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French Pages [156] Year 2017
Martin ELOUGA
ARCHÉOLOGIE DES INTERFACES Une approche de saisie et d’explication des systèmes socioculturels
Archéologie des interfaces
Martin ELOUGA
Archéologie des interfaces Une approche de saisie et d’explication des systèmes socioculturels
© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-10421-8 EAN : 9782343104218
A ma famille Lucie Chantale Florentine Elouga, Murielle Noëlle Elouga, Melissa, Murielle « Mimi », Kélia, Taahira Eloise, Murielle, Yvan Ethan, Xavier Martin, Marco, Yves Yannick Elouga, Christian Brice Elouga, Serge Martial Elouga, Lionel Thibaut Elouga, Emannuel Gabin Elouga. A Florence Patience Messina Ndzengue
REMERCIEMENTS Cette réflexion a bénéficié du concours de plusieurs personnes à l’endroit desquelles nous tenons à exprimer notre reconnaissance. Nous remercions les étudiants de Doctorat/PhD (D1), Section Archéologie et Gestion du Patrimoine (AGP) de la promotion 2013-2014 auxquels nous avons présenté, en primeur, le concept « d’archéologie des interfaces », et qui, comme les promotions suivantes, nous ont vivement encouragé à le développer. Nous sommes reconnaissant des efforts de Mlle Salamatou qui a soumis un texte dans lequel elle présentait une compréhension du concept, relativement proche de notre idée. Elle répondait ainsi courageusement à notre constante sollicitude vis-à-vis des étudiants de doctorat : présenter leur compréhension ou saisie de « l’archéologie des interfaces ». Le manuscrit a été lu par des collègues dont les observations et les critiques sur le fond et la forme ont été particulièrement édifiantes. Nous leur adressons nos vifs remerciements pour leurs gracieux efforts. Nous pensons particulièrement aux professeurs Louis Martin Onguene Essono, Faustin Mvogo, Alphonse Tonye et au Dr Moungande Ibrahim. Madame Florence Patience Messina Ndzengue a été d’un apport inestimable dans ce travail, en nous encourageant, surtout lors des moments difficiles, à poursuivre la rédaction du texte afin de respecter l’échéance de la fin d’année 2016 que nous nous sommes donnée pour la publication du présent ouvrage. Toute notre reconnaissance pour le constant soutien psychologique et moral ainsi apporté. La mise en forme de l’ouvrage et la fabrication du prêt à clicher ont été assurées par Lionel Thibaut Elouga Mbanga et Yannick Enoah. Nous leur disons merci pour le temps consacré à l’accomplissement patient et satisfaisant de ces tâches.
Sommaire
Dédicace ……………………………………………….. 5 Remerciements ………………………………………... 7 Avant-propos …………………………………………... 11 Introduction ……………………………………………. 15 Chapitre 1 : De la prescience à la science : Aperçu historique sur la constitution de l’archéologie ……… 21 Chapitre 2 : La pensée archéologique de l’Antiquité gréco-romaine à nos jours ………..….. 39 Chapitre 3 : Les interfaces sociales et homme/milieu ……………………………………….. 73 Chapitre 4 : L’archéologie des interfaces …………… 87 Chapitre 5 : Perspectives pratiques …………............. 121 Conclusion ……………………………………………. 133 Bibliographie …………………………………………. 135
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AVANT-PROPOS Les cultures des sociétés humaines et les milieux dans lesquels elles se sont développées sont au cœur des préoccupations scientifiques des archéologues. Dès la constitution de l’archéologie comme discipline, la recherche sur les sociétés initiales s’est structurée autour de questions importantes relatives à l’origine de l’homme, auteur des cultures découvertes dans les sites, aux industries lithiques, céramiques, ostéologiques et métalliques, aux expressions picturales et sculpturales dont les surfaces et les blocs rocheux sont connus comme des supports privilégiés, à côté d’autres que sont l’os, la terre, le métal, le bois et les produits forestiers non ligneux. L’intérêt des archéologues est aussi porté sur l’aménagement des territoires, les modèles d’occupation de l’espace et les activités humaines de prédation et de production, sujets abordés dans la double dimension synchronique et diachronique. L’archéologie s’est donné des outils pour aborder les problèmes ainsi situés. La polarisation des recherches sur les préoccupations typologique et chrono-stratigraphique justifie le confinement des travaux aux traditions descriptive et classificatoire assez limitées pour permettre de donner du sens aux phénomènes socioculturels étudiés. La mise en évidence des faiblesses de ce qu’il convient d’appeler l’archéologie traditionnelle par les précurseurs de l’archéologie processuelle est une contribution inestimable dans le développement du champ épistémologique de la discipline. La rupture créée par la réaction des processualistes a, sans exagération, révolutionné la discipline qui s’est, dès lors, placée sur la trajectoire du renouvellement épistémologique et de l’enrichissement permanent des outils conceptuels, théoriques et méthodologiques de sa production scientifique. Le travail archéologique a donc cessé d’être uniquement descriptif et classificatoire, pour s’intéresser à la contextualisation des ensembles culturels. 11
La multiplication des concepts, des approches, des méthodes et des théories, conséquence directe de l’impulsion donnée à la discipline depuis la seconde moitié du XXème siècle, répond à une demande permanente des archéologues en outils pertinents, exploitables dans la recherche du sens des dynamiques spatio-temporelles des systèmes socioculturels. Malgré la remarquable profusion de ces outils, les spécialistes cristallisés autour de l’objectif de maîtrise de la signification des faits archéologiques, apparaissent plutôt comme des éternels insatisfaits. Les concepts, les théories, les approches, les méthodes disponibles leur montrent quotidiennement la preuve de leurs limites et de leurs faiblesses, les invitant ainsi à un travail permanent de révision des outils devant l’être, ou de répudiation pure et simple de ceux qui apparaissent plutôt comme des obstacles épistémologiques. L’archéologie des interfaces s’inscrit en droite ligne de cette perspective d’enrichissement du champ scientifique de l’archéologie. La valeur des interfaces, perçues comme des contacts homme/milieu et des interactions sociales, est évidente. Elles génèrent des rapports divers qui induisent une multitude d’activités. Les vestiges observés sur le terrain, corrélats archéologiques de ces activités, se situent en aval du processus dans lequel les interfaces ou les contacts constituent l’amont. Les archéologues s’occupent donc des fruits de l’arbre, faisant peu de cas de l’arbre lui-même. L’archéologie des interfaces se positionne alors comme une démarche qui cherche à rétablir l’équilibre ainsi rompu en amenant les spécialistes à un recentrage des interfaces qui, de notre point de vue, sont un des moteurs de la vie sociale globale. Les résultats de la réflexion sont présentés dans cinq chapitres. Dans le premier, nous revenons brièvement sur l’histoire de la constitution de l’archéologie en tant que discipline scientifique. Le deuxième chapitre répertorie les 12
écoles archéologiques, de l’antiquité gréco-romaine à nos jours. Le glissement vers le nouveau paradigme se fait au troisième chapitre avec une réflexion sur le concept d’interface et ce qu’induisent les contacts homme/milieu et les interfaces sociales. Le chapitre quatre est une tentative de clarification du concept d’archéologie des interfaces. Le chapitre cinq, enfin, donne des indications sur la pratique de l’archéologie des interfaces.
