1 μm
295
(d)
5 μm
Fig. 7.30 – (a) Schéma de la structure des rouilles vertes (RV) de type II incluant des anions tétraédriques et des molécules d’eau (symbolisées par des points) dans l’espace interfoliaire. Images (b) MET et (c) MEB de RV-SO4 obtenues par coprécipitation à pH 7,5 et à pH 8,5 respectivement (reproduit avec autorisation d’après c American Chemical Society). (d) RV obtenue par bioréduction de Ahmed 2010 c American la lépidocrocite (reproduit avec autorisation d’après Ona-Nguema 2002 Chemical Society). L’étude de l’alcalinisation progressive du mélange d’ions Fe2+ et Fe3+ (x = 0,33) en présence de sulfate correspondant à la phase FeII 4 FeIII 2 (OH)12 SO4 ·8H2 O, permet de tirer des informations intéressantes sur le mécanisme de sa formation (Ruby 2003, 2006a, Ahmed 2010). Cette phase se forme selon un processus de cristallisation hétérogène car les ions ferriques et ferreux précipitent successivement. Au début de l’alcalinisation et jusque vers pH 4 (les ions ferreux demeurent en solution), un hydroxysulfate purement ferrique, la schwertmannite, est formé (Cornell, 2003). La formation de ce composé est marquée par le point équivalent situé à OH− /Fe ≈ 2,7 sur la courbe de titrage du fer ferrique seul (Fig. 7.31). À pH plus élevé, les ions ferreux s’hydroxylent à leur tour et s’adsorbent sur la phase ferrique en induisant la cristallisation de la rouille verte. La cristallisation procède très vraisemblablement par dissolutioncristallisation, ce qui permet l’incorporation des anions sulfate dans l’espace interfoliaire de la structure (Ruby 2006a). De façon assez surprenante, la fin de la formation de la rouille verte à OH− /Fe = 2 vers pH 8 (Fig. 7.31) n’est pas marquée par un point équivalent sur les courbes de titrage potentiométrique. C’est cependant en ce point que tout le fer présent dans le milieu est engagé dans la phase rouille verte comme l’attestent la spectroscopie Mössbauer et la microscopie électronique (Ruby 2003). L’addition ultérieure de base entraîne la décomposition de la rouille verte en un mélange d’hydroxyde ferreux et de magnétite marquée par le point équivalent vers pH 10 (Fig. 7.31). Le schéma (Fig. 7.32) montre, par analogie avec une dismutation, l’instabilité de la rouille verte vis-à-vis de l’hydroxylation. Malgré la coexistence d’ions ferreux et ferriques dans les feuillets de la structure, il n’y a pas de mobilité électronique entre les deux types d’ions
296
De la solution à l’oxyde
1 μm
(b)
(c)
RV(SO4)
pH
300 nm
Fe3O4 + Fe(OH)2
12 (a)
FeII
8
FeIII
2 FeII + FeIII
Sw
Sw
4
OH/Fe total 0
1
2
3
Fig. 7.31 – (a) Courbes de titrage protométrique en présence de sulfate d’ions FeII
seuls, FeIII seuls et du mélange 2FeII + FeIII . La formation de la schwertmanite (Sw) est repérée sur les courbes ; images MET du solide formé (b) par alcalinisation du mélange 2FeII +FeIII à OH− /Fetotal = 2 et (c) au point équivalent à pH 10 (reproduit c Elsevier Masson SAS). avec autorisation d’après Ruby 2003
dans le réseau des rouilles vertes, contrairement à ce qui est observé dans la structure spinelle de la magnétite (voir plus loin). Le spectre Mössbauer de la rouille verte sulfatée ne comporte en effet que deux composantes, l’une des ions ferreux et l’autre des ions ferriques qui présentent les paramètres hyperfins (déplacement isomérique et écart quadipolaire) caractéristiques de ces deux
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
297
3
Fe3O4
OH/Fetotal
FeO(OH)
2 Fe(OH)2 0
RV (Fe6(OH)12SO4) 0,33
FeIII/(FeII+FeIII) 0,66
1
Fig. 7.32 – Schéma de la décomposition de la rouille verte sulfatée en hydroxyde ferreux et magnétite pour un taux d’hydroxylation OH− /Fe > 2. espèces (Ruby 2008). Il est possible que la concentration électronique élevée due à la majorité d’ions ferreux dans la structure entraîne de fortes répulsions électroniques entre sites cationiques qui imposent la localisation des électrons. À l’appui de cette hypothèse, l’étude de la substitution progressive des ions ferriques par l’aluminium semble indiquer un ordre à grande distance dans la distribution des cations ferriques et ferreux dans les plans de la structure. Il est à remarquer qu’il existe une parenté structurale entre l’hydroxyde ferreux et les rouilles vertes qui comportent le même type de feuillets de type brucite formés d’octaèdres liés par des arêtes. Ce type structural existe tant que les ions ferreux sont majoritaires dans le système (x ≤ 0,33). Quand la proportion d’ions ferreux baisse dans les mélanges ferrique-ferreux (x > 0,33) et jusque vers des valeurs de x très élevées proches de 0,9, la cristallisation du spinelle intervient. La précipitation des milieux purement ferriques (x = 1) forme la goethite ou l’hématite selon les conditions acido-basiques. Bien qu’il y ait de nombreuses relations de topotacticité dans les transformations de ces différentes phases (Cudennec 2003, 2005), il est tentant de penser que, dès que les ions ferreux deviennent minoritaires, les transferts électroniques FeII -FeIII deviennent possibles dès les premières étapes de formation du solide et ils initient la cristallisation de la phase spinelle (voir plus loin). Il est utile de rappeler que la feroxyhyte, la phase totalement oxydée (x = 1), n’est obtenue que par oxydation rapide et complète de l’hydroxyde ferreux, c’est-à-dire lorsque la structure brucite est déjà formée. La feroxyhyte serait ainsi une phase cinétique. Il existe pourtant une phase purement formée d’ions trivalents, un oxyhydroxyde de chrome CrOOH avec une structure type CdI2 comportant des plans d’octaèdres très semblables à ceux de la feroxyhyte et obtenu par thermolyse à 90 ◦ C de solutions acides de nitrate de chrome (Pottier 1999) (§ 4.1.3). Cette phase est stable et sa formation est très probablement due à
298
De la solution à l’oxyde
l’inertie chimique des ions Cr3+ vis-à-vis des réactions de substitution. Il en résulte que les réactions d’olation et d’oxolation mises en jeu dans la cristallisation deviennent cinétiquement équivalentes et, au lieu de former les doubles chaînes caractéristiques de la goethite, la croissance bidimentionnelle des plans de type brucitique se produit (Fig. 7.11). Par ailleurs, il semble qu’il n’existe aucune phase CrOOH isotype de la goethite. On peut ainsi penser que c’est à cause de leur trop forte réactivité vis-à-vis de la condensation que la précipitation des ions ferriques en solution ne mène jamais à la phase type brucite δ-FeOOH. Les rouilles vertes peuvent être formées selon différents chemins réactionnels : coprécipitation des ions ferriques et ferreux comme il vient d’être décrit ci-dessus (Ruby 2003, 2006a), oxydation partielle de l’hydroxyde ferreux (Génin 2006b), réduction chimique, électrochimique ou biologique de la lépidocrocite (Ona-Nguema 2002, Zegeye 2005, Berthelin 2006). Les rouilles vertes apparaissent ainsi comme la plaque tournante impliquée dans de nombreux processus redox mettant en jeu la corrosion (Refait 1998, 2006) ou la transformation du fer dans l’environnement (Trolard 1997a,b, Bourrié 1999, Génin 1998, 2002, 2005). Une phase naturelle récemment reconnue comme un minéral, la fougérite (ainsi nommée car initialement identifiée dans le milieu naturel près de Fougères, Ille-et-Vilaine, France), est une rouille verte hydroxycarbonatée formée par bioréduction d’oxyhydroxydes de fer en milieu anaérobie (Fig. 7.33). Le matériau est en fait partiellement déprotoné et correspond à la formule [FeII 6(1−x) FeIII 6x (OH)4(4−3x) (OOH)2(3x−1) ]CO3 ,∼3H2 O avec x variant de 1/3 à 2/3 et pouvant présenter des substitutions partielles des ions ferreux et ferriques par Mg2+ et Al3+ respectivement (Génin 2005, Ruby 2006b). Ces phases, extrêmement réactives vis-à-vis de l’oxydation, ont
(a)
(b)
500 nm
Fig. 7.33 – (a) Profil de sol réductique dans une forêt des environs de Fougères (France). La couleur bleu-vert de la fougérite vire rapidement à l’ocre au contact de l’oxygène de l’air après l’ouverture du profil en raison de la forte réactivité de la phase mixte ferrique-ferreuse (b) Image MEB de la fougérite montrant les plaquettes hexagonales de 300 à 500 nm de diamètre. (Images aimablement fournies par Fabienne Trolard, INRA, Avignon, France). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage).
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
(a)
(b)
299
Fe3+ Fe2,5+
Fe3O4
Fe2,67O4 =γ-Fe2O3 10 8
6 4
2
0 -2 -4 -6 -8 -10 mm/s
Fig. 7.34 – (a) Schéma de la structure spinelle de la magnétite et (b) spectres Mössbauer de la magnétite et de la maghémite enregistrés à température ambiante.
été finement caractérisées grâce à des mesures de spectroscopie Mössbauer in situ dans le lieu de leur formation (Génin 2005). b) Magnétite La magnétite Fe3 O4 est quasi instantanément formée par coprécipitation des ions Fe3+ et Fe2+ avec x = FeIII /(FeIII +FeII ) = 0,66 (Jolivet 1983). La structure spinelle inverse de l’oxyde est caractérisée par la distribution des cations ferriques dans la moitié des sites octaédriques (Oh ) et le huitième des sites tétraédriques (Td ) de l’empilement cubique à faces centrées des ions oxyde, tandis que les ions ferreux occupent des sites octaédriques selon la formule [Fe3+ ]Td [Fe3+ Fe2+ ]Oh O4 (Wells 1991) (Fig. 7.34). La magnétite est un semi-métal avec une bande interdite étroite (Eg ≈ 0,1 eV). Elle est en fait le siège d’une délocalisation électronique rapide à température ambiante entre les cations ferriques et ferreux du sous-réseau octaédrique, comme l’indique la composante caractéristique d’ions fer de charge +2,5 dans le spectre Mössbauer (Fig. 7.34). La délocalisation électronique entre les ions Fe2+ et Fe3+ explique la couleur noire du solide (le transfert est excité par l’absorption de tout le spectre visible). Les autres oxy(hydroxy)des ferriques sont des semi-conducteurs avec une bande d’énergie interdite beaucoup plus large (de 1,9 à 2,2 eV) qui correspond à l’absorption de la lumière de longueur d’onde plus courte que 600 nm environ, permettant la transmission des radiations rouge et orange, d’où la couleur caractéristique des phases ferriques. La présence d’ions ferreux et la mobilité électronique jouent un rôle fondamental dans la cristallisation du spinelle. En effet, la forme
300
De la solution à l’oxyde
Fe2,5+
110K
Fe2+ 100K
2
0
-2
mm/s
Fig. 7.35 – Spectres Mössbauer du solide initial précipité à pH 11 du mélange FeIII + 0,15 FeII enregistrés à 100 et 110 K. Les composantes calculées relatives aux ions Fe2+ à 100 K et aux ions Fe2,5+ sont tracées en pointillés (E. Tronc, résultats non publiés). totalement oxydée de la magnétite, la maghémite, Fe2,67 O4 ou γ-Fe2 O3 , ([Fe3+ ]Td [Fe3+ 5/3 L1/3 ]Oh O4 , L représente les lacunes cationiques) ne se forme pas par précipitation des ions ferriques seuls, alors que la présence d’ions ferreux dans un solide ferrique pas ou peu organisé (ferrihydrite 2 ou 6 raies), même en faible proportion (x ≈ 0,90), induit la cristallisation de tout le fer présent en oxyde spinelle (Jolivet 1992, Tronc 1992a, Yang 2010). Quelle que soit la valeur de x comprise entre 0,90 et 0,66 dans le solide obtenu par coprécipitation ou par adsorption d’ions ferreux sur une ferrihydrite préalablement formée, tous les ions Fe2+ sont incorporés dans le précipité initial en formant un matériau à valence mixte et présentant un ordre à courte distance avec un saut électronique rapide comme l’indique la spectroscopie Mössbauer : la composante purement ferreuse qui apparaît sur le spectre enregistré à basse température, en dessous de 100 K, se transforme en une composante caractéristique Fe+2,5 au-dessus de 100 K (Fig. 7.35). Des études par spectroscopie Mössbauer mettant en jeu l’adsorption d’ions 56 FeII (isotope silencieux en spectroscopie Mössbauer) sur de la ferrihydrite formée avec du 57 Fe et l’adsorption d’ions 57 FeII sur de la ferrihydrite 56 Fe ont aussi très élégamment montré l’occurrence des transferts électroniques à l’interface ferrihydrite-solution (Williams 2004). Puisque seul l’isotope 57 Fe est détectable en spectroscopie Mössbauer, l’existence d’ions ferriques dans la couche adsorbée et d’ions ferreux dans le cœur des particules atteste d’un transfert électronique et non pas d’une diffusion ionique (§ 5.4.3).
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
301
10nm 200nm 250 k
250 k
-6 0 6 mm/s
(a)
(b) -6 0 6 mm/s
Fig. 7.36 – Diagrammes de diffraction électronique, spectres Mössbauer et images MET des deux familles de particules spinelle formées après 1 jour de vieillissement à température ambiante du mélange FeIII + 0,15 FeII précipité à pH 11. Les petites particules (a) de taille moyenne de 4 nm et de composition FeII /FeIII = 0,07 sont formées par structuration topotactique de la ferrihydrite initiale, tandis que les grosses particules (b) formées par dissolution-cristallisation ont une taille moyenne de 150 nm et une composition FeII /FeIII = 0,33 (d’après Jolivet 1992). L’injection d’électrons dans la ferrihydrite provoque des réarrangements structuraux locaux et la formation de l’ordre spinelle dans de très petites particules afin d’étendre le domaine de délocalisation (Tronc 1992). Parallèlement à ce mécanisme topotactique, la cristallisation procède aussi par dissolution-cristallisation. Les deux mécanismes entraînent alors la formation de deux familles de particules spinelle non stœchiométriques ([FeIII ]Td [FeIII 1+2z/3 FeII 1−z Lz/3 ]Oh O4 ) avec des tailles et des compositions très différentes (Fig. 7.36). L’importance relative de ces deux chemins réactionnels dépend de la teneur en FeII : plus elle est importante, plus la dissolution-cristallisation prédomine, plus la cristallisation est rapide (quasi instantanée pour la stœchiométrie x = 0,66) et la formation d’un système monophasé intervient pour 0,74 ≥ x ≥ 0,66 (Jolivet 1992). La coprécipitation des ions ferriques avec des cations divalents autres que Fe2+ souligne le rôle de la mobilité électronique entre les ions Fe2+ et Fe3+ sur la cristallisation de la phase spinelle. En effet, avec d’autres cations divalents tels Co2+ , Mn2+ , Ni2+ , les transferts d’intervalence à température ambiante sont négligeables. La formation de ferrites spinelle, beaucoup plus lente qu’avec les ions ferreux, ne met en jeu que le mécanisme de dissolutioncristallisation. La transformation est cependant d’autant plus rapide et les particules d’autant plus grosses que le pH de la suspension est élevé (Fig. 7.37) (Pottier 1999, Jolivet 2003).
302
De la solution à l’oxyde
(a)
CoFe2O4 pH 9, 6 h 100°C
pH 9, 30 mn 25°C
20
(b)
40
60
20
40
60
pH 12, 15 mn 100°C
80
20
40
60
°2θ
80
nm CoFe2O4
NiFe2O4
30
30
20
20
20
10
10
10
9
10 11 12
9
10 11 12
30
MnFe2O4
9
10 11 12 pH
Fig. 7.37 – (a) Diagrammes de diffraction des rayons X de la suspension du ferrite CoFe2 O4 formée par précipitation des nitrates de cobalt et de fer ferrique. Le diagramme du solide précipité à pH 9 après 30 min de vieillissement à 25 ◦ C est caractéristique de la ferrihydrite à 2 raies. Après chauffage à 100 ◦ C pendant 6 heures de la suspension (pH 9), environ 35 % du solide initial sont convertis en ferrite spinelle. Dans la suspension formée à pH 12 et chauffée 15 min à 100 ◦ C, environ 70 % du solide sont convertis en ferrite spinelle. (b) Diamètre moyen des particules de CoFe2 O4 , MnFe2 O4 et NiFe2 O4 , après 24 heures de vieillissement à 100 ◦ C des suspensions à différents pH (d’après Pottier 1999). Dans les conditions de formation de la magnétite stœchiométrique (x = 0,66), les particules ont une forme sphéroïdale et leur taille moyenne peut être finement ajustée sur le domaine 2-12 nm par le contrôle précis du pH et de la force ionique du milieu de précipitation et sans recourir à l’addition de surfactants (Vayssières 1998, Jolivet 1997a, 2004) (Fig. 7.38). Cet effet, qui résulte du rôle de la densité de charge électrostatique de surface sur l’énergie de surface est décrit en détail par ailleurs (§ 5.4.4). De nombreuses autres méthodologies de synthèse de la magnétite permettent d’obtenir différentes morphologies des particules à partir d’ions ferriques et d’un réducteur, le plus souvent l’hydrazine dont le produit d’oxydation est le diazote. Des octaèdres très réguliers sont obtenus par traitement hydrothermal à 160 ◦ C de solutions aqueuses d’ions ferriques en présence d’hydrazine et d’EDTA en milieu basique (Fig. 7.39a) (Zhang 2007). En conditions hydrothermales (180 ◦ C, 24 h), des dodécaèdres rhombiques sont formés à partir de solutions aqueuses de sulfate ferreux en présence d’hydrazine et de polyvinyl-pyrrolidone à pH 9 (Fig. 7.39b) (Geng 2008a). Le chauffage micronde (240 W, 10 min) de solutions de sulfate ferreux en présence de citrate et de phosphite en milieu basique produit des plaquettes hexagonales (Fig. 7.39c)
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
(a)
12
(b) 5 D (nm)
10 D (nm)
303
8 6
4
4
3
2
2 9
10
11 pH
12
1 2 I (mol.l-1)
3
Fig. 7.38 – Diamètre moyen des particules de magnétite Fe3 O4 après 8 jours de vieillissement des suspensions (a) à différents pH (NaNO3 1 mol l−1 ) et (b) à différentes forces ioniques I (pH = 12, 25 ◦ C).
(Zhou 2010). Des nanobâtonnets peuvent être obtenus en soumettant à une intense exposition aux ultrasons une solution d’acétate ferreux en présence de cyclodextrine qui agit comme agent stabilisant et dispersant des particules (Fig. 7.39d) (Kumar 2001). Le traitement hydrothermal entre 110 et 160 ◦ C en milieu très fortement alcalin (NaOH > 1,5 mol.l−1 ) de suspensions de ces nanobâtonnets de magnétite produit des nanofils dont la taille, de 15 à 50 nm de diamètre et plusieurs micromètres de longueur, dépend de la concentration de la soude (Fig. 7.39e) (Lian 2004). Des nanofils de magnétite peuvent aussi être obtenus par traitement hydrothermal à 130 ◦ C sous champ magnétique (0,35 T) de solutions de chlorure ferreux en présence d’hydrazine en milieu alcalin (Fig. 7.39f) (Wang 2004). Des nanotubes de diamètre de 50 à 60 nm et d’épaisseur de 15 à 20 nm sont obtenus par traitement hydrothermal à 140 ◦ C de solutions de sulfate ferrique en présence d’hydrazine et d’albumine d’œuf (Fig. 7.39g) (Geng 2008b). Il semble que la protéine, qui adsorbe les ions ferriques, joue le rôle de template en forçant l’enroulement de la couche d’oxyde. Enfin, de très étonnants cristaux dendritiques de magnétite ont été synthétisés par traitement hydrothermal à 160 ◦ C pendant 48 heures du mélange de ferricyanure de potassium K3 [Fe(CN)6 ] avec du bromure de cétyltriméthylammonium (CTAB) et d’hydrazine (Hu 2009) (Fig. 7.39h-k). Les concentrations de fer et du CTAB modifient quelque peu la morphologie des dendrites qui sont toutes formées d’un tronc orienté dans la direction [110] portant quatre branches dans les directions [111]. Les nanoparticules de magnétite sont très sensibles à l’oxydation et elles se transforment in fine en maghémite, γ-Fe2 O3 . Il n’est pas certain que, dans les divers exemples présentés ci-dessus, la stœchiométrie Fe3 O4 soit exacte. La synthèse par précipitation de la magnétite véritablement stœchiométrique requiert de très grandes précautions pour éviter l’oxydation. Il est cependant
304
De la solution à l’oxyde
(a)
(c)
(b)
300 nm
500 nm
(d)
(e)
50 nm
(f)
200 nm
50 nm
100 nm
(g) tube
0.485nm 100 nm
300 nm
(h)
(i)
2 μm 3 μm
(j)
3 μm
5 nm
(k)
3 μm
Fig. 7.39 – Images MET et MEB de différentes morphologies de nanoparticules de magnétite formées dans diverses conditions expérimentales (voir texte). c American Che(a) Octaèdres (reproduit avec autorisation d’après Zhang 2007 mical Society). (b) Dodécaèdres rhombiques (reproduit avec autorisation d’après c American Chemical Society). (c) Plaquettes hexagonales (reproduit Geng 2008a c Elsevier Masson SAS). (d) Nanobâtonnets avec autorisation d’après Zhou 2010 (reproduit d’après Kumar 2001 avec autorisation de AIP Publishing LLC). (e) Nanofils (reproduit d’après Lian 2004 avec autorisation de Elsevier). (f ) Nanofils (reproduit d’après Wang 2004 avec autorisation de Wiley). (g) Nanotubes (reproduit d’après Geng 2008b avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). c American Chemi(h-k) Dendrites (reproduit avec autorisation d’après Hu 2009 cal Society).
