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L E T T R E S O R I E N TA L E S E T C L A S S I Q U E S
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APPROCHE COMPARATIVE DES LANGUES INDO-EUROPÉENNES PHONOLOGIE ET MORPHOLOGIE CLAUDE SANDOZ
PEETERS
APPROCHE COMPARATIVE DES LANGUES INDO-EUROPÉENNES
LETTRES ORIENTALES ET CLASSIQUES Collection dirigée par Sylvie Vanséveren (Université Libre de Bruxelles) La collection Lettres Orientales et Classiques est dédiée aux langues, aux textes et aux civilisations qui composent le monde méditerranéen antique aussi bien que les civilisations de langue indo-européenne. Elle a pour objectif de publier des travaux et des ouvrages de référence consacrés aux langues, à la culture, la mythologie, la religion dans une optique scientifique qui allie comparaison et reconstruction, diachronie et histoire, recherche et pédagogie. Comité scientifique: Gary Holland, University of California — Berkeley Francine Mawet, Université Libre de Bruxelles Alice Mouton, CNRS — Université de Strasbourg Giovanna Rocca, Libera Università di Lingue e Comunicazione IULM Ghislaine Widmer, Université Charles-de-Gaulle — Lille 3
LETTRES ORIENTALES ET CLASSIQUES 21
APPROCHE COMPARATIVE DES LANGUES INDO-EUROPÉENNES PHONOLOGIE ET MORPHOLOGIE
CLAUDE SANDOZ
PEETERS
LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT
2022
À Geneviève et à Raphaël À la mémoire de Georges Redard
ISBN 978-90-429-4888-4 eISBN 978-90-429-4889-1 D/2022/0602/113 No part of this book may be reproduced in any form by print, photoprint, microfilm or any other means without written permission from the publisher © 2022 – Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven
Avant-propos
Depuis l’Einführung in die vergleichende Sprachwissenschaft d’Oswald Szemerényi 1, plusieurs introductions aux études indo-européennes ont vu le jour. La plupart de ces ouvrages sont écrits en anglais ou en allemand. Fait exception l’ouvrage de Silvia Luraghi, Linguistique historique et indoeuropéenne, Louvain-la-Neuve 2010. Avec ce livre le présent volume ne fait pas double emploi, car le sujet y est traité sous une perspective différente. Ce manuel s’adresse aux étudiants désireux de se former en linguistique indo-européenne, mais aussi aux spécialistes de cette discipline, car nombre de questions y sont abordées de façon approfondie. Après un exposé des notions et principes fondamentaux s’offre au lecteur une vue d’ensemble des sons et des formes dans le type linguistique indoeuropéen. L’étude porte principalement sur des faits de l’indo-iranien, du balto-slave, du grec, du latin et du germanique. Le hittite et d’autres langues de la famille sont aussi mis à contribution. Sont envisagées non seulement la structure des formes grammaticales et leur place dans le système des alternances, mais aussi leurs conditions d’emploi. Ainsi, à la description des unités de langue s’ajoute l’examen de leur mise en œuvre dans la parole. Concrètement, l’exposé renferme de nombreuses citations, provenant, pour la plupart, des 1. Szemerényi 1990.
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textes les plus anciens des différentes traditions : R̥ gveda en sanskrit, Avesta et inscriptions vieux-perses en iranien, catéchismes de Mažvydas et de Vilentas en lituanien, traduction de l’Évangile par Cyrille et Méthode en vieux slave, tablettes mycéniennes et poèmes homériques en grec, comédies de Plaute et inscriptions archaïques en latin. L’ouvrage se divise en trois parties. Comme l’objet de la comparaison – un groupe de langues parentes – présuppose une évolution à partir d’une source commune, un premier ensemble de quatre chapitres traite du changement linguistique à différents niveaux d’analyse : phonique, morphologique, syntaxique et sémantique. La deuxième partie aborde, en deux chapitres, les problèmes méthodologiques de la comparaison et de la reconstruction. La troisième partie, enfin, comprend neuf chapitres consacrés au sujet principal : la description du système phonologique et l’étude de la flexion en indo-européen. Pour la documentation, outre la littérature scientifique, un site internet initié par Jost Gippert m’a été d’une grande utilité par sa banque de textes et ses polices de caractères : TITUS (Thesaurus Indogermanischer Textund Sprachmaterialien) . J’exprime ma vive reconnaissance à M. Alain Blanc, qui m’a fait profiter de ses précieux conseils et remarques critiques. Je suis néanmoins seul responsable des erreurs ou des inexactitudes qui pourraient subsister dans ce livre. Ma gratitude va également à Mme Sylvie Vanséveren, qui m’a fait d’utiles suggestions, a accepté avec empressement de publier le présent ouvrage dans la collection qu’elle dirige et s’est chargée de la mise en pages. Enfin, je remercie ma femme de son soutien indéfectible et mon fils de son aide efficace pour le traitement de texte. Neuchâtel, 1er octobre 2021
C. S.
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Abréviations abl.
ablatif
Il.
Iliade
acc.
accusatif
inj.
injonctif
Ach.
Les Acharniens
inscr.
inscription(s)
adj.
adjectif
instr.
instrumental
Agr.
De agricultura
Iph. Aul.
Iphigénie à Aulis
all.
allemand
lat.
latin
angl.
anglais
lit.
lituanien
Asin.
Asinaria
littéralt
littéralement
av.
avestique
loc.
locatif
c.-à-d.
c’est-à-dire
Lys.
Lysistrata
Cat.
Catéchisme
m.
masculin
cf.
confer (compare)
Matth.
Matthieu
dat.
datif
mha.
moyen haut
Eccl.
Ecclesiazusae
éd.
édition
mod.
moderne
f.
féminin
MY
Mycènes
fig.
au sens figuré
n.
neutre
frg.
fragment
N.B.
Nota bene
gāth.
gāthique
Nat.
Histoire naturelle
gén.
génitif
nom.
nominatif
got.
gotique
Oed. Roi
Oedipe Roi
gr.
grec
pl.
pluriel
H.
Hadōxt Nask
propr.
proprement
hom.
homérique
PY
Pylos
i.-e.
indo-européen
Pyth.
Pythiques
i.-ir.
indo-iranien
Rust.
Res rusticae
ibid.
ibidem
RV
R̥ gveda
id.
idem
s.-ent.
sous-entendu
allemand
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Abréviations et symboles
Sept
Les sept contre Thèbes
véd.
védique
sg.
singulier
vha.
vieux haut
skr.
sanskrit
Tab. Bant.
Tabula Bantina
voc.
vocatif
Tab. Ig.
Tabulae Iguvinae
Vr.
Visprad
Théog.
Théogonie
vs
versus,
V.
Vīdēvdāt
v. l.
varia lectio
Y.
Yasna
v. lat.
vieux latin
Yt.
Yašt
v. p.
vieux perse
v. prus.
vieux prussien
v. sl.
vieux slave
allemand
par opposition à
Symboles […]
notation phonétique
/…/
notation phonologique
{…}
notation graphique
ø
zéro
N.B. Pour les semi-voyelles prépalatale et postpalatale de l’indo-européen, nous adoptons les notations y et w, conformément à la tradition française dominante. Selon une autre tradition, suivie surtout dans les ouvrages en langue allemande ou anglaise (mais aussi parfois en langue française), ces phonèmes sont représentés par i̯ et u̯ .
Première partie Évolution des langues
Introduction La linguistique diachronique
Les sciences du langage font l’objet d’une bipartition traditionnelle. Selon le point de vue, en effet, l’observateur s’attache à la description d’une langue à un moment donné ou, au contraire, appréhende le même idiome à différents stades de son histoire. L’expression la plus claire de cette distinction revient à Ferdinand de Saussure : « Il est certain que toutes les sciences auraient intérêt à marquer plus scrupuleusement les axes sur lesquels sont situées les choses dont elles s’occupent ; il faudrait partout distinguer ( ... ) : 1o l’axe des simultanéités, concernant les rapports entre choses coexistantes ( ... ), et 2o l’axe des successivités, sur lequel on ne peut jamais considérer qu’une chose à la fois ( ... ). Pour les sciences travaillant sur des valeurs, cette distinction devient une nécessité pratique, et dans certains cas une nécessité absolue ( ... ). C’est au linguiste que cette distinction s’impose le plus impérieusement ; car la langue est un système de pures valeurs ( ... ). Voilà pourquoi nous distinguons deux linguistiques » (CLG/E, p. 177-179). Et l’auteur de proposer une terminologie et de parler, dans un premier temps, d’une linguistique statique et d’une linguistique évolutive. « Mais, ajoute-t-il, pour mieux marquer cette opposition et ce croisement de deux ordres de phénomènes relatifs au même objet, nous
Introduction : linguistique diachronique
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préférons parler de linguistique synchronique et de linguistique diachronique. Est synchronique tout ce qui se rapporte à l’aspect statique de notre science, diachronique tout ce qui a trait aux évolutions. De même synchronie et diachronie désigneront respectivement un état de langue et une phase d’évolution » (ibid., p. 180-181). Saussure ne se contente pas d’une définition, mais consacre un long développement – matière d’un chapitre entier du CLG – à l’explication et à l’illustration de cette « dualité radicale ». Dans ce contexte s’insère la fameuse comparaison de la langue avec une partie d’échecs. Une première analogie intéresse la perspective synchronique : « Un état du jeu correspond bien à un état de la langue. La valeur respective des pièces dépend de leur position sur l’échiquier, de même que dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes » (ibid., p. 195). Une seconde analogie se réfère à la perspective diachronique. Ainsi, le déplacement d’une seule pièce du jeu modifie l’équilibre de l’ensemble, comme, dans la langue, le changement d’un seul élément se répercute sur le système tout entier. Enfin, le théoricien attire l’attention sur l’indépendance des différents états du jeu : « Dans une partie d’échecs, n’importe quelle position donnée a pour caractère singulier d’être affranchie de ses antécédents ; il est totalement indifférent qu’on y soit arrivé par une voie ou par une autre ; celui qui a suivi toute la partie n’a pas le plus léger avantage sur le curieux qui vient inspecter l’état du jeu au moment critique ; pour décrire cette position, il est parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant. Tout ceci s’applique également à la langue et consacre la distinction radicale du diachronique et du synchronique » (ibid., p. 197). L’affirmation d’une opposition totale entre les approches historique et descriptive revient plus d’une fois dans l’exposé et constitue un point important de la doctrine saussurienne, selon l’enseignement de la
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Introduction : linguistique diachronique
vulgate. Peut-être en raison de sa formulation catégorique, cette position scientifique suscite une réaction antagoniste dans certains milieux linguistiques. Le Cercle de Prague, en particulier, marque son désaccord au premier Congrès des Philologues slaves, en 1929. Dans les « thèses » rédigées collectivement à cette occasion figure la déclaration suivante : « On ne saurait poser de barrières infranchissables entre les méthodes synchronique et diachronique comme le fait l’école de Genève. Si l’on envisage en linguistique synchronique les éléments du système de la langue du point de vue de leurs fonctions, on ne saurait juger non plus les changements subis par la langue sans tenir compte du système qui se trouve affecté par lesdits changements » 2. À y regarder de près, cette critique praguoise n’est pas pertinente, car la séparation des méthodes relatives aux deux ordres de faits se justifie par les conditions mêmes de la recherche 3. Quant aux répercussions d’un changement ponctuel sur l’équilibre de la structure linguistique, Saussure en est parfaitement conscient, comme l’indique, à propos du jeu d’échecs comparé à la langue, son affirmation que « le coup a un retentissement sur tout le système » (CLG/E, p. 196). Comme, dans le parallèle saussurien, les pièces du jeu correspondent aux termes de la langue, l’immutabilité des premières suggère l’invariabilité des seconds. Pourtant, le linguiste genevois ne tenait pas les unités d’une synchronie pour des éléments fixes et uniformes. Le caractère nuancé de sa doctrine apparaît, notamment, à la page 230 du CLG/E : « Un état absolu se définit par l’absence de changements, et comme malgré tout la langue se transforme, si peu que ce soit, étudier un état de langue revient pratiquement à négliger les changements peu importants ... ». Ces considérations l’amènent à la conclusion suivante : « la notion d’état de langue ne peut être qu’approximative. En linguistique statique, comme dans la plupart des 2. Travaux du Cercle Linguistique de Prague 1, 1929, 7-8. 3. Voir le commentaire de T. de Mauro dans son édition critique du CLG, note 176.
Introduction : linguistique diachronique
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sciences, aucune démonstration n’est possible sans une simplification conventionnelle des données » (ibid., p. 231). Selon A. Sechehaye, la convention en question consisterait « à considérer les dispositions linguistiques de tous les individus comme identiques, alors qu’elles ne le sont pas » 4. Saussure ferait donc allusion aux particularités individuelles et, par là, reconnaîtrait indirectement le phénomène de la variation. Or, l’étude de la variation joue un rôle essentiel pour la compréhension de l’évolution. Il y a, en effet, un lien causal entre changement et variation. Lorsqu’au sein d’une communauté linguistique coexistent des usages différents en relation avec les tranches d’âge des locuteurs, le phénomène s’explique généralement par un changement en cours. En témoignent, pour le français contemporain, les enquêtes phonologiques d’André Martinet 5. Si une opposition entre deux unités phoniques se limite à la pratique des anciennes générations, il s’agit d’un trait récessif, c’est-à-dire en voie de disparition. Par contre, au cas où un fait du même ordre n’apparaît que dans l’usage des jeunes, il s’agit d’un trait progressif, c’est-à-dire d’une innovation. Dans l’examen synchronique d’une langue, la prise en compte de la variation en fonction de l’âge des sujets parlants donne à la description une dimension supplémentaire. Ce point de vue de l’observateur fait de l’objet d’étude une « synchronie dynamique » selon les termes de Martinet. Les différences, dans le comportement des usagers d’une même langue, ne tiennent pas seulement à l’âge, mais dépendent encore d’autres facteurs, comme la division d’une société en classes socio-économiques et en groupes ethniques. Dans le cas de l’anglo-américain, William Labov a mis en évidence, à New York et à Martha’s Vineyard, des corrélations frappantes
4. Note citée chez Godel 1957, p. 89, n. 98. 5. Voir, par exemple, Martinet 1975, p. 5-10.
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Introduction : linguistique diachronique
entre milieux sociaux et traits linguistiques (du niveau phonique) 6. D’un groupe d’usagers à l’autre, une ou plusieurs variables prennent des valeurs différentes. Les valeurs nouvelles apparaissent d’abord dans un cercle restreint, puis s’étendent, parfois, à la communauté tout entière. Le cas échéant, la langue subit un changement effectif. Cet événement s’inscrit dans une histoire et la question se pose de sa datation. Il y a, alors, deux approches possibles : a) fixer une chronologie absolue sur la base de documents datés ; b) établir une chronologie relative, c’est-à-dire situer le changement par rapport à d’autres (précédents ou suivants). En ancien français, par exemple, la chronologie absolue de la vocalisation en [u] de l devant consonne se fonde sur l’analyse des textes. Tandis que les documents les plus anciens attestent encore des formes à l + consonne (type altre), les témoignages plus récents présentent les variantes à diphtongue (type autre). Le changement arriverait à son point d’aboutissement à la fin du XIe siècle 7. En chronologie relative, d’autre part, la vocalisation se place après la syncope des voyelles finales et pénultièmes atones (terminus post quem). En témoignent des formes comme chevaux (< caball(o)s) et chaud (< cal(i)du). Autre point de repère : l’amuïssement de s final devant consonne initiale du mot suivant (terminus ante quem). Ainsi, dans l’histoire de lat. ill(o)s > a.fr. els, eus > fr. mod. eux, par exemple, la sifflante ne s’amuït qu’au XIIIe siècle 8, quand l vélaire a déjà été vocalisé . En outre, la vocalisation de la liquide se produit avant l’apparition d’un emprunt comme altérer (du bas latin alterare). Il y a donc, pour le même élément phonétique (l) et dans le même contexte, un traitement ancien et un traitement récent. Cette situation se rencontre souvent dans l’histoire d’une langue.
6. Cette problématique est au centre de l’ouvrage de référence Sociolinguistic patterns, University of Pennsylvania Press, 1972 ; trad. fr. sous le titre Sociolinguistique, Paris 1976. 7. Cf. Zink 1999, p. 130 et 135. 8. Sur l’effacement de -s final, voir Zink 1999, p. 79-80.
Chapitre I Le changement des unités phoniques
1.1. L’évolution des sons Au point de vue diachronique, les éléments du niveau phonique se caractérisent par une évolution généralement régulière. Comme l’enseigne l’observation des faits, un phonème d’une langue donnée situé dans un environnement spécifique connaît, dans un laps de temps déterminé, un traitement constant. La régularité du phénomène a suggéré à la science du XIXe
siècle l’existence de « lois phonétiques ». Dans cette perspective,
l’application des règles du changement ne souffrirait pas d’exceptions. Aujourd’hui, cependant, prévaut une position moins catégorique, étant donné que les études plus récentes de l’évolution phonique révèlent tout de même des cas particuliers 9. C’est pourquoi, en définitive, la nature des faits répond moins à des lois qu’à des tendances phonétiques régulières. Il ne s’agit pas de tendances universelles, même si des phénomènes comme la palatalisation, l’assibilation ou le rhotacisme, par exemple, s’observent dans des traditions linguistiques différentes. En principe, les règles du 9. Constituent un cas particulier hom. µῆτις /mêtis/ « sagesse » et φάτις /phátis/ « rumeur », par exemple, car le traitement t > s entre voyelle et i ne s’y produit pas, contrairement à la règle (cf. les noms d’action en -σις /-sis/ du type δόσις /dósis/ « don ») : Lejeune 1972, p. 62-63, § 51.
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Chapitre I : changement des unités phoniques
changement phonique valent dans les limites d’une langue ou d’un dialecte particuliers.
1.2. Changement phonétique et changement phonologique Une innovation portant sur le point ou le mode d’articulation d’un phonème n’a pas toujours de conséquences pour le système. Dans l’histoire du français, par exemple, l’abandon de l’r apical au profit de sa variante uvulaire n’affecte ni le nombre, ni la distribution des unités. En revanche, la neutralisation de l’opposition entre les consonnes indo-européennes *r et *l en indo-iranien entraîne la perte d’un phonème. Ainsi, en dehors de formes dialectales, le védique n’a pas de l ; le vieux-perse ne présente l que dans des noms d’origine étrangère ; l’avestique, enfin, ignore complètement l. La fusion se fait donc au profit de r et modifie le nombre des termes constitutifs du système. Le premier événement, relatif à la prononciation de fr. r, relève d’un changement phonétique. Le second – la confusion de *l et *r en indo-iranien – se définit comme un changement phonologique.
1.3. Phonologisation La distinction entre le phonétique et le phonologique intervient aussi dans l’analyse suivante d’un procès de différenciation. Un phonème se transforme souvent en fonction de son environnement et de sa position dans le mot. L’occlusive labiale sonore aspirée de l’indo-européen (*bh), par exemple, donne en latin f à l’initiale, mais b à l’intérieur. Comparer, d’une part, *bhérō > ferō « je porte », *bhū- (*bhuh2-) > fū- (fuī « j’ai été »), d’autre part *-(i)-bhos > -(i)bus (désinence de datif pl.), *nebh- > neb- (nebula « nuage »). Dans un premier temps, f et b latins se trouvent en distribution complémentaire. Mais l’apparition d’un b récent, issu de *dw, à l’initiale
Chapitre I : changement des unités phoniques
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permet la phonologisation des variantes 10. Le statut de phonème de f et b en latin classique ressort de la paire minimale fīnī (abl. sg. de fīnis « borne, limite) : bīnī (« chaque fois deux », nom de nombre distributif). Le dernier terme remonte à duīnī (attesté chez Varron), dérivé de v. lat. duis « deux fois » (lat. class. bis). L’évolution de *bh produit d’abord deux allophones (changement phonétique), puis deux phonèmes (changement phonologique). Par rapport à l’ordre des labiales en indo-européen (*p, *bh, probablement pas de b), le latin gagne une unité (p, b, f).
1.4. Changements conditionnés Comme les faits en témoignent, la transformation de la substance phonique dépend ou non de l’environnement. Il y a ainsi des changements conditionnés, c’est-à-dire dépendants du contexte, et des changements non conditionnés, s’étendant à toutes les occurrences du phonème. En matière de conditionnement jouent un rôle non seulement les unités segmentales, mais aussi des éléments suprasegmentaux comme l’accent.
1.4.1. L’assimilation L’interaction des sons, contigus ou non, de la chaîne parlée détermine souvent des phénomènes d’assimilation. Les unités en cause deviennent plus semblables par influence réciproque et, au terme du rapprochement, partagent un plus grand nombre de traits. C’est un effet de la loi du moindre effort : plus les unités d’une séquence se rapprochent au point de vue articulatoire, moins leur production demande d’énergie, car les déplacements des organes se réduisent d’autant. Le phénomène porte, le cas échéant, sur le mode d’articulation. Ainsi, dans une langue donnée et à un moment donné, une accommodation peut se produire entre une sourde et 10. Un b initial apparaît encore dans des emprunts : type bōs « boeuf, vache », d’origine dialectale.
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Chapitre I : changement des unités phoniques
une sonore contiguës. Soit, par exemple, le cas de lat. p entre voyelles. L’évolution se caractérise par la sonorisation de la consonne dans la partie occidentale du domaine roman. En ancien provençal, -p- passe à -b-, comme dans obra « œuvre », du latin opera, nom.pl. de opus « id. » 11. Le mode d’articulation est encore en cause, lorsqu’une consonne orale se nasalise devant une nasale. Le cas se présente pour un p intérieur devant n, entre l’indo-européen et le latin. En donne une illustration le nom du « sommeil » : i.-e. *swé/ópnos > lat. somnus (cf. skr. svápnaḥ). En position intervocalique, -p- se conserve dans sopor « sommeil, engourdissement ». L’histoire ultérieure de lat. somnus montre une assimilation concernant le point d’articulation : le groupe -mn- du latin se résout en -mm-, puis la consonne double se simplifie dans fr. somme [sɔm]. Cet exemple illustre la distinction traditionnelle entre les deux orientations du phénomène. De l’indo-européen au latin, la nasalisation de p devant n procède d’une assimilation régressive, car le second élément de la séquence agit sur le premier. En revanche, du latin au français se produit une assimilation progressive, puisque le trait labial de m se communique au n suivant. Qu’une action assimilatrice s’exerce « de droite à gauche » ou « de gauche à droite », l’environnement phonique crée les conditions nécessaires du changement. Mais ces conditions ne sont pas toujours suffisantes. En français contemporain, par exemple, la position de t devant n n’entraîne pas sa nasalisation, sauf dans le cas particulier de l’adverbe maintenant et seulement dans une variété de la langue, où [mɛñ ã] remplace [mɛt̃ nã] (sans doute par l’intermédiaire d’une prononciation [mɛñ nã]. Le fait que l’assimilation ne se produise pas dans le participe présent du verbe maintenir
11. Opera a été réinterprété comme féminin singulier. Sur le traitement -p- > -b- entre voyelles dans la partie sud de la « Westromania », voir : Lausberg 1967, p. 33-34, § 367-368.
Chapitre I : changement des unités phoniques
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montre bien que le contexte phonique n’est pas le seul facteur du changement. Interviennent aussi le sociolecte et le statut du signe dans la langue.
1.4.2. La dissimilation L’inverse de l’assimilation, la dissimilation, s’explique par l’existence de contraintes dans la distribution des phonèmes. En particulier, la répétition d’un son ou d’un trait phonique dans des syllabes différentes et dans les limites du mot n’est pas admissible en toute langue ou à toutes les époques de l’histoire d’une langue. Le cas échéant, la difficulté se résout par une action dissimilatrice : l’un des deux phonèmes identiques agit sur l’autre et le rend dissemblable. Le phénomène implique souvent les liquides ou les nasales. En fournit un exemple le traitement du suffixe latin -ālis. Ce morphème de dérivation se présente sous la variante -āris, lorsque le radical renferme un l. Ainsi, aux adjectifs annālis (annus), hospitālis (hospes), līberālis (līber) s’opposent les formes familiāris pour *familiālis (familia), populāris (populus), militāris (miles). Le changement phonique a donc pour effet le dédoublement formel de ce suffixe d’appartenance. La règle {l ... l > l ... r} ne s’applique pas de manière absolue en latin, puisque la langue admet un diminutif comme fīliolus « fils » (avec une connotation affective). De même, en grec, la dissimilation d’aspirations ou loi de Grassmann ne joue pas dans tous les cas. Si, en principe, le mot n’admet pas la cooccurrence de deux aspirées non contiguës – d’où *φείθοµαι /pheíthomai/ > πείθοµαι /peíthomai/ « se laisser persuader », *θίθηµι /thíthēmi/ > τίθηµι /títhēmi/ « poser », *φαχύς /phakhús/ > παχύς /pakhús/ « épais » – , le θ /th/ des morphèmes flexionnels -µεθα /-metha/, -σθε /-sthe/, -σθαι /-sthai/ n’entraîne pas la désaspiration de la consonne initiale dans φερόµεθα /pherómetha/, φέρεσθε /phéresthe/, φέρεσθαι /phéresthai/, de φέρω /phérō/ « porter », par exemple. En l’occurrence, l’analogie préserve l’identité de la racine. La dissimilation porte, en
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Chapitre I : changement des unités phoniques
revanche, sur un phonème radical dans la transformation de lat. *canmen en carmen « chant » ou de lat. *genmen en germen « bourgeon, rejeton ». La substitution de r au n intérieur prévient l’assimilation du groupe -nm- en -mm- (type inmortālis > immortālis) et la nouvelle séquence, -rm-, jouit d’une grande stabilité. La combinaison inverse, par contre, produit une géminée : -mr- > -rr-, comme dans *com-rumpō > corrumpō « détruire, détériorer ».
1.4.3. L’épenthèse Toutefois, un groupe -mr- récent, consécutif à la chute d’une voyelle, se résout par l’addition d’un segment, c’est-à-dire par une épenthèse. En conformité avec le trait labial du premier élément, la consonne épenthétique est b. Ainsi, lat. cam(e)ra(m) donne fr. chambre. Ce traitement se rencontre aussi en grec, où le composé ἄµβροτος /ámbrotos/ « immortel » remonte à *ἄ-µροτος /á-mrotos/. Si l’épenthèse se produit dans une séquence -nr-, le
trait dental de la nasale détermine la production d’un d. Dans la tradition romane, une expression comme lat. *ven(e)ris die > fr. vendredi en fournit un exemple. En grec, le génitif sg. ἀνδρός /andrós/« de l’homme » repose sur *ἀνρός /anrós/ (nom. sg. ἀνήρ /anḗr/).
1.4.4. L’anaptyxe La résolution d’un groupe de consonnes instable se réalise, le cas échéant, par l’insertion d’une voyelle : c’est le phénomène de l’anaptyxe. Le cas se présente, par exemple, dans le suffixe latin -bulum, d’une forme indo-européenne *-dhlom. Ainsi, stăbulum « gîte, auberge ; étable » repose sur *sth2dhlom (cf. mha. stadel « auberge »). Comme l’acceptabilité d’une suite de sons varie de langue à langue, le développement d’une voyelle anaptyctique s’observe souvent dans des mots d’emprunt ou dans des noms
Chapitre I : changement des unités phoniques
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d’origine étrangère. De même que dans l’exemple précédent, l’adaptation latine du nom grec Αἰσκλαπιός /aisklāpiós/ (variante dialectale de la forme standard Ἀσκληπιός /asklēpiós/) entraîne la disjonction du groupe occlusive + l. Entre ces deux éléments phoniques apparaît une voyelle d’appui de timbre u dans lat. Aesculapius.
1.4.5. La prothèse L’addition d’un segment vocalique s’observe aussi à l’initiale du mot, devant deux ou plusieurs consonnes. De la sorte, ces consonnes se répartissent sur deux syllabes et la difficulté articulatoire disparaît. Le phénomène, appelé prothèse, se produit, par exemple, en latin vulgaire pour les groupes initiaux s + occlusive. C’est ainsi que lat. stabulum donne a.fr. estable.
1.4.6. La syncope Au développement de voyelles prothétiques et anaptyctiques s’oppose une évolution inverse : dans des conditions particulières, une unité vocalique en position intérieure s’efface et entraîne ainsi la perte d’une syllabe. Ce changement ou syncope concerne généralement un segment pré- ou posttonique. Le latin offre, par exemple, le cas de *redidō > reddō « rendre, restituer » (propr. « donner en retour »).
1.4.7. La métathèse Contrairement à la syncope, la métathèse n’a pas d’incidence sur la longueur du mot. Cet événement consiste en une interversion de phonèmes. Les unités en cause sont contiguës dans un cas comme gr. *τί-τκ-ω /tí-tk-ō/ > τίκτω /tíktō/ « enfanter ». La forme reconstruite de ce présent à redoublement renferme le degré zéro τκ- /tk-/ de la racine τεκ- /tek-/ (cf. aor. ἔ-τεκον /é-tek-on/), mais, au plan phonique, le grec n’admet pas une séquence
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-τκ- /-tk-/. Ainsi s’explique la réalisation de ces consonnes dans l’ordre inverse. En revanche, le réarrangement des segments non contigus p et k dans *spékyomai > σκέπτοµαι /sképtomai/ « observer » ne se ramène pas à la même cause, car un groupe initial sp existe en grec. Selon Pierre Chantraine, « l’interversion des deux occlusives π et κ peut être due à un tabou linguistique » (DELG, éd. de 1968, p. 1015). Comme on le voit, la métathèse n’a pas une origine unique. Par ailleurs, ses effets n’intéressent pas seulement les unités segmentales, mais se manifestent, le cas échéant, dans des traits phoniques. L’histoire du grec, par exemple, documente une métathèse de quantité. Un ancien groupe -ηο-/-ēo-/, notamment, passe à -εω- /-eō-/ en attique. Ainsi, aux génitifs singuliers homériques βασιλῆος /basilêos/ « du roi » (nom. sg. βασιλεύς /basileús/), νηός /nēós/ « du bateau » (nom. sg. ναῦς /naûs/), πόληος /pólēos/ « de la cité » (nom. sg. πόλις /pólis/) répondent les formes attiques βασιλέως /basiléōs/, νεώς /neṓs/, πόλεως /póleōs/.
1.5. Les changements non conditionnés Les changements non conditionnés, c’est-à-dire indépendants de l’environnement phonique, atteignent le phonème dans toutes ses occurrences. Dans le cas du traitement indo-iranien a de la voyelle indo-européenne *e, par exemple, l’innovation s’impose à travers toute la distribution du phonème, sans égard à sa position. Le fait se vérifie, à la fois pour l’initiale, la finale et l’intérieur du mot, dans une forme comme i.-e. *ébherete > skr. abharata « vous portiez » (2e pl. impf. actif). Un changement également indifférent au contexte phonique s’observe dans l’histoire d’une consonne du français moderne : r. En effet, lorsque dans le courant du XVIIe siècle les Français des centres urbains adoptent la prononciation « grasseyée » ou
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uvulaire [ʁ] aux dépens du type « roulé » ou apical [r], le remplacement s’effectue partout, par exemple dans les trois r de réverbère.
1.6. Phonétique et morphologie Comme la langue forme un système « où tout se tient », le conditionnement de l’évolution des sons ne se limite pas au contexte phonétique. La grammaire détermine aussi, en partie, le traitement des phonèmes. En témoigne l’histoire de la séquence /ti/ en grec ancien. Dans une partie des faits, la dentale se palatalise et passe à s. C’est le cas, sauf après sifflante, dans les noms d’action du type τί-σις /tí-sis/ < i.-e. *kwi-tis (*kwéi-ti-/*kwitéi-) « vengeance ». De même, à la finale absolue, -τι /-ti/ devient généralement -σι en mycénien, arcado-chypriote, ionien-attique et lesbien, en particulier dans les désinences primaires actives *-ti et *-nti (cf. ion.-att. φησί /phēsí/ vs dor. φᾱτί /phātí/ « il dit, il affirme » ; ion.-att. φέρουσι /phérousi/ vs dor. φέροντι /phéronti/ « ils portent »). Mais l’assibilation n’a pas lieu, lorsqu’une frontière de morphème se situe entre t et i (type ἐσθῆτ-ι /esthêt-i/, datif sg. de ἐσθής /esthḗs/ f. « vêtement ») et dans des adverbes comme ἀντί /antí/ « en face » ou ἄρτι /árti/ « justement ; récemment », anciens locatifs de thèmes ἀντ- /ant-/, ἀρτ- /art-/. Au datif singulier des noms en -t-, l’analogie des autres cas favorisait le maintien de l’occlusive. Des considérations morphologiques rendent également compte d’exceptions au rhotacisme en latin. Ainsi, -s- intervocalique se conserve intact derrière un préverbe : dēsiliō « sauter de haut en bas », po-situs « placé », re-sīdō « s’asseoir, s’arrêter », etc. En revanche, dans les mêmes conditions phonétiques (position intervocalique), une sifflante à la finale du préverbe passe à r (*dis-emō > dirimō, *dis-habeō > dir(h)ibeō et *sus-ēmit > surēmit).
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1.7. Causes des changements phonétiques Comme on le voit, la régularité des changements phonétiques a des limites. Le traitement d’un phonème dans un contexte particulier obéit à une règle, mais la règle ne s’applique pas nécessairement dans tous les mots, ni dans la communauté linguistique tout entière, du moins dans un premier temps. Généralement, un trait phonique nouveau n’apparaît d’abord que dans un groupe du corps social et cette innovation partielle produit le phénomène de la variation dans l’usage des sujets parlants 12. Mais ensuite, le changement tend à se propager, surtout si ses initiateurs appartiennent à une classe prestigieuse. Les modalités de cette diffusion ressortent des enquêtes sociolinguistiques. En revanche, les causes premières de l’évolution phonique se dégagent moins clairement de l’observation des faits. C’est pourquoi la question ne fait pas l’unanimité et suscite plusieurs hypothèses concurrentes. Les approches les plus pertinentes admettent le concours de différents facteurs, externes et internes. 1.7.1. Facteurs externes Les facteurs externes, c’est-à-dire étrangers au système de la langue, résultent de l’activité des sujets parlants. Comme le dit Saussure, « c’est dans la parole que se trouve le germe de tous les changements » (CLG/E, p. 223). L’existence de locuteurs non standard expliquerait l’instabilité du système. Se distingue de l’usager ordinaire le jeune enfant au cours de son apprentissage de la langue maternelle. Ses « fautes » ou réalisations phoniques non conformes à la norme donneraient le branle à l’évolution. Toutefois, l’apprenant surmonte finalement ses difficultés et parvient en principe à une maîtrise complète du système phonique. La transmission de la langue de génération en génération ne joue donc probablement pas un rôle majeur 12. Cf. supra, Introduction, 3e alinéa.
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dans la genèse des changements. Paraissent plus importants les effets du contact linguistique. Comme un peuple ne vit pour ainsi dire jamais dans un isolement complet ou de manière tout à fait autarcique, mais entretient généralement des relations amicales ou hostiles avec les populations voisines, des interférences se produisent entre les langues de ces partenaires ou adversaires. Des influences réciproques s’exercent par le biais de sujets bilingues. Que par suite d’événements politiques des groupes humains se mélangent, le bilinguisme augmente alors nécessairement. C’est le cas dans le contexte d’une annexion territoriale. Si la langue des conquérants s’impose au pays conquis, cette langue nouvelle subit l’influence de la langue parlée antérieurement, le « substrat ». En revanche, quand les envahisseurs s’assimilent la langue des vaincus, leur ancienne langue, peu à peu abandonnée, joue le rôle de « superstrat ». Enfin, par rapport à la langue de référence, un idiome voisin se définit comme « adstrat » en tant que source d’interférences. Ces échanges intéressent plusieurs composantes du système linguistique : avant tout le lexique et, dans une moindre mesure, la syntaxe, mais aussi la substance phonique, car l’apprenant d’une langue nouvelle reste en partie tributaire de ses habitudes articulatoires. En résumé, la coexistence d’idiomes différents favorise l’apparition de changements. Mais les principaux ferments de l’évolution sont inhérents à chaque communauté linguistique : ce sont des facteurs sociaux. Ainsi, lorsqu’une variante synchronique devient un indice de l’appartenance à un groupe, l’adoption éventuelle de cette variante par l’ensemble des sujets parlants dépend de comportements sociaux. Entre les différentes classes de la communauté se produisent fréquemment des phénomènes d’imitation, générateurs de changements.
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1.7.2. Facteurs internes Aux facteurs externes de l’évolution phonique s’ajoutent des facteurs internes, inhérents au système linguistique même. Dans l’histoire d’une langue, les réajustements procèdent, pour une part, d’une tendance à l’économie des moyens 13. Là où la satisfaction des besoins communicatifs n’y fait pas obstacle, l’usager privilégie inconsciemment les solutions les plus économiques. Ainsi, son système phonologique ne conserve que les unités indispensables. En fait, l’effectif des voyelles et des consonnes se maintient dans certaines limites et se réduit généralement à quelques dizaines. De plus, les phonèmes s’analysent en traits articulatoires et ces éléments combinables sont encore moins nombreux. À l’aide de six articulations (labiale, dentale, vélaire, labiovélaire, sourde et sonore), par exemple, se constituent huit unités phoniques : p, t, k, kw et b, d, g, gw. Chaque terme de cet ensemble partage avec un ou plusieurs partenaires des traits communs. Les unités de même point d’articulation forment un « ordre ». Ainsi, p et b appartiennent à l’ordre des labiales. Quant aux unités de même mode d’articulation, elles constituent une « série » : p, t, k, kw se rangent dans la série des occlusives sourdes. Entre ces consonnes non voisées et les sonores correspondantes existe une « corrélation ». La marque en est la voix. Dans un système corrélatif, les phonèmes se soutiennent les uns les autres. Si, pour une raison quelconque, une unité risque de disparaître, son appartenance à la corrélation joue en faveur de son maintien. C’est que dans une telle structure la perte d’un élément ne diminue pas le nombre des traits distinctifs et ne représente donc pas une économie réelle. Dans l’exemple ci-dessus, la disparition de p n’abolirait pas ses articulations constitutives, puisque le trait sourd subsisterait dans t, k et kw et la labialité dans b. Le phonème p profiterait, en quelque sorte, de solidarités au sein du système. En d’autres termes, son évolution dépendrait, sous réserve d’in13. Sur cette question, notre exposé s’inspire de Martinet 1955.
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fluences contraires, de son statut d’unité « intégrée ». Ces considérations s’appliqueraient, le cas échéant, à n’importe quel autre phonème de la corrélation de voix. Mais les conditions changeraient si, par hypothèse, les séries d’occlusives sourdes et sonores se doublaient d’une série de nasales à deux termes seulement : m et n. Dans cette situation – caractéristique de l’indo-européen, par exemple −, p et t sont mieux intégrés que k et kw, car, tandis qu’à la labiale et à la dentale sourdes répondent chaque fois une sonore et une nasale, la vélaire et la labiovélaire sourdes n’ont l’une et l’autre qu’un partenaire sonore. L’intégration phonique présente donc différents degrés. Comme le suggère Martinet, le degré d’intégration d’une unité phonique a probablement une incidence sur son évolution. Toutes choses égales d’ailleurs, les unités intégrées résisteraient bien au changement et posséderaient une grande stabilité, alors que les phonèmes hors corrélation seraient sujets à se transformer ou à disparaître. Parfois aussi, une unité isolée subirait l’attraction du système et finirait par s’intégrer. Ce scénario se vérifie, semble-t-il, dans le cas de la labiodentale sourde du latin. À l’époque classique, /f/, à la différence de /p/, /t/, /k/ (c) et /kw/ (qu), ne fait pas partie d’une corrélation, car la série des sonores ne comprend pas de /v/. Le système phonologique présente, comme on dit, une « case vide ». Mais, dans la mesure où la langue procure une unité articulatoirement apparentée au phonème manquant, cette unité se déplace et occupe l’espace vacant. Or, la semi-voyelle vélaire /w/, attestée à l’initiale du neutre uerbum /werbum/ « mot » ou à l’intérieur du masculin cīuis /kīwis/ « citoyen », partage avec /v/ les traits sonore et labial. Dans ces conditions, les deux phonèmes se confondent au profit de la labiodentale par attraction du système en latin tardif. Ainsi, /f/ et /v/ rejoignent la corrélation de voix. Ce changement améliore théoriquement la stabilité du système. Et pourtant l’équilibre demeure
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toujours précaire, parce que les changements phoniques résultent aussi de l’action de facteurs externes (cf. supra). D’autre part, les différentes composantes du système linguistique interagissent et l’évolution des sons répond en partie à un conditionnement grammatical 14. C’est pourquoi l’intégration de phonèmes dans une corrélation n’en garantit pas l’immutabilité. La composante phonique est en perpétuel devenir. Cependant, les changements n’entraînent pas nécessairement la désintégration d’un ensemble structuré. Lorsque, dans un groupement corrélatif, des séries entières se déplacent, les unités changent de mode d’articulation, mais les oppositions se maintiennent. C’est le phénomène de la « mutation ». Le maintien des oppositions phonologiques ne dépend pas seulement de leur appartenance à une corrélation, mais aussi de leur utilité. Deux phonèmes s’opposent utilement si leur commutation assure la distinction d’un grand nombre de mots. Les voyelles nasales /ã/ et /ɔ̃/ du français, par exemple, entrent dans de nombreuses « paires minimales » du type dent vs dont, angle vs ongle ou ambre vs ombre. Cette opposition possède donc un haut « rendement fonctionnel ». À l’inverse, /ɛ/̃ et /œ̃ / n’ont qu’un pouvoir distinctif très faible, avec deux paires minimales seulement : brin vs brun et empreint vs emprunt. Dans ces conditions, ces phonèmes articulatoirement proches tendent à se confondre au profit de /ɛ/̃ 15. Au temps des enquêtes d’André Martinet et Henriette Walter, autour de 1970, la distinction n’existait plus chez de nombreux locuteurs – en particulier chez les plus jeunes. Leur prononciation de l’un et de lin était donc la même. Cependant, des usagers plus conservateurs connaissaient encore l’opposition. Enfin, un groupe d’informateurs ne recourait à la voyelle /œ̃ / que dans l’emploi de
14. Cf. supra. Sur les liens entre les niveaux phonique, morphosyntaxique et lexical, voir Anttila 1989, § 4.22-26. 15. Pour plus de précisions, voir Martinet 1955, p. 54-58.
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termes techniques ou scientifiques (alun, par exemple) 16. Là où le changement aboutit, la langue réalise donc une économie et fonctionne avec un phonème de moins. Cette simplification n’entraîne pas d’ambiguïtés au niveau de la communication, car les membres des paires minimales n’appartiennent pas aux mêmes classes ou parties du discours : d’une part, brin est un substantif, brun un adjectif ; d’autre part, empreint est un participe, emprunt un substantif. À ce titre, les partenaires ne figurent pas dans les mêmes contextes et, malgré leur homophonie, ne se confondent pas pour l’auditeur. Le principe d’économie joue encore un rôle dans le traitement des unités phoniques en fonction de leur pouvoir d’information. La quantité d’information d’un phonème ou d’un groupe de phonèmes est en raison inverse de leur fréquence. En effet, plus une unité s’emploie fréquemment, moins son audition contribue au décodage de l’énoncé. Si, dans un milieu francophone, le destinataire d’un message entend une consonne très fréquente – la dentale d, par exemple – en début de lexème, ce seul élément offre une grande latitude d’interprétation. Mais si l’initiale est b, consonne plus rare, les mots identifiables sont nettement moins nombreux. Des deux unités phoniques la bilabiale donne donc la plus grande quantité d’information. Pour des raisons d’économie, les éléments peu informatifs, mais coûteux en énergie, tendent à se simplifier. Si dans une langue le nombre des consonnes géminées, par exemple, augmente beaucoup pour une raison quelconque, leur pouvoir d’information diminue d’autant. Par conséquent, l’effort nécessaire à leur production n’en vaudra plus la peine et leur articulation
16. Voir Martinet-Walter 1973, p. 37-48. Sur l’évolution ultérieure de l’opposition /œ̃ / vs /ɛ/̃ , se reporter à F. Carton, dans : Antoine-Cerquiglini 2000, p. 31-32 (avec bibliogr.).
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tendra à se relâcher. Ce cas illustre la propension du système à équilibrer coût et fréquence 17. En résumé, l’évolution phonique s’explique en partie par l’action de facteurs internes, tels que le degré d’intégration des phonèmes, le rendement fonctionnel d’une opposition phonologique, la tendance à équilibrer la complexité articulatoire et la quantité d’information.
17. A. Martinet traite du rapport entre fréquence et coût à différents niveaux d’analyse (lexical, grammatical et phonologique) dans ses Éléments de linguistique générale : Martinet 1970, p. 187-190.
Chapitre II Le changement grammatical : faits morphologiques
2.1. Évolution du système grammatical De même que la composante phonologique, la grammaire d’une langue se transforme au cours du temps. Des changements majeurs affectent le système grammatical dans sa constitution même. C’est le cas, notamment, lorsqu’une catégorie disparaît. S’ensuit une double conséquence : au plan de l’expression, une série de formes sort de l’usage, tandis qu’au plan du contenu la langue procède à une redistribution des fonctions. À titre d’exemple, dans l’histoire des dialectes indo-européens s’observe une tendance à l’élimination du duel. Au terme du procès, le système du nombre se réduit donc à une opposition binaire – singulier / pluriel – et le pluriel absorbe l’ancien duel. Une simplification analogue se constate dans la catégorie du cas. En effet, le phénomène du syncrétisme produit des déclinaisons plus courtes. En latin, par exemple, l’ancien instrumental fusionne avec l’ablatif. L’appauvrissement de l’appareil morphologique indo-européen intéresse encore, entre autres domaines, les oppositions modales du système verbal. Si, à côté de l’indicatif ou mode non marqué, le grec et le védique disposent
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d’un subjonctif, d’un optatif et d’un impératif, le latin ne connaît plus l’optatif et le sanskrit classique perd le subjonctif.
2.2. L’analogie À ces changements structuraux s’ajoutent des réfections ponctuelles. Leurs effets portent généralement sur les formes des paradigmes et révèlent le rôle primordial de l’analogie dans l’évolution du système grammatical. Un procès analogique consiste en la transformation d’un type anomal ou moins fréquent sur le modèle d’un type régulier ou plus fréquent. En fournit un exemple la simplification d’un paradigme à alternance sous la pression d’une classe flexionnelle à thème invariable. Ainsi, l’ancienne déclinaison du nom latin de l’honneur associe les formes honōs (nom. sg.) et honor(cas obliques). Très tôt, cependant, apparaît le nominatif singulier honor, fruit d’une action analogique, et, après une période de concurrence, la variante honōs ne se rencontre plus. Dès lors, le paradigme ne présente plus d’alternance. Le mécanisme de la réfection peut être décrit sous la forme d’une proportion : oratorem est à orator comme honorem est à x ; d’où x = honor 18. Le fait que le type honōs, honorem se modèle sur le type orator, oratorem et non l’inverse ne surprend pas, car la prédominance appartient, en l’occurrence, au procédé flexionnel le plus simple et le plus fréquent.
2.2.1. Analogie et « polarisation » Mais il y a des faits contradictoires, comme l’illustre l’histoire des masculins forts en allemand. Dans cette classe nominale, la concurrence entre deux types, distincts au pluriel, ne se résout pas dans le sens de la simplicité. En vieux-haut-allemand s’opposent des thèmes en -a- (par exemple tag « jour », baum « arbre », skaz « argent », stuol « chaise ») et des thèmes en 18. Cf. F. de Saussure, CLG/E, p. 370-372.
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-i- (par exemple gast « hôte », ast « branche », slag « coup », apful « pomme »). Pour les uns, la marque du pluriel est un morphème simple (nom.acc. pl. tag-a), pour les autres un morphème complexe (nom.-acc. pl. gest-i, où le timbre de la voyelle radicale se modifie sous l’influence de i). L’évolution phonétique produit respectivement Tag-e et Gäst-e en allemand moderne. L’analogie, d’autre part, favorise la réduction des classes concurrentes à un seul type, mais au profit des noms à pluriel complexe. En témoignent des formes comme Bäume, Schätze, Stühle. Le succès du modèle Gäste aux dépens de la formation plus simple Tage pose le problème général des causes déterminantes dans le choix (inconscient) de l’orientation d’un procès analogique. Selon Jerzy Kuryłowicz, la langue privilégierait, dans le cas présent, le pluriel le mieux caractérisé par rapport au singulier en vertu d’une tendance à la différenciation maxima ou « polarisation » 19. En effet, la distance est plus grande entre Gast et Gäste qu’entre Tag et Tage, car dans la première opposition le terme marqué présente une désinence et l’Umlaut, dans la seconde seulement une désinence. En résumé, la réfection analogique d’une partie des masculins forts obéirait à la règle suivante : « Un morphème bipartite tend à s’assimiler un morphème isofonctionnel consistant uniquement en un des deux éléments, c’est-àdire le morphème composé remplace le morphème simple » 20. En l’occurrence, les constituants du « morphème composé » se trouvent dans un rapport hiérarchique. Comme l’enseigne Kuryłowicz, les statuts de la désinence et de l’Umlaut dépendent de leurs sphères d’emploi respectives. Tandis que la marque -e du pluriel s’ajoute à tous les termes de la classe de Gast, l’Umlaut ne se produit pas dans les mots à voyelle radicale e ou i : par exemple, vha. scrit « pas », pl. scriti, donne all. mod. Schritt, pl.
19. Cette explication figure chez Kuryłowicz 1950, p. 20-22. 20. Ibid., p. 20.
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Schritte, sans modification du vocalisme de la syllabe initiale. Dans ces conditions, la désinence prime synchroniquement l’Umlaut 21.
2.2.2. Analogie et rapport hiérarchique Dans le système de la langue, la hiérarchie ne concerne pas seulement les unités ou les traits morphologiques, mais aussi, pour une part, les catégories grammaticales. En fournissent des exemples, dans le domaine du verbe, la primauté de l’actif sur le passif ou celle du présent sur le parfait. Kuryłowicz appelle la voix ou le temps dominants « formes de fondation » et les catégories subordonnées « formes fondées ». Si analogie il y a, la forme de fondation en constitue le point de départ. Ainsi, là où le verbe s’organise autour de l’opposition fondamentale du présent et du parfait, les éventuelles réfections analogiques se font à partir du présent. La tendance se vérifie en latin par la propagation de traits caractéristiques de l’infectum dans la catégorie du perfectum. C’est le cas dans une partie des verbes à infixe nasal. L’état de choses ancien se conserve dans des formes du type relinquō « laisser » ou fundō « répandre », où la présence de l’élément -n- se limite aux temps du présent. Les parfaits et participes passés correspondants reposent, en effet, sur la racine non infixée : relīquī, relictum, respectivement fūdī, fūsum. En revanche, la nasale s’introduit secondairement, par extension analogique, dans le perfectum et le participe passé de verbes comme cingō « ceindre » (cinxī, cinctum) ou iungō « atteler, joindre » (iunxī, iunctum). Le rôle déterminant du présent au sein de la conjugaison rend aussi compte d’un parfait comme poposcī (v. lat. peposcī), de poscō « exiger, réclamer ». Que la présence du morphème -sc- au perfectum de ce verbe représente une innovation latine, le futur antérieur ombrien pepurkurent « ils auront exigé » en fait foi. À l’exception de poposcī, ainsi que de 21. Diachroniquement, rappelons-le, la désinence préexiste à l’Umlaut.
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miscuī (pf. de misceō « mélanger ») et de compescuī (pf. de compescō « retenir, arrêter, contenir »), les formes latines en -sc- appartiennent au présent. Dans ces exemples, les réfections de formes résultent d’un rapport hiérarchique au sein du système temporel. Mais l’analogie s’exerce aussi, le cas échéant, dans les limites d’un seul et même temps. Par là, la langue fait souvent l’économie d’une alternance vocalique. Ainsi, en allemand, le prétérit des verbes forts se simplifie, s’il y a lieu, par la généralisation d’une variante apophonique. Mha. stîgen « monter » (classe I), par exemple, présente au prétérit un paradigme à deux radicaux alternants : sg. 1 steic, 2 stige, 3 steic ; pl. 1 stigen, 2 stiget, 3 stigen. Dans la langue moderne, en revanche, la conjugaison repose sur la seule base stieg- 22. Le nivellement s’opère donc au profit de l’ancienne forme stig-, comme si l’évolution privilégiait le radical des termes pourvus d’une désinence. Dans ce cas, l’histoire des verbes de la première classe vérifierait un principe de Kuryłowicz : « Une structure consistant en membre constitutif plus membre subordonné forme le fondement du membre constitutif isolé, mais isofonctionnel » 23.
2.2.3. Analogie et imprévisibilité Cette règle, toutefois, ne rend compte que d’une partie des faits. Excepté werden, les verbes forts de la troisième classe y échappent et illustrent, au contraire, l’orientation inverse du procès analogique. En effet, après une période de flottement, le vocalisme de la 1re/3e sg. du prétérit prévaut dans la langue moderne. De singen « chanter », par exemple, le prétérit ich sang / wir sangen a succédé au paradigme ancien : sg. 1 sang, 2 sünge, 3 22. stieg- note /stīg-/. Les voyelles radicales brèves en syllabe ouverte s’allongent entre le moyen-haut-allemand et l’allemand moderne. 23. Kuryłowicz 1950, p. 25.
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sang ; pl. 1 sungen, 2 sunget, 3 sungen. La différence de traitement du type singen par rapport aux verbes de la première classe embarrasse l’historien de la langue : « der Grund für dieses umgekehrte Verhalten lässt sich nicht erkennen » 24.
2.2.4. Analogie et fréquence Le caractère inconstant et souvent imprévisible de l’orientation d’une action analogique s’observe aussi dans l’histoire du verbe français. Si des alternances se conservent jusque dans la langue d’aujourd’hui (type je meurs / nous mourons), de nombreux paradigmes se reconstruisent sur la base d’un seul radical. Molière conjugue encore : je treuve, tu treuves, il treuve, nous trouvons, vous trouvez, ils treuvent 25. L’extension de la forme trouv- dans l’usage actuel s’explique probablement par sa plus grande fréquence au sein du système verbal tout entier. Mais ce facteur ne joue pas dans tous les cas. Le verbe aimer (a. fr. amer), par exemple, procède d’un nivellement analogique à partir de l’ancien présent j’aim, tu aimes, il aime, no(u)s amons, vo(u)s amez, il(s) aiment. La fortune de la variante aim-, minoritaire dans l’ensemble des formes verbales, trouve peut-être son explication dans le rôle du verbe au plan du discours. En effet, le sens même d’aimer en favorise l’emploi aux 1re et 2e personnes du singulier. L’importance de ces formes transparaît, par exemple, sous la plume d’une romancière suisse romande, Monique SaintHélier. À propos de l’amour, la jeune Carolle se prend à penser : « Oh! qu’est-ce qu’ils veulent tous avec leur amour? "Je t’aime ..., tu m’aimes"...
24. Fritz Tschirch, Geschichte der deutschen Sprache, 2e éd., Berlin 1975, p. 203. 25. Dans le Misanthrope, vers 226, la 3e sg. treuve rime avec veuve.
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on dirait un battement de porte, "j’ouvre, je ferme". "J’aime, tu m’aimes". Assez! » 26.
2.2.5. Analogie et fonction primaire / secondaire En conséquence de l’extension du radical aim-, l’allomorphe am- disparaît du paradigme verbal. Mais l’ancien participe amant se conserve avec le statut de nom. La création du doublet aimant entraîne une répartition des fonctions sémantiques : la forme nouvelle, analogique, signifie « qui aime » dans le sens le plus général, tandis que la forme héritée se spécialise. Un scénario à peu près parallèle a pour acteurs les variantes du participe présent de valoir : vaillant et valant. Au moyen âge, la première forme s’emploie au sens monétaire – comme encore aujourd’hui dans la locution n’avoir pas un sou vaillant –, aussi bien qu’au sens moral. En français moderne, en revanche, la forme analogique valant fournit au verbe son participe de plein exercice et vaillant ne subsiste que comme adjectif, dans le sens particulier de « courageux ». En ce qui concerne les conditions d’emploi, valant appartient à tous les registres du français, alors que vaillant se rencontre essentiellement dans la langue littéraire. Ces exemples de redéfinition d’un terme ancien sous la pression d’un terme nouveau répondent à une tendance reconnue par Kuryłowicz : « Quand à la suite d’une transformation morphologique une forme subit la différenciation, la forme nouvelle correspond à sa fonction primaire (de fondation), la forme ancienne est réservée pour la fonction secondaire (fondée) » 27.
2.2.6. Analogie et réinterprétation Une modalité du changement grammatical procède d’une réinterprétation, c’est-à-dire d’une réanalyse du signe par le sujet parlant. Dans la 26. Bois-Mort, Paris 1934, p. 106. 27. Kuryłowicz 1950, p. 30.
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genèse de ce phénomène, l’analogie joue encore un rôle. En sanskrit, le pronom démonstratif ayám « celui-ci » en procure un exemple. Au nominatif sg., la variation en genre montre clairement la structure du terme : le masculin ayám s’oppose au féminin iyám et au neutre idám. Comme on le voit, l’élément fléchi occupe la première partie des formes et y précède un invariant -ám, particule comparable à lat. -em du neutre idem « le même, la même chose » (id + -em) 28. L’accusatif sg. m. imám se compose de im + -am (cf. v. lat. im « eum »). Dans ces conditions, la consonne -m- intérieure fonctionne comme marque casuelle. Mais, comme la fin du mot rappelle les noms thématiques, l’analogie produit une réinterprétation, de sorte que l’usager reconnaît désormais la désinence dans l’-m final. Ce fait échappe à l’observation, mais se laisse induire de la formation du féminin imā́ m, succédané du préhistorique *īm-ám. Le modèle de cette forme nouvelle se rencontre, par exemple, dans le paradigme des adjectifs du type priyáḥ « cher » : priyám est à priyā́ m comme imám est à X. D’où X = imā́ m. Par là, un féminin conforme au type productif des thèmes en -ā remplace une forme anomale. En somme, la réfection contribue à la normalisation du système grammatical. De même, dans le domaine lexical, l’intégration d’un emprunt moyennant une réinterprétation en supprime le caractère aberrant. Raimo Anttila en présente un bel exemple : l’adoption du nom latin de la « perle » en vieil anglais 29. Le quadrisyllabe margarīta est réinterprété comme un composé et, au prix d’une adaptation phonétique, se mue en meregrota, signifiant proprement « grain de mer », de mere « mer » et grot « grain ». Comme en témoigne la réductibilité de cette forme nouvelle à des unités significatives plus petites, la réfection illustre une tendance à la motivation du signe.
28. Lat. idem recouvre exactement skr. idám. 29. Anttila 1989, p. 92.
Chapitre III Le changement grammatical : faits syntaxiques
3.1. L’ordre des mots dans la phrase L’agencement des termes de l’énoncé, leurs fonctions grammaticales (sujet, objet, etc.), leurs relations réciproques, les phénomènes d’accord, l’emploi des temps et des modes ou encore la subordination constituent l’objet traditionnel de la syntaxe. La construction des phrases grammaticalement correctes et sémantiquement acceptables obéit à des règles. Ces règles diffèrent d’une langue à l’autre et, au sein d’une même langue, d’une époque à l’autre. Dans le domaine de l’ordre des mots se produisent, de cas en cas, des changements profonds. L’inversion du sujet ou de l’objet par rapport au verbe en est une illustration. Qu’une telle réorganisation intéresse l’histoire des langues indo-européennes, l’examen des textes en témoigne. En proposition dépendante, tout au moins, l’ordre SOV (sujet – objet – verbe) prédominait dans l’ancêtre commun de la famille et existe encore dans une partie des dialectes historiques : le védique, le hittite et le latin, notamment, montrent une prédilection pour la position finale du verbe. Or, comme l’enseigne la comparaison typologique, ce trait ne se présente généralement pas seul. Là où règne l’ordre OV, la proposition relative précède habituellement la principale dans la phrase complexe, les postpositions
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l’emportent sur les prépositions et le génitif adnominal ou l’adjectif épithète se placent devant le nom. Ces traits concomitants se rencontrent en divers passages des hymnes védiques. Ainsi, RV 1,139,11 cumule trois caractéristiques : yé devāso divy ékādaśa sthá pr̥ thivyā́ m ádhy ékādaśa sthá | apsukṣíto mahinaíkādaśa sthá té devāso yajñám imáṃ juṣadhvam « Vous, dieux, qui êtes onze dans le ciel, qui êtes onze sur la terre, qui êtes onze à habiter dans les eaux avec majesté, vous, dieux, agréez ce sacrifice! ». Dans ce texte, non seulement le verbe juṣadhvam occupe la dernière place, à la suite de son objet, mais la proposition relative précède la principale et, en relation avec le locatif pr̥ thivyā́ m, ádhi s’emploie comme postposition. Quant au quatrième trait, l’antéposition du génitif adnominal, la même prière en offre plusieurs exemples. Ainsi, la strophe 9 renferme le syntagme asmā́ kam ... nā́ bhayaḥ « nos origines » (litt. « les origines de nous »). Des vestiges de cette syntaxe archaïque se rencontrent aussi en latin. À date ancienne et à l’époque classique, la tendance au rejet du verbe en fin de phrase caractérise fortement la prose narrative 30. D’autre part, les textes latins ne manquent pas d’attestations de phrases à relative initiale. Cette construction de type qui ... is apparaît, par exemple, chez Tite-Live, Praef. 6 : Quae ante conditam condendamve urbem … traduntur, ea nec adfirmare nec refellere in animo est « Lesquels faits (= les faits qui) sont rapportés avant la fondation de Rome ou le projet de sa fondation, il n’est pas dans mon intention de les confirmer, ni de les réfuter ». À la différence du védique, le latin ne fait qu’un usage exceptionnel de postpositions. Cependant, cum se place régulièrement après le pronom personnel (mēcum, etc.) et fréquemment après le relatif (quōcum, etc.) 31. Le génitif adnominal et l’épithète, enfin, tantôt précèdent, tantôt suivent le substantif déterminé. Dans le cas de l’épithète, l’antéposition est de règle pour les adjectifs 30. Hofmann – Szantyr 1972, § 214 a. 31. En ombrien, -kum (-com) postposé s’emploie dans des syntagmes nominaux.
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qualificatifs (type magna(m) sapientia(m), CIL I2 11), la postposition pour les adjectifs déterminatifs (type populus Romanus). L’agencement des termes du syntagme nominal en fonction du rôle sémantique de l’adjectif se maintient jusque dans les langues romanes. En revanche, l’ordre SOV devient moins fréquent dès le latin tardif et le verbe se présente de plus en plus souvent en position médiane. Peu à peu s’impose le modèle SVO, usuel en français moderne. Dans cette nouvelle structure, les places du sujet et de l’objet ne sont pas interchangeables, car, suite à la disparition des désinences, les fonctions grammaticales n’ont plus d’expression morphologique et l’ordre des termes devient pertinent. L’organisation de la phrase est donc moins libre en français qu’en latin.
3.1.1. La « tmèse » Une perte de liberté dans la distribution des constituants de l’énoncé intéresse également les déterminants adverbiaux du verbe en grec. Chez Homère, ces éléments admettent différentes positions dans la phrase et ne font pas nécessairement corps avec la forme verbale. Ainsi, Il. 3,34, le poète décrit la panique de Pâris à la vue d’un puissant adversaire, l’Atride Ménélas : ὑπό τε τρόµος ἔλλαβε γυῖα « un tremblement saisit ses membres ». Dans cette proposition, ὑπό /hupó/ se rapporte à l’aoriste ἔλλαβε /éllabe/ (variante de la langue épique, équivalente au classique ἔλαβε /élabe/), quand bien même deux mots l’en séparent 32. Chez Hérodote, le préverbe de ce verbe composé n’est plus séparable, même si des cas de « tmèse » se rencontrent encore dans d’autres formes. Le même emploi de l’aoriste apparaît en 6,75. L’historien parle du roi de Sparte Cléomène (fin du VIe – début du Ve siècle) : Κατελθόντα δὲ αὐτὸν αὐτίκα ὑπέλαβε µανίη νοῦσος, ἐόντα καὶ πρότερον ὑποµαργότερον « À son retour (d’exil), une maladie mentale le 32. Si la plupart des tmèses de la langue homérique s’interprètent comme un trait archaïque, d’autres s’expliquent comme un procédé stylistique de la langue poétique. Voir Hajnal 2004.
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saisit aussitôt, lui qui déjà auparavant était d’un tempérament plutôt querelleur ». La tendance à la consécution immédiate du préverbe et du verbe se confirme chez Platon. À cet égard, le grec classique se comporte donc comme le latin classique ou le sanskrit classique. Une convergence s’observe ici dans le développement de ces langues. Mais le changement ne se produit pas nécessairement à la même date dans les traditions respectives. En Grèce, des préverbes « libres » se rencontrent encore au Ve siècle dans la poésie lyrique et chez les tragiques, mais non dans les inscriptions contemporaines. À Rome, un souvenir de la séparation du préverbe subsiste dans une expression de la loi des XII Tables (8,13) : endoque plorato (= imploratoque) « et qu’il crie (au secours) ». Tandis que ce témoignage remonte aussi au Ve siècle, les formules de la langue religieuse ob uos sacro (= vos obsecro) « je vous prie instamment, je vous supplie » (Festus 206,17 Lindsay) et sub uos placo (= vobis supplico) « id. » (Festus 206,18 Lindsay) échappent à une datation précise. La vieille langue juridique fournit encore transque dato (= traditoque) « et qu’il le livre » (Festus 402,33 Lindsay) 33. Ces faits latins présentent une particularité commune : à la suite du préverbe figure une forme monosyllabique et inaccentuée. Non seulement -que a le statut d’un enclitique, mais c’est aussi le cas de vos dans le type ob vos sacro. C’est que cette construction archaïque obéit, semble-t-il, à la loi de Wackernagel relative à la non-accentuation du second terme de l’énoncé indo-européen 34. Dans cette perspective, ob s’entend comme le premier mot de la prière ou de la strophe. Cette syntaxe n’est pas rare dans les hymnes védiques. En voici un exemple, RV 8,27,15 (à tous les dieux) : prá vas śaṃsāmy adruhaḥ saṃsthá úpastutīnām « je vous loue, vous qui êtes sans tromperie, dans le concours des chants de louange ». Le pronom 33. Pour Emanuel Bernard, seule l’expression ob vos sacro conserverait une forme précompositionnelle. Les autres cas s’expliqueraient par des tmèses antérieures au phénomène de l’apophonie (Bernard 1960, p. 34-55). 34. Voir Bernard 1960, p. 38-39.
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atone vas de ce texte fait écho à vos de la formule latine 35. Dans la poésie védique, le préverbe est le plus souvent séparé en proposition principale ou indépendante, mais généralement soudé dans la subordonnée. Les Brāhmaṇa connaissent encore la séparation, mais dans une moindre mesure. En sanskrit classique, enfin, le préverbe fait corps avec le verbe.
3.1.2. Place du pronom atone Dans la transformation du syntagme ob uos sacro en uos obsecro, il y a permutation du préverbe et du pronom atone. Un déplacement analogue implique aussi le pronom atone dans l’histoire d’une construction française. En effet, le complément pronominal d’un infinitif lui-même complément d’un verbe change de place entre le moyen âge et l’époque contemporaine. Dans l’ancienne langue, cet élément figure devant le verbe régissant, tandis qu’il précède aujourd’hui l’infinitif. La confrontation d’énoncés similaires, mais non contemporains, l’illustre aisément. Par exemple, la phrase banale je la voudrai marier bien (Huon le Roi, Le Vair palefroi, p. 324 éd. Långfors ; texte du XIIIe s.) se retrouve, mutatis mutandis, sous la plume de Mme de Sévigné : Je lui mande de venir ici ; je voudrais le marier ... (Correspondance, t. 2, p. 127 éd. Duchêne ; lettre du 13 oct. 1675). En l’occurrence, l’usage de l’épistolière est le fait d’une minorité novatrice, à en juger par un témoignage de Vaugelas (antérieur d’une génération, il est vrai) : « Je ne le veux pas faire sera meilleur que je ne veux pas le faire, parce qu’il est incomparablement plus usité » 36. La tendance actuelle au rejet du pronom complément après le verbe régissant l’infinitif connaît deux restrictions : d’une part, l’ancienne construction se maintient, lorsque l’infinitif dépend du verbe faire ou de quelques autres (type je le fais condamner) ; d’autre 35. Sur la reconnaissance d’une variante uŏs (cf. v. lat. uŏster « votre ») de uōs, voir Bernard, ibid. 36. Remarques sur la langue française, 1647, p. 376-377.
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part, la position de l’objet pronominal devant le groupe verbe + infinitif se rencontre parfois dans la langue littéraire et dans le français régional (Midi, Lorraine, Wallonie, Normandie) jusqu’à nos jours.
3.2. Le régime du verbe La syntaxe n’a pas pour unique objet la place respective des constituants de la phrase : y ressortissent aussi les rapports des termes au plan du discours. L’analyse d’une construction grammaticale met en évidence des faits de dépendance. C’est pourquoi la description linguistique recourt à des expressions telles que rection et régime. Le verbe transitif régit ou gouverne, comme on dit, le complément d’objet direct ou indirect. Le rôle du verbe en tant que terme régissant n’intéresse pas que la synchronie, mais également la perspective historique, car, dans les langues flexionnelles, la même forme verbale n’appelle pas toujours le même cas, à des stades différents de l’évolution. Un changement de rection concerne, par exemple, lat. uītāre « éviter », construit avec le datif chez Plaute, avec l’accusatif dans la langue classique. La construction ancienne avec le datif s’explique par des considérations d’ordre étymologique. Bien que l’origine de ce verbe ne s’impose pas avec évidence, la reconnaissance d’un composé *vi-itāre, propr. « aller séparément », de *vi, marquant la séparation, et *itāre, intensif de īre, paraît fondée 37. En effet, de l’idée d’un mouvement déviant à la notion d’évitement le glissement de sens se conçoit parfaitement et se rencontre, d’ailleurs, en allemand, où la locution aus dem Wege gehen s’emploie au figuré dans l’acception d’« esquiver, éluder » (une question, par exemple) et se construit avec le datif. Chez Plaute, uitāre + datif est 37. Manu Leumann reprend à son compte cette étymologie de Prellwitz (« Lat. vītāre » : KZ 48, 1918, 153-154) : Leumann1977, § 412 B 1. Alfred Ernout et Antoine Meillet, en revanche, la rejettent péremptoirement : « L’explication par *ui-itāre (fréquentatif de eō) est purement imaginaire ; il n’y a pas de préfixe ui- en latin » (DELL, s.v. uītō). En réalité, dīuidō et uitium renferment probablement l’adverbe ui-.
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enchâssé dans une figure étymologique, Stichus 12 : Qui potest mulier uitare uitiis? « Comment une femme peut-elle éviter ses défauts? » (Ernout, CUF, 1938). À cette question du vieil Antiphon sa fille répond, ibid. 121-122 : Vt cottidie | pridie caueat ne faciat quod pigeat postridie « En se gardant chaque jour de faire la veille ce qu’elle regretterait le lendemain » (Ernout). Comme le contexte le montre, les uitia ne renvoient pas ici à des défauts physiques, mais bien à des écarts de conduite. Un tel emploi plaide en faveur d’une forme ancienne *wi-tyo-, dérivée de l’adverbe *wi, morphologiquement comparable à skr. nítya- « qui est propre à », bâti sur ní « vers le bas, au plus profond, au cœur de » 38. La construction de uitium avec uītāre est encore attestée à l’époque classique, mais dans un tour à valeur passive. Cicéron en fournit un exemple dans une réflexion sur la pratique des sciences, Off. 1,18 : Omnes enim trahimur et ducimur ad cognitionis et scientiae cupiditatem … In hoc genere et naturali et honesto duo uitia uitanda sunt ... « Nous sommes tous, en effet, entraînés et attirés vers l’amour de la connaissance et de la science ... Dans ce genre de choses, naturelles aussi bien qu’honorables, deux défauts doivent être évités ... » 39. La formulation de cette mise en garde à la voix active ferait de uitia l’objet direct d’une forme de uītāre. Ce verbe devient donc transitif direct, comme le confirme la presque totalité de ses emplois postplautiniens 40, mais le changement de son comportement syntaxique n’a guère d’incidence sur son contenu. De même, superāre « surpasser » se construit avec le datif ou l’accusatif sans différence de sens lexical et les deux cas se concurrencent dans un même état de langue. En effet, Plaute présente à la fois picis ... supero « je surpasse les griffons » (Aul. 701-702) et superauit .. Vlixem « il a surpassé Ulysse » (Pseud. 1244). Cependant, une double rection correspond souvent 38. Hoffmann 1968, p.32-33 et 37, n.4. 39. Le syntagme uitia uitanda se rencontre aussi dans la Rhétorique à Herennius (1,11). 40. Exceptionnellement, Apulée construit uītāre avec le datif dans un passage de l’Apologie (29).
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à une dualité sémantique. Ainsi, avec un régime à l’accusatif, auscultāre signifie « écouter », tandis qu’avec un complément au datif il veut dire « prêter l’oreille à, faire confiance à, obéir à ». Coexistent de même indulgēre + accusatif (choyer qqn ; accorder qqch. à qqn) et indulgēre + datif (être indulgent pour) ; consulere + accusatif (consulter qqn ; examiner qqch.) et consulere + datif (avoir soin de qqn ou de qqch.) ; prōuidēre + accusatif (prévoir) et prōuidēre + datif (pourvoir à) ; etc. Comme on le voit à travers ces exemples, la variation et/ou le changement syntaxiques n’influencent pas seulement le sens grammatical, mais aussi fréquemment le sens lexical des unités significatives.
Chapitre IV Le changement sémantique et l’histoire des mots
4.1. Polysémie et homonymie Les précédentes observations témoignent d’une interdépendance entre des faits des niveaux syntaxique et sémantique. Avec un régime à l’accusatif ou au datif, le verbe ne signifie généralement pas la même chose, mais la différence se réduit le plus souvent à une nuance de sens. En revanche, le passage d’une construction intransitive à une construction transitive entraîne, le cas échéant, un changement plus important : une acception nouvelle s’accrédite, puis le verbe, désormais polysémique, se scinde en deux homonymes. En témoigne l’histoire de fr. voler 41. Dans la langue actuelle, il y a deux termes distincts, à enregistrer séparément dans les dictionnaires. L’un est intransitif et entre dans le champ lexical des verbes de mouvement. L’autre s’emploie transitivement et relate le procès de « dérober ». En synchronie, ces deux unités lexicales n’ont en commun que leur signifiant : ce sont des homonymes. Leur statut au sein du vocabulaire apparaît assez différent. En effet, voler intransitif possède une riche dérivation : voleter, s’envoler, survoler, vol, volée, volière, etc., tandis que voler transitif ne produit que vol, commun aux deux verbes, voleur et 41. Cette histoire a été retracée par Émile Benveniste (1954, p. 290-291).
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volerie. Cette situation inégale suggère que voler « dérober » est relativement récent dans la langue et pourrait représenter le développement en lexème autonome d’un emploi particulier de voler intransitif. Cette hypothèse trouve appui dans la chronologie, d’une part, et dans un emploi limite d’autre part. En ce qui concerne l’âge des termes, le verbe de mouvement est attesté dès 880, c’est-à-dire depuis les origines de la langue française. Son homonyme transitif, en revanche, n’apparaît dans les textes qu’à partir de 1540. Auparavant, la notion de « prendre, s’approprier sans droit le bien d’autrui » s’exprimait à l’aide du verbe rober (cf. dérober), d’origine germanique. Quant à l’emploi limite, c’est une expression de la langue de la fauconnerie : Le faucon vole la perdrix, c’est-à-dire la saisit au vol. Tel est le contexte technique qui a permis l’apparition du néologisme voler « dérober ». La composante sémantique « déplacement dans l’air » disparaît au moment où l’emploi transitif s’étend de la langue spéciale au français général. Le verbe nouveau devient le terme courant désignant l’appropriation sans droit du bien d’autrui et rober sort peu à peu de l’usage. Ce fait historique est un exemple du caractère mouvant du lexique.
4.2. Sens connotatif Un cas un peu différent d’évolution lexicale se rencontre dans l’histoire des verbes occire et tuer. Ces synonymes n’ont pas le même statut : le premier, défectif et archaïque, ne s’emploie plus que par plaisanterie ; le second, pourvu d’une conjugaison complète et usuel, admet les contextes les plus variés. Sur l’axe diachronique, des changements intéressent le sens des termes entre le moyen âge et l’époque actuelle. Tandis qu’en ancien français tuer voulait généralement dire « frapper, étourdir, assommer », oc(c)ire signifiait « tuer, massacrer », comme terme non marqué. Le destin de ce dernier verbe révèle d’une part la stabilité de sa dénotation, mais
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d’autre part la labilité de sa connotation. Cette modification d’un signe sous le seul rapport de son sens connotatif constitue un type important de changement sémantique.
4.3. « Par extension » Un événement de grande portée, dans l’histoire d’un mot, consiste en une extension de sens. Les articles des dictionnaires s’en font l’écho, lorsqu’à la suite d’une définition de base la formule traditionnelle par extension introduit une acception seconde. Cet enrichissement sémantique procède, pour une part, d’emplois métonymiques. L’histoire de lat. persōna en fournit un exemple 42. Ce terme désigne d’abord le masque de théâtre et tire probablement son origine de l’étrusque, comme le suggèrent étr. φersu, légende d’un homme masqué sur une fresque de Tarquinia 43, et, plus généralement, l’influence de l’Étrurie sur le développement de l’art dramatique à Rome. Le procédé de la synecdoque permet ensuite l’application de la désignation au porteur du masque, c’est-à-dire au personnage de comédie ou de tragédie. De là se forme la notion de « personne », d’abord au sens d’« individu investi d’un rôle au sein de la société ». Ce rôle se traduit, le cas échéant, dans un génitif. Ainsi chez Cicéron, Off. 3,43 : At neque contra rem publicam neque contra ius iurandum ac fidem amici causa uir bonus faciet, ne si iudex quidem erit de ipso amico ; ponit enim personam amici cum induit iudicis « De plus, l’homme de bien n’agira pas, à cause d’un ami, à l’encontre de l’État, ni à l’encontre d’un serment et de la bonne foi, 42. Un excellent article de Claude Moussy retrace l’histoire de lat. persōna (Moussy 2001, p. 153-161). L’auteur note que Plaute emploie persōna dans le sens de « personnage de théâtre », mais son diminutif persolla dans le sens de « masque » (ibid., p. 153). En outre, persōna comme désignation du « masque » se rencontre chez Novius, Cicéron, Lucrèce, Horace et au-delà (ibid., p. 155-156). Les points principaux de cette étude sont repris dans l’article persona de la Chronique d’étymologie latine (cf. Blanc 2003, p. 330). 43. Le mot se lit deux fois sur une peinture de la tombe des Augures : Corpus Inscriptionum Etruscarum, nos 5328 et 5335.
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point même s’il doit être juge dans le cas, précisément, de son ami ; il quitte en effet le rôle d’ami quand il revêt celui de juge » (trad. Testard, CUF, 1970). Enfin, avec l’élargissement des contextes, persōna n’a plus rien d’une expression technique de la langue du théâtre et s’emploie déjà en partie comme personne en français. Cicéron parle, par exemple, de la « dignité de la personne » (personae grauitas, Tusc. 2,49) et Gaius du « droit des personnes » (ius personarum, Inst. 1,9) 44. Dans le champ notionnel de la « personne », une acception particulière de tête s’explique également par le mécanisme de la métonymie. Dès la fin du XIIIe siècle, en effet, la locution par teste s’emploie métonymiquement au sens de « par personne ». Mais l’histoire du mot tête illustre encore une autre voie du changement sémantique : la lexicalisation d’une métaphore. Cet événement se produit déjà en latin, où le transfert de testa dans un nouveau contexte en modifie le sens. Chez Caton, le terme désigne un morceau de terre cuite, un tesson ; Horace l’emploie pour une cruche ou une jarre ; Varron s’en sert pour la coquille de l’escargot et la carapace de la tortue. De là, en raison d’une analogie de forme, les médecins de la latinité tardive en font le nom de la boîte crânienne. Enfin, au moyen âge, l’expression se dit de la « tête » et concurrence chief (< lat. vulg. capum, class. caput). Il n’y a pas nécessairement rapprochement « par plaisanterie » entre un pot de terre et la partie du corps en question 45. L’innovation s’explique plutôt par l’application métaphorique d’un nom de la coquille à la notion anatomique de « crâne » 46.
44. Voir l’article persōna d’Ernout-Meillet, DELL, p. 500 (avec bibliogr.) et de WaldeHofmann 1982, p. 291-292 (avec bibliogr.). 45. Cette explication traditionnelle se retrouve encore dans le Dictionnaire historique de la langue française (dir. Alain Rey), Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, s.v. tête. 46. C’est ce qu’enseigne É. Benveniste, PLG I, p. 295-296 (texte de 1954).
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4.4. Spécialisation du sens À l’inverse d’une extension de sens, l’évolution des éléments lexicaux présente aussi des cas de restriction sémantique. Les dictionnaires les signalent à l’aide de l’expression spécialement. Ce type de changement peut être décrit comme le passage du général au particulier. En procure un exemple l’histoire du grec δόσις /dósis/. Dérivé de la racine δω-/δο-/dō-/do-/ « donner », ce nom d’action signifie proprement « fait de donner », puis « ce qui est donné, don », sens attesté chez Homère, aussi bien qu’aux époques classique et postclassique. Une spécialisation apparaît, cependant, dans la langue médicale à partir de Dioscoride (Ier siècle après J.-C.) : le terme s’y applique à la « dose », c’est-à-dire à « ce qui est donné au point de vue quantitatif », en parlant d’un médicament (comparer la notion de posologie). Dans cette acception, le mot passe par emprunt en latin médiéval : la première attestation de dosis remonte à 1252. De là provient le français dose, à la faveur d’un nouvel emprunt autour de 1370. Par ailleurs, dosis fait l’objet d’un calque (emprunt sémantique) en vieux-haut-allemand, où gift f. ne signifie pas seulement « don », en tant que nom d’action de geban « donner », mais possède aussi le sens de « (dose de) poison ». Au XVIe siècle se produit une différenciation lexicale au moyen du genre : du féminin gift « don » (cf. all. mod. Mitgift f. « dot ») se distingue désormais le neutre gift « poison » 47. Quant au nom français du poison, son histoire illustre de même le passage d’un sens large à un sens plus étroit. L’origine du mot est le latin potio f. « fait de boire, boisson » sous la forme de l’accusatif (potionem). En ancien français, poison, de genre féminin, se dit d’un « breuvage », notamment de la « potion » salutaire au malade ou du « philtre d’amour ». La notion de « breuvage toxique », d’abord propre au 47. Le changement sémantique remarquable de gift servait déjà d’exemple à Louis Duvau, disciple et successeur de F. de Saussure à l’E.P.H.E., dans un article de 1901. Voir Rousseau 2000, p. 15 et 23-24 (contribution importante, où l’auteur montre l’importance de l’évolution des modèles syntaxiques comme facteur de l’évolution sémantique).
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syntagme poison mortel, devient dominante et évince finalement les autres acceptions. Comme dans le cas de l’allemand gift, cette évolution s’accompagne d’un changement de genre : au XVIe siècle, poison se range aux côtés des masculins, sans doute sous l’influence de venin. On le voit, les termes allemand et français ont des destins parallèles. C’est que, dans l’un et l’autre cas, le même facteur social joue un rôle déterminant : le choix de ces éléments lexicaux pour un usage précis par les médecins et les apothicaires. D’autre part, comme les unités linguistiques se définissent les unes par rapport aux autres, la spécialisation sémantique de gift et de poison dépend aussi de la concurrence de vha. gëba « don » et d’a.fr. boisson, respectivement. Entre les termes d’un ensemble s’observe une tendance à la répartition des sens. En particulier, si un néologisme fait double emploi avec une expression préexistante, le mot nouveau tend à devenir le terme générique, tandis que le plus ancien se limite à une acception particulière. Le fait se vérifie, par exemple, dans l’histoire du nom anglais du « chien ». Comme son correspondant allemand, le terme hund m. désignait d’abord la race canine en général, mais, à la fin de la période du vieil anglais, le néologisme docga m. (> angl. mod. dog), d’origine inconnue, le supplante et en détermine la spécialisation dans le sens de « chien de chasse, chien courant » (angl. mod. hound). À une situation de synonymie la langue a réagi par une différenciation sémantique. Par rapport au vieil anglais l’anglais moderne gagne un terme.
4.5. Euphémisme Mais la mouvance lexicale ne produit pas nécessairement un enrichissement du vocabulaire. Le cas échéant, une expression nouvelle se substitue simplement à un mot désormais obsolète. Diverses causes en sont responsables. En raison d’un tabou, par exemple, l’usager recourt à un
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euphémisme et la dénomination ancienne disparaît. Les manuels citent souvent le cas du nom de l’ours en russe, où le correspondant de skr. ŕ̥kṣaḥ, gr. ἄρκτος /árktos/ et lat. ursus n’existe plus, mais est remplacé par medvéd’, propr. « qui mange du miel ». L’interdit de vocabulaire s’est sans doute appliqué d’abord dans la langue des chasseurs, puis s’est étendu à l’ensemble de la communauté linguistique 48. Des substituts du vieux nom de l’ours se rencontrent sur une aire étendue. Or, dans les mêmes contrées s’emploient des expressions euphémiques pour le « loup ». En lette, note W. Havers, l’animal est appelé meža suns, propr. « chien sauvage » 49. Dans la première moitié du XXe siècle, certaines populations de l’Ukraine évoquaient le prédateur de manière sibylline sous le nom de malei « le petit », par opposition à velikij « le grand », c’est-àdire l’ours 50. Ces désignations antonymiques constituent une structure binaire : les termes se définissent l’un par rapport à l’autre.
4.6. Les « champs sémantiques » Plus généralement, les éléments lexicaux se trouvent dans une situation d’interdépendance au sein d’ensembles structurés, les « champs sémantiques ». La théorie des champs sémantiques s’élabore avec Jost Trier et son approche structurale du vocabulaire allemand de l’entendement 51. L’auteur compare les constellations wîsheit – kunst – list (vers 1200) et wîsheit – kunst – wizzen (vers 1300). D’un état de langue à l’autre, le changement ne concerne pas seulement la sortie de list du champ lexical de la connaissance 48. Voir Meillet 1921 (texte de 1906), p. 285 : « l’un des tabous de vocabulaire les plus fréquents porte, durant la saison de chasse, sur le nom de la bête qu’on chasse ». Explication différente chez Emeneau 1948, p. 56-63 (tabou religieux). Rejet des conceptions de l’un et de l’autre par Smal-Stocki 1950, p. 489-493 (en raison de sa croyance au pouvoir magique des mots, l’usager craint de prononcer le nom de l’animal : « Quand on parle du loup ... »). 49. Havers 1946, p. 39. 50. Ibid., p. 38-39. 51. Trier 1931.
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au profit de wizzen, mais détermine une réorganisation générale, c’est-àdire une nouvelle délimitation des éléments constitutifs de l’ensemble 52. Par rapport à une étude atomistique, la méthode trierienne élargit la perspective et marque un progrès au plan explicatif. Néanmoins, ce renouvellement de l’histoire des mots ne résout pas tous les problèmes, car les frontières d’un « champ » sont souvent difficiles à définir et, entre les champs, s’observent des cas de chevauchement. Parmi les domaines lexicaux les mieux caractérisés comptent les termes de parenté et les noms de couleurs. Si un élément quelconque de ces sous-ensembles subit un changement, les autres en ont la répercussion. De même qu’au niveau phonique l’altération d’une voyelle ou d’une consonne provoque, le cas échéant, un décalage des phonèmes voisins, de même au plan lexical l’emploi d’un terme dans un sens nouveau entraîne une redéfinition de ses corrélats au sein du champ. C’est le phénomène du « déplacement sémantique » (semantic shift). Des exemples s’en rencontrent dans l’histoire du vocabulaire latin. L’évolution du terme fructus, par exemple, donne le branle à la spécialisation de mālum et de pōmum. Dérivé de fruī, fruor « jouir de », fructus m. signifie d’abord « jouissance d’un bien, usufruit » (dès Plaute, Merc. 832 et Cas. 837). De là, le mot se rapporte au revenu, au produit (agricole, notamment). Le sens précis de production d’un arbre apparaît chez Caton, Agr. 93 : Olea si fructum non feret, ablaqueato « si un olivier devait ne pas être productif, déchausse-le ». Dans ce passage, fructus s’emploie au singulier collectif. Au pluriel, le terme désigne les fruits de l’arbre (cf. Lucrèce 1,165) et concurrence māla (sg. mālum) et pōma (sg. pōmum). À cette synonymie partielle la langue réagit, dans un premier temps, par une redéfinition de mālum. En effet, cet emprunt au grec µᾶλον /mâlon/ (att. µῆλον /mêlon) perd son sens générique de « fruit » et devient le nom de la « pomme ». La 52. Les contenus respectifs des termes et leur évolution font l’objet d’un résumé chez Guiraud 1959, p. 70-73. Voir aussi Ullmann 1965, p. 303-304.
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spécialisation sémantique ressort clairement du contexte dans les Géorgiques de Virgile (2,33), où le terme s’oppose à pirus « poirier » et, implicitement, à pirum « poire ». Dans un second temps, la pression de fructus s’exerce sur pōma « fruits des arbres d’un verger ». En résulte une restriction de sens dans une partie de la Romania au début du Ve siècle après J.-C. Désormais, pōmum prend la valeur de mālum et s’y substitue en galloroman. La réinterprétation du neutre pluriel pōma comme féminin singulier explique le genre grammatical de fr. pomme 53.
4.7. Du sens d’un lexème à la valeur d’un suffixe Comme on le voit, les changements sémantiques ne se limitent pas, en principe, à des unités lexicales isolées, mais touchent un groupe de termes solidaires. Le fait se vérifie encore lorsqu’une classe de formes change de statut. Ainsi, les composés en -lēas du vieil anglais donnent les dérivés en -les du moyen anglais et, par là, le sens d’un élément lexical plein fait place au signifié d’un suffixe. Les textes illustrent trois stades dans l’histoire de ce morphème. Dans une première variété de langue se rencontre une forme libre, lēas, signifiant « dépourvu de, privé de » et régissant un déterminant au génitif. La traduction en vers de la Genèse (IXe siècle) en fournit un exemple : les anges déchus, écrit l’auteur, parvinrent dans un autre monde (l’enfer) þæt wæs lēohtes lēas and wæs līges full « qui était privé de lumière et était plein de feu » (vers 333). Au syntagme lēohtes lēas répond le composé lēohtlēas dans une homélie d’Aelfric (fin du Xe siècle). Ce texte commémore la vie de Saint Martin et ses miracles. Ainsi, un païen, mort avant sa conversion, est ressuscité et immédiatement baptisé. Le miraculé raconte alors son voyage en enfer, disant þæt hē wǣre gelæd tō lēohtlēasre
53. Voir l’article mālus, -ī f. dans Ernout-Meillet, DELL, p. 381 (avec bibliogr.).
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Chapitre IV : changement sémantique
stōwe « qu’il avait été conduit dans un endroit privé de lumière » 54. Une description de l’enfer, une fois encore, suscite l’emploi du descendant de lēohtlēas, le dérivé lightles, dans un poème anonyme du
XIVe
siècle (The
pricke of conscience). Les vers 6809-6810 évoquent l’obscurité du séjour infernal : In helle es never day bot ever nyght ; | þar brynnes ay fire, bot it gyf[es] na light « Dans l’enfer il ne fait jamais jour, mais toujours nuit ; le feu y brûle toujours, mais il ne donne pas de lumière ». Plus loin, le vers 6819 rend la même idée sous une forme synthétique : þat helle es ay lightles « l’enfer est toujours sans lumière » 55. Le caractère suffixal de l’élément -les a pour garant son inexistence comme lexème libre. En définitive, les conditions d’emploi des morphèmes (leur distribution) influencent leur contenu sémantique : au sens lexical de v. angl. lēas succède la valeur privative de moy. angl. -les.
54. B. Thorpe, The homilies of Aelfric, Londres 1844, vol. II, p. 504, l. 29. 55. The pricke of conscience : a Northumbrian poem, ed. By R. Morris, Berlin 1863, p. 184.
Deuxième partie La comparaison génétique
Chapitre V La méthode comparative
5.1. Les types de langues Vu le rôle de la typologie pour l’évaluation des reconstructions, un bref préambule est consacré à la comparaison typologique. Confronter les systèmes de langues quelconques permet d’en reconnaître les identités et les différences. Or, sur la base de traits communs ou de propriétés communes, le comparatiste définit des types. Leurs caractéristiques relèvent de plusieurs niveaux de l’analyse linguistique. Au plan phonique, le nombre et la disposition des voyelles selon le point d’articulation, par exemple, fournissent un critère de classification : il y a, ainsi, des systèmes vocaliques triangulaires à trois ou cinq unités et des systèmes rectangulaires à quatre ou huit unités, etc. Au plan morphosyntaxique, l’expression des catégories et/ou des fonctions grammaticales ressortit tantôt à un jeu de désinences polyvalentes – dans les langues dites flexionnelles – , tantôt à un assortiment d’affixes monovalents – dans les langues dites agglutinantes –, tantôt à la mise en œuvre de lexèmes invariables – dans les langues dites isolantes. Au plan syntaxique, l’ordre des termes dans l’énoncé sert souvent de critère en typologie. Les auteurs parlent ainsi
Chapitre V : méthode comparative
51
de « langues SOV », caractérisées par la séquence sujet – objet – verbe, de « langues SVO », etc. 56 (voir chap. III). À ces groupements traditionnels s’en ajoutent de nouveaux, au fur et à mesure des progrès de la recherche.
5.2. Les correspondances lexicales Les groupements de la classification typologique diffèrent de ce qu’on appelle « familles de langues » 57. Sous ce nom, le comparatiste désigne, par un emprunt terminologique aux sciences naturelles, un groupe de langues parentes en raison de leur origine commune. L’établissement de la parenté linguistique entre les descendants d’un seul et même ancêtre est la tâche de la classification généalogique. Ce travail consiste en rapprochements systématiques d’unités grammaticales et lexicales dans le respect de la méthode comparative historique. Ne sont comparables, d’un point de vue génétique, que les unités de même contenu ou, du moins, de contenus réductibles à une signification commune. À cette condition de synonymie s’ajoute le trait complémentaire des « correspondances » au niveau des signifiants. Des formes se correspondent, lorsque leurs constituants phoniques se trouvent dans un rapport régulier. Et il y a régularité si des termes synonymes de langues différentes présentent des identités et des dissemblances formelles récurrentes à travers une série d’équations parallèles. C’est le cas, par exemple, d’éléments lexicaux de l’anglais et de l’allemand, comme angl. daughter vs all. Tochter « fille ». En ce qui concerne la consonne initiale, le rapport d- : t- se retrouve, par exemple, dans angl. drive : all. treiben « pousser, conduire », angl. dew : all. Tau « rosée » ou angl. deep : all. tief « profond ». À l’anglais d- l’allemand ne répond donc 56. Cf. Greenberg 1963, p.73-113. 57. Les langues de la famille indo-européenne sont très bien caractérisées dans un ouvrage collectif dirigé par Françoise Bader (1994, 330 p. ; mais le latin et le grec n’y figurent pas). Elles le sont aussi chez Fortson 2010, p. 170-469. Pour une présentation plus succincte (sans description grammaticale), voir, par exemple, Beekes 1995, p. 17-30 et Baldi 1999, p. 23-39.
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Chapitre V : méthode comparative
pas, en principe, par d-. Là où le cas se présente, l’un des termes est un mot d’emprunt. Sinon, à l’allemand d- fait écho l’anglais th (fricative interdentale sourde, le plus souvent, mais sonore dans des déterminants, pronoms et adverbes). En témoignent, par exemple, les paires angl. thing : all. Ding « chose », angl. three : all. drei « trois », angl. thick : all. dick « épais », angl. thorn : all. Dorn « épine » ou angl. thou : all. du « tu ». Une troisième série de correspondances met en jeu angl. t- et all. z- (affriquée sifflante sourde). En sont des exemples : angl. ten vs all. zehn « dix », angl. token vs all. Zeichen « marque, signe », angl. tongue vs all. Zunge « langue », angl. tin vs all. Zinn « étain ». Les formes de ces trois séries impliquent quatre dentales : t, d, θ et ts. Les deux premières sont communes à l’anglais et à l’allemand, tandis que les deux dernières n’apparaissent que dans une seule langue. Le fait que les systèmes phonologiques de l’anglais et de l’allemand diffèrent n’infirme nullement l’hypothèse d’une parenté. L’élément probant est la répétition du même rapport entre les signifiants de nombreux termes synonymes. Les ressemblances entre les formes comparées pourraient théoriquement s’expliquer par des emprunts lexicaux, mais le contexte historique et la nature des faits ne soutiennent pas cette vue des choses. En effet, plusieurs correspondances portent sur des mots du vocabulaire fondamental : nom de parenté (daughter), numéraux (three, ten), nom de partie du corps (tongue). A priori, des similitudes fortuites ne seraient pas impossibles, mais la multiplication des exemples exclut, en fait, le hasard. Dans ces conditions, les concordances observées ci-dessus ne trouvent leur justification que dans la reconnaissance d’une origine commune de l’anglais et de l’allemand. Cette source, le germanique commun, se diversifie et évolue différemment suivant les régions, mais chaque branche se caractérise par des changements phonétiques réguliers (voir chap. I). C’est pourquoi les correspondances de langue à langue sont aussi régulières.
Chapitre V : méthode comparative
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5.3. Les correspondances grammaticales Indice de la parenté, cette régularité ne s’observe pas seulement dans les rapprochements d’unités lexicales, mais également dans les données morphologiques de la comparaison. Ainsi, un trait caractéristique de la grammaire des langues indo-européennes, le jeu des alternances vocaliques, se répète à travers des séries d’exemples concordants. Le système des verbes forts de l’anglais et de l’allemand en procure une illustration. Soit les équivalences angl. drink : all. trinken « boire », angl. sing : all. singen « chanter » et angl. sink : all. sinken « sombrer ». Les formes du prétérit – resp. drank : trank, sang : sang, sank : sank – et du participe passé – resp. drunk : getrunken, sung : gesungen, sunk : gesunken – s’opposent aux radicaux du présent, dans les trois verbes et dans les deux langues, par le degré apophonique. Au-delà des correspondances lexicales, le parallélisme des conjugaisons donne beaucoup de poids à l’hypothèse d’une parenté génétique.
5.4. Rapprochement de formules De même que la concordance de paradigmes, l’accord de syntagmes entre des langues différentes joue un rôle important dans la démonstration de leur origine commune. Un exemple de combinaison syntagmatique relevé dans deux branches de l’indo-européen associe les hommes et le bétail comme richesse mobilière 58. Les occurrences s’en rencontrent en italique (ombrien) et en indo-iranien (avestique). Dans le rituel d’Iguvium 59, d’une part, le prêtre demande à Jupiter le salut de la ville et de la citadelle, puis inclut dans sa prière les personnes et les biens : nerf arsmo ueiro pequo castruo fri salua seritu « sauvegarde les hommes (libres), les prêtres (?), le 58. Sur cette association, voir notamment Schmitt 1967, p. 213-216 (§ 437-444), Watkins 1995, p. 210-213, Oettinger 2006, p. 332-336 (§ 2-7). 59. De l’antique Iguvium (auj. Gubbio), en Ombrie, provient la pièce maîtresse du corpus ombrien, l’inscription des fameuses Tables Eugubines (IIIe ou IIe siècle avant J.-C. pour la partie ancienne, tournant du IIe au Ier siècle pour la partie récente).
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Chapitre V : méthode comparative
personnel, le bétail, les biens-fonds (?), les fruits de la terre » (Tables Eugubines VIa 32-33 ; etc.). Le corpus avestique, d’autre part, atteste le pendant de ueiro pequo dans les termes pasu vīra « le bétail et les esclaves » (Yašt 10,112 ; etc.). La pertinence du rapprochement repose non seulement sur la double correspondance ueiro : vīra et pequo : pasu, mais aussi sur le parallélisme des constructions asyndétiques. Cette syntaxe se retrouve, d’ailleurs, dans une variante de la formule, sémantiquement équivalente. Les termes de ce syntagme binaire revêtent la forme de composés possessifs signifiant respectivement « qui a deux pieds » et « qui a quatre pieds » 60. C’est encore de l’italique et de l’indo-iranien qu’en provient le témoignage. À Iguvium, l’officiant demande les faveurs du dieu Fisovius Sancius « pour les bipèdes et les quadrupèdes » (dupursus peturpursus, Tables Eugubines VIb 10-11). Pour leur part, les poètes indiens du Veda sollicitent à plusieurs reprises la bienveillance d’une divinité « à l’égard du bipède et du quadrupède » (dvipáde cátuṣpade, RV 1,114,1 ; etc.). Comme dans le cas de ueiro pequo et pasu vīra, les éléments lexicaux, leur agencement sans conjonction de coordination et leurs conditions d’emploi (contexte religieux) coïncident de langue à langue. Une large concordance de ce type plaide de manière significative pour une parenté génétique entre l’italique et l’indo-iranien.
5.5. Comparaison et « loi de Grassmann » Dans la pratique de la comparaison s’observent parfois des correspondances apparemment irrégulières. Le cas se présente avec des termes comme gr. παχύς /pakhús/ « gros, épais, opulent, riche » et skr. bahúḥ « nombreux, abondant ». Ces adjectifs s’accordent à peu près au niveau des signifiés et se ressemblent beaucoup au niveau des signifiants. Cependant, 60. Schmitt 1967, p. 210-213 (§ 431-436).
Chapitre V : méthode comparative
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les consonnes initiales, à la différence des phonèmes suivants, ne se trouvent pas dans un rapport régulier. En effet, à gr. p- répond normalement skr. p- (ex. : gr. πατήρ /patḗr/ : skr. pitā́ « père », gr. περί /perí/ : skr. pári « autour de », gr. πούς /poús/ : skr. pā́ t « pied »). Dans ces conditions, le rapprochement de παχύς /pakhús/ et bahúḥ demande une explication particulière. Comme souvent, la solution du problème passe par l’examen d’exemples parallèles. Avec παχύς /pakhús/ : bahúḥ se rangent ainsi gr. πῆχυς /pêkhus/ « coude ; avant-bras » : skr. bāhúḥ « bras, avant-bras », gr. πεύθεται /peúthetai/ « il est informé, il apprend » : skr. bodhate « il est éveillé, il remarque » ou encore, avec des suffixes différents mais apparentés, gr. πενθερός /pentherós/ « père de la femme, beau-père » : skr. bándhuḥ « parent, allié ». Un fait remarquable caractérise l’ensemble des formes : la présence d’une consonne aspirée à l’intérieur. Or, la configuration consonne simple initiale + consonne aspirée intérieure a un corollaire : en dehors de cas particuliers (formes analogiques), une séquence de deux aspirées dans des syllabes consécutives ne se rencontre ni en grec, ni en sanskrit. Cette limitation distributionnelle se manifeste le plus nettement lorsqu’elle entrave l’application d’une règle grammaticale. Soit le procédé de formation du présent à redoublement par la préfixation de la consonne initiale de la racine, s’appuyant sur une voyelle de timbre i. De la racine δω- /dō-/ « donner », par exemple, le grec construit le présent δίδωµι /dídōmi/ « je donne ». Comme ce type morphologique intéresse aussi la flexion de θη- /thē-/ « poser, placer », la mise en œuvre de la règle produit une forme théorique *θίθηµι /thíthēmi/. Mais à ce présent régulier se substitue τίθηµι /títhēmi/ : contre une structure phonique gênante la langue réagit par une dissimilation d’aspirations. Ce n’est pas un fait isolé, car, généralement, lorsque dans un mot se présentaient deux aspirées non contiguës, la seconde subsistait, tandis que la première était l’objet d’une dissimilation. C’est ce
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Chapitre V : méthode comparative
qu’on appelle la « loi de Grassmann » 61. Les effets s’en constatent indépendamment en sanskrit dans des conditions symétriques. Par exemple, au lieu de la forme attendue *bhibharti « il porte » (racine bhr̥ -), conforme au modèle de piparti « il remplit » (racine pr̥ -), les textes ne connaissent que bibharti. La restitution d’une aspirée initiale sur la base des règles morphologiques s’effectue sans recours à la comparaison : c’est une « reconstruction interne ». L’histoire de bibharti et de τίθηµι /títhēmi/ ouvre la voie à la reconnaissance de formes sous-jacentes *bhahús et *φαχύς /phakhús/ pour l’adjectif signifiant « gros, épais, riche, abondant ». Et cette réécriture des termes dans leurs systèmes respectifs résout le problème de leur rapport formel. En effet, à ce prix, la correspondance devient parfaitement régulière, car l’équivalence gr. φ- /ph/ : skr. bh- se retrouve à travers une série d’exemples, tels que gr. φερ- /pher-/ « porter » : skr. bhar- « id. », gr. φαγ- /phag-/ « manger » : skr. bhaj- « avoir part à », gr. φῡ- /phū-/ « devenir » : skr. bhū- « id. ». Un trait phonique aberrant dans une comparaison d’unités lexicales s’explique donc par un changement conditionné, en l’occurrence une dissimilation.
5.6. Correspondance apparemment irrégulière Le procès inverse de l’assimilation produit de même des irrégularités dans les correspondances. Lat. coquus « cuisinier », par exemple, s’accorde à peu près avec gr. myc. -poqo dans a-to-po-qo /artopokwos/ « qui cuit le pain, boulanger ». La concordance n’est en défaut que sur un point : la consonne initiale. En effet, lat. c- marche d’ordinaire avec myc. et gr. k- (type lat. carpō « cueillir » vs myc. ka-po /karpoi/ = gr. alph. καρποί /karpoí/ « fruits ») et, inversement, myc. et gr. p- répond à lat. p- (type myc. pode /podei/, gr. alph. ποδί /podí/« pied » (dat. sg.) vs lat. pedī « id. »). Le 61. Sur la loi de Grassmann, voir ci-dessus chap. I. Discussion sur les modalités de ce changement phonétique chez Mayrhofer 1986, p. 112-115 (§ 4.10.2.1).
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désaccord entre lat. c- et gr. p- concerne aussi le verbe « cuire », resp. coquō et πέσσω /péssō/. Comme les formes des représentants v. sl. pekǫ et skr. pácāmi commencent par p-, la différence articulatoire en question provient d’une innovation latine. Or, une vélaire sourde simple devant o résulte, dans une partie des cas, d’une labiovélaire plus ancienne (cf. cot(t)īdiē à côté de quot) et, d’ailleurs, une inscription archaïque procure le vocable auliquoquibus « cuits dans une marmite » (CIL I2 2847). Le nom d’agent coquus repose donc sur *quoquos et la divergence par rapport au terme apparenté du mycénien est imputable à une assimilation à distance (p . kw > kw . kw), comme dans le cas de quīnque en face de gr. πέντε /pénte/ et de skr. páñca.
5.7. Correspondance anomale Dans des circonstances moins favorables, une correspondance anomale ne reçoit pas d’explication rationnelle, parce que le conditionnement d’un changement phonétique particulier n’est plus reconnaissable. C’est ainsi que le rapprochement de lat. aqua « eau » et de skr. ā̆p- « id. », séduisant au point de vue sémantique, n’a pas une légitimité complète au plan formel. En effet, le rapport entre la labiovélaire du terme latin et la labiale de son correspondant indien fait difficulté. Les données régulières illustrent les formules lat. -qu- : skr. -c/k- (type lat. coquit « il cuit » : skr. pacati « id. », pāka- « cuisson ») et skr. -p- : lat. -p- (type skr. svāpayati « il endort » vs lat. sōpit « id. »). Dans ces conditions, le dictionnaire étymologique d’Ernout et Meillet sépare les deux mots 62. Pourtant, leur synonymie et leur ressemblance formelle – kw et p partagent le trait labial – plaident pour une origine commune. En ce qui concerne la répartition dialectale des faits, l’aire de la forme à labiovélaire se limite à deux branches, l’italique et le 62. DELL, s.v. aqua.
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germanique. À lat. aqua correspond exactement got. ahwa f. « fleuve ». Plus répandue, la forme à labiale se rencontre, notamment, en indo-iranien, en baltique, en italique et peut-être en tokharien. Une concurrence entre aqu- et ap- s’observe en latin, car amnis m. « cours d’eau, fleuve » repose sur *ap-nis. En revanche, les deux radicaux ne se distinguent plus en osque, en raison de la confusion de *kw et *p au profit de p. Le témoignage du féminin aapam, aapas « eau de source » (?), « conduite d’eau » (?) est donc ambigu. La quantité longue de l’initiale rappelle une forme comme skr. ā́ paḥ (nom. pl.), mais la formation en -ā- et la proximité dialectale suggère une parenté étroite avec lat. ăqua. Dans ce cas, la longueur de la voyelle radicale de aap- (= āp-), en face de la forme brève du latin, garderait le souvenir d’une ancienne alternance. Quoi qu’il en soit, même si le détail de l’évolution échappe à l’analyse, les données du dossier ne semblent pas irréductibles à l’unité 63.
5.8. Le sens étymologique des termes de la comparaison La comparaison achoppe parfois à un écart de sens entre des faits formellement concordants. En donnent un exemple gr. πέτρος /pétros/ et skr. pátram. À la différence près du genre grammatical, les termes se correspondent tout à fait, mais le substantif grec désigne la pierre, tandis que sa réplique indienne est un nom de l’aile. En raison de ce désaccord sémantique, les dictionnaires étymologiques ne retiennent pas le rapprochement 64. De même, l’idée d’une parenté entre πέτρος /pétros/ et πέτοµαι /pétomai/ 63. Comme solution au problème de l’irrégularité phonétique, M. Mayrhofer envisage la possibilité d’une variation dialectale : « Idg. *h2ep- Dialektvariante neben *h2eku̯ - (lat. aqua usw.) ? (EWAia I, p. 81). Selon Watkins 1972, p. 39-40, « il ne fait pas de doute que ces mots [c.-à-d. lat. aqua, véd. ā́ paḥ « les eaux (souvent divinisées) » et av. āpō] ne font qu’un. La variation de la forme de la racine ... est sans doute attribuable à l’action d’un tabou opérant sur le nom divin ». Par ailleurs, le linguiste américain sépare amnis de *ā̆p- et le rattache à une racine *ə̯2obh- (ibid., p. 41). 64. Voir Chantraine, DELG, et Frisk, GEW, s.v. πέτρα.
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« voler » ne se rencontre pas dans les ouvrages de référence. Mais, au
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siècle, Johannes Schmidt en faisait la proposition dans une œuvre de jeunesse et, un siècle plus tard, J. Peter Maher en établit le bien-fondé 65. Si, à première vue, les sens du substantif et du verbe ne semblent pas compatibles, l’examen de leurs emplois homériques en révèle la filiation. C’est que πέτρος /pétros/ ne se dit pas de la pierre en général, comme λίθος /líthos/, mais se rapporte notamment à la pierre comme projectile en main du guerrier. Ces conditions d’apparition se rencontrent, par exemple, dans le récit du combat de Patrocle contre Hector, Il. 16,734-737 : (le héros grec sauta de son char à terre, tenant sa lance de la main gauche) ἑτέρηφι δὲ λάζετο πέτρον ... ἧκε δ’ ἐρεισάµενος ... βάλε δ’ Ἕκτορος ἡνιοχῆα « de l’autre il saisit une pierre ..., la lança en s’arc-boutant, atteignit le cocher d’Hector ». Comme complément d’un verbe « lancer », πέτρος /pétros/ se situe dans le champ sémantique des armes de jet. C’est le nom d’un objet volant et J. P. Maher le définit justement comme un ancien adjectif en -rodérivé de πέτοµαι /pétomai/. Un syntagme *λᾶας πετρός /lâas petrós/ « pierre volante » donnerait le simple πέτρος /pétros/ par ellipse du nom et substantivation de l’épithète. Ce changement de statut entraîne régulièrement le recul de l’accent. La désignation de la pierre lancée au moyen d’un dérivé de πέτοµαι /pétomai/ a pour corollaire l’emploi de ce verbe avec ὀλοοίτροχος /olooítrokhos/ pour sujet dans une comparaison de l’Iliade. Au chant XIII, Homère met en parallèle l’élan d’Hector et la course d’une pierre ronde détachée d’un roc par une rivière en crue : (ὀλοοίτροχος) ὕψι τ’ ἀναθρῴσκων πέτεται, κτυπέει δέ θ’ ὑπ’ αὐτοῦ | ὕλη « (la pierre) bondissant en hauteur s’envole ; sous son impact la forêt retentit » (140-141). Comme on le voit, les témoignages homériques rendent tout à fait légitime 65. La suggestion de Johannes Schmidt se trouve dans Die Wurzel AK im Indogermanischen, Weimar 1865, p. 63. J. P. Maher reprend la question sur nouveaux frais dans un article bien documenté : Maher 1973, p. 403-417.
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le rapprochement de πέτρος /pétros/ et d’un nom de l’aile comme skr. pátram. Au dossier appartient aussi le nom germanique de la plume, de genre féminin : vha. fedara (> all. Feder), v. angl. feðer (> angl. feather), v. isl. fjǫðr, etc. J. P. Maher souligne l’intérêt de v. isl. fjǫðr , car ce terme ne signifie pas seulement « plume », mais se dit aussi du « fer de lance », c’est-à-dire de la pointe d’une arme de jet. L’extension de sens du mot scandinave éclaire indirectement l’histoire de gr. πέτρος /pétros/. Mais en grec, la désignation de la plume ou de l’aile ressortit à un nom de structure morphologique différente, au neutre πτερόν /pterón/. Cette forme voisine de πέτρος /pétros/ s’emploie aussi en composition, par exemple dans ὠκύπτερος /ōkúpteros/ « aux ailes rapides », épithète du faucon (ἴρηξ /írēks/) au chant XIII de l’Iliade (62). Or, cet adjectif a comme un écho dans le nom latin d’un oiseau de proie : accipiter, -tris m. ou f. En effet, malgré le redoublement du c (expressif?), le terme s’explique sans doute à partir de *acupetri- « aux ailes rapides ». À la différence près de la voyelle prédésinentielle, le second membre du composé répond à gr. πέτρος /pétros/ et, de même que πέτρος /pétros/ se rattache au verbe πέτοµαι /pétomai/, -petri- se relie à petō « s’efforcer d’atteindre, chercher à obtenir, demander ». La pertinence du rapprochement de (acci)piter et de petō ressort clairement d’un emploi limite, où les termes coexistent au plan syntagmatique. Cette cooccurrence se découvre dans un exposé de Varron sur l’aviculture. L’auteur y traite de la capture du faucon à l’aide d’un appât : entre deux baguettes enduites de glu et fichées en terre, on place un animal : ... obligatum animal, quod petere soleant accipitres, qui ita decipiuntur, cum se obleuerunt uisco « ... animal ligoté, que les faucons cherchent à prendre selon leur habitude ; c’est ainsi qu’ils se font attraper, une fois qu’ils se sont englués » (Rust. 3,7,7). Dans ce contexte, petere garde le souvenir de son sens étymologique
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et rend exactement l’idée de « voler pour prendre, atteindre en volant ». Il n’y a donc pas d’obstacle sémantique au rapprochement de petere et de πέτοµαι /pétomai/. On le voit, la comparaison n’emprunte pas seulement ses données aux lexiques et aux dictionnaires, mais s’appuie sur l’étude philologique des textes. C’est là un point de méthode trop souvent négligé.
Chapitre VI La reconstruction
6.1. Que signifie « reconstruction » ? Lorsque sur la base de correspondances systématiques deux ou plusieurs langues se révèlent génétiquement apparentées, la question se pose de la forme de leur ancêtre commun ou, plus abstraitement, de leur dénominateur commun. À moins de circonstances particulièrement favorables, comme dans le cas des langues romanes, cette langue sous-jacente n’existe plus dans des textes, mais des éléments de son lexique et des traits de son système grammatical se retrouvent par le moyen d’une reconstruction. À l’égard des reconstructions s’observent des conceptions opposées. Les tenants de la position « réaliste » attribuent aux prototypes le statut d’unités authentiques d’une langue préhistorique, tandis que les représentants de la position « algébriste » considèrent leurs opérations comme un procédé heuristique et leurs résultats comme des formules abstraites. Dans cette seconde perspective, la reconstruction n’est pas un but en soi, mais vise à éclairer la genèse des langues historiques. À l’examen, l’une et l’autre attitude paraissent excessives, car, d’une part, une restitution demeure toujours hypothétique en raison des limites de la méthode comparative, mais se
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fonde, d’autre part, sur des faits réels et tient en outre sa pertinence de sa conformité avec les universaux du langage 66.
6.2. Un exemple de reconstruction Dans la pratique de la reconstruction intervient souvent le critère de simplicité. Soit la correspondance de l’adjectif signifiant « nouveau, neuf » dans quatre branches de la famille indo-européenne : lat. nouus (var. nouos), gr. νέος (myc. ne-wo, chypr. νεϝο-), lit. navas, skr. návaḥ. Pour la consonne initiale, la série n : n : n : n s’explique de la manière la plus simple à partir d’un n ancien. En effet, la conservation de n dans chaque tradition apparaît plus probable que le même changement en n d’un phonème autre dans quatre langues différentes. Le symbole *n (avec l’astérisque comme marque conventionnelle d’une forme reconstruite) est donc retenu. La consonne intérieure revêt la forme {u} /w/ en latin, {v} /v/ en lituanien et en sanskrit, ainsi que {ϝ} /w/ en grec dialectal. Les phonèmes /w/ et /v/ de cette correspondance se présentent aussi dans une seule et même tradition, celle des langues romanes. Dans ce cas, /w/ appartient au stade le plus ancien de l’évolution (cf. lat. noua(m) /nowa/ > it. nuova, fr. neuve). Le prototype le plus probable est donc *w. En ce qui concerne la consonne finale, le latin, le grec et le lituanien présentent uniformément la sifflante sourde. En sanskrit, la lettre ḥ note un souffle sourd, mais ce son se limite à la position finale et y fonctionne comme une variante conditionnée de s ou de r : návaḥ se ramène donc à návas et les données comparatives plaident sans équivoque pour un *s indo-européen. Reste, enfin, l’analyse du vocalisme. Cette étape de la reconstruction s’avère un peu plus complexe, dans la mesure où seuls le lituanien et le sanskrit concordent. Le traitement du problème commence par l’examen de la distribution des voyelles dans 66. Voir Anttila 1989, p. 341.
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les langues particulières. En latin, e n’admet pas certains contextes et cède la place à o notamment devant /w/. Dans les mêmes conditions, a remplace e en baltique. Les voyelles latine et lituanienne de la première syllabe recouvrent donc un e sous-jacent. Ainsi, deux unités restent en présence : l’e des langues occidentales et l’a du sanskrit. Le choix du prototype requiert la prise en considération de correspondances complémentaires. Instructive est la comparaison de paires parallèles, comme skr. jánaḥ n. « race » / jánaḥ m. « créature » : gr. γένος /génos/ n. « race, famille » / γόνος /gónos/ m. « descendant ». Comme on le voit, la voyelle radicale des termes sanskrits répond tantôt à e, tantôt à o du grec. Poser a en indo-européen impliquerait deux traitements du même phonème en grec et dans le même environnement phonique. Ce double changement violerait un principe fondamental de l’évolution phonétique : un phonème d’une langue donnée situé dans un contexte donné connaît un traitement constant (cf. chap. I). La projection du vocalisme sanskrit dans la préhistoire indo-européenne n’est donc pas possible. En revanche, la démarche inverse, c’est-à-dire la restitution de *e et *o, ne présente pas de difficultés. Dans ces conditions, la voyelle radicale de l’adjectif signifiant « nouveau » se reconstruit sous la forme de *e, conservé en grec. Sur le vocalisme de la syllabe finale le latin et le grec apportent un témoignage concordant, car dans lat. nouus la séquence -us résulte d’une fermeture récente de -os (Plaute atteste encore nouos). De cette forme en -os se distinguent lit. navas et skr. návas. Comme on l’a vu, lorsque l’a sanskrit répond à gr. o, le prototype est *o. La question de l’origine ne se pose plus que pour une seule unité : l’a lituanien. Dans les rapprochements avec le grec, lit. a correspond généralement à o, mais fait couple avec a dans la première syllabe d’un mot comme saũsas : αὗος /haûos/ « sec » (cf. av. haoš- « se dessécher »). En vertu du critère de simplicité, cette série a : a se ramène à *a. En revanche, la série a : o, observable dans la seconde syllabe, remonte nécessairement à un prototype
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différent. Le plus pertinent est o, car cette voyelle ne conviendrait pas mieux comme symbole d’une autre correspondance. La reconstruction de *o concerne aussi bien le vocalisme des finales -as : -os dans lit. navas : gr.
νέος. En conclusion, l’adjectif signifiant « nouveau » se restitue sous la forme *néwos.
6.3. Séries de correspondances et variantes de séries La reconstruction des phonèmes requiert l’établissement des séries de correspondances. À partir de là, un point de méthode important est l’attribution d’un prototype à une seule série, abstraction faite de ses variantes. Une variante se définit par une ou plusieurs unités aberrantes par rapport au(x) phonème(s) attendu(s). Cette singularité provient d’un conditionnement phonique. Ainsi, à côté de la série normale lat. e : gr. e : lit. e : skr. a (cf. sequor, ἕποµαι, sekù « je suis », sácate « il suit ») se rencontre le type lat. i : gr. e : lit. e : skr. a (cf. quīnque < *quĭnque, πέντε, penkì, páñca « cinq »). La voyelle i de la forme latine remplace e devant nasale vélaire et fonctionne donc comme allophone de e. De même, on l’a vu, le vocalisme radical de lat. nouus et de lit. navas s’explique, en face de l’e de gr. νέος, par l’action de la semi-voyelle suivante. Dans ces conditions, il y a lieu de regrouper les trois séries et de leur assigner le même symbole, c’est-à-dire *e (pour les raisons exposées plus haut).
6.4. Séries de correspondances complémentaires La recherche des phonèmes préhistoriques sur la base des correspondances n’aboutit qu’au prix d’un travail d’ensemble. En effet, l’examen d’une seule série vocalique ou consonantique ne permet pas toujours la découverte du prototype. Dans le cas de lat. sal- (saliō) « sauter, bondir » : gr. ἁλ- /hal-/ (ἅλλοµαι /hállomai/) « id. » : véd. sar- « jaillir », par exemple, la
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Chapitre VI : reconstruction
reconstruction de la consonne finale pose le problème du choix entre *l et *r. Si l s’impose, c’est en raison de considérations complémentaires : à côté
de la série l : l : r, les faits documentent une série r : r : r (type lat. serpō « ramper » : gr. ἕρπω /hérpō/ « id. » : véd. sárpati « id. »). Le symbole r convient à cette dernière et n’est donc pas approprié à la première. D’autre part, là où le latin et le grec présentent une forme renfermant un l, le sanskrit y fait parfois écho avec des doublets pourvus de l’une ou de l’autre liquide : type lat. leuis « léger ; rapide ; peu important », gr. ἐλαχύς /elakhús/ « petit » vis-à-vis de skr. raghúḥ « rapide » / laghúḥ « léger, peu important ». Cf. lat. lingō « lécher », gr. λείχω /leíkhō/ « id. » vs skr. rih- / lih- « id. ». Cette tendance à la confusion entre l et r en sanskrit concerne deux consonnes articulatoirement proches (l’r sanskrit était apical). Les mêmes unités phonétiquement voisines sont ainsi impliquées dans un phénomène de variation intralinguistique (skr. r / l), dans un changement (i.-e. *l > skr. r) et dans une correspondance (lat., gr. l : skr. r).
6.5. Les traits distinctifs des phonèmes d’une série et la reconstruction Que, dans les comparaisons, les phonèmes de chaque série se ressemblent, c’est là une situation normale. Un vieux nom de la « veuve » ou du « célibataire » en apporte une illustration. En voici les représentants dans quatre langues : lat. uidua « veuve », got. widuwo « id. », gr. ἠίθεος /ēítheos/ « jeune homme non marié », skr. vidhávā « veuve ». Moyennant la restitution de deux ϝ /w/ intervocaliques dans la forme grecque (à lire *ἠ-ϝίθεϝος /ēwíthewos/), la parenté des termes est évidente. Pour l’exposé de la méthode, une série présente un intérêt particulier, à savoir les réalisations de l’occlusive intérieure : lat. d, got. d, gr. th, skr. dh. La reconstruction se fonde sur l’analyse des phonèmes en traits distinctifs. Comme ces phonèmes partagent le trait dental, l’identification du prototype à une consonne dentale
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s’avère tout indiqué, mais le mode d’articulation doit encore être précisé. Le principe directeur est de retenir pour symbole l’unité la moins distante des membres de la série, de manière à générer les phonèmes attestés par le plus petit nombre possible de règles. Selon les cas, le prototype coïncide ou non avec un terme de la série. En l’occurrence, dh ne diffère de ses partenaires que par un seul trait distinctif : l’aspiration par rapport à d, la sonorité par rapport à th. En revanche, d et th se distinguent l’un de l’autre par ces deux marques. Les faits plaident donc pour la reconstruction de *dh en indo-européen.
6.6. Les phonèmes disparus et la théorie des laryngales La correspondance des noms de la « veuve » présente une série i : i : i : i dans la syllabe radicale. Selon l’hypothèse la plus vraisemblable, cette voyelle récurrente reflète un *i préhistorique. D’autre part, une voyelle *a ancienne se dégage d’un petit nombre de termes concordants en latin, en grec et en sanskrit. Ainsi, une racine *mad- se rencontre dans lat. madeō « être mouillé ; être ivre », gr. µαδάω /madáō/ « être humide » et skr. mádati « être ivre ». Ces faits interdisent le recours à *i ou à *a comme symbole d’une série lat. a : gr. a : skr. i, attestée, par exemple, dans le participe lat. status « debout, fixe », gr. στατός /statós/ « id. », skr. sthitáḥ « id. ». Le prototype de la voyelle radicale de cette forme n’existe plus dans les données historiques. Il y a donc lieu de postuler un phonème disparu. Dans un premier temps, l’ignorance de la réalité phonétique de cet élément en justifie une notation neutre, du type *ə. L’adjectif verbal s’écrit donc *stətós en indo-européen. Les rapports paradigmatiques du terme en permet-
tent l’analyse morphonologique. En grec, où subsiste un état de choses ancien, le radical στᾰ- /stă-/ alterne avec la variante longue στᾱ- /stā-/. En témoigne, par exemple, le présent dorien ἵστᾱµι /hístāmi/ (att. ἵστηµι /hístēmi/) « je
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place », à côté du pluriel ἵστᾰµεν /hístămen/ « nous plaçons ». Ce procédé d’alternance s’observe aussi, entre autres, dans le verbe archaïque εἶµι /eîmi/ « je vais » (au sens futur en attique), 1re pl. ἴµεν /ímen/ « nous allons ». Le parallélisme de ces faits suggère l’existence de la même relation formelle entre les termes des oppositions respectives. Comme l’enseigne le verbe « aller », la forme pleine comporte e, tandis que la forme faible en est dépourvue. Par conséquent, le jeu de στᾱ- /stā-/ vs στᾰ- /stă-/ s’explique à partir de *steə- / *stə-. Dans la séquence *eə, *ə a un double effet sur l’*e précédent : coloration du timbre en a et allongement. L’allongement compense la chute du phonème final de la racine. Ce phonème, disparu dans les représentants du verbe « se tenir debout », laisse des traces ailleurs, mais seulement dans le groupe anatolien. La racine latine à voyelle longue pā- « protéger, veiller sur » (cf. pā-s-tor), par exemple, a pour correspondant hitt. paḫ-š- « id. ». Ce témoignage parmi d’autres enseigne le caractère consonantique de l’élément postulé dans les formes sous-jacentes de gr. στᾱ- /stā-/ vs στᾰ- /stă-/. Le trait laryngal de cette consonne remonte vraisemblablement à l’indo-européen, car l’aspirée de skr. tiṣṭhati « il se tient debout » en fournit un indice. C’est pourquoi, dans les études comparatives actuelles, le symbole *H est souvent préféré à *ə 67. Dans le participe *stHtós, la position de la laryngale entre deux
consonnes détermine le développement d’une voyelle d’appui. En grec, ce support vocalique présente le timbre a, tandis que des formes parallèles attestent e et o. Ce sont, par exemple, θετός /thetós/ « posé, établi » (cf. τίθηµι /títhēmi/) et δοτός /dotós/ « donné » (cf. δίδωµι /dídōmi/). Cette diversité s’explique au mieux par une triade primitive, c’est-à-dire trois laryngales différentes. Conventionnellement, *h1, *h2, *h3 représentent les phonèmes responsables des timbres e, a, o respectivement, dans les reflets grecs des laryngales. Ainsi, pour l’ancêtre de gr. στατός /statós/, la notation 67. La notation *ə est parfois conservée pour la réalisation vocalique de la laryngale.
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la plus rigoureuse est *sth2tós. Quant au symbole H, il ne s’emploie que lorsqu’en raison d’une documentation lacunaire la nature d’une laryngale demeure indéterminable.
6.7. La perfectibilité de la reconstruction Dans cette théorie des laryngales, les étapes successives de la démonstration montrent bien le caractère à chaque fois provisoire de la reconstruction. Le résultat de l’opération dépend d’abord du nombre de langues envisagées dans la comparaison. En l’occurrence, le recours au témoignage subsidiaire du hittite ouvre des perspectives nouvelles et permet une hypothèse sur la réalité phonétique de l’élément symbolisé par ə dans un premier temps. Ensuite, le degré de précision des restitutions augmente, lorsque le champ d’investigation s’étend à des données complémentaires. C’est ainsi que le rapprochement de στατός /statós/ avec θετός /thetós/ et δοτός /dotós/ révèle la spécificité de la laryngale de la racine στᾱ- /stā-/. Enfin, la taille du corpus disponible dans les différentes branches de la famille conditionne la physionomie de la langue reconstruite, dans la mesure où la découverte de monuments nouveaux peut conduire à des réajustements. En outre, il y a lieu, parfois, de modifier le produit d’une reconstruction au nom du critère typologique. En effet, si une protolangue présente à un niveau quelconque une configuration inexistante dans les systèmes linguistiques directement observables, une réévaluation des données comparatives s’avère indispensable. Serait incompatible avec les universaux du langage, par exemple, un système phonologique riche de voyelles nasales et de consonnes affriquées, mais dépourvu de voyelles orales et de consonnes occlusives. C’est qu’il y a, en typologie, des lois d’implication. En particulier, là où figurent des voyelles nasales se rencontrent aussi des voyelles orales et, d’autre part, avec des affriquées coexistent toujours des occlusives. Des
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contraintes typologiques limitent donc dans une certaine mesure les possibilités de reconstruction. Par ailleurs, la méthode comparative s’avère inopérante, lorsque le même changement se produit dans toutes les langues congénères. Mais, malgré ses limites, cette méthode demeure un précieux instrument heuristique. Sa valeur s’est révélée à plein, lorsque la découverte de langues nouvelles a confirmé l’existence d’unités reconstruites auparavant et jusque-là hypothétiques. Ainsi, l’origine labiovélaire de certains p du grec alphabétique, établie sur la base de la comparaison, a été vérifiée par le témoignage du mycénien. De même, la restitution de consonnes laryngales en indo-européen a trouvé sa justification dans des faits évidents du hittite.
Troisième partie Éléments de linguistique indo-européenne
Chapitre VII Le système phonologique
7.1. Occlusives sourdes 7.1.1. I.-e. *p Comme en témoignent les enquêtes typologiques, toutes les langues possèdent des consonnes occlusives 68. L’indo-européen ne fait pas exception, à en juger par les enseignements de la reconstruction. Ce sous-ensemble du système phonique se conserve particulièrement bien, sous le rapport du point d’articulation, en grec mycénien et, sous le rapport du mode d’articulation, en sanskrit. Dans la série des sourdes simples, la labiale *p se dégage clairement des correspondances. Sa présence en position initiale s’observe dans le nom du « pied », par exemple : lat. pēs, pĕdis, gr. πούς /poús/, ποδός /podós/, skr. pā́ t, padáḥ, d’un nom-racine *pōd-s, *pedé/ ós. La même consonne figure aussi au début du mot dans le verbe signifiant « voler » : lat. petō « atteindre en volant », gr. πέτοµαι /pétomai/ « voler », skr. patāmi « voler », d’une racine verbale *pet- (cf. chap. V). L’occlusion de p se maintient dans la plupart des langues indo-européennes, mais des 68. L’universalité des occlusives est relevée par Roman Jakobson, dans sa communication au cinquième Congrès international des linguistes (septembre 1939) : « Les lois phoniques du langage enfantin et leur place dans la phonologie générale » (texte publié en appendice à Troubetzkoy 1970, p. 367-379).
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traitements différents caractérisent l’irlandais (amuïssement), l’arménien (h ou zéro) et le germanique (f-). En arménien et en germanique, l’affaiblissement de l’articulation touche l’ensemble des occlusives et est connu sous le nom de « mutation consonantique ». Le phénomène se manifeste, précisément, dans les formes apparentées à skr. pā́ t « pied » et pátram « aile » (propr. « organe qui sert à voler »), par exemple dans v. angl. fōt (angl. mod. foot) et feđer (angl. mod. feather). En position intérieure, le rapport p : f se retrouve dans une partie des faits, comme en témoigne l’exemple de lat. clepō « voler, dérober » : got. hlifan « id. ». Mais il y a des correspondances apparemment irrégulières, avec une forme germanique à labiale sonore. Les représentants du numéral « sept » en donnent un exemple : lat. septem, gr. ἑπτά /heptá/, skr. saptá, vis-à-vis de got. sibun. Le b de sibun note une spirante bilabiale sonore (ƀ). Cette consonne représente le traitement normal de *p intervocalique, lorsque la syllabe précédente ne portait pas l’accent (le ton) en indo-européen. Ce changement phonétique, appelé « loi de Verner », constitue un cas particulier de la mutation consonantique du germanique ou « loi de Grimm » 69.
7.1.2. I.-e. *t Là où *p se conserve intact, la dentale *t ne change pas 70. En germanique, une fricative interdentale sourde se développe dans les mêmes conditions que f. En témoigne, à l’initiale, le pronom gotique þu « tu » < i.-e. *tū̆ (cf. lat. tū, gr. dor. τύ, hom. τῡ́νη (hapax), skr. t(u)vám, etc.). À l’intérieur, le phonème þ se rencontre dans le nom du « frère », got. brōþar, comme le fait attendre l’accent radical des correspondants grec et sanskrit, 69. L’exposé de la « Lautverschiebung » par Jakob Grimm remonte à 1822 (mais la découverte a été communiquée, avant publication, dans une lettre à Lachmann, de novembre 1820) ; l’explication des spirantes sonores intérieures par Karl Verner a été publiée en 1877 (l’article porte la date de juillet 1875). 70. Sauf dans une partie du grec, où *t passe souvent à s devant i, parfois devant u.
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respectivement φράτηρ /phrátēr/ « membre d’une phratrie, groupe de familles parentes » et bhrā́ tar- « frère ». En revanche, la fricative sonore đ, écrite d, caractérise le nom gotique du « père », fadar, en accord avec l’oxytonie de gr. πατήρ /patḗr/ et skr. pitár- (loi de Verner). En latin, où la place du ton répond à un conditionnement phonique, frā́ ter et páter ne se distinguent plus par l’accentuation. La faiblesse de t à la finale absolue en détermine l’amuïssement en grec et en germanique. Ainsi, à l’optatif sanskrit bhárēt « puisse-t-il porter » font écho gr. φέροι /phéroi/ et got. bairai (i.-e. *bhér-o-ih1-t). 7.1.3. I.-e. *k (k̑ ) Par rapport à *p et *t, l’évolution de la dorsale *k se signale par une plus grande diversité de traitements. Le latin et le grec en conservent le trait occlusif, tandis que le germanique – dans les conditions d’application de la loi de Grimm – en fait une fricative vélaire sourde, puis une simple aspiration ; en lituanien, cette consonne donne généralement une chuintante sourde, en slave et en avestique une sifflante sourde, en sanskrit une fricative palatale sourde. Ces différents reflets se vérifient dans l’exemple classique du nom de nombre « cent » : lat. centum, gr. ἑ-κατόν /he-katón/, propr. « un cent », got. hunda, lit. šim̃ tas, v. sl. sŭto, av. satǝm, skr. śatám. Comme la palatalisation (ou l’assibilation) ne concerne que les langues de l’Europe de l’est et de l’Asie, l’aire indo-européenne semble se diviser dialectalement en un groupe occidental et un groupe oriental. Ainsi, en référence aux traitements latin et avestique, les anciennes descriptions de la famille opposaient les « langues centum » aux « langues satem ». Cependant, le changement de *k par relâchement de l’articulation ne fournit pas de critère décisif pour la reconnaissance d’une parenté spéciale entre les parlers en cause, car la possibilité existe d’évolutions parallèles, mais
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indépendantes. En outre, la répartition centum / satem ne coïncide pas complètement avec la division géographique en régions occidentale et orientale. En effet, deux langues centum se parlaient dans la zone satem : le hittite (Asie mineure) et le tokharien (Asie centrale) 71. En hittite, une racine ki- « être couché, gésir », par exemple, répond à gr. κεῖµαι et à skr. śaye (śidans a-ni-śita- « sans repos »), tandis qu’en tokharien (dialecte A) känt fait écho à lat. centum. Le traitement de *k exemplifié par le nom de nombre « cent » se vérifie dans une partie des faits, mais des formes irrégulières apparaissent ici ou là. Le nom du « bétail », par exemple, présente le phonétisme attendu en italique, germanique et indo-iranien, avec les représentants lat. pecu, got. faihu, skr. páśu et av. pasu- ; en revanche, le baltique atteste l’occlusive dorsale dans lit. pẽkus et v. pruss. pecku. Par ailleurs, dans un groupe de lexèmes et de racines, *k ne se palatalise en aucune langue du domaine indo-européen. C’est le cas de l’initiale dans les termes de la correspondance lat. cruor « sang », gr. κρέας /kréas/ « viande », lit. kraũjas « sang », v. sl. krŭvĭ « sang », av. xrū- « chair saignante », skr. kravíṣ- « viande crue ». Comme, en raison de la régularité des changements phonétiques, un phonème quelconque à un moment donné, dans une langue donnée et dans un environnement donné connaît un traitement constant, une seule et même dorsale rend difficilement compte à la fois du k- de kravíṣ- et du ś- de śrad dhā- « avoir confiance, se fier à », apparenté à lat. crēdō « croire ». C’est pourquoi l’enseignement traditionnel admet deux unités indo-européennes distinctes, à savoir une occlusive palatale, notée *k̑ ou *ḱ, et une occlusive vélaire, notée *k. Des problèmes demeurent néanmoins : la racine de lat. lūx « lumière » et de gr. λευκός /leukós/ « blanc brillant », par exemple, se terminait par une vélaire (i.-e. *leuk-), à en juger par skr. roká71. Sur les problèmes que pose la division de la famille indo-européenne en langues centum et langues satem, on peut se reporter à l’exposé de Silvia Luraghi (2010, p. 56-57 = chap.2, § 7).
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« lumière » ; mais le védique procure aussi rúśant- « brillant, clair, blanc ». Admettre une racine concurrente *leuk̑ -, avec une palatale finale, irait à l’encontre du principe d’économie : pourquoi, en effet, la langue maintiendrait-elle distinctes deux formes presque identiques pour l’expression d’un même contenu sémantique ? Mieux vaut poser une racine unique, susceptible d’une double réalisation en indo-iranien et en balto-slave, même si les raisons de cette dualité ne sont plus saisissables. Le caractère phonologique de l’opposition *k̑ / k ne ferait aucun doute, si les matériaux de la langue reconstruite offraient des paires minimales, c’est-à-dire des lexèmes ou des morphèmes de sens différents, distingués par la commutation de la dorsale palatale et de la dorsale vélaire. De tels paronymes se rencontrent dans le répertoire des racines indo-européennes. On pose, par exemple, *tek̑ - « enfanter » et *tek- « tendre la main, recevoir » ou encore *tek- « tisser ». Mais la paronymie ne s’étend pas aux thèmes de présent des verbes respectifs, soit *ti-tk̑ -é- (gr. τίκτω /tíktō/, avec métathèse), *tek-yé- (v. norr. þiggja) et *ték-e- (arm. t‛ek‛em). Dans le cas de *k̑ el- « cacher » / *kel- « pousser ; pousser à, exhorter », une structure de présent *Kél-e- est commune aux deux paradigmes, comme l’attestent lat. occulō (< *ob-k̑ el-ō) « cacher » et gr. κέλοµαι /kélomai/ « pousser (à) » (< *kél-e/o-). Cependant, les données n’offrent pas un parallélisme complet,
puisque les désinences, en rapport avec la diathèse, ne concordent pas. En somme, les formes de la conjugaison de ces verbes ne constituent pas de paires minimales et ne prouvent donc pas l’existence d’une opposition phonologique k̑ / k 72.
72. Sur la reconstruction des tectales (gutturales) en indo-européen (deux ou trois séries?), discussion approfondie chez Mayrhofer 1986, p. 102-106 (§ 4.9).