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INTRODUCTION La réflexion sur l’archéologie en théorie est millénaire. Elle commence à l’Antiquité gréco-romaine avec Thucydide et Hérodote, entre autres précurseurs de la première heure de la pensée archéologique. Il s’agissait, pour ces pionniers, de préciser ce qu’était l’archéologie en théorie. Les spéculations sur l’archéologie sont donc antérieures à sa constitution comme discipline scientifique au XIXème siècle. Les bases de la pensée archéologique posées par les historiens grecs se sont progressivement enrichies au fil de l’histoire de la discipline. La multiplicité et la diversité des écoles connues dans le domaine et des approches induites, sont des indicateurs sûrs du dynamisme dans la production des idées et surtout, du caractère controversé, jamais univoque, de la pensée archéologique. Les archéologies se sont multipliées, chacune définissant des bases théoriques, conceptuelles et méthodologiques spécifiques. Cette réflexion est toujours florissante, de nouvelles écoles se constituant au fil du temps du fait des attitudes réfutationnistes et/ou de l’émergence de nouveaux problèmes que les paradigmes connus n’aident pas à résoudre de manière satisfaisante. L’archéologie, c’est une évidence, s’enrichit chaque jour de concepts nouveaux. Cette production soutenue de concepts témoigne du dynamisme du champ épistémologique de la discipline et surtout, de l’insatisfaction permanente des spécialistes face aux paradigmes existants. On sait, une fois de plus, que des problèmes nouveaux, se posant dans le champ d’observation de la discipline, nécessitent un renouvellement de concepts et de théories pour être abordés et traités avec pertinence. Le concept d’archéologie des interfaces fait intervenir d’une part, le milieu physique que structurent des écosystèmes, d’autre part, les sociétés humaines et les individus qui en sont les composantes. Ces concepts méritent d’être clarifiés avant toute réflexion sur
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cette nouvelle approche des sociétés humaines et des changements qui les affectent. Le concept d’interface fait penser à des contacts, des interactions entre des entités homogènes ou hétérogènes qui peuvent entrer dans une relation de dépendance, de coopération, d’exploitation, de parasitisme, de domination. Ces contacts donnent lieu à la constitution d’un univers étendu de binômes, sièges des relations qui, suivant les situations, se tissent entre les éléments en interface. Ces binômes se constituent entre des entités sociales, d’une part, et entre ces entités sociales et les éléments de la nature, qu’ils soient biotiques ou abiotiques, d’autre part. Une présentation de l’univers des binômes produits par les contacts est esquissée au premier chapitre de cet ouvrage. Si la société et la nature fournissent des éléments qui entrent en interface, il est judicieux de clarifier les concepts de milieu naturel ou d’écosystème et celui de société, seul moyen d’avoir une vue relativement large sur ces éléments et de mieux circonscrire leur contenu. Groupe social, organisation sociale, forme sociale, désignent une même réalité : la société, diversement définie par les sciences sociales. Selon Guy Rocher (1968), la société ou organisation sociale est « l’arrangement global de tous les éléments qui servent à structurer l’action sociale, en une totalité présentant une image, une figure particulière, différente de ses parties composantes et différentes aussi d’autres arrangements possibles ». Pour Emile Durkheim, cité par Guy Rocher (1968), « société ou « morphologie sociale » ou « substrat morphologique » désigne la « masse des individus » qui composent la société, la manière dont ils sont disposés sur le sol, la nature et la configuration des choses de toute sorte qui affectent les relations collectives ». De manière succincte, « la société est l’ensemble des arrangements formalisés ayant un caractère bureaucratique et poursuivant des fonctions définies ». Simmel (1896-1897) 16
définit la société comme « les formes qu’affectent les groupes d’hommes unis pour vivre les uns à côté des autres, ou les uns pour les autres, ou les uns avec les autres ». L’approche marxiste de la société en fait un ensemble de relations structurées qui unissent et, éventuellement, opposent des individus au sein d’organisations sociales au sens large. La société, perçue sur une base culturelle, est l’ensemble cohérent de valeurs, de normes et de symboles qui orientent l’action des individus et des groupes. De ces approches, la société peut simplement être comprise comme un ensemble structuré d’individus, conscients de leur appartenance au groupe et attachés aux valeurs, normes et symboles qui régissent les rapports sociaux. C’est la société ainsi définie qui est en contact permanent avec la nature physique pour satisfaire les besoins auxquels elle fait face. Le milieu physique ou l’environnement naturel se distingue par sa complexité. Il apparaît, de prime abord, comme l’ensemble des conditions climatiques, pédologiques, géologiques, phytogéographiques et hydrographiques qui caractérisent un lieu. KABALA, dans son ouvrage Protection des écosystèmes et développement des sociétés. Etat d’urgence en Afrique (1994), présente plusieurs définitions du concept d’environnement naturel. Dans une première approche, relativement globale, « l’environnement est un ensemble de milieux d’influences (milieux humain, naturel, économique) qui agissent sur l’individu à tous les instants de la vie quotidienne et déterminent en grande partie son comportement dans toutes les dimensions de l’être : sociale, intellectuelle, affective, spirituelle, culturelle ». Cette définition fait penser à un espace dans lequel se combinent plusieurs facteurs qui créent des conditions particulières que doit gérer l’homme pour assurer la survie. Suivant la même logique systémique, Kabala (1994) postule que « par son essence même, l’environnement évoque un ensemble considéré comme un système dynamique constitué de sous17
systèmes (physiques, biologiques, écologiques, économiques, politiques, sociologiques, culturels, etc. ». De cette approche systémique se dégagent quatre caractéristiques fondamentales de l’environnement : - les relations entre les organismes vivants et le milieu ainsi que les interactions dynamiques entre les composantes du système ; - le caractère global ou systémique de la réalité environnementale (environnement = filet à mailles), - la diversité physique et biologique ; déterminant manifeste de l’amélioration du cadre et des conditions de vie des sociétés humaines ; - la durabilité des éléments physiques et biologiques. Sur une base éminemment socioculturelle, on peut dire que l’environnement est l’ensemble des éléments naturels, artificiels, ou mixtes (combinaison du naturel et de l’artificiel) qui structurent l’espace dans lequel vit un groupe social et qui, par leur nature, leurs usages et la valeur qu’on leur confère, présentent une signification pour ce groupe. Cette définition, d’une forte coloration anthropologique, permet de comprendre les choix qu’opèrent les individus et les groupes au contact avec le milieu physique pour mener des actions. L’unité écologique de base du milieu physique est l’écosystème, constitué d’un biotope ou la géosphère et d’une biocénose (ensemble des êtres vivants). L’écosystème quant à lui, est le support des sociétés qu’il héberge et dont il garantit en même temps la vie. Les sociétés sont au cœur des contacts avec les écosystèmes avec lesquels elles sont en interactions permanentes. Ces interactions sont aussi multiples que diversifiées et surtout productrices d’activités dont les traces matérielles sont quotidiennement enregistrées ou archivées par le sol. L’archéologie explore ces traces depuis ses premiers balbutiements avec les antiquaires, mais ne s’est pas 18
véritablement intéressée aux interfaces ou interactions génératrices d’ activités ayant imprimé leurs marques sur le milieu physique, depuis l’apparition de la première humanité dont les représentants furent homo erectus et homo habilis ( Picq, 2005 ; Coppens et Picq, 2001 ; Picq, 2004 ; Picq, 1999 ; Picq, 2003 ; Lecointre et Guyader, 2006). Les effets des interfaces ou des interactions ont donc, depuis toujours, bénéficié de plus de sollicitude de la part des archéologues que leurs causes. La pensée archéologique, depuis les balbutiements de l’antiquité gréco-romaine jusqu’à l’avènement de la « contemporary archaeology », s’est développée presqu’à à la marge des interfaces, productrices des faits archéologiques observés sur le terrain. Notre réflexion, s’appuyant sur les recherches archéologiques et ethnographiques ainsi que sur l’exploitation de la littérature, vise à sortir ces interfaces de l’ombre dans laquelle elles sont consciemment ou inconsciemment plongées en proposant une autre approche de l’archéologie qui pourrait susciter de nouvelles pratiques structurées autour des contacts homme/milieu naturel et des interactions sociales.