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
305
important de considérer la composition effective des particules d’oxyde de fer spinelle qui forment la solution solide continue magnétite (x = 0,33) - maghémite (x = 1), car beaucoup de propriétés du matériau, telles la réactivité chimique, la capacité d’adsorption, le magnétisme, dépendent étroitement de sa stœchiométrie. Ce facteur, souvent négligé dans beaucoup d’études, peut cependant être relativement facilement déterminé, par exemple au moyen de trois techniques : dissolution des particules en milieu acide et dosage chimique des ions ferreux par du bichromate de potassium d’une part, puis de la totalité des ions fer toujours par le bichromate, après réduction des ions ferriques par de l’étain II (Jolivet 1992) ; spectroscopie Mössbauer (Gorski 2010) et, souvent plus difficilement, par diffraction des rayons X (Tronc 1982, Gorski 2010). c) Transformations de la magnétite induites par l’adsorption La forte réactivité des nanoparticules de magnétite est évidemment due à leur rapport surface/volume très élevé et, à cause de la forte mobilité électronique au sein du solide, elles donnent lieu à une très intéressante chimie de surface. Les nanoparticules de magnétite peuvent être converties en maghémite en mettant en jeu différents transferts ioniques et/ou électroniques à travers l’interface solide-solution, l’oxydation par l’oxygène n’étant pas le seul moyen impliqué. Le mécanisme de base de la transformation implique dans tous les cas l’élimination d’un électron de la particule depuis un ion ferreux de la surface et la formation d’un ion ferrique, avec la création d’une lacune cationique dans le sous-réseau octaédrique pour conserver la neutralité électrique. Le processus peut aller à son terme et convertir la magnétite en maghémite parce que la mobilité des électrons dans la particule permet de renouveler les sites ferreux de surface. La neutralité électrique est préservée par la migration des ions ferriques vers la surface en formant des lacunes cationiques dans le cœur de la particule. En milieu basique, l’oxydation de la magnétite par l’oxygène procède par réduction de dioxygène à la surface des particules avec coordination des ions oxyde par les ions ferriques formés à la surface. Cette transformation s’accompagne de l’augmentation de taille des particules par l’addition de couches d’oxygène. En revanche, en milieu acide vers pH 2 et dans des conditions anaérobies, les ions Fe2+ de surface sont désorbés sous forme de complexes hexaaquo en solution (transfert électronique et ionique) selon le bilan formel : 2+ [Fe3+ ]Td [Fe2.5+ ]Oh O4 +2H+ → 0, 75[Fe3+ ]Td [Fe3+ 2 e +H2 O 5/3 V1/3 ]Oh O4 + [Fe]solvat´
306
De la solution à l’oxyde
qui correspond formellement à un échange net Fe2+ /2H+ entre le solide et la solution (Jolivet 1988). Le processus est illustré sur le schéma 7.3 :
(a)
e-
H+
Fe 2.5 --O--Fe2.5 --OHδoxyde
solution
(b) Fe3 -O---Fe2--OH2δ+1
(c) Fe3 -O
H+
2 H+ Fe2+
Fe3+ + eBilan
Schéma 7.3 – Étapes de la transformation de nanoparticules de magnétite en maghémite en suspension acide : (a) la protonation d’un atome d’oxygène de surface entraîne la localisation d’un électron mobile créant un site ferreux octaédrique superficiel ; (b) en milieu acide (pH ≈ 2), le fer (II) est relâché en solution sous forme d’un complexe hexaaquo en laissant un excès de charge positive à l’intérieur de la particule ; (c) l’excès de charge est compensé par le déplacement d’un ion ferrique vers la surface afin de créer une lacune cationique dans le réseau. Le bilan de l’élimination des ions Fe(II) est l’oxydation du matériau, la consommation de deux protons/Fe2+ et la diffusion de lacunes cationiques vers le cœur des particules (d’après Jolivet 1988). En raison de la taille nanométrique des particules et de l’élimination des ions ferreux, l’oxydation de la magnétite en milieu acide (pH ≈ 2) n’entraîne pas de variation de taille détectable. Du point de vue cinétique, environ 50 % de la réaction sont quasi instantanés et l’oxydation complète nécessite environ 1 mois à température ordinaire avec des particules de diamètre de 8 nm environ. Bien sûr, plus les particules sont petites plus la réaction est rapide. Un tel traitement en milieu acide des nanoparticules de magnétite conduit, après leur oxydation, à une dispersion spontanée sous forme d’un sol stable, les nanoparticules de maghémite portant une forte densité de charge électrostatique de surface positive. L’implication de la mobilité électronique dans l’oxydation de la magnétite en milieu acide est bien mise en évidence dans la comparaison du comportement de nanoparticules de ferrite de cobalt CoFe2 O4 dans lequel il n’y a pas de transfert d’intervalence (Jolivet 1988). Dans des conditions similaires, seulement 10 % environ des ions Co2+ sont désorbés, ce qui correspond seulement à une fraction des cations de surface. La réaction d’oxydation de la magnétite est apparemment réversible. En effet, l’adsorption d’ions ferreux sur des nanoparticules de maghémite se produit lors de l’augmentation du pH de la dispersion jusqu’à ce que la composition de la magnétite (x = 0,66) soit atteinte. L’adsorption a lieu vers pH 6, c’est-à-dire à un pH où les ions ferreux seuls ne précipitent pas et c’est la surface hydroxylée qui exerce le rôle de ligand et qui est capable de coordiner les complexes ferreux. Tout le fer présent dans le système apparaît cependant en spectroscopie Mössbauer comme du fer « de type spinelle » (Tronc 1984a, b, 1989). En fait, il n’y a pas migration des ions fer vers l’intérieur des particules car les études structurales (DRX et spectroscopie Mössbauer) montrent que
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
307
le cœur des particules reste lacunaire en fer. Des électrons (et probablement des protons pour conserver la balance des charges) pénètrent dans le cœur des particules à partir de la couche d’ions ferreux plus ou moins hydroxylés adsorbés. Cette dernière, contenant dès lors des ions ferriques et ferreux, cristallise de manière épitactique en spinelle. La réaction se poursuit jusqu’à l’équipopulation en ions Fe3+ et Fe2+ dans le sous-réseau octaédrique de la structure. La limite du phénomène est particulièrement bien mise en évidence sur les courbes de titrage protométrique des suspensions de particules en présence de quantités variables d’ions ferreux (Fig. 7.40). γ-Fe2O3 seul solide
pH 10
Fe2+ seuls
Fe(OH)2 e-
γ-Fe2O3 FeIIads/Feinit ≈ γ-Fe2O3 + Fe
0,3
2+
FeII+FeIII
γ-Fe2O3 + Fe2+
4 base
(a)
solution
H+
8 6
couche adsorbée
10
(b)
0 mm/s
-10
Fe3[Fe35/3
1/3]O4
Fe3O4
(c)
Fig. 7.40 – (a) Courbe de titrage potentiométrique d’une dispersion de nanoparticules de maghémite en présence de quantités variables d’ions ferreux ; (b) spectres Mössbauer des nanoparticules de maghémite avant et après adsorption des ions ferreux ; (c) schéma du bilan de l’adsorption des ions ferreux sur la maghémite (reproduit d’après Tronc 1984b avec autorisation de The Royal Society of Chemistry et d’après Tronc 1989 avec autorisation de Springer).
Un résultat semblable a été observé lors de l’adsorption d’ions 57 Fe2+ sur de la magnétite synthétisée avec l’isotope 56 Fe et inversement, lors l’adsorption d’ions 56 Fe2+ sur de la magnétite non stœchiométrique synthétisée avec l’isotope 57 Fe (Gorski 2009). L’étude montre sans ambiguïté que la fixation des ions ferreux s’accompagne de la croissance d’une couche de matériau spinelle et de la réduction d’ions ferriques dans le cœur des particules. En outre, la quantité d’ions ferreux fixés est d’autant plus importante que l’écart à la stœchiométrie des particules est important. L’adsorption d’ions Co2+ ou Ni2+ qui ne donnent pas lieu à des transferts d’intervalence avec les ions ferriques dans les ferrites spinelle correspondants, est très limitée, ce qui met en évidence le rôle fondamental de la mobilité électronique dans la chimie interfaciale des oxydes de fer spinelle. L’adsorption d’ions ferriques sur la magnétite à pH ≈ 8 met en jeu des transferts électroniques interfaciaux similaires (Belleville 1992). Dans ces conditions d’acidité, les ions ferriques forment immédiatement une couche de ferrihydrite sur les particules de magnétite et cette couche, partiellement
308
De la solution à l’oxyde
Ag+ eFe2.5…O…Fe2.5..OH e-
Ag0
e-
Fe3…O…Fe3..O H
H
O
O
H
H
H+ OH-
γ-Fe2O3 Bilan
Schéma 7.4 – L’adsorption d’un ion Ag+ sur la magnétite crée, comme la protonation (schéma 3), la localisation d’un électron mobile du réseau et la réduction de l’argent. La compensation de charge dans le cœur de la particule s’effectue par migration d’un ion Fe3+ vers la surface. La solvatation et la déprotonation d’une molécule d’eau permet de compenser localement la charge de l’ion ferrique et rend compte de l’acidification du milieu. Le bilan global correspond à l’élimination d’un électron de la magnétite et la migration de lacunes cationiques vers le cœur de la particule, associés à la fixation d’un ligand hydroxo sur la surface de la particule et la libération d’un proton en solution.
20 nm
Fig. 7.41 – Image MET de nanoparticules d’argent (indiquées par des flèches) formées par réduction du nitrate d’argent dans une suspension de nanoparticules de magnétite à pH 8 (pH final 4) (reproduit d’après Jolivet 1990 avec autorisation de Elsevier).
réduite par désorption des électrons mobiles, cristallise en épitaxie sur les particules oxydées. L’oxydation de la magnétite procède dans ces conditions avec augmentation de taille des particules qui correspond à une épaisseur d’environ deux mailles spinelle. La réaction stoppe à ce stade car la vitesse du processus est limitée par la diffusion des cations depuis le cœur des particules vers l’extérieur et à travers la couche adsorbée. L’adsorption de cations métalliques facilement réductibles tels l’argent, le platine ou le palladium, permet aussi l’oxydation de la magnétite nanométrique (Jolivet 1990). La réaction, qui s’effectue sans désorption d’ions fer et avec hydroxlation de la surface et acidification brutale du milieu (schéma 7.4), conduit à un mélange de nanoparticules de maghémite et d’argent métallique (Fig. 7.41). L’ensemble de ces réactions (schéma 7.5) permet de considérer les nanoparticules de magnétite comme des batteries rechargeables.
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
309
M0 Mn+ n OHAg+, Pd2+, Pt2+, pH 8 O2
Fe3O4
Fe2+ 2 OH-
O2 Fe2+, pH 6
H+, pH 2
Fe2+
Fe3+, pH 2 Fe3+, pH > 8
3+
Fe 3 OH-
Fe3+ Fe2+
Schéma 7.5 – Illustration des transformations magnétite/maghémite induites par l’adsorption. Chacune des étapes est commentée dans le texte. Les cercles pointillés schématisent la taille initiale des nanoparticules dans chaque transformation.
d) Dispersion des particules magnétiques Les particules de maghémite qui résultent de l’oxydation de la magnétite forment facilement des dispersions concentrées et très stables vis-à-vis de l’agrégation et de la sédimentation. En milieu acide et à faible force ionique, les nanoparticules portent une forte densité de charges positives et se dispersent dans l’eau en formant des sols pratiquement exempts d’agrégation (§ 5.3) (Jolivet 1983, 1997b, Prené 1993). Des dispersions stables sont aussi obtenues par l’adsorption de diverses espèces chargées ou non (citrate, phosphonate, polymères) selon la nature du milieu de dispersion choisi, aqueux ou non aqueux, et selon la fonction souhaitée des nanoparticules. Par exemple, des particules destinées à des applications médicales et injectées dans l’organisme humain (Mornet 2004, Laurent 2008) ou des applications dans le domaine de la mécanique tels les liquides magnétiques ou ferrofluides (Bacri 1990, Dabadie 1990, Fabre 1990, Lefebure 1998, Cousin 2003). La formation de tels ferrofluides est réalisée par l’adsorption d’acide oléique sur les particules qui peuvent ensuite être facilement dispersées dans une huile (Rosensweig 1987). La dispersion des particules dans des matrices solides organiques (alcool polyvinylique, résine époxy) ou inorganiques (verres de silice) obtenues par gélification du sol aqueux et séchage permet la synthèse de composites magnétiques bien adaptés aux études du magnétisme des nanoparticules et aux
310
De la solution à l’oxyde (a)
75 nm
(b)
oxyde
silice c
(c) c cc
ε-Fe2O3 + α-Fe2O3 c c 1400°C (c) = cristobalite ε-Fe2O3 1200°C
300 nm
(e)
1000°C
IV
750°C γ-Fe2O3
10
30
50 °2θ
RT
(d)
III
II I
70
Fig. 7.42 – (a) Cliché MET du composite silice-maghémite (18 % en masse de γ-Fe2 O3 ) ; (b) schéma de la solvatation des groupements silanol de la matrice silicique dans la couche d’hydratation des nanoparticules ; (c) diagrammes de diffraction des rayons X du composite après différents traitements thermiques ; (d) cliché MET du composite silicique chauffé à 1 200 ◦ C ; (e) schéma de la structure de ε-Fe2 O3 indiquant les quatre types de sites cationiques. (D’après Jolivet 2000.) mesures sur des particules uniques. Le choix de la concentration des particules et de leur degré d’agrégation permet de contrôler les distances moyennes entre les particules dans le milieu rigide et par conséquent, de mettre en évidence et d’étudier les couplages magnétiques interparticulaires (Dormann 1997, Tronc 2003). Des composites à base de verre de silice sont préparés en polymérisant de l’acide silicique Si(OH)4 ou des alcoxydes Si(OR)4 (R = CH3 − , C2 H5 − , etc.) dans le sol aqueux de nanoparticules de maghémite (Chanéac 1996). L’hydrolyse et la condensation des groupements silanol se produisent in situ en formant un gel transparent qui donne un verre monolithique par séchage à température ambiante (Fig. 7.42). Il n’y a pas d’interaction chimique directe entre la matrice de silice et les particules. En effet, les spectroscopies à infrarouge, proche infrarouge et Mössbauer n’indiquent pas la formation de liaisons Si-O-Fe et les analyses thermogravimétriques et infrarouge montrent que les couches de solvatation des particules sont toujours présentes dans le matériau sec. La matrice de silice se comporte en agent anti-frittage lors du traitement thermique du composite et elle stabilise les nanoparticules de maghémite visà-vis de la transformation en hématite. Avec des poudres de nanoparticules de
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
M (ume/g)
40
15 10 5 0 -5 -10 15
(a)
20 0 -20 -40 -40000
0 H (Oe)
40000
6
(b)
-40000
311
4 2 0 -2 -4 -6 0 H (Oe)
40000
(c)
-40000
0
40000
H (Oe)
Fig. 7.43 – Courbes d’aimantation de nanoparticules de (a) γ-Fe2 O3 (6 nm), (b) ε-Fe2 O3 , (c) α-Fe2 O3 (reproduit d’après Jin 2004 avec autorisation de Wiley).
10 nm de diamètre environ, séchées à température ambiante et non protégées par une couche de surface, la transformation γ → α-Fe2 O3 commence vers 300 ◦ C et se termine vers 400 à 500 ◦ C tandis que l’adsorption d’anions tels le sulfate ou le phosphate permet de repousser la transformation vers 800 ◦ C (Tronc 1990) (§ 1.1.3). Dans les composites renfermant des concentrations suffisamment faibles de nanoparticules, aucune transformation ne se produit avant 1 000 ◦ C environ, température à laquelle le verre commence à ramollir ou à cristalliser et permet la migration et la coalescence des particules. Vers 1 200 ◦ C, la matrice cristallise partiellement en cristobalite, ce qui permet aux nanoparticules d’oxyde de fer de s’agréger de façon limitée, entraînant la transformation du spinelle en une phase rarement observée, ε-Fe2 O3 , sous forme de particules dont le volume correspond à quelques dizaines de particules de maghémite initiale (Tronc 1998) (Fig. 7.42). La phase ε-Fe2 O3 est isotype de l’alumine kappa (Tronc 1998, Machala 2011). Elle est ferrimagnétique avec une très forte coercivité et probablement piézoélectrique (Jin 2004). La figure 7.43 illustre le comportement magnétique (aimantation et coercivité) des phases nanoparticulaires de la maghémite γ-Fe2 O3 , de ε-Fe2 O3 et de l’hématite α-Fe2 O3 . La maghémite présente un comportement de matériau magnétique doux (forte aimantation à saturation mais coercivité très faible), ε-Fe2 O3 se comporte comme un matériau magnétique dur (forte coercivité) et l’hématite est un matériau faiblement ferromagnétique. À 1 400 ◦ C, la cristallisation de la matrice est complète et l’oxyde de fer est transformé en hématite sous forme de cristaux dont la taille est au moins d’un ordre de grandeur plus grande que celle des particules de ε-Fe2 O3 . Toutes les observations montrent que la phase ε-Fe2 O3 résulte du frittage d’un nombre limité de particules de γ-Fe2 O3 , alors que dans les poudres de particules non protégées, la transformation mène directement à de grandes particules d’hématite, la phase thermodynamiquement la plus stable. Dans les poudres, la composante de surface (positive) à l’enthalpie libre de la transformation des particules d’oxyde de fer peut être éliminée par le grossissement, de sorte que l’enthalpie libre du système peut être minimisée et que la phase
312
De la solution à l’oxyde
(a)
(b) α-Fe
80 nm
1000°C 750°C
20
30
Fe3O4+FeO
500°C
γ-Fe2O3
RT
40
50 60 °2 θ
70
Fig. 7.44 – (a) Diagrammes de diffraction des rayons X de composites silicemaghémite formés à partir d’éthoxysilane (18 % en masse de γ-Fe2 O3 ) après traitement thermique sous flux d’argon. (b) Image MET de particules de α-Fe formées par chauffage à 100 ◦ C sous flux d’argon du composite à base de triéthoxysilane (les bandes blanches reflètent des variations d’épaisseur de l’échantillon provoquées par la coupe au microtome) (d’après Jolivet 2000).
thermodynamiquement la plus stable, l’hématite, est obtenue (Navrotsky 2008). Dans les composites, quand la diffusion des particules et donc le frittage sont restreints, la diminution de surface spécifique permet d’abaisser l’enthalpie libre du système et donc d’entraîner une transformation structurale, mais la composante de surface reste néanmoins importante de sorte que le minimum d’enthalpie libre ne peut pas être atteint, indépendamment des problèmes cinétiques. Il en résulte seulement la formation d’une phase métastable, s’il en existe. Il devrait être ainsi possible, avec un soigneux contrôle du traitement thermique, d’observer une série de phases intermédiaires entre γ-Fe2 O3 et α-Fe2 O3 , comme dans le cas des alumines de transition (Wells 1991). Il est possible de réaliser des matrices siliciques rigides mais réactives en introduisant dans le sol aqueux de nanoparticules un alcoxysilane portant une fonction réactive, par exemple le triéthoxysilane SiH(OC2 H5 )3 (Chanéac 1996). La liaison Si-H résiste à l’hydrolyse et à la condensation et on obtient après séchage à température ambiante du matériau une matrice de composition voisine de SiH0,8 O1,5 (OH)0,2 , apparemment semblable à celle obtenue avec l’acide silicique. Le comportement thermique du matériau est cependant complètement différent. L’élévation de température sous atmoshère d’argon provoque la rupture des liaisons Si-H ce qui libère l’hydrogène et entraîne la réduction de l’oxyde de fer en magnétite et oxyde ferreux vers 500 ◦ C puis en fer métallique à partir de 750 ◦ C, tandis que la matrice est oxydée en silice (Chanéac 1995, Jolivet 2000) (Fig. 7.44).
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
7.2.4
313
Ferrites polymétalliques : spinelles, hexaferrite et grenats
La synthèse d’oxydes polymétalliques se heurte souvent au problème de la séparation de phases (§ 4.1.6). Les exemples examinés ci-après illustrent quelques stratégies permettant de contourner cette difficulté. a) Ferrites cubiques La structure des ferrites de type spinelle MII M’III 2 O4 est formée par un réseau cubique à faces centrées d’ions O2− dont la moitié des sites octaédriques et le huitième des sites tétraédriques sont occupés par des cations di- et trivalents. Ces ferrites doux (faible coercivité) sont utilisés dans les inductances et les transformateurs électriques. La structure peut être formée par les voies classiques de la chimie du solide pour beaucoup de combinaisons de cations MII et M’III (Rousset 1983), mais il n’en est pas de même lors de la coprécipitation en solution. Avec beaucoup d’ions divalents tels Mg, Cd, Co, Ni, Mn, Zn, Pb par exemple, la coprécipitation à pH 10 à température ambiante du mélange M2+ + 2Fe3+ conduit au mélange de l’hydroxyde M(OH)2 et de ferrihydrite, un oxyhydroxyde ferrique très mal ordonné. L’hydroxyde du cation divalent est la phase stable et le fer précipite à part. Dans le cas du ferrite de chrome, FeII (FeIII 1−x CrIII x )2 O4 , la coprécipitation des ions Fe2+ , Fe3+ et Cr3+ forme là aussi un mélange de phases parce que la réactivité des ions fer est beaucoup plus importante que celle du chrome qui ne peut donc pas être directement incorporé dans la phase d’oxyde de fer. La cristallisation de la phase purement ferrique-ferreuse (la magnétite) est en revanche quasi immédiate car le transfert d’intervalence rapide entre les cations favorise la cristallisation de la phase spinelle (§ 7.2.3b). La synthèse des ferrites examinés ci-dessus est cependant possible dans des conditions douces et diverses méthodes peuvent être exploitées. La coprécipitation à température ambiante des cations M2+ + 2 Fe3+ (M = Co, Ni, Mn) forme immédiatement un mélange de ferrihydrite et d’hydroxyde M(OH)2 . Après thermolyse de la suspension à 100 ◦ C voire à plus basse température, les phases spinelle sont obtenues selon un mécanisme de dissolution-précipitation (Fig. 7.37) (Sato 1970, Tang 1991, Pottier 1999). L’acidité du milieu de traitement est un paramètre important dont dépend la taille des particules car la solubilité des cations, qui dépend fortement du pH du milieu, détermine les caractéristiques du processus de dissolutioncristallisation. Les phases spinelle peuvent aussi être formées en coprécipitant les ions divalents et le fer sous forme ferreuse, puis en oxydant le solide soit par un réactif en solution, nitrate par exemple, soit à l’air. L’apparition des ions ferriques provoque alors la cristallisation du spinelle. C’est typiquement le cas pour les ferrites de chrome (Tamaura 1980) et de titane (Katsura 1979). Cette méthode forme cependant des particules de taille souvent micronique
314
De la solution à l’oxyde
qui renferment des hétérogénéités de composition à cause des gradients de concentration du cation divalent (Co, Mn, Ni) entre le cœur et la surface des particules (Utsunomiya 1985). On peut aussi obtenir la phase spinelle à partir des complexes oxaliques mixtes des cations à associer. Ainsi, le ferrite de nickel Ni0,6 Fe2,4 O4 est obtenu par chauffage à 300 ◦ C du complexe Ni0,2 Fe0,8 C2 O4 , 2H2 O précipité à température ambiante à partir d’une solution de composition Ni/Fe déterminée et d’un léger excès d’acide oxalique. Le chauffage entre 600 et 1 000 ◦ C permet de faire évoluer le solide vers la formation du ferrite stœchiométrique NiFe2 O4 et d’un excès d’hématite Fe2 O3 (Gallagher 1969). De façon analogue, les spinelles FeAl2−2z Cr2z O4 (0 ≤ z ≤ 1) peuvent être obtenus par chauffage à 700 ◦ C des complexes oxaliques ternaires (NH4 )[Fe1−(x+y) Crx Aly (C2 O4 )3],3H2 O avec (x + y = 2/3) (Chassagneux 1976). La température de traitement thermique provoque inévitablement un phénomène de frittage plus ou moins marqué qui entraîne le grossissement des domaines cristallins, mais la technique permet de former les phases spinelle à une température inféreure d’environ 300◦ à celle mise en jeu par les réactions de diffusion à l’état solide. b) Hexaferrites Un cas intéressant est celui de l’hexaferrite de baryum, BaFe12 O19 . Il appartient au groupe des ferrites hexagonaux (ou hexaferrites) dont la structure comporte différents blocs (Wells 1991). Le type structural le plus simple, BaFe12 O19 , (structure magnétoplombite) est constitué de blocs d’une demimaille spinelle (blocs S) connectés par des blocs de jonction comprenant trois couches d’ions oxyde en empilement hexagonal compact (blocs R) (Fig. 7.45). Le fer adopte la coordinence 4 et 6 dans les blocs spinelle et la coordinence 5 et 6 dans les blocs R. Les composés sont ferrimagnétiques et dans BaFe12 O19 , l’aimantation est uniaxe, parallèle à l’axe c de la maille cristallographique. La très forte anisotropie magnétocristalline des hexaferrites leur confère une aimantation rémanente élevée et une haute coercivité (ferrite dur), c’est-à-dire une résistance importante à la désaimantation. Ces matériaux sont utilisés pour la fabrication d’aimants permanents (Bernier 1979). La synthèse conventionnelle de l’hexaferrite BaFe12 O19 consiste à faire réagir à haute température (1 100 ◦ C) le mélange d’oxyde de fer et de carbonate de baryum. Le matériau est mis en forme après broyage et frittage à 1 200 ◦ C. Ce mode d’élaboration introduit de nombreux défauts de non-stœchiométrie, d’empilement et de précipitation locale de Fe2 O3 qui abaissent les forces coercitives (Bernier 1979). Afin d’éviter ces problèmes, des synthèses dans des conditions plus douces et à partir de solutions sont possibles. La coprécipitation par un excès de soude de chlorure ferrique en présence de carbonate de baryum forme un mélange d’hydroxydes mixtes et de carbonates basiques qui, par calcination à 710 ◦ C, se transforme en ferrite de baryum. Les propriétés magnétiques sont optimisées par un recuit à 950 ◦ C. Cette méthode fournit des particules en forme de plaquettes dont la taille
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
315
c S
R
S*
R*
S
Fig. 7.45 – Structure de l’hexaferrite de baryum BaFe12 O19 . Les blocs S (spinelle) et R notés avec un astérisque ont tourné de 180◦ autour de l’axe c de la maille (axe vertical sur la figure). Les octaèdres représentent les ions FeO6 , les tétraèdres les ions FeO4 et les bipyramides les ions FeO5 . Les sphères représentent les ions Ba2+ . Dans les blocs S, les moments magnétiques des ions Fe octa et tétra sont couplés de manière antiferromagnétique, ainsi que les moments des ions Fe octa et penta dans les blocs R. moyenne est de l’ordre de 0,3 mm (Haneda 1974, Bernier 1988). Une autre technique consiste à oxyder par l’eau oxygénée de l’oxalate ferreux en solution en présence d’un excès d’acide oxalique. L’addition de carbonate de baryum (Ba/Fe = 1/12) forme des complexes mixtes des ions Fe3+ et Ba2+ . Les complexes sont détruits en milieu alcalin (tampon carbonate) et forment un gel d’hydroxyde mixte qui, chauffé à 700 ◦ C, cristallise en hexaferrite sous forme de plaquettes circulaires (Bernier 1988). L’axe d’aimantation facile des plaquettes est perpendiculaire aux grandes faces et les particules de taille micrométrique (de 0,1 à 0,3 mm environ) permettent la fabrication de matériaux à haute densité de stokage qui utilisent la composante verticale du champ magnétique de la tête d’enregistrement. Pour l’enregistrement longitudinal, des particules aciculaires dont l’axe d’aimantation facile est parallèle à l’axe de l’aiguille sont mieux adaptées mais cette morphologie d’hexaferrite n’est pas courante. Une technique indirecte permet néanmoins de parvenir à ce but, en partant de particules aciculaires de gœthite α-FeOOH. Un gel de ces particules est traité par de l’éthoxyde de baryum Ba(C2 H5 O)2 en milieu alcoolique. L’élimination d’alcool par
316
De la solution à l’oxyde
réaction de l’alcoxyde avec les groupes hydroxylés de surface de la gœthite entraîne l’adsorption du baryum. Le traitement thermique permet la diffusion du baryum à l’intérieur des particules et la cristallisation de l’hexaferrite a lieu à partir de 750 ◦ C en conservant la morphologie des particules initiales (Bernier 1988). Des nanoparticules d’hexaferrite BaFe12 O19 peuvent être produites par décomposition thermique du complexe citrique formé par dissolution du nitrate ferrique et du nitrate de baryum en condition stœchiométrique (Ba/Fe = 1/12) dans une solution d’acide oxalique contenant ou non de l’éthylène glycol (Zhong 1997). Le précipité est soigneusement lavé pour éliminer les ions nitrate qui entrent en compétition avec le citrate pour complexer le baryum. Traité à 900 ◦ C, le complexe produit exclusivement la phase magnétoplombite de l’hexaferrite sous forme de particules de diamètre moyen de 100 à 200 nm. c) Grenat de fer et d’yttrium Y3 Fe5 O12 Les grenats sont des minéraux silicatés de formule générale AII 3 BIII 2 (SiO4 )3 avec A=Mg, Fe, Mn ou Ca, B=Al, Fe, Cr. La structure cubique complexe est formée de tétraèdres SiO4 , d’octaèdres BO6 et de cubes déformés AO8 . Les composés du fer et de certains ions lanthanides (du Gd à Y) forment le même type structural et le composé le plus connu est Y3 Fe5 O12 (Fig. 7.46), nommé YIG pour Yttrium Iron Garnet. La structure est fortement contrainte car les polyèdres, liés entre eux par sommets et par arêtes y compris les tétraèdres, sont fortement distordus. Ces composés sont intéressants car ils sont ferrimagnétiques (ferrites doux, comme les ferrites spinelle). Le YIG a de nombreuses utilisations dans la transmission des hyperfréquences (radar et télécommunications par satellite). Il a aussi été largement utilisé pour les mémoires à bulle magnétique. L’inconvénient majeur de ce matériau est la température de synthèse très élevée (1 500 ◦ C) par la voie céramique classique (chauffage des poudres Fe2 O3 et Y2 O3 ). Le YIG peut être obtenu dans des conditions plus douces, selon un protocole qui consiste à former le complexe mixte avec un polycarboxylate (citrate ou malonate) au sein d’une matrice organique polyester (Pechini 1967). Deux réactions sont impliquées dans le procédé, l’estérification entre l’acide organique et le glycol et la complexation des cations par le carboxylate. Le rôle de la matrice polyester est de minimiser la ségrégation des cations au sein des chélates métalliques lors du traitement thermique ultérieur qui détruit les composants organiques et forme l’oxyde. Ainsi, les nitrates de fer et d’yttrium sont dissous dans les proportions stœchiométriques (Y/Fe 3/5) dans du glycérol et l’acide malonique est ajouté dans le milieu. L’estérification de l’acide produit un gel qui peut être étalé sur un substrat avant le traitement thermique dont les différentes étapes sont aisément identifiées par spectroscopie d’absorption infrarouge (Veitch 1991). À 330 ◦ C, le polyester est quasi
7. Oxydes de fer : un exemple de versatilité structurale
317
Fig. 7.46 – Structure du grenat Y3 Fe5 O12 . Les ions FeIII occupent les octaèdres et
les tétraèdres, les ions lanthanides YIII occupent les cavités en coordinence 8.