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7.1.4. I.-e. *kw La série des occlusives sourdes simples se complète par la consonne labiovélaire *kw. Ce phonème complexe se réalise par une occlusion vélaire avec arrondissement des lèvres. Il s’agit d’une unité monophonématique, différente d’un groupe *k (k̑ ) + *w, comme l’enseigne, par exemple, l’évolution des formes *kwos « qui ? » et *k̑ wō(n) « chien » en sanskrit : la première donne káḥ, la seconde śvā́ . Dans la plupart des « langues centum », les labiovélaires subsistent sans changement. Des faits latins, mycéniens et hittites illustrent cette stabilité articulatoire : lat. quis, quid (interrogatif-indéfini), quattuor « quatre » ; gr. myc. qe-to-ro « quatre » (en composition), hitt. kuiš, kuit (interrogatif-indéfini). En germanique, la mutation consonantique produit une spirante labiovélaire, comme à l’initiale de got. ƕas « qui ? » (< *kwos). L’indo-iranien et le balto-slave conservent le trait occlusif dans une partie des données, mais perdent l’appendice labiovélaire. Ainsi s’expliquent skr. káḥ (cf. supra), av. kō « qui ? », lit. kàs « id. », v. sl. kŭ-to « id. ». La simplification de l’articulation s’observe aussi en grec dans le voisinage de u. C’est pourquoi le mycénien atteste le second terme de composé -ko-ro (= -koloi) dans qo-u-ko-ro « bouviers » (gr. βουκόλοι /boukóloi/), tandis que la forme -qo-ro (= -kwoloi) se maintient dans a-pi-qo-ro « servantes » (gr. ἀµφί-πολοι /amphí-poloi/). Là où la labiovélaire se simplifie, son traitement devant voyelle antérieure témoigne d’une palatalisation, sauf en lituanien. En résulte une affriquée chuintante en indo-iranien et en slave : *kwetwor-/*kwetur- (et secondairement kwetūr-) se reflète dans skr. catvā́ raḥ « quatre », av. caϑβārō et v. sl. četyre. À la différence de ces langues, le grec ne connaît pas de mi-occlusives, mais, devant e et i, le point d’articulation de l’ancienne labiovélaire sourde avance jusque dans la région dentale : à skr. catvā́ raḥ répond dor. τέτορες /tétores/ (cf. att. τέτταρες /téttares/ < kwetwr̥ -) et à lat. quis gr. τίς, τις. Un troisième traitement, le passage de *kw à p, s’observe en grec devant o et devant
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consonne. Dans ces conditions, l’alternance e/o, omniprésente dans la grammaire et la formation des mots, s’accompagne, le cas échéant, d’une alternance consonantique : d’une racine *kwei-/*kwoi-, par exemple, dérivent à la fois τεῖσαι /teîsai/ (aor.) « payer (une rançon, etc.) », avec traitement dental devant e, et ποινή /poinḗ/ « paiement pour un crime, réparation », avec traitement labial devant o.
7.2. Occlusives sonores 7.2.1. I.-e. *b Au vu des données comparatives, les occlusives sourdes indo-européennes ont chacune une contrepartie sonore. Toutefois, la labiale b est pauvrement attestée en l’état de notre documentation. D’une part, les exemples sont très peu nombreux et, d’autre part, les termes correspondants ne se rencontrent généralement que dans deux langues. Ferait exception une base nominale *bel-, subst. « force », adj. « doué de force, vigoureux ». Si skr. bála- n. « force » et le second membre de lat. dē-bilis « sans force » s’accordent sous le rapport de la forme (au suffixe près) et du sens, les termes v. sl. bolijĭ « meilleur, plus grand » et gr. βελτίων /beltíōn/ « meilleur » en diffèrent au point de vue sémantique. Le rapprochement n’est donc pas sûr. Pour la position initiale, les ouvrages de grammaire comparée donnent encore l’exemple de lat. baculum « bâton » ( š/s et *g > ž/z sont donc rigoureusement parallèles. En sanskrit, en revanche, le changement *k > ś n’a pas son équivalent exact dans le registre sonore, car la consonne indoeuropéenne *g donne la mi-occlusive j (dž). D’où le présent jānā́ ti « il connaît ». En germanique, la mutation produit le dévoisement de l’occlusive sonore. Ainsi s’explique l’initiale de got. kunnan « connaître ». À l’intérieur du mot, les mêmes traitements se retrouvent, par exemple, dans les formes verbales ou nominales de la racine *werg̑ - « faire, agir ». Le grec
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a la forme dialectale ϝέργον /wérgon/ (argien) = att. ἔργον /érgon/ n. « travail, œuvre », ainsi que le parfait ἔοργα /éorga/( < *ϝέ-ϝοργ-α /wéworg-a/) « j’ai fait ». À cette formation redoublée fait écho av. vavarǝza « il a agi » (prés. vǝrǝzyeiti). En outre, des données germaniques font partie du dossier : vha. werc (all. Werk) « œuvre » et got. waurkjan « faire », par exemple. À la différence de ce type de faits, de rares correspondances se caractérisent par l’absence de palatalisation dans les langues satem. En donne un exemple le vieux nom du « joug » : de *yugóm procèdent non seulement lat. iugum, gr. ζυγόν et got. juk, mais encore skr. yugám et pers. yuq. Le fait qu’à la dorsale g du grec et du latin l’indo-iranien réponde tantôt par une affriquée chuintante ou une sifflante, tantôt par une dorsale vélaire ou uvulaire requiert, en principe, la restitution de phonèmes préhistoriques distincts. Selon l’enseignement traditionnel, l’indo-européen possédait ainsi une dorsale palatale (g̑ ) et une dorsale vélaire (g). Toutefois, les principales raisons de mettre en doute l’existence d’une opposition phonologique entre les sourdes *k̑ et *k s’appliquent aussi aux sonores de la même région articulatoire. Dans chaque série, les deux unités ne sont peut-être que les variantes combinatoires d’un seul et même phonème. Plaide dans ce sens la relation entre le traitement vélaire et la présence de u devant la consonne. En effet, une séquence indo-européenne -ug- se conserve dans plusieurs formes indo-iraniennes : avec skr. yugám (*yeug-/*yug- « atteler ») se rangent ugrá- « fort » (*h2eug-/h2ug- « être fort », factitif « rendre fort, accroître, augmenter »), Túgra-, nom propre (*(s)teug-/*(s)tug- « faire avancer, pousser violemment »?), bhóga- m. < *bhauga- « plaisir, jouissance, possession » (*bheug-/*bhug- « prendre plaisir à, jouir de »), róga- m. < *rauga- « délabrement, maladie » (*leug-/*lug- « briser, détruire, ruiner »).
Cependant, même après la voyelle u ou une diphtongue en u, la dorsale se
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palatalise devant voyelle antérieure, de l’indo-européen au sanskrit. C’est pourquoi le verbe correspondant de róga-, par exemple, présente la forme rujati « il brise », de *lugeti. À partir des termes phonétiquement réguliers, la variante ruj- s’étend par analogie au sein de la conjugaison. Le présent possède ainsi une 3e pl. rujanti « ils brisent », et non *ruganti, en dépit de l’origine *-onti de la désinence. De même, un procès analogique rend compte du neutre ójaḥ « force » (pour *ogaḥ < i.e. *h2éug-os), refait d’après une forme comme le génitif-ablatif sg. ójasaḥ (< i.-e. *h2éug-es-os).
7.2.4. I.-e. *gw La labiovélaire sonore simple conserve son intégrité articulatoire en latin et en grec mycénien, mais, dans la langue de Rome, seulement après n. En linéaire B, l’écriture ne distingue pas la sonore de la sourde : qo-u-koro /gwoukoloi/, nom. pl., « bouviers » (= gr. alph. βουκόλοι /boukóloi/). En latin, le phonème en question s’écrit à l’aide du digramme gu : unguō « j’oins ». De même que les langues classiques, le gotique possède encore une occlusive dorsale à appendice labiovélaire, mais *gw passe à *kw en raison de la mutation consonantique. Ailleurs se produit une simplification (gw > g) ou un changement du point d’articulation (gw > b, par exemple) ou encore la perte de l’occlusion (gw > w). Ces traitements s’observent, notamment, dans les représentants de la racine *gwem- « aller, venir » : got. qiman, lat. ueniō, gr. βαίνω /baínō/, skr. gácchati. Dans le cas du latin, la labiovélaire se transforme en une semi-voyelle postpalatale devant voyelle : *gwm̥ yō > *gwemyō > ueniō. Devant une consonne liquide, en revanche, *gw
se réduit à une vélaire pure : ainsi dans grauis « lourd », inséparable de gr. βαρύς /barús/ « id. ». Lat. g- et gr. b- se concilient moyennant la reconstruction d’une labiovélaire indo-européenne. En grec, le traitement b, illustré par βαίνω /baínō/ et βαρύς /barús/, est de règle aussi devant les voyelles o
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(βοῦς /boûs/ « boeuf » < *gwṓus) et i (βίος /bíos/ « vie » < *gwih3os). La voyelle e, par contre, détermine le changement d’une labiovélaire sonore précédente en une dentale sonore. C’est pourquoi i.-e. *gwelbhus donne gr. δελφύς /delphús/ f. « matrice ». Que l’initiale de ce mot grec ne remonte pas à *d, les termes apparentés de l’indo-iranien – av. gǝrǝbuš- « petit d’un animal » et skr. gárbhaḥ « matrice » − en témoignent. Enfin, le voisinage de u entraîne en grec, par différenciation, le passage de *gw à g. Cela se produit au cours de l’histoire de l’adjectif ὑγιής /hugiḗs/ « sain, bien portant », si le terme provient d’un ancien composé *h1su-gwih3-ēs, formé du préfixe *h1su- « bien », de la racine *gweih3- « vivre » au degré zéro et d’un suffixe sigmatique 75. En indo-iranien et en balto-slave, la simplification de la labiovélaire se réalise indépendamment de la proximité de u. Le sanskrit et l’avestique l’attestent dans les noms de la matrice et du petit d’un animal (cf. supra) ; le baltique et le slave en ont des exemples dans leurs représentants de i.-e. *nōgwos « nu » : lit. núogas, v. sl. nagŭ. Sauf en baltique, la dorsale d’origine secondaire se palatalise devant e et i. Ainsi, tout à fait régulièrement, j et g alternent dans le parfait sanskrit jagāma « il est allé, il est venu », de *gwe-gwom-e. Une palatale apparaît aussi, par exemple, dans un adjectif signifiant « vivant » et bâti sur la racine *gweih3- / *gwih3« vivre » (cf. supra) : skr. jīváḥ, v. p. jīva, v. sl. živŭ. Mais le lituanien conserve une occlusive dans gývas.
7.3. Occlusives sonores aspirées 7.3.1. I.-e. *bh Un ensemble de correspondances plaide pour la reconstruction d’une série d’occlusives sonores aspirées. Le sanskrit en conserve intactes la labiale et la dentale, respectivement bh et dh, et possède la dorsale gh, 75. L’adjectif ὑγιής /hugiḗs/ et ses dérivés sont traités chez Blanc 2018, p. 444-445 (§ 15.4.2).
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généralement issue de l’ancienne labiovélaire. Son système phonologique connaît ainsi une opposition pertinente entre bh et b, dh et d, gh et g. En revanche, ces deux modes d’articulation se confondent en iranien et en balto-slave au profit du type sonore simple. La neutralisation n’atteint pas le germanique, mais la mutation consonantique produit un décalage, de sorte que l’opposition joue entre une série de sonores simples et une série de sourdes simples. En grec, les aspirées se maintiennent, mais se réalisent sans vibrations des cordes vocales. En latin, l’évolution se diversifie, avec le développement de spirantes sourdes à l’initiale et d’occlusives sonores simples à l’intérieur. Ces changements se vérifient, d’abord, dans les représentants de la labiale sonore aspirée. À la différence de *b, *bh se restitue dans un grand nombre d’éléments lexicaux. Le système grammatical l’atteste, d’autre part, dans le morphème d’instrumental pluriel *-bhi. Parmi les exemples de *bh au début du mot, la racine *bher- « porter » laisse des témoins dans la plupart des langues indo-européennes. Sous le rapport du consonantisme, skr. bharāmi « je porte » présente la forme la plus fidèle au prototype. Y répondent, avec simplification de l’initiale, av. (auui.)barāmi « j’apporte », v. sl. berǫ « je ramasse », got. baira « je porte ». Les correspondants grec et latin se caractérisent par le dévoisement de la sonore aspirée : c’est une occlusive labiale sourde aspirée, que note φ /ph/ dans gr. φέρω /phérō/ « je porte » à date ancienne, puis une spirante labiodentale sourde, comme f dans lat. ferō « id. ». En position intérieure, cependant, le traitement latin de *bh est b, quelles que soient les étapes de l’évolution. En témoigne, par exemple, le féminin nebula « nuée », superposable au grec νεφέλη /nephélē/ « id. ». Avec la même suffixation en *-l-, s’y rattache vha. nebul m. « brouillard », tandis qu’un thème en *-es- / -os- figure dans gr. νέφος /néphos/ n. « nuage », v. sl. nebo n. « ciel », skr. nábhaḥ n. « nuage ». En dépit des apparences, le gotique ne connaît pas le même traitement à l’initiale et à l’intérieur, car b représente une occlusive dans baira (cf.
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supra), mais une spirante (ƀ) dans une forme comme liuba « cher » (nom. sg. m. faible de l’adjectif), d’une racine *leubh- « désirer, aimer ». Le mode d’articulation de la labiale sonore intervocalique ressort d’alternances du type giban « donner » / prét. gaf.
7.3.2. I.-e. *dh Entre les reflets de *bh et de *dh dans les langues historiques existe une symétrie presque parfaite. La dentale sonore aspirée apparaît en sanskrit, la sonore simple en iranien, en balto-slave et en germanique, notamment. Le grec a la dentale sourde aspirée attendue. Seul le latin déjoue la prévision, dans la mesure où *dh initial ne donne pas une interdentale, mais une labiodentale spirante sourde. Ces différents traitements se constatent, par exemple, dans les formes verbales de la racine *dheh1(k)- « poser, placer, mettre ; faire, créer ». Des formations d’aoriste, avec ou sans augment, offrent des faits archaïques : véd. (á)dhāt « il plaça », av. dāt̰ « id. », v. sl. -dě « il posa », gr. ἔθηκε /éthēke/, θῆκε /thêke/ « il plaça » = myc. te-ke « il plaça (à un poste), il nomma », béot. ἀνεθε̄ /anethē/ « il consacra ». À ces données s’ajoutent, entre autres, lit. dė́ ti « placer, mettre », v. angl. dōn « faire » et lat. faciō « je fais ». Les consonnes initiales de ces formes se retrouvent, pour la plupart, en position intérieure. Ce n’est pas le cas en latin, cependant, sauf là où intervient l’analogie, comme dans conficiō « j’accomplis, j’achève » (d’après faciō). L’adjectif inferus « qui est en bas », comparable à skr. ádharaḥ « id. », fait difficulté. En effet, le traitement normal de i.-e. *-dh- entre voyelles ou entre consonne et voyelle est, en latin, une occlusive sonore simple. En dehors de contextes particuliers, le point d’articulation ne change pas, comme l’atteste le -d- de uidua « veuve » en face de skr. vidhávā « id. », par exemple (cf. chap. VI). Le rapport entre latin -d- et skr. -dh- se retrouve dans l’équation lat. medius
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« qui est au milieu » : skr. mádhyaḥ « id. ». En revanche, dans le voisinage de r, devant l et après u, l’ancienne dentale sonore aspirée passe à -b- en latin : i.-e. *werdhom > lat. uerbum n. « mot » (cf. got. waurd n. « id. », d’une variante *wr̥ dhom), i.-e. *-dhlom > lat. -bulum (suffixe de noms d’instruments ou de lieux ; cf. gr. -θλον /-thlon/), i.-e. *rudhros > lat. ruber (rubra, rubrum) « rouge » (cf. gr. ἐρυθρός /eruthrós/ « id. » ; skr. rudhiráḥ, réfection de *rudhrá- d’après rudhi-). 7.3.3. I.-e. *gh (g̑ h) De même que la sourde et la sonore simples correspondantes, la dorsale sonore aspirée se comporte historiquement tantôt comme une palatale (g̑ h), tantôt comme une vélaire (gh). Ainsi, les langues satem opposent les séries skr. h : av. z : lit. ž : v. sl. z et skr. gh : av. g : lit. g : v. sl. g. La première correspondance représente la norme et se rencontre, par exemple, dans le nom de l’hiver, i.-e. *g̑ heim-/g̑ hyem-/g̑ him- : véd. héman (loc. sg.) « en hiver », hímā f. « hiver », av. zǝmō (gén. sg.) « id. », lit. žiemà « id. », v. sl. zima « id. », gr. χειµών /kheimṓn/ « id. », lat. hiems « id. ». En avestique et en balto-slave, les traitements de *g̑ h et de g̑ ne diffèrent pas. En grec s’observe le dévoisement de la dorsale sonore aspirée, c’est-à-dire le changement *g̑ h > kh, parallèle à *bh > ph et à *dh > th. En latin, h s’explique par le relâchement d’une spirante χ (ach-Laut). Ces altérations se produisent identiquement entre voyelles, à en juger par les témoins de la racine *weg̑ h- intr. « aller en char », tr. « transporter en char », par exemple : skr. váhati « il va en char », av. vazaiti « id. », lit. vežù « je vais en char », v. sl. vezǫ « id. », gr. ὄχος /ókhos/ m., ὄχος, ὄχεσ- /ókhos, ókhes-/ n., ἔχεσφι /ékhesphi/ Hesychius (< *ϝέχος, *ϝέχεσ- /wékhos, wékhes-/ ; cf. myc. wo-ka f. /wokhā/ « chariot ») « char », lat. uehō « je transporte en char », vha. wagan « char ». Les traits occlusif et sonore, mais non l’aspiration, se
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conservent en latin après une consonne, notamment après n appuyant : le présent à infixe nasal fingō « je modèle, je façonne » en offre une illustration (racine *dheig̑ h-/*dhig̑ h-, bien préservée – à la mutation consonantique près – dans got. digan « façonner »). Le dossier de l’occlusive dorsale aspirée comprend encore des données non sujettes à la palatalisation dans les langues satem. C’est le cas de la consonne initiale de *ghosti- m. « étranger » (d’où, en bonne part, « hôte » et, en mauvaise part, « ennemi »). En effet, à lat. hostis « ennemi » (« étranger » dans la langue des XII Tables) et got. gasts « hôte » (< germ. *gastiz ; cf. v. isl. run. -gastiR) répond v. sl. gostĭ « hôte », avec g. En position intérieure, un exemple de *gh non palatalisé se rencontre dans la série skr. dīrghá- « long », av. darǝγa- « id. », v. sl. dlŭgŭ « id. », gr. δολιχός /dolikhós/ « id. ». Sous le rapport du consonantisme, le sanskrit se signale ici encore par son conservatisme.
7.3.4. I.-e. *gwh La dorsale sonore aspirée du sanskrit ne répond pas toujours à une dorsale sourde aspirée du grec. Une série de faits illustre la correspondance skr. gh : gr. φ, comme ghaná- « meurtrier » vis-à-vis de -φόνος /-phónos/ « id. ». Les traits articulatoires respectivement vélaire et labial se concilient moyennant l’hypothèse d’un phonème complexe en indo-européen, à savoir la consonne labiovélaire sonore aspirée *gwh. Des témoignages complémentaires confirment le bien-fondé de cette reconstruction. En effet, l’articulation labiovélaire s’observe en hittite (kuenzi « il tue ») et peut-être en mycénien, si la graphie de l’anthroponyme pe-re-qo-ta recouvre bien un nom en -kwhontās = class. -φόντης /-phóntēs/ (KN Ce 50, etc.). Ces données reposent sur une racine *gwhen- « frapper, abattre, tuer ». En grec alphabétique, le traitement labial ne se rencontre pas dans toutes les formes. Ainsi,
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devant e *gwh donne θ /th/ : θείνω /theínō/ « je frappe ». Au contact de *u, la labiovélaire se simplifie en une vélaire par différenciation. L’atteste le radical εὐχ- (< *h1eugwh- « déclarer solennellement ») du présent thématique εὔχοµαι /eúkhomai/ « je prétends, je me vante, je fais vœu de ; je prie ». Plus généralement, la délabialisation se produit sans restriction contextuelle en indo-iranien et en balto-slave. En résultent skr. gh et h (devant un ancien e ou ailleurs par extension analogique). D’où l’alternance ghnánti « ils tuent » / hánti « il tue », de *gwhnónti / *gwhénti. L’avestique a g (ou la fricative γ) et la variante palatalisée j (= dž), comme l’illustre l’aoriste à redoublement auua-jaγnat̰ « il tua ». Cf. gr. ἔπεφνον /épephnon/ « je tuai ». En lituanien, *gwh passe à g, y compris devant voyelle antérieure : giñti « pousser, chasser », 1re sg. prés. genù. En vieux slave, g figure dans l’infinitif gŭnati « id. », mais une chuintante sonore apparaît dans ženǫ (équivalent de lit. genù). Les traitements latins de la labiovélaire sonore aspirée indo-européenne dépendent avant tout de la position dans le mot : à l’initiale, *gwh- se transforme en f-, comme *bh- et *dh-, tandis qu’entre voyelles -u- (= /w/) en est l’aboutissement. Au gh sanskrit de gharmáḥ m. « chaleur » et de vāghát- adj. « qui prie, qui sacrifie » le latin répond ainsi par f- dans formus « chaud », mais par -u- /-w-/ dans uoueō « je fais un vœu, je promets » (< *h1wogwheyō). Un troisième reflet s’observe dans un contexte particulier : après n, l’aspirée se réduit à une sonore simple. L’impersonnel ninguit « il neige » en fournit un exemple. Enfin, devant s, *gwh perd son appendice labiovélaire et s’assourdit. Le cas se présente dans le parfait de ninguit, ninxit, ou dans la forme de nominatif sg. du nom de la neige, nix f. La reconstruction d’un nom-racine *snigwh- se fonde sur une correspondance comme lat. niuem : gr. νίφα /nípha/ (acc. sg.).
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7.4. La « théorie glottalique » Depuis quelques décennies, la reconstruction traditionnelle des occlusives indo-européennes fait l’objet d’une remise en question. Un système tripartite d’occlusives sourdes simples, sonores simples et sonores aspirées serait en désaccord avec les enseignements de la typologie. En effet, une langue opposant des occlusives sourdes simples et des occlusives sonores simples ne posséderait pas une série de sonores aspirées sans les sourdes aspirées correspondantes 76. De plus, l’extrême rareté de *b dans l’indoeuropéen reconstruit constituerait une anomalie parmi les langues du monde. Dans ces conditions, Th. V. Gamkrelidze et V. V. Ivanov, notamment, expliquent les faits historiques à partir de prémisses nouvelles : à la place des sonores simples, ces auteurs postulent une série de sourdes glottalisées et admettent, d’autre part, l’existence de variantes aspirées et non aspirées dans les registres sourd et sonore. En d’autres termes, le trait d’aspiration ne serait pas pertinent. Le système des occlusives indo-européennes se présenterait donc comme suit : p’, t’, k’ ; ph/p, th/t, kh/k ; bh/b, dh/d, gh/g. C’est ce qu’on appelle la « théorie glottalique » 77. Au prix de cette révision, divers problèmes trouveraient leur solution. Il y aurait, en particulier, des parallèles typologiques pour la rareté ou l’absence de p’. En outre, les occlusives glottalisées n’entreraient pas volontiers dans la formation des suffixes, ce qui s’accorde avec la distribution des sonores simples de la reconstruction traditionnelle. Ou encore, la loi de Winter, selon laquelle en balto-slave une voyelle brève s’allonge devant une ancienne occlusive sonore simple (mais non devant une occlusive sonore aspirée), se 76. À noter, cependant, qu’un système d’occlusives composé de sourdes simples, de sonores simples et de sonores aspirées a été reconnu dans une langue austronésienne : Mayrhofer 1986, p. 93, n. 14. 77. Gamkrelidze – Ivanov, 1973, p. 150-156. L’exposé de la théorie se retrouve dans des publications ultérieures des mêmes auteurs. D’autres savants en proposent parfois des variantes. Voir Mayrhofer 1986, p. 92-97, avec les commentaires et les références bibliographiques des notes 14 à 30.
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comprendrait mieux si le phénomène se produisait devant une consonne préglottalisée 78. Toutefois, la nouvelle théorie ne présente pas que des avantages. À la reconnaissance de consonnes glottalisée (éjectives) en indoeuropéen Oswald Szemerényi objecte à juste titre : « 1. Die geographische Verteilung der glottalisierten Laute ist der neuen Ansicht nicht besonders günstig. (...) Von einigen wenigen Ausnahmen in Asien und Ozeanien abgesehen, kommen ... die Ejektive nur in Amerika, Afrika und im Kaukasus vor – alles Gebiete, wo die Indogermanen sicher nie gesessen haben. 2. Die Ejektive sind nach ihrer Natur prononciert stimmlose Gebilde. Wie sie in so vielen Sprachen (Altind., Griech., Lat. usw.) zu stimmhaften Lauten werden konnten, ist und bleibt ein Rätsel. 3. Wenn die bisherigen Mediae entfernt bzw. durch Ejektive ersetzt werden mussten, bleibt es rätselhaft, wie sie anstelle der bisherigen Mediae aspiratae wiedereingeführt werden können » 79. La théorie glottalique appelle donc des réserves. D’ailleurs, le choix entre la conception traditionnelle du consonantisme indo-européen et la nouvelle théorie ne revêt pas une importance majeure, car, comme le souligne Manfred Mayrhofer, les rapprochements demeurent les mêmes ; le nombre et les relations d’opposition des phonèmes ne changent pas 80. Le présent exposé conserve la transcription d’usage convenant à un manuel.
7.5. Les spirantes 7.5.1. I.-e. *s Le système consonantique de l’indo-européen se complète de fricatives ou spirantes. La plus claire, au point de vue articulatoire, est la sifflante. De nombreuses correspondances en établissent l’existence et en illustrent les conditions d’apparition. Les matériaux de la comparaison attestent une 78. Dans ce sens, Lamberterie 1998, p. 33-36. 79. Szemerényi 1990, p. 160-161. 80. Mayrhofer 1986, p. 98, n. 31.
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large distribution de *s. Cette consonne apparaît, en effet, à l’initiale, à l’intérieur ou à la finale ; d’autre part, sa présence se constate dans les différentes composantes d’une forme verbale ou nominale : racine, suffixe, désinence. À l’initiale devant voyelle, la sifflante se conserve intacte dans plusieurs langues, notamment en sanskrit, balto-slave, latin, germanique. Ainsi, de la racine *sekw- « s’attacher à » dérivent skr. sácate « il accompagne », lit. sèkti « suivre, poursuivre » et lat. sequor « je suis » ; de *sen(o)« vieux » procèdent skr. sánaḥ « id. », lit. sẽnas « id. », lat. senior « plus vieux » (et senex « vieillard »), got. sineigs « vieux ». Dans le même contexte, *s passe à h en iranien, arménien, grec et brittonique par relâchement de l’articulation. Ainsi, à la série des représentants de *sen(o)« vieux » s’ajoutent av. hana- « id. », arm. hin « id. », gr. ἕνος /hénos/ « id. » et bret. hen « id. ». Ces traitements se retrouvent presque identiques en position intervocalique. La forme *h1eset « qu’il soit », par exemple, garde son -s- dans véd. ásat « id. » et v. lat. esed « il sera ». Le balto-slave s’avère aussi conservateur, comme le montre la flexion des neutres du type v. sl. nebo « ciel », gén. nebese (cf. skr. nábhaḥ « nuage », gén. nábhasaḥ et, avec un d initial secondaire, lit. debesìs « nuage »). En revanche, les faits iraniens et grecs témoignent d’un affaiblissement : i.-e. *h1eset se reflète dans av. aŋhat̰ « qu’il soit » (var. aŋhaiti « id. » = v. p. ahatiy), *nébhesos dans gr. νέφεος /népheos/ (d’un plus ancien *νέφεhος /néphehos/), génitif de νέφος /néphos/ « nuage ». En grec mycénien, l’existence de -h- intervocalique ressort d’une forme comme me-zo-a2, nom. pl. n. « les plus grands » (comparatif), car le signe a2 vaut ha (/medzoha/ remonte à *meg̑ yosa < *-yosǝ2). Du vieux latin au latin classique, la sifflante se sonorise entre voyelles : s > z. Puis z se transforme en r (apical). C’est ce qu’on appelle le « rhotacisme ». La vieille forme esed est ainsi remplacée par erit, dont le t
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s’explique par une extension analogique de la désinence primaire. La sonorisation et le traitement r de *s intervocalique s’observent aussi en germanique. Le gotique atteste le premier stade de l’évolution dans des formes de comparatif, par exemple. Le morphème complexe *is-on- donne -izan-, attesté dans un adjectif tel que got. alþiza « plus âgé ». En nordique et en westique se produit le rhotacisme, comme l’illustrent v. isl. ellri « id. » et vha. altiro « id. ». Alors qu’entre voyelles *s s’altère dans plusieurs langues, un contexte favorise son intégrité, à savoir la position entre une voyelle (*e, *a, *o) et *t. Ces conditions se réalisent, en particulier, là où une désinence commen-
çant par t s’attache à un radical en s, comme dans *h1ésti « il est ». Les représentants de cette forme se caractérisent par la stabilité de la sifflante : skr., av. asti, hitt. ēšzi, v. lit. ẽsti, v. sl. jestŭ, gr. ἐστί /estí/, lat. est, got. ist. Après les sonantes voyelles i et u, ainsi qu’après r et k, *s non final devient une chuintante en indo-iranien et en balto-slave. En procurent un exemple véd. varṣā́ « f. « temps des pluies » et varṣám n. « pluie » en regard de gr. ἕρση /hérsē/ f. « rosée » (skr. ṣ note une chuintante rétroflexe). En slave, š évolue en x, spirante vélaire sourde (ach-Laut de l’allemand). C’est pourquoi le slavon serbe snŭxa « bru, belle-fille » répond à skr. snuṣā́ f. « id. ». Ce thème en -ā se retrouve dans vha. snur(a) « id. » > all. Schnur, tandis que le latin présente un thème en -u-, nurus (gén. sg. nurūs), et le grec une forme thématique, νυός /nuós/, sans doute fidèle au type ancien (< i.-e. *snusós). Le traitement de la sifflante postvocalique à la finale absolue se dégage, notamment, du nominatif sg. des thèmes en -o-. La désinence -s de i.-e. *wl̥ kwos / *lukwos « loup », par exemple, se conserve intacte dans lit. vil̃kas
« id. », gr. λύκος /lúkos/ « id. » et lat. lupus « id. ». En germanique, -s passe à -z, puis -z s’assourdit en ostique (got. wulfs), mais se rhotacise en
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nordique (v. isl. úlfr). En indo-iranien, si ce n’est dans des contextes particuliers, la sifflante finale se réduit à un simple souffle en raison d’un relâchement articulatoire. Cette aspiration est représentée graphiquement à l’aide du signe appelé visarga (transcription : ḥ) en sanskrit : vŕ̥kaḥ « loup ». Toutefois, devant consonne sonore et devant a-, la séquence /-ah/ se transforme en -ō. En avestique, -ō constitue le traitement usuel de cette finale : vəhrkō. Le slave, enfin, se distingue par un amuïssement complet de s final, sans allongement compensatoire : v. sl. vlĭkŭ. À la différence des occlusives sourdes indo-européennes, en corrélation avec des occlusives sonores, la spirante *s ne forme pas d’opposition phonologique avec une unité distinctive *z. Le son *z n’existe que comme variante combinatoire, c’est-à-dire comme réalisation de la sifflante devant consonne sonore. La répartition entre *s et *z apparaît clairement dans des dérivés de la racine *sed- « être assis » : la sourde se restitue à l’initiale et à la finale du neutre *sédos « siège, résidence » (skr. sádaḥ, gr. ἕδος /hédos/), la sonore à l’intérieur du masculin *nizdos « établissement, nid (d’oiseau) », analysable en ni-, préverbe, + *sd-, degré zéro de *sed-, + -o-s, voyelle thématique et désinence (skr. nīḍáḥ, lit. lìzdas, avec renouvellement de l’initiale, lat. nīdus, etc.). Les variantes s et z se trouvent donc en distribution complémentaire et ne sont pas commutables. En revanche, la sifflante se distingue phonologiquement des autres consonnes indo-européennes. En témoignent des paires minimales comme *sed- « être assis » : *h1ed- « manger » / *med- « mesurer » / *ghed- « saisir »
ou *h1es- « être » : *h1ed- « manger » / *h1ei- « aller » / *h1em- « prendre » / *h1ep- « saisir », etc. En outre, *s est en opposition avec zéro dans des racines
parallèles, comme *smei- « rire » : *mei- « changer, échanger ». Cf. *swer« résonner, retentir » : *wer- « arrêter, repousser », *sweid- « suer » : *weid« voir », etc.
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Cependant, une partie des faits atteste des flottements. Le cas échéant, les formes pourvues ou non de s sont synonymes : *(s)pek̑ - « regarder », *(s)teg- « couvrir, recouvrir », *(s)tenh2- « tonner, retentir », etc. À cette
sifflante non constante les descriptions donnent le nom de « s mobile ». Ce phénomène de variation s’explique sans doute dans le cadre de la phonétique syntactique. Des faits de sandhi, c’est-à-dire des changements de caractère euphonique à la frontière des mots ou des morphèmes, rendent probablement compte de ces variantes. Le flottement s / zéro à l’initiale d’un groupe de racines se comprend peut-être le mieux dans le cadre de la composition. En diverses langues, des préverbes (ou adverbes) présentent parfois un s additionnel : lat. ab-, abs- (> as-) « en partant de », ob-, obs- (> os-) « devant », sub-, subs- (> sus-) « sous » ; gr. ἀµφι- /amphi-/, ἀµφισ- /amphis-/ « de part et d’autre, autour » ; skr. áva, aváḥ « vers le bas ». Ces doublets ouvrent la voie à des réinterprétations : inconsciemment, le sujet parlant réanalyse parfois une séquence en .
7.5.2. Les « laryngales » 7.5.2.1. I.-e. *h2 Outre la sifflante, l’indo-européen possédait, en fait de spirantes, une classe de consonnes « laryngales ». Cette dénomination s’applique à des phonèmes d’articulation postérieure non exactement déterminable et non nécessairement glottale. Certaines de ces unités ont pu être des vélaires ou des pharyngales. Les laryngales (au sens large) posent des problèmes particuliers en raison de leur amuïssement presque complet à l’époque historique. Seules les langues anatoliennes en conservent des traces directes incontestables. Ainsi, à des formes latines, grecques ou indiennes à voyelle (ou sonante) initiale font écho des correspondants hittites commençant par
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ḫ + voyelle. Le cas se présente dans le rapprochement de gr. ἀργι- /argi-/ « blanc » (cf. ἀργι-όδων /argi-ódōn/ « aux dents blanches »), skr. r̥ ji- « id. » et hitt. ḫarki- « id. » (cf. lat. argentum « argent », propr. « métal blanc brillant »). À l’intérieur, la voyelle -ā- de langues non anatoliennes répond parfois à une séquence -aḫḫ- du hittite, comme l’atteste l’équation lat. nouā(re) « renouveler » : hitt. newaḫḫ- « id. ». Dans cet exemple, la disparition de la laryngale entraîne un allongement compensatoire de la voyelle précédente dans la forme latine. En revanche, lorsque la voyelle (ou la sonante) suit la laryngale, ce changement quantitatif ne se produit pas (cf. supra, gr. ἀργι- /argi-/). La question se pose, alors, de savoir si d’autres indices que la quantité vocalique suggèrent, le cas échéant, l’existence d’une laryngale préhistorique. En fait, un phénomène qualitatif, c’est-à-dire la modification du timbre d’une voyelle voisine, s’observe dans un grand nombre de formes. Dans gr. ἀντί /antí/ « en face de » et lat. ante « devant », par exemple, le vocalisme a résulte de l’altération d’un e sous l’influence d’une laryngale initiale (cf. hitt. ḫantezzi- « de devant, premier »), car cette préposition s’interprète comme un locatif sg. en -i, forme casuelle à degré e de l’élément prédésinentiel : *h2ént-i, comme *dyéw-i « dans le ciel ». Selon la numérotation conventionnelle, la laryngale à pouvoir colorant a reçoit l’indice 2 (h2) et s’oppose à deux unités au moins, h1 et h3, responsables d’effets différents. Les traces de h2 une fois reconnues, la restitution de cette laryngale devient possible même en l’absence d’un témoignage anatolien. Une voyelle a initiale de mot est à réécrire *h2e, si des considérations morphologiques viennent à l’appui de cette étymologie. Lat. agō « je pousse, je mène ; je fais », par exemple, se reconstruit sous la forme *h2ég̑ -ō, car ce présent appartient au type thématique à degré e radical : comparer legō « je ramasse ; je lis », petō « je cherche à atteindre, je demande », regō « je
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dirige », etc. Cette interprétation ramène, du même coup, la racine *ag̑ - à une structure trilitère, conforme au modèle général 81. Pour des raisons analogues, l’ā de gr. dor. φᾱµί /phāmí/ « je dis » est considéré comme le reflet de *eh2. En effet, une forme sous-jacente *bhéh2mi s’accorde, entre autres, avec *bhérmi « je porte » (degré e clairement attesté dans gr. hom. φέρτε /phérte/ « apportez ! ») et l’hypothèse d’une origine *bheh2- de φᾱ- /phā-/ fait disparaître l’irrégularité d’une racine bilitère. En dehors des radicaux, la reconstruction de *eh2 s’impose dans le cas du morphème de féminin. Que la finale -ā des noms de la 1re déclinaison remonte bien à cette séquence, un dérivé du nom de la « roue » en donne confirmation. En effet, skr. rátha- m. « char ». propr. « (véhicule) pourvu de roues », se construit sur *rot-eh2 f. « roue » (> lat. rota) par adjonction de la voyelle thématique. Or, devant -o-, le suffixe primaire prend le degré zéro, d’où *rot-h2-o-. Dans cette forme, la laryngale se trouve en contact direct avec la consonne finale de la racine et le groupe *th2 donne une dentale sourde aspirée en indoiranien 82. Dans ce cas, la trace de h2 n’est pas un trait vocalique (timbre, allongement compensatoire), mais un trait consonantique (aspiration). Le changement implique un affaiblissement de l’articulation. En revanche, il y a renforcement, lorsque *h2 se « durcit » en une occlusive devant sifflante. Hypothèse éclairante d’André Martinet, ce « durcissement » ne se produit pas partout, ni toujours, mais joue un rôle important dans certains dialectes à une certaine époque 83. Le latin procure des faits très intéressants, comme le masculin senex. Le rapprochement de ce nom 81. Comme l’enseigne Émile Benveniste, « la racine indo-européenne est monosyllabique, trilitère, composée de la voyelle fondamentale ĕ entre deux consonnes différentes » : Benveniste 1935, p. 170. 82. Cette étymologie de skr. rátha- revient à J. Kuryłowicz. Cf. Kuryłowicz 1927, p. 221. M. Mayrhofer s’en fait l’écho : « Idg. *rót-h2-o-, wohl Ableitung von *rot-eh2- ‘Rad’ » (s.v. rátha-, in : EWAia, II. Band, p. 429). 83. Voir Martinet 1955, p. 42-56, texte repris et adapté dans Martinet 1975, p. 146-168 ; voir aussi : Martinet 1987, p. 154-159.
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du « vieillard » avec senātus « conseil des anciens » ouvre la voie à une explication laryngaliste de son -k- prédésinentiel (senex < *senaks-). En effet, la résolution de senā- en *seneh2- rend ce thème compatible avec *senak-. Le suffixe *-eh2- passe à -ā- devant t, mais à -ak- devant s. Cette
transformation de la laryngale en une occlusive se comprend bien, si h2 est défini comme une fricative vélaire. Une évolution comparable, observe Martinet, a lieu dans les langues germaniques. Ainsi, vha. wahsan « croître », où h note une dorsale spirante (χ), donne all. wachsen, où la graphie {chs} représente [ks]. À la suite de Warren Cowgill, Fredrik Otto Lindeman conteste l’origine *h2 de l’occlusive de senex, sous prétexte que ce mot fournirait le seul exemple d’un k coexistant avec la trace d’une laryngale identifiée dans un autre contexte (la quantité et le timbre de ā dans senātus). En réalité, Martinet invoque aussi les noms latins en -trīx (cf. skr. -trī), manifestement pourvus du morphème de féminin *-yeh2/-ih2, bien connu par ailleurs. Mais surtout, un trait tout à fait probant plaide en faveur d’une laryngale et non d’un ancien suffixe *-k- dans le thème de senex : c’est le fait que l’occlusive dorsale se limite au nominatif sg., c’est-à-dire à la forme casuelle à désinence -s 84. Le durcissement de *h2 n’entrave pas son pouvoir colorant, comme l’indique le traitement -ᾰξ /-aks/ de *-eh2s dans les noms grecs du type µεῖραξ /meîrăks/ f. « jeune fille » (m. « jeune homme » en grec tardif). Véd. maryaká- « petit homme » serait à gr. µεῖραξ /meirăks/ < *meryăks comme véd. sanaká- à lat. senex 85. À la différence de ĕ, ē ne change pas de timbre au contact de *h2. La découverte de cette loi phonétique revient à Heiner Eichner 86. 84. Le nominatif pl. senices (Plaute, Cist. 373) n’est qu’une création occasionnelle, non sanctionnée par l’usage. 85. Martinet 1975, p. 153-154. Mais les dérivés indiens pourraient être des formations indépendantes et comporter un élargissement -k- + voyelle thématique. Frisk, s.v. µεῖραξ /meîrăks/, sépare le terme grec de véd. maryaká- : GEW II, p. 195-196. 86. Eichner 1972, p. 53-107.
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Les séquences *h2ē et *ēh2 aboutissent respectivement à hitt. /hē/ et /ēh/. Ainsi, de la racine *h2ek̑ - « être pointu » dérive, avec le degré long, hitt. ḫēkur « pic, pointe de rocher », tandis que le degré plein rend compte du radical ἀκ- /ak-/ de gr. ἄκ-ρος /ák-ros/ « pointu », par exemple. La même alternance s’observe dans des représentants de la racine *meh2- « temps opportun(?) » : la forme *mēh2- donne hitt. mēhur « id. », le degré normal produit le radical de lat. mā-tūrus « qui arrive à son terme, mûr ». Comme e n’alterne pas seulement avec ē, mais aussi avec o, des groupes *h2o et *oh2 devaient exister en indo-européen. Leur traitement ne fait pas
l’unanimité, car les exemples, très peu nombreux, sont parfois susceptibles d’interprétations concurrentes. Toutefois, le verbe latin ad-oleō « je fais brûler » repose probablement sur un thème *h2ol-éye-, avec un degré o normal dans un causatif. La racine au degré e, *h2el-, explique la composante al- du neutre pl. altāria « autel sur lequel on brûle les offrandes » 87. Si cette étymologie est correcte, *h2o- se réduit à o en latin et la laryngale n’a pas d’effet sur le timbre de la voyelle. La coloration o se maintient également, lorsque les phonèmes se présentent dans l’ordre inverse, mais l’amuïssement de *h2 entraîne un allongement vocalique. La variante apophonique *bhoh2- de *bheh2- « dire » en donne un exemple. Le grec atteste, en effet le dérivé féminin φωνή /phōnḗ/ « voix » à côté de φηµί /phēmí/ (dor. φᾱµί /phāmí/) « je dis ».
7.5.2.2. I.-e. *h1 Une laryngale dépourvue de pouvoir colorant non seulement sur o, mais aussi sur e ne se dégage que de témoignages indirects. Sa disparition s’étend à toutes les langues de la famille, y compris les langues anatoliennes. Conventionnellement, cette consonne débile est notée *h1. Un indice 87. Martin Kümmel rattache ces faits à *h2el- « nourrir » (lat. alō, etc.), au prix d’une spécialisation dans le sens de « nourrir le feu » (LIV, p. 262).
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de son existence en indo-européen réside dans des faits synchroniquement inexplicables. Par exemple, l’augment long de la forme indienne ā́ -yan « ils allaient », à côté de yánti « ils vont », fait figure d’irrégularité. Normalement, le morphème a- de l’imparfait est bref, comme dans á-ghnan « ils tuaient », à côté de ghnánti « ils tuent ». Mais, dans l’hypothèse où la racine *ei- « aller » (cf. gr. εἶµι /eîmi/ « je vais, j’irai ») remonte en fait à *h1ei-, ā́ yan s’explique à partir de *é-h1y-ent par amuïssement de la laryn-
gale et allongement compensatoire 88. La restitution de *h1- supprime, en outre, l’anomalie d’une racine bilitère (cf. supra). Dans la morphologie verbale, le rétablissement d’une laryngale initiale éclaire encore des parfaits latins à voyelle longue. Selon Émile Benveniste, lat. ēmī, de emō « je prends, j’achète », appartient à l’origine au type redoublé et se reconstruit *ə1e-ə1m-ai (= *h1e-h1m-ai), avec le degré zéro d’une racine *ə1em- (= *h1em-) 89. Avec la laryngale 1, l’auteur verse au dossier -ēpī (dans co-ēpī
« j’ai commencé ») < *ə1e-ə1p-ai (racine *ə1ep-) et ēdī « j’ai mangé » < *ə1e-ə1d-ai (racine *ə1ed-). Ces faits plaident assurément en faveur de
racines à *h1 initial. Ailleurs, l’analyse des formes conduit à la restauration d’un *h1 à la finale. La résolution de ē en *eh1 dans sē- « semer », par exemple, révèle la nature du rapport entre lat. sēuī (pf.) et serō (prés.) : un radical plein *seh1- (> sē-) s’oppose à la variante faible *sh1- dans la forme à redoublement *se-sh1-ō 90. Après la chute de la laryngale, l’-s- intervocalique de *sesō subit le rhotacisme. Comme on le voit à travers cette sélection d’exemples, *h1 entre dans la constitution d’une série de racines. En outre, la description morphologique en signale la présence dans des morphèmes flexionnels. Le cas se présente, notamment, dans le suffixe d’optatif. Les formes historiques témoignent d’une alternance *-yē- / -ī-, à 88. Pour une autre interprétation, voir § 15.4.1.1. 89. Benveniste 1949, p. 16-19. 90. Pour *se-sh1- de préférence à la reconstruction traditionnelle *si-sh1-, voir LIV s.v. seh1-, n. 4.
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première vue aberrante. Le latin l’illustre dans le subjonctif archaïque (ancien optatif) s-iē-s « que tu sois » / s-ī-tis « que vous soyez ». Cette variation insolite de l’élément prédésinentiel se comprend à la lumière d’une réécriture *-yeh1- / -ih1- : il s’agit d’une opposition intraparadigmatique entre le degré plein et le degré zéro d’un morphème unique.
7.5.2.3. I.-e. *h3 Des formes verbales et nominales ne s’intègrent dans le système morphologique indo-européen qu’au prix d’une hypothèse laryngaliste, mais n’admettent ni *h1, ni h2. Lat. opus « œuvre », par exemple, se caractérise par une racine bilitère à voyelle initiale. Cette voyelle comporte le timbre o, alors que la plupart des représentants du type présentent le degré e radical (cf. genus « naissance, race », gr. γένος /génos/ « id. »). Dans ces conditions, la couleur o se dénonce comme secondaire et s’explique de la manière la plus convaincante par l’influence d’une consonne disparue. Comme *h1e et *h2e donnent respectivement e et a, force est de postuler une troisiè-
me laryngale, h3, dotée du pouvoir colorant o. La reconstruction d’un substantif *h3ép-os restaure à la fois la structure trilitère, donc régulière, de la racine et le vocalisme e, normal dans la formation des neutres sigmatiques. De même qu’une origine *h3e rend compte d’une partie des o attestés dans les langues historiques, de même la combinaison inverse *eh3 donne la clef d’une partie des ō. La racine *pō- « boire », par exemple, se ramène probablement à *peh3-, en conformité avec le modèle triphonématique (cf. *per- « traverser »). Le degré plein apparaît dans l’impératif aoriste éolien
πῶθι /pôthi/ « bois ! » (= skr. pāhi ) ou dans le neutre πῶµα /pôma/ « boisson ». Avec extension du vocalisme ō au participe, le latin a pōtus « bu » et « qui a bu » ; le radical pō- figure aussi dans le nom d’instrument pōculum « coupe » (cf. skr. pā́ tram « vase à boire »).
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Une pièce du dossier s’avère précieuse pour la définition de la consonne disparue : la forme du présent thématique à redoublement. Une attestation s’en rencontre dans skr. píbati « il boit », structuralement comparable à jíghnate « il frappe, il tue ». Dans cette formation, la racine figure au degré zéro. De *peh3- dérive ainsi *pi-ph3-e-ti, par application de la règle morphologique propre au type en question. La laryngale 3 sonorise la labiale sourde précédente et s’amuït, à en juger par le reflet du sanskrit. Le latin bibō « je bois » en donne confirmation et suppose, en outre, la substitution de b- au p- initial par assimilation à distance. Selon toute vraisemblance, *h3 possédait donc le trait voisé.
Des faits d’un autre ordre mettent en évidence un second élément articulatoire : l’arrondissement des lèvres. André Martinet signale la coexistence significative de ō et de la séquence voyelle + w dans des formes étymologiquement apparentées. Un exemple de cet état de choses se rencontre dans la paire lat. octō « huit » : octāuos « huitième ». À l’origine, l’ordinal se forme par la simple addition de -o- au nombre cardinal (cf. *septm̥ « sept » → *septm̥ (m)o- « septième », d’où lat. septem, septimus) 91. De la forme i.-e. *h3ek̑ teh3 (ou *Hok̑ teh3) le dérivé attendu se reconstruit donc *h3ek̑ teh3-o-
(*Hok̑ teh3-o-). Le double traitement de *eh3 (ō à la finale absolue, āw devant voyelle) se comprendrait bien si, selon la suggestion très éclairante de Martinet, la laryngale avait le statut phonétique d’une spirante labiovélaire (Hw). En fonction du contexte, l’appendice
w
entraîne l’arrondisse-
ment de la voyelle précédente ou laisse une trace sous la forme de la semivoyelle w. Dans ce dernier cas, e, libéré de l’influence du trait labial, se
91. Comme morphème de l’ordinal, les auteurs de travaux récents posent souvent*-h2o- (à côté de *-th2o- : cf. skr. caturtha- « quatrième »). Sur cette question, voir Meier-Brügger 2010, p. 372-373.
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colore en a, comme devant *h2 92. Cette analogie implique une parenté articulatoire (rétraction de la langue) entre *h3 et *h2. Dès lors, la question se pose de savoir si *h3, de même que h2, survit dans le ḫ hittite. D’aucuns l’admettent sur la foi de correspondances entre ḫa- de termes anatoliens et o de leurs équivalents occidentaux. Entre en considération le nom du « mouton » : louv. ḫawi- (ḫa-a-ú-i-iš), gr. οἶς /oîs/ (hom. ὄις /óis/), lat. ouis. Ces témoins s’expliqueraient, évidemment, à partir de *h3ewi- ou *h3owi-, mais rien ne s’oppose à la reconstruction de *h2owi-.
L’alternative (*h3e/o- ou *h2o-) se présente aussi dans le cas de hitt. ḫaštāi« os » (gén. ḫaštiyaš), gr. ὀστέον /ostéon/ « id. », lat. os « id. » (gén. ossis), skr. ásthi « id. ». Sont possibles soit *h3e/osth2- + suffixe *-ē̆y-/-i-, soit *h2osth2- + suffixe *-ē̆y-/-i-. Le rapprochement de hitt. ḫaraš « aigle », gén.
ḫaranaš avec gr. ὄρνις /órnis/ « oiseau » ne permet pas davantage le choix entre *h3 et *h2 dans la forme indo-européenne. Au total, ces faits n’excluent pas, mais ne prouvent pas non plus l’existence d’une loi phonétique i.-e. *h3e/o- > hitt. ḫa-. La combinaison inverse, *-eh3-, se transforme en -ādans les formes hittites : *deh3- « donner » (gr. δω- /dō-/) se reflète dans dā« prendre » 93 et *peh3- « boire » (gr. πω- /pō-/) dans pā-š- « avaler ». Comme on le voit au terme de cet examen, l’idée que *h3 laisse une trace directe en anatolien ne repose sur aucun témoignage décisif 94.
7.5.2.4. Laryngales et voyelles prothétiques La débilité des laryngales se manifeste plus ou moins selon les contextes et selon les langues. À l’initiale devant consonne, en particulier, *h1, *h2 et *h3 disparaissent dans la plupart des dialectes indo-européens, mais demeurent 92. A. Martinet traite à plusieurs reprises du caractère et des effets de h3. Voir, en particulier, Martinet 1970, § 8.10 et 8.11 ; Martinet 1975, p.141-143 ; Martinet 1987, p.149-153. 93. Sur l’aspect sémantique du rapprochement, voir Oettinger 1979, p. 500-501. 94. Voir Mayrhofer 1986, p. 142-143. Pour un cas particulier, ibid., n. 182.
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sous forme de vestiges en grec et en arménien. Là où l’italique et l’indoiranien, par exemple, n’ont pas trace d’une laryngale, le grec présente une voyelle prothétique. Le fait se vérifie dans les représentants de *h1s-énti « ils sont » (racine *h1es- « être ») : ombr. sent (cf. lat. sunt, v. lat. sont, avec vocalisme o de la désinence), skr. sánti, av. hǝnti vs gr. myc. e-esi /ehensi/. Comme *h1 possède le caractère d’une consonne et n’est pas susceptible de vocalisation, la prothèse s’explique par le développement d’une voyelle anaptyctique. Cette voyelle prend le timbre e au contact de *h1, mais le timbre a sous l’influence de h2. En témoigne gr. ἄ(ϝ)ησι /á(w)ēsi/ « il souffle », de la racine *h2weh1-. La restitution de h2 à l’initiale de cette forme se fonde sur hitt. ḫuwant- (ou ḫwant-) « vent », ancien participe bâti sur le degré zéro radical. En dehors des données grecque et anatolienne, la laryngale s’amuït complètement. Cf. lat. uentus « vent », skr. vāti « il souffle », av. vāiti « id. », got. winds, etc. Enfin, la correspondance lat., skr., av. ø- : gr. ὀ- illustre le traitement attendu de h3 devant consonne. Un exemple s’en rencontre dans les formes apparentées lat. regō « je dirige », skr. rā́ jati « il règne », av. vī-rāzaiti « id. » vs gr. ὀρέγω /orégō/ « j’étends ». Suggérée par la prothèse du verbe grec, la laryngale initiale de *h3reg̑ - « diriger en droite ligne, étendre » reçoit une confirmation du féminin ὄργυια /órguia/ « brasse ». Quelle qu’en soit la formation exacte, ce substantif s’interprète comme un ancien participe parfait signifiant proprement « longueur des deux bras étendus » 95.
7.5.2.5. Les laryngales en position interconsonantique Le reflet de *h1, h2, h3 dans les voyelles grecques ε, α, ο se retrouve en position interconsonantique. Ce traitement différencié caractérise, par exemple, les participes *dhh1tos > gr. θετός /thetós/ « posé, établi », *bhh2tos 95. Voir Chantraine, DELG, s.v. ; Lamberterie 1991-1993, p.128-130 ; Lindeman 1977, p. 126-128.
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> gr. φατός /phatós/ (dans οὐ φατός /ou phatós/ « indicible »), *dh3tos > gr. δοτός /dotós/ « donné » (cf., supra, chap. VI). Dans les mêmes conditions, le latin présente ă bref sans égard à la nature de la laryngale et le sanskrit a généralement i, mais parfois zéro. En latin, fateor « j’avoue », bâti sur un ancien participe *fătus « dit » ou « qui peut être dit », et datus « donné » se rattachent respectivement à gr. φατός /phatós/ et δοτός /dotós/. En sanskrit, hitáḥ « placé, ordonné » (var. -dhita- dans des composés védiques et dhitapostvédique) et -tta- (dans devá-tta- « donné par les dieux », etc.) font écho à θετός /thetós/ et δοτός /dotós/. Le cas échéant, les traitements i et zéro entre consonnes s’observent dans le même paradigme. La forme alternante de dhā- « mettre, placer », par exemple, se présente sous un double aspect, à savoir -dhi- et -dh- : comparer a-dhi-ta (aor.) « il plaça » et da-dh-máḥ (prés.) « nous plaçons ». La concurrence i / zéro se constate aussi dans les variantes jániman- / jánman- n. « naissance », de *g̑ enh1- « (faire) naître ». C’est un cas de flottement.
7.5.2.6. Skr. janáyati En revanche, la forme jan- est constante dans jánati « il engendre » ou « elle enfante » et dans le causatif janáyati « id. », car la laryngale s’amuït devant voyelle sans laisser de trace. Néanmoins, malgré cet amuïssement complet, une anomalie dans le vocalisme du causatif suggère l’existence d’une consonne sous-jacente à la suite de -n-. En principe, la formation en -aya- comporte une voyelle radicale longue en syllabe ouverte, comme dans véd. nāśáyati « il fait disparaître, il anéantit » de naś- « aller à sa perte »). Par contre, en syllabe fermée, la voyelle radicale du causatif est brève, comme dans vartáyati « il fait tourner » (de vart-, vr̥ t- « tourner », intr.). Dans ces conditions, janáyati se range paradoxalement avec les formes en -aya- de racines terminées par un groupe sonante + consonne.
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Or, cette structure phonique est à reconnaître dans le verbe indo-européen, car, sur la base des faits de date historique, il y a lieu de reconstruire *g̑ onh1éyeti. Le traitement indien de cette forme est donc régulier et ne
contrevient pas à la « loi de Brugmann » (i.-e. *o en syllabe ouverte donne i.-ir. ā), puisque la syllabe initiale est fermée. On le voit, la théorie des laryngales permet de rendre compte d’une exception apparente.
7.6. Les sonantes 7.6.1. *i/y et *u/w 96 Tantôt voyelles, tantôt consonnes, les sonantes constituent une classe de phonèmes intermédiaire. Sont en cause *i/y, *u/w, les liquides et les nasales. En sanskrit, *i/y et *u/w se conservent intacts et vont de pair. Leurs réalisations vocaliques et consonantiques sont généralement en distribution complémentaire : i et u se rencontrent devant consonne, y et v (= /w/) devant voyelle. De nombreux faits l’attestent, comme les doublets de préverbes en -i et en -u. Le verbe composé adhi dhā- « accorder », par exemple, procure les formes adhi dhatthaḥ « vous deux accordez » (RV 1,157,6) et, avec l’augment, adhyádhattam « vous deux accordiez » (RV 1,117,8). De même, anu et anv s’observent respectivement au présent et à l’imparfait du verbe anu jan- intr. « être né après (qqn.) » : ánu jāyate « il est né après » (RV 6,48,22), ánv ajāyanta « ils naquirent après » (RV 10,72,5). La variation i/y et u/v ne se limite pas à la frontière des mots, mais règne aussi au point de jonction des morphèmes. Des substantifs en -i- et en -u-, en particulier, présentent les formes -y- et -v- du suffixe devant les désinences à initiale vocalique. Ainsi, le védique oppose le nominatif sg. áviḥ « mouton » au génitif sg. ávyaḥ, de même que le nominatif sg. paśúḥ « bétail » au génitif sg. paśváḥ. Ce jeu se retrouve dans le domaine de la 96. Notations équivalentes : *i/i̯ et *u/u̯ .
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dérivation. Du nom ávi- procède, par thématisation, l’adjectif ávy-a- « du mouton » (en parlant de la laine). Pareillement, l’adjonction du suffixe -a- à r̥ bhú- « habile » engendre ŕ̥bhv-a- « id. » (RV 6,49,9).
7.6.2. Véd. -iya- et -yaCes faits, toutefois, ne donnent pas une image complète de la situation, car i et u apparaissent aussi devant voyelle dans certaines conditions. Ainsi, un suffixe -iya- (réalisation de /ia/ à l’aide d’un « glide ») figure régulièrement à la suite d’une séquence lourde, c’est-à-dire d’un groupe voyelle longue + consonne ou voyelle brève + deux consonnes. En revanche, après une séquence légère, c’est-à-dire une voyelle longue ou une voyelle brève + une seule consonne, se constate le plus souvent la forme -ya-. Ce double traitement, reconnaissable également dans les langues germaniques, illustre la « loi de Sievers ». Aux exemples védiques du suffixe -iya- après séquence lourde appartient abhríya- « qui vient des nuages (abhrá- n.) », d’où « éclair ». Dans le R̥ gveda, le type compte une vingtaine de dérivés. En outre, malgré la règle de Sievers, -iya- s’attache parfois à une séquence légère. Le cas se présente, par exemple, avec dámiya- « de la maison, qui se trouve dans la maison » (dám(a)- « maison »), dúriya- « de la porte, qui se trouve à l’intérieur des portes = dans la maison » (dúr- « porte »), ápiya« qui se trouve dans l’eau, qui a affaire à l’eau » (áp-, ā́ p- « eau »). Dans le suffixe de ces adjectifs, Manfred Mayrhofer voit la thématisation du morphème de locatif (/-i-a-/) et y oppose la forme -ya-. Dans cette perspective, i et y auraient le statut de phonèmes distincts 97. Cependant, -iya- et -ya- ne se distinguent pas par leur valeur sémantique. Si dámiyaadmet la traduction « qui se trouve dans la maison », c’est que dámaévoque un lieu et s’emploie presque toujours au locatif (dáme) dans le 97. Mayrhofer 1986, p. 161.
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R̥ gveda. Mais l’adjectif signifie proprement « de la maison, domestique » et s’applique à Agni ou à ses attributs. Par métonymie, dúriya- propr. « relatif à la porte » s’emploie parfois dans le sens de dámiya-. RV 2,38,5, par exemple, le nominatif sg. dúriyaḥ se rapporte au feu domestique et se conçoit ainsi comme expression de la localisation (« étant dans la maison »). Par contre, en 1,51,14, l’adjectif fonctionne comme épithète de yū́ paḥ « montant » dans le syntagme dúriyo ná yū́ paḥ « comme un montant de porte ». Dans ce cas, le suffixe -iya- exprime la notion d’appartenance. Cette définition convient aussi à la variante -ya- et il n’y a pas de différence de sens entre dúriya- et dúrya-. Les formes dúriyam (acc. sg., RV 8,74,1) et durya (voc. sg., RV 7,1,11), par exemple, se rapportent l’une et l’autre à Agni en sa qualité d’ami de la maison. Dans ces conditions, la syllabation ne dépend que du contexte métrique. De même, ápiya- et ápya- alternent en fonction des commodités de la versification et se comportent comme des synonymes. La commutation de i et y dans /-ia-/ vs /-ya-/ n’entraîne donc pas de changement dans le signifié des dérivés. C’est pourquoi, en fin de compte, i et y ne sont pas des phonèmes distincts, mais des variantes.
7.6.3. I.-e. *y et son double traitement en grec Au point de vue diachronique, la sonante consonne prépalatale montre une grande stabilité à l’initiale dans la plupart des langues indo-européennes : indo-iranien, tokharien, hittite, balto-slave, latin, germanique (sauf en nordique). Mais le grec fait exception, car *y- n’y laisse une trace qu’en mycénien dans le thème du relatif, à savoir jo- = /jō(s)/, adv. « ainsi » (cf. ὧ-δε /hô-de/, ὥς /hṓs/). Encore y a-t-il flottement entre jo- et o- = /hō(s)/. Cette double graphie est probablement l’indice d’un changement en cours. En tout cas, l’affaiblissement de *y- en h- est un fait accompli dans tous les dialectes du grec alphabétique. Ce changement se vérifie, par exemple,
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dans le relatif ὅς /hós/, comparable à skr. yáḥ et av. yō (< i.-e. *yos). Un vieux neutre hétéroclitique atteste aussi l’aspiration initiale du grec en regard de la semi-voyelle prépalatale de l’indo-iranien, du baltique et du latin : gr. ἧπαρ /hêpar/ « foie », skr. yákr̥ t « id. », av. yākarǝ « id. », lit. jẽknos « id. », lat. iecur « id. » (i.-e. *yḗkw-r̥ /*yekw-n-). S’accorde avec ces faits la correspondance gr. ὥρᾱ /hṓrā/ « temps de l’année, saison » : av. yārǝ « année », got. jer « id. ». En revanche, dans un petit nombre de mots, le grec répond à y des autres langues par ζ. L’équation gr. ζωστός /zōstós/ « ceint » : av. yāsta- « id. », lit. júostas « id. » en fournit un exemple. Le passage de *y- à /z/ [dz-] (> [zd-]) suppose un stade intermédiaire [dy-], s’expliquant par un renforcement de l’articulation. Il y a donc, dans la même langue et dans les mêmes conditions phonétiques, deux traitements de la semi-voyelle antérieure. Cette coexistence pose un problème difficile. Les indo-européanistes y cherchent souvent une solution par le biais d’une hypothèse laryngaliste. Dans cette perspective, un groupe *Hy- rendrait compte soit de h-, soit de ζ- selon les auteurs. Les données comparatives n’offrent pas de témoignages concordants. D’une part, une forme comme skr. amitrā-yúdh- « qui combat les ennemis » plaide pour une racine *Hyeudh- / *Hyudh- en raison de la finale ā du premier terme (l’amuïssement de la laryngale entraîne l’allongement compensatoire de la voyelle précédente) 98. Et comme cette racine élargie par -s- (*Hyudh-s-) se retrouve sans doute dans la syllabe initiale de gr. ὑσµίνη /husmínē/ « combat », le rapprochement des faits indien et grec enseigne apparemment la règle i.-e. *Hy- > gr. h-. Mais, d’autre part, un traitement i.-e. *Hy- > gr. ζ- se dégage, semble-t-il, de la reconstruction d’une forme de skr. yuj- « atteler » et de son rapprochement avec gr. ζυγ- /zug-/, ζευγ- /zeug-/ (cf. ζυγόν /zugón/ « joug », ζεύγνυµι /zeúgnūmi/ 98. En faveur de *Hi̯ eu̯ dh-, Martin Kümmel invoque également av. aspā-/frā-iiaoδa- (LIV, s.v., n. 1).
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« j’attelle »). En effet, le R̥ gveda atteste une fois l’imparfait āyunak (3e sg.) du présent à infixe nasal yunákti / yuñjánti « il attelle / ils attellent » (pour la formation, cf. lat. iungō 99). L’augment long de cette forme s’expliquerait bien à partir d’une racine *Hyug- / *Hyeug-. Donc, dans ce cas, le groupe *Hy- donnerait gr. ζ-. Comme on le voit, le recours à la théorie des larynga-
les ne résout pas la difficulté. D’ailleurs, des faits complémentaires remettent en cause la reconstruction des racines verbales signifiant « combattre » et « atteler » : 1o L’imparfait et l’aoriste de skr. yudh- ne présentent jamais un augment long. Le R̥ gveda procure, notamment, áyudhyaḥ (2e sg. impf.), áyudhyat (3e sg. impf.), áyodhīt (3e sg. aor.). De plus, dans le composé prayúdh- « qui combat devant, en première ligne » (RV 5,59,5), la voyelle de pra- ne connaît pas l’allongement. Dans ces conditions, la laryngale initiale de la forme indo-européenne ne paraît pas suffisamment étayée. 2o Dans le R̥ gveda, l’augment des imparfaits et des aoristes de yuj- a beaucoup plus souvent la quantité brève (a-) que la quantité longue (ā-). En particulier, āyunak (1,163,2) est concurrencé par ayunak (6,44,24) et ā́ yukta, 3e sg. aor. moy. (1 fois : 5,17,3), par áyukta (6 fois), ayukta (1 fois). Ont encore un augment bref : ayuñjata (3e pl. impf. moy.), ayuji (1re sg. aor. moy.), áyukthāḥ (2e sg. aor. moy.), ayujmahi (1re pl. aor. moy.), áyugdhvam (2e pl. aor. moy.), áyujran (3e pl. aor. moy.), etc. En outre -yuj- second terme de composé n’allonge pas la voyelle finale du premier terme (cf., par exemple, aśva-yúj- « qui attelle les chevaux »). Au vu de l’ensemble du dossier, mieux vaut, en définitive, ramener les formes du verbe « atteler » à une racine dépourvue de laryngale initiale : *yeug- / *yug-. Les attestations sporadiques d’un augment ā- reflètent une tendance à l’allongement vocalique devant sonante 100. En tout cas, un augment long n’implique pas 99. Lat. iung- répond à skr. yuñj-, mais les modèles flexionnels ne sont pas les mêmes : athématique en védique, thématique en latin. 100. Voir Renou 1952, § 42 et 304.
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l’existence d’un H dans la racine indo-européenne, comme le prouve ā́ riṇak, 2e sg. impf., « tu libéras » (RV 2,13,5), de ric- « laisser » < i.-e. *likw- (degré plein *leikw-). Cf. gr. λείπω /leípō/ « je laisse », lat. linquō
« id. ». Qu’il s’agisse de l’augment ou de la voyelle finale du premier membre de composé (cf., supra, amitrā-yúdh-), la quantité dépend aussi de convenances rythmiques et de nécessités métriques 101. De ces considérations résulte le constat d’une extrême rareté des racines à initiale complexe *Hy-. Le LIV n’en admet que trois (*Hi̯ ag̑ - « vénérer », *Hi̯ eh1- « jeter », *Hi̯ eu̯ dh- « s’agiter ») contre une vingtaine pour *Hu̯ - (*h2u̯ - dans la plupart
des cas). Cette inégalité suggère que la réalisation d’une séquence *Hy- au début du mot posait un problème articulatoire. En revanche, *Hw- ne faisait pas difficulté, de même que le groupe récent hw- du germanique (< i.-e. *kw- ou *kw-). Cf. v. angl. hwā « qui » (angl. mod. who), hwīt « blanc »
(angl. mod. white), etc. En grec, le premier élément de *Hw- laisse une trace indirecte sous la forme d’une voyelle prothétique (cf. supra ἄ(ϝ)ησι /á(w)ēsi/, de *h2weh1- « souffler »). Parallèlement, dans une prétendue séquence *Hy-, le traitement de la laryngale devrait être le même. Or, les formes grecques rapportables aux racines sus-mentionnées, resp. ἁγ- /hag-/ « vénérer » (cf. ἁγνός /hagnós/, ἅγιος /hágios/ « saint, sacré ») ἡ- /hē-/ « jeter, lancer » (cf. hom. ἧµα /hêma/ « javeline », de ἵηµι /híēmi/ « je lance ») et ὑσµίνη /husmínē/ < *ὑϑ-σ-µῑ́νᾱ /huth-s-mī́nā/ « combat », n’ont pas de prothèse et plaident ainsi pour des formes indo-européennes dépourvues de *H (*yag̑ -, *yeh1-, *yeudh-). Force est donc d’admettre une double évolution
de *y- en grec. Contraire aux « lois phonétiques », ce fait historique s’explique peut-être dans un contexte sociolinguistique. Le cas échéant, les traitements h- et ζ- n’appartiendraient pas, à l’origine, à la même variété de
101. Voir encore Renou 1952, § 108 et 165.
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langue. Leur coexistence dans le grec général résulterait des échanges entre classes sociales 102.
7.6.4. I.-e. *w et le digamma dans la langue homérique Là où *y- se conserve intact, la semi-voyelle postpalatale *w se maintient généralement aussi. À l’initiale devant voyelle, ce phonème s’observe dans le nom de la « veuve » en indo-iranien, balto-slave, latin et germanique. Aux formes sanskrite, latine et gotique (cf. supra, chap. VI) s’ajoutent av. viδava, v. pruss. widdewu et v. sl. vĭdova. Les représentants de la racine *wes- « être vêtu de » et « vêtir, se vêtir » attestent, en outre, la conserva-
tion de *w- en hittite et en tokharien : hitt. weš-, waš-, tokh. wäs-, was-, en regard de skr. vas-, av. vas-, vaŋh-, lat. ues- (cf. uestis f. « vêtement »), got. was- (causatif wasjan « vêtir »). En grec, le traitement de la sonante varie selon l’époque et la couleur dialectale. Le mycénien témoigne de l’état de choses ancien, avec une large distribution de w, attesté (a) à l’initiale devant voyelle, (b) à l’initiale devant r, (c) en position intervocalique, (d) entre voyelle et consonne, (e) entre consonne et voyelle. De la racine *wesles tablettes en linéaire B procurent un nom de vêtement féminin : we-a2no /wehanos/, nom. sg., ou /wehanoi/, nom. pl., « robe(s) » (PY Un 1322) et we-a2-no-i /wehanoihi/, dat. pl. (PY Fr 1225). Le grec alphabétique en a l’équivalent ἑανός /heanós/ 103. Un groupe wr- se dégage, par exemple, de myc. wi-ri-no /wrīnos/ « peau (d’animal) » (cf. gr. alph. ῥινός /rhinós). En position intervocalique, w n’est pas rare au IIe millénaire. Une attestation s’en rencontre dans l’adjectif ne-wo /newos/ (gr. alph. νέος /néos/) « nouveau, neuf » (cf. supra, chap. VI). D’autres occurrences apparaissent dans les formes casuelles des noms en -εύς /-eús/. Ainsi, ke-ra-me-u /kerameus/ « potier » (gr. alph. κεραµεύς /kerameús/) fait au génitif sg. ke-ra-me-wo /keramēwos/. Un 102. Sur la question, consulter C. Brixhe 1979, p. 249-255. 103. Sur ce mot, voir Sandoz 2010, p. 192-193.
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exemple de -w- entre voyelle et consonne se trouve dans l’adjectif du syntagme di-wi-jo-jo me-no /Diwyoio mēnos/ « au mois de Zeus » (cf. gr. alph. Δῖος /dîos/< Δίϝyος /díwyos/ et µήν /mḗn/, gén. µηνός /mēnós/). Enfin, la semi-voyelle postpalatale figure parfois entre consonne et voyelle, comme dans myc. ko-wa /korwā/ « jeune fille » (cf. att. κόρη /kórē/). Au
Ier
millénaire, de nombreux dialectes conservent w à l’initiale et, à
l’époque archaïque, aussi à l’intérieur. Pour la notation du phonème, le signe usuel s’appelle digamma, car son tracé évoque un double gamma (ϝ). Mais un ensemble dialectal important n’a pas ce digamma : l’ionien attique, où la semi-voyelle s’amuït dès les plus anciens textes. En témoignent des formes d’étymologie claire, comme ἔργον /érgon/ n. « œuvre » (argien ϝεργον /wergon/) ou οἶκος /oîkos/ m. « maison » (dorien ϝοικος /woikos/). Dans un contexte particulier, toutefois, w ne disparaît pas complètement, mais s’affaiblit en un souffle : c’est le cas, lorsque la première syllabe se termine par s appuyant ou que la seconde commence par s appuyé. Ainsi, *wesperos passe à ἕσπερος /hésperos/ m. « soir » (cf. lat. uesper m. « id. »)
ou *wersā à ἕρση /hérsē/ « rosée » (cf. skr. varṣá- n. « pluie »). Enfin, le traitement de w- n’obéit pas à une règle unique dans la langue homérique. Bien que le texte traditionnel de l’Iliade et de l’Odyssée ne note pas le digamma, l’analyse métrique en révèle souvent l’existence sous forme de trace. C’est le cas, notamment, dans des expressions formulaires. Mais des variantes de ces formules, forgées par des aèdes ioniens, n’entrent dans le vers qu’au prix de l’omission du digamma. Dans le syntagme µελιηδέα (ϝ)οῖνον /meliēdéa (w)oînon/ ( ⏑ ⏑ | – ⏑ ⏑ | – ⏓ || ) « un vin doux », par exemple, le digamma empêche l’élision de la voyelle brève, tandis que le génitif µελιηδέος οἴνου /meliēdéos oínou/, de même valeur métrique, n’admet pas le digamma. La présence d’un ϝ initial dans une forme ancienne explique, le cas échéant, le non-abrègement d’une voyelle
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longue ou d’une diphtongue à la finale du mot précédent : ἐσθίεταί µοι (ϝ)οῖκος ( || – ⏑ ⏑ | – – | – ⏑ ) « ma maison est dévorée (s.-ent. par les prétendants) » (Od. 4,318). Souvent, enfin, la restitution d’un digamma initial fait de la syllabe finale précédente une syllabe longue « par position ». Un exemple s’en rencontre dans la fin de vers µέλανος (ϝ)οίνοιο ( ⏑ ⏑ | – – | – ⏓ || ) « de vin noir » (Od. 9,196).
7.6.5. I.-e. *l et *r Au nombre des sonantes, les liquides se caractérisent par une grande résistance au changement. Toutefois, l’indo-iranien confond *r et *l, généralement au profit de r, quand bien même l existe dialectalement en sanskrit. Une correspondance gr., lat., germ. l : skr. r s’observe à l’initiale du verbe « laisser », par exemple : gr. λείπω /leípō/ , λιµπάνω /limpánō/ « je laisse », lat. linquō « id. », got. leiƕan « prêter » vs skr. riṇákti « il laisse ». À skr. r répond aussi gr. r, mais seulement à l’intérieur (type bharāmi « je porte » : φέρω /phérō/ « id. » et à la finale (voc. sg. pítar « ô père ! » : πάτερ /páter/ « id. »). En position initiale, r des autres langues a pour équivalent grec le groupe Vr (= voyelle prothétique + r). En donne une illustration l’adjectif signifiant « rouge » : skr. rudhiráḥ, lit. raũdas, got. rauþs, lat. ruber vs gr. ἐρυθρός /eruthrós/ (myc. e-ru-to-ro). Comme on l’a vu, la prothèse signale généralement une ancienne laryngale. D’où la reconstruction *h1rudhros. Ce traitement grec se retrouve dans les autres rapprochements de formes apparentées à r- initial. À skr. rájaḥ n. « obscurité » et got. riqis n. « id. », par exemple, correspond gr. ἔρεβος /érebos/ n. « obscurité du monde souterrain ». Il y a donc lieu de poser *h1regwos. De même, l’équation lat. regō « je dirige » : gr. ὀρέγω /orégō/ « j’étends » plaide pour une racine *h3reg̑ - à laryngale initiale (cf. supra). Dans ces conditions, l’existence de
formes radicales du type *reC- paraît incertaine. La reconstruction d’une
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racine *ret- « courir » (LIV, p. 507), par exemple, ne serait convaincante que si le grec en avait un représentant sans voyelle prothétique. Or, ni le présent *rét-e- (v. irl. -reith, etc.), ni le nom *rót-o-, *rot-eh2 de la « roue » (lit. rãtas m., lat. rota f., etc.) ne se conservent dans la branche hellénique. Plus généralement, les prétendues racines à r- initial n’ont pas de témoins en grec. Le fait qu’il n’y ait pas un seul exemple sûr d’une correspondance skr. (ou lat., germ., etc.) r- : gr. r- ne résulte probablement pas d’un simple hasard. La meilleure explication de cette absence consiste à supposer partout un ancien groupe *Hr-. Dans cette hypothèse, *r- n’apparaissait pas au début du mot en indo-européen. À l’époque historique, en revanche, r se rencontre fréquemment à l’initiale absolue par suite de simplifications : *Hr- > r- partout sauf en grec, *sr- > r- en grec, *wr- > r- en ionien-attique
et en latin, etc. Une restriction dans la distribution de r concerne la position finale, les langues n’admettant pas toujours une séquence -V̅ r (= voyelle longue + -r). Ainsi, la liquide s’amuït au nominatif sg. du nom de la « fille » en indoiranien et en baltique : skr. duhitā́ , gāth. dugǝdā, lit. duktė̃, en regard de gr. θυγάτηρ /thugátēr/.
7.6.6. I.-e. *r̥ En position interconsonantique, r se vocalise et r voyelle (noté *r̥ dans les reconstructions) se conserve intact en indo-iranien. En témoigne, notamment, le degré zéro de racines du type *Cer(C)-. Les reflets védiques de *derk̑ - « regarder », par exemple, montrent une alternance entre darś(1re sg. inj. aor. dárśam, etc.) et dr̥ ś- (3e pl. inj. aor. dr̥ śan, etc.). La même opposition règne en avestique, où se rencontrent l’aoriste darǝsǝm (= véd. dárśam) et le participe dǝrǝšta- (= véd. dr̥ ṣṭá-). En dehors de l’indo-iranien, le verbe est bien attesté en grec. Le degré plein radical figure dans le présent
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δέρκοµαι /dérkomai/, tandis que le degré zéro caractérise l’aoriste thématique ἔδρακον /édrakon/. Le changement i.-e. *dr̥ k̑ - > gr. δρακ- /drak-/ indique le traitement ρᾰ /ră/ de la sonante *r̥ . Une voyelle brève se développe donc auprès de la liquide et devient le sommet de la syllabe. La place de ce point vocalique varie selon les données : un flottement s’observe entre ρᾰ /ră/ et ᾰρ /ăr/. Avec ᾰρ /ăr/, le grec ἄρκτος /árktos/ « ours », par exemple, répond à skr. r̥ kṣaḥ « id. ». Parfois, le même mot se présente sous deux formes, comme les doublets homériques κραδίη /kradíē/, καρδίη /kardíē/ « cœur » (att. καρδία /kardía/). Dialectalement, la voyelle auxiliaire prend le timbre o : c’est le cas en éolien, en arcado-chypriote et en mycénien. Alcée et Sappho ont, par exemple, στρότος /strótos/ « armée » (= att. στρατός /stratós/), d’un ancien participe *str̥ tós (cf. skr. str̥ táḥ) « étendu », d’où, par substantivation, « troupe installée, qui campe ». En arcadien, « quatrième » se dit τετορτος /tetortos/ (= att. τέταρτος /tétartos/), d’un radical *kwetr̥ -. Le nom de nombre « quatre » se retrouve en mycénien au premier terme de composés. Avec le traitement or de *r̥ , des tablettes de Cnossos et de Pylos attestent tope-za [torpedza] « table » (prop. « qui a quatre pieds ») < *(kw)tr̥ -pedya (= att. τράπεζα /trápeza/, [trápedza]). Le changement *r̥ > ρο /ro/ se dégage, par ailleurs, de la variante *kwetr̥ - > qe-to-ro- /kwetro-/ (= att. τετρα- /tetra-/). L’état prémycénien, c’est-à-dire antérieur à l’altération de *r̥ , se reconnaît, semble-t-il, dans la forme primitive d’une vieille formule de la langue épique. En effet, tandis que des tablettes de Cnossos attestent l’anthroponyme A-no-qo-ta /Anor-kwhontās/, le syntagme homérique (ἀτάλαντος) Ἐνυαλίῳ ἀνδρεϊφόντῃ /(atálantos) enualíōi andreïphóntēi/« (égal) à Ényale le tueur d’hommes » est à rétablir sous la forme /Enūwaliōi anr̥ -kwhontāi/ en grec commun. Or, le vers n’est régulier, au point de vue de la métrique,
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qu’au prix de cette reconstruction 104. En effet, sous sa forme récente, la formule est difficile à scander. Faute de mieux, les commentateurs supposent une synizèse de -ῳ /-ōi/ et ἀ- /a-/ 105. En tout cas, la variante ἀνδροφόντης /androphóntēs/ du nom du meurtrier (Eschyle, Sept 572) n’entre pas dans l’hexamètre, d’où la réfection ἀνδρεϊφόντης /andreïphóntēs/, sans doute d’après ἀργεϊφόντης / argeïphóntēs/ (premier membre obscur). Au dossier appartient peut-être encore myc. A-na-qo-ta, si cette graphie recouvre /Anar-kwhontās/. Le cas échéant, le mycénien attesterait exceptionnellement le traitement ar de *r̥ 106. Quoi qu’il en soit, l’évolution or de l’ancien *r voyelle, normale en éolien, arcado-chypriote et mycénien, s’observe aussi en latin. Il y en a de bons exemples, comme v. lat. uorsus « (re)tourné », participe passé passif de uertō « je (re)tourne ». Le correspondant védique vr̥ ttáḥ « tourné » présente clairement le degré zéro radical. L’ancêtre commun de ces termes se reconstruit donc sous la forme *wr̥ t-tós. Relève de la même catégorie grammaticale que uorsus lat. tostus « desséché, brûlé ». À en juger par le présent torreō « je dessèche » et par l’adjectif sanskrit tr̥ ṣṭáḥ « rude, dur » et (en parlant de la voix) « rauque » (propr. « desséché »), tostus résulte d’une simplification de *torstos. Dans cette forme sous-jacente, la séquence or remonte à *r̥ . L’indo-européen avait, en effet, un participe *tr̥ stós, bâti sur une racine *ters-/tr̥ s- intr. « devenir sec », tr. « sécher ». La même origine *r̥ rend compte de lat. ur dans un certain nombre de termes. Le conditionnement de ce traitement marginal n’est pas toujours clair. Si ur s’explique parfois par l’influence d’une labiovélaire précédente (cf. curtus « écourté », d’une racine *kwer-/kwr̥ - « couper »), ce n’est pas le cas dans le 104. C’est ce qu’a montré le mycénologue Hugo Mühlestein (Mühlestein 1958, p. 224-226). Discussion et bibliographie chez Leukart 1994, p. 53 et n. 20-23. 105. Voir Chantraine 1958, p. 84. 106. Leukart 1994, p. 54 et n. 25.
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nom de l’ours : ursus < *urksos, vis-à-vis de skr. r̥ kṣaḥ. La répartition entre lat. or et ur ne dépend donc pas toujours de conditions évidentes. En revanche, une situation plus nette se constate en germanique, où la liquide *r̥ se reflète également dans une séquence voyelle postérieure + r. En dehors d’un contexte particulier, l’évolution aboutit à ur en westique et en nordique, mais à or en gotique. Le verbe « devenir » l’atteste dans une partie de son paradigme. La 1re personne pl. du prétérit, par exemple, repose sur *wr̥ t-, degré zéro de la racine *wert- (cf. supra) : vha. wurtum, v. norr. urþom, got. waurþum (aur = /or/). Le traitement or s’observe dans les trois branches, lorsque la syllabe suivante comportait un a en germanique commun. Ainsi, germ. *hurna- n. « corne » ne donne pas seulement got. haurn, mais encore vha horn et v. norr. horn. Avec le degré zéro de la racine (i.-e. *k̑ r̥ -), le sanskrit possède le dérivé śŕ̥ṅga- n. « corne ». En baltique, *r̥ se transforme en une séquence voyelle fermée + r. Le nom de la « mort », par exemple, i.-e. *mr̥ tis, s’y reflète sous la forme mirtìs du lituanien. Le vieux slave conserve la liquide voyelle, notée tantôt rĭ, tantôt rŭ. À lit. mirtìs répond v. sl. sŭ-mrĭtĭ / sŭ-mrŭtĭ
.
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7.6.7. I.-e. *l̥ La neutralisation de l’opposition entre *l et *r en indo-iranien concerne aussi les sonantes voyelles correspondantes. Comme l’enseigne la comparaison, véd. r̥ dans vr̥ ṇīte « il choisit », par exemple, remonte à *l̥ . En effet, la parenté avec lat. uelle « vouloir », v. sl. veljǫ « je veux », etc. indique une racine *wel(h1)-/*wl̥ (h1)-. De même, une origine *l̥ de r̥ s’impose dans le cas de pr̥ ṇā́ ti « il remplit » (< *pl̥ néh1ti), de la famille de lat. -plēre « remplir » (rac. *pleh1-). En dehors de l’indo-iranien, *l̥ se réalise à l’aide d’une voyelle adjacente (purement graphique en slave). Le timbre de cet élément 107. Sur le flottement entre les graphies rĭ et rŭ, ainsi que lĭ et lŭ, dans les manuscrits vieux slaves, voir Leskien 1962, §19 II.
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vocalique est généralement le même que dans les reflets de *r̥ . En grec, λα /la/, parallèle à ρα /ra/, apparaît dans le vieil adjectif πλατύς /platús/ « large, étendu, plat » < *pl̥ th2-ú-. Son étymologie se dégage clairement des formes correspondantes du sanskrit et de l’avestique, resp. pr̥ thú- et pǝrǝθu- « large » 108. Le traitement αλ /al/ (cf. αρ /ar/) se rencontre, entre autres, dans *(ἀ)µαλδύς /(a)maldús/ « doux », comparable à skr. mr̥ dú« id. ». Non attesté directement, le terme grec est supposé par le dérivé ἀµαλδύνω /amaldúnō/ « adoucir, atténuer », d’où « effacer, anéantir » 109. Un autre adjectif en -ύς /-ús/ hérité de l’indo-européen illustre la coloration o de la voyelle d’appui : πολύς /polús/ « nombreux ». Que le radical πολ- /pol-/ remonte à un degré zéro, plutôt qu’à un degré o, le correspondant védique purú- « nombreux », ainsi que la structure la plus fréquente des représentants anciens de la formation le suggèrent clairement 110. La reconnaissance d’un rapport étymologique avec la racine *pleh1- /*pl̥ h1- « remplir, se remplir » conduit à la reconstruction de *pl̥ h1-ú-. Avec un autre vocalisme, le gotique a filu « beaucoup » (< *pélh1-u-) 111. Hors du grec, ol représente le traitement de *l̥ en vieux-latin. Vers le milieu du
IIe
siècle avant J.-C., toutefois,
la voyelle se ferme en u devant l + consonne. Le sénatus-consulte sur les Bacchanales (186 avant J.-C.) a oquoltod (pour *oqoltod ; qu par hypercorrection graphique) dans l’expression in oquoltod « en secret » 112. La forme
108. Examen de πλατύς et de ses correspondants chez Lamberterie 1990, t. I, p. 243-248 (§ 103-104). 109. Sur les emplois de ce mot, voir ibid., t. I, p. 363-368 (§ 142-145). 110. À propos du traitement ur de *l̥ / *r̥ en sanskrit, voir Thumb – Hauschild 1958, p. 249-250 (§ 95). 111. Étude formelle, sémantique et comparative de πολύς /polús/ chez Lamberterie 1990, t. II, p. 600-635 (§ 211-220). 112. Sur oquoltod, voir Wachter 1987, p. 291-292 (§ 121).
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s’interprète comme un ablatif sg. du participe *k̑ l̥ to- de la racine *k̑ el« cacher » et correspond à occulto de l’époque classique 113. Le germanique change *l̥ en ul, comme dans got. gulþ n. « or » < germ. *gulþa- < i.-e. *g̑ hl̥ tom. En nordique et en westique, cependant, u s’ouvre en
o sous l’influence de a de la syllabe suivante dans la forme préhistorique (*gulþa-) : v. norr. goll, vha. gold. La reconstruction d’un radical *g̑ hl̥ trouve appui dans la forme alternante *g̑ hel-, à la base d’un nom de couleur. En effet, all. gelb « jaune », par exemple, remonte à vha. gelo, gén. gelwes < i.-e. *g̑ helwo-. Cf. lat. heluus « jaunâtre » 114. Le neutre *g̑ hl̥ tom signifie donc proprement « (métal) jaune ». Quant au traitement de la sonante *l̥ en baltique et en slave, le nom du « loup » en fournit un témoignage : *wl̥ kwos donne lit. vil̃kas et v. sl. vlĭkŭ / vlŭkŭ (cf. skr. vŕ̥kaḥ). Tandis que le digramme il de la forme lituanienne représente fidèlement la réalité phonique, la graphie lĭ/lŭ du vieux slave n’est, semble-t-il, qu’une notation approximative de l voyelle.
7.6.8. I.-e. *m La nasale labiale consonne se conserve à l’initiale devant voyelle et en position intervocalique dans toutes les langues de la famille. Pour le début du mot, les représentants de *medhyos « qui est au milieu » en donnent un exemple : skr. mádhyaḥ, av. maiδya-, gr. µέσ(σ)ος /més(s)os/, lat. medius, got. midjis, v. sl. meždu « entre », etc. À l’intérieur entre voyelles, -m- apparaît dans un vieux nom de l’ « hiver ». Une correspondance entre le sanskrit, le grec et le latin invite à la reconstruction d’un second membre de 113. Pour l’illustration de *l̥ > ol / – C et de o > u / – lC, voir Meiser 1998, p. 64 (§ 49, 4) et 84 (§ 61, 3). 114. Comme lat. e passe à o devant l vélaire, Ernout et Meillet rapportent heluus à *ghelswos, non à *ghelwos (DELL, s.v.). Même étymologie chez Leumann 1997, p. 141 (§ 148 d, b). Pour Meiser, l’adjectif latin serait un emprunt à un dialecte sabellique (Meiser 1998, p. 82, § 60, 6).
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composé *-g̑ himo- : skr. -hima- dans śatá-hima- « qui a cent hivers, qui a cent ans », gr. -χιµος /-khimos/ dans δύσ-χιµος /dús-khimos/ « où il fait mauvais temps », lat. -himos dans *bi-himos > bīmus « qui a deux hivers, qui a deux ans ». Sur *g̑ heim- reposent lit. žiemà f. « hiver », v. sl. zima f. « id. », ainsi que skr. héman (loc. sg.) « en hiver », gr. χεῖµα /kheîma/ « hiver, temps hivernal », etc. Une forme *g̑ hyem-, enfin, rend compte de lat. hiems f. (hiemis, Caton) « hiver ». En germanique, le nom de l’ « hiver » a une toute autre origine et ne se rattache donc pas à la même racine. Comme témoignage de -m- intervocalique s’offrent, en revanche, les formes de *gwem- « aller, venir », par exemple : got. qiman, v. norr. koma, vha. queman, etc. Cf. véd. gámat (subj. aor.) « qu’il vienne ». À la finale absolue, -m joue un rôle important dans la morphologie nominale et verbale. Cette nasale fonctionne comme désinence de l’accusatif sg. m. et du nominatif-accusatif sg. n. des noms thématiques : skr. áśvam = lat. equom, equum (+ féminin secondaire skr. áśvām = lat. equam) en regard du nominatif sg. skr. áśvaḥ = lat. equos, equus « cheval » (f. áśvā, resp. equa) ; skr. yugám n. = lat. iugum n. « joug ». Dans le système du verbe, -m signale la 1re personne sg. de l’imparfait et de l’aoriste des formes thématiques. Ainsi, à skr. bhr̥ - « porter » se rattache l’imparfait ábharam « je portais » et à vid- « découvrir, trouver » l’aoriste ávidam « j’ai trouvé ». La plupart des langues parentes du sanskrit et du latin n’admettent pas -m à la finale, mais y substituent -n ou zéro. Le grec a -n, comme l’attestent les correspondants des formes précédentes : ἵππον /híppon/ (acc. sg.) « cheval », ζυγόν /zugón/ « joug », ἔφερον /épheron/ « je portais » et εἶδον /eîdon/< ἔϝιδον /éwidon/ « j’ai vu ». Le hittite connaît aussi le changement *-m > -n : arunan (acc. sg.) « mer » (nom. sg. arunaš, de genre commun), iugan n. (nom.-acc. sg.) « joug ». En baltique, la même évolution explique la désinence de v. pruss. deinan (acc. sg. f.) « jour », par
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exemple. Mais la nasale disparaît dans l’équivalent lituanien diẽną (acc. sg. de dienà f.). L’amuïssement se produit aussi en slave dans la plupart des cas. Ainsi, les finales *-in, *-an, *-un du balto-slave donnent respectivement v. sl. -ĭ, -ŭ, -ŭ. En témoignent les correspondances suivantes : acc. sg. v. prus. naktin, lit. nãktį : v. sl. noštĭ « nuit » ; acc. sg. v. prus. stan, lit. tą̃ : v. sl. tŭ « celui-là » ; acc. sg. v. prus. sūnun, lit. sū́ nų : v. sl. synŭ « fils ». La désinence balto-slave *-ān d’accusatif sg. f. laisse une trace de n dans la nasalisation de la voyelle précédente. En effet, à v. prus. rānkan et lit. rañką répond v. sl. rǫkǫ « main ». Seuls les proclitiques conservent une nasale finale devant voyelle : c’est le cas de v. sl. sŭn- (cf. sŭ, sŭ-) « avec, ensemble » (ex. : sŭn-imati, propr. « prendre ensemble, rassembler »). Cet élément remonte à *sm̥ - « en un, ensemble » (cf. infra). Comme en slave, la conservation de -n final (< i.-e. *-m) en germanique est très partielle. La nasale ne subsiste que dans des monosyllabes après voyelle brève : dans got. ƕan « quand ? » < i.-e. *kwom (cf. v. lat. quom), par exemple. Ailleurs, -n disparaît complètement. C’est pourquoi le correspondant gotique de skr. sūnúm (acc. sg.) « fils » se réduit à sunu. De même, à skr. yugám (nom.acc.) « joug » répond la forme courte juk du gotique.
7.6.9. I.-e. *m̥ De même que les liquides, les nasales se vocalisent entre consonnes et à la finale absolue après consonne. En indo-européen, *m et *m̥ se trouvaient en distribution complémentaire. Ainsi, le numéral *sem- « un, unique » (cf. lat. semel « une fois ») avait une forme faible *sm̥ -, présente au premier terme de plusieurs composés. En indo-iranien et en grec, *m̥ passe à a, de sorte que *sm̥ - donne skr. sa- et gr. ἁ- /ha-/ dans des expressions comme sakŕ̥t « une fois » ou ἅ-παξ /há-paks/ « id. ». En finale, l’équivalence fonctionnelle de gr. -α /-a/ (< *-m̥ ) et -ν /-n/ (< *-m) s’observe, par exemple,
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dans les accusatifs sg. ἄνδρ-α /ándr-a/ « homme » (nom. ἀνήρ /anḗr/) et ἄνανδρ-ο-ν /án-andr-o-n/ « qui n’a pas de mari » (nom. ἄνανδρος /ánandros/). Les mêmes variantes -α /-a/ et -ν /-n/ se réalisent dans le cas de la désinence verbale -m de 1re personne sg. des temps secondaires. Le verbe athématique de la racine *h1es- « être », en particulier, forme un imparfait à augment *eh1es-m̥ , d’où *ēs-m̥ > hom. ἦα /êa/ « j’étais » (Il. 5,808). Mais la langue épique reflète aussi la structure *h1es-om (sans augment) dans ἔον /éon/ « j’étais » (Il. 11,762 ; 23,643) 115. En dehors de l’indo-iranien et du grec, la nasale *m̥ donne généralement une séquence voyelle + m. En latin, le traitement em s’observe dans les noms de nombre septem « sept » et decem « dix » vs skr. saptá et dáśa, gr. ἑπτά /heptá/ et δέκα /déka/ (i.-e. *septm̥ et *dek̑ m̥ ) ou à l’accusatif sg. des thèmes consonantiques (type pedem « pied », cf. gr. πόδα /póda/ « id. »). Mais des contextes particuliers déterminent des changements ultérieurs : devant dentale et devant y, em passe à en, comme dans centum « cent » < *k̑ m̥ tóm (cf. skr. śatám et, pour la restitution de *m̥ , le masculin lit. šim̃ tas) et dans ueniō « je viens » < *gwm̥ -yō (racine *gwem- ; cf. skr. gam-). Devant p/b, en revanche, la consonne du groupe em conserve son point d’articulation, tandis que la voyelle se ferme en i. Un nom de la « pluie » en offre un exemple : lat. imber, -bris m. La comparaison avec skr. abhrám n. « nuage » invite à la reconstruction d’un terme *m̥ bhri-, *m̥ bhro- en indo-européen. En germanique, l’évolution de *m̥ se caractérise par le développement d’un point vocalique u, comme dans le cas des liquides voyelles. Le traitement um se constate, ainsi, dans les reflets de la vieille préposition *m̥ bhi « autour, des deux côtés » : vha. umbi (> all. um) « autour », v. isl. 115. Bien étayée (cf. LIV, p. 242, n. 1), la reconstruction d’une laryngale dans la racine du verbe « être » condamne l’interprétation de ἔον (1re sg. et 3e pl.) comme une forme à augment. En effet, *é-h1es-om ou *é-h1s-ont donneraient *ἦον /êon/. C’est pourquoi l’étymologie *e-s-om/-ont (ainsi Schwyzer 1953, p. 677) n’entre plus en ligne de compte.
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umb « id. ». Cf. skr. abhí « près de, vers ». Devant t ou d, la nasale devient dentale par assimilation. Le nom de nombre « cent » l’atteste : i.-e. *k̑ m̥ tóm > got. hund. Le changement de um en un se produit aussi à la finale absolue, puis, entre le germanique commun et l’époque historique, la séquence se réduit à u et, finalement, cette voyelle s’amuït. Dans ces conditions, la désinence *-m̥ de l’accusatif sg. d’un thème consonantique ne laisse pas de trace en gotique, ni dans les dialectes septentrionaux ou occidentaux. La forme *ph2-tér-m̥ « père », par exemple, donne germ. comm. *fađeru(n) et, de là, got. fadar, v. norr. fǫþor, v. angl. fæder, vha. fater. La finale -un des adjectifs numéraux sibun « sept » et taihun « dix » du gotique (< i.-e. *sep(t)ḿ̥ et *dék̑ m̥ ) s’expliquerait par l’analogie des ordinaux correspondants 116. De même que le germanique, le balto-slave représente *m̥ par un groupe voyelle fermée + m ; mais le timbre de l’élément vocalique est généralement i, plus rarement u. Ainsi, sur *h1m̥ -, degré zéro de la racine *h1em« prendre » (cf. lat. emō « j’achète »), reposent lit. im̃ ti (inf.) « prendre » et im̃ tas (part. passé passif) « pris ». Comme on le voit, la nasale labiale de im ne s’assimile pas au t suivant. Ce conservatisme phonétique se retrouve, par exemple, dans la forme du nom de nombre « dix », lit. dẽšimt, v. lit. dešimtìs < i.-e. *dek̑ m̥ ti-, propr. « décade ». Aux phonèmes successifs i + m du baltique répond, en slave, une unité complexe, la voyelle nasale ę [ε]̃ , où se réunissent en traits concomitants l’antériorité vocalique et la nasalité. Les représentants vieux-slaves du verbe « prendre » et de l’adjectif numéral « dix » le montrent : jęti (inf.), jętŭ (part. passé passif) et desętĭ.
116. Cf. Prokosch 1939, p. 287. R. D. Fulk admet aussi l’influence de l’ordinal pour la conservation de -n final dans got. sibun (Fulk 2018, p. 226, § 10.2). Dans taihun, en revanche, -un serait phonologiquement régulier, si l’on part d’un prototype i.-e. *dék̑ m̥ t (ibid., p. 226 et p. 227, n. 1).
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7.6.10. I.-e. *n À l’initiale devant voyelle et à l’intérieur, la nasale dentale consonne subsiste intacte sur tout le domaine indo-européen. Commencent par n- un terme commun à plusieurs langues, l’adjectif *newos « nouveau » (cf. chap. VI), le nom de la « nuit » (*négwt-/*nógwt- f. : hitt. nekut-, gén. nekuz ; skr. nák f., náktam n. ; gr. νύξ /núks/ f., gén. νυκτός /nuktós/ ; lat. nox f., gén. noctis ; etc.) ou encore le verbe *nes- « en réchapper, rentrer sain et sauf » (skr. nas- « se réunir (à la maison), s’unir », gr. νέοµαι /néomai/ « je rentre sain et sauf », got. ga-nisan « se guérir »). Parmi les indéclinables, la particule négative *ne illustre aussi la position initiale de n- : skr. ná, lat. nĕ- (dans neque « et ne … pas », nesciō « je ne sais pas », etc.), got. ni. À l’intérieur, -n- se rencontre, par exemple, dans les formes issues de la racine *gwhen- « frapper, abattre, tuer » : hitt. kuenzi « il frappe, il tue », véd. hánti « id. », gr. θείνω /theínō/ « je frappe », lat. dē-fendō « je repousse », v. sl. goniti « chasser, poursuivre ». De même, -n- figure dans les représentants historiques de *men- « penser, concevoir » : le védique et le grec attestent le présent en -yé- / -yó- mányate « il pense », resp. µαίνοµαι /maínomai/ « je suis en fureur » ; le latin a la formation inchoative re-minīscor « je me ressouviens, je me rappelle » ; le germanique et le balto-slave possèdent les verbes d’état got. munan « penser », lit. minė́ ti « id. », v. sl. mĭněti « croire, penser ». Pour la position finale de -n entrent en considération les dérivés en *-en- / -on- / -n- et en *-men- / -mon- / -mn-. Les formes casuelles sans désinence de ces noms se terminent par la nasale : c’est le cas, en grec, de nom. sg. ποιµήν /poimḗn/ « berger, pasteur » (myc. po-me /poimḗn/), ἡγεµών /hēgemṓn/ « guide », τλήµων /tlḗmōn/ « infortuné », voc. sg. τλῆµον /tlêmon/ (Eschyle, Prom. 614), nom. sg. αἰών /aiṓn/ « vie, durée, éternité », loc. sg. αἰέν /aién/ < *αἰϝεν /aiwen/, adv. « toujours ». Cependant, à en juger par les
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faits indo-iraniens, baltiques ou italiques, -n final après voyelle longue était débile, probablement dès l’indo-européen, et le grec le rétablit d’après les cas obliques. Ainsi, à la différence de gr. ποιµήν /poimḗn/, lit. piemuõ « berger » ne se termine pas par une nasale. Cf. les correspondances gr. ἄκµων /ákmōn/ « enclume » : lit. akmuõ « pierre », skr. áśmā « pierre ; ciel (conçu comme une voûte de pierre) » et gr. τέκτων /téktōn/ « charpentier » : skr. tákṣā, av. tašā « id. ». Dans les thèmes en -n- indo-européens, les conditions d’apparition de la nasale consonne en fin de mot se limitent donc au vocatif sg. (type grec τλῆµον /tlêmon/ « infortuné ! », skr. rājan « ô roi ! ») et au locatif sg. (type gr. αἰέν /aién/, skr. udán « dans l’eau »).
7.6.11. I.-e. *n̥ Les réalisations consonantique et vocalique de la nasale dentale se trouvent en distribution complémentaire. À l’initiale, *n- figure devant voyelle, tandis que la variante syllabique *n̥ - s’y substitue devant consonne. Ce jeu s’observe, par exemple, dans l’alternance entre la forme libre *ne « ne … pas » (cf. supra) et la forme de composition *n̥ -. Le latin en offre un exemple dans le couple neuīs « tu ne veux pas » / in-uītus « qui agit contre son gré » (cf. véd. vītáḥ « apprécié »). Historiquement, *n̥ - (> en-) > in- rappelle *m̥ - (> em-) > im- (cf. supra imber) et le parallélisme des traitements se retrouve en baltique, en arménien, en hittite, en germanique et en celtique. L’indo-iranien et le grec confondent les deux nasales sonantes au profit de a. La négation au degré zéro y prend donc la forme a(ἀ- /a-/ « privatif » en grec) dans une série de composés productifs. À l’époque préhistorique remontent véd. á-kṣita- « impérissable » et gr. ἄφθιτος /á-phthitos/ « id. » (< *n̥ -dhgwhito-) 117. Une origine *n̥ - de a- en début de mot ne concerne pas seulement la particule négative. En effet, la syllabe 117. Sur la forme et le sens de la racine *dhgwhei̯ -, voir LIV, p. 151, n. 1 et 2.
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as- du pronom sanskrit asmā́ n (acc. pl.) « nous » remonte à *n̥ s-, comme l’indique le rapprochement avec l’enclitique nas « id. » (cf. lat. nŏs- dans noster « notre », à côté de la forme libre nōs). Par ailleurs, une séquence homophone *n̥ s- rend compte de gr. ἀσ- /as-/ dans l’adjectif homérique ἄσµενος /ásmenos/ « heureux (d’en avoir réchappé) », ancien participe aoriste de la racine *nes- « rentrer sain et sauf » (cf. supra) 118. À l’intérieur entre consonnes, le changement *n̥ > a se dégage de nombreuses formes, en particulier des participes passés passifs de racines en n. Par exemple, la correspondance entre skr. hatá- « tué, abattu » et gr. -φατος /-phatos/ dans ἀρηΐ-φατος /arēḯ-phatos/ « tué par Arès » s’explique à partir de *gwhn̥ tós, bâti sur le degré zéro de *gwhen- « frapper, abattre, tuer » (cf. supra). La même structure caractérise véd. mata- « mis en mémoire » du composé mata-vacas- « qui a les paroles, la prière en mémoire, qui se souvient de la prière » (en parl. des Nāsatya) et gr. -µατος /-matos/ « ayant pensé, jugé » dans αὐτό-µατος /autó-matos/ « ayant décidé soi-même ». Cf. lat. commentus « ayant imaginé » (< i.-e. *mn̥ tós, de la racine *men-). La présence de *-n̥ en finale, attendue au nominatif-accusatif sg. des dérivés neutres à suffixe nasal, ressort indirectement de gr. χεῖµα /kheîma/ « hiver, mauvais temps » (< i.-e. *g̑ heimn̥ ), à côté de χειµών /kheimṓn/ m. « id. ». Comparer les formes parallèles τέρµα /térma/ « borne » et τέρµων /térmōn/ « limite ». En latin, le correspondant de τέρµα /térma/, le neutre termen « borne », illustre le traitement *n̥ > en (cf. supra *mn̥ tós > -mentus). En germanique, la nasale sonante aboutit à un : à gr. ἀ- /a-/ de valeur privative répond ainsi got. un- dans un composé comme unkunþs « inconnu ». Un autre exemple est le reflet de la forme pronominale *n̥ s (acc. pl.) « nous » dans got. uns. Pour la position intérieure, une forme très claire 118. Cf. LIV, s.v. *nes-, n. 3 (p. 455).
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se rattache encore à la racine *men- « penser » : il s’agit du nom d’action féminin *mn̥ ti-, à l’origine de got. ga-munds « souvenir » (cf. lat. ment(i)-, nom. sg. mēns). Enfin, -un figure à la finale absolue de got. niun « neuf » (i.-e. *newn̥ ), mais la forme de ce numéral trahit sans doute l’influence analogique de l’ordinal niunda « neuvième », car un groupe voyelle brève + nasale disparaissait en fin de polysyllabe. Le baltique représente *n̥ par une séquence in : ainsi s’explique lit. mintìs f. « pensée, idée », en face de skr. matí- f. « pensée » < i.-e.*mn̥ ti- (cf. supra). Ce traitement se vérifie dans v. prus. pintis « chemin », dérivé en -iconstruit sur la forme faible du paradigme archaïque *pónteh2-s (nom. sg.) / *pn̥ th2-ós (gén. sg.). Cf. skr. pathi- < *pn̥ th2-i- (?) 119 en composition (type
pathi-kŕ̥t- « faiseur de chemins »). En vieux slave, l’évolution abolit la distinction entre *m̥ et *n̥ , car l’un et l’autre phonème donnent la voyelle nasale ę [ε]̃ . Une origine *n̥ de ę s’impose dans le cas de formes comme v. sl. devętŭ « neuvième » (< i.-e. newn̥ tos, moyennant le remplacement de n- par d- d’après le nom de nombre « dix ») ou pa-mętĭ f. « souvenir, mémoire » < i.-e.*mn̥ ti- (cf. supra).
7.7. Les voyelles 7.7.1. I.-e. *i En dehors des liquides voyelles et des nasales voyelles, le système vocalique indo-européen se compose de cinq unités brèves et des longues correspondantes : i/ī, e/ē, a/ā, o/ō, u/ū. 120 Les voyelles les plus fermées, i et u, ont des variantes consonantiques, resp. y et w (cf. § 7.6.1), et se distinguent par là des phonèmes plus ouverts. La voyelle i jouit d’une grande 119. Ou *pn̥ th2- (*pn̥ tǝ2-), avec aspiration analogique (cf. gén. sg. patháḥ). Voir Mayrhofer, KEWA, II, p. 210-211. 120. Cette reconstruction des voyelles indo-européennes ne fait pas l’unanimité. L’école de Leyde ne reconnaît pas le a en indo-européen. Voir Beekes 1995, p. 138-139.
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stabilité dans le temps et se maintient intacte dans la plus grande partie de l’aire indo-européenne. En slave, cependant, un affaiblissement en fait une ultra-brève, transcrite ĭ. Ainsi, à skr. vidhávā « veuve » répond v. sl. vĭdova « id. » (cf. § 6.5 et 7.6.4). Si la voyelle ancienne subsiste en latin à l’intérieur du mot (cf. uidua « id. »), son timbre se modifie à la finale absolue au profit de e : gr. ἀντί /antí/ « en face de, contre, etc. » a donc pour correspondant lat. ante « en face de, avant, devant ». En indo-européen, *i jouissait d’une distribution large, quand bien même l’étymologie n’établit que rarement sa présence à l’initiale absolue. En procure peut-être un exemple le pronom anaphorique *i-, observable en italique, en germanique et en indo-iranien. Une correspondance remarquable implique la forme de nominatif-accusatif sg. n. : lat. id, got. it-a, skr. id-ám. En dehors de cette forme pronominale, le degré zéro de racines à y- initial et consonne finale devrait fournir des attestations de i en début de mot (ex. : *is-, variante faible de *yes- / *yos- « bouillir »). Mais, à en juger par la comparaison des langues historiques, l’indo-européen n’exploite guère cette ressource. En revanche, la théorie des laryngales invite à la reconstruction d’une séquence *Hi- à partir de formes à initiale i- comme skr. i-maḥ « nous allons »
(radical *h1i- de *h1ei- « aller ») ou skr. idhāná- « enflammé » (radical *h2idh- de *h2eidh- « allumer »). Au point de vue structural, *h1ei- s’accorde
avec *kwei- « infliger une amende, punir » et *h2eidh- avec *bheidh- « se fier, avoir confiance », par exemple. Ces racines de forme *Cei(C)- offrent, à la faveur des alternances, des attestations de i intérieur. Ainsi, un thème *kwinu- rend compte de gr. τίνω /tínō/ < *τι-νϝ-ω /ti-nw-ō/ « je paie, j’expie ». De même, le degré zéro *bhidh- est à la base de l’aoriste grec πιθέσθαι /pithésthai/ « obéir ». Par ailleurs, ce vocalisme i se trouve aussi dans des suffixes. L’un des éléments de formation les plus importants, à savoir *-ti-, caractérise une classe de noms d’action : sur *bhidh-, encore, se
construit gr. πίστις /pístis/ f. « foi, confiance ».
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Enfin, i se présente à la finale absolue dans une série de désinences. En morphologie nominale, une marque i, en concurrence avec ø, signale le locatif sg. de la flexion athématique. Le sanskrit l’atteste dans pad-í « au pied », par exemple ; y répondent, compte tenu du syncrétisme des cas, le datif sg. ποδ-ί /pod-í/ en grec et l’ablatif sg. ped-e en latin. Dans le système verbal, l’addition de -i aux désinences secondaires du singulier et de la 3e personne du pluriel génère les désinences primaires : 1re pers. sg. *-m-i, 2e pers. sg. *-s-i, 3e pers. sg. *-t-i, 3e pers. pl. *-e/ont-i : -nt-i. Cf. i.-e. *h1és-mi, *h1és-si, *h1és-ti, *h1s-e/onti (de *h1es- « être ») > skr. ásmi, ási, ásti, sánti.
De plus, une désinence d’impératif se termine par i : *-dhi. Ex. : véd. śrudhí « entends ! », gr. κλῦθι /klûthi/ (pour *κλύθι /klúthi/) « id. ».
7.7.2. I.-e. *e Parmi les voyelles proprement dites (par opposition aux sonantes voyelles), e jouit d’une grande fréquence et joue un rôle fondamental dans la morphologie. Le « degré e » radical caractérise un verbe primaire comme gr. φέρω /phérō/ « je porte », par exemple, tandis que le « degré o » se rencontre dans le dérivé φορᾱ́ /phorā́ / « fait de porter ; fardeau, impôt, etc. ». Les voyelles e et o ne s’opposent pas seulement l’une à l’autre, mais encore à zéro. En l’occurrence, la forme faible φρ- /phr-/, c’est-à-dire φερ-/ φορ- /pher-/phor-/ moins e/o, se rencontre dans δί-φρ-ος /dí-phr-os/ m. « siège, caisse de char » (propr. « porté de deux côtés »). Cependant, e apparaît aussi dans des formes non sujettes à l’alternance. À partir de la correspondance lat. -que, gr. τε /te/, skr. -ca, par exemple, se restitue une particule *-kwe « et » invariable (cf. aussi myc. -qe). De l’indo-européen aux langues historiques, e se conserve intact sur la plus grande partie du domaine. Cette stabilité concerne le hittite, l’arménien, le grec, le latin, le balto-slave, la plupart des dialectes germaniques et
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le celtique, mais ne se constate pas en indo-iranien. En sanskrit, en avestique ou en vieux-perse, l’ancienne opposition e : a se neutralise au profit de a. Une confusion se produit aussi en gotique, mais entre e et i, en faveur de la voyelle la plus fermée. Ces traitements s’observent à l’initiale dans une correspondance comme lat. et « et, et encore » : gr. ἔτι /éti/ « encore » : skr. áti « au-delà » : got. iþ « mais, alors, et » (< i.-e. *eti). Sauf dans certains éléments adverbiaux (l’augment, par exemple) ou pronominaux (le démonstratif *eno-, par exemple), e en début de mot remonte en principe au groupe *h1e, car une racine verbale ou nominale indo-européenne commence toujours par une consonne. Dans les cas les plus favorables, la laryngale laisse une trace indirecte à l’époque historique. Ainsi, la longue initiale du participe sanskrit āsat- « n’étant pas » fournit un indice de la présence ancienne d’un h1 devant la sifflante : i.-e. *n̥ -h1sn̥ t-. Cette forme repose sur le degré zéro de la racine *h1es- « être ». Le degré plein se rencontre, notamment, à la 3e personne sg. du présent : lat. est, gr. ἐστί /estí/, skr. asti, etc. (i.-e. *h1ésti). La restitution de la laryngale fait de *h1es- une structure radicale comparable à *wes- « être vêtu ; vêtir, revê-
tir » (cf. § 7.6.4). À l’intérieur, -e- apparaît dans n’importe quelle composante d’une forme grammaticale : radical, suffixe ou désinence. Le degré e suffixal caractérise, par exemple, l’accusatif sg. du nom du « père » : gr. πατέρα /patéra/, skr. pitáram (< i.-e. *ph2tér-m̥ ). Le nominatif pl. – gr. πατέρες /patéres/, skr. pitáraḥ – atteste, en outre, un e constitutif de la désinence (i.-e. *-es). De plus, e est admis à la finale absolue. Entrent surtout en ligne de compte la 2e personne sg. de l’impératif des présents et aoristes thématiques, ainsi que le vocatif sg. des noms thématiques. Ces formes à désinence zéro se terminent par la voyelle thématique : c’est le cas de gr. φέρε /phére/ « porte ! », skr. bhara « (ap)porte ! » et de gr. ἰδέ /idé/ « vois ! », skr. vidá « trouve ! ».
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Dans la morphologie nominale, gr. ἄνθρωπε /ánthrōpe/ « homme ! » ou skr. vīra « id. », par exemple, présentent aussi le thème nu. En dehors du système flexionnel, enfin, -e final se rencontre dans des particules invariables, tel l’enclitique *-wē̆ « ou » : lat. -ue, hom. ἠ-ϝέ /ē-wé/ > ἠέ /ēé/, skr. vā (cf. supra, *-kwe).
7.7.3. I.-e. *a La voyelle la plus ouverte, a, existait probablement en indo-européen, même si la reconstruction de ce phonème repose sur des faits relativement peu nombreux et étrangers au système grammatical. À la différence de e, en effet, a n’a pas sa place dans le jeu des alternances. N’entrent donc en considération que des faits lexicaux. La correspondance lat. a, gr. α, skr. a est significative, sauf si la voyelle se trouve à l’initiale absolue, car dans cette position a provient souvent de *h2e. À l’origine de lat. agō « je pousse, je mène ; je fais » : gr. ἄγω /ágō/ « je pousse, je mène » : skr. ájāmi « id. », par exemple, il y a lieu de poser une racine *h2eg̑ -, trilitère (cf. la forme voisine *leg̑ - « ramasser »). Cependant, la reconstruction d’un a initial en indo-européen se justifie peut-être dans le cas d’une particule comme lat. at « mais », gr. ἀτ-άρ /at-ár/ « id. », got. aþ-þan « mais, pourtant » < i.-e. *at(i). Commencent aussi par a les termes familiers *atta « papa, grand-papa » et *amma « maman, grand-maman ». 121 À côté de ces mots expressifs du vocabulaire enfantin, des adjectifs à connotation négative attestent un a intérieur, premier élément de diphtongue : lat. laeuus « gauche » (cf. gr. λαι(ϝ)ός /lai(w)ós/ « id. », v. sl. lěvŭ « id. »), scaeuus « gauche » (cf. gr. σκαι(ϝ)ός /skai(w)ós/ « id. »), caecus « aveugle » (cf. got. haihs « borgne », irl. caech « id. »), blaesus « bègue », etc. Une voyelle a interconsonantique apparaît dans un petit groupe de noms 121. Selon Beekes, ces faits marginaux n’autorisent pas la reconstruction de a en indoeuropéen (1995, p. 139).
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d’animaux : vha. haso « lièvre », skr. śaśá- m. < *śasá- « id. » (i.-e. *k̑ as-opropr. « le gris » ; cf. lat. cānus < *k̑ as-nos « gris ») ; lat. caper « bouc » (cf. ombr. kaprum « id. », acc. sg. ; v. norr. hafr « id. » ; gr. κάπρος /kápros/ désigne le « sanglier ») < i.-e. *kapro- ; lat. anser (< *hanser) « oie », gr. dor. χάν /khā́ n/ « id. », vha. gans « id. », lit. žąsìs « id. », skr. haṃsáḥ « id. » (i.-e. *g̑ hans-) 122. Le vocalisme a s’observe ça et là dans une racine verbale : *mag̑ -
« pétrir » (gr. µαγῆναι /magênai/, aoriste passif de µάσσω /mássō/ « pétrir, frotter » ; all. machen « faire » < * « modeler » < * « pétrir ») ; *yag̑ - « rendre culte » (skr. yaj- « sacrifier », gr. ἅγιος /hágios/ « sacré »), *mad- « être humide ; être ivre » (cf., supra, chap. VI). Comme il y a encore d’autres exemples de a intérieur, l’ensemble du dossier atteint pour ainsi dire la masse critique, c’est-à-dire suffisante pour la reconnaissance de cette voyelle dans le système phonologique de l’indo-européen. Mais a n’existe que dans une distribution restreinte. De même qu’à l’initiale, sa présence à la finale absolue s’avère exceptionnelle. Seuls l’attestent, peut-être, des éléments lexicaux du registre affectif, comme *atta (cf. supra). En dehors de tels cas, un -a commun à l’italique, au grec et au sanskrit se rencontre dans la désinence de 1re personne sg. du parfait : fal. pepar-ai « j’ai enfanté » (avec la particule déictique -i), gr. οἶδ-α « je sais », skr. ved-a « id. ». Cette voyelle remonte à *-h2e (cf. louv. -ha à la 1re personne sg. du prétérit).
7.7.4. I.-e. *o Contrairement à a, la voyelle postérieure arrondie o concourt au jeu des alternances. Dans un parfait archaïque comme gr. οἶδα /oîda/ « je sais », par exemple, le degré o radical règne au singulier de l’indicatif, le degré zéro au pluriel de l’indicatif (hom. ἴδµεν /ídmen/ « nous savons ») et le degré e 122. S’y ajoutent lat. haedus « chevreau », got. gaits f. « chèvre » et lat. taurus « taureau », gr. ταῦρος /taûros/ « id. », lit. taũras « aurochs ». Cf. Kuryłowicz 1977, p. 217.
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au subjonctif (hom. εἴδοµεν /eídomen/ « que nous sachions »). Ces variations du vocalisme existent aussi dans la flexion nominale. Ainsi, les neutres sigmatiques présentent le suffixe -os au nominatif-accusatif sg., la variante -es- au nominatif-accusatif pl. Le grec oppose au singulier ζεῦγος /zeûg-os/ « attelage », par exemple, le pluriel ζεύγ-εα /zeúg-ea/ < *yeug̑ es-h2. Cf. lat. iūgera « surface de terre labourée par une paire de bœufs ». En latin, -os et -es- se conservent dans des formes archaïques : op-os « œuvre » (CIL I 546) > lat. cl. opus, foed-es-um (Carm. Sal. 10 = Varron, L. L. 7,27) > lat. cl. foederum, gén. pl. de foedus « traité ». L’existence du degré zéro suffixal, à savoir -s-, ressort d’une variante compositionnelle de *ménos n. « esprit, force de l’esprit, force » (gr. µένος /ménos/, skr. mánaḥ,
av. manah-). En effet, du syntagme védique mánas- dhā- « appliquer son esprit à » (cf. RV 8,13,20) procède le nom d’action medhā́ f. « fait d’appliquer son esprit, sagesse », de *maz-dhā́ < i.-e. *mn̥ s-dheh1-. Cf. av. mazdā, nom d’agent, signifiant « qui applique son esprit, sage » 123. Dans la plupart de ses attestations, o se trouvait donc en relation d’opposition avec e ou zéro. Le statut de voyelle alternante ou non alternante a une incidence sur le traitement indo-iranien de o dans un contexte particulier. En effet, en syllabe ouverte, *o apophonique donne ā en sanskrit, en avestique et en vieux-perse, tandis que *o non apophonique a pour reflet ă (loi de Brugmann) 124. C’est pourquoi à lat. noceō « je fais tort » répond skr. nāśáyāmi « je fais périr », avec ā radical, alors qu’à lat. tot « autant » correspond skr. táti « id. », avec ă. En syllabe fermée, l’ancien *o s’ouvre en a sans allongement. En procure un exemple le causatif sanskrit tarṣáyati « il assoiffe », comparable à lat. torreō « je dessèche ». Lorsqu’une racine se termine par 123. Av. mazdā est traité en détail par J. Kellens (1974, p. 201-203). 124. Longtemps mise en doute, la loi de Brugmann est généralement admise aujourd’hui. Sur toute la question, voir Volkart 1994.
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un groupe consonne ou sonante + laryngale, sa variante de degré o donne une forme à vocalisme ă en indo-iranien. Mais, comme la laryngale disparaît, la voyelle se trouve subséquemment en syllabe ouverte. C’est le cas dans skr. janáyati « il engendre » < *g̑ onh1éyeti, causatif de *g̑ enh1- « faire naître » (cf. § 7.5.2.6). Le changement de o en ă ne s’observe pas seulement dans une partie des faits en indo-iranien, mais caractérise aussi le hittite, le baltique et le germanique. En témoigne, par exemple, un terme archaïque signifiant « lui-même, la personne même, le maître » : i.-e. *pot(i)-, d’où proviennent non seulement lat. potis « puissant » et gr. πόσις /pósis/ « époux », mais aussi skr. pátiḥ « maître, époux », av. paitiš « id. », hitt. -pat « même » (cf. apāš-pat « celui-là même »), lit. pàts (v. lit. patìs) « époux » (et la particule pàt « même »), got. -faþs « chef, maître » 125. En slave, la neutralisation de *o et de *a s’opère au profit de o. C’est pourquoi v. sl. (gos-)podĭ « maître, seigneur » (< *poti-) et nosŭ « nez » (< *nas-) ont même vocalisme. En ce qui concerne sa distribution, *o n’apparaissait pas à l’initiale absolue en indo-européen. Lorsqu’un mot grec ou latin commence par o-, cette voyelle remonte à un groupe *Ho ou h3e (cf., § 7.5.2.3, l’étymologie du nom du « mouton », gr. hom. ὄις /óis, lat. ouis, etc.). En position intérieure, *o se trouve, le cas échéant, dans un radical : *dór-u « bois » (gr. δόρυ /dóru/ « bois, bois de la lance », skr. dā́ ru « bois »), *nok̑ -éye-ti « il fait périr » (lat. nocet « il fait tort », skr. nāśáyati « il fait périr » : cf. supra). D’autre part, la voyelle constitutive de nombreux suffixes présente le timbre o. Le morphème *-tor (à côté de *-ter, *-tr-), par exemple, entre dans la formation de noms d’agent. Ainsi, l’accusatif grec γενέτορα /genétora/ « procréateur » suppose une forme préhistorique *g̑ énh1tor-m̥ . Enfin, o est admis à la finale absolue, comme le montrent les dési125. Sur le sémantisme de *potis, voir Benveniste 1969, t. I, p. 89-91.
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nences secondaires moyennes de 2e et 3e pers. sg. *-so et *-to. Le grec en conserve bien les formes dans les conjugaisons athématique et thématique. Avec le degré plein de la racine, Homère procure, notamment, δέξο /dékso/ « reçois ! » (impératif aoriste) et δέκτο /dékto/« il agréa » (indicatif aoriste), du verbe δέκοµαι /dékomai/ (att. δέχοµαι /dékhomai/) « je reçois, j’accepte ».
7.7.5. I.-e. *u La voyelle postérieure la plus fermée, u, se signale, comme i, par une grande résistance au changement. La plupart des langues indo-européennes la conservent intacte, mais le slave en fait une ultra-brève, notée ŭ. En témoigne, entre autres, le vieux nom de la « bru » : i.-e. *snusós f. Tandis que u se retrouve dans skr. snuṣā́ , gr. νυός /nuós/, lat. nurus, -ūs et vha. snur, le slavon serbe atteste ŭ dans snŭxa. La singularité du traitement slave va de pair avec une restriction dans la distribution : ŭ n’apparaît pas à l’initiale, où vŭ- en tient lieu. Ainsi, au préfixe lituanien už- « sur, en haut » répond v. sl. vŭz- « id. ». En début de mot, u- se présente dans les formes au degré zéro de racines du type w + e + consonne. La variante *ud- de *wed« sourdre » en donne un exemple. Ce radical apparaît dans les représentants indien, grec et ombrien d’un nom de l’ « eau » : véd. udán « dans l’eau », gr. ὕδωρ /húdōr/ « eau » 126, ombr. utur (= *udōr) « id. ». Comme *ud- est à *wed-, *uk̑ - est à *wek̑ - « désirer, vouloir ». La forme faible se reflète, par exemple, dans véd. uśmási « nous désirons, nous voulons », en relation d’opposition avec vaśmi « je désire, je veux » (cf. hitt. wēkmi « je demande »). En position intérieure, les conditions d’apparition de u se réalisent, pour une part au moins, dans les variantes au degré zéro de racines en -eu-. Ainsi, de *g̑ heu- « verser, faire une libation », le participe passé 126. « tout υ initial a reçu en grec un esprit rude (…) Il s’agit là d’un développement phonétique dont le mécanisme reste obscur» (Lejeune 1972, p. 280-281, § 320).
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passif a la forme *g̑ hutós, d’où gr. χυτός /khutós/ et skr. hutáḥ. De même, de *sreu- « couler » le grec atteste ῥυτός /rhutós/ « qui coule » et le sanskrit
srutáḥ « id. » (dès l’Atharvaveda). Le vocalisme u ne s’observe pas seulement dans des radicaux, mais aussi dans un suffixe important de la morphologie verbale : -nu-. Ce morphème d’un type de présent alterne avec -neu- au sein du paradigme. En gardent le souvenir les verbes sanskrits en -no- (< i.-ir. *-nau- < i.-e. *-neu-) / -nu-, comme r̥ -ṇó-ti « il se meut, il s’élève » (3e sg. ind. prés. actif) vs apa … r̥ ṇu-tá « elle ouvre » (3e sg. inj prés. moyen, RV 5,45,6). Le correspondant grec ὄρνῡµι /órnūmi/ « je fais avancer » / ὄρνυµαι /órnumai/ « je m’élance » présente -νῡ- au lieu de -νευ- au singulier de l’actif. Ces formes reposent sur une racine *h3er- / *h3r « se mettre en mouvement », tr. « mettre en mouvement ». Dans la dérivation nominale, u entre dans la formation du suffixe *-tu(*-teu-), caractérisant une classe de noms d’action. Un dérivé comme *pr̥ -tú« passage » se rattache à *per- « traverser ». En atteste l’existence ancienne la correspondance entre av. pǝrǝtuš « passage, gué », lat. portus « porte (dans ob portum « devant la porte », XII Tables 2,3), entrée de port, port » et vha. furt « gué ». À la différence des dérivés en -tu-, les substantifs en -u- (*-eu-) ne forment pas un groupe sémantiquement unitaire. De vieux neutres, dans leur forme de nominatif-accusatif sg., créent les conditions d’apparition de u à la finale absolue : c’est le cas de gr. δόρυ /dóru/ « bois, (bois de la) lance », skr. dā́ ru « bois », hitt. taru « id. » ou de véd. páśu « bétail » (RV 3,53,23), got. faíhu « argent ».
7.7.6. I.-e. *ī L’existence de voyelles longues indo-européennes n’est pas douteuse, comme en témoignent des correspondances significatives. Le système
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renferme ainsi un ī long à côté de ĭ bref. Mais, à de rares exceptions près (cf. *wīs(o)- « poison » : av. vīš, gr. ῑ̓ός, /īós/ lat. uīrus), ī provient d’une séquence i + laryngale. Le groupe *ih1 s’observe, notamment, dans l’expression de l’optatif. En effet, le morphème de cette catégorie modale se présente sous la forme alternante *-yeh1-/*-ih1- > *-yē-/*-ī-. Le vieux latin en garde encore le souvenir dans l’opposition entre les formes de subjonctif (ancien optatif) siem (< *s-iē-m, cf. skr. syā́ m) « que je sois » et s-ī-mus « que nous soyons ». Le groupe *ih2 fournit au système grammatical une marque de féminin. Cette origine du morphème sanskrit -ī dans un mot comme pátnī « maîtresse » ressort de son correspondant grec πότνια /pótnia/ « id. » (le timbre a de la brève finale suppose h2). Une source *ih3 de ī entre en ligne de compte dans le cas de formes radicales au degré zéro : gr. πῖθι /pîthi/ « bois ! » et skr. pītá- « bu », par exemple, reposent sur *pih3- < ph3i- 127. Le degré plein figure, par exemple, dans l’impératif éolien πῶθι /pôthi/ (= skr. pāhi). Sur la base de ces faits, il y a lieu de poser une racine *peh3(i)-. Avec l’ordre inverse des éléments postvocaliques, *gweih3- « vivre » possède une variante faible *gwih3-, reflétée dans l’adjectif thématique skr. jīvá- « vivant », lit. gývas « id. », lat. uīuus « id. », etc. (*gwih3-o-, où h3 = [χw] laisse une trace dans l’allongement de la voyelle précédente et dans le développement de w). Enfin, pour la forme sous-jacente à ī la notation *iH est requise, lorsque les données étymologiques ne permettent pas une identification précise de la laryngale. Le radical de skr. pī́vā (pī́van-) « qui regorge, gras, vigoureux », par exemple, remonte à *piH-, degré zéro de *peiH- « s’enfler, regorger de » (cf. véd. páyate « il regorge »). L’archaïsme de l’adjectif a pour garant le correspondant grec πῑ́ων /pī́ōn/ « gras, riche, abondant » et 127. Sur ce traitement (métathèse), voir Mayrhofer 1986, p. 175 (§ 7.3.11.1).
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les féminins respectifs : skr. pī́varī = gr. πῑ́ειρα /pī́eira/. Quelle que soit la nature de la laryngale du groupe *iH, la résultante ī se maintient intacte dans toutes les branches de la famille des langues indo-européennes. De plus, cette voyelle longue apparaît couramment à l’intérieur du mot et à la finale (cf. supra), plus rarement à l’initiale. Le cas se présente dans des formes à redoublement en i de racines commençant par une laryngale, comme *h3i-h3r-toi > skr. ī́rte « il se met en mouvement » (racine *h3er-).
7.7.7. I.-e. *ē La voyelle *ē s’oppose généralement à *ĕ (alternance quantitative) et/ou à *ō (alternance qualitative) dans le système morphologique. Un nom de l’ « homme » illustre les différents degrés : gr. ἀνήρ /anḗr/ (< *h2nḗr), voc. sg. ἄνερ /áner/, variante compositionnelle -ήνωρ /-ḗnōr/ (par exemple, ἀγήνωρ /ag-ḗnōr/ « meneur d’hommes », d’où « courageux » et « arrogant »). Comme on le voit, le degré long caractérise le nominatif sg. Cf. gr. πατήρ /patḗr/ « père », ποιµήν /poimḗn/ « gardien de troupeau, berger », etc. Dans ces formes, *-ēr et *-ēn s’expliquent peut-être à partir de finales préindo-européennes *-ers et *-ens, pourvues de la marque -s du nominatif sg. Cette sifflante s’assimilerait à la consonne précédente et donnerait une géminée : type *-err. De là, le groupe rr se simplifierait en r au prix d’un allongement compensatoire de la voyelle précédente 128. Dans le système verbal, *ē se rencontre, notamment, à l’aoriste sigmatique. Le latin en offre un exemple dans le parfait d’origine aoristique uēxī « j’ai mené en char » (cf. véd. a-vākṣam « id. »). Le présent correspondant comporte une voyelle radicale brève : uĕhō « je transporte en char » (cf. véd. váhāmi « id. »). L’analyse des faits latins présente un intérêt particulier pour l’histoire de ē. En effet, cette voyelle longue n’alterne pas toujours avec ĕ, mais, dans une 128. Szemerényi 1990, p. 121 ; Meier-Brügger 2010, p. 331.
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partie des cas, forme un couple avec ă. Ce double statut révèle une double origine : de *ē ancien se distingue un *ē récent, issu de *eh1. Au degré zéro, l’élément *h1 se reflète dans lat. ă. Un verbe comme rērī « calculer, penser » / part. passé rătus repose sur une racine *reh1- / *rh1- ; de même, sēuī « j’ai semé » / sătus s’explique à partir de *seh1- / *sh1-. À défaut d’une forme alternante en latin, le radical de mētior « je mesure » ne s’éclaire que par la comparaison. Or, le sanskrit oppose mā- (prés. mi-mā-ti « il mesure ») à mi- (part. passé mita- « mesuré »). Ces variantes morphologiques invitent à reconstruire une racine *meh1- / *mh1- (pour le traitement i.-e. *h1 > skr. i, cf. § 7.5.2.5). Le produit de *eh1 se confond avec *ē ancien et cette dernière voyelle conserve son timbre et sa quantité en grec, en latin, en gotique et en lituanien. Cette concordance s’observe, par exemple, dans le vieux nom de la « lune » et du « mois » : gr. µήν /mḗn/ « mois, croissant de lune », lat. mēnsis « mois », got. mēna « lune », lit. mė́ nuo « lune, mois ». Comme l’enseignent avākṣam et mimāti (cf. supra), le sanskrit répond par ā à ē des langues classiques. Le même traitement se constate en iranien. Dans ces conditions, les correspondants de gr. µήν /mḗn/ (dor. µής /mḗs/) sont skr. mā́ s- « lune, mois » et av. māh- « id. » (< i.-e. *mēns). En vieux slave, *ē donne une diphtongue ascendante [ja], notée ě : měsęcĭ « lune, mois ». Le vieux-haut-allemand, à la différence du gotique, témoigne de l’ouverture de *ē en ā : māno « lune ». Inversement, v. irl. mí [mī] « mois » atteste un mouvement de fermeture. En ce qui concerne sa distribution, *ē n’apparaît à l’initiale que secondairement. La voyelle longue de gr. ἦα /êa/ « j’étais » (Homère), par exemple, s’explique par une contraction. La forme à augment *e-h1es-m̥ passe d’abord à *e-es-m̥ , puis à *ēs-m̥ . Se produisent, enfin, l’amuïssement de -s- (> -h- > -ø-) et la vocalisation de m̥ (cf. supra). Dans le cas de ἧµαι /hêmai/ « je suis assis » < *ēs-mai, ē figure à l’initiale par suite de la
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chute d’une laryngale (voir LIV, p. 232 s.v. *h1eh1s-). À l’origine, cette voyelle longue se limite donc aux positions intérieure et finale. Entre consonnes (ou sonantes consonnes) *ē se trouve tantôt dans le radical, tantôt dans le suffixe. À la finale absolue, *-eh1 > *-ē fonctionne comme désinence de l’instrumental sg. Le gotique en conserve un exemple dans ƕē « avec quoi » < *kweh1 (thème *kwo- de l’interrogatif) 129. Un emploi du terme dans le Sermon sur la Montagne en illustre clairement la fonction, Matth. 6,25 : ni maurnaiþ … leika izwaramma ƕē wasjaiþ « ne vous inquiétez pas … pour votre corps de quoi vous serez vêtus ». Quoique le grec et le latin ne possèdent plus l’instrumental sg. comme cas vivant, des traces en subsistent, semble-t-il, dans des formes adverbiales. Homère a, par exemple, l’expression ἁµαρτῆ /hamartê/ (ἁµαρτή /hamartḗ/ selon Aristarque) « en même temps, à la fois ». En sanskrit, où l’instrumental existe pleinement, se rencontre la désinence attendue -ā (ex. : sáhas-ā « avec force »). L’existence d’un *ē à la finale absolue se dégage encore de la correspondance lat. mē, tē : skr. mā́ -m, tvā́ -m, accusatifs des pronoms de 1re et 2e personnes (i.-e. *mḗ, *t(w)ḗ ). Au dossier appartient aussi la particule prohibitive gr. µή /mḗ/ : skr. mā́ .
7.7.8. I.-e. *ā Comme la brève correspondante, *ā indo-européen possède un statut marginal. Les exemples en sont très peu nombreux et dans la plupart des formes invoquées ce vocalisme semble secondaire 130. Paraît ancienne, toutefois, la voyelle radicale du nom de l’avant-bras : i.-e. *bhāg̑ hu-, gr. πῆχυς /pêkhus/, éol. πᾶχυς /pâkhus/, skr. bāhúḥ, av. bāzuš, v. norr. bōgr (< 129. Cf. la forme parallèle þē du démonstratif þa- (< i.-e. *to-). 130. L’adjectif *swādu- « doux » (ainsi Szemerényi 1990, p. 38) est à réécrire *sweh2du(Lamberterie 1990, p. 490). Pour le nom de la mère, les auteurs hésitent entre une reconstruction *mātér- (Mayrhofer 1986, p. 172 ; cf. Meiser 1998, § 28,2) ou *méh2tēr (Beekes 1995, p. 139).