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CHAPITRE 1 : DE LA PRESCIENCE A LA SCIENCE : APERÇU HISTORIQUE SUR LA CONSTITUTION DE L’ARCHEOLOGIE C’est au XIXème siècle, et au terme d’un long processus déclenché dans l’antiquité gréco-romaine, que l’archéologie a acquis le statut de discipline scientifique et s’est autonomisée après s’être émancipée de l’histoire de l’art avec laquelle elle se confondait. L’archéologie en tant que concept mais aussi en tant que discipline a donc une histoire. Un bref aperçu sur l’histoire de la notion ouvrira une brèche sur les étapes de la constitution de l’archéologie comme science depuis l’antiquité gréco-romaine jusqu’à l’avènement de la « new archaeology ». 1.1 Histoire du mot L’archéologie est un vieux concept forgé dans la Grèce antique par les historiens. Dans son étymologie il est composé de « archaios », qui veut dire ancien et « logos » qui signifie science ou discours scientifique. Sur cette base étymologique, on peut définir l’archéologie comme un discours scientifique développé sur les choses anciennes ou sur les antiquités tout court. Le sens étymologique du concept est assez vague par rapport au contenu que Thucydide et Hérodote lui avaient donné : « l’histoire ancienne ». Faire de l’archéologie, pour les historiens grecs, était donc synonyme de produire des connaissances scientifiques sur le passé des sociétés antiques. Les antiquaires qui n’étaient, ni des historiens, ni des hommes de science, mais surtout des marchands d’objets antiques, entretenaient, par leur travail, le premier sens donné à la notion, à savoir, la science ou le discours sur les antiquités. La renaissance amorcée en Italie au XVème siècle, vaste mouvement qui se met en place après que les invasions barbares se soient estompées, a eu pour référentiel la civilisation gréco-romaine antique dont les valeurs ont servi 21
de socle culturel à la construction d’une Europe moderne. C’est au cours de ce vaste mouvement de mutations sociales, culturelles, politiques et économiques que l’antiquarisme a véritablement prospéré, une grande valeur étant accordée aux objets antiques. Les rapports des antiquaires aux objets ne sont pas restés figés. Par ailleurs, d’autres acteurs, des scientifiques notamment, ont aussi commencé à s’intéresser aux antiquités, posant à l’occasion, les bases de leur étude. Les occasions privilégiées de ces interventions étaient les expéditions – Pompéi, Herculanum, Egypte, entre autres. La science qui se construisait pour étudier ces antiquités était l’archéologie. L’ « archaologia » des Grecs, allait donc devenir, par transformation lexico-phonologique, et suivant les pays de l’Europe, « archaeology », « archéologie » ou encore « archéologia », etc. Le dynamisme de la discipline archéologique a eu et continue à avoir un retentissement conceptuel, au regard des concepts qu’il a générés : ethnoarchéologie, géorachéologie, archéobotanique, archéozoologie, archéologie processuelle, archéologie spatiale, archéologie environnementale, etc. Nous ne saurons être exhaustif dans l’énumération, mais au regard des évolutions observées dans le contexte scientifique actuel, nul ne peut affirmer que l’on soit au bout de l’effort de conceptualisation. C’est à travers ces mutations que se lisent les étapes de la constitution de la discipline. 1.2 Constitution de l’archéologie en tant que discipline scientifique La littérature est assez fournie sur la question de la constitution de l’archéologie en tant que discipline scientifique (Jockey, 1990 ; Trigger, 2006). C’est une évidence, l’archéologie a acquis le statut de discipline scientifique au XIXème siècle. Sa naissance est tributaire de la « conscience historique » dont les promoteurs sont Hérodote et Thucydide. Les jalons de la naissance de 22
l’archéologie ont, en effet, été progressivement et patiemment plantés depuis l’antiquité gréco-romaine jusqu’au XIXème siècle. L’Enquête d’Hérodote et la Guerre du Péloponnèse de Thucydide sont les deux ouvrages dans lesquels s’est développée la réflexion sur la conscience historique et le concept des antiquités ou objets antiques. Dans ces ouvrages, apparaissent, de manière implicite, des attitudes que nous considérons comme les prolégomènes de la pratique et du raisonnement archéologiques. La conscience historique semble mettre en évidence les ravages du temps sur les actions et les travaux des hommes, en général, des héros en particulier ; d’où la nécessité, pour les sociétés humaines, de prendre des mesures conservatrices pour vaincre les épreuves du temps et éviter que les espoirs des hommes ne tombent pas dans l’oubli (Jockey, 1990). Autant le développement de la conscience historique a été à l’origine de la naissance de l’histoire en tant que discipline scientifique, autant elle a frayé la piste du raisonnement archéologique qui s’est structuré autour des objets. Thucydide a exposé ce raisonnement dans Les Tombes des Cariens. Dans ce texte, l’auteur s’est servi d’une documentation matérielle constituée d’armes et de parures, découvertes dans des tombes, pour démontrer que les Cariens ont peuplé l’Archipel des Cyclades dans la Grèce antique (Jockey, 1990). A travers cette démarche implicitement archéologique, bien que la discipline ne soit pas encore née, il a pu valoriser les objets considérés, à juste titre, comme une mémoire matérielle à partir de laquelle l’histoire des sociétés anciennes pouvait être saisie. En valorisant l’objet, Thucydide le reconnaissait comme une donnée pouvant suppléer aux sources textuelles et orales. D’après Thucydide, les vestiges matériels seuls suffisaient pour produire un discours scientifique sur le passé de l’humanité. Les préhistoriens lui 23