totalement détruit et la matrice organique ne contient plus que les malonates métalliques avec une coordination bidentate des cations. De 400 à 600 ◦ C, les carboxylates ont disparu et sont remplacés par des carbonates métalliques. À 800 ◦ C, n’apparaissent plus que les vibrations des liaisons métal-oxygène caractériques du réseau du YIG. La diffraction des rayons X montre que la phase YIG est accompagnée de faibles quantités de Fe2 O3 et de YFeO3 qui sont très probablement formées après la décomposition de la matrice organique. Selon une procédure analogue mais avec un soigneux contrôle du pH, le traitement thermique du gel formé par chauffage à 80 ◦ C d’une solution aqueuse du mélange des nitrates de fer et d’yttrium avec de l’acide citrique dont le pH a été ajusté à 2 entraîne la cristallisation du YIG à partir de 650 ◦ C. À 700 ◦ C, le YIG est la seule phase identifiable. La taille des particules varie de 30 à 500 nm selon la durée (2-25 heures) et la température du traitement thermique (700-900 ◦ C) (Vaqueiro 1996, 1997). Il semble que la présence d’éthylène glycol dans le milieu réactionnel favorise la persistance de phases parasites (Fe2 O3 et ou YFeO3 ). Le même procédé peut être appliqué à la synthèse de nanoparticules de la solution solide Y3 Fe5−x Alx O12 (0 ≤ x ≤ 2) (Grasset 2001). La phase YIG peut encore être plus facilement formée par traitement hydrothermal à 225 ◦ C du coprécipité de fer et d’yttrium (Y/Fe = 0,84) à pH 10,5 pendant 6 heures (Cho 1997). La raison pour laquelle un léger excès d’yttrium est nécessaire (le rapport stœchiométrique est Y/Fe = 0,60) est inconnue. La valeur du pH est critique pour la formation du YIG : à pH 7,5, seul l’oxyde de fer Fe2 O3 est formé, l’yttrium restant essentiellement en solution, tandis qu’à pH 9,5, Y2 O3 et d’autres phases non identifiées coexistent avec le YIG.
318
De la solution à l’oxyde
En outre, le pH doit être imposé par de l’ammoniac. En présence de soude, le YIG ne se forme pas, probablement à cause de la présence des ions Na+ et le traitement hydrothermal fournit un mélange d’hydroxyde Y(OH)3 et d’oxyde Fe2 O3 . Les particules de YIG formées dans les conditions optimales ont une taille moyenne de 1,5 μm. La taille importante des particules atteste que la croissance du YIG résulte d’un mécanisme de dissolution-cristallisation. Il est à noter que le traitement hydrothermal à température supérieure à 225 ◦ C tend à décomposer la phase YIG en YFeO3 et Fe2 O3 .
Chapitre 8 Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium Le titane, le manganèse et le zirconium offrent une chimie très riche en raison du polymorphisme de leurs dioxydes. Ceux-ci possèdent d’importantes applications technologiques : TiO2 pour les pigments blancs, les photopiles et la photocatalyse (Henderson 2011), MnO2 pour les matériaux d’électrodes, ZrO2 comme céramique réfractaire et, sous forme de zircone stabilisée, comme conducteur ionique stable à très haute température. D’autres dioxydes d’éléments tétravalents offrant aussi un grand intérêt ont été étudiés par ailleurs, notamment VO2 (§ 4.1.5) qui présente une transition isolant-métal à 68 ◦ C exploitée en opto-électronique et bien entendu la silice SiO2 (§ 4.1.4) qui, du point de vue des applications, est probablement le solide le plus ubiquiste. La chimie en solution aqueuse fait l’objet d’un intérêt particulier pour synthétiser ces oxydes à partir de sels inorganiques sous forme de nanoparticules dans des conditions simples, peu coûteuses et respectueuses de l’environnement. Des précurseurs métallo-organiques tels les alcoxydes de titane et de zirconium sont aussi des précurseurs utilisés pour la synthèse de nanoparticules de TiO2 et ZrO2 car ils offrent certaines spécificités. Un aperçu de la conversion des alcoxydes en oxydes est indiqué à propos de la formation de la silice (§ 4.1.4). Des études très documentées étant présentées par ailleurs (Brinker 1990, Turova 2002, Sanchez 2005), l’étude de ces composés n’est donc pas abordée dans cet ouvrage. Les types structuraux de la plupart des dioxydes MO2 sont le type rutile, TiO2 , pour les cations qui adoptent la coordinence 6 (Ti, V, Cr, Mn, Mo, W, Sn, Pb. . . ) et le type fluorine, CaF2 , pour les cations plus gros à coordinence 8 (Zr, Ce. . . ) (Wells 1991). Certains éléments, tels le chrome et l’étain, ne forment que la variété rutile. Ainsi l’hydrolyse de SnCl4 (Ocana 1990, Hiratsuka 1990) ou l’acidification du stannate [Sn(OH)6 ]2− (Donalson 1968) conduisent toutes les deux à la même phase type rutile de SnO2 , la cassitérite. Le polymorphisme est cependant courant, notamment pour TiO2 qui existe sous trois principales variétés cristallines, anatase, brookite et rutile,
320
De la solution à l’oxyde
et pour MnO2 qui donne lieu à une cristallochimie encore plus diversifiée. L’oxyde ZrO2 est lui aussi polymorphe avec une coordinence du cation Zr4+ variable, 7 pour la phase monoclinique et 8 pour les phases quadratique et cubique.
8.1
Spéciation des cations TiIV , MnIV , ZrIV en solution
Les cations des éléments tétravalents du bloc d sont des acides très forts en solution aqueuse à cause de la polarisation intense des ligands aquo exercée par des cations de charge aussi élevée. En conséquence, les complexes purement aquo n’existent pas. L’hydroxylation et la condensation se produisent dès les milieux très acides dans lesquels se forment des polycations et où la précipitation débute. L’ion TiIV n’est soluble qu’à pH ≤ 0 sous les formes monomères hexacoordinées [Ti(OH)2 (OH2 )4 ]2+ , [Ti(OH)3 (OH2 )3 ]+ et d’un polycation [Ti8 O12 (OH2 )24 ]8+ (Baes 1976, Einaga 1979) (Fig. 8.1a). La structure du polycation a été déterminée par diffraction des rayons X sur le composé [Ti8 O12 (OH2 )24 ]Cl8 , 7H2 O (Reichmann 1987, Liu 2008), obtenu en milieu très concentré et très acide ou par réaction de TiCl4 à l’air humide. Ce polycation dont les liaisons Ti-O forment grossièrement les arêtes d’un cube, ne renferme étonnamment que des ligands oxo et aquo. Formellement, le nombre de charge du polycation indique qu’il résulte de la condensation du complexe h = 3, [Ti(OH)3 (OH2 )3 ]+ . Ce complexe trifonctionnel devrait en principe former par olation un système tridimensionnel infini comportant des ligands hydroxo-aquo. En fait, sa condensation se trouve très vite limitée car la formation de ligands oxo pontants transforme les autres ligands hydroxo en molécules d’eau, ce qui permet de stabiliser un octamère en forme de cube, sans possibilité de condensation ultérieure. Dans le polycation, il n’existe que des ponts oxo très courts (longueur moyenne de liaison Ti-O de 1,820 Å) et des ligands aquo terminaux avec des liaisons Ti-OH2 longues (2,129 Å).
(a)
(b)
Fig. 8.1 – Structure des polycations (a) [Ti8 O12 (OH2 )24 ]8+ et (b) [Zr4 (OH)8 (OH2 )16 ]8+ .
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
321
Par comparaison, les longueurs Ti-O dans les diverses variétés de l’oxyde TiO2 sont 1,946 et 1,983 Å dans le rutile, 1,937 et 1,966 Å dans l’anatase, 1,865, 1,919, 1,945, 1,993 et 2,04 Å dans la brookite. On remarque aussi que l’hydroxyde Ti(OH)4 n’existe pas (voir plus loin). Ainsi, le pouvoir polarisant élevé du cation TiIV déstabilise les ponts hydroxo. La déprotonation d’un ligand pontant dans le polycation permet alors de renforcer la liaison Ti-O et simultanément d’augmenter la basicité des ligands OH terminaux qui forment des ligands aquo. L’ion ZrIV , plus gros que l’ion TiIV (rZr4+ = 0,84 Å vs. rTi4+ = 0,60 Å), adopte en solution la coordinence 8 antiprismatique à base carrée. Le zirconium est par conséquent nettement moins acide que le titane. L’ion [Zr(OH2 )8 ]4+ (pK ≈ –0,3) demeure cependant un acide fort qui s’hydrolyse spontanément pour former les espèces [Zr(OH)(OH2 )7 ]3+ et [Zr(OH)2 (OH2 )6 ]2+ . Cette dernière se condense par olation (δ(OH) = –0,07) et forme, en l’absence d’anions complexants, un tétramère cyclique à doubles ponts hydroxo : [Zr4 (OH)8 (OH2 )16 ]8+ . Dans ce tétramère stable et caractérisé par de nombreuses techniques en solution (Johnson 1956, Muha 1960, Åberg 1993, Singhal 1996) et à l’état solide (Clearfierld 1956, Mak 1968), le zirconium conserve la coordinence 8 antiprismatique (Fig. 8.1b). C’est sans doute à cause de la géométrie et de la coordinence élevée des ions Zr4+ que le polycation se cyclise et limite sa condensation. À la différence du polycation Ti8 , les ponts hydroxo, plus nombreux et moins polarisés dans l’entité Zr4 , restent stables. L’ion MnIV , plus petit que TiIV (rMn4+ = 0,53 Å), n’existe pas en solution sous forme aquohydroxo. Potentiellement encore plus acide que le titane, il précipite l’oxyde MnO2 sur tout le domaine d’acidité accessible, probablement à partir de l’espèce virtuelle [Mn(OH)4 (OH2 )2 ]0 qui peut résulter de réactions redox impliquant des formes solubles du MnII , MnIII ou MnVII . Il est néanmoins possible de stabiliser des formes solubles du MnIV en utilisant des ligands polydentates très fortement complexants, tel le chélate [MnIV (biguanide)3 ]4+ , formé par réduction du permanganate par le sulfate de biguanide en milieu alcalin, le complexe étant ensuite cristallisé en milieu fortement acide (Das 2001). Il existe aussi des complexes polynucléaires à pont oxo du MnIV stabilisés par divers ligands pontants et chélatants (Fig. 8.2).
8.2
Oxydes de titane
L’oxyde TiO2 existe sous trois principales variétés cristallines : rutile, anatase et brookite (Wells 1991) (Fig. 8.3). Le rutile est en principe la phase thermodynamiquement la plus stable, bien que les stabilités relatives des trois phases soient fortement dépendantes de la taille des particules (§ 1.1.1a). Les enthalpies de formation du solide massif indiquent des stabilités croissantes dans l’ordre anatase, brookite, rutile (–939, –941, –944 kJ.mol−1 respectivement) (Handbook 2004) mais les valeurs sont très proches et l’ordre peut être
322
De la solution à l’oxyde
P P
O
O
N
O
O
Mn N
Mn
(a)
P O
N
O
N
(b) N N
N
N
N
N
Mn O N
O
O O
N
N
Mn
Mn
(d)
N O
N
N
N
N
O
O Mn
O N
N
Mn O
Mn O Mn
O
(c)
N
N
O
N
N
Fig. 8.2 – Complexes du MnIV stables en solution aqueuse : (a) [Mn
(biguanide)3 ]4+ (d’après Das 2001) ; (b) [Mn2 O2 (μ-HPO4 )(bpy)2 (H2 PO4 )2 ] c American Chemical Society) ; (reproduit avec autorisation d’après Sarneski 1991 c (c) [Mn3 O4 (bpy)4 (OH2 )2 ]4+ (reproduit avec autorisation d’après Sarneski 1990 American Chemical Society) ; (d) [Mn4 O6 (bpy)6 ]4+ (reproduit avec autorisation c American Chemical Society). (Dans les complexes (c) et d’après Philouze 1994 (d) seuls les atomes directement coordinés aux ions Mn4+ sont représentés.)
(a)
(b)
(c)
Fig. 8.3 – Structures cristallines des trois polymorphes du dioxyde de titane (a) anatase, (b) brookite, (c) rutile.
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
323
modifié par de petites différences dues à l’énergie de surface. Ainsi, l’anatase est la phase thermodynamiquement la plus stable sous forme de particules de taille inférieure à 11 nm, la brookite devient la plus stable sous forme de particules de 11 à 35 nm de diamètre et pour des particules plus grandes, le rutile est effectivement la phase la plus stable (Zhang 2000). Les transformations de phase peuvent donc se produire à des températures très variables (anatase-rutile entre 400◦ et 1 200 ◦ C par exemple) et selon des séquences qui peuvent être contradictoires selon la taille moyenne des particules (A → R, A → B → R ou B → A → R par exemple). La nature des espèces adsorbées (anions ou cations) est aussi un facteur important sur l’orientation structurale lors de la synthèse et sur les transformations ultérieures. La différence de morphologie des cristaux naturels des trois phases reflète bien la différence de leur structure cristalline : octaèdre pour l’anatase, plaquette pour la brookite et baguettes pour le rutile, structures dans lesquelles les octaèdres TiO6 sont liés par partage d’arête dans trois directions, deux directions et une direction respectivement qui correspondent à des directions privilégiées de croissance. La précipitation de TiO2 en solution est le plus souvent effectuée à partir du tétrachlorure TiCl4 qui, selon les conditions de précipitation, permet de former sélectivement les trois polymorphes. La dilution de TiCl4 dans l’eau acidifie très fortement la solution en raison de la formation des complexes hydroxylés [Ti(OH)2 (OH2 )4 ]2+ et [Ti(OH)3 (OH2 )3 ]+ , ce qui produit 2 à 3 moles de protons par mole de titane. La précipitation de TiO2 peut avoir lieu par addition de base et/ou par chauffage, la thermolyse à basse température pouvant provoquer l’hydroxylation des éléments tétravalents jusqu’à la formation du complexe de charge nulle. L’utilisation de divers ligands permet de moduler la structure cristalline, la taille, la forme voire la composition du dioxyde de titane. Une autre voie de synthèse du dioxyde consiste à transformer des titanates obtenus par traitement hydrothermal de divers précurseurs en milieu fortement alcalin. Enfin, un troisième type de protocole fait intervenir des phénomènes d’oxydation en solution, oxydation chimique du trichlorure TiCl3 , ou oxydation anodique du métal. Ces trois types de procédés de synthèse des polymorphes de TiO2 sont examinés successivement pour en distinguer les spécificités.
8.2.1
Précipitation de TiIV en milieu acide ou neutre
a) Anatase L’addition de base dans une solution de TiCl4 jusqu’à un pH compris entre 2 et 7 forme immédiatement un précipité amorphe. Après cinq heures d’évolution à 25 ◦ C de la suspension, la composition moyenne du solide encore amorphe est environ TiO0,3 (OH)3,4 (Pottier 2003). Cela montre que l’hydroxyde Ti(OH)4 n’existe pas, très probablement à cause du pouvoir polarisant très élevé des ions Ti4+ , comme cela a déjà été observé dans la formation
324
De la solution à l’oxyde
(a) 30 nm
(b)
(c)
Anatase
30 nm
(d)
Fig. 8.4 – Clichés de diffraction électronique et images MET des suspensions obtenues par précipitation de TiCl4 à pH 4 et évoluées pendant 5 heures à 25 ◦ C (a, b) et pendant 24 heures à 60 ◦ C (c, d) (d’après Pottier 2003).
du polycation Ti8 . La cristallisation du solide amorphe en anatase est obtenue après environ 24 heures de vieillissement à 60 ◦ C sans que la taille des particules évolue sensiblement. On peut en conclure que la cristallisation procède de manière topotactique par déshydratation et organisation à l’état solide (Fig. 8.4). La taille moyenne des particules d’anatase, sensiblement sphériques, dépend du pH de précipitation et de vieillissement : le diamètre moyen varie de 5 nm (pH 2) à 11 nm (pH 7) et la phase anatase est bien la phase stable dans ce domaine de taille des particules (Zhang 2000). Le changement de taille des particules se manifeste sur le déplacement et l’élargissement de la bande d’absorption située vers 150 cm−1 dans le spectre Raman du solide. Le phénomène est dû à l’effet de confinement de phonons typique de systèmes nanométriques (§ 1.1.3c, Pottier 2003). La variation de taille des particules dans ces conditions de synthèse est due à l’influence du pH sur la densité de charge de surface et par conséquent sur l’énergie de surface (§ 5.3.4). À pH > 7, la précipitation et l’évolution du solide mènent à des titanates (§ 8.2.2). Dans des conditions assez semblables (pH de précipitation de TiCl4 entre 1 et 6, vieillissement à 60 ◦ C) mais en présence d’acide aminé, on obtient
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
325
des nanoparticules d’anatase dont la morphologie dépend de l’acide aminé (Durupthy 2007). Les plus actifs sont les acides glutamique, aspartique et la sérine (schéma 8.1). Ils permettent d’obtenir exclusivement de l’anatase sur tout le domaine d’acidité (1 ≤ pH ≤ 6) avec une taille moyenne comprise entre 4 et 8 nm.
acide glutamique
acide aspartique
sérine
histidine
Schéma 8.1 – La forme des particules, évaluée à partir des tailles des domaines cristallins selon les directions de diffraction des rayons X, évolue depuis une bipyramide tronquée grossièrement sphérique (Fig. 8.5a) sauf en milieu très acide (pH 1) où les faces {101} sont plus développées (Fig. 8.5b). Avec les acides glutamique et aspartique, on obtient des octaèdres sans troncature ne comportant que des faces {101} (Fig. 8.5c). Avec l’histidine à pH 6, les particules d’anatase ont une forme de plaquette avec la prédominance des faces {001} (Fig. 8.5d). L’effet des acides aminés semble directement corrélé à leur capacité d’adsorption qui permet d’abaisser sélectivement l’énergie de surface des particules (§ 5.4.4). Le rôle spécifique des acides glutamique et aspartique parmi les autres semble dû à la présence de deux groupes carboxylate aux extrémités de la molécule leur permettant de se coordiner efficacement aux ions Ti4+ de surface (Durupthy 2007). Le fluor s’avère aussi être un agent très actif pour contrôler la morphologie des particules d’anatase, en particulier pour développer les faces {001} des monocristaux. Il a été montré par le calcul que l’adsorption de fluorure abaisse considérablement l’énergie des faces {001} et {101} par rapport à la
(a)
(b)
(c)
(d)
Fig. 8.5 – Formes des particules d’anatase obtenues sans (a) et avec différents c American acides aminés (reproduit avec autorisation d’après Durupthy 2007 Chemical Society).
326
De la solution à l’oxyde 8
001 101
γ (J m–2)
6
{001}
4 2
{101}
0
1μm
(a)
–2
Clean H B C N O F Si P S Cl Br I
(b)
Fig. 8.6 – (a) Image MEB de particules d’anatase formées par traitement hydro-
thermal (180 ◦ C, 14 heures) d’une solution aqueuse de TiF4 (5,33.10−3 mol.l−1 ) ; (b) variation de l’énergie de surface calculée pour l’adsorption de divers atomes sur les faces {101} et {001} de l’anatase (reproduit d’après Yang 2008 avec autorisation de Nature Publishing Group).
présence d’autres atomes, typiquement l’hydrogène, l’azote, le phosphore, le soufre, le chlore, le brome ou l’iode (Yang 2008, 2009). En présence de fluor, les faces {001} deviennent même plus stables que les faces {101} (Fig. 8.6). C’est effectivement ce qui est observé lors de la synthèse de particules micrométriques d’anatase par traitement hydrothermal de TiF4 en présence d’acide fluorhydrique HF qui permet de former des monocristaux en forme de bipyramide tronquée à base carrée (Fig. 8.6). On obtient ici des particules de taille beaucoup plus importante que par thermolyse, à cause de l’effet thermique qui permet de franchir plus aisément les barrières d’activation des processus en solution et à l’interface solide-solution et qui exalte aussi les processus de redissolution-cristallisation pour diminuer la surface du système. L’augmentation de concentration de fluorure de titane ou d’acide fluorhydrique dans le milieu entraîne la diminution de la taille des particules avec un degré de troncature des monocristaux qui croît avec le rapport TiF4 /HF (Nguyen 2011). Des bipyramides tronquées d’anatase micrométriques du même genre (Fig. 8.7) ont été obtenues par chauffage micro-onde (210 ◦ C, 90 min) de solutions de fluorure de titane en présence de liquide ionique (tétrafluoroborate de 1-méthyl-imidazolium) (Zhang 2010). Le chauffage micro-onde permet de raccourcir considérablement la durée de la synthèse. En outre, le rapport des faces {001}/{101} peut être continûment ajusté de 27 à 50 % par l’augmentation de la concentration du liquide ionique. Cela s’explique probablement par l’adsorption du tétrafluoroborate qui favorise le développement des faces {001}. L’EDTA (éthylène diamine tétraacétate) est aussi un complexant énergique du titane qui permet de former, en présence de TiF4 dans des conditions hydrothermales analogues, des particules d’anatase avec une prédominance de faces {001} (Ma 2010). Le traitement hydrothermal (180 ◦ C, 10 heures) d’une suspension aqueuse de poudre de titane métallique renfermant de l’eau oxygénée et de l’acide fluorhydrique forme aussi des particules d’anatase en forme de bipyramide
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
327
(101)
(001)
500 nm
500 nm
Fig. 8.7 – Images MEB à effet de champ d’une particule d’anatase vue sous deux angles différents, formée par chauffage à 210 ◦ C pendant 90 minutes d’une solution aqueuse d’acide chlorhydrique renfermant TiF4 (0,04 mol.l−1 ) et du tétrafluoroboc rate de 1-méthyl-imidazolium (reproduit avec autorisation d’après Zhang 2010 American Chemical Society).