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germ. *bōgu-) « épaule, jambe de devant (d’un quadrupède) » 131. Il s’agit d’une exception. En général, *ā s’analyse en *eh2, notamment là où le phonème alterne avec ă en grec et avec ĭ en sanskrit. Le fait se présente dans le cas de la racine *stā- < *steh2- « se tenir debout » : l’aoriste grec dor. ἔστᾱν /éstān/ (att. ἔστην /éstēn/) « je me tins debout » et le correspondant sanskrit ásthām « id. » reposent sur le degré plein (*steh2-), tandis que les participes gr. στᾰτός /stătós/ « debout, immobile » et skr. sthitáḥ « id. » comportent le degré zéro radical (*sth2-). L’origine *eh2 de *ā est manifeste, lorsqu’une forme hittite atteste la laryngale. Le suffixe -ā- des verbes de la première conjugaison latine, par exemple, a un écho dans le morphème -aḫḫ- de l’anatolien. En témoignent lat. nouā-re « renouveler » et hitt. newaḫḫ- « id. » (cf. § 7.5.2.1). Comme on le voit, *ā se conserve intact dans une partie du domaine indo-européen : italique, grec (sauf ionien et attique), indo-iranien (cf. lat. māter « mère », gr. dor. µᾱ́ τηρ /mā́ tēr/, skr. mātā́ ). S’y ajoute le celtique (v. irl. māthir). En ionien et, dans la plupart des contextes, en attique, *ā s’ouvre en ē (µήτηρ /mḗtēr/). En vieux slave et en arménien, la voyelle garde son timbre, mais n’appartient plus à une opposition phonologique ā/ă (v. sl. mati, arm. mayr). En germanique, *ā passe à ō (v. angl. mōdor) ; en lituanien à o (lit. mótė ). Sous le rapport de la distribution du phonème, ā se rencontre à l’initiale comme produit de *eh2e. Si une forme historique comme gr. dor. ἆγε /âge/ « il conduisait » (= skr. ājat) commence par ā, une contraction en est responsable : cet imparfait remonte, en effet, à *e-h2eg̑ -et. À l’intérieur, i.-e. *ā (*eh2) apparaît soit dans le radical, soit dans le suffixe (cf. supra). À la 131. Benveniste admettait une alternance entre *bhāghu-, défini comme le nom du « bras allongé » et une racine *bhagh- « étendre » (1959, p. 68), mais Lamberterie récuse à bon droit cette théorie : « l’on ne peut reconstruire en indo-européen qu’une racine immobile *bhāg̑ h- » (1990, p. 165).
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finale, cette voyelle longue (ou, au stade le plus ancien, voyelle brève + laryngale 2) s’emploie comme marque de féminin : ex. *néweh2 > *néwā « nouvelle » (gr. νέᾱ /néā/, etc.).
7.7.9. I.-e. *ō Quand bien même les langues congénères ne font pas toutes la distinction entre un *ā et un *ō, le témoignage du grec et du latin plaide pour l’existence des deux voyelles en indo-européen. Le phonème *ō apparaît dans des contextes morphologiques divers. Des exemples s’en rencontrent dans des nominatifs sg. à degré long (radical ou suffixal). Ainsi, un dérivé en *-mōn de la racine *h2ek̑ - « être aiguisé ; aiguiser » fournit un vieux nom de la « pierre » : gr. ἄκµων /ákmōn/ « enclume » (à l’origine en pierre), lit. akmuõ « pierre », skr. áśmā « pierre, rocher, ciel (conçu comme une voûte de pierre) », av. asman- « pierre, ciel », v. p. asman- « ciel ». Dans un présent thématique comme gr. ζώω /zṓō/ « je vis », la longue radicale n’est pas originelle, car les verbes skr. jī́vati « il vit » et lat. uīuō « je vis » suggèrent une racine en laryngale. Les formes se concilient, en effet, moyennant la reconstruction des variantes alternantes *gwyeh3- / *gwih3-. Le degré plein donne gr. ζω(ϝ)- /zō(w)-/, le degré zéro skr. jī(v)- et lat. vī(v)-. Plutôt qu’un suffixe, la semi-voyelle w finale de racine est sans doute le reflet de l’appendice labiovélaire de h3 (Hw) (cf. § 7.5.2.3). Cas analogue à gr. ζώω /zṓō/, gr. πλώω /plṓō/ « je nage » (cf. v. angl. flîwan « couler ») repose sur *pleh3-. L’aoriste grec ἔγνων /égnōn/ « j’ai reconnu » et le parfait latin
d’origine aoristique (g)nōuī « je connais » sont bâtis sur une même structure radicale : *g̑ neh3-. Comme le montrent d’autres faits encore, nombre de *ō se ramènent donc à eh3.
À cette source s’ajoute le complexe phonique *oH, c’est-à-dire la combinaison de o bref et d’une laryngale quelconque. Le traitement *oh1 > ō
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s’observe dans le parfait grec ἔρρωγα /érrōga/ « je suis brisé », d’un thème *we-wroh1g̑ - (cf. prés. ῥήγνυµι /rhḗgnūmi/, aor. ἔρρηξα /érrēksa/). La racine
de ce verbe au degré fondamental a la forme *wreh1g̑ - « briser, déchirer ». Le groupe *oh2 rend compte de ō dans un nom comme gr. φωνή /phōnḗ/ f. « voix » (< *bhoh2-nā), de la racine *bheh2- « dire », présente dans le verbe athématique dor., éol. φᾱµί /phāmí/ « je dis », ion.-att. φηµί /phēmí/. Un exemple de *oh2 > ō apparaît aussi dans gr. κώπη /kṓpē/ f. « poignée » (propr. « saisie »), d’un radical *koh2p-, variante apophonique de *keh2p- « saisir, attraper ». Le degré zéro *kh2p- entre dans la formation des présents gr. κάπτω /káptō/ « je happe, j’avale » et lat. capiō « je prends ». Enfin, il y a lieu d’admettre une origine *oh3 de ō dans le cas de ζωή /zōḗ/ « vie » (depuis Homère), car les noms d’action féminins en -η /-ē/ (-ᾱ /-ā/) comportent très souvent le degré o radical. On pose donc *gwyoh3- (cf. supra *gwyeh3- dans le verbe ζώω /zṓō/ « je vis »).
Comme produit d’une séquence voyelle brève + laryngale ou comme voyelle longue ancienne, i.-e. *ō ne change pas en grec, en latin et en gotique. Une diphtongaison en uo se produit en vieux-haut-allemand et, dans une partie des faits, en lituanien 132. L’arménien a un reflet u. Ailleurs, *ō évolue en une voyelle plus ouverte : skr., av., hitt., v. irl. ā, v. sl. a
(phonétiquement longue, mais non opposée à une brève de même timbre). Comme d’autres termes du système vocalique, *ō n’apparaissait pas à l’initiale absolue en indo-européen. Lorsqu’une forme d’une langue historique commence par ō, cette voyelle résulte de la réduction d’un complexe phonique. Le cas se présente dans ōdī « je hais », d’un ancien parfait à redoublement *h3e-h3d-h2ei 133. La racine est *h3ed-, comme l’indiquent l’aoriste homérique ὀδύσσασθαι /odússasthai/ « haïr » et le nom latin de la « haine », odium. Un *ō initial se rencontre aussi dans l’aoriste grec 132. Les formes lituaniennes non concernées par ce traitement ont o. 133. Sur l’analyse du parfait ōdī, voir É. Benveniste 1949, p. 16-19.
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ὦρτο /ôrto/ « il se leva, il s’élança ». Cette forme moyenne renferme, à la suite de l’augment, le degré zéro de *h3er- : *e-h3r-to. Un dernier exemple, gr. ὠκύς /ōkús/ « rapide », s’explique à la lumière de la comparaison avec un nom hittite. Comme l’adjectif grec s’emploie parfois au sens de « vif, aigu » (en parlant d’un son, notamment) et se rapproche sémantiquement de ὀξύς /oksús/ « aigu, pointu » 134, une parenté étymologique avec hitt. ḫēkur « sommet, cime » paraît plausible. Dans cette perspective, il convient de poser une laryngale 2 à l’initiale de la racine : ὠκ- /ōk-/ remonterait à *h2ōk̑ - et cette forme ferait pendant à *h2ēk̑ - 135. Ces degrés longs se rattachent à *h2ek̑ (> *ak̑ -) « être pointu, aigu », « aiguiser » (cf. gr. ἄκρος /ákros/ « pointu », lat. acus f. « aiguille », etc.). En fin de compte, la voyelle longue de gr. ὠκύς /ōkús/ se trouvait donc à l’intérieur du radical en indo-européen. Cette condition d’apparition rappelle la position de ō dans le type gr. κώπη /kṓpē/ < *koh2p-ā (cf. supra). Reste à voir si *ō avait parfois sa place à la finale absolue. L’examen des désinences révèle l’existence d’une marque *-ō à la 1re personne sg. du présent thématique (actif) 136 : *bherō « je porte », gr. φέρω /phérō/ « id. », lat. ferō « id. », v. sl. berǫ « je ramasse » (-ǫ < *-ō-mi, cf. skr. bhar-ā-mi).
7.7.10. I.-e. *ū Une voyelle postérieure d’aperture minimale complète le système des longues : *ū fait pendant à *ī. Mais les attestations de ū des langues historiques ne remontent que rarement à *ū indo-européen. En offre un exemple un monosyllabe comme le nom du porc sauvage ou domestique : vha. sū f. 134. Ch. de Lamberterie relève les affinités de sens entre ὠκύς /ōkús/ et ὀξύς /oksús/ : Lamberterie 1990, t. II, p. 577. 135. Une alternative à la reconstruction de *h2-ōk̑ -ú-, à savoir la forme à redoublement *h2eh2ok-ú- (en relation avec un parfait disparu) a la préférence de Ch. de Lamberterie (Lamberterie 1990, t. II, p. 577-579). 136. Sur les raisons de restituer *-ō ou *-oh2, voir Rix 1992, p. 250.
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« truie », lat. sūs m. et f. « sanglier, laie » ou « porc, truie », gr. ὗς /hûs/ m. et f. « id. », av. hū- « porc », skr. sūkará- m. « porc, verrat » (dérivé en -rd’une forme élargie par -k-, comme pers. xūk « porc »). Cette correspondance plaide en faveur d’un terme préhistorique *sūs m. et f. La quantité de sa voyelle s’explique par un allongement anciennement propre au nominatif sg. et pl. et à l’accusatif sg. Comparer *mūs « souris ». En dehors de tels monosyllabes, *ū provient d’une séquence *u + laryngale. Le groupe *uh1 explique ū dans gr. κῡσαµένη /kūsaménē/ « étant devenue enceinte, ayant conçu » (Hésiode, Théog. 405 ; prés. κυέω /kuéō/ « je suis enceinte ») ou dans av. sūidiiāi « pour accroître, rendre prospère » (Yasna 44.2). Ces formes reflètent le degré zéro *k̑ uh1- d’une racine *k̑ euh1- / *k̑ weh1- « (s’)enfler, (se) gonfler » (LIV, p. 339-340). Les mêmes
structures complémentaires *bheuh2- / *bhweh2- « devenir, être » ont une variante faible *bhuh2-. La séquence *uh2 de cette forme se résout, comme *uh1, en ū. Ce traitement s’observe, notamment, dans l’aoriste radical skr.
á-bhū-t « il est devenu », gr. ἔ-ϕῡ /é-phū/ « il naquit, il devint ». La reconstruction de h2 dans cette racine s’appuie, entre autres, sur le vieux subjonctif latin fuās « que tu sois », dont l’ā suggère *eh2 et dont l’emploi fréquent en phrase prohibitive trouverait sa justification dans un ancien injonctif aoriste de forme *bh(u)weh2-s 137. Une source *uh3 de ū se dégage peut-être de l’histoire de skr. anūka- m. « épine dorsale ». Comme pratīka- n. « visage », le terme a le statut d’un composé. Le premier membre est un adverbe, le second un dérivé thématique de la racine *h3ekw- « voir, regarder » au degré zéro. Il y a lieu de poser *enu-h3kw-o- « qui se voit, qui se trouve derrière », parallèle à *proti-h3kw-o- « qui se voit, qui se trouve en face ». Enfin, en de nombreux cas, ū résulte de la combinaison de u et d’une laryngale indéterninable (*uH). Le nom indien du « fils », sūnúḥ, par 137. Suggestion de Reiner Lipp, in LIV, p. 99, n.5.
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exemple, repose sur *suH-nu-. La racine en est *seuH- / *sweH- / *suH« enfanter ». Cf. skr. sū́ te « elle enfante ». Quelle que soit son origine, *ū jouit d’une grande stabilité et se retrouve presque partout à l’époque historique. Cependant, le vieux slave en fait d’abord une diphtongue ŭi, puis une voyelle proche de i par la rétraction des lèvres et de u par la position de la langue (i dur du russe), transcrite y. À skr. sūnúḥ « fils » (cf. supra) et à lit. sūnùs « id. » répond ainsi v. sl. synŭ « id. ». Cette correspondance illustre la position la plus courante de ū, la position intérieure. Ce n’est qu’exceptionnellement que la voyelle apparaît à l’initiale. Le cas se présente à l’époque historique dans skr. ūtí- « encouragement, soutien », de *h1uH-tí-, nom d’action bâti sur le degré zéro de la racine *h1euH- « aider, favoriser » (cf. skr. ávati « il aide ») 138. Quant à la position finale de *ū, peu d’exemples en témoignent. Entre en ligne de compte le monosyllabe *tū (ou *tuH), pronom de 2e personne sg. : av. tū, gr. hom. τῡ́ -νη /tū́ -nē/ (Il. 5,485), v. sl. ty, lat. tū, v. isl. þú. Un ū final résulte, en outre, de l’addition de la désinence *-h1 aux thèmes en -u-. Cette laryngale fonctionne comme marque du nominatif-vocatif-accusatif duel m. et f. Une forme védique bāhū́ « les deux bras », par exemple, remonte à i.-e. *bhāg̑ hu-h1. En grec, le correspondant πῆχυς /pêkhus/, éol. πᾶχυς /pâkhus/,
« coude, avant-bras », présente le degré plein de la prédésinentielle dans le duel homérique πήχεε /pḗkhee/ (Il. 5,314 ; etc.) < *πᾱχεϝ-ε /pākhew-e/ (cf. la variante védique bāhávā et av. bāzauua). L’avestique connaît aussi la finale -ū : mainiiū « les deux esprits (du bien et du mal) ».
7.8. Les diphtongues Aux voyelles brèves et aux voyelles longues de l’indo-européen s’ajoute une série de diphtongues. Il y en a six à premier élément bref et de nature 138. Sur la reconstruction de h1 dans cette racine, voir LIV, s.v., n. 1 (p. 244).
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décroissante : *ei, *ai, *oi et *eu, *au, *ou. Le grec et le vieux latin les conservent intactes.
7.8.1. I.-e. *ei Là où se produit un changement, l’évolution n’atteint d’abord que le premier élément (e, a, o), mais dans un second temps s’observe une tendance à la monophtongaison dans une partie du domaine. En indo-iranien, par exemple, i.-e. *ei passe à *ai et cette diphtongue subsiste en vieux perse ; dans la branche indienne, en revanche, *ai se transforme en ē. En latin classique et en gotique, *ei aboutit à ī, en slave à i. Les différents traitements se constatent, par exemple, dans les correspondances de gr. στείχω /steíkhō/ « je marche, je m’avance » ou de v. lat. ceiuis « (con)citoyen ». À στείχω /steíkhō/ s’apparentent lit. steĩgtis « se hâter », v. sl. po-stignǫti « atteindre » et got. steigan « monter » (ei note [ī]). À ceiuis (S. C. de Bacch., 186 av. J.-C.), variante archaïque de cīuis, se rattachent skr. śévaḥ « amical » (e note [ē]) et got. heiwa- « groupe familial » dans heiwa-frauja« chef de famille ». S’y ajoute, avec une autre suffixation, lit. šeimà « famille » 139. Sous le rapport de sa distribution, *ei connaît une restriction : dans le verbe comme dans le nom, cette diphtongue n’est pas admise à l’initiale. Lorsque le cas se présente à l’époque historique, l’amuïssement de h1 en est la cause. Ainsi, gr. εἶµι /eîmi/ « je vais, j’irai » remonte à *h1ei-mi. Dans la morphologie pronominale, cependant, skr. ayám « celui-ci » et l’anaphorique latin eum (ancien nominatif réinterprété comme accusatif) se ramènent peut-être à *ey-om, avec ei- en début de mot. Mais rien n’interdit la reconstruction d’une base *h1ei- 140. À la finale absolue, -ei sert de désinence de datif 139. Sur les relations sémantiques entre les termes de cette famille lexicale, voir Benveniste 1969, t. 1, p. 335-337. 140. Voir Monteil 1970, p. 232.
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sg. : v. lat. uirtutei (de uirtūs f. « valeur »), gr. chypr. Διϝεί(φιλος) /diweí(philos)/, nom propre (« cher à Zeus »), myc. di-we /diwei/ « à Zeus », skr. divé « pour le ciel, pour le dieu Ciel » (skr. -e < i.-e. *-ei). Une forme verbale en -ei se rencontre dans l’impératif *h1ei « va ! » (lat. ī, gr. ἔξ-ει /éks-ei/ « sors ! » chez Aristophane, Nuées 633) vs *h1i-dhi « id. » (gr. ἴθι /íthi/, skr. ihí).
7.8.2. I.-e. *ai À la différence de *ei, susceptible d’alternances (cf. la variante apophonique *oi et le degré zéro *i), *ai n’a qu’une seule forme et possède un statut marginal. Les exemples en sont relativement rares et se rencontrent principalement dans le registre des termes populaires ou de sens péjoratif. La diphtongue se maintient en grec, vieux latin, gotique, lituanien (à côté de ie). En latin classique, *ai passe à ae ; en slave, à ě (diphtongue à tension croissante : [ea, ia]). En sanskrit se produit une monophtongaison, d’où résulte la voyelle longue ē. Un nom de la « gauche » illustre les traitements grec, latin et slave : gr. λαιός /laiós/, lat. laeuus, v. sl. lěvŭ (cf. § 7.7.3). Le vocalisme du germanique se constate, par exemple, dans got. gaits « chèvre », apparenté à lat. haedus « chevreau ». Pour le sanskrit et le lituanien, des dérivés d’une racine *aidh- < *h2eidh- « enflammer » procurent des noms du « bois à brûler » : respectivement édhaḥ n. (cf. gr. αἶθος /aîthos/ n. « feu ») et íesmė (bâti sur *aidh-s-). À la même famille se rattache lat. aedēs f., attesté sous la forme aide (acc. sg.) dans une inscription archaïque (CIL I2 9) 141. De son sens premier de « foyer », le terme en vient à désigner le « temple » (cf. le temple de Vesta, avec son feu sacré). Au pluriel, aedēs se dit de la « maison ». Comme on le voit dans cet exemple et ailleurs, *ai initial s’explique à partir d’une séquence *h2ei-. 141. Étude linguistique et épigraphique de cette inscription (et de CIL I2 6, 7 et 8) chez Wachter 1987, p. 301-342 (§ 125-146).
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Avec un a ancien, *ai ne se rencontre qu’en position intérieure. À la finale absolue, la diphtongue est exceptionnelle. Dans la désinence grecque -µαι (1re pers. sg. prés. moy.), refaite à partir de -αι sur le modèle de -µι, le vocalisme a a pour origine un groupe *h2e, comme l’enseigne la comparaison avec les faits hittites 142. La forme grecque préhistorique *keiai (remplacée par κεῖµαι /keîmai/) « je gis » et son homologue sanskrit śaye « id. », par exemple, remontent à *k̑ ei-h2ei.
7.8.3. I.-e. *oi La diphtongue *oi se trouve le plus souvent en relation avec *ei et *i dans un système de formes alternantes. En offre un exemple le parfait grec οἶδα /oîda/ « je sais » (< i.-e. *woid-h2e), s’opposant au subjonctif εἰδῶ /eidô/ « que je sache » (degré e radical) et à la 1re personne pl. hom. ἴδµεν /ídmen/ « nous savons » (degré zéro radical). Des faits minoritaires révèlent, toutefois, l’existence du statut de *oi non apophonique. Ainsi, dans le nom de nombre « un », i.-e. *h1oi-no- (v. lat. oino (acc. sg.), gr. οἴνη /oínē/ « l’as, le un au jeu de dé »), *oi n’alterne pas avec *ei. Sous le rapport de son évolution, *oi ne change pas en grec et en vieux latin, mais partage le traitement de *ai en indo-iranien, en balto-slave et en germanique. En latin classique, une tendance à la monophtongaison produit ū (cf. ūnus « un ») ; cependant, la diphtongue subsiste parfois sous la forme oe après labiale (cf. foedus « traité »). En dehors du grec et du latin, se rencontrent skr. e, av. aē, v. sl. ě et got. ai dans resp. véda « je sais », vaēdā « id. », vědě « id. » et wait « id. ». Ces formes correspondent à gr. οἶδα /oîda/ (cf. supra). D’autre part, le traitement ai du baltique s’observe dans le reflet de i.-e. *h1oi-nos en vieux prussien : ains « un ». Un développement parallèle en germanique rend compte de got. ains « id. ». Avec un suffixe différent, une variante 142. Le hittite possède les désinences de 1re personne sg. -ḫa et ḫe (variante archaïque de -ḫi) < *-ḫai (cf. Watkins 1969, chap. V).
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Chapitre VII : système phonologique
*h1oi-wo- laisse une trace dans gr. οἶος /oîos/ (chypr. οἶϝος /oîwos/) « seul »
et dans av. aēuua- « un ». Enfin, une troisième formation, *h1oi-ko-, est à l’origine de skr. eka- « un » et de la forme indo-aryenne plus archaïque aika- (le composé aika-u̯ artanna- « un tour » figure, à titre d’emprunt, dans un traité d’équitation écrit en hittite par un Mitannien, au
XVe
siècle av.
J.-C.). En ce qui concerne ses conditions d’apparition, *oi n’était pas admis à l’initiale absolue en indo-européen. Ses attestations étaient, en revanche, nombreuses à l’intérieur du mot (notamment dans des parfaits, des présents causatifs ou des noms). À la finale absolue, des témoignages de *oi relèvent de la morphologie pronominale. La comparaison invite à reconstruire les formes de datif enclitiques *moi « à moi » (gr. µοι /moi/, skr. me) et *t(w)oi « à toi » (hom. τοι /toi/, att. σοι /soi/, skr. te). Dans le système verbal, d’autre part, les désinences primaires moyennes de 2e et 3e personnes se terminent par *oi. Il y a lieu de poser, respectivement, *-soi et *-toi. Ainsi, au verbe grec κεῖµαι /keîmai/ « je gis » (cf. supra) se rattachent arc. κεῖοι /keîoi/ < *k̑ ei-soi « tu gis » (= skr. śeṣe « id. ») et chypr. κεῖτοι < *k̑ eitoi « il gît » (= skr. śete « id. »). Le morphème *-toi est encore à reconnaître derrière la graphie -to de myc. e-u-ke-to /eukhetoi/ « elle déclare ».
7.8.4. I.-e. *eu À *ei fait pendant *eu. Cette diphtongue se conserve intacte en grec, par exemple dans des verbes primaires comme πεύθοµαι /peúthomai/ « je m’enquiers, j’apprends » (thème *bhéudh-e/o-). Le présent correspondant véd. bódhati « il est attentif, il remarque » a le vocalisme radical o [ō] < i.-ir. *au, traitement régulier de *eu. Cf. gāth. baodaṇt- « attentif ». En vieux slave, le reflet ju de *eu s’observe dans bljudǫ < *bjudǫ « je surveille ». Le gotique a iu, comme l’atteste ana-biudan « prescrire, ordonner ». En italique, *eu passe
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à *ou, puis la diphtongue se réduit à ū en latin. Ce traitement se constate dans ūrō « je brûle » < *h1eus-e/o- (gr. εὕω /heúō/ « je fais griller », véd. óṣati « il brûle »). Dans ce verbe comme ailleurs, *eu n’apparaît à l’initiale que par suite de l’amuïssement de h1. À la finale absolue, la diphtongue figure dans le vocatif du nom du dieu Ciel, dont la formule d’invocation se reconstruit sous la forme *dyéu *pǝ́2ter « ô Ciel père ! » (gr. Ζεῦ πάτερ /zeû páter/, lat. Iū-piter)
7.8.5. I.-e. *au Comme la voyelle *a, la diphtongue *au a un statut marginal dans le système vocalique indo-européen. L’adjectif *sausos « sec » en procure une attestation. Avec conservation du vocalisme, le grec le continue dans αὗος /haûos/ « id. ». S’y ajoutent les représentants du lituanien (saũsas « id. ») et du vieux slave (suxŭ « id. »). En position initiale, au remonte à *h2eu-. C’est le cas dans plusieurs témoins du nom de l’oreille : lit. ausìs,
lat. auris, got. ausō (< *h2eus-).
7.8.6. I.-e. *ou À côté de *h2eus- « oreille » (cf. supra), la variante apophonique *h2ousse rencontre en grec : οὖς /oûs/ « id. ». En dehors de ce vieux nom, *ou apparaît là où la morphologie requiert le degré o d’une racine de structure *C1euC2-. Le cas se présente, notamment, dans le radical du parfait actif au
singulier et dans le radical du présent causatif. Le parfait homérique εἰλήλουθε « il est venu » (< *h1le-h1loudh-e ; racine *h1leudh- « aller, venir ») conserve la diphtongue *ou. Dans les parfaits indo-iraniens, en revanche, il y a changement de timbre (*au), puis monophtongaison en sanskrit (ō). Par exemple, dans skr. bu-bodh-a « il s’est éveillé » et bodháya-ti « il éveille », bodh- [bōdh-] repose sur i.-e. *bhoudh- (racine *bheudh-
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« s’éveiller »). De même, dans véd. ru-róc-a « il s’est allumé » et roc-áya-ti « il fait briller », roc- [rōtš-] reflète i.-e. *louk- (racine *leuk- « luire »). L’équivalent latin de véd. rocáyati, le verbe lūceō, a encore une valeur causative chez Ennius et chez Plaute (« faire briller »). Sa voyelle radicale illustre le traitement ū de *ou, comme dans lūcus m. « bois sacré » (< « clairière »), encore attesté sous la forme à diphtongue loucom (acc. sg.) en CIL I2 366 (inscription du début du IIe siècle avant J.-C.). En baltique, la diphtongue se maintient également, mais ou et au se confondent au profit de au. C’est pourquoi lat. loucos a pour correspondant lit. laũkas « champ ».
7.9. Les diphtongues longues Le système phonologique de l’indo-européen comprend, enfin, une série de diphtongues longues : *ēi, *āi, *ōi et *ēu, *āu, *ōu. Ces unités complexes ne se présentent, toutefois, que dans un petit nombre de contextes morphologiques. Une de leurs conditions d’apparition est l’allongement d’un thème nominal en diphtongue au nominatif sg. Ainsi, le nom du « bovin », *gwou- / *gweu-, prend la forme *gwṓus au nominatif sg., comme en témoignent skr. gáuḥ et av. gāuš, gǝuš. En grec, la diphtongue brève de βοῦς /boûs/ s’explique par la loi d’Osthoff (abrègement d’une voyelle longue devant sonante + consonne). La règle de formation de l’aoriste sigmatique produit aussi des diphtongues à premier élément long. Sur la racine *deik̑ - « montrer », par exemple, se constitue un thème *dēik̑ -s-, reflété par av. dāiš (< i.-ir. *dāiś-š-š < i.-e. *dēik̑ -s-s) « montre ! » (2e sg. inj.) et peut-être par gr. δειξ- /deiks-/ dans ἔδειξα /édeiksa/ « je fis voir, je montrai » (ει représenterait le traitement régulier de *ēi devant consonne : cf., supra, ου /ou/ < *ōu dans le nom du « bœuf »). En dehors des degrés longs du système morphologique, des diphtongues du type ēi résultent de
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contractions. La voyelle thématique *-o- et la désinence d’instrumental pl. *-ois, entre autres, se contractent en une finale *-ōis. Moyennant un chan-
gement de timbre, cette diphtongue se conserve en indo-iranien : skr. hástaiḥ « avec les mains », av. zastāiš « id. ». En grec, la marque -οις, avec une diphtongue brève en vertu de la loi d’Osthoff (cf. supra), signale le datif (-instrumental) pl. : ὅρκοις /hórkois/ « par des serments ».
Chapitre VIII La structure morphologique
8.1. L’analyse d’une forme en constituants Des combinaisons de phonèmes ou, plus rarement, des phonèmes isolés fournissent à la langue les unités significatives. Ainsi, sur l’axe syntagmatique, le groupement des consonnes f, l, r et de la voyelle œ dans un ordre déterminé donne le lexème fleur [flœr] en français. Il s’agit d’un signe, c’est-à-dire de l’association d’un signifiant et d’un signifié. Le signifiant ne s’analyse pas en unités plus petites porteuses de sens. En revanche, lat. flōrem, à l’origine du mot français, se décompose en deux éléments : flōr-, expression du sens lexical, et -em, marque d’accusatif sg. L’identification des constituants se fonde sur la comparaison (cf. gén. sg. flōr-is, d’une part, et acc. sg. mōr-em « coutume, caractère », d’autre part). Dans le cas d’une forme comme lat. honōrem (acc. sg. de honōs m. « honneur »), la séquence honōr- se subdivise en deux parties, hon- et -ōr-, à en juger par le dérivé hon-es-tus « honorable, honnête ». La structure tripartite hon- + -ōr- + -em représente un héritage de l’époque préhistorique. En indo-européen, en effet, une forme nominale ou verbale comporte un radical, un suffixe et une désinence. Le syntagme radical + suffixe constitue le thème. Il y a des exemples de formes à suffixe zéro ou à désinence zéro. Au point de vue
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synchronique, l’élément prédésinentiel de flōrem n’a pas de suffixe et le nominatif sg. honor, variante récente de honōs, n’a pas de désinence.
8.2. Les alternances vocaliques dans le nom Comme la variation hon-ōs / hon-es-(tus) en donne un exemple, les éléments constitutifs d’une forme grammaticale sont susceptibles d’alternances. En l’occurrence, le suffixe se présente sous les formes -ōs et -es-. Le vocalisme de ce morphème en s varie donc à la fois quantitativement et qualitativement. L’opposition de timbre se retrouve dans le paradigme des neutres : v. lat. op-os « œuvre » (> lat. cl. opus) vs gén. sg. op-er-is (-er- < -es- ; sur le changement de s en r ou « rhotacisme », cf. § 7.5.1). La variation de la quantité s’observe dans la flexion des animés du type gr. αἰδώς /aidṓs/ f. « sentiment de l’honneur, respect ; honte, pudeur ». Le degré long (-ōs) caractérise le nominatif, le degré plein (-os-) les cas obliques. Le datif αἰδοῖ /aidoî/, par exemple, repose sur *αἰδόϊ /aidóï/ < *αἰδόσι /aidósi/. Ces alternances vocaliques comptent parmi les archaïsmes
de la grammaire indo-européenne. Les langues conservatrices distinguent cinq degrés conditionnés morphologiquement : e, o, ø (zéro), ē, ō. Le suffixe sigmatique n’offre pas d’attestations certaines du degré zéro, mais se présente au degré ē. Ainsi, au simple αἰδώς /aidṓs/ fait pendant le composé ἀν-αιδής /an-aidḗs/ « impudent, effronté » 143. Ce jeu apophonique ne se limite pas à l’élément suffixal, mais se rencontre aussi dans des radicaux. Un vieux nom de la « voix », par exemple, comportait le vocalisme ō au nominatif sg., comme en témoigne lat. uōx f., la brève o à l’accusatif (gr. ὄπα /ópa/), tandis que le neutre sigmatique de la même famille lexicale reposait sur le degré e radical (gr. ἔπος /épos/, dial. ϝέπος /wépos/ « parole, mot »). Des attestations de ē et ø se dégagent, entre autres, des 143. Pour ἀναιδής /anaidḗs/, Alain Blanc envisage la possibilité d’une relation directe avec le verbe αἴδοµαι /aídomai/ : Blanc 2018, p. 252 (§ 8.2.3) et n. 20.
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Chapitre VIII : structure morphologique
formes grecques κῆρ /kêr/ n. (< *k̑ ērd ) « coeur » et καρδ-ία /kard-ía/, hom. κραδ-ίη /krad-íē/ (< *k̑ r̥ d-) « id. ». Le hittite a kard- dans le génitif kardii̯ aš. En latin, le radical cord- des cas obliques continue le degré zéro et l’analogie étend cette forme au nominatif-accusatif (cor < *cord, par simplification du groupe de consonnes). Enfin, le phénomène de l’alternance n’est pas inconnu dans l’appareil des désinences. La marque de génitif sg., notamment, se présente sous les allomorphes *-es, *-os et *-s. Le nom de la « nuit », par exemple, atteste les trois variantes : lat. noct-is (-is < *-es), gr. νυκτ-ός /nukt-ós/, v. lat. nox (< *nokwt-s) « de nuit » (XII Tables 8,12 = Bruns 1909, p. 31 : Si nox furtum faxsit … « S’il a commis un vol pendant la nuit … ») 144. Cf. hitt. nekuz (< *nekwt-s) « le soir ». La répartition des formes dépend, à l’origine, de la structure des paradigmes flexionnels. Mais l’analogie brouille, le cas échéant, le conditionnement morphologique. En résulte, généralement, l’emploi d’une variante au-delà de son domaine propre. Dans la troisième déclinaison, par exemple, le grec ne connaît plus que la désinence *-os de génitif sg., tandis que le latin privilégie *-es (des traces de *-os subsistent en vieux latin, comme dans Diouos = lat. cl. Iouis « de Jupiter »).
8.3. Mobilité de l’accent Les formes nominales de l’indo-européen ne se caractérisent pas seulement par leur structure tripartite (radical, suffixe, désinence) et par leurs alternances vocaliques, mais encore par leur accentuation. La détermination de la place de l’accent dans les reconstructions se fonde essentiellement sur le védique, le grec et le germanique. Comme l’enseigne la comparaison, l’indo-européen avait un accent libre, c’est-à-dire non conditionné par le contexte phonique. Selon le type flexionnel, cet accent frappe le même 144. Plutôt qu’un génitif de temps, Watkins fait de nox un nominatif à valeur prédicative : « it is night » > « by night » (Watkins 1965, p. 351-358).
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morphème dans toutes les formes du paradigme ou, au contraire, se déplace d’un morphème à l’autre (par exemple, du radical à la désinence dans l’opposition des cas forts aux cas faibles). Lorsque le védique et le grec concordent sous le rapport de la mobilité accentuelle, le phénomène a chance de remonter à l’époque indo-européenne. Le cas se présente dans la flexion d’un nom de la « voix » ou de la « parole » : à véd. vā́ c-am (acc.) / vāc-áḥ (gén.) correspond gr. ὄπ-α /óp-a/ (acc.) / ὀπ-ός /op-ós/ (gén.). Le mouvement de l’accent s’accompagnait d’une alternance vocalique dans le radical. En témoignent encore les données avestiques : vāc-ǝm (acc.) / vacō (gén.). La combinaison des faits grecs et indo-iraniens conduit à la restitution d’un ancien paradigme *wṓkw-s (nom.), *wókw-m̥ (acc.), *wekw-ós (gén.) 145. En védique et en latin, le vocalisme long du nominatif (resp. vā́ k et uōx) s’impose à l’ensemble de la flexion.
8.4. Loi de Grimm et loi de Verner La place de l’accent ne varie pas seulement en fonction du cas, comme dans le nom de la « voix », mais aussi parfois en fonction du genre. Ainsi, skr. śváśura- « beau-père » s’oppose à śvaśrū́ « belle-mère ». Les formes sous-jacentes *swék̑ uro- et *swek̑ rū́ - de l’indo-européen trouvent appui dans le témoignage indirect du germanique. Dans cette branche, un *k̑ ancien donne χ (> h) à l’initiale, ou à l’intérieur derrière une syllabe accentuée (loi de Grimm), mais, si l’accent occupe une position différente, la dorsale aboutit à ǥ (> ɡ) dans un environnement sonore (loi de Verner). Or, le vieux-haut-allemand atteste swehur « beau-père » (> all. Schwäher) et swigar « belle-mère » (> all. Schwieger). Comme on le voit, le consonantisme intérieur de ces termes de parenté s’accorde avec l’accentuation de
145. Cf. Schindler 1972, p 33.
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leurs correspondants indiens. Cette accentuation représente donc un héritage de l’époque préhistorique.
8.5. Les alternances vocaliques dans le verbe Les caractères généraux de la morphologie nominale se retrouvent dans la morphologie verbale. À la structure élémentaire du nom-racine fait pendant la forme irréductible, après retranchement de la désinence, de l’aoriste (ou du présent) radical athématique. En védique, en particulier dans le paradigme archaïque de l’impératif, s’observent encore des alternances vocaliques. De la racine śru- « entendre, exaucer », par exemple, le R̥ gveda atteste, d’une part, śrudhí « entends, exauce ! » (2e sg. impér. aor.) et śrutám « (vous deux) entendez ! » (2e duel impér. aor.), d’autre part śrótā (cf. av. sraotā) « entendez ! » (2e pl. impér. aor.). Au jeu des désinences s’ajoute l’opposition entre le degré zéro et le degré plein du radical. En revanche, les formes correspondantes du grec présentent le même vocalisme au singulier et au pluriel : dès Homère se rencontrent κλῦθι /klûthi/ « entends ! » au lieu de *κλύθι /klúthi/ (< i.-e. *k̑ ludhí) et κλῦτε /klûte/ « écoutez ! » au lieu de *κλεῦτε /kleûte/ (< i.-e. *k̑ léute). À l’aoriste radical s’articule généralement un présent dérivé. En l’occurrence, le morphème de dérivation prend la forme d’un infixe : de *k̑ leu- / *k̑ lu- procède *k̑ l̥ -n-éu- / *k̑ l̥ -n-u- (skr. śr̥ ṇómi « j’entends » / śr̥ ṇumáḥ « nous entendons »). Le
procédé de l’infixation est propre au verbe et se limite à l’élément -n-. Dans un présent infixé, le radical s’exprime par un signifiant discontinu. Mais il y a aussi des présents suffixés, de structure plus simple. Ainsi, l’aoriste radical véd. (prá) ārta « il s’est mis en mouvement » = gr. ὦρτο /ôrto/ « il s’élança » (< i.-e. *e-h3r-to) s’accompagne d’un présent en -nu- : véd. r̥ -ṇomi « je mets en mouvement » (cf. gr. ὄρ-νῡ-µι /ór-nū-mi/ « je fais avancer, se lever »). Cette formation s’analyse clairement en une structure tripartite,
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c’est-à-dire radical, suffixe, désinence. Au sein du paradigme, une alternance degré plein / degré zéro se manifeste dans le suffixe (*-neu- / *-nu-). En revanche, le radical est invariable (*h3r̥ -). En ce qui concerne les désinences, un jeu apophonique intéresse la 3e personne pl. : selon le type morphologique ou selon la langue se rencontrent, dans la série primaire, *-enti, *-onti ou *-nti (*-n̥ ti). La flexion de véd. r̥ ṇomi atteste le degré plein désinentiel (r̥ ṇv-ánti < *h3r̥ -nw-e/onti). Dans les données indiennes, l’opposition entre *-enti et *-onti est neutralisée. Cependant, une forme comme véd. yuñj-ánti « ils attellent » suppose une finale sous-jacente *-enti en raison de la palatalisation du g de la racine *yeug- / *yug- « atteler ». Un témoignage direct de *-enti se trouve dans
dor. ἐντι /enti/ « ils sont » et osco-ombr. sent « id. » (< *h1s-enti). Mais le latin a sunt (v. lat. sont) et le vieux slave sǫtŭ. À moins d’une réfection analogique d’après les formes thématiques en *-o-nti (où -o- appartient au thème), il y a là une trace de la variante *-onti dans la 3e personne pl. du verbe athématique. Enfin, le degré zéro *-nti (*-n̥ ti ) apparaît régulièrement dans le présent thématique (i.-e. *bhér-o-nti « ils portent », skr. bháranti « id. », dor. φέροντι /phéronti/ « id. », ion.-att. φέρουσι /phérousi/) et souvent aussi dans le type athématique : i.-e. *bhh2-nti « ils disent », dor. φαντι /phanti/, ion.-att. φᾱσί /phāsí/ « id. » ; i.-e. *dé-dh3-nti / *de-d(h3)-n̥ ti « ils donnent », dor. δίδο-ντι /dído-nti/ « id. » (le vocalisme i de la syllabe initiale est secondaire), skr. dád-ati « id. ». Dans le dernier exemple, la forme faible de la désinence s’explique par l’accentuation du redoublement 146.
146. La question de l’accent et des désinences dans les présents à redoublement est traitée par Watkins 1969, p. 36.
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8.6. Le redoublement Quelle qu’en soit la fonction précise, le procédé du redoublement joue un rôle important dans la morphologie verbale. Il y en a deux modalités : d’une part, l’antéposition au thème verbal d’une séquence identique ou presque identique à la racine produit des formes de valeur intensive (cf. véd. dárdar, 2e sg. inj. prés., « tu fais sauter, tu fends » ou várvarti (= várvart-ti), 3e sg. ind. prés., « (la roue) tourne sans cesse ») ; d’autre part, la « préfixation » d’une syllabe de structure C1i ou C1e (C1 = consonne ou sonante initiales de racine) remplit une fonction grammaticale. En dehors du présent, l’élément de formation C1e caractérise un type marginal d’aoriste (en principe thématique) et sa présence est de règle dans le parfait ancien 147. L’aoriste à redoublement comporte le degré zéro radical, comme l’attestent, par exemple, gr. πέφνε /péphne/ « il (elle) tua » et av. -jaγnat̰ « id. » (i.-e. *gwhe-gwhn-e-t). Quant au parfait, il connaît une alternance entre o et zéro 148 : à la racine *men- « penser », par exemple, se rattachent gr. 1re sg. µέ-µον-α /mé-mon-a/ « je désire ardemment » et 1re pl. µέ-µα-µεν /méma-men/ « nous désirons ardemment ». L’antiquité de ces formes a pour garant le témoignage de l’indo-iranien et du latin. Du R̥ gveda provient, notamment, l’impératif actif mamandhi « attends ! » (propr. « réfléchis ! »), tandis que l’Avesta fournit l’indicatif moyen mamne « il a pensé ». Le latin, pour sa part, possède le parfait à valeur de présent meminī « je me souviens », ambigu sous le rapport du vocalisme radical. Dans leur ensemble, ces faits établissent l’existence d’un thème indo-européen *me-mon- / *me-mn- (*me-mn̥ -).
147. Une forme, au moins, fait exception : i.-e. *woid-h2e « je sais », skr. véda « id. », gr. οἶδα « id. », etc. 148. Dans l’état le plus ancien de l’indo-européen, F. Bader admet deux types de parfaits : 1° une structure à alternance o / zéro sans redoublement ; 2° une structure non alternante à degré zéro avec redoublement. Cf. Bader 1968, p. 160-196.
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8.6.1. Le vocalisme du redoublement À la différence du radical, le redoublement ne connaît pas d’alternance degré plein / degré zéro. En revanche, les variantes C1i et C1e coexistent exceptionnellement au sein d’un même paradigme. Ainsi, en védique, le présent redoublé de la racine sac- (< i.-e. *sekw-) « suivre » a les formes síṣakti « il suit » (RV 1,56,4 ; etc.) et sáścati « ils suivent, ils se conforment à » (RV 1,101,3). La variation entre i et e (> skr. a) s’observe aussi de langue à langue. À gr. δίδωµι /dídōmi/ « je donne », par exemple, répond imparfaitement skr. dádāmi « id. ». En pareil cas, la forme indo-européenne du redoublement n’est pas certaine. Toutefois, comme le grec généralise i dans la syllabe initiale du présent redoublé, son témoignage n’est pas pertinent. Il y a donc lieu de poser *de- sur la base des faits indo-iraniens. Outre i et e, le redoublement présente parfois le vocalisme u, lorsque la diphtongue eu figure dans la racine. Le phénomène s’observe en indoiranien et en latin. De la racine *g̑ heu- « verser », par exemple, le sanskrit forme le présent 1re sg. juhómi « je verse, je fais une libation, je sacrifie » / 1re pl. juhumáḥ. Le redoublement en u se retrouve au parfait : 3e sg. moy. juhvé « il a sacrifié ». Le perfectum latin offre des faits comparables : apparemment, tutudī « j’ai frappé » correspond à skr. tutudé « id. » (1re sg. moy.). Dans ces formes concordantes de langues périphériques Meillet voyait un archaïsme. Mais il y a des indices du caractère relativement récent de u dans la première syllabe de ce parfait. Selon Aulu-Gelle (6,9), en effet, l’usuel pupugī « j’ai piqué », parallèle à tutudī, remplace un plus ancien pepugī, comme l’attestent les vieux auteurs (veteres). Cet exemple figure aux côtés de cucurrī / cecurrī « j’ai couru », poposcī / peposcī « j’ai réclamé » et momordī / memordī « j’ai mordu ». Dans ces conditions, tutudī succède probablement à *tetudī. Le redoublement en u ou en o témoigne d’une assimilation au timbre de la voyelle radicale.
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8.6.2. Le consonantisme du redoublement En ce qui concerne le consonantisme, il y a des dérogations au principe d’identité entre l’initiale de la syllabe préposée et l’initiale de la racine. En particulier, lorsque la consonne appartient à la série des aspirées, la loi de Grassmann (dissimilation d’aspiration) s’applique (cf. § 5.5). Le cas échéant, la déaspiration produit une occlusive simple dans le redoublement. En donnent des exemples le parfait grec πέφευγα /pépheuga/ « j’ai fui » (racine *bheug-) ou le présent sanskrit bíbharti « il porte » (racine *bher-). Une
action dissimilante s’exerce aussi sur des formes à initiale complexe. En effet, comme le latin, le grec ou le sanskrit répugnent à la répétition d’un groupe de consonnes, le redoublement d’une structure *sti-sth2-e-ti se simplifie aux dépens de s dans skr. tíṣṭhati « il se tient debout », aux dépens de t dans lat. sistit « il (se) poste ».
8.7. L’augment 8.7.1. Forme de l’augment Comme le redoublement, l’élément appelé « augment » précède le radical dans la structure de la forme verbale. Ce morphème a pour expression le signifiant *é- ou *h1é-. En faveur de la variante à laryngale plaideraient, à première vue, des syntagmes védiques comme vájreṇa asr̥ jat « il frappa (Vr̥ tra) de sa foudre » (RV 1,33,13), bhúvanāni asthāt « il se tint (tourné vers) les créatures » (RV 2,3,1) ou adhvaréṣu asthāt « (le feu) s’éleva (tout droit), dans les sacrifices » (RV 6,63,4). Dans ces séquences, rétablies d’après la métrique à partir du texte de la Saṃhitā (resp. vájreṇāsr̥ jat, bhúvanāny asthāt, adhvaréṣv asthāt), l’hiatus s’expliquerait bien comme trace d’une ancienne consonne devant la seconde voyelle. Cependant, des faits connexes infirment ces témoignages. D’une part, l’augment n’empêche pas la contraction dans une forme à préverbe du type úpāsthāt
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« il s’est mis » (RV 1,162,21), de úpa + asthāt. Cf. les traitements adhyásthāt « il est monté sur (le char) » (RV 5,31,1), de adhi + ásthāt, ou anvávindat « il découvrit » (RV 2,12,11), de anu + ávindat. D’autre part, la scansion exige, le cas échéant, la restitution d’une forme à voyelle finale devant une initiale vocalique, quand bien même l’étymologie n’indique pas la présence ancienne d’une laryngale. En offre un exemple le syntagme dhehi ákṣitam « procure l’immortelle (gloire) ! » (RV 1,9,7). L’adjectif á-kṣita« impérissable », d’origine indo-européenne (cf. gr. ἄ-φθιτος /á-phthitos/ « id. »), comporte un premier élément *n̥ -, forme compositionnelle de la négation (cf. § 7.6.11). Enfin, devant une racine à laryngale initiale, -a final de mot se comporte de deux manières : dans un cas, cette voyelle conserve son identité ; dans l’autre, elle se contracte. Ainsi, de la racine *h1ei- (d’où skr. e-) « aller », le R̥ gveda atteste ná eti « il va comme (un troupeau sans berger) » (2,4,7), mais ápaiti « (la nuit) s’en va » (1,124,8), de ápa + eti. Dans les mêmes conditions, une sonante se présente tantôt comme une voyelle, tantôt comme une consonne : práti eti « il va à la rencontre de » (1,107,1 ; etc.), mais práty eṣi « tu vas à la rencontre de » (10,1,4). Dans l’ensemble, on le voit, les faits donnent l’impression d’une certaine latitude dans le traitement d’une suite V # (H)V ou R # (H)V. Par conséquent, la forme exacte de l’augment échappe à l’analyse.
8.7.2. Fonction de l’augment En revanche, sa fonction se définit sans ambiguïté : la préfixation de *(h1)é- à un thème verbal pourvu d’une désinence secondaire situe le procès
dans le passé. Dans ces conditions, l’augment tirerait son origine d’un ancien adverbe de temps signifiant « alors ». Son emploi concerne trois « temps » en opposition sous le rapport de l’aspect : l’imparfait, l’aoriste et le plus-que-parfait. À l’époque historique, sa distribution se limite au grec,
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au phrygien, à l’arménien et à l’indo-iranien. C’est pourquoi Meillet n’y voyait qu’un « fait dialectal » en indo-européen 149. Mais comme particule de phrase, l’ancêtre de l’augment était peut-être plus répandu à l’époque préhistorique. Quoi qu’il en soit, l’emploi de *(h1)é- comme caractéristique de l’imparfait, de l’aoriste et du plus-que-parfait est une innovation limitée à une aire linguistique 150. Là où l’augment se rencontre, son statut n’est pas le même partout. En grec alphabétique, la prose en fait un usage constant dans les temps secondaires, sauf au plus-que-parfait. Sur le thème φερο- /phero-/, par exemple, se constitue l’imparfait 3e pl. ἔ-φερο-ν /é-phero-n/ (< *ἔ-φεροντ /é-phero-nt/) « ils portaient ». Cette forme se distingue du présent correspondant dor. φέρο-ντι /phéro-nti/ « ils portent » par l’augment et la désinence secondaire (dépourvue de -i). Le sanskrit oppose de même ábharan « ils apportaient » à bháranti « ils apportent ». À la différence de la prose, la poésie homérique et posthomérique atteste de nombreux prétérits sans augment. Ainsi, l’Iliade, à côté de ἔφερον /épheron/ « ils emportaient » (11,533), connaît la variante brève φέρον /phéron/ « ils (em)portaient » (3,245 ; etc.). Le choix des doublets s’opère en partie en fonction du contexte métrique. Mais le mode d’énonciation joue aussi un rôle : dans les récits, les formes sans augment sont beaucoup plus fréquentes que dans les discours. C’est que, selon Chantraine, « dans un récit cohérent qui se développe dans le passé on n’a pas besoin de souligner le sens passé par l’emploi de l’augment », tandis que « dans un discours il n’est pas sans importance lorsque l’on passe du présent au passé, de souligner par l’emploi de l’augment la valeur de prétérit de l’imparfait et de l’aoriste » 151. Dans le R̥ gveda indien comme dans l’épopée homérique, les formes à désinence secondaire augmentées et 149. Meillet 1937, p. 242. 150. Discussion du problème chez Szemerényi (1990, p. 321-324). 151. Chantraine 1958, p. 484.
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non augmentées coexistent. Mais entre les unes et les autres il n’y a pas équivalence. Seules les formes pourvues de l’augment s’emploient en fonction de prétérits. La 3e personne sg. abharat apparaît, par exemple, dans la relation d’un exploit d’Indra : ávābharad dhr̥ ṣitó vájram āyasám « plein de courage, il assena un coup de (littéralt il porta vers le bas) la massue d’airain » (10,113,5). En revanche, bharat relève du présent, mais du présent de définition, plutôt que de description. Ainsi, en 9,106,3, le poète mentionne un trait du dieu consacré par la tradition mythologique : vájram … vŕ̥ṣaṇam bharat sám « il (= Indra) porte la puissante massue ». Dans cet énoncé, le verbe ne se rapporte pas à une action « hic et nunc », mais signifie en quelque sorte un fait définitoire de la divinité. Les formes védiques du type bharat, c’est-à-dire porteuses des désinences secondaires, mais dépourvues d’augment, appartiennent à la catégorie modale de l’ « injonctif ». Cette catégorie n’existe plus en grec, où les anciennes formes d’injonctif, fréquentes chez Homère, ont été réinterprétées comme des prétérits. Au terme de ce changement, l’augment acquiert le statut d’élément facultatif. Le mycénien offre une situation à première vue surprenante : la prose des tablettes n’atteste qu’une seule forme verbale augmentée, a-pe-do-ke (= ἀπ-έ-δωκε /ap-é-dōke/) « il donna en échange » (PY Fr 1184). Les autres aoristes, en particulier la variante a-pu-do-ke « id. » (KN Od 681) et le simple do-ke « il donna » (KN Ws 1707 ; etc.), n’ont pas d’augment. Cet usage s’explique peut-être par une action normative des scribes. En tout cas, la conservation de l’injonctif comme catégorie verbale en linéaire B paraît peu probable 152. Quoi qu’il en soit, avec les formes mycéniennes de l’aoriste contrastent les données correspondantes
152. H. Rix ne l’exclut pas : « Möglicherweise hat des Myken. in noch grösserem Umfang als das Epos Inj.-Formen präterital gebraucht. Die Art der Texte lässt aber auch die Möglichkeit offen, dass diese Formen noch zur ausserzeitlichen Konstatierung dienten, d. h. funktionnell Injunktive waren » (Rix 1992, p. 229, § 249).
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de la prose classique : dans le sens de do-ke s’emploie ἔ-δωκε /é-dōke/, avec augment obligatoire.
8.7.3. « Augment syllabique » et « augment temporel » Cet élément ἐ- /e-/, préfixé aux radicaux commençant par une consonne, reçoit le nom d’« augment syllabique » dans les grammaires descriptives. Est appelé « augment temporel », en revanche, le procédé d’allongement d’une voyelle initiale de racine à l’imparfait ou à l’aoriste. Le paradigme du verbe ἄγειν /ágein/ « faire avancer, mener, amener, emmener » en offre un exemple. En effet, les formes de l’imparfait commencent par une voyelle longue, comme l’attestent dor. ἆγεν /âgen/ « il emmena » (Pindare, Pyth. 9,123) et ion. ἦγε /êge/ « id. » (Hésiode, Th. 994). À cette 3e personne sg. répond exactement véd. ā́ jat (prés. ájati). Le R̥ gveda procure, notamment, l’expression ā́ … ājat « il amena » (1,83,5). Au point de vue historique, ces formes se ramènent, en fait, à une structure du type gr. ἔ-φερε /é-phere/« il portait », skr. á-bharat « id. ». En effet, la longue de ἆγεν /âgen/ résulte d’une contraction, c’est-à-dire de la combinaison de l’augment *e- avec la voyelle radicale. L’indo-européen avait une forme *e-h2eg̑ -e-t, d’où *ah2ag̑ -e-t. Après l’amuïssement de la laryngale, les voyelles de même timbre se contractent. Lorsqu’une racine à laryngale initiale affecte le degré zéro, la forme augmentée génère une longue à partir de la séquence *e-H- (devant consonne). C’est le cas de l’aoriste moyen de la racine *h3er- « (se) mettre en mouvement » : la 3e personne sg. *e-h3r-to rend compte de gr. ὦρτο /ôrto/ « il se leva, il s’élança » et de véd. (prá) … ārta « il s’avança, il apparut » (RV 4,1,12).
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8.7.4. Augment long : son origine Devant une sonante consonne initiale de racine se rencontre exceptionnellement un augment long. En grec, entrerait en ligne de compte le plusque-parfait du verbe « savoir » : ἠείδης /ēeídēs/ (v. l. ἠείδεις /ēeídeis/) « tu savais » (Il. 22,280), ἠείδη /ēeídē/ (v. l. ἠείδει /ēeídei/) « il savait » (Od. 9,206), pour *ἠϝείδη(ς) /ēweídē(s)/ (racine *weid- « voir ; savoir »). En védique, un petit groupe de prétérits à initiale ā- appartiendrait aussi au dossier : impf. āyunak « il attela » (RV 1,163,2), aor. ā́ yukta « il s’allia » (RV 5,17,3), aor. ápa … āvaḥ (= āvar) « il a ouvert » (RV 3,5,1), impf. ní āvidhyat « il abattit » (RV 1,33,12), aor. āraik « il a laissé » (RV 3,31,2). Ces témoignages sporadiques ne suffisent pas à accréditer l’existence d’un augment *ē- en indo-européen. D’une part, āvar et āvidhyat s’expliquent probablement par la présence d’une laryngale en début de racine : il y aurait lieu de poser *Hwer- et *h2wyedh- (cf. LIV, p. 227 et 294). D’autre part, l’initiale longue de āraik serait analogique (ibid., s.v. *lei̯ ku̯ -, n. 3). Enfin, āyunak a un doublet ayunak (RV 6,44,24) et ā́ yukta coexiste avec áyukta (RV 1,50,9 ; etc.). Ces variantes suggèrent un conditionnement métrique. De même, chez Homère, le choix entre l’usuel ᾔδη /ḗidē/ « il savait » (Il.1,70 ; etc.), le moins fréquent ᾔδεε /ḗidee/ « id. » (Il. 2,409 ; etc.) et l’exceptionnel ἠείδη /ēeídē/ « id. » (Od. 9,206) révèle une langue poétique riche en variantes morphologiques, y compris en formes artificielles, créées pour les besoins de la versification.
Chapitre IX Le nom I : les types flexionnels et la flexion du singulier A. Les types flexionnels 9.1. « Cas forts » et « cas faibles », types flexionnels Dans les langues indo-européennes anciennes, les noms se présentent sous des formes variables en fonction de leur rôle dans l’énoncé et de leur appartenance aux catégories du genre (masculin-féminin, neutre) et du nombre (singulier, duel, pluriel). À l’origine, la déclinaison comprend huit cas : nominatif, vocatif, accusatif, instrumental, datif, ablatif, génitif, locatif. Dans une partie des paradigmes, le thème offre deux ou trois variantes par le jeu des alternances radicales et/ou suffixales. La division en « cas forts » et « cas faibles » de la grammaire indienne vaut aussi pour l’indoeuropéen. Vont ensemble le nominatif, le vocatif et l’accusatif sg. et duel, ainsi que le nominatif et le vocatif pl. (cas forts). S’y ajoute parfois le locatif sg. Forment un groupe, d’autre part, l’instrumental, le datif, l’ablatif, le génitif et (partiellement) le locatif des trois nombres (cas faibles) 153. La place de l’accent et la répartition des degrés vocaliques dans les thèmes
153. Sur la division en « cas forts » et « cas faibles », voir Brugmann 1906, II 1, p. 32 (§ 16).
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forts et faibles définissent des types flexionnels 154. Dans le détail, la reconstruction de ces types s’avère difficile, en raison de nombreuses réfections analogiques entre l’indo-européen et les langues historiques.
9.1.1. Le type « acrostatique » Les faits les plus probants ne sont pas les formes vivantes, mais les archaïsmes, comme, par exemple, le premier terme du juxtaposé grec δεσπότης /despótēs/ « maître de la maison ». Il s’agit d’un vieux génitif *dém-s, représenté par i.-ir. *dám-s, d’où véd. dán (pátir dán) et av. dǝ̄ṇg
(dǝ̄ṇg paitiš ) 155. Le nominatif sg. correspondant, de forme *dṓm, se reflète directement dans arm. tun « maison » et indirectement dans gr. δῶµα /dôma/ « id. », si ce neutre appartient à la famille de *dem- « construire ». Dans le paradigme ancien, le vocalisme ō̆ des cas forts alternait avec e des cas faibles, mais l’accent frappait uniformément le radical (loc. sg. *dém-i). Cette fixité du ton sur la première syllabe définit le type appelé « acrostatique ». Se rattache aussi à ce modèle flexionnel le paradigme primitif du nom de la « nuit ». Le degré o se conserve, notamment, dans lat. nox f. et irl. in-nocht « cette nuit » ; got. nahts f. suppose également ce vocalisme. Le timbre e des cas faibles n’apparaît plus que dans le génitif hittite nekuz « le soir » (au sens adverbial). Ce vestige permet la restitution de gén. sg. *nekwt-s vs nom. sg. *nókwt-s, acc. sg. *nókwt-m̥ en indo-européen.
9.1.2. Le type « protérodynamique » Avec le type acrostatique le type « protérodynamique » partage l’accentuation de la racine aux cas forts. Mais aux cas faibles, l’accent se déplace 154. Une description et une illustration de ces types se trouvent chez Rix 1992, p. 121-124. Pour un historique des recherches et une revue des différents modèles flexionnels, voir Meier-Brügger 2010, p. 336-353 (avec une riche bibliographie). 155. Pour le traitement i.-ir. *-ms > véd. -n, cf. *a-gam-s > a-gan « tu es venu » (2e sg. aor.).
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sur le suffixe. Avec le vocalisme o au nominatif-accusatif, le grec atteste le vieux neutre δόρυ /dóru/ « bois, (bois de la) lance », étymologiquement identique à véd. dā́ ru « bois » et av. dāuru « id. ». Le génitif homérique δουρός /dourós/ < *δορϝός /dorwós/ (dat. δουρί /dourí/), avec radical δορ- /dor-/ invariable, le cède en archaïsme au génitif védique dróḥ, av. draoš < i.-ir. *dr-au-š. Au sein du paradigme, l’alternance dār- / dr- de la racine et -u- / -au- du suffixe dénonce un état de choses ancien. Ainsi, les faits invitent à la reconstruction de nom.-acc. sg. *dór-u / gén. sg. *dr-éu-s en indo-européen. Le thème *dreu- n’existe plus dans la déclinaison du terme grec, mais se dégage du dérivé à redoublement hom. δένδρεον /déndreon/ « arbre » < *δεν-δρεϝ-ον /den-drew-on/ pour *δερ-δρεϝ-ον /der-drew-on/ (avec dissimilation de ρ.ρ /r.r/ en ν.ρ /n.r/).
9.1.3. Le type « hystérodynamique » Tandis qu’un suffixe plein accentué à la suite d’un radical au degré zéro caractérise les cas faibles du type protérodynamique, la même structure se rencontre aux cas forts du type « hystérodynamique ». En donne un exemple un vieux nom de l’ « agneau », gr. ἀρήν /arḗn/, -ρρην /-rrēn/ (πολύρρηνες /polúrrēnes/ « qui ont beaucoup d’agneaux » < *πολύ-ϝρην-ες /polúwrēn-es/), véd. úrā, acc. úraṇam (le recul de l’accent est une innovation). Ces faits supposent une forme indo-européenne *wr-ḗn (réalisations dissyllabiques : *wr̥ -ḗn et *ur-ḗn). Aux cas faibles, l’accent se porte sur la désinence : gr. ἀρνός /arnós/ (gén. sg.) < *wr̥ -n-ós. Dans une partie des faits, les formes alternantes du suffixe comportent le degré o et le degré zéro. Le nom de la « dent » en procure un exemple. Pour le vocalisme o aux cas forts plaident gr. ὀδών /odṓn/ (var. ὀδούς /odoús/), lit. dantìs ou des formes germaniques comme vha. zan(d). Le degré zéro se dégage, d’autre part, du génitif sg. skr. datáḥ. La reconstruction du paradigme indo-euro-
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péen se fonde principalement sur le sanskrit et le grec. Seuls les faits indiens attestent directement l’alternance vocalique et le mouvement de l’accent : le védique, par exemple, oppose nom. sg. dán et acc. sg. dántam à instr. sg. datā́ . Le morphème prédésinentiel de dánt-am et de son correspondant grec ὀδόντ-α /odónt-a/ évoque la forme d’un participe présent ou aoriste actifs. Or, si le nom de la « dent » a effectivement une origine participiale, il y a lieu d’identifier la racine verbale. La voyelle initiale de gr. ὀδών /odṓn/, absente des formes parallèles dans les langues congénères, invitent à poser un phonème évanescent, c’est-à-dire une laryngale. À première vue, le timbre o commande le choix de *h3, mais, pour des raisons sémantiques, ni *h3ed- « sentir », ni *h3ed- « haïr » n’entrent en ligne de compte. Le sens suggère un lien avec *h1ed- « mordre → manger ». Le cas échéant, *h1d-ónt- se définit comme un participe aoriste lexicalisé et désigne proprement « la mordante » (cf. LIV, p. 230, n. 2). Au singulier, le nominatif *h1d-ónt-s et l’accusatif *h1d-ónt-m̥ s’opposent au génitif *h1d-n̥ t -ós. Un problème phonétique se pose en grec, car h1 y produit une voyelle prothétique ἐ-. Une trace de ce traitement se trouve peut-être dans un témoignage du grammairien Grégoire de Corinthe (XIIe siècle) : il s’agit de la forme ἔδοντες /édontes/, attribuée à l’éolien. Ailleurs, y compris en mycénien (cf. o-da-twe-ta, o-da-tu-we-ta /ὀδατϝεντα = odatwenta/, n. pl. « pourvu de dents »), l’initiale ὀ- s’expliquerait par l’influence du vocalisme suffixal dans le thème *h1d-ónt- (assimilation à distance) 156.
9.1.4. Le type « amphidynamique » Le modèle flexionnel « amphidynamique » a en commun avec le type hystérodynamique la structure morphologique des cas faibles. La forme du génitif sg. comporte donc le degré plein accentué de la désinence, tandis 156. R. S. P. Beekes restitue le paradigme nom. *h3d-ónt(s), acc. *h3d-ónt-m, gén. *h3d-ntós, avec la laryngale 3 : Beekes 1995, p. 179.
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que radical et suffixe affectent le degré zéro. Aux cas forts, en revanche, l’accent frappe le radical plein, de vocalisme e ou o. Là où la voyelle de ce morphème prend le timbre e, le suffixe, de forme pleine également, atteste le timbre o et inversement. Un paradigme amphidynamique se rencontre dans un nom védique du « chemin » : nom. sg. pánthāḥ / gén. sg. patháḥ. Pour l’analyse du thème, les formes correspondantes de l’avestique jouent un rôle déterminant. Une alternance t/ϑ s’observe entre les cas forts et les cas faibles : nom. sg. paṇtā̊, acc. sg. paṇtąm vs instr. sg. paϑa, gén. sg. paϑo, loc.sg. paiϑi. La variante ϑ remonte à i.-ir. th et cette aspirée s’expliquerait bien à partir d’un groupe t + laryngale (*tH). L’intérêt de cette hypothèse laryngaliste réside dans son caractère économique. En effet, le degré plein d’un suffixe *-H-, soit *-e/oH, rendrait compte, aussi bien, de la voyelle longue prédésinentielle des cas forts : i.-ir. *pánt-ā-s (nom. sg.) < i.-e. *pónt-eH-s ou *pént-oH-s. La restitution du vocalisme dans le radical et dans le suffixe ne fait pas l’unanimité. Des termes apparentés au nom indo-iranien reposent sur *pont- : v. sl. pǫtĭ « chemin », gr. πόντος /póntos/ « mer, bras de mer » (propr. « mer en tant que passage, détroit » ; cf. Ἑλλήσποντος /hellḗspontos/), lat. pons, pontis « pont ». Il y a là un argument non négligeable en faveur de i.-e. *pónt-eH-s 157.
9.1.5. Le type « holodynamique » À la différence des types protérodynamique, hystérodynamique et amphidynamique, le type « holodynamique » se caractérise par trois positions accentuelles et non pas deux. L’accent frappe le radical aux cas forts, le suffixe au locatif sg., la désinence ailleurs. Ce jeu s’observe, entre autres, dans un vieux nom de la « pierre ». Au nominatif sg., l’accord de gr. ἄκµων « enclume (à l’origine en pierre) » et de véd. áśmā « pierre, rocher, ciel 157. Sur les raisons d’une préférence pour i.-e. *pént-oH-s, voir Mayrhofer 1986, p. 136, n. 159.
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(conçu comme une voûte de pierre) » plaide pour une forme indo-européenne *h2ék̑ -mō(n). Au génitif sg., le témoin le plus archaïque, véd. áśnaḥ, comporte le degré zéro du suffixe et le degré plein de la désinence. Cette structure suggère la reconstruction de *h2k̑ -mn-és > *h2k̑ -n-és. La voyelle radicale accentuée de la forme attestée est analogique de nom. sg. áśmā, acc. sg. áśmānam. Au locatif sg., enfin, áśman(i) est un réarrangement de *h2k̑ -mén, avec l’accentuation des cas forts 158.
9.1.6. Le type « mésostatique » Un type à accent immobile occupe une place à part : le type « mésostatique ». Sous ce nom, les descriptions morphologiques renvoient à une structure ‹ racine au degré o ou zéro + suffixe au degré e accentué + désinence au degré zéro ›. Tandis que les modèles flexionnels précédents concernent des formations diverses, le modèle mésostatique se limite, semblet-il, à des féminins en *-eh2 (> -ā). Il y en a des exemples dans les noms d’action du type nom. sg. *bhug-éh2 / gén. sg. *bhug-éh2-s « fuite ». La reconstruction du mot se fonde sur gr. φυγή /phugḗ/ vs φυγῆς /phugês/, dor. φυγᾱ́ /phugā́ / et lat. fuga. Le terme grec se rattache au verbe φεύγω /pheúgō/ « je fuis, je m’enfuis », aor. ἔφυγον /éphugon/, mais peut-être par l’intermédiaire du nom-racine φυγ- /phug-/ (cf. φύγαδε /phúgade/ « en fuite »).
9.2. Le morphème *-eh2 (> -ā) de féminin En dehors des abstraits déverbatifs, le morphème *-eh2 (> -ā) caractérise le terme marqué de l’opposition masculin / féminin au sein du genre animé. Dans l’état le plus ancien du type linguistique indo-européen, la langue ne distingue formellement que deux catégories de genre : l’ « animé » et
158. NIL, p. 287 et n. 7.
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l’ « inanimé » 159. En garde le souvenir l’interrogatif *kwis ? « qui ? », *kwid ? « quoi ? » : lat. quis, quid ; osque pis, píd ; gr. τίς, τί /tís, tí/ ; hitt. kuiš, kuit. En latin, autour de 200 avant J.-C., quis s’emploie encore comme pronom féminin (Plaute, Aul. 136), mais est déjà concurrencé par quae. L’apparition du genre féminin se conçoit communément dans le cadre syntaxique de l’anaphore. Pour le renvoi à un nom du genre « animé », l’indo-européen disposait du démontratif *se/o. Ce pronom sujet ne posait pas de problème, lorsque, en qualité d’antécédent, un seul terme de l’énoncé entrait en ligne de compte. Mais dans les contextes où figuraient deux termes, le premier désignant un être masculin, le second un être féminin, la référence à l’un ou à l’autre au moyen d’une forme pronominale unique était source d’ambiguïté. Ainsi s’explique la différenciation de l’anaphorique : désormais, *se/o ne renvoie plus qu’à un nom masculin, tandis que pour la reprise d’un nom féminin fonctionne le dérivé *se-h2 (> *sā). Cette innovation instaure la règle syntaxique de l’accord. L’élément de formation *-h2 tire sans doute son origine de la finale de *gwneh2 « femme » 160. À partir du nominatif sg. f. *seh2, le morphème *-eh2 s’étend à la forme supplétive à initiale t-, d’où
acc. sg. f. *téh2-m (skr. tā́ m, gr. dor. τᾱ́ ν /tā́ n/, ion.-att. τήν /tḗn/, got. þō, etc.). Le phénomène remonte à l’indo-européen commun. De même, la formation d’adjectifs féminins en *eh2 (> -ā) en regard des masculins thématiques en *-o- appartient à l’époque préhistorique. Ainsi, à côté de *néwo-s m. « nouveau » se constitue *néweh2 > *néwā f. « nouvelle » (cf. skr. návā, v. sl. nova, gr. νέᾱ /néā/, lat. noua). L’expansion de -ā se poursuit à date historique, comme l’atteste la création relativement récente de noms d’animaux en -ā à côté de masculins en 159. Sur l’ancienne opposition « animé » / « inanimé », voir Matasović 2004, p. 165. 160. Cette esquisse de la genèse du féminin se fonde essentiellement sur une étude de Martinet 1957, p. 83-95 ; voir aussi Martinet 1987, p. 189-192. Plutôt qu’au nom de la « femme », G.-J. Pinault envisage une référence au nom de la « terre », conçue comme féminine, par opposition au ciel, conçu comme masculin (Pinault 2011, p. 129-182).
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-o- originellement épicènes. L’histoire de i.-e. *h1ek̑ wos « cheval », par exemple, le montre bien. En grec, la forme unique ἵππος /híppos/ (myc. i-qo = ἵπποι /híppoi/, KN Ca 895) désigne tantôt le mâle, tantôt la femelle. C’est là l’état de choses ancien. Chez Homère, le sens de « cheval » ou de « jument » entraîne, le cas échéant, l’accord de l’adjectif au masculin ou au féminin. Cf. Il. 8,88 : ὠκέες ἵπποι /ōkées híppoi/ « les chevaux rapides » et Il. 2,763 : ἵπποι … ἄρισται /híppoi … áristai/ « les meilleures cavales ». En dehors du grec, plusieurs langues indo-européennes se dotent d’une forme en -ā comme nom particulier de la femelle : skr. áśvā f. ( : áśvaḥ m.), av. aspā f. ( : aspō m.), v. lit. ešva, lit. ašvà f. ( : arklỹs m.), lat. equa f. ( : equos m. ). Le morphème eh2/h2 (> ā/ă) caractérise encore le nominatif-accusatif neutre pl. À l’origine, cette forme a le statut d’un collectif, d’où, en grec et en gāthique, l’accord du verbe au singulier.
9.3. Les neutres hétéroclitiques Au singulier, une classe de neutres se distingue par une flexion d’un type particulier. Le paradigme comporte deux suffixes complémentaires : les cas forts présentent une marque r, les cas faibles une marque n. Ces neutres sont appelés « hétéroclitiques ». Il y en a plusieurs variantes, à reconnaître sur la base de l’accentuation et de l’apophonie. Dans un premier type, l’accent frappe uniformément la voyelle radicale, de timbre o aux cas forts, e aux cas faibles. C’est le modèle acrostatique. Le nom hittite de l’ « eau », nom.-acc. watar /wadar/, cas obliques wi/eten- /weden-/, suppose i.-e. *wód-r̥ /*wéd-n- 161. Le degré o radical est bien conservé dans gr. οὖθαρ « sein, mamelle » (< *h1óuHdh-r̥ ). Le génitif οὔθατος repose sur *h1óuHdh-n̥ -, avec extension
161. Schindler 1975, p. 5 ; Meier-Brügger 2000, p. 191.
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analogique du vocalisme o des cas forts. Une forme concurrente *h1uHdh-nrend compte du génitif véd. ū́ dhnaḥ. Un second type acrostatique présente le degré ē au nominatif-accusatif et le degré e aux cas obliques. Ainsi, hitt. ēšḫar « sang » et gr. ἦαρ 162 « id. » continuent *h1ḗsh2-r̥ , tandis que le génitif hitt. ešnaš reflète *h1ésh2-n- 163. À en juger par leur degré radical long, gr. ἧπαρ « foie » et av. yākarǝ « id. » (< i.-e. *yḗkwr̥ ) appartiennent au même type. Les neutres hétéroclitiques à suffixe complexe de structure -Cer/n-, tels que les noms en -wer/n-, ont un accent mobile et se rattachent au type protérodynamique. En témoigne le paradigme du nom du « tendon », par exemple. Le nominatif-accusatif sg. se reconstruit sous la forme *snéh1-wr̥ , comme le suggèrent av. snāuuarə et gr. νεῦρον /neûron/. Le terme grec s’explique à partir de *snēur-o- (dérivé par thématisation) : la sifflante initiale s’amuït et la voyelle ē s’abrège devant sonante + consonne (loi d’Osthoff). Aux cas obliques, l’avestique n’atteste pas la forme en -n-, mais une trace en subsiste dans véd. snā́ va (thème snā́ van-) n. Faute de reflets directs, l’hypothèse d’un génitif sg. *sn̥ h1-wén-s s’appuie sur des faits parallèles en hittite, comme paḫḫuenaš « du feu » < *ph2-wén-s (la désinence attendue -š est remplacée par l’allomorphe courant -aš). La variante des cas forts, paḫḫur repose sur *péh2-wr̥ 164. Les noms en r/n de sens collectif relèvent du type holodynamique. Un exemple a pour nominatif-accusatif i.-e. *wéd-ōr « eau(x) ». Sur cette forme repose hitt. widār (nom.-acc. pl.). Y répond, au degré radical près, gr. ὕδωρ /húdōr/ (nom.-acc. sg.). Aux cas obliques, la forme à suffixe -nfigure dans le locatif sg. *ud-én(i), reconstruit à partir de véd. udán, udáni
162. ἦαρ· αἶµα Hesychios. 163. Schindler 1975, p. 6. 164. Cf. Vanséveren 2006, p. 88 (§ 1.10.4).
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« dans l’eau ». Enfin, le génitif sg. *ud-n-é/ós se reflète dans véd. udnáḥ « de l’eau ».
B. La flexion du singulier 9.4. Le nominatif sg. Les thèmes en -o- reçoivent une marque -s de nominatif sg. (*néwo-s « nouveau »,*h1ek̑ wo-s « cheval »), à la différence des féminins en -ā- < *-eh2 (*néwā < *néweh2 « nouvelle »). Il y a là une des rares exceptions au
principe général, à savoir que l’appareil des désinences est le même dans tous les types de formations nominales.
9.4.1. Les thèmes en *-e/oDans les noms thématiques, la finale *-os se conserve intacte en grec (ex. : ἄρκτος /árktos/ « ours ») et en vieux latin (ex. : malos « méchant », CIL I2 4). Le latin classique a des nominatifs sg. en -us : malus « id. ». En sanskrit, l’évolution du vocalisme et l’affaiblissement de la sifflante produisent des formes en -aḥ (la lettre ḥ note un souffle sourd) : ŕ̥kṣaḥ « ours », correspondant de gr. ἄρκτος /árktos/. Mais la finale comporte des variantes : -as devant une dentale sourde et -ō devant une consonne sonore ou devant -a. Le nominatif sg. en -ō du type thématique se rencontre aussi en avestique. À skr. vŕ̥kō (vŕ̥kaḥ) « loup », par exemple, répond av. vəhrkō « id. » (V. 13,10 ; etc.). La forme plus ancienne en -as se maintient devant un enclitique : daēuuas-ca « et le démon » (Yašt 8,22 ; etc.). Le changement *-os > -as de l’indo-iranien a son équivalent en baltique : le nominatif sg. du nom du « loup » est, en lituanien, vil̃kas. Une évolution plus importante se produit en slave, où la finale *-os se réduit à -ŭ (la lettre
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ŭ note une voyelle ultra-brève de timbre non exactement définissable, peutêtre [ə] comme dans fr. le). Ex. : v. sl. vlŭkŭ « loup ». En germanique, *-os passe à *-az. En témoigne, entre autres, le nom du « roi », attesté dans l’emprunt finnois kuningas < proto-germ. *kuniŋgaz. En nordique, la sifflante de la finale *-az se rhotacise, d’où -aR (R = r palatal) dans des formes du vieux-norrois runique. Enfin, la voyelle a s’amuït et ne subsiste qu’une désinence -r dans v.-norr. konung-r « roi ».
9.4.2. Les thèmes en *-āDans les féminins en *-ā-, le nominatif sg. se réduit au thème. La voyelle longue se maintient en sanskrit (jihvā́ « langue ») et en grec (ἡµέρᾱ /hēmérā/ « jour »). Le latin, en revanche, atteste une finale -ă, de caractère problématique (fēmină « femme »). L’abrègement s’expliquerait, à la rigueur, dans les dissyllabes de structure iambique : *ĕrā > ĕră « maîtresse de maison ». Le phénomène concerne la poésie scénique ancienne, où la métrique commande, dans certains cas, le remplacement d’un iambe (⏑ –) par un pyrrhique (⏑ ⏑). Au vers 38 du Curculio de Plaute, par exemple, ama « aime ! » vaut deux brèves (à la différence de la forme usuelle amā). Mais, dans le cas des féminins, la loi des mots iambiques ne rendrait compte, au mieux, que d’une partie des faits. – Des thèmes en *-ā relèvent aussi des noms masculins (type lat. agricola « agriculteur »). En grec, leur nominatif sg. comporte généralement une marque -s par analogie avec les formes en
-o-s de la 2e déclinaison. Ainsi, Hérodote atteste Πῡθιονῑ́κης /pūthionī́kēs/ « vainqueur aux jeux pythiques » (8,47), alors que la variante béotienne Πῡθιονῑ́κᾱ /pūthionī́kā/ (IG 7, 1888b 9) représente l’état de choses ancien.
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9.4.3. Les thèmes en *-i- et en *-uDans les thèmes en *-i- et en *-u-, le nominatif sg. des noms animés se signale par une marque -s. Ainsi, une finale -i-s s’observe dans un substantif masculin comme i.-e. *pótis « maître, époux » : véd. pátiḥ « id. », av. paitiš « id. », v. lit. -patis dans wieschpatis = lit. mod. viẽšpats « seigneur », prop. « chef de clan » (cf. skr. viś-pátiḥ « id. »), gr. πόσις /pósis/ « époux », lat. potis dans potis sum (> possum) « je suis maître, je peux », got. -faþs (thème -fadi-) dans brūþfaþs « fiançé », prop. « maître de la brūþ (jeune femme) » et dans d’autres composés. Parallèle à -i-s, une finale -u-s de nominatif sg. m. et f. se rencontre dans les thèmes en -u-. S’y ajoute une forme à désinence zéro dans des neutres en -u. En offre un exemple un nom du « bétail » comme richesse mobilière : i.-e. *pek̑ ús m. (véd. paśúḥ, av. pasuš), / i.-e. *pék̑ u n. (véd. páśu, v. lat. pecu, vha. fihu, etc.). Le latin procure des masculins en -us, comme portus, prop. « passage », d’où « porte » (XII Tables) et « port » (à l’origine « entrée d’un port »). Le gotique a, de même, des thèmes en -u- : type hliftus m. « voleur ».
9.4.4. Les thèmes en consonne Le morphème -s de nominatif sg. se rencontre aussi dans les thèmes consonantiques, mais seulement après occlusive : i.-e. *wṓkw-s f. « parole » (cf. lat. uōx = uōc-s « voix, parole », etc.). Après liquide ou nasale, il n’y a pas de désinence (morphème zéro) : i.-e. *h2nḗr m. « homme » (cf. gr. ἀνήρ /anḗr/ « id. », etc.), i.-e. *k̑ (u)wōn m. « chien » (cf. gr. κύων /kúōn/ « id. », etc.).
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9.5. Le vocatif sg. 9.5.1. Les thèmes en *-e/oDans les noms thématiques, le vocatif sg. se caractérise négativement par l’absence de désinence et le thème se termine par la variante *e de la voyelle alternante *e/o. Cette finale se retrouve intacte en grec, en latin et en balto-slave. Homère emploie couramment ξεῖνε /kseîne/, vocatif sg. de ξεῖνος /kseînos/ (att. ξένος /ksénos/) « hôte, étranger ». Dans l’Odyssée, Pénélope donne ce nom à Ulysse déguisé en mendiant. Lorsque, sous le couvert de l’anonymat, le héros lui annonce son propre retour, elle lui répond ainsi, 19,309 : Αἲ γὰρ τοῦτο, ξεῖνε, ἔπος τετελεσµένον εἴη « Ah ! puissent s’accomplir tes paroles, mon hôte ! » (trad. Bérard, CUF, 2eéd. 1933). À Rome, la finale -e se rencontre dès les plus anciens textes. Chez les vieux poètes, le champ d’emploi de -e comprend les noms en -ius. Ainsi, Livius Andronicus procure fīlie « fils ! » (Od., frg. 2 Warmington), alors que la langue classique ne connaît que fīlī. En lituanien, le vocatif sg. en -e se conserve fidèlement dans les masculins du type tė́ vas « père ». Le Notre Père commence précisément par Tė́ ve : Tė́ ve mū́ sų, kurìs esì dangujè … « Notre Père qui es dans le ciel … » (Matth. 6,9). Dans les représentants vieux-slaves des anciens thèmes en -o-, la forme de l’interpellation se caractérise aussi par la finale -e au singulier. L’Évangile procure, par exemple, le composé malověre (nom. sg. malověrŭ), équivalent d’ ὀλιγόπιστε /oligópiste/ « qui a peu de foi ». Jésus emploie ce terme à propos de Pierre, échouant à marcher jusqu’au bout sur les eaux : malověre, po čĭto sę usǫmně? « homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Matth. 14,31). La neutralisation de l’opposition *e/o au profit de a en indo-iranien explique le vocatif sg. sanskrit en -a vis-à-vis du nominatif sg. en -aḥ (-as). Nombreuses sont les attestations de deva « ô dieu ! ». Dans des contextes
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comparables, l’avestique connaît aussi le vocatif sg. en -a (-ā en gāthique, où toutes les voyelles finales sont longues). Cf. Yašt 10,32 : surunuiiā̊ nō miϑra yasnahe « écoute, Mithra, notre prière ! ». En gotique, du fait que les voyelles brèves disparaissent à la finale absolue, le vocatif sg. se distingue négativement par une marque zéro. C’est ainsi qu’à la forme du sujet þiudans « roi » s’oppose la forme de l’interpellation þiudan « ô roi ! » (Marc 15,18).
9.5.2. Les thèmes en *-āDans les féminins de la 1re déclinaison latine, le vocatif sg. ne se distingue pas du nominatif sg. et se caractérise donc par une finale -ă. Dans une invocation à Cybèle, Catulle emploie l’expression dea magna « ô grande déesse ! » (63,91).
9.5.3. Les thèmes en *-i- et en *-uLa désinence zéro du vocatif sg. des thèmes en *-e/o- et en *-ā- caractérise aussi les thèmes en *-i- et en *-u-. Dans une partie des faits, le suffixe présente le degré plein. Cf. véd. pate « ô maître ! » (-e < *-ei), av. -paite « id. » en composition, v. lit. Wiesch-patie « ô Seigneur ! » (-ie < *-ei). S’y rattache peut-être gr. ποτει /potei/ dans crét., béot. Ποτειδάων /poteidáōn/ « Poséidon » (myc. Po-se-da-o = hom. Ποσειδάων /poseidáōn/, att. Ποσειδῶν /poseidôn/) 165. De même, le suffixe plein apparaît dans véd. vāyo « ô Vāyu ! » (-o < *-e/ou), lit. sūnaũ « ô fils ! » (-au < *-ou), v. sl. synu « id. » (-u < *-ou), got. sunau « id. » (-au < *-ou). En grec, à l’exception du vestige ποτει /potei/, ποσει /posei/, le degré zéro suffixal est de règle : πόσι /pósi/ « (mon) époux ! » (Euripide, Alc. 323 ; etc.), πρέσβυ /présbu/ « ô vieillard ! » (Sophocle, Oed. Roi 1013 ; etc.). Le gotique hésite entre 165. Voir Chantraine, DELG, p. 930-931, s.v. Ποσειδῶν /poseidôn/.
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sunau (Luc 18,39) et sunu (Luc 18,38). En latin, enfin, les formes en -is et en -us du nominatif servent aussi à l’expression du vocatif.
9.5.4. Les thèmes en consonne Le vocatif sg. des noms en -r- et en -n- ne se confond pas avec le nominatif, grâce au jeu des alternance vocaliques. À gr. ἀνήρ (nom. sg.) « homme, époux », par exemple, s’oppose ἄνερ (voc. sg.). Avec allongement de la voyelle initiale en début de vers, le mot figure en Il. 24,725. Andromaque pleure Hector : ἆνερ, ἀπ’αἰώνος νέος ὤλεο, κὰδ δὲ µε χήρην | λείπεις ἐν µεγάροισι « mon époux, jeune encore tu perds la vie et me laisses veuve au palais ».
9.6. L’accusatif sg. L’accusatif sg. se signale par la désinence *-m ou sa variante *-m̥ . La consonne et la sonante se trouvent en distribution complémentaire : la réalisation est -m après voyelle, -m̥ après consonne. Dans les langues historiques, la finale -Vm ou bien se maintient intacte, ou bien passe à -Vn.
9.6.1. Les thèmes en *-e/oÀ l’accusatif sg., l’addition de *-m à la voyelle thématique produit une finale *-om, encore intacte en vieux latin. Une inscription de Spolète du IIIe siècle avant J.-C. l’illustre pour le nom du « bois sacré » : Honce loucom nequ[i]s uiolatod neque exuehito neque exferto quod louci siet … « Que personne ne viole ce bois sacré, n’emmène ni n’emporte ce qui appartient au bois sacré … » (CIL I2 366) 166. L’équivalent classique de loucom, la forme lūcum, s’explique par des changements phonétiques réguliers : la 166. Étude linguistique et épigraphique de cette inscription chez Wachter 1987, p. 426-432 (§ 199).
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monophtongaison de ou et la fermeture de o en u en syllabe finale fermée. En grec, l’accusatif sg. des thèmes en -o- se termine en -ον /-on/ (type λύκον /lúkon/ « loup »), car en fin de mot toute nasale prend la forme -n. En indo-iranien, par contre, la consonne de *-om conserve son articulation labiale, mais la voyelle s’ouvre en a. Ainsi s’explique la finale -am de véd. vŕ̥kam « loup » (RV 1,105,11 ; etc.). L’avestique a des accusatifs sg. en -əm, comme dans vəhrkəm « loup » (Y. 9,21 ; etc.). La voyelle ə, variante combinatoire de a devant nasale finale, note un son comparable au dernier phonème de l’allemand Stimme « voix », par exemple. En accord avec l’indo-iranien pour le vocalisme et avec le grec pour le consonantisme, une finale -an caractérise le baltique. Cette séquence se maintient en vieux prussien, comme l’atteste l’accusatif sg. deiwan « Dieu », par exemple. En lituanien, en revanche, la nasale s’amuït et un allongement compensatoire affecte la voyelle a. À skr. vŕ̥kam répond ainsi lit. vil̃ką « loup ». En vieux slave, -n (< -m) disparaît également et l’ancien o prédésinentiel s’affaiblit en une ultra-brève : *-on (< *-om) > *-un > -ŭ. Par conséquent, le correspondant de lit. vil̃ką est v. sl. vlŭkŭ « loup ». Comme en baltique, la finale *-om se change en *-an en germanique commun. Puis, la nasale disparaît et la marque de l’accusatif sg. se réduit à -a. Ce stade de l’évolution se constate en vieux norrois runique. La forme staina « pierre », par exemple, se définit comme complément d’objet direct dans une inscription de Tune (province d’Østfold, au sud-est de la Norvège). Dans les textes littéraires, plus tardifs, la voyelle finale tombe : v. norr., v. isl. stein. Cet élément ne subsiste pas non plus dans vha. stein ou dans got. stain.
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9.6.2. Les thèmes en *-āÀ l’accusatif sg., le traitement régulier de *-eh2-m est largement attesté : skr. jihvā́ m, gr. ἡµέρᾱν /hēmérān/, lat. fēminam, got. þiuda « peuple », lit. gálvą « tête », v. sl. glavǫ « id. ».
9.6.3. Les thèmes en *-i- et en *-uDes accusatifs en -im et en -um se conservent dans des zones périphériques. C’est le cas de véd. kṣítim (kṣíti- f. « disparition, destruction ») et de son possible correspondant lat. sitim (sitis f. « soif »), par exemple. L’italique procure osque slagím « frontière, limite ». Parallèlement, des formes en -um se rencontrent en indo-iranien et en latin. Vont ensemble av. pərətūm (pərətu- m. « passage, pont ») et lat. portum (portus m. « (entrée d’un) port », mais aussi « porte » à l’époque archaïque). Cf. XII Tables 2,3 : Cui testimonium defuerit, is tertiis diebus ob portum obuagulatum ito « Que celui auquel un témoignage a manqué aille tous les deux jours se plaindre à grands cris devant la porte (du témoin) ». Cette disposition s’applique en cas de non-comparution du témoin. Un autre exemple d’accusatif sg. en
-tum est commun à l’avestique, au vieux perse et au védique : resp. xratūm « volonté, sagesse » (Y. 25,6 ; etc.), xratum « énergie » (XPl 3), krátum « id. » (RV 1,2,8 ; etc.). Le traitement -Vn concerne le hittite, le balto-slave et le grec. Illustrent la finale -in : hitt. tuzzin « armée », v. prus. naktin « nuit » (cf. lit. nãktį), gr. φθίσιν /phthísin/ « dépérissement, consomption » (= véd. kṣítim : cf. supra). Dans la même série de langues sont attestées des formes en -un : hitt. wellun « pré, prairie », v. prus. sūnun « fils » (cf. lit. sū́ nų), gr. crét. υἱύν /huiún/ « id. ». Dans la branche slave, les finales -in et -un du baltoslave se réduisent aux voyelles ultra-brèves -ĭ et -ŭ : à v. prus. naktin et sūnun répondent v. sl. noštĭ et synŭ. Les traitements *-im > -in et *-um >
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-un sont aussi à reconnaître en germanique commun. Au stade ultérieur de l’évolution, la nasale s’amuït et, dans les thèmes en -i- du gotique, la voyelle restante subit l’apocope : i.-e. *ghostim « étranger » > got. gast « hôte ». En revanche, la voyelle -u ne tombe pas dans got. sunu « fils ». Le correspondant latin de got. gast, hostem « étranger » (XII Tables ; Plaute, Curc. 5) > « ennemi » 167, présente la finale -em, usuelle dans les thèmes en -i-. Il y a donc concurrence entre -im (cf. supra, sitim) et -em. La variante
-em s’explique probablement par une influence analogique des thèmes consonantiques 168.
9.6.4. Les thèmes en consonne La désinence *-m̥ , postconsonantique, se change en une séquence voyelle + m/n ou se résout en a et perd ainsi son trait nasal. Le traitement -Vm se rencontre en latin : un accusatif sg. i.-e. *wókw-m̥ « voix » donnerait lat. *uŏcem ; la forme attestée, uōcem, s’explique par la généralisation du degré
long de uōx (< i.-e. *wṓkw-s, nom.sg.). Comme on le voit, les traits vocalique et nasal, concomitants dans -m̥ , apparaissent successivement dans -em. Un traitement différent de la nasale sonante s’observe en balto-slave, où l’accusatif sg. des thèmes consonantiques présente une finale *-in. Le vieux prussien procure, en effet, smunentin « homme » (nom. sg. smunents). À v. prus. -in répond lit. -į /-ī /. Exemple : šùn-į (šuõ, šun- m. « chien »). En vieux slave, balto-sl. *-in aboutit à -ĭ (cf., supra, l’accusatif sg. des thèmes en -i-). En offre une illustration la forme kamen-ĭ (kamy, kamen- m. « pierre »). Une occurrence de ce terme se trouve dans le récit de la résurrection de Lazare, Jean 11,39 : Glagola Isusŭ : vŭzĭměte kamenĭ « Jésus dit : Enlevez la pierre (du tombeau) ». 167. Sur le sens et l’étymologie de lat. hostis, voir Garnier 2013, p. 57-69. 168. Un examen approfondi a été consacré à la question par Reichler-Béguelin 1986, p. 213-214 et 216-217 (= § 218 et 222).
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Comme le balto-slave, le germanique commun connaît le traitement -Vn de *-m̥ , mais la voyelle appartient à la région articulatoire postérieure : la désinence est *-un. Sauf dans les monosyllabes, la nasale finale disparaît. Ensuite, la voyelle u s’amuït dans un accusatif sg. comme got. weitwōd « témoin ». En grec, le reflet de *m̥ hésite entre a et o dès l’époque mycénienne (pour a, cf. myc. a2-te-ro /hateron/ « autre » < *sm̥ -tero- ; pour o, cf. myc. a-pi-qo-to /amphigwotos/ « accessible des deux côtés » < *-gwm̥ tos, gr. alph. ἀµφί-βατος /amphí-batos/). Les accusatifs sg. sont en -a. Parmi les rares exemples du linéaire B figure ka-ra-te-ra (= κρατῆρα /kratêra/) « cratère » en MY Ue 611. Après n, la désinence apparaît, entre autres, dans le nom du « chien » : κύν-α /kún-a/ (nom. κύων /kúōn/, gén. κυν-ός /kun-ós/), comparable à lit. šùnį (cf. supra). Après une occlusive, le morphème -a se trouve, par exemple, dans un vieux nom-racine répondant, à la quantité près de la voyelle radicale, à lat. uōcem : ὄπ-α /óp-a/ « voix » (< i.-e. *wókw-m̥ ). Cette forme se rencontre, notamment, en Il. 3,152 : ... τεττίγεσσιν ἐοικότες, οἵ τε καθ’ ὕλην | δενδρέῳ ἐφεζόµενοι ὄπα λειριόεσσαν ἱεῖσι « (les chefs troyens discourant sont) semblables à des cigales qui dans un bois, installées sur un arbre, font entendre leur douce voix ». En indo-iranien, l’accusatif sg. des thèmes consonantiques a pour marque la désinence -am, c’est-à-dire *-a avec addition de -m sur le modèle des noms thématiques. Des formes sanskrites comme vā́ cam « voix, parole », náram « homme », ś(u)vā́ nam « chien » ont leurs pendants en avestique : vācəm, narəm, spānəm. Les inscriptions vieux-perses font connaître, par exemple, θardam « année », asmānam « ciel », framātāram « souverain ».
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9.7. L’instrumental sg. L’instrumental sg. a pour expression une désinence indo-européenne *-eh1 / -h1.
9.7.1. Les thèmes en *-e/oÀ côté de *-eh1 > *-ē se rencontre aussi *-oh1 > *-ō. En effet, le baltique et le germanique occidental présentent une forme en -u (< *-ō) : lit. vilkù « (avec) le loup », vha. wolfu « id. ». La concordance peut s’expliquer par des développements parallèles, mais indépendants, car le grec a des traces de *-ē dans des adverbes issus de formes nominales à l’instrumental (type ἁµαρτή /hamartḗ/ ou ἁµαρτῆ /hamartê/ « ensemble, en même temps » chez Homère) et le sanskrit en témoigne indirectement par la palatalisation de la consonne prédésinentielle dans paścā́ « derrière, après » (< *po-skw-ē 169). Or, *-eh1 (> *-ē) faisait figure d’anomalie au sein du paradigme, puisque les autres cas (à l’exception du vocatif sg.) se construisaient sur un thème en
-o-. D’où son remplacement par *-o-h1 (> *-ō) dans une partie du domaine. L’indo-iranien a régulièrement *-ā, conservé en avestique et en vieux perse, mais exceptionnel en védique (yajñā́ -yajñā́ « par chaque sacrifice », RV 1,168,1 et 6,48,1). Dans la branche indienne s’impose une forme mieux caractérisée, -ena, d’origine pronominale (cf. véd. téna « par celui-là », démonstratif anaphorique). Ainsi, de yajñá- « sacrifice, offrande », l’instrumental sg. usuel est yajñéna, dès le R̥ gveda. L’avestique ne partage pas cette innovation et ne connaît que la finale -ā̆ : gāth. yasnā « par une consécration » (Y. 35,10), av. récent yasna. Le slave occupe une place à part, avec une finale -o-mĭ. Le renouvellement de l’expression s’y effectue dans le sens d’une harmonisation avec la flexion des thèmes en -i- et en -u- : les formes vieux-slaves en -ĭmĭ, -ŭmĭ, 169. Ce terme reposerait sur une forme à préverbe de la racine *sekw- « suivre ».
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parallèles aux formes lituaniennes en -imi, -umi, ont servi de modèles à la constitution de -omĭ. Cette forme caractérise, par exemple, duxomĭ, de duxŭ m. « esprit » (Luc 1,41).
9.7.2. Les thèmes en *-āL’addition de *-eh1/-h1 au suffixe de féminin produisait une forme en -ā, identique au thème et au nominatif sg. Le védique en a un vestige dans manīṣā́ « avec inspiration ». Mais le R̥ gveda atteste aussi manīṣáyā, avec une finale -áyā d’origine pronominale (cf. táyā « avec celle-là, avec elle »). Le sanskrit classique ne connaît plus que cette forme en -áyā à l’instrumental sg. féminin. En offre un lointain écho v. sl. -ojǫ dans le type glavojǫ « avec la tête ». Comme en indo-iranien, la flexion du démonstratif en fournit le modèle (cf. tojǫ « avec celle-là ») 170.
9.7.3. Les thèmes en *-i- et en *-uEn védique, la désinence *-eh1 se conserve, sous la forme -ā, dans les thèmes en -i-, en -u- et en consonne, la variante faible *-h1 seulement dans les thèmes en -i- de genre féminin. Coexistent et sont fonctionnellement équivalentes des formes en *-yeh1 > -yā et en *-ih1 > -ī : ūtyā́ / ūtī́ (ūti- f. « aide »), matyā́ / matī́ (matí- f. « pensée, prière, intention »), vr̥ ṣṭyā́ / vr̥ ṣṭī́ (vr̥ ṣṭí- f. « pluie »). Le type en -yā se rencontre aussi dans un petit nombre de masculins, comme pátyā (páti- m. « maître, époux »), mais la plupart des masculins ont une désinence nouvelle, -nā, explicable par une influence analogique des thèmes en -n-. De pátyā existe le doublet pátinā (RV 4,57,1), formé comme áhinā (áhi- m. « dragon »), par exemple. L’avestique n’en a pas l’équivalent, mais possède la marque -ī̆ (= véd. -ī), commune aux masculins et aux féminins. L’avestique récent offre l’exemple de paiti 170. La voyelle nasale -ǫ de la finale -ojǫ repose sur balto-sl. *-ān < *-ām < *-ā-mi (Vaillant 1950-1977, t. I, p. 219, § 89).
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(thème paiti- m.) dans le syntagme θwā paiti « avec toi comme maître » (Yt. 10,80). Au couple védique pátyā /pátinā fait pendant, entre autres, la paire paśvā́ /paśúnā « avec le bétail » dans les thèmes en -u-. En revanche, le védique n’a pas d’instrumental sg. en -ū, parallèle à la forme en -ī, à la différence de l’avestique. Gāth. mainiiū (mainiiu- m. « esprit »), par exemple, est bien attesté. Cf. la formule mainiiū šiiaoθanāišcā « par l’esprit et les actes » (Y. 31,21). La désinence pleine -ā figure, notamment, dans xraθβā (xratu- m. « force mentale »). En balto-slave, le vieux lituanien garde la trace de la désinence *-ih1 > *-ī à l’instrumental sg. de thèmes en -i-. En vertu de la loi de Leskien, -ī
s’abrège en position finale et donne naissance à une brève d’intonation rude. Se termine par -i un vestige comme smerti « par (ta) mort » (Mažvydas, Cat. 55,16), d’un féminin smert̃ is. Mais, par une innovation baltoslave, s’imposent des formes en -mi mieux caractérisées. Ainsi, smerti se double de smertimi (Vilentas, Cat. 74,15). De même, le masculin vagìs « voleur » a l’instrumental sg. vagimì « avec le voleur », mais aussi la variante vagiù « id. », avec une finale -iu analogique du type thématique en *-yo-. En vieux slave, une désinence -mĭ répond à -mi du lituanien, mais
seulement dans les noms masculins. Le nom du « feu », par exemple, ognĭ m., a une forme ognemĭ « par le feu » (Matthieu 13,40). Les féminins, par contre, ont une caractéristique -jǫ, empruntée au type en *-ā- : noštijǫ « pendant la nuit » (noštĭ f.) rime avec glavojǫ « par la tête » (glava f.). Les formes d’instrumental sg. des thèmes en -u- rappellent la morphologie des thèmes en -i-. En vieux lituanien, -i de smerti a son pendant dans -u de sūnu (sūnùs m. « fils »). Cf. Mažvydas, Cat. 45,15 : su Diewu thiewu ijr sunu « avec Dieu le Père et le Fils ». La désinence -mi de smertimi s’attache aussi aux noms en -u. Déjà Vilentas emploie dangumi (nom. sg. dangùs m. « ciel ») dans l’expression po dangumi « sous le ciel » (Cat. 53, 15-16).
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En slave, la finale attendue -ŭmĭ, se conserve en vieux russe, mais se confond avec -omĭ du type en -o- en vieux slave. Lit. sūnumì « avec le fils » a donc pour équivalent v. sl. synomĭ « id. » 171.
9.7.4. Les thèmes en consonne La marque -ā < *-eh1 signale l’instrumental sg. des thèmes consonantiques en indo-iranien. En témoignent des formes de structures diverses. Dans un premier type, l’élément prédésinentiel se trouve au degré plein : véd. áś-man-ā, de áś-man- m. « pierre ». Dans un deuxième type, le suffixe affecte le degré zéro : véd. rā́ j-ñ-ā, de rā́ j-an- m. « roi ». Dans un troisième type, enfin, se produit un mouvement accentuel (du suffixe à la désinence) : véd. Pūṣ-ṇ-ā́ , de Pūṣ-án- m., nom d’une divinité. En balto-slave, les thèmes en consonne se rapprochent des thèmes en -i-, car la flexion d’un masculin comme lit. vanduõ, gén. sg. vandeñ-s, « eau » repose en grande partie sur vandeni-. En procède, notamment, l’instrumental sg. vandenimi. En accord avec le lituanien, le vieux slave assimile les thèmes consonantiques aux thèmes en -i- : lit. -imi a un écho dans v. sl.
-ĭmĭ. Cf. d(ĭ)nĭmĭ « en un jour » (Luc 17,4), de dĭn- « jour ». 9.8. Le datif sg. En indo-européen, le datif sg. avait une désinence *-ei.
9.8.1. Les thèmes en *-e/oLe datif sg. des noms thématiques présentait une diphtongue longue *-ōi, produit de la contraction de *-o-ei. La forme s’en conserve intacte en grec et en latin archaïque. Des exemples de ce morphème casuel se trouvent déjà dans les tablettes mycéniennes, mais la graphie en néglige l’élément i. 171. Voir Vaillant 1958, t. II/1, p. 121, § 161.
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Ainsi, le syntagme pa-ro da-mo est à lire /paro dāmōi/ « (en possession) de la commune » (PY Ep 301 et PY Eb 846). Ses emplois ont pour contexte l’affermage de terrains communaux. La préposition paro se retrouve en éolien (πάρο /páro/ chez Alcée 130.12 Lobel-Page) et répond à att. παρά /pará/, tandis que le substantif dāmos existe au Ier millénaire sous la forme identique de dor. δᾶµος /dâmos/ (= att. δῆµος /dêmos/). En grec alphabétique, le datif sg. de la 2e déclinaison se termine par -ῳ (-ωι) /-ōi/. Homère recourt à δήµῳ /dḗmōi/ dans l’expression Λυκίης ἐν πίονι δήµῳ « dans le gras pays de Lycie » (Il. 16,437 ; trad. Mazon, CUF, 4e éd., 1956). À partir du
IVe
siècle avant J.-C., se produit une simplification de -ωι /-ōi/
en -ω /-ō/ en éolien et en chypriote, à en juger par les inscriptions. En attique, la diphtongue longue subsiste plus longtemps, ne perdant son second élément qu’à partir du IIe siècle avant J.-C. 172. Une évolution parallèle rend compte du datif sg. des noms thématiques en latin. La forme usuelle présente -ō, comme dans lupō « au loup » (cf. lupo agnum eripere « arracher un agneau à un loup », Plaute, Poen. 776). La finale plus ancienne -oi se lit encore dans l’inscription dite de Duenos (VIe siècle avant J.-C.) : …duenos med feced... duenoi... « … un (homme) bon m’a fait pour un (homme) bon » (CIL I2 4) 173. Outre les langues classiques, le lituanien conserve une diphtongue en i au datif sg. des anciens thèmes en -o- : vil̃kui « au loup ». Comme *ō passait à uo, *-ōi se changeait en une triphtongue *-uoi, puis cette séquence complexe s’abrégeait en -ui. En vieux slave, la finale -u de vlŭku « au loup » suppose un traitement voisin, mais au stade *-uoi l’élément i s’amuït. Dans le domaine indo-iranien, le reflet direct de -ōi ne se rencontre qu’en avestique. La diphtongue y prend la forme -āi, comme dans vəhrkāi « au 172. Voir Lejeune 1972, p. 227, § 236 a. 173. Sur cette phrase, voir Wachter 1987, p. 73 (§ 28).
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loup ». Un exemple de ce datif se trouve dans le Nirangistān, § 17 : vəhrkāi hizuuąm daδāiti yō azrazdāi mąϑrəm cašte « il donne sa langue au loup celui qui enseigne la parole sacrée à l’hérétique ». Une variante de -āi, la forme élargie -āi.ā (-āiiā), ne se rencontre que dans les Gāthās. Dans le nom d’Ahura Mazdā, par exemple, le datif ahurāi.ā (Y. 27,13) concurrence ahurāi (Y. 35,5). En sanskrit, le datif sg. des thèmes en -a- se caractérise par la seule finale -āya dès l’époque védique. Au paradigme de vŕ̥ka« loup » appartient donc vŕ̥kāya. La cause de la réfection de -āi en -āya dans la branche indo-iranienne demeure obscure. Un fait complique, d’ailleurs, l’histoire de la désinence : le témoignage du vieux perse fait défaut. En effet, les inscriptions achéménides n’ont pas de formes de datif et les formes de génitif ajoutent à leurs propres fonctions les valeurs du datif.
9.8.2. Les thèmes en *-āDans les noms en *-ā-, la finale *-eh2-ei du datif sg. se réduit à *-āi. La diphtongue longue se conserve intacte en grec (ἡµέρᾱͅ /hēmérāi/), mais s’abrège en latin classique, avec un léger changement d’aperture en fin d’émission (fēminae ; la graphie -ai d’inscriptions archaïques témoigne encore du stade plus ancien : fileai « à (sa) fille », CIL I2 561). La réduction de *-āi à -ai concerne aussi le gotique (þiudai) et le lituanien (gálvai), tandis que l’évolution va plus loin en slave : *-ai > -ě (v. sl. glavě) 174. Les formes de l’indo-iranien témoignent d’un renouvellement de la désinence. En effet, aux finales attendues skr. *-ai, av. *-āi se substituent les formes mieux caractérisées skr. -āyai, av. -aiiāi : véd. manā́ yai « à la pensée », gāth. daēnaiiāi « à la conscience » 175.
174. En vieux slave, le signe -ě note une diphtongue à tension croissante (ea, ia). Cf. chap. VII, § 7.8.2. 175. Traduction tirée de Kellens – Pirart 1990, vol. II, p. 252, s.v. daēnā-.
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9.8.3. Les thèmes en *-i- et en *-uLa caractéristique *-ei du datif sg. se reflète dans la désinence védique
-e /-ē/. Des formes en -e de thèmes en -i- et en -u- comportent le degré zéro du suffixe : pát-y-e (páti- m. « maître, époux ») ; krát-v-e (kratu- m. « force, volonté »), śíś-v-e (śíśu- m. « enfant, petit (d’un animal) », sahásra-bāh-v-e (sahásra-bāhu- « aux mille bras »). Mais le degré plein du suffixe représente la norme. Les formes du datif sg. se terminent donc, en principe, par -ay-e et -av-e : type agn-áy-e « à Agni » (agní- m.), resp. mán-av-e « à l’homme » (mánu- m.). D’ailleurs, même páti-, krátu- et śíśu- ont les doublets -pátaye (dans le composé bŕ̥haspátaye « pour Br̥ haspati »), krátave et śíśave. Avec les faits indiens s’accordent les données iraniennes. L’avestique illustre le degré zéro suffixal dans paiθiiaē-ca (= véd. pátye) ou xraθβe (= véd. krátve), par exemple. Sont des représentants du degré plein de la prédésinentielle : anumat-aii-aē-ca (anumati- f. « suite des idées ») ou daŋ́h-auu-e (daŋ́hu- f. « pays »). En lituanien, la désinence de datif sg. fait l’objet d’un renouvellement, excepté dans quelques vestiges. Le paradigme d’un thème en -i- comme vagìs m. « voleur » renferme la forme vãgiui « au voleur », avec une finale -iui analogique du type en -yo-. Une variante dialectale vãgie présente, toutefois, la diphtongue -ie, traitement régulier de *-ey-ei > *-ei. Comme les noms en -a- (< i.-e. *-o-), les noms en -u- ont un datif sg. en -ui : sū́ nui (sūnùs m. « fils ») comme tė́ vui (tė́ vas m. « père »). Plus conservateur, le vieux slave a des formes en -ovi (cf. véd. -ave) : synovi (synŭ m. « fils »). En grec, l’ancienne caractéristique *-ei se perpétue dans les tablettes mycéniennes. On en a une attestation dans la forme e-ri-nu-we /erinu(w)ei/ (cf. Ἐρινύς /erinū́ s/, déesse de la vengeance). En grec alphabétique, la désinence -i, degré zéro de -ei, s’impose dans tous les noms de la 3e déclinaison. Les thèmes en -i- ont une finale -ει, explicable par une forme à degré
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plein suffixal : *-ey-i. La sonante y s’amuït entre voyelles et, dans un premier temps, en résulte une séquence -eï dissyllabique. Le fait se vérifie dans le datif sg. πόσεϊ /póseï/ (πόσις /pósis/ m. « époux ») de la fin de vers χαριζοµένη πόσεϊ (ϝϝ)ῷ (⏑ | − ⏑ ⏑ | − ⏑ ⏑ | − − |) « faisant plaisir à son époux » (Il. 5,71). Puis les voyelles en hiatus se changent en une diphtongue -ει. Aboutit aussi à -ει l’évolution de la finale *-ew-i des thèmes en -u-. Cf. πήχει /pḗkhei/ < -εϝ-ι /-ew-i/ (πῆχυς /pêkhus/ m. « avant-bras, coude, coudée »). Avec le suffixe au degré zéro, le datif sg. d’un neutre comme δόρυ /dóru/ « (bois de la) lance » se termine par *-w-i : *dor-w-i > δουρί /dourí/. En latin, un point de départ *-ey-ei (suffixe plein + désinence pleine) rend compte de la finale -ī des noms en -i-, moyennant les stades intermédiaires *-e-ei > *-ēi > *-ei. Un exemple de datif sg. en -ī, cīuī (cīuis m. « citoyen »), se trouve déjà dans une loi des XII Tables, sous la forme rajeunie d’une citation d’Aulu-Gelle : Assiduo uindex assiduus esto, proletario iam ciui quis uolet uindex esto « Pour un propriétaire que le répondant soit (aussi) propriétaire ; pour un citoyen prolétaire, en revanche, que soit répondant qui voudra » (1,4 ; Aulu-Gelle 16,10,5). Parallèle à *-ey-ei des thèmes en -i-, la finale *-ew-ei explique la forme -uī des thèmes en -u- (cf. senātuī « au sénat »). Une variante -ū, minoritaire, mais bien attestée, résulte d’une action analogique : cīuis est à cīuī comme senātus à senātū.
9.8.4. Les thèmes en consonne En indo-iranien, les noms de parenté en -(t)ar- présentent le degré zéro de la prédésinentielle (véd. pi-tr-é, de pitar-/pitr- m. « père »). C’est aussi le cas des noms d’agent en -tár-. Les dérivés en -n- (-an-, -man-, -van-), en revanche, ont tantôt la forme faible du suffixe (véd. rā́ j-ñ-e, de rājan-/rājñm. « roi »), tantôt la forme pleine (véd. brah-máṇ-e, de brah-mán- m. « prêtre », av. hax-main-ē , de haxman- n. « communauté »).
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Les thèmes consonantiques du lituanien signalent le datif sg. par la finale -iui sous l’influence du type en -i-. En offre un exemple la forme šùniui (šuõ, šun- « chien »). La variante archaïque šùni se rencontre en vieux lituanien. Sa désinence -i s’interprète comme le degré zéro de *-ei. En revanche, la voyelle finale de v. sl. kameni (kamy, kamen- « pierre ») continue régulièrement *-ei. En grec, la désinence *-ei se rencontre dans des thèmes en -r- et en -ndu mycénien : ma-te-re /mātrei/ (cf. µήτηρ /mḗtēr/ « mère »), po-mene /poimenei/ (cf. ποιµήν /poimḗn/ « berger »). À côté de *-ei, le mycénien connaît la variante *-i dans les noms sigmatiques. Cf., par exemple, le composé da ?-]mo-ke-re-we-i /Dā?moklewehi/ au second membre -kleweh-i < i.-e. *k̑ lew-es-i « gloire » (cf. Δαµοκλῆς /dāmoklês/). La même structure s’observe dans les thèmes consonantiques du grec alphabétique. Cf. πα-τρ-ί /pa-tr-í/ (πατήρ /patḗr/ m. « père »). Mais le védique a le locatif sg. pi-tár-i, avec le degré plein de la prédésinentielle. Dans les thèmes en consonne, la désinence -ei subsiste en vieux latin. La forme recei « rēgī », par exemple, se lit sur le cippe du Forum (VIIe-VIe s. avant J.-C. 176). En tant que cas oblique, le datif sg. présente parfois, à la prédésinentielle, un autre degré vocalique que le nominatif sg. C’est le cas de homin-ī « à l’homme », bâti sur *g̑ homŏn- ou *g̑ homĕn-, en regard de homō < *g̑ homōn 177.
9.9. Le génitif sg. 9.9.1. Les thèmes en *-e/oAu singulier, le génitif présentait une finale *-osyo, peut-être analysable en *-os + *-yo- (cf. infra). Le reflet fidèle de cette marque casuelle apparaît 176. La datation est de Hartmann 2005, p. 432-433. 177. Le paradigme le plus ancien combinait peut-être les formes *g̑ hém-ōn- et *g̑ hom-én(Untermann, WOU, p. 329).
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en latin archaïque et dans un parler voisin, le falisque. L’inscription latine de Satricum (~ VIe siècle avant J.-C.) atteste le syntagme Popliosio Valesiosio suodales (= lat. class. « Publii Valerii sodales ») « les compagnons de Publius Valerius » (CIL I2 2832 a) 178. En falisque, une coupe de bucchero porte la mention de son propriétaire au génitif. C’est l’objet qui parle : ekokaisiosio (= lat. class. « ego Caesii ») « je (suis) de Caesius, j’appartiens à Caesius » (Vetter 1953, 245 a). En grec, la sifflante de la séquence *-osyo passe à h, puis s’assimile à la semi-voyelle suivante. En résulte une forme *-oyyo. Cette finale a cours principalement en mycénien et chez Homère. Les tablettes en linéaire B procurent une série de génitifs en -o-jo dans les appellatifs et dans les noms propres. En donne un exemple le mot te-o-jo de l’énoncé te-se-u te-o-jo doe-ro /Thēseus theoio do(h)elos/ « Thésée, esclave (au service) du dieu, hiérodule » (PY En 74,5). Le correspondant homérique θεοῖο /theoîo/ se dit d’Apollon au vers 53 du chant 1 de l’Iliade. Le dieu frappe l’armée achéenne à la demande de son prêtre, outragé par Agamemnon : Ἐννῆµαρ µὲν ἀνὰ στρατὸν ᾤχετο κῆλα θεοῖο « Pendant neuf jours, les flèches du dieu s’abattaient sur l’armée ». Avec les faits du grec et du latin archaïque s’accordent les désinences de l’indo-iranien. En sanskrit, le génitif sg. des noms thématiques se termine par -asya. À gr. hom. λύκοιο /lúkoio/ « du loup » (Il. 10,334), par exemple, répond véd. vŕ̥kasya « id. » (RV 1,116,14 ; etc.). L’iranien atteste une finale -ahiiā en gāthique (type ahurahiiā « du maître »), -ahe en avestique récent (type vəhrkahe « du loup »). À ces reflets de *-osyo s’apparente peut-être la marque -aš (< *-os) du génitif hittite. Cf. une forme comme kiššaraš « de la main », du thème en -a- keššera-, kiššira-. Ce rapprochement ouvre la voie à une analyse très séduisante du morphème -osyo. Comme certains le 178. Étude linguistique et épigraphique de cette inscription chez Wachter 1987, p. 75-80 (§ 29-30).
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proposent, le génitif serait signalé, à l’origine, par la seule finale -os et l’élément *yo ne serait autre que le pronom relatif 179. Dans cette hypothèse, un syntagme comme i.-e. *h3eh1s (> *ōs) *wl̥ kwos-yo signifierait proprement « la gueule, laquelle (est) du loup » (la reconstruction de cette formule se fonde sur des témoignages historiques, comme véd. āsnó (abl.) vŕ̥kasya « de la gueule du loup » en RV 1,116,14 et lat. ore … lupi « id. » chez Ovide, Mét. 6,528. Cf. oris hiatus … lupi « la béance de la gueule d’un loup » chez Virgile, En. 680-681). Une variante de la finale complexe *-osyo revêt la forme *-oso, décomposable en *-os (désinence proprement dite) + *o (*h1e/o-, pronom démonstratif ; cf. skr. a- dans a-smaí « à celui-ci », etc.). En grec, *-oso donne phonétiquement *-oho, puis *-oo. Enfin, les voyelles en contact se contractent en [ᴐ:] (ω) en laconien, lesbien, etc., mais en [ᴏ:] (ου) en ionien et en attique. La langue homérique atteste, à côté du génitif en -οιο (cf. θεοῖο /theoîo/, supra), la forme en -ου (θεοῦ /theoû/, Il. 5,185, par exemple). Mais, parfois, -ου /-ou/ recouvre *-οο, comme le révèle la métrique. Ainsi, Od. 10,60, la résolution de Αἰόλου /aiólou/ (mss.) en Αἰόλοο /aióloo/ s’impose, car l’hexamètre n’admet pas la séquence rythmique − ⏑ −. En dehors du grec,*-oso laisse des traces en germanique. De cette finale provient v. norr. runique -as dans le génitif d’un anthroponyme comme wa(.)aradas, à lire Wa(n)darādas ou Wajarādas « (pierre, tombe) de W. » (inscription de Saude, dans le Telemark, au sud de la Norvège). Se rattache, de même, à *-oso la finale -æs du vieil anglais (ex. : dōmæs « du jugement », variante archaïque de dōmes). Sans rapport avec *-osyo ou *-oso, la finale -ī du latin se rencontre dès les premiers monuments littéraires. Cette marque de génitif sg., également présente en celtique et en tokharien, semble être un trait des langues péri179. Voir, par exemple, Rix 1988, p. 107 et n. 6.
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phériques. Sa fonction originelle serait, selon G. Klingenschmitt, l’expression d’une relation au sein de la famille (la « famille » comprend les esclaves) 180. De l’emploi ancien de -ī témoignerait ainsi un nom propre comme Marcīpor < Marcī puer « esclave de Marcus » 181. Les adjectifs d’appartenance en *-io- (lat. -ius) procéderaient de la thématisation de ce morphème -ī (*-iH). À la différence des langues classiques, le lituanien et le vieux slave n’ont pas trace de la finale *-osyo du génitif sg. Ce cas a pour caractéristique le reflet d’une ancienne désinence d’ablatif sg., balto-slave *-ād. Cette forme se substitue à i.-e. *-ōd, peut-être parce que la disparition des dentales finales entraînait la confusion de *-ōd avec la marque *-ō de l’instrumental. Quelle qu’en soit l’explication, *-ād rend compte des génitifs en -o du lituanien et en -a du vieux slave. Cf. lit. vil̃ko « du loup » et v. sl. vlŭka « id. ».
9.9.2. Les thèmes en *-āAu génitif sg. de la 1re déclinaison, l’accord d’une majorité de langues invite à la reconstruction d’une finale *-eh2-s. Se correspondent gr. -ᾱς (ἡµέρᾱς /hēmérās/), v. lat. -ās (terrās « de la terre »), got. -ōs (þiudōs), lit.
-ōs (galvõs). En latin classique, -ās de l’expression pater familiās est une survivance. Une réfection sur le modèle des masculins de la 2e déclinaison (cf. gén. sg. equī « du cheval ») produit une marque -āī (dissyllabique). Ennius en use fréquemment (type terrāī, Ann. 489 Vahlen3). Puis, cette séquence se transforme en une diphtongue et cette diphtongue s’abrège, 180. Voir Klingenschmitt 1992, p. 98-104. 181. Mais l’identification de -por avec puer fait difficulté et les plus anciens noms en -por relèvent plutôt de l’onomastique thrace. Les porteurs de ces noms sont, à l’origine, des prisonniers de guerre devenus esclaves. Par la suite, -por s’ajoute à des premiers membres proprement latins. Cf. Lazzeroni 1979 et la mise au point de Lamberterie 2019, p. 266-270 (§ 3.3.5).
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d’où la forme épigraphique -ai et la finale usuelle -ae (terrae). L’indoiranien innove par l’abandon de *-ās au profit de *-āyās. Ainsi, le sanskrit procure, entre autres, jihvā́ yāḥ (RV 3,39,3 : jihvā́ yā ágram « la pointe de la langue ») et l’avestique daēnaiiā̊ « de la conscience ».
9.9.3. Les thèmes en *-i- et en *-uEn indo-européen, la morphologie du génitif sg. des thèmes en -i-, en -uet en consonne se caractérise par une double structure : 1. le suffixe est au degré zéro et la désinence au degré plein, 2. le suffixe est au degré plein et la désinence au degré zéro. Le cas se signale tantôt par *-e/os, tantôt par *-s. Les deux formations s’opposent clairement en védique. Le type 1 se
rencontre, par exemple, dans ávyaḥ < *h3éw-y-os (ávi- m. « mouton »), le type 2 dans áhēḥ < *Hogwh-ei-s (áhi- m. « serpent »). Ces formes ont un écho dans les noms en -u- : avec ávyaḥ s’accorde paśváḥ (paśú- m. « bétail »), pourvu de la finale -vaḥ < *-w-e/os ; d’autre part, avec áhēḥ va de pair síndhoḥ (síndhu- « rivière »), pourvu de la finale -oḥ < *-e/ou-s. Des faits parallèles, pour le type 2 des thèmes en -i- et pour les types 1 et 2 des thèmes en -u-, s’observent en avestique. Véd. áhēḥ a pour correspondant av. ažōiš (-ōiš < i.-ir. *-aiš < i.-e. *-e/oi-s). Est structuralement comparable à véd. paśváḥ av. xraθβō (xratu- m. « intelligence, volonté, sagesse ») ; la finale -βō continue *-wah < i.-ir. *-was < i.-e. *-w-e/os. Enfin, véd. síndhoḥ et, par exemple, av. daŋ́hǝ̄uš (daŋ́hu- f. « pays ») vont ensemble. La marque -ǝ̄uš du génitif sg. se ramène à i.-ir. *-auš < i.-e. *-e/ou-s. En balto-slave, le type 2 s’implante dans les thèmes en -i- et en -u-. Le génitif sg. en -ies du lituanien remonte à i.-e. *-ei-s. La forme naktiẽs (naktìs f. « nuit »), par exemple, s’emploie comme complément du nom chez Mažvydas, Cat. 78,7 : Predok pakaiu schas nakties « Accorde(-nous) la paix de cette nuit ». En vieux slave, *-ei-s perd sa sifflante et la diphtongue se réduit à -i.
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D’où la finale de nošti (noštĭ f. « nuit »). Les thèmes en -u- ont pour génitif sg. une forme en -aus < i.-e. *-ou-s. En témoignent, par exemple, lit. sūnaũs (sūnùs m. « fils ») et, compte tenu d’une évolution phonétique régulière, v. sl. synu (synŭ m. « id. »). Le grec a des correspondances avec des représentants indiens du type 1. Un thème en -i- comme hom. ὄις /óis/ « mouton » possède un génitif sg. ὄιος /óios/ < *ὄϝιος /ówios/, exactement superposable à véd. ávyaḥ. Habituelle chez Homère, la finale -ιος /-ios/ se double d’une variante -ηος /-ēos/ < *-ēy-os. Avec πόλιος /pólios/ (πόλις /pólis/ f. « ville ») coexiste πόληος /pólēos/. Dans -η-ος /-ē-os/, le degré long du suffixe s’expliquerait par l’analogie du locatif-datif πόληι /pólēi/. Att. πόλεως /póleōs/ tire son origine de πόληος /pólēos/ par une métathèse de quantité. Dans les thèmes en -u-, la structure « suffixe au degré zéro + désinence au degré plein » se dégage de données mycéniennes et homériques. Une tablette de Pylos porte me-tu-wo /methu(w)os/ = µέθυος /méthuos/ (µέθυ /méthu/ n. « vin »). La finale dissyllabique -υος /-uos/ se retrouve dans la flexion de la plupart des substantifs en -υς, -υ /-us, -u/. Mais γόνυ /gónu/ « genou » et δόρυ /dóru/ « (bois de la) lance » ont un génitif homérique en -ϝ-ος /-w-os/ : *γον-ϝ-ός /gon-w-ós/ > γουνός /gounós/, resp. *δορ-ϝ-ός /dor-w-ós/ > δουρός /dourós/. Se rencontre aussi un type à deux degrés pleins, soit la finale -εϝ-ος /-ew-os/ > -εος /-eos/. Cf. ἄστεος /ásteos/ (ἄστυ /ástu/ n. « ville ») et les formes en -έος /-eos/ des adjectifs en -ύς /-ús/ (ex. : ἡδ-έος /hēd-éos/, de ἡδύς /hēdús/ « doux »). En italique, l’osque conserve intactes les finales -eis et -ous du type 2. Du thème en -i- aeti- « partie » la Table de Bantia a le génitif sg. aeteis. La même inscription procure castrous, génitif sg. du thème en -u- castru« tête » (?). La forme en -eis s’étend par analogie aux thèmes consonantiques : osque medikeís (medik-, nom de magistrat). Le latin partage avec l’osque la finale *-ous (> -ūs) des noms de la 4e déclinaison : senātu-
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« conseil des anciens, sénat » a pour génitif sg. *senātous > senātūs. La variante senatuos du sénatus-consulte sur les Bacchanales (CIL I2 581) s’explique par une influence de la 3e déclinaison. En effet, dans cette classe flexionnelle le vieux latin a trace d’une désinence -os (> -us) à côté de -es (> -is). Cf. Diouos « de Juppiter » (CIL I2 360). De même, la finale -is des thèmes en -i- (type cīuis « du citoyen ») a été refaite sur le modèle des thèmes consonantiques. Cf. homin-is « de l’homme ».
9.9.4. Les thèmes en consonne Dans les thèmes consonantiques, l’alternance entre le type 1 et le type 2 se conserve bien en avestique. Les noms en -n-, notamment, opposent les finales *-n-e/os (> i.-ir. *-nas > av. -nō) et *-e/on-s (> i.-ir. *-ans > av.
-ǝ̄ng). Cf. taš-nō (tašan- m. « créateur ») vs cašm-ǝ̄ng (cašman- n. « œil, regard »). Dans les thèmes en -r- et en -n-, la désinence -s est de règle en lituanien. Cf. gén. sg. dukter-̃ s (duktė̃ « fille ») et vandeñ-s (vanduõ « eau »). Mais la variante -es se rencontre dialectalement et dans d’anciens textes : dukter-ès a été relevé dans un parler oriental et wą́nden-es figure chez Daukša (1527-1613) 182. Cette désinence syllabique est la source de v. sl. -e. Cf. dŭštere (dŭšti f. « fille »). En grec, les paradigmes à alternance ont tantôt le degré zéro, tantôt le degré plein de la prédésinentielle au génitif sg. des thèmes consonantiques. Un nom de parenté comme θυγάτηρ /thugátēr/ « fille » illustre le degré zéro dans θυγα-τρ-ός /thuga-tr-ós/, tandis que les dérivés en -me/on- présentent le degré plein. Cf. ποι-µέν-ος /poi-mén-os/ (ποι-µήν /poi-mḗn/ « berger ») ou δαί-µον-ος /daí-mon-os/ (δαί-µων daí-mōn/ « dieu, divinité »).
182. Voir Stang 1966, p. 220.
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9.10. L’ablatif sg. 9.10.1. Les thèmes en *-e/oHors du balto-slave, existe un ablatif sg. en *-ōd. En provient la forme en -ō de la 2e déclinaison latine (type locō, de locus m. « lieu, place »). De plus, des inscriptions archaïques (ou archaïsantes) attestent encore la dentale postvocalique. En CIL I2 7, par exemple, l’éloge d’un Scipion porte la mention de son patronyme sous la forme Gnaiuod (= class. Gnaeō). À v. lat. -ōd répond osque -úd, -ud (dans les textes en alphabet national osque, ú note une voyelle de timbre o). En procure une illustration le syntagme dolud mallud de la Table de Bantia. Le règlement municipal de cette ville prévoit le cas du citoyen volontairement absent d’un recensement : suae pis censtomen nei cebnust dolud mallud … « si quelqu’un n’est pas venu (littéralt ne sera pas venu) au recensement dans une mauvaise intention … » (Vetter 1953, 2,20 = Rix 2002, Lu 1,20). Dans ce texte, la formule à l’ablatif pourrait être un emprunt à la langue juridique de Rome 183. En tout cas, l’équivalent latin dolo malo figurait déjà dans la loi des XII Tables, selon le témoignage de Donat (Commentaire de Térence, Eun. 515 ; Bruns 1909, p. 40). Cf. Plaute, Rud. 1381 ; Caton, Agr. 144,2 ; etc. Les faits italiques ont leurs correspondants en indo-iranien. Dès l’époque védique, le sanskrit présente une finale -āt (-ād devant initiale sonore du mot suivant). Du nom du « loup », le R̥ gveda atteste vŕ̥kād (cf. lat. lupō) en 1,120,7. Le fidèle s’adresse aux Aśvins comme dieux tutélaires : … pātáṃ no vŕ̥kād aghāyóḥ « … protégez-nous contre le méchant loup ! ». En accord avec la morphologie indienne, l’avestique caractérise l’ablatif sg. des thèmes en -a- par la finale -āt̰ : yasnāt̰ (Yt. 1,24), de yasna- m. « sacrifice » ; puϑrāt̰ (V. 15,14), de puϑra- m. « fils » ; etc. Devant la particule -cā̆ « et » apparaît la variante -āat̰ : gāth. vīrāat̰ cā (Y. 31,15), de vīra- m. 183. Dans ce sens, Untermann, WOU, p. 189.
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« homme ». Lorsque la forme précède haca « (venant) de », la marque du cas s’abrège en -at̰ . Un passage du Vīdēvdāt le montre : maēši … vəhrkat̰ haca fratarəsaiti « la brebis … tremble de peur devant le loup » (19,33). Enfin, avec la postposition a (gāth. ā), la finale comporte la dentale sonore (cf. skr. -ād) : sraošāδ-a ašiiāδ-a « (venant) de Sraoša (l’Obéissance comme divinité) le juste » (Y. 60,6).
9.10.2. Les thèmes en *-āTandis qu’en sanskrit la forme -āyāḥ du génitif sg. des thèmes en *-āremplit aussi les fonctions de l’ablatif, l’avestique dispose de moyens d’expression différenciés : gén. sg. -aiiå, abl. sg. -aiiāt̰ . De zaoϑrā- « libation », par exemple, sont attestés zaoϑraiiā̊ (gén. sg.) et zaoϑraiiāt̰ (abl. sg.). La finale -āt̰ , d’origine secondaire, provient de la flexion thématique (cf. xšaϑrāt̰ , de xšaϑra- n. « pouvoir, souveraineté »). Comme l’avestique, les langues italiques se dotent d’une désinence propre d’ablatif sg. f. sous l’influence des masculins de la 2e déclinaison. Dans des attestations anciennes se rencontre une finale -ād, parallèle à -ōd : de praidad « (tiré) du butin » (CIL I2 48 ; Tusculum, fin du
IIIe
siècle av.
J.-C.?). Cf. pro fileod « pour son fils » (CIL I2 2658 ; Tibur,
VIe
siècle av.
J.-C.) 184. Au cours de l’histoire du latin, -ād se réduit à -ā par amuïssement régulier de -d final après voyelle longue (praedā). L’osque a des formes en -ad (eítiuvad « avec l’argent », Vetter 11), l’ombrien des formes en -a (tutaper « pour la cité », de tuta + -per, postposition régissant l’ablatif).
184. Étude linguistique et épigraphique de cette inscription chez Wachter 1987, p. 80-85 (§ 31-32).
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9.10.3. Les thèmes en *-i- et en *-uL’ablatif sg. des thèmes en -i- et en -u- ne se distingue pas formellement du génitif sg. en védique et en gāthique. En revanche, l’avestique récent dispose d’une marque spécifique à composante -t. De véd. ádri- m., « rocher », par exemple, le génitif-ablatif ádreḥ est employé en fonction d’ablatif en 1,93,6 du R̥ gveda : ámathnād anyám pári śyenó ádreḥ « l’aigle sortit l’autre (Soma) du rocher ». En gāthique, un nom en -i- comme auuapasti- f. « chute » affecte son génitif-ablatif auuapastōiš à l’expression de l’ablatif dans le contexte de Y. 44,4. L’avestique récent signale ce cas par une forme monovalente en -ōit̰ . En témoigne garōit̰ (gairi- m. « montagne ») dans le syntagme haca garōit̰ « (à partir) de la montagne » (Yt. 8,6). – Des faits analogues caractérisent la morphologie des thèmes en -u-. Véd. mr̥ tyóḥ, génitif-ablatif de mr̥ tyú- m. « mort », s’interprète comme un ablatif dans la phrase mr̥ tyór mukṣīya « j’aimerais me libérer de la mort » (RV 7,59,12). De même, gāth. xratǝ̄uš, génitif-ablatif de xratu- m. « intelligence, volonté, sagesse », pourvoit le verbe nas- propr. « disparaître » d’un complément à l’ablatif dans le syntagme mazdā̊ ahurahiiā xratǝ̄uš nasiiantō ašāat̰ ca « (les hommes) s’éloignant de la sagesse d’Ahura Mazdā et de la vérité » (Y. 32,4). En avestique récent, à -ōit̰ des thèmes en -i- répond -aot̰ des thèmes en -u-. Cf. aŋhaot̰ « (venant) du monde » (aŋhu- « vie, monde »). La catégorie de l’ablatif n’existe plus en balto-slave et en grec, mais se maintient bien en italique. Dans les noms en -i-, le vieux latin recourt à une finale -īd, analogique de la forme -ōd des thèmes en -o-. Un exemple s’en rencontre dans une inscription archaïque de Lucérie (Apulie), si la lecture in hoce loucarid « dans ce bois sacré » peut être retenue (CIL I2 401) 185. Avec le latin s’accorde l’osque : le Cippe d’Abella a la forme slaagid, 185. Inscription commentée chez Wachter 1987, p. 421-423 (§ 196 b).
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ablatif sg. de slaagi- f. « limite (entre deux territoires communaux) », dans le membre de phrase sakaraklúm herekleís [ú]p slaagid púd íst ... « le sanctuaire d’Hercule qui est à la limite … » (Vetter 1, 11-12 = Rix 2002, Cm 1A 11-12). La consonne finale de v. lat. -īd s’amuït à l’époque classique. En résultent des ablatifs sg. en -ī. Cf. sitī (sitis f. « soif »). Ces formes vont généralement de pair avec un accusatif en -im (sitim). Les adjectifs, cependant, couplent un accusatif en -em à un ablatif en -ī (fortem vs fortī, de fortis « courageux ») et se distinguent par là des substantifs, qui, à côté d’un accusatif en -em, ont un ablatif en -e : hostem vs hoste (hostis m. « ennemi »). Cette marque -e provient, par analogie, des thèmes consonantiques. Dans les noms en -u-, une trace de la finale -ūd, pendant de -īd, subsiste dans lat. magistratud « administrateur », restauré à partir de la graphie fautive magistratuo en CIL I2 581, 11-12 : neue magistratum neue pro magistratu[d] neque uirum [neque mul]ierem quiquam fecise uelet « que personne ne songe à élire un homme ou une femme administrateur ou vice-administrateur (du culte des Bacchanales) ». Par amuïssement de la dentale finale, -ūd passe à -ū en latin classique. Cf. manū (manus f. « main »). L’évolution va plus loin en ombrien : ū se change en ī, probablement par l’intermédiaire de la voyelle d’avant arrondie ǖ. D’où l’ablatif sg. mani « avec la main » 186.
9.10.4. Les thèmes en consonne Les thèmes consonantiques du védique ont un génitif-ablatif sg. en -as : vŕ̥ṣ-ṇ-aḥ (vŕ̥ṣ-an- m. « mâle ; taureau ») ; comme complément du comparatif, cette forme est un ablatif en 8,33,18 du R̥ gveda. L’équivalent avestique de véd. -as, la désinence *-ah > -ō, figure, par exemple, dans gāth. drūj-ō (druj- f. « tromperie »), en fonction d’ablatif en Y. 53,6. Enfin, l’avestique 186. Cf. Meiser 1986, p. 52-53.
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récent possède un morphème -at̰ comme expression propre de l’ablatif 187. Cf. le singulier collectif cašman-at̰ « des yeux » (V. 3,14). En italique, l’ombrien s’accorde avec le latin dans son expression de l’ablatif sg. des thèmes consonantiques. Des faits se dégage une désinence -e : kapiře (kapiř- « coupe à une anse », cf. lat. capis, -idis f.), karne (karu-, karn- « partie »), curnase (curnac- « corneille », cf. lat. cornīx, -īcis f.). En latin, des formes comme uōc-e (uōx f. « voix »), itiner-e (iter n. « chemin »), homin-e (homō, homin- m. « homme ») représentent la norme. Fait exception, entre autres, couentionid (co(n)uentio f. « assemblée du peuple ») du sénatus-consulte sur les Bacchanales (CIL I2 581,22). Au point de vue étymologique, l’ablatif en -e remonte à un locatif en -i-.