ont plus tard donné raison, en retraçant la vie des chasseurscueilleurs-collecteurs du Pléistocène et de l’Holocène sur la base de l’analyse des vestiges prélevés des sites archéologiques. Il faut cependant nuancer la grande importance accordée par les historiens grecs aux témoins matériels. Ces vestiges sont parfois à l’origine de graves erreurs. C’est pourquoi leur confrontation à d’autres sources d’informations, telles que les documents écrits, les traditions orales et l’iconographie s’impose aux scientifiques. L’attitude des historiens antiques dans la gestion des objets n’est véritablement pas assimilable à celle des archéologues proprement dits, mais préfigure la démarche archéologique. 1.2.1 L’apport des antiquaires à la constitution de l’archéologie Le déploiement intellectuel observé dans l’antiquité s’est poursuivi au moyen âge avec l’activité des antiquaires dont l’action a été une étape décisive dans la constitution de l’archéologie comme discipline scientifique. Rappelons que les antiquaires sont des collectionneurs d’objets antiques ou antiquités. Dans la littérature, «un antiquaire est une personne qui s’occupe de la recherche et de l’étude des monuments de l’antiquité comme les anciennes médailles, les statuts, les sculptures et les inscriptions ; en un mot ce qui peut donner des lumières à ces sujets (Jockey, 1999). L’antiquaire est aussi perçu comme un marchand d’antiquités : « celui qui aime, rassemble et étudie les traditions et les restes du monde antique sans être historien » (Jockey, 1999). A côté de ces approches péjoratives et dévalorisantes qui éloignaient les antiquaires de la sphère de la science, d’autres définitions du concept étaient plutôt valorisantes et les rétablissaient dans le statut de scientifique. Ils étaient alors considérés comme des historiens, bien qu’incomplets, mais qui aidaient à préserver les vestiges du passé trop fragmentaires pour faire l’objet 24
d’une histoire proprement dite. Dans cette perspective, Cyriaque D’Ancône, Jacob Spon, Christoforo, Bonodelmonti, Nicolas Fabri Peiresc, Montfaucon, entre autres, auront profondément et positivement marqué leur temps par leurs contributions intellectuelles. Le regard porté sur les antiquaires, on le voit bien, était contrasté. Pour certains, ils étaient des scientifiques de l’histoire, pour d’autres, de vulgaires commerçants des antiquités. Malgré tout, l’archéologie reste tributaire des activités patrimoniales qu’ils ont développées, notamment, la collecte des antiquités qui, bien que sélective, car limitée aux objets en bon état de conservation et présentant une valeur esthétique, préfigurait deux étapes importantes de la démarche archéologique : la prospection et la fouille. L’étude des objets prélevés - nettoyage, mensurations, description, représentations graphiques et illustrations plantait encore mieux les jalons du champ épistémologique de la discipline en constitution. Les résultats des études ne semblent pas avoir été conservés dans des tiroirs. Elles ont fait l’objet de publication, pour la plupart. L’antiquité expliquée et représentée en figures de Bernard de Montfaucon, ouvrage publié en 1719, en est une parfaite illustration. Les antiquaires auront été, par leurs balbutiements dans la recherche et par l’étude des objets, ainsi que par des publications d’une valeur scientifique évidente, des pionniers dans la constitution de la science archéologique, bien que pas toujours reconnus. Les jalons qu’ils ont plantés ont servi de base à la systématisation des méthodes et techniques de l’archéologie à laquelle les explorations des XVIIIe et XIXe siècles ont largement contribué. 1.2.2 Les travaux d’Herculanum Le site d’Herculanum a été découvert par les ouvriers de manière fortuite en 1709 (Jockey 1999). Rappelons 25
qu’Herculanum est une ville d’Italie ayant été ensevelie par les laves du Vésuve en 79 de notre ère. Les travaux de recherche initiés dans ce site dès 1738 ont laissé libre cours à des attitudes contradictoires et même controversées, se traduisant par des fouilles à caractère romantique et humaniste (Jockey, 1999). Pour les humanistes, il s’agissait de faire face aux difficultés et aux contraintes de toutes sortes pour accéder aux vestiges de la ville ainsi ensevelie. Cette pratique qui rappelle celle des antiquaires, s’est développée simultanément avec une autre assez proche de l’archéologie telle qu’elle allait se développer en tant que science dès le XIXème siècle. La recherche des vestiges bien conservés dénote aussi d’un certain humanisme. Les pratiques humanistes posent la problématique des explorateurs du site d’Herculanum qui travaillaient pour Charles III de Bourbon et étaient violemment critiqués par les visiteurs du site, soucieux de définir une méthode pour accéder aux vestiges et les prélever. Les visiteurs ont critiqué le prélèvement sélectif des vestiges archéologiques. Pour eux, tous les vestiges pouvaient rendre compte d’un aspect du passé des sociétés humaines : d’où la perspective d’un prélèvement et d’une analyse systématiques des objets (Jockey, 1999). La controverse née des fouilles d’Herculanum a été décisive dans l’émergence de l’archéologie en tant que discipline scientifique. Le souci de définir les méthodes et les techniques de fouille exprimé par les visiteurs d’Herculanum est d’une valeur épistémologique indiscutable. Ces visiteurs ont créé une rupture intéressante par rapport aux pratiques antérieures : les vestiges ne devaient plus être collectés de manière anarchique, le prélèvement sélectif des vestiges était désormais proscrit. Un terme était ainsi mis à la destruction des témoins en mauvais ou en médiocre état de conservation, mais ayant une valeur documentaire incontestable.