{101} {110}
1μm
{001}
1μm
Fig. 8.8 – Images MEB à effet de champ de particules d’anatase (une face {110} est entourée par le cercle) formée par chauffage à 180 ◦ C pendant 10 heures du mélange de 0,01 g de titane métallique en poudre, 27 ml d’eau, 3 ml de H2 O2 et 0,1 ml d’HCl à 40 % (reproduit d’après Liu 2010 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). tronquée, mais des troncatures (faces {110}) apparaissent aux coins des particules entre les faces {101} (Liu 2010) (Fig. 8.8). Des complexes peroxo du titane chauffés en solution aux environs de 100 ◦ C forment en général l’anatase, mais il ne semble pas que ce type de précurseur introduise un caractère spécifique par rapport aux procédures mises en jeu avec le sulfate ou le chlorure (Zhang 2008, Liao 2009, Seok 2010). La décomposition par traitement hydrothermal à 200 ◦ C du lactate d’ammonium [Ti4 O4 (C3 H4 O3 )8 ](NH4 )8 , 4H2 O (Groenke 2012), qui est un complexe tétramère du titane stable en solution aqueuse (Fig. 8.9c), forme des particules d’anatase pure de 5 nm de diamètre très homogènes en taille (Fig. 8.9a) (Möckel 1999). Dans des conditions semblables mais en présence d’urée, le chauffage (160 ◦ C, 24 heures) du même complexe du titane forme, soit de
328
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
(c)
Fig. 8.9 – (a) Particules d’anatase formées par chauffage à 200 ◦ C pendant 72 heures, du dihydroxo bis(ammonium lactato)titane en solution aqueuse (CTi = 2,08 mol.l−1 ) (reproduit d’après Möckel 1999 2010 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). (b) Bâtonnets de brookite formés par chauffage à 160 ◦ C pendant 24 heures du même complexe en présence d’urée 6 mol.l−1 (reproduite c 2010 American Chemical Society). avec autorisation d’après Kandiel 2010 (c) Schéma de la structure du lactate d’ammonium [Ti4 O4 (C3 H4 O3 )8 ]8− .
l’anatase (urée 0,1 mol.l−1 ), soit de la brookite (urée 6 mol.l−1 ) sous forme de bâtonnets (25 × 150 nm) (Fig. 8.9b) (Kandiel 2010). Il semble que l’urée joue dans ce processus davantage le rôle de producteur d’ions ammonium que le rôle de ligand, mais le rapport anatase/brookite est conditionné par sa concentration. Il est probable que l’augmentation de la concentration de l’urée accroît la basicité du milieu, favorisant la cinétique d’hydrolyse du lactate de titane, l’augmentation de taille des particules et le changement de structure du solide. b) Rutile En milieu très fortement acide et non complexant, typiquement l’acide perchlorique de 1 à 5 mol.l−1 , la thermolyse à 100 ◦ C des solutions de TiCl4 forme après quelques jours des particules de rutile. (Attention : l’utilisation d’acide perchlorique concentré peut être très dangereuse à cause de la réactivité du perchlorate). Sur tout le domaine d’acidité, la précipitation du titane est quasi totale après 24 heures de chauffage, mais le solide est un mélange des trois phases anatase, brookite, rutile dont les proportions dépendent de l’acidité du milieu (Fig. 8.10) (Pottier 1999). Les proportions des différentes phases sont déterminées à partir des diagrammes de diffraction des rayons X (Pottier 2001). Après évolution à 100 ◦ C pendant un mois, la transformation en rutile est totale, mais la taille des particules dépend fortement de l’acidité. La transformation de phase se produit selon un mécanisme de dissolution-cristallisation car la croissance et donc l’anisotropie des particules de rutile est d’autant plus marquée que la solubilité est forte et que la quantité de phases métastables à transformer est importante (Fig. 8.11).
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
329
% 100 80
R
60 B
40 20 0
A 0
1
2
3
HClO4
4
5
6
mol.l-1
Fig. 8.10 – Proportions des différentes phases de TiO2 (R rutile, B brookite, A anatase) formées après 24 heures de thermolyse à 100 ◦ C de solutions de TiCl4 (0,15 mol.l−1 ) en milieu acide perchlorique de concentration variable (d’après Pottier 1999).
(a)
200 nm
(b)
(c)
Fig. 8.11 – Bâtonnets de rutile formés par thermolyse de TiCl4 pendant 2 semaines à 100 ◦ C en milieu HClO4 1 (a), 2 (b) et 4 mol.l−1 (c). Le rapport moyen longueur/largeur est de 6, 10 et 13,5 respectivement (Da Costa 2003). De jolis bâtonnets de rutile sont aussi obtenus par thermolyse à 95 ◦ C pendant 7 jours de TiCl4 en milieu HNO3 1 mol.l−1 (Cassaignon 2007a) (Fig. 8.12). Dans ces conditions, le rutile ne représente que 50 % du solide. Il est accompagné d’anatase (25 %) et de brookite (25 %). Comme pour d’autres oxydes polymorphes, la précipitation de TiO2 s’effectue avec la formation initiale et temporaire des phases les moins stables. On a vu lors de l’étude de la nucléation-croissance du solide que l’énergie d’activation du processus de précipitation est d’autant plus faible que la sursaturation du système est élevée et que la tension interfaciale solide-solution est faible (§ 4.2). Parmi des polymorphes, c’est toujours le moins stable
330
De la solution à l’oxyde
[001]
[110]
30 nm
5 nm
Fig. 8.12 – Images MET d’un bâtonnet de rutile obtenu par thermolyse à 95 ◦ C pendant une semaine de TiCl4 (0,15 mol.l−1 ) dans HNO3 (1 mol.l−1 ) (reproduit d’après Cassaignon 2007a avec autorisation de Springer).
thermodynamiquement qui possède la masse volumique et la tension interfaciale les plus faibles. Or ces deux paramètres sont liés, comme l’indique la relation empirique γ = (2E/d)(a/π 2 ), où E représente le module de Young du solide, d la distance interréticulaire des plans atomiques de la face exposée, a le rayon atomique. Puisque la distance d est inversement proportionnelle à la masse volumique, la tension interfaciale est proportionnelle à la racine cubique de la masse volumique. Celle-ci étant de 3,84, 4,17 et 4,26 g.cm−3 pour l’anatase, la brookite et le rutile respectivement, on peut en déduire que la tension interfaciale des trois polymorphes varie dans le même sens et que la précipitation de l’anatase est donc la plus favorisée cinétiquement. Les particules de rutile très allongées ont tendance à s’orienter spontanément dans les dispersions aqueuses concentrées qui forment de véritables cristaux liquides présentant une biréfringence très marquée (Fig. 8.13) (Dessombz 2007). En présence d’agents complexants et en milieu concentré, les bâtonnets de rutile s’agrègent de façon orientée pour former des mésostructures sphériques creuses (Fig. 8.14). Les ligands peuvent être des ions chlorure ou des molécules d’intérêt biologique telles le N, N -dicyclohexylcarbodiimide et la L-sérine. Le mécanisme intime de ce type de processus ainsi que le rôle des ligands ne sont pas encore clairement explicités. c) Brookite En milieu acide chlorhydrique concentré, la thermolyse de TiCl4 forme des mélanges brookite/rutile en proportions variables selon la concentration de l’acide (Fig. 8.15a). La brookite est dans ces conditions une phase stable qui ne disparaît pas au cours du vieillissement à chaud de la suspension et qui
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
(a)
(b)
331
(c)
Fig. 8.13 – Images en microscopie optique entre polariseurs croisés de suspensions de particules de TiO2 rutile L : 200 nm, D : 11 – 15 nm (L/D : 15), pH 2, fraction volumique ≈ 6 % (a), ≈ 10 % (b). Les zones colorées sont les domaines nématiques (c) formés spontanément dans la phase isotrope (d’après Dessombz 2007). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
10 μm
(a)
(b)
Fig. 8.14 – Mésostructures formées par l’assemblage de nanobâtonnets de rutile (a) après chauffage à 100 ◦ C de TiCl4 1 mol.l−1 en milieu HCl 4 mol.l−1 (Da Costa 2003) et (b) après chauffage hydrothermal à 130 ◦ C de TiCl4 3 mol.l−1 en présence de Na2 CO3 , L-sérine et N, N -dicyclohexylcarbodiimide (reproduit avec autorisation c American Chemical Society). d’après Liu 2009
se présente sous forme de plaquettes en losanges (Fig. 8.15b). Les ions chlorure jouent ici un rôle fondamental dans la stabilisation de la brookite. Ils forment en milieu acide une série de complexes mixtes hydroxo-chloro-aquo du titane (Fig. 8.16a) (Nabivanets 1962, 1967a, b), parmi lesquels une forme de charge nulle, [Ti(OH)2 Cl2 (OH2 )2 ]0 , paraît être le précurseur du solide. En effet, si on rapporte la quantité de brookite formée en fonction du rapport Cl/Ti et non plus selon l’acidité du milieu (Fig. 8.16b), on observe que la quantité maximum de brookite est formée dans le domaine de composition Cl/Ti qui correspond exactement au domaine de prédominence de ce complexe de charge nulle.
332
De la solution à l’oxyde
% 100
(a)
(b)
B
80 60 40
R
20
0.34 nm 5 nm
0.34 nm
-1 0 1 2 3 4 5 HCl mol.l
0.34 nm
3 nm
Fig. 8.15 – (a) Proportions relatives de brookite (B) et de rutile (R) formées par thermolyse (100 ◦ C, 48 heures) de TiCl4 (0,15 mol.l−1 ) à différentes concentrations d’HCl ; (b) Images MET de particules de brookite formées en milieu HCl 3 mol.l−1 (reproduit d’après Pottier 2001 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
(a)
(b) % 100
% 100
S B
80 Ti(OH)22+
60
Ti(OH)2Cl42-
50
40 Ti(OH)2Cl+
Ti(OH)2Cl3
-
Ti(OH)2Cl20 3
2
1
0
-1
-log Cl
20 0
R 0
20
40 60 Cl/Ti
80
100
Fig. 8.16 – (a) Distribution des complexes hydroxochloro du titane en fonction de la concentration du milieu en ions chlorure (d’après Nabivanets 1967a). (b) Distribution du titane sous forme solide (brookite (B) et rutile (R)) et soluble (S) en fonction du rapport molaire Cl/Ti après 24 heures de thermolyse à 100 ◦ C c avec autorisation de de mélanges TiCl4 et HCl (reproduit d’après Pottier 2001 The Royal Society of Chemistry). Il est alors possible d’envisager un chemin réactionnel dans lequel la présence des ligands Cl− oriente la condensation vers la formation de la brookite (Fig. 8.17) (Pottier 2001). La première étape du mécanisme doit être l’olation entre les complexes [Ti(OH)2 Cl2 (OH2 )2 ]0 , dont deux positions de coordination sont bloquées par les ions chlorure, qui élime de l’eau de coordination et conduit à un dimère avec liaison par arête. Les dimères peuvent encore se condenser, toujours par olation, pour former des chaînons dans lesquels il n’y a plus d’eau de coordination, mais seulement des ligands hydroxo et chloro.
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
olation
333
oxolation
Cl OH OH2 O
+ 2 H 2O
[Ti(OH)2Cl2(OH2)2]0
a
b
+ n HCl
a b
c
b
a
c
b
a
+ n HCl
Fig. 8.17 – Chemin réactionnel possible pour la formation de la brookite à partir du complexe Ti(OH)2 Cl2 (OH2 )2 (reproduit d’après Pottier 2001 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). La liaison des chaînons peut alors intervenir par oxolation en éliminant HCl pour former la structure locale caractéristique de la brookite avec élimination de tous les ligands chlorure. Les ions chlorure n’interviennent donc que temporairement pour orienter le processus de cristallisation de la brookite. Bien qu’ils ne soient pas présents dans le solide, leur présence est néanmoins indispensable pour sa formation et aussi pour la stabilisation de la brookite en suspension. En effet, si des particules de brookite formées en milieu HCl 3 mol.l−1 sont vieillies en milieu HClO4 3 mol.l−1 à 100 ◦ C pendant 1 mois, la transformation en rutile est totale, tandis que si le vieillissement est effectué en présence d’ions chlorure (HClO4 3 mol.l−1 + NaCl 3 mol.l−1 ), aucune transformation de la brookite n’est observée. Un effet assez semblable est observé en milieu acide nitrique concentré. En milieu fortement acide, les ions nitrate deviennent des ligands qui jouent un rôle analogue à celui des ions chlorure (Koelsch 2004, Lee 2006, Cassaignon 2007a). En revanche, si la thermolyse de TiCl4 est effectuée en milieu acide
334
De la solution à l’oxyde
(a)
60
Ti(OH)3(OH2)3+
% 40 20
Ti(OH)2(SO4)22Ti(OH)2(OH2)42+
Ti(OH)4(OH2)2 0,01
0,1
Ti(SO4)32Ti(OH)2(SO4)(OH2)2
1 2 4
H2SO4 mol.l-1
(b)
[Ti2(OH)4(SO4)2(OH2)2
Fig. 8.18 – (a) Distribution des complexes hydroxysulfate du titane en fonction de la concentration du milieu en ions sulfate (d’après Babko 1969). (b) Schéma réactionnel montrant le rôle des ions sulfate sur la condensation des complexes du titane menant à la formation de l’anatase. sulfurique, on obtient la variété anatase de TiO2 . Les ions sulfate complexent fortement le titane (Fig. 8.18a) et ce sont des ligands bidentates et non pas monodentates comme le chlorure ou le nitrate. La condensation du titane à partir du précurseur de charge nulle est alors orientée différemment. En considérant le complexe de charge nulle Ti(OH)2 (SO4 )(OH2 )2 qui par olation forme le dimère Ti2 (OH)4 (SO4 )2 (OH2 )2 , on voit que la condensation ultérieure conduit simplement, toujours par olation, à la formation de doubles chaînes dont l’assemblage élimine le sulfate et préfigure la structure anatase (Fig. 8.18b). De faibles quantités de sulfate sont néanmoins toujours piégées dans la structure, ce qui peut être à l’origine de la stabilisation de l’anatase durant le vieillissement des suspensions. Par addition d’oxalate de lithium dans une solution d’oxysulfate de titane, on obtient, pour Ox/Ti = 1 et chauffage de la solution à 90 ◦ C, le composé Ti2 O3 (H2 O)2 (C2 O4 ),H2 O (Dambournet 2010, 2011). La structure du solide est constituée de couches formées par des chaînes en zig-zag d’octaèdres TiO6 fortement distordus liés par des sommets (Boudaren 2003). Les chaînes sont connectées par des sommets d’octaèdres et les couches sont reliées entre elles par les ligands oxalate (Fig. 8.19a). La coordinence octaédrique du titane est ainsi assurée par un ligand oxalate bidentate (O1 et O2 Fig. 8.19b), une molécule d’eau (O6), deux atomes d’oxygène qui connectent les octaèdres dans les chaînes (O3 et O4) et un troisième (O5) qui assure la liaison interchaîne. Les particules de forme ovoïde se transforment par traitement thermique à 300 ◦ C en brookite en conservant la morphologie initiale (Fig. 8.19c). La brookite
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
(a)
(b)
(c) Ti
O2 O4
O5 O1 O3
O6 c
a b
(d)
335
b
(e) Rutile
600°C 500°C 400°C 300°C JCPDS
20
40
60
80
°2θ
Fig. 8.19 – (a) Particules ovoïdes d’oxalate de titane Ti2 O3 (H2 O)2 (C2 O4 ), H2 O (d’après Dambournet 2010) ; (b) plans de la structure montrant les chaînes d’octaèdres liés par des sommets (les octaèdres gris foncé et gris clair sont situés à des altitudes différentes) ; (c) connexion des chaînes par les ligands oxalate (les plus petites sphères représentent les molécules d’eau de cristallisation) (reproduit avec c Elsevier Masson SAS). (d) Particule de brooautorisation d’après Boudaren 2003 ◦ kite obtenue par chauffage à 300 C de l’oxalate et (e) diagrammes de diffraction des rayons X de l’oxalate de titane traité à différentes températures (reproduit avec c American Chemical Society). autorisation d’après Dambournet 2010
obtenue présente une importante mésoporosité (surface spécifique mesurée par BET de 255 m2 /g, taille de pore de 3,4 nm) probablement provoquée par l’évacuation de l’eau et du CO2 lors de la transformation thermique du matériau. Compte tenu de la forte largeur des raies de diffraction X, le matériau apparaît nanotexturé (nanocristaux de brookite formant des particules micrométriques). La brookite poreuse ainsi obtenue est stable jusqu’à 600 ◦ C, température à laquelle apparaît la phase rutile. Ici encore, on remarque que la formation de la brookite résulte d’une forme complexée du titane.
8.2.2
Transformation de titanates lamellaires
Les titanates alcalins de formule générale M2−y Hy Tin O2n+1 forment une vaste famille de composés à structure lamellaire où la charge anionique de la structure est compensée par la charge de cations alcalins ou de protons situés dans les espaces interfoliaires. Sous la forme protonée, ces matériaux peuvent être d’intéressants précurseurs du dioxyde TiO2 car ce sont des solides
336
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
(c)
Fig. 8.20 – Structure de quelques titanates : Na2 Ti3 O7 (a), Na2 Ti6 O13 (b), Na2 Ti4 O9 (c).
chimiquement réactifs qui peuvent se transformer en suspension aqueuse à des températures très basses en conservant leur morphologie ou au moins leur faible dimensionnalité. La structure des titanates peut être considérée comme formée de bandes d’octaèdres liés par arêtes, les bandes étant reliées par partage de sommets en formant des couches en zig-zag entre lesquelles sont répartis les cations (Andersson 1961) (Fig. 8.20). Les titanates alcalins peuvent être formés par réaction à l’état solide entre TiO2 et un nitrate alcalin K(Na)NO3 , ou par traitement hydrothermal en milieu fortement alcalin d’un sel de titane ou des différents polymorphes du dioxyde de titane (Zhang 2008). Typiquement, le chauffage du sulfate TiOSO4 , xH2 O en milieu NaOH ≈ 7 mol.l−1 forme le titanate Na2 Ti3 O7 , xH2 O (Zhu 2004b). Le solide se présente sous forme de fibres (Fig. 8.21a) dont la longueur dépend de la température de synthèse : 30-60 nm de longueur et 3-5 nm de largeur à 100 ◦ C, 100-200 nm × 8-10 nm à 150 ◦ C et 30 μm × 40-80 nm à 200 ◦ C. La qualité de la cristallisation croît à mesure que la température de synthèse est élevée (Zhu 2005). Le traitement du titanate de sodium par HCl à pH 7 fournit par échange d’ions la forme protonée H2 Ti3 O7 , xH2 O sans
(a)
60 nm
(b)
800 nm
10 μm
(c)
(d)
1 μm
200 nm
Fig. 8.21 – Images MET (a) de la forme protonée du titanate formé en condition hydrothermale à 150 ◦ C et (b) à 200 ◦ C ; (c) de particules d’anatase obtenues par traitement à 120 ◦ C, HNO3 5.10−2 mol.l−1 ; (d) de particules de rutile obtenues par traitement à 80 ◦ C, HNO3 2,65 mol.l−1 (reproduit avec autorisation d’après Zhu c American Chemical Society). 2005
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
337
changement morphologique. À cause de la structure lamellaire du titanate, diverses morphologies des nanoparticules peuvent être obtenues : lamelles, tubes, baguettes, fils, fibres (Wu 2006). Les conditions expérimentales de la synthèse hydrothermale (température, durée du chauffage, vitesse de refroidissement, alcalinité du milieu, etc.) ont un impact très important sur la morphologie obtenue, dont certaines d’entre elles, et notamment les nanotubes, peuvent n’être que cinétiquement stabilisées (Huang 2009). L’intérêt de ces matériaux réside dans leur réactivité. Le traitement en milieu acide des formes sodée ou protonée du titanate produit facilement, à basse température (entre 100 ◦ C et l’ambiante), le dioxyde TiO2 sous forme anatase en milieu acide nitrique dilué (5.10−2 mol.l−1 ) et sous forme rutile en milieu concentré (≥ 2 mol.l−1 ). La transformation est d’autant plus facile que les fibres de titanate sont courtes, c’est-à-dire que la température de synthèse est basse. La forme des particules d’anatase obtenues en milieu peu acide dépend étroitement de celle des particules de titanate parentes : les fibres courtes obtenues à 80 ◦ C donnent des nanoparticules d’anatase de taille voisine de 10 nm, tandis que les fibres de titanate les plus longues, formées à 200 ◦ C, donnent des fibrilles formées par l’agrégation de nanoparticules d’anatase (Fig. 8.21b). En milieu fortement acide au contraire, il n’y a pas de parenté entre les fibres de titanate initiales et les aiguilles de rutile obtenues (Fig. 8.21c). On peut conclure de ces résultats que le mécanisme impliqué dans ces deux transformations est complètement différent. La rétention de morphologie observée dans le cas de la transformation du titanate en anatase peut s’expliquer par une réaction de surface qui ne nécessite que le réarrangement de la structure. Il existe en effet une étroite parenté structurale entre le titanate et l’anatase dans l’agencement des octaèdres TiO6 par des arêtes au sein de rubans en zig-zag (Fig. 8.22). Au contraire, dans le cas du rutile, la réaction se produit en milieu très fortement acide qui permet la solubilisation du titanate et la reconstruction du solide sous la forme la plus stable thermodynamiquement. L’acidité et la concentration des ions sodium sont deux paramètres qui gouvernent la formation et la transformation du titanate. En effet, le précipité, formé par addition de soude au sulfate de titane préalablement filtré pour éliminer le sulfate de sodium, traité dans les conditions hydrothermales (220 ◦ C, 48 h) forme à pH 0,8 de l’anatase pure, à pH 7 du titanate et à pH 12,5 de la brookite pure (Hu 2009). La brookite est obtenue dans ces conditions sous forme d’agrégats en forme de fleur ou de rose des sables (Fig. 8.23). Le suivi de la réaction au cours du temps montre qu’à pH élevé, le titanate se forme en premier lieu puis se transforme en brookite. En revanche, si l’alcalinisation du milieu est réalisée avec LiOH ou KOH, la réaction forme des mélanges d’anatase et de rutile. Les ions Na+ exercent donc un rôle crucial dans la transformation du titanate en brookite. Le traitement de particules d’anatase à 120 ◦ C pendant 20 heures dans de la soude 10 mol.l−1 permet de former le titanate Na2 Ti3 O7 sous forme de nanotubes (Fig. 8.24a) (Du 2001, Chen 2002). Le traitement de ce titanate à
338
De la solution à l’oxyde
acide dilué
anatase
acide concentré
reconstruction
rutile Fig. 8.22 – Schéma de la transformation du titanate H2 Ti3 O7 , xH2 O en anatase ou en rutile selon l’acidité du milieu (reproduit avec autorisation d’après Zhu 2005 c American Chemical Society).
1um
100nm
Fig. 8.23 – Images MEB de brookite formée par traitement hydrothermal (220 ◦ C, 48 h) à pH 12,5 du titanate résultant de la précipitation du sulfate TiOSO4 par de la c American Chemical Society). soude (reproduit avec autorisation d’après Hu 2009
200 ◦ C pendant 20 h à pH ≈ 11 le transforme en brookite avec rétention de la morphologie (Deng 2008) (Fig. 8.24b). Dans les deux cas, on obtient des nanotubes multiparois avec un diamètre intérieur de l’ordre de 5 nm. Cela laisse penser, comme dans la formation de la brookite en forme de fleur, que la transformation structurale du titanate procède par réarrangement à l’état solide, de même que pour la transformation du titanate en anatase en milieu
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
(a)
(b)
200 nm
10 nm
339
(c)
(d)
50 nm
20 nm
Fig. 8.24 – Images MET de nanotubes de titanate (a, b) et de brookite (c, d) formés en milieu alcalin en conditions hydrothermales (reproduit d’après Deng 2008 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). peu acide. Dans le cas de la brookite, il existe aussi une certaine parenté structurale avec le titanate d’origine. Le traitement d’anatase à 150 ◦ C pendant 72 heures en milieu NaOH 10 mol.l−1 forme des nanotubes tandis qu’à plus haute température et à plus forte concentration de soude (170 ◦ C, NaOH 15 mol.l−1 ), il se forme des nanofils de titanate Na2 Ti3 O7 (Armstrong 2004). Le lavage des matériaux en milieu acide dilué provoque l’échange Na+ /H+ et le chauffage à 400 ◦ C convertit les nanofils avec conservation de leur morphologie en TiO2 (B), une variété du dioxyde dont la structure est analogue à celle des bronzes Nax TiO2 (Nax TiIII x TiIV 1−x O2 ) (Fig. 8.25) (Marchand 1980). La structure relativement ouverte de cette variété de dioxyde de titane en fait un matériau intéressant comme matériau d’électrode pour l’intercalation du lithium (Zukalova 2005).