9.11. Le locatif sg. 9.11.1. Les thèmes en *-e/oTandis qu’en latin l’ablatif s’emploie sans restriction, le locatif a le statut de cas résiduel. Il n’existe plus qu’au singulier et les appellatifs n’en ont que très peu d’exemples, comme domī « à la maison » (du thème domo- f.). S’y ajoutent les toponymes de féminins en -us (ex. : Corinthī, de Corinthus) et de neutres en -um (ex. : Tarentī, de Tarentum). La finale -ī s’explique par l’addition de la désinence -i à la voyelle thématique *e/o, c’est-àdire à partir de *-ei ou *-oi. La variante -ei figure dans v. lat. hei-ce « ici ». Cette forme archaïque équivaut à lat. class. hīc, ancien locatif du pronom démonstratif ho-. Le locatif en -ei apparaît aussi en osque : la forme lúvkeí « dans le bois sacré » (cf. lat. lūcus), par exemple, se lit sur une stèle de Capoue (Vetter 1953, 81 = Rix 2002, Cp 24). Comme l’italique, le grec illustre *-oi et *-ei, mais seulement dans de rares vestiges. Au sens de lat. domī s’emploie οἴκοι /oíkoi/ « à la maison » 187. Cf. Hoffmann-Forssman 1996, p. 136, § 97 et p. 143, § 103.
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(nom. sg. οἶκος /oîkos/). La variante *-ei apparaît dans des adverbes, comme dor. τουτεῖ /touteî/ (ou τουτεί /touteí/) « ici » (inscr. ; Théocrite 5,45 et 103). En vieux slave, le locatif sg. en -ě reflète le type indo-européen en *-oi (> balto-slave *-ai). Un exemple de cette forme se rencontre en Jean 21,4 : utru že abie byvŭšu, sta Isusŭ pri brědzě « or, aussitôt le matin venu, Jésus se tenait près du rivage ». En face de v. sl. -ě, la finale attendue en lituanien, -ie, fait figure d’archaïsme. En conserve un témoignage, dans la langue actuelle, l’expression courante namiẽ « à la maison ». À l’exception de cette marque résiduelle, une caractéristique -e signale le locatif sg. des anciens thèmes en *-o-. Son histoire ne se restitue pas aisément 188. L’accent frappe cette désinence -e dans les formes à accent mobile : miestè « dans la ville » (nom. sg. miẽstas), vakarè « au soir » (nom. sg. vãkaras). En indo-iranien, *-oi aussi bien que *-ei aboutissent régulièrement à *-ai. De là procède la finale -e /ē/ du védique et du sanskrit classique. Dans le R̥ gveda, parmi les formes les plus fréquentes du locatif en -e figure dáme « dans la maison » (de dáma- m.). En offre un exemple RV 4,9,4 : (agníḥ) gr̥ hápatir dáme « (Agni) est le maître de maison dans la maison ». Le traitement ē de *-ai se retrouve en gāthique. Ainsi, de la famille de véd. dáma-, gāth. dəmāna- n. a un locatif dəmānē « dans la maison » (Y. 32,13 ; etc.). À côté de -ē se rencontrent aussi -ōi et -aē (devant -cā) : ząϑōi « à la naissance » (Y. 43,5 et 48,6), marəkaēcā « et dans la mort » (Y. 31,18). En avestique récent, se présentent les finales -e et -aē (devant -ca). La forme nmāne (= gāth. dəmānē) est bien attestée. Avec la finale -aē, ząϑaēca « et à la naissance » figure en Y. 13,93 et V. 21,4.
188. Cf. les considérations de Vaillant 1958, t. II, p. 184 (§ 178).
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9.11.2. Les thèmes en *-āDans les thèmes en *-ā- du latin, le locatif est concurrencé par l’ablatif. Dans les noms de villes s’observe une répartition complémentaire : les formes du singulier apparaissent au locatif et les formes du pluriel à l’ablatif. La règle se vérifie, par exemple, dans Romae « à Rome » et Athenīs « à Athènes ». Lorsque l’indication de la localité s’accompagne d’un déterminant, n’entre en ligne de compte que l’ablatif prépositionnel, même au singulier : in ipsa Roma « à Rome même ». À l’époque historique, le locatif latin possède donc un champ d’emploi restreint 189. Au plan formel, le latin hérite de la désinence indo-européenne *-i. L’addition de cette voyelle aux thèmes en -ā- produit d’abord une diphtongue longue -āi, puis, par abrègement, -ai > -ae. L’orthographe -ai se rencontre encore dans une inscription de la fin du IVe siècle av. J.-C. (Romai, CIL I2 561). Dans un dialecte proche du latin, en osque, la finale -ai du locatif sg. f. est également connue (víaí mefiaí « au milieu du chemin », Vetter 1 B 31). En dehors de l’italique, le grec atteste -āi comme marque de locatif sg. dans de rares vestiges, dont Νεµέᾱͅ /neméāi/ « à Némée » (Pindare, Ol. 7,82). Marginal dans les langues classiques, le locatif a le statut d’un cas vivant en balto-slave. Le vieux lituanien reflète la finale *-āi des féminins en -ādans mergai-p « chez la jeune fille » (nom. sg. mergà) 190. Mais, dans la langue d’aujourd’hui, les noms de la même classe présentent une finale -oje d’origine peu claire (galvojè : nom. sg. galvà « tête »). Ce morphème s’analyse, semble-t-il, en -oj + postposition -e. Toutefois, l’identification de l’élément -e avec la préposition *en « dans », quoique séduisante, n’est pas
189. En dehors des noms propres de villes, le locatif survit dans des mots isolés, comme domī « à la maison » ou rūrī « à la campagne ». 190. Lit. -p, var. -pi, est une postposition.
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certaine 191. En vieux slave, le traitement régulier de *-āi aboutit à -ě (glavě : nom. sg. glava « tête »). Par rapport à l’italique et au slave, l’indo-iranien atteste des désinences élargies. Le sanskrit a la caractéristique -āyām (véd. āpayā́ yām « à la rivière Āpayā ». RV 3,23,4) ; le vieux perse en a l’équivalent, à la nasale près (C̡ ūšāyā « à Suse », DSf 22 Kent). Ces formes renferment sans doute la finale héritée *-āi + une particule. L’élément -ām se retrouve dans -bhyām, marque de l’instrumental-datif-ablatif duel, car l’analyse *-bhi- + -ām se dégage de la comparaison intraparadigmatique (cf. instr. pl. -bhiḥ).
9.11.3. Les thèmes en *-i- et en *-uEn indo-iranien, le locatif sg. se caractérise tantôt par une désinence -i, tantôt par une désinence zéro. Les thèmes en -i- ont le type sans désinence et présentent le degré long suffixal. De véd. yóni- m. « sein maternel », par exemple, la forme attendue serait donc *yónāi (> *yónai ), mais le second élément de la diphtongue disparaît dans certaines conditions phonétiques et yónā, d’abord limité à certains contextes, se généralise. Quatorze attestations s’en rencontrent dans le R̥ gveda, mais le doublet yónau apparaît presque deux fois plus fréquemment. Cette forme en -au semble analogique du locatif sg. des thèmes en -u- (cf. infra) et subsiste seule dans la langue classique. L’avestique a l’équivalent exact de la forme védique en -ā dans gāth. uštā « à souhait » (Y. 33.10 ; etc.), d’un thème ušti- f., et dans av. réc. gara (< *garā ) « sur la montagne » (Y. 10,4), d’un thème gairi- m. − Dans les thèmes en -u-, un type à degré long suffixal et désinence zéro offre un parallèle au locatif sg. des thèmes en -i-. Cf. véd. síndhau (< *síndhāu) « dans l’Indus » (RV 8,20,25), d’un thème síndhu-. S’en distingue une forme à suffixe plein et désinence -i, comme véd. víṣṇav-i « auprès de 191. Voir Vaillant 1958, t. II, p. 184 (§ 178).
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Viṣṇu » (RV 8,12,16), d’un thème víṣṇu-. Comme le védique, l’avestique possède le type à degré long suffixal et désinence zéro. vaŋhāu (vaŋhu« bon »). D’autre part, l’iranien connaît une forme à suffixe plein dépourvue du morphème -i, mais comportant la postposition -ā (> av. réc. -a) « dans ». Cf. av. daŋ́hauu-a « dans le pays » et v. p. dahyauv-ā « id. », attesté dans l’inscription de Bīsutūn : yaθā Kabūjiya Mudrāyam ašiyava, pasāva kāra arīka abava [utā] drauga dahyauvā vasiy abava « quand Cambyse partit en Égypte, alors le peuple devint infidèle et le mensonge alla grandissant dans le pays » (DB I 33-35). Dans les thèmes en -i- du balto-slave, le vieux lituanien et le vieux slave reflètent le type à degré long suffixal. En effet, la finale -eie (= -ieje) d’une forme comme v. lit. nakteie « (cette) nuit » s’explique bien à partir du suffixe *-ēi, suivi de la postposition *en « dans ». Une réfection, peut-être sur le modèle des thèmes en *-(i)yo-, rend compte de lit. mod. naktyjè. En vieux slave, la finale -i de pǫti (cf. na pǫti « sur le chemin »), par exemple, résulte du traitement régulier de *-ēi. – Les thèmes en -u- se fléchissent comme les thèmes en -i-. Un locatif sg. comme lit. dangūjè (dangùs m. « ciel ») est parallèle à naktyjè (naktìs f. « nuit »). En vieux slave, une finale -u, reflet d’une diphtongue longue *-ōu ou *-ēu, fait pendant à -i < *-ēi. Cf. domu « à la maison » (domŭ m. « maison »).
En dehors de vestiges dans la flexion thématique (cf. οἴκοι /oíkoi/ « à la maison »), le grec n’a plus de locatif. Le datif prépositionnel en tient lieu. Cf., par exemple, ἐν πόλει ὑµετέρῃ « dans votre cité » (Il. 5,686 ; de πόλις /pólis/ f., thème en -i-), ἐν τῷ ἄστει « dans la ville » (Hérodote 1,21,2 ; de ἄστυ /ástu/ n., thème en -u-).
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9.11.4. Les thèmes en consonne En védique, le locatif sg. des thèmes consonantiques comporte l’élément prédésinentiel (radical ou suffixe) au degré plein et la désinence -i ou zéro. Dans les dérivés en -r- et en -n-, les finales sont -ar-i, resp. -an-i : véd. pitár-i (pitár- m. « père »), rā́ jan-i (rā́ jan- m. « roi »). Se rencontrent aussi des formes en -an, comme mūrdhán (mūrdhán- m. « tête ») et udán (udánn. « eau »), à côté de mūrdháni, resp. udáni. L’avestique a des faits comparables : nairi (nar- m. « homme »), zəmi (zam- f. « terre »), dąmi et dąm (dam- m. « maison ») 192. Le lituanien signale le locatif sg. des thèmes consonantiques par la finale -yje des thèmes en -i. Cf. šun-yjè (šuõ, šun- m. « chien »). En vieux slave apparaît une désinence -e d’origine peu claire 193. En est pourvue une forme comme těles-e (tělo, těles- n. « corps »). En latin, le locatif sg. des thèmes consonantiques se caractérise par une désinence -ī, substituée à -ĭ sur le modèle du type domī « à la maison » (d’un thème domo-) : rūrī « à la campagne », lūcī « de jour », Carthāginī « à Carthage ». Constitue un cas particulier lat. noctū « de nuit ». Ce locatif sg. doit sa finale -ū à diū « de jour » < *dyēu, forme sans désinence et à degré long. La complémentarité des termes ressort de leurs conditions d’emploi ; diū n’apparaît que coordonné à noctū, comme dans un passage de Plaute, Cas. 823 : Noctūque et diū ut uiro subdola sis, opsecro, memento « Nuit et jour, use de fourberie avec ton mari ; souviens-t-en, je t’en supplie » 194.
192. Cf. Hoffmann-Forssman 1996, p. 141, § 101 et p. 151, § 106. 193. Étymologie discutée par Vaillant 1958, t. II/1, p. 184-185, § 178. 194. Sur diū et noctū, voir Leumann 1977, p. 357, § 318 ; sur le locatif en -ī, id., p. 426-427, § 352.
Chapitre X Le nom II : la flexion du duel
10. Caractères généraux du duel Du singulier et de sa richesse morphologique se distingue le duel, plus pauvre en formes casuelles. La flexion nominale du sanskrit et du slave n’oppose que trois termes : le nominatif-vocatif-accusatif, l’instrumentaldatif-(ablatif) et le génitif-locatif. Le grec n’a plus que deux formes : le nominatif-vocatif-accusatif et le génitif-datif. Encore le duel n’apparaît-il pas dans tous les dialectes ; l’ionien et le lesbien l’ignorent. Partout, d’ailleurs, s’observe une tendance à l’élimination de cette catégorie grammaticale au profit du pluriel. Sa disparition se produit parfois à date préhistorique, comme dans la tradition italique, plus souvent à l’époque historique, comme en grec et dans la plupart des langues slaves. Là où le duel se conserve, son champ d’emploi comprend d’abord les pronoms personnels « nous deux » et « vous deux », ainsi que les noms des parties du corps jumelles ; ensuite, les noms de paires ou de couples.
Chapitre X : nom : flexion du duel
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10.1. Le nominatif-vocatif-accusatif duel Au niveau morphologique, seules les désinences du nominatif-vocatifaccusatif se prêtent à une comparaison précise et, par conséquent, à une reconstruction recevable.
10.1.1. Les thèmes en *-e/oDans la flexion du duel, le nominatif-accusatif des thèmes en -o- se termine par une voyelle longue en grec (-ω /-ō/) et en védique (-ā). La quantité de cette marque casuelle s’explique par la combinaison de la voyelle thématique avec une laryngale : *-e/o-H. Préciser la nature de cette laryngale n’est pas une tâche facile. Dans le type athématique, une forme comme gr. πόδ-ε /pód-e/ « (les) deux pieds » plaide pour h1 (*pod-h1). Mais, par ailleurs, la variante -au de -ā en védique (ex. hástau « les deux mains ») suggère plutôt *h3 (cf. infra). Quoi qu’il en soit, le timbre ō de la finale indo-européenne ne se conserve qu’en grec. Les premiers témoignages du nominatif duel en -ō remontent au mycénien. Dans un inventaire d’équidés, une tablette de Cnossos porte la mention po-ro EQU 2 /pṓlō EQU 2/ « deux poulains » (KN Ca 895). La graphie po-ro admettrait aussi la lecture /pôloi/ (= πῶλοι, nom. pl.), mais l’existence du duel dans les autres types flexionnels invite à la reconnaissance de la forme /pṓlō/ (= πώλω). L’indication de deux unités à la suite du terme e-po-mi-jo (KN Sk 8100) en fait aussi un témoin du cas en -ō : /epōmiō/ « deux épaulières ». Cette désignation d’une partie de l’armure dérive d’un mot non attesté en linéaire B : *o-mo (= ὦµος /ômos/) « épaule ». Au Ier millénaire, Homère a des exemples du duel ὤµω /ṓmō/. En Il. 2,265, Ulysse châtie l’irrespectueux Thersite : σκήπτρῳ δὲ µετάφρενον ἠδὲ καὶ ὤµω | πλῆξεν « de son sceptre, il le frappa au dos et aux épaules ».
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Chapitre X : nom : flexion du duel
Vieux nom de partie du corps, gr. ὦµος /ômos/ s’apparente à skr. áṃsaḥ m., de même sens. Le R̥ gveda fournit une attestation de l’accusatif duel áṃsau (áṃsāv) en 1,158,5. La forme apparaît devant un mot à initiale vocalique. S’emploie dans les mêmes conditions hástau (hástāv) « les deux mains » en 2,39,5. En revanche, hástā se trouve devant une consonne en 4,21,9. Ainsi se répartissaient, à l’origine, les variantes -au et -ā. Mais, à l’époque de la composition des hymnes védiques, cette règle distributionnelle ne s’applique plus avec rigueur. La coexistence de -au et -ā s’expliquerait de la manière la plus économique à partir d’une finale indo-européenne *-eh3 (ou *-oh3), dans l’hypothèse où h3 aurait les caractères phoniques d’une spirante labiovélaire sonore (γw). Le trait labiovélaire rendrait compte à la fois de l’arrondissement de la voyelle -ō du grec et du dégagement de la semi-voyelle w dans la variante prévocalique du védique (-āv). Par l’attribution de la valeur γw à h3, André Martinet éclaire avec bonheur le rapport de lat. oct-ō « huit » à oct-āu-us « huitième ». Les formes sousjacentes seraient *h3ek̑ teh3 et *h3ek̑ teh3-o- (cf. chap. VII, § 7.5.2.3) 195. En ce qui concerne les noms et les adjectifs thématiques neutres, tandis que le grec atteste une finale -ω /-ō/, comme dans le cas des masculins (ex. ὄσσε φαεινώ /ósse phaeinṓ/ « les yeux brillants », Il. 13,3), le sanskrit présente une désinence distincte. Véd. śr̥ ṅga- n., par exemple, a pour nominatif-accusatif duel la forme śr̥ ṅge « les (deux) cornes » (RV 5,2,9 ; etc.). La caractéristique -e reflète une diphtongue indo-iranienne *-ai < i.-e. *-oiH. L’opposition entre les masculins et les neutres se retrouve en avestique. Le nominatif-accusatif duel masculin se signale par la marque -ā en gāthique, -a en avestique récent. Le Yasna 44, strophe 15, offre l’exemple de gāth. spādā « les deux armées » (c.-à-d. celle des justes et celle des méchants). Dans les textes plus récents, se rencontre plusieurs fois la forme 195. Voir Martinet 1987, p. 150-151.
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zasta « les (deux) mains », correspondant exact de véd. hástā (cf. supra). La propreté des mains joue un rôle important dans l’accomplissement de certains actes. Ainsi, l’injonction frā zasta snaiiaŋuha « lave-toi les mains ! » fait partie des instructions d’Atar (le dieu Feu) au maître de maison dans le Vīdēvdāt (18,19). Il y a aussi des noms thématiques au duel auprès du numéral « deux ». En témoigne le syntagme duua yaska … acištō « les deux maux les pires » (c.-à-d. la faim et la soif), en V. 7,70. Aux duels en -ā̆ des masculins s’opposent les formes en -e des neutres. Cette finale n’apparaît qu’en avestique récent. L’expression uiie xvarəϑe « les deux nourritures » (de xvarəϑa- n.) en procure un exemple (cf. Yt. 19,32) 196. Les faits correspondants du gāthique auraient une finale -ōi, mais les rares exemples des grammaires ne sont pas sûrs 197. En lituanien, le nominatif-accusatif duel des noms thématiques (toujours masculins) possède une caractéristique -u, phonétiquement régulière. En effet, i.-e. *-ō (< *-oh1 ou *-e/oh3) se diphtongue en -uo, puis -uo se simplifie en -u à la finale absolue. Une forme en -u apparaît, par exemple, dans le Catéchisme de Vilentas (de 1579) : pažink wiena alba du ghrieku, kurius tu žinai « confesse un ou deux péchés que tu connais » (p. 31, l. 8, éd. G. B. Ford). Accusatif duel de griẽkas m. « péché », ghrieku (griekù) forme un syntagme avec le numéral « deux » (dù). Ces conditions d’emploi se retrouvent en vieux slave. Dans cette langue, la finale -ō aboutit à -a. Ainsi, l’expression δύο µαθητάς « deux disciples » se traduit par dŭva učenika dans Matthieu 21,1. Mais il y a aussi des exemples de duels sans nom de nombre, comme razboinika « les deux larrons » dans l’Eucologe (50a 21). 196. Selon Bartholomae 1904 (col. 1869), le terme xvarəϑe renvoie aux aliments végétaux et carnés. 197. Duel pour Reichelt (1909, p. 221, § 423), savōi (sauuōi) serait un locatif sg. selon Kellens-Pirart (1988-1991, t. II, p. 313, s.v. sauua-). À propos de šiiaoϑ(a)nōi, désaccord entre Hoffmann-Forssman 1996, p. 119, § 87 (duel) et Kellens- Pirart 1988-1991, t. II, p. 323, s.v. šiiaoϑana- (locatif sg.).
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En revanche, les textes de Matthieu 27,38 et de Marc 15,27 ont dva razboinika.
10.1.2. Les thèmes en *-āIl y a lieu de poser une marque *-iH (peut-être *-ih3 198) pour le nominatif-vocatif-accusatif duel des féminins en *-eh2- > *-ā-. Ainsi, le sanskrit a régulièrement -e < *-ai < *-eh2-iH dans śípre « les lèvres » (nom. sg. śíprā f.), par exemple. Par le même stade intermédiaire *-ai, la finale devient -ie, puis s’abrège en -i en lituanien : rankì « les deux mains » (nom. sg. rankà). En vieux slave, *-ai donne -ě : rǫcě « id. » (nom. sg. rǫka). Les données grecques ne se rangent pas exactement dans cette série de faits, car, dès l’époque mycénienne, la finale -ai de la 1re déclinaison signale le nominatif pl. sur le modèle de la flexion pronominale. En résulte un changement de désinence au duel. À en juger par myc. to-pe-zo /torpezō/ « deux tables » (PY Ta 715), la marque -ō des noms thématiques au duel (cf. ἵππω /híppō/ « deux chevaux ») s’étend, dans un premier temps, au type en -ā. L’emploi de -ō au duel de to-pe-za /torpeza/ (cf. att. τράπεζα /trápeza/) n’est pas sans analogie avec le traitement de l’article en grec alphabétique. En effet, la forme τώ /tṓ/ ne s’associe pas seulement à des noms masculins ou neutres, mais aussi à des féminins. C’est une survivance. Mais, par ailleurs, apparaît une forme nouvelle en -ā, analogique du duel en -ō des noms thématiques : comme -ai répond à -oi au nominatif pl., -ā répond à -ō au nominatif duel. Cette finale -ā concurrence peut-être -ō dès l’époque du linéaire B. Dans un inventaire de personnes, la tablette PY Ab 379 porte ko-wa 2. Les lectures /korwā/ (duel) ou /korwai/ (pl.) sont toutes deux possibles. Quoi qu’il en soit, l’expression signifie « deux 198. Le nom de nombre « huit », ancien duel (propr. « deux fois quatre »), comporte une finale -ō (type lat. octō), reflet possible de i.-e. *-eh3 (cf. Martinet 1987, p. 150, ou Rix 1992, p. 172, § 185).
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jeunes filles » (cf. arc. κόρϝᾱ /kórwā/, att. κόρη /kórē/). Au Ier millénaire, le duel en -ᾱ /-ā/ se rencontre dans la langue homérique. Les exemples appartiennent tous à des masculins en -ης /-ēs/, comme Ἀτρεΐδᾱ /atreḯdā/ « les deux Atrides » (Il.1,16 ; 19,310). Dans la prose classique, un duel féminin en -ᾱ /-ā/ figure, entre autres, dans le syntagme δύο τὼ ϑεᾱ́ /dúo tṑ theā́ / « les deux déesses » (Platon, Banquet 180 d).
10.1.3. Les thèmes en *-i- et en *-uLe nominatif-vocatif-accusatif duel des thèmes en -i- et en -u- se termine par une voyelle longue en indo-iranien : -ī, resp. -ū. Cette finale s’explique au mieux par l’addition d’une laryngale au degré zéro du suffixe. Donc, -ī < *-iH et -ū < *-uH. À en juger par le duel grec en -ε /-e/ dans les thèmes
consonantiques, H a la valeur de h1. Dans ces conditions, véd. pátī « les deux époux » remonte à *poti-h1. Cf. RV 1,119,5 : yóṣāvr̥ ṇīta jényā yuvā́ m pátī « la noble jeune fille (= Sūryā) vous a choisis vous deux (s.-ent. les deux Aśvins) pour époux ». L’avestique a l’équivalent de véd. pátī dans le composé aēθra.paiti « le maître (et l’autre, c.-à-d. le disciple) », attesté en Yt. 10,116. – Dans les thèmes en -u-, la finale -ū < *-uh1 caractérise véd. bāhū́ « les (deux) bras », par exemple. Forme usuelle dans le R̥ gveda, bāhū́ se double de la variante moins fréquente bāh-áv-ā (RV 2,38,2 ; 5,64,2 ; 7,62,5), présentant le degré plein du suffixe et de la désinence (-av-ā < *-ew-eh1). L’avestique en a le correspondant bāzauua. La finale -ū se
rencontre aussi en iranien. Sous la forme -u de l’avestique récent, le corpus fournit, entre autres, dax́ iiu « deux pays » (Yt. 10,117). En balto-slave, le nominatif-vocatif-accusatif duel se conserve dans des formes accompagnées ou non du nom de nombre « deux ». Les anciennes finales *-ī (< *-ih1) et *-ū (< *-uh1) se réduisent à -i et à -u en lituanien : d’où dvì ausì « les deux oreilles », avì « les deux moutons », dvì dalì « les
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deux parties (d’un tout) », sū́ nu « les deux fils ». Le vieux slave a -i dans les thèmes en -i-, -y [ŭi] dans les thèmes en -u- : d(ŭ)va desęti « vingt », littéralt « deux dizaines » (desętĭ « dix »), resp. syny « les deux fils ». En grec, la finale du nominatif-vocatif-accusatif duel des thèmes en -i- et en -u- repose sur le degré plein du suffixe et le degré zéro de la désinence : *-ei-h1 et *-eu-h1. D’un changement phonétique régulier résultent *-ey-e >
-ee et *-ew-e > -ee. Ainsi s’explique πόλεε /pólee/ (de πόλις /pólis/ f. « ville ») chez Isocrate 4,17 (Panégyrique) : … ἐκείνους τοὺς λόγους ζητεῖν, οἵτινες τὼ πόλεε τούτω πείσουσιν ἰσοµοιρῆσαι πρὸς ἀλλήλας « (il faut que l’orateur) recherche ces mots qui persuaderont ces deux villes (c.-à-d. Athènes et Sparte) d’avoir l’une l’autre une part égale ». Avec πόλεε /pólee/ rime πήχεε /pḗkhee/ < *-εϝ-ε /-ew-e/, nominatif-accusatif duel d’un thème en -u- (πῆχυς /pêkhus/ « coude », « bras »). La finale -εε /-ee/ caractérise aussi le duel homérique des adjectifs en -ύς /-ús/. Cf. εὐρέε /eurée/ (de εὐρύς /eurús/ « large ») dans le syntagme εὐρέε τ’ ὤµω /eurée t’ ṓmō/ « les larges épaules » (Il. 16,791 et 23,380).
10.1.4. Les thèmes en consonne En védique, les thèmes consonantiques n’ont pas la désinence attendue -i (< *-h1), mais adoptent la caractéristique -ā, var. -au, de la flexion thématique. Sur véd. pitár- « père », par exemple, se constitue pitár-ā, var. pitár-au « le père (et l’autre, c.-à-d. la mère), les parents ». Comme on le voit, le suffixe -tar- de ce nom de parenté est au degré plein ; de même, le suffixe -an- d’un duel comme vŕ̥ṣ-aṇ-ā « les deux mâles ». En revanche, la prédésinentielle comporte le degré long dans les noms d’agent (cf. jani-tā́ r-ā, de jani-tár- m. « qui génère ») et dans une partie des thèmes en -n- (cf. śv-ā́ n-ā « deux chiens », de śván- m.). L’avestique oppose, de même, une forme
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comme nar-a « les deux hommes » (radical au degré plein) à vaš-tār-a « les deux bêtes de trait » (suffixe au degré long). En lituanien, la désinence -iu des thèmes consonantiques šun-iù « les deux chiens ou ãkmen-iu « les deux pierres » provient du nominatif-vocatifaccusatif duel du type en *-(i)yo- (cf. bról-iu « les deux frères », de bról-is < *bról-īs < balt. *-iyas < i.-e. *-iyos) 199. En grec, les thèmes consonantiques ont une désinence -ε /-e/, traitement régulier de *-h1. Une attestation s’en rencontre dans le nom d’une partie du corps : τὼ πόδε /tṑ póde/ « les (deux) pieds » (Aristophane, Eccl. 1109 ; etc.).
10.2. L’instrumental-datif-(ablatif) duel Pour l’instrumental-datif-(ablatif), les moyens d’expression diffèrent de langue à langue et n’autorisent pas la reconstruction d’une désinence indoeuropéenne.
10.2.1. Les thèmes en *-e/oEn védique, l’instrumental-datif-ablatif duel des noms en -a- (< i.-e. *-e/o-) a pour expression une forme en -bhyām. L’exemple de Nā́ satyābhyām (Nāsatyā est un autre nom des deux Aśvins) figure en RV 1,20,3. Dans la finale -ā-bhyām, la quantité longue de la voyelle prédésinentielle fait difficulté. Apparemment, une forme *-ă-bhyām ou *-e-bhyām, parallèle à dat.-abl. pl. -e-bhyaḥ, s’intégrerait mieux dans le paradigme des masculins en -a-. On invoque l’influence du nominatif-accusatif en -ā. Mais, dans une langue indo-européenne, la combinaison de deux désinences casuelles serait chose étrange. En fait, la syllabation d’une partie des formes suggère une solution différente. Sur quatorze exemples de -ābhyām dans le R̥ gveda, 199. Cf. Endzelīns 1971, p. 139, § 194.
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quatre valent métriquement -ābhiyām. Au datif-ablatif pl., -e-bhyaḥ apparaît dans plus de soixante mots et plus de la moitié des occurrences attestent une désinence dissyllabique (-e-bhiyaḥ). Si cette variante dissyllabique continue la forme ancienne, -ā- devant -bhiyām se justifie dans le cadre de la « loi de Brugmann » 200. À la nasale finale près, la forme védique -bh(i)yām a un correspondant exact dans l’avestique -biiā̆. En ce qui concerne l’élément prédésinentiel, l’indien et l’iranien ne s’accordent que partiellement. À côté de -ā- (ex. dōiϑrābiia « avec les yeux ») se rencontrent -ōi- et -aē- (ex. gāth. zastōibiiā, av. réc. zastaēibiia « avec les mains »). L’une et l’autre diphtongues remontent à i.-ir. *ai et se retrouvent au datif pl. dans les finales -ōi-biiō, -aēi-biiō (i de la séquence aēi n’est pas étymologique, mais anticipe ii /y/ de la syllabe suivante). En lituanien, les masculins en -a- (< i.-e. *-o-) ont un instrumental-datif duel en -am. Cf. põnam (de põnas « maître, seigneur ») en Matthieu 6,24 dans la traduction de Vilentas : nė vienas negal dviem ponam tarnauti « nul ne peut servir deux maîtres ». À lit. -am répond v. sl. -oma. Une illustration de cette finale figure dans un emploi de kolěno n. « genou » comme régime de la préposition kŭ « à » (+ datif). Luc raconte la pêche miraculeuse, puis ajoute : viděvŭ že Simonŭ Petrŭ pripade kŭ kolěnoma is‹uso›voma « ayant vu ‹cela›, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus » (5,8 ; codex Assemanianus).
10.2.2. Les thèmes en *-āEn védique, la désinence -bhyām des masculins en -a- (< i.-e. *-e/o-) se retrouve dans les féminins en -ā. Ainsi, le nom de la « lèvre », śíprā f., a pour expression de l’instrumental duel la forme śíprābhyām (RV 10,105,5). L’avestique atteste le morphème apparenté -biia : vąϑβābiia (Sē Rōčak 1,7), 200. Cette loi énonce que la voyelle indo-européenne *o apophonique est traitée par ā en indo-iranien en syllabe ouverte. Cf. Volkart 1994, p. 1.
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de vąϑβā « troupeau ». En balto-slave, l’instrumental-datif duel comporte une caractéristique m. Cf. lit. rañko-m « avec les mains » et son équivalent v. sl. rǫka-ma « id. ».
10.2.3. Les thèmes en *-i- et en *-uEn védique, l’addition de la désinence -bhyām aux suffixes -i- et -uproduit les finales -i-bhyām et -u-bhyām. Dans le sens du datif, la forme indrāgníbhyām du composé (dvandva) indrāgní- s’emploie en RV 8,40,5 : prá bráhmāṇi … indrāgníbhyām irajyata « adressez des prières à Indra et Agni ! ». La forme bāhúbhyām prend, dans le R̥ gveda, tantôt la valeur de l’instrumental (six attestations), tantôt du datif (une attestation) et tantôt de l’ablatif (une attestation). En avestique, à une exception près 201, la désinence correspondant à véd. -bhyām ne comporte pas de nasale. Le gāthique a -biiā, l’avestique récent -biia. La finale -i-biia caractérise une forme comme ašibiia « avec les yeux » (Y. 9,29). Le nom de l’œil est un ancien nom-racine (*h3ekw-,*okw- ; cf. les composés latins en -ōx), mais une réfection en fait un thème en -i- dans une partie de l’indo-européen (cf. lit. akìs, gr. ὄσσε < *okwy-e < *h3ekw-i-h1). Parallèle à -i-biia, -u-biia figure, entre autres, dans bāzubiia « avec les bras » (Yt. 13,107). Cf., supra, véd. bāhúbhyām. Le balto-slave possède une désinence d’instrumental et de datif duels à caractéristique m (lit. -m, v. sl. -ma) en regard du b(h) indo-iranien. Dans les thèmes en *-i- et en *-u- se rencontrent les finales -i-m et -u-m (lituanien), resp. -ĭ-ma et -ŭ-ma (vieux slave). Lit. akìs f. « œil », par exemple, a l’instrumental duel akim̃ et, avec une intonation différente, le datif duel akìm. La formule poakim Diewa « sous les yeux de Dieu » est attestée chez Vilentas (Cat. 28,7 ; 29,2 et 5). Dans ce syntagme prépositionnel, po au 201. bruuat̰ .biiąm « sourcils » (V. 8,41 et 42 ; 9,15 et 16).
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sens de « sous » régit l’instrumental. ‒ Les thèmes en -u- du lituanien présentent une finale -um, comme l’atteste le nom du « fils » : sūnum̃ (instr. duel), de sūnùs. L’équivalent vieux slave de ce terme, synŭ, possède une forme synŭma de datif-instrumental duel. Cf. Matth. 20,20 : togda pristjǫpi kŭ nemu m(a)ti … sŭ s(y)nŭma svoima « alors la mère … s’approcha de lui avec ses deux fils ».
10.2.4. Les thèmes en consonne Dans les thèmes consonantiques, véd. -bhyām et av. -biia s’attachent au degré zéro de la prédésinentielle : véd. pi-tŕ̥-bhyām (pi-tár- m. « père »), vŕ̥ṣ-a-bhyām (vŕ̥ṣ-an- m. « mâle »), av. nərəbiia (nar- m. « homme »). En lituanien, la finale -im (-im̃ , -ìm) des thèmes en -i- s’implante, par analogie, dans les thèmes consonantiques. Le féminin duktė̃, dukter- « fille », par exemple, a pour instrumental duel dukterim̃ , pour datif duel dukterìm. En vieux slave, g(ospod)ĭma (du thème en -i- gospodĭ m. « seigneur, maître ») a la valeur d’un datif duel en Luc 16,13 (codex Marianus) : nikyi že rabŭ ne možetŭ dŭvěma g(ospod)ĭma rabotati « nul serviteur ne peut servir deux maîtres ». Se termine aussi par -ĭma le datif-instrumental du thème consonantique jelen- m. « cerf » : jelenĭma (Codex Suprasliensis 223,27).
10.3. Le datif-génitif duel 10.3.1. Les thèmes en *-e/oEn grec, la forme de datif-(instrumental) duel sert aussi de génitif. Dans les noms thématiques, le grec a des datifs-génitifs duels en -οιν /-oin/ . Cf. µηροῖν /mēroîn/ (Xénophon, Equ. 7,5), de µηρός /mērós/ m. « cuisse ». Chez Homère apparaît la finale dissyllabique -οιιν /-oiin/ : ὤµοιιν /ṓmoiin/ « sur les épaules », datif-locatif, en Il. 15,308.
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10.3.2. Les thèmes en *-āEn mycénien, -o-i vaut peut-être /-oiïn/ dans wa-na-so-i (PY Fr 1222) ; le mot se lirait alors ϝανάσσοιϊν /wanássoiïn/ « aux deux reines » 202 (pour l’emploi d’une désinence masculine dans un nom féminin, cf., supra, to-pezo). À l’époque classique, le datif-génitif duel des thèmes en -ā- présente une marque -αιν, parallèle à -οιν des noms en -o-. Cette forme casuelle est attestée, par exemple, dans le syntagme µεγάλαιν θεαῖν /megálain theaîn/ « des deux grandes déesses » (Déméter et Perséphone) chez Sophocle, Oed. Col. 683.
10.3.3. Les thèmes en *-i- et en *-uDans les noms grecs en -i- et en -u-, le datif duel comporte une marque -οιν /-oin/ ou -οιιν /-oiin/, analogique des thèmes en -o-. Une forme πολέοιν /poléoin/, attestée chez Isocrate (4,73) et dans une inscription attique de 394-393 (IG II2 16), appartient au paradigme de πόλις /pólis/ « cité » (thème *πολι- /poli-/, *πολεy- /poley-/). De l’ancien thème en -uυἱύς /huiús/ « fils » le duel ὑέοιν /huéoin/ repose sur *υἱ-έϝ- /hui-éw-/, forme à degré plein de la prédésinentielle. La variante υἱοῖν /huioîn/ se rapporte à l’usuel υἱός /huiós/ de flexion thématique.
10.3.4. Les thèmes en consonne Le morphème -οιν /-oin/, hom. -οιιν /-oiin/, caractérise, enfin, le datifgénitif duel des thèmes consonantiques : hom. ποδοῖιν /podoîin/, att. ποδοῖν /podoîn/ (πούς, ποδ- /poús, pod-/ m. « pied »), χε(ι)ροῖν /khe(i)roîn/ (χείρ, χε(ι)ρ- /kheír, khe(i)r-/ f. « main »), par exemple. Ces formes ont pour modèle le duel de la deuxième déclinaison.
202. Sur l’interprétation de wa-na-so-i, voir Bartoněk 2003, p. 166 (avec bibliogr.).
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Chapitre X : nom : flexion du duel
10.4. Le génitif-locatif duel 10.4.1. Les thèmes en *-e/oLe génitif duel des thèmes en *-o- du grec ne se distingue pas morphologiquement du datif duel. La marque en est donc -οιν /-oin/, hom. -οιιν /-oiin/ (cf. § 10.3.1). En baltique, ce cas n’existe plus et le génitif pl. en tient lieu. Néanmoins, des traces en subsistent dans des expressions adverbiales comme lit. dvíejau « par deux ». À la finale -au (< i.-e. *-ou) de cette forme répond régulièrement v. sl. -u. Un génitif duel en -u se lit, par exemple, dans Jean 8,17. Jésus dit aux pharisiens : i vŭ zakoně že vašemĭ pisano estŭ ěko dŭvoju č‹lově›ku sŭvědětelĭstvo istinĭno estŭ « et dans votre loi il est écrit que le témoignage de deux hommes est vrai ». La désinence casuelle -u signale aussi, en vieux slave, le locatif duel. À la différence du grec, le sanskrit distingue le génitif duel du datif duel. Mais la forme de ce génitif s’emploie aussi en fonction de locatif. La marque en est la finale -ayoḥ. Véd. yamáyoḥ (nom. duel yamā́ « jumeaux »), par exemple, est un génitif en RV 10,117,9 : yamáyoś cin ná samā́ vīryā̀ ṇi « de deux jumeaux les forces ne ‹sont› pas les mêmes ». En revanche, dans la dépendance de la postposition ádhi « sur », le terme áṃsayoḥ (nom. duel áṃsau « épaules ») de RV 5,57,6 est un locatif : r̥ ṣṭáyo vo Maruto áṃsayor ádhi « les lances ‹sont› sur vos épaules, Maruts ». La séquence prédésinentielle -ay- se retrouve dans les formes avestiques de génitif et locatif duels des thèmes en -a-. Mais, en regard de la finale ambivalente -ayoḥ du védique, l’avestique distingue le génitif en -aiiā̊ du locatif en -aiiō. L’élément -ā̊ de -aiiā̊ serait le traitement régulier d’une désinence indo-iranienne *-ās, morphème peu clair et isolé faute d’un rapprochement convaincant. Un exemple de génitif en -aiiā̊ est attesté dans le syntagme gaošaiiā̊ sraoma, littéralt « l’ouïe des oreilles », c’est-à-dire « la faculté d’entendre » (Yt. 10,23). Le complexe -aiiō du locatif duel
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s’explique probablement à partir de i.-ir. *-ay-au (< i.-e. *-e/oy-ou) et s’apparente ainsi à véd. -ayoḥ (< i.-e. *-e/oy-ou-s). Une forme en -aiiō, zastaiiō « en mains (de), aux mains (de) », apparaît en gāthique : kaϑā ašāi drujǝ̄m diiąm zastaiiō « comment pourrais-je livrer Druj (la Tromperie) aux mains d’Aša (le Droit) ? » (Y. 44,14).
10.4.2. Les thèmes en *-āLes féminins en -ā- et les masculins en -o- ont une désinence commune. Dans les deux types, les formes indiennes du génitif-locatif duel se terminent par -ayoḥ. D’un thème en *-ā le védique procure, par exemple, jáṅghayoḥ « des deux jambes » (nom. sg. jáṅghā f.). La finale -ayoḥ s’explique probablement par l’influence analogique de dváyoḥ, génitif-locatif du nom de nombre « deux ». La forme de ce numéral s’analyse en dvay- + -oḥ. L’élément -ay- appartient donc au radical (i.-e. *dwei-/dwoi-/dwi-). La désinence proprement dite se réduit ainsi à -oḥ < *-aus (i.-e. *-ous). À la sifflante finale près, ce morphème a un écho dans v. sl. -u < balto-sl. *-au. La forme rǫku (de rǫka f. « main ») fonctionne comme locatif en
Jean 20,25 : na rǫku ego « sur ses mains ».
10.4.3. Les thèmes en *-i- et en *-uAu génitif-locatif duel des noms védiques en -i- et en -u-, la désinence est -ōs (-oḥ) < i.-e. *-ous et le suffixe se présente, en principe, au degré zéro. D’où les finales -(i)y-oḥ et -(u)v-oḥ. Le composé indrāgní- se trouve au génitif duel en RV 8,38,10 : ā́ háṃ … indrāgn(i)yór ávo vr̥ ṇe « je souhaite l’assistance d’Indra et Agni ». Au même cas, ūrú- m. « cuisse » revêt la forme ūr(u)vóḥ (cf. RV 8,70,10). Dans le sens du locatif duel, le R̥ gveda procure bāh(u)vóḥ (bāhu- m. « bras ») en 1,80,8. À la différence du védique, l’avestique dispose de désinences distinctes pour l’expression du
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Chapitre X : nom : flexion du duel
génitif et du locatif duels. Le génitif est signalé par un morphème -ā̊ < i.-ir. *-ās, le locatif par la voyelle -ō < i.-ir. *-au. Du thème en -i- haxti- n.
« cuisse » le duel haxtiiā̊ comporte la finale -iiā̊, avec le suffixe au degré zéro. Symétriquement, pasuuā̊ du thème en -u- pasu- m. « bétail » se termine par -uuā̊, avec le degré zéro de la prédésinentielle. Les conditions d’emploi de ce duel sont fournies par le syntagme binaire pasuuā̊ vīraiiā̊. Cf. Vr 7,3 : xvafnǝm mazdaδātəm yazamaide šāitīm pasuuā̊ vīraiiā̊ « nous célébrons le sommeil créé par Mazdā, source de bien-être pour le bétail et les hommes (littéralt bien-être du bétail et des hommes) ». La désinence -ō du locatif duel se dégage de gāth. aŋhuuō « dans les deux existences » (Y. 41,2 et 3), du thème en -u- aŋhu- m. « vie, existence ». Dans les noms en -i- et en -u- du vieux slave, l’addition de -u produit des formes à finales -iju, -ĭju (< *-y-ou) et -ovu (< *-ew-ou) 203. Du féminin zapovědĭ « commandement » l’énoncé de Matth. 22,40 procure le locatif zapovědiju : vŭ seju oboju zapovědiju vŭsŭ zakonŭ i pr(oro)ci visętu « à ces deux commandements sont suspendus toute la loi et les prophètes ». Au sens du génitif, s(y)novu (synŭ « fils ») apparaît en Matth. 27,56.
10.4.4. Les thèmes en consonne En védique, les thèmes consonantiques ont le degré zéro de la prédésinentielle dans les noms de parenté, les noms d’agent ou le type en -n- : pitr-óḥ (pi-tár- m. « père »), dā-tr-óḥ (dā-tár- m. « donneur »), indrāpūṣ-ṇ-óḥ (indrāpūṣ-áṇ- m. « Indra et Pūṣan ». Mais les dérivés en -man- et en -vanont leur suffixe au degré plein, si l’élément présuffixal se termine par une consonne : áś-man-oḥ (áś-man- m. « pierre »). Dans les thèmes consonantiques de l’avestique ne se rencontre pas le locatif duel en ō, mais seulement
203. Cf. Rosenkranz 1955, p. 71, § 35 et 73, § 36.
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le génitif duel en -ā̊. Cf. caš-man-ā̊ (caš-man- n. « œil ») dans cašmanā̊ sūkǝm « la vision des yeux » (Yt 10,23). En vieux slave, la désinence -u du génitif-locatif duel s’attache au thème consonantique dĭn- m. « jour ». En résulte une forme dĭn-u (var. dŭnu ). Cf. Jean 4,43 : Po dŭvoju že dŭnu izide otŭ tǫdu i ide vŭ galilejǫ « Après deux jours, il (=Jésus) sortit de là et alla en Galilée ». La préposition po régit ici le locatif.
Chapitre XI Le nom III : la flexion du pluriel
11. Généralités Lorsque dans un état de langue le duel est en voie de disparition, son déclin profite à la catégorie du pluriel. Par rapport au singulier, la morphologie du pluriel se caractérise par un moins grand nombre de formes casuelles. Dès l’époque prédialectale, le paradigme ne distingue pas le vocatif du nominatif, ni l’ablatif du datif.
11.1. Le nominatif pl. 11.1.1. Les thèmes en *-e/oLe nominatif pl. thématique présentait une finale *-ōs, clairement analysable en *-o-es, étant donné la désinence *-es des athématiques (type gr. ἄνδρ-ες /ándr-es/ « les hommes »). Cette forme se conserve le plus fidèlement en gotique, comme en témoigne wairōs « les hommes » (Jean 6,10 ; etc.), par exemple. Dans le groupe italique, l’osco-ombrien en offre une réalisation voisine, mais la voyelle longue tend vers /ū/. C’est ce qu’enseigne la graphie indigène -us du nominatif-vocatif pl. ombr. Ikuvinus « habitants d’Iguvium » (Tab. Ig. Ib 21 et 22, en fonction de vocatif). Plaide dans
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le même sens la graphie latine -us du nominatif pl. osque deiuatu‹n›s « ayant juré » (Tab. Bant. 9). Mais les inscriptions osques rédigées dans l’alphabet indigène attestent -ús, c’est-à-dire /-ōs/ : nom. pl. degetasiús, adjectif de sens incertain, épithète de meddíss (nom de magistrats) à Nole (Vetter 1953, 115 = Rix 2002, Cm 6). Dans la branche indienne, la neutralisation de l’opposition ancienne entre *ē, *ā, *ō au profit de ā détermine le passage de *-ōs à -ās (-āḥ). Le nom du
« loup », vŕ̥ka-, a ainsi un nominatif pl. vŕ̥kāḥ (RV 10,95,14). Mais, dans le R̥ gveda, environ un tiers des formes présentent la variante mieux caractérisée -āsaḥ. Propre à l’indo-iranien, ce renouvellement de l’expression offre au poète des commodités métriques. En témoigne l’emploi de vŕ̥kāḥ et vŕ̥kāsaḥ dans des strophes consécutives du même texte (RV 10,95,14 et 15). La genèse de la forme longue ne reçoit pas d’explication satisfaisante dans les ouvrages de morphologie historique. Les auteurs parlent d’un redoublement de la désinence, au prix d’une analyse de vŕ̥kāsaḥ en *vr̥ ka-as-as. Mais la contraction de la voyelle thématique et de la voyelle initiale du morphème casuel remonte probablement à l’indo-européen, de sorte qu’à l’époque indo-iranienne la caractéristique du nominatif pl. des noms en -aétait *-ās, non *-a-as. Dans ces conditions, la finale -āsas se comprend plutôt par une extension analogique de la désinence -as des thèmes consonantiques et sonantiques. Le phénomène se produit peut-être d’abord dans le contexte d’associations syntagmatiques du type sajóṣaso … devā́ (s) (RV 3,8,8 ; cf. 3,20,1) → sajóṣaso devā́ so « les dieux unanimes » (RV 1,131,1 ; cf. 1,136,4 ; 5,21,3 ; 8,23,18 ; 9,18,3 ; 9,102,5). Dans les deux termes de l’expression, -o est le traitement de -as devant consonne sonore. De même que le védique, l’avestique possède deux finales de nominatif pl. masculin thématique. En face de véd. -āḥ, la forme attendue -ā̊ ne se rencontre que dans av. réc. aməšā̊ « immortels ». Ailleurs règne une marque -ā̆, d’origine
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peu claire 204. À véd. -āsaḥ répond exactement gāth. et av. réc. -ā̊ŋhō. En ce qui concerne leur distribution, les variantes coexistent parfois dans le paradigme d’un seul et même terme. C’est le cas, par exemple, de av. réc. vəhrka / vəhrkā̊ŋhō « les loups », av. réc. aspa(cit̰ ) / aspā̊ŋhō « les chevaux », gāth. mašiiā, av. réc. mašiia / gāth. mašiiā̊ŋhō « les hommes ». À la place de la finale *-ōs (> skr. -āḥ), un groupe de langues indoeuropéennes présente *-oi sous l’influence de la morphologie pronominale. En balto-slave, cette forme passe à *-ai, conservé en vieux prussien et en lituanien. Ainsi, lit. vil̃kas « loup » a pour nominatif pl. vilkaĩ. Mais, à côté de -ai se rencontre -ie dans les démonstratifs et les adjectifs : par exemple, lit. tiẽ « ces » et geríe-jie « les bons » (flexion déterminée). Il y a donc deux traitements concurrents de balto-sl. *-ai. On cherche le conditionnement de cette double évolution dans des faits d’accentuation : à l’origine, *-ai passerait à *-ē, puis à -ie, sous l’accent, mais se maintiendrait intact en syllabe atone. Par la suite, des réfections analogiques aboutiraient à la généralisation de -ai dans les substantifs, de -ie dans les pronoms et les adjectifs 205. À la différence du lituanien, le vieux slave dispose d’une désinence commune pour le nominatif pl. m. des anciens thèmes en *-onominaux, adjectivaux et pronominaux. Il s’agit de -i : vlĭci « les loups », novi « nouveaux », ti « ceux-là ». Au point de vue historique, v. sl. i peut être le reflet régulier de *ei, non de *ai. Or, *ai passait à *ei à la suite de la semi-voyelle prépalatale : *yai > *yei. Donc, la finale -i se comprend dans les descendants des noms en *-yo-. Par l’évolution phonétique, i.-e. *-yoi donne balto-sl. *-yai, puis sl. *-yei > -(y)i. De là, la langue étend cette
204. Comme au nominatif-accusatif pl. n., -ā̆ < *-eh2 pourrait être un morphème de collectif, selon Hoffmann-Forssman 1996, p.120, § 87. 205. Voir Stang 1966, p. 66-68 et 184.
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marque aux thèmes en *-o- et tend ainsi à l’uniformisation de la flexion nominale pour des raisons d’économie 206. En grec, le nominatif pl. en -oi appartient déjà, sans doute, à la langue mycénienne. En procurent des exemples de nombreuses formes en -o suivies d’un nombre, comme ko-wo 15 /korwoi 15/ « quinze garçons » (PY Ab 553) dans un inventaire de personnes. Cf. gr. hom. κοῦροι /koûroi/. Théoriquement, les conventions graphiques permettraient une lecture /*korwōs/, mais la flexion parallèle des noms en -ā- plaide clairement pour /korwoi/. En effet, la forme di-pte-ra3 /diphtherai/ « peaux (de bêtes) » (PY Sb 1315), avec le syllabogramme ra3 = /rai/ ou /lai/, ne laisse pas de doute sur la présence d’une diphtongue à la finale. Au Ier millénaire, la marque -οι de nominatif pl. est attestée dans tous les dialectes. Le correspondant de lit. vilkaĩ et de v. sl. vlĭci, gr. λύκοι /lúkoi/ « les loups », apparaît plusieurs fois chez Homère. Il. 16,156, le poète y recourt dans une comparaison : οἱ δὲ λύκοι ὣς | ὠµοφάγοι … « (ils [= les Myrmidons] sont) comme des loups carnassiers … ». De même que le grec, le latin présente une caractéristique pronominale au nominatif pl. de la 2e déclinaison. Dans la langue archaïque subsistent encore des formes en diphtongue. Festus cite l’expression pilumnoe poploe du Chant des Saliens, avec la glose : uelut pilis uti assueti « pour ainsi dire habitués à se servir des javelots » (p. 124 Lindsay). V. lat. poploe se traduirait par populī en latin classique, tandis que pilumnoe n’a pas d’équivalent dans la langue standard. Si le commentaire du grammairien ancien ne repose pas simplement sur une étymologie populaire, le syntagme pourrait signifier « troupes armées du javelot » 207. À l’origine, populus désigne le 206. Sur l’histoire de la désinence casuelle -i de nominatif pl., voir Vaillant 1950, t. I, p. 213, § 87, et Vaillant 1958, t. II, p. 33, § 132. B. Rosenkranz admet un traitement phonétique *-oi > -i, à côté de *-oi > -ě (au locatif sg.), et attribue la divergence à une différence d’intonation (Rosenkranz 1955, p. 77, § 39). 207. Ainsi comprennent Walde-Hofmann 1982, II 304, s.v. 2. pīlum (« speerbewaffnete Kriegsscharen »).
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peuple en armes, comme en témoigne indirectement le dérivé populārī, propr. « envahir avec une armée », d’où « ravager, dévaster » 208. Plus récente que -oe, la finale -ei signale des nominatifs pl. de noms thématiques dans l’inscription archaïsante CIL I2 581 (sénatus-consulte sur les Bacchanales, 186 av. J.-C.) 209. Ce texte procure, notamment, uirei « les hommes ». Par monophtongaison, ei produit ē fermé. Un témoignage s’en rencontre en CIL I2 9 (éloge d’un Scipion, fin du
IIIe
siècle av. J.-C.) : ploirume « la
plupart » (= lat. cl. plūrimī). Enfin, -ē fermé passe à -ī, comme l’atteste abondamment le latin littéraire. Dans la préface du De agricultura de Caton, par exemple, se lit la forme uīrī « les hommes » : ex agricolis et uiri fortissimi et milites strenuissimi gignuntur … « c’est des paysans que naissent les hommes les plus forts et les soldats les plus courageux … » (trad. R. Goujard, CUF, 1975). Parmi les vestiges de la plus ancienne poésie, un fragment de Livius Andronicus présente le superlatif plūrimī. Il s’agit d’une parole de Télémaque : matrem procitum plurimi venerunt « de très nombreux (prétendants) sont venus demander ma mère en mariage » (Odyssée, frg. 9 Warmington = Festus, p. 252 Lindsay).
11.1.2. Les thèmes en *-āDans les noms de la 1re déclinaison, la séquence *-eh2-es se résout en une finale *-ās. Le sanskrit, à l’est, et l’osque, à l’ouest, la conservent intacte. En védique, jihvā́ ḥ en procure un exemple. Ainsi, par métaphore, le poète prête à Agni trois langues (= trois flammes) : tisrás te jihvā́ (ḥ) « (au nombre de) trois sont tes langues » (RV 3,20,2). En osque, la célèbre Table d’Agnone porte aasas « autels » (Rix 2002, Sa 1B1 = Vetter 147 B 1). Le traitement ō d’un ancien *ā, régulier en germanique, explique la finale -ōs du gotique : þiudōs « les nations, les païens » (Matth. 6,32 ; etc.). À cette 208. Voir Rix 1994, p. 70. 209. Commentaire de cette inscription chez Wachter 1987, p. 289-298 (§ 119-123).
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forme répond lit. taũtos « peuples, nations ». En l’occurrence, le slave ne s’accorde pas avec le baltique, car, au pluriel, la caractéristique v. sl. -y de l’accusatif se substitue à l’ancienne marque du nominatif. En fonction de sujet, se rencontre une forme comme v. sl. sily « miracles » (Matth. 11,21 ; etc. Nom. sg. sila f. « force »). La désinence ancienne ne se retrouve pas dans les nominatifs pl. des thèmes en -ā- en grec et en latin. Au lieu de *-ās, les langues classiques présentent une finale -ai par analogie avec -oi des masculins en -o- 210. Le mycénien en a déjà des exemples. Avec son signe ra3 /rai, lai/, di-ptera3 /diphtherai/ « peaux » (PY Sb 1315) atteste clairement la diphtongue (cf. § 11.1.1). Le grec alphabétique a διφθέραι /diphthérai/. En latin, une forme en -ai se lit dans le sénatus-consulte sur les Bacchanales 211 : tabelai « tablettes, missive » (CIL I2 581,29 ; 186 av. J.-C.). Le passage régulier de -ai à -ae explique les nominatifs pl. usuels, du type fēminae « femmes ».
11.1.3. Les thèmes en *-i- et en *-uLa désinence est *-es et le suffixe se trouve généralement au degré plein. Par là, le nominatif pl. se définit comme un « cas fort ». Les finales *-ey-es et *-ew-es des thèmes en -i- et en -u- se reflètent régulièrement dans véd. -ayaḥ et -avaḥ. Cf. raśm-áyaḥ (raśmí- m. « rêne », au fig. « rayon ») et índavaḥ (índu- m. « goutte »), par exemple. Dans la branche iranienne, le passage de i.-ir. *-ayas à *-ayah, puis le traitement -ō de -ah expliquent la finale -aiiō d’une forme comme av. varaiiō (vairi- m. « lac »). Parallèlement se rencontrent des nominatifs pl. en -auuō (type yātauuō, de yātu- m. « magicien »). Mais sont aussi attestées des formes à degré long ou à degré 210. Le remplacement de *-ōs par *-oi dans la flexion thématique trahit l’influence de la morphologie pronominale. 211. Étude linguistique et épigraphique de cette inscription chez Wachter 1987, p. 289-298 (§ 119-123).
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zéro du suffixe. Cf. daŋ́hāuuō (daŋ́hu- f. « pays »), resp. pasuuas(-ca) (pasu- m. « troupeau de petit bétail »). En baltique, le nominatif pl. des thèmes en -i- et en -u- repose sur des formes à degré zéro suffixal, c’est-à-dire à finales *-iy-es et *-uw-es. Par la syncope de e après y, *-iy-es se réduit à *-ijs > -ys /-īs/ en lituanien. Ce traitement s’observe dans les masculins, aussi bien que dans les féminins : vãgys (vagìs m. « voleur »), ãvys (avìs f. « mouton »). La même forme *-iyes rend compte de sl. *-ĭje, puis de v. sl. -ije (ĭ devant j devient une voyelle pleine). Cf. tatije (tatĭ m. « voleur »). Le nominatif pl. en -ije est propre aux masculins. Les féminins ont une caractéristique -i d’accusatif pl., affectée secondairement à l’expression du nominatif : type nošti (noštĭ f. « nuit »). – La finale *-uw-es des thèmes en -u- se réduit à lit. -ūs, parallèle à -ys. Le nom du « fils », lit. sūnùs m., a pour nominatif pl. sū́ nūs. La forme s’en rencontre déjà chez Mažvydas, Cat. 35,17 : sunus ką skiel thewamus sawa = sū́ nūs ką̃ skẽli tė́ vam(u)s sàvo « ce que les fils doivent à leurs pères ». Une variante *-ew-es ou *-ow-es rend compte de v. sl. -ove dans synove (nom. pl.), de synŭ « fils ». Cf. le correspondant védique sūnávaḥ. Le suffixe se trouve ici au degré plein. En grec, le nominatif pl. des thèmes en -i- comporte le degré plein de la prédésinentielle dans le type πόλις /pólis/ « cité ». En effet, la finale -εις /-eis/ [-ē ̣s] de πόλεις /póleis/ [pólē ̣s] remonte à *-ees < *-ey-es et s’accorde avec véd. -ayaḥ. Exceptionnellement, le degré zéro du suffixe apparaît dans hom. ὄιες /óies/ (ὄις /óis/ < ὄϝις /ówis/ « mouton »). Cf. véd. nom. pl. ary-áḥ (arí- « zélé, fervent »). Les finales gr. -ιες /-ies/ et véd. -yaḥ reposent sur *-(i)y-es. – Dans les thèmes en -u-, les formes se répartissent entre les représentants de *-ew-es et de *-uw-es. En mycénien, la variante à suffixe plein se conserve intacte, si pa-ke-we (KN L 7514) est à lire /pakhewes/, nominatif pl. de l’adjectif correspondant à gr. alph.
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παχύς /pakhús/ « épais ». Dans la finale -ewes, -w- intervocalique s’amuït, d’où -εες /-ees/ dans παχέες /pakhées/ (Hérodote 5,77,2). La contraction des voyelles en hiatus explique -εις /-eis/ [-ē ̣s] de l’attique παχεῖς /pakheîs/ [pakhē ̣s]. La forme *-uw-es à suffixe zéro est également ancienne. En mycénien est attesté ta-ra-nu-we /thrānuwes/ (PY Ta 721), de ta-ranu /thrānus/ = hom. θρῆνυς /thrênus/ « escabeau ». L’Iliade a le nominatif pl. ἐγχέλυες /eŋkhélues/ (21,203 et 353), de ἔγχελυς /éŋkhelus/ « anguille ». Dans son expression du nominatif pl. des thèmes en -i- et en -u-, le latin s’avère conservateur. La finale -ēs des thèmes en -i- continue fidèlement i.-e. *-ey-es. Il y a ainsi correspondance entre une forme comme lat. ouēs « moutons » (nom. sg. ouis m.) et véd. avayaḥ « id. », joint à ajā « chèvre » dans le composé ajāváyaḥ « chèvres et moutons » (RV 10,90,10). – Dans les thèmes en -u-, le nominatif pl. en -ūs peut s’expliquer par le traitement régulier de *-ous < *-owes < *-ewes ou par une extension analogique de la finale d’accusatif pl. Donne un exemple de forme en -ūs lat. artūs (artus m. « articulation ; membre »). Tite-Live s’en sert en 21,40,9, où Scipion décrit l’état des soldats d’Hannibal après le passage des Alpes : praeusti artus, niue rigentes nerui, membra torrida gelu … « leurs membres sont brûlés par le bout (c.-à-d. gelés aux extrémités), leurs muscles sont raidis par la neige, leurs membres brûlés par le gel … ». En germanique, les faits se caractérisent par un affaiblissement de la syllabe finale non accentuée. Dans les thèmes en -i-, *-ey-es passe à *-ij-iz, puis la voyelle i de la désinence subit la syncope, d’où *-ijz > *-īz. De là provient got. /-īs/, orthographié -eis, par assourdissement de la sifflante sonore à la finale absolue. Le nom de l’ « étranger » (gasts m.), par exemple, a pour nominatif pl. la forme gasteis. Cf. Épître aux Éphésiens 2,19 : sai nu ju ni sijuþ gasteis « ainsi donc vous n’êtes plus des étrangers ». À got. gasteis répond exactement lat. hostēs (hostis m. « étranger », sens
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conservé dans une loi des XII Tables, puis « ennemi »). − Dans les thèmes en -u-, germ. *-iw-iz (< i.-e. *-ew-es) se réduit à *-iw-z, puis w se vocalise devant la désinence. En résulte got. -jus dans le type fotjus (fotus m. « pied »).
11.1.4. Les thèmes en consonne Les thèmes consonantiques de l’indo-iranien attestent indirectement le degré e et le degré o du suffixe. Une finale *-er-es, par exemple, donne véd. -araḥ. Cf. *ph2téres > pitáraḥ (pitár- m. « père »). La variante *-or-es se reflète dans véd. -āraḥ en vertu de la loi de Brugmann (o apophonique en syllabe ouverte passe à ā en indo-iranien). Cf. *stéh2tores > sthā́ tāraḥ (sthā́ tar- « qui se tient debout (sur le char), conducteur de char ». De même, le nominatif pl. des thèmes en -n- se termine soit par -anaḥ < *-en-es (cf. ukṣ-áṇaḥ « taureaux »), soit par -ānaḥ < *-on-es (cf. yúv-ānaḥ « jeunes »). L’iranien a des faits comparables : à véd. -taraḥ répond av. -tarō et à véd. -tāraḥ av. -tārō. À titre d’exemples, av. patarō /ptarō/ « pères » illustre le premier type, dātārō « créateurs » le second. En baltique, le vieux lituanien a encore des finales -er-es et -en-es : móteres (mótė « épouse ») se lit chez Daukša (1527-1613) et piemenes (piemuõ « berger ») chez Szyrwid (~ 1579-1631) 212. Mais, dans la langue moderne, la voyelle de -es subit la syncope et les thèmes en -r- et en -n- ont des nominatifs pl. en -ers et en -ens : dùkters (duktė̃ « fille »), ãkmens (akmuõ « pierre »), par exemple. En vieux slave, la sifflante s’amuït à la finale absolue et la désinence -es se réduit au seul phonème -e. D’où une forme comme dĭn-e (dĭn- « jour ») en Matth. 24,22. En grec, les thèmes consonantiques présentent, à l’origine, le degré plein ou le degré long de la prédésinentielle. Le degré plein s’observe dans les 212. Cf. Stang 1966, p. 222.
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noms de parenté : type πατέρες /patéres/ (= skr. pitáraḥ), de πατήρ /patḗr/ « père » ; le degré long (étendu à tout le paradigme) caractérise les noms d’agent en -τήρ /-tḗr/. Cf. µνηστῆρες /mnēstêres/, de µνηστήρ /mnēstḗr/ « prétendant ». Dans cette classe de dérivés se range myc. ra-ptere /rhaptêres/ «(artisans) qui cousent » (PY An 207). Parmi les thèmes en -n-, myc. po-me-ne /poimenes/ (PY Nn 831), identifiable à gr. alph. ποιµένες /poiménes/, atteste le degré plein suffixal. Dans une forme comme κύ-ν-ες /kú-n-es/ (κύων /kúōn/ « chien »), le degré zéro de l’élément prédésinentiel est secondaire : véd. śv-ā́ n-aḥ (śván-, śún- « id. ») représente l’état de choses ancien. Les thèmes consonantiques de l’italique avaient une désinence -ĕs de nominatif pl. La quantité brève de la voyelle est supposée par la syncope observée en osque : humuns « hommes », par exemple, se ramène à *homōnĕs. En latin, la désinence -ēs procède d’une extension analogique de la finale des thèmes en -i-. Comme cīuēs (cīuis m. « (con)citoyen ») se termine hominēs (homō, homin- m. « homme »). En germanique, les thèmes consonantiques ne conservent de la désinence *-iz (< *-es) que la sifflante, non voisée en gotique. La finale *-on-es, par
exemple, se change en got. -an-s. Cf., par exemple, gajukans, nominatif pl. du masculin en -n- gajukan- « compagnon ». Cette forme apparaît dans la Deuxième Épître aux Corinthiens, 6,14 : ni wairþaiþ gajukans ungalaubjandam « ne devenez pas les compagnons des mécréants ».
11.2. L’accusatif pl. 11.2.1. Les thèmes en *-e/oL’accusatif pl. se caractérise par la désinence *-ns. Ce morphème se conserve intact dans les dialectes grecs de l’Argolide et de la Crète. Ainsi, la Loi de Gortyne atteste le syntagme δύ’ ὀδελόνς « deux oboles » (à titre
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d’amende) : ἐνδοθιδίαν δṓλαν αἰ κάρτει δαµάσαιτο, δύο στατε̄ρανς καταστασεῖ· αἰ δέ κα δεδαµν[α]µέναν, πεδ’ ἀµέραν ̣, [ὀ]δελόν, αἰ δέ κ’ ἐν ̣ νυττί, δύ’ ὀδελόνς « si (quelqu’un) possède de force une esclave de la maison, il paiera deux statères ; au cas où elle aurait déjà été possédée, (il paiera) une obole s’il (l’a fait) pendant le jour, deux oboles s’il (l’a fait) pendant la nuit » (IC IV 72, col. II 11-15 ; Ve siècle av. J.-C.). La finale -ons subsiste peut-être aussi dans la langue mycénienne, mais la graphie syllabique, rudimentaire, n’enseigne rien. Un accusatif pl. de nom thématique se cache, semble-t-il, derrière la graphie si-a2-ro de la tablette PY Cn 608. Le mot se lirait /sihalons/ « porcs gras ». En tout cas, figurant sur la tablette, l’idéogramme SUS, combiné avec le syllabogramme SI en une ligature, garantit l’identification de ce vocable avec gr. alph. σίαλος /síalos/. Au même cas que la forme mycénienne, σιάλους /siálous/ apparaît chez Homère. Au chant 20 de l’Odyssée, par exemple, les porcs engraissés font partie du festin : … ἦλθε συβώτης | τρεῖς σιάλους κατάγων, οἳ ἔσαν µετὰ πᾶσιν ἄριστοι « … arriva le porcher, amenant trois cochons gras, qui étaient les meilleurs de tous » (162-163). Comme en attique, l’accusatif pl. homérique en -ους /-ous/, c’est-à-dire [o:s], s’explique à partir de *-ons par l’amuïssement de la nasale et l’allongement compensatoire de la voyelle. La simplification du groupe -ns se produit aussi en dorien, mais la longue résultante a le timbre d’un o ouvert : *-ons > -ως [ɔ:s]. Des formes en -ως /-ōs/ se rencontrent, par exemple, dans le texte des Tables d’Héraclée (Grande Grèce ; fin du IVe ou début du IIIe siècle avant J.-C.). Cette inscription concerne les limites et l’affermage des terres d’un domaine sacré. En I 12-13, figure l’expression τώς τε hιαρὼς χώ|ρως « les terrains sacrés » (IG XIV 645). Dans le grec littéraire, des faits comparables apparaissent chez Théocrite (IIIe siècle avant J.-C.). Le vers 121 de la première idylle, par exemple, contient l’accusatif pl. τὼς ταύρως /tṑs taúrōs/ « les taureaux ». En lesbien, enfin, *-ons passe à -οις /-ois/, forme non confondue avec la
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finale de datif pl. (-οισι /-oisi/). Un poème de Sappho en offre une illustration. La scène se déroule dans la cité de Troie, où un messager annonce l’arrivée imminente d’Hector et Andromaque pour la célébration de leur mariage. À cette nouvelle, les Troyens se mobilisent : αὔτικ’ Ἰλίαδαι σατίναι[ς] ὐπ’ ἐυτρόχοις | ἆγον αἰµιόνοις « aussitôt les fils d’Ilos attelèrent les mules aux chars munis de bonnes roues » (frg. 44 Lobel-Page, vers 13-14). Dans ce texte, les formes en -οις fonctionnent comme des accusatifs pl. et se traduiraient par εὐτρόχους /eutrókhous/ et ἡµιόνους /hēmiónous/ en attique. En latin, la caractéristique -ōs de l’accusatif pl. des thèmes en -o- s’explique à partir de la finale *-ons, moyennant l’amuïssement de la nasale et l’allongement compensatoire de la voyelle précédente 213. De ce traitement témoignent déjà les premiers textes. Parmi les inscriptions archaïques, le Vase de Duenos (VIe siècle avant J.-C.?) porte la forme deiuos, généralement interprétée comme un accusatif pl. L’expression iouesat deiuos signifierait « il jure par les dieux » (CIL I2 4). Dans les sources littéraires, les fragments de Livius Andronicus (IIIe siècle avant J.-C.) offrent des exemples de la finale -ōs. Dans un membre de phrase de l’Odyssée, notamment, figure le syntagme socios nostros : cum socios nostros Ciclops impius mandisset … « lorsque le Cyclope impie eut dévoré nos compagnons … » (frg. 41 Warmington = Priscien, in : GLK 419,2). À la différence près du timbre vocalique, la caractéristique -ans du gotique rappelle la finale -ονς /-ons/ des faits crétois (cf. supra). Un accusatif pl. comme wairans « hommes » correspond exactement à lat. uiros. En voici un emploi dans le contexte de Luc, chap. IX. Jésus, accompagné de Pierre, Jean et Jacques, monte prier sur la montagne. Alors, Moïse et Elie se 213. O. Szemerényi enseigne une histoire plus complexe : -ons > -ōn, puis restitution de -s sur le modèle des thèmes consonantiques (finale -n̥ s), d’où *-ōns ; enfin, dans plusieurs langues, abrègement de *-ōns en *-ons ou réduction à *-ōs (cf. Szemerényi 1990, p. 196).
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manifestent tout à coup et parlent avec Jésus, tandis que les disciples sommeillent. À leur réveil, rapporte l’évangéliste, « ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui » (verset 32 : gaseƕun wulþu is jah þans twans wairans þans miþstandandans imma). Le vieux prussien se comporte comme le gotique, avec conservation de la désinence -ns dans le type deiwans « dieux ». La finale -ans remonte à *-ons. En revanche, les formes lituaniennes supposent une variante à
vocalisme long, c’est-à-dire *-ōns. Peut-être l’indo-européen avait-il *-ons devant voyelle et *-ōs (par amuïssement de la nasale et allongement compensatoire de la voyelle précédente) devant consonne. Dans cette hypothèse, la contamination de ces deux variantes conditionnées aurait pu produire *-ōns. En tout cas, quelle que soit son origine, *-ōns, par diphtongaison de ō, donne *-uons, puis -uos, attesté dans la forme déterminée de l’adjectif lituanien (ex. : gerúos-ius, de gẽras « bon »). À la finale absolue, -uos s’abrège en -us. Ainsi, dans Luc 9,32, en regard de got. twans wairans (cf. supra), la bible lituanienne a dù výrus « (les) deux hommes ». En vieux slave, la caractéristique de l’accusatif pl. m. remonte à *-ons. À partir de cette forme indo-européenne, l’évolution phonétique comporte sans doute les étapes *-uns > *-ūs > *-ū et aboutit enfin à -y [ui]. Un mot comme gradŭ « ville » prend ainsi la finale -y dans le contexte de Matth. 9,35 : i proxoždaše Isusŭ grady vĭsę i vĭsi … « et Jésus parcourait toutes les villes et les bourgs … ». En sanskrit, la marque -ān de l’accusatif pl. des noms thématiques s’explique bien comme reflet de *-ōns. La sifflante de la forme indo-européenne laisse une trace dans des liaisons syntagmatiques (sandhi). Par exemple, putrā́ n « fils » présente une variante contextuelle putrā́ ṃś devant -ca « et » : rayíṃ ca putrā́ ṃś cādād (= ca adād) agnír máhyam « Agni me donna la richesse et des fils » (RV 10,85,41). Comme le sanskrit, l’avestique traite
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différemment la finale de l’accusatif pl. dans les formes libres et devant l’enclitique -cā̆. En effet, le gāthique atteste -ǝ̄ng et -ąs-cā. Les deux variantes remontent à *-ans (< i.-e. *-ons). La première s’explique par la transformation de s en h et la vélarisation de la nasale (*-aŋh), puis par l’amuïssement de h et le changement de a en ǝ̄ devant ŋ (*-ǝ̄ŋ, écrit -ǝ̄ng). La quantité longue de ǝ̄ ne fait pas obstacle à la restitution de *-ăns (avec a bref ), comme l’indique, par exemple, l’accusatif sg. m. gāth. aniiǝ̄m < i.-ir. *anyam « autre ». Devant -cā, la sifflante se conserve et n disparaît, mais
nasalise la voyelle précédente (-ąs). Donne une illustration de l’accusatif pl. en -ǝ̄ng la forme vīrǝ̄ng « les hommes » (Y. 45,9). Quant à la variante -ąscā, elle apparaît, par exemple, dans gāth. sǝ̄nghąscā « et les déclarations » (Y. 31,11) 214. En avestique récent, le corpus atteste d’une part -ą et -ǝ̄, d’autre part -ąs-ca et -ǝ̄s-ca. 11.2.2. Les thèmes en *-āLa désinence *-ns d’accusatif pl. s’attache au morphème *-eh2- > -ā- de féminin. D’où une finale *-āns, qui s’abrège en *-ās probablement déjà en indo-européen. En tout cas, cet état de choses se constate en indo-iranien, où n’existe plus de distinction formelle entre nominatif pl. et accusatif pl. dans les noms en -ā-. Comme objet du verbe, le R̥ gveda procure gnā́ ḥ « femmes divines » en 1,22,10 : ā́ gnā́ (= gnā́ ḥ) agna ihá … vaha « les déesses, ô Agni, amène(-les) ici ! ». À la finale -āḥ du védique correspond av. -ā̊ (var. -ā̊s devant la particule -ca « et, aussi ») : γənā̊ « femmes divines » (Visprad 2,7), γnā̊s(ca) « id. » ( Yasna 2,6). En dehors de l’indoiranien, la forme *-ās rend compte de v. lit. -os dans rankos-na « dans les mains » 215 et de got. -ōs dans þiudōs « nations », par exemple. De plus, 214. Kellens-Pirart traduisent sǝ̄ngha- par « explication, définition » (1988-1991, t. II, p. 315, s.v.). 215. Voir Vaillant 1958, t. II, p. 83 (§ 150).
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cette finale se conserve sans changement dans les accusatifs pl. latins du type fēminās « femmes » 216. À moins que lat. -ās ne remonte à *-ăns, comme osque -as(s) et ombr. -a(f) 217. Quoi qu’il en soit, la forme *-ăns, analogique de la finale *-ons des noms thématiques, a des représentants en baltoslave et en grec. Dès les premiers textes, le lituanien atteste l’accusatif pl. féminin en -as < *-ăns (ex. : y rankàs « en mains » chez Vilentas, Cat. 57,18, éd. G. B. Ford, p. 380). En slave, la voyelle du groupe *-ăns change d’aperture et se déplace dans la zone articulatoire postérieure : *-ans > *-ons > *-uns. Puis, -n- s’amuït et entraîne un allongement compensatoire de la voyelle : *-uns > *-ūs. Enfin, la sifflante disparaît et *-ū passe à -y [ui] 218. Un accusatif pl. f. en -y est illustré par v. sl. ženy « femmes » dans l’Évangile de Matthieu (19,8) : Mosi po žestosrŭdĭju vašemu povelě vamŭ otŭpustiti ženy vašę « Moïse, à cause de votre dureté de cœur, vous permit (propr. ordonna) de répudier vos femmes ». L’altération de la forme *-ans en slave contraste avec son maintien pur et simple dans un dialecte grec : le dorien de Crète. La grande inscription de Gortyne (Ve siècle av. J.-C.) procure, entre autres, l’accusatif pl. στέγανς /stégans/ « maisons ». En voici le contexte : ἐ͂ δέ κ’ ἀποϑάνε̄ι τις, (σ)τέγανς µὲν τὰνς ἐν πόλι κἄτι κ’ ἐν ταῖς (σ)τέγαις ἐνει̃ , … ἐπὶ τοῖς υἰάσι !µε̄ν (IC IV 72, col. IV 31-37) « quelqu’un vient-il à mourir, que les maisons de ville et ce qui se trouve dans (ces) maisons … reviennent
216. Dans ce sens, Meiser 1998, p. 133 (§ 93,11) et Weiss 2009, p. 235-236. 217. Opinion de Leumann 1977, p. 421 (§ 350) et de Buck 1928 , p. 115 (§169). 218. Sur la valeur phonétique de v. sl. y, voir Vaillant 1950, t I, p. 119 (§ 53).
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(propr. soient) aux fils » 219. En ionien-attique, *-ans passe à -ās (ex. : λοιβάς /loibā́ s/ « libations ») et ce changement se produit après la fermeture de *ā en ē, puisque la voyelle longue de -ās garde son timbre.
11.2.3. Les thèmes en *-i- et en *-uDans les thèmes en -i- et en -u-, la désinence *-ns (*-n̥ s ) de l’accusatif pl. s’attache au degré zéro de la prédésinentielle. D’où les finales *-i-ns et *-u-ns. À en juger par le traitement du nominatif sg. m. du participe pré-
sent, le sanskrit réduit une séquence -V-ns à -V-n (cf. i.-e. *bhéronts « portant » > i.-ir. *bháran(t)s > skr. bháran). Par conséquent, *-ins et *-uns devraient donner skr. -in et -un (avec perte de la sifflante sans allongement compensatoire). Pourtant, les seules finales attestées sont -īn et -ūn, ce qui pourrait s’expliquer par une influence analogique de l’accusatif pl. en -ān des noms thématiques. Comme exemple de forme en -īn, le R̥ gveda procure girī́n (de girí- m. « montagne ») en 10,138,2 : ávāsr̥ jaḥ prasvàḥ śvañcayo girī́n « tu libéras les (vaches) pleines, tu forças les montagnes ». Illustre la finale -ūn un accusatif pl. comme śátrūn (śátru- m. « ennemi »). Exceptionnellement, la forme en -ūn possède un doublet en -vaḥ : paśū́ n (paśú- m. « bétail, tête de bétail ») est concurrencé par paśváḥ, dont la désinence -aḥ remonte à *-n̥ s. En avestique, *-ins et *-uns se simplifient aux dépens de la nasale. Les textes ont donc des formes en -īš et en -ūš, comme gairīš « montagnes » (Y. 42,2) et gāth. xratūš « intellects » (Y. 31,11 et 32,14). La variante *-n̥ s de la désinence donne ir. -ah > av. -ō. Le nom du « bétail », pasu- m., a ainsi un accusatif pl. pasuuō (cf. véd. paśváḥ) à côté de pasūš. 219. À la suite de la protase, l’apodose prend la forme d’une proposition infinitive à valeur de prescription (cf. Schwyzer-Debrunner 1950, p. 383). En ce qui concerne l’orthographe, ε s’emploie aussi pour ē. Remarques : ἐ͂ = att. ἦ, particule de phrase ; ἐ͂ … κ(α) « sobald als » (Thumb-Kieckers 1932, § 143, 19 b) ; πόλι : dat. sg. (ibid., § 142, 4) ; κἄτι = καὶ ἄτι, n. pl. de ὅστις (ibid., § 142,19) ; !µε̄ν = ἤµην, infinitif du verbe « être » (ibid., § 141, 6 b et 7 a ; Schwyzer 1953, p. 807).
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Le lituanien a les reflets -is et -us des finales *-i-ns et *-u-ns de l’accusatif pl. des thèmes en -i- et en -u-. La perte de la nasale entraîne une homonymie entre l’accusatif pl. et le nominatif sg. Des formes comme vagìs « voleur », akìs « œil » ou dantìs « dent » sont ambivalentes. En vieux lituanien, un exemple d’accusatif pl. en -is, szemepatis (= žemėpatis) « génies (protecteurs de la ferme) » apparaît chez Mažvydas, Cat. 9,19 : Kaukus szemepatis ir laukasargus pameskiet « Laissez tomber les lutins, les génies et les (esprits) gardiens des champs ». En vieux slave, n de la finale *-ins disparaît en tant que consonne, mais nasalise la voyelle précédente, d’où *-įs. Puis se produisent une dénasalisation et la chute de la sifflante finale.
Ne subsiste donc que la voyelle -i. De pǫtĭ « chemin », par exemple, l’accusatif pl. est pǫti. – Dans les thèmes en -u-, les formes en -us du nominatif sg. et de l’accusatif pl. sont homonymes dans le type lit. dangùs « ciel », mais se distinguent, dans d’autres classes flexionnelles, par l’accentuation : cf., par exemple, nom. sg. sūnùs « fils » / acc. pl. sū́ nus. En slave, i.-e. *-uns se change en *-ū et cette voyelle longue donne régulièrement v. sl. -y. Lit. sū́ nus a donc pour correspondant v. sl. syny « fils ». En grec, l’accusatif pl. des thèmes en -i- et en -u- a pour expression des formes archaïques dans le dorien de Crète et d’Argolide, où les finales *-ins et *-uns se conservent intactes. Des inscriptions ont πόλινς /pólins/ « villes », ὄϝινς /ówins/ « moutons » et υἱύνς /huiúns/ « fils », par exemple. Dans la langue homérique, la séquence *-ins passe phonétiquement à -īs. Il y a quelques témoignages de cette forme. Ainsi, ὄῑς /óīs/ se rencontre en 11,245 de l’Iliade : πρῶθ’ ἑκατὸν βοῦς δῶκεν, ἔπειτα δὲ χίλι’ ὑπέστη | αἶγας ὁµοῦ καὶ ὄῑς « (Iphidamas, pour la main d’une jeune fille) donna d’abord cent bœufs – puis en promit un millier – et en même temps des chèvres et des moutons ». À la finale résiduelle -ῑς /-īs/ fait concurrence la variante -εις /-eis/ [-ē ̣s]. Comme le grec attique, Homère a πόλεις /póleis/ [pólē ̣s]
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« villes » (Il. 2,648 ; 9,328 ; 18,342 ; 18,490). Cette forme relève d’abord du nominatif pl. Son emploi comme accusatif pl. pose un problème. Au premier abord, cette ambivalence fonctionnelle rappelle le nominatifaccusatif des inanimés. Mais une influence analogique des neutres sur les masculins et les féminins paraît peu probable et, en tout état de cause, se limiterait aux thèmes en -i- et en -u-. D’ailleurs, les aèdes préfèrent parfois à -εις /-eis/ [-ē ̣s] les finales mieux caractérisées -ιας /-ias/ et -ηας /-ēas/. Cf. πόλιας /pólias/ (Il. 4,308 ; etc.) et πόληας /pólēas/ (Od. 17,486). – Dans les thèmes en -u-, υἰύνς /uiúns/ « fils » se lit sur la grande inscription de Gortyne (IV 40). Il y est prescrit que si une personne meurt … λανκάνεν τὸς µὲν υἰύνς 220, ὀπόττοι κ’ ἴōντι, δύο µοίρανς ϝέκαστον, τὰδ δὲ θυγατέρανς, ὀπότται κ’ ἴōντι, µίαν µοῖραν ϝεκάσταν « … les fils, quel que soit leur nombre, recevront chacun deux parts ; les filles, quel que soit leur nombre, recevront chacune une part ». Au sens de υἱύνς /huiúns/, Homère emploie υἱέας /huiéas/ (Il. 5,149), pourvu d’une finale de type ionien. Cf. πελέκεας /pelékeas/ (Il. 23,114), de πέλεκυς /pélekus/ « hache ». L’attique a des formes en -εις /-eis/ : type πήχεις /pḗkheis/, de πῆχυς /pêkhus/ « bras, coude, coudée » 221. En latin, les formes de l’accusatif pl. résultent d’une évolution phonétique régulière : dans *-ins et *-uns, la nasale s’amuït et s’ensuit un allongement compensatoire de la voyelle précédente. Se termine par -īs le nom du « mouton », par exemple, c’est-à-dire ouīs, correspondant à gr. ὄῑς /óīs/. Cf. Plaute, Bacch. 1121 : Quis has huc ouis adegit ? « Qui a amené ici ces brebis ? » (en parlant de personnes). Mais, dès les plus anciens textes, la forme usuelle est ouēs, analogique des thèmes consonantiques. Cette expression fait aussi fonction de nominatif pl. – De même, la finale -ūs des 220. Ou υἱύνς /huiúns/, la psilose n’étant pas sûre en crétois central. Cf. Schwyzer 1939, p. 221. 221. L’accusatif pl. en -εις /-eis/ caractérise aussi les adjectifs en -ύς /-ús/.
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thèmes en -u- est ambivalente. Les formes en -ūs mōtūs et cōnātūs s’emploient comme accusatifs pl. chez Cicéron, Catil. 2,26 : Q. Metellus … aut opprimet hominem aut eius omnis motus conatusque prohibebit « Q. Metellus … ou écrasera l’homme (c.-à-d. Catilina) ou empêchera tous ses mouvements et tentatives ». En germanique, les moyens d’expression de l’accusatif pl. ont encore leur forme indo-européenne. La finale -ins est attestée dans got. saggwins (saggws m. thème saggwi- « chant ») et laikins (laiks m., thème laiki« danse »), par exemple. En Luc 15,25, Jésus raconte la parabole de l’enfant prodigue : atiddja neƕ razn jah gahausida saggwins jah laikins « (le fils aîné, en rentrant des champs) s’approcha de la maison et entendit les chants et les danses ». – La finale -uns des thèmes en -u- caractérise, entre autres, le nom du « fils », got. sununs (sunus m.), bien attesté.
11.2.4. Les thèmes en consonne Dans les thèmes consonantiques, les conditions phonétiques imposent la forme syllabique de la désinence : *-n̥ s. Le védique en a le reflet -aḥ. Comme la marque *-es du nominatif pl. se change aussi en -aḥ, il y a confusion entre les deux cas, sauf si le paradigme comporte des alternances vocaliques. Le cas échéant, l’accusatif pl. se signale, en principe, par le degré zéro de la prédésinentielle. Ce trait, caractéristique d’un « cas faible », se dégage d’une forme comme rā́ j-ñ-aḥ (vs nom.pl. rā́ j-ān-aḥ), de rā́ j-an- m. « roi ». Dans les thèmes en -r-, la finale attendue, *-r-aḥ < *-r-n̥ s ne se rencontre pas. En tient lieu la séquence -r̄ n̥ , analogique de -īn, -ūn des thèmes en -i- et en -u-. Cf. pitr̄ n̥ « pères », dātr̄ n̥ « dispensateurs ». L’avestique, en revanche, a le reflet de *-r-n̥ s (> *-r-as > *-r-ah > -r-ō) dans la finale de fəδrō « pères » 222. Dans les thèmes en -n-, la même structure – suffixe au degré 222. Cf. Hoffmann-Forssman 1996, p. 152, § 106.
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zéro + *-n̥ s – se dégage de gāth. magaonō < *magha-un-ah (magauuan« puissant »), par exemple 223. Les thèmes consonantiques du baltique ont une désinence -ins (< *-n̥ s) d’accusatif pl. Le vieux prussien la conserve intacte dans swīrins « bêtes sauvages », par exemple. En lituanien, -ins se réduit à -is par amuïssement de la nasale devant s. Offre un exemple d’accusatif pl. en -is la forme vándenis « eaux » (nom. sg. vanduõ, gén. sg. vandeñs). En slave, l’évolution de *-i(n)s aboutit à -i, car -s tombe à la finale absolue. Une forme en -i d’emploi fréquent fonctionne comme accusatif de temps : v. sl. dĭni « jours » (thème dĭn- m.). Dans Matthieu 28,20, Jésus dit à ses disciples : i se azŭ sŭ vami esmĭ vĭsę dĭni do sŭkonĭčanija věka « et voilà, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du temps ». Dans les thèmes consonantiques, la désinence *-n̥ s d’accusatif pl. se reflète dans gr. -ας. L’élément prédésinentiel se trouve au degré plein dans πα-τέρ-ας /pa-tér-as/ « pères », par exemple, au degré zéro dans ἄνδρας /ándras/ « hommes ». Mais Homère a un doublet ἀνέρας /anéras/ vs nom. pl. ἀνέρες /anéres/ et ἄνδρες /ándres/. Cette richesse s’explique par des extensions analogiques. Le mycénien n’enseigne rien, à défaut d’exemples sûrs. En raison de l’ambiguïté graphique, une forme comme ki-to-na vaut soit /khitōna/ = gr. alph. χιτῶνα /khitôna/, soit /khitōnas/ = χιτῶνας /khitônas/ (nom. sg. ki-to /khitōn/ = χιτών /khitṓn/ « tunique ». En latin, *-n̥ s passe régulièrement à *-ens > -ēs. Cette désinence se confond avec la marque du nominatif pl. Des termes comme patr-ēs « pères », homin-ēs « hommes » ou ped-ēs « pieds » fonctionnent donc tantôt comme sujets, tantôt comme compléments d’objet. En germanique, l’accusatif pl. des thèmes consonantiques se termine par -uns, reflet régulier de *-n̥ s. La forme brōþr-uns (brōþar m. « frère ») en 223. Cf. Hoffmann-Forssman 1996, p. 144, § 103.
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donne un exemple. Cf. Luc 14,12 : þan waurkjais undaurnimat aiþþau nahtamat, ni haitais frijonds þeinans nih broþruns þeinans … « Quand tu fais un déjeuner ou un dîner, n’appelle pas tes amis, ni tes frères … ».
11.3. L’instrumental pl. L’expression de l’instrumental pl. ne ressortit pas à une désinence unique, comme dans le cas de l’accusatif pl. (*-ns), mais se réalise au moyen de deux morphèmes concurrents : *-bhi(s) en indo-iranien, ainsi qu’en grec mycénien et homérique, *-mī̆s en balto-slave. La même répartition dialectale des composants *-bh- et *-m- s’observe au datif-instrumental duel (cf. supra).
11.3.1. Les thèmes en *-e/oAlors que la même désinence *-ns signale l’accusatif pl. des masculins en -o- et des féminins en -ā-, des formes distinctes caractérisent l’instrumental pl. Les noms thématiques signalent ce cas par une finale *-ōis. Un reflet en subsiste en grec dans des formes employées comme datifs pl. La voyelle constitutive de la diphtongue y conserve son timbre, mais s’abrège en vertu de la « loi d’Osthoff » 224. Ainsi, les formes de la prose classique se terminent par -οις /-ois/ : ἀνθρώποις /anthrṓpois/ (ἄνθρωπος /ánthrōpos/ « homme »), θεοῖς /theoîs/ (θεός /theós/ « dieu »), ἵπποις /híppois/ (ἵππος /híppos/ « cheval »). Chez Homère, la finale -οις /-ois/ de datif pl. existe, mais la variante -οισι /-oisi/ (morphème de locatif pl. à l’origine) apparaît beaucoup plus fréquemment. Devant voyelle, les occurrences de -οις /-ois/ ne sont pas pertinentes, car dans cette position la forme monosyllabique peut s’expliquer par l’élision de l’-ι /-i/ de -οισι /-oisi/ (-οισ’ /-ois’/). Restent les exemples de -οις /-ois/ devant consonne, comme en offrent les passages de l’Iliade, où θεοῖς /theoîs/ précède des mots à µ- /m-/ initial 224. Cette loi peut être énoncée ainsi : une longue s’abrège devant sonante + consonne.
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249
(5,606 et 20,292). En mycénien, les tablettes ont, semble-t-il, des formes d’instrumental pl. en -ois (noté -o). En apporte un témoignage particulièrement probant l’adjectif e-re-pa-te-jo /elephanteiois/ « en ivoire », en tant qu’épithète de formes en -pi /-phi/ dans l’inventaire d’un mobilier : ta-ra-nu ku-te-se-jo a-ja-me-no e-re-pa-te-jo a-di-ri-ja-pi re-wo-pi-qe « un tabouret en ébène (?) orné de figures d’hommes et de lions en ivoire » (PY Ta 708). Ce texte décrit un ta-ra-nu /thrānus/ = θρῆνυς /thrênus/ « tabouret » (depuis l’Odyssée). L’adjectif de matière ku-te-se-jo signifie probablement « en bois d’ébène » (cf. § 11.3.2). Le terme a-ja-me-no, participe en -menos d’un verbe non identifié, est traduit par « incrusté, orné de », sur la base de ses conditions d’emploi. En dépendent a-di-ri-ja-pi /andriamphi/ < *andriantphi et re-wo-pi /lewomphi/ < *lewont-phi. Ces noms coordonnés par -qe (< *-kwe ; cf. lat. -que) se retrouvent au Ier millénaire dans ἀνδριάς /andriás/
(thème ἀνδριάντ-/andriánt-/) « figure d’homme, statue », resp. dans λέων /léōn/ (thème λέοντ-/léont-/) « lion ». En dehors du grec, des formes en -ois sont bien attestées en italique et y occupent la place du datif-ablatif pl. dans le paradigme de la flexion thématique. À titre d’exemple, le pélignien (groupe dialectal osque) procure, dans une dédicace, le syntagme iouiois puclois « aux fils de Jupiter », propr. « aux fils joviens », c’est-à-dire « aux Dioscures » (Vetter, 1953, 202 = Rix 2002, Pg 5). En latin, un vestige de la finale -ois se trouve aussi dans une mention des dieux jumeaux, mais dans la transcription de leur nom grec : qurois (= κούροις /koúrois/). Cette attestation a pour contexte une inscription archaïque de Madonnetta (CIL I2 2833 ;
VIe-Ve
siècle avant
J.-C.) : Castorei Podlouqueique qurois « (consacré) aux Dioscures Castor et Pollux ». Au cours de l’histoire du latin, -ois passe à -eis. Des exemples de cette forme apparaissent dans des documents épigraphiques. Ainsi, un décret de 189 avant J.-C. porte l’expression in castreis « au camp » (CIL I2
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Chapitre XI : nom : flexion du pluriel
614). Par la réduction de la diphtongue à une voyelle longue, -eis se change en -īs, comme en témoigne le latin classique (cf. in castrīs chez César, Gall. 1,29,1 ; etc.). En indo-iranien, la neutralisation des timbres vocaliques au profit de a rend compte du traitement *-āiš de i.-e. *-ōis. Dans la branche indienne, la diphtongue longue s’abrège : véd., skr. -aiḥ. Cette finale héritée est concurrencée par -ebhiḥ en védique. Áśvaiḥ « avec les chevaux », par exemple, coexiste avec áśvebhiḥ « id. ». La forme en -bhiḥ s’explique par une réfection sur le modèle de la flexion pronominale. En effet, l’instrumental pl. du démonstratif tá- « celui-ci » a pour unique expression tébhiḥ dans le R̥ gveda. La variante táiḥ, analogique de l’ancienne désinence nominale, est attestée à partir de l’Atharvaveda et s’impose, plus tard, dans la langue classique. En avestique, la forme indo-iranienne *-āiš se maintient intacte. En témoigne un instrumental pl. comme daēuuāiš (thème daēuua- « faux dieu »), commun au gāthique et à l’avestique récent. Le terme se rencontre, par exemple, dans le contexte d’une profession de foi : vī daēuuāiš … sarəm mruiiē hātąm draojištāiš « je refuse (tout) commerce avec les faux dieux, les plus menteurs du monde (littéralt de ceux qui existent) » (Y. 12,4). Dans le groupe balto-slave, le lituanien rappelle les faits indiens par le traitement -ais de *-ōis : výrais « avec les hommes », vilkaĩs « avec les loups ». Cette finale s’explique de la manière la plus simple par l’abrègement de la diphtongue longue devant -s, puis par le passage de *oi à ai en syllabe atone, enfin par l’extension analogique de ai en syllabe accentuée 225. En vieux slave, le morphème -y de vlĭky (vlŭky) « avec les loups » suppose le changement de *-ōis en *-uois. Ensuite, la triphtongue de cette
225. « Im Instr. Pl. muss *ōi vor -s schon früh gekürzt worden sein » (Stang 1966, p. 186).
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syllabe se simplifie, d’où *-uis. Par l’amuïssement de la sifflante finale, enfin, *-uis se réduit à -ui noté y.
11.3.2. Les thèmes en *-āDans les thèmes en *-ā de l’indo-iranien, l’instrumental pl. est signalé par la désinence *-bhis. Le védique a des formes en -ābhiḥ, comme prajā́ bhiḥ « par des enfants », par exemple. Un emploi du terme figure en RV 5,4,10 : prajā́ bhir agne amr̥ tatvám aśyām « par des enfants je voudrais obtenir l’immortalité, ô Agni ! » (c.-à-d. : par le moyen de ma descendance je voudrais me perpétuer). À skr. -bhiḥ correspond av. -bī̆š. L’Avesta atteste, par exemple, gənābīš « avec les femmes divines, avec les déesses », Y. 38,1 : imąm āat̰ ząm gənābīš haϑrā yazamaidē « nous révérons cette terre avec les déesses en même temps » (c.-à-d. : en même temps que les déesses). À part la sifflante finale, la marque indo-iranienne de l’instrumental pl. a un écho dans les formes grecques en -φι /-phi/ (myc. -pi /-phi/). Parmi les attestations de la finale -a-pi en linéaire B, a-ni-ja-pi (KN Sd 4401, etc.) s’avère interprétable. Comme le terme apparaît dans des inventaires de chars et de pièces d’attelage, le contexte en suggère la lecture /hāniāphi/ « avec les rênes » moyennant le rapprochement de gr. alph. ἡνίαι /hēníai/, dor. ἁνίαι /hāníai/ (cf. ἁνίαις /hāníais/, dat. pl., chez Pindare, Pyth. 5,43). Un témoignage mycénien également clair est ku-ru-sa-pi (PY Ta 707). Le terme fonctionne apparemment comme adjectif et accompagne un substantif de sens incertain : to-no ku-te-ta-jo ku-ru-sa-pi o-pi-ke-re-mi-ni-ja-pi … « un siège en bois de kutesos avec des opikereminija en or … ». Le mot tono note sans doute /thornos/, variante à métathèse de θρόνος /thrónos/ « siège, trône ». Ensuite, ku-te-ta-jo paraît fautif, car la suite de la tablette, ainsi qu’un autre texte de la série Ta de Pylos, portent to-no ku-te-se-jo. La
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finale de ku-te-se-jo dénonce un adjectif dérivé de ku-te-so (= κύτισος /kútisos/ « cytise, faux ébénier »?). Enfin, même si o-pi-ke-re-mi-ni-ja n’a pas d’étymologie sûre, son déterminant ku-ru-sa-pi se comprend sans peine comme notation de /khrūs(s)āphi/, instrumental pl. f. de l’adjectif kuru-so /khrūs(s)os/ < *khrūsyos « en or » (cf. χρύσε(ι)ος /khrúse(i)os/). Au Ier millénaire, de nombreuses formes en -φι /-phi/ se rencontrent chez Homère et témoignent, entre autres traits, des affinités de la langue épique avec le mycénien. Toutefois, les conditions d’emploi de cette désinence commune ne concordent que partiellement. Tandis qu’en mycénien les formes en -pi /-phi/ remplissent les fonctions de l’instrumental pl. et, dans les toponymes, de l’ablatif pl. ou du locatif pl., leurs correspondants homériques s’emploient aussi avec la valeur du datif ou du génitif et s’entendent tantôt au singulier, tantôt au pluriel 226. Les thèmes en -ā- fournissent, par exemple, ἀγέληφι /agélēphi/ « dans le troupeau » (Il. 2,480), βίηφιν /bíēphin/ « (ils se fient) à leur(s) force(s) » (Il. 4,325), ἀπὸ νευρῆφιν /apò neurêphin/ « de la corde (de son arc) » (Il. 8,300). À la différence de la forme homérique en -φι /-phi/, plurifonctionnelle, la désinence *-mī̆s du balto-slave caractérise en propre l’instrumental pl. En lituanien, la finale -omis du type féminin en -ā- apparaît, par exemple, dans la locution su rañkomis « avec les mains » (Donelaitis, Mẽtai 3,172). Dans les données comparables du vieux slave règne une marque -ami. Ainsi, glava « tête » a un instrumental pl. glavami, attesté dans l’Évangile de Marc (15,29) : i mimo xodęštei xulěaxǫ i pokyvajǫšte glavami svoimi « et les passants l’outrageaient en hochant la tête (littéralt de leurs têtes) ».
226. À propos du rôle des formes mycéniennes en -pi, voir Ventris-Chadwick 1973, p. 403, et Bartoněk 2003, p. 465-466.
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11.3.3. Les thèmes en *-i- et en *-uDans les thèmes en -i- de l’indo-iranien, l’instrumental pl. se signale par le degré zéro du suffixe. Les formes se terminent donc par *-i-bhis. Cette finale apparaît fréquemment en védique. En est pourvu háribhiḥ (hári- m. « cheval aubère »), par exemple. Cf. RV 3,44,1 : juṣāṇá indra háribhir na ā́ gahi « viens, joyeux, vers nous, Indra, avec tes chevaux aubères ! ». – Dans la flexion des thèmes en -u-, la finale attendue -u-bhiḥ a aussi de nombreux représentants en védique. Parmi les formes en -u-bhiḥ, pāyúbhiḥ (pāyú- m. « protecteur, gardien ») est attesté plusieurs fois. En avestique, l’instrumental pl. en -ubī̆š se rencontre dans gāth. hizubīš (Y. 49,4), d’un thème en -ūlong : hizū- m. « langue ». En balto-slave, l’instrumental pl. des thèmes en -i- et en -u- a pour expression des formes en *-i-mī̆s et en *-u-mī̆s. Avec la finale -i-mis, le lituanien procure, par exemple, le féminin akimìs (akìs « œil »). Cf. Vilentas, Cat. 49, 12-13 : Poakimis surinkima Chriksczonischka tur buti Wenczawoti tais žodzeis = Po akimis surinkimo krikščioniško tur būti venčiavoti tais žodžiais « En présence (littéralt sous les yeux) de l’assemblée chrétienne, ils doivent être mariés dans ces termes ». En vieux slave, la finale -ĭ-mi repose sur *-i-mīs. Le nom de la « bête sauvage », zvěrĭ, a l’instrumental pl. zvěrĭmi. Cf. Marc 1,13 (à propos de Jésus dans le désert) : i bě sŭ zvěrĭmi « et il était avec les bêtes sauvages ». – Dans la classe des thèmes en -u-, le lituanien a des formes du type sūnumìs (sūnùs m. « fils »). Le vieux slave en a le correspondant synŭmi (synŭ m. « fils »). Dans les thèmes en -i- du mycénien, les formes en -pi /-phi/ de l’instrumental pl. comportent le degré zéro de la prédésinentielle. En témoigne poti-pi, attesté en PY Ta 707. Le texte de la tablette mentionne un siège (tono /thornos/ ≈ θρόνος /thrónos/), dont le dossier (?) est orné « d’une figure humaine et de génisses » (a-di-ri-ja-te-qe po-ti-pi-qe /andriantei-kwe
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portiphi-kwe/ ≈ ἀνδριάντι τε πόρτιφί τε). La forme πόρτιφι /pórtiphi/ se définit comme l’instrumental pl. de πόρτις /pórtis/ m. ou f. « veau » ou « génisse ». Chez Homère, ἶ-φι /î-phi/, du vieux nom-racine "ς /ī́s/ f. « force », s’entend au singulier et s’emploie dans des formules (type ἶφι µάχεσθαι /îphi mákhesthai/ « combattre avec force », Il. 1,151). – Un thème en -u- à désinence -φι /-phi/ se cache peut-être dans myc. ka-ru-pi (PY Ta 722), mais le sens du mot est incertain, car le rapprochement de κάρυ-ον /káruon/ « noix » ne s’impose pas 227. Au type en -u- se rattache la forme à diphtongue ναῦς /naûs/, hom. νηῦς /nēûs/, f. « vaisseau, nef », dont hom. ναῦφιν /naûphin/ « des nefs » et παρὰ ναῦφιν /parà naûphin/ « d’auprès des nefs » n’ont pas la valeur de l’instrumental.
11.3.4. Les thèmes en consonne Dans les thèmes consonantiques, comme dans les types en -i- et en -u-, les formes védiques en -bhiḥ comportent le degré zéro de la prédésinentielle. Ce trait se dégage, en particulier, des noms en -r- et en -n- : pi-tŕ̥-bhiḥ (pi-tár- m. « père »), rā́ j-a-bhiḥ (rā́ j-an- m. « roi » ; -a-bhiḥ < *-n̥ -bhis). En avestique, un neutre en -r/n- présente la finale -arə-biš, dans laquelle ə n’est pas étymologique (anaptyxe) : baēuuarǝbiš (baēuuar- / baēuuan« dix mille »). Dans les thèmes en consonne du lituanien, la désinence -mis se combine avec la voyelle de liaison -i-, de sorte que l’instrumental pl. se termine par -i-mis, comme dans les thèmes en -i-. Présente la finale -imis la forme šunimìs (šuõ, šun- m. « chien »), par exemple. En vieux slave, fait office de liaison la voyelle ultra-brève ĭ. Ainsi, sur le thème dĭn- « jour » se construit dĭn-ĭ-mi. Cf. l’expression trĭmi dĭnĭmi « en trois jours » (Marc 14,58, codex
227. Bartoněk admet cette interprétation (voir Bartoněk 2003, p. 277 et 386).
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Marianus). La variante dĭny, analogique des noms thématiques (cf. vlĭky « avec les loups », § 11.3.1), est attestée dans le codex Zographensis, ibid. Des thèmes consonantiques à désinence -φι /-phi/ se rencontrent en mycénien et dans les poèmes homériques. Une tablette de Pylos porte la forme po-pi /popphi/ < *pod-phi dans le syntagme e-re-pa-te-jo popi /elephantejois popphi/ « avec des pieds en ivoire » (PY Ta 642), en parlant d’une table. On le voit, la dentale de *pod- s’assimile à la labiale initiale de la désinence. En revanche, une vélaire finale de thème conserve son point d’articulation. Cf. po-ni-ki-pi (PY Ta 714), à lire /phoinīkhphi/ « avec des palmettes » (comme décoration ; gr. alph. φοῖνιξ, -ῑκος /phoîniks, -īkos/ m. « palmier, palme »). À côté des thèmes vocaliques et en occlusive, les neutres en -es-/-os fournissent plusieurs formes en -φι /-phi/ : myc. te-u-kepi /teukhesphi/ « avec les pièces d’équipement » (cf. τεῦχος /teûkhos/), hom. ὄχεσφι /ókhesphi/ « avec les chars », ὄρεσφι /óresphi/ « dans la montagne », (διὰ) στήθεσφιν /(dià) stḗthesphin/ « à travers la poitrine », (ἐξ) Ἐρέβεσφιν /(eks) erébesphin/ « de l’Érèbe ».
11.4. Le datif(-ablatif) pl. À l’instrumental pl. s’apparente morphologiquement le datif(-ablatif) pl. Ce cas a pour expression une désinence *-bh(y)os ou *-mos, *-mus.
11.4.1. Les thèmes en *-e/oLa désinence indo-européenne *-bhyos donne régulièrement skr. -bhyaḥ. Cf. devébhyaḥ « aux dieux » ou « de la part des dieux ». Dans la finale -ebhyaḥ, l’élément -e- remonte à une ancienne diphtongue, comme l’avestique en donne confirmation. Il y a lieu de reconstruire i.-ir. *-ai-bhyas, reflet de i.-e. *-oi-bhyos. Le remplacement de la voyelle thématique -o- par -oi-, d’abord dans la flexion pronominale, puis par analogie dans la flexion
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nominale, ne s’explique pas de manière satisfaisante. Comme dans les autres classes morphologiques, la désinence -bhyaḥ de la déclinaison thématique est ambivalente. Sa valeur de datif pl. apparaît dans un emploi de devébhyaḥ, RV 4,54,2. Le poète loue les bienfaits de Savitṛ : devébhyo hí prathamáṃ yajñíyebhyo amr̥ tatváṃ suvási « d’abord, aux dieux dignes de sacrifices tu accordes l’immortalité ». En revanche, devébhyaḥ est un ablatif pl. en RV 1,74,9. Agni sert d’intermédiaire entre le croyant et les dieux : utá dyumát suvī́ryam br̥ hád agne vivāsasi | devébhyo deva dāśúṣe « et tu demandes aux dieux (littéralt tu cherches à obtenir des dieux), ô dieu Agni, une grande (et) brillante richesse en hommes pour l’adorateur ». De même que véd. -bhyaḥ, av. -biiō remplit une double fonction. S’emploient comme datifs pl. gāth. vīspōibiiō « pour tous » (Y. 44,2) ou av. réc. aməšaēibiiō « aux immortels » (V. 19,25), comme ablatifs pl. gāth. miϑrōibiiō « de (ses) liens » (Y. 46,5) ou av. réc. vātaēibiiō « par rapport aux vents » (H. 2,7), complément du comparatif. À ces données indo-iraniennes s’ajoutent des témoignages italiques comme, par exemple, vén. louderobos « pour (ses) enfants » (PellegriniProsdocimi 1967, t. I, p. 150, Es 45). La finale -o-bos se distingue doublement de skr. -e-bhyaḥ : 1o la désinence -bos continue *-bhos, non *-bhyos ; 2o l’élément prédésinentiel se réduit à la voyelle thématique. Un morphème encore différent, à initiale -m-, caractérise le datif pl. en balto-slave. Ainsi, le lituanien moderne recourt à la désinence -ms : výrams « aux hommes, aux maris ». En vieux lituanien se rencontre encore la forme syllabique -mus. Un exemple de wiramus figure dans le Catéchisme de Mažvydas. Le passage en question se réfère à l’Épître aux Éphésiens (5,24) sur le devoir des femmes : Atadel kurio budu Baβniczie padota esti Christui, taipo ijr materis sawa wiramus padotas testawi wysamij « Or, donc, de la manière dont l’Église est soumise au Christ, qu’ainsi les femmes soient aussi
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soumises en tout à leurs maris » (34,7-10). La caractéristique -m- se retrouve en vieux prussien dans la désinence nominale -mans (steimans waikammans « aux serviteurs ») et dans la variante pronominale -mas (noūmas « à nous », à côté de noūmans). Étymologiquement inconciliables, v. lit. -mus et v. prus. -ma(n)s remontent à des formes distinctes en indoeuropéen, resp. *-mus et *-mos. En vieux slave , la finale -omŭ admet une origine *-o-mus ou *-o-mos. Un exemple de datif pl. en -omŭ, čędomŭ (cf. čędo n. « enfant »), apparaît dans Matthieu 7,27 : něstŭ bo dobro otęti xlěba čędomŭ « car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants (littéralt le pain aux enfants) ». En dehors du balto-slave, une marque -m de datif pl. est bien attestée en germanique. Cette désinence forme avec la voyelle thématique une finale -am en gotique. Le mot wair « homme », par exemple, a un datif pl. wairam. Un emploi de cette forme se rencontre dans le contexte d’un commandement (cf. supra, l’attestation de v. lit. wiramus chez Mažvydas) : jus qinons, ufhausjaiþ wairam izwaraim « vous, femmes, obéissez à vos maris » (Épître aux Colossiens 3,18). Comme en germanique, un ancien morphème d’instrumental sert à l’expression du datif-ablatif pl. en grec et en latin. En effet, gr. -οις /-ois/ et lat. -īs continuent i.-e. *-ōis, finale d’instrumental pl. (cf. § 11.3.1).
11.4.2. Les thèmes en *-āDans les thèmes en -ā- comme ailleurs, la forme à *-bh- subsiste en indoiranien, la variante à *-m- en balto-slave. Les faits sanskrits attestent une finale -ā-bhyaḥ dès l’époque védique. Un poète du R̥ gveda emploie le datif pl. usríyābhyaḥ « pour les vaches », par exemple, dans un hymne à Indra. Le texte fait allusion à la libération des vaches (représentant les eaux) enfermées dans un rocher par le démon Vr̥ tra (6,17,6) : aúrṇor dúra
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usríyābhyo ví dr̥ ḷhā́ « tu ouvris aux vaches les portes, les forteresses » (c.-àd. les portes de la forteresse). En fonction d’ablatif, une forme en -ābhyaḥ se rencontre encore dans le contexte de la dévotion à Indra, RV 2,41,12 : índra ā́ śābh(i)yas pári sárvābhyo ábhayaṃ karat « Qu’Indra apporte la sécurité de tous côtés ». Le terme ā́ śābhyas se rattache à ā́ śāḥ « contrées », toujours au pluriel dans le R̥ gveda. De même que véd. -bhyaḥ, av. -biiō (-biias devant -ca) est une désinence ambivalente. Au sens du datif pl., la finale -ābiiō apparaît dans un participe, épithète d’un nom féminin, Y. 53,5 : vaziiamnābiiō kainibiiō mraomī « je parle aux jeunes épousées ». Un exemple de forme en -ābiiō à valeur d’ablatif se rencontre dans le syntagme prépositionnel haca gaēϑābiiō « (venant) du cheptel », V. 13,10. L’auteur du texte envisage un cas de rapine : yasə tat̰ … tāiiuš vā vəhrkō vā apaiti.busti haca gaēϑābiiō para.baraiti dasa … « or, si un voleur ou un loup (littéralt lequel, voleur ou loup) emporte, sans être remarqué, une bête (venant) du cheptel … ». L’ambivalence de *-bhyos dans ses reflets indo-iraniens contraste avec la désinence *-mus, expression du seul datif pl., en balto-slave. Dans cette branche, l’indication du point de départ ou de l’origine ressortit à un complément prépositionnel, généralement de forme lit. iš (v. lit. iž), v. sl. iz + génitif. En revanche, le destinataire de l’action verbale est caractérisé par le morphème *-mus. La finale *-ā-mus des noms en -ā- donne -oms en lituanien : dainóms, datif pl. de dainà « chant ». En vieux slave, la même forme est représentée par la marque -amŭ. En procure un exemple l’énoncé sǫprotivno estĭ knigamŭ « c’est contraire aux Écritures » (saint Athanase, Discours contre les Ariens, IV, § 13, dans la traduction de Constantin). En germanique, la marque -ōm du gotique (ex. : þiudōm « pour les nations ») se ramènerait sans peine à *-ā-mus. Cependant, une origine *-āmis paraît plus probable, car, ici ou là, un changement de timbre (Umlaut)
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plaide pour le vocalisme i de la désinence. En effet, le passage de ā (< germ. *ai < i.-e. *oi) à ǣ dans v. angl. þǣm, datif pl. du démonstratifarticle, suppose une forme ancienne *toi-mis. Dans ces conditions, le germanique affecterait le morphème indo-européen de l’instrumental pl. à l’expression du datif pl. Le même phénomène s’observe en grec : -αις s’explique par l’analogie de -οις et -οις remonte à *-ōis, finale de l’instrumental pl. dans la déclinaison thématique. À la forme casuelle -αις /-ais/ s’ajoutent des variantes. Les inscriptions attiques anciennes attestent -ησι /-ēsi/ (-ᾱσι /-āsi/), marque du locatif pl. à l’origine. Dans cette finale, -σ- /-s-/ intervocalique a été restauré d’après le modèle flexionnel des thèmes consonantiques (cf. χερσί /khersí/, de χείρ /kheír/ « main », par exemple). La forme phonétiquement régulière, *-āhi, survit probablement en mycénien. La graphie -a-i la représente peut-être dans un datif pl. comme a-qi-ja-i, à lire sans doute [i]qi-ja-i /(h)ikkwiāhi/ « pour les chars » (PY An 1282) 228. Cette conjecture s’appuie sur le contexte de la tablette et sur les attestations de i-qi-ja à Cnossos. Le mot s’explique comme dérivé de i-qo « cheval » (cf. ἵππος /híppos/, ἵππιος /híppios/). À l’interprétation de myc. -a-i par *-āhi C. J. Ruijgh préfère l’identification avec -αις /-ais/ 229. Quoi qu’il en soit, les textes alphabétiques attestent encore hom. -ῃσι /-ēisi/ et att. -αισι /-aisi/ (notamment dans la tragédie). Ces finales complexes s’expliquent, semblet-il, par la contamination de -ησι /-ēsi/ (-ᾱσι /-āsi/) et de -αις /-ais/. Hors du grec, *-ais se rencontre en italique, comme caractéristique du datif-ablatif pl. L’osque en offre un bel exemple dans kerssnais « avec une offrande de céréales (?) » (Vetter 86 = Rix 2002, Cp 31). La finale -īs (< *-āis) du correspondant latin cēnīs (cf. cēna « dîner ») ne se distingue plus,
à l’époque classique, de la désinence des noms thématiques (issue de *-ōis). 228. Voir Ventris-Chadwick 1973, p. 521. 229. Discussion du problème chez Ruijgh 1967, p. 82, § 61.
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11.4.3. Les thèmes en *-i- et en *-uComme dans les noms thématiques, une désinence unique signale le datif et l’ablatif pluriels dans les thèmes en -i- et en -u- : i.-e. *-bh(y)os ou *-mos (*-mus). De *-bh(y)os procède véd. -bhyaḥ ou -bhiyaḥ suivant les nécessités métriques. Les finales -i-bhyaḥ et -u-bhyaḥ sont bien attestées. Avec la valeur du datif pl., se rencontre sūríbhyaḥ (sūrí- m. « protecteur ») en RV 6,68,7 : sūríbhya (= -bhyaḥ) indrāvaruṇā rayíḥ ṣyāt « puisse la richesse, Indra et Varuṇa, échoir à (nos) protecteurs ! ». En fonction d’ablatif pl. s’emploie giríbhyaḥ dans ses trois occurrences r̥ gvédiques. C’est que la signification de girí- « (région de) montagne » l’approprie, en quelque sorte, au choix d’un cas de sens local. En avestique, gairi- m., parent de véd. girí-, figure à l’ablatif pl. en 2,22 du Vīdēvdāt : (Que viennent les hivers) yahmat̰ haca … snaoδō vafra snaēžāt̰ barəzištaēibiiō gairibiiō « en raison de quoi les nuages fassent tomber la neige des plus hautes montagnes ». – La finale védique -ubhyaḥ des thèmes en -u- fournit le pendant de la finale -ibhyaḥ des thèmes en -i-. À titre d’exemple, la forme paśúbhyaḥ (paśú- m. « (tête de) bétail ») se lit en RV 10,85,44. Le poète s’adresse à Sūryā : edhi śivā́ paśúbhyaḥ « sois salutaire aux bêtes ! ». En avestique se rencontrent des datifs pl. en -ubiiō. Cf. vaŋhubiiō (Vr. 8,1 ; de vaŋhu- « bon ») en regard de véd. vásubhyaḥ (de vásu- « id. »). En balto-slave, le datif pl. s’exprime, comme l’instrumental pl., par une désinence à m initial. Sa forme préhistorique devait être *-mos ou *-mus. En lituanien, les finales *-i-mos / *-i-mus et *-u-mos / *-u-mus des thèmes en -i- et en -u- se réduisent à -i-ms et à -u-ms par syncope de la voyelle dans la dernière syllabe. De lit. kiemionis « villageois, par exemple, le datif pl. kiemionims se trouve, sous la forme kiemianims, dans le Catéchisme de Vilentas (6,14). En vieux slave, les voyelles de *-i-mos / *-i-mus s’affaiblissent en des ultra-brèves et la sifflante finale s’amuït. D’où la caractéristique
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-ĭmŭ, attestée dans zvěrĭmŭ (zvěrĭ « bête sauvage »), par exemple. Cf. l’expression zvěrĭmŭ povrěšti « jeter aux bêtes » (codex Suprasliensis 3,46,127b4). – Les thèmes en -u- du lituanien ont un datif pl. en -u-ms dès les plus anciens textes. La forme sūnùms (sūnùs m. « fils ») est attestée chez Mažvydas, Cat. 65,14. En vieux slave, le traitement régulier de *-umos / *-u-mus donnerait *-ŭ-mŭ. Mais cette finale est remplacée par -o-mŭ sous l’influence des thèmes en -o-. C’est pourquoi l’équivalent de lit. sūnùms a la forme synomŭ (synŭ m. « fils »). Cf. Marc 3,28 : amin’ gl(lago)ljǫ vamŭ ěko vsě otŭpustętŭ sę s(y)nomŭ č(lověčĭ)skomŭ sŭgrěšeniě … « je vous dis en vérité que tous les péchés seront remis aux fils des hommes … ». En grec, la morphologie du datif pl. n’a pas de rapport avec les formes indo-iraniennes ou balto-slaves du même cas. La désinence -σι /-si/ rappelle -su du locatif pl. védique. La voyelle i de ce morphème s’explique peut-être par l’influence du datif (ancien locatif) sg. en -i. À l’origine, les thèmes en -i- et en -u- présentent les finales -ι-σι /-i-si/ et -υ-σι /-u-si/. L’ionien d’Hérodote procure πόλισι /pólisi/ (1,151), de πόλις /pólis/ f. « ville », et Homère δάκρυσι /dákrusi/ (Il. 9,570 ; etc.), de δάκρυ /dákru/ n. « larme ». Mais le dialecte attique a des formes en -ε-σι /-e-si/, à côté de génitifs pl. en -ε-ων /-e-ōn/ : πόλεσι /pólesi/ (gén. pl. πόλεων /póleōn/), πήχεσι /pḗkhesi/ (gén.pl. πήχεων /pḗkheōn/), de πῆχυς /pêkhus/ m. « bras ; coudée », ἡδέσι /hēdési/ (gén. pl. ἡδέων /hēdéōn/), de ἡδύς /hēdús/ adj. « doux ». Le degré zéro de la prédésinentielle, dans le type en -ι-σι, -υ-σι /-i-si, -u-si/, est ancien, comme l’attestent, par exemple, véd. gir-í-ṣu « sur les montagnes » (girí- m.) et bāh-ú-ṣu « dans les bras » (bāhú- m.). Sauf dans les noms en -o- et en -ā-, le latin signale le datif-ablatif pl. par une désinence -bus (< *-bhos), étymologiquement voisine de skr. -bhyaḥ. Une voyelle prédésinentielle -i- caractérise les formes des thèmes en -i- et,
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souvent, des thèmes en -u-. La finale -i-bus se rencontre, par exemple, dans ignibus (ignis m. « feu ») ou dans auribus (auris f. « oreille »). Se termine aussi par -ibus, en principe, le datif-ablatif pl. des noms de la IVe déclinaison. Cf. mōtibus (mōtus m. « mouvement »), manibus (manus f. « main »), cornibus (cornū n. « corne »). Ont, en revanche, la finale -ubus : artubus (artus m. « articulation ; membre (du corps) »), partubus (partus m. « enfantement » ; pl. « enfants »), tribubus (tribus f. « tribu »), etc. Des doublets comme specubus / specibus (specus m. « caverne ») suggèrent l’existence d’un son intermédiaire entre u et i 230. En gotique, le datif pl. a pour expression la désinence -m, comparable à la marque de datif pl. ou d’instrumental pl. du balto-slave. La finale *-imos ou *-imis se réduit à *-ims > *-imz > *-imm > -im et, parallèlement, *-umos / *-umis se change en *-ums > *-umz > *-umm > -um. Un thème en
-i- comme gardi- m. (nom. sg. gards) « maison » a le datif pl. gardim. Cf. Matth. 11,8 : in gardim þiudane « dans les maisons des rois » (in + datif au sens local). La forme sunum (sunus m. « fils ») s’emploie pour le destinataire en Marc 3,28 : sunum manne « (tous les péchés seront remis) aux fils des hommes ».
11.4.4. Les thèmes en consonne Dans les thèmes consonantiques, les noms en -r- et en -n- présentent le degré zéro du suffixe devant la désinence -bhyaḥ du védique. En font foi des formes comme pi-tŕ̥-bhyaḥ (pi-tár- m. « père »), sto-tŕ̥-bhyaḥ (sto-tárm. « laudateur ») ou tákṣ-a-bhyaḥ (tákṣ-an- m. « charpentier »), dont la voyelle -a- prédésinentielle remonte à *-n̥ -. En revanche, le suffixe des neutres sigmatiques comporte le degré plein au datif-ablatif pl. comme aux autres cas. Cf. rákṣ-o-bhyaḥ (rákṣas- n. « mauvais esprit » ; -o- < *-az- < 230. Cf. Meiser 1998, p. 68, § 52,3. Quintilien signalait déjà ce son intermédiaire entre u et i (Inst. Or. 1,4,8).
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*-as- < i.-e. *-es-). Avec ces faits s’accordent les données iraniennes. En
particulier, av. ptərəbiiō (pitar- m. « père ») répond à véd. pitŕ̥bhyaḥ. Dans les thèmes en -n-, la finale avestique -a-biiō < i.-e. *-n̥ -bhyos recouvre véd. -a-bhyaḥ. Cf. av. ašauuabiiō (ašauuan- « de bonne foi »). Le type à degré plein de la prédésinentielle se rencontre aussi, par exemple dans raoc-ǝ̄-biiō (raocah- n. « lumière » ; -ǝ̄- < ir. *-ah- < i.-ir. *-as- < i.-e. *-es-) 231. Dans les noms en consonne, la désinence lituanienne *-m(u)s s’attache au thème par l’intermédiaire d’une voyelle de liaison de timbre i. D’où la finale -i-m(u)s, comme au datif pl. des thèmes en -i-. Sur piemen- (piemuõ m. « berger »), par exemple, se construit piemenìm(u)s. Mažvydas en a une attestation, Cat. 74,1 : Angelai pemenimus pasakie linksmibe (= Angelaĩ piemenìmus pasãkė linksmýbę) « les anges annoncèrent aux bergers une grande joie ». La finale -imus est archaïque ; sa variante courte -ims apparaît déjà plus fréquemment en vieux lituanien. Cf., par exemple, turint-ims « (à ceux) ayant » (participe présent de turė́ ti « avoir ») chez Mažvydas, Cat. 58,2. En vieux slave, les formes de datif pl. des thèmes consonantiques se terminent par -ĭ-mŭ (< *-i-mos / *-i-mus). Ainsi, de cěsar- m. « roi » est attesté c(ěsa)rĭmŭ dans l’Évangéliaire de Sava (Luc 21,12). En grec, la désinence -σι /-si/ s’attache à la consonne finale du thème sans voyelle de liaison. Les données anciennes témoignent encore du degré zéro de la prédésinentielle. Dans πατράσι /patrási/ (πατήρ /patḗr/ m. « père »), par exemple, le suffixe -τρα- /-tra-/ remonte à *-tr̥ -. Les thèmes en -n- ont, à l’origine, un datif pl. en -ασι /-asi/ < *-n̥ -si. C’est le cas de myc. te-ka-ta-si /tektasi/ < *tektn̥ si « charpentiers ». Cf. gr. alph. τέκτων /téktōn/, dat. pl. τέκτοσι /téktosi/ (Xénophon, Hell. 4,8,10 ; etc). Un autre thème en -n-, φρήν /phrḗn/, gén. φρενός /phrenós/ f. « cœur, esprit », a un datif pl. en -ασι /-asi/ : φρασίν /phrasín/ (Pindare, Pyth. 2,49 ; etc.) < *φρn̥ σι /phrn̥ si/. 231. Cf. Hoffmann-Forssman 1996, p. 144, § 103 ; p. 152, § 106 ; p. 155, § 109.
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Mais Homère, Hésiode et les tragiques ne connaissent que φρεσί(ν) /phresí(n)/. Enfin, le type des neutres sigmatiques comporte, comme en védique, le degré plein du suffixe dès le début de la tradition. Cf. myc. ze-u-ke-si /zeuges(s)i/ « paires » (= ζεύγεσι /zeúgesi/ < *ζεύγ-εσ-σι /zeúg-es-si/). Comme la désinence du grec, le morphème -m du gotique s’attache à un thème consonantique sans voyelle de liaison. Le cas échéant, se produit une assimilation. Soit got. gahlaiban- m. (nom. sg. gahlaiba) « compagnon » : le datif pl. *gahlaiban-m passe à *gahlaibamm > gahlaibam. Cf. Jean 11,16 : þanuh qaþ Þomas … þaim gahlaibam seinaim « alors Thomas dit à ses compagnons ». En latin, les noms en consonne de la 3e déclinaison ont un datif pl. en -ibus : rēg-i-bus « aux rois », patr-i-bus « aux pères », homin-i-bus « aux hommes ».
11.5. Le génitif pl. Les formes de génitif pl. des langues historiques supposent une désinence indo-européenne *-ōm ou *-om. L’état de choses ancien se conserve le mieux en grec, en latin archaïque et dans les dialectes italiques.
11.5.1. Les thèmes en *-e/oDans la flexion thématique, *-o-ōm ou *-o-om donne naissance à une finale *-ōm par contraction des voyelles. De là, la neutralisation des nasales finales -n et -m au profit de -n explique gr. -ων /-ōn/ dans une forme comme ἵππων /híppōn/, de ἵππος /híppos/ « cheval » (Homère, Il. 2,466 ; etc.). Cette finale -ōn est sans doute à reconnaître en mycénien déjà, dans des mots graphiquement ambigus, mais interprétables comme des noms au génitif pl. grâce au contexte. En offre un exemple le terme a-ne-mo sur une tablette de Cnossos, support d’une énumération d’offrandes aux dieux et au
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ministre du culte. À la ligne 10 se lit : a-ne-mo i-je-re-ja /anémōn hiereíāi/ (= gr. alph. Ἀνέµων ἱερείᾳ) « à la prêtresse des Vents » (KN Fp 1). À gr. -ων /-ōn/ répondent lat. -om ou -um. Le passage de *-ōm à -ŏm illustre la règle d’abrègement d’une voyelle longue devant m en syllabe finale. Quant au changement -om > -um, il témoigne de la tendance à la fermeture des voyelles brèves en syllabe finale fermée. Fournissent les conditions d’apparition de la variante -o(m) : d’une part, des inscriptions archaïques, d’autre part, après u et qu, les textes littéraires. Sur des monnaies du début du IIIe siècle avant J.-C. figurent des génitifs pl. en -o(m) de noms ethniques (CIL I1 1 : Romanom ; CIL I1 13 : Romano ; CIL I1 16 : Suesano ; etc.). Dans la littérature, la forme equom « des chevaux », par exemple, apparaît chez Virgile (Georg. 2,542 ; En. 9,26). À la suite d’un phonème autre que u ou qu, la finale présente la réalisation -um. Un génitif pl. comme uirum « des hommes » chez Ennius (Ann. 276 Vahlen) constitue un trait de la langue poétique. En prose, en dehors de formules stéréotypées, -um cède la place à -ōrum. Cette forme mieux caractérisée s’emploie aussi en poésie dès les premiers textes (cf. nodorum « de nœuds » chez Livius Andronicus, Od. 28 Warmington). Sa structure phonique indique une origine pronominale. En effet, -ōrum se ramène sans difficulté à *-ō-sōm et la désinence *-sōm signale le génitif pl. des pronoms variables en genre (cf. skr. téṣām < *toí-sōm « de ceux-ci »). Cependant, la pronominalisation de la forme casuelle dans la flexion du substantif ne s’opère pas sans transition. L’extension analogique de *-sōm touche d’abord l’adjectif pronominal. Le védique se trouve à ce stade de l’évolution. Ainsi, anyá- « autre » a pour génitif pl. anyéṣām (cf., supra, téṣām, du démonstratif tá-). À cette forme répond, mutatis mutandis, lat. aliorum. De l’adjectif pronominal la désinence nouvelle s’introduit dans l’adjectif qualificatif. Cet état de choses s’observe en gotique : la désinence de þizē « de ceux-ci » se retrouve non
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seulement dans allaizē « de tous » (Marc 9,35 ; etc.), mais aussi dans qiwaizē « des vivants » (Marc 12,27 et Luc 20,38), par exemple. En revanche, le génitif pl. des substantifs en -a- (< i.-e. *-o-) se termine par -ē, non par -zē. La diffusion de la finale pronominale reste donc partielle en gotique. En latin, par contre, la réfection analogique atteint le système nominal tout entier : la caractéristique -ōrum d’un pronom comme istōrum « de ceux-ci (à toi) » entre, par l’intermédiaire des adjectifs, dans la classe des substantifs. Le génitif pl. uirōrum « des hommes », par exemple, concurrence, puis élimine l’ancienne forme uirum. Dans ce renouvellement formel, l’adjectif substantivé revêt sans doute une grande importance. En tout cas, une des attestations les plus anciennes de la finale -ōrum figure dans duonoro (= bonorum, au sens de uirorum bonorum) d’un témoignage épigraphique : Honc oino ploirume cosentiont … duonoro optumo fuise uiro Luciom Scipione « la plupart (des gens) conviennent … que cet homme, Lucius Scipion, a été le meilleur des hommes de bien » (CIL I2 9 ; fin du IIIe siècle avant J.-C.). La forme latine ancienne -om, -um a un écho en balto-slave. Dans les masculins du type výras « homme », le lituanien présente un génitif pl. en -ų̄ (výrų̄ ). Cette finale s’explique à partir de i.-e. *-ōm par une évolution phonétique régulière. D’abord, la neutralisation de l’opposition -m/-n au profit de la variété dentale produit une séquence *-ōn en baltique commun. Ensuite, la diphtongaison de la voyelle longue dans la branche lituanienne donne la forme *-uon. Enfin, la tendance à l’abrègement de la fin du mot entraîne la réalisation *-un > -ų̄ . En vieux slave, la finale du génitif pl. des noms thématiques suppose un point de départ *-om. En effet, l’élément -ŭ de člověkŭ « des hommes », par exemple, remonte à *-un < *-on < *-om. En védique, les thèmes en -a- (< i.-e. *-o-) ont un génitif pl. en -ānām. La réfection de la forme attendue -ām (< i.-e. *-ōm) en -ānām rappelle le
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remplacement de lat. -um par -ōrum. Mais la finale indienne ne doit rien à la morphologie pronominale. Sa structure phonique en dénonce l’affinité avec les thèmes en -n-. Un génitif pluriel comme brahmáṇām, analysable en un thème brahmán- « prêtre » et une désinence -ām, fait l’objet d’une réinterprétation. D’après l’instrumental pl. brahmá-bhiḥ et le datif pl. brahmá-bhyaḥ, le sujet parlant coupe brahmá-ṇām et isole une désinence -nām. À la faveur de doublets (par exemple, darmán- m. et darmá- m. « pourfendeur »), -nām entre dans la déclinaison thématique. Reste à justifier la voyelle longue prédésinentielle. On invoque généralement l’influence analogique de la finale -ā-nām des thèmes en -ā-. Mais l’analogie s’exerce, en principe, en sens inverse. Au génitif sg., par exemple, la marque -ī des noms latins en -o- s’étend aux noms en -ā (cf. les termes complémentaires fīl(i)ī « du fils » et fīliāī > fīliae « de la fille »). Dans ces conditions, la forme védique -ā-nām des masculins en -a- résulte peut-être d’un compromis entre l’ancienne finale (-ām) et la nouvelle (-anām). Un génitif pl. comme devā́ nām « des dieux » proviendrait de la contamination de l’archaïque devā́ m « id. » (cf. la vieille formule devā́ ñ jánma « la race des dieux ») par la variante *devánām, analogique du type brahmáṇām. Quoi qu’il en soit, la tendance au renouvellement de la forme sur le modèle des thèmes en -n- remonte à l’indo-iranien, car le vieux perse et l’avestique s’accordent avec le védique. Les inscriptions de Darius ont, par exemple, le génitif pl. bagānām « des dieux » (de baga- m.). En avestique, daēuuanąm « des faux dieux » correspond tout à fait à véd. *devánām, forme sousjacente de devā́ nām.
11.5.2. Les thèmes en *-āComme les masculins en -a- (< i.-e. *-o-), les féminins en -ā- (< i.-e. *-eh2-) du védique ont un génitif pl. en -ānām : usríyāṇām « des vaches »
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(usríyā, f.) rime avec áśvānām « des chevaux » (áśva- m.). Dans les noms en -ā- de l’avestique, une finale -anąm répond à véd. -ānām. Du féminin uruuarā « plante », par exemple, le génitif pl. est uruuaranąm. Cette forme figure dans le syntagme uruuaranąm vīspanąm taoxma « le germe de toutes les plantes » (Y. 12,17 ; cf. V. 2,28). Dans -anąm, la quantité brève de la voyelle prédésinentielle s’explique phonétiquement. En effet, 1o -ąm (= -ām) vaut métriquement -aam et 2o *-ānaam passe à -anaam en vertu d’une tendance à l’abrègement de ā dans une syllabe antépénultième 232. En vieux perse, la finale -ānām caractérise, notamment, l’adjectif composé vispazanānām « qui a toutes les races, toutes les origines », épithète d’un nom féminin dans une formule de la titulature royale. En voici le texte, dans une inscription de Naqš-i-Rustam, DNa 8-11 : adam Dārayavauš xšāyaθiya vazraka xšāyaθiya xšāyaθiyānām xšāyaθiya dahyūnām vispazanānām « Je suis Darius, le grand roi, le roi des rois, le roi des peuples de toutes origines » (trad. P. Lecoq, Gallimard, 1997). De même que l’indo-iranien remplace -ām par -ānām, le grec substitue à -ōn (< *-eh2-ōm) la forme -ā(h)ōn (< *-eh2-sōm) pour une meilleure caractérisation du génitif pl. des noms en -ā-. La désinence *-sōm appartient d’abord aux paradigmes des démonstratifs et du relatif (cf. skr. tā́ sām « de celles-ci », yā́ sām « desquelles »). La finale dissyllabique -ᾱων /-āōn/ se conserve dans la langue homérique. Son archaïsme convient au style formulaire. Ainsi, le génitif pl. de θεά /theá/ « déesse » présente la forme θεᾱ́ ων /theā́ ōn/ dans l’expression δῖα θεάων /dîa theā́ ōn/ « divine entre les déesses », récurrente en fin de vers (Il. 5,381 ; 6, 305 ; 14,184 ; etc.). En dehors de la langue épique, cette marque -ā(h)ōn se retrouve en mycénien sous la graphie -a-o. Ainsi, la tablette PY Ep 704 atteste ko-to-na-o dans le syntagme ko-to-na-o ke-ke-me-na-o o-na-to /ktoinā(h)ōn kekesmenā(h)ōn 232. Voir Hoffmann – Forssman 1996, p. 60, § 26 bd.
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(?) onāton/ « la jouissance (?) des terrains communaux (?) ». Chez Homère, les formes en -ᾱων /-āōn/ se rattachent à la composante éolienne de l’épopée. Les variantes ioniennes comportent théoriquement une finale *-ήων /-ḗōn/ ; mais η /ē/ s’abrège, de sorte que les poèmes offrent des
génitifs pl. f. en -έων /-éōn/. Métriquement, cette séquence est très rarement dissyllabique (c’est le cas dans θυρέων /thuréōn/ « des portes », Od. 21,191) : généralement scandée avec synizèse, elle équivaut le plus souvent à -ῶν /-ôn/. Cette valeur métrique se constate dans un autre emploi de θυρέων /thuréōn/ (Od. 21,47). En résumé, les aèdes connaissent, pour θύραι /thúrai/, trois génitifs quantitativement distincts : θυρᾱ́ ων /thurā́ ōn/ (⏑ – – ), Il. 9,473, etc. ; θυρέων /t h uréōn/ (⏑ ⏑ –), Il. 21,191 ; θυρ(έ)ων /thur(é)ōn/ (⏑ –), Od. 21,47. En attique, ne se rencontre que la forme contracte (θυρῶν /thurôn/ : Sophocle, El. 109, par exemple). L’étymologie *-ā-sōm de ces finales grecques rend compte, également, de lat. -ārum (type linguarum, de lingua f. « langue »). L’extension de la désinence pronominale *-sōm aux noms de la première déclinaison remonte à l’italique commun, comme le prouvent les données parallèles de l’oscoombrien. En osque, la Table de Bantia atteste egmazum, de egmā- f. « chose, affaire (juridique) » (Vetter 1953, 2,24 = Rix 2002, Lu 1,24). En ombrien, les Tables Eugubines ont un exemple du composé anter:menzaru « (des jours) précédant la nouvelle lune (?) » (II 16). À la différence des langues classiques, le gotique reflète la désinence nominale *-ōm au génitif pl. des thèmes en *-ā- : i.-e. *-eh2-ōm > *-ōm > germ. *-ōn > got. -ō. En offre une illustration la forme þiudō (nom. sg. þiuda « peuple, nation »). Paul déclare dans son Épître aux Romains : ik im þiudo apaustaulus « je suis l’apôtre des nations » (11,13). Remonte également à *-ōn < *-ōm la finale -ų̄ du lituanien dans un féminin comme dainų̃, gén. pl., « des chants » (nom. sg. dainà). En revanche,
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*-ōm ne rend pas compte de v. sl. -ŭ, désinence de génitif pl. commune aux
thèmes en *-ā-, en *-o- et consonantiques. La forme attestée suppose *-ŏm en indo-européen. Mais, comme l’addition de cet élément à la voyelle *-ā(< *-eh2-) prédésinentielle donnerait *-ōm par contraction, la finale -ŭ de knigŭ, gén. pl., « des livres » (nom. sg. kniga), par exemple, s’explique par l’extension analogique de la désinence des thèmes en consonne.