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La rupture ainsi créée a entraîné un bond remarquable dans l’histoire de la constitution de l’archéologie. Ce bond s’est traduit par la systématisation des méthodes de fouille et la répudiation des pratiques hasardeuses. Tous ces balbutiements épistémologiques semblent avoir été des jalons qui allaient déboucher, plus tard, sur la définition de cadres méthodologiques, conceptuels et théoriques de l’archéologie. 1.2.3 Les travaux de Pompéi La ville de Pompéi en Italie, comme Herculanum, a été ensevelie sous les cendres du Vésuve en 79ap J-C. Le site a été découvert en 1740. Les travaux de Pompéi, conduits sur une base méthodologique rigoureuse (Jockey, 1999), ont été d’un apport scientifique remarquable. C’est dans ce site que les méthodes d’exploration et d’enregistrement des données matérielles ont été formalisées. L’exploration de Pompéi, par ses innovations méthodologiques, a consolidé le bond épistémologique ébauché lors de l’exploration d’Herculanum. Il n’est donc pas erroné de penser que Pompéi et Herculanum ont consacré l’importance, voire la primauté du vestige matériel sur la source textuelle, dans toute étude des cultures des sociétés initiales et subactuelles. La reconnaissance de l’objet comme source d’information incontournable dans la quête de l’histoire des cultures des sociétés humaines par Cyriaque d’Ancône, a pris corps au XVIIIe siècle avec Winckelmann dont le monumental ouvrage, Histoire de l’art dans l’antiquité (2005), est l’expression de la consécration de la valeur de l’objet comme document. Pour Winckelmann, les spécialistes des antiquités ne devaient plus expliquer les objets, mais plutôt expliquer une culture par les objets (Winckelmann, 2005 ; Jockey, 1999). Ainsi perçus, les vestiges archéologiques étaient devenus une source incontournable pour tout travail visant à assurer l’intelligence des systèmes culturels des sociétés anciennes, dans le double axe diachronique et synchronique. 27
1.2.4 L’expédition d’Egypte L’expédition d’Egypte a été lancée en 1798 par Napoléon Bonaparte. L’entreprise initiée par Bonaparte était militaire doublée d’une commission scientifique pluridisciplinaire comprenant des chimistes, des naturalistes, des graveurs et des dessinateurs (Jockey, 1999). Sur le plan militaire, l’expédition a échoué, les troupes françaises s’étant heurtées sans succès à une invincible colonne militaire anglaise. Après cet échec, les anglais ont consolidé leur contrôle sur l’Egypte (Jockey 1999). Sur le plan scientifique, l’expédition a été un succès. Cette expédition est un autre jalon déterminant dans la constitution de l’archéologie en tant que science, au regard des apports en termes d’outils méthodologiques. C’est au cours de cette expédition d’Egypte que les approches pluridisciplinaires ont été dessinées dans le domaine particulier de la recherche archéologique. Plusieurs découvertes ont été faites et beaucoup d’ouvrages publiés sur l’Egypte pharaonique. L’une des découvertes les plus remarquables de cette expédition est la pierre de rosette. Le déchiffrement des hiéroglyphes que portait cette pierre par François Champollion a davantage renforcé la valeur heuristique de cette expédition. La naissance de l’égyptologie est tributaire de cette découverte déterminante. Avec l’expédition d’Egypte, la reconnaissance de l’objet ou du vestige archéologique en tant que source d’informations dans l’étude des antiquités s’est renforcée. Les méthodes et techniques d’accès aux objets et de leur traitement se sont enrichies et affinées. L’étude des vestiges archéologiques était désormais réservée aux seuls spécialistes, les amateurs, sans qualification, étant de moins en moins aptes à analyser les témoins matériels issus des sites. En somme, les historiens de l’antiquité, les antiquaires, les membres des expéditions et des explorations ont balisé et structuré le champ épistémologique de l’archéologie. Ce 28
champ s’enrichit et se renouvelle d’une manière constante, au rythme des remises en question et des ruptures induites, ferments manifestes et reconnus des déconstructions et des reconstructions qui, à côté des idéologies généralement fortes et ancrées, nourrissent et font avancer la pensée dans la discipline depuis sa constitution. 1.2.5 Rôle des idéologies L’idéologie semble avoir été l’un des facteurs déterminants du passage de l’archéologie, du statut de discipline préscientifique à celui de science. Dans la pensée judéochrétienne, toutes les espèces ainsi que la nature qui les hébergent, sont des créatures divines. Le créationnisme permet alors de tout expliquer : l’origine du monde et des êtres vivants qui le peuplent, y compris l’homme. Au XVIIe et XVIIIe siècle, la doctrine créationniste passe au crible de la critique, et est finalement répudiée, rien n’ayant été créé de manière spontanée. Les êtres vivants, dans leur ensemble, seraient l’aboutissement d’une évolution, selon les spécialistes des sciences biologiques, précurseurs de l’évolutionnisme. Darwin avec le darwinisme, en est une des figures de proue (Darwin, 1859). Pour lui, le monde tel qu’il apparaissait à son époque était l’aboutissement d’un long processus évolutif et non le résultat d’une création ex-nihilo. L’archéologie en constitution, en rapport avec d’autres sciences, représentait un espoir pour les évolutionnistes qui avaient besoin d’étayer leurs thèses face à des détracteurs incisifs et hardis, appartenant aussi bien au clergé qu’à la communauté scientifique. 1.3 Place de l’archéologie dans la classification des sciences Les sciences en tant que disciplines se distinguent nettement les unes des autres même si des passerelles sont créées entre 29
elles pour leur permettre de réaliser de manière optimale les objectifs de production de connaissances qu’elles poursuivent. La classification des disciplines a été faite par des philosophes des sciences, des épistémologues précisément (Piaget, 1970). La réflexion taxinomique des épistémologues semble s’être appuyée sur des critères relativement objectifs : - le niveau d’objectivité de la discipline - la possibilité d’objectivation des faits, autrement dit, la capacité à traduire des faits, même sociaux et humains, en objets dont le chercheur se détache pour en assurer une observation rigoureuse, obéissant au principe de l’ignorance méthodique. La classification proposée présente deux catégories de disciplines scientifiques : - les sciences exactes ou dures, - les sciences de l’homme (sciences humaines et sociales) ou molles. Les sciences de l’homme ont aussi fait l’objet d’une classification ; celle-ci distingue : les sciences nomothétiques qui produisent des lois comme la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, la linguistique ; - les sciences historiques de l’homme ; - les sciences juridiques ; - les disciplines philosophiques (Piaget, 1970). L’archéologie est classée dans la catégorie des sciences historiques de l’homme, au regard des missions qu’elle s’est donnée et qui se rapportent à l’étude systématique des sociétés humaines du passé et subactuelles. Etude devant contribuer à l’intelligence des dynamiques culturelles, sociales, économiques, religieuses et des changements intervenus dans les milieux naturels d’insertion de ces sociétés. La classification des sciences crée implicitement des cloisons qui tombent d’eux-mêmes, au regard des difficultés des 30