8.2.3
Oxydation du TiIII et du Ti0 en milieu acide ou neutre
Des formes réduites du titane peuvent être hydroxylées et oxydées pour former le dioxyde. L’intérêt du processus réside dans l’obtention de morphologies particulières. a) Oxydation du TiIII Le trichlorure TiCl3 est un précurseur de choix, car les ions Ti3+ , beaucoup moins acides que les ions Ti4+ , sont plus faciles à manipuler en solution. Ces ions s’hydroxylent et précipitent aisément et leur oxydation, qui s’effectue aussi bien en solution qu’à l’état solide, conduit au dioxyde TiO2 . L’hydroxylation de TiCl3 débute vers pH 2. Vers pH 3, la solution violette devient plus foncée et vire au noir. Des entités polycationiques subissent très probablement un début d’oxydation qui entraîne des transferts électroniques d’intervalence TiIII -TiIV responsables de la couleur noire. La précipitation d’un solide bleunoir commence au-delà de pH 3 jusqu’à pH 9. Il correspond à un hydroxyde ou oxyhydroxyde Ti(OH)3 /TiOOH qui, sous air, s’oxyde assez rapidement en suspension ou à l’état sec. Il se forme transitoirement des phases mixtes
340
De la solution à l’oxyde 2000
(a)
0,2 μm
(b)
1500 1000
Rutile Anatase
500
TiO2B Nanofils
0 10
30
50
70
°2θ
(c) z x
x y
Fig. 8.25 – (a) Image MET de nanofils de TiO2 (B) et (b) diagrammes de diffraction des rayons X des nanofils et d’autres phases de TiO2 à l’état massif (reproduit d’après Armstrong 2004 avec autorisation de Wiley) ; (c) structure de la phase TiO2 (B) vue sous deux orientations. de couleur bleue du type phases de Magnéli [TiIII 2−x TiIV x O3+x/2 ], puis le composé complètement oxydé, TiO2 blanc (Fig. 8.26) (Cassaignon 2007b). En comparaison de la thermolyse de TiCl4 en milieu perchlorique qui forme des mélanges de rutile et d’anatase à pH < 1, de l’anatase pure à 1 < pH < 6 et des précurseurs de titanate à pH > 6 (Pottier 2003), la thermolyse à 60 ◦ C pendant 24 heures de solutions de TiCl3 fournit quasi sélectivement les trois polymorphes dans des domaines d’acidité bien délimités : rutile à pH < 1, brookite à pH ≈ 1, pseudo-rutile avec une maille de réseau très distordue à pH 3,5-4, anatase à pH 6,5-7 (Cassaignon 2007b) (Fig. 8.27). Ces variétés cristallines sont obtenues sous des morphologies inhabituelles, par rapport à celles obtenues à partir de TiCl4 . Il semble que durant la thermolyse des solutions à pH ≤ 3, l’oxydation intervienne avant la précipitation de sorte que ce sont des formes du TiIV qui précipitent tandis qu’à pH plus élevé, la précipitation précède l’oxydation. Celle-ci intervient donc in situ à l’état solide et il est probable que la morphologie finale soit déterminée par celle des particules initiales de l’oxyde de TiIII . L’utilisation de l’urée durant le chauffage des solutions de TiCl3 semble favoriser la formation de la brookite. Ainsi, le chauffage au reflux pendant
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
12
341
pH
[Ti(OH2)6]3+/ 10 [Ti(OH)(OH2)5]2+ 8 6 4 2 0 0
[Ti(OH)2(OH2)4]+ 2
6 4 v (mL)
8
Ti(OH)3/Ti2O3 Ti O /Ti O 6 11 7 13 TiO2 pH 11 pH 9,4 pH 9,2 (60 min) 10 (150 min)
Fig. 8.26 – Courbe de titrage par la soude d’une solution de TiCl3 en présence d’acide chlorhydrique. De gauche à droite, composition et image des solutions et suspensions à pH 2, 3, 11 et des suspensions évoluées à température ambiante pendant 60 et 150 minutes (d’après Koelch 2004). (Une version en couleurs de cette figure est disponible en fin d’ouvrage.)
(a)
(b) 70° [1-1-1]
(c)
(d)
110
[020] 001 [11-1] 20 nm 10 nm
2 nm
101
10 nm
Fig. 8.27 – Images MET de particules formées par thermolyse à 60 ◦ C pendant 24 heures de solutions de TiCl3 0,15 mol.l−1 à différents pH : (a) rutile pH 0,5, (b) brookite pH 2, (c) rutile pH 4, (d) anatase pH 7 (reproduit d’après Cassaignon 2007b avec autorisation de Elsevier).
7 h à 100 ◦ C de TiCl3 0,015M en présence d’urée 0,5M forme des particules sphériques de 10-20 nm (Lee 2008). Le chauffage à 70 ◦ C pendant 2 heures du même mélange produit des agrégats de plaquettes d’environ 25 nm (Fig. 8.28) (Li 2004). Le traitement hydrothermal par chauffage micro-ondes à 200 ◦ C pendant 1 minute de la solution commerciale TiCl3 (15 % en milieu HCl 10 %) comme seul réactif fournit de spectaculaires mésocristaux formés par l’assemblage de nanobaguettes de rutile de 7,5 nm de diamètre et 2 μm de longueur (Fig. 8.29) (Zhang 2010). L’axe de croissance des baguettes est la direction (001). Le chauffage de TiCl3 en milieu HCl (pH1) entre 200 et 700 ◦ C pendant trois jours produit des mélanges de phases dans lesquels la brookite est la phase majoritaire (entre 65 et 53 % pour les températures de 200 et 700 ◦ C),
342
De la solution à l’oxyde
50nm Fig. 8.28 – Nanoplaquettes de brookite synthétisées par oxydation de TiCl3 en présence d’urée (reproduit d’après Li 2004 avec autorisation de Wiley).
(a)
2 μm
(b)
1 μm
(c)
100 nm
(d)
5 nm
Fig. 8.29 – Images MEB (a, b) et MET (c, d) de mésocristaux de rutile formés par chauffage micro-onde de TiCl3 (reproduit d’après Zhang 2010 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
accompagnée d’anatase (environ 30 %) et de rutile (environ 6 %). Les particules de brookite ont une taille moyenne de 25 nm (Bokhimi 2004). Curieusement, une phase inconnue Ti2 O3 de type corindon est formée au-delà de 400 ◦ C (environ 20 %), phase qui ne s’oxyde pas par chauffage à l’air. À part le fait que les milieux les plus acides favorisent la formation du rutile, il est difficile de justifier la formation des différentes phases du dioxyde à partir de l’oxydation du TiIII en solution. La cause principale semble résider dans le fait que les conditions de l’oxydation ne sont jamais réellement contrôlées : vitesse plus ou moins grande selon la température et l’acidité du milieu, la quantité d’air ou de certains réactifs dans le réacteur, simultanéité ou non des réactions d’hydroxylation et d’oxydation, etc. L’exemple de la formation de phases mixtes ferriques-ferreuses ou ferriques à partir de l’hydroxyde ferreux (§ 7.2.1) montre bien l’importance du contrôle de la réaction d’oxydation sur la structure et les caractéristiques des produits formés.
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
(a)
(b)
1 μm
343
(c)
2 μm
5 μm
Fig. 8.30 – Images MEB de nanotubes de TiO2 formés par anodisation d’une feuille de titane en milieu (a) HF 0,5 % en masse, 20 V, température du bain de glace ; (b, c) NH4 F dans le glycérol, 40 V, température ambiante (reproduit avec c American Chemical Society). autorisation d’après Wang 2009
b) Oxydation du Ti0 Il est intéressant de signaler la formation de nanotubes par oxydation anodique du titane métallique (Fig. 8.30) (Zwilling 1999, Gong 2001). Les tubes ont un diamètre de quelques dizaines de nanomètres et une longueur de quelques micromètres à la centaine de micromètres. Le principe de la synthèse consiste à imposer une tension entre une feuille de titane constituant l’anode et une électrode de platine dans une cellule contenant un électrolyte, typiquement des ions fluorure (ou chlorure), en solution aqueuse ou en milieu non aqueux, par exemple le glycérol ou l’éthylène glycol. En général, les tubes sont plus longs et plus réguliers lorsque l’anodisation est effectuée en milieu non aqueux (Paulose 2006, Fahim 2009, Wang 2009). Beaucoup d’autres paramètres influencent les caractéristiques de ces nanostructures (potentiel d’anodisation, température, nature et concentration de l’électrolyte, acidité du milieu, etc.). L’oxydation anodique du métal sous un potentiel de 20 à 80 volts libère des ions Ti4+ qui, au contact de l’électrolyte, s’hydroxylent spontanément et précipitent en formant une couche plus ou moins dense sur la surface du métal. La croissance de la couche est due à la migration des ions à travers l’oxyde sous l’effet du champ électrique, diffusion des ions Ti4+ vers la solution et des espèces oxygénées vers le métal. L’oxyde est ainsi formé à l’interface métaloxyde et/ou à l’interface oxyde-électrolyte, selon les mobilités relatives des espèces ioniques et, sous un voltage constant, la croissance s’arrête lorsque l’effet du champ électrique, c’est-à-dire la force motrice du processus, disparaît pour une épaisseur donnée du film d’oxyde. Il se forme ainsi une couche homogène et compacte d’oxyde plus ou moins épaisse qui constitue la couche de passivation du métal. En présence d’agent complexant, typiquement le fluorure, les ions métalliques sont solubilisés sous la forme de complexes fluorés anioniques lors de la traversée des ions fluorure dans la couche et aussi par
344
De la solution à l’oxyde
dissolution de l’oxyde à l’interface oxyde/électrolyte. On peut alors distinguer trois possibilités selon la concentration des ions F− dans le milieu : à très faible concentration (typiquement 0,05 % en masse), aucun effet et la couche compacte d’oxyde se forme ; à forte concentration (de l’ordre de 1 %), il n’y a pas de formation d’oxyde, tous les ions Ti4+ sont complexés, c’est l’électropolissage du métal ; à concentration de fluorure intermédiaire, il y a compétition entre la formation d’oxyde et la solubilisation des ions Ti4+ , ce qui conduit à la formation d’une couche d’oxyde poreuse ou de nanotubes. Le mécanisme de formation des tubes peut être décrit de la manière suivante (Roy 2011). Après la phase d’oxydation initiale qui produit, après environ 2 minutes, une couche compacte d’oxyde (le courant dans la cellule diminue) (Fig. 8.31a), la présence de fluorure entraîne la formation de pores nanométriques assez irréguliers qui pénètrent la couche d’oxyde (le courant augmente), puis on observe la croissance d’une couche régulière de nanopores ou de nanotubes sous un régime stationnaire. Sous l’effet du champ électrique, les ions fluorure maintiennent une couche d’oxyde assez mince par complexation des ions Ti4+ à l’interface oxyde-solution et, comme ces ions diffusent plus vite que les espèces oxygénées dans la couche d’oxyde, une zone riche en fluorure (environ 20 nm) existe à l’interface métal-oxyde (Fig. 8.31b). On peut comprendre la formation de tubes indépendants par le fait que la production d’oxyde entraîne un mouvement plastique de la couche sous l’effet de la compression due à l’expansion de volume et des forces d’électrostriction générées durant la croissance. L’oxyde se trouve donc poussé vers le haut avec
(a)
i I
(b)
électrolyte
électrolyte
II III oxyde compact oxyde poreux oxyde compact
(c)
[TiF6]2dissolution
oxydation
t
métal
O2Ti
4+
O2Ti
F-
4+
oxydation métal
zone riche en fluorure (oxyde poreux)
Fig. 8.31 – (a) Schéma d’une courbe (intensité/temps) typique de l’oxydation anodique du titane sans (ligne pointillée) ou avec (ligne continue) la présence d’ions fluorure dans l’électrolyte. Il se forme une couche compacte d’oxyde (sans fluorure), ou une couche poreuse ou tabulaire (avec fluorure) selon les étapes morphologiques I, II et III. (b) Schéma montrant la diffusion aidée par le champ électrique des espèces ioniques à travers les couches d’oxyde en absence ou en présence de fluorure. La diffusion rapide du fluorure provoque son accumulation à l’interface métal/oxyde. (c) Schéma montrant l’écoulement de l’oxyde formant les parois des tubes (reproduit d’après Roy 2011 avec autorisation de Wiley).
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
345
l’accumulation du fluorure et d’oxyfluorure de titane au bord des parois des pores (Fig. 8.31c). La dissolution entraîne alors la formation de tubes indépendants qui restent reliés à la couche barrière qui bouche le fond. On remarque que la surface du métal se trouve creusée de petits cratères après l’élimination de la couche d’oxyde. La plus grande longueur des nanotubes en milieu glycérol s’explique par la plus faible mobilité des ions fluorure et la moindre dissolution de l’oxyde dans le glycérol que dans l’eau. Les caractéristiques dimensionnelles et morphologiques des nanotubes dépendent étroitement des conditions d’anodisation (voltage, durée, température, composition de l’électrolyte, etc.) (Roy 2011). Dans tous les cas, les nanotubes issus de l’anodisation du métal sont amorphes. La cristallisation, le plus souvent en anatase, est obtenue par recuit sous air à des températures de l’ordre de 450-500 ◦ C.
8.2.4
Synthèse du titanate de baryum BaTiO3
Ce composé de structure perovskite (Fig. 8.32) est un membre d’une vaste famille d’oxydes (BaTiO3 , PbTiO3 , PbZr1−x Tix O3 , PbFe0,5 Nb0,5 O3 . . . ) intéressants pour leurs propriétés ferro- ou piézoélectriques (Lines 2001). Ils sont utilisés pour la fabrication de condensateurs céramiques multicouches. Certains d’entre eux tels PbZr0,5 Ti0,5 O3 et (Pb1−x Lax Zry Ti1−y )1−x/4 O3 possèdent des propriétés électro-optiques permettant la modulation d’un signal lumineux par un champ électrique. LiNbO3 possède des propriétés d’optique non linéaire. La synthèse de nanoparticules de ces matériaux a fait l’objet d’un considérable challenge technologique et commercial.
Fig. 8.32 – Représentation idéalisée de la structure perovskite BaTiO3 . Les octaèdres TiO6 , reliés par des sommets, piègent les ions Ba2+ en coordinence 12 représentés par des sphères.
346
De la solution à l’oxyde
La synthèse conventionnelle de BaTiO3 et de nombreux autres titanates est effectuée par calcination à plus de 1 000 ◦ C du mélange broyé d’oxyde de titane et de carbonate de baryum. La technique comporte de nombreux inconvénients : pollution du matériau à cause du broyage, formation concurrente de la phase pyrochlore très stable qui abaisse les performances diélectriques du matériau et coût dû à la durée et la haute température de calcination. D’autres méthodes, basées sur la coprécipitation du titane et du baryum, ont permis d’obtenir la phase perovskite à des températures plus basses, avec une plus grande pureté et sous forme de particules de petite taille. La mise en forme du matériau à l’état de film mince pour la fabrication de condensateurs a pu être aisément réalisée en déposant la suspension ou le gel sur l’électrode en métal, la petite taille des particules permettant leur frittage à des températures compatibles avec des électrodes en nickel ou en cuivre peu coûteuses. Une méthode consiste à former un complexe mixte du titane et du baryum avec l’oxalate ou le citrate (Mulder 1970, Hennings 1978). Le citrate mixte BaTi(C6 H5 O7 )3 , 6H2 O cristallise par acidification à pH ≤ 2,6 du mélange des solutions des deux éléments, quelle que soit leur stœchiométrie. La décomposition thermique du complexe conduit après plusieurs étapes à la formation de BaTiO6 entre 600 ◦ C et 700 ◦ C : à partir de 360 ◦ C, il se forme du carbonate de baryum et vers 500 ◦ C, le mélange BaCO3 , TiO2 est identifié par diffraction des rayons X. Le titanate de baryum ne cristallise donc pas directement mais par réaction à l’état solide vers 700 ◦ C du carbonate de baryum avec l’oxyde de titane. La phase perovskite se forme ainsi à une température bien inférieure à celle nécessaire lorsque des poudres grossières de carbonate et d’oxyde sont utilisées et sans que la phase pyrochlore n’apparaisse. L’abaissement de la température de cristallisation s’explique par la plus grande réactivité des particules de structuration imparfaite et de petite taille, ce qui permet la diffusion des ions sur de courtes distances et facilite la cristallisation de l’oxyde mixte. La technique Pechini (§ 3.1.6) permet aussi de former la phase perovskite de BaTiO3 à partir de complexes citriques mixtes du titane et du baryum dans l’éthylène glycol (Kakihana 1999) dans la même gamme de température. Une voie de synthèse de BaTiO3 plus simple consiste à chauffer à 90 ◦ C des suspensions aqueuses de Ba(OH)2 et TiO2 pour produire des particules d’environ 50 nm de diamètre (Hertl 1988, Pfaff 1991). La réaction n’a lieu qu’avec des poudres fines d’oxyde de titane de variété anatase (7 m2 /g) ou B (72 m2 /g). La variété B (Fig. 8.25) est obtenue par traitement en milieu acide du titanate K2 Ti4 O9 et chauffage à 500 ◦ C. La conversion du TiO2 B en titanate de baryum est totale après 24 heures de chauffage de la suspension à 90 ◦ C. Elle est d’environ 50 % avec l’anatase et 15 % avec le rutile dans les mêmes conditions. Les mêmes résultats sont obtenus par synthèse hydrothermale (250 ◦ C, 3,5 MPa). La cristallisation du titanate se produit dans ces conditions par réaction du baryum à la surface des particules de TiO2 .
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
347
La conversion de l’oxyde nécessite la diffusion du baryum à travers la couche de titanate et la réaction est d’autant plus rapide et complète que les particules d’oxyde ont une structure cristalline moins stable (anatase au lieu de rutile) et une grande surface spécifique donc une petite taille. On peut former des particules de titanate de baryum plus petites (5-15 nm de diamètre) dans des conditions encore plus « douces » à partir de dérivés métallo-organiques du baryum et du titane. Le mélange stœchiométrique des isopropoxydes de titane et baryum, M(Oi Pr)4 , (i Pr = -CH(CH3 )2 ), est d’abord chauffé au reflux dans l’alcool isopropylique (i PrOH) pour former par élimination d’éther, i Pr2 O, le cluster Ba4 Ti4 O4 (Oi Pr)16 , 4 i PrOH, un oxoalcoxyde où sont déjà formées des liaisons Ba-O-Ti stables vis-à-vis de l’hydrolyse (Fig. 8.33) (Yanovsky 1991). La réaction à température ambiante du composé avec l’eau élimine les ligands organiques restant à la périphérie du cluster et permet leur condensation ultérieure qui précipite quantitativement le titanate cristallin BaTiO3 sous forme de particules dont la taille est de l’ordre de 5 à 15 nm.
Ti
Ba
iPrO
O
iPrOH Fig. 8.33 – Structure du complexe Ba4 Ti4 O4 (Oi Pr)16 , 3i PrOH. (i Pr= -CH(CH3 )2 ) (adapté d’après Yanovsky 1991).
Une procédure différente consiste à hydrolyser l’alcoxyde de titane, zirconium ou niobium par la suspension aqueuse de l’hydroxyde de baryum ou de strontium (Chaput 1987). On évite ainsi la faible réactivité des alcoxydes d’éléments divalents, hautement condensés (Bradley 1978). Dans le cas du titanate de baryum, le séchage du solide formé à 60 ◦ C pendant une heure permet d’obtenir la phase perovskite. Cette méthode permet de synthétiser facilement différentes compostions et de réaliser le dopage de différentes phases, par exemple des composés du type Ba1−x Srx (Ti1−y Zry )O3 .
348
8.3
De la solution à l’oxyde
Oxydes de manganèse
Le manganèse est un élément abondant (le 12e dans la croûte terrestre). Les oxydes de manganèse sont de ce fait très répandus. Ils ont un rôle fondamental dans la (bio)géochimie et l’environnement aussi bien dans les océans que dans les sols. Les dioxydes de manganèse, qui sont parmi les oxydants les plus forts du milieu naturel, régulent la plupart des cycles redox des éléments (Tebo 2004, Borch 2010). Le manganèse et ses oxydes ont aussi un rôle important dans l’organisme humain et dans les plantes : des ions du manganèse sont les centres actifs de métalloenzymes dans les systèmes photosynthétiques des végétaux, ils ont aussi la capacité à former des phases solides dans certains végétaux (Lanson 2008). Les oxydes de manganèse jouent un rôle important dans les eaux naturelles par leur forte capacité d’adsorption et d’absorption de nombreux éléments métalliques, en contrôlant ainsi leur distribution et biodisponibilité (McKenzie 1972). Les dioxydes de manganèse sont ainsi largement utilisés comme tamis moléculaire (échangeur d’ions) pour fixer les métaux des effluents industriels. Très souvent non stœchiométriques, ils présentent à l’état nanométrique des propriétés électrochimiques intéressantes qui conduisent à leur usage comme catalyseurs et comme matériaux cathodiques dans les piles et batteries (Suib 2008). Ces oxydes sont pour la plupart de couleur noire à cause de leur non-stœchiométrie qui provoque des transferts d’intervalence MnIII -MnIV excités par la lumière. C’est ce qui a vraisemblablement provoqué leur première utilisation comme pigment dans les grottes ornées préhistoriques, comme à Lascaux et au Pech Merle en France. Dans l’Antiquité et jusqu’aux temps modernes, le dioxyde de manganèse, fortement oxydant, était utilisé dans l’industrie verrière comme décolorant du verre (savon des verriers). Il permettait l’oxydation des ions ferreux, responsable de la couleur verte, en ions ferriques quasiment incolores en formant des ions Mn2+ , eux aussi quasiment incolores. Pour ces deux ions de configuration électronique d5 , les transitions d-d sont en effet doublement interdites par les règles de sélection, ce qui ne permet pas l’absorption dans le visible.
8.3.1
Les principales phases solides du dioxyde MnO2
La cristallochimie des oxydes de manganèse et particulièrement celle de MnO2 est compliquée à cause d’un vaste polymorphisme, d’une forte variabilité de composition et d’importants phénomènes de non-stoechiométrie. Celle-ci est due à l’existence d’ions Mn3+ ou Mn2+ en substitution des ions Mn4+ , ce qui entraîne la présence dans le solide de divers cations compensateurs de charge (Wells 1991, Post 1999). Il en découle une variabilité de dénominations des phases naturelles et aussi des composés synthétiques (Villalobos 2003). Les principales caractéristiques des oxydes et
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
349
oxyhydroxydes de manganèse le plus fréquemment rencontrés dans les synthèses de laboratoire sont brièvement examinées. La phase la plus stable thermodynamiquement est la pyrolusite, β-MnO2 , dont la structure cristalline est du type rutile. Des chaînes simples d’octaèdres MnO6 liés par des arêtes sont reliées entre elles par des sommets communs (Fig. 8.34a). La phase γ-MnO2 , la ramsdellite, renferme des doubles chaînes d’octaèdres qui sont connectées par partage de sommets comme dans la goethite α-FeOOH et le diaspore α-AlOOH (Fig. 8.34b). Cette phase n’est en général pas ordonnée à longue distance. Elle est caractérisée par de nombreux défauts, essentiellement des intercroissances ramsdellite/pyrolusite et des mâclages. Typiquement, la nsutite est une phase naturelle caractérisée par des doubles chaînes renfermant des simples chaînes dispersées statistiquement. Son diagramme de diffraction des rayons X est semblable à celui de la ramsdellite et ne fait pas apparaître de surstructure (Turner 1983). La nsutite, caractérisée 2+ par la présence d’ions manganeux, a la formule Mn4+ 1−x Mnx O2−2x (OH)2x , avec x = 0,06-0,07 (Faulring 1965). Aussi rattachée au type structural ramsdellite, la phase ε-MnO2 est caractérisée par un faible taux d’intercroissance et une forte concentration de micro-mâclages. Cela conduit à un ordre des cations dans la direction a du cristal et un désordre total dans le plan (bc). Le cryptomélane, α-MnO2 , est caractérisé par les mêmes doubles chaînes d’octaèdres que dans la ramsdellite, mais elles sont agencées de manière à former des tunnels à section carrée, comme dans l’akaganéite β-FeOOH (Fig. 8.34c), où sont localisés des ions K+ et des molécules d’eau. Ces cations compensent la présence d’ions Mn3+ dans la structure (environ 20 %), en substitution d’ions Mn4+ . La phase est nommée hollandite lorsque les cations compensateurs sont principalement Ba2+ . Il existe une grande variété d’autres phases minéralogiques du même type, qui sont aussi non stœchiométriques et qui contiennent divers cations compensateurs. On citera seulement la romaIII nechite (Ba0,13 MnIV 0,74 Mn0,26 O2 ) dont la structure est formée par l’association de doubles et triples chaînes d’octaèdres (Fig. 8.34d) et la todorokite formée par l’association de triples chaînes d’octaèdres MnO6 (Fig. 8.34e). Sa composition est complexe et variable. Elle renferme des ions MnIV , MnIII et MgII , NiII ou AlIII en substitution (Post 1999). La birnessite (ou vernadite), δ-MnO2 (Na0,24 H2 O0,72 MnIV 0,94 O2 ) est une structure lamellaire formée de l’empilement de feuillets d’octaèdres (Fig. 7.34f). Divers cations (alcalins, alcalino-terreux, ammonium, etc.) compensent la charge négative des feuillets engendrée par la non-stœchiométrie due à des lacunes d’ions Mn4+ et la présence d’ions Mn3+ . En fait, la dénomination birnessite recouvre un ensemble de phases d’origine biogénique ou synthétique qui, à l’état nanométrique, présentent des modifications structurales dues à des différences dans la composition et dans l’empilement des feuillets (Villalobos 2003, 2006).