11.5.3. Les thèmes en *-i- et en *-uEn védique, au lieu de la forme attendue *-ām, le génitif pl. des thèmes en -i- et en -u- a pour expression la variante mieux caractérisée -nām, apparemment imputable à l’influence des noms en -n-. La voyelle prédésinentielle a été allongée sur le modèle du génitif pl. en -ānām du type en -a-. D’où la finale -ī-nām, attestée dans áhīnām (áhi- m. « dragon »), par exemple. Cf. RV 1,32,3 : áhann enam prathamajā́ m áhīnām « il (= Indra) l’abattit, le premier-né des dragons ». L’avestique a aussi des formes en -nām, comme ažinąm (aži- m. « serpent, dragon ») = véd. áhīnām. Mais un génitif pl. en -iiąm se rencontre dans kaoiiąm < *kawyām (kauui- m., nom de princes non mazdéens), par exemple. L’avestique conserve donc l’ancienne désinence -ām. – Des faits parallèles s’observent dans la classe des noms en -u-. En védique sont attestées des formes en -ū-nām. Ainsi, yātūnā́ m (yātú- m. « mauvais esprit ») apparaît en RV 7,104,21 : índro yātūnā́ m abhavat parāśaráḥ « Indra devint l’exterminateur des mauvais esprits ». Comme dans les thèmes en -i-, l’avestique a deux désinences : -nąm et -ąm. La première caractérise pourunąm (pouru- « nombreux »), par exemple. Cf. véd. purūṇā́ m. La seconde figure dans une forme comme pasuuąm (pasu- m. « (troupeau de) petit bétail »). En balto-slave, les désinences du génitif pl. reposent sur *-ōm (lituanien) ou sur *-ŏm (vieux slave). La finale *-iyōm des thèmes en -i- donne lit. -ių
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(-ių̃ sous l’accent). Illustre ce traitement lit. ausių̃ (ausìs f. « oreille »). L’expression ik ausiu (= ìki ausių̃) « jusqu’aux oreilles » est attestée chez Vilentas, Cat. 8,20. En vieux slave, les faits supposent une longue évolution phonétique : *-iyom > *-iyon > *-iyun > *-ijŭ ; puis, par assimilation, *-ijŭ se change en -ijĭ, écrit -ii .Un génitif pl. en -ii, bolěznii (bolěznĭ « maladie ») est employé en Luc 8,2 : i ženy ediny ęže běaxǫ iscěleny otŭ d(u)xŭ zĭlĭ i bolěznii (les douze étaient avec lui) « et quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits malins et de maladies ». – Dans les thèmes en -u-, la finale *-w-ōm se reflète dans lit. -ų 233. Une forme en -ų, sūnų̃ (sūnùs m. « fils »), est attestée chez Mažvydas, Cat. 35,15 : Thewai ne priwadźiakiet’ sunu iussu ingi rustibe (= Tėvai, ne privadžiokiet sūnų jūsų ingi rūstybę) « Pères, ne provoquez pas vos fils à la colère ». Dans cet exemple, l’objet direct se trouve au génitif, comme c’est la règle en phrase négative. En vieux slave, l’équivalent de lit. sūnų̃ présente le degré plein de l’élément prédésinentiel : syn-ov-ŭ « des fils ». La finale -ov-ŭ se décompose en un suffixe -ov-, forme alternante de -u-, et une désinence -ŭ < i.-e. *-om 234. En grec, le génitif pl. des thèmes en -i- comporte la désinence -ων /-ōn/ < i.-e. *-ōm, comme les noms en *-e/o-. La forme du suffixe – degré plein ou degré zéro – varie en fonction du dialecte ou du type flexionnel. Le génitif pl. de πόλις /pólis/ f. « ville », par exemple, présente la finale -εων /-eōn/ en attique (πόλεων /póleōn/), -ίων /-íōn/ en ionien (πολίων /políōn/ : Il. 1,125 ; Hérodote 1,6). Le type οἶς /oîs/ (ion. ὄϊς /óïs/) « mouton » a le degré zéro de la prédésinentielle : att. οἰῶν /oiôn/, ion. ὀΐων /oḯōn/ (Od. 9,167). – Dans les thèmes en -u-, la finale -έων /-éōn/ d’une forme comme ἀστέων /astéōn/ (ἄστυ /ástu/ n. « ville ») remonte à *-εϝ-ων /ew-ōn/ < i.-e. *-ew-ōm. Le suffixe comporte donc le degré plein. En revanche, dans le type flexionnel
233. Cf. Endzelīns 1971, p. 158, § 250. 234. Cf. Vaillant 1958, t. II/1, p. 111, § 158.
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de στάχυς /stákhus/ m. « épi », le génitif pl. se termine par -ύων /-úōn/ : σταχύων /stakhúōn/ (Hésiode, Bouclier 290). En latin, le génitif pl. des thèmes en -i- se termine par -ium. Cette finale reflète i.-e. *-i(y)ō̆m. Le traitement -um de la désinence admet une origine *-ōm ou -ŏm. En osque, la graphie -íúm du génitif pl. a]íttíúm (*aiti-
« part » ; Cippe d’Abella, B 28) suppose une forme sous-jacente *-i(y)ŏm, car u diacrité (ú) note un o bref. En latin, -ium caractérise les substantifs et les adjectifs : auium (auis f. « oiseau »), hostium (hostis m. « ennemi »), grauium (grauis adj. « lourd »). – Dans les thèmes en -u-, la finale -uum se ramène à *-u(w)-ō̆m ou à *-ew-ō̆m 235. La forme pecuum (pecu n. « (tête de) bétail ») rappelle av. pasuuąm, comportant le degré zéro de la prédésinentielle. Dans son discours Pour les Rhodiens, Caton emploie pecuum dans l’énoncé d’une loi forgée par lui-même pour les besoins de son argumentation et considérée comme injuste, parce qu’elle punirait sur la base d’une intention, non d’un acte, frg. 167 Malcovati2 : si quis maiorem pecuum numerum habere uoluerit, tantum damnas esto « si quelqu’un a voulu avoir un plus grand nombre de têtes de bétail, qu’il soit condamné à tant ». En germanique, la finale *-i(y)ōm des thèmes en -i- laisse une trace dans les formes en -io du vieux saxon et du vieux haut allemand : type gest-io (gast m. « hôte ») 236. Le gotique n’en a pas l’équivalent, car gast-ē ne comporte pas la voyelle -i- du thème gasti- et la désinence -ē n’est pas compatible avec *-ōm. – Dans les thèmes en -u-, le suffixe au degré plein de la finale *-ew-ōm se reflète dans le morphème -iw- de got. -iw-ē. Cf. magiwē en Luc 15,26 (magus m. « garçon »). La finale attendue, *-iw-ō, a été remplacée par la forme -iw-ē, d’origine peu claire 237.
235. Une origine *-ew-ōm est suggérée par Leumann 1977, p. 443, § 360. 236. Cf. Krahe-Meid 1969, t. II, p. 28, § 13. 237. Cf. Krahe-Meid 1969, t. II, p. 34, § 17.
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11.5.4. Les thèmes en consonne Dans les thèmes consonantiques, le védique a généralement des génitifs pl. en -ām. C’est le cas dans les noms en occlusive, en -s- et en -n- : dvipádām (dvipád- « bipède »), apás-ām (apás- « actif ; habile »), vŕ̥ṣṇ-ām (vŕ̥ṣan« mâle »), etc. Mais les noms de parenté et les noms d’agent en -tarprésentent la finale -tr̥ ̄ -ṇām, analogique des formes -ī-nām et -ū-nām. Cf. pitr̥ ̄ ṇā́ m (pitár- m. « père ») et stotr̥ ̄ ṇā́ m (stotár- m. « laudateur »), par exemple. En avestique, le génitif pl. a pour unique expression la désinence -ām. Se terminent donc par -ām non seulement des formes comme ap-ąm (ā̆p- f. « eau ») ou nar-ąm (nar- m. « homme »), mais aussi les noms de parenté et les noms d’agent. Gāth. dugǝ-dar- f. « fille » a pour gén.pl. dugǝdr-ąm et av. réc. sās-tar- m. « maître, souverain » sā-θr-ąm < *sās-θr-ąm. Les noms consonantiques du lituanien ont un génitif pl. en -ų < *-ōm. Cette désinence s’attache directement au thème. Sur moter- « femme, épouse », par exemple, repose móter-ų (nom. sg. mótė). Mažvydas a le syntagme vredas materu (= urė̃das móterų) « le devoir des femmes » (Cat. 34,1). Cf. dukter-ų̃, de duktė̃, dukter- « fille », šun-ų̃, de šuõ, šun- « chien », etc. Le vieux slave a des faits parallèles, comme mater-ŭ (mati, mater« mère »), dŭšter-ŭ (dŭšti, dŭšter- « fille »), dĭn-ŭ (dĭnĭ, dĭn- « jour »). Mais la désinence -ŭ remonte à *-ŏm, non à *-ōm. En grec, le génitif pl. des thèmes consonantiques présente tantôt le degré plein, tantôt le degré zéro du suffixe, en fonction de la formation des noms ou de l’âge des formes. Les neutres en *-es-/-os ont le degré plein de la prédésinentielle. C’est le cas de myc. pa-we-o (KN L 651), si la forme est à lire /pharwehōn/ = φαρέων /pharéōn/ (φᾶρος /phâros/ n. « grande pièce de tissu, tunique, manteau »). La finale -eh-ōn continue *-es-ōm, dont la composante *-es- est un degré plein. En revanche, le génitif pl. des noms de parenté comporte, à l’origine, un suffixe au degré zéro : hom. πα-τρ-ῶν /pa-
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tr-ôn/ (πατήρ /patḗr/ « père »), à côté de la forme plus récente πα-τέρων /pa-tér-ōn/. De θυγάτηρ /thugátēr/ « fille » Homère a toujours θυγα-τρῶν /thuga-tr-ôn/. L’attique a des formes en -τέρων /-térōn/. En latin, les thèmes consonantiques ont généralement la désinence -um de génitif pl. : type rēg-um (rēx « roi »), patr-um (pater « père »), hominum (homō « homme »). Fait exception une forme comme noct-ium : nox f. « nuit » et quelques autres noms se déclinent selon le type consonantique au singulier, mais selon le type en -i- au pluriel. En dehors du latin, un thème en -i- est attesté, notamment, en lituanien (naktìs « id. ») 238. Aux désinences -um et -ium s’ajoute la variante archaïque -om. Se termine par -om la forme poimilionom d’une inscription gravée sur une ciste de Préneste (CIL I2 569) 239. L’expression pater poimilionom (= cl. pumilionum) « père des nains » sert de légende à un petit personnage accompagnant, entre autres, Castor et Pollux. Les thèmes consonantiques du germanique conservent des formes en -o (< *-ōm) en vieux haut allemand : type fater-o (fater « père »). En gotique, la désinence -ō se maintient dans les féminins en -n-. Le génitif pl. qinōnō (qinōn- « femme »), par exemple, apparaît en Matth. 11,11 : amen, qiþa izwis : ni urrais in baurim qinono maiza Iohanne þamma daupjandin « en vérité je vous le dis : parmi ceux qui sont nés de femmes, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean-Baptiste ». En dehors du type qinō, qinōnrègne la désinence -ē : baurg-ē (baurgs f. « citadelle »), brōþr-ē (brōþar m. « frère »), auhsn-ē (auhsan- m. « boeuf »).
238. Pour un examen détaillé du nom de la « nuit », voir Reichler-Béguelin 1986, p. 55-60, § 38-40. 239. Sur la lecture poimilionom de préférence à poumilionom, voir Wachter 1987, p. 163-166 (§ 66).
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11.6. Le locatif pl. 11.6.1. Les thèmes en *-e/oPour l’indication du lieu ou domaine de l’action le sanskrit dispose d’une désinence *-su, commune aux différentes classes flexionnelles. Dans les noms thématiques, cette marque s’ajoute à l’élément *-oi- final de thème. En offre un exemple la forme *deiw-oi-su, ancêtre de véd. devéṣu « chez les dieux ». En avestique, se rencontrent des locatifs pl. en -aēšū̆ : gāth. marətaēšū « chez les hommes » (Y. 46,13), av. réc. aspaēšu « à cheval » (Yt. 5,50 et 19,77). En dehors de l’indo-iranien, la finale *-oisu a un reflet en vieux slave : -ěxŭ, par l’intermédiaire de balto-slave *-aišu. Un masculin comme gradŭ « ville » a son locatif pl. en -ěxŭ. Une attestation de graděxŭ apparaît dans l’Évangile de Matthieu (11,1) : prěide otŭ tǫdu učitŭ i propovědatŭ vŭ graděxŭ ixŭ « (Jésus) se déplaça de là pour enseigner et prêcher dans leurs villes ». V. sl. -ěxŭ n’a pas de correspondants exacts en baltique. En effet, la finale -uosu du vieux lituanien ne se ramène pas à *-oisu. Pour la diphtongue -uo- prédésinentielle, Vaillant et Stang invoquent l’influence de l’illatif, forme d’accusatif pl. en -uos + postposition -na (ex. namuosnà « vers la maison ») 240. Mais uo serait le traitement régulier de ō et une variante *-ōsu paraît admissible (cf. génitif pl. *-ō-sōm > lat. -orum). Quoi qu’il en soit, -uose remplace -uosu dans la langue actuelle, par analogie avec le locatif sg. en -e. On a, par exemple, miẽstuose « dans les villes » (miẽstas). Quant aux formes en -uosu, Vilentas en emploie dans son Catéchisme (1579). Un passage procure ainsi kiemůsu « dans les villages » (1,16), de kiẽmas. En grec, la finale *-oisu a été remplacée par -οισι /-oisi/ sur le modèle du datif-locatif sg. en -i des noms athématiques. Au plan sémantique, la forme en -οισι /-oisi/ sans préposition comporte essentiellement les valeurs du 240. Voir Vaillant 1958, t. II/1, p. 36 ; Stang 1966, p. 186.
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datif pl. et de l’instrumental pl. Mais Homère l’emploie encore assez souvent dans le sens du locatif pl. En témoigne, par exemple, ὤµοισιν /ṓmoisin/ « sur les épaules » (Il. 1,45). À la différence du grec, le latin n’a pas trace de l’ancien locatif pl. L’ablatif pl., avec ou sans préposition, en prend le relais. En dehors des noms propres, l’emploi du cas seul concerne, en particulier, le terme locus « lieu ». Un exemple de locis figure chez Plaute, Amph. 568. Le maître s’adresse à son esclave : (Tune id dicere audes … ) homo idem duobus locis ut simul sit ? « (Est-ce que tu oses dire … ) qu’un même homme puisse être en deux endroits à la fois ? ».
11.6.2. Les thèmes en *-āL’addition de la désinence *-su au suffixe *-ā- de féminin produit une finale *-ā-su. En védique, cette forme se rencontre, par exemple, au locatif pl. de dúr(i)yā f. « demeure », forme substantivée de dúr(i)ya- adj. « de la porte » : víśve víśvāsu dúr(i)yāsu devā́ (ḥ) « tous les dieux sont dans toutes les demeures » (RV 4,1,18). L’avestique répond régulièrement à véd. -āsu par la finale -āhu. Ainsi, de gāϑā « chant, Gāthā (de l’Avesta) » le Vīdēvdāt atteste gāϑāhuua (= gāϑāhu + postposition ā̆ « dans ») en 10,2. Apparentée à skr. -āsu, une marque -osu existe encore en vieux lituanien. Le locatif pl. rañkosu de rankà « main » en est un exemple. Dans la langue classique, -osu est remplacé par -ose (rañkose), sans doute sous l’influence analogique du locatif sg. en -oje (rañkoje). En slave, la sifflante de la désinence -su devient une chuintante après i, u, r, k, puis [ʃ] passe à [ç] (ichLaut). Enfin, [ç] cède la place à sa variante dure [x]. Ces changements expliquent -xŭ dans la finale -ěxŭ (< *-oisu) des anciens thèmes en -o- (cf., supra, v. sl. graděxŭ « dans les villes »). En revanche, dans les féminins en -ā-, -axŭ (au lieu de la forme attendue *-asŭ) est analogique. Un exemple
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de locatif pl. en -axŭ, rǫkarŭ (de rǫka « main »), figure dans l’Évangile de Matthieu (4,6). Le tentateur enjoint Jésus de se jeter du haut du temple et ajoute : na rǫkaxŭ vŭzŭmǫtŭ tę « ils (= les anges) t’élèveront sur leurs mains ». En grec, où se produit la réfection de *-su en *-si d’après la désinence -i du datif (ancien locatif) sg., des traces du locatif pl. dans les thèmes en -āsubsistent chez Homère et en attique. En Il. 8,411, le poète se sert du syntagme πρώτῃσιν δὲ πύλῃσι /prṓtēisin dè púlēisi/ « à la première porte » pour l’indication de l’endroit précis où Iris, porteuse d’un message de Zeus, trouve Héra et Athéna : πρώτῃσιν δὲ πύλῃσι πολυπτύχου Οὐλύµποιο | ἀντοµένη κατέρυκε « les rencontrant à la première porte de l’Olympe aux mille recoins, elle les retint ». La variante πρώτῃσι θύρῃσιν /prṓtēisi thúrēisin/ apparaît en fin de vers, Il. 22,66 241. À l’époque classique, l’ancien locatif θύρᾱσι /thúrāsi/ s’emploie adverbialement dans le sens de « dehors » (Euripide, El. 1074, par exemple). Cf. la locution française à la porte. La valeur locative de la forme en -σι /-si/ survit encore dans des toponymes : type Ἀθήνησι /athḗnēsi/ « à Athènes » (Thucydide 5,47 ; etc.).
11.6.3. Les thèmes en *-i- et en *-uLe locatif pl. des thèmes en -i- et en -u- se caractérise par les finales *-isu et *-u-su. En védique, les formes se terminent par -i-ṣu et -u-ṣu en raison d’un changement conditionné : après i, u, r et k, la sifflante devient une rétroflexe. Offre un exemple de locatif pl. en -i-ṣu véd. agníṣu (agní- m. « feu »). Cf. le locatif absolu sámiddheṣu agníṣu « les feux ayant été allumés » (RV 1,108,4). L’avestique aurait des formes en -i-šu, mais le corpus n’en fournit pas d’exemple. – Dans la classe des noms en -u-, la finale -u-ṣu caractérise, entre autres, véd. śátruṣu (śátru- m. « ennemi »). Cf. RV 9,19,6 241. Sur la finale -ῃσι /-ēisi/, se reporter au § 11.4.2.
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(hymne à Soma) : bhiyásam ā́ dhehi śátruṣu « suscite la peur chez les ennemis ! ». En avestique, une forme en -u-šu est attestée en Yt. 11,3 : vaŋhušu (vaŋhu- adj. « bon ») 242. Le lituanien conserve dialectalement la désinence -su dans une forme bâtie sur un thème en -i- : akýsu « sous les yeux de, en présence de », attesté à Mielagėnai, tout à l’est de la Lituanie 243. Mais la forme courante se termine par -se : akysè « id. » (akìs f. « œil »). La voyelle finale -e résulte d’une réfection sur le modèle du locatif sg. en -yje. En vieux slave, *-isu se change régulièrement en -ĭxŭ. D’où un locatif pl. comme ljudĭxŭ (Marc 14,2), de ljudije « les gens, le peuple ». Mais la variante ljudexŭ se rencontre en Matth. 26,5 et la finale -exŭ est de loin la plus fréquente. De -ĭxŭ à -exŭ se produit un renforcement de ĭ, qui devient une voyelle pleine en position forte, c’est-à-dire en syllabe fermée. En effet, -exŭ se prononce -ex (ljudex) et -ŭ ne s’écrit que par respect d’une tradition orthographique 244. – Dans les thèmes en -u-, le vieux lituanien conserve le locatif pl. en -u-su. La forme dangusu (dangùs m. « ciel ») est attestée chez Mažvydas, Cat. 23,6 : Tewe musu kuris essi dangusu (= Tėve mūsų, kuris esi danguose) « Notre Père qui es aux cieux ». La finale -usu a été remplacée par -uose par analogie avec la forme des noms en -a- (< i.-e. *-o-) 245. La voyelle -e de cette caractéristique a été identifiée avec la postposition *en « dans ». En vieux slave, *-usu donnait phonétiquement *-ŭxŭ, mais une réfection au profit de -oxŭ trahit l’influence du nominatif pl. en -ove et du génitif pl. en -ovŭ 246. Le masculin en -u- domŭ « maison » a pour locatif pl. domoxŭ (Matth. 11,8).
242. Cf. Hoffmann-Forssman 1996, p. 132, § 93. 243. Cf. Senn 1966, p. 96, § 90. 244. Cf. Leskien 1962, p. 27, § 17. 245. Cf. Stang 1966, p. 218. 246. Cf. Vaillant 1958, t. II/1, p. 112, § 158.
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11.6.4. Les thèmes en consonne En védique, le locatif pl. des thèmes consonantiques comporte le degré zéro de la prédésinentielle. Dans les noms en -r- et en -n-, en particulier, le suffixe se présente sous sa forme faible : pi-tŕ̥-ṣu (pi-tár- m. « père »), hótr̥ -ṣu (hó-tar- m. « sacrificateur »), áh-a-su < *-n̥ -su (áh-an- n. « jour »). La même structure s’observe dans les données iraniennes. Le gāthique a, par exemple, drǝguuasū < *-wat-su < i.-e. *-wn̥ t-su (drǝguuant- adj. « hérétique »). Avec la variante conditionnée -šu de la désinence, gāth. nafšu(-cā) remonte à *nap(t)-su (napāt- m. « petit-fils »). Enfin, le dérivé av. réc. dāmahuua (dā-man- n, « créature ») comporte, après retranchement de la postposition -a < -ā, la finale -ma-hu < *-mn̥ -su. Dans ces trois formes, le suffixe est au degré zéro. Les thèmes consonantiques du baltique et du slave forment leur locatif pl. sur le modèle des noms en -i-. Ainsi, le lituanien a des formes en -yse, du type vanden-ysè (vanduõ, gén. sg. vandeñs « eau ») et dukter-ysè (duktė̃, gén. sg. dukters̃ « fille »). En vieux slave se rencontre la finale -ĭxŭ, comme dans dĭnĭxŭ (dĭnĭ, thème dĭn- m. « jour »). Cf. Luc 1,18 (codex Zographensis) : Po čĭsomu razumějǫ se ? Azŭ bo esmĭ starŭ i žena moě zamatorěvŭši vŭ dĭnĭxŭ svoixŭ « (Zacharie dit à l’ange lui annonçant la naissance d’un fils) : Comment dois-je le comprendre ? Car je suis vieux et ma femme est avancée en âge (littéralt dans ses jours) ». Dans le codex Marianus et le codex Assemanianus figure la variante dĭnexŭ.
Chapitre XII L’adjectif
12.1. Définitions traditionnelles de l’adjectif Le terme « adjectif » procède, par emprunt, du latin nomen adiectivum, calque de l’original grec ὄνοµα ἐπίθετον /ónoma epítheton/ de Denys le Thrace (IIe siècle avant J.-C.). L’expression de ce grammairien d’Alexandrie – mais d’une famille originaire de Thrace – signifie proprement « nom apposé ». Le participe ἐπίθετος /epíthetos/ se rattache au verbe ἐπιτίθηµι /epitíthēmi/, dont une acception linguistique se rencontre déjà chez l’historien Hérodote. En effet, dans une digression, l’auteur des Histoires rapporte que Clisthène, tyran de Sicyone au VIe siècle avant J.-C., imposa de nouveaux noms (οὐνόµατα /ounómata/) à trois tribus d’immigrés. Dans un esprit de moquerie, le nomenclateur constitua ces ethniques à partir de noms d’animaux – porc, âne et goret –, auxquels il ajouta des finales (τελευταῖα ἐπέθηκε /teleutaîa epéthēke/, 5,68), c’est-à-dire le suffixe -ᾱ́ τας /-ā́ tās/, pl. -ᾶται /-âtai/ (type ὗς /hûs/ « porc », d’où Ὑᾶται /huâtai/ « les Porcins »). La même expression (ἐπιτίθηµι /epitíthēmi/) s’applique à l’addition d’un morphème à une base lexicale et à l’apport d’un qualificatif à un terme nominal. Dans la théorie de Denys, l’adjectif se définit par sa relation au substantif. La dénomination ὄνοµα ἐπίθετον /ónoma epítheton/ fait de l’adjectif une sous-classe du nom,
Chapitre XII : adjectif
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plutôt qu’une partie du discours à part entière. Cette grammaire oppose le nom (ὄνοµα /ónoma/), avec ses marques casuelles, au verbe (ῥῆµα /rhêma/), avec ses caractéristiques de temps, de modes, de personnes et de voix. Il y a là une répartition héritée de la doctrine stoïcienne et fondée principalement sur les critères formels de la flexion. Si le substantif et l’adjectif se rangent sous la même étiquette de nom, c’est surtout en raison de leur commune variation selon le cas. Mais l’adoption d’un point de vue fonctionnel et l’analyse logique de la phrase suggèrent un groupement différent. Ainsi, l’adjectif partage avec le verbe le rôle de prédicat. Dans les énoncés « la Terre est ronde » et « la Terre tourne », par exemple, les termes ronde et tourne fonctionnent comme prédicats. Cette concordance de comportement syntaxique explique la réunion des adjectifs et des verbes dans une seule et même classe chez Platon et Aristote. Il apparaît donc que, selon la perspective, les anciens situaient l’adjectif dans le champ du verbe ou dans le champ du nom. La reconnaissance de son autonomie comme partie du discours, étrangère à la pensée antique, se dégage de la réflexion grammaticale du moyen âge. De là, la grammaire traditionnelle conserve aujourd’hui encore la tripartition nom – adjectif – verbe. Ce classement se justifie dans le cas des langues indo-européennes, mais sa pertinence n’est pas universelle. La distinction du nom et de l’adjectif, en particulier, ne s’observe pas partout. Ainsi, dans une langue de l’Inde parlée sur la bordure occidentale du Bengale, le santali (groupe muṇḍa), la même forme s’emploie tantôt comme substantif, tantôt comme adjectif. Dans la description d’Henri Maspero, ce trait fait l’objet d’une formulation très claire : « l’adjectif ne se distingue pas du nom, et tout nom … peut être employé comme épithète » 247.
247. Meillet-Cohen 1952, p. 624.
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Chapitre XII : adjectif
12.2. La syntaxe de l’adjectif L’indistinction du nom et de l’adjectif en santali montre bien les limites de la grammaire occidentale en ce qui concerne les parties du discours. D’ailleurs, la linguistique moderne remet en cause la généralité de cette division traditionnelle. Selon Alain Lemaréchal, « les différences entre les langues imposent de proposer des définitions … des parties du discours propres à chaque langue, et, de là, par généralisation, propres aux différents types de langues » 248. Dans le type linguistique indo-européen, l’adjectif se caractérise par sa fonction sémantique de qualification ou de détermination et par son double rôle syntaxique d’épithète ou de prédicat. À ces propriétés s’ajoutent des critères formels : en principe, les adjectifs varient en genre, nombre et cas et s’accordent avec le nom qualifié ou déterminé. La règle s’applique, en principe, dans les langues indo-européennes anciennes, aussi bien dans le syntagme nominal que dans la construction prédicative. De cette dernière un exemple latin figure chez Cicéron, De finibus 2,105 : Suauis laborum est praeteritorum memoria « Il est doux, le souvenir des peines passées ». L’adjectif prédicat se signale par son accord avec le sujet et sa position initiale. Cependant, dans ce type syntaxique se rencontrent aussi des cas de désaccord au niveau du genre. En effet, à un sujet animé peut se rapporter un prédicat au neutre. L’interprétation de cette singularité demanderait un examen systématique des conditions d’emploi. À première vue, le dossier renferme avant tout des formules de caractère sentencieux, des aphorismes, des proverbes. En grec, un emploi représentatif apparaît chez Sophocle, Antig. 1195. La tragédie en arrive à son dénouement : Antigone met fin à ses jours et son fiancé se tue de désespoir. Un messager en rapporte la nouvelle à la reine Eurydice, femme de Créon : « Je n’omettrai rien, dit-il, … la vérité est toujours chose droite » (ὀρθὸν ἁλήθει’ [= ἡ ἀλήθεια] ἀεί). Le choix du neutre dans l’adjectif prédicat opère une catégorisation du sujet. En 248. Lemaréchal 1989, p. 19.
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l’occurrence, ὀρθόν /orthón/ ne définit pas seulement une qualité de la vérité, comme le ferait le féminin ὀρθή /orthḗ/, mais inclut la notion d’ἀλήθεια /alḗtheia/ dans une classe, dans l’ensemble de tout ce qui est droit. Le latin connaît aussi le type de l’adjectif prédicat au neutre en relation avec un sujet animé. Au chant IV de l’Énéide, Virgile évoque les amours d’Énée et de Didon, puis le départ du héros pour l’accomplissement des destins. Dans ce contexte, Mercure apparaît en songe au Troyen et l’exhorte à s’embarquer sans délai, de peur que la reine de Carthage ne le retienne au dernier moment. Et de conclure : Varium et mutabile semper | femina « Une femme est chose diverse et changeante toujours » (569-570, trad. Jacques Perret, CUF, 1977). Cette syntaxe concerne également le vieux slave. En Marc 9,50, la forme dobro, adjectif prédicat au neutre, se construit avec solĭ, sujet féminin : dobro estŭ solĭ « le sel est une bonne chose » 249.
12.3. Gradation de l’adjectif : le comparatif Tandis que les phénomènes d’accord ou de désaccord de l’adjectif, impliquant les catégorie du genre, du nombre et du cas, appartiennent au plan syntaxique, la variabilité des formes constituant ce qu’on appelle la « gradation de l’adjectif » répond à des distinctions d’ordre sémantique. Par rapport au positif, le comparatif présente la notion sous une modalité particulière. De lat. magnus « grand », par exemple, se distingue maior, signifiant « plutôt grand ». Dans le contexte d’une opposition, la forme en -ior prend le sens de « plus grand ». Cette catégorie du comparatif remonte à l’indo-européen, comme l’indique l’héritage en plusieurs langues d’un suffixe *-yes-/*-yos- exprimant la supériorité. En latin, la sifflante finale du morphème subit le rhotacisme entre voyelles. Ainsi, l’accusatif *sen-yos-m̥ 249. Vaillant, 1977, t. V, p. 13, § 1237.
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> *sen-yos-em « plus vieux » passe à seniorem. Puis, r s’étend par analogie à la forme du nominatif sg. : senior. L’antiquité de la formation a pour garant le correspondant védique sányas-. Au point de vue morphologique, le terme enseigne un trait important du comparatif indo-européen : le suffixe s’attache directement à la racine et caractérise donc un dérivé primaire. Il n’y a donc pas de dépendance formelle entre le positif et le comparatif : lat. senior ne s’explique pas à partir de senex « vieux, vieillard », ni skr. sányas- à partir de sána- « vieux ». Au type thématique skr. sána- (< i.-e. *seno-, cf. av. hana-, gr. ἕνος /hénos/) s’oppose lat. senex (acc. senem, gén. senis), de structure athématique. L’élargissement -k- du nominatif sg. a un écho dans véd. sanaká- « vieux, âgé » et got. sineigs « id. ». Ce morphème ne se retrouve pas dans le comparatif latin senior, ni dans le superlatif gotique sinista. Dans la Bible de Wulfila, sinista s’emploie comme un adjectif substantivé au sens d’« ancêtre » ou d’« ancien ». Tandis que le comparatif de l’adjectif « vieux » n’est pas attesté en gotique, le superlatif manque en latin et en sanskrit. Les langues particulières ont donc un paradigme défectif et le système complet ne se restitue qu’à l’aide de la comparaison. En ce qui concerne le radical dans les différents termes de la gradation, les données latines, indiennes et germaniques reposent sur une forme *seninvariable. Mais le cas de l’adjectif « vieux » ne semble pas représentatif de l’état de choses ancien. En effet, les formes de comparatif les plus archaïques se distinguent du positif par une alternance vocalique. Le sanskrit en témoigne avec un adjectif comme urú- « large », comparatif várīyas-. On le voit, l’opposition entre le degré zéro et le degré plein du radical s’accompagne d’un mouvement du ton. Entre le positif et le comparatif existe donc un rapport complexe. Mais à une telle situation la langue réagit fréquemment par un nivellement analogique portant soit sur l’accentuation, soit sur le vocalisme. Ainsi, skr. yúvan- « jeune » doit son radical accentué à l’influence de yávīyas- « plus jeune ». En grec et en latin s’observe généralement une
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unification du vocalisme. En fournit un exemple le système grec ταχύς /takhús/ vs θάσσων /thássōn/ « rapide / plus rapide », déjà homérique. De même, en latin, la même voyelle radicale caractérise magnus « grand » et māior pour măiior < *măg-yōs « plus grand ». Le grec ne conserve qu’exceptionnellement une trace de l’ancienne alternance. Dans la classe archaïque des adjectifs en -ύς /-ús/, κρατύς /kratús/ « dur », « fort » possède un comparatif ion. κρέσσων /kréssōn/ < *κρέτyων /krétyōn/ « plus fort » 250. Les termes de ce système continuent des radicaux indo-européens *kr̥ t-/*kret-. Au dossier des formes alternantes appartiennent probablement aussi le premier terme de composé ἀγα- /aga-/ « très » et l’adverbe ἄγᾱν /ágān/ « trop », d’une part, le comparatif ion. µέζων /mézōn/ « plus grand », d’autre part. Étymologiquement, ἀγα- /aga-/ d’un adjectif comme ἀγα-κλεής /aga-kleḗs/ « très glorieux » (cf. le vocatif ἀγακλεές /agakleés/ en Il. 17,716 ; etc.) pourrait s’expliquer à partir d’un thème *m̥ g̑ h2-, degré zéro de *meg̑ h2-. Cette origine, parfois contestée, est suggérée par la formule homérique µέγα κλέος /méga kléos/ « une grande gloire » (Il. 6,446 ; etc.). Les éléments lexicaux de ce syntagme se retrouveraient, sous une autre forme, dans le composé 251. Le degré plein radical de ion. µέζων /mézōn/ < *µεγ-yων /meg-yōn/ doit être ancien, tandis qu’il est secondaire et refait sur le modèle du comparatif dans µέγας /mégas/. L’analogie ne s’exerce donc pas toujours à partir du positif. En témoigne également un fait parallèle du latin. En effet, en regard de gr. βραχύς /brakhús/ « court » lat. breuis « id. » doit son vocalisme e au comparatif breuior. À partir de gr. βραχύς /brakhús/ et av. mərəzu- « court » se reconstruit un positif *mr̥ g̑ hú-. L’alternance fait attendre une variante *mreg̑ h- comme base du comparatif. En latin, cette forme s’étend à tout le
système de la gradation et la réfection des thèmes en -u- au profit du type 250. Κρατύς /kratús/ et sa famille font l’objet d’une étude approfondie chez Lamberterie 1990, p. 323-353 (§ 129-138). 251. Sur l’étymologie de ἀγα- /aga-/ et sur sa parenté avec µέγας /mégas/, voir Pinault 1991, p. 195.
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en -i- donne l’adjectif *mreg̑ h-w-i-s, d’où phonétiquement breuis. L’initiale s’explique par le changement *mr- > *mbr- > br- 252.
12.4. Le superlatif et l’ordinal Le superlatif de l’adjectif breuis, breuissimus, s’accorde avec le positif et le comparatif sous le rapport du vocalisme radical. Cela vaut déjà pour la forme plus ancienne *breuimus, pourvue du suffixe -mus comme īmus « le plus bas » et summus « le plus haut ». La restitution de *breuimus se fonde sur le féminin substantivé brūma, de *breuima. La voyelle i de cette dernière forme subit la syncope, puis la diphtongue eu passe à ou ; enfin, ou se monophtongue en ū. Cette étymologie de brūma s’impose pour des raisons de sens : le terme désigne le solstice d’hiver, c’est-à-dire le jour le plus court de l’année. Les anciens avaient encore conscience d’un rapport avec breuis, comme l’enseigne Varron, De lingua latina 6,8 : dicta bruma quod breuissimus tunc dies est « on dit bruma, parce que c’est alors le jour le plus court ». L’absence d’alternance vocalique dans le système breuis, breuior, *breuimus illustre une tendance générale à l’invariabilité des radicaux en latin. Une structure plus complexe caractérise le paradigme sanskrit urú- « large », várīyas- « plus large », váriṣṭha- « le plus large ». Le degré zéro radical du positif s’oppose au degré plein du comparatif et du superlatif. Ce modèle se rencontre dans d’autres adjectifs, mais ne reflète pas nécessairement l’état de choses indo-européen. La possibilité existe d’une action analogique de la forme en -īyas- sur la forme en -iṣṭha-. En grec, une alternance ne se conserve que dans de rares vestiges. En procure un exemple précieux le système κρατύς /kratús/ « fort », ion. κρέσσων /kréssōn/ (hom. κρείσσων /kreíssōn/, att. κρείττων /kreíttōn/), κράτιστος /krátistos/. Le degré zéro du superlatif ne s’explique probablement pas 252. Cf. Leumann 1977, p. 190, § 195.
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par une influence analogique du positif, mais plutôt par la conservation de la structure ancienne. C’est ce que suggère l’histoire du suffixe -ιστος /-istos/. Ce morphème d’origine indo-européenne renferme un premier élément -is-, degré zéro du suffixe *-yes-/-yos- du comparatif (cf. lat. magis). Le second composant, -to-, est identique au suffixe de l’ordinal (cf. gr. τέταρτος /tétartos/ « quatrième », par exemple). Les affinités sémantiques et le parallélisme des emplois du superlatif et de l’ordinal ont été reconnus par Émile Benveniste : « L’ordinal indique le terme dernier qui complète un ensemble, en s’ajoutant soit à un nombre soit à une énumération. De même le superlatif dénote le terme ultime qui porte à son point final une qualité que d’autres termes manifestent » 253. Cette définition confère à l’adjectif numéral en -tole sens de « nième et dernier ». Gr. τέταρτος /tétartos/ n’indique donc pas, à l’origine, le rang d’un quatrième précédant un cinquième, mais renvoie au quatrième et dernier de la série. Dans ces conditions, l’ordinal et le superlatif sont parfois interchangeables. Au chant 15 de l’Iliade, vers 188, par exemple, le dernier de trois frères est signalé par τρίτατος /trítatos/ « troisième », tandis qu’au livre 4, chap. 5, d’Hérodote, le dernier de trois fils est qualifié de νεώτατος /neṓtatos/, litt. « le plus nouveau », c’est-à-dire « le plus jeune ». La parenté fonctionnelle de l’ordinal et du superlatif a pour corollaire la caractérisation formelle à l’aide du même suffixe -to-. Or, à en juger par les données comparatives, cet élément portait originellement le ton. Le védique en garde le souvenir dans une partie de ses nombres ordinaux : caturthá- « quatrième » (à côté de turī́ya-), pakthá- « cinquième » (RV 10,61,1 ; à côté de pañcamá-), ṣaṣṭhá- « sixième » 254. S’y ajoutent quelques superlatifs, notamment jyeṣṭhá- « le plus âgé » et kaniṣṭhá- « le plus jeune ». Quant au grec, ses adjectifs numéraux en -τος sont oxytons à partir de 253. Benveniste 1948, p. 162. 254. L’aspirée de -tha- garde peut-être la trace d’une laryngale. Dans ce cas, le suffixe serait à poser sous la forme *-tHó-. Cf. Mayrhofer, EWAia, vol. 2, p. 61, s.v. pakthá-.
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εἰκοστός « vingtième ». Ses superlatifs en -ιστος se caractérisent, il est vrai, par le recul de l’accent, mais, au point de vue historique, la priorité appartient, semble-t-il, à la catégorie de l’ordinal 255. Ces considérations plaident pour une oxytonie ancienne dans les dérivés en -to-. À l’origine, l’accentuation suffixale a dû concerner les superlatifs aussi bien que les ordinaux. C’est pourquoi le radical des formes en -istó- (*-istHó-) se présentait probablement au degré zéro en indo-européen 256.
12.5. Lat. iouiste et magister En latin, l’expression du superlatif ne ressortit pas au suffixe *-istó(*-istHó-). Tout au plus n’en subsiste-t-il que des traces incertaines. Selon C. Watkins, le mot iouiste de l’abrégé de Festus s’interpréterait comme un vocatif sg. et recouvrirait exactement le védique yáviṣṭha « ô très jeune ! » (formule d’invocation du dieu Agni) 257. Or, le lexicographe ne donne pas le sens de iouiste, mais en propose une analyse : compositum a Iove et iuste « composé de Iove et iuste ». Cette explication antique, typique de l’ « étymologie populaire », n’engage à rien, mais pour autant le rapprochement de la donnée indienne ne s’impose pas. En effet, comme O. Szemerényi y rend attentif, du fait que l’un des termes de la comparaison n’a pas de signifié connu, la correspondance des formes n’apporte pas la preuve d’une parenté 258. Pour sa part, le linguiste hongrois cherche un vestige du suffixe *-istó- dans les dérivés magister « maître, chef », minister « serviteur, subordonné » et sinister « gauche » (avec le superlatif sinistimus). La finale complexe -ist(e)ro- reposerait sur *-isto-tero- et rappellerait les comparatifs sanskrits du
255. Benveniste 1948, p. 162. 256. C’est l’avis de Rix 1992, p. 168, § 181. H. Seiler adopte une position plus nuancée (voir Seiler 1950, p. 21-22). 257. Watkins 1975, p. 527-534. 258. Szemerényi 1976, p. 408.
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type bhūyiṣṭhatara- « plus nombreux » 259. Mais l’hypothèse d’une réduction de *-istotero- par haplologie n’est pas nécessaire. En effet, -ist(e)ros’analyse sans difficulté en un morphème de comparatif -is-, degré zéro de *-yes-/-yos, et un suffixe -t(e)ro- de valeur oppositive. Une même combi-
naison, mais avec le degré plein du premier élément et la voyelle de liaison -ī- postconsonantique, s’observe en sanskrit : type gar-ī-yas-tara- « plus lourd, plus important » (cf. gurú- « lourd »). En fin de compte, les pièces du dossier ne prouvent donc pas la persistance résiduelle de la forme *-istoen latin. La disparition de ce suffixe remonte sans doute à l’époque italique, car les superlatifs de l’osco-ombrien n’attestent que *-mo- et ses variantes (*-m̥ mo-, *-tm̥ mo-). En offre un exemple osco-ombr. nessimo- < *nedtm̥ mo- « le plus proche ».
12.6. Lat. -issimus D’une manière générale, le latin exprime le plus haut degré d’une qualité à l’aide de la finale complexe -issimus : type nouissimus « le plus nouveau, le plus récent ». Accessoirement se rencontrent -simus dans maximus « le plus grand » et proximus « le plus proche », de même que -timus dans des termes formés sur un thème adverbial ou pronominal, comme intimus « qui est le plus à l’intérieur » ou ultimus « qui est le plus éloigné » (cf. le radical ol- de v. lat. olle, ollus « celui-là »). Enfin, quelques superlatifs latins présentent un suffixe -mus. C’est le cas de summus < *sup-mos « le plus haut » et de minimus < *minu-mos « le plus petit », par exemple. À partir des éléments *-mo- et *-isto-, de même fonction, se conçoit la formation du complexe *-is-mo- par contamination. Cette forme est sans doute à l’origine de la caractéristique -issimus. Normalement, une finale *-ismos évoluerait en -īmus, car s se sonorise devant m, puis s’amuït avec allongement 259. Szemerényi 1976, p. 408-412.
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compensatoire de la voyelle précédente. Cf. v. lat. cosmis > lat. class. cōmis « doux, affable ». Mais la morphologie du superlatif connaît un traitement différent, car au caractère emphatique du signifié répond un élément expressif au plan du signifiant. La gémination de s dans -issimus en témoigne. Cette graphie signale une consonne longue. Or, une sifflante de cette nature est à postuler dans la forme plus ancienne *-is(s)mos. Ainsi s’explique le maintien du groupe -sm-, condition de l’évolution ultérieure. Comme l’enseigne la transformation de *smos (cf. skr. smaḥ) en sumus « nous sommes », le latin tend à générer une voyelle d’appui entre s et m. La bilabiale m favorise l’apparition soit de la sonante voyelle correspondante m̥ , soit d’une voyelle arrondie, comme u. Les finales *-issm̥ (m)os (> *-issemos) ou *-issumos donnent pareillement -issumus / -issimus 260. La
répartition des doublets dépend essentiellement de la chronologie. Tandis que la forme -issimus devient la règle à partir de César, la variante -issumus se révèle à peu près constante dans les inscriptions anciennes. En est un exemple le féminin parisuma de l’épitaphe de Cornelius Scipion Barbatus, consul en 298 avant J.-C. Après la mention de son nom et de son patronyme, le texte signale ses qualités personnelles : fortis uir sapiensque, quoius forma uirtutei parisuma fuit « homme courageux et sage, dont la beauté égalait tout à fait la vertu » (CIL I2 7) 261. Le non redoublement de s dans parisuma dénonce une graphie archaïque ou archaïsante.
12.7. Comparatif en *-yes-/-yos- et superlatif en *-ist(H)oLe suffixe de superlatif -issimus, innovation latine, s’associe au suffixe de comparatif -ior, d’origine indo-européenne. Cf., par exemple, dīues « riche », dī(ui)tior, dī(ui)tissimus. Le védique a pour correspondant de lat. 260. Sur le flottement -umus / -imus, voir Leumann 1977, p. 90, § 93. 261. Étude linguistique et épigraphique de cette inscription chez Wachter 1987, p. 301-342 (§ 125-146).
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-ior la forme -(ī)yas-, partenaire du morphème -iṣṭha- de superlatif. Cf., par exemple, náva- « nouveau », náv(ī)yas-, náviṣṭha-. En grec, le suffixe de comparatif *-yes-/-yos-, équivalent de véd. -yas-, subsiste marginalement à côté de la forme usuelle à élargissement nasal *-is-ōn, *-is-on- > -ιων, -ιον-. Le mycénien fournit me-zo-a2 /medzoha/ < *meg̑ -yos-h2 « plus grands ». Ce neutre pl. qualifie, semble-t-il, des plastrons de cuirasses (PY Sh 737 ; etc.). Au premier millénaire, -o(h)a se contracte en -ω : ion. µέζω /mézō/. Aboutit aussi à µέζω /mézō/ l’accusatif sg. *meg̑ -yos-m̥ . Enfin, la forme en -ους /-ous/ µέζους /mézous/ continue le nominatif pl. *meg̑ -yos-es. Les autres termes du paradigme présentent le suffixe élargi en n. Le nominatif sg. m. µέζων /mézōn/ < *µεγyων /megyōn/ < *meg̑ -is-ōn, par exemple, figure chez Hérodote (2,11,4). Au comparatif en -ιων, -yων /-iōn, -yōn/ s’articule, dans le système de la gradation, le superlatif en -ιστος /-istos/. Ainsi, avec µέζων /mézōn/ (att. µείζων /meízōn/) est en relation µέγιστος /mégistos/ « le plus grand ».
12.8. Comparatif en *-tero- et superlatif en *-tm̥ mo- ou en *-tm̥ toEn védique et en grec, le couple *-yes-/-yos + *-ist(H)o-, exprimant les degrés de la comparaison, est concurrencé par les morphèmes complémentaires *-tero- + *-tm̥ mo- ou *-tm̥ to-. La forme *-tero- se reflète dans véd. -tara- et gr. -τερο- /-tero-/ ; *-tm̥ mo- est à l’origine de véd. -tama- (cf. lat. -timus dans optimus, etc.) ; enfin, *-tm̥ to- rend compte de gr. -τατο- /-tato-/. Les deux systèmes de gradation s’opposent au plan morphologique. Tandis que *-yes-/-yos- et *-ist(H)o- s’attachent directement à la racine et forment des dérivés primaires, *-tero- et *-tm̥ mo- (*-tm̥ to-) s’ajoutent au thème du positif et forment des dérivés secondaires. D’autre part, les deux types de comparatif diffèrent au point de vue sémantique. La forme à suffixe *-yes-/-yos (*-is-on-) qualifie dans un sens « évaluatif ». Gr. µείζων /meízōn/,
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par exemple, rend la notion de « plutôt grand ». Le dérivé en *-tero- marque l’un des deux termes d’une opposition binaire. Sa fonction ne se limite pas à l’expression du comparatif. En grec, -τερος /-teros/ signale les adjectifs possessifs « notre » et « votre », resp. ἡµέτερος /hēméteros/ et ὑµέτερος /huméteros/, de même que les noms de la droite et de la gauche, δεξιτερός /deksiterós/ et ἀριστερός /aristerós/. Dans leur emploi homérique, ces termes ne s’opposent pas l’un à l’autre, mais à une forme non marquée. Ainsi, ἡµέτερος /hēméteros/ voisine avec ὑµός /humós/ (Il. 13,815-816), δεξιτερός /deksiterós/ avec σκαιός /skaiós/ (Il. 1,501 ; etc.) et ἀριστερός /aristerós/ avec δεξιός /deksiós/ (Il. 7,238 ; etc.). Ces conditions d’apparition manifestent la valeur différentielle de -τερος /-teros/ 262. Ainsi se comprend l’aptitude du suffixe à former des comparatifs. Cf. δικαιότερος /dikaióteros/ « plus juste » (Il. 19,181), λευκότερος /leukóteros/ « plus blanc » (Il. 10,437), φίλτερος /phílteros/ « plus cher » (Il. 11,162).
12.9. Le supplétisme Le système des formes de gradation en -τερο- /-tero-/ et en -τατο- /-tato-/ (en grec) ou en -tara- et en -tama- (en sanskrit) se caractérise par une base lexicale commune et identique au thème du positif. En revanche, les termes en -ίων /-íōn/ et -ιστος /-istos/ (en grec) ou en -(ī)yas- et -iṣṭha- (en sanskrit) ne présentent pas nécessairement la même racine qu’une forme de positif. En effet, à côté d’un paradigme comme κακός /kakós/, κακίων /kakíōn/, κάκιστος /kákistos/, resp. « mauvais », « plus mauvais (pire) », « le plus mauvais (le pire) », le grec possède des systèmes supplétifs 263. Fonctionnent ainsi comme comparatif et superlatif de κακός /kakós/ les variantes 262. L’étude la plus éclairante consacrée aux fonctions et aux modalités d’emploi des deux types de comparatif revient à Émile Benveniste (1948, p. 115-143). 263. Sur le supplétisme dans les formes de gradation, voir l’étude fondamentale d’Éric Dieu (2011).
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χείρων /kheírōn/ et χείριστος /kheíristos/, resp. « pire » et « le pire » 264. La notion contraire de « bon » a pour expression l’adjectif ἀγαθός /agathós/ 265 et « meilleur », « le meilleur » se disent respectivement ἀρείων /areíōn/ ou ἀµείνων /ameínōn/ et ἄριστος /áristos/ 266. Cf., en latin, melior, optimus en regard de bonus « bon », peior, pessimus en regard de malus « mauvais », plus, plurimum en regard de multum « beaucoup » ou minor, minimus en regard de paruus « petit ». Dans ces ensembles, le lien entre le positif et les formes de la gradation est plus lâche que dans le type à racine unique 267. En témoignent des faits de concurrence, comme la coexistence de gr. ἀρείων /areíōn/ et ἀµείνων /ameínōn/ pour la notion de « meilleur ». Homère emploie les deux formes 268. Par la suite, ἀρείων /areíōn/ ne se rencontre que rarement chez Hésiode, Pindare ou Eschyle par influence homérique. La prose classique retient ἀµείνων /ameínōn/ et possède ainsi un système supplétif bâti sur trois racines différentes : ἀγαθός /agathós/, ἀµείνων /ameínōn/, ἄριστος /áristos/. Le latin offre une situation comparable avec bonus / melior / optimus. Comme on le voit, d’une langue à l’autre, les paradigmes mettent en œuvre des éléments lexicaux étymologiquement hétérogènes. Par conséquent, ces structures supplétives ne se prêtent pas à la reconstruction indo-européenne. Comme le montre l’abandon progressif du comparatif ἀρείων /areíōn/ au profit de βελτίων /beltíōn/ et ἀµείνων /ameínōn/ au cours de l’histoire du 264. Éric Dieu résume ainsi la différence de sens entre κακίων /kakíōn/ et χείρων /kheírōn/ : « κακίων est la forme non marquée, tandis que χείρων dénote une diminution de qualité par rapport à une norme d’évaluation de qualité bonne ou indifférenciée » (2011, p. 417). 265. Sur l’étymologie d’ἀγαθός /agathós/, voir la notice de Pierre Ragot (CEG 2006, p. 340), ainsi que Dieu 2011, p. 42-44 (avec bibliogr.). 266. Chez Homère, ἀµείνων /ameínōn/ forme un système supplétif avec ἐσθλός /esthlós/ « bon, noble », non avec ἀγαθός /agathós/ : Dieu 2011, p. 47. 267. Voir Seiler 1950, p. 31. 268. Éric Dieu examine le sens et les emplois de ἀµείνων /ameínōn/ (2011, p. 29-47) et de ἀρείων /areíōn/ (ibid., p. 54-69). Le premier terme a un sens plus général que le second (ibid., p. 59).
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grec, les termes d’un système supplétif sont susceptibles de se renouveler. Cette mouvance lexicale pose le problème de la forme d’un paradigme supplétif aux différents stades de l’évolution. Comme Klaus Strunk l’a formulé avec une remarquable précision, l’appartenance de plusieurs unités lexicales à un même paradigme se fonde sur trois critères 269 : a) les termes d’un paradigme supplétif relèvent d’une seule et même synchronie ; b) aucun des termes n’empiète sur le domaine d’un autre, c’est-à-dire qu’ils sont en distribution complémentaire dans le paradigme ; c) les significations lexicales de toutes les formes se recouvrent. Ce dernier point doit être vérifié dans une condition d’emploi, à savoir la cooccurrence des composants du paradigme dans le même énoncé ou du moins dans le même contexte. En latin, une telle condition se constate pour bonus et melior, par exemple, dans une lettre de Pline le Jeune. L’auteur disserte sur les qualités respectives d’une œuvre littéraire brève ou longue et résume ainsi sa pensée : bonus liber melior est quisque quo maior « tout bon livre est d’autant meilleur qu’il est plus long » (1,20,4). On le voit, bonus et melior s’accordent au point de vue sémantique et constituent un véritable système grammatical, comme pulc(h)er et pulc(h)rior, resp. « beau », « plus beau », par exemple. Du fait que le comparatif se distingue généralement du positif par son seul suffixe (lat. -ior m. et f., -ius n.), la question se pose de la raison d’être des paradigmes supplétifs. Le phénomène ne s’explique pas nécessairement par un facteur unique et constant. Des causes particulières en sont en partie responsables. D’abord, le phénomène du supplétisme est en rapport avec la défectivité 270. Comme le souligne Éric Dieu, « … un système supplétif présuppose toujours la défectivité d’au moins une des formes qui y est 269. Sur la question du supplétisme, voir l’article fondamental de Klaus Strunk : Strunk 1977, p. 2-34 (énoncé des critères : p. 16-17). 270. Voir Strunk 1977.
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impliquée » 271. D’autre part, un fait assez général ressort de la comparaison typologique : il y a, à travers les langues, une assez bonne concordance entre les champs sémantiques des adjectifs à gradation supplétive. Sont le plus souvent en cause les contraires « bon » et « mauvais », « grand » et « petit », ainsi que les adverbes « beaucoup » et « peu ». Ces termes véhiculent des notions fondamentales et tout à fait courantes. Or, comme le relève Hansjakob Seiler, ce qui est ordinaire et familier se conçoit d’une manière plus différenciée, et cette différenciation se traduit linguistiquement par des formes étymologiquement indépendantes 272. Le recours à des termes supplétifs pour l’expression de l’opposition positif / comparatif ne se rencontre pas seulement dans les langues classiques, mais aussi en vieux slave. Avec l’adjectif malŭ « petit », par exemple, se trouve en relation paradigmatique le terme mĭńĭš- « plus petit ». Ce comparatif comporte le suffixe -ĭš-, responsable de la palatalisation de la consonne précédente (ń). Historiquement, le morphème -(j)ĭš- repose sur *-is- (degré zéro de *-yes-/-yos-), suivi de la semi-voyelle *y, car les formes
du comparatif présentent la flexion en *-yo-. La séquence *-is-y- aboutit régulièrement à -ĭš-. En dehors des systèmes supplétifs, ce morphème sert à la gradation de quelques adjectifs primaires et de dérivés en -k-, du type lišĭš- (lixŭ « excédentaire ») et tęžĭš- (tęžĭkŭ « lourd, important ») respectivement. Le comparatif des autres adjectifs – les plus nombreux – se forme à l’aide du suffixe -ěiš- (< balto-slave *-ē-(j)iš-). Cf., par exemple, dobrěiš- « meilleur » (dobrŭ « bon »). Le vieux slave n’a pas de forme spécifique de superlatif, tandis que le lituanien oppose gerèsnis « meilleur » à geriáusias « le meilleur » (gẽras « bon »). Les formations en -esnis et -iausias se trouvent déjà chez Mažvydas : platesnis « plus large, plus 271. Dieu 2011, p. 667. Aux p. 668-676, un développement est consacré aux causes de la défectivité. 272. Seiler 1950, p. 32.
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étendu » (Cat. 12,2), de platùs « large », saldziauses « le plus doux » (Cat. 74,11) = lit. mod. saldžiáusias, de saldùs « doux ». À défaut de correspondances précises, l’origine de ces suffixes n’est pas claire.
12.10. Adjectif « déterminé » et « indéterminé » en balto-slave En balto-slave, l’adjectif possède une double flexion : indéterminée et déterminée. Le type indéterminé ou non marqué a le statut de forme fondamentale. En dérive le type déterminé par addition du pronom de la 3e personne. À lit. júodas « noir », par exemple, s’attache l’élément jìs « il » et le syntagme júodas jìs se réduit à juodàsis. L’univerbation entraîne un changement prosodique : la séquence ne comporte plus qu’une seule syllabe accentuée. Dans une partie des formes casuelles se produisent des modifications à la jonction de l’adjectif indéterminé et du pronom. Au point de vue fonctionnel, l’adjectif déterminé signale une caractéristique distinctive. Quand le qualificatif « noir », par exemple, n’indique pas seulement la couleur, mais définit une espèce, le choix de juodàsis s’impose. Ainsi, juodàsis strazdas, littéralt « grive noire », désigne le « merle ». Comme le lituanien, le vieux slave constitue la flexion de l’adjectif déterminé par l’élargissement de la forme indéterminée au moyen d’un pronom enclitique, sorte d’article postposé. Cet élément, dans son état originel, correspond exactement à l’anaphorique (acc. sg. m. i « lui », etc. ; le nominatif n’est pas attesté) et au relatif (nom. sg. m. i-že « lequel », f. jaže, n. je-že), à la particule près. En témoigne la série novy-i « le nouveau », f. nova-ja, n. novo-je, bâtie sur novŭ, nova, novo. Mais, en raison de contractions et de simplifications, la forme pronominale n’est pas toujours reconnaissable. À côté de nom. sg. m. novyi, par exemple, se rencontre aussi novy et le génitif sg. m. et n. novajego a les variantes novaago, novago. Sous le rapport des conditions d’emploi, l’adjectif indéterminé fonctionne comme
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prédicat ou comme épithète dans un syntagme nominal, lorsque le référent du nom n’est pas identifiable par l’auditeur (ou le lecteur) à partir du contexte linguistique ou extralinguistique. Pour l’expression d’un contenu équivalent, une langue comme le français, l’allemand ou l’anglais adjoindrait au substantif l’article indéfini. L’adjectif déterminé, en revanche, s’emploie dans le cas où le référent du nom (ou de l’adjectif substantivé) est identifiable par l’auditeur (ou le lecteur). Le cas échéant, le texte grec correspondant comporte l’article défini. En Luc 18,23, l’adjectif « riche » joue le rôle d’un prédicat et présente donc la forme indéterminée : bě bo bogatŭ dzělo « car il était très riche ». Dans un autre passage de l’Évangile intervient un « homme riche » non encore mentionné dans le récit ; par conséquent, l’épithète figure dans le syntagme sous sa forme indéterminée : pozdě že byvŭšju pride č(lově)kŭ bogatŭ « le soir venu, arriva un homme riche » (Matth. 27,57). Mais l’adjectif déterminé apparaît dans l’histoire du riche et du pauvre Lazare. Après avoir campé les personnages, le narrateur les désigne à nouveau dans la suite : by že umrěti ništjumu … ; umrětŭ že i bogaty « il arriva que le pauvre mourut … ; et le riche mourut aussi » (Luc 16,22). À ce point du récit, l’auditeur (ou le lecteur) sait de qui l’on parle.
12.11. L’adjectif non qualificatif La double flexion, indéterminée et déterminée, concerne les adjectifs qualificatifs, tandis que les adjectifs dits « possessifs » ne possèdent, en principe, que la forme indéterminée. Dans la terminologie de la grammaire slave, « possessif » s’applique à un dérivé adjectival équivalant à un génitif adnominal. Ce dérivé se caractérise par différents suffixes : -jĭ (materjĭ « de la mère » ; cf. mati f. « mère », gén. sg. matere), -ĭnjĭ (bratĭnjĭ « du frère » ; cf. brat(r)ŭ m. « frère »), -inŭ (golǫbinŭ « de la colombe » ; cf. golǫbĭ m. « colombe »), -ovŭ (tektonovŭ « du charpentier » ; cf. tektonŭ m. « charpentier »)
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ou -ĭskŭ (člověčĭskŭ « de l’homme » ; cf. člověkŭ m. « homme »). Indépendamment de sa formation, l’adjectif possessif se place ordinairement après le substantif. Cf., par exemple, s(y)nŭ č(lověčĭ)skŭ « le fils de l’homme » (Luc 17,30 ; etc.). Se comporte de même un ethnique comme lat. Romanus « romain ». César en illustre l’emploi, entre autres, dans un passage de la Guerre des Gaules : C. Fufium Cotam, honestum equitem Romanum, … interficiunt « ils (c.-à-d. les Carnutes) tuent C. Fufius Cota, honnête chevalier romain » (B. Gall. 7,3,1). De part et d’autre du substantif equitem, les termes honestum et Romanum relèvent de classes sémantiques différentes : l’adjectif antéposé exprime un jugement subjectif, l’épithète postposée indique l’appartenance objective. Conséquence de cette dissemblance, les deux expansions du nom ne sont pas coordonnables. En d’autres termes, un groupe nominal *eques Romanus et honestus ne serait pas recevable. Les adjectifs du syntagme honestum equitem Romanum ne sont pas sur le même plan. Tandis que honestus qualifie, admet la gradation (compar. honestior, superl. honestissimus) et peut se construire prédicativement (ex. Plaute, Persa 839 : nec satis liber sibi videtur, … nec sat honestus « il ne s’estime pas assez libre, … ni assez honorable »), Romanus ne qualifie normalement pas, ne possède pas de degrés et, dans son sens propre, ne s’emploie guère comme prédicat. Dans le texte de César, Romanus ne renvoie pas à une qualité intrinsèque de C. Fufius Cota, mais en indique l’origine. Sa fonction sémantique en fait un « adjectif de relation extrinsèque » (Benveniste).
12.12. Les « adjectifs pronominaux » en sanskrit et en latin Formellement et fonctionnellement, des adjectifs non qualificatifs se rapprochent des pronoms. D’où leur nom d’ « adjectifs pronominaux ». Il s’agit de quantificateurs, analogues ou assimilables à des adjectifs numéraux, comme lat. ūnus « un », uterque « l’un et l’autre », tōtus « tout », skr. eka-
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« un », ubhaya- « des deux côtés, des deux sortes », sarva- « entier, tout », viśva- « tout ». S’y rattache un groupe de termes exprimant une relation d’opposition, comme lat. alter « l’autre », skr. itara- « l’autre (de deux) », anya- « autre, l’autre, un autre », uttara- « qui est plus haut, supérieur », dakṣiṇa- « qui est à droite » 273. Les affinités de ces adjectifs pronominaux avec les déterminants, d’une part, et avec les adjectifs proprement dits, d’autre part, se reflètent au niveau formel par le recours complémentaire à des désinences nominales et pronominales pour la constitution du paradigme. Dans le cas du latin, la déclinaison de mots comme ūnus, tōtus ou alter montre une répartition fixe : au nominatif, à l’accusatif et à l’ablatif se rencontrent des formes nominales ; au génitif et au datif des formes pronominales. La série paradigmatique nom. ūnus, acc. ūnum, abl. ūnō, par exemple, s’accorde avec le type bonus, bonum, bonō, tandis que les deux autres formes casuelles suivent le modèle des démonstratifs : gén. ūnīus, dat. ūnī, comme illīus, illī. En sanskrit, la place respective des deux modes flexionnels diffère suivant les termes ou, pour un seul et même terme, selon le sens. Louis Renou résume ainsi cette situation nuancée : « Une série d’adjectifs à valeur plus ou moins pronominale ont à des degrés variables des désinences de pronoms » 274. Plus précisément, l’adjectif anya- présente un maximum de marques pronominales, y compris le -d du nominatifaccusatif sg. neutre (anyad, cf. lat. aliud). D’autre part, eka-, sarva- et viśva- se fléchissent pronominalement, sauf au nominatif-accusatif sg. neutre, de type nominal (ekam, sarvam, viśvam), et exceptionnellement au datif sg., ablatif sg. et locatif sg. (viśvāya, viśvāt, viśve sont attestés dans le R̥ gveda à côté des formes régulières viśvasmai, viśvasmād, viśvasmin respectivement). Dans la flexion de uttara- et dakṣiṇa-, les désinences 273. Sur les adjectifs pronominaux sanskrits et leurs étymologies, voir Mawet 2012, p. 154-155. 274. Renou 1952, p. 237.
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pronominales et nominales se trouvent également en concurrence. Au nominatif pl. m., par exemple, se rencontrent uttare et uttarāḥ, dakṣiṇe et dakṣiṇāḥ. Le choix entre ces variantes ne semble pas totalement arbitraire, mais dépend, en partie au moins, de facteurs sémantiques. À cet égard, le comportement de l’adjectif dakṣiṇa- apparaît significatif : lorsque le terme signifie « qui est à droite » ou « qui se trouve au sud », c’est-à-dire à droite par rapport à l’orientation vers l’est, sa flexion se conforme parfois au type pronominal. C’est que la situation spatiale est en jeu, élément utile à l’identification de la référence. Quand, par contre, dakṣiṇa- s’emploie au sens d’« habile » – comme le français adroit, de a- et droit –, son paradigme est exclusivement nominal. C’est que le mot remplit alors une fonction caractérisante et joue le rôle d’un adjectif qualificatif 275. Ces faits sanskrits, révélateurs de l’ambivalence des adjectifs pronominaux, invitent à un réexamen du dossier latin. D’après les grammaires, la déclinaison de termes comme ūnus, tōtus, alius ne serait pas sujette à variation. En réalité, sont souvent négligées des données statistiquement marginales, mais linguistiquement intéressantes. Ainsi, à côté des formes usuelles en -ius et en -ī au génitif et au datif sg., les manuels ne signalent que rarement des variantes occasionnelles à désinences nominales. Ces doublets se présentent, cependant, pour la plupart des adjectifs pronominaux. Étrangers à la norme classique, ils s’expliquent en partie comme un trait du latin familier. Les attestations s’en rencontrent, en effet, chez les comiques : Plaute surtout, parfois Térence, ainsi que Titinius et Afranius ; chez les auteurs techniques Caton et Varron ; dans une épigramme de Catulle ; enfin, dans des inscriptions. Mais le registre de langue et de style ne fournit que le cadre de ces formes anomales. À considérer les textes, le 275. Sur les adjectifs pronominaux, voir Kölver 1980, p. 392-405 (sur dakṣiṇa-, p. 397) et Seiler 1985, p. 435-448 (en particulier, 4. Pronominaladjektive, p. 442-444 ; sur dakṣiṇa-, p. 443).
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sens et les conditions d’emploi semblent déterminants dans le choix des désinences nominales. Ce n’est peut-être pas un hasard si, par exemple, le génitif ūnī, au lieu de ūnius, va de pair avec une acception particulière du mot chez Titinius. Cet auteur, contemporain de Térence, cultivait le genre de la fabula togata, c’est-à-dire de la comédie à sujet romain et aux personnages habillés à la romaine. Voici le texte en question : uni collegi sumus « nous sommes du même collège » (Barbatus, frg. V Ribbeck 276). Comme on le voit, dans ce contexte ūnus ne fonctionne pas comme un numéral, mais prend le sens fort de « un seul et même ». Dans un emploi de Plaute, le sémantisme de tōtus en justifie la désinence nominale. Le mot s’associe au déterminant omnis : gannit odiosus omni totae familiae « l’importun, il aboie contre toute sa maisonnée » (frg. incert. III Ernout 277). L’adjectif tōtus renforce omnis, comme le français entier dans le syntagme tout entier. La forme de datif tōtae apparaît de préférence à tōtī, parce que le terme se rapproche sémantiquement d’un adjectif qualificatif.
12.13. Les adjectifs « thématiques » Au point de vue de leur formation, les adjectifs pronominaux se caractérisent par leur structure thématique. En effet, les formes de cette classe reposent toutes sur un thème en -o-. C’est le cas, par exemple, de lat. alius « autre » (< *alyos, *h2elyos), étymologiquement inséparable de véd. anyáḥ « id. » 278. Se terminent également par -o- les termes à suffixe séparatif *-tero-, du type lat. alter « l’autre (de deux) » (< *h2el-tero-), véd. ítara- « id. » (< *(h1)i-tero-). Sont encore thématiques les dérivés en *-wo- *solwo- « tout » (>
véd. sárva-) et *wik̑ wo- « id. » (> véd. víśva-). D’autres types d’adjectifs 276. Ribbeck 1898, p. 158. 277. Plaute, tome VII, Paris 1961 (Collection des Universités de France), p. 189. 278. Sur le désaccord entre l et n dans les radicaux *h2el- et *h2en-, voir Mayrhofer, EWAia, s.v. anyá-.
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présentent un thème en -o-. Il y a, notamment, des formations primaires, issues de racines verbales, comme lat. uīuus « vivant » (cf. uīuere « vivre »), apparenté à véd. jīváḥ « id. » et à lit. gývas « id. ». La correspondance suppose un prototype *gwīwos, *gwih3wos (rac. *gwyeh3- / *gwih3- « vivre »). Au dossier appartiennent aussi les adjectifs ordinaux. Les formes en dérivent du numéral cardinal par addition de *-o- ou de *-h2o- 279. Des faits latins et indiens se recouvrent exactement : lat. septimus « septième » (septem « sept ») et skr. saptama- ; lat. decimus « dixième » (decem « dix ») et skr. daśama-. Il y a lieu de reconstruire *septm̥ (m)os ou *septm̥ h2os et *dek̑ m̥ (m)os ou *dek̑ m̥ h2os respectivement. Mérite mention, enfin, la formation d’un adjectif
comme *newos « nouveau » (lat. nouus, gr. myc. ne-wo, gr. alph. νέος, v. sl. novŭ, hitt. newaš, skr. navaḥ). Le point de départ en est l’adverbe de temps *nu « maintenant ». S’y rattachent vha. nu « maintenant », lat. nunc « id. »,
gr. νῦν /nûn/ « id. », skr. nú, nū́ « id. ». De *nu à *new-o- la thématisation s’accompagne d’un changement du degré vocalique dans le radical : le degré plein se substitue au degré zéro. En dehors de leur emploi comme formes libres, les adjectifs thématiques se rencontrent dans la composition. Skr. dīrgha- « long », par exemple, fournit le premier membre du composé dīrghabāhu- « aux longs bras ». Cf. le terme grec apparenté δολιχός /dolikhós/ « long » et hom. δουλιχό-δειρος /doulikhó-deiros/ « au long cou ».
12.14. Le système de Caland Constituent un cas particulier les dérivés en -ro-, généralement remplacés par un thème en -i- au premier terme d’un bahuvrīhi. La reconnaissance de cette complémentarité suffixale revient au linguiste néerlandais Willem
279. La variante *-h2o- du suffixe est défendue, entre autres, par Rix 1992, p. 172, § 185, et par Meier-Brügger 2000, p. 219, § F 503.
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Caland 280. Les exemples de la variation -ro- / -i- se présentent en grec et en indo-iranien. Ainsi, l’adjectif grec κυδρός /kudrós/ « glorieux » possède une variante κυδι- /kudi-/ dans κυδι-άνειρα /kudi-áneira/ « aux hommes glorieux ». De même, skr. r̥ jrá- « de couleur claire, blanc » ou « rapide » se double d’une forme r̥ ji-, attestée dans le nom propre védique r̥ jí-śvan-, propr. « au(x) chien(s) rapide(s) ». À r̥ ji- correspond gr. ἀργι- /argi-/, sémantiquement ambivalent. Le mouvement est en cause dans ἀργί-πους /argípous/ « aux pieds rapides » (en parlant de chiens, Il. 24,211), la couleur dans ἀργι-όδους /argi-ódous/ « aux dents blanches, aux crocs blancs » (en parlant d’un sanglier, Il. 10,264). En emploi libre, la forme attendue *ἀργρός /argrós/ passe à ἀργός /argós/ par dissimilation. Le changement phonétique est antérieur à la date des textes mycéniens, si le mot po-da-ko d’une tablette de Cnossos (KN Ch 899) est à lire Πόδαργος /pódargos/, nom propre. Cette interprétation trouve appui dans une attestation homérique du même nom (Il. 8,185). Dans le document mycénien, il s’agit d’un nom de bœuf ; chez Homère, on a affaire à un nom de cheval. Le composé signifie, selon le cas, « aux pieds blancs » (bovin) ou « aux pieds rapides » (équidé). Un autre bœuf de Cnossos s’appelle to-ma-ko, c’est-à-dire Στόµαργος /stómargos/ (?) « au mufle blanc » (KN Ch 897,898 et 1015) 281. Au point de vue de la formation des mots, les formes à premier membre ἀργι- /argi-/ se définissent comme des composés possessifs ou bahuvrīhi, tandis que les adjectifs en -αργος /-argos/ se rangent parmi les composés déterminatifs ou tatpuruṣa. Ainsi, πόδαργος /pódargos/ signifie littéralement « blanc (ou : rapide) des pieds » et στόµαργος /stómargos/ « blanc du mufle ».
280. Caland 1892, p. 256-273. Dans un travail remarquable, Francesca Dell’ Oro retrace, d’un point de vue critique, l’histoire de la question « Caland » (2015). Pour un résumé des principales tendances, voir le chapitre 4, p. 239-248. 281. Voir Ruijgh 1967, p. 297, n. 36 ; Chantraine, DELG, s.v. ἀργός /argós/.
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12.15. Les adjectifs de formation primaire en *-iL’adjectif en -i- premier terme de composé a le statut de dérivé primaire, car son suffixe s’attache directement à la racine. En principe, cette forme ne se rencontre pas à l’état libre, conformément à la loi de Caland (cf. supra). Fait exception un adjectif simple comme hitt. ḫarkiš « blanc », en face de gr. ἀργι- /argi-/ et véd. r̥ ji- 282. En dehors de la composition, -i- comme suffixe primaire d’adjectif apparaît dans gr. τρόφις /tróphis/ « qui s’est accru, qui a grandi » (cf. τρέφω /tréphō/ « laisser croître, nourrir »). Le type existe en védique et y connaît même une certaine extension. Avec le degré plein radical, l’adjectif de couleur hári- « jaune or » se rencontre fréquemment dans le R̥ gveda. S’y trouve aussi la variante à degré zéro hir-i- comme premier membre de composé (cf. híri-śmaśru- « à la barbe dorée »). En général, les exemples reposent sur un thème verbal simple, comme śuci« brillant, clair » (śuc- « briller »), ou redoublé, comme babhrí- « portant » (bhr̥ - « porter »), yúyudhi- « prêt à combattre » (yudh- « combattre »), etc. En latin, cette formation d’adjectifs primaires en -i- n’a que très peu de représentants. Dans iūgis « qui coule toujours, intarissable » (en parlant de l’eau, d’une source, par exemple), la voyelle prédésinentielle n’est pas un suffixe, mais fait partie intégrante d’un nom-racine second membre de composé. En effet, comme l’a montré Jeremy Rau, le mot remonte à i.-e. *h2i̯ u-gu̯ ih3-, propr. « having a life which is eternal » 283. L’élément *h2i̯ u- est
le degré zéro de *h2oi̯ u- « life, eternity » (cf. skr. ā́ yu- « life ») et *gu̯ ih3« life, to live » le degré zéro de la racine *gu̯ eih3-. Des mots sans étymologie, rudis « grossier » et turpis « laid ; honteux », ont apparemment un suffixe -i-.
282. Voir Bader 1974, p. 89, § 52. 283. Rau 1994, p. 131-156.
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12.16. Les adjectifs latins en -ui- (-vi-) Avec le faible contingent des adjectifs en -i- de formation primaire contrastent les nombreux dérivés en consonne (ou sonante) + -i-. En particulier, le morphème -li- a été très productif, notamment comme composante de -bilis (type stăbilis « ferme, solide », déverbatif de stāre « se tenir (fermement) debout ») et de -ālis (type annālis « relatif à l’année », de annus m. « année »). Mérite une mention spéciale le groupe des formes en -ui- (-vi-). Des adjectifs comme tenuis « mince » ou suāuis « doux » se caractérisent, au point de vue de la comparaison indo-européenne, par leur relation avec des thèmes en -u-. Leurs correspondants sanskrits sont respectivement tanuḥ « mince, élancé, long » et svāduḥ « doux ». Au dossier appartiennent gr. τανυ- /tanu-/ « mince, effilé, long » (premier membre de composé) et ἡδύς /hēdús/ (dor. ᾱ̔δύς /hādús/) « doux ». De même, lat. grauis « lourd » n’est pas séparable de skr. gurúḥ « id. » et de gr. βαρύς /barús/ « id. » (la forme indo-européenne présentait la labio-vélaire *gw à l’initiale). L’adjectif de sens contraire, leuis « léger » (< *h1legwhwi-), se relie, malgré la différence de vocalisme, à gr. ἐλαχύς /elakhús/ « petit » et skr. laghúḥ « léger » (< *h1ln̥ gwhú-, bâti sur une variante radicale *h1lengwh-). Les données latines de
ces correspondances s’expliquent par une réfection morphologique des anciens thèmes en -u- au profit de la flexion en -i-. Des adjectifs en -ui- se rencontrent aussi en hittite : parkuiš « pur », dankuiš « sombre, noir » ou warḫuiš « velu ; feuillu » en sont des exemples. Mais cette formation coexiste avec le type en -u-, comme l’illustrent, entre autres, aššuš « bon », panguš « total », daššuš « fort ; lourd, important », etc. En revanche, le latin n’a plus d’adjectifs en -u-, tandis que les substantifs en -u- sont bien représentés (cf. genu n. « genou », par exemple). Ainsi, la langue de Rome élimine un type archaïque. En effet, le grec, le sanskrit, le hittite ou le lituanien ont encore des paradigmes à alternance *-u- / -eu- (-ew-). S’opposent, par exemple, les formes de nominatif sg. gr. ἡδ-ύ-ς /hēd-ú-s/ « doux »,
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skr. svād-u-ḥ « id. », hitt. ašš-u-š « bon », lit. plat-ù-s « large » aux formes de nominatif pl. *ἡδ-έϝ-ες /hēd-éw-es/ (> ἡδεῖς /hēdeîs/), svād-av-aḥ, aššaw-es, lit. dial. plãt-au-s (lit. standard plãtūs) 284.
12.17. Les adjectifs en *-wentL’indo-iranien, le grec et le hittite ont une classe d’adjectifs en *-went-. Ce suffixe, d’emploi secondaire, donne des dérivés dénominatifs. Il a un sens possessif (« pourvu de ») et sa forme présente des alternances en indoiranien. Véd. pad-vánt-, par exemple, signifie « qui a des pieds » en parlant des animaux qui marchent par opposition à ceux qui volent. Cf. RV 10,127,5 (hymne à la nuit) : ní grā́ māso avikṣata ní padvánto ní pakṣíṇaḥ « les (habitants des) villages, les (animaux) qui ont des pieds (et) ceux qui ont des ailes se sont mis au repos ». Aux cas faibles le thème de l’adjectif prend la forme pad-vát- (< *pe/od-wn̥ t-). Un exemple s’en rencontre dans le neutre collectif padvát « (tout) ce qui a des pieds » (RV 1,48,5 et 3,39,6). Le grec généralise le vocalisme e du suffixe. Ainsi, le féminin *-ϝασσα / -wassa/ (< *-wn̥ t-ih2) = skr. -vatī est refait en -ϝεσσα /-wessa/ d’après le masculin -ϝεντ- /-went-/. Cette réfection est prémycénienne, puisque la tablette PY Ta 709 porte pe-de-we-sa /pedwessa/ « qui a des pieds », en parlant d’un objet (chaudron?). Un adjectif en -(ϝ)εντ- /-(w)ent-/ à la fois mycénien et homérique se rattache au nom de la « rose » : wo-do-we /wordowen/, nom. sg. n., « au parfum de rose », en parlant d’une huile, se lit sur des tablettes de Pylos (PY Fr 1203, etc.), tandis que le syntagme ῥοδόεντι … ἐλαίῳ /rhodóenti … elaíōi/ « avec une huile parfumée à la rose » apparaît dans l’Iliade (23,186). Cf. ῥόδον /rhódon/ < *ϝρόδον /wródon/ n. « rose ». En hittite, un exemple de dérivé en -want-, šamankuruwant- « barbu », repose sur zamangur « barbe ». 284. Deux ouvrages fondamentaux ont été consacrés aux thèmes en -u- : Lamberterie 1990 (sur les alternances : I, p. 1-4) et Weitenberg 1984.
Chapitre XII : adjectif
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12.18. Le suffixe *-wer-/*-wenÀ la différence de *-went-, le suffixe *-wen-/-won- ne fournit qu’un petit nombre d’adjectifs et se rencontre en emploi primaire, aussi bien que secondaire. Un représentant du type se distingue par son archaïsme : gr. πῑ́ων /pī́ōn/ < *πῑ́ϝων /pī́wōn/ « gras » = skr. pī́van- « id. ». Le féminin comporte la variante suffixale *-wer-, comme l’attestent gr. πῑ́ειρα /pī́eira/ et skr. pī́varī (< *pī-wer-ih2). Il y a donc une alternance r/n, rappelant les neutres du type hitt. partauwar n. / gén. sg. partaun-aš « aile » ou gr. πεῖραρ /peîrar/ < *πέρϝαρ /pérwar/ < *pér-wr̥ , gén. sg. πείρατος /peíratos/ < *pér-wn̥ -t- « fin,
terme, extrémité » 285.
285. Benveniste (1935, p. 110-116) traite en détail les neutres en *-wer-/-wen-.
Chapitre XIII Les pronoms
13.1. Caractères généraux des pronoms L’organisation traditionnelle des signes de la langue en « parties du discours » comprend, dans le groupe des éléments flexionnels, une classe de « pronoms ». Dans cet ensemble, les « démonstratifs » et les « relatifs », par exemple, varient en genre, nombre et cas et, par là, s’apparentent aux noms (substantifs et adjectifs). Les pronoms « personnels » comportent, comme leur nom l’indique, la catégorie de la personne et se rapprochent ainsi du verbe. Au plan morphologique, flexion pronominale et flexion verbale font une place au supplétisme, c’est-à-dire mettent en œuvre, le cas échéant, des formes étymologiquement indépendantes, mais complémentaires. En témoignent, d’une part, lat. ego/mē « je, moi » / « me, moi » ou le démonstratif anaphorique skr. sá/tá-, gr. ὁ/τό- /ho/tó-/ (< i.-e. *só/tó-), d’autre part, lat. sum/fuī « je suis » / « je fus, j’ai été » ou gr. ὁρῶ/εἶδον /horô/eîdon/ « je vois » / « je vis (j’ai vu) », par exemple. Il y a donc des affinités entre pronom et verbe, aussi bien qu’entre pronom et nom. Cependant, les éléments pronominaux possèdent aussi des traits spécifiques 286. Tandis que les 286. Sur les caractères généraux des pronoms, voir Brugmann 1911, II 2, p. 302-309 (§ 310-312) et Meillet 1937, p. 325-338.
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noms et les verbes constituent des « listes ouvertes », c’est-à-dire susceptibles d’accroissement, les pronoms constituent des « listes fermées », c’està-dire des systèmes d’éléments en nombre fixe. Une autre différence intéresse la distribution des classes de signes dans la parole. Si les pronoms personnels « je » et « tu » n’ont qu’une faible chance d’emploi dans un récit ou une description, ils jouent un rôle majeur dans le dialogue. Par contre, les noms se répartissent librement dans ces différents types de discours 287. En fait, la spécificité de « je » et « tu » réside dans leur mode de signification. À la différence des noms, ces pronoms de 1re et 2e personnes ne renvoient pas à des notions constantes, mais leur référence est identifiée à chaque fois dans l’instance de discours qui les contient 288. Se définissent de même sur la base de la situation d’énonciation les termes « nous » et « vous ». Pronom de « 1re personne du pluriel » dans les descriptions grammaticales traditionnelles, « nous » ne pluralise pas à la manière d’un nom. En effet, « nous » ne signifie pas une pluralité de « je », mais fait référence à « je » et à une ou plusieurs autres personnes. Selon le contexte, ce pronom inclut l’interlocuteur (« toi et moi », « vous et moi ») et est dit « inclusif » ou l’exclut (« lui et moi », « eux et moi ») et est appelé « exclusif ». Dans les langues indo-européennes, une forme unique s’emploie dans les deux sens de « nous ». À « je » ne correspond donc qu’un seul pronom dans la série du pluriel. Mais ce type de système pronominal n’est pas universel. Bien des langues distinguent les deux variétés de « nous » par des termes différents. En malgache, par exemple, isika a le sens inclusif, izahay le sens exclusif 289.
287. Pour cette distinction, voir Benveniste, PLG 1, p. 251-257 (à la p. 252, sont opposées les conditions d’emploi de je/tu et des autres signes linguistiques). 288. Cf. Benveniste, ibid., p. 252-253. 289. J. Faublée, in : Meillet-Cohen 1952, p. 658.
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13.2. La morphologie des pronoms personnels : généralités La singularité des pronoms personnels ne se manifeste pas seulement au plan fonctionnel, mais aussi au niveau des formes. Aberrante par rapport à la structure habituellement trilitère de la racine, une structure bilitère se rencontre dans les enclitiques i.-e. *me (acc.) « me, moi » (gr. µε /me/, etc.) et *te (acc.) « te, toi » (gr. dor. τε /te/, etc.). En dehors de ces thèmes nus, la flexion comporte des formes pourvues de désinences partiellement différentes des désinences nominales. D’autre part, le système se complique d’un dédoublement aux cas accusatif, datif et génitif : avec une série de formes toniques coexistent des variantes enclitiques non accentuées. Dans le détail, les faits des langues particulières offrent de grandes ressemblances, mais n’autorisent pas toujours la reconstruction d’un dénominateur commun.
13.2.1. Le pronom de 1re personne sg. 13.2.1.1. Nominatif et datif sg. Le pronom de 1re personne sg. nominatif, par exemple, se restitue sous les formes *(h1)ég̑ (cf. lit. àš, etc.), *(h1)eg̑ óh2 (cf. gr. ἐγώ /egṓ/, lat. egō̆) et *(h1)eg̑ h2om (cf. skr. ahám, av. azəm, v. p. adam). En revanche, un prototy-
pe unique, i.-e. *moi, rend compte du datif enclitique du même pronom : véd. me, v. p. -maiy, gr. µοι /moi/. Phonétiquement compatible avec ces données, lat. mī, dans des syntagmes comme frater mi « (ô) mon frère ! » (Plaute, Curc. 641), pourrait être un ancien datif, mais s’expliquerait aussi à partir d’un génitif atone *mei /mey/ 290. Quoi qu’il en soit, le nom au vocatif admet également le pronom antéposé (type mi pater « (ô) mon père ! »), mais la construction la plus ancienne se caractérise par la postposition. Une 290. Pour M. Leumann, mī déterminant d’un vocatif remonte à *moi (Leumann 1977, p. 463, § 367, 5 d), tandis que, selon G. Meiser, l’origine en serait peut-être le génitif enclitique *mei̯ ( Meiser 1998, p. 157, § 108, 3).
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expression comme gnate mi « (ô) mon enfant ! » (Plaute, Asin. 830) a son pendant dans gr. ὦ τέκνον µοι /ô téknon moi/ « id. » (Euripide, Alc. 313). Si gr. µοι /moi/ a conservé, à l’époque historique, son statut de pronom enclitique, lat. mī, en revanche, a été réinterprété comme vocatif de l’adjectif possessif meus. En apporte la preuve l’emploi de mea auprès d’un nom féminin. Dans le Curculio de Plaute, par exemple, à frater mi du vers 641 (cf. supra) répond mea soror « (ô) ma sœur ! » au vers 657. De mī adnominal se distingue, historiquement, mī régime de verbe. Dans cette fonction, la forme procède de la contraction de mihi et appartient au registre familier ou fournit une variante métrique. Quant à mihi, sa structure dissyllabique a un écho dans ombr. mehe < ital. *mehei. La forme latine attendue, *mehī, se réduit à mihi en vertu de la loi d’abrègement des mots iambiques et par affaiblissement – dans des conditions imprécisables – de e en i. Au-delà du groupe italique, lat. mihi s’accorde avec véd. máhy- de máhyam (var. máhya). Il y a lieu de poser i.-e. *meg̑ hei / *meg̑ hi. En indo-aryen, le reflet de la forme en -i se complique d’une finale -a(m).
13.2.1.2. Génitif sg. Au génitif, le pronom de la 1re personne sg. se reconstruit sous la forme *mene sur la base d’une correspondance entre l’iranien et le balto-slave :
av. mana, v. p. manā, v. sl. mene, lit. dial. manè. Déviant, l’équivalent sanskrit máma s’explique par une assimilation progressive (m.n > m.m). Le latin n’a pas le représentant de la forme ancienne, mais recourt au génitif du pronom-adjectif possessif meī « de moi ». De même, l’expression de la 2e personne sg. appartient à tuī « de toi ». Le sens propre de ces termes se dégage de certaines occurrences de Plaute. Ainsi, dans l’Aululaire, le soupçonneux Euclion accuse son esclave de vol (vers 645) : Quid abstulisti hinc ? « Qu’as-tu emporté d’ici ? ». Réponse : Di me perdant, si ego tui
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quicquam abstuli « Les dieux m’anéantissent si je t’ai dérobé quelque chose » (trad. Ernout, CUF, 1932). L’esclave dit littéralement : « si j’ai emporté quelque chose du tien (= de ton bien) ».
13.2.1.3. Accusatif sg. Comme le datif et le génitif, l’accusatif du pronom de 1re personne sg. a pour expression une forme tonique et une forme atone (enclitique), à savoir véd. mā́ m (variante métrique māam) et mā, av. mąm et mā, v. p. mām et -mā, gr. ἐµέ /emé/ et µε /me/. Le latin n’a plus qu’une forme : mē < v. lat. mēd. Le vieux slave apporte au dossier le reflet d’un prototype à nasale finale : mę < balto-sl. *mēn < i.-e. *mē-m. L’ensemble des formes suggère l’existence d’une opposition ancienne entre *mḗ et *me. Les langues particulières transforment diversement cet état initial. L’indo-iranien généralise la voyelle longue et caractérise la forme tonique par l’addition de la particule -am, présente dans le nominatif védique ah-ám (cf. supra). En grec, en revanche, la voyelle brève figure dans les deux termes et *µέ se renforce en ἐµέ par analogie avec ἐγώ /egṓ/. Le latin mē (v. lat. mēd) sert aussi d’ablatif et dans cette fonction la consonne finale -d se retrouve ailleurs (cf. véd. mád ) ; par contre, sa présence dans la forme d’accusatif fait difficulté. Là où se conservent une forme tonique et une forme atone, la question se pose de leurs conditions d’emploi. En position initiale de phrase, le védique recourt, en principe, à la variante mā́ m, le grec à ἐµέ /emé/. Cf. RV 10,48,1 : mā́ m havante pitáraṃ ná jantávo « c’est moi (= Indra) que les races d’hommes invoquent comme un père » ; Il. 2,71 : … ἐµέ δὲ γλυκὺς ὕπνος ἀνῆκεν « … quant à moi (= Agamemnon), le doux sommeil me quitta ». À l’intérieur de l’énoncé, véd. mā́ m et mā se concurrencent et s’équivalent
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généralement 291. En grec, ἐµέ /emé/ est de rigueur auprès d’une préposition (type µετ’ ἐµέ /met’ emé/ « après moi », Il. 8,289) et dans une opposition (chez Hérodote se lit, par exemple, µὴ φοβέο µήτε ἐµέ, … µήτε γυναῖκα τὴν ἐµήν « ne crains ni moi, … ni ma femme », en 1,9,1). L’enclitique µε /me/ se rencontre dans les autres contextes, en particulier en seconde position dans la phrase 292. Cf. Il. 3,438 : Μή µε, γύναι, χαλεποῖσιν ὀνείδεσι θυµὸν ἔνιπτε « Ne poursuis pas mon cœur, femme, de durs outrages » (trad. Mazon, CUF, 1937).
13.2.1.4. Instrumental sg. À la différence de l’accusatif, du génitif et du datif, l’instrumental du pronom de 1re personne sg. n’a pas de forme enclitique. Son expression védique, máyā « avec moi, par moi », se rencontre à partir du livre X du R̥ gveda. La désinence -ā de cette forme appartient aussi à la morphologie nominale (cf., dans la flexion athématique, véd. vāc-ā́ « par la parole », de vāc- f. ; dans la flexion thématique, av. yasnā « par une consécration », de yasna- m.). L’addition de ce morphème au thème pronominal *ma- (< i.-e. *me-) donnerait véd. *mā (cf. 2e pers. tvā́ « par toi, avec toi », à côté de
tváyā). La forme attestée repose sans doute sur le possessif *meyo- « (le) mien », issu du génitif enclitique *mei par thématisation 293. La substitution d’un pronom possessif à un pronom personnel rappelle le cas de lat. meī « de moi », propr. « du mien » (cf. § 13.2.1.2). Au point de vue comparatif, la finale -ayā (< *-eyō) de máyā a un écho, à la nasalisation près, dans la variante apophonique -ojǫ < *-oyō-m(i) de v. sl. mŭnojǫ « par moi ». Mais, pour le reste, les formes ne se recouvrent pas. 291. Comme le souligne L. Renou, « la différence de valeur est souvent imperceptible » (Renou 1952, p. 339). 292. Voir Schwyzer-Debrunner 1950, p. 186. 293. Cette étymologie de máyā se trouve chez Schmidt 1978, p. 108. Par ailleurs, *meyo-s est à l’origine de lat. meus « mon » : cf. Meiser 1998, p. 159, § 109,1.
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13.2.1.5. Ablatif sg. De même, à l’ablatif du pronom de 1re personne sg., les faits connus ne se correspondent pas parfaitement. À l’est, le védique a mád (mát), l’avestique mat̰ , le vieux perse ma, reflets de i.-e. *méd ; à l’ouest, le vieux latin procure mēd (> lat. cl. mē), non superposable à *mĕd. La forme à voyelle brève passe généralement pour la plus ancienne et la variante à voyelle longue est expliquée par une influence – à l’époque préhistorique – de l’instrumental *mē ou de l’accusatif homophone 294. Mais, mieux vaut admettre que les deux formes ont coexisté en indo-européen et que leur sélection dans la production du discours a pu être conditionnée par des facteurs prosodiques.
13.2.1.6. Locatif sg. Au locatif du pronom de 1re personne sg., les langues particulières présentent des formes irréductibles l’une à l’autre : skr. máyi, lit. manyjè, v. sl. mĭně. La donnée indienne comporte la désinence -i de la flexion nominale à la suite de l’élément may-, formellement comparable au pronom enclitique me < i.-ir. *mai < i.-e. *moi. Mais skr. me s’emploie comme datif ou comme génitif et n’a jamais la valeur d’un locatif. En revanche, la fonction locative existe peut-être pour gāth. mōi en Y. 45,5 et Y. 46,10 295. Ailleurs, cette forme enclitique sert de datif ou de génitif (cf. skr. me). Dans l’hypothèse où, en indo-iranien, *mai remplissait trois fonctions casuelles (datif-génitif294. « Im Lat. stehen dafür … langvokalische Formen mē(d), tē(d), sē(d), die sich wohl als kontaminiert aus Instr.-Bildungen *mē, *tē, *sē und kurzvokalischen Abl.-Formen *med, *ted, *sed erklären » (Schmidt 1978, p. 94) ; « Die uridg. Ablativformen waren *med, *tu̯ ed … Der Langvokal könnte im Lat. von den orthotonen Akkusativformen *mē, *t(u̯ )ē … eingedrungen sein » (Meiser 1998, p. 157, § 108,5). 295. J. Kellens et E. Pirart parlent d’un « locatif de point de vue » et proposent la traduction « à mes yeux » (Kellens-Pirart 1988-1991, t. II, p. 43). Mais Hoffmann-Forssman 1996 n’enregistrent mōi que comme datif-génitif (p. 160) et Bartholomae en fait une particule de phrase en Y. 45,5 (Bartholomae 1904, col 1175).
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locatif), ce terme polyvalent a pu, dans la branche indienne, être spécifié comme locatif par l’addition de -i 296. Quant aux faits lituanien et vieux slave, leur divergence ne permet pas la reconstruction d’une forme baltoslave. Lit. manyjè rappelle, par sa finale, la flexion des thèmes en -i- (cf. širdyjè « dans le cœur », de širdìs f.). En vieux slave, mĭně cumule les fonctions de datif et de locatif et présente une désinence -ě, également attestée au datif-locatif des féminins en -ā-. Mais il n’y a peut-être pas de rapport entre les deux flexions 297.
13.2.2. Le pronom de 1re personne duel Par rapport au singulier et au pluriel, le duel se caractérise par un plus petit nombre de formes casuelles. Cette économie des moyens a pour corollaire la bivalence ou la polyvalence de la plupart des termes du paradigme.
13.2.2.1. Nominatif et accusatif duels En sanskrit classique, āvām « nous deux » joue le rôle de sujet ou d’objet. Ces conditions d’emploi valent aussi pour lit. mùdu « id. » (dial. vẽdu, vèdu). En revanche, le védique distingue encore, au duel, le nominatif de l’accusatif. Dans le R̥ gveda apparaissent le nominatif vā́ m « nous deux » (6,55,1) et l’accusatif enclitique nau (10,85,47). La prose védique (Śatapatha Brāhmaṇa) oppose āvám (nom.) à āvā́ m (acc.). La forme vā́ m de nominatif ne diffère de l’avestique vā que par la nasale. Le terme védique résulte vraisemblablement de la contraction de *vā-am et renferme la particule -am du pluriel vay-ám « nous ». Cet élément additionnel ne figure pas dans le correspondant vieux slave vě < *wē. En lituanien dialectal, vẽdu (vèdu) se compose du pronom *ve < *wĕ « nous deux » et du numéral dù 296. Cf. Schmidt 1978, p. 81-82, § A 3.13. 297. Voir, cependant, Vaillant 1958, t. II, p. 450, § 249.
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« deux ». Il y a donc recaractérisation de la forme de duel par la juxtaposition du nom de nombre « deux ». En grec classique, une expression remplit les fonctions du nominatif et de l’accusatif : νώ /nṓ/. Homère emploie généralement νῶϊ /nôï/, également bivalent, mais procure aussi νώ /nṓ/ (accusatif) en Il. 5,219 298. Ce monosyllabe et son correspondant v. sl. na (accusatif duel de la 1re personne) continuent i.-e. *nō. Une variante *nōu est supposée par skr. nau et par gr. νῶϊ /nôï/ au prix d’une restitution *νῶϝι /nôw-i/. Dans le R̥ gveda, nau en fonction d’accusatif ne se rencontre qu’en 10,85,47 : sám mātaríśvā sám dhātā́ sám u déṣṭrī dadhātu nau « Que Mātariśvan (autre nom d’Agni), que le (dieu) créateur, que la (déesse) pourvoyeuse nous unissent ».
13.2.2.2. Le datif(-instrumental) et le génitif(-locatif) duels En d’autres passages du même texte, nau se définit comme datif ou comme génitif. Les formes toniques correspondantes ne sont pas attestées dans les hymnes, mais dans la prose védique. Le datif duel āvā́ bhyām apparaît dans l’Aitareya Brāhmaṇa et le génitif duel āváyoḥ dans le Śatapatha Brāhmaṇa. En sanskrit classique, la forme en -ābhyām assume aussi les valeurs de l’instrumental et de l’ablatif, tandis que la forme en -ayoḥ fait également fonction de locatif. Par leurs finales, ces pronoms rappellent la flexion de l’anaphorique (tā́ bhyām, táyoḥ) et des noms thématiques (hástābhyām, hástayoḥ, de hásta- m. « main »). En regard de la désinence indo-iranienne à initiale bh, le morphème slave du datif-instrumental duel comporte une caractéristique m. La forme en est -ma : na-ma « pour nous deux ; avec nous deux ». Cet élément règne aussi dans la flexion nominale (cf. le syntagme kŭ kolěnoma « aux genoux » : cf. 298. Une attestation de νω devant voyelle (Od. 15,475) n’est pas pertinente, car la lecture νῶ’ /nô’/ pour νῶϊ /nôï/ avec élision est parfaitement possible. Voir l’apparat critique de l’édition Von der Mühll 1962, p. 288.
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§ 10.2.1). Au datif et à l’instrumental du pronom personnel, le duel ne se distingue du pluriel que par le vocalisme désinentiel. Cf. dat. pl. namŭ et instr. pl. nami. En ce qui concerne les conditions d’emploi de nama, Marc 10,37 illustre sa valeur de datif (daždĭ nama … « donne-nous … »), Luc 24,29 sa valeur d’instrumental (oblędzi sŭ nama … « reste avec nous … »). En lituanien, une forme pronominale en -ma subsiste indirectement dans le possessif mùma « notre, à nous deux » (cf. 2e pers. jùma « votre, à vous deux »). En dehors de ce vestige, le datif-instrumental de mùdu « nous deux » a pour expression mùdviem. Le grec a une forme oblique de duel (datif-génitif) sans rapport avec les faits indo-iraniens et balto-slaves : hom. νῶϊν /nôïn/, att. νῷν /nôin/. La désinence -ιν /-in/ se retrouve dans la finale -οιιν /-oiin/ de la morphologie nominale (cf. ὤµοιιν /ṓmoiin/ « sur les épaules » ; voir § 10.3.1) et figure dans le datif homérique τεΐν /teḯn/ « à toi » (Il. 11,201 ; Od. 4,619 ; etc.). À la différence du grec, le sanskrit distingue, dans la série des formes toniques, le génitif duel du datif duel. En revanche, génitif et locatif duels ont même expression (āváyoḥ : cf. supra). Cette répartition des cas s’observe aussi dans le paradigme du vieux slave. En effet, à nama, datif-instrumental, s’oppose naju, génitif-locatif. Le texte de Luc 24,32 procure deux emplois de naju, l’un en fonction de génitif, l’autre de locatif. En voici la version du Codex Assemanianus. Les deux disciples d’Emmaüs se disent l’un à l’autre : Ne sr(ĭ)d(ĭ)ce li naju gory bě vŭ naju egda g(lago)la kĭ nama na pǫti « Est-ce que notre cœur (littéralt le cœur de nous deux) n’était pas ardent en nous, lorsqu’il (c.-à-d. Jésus) nous parla sur le chemin ? ». La désinence -ju de naju caractérise aussi toju, génitif-locatif duel du démonstratif tŭ « ce ». L’origine en est i.-e. *-y-ou, c’est-à-dire, moins la sifflante finale, l’équivalent de *-y-ous, d’où procède skr. -yoḥ.
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13.2.3. Le pronom de 1re personne pl. 13.2.3.1. Nominatif pl. Les formes de nominatif pl. du pronom de 1re personne ne se ramènent pas à l’unité. Une partie des faits suppose un point de départ i.-e. *wei, l’autre s’explique par i.-e. *mes. Le type *wei se reflète dans les représentants de l’indo-iranien, du tokharien, du hittite et du germanique. Le védique a régulièrement vay- dans vay-ám « nous » (cf. v. p. vayam et av. vaēm < *vay-əm
). Dans la classe des pronoms personnels, la particule
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-am élargit aussi ah-ám « je » et vā́ m < *vā-am « nous deux », notamment. Le hittite wēš et le gotique weis reposent sur une forme *wey-es, recaractérisée comme pluriel par l’adjonction de la désinence nominale -es (cf. § 11.1.1). La forme concurrente *mes se conserve intacte en baltique : lit. mẽs. Des exemples s’en rencontrent déjà chez Mažvydas. Cf. Cat. 71 : Mes tikim ijng Jesu Christusa « Nous croyons en Jésus Christ ». V. sl. my « nous » ne partage avec le pronom lituanien que la consonne initiale. Pour le vocalisme, cette forme my semble analogique de vy « vous » 300. En dehors du balto-slave, un correspondant exact de lit. mẽs se trouve en arménien classique. En effet, arm. mek‘ « nous » continue vraisemblablement i.-e. *mes, car la sifflante finale s’affaiblit en un souffle (h), puis cette consonne, comme marque du nominatif pl., se renforce en une vélaire aspirée (kh) 301. En grec, le nominatif pl. du pronom de première personne se construit sur la forme de l’accusatif pl. Ainsi, éol., hom. ἄµµες /ámmes/ procède de ἄµµε /ámme/ < *n̥ s-me (acc.) et prend la désinence -s de la flexion nominale. En ionien-attique, ἡµεῖς /hēmeîs/ se ramène à *n̥ s-me-es. L’élément *n̥ s se définit comme le degré zéro de *nos (cf. l’enclitique skr.
299. Voir Hoffmann-Forssman 1996, p. 63, § 31 et p. 160, § 114. 300. Vaillant 1958, t. II/2, p. 451, § 250. 301. Sur ce traitement particulier, voir Godel 1975, p. 102, § 5.221.
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naḥ) ; entre cette forme pronominale et la désinence, *me a le statut d’une particule 302.
13.2.3.2. Accusatif pl. En latin, nōs « nous » s’emploie comme nominatif et comme accusatif. La comparaison enseigne la priorité de l’accusatif, car l’équivalent gāthique nā̊ < *nāh sert de pronom objet enclitique. À côté de nōs, une variante à voyelle brève est attestée dans le possessif nŏs-ter « notre ». La forme pronominale s’expliquerait à partir de *nŏs par l’allongement de la voyelle constitutive d’un monosyllabe accentué 303. Cf. *dăs > dās « tu donnes » (inf. dăre) 304. À la différence du latin, l’indo-iranien distingue deux formes d’accusatif pl., l’une tonique, l’autre enclitique. La forme tonique de l’avestique, ahma, recouvre exactement gr. éol. ἄµµε /ámme/ < *n̥ s-me (cf. § 13.2.3.1). Skr. asmā́ n n’en diffère que par la finale, de type nominal (cf. acc. pl. devā́ n « dieux »). La forme enclitique, à savoir skr. naḥ et av. nō, s’emploie aussi au datif et au génitif. S’en rapproche v. sl. ny, acc. pl. (généralement enclitique) et dat. pl. (enclitique). La finale -y est due à une influence de la flexion thématique (cf. grady « villes », acc. pl. : § 11.2.1). En lituanien, mùs « nous » (acc. pl.) rappelle également la morphologie nominale (cf. výrus « hommes », acc. pl.) et doit son m- à une réfection analogique sur le modèle du nominatif pl. mẽs. Le grec conserve la forme ancienne d’accusatif pl. dans une partie des dialectes (éol ἄµµε /ámme/, dor. ᾱ̔µέ /hāmé/), mais procure une forme nouvelle dans la langue homérique : ἡµέας /hēméas/ (à côté de ἄµµε /ámme/). Le reflet attendu de *n̥ sme, ion. *ἡµε /hēme/, a été recaractérisé par l’addition de la désinence -ας /-as/ des noms athématiques 302. Chantraine 1964, p. 134-135, § 149-150 ; Rix 1992, p. 178-179, § 192. Gernot Schmidt voit dans la seconde syllabe de dor. ᾱ̔µές /hāmés/, éol. ἄµµες /ámmes/ la forme *mes, attestée dans lit. mẽs, etc. (1978, p. 175, § D 1.9 b). 303. J. Kuryłowicz 1968, p. 191, § 247 ; Sommer-R. Pfister 1977, p. 102, § 83.8. 304. Leumann 1977, p. 528, § 402 c Zusatz 2.
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(type ἄνδρας /ándras/ « hommes » : § 11.2.4). En attique, l’α long de ἡµᾶς /hēmâs/ provient de la contraction de εα /ea/ 305.
13.2.3.3. Instrumental pl. À l’instrumental pl., le védique et le sanskrit classique ont la forme asmā́ bhiḥ « par nous, avec nous ». La désinence -bhiḥ rappelle d’autres termes pronominaux, comme ebhíḥ du démonstratif ay-ám « celui-ci », bâti sur le thème i.-e. *ei-/i- (cf. lat. eum < *ey-om). À l’exception du type thématique, les noms ont aussi des formes en -bhiḥ (ex. : nŕ̥bhiḥ « avec les hommes »). En revanche, l’instrumental pl. gāthique ne comporte pas la désinence -biš (= véd. -bhiḥ) : ǝ̄hmā « par nous ». Cette forme aurait pour correspondant véd. *asmā, ancêtre présumé de asmā́ bhiḥ. Cf. *yuṣmā « par vous », attesté dans
yuṣmā́ datta- « donné par vous », à côté de yuṣmā́ bhiḥ
. L’addition de -bhiḥ
306
rendait plus claire l’appartenance de ces instrumentaux à la catégorie du pluriel. Mais la reconnaissance d’un ancien instrumental *asmā ne s’impose pas, puisque la même forme entre dans le génitif pl. asmā́ kam et dans le locatif pl. asmā́ su. Sauf au nominatif, asmā̆-, avec la voyelle finale longue ou brève, fonctionne comme thème du pluriel. La construction du paradigme sur deux thèmes supplétifs, l’un propre au nominatif, l’autre commun à l’accusatif et aux cas obliques, se retrouve dans le pronom de 1re personne pl. du vieux slave. Comme le datif pl. et le génitif-locatif pl., l’instrumental pl. repose sur na- ; à cette forme s’attache la désinence -mi, attestée également dans les démonstratifs et dans la plupart des types nominaux. Ainsi, « avec nous » a pour expression v. sl. nami. Tandis que na- remonte probablement à *nō- (cf. lat. nōbīs, dat.-abl. pl.), lit. mu- de mumìs « avec nous » résulte de réfections analogiques : l’initiale m- se substitue à n- sur le 305. Le plus souvent, εα se change en η ; le traitement ᾱ procède d’une innovation analogique : Lejeune 1972, p. 260, § 290. 306. Thumb-Hauschild 1958, t. I 2, p. 131, § 353.
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modèle du nominatif pl. mẽs et le vocalisme u trahit l’influence du pronom de 2e personne pl. (cf. jumìs « avec vous »).
13.2.3.4. Datif pl. Avec l’instrumental pl. le datif pl. présente une ressemblance de forme. En védique, la désinence -bhyam de asmábhyam « à nous, pour nous » se construit sur *-bhi-, comme la désinence -bhiḥ de asmā́ bhiḥ. Ce morphème -bhyam (< -bhi- + -am) ne se rencontre pas en dehors du pronom personnel, car les démonstratifs et les noms ont des datifs pl. en -bhyaḥ. En outre, asmábhyam ne fonctionne que comme complément d’attribution, tandis que les formes en -bhyaḥ s’emploient aussi avec la valeur de l’ablatif. Cf., par exemple, gr̥ hébhyaḥ « (loin) des maisons » en RV 1,120,8 : mā́ kútrā no gr̥ hébhyo dhenávo guḥ « Que les vaches ne s’en aillent pas quelque part loin de nos fermes ! ». À côté de la forme ancienne et classique asmábhyam, une variante asmábhya doit être restaurée pour des raisons métriques en maints passages du R̥ gveda. Ce datif pl. sans -m final a son correspondant exact dans gāth. ahmaibiiā (Y. 28,6 et Y. 40,3). Avec la désinence à *bh initial de l’indo-iranien contraste le morphème à *m initial du balto-slave. Comme les différents types de noms, le pronom
personnel lituanien a un datif pl. en -ms. À la 1re personne, cette caractéristique s’ajoute au thème mu- : mùms « à nous ». Une forme en -mus plus ancienne se conserve en vieux lituanien. À côté de mùms, plus fréquent, mùmus est attesté quelques fois dans le Catéchisme de Mažvydas, par exemple en 23,11 : Dona musu wyssu dienu dodi mumus nu (= Duoną mūsų visų dienų duodi mumus nu) « Donne-nous maintenant notre pain quotidien (littéralt de tous les jours) ». En vieux slave, namŭ « à nous » comporte le thème na- des cas obliques du pluriel et la désinence -mŭ < *-mus, également attestée dans la flexion nominale.
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Les formes grecques de même fonction, ion.-att. ἡµῖν /hēmîn/, dor. ᾱ̔µὶν /hāmìn/, éol. ἄµµι(ν) /ámmi(n)/, ont des liens avec des faits sanskrits. La nasale géminée de ἄµµι(ν) /ámmi(n)/ s’accorde avec le groupe -sm- de véd. asmé, datif et locatif pl. (doublet de asmábhyam et de asmā́ su). Cette forme indienne peut être ramenée à i.-e. *n̥ s-mei, tandis que gr. ἄµµι /ámmi/ continue apparemment une variante *n̥ s-mi, avec le second élément au degré zéro 307. Mais dor. ᾱ̔µὶν /hāmìn/ et ion.-att. ἡµῖν /hēmîn/, toujours pourvus de -ν, s’expliqueraient mieux à partir d’une forme en -smin 308. En sanskrit, -smin caractérise le locatif sg. des démonstratifs. Cf., par exemple, tásmin (de ta-, anaphorique). L’affectation d’une désinence de locatif à l’expression du datif ne manque pas de parallèles. Ainsi, en grec, la flexion athématique signale les datifs sg. et pl. par -i et -si, anciens morphèmes de locatif. Demeure la question du nombre. Les formes sanskrites en -smin appartiennent au singulier de la déclinaison des démonstratifs, alors que gr. ἡµῖν /hēmîn/ est un pluriel. Mais ce désaccord n’est pas rédhibitoire, car, dans la morphologie des pronoms personnels, les oppositions de nombre reposent essentiellement sur le supplétisme des thèmes et une seule et même désinence peut se rencontrer au singulier et au pluriel. La marque -d de l’ablatif, par exemple, figure dans véd. mád « (à partir) de moi » et asmád « (à partir) de nous ». Cf. les génitifs hittites en -ēl du type ammēl « de moi » / anzēl « de nous ». En latin, le datif-ablatif pl. du pronom de 1re personne, nōbīs, se compose du thème nō-, probablement extrait de l’accusatif pl. nōs, et de la désinence -bīs (cf. uōbīs, à la 2e personne). La voyelle ī de ce morphème remonte à une ancienne diphtongue, comme l’atteste le témoignage de v. lat. uobeis 307. Pour H. Rix la substitution de -mi à -mei résulte d’une influence de la désinence nominale -σι /-si/ (Rix 1992, p. 179, § 192). 308. C’est ce que suggère P. Chantraine : « Le datif est en -µι(ν), ce qui fait penser aux désinences pronominales du skr. en -smin » (1964, p. 135, § 149).
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(S. C. Bacch. = CIL I2 581,29). À la sifflante près, la même finale apparaît dans le singulier tibei « à toi » (CIL I2 632). Comme lat. -b- intérieur peut refléter i.-e. *-bh-, -bei s’explique bien à partir de *-bhei, degré plein de *-bhi. Un lien existe donc entre la désinence latine et skr. -bhyam, c’est-à-
dire *-bhi- + -am, de la forme asmábhyam. À *-bhei (> -bei > -bī) s’attache la consonne s sous l’influence des datifs-ablatifs pl. nominaux en *-bhos (> -bus). D’où *-bheis (> -beis > -bīs) 309.
13.2.3.5. Ablatif pl. La double valeur casuelle de lat. nōbīs n’a pas son pendant en indoiranien, où l’expression du datif et de l’ablatif pl. du pronom personnel est dévolue à des formes différentes. À la 1re personne, le védique et l’avestique opposent asmábhyam, resp. ahmaibiiā « à nous » à asmád (variante contextuelle asmát), resp. ahmat̰ « (à partir) de nous ». Comme on l’a vu, la marque de l’ablatif pl., la consonne -d, se retrouve au singulier (cf. véd. mád, mát, gāth. mat̰ « (à partir) de moi »). Hors de la flexion pronominale, la même caractéristique figure à l’ablatif sg. des noms thématiques. En RV 1,120,7, par exemple, apparaît vŕ̥kād « du loup », complément de pā« protéger (de) ».
13.2.3.6. Génitif pl. Au génitif pl., véd. asmā́ kam « de nous » n’est pas séparable du possessif asmā́ ka- « notre, nôtre », dérivé du thème asmā- à l’aide du suffixe d’appartenance -ka-. Ce terme signifie proprement « relatif à nous ». Selon Thumb et Hauschild, le génitif asmā́ kam s’expliquerait par une réinterprétation du 309. M. Leumann considère *nōbeis, uōbeis comme les produits de nō-, uō- + -bei de tibei et -s d’une forme comme isteis (Leumann 1977, p. 463, § 368) ; G. Meiser part de formes italiques *nōβos, *uōβos et en admet la réfection en*nōbei̯ s, *u̯ ōbei̯ s sur le modèle de *tebei̯ , *sebei̯ (Meiser 1998, p. 158, § 108,8).
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nominatif-accusatif sg. n. du possessif. Ce changement de statut se produirait d’abord dans un emploi prédicatif du pronom 310. En fait, en de nombreux passages du R̥ gveda, asmā́ kam est ambigu. Auprès d’un nom masculin ou neutre à l’accusatif sg., la forme s’interprète soit comme un déterminant adjectif, soit comme un génitif adnominal. En témoigne, par exemple, RV 1,102,5 (prière à Indra) : asmā́ kam smā rátham ā́ tiṣṭha sātáye « monte sur notre char pour (notre) profit ! ». Dans ce contexte, asmā́ kam équivaut aussi bien à « notre » qu’à « de nous ». En faveur de « notre » plaide le syntagme ráthena … asmā́ kena « avec notre char » (RV 6,45,15). En revanche, yuṣmā́ kam ne peut être qu’un génitif pl. dans la construction yuṣmā́ kaṃ smā ráthān « de vous les chars = vos chars » (RV 5,53,5). Dans le paradigme du pronom personnel, un génitif pl. formellement identique au nominatif-accusatif sg. n. du possessif correspondant se rencontre aussi en latin. À la 1re personne, c’est le cas de nostrum « de nous » et « notre, nôtre ». Comme prédicat du verbe esse, ce terme a deux définitions possibles. En offre un exemple Virgile, Buc. 3,108 : Non nostrum inter uos tantas componere litis. Dans ce vers, nostrum peut être compris comme le nominatif sg. n. du possessif : « ce n’est pas nôtre (c.-à-d. notre affaire) d’apaiser de si grandes disputes entre vous ». Appuie cette interprétation un énoncé parallèle de Cicéron, Mur. 83 : His tantis in rebus … est tuum, M. Cato, … uidere quid agatur « Dans cette situation si grave, … c’est ton affaire, M. Cato, … de voir ce qu’il en est ». Mais la forme nostrum du texte virgilien peut aussi être considérée comme un génitif – le cas échéant, non nostrum signifierait « il n’est pas de nous », c.-à-d. « il ne nous appartient pas » – , comme le suggère le type cuiusuis hominis est errare « c’est le fait de tout homme de se tromper » (Cicéron, Phil. 12,5) 311. À la différence de nostrum, la forme nostrī « de nous », propr. « du nôtre », 310. Thumb-Hauschild, 1958-1959, t. I, 2, p. 131-132, § 353, avec une référence à Brugmann. 311. Ces textes latins sont cités d’après Touratier 1994, p. 28-29 et 206.
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ne peut qu’être interprétée comme un génitif (cf. meī « de moi », propr. « du mien », § 13.2.1.2). En baltique, le génitif pl. du pronom de 1re personne se caractérise par la désinence *-sōn < i.-e. *-sōm. Le reflet de cet élément en lituanien, de forme -sų, s’attache au thème mū̆-, commun aux cas obliques du pluriel (cf. instr. pl. mumìs, dat. pl. mùm(u)s, § 13.2.3.3 et 13.2.3.4) : mū́ sų « de nous ». Une formation comparable se rencontre dans les pronoms démonstratifs du sanskrit. L’anaphorique tá-, par exemple, a un génitif pl. m. téṣām < *toisōm. En vieux slave, la désinence -sŭ de nasŭ « de nous » repose sur une forme ancienne *-som, avec voyelle brève. La différence entre les morphèmes baltique et slave rappelle le contraste entre lit. -ų̄ et v. sl. -ŭ dans les génitifs nominaux (cf. lit. výrų̄ « des hommes » et v. sl. člověkŭ « id. », § 11.5.1). En grec, le génitif pl. des pronoms personnels présente une finale -έων /-éōn/ ou -ῶν /-ôn/ par contraction. À la 1re personne, les dialectes procurent : lesb. ἀµµέων /amméōn/, dor. ᾱ̒µέων /hāméōn/, ion. ἡµέων /hēméōn/, att. ἡµῶν /hēmôn/. De toute évidence, ces formes se fondent sur l’ancien accusatif pl. *n̥ s-mé. Dans les manuels, a cours la forme reconstruite *n̥ s-mé-ōm, pourvue de la désinence nominale *-ōm 312. Mais un point de départ *n̥ s-mé-sōm semble préférable, car lit. -sų de mū́ sų plaide pour la caractéristique pronominale *-sōm. Comme dans la finale *-ā-sōm (> hom. -ᾱ́ ων /-ā́ ōn/) des génitifs féminins de la 1re déclinaison, la sifflante s’amuït régulièrement en position intervocalique.
13.2.3.7. Locatif pl. Le locatif pl. des pronoms personnels a pour expression, dans la langue védique, les formes concurrentes asmā́ su « en nous » et asmé « id. ». Seul 312. Rix 1992, p.179, § 192.
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asmā́ su reste en usage en sanskrit classique. Sa structure apparaît clairement : au thème asmā-, avec une voyelle finale longue (cf. instr. pl. asmā́ bhiḥ), s’ajoute la désinence -su. Cette marque signale le locatif pl. également dans la morphologie nominale et s’oppose, en principe, à -i, expression du locatif sg. Cependant, de même que la désinence homérique -φι /-phi/, morphème d’instrumental pl. à l’origine, signale parfois un singulier, de même l’élément -i, morphème de locatif sg. à l’origine, entre exceptionnellement dans une forme de pluriel. Le cas se présente dans i.-e. *n̥ sme-i, étymologie de véd. asmé « en nous ». Ici, la catégorie du nombre
est marquée par le thème. La même particularité s’observe dans l’ablatif asmád < *n̥ sme-d « (à partir) de nous » vis-à-vis de mád < *me-d « (à partir) de moi » (cf. § 13.2.3.4). En avestique, les correspondants de véd. asmā́ su et asmé ne sont pas attestés. Le vieux slave n’a pas de forme propre de locatif pl. dans le paradigme des pronoms personnels ; la forme du génitif pl. en tient lieu. Le lituanien, en revanche, distingue les deux cas, mais cet état de choses résulte d’un rajeunissement de l’expression. Le fait apparaît aussi bien dans mūsyjè « en nous » que dans la variante mūsuosè « id. ». En effet, les deux formes reposent sur une base mūs-, issue du génitif pl. mū́ sų ; l’une emprunte la finale -yjè de manyjè « en moi », l’autre la finale -uose des noms thématiques (cf. miẽstuose « dans les villes », § 11.6.1). Morphologiquement indépendant du génitif pl., mumysè se rencontre dans la langue littéraire. Cette forme comporte une base mum-, rappelant le datif et l’instrumental pl., et se termine par la finale -yse des thèmes en -i- (cf. akysè « sous les yeux (de), en présence (de) », de akìs f. « œil »).
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13.2.4. Le pronom de 2e personne sg. Du pronom de 1re personne le pronom de 2e personne se distingue par le thème, mais généralement pas par les désinences casuelles. Entre les deux paradigmes s’établit un grand parallélisme, en partie à cause de changements analogiques.
13.2.4.1. Nominatif vs accusatif et cas obliques En sanskrit, la flexion du singulier présente, aux cas accusatif, instrumental, ablatif et locatif, des finales identiques dans les formes à radical m(a)- (1re personne) et à radical tv(a)- (2e personne) : mā́ m / tvā́ m, máyā / tváyā, mád / tvád, máyi / tváyi. En revanche, le rapport formel entre le nominatif et les autres termes de la déclinaison n’est pas le même dans les deux pronoms. À la 1re personne, il y a supplétisme entre ah- de ahám et m(a)- de l’accusatif et des cas obliques, tandis qu’à la 2e personne, tv- de tvám (avec ses variantes tu- et tav-) règne dans tout le paradigme. En baltique, les flexions des pronoms de 1re et de 2e personnes présentent une grande similitude. Au singulier, sauf au nominatif, le lituanien constitue des séries parallèles sur les thèmes man-, resp. tav- : acc. manę̀ / tavę̀ , instr. manimì / tavimì, dat. mán / táv, gén. manę̃s / tavę̃s, loc. manyjè / tavyjè. En revanche, les formes du nominatif n’ont rien en commun : àš < *(h1)eg̑ « moi » et tù < *tū « toi ». En vieux slave, une structure consonantique t.b caractérise, à l’exception du nominatif-accusatif, le pronom de 2e personne sg. vis-à-vis de m.n dans les termes correspondants du pronom de 1re personne : instr. mŭnojǫ / tobojǫ, dat. mĭně / tebě, gén. mene / tebe, loc. mĭně / tebě. Les formes de l’accusatif ne se distinguent que par l’initiale : mę / tę. Le nominatif, enfin, a pour expression des éléments indépendants : azŭ « je » / ty « tu ».
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En grec, le pronom de 2e personne sg. oppose, en dehors du nominatif, une forme accentuée et une forme atone : acc. σέ /sé/ vs σε /se/, dat. σοί /soí/ vs σοι /soi/, gén. σοῦ /soû/ vs σου /sou/. Ce système rappelle la flexion du pronom de 1re personne sg. : ἐµέ /emé/ vs µε /me/, ἐµοί /emoí/ vs µοι /moi/, ἐµοῦ /emoû/ vs µου /mou/. Mais, dans la série accentuée, le paradigme de la 2e personne sg. ne comporte pas de formes dissyllabiques. Le nominatif σύ /sú/ « tu » doit son initiale σ- /-s/ à l’influence analogique de σέ /sé/ < *twe (cf. skr. tvā́ m). En latin, le pronom de 2e personne sg. se caractérise morphologiquement par la consonne t- initiale. Le nominatif est tū. À l’accusatif et à l’ablatif, tē < v. lat. tēd fait pendant à mē < v. lat. mēd. Le datif tibi < v. lat. tibei partage avec skr. túbhyam la désinence ancienne *-bhei / *-bhi (§ 13.2.4.2). Le génitif tuī, enfin, appartient proprement au possessif, de même que meī (§ 13.2.1.2).
13.2.4.2. Datif En sanskrit, le datif sg. pose un problème particulier, car les finales de má-hyam « à moi » et de tú-bhyam « à toi » diffèrent par la consonne initiale. Ces formes complexes s’analysent en une désinence -hi, resp. -bhi, et une particule -am. Les données les plus proches se rencontrent dans lat. mihi < v. lat. mihei et tibi < v. lat. tibei. Les formes indo-européennes sousjacentes sont *megh(e)i et *tebh(e)i. La possibilité existe d’un point de départ *mebh(e)i « à moi », avec dissimilation de bh en g̑ h sous l’action de m de la première syllabe 313. Le cas échéant, le phénomène remonterait à l’époque préhistorique, car le latin admet la coexistence de labiales dans des syllabes consécutives. Cf. morbus m. « maladie ». Mais, en tout état de cause, rien n’oblige à la reconstruction d’une désinence unique et la seule 313. Hypothèse de Meiser 1998, p. 157, § 108,4.
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certitude est la présence de *-bhei / *-bhi dans le pronom de 2e personne 314. Comme l’indiquent ombr. tefe « à toi » et, indirectement, gāth. taibiiā « id. », ce morphème s’attachait à un élément *te-. La variante tu- de skr. túbhyam s’explique par l’analogie du nominatif tuám (plus fréquent que tvám dans le R̥ gveda).
13.2.4.3. Génitif Sur *te- se construit aussi le génitif sg. *te-we > skr. táva « de toi ». Par hypostase, cette forme donne l’adjectif possessif *tewos « ton » (cf. hom. τεός /teós/, lat. tuus). La marque *-we ne figure pas dans le pronom de 1re personne *me-ne « de moi » (cf. v. sl. mene, av. mana et, avec assimilation, skr. máma : § 13.2.1.2). Mérite encore une mention le locatif sg. véd. t(u)vé « en toi », car une formation équivalente n’existe pas à la 1re personne.
13.2.5. Le pronom de 2e personne duel Au duel, le sanskrit fléchit le pronom de 2e personne sur le thème yuvā̆- : nom.-acc. yuvā́ m, instr.-dat.-abl. yuvā́ bhyām, gén.-loc. yuváyoḥ. Les mêmes désinences figurent dans le paradigme du pronom de 1re personne bâti sur āvā̆- : āvā́ m, āvā́ bhyām, āváyoḥ. De ces formes de la langue classique les faits védiques se distinguent par une ou deux particularités. La plus notable concerne le nombre de termes du système. En effet, dans l’ancienne langue le nominatif a son expression propre : āvám « nous deux », resp. yuvám « vous deux ». La forme en -bhyām, attestée en védique avec la seule valeur du datif, possède une variante à pénultième brève : yuvắbhyām « à vous deux ». La déclinaison de la 1re personne n’en a pas l’équivalent. En revanche, l’ablatif yuvád (R̥ gveda), étranger au sanskrit classique, a un écho dans āvád (Taittirīya-Saṃhitā). Enfin, le génitif-locatif a une forme dissyllabique 314. Toutefois, l’avestique a maibiiā « à moi », qui peut être interprété soit comme un archaïsme, soit comme une innovation due à l’influence de taibiiā « à toi ».
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Chapitre XIII : pronoms
yuvóḥ (R̥ gveda) sans correspondant à la 1re personne. La variante yuváyoḥ est moins ancienne, mais néanmoins védique. En lituanien, le duel du pronom de 2e personne s’exprime à l’aide d’un juxtaposé : le thème jū- du pluriel est spécifié par l’addition du nom de nombre « deux ». D’où nom.-acc. jù-du, f. jù-dvi « vous deux » (cf. mù-du, -dvi « nous deux »). Aux cas obliques, seul le numéral varie : instr.-dat. jùdviem (mù-dviem), gén. jù-dviejų (mù-dviejų), loc. jù-dviese (mù-dviese). Comme le lituanien, le vieux slave n’a qu’un thème pour le duel et le pluriel. La forme en est va- à la 2e personne, na- à la 1re. Un même jeu de désinences signale les différents cas. Au nominatif-accusatif duel, deux formes se répartissent dialectalement : va (resp. na, acc.) en vieux slave oriental (vieux bulgare), vy (resp. ny, acc.) en vieux slave occidental (vieux macédonien) 315. Les cas obliques présentent les désinences nominales, à savoir instr.-dat. -ma et gén.-loc. -(j)u : vama « avec vous deux, à vous deux » (cf. nama) et vaju « de vous deux » (cf. naju). En grec, le duel du pronom de 2e personne repose sur un thème σφ- /sph-/ : nom.-acc. σφώ /sphṓ/ (chez Homère, plus souvent σφῶϊ /sphôï/), dat.-gén. σφῶιν /sphôin/ (monosyllabique ; mais, chez Homère, généralement σφῶϊν /sphôïn/). Cet élément σφ- /sph-/ ne s’explique ni par le grec, ni par la comparaison et n’a sans doute pas de rapport avec l’initiale σφ- /sph-/ du réfléchi (acc. pl. σφᾶς /sphâs/, etc.). Les finales -ώ /-ṓ/, -ῶιν /-ôin/ et leurs variantes homériques se rencontrent de même dans le pronom de 1re personne (§ 13.2.2.1).
13.2.6. Le pronom de 2e personne pl. Dans le paradigme du pronom de 2e personne, les formes du pluriel se prêtent à la comparaison. Le nominatif ancien se conserve dans gāth. yūš (à 315. Vaillant 1958, t. II, p. 454, § 251.
Chapitre XIII : pronoms
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côté de yūžǝ̄m), lit. jũs et got. jūs, reflets de i.-e. *yūs. En sanskrit, l’équivalent de gāth. yūžǝ̄m aurait pour expression *yūṣ-am. La forme attestée, yūyám « vous », suppose une réfection sous l’influence de vayám « nous » 316. L’accusatif yuṣmā́ n s’analyse en un thème yuṣma- et une désinence -ān de type nominal (cf. putrā́ n « fils », § 11.2.1). À son tour, yuṣma- se compose d’une forme pronominale *us-, degré zéro de *wos (cf. skr. vaḥ), et d’une particule *-(s)me ; i.-e. *us-me donne éol. ὔµµε /úmme/ et skr. *uṣma-, secondairement pourvu de l’initiale y- du nominatif (cf. yūyám). L’instrumental yuṣmā́ bhiḥ peut être ramené à une forme *yuṣmā de même fonction (cf. yuṣmā́ datta- « donné par vous », § 13.2.3.3), recaractérisée par l’addition de -bhiḥ. Les autres cas obliques se construisent sur yuṣma- ou yuṣmā(cf. 1re personne asmā̆-) : dat. yuṣmábhyam (asmábhyam), abl. yuṣmád (asmád), gén. yuṣmā́ kam (asmā́ kam), loc. yuṣmā́ su (asmā́ su). De ce paradigme le R̥ gveda ignore yuṣmā́ su. En tient lieu une forme yuṣmé. Un hymne aux Ādityas en procure une attestation : yuṣmé devā ápi smasi yúdhyanta iva vármasu « en vous, ô dieux, nous trouvons refuge, comme les combattants dans ‹leurs› cuirasses » (8,47,8 ; trad. d’après Geldner). En lituanien, le pluriel du pronom de 2e personne présente un thème jū̆- à tous les cas. S’y attachent, sauf au nominatif, les mêmes désinences qu’à mū̆- de la 1re personne : acc. jùs (mùs), instr. jumìs (mumìs), dat. jùms (mùms), gén. júsų̄ (músų̃), loc. jūsyjè (mūsyjè). Les nominatifs jũs « vous » et mẽs « nous » sont indépendants. En vieux slave, l’accusatif vy « vous », généralement enclitique, sert aussi de nominatif (cf. lat. uōs). Comme dans ny « nous », la désinence -y provient de la flexion thématique (cf. acc. pl. grady « villes », § 11.2.1) 317. Les cas obliques ont en commun le thème va-, parallèle à na- de la 1re personne. Ces morphèmes reçoivent les mêmes désinences : instr. vami (nami), dat. vamŭ (namŭ), gén.-loc. vasŭ (nasŭ). 316. Thumb-Hauschild 1958-1959, t. I, 2, p. 130, § 353. 317. Vaillant 1958, t. II, p. 453, § 250.
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Chapitre XIII : pronoms
En grec, le pronom de 2e personne fonde sa déclinaison du pluriel sur l’accusatif *us-me. En procède éol., hom. ὔµµε /úmme/. La forme ionienne correspondante, ῡ̒µε- /hūme-/, prend la désinence des noms athématiques : ῡ̔µέ-ας /hūmé-as/ (Homère, Hérodote). D’où att. ῡ̔µᾶς /hūmâs/. Pourvus de la marque -s ou -es, *usme-s et *usme-es donnent les nominatifs éol., hom. ὔµµες /úmmes/, resp. ion., hom., att. ῡ̔µεῖς /hūmeîs/. Les variantes dialectales du génitif – lesb. ὐµµέων /umméōn/, ion., hom. ῡ̔µέων /hūméōn/ (dissyllabique), att. ὑµῶν /humôn/, etc. – s’expliquent à partir de *usme-ōm ou de *usme-sōm. L’histoire du datif apparaît plus complexe. Sur la base *usme se conçoit la formation d’un locatif *usme-i 318. De là, la finale -e-i,
réinterprétée comme une diphtongue, générerait une forme alternante -i (degré zéro). En résulterait une variante *usmi, à l’origine de lesb., hom. ὔµµι /úmmi/ (avec ν /n/ éphelcystique : ὔµµιν /úmmin/). Mais un point de départ *us-smin serait aussi envisageable (cf. § 13.2.3.4). La forme ion., hom., att. ῡ̔µῖν /hūmîn/ comporte toujours une nasale finale et généralement i long. La cause de cet allongement n’est pas claire. Au total, les flexions des pronoms de 1re et de 2e personnes s’accordent entièrement : att. nom. pl. ἡµεῖς /hēmeîs/ : ὑµεῖς /humeîs/, acc. pl. ἡµᾶς /hēmâs/ : ὑµᾶς /humâs/, gén. pl. ἡµῶν /hēmôn/ : ὑµῶν /humôn/, dat. pl. ἡµῖν /hēmîn/ : ὑµῖν /humîn/. En latin, une seule et même forme fonctionne comme nominatif pl. et comme accusatif pl. du pronom de 2e personne : uōs « vous », parallèle à nōs « nous ». S’en rapproche, sauf pour la quantité vocalique, l’enclitique sanskrit vaḥ (1re pers. naḥ), cumulant les valeurs de l’accusatif, du datif et du génitif. En revanche, il n’y a pas, dans les langues apparentées au latin, de formes correspondantes à uōbīs, datif-ablatif pl. La voyelle longue de la désinence remonte à une ancienne diphtongue, comme l’indique la variante archaïque uobeis (CIL I2 581 : sénatus-consulte au sujet des Bacchanales, 318. Rix 1992, p. 179, § 192.
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186 avant J.-C.). La marque -beis résulte d’une contamination entre -bei (cf. tibei « à toi », CIL I2 632, IIe s. avant J.-C.) et -bos, -bus (cf. quibus, cīuibus, etc.). Le génitif pl. uestrum « de vous » appartient proprement au possessif (cf. nostrum, § 13.2.3.6). Sa valeur, le plus souvent partitive, l’oppose à uestrī, d’emploi général.
13.2.7. Le réfléchi 13.2.7.1. Accusatif Aux pronoms de 1re et de 2e personnes s’ajoute un réfléchi, de forme *s(w)e « se » à l’accusatif. Le védique ne l’atteste qu’indirectement à
travers l’adjectif possessif svá- « son propre » (et aussi « mon propre », « ton propre ») < *swó-. Cf. le dérivé svayám « de soi-même ». En grec, *swe se reflète dans ἕ /hé/, forme vivante dans la langue homérique,
survivance en attique. La nature complexe de l’initiale laisse une trace dans pamphyl. ϝhε /whe/ < *hϝε /hwe/ par métathèse. Comme devant voyelle, la sifflante du groupe *sw s’affaiblit en un souffle sourd : *sw- > *hw-. Le réfléchi ἕ /hé/ se double d’une forme atone, dévolue à la fonction d’anaphorique : ἑ /he/. Un emploi du pronom accentué se rencontre au chant IV de l’Iliade. Après la mort de Leucos, son compagnon, Ulysse engage le combat : … ἀκόντισε δουρὶ φαεινῷ | ἀµφὶ ἓ παπτήνας « … il frappe de sa lance éclatante, ayant regardé autour de lui avec circonspection » (Il. 4,496-497). Le sujet de la phrase et ἕ /hé/ (tonique) ont même référent. En revanche, le sujet et ἑ /he/(atone) renvoient à des personnes différentes, par exemple au chant X de l’Iliade, vers 245 : … φιλεῖ δέ ἑ Παλλὰς Ἀθήνη « elle le chérit, Pallas Athéna » (le = Ulysse). En vieux slave, sę continue une forme à initiale simple et à nasale finale : balto-sl. *sē-n. La voyelle longue se retrouve dans lat. sē et -n remonte à -m. Cet élément est à considérer comme la désinence de l’accusatif sg. La
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réfection de *sē en *sēm rendait plus explicite la valeur casuelle du pronom. En lituanien, la généralisation du thème sav- des cas obliques produit le remplacement de la forme attendue *sę (cf. v. sl. sę) par *savę, puis la voyelle finale subit la dénasalisation. D’où savè (cf. 1re pers. *mę → *manę > manè) 319. Une attestation de ce réfléchi figure dans le Catéchisme de Mažvydas (76,7) : Kurs nar teisei tap stalap prieitij, tas pats sawe gierai tur ischmegintij (= Kurs nor teisiai top stalop prieiti, tas pats save gerai tur išmėginti) « Qui veut vraiment s’approcher de cette table (s.-ent. de communion) doit lui-même se mettre bien à l’épreuve ». En latin, l’accusatif sē repose sur l’ancienne forme tonique et s’oppose à *sĕ, ancienne forme atone attestée, par exemple, dans sĕorsum (< *sĕuor-
sum) « séparément, à part ». Le sémantisme de cet adverbe suppose, pour *sĕ, le sens intermédiaire de « pour soi » 320. De même que mē et tē, sē
s’emploie aussi comme ablatif et cette homonymie concerne déjà v. lat. sēd. Normale à l’ablatif, la désinence -d est aberrante à l’accusatif. Se comprendrait mieux une opposition entre un accusatif sē et un ablatif sēd, mais la même forme, pourvue ou non de la consonne d selon l’époque, fonctionne pour les deux cas.