disciplines à résoudre seules les problèmes qui se posent à elles et de l’impératif de collaboration avec d’autres sciences. Dans le contexte scientifique actuel, en général, et archéologique, en particulier, le décloisonnement des champs s’impose car, lui seul permet de donner plus de pertinence aux connaissances produites. Les disciplines sortent donc de leur tour d’ivoire, à telle enseigne que les sciences sociales, les sciences de la nature et les sciences physiques fédèrent désormais leurs principes pour faire avancer les connaissances sur les phénomènes naturels, sociaux et humains ou alors sur les choses. Les évolutions actuelles imposent la création de passerelles entre les disciplines scientifiques qui gardent cependant leur spécificité dans leur engagement à construire des collaborations. Cette spécificité se décline à travers les éléments du champ épistémologique de chaque discipline scientifique. 1.4 Eléments du champ épistémologique de l’archéologie Nous revenons sommairement ici sur les éléments qui caractérisent les disciplines scientifiques et en font des catégories singulières. Ces éléments, déterminants dans l’orientation aussi bien de l’acquisition que de la production des connaissances scientifiques (Lecourt, 2010 ; Lecourt, 2002 ; Le Moigne, 1995 ; Besnier, 2005 ; Bachelard,1968 ; Piaget, 1970 ; Mbonji Edjenguele, 2005), sont : l’objet d’étude ou le référentiel d’observation de la discipline, les concepts qui sous-tendent tout discours produit par les spécialistes, les méthodes qui sont à la base de la constitution des connaissances valables, et les théories, incontournables outils intellectuels dans toute activité herméneutique, qu’elle soit explicative ou interprétative. 1.4.1 Objet d’étude de l’archéologie Toute discipline a un objet d’étude, un référentiel pour l’observation par lequel elle se distingue et se démarque des 31
autres sciences. L’archéologie étudie les systèmes culturels des sociétés anciennes et les milieux dans lesquels ils se sont épanouis et transformés au fil du temps. Cette étude s’appuie sur des témoins matériels en os, en bois, en métal, en pierre, en céramique, en verre, entre autres. Le champ d’observation de l’archéologie, étriqué dès la naissance de la discipline, s’est considérablement élargi, après l’avènement de la « new archaeology », aussi bien sur le plan géographique que sur le plan thématique. Les archéologues, confinés, dans un premier temps, à l’étude des cultures archéologiques, des industries, en quelque sorte, dont il fallait construire les typologies et assurer les attributions chronologiques, se sont, par la suite, intéressés aux contextes de production et d’utilisation des systèmes culturels découverts sur les continents, sous les eaux fluviales, lacustres et marines. Cet élargissement du champ d’investigation a, de manière significative, servi de catalyseur à la production de nouveaux outils conceptuels, méthodologiques et théoriques. 1.4.2 Les concepts et les théories Les concepts et les théories sur lesquels nous disposons d’une abondante littérature (Andrew, 2002 ; Bruneau et Balut, 1997 ; Gardin, 1979 ; Johnson, 2000, Asa Berger, 2014 ; Urban and Schortman, 2012, Skibo, and Andrew, 2002 ; Bruneau et Balut, 1997 ; Gardin , 1979 ; Johnson, 2000 ; Asa Berger, 2014 ; Urban and Schortman, 2012 ; Skibo and Schiffer, 2009 ; Clarke, 1968, 1972), représentent des éléments fondamentaux du champ épistémologique de toute discipline scientifique. C’est d’ailleurs ces éléments qui font la spécificité de chaque discipline scientifique et en assurent la différence avec les autres. Si les concepts sont des supports incontournables des discours scientifiques à travers lesquels les disciplines s’affichent comme des catégories autonomes et spécifiques, les théories, quant à elles, sont, comme on le sait bien, des outils intellectuels dont se sert le scientifique pour 32
produire la connaissance. La valeur des théories dans tout exercice herméneutique est bien connue. Elles servent, encore une fois, d’outils à toute activité explicative et interprétative. Mais, il ne faut pas perdre de vue que les théories peuvent avoir une valeur méthodologique. Elles servent, dans ce cas précis d’instruments d’analyse des objets ou des phénomènes. Les théories individualisent les disciplines scientifiques, chacune revendiquant la paternité de leur formulation. Mais elles deviennent progressivement, au fil de la chute des cloisons, transversales à plusieurs disciplines scientifiques. Les théories ne sont pas analysées dans le présent chapitre, une réflexion profonde leur étant consacrée dans l’histoire de la pensée archéologique. 1.4.3 Question de méthodes et d’approches L’élargissement du champ de recherche de l’archéologie implique des améliorations dans la pratique de la discipline. Le temps des antiquaires est caractérisé par des collectes anarchiques de vestiges, des fouilles menées sans méthodes ; le travail est, en quelque sorte, hasardeux, rien n’étant systématisé en ce qui concerne la recherche des sites, la collecte des vestiges et la constitution de la documentation matérielle. La systématisation de la pratique de l’archéologie est effective avec la naissance de la science. Mais compte tenu des missions de l’archéologie classique ou traditionnelle et surtout de la « new archaeology », les méthodes, les techniques propres à la discipline ne suffisaient pas pour répondre à toutes les questions scientifiques posées. Les insuffisances observées, inhérentes aux deux écoles, justifient l’irruption progressive d’autres disciplines scientifiques dans le champ particulier de l’archéologie. La géographie, l’anthropologie, l’histoire, l’ethnologie, la linguistique, la sociologie, la paléontologie, la botanique, la géologie, la mammalogie, la chimie, la physique investissent le champ de 33
l’archéologie et contribuent à la connaissance de la dynamique des systèmes culturels. La systématisation des méthodes et techniques concerne toutes les étapes de la démarche archéologique : la prospection, la fouille, les analyses diverses et l’interprétation des données. Les méthodes et les techniques de prospection classiques se sont diversifiées et vulgarisées. Elles sont plus à la portée des archéologues que les méthodes géophysiques, tout aussi en développement constant, mais dont les coûts prohibitifs en font des outils inaccessibles aux archéologues ordinaires. La même dynamique caractérise les fouilles archéologiques dont les moyens techniques se diversifient et s’affinent au fil du temps et des préoccupations nouvelles dans le domaine de la constitution scientifique de la documentation matérielle (Camps, 1979 ; Renfrew & Bahn ; 1991 ; Flouest et André 2001 ; Jockey, 2008 ; Demoule, Giligny, Lehoërff et Schnapp, 2005 ; Andrew, 2002 ; Demoule, Giligny, Lehoërff et Schnapp, 2005 ; Gaucher, 2005 ; Maschner and Chippindale, 2005 ; White and King, 2007 ; Reitz, and Shackley, 2012 ; Matthieu, 2002 ; Mcintosh, 1999 ; Papaconstantinou, 2006 ; Hester, Shafer, and Feder, 2009 ; Renfrew, Bahn, 1991 ; Barker, 1981). La documentation archéologique, systématiquement et patiemment constituée lors des prospections et des fouilles, comprend généralement, des industries lithique, céramique, métallique, des objets en os, en bois, des macros et des micros restes fauniques et végétaux. Ces vestiges se présentent souvent sous forme de fragments ou de tessons, rarement en bon état de conservation ; d’où le caractère exigeant des études qui leur sont consacrées. Tant que le modèle historico-culturel était en vigueur, les archéologues avaient une fixation particulière sur les analyses morphologiques, technologiques et parfois stylistiques et esthétiques conduisant inéluctablement à des constructions typologiques ou à la taxinomie des cultures matérielles issues 34