350
De la solution à l’oxyde
(a)
(b) (c)
(d)
(e)
(f)
Fig. 8.34 – Structures des oxydes MnO2 . (a) pyrolusite, β-MnO2 ; (b) ramsdellite, γ-MnO2 ; (c) cryptomélane, α-MnO2 ; (d) romanechite ; (e) todokorite ; (f ) birnessite, δ-MnO2 ; les sphères présentes dans les canaux et entre les plans de ces structures représentent les cations et/ou les molécules d’eau.
Au degré d’oxydation III, le manganèse forme des oxyhydroxydes MnOOH. La manganite, γ-MnOOH, est la phase la plus stable. Elle est isostructurale avec la pyrolusite mais tous les cations sont des ions Mn3+ et la moitié des atomes d’oxygène sont des ions hydroxyle. Un autre polymorphe est la groutite, α-MnOOH, isostructurale avec la ramsdellite. Une troisième variété cristalline est la feitknechtite, β-MnOOH, dont la structure cristalline n’a pas encore été précisément établie (voir plus loin). Dans ces trois structures renfermant des ions Mn3+ de configuration électronique d4 , l’effet JahnTeller provoque une forte distorsion des octaèdres MnO6 . On peut encore signaler l’haussmanite, Mn3 O4 (MnII MnIII 2 O4 ), de structure spinelle distordue. On rappelle aussi que l’hydroxyde Mn(OH)2 , la pyrochroïte, adopte la structure brucite (§ 4.1.1). Il est très sensible à l’oxydation.
8.3.2
Précipitation des oxydes de manganèse
Du fait de l’absence de complexes aquohydroxo solubles du manganèse aux degrés d’oxydation III ou IV (§ 8.1), la synthèse par précipitation des oxydes ou oxyhydroxydes de manganèse à relativement basse température (≤ 95 ◦ C)
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
351
utilise des réactions rédox qui impliquent les formes solubles et stables du manganèse : • oxydation du MnII dans des conditions très variées, abiotiques (Yuan 2005, Li 2005, Pike 2007, Hill 2008) ou biotiques (Tebo 2004, Saratovsky 2006) ; • réduction du MnVII avec divers réactifs tels des sucres (Brock 1998), de l’eau oxygénée (Villegas 2005), du thiosulfate (Portehault 2010) ; • médiamutation entre MnII et MnVII qui offre une grande versatilité (Portehault 2009a). Ces réactions redox effectuées dans les conditions hydrothermales diversifient les possibilités de synthèse (Shen 2005, Yuan 2005, Ding 2006). Du fait des nombreux degrés d’oxydation du manganèse et de la variété structurale de ses oxydes, les caractéristiques dimensionnelles, morphologiques et structurales du solide formé dépendent très étroitement des conditions de la réaction, en particulier l’acidité du milieu, la composition du système (rapport MnVII /MnII dans le cas de la médiamutation), la température, la durée du vieillissement en suspension, etc. La nature des contre-cations dans le milieu peut aussi influencer la structure de l’oxyde. a) Médiamutation La réaction en solution s’écrit formellement : 2[MnVII O4 ]− + 3[MnII (OH2 )6 ]2+ + 4H2 O → 5[MnIV (OH)4 (OH2 )2 ]0 + 4H+ Le complexe du MnIV , non chargé sur tout le domaine d’acidité accessible, se condense par olation et oxolation et mène à l’oxyde MnO2 (§ 4.1.4) : [Mn(OH)4 (OH2 )2 ]0 → MnO2 + 4H2 O L’introduction du permanganate de potassium dans une solution de sulfate manganeux à température ambiante, dans les conditions stœchiométriques ou en excès (MnVII /MnII ≥ 2/3, concentration totale en Mn 0,2 mol.l−1 ), entraîne la précipitation quasi immédiate d’un solide noir. Les caractéristiques de ce solide dépendent de l’acidité du milieu qui est fixée par addition de base ou d’acide (Portehault 2009a). (i) Si le milieu est initialement acide (pH ≤ 2), le solide est amorphe et présente un degré d’oxydation moyen du manganèse proche de 4. Le chauffage à 95 ◦ C pendant 7 jours (le pH final est voisin de 1) conduit à la formation du cryptomélane, α-MnO2 , sous forme de baguettes de 30 nm de diamètre et 500 nm de longueur environ (Fig. 8.35a). Le degré d’oxydation moyen du manganèse est voisin de 3,7 ce qui signifie que le solide renferme des ions K+ (le rapport molaire K/Mn est de l’ordre de 0,25) et des molécules d’eau (H2 O/Mn ≈ 0,3). Le mécanisme impliqué dans la cristallisation combine un processus de dissolutioncristallisation qui forme des nanobaguettes primaires d’environ 10 nm
352
De la solution à l’oxyde
2 MnO4- + 3 Mn(OH2)62+ 0
4
500 nm
(a)
2 MnO4- + 3 Mn(OH2) 6
12
pH
250 nm
(b)
Fig. 8.35 – Images MET de baguettes de cryptomélane α-MnO2 (a) et de plaquettes de birnessite K0,3 MnO2 (b) formées par thermolyse du précipité obtenu par médiamutation en milieu acide et en milieu basique respectivement (reproduit avec c American Chemical Society et Portehault autorisation d’après Portehault 2007 2008c). de diamètre, avec l’agrégation ordonnée longitudinalement qui conduit aux particules finales (Fig. 8.35a, insert). Ce dernier mode d’agrégation est clairement mis en évidence par la comparaison des données de diffraction des rayons X et de microscopie électronique en transmission (Portehault 2007). En absence d’ions K+ , si la réaction est effectuée avec un large excès de permanganate de sodium ou de lithium (préparé par échange d’ions sur résine cationique sous forme Li+ à partir de solutions de KMnO4 ), le chauffage forme la pyrolusite, β-MnO2 . Les ions Na+ et Li+ sont en effet trop petits pour stabiliser la phase α-MnO2 et, dans la pyrolusite, les canaux de la structure sont vides. Les particules de pyrolusite sont des bâtonnets creux à section plus ou moins carrée (Fig. 8.36), indice d’un mécanisme d’agrégation ordonnée de baguettes (Portehault 2009a). (ii) Si le milieu de précipitation est basique (pH ≥ 8), le solide noir immédiatement formé est cristallisé avec une structure de type birnesIII site, δ-MnO2 , de composition moyenne K0,3 MnIV 0,7 Mn0,3 O2 . Les particules sont des plaquettes hexagonales d’environ 300 nm de diamètre et de 15 nm à 40 nm d’épaisseur (Fig. 8.35b). Le vieillissement à chaud (95 ◦ C) n’entraîne pas de modification notable. Dans ces conditions, les ions Mn2+ sont initialement précipités sous forme Mn(OH)2 (pyrochroïte), de sorte que leur oxydation par le permanganate se produit au sein de la phase solide. La parenté morphologique entre les deux phases, pyrochroïte et birnessite, est évidente, ce qui laisse penser que l’oxydation procède effectivement in situ à l’état solide avec diffusion des ions K+ dans l’espace interfoliaire. Les ions Na+ et Li+ n’interviennent
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
500 nm
353
200 nm
Fig. 8.36 – Images MEB à effet de champ de bâtonnets creux de pyrolusite β-MnO2 formés par thermolyse du solide formé à pH 1,3 par réaction de LiMnO4 avec MnSO4 (reproduit d’après Portehault 2009a avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
pas sur le contrôle structural. Ils peuvent en effet tout aussi facilement que les ions K+ s’insérer entre les feuillets de la structure (Portehault 2007). (iii) En présence d’un large excès de permanganate (MnVII /MnII = 20/3, concentration totale en Mn 0,2 mol.l−1 ), deux étapes cinétiques très distinctes interviennent au cours du processus. En milieu fortement acide (pH initial ≤ 1) comme à pH 11, l’oxydation du MnII , rapide et quasi totale, forme comme on vient de le voir précédemment des agrégats sphéroïdaux amorphes et des plaquettes hexagonales de birnessite, respectivement (Fig. 8.37a, b). Après chauffage à 95 ◦ C pendant 7 jours, les suspensions de pH initial voisin de 1 forment toujours des nanobaguettes de cryptomélane, tandis qu’à pH ≥ 2, on obtient des objets nanométriques ressemblant à des éponges à cause de la présence d’un voile plissé (Fig. 8.37c, d). L’analyse structurale indique qu’il s’agit dans les deux cas de birnessite (Portehault 2008a, b, 2009a). Dans ces conditions, puisque tous les ions Mn2+ introduits dans le milieu ont été rapidement oxydés, l’excès de permanganate réagit avec l’eau durant le chauffage des suspensions : 4[MnO4 ]− + 18H2 O → 4[Mn(OH)4 (OH2 )2 ]0 + 3O2 + 4OH− Cette réaction a deux caractéristiques : elle est lente et elle entraîne une forte alcalinisation du milieu : pour un pH initial de 2, le pH final après 7 jours de chauffage est 10. La birnessite est donc dans ces conditions la phase privilégiée (Luo 1998, Ma 1999, Liu 2007). Dans les deux cas, la décoration des particules formées lors de la précipitation initiale en milieu acide (Fig. 8.38c) ou basique (Fig. 8.38d) s’effectue par nucléation
354
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
200 nm
250 nm
(c)
(d)
200 nm
200 nm Fig. 8.37 – Images MEB à effet de champ des nanoparticules formées à température ambiante en milieu acide (pH initial 2) (a) et en milieu basique (pH initial 11) (b) par l’oxydation des ions Mn2+ par un excès de permanganate de potassium (MnVII /MnII = 20/3) ; (c et d) particules obtenues après chauffage à 95 ◦ C par réaction de l’excès du permanganate en présence des particules formées en milieu acide (a) et en milieu basique (b) respectivement (reproduit d’après Portehault c 2008a avec autorisation de Wiley et avec autorisation d’après Portehault 2008b American Chemical Society).
hétérogène sur les particules existantes qui jouent le rôle de germes. La croissance des faces basales de la birnessite forme ainsi des lamelles plissées d’une dizaine de nanomètres d’épaisseur. Le même mécanisme peut être mis en œuvre pour créer, par hétéroépitaxie, des composites d’oxydes de manganèse. L’élaboration de nanostructures hétérogènes associant des matériaux qui diffèrent par leur composition et/ou par leur structure cristalline est actuellement un domaine très actif en nanotechnologie car de tels composites sont en effet susceptibles de présenter des propriétés originales. Dans le cas d’oxydes de manganèse, on remarque que l’écartement des plans {001} de la birnessite, d001δ = 0,7 nm, est pratiquement le même que celui des plans {110} du cryptomélane, d110α = 0,69 nm. On peut alors prévoir la formation de composites par épitaxie entre une structure à tunnels (cryptomélane α-MnO2 ) et une structure en couches (birnessite δ-MnO2 ).
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
355
γ-MnO2 γ-MnOOH
200 nm
Fig. 8.38 – Image MEB à effet de champ de baguettes de manganite et de cônes de ramsdellite (d’après Portehault 2009d).
Pour cela, des baguettes de cryptomélane sont formées, comme indiqué précédemment, par médiamutation en milieu acide, dans les conditions stœchiométriques : MnVII /MnII = 2/3 (concentration en Mn 0,2 mol.l−1 , pH = 2, 60 ◦ C, 7 jours). Les particules sont ensuite dispersées dans de l’eau à pH 2 et une solution de permanganate est introduite dans la suspension. Le mélange est chauffé à 95 ◦ C pendant une journée. Le diagramme de diffraction X des particules obtenues montre la coexistence de la birnessite et du cryptomélane et la microscopie électronique montre que la croissance des feuillets de birnessite s’est effectuée sur les quatre faces latérales des baguettes de cryptomélane, en parfaite épitaxie sur des longueurs aussi grandes que 500 nm (§ 4.2.3, Fig. 4.47) (Portehault 2009b). La symétrie tétragonale du cryptomélane conduit à l’existence de quatre plans équivalents {110} perpendiculaires les uns aux autres, permettant la croissance de quatre plaquettes de birnessite à la manière d’un empennage de flèche. (iv) En défaut de permanganate de potassium et en particulier pour le rapport MnVII /MnII = 1/4, le potentiel redox du système s’abaisse et la réaction de médiamutation forme des oxyhydroxydes correspondant au degré d’oxydation III du manganèse. La réaction formelle s’écrit en milieu basique : [MnO4 ]− + 4Mn(OH)2 → 5MnO(OH) + OH− + H2 O et en milieu acide : [MnO4 ]− + 4Mn(OH2 )6 2+ → 5MnO(OH) + 7H+ + 18H2 O L’acidité du milieu joue un rôle très important sur la nature des phases solides formées et le contrôle du pH est effectué par addition de potasse
356
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
002 -120
200 nm
500 nm
Fig. 8.39 – Images MET de nanoparticules d’haussmanite Mn3 O4 formées par chauffage du mélange MnVII -MnII dans le rapport MnVII /MnII = 2/30 à pH 11 (a) et de bâtonnets de pyrolysite obtenus à pH 1 (b) (reproduit d’après Portehault 2009a avec autorisation de The Royal Society of Chemistry).
tout au long de l’introduction des réactifs, avant le chauffage à 95 ◦ C de la suspension (Portehault 2009c, 2009d). Sur tout le domaine de pH après 1 jour de chauffage, on obtient des mélanges dans lesquels la manganite, γ-MnOOH, est toujours présente. Si le pH du milieu est maintenu au voisinage de pH 10, on obtient la feitknechtite, β-MnOOH sous forme de particules formant des triangles maclés (§ 4.2.3, Fig. 4.49) (Portehault 2010). Entre pHfinal 5 et 6, on obtient la groutite, α-MnOOH. En milieu fortement acide, pHfinal ≈ 2, on obtient un mélange de manganite et de ramsdellite γ-MnO2 . La manganite existe sous forme de baguettes dont la longueur varie de 400 nm à quelques μm environ et la ramsdellite forme des cônes à base hexagonale (Fig. 8.38). Ils résultent de l’agrégation ordonnée de bâtonnets par leurs faces latérales {110} selon un mécanisme décrit au § 3.2.3. Avec un défaut de permanganate encore plus important (rapport MnVII /MnII = 2/30), le chauffage à 95 ◦ C pendant 1 jour forme en milieu alcalin (pHfinal ≈ 11) des particules d’hausmanite, Mn3 O4 (MnII MnIII 2 O4 ), sous forme de rhomboèdres d’environ 30 nm de diamètre, tandis qu’en milieu acide (pHfinal ≤ 2), on obtient des bâtonnets de pyrolusite, β-MnO2 (Fig. 8.39) (Portehault 2009a). La quantité de permanganate est insuffisante pour oxyder les deux tiers du MnII en milieu alcalin et l’oxydation de Mn(OH)2 par l’air doit donc intervenir au cours du vieillissement. En milieu acide, l’oxydation des ions Mn2+ est totale. Il est très probable que l’adsorption des ions Mn2+ sur le solide formé lors du mélange des réactifs exalte leur pouvoir réducteur à cause de la forte stabilisation de la forme oxydée, ce qui favorise l’oxydation par l’eau ou l’oxygène dissous au cours du chauffage. En effet, les ions Mn3+ et/ou Mn4+ qui résultent de l’oxydation ont une aptitude bien plus grande que les ions Mn2+ à s’hydroxyler et former un solide. Cela revient à dire qu’ils
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
357
sont aussi beaucoup plus aptes à s’intégrer structuralement au solide sur lequel ils sont adsorbés. L’oxydation de l’ion manganeux peut alors s’effectuer, soit par un réactif en solution (molécule d’eau ou de dioxygène), soit par injection directe d’électrons dans le solide support (§ 5.4.3). Un tel phénomène a été déjà considéré pour expliquer le fort pouvoir réducteur des ions ferreux adsorbés sur la goethite ou sur d’autres oxydes de fer (Stumm 1992, Silvester 2005, Gorski 2011). Un mécanisme tout à fait analogue est aussi mis en jeu dans la transformation d’une birnessite synthétique par adsorption d’ions Mn2+ en solution (Tu 1994). L’adsorption entraîne, après quelques jours de vieillissement à température ambiante, la transformation de la birnessite en différentes phases dépendant de l’acidité du milieu : ramsdellite (pH 2,4), cryptomélane (pH 4), groutite (pH 6) et manganite (pH 8). La transformation est d’autant plus rapide que la concentration en ions Mn2+ est importante, mais comme ces expériences n’ont pas été réalisées en milieu anaérobie, il est difficile de se prononcer sur le mécanisme intime impliqué (oxydation par l’oxygène catalysée par la surface ou injection d’électrons dans le solide). En effet, le fait que les ions Mn2+ adsorbés produisent du MnIV en milieu acide et du MnIII à pH > 4 pourrait laisser penser que l’oxygène dissous soit le récepteur d’électrons, mais il est aussi possible que la reconstruction structurale résulte de l’injection d’électron dans le solide initial. b) Oxydation du MnII La réaction de médiamutation forme quasi immédiatement un solide mal organisé dont la structuration intervient au cours du chauffage. Afin de mieux contrôler la formation du solide, il peut être intéressant d’utiliser un oxydant puissant des ions Mn2+ et dont les réctions sont lentes. La précipitation peut être effectuée avec de nombreux réactifs, soit en solution acide avec le complexe [Mn(OH2 )6 ]2+ , soit à pH ≥ 8, en milieu hétérogène avec l’hydroxyde Mn(OH)2 . Le complexe [Mn(OH2 )6 ]2+ est stable en solution tandis que l’hydroxyde, blanc lors de sa formation, brunit rapidement en suspension et s’oxyde à l’air en formant de l’hausmanite, Mn3 O4 . Selon la force de l’oxydant et la composition du système, l’oxydation est plus ou moins complète et poussée, permettant de former diverses phases. L’addition d’eau oxygénée à une solution de MnCl2 (H2 O2 /Mn = 1) à pH 7 n’entraîne pas de précipitation mais à pH 9, le solide blanc immédiatement formé vire rapidement au brun. Après deux jours de chauffage à 95 ◦ C, le solide obtenu est de l’hausmanite, Mn3 O4 . 25 % du manganèse restent en solution sous forme d’ions Mn2+ , ce qui signifie que, dans ces conditions, seulement 50 % du manganèse initial ont été oxydés en MnIII . Avec une quantité plus importante d’eau oxygénée (H2 O2 /Mn = 10), l’oxydation est quasi quantitative et on obtient de la manganite, γ-MnOOH (Cassaignon 2004). Avec un oxydant plus puissant tel le persulfate S2 O8 2− et à une température comprise entre 60 et 95 ◦ C, la réaction mène quantitativement au Mn4+
358
De la solution à l’oxyde
sur un large domaine d’acidité. Le contre-cation joue un rôle important sur la structure du solide formé, ainsi que le pH car, de même que pour la médiamutation, l’oxydation par le persulfate entraîne une forte acidification du milieu : Mn2+ + S2 O8 2− + 2H2 O → MnO2 + 2SO4 2− + 4H+ En milieu basique (pH initial ≥ 8), avec le persulfate de potassium, le précipité de Mn(OH)2 formé à pH 10 s’oxyde rapidement pour donner de la birnessite si le pH est maintenu à 10 par addition de potasse durant le chauffage. Si le pH n’est pas contrôlé, il tombe à 2 après un jour d’évolution à 95 ◦ C et on obtient du cryptomélane α-MnO2 (Portehault 2008). À pH initial < 8, la réaction est plus lente. Un précipité noir formé d’un mélange de ramsdellite γ-MnO2 et de cryptomélane apparaît après 1 heure de chauffage à 60 ◦ C (Portehault 2008). Comme on l’a vu précédemment, la présence du potassium favorise la formation du cryptomélane qui contient toujours environ 25 % d’ions potassium. Avec du persulfate d’ammonium, on obtient exclusivement la ramsdellite, γ-MnO2 qui se transforme en pyrolusite, β-MnO2 , après 7 jours de chauffage à 95 ◦ C de la suspension (Cassaignon 2004). L’oxydation des ions Mn2+ par le persulfate d’ammonium dans les conditions hydrothermales (120 ◦ C, 12 heures) conduit également à la formation de bâtonnets de pyrolusite de 40 à 100 nm de diamètre et 2,5 à 4 μm de longueur (Wang 2002, 2003). En revanche, l’ajout d’un excès de sulfate d’ammonium permet, dans ces conditions, de stabiliser le cryptomélane, obtenu sous forme d’aiguilles de 5 à 20 nm de diamètre et de 5 à 10 μm de longueur. Il est probable que l’effet des ions ammonium sur l’orientation cristalline de la phase MnO2 soit très dépendant de la température et peut être aussi de l’acidité. La catalyse avec l’argent permet l’oxydation des ions Mn2+ par le persulfate à température ambiante. Il semble que le mécanisme catalytique mette en jeu les radicaux SO4 − issus de la décomposition du persulfate qui formeraient des ions Ag3+ qui oxyderaient à leur tour les ions Mn2+ en ions Mn4+ (House 1962). Il s’avère néanmoins que des morphologies très particulières du cryptomélane α-MnO2 peuvent être formées à température ambiante (Li 2005a,b). Ainsi, l’addition de nitrate d’argent dans le mélange équimolaire de sulfate manganeux et de persulfate d’ammonium forme des structures en forme d’oursins d’environ 2 μm de diamètre (Fig. 8.40a). En présence d’une lame d’argent métallique au lieu de nitrate d’argent, on obtient des structures sphériques connectées par des nanofibres (Fig. 8.40b), tandis que l’application périodique pendant de courtes durées d’ultrasons forme aussi des structures interconnectées d’un réseau enchevêtré de nanofils de cryptomélane (Fig. 8.40c). Sans la présence d’ions Ag+ , aucun solide n’est formé à température ambiante. L’effet de catalyse s’exerce donc non seulement sur la vitesse de la réaction mais aussi sur la morphologie des objets formées. Dans le cas des structures en forme d’oursin, deux étapes sont clairement identifiées durant la croissance : après 3 heures, il apparaît des agrégats sphériques de
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
(a)
(b)
(c)
(d)
359
Fig. 8.40 – Images MEB à effet de champ à différents grandissements de diverses morphologies du cryptomélane α-MnO2 obtenues à température ambiante à partir de l’oxydation d’ions Mn2+ par le persulfate d’ammonium (a) en présence d’ions Ag+ après 2 jours ; (b) en présence d’une lame d’argent après 3 jours ; (c) en présence d’une lame d’argent après 5 jours et avec traitement périodique d’ultrasons (reproduit d’après Li 2005a avec autorisation de The Royal Society of Chemistry) ; (d) structures formées par oxydation d’ions Mn2+ par le persulfate d’ammonium en présence d’ions Ag+ en milieu acide sulfurique (reproduit avec autorisation d’après c American Chemical Society). Li 2005b
600 à 800 nm de diamètre formés de petites nanoparticules et après 6 heures, on observe des sphères d’environ 1,5 μm de diamètre dont la surface est totalement couverte de petits bâtonnets. Ces observations semblent montrer qu’au début de la réaction, la forte concentration des réactifs et du catalyseur entraîne une croissance rapide de petites particules qui s’agrègent en motifs sphériques. Lorsque les réactifs s’épuisent, la concentration de l’argent peut elle aussi diminuer, par exemple par piégeage dans les larges canaux de la structure cryptomélane et la réaction ralentit. La nucléation intervient alors de manière hétérogène à la surface des agrégats avec la croissance radiale de bâtonnets qui forment les épines observées sur les particules finales. Quand une lame d’argent est utilisée comme catalyseur, les ions Ag+ sont libérés à très faible concentration par rapport au cas précédent, ce qui favorise la croissance de bâtonnets qui forment d’abord des agrégats denses de forme sphérique. Comme l’apport d’ions Ag+ est continu, de longues structures monodimensionnelles peuvent être formées qui permettent la connexion de sphères adjacentes (Fig. 8.40b). De telles longues fibres ne peuvent pas se former en milieu agité, mais les ultrasons appliqués périodiquement pendant de courtes périodes peuvent néanmoins les disperser et promouvoir la formation d’agrégats lâches et peu denses interconnectés par de longues fibres entrelacées (Fig. 8.40c). Lorsque la réaction d’oxydation des ions Mn2+ par le persulfate d’ammonium catalysée par le nitrate d’argent est conduite en milieu acide, on obtient une structure cœur-couronne du cryptomélane quelque peu différente
360
De la solution à l’oxyde
de la structure en oursin (Fig. 8.40d) (Li 2005a). Des sphères d’environ 2 μm de diamètre formées par l’agrégation dense de nanoparticules comportent une coquille sphérique constituée de nanobâtonnets de 30 à 40 nm de longueur, alignés de manière compacte et ordonnée. La différence morphologique avec les particules en forme d’oursin semble provenir du ralentissement de l’oxydation dû à l’acidité du milieu. En effet, le mécanisme catalytique pourrait être dans ces conditions quelque peu différent, en impliquant la formation transitoire d’ions Mn3+ dont la dismutation en ions Mn4+ et Mn2+ serait plus lente à mesure que l’acidité du milieu croît (House 1962, Li 2005b). Des architectures sphériques en épines à base de cryptomélane α-MnO2 (Fig. 8.41) sont aussi obtenues par oxydation des ions Mn2+ par le bichromate de potassium en milieu acide dans les conditions hydrothermales (Yuan 2005). À 120 ◦ C, les clusters de diamètre d’environ 4 μm sont formés par l’assemblage de bâtonnets à section carrée de 200 nm sur 2 μm de long (Fig. 8.41a) tandis qu’à 180 ◦ C, les clusters dont le diamètre est de 5 μm ont la forme de fleur de pissenlit avec des poils de 40 nm d’épaisseur et 2,5 μm de longueur (Fig. 8.41b). Dans les deux cas, la direction de croissance des bâtonnets est l’axe [001] qui est celui des canaux de la structure. À la différence des structures formées à partir d’un cœur constitué d’agglomérats denses de nanoparticules (Fig. 8.40), les bâtonnets qui forment ces clusters sont issus d’un même centre. Cette morphologie nécessite le contrôle précis des étapes de nucléation et de croissance du solide, et il est probable que grâce à la faible différence des potentiels redox des deux couples (CrVI /CrIII 1,33 V, MnIV /MnII 1,23 V), ce contrôle soit assuré par la douceur de la réaction redox.