13.2.7.2. Instrumental En dehors de l’accusatif, le réfléchi vieux slave se construit sur un thème seb-/sob-, parallèle à teb-/tob- du pronom de 2e personne. L’instrumental sobojǫ (cf. tobojǫ) comporte une finale -ojǫ, également attestée au féminin du démonstratif tŭ « celui-là » (tojǫ) et dans les noms en -ā- (type glavojǫ, de glava f. « tête »). En lituanien, l’instrumental du réfléchi se conforme au type en -i-, de sorte que le thème sav- reçoit la finale -imi : savimì « avec 319. Stang 1966, p. 249-250. 320. Gerhard Meiser décrit l’évolution sémantique de *swe en ces termes : « zu sich hin » → « für sich, gesondert » (1998, p. 158, § 108,5).
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soi ». Même formation dans manimì « avec moi » et tavimì « avec toi » (cf. avimì, de avìs f. « mouton »).
13.2.7.3. Datif La forme lituanienne du datif se réduit au radical (sáv « à soi » ; cf. táv « à toi »), mais comportait, à l’origine, la désinence -i, comme en témoigne l’archaïsme taui chez Mažvydas, Cat. 35,23 : … idant taui gier butu, ijr butumbi ilgai giwas ant βemes (= idant tavi ger būtų ir būtumbi ilgai gyvas ant žemės) « … pour que tu te portes bien et que tu vives longtemps sur terre (littéralt pour que ce soit bien pour toi et que tu sois longtemps vivant sur terre) ». Le terme sáv remonte donc à *savi. En vieux slave, le datif a pour expression la forme sebě (cf. tebě « à toi »), également employée au locatif. S’en rapprochent le plus v. prus. sebbei et lat. sibi < v. lat. sibei, mais la voyelle slave -ě ne s’accorde pas avec la diphtongue -ei de ces formes. En revanche, *-oi peut en être l’origine, de sorte que sebě se laisse ramener à *sebhoi, variante apophonique de *sebhei. Une forme en -oi s’observe aussi en grec : aux pronoms personnels ἐµοί /emoí/ « à moi » et σοί /soí/ « à toi » fait pendant le réfléchi οἷ /hoî/ « à soi ». Comme à l’accusatif, une variante atone a la valeur d’un anaphorique. Un témoignage dialectal, dor., éol., chypr. ϝοι /woi/, plaide pour une origine *swoi (cf. 1re pers. *moi, 2e pers. *t(w)oi). La désinence -oi aurait sa place dans un ancien locatif, quand bien même véd. me et te ne se définissent syntaxiquement que comme génitifs ou comme datifs. Mais, dans deux passages du corpus avestique, gāth. mōi fonctionne, semble-t-il, comme locatif (cf. § 13.2.1.6). En latin, sibi < sibei a, comme on l’a vu, un écho en vieux prussien et en vieux slave (cf. supra).
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13.2.7.4. Génitif Le génitif du réfléchi se reconstruit sous la forme *sewe d’après *tewe de la 2e personne (cf. skr. tava). N’en diffère que peu v. sl. sebe « de soi », aligné sur les autres cas obliques à radical seb- 321. En lituanien, le génitif présente une forme remaniée : savę̃s. La base en est sav-, commun à tout le paradigme et la finale rappelle les génitifs nominaux en -s (cf., par exemple, vagiẽs, de vagìs « voleur »). La voyelle ę s’expliquerait par l’influence de l’ancien accusatif *savę (cf. § 13.2.7.1) 322. En grec, ἕο /héo/ (Homère) repose sur le thème *swe-, auquel s’attache la désinence *-so : *swe-so « de soi ». Cette étymologie trouve un appui dans hom. τέο /téo/ « de quoi », correspondant à v. sl. česo « id. » < *kwéso. En attique, les voyelles de ἕο /héo/ se contractent et donnent une voyelle longue : οὗ /hoû/ [hō ̣]. La forme homérique se rencontre, par exemple, en Il. 13,163 : Δηίφοβος δὲ | ἀσπίδα ταυρείην σχέθ’ ἀπὸ ἕο … « Déiphobe tenait loin de lui son bouclier en cuir de taureau … ». Alors qu’en indoeuropéen le pronom *s(w)e (*sewe) valait pour les trois nombres, le grec se dote de moyens spécifiques pour l’expression du duel et du pluriel. Se constitue ainsi une série de formes sur un thème σφ- /sph-/ : duel acc. σφωε /sphōe/, gén.-dat. σφωιν /sphōin/ (Homère) ; pl. acc. σφέας /sphéas/, gén. σφέων /sphéōn/ (Homère), resp. σφᾶς /sphâs/, σφῶν /sphôn/ (attique), dat. σφι(ν) /sphi(n)/ (Homère) et σφίσιν /sphísin/ (Homère, attique). À l’origine indifférent au nombre, σφι /sphi/ < *sbhi s’apparente à lat. sibi < v. lat. sibei < *sebhei 323.
321. Vaillant 1958, t. II, p. 446, § 248. 322. Ibid., p. 445, § 248. Endzelīns 1971, p. 186, § 300. 323. Rix 1992, p. 180, § 193.
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13.3. Les pronoms démonstratifs : généralités Les pronoms personnels se trouvent, le cas échéant, en corrélation avec les démonstratifs. Le fait apparaît clairement en latin : comme ego – nos, hic « ce, celui-ci (me, nous concernant) » renvoie à la 1re personne et, comme tu – uos, iste « ce, celui-là (te, vous concernant) » se rapporte à la 2e personne. Ces correspondances entre éléments du système se manifestent parfois au plan du discours. Figurent dans la même proposition me et hunc, par exemple, chez Plaute, Asin. 124 : tam … | scio … quam me hunc scipionem contui « j’en suis aussi sûr que d’avoir cette canne sous les yeux (littéralt que de regarder cette canne) » (trad. Ernout, CUF, 1932). Dans l’Aululaire, istos et tibi se répondent dans l’énoncé du vers 53. En grec, les démonstratifs ont un rapport moins étroit avec les personnes grammaticales. Néanmoins, ὅδε /hóde/ « celui-ci » a des affinités avec la 1re personne et οὗτος /hoûtos/ « celui-ci, ce » "répond dans une certaine mesure à la seconde personne" 324. Les conditions d’emploi de ὅδε /hóde/ et οὗτος /hoûtos/ en font, dans des cas précis, des déictiques de l’objet proche, resp. de l’objet lointain 325. Cette opposition fréquente se retrouve, par exemple, dans le système des démonstratifs indiens : véd. ayám « celui-ci » a pour contrepartie le pronom asáu « celui-là ». Une distinction d’un autre ordre se fonde sur les fonctions anaphorique ou cataphorique des éléments pronominaux. En offrent un exemple gr. οὗτος /hoûtos/ et ὅδε /hóde/ : le premier se rapporte, en principe, à ce qui précède (fonction anaphorique), le second annonce généralement ce qui suit (fonction cataphorique) 326.
324. DELG, s.v. (p. 840). Sur les conditions d’emploi de ces démonstratifs, voir SchwyzerDebrunner 1950, t. II, p. 208-210. 325. Chantraine 1953, p. 169, § 252. 326. Chantraine 1953, ibid.
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13.3.1. Le pronom *só/tó13.3.1.1. Fonction de *só/tóUn pronom essentiellement anaphorique mérite une attention particulière en raison de son origine indo-européenne : véd. sá/tá-. Ce terme a un correspondant exact dans le grec ὁ/τό- /ho/tó-/ et dans le gotique sa/þa-. En védique, sá/tá- s’emploie fréquemment comme corrélatif du relatif yá-. L’ordre des propositions n’est pas constant. Dans le R̥ gveda, de nombreux exemples illustrent l’antéposition de la relative, comme l’énoncé de 1,12,8 : yás tvā́ m agne havíṣpatir dūtáṃ deva saparyáti, tásya sma prāvitā́ bhava « de celui qui en tant que maître du sacrifice t’honore, toi le messager, ô dieu Agni, sois le soutien ! » (littéralt « lequel t’honore … , de celui-là sois le soutien ! »). Mais la structure inverse (sá/tá- … yá-) se rencontre aussi (cf., par exemple, RV 1,36,4). Hors corrélation, sá/tá- renvoie très souvent à un nom ou à un pronom précédents. En témoigne, par exemple, RV 1,1,2 : Agníḥ pū́ rvebhir ŕ̥ṣibhir ī́ḍyo nū́ tanair utá, sá devā́ m̐ éhá vakṣati « Agni, qui devait être invoqué par les Ṛṣis d’autrefois et qui doit l’être par ceux de maintenant, lui qu’il amène (sur son char) les dieux ici ! ». En grec, ὁ/τό- /ho/tó-/ s’emploie encore avec une valeur démonstrative en maints passages homériques. En voici un exemple, Il. 5,390 : … εἰ µὴ µητρυιή … | Ἑρµέᾳ ἐξήγγειλεν · ὁ δ’ ἐξέκλεψεν Ἄρηα « … si la marâtre … ne l’eût révélé à Hermès ; celui-ci enleva furtivement Arès ». Mais ce pronom s’affaiblit et, déjà chez Homère, équivaut parfois à l’article défini (cf., par exemple, Il.1,33 : ὁ γέρων /ho gérōn/ « le vieillard »). Ce statut d’article annonce l’usage de l’ionien-attique. En gotique, sa/þa- fonctionne tantôt comme démonstratif, tantôt comme article. En tant que démonstratif, ce pronom traduit généralement gr. οὗτος /hoûtos/ du texte original, comme en Luc 16,1 : manne sums was gabeigs, saei aihta fauragaggjan, jah sa … (ἄνθρωπός τις ἦν πλούσιος, ὃς
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εἶχεν οἰκονόµον, καὶ οὗτος … /ánthrōpós tis ên ploúsios, hòs eîkhen oikonómon, kaì hoûtos …/) « un certain homme (littéralt quelqu’un des hommes) était riche, lequel avait un économe ; et celui-ci … ». En tant qu’article, sa/ þa- ne figure que là où l’auteur de l’original grec use aussi de l’article. Mais la présence de ὁ/τό- /ho/tó-/ dans le modèle n’appelle pas systématiquement sa/þa- dans la version gotique. Le plus souvent, l’article grec n’a pas de contrepartie dans la traduction de Wulfila. La qualification du substantif par un adjectif épithète ou un participe favorise l’emploi de l’article en gotique 327.
13.3.1.2. Flexion de *só/tóVéd. sá/tá-, gr. ὁ/τό- /ho/tó-/ et got. sa/þa- remontent à i.-e. *só/tó-. Ce démonstratif se caractérise, comme le pronom de 1re personne, par un paradigme supplétif. Le recours à des thèmes complémentaires s’observe au singulier dans une double opposition : d’une part, le nominatif animé *só m., *séh2 f. s’oppose à l’inanimé *tód ; d’autre part, la forme du sujet *só s’oppose à *tó- de l’accusatif et des cas obliques (même répartition des thèmes à initiale s- et t- au féminin). En outre, à *só du nominatif sg. se substitue *tó- au nominatif duel et pl. Dans le paradigme du singulier, les désinences des cas directs rappellent en partie la morphologie nominale. Si la marque zéro des nominatifs véd. sá et gr. ὁ /ho/ n’a pas d’équivalent dans la classe des noms (car la finale -ḗr de termes comme *ph2tḗr « père », gr. πατήρ, etc., repose sans doute sur *-ĕr-s), en revanche, véd. sáḥ (variante employée à la pause) et gr. ὅς /hós/ (dans καὶ ὅς /kaì hós/ « et celui-ci », etc.) prennent -s comme les thèmes vocaliques du type *deiwo-s « dieu » (skr. deváḥ, lat. deus, etc.).
327. Streitberg 1910, p. 185-187, § 281.
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13.3.1.2.1. Masculin et neutre sg. Les accusatifs véd. tám et gr. τόν /tón/ < *tóm partagent avec les noms la caractéristique -m (cf. *deiwo-m, véd. devám, lat. deum). Mais cette désinence ne se retrouve pas au neutre : véd. tád et gr. τό /tó/ < *tód comportent un morphème -d, à la différence d’une forme nominale comme véd. yugám n. « joug » (cf. gr. ζυγόν /zugón/ n. « id. ») < i.-e. *yugóm. Les cas obliques de *só/tó- se distinguent, au singulier, par des désinences ou des finales originellement étrangères à la flexion nominale. À l’instrumental sg. m., la finale -ena de véd. téna n’entre que secondairement dans le paradigme des noms thématiques. En effet, le R̥ gveda a encore yajñā́ dans le syntagme (āmreḍita) yajñā́ -yajñā́ « par chaque sacrifice » à côté du plus récent et usuel yajñéna (cf. § 9.7.1). Le datif sg. m. tásmai du védique se caractérise par la finale -smai typiquement pronominale. Cette marque casuelle s’analyse en un élément -sm-, sorte d’infixe, et une désinence -ai, comparable à gr. -ῳ /-ōi/ (cf. τῷ /tôi/). Une même structure s’observe dans véd. tá-sm-ād (abl. sg. m.) et tá-sm-in (loc. sg. m.). Alors que -ād figure aussi dans la flexion des noms thématiques, -in n’a pas d’équivalent dans les formes nominales. En avestique se rencontre la finale -hmi en face de véd. -smin : aētahmi, de aēta- = véd. etá- « celui-ci ». Le génitif sg. m. a pour expression véd. tásya et gr. hom. τοῖο /toîo/, reflets de i.-e. *tósyo. La désinence *-syo se retrouve dans les noms en -o- (cf. véd. vŕ̥kasya « du loup », gr. hom. λύκοιο /lúkoio/ « id. »), mais n’y est pas primitive. L’ancien génitif sg. de ce type nominal avait probablement une marque -s, comme le montre le hittite (cf., par exemple, antuḫša-š « de l’homme ») 328. Les faits balto-slaves témoignent de réfections analogiques. En particulier, le thème *to- s’étend au nominatif m. sg. et la forme supplétive *so 328. Sur l’origine pronominale de *-osyo dans les noms thématiques, voir Rix 1992, p. 138-139, § 151.
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disparaît du paradigme. La déclinaison lituanienne du masculin singulier ne conserve que deux formes anciennes : l’accusatif tą̃ < i.-e. *tom (cf. skr. tám, gr. τόν /tón/) et l’instrumental tuõ < i.-e. *tō < *toh1 (cf. av. tā), recaractérisé par la désinence -mi dans la variante tuomì. Cette formation rappelle les pronoms personnels manimì « avec moi », tavimì « avec toi » et savimì « avec soi » (cf. § 13.2.7.2). Se conforment au type nominal en -a(< *-o-) le nominatif tàs (cf. výras « homme ») et le génitif tõ (cf. výro). Le datif avait pour expression une forme dissyllabique : v. lit. tamui. Ce vestige s’accorde avec skr. tásmai à la sifflante intérieure près. Mais la diphtongue finale ui s’amuït, sauf exception, dès le début de la tradition. En effet, Mažvydas emploie déjà régulièrement la forme moderne tám, de même que Vilentas ; celui-ci, toutefois, connaît encore tamui, attesté une fois dans son Catéchisme (39,19). Comme l’ancien datif, le locatif répond par -m- au groupe -sm- de l’indo-iranien : tamè. À en juger par v. sl. tomĭ, il y a lieu de restituer une désinence -i en balto-slave. Dans ces conditions, tamè reposerait sur *tami + postposition *en « dans » 329. Le cas échéant, -i s’éliderait devant e- et -n tomberait en position finale. Avec les faits lituaniens s’accorde une partie des formes du vieux slave. Au masculin sg., le nominatif v. sl. tŭ répond à lit. tàs et ne se distingue pas de l’accusatif, car l’évolution phonétique de nom. *tos et acc. *tom entraîne la coïncidence des deux cas. En balto-slave, la voyelle passe à a, puis s’affaiblit en ə devant s : *tas > *təs, d’où v. sl. tŭ 330 ; devant nasale, sl. o se ferme en u : sl. *ton (< b.-sl. *tan < i.-e. *tom) se change en *tun > v. sl. tŭ. Au nominatif-accusatif neutre sg., i.-e. *tod (cf. véd. tád, gr. τό /tó/) donne phonétiquement v. sl. to. L’instrumental masculin et neutre sg. těmĭ se caractérise par la désinence -mĭ, comme les noms en -o-, en -i-, en -u- et en consonne. Le thème tě- remonte à *toi- et se retrouve dans la forme corres329. Hypothèse de Stang 1966, p. 241. 330. Vaillant 1950, t. I, p. 210, § 86.
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pondante du pluriel (těmi). Avec l’élément prédésinentiel -m- en regard de -sm- dans skr. ta-sm-ai, le datif masculin et neutre sg. to-m-u répond à v. lit. ta-m-ui. En revanche, la forme togo du génitif masculin et neutre sg. ne s’explique pas à la lumière de données comparables en baltique ou ailleurs : la désinence pronominale -go est une innovation slave et sa genèse n’est pas claire. Au locatif sg., la forme tomĭ du masculin et du neutre rappelle véd. tásmin, mais n’a pas de sifflante intérieure ; la finale -mĭ se ramène à *-mi ou à *-min.
En grec, le supplétisme des formes *so et *to- se maintient et constitue un archaïsme (cf. § 13.3.1.2). Au masculin sg. s’opposent ainsi nom. ὁ /ho/ et acc. τόν /tón/. Le nominatif-accusatif n. τό /tó/ < i.-e. *tód correspond à véd. tád (cf. supra). Le datif τῷ /tôi/ témoigne d’un renouvellement au profit du type nominal. En revanche, le génitif homérique τοῖο /toîo/ continue la forme ancienne *tósyo (cf. skr. tásya). Une variante *toso rend compte de ion.-att. τοῦ /toû/. En germanique, le gotique conserve la distribution ancienne des formes supplétives *so et *to-. Le terme à initiale s caractérise le nominatif masculin sg. : sa < i.-e. *so. Sur le thème complémentaire *to- ou sa variante apophonique *te- repose le reste de la flexion. La dentale de ces formes se change en une fricative par l’effet de la mutation consonantique. Le nominatif-accusatif neutre sg. illustre le traitement régulier de i.-e. *tod : germ. *þat, puis got. þat-a, forme pourvue d’une particule. À l’accusatif sg., le
masculin *tom de l’indo-européen passe à germ. *þan. De là se constitue got. þan-a, de formation comparable à þat-a. Le datif masculin sg., þamma, s’apparente, pour la forme du thème, à skr. tasm-ai. En effet, la géminée -mm- s’explique à partir de -sm-. En revanche, la désinence -a ne s’accorde guère avec skr. -ai. Elle pourrait s’expliquer comme le traitement régulier, en syllabe finale, d’un ancien morphème *-ē d’instrumental. L’affectation
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d’un instrumental à l’expression du datif n’est pas sans parallèle : cf. gr. τοῖς /toîs/ (§ 13.3.1.2.4). Le génitif masculin sg., þis, se ramène sans difficulté à une forme *teso, décomposable en un radical *te- et une désinence *-so. Comme on l’a vu, la variante apophonique *toso rend compte de gr.
τοῦ /toû/.
13.3.1.2.2. Féminin sg. Au féminin sg. comme au masculin sg., le paradigme védique du pronom sá/tá- manifeste un clivage entre les cas directs et les cas obliques. Le nominatif sā́ et l’accusatif tā́ m ont les mêmes désinences que les noms en -ā-. À première vue, le parallélisme se poursuit à l’instrumental, puisque la finale -ayā de táyā apparaît aussi dans jihváyā « avec la langue », par exemple. Mais cette forme casuelle s’explique par l’analogie du démonstratif et remplace l’instrumental plus ancien jihvā́ (trois occurrences dans le R̥ gveda). Au datif, le féminin ne diffère du masculin que par l’infixe -sy- en regard de -sm- : tá-sy-ai. Cet élément prédésinentiel caractérise aussi l’ablatif-génitif tá-sy-āḥ et le locatif tá-sy-ām. Aux finales pronominales -sy-ai, -sy-āḥ, -sy-ām font pendant les finales -āy-ai, -āy-āḥ, -āy-ām des noms en -ā-. Au féminin sg., les formes casuelles lituaniennes ont des désinences nominales : nom. tà (cf. rankà « main »), acc. tą̃ (rañką), instr. tà (rankà), dat. tái (rañkai), gén. tõs (rañkos), loc. tojè (rañkoje). Au féminin sg. du vieux slave, les cas directs présentent des désinences nominales : nom. ta (cf. žena « femme »), acc. tǫ (ženǫ). Les cas obliques se signalent par un élément prédésinentiel -oj- de caractère pronominal. Un équivalent s’en rencontre dans skr. -ay-, comme l’illustrent les formes d’instrumental v. sl. t-oj-ǫ et skr. t-áy-ā. Au datif-locatif, s’attache à -ojune désinence -i : toji. Le même morphème se retrouve dans les féminins
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en -ā- du type mouillé (cf. duši, de duša « âme »). Le génitif t-oj-ę comporte une désinence -ę, également attestée dans le paradigme de duša (gén. duš-ę). En grec, l’opposition ἡ /hē/ (nom. f. sg.) / τήν /tḗn/ (acc. f. sg.) a son pendant dans skr. sā́ / tā́ m et repose sur les thèmes complémentaires i.-e.*sā < *séh2 et *tā- < *teh2-. Le datif τῇ /têi/ et le génitif τῆς /tês/ présentent des désinences nominales. En gotique, le nominatif féminin sg. sō reflète i.-e. *sā. À l’accusatif, i.-e. *tām, se réduit à þō, car la nasale s’amuït après voyelle longue. Le datif sg., þizai, a la même désinence que la forme sanskrite correspondante (tasy-ai). Le thème þiz-, en revanche, ne recouvre pas exactement skr. tasy-, mais suppose, à côté de i.-e. *tesy-āi, une variante *tes-āi. Cette forme simplifiée rappelle le datif masculin sg. du balto-slave : v. lit. tam-ui, v. sl. tom-u, en regard de skr. tasm-ai (cf. supra). Dans le paradigme du féminin, le génitif sg. repose sur le même thème que le datif sg., c’est-à-dire þiz-, et présente la désinence -ōs, comme les noms en -ō- (i.-e. *-ā-) : þiz-ōs.
13.3.1.2.3. Duel Le paradigme sanskrit du duel distingue, aux cas directs (nominatifaccusatif), le masculin táu du féminin et neutre té. Aux cas obliques, en revanche, les mêmes formes s’emploient pour les trois genres : instr.-dat.abl. tā́ bhyām, gén.-loc. táyoḥ. En védique, táu a une variante tā́ , d’usage fréquent et superposable à gr. τώ /tṓ/. En ce qui concerne les désinences du duel, le pronom tá- s’accorde avec les noms en -a- et en -ā-. Au duel, le démonstratif lituanien tàs se dote de formes variables en genre. Comme dans la flexion des pronoms personnels, les termes s’analysent en deux éléments juxtaposés : le pronom et le nom de nombre « deux » à la même forme casuelle. Le nominatif-accusatif m. tuõ-du répond, pour la
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forme pronominale, à véd. tā́ et à gr. τώ /tṓ/. La désinence se retrouve dans la morphologie nominale, car -u de dù kartù « deux fois » (nom. sg. kart̃ as) remonte à -uo. Parallèlement, le nominatif-accusatif f. tiẽ-dvi a un écho dans le duel de type rankì « les deux mains », dont -i résulte de l’abrègement de la diphtongue -ie à la finale absolue. Dans la forme de datif m. tíem-dviem, la désinence -m du terme pronominal s’attache à un thème en diphtongue : tie- reflète balt. *tai- < i.-e. *toi-. Le féminin correspondant, tóm du juxtaposé tóm-dviem, comporte la même finale -om que les noms en -ā- (cf. rañkom). L’instrumental ne diffère du datif que par l’intonation : m. tiẽm-dviem, f. tõm-dviem. Le nominatif-accusatif duel du vieux slave possède une forme ta de masculin et une forme distincte tě de féminin et de neutre. La même opposition entre les finales -a et -ě s’observe dans la flexion des noms en -o- et en -ā-. Le masculin ta continue phonétiquement i.-e. *tō ; le féminin tě remonte à i.-e. *tai ; le neutre tě reflète i.-e. *toi. Aux cas obliques, les formes ne varient pas en genre. Comme dans les noms, le datif-instrumental se reconnaît à sa désinence -ma et le génitif-locatif à sa désinence -u : těma, resp. toj-u. Avec toju s’accorde skr. táyoḥ < *t-oy-ous. En grec, le duel rappelle également la flexion des noms. La forme en -ω /-ō/ du nominatif-accusatif, τώ /tṓ/, a un écho dans les thèmes en -o- (cf. ὤµω /ṓmō/« les (deux) épaules ») et, en mycénien, dans un thème en -ā(to-pe-zo /torpezō/ « deux tables », PY Ta 715 ; nom. sg. to-pe-za /torpeza/, cf. att. τράπεζα /trápeza/). Au féminin, la variante τᾱ́ /tā́ /, rare, s’accorde avec les formes nominales de duel en grec alphabétique (cf. θεᾱ́ /theā́ / « les deux déesses »). Le datif-génitif a pour expression la forme τοῖν /toîn/, commune aux trois genres. Se rencontre aussi, exceptionnellement, ταῖν /taîn/ auprès d’un nom féminin.
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Chapitre XIII : pronoms
13.3.1.2.4. Masculin et neutre pl. Au pluriel, les flexions pronominale et nominale se ressemblent beaucoup, en partie en raison de changements analogiques. En sanskrit, l’accusatif m. pl. tā́ n a un écho dans la déclinaison thématique (ex. devā́ n « dieux »). À l’instrumental m. pl., la forme classique táiḥ se substitue à véd. tébhiḥ sur le modèle de formes nominales comme deváiḥ « avec les dieux ». À l’inverse, l’élément prédésinentiel -e- du datif-ablatif m. pl. tébhyaḥ et du locatif m. pl. téṣu s’introduit dans le paradigme des noms thématiques (cf. devébhyaḥ, devéṣu). Seuls le nominatif m. pl. té et le génitif m. pl. téṣām n’ont pas d’affinités avec la flexion nominale. En dehors de l’indo-iranien, té correspond à gr. hom. τοί /toí/ et téṣām < i.-e. *toisōm s’accorde, à la finale près, avec v. sl. těxŭ < i.-e. *toisom (variante à voyelle désinentielle brève). Le paradigme lituanien du masculin pl. compte six cas, morphologiquement conformes, pour la plupart, aux termes de la flexion nominale. Conservent, toutefois, un caractère pronominal le nominatif et le datif. Le nominatif tiẽ est étymologiquement identique à gr. hom., dor. τοί /toí/, skr. té, got. þai. Au datif, tíems < v. lit. tiemus (Mažvydas, Cat. 25,4) se construit sur un thème *toi-, de même que son correspondant v. sl. těmŭ. Se retrouvent dans la déclinaison des noms en -a- les finales de l’accusatif tuõs, žem. tùs (cf. výrus « hommes », baltuos- dans la forme déterminée de l’adjectif baltúos-ius « blancs »), de l’instrumental taĩs (výrais), du génitif tų̃ (výrų), du locatif tuosè (výruose). Le pluriel vieux slave a trois formes pour l’expression du nominatif : m. ti, f. ty, n. ta. La désinence -i du masculin, également attestée dans les noms en -o-, pose un problème étymologique. Cette voyelle remonte soit à *ī, soit à *ei. Or, les données comparatives plaident pour une ancienne diphtongue *oi, car la correspondance de skr. té, lit. tiẽ, hom. τοί /toí/ et got. þai a pour
dénominateur commun i.-e. *toi. Dans ces conditions, v. sl. ti comporte
Chapitre XIII : pronoms
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probablement une désinence analogique. Le modèle en serait le nominatif pl. des noms en -yo- : la finale *-yoi passe à b.-sl. *-yai, puis à sl. *-yei par fermeture de a sous l’effet de y. Enfin, *-yei se réduit à -(y)i (cf. § 11.1.1). Le nominatif-accusatif n. pl. ta repose sur *tā < *teh2 et procède d’un collectif féminin sg. L’accusatif m. pl. a pour expression la forme ty et ne diffère pas, morphologiquement, de l’accusatif f. pl. (cf. § 13.3.1.2.5). L’origine en est i.-e. *tóns > b.-sl. *tans. Dans la branche slave, *-ans évolue vers *-uns > *-ūs > *-ū > y [ui]. Aux cas obliques se rencontrent des formes communes au masculin, au féminin et au neutre. L’instrumental pl. těmi se constitue sur un ancien thème *toi- par l’addition de la désinence balto-slave *-mīs. Des formes en -mi se retrouvent dans la flexion des noms en -ā-, en -i-, en -u- et en consonne. Le datif pl. tě-mŭ comporte la désinence -mŭ, caractéristique de tous les types nominaux et issue de b.-sl. *-mus (cf., supra, v. lit. tiemus). Enfin, une même forme tě-xŭ de génitif pl.
et de locatif pl. résulte de la confusion de i.-e. *toi-som (gén. pl.) et *toi-su (loc. pl.) au cours de l’histoire du slave. En grec, un nominatif masculin pl. τοί /toí/ s’emploie, à côté de οἱ /hoi/, dans la langue homérique. Y répondent skr. té et got. þai. En ionien-attique, seule est attestée la variante οἱ /hoi/, analogique du singulier ὁ /ho/. Au nominatif-accusatif n., la désinence -ᾰ (< *-h2) de τά /tá/ se retrouve dans les noms thématiques (ex. ζυγά /zugá/ « jougs »). La longue -ā de véd. tā́ (skr. tāni) repose sur le degré plein *-eh2. L’accusatif m. se termine, à l’origine, par -νς /-ns/, comme en témoigne encore crét. τόνς /tóns/. En ionien-attique, la nasale s’amuït et s’ensuit un allongement compensatoire de la voyelle : τούς /toús/ [tō ̣s]. Au datif, le masculin τοῖς /toîs/ remonte à un ancien instrumental (cf. skr. táiḥ), tandis que τοῖσι /toîsi/ (Homère, Hérodote, etc.) se ramène au locatif *toisu (cf. skr. teṣu), à la voyelle finale
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Chapitre XIII : pronoms
près. Le génitif a pour expression une forme τῶν /tôn/, commune aux trois genres dans la langue classique. En gotique, la forme þai du nominatif masculin pl. recouvre exactement skr. te et gr. τοί /toí/ (i.-e. *toi). Sa désinence -ai ne se retrouve pas dans la morphologie nominale, où les thèmes en -a- (i.-e. *-o-) ont un nominatif pl. en -ōs (type wulfōs « les loups »). Le nominatif-accusatif neutre þō répond à véd. tā́ (var. tā́ ni, skr. tāni). Dans le genre animé, l’accusatif masculin þans correspond à crét. τόνς /tóns/ Au datif, þaim (m., f., n.) consiste en un thème þai- < i.-e. *toi- et une désinence -m. Cette nasale repose, semble-til, sur un morphème -mis d’instrumental (cf. lit. tomis, instr. f. pl.), car, en vieil anglais, le changement de *þā-, traitement attendu de i.-e. *toi-, en þǣ- (Umlaut) dans le datif þǣm suppose la présence d’une voyelle i dans la syllabe suivante de la forme préhistorique. À la différence du datif, le génitif se signale par une opposition entre le masculin-neutre et le féminin. Selon le genre, la désinence varie, mais non le thème. La forme du masculin, þizē, repose sur *tes- et rappelle le génitif sg. þis. La marque du cas, qui se retrouve dans la morphologie nominale (cf. wulf-ē « des loups »), ne se prête pas à des rapprochements.
13.3.1.2.5. Féminin pl. Au féminin pl., le pronom sanskrit tá- se fléchit à la manière des noms en -ā-, sauf au génitif : nom.-acc. tā́ ḥ (cf. kanyā̀ ḥ « jeunes filles »), instr. tā́ bhiḥ (kanyā̀ bhiḥ), dat.-abl. tā́ bhyaḥ (kanyā̀ bhyaḥ), loc. tā́ su (kanyā̀ su). Le génitif tā́ sām se signale par la désinence pronominale -sām < i.-e. *-sōm et correspond à gr. hom. τᾱ́ ων /tā́ ōn/, tandis que les noms en -ā- partagent avec les autres thèmes vocaliques le morphème -nām (véd. kanī́nām, cl. kanyānām).
Chapitre XIII : pronoms
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Au féminin pl. lituanien, les mêmes désinences caractérisent la flexion du pronom tàs et des noms en -ā- : nom. tõs (cf. rañkos « mains »), acc. tàs (rankàs), instr. tomìs (rañkomis), dat. tóms (rañkoms), gén. tų̃ (rañkų), loc. tosè (rañkose). En vieux slave, le féminin pl. ty s’emploie en fonction de sujet ou d’objet. Historiquement, la forme s’explique à partir de l’accusatif indo-européen : la finale *-āns de *tāns se change en *-uns > *-ūs > *-ū > y [ui]. Aux cas obliques, fonctionnent les mêmes formes qu’au masculin pl. Le féminin correspondant à gr. hom. τοί /toí/ a la forme ταί /taí/. En ionien-attique, la variante αἱ /hai/ s’explique par l’analogie du singulier ἡ /hē/. L’accusatif revêt les formes τάνς /táns/ en crétois et τᾱ́ ς /tā́ s/ en ionien-attique. Aux datifs pl. m. τοῖς /toîs/ et τοῖσι /toîsi/ répondent les féminins ταῖς /taîs/, resp. τῇσι /têisi/. Le génitif homérique τᾱ́ ων /tā́ ōn/ < *teh2sōm, de caractère pronominal, se distingue du masculin τῶν /tôn/, de
caractère nominal (cf. θεῶν /theôn/ « des dieux »). En gotique, le nominatif féminin pl. þōs (= skr. tāḥ) a un écho dans les noms en -ō- (i.-e. *-ā-), comme en témoigne, par exemple, þiudōs « les peuples, les païens » (nom. pl. en Matth. 6,32). L’accusatif homonyme þōs s’explique à partir de *tāns (*teh2ns). En indo-européen déjà, n disparaît entre voyelle longue et s 331. En résulte une forme *tās, ancêtre direct de þōs. Le datif þaim est commun aux trois genres (cf. supra). Au génitif, la voyelle -ō du féminin þizō s’accorde avec -ων /-ōn/ de gr. τᾱ́ ων /tā́ ōn/ < i.-e. *teh2-s-ōm, car, à la finale absolue, -n s’amuït après voyelle longue en germanique.
331. En crétois, τάνς /táns/ est analogique de τόνς /tóns/.
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Chapitre XIII : pronoms
13.4. Les pronoms relatifs Au plan syntaxique, le démonstratif *só/tó- se trouve souvent en corrélation avec le relatif *yo- (< *Hyo-). Ces pronoms ont des flexions parallèles. Seuls diffèrent les nominatifs sg. : la forme *só (skr. sá, gr. ὁ /ho/) se réduit au thème, c’est-à-dire se signale négativement par une désinence zéro ; *Hyó-s (skr. yáḥ, gr. ὅς /hós/), en revanche, comporte la désinence -s. Ce
relatif se rencontre en indo-iranien, en slave, en grec et en phrygien, mais non en latin, en baltique, en hittite et en tokharien. Dans ces dernières langues, fonctionne à sa place un thème *kwi- ou *kwo-/*kwā- (hitt. kuiš, kuit ; lat. quī, quae, quod).
13.4.1. Le pronom relatif latin Les formes latines reposent sur *kwo-/*kwā-, sauf l’accusatif masculin sg. quem < *kwi-m et le datif-ablatif pl. quibus < *kwi-bhos.
13.4.1.1. Masculin, féminin et neutre sg. Au singulier, le nominatif masculin quī < v. lat. qoi (CIL I2 4,
VIe
siècle
avant J.-C.) reflète *kwo-i, forme sans désinence, mais pourvue de la particule déictique -i. Le nominatif-accusatif neutre quod comporte la désinence pronominale -d, comme l’interrogatif-indéfini quid, le démonstratif *tod (cf. lat. (is)tud « ceci (à toi) », véd. tád ), l’anaphorique id, etc. Les cas directs du féminin se constituent sur le thème *kwā-. Le nominatif *kwā-i, parallèle à kwo-i, rend compte de quae. À l’accusatif, l’addition de
-m produit une forme *kwā-m, puis, par abrègement de la voyelle longue devant consonne finale autre que -s, quăm. Le génitif sg. des trois genres a pour expression v. lat. quoius > lat. cl. cuius. L’origine en est une forme *kwo-syo, recaractérisée par l’addition de -s sur le modèle des troisième et
quatrième déclinaisons. Cette étymologie implique le changement de -sy-
Chapitre XIII : pronoms
351
en -yy- entre voyelles, traitement confirmé par les finales de formes épigraphiques d’âges différents, comme Popli-osio (VIe siècle avant J.-C.) et Titoio (IIIe siècle avant J.-C.) 332. D’après le génitif v. lat. quoius se constitue, semble-t-il, le datif quoiei, commun aux trois genres. En provient lat. quoi (Plaute, Trin. 1126 ; inscr.), variante archaïque de cui 333. À l’ablatif, quō du masculin-neutre et quā du féminin se conforment au type nominal des thèmes en -o-, resp. en -ā-.
13.4.1.2. Masculin, féminin et neutre pl. Au pluriel, le nominatif masculin se caractérise par une finale -oi, le nominatif féminin par -āi. De *kwoi et *kwāi procèdent régulièrement lat. quī (< v. lat. quei), resp. quae. Le nominatif-accusatif neutre quae se ramène à *kwā- (< *kweh2-) + -i, comme le nominatif féminin sg. Les formes quōs et
quās de l’accusatif ont les mêmes marques casuelles que les noms thématiques et les noms en -ā-. Au génitif, quōrum et quārum possèdent une désinence exclusivement pronominale à l’origine. En effet, le correspondant indien de -rum, le morphème -sām (-ṣām), ne figure que dans les pronoms (cf. teṣām m. et tāsām f., du démonstratif ta-) et les adjectifs pronominaux (cf. anyeṣām m. et anyāsām f. « des autres »). Mais, en latin, les finales -ārum et -ōrum pénètrent dans la première, resp. dans la deuxième déclinaison. Ainsi s’accréditent des formes nominales en -ōrum, à côté de formes en -um plus anciennes : type uirorum « des hommes », doublet du poétique uirum (cf. § 11.5.1). Au datif-ablatif, l’usuel quibus repose sur le thème *kwi-, l’archaïque quīs < *kwōis (ancien instrumental) sur le thème *kwo-.
332. Meiser 1998, p. 117, § 83,2. 333. Le génitif eius et le datif ei de l’anaphorique ont une histoire parallèle : Meiser 1998, p. 160, § 110,3.
352
Chapitre XIII : pronoms
13.5. L’interrogatif-indéfini Au relatif à initiale *kw- s’apparente morphologiquement l’interrogatifindéfini. En latin s’observe une répartition complémentaire entre *kwi- et *kwo-/*kwā- : le thème en -i- figure au nominatif sg., à l’accusatif sg. et au
datif-ablatif pl. de l’interrogatif-indéfini, ainsi qu’à l’accusatif sg. et au datif-ablatif pl. du relatif. Partout ailleurs se rencontre le thème en -o-/-ā-. Les deux pronoms ne se distinguent qu’au nominatif sg. En ce qui concerne l’interrogatif, une correspondance remarquable révèle son origine préhistorique : lat. quis m. et f., quid n. = hitt. kuiš, kuit = gr. τίς, τί /tís, tí/. Les formes latines s’emploient aussi avec la valeur de l’indéfini, mais, dans ce cas, quis se limite au masculin et est remplacé par quă au féminin. En hittite, l’indéfini se signale par une particule : kuiš-ki « quelqu’un », kuit-ki « quelque chose ». En grec, enfin, ce pronom a pour expression les variantes enclitiques inaccentuées τις, τι /tis, ti/. Avec ce nominatif formé sur un thème en -i- contraste un nominatif formé sur un thème en -o-, attesté en indo-iranien, en baltique et en germanique : véd. káḥ, káś-cid, av. kō, kascit̰ , lit. kàs, got. ƕas (< *kwos).
Chapitre XIV Les noms de nombre
14.1. Caractères généraux des noms de nombre En indo-européen, la dénomination des nombres reflète le système décimal. De « un » à « dix » les numéraux constituent une série de termes simples, de « onze » à « dix-neuf » une série de composés, formés par combinaison de la dizaine avec les unités. Des noms comme lat. undecim « onze » ou gr. ἕνδεκα /héndeka/ « id. » signifient littéralement « un plus dix ». Les dizaines de « vingt » à « quatre-vingt-dix » ont pour expression des composés du type skr. pañcā-śát-, gr. πεντήκοντα /pentḗkonta/, lat. quinquāgintā, littéralt « cinq fois dix », c’est-à-dire « cinquante ». Ces multiples de « dix » se distinguent des nombres « onze » à « dix-neuf » par un trait morphologique : leur second terme repose sur une forme à degré zéro ou à degré o du radical et comporte un élargissement -t-. Skr. -śat- et lat. -gint(ā) se ramènent à *dk̑ m̥ -t-, gr. -κοντ(α) /-kont(a)/ à *dk̑ om-t-, alors que la forme libre, *dék̑ m̥ (skr. dáśa, gr. δέκα /déka/, lat. decem), se retrouve dans les noms de nombre additifs. Cf. skr. páñca-daśa, gr. πεντεκαίδεκα /pentekaídeka/, lat. quindecim 334 « cinq plus dix, quinze ». En 334. Dans ce composé, le traitement phonétique régulier de decem serait -dicem. Cf. Meiser 1998, p. 71, § 54,1.
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Chapitre XIV : noms de nombre
latin font exception au principe de l’addition les numéraux terminés par « huit » et par « neuf ». Ainsi, « dix-huit » et « dix-neuf » se disent resp. duodēuīgintī, propr. « deux (ôtés) de vingt » et undēuīgintī, propr. « un (ôté) de vingt ». Ce procédé de soustraction s’expliquerait par une influence de l’étrusque 335.
14.2. Noms de nombre déclinables et indéclinables Les noms du nombre « dix » et des dizaines étaient indéclinables en indo-européen. Parmi les unités, seuls possédaient une flexion les numéraux de « un » à « quatre ».
14.2.1. « un » Le numéral « un » se distingue par une déclinaison en grande partie pronominale. En témoigne véd. éka-, dont le locatif ékasmin (RV 7,67,8 et 8,45,34) rappelle tásmin du démonstratif tá-. Mais le nominatif-accusatif n. ékam se conforme au type nominal. L’avestique a un correspondant partiel de éka- (< *h1oi-ko-), aēuua- (< *h1oi-wo-), qui présente également une désinence pronominale au locatif : aēuuahmi. Cf. aētahmi du démonstratif aēta- « celui-ci ». En latin, ūnus se ramène à *h1oi-nos (cf. v. lat. oino = oinom, CIL I2 9) ; son génitif ūnīus et son datif ūnī s’accordent avec les formes d’un pronom comme iste « celui-ci (à toi) » (gén. sg. istīus, dat. sg. istī). Au nominatif ūnus répond exactement got. ains, également caractérisé par certaines formes casuelles de type pronominal. Cf. l’accusatif ainana et le datif ainamma, formés comme þana et þamma du démonstratif þa-. À la différence des formes latine et germanique, v. sl. inŭ « autre » comporte le degré zéro du radical. Son sens le plus ancien n’est pas « autre », mais « un », comme l’attestent de vieux composés (cf. ino-rogŭ « unicorne, 335. Meiser 1998, p. 172, § 116,11.
Chapitre XIV : noms de nombre
355
licorne », par exemple). Ainsi se comprend la présence de cet élément dans le numéral jedinŭ « un », composé au premier membre peu clair. En grec, *h1oinos se conserve dans le féminin οἴνη /oínē/ de sens spécialisé : « le un
sur le dé à jouer » (Achaeus, tragique du
Ve
siècle avant J.-C.). Avec ce
terme le nom de nombre εἷς /heîs/ m. « un » n’a pas de rapport étymologique. Sa forme remonte à *ἕνς /héns/ < *ἕµς /héms/ < *sems. Dans ce nominatif, m passe à n devant sifflante, puis, par analogie, n s’étend aux cas à désinence syllabique : acc. ἕν-α /hén-a/, gén. ἑν-ός /hen-ós/, dat. ἑν-ί /hení/. Mais le thème en m subsiste encore en mycénien dans le datif-instrumental e-me /hemei/ (PY Ta 641). D’autre part, m figure dans le féminin µία /mía/ < *sm-iyh2. En dehors du grec, la racine *sem- se trouve, par exemple, dans l’adverbe latin semel « une fois ».
14.2.2. « deux » Le nom de nombre « deux » se reconstruit sur la base d’une large correspondance. Les données de la comparaison témoignent d’un flottement dans la syllabation. Il y a lieu de poser le thème indo-européen *d(u)wo- et le nominatif-accusatif *d(u)wṓ. En accord avec son signifié, le numéral « deux » se fléchit au duel en sanskrit védique et classique. Le nominatif-accusatif m. a pour expression les variantes védiques d(u)vā́ et d(u)váu ; seul dvau subsiste comme forme libre dans la langue classique, mais dvā- s’emploie dans le juxtaposé dvā-daśa « douze ». La concurrence entre -ā et -au se retrouve au duel des noms thématiques. Cf. véd. devā́ « les deux dieux » (= Mitra et Varuṇa), RV 5,68,2, et devaú « id. », RV 5,68,4. Le féminin d(u)vé a aussi un écho dans la morphologie nominale. Présentent, en effet, une finale -e de nominatif-accusatif duel les thèmes en -ā- : véd. śípre « les lèvres », de śíprā f., en est un exemple (cf. § 10.1.2). Une forme d(u)vé homonyme relève du neutre. Il y a convergence de *dweh2-iH f. et de
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Chapitre XIV : noms de nombre
*dwo-iH n. La variation en genre ne s’observe pas aux cas obliques. L’instru-
mental-datif-ablatif d(u)vā́ bhyām et le génitif-locatif d(u)váyoḥ valent pour le masculin, le féminin et le neutre. Indépendante du paradigme, une forme dvi-, invariable, apparaît en composition. Cf. dvi-pád- « qui a deux pieds, bipède ». Les faits indiens ont leur pendant en avestique. Se correspondent exactement le masculin av. duua et véd. duvā́ , ainsi que le féminin et neutre av. duiie et véd. duvé. À l’instrumental-datif-ablatif, av. duuaēibiia ressemble à véd. duvā́ bhyām, mais en diffère par l’élément prédésinentiel et par l’absence de la nasale finale. Le génitif duuaiiā̊, enfin, partage avec véd. duváyoḥ l’élément prédésinentiel -ai-, mais la désinence -ā̊ n’est pas compatible avec -oḥ. En lituanien, le nominatif-accusatif duel masculin dù remonte probablement à i.-e. *duwṓ. La finale -ṓ donne régulièrement -úo, puis cette diphtongue s’abrège en -ù dans un dissyllabe (loi de Leskien) 336. Enfin, la réduction à un monosyllabe s’explique peut-être par le caractère proclitique du numéral 337. Parallèlement, le nominatif-accusatif duel féminin dvì résulte d’un affaiblissement de *duvì < *duvíe. Cette forme continue i.-e. *duwéh2iH. Sans distinction de genre, l’instrumental dviẽm et le datif dvíem ne diffèrent que par l’intonation. Le thème dvie- remonte à *dwoi- et la désinence -m provient de -ma (< balto-sl. *-mā), comme l’attestent v. lit. akima (de akìs « œil ») et v. sl. dŭvěma (de dŭva « deux »). Le génitif dviẽjų̃ m. et f. et le locatif dviẽjuose m., dviẽjose f. appartiennent formellement au pluriel. En vieux slave, le nominatif-accusatif duel masculin dŭva reflète exactement i.-e. *duwṓ. Le féminin dŭvě se ramène à i.-e. *duweh2iH et le neutre dŭvě à i.-e. *duwoiH. Les cas obliques se conforment à la 336. ALEW, I, p. 237. 337. Endzelīns part d’une forme monosyllabique et attribue le changement de *dvúo en dù soit à son statut de proclitique, soit à l’analogie des dissyllabes en -ù (Endzelīns 1971, p. 179, § 283).
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flexion pronominale : le génitif dŭvoju et le datif-instrumental dŭvěma ont les mêmes finales que toyu et těma du démonstratif tŭ. En grec, le nom de nombre « deux » a pour expression une forme usuelle δύο /dúo/ et une variante poétique δύω /dúō/. Homère fait usage de l’une et de l’autre. La quantité de la voyelle finale n’est pas reconnaissable dans le témoignage du mycénien en raison de l’ambiguïté de la graphie : dwo vaut /dwŏ/ ou /dwō/. Le recours au signe complexe DWO plutôt qu’aux deux signes DU-WO rend probable, mais non certaine, une prononciation monosyllabique. Le cas échéant, myc. /dwō/ aurait un correspondant dans δω- /dō-/ < *δϝω- /dwō/, premier terme de δώ-δεκα /dṓ-deka/ « douze », et dans véd. dvā́ . La coexistence de δύο /dúo/ et δύω /dúō/ s’explique peutêtre par des variantes contextuelles en indo-européen. En effet, *d(u)wṓ remontant vraisemblablement à *d(u)woH, le mot se terminait par une laryngale, susceptible de se maintenir ou de disparaître selon la nature de l’initiale du mot suivant. Au génitif-datif, l’attique δυοῖν /duoîn/ présente la même finale que les noms thématiques (cf. µηροῖν, /mēroîn/ § 10.3.1). En ionien, la disparition du duel a pour conséquence le remplacement de δυοῖν /duoîn/ par des formes de pluriel : gén. δυῶν /duôn/ et dat. δυοῖσι /duoîsi/. À ces données s’ajoute δι- /di-/ < *δϝι- /dwi-/, premier terme de composé et équivalent de skr. dvi-. Cf. δίπους /dípous/ « qui a deux pieds, bipède ». En latin, le nominatif masculin et neutre du nom de nombre « deux » conserve l’apparence d’un duel. Les autres formes casuelles adoptent la flexion du pluriel. Comme gr. δύω /dúō/, le numéral latin comporte à l’origine une finale -ō : des exemples de duō se trouvent encore chez Plaute en fin de vers (cf. Amph. 974, où le mot procure le dernier iambe d’un sénaire iambique). La forme usuelle dŭŏ résulte de l’abrègement des mots iambiques.
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Au féminin, le traitement régulier de *duweh2-iH produit duae 338, mais la finale -ae est sentie comme une marque de pluriel. Au pluriel appartiennent aussi l’accusatif duās, le génitif duārum et le datif-ablatif duābus, de même que les termes parallèles du masculin, resp. duōs, duōrum et duōbus. Avec des formes des 1re et 2e déclinaisons, d’une part, de la 3e déclinaison, d’autre part, le paradigme illustre une sorte de supplétisme morphologique. Au génitif, duōrum renouvelle l’archaïque duum, encore attesté à l’époque classique dans duumuir « membre d’une commission de deux personnes ». Ce composé se forme par hypostase à partir du syntagme duum uirum (gén. pl.) ; son premier élément est une forme fléchie. Dans un autre type de composés, la notion de « deux » est exprimée par le thème bi- < dui- (cf. skr. dvi-, gr. δι- /di-/). En témoigne bi-pēs « qui a deux pieds », par exemple.
14.2.3. « trois » Le nom de nombre « trois » se fléchit au pluriel selon le modèle des thèmes nominaux en -i-. Le nominatif masculin skr. tráyaḥ et ses correspondants gr. crét. τρεες /trees/, ion.-att. τρεῖς /treîs/, lat. trēs, entre autres, reflètent i.-e. *tréyes. Indépendant de cette forme, le nominatif-accusatif féminin skr. tisráḥ (cf. av. tišrō) pose un problème étymologique. Un rapport avec tri- (cf. instr. m. tri-bhiḥ, par exemple) s’établit au prix de la restitution d’un thème *tri-sr- (d’où ti-sr- par dissimilation). L’élément prédésinentiel -sr- fait l’objet d’une comparaison traditionnelle avec un vieux nom de la femme, i.-e. *sor (cf. skr. svásar- « sœur », lat. soror « id. » < i.-e. *swe-sor « la personne féminine du groupe » 339, av. hār- dans hāirišī- f. « femme, femelle »). Mais l’expression du féminin ressortit généralement à un morphème grammatical, plutôt qu’à une unité lexicale. 338. Cf. Meiser 1998, p. 170, § 116,2. 339. Ernout-Meillet, DELL, s.v. uxor ; voir aussi Benveniste 1969, t. I, p. 214-215.
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Dans ces conditions, *trisr- a aussi été interprété comme un dérivé de tris pourvu d’un suffixe -r- présumé signaler le féminin, comme dans -varopposé à -van-. Cf. pī́-var-ī f. vs pī-van- m. « gras » = gr. πῑ́ειρα /pī́eira/ < *πῑ-ϝερ-yα /pī-wer-ya/ vs πῑ́ων /pī́ōn/ < *πῑ-ϝων /pī-wōn/, par exemple 340.
En réalité, l’alternance r/n ne se présente pas dans les formes du nom de nombre « trois », puisque l’élément n ne figure pas dans le masculin tráyaḥ et n’est pas lié au genre dans une formation comme le distributif latin ternī, -ae, -a « chacun trois ». On le voit, ni l’une ni l’autre hypothèse n’apporte de solution incontestable au problème de tisráḥ. Au nominatif-accusatif neutre, le védique dispose des variantes trī́ et trī́ṇi, tandis que la langue classique ne connaît que la seconde forme. À trī́ répond exactement gr. τρία /tría/ et ces termes ont pour dénominateur commun i.-e. *trih2. En védique, le renouvellement de trī́ par l’addition de -ni a un parallèle dans le type yugā́ ni « jougs » à côté de yugā́ . Ces réfections se produisent par analogie avec les thèmes en -n-. L’accusatif masculin trī́n comporte une finale -īn, comme les noms en -i- (cf. girī́n, de girí- « montagne », § 11.2.3). Le traitement régulier de i.-e. *-i-ns donnait -in en sanskrit (sans allongement compensatoire). De même, dans les noms thématiques, i.-e. *-a-ns passait à *-an. La substitution de ā à a (-ān) s’expliquerait par une
extension du vocalisme du nominatif pluriel en -āḥ 341. Sur le modèle de -ān, -īn remplace -in. Aux cas obliques, les formes védiques du masculin suivent la flexion des thèmes nominaux en -i- : instr. tribhíḥ, dat.-abl. tribhyáḥ, gén. trīṇā́ m, loc. triṣú (cf. resp. agníbhiḥ, agníbhyaḥ, agnīnā́ m, agníṣu). Un élément de cette liste ne se retrouve pas dans la langue classique : le génitif trīṇā́ m. En tient lieu la variante tráyāṇām. À en juger par av. ϑraiiąm, la forme la plus ancienne était *tráyām. De même que l’ancien 340. À cette thèse de Vittore Pisani se rallie Richard Hauschild : voir Thumb-Hauschild 1958-1959, II. Teil, p. 159. 341. Thumb-Hauschild 1958-1959, II. Teil, p. 35-36 (§ 245).
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génitif devā́ m (cf. la vieille formule devā́ ñ jánma « la race des dieux » : § 11.5.1) a été refait au profit de devā́ nām, de même *tráyām a été remplacé par tráyāṇām. Les cas obliques du féminin se constituent sur le thème tisr̥ - en sanskrit classique : tisŕ̥bhiḥ, tisŕ̥bhyaḥ, tisr̥ ṇā́ m, tisŕ̥ṣu. En védique, le paradigme se compose des mêmes termes, sauf au génitif. La forme du génitif comporte, en effet, une voyelle prédésinentielle longue : tisr̥ ̄ ṇā́ m. Cette particularité s’observe aussi dans les noms en -ar-/-r- (type svásr̥ ̄ ṇām, de svásr̥ - « sœur »). En lituanien, le nominatif trỹs, m. et f., ne continue pas directement i.-e. *tréyes, mais suppose une forme intermédiaire à thème *tri-, analogique de
l’accusatif et des cas obliques 342. Quelle qu’en soit l’origine, la finale -ys caractérise aussi le nominatif pluriel des noms en -i- (cf. § 11.1.3). De même, l’accusatif trìs, l’instrumental trimìs, le datif trìms et le génitif trijų̃ ont un écho dans la flexion nominale. Cf. resp. vagìs, vagimìs, vagìms et vagių̃ (de vagìs m. « voleur »). Au locatif, une forme trisè m. et f. se rencontre en vieux lituanien (Daukša, 1599), mais, dans la langue moderne, le masculin présente une finale -uose, comme les noms thématiques : trijuosè. S’en distingue le féminin trijosè, pourvu de la finale -ose des thèmes en -ā-. En vieux slave, le nominatif masculin trije remonte à *triyes et correspond à lit. trỹs. Le nominatif féminin tri a la forme de l’accusatif. La finale -i reflète *-īns (analogique de *-āns des thèmes en -ā-). Par un changement phonétique régulier, *-īns se réduit à *-īs > *-ī > -i. L’accusatif masculin *trins aboutit aussi à tri. Enfin, tri résulte également du traitement du nominatif-accusatif neutre *trih2. Ces formes, le neutre excepté, ont leurs pendants dans la flexion des noms en -i-. Cf., de tatĭ m. « voleur », nom. pl. tatije (§ 11.1.3) ; de pǫtĭ m. « chemin », acc. pl. pǫti (§ 11.2.3) ; de noštĭ f. « nuit », nom.-acc. pl. nošti (§ 11.1.3). Le parallélisme s’observe 342. Endzelīns pose *trii̯ és (Endzelīns 1971, p. 180, § 284).
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encore aux cas obliques (invariables en genre) : instr. trĭmi (cf. zvěrĭmi, § 11.3.3), dat. trĭmŭ (cf. zvěrĭmŭ, § 11.4.3), gén. trii (cf. bolěznii, § 11.5.3), loc. trĭxŭ (cf. ljudĭxŭ, § 11.6.3). Le grec a le nominatif-accusatif τρεῖς /treîs/ (< *treyes), commun au masculin et au féminin, ainsi que le nominatif-accusatif neutre τρία /tría/ (< *trih2). Aux cas obliques, les finales du datif τρισί /trisí/ et du génitif
τριῶν /triôn/ se retrouvent dans la flexion ionienne d’un nom en -i- comme µάντις /mántis/ « devin » : µάντισι /mántisi/ (Hdt. 4,69,2), resp. µαντίων /mantíōn/ (id., 3,124,1). La forme de composition comporte le degré zéro suffixal : τρι- /tri-/ dans τρί-πους /trí-pous/ « qui a trois pieds », par exemple (cf. myc. ti-ri-po /tripos/ = hom. τρίπος /trípos/ « trépied »). En latin, l’ancienne langue oppose encore le nominatif masculin-féminin trēs (< *treyes) et l’accusatif trīs (< *trins). Cf. Caton, Agr. 10,1 : asinos … tris « trois ânes », par exemple. Plus tard, trēs remplace trīs. Le nominatifaccusatif neutre a pour expression tria, correspondant à gr. τρία /tría/. Le génitif trium se ramène à *tri(y)om et le datif-ablatif tribus à *tribhos (cf. skr. tribhyáḥ).
14.2.4. « quatre » La flexion du nom de nombre « quatre » présente des traits archaïques. En védique, les formes du paradigme comportent une alternance vocalique et un mouvement de l’accent. Le nominatif masculin et le nominatif-accusatif neutre se caractérisent par le degré long du suffixe : cat-vā́ r-aḥ, resp. cat-vā́ r-i. Comme en témoigne gr. dor. τέτ-ορ-ες /tét-or-es/, la voyelle ā des formes védiques peut remonter à o (loi de Brugmann, § 7.7.4). Mais la forme gotique fidwōr permet aussi la restitution de ō 343. Au masculin, l’accusatif se 343. Meiser pose nom. masc. *kwetu̯ óres, neutre *kwetu̯ ōr (Meiser 1998, p. 171, § 116,4). Mêmes reconstructions chez Szemerényi 1990, p. 235.
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distingue du nominatif par le degré zéro du suffixe : cat-úr-aḥ. Sur le thème catur- reposent également les cas obliques du masculin-neutre : instr. catúrbhiḥ, dat.-abl. catúrbhyaḥ, gén. caturṇā́ m, loc. catúrṣu. La forme du génitif se signale par l’accentuation de sa désinence et par la réfection de *caturā́ m (cf. av. catur-ąm) au profit de catur-ṇ-ā́ m sur le modèle de la déclinaison des thèmes vocaliques. Le nominatif-accusatif féminin cátasraḥ rappelle, par sa finale, l’embarrassant tisráḥ. La formation n’en est pas claire. Devant les désinences à initiale consonantique, le thème se réalise sous la forme catasr̥ -, trisyllabique. Les cas obliques du féminin l’attestent : instr. catasŕ̥bhiḥ, dat.-abl. catasŕ̥bhyaḥ, gén. catasr̥ ṇā́ m, loc. catasŕ̥ṣu. En lituanien, le paradigme du numéral « quatre » n’a plus d’alternance vocalique dans la forme du suffixe. Le thème ketur- (< i.-e. *kwetur-) des cas faibles s’étend au nominatif et caractérise ainsi la flexion tout entière. À cette forme s’ajoutent les désinences de l’adjectif qualificatif, sauf à l’accusatif masculin. La déclinaison se présente donc ainsi : a) au masculin, nom. keturì, instr. keturiaĩs, dat. keturíems, gén. keturių̃, loc. keturiuosè (cf., de dìdis « grand », resp. didì, didžiaĩs, didíems, didžių̃, didžiuosè) ; b) au féminin, nom. kẽturios, acc. kẽturias, instr. keturiomìs, dat. keturióms, gén. keturių̃, loc. keturiosè (cf. resp. dìdžios, didžiàs, didžiomìs, didžióms, didžių̃, didžiosè). L’accusatif masculin reflète la forme ancienne *kweturn̥ s ; la désinence -n̥ s se change en -ins > -is. Ainsi s’explique kẽturis 344. En vieux slave, la distinction de genre se limite au nominatif, où le masculin četyre s’oppose au féminin et au neutre četyri (cf. trije / tri). La flexion se construit sur le thème četyr-, invariable, dont la voyelle y suppose un ancien ū ; la réfection de *kwetur- en *kwetūr- trahit l’influence du thème *kwetwōr- du nominatif, à voyelle suffixale longue. À l’accusatif et aux cas
obliques se retrouvent en partie les désinences du nom de nombre « trois » : 344. Stang 1966, p.278.
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acc. četyri (tri), instr. četyrĭmi (trĭmi), dat. četyremŭ (tremŭ, à côté de trĭmŭ), loc. četyrexŭ (trexŭ, à côté de trĭxŭ). Mais le génitif četyrŭ se conforme au type consonantique (cf. dĭnŭ, de dĭn- « jour »). En grec, la flexion du numéral « quatre » oppose une forme de nominatif masculin-féminin à une forme de nominatif neutre : hom. τέσσαρες /téssares/ vs τέσσαρα /téssara/, att. τέτταρες /téttares/ vs τέτταρα /téttara/. Ces termes se caractérisent par le degré zéro de l’élément prédésinentiel. En constitue la base un thème *kwetwr̥ -, d’abord restreint aux cas obliques, puis étendu au nominatif par analogie. L’ancienne forme *kwetwor- se conserve dans dor. τέτορες /tétores/. Le traitement du groupe -tw- dépend de l’environnement : devant r̥ (> ar), -tw- se résout en -ts-, puis une assimilation progressive produit -tt-, tandis qu’une assimilation régressive donne -ss- 345 ; par contre, devant or, -tw- se réduit à -t- par dissimilation. En effet, les phonèmes w et o partagent le trait d’arrondissement des lèvres et la région articulatoire. Dans la langue homérique et en attique, le thème τεσσαρ- /tessar-/, τετταρ- /tettar-/ de τέσσαρες /téssares/, τέτταρες /téttares/ s’observe aussi à l’accusatif. L’Iliade procure le masculin-féminin τέσσαρας /téssaras/ et le neutre τέσσαρα /téssara/ ; l’attique a resp. τέτταρας /téttaras/ et τέτταρα /téttara/. Reposent aussi sur τεσσαρ- /tessar-/, τετταρ- /tettar-/ le datif τέσσαρσι(ν) /téssarsi(n)/ (Thucydide, etc.), τέτταρσι(ν) /téttarsi(n)/ et le génitif τεσσάρων /tessárōn/ (Pindare, etc.), τεττάρων /tettárōn/. En revanche, le datif τέτρασι(ν) /tétrasi(n)/ (Pindare, etc.), concurrent de τέσσαρσι(ν) /téssarsi(n)/, a pour thème τετρα- /tetra-/. L’origine en est aussi *kwetwr̥ -, mais, en l’occurrence, r̥ évolue vers ρα /ra/. D’où le développement du groupe de consonnes -twr-. La difficulté de produire cette suite de sons en détermine la réduction à -tr-. Une variante de *kwetwr̥ -, kwetur-, rend compte de la forme éolienne nom. πέσυρες /pésures/. Enfin, un thème à double degré zéro, *kwºtur- > πισυρ- /pisur-/, se rencontre dans nom. 345. Lejeune 1972, p. 106, § 97.
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πίσυρες /písures/, acc. πίσυρας /písuras/ de la langue homérique. Au point de vue phonétique, ces formes se signalent par le traitement labial de la labio-vélaire, le développement d’une voyelle d’appui de timbre i entre deux consonnes et l’assibilation de t devant u. En latin, le nom de nombre « quatre » fait l’objet d’une innovation importante : quattuor n’a plus de flexion. Cette forme invariable repose, semble-t-il, sur une structure *kw°t-wōr, à degré zéro radical et à degré long suffixal, possible réfection d’un ancien neutre *kwet-wōr 346. Entre les deux consonnes initiales se développe une voyelle d’appui : *kw°t- > quat- ; après t, la semivoyelle w se vocalise (cf. *mr̥ twos > mortuos, mortuus « mort ») ; enfin, ō, comme toute voyelle longue, s’abrège devant -r final d’un polysyllabe 347. À ces changements réguliers s’ajoute un fait aberrant : la gémination de la dentale intérieure. Il n’y en a pas d’explication satisfaisante. La forme de composition quadru- (cf. quadru-pēs « qui a quatre pieds ») partage avec quattuor le degré zéro radical, mais non le degré long du suffixe. Il y a lieu de poser un thème *kw°tur-, comme dans le cas de gr. hom. πίσυρες /písures/ (cf. supra). En procède *kw°tru- par métathèse. Le phénomène remonte à l’indo-européen, comme l’atteste av. caϑru- (< *kwetru-), premier terme de composé, vs catur- (< *kwetur-) dans l’accusatif masculin caturǝ̄, par exemple. Phonétiquement, *kw°tru- donnerait lat. *quatru-. Or, dans cette forme, -t- ne peut pas se sonoriser. C’est pourquoi a été invoquée l’analogie de quadrāginta « quarante ». Ce numéral est restituable sous la forme *kw°twr̥ h1km̥ t-h2 , avec une séquence *-twr̥ h1- > *twr̥ ̄ - > *-twrā-. Dans *-twrā-, w sonoriserait la dentale précédente, puis perdrait son articulation propre entre deux consonnes. Ainsi, l’évolution aboutirait à -drā- 348.
346. Cf. Meiser 1998, p. 171, § 116,4. 347. Meiser 1998, p. 77, § 57,6. 348. Meiser 1998, p. 171, § 116,4, et Leumann 1977, p. 198, § 199.
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14.2.5. De « cinq » à « dix » L’invariabilité des noms de nombre de « cinq » à « dix » en grec et en latin reflète un état de choses indo-européen. Dans des langues comme le sanskrit, le lituanien ou le vieux slave, la flexion de ces numéraux résulte d’un développement secondaire. Pour l’expression de « cinq », i.-e. *penkwe rend compte des diverses formes des langues historiques : skr. páñca, lit. penkì, gr. att. πέντε /pénte/, éol. πεµπε /pempe/, lat. quīnque, etc. Les noms du numéral « six » ne s’accordent pas entièrement sous le rapport de l’initiale. En donnent une idée gr. dor. ϝεξ /weks/ (att. ἕξ /héks/) < *sweks et lat. sex < *seks. Il y a donc lieu de poser *s(w)eks. Une correspondance parfaite entre
skr. saptá, av. hapta, gr. ἑπτά /heptá/ et lat. septem documente la reconstruction de i.-e. *septm̥ « sept ». Le nom de nombre « huit » se présente sous les formes aṣṭā́ et aṣṭáu en védique. À aṣṭā́ répondent gr. ὀκτώ /oktṓ/ et lat. octō, à aṣṭáu got. ahtau. Ces deux groupes de données sont traditionnellement rapportés à des variantes *ok̑ tṓ et *ok̑ tṓu̯ 349. Mais si -ō remonte à -eh3 et dans l’hypothèse où h3 aurait, comme le suggère Martinet, le statut phonétique d’une spirante labiovélaire (Hw), la forme unique *h3ek̑ teh3 (ou *Hok̑ teh3) rend compte du double traitement. Les réalisations *ok̑ tṓ et *ok̑ tṓu̯ (*ok̑ tṓw) se conçoivent resp. devant consonne et devant voyelle (cf.
§ 7.5.2.3). Le numéral « neuf » se reconstruit sous la forme *h1newn̥ à partir de la série skr. náva, gr. ἐννέα /ennéa/, got. niun. La restitution de la laryngale se fonde sur l’initiale ἐ- du terme grec. La semi-voyelle intérieure se conserve dans myc. e-ne-wo du composé e-ne-wo-pe-za /en(n)ewopedza/ « qui a neuf pieds (de long?) », ainsi que dans skr. náva et lat. nouem. La finale -n̥ fournit le dénominateur commun de skr., gr. -a et got. -un. Dans la forme latine, -em s’explique par une extension analogique de la finale de decem « dix ». La nasale dentale ancienne figure dans l’ordinal nōnus < *nowenos « neuvième ». Le vocalisme radical o de nouem, *nowenos résulte 349. Thumb-Hauschild 1958-1959, t. I 2, p. 161, § 381.
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du changement régulier de e devant w. En fin de compte, un seul point fait difficulté dans cette correspondance : le redoublement de n dans gr. ἐννέα. Les formes lituanienne et vieux slave, resp. devynì et devętĭ, trahissent l’influence du nom de nombre « dix » (initiale d- au lieu de n-). L’expression de « dix » ressortit à des termes tout à fait concordants : skr. dáśa, gr. δέκα /déka/, lat. decem, got. taihun, notamment. L’origine en est i.-e. *dek̑ m̥ . Un dérivé en -t-, *dek̑ m̥ -t-, fournit un nom de la dizaine. S’y rattachent véd. daśát- (Maitrāyaṇī Saṃhitā, etc.) et lit. dẽšimt, v. lit. dešimtìs, dẽšim(t)s. Avec le baltique s’accorde v. sl. desętĭ.
14.2.6. De « onze » à « dix-neuf » Les nombres compris entre « dix » et « vingt » ont pour expression des composés copulatifs. En sanskrit, -daśa- en constitue le second terme et les noms des unités y figurent au nominatif ou sous la forme du thème. Dans ékā-daśa- « onze » (littéralt « un et dix »), ékā- présente une voyelle longue finale par analogie avec dvā́ - de dvā́ -daśa « douze ». Avant sa réfection, éka- avait le caractère d’un thème en -a-. De même, cátur- dans cátur-daśa « quatorze » et ṣó- (= ṣaṣ-) dans ṣó-ḍaśa « seize » sont des thèmes. En revanche, dvā́ -daśa « douze », tráyo-daśa (= tráyaḥ + dáśa) « treize », páñca-daśa « quinze », saptá-daśa « dix-sept », aṣṭā́ -daśa « dix-huit » et náva-daśa « dix-neuf » renferment des nominatifs au premier terme. En grec, les numéraux « onze » et « douze » se forment par juxtaposition : ἕν /hén/ (nom.-acc. n.) « un » et δω- /dō-/ (< *δϝω- /dwō-/) « deux » s’attachent à δέκα /déka/ sans conjonction de coordination. D’où ἕνδεκα /héndeka/, resp. δώδεκα /dṓdeka/. À partir de « treize », le mot καὶ /kaì/ « et » explicite la nature de la relation entre les termes : τρεῖς (τρία) καὶ δέκα /treîs (tría) kaì déka/ « treize » (littéralt « trois et dix »), τέσσαρες (τέσσαρα) καὶ δέκα /téssares (téssara) kaì déka/ « quatorze », πεντεκαίδεκα /pentekaídeka/
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« quinze », ἑκκαίδεκα /hekkaídeka/ « seize », ἑπτακαίδεκα /heptakaídeka/ « dix-sept », ὀκτωκαίδεκα /oktōkaídeka/ « dix-huit », ἐννεακαίδεκα /enneakaídeka/ « dix-neuf ». En lituanien, les numéraux de « onze » à « dix-neuf » associent les noms des unités à un élément -lika, de la racine de lìkti « laisser ; rester ». Ainsi, vienúo-lika signifie proprement « un de reste », c.-à-d. « un en plus (s.-ent. « de dix »). Pour « vingt et un », l’expression se compose du numéral « vingt » et du nom de l’unité postposé : dvìdešimt víenas. En vieux slave, jedinŭ « un », dŭva « deux », etc., suivis du syntagme na desęte « sur dix », constituent des formules de sens « onze », « douze », etc. En latin, les noms de nombre de « onze » à « dix-neuf » se répartissent en deux séries : « onze » à « dix-sept » d’une part, « dix-huit » et « dixneuf » d’autre part. Le premier groupe comprend des composés copulatifs à second terme -decim. Cette forme surprend, car, en fin de mot, le traitement régulier de -decem serait *-dicem. La cause de cette anomalie n’est pas claire. Quoi qu’il en soit, devant -decim le premier membre du composé se présente sous une forme pleine dans duodecim « douze », quattuordecim « quatorze » et septemdecim « dix-sept ». La simplification d’un groupe de consonnes écourte le nom de l’unité dans tredecim < *trēsdecim « treize » (cf. trādō < *tra(n)s-dō « je remets ») et sēdecim < *sex-decim « seize » (cf. ēdūcō < *ex-dūcō « je fais sortir »). La forme attendue *trēdecim s’abrège en trĕdecim sous l’influence analogique de duŏdecim. La syncope d’une voyelle rend compte de undecim < *ūnidecim « onze » (ŭn- < ūn- en vertu de la loi d’Osthoff
350
). Enfin, par la chute de e dans la seconde
syllabe, *quīnque-decim « quinze » se réduit à un trisyllabe : *quīnqudecim > *quīncdecim > *quīngdecim > quīndecim. À la différence des numéraux précédents, « dix-huit » et « dix-neuf » ont pour expression une formule 350. Meiser 1998, p. 75, § 57,2.
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Chapitre XIV : noms de nombre
soustractive : duodēuīgintī « deux (à soustraire) de vingt », resp. undēuīgintī « un (à soustraire) de vingt ». Le procédé s’expliquerait par un emprunt à l’étrusque 351. Entre « vingt » et « vingt-sept », les noms des unités revêtent une forme pleine : type uīgintī ūnus ou ūnus et uīgintī « vingt et un » ; de même que « dix-huit » et « dix-neuf », « vingt-huit » et « vingtneuf » s’expriment par soustraction : duodētrīgintā, resp. undētrīgintā.
14.2.7. De « vingt » à « quatre-vingt-dix » Les composés multiplicatifs du type skr. triṃ-śat- « trente » (propr. « trois dizaines ») ont pour second terme le nom de nombre « dix » élargi par -t-. La forme -śat- repose sur *dk̑ m̥ t-, variante de *dek̑ m̥ t- à vocalisme zéro. En grec, -κοντ- /-kont-/ de τριᾱ́ -κοντα /triā́ -konta/ « trente » continue *dk̑ omt-. La différence de degré vocalique entre les formes indienne et grecque pose le problème de la reconstruction indo-européenne. Seul le nom de nombre « vingt » présente, en sanskrit, en grec et en latin, le même thème au second membre du composé. En effet, skr. -śat- de viṃ-śat-í-, gr. -κατ- de dor. ϝῑ-κατ-ι /wī-kat-i/ et lat. -gint- de uī-gint-ī se ramènent à *-dk̑ m̥ t-. À partir de « trente », les noms des dizaines en -κοντα /-konta/ (< *dk̑ omt-h2) du grec reflètent sans doute l’état de choses ancien, alors que les formes reposant sur*-dk̑ m̥ t-, en sanskrit et en latin, s’expliquent facilement par l’influence analogique de *dwi-dk̑ m̥ t- « vingt ». L’initiale complexe de *-dk̑ omt- /*-dk̑ m̥ t- se transforme par l’affaiblissement de la dentale : *dk̑ > *h1k̑ . En témoigne la voyelle longue finale du premier membre dans gr.
πεντήκοντα /pentḗkonta/ « cinquante » et skr. pañcāśát- « id. », reflets de *penkwe-h1k̑ omt-h2 et *penkwe-h1k̑ m̥ t- respectivement 352. À la suite des noms composés d’un premier terme désignant une unité et d’un second signifiant « dizaine », le sanskrit recourt à des abstraits en -ti- pour l’expression de 351. Meiser 1998, p. 172, § 116,11. 352. Meiser 1998, p. 172-173, § 116, 12 et 14.
Chapitre XIV : noms de nombre
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« soixante », « soixante-dix », « quatre-vingt » et « quatre-vingt-dix ». Le suffixe s’attache aux numéraux « six », « sept », « huit » et « neuf » ; en résultent des désignations elliptiques : ṣaṣṭí-, dérivé de ṣaṣ- « six », par exemple, renvoie à une « sizaine (de dizaines) ». En lituanien, les noms de nombre de « vingt » à « quatre-vingt-dix » comportent la forme pleine du numéral « dix », soit dans un composé, soit dans un syntagme libre : « vingt » se dit dvìdešimt ou dvì dẽšimti. Cette dernière expression a un écho dans v. sl. dŭva desęti.
14.2.8. « cent » Le nom de nombre « cent » donne lieu à une belle correspondance : skr. śatám, av. satəm, gr. (ἑ-)κατόν /(he-)katón/, lat. centum, got. hund- (pl. hund-a), etc. L’exploitation de ces données conduit à la restitution d’une forme *k̑ m̥ tóm en indo-européen 353. Ce terme est généralement considéré comme une simplification de *dk̑ m̥ tom et rapproché de *dek̑ m̥ t-/*dk̑ m̥ t« dix ». Plaide apparemment dans ce sens la ressemblance formelle entre skr. -śat- (cf. triṃ-śat- « trois dizaines, trente », etc.) et skr. śatám « cent ». Selon Risch, *dk̑ m̥ tom se définirait comme un ordinal dérivé de *dék̑ m̥ t par l’addition de -o- au degré zéro du thème et, comme l’ordinal désigne à l’origine le énième et dernier d’une série, *dk̑ m̥ tom signifierait proprement « la dixième et dernière (s.-ent. dizaine) » 354. En ce qui concerne le témoignage du grec, l’initiale ἑ- /he-/ de ἑκατόν /hekatón/ semble être une trace du nom de nombre « un » 355. Cependant, une solution alternative a été proposée : de même que *dk̑ omt-/*dk̑ m̥ t- « dix » passe à *h1k̑ omt-/*h1k̑ m̥ t-, *dk̑ m̥ tom se changerait en *h1k̑ m̥ tom et ἑ- /he-/ résulterait du traitement 353. Admettent cette forme Krahe 1969, p. 49, § 41, et Lejeune 1972, p. 196, §199, notamment. 354. Risch 1962, p. 129-141. 355. Risch voit dans ἑκατόν /hekatón/ la contraction d’un syntagme ἕν κατόν /hèn katón/ « un cent », (Risch 1962, p. 133).
370
Chapitre XIV : noms de nombre
régulier de la laryngale
. Mais, en dernière analyse, cette thèse soulève
356
deux objections. Au plan formel, d’une part, h1 ne rend pas compte de l’aspiration de ἑκατόν 357. Au plan sémantique, d’autre part, la dernière dizaine ne fait toujours que dix, comme le remarque Szemerényi 358. Dans ces conditions, mieux vaut s’en tenir à i.-e. *k̑ m̥ tom et renoncer au rapprochement de *dek̑ m̥ t. L’expression grecque procéderait de *sem k̑ m̥ tom « un cent », d’où *se k̑ m̥ tom par dissimilation 359. En lituanien, la disparition du neutre entraîne un changement de classe du numéral « cent » : šim̃ tas relève du masculin. La forme se décline, de même que le neutre vieux slave sŭto.
14.2.9. Les centaines Le procédé d’expression des centaines varie de langue à langue. Le sanskrit et le latin ont des composés adjectifs en *-o-/*-ā- : skr. dvi-śata- « deux cents », tri-śata- « trois cents », etc. ; lat. ducentī, -ae, -a « deux cents », trecentī, -ae, -a « trois cents », etc. Mais à côté de ces signes complexes, le sanskrit dispose de syntagmes libres : dve śate « deux cents », trīṇi śatāni « trois cents », etc. Ce mode d’expression a cours en balto-slave, également : « deux cents » et « trois cents » se disent dù šimtaĩ et trỹs šimtaĩ en lituanien, dŭvě sŭtě (duel) et tri sŭta (pl.) en vieux slave. En grec, les noms de nombre de « deux cents » à « neuf cents » ont le caractère de composés adjectifs en *-iyo-/*-iyā-. Le degré zéro radical de ἑκατόν /hekatón/ se retrouve dialectalement dans -κάτιοι /-kátioi/ : type διακάτιοι /diakátioi/ « deux cents » en dorien, béotien, etc. L’attique a -κόσιοι /-kósioi/ (διᾱκόσιοι /diākósioi/ « deux cents », τριᾱκόσιοι /triākósioi/ « trois cents »… ), avec le vocalisme o, comme les noms de dizaines en -κοντα /-konta/. 356. Voir Meiser 1998, p. 173, § 116,14 ; Meier-Brügger 2010, p. 372, § F 502,13. 357. Pour F. Kortlandt, la forme attendue, *ἐκατόν /ekatón/, subirait secondairement l’influence de ἕν /hén/ (Kortlandt 1983, p. 97-104). 358. Szemerényi 1990, p. 240. 359. Cf. Schwyzer 1953, p. 592.
Chapitre XIV : noms de nombre
371
14.2.10. « mille » Si la reconstruction du numéral « cent » se fonde sur un riche matériau, pour « mille » les rapprochements se limitent à l’indo-iranien, au grec et peut-être au latin. En sanskrit, sahásram n. se signale par sa structure compositionnelle. Devant -hasra- « mille » figure un élément sa- < *sm̥ « un », variante apophonique de *sem-. Ce déterminant rappelle la formation de gr. ἑ-κατόν /he-katón/ (cf. § 14.2.8). Un équivalent exact de la forme indienne est av. hazaŋrəm. En grec, le nom de nombre se caractérise par une dérivation en *-iyo- : att. χῑ́λιοι /khī́lioi/, ion. χείλιοι /kheílioi/, lesb. χέλλιοι /khéllioi/. Les formes ionienne et lesbienne procèdent de *χεσλιοι /kheslioi/, tandis que la forme attique doit son vocalisme radical à
une assimilation au timbre de la seconde voyelle. La finale -ιοι /-ioi/ a un écho dans les noms des centaines en -κοσιοι /-kosioi/. À l’origine des données indo-iraniennes et grecques, il y a lieu de poser i.-e. *g̑ heslo-. S’y rattache peut-être aussi lat. mīlle. Dans le pluriel mīlia, l précède i et a ainsi le caractère d’une consonne palatale. Au singulier, ce trait articulatoire est noté par une géminée 360. La possibilité d’un apparentement avec skr. sahásram et gr. χῑ́λιοι /khī́lioi/ se fonde sur une série d’hypothèses. D’abord, mīlle serait la forme contracte de *mīhīle ; ensuite, *mīhīle remonterait à *mīhēli (ē se ferme en ī devant i de la syllabe suivante, puis -i final se
change en -e) ; enfin, *mīhēli se ramènerait à *smih2-g̑ heslih2 (la laryngale finale s’amuït à la pause) 361.
360. Meiser 1998, p. 174, § 116,16. 361. Pourvu d’un suffixe -ih2 (> -ī) d’appartenance (cf. véd. rathī́ « qui a affaire à un rátha‘char’, qui combat sur un char »), ce terme signifierait « ein zu einem *g̑ heslo- Gehöriges » (Rix 2001, p. 87).
372
Chapitre XIV : noms de nombre
14.2.11. Les nombres ordinaux En indo-européen, l’ordinal n’indique pas le « rang » dans une énumération, mais signale le dernier terme d’une série 362.
14.2.11.1. « premier » et « deuxième » Au début de la série des nombres ordinaux, l’expression de « premier » et « deuxième » est généralement indépendante des noms des cardinaux correspondants. Les formes du grec en témoignent : πρῶτος /prôtos/ « premier » vs εἷς /heîs/ « un » et δεύτερος /deúteros/ « second » vs δύο /dúo/ « deux ». 1o À un radical signifiant « devant, avant » s’attache le suffixe -τος /-tos/ du superlatif. Ainsi, πρῶτος /prôtos/ qualifie celui « qui est le plus en avant ». 2o Δεύτερος /deúteros/, formé du radical δευ- /deu-/ de δεύοµαι /deúomai/ « être inférieur » et du suffixe séparatif -τερος /-teros/, se rapporte à « l’autre, qui le cède (au premier) ». En lituanien, pìrmas « premier » se rapproche, par le radical, de gr. πρῶτος /prôtos/, mais renferme un autre suffixe de superlatif, *-mo-. Le numéral lit. añtras, var. dial. añtaras « deuxième » rappelle, par son suffixe, gr. δεύτερος /deúteros/ et signifie d’abord « autre (de deux) » 363. Aux formes baltiques correspondent partiellement v. sl. prŭvŭ « premier » et vŭtorŭ « deuxième ». En tête de série, prŭvŭ remonte à *pr̥ H-wo- et ne se distingue de lit. pìrmas < *pr̥ H-mo- que par le suffixe. Mais, en dehors du balto-slave, son plus proche parent est skr. pū́ rva- « qui est en avant », « antérieur », « ancien ». Comme lit. añt(a)ras, v. sl. vŭtorŭ signifie à l’origine « autre (de deux) ». Les deux termes ont même étymologie, bien que l’initiale vŭ- du représentant slave soit irrégulière. La forme attendue,
362. Cf. Benveniste 1948, p. 154-162. 363. ALEW 1, p. 46, s.v. añtras.
Chapitre XIV : noms de nombre
373
*ǫtorŭ, est attestée indirectement par tchèque úterý « mardi », propr.
« second jour de la semaine » 364. En latin, prīmus « premier » a un écho dans pélignien prismu (nom. sg. f., p.-ê. prénom féminin) et se ramène à *pri-is-mo- 365. Sa formation en fait un superlatif (cf. lit. pìrmas). Pour l’expression de « second, deuxième » s’emploient alter, -era, -erum, propr. « autre (de deux) » (< *al(i)tero-, *h2el(i)tero-) et secundus, propr. « qui vient après » (cf. sequor « suivre »).
En ce qui concerne la forme de l’ordinal « premier », le sanskrit s’accorde avec le grec, le baltique et l’italique par le recours à un morphème de superlatif : dans pra-thamá-, propr. « qui est le plus en avant », -thamaassocie -tha- de -iṣ-ṭha- (cf. yáv-iṣṭha- « le plus jeune ») et -ma- de -ta-ma(cf. priyá-tama- « le plus cher »). Le nom de nombre signifiant « deuxième », skr. dvitī́ya-, a le caractère d’une innovation indo-iranienne. Comme son correspondant v. p. duvitīya-, cet ordinal ne désigne pas « l’autre (de deux) », mais repose sur dvi- « deux » (cf. les composés du type dvi-pád« bipède ») et sa finale -tīya- s’explique par l’influence analogique de tr̥ tī́ya- « troisième ».
14.2.11.2. « cinquième » et « dixième » À partir de « troisième », l’ordinal a la forme d’un dérivé du nombre cardinal. Comme morphèmes de dérivation entrent en considération *-h2óet *-th2ó-. Cf., par exemple, *dek̑ m̥ -h2o- « dixième » (> skr. daśamá-, lat. decimus), d’une part, *pn̥ kw-th2o- « cinquième » (> skr. Pakthá-, nom d’un protégé des Aśvin, propr. « Quintus » 366), d’autre part. De ces deux procédés de formation l’ordinal ne connaît qu’un seul, à l’origine : addition du suffixe *-h2ó- au thème du numéral cardinal avec réduction de l’élément 364. Cf. Vaillant 1958, t. II/2, p. 654, § 312. 365. Untermann, WOU, p. 579, s.v. prismu. 366. Mayrhofer, EWAia, II, p. 61, s.v.
374
Chapitre XIV : noms de nombre
protonique au degré zéro. Le développement de la caractéristique *-th2ós’explique bien par référence aux doublets *dek̑ m̥ « dix » et *dek̑ m̥ -t« dizaine » : par rapport à *dek̑ m̥ , la forme *dek̑ m̥ -t-h2o- est réinterprétée comme un dérivé en *-th2o- (*dek̑ m̥ -th2o-). De là, le nouveau morphème s’étend à d’autres termes du système numéral 367. En outre, *-t(h2)o- entre dans la formation du superlatif (cf. skr. -iṣ-ṭha- gr. -ισ-τος /-is-tos/). Le rapport formel entre *-t(h2)o- et *-is-t(h2)o- reflète une parenté sémantique : de même que l’ordinal désigne le énième et dernier d’une série, le superlatif signale le dernier degré d’une qualité (§ 12.4).
367. Ainsi Szemerényi, à une différence près (reconstruction de -o- et -to-, sans laryngale) : Szemerényi 1990, p. 241.
Chapitre XV Le verbe
15.1. Généralités Le terme « verbe » est un emprunt savant au latin uerbum. Ce neutre désigne le mot en général dans la langue courante, mais une classe particulière de mots dans la tradition grammaticale. Cette classe s’oppose à celle du « nom », uocabulum (Varron, ling. 8,11). Par uerbum et uocabulum les Latins rendent les termes grecs ῥῆµα /rhêma/ et ὄνοµα /ónoma/. Le fait que le verbe s’appelle ῥῆµα /rhêma/ procède d’un choix lexical significatif, car ce dérivé en -µα /-ma/ repose sur une racine signifiant « dire » ; or, le verbe exprime précisément ce qui est dit du sujet. Cette fonction en fait un « prédicat » et en tant qu’élément prédicable l’apparente à l’adjectif. Soit les énoncés La Terre tourne et La Terre est ronde. Ce qui est affirmé de la Terre est, dans un cas, sa rotation et, dans l’autre, sa rotondité. En l’occurrence, le verbe et l’adjectif se comportent identiquement au plan syntaxique (cf. § 12.1). En revanche, ces parties du discours ne s’équivalent pas au point de vue sémantique : le verbe exprime un procès, l’adjectif une qualité. Et seul le verbe dispose de ressources morphologiques pour l’expression du temps. Cette caractéristique inspire la terminologie allemande, comme en témoigne Zeitwort « verbe », propr. « mot indiquant le temps ».
376
Chapitre XV : verbe
15.2. Les catégories du verbe À la différence de la catégorie du temps, la personne grammaticale ne concerne pas exclusivement le verbe, mais également une classe de pronoms appelés précisément « personnels », ainsi que les possessifs. En résulte la possibilité d’une redondance, comme dans l’énoncé latin stylistiquement marqué tu amās « toi, tu aimes ». Mais, le plus souvent, s’observe une répartition complémentaire entre la désinence verbale et le pronom. Ainsi, à la forme conjuguée amās d’une proposition indépendante correspond l’expression te amāre d’une subordonnée infinitive 368. En ce qui concerne la catégorie du nombre, les oppositions entre le singulier, le duel et le pluriel se marquent aussi bien dans le nom et dans le pronom que dans le verbe. N’appartiennent qu’au verbe, en revanche, les catégories du mode, de la voix et de l’aspect.
15.2.1. Le mode Le mode renvoie à l’attitude du locuteur à l’égard de ce qu’il énonce. Si ce locuteur relate un fait sans intention particulière, le verbe de la phrase s’exprime au mode non marqué, c’est-à-dire à l’indicatif. Si, au contraire, l’auteur du message présente le procès comme souhaité, voulu, probable, possible ou impossible, le verbe revêt la forme de l’optatif ou du subjonctif. L’expression d’un ordre se réalise à l’impératif. Ces modes se combinent avec les temps, sous réserve de restrictions. Le subjonctif futur, par exemple, ne se rencontre qu’exceptionnellement en védique (2e pers. sg. actif kariṣyā́ (ḥ) « tu projettes de faire », RV 1,165,9 et 4,30,23) et n’existe ni en grec, ni en latin. Fait partie des propriétés du mode la sélection des formes de la négation. En latin, nōn s’associe à l’indicatif, nē au subjonctif et à l’impératif. N.B. Le hittite ne possède que les modes indicatif et impératif. 368. Sur la marque de la personne dans le verbe, voir Lyons 1970, p. 216-217, § 7.2.6.
Chapitre XV : verbe
377
15.2.2. La voix Tandis que le mode signale une disposition du locuteur, la voix intéresse la relation du sujet au procès. À l’actif, le sujet du verbe désigne l’agent qui accomplit l’action ; au passif, il représente le patient qui la subit. Cette opposition, familière aux usagers d’une langue moderne comme le français, ne remonte pas à l’indo-européen et ne joue qu’un rôle mineur dans les langues les plus archaïques de la famille. C’est que le passif se constitue à une date relativement récente. À haute époque, la distinction fondamentale implique l’actif et ce qu’on appelle le moyen 369. Au moyen, « le sujet est centre en même temps qu’acteur du procès ; il accomplit quelque chose qui s’accomplit en lui … Il est … intérieur au procès dont il est l’agent » 370. La voix moyenne se conserve dans des langues comme le grec et l’indoiranien 371. La traduction française d’un verbe au moyen met souvent en œuvre le pronom réfléchi. Ainsi, les présents grecs φαίνω /phaínō/, actif, et φαίνοµαι /phaínomai/, moyen, peuvent être rendus respectivement par « montrer » et « se montrer, apparaître ». De même, λούω /loúō/ signifie « laver » et λούοµαι /loúomai/ « se baigner » ou encore τέρπω /térpō/ « réjouir » et τέρποµαι /térpomai/ « se réjouir » 372. Le sémantisme du verbe n’est pas toujours compatible avec la voix moyenne ou, à l’inverse, avec la voix active. Il y a, en effet, des media tantum, comme gr. αἰσθάνοµαι /aisthánomai/ « percevoir », et des activa tantum, comme gr. ἐθέλω /ethélō/ « vouloir ». Par ailleurs, dans le système des temps d’une conjugaison, les termes ne relèvent pas toujours de la même voix. À un présent moyen s’associe, le cas échéant, un parfait actif : type gr. hom. γίγνοµαι /gígnomai/ « naître, 369. L’opposition actif / moyen est traitée et illustrée par Silvia Luraghi (2010, p. 182-184). 370. Benveniste, PLG 1, p. 172 (dans un article de 1950). 371. Sur l’origine du moyen, au double point de vue sémantique et formel, Helmut Rix fait l’hypothèse que l’élément -o des désinences -so, -to, -nto serait un ancien pronom enclitique exprimant la réflexivité : Rix 1988, p. 101-119. 372. Cf. Duhoux 1992, p. 107, § 91.
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Chapitre XV : verbe
devenir » / γέγονα /gégona/ « être né ». En grec, une situation fréquente se caractérise par un rapport de complémentarité entre un présent actif et un futur moyen. À εἰµί /eimí/ « je suis », par exemple, s’articule le futur ἔσοµαι /ésomai/ « je serai ». Des faits de nature comparable se rencontrent marginalement en latin. Le supplétisme implique alors l’actif et une catégorie proche du moyen : le déponent. Les exemples relèvent de la deuxième conjugaison, avec soleō « j’ai l’habitude » vis-à-vis du parfait solitus sum. En outre, les impersonnels licet « il est permis » et libet « il plaît » ont les parfaits licitum est et libitum est en vieux latin.
15.2.3. L’aspect Une dernière catégorie intervient dans la définition du verbe indoeuropéen : l’aspect. Le terme « aspect » traduit le russe vid, issu d’une racine ancienne signifiant « voir » (cf. lat. uideō). En accord avec cette étymologie, la catégorie en question se rapporte à la manière d’envisager le procès. En russe, tout verbe se dédouble, en principe, en une forme perfective et une forme imperfective. La première présente l’action comme un procès achevé, la seconde comme un procès en développement. En grec et en indo-iranien, le système verbal comporte un présent (en dépend un imparfait), un aoriste et un parfait 373. Ces trois termes combinent les notions d’aspect et de temps. L’origine en remonte à l’indo-européen, mais peut-être pas à l’état le plus ancien de l’indo-européen 374. La valeur aspectuelle du présent est imperfective. Par conséquent, une forme de présent exprime un procès en cours. L’aoriste, en revanche, présente pour ainsi dire l’action en soi, comme un tout et de manière ponctuelle. Le parfait, enfin, possède une valeur résultative et signifie l’état consécutif au procès luimême. Comme en témoigne la morphologie, ce système des aspects résulte 373. S’y ajoute un futur, de formation relativement récente. 374. Cf., infra, § 15.3.
Chapitre XV : verbe
379
d’une double opposition : le présent s’oppose à l’aoriste et l’ensemble présent-aoriste s’oppose au parfait. Tandis qu’au singulier et à la troisième personne du pluriel les désinences dites « primaires », caractéristiques du présent, ne se distinguent des désinences dites « secondaires », caractéristiques de l’aoriste (et de l’imparfait), que par l’addition d’un élément -i de valeur déictique, les désinences du parfait ont un caractère spécifique. En outre, une forme de parfait se signale généralement par un redoublement. Comme d’autres affixes, cet élément de formation ferait du thème verbal l’expression d’un « mode d’action » plutôt que d’un aspect, selon H. Rix 375. On entend par « mode d’action » (en allemand, « Aktionsart ») un trait sémantique du procès lui-même, comme la répétition (verbe itératif), par exemple. L’aspect, en revanche, intéresse la représentation du procès par le sujet parlant. Que le « mode d’action » soit en cause dans le cas du parfait, la morphologie n’en apporte pas la preuve, car le redoublement n’est pas constant 376. En témoigne le verbe « savoir » : véd. véda « je sais (pour avoir vu) », gāth. vaēdā « id. », gr. οἶδα /oîda/ « id. », got. wait « id. », etc. (i.-e. *woid-h2e). Dans ces conditions, l’interprétation traditionnelle du parfait
comme catégorie aspectuelle paraît tout à fait défendable 377.
15.3. Le système verbal Les systèmes verbaux des langues historiques ne se recouvrent pas complètement. Ainsi, à la différence du grec, le latin n’a pas d’aoriste et oppose deux séries de temps, l’infectum et le perfectum. Le hittite, pour sa 375. Rix 1988, p. 103. 376. Voir Meillet 1937, p. 206. Comme le note Beekes, « The perfect tense had no suffix. It often, but not always, had reduplication » (Beekes 1995, p. 237). Dans les prétérito-présents du germanique (got. kann « je connais », man « je suis d’avis, je pense », mag « je peux », etc.), l’absence de redoublement n’est plus considérée comme un archaïsme, mais comme une innovation (Fulk 2018, p. 321). 377. Dans le LIV 2001, Rix fait du parfait une catégorie de la dimension « AspektAktionsart » (p. 10).
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Chapitre XV : verbe
part, ne possède qu’un présent et un prétérit. Le modèle le plus complet se rencontre en indo-iranien et en grec. Dans ces langues, les thèmes fondamentaux du présent(-imparfait), de l’aoriste et du parfait se distinguent, le cas échéant, par le vocalisme radical, la présence ou l’absence d’un suffixe, la désinence. Mais l’identification d’une forme se fonde aussi sur sa place dans le système. Soit gr. ἔρ(ρ)επον /ér(r)epon/ et ἔτεκον /étekon/ : ces termes ont des structures comparables, mais le premier a à côté de lui un présent de même formation (ῥέπω /rhépō/ « je penche ») et se définit comme un imparfait ; le second s’articule à un présent de formation différente (τίκτω /tíktō/ < *τι-τκ-ω /ti-tk-ō/ « j’enfante ») et de ce fait ne peut être qu’un aoriste. Au point de vue morphologique, les formes en question se décomposent en ἔ-ρεπ-ο-ν /é-rep-o-n/ et ἔ-τεκ-ο-ν /é-tek-o-n/. L’élément ἐ- /e-/ (< i.-e. *(h1)e-), appelé augment, est un préfixe marquant le passé. Le composant -ν /-n/ (< i.-e. *-m) est une désinence secondaire. Le morphème prédésinentiel -o- /-o-/ est la voyelle thématique. Enfin, -ρεπ- /-rep-/ et -τεκ-/-tek-/ sont des racines. Le thème ῥεπ-ο- /rhep-o-/ fournit un présent(imparfait) radical thématique et -τεκ-ο- /-tek-o-/ un aoriste radical thématique. La reconstruction du système verbal indo-européen pose un problème complexe. L’accord du grec et de l’indo-iranien conduit à la restitution des catégories aspectuelles du présent, de l’aoriste et du parfait, ainsi que des catégories modales de l’indicatif, du subjonctif, de l’optatif et de l’impératif. Mais cette structure ne se retrouve pas en hittite et pourtant le hittite est la langue de la famille la plus anciennement attestée. Le système verbal anatolien ne comprend que deux temps (présent et prétérit) et deux modes (indicatif et impératif). Si l’indo-iranien et le grec conservent l’état de choses ancien, l’histoire du verbe, de l’indo-européen au hittite, se ramène à une simplification par réduction du nombre de catégories. Si, au contraire,
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le hittite l’emporte en archaïsme, l’évolution, de l’indo-européen à l’indoiranien et au grec, aboutit à une complexification par augmentation du nombre de catégories. Sur la base de considérations relatives au soussystème du présent et de l’aoriste Strunk privilégie le second scénario. Soit un paradigme supplétif comme l’ensemble des formes du verbe « manger ». Le présent radical athématique hitt. edmi « je mange », véd. ádmi « id. », gr. hom. ἔδµεναι (inf.), etc., remonte au proto-indo-européen. En revanche, les aoristes véd. ághaḥ « il mangea » et gr. ἔφαγον « je mangeai » s’associent indépendamment à ce présent, c’est-à-dire à une date relativement récente. Le verbe « manger » n’avait probablement pas d’aoriste en indoeuropéen ancien 378. De même, le verbe de la racine *gwhen- « frapper, tuer » ne comportait pas, à l’origine, une opposition entre présent et aoriste. En effet, il est significatif que la forme redoublée *gwhe-gwhn-e/o-, qui avait une valeur intensive, ait été attribuée au présent dans av. (ni)jaγnǝṇte « ils terrassent », mais à l’aoriste dans gr. ἔπεφνε « il tua » 379. De l’avis de Strunk, un fait de ce genre accrédite la thèse, selon laquelle l’indo-européen le plus ancien ne connaissait pas encore la distinction entre présent et aoriste. Ainsi se comprendrait l’absence de l’aoriste en hittite, si cette langue s’est séparée de l’indo-européen commun avant que la catégorie de l’aspect se soit constituée 380. La formation du système aspectuel n’aurait été effective qu’au moment où est apparu l’aoriste sigmatique 381. Le hittite et les autres langues indo-européennes ont en commun le présent de l’indicatif et de l’impératif. Dans ce sous-système, un petit nombre de formes se correspondent exactement. C’est le cas, par exemple, de hitt. 3e sg. ind. ešzi « il est » : véd. ásti « id. » : gr. ἐστί « id. » ; hitt. 3e sg. 378. Cf. Strunk 1994, p. 423. 379. Strunk 1994, p. 427. 380. Strunk 1994, p. 431 ; Vanséveren 2014, p. 5-6 (§ 1.1). 381. Strunk 1994, p. 429.
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Chapitre XV : verbe
impér. eštu « qu’il soit » : véd. ástu « id. » ; hitt. 3e sg. ind. kuenzi « il tue » : véd. hánti « id. » ; hitt. 3e sg. ind. wekzi « il exige » : véd. váṣṭi « il désire, il veut ». Le paradigme de hitt. ešzi comprend une 1re personne sg. ešmi « je suis » et une 2e personne sg. ešši « tu es ». La série des désinences -mi, -ši, -zi fait pendant à -mi, -si, -ti des autres langues indo-européennes. Le hittite possède donc la « conjugaison en -mi ». Mais ce n’est pas la seule : les formes fléchies du verbe anatolien relèvent en partie de la « conjugaison en -ḫi ». Les marques du singulier en sont : 1re pers. -ḫi (v. hitt. -ḫe), 2e pers. -ti, 3e pers. -i (v. hitt. -e). Ces désinences s’attachent souvent à un radical alternant. Du verbe ar- « arriver », par exemple, s’opposent ār-i « il arrive » et ar-anzi « ils arrivent ». L’ā long du singulier remonte à un o accentué, l’a bref du pluriel s’explique par un ancien degré zéro 382. L’origine de la conjugaison en -ḫi ne fait pas l’unanimité. Kuryłowicz compare cette classe flexionnelle à la conjugaison thématique en raison de la ressemblance des désinences de 1re et de 3e sg. En effet, hitt. 1re sg. -ḫi, v. hitt. -ḫe, avec une laryngale initiale, rappelle la finale -oH du type i.-e. *bhéroH « je porte » (> gr. φέρω « id. ») et hitt. 3e sg. -i, v. hitt. -e < i.-e. *-ei, s’accorde avec la finale -ει de gr. φέρει « il porte » 383. Mais cette
théorie ne convainc pas, car il y a très peu de correspondances entre des verbes en -ḫi et des verbes thématiques ; d’autre part, des verbes thématiques dérivés, comme les itératifs en *-sk̑ e/o-, prennent en hittite les désinences -mi, -ši, -zi ; enfin, l’alternance radicale o / zéro de nombreux verbes en -ḫi n’a pas de contrepartie dans la flexion thématique 384. En revanche, une opposition entre un singulier à vocalisme o et un pluriel à vocalisme zéro a un écho dans le parfait. De plus, les désinences du parfait sont 382. Clackson 2007, p. 138-139. 383. Kuryłowicz 1927a, p. 95-104. 384. Clackson 2007, p. 140.
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compatibles avec la série -ḫi, -ti, -i. Ce sont : *-h2e, *-th2e, *-e (cf. gr. -α, -θα, -ε dans οἶδ-α, οἶσ-θα, οἶδ-ε « je sais, tu sais, il sait »). L’addition de la particule déictique -i donne les formes *-h2ei, *-th2ei, *-ei, auxquelles remontent -ḫe, *-te (non attesté), -e du vieux hittite 385. La voyelle i de hitt. -ḫi, -ti, -i provient par analogie des désinences de la conjugaison en -mi. Ces caractéristiques formelles suggèrent que la conjugaison en -ḫi a sa source dans le parfait. Toutefois, la « théorie du parfait » soulève des objections : le redoublement, typique du parfait, ne se trouve pas, sauf exception 386, dans les verbes en -ḫi ; entre le parfait des langues non anatoliennes et le présent hittite en -ḫi les correspondances de formes sont très peu nombreuses ; au point de vue sémantique, les deux catégories n’ont pas d’affinités particulières, car la valeur stative du parfait ne concerne que certains verbes en -ḫi 387. Comme on l’a supposé, le parfait aurait pu, il est vrai, donner d’abord un prétérit en hittite (comme en germanique, par exemple). De là aurait été tiré secondairement le présent en -ḫi 388. On a encore cherché à élucider la genèse de la conjugaison en -ḫi à partir du moyen. De la comparaison se dégagent les désinences indo-européennes de cette catégorie : 1re sg. *-h2e, 2e sg. *-th2e, 3e sg. *-o ou *-to, 3e pl. *-ro ou *-nto. Les deux premiers termes de cette série sont identiques aux marques
du parfait. Le troisième terme, pourvu de la particule -i situant le procès hic et nunc, c’est-à-dire *-oi, peut rendre compte de v. hitt. -e aussi bien que la diphtongue *-ei issue du parfait. Il y a donc une bonne adéquation entre le moyen et la conjugaison en -ḫi au niveau des marques flexionnelles. En revanche, le moyen ne rend pas compte du degré radical o ou de l’alternance o / zéro caractérisant de nombreux verbes en -ḫi. D’autre part, la désinence 385. Jasanoff 2003, p. 6 ; Lundquist - Yates 2018, p. 2151-2152. 386. wewakk- « exiger ». 387. Par exemple, sākki « il sait ». Cf. Jasanoff 2003, p. 8. 388. Clackson 2007, p. 141.
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-er (-ir) de la 3e personne pl. du prétérit hittite s’explique mieux par le parfait que par le moyen 389. Le parfait est donc la catégorie la plus proche du présent en -ḫi. Mais les désinences de ce présent ne proviennent peutêtre pas directement du parfait. Selon une hypothèse ingénieuse de Jasanoff, l’indo-européen avait, à côté de la conjugaison en -mi, une conjugaison en *-h2e, d’où seraient issus à la fois le parfait (et le moyen) des langues non anatoliennes et la conjugaison hittite en -ḫi 390. Dans son bel et important ouvrage sur les origines du système verbal grec, Willi retient l’idée de la conjugaison en *-h2e 391. Contrairement à Strunk, en revanche, il n’admet pas la thèse d’un développement récent de l’aspect. À son avis, un système ancien à dominante aspectuelle a été peu à peu supplanté par un système à dominante temporelle. En accord avec ses devanciers, il reconnaît l’existence d’une relation intrinsèque entre l’aspect perfectif de l’aoriste et le trait sémantique de la « télicité ». Le procès d’un verbe « télique » est envisagé comme ayant un terme (gr. τέλος « fin »). Un aoriste radical comme véd. á-dā-t « il donna » repose sur la racine « télique » *deh3- « donner », tandis qu’un présent radical comme véd. é-ti « il va » se construit sur la racine « atélique » *h1ei- « aller ». Willi a des vues personnelles, souvent en désaccord avec la communis opinio. Ainsi, l’aoriste à redoublement l’emporterait en archaïsme sur l’aoriste radical 392. L’aoriste thématique à degré zéro radical ne s’expliquerait pas par la thématisation de l’aoriste radical athématique, mais remonterait à une forme à redoublement *h1e-, d’abord propre aux racines commençant par
389. Jasanoff 2003, p. 22. 390. Jasanoff 2003, p. 59 (§ 39) ; Vanséveren 2014, p. 9 (§1.2) ; Lundquist - Yates 2018, p. 2150-2151. 391. Willi 2018, p. 56. 392. Willi 2018, chap. 3 (p. 58-117).
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*h1, puis étendue analogiquement à d’autres racines. Ce redoublement
serait la source de l’augment 393. Comme le pensait Cowgill, le parfait tirerait son origine d’un ancien nom d’agent, de structure *CóC-e (3e sg. ; d’où 1re sg. *CóC-h2e, 2e sg. CóCth2e) 394. De là proviendraient le parfait à redoublement (Ce-CóC-e) et la conjugaison anatolienne en -ḫi (une forme *dhóh2-e « il est placeur » donnerait, moyennant l’addition de l’élément *-i « primaire », hitt. dāi « il place ») 395.
15.4. Les types morphologiques 15.4.1. Le présent 15.4.1.1. Le présent radical athématique : type gr. εἶµι /eîmi/ Un type de présent archaïque présente une structure radicale athématique. Dans cette formation, la désinence s’attache directement à la racine. Le paradigme d’une survivance comme le verbe « aller » comporte une alternance vocalique : gr. εἶ-µι /eî-mi/ vs ἴ-µεν /í-men/ hom. « je vais » / « nous allons », att. « j’irai » / « nous irons ». Le védique a é-mi / i-mási (skr. i-maḥ) « je vais » / « nous allons ». En vieux lituanien sont attestées la 1re personne sg. eimì (Daukša, Postilla 217,39 : eimí Téwop « je vais au Père ») et la 1re personne pl. eimè (ibid., 102,2 : eimé Ierosolíman « nous allons à Jérusalem »). Dans ces formes, il n’y a plus d’alternance vocalique, car le degré plein radical a été étendu à tout le présent. À partir des faits grecs et indo-iraniens se reconstruit le système indo-européen *h1éi-mi / *h1i-més. La restitution de la désinence *-mes à la 1re personne pl. se fonde
sur la correspondance entre skr. -maḥ et gr. dorien (et du nord-ouest) 393. Willi 2018, chap. 6 (p. 286-356). 394. Willi 2018, p. 280. À titre de parallèle, un nom d’agent entre dans la formation du futur périphrastique du sanskrit : type dātāsmi < dātā asmi « je suis donneur » > « je donnerai », 3e sg. dātā « (il est) donneur » > « il donnera ». 395. Willi 2018, p. 253.
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-µες /-mes/ (cf., par exemple, εἰµές /eimés/ « nous sommes » 396). Du paradigme se dégagent encore les désinences de 2e et de 3e personnes : skr. éṣi « tu vas » et éti « il va » remontent à i.-e. *h1éi-si, resp. *h1éi-ti. À ces formes répondent gr. εἶ /eî/ (s intervocalique passe à h, puis s’amuït), resp. εἶσι /eîsi/ (t passe à s devant i). Les représentants de la 2e personne pl. ne se correspondent pas entièrement sous le rapport de la désinence : skr. ithá « vous allez » et gr. ἴτε /íte/ « vous irez » se ramènent à *h1i-th1e, resp. *h1ite. Pour la 3e personne pl., skr. yánti « ils vont » suppose i.-e. *h1y-énti ou *h1y-ónti ; gr. ἴᾱσι /íāsi/ résulte d’une réfection. En résumé, les désinences
du présent athématique se présentent ainsi : sg. 1. -mi, 2. -si, 3. -ti ; pl. 1. -mes, 2. -t(h1)e, 3. -e/onti ou -n̥ ti. L’imparfait se constitue sur le thème du présent et se caractérise par l’augment (non constant chez Homère), ainsi que par les désinences secondaires. La 1re personne sg. se signale par la marque -m (-m̥ après consonne) : « j’allais » avait pour expression i.-e. *h1e-h1ey-m̥ > *ēy-m̥ . En sanskrit, la forme attendue, *āya, a été remplacée par āyam sous l’influence du type thématique. Cf. ávaham « je transportais en char » (< i.-e. *h1éweg̑ h-o-m). À la 2e personne sg. figure une désinence -s : skr. ái-ḥ < i.-ir. *āi-s « tu allais ». La caractéristique de la 3e personne sg. est -t : skr. ái-t
« il allait ». Au pluriel, les désinences ont une forme syllabique : 1re personne -me > skr. -ma (ái-ma « nous allions » ; 2e personne -te > skr. -ta (ái-ta « vous alliez ») ; 3e personne -n̥ t ou -ent/-ont > skr. -an (ā́ y-an « ils allaient »). Le paradigme repose sur un thème invariable (/ā́ i-/ noté ái- ou āy-). La raison en est l’extension du degré plein radical au pluriel. Ainsi, áima /ā́ ima/ continue *h1e-h1ei-me. L’ancienne alternance vocalique entre le singulier et le pluriel se conserve à l’imparfait de gr. φηµί /phēmí/ « je dis, je déclare », par exemple : ἔφην /éphēn/ « je disais » s’oppose à ἔφᾰµεν /éphămen/ 396. Théocrite, Idylle 15,73 ; etc.
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« nous disions ». Les radicaux φη- /phē-/ (dor. φᾱ- /phā-/) / φᾰ- /phă-/ reflètent *bheh2- / *bhh2-. La forme au degré zéro se retrouve dans le moyen (cf. φά-
το /pháto/ « il se disait » chez Homère).
15.4.1.2. Le présent radical athématique : type gr. κεῖµαι /keîmai/ À côté du type εἶµι /eîmi/ ou φηµί /phēmí/ existe une formation archaïque de présents-imparfaits radicaux athématiques moyens à degré plein de la racine 397. En gardent le souvenir, entre autres, des verbes d’état comme gr. κεῖµαι /keîmai/ « je suis couché », ἧµαι /hêmai/ « je suis assis », εἷµαι /heîmai/ « je suis revêtu, je porte (un vêtement) ». Parallèles à -µι, -σι, -τι /-mi, -si, -ti/, les désinences moyennes du singulier -µαι, -σαι, -ται /-mai, -sai, -tai/ se dégagent du paradigme 1. κεῖµαι /keîmai/, 2. κεῖσαι /keîsai/, 3. κεῖται /keîtai/. Dans la forme de la 2e personne, s a été restauré par analogie, car en position intervocalique la sifflante s’amuït avant les premiers textes alphabétiques. Le traitement attendu s’observe dans κατάκειαι /katákeiai/ « tu es couché » (Hymne à Hermès 254). Une variante comporte le timbre o de la diphtongue finale : arc. κεῖοι /keîoi/ < *k̑ ei-soi. De même, à la 3e personne, /keîtoi/ est à reconnaître dans chypr. ke-i-tu-i. Par ailleurs, la désinence -toi, notée -to, est attestée en mycénien. Comme ces faits en témoignent, les désinences du singulier avaient pour formes -mai, -soi, -toi en grec commun. À ce stade chronologique, -soi, -toi, désinences primaires, s’accordaient avec -so, -to, désinences secondaires 398, sous le rapport du vocalisme. Les données indiennes révèlent un état de choses encore plus archaïque. Le sanskrit a une 1re personne sg. śáye « je suis couché » et le védique une 3e personne sg. homophone śáye « il est couché », à côté de śéte. Il y a lieu de reconstruire 397. Cette classe de verbes a été reconnue et décrite par Johanna Narten (cf. Narten 1968, p. 9-19). Sur ces présents radicaux « acrodynamiques », voir aussi Kümmel 1998. 398. Cf., par exemple, les imparfaits ἕσ-σο /hés-so/ « tu étais revêtu » et ἕσ-το /hés-to/ « il était revêtu ».
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i.-e. 1. *k̑ ei-h2ei, 2. *k̑ ei-soi, 3. *k̑ ei-(t)oi. Des réfections analogiques rendent compte des faits grecs : *-h2ei > -ai est remplacé par -mai sous l’influence de la désinence active -mi et -mai entraîne -sai, -tai. À la 1re personne pl., gr. -µεθα /-metha/, morphème commun aux temps primaires et aux temps secondaires, répond à skr. -mahi, désinence secondaire. Dans le paradigme du verbe signifiant « être assis », par exemple, gr. ἥµεθα /hḗmetha/ « nous étions assis » recouvre skr. ā́ smahi « id. ». Les présents correspondant à ces imparfaits ont pour expression la forme grecque homonyme ἥµεθα /hḗmetha/ et skr. ā́ smahe. La désinence -mahe a le caractère d’une innovation, car la voyelle finale -e (< i.-ir. *-ai) est analogique des autres termes de la flexion moyenne. En indo-européen, un seul et même morphème, semble-t-il, signalait la 1re personne pl. des temps primaires et des temps secondaires : *-medhh2 (> gr. -µεθα /-metha/, skr. -mahi). La variante grecque -µεσθα /-mestha/, attestée dans la langue homérique et chez les tragiques (cf. ἥµεσθ(α) /hḗmesth(a)/ chez Euripide, Iph. Aul. 88), ne conserve probablement pas une désinence ancienne. Son emploi répond généralement à des contraintes métriques. Comme la 1re personne, la 2e personne pl. se caractérise, à l’origine, par une désinence unique au présent et à l’imparfait moyens. C’est le cas en grec à l’époque historique. En effet, le même morphème -σθε /-sthe/ entre, par exemple, dans κάθησθε /káthēsthe/ « vous siégez » (Aristophane, Nuées 270 ; etc.) et ἐκάθησθε /ekáthēsthe/ « vous étiez assis » (id., Ach. 638). L’indo-iranien, en revanche, oppose deux désinences : skr. -dhve, primaire, et -dhvam, secondaire. D’une part, le védique fournit le subjonctif śay-adhve, de śay- « être couché ». Cf. RV 10,108,4 : hatā́ índreṇa paṇayaḥ śayadhve « que, frappés par Indra, vous soyez terrassés (littéralt couchés), Paṇi’s ». D’autre part, le R̥ gveda a l’impératif ā-dhvam, de ās- « être assis ». Avec le préverbe úpa, le verbe signifie « être assis auprès pour
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servir » > « révérer ». Le syntagme úpa … ādhvam apparaît en 7,33,14 : úpainam (= úpa enam) ādhvaṃ sumanasyámānā(ḥ) « révérez-le (c.-à-d. Vasiṣṭha) en étant bien intentionnés ». La désinence -dhve < i.-ir. *-dhvai se constitue à partir de *-dhva (cf. -dhva-m) par l’addition de l’élément déictique -i sous l’influence des formes du singulier et de la 3e personne pl. Le rapprochement de *-dhva et de la composante -θε /-the/ de gr. -σθε /-sthe/ conduit à poser i.-e. *-dhwe. Le traitement grec du groupe dhw se retrouve dans l’histoire de l’adjectif ὀρθός /orthós/ < *ϝορθϝός /worthwós/ (cf. lacon. ϝορθεία /wortheía/, épithète d’Artémis) « droit », parent de skr. ūrdhvá« dressé, haut » (i.-e. *wr̥ (H)dhwo-, dont w initial est sujet à s’amuïr par dissimilation 399). Le sigma de -σθε /-sthe/ s’explique peut-être par une réinterprétation de formes comme κάθησθε /káthēsthe/ « vous êtes assis ». Dans cet exemple, la désinence supposée -θε /-the/ s’attache à une racine en -s (i.-e. *h1eh1s- > *ēs-). D’où la division en morphèmes κάθ-ησ-θε /káthēs-the/. Mais, par référence à κάθ-η-µαι /káth-ē-mai/, καθ-ή-µεθα /kath-ḗmetha/, où s s’amuït devant m, l’usager coupe κάθ-η-σθε /káth-ē-sthe/ 400. De là, la nouvelle désinence se serait généralisée dans le système verbal. La 3e personne pl. du présent radical athématique moyen se signale par une désinence -n̥ toi (-ntoi ), *-ontoi. La variante *-ontoi se conserve intacte en mycénien, si e-ke-jo-to vaut /enkeiontoi/ « s’y trouvent » (PY Aq 218). Cf. gr. alph. ἔγκειµαι /éŋkeimai/ « être dans ». À -ontoi se substitue -ontai, pourvu de la diphtongue -ai de la 1re personne sg. -mai. Ainsi, l’Iliade procure κέονται /kéontai/ « se trouvent » (22,510). La variante *-n̥ toi donnerait *-ατοι en grec ; en tient lieu la désinence -αται, présente dans κέαται /kéatai/ « ils sont couchés » (Il. 11,659), par exemple. À l’imparfait, les formes attestées remontent à i.-e. *-n̥ to, marque dépourvue de la particule 399. Mayrhofer, EWAia I, p. 244-245, s.v. ūrdhvá-. Le mycénien conserve encore le groupe -thw- dans le sobriquet o-tu-wo-we /orthw-ōwēs/ « aux oreilles dressées ». 400. Voir Chantraine 1964, p. 299-300, § 350.
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déictique -i (cf. 3e personne sg. impf. *-to vs prés. *-toi). C’est le cas de gr. -ατο /-ato/ : κέατο /kéato/ « ils gisaient » (Il. 13,763 ; etc.), ἕατ(ο) /héat(o)/ « ils étaient assis » (Il. 7,414), εἵατ(ο) /heíat(o) « ils étaient revêtus » (Il. 18,596). Le védique a des faits parallèles, à savoir une désinence -ate à la 3e personne pl. de l’indicatif présent et une désinence -ata à la 3e personne pl. de l’imparfait. Du verbe ās-, par exemple, se rencontrent ā́ sate « ils sont assis, ils résident » (RV 1,19,6 ; etc.) et āsata « elles (c.-à-d. les déesses) étaient assises, assistaient » (RV 10,95,7). À véd. ā́ sate correspond approximativement av. ā̊ŋhəṇte. Mais une forme plus ancienne présente la désinence -re, par ailleurs caractéristique du parfait moyen 401 : ā̊ŋhāire. Une autre 3e personne pl. en -re d’un présent statif est av. sōire / saēre (= véd. śére) « ils sont couchés, ils gisent ». Le sens d’un verbe d’état et la valeur du parfait sont de même ordre ; ainsi s’explique leur expression par un même morphème à la 3e personne pl. de forme moyenne. À la désinence primaire -re répond la désinence secondaire -ran. Ainsi, en RV 1,133,1, est attesté l’imparfait áśeran « ils gisaient ».
15.4.1.3. Le présent radical thématique : type skr. srávati Archaïsme morphologique, le présent radical athématique n’est plus qu’une survivance dans les langues historiques. L’histoire du verbe « manger », par exemple, manifeste une tendance au renouvellement des formes par addition de la voyelle thématique. Homère emploie l’infinitif ἔδµεναι /édmenai/ « manger » (Il. 13,36 ; Od. 16,84), athématique, mais le présent ἔδει /édei/ « il mange » (Il. 15,636), thématique. Comme ces formes en témoignent, les verbes thématiques proviennent en partie d’anciens verbes athématiques. 401. La marque -re de 3e personne pl. du parfait moyen n’est pas attestée avec certitude en avestique, mais est constante en sanskrit. En Vīdēvdād 4,46, Hoffmann-Forssman considèrent cāxrare (éd. Geldner, 1889) comme une forme fautive et proposent la conjecture cāxrarə, 3e pl. parf. actif (cf. Hoffmann-Forssman 1996, p. 237).
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Mais il y a aussi des présents en e/o de date indo-européenne 402. C’est le cas, par exemple, de *srew-e/o-, de la racine *sreu- « couler ». Sur ce thème reposent gr. ῥεε- /rhee-/ < ῥεϝε- /rhewe-/ (cf. hom. ῥέει /rhéei/ « il coule ») et skr. srava- (cf. srávati « id. ») 403. Compte aussi parmi les présents thématiques anciens i.-e. *sekw-e/o-, de la racine *sekw- « suivre ». En procèdent gr. ἑπε- /hepe-/ et skr. saca-, de flexion moyenne (cf. la correspondance gr. ἕπεται /hépetai/ « il suit » : skr. sacate « id. ») 404. La voyelle prédésinentielle n’est pas la même en tous les points du paradigme. La variante e caractérise, au singulier, les 2e et 3e personnes, au pluriel la 2e personne ; la variante o signale, au singulier, la 1re personne, au pluriel les 1re et 3e personnes. En ce qui concerne les désinences actives, la flexion thématique ne concorde pas entièrement avec la flexion athématique. La 1re personne sg du présent comporte une finale -ō, c’est-à-dire -o-, voyelle thématique, + une laryngale (H). Le type s’en conserve dans gr. ἄγω /ágō/ « je pousse, je conduis » et lat. agō « id. », par exemple. En sanskrit, la forme attendue, *ajā, a été refaite sous l’influence du présent athématique, d’où ajāmi « id. ». À la 2e personne sg., gr. *ἄγει /ágei/ (< *agehi < i.-e. *h2eg̑ -e-si ) serait le correspondant exact de skr. ajasi « tu pousses » ; la
forme attestée, ἄγεις /ágeis/, renferme la désinence secondaire -s (cf. impf. ἦγ-ε-ς /êg-e-s/ « tu conduisais, tu amenais »). Comme la « 3e personne » de la tradition grammaticale est en fait la personne zéro ou non-personne, son expression se réduit souvent à une caractéristique négative, c’est-à-dire à l’absence de désinence 405. Dans ces conditions, gr. ἄγει /ágei/ « il pousse » est constitué du radical ἀγ- /ag-/, de la voyelle thématique -ε- /-e-/ et de la
402. La fonction du présent thématique à degré plein radical est d’exprimer l’aspect imperfectif sans autre spécification : Gotō 1987, p. 69-71. 403. Sur srávati, voir Gotō 1987, p. 337-338. 404. Sur sácate, voir Gotō 1987, p. 319-320. 405. Voir Benveniste, PLG 1, p. 225-236.
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particule déictique -ι /-i/, mais ne comporte pas de désinence 406. En sanskrit, aj-a-ti « id. » s’explique par une innovation : sur la base de la désinence secondaire -t (cf. impf. āj-a-t « il poussait ») se constitue la désinence primaire -ti. Le singulier de l’imparfait thématique se caractérise par les finales -o-m, -e-s, -e-t ; à la voyelle alternante -e/o- s’ajoutent donc les mêmes morphèmes que dans le paradigme athématique. En offre une illustration la conjugaison grecque ἦγον /êgon/ « je conduisais », ἦγες /êges/ « tu conduisais », ἦγε /êge/ « il conduisait ». La 1re personne pl. a une désinence primaire -mes et une désinence secondaire -me. Le sanskrit en a des reflets dans -maḥ et -ma. Cf. prés. bharāmaḥ « nous portons » et impf. abharāma « nous portions ». En grec, -µες /-mes/ se conserve en dorien et dans les dialectes du nord-ouest, tandis qu’une variante -µεν /-men/ s’impose ailleurs, notamment en ionien-attique. Ces morphèmes s’emploient indifféremment au présent et à l’imparfait. Cf. ἔχοµες /ékhomes/ « nous avons » (Archytas de Tarente chez Diogène Laërce 8,4,2) et εἴχοµες /eíkhomes/ « nous avions » (inscription de Delphes 407). À ces faits correspondent ion.-att. ἔχοµεν /ékhomen/ et εἴχοµεν /eíkhomen/. La 2e personne pl. du présent thématique présente une finale *-e-t(h1)e. Cf. gr. φέρ-ε-τε /phér-e-te/ « vous (ap)portez » et skr. bhar-a-tha « id. ». L’imparfait n’en diffère que par l’augment en grec (ἐ-φέρ-ε-τε /e-phér-e-te/), par l’augment et la désinence en sanskrit (a-bhar-a-ta). À la 3e personne pl., la voyelle prédésinentielle a le timbre o. Avec les morphèmes -nti (primaire) et -nt (secondaire) se constituent les finales -o-nti et -o-nt. Un présent *h2ég̑ -o-nti se reflète dans gr. ἄγουσι /ágousi/ « ils amènent / emmènent » et
véd. ájanti « elles amènent » (RV 9,91,1, avec un sujet féminin). À l’imparfait, gr. ἦγον /êgon/ « ils amenaient / emmenaient » et véd. (úd) … ājan 406. Dans ce sens Watkins, mais avec des vues différentes sur les 1re et 2e personnes (cf. Watkins 1969, p.119-123, § 107-109). 407. Fouilles de Delphes, t. III, fasc. 4 : no 428,II.
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« ils poussèrent (dehors) » (RV 4,1,13) continuent *h1é-h2eg̑ -o-nt. Au présent-imparfait moyen, les verbes thématiques et athématiques ont les mêmes désinences. Cependant, le morphème -re de véd. śe-re « ils gisent » (cf. supra) ne se retrouve pas dans le présent thématique.
15.4.1.4. Le présent radical thématique : type skr. viśáti La plupart des présents radicaux thématiques reposent sur le degré e de la racine. Plus rare est le type à degré zéro radical. Les exemples s’en rencontrent surtout en sanskrit et constituent la 6e classe des grammairiens indiens. Dans cette formation, l’accent frappe la voyelle thématique. En témoigne, entre autres, véd. viśáti « il entre » (rac. veś-/viś- < i.-e. *weik̑ -/ wik̑ -). De ces présents sanskrits se rapprochent parfois des formes iraniennes. Av. hərəzaiti « il laisse aller », par exemple, répond exactement à véd. sr̥ játi « id. ». Des langues moins étroitement apparentées ont aussi, le cas échéant, des données comparables. Ainsi, v. sl. po-žĭrǫ « j’avalerai » s’accorde avec véd. girati « il avale ». Le type de présent à degré zéro radical + voyelle thématique ne se limite donc pas au sanskrit. Mais il n’y a pas de larges correspondances et les ressemblances sont explicables par des développements parallèles et indépendants. En dernière analyse, cette formation ne semble pas très ancienne. Son origine s’éclaire à la lumière d’un verbe comme gr. λύω, λύοµαι /lúō, lúomai/ « je délie ». En effet, ce présent s’est sans doute constitué sur l’aoriste radical athématique (cf. hom. 1re sg. λύµην /lúmēn/, 3e sg. λύτο /lúto/, 3e pl. λύντο /lúnto/) 408. Or, une base aoristique est attestée pour d’autres représentants du type.
408. Voir Chantraine, DELG, p. 653.
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15.4.1.5. Le présent radical athématique à redoublement À côté des présents radicaux simples existe une classe de formes à redoublement. L’élément redoublé est la consonne initiale du radical, suivie de i ou e (> skr. a) 409. La syllabe ainsi formée est toujours préfixée et invariable. En revanche, dans les verbes athématiques, la racine comporte des alternances : le degré plein caractérise le singulier, le degré zéro le duel et le pluriel. Ce jeu s’observe, par exemple, dans l’opposition entre véd. bíbhar-mi « je porte » et bi-bhr̥ -mási « nous portons » ou entre véd. bí-bhar-ti « il porte » et bí-bhr-ati « ils portent ». À l’initiale de ces formes, l’ancienne aspirée (i.-e. *bhi-bher-mi, etc.) s’est simplifiée par dissimilation. Des paradigmes de même structure se rencontrent en grec. En témoigne, entre autres, le verbe ἵ-στη-µι /hí-stē-mi/, dor. ἵ-στᾱ-µι /hí-stā-mi/, « je mets debout » / ἵ-στᾰ-µεν /hí-stă-men/ « nous mettons debout ». Il y a lieu de poser les thèmes *sti-steh2- / *sti-sth2- en indo-européen 410. Le redoublement se réduit à si- par l’effet d’une dissimilation et la sifflante se change en h, d’où hi-. En revanche, *sti- se résout en ti- dans la forme indienne tiṣṭh-a-ti « il est debout ». Une réfection morphologique a fait de ce présent un représentant du type thématique. La correspondance avec la donnée grecque n’est donc pas complète. De même, un verbe comme skr. dadāmi « je donne » ne recouvre pas exactement gr. δίδωµι /dídōmi/« id. » : les termes diffèrent par le redoublement. En fait, le matériel existant n’offre guère de correspondances probantes dans la perspective de la reconstruction. Le rapprochement de skr. jigāti « il marche » et de gr. (hom.) βιβάς /bibás/ « allant » signale apparemment une formation ancienne, mais, en réalité, le substantif jágat- n. « le monde vivant » (propr. « ce qui
409. Si, en sanskrit, le vocalisme radical est u, cette voyelle est répétée dans le redoublement par assimilation. 410. Pour les traitements i.-e. *eh2 > gr. ᾱ /ā/ et i.-e. *h2 > gr. ᾰ /ă/ en position interconsonantique, voir § 7.5.2.1 et 7.5.2.5.
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marche ») suppose une forme originelle *jágāti 411. En fin de compte, les divergences entre les faits des langues historiques s’expliquent sans doute par des développements indépendants à partir d’un procédé de date indoeuropéenne 412.
15.4.1.6. Le présent radical thématique à redoublement Parmi les présents radicaux redoublés un petit groupe se compose de verbes thématiques. Ces formes n’ont pas d’alternances et se signalent par le degré zéro de la racine. Véd. ti-ṣṭh-a-ti « il est debout » (cf. supra) en procure un exemple et répond à lat. si-st-i-t « il se tient » (< i.-e. *sti-sth2-eti). Au dossier appartient un autre verbe de position : skr. sī́dati « il s’assied », gr. ἵζω /hízō/ « je m’assieds » ou « je fais asseoir », lat. sīdō « je m’assieds » (< i.-e. 1re pers. sg. *si-sd-ō, 3e pers. sg. *si-sd-e-ti). La correspondance plaide pour une origine indo-européenne. De même dans le cas de skr. píbati « il boit » : lat. bibit « id. » (< i.-e. *pi-ph3-e-ti). Semble moins ancien, en revanche, le présent redoublé de la racine *g̑ enh1- « engendrer, enfanter », « naître ». L’identité des thèmes de gr. γίγνοµαι /gígnomai/ « je nais, je deviens » et de lat. gignō « j’engendre, j’enfante » résulte probablement de développements parallèles, mais indépendants. En tout cas, cette formation est en concurrence avec le type i.-e. *g̑ énh1-e- : véd. jánati « il fait naître », lat. genit « il produit » (Varron, Rust. 2,2,19). De la racine *gwhen- « frapper, tuer » le présent à redoublement coexiste aussi avec une
structure plus simple. À côté de jíghnate « il tue » les auteurs du R̥ gveda emploient plus fréquemment les formes hánti « id. » et ghnánti « ils tuent », superposables à hitt. kuenzi / kunanzi. Sans correspondant en d’autres langues, véd. jíghnate se présente comme une innovation indienne. 411. Narten 1972, p. 161-166. 412. On doit à F. Mawet une excellente étude de ce type morphologique : cf. Mawet 1993, p. 85-101.
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Dans le système verbal grec, un statut comparable concerne πίπτω /píptō/ « je tombe » de la racine *peth1-. Le thème *pi-pth1-e/o- se double du présent radical thématique *peth1-e/o-, représenté par véd. pátati « il vole » et av. pataiti « id. » 413. Comme la forme à redoublement ne figure qu’en grec, sa genèse ne remonte probablement pas à l’indo-européen commun. D’ailleurs, selon toute vraisemblance, très peu de représentants du type ont une origine préhistorique. Formation relativement récente, le présent radical thématique à redoublement se construit à partir de la forme faible d’un présent / aoriste radical athématique. Dans le cas du verbe védique han-/ghn- « frapper, tuer », par exemple, jíghnate est inséparable de hánti/ ghnánti (cf. supra). Mais la source du présent redoublé ne subsiste pas toujours dans la langue même : la forme athématique étant à la base de véd. tíṣṭh-a-ti n’est pas attestée. En revanche, le grec a ἵστησι /hístēsi/ < i.-e. *sti-steh2-ti, de structure athématique. Une origine aoristique entre en ligne
de compte pour l’explication de gr. πίπτω /píptō/. En effet, un thème d’aoriste *pteh1-/*pth1- est supposé par le duel homérique καταπτήτην /kataptḗtēn/ « ils
se laissèrent tomber » (πτη- /ptē-/ < *pteh1-, avec degré plein secondaire 414). Cf. Il. 8,136 : τὼ δ’ ἵππω δείσαντε καταπτήτην ὑπ’ ὄχεσφι « les deux chevaux apeurés se laissèrent tomber sous le char ».
15.4.1.7. Le présent radical « protérodynamique » Des présents comme ἵστηµι /hístēmi/, dor. ἵστᾱµι /hístāmi/ « je mets debout » et véd. jígāti « il marche » comportent une voyelle longue issue d’un groupe e + laryngale (racines *steh2-, resp. *gweh2-). En revanche, dans véd. tāṣṭi « il fabrique », la quantité de la voyelle radicale s’explique par un
413. Sur le rattachement de véd. pátati à la racine *peth1-, voir LIV, p. 478, n. 2. 414. LIV, p. 477, s.v. *peth1-, et p. 478, n. 2.
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degré long (i.-e. *tḗk̑ sti
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). Le paradigme de ce présent se caractérise par
415
une alternance : au degré long de la racine au singulier s’oppose le degré plein de la racine au pluriel. En témoigne la 3e personne pl. tákṣati « ils fabriquent » (RV 1,162,6) < i.-e. *ték̑ s-n̥ ti. Des faits comparables se rencontrent en hittite : la racine *wek̑ - « désirer, vouloir », notamment, y est représentée par le présent wēkzi / wekkanzi « il exige » / « ils exigent ». Comme, en védique, l’accent frappe la syllabe initiale dans les formes du singulier et du pluriel, le type se définit comme une formation « protérodynamique » 416. Ses caractéristiques ne se retrouvent souvent que partiellement dans les langues historiques. En particulier, des réfections portent sur la forme du thème faible. En face de véd. stáuti « il loue », par exemple, la 3e personne pl. attendue *stávati disparaît au profit de stuvanti par analogie avec le type rudanti « ils pleurent » (en face de la 3e personne sg. roditi). Dans le cas de dāś- « vénérer, rendre hommage », le degré long du singulier (cf. véd. dā́ ṣṭi « il vénère ») s’étend au-delà de son domaine propre, comme l’atteste le participe présent dā́ śat- (vs tákṣat-, de takṣ- « fabriquer, créer »).
15.4.1.8. Le présent à infixe nasal À la différence du type protérodynamique, résiduel, le présent à infixe nasal occupe une place importante dans la grammaire indo-européenne 417. Cette formation se construit généralement sur un « thème II de racine ». Selon Benveniste, la racine indo-européenne est trilitère (c’est-à-dire triphonématique), du type C1 + e + C2 (C = consonne). Cette structure est 415. Sur la forme de la racine (*tek̑ s-, *tek̑ þ- ou *tetk̑ -), voir Mayrhofer 1986, p. 155-156 et EWAia I, p. 613-614 (s.v. tákṣan-). 416. Le mérite d’avoir identifié et nommé ce type de présent revient à J. Narten (1968, p.9-19). Au lieu de « protérodynamique », les auteurs du LIV emploient « acrodynamique » (« akrodynamisches Wurzelpräsens », p.14). 417. Sur les présents à infixe nasal, consulter Brugmann 1916 (II 3, p. 272-336) pour la richesse des matériaux.