des fouilles (Rice, 1989 ; Tixier et al. 1980 ; Shepard, 1959 ; Elouga, 2001 ; Delneuf, 1998). Mais l’avènement de la « new archaeology », essentiellement bouleversant, a créé des ruptures remarquables dans le champ épistémologique de la discipline ; ruptures se caractérisant par l’ouverture du champ de l’archéologie aux sciences physiques et l’application de méthodes et techniques d’analyses physico-chimiques aux vestiges, seules aptes à fournir des informations pertinentes sur les matériaux ayant servi de supports à la production d’objets. A titre de rappel, et sans détails, on peut indiquer : la spectrométrie Raman, la chromatographie sur couche mince, la radiographie X, la photographie à infrarouge, l’analyse par activation neutronique, la spectrométrie d’absorption atomique, la chromatographie, la chromatographie en phase gazeuse, la diffraction des rayons X, la fluorescence X, la microscopie électronique à balayage, la méthode PIXE (Particle Induced X-ray Emission), la spectrométrie de masse, etc. L’historique, les principes et les applications, les apports et les limites de ces méthodes d’analyse des objets sont largement présentés dans des revues et ouvrages spécialisés. (Renfrew, Bahn, 1991 ; Hester, Shafer, and Feder, 2009 ; Balfet, FauvetBerthelot et Monzon, 1989 ; Saraydar, 2008 ; Orton, Tyers and Vince, 1993 ; Rice, 1989 ; Sheppard, 1957 ; Djindjian, 1991 ; Griffiths, Jenner & Wilson, 1990 ; Tixier, Inizan et Roche, 1980). Ces analyses physico-chimiques se développent à côté d’une diversité de méthodes et techniques de datation dont la contribution est remarquable dans la détermination de l’âge des objets étudiés ainsi que dans la chronologie d’ensembles culturels et la périodisation des implantations humaines pléistocènes et holocènes. 1.4.3.1 Méthodes de datation L’interprétation des systèmes culturels des sociétés initiales et subactuelles, dans une perspective diachronique, a posé la 35
question chronologique. Les chronologies relatives, bâties à partir d’observations stratigraphiques, l’analyse chimique des ossements, la sériation, le modèle géologique axé sur la micromorphologie et la géochronologie représentent des axes d’une démarche qu’appuient des méthodes de datation absolue. Sans être exhaustif, la littérature en la matière indique : la dendrochronologie, les analyses radiocarbones, la résonnance électronique, la thermoluminescence, le potassium argon, la datation par l’uranium, la datation par fission, la datation par hydratation de l’obsidienne, la datation archéomagnétique, la datation par les acides aminés, l’analyse des varves (EVIN, J., Lambert, Langouet, Lanos, Oberlin, 2005 ; Langouet et Giot, 1992 ; Roth, Poty, éd. 1985 ; Hester, Shaffer & Feder, 2009). L’apport des résultats de l’application de ces méthodes de datation isotopiques dans les attributions chronologiques des vestiges ou des cultures archéologiques est évident. Ces résultats sont d’ailleurs essentiels dans toute entreprise de définition des cadres chronologiques de référence des systèmes culturels des sociétés initiales et subactuelles. 1.4.3.2 Approches spécifiques dans la pratique de l’archéologie Plusieurs approches ont été élaborées et expérimentées par les spécialistes engagés dans l’exploration des systèmes culturels des sociétés du passé. Cette littérature archéologique sur ces approches, suffisamment détaillée, permet de mieux les saisir. La littérature disponible donne des détails intéressants sur toutes ces approches (Hester, Shafer, and Feder, 2009 ; Djindjian, 1991 ; Demoule, Giligny, Lehoërff et Schnapp, 2005 ; Reitz and Shackley, 2012 ; Demoule, 2005 ; Ariés, 1975 ; Ariés 1977 ; Crubézy, Masset, Lorans, Perrin & Tranoy, 2000) ; Crubézy, Duday, Sellier & Tillier, 1990 ; Duday & Masset, 1987 ; Duday, 2005 ; Morin, 1951 ; Thomas, 1988 ; Vovelle, 1970 ; Michel Signoli, 2008 ; 36
Derreumaux, et Lepetz, 2008 ; Derreumaux, M., Pigière, F., Woueters, Van neer, 2011 ; Deforce, 2010 ; Demoule, 2002 ; Djindjian 1991 ; Jockey 1999 ; Bourquin-Mignot, Brochier, Chabal, (dir.), 1999 ; Cubizolle, 2009 ; Faegri K., Iversen, Faegri, Kaland, Krzywinski, 1989 ; Scanlan, 2005 ; Humes, 2012 ; Arnaud-Fassetta, Carcaud, (Eds), 2014 ; Bravard, Cammas, Nehlig, Poupet, Salvador, Wattez, 1999 ; Cubizolle, 2009 ; Fouache, Rasse, 2007 ; Riser, 1999), etc. Inutile donc d’y revenir, l’idée de leur énumération non exhaustive étant retenue. Les approches spécifiques dont certaines sont parfois assimilées à des sous-disciplines de l’archéologie, se sont affirmées comme des paradigmes dont l’application dans l’exploration des cultures des sociétés du passé et des milieux dans lesquels elles se sont implantées donne des résultats relativement satisfaisants. L’archéologie aérienne, l’archéologie biblique, l’archéologie environnementale, l’archéologie expérimentale, l’archéologie minière, l’archéologie des ordures ou la garbologie, l’archéologie sous-marine, l’archéologie subaquatique, (Beurdeley, 1991 a ; Beurdeley, 1991 b ; Blot, 1995 ; Bonnin, 2000 ; Jeremey, 1990 ; Keith, 1980 ; Keith, 1978 ; Martin, Ferrari, Oxley, Redknap & Watson, 1992), l’archéologie des paysages, l’archéologie spatiale, l’archéologie du bâti, l’archéologie funéraire sont indiquées ici à titre d’illustration. L’ouverture du champ de l’archéologie aux sciences de la nature et aux sciences physiques a remarquablement contribué à l’élaboration de nouveaux outils interprétatifs dont la pertinence dans la saisie et l’explication des systèmes culturels et la mise en évidence des paléo-milieux de leur épanouissement est avérée. Avec l’avènement de la « new archaeology », des approches spécifiques se sont multipliées et continuent de l’être. Dans le contexte épistémologique actuel, l’archéologie, en lien avec les sciences de la nature et les sciences physiques, recoure à plusieurs approches pour 37
donner sens aux objets et les situer dans leurs divers contextes. Sans prétention d’exhaustivité, rappelons les approches spécifiques régulièrement appliquées avec une relative satisfaction dans le champ de l’archéologie. Il s’agit : de l’archéozoologie, de la géo-archéologie, de la malacologie, de l’archéobotanique, de l’anthracologie, de la carpologie, de la palynologie, de l’étude des phytolithes, de la xylologie, entre autres. Nous l’avons déjà dit, d’une archéologie au moment où la discipline s’est constituée comme science au XIXème siècle, on a débouché, après l’avènement de la « new archaeology », à des archéologies, avec la multiplication des pratiques et des approches d’interprétation des vestiges dont l’objectif est, une fois de plus, la compréhension de leur signification et de la dynamique des systèmes socioculturels, ainsi que des milieux dans lesquels ils se sont développés. Donner du sens aux vestiges est devenu une préoccupation majeure pour les archéologues. Ils ont opté, pour la majorité, à aller, sans s’en détacher, au-delà des traditions descriptive et classificatoire polarisées sur des constructions typologiques, dont l’archéologie historico-culturelle est le socle théorique, pour expliquer, interpréter, afin de mieux saisir les témoins et apporter un éclairage sur leurs contextes culturels, sociaux, historiques et environnementaux. Ces pratiques et approches s’appuient sur une pensée archéologique dynamique qui s’enrichit constamment de nouveaux paradigmes théoriques. Les modèles dont nous esquissons une synthèse au chapitre deux de ce travail sont, à n’en point douter, une pièce à conviction de la vitalité de la pensée archéologique, voire de son champ épistémologique, caractérisé par des ruptures et des permanences. Le répertoire de ces modèles n’est pas exhaustif. Nous mettons en exergue quelques exemples d’approches théoriques dans le souci réel de situer le nouveau paradigme que nous proposons, à savoir, l’archéologie des interfaces, dans son contexte épistémologique. 38