(b)
(a) 1 μm
5 μm
300 nm
1 μm
3 μm
300 nm
Fig. 8.41 – Images MEB à différents grandissements de clusters formés par oxydation du sulfate de manganèse par le bichromate de potassium en milieu acide sulfurique dans les conditions hydrothermales (a) à 120 ◦ C (12 h) et (b) à 180 ◦ C c American Chemical (12 h) (reproduit avec autorisation d’après Yuan 2005 Society). L’oxydation des ions Mn2+ par le perchlorate en milieu hydrothermal à 160 ◦ C produit des particules de la phase ε-MnO2 , dont la structure est constituée d’intercroissances de pyrolusite et de ramsdellite (simples et doubles chaînes d’octaèdres MnO6 , Fig. 8.34) (Ding 2006). Les particules consistent en empilements d’étoiles à six branches comportant une âme centrale avec une
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium (a)
361
(b)
(d)
(c)
(e)
Fig. 8.42 – Images MEB des structures ε-MnO2 en forme d’étoile obtenues par oxydation des ions Mn2+ par les ions [ClO4 ]− à 160 ◦ C pendant 24 heures (a), (b) et (c) ; (d) image de l’axe central des structures ; (e) image des branches formées après 4 heures de chauffage (reproduit d’après Ding 2006 avec autorisation de Wiley). forme pyramidale à six faces à partir desquelles sont issues des branches en forme de ruban (Fig. 8.42). Elles ont une largeur de 50 à 300 nm, une épaisseur d’une dizaine de nanomètres et plusieurs micromètres de longueur et forment entre elles un angle très proche de 60◦ . L’âme centrale et les branches ont la même structure cristalline de ε-MnO2 et l’ensemble forme un objet de 5 à 10 μm de long. La formation d’une telle architecture résulte d’au moins deux étapes de nucléation. Après deux heures de chauffage de la solution à 160 ◦ C, il apparaît une petite quantité de solide formé de pyramides dont la taille, de l’ordre de 500 nm à 1 μm, est semblable à celle de l’axe central des objets formés après 24 heures de chauffage. Après 4 heures de chauffage, les structures en étoile sont formées (Fig. 8.42d). La croissance des branches résulte ainsi du processus de nucléation hétérogène sur les facettes de pyramides. Il est clair que les ions perchlorate ont un rôle très spécifique mais non encore identifié sur l’oxydation des ions Mn2+ pour fournir ce type unique de croissance cristalline. c) Réduction du MnVII Du fait de son fort pouvoir oxydant, le permanganate est réductible par de nombreux réactifs en solution, notamment des composés organiques tel le glucose (Brock 1998). Il ne semble pas que des spécificités soient obtenues avec ce système. On peut noter que la réduction du permanganate par les ions sulfite en milieu alcalin (pH ≈ 11) mène à 60 ◦ C à la birnessite δ-MnO2 et à 95 ◦ C à l’hausmanite Mn3 O4 (Portehault 2008c). Dans des conditions semblables, la réduction avec le thiosulfate à 60 ◦ C conduit à la manganite
362
De la solution à l’oxyde
(a)
(b)
400 nm
1 μm
Fig. 8.43 – Images MEB à effet de champ de particules de manganite (a) et d’hausmanite (b) formées par réduction du permanganate par le thiosulfate à pH 11 à 60 ◦ C et à 95 ◦ C respectivement (d’après Portehault 2008c). (Fig. 8.43a) avec, transitoirement, la formation de feitkneichtite (§ 3.2.3). À 95 ◦ C, c’est aussi l’hausmanite qui constitue le stade ultime de la réduction (Fig. 8.43b). La réduction du permanganate par l’eau oxygénée en milieu acide nitrique ou tampon acétique (4,7 ≥ pH ≥ 2) fournit, après chauffage au reflux, des lamelles ou des tiges de cryptomélane (α-MnO2 ) de quelques dizaines de nanomètres de largeur et d’une longueur de quelques centaines de nanomètres à quelques dizaines de micromètres (Villegas 2005). L’augmentation de la concentration de l’eau oxygénée (entre 0,25 et 5 % en volume) accroît la vitesse de la réaction et diminue la taille des particules. Avec une concentration plus élevée, la manganite (γ-MnOOH) devient la phase majoritaire. La réduction du permanganate par l’eau dans les conditions hydrothermales (240 ◦ C, 4 jours) en présence de différents contre-cations, magnésium ou sodium, fournit un bel exemple de contrôle structural de l’oxyde MnO2 (Huang 2010). Le magnésium entraîne la formation de plaquettes d’une phase todorokite (Fig. 8.44a) de composition Mg3,17 Mn5,05 O12 , 4,52H2 O comportant des canaux à section carrée formés par des chaînes triples d’octaèdres MnO6 tandis qu’avec le sodium, on obtient une phase comportant des canaux à section rectangulaire (chaînes doubles et quadruples d’octaèdres MnO6 ). Les particules se présentent sous forme de lamelles de 40 nm de largeur et de quelques micromètres de longueur (Fig. 8.44b). Deux facteurs sont essentiels dans le contrôle structural : la température du traitement et la nature du cation. On a vu précédemment que la réduction du permanganate entraîne l’augmentation importante du pH du milieu : 4[MnO4 ]− + 18H2 O → 4[Mn(OH)4 (OH2 )2 ]0 + 3O2 + 4OH− ce qui entraîne la formation d’un solide lamellaire (du type birnessite). Si la température du traitement hydrothermal est de l’ordre de 180 à 200 ◦ C,
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
(a)
363
(b)
1 μm
500 nm
Fig. 8.44 – Images MEB des particules obtenues par traitement hydrothermal à 240 ◦ C pendant 4 jours de solutions aqueuses de (a) permanganate de magnésium et (b) permanganate de sodium (reproduit d’après Huang 2010 avec autorisation de The Royal Society of Chemistry). cette phase lamellaire est stable avec l’un ou l’autre des cations et elle possède le même diagramme de diffraction des rayons X. En revanche, à 240 ◦ C, cette phase se transforme. Si la réaction est effectuée avec du permanganate de magnésium, les ions Mg2+ formant l’hydroxyde Mg(OH)2 permettent de ramener le pH autour de la neutralité tandis qu’avec du permanganate de sodium, les ions Na+ n’ont pas cette capacité à réguler le pH qui reste élevé, voisin de 13 pendant toute la durée du traitement. Conjointement à l’effet de l’acidité, la taille et la charge des cations exercent un effet template qui oriente spécifiquement la structuration de l’oxyde. Il semble que d’autres sels du permanganate (Rb+ , Cs+ et Cu2+ ou Zn2+ ) conduisent à des structures similaires d’oxydes de manganèse avec des canaux de tailles différentes (Huang 2010).
8.4
Oxydes de zirconium
Le zirconium, élément de la colonne du titane dans la classification périodique, forme la zircone, ZrO2 , qui présente un large domaine d’utilisation notamment comme principal composant des céramiques techniques en raison de son inertie chimique et de sa très grande stabilité thermique. Beaucoup d’efforts sont consacrés à la synthèse de la zircone par précipitation car elle permet, contrairement à la voie de chimie du solide, d’obtenir des particules cristallines ou non et de petite taille, qui sont d’intéressants précurseurs pour l’élaboration et la mise en forme commode de matériaux céramiques.
364
8.4.1
De la solution à l’oxyde
Variétés cristallines de la zircone
La zircone existe à pression atmosphérique sous trois variétés cristallines. La phase monoclinique, basse température, est thermodynamiquement stable jusqu’à 1 100 ◦ C. Les ions Zr4+ y adoptent la coordinence 7 au sein d’un polyèdre irrégulier où les distances Zr-O vont de 2,04 à 2,26 Å avec des angles O-Zr-O variables (Fig. 8.45). La phase quadratique (tétragonale) est stable de 1 100 ◦ C à 2 380 ◦ C et la phase cubique persiste jusqu’à la fusion à 2 710 ◦ C. La phase cubique a la structure fluorine CaF2 dans laquelle les ions Zr4+ adoptent la coordinence 8 cubique et les ions O2− la coordinence 4 tétraédrique. Cette structure peut être simplement décrite comme un empilement cubique simple d’ions O2− dans lequel les ions Zr4+ occupent la moitié des sites cubiques. La phase quadratique peut être considérée comme une distorsion de la structure cubique avec une légère élongation selon l’axe c entraînant l’écartement et le rapprochement alternatif des ions oxyde par rapport aux ions zirconium (Fig. 8.45). La taille nanométrique des particules et l’hydratation peuvent cependant modifier les stabilités relatives des différentes phases (§ 1.1.3).
(a)
(b)
(c)
Fig. 8.45 – Structure de la zircone (a) monoclinique, (b) quadratique ou tétragonale, (c) cubique.
Des éléments d’alliage ou de dopage (Mg2+ , Ca2+ , Y3+ et les lanthanides Ln ) modifient aussi très fortement les stabilités relatives de ces phases avec des températures de transition très fortement abaissées, les phases quadratique et cubique pouvant devenir stables à température ordinaire. L’origine de la stabilisation provient des lacunes d’oxygène résultant de l’équilibre des charges qui permettent la relaxation du réseau par des déplacements atomiques. C’est typiquement le cas de la zircone cubique dite « stabilisée » par la substitution d’ions Zr4+ par des ions Y3+ (Zr1−x Yx O2−x/2 ) ou Ca2+ (Zr1−x Cax O2−x ). Les lacunes d’oxygène permettent la mobilité des ions oxyde dans le réseau d’où l’importante conductivité ionique de ces phases à haute température. 3+
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
8.4.2
365
Précipitation de la zircone
L’addition de base à une solution d’un sel de zirconium (oxychlorure, oxynitrate) à température ambiante entraîne la précipitation immédiate d’un solide gélatineux non structuré, fortement hydraté et qui n’est pas l’hydroxyde « Zr(OH)4 » (§ 3.1). Il s’agit d’un oxyhydroxyde de composition non définie ZrO2−x (OH)2x ,yH2 O, souvent nommé « zircone hydratée ». Selon le pH de précipitation et la nature de la base (ammoniac, soude, potasse), le solide renferme des quantités variables d’anions ou de cations adsorbés pour assurer la compensation de charge de surface du solide. Le chlorure et le nitrate sont éliminables par lavage à pH contrôlé (Clearfield 1964a). En revanche, le sulfate est un anion suffisamment complexant qui demeure dans la sphère de coordination du zirconium au sein des phases hydroxylées, formant ainsi des sels basiques Zra (OH)b (SO4 )c (OH2 )d de composition et de structure très variées. C’est pourquoi l’oxysulfate de zirconium n’est pas couramment utilisé comme précurseur de zircone. Il est parfois supposé que la phase amorphe pourrait être formée par la condensation rapide par olation du tétramère neutralisé [Zr4 (OH)16 (OH2 )8 ]0 dérivant du polycation préexistant en solution plus acide (§ 8.1). La diffraction des rayons X et des neutrons suggère cependant que l’ordre à courte distance est caractéristique de celui de la zircone tétragonale (Livage 1968), dans laquelle la coordinence du zirconium est cubique tandis qu’elle est antiprismatique dans le tétramère. Il est ainsi douteux que la structure du tétramère soit conservée dans le solide. La cristallisation du solide amorphe est induite par traitement thermique. Elle peut avoir lieu par calcination du précipité sec entre 400 et 600 ◦ C en entraînant le plus souvent l’augmentation de taille des particules par frittage. La cristallisation peut aussi intervenir par thermohydrolyse ou, plus couramment, par traitement hydrothermal des suspensions. Les conditions acido-basiques du milieu déterminent le type structural obtenu : zircone monoclinique en milieu acide, zircone tétragonale (quadratique) et/ou cubique en milieu neutre et alcalin. Le chauffage au reflux d’une solution molaire d’oxychlorure à pH compris entre 1 et 2,5 entraîne l’acidification très importante du milieu (le pH varie de 2,5 à 0,4 après 2 jours de chauffage). Cela traduit l’hydroxylation du zirconium et aboutit à la précipitation après environ 20 heures de zircone monoclinique (Clearfield 1964b). Selon les conditions, on obtient des nanoparticules sphéroïdales non agrégées d’environ 5 nm (Kamp 2010) ou des petits bâtonnets formant des agrégats cubiques d’environ 50 nm (Hu 1999) (Fig. 8.46). Un résultat semblable est obtenu par chauffage de la suspension de zircone amorphe, sous réserve qu’elle n’ait pas été préalablement lavée et débarrassée des ions chlorure. En effet, lorsque ceux-ci sont éliminés, le chauffage au reflux n’entraîne plus l’acidification de la suspension ni la cristallisation de la zircone (Clearfield 1964b). Cela montre, d’une part, que les ions chlorure présents dans le solide amorphe compensent effectivement une charge positive
366
De la solution à l’oxyde
100 nm
(a)
5 nm
(b)
Fig. 8.46 – Image MET de nanoparticules de zircone monoclinique formées par thermolyse de l’oxychlorure de zirconyle (a) à 100 ◦ C pendant 3 jours (0,075 mol.l−1 ) (reproduit d’après Hu 1999 avec autorisation de Wiley) ; (b) à 95 ◦ C pendant 2 jours (0,5 mol.l−1 , pH 0,85) (d’après Kamp 2010).
qui se trouve annihilée par hydroxylation et acidification du milieu au cours du chauffage et, d’autre part, que la transformation structurale, qui requiert l’acidification du milieu, doit procéder selon un mécanisme de dissolutioncristallisation. Le chauffage à 110 ◦ C dans les conditions hydrothermales de solutions acides (pH 0,5) d’oxynitrate produit de façon analogue, après une vingtaine d’heures de traitement, des nanoparticules de zircone monoclinique (Denkewics 1990). À pH plus élevé, la précipitation à la même température est beaucoup plus rapide. Le traitement hydrothermal à 110 ◦ C de l’oxynitrate forme après une à deux heures à pH 3,6 aussi bien qu’à pH 12 la zircone tétragonale (Denkewics 1990). Cette phase représente la totalité du zirconium présent dans le milieu, mais le chauffage prolongé entraîne sa transformation en phase monoclinique, thermodynamiquement plus stable, la transformation étant d’autant plus importante et rapide que le pH est élevé. Cela montre que la phase tétragonale est capable de nucléer plus facilement que la phase thermodynamiquement stable, et que la transformation t-ZrO2 → m-ZrO2 intervient par dissolution-cristallisation. En effet, la formation de la phase monoclinique est d’autant plus favorisée que la solubilité de la zircone est importante (Fig. 8.47). Un comportement globalement analogue est observé dans les conditions hydrothermales à plus basse température (95 ◦ C) (Stefanic 1997), mais le retard cinétique de la cristallisation très marqué entraîne la coexistence de diverses phases qui complique l’interprétation des résultats. À plus haute température (240 ◦ C), le chauffage hydrothermal de la zircone amorphe dans une solution de soude forme après 24 heures des bâtonnets de zircone tétragonale de 100 nm de long et 50 nm d’épaisseur (Fig. 8.48). Ils se transforment au bout de 72 heures en bâtonnets de zircone monoclinique de même épaisseur mais deux fois plus longs (Bugrov 2013). Il est intéressant de noter que si le liquide hydrothermal est de l’eau neutre, la transformation t-ZrO2 → m-ZrO2 est fortement restreinte, ce qui atteste de la nécessité d’une solubilité
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
367
log CZr -2
25°C
-4 -6 -8
200°C
-10 0
2
4
6
8
10
12 pH
Fig. 8.47 – Diagramme théorique de solubilité de la zircone amorphe à 25 ◦ C et de la phase monoclinique à 200 ◦ C (adapté de Denkewics 1990).
(a)
(b)
Fig. 8.48 – Images MEB (a) de nanoparticules de zircone tétragonale formées après
24 heures de chauffage hydrothermal à 240 ◦ C de zircone amorphe précipitée à partir de ZrOCl2 en milieu NaOH 0,5 mol.l−1 ; (b) nanoparticules de zircone monoclinique formées après 72 heures de chauffage de la suspension (d’après Bugrov 2013).
notable pour que le mécanisme de dissolution-cristallisation ait lieu. À 300 ◦ C, les résultats sont analogues avec formation de zircone monoclinique pure avec une taille moyenne de cristallite de 40 nm en milieu soude concentrée (30 % en masse). Si la réaction est effectuée dans l’eau neutre, il y a coexistence de zircones monoclinique et tétragonale avec des tailles de cristallites de 17 et 15 nm respectivement (Tani 1983). La formation de la phase tétragonale n’intervient que si la zircone amorphe est initialement présente dans le milieu de traitement hydrothermal et la transformation am-ZrO2 → t-ZrO2 semble s’effectuer in situ, à l’état solide de façon topotactique (Tani 1983). Cela est en accord avec le fait que l’ordre à courte distance dans la zircone amorphe, établi à partir de la diffraction des rayons X et des neutrons, est caractéristique de celui de la zircone tétragonale (Livage 1968) et que la morphologie du précurseur amorphe est grossièrement conservée après la transformation en zircone tétragonale (Denkewics 1990).
368
De la solution à l’oxyde
En milieu très fortement alcalin (NaOH ou KOH à 20 %), le chauffage au reflux ou dans les conditions hydrothermales à 110 ◦ C de la suspension de zircone amorphe forme la phase cubique (Clearfield 1964b, Dell’Agli 1999). En présence de CaCl2 , le chauffage à 220 ◦ C pendant 2 heures de la suspension de l’oxychlorure dont le pH est ajusté à 10 produit aussi la phase cubique pure sous forme de particules dont la taille moyenne est de 7 nm (Cheng 1996). Il ne s’agit pas d’une zircone stabilisée (§ 8.4.3) car le milieu n’est pas assez alcalin. La teneur en calcium du solide est inférieure à 1 % en moles et le paramètre cristallin (a = 0,526 nm), indépendant de la quantité de calcium introduite dans le milieu de synthèse, est très proche de celui de la phase cubique ZrO2 pure (a = 0,512 nm). La phase cubique peut aussi être facilement formée par traitement hydrothermal à 180 ◦ C pendant 18 heures en milieu fortement alcalin (NaOH 10 mol.l−1 ) d’une zircone amorphe obtenue par hydrolyse préalable d’isopropoxyde de zirconium (Zr[CH-(CH3 )2 ]4 ) (Tahir 2007). Les particules, de taille 5-6 nm (Fig. 8.49), sont exemptes de sodium. En milieu NaOH 3 mol.l−1 , on obtient des particules de la phase monoclinique et en milieu NaOH 5 mol.l−1 , un mélange des phases monoclinique (80 %) et cubique (20 %).
(a)
5 nm
(b)
2 nm
Fig. 8.49 – Images MET (a) de nanoparticules de zircone cubique formées à 180 ◦ C
en milieu NaOH 10 mol.l−1 ; (b) d’une particule monocristalline orientée selon l’axe [101] avec en insert en haut à gauche l’image simulée et en bas à droite la transformée c Elsevier Masson SAS). de Fourier (reproduit avec autorisation d’après Tahir 2007
En résumé, l’hydroxylation du zirconium en solution forme rapidement une zircone amorphe. Celle-ci cristallise par chauffage ou traitement hydrothermal au moyen de mécanismes qui dépendent de l’acidité du milieu, c’est-à-dire de la solubilité du solide : dissolution-cristallisation pour former la phase monoclinique thermodynamiquement stable, transformation in situ à l’état solide dans la zone de solubilité minimale pour former la phase d’énergie d’activation la plus faible, la zircone tétragonale. Cette dernière peut à son tour être transformée en phase monoclinique par dissolution-cristallisation, ce mécanisme étant promu par augmentation de la durée du traitement, de la température,
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
369
de l’alcalinité du milieu. On retrouve ainsi, aux différences structurales près, un comportement analogue à celui d’autres systèmes (fer (III), aluminium, titane) dont la réactivité élevée en solution entraîne le plus souvent la formation d’une phase initiale amorphe. Un intéressant procédé permet de former des dispersions aqueuses stables de nanoparticules de zircone tétragonale (Chen 2009). Il consiste à chauffer préalablement à 110 ◦ C pendant 24 heures une solution d’oxychlorure avec de l’acide méthacrylique, AM (AM = CH3 CH2 CCOOH, 1 mmole AM par gramme de ZrO2 ), puis de neutraliser jusqu’à pH 10 cette solution par addition de soude concentrée dans un tampon bicarbonate d’ammoniumtriéthanolamine (TEA, 1 mmole par gramme de ZrO2 ). Le mélange est vieilli pendant 18 heures à température ambiante, formant un sol grisâtre transparent qui est alors floculé à pH 5 par addition d’acide chlorhydrique. Le solide lavé est remis en suspension à pH 11,5 et chauffé en conditions hydrothermales à 110 ◦ C pendant 15 heures. Le procédé fournit la phase tétragonale pure sous forme de particules de 11 nm de taille moyenne. La complexation initiale du précurseur par l’acide méthacrylique est indispensable pour former des particules de zircone amorphe non agrégées. Durant le traitement hydrothermal, le méthacrylate est substitué par la TEA qui reste liée et qui permet d’éviter la croissance des particules. Celles-ci peuvent ensuite être facilement dispersées dans l’eau par addition d’acide citrique ou tartrique.