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susceptible de recevoir un suffixe. La combinaison de la racine pleine et tonique et du suffixe zéro donne le « thème I », tandis que l’arrangement inverse – racine zéro + suffixe plein et tonique – est appelé « thème II » 418. Soit, à titre d’exemple, *wer- « retenir, repousser, protéger ». L’addition de l’élément -eu-/-u- produit le thème I *wér-u-, attesté dans gr. ἔρυµαι /érumai/ < *ϝέρυ-µαι /wéru-mai/ « je protège », ainsi que le thème II *wr-éu-. De cette dernière forme procède le présent védique vr̥ ṇóti (< i.-e. *wr̥ -n-éu-ti ) « il repousse » par insertion de l’infixe -n- entre la racine et le
suffixe. Ce type archaïque comporte une alternance degré plein / degré zéro : à l’actif vr̥ ṇóti s’oppose le moyen vr̥ ṇuté (< i.-e. *wr̥ -n-u-toi ). Les formes se prêtent aussi à une analyse *wr̥ -né-u-/*wr̥ -n-u-, avec un infixe alternant 419. Un parallélisme remarquable s’observe entre des présents à infixe nasal et des aoristes radicaux. Le fait a été mis en lumière par K. Strunk 420. Sur le thème II *k̑ leu- « entendre », par exemple, reposent le présent védique śr̥ ṇóti « il entend » et l’aoriste áśrot « il a entendu » (< i.-e. *k̑ l̥ -n-éu-ti, resp. *é-k̑ leu-t ). Si l’élément -eu-/-u- ne figure qu’au présent, la nasale perd son statut d’infixe et la formation se définit comme un type en -neu-/-nu- (caractéristique de la 5e classe de présents dans la grammaire indienne). Cette situation se présente dans le cas de véd. r̥ ṇóti « il met en mouvement », par exemple. Cf. gr. ὄρνῡµι /órnūmi/ « je fais partir » (i.-e. *h3r̥ -neu-). Les aoristes respectifs, véd. ārta et gr. ὦρτο /ôrto/ « il se leva, il
s’élança », continuent une forme *e-h3r-to renfermant le degré zéro de la racine *h3er- et dépourvue du suffixe -eu-/-u-. Dans les présents à infixe nasal, l’élément -n- ne se combine pas seulement avec -eu-/-u-, mais aussi, le cas échéant, avec une laryngale. Le morphème -eh1-/-h1- se trouve dans 418. Voir Benveniste 1935, chap. IX (en particulier, p. 150 et 170). 419. Cette dernière interprétation a la préférence des collaborateurs du LIV, par exemple (voir p. 17). En revanche, K. Strunk apporte des arguments de poids en faveur d’une alternance suffixale (cf., en particulier, Strunk 1984, p. 151-160). 420. Cf. Strunk 1967.
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I *pel-h1-, II *pl-eh1- « remplir », par exemple. Le thème II sert de base au présent véd. pr̥ ṇā́ ti « il remplit » (< i.-e. *pl̥ -n-éh1-ti ), de même qu’à l’aoriste radical aprāt « il a rempli » (< *e-pleh1-t) 421. La laryngale 2 est à reconnaître, entre autres, dans la racine de véd. krīṇā́ ti, pour *krĭṇā́ ti, « il achète », à en juger par la voyelle a de l’aoriste grec πρίατο /príato/, myc. qi-ri-ja-to « il acheta » (< i.-e. *kwrih2to) ; le présent procède de i.-e. *kwrin-eh2-ti. En grec, parmi les thèmes de racines en laryngale, seules les formes en -h2- laissent une trace dans le type à infixe nasal : *-n-eh2-/*-n-h2> ion.-att. -νη- /-nē-/ (dor. -νᾱ- /-nā-/) vs -νᾰ- /-nă-/. Cf. δάµ-νη-σι /dám-nēsi/ (pour *δα-νη-σι /da-nē-si/ < *dm̥ -n-eh2-ti ) « il dompte », moy. δάµ-νᾰται /dám-nă-tai/ (pour *δα-νᾰ-ται /da-nă-tai/ < *dm̥ -n-h2-toi ) « id. », d’une racine I *dem-h2-, II *dm-eh2-. À l’origine de skr. -nā- entre encore en ligne de compte la combinaison de l’infixe avec la laryngale 3 (-n-eh3- / -n-h3-). En procure une illustration véd. str̥ ṇā́ ti « il étend, il répand », formé sur le thème II *str-eh3- ; la reconstruction du suffixe de racine -eh3- / -h3- s’appuie notamment sur le vocalisme du parfait grec ἔστρωµαι /éstrōmai/ (cf. pl.-que-pf. ἔστρωτο /éstrōto/ « était étendu », Il. 10,155). Quelle que soit la nature de la laryngale finale de racine, skr. -nā- alterne avec -nī- (la forme attendue -nĭ- < -nH- a été remplacée par -nī- dans des conditions peu claires) : str̥ ṇā́ ti / moy. str̥ ṇīté. De cette formation les grammairiens indiens font leur 9e classe de présents. Enfin, l’infixe -n- apparaît au sein de racines en occlusive. Sur le thème II de *yeug- « atteler », par exemple, se construit *yu-n-eg-ti > véd. yunákti ; sur le degré zéro se fonde le moyen *yu-n-g-toi > véd. yuṅkté. Ce type est enregistré dans la 7e classe de présents de la grammaire indienne. Le latin en a un écho dans des formes thématisées, bâties sur le thème faible : cf. iungō « j’attelle, je joins ». 421. Autre interprétation de cet aoriste dans LIV, p. 483, n. 18.
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15.4.1.9. Les présents en *-sk̑ e/oUne formation de présents assez productive en iranien, en grec et en latin, moins fréquente en sanskrit, se signale par le suffixe à voyelle thématique -sk̑ e/o- et le degré zéro de la racine. Dans le paradigme de *prek̑ « demander », par exemple, n’existe que ce type de présent. Son ancienneté est établie par la correspondance entre véd. pr̥ ccháti « il demande » et lat. poscō « je réclame, je demande » (i.-e. *pr̥ k̑ -sk̑ e/o-). Dans le cas de *gwem« aller, venir », l’expression du présent ressortit à *gwm̥ -sk̑ e/o- (skr. gácchati « il va, il vient », gr. βάσκε /báske/ « va !, viens ! ») ou à *gwm̥ -ye/o- (gr. βαίνω /baínō/ « je vais », lat. ueniō « je viens »). Comme le grec possède les deux formes, la question se pose de leur valeur respective. Fait significatif, βάσκω /báskō/ n’apparaît qu’à l’impératif ; or, l’impératif, de par sa fonction, s’accompagne souvent d’une particule pour le renforcement du sens. Cf. i.-e. -dhi, conservé dans véd. addhi « mange ! », gr. ἔσθι /ésthi/ « id. » (Od. 17,478) ou v. lit. -ki dans le Commandement Nè užmùški « Ne tue pas ! » (Mažvydas, Cat. 19,8), par exemple. Comme le recours à une particule, la formation en -sk̑ e/o- doit répondre à un besoin d’expressivité. Chez Homère, βάσκ’ ἴθι /básk’ íthi/ (Il. 2,8) peut se traduire par « va donc, pars ! ». De même que βάσκω /báskō/ se définit comme forme marquée par rapport à βαίνω /baínō/, de même φάσκω /pháskō/ « je dis, j’affirme » par rapport à φηµί /phēmí/ « id. ». Des emplois homériques en font foi. Lorsque, dans l’Odyssée, Calypso narre à Hermès son aventure avec Ulysse, l’aède lui prête ces paroles : τὸν µὲν ἐγὼ φίλεόν τε καὶ ἔτρεφον, ἠδὲ ἔφασκον | θήσειν ἀθάνατον καὶ ἀγήραον ἤµατα πάντα « moi, je le reçus en ami, le nourris et lui dis que je le rendrais immortel et toujours jeune » (5,135-136). Dans ce contexte, φάσκειν /pháskein/ signifie « dire avec insistance » ou « dire à plusieurs reprises », car par cette promesse d’une insigne faveur la déesse cherche à retenir le héros. Avec ἔφασκον /éphaskon/ contraste ἐφάµην /ephámēn/ « je disais ». Cette forme se rencontre presque toujours à la
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suite d’un discours rapporté dans la formule ὣς ἐφάµην /hṑs ephámēn/ « ainsi disais-je ». Par cette formule le narrateur signale simplement comme siens les propos cités. Le caractère expressif de -sk̑ e/o- se manifeste dans son rôle de suffixe à valeur itérative. La langue épique et la prose d’Hérodote possèdent des imparfaits et des aoristes en -σκον /-skon/ se rapportant à une action répétitive 422. Cf., par exemple, µνάσκετο /mnásketo/, Od. 20,290 : µνάσκετ’ Ὀδυσσῆος δὴν οἰχοµένοιο δάµαρτα « (Ctésippos, l’un des prétendants) courtisait l’épouse d’Ulysse parti », c’est-à-dire lui faisait des avances réitérées. Les prétérits à sens itératif se caractérisent par l’absence d’augment. Au présent, la valeur du suffixe -sk̑ e/o- varie de cas en cas. Une idée de répétition se dégage du contexte dans un emploi homérique du verbe à redoublement κικλήσκειν /kiklḗskein/ « appeler ». Au début du chant IX de l’Iliade, les hérauts ont ordre de convoquer nominativement les membres de l’assemblée, autrement dit de les appeler à chaque fois par leur nom (κλήδην … κικλήσκειν : 9,11). De rares présents en -σκω /-skō/ mettent l’accent sur le début du procès. C’est le cas de γηράσκω /gēráskō/ « je vieillis » (Il. 2,663 ; etc.). Cet « inchoatif » rappelle des verbes latins comme ardēscere « se mettre à brûler ». En hittite, tout verbe admet en principe la formation d’un dérivé en -šk-. Ce doublet a généralement un sens itératif. À côté de pāi « il donne », par exemple, peškizzi signifie « il donne plusieurs fois ».
15.4.1.10. Les présents en *-ye/o15.4.1.10.1. Le type à degré zéro radical Avec les formes en -sk̑ e/o- les plus anciennes une classe de présents en -ye/o- a en commun le degré zéro radical. L’antiquité du type est établie par 422. Sur les itératifs en -σκον /-skon/, voir Chantraine 1958, p. 318-325 (§ 149-151).
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une série de correspondances. Sur le thème *mr̥ -ye/o- (*mr-ie-, *mr-iye-) de la racine *mer- « mourir », par exemple, sont construits véd. mriyáte « il meurt », av. miriiete « id. » et lat. morior « je meurs ». En grec, le phonème y s’amuït entre voyelles, tandis que les groupes consonne + y donnent lieu à des traitements divers. C’est pourquoi les présents en -ye/o- y prennent une forme nouvelle. De la racine *sk̑ heid- /*sk̑ hid- « fendre », par exemple, *σχίδ-yω /skhíd-yō/ donne σχίζω /skhízō/ « je fends ». Cf. véd. chidyáte « il
est coupé ». Dans le cas de *mn̥ -yé-, de *men- « penser », le reflet grec présente une métathèse : µαίνοµαι /maínomai/ « je suis furieux, je déraisonne ». Cf. véd. mányate « il pense ». À partir d’un fonds ancien, le type connaît un développement important dans les langues historiques.
15.4.1.10.2. Le type à degré plein radical À côté des présents en -ye/o- à degré zéro radical se rencontre une classe de formes à suffixe identique, mais à degré plein radical. Des rapprochements de langue à langue en garantissent l’origine indo-européenne. Compte parmi les faits probants l’équation véd. páśyāmi « je regarde, j’observe » = gr. σκέπτοµαι /sképtomai/ < *σκέπyοµαι /sképyomai/ < *σπεκyοµαι /spekyomai/ « id. » = lat. speciō « id. » (i.-e. *spék̑ -ye/o-). La correspondance des présents formés sur la racine *leh2- « aboyer » appartient aussi au dossier : véd. rā́ yati « il aboie », lit. lóju « j’aboie », v. sl. lajǫ « id. », gr. λαίειν · φθέγγεσθαι /laíein : phthéŋgesthai/ (Hesychius) « retentir », etc. (i.-e. *leh2ye/o-). Offrent un exemple analogue les représentants de i.-e. *seh1-ye/o- : got. saian « semer », lit. sė́ ju « je sème », v. sl. sějǫ « id. ». De ces faits se distinguent des présents en -ye/o- propres à une seule langue ou à un seul groupe. Cf., par exemple, i.-e. *keh2-ye/o-, attesté seulement en indoiranien : véd. kā́ yamāna- « trouvant sa joie (dans qqch.) » (RV 3,9,2), gāth. kaiiā « je me réjouis » (Y. 33,6).
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15.4.1.10.3. Le type dénominatif Le suffixe -ye/o- joue un rôle important dans la formation de verbes dénominatifs. Le procédé remonte à l’indo-européen, si des formes comme véd. priyā-ya-te « il se lie d’amitié » et v. sl. prija-jǫ « j’accorde mon appui, je prends soin » se correspondent par le fait d’une origine commune, plutôt qu’en raison de développements parallèles, mais indépendants 423. Quoi qu’il en soit, ce type de présent connaît une grande fortune dans les langues historiques. Le suffixe s’attache à différents thèmes nominaux. En védique, le nom thématique amítra- « ennemi », par exemple, se double d’un verbe amitra-yá- « être hostile ». Sur le féminin pŕ̥tanā- « combat » se constitue de même pr̥ tanā-yá- « être agressif ». Le nom du « sage », kaví-, sert de base à kavī-yá- « se comporter en sage, être sage ». Du thème en -uśátru- « ennemi » dérive śatrū-yá- « être hostile ». Enfin, à côté d’une forme nominale en consonne, existe, le cas échéant, un dénominatif en -ya- : type bhiṣaj-yá- « guérir », de bhiṣáj- « médecin ». Le grec a des faits parallèles, mais le traitement phonétique de -ye/oaltère la forme de ces présents. Des exemples du type se rencontrent déjà chez Homère. L’initiale -y- du suffixe ne laisse pas de trace dans les verbes en *-έ-yω /-é-yō/, *-ά-yω /-á-yō/, *-ό-yω /-ó-yō/ : οἰκέω /oikéō/ > οἰκῶ /oikô/
« j’habite » (οἶκος /oîkos/ « maison »), ὁρµάοµαι /hormáomai/ > ὁρµῶµαι /hormômai/ « je m’élance » (ὁρµή /hormḗ/, dor. ὁρµᾱ́ /hormā́ / « assaut, élan »), βιόω /bióō/ > βιῶ /biô/ « je vis » (βίος /bíos/ « vie »). Dans les dérivés de thèmes nominaux en consonne, y ne subsiste pas davantage et les groupes occlusive + y se transforment avant les premiers textes : *-py- > -pt-, *-ty- > -ss- (att. -tt-), *-ky- > -ss- (att. -tt-), *-dy- > -dz-, -zz-, *-gy- > -dz-, 423. M. Mayrhofer fait de priyā-ya- un dérivé du présent prīṇā́ ti « il réjouit, il fait plaisir » pour *prĭṇā́ ti, moyennant un point de départ *pri(i̯ )-n̥ -H-i̯ é- (EWAia II 190), mais les auteurs de l’article *prei̯ H- du LIV préfèrent y voir, à juste titre selon nous, un dénominatif de priyá- « cher » (p. 490, n. 2).
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-zz-. Les traitements *-ky- > -ss- et *-dy- > -dz-, -zz-, par exemple, s’observent respectivement dans hom. φυλάσσω /phulássō/ « je monte la garde, je garde » (φύλαξ /phúlaks/, thème φύλακ- /phúlak-/, « garde, gardien ») et hom. ἐρίζω /erízō/ « je me querelle, je lutte contre » (ἔρις /éris/, thème ἔριδ- /érid-/, « querelle, lutte »). Comme en grec, la semi-voyelle y disparaît entre voyelles en latin. Le dénominatif *albeyō se réduit donc à albeō « je suis blanc » (albus « blanc ») et *koisāyō à *cūraō > cūrō « je prends soin, je soigne » (*koisā > cūra « soin »). Du thème en -i- sitis f. « soif » le dérivé *siti-yō se change régulièrement en sitiō « j’ai soif ». Le suffixe -yo- se retrouve à la 3e personne pl. (*siti-yo-nt(i) > sitiunt), mais sa voyelle thématique manque ailleurs. Les formes sitīs, *sitīt > sitit, sitīmus, sitītis remontent, semble-t-il, à *siti-y-s(i), *siti-y-t(i), *siti-y-mos, *siti-y-tes. Dans ce paradigme, l’alternance -yo-/-y- ne se comprend guère 424. Se conjuguent de la même manière des dérivés de thèmes nominaux en consonne : type custōdiō, -īs, -it, -īmus, -ītis, -iunt, inf. custōdīre « garder, protéger » (custōs « garde, gardien, protecteur »). Dans les formes *custōd-yō, *custōd-yo-nt(i), le groupe -dydonne lieu au développement d’une voyelle d’appui. En résultent *custōdiyō, *custōdiyont(i). Au stade suivant, y intervocalique s’amuït et o en syllabe finale fermée passe à u. D’où custōdiō, custōdiunt. Les autres formes, inexplicables par l’évolution phonétique, sont analogiques du type sitiō.
15.4.2. L’aoriste 15.4.2.1. L’aoriste radical athématique Comme dans l’expression du présent(-imparfait), la structure radicale athématique se rencontre dans l’expression de l’aoriste. Le type se caractérise 424. Discussion du problème chez Meiser 1998, p. 195-196.
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par une alternance vocalique : le degré plein s’observe au singulier de l’indicatif et du subjonctif actifs, le degré zéro dans le reste du paradigme. Valable pour l’indo-européen, cette opposition se conserve sporadiquement en védique et en grec. De la racine gam- (< i.-e. *gwem-) « aller, venir », par exemple, le R̥ gveda présente le degré plein dans 3e sg. á-gan (< *á-gam-t) « il est allé (venu) », le degré zéro dans 3e pl. á-gm-an « ils sont allés (venus) ». Cf. á-kar « il a fait » / á-kr-an « ils ont fait » (racine kar- « faire »). La forme á-kar s’oppose aussi, par l’alternance radicale, au moyen correspondant a-kr̥ -ta, propr. « il s’est fait ». La dernière forme se lit, par exemple, dans la phrase várṣiṣṭham akr̥ ta śrávaḥ « il s’est acquis (littéralt « il s’est fait ») la gloire la plus haute » (RV 8,46,24). À côté de ces faits archaïques se forment des paradigmes nouveaux par extension du degré plein au duel et aux 1re et 2e personnes du pluriel de l’actif. En offre un exemple l’aoriste de dā- « donner » (< i.-e. *deh3-) : sg. ádām, ádāḥ, ádāt ; duel ádāva, ádātam, ádātām ; pl. ádāma, ádāta, áduḥ. L’alternance se maintient, en revanche, dans l’opposition d’une forme active à une forme moyenne. Cf. ádāt / ádita (< i.-e. *e-deh3-t / *e-dh3-to). En grec, le verbe « donner » comporte encore le degré zéro radical au pluriel de l’aoriste actif : 1re pl. ind. ἔδο-µεν /é-do-men/ (i.-e. *e-dh3-me). Par contre, la racine *steh2- « se tenir (debout) » fournit un paradigme sans alternance. En effet, le degré plein figure aussi bien dans 1re pl. στῆµεν /stêmen/ (Il. 11,777) que dans 1re sg. στῆν /stên/ (Il. 11,744) et dans les variantes ἔστηµεν /éstēmen/ (Hérodote 9,21 ; etc.) et ἔστην /éstēn/ (Od. 10,97 ; etc.). Comme en védique, les formes moyennes de l’aoriste radical reposent en principe sur le degré zéro. À véd. ádita (cf. supra) répond gr. -έδοτο /-édoto/ (i.-e. *e-dh3-to) dans ἀπέδοτο /apédoto/« il vendit » (Hérodote 7,156 ; etc.). Présentent la même structure des données homériques avec ou sans augment : ἔσσυτο /éssuto/ « il s’élança » (prés. σεύοµαι /seúomai/), λύτο (γούνατα) /lúto (goúnata)/
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« (les genoux) se relâchèrent » (prés. λύω /lúō/), χύτο /khúto/ « il se répandit » (prés. χέω /khéō/).
15.4.2.2. L’aoriste radical thématique De l’aoriste radical athématique procède un type important en védique et en grec : l’aoriste radical thématique. La filiation se conçoit sans peine à partir des formes de la racine *derk̑ - « voir, regarder », par exemple. En effet, à côté de l’usuel ἔδρακον /édrakon/ « je vis, j’ai vu », thématique, le grec conserve le participe résiduel δρακείς /drakeís/ (δρακέντ- /draként-/) « ayant vu », athématique. Le terme figure chez Pindare : … οὐ φάος … δρακέντες « n’ayant pas vu la lumière » (Ném. 7,3). Témoigne également de l’ancien aoriste athématique une forme védique comme á-darś-i « il a été vu » (RV 1,136,2). La 3e personne pl. ind. actif fournit peut-être le point de départ de la thématisation : la finale de i.-e. *e-dr̥ k̑ -ont (> véd. ádr̥ śan « ils ont vu ») a pu être réinterprétée comme la somme de -o- (voyelle thématique) + -nt (désinence au degré zéro). D’où le thème *e-dr̥ k̑ -o/e-, base du paradigme de gr. ἔδρακον /édrakon/, ἔδρακε /édrake/. Ce type connaît une grande fortune en védique et surtout en grec. Or, de l’ensemble des formes ne se dégage qu’une seule correspondance sûre : véd. á-vid-a-t « il a trouvé » = gr. *ἔ-ϝιδ-ε /é-wid-e/ > εἶδε /eîde/ « il vit, il a vu » (sans augment : myc. -wi-de /-wide/ « il inspecta », hom. ἴδε /íde/ « il vit, il a vu » ; racine *weid- « voir, apercevoir »). C’est le signe d’un développement relativement récent et probablement postérieur à la période de l’unité indo-européenne 425. Néanmoins, les données indiennes et grecques obéissent aux mêmes règles de formation. La racine se présente généralement au degré zéro. À véd. á-vid-a-t s’ajoutent á-gr̥ dh-a-t « il a désiré » (rac. *gweldh-), á-muc-a-t « il a détaché » (rac. *meuk-), á-ruh-a-t « il est monté 425. Voir, en particulier, Watkins 1969, p. 63-64 (§ 43) et LIV, p. 20.
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sur » (rac. *h1leudh-), etc. En grec, avec ἔδρακε /édrake/ et εἶδε (ἴδε) /eîde (íde)/ se rangent ἔ-λιπ-ε, λίπ-ε /é-lip-e, lípe/ « il laissa, délaissa » (rac. *leikw-), ἔ-φυγ-ε, φύγ-ε /é-phug-e, phúg-e/ « il a fui, il s’est enfui » (rac. *bheug-), ἔ-τραπ-ε /é-trap-e/ « il tourna, détourna, tourna le dos » (rac. *trep-), etc.
Font souvent l’objet d’une mention particulière en raison du vocalisme o de leurs radicaux les aoristes ἔ-µολ-ε /é-mol-e/ « il est venu » (hom. µολών, µολόντ- /molṓn, molónt-/ « étant venu » ; rac. *melh3-), ἔ-πορ-ε, πόρ-ε /épor-e, pór-e/ « il procura » (rac. *perh3-), ἔ-θορ-ε, θόρ-ε /é-thor-e, thór-e/ « il bondit, sauta » (rac. *dherh3-) 426. En réalité, ces formes rentrent dans le cas général. Les trois verbes ont en commun une racine en liquide + laryngale et appartiennent à la langue homérique. Dans ces conditions, le traitement éolien ολ, ορ des sonantes *l̥ , *r̥ nous paraît admissible. Il y a donc lieu de poser, à notre avis, *e-ml̥ h3-e > ἔ-µολ-ε /é-mol-e/, *e-pr̥ h3-e > ἔ-πορ-ε /épor-e/, *e-dhr̥ h3-e > ἔ-θορ-ε /é-thor-e/ 427. Cependant, les aoristes thématiques ne s’expliquent pas tous à partir d’une forme à degré zéro radical. De *peth1- « tomber », par exemple, le grec a l’aoriste dor. ἔ-πετ-ον /é-pet-on/ (ion.-att. ἔ-πεσ-ον /é-pes-on/) « il tomba », avec le degré e de la racine 428. Quoique moins fidèlement que l’indo-iranien et le grec, le slave conserve des aoristes issus de l’ancien type radical thématique. En offre un exemple la forme v. sl. padŭ « je tombai » (inf. pasti). La désinence -ŭ remonte à -o-m et pad- se rattache à la racine *ped-, mais son vocalisme (a < *ō) n’est pas ancien. La marque -e de 2e et 3e sg. pade repose sur -e-s, -e-t. D’emploi
426. Ainsi Chantraine 1964, p. 172, § 195. 427. Otto Lindeman part d’un aoriste athématique du type *émelh3-t > *émelo. D’où émole par métathèse (Lindeman 1997, p. 64, § 36). 428. Autres exemples chez Chantraine 1964, p. 173, § 195.
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fréquent, la 3e personne se rencontre en Marc 5,22, par exemple : i viděvŭ i pade na nogu ego « et, l’ayant vu, il tomba à ses pieds ».
15.4.2.3. L’aoriste à redoublement L’aoriste radical thématique comprend des formes à redoublement. La consonne redoublée s’attache normalement à une voyelle de timbre e et la racine se présente, en principe, au degré zéro. L’indo-iranien et le grec en ont des exemples, mais ces faits ne se correspondent qu’exceptionnellement. L’équation la plus remarquable a pour termes véd. ávocat « il a dit » et gr. hom. ἔειπε /éeipe/ « il dit (parla) ». À la suite de l’augment, véd. vocat repose sur *va-uc-at et gr. -ειπε /-eipe/ sur *ϝε-υπ-ε /we-up-e/ (> *ϝειπ-ε /we-ip-e/ par dissimilation), reflets de i.-e. *(e)-we-ukw-e-t (rac. *wekw-). L’accord des formes se double d’une concordance au niveau
syntaxique. En effet, une dizaine de fois dans le R̥ gveda et très fréquemment chez Homère, l’aoriste de ce verbe « dire » introduit un discours rapporté. La phrase de RV 8,101,15 illustre le style direct : prá nú vocaṃ cikitúṣe jánāya : mā́ gā́ m ánāgām áditiṃ vadhiṣṭa « maintenant je préviens (par ces mots) les gens raisonnables : ne tuez pas la vache inoffensive Aditi ! » 429. Dans un passage homérique, le verbe πρό … εἶπον /pró … eîpon/, équivalent de véd. prá … (a)vocam, se construit avec un discours indirect : πρό οἱ εἴποµεν ἡµεῖς … µήτ’ αὐτὸν κτείνειν µήτε µνάασθαι ἄκοιτιν « nous l’avons averti … de ne pas le tuer et de ne pas courtiser son épouse » (Od. 1,37-39). La comparaison des deux énoncés montre encore l’emploi de la même particule prohibitive : véd. mā́ et gr. µή(τε) /mḗ(te)/. Comme dans le cas de *wekw-, le type à redoublement semble ancien à l’aoriste de *gwhen- « tuer ». Il y a lieu de poser *gwhe-gwhne/o- sur la base de
429. Sur la valeur de l’injonctif prá … vócam, voir Hoffmann 1967, p. 251-252.
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la correspondance entre av. (auua-)jaγnat̰ « tua » (Yt 13,105) et gr. πέφνε /péphne/« id. » (Il. 13,363 ; etc.). Appartiennent ensuite au dossier des formes propres à une seule langue. De la racine *pet- « voler » le védique procure l’aoriste (a)papta- : úd apaptad asáu sū́ ryaḥ purú víśvāni jū́ r(u)van « Ce soleil s’est élevé (littéralt a volé vers le haut), consumant absolument tout » (RV 1,191,9). Le rapport de apapta(t) au présent páta(ti) se retrouve identique dans l’opposition de l’aoriste grec ἐκέκλε(το) /ekékle(to)/ « il pressa » et du présent κέλε(ται) /kéle(tai)/ « il presse ». Lorsque le type à redoublement coexiste avec une autre formation d’aoriste, sa valeur est souvent causative. En offrent un exemple les formes actives de λελαθε/ο- /lelathe/o-/ « faire oublier ». La 3e personne pl. se présente en Il. 2,600 : À leur rival Thamyris de Thrace les Muses « firent oublier le jeu de la cithare » (… ἐκλέλαθον κιθαριστύν /… eklélathon kitharistún/). Cf. la 3e personne sg. subj. λελάθῃ /leláthēi/ « qu’il fasse oublier » (Il. 15,60). En revanche, l’aoriste radical athématique non redoublé du verbe λανθάνω /lanthánō/ a, au moyen, le sens d’ « oublier ». Homère emploie la formule οὐδ’ ἐλάθοντο | ἀλκῆς « ils n’oublièrent pas leur force défensive » (Il. 13,835-836). Cf. les variantes λάθοντο δὲ θούριδος ἀλκῆς « ils oublièrent leur force impétueuse » (Il. 15,322 et 16,357) et οὐδ(ὲ) … ἀλκῆς ἐξελάθοντο (Il. 16,601-602). Sauf dans le cas de (a)vocat et de (a)paptat (cf. supra), l’aoriste védique à redoublement a normalement un sens causatif, en accord avec une partie des faits grecs. Au niveau morphologique, en revanche, le type indien se distingue en principe par le vocalisme ī̆ ou ū̆ du redoublement. La racine se présente soit au degré zéro, soit au degré plein. Si le radical comporte un u, le redoublement est en ū̆, sinon en ī̆. La quantité de la voyelle dépend du contexte phonétique : devant une consonne simple s’observe ū et ī, devant
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un groupe de consonnes resp. ŭ et ĭ. Ces différentes conditions se réalisent dans de nombreux exemples. Sur la racine *bheudh-/*bhudh- « être éveillé », entre autres, se construit véd. a-bū-budh-a-t « il a réveillé ». Cf. RV 1,161,13 : ká idáṃ no abūbudhat? « (Les R̥ bhu demandaient :) qui donc nous a réveillés ? ». À cette forme causative s’oppose l’intransitif a-bodh-i « il (elle) s’est réveillé(e) ». Conformément à la règle, le redoublement de l’aoriste á-cu-krudh-a-t « il a mis en colère, il a fâché » comporte une voyelle brève en raison de l’initiale complexe de la racine. Les mêmes faits prosodiques expliquent la répartition de ī et ĭ dans des formes comme a-rīram-a-t « il a mis au repos » (rac. ram- « être au repos, se reposer ») et siṣvap-o (= si-ṣvap-aḥ) « tu as fait dormir » (rac. svap- « dormir »).
15.4.2.4. L’aoriste sigmatique Le type d’aoriste le plus productif se caractérise par une marque prédésinentielle -s- : c’est l’aoriste dit « sigmatique ». Son extension en indoiranien, en slave, en grec et, quoiqu’indirectement, en latin en assure l’origine indo-européenne. Sauf exceptionnellement en grec homérique et en indo-aryen, la formation présente une structure athématique. En védique, l’élément -s- élargit la racine au degré long à l’indicatif / injonctif actif, au degré zéro ou au degré plein à l’indicatif / injonctif moyen. Ce thème sigmatique reçoit les désinences secondaires au singulier et aux 1re et 2e personnes pl., mais le morphème -ur (-uḥ) du parfait à la 3e personne pl. de la voix active. Les formes en -m, -s, -t du singulier actif subissent des changements phonétiques ou analogiques. À la 1re personne sg., la réalisation vocalique de -m à la suite de -s- (-s-m̥ ) donne régulièrement -a (-sa), puis l’analogie du type á-vid-a-m « j’ai trouvé » entraîne la réfection de -s-a en -s-a-m. Ce traitement s’observe dans abhārṣam « j’ai apporté », par
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exemple 430. Cf. RV 10,137,4 : dákṣam te bhadrám ā́ bhārṣam (= ā́ abhārṣam) « je t’ai apporté la force salutaire ». Aux 2e et 3e personnes sg., l’accumulation des consonnes finales se résout par une simplification au profit de la consonne radicale : *abhārṣ-s et *abhārṣ-t se réduisent à abhār. Dans la prose védique, la langue remédie à la confusion des deux formes par l’insertion de ī entre le suffixe et la désinence ; d’où les doublets abhārṣ-ī-ḥ, resp. abhārṣ-ī-t. Les marques du duel (2e pers. -tam, 3e pers. -tām) et du pluriel (1re pers. -ma, 2e pers. -ta, 3e pers. -ur), de nature syllabique, n’altèrent pas la forme du thème. Le védique procure, par exemple, abhārṣṭām « (les deux) ont apporté » (Vājasaneyi-Saṃhitā). Sur l’aoriste bhai-ṣ- (de bhī- « avoir peur ») se construisent á-bhai-ṣ-ma « nous avons eu peur » (RV 8,47,18) et á-bhai-ṣ-uḥ « ils ont eu peur » (RV 8,48,11) 431. Le thème parallèle nai-ṣ- (de nī- « conduire ») reçoit la désinence de la 2e personne pl. dans l’injonctif nai-ṣ-ṭa de l’énoncé prohibitif mā́ … naiṣṭa « ne conduisez pas ! » (RV 8,30,3) 432. Au moyen, la répartition entre le degré plein et le degré zéro de la racine dépend de sa structure phonique : le degré plein se rencontre dans les formes en -ī̆ et en -u, le degré zéro généralement dans les autres configurations. Cf. a-neṣ-ata « ils ont mené » (rac. nī-) et a-hr̥ ṣ-ata « ils ont emporté » (rac. hr̥ - « prendre ») en RV 10,155,5 433. Le slave conserve, à quelques modifications près, le type de l’aoriste sigmatique. Les traits distinctifs de cette forme, degré long radical et élargissement -s-, se présentent dans věsŭ « je conduisis », par exemple. Le thème věs- repose sur *vēd-s- (cf. prés. vedǫ). Ont encore une structure athématique les 2e et 3e personnes duel věs-ta, věs-te et les 2e et 3e personnes pl. věs-te, věs-ę. En revanche, la voyelle thématique o s’introduit dans 430. Cette forme d’aoriste de la racine bhr̥ - « porter, apporter » ne semble pas très ancienne. Cf. Narten 1964, p. 183. 431. Sur l’aoriste sigmatique de bhī- « craindre », voir Narten 1964, p. 180-182. 432. Sur l’aoriste sigmatique de nī- « conduire », voir Narten 1964, p. 162-164. 433. Sur l’aoriste sigmatique de hr̥ - « prendre », voir Narten 1964, p. 289-290.
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la 1re personne duel věs-o-vě et dans la 1re personne pl. věs-o-mŭ par analogie avec pad-o-vě et pad-o-mŭ du type padŭ (cf. § 15.4.2.2). Enfin, l’influence du type thématique produit l’élimination des anciennes formes de 2e et 3e personnes sg. au profit de vede, asigmatique et pourvu de la finale -e de pad-e (cf. § 15.4.2.2). De l’aoriste en -sŭ l’aoriste en -xŭ (x note [χ]) de rěxŭ « j’ai dit », par exemple, n’est qu’une variante phonétique. Le présent de ce verbe, rekǫ « je dis », repose sur une racine *rek-. Or, dans la préhistoire du slave, k conditionne le changement d’une sifflante suivante en š (sauf devant occlusive). En résulte le thème d’aoriste *rēk-š-. Puis, le groupe kš passe à kx > x : 1re sg. *rěkxŭ > rěxŭ. Mais, devant voyelle antérieure, kš se simplifie en š : 3e pl. *rěkšę > rěšę. Le double traitement rappelle l’alternance consonantique [χ] : [ç] de l’allemand (ex. : Fach [faχ] : Fächer [fεçər]. À la 2e personne pl., l’occlusive dentale de -te préserve l’articulation sifflante et *rěkste se réduit à rěste. En grec, l’aoriste sigmatique connaît une grande fortune, mais la flexion obéit à des règles nouvelles. En ce qui concerne le radical, sa forme ne comporte plus un degré long de l’actif en alternance avec un degré plein ou zéro du moyen. De plus, présent et aoriste ont en principe le même vocalisme. Cf. τρέφω /tréphō/ < *θρέφω /thréphō/« je nourris » / ἔθρεψα /éthrepsa/ « j’ai nourri », par exemple. Cependant, ἔτεισα /éteisa/ et ἔφθεισα /éphtheisa/ s’articulent aux présents τί-ν-ω /tí-n-ō/ « payer, expier », moy. « faire payer, châtier » et φθί-ν-ω /phthí-n-ō/ « se consumer, dépérir, mourir ». L’aoriste ἔτεισα /éteisa/ garde peut-être la trace du degré long radical, car la diphtongue longue d’une forme indo-européenne *e-kwēi-s-m̥ s’abrégeait régulièrement par l’effet de la loi d’Osthoff 434. Entre -kwēi- et -m̥ , comme plus généralement entre voyelles, la sifflante s’affaiblissait en h, puis disparaissait complètement. Sa présence dans ἔτεισα /éteisa/ s’explique par une 434. Pour ce verbe les données comparatives invitent à poser une racine *kwei- (voir LIV, p. 379-380).
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restauration analogique. Au niveau des désinences, la marque -a < -m̥ de la 1re personne sg. a été déterminante pour la constitution du paradigme, parce que cette voyelle s’est étendue à la 2e personne sg. et à tout le pluriel. De là tirent leur origine les finales caractéristiques -σ-α-ς /-s-a-s/, -σ-α-µεν /-s-amen/, -σ-α-τε /-s-a-te/, -σ-α-ν /-s-a-n/. À la 3e personne sg., -σ-ε /-s-e/ (cf. ἔτει-σ-ε /étei-s-e/) doit son -ε /-e/, semble-t-il, à l’influence analogique du type εἶδ-ε /eîd-e/ « il vit, il a vu » ou du parfait (cf. γέ-γραφ-ε /gé-graph-e/ « il a écrit », par exemple). Plus que par ses désinences l’aoriste sigmatique se signale par son élargissement (-s-) ; mais, dans les verbes à radicaux en r, l, m ou n, l’élément -s- s’amuït généralement et s’ensuit une sonante géminée (en lesbien et en thessalien) ou un allongement compensatoire. Cf. ἐπέκριννε /epékrinne/ « il décida » (IG XII,2 6 Lesbos) vs ἔκρῑνε /ékrīne/ « (la Pythie) décida, trancha » (Hérodote 6,66), de κρῑ́νω /krī́nō/. Exceptionnellement, toutefois, s se maintient derrière une sonante : ἔκερσεν /ékersen/ « il trancha » (Il. 13,546), en concurrence avec ἔκειρε /ékeire/ « il coupa » (Hérodote 6,75) 435. En tant que catégorie sémantique, l’aoriste n’existe plus en latin, mais des traits morphologiques du parfait en proviennent. Une origine aoristique concerne, en particulier, le parfait sigmatique. Une forme comme lat. uēxī « j’ai transporté » repose sur le thème *wēg̑ h-s- tout comme l’injonctif aoriste védique vākṣīt de l’énoncé prohibitif mā́ vākṣīt « il ne doit pas transporter » (AV 5,8,3).
15.4.3. Le parfait Si la conjugaison latine s’organise autour de l’opposition binaire infectum / perfectum, le système verbal indo-européen met en œuvre trois termes : le présent, l’aoriste et le parfait. Ces catégories aspecto-temporelles ne se 435. La graphie ei note e long fermé (ē ̣).
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trouvent pas sur le même plan, car le présent et l’aoriste constituent un sous-système et s’opposent ensemble au parfait (cf. § 15.2.3). L’isolement du parfait se constate aussi sous le rapport de la diathèse. À l’origine, en effet, le parfait ne relève ni de l’actif, ni du moyen, mais de la voix appelée « stative », parce qu’il a pour fonction d’exprimer l’état atteint par le sujet au terme du procès. Ainsi s’explique son jeu de désinences propres : 1re sg. *-h2e, 2e sg. *-th2e, 3e sg. *-e, d’où resp. gr. -α, -θα, -ε /-a, -tha, -e/ et skr. -a, -tha, -a. Ces éléments se dégagent de la correspondance entre gr. οἶδα /oîda/ « je sais », οἶσθα /oîstha/, οἶδε /oîde/ et skr. véda « je connais », véttha, véda. À la différence de ce verbe archaïque, les formes de parfait comportent généralement un redoublement. Antéposé, ce morphème se compose en principe de la consonne initiale de la racine et d’une voyelle de timbre e. Avec ce vocalisme contraste le degré o radical aux trois personnes du singulier. Les faits se ramènent normalement au schéma C1e-C1oC2-. Cf., de la racine *men- « penser », gr. µέ-µον-ε /mé-mon-e/ « il a en tête, il désire ». En sanskrit, il y a neutralisation des timbres vocaliques au profit de a, mais, en syllabe ouverte, un ancien o a pour représentant ā long (loi de Brugmann). C’est pourquoi i.-e. *gwe-gwom-e (de *gwem- « aller, venir ») aboutit à véd. jagāma « il est venu ». La différence de timbre entre la voyelle du redoublement et la voyelle radicale dans la forme préhistorique laisse une trace indirecte dans le consonantisme du représentant védique : la variation j/g s’explique par des traitements distincts de g (< *gw) devant e (palatalisation) et devant o (maintien de l’articulation vélaire). Au pluriel, le parfait, redoublé ou non, présente, à l’origine, le degré zéro radical. En offrent un exemple hom. ἴδ-µεν /íd-men/ « nous savons » et véd. vid-má « nous connaissons » vs οἶδ-α /oîd-a/, resp. véd-a (cf. supra). De même, la forme à redoublement µέ-µα-µεν /mé-ma-men/ (< *me-mn̥ -men) « nous
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désirons, avons envie » (Il. 9,641 et 15,105) se caractérise par le degré zéro de la racine et s’oppose à µέ-µον-α /mé-mon-a/ « je désire ». En védique, la structure C1e-C1C2- s’observe dans pa-pt-úr « ils ont volé », par exemple (vs pa-pāt-a « il a volé »). Lorsqu’un verbe possède un parfait moyen, cette forme comporte généralement le degré zéro radical. Ainsi, de χέω /khéō/ (< *χέϝ-ω /khéw-ō/) « je verse, je répands » la langue homérique procure, à côté de l’aoriste ἔ-χευα /é-kheu-a/, le parfait κέ-χυ-ται /ké-khu-tai/ « elle a été répandue » (en parl. de la neige), de sens passif (Il. 12,284). En védique, se rencontrent des faits comparables. L’actif ta-tān-a « il a étendu » ou « il s’est étendu », par exemple, se double du moyen (ví) ta-tn-e « il a fixé (en étendant) » (RV 10,130,2). En grec, la forme de degré zéro renferme, le cas échéant, une voyelle ă < i.-e. *h2. Cette voyelle alterne avec ā long. Cf., par exemple, ἕστᾰ-µεν /hé-stă-men/ « nous sommes placés, nous restons » vs dor. ἕ-στᾱκα /hé-stā-ka/, ion.-att. ἕ-στη-κα /hé-stē-ka/, « je me tiens (debout) ». La forme du pluriel est ancienne et correspond à véd. ta-sthi-ma « nous nous sommes placés, nous nous tenons (debout) », mais la forme du singulier a l’aspect d’une création relativement récente. D’une part, le radical -στᾱrepose sur *-steh2- et n’a donc pas le vocalisme o attendu ; d’autre part, l’élargissement -κ- /-k-/ prédésinentiel est une innovation. Homère n’en connaît pas encore le plein développement 436. À l’époque classique, en revanche, cet élément devient une caractéristique majeure du parfait. Son expansion est directement observable dans le cas du verbe φύοµαι /phúomai/ « je croîs, je pousse », par exemple. Dans l’Iliade, l’élargissement -κ- /-k-/ apparaît à la 3e personne sg. du parfait, mais ne figure pas à la 3e personne pl. S’opposent ainsi 3e sg. subj. πεφῡ́ κῃ /pephū́ kēi/ « il aurait poussé » et 3e
436. Voir Y. Duhoux 1992, p. 392-394, § 324.
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pl. ind. πεφύᾱσι /pephúāsi/ « ils ont poussé », en 4,483-484 437 : ἥ ῥά τ’ ἐν εἱαµενῇ ἕλεος µεγάλοιο πεφύκῃ | λείη, ἀτάρ τέ οἱ ὄζοι ἐπ’ ἀκροτάτῃ πεφύασι « (peuplier) qui aurait poussé dans une vaste prairie marécageuse ; ‹il est› lisse, mais des rameaux ont poussé sur sa cime ». Si πεφύασι /pephúasi/ se lit également chez Hésiode, Théog. 728, et dans l’Hymne à Hermès 125, la forme plus récente πεφύκασι /pephúkasi/ se rencontre déjà dans l’Odyssée (7,114). La 1re personne pl., attestée depuis Eschyle (Sept 1031), a toujours pour expression πεφύκαµεν /pephúkamen/ « nous sommes nés ». La réfection d’une ancienne forme *πέφυµεν /péphumen/ se réalise par l’insertion de -κα- /-ka-/ entre le radical et la désinence sur le modèle de la 1re personne sg. πέφυκα /péphuka/. Le renouvellement du paradigme ne s’opère donc pas seulement par la généralisation de -κ- /-k-/, mais aussi par l’extension de α /a/. Cette voyelle figure aussi dans πέφυκας /péphukas/ « tu es (par nature) », où -s remplace l’ancienne désinence -tha < i.-e. *-th2e (cf. οἶσθα /oîs-tha/ « tu sais » et véd. vét-tha « tu connais »). Ainsi, les finales des formes de parfait se modifient au cours de l’histoire du grec. Par ailleurs, le radical n’est pas à l’abri du changement : à l’actif, l’alternance du degré o et du degré zéro disparaît en dehors de faits résiduels. Un nivellement se produit au profit du vocalisme o. Le radical πονθ- /ponth-/ de πέπονθα /pépontha/ « j’éprouve, je souffre », par exemple, s’implante au pluriel. Cf. πεπόνθαµεν /pepónthamen/ « nous éprouvons, subissons » (Aristophane, Lys. 714 ; etc.) et εὖ πεπόνθατε /eû pepónthate/ « vous vous trouvez bien » (ibid. 1146 ; etc.). Mais Homère a encore, semble-t-il, πέπασθε /pépasthe/ (< *πεπαθ-τε /pepath-te/ < i.-e. *pe-pn̥ th-te) « vous éprouvez, souffrez » (Il. 3, 99) 438. Cf. πάσχω /páskhō/ « je ressens ».
437. πεφῡ́ κῃ /pephū́ kēi/ est une correction ; la tradition a πεφύκει /pephúkei/ Eustathe et πέφυκε /péphuke/ G (cf. éd. P. Mazon). 438. πέπασθε /pépasthe/ est la leçon d’Aristarque ; les manuscrits ont πέποσθε /péposthe/. Voir éd. P. Mazon.
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15.4.3.1. Vocalisme du redoublement Le redoublement du parfait appelle quelques remarques. Sa forme se compose, en principe, d’une consonne identique à l’initiale de la racine et de la voyelle ĕ. Exceptionnellement, cependant, se rencontre ē. Homère en offre peut-être un exemple, si δειδέχατ(ο) /deidékhat(o)/, plus-que-parfait de δέχοµαι /dékhomai/ « je reçois », recouvre *δηδέχατ(ο) /dēdékhat(o)/ « ils accueillaient » (Il. 22,435 ; etc.) 439. En tout cas, le redoublement long est bien attesté en védique, où il apparaît dans une trentaine de verbes. En procurent une illustration nā-nām-a « il s’est incliné » (RV 1,48,8 ; etc.), dā-dhā́ r-a « il a soutenu » (RV 1,67,5 ; etc.), vā-vā́ n-a « il a gagné » (RV 6,23,5 ; etc.). Voyelle brève et voyelle longue se concurrencent dans la première syllabe du parfait de vart-/vr̥ t- « tourner, rouler » : (ā́ ) vavárta « il a tourné (de ce côté-ci) » (RV 6,63,1) / vāvárta « elle s’est tournée » (RV 10,93,13). En sanskrit et en latin 440, le vocalisme du redoublement tend à s’assimiler au vocalisme des radicaux comportant les phonèmes i ou u. En témoigne, entre autres, le parfait de véd. viś- (< i.-e. *wik̑ -) « entrer, pénétrer » : 3e pl. viviśuḥ « ils sont entrés ». De même, le parfait de véd. śru- (< i.-e. *k̑ lu-) « entendre » ne redouble pas seulement la consonne initiale de la racine, mais aussi sa voyelle. Cf. 3e sg. médio-passif śuśruve « il a été entendu, il est renommé ». En latin, le parfait de scindō « je fends, coupe » présente un redoublement en i : scicidī « j’ai fendu, tranché ». Parallèlement, au présent pungō « je pique » se rattache le parfait pupugī « j’ai piqué ». Toutefois, la répétition des voyelles radicales i ou u dans le redoublement souffre des exceptions. Véd. babhū́ va « il est devenu, il est » en est
439. Voir Schwyzer 1953, p. 648, n. 2. 440. Sur le parfait latin à redoublement, voir Meiser 2003, p.158-162 (§ 145-149) et p. 181-194 (§ 167-189).
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une (cf. prés. bhávati « il devient ») et, en latin, la variante pepugī de pupugī en est une autre.
15.4.3.2. Parfait non redoublé et « redoublement attique » Si la consonne initiale de la racine est une laryngale, la débilité de ce phonème a pour conséquence l’effacement du redoublement. Ce phénomène se produit dans le cas de la racine *h1ep- « saisir », par exemple : le parfait reconstruit *h1e-h1op-e (3e sg.) se réduit à *eope, puis par contraction à *ōpe, d’où véd. āpa « il a atteint ». De même structure que *h1ep-, *h2eg̑ « dire » fournit le parfait *h2e-h2og̑ -e (3e sg.) > *aoge. En procède ōg̑ e, attesté dans gr. ἄν-ωγε /án-ōge/ « *il a dit » > « il invite, ordonne » 441. La perte du redoublement prive le parfait d’une caractéristique majeure. C’est pourquoi le grec y remédie généralement par la constitution d’une nouvelle forme de redoublement. De la racine *h3er- « (faire) se lever, (se) mettre en mouvement », par exemple, le parfait *h3e-h3or-e (3e sg.) se transforme en *oore > *ōre (*ὦρε /ôre/) par l’évolution phonétique. Puis, une réfection
morphologique renouvelle la forme par antéposition de la racine au degré plein : ὄρ-ωρ-ε /ór-ōr-e/ « s’est élevé, est survenu » (Il. 7,374 ; etc.). Il y a donc répétition d’une séquence voyelle + consonne. C’est ce qu’on appelle le « redoublement attique ». Cf. ὄλ-ωλ-ε /ól-ōl-e/ « il est mort », etc.
15.4.4. Futur et subjonctif 15.4.4.1. Futur et désidératif Si le présent, l’aoriste et le parfait remontent à l’indo-européen commun, comme l’attestent de belles correspondances entre l’indo-iranien et le grec, en particulier, le futur s’avère moins archaïque, faute de formes exactement superposables entre les langues centum et les langues satem. Le futur grec a 441. Pour le sens, voir LIV, p. 256, s.v. 2. *h2eg̑ - et n. 5.
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pour expression un suffixe *-se/o- (cf. ἄξω /áksō/ « je conduirai », 1re pl. ἄξοµεν /áksomen/, 2e pl. ἄξετε /áksete/ ; γράψω /grápsō/ « j’écrirai », etc.). S’y apparente le type faxō « je ferai » du vieux latin. En revanche, l’indoiranien, d’accord avec le baltique, possède un futur en *-sye/o- : véd. dāsyā́ mi « je donnerai » et lit. dúosiu « id. » en offrent un exemple. Le morphème -s-, commun à ces formations, sert encore à la constitution d’un désidératif (type véd. nák-ṣ-a-ti « il cherche à atteindre, il trouve », lat. uī-sō « * je veux voir » > « je vais voir »). Par sa forme et sa valeur, le désidératif védique se rapproche du futur grec. Cette parenté se manifeste dans l’équivalence de véd. sakṣat et de gr. ἕψεται /hépsetai/, par exemple. D’une part, à côté du présent sacate « il accompagne », sakṣat se définit comme la 3e personne sg. du subjonctif du désidératif au sens du futur ; d’autre part, ἕψεται /hépsetai/ s’oppose en tant que futur au présent ἕπεται /hépetai/ « il accompagne ». Reflets de *sekw-se-t(oi), les formes indienne et grecque se correspondent, à la désinence près, et s’emploient dans des contextes voisins. Un nom abstrait fonctionne comme sujet du verbe en 1,129,10 du R̥ gveda : ugrám cit tvā mahimā́ sakṣat « toi (c.-à-d. Indra) le puissant, la grandeur t’accompagnera », de même qu’au chant 4 de l’Iliade, vers 415 : τούτῳ µὲν γὰρ κῦδος ἅµ’ ἕψεται « c’est à lui (c.-à-d. Agamemnon) que reviendra la gloire ». Ce n’est pas un hasard si sakṣat relève du subjonctif et prend une nuance prospective, car le subjonctif donne parfois un futur. Par exemple, lat. erit « il sera » remonte à i.-e. *h1eset « qu’il soit » (cf. véd. asat « id. »).
15.4.4.2. Le subjonctif 15.4.4.2.1. Formation du subjonctif La catégorie la plus ancienne n’est pas le futur, mais le subjonctif. Ce mode s’exprime par l’addition de la marque -e/o- à un radical ou à un
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thème. La racine se trouve généralement au degré e, mais parfois au degré zéro. À l’indicatif véd. é-ti « il va » (< i.-e. *h1ei-ti) répond le subjonctif áya-ti « qu’il aille » (< i.-e. *h1ey-e-ti). La variante apophonique o du suffixe caractérise la 1re personne pl. : subj. áy-ā-ma « que nous allions » (< i.-e. *h1ey-o-me) vs ind. i-máḥ « nous allons » (< i.-e. *h1i-mes). En grec, le
subjonctif homérique ἴ-ο-µεν /í-o-men/ « que nous allions » comporte le degré zéro radical par analogie avec l’indicatif ἴ-µεν /í-men/ « nous allons » ou « nous irons ». De même, la racine φθι- /phthi-/ de l’indicatif aoriste ἔφθι-τ(ο) /é-phthi-t(o)/ « il a péri » (Il. 18,100) se retrouve sous la même forme dans les subjonctifs φθί-ε-ται /phthí-e-tai/ « il pourrait périr » (Il. 20,173) et φθι-ό-µεσθα /phthi-ó-mestha/ « que nous périssions » (Il. 14,87). Dans les présents en -ω /-ō/, la voyelle thématique et la marque du subjonctif se contractent ; en résulte un élément prédésinentiel ē/ō : 3e sg. *bher-e-e-(t)i > *bher-ē-(t)i, gr. φέρ-η-ι /phér-ē-i/ (φέρῃ) « qu’il porte » 442, véd. bhár-ā-ti
« id. » ; 1re pl. *bher-o-o-me > *bher-ō-me, gr. φέρ-ω-µεν /phér-ō-men/ « que nous portions », véd. bhár-ā-ma « id. ».
15.4.4.2.2. Valeur du subjonctif En fonction de la personne ne varient pas seulement les formes, mais aussi la valeur du subjonctif. À la 1re personne, ce mode exprime la volonté du locuteur : type véd. áyāma « allons ! » (RV 8,92,11). Cf. la formule homérique ἀλλ’ ἴοµεν /all’ íomen/ « mais allons ! ». Aux 2e et 3e personnes, le subjonctif prend souvent une nuance prospective et concurrence le futur. Le cas se présente en RV 8,13,22, par exemple : kadā́ ta indra girvaṇa stotā́ bhavāti śáṃtamaḥ? « quand, Indra, (toi) qui aimes les hymnes, le chantre te sera-t-il le plus cher ? ». Chez Homère, le subjonctif aoriste γένηται /génētai/ équivaut à un futur dans un emploi de l’Odyssée : οὐκ ἐσθ’ οὗτος ἀνὴρ διερὸς 442. En grec, la 3e personne sg. des verbes thématiques comporte une désinence zéro + la particule déictique -i : Watkins 1969, p. 122, § 109.
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βροτὸς οὐδὲ γένηται, | ὅς … « il n’est pas et il ne sera pas, ce mortel effrayant qui … » (6,201-202). La valeur modale du subjonctif se rencontre, notamment, dans des exhortations. Cf. RV 7,84,2 : urúṃ na índraḥ kr̥ ṇavad u lokám « qu’Indra nous ménage une large place ! ». Pour Homère, Chantraine cite Il. 13,47 : Αἴαντε, σφὼ µέν τε σαώσετε λαὸν Ἀχαιῶν « vous, les deux Ajax, vous devez sauver l’armée achéenne » 443. En proposition hypothétique, le subjonctif signale une action éventuelle. Le poète de RV 8,1,15, par exemple, énonce une condition : yádi stómaṃ máma śrávat … « s’il entend mon chant de louanges … ». En grec, l’éventualité du procès appelle le subjonctif avec ἄν ou κε(ν), par exemple dans une alternative, Il. 9,619 : φρασσόµεθ’ ἤ κε νεώµεθ’ ἐφ’ ἡµέτερ’ ἦ κε µένωµεν « nous verrons si nous devons repartir chez nous ou rester » (Mazon).
15.4.5. L’optatif 15.4.5.1. Formation de l’optatif Comme le subjonctif, l’optatif a des origines indo-européennes. Cette forme modale se caractérise par un suffixe alternant *-yeh1-/-ih1- (> *-yē-/-ī-). Dans les faits les plus anciens, le degré plein suffixal se limite au singulier de l’actif, tandis que le degré zéro règne au pluriel de l’actif et au moyen. Le grec en a des exemples. Ainsi, le verbe « être » oppose la 1re personne sg. εἴην /eíēn/ < *h1s-yéh1-m à la 1re personne pl. εἶµεν /eîmen/ < *h1s-ih1-mé. L’alternance e/zéro s’observe aussi dans les formes active et moyenne du verbe « placer » (rac. *dheh1-) : 3e sg. de l’optatif aoriste *dheh1-yeh1-t > θείη /theíē/ vs *dheh1-ih1-to > θεῖτο /theîto/. En latin, le subjonctif archaïque (ancien optatif) siem « que je sois » s’accorde avec gr. εἴην /eíēn/ et sīmus « que nous soyons » correspond, à la désinence près, à gr. εἶµεν /eîmen/. Le sanskrit a, dans la 1re personne sg. syā́ m, le reflet régulier de *h1s-yéh1-m, 443. Chantraine 1953, p. 207.
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mais, dans la 1re personne pl. syā́ ma, -yā- au lieu de la variante -ī- attendue s’explique par une extension analogique. Au thème s’attachent, en principe, les désinences secondaires. Fait exception la forme -mus de sīmus en raison de la neutralisation de la distinction entre une série primaire et une série secondaire. En grec, la finale -οιµι /-oimi/ de 1re personne sg. des verbes thématiques (type ἄγοιµι /ágoimi/ « puissé-je amener / emmener ! ») résulte d’une innovation. Comme en témoignent les faits anciens, les désinences de l’optatif sont à restituer ainsi : sg. 1. *-m, 2. *-s, 3. *-t ; pl. 1. *-me, 2. *-te, 3. *-nt/-ent. En ce qui concerne le radical, les formes des langues historiques présentent en partie le degré zéro, en partie le degré plein. Le verbe archaïque *h1es- « être » comporte le degré zéro de la racine dans tout le paradigme : *h1s-yéh1-m, *h1s-yéh1-s, *h1s-yéh1-t, *h1s-ih1-mé, *h1s-ih1-té, *h1s-ih1-ént. Cet état de choses se conserve dans gr. εἴην /eíēn/, εἴης /eíēs/,
εἴη /eíē/, εἶµεν /eîmen/, εἶτε /eîte/, εἶεν /eîen/, où l’initiale ε- /e-/ continue h1. Au même type flexionnel appartient l’optatif de *h1ei- « aller », à en juger par véd. iyām < *h1i-yeh1-m « puissé-je aller ! » 444. En revanche, l’indicatif présent védique srávati « il coule » (rac. *sreu- « couler ») s’accompagne d’un optatif à degré plein radical : sravet propr. « puisse-t-il couler ! ». Cf. gr. ῥέοι /rhéoi/ « id. » (indic. ῥέει, ῥεῖ /rhéei, rheî/). Ces formes continuent i.-e. *srewo-ih1-t, c.-à-d. le présent thématique *srewo-, pourvu du suffixe modal au degré zéro -ih1- et de la désinence secondaire -t. Dans ce type d’optatif, ni le radical, ni le suffixe ne sont sujets à l’alternance ; seules les désinences varient au sein du paradigme : le thème est invariable. De gr. φέρειν /phérein/ « porter, apporter », par exemple, φεροι- /pheroi-/ figure dans la lre personne sg. φέροι-µι /phéroi-mi/ et pareillement dans la 1re personne pl. φέροι-µεν /phéroi-men/. Cette formation en -οι- /-oi-/ des verbes thématiques s’étend occasionnellement à l’optatif 444. La 1re personne pl. i-yā-ma, avec le degré plein du suffixe au lieu du degré zéro, témoigne d’une réfection.
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de verbes athématiques : avec la forme ancienne véd. iyām « puissé-je aller ! » contraste l’innovation gr. ἴοιµι /íoimi/ « id. » (indic. εἶµι /eîmi/).
15.4.5.2. Valeur de l’optatif La valeur de l’optatif se dégage principalement des emplois védiques et grecs. Ce mode a d’abord pour fonction l’expression du souhait. En offre un exemple RV 1,92,8 : Úṣas tám aśyāṃ yaśásaṃ suvī́raṃ … rayím « ô Aurore, que j’obtienne cette prestigieuse richesse en hommes ! » 445. Dans l’Iliade, Achille n’a pas en vue la richesse, mais la gloire : νῦν δὲ κλέος ἐσθλὸν ἀροίµην « pour l’heure, que j’obtienne une noble gloire ! » (18,121). D’autres énoncés présentent le procès comme une possibilité ou une impossibilité (optatif potentiel). Dans un hymne aux Aśvin, il est dit : pári ha tyád vartír yātho riṣó ná yát páro nā́ ntaras tuturyā́ t « vous tournez (en suivant) sans préjudice cette trajectoire que ni quelqu’un d’éloigné, ni quelqu’un de plus proche ne peut franchir » (6,63,2). Chez Homère, l’optatif potentiel peut être accompagné de la particule modale κε(ν). C’est le cas dans une phrase de l’entretien entre Télémaque et son père, Od. 23,125-126 : οὐδέ κέ τίς τοι | ἄλλος ἀνὴρ ἐρίσειε καταθνητῶν ἀνθρώπων « nul autre, parmi les mortels, ne saurait rivaliser avec toi (s.-ent. pour la sagesse) ». L’optatif se rencontre aussi dans des phrases conditionnelles et peut figurer aussi bien dans la protase que dans l’apodose : yád yūyám pr̥ śnimātaro mártāsaḥ syā́ tana, stotā́ vo amŕ̥taḥ syāt « si vous qui avez Pṛśni pour mère, vous étiez mortels, votre chantre serait immortel » (RV 1,38,4) 446. De cette syntaxe la langue homérique a un écho. Cf., par exemple, Il. 1,255-257 : ἦ κεν γηθήσαι Πρίαµος Πριάµοιό τε παῖδες | ἄλλοι τε 445. Cité par Macdonell 1916, p. 360, § 216. 446. À comprendre : « wenn ich an eurer Stelle wäre, und ihr an meiner Stelle, so würde ich den Sänger unsterblich machen » (ainsi K. F. Geldner 1951-1957, vol. I, p. 48, note explicative du vers 4).
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Τρῶες µέγα κεν κεχαροίατο θυµῷ, | εἰ σφῶιν τάδε πάντα πυθοίατο µαρναµένοιιν « certes, Priam et les fils de Priam se réjouiraient et les autres Troyens auraient le cœur en joie, s’ils apprenaient toute votre dispute ».
15.4.6. L’impératif À côté du subjonctif et de l’optatif, la grammaire indo-européenne dispose d’un impératif. Les formes de l’impératif ont pour fonction d’exprimer un ordre et, le cas échéant, une défense. Dans la langue homérique se rencontre souvent la négation µή /mḗ/ avec l’impératif présent. Le vieux latin en a un écho dans nē + impératif présent.
15.4.6.1. 2e personne sg. à désinence zéro Au point de vue morphologique, ce mode comporte des 2e personnes sg. du présent actif à désinence zéro : véd. bhára « apporte ! », gr. µένε /méne/ « reste ! », lat. eme « achète ! », par exemple. Les formes védiques appartiennent presque toujours au type thématique ; parmi les verbes athématiques, seuls les présents en -nu- procurent des exemples de la désinence zéro : type śr̥ ṇu « entends ! ». En grec, le thème nu apparaît aussi principalement dans le type thématique, mais des formes en -νῡ- /-nū-/ comme hom. δαίνῡ /daínū/ « offre un repas ! » font écho au type védique śr̥ ṇu. Ont aussi une désinence zéro hom. ἵστη /hístē/ « dresse ! », propr. « mets debout ! » < *sisteh2 ou att. ἔξ-ει /éks-ei/ « sors ! » (Aristophane, Nuées 633) < *-h1ei, par
exemple. En latin, dans les verbes athématiques résiduels sont attestés, notamment, les impératifs sans désinence es « sois ! » < *h1es et ī « va ! » < *h1ei.
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15.4.6.2. 2e personne sg. en *-dhi À côté de la désinence zéro, se rencontre un morphème *-dhi, qui s’attache à une forme athématique. Le védique en a les reflets -dhi, -hi, correspondant à gr. -θι /-thi/. Offre un exemple de cette désinence l’aoriste véd. śrudhí « entends ! », à rapprocher de gr. κλῦθι /klûthi/ 447. Généralement, i.-e. *dhi est considéré comme une particule de renforcement et, en effet, un renforcement de l’expression se conçoit bien dans le cas de l’impératif (cf. fr. donc dans un énoncé comme tais-toi donc!). Mais, dans cette perspective, l’exclusion de *dhi des formes thématiques est incompréhensible.
15.4.6.3. 2e et 3e personnes sg. en *-tōd À la différence de véd. -dhi, -hi, la désinence concurrente -tāt (-tād) ne se limite pas à l’expression de l’impératif des verbes athématiques. Au présent thématique avati « il aide », par exemple, se rattache l’impératif de 2e personne sg. avatād. Cf. RV 8,3,2 : asmā́ n … avatād « aide-nous ! ». Dans le type athématique, se rencontrent parfois deux formes, l’une en -(d)hi, l’autre en -tāt dans un même verbe : sur la racine véd. vay-, vī- (< i.-e. *weih1-, *wih1-) « aspirer à », par exemple, se construisent les impératifs vīhi « cherche à obtenir, demande ! » (RV 6,50,2 ; etc.) et vītāt « id. » (RV 10,11,8). Exceptionnellement, une forme en -tāt a la valeur d’une 3e personne sg. ; c’est le cas de gachatāt « qu’il aille ! » en RV 10,154,1-5. Ce fait s’accorde avec la grammaire grecque. Dès l’Iliade, en effet, la désinence -τω /-tō/ signale la 3e personne sg. de l’impératif. En témoignent δότω /dótō/ « qu’il donne ! », ἔστω /éstō/ « qu’il soit ! », ἴτω /ítō/ « qu’il aille, qu’il vienne ! », etc. En latin, la forme en -tō de l’impératif futur renvoie à la 2e personne sg. ou à la 3e personne sg., en fonction du contexte. La formule liber esto, par exemple, signifie « sois libre ! » chez Térence, 447. Dans κλῦθι /klûthi/, la quantité de la voyelle radicale s’explique par un allongement métrique.
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Ad. 970 : Syre, eho accede huc ad me : liber esto « Syrus, hé ! viens ici vers moi : sois libre ! ». En revanche, l’expression a pour sens « qu’il soit libre ! » dans la phrase filius a patre liber esto « que le fils soit affranchi du père (c.-à-d. de la puissance paternelle) » (XII Tables 4,2). La désinence -tō est présente dans les quatre conjugaisons latines. Les anciens thèmes en -e/o-, entre autres, ont des formes du type legitō « ramasse, tu ramasseras » (Caton, Agr. 5,7) < *leg̑ e-tōd. Que le morphème -tō remonte à -tōd, des faits du latin archaïque le confirment. Cf. datod « qu’il donne, il donnera » (CIL I2 366), par exemple. La nuance prospective de ces impératifs suggère une étymologie de -tōd : à l’origine, cet élément est vraisemblablement l’ablatif singulier neutre du démonstratif *to- (cf. gr. τό- /tó-/, skr. tá-) et signifie « à partir de ce moment ».
15.4.6.4. 3e personne sg. en *-tu (pl. *-ntu) De même que l’impératif en *-tōd, la 3e personne sg. en -tu a une origine préhistorique. Cette forme subsiste en indo-iranien et en hittite et se caractérise par le degré plein de l’élément prédésinentiel. Se correspondent véd. astu « qu’il soit ! » et hitt. eštu, ešdu « id. » (racine *h1es-). Pour le vocalisme radical, ces faits s’accordent avec véd. etu « qu’il aille ! » (racine *h1ei-) ou hantu « qu’il assomme ! » (racine *gwhen-). Si la forme est pourvue d’un suffixe, ce morphème figure au degré plein et le radical au degré zéro. Cf., par exemple, véd. kr̥ -ṇo-tu « qu’il fasse ! » (racine *kwer- « tailler, sculpter, fabriquer, faire »). Dans les verbes thématiques, le radical est invariable, comme c’est le cas de véd. aj- « pousser, mener » : impératif ajatu (ā́ jatu = ā́ ajatu « qu’il ramène ! » se lit en RV 6,54,10).
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15.4.6.5. 2e personne pl. en *-te À la 2e personne pl. fonctionne une ancienne forme d’ « injonctif », c’està-dire une forme sans augment pourvue de la désinence secondaire -te. Le védique en a de nombreux exemples. Ainsi, de pā- « protéger » relève pāta « protégez ! », attesté dans la formule yūyám pāta svastíbhiḥ sádā naḥ « vous, protégez-nous toujours avec vos bénédictions ! » (RV 7,1,20 ; etc.). Le radical de cette forme se trouve au degré plein (racine *peh2-). Dans d’autres verbes athématiques, le degré plein de l’élément prédésinentiel coexiste avec le degré zéro : le R̥ gveda a les variantes etana « allez ! » et ita, itana « id. » (racine *h1ei-). Cf. kr̥ ṇóta « faites ! » et kr̥ ṇutá « id. ». Le même flottement s’observe à l’aoriste. À côté des présents śr̥ ṇota(na) « entendez, exaucez ! » et śr̥ ṇutā́ (= -tá ) « id. » se rencontrent les aoristes śrótā (= -ta ) « id. » et śrutā (= -ta ) « id. ». En grec, ἔστε /éste/ « soyez ! » (Il. 3,280 ; etc.) et φέρτε /phérte/ « apportez ! » (Il. 9,171), par exemple, ont le degré plein radical, tandis que ἴτε /íte/ « allez ! » (Eschyle, Perses 402 ; etc.) repose sur le degré zéro de la racine (cf. véd. ita). À l’aoriste, κλῦτε /klûte/ (pour *κλεῦτε /kleûte/) « écoutez ! » (Il. 2,56 ; etc.) rappelle véd. śrótā (= -ta ).
15.4.7. L’injonctif Aux modes indicatif, subjonctif, optatif et impératif s’oppose la catégorie grammaticale de l’ « injonctif », propre à l’indo-iranien. Son expression consiste en une forme sans augment et pourvue d’une désinence secondaire (cf. § 15.4.6.5). De ses emplois se dégage sa fonction principale, à savoir la simple « mention » d’un fait (Erwähnung, erwähnende Beschreibung) par opposition au « récit » (Bericht, berichtende Erzählung) 448. Témoignent de cette définition les énoncés de vérités générales, comme les lois de la nature 448. Définition de Karl Hoffmann (1967, p. 266-267).
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ou les proverbes, par exemple. Dans le R̥ gveda, le comportement caractéristique d’une divinité, en tant que toujours valable, s’exprime volontiers à l’injonctif. Cf. 6,64,5 : tváṃ divo duhitar yā́ ha devī́ pūrváhūtau maṃhánā darśatā́ bhūḥ « toi, fille du ciel (= Aurore) qui es une déesse, à l’invocation du matin tu deviens de bonne grâce visible ». L’injonctif ne se conserve en sanskrit classique que dans son emploi en phrase prohibitive. Dans cette construction, la forme verbale n’a pas de valeur modale, car la modalité appartient à la négation mā́ . La forme de l’injonctif présent ou de l’injonctif aoriste n’a pour fonction que de mentionner le procès et d’indiquer la personne 449. Le choix de l’aspect verbal permet une distinction importante. Une défense à l’injonctif aoriste (aspect déterminé) a un sens préventif, c’est-à-dire empêche la réalisation d’une action 450. Cf., par exemple, RV 1,104,8 : mā́ no vadhīr indra mā́ párā dāḥ « ne nous tue pas, Indra, ne nous abandonne pas ! ». En revanche, une défense à l’injonctif présent (aspect indéterminé) a un sens inhibitif, c’est-à-dire interrompt une action en cours 451. Cf., par exemple, RV 5,79,9 : vy úcha duhitar divo mā́ ciráṃ tanuthā ápaḥ « resplendis, fille du ciel, cesse de faire traîner ton ouvrage en longueur ! ».
15.4.8. Les participes 15.4.8.1. Le participe en *-ntLe système verbal indo-européen dispose, à côté des formes personnelles, de formes nominales pour l’expression d’une action le plus souvent concomitante, parfois antérieure à l’action principale : les participes. Sur les thèmes de présent et d’aoriste se construit un participe en *-ent-/-ont-/-nt- (-n̥ t-) de sens
449. Hoffmann 1967, p. 103. 450. Hoffmann 1967, p. 45. 451. Hoffmann 1967, p. 74.
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actif, sauf en anatolien 452. L’alternance suffixale se conserve dans de vieux verbes athématiques. D’une forme *h1s-ent- / *h1s-ont- / *h1s-n̥ t- « étant » le sanskrit a encore l’opposition degré plein / degré zéro dans acc. sg. m. sántam vs gén. sg. m. satáḥ < *h1s-n̥ t-ós, nom. sg. f. satī́ < *h1s-n̥ t-ih2 ; le grec généralise le degré o : acc. sg. m. ἐόντα /eónta/, gén. sg. m. ἐόντος /eóntos/, nom. sg. f. ἐοῦσα /eoûsa/ chez Homère, resp. ὄντα /ónta, ὄντος /óntos/, οὖσα /oûsa/ en attique. Mais une forme dialectale garde le souvenir du degré e : nom. pl. m. dor. ἔντες /éntes/ (Héraclée) < *h1s-ent-. D’autre part, le degré zéro est attesté dans arc. ἔασα /éasa/ (SEG 11,112) < *h1s-n̥ t-yh2. En latin, acc. sg. (ab)sentem « absent » remonte peut-être à *h1s-ent-m̥ , tandis que gén. sg. (ab)sentis reflète *h1s-n̥ t-es ; mais il ne faut pas exclure la possibilité d’une extension du degré zéro à tout le paradigme. Quoi qu’il en soit, une trace du vocalisme o subsiste dans la forme lexicalisée sōns, sontis « coupable » (propr. « qui est vraiment », c.-à-d. « qui est le vrai coupable »). La structure de s-ont- (degré zéro radical + degré plein suffixal) se retrouve dans les cas forts de véd. uś-ánt- « désireux de ; de bonne volonté, obéissant », participe de la racine vaś- « vouloir, désirer, convoiter ». Aux cas faibles, la variante uś-ata le degré zéro du suffixe (-at- < *-n̥ t-). Avec cette alternance va de pair la mobilité de l’accent, comme le montre l’opposition uś-ánt-am (acc. sg. m.) / uśat-áḥ (gén. sg. m.). Le grec a ἑκών /hekṓn/ (dial. ϝεκων /wekōn/), gén. ἑκόντος /hekóntos/ « qui agit de son plein gré ». Une trace du degré zéro suffixal subsiste dans le féminin ἑκασσα /wekassa/ (< *wek̑ -n̥ t-ih2) d’une inscription de Cyrène du IVe siècle avant J.-C. (SEG IX, 72,87). Cf. véd. uśatī́. La forme usuelle ἑκοῦσα /hekoûsa/ (< *-ont-ih2) s’explique par un nivellement analogique du paradigme. Dans les verbes thématiques, le suffixe a la forme -nt- et n’admet pas de degrés. Le présent *h2eg̑ -o-, par exemple, possède un participe *h2eg̑ -o-nt- à thème invariable : acc. sg. m. *h2eg̑ -o-nt-m̥ > gr. 452. En hittite, la forme en -ant- a le sens passif. Cf. kunant- « étant tué », de la racine kuen« frapper, tuer ».
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ἄγοντα /ágonta/ « poussant, menant » vs gén. sg. *h2eg̑ -o-nt-os > ἄγοντος /ágontos/. En sanskrit, l’alternance -ant- / -at- dans l’opposition acc. sg. m. bhár-ant-am « apportant » vs gén. sg. m. bhár-at-aḥ (cf. prés. bhár-a-ti, thématique) ne remonte pas à l’indo-iranien et doit être une innovation.
15.4.8.2. Le participe en *-mh1noAu moyen, les faits grecs et indo-iraniens plaident pour la reconstruction d’un suffixe *-mh1no- (après voyelle), *-m̥ h1no- (après consonne) 453. En grec, les verbes thématiques et athématiques ont des participes en -µενος /-menos/ (cf. ἀγόµενος /agómenos/ « amenant », passif « étant amené », δέγµενος /dégmenos/ « recevant, percevant, étant attentif ») ; en sanskrit, les verbes thématiques ont des formes en -māna- (cf. sácamāna- « accompagnant ») et les verbes athématiques en -āna- (cf. bruvāṇá- « se disant, se nommant ») ; en avestique, les suffixes sont respectivement -mna- (cf. hacimna- « accompagnant, étant associé à ») et -āna- (cf. isāna- « maître de, disposant de »). S’expliquent phonétiquement à partir de *-mh1no- gr. -µενος /-menos/ et av. -mna- : le traitement de h1 y est ε /e/ en grec (cf. ἄνεµος /ánemos/ « vent » < *h2enh1mos) et ø en avestique (cf. ąnman- « souffle, âme » < *h2enh1men-). De *-m̥ h1no- > *-m̥ ̄ no- est régulièrement issu skr., av. -āna- : h1
s’amuït, mais entraîne un allongement compensatoire de la sonante (cf. av. brāsat̰ « il errait » < *bhrm̥ H-sk̑ e-t). Le correspondant indien d’av. -mna- serait skr. *-mina- 454. En tient lieu -māna-, avec ā d’après -āna-. En dehors du grec et de l’indo-iranien, le suffixe *-mh1no- ne subsiste en latin que dans des formes lexicalisées : fēmina « femme » (propr. « allaitante »), alumnus « nourrisson » (propr. « étant nourri »).
453. Le mérite de cette brillante étymologie revient à G. Klingenschmitt (1975, p. 159-163). 454. Cette forme est attestée en prākrit : cf. Pinault 1984, p. 111, n. 8.
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15.4.8.3. Le participe parfait en *-wos-/*-wotAu nombre des formes non personnelles d’origine préhistorique figure encore le participe parfait actif. Sa marque distinctive est le suffixe alternant *-wō̆s- / -us-. En offrent des exemples hom. πεπτηώς /peptēṓs/ « étant tombé, blotti » < *πεπτηϝώς /peptēwṓs/, εἰδώς /eidṓs/ « sachant » < *ϝειδϝώς /weidwṓs/, f. ἰδυῖα /iduîa/ « id. » < *wid-us-yh2, etc. En mycénien,
la forme -woh- reflète *-wos- : nom. pl. n. te-tu-ko-wo-a2 /tetukhwoha/ « fabriqués » (sens passif) < *-wos-h2, a-ra-ru-wo-a /ararwo(h)a/ « pourvus de ». Au féminin, myc. -ujja continue *-us-yh2 : a-ra-ru-ja /ararujja/ « pourvue de ». En védique, *-wos- donne régulièrement -vas. Cf. voc. sg. m. mīḍh-vas « ô généreux ! », participe parfait d’un verbe disparu. Le degré zéro *-us- apparaît dans une partie du paradigme, par exemple au génitif sg. m. mīḍh-úṣ-aḥ ou au nominatif sg. f. mīḍh-úṣ-ī. Au nominatif sg. m., à l’accusatif sg. m. et au nominatif pl. m. une forme nasalisée -vāṃs- remplace la forme attendue *-vās- par suite d’une innovation indienne. Cf. nom. sg. m. *mīḍhvāṃs > mīḍhvā́ n, nom. pl. m. mīḍhvā́ ṃsaḥ, acc. sg. m. vidvā́ ṃsam « sachant ». La flexion du participe parfait actif met encore en œuvre un suffixe distinct, mais formellement voisin, de *-wos- : *-wot-. En grec, cette forme caractérise, à l’exception du nominatif sg., les termes masculins (et, le cas échéant, neutres) du paradigme, par exemple gén. sg. m. εἰδότος /eidótos/ < *weid-wot-os, acc. sg. εἰδότα /eidóta/ < *weid-wot-m̥ , nom. pl. εἰδότες < *weid-wot-es, etc. Comme le mycénien ne connaît que *-wos- (> -woh-), le
doublet *-wot- est une forme d’apparition relativement récente, qui pourrait s’expliquer par une réinterprétation de nom. sg. *-wōs comme un produit de *-wōts, d’où gén. sg. m. -wot-os, etc. 455. En védique, -vat-, -vad- (devant
consonne sonore), écho de gr. -(w)ot-, est très rare (3 exemples seulement 455. Ainsi Rix 1992., p. 235, § 258.
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dans le R̥ gveda) et l’avestique n’en a pas l’équivalent. On pourrait donc avoir affaire, en grec et en védique, à des innovations parallèles, mais indépendantes 456. Cependant, le rapprochement de got. weitwod- « témoin » (participe substantivé) avec gr. εἰδότ- plaide plutôt pour une origine ancienne 457.
15.4.9. L’infinitif 15.4.9.1. L’infinitif ou supin en *-tum Non seulement le participe, mais aussi l’infinitif ne relève pas de la catégorie de la personne. La question de l’existence éventuelle d’un infinitif en indo-européen ne fait pas l’unanimité, car les reconstructions envisageables ne reposent pas sur de larges correspondances. Un rapprochement possible porte sur l’infinitif en -tum du védique et cette « variante de l’infinitif » qu’est le supin en -tum du latin 458. L’une et l’autre forme proviennent de l’accusatif sg. d’un nom abstrait en -tu- et se présentent dans les mêmes conditions d’emploi. En latin, le supin en -tum dépend généralement d’un verbe de mouvement, mais pas toujours. Dans le R̥ gveda, sur cinq occurrences, l’infinitif en -tum est une fois régi par un verbe « aller » : kó vidvā́ ṃsam úpa gāt práṣṭum etát « qui va le demander à un sage ? » (1,164,4). Des faits comparables se rencontrent en balto-slave. Le vieux lituanien conserve un supin en -tų. Cf. Mažvydas, Cat. 22,3 : Iš tę ateis sūdytų gyvų ir nuomirusių « Et de là il viendra juger les vivants et les morts ». À ce morphème -tų répond v. sl. -tŭ. Une forme fréquente est vidětŭ, supin de viděti « voir ». Matthieu 11,7 en offre un exemple : ceso vidětŭ izidete vŭ pustynjǫ ? « Qu’est-ce que vous êtes sortis voir dans le 456. Szemerényi 1990, p. 347-348. 457. Voir Meier-Brügger 2010, p. 319. Rau (1998, p.158) pose un abstrait *wóidu- /*wéidu« connaissance », dont dériveraient *weidw-os- et *weidw-ot-. De là procéderaient les suffixes *-wos- et *-wot- par réinterprétation. 458. Définition du supin chez Christian Touratier (1994, p. 153-156).
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désert ? ». Ces ressemblances morphosyntaxiques suggèrent une origine indo-européenne, mais n’excluent pas des développements indépendants.
Conclusion
La description des langues indo-européennes met au jour des traits remarquables à différents niveaux d’analyse. Au plan phonique, une caractéristique notable est l’existence préhistorique de phonèmes disparus dans les langues attestées. Comptent parmi ces unités les sonantes nasales : m̥ et n̥ ne se rencontrent nulle part, mais sont à reconnaître en indo-européen en raison de leur pouvoir explicatif. À la finale absolue, la reconstruction d’un morphème *-m̥ d’accusatif sg. masculin et féminin se fonde sur une correspondance comme gr. -α /-a/ : lat. -em (§ 7.6.9). Dans *-m̥ , il y a cumul des traits vocalique et nasal. Cette désinence se rencontre après consonne et fonctionne comme un allomorphe de *-m postvocalique. La sonante supposée offre donc une solution économique : à l’origine, un seul et même morphème signale le cas et les variantes *-m̥ et *-m sont en distribution complémentaire. De même, la restitution de *n̥ permet le rapprochement de formes apparemment étrangères l’une à l’autre. Ainsi, les suffixes gr. -µα /-ma/ et lat. -men se ramènent à l’unité moyennant l’hypothèse d’un dénominateur commun *-mn̥ (§ 7.6.11). En même temps, cette étymologie met en évidence, au sein d’une même langue, la parenté de -µα /-ma/ et de -µων /-mōn/ (-µων-, -µον- /-mōn-, -mon-/).
Conclusion
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Comme les sonantes voyelles, une série de consonnes « laryngales » ne se trouve pas dans les langues de la famille (sauf partiellement en anatolien), mais mérite une place dans le système phonique indo-européen. Ces phonèmes sont au moins au nombre de trois et se dégagent de faits à première vue aberrants. Une laryngale initiale antéconsonantique rend compte, le cas échéant, d’une voyelle prothétique attestée seulement en grec et en arménien (§ 7.5.2.4). Les laryngales *h2 et *h3 antévocaliques donnent l’explication de timbres a et o inattendus (§ 7.5.2.1 et 7.5.2.3). Des voyelles ē, ā, ō injustifiables comme degrés longs se résolvent en séquences *eh1, *eh2, *eh3 (§ 7.5.2.1, 7.5.2.2 et 7.5.2.3). Des racines à initiale vocalique
et bilitères commençaient par une laryngale et étaient donc conformes à la norme, c’est-à-dire trilitères à l’origine (§ 7.5.2.1). D’autres irrégularités de surface reçoivent une solution dans le cadre d’une hypothèse laryngaliste. Au plan morphologique, le caractère le plus saillant réside dans la mobilité de l’accent et les alternances vocaliques. L’accent (ton) frappe le radical, le suffixe ou la désinence ; les alternances vocaliques mettent en œuvre cinq « degrés » : e, o, zéro, ē, ō (§ 8.2). La répartition des différents degrés dans les éléments constitutifs d’une forme définit des types flexionnels (chapitre IX). Dans ces types, la variation des thèmes règne à l’intérieur d’un paradigme. Parfois aussi, l’alternance joue entre deux paradigmes. C’est le cas, lorsque, par exemple, un membre de composé s’oppose à la forme libre correspondante par son vocalisme. Dans la flexion des noms, l’examen des désinences révèle diverses tendances. D’une part, les féminins en *-ā- se conforment en partie aux masculins en *-e/o-. En latin, par exemple, la finale -āī (> -ae) du génitif sg. f. est analogique de -ī du génitif sg. m. ; de même, l’ablatif sg. f. en -ā(d) a pour modèle l’ablatif sg. m. en -ō(d). En grec, le nominatif pl. f. en -αι /-ai/ s’aligne sur le nominatif pl. m. en -οι /-oi/. Cf. le datif pl. en
436
Conclusion
-αις /-ais/ d’après -οις /-ois/ et le datif duel en -αιν /-ain/ d’après -οιν /-oin/. D’autre part, les paradigmes nominaux témoignent ici ou là de l’influence de la flexion pronominale. En sanskrit, l’instrumental sg. des féminins en -ā- se termine par -ayā sur le modèle des démonstratifs : véd. manīṣáyā « avec inspiration » (manīṣā́ ) d’après táyā « avec celle-là ». Cf. v. sl. glavojǫ « avec la tête » d’après tojǫ « avec celle-là ». En grec, le nominatif pl. m. en -οι du pronom hom. τοί /toí/ « ceux-là » a un écho dans les noms (type λύκοι /lúkoi/ « les loups »). En latin, le génitif pl. des noms thématiques en -ōrum (cf. uirōrum « des hommes ») a une origine pronominale (cf. istōrum « de ceux-là »). Dans la classe des thèmes vocaliques, les noms en -i- et en -u- ont des déclinaisons parallèles. Les deux types présentent les mêmes désinences et se caractérisent par les mêmes structures des formes casuelles. On le voit, notamment, au génitif sg. : véd. áv-y-aḥ (ávi- m. « mouton ») et paś-v-áḥ (paśú- m. « bétail »), par exemple, ont l’un et l’autre le suffixe au degré zéro et la désinence au degré plein. L’adjectif se distingue par ses formes de gradation. Le comparatif et le superlatif s’opposent au positif par des suffixes spécifiques et, dans les faits les plus anciens, par une alternance vocalique. En offre une illustration le couple véd. urú- « large » / várīyas- « plus large », dont les formes comportent le degré zéro (ur-), resp. le degré plein (vár-) du radical. Le même rapport apophonique s’observe dans gr. κρατύς « fort » vs ion. κρέσσων /kréssōn/ < *κρέτyων /krétyōn/ « plus fort ». Dans un cas particulier, les termes du système appartiennent à des racines différentes. C’est le phénomène du supplétisme. Le védique en offre un exemple dans l’association de bahú- « nombreux » et de bhū́ yas- « plus nombreux ». En grec se rencontrent ἀγαθός /agathós/ « bon » et ἀµείνων /ameínōn/ « meilleur », en latin bonus « bon » et melior « meilleur ».
Conclusion
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En dehors de la gradation, l’adjectif se présente parfois sous deux formes selon son statut de terme libre ou de premier membre de composé. Dans ce qu’on appelle le « système de Caland », un dérivé primaire en -ró- s’oppose à une variante compositionnelle en -i-. Les exemples appartiennent à l’indo-iranien et au grec. Cf., entre autres, av. tiγ-ra- « pointu » et tiž-i- dans tiži.aršti- « à la lance pointue » ou gr. κυδ-ρό-ς /kūd-ró-s/ « glorieux » et κυδ-ι- /kūd-i-/ dans κυδι-άνειρα /kūdi-áneira/ « aux hommes glorieux ». Mérite encore un rappel une classe d’adjectifs non qualificatifs : les « adjectifs pronominaux ». Ces signes s’apparentent formellement aux pronoms. Le paradigme de skr. viśva- « tout », par exemple, se caractérise par certaines désinences pronominales. À titre d’illustration, le datif sg. m. est viśva-smai « pour tout » (cf. ta-smai « pour celui-là »). En latin, tōtus « tout » a pour datif sg. tōtī « pour tout » (cf. istī « pour celui-là »). Aux noms et aux adjectifs se joignent les pronoms en tant que formes déclinables. La classe des pronoms personnels présente plusieurs particularités. 1° les langues indo-européennes ne distinguent pas entre un « nous inclusif » (moi + toi / vous) et un « nous exclusif » (moi + lui / eux) ; 2° en sanskrit, en grec ou en hittite, par exemple, une série de formes toniques s’oppose à une série de formes atones (enclitiques) ; 3° à la 1re personne sg., le nominatif, d’un côté, l’accusatif et les cas obliques, de l’autre, constituent un paradigme supplétif. Entre les pronoms personnels et les démonstratifs existe souvent une corrélation. En latin, par exemple, hic « celui-ci (me, nous concernant) » se rapporte à la 1re personne, iste « celui-là (te, vous concernant) » à la 2e personne. Dans l’énoncé, le démonstratif établit une relation avec ce qui précède (fonction anaphorique) ou avec ce qui suit (fonction cataphorique). Ainsi, en grec, οὗτος /hoûtos/ reprend généralement un élément précédent, tandis que ὅδε /hóde/ annonce en principe un élément suivant. Au point de
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Conclusion
vue diachronique, l’affaiblissement d’un pronom donne parfois naissance à un article. Le cas se présente en grec, où ὁ, encore employé pour une part comme un démonstratif chez Homère, a le statut d’article dans la langue classique. Ce double rôle s’observe aussi dans got. sa / þa-. Quant à fr. le, il continue lat. illum, accusatif m. sg. du pronom ille « celui-là ». Le verbe indo-européen, dans le modèle gréco-indo-iranien, se signale par sa richesse. Une forme verbale relève de six catégories : la personne, le nombre, le temps, l’aspect, le mode et la voix. La personne comprend : « je », « tu » et « il » ; le nombre : le singulier, le duel et le pluriel ; le temps : le présent, l’imparfait et l’aoriste (le futur est relativement récent) ; l’aspect : le présent (imperfectif), l’aoriste (perfectif) et le parfait (statif) ; le mode : l’indicatif, le subjonctif, l’optatif et l’impératif ; la voix : l’actif et le moyen (le passif est relativement récent). À la richesse des catégories s’ajoutent les ressources morphologiques. Le système se complique de nombreuses formations de présents (la plupart se retrouvent dans les « classes » des grammairiens indiens). Dans les types athématiques, une alternance vocalique crée un contraste entre le singulier et le pluriel (ainsi que le duel) ou entre l’actif et le moyen. Le paradigme comporte le degré plein et le degré zéro dans gr. εἶ-µι /eî-mi/ « je vais, j’irai » / ἴ-µεν /í-men/ « nous allons, nous irons » ou dans véd. yunákti « il attelle » / yuṅkté « il attelle pour soi », par exemple. Dans un autre type de présent (radical protérodynamique), les termes de l’opposition sont respectivement au degré long et au degré plein. Cf. véd. tāṣṭi « il fabrique » / tákṣati « ils fabriquent » ; hitt. wēkzi « il exige » / wekkanzi « ils exigent ». La mise en lumière de ces traits archaïques est essentielle à une approche historique des langues indo-européennes.
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Index analytique
acrostatique .................... 169, 175–176
changement non conditionné ....... 9, 14
adstrat ............................................... 17
changement phonétique8–9, 56–57, 73,
amphidynamique .................... 171–172
218, 303, 360
analogie .. 3, 11, 15, 24–30, 42, 82, 85,
changement phonologique ............. 8–9
102, 123, 156, 178, 200, 205, 216, 222,
changements phonétiques .. 16, 75, 182
233, 255, 259, 267, 275, 278, 284–285,
chronologie .......................... 6, 40, 290
312, 329, 343, 349, 355–356, 359, 363
comparaison typologique ... 31, 50, 295
–364, 366, 383, 387, 397, 410, 412,
connotation ......................... 11, 41, 131
420
correspondance . 51–54, 56–57, 62–67,
anaptyxe ................................... 12, 254
72–73, 75, 81, 83, 86–88, 90, 102–103,
assibilation ..................... 7, 15, 74, 364
108, 113–114, 119, 121, 125–126, 128
assimilation .... 9–12, 56–57, 101, 123,
–131, 136, 140, 145–147, 200, 235,
161, 171, 264, 271, 311, 329, 363, 371,
288, 296, 302, 305, 311, 337, 346, 352,
394
355, 365–366, 369, 382–383, 385, 391,
augment .... 85, 99, 105, 109–110, 122,
393–395, 400, 402, 406, 409, 414, 418,
130, 139, 144, 162–167, 380, 385–386,
432, 434
392, 401, 405–406, 408, 427
critère de simplicité .................... 63–64
bilinguisme ....................................... 17
dénotation ......................................... 40
calque ....................................... 43, 280
diachronie ........................................... 3
champ sémantique .............. 45, 59, 295
dissimilation 11, 55–56, 162, 170, 303,
changement conditionné ...... 9, 56, 277
328, 358, 363, 370, 389, 394, 408
454
Index analytique
duel . 23, 146, 158, 168, 209, 212–228,
loi de Winter ..................................... 89
248, 315–317, 329–330, 336, 339, 344
mésostatique ................................... 173
–345, 355–357, 370, 376, 394, 396,
métaphore ................................. 42, 232
405, 411–412, 436, 438
métathèse .... 13–14, 76, 137, 200, 251,
épenthèse .......................................... 12
333, 364, 402, 407
flottement . 27, 94, 104, 107, 115, 117,
motivation ........................................ 30
290, 355, 427
mutation 20, 73, 77, 79–80, 82, 84, 87,
fréquence ...................... 21–22, 28, 129
342
hiérarchie .......................................... 26
polarisation ................................. 24–25
holodynamique ....................... 172, 176
protérodynamique 169–170, 172, 176,
hystérodynamique .................. 170–172
396–397, 438
injonctif 145, 165, 408, 410–411, 413,
prothèse .................... 13, 103, 110, 113
427–428
rection ........................................ 36–37
intégration ........................................ 20
redoublement .. 13, 55, 60, 88, 99, 101,
intégration phonique .................. 19, 22
138, 143–144, 159–162, 170, 229, 290,
laryngale ..... 67–70, 94–105, 108–110,
366, 379, 383–385, 394–396, 401, 408
113, 122, 128, 130, 134, 137–138, 140
–410, 414, 417–418
–146, 162–163, 166–167, 171–172,
réinterprétation ..... 29–30, 47, 94, 267,
213, 217, 287, 357, 365, 370–371, 382,
323, 389, 431–432
391, 396, 398–399, 407, 418, 435
rendement fonctionnel ................ 20, 22
loi d’Osthoff . 152–153, 176, 248, 367,
rhotacisme .. 7, 15, 91–92, 99, 155, 283
412
s mobile ............................................ 94
loi de Brugmann ... 105, 133, 220, 236,
sandhi ....................................... 94, 240
361, 414
substrat ............................................. 17
loi de Grassmann .......... 11, 54, 56, 162
superstrat .......................................... 17
loi de Grimm ...................... 73–74, 157
synchronie .................. 3–5, 36, 39, 294
loi de Leskien ......................... 189, 356
syncope 6, 13, 234–237, 260, 286, 367
loi de Sievers .................................. 106
syncrétisme .............................. 23, 129
loi de Verner ....................... 73–74, 157
tabou ............................... 14, 44–45, 58
loi de Wackernagel ........................... 34
théorie glottalique ...................... 89–90
Index analytique tmèse .......................................... 33–34 variation 5, 16, 30, 38, 58, 66, 94, 100, 105, 133, 155, 161, 281, 300, 303, 356, 414, 435
455
Index des formes
Indo-européen *ag̑ .................................................... 96
*bheudh- .................................. 151, 410
*alyod ............................................... 80
*bhéudh-e/o- .................................... 150
*amma ............................................ 131
*bheug- ............................. 81, 162, 407
*at(i) ............................................... 131
*bheuh2- / *bhweh2- ......................... 145
*atta ....................................... 131–132
*bhh2-nti .......................................... 159
*bak- ................................................ 78
*bhh2tos ........................................... 103
*bel- ................................................. 78
*bhidh- ............................................. 128
*bhāg̑ hu- .......................................... 140
*bhoh2- .............................................. 98
*bhāg̑ hu-h1 ....................................... 146
*bhoh2-nā ........................................ 143
*bheh2- ........................ 96, 98, 143, 387
*bhoudh- .......................................... 151
*bhéh2mi ............................................ 96
*bhug-éh2 ........................................ 173
*bheidh- ........................................... 128
*bhuh2- ........................................ 8, 145
*bher- ........................ 84, 162, 394, 420
*bh(u)weh2-s ................................... 145
*bher-ē-(t)i ...................................... 420
*dé-dh3-nti ...................................... 159
*b érmi ............................................. 96 *bherō ......................................... 8, 144
*deh3- ............................. 102, 384, 405 *deik̑ - ........................................ 80, 152
*bhér-oih1-t ....................................... 74
*dēik̑ -s- ........................................... 152
*bher-ō-me ...................................... 420
*deiwo- ................................... 339–340 *dek̑ m̥ ............. 122–123, 353, 366, 374
h
*b ér-o-nti ...................................... 159 h
Index des formes
457
*dek̑ m̥ -h2o- ..................................... 373 *dek̑ m̥ h2os ....................................... 302
*é-h1y-ent ......................................... 99
*dek̑ m̥ (m)os .................................... 302 *dek̑ m̥ -t- ................. 366, 368–370, 374
*e-h3r-to ......................... 144, 158, 166
*dek̑ m̥ ti- .......................................... 123
*eno- .............................................. 130
*dem- .............................................. 169
*enu-h3kw-o- ................................... 145
*demh2- ........................................... 399
*eti .................................................. 130
*dém-i ............................................ 169
*g̑ enh1- ........................... 104, 134, 395
*dém-s ............................................ 169 *derk̑ - ..................................... 114, 406
*g̑ énh1-tor-m̥ ................................... 134
*dh3tos ............................................ 104 *dk̑ m̥ -t- ................................... 353, 368
*g̑ onh1éyeti ............................. 105, 134
*dk̑ m̥ tom ......................................... 369 *dk̑ om-t- ................................. 353, 369
*g̑ heim- ..................................... 86, 120
*dmeh2- ........................................... 399
*g̑ hel- .............................................. 119
*dór-u ..................................... 134, 170 *dr̥ k̑ - ............................................... 115
*g̑ helwo- .......................................... 119
*duweh2- ......................................... 356
*g̑ heslo- ........................................... 371
*d(u)wo- ................................. 355–357
*g̑ heu- ..................................... 135, 161
*dyéu *pǝ́2ter .................................. 151
*g̑ hl̥ - ................................................ 119
*dyéw-i ............................................. 95
*g̑ hl̥ tom ............................................ 119
*dheh1- ............................................ 421
*g̑ homĕn- ......................................... 195
*dheh1(k)- .......................................... 85
*g̑ homŏn- ........................................ 195
*dheig̑ h- ............................................. 87
*g̑ hutós ............................................ 136
*dherh3- ........................................... 407
*g̑ hyem- ........................................... 120
*dhgwhei̯ - .......................................... 125
*ghed- ............................................... 93
*dhh1tos ........................................... 103
*ghosti ....................................... 87, 185
*dhreub- ............................................ 79
*gu̯ eih3- ........................................... 304
*ébherete ........................................... 14
*gwe-gwom-e ...................................... 83
*e-h1es-m̥ ................................ 122, 139
*gweh2- ............................................ 396
*e-h2eg̑ -e-t .............................. 141, 166 *ei- ................................................... 99
*g̑ neh3- ........................................... 142 *g̑ hans- ............................................ 132 *g̑ heimn̥ ........................................... 126
*g̑ hém-ōn- ....................................... 195
458
Index des formes
*gweih3- ..................................... 83, 137
*(h1)eg̑ .................................... 310, 327
*gwelbhus ........................................... 83
*(h1)eg̑ h2om .................................... 310
*gweldh- ........................................... 406
*(h1)eg̑ óh2 ....................................... 310
*g em- ...... 82, 120, 122, 400, 405, 414
*h1e-h1m-ai ....................................... 99
*g ih3- ............................................. 137
*h1eh1s- ........................................... 140
*gwih3-o- ................................... 83, 137
*h1é-h2eg̑ -o-nt ................................. 393
*gwih3wos ........................................ 302 *gwm̥ -sk̑ e/o- .................................... 400
*h1ei- 93, 99, 128, 147, 163, 384–386,
*g m̥ -ye/o- ...................................... 400
*h1ei-mi .......................................... 147
*gwm̥ -yō .......................................... 122 *gwneh2 ........................................... 174
*h1ei-ti ............................................ 420 *h1ek̑ wo- ................................. 175, 177
*gwou- / *gweu- ............................... 152
*h1em- ....................................... 93, 123
*g ṓus ....................................... 83, 152
*h1ep- ................................. 93, 99, 418
*gwyeh3- .......................... 142–143, 302
*h1es-93, 103, 122, 130, 421–422, 426,
*g yoh3- .......................................... 143
429
*g e-g n-e/o- ................................ 381
*h1eset .............................................. 91
*g e-g n-e-t .................................. 160
*h1ésh2-n- ....................................... 176
*gwhen- .... 87, 124, 126, 381, 395, 408,
*h1ḗsh2-r̥ ......................................... 176
426
*h1és-mi .......................................... 129
*g énti ............................................. 88
*h1és-si ........................................... 129
*g nónti ........................................... 88
*h1és-ti .............................. 92, 129–130
*gwhn̥ tós .......................................... 126
*h1eugwh- ........................................... 88
*h1d-n̥ t-ós ....................................... 171
*h1euH- ........................................... 146
*h1d-ónt- ......................................... 171
*h1eus-e/o- ...................................... 151
*h1d-ónt-m̥ ...................................... 171
*h1ey-o-me ...................................... 420
*h1d-ónt-s ....................................... 171
*h1i- ................................................ 128
*(h1)é- ..................................... 163–164
*h1i-dhi ............................................ 148
*h1e ................................................. 130
*h1i-mes .......................................... 420
*h1e/o- ............................................ 197
*(h1)i-tero- ...................................... 301
*h1ed- ................................. 93, 99, 171
*h1legwhwi- ...................................... 305
w w
w
w
w
wh wh
wh wh
wh wh
422, 426–427
Index des formes
459
*h1le-h1loudh-e ................................ 151
*h2en- ............................................. 301
*h1lengwh- ........................................ 305
*h2ént-i ............................................. 95
*h1leudh- ................................. 151, 407
*h2eug- ............................................. 81
*h1ln̥ g ú- ....................................... 305
*h2éug-es-os ..................................... 82
*h1m̥ - .............................................. 123
*h2éug-os .......................................... 82
*h1newn̥ .......................................... 365
*h2eus- ............................................ 151
*h1oi-ko- ................................. 150, 354
*h2idh- ............................................. 128
*h1oi-no- ......................... 149, 354–355 *h1oi-wo- ................................ 150, 354
*h2i̯ u-gu̯ ih3- ..................................... 304 *h2k̑ mén .......................................... 173
*h1óuHdh-n̥ - .................................... 175
*h2k̑ mnés ......................................... 173
*h1óuHdh-r̥ ...................................... 175
*h2nḗr ..................................... 138, 179
*h1reg os ........................................ 113 *h1rud ros ....................................... 113
*h2oi̯ u- ............................................ 304 *h2ōk̑ - ............................................. 144
*h1s-enti .......................................... 159
*h2ol-éye ........................................... 98
*h1s-e/onti ....................................... 129
*h2ous- ............................................ 151
*h1su- ................................................ 83
*h2weh1- .................................. 103, 110
*h1su-g ih3-ēs ................................... 83
*h3ed- ..................................... 143, 171
*h1uHdh-n- ...................................... 176 *h1uH-tí- ......................................... 146
*h3eh3dh2ei ...................................... 143 *h3ek̑ teh3 ................................. 101, 214
*h1wogwheyō ...................................... 88
*h3ek̑ teh3-o- ............................ 101, 214
*h2eg̑ - ............. 131, 391, 418, 429–430
*h3ekw- .................................... 145, 221
*h2ég̑ -ō ............................................. 95
*h3ép-os .......................................... 100
*h2ég̑ -o-nti ...................................... 392
*h3er- ...... 136, 138, 144, 166, 398, 418
*h2eid - ................................... 128, 148 *h2ek̑ - ........................................ 98, 144
*h3e/osth2- ....................................... 102
*h2ēk̑ - .............................................. 144 *h2ék̑ mō(n) ..................................... 173
*h3i-h3r-toi ...................................... 138
*h2el- ........................................ 98, 301
*h3r̥ -nw-e/onti ................................. 159
*h2el-tero- ....................................... 301
*Hi̯ ag̑ - ............................................ 110
*h2elyos .......................................... 301
*Hi̯ eh1- ............................................ 110
wh
w
h
w
h
*h3e/owi- ......................................... 102 *h3reg̑ - .................................... 103, 113
460
Index des formes
*Hi̯ eu̯ dh- .................................. 108, 110 *Hok̑ teh3-o- .................................... 101
*kh2p- ............................................. 143
*Hyeudh- ......................................... 108
*koh2p- ........................................... 143
*Hyeug- .......................................... 109
*koh2p-ā ......................................... 144
*Hyó- .............................................. 350
*kr̥ t-/*kret- ..................................... 285
*Hyudh-s- ........................................ 108 *k̑ as-nos ......................................... 132
*kw°tur- ........................................... 364
*k̑ as-o- ............................................ 132 *k̑ ei- ........................................ 387–388
*kwā- ............................................... 350
*k̑ ei-h2ei .......................................... 149 *k̑ ei-soi ........................................... 150
*kweh1 ............................................. 140
*k̑ ei-toi ........................................... 150 *k̑ el- .......................................... 76, 119
*kwei- ................................ 78, 128, 412
*k̑ ērd ............................................... 156 *k̑ euh1- / *k̑ weh1- ............................ 145
*kwetr̥ - ............................................. 115
*k̑ leu- ...................................... 158, 398 *k̑ lew-es-i ....................................... 195
*kwetur- ............................. 77, 362–363
*k̑ l̥ -n-éu- / *k̑ l̥ -n-u- ......................... 158 *k̑ l̥ to- .............................................. 119
*kwetwōr- ........................................ 362
*k̑ ludhí ............................................. 158 *k̑ m̥ tom ................... 122–123, 369–370
*kwi- ........................................ 350, 352
*k̑ r̥ - ................................................. 117 *k̑ r̥ d- ............................................... 156
*kwis ................................................ 174
*k̑ uh1- ............................................. 145 *k̑ (u)wōn ........................................ 179
*kwo- ............................... 140, 350, 352
*k̑ wō(n) ............................................ 77
*kwos ................................................. 77
*kapro- ........................................... 132
*kwri- .............................................. 399
*keh2p- ............................................ 143
*(kw)tr̥ -pedya .................................. 115
*keh2-ye/o- ...................................... 402
*leg̑ - ............................................... 131
*kel- .................................................. 76
*leh2- .............................................. 402
*kleub- .............................................. 79
*kw°t-wōr ........................................ 364 *-kwe ....................................... 129, 131 *kweh2- .................................... 350–351 *kwer- ...................................... 116, 426 *kwetru- ........................................... 364 *kwetwor- .................................. 77, 363 *kwetwr̥ - .......................................... 363 *kwid ......................................... 80, 174 *kwi-tis .............................................. 15 *kwom ............................................. 121
Index des formes
461
*leh2-ye/o- ...................................... 402
*méh2tēr ......................................... 140
*leib- ................................................ 78
*mei- ................................................ 93
*lei̯ H- ............................................... 79
*melh3- ........................................... 407
*lei̯ k - ............................................. 167
*me-mon- / *me-mn- ...................... 160
*leik - ..................................... 110, 407
*men- ...... 124, 126–127, 160, 402, 414
*leubh- .............................................. 85
*mēns ............................................. 139
*leug- ............................................... 81
*mer- .............................................. 402
*leuk- ........................................ 75, 152
*mes ............................................... 318
*lik - ............................................... 110
*meuk- ............................................ 406
*louk- ............................................. 152
*m̥ g̑ h2- ............................................ 285
*lugeti .............................................. 82
*mn̥ s-dheh1- ..................................... 133
*mad- ....................................... 67, 132
*mn̥ ti- ............................................. 127
*mag̑ - ............................................. 132
*mn̥ tós ............................................ 126
*mātér- ........................................... 140
*moi ................................ 150, 310, 314
*m̥ bhi .............................................. 122
*mreg̑ h- ........................................... 285
*m̥ bhri- ............................................ 122
*mr̥ g̑ hú- ........................................... 285
*m̥ bhro- ........................................... 122
*mr̥ tis .............................................. 117
*me ......................................... 310, 312
*mūs ............................................... 145
*mḗ ......................................... 140, 312
*n̥ - .................................................. 125
*méd ............................................... 314
*nas- ............................................... 134
*med- ................................................ 93
*n̥ -dhgwhito- ..................................... 125
*medhyos ......................................... 119
*ne ................................................. 125
*meg̑ h2- ........................................... 285
*nebh- ................................................. 8
*meg̑ yosa .......................................... 91
*nébhesos .......................................... 91
*meg̑ -yos-h2 .................................... 291
*négwt-/*nógwt- ............................... 124
*meg̑ -yos-m̥ .................................... 291
*nekwt-s ................................... 156, 169
*meg̑ hei / *meg̑ hi ............................. 311
*nes- ....................................... 124, 126
*meh1- / *mh1- ................................ 139
*néweh2 .......................... 142, 174, 177
*meh2- ............................................... 98
*newn̥ ............................................. 127
*mēh2- ............................................... 98
*newo- .............. 65, 124, 174, 177, 302
u̯
w
w
462
Index des formes
*new-o- .......................................... 302
*pet- ......................................... 72, 409
*n̥ -h1sn̥ t- ......................................... 130
*peth1- .................................... 396, 407
*nizdos ............................................. 93
*ph2tḗr ............................................ 339
*nō .................................................. 316
*ph2téres ......................................... 236
*nō- ................................................ 320
*ph2-tér-m̥ ............................... 123, 130
*nōgwos ............................................. 83 *nok̑ -éye-ti ...................................... 134
*ph2-wén-s ...................................... 176
*nók t-m̥ ......................................... 169
*pi-ph3-e-ti ............................. 101, 395
*nok t-s .................................. 156, 169
*pī-wer-ih2 ...................................... 307
*nōu ............................................... 316
*pleh1- ............................. 117–118, 399
*nu .................................................. 302 *ok̑ tṓ ............................................... 365
*pleh3- ............................................ 142
*ok̑ tṓu̯ ............................................. 365
*pl̥ néh1ti .......................................... 117
*ped- .............................................. 407
*pl̥ th2-ú- .......................................... 118
*pe/od-wn̥ t- .................................... 306
*pn̥ kw-th2o- ..................................... 373
*peh2- ............................................. 427
*pn̥ th2- ............................................ 127
*péh2-wr̥ ......................................... 176
*pn̥ th2-ós ........................................ 127
*peh3- ..................................... 100–102
*pō- ................................................ 100
*peh3(i)- .......................................... 137
*pod- .............................................. 255
*peiH- ............................................ 137 *pék̑ u .............................................. 179
*pōd-s ............................................... 72
*pek̑ ús ............................................ 179
*pónt-eH-s ...................................... 172
*pelh1- ............................................ 399
*pónteh2-s ...................................... 127
*pélh1-u- ......................................... 118
*po-skw-ē ........................................ 187
*penkwe ........................................... 365
*pot(i)- ........................................... 134
*pént-oH-s ...................................... 172
*poti- .............................. 134, 179, 217
*per- ....................................... 100, 136 *perh3- ............................................ 407
*prei̯ H- ........................................... 403 *prek̑ - ............................................. 400
*pér-wn̥ -t- ....................................... 307
*pr̥ H-mo- ........................................ 372
*pér-wr̥ ........................................... 307
*pr̥ H-wo- ........................................ 372
w w
*piH- .............................................. 137
*pl̥ h1-ú- ........................................... 118
*pont- ............................................. 172
Index des formes
463
*proti-h3kw-o- .................................. 145
*s-iē-m ............................................ 137
*pr̥ -tú- ............................................ 136 *pteh1- ............................................ 396
*si-sd-e-ti ....................................... 395 *sk̑ heid- ........................................... 402
*reh1- .............................................. 139
*(s)kreb- ........................................... 79
*rek- ............................................... 412
*sm̥ - ................................................ 121
*rot-eh2 ..................................... 96, 114
*smei- ............................................... 93
*rot-h2-o- .......................................... 96
*sm̥ -tero- ........................................ 186
*rud ros ............................................ 86
*snéh1-wr̥ ........................................ 176
*sausos ........................................... 151
*sn̥ h1-wén-s .................................... 176
*se/o ............................................... 174
*snigwh- ............................................. 88
*sed- ................................................. 93
*snusós ..................................... 92, 135
*sédos ............................................... 93
*só/tó- .................... 308, 338–340, 350
*seh1- ........................................ 99, 139 *seh1-ye/o- ...................................... 402
*solwo- ........................................... 301 *(s)pek̑ - ............................................ 94
*seh2 ....................................... 174, 344
*spék̑ -ye/o- ..................................... 402
*seib- .......................................... 78–79
*sreu- .............................. 136, 391, 422
*sek - ................ 91, 161, 187, 391, 419
*(s)teg- ............................................. 94
*sem- .............................. 121, 355, 371
*steh2- ............................. 141, 396, 405
*sen- ............................................... 284
*stéh2tores ...................................... 236
*seneh2- ............................................ 97
*steib- ............................................... 79
*sen(o)- ............................................ 91
*(s)tenh2- .......................................... 94
*seno- ............................................. 284
*(s)teug- ........................................... 81
*sen-yos-m̥ ..................................... 283
*sth2dhlom ......................................... 12
*sep(t)ḿ̥ .......................................... 123
*sth2tós ............................................. 69
*septm̥ ............................ 101, 122, 365
*stHtós ............................................. 68
*septm̥ h2o- ...................................... 302
*sti-sth2-e-ti ............................ 162, 395
*septm̥ (m)o- ................................... 101
*streh3- ........................................... 399
*septm̥ (m)os ................................... 302
*str̥ tós ............................................. 115
*se-sh1-ō ........................................... 99
*suH-nu- ........................................ 146
*seuH- ............................................ 146
*sūs ................................................ 145
h
w
464
Index des formes
*swe ................................................ 334
*tū̆ .................................................... 73
*swe- .............................................. 336
*t(w)ḗ ............................................. 140
*s(w)e ............................................. 333
*t(w)oi ............................................ 150
*sweh2du- ....................................... 140
*ud- ................................................ 135
*sweid- ............................................. 93 *swek̑ rū́ - ......................................... 157
*ud-n-é/ós ...................................... 177
*s(w)eks .......................................... 365 *swék̑ uro- ....................................... 157
*udōr .............................................. 135 *uk̑ - ................................................ 135 *wĕ ................................................. 315
*swé/ópnos ....................................... 10
*wē ................................................. 315
*swer- ............................................... 93
*-wē̆ ................................................ 131
*swe-sor ......................................... 358
*wed- .............................................. 135
*swó- .............................................. 333
*wéd-ōr .......................................... 176
*te ................................................... 310
*weg̑ h- ....................................... 86, 413
*te- ................................................. 329
*wei ................................................ 318
*teh2 ................................................ 174
*weid- ................. 80, 93, 167, 406, 431
*teh2- .............................................. 344
*weih1- ............................................ 425 *weik̑ - ............................................. 393
*tek- .................................................. 76 *tek̑ - .................................................. 76
*wek̑ - .............................. 135, 397, 429
*ték-e- .............................................. 76 *tek̑ s- .............................................. 397
*wekw- ............................................. 408
*tek-yé- ............................................. 76 *ti-tk̑ -é- ............................................. 76
*wel(h1)- ......................................... 117
*tod .................................................. 80
*werdhom .......................................... 86
*toi- ........................................ 346, 348
*werg̑ - .............................................. 80
*trep- .............................................. 407
*wersā ............................................ 112
*treyes ............................ 358, 360–361
*wert- ............................................. 117
*tri- ................................................ 360
*wes- ....................................... 111, 130
*tri-sr- ............................................ 358
*wesperos ....................................... 112
*tr̥ stós ............................................. 116
*we-wroh1g̑ - ................................... 143 *wik̑ wo- .......................................... 301
*tū .................................................. 327
*wekw-ós ......................................... 157 *wer- ........................................ 93, 398
Index des formes
465
*wīs(o)- .......................................... 137
*wr̥ t-tós .......................................... 116
*wl̥ kwos ..................................... 92, 119
*yag̑ - ....................................... 110, 132
*wód-r̥ /*wéd-n- ............................. 175
*yeh1- .............................................. 110
*woid-h2e ........................ 149, 160, 379
*yḗkw-r̥ /*yekw-n- .................... 108, 176
*wókw-m̥ ......................... 157, 185–186
*yes- ............................................... 128
*wṓkw-s ........................... 157, 179, 185
*yeudh- ............................................ 110
*wos ............................................... 331
*yeug- ....................... 81, 109, 159, 399
*wreh1g̑ - ......................................... 143
*yeug̑ -es-h2 ..................................... 133
*wr̥ (H)d wo- ................................... 389
*yo- ........................................ 108, 350
*wr̥ -né-u-/*wr̥ -n-u- ........................ 398
*yugóm ..................................... 81, 340
*wr̥ t- ............................................... 117
*yūs ................................................ 331
h
Hittite ammēl ............................................. 322
ešši .................................................. 382
antuḫšaš ......................................... 340
eštu ......................................... 382, 426
anzēl ............................................... 322
ēšzi .................................... 92, 381–382
ar- ................................................... 382
ḫantezzi- ........................................... 95
aranzi ............................................. 382
ḫaranaš .......................................... 102
āri ................................................... 382
ḫaraš .............................................. 102
arunaš ............................................ 120
ḫarki- ........................................ 95, 304
aššuš ....................................... 305–306
ḫaštāi- ............................................ 102
dāi .................................................. 385
ḫaštiyaš .......................................... 102
dankuiš ........................................... 305
ḫēkur ........................................ 98, 144
daššuš ............................................. 305
ḫuwant- .......................................... 103
edmi ................................................ 381
iugan .............................................. 120
ēšḫar ............................................... 176
kard- ............................................... 156
ešmi ................................................ 382
kardii̯ aš ........................................... 156
ešnaš ............................................... 176
keššera- .......................................... 196
466
Index des formes
ki- ..................................................... 75
parkuiš ............................................ 305
kiššaraš .......................................... 196
partaun-aš ...................................... 307
kuen- ............................................... 429
partawar ......................................... 307
kuenzi ............................... 87, 124, 395
peškizzi ........................................... 401
kuiš ........................... 77, 174, 350, 352
šamankurwant ................................ 306
kuiški .............................................. 352
taru ................................................. 136
kuit ............................ 77, 174, 350, 352
tuzzin .............................................. 184
kuit-ki ............................................. 352
warḫuiš ........................................... 305
kunant ............................................. 429
waš- ................................................ 111
kunanzi ........................................... 395
watar .............................................. 175
mēhur ............................................... 98
wekkanzi ................................. 397, 438
nekut- .............................................. 124
wēkmi ............................................. 135
nekuz .............................. 124, 156, 169
wekzi ............................................... 382
newaḫḫ- .................................... 95, 141
wēkzi ....................................... 397, 438
newaš .............................................. 302
wellun ............................................. 184
paḫ-š- ............................................... 68
wēš .................................................. 318
paḫḫuenaš ...................................... 176
weš- ................................................. 111
paḫḫur ............................................ 176
widār .............................................. 176
pāi .................................................. 401
witen- .............................................. 175
panguš ............................................ 305
Sanskrit ábhaiṣma ........................................ 411
abharata ................................... 14, 392
ábhaiṣuḥ ......................................... 411
abhārṣam ........................................ 410
abhār .............................................. 411
abhārṣīḥ .......................................... 411
ábharam ......................................... 120
abhārṣīt .......................................... 411
abharāma ....................................... 392
abhārṣṭām ....................................... 411
ábharan .......................................... 164
abhí ................................................ 123
abharat, ábharat .................... 165–166
abhrá- ..................................... 106, 122
Index des formes
467
abhríya- .......................................... 106
agnáye ............................................ 193
ábhūt .............................................. 145
agní- ....................................... 193, 277
abodhi ............................................ 410
agníbhiḥ ......................................... 359
abūbudhat ...................................... 410
agníbhyaḥ ....................................... 359
ácukrudhat ..................................... 410
agnīnā́ m .......................................... 359
ádāḥ ................................................ 405
agníṣu ..................................... 277, 359
ádām ............................................... 405
ágr̥ dhat ........................................... 406
ádāma ............................................. 405
ahám ....................... 310, 312, 318, 327
ádarśi ............................................. 406
áhan- .............................................. 279
ádāt ........................................ 384, 405
áhasu .............................................. 279
ádāta .............................................. 405
áhēḥ ................................................ 199
ádātam ............................................ 405
áhi- ................................. 188, 199, 270
ádātām ............................................ 405
áhinā .............................................. 188
ádāva .............................................. 405
áhīnām ............................................ 270
addhi .............................................. 400
ahr̥ ṣata ............................................ 411
(á)dhāt .............................................. 85
áiḥ .................................................. 386
adhi, ádhi ............................... 105, 224
áima ................................................ 386
adhita ............................................. 104
áit ................................................... 386
adhyádhattam ................................. 105
áita ................................................. 386
adhyásthāt ...................................... 163
aj- ................................................... 426
ádita ............................................... 405
ajā .................................................. 235
ádmi ................................................ 381
ajāmi ...................................... 131, 391
ádreḥ .............................................. 204
ájanti .............................................. 392
ádri- ................................................ 204
ajasi ................................................ 391
ádr̥ śan ............................................ 406
ajati, ájati ............................... 166, 392
áduḥ ................................................ 405
ajatu ............................................... 426
ágan ................................................ 405
ajāváyaḥ ......................................... 235
ághaḥ .............................................. 381
ákar ................................................ 405
ághnan .............................................. 99
ákran .............................................. 405
ágman ............................................. 405
akr̥ ta ............................................... 405
468
Index des formes
ákṣita- ............................................. 125
asat ........................................... 91, 419
amítra- ............................................ 403
asáu ................................................ 337
amitrayá- ........................................ 403
áśeran ............................................. 390
amitrā-yúdh- ........................... 108, 110
ási ................................................... 129
áṃsaḥ ............................................. 214
áśmā ....................... 125, 142, 172–173
áṃsau ..................................... 214, 224
asmā- ...................................... 323, 326
áṃsayoḥ ......................................... 224
asmā́ bhiḥ ........................ 320–321, 326
ámucat ............................................ 406
asmábhya ....................................... 321
aneṣata ........................................... 411
asmábhyam .................... 321–323, 331
aniśita- ............................................. 75
asmád ..................... 322–323, 326, 331
anu .................................................. 105
asmaí .............................................. 197
anūka- ............................................ 145
asmā́ ka- .......................................... 323
anvávindat ...................................... 163
asmā́ kam ................ 320, 323–324, 331
anya- .............................................. 301
asmā́ n ..................................... 126, 319
anya-, anyá- ........................... 265, 299
áśman- .................................... 190, 226
anyad, anyád ............................ 80, 299
áśmanā ........................................... 190
anyāsām ......................................... 351
áśmānam ........................................ 173
anyeṣām, anyéṣām .................. 265, 351
áśman(i) ......................................... 173
áp- .................................................. 106
áśmanoḥ ......................................... 226
ápaiti .............................................. 163
asmā́ su ............ 320, 322, 325–326, 331
apapta(t) ......................................... 409
asmé ............................... 322, 325–326
apás- ............................................... 273
ásmi ................................................ 129
apásām ........................................... 273
áśnaḥ .............................................. 173
ápiya- ..................................... 106–107
asr̥ jat .............................................. 162
aprāt ............................................... 399
áśrot ................................................ 398
ápya- .............................................. 107
aṣṭā́ ................................................. 365
arí- .................................................. 234
aṣṭā́ -daśa ........................................ 366
arīramat ......................................... 410
aṣṭáu ............................................... 365
áruhat ............................................. 406
ásthām ............................................ 141
aryáḥ .............................................. 234
asthāt .............................................. 162
Index des formes
469
ásthi ................................................ 102
áyudhyat ......................................... 109
asti, ásti .................... 92, 129–130, 381
áyugdhvam ..................................... 109
astu, ástu ................................ 382, 426
ayuji ................................................ 109
áśvā ........................................ 120, 175
ayujmahi ......................................... 109
áśva- ............................... 120, 175, 268
áyujran ........................................... 109
áśvaiḥ ............................................. 250
ayukta ............................................. 109
áśvām ............................................. 120
áyukta ..................................... 109, 167
áśvānām ......................................... 268
áyukthāḥ ......................................... 109
aśva-yúj- ......................................... 109
ayunak .................................... 109, 167
áśvebhiḥ ......................................... 250
ayuñjata .......................................... 109
áti ................................................... 130
ādhvam ........................................... 388
áva .................................................... 94
ājan ................................................ 392
aváḥ .................................................. 94
ājat, ā́ jat ......................... 141, 166, 392
ávaham ........................................... 386
ā́ p- .................................................. 106
avākṣam .................................. 138–139
ā̆p- .................................................... 57
avatād ............................................. 425
āpa .................................................. 418
avati ........................................ 146, 425
ā́ paḥ .................................................. 58
avayaḥ ............................................ 235
āpayā́ yām ....................................... 209
āváyoḥ ............................................ 329
āraik ............................................... 167
ávi- ......................................... 199, 436
ā́ riṇak ............................................. 110
ávidam .................................... 120, 410
ārta ................................. 158, 166, 398
ávidat .............................................. 406
ās- ................................................... 388
áviḥ ................................................. 105
ā́ śābhyas ......................................... 258
ávocat ............................................. 408
ā́ śāḥ ................................................ 258
ávyaḥ ...................... 105, 199–200, 436
āsat- ................................................ 130
ayám ......................... 30, 147, 320, 337
āsata ............................................... 390
áyāma ............................................. 420
ā́ sate ............................................... 390
áyati ................................................ 420
ā́ smahe ........................................... 388
áyodhīt ............................................ 109
ā́ smahi ............................................ 388
áyudhyaḥ ........................................ 109
āvā́ bhyām ............................... 316, 329
470
Index des formes
āvád ................................................ 329
bharāmi ............................ 84, 113, 144
āvaḥ ................................................ 167
bháran ............................................ 243
āvám ....................................... 315, 329
bhárantam ...................................... 430
āvām, āvā́ m ............................ 315, 329
bháranti .................................. 159, 164
āvar ................................................ 167
bharat ............................................. 165
āvidhyat .......................................... 167
bhárataḥ ......................................... 430
āyam ............................................... 386
bharatha ......................................... 392
ā́ yan .......................................... 99, 386
bhárati ............................................ 430
ā́ yukta ..................................... 109, 167
bhárāti ............................................ 420
āyunak .................................... 109, 167
bhárēt ............................................... 74
babhrí- ............................................ 304
bhávati ............................................ 418
babhū́ va .......................................... 417
bhī- ................................................. 411
baga- .............................................. 267
bhiṣáj- ............................................ 403
bagānām ......................................... 267
bhiṣajyá- ......................................... 403
bāhávā .................................... 146, 217
bhóga- .............................................. 81
bāhū́ ........................................ 146, 217
bhr̥ - ................................... 56, 120, 304
bahú- .................................. 54–55, 436
bhrā́ tar- ............................................ 74
bāhu- ...................................... 225, 261
bhū- .................................................. 56
bāhú- ........................................ 55, 140
bhū́ yas- ........................................... 436
bāhúbhyām ..................................... 221
bhūyiṣṭhatara- ................................ 289
bāhúṣu ............................................ 261
bíbharmi ......................................... 394
bāh(u)vóḥ ....................................... 225
bíbharti ............................. 56, 162, 394
bála- ................................................. 78
bíbhrati ........................................... 394
bándhuḥ ............................................ 55
bibhr̥ mási ....................................... 394
bhaj- ................................................. 56
bodh- .............................................. 151
bhar- ................................................. 56
bodhate ............................................. 55
bhara .............................................. 130
bódhati ........................................... 150
bhára .............................................. 424
bodháyati ........................................ 151
bhárāma ......................................... 420
brahmábhiḥ .................................... 267
bharāmaḥ ....................................... 392
brahmá-bhyaḥ ................................ 267
Index des formes
471
brahmán- ................................ 194, 267
dakṣiṇe ........................................... 300
brahmáṇām .................................... 267
dáma- ..................................... 106, 207
brahmáṇe ....................................... 194
dáme ....................................... 106, 207
bŕ̥haspátaye .................................... 193
dámiya- .................................. 106–107
bruvāṇá- ......................................... 430
dán .......................................... 169, 171
bubodha .......................................... 151
dántam ............................................ 171
-ca .................................................. 129
dárdar ............................................. 160
catasr̥ - ............................................ 362
darmá- ............................................ 267
cátasraḥ .......................................... 362
darmán- .......................................... 267
catasŕ̥bhiḥ ...................................... 362
darś- ............................................... 114
catasŕ̥bhyaḥ .................................... 362
dárśam ............................................ 114
catasr̥ ṇā́ m ....................................... 362
dā́ ru ................................ 134, 136, 170
catasŕ̥ṣu .......................................... 362
dāś- ................................................. 397
catur-, cátur- .......................... 362, 366
dáśa ........................................ 353, 366
catúraḥ ........................................... 362
daśamá- .................................. 302, 373
catúrbhiḥ ........................................ 362
daśát- .............................................. 366
catúrbhyaḥ ..................................... 362
dā́ śat- .............................................. 397
cátur-daśa ...................................... 366
dā́ ṣṭi ................................................ 397
caturṇā́ m ........................................ 362
dāsyā́ mi .......................................... 419
catúrṣu ............................................ 362
datā́ ................................................ 171
caturthá- ................................. 101, 287
dātā ................................................ 385
catvā́ raḥ ................................... 77, 361
datáḥ .............................................. 170
catvā́ ri ............................................ 361
dātár- .............................................. 226
dā- .................................................. 405
dātāsmi ........................................... 385
dádāmi .................................... 161, 394
dātr̄ ̥n ............................................... 246
dádati ............................................. 159
dātróḥ ............................................. 226
dādhā́ ra .......................................... 417
deva ................................................ 180
dadhmáḥ ........................................ 104
devā́ ................................................ 355
dakṣiṇa- .................................. 299–300
deváḥ .............................................. 339
dakṣiṇāḥ ......................................... 300
deváiḥ ............................................. 346
472
Index des formes
devám ............................................. 340
d(u)vé ............................................. 355
devā́ m ..................................... 267, 360
dvā́ - ................................................ 366
devā́ n .............................................. 319
dvā- ................................................ 355
devā́ nām ................................. 267, 360
dvā́ -daśa ......................................... 366
devā́ so ............................................ 229
dvā-daśa, dvā́ -daśa- ............... 355, 366
devátta- .......................................... 104
dvau ................................................ 355
devébhyaḥ ...................... 255–256, 346
dváyoḥ ............................................ 225
devéṣu ..................................... 275, 346
dve śate ........................................... 370
dhā- ................................................ 104
dvi- ................................. 356–357, 373
dhatthaḥ ......................................... 105
dvi-pád- .......................... 273, 356, 373
dhehi ............................................... 163
dvipádām ........................................ 273
dhita- .............................................. 104
dvi-śata- ......................................... 370
dīrgha-, dīrghá- ........................ 87, 302
dvitī́ya- ........................................... 373
dīrgha-bāhu- .................................. 302
ebhíḥ ............................................... 320
diśáti ................................................. 80
édhaḥ .............................................. 148
divé ................................................. 148
eka- ................. 150, 298–299, 354, 366
dróḥ ................................................ 170
ékā-daśa- ........................................ 366
dr̥ ṣṭá- .............................................. 114
ekam ....................................... 299, 354
duhitā́ .............................................. 114
ékasmin .......................................... 354
dúr- ................................................. 106
émi .................................................. 385
dúr(i)yā .......................................... 276
éṣi ........................................... 163, 386
dúr(i)ya- ......................... 106–107, 276
etana ............................................... 427
dúriya- ............................................ 107
eti, éti ...................... 163, 384, 386, 420
dúrya- ............................................. 107
etu ................................................... 426
duvā́ ................................................ 356
gácchati .................................... 82, 400
d(u)vā́ ............................................. 355
gachatāt .......................................... 425
d(u)vā́ bhyām .................................. 356
gámat .............................................. 120
d(u)váu ........................................... 355
gárbhaḥ ............................................ 83
d(u)váyoḥ ....................................... 356
garīyastara- .................................... 289
duvé ................................................ 356
gáuḥ ................................................ 152
Index des formes
473
ghaná- .............................................. 87
hutáḥ .............................................. 136
gharmáḥ ........................................... 88
idám .......................................... 30, 128
ghnánti ....................... 88, 99, 395–396
idhāná- ........................................... 128
girati ............................................... 393
ihí ................................................... 148
girí- ........................ 243, 260–261, 359
imaḥ, imáḥ ...................... 128, 385, 420
giríbhyaḥ ........................................ 260
imám ................................................. 30
girī́n ........................................ 243, 359
imā́ m ................................................. 30
giríṣu .............................................. 261
imási .............................................. 385
gnā́ ḥ ................................................ 241
índ-avaḥ ......................................... 233
gr̥ hébhyaḥ ...................................... 321
indrāgní- ................................ 221, 225
gurú- ....................................... 289, 305
indrāgníbhyām ............................... 221
haṃsáḥ ........................................... 132
indrāpūṣáṇ- .................................... 226
hánti ................. 88, 124, 382, 395–396
indrāpūṣṇóḥ ................................... 226
hantu .............................................. 426
índu- ............................................... 233
hári- ........................................ 253, 304
ī́rte .................................................. 138
háribhiḥ .......................................... 253
ita ................................................... 427
hástā ............................................... 214
itara-, ítara- ........................... 299, 301
hásta- .............................................. 316
ithá ................................................. 386
hástābhyām .................................... 316
iyám .................................................. 30
hástaiḥ ............................................ 153
iyām ........................................ 422–423
hástau ..................................... 213–214
iyāma .............................................. 422
hástayoḥ ......................................... 316
jagāma ...................................... 83, 414
hatá- ............................................... 126
jágat- .............................................. 394
héman ....................................... 86, 120
jan- ......................................... 104–105
hiri- ................................................ 304
jánaḥ ................................................ 64
híri-śmaśru- .................................... 304
jánati ...................................... 104, 395
hitáḥ ............................................... 104
jānā́ ti ................................................ 80
hótar- .............................................. 279
janáyati .................................. 104, 134
hótr̥ ṣu ............................................. 279
jáṅghā ............................................ 225
hr̥ - ................................................... 411
jáṅghayoḥ ....................................... 225
474
Index des formes
jániman- ......................................... 104
krátave ............................................ 193
janitár- ........................................... 218
kratu- .............................................. 193
janitā́ rā ........................................... 218
krátum ............................................ 184
jánman- .......................................... 104
krátve .............................................. 193
jāyate .............................................. 105
kravíṣ- .............................................. 75
jigāti, jígāti ............................. 394, 396
krīṇā́ ti ............................................. 399
jíghnate .......................... 101, 395–396
kr̥ ṇóta ............................................. 427
jihvā́ ........................................ 178, 343
kr̥ ṇotu ............................................. 426
jihvā́ ḥ .............................................. 232
kr̥ ṇutá ............................................. 427
jihváyā ............................................ 343
laghú- ............................................. 305
jihvā́ yāḥ .......................................... 199
laghúḥ .............................................. 66
jīvá- .................................. 83, 137, 302
mā ................................................... 312
jī́vati ............................................... 142
mā́ ................................... 140, 408, 428
juhómi ............................................ 161
mā- ................................................. 139
juhumáḥ .......................................... 161
mád ......... 312, 314, 322–323, 326–327
juhvé ............................................... 161
mádati .............................................. 67
jyeṣṭhá- ........................................... 287
mádhyaḥ ................................... 86, 119
káḥ ............................................ 77, 352
máhyam .................................. 311, 328
kanī́nām .......................................... 348
mā́ m ................................ 140, 312, 327
kaniṣṭhá- ......................................... 287
máma ...................................... 311, 329
kanyā̀ bhiḥ ....................................... 348
mamandhi ....................................... 160
kanyā̀ bhyaḥ .................................... 348
mánaḥ ............................................. 133
kanyā̀ ḥ ............................................ 348
mánave ........................................... 193
kanyānām ....................................... 348
manā́ yai .......................................... 192
kanyā̀ su .......................................... 348
manīṣā́ .................................... 188, 436
kariṣyā́ (ḥ) ....................................... 376
manīṣáyā ................................ 188, 436
káścid ............................................. 352
mánu- ............................................. 193
kaví- ................................................ 403
mányate .................................. 124, 402
kavīyá- ............................................ 403
maryaká- .......................................... 97
kā́ yamāna- ...................................... 402
mā́ s- ................................................ 139
Index des formes
475
mātā́ ................................................ 141
náktam ............................................ 124
mata- .............................................. 126
nānāma ........................................... 417
mata-vacas- .................................... 126
náram ............................................. 186
matī́ ................................................ 188
nas .................................................. 126
matí- ............................................... 188
nas- ................................................. 124
matyā́ .............................................. 188
naś- ................................................. 104
máyā ....................................... 313, 327
Nā́ satyābhyām ................................ 219
máyi ........................................ 314, 327
nāśáyāmi ........................................ 133
me ................................... 150, 310, 335
nāśáyati .................................. 104, 134
medhā́ ............................................. 133
nau .................................................. 316
mīḍhúṣaḥ ........................................ 431
náva ................................................ 365
mīḍhúṣī ........................................... 431
návā ................................................ 174
mīḍhvā́ ṃsaḥ ................................... 431
nava- ................................................ 63
mīḍhvā́ n .......................................... 431
nava-, náva- ............... 63–64, 291, 302
mīḍh-vas ......................................... 431
náva-daśa ....................................... 366
mimāti ............................................ 139
náviṣṭha- ......................................... 291
mita- ............................................... 139
náv(ī)yas- ....................................... 291
mr̥ dú- ............................................. 118
nī- ................................................... 411
mriyáte ........................................... 402
nīḍáḥ ................................................ 93
mr̥ tyóḥ ............................................ 204
nítya- ................................................ 37
mr̥ tyú- ............................................. 204
nŕ̥bhiḥ ............................................. 320
mūrdhán ......................................... 211
nú .................................................... 302
mūrdhán- ........................................ 211
nū́ .................................................... 302
mūrdháni ........................................ 211
ójaḥ .................................................. 82
ná .................................................... 124
ójasaḥ ............................................... 82
nábhaḥ ........................................ 84, 91
óṣati ................................................ 151
naḥ .......................................... 319, 332
pā- .................................................. 427
naiṣṭa .............................................. 411
pácāmi .............................................. 57
nák .................................................. 124
pacati ................................................ 57
nákṣati ............................................ 419
padáḥ ................................................ 72
476
Index des formes
padí ................................................ 129
pathi-kŕ̥t- ........................................ 127
padvánt- ......................................... 306
pátī ................................................. 217
padvát- ........................................... 306
páti- ........................ 134, 179, 188, 193
pāhi ................................................ 100
pátinā ..................................... 188–189
pakthá- ........................................... 287
pátnī ............................................... 137
Pakthá- ........................................... 373
pátram .................................. 58, 60, 73
páñca .................................. 57, 65, 365
pā́ tram ............................................ 100
páñca-daśa ............................. 353, 366
pátyā ....................................... 188–189
pañcamá- ........................................ 287
pátye ............................................... 193
pañcā-śát- .............................. 353, 368
páyate ............................................. 137
pánthāḥ .......................................... 172
pāyú- .............................................. 253
papāta ............................................ 415
pāyúbhiḥ ......................................... 253
paptúr ............................................. 415
píbati ...................................... 101, 395
paścā́ .............................................. 187
piparti ............................................... 56
páśu .................................. 75, 136, 179
pītá- ................................................ 137
paśú- ....... 105, 179, 199, 243, 260, 436
pítar ................................................ 113
paśúbhyaḥ ...................................... 260
pitár- 74, 194, 211, 218, 222, 226, 236,
paśū́ n .............................................. 243
254, 262, 273, 279
paśúnā ............................................ 189
pitárā .............................................. 218
paśvā́ .............................................. 189
pitáraḥ ............................ 130, 236–237
paśváḥ .................... 105, 199, 243, 436
pitáram ........................................... 130
páśyāmi .......................................... 402
pitárau ............................................ 218
pā́ t .............................................. 72–73
pitári ............................................... 211
pāta ................................................ 427
pitŕ̥bhiḥ .......................................... 254
patāmi .............................................. 72
pitŕ̥bhyaḥ ................................ 262–263
pátati ...................................... 396, 409
pitŕ̥bhyām ....................................... 222
-pátaye ............................................ 193
pitré ................................................ 194
pate ................................................. 181
pitr̄ ̥n ................................................ 246
patháḥ .................................... 127, 172
pitr̥ ̄ ṇā́ m ........................................... 273
pathi- .............................................. 127
pitróḥ .............................................. 226
Index des formes
477
pitŕ̥ṣu .............................................. 279
rājan ............................................... 125
pī́vā ................................................. 137
rā́ jan- .............. 190, 194, 211, 246, 254
pīvan-, pī́van- ................. 137, 307, 359
rā́ jānaḥ ........................................... 246
pī́varī .............................. 138, 307, 359
rā́ jani .............................................. 211
pr̥ - ..................................................... 56
rā́ jati ............................................... 103
prajā́ bhiḥ ........................................ 251
rā́ jñā ............................................... 190
prathamá- ....................................... 373
rā́ jñaḥ ............................................. 246
práti ................................................ 163
rā́ jñe ............................................... 194
pra-yúdh- ........................................ 109
rákṣas- ............................................ 262
pr̥ ccháti .......................................... 400
rákṣobhyaḥ ..................................... 262
prīṇā́ ti ............................................. 403
ram- ................................................ 410
priyáḥ ............................................... 30
raśmáyaḥ ........................................ 233
priyám .............................................. 30
raśmí- ............................................. 233
priyā́ m .............................................. 30
rátha- ........................................ 96, 371
priyátama- ...................................... 373
rathī́ ................................................ 371
priyāyate ........................................ 403
rā́ yati .............................................. 402
pr̥ ṇā́ ti ...................................... 117, 399
r̥ bhú- ............................................... 106
pŕ̥tanā- ............................................ 403
ŕ̥bhva- ............................................. 106
pr̥ tanāyá- ........................................ 403
ric- .................................................. 110
pr̥ thú- .............................................. 118
riṇákti ............................................. 113
purú- ............................................... 118
r̥ ji- .................................... 95, 303–304
purūṇā́ m ......................................... 270
r̥ jí-śvan- .......................................... 303
pū́ rva- ............................................. 372
r̥ jrá- ................................................ 303
Pūṣán- ............................................ 190
ŕ̥kṣaḥ, r̥ kṣaḥ .............. 45, 115, 117, 177
Pūṣṇā́ .............................................. 190
r̥ ṇomi ...................................... 158–159
putrā́ ṃś .......................................... 240
r̥ ṇóti ........................................ 136, 398
putrā́ n ..................................... 240, 331
r̥ ṇutá ............................................... 136
raghúḥ .............................................. 66
r̥ ṇvánti ............................................ 159
rā́ jabhiḥ .......................................... 254
roc- ................................................. 152
rájaḥ ............................................... 113
rocáyati .......................................... 152
478
Index des formes
roditi ............................................... 397
saptá-daśa ...................................... 366
róga- ........................................... 81–82
saptama- ......................................... 302
roká- ................................................. 75
sar- ................................................... 65
rudanti ............................................ 397
sárpati .............................................. 66
rudhi- ................................................ 86
sarva-, sárva- ......................... 299, 301
rudhiráḥ .................................... 86, 113
sarvam ............................................ 299
rujanti ............................................... 82
sáścati ............................................ 161
rujati ................................................. 82
satáḥ ............................................... 429
ruróca ............................................. 152
satī́ .................................................. 429
rúśant- .............................................. 76
sī́dati ............................................... 395
sa- ................................................... 121
síndhau ........................................... 209
sā́ .................................................... 343
síndhoḥ ........................................... 199
sá/tá- .............. 308, 338–339, 343, 350
síndhu- .................................... 199, 209
sac- ................................................. 161
síṣakti ............................................. 161
sácamāna- ...................................... 430
siṣvapaḥ .......................................... 410
sacate ..................................... 391, 419
smaḥ ............................................... 290
sácate ................................. 65, 91, 391
snā́ va .............................................. 176
sádaḥ ................................................ 93
snā́ van- ........................................... 176
sahásra-bāhu- ................................ 193
snuṣā́ ........................................ 92, 135
sahásra-bāhve ................................ 193
srávati .................................... 391, 422
sahásram ........................................ 371
sravet .............................................. 422
sajóṣaso .......................................... 229
sr̥ játi ............................................... 393
sa-kŕ̥t .............................................. 121
srutáḥ ............................................. 136
sakṣat .............................................. 419
stáuti ............................................... 397
sána- ......................................... 91, 284
sthā́ tar- ........................................... 236
sanaká- ..................................... 97, 284
sthā́ tāraḥ ........................................ 236
sántam ............................................ 429
sthitáḥ ....................................... 67, 141
sánti ........................................ 103, 129
stotár- ..................................... 262, 273
sányas- ........................................... 284
stotŕ̥bhyaḥ ...................................... 262
saptá ................................. 73, 122, 365
stotr̥ ̄ ṇā́ m ......................................... 273
Index des formes
479
str̥ ṇā́ ti ............................................. 399
śayadhve ......................................... 388
str̥ ṇīté ............................................. 399
śaye, śáye ................................. 75, 387
str̥ táḥ .............................................. 115
śere, śére ................................. 390, 393
stuvanti ........................................... 397
śeṣe ................................................. 150
sūkará- ........................................... 145
śete, śéte ................................. 150, 387
sūnávaḥ .......................................... 234
śi- ...................................................... 75
sūnúḥ ...................................... 145–146
śíprā ............................... 216, 220, 355
sūnúm ............................................. 121
śíprābhyām ..................................... 220
sūríbhyaḥ ........................................ 260
śípre ........................................ 216, 355
sū́ te ................................................. 146
śíśave .............................................. 193
svá- ................................................. 333
śíśu- ................................................ 193
svādavaḥ ........................................ 306
śíśve ................................................ 193
svādu- ............................................. 305
śraddhā- ........................................... 75
svāduḥ ............................................ 306
śŕ̥ṅga- ..................................... 117, 214
svap- ............................................... 410
śr̥ ṅge ............................................... 214
svāpayati .......................................... 57
śr̥ ṇómi ............................................ 158
svásar- ............................................ 358
śr̥ ṇota(na) ....................................... 427
svásr̥ - .............................................. 360
śr̥ ṇóti .............................................. 398
svásr̥ ̄ ṇām ........................................ 360
śr̥ ṇu ................................................ 424
svayám ............................................ 333
śr̥ ṇumáḥ .......................................... 158
syā́ m ....................................... 137, 421
śr̥ ṇutā́ ............................................. 427
syā́ ma ............................................. 422
śrótā ....................................... 158, 427
śaśá- ............................................... 132
śru- ......................................... 158, 417
śatá-hima- ...................................... 120
śrudhí ............................. 129, 158, 425
śatám ................................ 74, 122, 369
śrutā ............................................... 427
śátru- .............................. 243, 277, 403
śrutám ............................................ 158
śátrūn ............................................. 243
śuc- ................................................. 304
śátruṣu ............................................ 277
śuci- ................................................ 304
śatrūyá- .......................................... 403
śuśruve ........................................... 417
śay- ................................................. 388
ś(u)vā́ nam ....................................... 186
480
Index des formes
śvā́ .................................................... 77
tarṣáyati ......................................... 133
śván- ....................................... 218, 237
tāsām, tā́ sām .................. 268, 348, 351
śvā́ nā .............................................. 218
tásmād ............................................ 340
śvā́ naḥ ............................................ 237
tasmai, tásmai ........ 340–342, 344, 437
śvaśrū́ ............................................. 157
tásmin ............................. 322, 340, 354
śváśura- .......................................... 157
tasthima .......................................... 415
ṣaṣ- ......................................... 366, 369
tāṣṭi ......................................... 396, 438
ṣaṣṭhá- ............................................ 287
tā́ su ................................................. 348
ṣaṣṭí- ............................................... 369
tásya ....................................... 340, 342
ṣó-ḍaśa ........................................... 366
tásyāḥ ............................................. 343
tā́ .................................... 344–345, 348
tasyai, tásyai .......................... 343–344
tá- ........................... 325, 348, 351, 354
tásyām ............................................ 343
tā́ bhiḥ ............................................. 348
tatāna ............................................. 415
tā́ bhyaḥ ........................................... 348
táti .................................................. 133
tā́ bhyām .................................. 316, 344
tatne ................................................ 415
tád ............................ 80, 340, 342, 350
táu .................................................. 344
tāḥ .................................................. 349
tava ................................................. 336
tā́ ḥ .................................................. 348
táyā ................................. 188, 343, 436
táiḥ ......................................... 346–347
táyoḥ ............................... 316, 344–345
takṣ- ................................................ 397
te ..................................................... 346
tákṣā ............................................... 125
te, té ................ 150, 335, 344, 346, 348
tákṣabhyaḥ ..................................... 262
tébhiḥ ...................................... 250, 346
tákṣan- ............................................ 262
tébhyaḥ ........................................... 346
tákṣat- ............................................. 397
téna ......................................... 187, 340
tákṣati ..................................... 397, 438
téṣām ...................................... 265, 346
tám .......................................... 340–341
teṣām, téṣām ........... 265, 325, 346, 351
tā́ m .......................................... 174, 343
téṣu ................................................. 346
tā́ n .................................................. 346
tisráḥ .............................. 358–359, 362
tāni ......................................... 347–348
tisŕ̥bhiḥ ........................................... 360
tanu- ............................................... 305
tisŕ̥bhyaḥ ........................................ 360
Index des formes
481
tisr̥ ṇā́ m ........................................... 360
udán ................................ 125, 176, 211
tisr̥ ̄ ṇā́ m ........................................... 360
udán- .............................................. 211
tisŕ̥ṣu ............................................... 360
udáni ....................................... 176, 211
tiṣṭhati, tíṣṭhati ......... 68, 162, 394–396
udnáḥ .............................................. 177
tráyaḥ ..................................... 358–359
ugrá- ................................................. 81
tráyāṇām ................................ 359–360
ukṣáṇaḥ .......................................... 236
tráyo-daśa ...................................... 366
úpāsthāt .......................................... 162
trī́ .................................................... 359
úrā .................................................. 170
tribhiḥ, tribhíḥ ........................ 358–359
úraṇam ........................................... 170
tribhyáḥ .......................................... 359
urú- ................................. 284, 286, 436
trī́n .................................................. 359
uśánt- .............................................. 429
trīṇā́ m ............................................. 359
uśat- ................................................ 429
trī́ṇi ................................................. 359
uśatī́ ................................................ 429
trīṇi śatāni ...................................... 370
uśmási ............................................ 135
tri-śata- .......................................... 370
usríyābhyaḥ .................................... 257
triṣú ................................................ 359
usríyāṇām ....................................... 267
tr̥ ṣṭáḥ .............................................. 116
uttara- ............................................ 299
tuám ................................................ 329
uttarāḥ ............................................ 300
túbhyam .................................. 328–329
uttare .............................................. 300
turī́ya- ............................................. 287
ū́ dhnaḥ ............................................ 176
tutudé .............................................. 161
ūrdhvá- ........................................... 389
t(u)vám ............................................. 73
ūrú- ................................................. 225
t(u)vé .............................................. 329
ūr(u)vóḥ .......................................... 225
tvā́ ................................................... 313
ūtī́ ................................................... 188
tvád ................................................. 327
ūti-, ūtí- .................................. 146, 188
tvám ........................................ 327, 329
ūtyā́ ................................................. 188
tvā́ m ........................................ 140, 327
vā .................................................... 131
tváyā ....................................... 313, 327
vāc- ................................................. 313
tváyi ................................................ 327
vācā́ ................................................ 313
ubhaya- .......................................... 299
vācáḥ .............................................. 157
482
Index des formes
vā́ cam ..................................... 157, 186
véttha ...................................... 414, 416
vāghát ............................................... 88
vid- ................................................. 120
vaḥ .................................................. 332
vidá ................................................. 130
váhāmi ............................................ 138
vidhávā ............................... 66, 85, 128
váhati ................................................ 86
vidvā́ ṃsam ...................................... 431
vā́ k .................................................. 157
vīhi .................................................. 425
vākṣīt .............................................. 413
viṃśatí- ........................................... 368
vā́ m ......................................... 315, 318
vindáti .............................................. 80
váriṣṭha- ......................................... 286
vīra ................................................. 131
várīyas- .......................... 284, 286, 436
viś- .................................................. 417
varṣā́ ................................................. 92
viśáti ............................................... 393
varṣá- .............................................. 112
víṣṇavi ............................................ 209
varṣám .............................................. 92
víṣṇu- .............................................. 210
vart- ................................................ 417
viś-pátiḥ .......................................... 179
vartáyati ......................................... 104
víśva- .............................................. 301
várvarti ........................................... 160
viśva-, víśva- .......................... 299, 437
vas .................................................... 35
viśvam ............................................ 299
vas- ................................................. 111
viśvasmād ....................................... 299
vaś- ................................................. 429
viśvasmai ................................ 299, 437
vaśmi .............................................. 135
viśvasmin ........................................ 299
váṣṭi ................................................ 382
viśvāt .............................................. 299
vásu- ............................................... 260
viśvāya ............................................ 299
vásubhyaḥ ...................................... 260
viśve ................................................ 299
vāti .................................................. 103
vītáḥ ................................................ 125
vāvā́ na ............................................ 417
viviśuḥ ............................................ 417
vavárta ........................................... 417
vocam ............................................. 408
vāvárta ........................................... 417
vŕ̥ka- ................. 93, 119, 177, 192, 229
vay- ................................................. 425
vŕ̥kād ...................................... 202, 323
vayám ............................. 315, 318, 331
vŕ̥kāḥ .............................................. 229
véda ................ 132, 149, 160, 379, 414
vŕ̥kam .............................................. 183
Index des formes
483
vŕ̥kāsaḥ ........................................... 229
yónā ................................................ 209
vŕ̥kasya ................................... 196, 340
yóni- ............................................... 209
vŕ̥kāya ............................................. 192
yudh- ...................................... 109, 304
vr̥ ṇóti .............................................. 398
yugā́ ................................................ 359
vr̥ ṇuté ............................................. 398
yugám ....................... 81, 120–121, 340
vŕ̥ṣabhyām ...................................... 222
yugā́ ni ............................................. 359
vŕ̥ṣan- ............................. 205, 222, 273
yuj- ......................................... 108–109
vŕ̥ṣaṇā ............................................. 218
yunákti ............................ 109, 399, 438
vŕ̥ṣṇaḥ ............................................. 205
yuñjánti .................................. 109, 159
vŕ̥ṣṇām ............................................ 273
yuṅkté ..................................... 399, 438
vr̥ ṣṭī́ ................................................ 188
yū́ paḥ .............................................. 107
vr̥ ṣṭí- ............................................... 188
yuṣma- ............................................ 331
vr̥ ṣṭyā́ .............................................. 188
yuṣmā́ bhiḥ .............................. 320, 331
vr̥ ttáḥ .............................................. 116
yuṣmábhyam ................................... 331
yá- .......................................... 108, 338
yuṣmád ........................................... 331
yaj- ................................................. 132
yuṣmā́ datta ............................. 320, 331
yajñā́ ............................................... 340
yuṣmā́ kam ............................... 324, 331
yajñá- ............................................. 187
yuṣmā́ n ........................................... 331
yajñā́ -yajñā́ ............................ 187, 340
yuṣmā́ su .......................................... 331
yajñéna ................................... 187, 340
yuṣmé .............................................. 331
yákr̥ t ............................................... 108
yuvā́ bhyām ..................................... 329
yamā́ ............................................... 224
yuvád .............................................. 329
yamáyoḥ ......................................... 224
yuvám ............................................. 329
yánti .......................................... 99, 386
yuvā́ m ............................................. 329
yā́ sām ............................................. 268
yúvan- ............................................. 284
yātú- ............................................... 270
yúvānaḥ .......................................... 236
yātūnā́ m .......................................... 270
yuváyoḥ .................................. 329–330
yáviṣṭha .......................................... 288
yuvóḥ .............................................. 330
yáviṣṭha- ......................................... 373
yūyám ............................................. 331
yávīyas- .......................................... 284
yúyudhi- .......................................... 304
484
Index des formes
Avestique aēta- ....................................... 340, 354
ašiiāδ-a ........................................... 203
aētahmi ................................... 340, 354
asman- ............................................ 142
aēθra.paiti ...................................... 217
aspā ................................................ 175
aēuua- .................................... 150, 354
aspā-/frā-iiaoδa- ............................ 108
aēuuahmi ........................................ 354
aspa(cit̰ ) ......................................... 230
ahma ............................................... 319
aspaēšu ........................................... 275
ahmaibiiā ............................... 321, 323
aspā̊ŋhō .......................................... 230
ahurahiiā ........................................ 196
aspō ................................................ 175
ahurāi ............................................. 192
asti .................................................... 92
ahurāi.ā .......................................... 192
auuapasti- ...................................... 204
aməšā̊ ............................................. 229
auuapastōiš .................................... 204
aməšaēibiiō .................................... 256
azəm ............................................... 310
aniiǝ̄m ............................................. 241
aži- .................................................. 270
anumataiiaē .................................... 193
ažinąm ............................................ 270
anumati- ......................................... 193
ažōiš ............................................... 199
ā̊ŋhāire ........................................... 390
baēuuar- ......................................... 254
aŋhaot̰ ............................................. 204
baēuuarǝbiš .................................... 254
aŋhat̰ ................................................. 91
baodaṇt- ......................................... 150
ā̊ŋhəṇte ........................................... 390
barāmi .............................................. 84
aŋhu- ...................................... 204, 226
bāzauua .................................. 146, 217
aŋhuuō ............................................ 226
bāzubiia .......................................... 221
ā̆p- .................................................. 273
bāzuš .............................................. 140
apąm ............................................... 273
brāsat̰ ............................................. 430
āpō .................................................... 58
cašman- .................................. 201, 227
ašauuabiiō ...................................... 263
cašmanā̊ ......................................... 227
ašauuan- ......................................... 263
cašmanat̰ ........................................ 206
ašibiia ............................................. 221
cašmǝ̄ng .......................................... 201
Index des formes
485
catur-ąm ......................................... 362
dǝ̄ṇg ................................................ 169
caϑru- ............................................. 364
dǝrǝšta- ........................................... 114
caϑβārō ............................................ 77
dōiϑrābiia ....................................... 220
cāxrare ........................................... 390
draoš .............................................. 170
daēnaiiā̊ .......................................... 199
drǝguuant- ...................................... 279
daēnaiiāi ........................................ 192
drǝguuasū ....................................... 279
daēuua- .......................................... 250
druj- ................................................ 205
daēuuāiš ......................................... 250
drūjō ............................................... 205
daēuuanąm ..................................... 267
dugǝdā ............................................ 114
daēuuas-ca ..................................... 177
dugǝdar- ......................................... 273
dāiš ................................................. 152
dugǝdrąm ....................................... 273
dąm ................................................. 211
duiie ................................................ 356
dam- ................................................ 211
duua ................................................ 356
dáma- ............................................. 207
duuaēibiia ...................................... 356
dāmahuua ....................................... 279
duuaiiā̊ ........................................... 356
dāman- ........................................... 279
ǝ̄hmā ............................................... 320
dąmi ................................................ 211
fəδrō ............................................... 246
daŋ́hauu-a ...................................... 210
gaēϑābiiō ........................................ 258
daŋ́hauue ........................................ 193
gairi- .............................. 204, 209, 260
daŋ́hāuuō ........................................ 234
gairīš .............................................. 243
daŋ́hǝ̄uš .......................................... 199
gaošaiiā̊ .......................................... 224
daŋ́hu- ............................ 193, 199, 234
gara ................................................ 209
darǝγa- ............................................. 87
garōit̰ .............................................. 204
darǝsǝm .......................................... 114
gāϑā ................................................ 276
dāt̰ .................................................... 85
gāϑāhuua ........................................ 276
dātārō ............................................. 236
gāuš ................................................ 152
dāuru .............................................. 170
gənābīš ........................................... 251
dax́ iiu .............................................. 217
gǝrǝbuš- ............................................ 83
dəmāna- .......................................... 207
gǝuš ................................................ 152
dəmānē ........................................... 207
γənā̊ ................................................ 241
486
Index des formes
γnā̊s ................................................ 241
mainiiu- .......................................... 189
haca ................................................ 203
mąm ................................................ 312
hacimna- ........................................ 430
mana ....................................... 311, 329
hāirišī- ............................................ 358
manah- ........................................... 133
hana- ........................................ 91, 284
marəkaēcā ...................................... 207
haoš- ................................................. 64
marətaēšū ....................................... 275
hapta .............................................. 365
mašiia ............................................. 230
hār- ................................................. 358
mašiiā ............................................. 230
haxmainē ........................................ 194
mašiiā̊ŋhō ....................................... 230
haxman- .......................................... 194
mat̰ .......................................... 314, 323
haxti- .............................................. 226
mazdā ............................................. 133
haxtiiā̊ ............................................ 226
mərəzu- ........................................... 285
hazaŋrəm ........................................ 371
miriiete ........................................... 402
hǝnti ................................................ 103
miϑrōibiiō ....................................... 256
hərəzaiti .......................................... 393
mōi .......................................... 314, 335
hizū- ................................................ 253
nā̊ .................................................... 319
hizubīš ............................................ 253
nafšu ............................................... 279
hū- .................................................. 145
nairi ................................................ 211
jaγnat̰ ................................ 88, 160, 409
napāt- ............................................. 279
jaγnǝṇte .......................................... 381
nar- ......................................... 211, 273
kaiiā ................................................ 402
nara ................................................ 219
kas-cit̰ ............................................. 352
narąm ............................................. 273
kō .............................................. 77, 352
narəm ............................................. 186
mā ................................................... 312
nas- ................................................. 204
magaonō ......................................... 247
nərəbiia .......................................... 222
magauuan- ..................................... 247
nmāne ............................................. 207
māh- ............................................... 139
nō .................................................... 319
maibiiā ........................................... 329
paite ................................................ 181
maiδya- ........................................... 119
paiti ................................................ 188
mainiiū ................................... 146, 189
paiti- ............................................... 189
Index des formes
487
paitiš ....................................... 134, 179
sāstar- ............................................. 273
(paiti-)zā̆n- ....................................... 80
satəm ........................................ 74, 369
paiϑi ............................................... 172
sāθrąm ............................................ 273
paiθiiaē ........................................... 193
sǝ̄nghąscā ....................................... 241
paṇtā̊ .............................................. 172
snāuuarə ......................................... 176
paṇtąm ............................................ 172
sōire ................................................ 390
pasu- ......................... 75, 226, 234, 243
spādā .............................................. 214
pasuš .............................................. 179
spānəm ........................................... 186
pasūš .............................................. 243
sraošāδa ......................................... 203
pasuuā̊ ............................................ 226
sraotā ............................................. 158
pasuuā̊ vīraiiā̊ ................................ 226
sūidiiāi ............................................ 145
pasuuąm ......................................... 272
tā .................................................... 341
pasuuas .......................................... 234
taibiiā ............................................. 329
pasuuō ............................................ 243
tašā ................................................. 125
pataiti ............................................. 396
tašan- .............................................. 201
patarō ............................................. 236
tašnō ............................................... 201
paϑa ................................................ 172
tiγ-ra- .............................................. 437
paϑo ................................................ 172
tišrō ................................................ 358
pərətu- ............................................ 184
tiži- ................................................. 437
pərətūm .......................................... 184
tiži.aršti- ......................................... 437
pǝrǝtuš ............................................ 136
tū .................................................... 146
pǝrǝθu- ........................................... 118
ϑraiiąm ........................................... 359
pouru- ............................................. 270
uiie xvarəϑe .................................... 215
pourunąm ....................................... 270
uruuarā .......................................... 268
ptərəbiiō ......................................... 263
uruuaranąm .................................... 268
puϑra- ............................................. 202
uštā ................................................. 209
puϑrāt̰ ............................................. 202
ušti- ................................................ 209
raocah- ........................................... 263
vā .................................................... 315
raocǝ̄biiō ........................................ 263
vācǝm ..................................... 157, 186
saēre ............................................... 390
vac-ō ............................................... 157
488
Index des formes
vaēdā ...................................... 149, 379
xratǝ̄uš ............................................ 204
vaēm ............................................... 318
xratu- .............................. 189, 199, 204
vairi- ............................................... 233
xratūm ............................................ 184
vāiti ................................................ 103
xratūš .............................................. 243
vaŋh- ............................................... 111
xraθβā ............................................ 189
vaŋhāu ............................................ 210
xraθβe ............................................. 193
vaŋhu- ............................. 210, 260, 278
xraθβō ............................................ 199
vaŋhubiiō ........................................ 260
xrū- ................................................... 75
vaŋhušu .......................................... 278
xšaϑra- ........................................... 203
varaiiō ............................................ 233
xšaϑrāt̰ ............................................ 203
vas- ................................................. 111
xvarəϑa- ......................................... 215
vaštāra ........................................... 219
yākarǝ ..................................... 108, 176
vātaēibiiō ........................................ 256
yārǝ ................................................ 108
vavarǝza ........................................... 81
yasna .............................................. 187
vazaiti ............................................... 86
yasnā ...................................... 187, 313
vąϑβā .............................................. 221
yasna- ..................................... 202, 313
vąϑβābiia ........................................ 220
yasnāt̰ ............................................. 202
vəhrkahe ......................................... 196
yāsta- .............................................. 108
vəhrkāi ............................................ 191
yātauuō ........................................... 233
vəhrkā̊ŋhō ....................................... 230
yātu- ............................................... 233
vəhrkəm .......................................... 183
yō .................................................... 108
vəhrkō ....................................... 93, 177
yūš .................................................. 330
vǝrǝzyeiti .......................................... 81
yūžǝ̄m .............................................. 331
viδava ............................................. 111
zam- ................................................ 211
vīra- ................................................ 202
zaoϑrā- ........................................... 203
vīrāat̰ cā .......................................... 202
zaoϑraiiā̊ ........................................ 203
vī-rāzaiti ......................................... 103
zaoϑraiiāt̰ ....................................... 203
vīrǝ̄ng ............................................. 241
zasta ............................................... 215
vīš ................................................... 137
zastaēibiia ...................................... 220