8.4.3
Synthèse de la zircone stabilisée
La zircone pure subit au cours du cyclage thermique des transitions de phases et des changements de volume qui provoquent des fissures dans les matériaux céramiques. La zircone renfermant plus de 8 % d’oxyde d’yttrium ou 20 % d’oxyde de calcium forme une solution solide de structure fluorine stable depuis la température ambiante jusqu’à la fusion, au-delà de 2 000 ◦ C. Avec en outre une très forte inertie chimique et une conduction par ions oxygène élevée, la zircone dite « stabilisée » constitue un matériau céramique à haute performance utilisé notamment comme électrolyte solide dans les piles à combustible et comme résistance électrique dans les fours à très haute température. La synthèse de nanoparticules permettant l’élaboration de la céramique pose néanmoins le problème de la synthèse d’oxydes mixtes déjà abordé avec la synthèse des ferrites (§ 7.2.4) et du titanate de baryum (§ 8.2.4). Le procédé Pechini (§ 4.1.6), consistant à copolymériser le polyéthylène glycol et l’acide citrique par polyestérification dans la solution des cations puis à calciner la résine, a été appliqué avec succès à l’élaboration de zircones stabilisées à l’yttrium sous forme de particules nanométriques de structure tétragonale (400 ◦ C) et cubique (700 ◦ C) (Laberty-Robert 2001). Le traitement hydrothermal à 110 ◦ C pendant une semaine de la suspension de zircone amorphe fraîchement précipitée et de poudre d’oxyde d’yttrium commerciale (6 à 10 % en moles) en présence de carbonate de sodium Na2 CO3
370
De la solution à l’oxyde
en forte concentration (3 mol.l−1 ) fournit la solution solide cubique sous forme de particules de 5 nm de taille moyenne (Dell’Agli 2000a). Avec la soude, la phase mixte ne se forme pas, le traitement hydrothermal produit la zircone monoclinique ou tétragonale en présence de l’oxyde Y2 O3 . Le carbonate de sodium permet à la fois une forte alcalinité du milieu et la solubilisation suffisante de l’oxyde d’yttrium pour former la phase mixte. Le mélange soude et carbonate de sodium permet en revanche d’accélérer la cristallisation de la zircone stabilisée. La coprécipitation du zirconium et de l’yttrium entraîne inévitablement leur ségrégation dans des phases solides distinctes à cause de l’écart entre le pH de précipitation du zirconium (pH ≥ 3) et celui de l’yttrium (pH ≥ 7) et aussi de la différence de solubilité des deux cations (Fig. 8.50). On peut donc attendre l’hétérogénéité des phases mixtes cristallisées obtenues par traitement thermique du coprécipité. On peut chercher à ajuster les conditions d’hydroxylation des deux cations au moyen d’un ligand complexant commun. L’oxalate ne convient pas car sur tout le domaine d’acidité, à faible teneur en oxalate, les cations précipitent des mélanges de complexes oxaliques et d’oxyhydroxydes, tandis qu’à forte teneur en oxalate à pH < 8, le zirconium est solubilisé sous forme de complexes anioniques et l’yttrium est précipité sous forme de complexe oxalique (Lemonnier 2007). Avec l’acétylacétone (acac), le zirconium est efficacement complexé entre pH 2 et 6. À pH plus élevé, il précipite un oxyhydroxyde, tandis que les cations trivalents forment des acétylacétonates insolubles. De façon inattendue, l’acac forme avec le mélange des cations ZrIV , YIII , NdIII ([Zr] 0,1 mol.l−1 , [Y] = [Nd] = 0,025 mol.l−1 ,
Log[M] -2 Y
-4 -6
Zr
-8 -10 -12 -14
0
2
4
6
8 10 12 14 pH
Fig. 8.50 – Diagramme théorique de la solubilité du zirconium et de l’yttrium à 25 ◦ C en fonction de l’acidité du milieu (reproduit d’après Tsukada 1999 avec autorisation de Wiley).
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
371
[acac] 0,1 mol.l−1 ) à pH compris entre 6 et 7, un sol stable sur une durée de quelques jours qui renferme des particules d’environ 4 à 5 nm de diamètre moyen et qui rassemblent la quasi-totalité des cations. Le rapport acac/Zr est critique car en défaut d’acac, le sol est instable et en excès, la précipitation du complexe Zr(acac)4 intervient. L’analyse physicochimique très soigneuse de ce système (Lemonnier 2007, 2010) montre que le sol est constitué de nanoparticules d’oxyhydroxyde amorphe de zirconium stabilisées vis-à-vis de l’agrégation par adsorption d’acac. Cette dernière forme en effet une couche de surface qui permet la protection stérique vis-à-vis des forces attractives de van der Waals (Peyre 1997). Les cations trivalents sont adsorbés grâce à l’échange de ligands avec l’acac de surface. Ils renforcent ainsi la stabilité de la dispersion des nanoparticules car ils apportent à leur surface des charges positives. Compte tenu de la petite taille des particules, les cations trivalents peuvent être en totalité adsorbés. Les nanoparticules s’agrègent néanmoins après quelques semaines de vieillissement et forment un gel homogène. Le traitement thermique du gel à 600 ◦ C pendant 3 heures permet la cristallisation de la phase cubique de la zircone (Fig. 8.51).
(a)
(b) 0
20
40
60
80
100
120
°2θ Fig. 8.51 – Diagrammes de diffraction des rayons X du gel (a) et du coprécipité (b) de composition Zr0,663 Y0,176 Nd0,161 O1,831 après 3 heures à 600 ◦ C (d’après Lemonnier 2010). La comparaison des diffractogrammes du gel calciné et du solide de même composition formé par coprécipitation des cations (sans acac) montre des raies plus fines et plus intenses pour le gel calciné. On peut en déduire que la réactivité des nanoparticules du gel et l’homogénéité dans la distribution des cations dans le solide favorise la formation et la croissance de la phase cubique. Pour cette composition, le traitement à 1 000 ◦ C atténue la
372
De la solution à l’oxyde
différence texturale des deux solides. L’étude de la formation de ce type de phase polymétallique contenant du néodyme permet d’envisager la zircone stabilisée comme hôte pour des cations actinides, notamment l’américium, pour leur traitement par transmutation en réacteur nucléaire avec l’objectif ultime d’obtenir un combustible nucléaire (Lemonnier 2007). Le traitement dans les conditions hydrothermales à 160 ◦ C pendant trois jours du sol obtenu grâce à l’addition d’acac dans la solution de zirconium et d’yttrium ([Zr] 0,1 mol.l−1 , [Y] 0,05 mol.l−1 , [Acac] 0,1 mol.l−1 ) dont le pH est ajusté à 7 avec de l’ammoniac permet la synthèse de dispersions de zircone yttriée (Guiot 2009). La totalité du zirconium et 40 % de l’yttrium sont associés de manière reproductible dans la phase mixte cristallisée, formant le composé Zr0,83 Y0,17 O1,915 (ZrO2 -9 % Y2 O3 ), sous forme de particules sphériques de 5 nm de taille moyenne (Fig. 8.52). L’intérêt de cette procédure est de réaliser la synthèse en une étape, en évitant la précipitation préalable de la zircone amorphe. Un autre avantage est d’obtenir un gel facilement isolé du liquide contenant l’excès de réactifs et qui produit, après agitation mécanique ou ultrasonique, des particules parfaitement dispersibles dans l’eau.
20 nm
5 nm
Fig. 8.52 – Images MET à différents grandissements de nanoparticules de zircone yttriée Zr0,83 Y0,17 O1,915 formées par synthèse hydrothermale à 160◦ à partir de sols de d’oxynitrate de zirconium, nitrate d’yttrium et acétylacétone (reproduit avec c American Chemical Society). autorisation d’après Guiot 2009 La phase cubique de la zircone peut aussi être synthétisée en incorporant d’autres cations trivalents dans les solutions solides, en particulier l’aluminium (Mondal 2003). La coprécipitation du zirconium et de l’aluminium est réalisée par addition d’ammoniaque dans la solution refroidie à 5 ◦ C de ZrOCl2 et AlCl3 (Zr/Al = 4) jusqu’à pH 8. L’évolution du mélange ramène le pH du milieu à 3,5 en formant un gel transparent. Le gel contient un solide amorphe à la diffraction des rayons X. Il forme la phase cubique de la zircone sous forme de particules de 6 à 8 nm par chauffage à 200 ◦ C pendant quelques heures. La phase cubique contenant 5 % d’aluminium est stable jusqu’à 800 ◦ C.
8. Dioxydes de titane, de manganèse et de zirconium
373
Elle forme la zircone tétragonale à 1 000 ◦ C et la zircone monoclinique à 1 200 ◦ C sous forme de particules d’environ 25 nm. La stabilisation de la zircone cubique peut aussi être effectuée avec le calcium dans les solutions solides ZrO2 -CaO formées par traitement hydrothermal (110 ◦ C, 7 jours), des suspensions de zircone amorphe en présence du mélange de soude (ou de lithine) et de chaux (17 à 25 % en moles). La chaux seule ne permet pas la cristallisation de la phase mixte (Dell’Agli 2000b). L’augmentation de la concentration de la soude, de 0,25 à 3 mol.l−1 entraîne la diminution de la taille des particules. Cela semble montrer que le taux de nucléation augmente avec la concentration de la soude qui favorise la solubilisation des composants dans le processus de cristallisation. Tout comme pour la synthèse de nanoparticules de zircone ZrO2 , le traitement hydrothermal assisté par chauffage micro-onde permet d’accélérer notablement la formation des nanoparticules de solutions solides ZrO2 -CaO et ZrO2 -Y2 O3 en réduisant la durée des synthèses entre 30 et 60 minutes environ (Rizzuti 2010, Vernieuwe 2013).
Conclusion La précipitation des oxy(hydroxy)des métalliques est un phénomène complexe qui débute par l’hydroxylation du cation en solution et la condensation des formes hydroxylées. De ce fait, l’acidité des cations métalliques est le caractère prépondérant de leur réactivité. Trois paramètres essentiels permettent de prévoir et de rationaliser le comportement de l’ensemble des cations métalliques. Il s’agit du degré d’oxydation, de la taille et de l’électronégativité qui déterminent le degré de polarisation des ligands oxygénés. On peut ainsi définir cinq classes de cations : • ceux qui sont trop peu polarisants et qui ne forment que des complexes aquo incapables de se condenser et de précipiter (par exemple les cations alcalins M+ ) ; • ceux qui se condensent par olation et forment des polycations et des hydroxydes (les cations divalents et aussi Al3+ ) ; • ceux qui, par olation et oxolation, forment des oxyhydroxydes et des oxydes (tels Cr3+ , Fe3+ ) ; • ceux qui se condensent essentiellement par oxolation et qui forment des oxydes plus ou moins hydratés (Ti4+ , V5+ ) ; • et enfin ceux qui forment des complexes oxo anioniques monomères et qui n’ont aucune tendance à se condenser (typiquement MnVII O4 − ). Cette série concerne des cations de pouvoir polarisant croissant, c’est-àdire de degré d’oxydation et d’électronégativité de plus en plus élevées. La précipitation forme en général des objets nanométriques. En effet, dans le cas d’un système qui n’est pas alimenté en continu, c’est-à-dire lorsqu’une quantité limitée de matière est introduite dans un réacteur, l’étape de nucléation du solide est toujours brutale et suffisamment facile pour abaisser la sursaturation et créer un nombre de germes dont la croissance se trouvera interrompue à cause de la trop faible concentration en précurseur soluble. Cela n’exclut cependant pas une dynamique intense de redissolution-cristallisation à cause de l’évolution de criticité de taille des particules au cours de la diminution de la sursaturation. D’autres phénomènes peuvent aussi accompagner
376
De la solution à l’oxyde
cette évolution, en particulier le changement de structure cristalline et/ou de morphologie des particules. Les propriétés physiques et la réactivité des nanomatériaux sont étroitement liées à la taille, la forme, la structure cristalline des nanoparticules. Pour de nombreux oxydes, ces caractéristiques sont contrôlables et ajustables sur un domaine plus ou moins large, à condition de bien appréhender le mécanisme de formation du solide, la cinétique des divers processus impliqués et aussi la chimie de surface du matériau. De nombreux exemples montrent l’importance du rôle de la surface dans le contrôle dimensionnel et morphologique des nanoparticules. Parmi l’ensemble des paramètres sur lesquels il est possible d’intervenir au cours de la synthèse, par exemple l’acidité, la température, la force ionique, la concentration, la nature d’éventuels ligands, etc., le facteur crucial est véritablement l’acidité du milieu. Elle intervient en effet simultanément dans nombre de phénomènes. En particulier, l’acidité : • contrôle la formation du solide en fixant la concentration du précurseur de charge nulle ; • conditionne les équilibres de protonation/déprotonation et par conséquent l’efficacité de ligands complexants ; • fixe la charge de surface des particules dont dépendent leur agrégation ou leur dispersion ; • détermine le mécanisme de cristallisation du solide, dissolutioncristallisation, cristallisation in situ, éventuellement agrégation ordonnée. Il s’avère par conséquent très important de contrôler l’acidité du milieu et aussi le mode d’hydroxylation des cations : addition de base dans la solution des cations ou l’inverse, addition des cations dans la solution de base, ce qui peut éviter la formation d’intermédiaires réactionnels indésirables, thermohydrolyse ou conditions hydrothermales. Les différentes techniques peuvent être très utiles pour former divers polymorphes et pour synthétiser des phases polymétalliques. Divers ligands peuvent être judicieusement utilisés pour contrôler la morphologie des nanoparticules. La croissance privilégiée de certaines faces cristallines met en œuvre une balance subtile entre pouvoir complexant et adéquation structurale du ligand vis-à-vis de la surface solide. Enfin, la synthèse d’architectures complexes peut être basée sur les différences cinétiques de diverses réactions parallèles ou consécutives et/ou aussi le phénomène d’agrégation ordonnée comme le montrent les oxydes de titane et de manganèse. Beaucoup de connaissances sont d’ores et déjà acquises sur la précipitation contrôlée des oxydes métalliques en milieu aqueux. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour comprendre les mécanismes intimes de la synthèse de nanoparticules et pour leur caractérisation fine. L’intensité du travail fourni à l’heure actuelle dans ce domaine est certainement la promesse de la réussite dans un avenir proche.
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Index A
Adsorption d’arsenic, 13 de polyanions, 216 de polycations, 218 de polymères, 218, 219 de polyols, 251-253 spécifique, 210-216 Akaganéite, voir Fer, β-FeOOH Alcoxyde de silicium, 133, 134-135, 312 de titane, 134, 319, 347 métallique, 133, 319, 347 Aluminium aluminate, 235, 247, 257-259 alumine α, 233 alumine β, 2, 234 alumine γ, 254, 255 alumine κ, 11, 311 alumines de transition, 11, 233 aluminosilicates, 2, 233, 241, 256-264 complexes, 33, 37, 38, 234, 235 gel aluminique, 125, 244-248 hydroxydes, 125, 126, 174, 192, 233, 245-248 oxyhydroxydes, 125, 129, 189, 233, 248-250 polycation Al13 , 218, 236, 237-239, 241, 242, 243 polycation Al30 , 239, 240 polycations, 235-243 Agrégation ordonnée, 168, 177-181, 283, 284, 290-292, 352, 356
Anatase, voir Titane Antimoine acide antimonique, 137, 138 antimonate, 137 Argile, 2, 233, 257, 259
B
Bauxite, 233, 247 Bayer, procédé, 174, 247, 254 Bayerite, voir Aluminium, hydroxydes Bernalite, 274 Birnessite, 176-177, 349, voir Manganèse, oxydes Blue shift, 3, 15 Boehmite, 189, voir Aluminium, oxyhydroxyde Bore acide borique, 58, 72, 73, 75 borates, 58, 72-75 Brookite, voir Titane Brucite, voir Magnésium, hydroxyde
C
Catalyse acido-basique, 67, 68, 131-133, 159 redox, 223, 225, 358 Chalcogénures, 3, 4, 18 Chrome chromate, 51, 57, 69, 76, 78, 79 chromite, 35, 126 complexes, 60, 63, 125 ferrite, 313
432
De la solution à l’oxyde gel de chrome, 126 HDL Zn2 Cr, 123 oxyde, 128, 172-173 (oxy)hydroxydes, 127-130 polycations, 63-66 Confinement quantique, 15, 16 Corindon, 62, 213, 220, 233, 234, 276, 342 Couche de Schiller, 283 de Stern, 197, 201 diffuse, 197, 200-203, 205, 208 Cristal liquide, 278, 283, 330, 331 Croissance, 155-156, 158-166, 178 dentritique, 292, 293, 303, 304 Cryptomélane, 349, voir Manganèse, oxydes Cuivre complexes, 209 hydroxyde, 117 nanoparticules, 3, 5 oxyde, 117
D
Diagramme charge-électronégativité, 56, 57 charge-pH, 35, 36 Diaspore, 128, 254, 256 Dissolution-cristallisation, 168 Dissolution réductrice, 220-223, 291 DLVO, théorie, 204 Doyleite, 233, 247 Duttonite, voir Vanadium, dioxyde Dynamique échange des liaisons H, 22, 25, 60 fluxionalité, 82, 106, 239 nucléation, 158, 161, 164 relaxation magnétique, 6
E
Écrantage électrostatique, 196-197, 201-202, 256 Électronégativité absolue, 43 d’Allred et Rochow, 47 Ensemencement, 174, 248 Étain dioxyde, 170, 171 stannate, 319 ε-MnO2 , 360, voir Manganèse, oxydes
F
Feitknechtite, 178-179, 349, voir Manganèse, oxydes Fer complexes, 33, 37, 268-271, 274 ferrates, 271 ferrites, 301-302, 313-318 hydroxyde ferreux, 272-273, 297, 298 hydroxyde ferrique hydraté, 277 gel ferrique, 126, 274 ferrihydrite, 11-12, 126, 274-276, 278 α-FeOOH, 11-12, 129, 172, 175-176, 277-278 β-FeOOH, 11-12, 172, 175-176, 280-286 δ-FeOOH, 267, 273 γ-FeOOH, 11-12, 266, 273, 298 α-Fe2 O3 , 11-12, 16-17, 275-276, 279-281, 283-294 β-Fe2 O3 , 283-284 γ-Fe2 O3 , 5-6, 11-12, 13 ε-Fe2 O3 , 11, 310-311 Fe3 O4 , 299-305, 305-309 rouille verte, 123, 153, 266, 267, 294-298 structures des oxy(hydroxy)des, 267
Index Fernandinite, voir Vanadium, bronzes vanadiques Feroxyhyte, voir Fer, δ-FeOOH Ferrite de baryum, 2, 314-315 de chrome, 313 de cobalt, 301-302, 306 de manganèse, 301-302 de nickel, 301-302 Ferritine, 266, 274, 278 Fluorine, structure, 319, 364, 369 Fougérite, 298
G
Gallium, polycation Ga13 , 238 Germe critique, 158-159, 160 Gibbs, équation, 167, 169, 225, 226 Gibbs-Kelvin, équation, 159, 170 Gibbsite, voir Aluminium, hydroxyde acidité de surface, 192-193 Goethite, voir Fer, α-FeOOH Grahame, équation, 202, 229 Grenat, 2, 316-318 Groutite, 179-182, 349, voir Manganèse, oxydes
H
Häggite, voir Vanadium, dioxyde Hausmanite, 349, voir Manganèse, oxydes (H3 O2 )− , ligand, 59, 60, 64, 127, 237 Hématite acidité de surface, 194-196, adsorption de polyions, 175, 217-218 adsorption des ions ferreux, 220-223 adsorption des ions ferriques, 212-214 formation, voir Fer, α-Fe2 O3 structure électronique, 14-17
433 Hétéropolyoxométallates, 90 du molybdène, 100 du tungstène, 93 du vanadium, 91 Hétéroépitaxie, 175, 354 Hexaferrite de baryum, 2, 314-315 Hollandite, 349, voir Manganèse, oxydes Hydrargillite, 233 Hydrate de Gain, 142, 143 Hydroxydes doubles lamellaires, 120-123 Hydrotalcite, 120, 122, 294 Hydrothermales, conditions, 30
I
Ions brisants, 29, 201 structurants, 29, 200 Imogolite, 258, 260-264
K
Kaolinite, 259, 260 Keggin, structure de, 86, 94, 101, 217, 236, 240, 270
L
Liaison hydrogène, 22, 59, 64, 116, 194, 219, 246 Lépidocrocite, voir Fer, γ-FeOOH
M
Maghémite, adsorption d’ions ferreux, 306-310 charge et hydratation de surface, 198-199 composites, 309-310 formation, voir Fer, γ-Fe2 O3 relaxation magnétique, 5-6, 215-216 Magnétite, voir Fer, Fe3 O4
434
De la solution à l’oxyde taille des particules, 168, 169, 227 Manganèse complexes, 321-322 oxydes, 348-363 permanganate, 34, 40-41, 51, 76-77, 176, 178-179, 351-356, 361-363 Manganite, 349, voir Manganèse, oxydes Magnésium hydroxyde, 113, 114 oxyde, 6 Magneli, phases, 340 Mediamutation, 351 Mica, 259 Micro-onde, chauffage, 180-182, 244, 341, 373 Modèle charges partielles, 45 complexation multisites (MUSIC), 188 LaMer, 155-156, 172 nucléation-croissance (Noguera et al.), 160-167 Molybdène acide molybdique, 151 hydrates molybdiques, 147, 151 molybdates, 76 oxothiomolybdates, 104-109 oxyde, 151, 152 polyanions molybdiques, 84-86 polymolybdates à valence mixte, 100-104 Montmorillonite, 259, 260 Moqui marbles, 278, 279 Muscovite, 259
N
Nanotubes de boehmite, 254 de brookite, 339 de carbone, 17
d’hématite, 287, 288, 289 imogolite, 258, 260-264 de magnétite, 303, 304 d’oxyde de titane, 337, 343-345 de titanates, 337, 339 Nickel complexes, 36 ferrite, 314 hydroxyde, 115, 116 oxyde, 225 Norstrandite, 233, 247 Nsutite, 349, voir Manganèse, oxydes Nucléation hétérogène, 174, 353-354 homogène, 155, 158, 160, 162-167
O
Olation, mécanisme, 52, 58 Opale, 136 Ostwald, vieillissement, 157, 164, 168-169, 174, 178-179 Oxolation, mécanisme, 52, 66
P
Palladium complexes, 36, 117, 308 oxyde, 118, 119 Pechini, procédé, 154, 316, 346, 369 Peierls, distorsion, 146 Platine complexes, 36, 117, 308 oxyde, 118, 119 Point de charge nulle, PCN, 187-189, 201 Pyroaurite, 120 Pyrochroïte, 349, voir Manganèse, oxydes Pyrolusite, 349, voir Manganèse, oxydes Pyrophyllite, 259
Index
R
Ramsdellite, 179-181, 349, voir Manganèse, oxydes Relaxation magnétique, 5 Résonance plasmon, 3 Romanechite, 349, voir Manganèse, oxydes Rouille verte, voir Fer Rutile, voir Titane
S
Schwertmannite, 295 Silicium acide silicique, 34, 52, 131-132, 166 aluminosilicates, 2, 233, 241, 256-264 gel de silice, 131-136 phyllosilicates, 259 silicate, 2, 33, 53, 67, 69-71, 131, 242, 256-264 silice, 1, 11, 131, 133-136, 156, 166, 170, 175, 209-210, 256, 257 silice hydratée, 136, 156 spéciation, 33 verres de silice, 11, 309, 310, 312 Smectites, 259, 260 Stöber, procédé, 134 Structure électronique du borate, 73 du complexe ML6 , 27 du complexe WO6 , 90 de l’ion hydroxyle, 54 de la molécule H2 O, 20 du permanganate, 77 du solide, 3-4, 14-17, 145, 223-224 de VO2 , 145-146 Substitution, mécanisme, 49-50, 59, 67 Superparamagnétisme, 7
435 Surface acidité, 187, 188 charge, 186, 196, 201, 227 complexes sphère interne, 210, 218, 257 complexes sphère externe, 209, 217, 252 effets, 7-9 énergie, 11-12, 158, 169, 225-230, 250-252 hydratation, 197-199 réactivité, 208, 219 structure, 12-14, 16 Sursaturation, 158, 167
T
Ténorite voir Cuivre, oxyde Tension interfaciale, voir Surface, énergie Template, 93, 97, 105, 259, 282, 303, 363 Titane anatase, 11, 322, 323-328, 340 brookite, 322, 330-335, 340 complexes, 37, 321, 323, 327 polycation, 320-321 rutile, 7, 11, 322, 328-331, 340 TiO2 B, 339, 340 titanate de baryum, 346, 347 titanates lamellaires, 335-339 Todorokite, 349, voir Manganèse, oxydes Tungstène acide tungstique, 95, 146, 148 bronzes tungstiques, 150, 152 hydrates tungstiques, 146-149 oxydes tungstiques, 149-150 phosphatotungstates, 93-99 polyanions tungstiques, 86-90 tungstates, 76
436
De la solution à l’oxyde
V
Vanadium acide vanadique, 138 bronzes vanadiques, 141, 142 vanadates, 36-37, 76 vanadyle, 37, 91, 130, 141 polyvanadates, 79-83, 89 hétéropolyvanadates, 91-93 oxyde vanadique, 138-141 dioxyde, 141-146 Vernadite, 340, voir Manganèse, oxydes
W
Wülfingite, 119, 120 Würtzite, 119, 120
Y
Yttrium Iron Garnet, YIG, 316
Z
Zéolithes, 2, 257-259 sodalite, 259 ZSM-5, 259 Zinc complexes, 119, 123 hydroxyde, 119 oxyde, 119 Zirconium polycation, 320, 321 spéciation, 33 zircone, 319, 363, 364 zircone hydratée, 365 zircone stabilisée, 369-373 Zunyite, 241-242