vīspōibiiō ........................................ 256
zastaiiō ........................................... 225
Index des formes
489
zastāiš ............................................. 153
ząϑōi ............................................... 207
zastōibiiā ........................................ 220
zəmi ................................................ 211
ząϑaēca ........................................... 207
zǝmō ................................................. 86
Vieux perse adam ............................................... 310
ma ................................................... 314
ahatiy ................................................ 91
maiy ................................................ 310
asman- ............................................ 142
mām ................................................ 312
asmānam ........................................ 186
manā ............................................... 311
bagānām ......................................... 267
θardam ........................................... 186
C̡ ūšāyā ............................................ 209
vayam ............................................. 318
dahyauv-ā ....................................... 210
vispazanānām ................................. 268
duvitīya- ......................................... 373
xratum ............................................ 184
framātāram .................................... 186 jīva .................................................... 83
Persan xūk .................................................. 145
yuq .................................................... 81
490
Index des formes
Tokharien känt ................................................... 75
wäs- ................................................ 111
was- ................................................ 111
Arménien hin .................................................... 91
suns .................................................. 45
mayr ............................................... 141
t‛ek‛em .............................................. 76
mek‘ ................................................ 318
tun .................................................. 169
meža ................................................. 45
Lituanien akim̃ ................................................ 221
avimì ............................................... 335
akima (v. lit.) .................................. 356
avìs ......................................... 234, 335
akimìs ............................................. 253
ãvys ................................................ 234
akìs ................. 221, 244, 278, 326, 356
brólis .............................................. 219
ãkmeniu .......................................... 219
bróliu .............................................. 219
ãkmens ............................................ 236
dainà ...................................... 258, 269
akmuõ ............................. 125, 142, 236
dainóms .......................................... 258
akysè ....................................... 278, 326
dainų̃ .............................................. 269
akýsu .............................................. 278
dalì ................................................. 217
añt(a)ras ......................................... 372
dangūjè ........................................... 210
àš ............................................ 310, 327
dangumi .......................................... 189
ašvà ................................................ 175
dangùs ............................ 210, 244, 278
ausì ................................................. 217
dangusu .......................................... 278
ausìs ....................................... 151, 271
dantìs ...................................... 170, 244
ausių̃ ............................................... 271
debesìs .............................................. 91
avì ................................................... 217
dẽšimt ..................................... 123, 366
Index des formes
491
dešimtìs .................................. 123, 366
dvíejau ............................................ 224
dė́ ti .................................................... 85
dviẽjose .......................................... 356
devynì ............................................. 366
dviẽjų̃ .............................................. 356
didì ................................................. 362
dviẽjuose ........................................ 356
didíems ........................................... 362
dviẽm .............................................. 356
dìdis ................................................ 362
dvíem .............................................. 356
didžiaĩs ........................................... 362
eimè ................................................ 385
didžiàs ............................................ 362
eimì ................................................. 385
didžiomìs ........................................ 362
ẽsti .................................................... 92
didžióms ......................................... 362
ešva (v. lit.) ..................................... 175
dìdžios ............................................ 362
galvà ............................................... 208
didžiosè .......................................... 362
gálvą ............................................... 184
didžių̃ .............................................. 362
gálvai .............................................. 192
didžiuosè ........................................ 362
galvojè ............................................ 208
diẽną ............................................... 121
galvõs ............................................. 198
dù .................................... 215, 240, 356
genù .................................................. 88
dù šimtaĩ ........................................ 370
gẽras ............................................... 240
dubùs ................................................ 79
gerèsnis .......................................... 295
duktė̃ ............... 114, 201, 222, 236, 279
geriáusias ....................................... 295
dukterès .......................................... 201
gerúosius ........................................ 240
dukterim̃ ......................................... 222
ghrieku ........................................... 215
dukterìm ......................................... 222
giñti .................................................. 88
dukters̃ .................................... 201, 279
griẽkas ............................................ 215
dùkters ............................................ 236
gývas ................................ 83, 137, 302
dukterysè ........................................ 279
íesmė .............................................. 148
dúosiu ............................................. 419
im̃ tas ............................................... 123
dvì ........................................... 217, 356
im̃ ti ................................................. 123
dvì dẽšimti ...................................... 369
iš ..................................................... 258
dvìdešimt ........................................ 369
iž (v. lit.) ......................................... 258
dvìdešimt víenas ............................. 367
jẽknos ............................................. 108
492
Index des formes
jù-du ............................................... 330
kiemianims ..................................... 260
jù-dvi .............................................. 330
kiemionims ..................................... 260
jù-dviejų ......................................... 330
kiemionis ........................................ 260
jù-dviem .......................................... 330
kiemůsu .......................................... 275
jù-dviese ......................................... 330
kolěno ............................................. 220
jùma ................................................ 317
kraũjas .............................................. 75
jumìs ....................................... 321, 331
laũkas ............................................. 152
jùms ................................................ 331
lìkti ................................................. 367
júodas ............................................. 296
lìzdas ................................................ 93
juodàsis .......................................... 296
lóju ................................................. 402
júostas ............................................ 108
mán ................................................. 327
jùs ................................................... 331
manè ....................................... 311, 334
jũs ................................................... 331
manę̀ ............................................... 327
júsų̄ ................................................. 331
manę̃s ............................................. 327
jūsyjè .............................................. 331
manimì ............................ 327, 335, 341
kart̃ as .............................................. 345
manyjè .................... 314–315, 326–327
kartù ............................................... 345
mė́ nuo ............................................. 139
kàs ............................................ 77, 352
mergà .............................................. 208
keturì .............................................. 362
mergai-p ......................................... 208
keturiaĩs .......................................... 362
mẽs ................................. 318–319, 331
kẽturias ........................................... 362
miẽstas ............................................ 207
keturíems ........................................ 362
miestè ............................................. 207
keturiomìs ....................................... 362
miẽstuose ................................ 275, 326
keturióms ........................................ 362
minė́ ti .............................................. 124
kẽturios ........................................... 362
mintìs .............................................. 127
keturiosè ......................................... 362
mirtìs .............................................. 117
kẽturis ............................................. 362
mótė ................................ 141, 236, 273
keturių̃ ............................................ 362
móteres ........................................... 236
keturiuosè ....................................... 362
móterų ............................................ 273
kiẽmas ............................................ 275
mùdu ....................................... 315, 317
Index des formes
493
mù-du ............................................. 330
piemenìm(u)s .................................. 263
mù-dviejų ........................................ 330
piemuõ ............................ 125, 236, 263
mùdviem ......................................... 317
pìrmas .................................... 372–373
mù-dviem ........................................ 330
plãt-au-s ......................................... 306
mù-dviese ....................................... 330
platesnis ......................................... 295
mùma .............................................. 317
plat-ù-s ........................................... 306
mumìs ............................. 320, 325, 331
plãtūs .............................................. 306
mùms ...................................... 321, 331
põnam ............................................. 220
mùm(u)s .................................. 321, 325
põnas .............................................. 220
mumysè ........................................... 326
rankà .............................................. 343
mùs ......................................... 319, 331
rañką ...................................... 121, 343
músų̃ ............................................... 331
rañkai ............................................. 343
mū́ sų ............................................... 325
rankàs ..................................... 242, 349
mūsuosè .......................................... 326
rankì ....................................... 216, 345
mūsyjè .................................... 326, 331
rañkoje ................................... 276, 343
nakteie ............................................ 210
rañkom ........................................... 345
nãktį ........................................ 121, 184
rañko-m .......................................... 221
naktiẽs ............................................ 199
rañkomis ................................. 252, 349
naktìs .............................. 199, 210, 274
rañkoms .......................................... 349
naktyjè ............................................ 210
rañkos ..................................... 343, 349
namiẽ .............................................. 207
rankos-na ....................................... 241
namuosnà ....................................... 275
rañkose ................................... 276, 349
navas .......................................... 63–65
rañkosu (v. lit.) ............................... 276
núogas .............................................. 83
rañkų .............................................. 349
-patis .............................................. 179
rãtas ................................................ 114
patìs ................................................ 134
raũdas ............................................. 113
pàts ................................................. 134
saldùs ............................................. 296
pẽkus ................................................ 75
saldziauses ..................................... 296
penkì ......................................... 65, 365
saũsas ....................................... 64, 151
piemenes ......................................... 236
sáv .................................................. 335
494
Index des formes
savè ................................................ 334
šunimìs ........................................... 254
savę̃s ............................................... 336
šuniù ............................................... 219
savimì ..................................... 334, 341
šùniui .............................................. 195
sė́ ju ................................................. 402
šunyjè .............................................. 211
sèkti .................................................. 91
šuõ .................................................. 185
sekù .................................................. 65
tà .................................................... 343
sẽnas ................................................. 91
tą̃ .................................... 121, 341, 343
smerti .............................................. 189
tái ................................................... 343
smertimi .......................................... 189
tám .................................................. 341
smert̃ is ............................................ 189
tamè ................................................ 341
steĩgtis ............................................ 147
tamui .............................. 341–342, 344
sūnaũ .............................................. 181
tamui (v. lit.) ................................... 341
sūnaũs ............................................ 200
tàs ........................................... 341, 349
sūnu ................................................ 189
taui ................................................. 335
sūnų̃ ................................................ 271
taũras ............................................. 132
sū́ nų ........................................ 121, 184
taũtos .............................................. 233
sū́ nui ............................................... 193
táv ........................................... 327, 335
sūnum̃ ............................................. 222
tavę̀ ................................................. 327
sūnumì ............................................ 190
tavę̃s ............................................... 327
sūnumìs .......................................... 253
tavimì .............................. 327, 335, 341
sūnùms ............................................ 261
tavyjè .............................................. 327
sūnùs .... 146, 189, 193, 222, 234, 244,
tė́ vas ....................................... 180, 193
253, 271
tė́ vui ................................................ 193
sū́ nus .............................................. 244
tiẽ ............................................ 230, 346
sū́ nūs .............................................. 234
tiẽ-dvi ............................................. 345
szemepatis ...................................... 244
tiẽm-dviem ...................................... 345
šeimà .............................................. 147
tíem-dviem ...................................... 345
šim̃ tas ............................... 74, 122, 370
tíems ............................................... 346
šùni ................................................. 195
tiemus ............................................. 347
šùnį ................................................. 185
tiemus (v. lit.) ................................. 346
Index des formes
495
tõ .................................................... 341
vagìms ............................................ 360
tojè .................................................. 343
vagìs ....... 189, 193, 234, 244, 336, 360
tóm .................................................. 345
vagiù ............................................... 189
tóm-dviem ....................................... 345
vagių̃ ............................................... 360
tõm-dviem ....................................... 345
vãgiui .............................................. 193
tomis ............................................... 348
vãgys .............................................. 234
tomìs ............................................... 349
vãkaras ........................................... 207
tóms ................................................ 349
vakarè ............................................. 207
tõs ........................................... 343, 349
vandenimi ....................................... 190
tosè ................................................. 349
vándenis ......................................... 247
trijosè ............................................. 360
vandeñs .................. 190, 201, 247, 279
trijų̃ ................................................. 360
vandenysè ....................................... 279
trijuosè ........................................... 360
vanduõ .................... 190, 201, 247, 279
trimìs .............................................. 360
vèdu ................................................ 315
trìms ............................................... 360
vẽdu (dial.) ..................................... 315
trìs .................................................. 360
vežù .................................................. 86
trisè (v. lit.) ..................................... 360
vienúo-lika ...................................... 367
trỹs .................................................. 360
vil̃ką ................................................ 183
trỹs šimtaĩ ....................................... 370
vilkaĩ ............................................... 231
tù .................................................... 327
vilkaĩs ............................................. 250
tų̃ .................................................... 349
vil̃kas ........................ 92, 119, 177, 230
tuõ .................................................. 341
vil̃ko ................................................ 198
tuomì .............................................. 341
vilkù ................................................ 187
turė́ ti ............................................... 263
výrais .............................................. 250
turintims ......................................... 263
výrams ............................................ 256
už- ................................................... 135
výras ............................................... 341
vãgie ............................................... 193
výro ................................................. 341
vagiẽs ............................................. 336
výrų̄ ................................................ 325
vagimì ............................................. 189
výrus ....................................... 240, 319
vagimìs ........................................... 360
wą́ndenes ........................................ 201
496
Index des formes
Wiesch-patie ................................... 181
žąsìs ................................................ 132
wieschpatis ..................................... 179
žiemà ........................................ 86, 120
wiramus .......................................... 257
žinóti ................................................. 80
wiramus (v. lit.) .............................. 256
Lette meža ................................................. 45
suns .................................................. 45
Vieux prussien ains ................................................. 149
sebbei ............................................. 335
deinan ............................................. 120
smunentin ....................................... 185
deiwans .......................................... 240
smunents ......................................... 185
naktin ...................................... 121, 184
stan ................................................. 121
noūmans ......................................... 257
steimans .......................................... 257
noūmas ........................................... 257
sūnun ...................................... 121, 184
pecku ................................................ 75
swīrins ............................................ 247
pintis ............................................... 127
waikammans ................................... 257
rānkan ............................................ 121
widdewu .......................................... 111
Slave (vieux slave) azŭ .................................................. 327
česo ................................................ 336
berǫ .......................................... 84, 144
četyre ........................................ 77, 362
bljudǫ ............................................. 150
četyri .............................................. 362
bolěznĭ ............................................ 271
čędo ................................................ 257
bolěznii ................................... 271, 361
čędomŭ ........................................... 257
bolijĭ ................................................. 78
člověkŭ ................................... 266, 325
c(ěsa)rĭmŭ ...................................... 263
desętĭ .............................. 123, 218, 366
Index des formes
497
devętĭ .............................................. 366
d(ŭ)va desęti ................................... 218
devętŭ ............................................. 127
dŭvě ................................................ 356
-dě .................................................... 85
dŭvě sŭtě ......................................... 370
dĭn- . 190, 227, 236, 247, 254, 273, 279
dŭvěma ........................................... 356
dĭne ................................................. 236
glava ............................... 209, 252, 334
dĭnexŭ ............................................. 279
glavami ........................................... 252
dĭni ................................................. 247
glavě ....................................... 192, 209
dĭnĭmi ............................................. 254
glavǫ ............................................... 184
d(ĭ)nĭmĭ ........................................... 190
glavojǫ .................... 188, 189, 334, 436
dĭnĭxŭ .............................................. 279
goniti .............................................. 124
dĭnu ................................................ 227
gospodĭ ........................................... 222
dĭnŭ ................................................ 273
g(ospod)ĭma ................................... 222
dĭny ................................................. 255
gostĭ .................................................. 87
dlŭgŭ ................................................ 87
graděxŭ .................................. 275–276
dobrěiš ............................................ 295
gradŭ ...................................... 240, 275
dobro .............................................. 283
grady ...................................... 319, 331
dobrŭ .............................................. 295
gŭnati ............................................... 88
domoxŭ ........................................... 278
i ...................................................... 296
domu ............................................... 210
inŭ .................................................. 354
domŭ ............................................... 210
iz ..................................................... 258
dŭnu ................................................ 227
iže ................................................... 296
duša ................................................ 344
jaže ................................................. 296
duš-ę ............................................... 344
jedinŭ .............................................. 367
duši ................................................. 344
jelen- .............................................. 222
dŭšter .............................................. 273
jelenĭma .......................................... 222
dŭštere ............................................ 201
jestŭ .................................................. 92
dŭšterŭ ............................................ 273
ježe ................................................. 296
dŭšti ........................................ 201, 273
jęti .................................................. 123
dŭva ........................................ 356, 367
jętŭ .................................................. 123
dŭva desęti ..................................... 369
kameni ............................................ 195
498
Index des formes
kamenĭ ............................................ 185
my ................................................... 318
kamy ....................................... 185, 195
na ............................................ 316, 330
kniga ............................................... 270
na desęte ......................................... 367
knigŭ ............................................... 270
nagŭ .................................................. 83
kolěno ............................................. 220
naju ........................................ 317, 330
krŭvĭ ................................................. 75
nama ............................... 316–317, 330
kŭ .................................................... 220
nami ................................ 317, 320, 331
kŭ-to ................................................. 77
namŭ ............................... 317, 321, 331
lajǫ ................................................. 402
nasŭ ........................................ 325, 331
lěvŭ ......................................... 131, 148
nebese ............................................... 91
lišĭš ................................................. 295
nebo ............................................ 84, 91
lixŭ .................................................. 295
nošti ................................ 200, 234, 360
ljudexŭ ............................................ 278
noštĭ ........ 121, 184, 189, 200, 234, 360
ljudije ............................................. 278
noštijǫ ............................................. 189
ljudĭxŭ .................................... 278, 361
nosŭ ................................................ 134
malei (ukrainien) .............................. 45
nova ........................................ 174, 296
malověre ......................................... 180
novaago .......................................... 296
malověrŭ ........................................ 180
novago ............................................ 296
malŭ ................................................ 295
novaja ............................................. 296
materŭ ............................................ 273
novajego ......................................... 296
mati ........................................ 141, 273
novi ................................................. 230
medvéd’ ............................................ 45
novo ................................................ 296
mene ............................... 311, 327, 329
novoje ............................................. 296
meždu .............................................. 119
novŭ ........................................ 296, 302
měsęcĭ ............................................. 139
novy ................................................ 296
mę ........................................... 312, 327
novyi ............................................... 296
mĭně ................................ 314–315, 327
ny .................................... 319, 330–331
mĭněti .............................................. 124
ognemĭ ............................................ 189
mĭńĭš ............................................... 295
ognĭ ................................................ 189
mŭnojǫ .................................... 313, 327
pade ........................................ 407, 412
Index des formes
499
padomŭ ........................................... 412
snŭxa ........................................ 92, 135
padově ............................................ 412
sobojǫ ............................................. 334
padŭ ........................................ 407, 412
solĭ .................................................. 283
pa-mętĭ ........................................... 127
sǫtŭ ................................................. 159
pasti ................................................ 407
sŭ-mrĭtĭ ........................................... 117
pekǫ .................................................. 57
sŭ-mrŭtĭ .......................................... 117
podĭ ................................................ 134
sŭn- ................................................. 121
po-stignǫti ...................................... 147
sŭto ........................................... 74, 370
po-žĭrǫ ............................................ 393
suxŭ ................................................ 151
pǫti ................................. 210, 244, 360
synomĭ ............................................ 190
pǫtĭ ................................. 172, 244, 360
synomŭ ........................................... 261
prija-jǫ ........................................... 403
synove ............................................. 234
prŭvŭ .............................................. 372
synovi ............................................. 193
razboinika ...................................... 215
synovŭ ............................................ 271
rekǫ ................................................. 412
s(y)novu .......................................... 226
rěšę ................................................. 412
synu ........................................ 181, 200
rěste ................................................ 412
synŭ121, 146, 184, 193, 222, 226, 234,
rěxŭ ................................................ 412
253, 261
rǫcě ................................................ 216
synŭma ........................................... 222
rǫka ................................ 216, 225, 277
synŭmi ............................................ 253
rǫka-ma .......................................... 221
syny ........................................ 218, 244
rǫkarŭ ............................................. 277
ta .................................... 343, 345–346
rǫkǫ ................................................ 121
tatĭ .......................................... 234, 360
rǫku ................................................ 225
tatije ....................................... 234, 360
sebe ................................................ 336
tě ..................................................... 345
sebě ................................................ 335
tebe ................................................. 327
sějǫ ................................................. 402
tebě ......................................... 327, 335
sę .................................................... 334
tělese ............................................... 211
sila .................................................. 233
tělo .................................................. 211
sily .................................................. 233
těma ................................................ 345
500
Index des formes
těmĭ ................................................. 341
vami ................................................ 331
těmŭ ........................................ 346–347
vamŭ ............................................... 331
těxŭ ................................................. 346
vasŭ ................................................ 331
tě-xŭ ................................................ 347
vě .................................................... 315
tę ..................................................... 327
vede ................................................ 412
tęžĭkŭ .............................................. 295
vědě ................................................ 149
tęžĭš ................................................ 295
vedǫ ................................................ 411
ti ............................................. 230, 346
velikij ................................................ 45
tobojǫ ..................................... 327, 334
veljǫ ................................................ 117
togo ................................................ 342
věsę ................................................. 411
toji .................................................. 343
věsomŭ ............................................ 412
tojǫ ......................... 188, 334, 343, 436
věsově ............................................. 412
toju ................................................. 345
věsta ................................................ 411
tomĭ ........................................ 341–342
věste ................................................ 411
tom-u .............................................. 344
věsŭ ................................................. 411
tǫ .................................................... 343
vezǫ .................................................. 86
tri ............................................ 360, 362
viděti ............................................... 432
tri sŭta ............................................ 370
vidětŭ .............................................. 432
trii ................................................... 361
vĭdova ..................................... 111, 128
trije ......................................... 360, 362
vlĭci ......................................... 230–231
trĭmi ................................................ 361
vlĭkŭ .......................................... 93, 119
trĭmŭ ............................................... 361
vlĭky ................................................ 250
trĭxŭ ................................................ 361
vlŭka ............................................... 198
tŭ ............................................ 121, 341
vlŭku ............................................... 191
ty ............................. 146, 327, 346, 349
vlŭkŭ ....................................... 178, 183
učenika ........................................... 215
vlŭky ............................................... 250
úterý (tchèque) ............................... 373
vŭtorŭ ............................................. 372
va .................................................... 330
vŭz- ................................................. 135
vaju ................................................. 330
vy .................................... 318, 330–331
vama ............................................... 330
zapovědĭ ......................................... 226
Index des formes
501
zapovědiju ...................................... 226
zvěrĭmŭ ................................... 261, 361
zima .......................................... 86, 120
žena ................................................ 343
znati .................................................. 80
ženǫ .......................................... 88, 343
zvěrĭ ........................................ 253, 261
ženy ................................................ 242
zvěrĭmi .................................... 253, 361
živŭ ................................................... 83
Grec ἀγαθός .................................... 293, 436
αἴδοµαι ........................................... 155
ἀγακλεής ........................................ 285
αἰδώς .............................................. 155
ἄγᾱν ................................................ 285
αἰέν ......................................... 124–125
ἆγε .................................................. 141
αἶθος ............................................... 148
ἄγει ................................................. 391
Αἰόλοο ............................................ 197
ἄγειν ............................................... 166
Αἰόλου ............................................ 197
ἄγεις ............................................... 391
αἰσθάνοµαι ..................................... 377
ἀγέληφι ........................................... 252
Αἰσκλαπιός ....................................... 13
ἆγεν ................................................ 166
αἰών ................................................ 124
ἀγήνωρ ........................................... 138
ἄκµων ............................. 125, 142, 172
ἅγιος ............................................... 132
ἄκρος ........................................ 98, 144
ἁγνός .............................................. 110
ἀλήθεια ........................................... 283
ἄγοιµι ............................................. 422
ἄλλο .................................................. 80
ἀγόµενος ......................................... 430
ἅλλοµαι ............................................ 65
ἄγοντα ............................................ 430
ἀµαλδύνω ....................................... 118
ἄγοντος ........................................... 430
ἁµαρτή ............................................ 187
ἄγουσι ............................................. 392
ἁµαρτῆ .................................... 140, 187
ἄγω ......................................... 131, 391
ἄµβροτος .......................................... 12 ᾱ̔µέ .................................................. 319
ἄ(ϝ)ησι .................................... 103, 110 Ἀθήνησι .......................................... 277 αἱ .................................................... 349
ἀµείνων .................................. 293, 436 ᾱ̔µέων ............................................. 325
αἰδοῖ ............................................... 155
ᾱ̔µὶν ................................................ 322
502
Index des formes
ἄµµε ........................................ 318–319
ἄξω ................................................. 419
ἄµµες .............................................. 318
ἅπαξ ................................................ 121
ἀµµέων ........................................... 325
ἀπέδοτο .......................................... 405
ἄµµι ................................................ 322
ἀπέδωκε .......................................... 165
ἄµµι(ν) ............................................ 322
ἀργιόδους ....................................... 303
ἀµφίβατος ....................................... 186
ἀργιόδων .......................................... 95
ἀµφίπολοι ......................................... 77
ἀργίπους ......................................... 303
ἄν .................................................... 421
ἀργός .............................................. 303
ἀναιδής ........................................... 155
ἀρείων ............................................ 293
ἄνανδρος ........................................ 122
ἀρηΐφατος ....................................... 126
ἄνδρα .............................................. 122
ἀρήν ................................................ 170
ἄνδρας .................................... 247, 320
ἀριστερός ....................................... 292
ἄνδρες ..................................... 228, 247
ἄριστος ........................................... 293
ἀνδριάς ........................................... 249
ἄρκτος .............................. 45, 115, 177
ἀνδρός .............................................. 12
ἀρνός .............................................. 170
ἀνεθε̄ ................................................ 85
ἄρτι ................................................... 15
ἄνεµος ............................................ 430
Ἀσκληπιός ........................................ 13
ἄνερ ........................................ 138, 182
ἄσµενος .......................................... 126
ἀνέρας ............................................ 247
ἄστεος ............................................ 200
ἀνέρες ............................................. 247
ἀστέων ............................................ 271
ἀνήρ .................. 12, 122, 138, 179, 182
ἄστυ ........................................ 210, 271
ἄνθρωπε ......................................... 131
ἀτάρ ................................................ 131
ἀνθρώποις ...................................... 248
Ἀτρεΐδᾱ .......................................... 217
ἄνθρωπος ........................................ 248
αὗος .......................................... 64, 151
ἁνίαι ............................................... 251
αὐτόµατος ...................................... 126
ἁνίαις .............................................. 251
ἄφθιτος ................................... 125, 163
ἀντί ..................................... 15, 95, 128
βαίνω ........................................ 82, 400
ἄνωγε .............................................. 418
βάκτρον ............................................ 78
ἄξετε ............................................... 419
βαρύς ........................................ 82, 305
ἄξοµεν ............................................ 419
βασιλεύς ........................................... 14
Index des formes
503
βασιλέως .......................................... 14
Δαµοκλῆς ....................................... 195
βασιλῆος ........................................... 14
δᾶµος .............................................. 191
βάσκε .............................................. 400
δέγµενος ......................................... 430
βάσκω ............................................. 400
δειδέχατο ........................................ 417
βελτίων ..................................... 78, 293
δείκνυµι ............................................ 80
βιβάς ............................................... 394
δέκα ................................ 122, 353, 366
βίηφιν ............................................. 252
δέκοµαι ........................................... 135
βίος ........................................... 83, 403
δέκτο .............................................. 135
βιόω ................................................ 403
δελφύς .............................................. 83
βουκόλοι ........................................... 82
δένδρεον ......................................... 170
βοῦς .......................................... 83, 152
δεξιός .............................................. 292
βραχύς ............................................ 285
δεξιτερός ........................................ 292
γέγονα ............................................ 378
δέξο ................................................ 135
γέγραφε .......................................... 413
δέρκοµαι ......................................... 115
γενέτορα ......................................... 134
δεσπότης ......................................... 169
γένηται ........................................... 420
δεύοµαι ........................................... 372
γένος ................................................. 64
δεύτερος ......................................... 372
γηράσκω ......................................... 401
δέχοµαι ........................................... 417
γίγνοµαι .................................. 377, 395
δῆµος .............................................. 191
γόνος ................................................ 64
δήµῳ ............................................... 191
γόνυ ................................................ 200
διακάτιοι ......................................... 370
γουνός ............................................ 200
διᾱκόσιοι ........................................ 370
γράψω ............................................. 419
δίδοντι ............................................ 159
δαίµονος ......................................... 201
δίδωµι ......................... 55, 68, 161, 394
δαίµων ............................................ 201
Διϝεί(φιλος) .................................... 148
δαίνῡ ............................................... 424
δικαιότερος ..................................... 292
δάκρυ .............................................. 261
Δῖος ................................................. 112
δάκρυσι .......................................... 261
δίπους ............................................. 357
δάµνᾰται ......................................... 399
διφθέραι .......................................... 233
δάµνησι .......................................... 399
δίφρος ............................................. 129
504
Index des formes
δολιχός ..................................... 87, 302
ἔδοντες ........................................... 171
δόρυ ................ 134, 136, 170, 194, 200
ἕδος .................................................. 93
δόσις ................................................. 43
ἔδρακε .................................... 406–407
δοτός ................................... 68–69, 104
ἔδρακον .................................. 115, 406
δότω ............................................... 425
ἔδωκε .............................................. 166
δουλιχόδειρος ................................. 302
ἔειπε ............................................... 408
δουρί ............................................... 194
ἐθέλω .............................................. 377
δουρός .................................... 170, 200
ἔθηκε ................................................ 85
δρακείς ........................................... 406
ἔθορε .............................................. 407
δύο .......................................... 357, 372
ἔθρεψα ............................................ 412
δυοῖν ............................................... 357
εἶ ..................................................... 386
δυοῖσι ............................................. 357
εἵατο ............................................... 390
δύσχιµος ......................................... 120
εἴβω .................................................. 79
δύω ................................................. 357
εἶδε ................................. 406–407, 413
δυῶν ............................................... 357
εἴδοµεν ........................................... 133
δώδεκα ................................... 357, 366
εἶδον ............................................... 120
δῶµα ............................................... 169
εἰδότα ............................................. 431
ἑ ...................................................... 333
εἰδότες ............................................ 431
ἕ ...................................................... 333
εἰδότος ............................................ 431
ἔασα ................................................ 429
εἰδῶ ................................................ 149
ἕατο ................................................ 390
εἰδώς ............................................... 431
ἔγκειµαι .......................................... 389
εἶεν ................................................. 422
ἔγνων ........................................ 80, 142
εἴη ................................................... 422
ἐγχέλυες .......................................... 235
εἴην ......................................... 421–422
ἔγχελυς ........................................... 235
εἴης ................................................. 422
ἐγώ .......................................... 310, 312
εἰκοστός .......................................... 288
ἔδει ................................................. 390
εἰλήλουθε ....................................... 151
ἔδειξα .............................................. 152
εἷµαι ................................................ 387
ἔδµεναι ................................... 381, 390
εἶµεν ....................................... 421–422
ἔδοµεν ............................................ 405
εἰµές ............................................... 386
Index des formes
505
εἰµί .................................................. 378
ἑνί ................................................... 355
εἶµι ...... 68, 99, 147, 385, 387, 423, 438
ἐννέα ....................................... 365–366
εἷς ........................................... 355, 372
ἐννεακαίδεκα .................................. 367
εἶσι .................................................. 386
ἑνός ................................................. 355
εἶτε .................................................. 422
ἕνος ........................................... 91, 284
εἴχοµεν ............................................ 392
ἔντες ............................................... 429
εἴχοµες ............................................ 392
ἐντι ................................................. 159
ἐκάθησθε ........................................ 388
ἕξ .................................................... 365
ἑκασσα ........................................... 429
ἔξει ......................................... 148, 424
ἑκατόν .............................. 74, 369–371
ἕο .................................................... 336
ἔκειρε ............................................. 413
ἔον .................................................. 122
ἐκέκλετο ......................................... 409
ἐόντα .............................................. 429
ἔκερσεν ........................................... 413
ἐόντος ............................................. 429
ἑκκαίδεκα ....................................... 367
ἔοργα ................................................ 81
ἑκόντος ........................................... 429
ἐοῦσα .............................................. 429
ἑκοῦσα ............................................ 429
ἐπέκριννε ........................................ 413
ἔκρῑνε ............................................. 413
ἔπεσον ............................................ 407
ἑκών ............................................... 429
ἕπεται ..................................... 391, 419
ἔλαβε ................................................ 33
ἔπετον ............................................. 407
ἐλαχύς ....................................... 66, 305
ἔπεφνε ............................................ 381
ἔλιπε ............................................... 407
ἔπεφνον ............................................ 88
ἔλλαβε .............................................. 33
ἐπίθετος .......................................... 280
Ἑλλήσποντος ................................. 172
ἐπιτίθηµι ......................................... 280
ἐµέ .................................. 312–313, 328
ἕποµαι ............................................... 65
ἐµοί ......................................... 328, 335
ἔπορε .............................................. 407
ἔµολε .............................................. 407
ἔπος ................................................ 155
ἐµοῦ ................................................ 328
ἑπτά ........................................ 122, 365
ἕν .................................................... 366
ἑπτακαίδεκα ................................... 367
ἕνα .................................................. 355
ἔργον ........................................ 81, 112
ἕνδεκα .................................... 353, 366
Ἐρέβεσφιν ...................................... 255
506
Index des formes
ἔρεβος ............................................. 113
ἔτεισε .............................................. 413
ἐρίζω ............................................... 404
ἔτεκον ....................................... 13, 380
Ἐρινύς ............................................ 193
ἔτι ................................................... 130
ἔρις ................................................. 404
ἔτραπε ............................................. 407
ἕρπω ................................................. 66
εὐρέε ............................................... 218
ἔρ(ρ)επον ........................................ 380
εὐρύς .............................................. 218
ἔρρηξα ............................................ 143
εὔχοµαι ............................................. 88
ἔρρωγα ........................................... 143
εὕω ................................................. 151
ἕρση .......................................... 92, 112
ἔφαγον ............................................ 381
ἐρυθρός ..................................... 86, 113
ἔφᾰµεν ............................................ 386
ἔρυµαι ............................................. 398
ἐφάµην ........................................... 400
ἐσθής ................................................ 15
ἔφασκον .......................................... 400
ἐσθῆτι ............................................... 15
ἔφερε .............................................. 166
ἔσθι ................................................. 400
ἐφέρετε ........................................... 392
ἔσοµαι ............................................ 378
ἔφερον .................................... 120, 164
ἕσπερος ........................................... 112
ἔφην ................................................ 386
ἕσσο ................................................ 387
ἔφθεισα ........................................... 412
ἔσσυτο ............................................ 405
ἔφθιτο ............................................. 420
ἕστᾰµεν .......................................... 415
ἔϕῡ .................................................. 145
ἔστᾱν .............................................. 141
ἔφυγε .............................................. 407
ἔστε ................................................ 427
ἔφυγον ............................................ 173
ἕστηκα ............................................ 415
ἔχεσφι ............................................... 86
ἔστηµεν .......................................... 405
ἔχευα .............................................. 415
ἔστην ...................................... 141, 405
ἔχοµεν ............................................. 392
ἐστί ........................................... 92, 381
ἔχοµες ............................................. 392
ἕστο ................................................ 387
ἕψεται ............................................. 419
ἔστρωµαι ........................................ 399
ϝεξ .................................................. 365
ἔστρωτο .......................................... 399
ϝῑκατι .............................................. 368
ἔστω ................................................ 425
Ζεῦ ................................................. 151
ἔτεισα ............................................. 412
ζεύγεα ............................................. 133
Index des formes
507
ζεύγεσι ............................................ 264
ἥµεθα .............................................. 388
ζεύγνυµι .......................................... 108
ἡµεῖς ....................................... 318, 332
ζεῦγος ............................................. 133
ἡµέρᾱ .............................................. 178
ζυγά ................................................ 347
ἡµέρᾱͅ .............................................. 192
ζυγόν ................................ 81, 108, 120
ἡµέρᾱν ............................................ 184
ζωή ................................................. 143
ἡµέρᾱς ............................................ 198
ζωστός ............................................ 108
ἥµεσθ(α) ......................................... 388
ζώω ......................................... 142–143
ἡµέτερος ......................................... 292
ἡ ...................................................... 344
ἡµέων ............................................. 325
ἦα ................................................... 139
ἡµῖν ........................................ 322, 332
ἦαρ ................................................. 176
ἡµῶν ............................................... 332
ἦγε .......................................... 166, 392
ἡνίαι ............................................... 251
ἡγεµών ............................................ 124
ἧπαρ ....................................... 108, 176
ἦγες ................................................. 392
θάσσων ........................................... 285
ἦγον ................................................ 392
θεά .................................................. 268
ᾔδεε ................................................ 167
θεᾱ́ .................................................. 345
ἡδεῖς ............................................... 306
θεᾱ́ ων ............................................. 268
ἡδέος .............................................. 200
θείη ................................................. 421
ἡδέσι ............................................... 261
θείνω ........................................ 88, 124
ἡδέων .............................................. 261
θεῖτο ............................................... 421
ᾔδη .................................................. 167
θεοῖο ............................................... 197
ἡδύς ................................ 200, 261, 305
θεοῖς ............................................... 248
ἠέ .................................................... 131
θεός ................................................ 248
ἠείδη ............................................... 167
θεοῦ ................................................ 197
ἠείδης ............................................. 167
θετός ........................... 68–69, 103–104
ἠίθεος ............................................... 66
θῆκε .................................................. 85
ἧµα ................................................. 110
θόρε ................................................ 407
ἧµαι ........................................ 139, 387
θρῆνυς .................................... 235, 249
ἡµᾶς ........................................ 320, 332
θρόνος .................................... 251, 253
ἡµέας .............................................. 319
θυγάτηρ .......................... 114, 201, 274
508
Index des formes
θυγατρός ......................................... 201
ἵστηµι ....................................... 67, 394
θυγατρῶν ........................................ 274
ἵστησι ............................................. 396
θύραι ............................................... 269
ἴτε ........................................... 386, 427
θύρᾱσι ............................................ 277
ἴτω .................................................. 425
θυρᾱ́ ων ........................................... 269
ἶφι ................................................... 254
θυρέων ............................................ 269
κάθηµαι .......................................... 389
θυρῶν ............................................. 269
καθήµεθα ........................................ 389
ἴᾱσι ................................................. 386
κάθησθε .................................. 388–389
ἰδέ ................................................... 130
κάκιστος ......................................... 292
ἴδε ................................................... 406
κακίων ............................................ 292
ἰδεῖν .................................................. 80
κακός .............................................. 292
ἴδµεν ............................... 132, 149, 414
κάπρος ............................................ 132
ἰδυῖα ............................................... 431
κάπτω ............................................. 143
ἵζω .................................................. 395
καρδία ..................................... 115, 156
ἵηµι ................................................. 110
καρποί .............................................. 56
ἴθι .................................................... 148
κάρυον ............................................ 254
ἴµεν ................................. 385, 420, 438
κατάκειαι ........................................ 387
ἴοιµι ................................................ 423
καταπτήτην ..................................... 396
ἴοµεν ............................................... 420 ῑ̓ός ................................................... 137
κέαται ............................................. 389
ἵππιος .............................................. 259
κεῖµαι ........................ 75, 149–150, 387
ἵπποις .............................................. 248
κεῖοι ........................................ 150, 387
ἵππον ............................................... 120
κεῖσαι .............................................. 387
ἵππος ....................... 175, 248, 259, 264
κεῖται .............................................. 387
ἵππων .............................................. 264
κεῖτοι .............................................. 150
ἴ̄ς ..................................................... 254
κέλεται ............................................ 409
ἵστᾰµεν ........................................... 394
κέλοµαι ............................................. 76
ἵστᾱµι ............................................... 67
κε(ν) ............................................... 423
ἵ-στᾱµι ............................................ 394
κεραµεύς ......................................... 111
ἵστη ................................................. 424
κέχυται ........................................... 415
κέατο .............................................. 390
Index des formes
509
κῆρ ................................................. 156
λείχω ................................................. 66
κικλήσκειν ...................................... 401
λευκότερος ..................................... 292
κλῦθι ............................... 129, 158, 425
λέων ................................................ 249
κλῦτε ...................................... 158, 427
λίθος ................................................. 59
κόρϝᾱ .............................................. 217
λιµπάνω .......................................... 113
κόρη ................................................ 112
λίπε ................................................. 407
κοῦροι ............................................. 231
λούοµαι .......................................... 377
κραδίη ..................................... 115, 156
λούω ............................................... 377
κράτιστος ....................................... 286
λύκοι ....................................... 231, 436
κρατύς ............................ 285–286, 436
λύκοιο ..................................... 196, 340
κρέας ................................................ 75
λύκον .............................................. 183
κρείσσων ........................................ 286
λύκος ................................................ 92
κρέσσων ......................... 285–286, 436
λύµην .............................................. 393
κρῑ́νω .............................................. 413
λύντο .............................................. 393
κυδιάνειρα .............................. 303, 437
λύοµαι ............................................ 393
κυδρός .................................... 303, 437
λύτο ........................................ 393, 405
κυέω ............................................... 145
λύω ......................................... 393, 406
κύνα ................................................ 186
µαγῆναι ........................................... 132
κύνες ............................................... 237
µαδάω ............................................... 67
κυνός .............................................. 186
µαίνοµαι ................................. 124, 402
κῡσαµένη ........................................ 145
µᾶλον ................................................ 46
κύτισος ........................................... 252
µάντις ............................................. 361
κύων ............................... 179, 186, 237
µάντισι ............................................ 361
κώπη ....................................... 143–144
µαντίων .......................................... 361
λαίειν .............................................. 402
µάσσω ............................................ 132
λαι(ϝ)ός .......................................... 131
µᾱ́ τηρ .............................................. 141
λαιός ............................................... 148
µε .................................... 310, 312, 328
λανθάνω ......................................... 409
µέγας .............................................. 285
λείβω .......................................... 78–79
µέγιστος .......................................... 291
λείπω ....................................... 110, 113
µέζους ............................................. 291
510
Index des formes
µέζω ................................................ 291
νευρῆφιν ......................................... 252
µέζων ...................................... 285, 291
νεῦρον ............................................ 176
µέθυ ................................................ 200
νεφέλη .............................................. 84
µέθυος ............................................ 200
νέφος .......................................... 84, 91
µείζων ............................................. 291
νεώς .................................................. 14
µεῖραξ ............................................... 97
νηός .................................................. 14
µέµαµεν .................................. 160, 414
νηῦς ................................................ 254
µέµονα .................................... 160, 415
νίφα .................................................. 88
µέµονε ............................................ 414
νυκτός ..................................... 124, 156
µένος .............................................. 133
νῦν .................................................. 302
µέσ(σ)ος ......................................... 119
νύξ .................................................. 124
µή ................................... 140, 408, 424
νυός .......................................... 92, 135
µῆλον ................................................ 46
νώ ................................................... 316
µήν .......................................... 112, 139
νῶϊ .................................................. 316
µηροῖν .................................... 222, 357
νῶϊν ................................................ 317
µηρός .............................................. 222
νῷν ................................................. 317
µής .................................................. 139
ξεῖνε ................................................ 180
µήτηρ .............................................. 141
ξεῖνος .............................................. 180
µία .................................................. 355
ὁ .............................................. 350, 438
µνάσκετο ........................................ 401
ὁ/τό ................................. 308, 338–339
µνηστήρ .......................................... 237
ὅδε .......................................... 337, 437
µνηστῆρες ...................................... 237
ὀδόντα ............................................ 171
µοι ................................... 150, 311, 328
ὀδών ....................................... 170–171
µου ................................................. 328
ὄϝινς ............................................... 244
ναῦς .......................................... 14, 254
οἱ ..................................................... 347
ναῦφιν ............................................. 254
οἷ ..................................................... 335
νέᾱ .......................................... 142, 174
οἶδα ................. 132, 149, 379, 383, 414
Νεµέᾱͅ ............................................. 208
οἶδε ......................................... 383, 414
νέοµαι ............................................. 124
ὄιες ................................................. 234
νέος ............................. 63, 65, 111, 302
οἶϝος ............................................... 150
Index des formes
511
οἰκέω .............................................. 403
ὄρνῡµι ............................. 136, 158, 398
οἴκοι ........................................ 206, 210
ὄρωρε ............................................. 418
οἶκος ............................... 112, 207, 403
ὅς .................................... 108, 339, 350
οἴνη ......................................... 149, 355
ὄσσε ................................................ 214
οἶος ................................................. 150
ὀστέον ............................................ 102
ὄιος ................................................. 200
οὗ .................................................... 336
οἶς ........................................... 102, 271
οὖθαρ .............................................. 175
ὄις ................... 102, 134, 200, 234, 244
οὖς .................................................. 151
οἶσθα .............................. 383, 414, 416
οὖσα ............................................... 429
οἰῶν ................................................ 271
οὗτος .............................. 337–338, 437
ὀΐων ................................................ 271
ὄχεσφι ............................................. 255
ὀκτώ ............................................... 365
ὄχος .................................................. 86
ὀκτωκαίδεκα ................................... 367
πάρο ............................................... 191
ὀλιγόπιστε ...................................... 180
πάσχω ............................................. 416
ὀλοοίτροχος ...................................... 59
πατέρα ............................................ 130
ὄλωλε ............................................. 418
πατέρας ........................................... 247
ὄνοµα ...................................... 281, 375
πατέρες ................................... 130, 237
ὄντα ................................................ 429
πατέρων .......................................... 274
ὄντος ............................................... 429
πατήρ .. 55, 74, 138, 195, 237, 263, 274
ὀξύς ................................................ 144
πατράσι ........................................... 263
ὄπα ................................. 155, 157, 186
πατρί ............................................... 195
ὀπός ................................................ 157
πατρῶν ........................................... 273
ὄργυια ............................................. 103
παχέες ............................................. 235
ὀρέγω ...................................... 103, 113
παχεῖς ............................................. 235
ὀρθόν .............................................. 283
παχύς ............................ 11, 54–55, 235
ὀρθός .............................................. 389
πᾶχυς ...................................... 140, 146
ὁρµάοµαι ........................................ 403
πείθοµαι ............................................ 11
ὁρµή ............................................... 403
πεῖραρ ............................................. 307
ὄρνις ............................................... 102
πείρατος .......................................... 307
ὄρνυµαι .......................................... 136
πελέκεας ......................................... 245
512
Index des formes
πέλεκυς ........................................... 245
πῑ́ειρα .............................. 138, 307, 359
πεµπε .............................................. 365
πῖθι .................................................. 137
πενθερός ........................................... 55
πίπτω .............................................. 396
πέντε ................................... 57, 65, 365
πίσυρας ........................................... 364
πεντεκαίδεκα .......................... 353, 366
πίσυρες ........................................... 364
πεντήκοντα ............................. 353, 368
πῑ́ων ................................ 137, 307, 359
πέπασθε .......................................... 416
πλατύς ............................................. 118
πέπονθα .......................................... 416
πόδα ................................................ 122
πεπόνθαµεν .................................... 416
Πόδαργος ....................................... 303
πεπτηώς .......................................... 431
πόδαργος ........................................ 303
περί ................................................... 55
πόδε ................................................ 213
πέσσω ............................................... 57
ποδί ........................................... 56, 129
πέσυρες ........................................... 363
ποδοῖιν ............................................ 223
πέτοµαι ................................. 59–61, 72
ποδοῖν ............................................. 223
πέτρος ......................................... 58–60
ποδός ................................................ 72
πεύθοµαι ......................................... 150
ποιµένες .......................................... 237
πέφευγα .......................................... 162
ποιµένος ......................................... 201
πέφνε .............................................. 160
ποιµήν ............ 124–125, 138, 195, 201
πεφύασι .......................................... 416
ποινή ................................................. 78
πέφυκα ............................................ 416
πόλεε .............................................. 218
πεφύκαµεν ...................................... 416
πόλεις ..................................... 234, 244
πέφυκας .......................................... 416
πολέοιν ........................................... 223
πεφύκασι ........................................ 416
πόλεσι ............................................. 261
πεφῡ́ κῃ ............................................ 415
πόλεων .................................... 261, 271
πήχεε ...................................... 146, 218
πόλεως ...................................... 14, 200
πήχει ............................................... 194
πόληας ............................................ 245
πήχεις ............................................. 245
πόληι ............................................... 200
πήχεσι ............................................. 261
πόληος ...................................... 14, 200
πήχεων ............................................ 261
πόλιας ............................................. 245
πῆχυς 55, 140, 146, 194, 218, 245, 261
πόλινς ............................................. 244
Index des formes
513
πόλιος ............................................. 200
ῥῆµα ....................................... 281, 375
πόλις . 14, 200, 210, 223, 234, 261, 271
ῥινός ............................................... 111
πόλισι ............................................. 261
ῥόδον .............................................. 306
πολίων ............................................ 271
ῥυτός .............................................. 136
πολύρρηνες ..................................... 170
σε, σέ .............................................. 328
πολύς .............................................. 118
σίαλος ............................................. 238
πόρε ................................................ 407
σιάλους ........................................... 238
πόρτις ............................................. 254
σκαι(ϝ)ός ................................ 131, 292
πόρτιφι ............................................ 254
σκέπτοµαι ................................. 14, 402
πόσεϊ ............................................... 194
σοι .......................................... 150, 328
Ποσειδάων ..................................... 181
σοί .......................................... 328, 335
Ποσειδῶν ....................................... 181
σου, σοῦ ......................................... 328
πόσι ................................................ 181
στατός ................................. 67–69, 141
πόσις ....................................... 134, 179
στάχυς ............................................ 272
ποτει ............................................... 181
σταχύων .......................................... 272
Ποτειδάων ...................................... 181
στέγανς ........................................... 242
πούς .................................... 55, 72, 223
στείχω ............................................. 147
πρέσβυ ............................................ 181
στήθεσφιν ....................................... 255
πρίατο ............................................. 399
στῆµεν ............................................ 405
πρῶτος ............................................ 372
στῆν ................................................ 405
πτερόν .............................................. 60
στόµαργος ...................................... 303
Πῡθιονῑ́κᾱ ....................................... 178
Στόµαργος ...................................... 303
Πῡθιονῑ́κης ..................................... 178
στρατός ........................................... 115
πῶθι ........................................ 100, 137
στρότος ........................................... 115
πῶµα ............................................... 100
σύ ................................................... 328
ῥέει ......................................... 391, 422
σφᾶς ....................................... 330, 336
ῥεῖ ................................................... 422
σφέας .............................................. 336
ῥέοι ................................................. 422
σφέων ............................................. 336
ῥέπω ............................................... 380
σφι(ν) .............................................. 336
ῥήγνυµι ........................................... 143
σφίσιν ............................................. 336
514
Index des formes
σφώ ................................................. 330
τέσσαρσι(ν) .................................... 363
σφωε ............................................... 336
τεσσάρων ....................................... 363
σφῶϊ ............................................... 330
τέταρτος .................................. 115, 287
σφωιν .............................................. 336
τέτορες ............................. 77, 361, 363
σφῶιν, σφῶϊν .................................. 330
τετορτος .......................................... 115
σφῶν ............................................... 336
τέτρασι(ν) ....................................... 363
σχίζω .............................................. 402
τέτταρα ........................................... 363
τά .................................................... 347
τέτταρας ......................................... 363
τᾱ́ .................................................... 345
τέτταρες .................................... 77, 363
ταί ................................................... 349
τέτταρσι(ν) ..................................... 363
ταῖν ................................................. 345
τεττάρων ......................................... 363
ταῖς ................................................. 349
τεῦχος ............................................. 255
τάνς ................................................. 349
τῇ .................................................... 344
τᾱ́ ς .................................................. 349
τήν .......................................... 174, 344
ταῦρος ............................................ 132
τῆς .................................................. 344
ταχύς ............................................... 285
τῇσι ................................................. 349
τᾱ́ ων ....................................... 348–349
τι ..................................................... 352
τε ............................................ 129, 310
τί ....................................... 80, 174, 352
τεΐν ................................................. 317
τίθηµι .................................... 11, 55, 68
τεῖσαι ................................................ 78
τίκτω ......................................... 13, 380
τέκτοσι ........................................... 263
τίνω ........................................ 128, 412
τέκτων .................................... 125, 263
τις ............................................. 77, 352
τέλος ............................................... 384
τίς ..................................... 77, 174, 352
τέο .................................................. 336
τλῆµον ............................................ 125
τεός ................................................. 329
τλήµων ........................................... 124
τέρποµαι ......................................... 377
τό ...................................... 80, 340–342
τέρπω .............................................. 377
τοι ................................................... 150
τέσσαρα .......................................... 363
τοί ................................... 347–349, 436
τέσσαρας ........................................ 363
τοῖο ......................................... 340, 342
τέσσαρες ......................................... 363
τοῖς ......................................... 347, 349
Index des formes
515
τοῖσι ........................................ 347, 349
υἱός ................................................. 223
τόν .......................................... 340–342
υἱύν ................................................. 184
τόνς ......................................... 347–348
υἰύνς ............................................... 245
τοῦ .................................................. 342
υἱύνς ....................................... 244–245
τούς ................................................ 347
υἱύς ................................................. 223 ὑµᾶς, ῡ̔µᾶς ...................................... 332
τουτεῖ .............................................. 207 τράπεζα ........................... 115, 216, 345 τρεες ............................................... 358 τρεῖς ........................................ 358, 361
ῡ̔µέας .............................................. 332 ὑµεῖς, ῡ̔µεῖς ..................................... 332
τρέφω ..................................... 304, 412
ὑµέτερος ......................................... 292 ῡ̔µέων ............................................. 332
τρία ................................................. 359
ὑµῖν, ῡ̔µῖν ........................................ 332
τριᾱ́ κοντα ....................................... 368
ὔµµε ........................................ 331–332
τριᾱκόσιοι ....................................... 370
ὔµµες .............................................. 332
τρίπος ............................................. 361
ὐµµέων ........................................... 332
τρίπους ........................................... 361
ὔµµι(ν) ............................................ 332
τρισί ................................................ 361
ὑµός ................................................ 292
τρίτατος .......................................... 287
ὑµῶν ............................................... 332
τριῶν .............................................. 361
ὗς ............................................ 145, 280
τρόφις ............................................. 304
ὑσµίνη ............................................ 110
τύ ...................................................... 73 τῡ́νη .......................................... 73, 146
φαεινώ ............................................ 214
τώ ........................................... 344–345
φαίνω .............................................. 377
τῷ ........................................... 340, 342
φᾱµί .......................................... 96, 143
τῶν .......................................... 348–349
φαντι ............................................... 159
Ὑᾶται ............................................. 280
φᾱσί ................................................ 159
ὑγιής ................................................. 83
φάσκω ............................................ 400
ὕδωρ ....................................... 135, 176
φᾱτί ................................................... 15
ὑέοιν ............................................... 223
φάτο ................................................ 387
υἱέας ............................................... 245
φατός .............................................. 104
υἱοῖν ................................................ 223
φέρε ................................................ 130
φαίνοµαι ......................................... 377
516
Index des formes
φέρει ............................................... 382
φρήν ............................................... 263
φέρεσθαι ........................................... 11
φυγᾱ́ ............................................... 173
φέρεσθε ............................................ 11
φύγαδε ............................................ 173
φέρετε ............................................. 392
φύγε ................................................ 407
φέρηι .............................................. 420
φυγή ............................................... 173
φέροι ................................................. 74
φυγῆς .............................................. 173
φέροιµεν ......................................... 422
φύλαξ ............................................. 404
φέροιµι ........................................... 422
φυλάσσω ........................................ 404
φερόµεθα .......................................... 11
φύοµαι ............................................ 415
φέρον .............................................. 164
φωνή ......................................... 98, 143
φέροντι ............................. 15, 159, 164
χάν .................................................. 132
φέρουσι .................................... 15, 159
χείλιοι ............................................. 371
φέρτε .............................................. 427
χεῖµα ............................................... 120
φέρω ........... 11, 84, 113, 129, 144, 382
χειµών .............................................. 86
φέρωµεν ......................................... 420
χείρ ......................................... 223, 259
φεύγω ............................................. 173
χείριστος ......................................... 293
φηµί .................. 98, 143, 386–387, 400
χε(ι)ροῖν .......................................... 223
φησί .................................................. 15
χείρων ............................................. 293
φθέγγεσθαι ..................................... 402
χέλλιοι ............................................ 371
φθίεται ............................................ 420
χερσί ............................................... 259
φθίνω .............................................. 412
χέω .......................................... 406, 415
φθιόµεσθα ...................................... 420
χῑ́λιοι ............................................... 371
φθίσιν ............................................. 184
χρύσε(ι)ος ....................................... 252
φίλτερος ......................................... 292
χύτο ................................................ 406
φοῖνιξ .............................................. 255
χυτός ............................................... 136
φορᾱ́ ............................................... 129
ὧδε ................................................. 107
φρασίν ............................................ 263
ὠκύπτερος ........................................ 60
φράτηρ .............................................. 74
ὠκύς ............................................... 144
φρενός ............................................ 263
ὤµοιιν ..................................... 222, 317
φρεσί(ν) .......................................... 264
ὤµοισιν ........................................... 276
Index des formes ὦµος ............................................... 214
517
ὥς ................................................... 107
ὤµω ........................................ 213, 345 ὥρᾱ ................................................. 108 ὦρτο ....................... 144, 158, 166, 398
Mycénien a-di-ri-ja-pi .................................... 249
e-me ................................................ 355
a-di-ri-ja-te-qe ............................... 253
e-ne-wo ........................................... 365
a-ja-me-no ...................................... 249
e-po-mi-jo ....................................... 213
A-na-qo-ta ...................................... 116
e-re-pa-te-jo ........................... 249, 255
a-ne-mo .......................................... 265
e-ri-nu-we ....................................... 193
a-ni-ja-pi ........................................ 251
e-ru-to-ro ........................................ 113
A-no-qo-ta ...................................... 115
e-u-ke-to ......................................... 150
a-pe-do-ke ...................................... 165
i-qi-ja .............................................. 259
a-pi-qo-ro ......................................... 77
i-qo ......................................... 175, 259
a-pi-qo-to ....................................... 186
jo- ................................................... 107
a-pu-do-ke ...................................... 165
ka-po ................................................ 56
a-qi-ja-i .......................................... 259
ka-ra-te-ra ...................................... 186
a-ra-ru-ja ....................................... 431
ka-ru-pi .......................................... 254
a-ra-ru-wo-a .................................. 431
ke-ra-me-u ...................................... 111
a-to-po-qo ........................................ 56
ke-ra-me-wo ................................... 111
a2-te-ro ............................................ 186
ki-to-na .......................................... 247
da ?-]mo-ke-re-we-i ....................... 195
ko-to-na-o ....................................... 268
di-pte-ra3 ................................ 231, 233
ko-wa ...................................... 112, 216
di-we ............................................... 148
ko-wo .............................................. 231
di-wi-jo-jo ....................................... 112
ku-ru-sa-pi .............................. 251–252
do-ke ............................................... 165
ku-te-se-jo ...................................... 252
e-e-si ............................................... 103
ku-te-so ........................................... 252
e-ke-jo-to ........................................ 389
ku-te-ta-jo ....................................... 251
518
Index des formes
ma-te-re .......................................... 195
qe-to-ro ............................................. 77
me-no .............................................. 112
qi-ri-ja-to ........................................ 399
me-tu-wo ........................................ 200
qo-u-ko-ro .................................. 77, 82
me-zo-a2 .................................... 91, 291
ra-pte-re ......................................... 237
ne-wo ................................ 63, 111, 302
si-a2-ro ............................................ 238
o- .................................................... 107
ta-ra-nu .................................. 235, 249
o-da-tu-we-ta .................................. 171
ta-ra-nu-we .................................... 235
o-da-twe-ta ..................................... 171
te-ka-ta-si ....................................... 263
o-pi-ke-re-mi-ni-ja .......................... 252
te-ke .................................................. 85
o-tu-wo-we ..................................... 389
te-o-jo ............................................. 196
pa-ke-we ......................................... 234
te-tu-ko-wo-a2 ................................. 431
pa-ro da-mo .................................... 191
te-u-ke-pi ........................................ 255
pa-we-o .......................................... 273
ti-ri-po ............................................ 361
pe-de-we-sa .................................... 306
to-ma-ko ......................................... 303
pe-re-qo-ta ........................................ 87
to-no ....................................... 251, 253
po-da-ko ......................................... 303
to-pe-za ........................... 115, 216, 345
po-de ................................................ 56
to-pe-zo .................................. 216, 345
po-me .............................................. 124
wa-na-so-i ...................................... 223
po-me-ne ................................ 195, 237
we-a2-no .......................................... 111
po-ni-ki-pi ...................................... 255
we-a2-no-i ....................................... 111
po-pi ............................................... 255
wi-de ............................................... 406
po-ro ............................................... 213
wi-ri-no ........................................... 111
Po-se-da-o ...................................... 181
wo-do-we ........................................ 306
po-ti-pi ............................................ 253
wo-ka ................................................ 86
po-ti-pi-qe ...................................... 253
ze-u-ke-si ........................................ 264
-qe .......................................... 129, 249
Index des formes
519
Latin abs .................................................... 94
artūs ............................................... 235
absentem ........................................ 429
at .................................................... 131
absentis .......................................... 429
Athenīs ............................................ 208
accipiter ........................................... 60
auis ................................................. 272
acus ................................................ 144
auium .............................................. 272
adoleō ............................................... 98
auliquoquibus ................................... 57
aedēs .............................................. 148
auribus ........................................... 262
agnōscō ............................................ 80
auris ....................................... 151, 262
agō ............................................ 95, 131
baculum ...................................... 78–79
agricola .......................................... 178
bibit ................................................ 395
albeō ............................................... 404
bibō ................................................ 101
albus ............................................... 404
bīmus .............................................. 120
aliud ......................................... 80, 299
bipēs ............................................... 358
alius ........................................ 300–301
bis ....................................................... 9
alō .................................................... 98
bonō ................................................ 299
altāria ............................................... 98
bonum ............................................. 299
alter ........................................ 299, 373
bonus ...................... 293–294, 299, 436
alumnus .......................................... 430
bōs ...................................................... 9
amā ................................................. 178
breuior .................................... 285–286
amnis ................................................ 58
breuis ...................................... 285–286
annālis ...................................... 11, 305
breuissimus ..................................... 286
annus ........................................ 11, 305
brūma ............................................. 286
anser ............................................... 132
caecus ............................................. 131
ante ........................................... 95, 128
cānus .............................................. 132
aqua ............................................ 57–58
caper .............................................. 132
argentum .......................................... 95
capiō ............................................... 143
artubus ........................................... 262
capum (lat. vulg.) ............................. 42
artus ....................................... 235, 262
caput ................................................. 42
520
Index des formes
carmen .............................................. 12
cornū .............................................. 262
carpō ................................................ 56
corrumpō .......................................... 12
castreis (v. lat.) ............................... 249
cosmis (v. lat.) ................................ 290
castrīs ............................................. 250
cot(t)īdiē ........................................... 57
cecurrī ............................................ 161
couentionid (v. lat.) ........................ 206
ceiuis (v. lat.) .................................. 147
crēdō ................................................ 75
centum ........................ 74–75, 122, 369
cruor ................................................. 75
cinctum ............................................. 26
cucurrī ............................................ 161
cingō ................................................. 26
cui ................................................... 351
cinxī .................................................. 26
cuius ............................................... 350
cīuēs ............................................... 237
cūra ................................................ 404
cīuī .................................................. 194
cūrō ................................................ 404
cīuibus ............................................ 333
curtus .............................................. 116
cīuis .................. 19, 147, 194, 201, 237
custōdiō .......................................... 404
clepō ................................................. 73
custōdiunt ....................................... 404
cognōscō .......................................... 80
custōs .............................................. 404
cōmis .............................................. 290
datod .............................................. 426
commentus ...................................... 126
datus ............................................... 104
compescō .......................................... 27
dēbilis ............................................... 78
compescuī ......................................... 27
decem ............. 122, 302, 353, 365–366
cōnātūs ........................................... 246
decimus .......................................... 302
conficiō ............................................. 85
dēfendō ........................................... 124
consulere .......................................... 38
deicō (v. lat.) ..................................... 80
coquit ................................................ 57
deiuos (v. lat.) ................................. 239
coquō ................................................ 57
dēsiliō ............................................... 15
coquus ........................................ 56–57
deum ............................................... 340
Corinthī .......................................... 206
dīcō ................................................... 80
Corinthus ........................................ 206
Diouos (v. lat.) ........................ 156, 201
cornibus .......................................... 262
dir(h)ibeō ......................................... 15
cornīx ............................................. 206
dirimō ............................................... 15
Index des formes
521
diū ................................................... 211
equitem ........................................... 298
dīues ............................................... 290
equom (Virg.) ................................. 265
dī(ui)tior ......................................... 290
equos .............................................. 175
dī(ui)tissimus .................................. 290
equum ............................................. 120
dolo malo ....................................... 202
equus .............................................. 120
domī ................................ 206, 208, 211
ĕră .................................................. 178
duābus ............................................ 358
erit .................................................. 419
duae ................................................ 358
es .................................................... 424
duārum ........................................... 358
est ............................................. 92, 130
duās ................................................ 358
esto ................................................. 425
ducentī ............................................ 370
et ..................................................... 130
duenoi ............................................. 191
eum ......................................... 147, 320
duis ..................................................... 9
faciō .................................................. 85
duō .................................................. 357
familia .............................................. 11
dŭŏ .................................................. 357
familiāris .......................................... 11
duōbus ............................................ 358
familiās ........................................... 198
duodecim ........................................ 367
fateor .............................................. 104
duodētrīgintā .................................. 368
faxō ................................................. 419
duodēuīgintī ........................... 354, 368
fēmina ..................................... 178, 430
duōrum ........................................... 358
fēminae ................................... 192, 233
duōs ................................................ 358
fēminam .......................................... 184
duum ............................................... 358
ferō ....................................... 8, 84, 144
duumuir .......................................... 358
fileai (v. lat.) ................................... 192
ēdī ..................................................... 99
fileod (v. lat.) .................................. 203
ego .................................. 308, 310, 337
fīlī ................................................... 180
ēmī .................................................... 99
fīlie (v. lat.) ..................................... 180
emō ........................................... 99, 123
fingō ................................................. 87
endoque plorato ............................... 34
fīnis ..................................................... 9
equa ................................................ 175
flōrem ..................................... 154–155
equī ................................................. 198
foederum ........................................ 133
522
Index des formes
foedus ..................................... 133, 149
hominī ............................................ 195
formus .............................................. 88
hominibus ....................................... 264
fortem ............................................. 205
hominis ........................................... 201
fortī ................................................. 205
hominum ......................................... 274
fortis ............................................... 205
homō ....................... 195, 206, 237, 274
fructus ........................................ 46–47
honestior ........................................ 298
fruor ................................................. 46
honestissimus ................................. 298
fūdī ................................................... 26
honestum ........................................ 298
fuga ................................................ 173
honestus .................................. 154, 298
fuī ............................................... 8, 308
honor ........................................ 24, 155
fundō ................................................ 26
honōrem .......................................... 154
fūsum ................................................ 26
honōs ................................ 24, 154–155
genit ................................................ 395
hospes ............................................... 11
genus .............................................. 100
hospitālis .......................................... 11
germen .............................................. 12
hoste ............................................... 205
gignō .............................................. 395
hostem .................................... 185, 205
Gnaeō ............................................. 202
hostis ........................ 87, 185, 205, 272
Gnaiuod (v. lat.) ............................. 202
hostium ........................................... 272
gnoscier (v. lat.) ............................... 80
hunc ................................................ 337
(g)nōuī ............................................ 142
id ............................................ 128, 350
grauis ............................... 82, 272, 305
idem .................................................. 30
grauium .......................................... 272
iecur ............................................... 108
haedus ............................................ 132
ignibus ............................................ 262
heice (v. lat.) ................................... 206
ignis ................................................ 262
heluus ............................................. 119
illī ................................................... 299
hic ........................................... 337, 437
illīus ................................................ 299
hīc ................................................... 206
im ...................................................... 30
hiems ........................................ 86, 120
imber .............................................. 125
homine ............................................ 206
immortālis ........................................ 12
hominēs .......................................... 237
indulgēre .......................................... 38
Index des formes
523
inferus .............................................. 85
lingō ................................................. 66
intimus ............................................ 289
lingua ............................................. 269
inuītus ............................................. 125
linguarum ....................................... 269
Iouis ................................................ 156
linquō ...................................... 110, 113
iouiste ............................................. 288
locis ................................................ 276
iste .................................. 337, 354, 437
locō ................................................. 202
istī ................................................... 354
locus ....................................... 202, 276
istīus ............................................... 354
loucarid (v. lat.) .............................. 204
istōrum ................................... 266, 436
loucom (v. lat.) ....................... 152, 182
istud .................................................. 80
loucos (v. lat.) ................................. 152
(is)tud ............................................. 350
lūceō ............................................... 152
iter .................................................. 206
lūcī .................................................. 211
itinere ............................................. 206
lūcum .............................................. 182
iūgera ............................................. 133
lūcus ....................................... 152, 206
iūgis ................................................ 304
lupō ................................................ 191
iugum ........................................ 81, 120
lupus ................................................. 92
iunctum ............................................. 26
lūx ..................................................... 75
iungō ................................ 26, 109, 399
madeō ............................................... 67
iunxī .................................................. 26
magis .............................................. 287
Iūpiter ............................................. 151
magister .......................................... 288
laeuus ..................................... 131, 148
magistratud (v. lat.) ........................ 205
legitō .............................................. 426
magnus ................................... 283, 285
legō ................................................... 95
maior ...................................... 283, 285
leuis .......................................... 66, 305
māla .................................................. 46
līber .................................................. 11
malos (v. lat.) .................................. 177
līberālis ............................................ 11
mālum ............................................... 46
libet ................................................ 378
malus ...................................... 177, 293
libitum est ....................................... 378
manibus .......................................... 262
licet ................................................. 378
manū ............................................... 205
licitum est ....................................... 378
manus ..................................... 205, 262
524
Index des formes
Marcīpor ........................................ 198
mōrem ............................................. 154
margarīta .......................................... 30
morior ............................................ 402
māter .............................................. 141
mortuus .......................................... 364
mātūrus ............................................ 98
mōtibus ........................................... 262
maximus ......................................... 289
mōtus .............................................. 262
me ................................................... 337
mōtūs .............................................. 246
mē ........................... 308, 312, 328, 334
multum ............................................ 293
mea ................................................. 311
nē .................................................... 376
mēcum .............................................. 32
nebula ........................................... 8, 84
mēd (v. lat.) ............................. 312, 328
neque .............................................. 124
medius ...................................... 85, 119
nesciō ............................................. 124
meī .......................... 311, 313, 325, 328
neuīs ............................................... 125
melior ............................. 293–294, 436
nīdus ................................................. 93
memordī .......................................... 161
ninguit .............................................. 88
mēnsis ............................................. 139
ninxit ................................................ 88
mētior ............................................. 139
nix ..................................................... 88
meus ................................................ 311
nōbīs ....................................... 320, 322
mī ............................................ 310–311
noceō .............................................. 133
mihi ................................................. 311
nocet ............................................... 134
miles ................................................. 11
noctis .............................................. 156
mīlia ............................................... 371
noctium ........................................... 274
militāris ............................................ 11
noctū ............................................... 211
mīlle ................................................ 371
nodorum ......................................... 265
minimus .................................. 289, 293
nōn .................................................. 376
minister .......................................... 288
nōnus .............................................. 365
minor .............................................. 293
nos .................................................. 337
misceō .............................................. 27
nōs .......................................... 322, 332
miscuī ............................................... 27
nōscī ................................................. 80
momordī ......................................... 161
nostrī .............................................. 324
morbus ............................................ 328
nostrum .................................. 324, 333
Index des formes
525
noua ................................................ 174
partus ............................................. 262
nouāre ...................................... 95, 141
paruus ............................................ 293
nouem ............................................. 365
pāstor ............................................... 68
nouissimus ...................................... 289
pater ............................................... 274
nouus .................................. 63–65, 302
patribus .......................................... 264
nox .......................... 124, 156, 169, 274
patrum ............................................ 274
nunc ................................................ 302
pecu (v. lat.) ...................... 75, 179, 272
nurus ........................................ 92, 135
pecuum ........................................... 272
ob uos sacro ............................... 34–35
pede ................................................ 129
obs- ................................................... 94
pedem ............................................. 122
occulō ............................................... 76
pĕdis ................................................. 72
occulto ............................................ 119
peior ............................................... 293
octāuos ........................................... 101
peposcī (v. lat.) ......................... 26, 161
octāuus ........................................... 214
pepugī ..................................... 161, 418
octō ................................. 101, 214, 365
persolla ............................................ 41
ōdī .................................................. 143
persōna ....................................... 41–42
odium .............................................. 143
pēs .................................................... 72
omnis .............................................. 301
pessimus ......................................... 293
opera ................................................ 10
petō ................................. 60–61, 72, 95
operis .............................................. 155
pīlum .............................................. 231
optimus ................................... 291, 293
pilumnoe (v. lat.) ............................ 231
opus .......................... 10, 100, 133, 155
pirum ................................................ 47
oquoltod (v. lat.) ............................. 118
pirus ................................................. 47
orator ............................................... 24
-plēre .............................................. 117
os .................................................... 102
ploirume (v. lat.) ............................. 232
ouēs ........................................ 235, 245
plūrimī ............................................ 232
ouis ......................................... 102, 134
plurimum ........................................ 293
ouīs ................................................. 245
plus ................................................. 293
parisuma ........................................ 290
pōculum .......................................... 100
partubus ......................................... 262
poimilionom (v. lat.) ....................... 274
526
Index des formes
pōma ........................................... 46–47
quadrāginta .................................... 364
pōmum ........................................ 46–47
quadrupēs ....................................... 364
pons ................................................ 172
quae ........................................ 350–351
Popliosio (v. lat.) .................... 196, 351
quārum ........................................... 351
poploe (v. lat.) ................................ 231
quās ................................................ 351
poposcī ..................................... 26, 161
quattuor .................................... 77, 364
populārī .......................................... 232
quattuordecim ................................ 367
populāris .......................................... 11
-que ................................................ 129
populī ............................................. 231
quei (v. lat.) .................................... 351
populus ..................................... 11, 231
quem ............................................... 350
portum ............................................ 184
quī .......................................... 350–351
portus ............................. 136, 179, 184
quibus ............................. 333, 350–351
poscō ........................................ 26, 400
quid .......................... 80, 174, 350, 352
positus .............................................. 15
quindecim ............................... 353, 367
potio ................................................. 43
quinquāgintā .................................. 353
potis ........................................ 134, 179
quīnque ............................... 57, 65, 365
pōtus ............................................... 100
quis ......................................... 174, 352
praedā ............................................ 203
quō .................................................. 351
praidad (v. lat.) ............................... 203
quōcum ............................................. 32
prīmus ............................................ 373
quod ................................................ 350
prōuidēre .......................................... 38
quoi (v. lat.) .................................... 351
proximus ......................................... 289
quoiei (v. lat.) ................................. 351
puer ................................................ 198
quoius (v. lat.) ......................... 350–351
pulc(h)er ......................................... 294
quōrum ........................................... 351
pulc(h)rior ...................................... 294
quōs ................................................ 351
pungō .............................................. 417
quot .................................................. 57
pupugī ............................ 161, 417–418
qurois (v. lat.) ................................. 249
qoi (v. lat.) ...................................... 350
rătus ............................................... 139
qua .................................................. 352
recei (v. lat.) ................................... 195
quā .................................................. 351
reddō ................................................ 13
Index des formes
527
rēgibus ............................................ 264
senātuī ............................................ 194
regō ........................................... 95, 113
senatuos (v. lat.) ............................. 201
rēgum ............................................. 274
senātus ...................................... 97, 194
relictum ............................................ 26
senātūs ............................................ 201
relinquō ............................................ 26
senex ............................. 91, 96–97, 284
relīquī ............................................... 26
senior ........................................ 91, 284
reminīscor ...................................... 124
seniorem ......................................... 284
rērī .................................................. 139
sĕorsum .......................................... 334
resīdō ................................................ 15
septem .............. 73, 101, 122, 302, 365
rēx .................................................. 274
septemdecim ................................... 367
Romae ............................................ 208
septimus .................................. 101, 302
Romai (v. lat.) ................................. 208
sequor ................................. 65, 91, 373
Romano (v. lat.) .............................. 265
serō ................................................... 99
Romanom (v. lat.) ........................... 265
serpō ................................................. 66
Romanum ....................................... 298
sēuī ........................................... 99, 139
rota ................................................... 96
sex .................................................. 365
ruber ......................................... 86, 113
sibei (v. lat.) ............................ 335–336
rudis ............................................... 304
sibi .......................................... 335–336
rūrī .......................................... 208, 211
sīdō ................................................. 395
saliō .................................................. 65
siem ........................................ 137, 421
sătus ............................................... 139
siēs (v. lat.) ..................................... 100
scaeuus ........................................... 131
sīmus ...................................... 137, 421
scicidī ............................................. 417
sinister ............................................ 288
scindō ............................................. 417
sinistimus ........................................ 288
sē .................................................... 334
sistit ................................................ 395
secundus ......................................... 373
sitī ................................................... 205
sēd (v. lat.) ...................................... 334
sitim ................................ 184–185, 205
sēdecim ........................................... 367
sitiō ................................................. 404
semel ...................................... 121, 355
sitis ................................. 184, 205, 404
senātū ............................................. 194
sītis ................................................. 100
528
Index des formes
soleō ............................................... 378
tē ............................................. 328, 334
solitus sum ...................................... 378
tēd (v. lat.) ...................................... 328
somnus .............................................. 10
tenuis .............................................. 305
sōns ................................................ 429
termen ............................................ 126
sont (v. lat.) ............................. 103, 159
terrae .............................................. 199
sopor ................................................ 10
terrāī (v. lat.) .................................. 198
soror ............................................... 358
terrās .............................................. 198
specibus .......................................... 262
testa .................................................. 42
speciō ............................................. 402
tibei (v. lat.) .................... 323, 328, 333
specubus ......................................... 262
tibi .................................................. 328
specus ............................................. 262
Titoio .............................................. 351
stăbilis ............................................ 305
torreō ...................................... 116, 133
stabulum ..................................... 12–13
tostus .............................................. 116
stāre ................................................ 305
tot ................................................... 133
status ................................................ 67
tōtī .................................................. 437
suāuis ............................................. 305
tōtus ........................................ 298–301
sub uos placo .................................... 34
trādō ............................................... 367
subs- ................................................. 94
transque dato ................................... 34
Suesano (v. lat.) .............................. 265
trecentī ............................................ 370
sum ................................................. 308
tredecim .......................................... 367
summus ........................................... 289
trēs .......................................... 358, 361
sumus .............................................. 290
tria .................................................. 361
sunt ......................................... 103, 159
tribubus .......................................... 262
superāre ............................................ 37
tribus ...................................... 262, 361
surēmit .............................................. 15
trīs .................................................. 361
sūs .................................................. 145
trium ............................................... 361
tabelai (v. lat.) ................................ 233
tu .................................................... 337
Tarentī ............................................ 206
tū ...................................... 73, 146, 328
Tarentum ......................................... 206
tuī ............................................ 311, 328
taurus ............................................. 132
turpis .............................................. 304
Index des formes
529
tutudī .............................................. 161
uīuus ....................................... 137, 302
tuus ................................................. 329
ultimus ............................................ 289
uehō .......................................... 86, 138
undecim .......................................... 367
uelle ................................................ 117
undētrīgintā .................................... 368
ueniō ................................. 82, 122, 400
undēuīgintī ............................. 354, 368
uentus ............................................. 103
ūnī .................................. 299, 301, 354
uerbum ............................... 19, 86, 375
ūnius ....................................... 299, 301
uertō ............................................... 116
ūnīus ............................................... 354
uesper ............................................. 112
ūnō .................................................. 299
uestis ............................................... 111
ūnum ............................................... 299
uestrī .............................................. 333
ūnus ................ 149, 298–301, 354, 368
uestrum ........................................... 333
uobeis (v. lat.) ......................... 322, 332
uēxī ......................................... 138, 413
uōbīs ............................................... 332
uideō ......................................... 80, 378
uocabulum ...................................... 375
uīdī ................................................... 80
uōce ................................................ 206
uidua .................................. 66, 85, 128
uōcem ..................................... 185–186
uīgintī ............................................. 368
uorsus ............................................. 116
uirei (v. lat.) .................................... 232
uos .................................................. 337
uīrī .................................................. 232
uŏs .................................................... 35
uirorum ........................................... 351
uōs ............................................ 35, 332
uirōrum .................................. 266, 436
uoueō ................................................ 88
uirtūs .............................................. 148
uōx .................. 155, 157, 179, 185, 206
uirtutei (v. lat.) ............................... 148
ūrō .................................................. 151
uirum .............................. 265–266, 351
ursus ......................................... 45, 117
uīrus ............................................... 137
uterque ............................................ 298
uitāre .......................................... 36–37
uxor ................................................ 358
uīuere .............................................. 302
Valesiosio (v. lat.) ........................... 196
uīuō ................................................ 142
530
Index des formes
Osque aapam ............................................... 58
kerssnais ......................................... 259
aapas ................................................ 58
lúvkeí .............................................. 206
aasas .............................................. 232
mallud ............................................ 202
aeteis .............................................. 200
meddíss ........................................... 229
aíttíúm ............................................ 272
medikeís .......................................... 200
castrous .......................................... 200
mefiaí .............................................. 208
degetasiús ....................................... 229
píd .................................................. 174
deiuatu‹n›s ..................................... 229
pis ................................................... 174
dolud .............................................. 202
slaagi- ............................................ 205
egmā- .............................................. 269
slaagid ............................................ 204
egmazum ........................................ 269
slagím ............................................. 184
eítiuvad ........................................... 203
víaí .................................................. 208
humuns ........................................... 237
Ombrien anter:menzaru ................................ 269
karu- ............................................... 206
curnac- ........................................... 206
-kum .................................................. 32
curnase ........................................... 206
mani ................................................ 205
Ikuvinus .......................................... 228
mehe ............................................... 311
kapiř ............................................... 206
pepurkurent ...................................... 26
kapiře ............................................. 206
sent ......................................... 103, 159
kaprum ........................................... 132
tefe .................................................. 329
karn- ............................................... 206
tutaper ............................................ 203
karne .............................................. 206
utur ................................................. 135
Index des formes
531
Italique (sauf latin et osco-ombrien) ekokaisiosio (fal.) ........................... 196
peparai (fal.) .................................. 132
iouiois puclois (pél.) ....................... 249
prismu (pél.) ................................... 373
louderobos (vén.) ........................... 256
Français et provençal adroit .............................................. 300
emprunt ...................................... 20–21
aim .................................................... 28
entier .............................................. 301
aimant .............................................. 29
estable .............................................. 13
aiment ............................................... 28
fleur ................................................ 154
altérer ................................................. 6
l’un ................................................... 20
alun .................................................. 21
le ............................................. 178, 438
amant ................................................ 29
lin ..................................................... 20
ambre ................................................ 20
maintenant ........................................ 10
amer ................................................. 28
maintenir .......................................... 10
amons ............................................... 28
meurs ................................................ 28
angle ................................................. 20
mourons ............................................ 28
boisson ............................................. 44
neuve ................................................ 63
brin ............................................. 20–21
obra (a. prov.) ................................... 10
brun ............................................ 20–21
occire ................................................ 40
chambre ............................................ 12
ombre ................................................ 20
dent ................................................... 20
ongle ................................................. 20
dérober ............................................. 40
personne ........................................... 42
donc ................................................ 425
poison ......................................... 43–44
dont .................................................. 20
pomme .............................................. 47
dose .................................................. 43
réverbère .......................................... 15
els, eus ................................................ 6
rober ................................................. 40
empreint ...................................... 20–21
somme .............................................. 10
532
Index des formes
treuve ................................................ 28
vaillant ............................................. 29
treuvent ............................................. 28
valant ................................................ 29
trouvons ............................................ 28
vendredi ............................................ 12
tuer ................................................... 40
voler ........................................... 39–40
Celtique caech (irl.) ...................................... 131
māthir (v. irl.) ................................. 141
hen (bret.) ......................................... 91
mí (v. irl.) ........................................ 139
in-nocht (irl.) .................................. 169
Gotique ahtau .............................................. 365
digan ................................................ 87
ahwa ................................................. 58
diup .................................................. 79
ains ......................................... 149, 354
fadar ......................................... 74, 123
allaizē ............................................. 266
faihu ................................................. 75
alþiza ................................................ 92
faíhu ............................................... 136
ana-biudan ..................................... 150
-faþs ........................................ 134, 179
aþ-þan ............................................ 131
fidwōr ............................................. 361
auhsan- ........................................... 274
filu .................................................. 118
auhsnē ............................................ 274
fotjus ............................................... 236
ausō ................................................ 151
gahlaiba ......................................... 264
baira ................................................. 84
gahlaibam ...................................... 264
bairai ................................................ 74
gahlaiban- ...................................... 264
baurgē ............................................ 274
gaits ........................................ 132, 148
baurgs ............................................. 274
gajukan- ......................................... 237
brōþar ...................................... 73, 274
gajukans ......................................... 237
brōþrē ............................................. 274
ga-munds ........................................ 127
brūþfaþs ......................................... 179
ga-nisan .......................................... 124
Index des formes
533
gardim ............................................ 262
laiki- ............................................... 246
gards ............................................... 262
laikins ............................................. 246
gast ................................................. 185
laiks ................................................ 246
gastē ............................................... 272
leiƕan ............................................. 113
gasteis ............................................ 235
liuba ................................................. 85
gasti- .............................................. 272
mag ................................................. 379
gasts ......................................... 87, 235
magiwē ........................................... 272
ga-teihan .......................................... 80
man ................................................. 379
giban ................................................ 85
mēna ............................................... 139
gulþ ................................................. 119
midjis .............................................. 119
haihs ............................................... 131
munan ............................................. 124
haurn .............................................. 117
nahts ............................................... 169
heiwa- ............................................. 147
ni .................................................... 124
heiwa-frauja- .................................. 147
niun ........................................ 127, 365
hlifan ................................................ 73
niunda ............................................ 127
hliftus .............................................. 179
qiman ........................................ 82, 120
hund ................................................ 123
qinōn- ............................................. 274
hund- .............................................. 369
qinōnō ............................................ 274
hunda ................................................ 74
qiwaizē ........................................... 266
ƕan ................................................. 121
rauþs ............................................... 113
ƕas ........................................... 77, 352
riqis ................................................ 113
ƕē ................................................... 140
sa/þa- .............................. 338–339, 438
ist ...................................................... 92
saggwi- ........................................... 246
it-a .................................................. 128
saggwins ......................................... 246
iþ .................................................... 130
saggws ............................................ 246
jer ................................................... 108
saian ............................................... 402
juk ............................................. 81, 121
sibun ......................................... 73, 123
jūs ................................................... 331
sineigs ...................................... 91, 284
kann ................................................ 379
sinista ............................................. 284
kunnan .............................................. 80
stain ................................................ 183
534
Index des formes
steigan ............................................ 147
þu ...................................................... 73
sunau ...................................... 181–182
unkunþs .......................................... 126
sunu ................................ 121, 182, 185
uns .................................................. 126
sunum ............................................. 262
wair ................................................ 257
sununs ............................................ 246
wairam ........................................... 257
sunus .............................................. 262
wairans ................................... 239–240
taihun ..................................... 123, 366
wairōs ............................................. 228
twans .............................................. 240
wait ......................................... 149, 379
þai .......................................... 346–348
was- ................................................ 111
þamma ............................................ 342
wasjan ............................................. 111
þan-a .............................................. 342
waurd ................................................ 86
þat-a ......................................... 80, 342
waurkjan .......................................... 81
þiuda ...................................... 184, 269
waurþum ......................................... 117
þiudai ............................................. 192
weis ................................................ 318
þiudan ............................................ 181
weitwōd .......................................... 186
þiudans ........................................... 181
weitwod- ......................................... 432
þiudō .............................................. 269
widuwo ............................................. 66
þiudōm ............................................ 258
winds .............................................. 103
þiudōs ............................. 198, 232, 241
witan ................................................. 80
þizai ................................................ 344
wulfōs ............................................. 348
þizē ................................................. 265
wulfs ................................................. 92
þō ............................................ 174, 344 þōs .................................................. 349
Vieux norrois (v. isl., v. norv.) bōgr ................................................ 140
fǫþor ............................................... 123
drjúpa ............................................... 79
-gastiR (v. isl. run.) ........................... 87
ellri ................................................... 92
goll .................................................. 119
fjǫðr .................................................. 60
hafr ................................................. 132
Index des formes
535
horn ................................................ 117
þú .................................................... 146
koma ............................................... 120
úlfr .................................................... 93
konung-r ......................................... 178
umb ................................................. 123
staina (v. norr. run.) ........................ 183
urþom ............................................. 117
stein ................................................ 183
wa(.)aradas (v. norr. run.) .............. 197
þiggja ............................................... 76
Vieux, moyen haut allemand, néerlandais (sauf indication : vha.) altiro ................................................. 92
sīfen (mha.) ...................................... 79
baum ................................................. 24
sīpen (moy. néerl.) ............................ 79
fater ........................................ 123, 274
skaz ................................................... 24
fedara ............................................... 60
snur ................................................ 135
fihu ................................................. 179
snur(a) .............................................. 92
furt .................................................. 136
stadel (mha.) .................................... 12
gans ................................................ 132
stein ................................................ 183
gast ................................................. 272
stîgen (mha.) .................................... 27
gëba .................................................. 44
stuol .................................................. 24
geban ................................................ 43
sū .................................................... 144
gelo ................................................. 119
swehur ............................................ 157
gift .................................................... 43
swigar ............................................. 157
gold ................................................. 119
tag .................................................... 24
haso ................................................ 132
umbi ................................................ 122
kunst (mha.) ...................................... 45
wagan ............................................... 86
list (mha.) ......................................... 45
wahsan ............................................. 97
māno ............................................... 139
werc .................................................. 81
nebul ................................................. 84
wîsheit (mha.) ................................... 45
nu .................................................... 302
wizzen (mha.) ............................. 45–46
queman ........................................... 120
wolfu ............................................... 187
scrit .................................................. 25
wurtum ............................................ 117
536
Index des formes
zan(d) ............................................. 170
Allemand moderne dick ................................................... 52
Schwieger ....................................... 157
Ding .................................................. 52
singen ............................................... 53
Dorn ................................................. 52
sinken ............................................... 53
drei ................................................... 52
Stimme ............................................ 183
du ...................................................... 52
Tau .................................................... 51
Feder ................................................ 60
tief .................................................... 51
gelb ................................................. 119
Tochter .............................................. 51
gesungen .......................................... 53
trank ................................................. 53
gesunken ........................................... 53
treiben .............................................. 51
getrunken .......................................... 53
trinken .............................................. 53
machen ........................................... 132
um ................................................... 122
Mitgift ............................................... 43
wachsen ............................................ 97
sang .................................................. 53
Werk .................................................. 81
sank .................................................. 53
zehn .................................................. 52
Schnur .............................................. 92
Zeichen ............................................. 52
Schritt ............................................... 25
Zinn .................................................. 52
Schwäher ........................................ 157
Zunge ................................................ 52
Vieil anglais, moyen anglais (sauf indication: v. angl.) docga ................................................ 44
flîwan .............................................. 142
dōmæs ............................................ 197
fōt ..................................................... 73
dōmes ............................................. 197
grot ................................................... 30
dōn .................................................... 85
hwā ................................................. 110
fæder .............................................. 123
hwīt ................................................. 110
feðer ................................................. 60
lēas ............................................. 47–48
Index des formes
537
lēohtlēas ..................................... 47–48
meregrota ......................................... 30
lightles (moy. angl.) ......................... 48
mōdor ............................................. 141
mere .................................................. 30
þǣm ................................................ 259
Anglais moderne daughter ........................................... 51
sink ................................................... 53
deep .................................................. 51
sung .................................................. 53
dew ................................................... 51
sunk .................................................. 53
dog .................................................... 44
ten ..................................................... 52
drank ................................................ 53
thick .................................................. 52
drink ................................................. 53
thing ................................................. 52
drive ................................................. 51
thorn ................................................. 52
drunk ................................................ 53
thou .................................................. 52
feather ........................................ 60, 73
three .................................................. 52
foot ................................................... 73
tin ..................................................... 52
hound ................................................ 44
token ................................................. 52
sang .................................................. 53
tongue ............................................... 52
sank .................................................. 53
white ............................................... 110
sing ................................................... 53
who ................................................. 110
Langues non indo-européennes isika (malgache) ............................. 309
kuningas (finnois) .......................... 178
izahay (malgache) .......................... 309
φersu (étrusque) ............................... 41
Table des matières
Avant-propos ............................................................................................... v Abréviations .............................................................................................. vii Symboles .................................................................................................. viii Première partie : Évolution des langues ................................................... 1 Introduction : La linguistique diachronique ............................................ 2 Chapitre I : Le changement des unités phoniques .................................. 7 1.1. L’évolution des sons .......................................................................... 7 1.2. Changement phonétique et changement phonologique .................... 8 1.3. Phonologisation ................................................................................. 8 1.4. Changements conditionnés ................................................................ 9 1.4.1. L’assimilation ........................................................................... 9 1.4.2. La dissimilation ...................................................................... 11 1.4.3. L’épenthèse ............................................................................. 12 1.4.4. L’anaptyxe .............................................................................. 12 1.4.5. La prothèse ............................................................................ 13 1.4.6. La syncope ............................................................................. 13 1.4.7. La métathèse ........................................................................... 13
539
1.5. Les changements non conditionnés ................................................. 14 1.6. Phonétique et morphologie .............................................................. 15 1.7. Causes des changements phonétiques ............................................ 16 1.7.1. Facteurs externes ........................................................................ 16 1.7.2. Facteurs internes ......................................................................... 18 Chapitre II : Le changement grammatical : faits morphologiques ..... 23 2.1. Évolution du système grammatical ................................................. 23 2.2. L’analogie ........................................................................................ 24 2.2.1. Analogie et « polarisation » ........................................................ 24 2.2.2. Analogie et rapport hiérarchique ................................................ 26 2.2.3. Analogie et imprévisibilité ......................................................... 27 2.2.4. Analogie et fréquence ................................................................. 28 2.2.5. Analogie et fonction primaire / secondaire ................................ 29 2.2.6. Analogie et réinterprétation ........................................................ 29 Chapitre III : Le changement grammatical : faits syntaxiques ........... 31 3.1. L’ordre des mots dans la phrase ...................................................... 31 3.1.1. La « tmèse » ............................................................................... 33 3.1.2. Place du pronom atone ............................................................... 35 3.2. Le régime du verbe .......................................................................... 36 Chapitre IV : Le changement sémantique et l’histoire des mots ......... 39 4.1. Polysémie et homonymie ................................................................ 39 4.2. Sens connotatif ................................................................................ 40 4.3. « Par extension » ............................................................................. 41 4.4. Spécialisation du sens ...................................................................... 43 4.5. Euphémisme .................................................................................... 44 4.6. Les « champs sémantiques » ........................................................... 45
540
4.7. Du sens d’un lexème à la valeur d’un suffixe ................................. 47 Deuxième partie : La comparaison génétique ........................................ 49 Chapitre V : La méthode comparative ................................................... 50 5.1. Les types de langues ........................................................................ 50 5.2. Les correspondances lexicales ......................................................... 51 5.3. Les correspondances grammaticales ............................................... 53 5.4. Rapprochement de formules ............................................................ 53 5.5. Comparaison et « loi de Grassmann » ............................................. 54 5.6. Correspondance apparemment irrégulière ....................................... 56 5.7. Correspondance anomale ................................................................ 57 5.8. Le sens étymologique des termes de la comparaison ...................... 58 Chapitre VI : La reconstruction .............................................................. 62 6.1. Que signifie « reconstruction » ? ..................................................... 62 6.2. Un exemple de reconstruction ......................................................... 63 6.3. Séries de correspondances et variantes de séries ............................. 65 6.4. Séries de correspondances complémentaires .................................. 65 6.5. Les traits distinctifs des phonèmes d’une série et la reconstruction 66 6.6. Les phonèmes disparus et la théorie des laryngales ........................ 67 6.7. La perfectibilité de la reconstruction ............................................... 69 Troisième partie : Éléments de linguistique indo-européenne ............. 71 Chapitre VII : Le système phonologique ................................................ 72 7.1. Occlusives sourdes .......................................................................... 72 7.1.1. I.-e. *p ......................................................................................... 72 7.1.2. I.-e. *t ......................................................................................... 73
541
7.1.3. I.-e. *k (k̑ ) ................................................................................... 74 7.1.4. I.-e. *kw ....................................................................................... 77 7.2. Occlusives sonores .......................................................................... 78 7.2.1. I.-e. *b ......................................................................................... 78 7.2.2. I.-e. *d ......................................................................................... 79 7.2.3. I.-e. *g (g̑ ) ................................................................................... 80 7.2.4. I.-e. *gw ....................................................................................... 82 7.3. Occlusives sonores aspirées ............................................................ 83 7.3.1. I.-e. *bh ........................................................................................ 83 7.3.2. I.-e. *dh ........................................................................................ 85 7.3.3. I.-e. *gh (g̑ h) ................................................................................. 86 7.3.4. I.-e. *gwh ...................................................................................... 87 7.4. La « théorie glottalique » ................................................................. 89 7.5. Les spirantes .................................................................................... 90 7.5.1. I.-e. *s ......................................................................................... 90 7.5.2. Les « laryngales » ....................................................................... 94 7.5.2.1. I.-e. *h2 ................................................................................ 94 7.5.2.2. I.-e. *h1 ................................................................................ 98 7.5.2.3. I.-e. *h3 .............................................................................. 100 7.5.2.4. Laryngales et voyelles prothétiques .................................. 102 7.5.2.5. Les laryngales en position interconsonantique ................. 103 7.5.2.6. Skr. janáyati ...................................................................... 104 7.6. Les sonantes .................................................................................. 105 7.6.1. *i/y et *u/w ................................................................................ 105 7.6.2. Véd. -iya- et -ya- ...................................................................... 106 7.6.3. I.-e. *y et son double traitement en grec ................................... 107 7.6.4. I.-e. *w et le digamma dans la langue homérique ..................... 111 7.6.5. I.-e. *l et *r ............................................................................... 113 7.6.6. I.-e. *r̥ ....................................................................................... 114
542
7.6.7. I.-e. *l̥ ....................................................................................... 117 7.6.8. I.-e. *m ...................................................................................... 119 7.6.9. I.-e. *m̥ ...................................................................................... 121 7.6.10. I.-e. *n ..................................................................................... 124 7.6.11. I.-e. *n̥ ..................................................................................... 125 7.7. Les voyelles ................................................................................... 127 7.7.1. I.-e. *i ....................................................................................... 127 7.7.2. I.-e. *e ....................................................................................... 129 7.7.3. I.-e. *a ....................................................................................... 131 7.7.4. I.-e. *o ....................................................................................... 132 7.7.5. I.-e. *u ....................................................................................... 135 7.7.6. I.-e. *ī ....................................................................................... 136 7.7.7. I.-e. *ē ....................................................................................... 138 7.7.8. I.-e. *ā ....................................................................................... 140 7.7.9. I.-e. *ō ....................................................................................... 142 7.7.10. I.-e. *ū ..................................................................................... 144 7.8. Les diphtongues ............................................................................. 146 7.8.1. I.-e. *ei ...................................................................................... 147 7.8.2. I.-e. *ai ..................................................................................... 148 7.8.3. I.-e. *oi ..................................................................................... 149 7.8.4. I.-e. *eu ..................................................................................... 150 7.8.5. I.-e. *au ..................................................................................... 151 7.8.6. I.-e. *ou ..................................................................................... 151 7.9. Les diphtongues longues ............................................................... 152 Chapitre VIII : La structure morphologique ....................................... 154 8.1. L’analyse d’une forme en constituants .......................................... 154 8.2. Les alternances vocaliques dans le nom ........................................ 155 8.3. Mobilité de l’accent ....................................................................... 156
543
8.4. Loi de Grimm et loi de Verner ....................................................... 157 8.5. Les alternances vocaliques dans le verbe ...................................... 158 8.6. Le redoublement ............................................................................ 160 8.6.1. Le vocalisme du redoublement ................................................ 161 8.6.2. Le consonantisme du redoublement ......................................... 162 8.7. L’augment ...................................................................................... 162 8.7.1. Forme de l’augment ................................................................. 162 8.7.2. Fonction de l’augment .............................................................. 163 8.7.3. « Augment syllabique » et « augment temporel » .................... 166 8.7.4. Augment long : son origine ...................................................... 167 Chapitre IX : Le nom I : les types flexionnels et la flexion du singulier 168 A. Les types flexionnels .......................................................................... 168 9.1. « Cas forts » et « cas faibles », types flexionnels .......................... 168 9.1.1. Le type « acrostatique » ........................................................... 169 9.1.2. Le type « protérodynamique » ................................................. 169 9.1.3. Le type « hystérodynamique » ................................................. 170 9.1.4. Le type « amphidynamique » ................................................... 171 9.1.5. Le type « holodynamique » ...................................................... 172 9.1.6. Le type « mésostatique » .......................................................... 173 9.2. Le morphème *-eh2 (> -ā) de féminin ........................................... 173 9.3. Les neutres hétéroclitiques ............................................................ 175 B. La flexion du singulier ....................................................................... 177 9.4. Le nominatif sg. ............................................................................. 177 9.4.1. Les thèmes en *-e/o- ................................................................. 177 9.4.2. Les thèmes en *-ā- ................................................................... 178 9.4.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................... 179 9.4.4. Les thèmes en consonne ........................................................... 179 9.5. Le vocatif sg. ................................................................................. 180
544
9.5.1. Les thèmes en *-e/o- ................................................................. 180 9.5.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................... 181 9.5.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................... 181 9.5.4. Les thèmes en consonne ........................................................... 182 9.6. L’accusatif sg. ................................................................................ 182 9.6.1. Les thèmes en *-e/o- ................................................................. 182 9.6.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................... 184 9.6.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................... 184 9.6.4. Les thèmes en consonne ........................................................... 185 9.7. L’instrumental sg. .......................................................................... 187 9.7.1. Les thèmes en *-e/o- ................................................................. 187 9.7.2. Les thèmes en *-ā- ................................................................... 188 9.7.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................... 188 9.7.4. Les thèmes en consonne ........................................................... 190 9.8. Le datif sg. ..................................................................................... 190 9.8.1. Les thèmes en *-e/o- ................................................................. 190 9.8.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................... 192 9.8.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................... 193 9.8.4. Les thèmes en consonne ........................................................... 194 9.9. Le génitif sg. .................................................................................. 195 9.9.1. Les thèmes en *-e/o- ................................................................. 195 9.9.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................... 198 9.9.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................... 199 9.9.4. Les thèmes en consonne ........................................................... 201 9.10. L’ablatif sg. .................................................................................. 202 9.10.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 202 9.10.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................. 203 9.10.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 204 9.10.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 205
545
9.11. Le locatif sg. ................................................................................ 206 9.11.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 206 9.11.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................. 208 9.11.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 209 9.11.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 211 Chapitre X : Le nom II : la flexion du duel .......................................... 212 10. Caractères généraux du duel ............................................................... 212 10.1. Le nominatif-vocatif-accusatif duel ............................................ 213 10.1.1. Les thèmes en *-e/o ................................................................ 213 10.1.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................. 216 10.1.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 217 10.1.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 218 10.2. L’instrumental-datif-(ablatif) duel ............................................... 219 10.2.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 219 10.2.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................. 220 10.2.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 221 10.2.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 222 10.3. Le datif-génitif duel ..................................................................... 222 10.3.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 222 10.3.2. Les thèmes en *-ā- ................................................................. 223 10.3.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 223 10.3.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 223 10.4. Le génitif-locatif duel .................................................................. 224 10.4.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 224 10.4.2. Les thèmes en *-ā- ................................................................. 225 10.4.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 225 10.4.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 226
546
Chapitre XI : Le nom III : la flexion du pluriel ................................... 228 11. Généralités .......................................................................................... 228 11.1. Le nominatif pl. ........................................................................... 228 11.1.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 228 11.1.2. Les thèmes en *-ā- ................................................................. 232 11.1.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 233 11.1.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 236 11.2. L’accusatif pl. .............................................................................. 237 11.2.1. Les thèmes en *-e/o ................................................................ 237 11.2.2. Les thèmes en *-ā- ................................................................. 241 11.2.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 243 11.2.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 246 11.3. L’instrumental pl. ......................................................................... 248 11.3.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 248 11.3.2. Les thèmes en *-ā- ................................................................. 251 11.3.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 253 11.3.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 254 11.4. Le datif(-ablatif) pl. ..................................................................... 255 11.4.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 255 11.4.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................. 257 11.4.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 260 11.4.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 262 11.5. Le génitif pl. ................................................................................ 264 11.5.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 264 11.5.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................. 267 11.5.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 270 11.5.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 273 11.6. Le locatif pl. ................................................................................. 275 11.6.1. Les thèmes en *-e/o- ............................................................... 275
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11.6.2. Les thèmes en *-ā- .................................................................. 276 11.6.3. Les thèmes en *-i- et en *-u- .................................................. 277 11.6.4. Les thèmes en consonne ......................................................... 279 Chapitre XII : L’adjectif ........................................................................ 280 12.1. Définitions traditionnelles de l’adjectif ....................................... 280 12.2. La syntaxe de l’adjectif ............................................................... 282 12.3. Gradation de l’adjectif : le comparatif ........................................ 283 12.4. Le superlatif et l’ordinal .............................................................. 286 12.5. Lat. iouiste et magister ................................................................ 288 12.6. Lat. -issimus ................................................................................ 289 12.7. Comparatif en *-yes-/-yos- et superlatif en *-ist(H)o- ................. 290 12.8. Comparatif en *-tero- et superlatif en *-tm̥ mo- ou en *-tm̥ to- ..... 291 12.9. Le supplétisme ............................................................................. 292 12.10. Adjectif « déterminé » et « indéterminé » en balto-slave .......... 296 12.11. L’adjectif non qualificatif .......................................................... 297 12.12. Les « adjectifs pronominaux » en sanskrit et en latin ............... 298 12.13. Les adjectifs « thématiques » .................................................... 301 12.14. Le système de Caland ................................................................ 302 12.15. Les adjectifs de formation primaire en *-i- ............................... 304 12.16. Les adjectifs latins en -ui- (-vi-) ................................................ 305 12.17. Les adjectifs en *-went- ............................................................. 306 12.18. Le suffixe *-wer-/*-wen- ........................................................... 307 Chapitre XIII : Les pronoms ................................................................. 308 13.1. Caractères généraux des pronoms ............................................... 308 13.2. La morphologie des pronoms personnels : généralités ............... 310 13.2.1. Le pronom de 1re personne sg. .............................................. 310 13.2.1.1. Nominatif et datif sg. ....................................................... 310
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13.2.1.2. Génitif sg. ........................................................................ 311 13.2.1.3. Accusatif sg. .................................................................... 312 13.2.1.4. Instrumental sg. ............................................................... 313 13.2.1.5. Ablatif sg. ........................................................................ 314 13.2.1.6. Locatif sg. ........................................................................ 314 13.2.2. Le pronom de 1re personne duel ............................................ 315 13.2.2.1. Nominatif et accusatif duels ............................................ 315 13.2.2.2. Le datif(-instrumental) et le génitif(-locatif) duels ......... 316 13.2.3. Le pronom de 1re personne pl. ............................................... 318 13.2.3.1. Nominatif pl. ................................................................... 318 13.2.3.2. Accusatif pl. ..................................................................... 319 13.2.3.3. Instrumental pl. ............................................................... 320 13.2.3.4. Datif pl. ........................................................................... 321 13.2.3.5. Ablatif pl. ........................................................................ 323 13.2.3.6. Génitif pl. ........................................................................ 323 13.2.3.7. Locatif pl. ........................................................................ 325 13.2.4. Le pronom de 2e personne sg. ................................................ 327 13.2.4.1. Nominatif vs accusatif et cas obliques ............................ 327 13.2.4.2. Datif ................................................................................ 328 13.2.4.3. Génitif ............................................................................. 329 13.2.5. Le pronom de 2e personne duel ............................................. 329 13.2.6. Le pronom de 2e personne pl. ................................................ 330 13.2.7. Le réfléchi .............................................................................. 333 13.2.7.1. Accusatif .......................................................................... 333 13.2.7.2. Instrumental ..................................................................... 334 13.2.7.3. Datif ................................................................................ 335 13.2.7.4. Génitif ............................................................................. 336 13.3. Les pronoms démonstratifs : généralités ..................................... 337 13.3.1. Le pronom *só/tó- .................................................................. 338
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13.3.1.1. Fonction de *só/tó- .......................................................... 338 13.3.1.2. Flexion de *só/tó- ............................................................ 339 13.3.1.2.1. Masculin et neutre sg. .............................................. 340 13.3.1.2.2. Féminin sg. ............................................................... 343 13.3.1.2.3. Duel .......................................................................... 344 13.3.1.2.4. Masculin et neutre pl. ............................................... 346 13.3.1.2.5. Féminin pl. ............................................................... 348 13.4. Les pronoms relatifs .................................................................... 350 13.4.1. Le pronom relatif latin ............................................................ 350 13.4.1.1. Masculin, féminin et neutre sg. ....................................... 350 13.4.1.2. Masculin, féminin et neutre pl. ....................................... 351 13.5. L’interrogatif-indéfini .................................................................. 352 Chapitre XIV : Les noms de nombre .................................................... 353 14.1. Caractères généraux des noms de nombre .................................. 353 14.2. Noms de nombre déclinables et indéclinables ............................ 354 14.2.1. « un » ...................................................................................... 354 14.2.2. « deux » .................................................................................. 355 14.2.3. « trois » ................................................................................... 358 14.2.4. « quatre » ................................................................................ 361 14.2.5. De « cinq » à « dix » .............................................................. 365 14.2.6. De « onze » à « dix-neuf » ..................................................... 366 14.2.7. De « vingt » à « quatre-vingt-dix » ........................................ 368 14.2.8. « cent » ................................................................................... 369 14.2.9. Les centaines .......................................................................... 370 14.2.10. « mille » ................................................................................ 371 14.2.11. Les nombres ordinaux .......................................................... 372 14.2.11.1. « premier » et « deuxième » .......................................... 372 14.2.11.2. « cinquième » et « dixième » ........................................ 373
550
Chapitre XV : Le verbe .......................................................................... 375 15.1. Généralités ................................................................................... 375 15.2. Les catégories du verbe ............................................................... 376 15.2.1. Le mode .................................................................................. 376 15.2.2. La voix .................................................................................... 377 15.2.3. L’aspect .................................................................................. 378 15.3. Le système verbal ........................................................................ 379 15.4. Les types morphologiques ........................................................... 385 15.4.1. Le présent ............................................................................... 385 15.4.1.1. Le présent radical athématique : type gr. εἶµι ................. 385 15.4.1.2. Le présent radical athématique : type gr. κεῖµαι ............. 387 15.4.1.3. Le présent radical thématique : type skr. srávati ............. 390 15.4.1.4. Le présent radical thématique : type skr. viśáti ............... 393 15.4.1.5. Le présent radical athématique à redoublement .............. 394 15.4.1.6. Le présent radical thématique à redoublement ................ 395 15.4.1.7. Le présent radical « protérodynamique » ........................ 396 15.4.1.8. Le présent à infixe nasal .................................................. 397 15.4.1.9. Les présents en *-sk̑ e/o- .................................................. 400 15.4.1.10. Les présents en *-ye/o- .................................................. 401 15.4.1.10.1. Le type à degré zéro radical ................................... 401 15.4.1.10.2. Le type à degré plein radical .................................. 402 15.4.1.10.3. Le type dénominatif ............................................... 403 15.4.2. L’aoriste .................................................................................. 404 15.4.2.1. L’aoriste radical athématique .......................................... 404 15.4.2.2. L’aoriste radical thématique ............................................ 406 15.4.2.3. L’aoriste à redoublement ................................................. 408 15.4.2.4. L’aoriste sigmatique ........................................................ 410 15.4.3. Le parfait ................................................................................ 413 15.4.3.1. Vocalisme du redoublement ............................................ 417
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15.4.3.2. Parfait non redoublé et « redoublement attique » ........... 418 15.4.4. Futur et subjonctif .................................................................. 418 15.4.4.1. Futur et désidératif .......................................................... 418 15.4.4.2. Le subjonctif .................................................................... 419 15.4.4.2.1. Formation du subjonctif ........................................... 419 15.4.4.2.2. Valeur du subjonctif ................................................. 420 15.4.5. L’optatif .................................................................................. 421 15.4.5.1. Formation de l’optatif ..................................................... 421 15.4.5.2. Valeur de l’optatif ............................................................ 423 15.4.6. L’impératif .............................................................................. 424 15.4.6.1. 2e personne sg. à désinence zéro .................................... 424 15.4.6.2. 2e personne sg. en *-dhi ................................................. 425 15.4.6.3. 2e et 3e personnes sg. en *-tōd ........................................ 425 15.4.6.4. 3e personne sg. en *-tu (pl. *-ntu) ................................... 426 15.4.6.5. 2e personne pl. en *-te ..................................................... 427 15.4.7. L’injonctif ............................................................................... 427 15.4.8. Les participes .......................................................................... 428 15.4.8.1. Le participe en *-nt- ........................................................ 428 15.4.8.2. Le participe en *-mh1no- ................................................. 430 15.4.8.3. Le participe parfait en *-wos-/*-wot- .............................. 431 15.4.9. L’infinitif ................................................................................ 432 15.4.9.1. L’infinitif ou supin en *-tum ........................................... 432 Conclusion ............................................................................................... 434 Bibliographie ........................................................................................... 439 Index analytique ..................................................................................... 453
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Index des formes ..................................................................................... 456 Indo-européen ....................................................................................... 456 Hittite .................................................................................................... 465 Sanskrit ................................................................................................. 466 Avestique .............................................................................................. 484 Vieux perse ........................................................................................... 489 Persan ................................................................................................... 489 Tokharien .............................................................................................. 490 Arménien .............................................................................................. 490 Lituanien ............................................................................................... 490 Lette ...................................................................................................... 496 Vieux prussien ...................................................................................... 496 Slave (vieux slave) ............................................................................... 496 Grec ...................................................................................................... 501 Mycénien .............................................................................................. 517 Latin ..................................................................................................... 519 Osque .................................................................................................... 530 Ombrien ................................................................................................ 530 Italique .................................................................................................. 531 Français et provençal ............................................................................ 531 Celtique ................................................................................................ 532 Gotique ................................................................................................. 532 Vieux norrois ........................................................................................ 534 Vieux, moyen haut allemand, néerlandais ............................................ 535 Allemand moderne ............................................................................... 536 Vieil anglais, moyen anglais (sauf indication: v. angl.) ........................ 536 Anglais moderne .................................................................................. 537 Langues non indo-européennes ............................................................ 537