CHAPITRE 2 : LA PENSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE L’ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE À NOS JOURS Dans le processus de sa constitution, toute discipline scientifique cherche à s’autonomiser en se donnant des outils d’une production conséquente des connaissances. Les spécialistes des disciplines scientifiques constituées, s’attachent alors, on le sait bien, à faire avancer les savoirs dans leurs champs de déploiement respectifs. Le renouvellement d’outils nécessaires pour relever un tel défi s’impose alors comme une exigence à laquelle les archéologues doivent se soumettre. Les remises en cause permanentes des concepts, des paradigmes théoriques et méthodologiques existants, qui induisent des ruptures avec les vieux modèles, servent de ferment au renouvellement de la pensée, quelle que soit la discipline considérée. L’archéologie qui est cœur de notre réflexion, n’échappe pas à la règle. Le présent chapitre est un kaléidoscope à travers lequel les grands moments de l’histoire de la pensée archéologique sont synthétisés. 2.1 La pensée archéologique dans l’Antiquité grécoromaine L’archéologie s’est constituée comme science au XIXème siècle, bien que le mot, rappelons-le, soit antérieur à la discipline. « L’archeologia » de Thucydide et Hérodote remonte, en effet, à l’antiquité gréco-romaine et signifie « histoire ancienne ». Les historiens grecs, dont la production scientifique était consacrée aux familles dirigeantes et aux héros, ont posé les bases de la pensée archéologique, inconsciemment, sans doute car, au moment où ils donnent un contenu à la notion, la discipline est loin de se constituer. En théorie, l’archéologie, pour les historiens grecs, est la reconstitution de l’histoire des classes dirigeantes et des héros dont les souvenirs ne devaient pas tomber dans l’oubli parce que ravagés par le temps. 39
La référence à Thucydide n’est pas tant une résultante de sa production scientifique historique, mais de la rupture épistémologique qu’il a créée en valorisant l’objet, devenu une source d’information essentielle dans la production historique suite à ses recherches dans les îles des Cyclades. L’ « archéologia » ou l’histoire ancienne était donc perçue comme la reconstitution du passé des classes dirigeantes et des héros à partir des sources écrites, orales, et surtout, des objets laissés par celles-ci. En valorisant l’objet, le précurseur de la « conscience historique » posait les bases du processus d’accès et d’exploitation de celui-ci à des fins de production de connaissances historiques. Il était archéologue, au sens actuel du mot, avant que la discipline ne se constitue. Le nouveau statut conféré à l’objet suite aux travaux de Thucydide est un jalon important dans la réflexion sur la théorie de l’archéologie. La course aux antiquités grécoromaines, d’abord, et d’autres régions du monde, notamment d’Afrique et du Moyen orient, par la suite, consécutive aux travaux de Thucydide, commencée timidement, s’est intensifiée au Moyen Age, période au cours de laquelle une classe de collectionneurs appelés « antiquaires » s’est constituée pour s’occuper d’objets. Cette classe de nouveaux acteurs dans la gestion des objets a visiblement alimenté la pensée sur la discipline naissante. Le courant antiquariste, dans ses deux nuances, nait de l’intense activité des collectionneurs engagés dans la recherche, la collecte et la valorisation d’objets antiques. 2.2 L’antiquarisme : un jalon important dans l’histoire de la pensée archéologique La valorisation de l’objet consécutive aux travaux de Thucydide a donné lieu au collectionnisme en occident médiéval. Cette activité de collection tous azimuts d’objets antiques était contrôlée par des antiquaires : « groupe de personnes détentrices d’un savoir sur la vie des anciens, 40
savoir reposant sur des objets » ; « personne qui s’occupe de la recherche et de l’étude des monuments de l’antiquité comme les médailles, les livres, les statues, les sculptures, les inscriptions, en un mot ce qui peut donner des lumières à ce sujet » ; « marchand d’antiquités » ; « celui qui aime, rassemble et étudie les traditions et les restes du monde antique, sans être historien » ; enfin « historiens incomplets qui aidaient à préserver les vestiges du passé trop fragmentaires pour faire l’objet d’une histoire proprement dite » (Jockey, 1999). La notion d’antiquaire, visiblement polysémique, se comprend relativement bien à partir des définitions proposées ici. Cyriaque d’Ancone, Nicolas Fabri Peiresc, Jacop Spon, Cristoforo Bonodelmonti, entre autres, sont des représentants de cette classe de collectionneurs d’objets. C’est de leur activité sur les objets qu’émergea le courant antiquariste. L’antiquarisme est une étape non négligeable de l’histoire de la pensée archéologique. Les antiquaires, animateurs privilégiés de ce courant de pensée, sont actifs du moyen âge au siècle des Lumières, bien longtemps avant la constitution de l’archéologie comme discipline scientifique. Deux nuances caractérisent ce courant de pensée : l’antiquarisme sans texte et l’antiquarisme scientifique (Trigger, 2006). 2.2.1 L’antiquarisme sans texte Il s’agit d’une attitude développée par des curieux, des membres du clergé, notamment, pour retracer l’histoire des sociétés de l’antiquité gréco-romaine. L’intérêt des antiquaires, pour la plupart chroniqueurs, portait sur la reconstitution de l’histoire des familles royales, des classes dirigeantes, des héros, des personnages de la bible et des textes de l’antiquité classique. Les sources d’information exploitées par les antiquaires pour donner sens aux objets n’étaient pas des textes, mais plutôt des données des traditions orales historiques, des légendes, des mythes, de 41
l’ethnogenèse. Pour cette classe d’antiquaires, la compréhension des antiquités n’était pas concevable à partir des vestiges prélevés des sites, le regard porté sur ces objets étant éminemment controversé, notamment en ce qui concerne leur origine, divine ou anthropique, leur statut, profane ou sacré. En somme, l’antiquarisme sans texte représentait une attitude des historiens attachés à assurer l’intelligibilité des antiquités gréco-romaines. Mais l’avènement des lumières a réveillé les esprits et suscité une autre perception des antiquités et un nouveau type de rapports avec elles. L’antiquarisme scientifique est né de ces mutations. 2.2.2 L’antiquarisme scientifique C’est au début du siècle des Lumières (XVIIème-XVIIIème S.) qu’il faut situer le début de l’antiquarisme scientifique (Trigger, 2006). L’objet d’étude des antiquaires de ce courant de pensée est resté le même : l’antiquité gréco-romaine. Le nouveau courant de pensée se met en place sous l’influence des philosophes des Lumières comme René Descartes, Francis Bacon, entre autres (Trigger, 2006) dont les idées ont infléchi la perception qu’avaient les antiquaires des objets. Pour les précurseurs du courant scientifique dont les figures de proue furent John Aubrey et William Stukeley, il n’y avait pas de doute que les objets prélevés des sites étaient d’origine anthropique. Ils avaient été fabriqués et utilisés par les sociétés antiques. La thèse de l’origine humaine des objets consacrait leur valorisation en tant que support et source d’information pour la connaissance des antiquités des peuples avec ou sans écriture. Ces antiquités, placées au cœur des études, devaient être observées, décrites et classées, susciter des activités expérimentales, le cas échéant. Au moment où l’antiquarisme sans texte et l’antiquarisme scientifique prennent corps et orientent la production historique sur l’antiquité, l’archéologie est loin de se 42
constituer comme discipline scientifique. Inscrire les deux courants dans la trajectoire de l’histoire de la pensée archéologique n’est en aucun cas abusif car, ils représentent des jalons non négligeables du socle à partir duquel la théorie de la science archéologique s’est formalisée. Mais l’antiquarisme scientifique mieux que l’antiquarisme sans texte, préfigure l’archéologie, par le simple fait qu’il exploite des vestiges prélevés des sites pour reconstituer l’histoire des sociétés antiques. Avec l’antiquarisme scientifique, les bases de la production d’autres courants de pensée en archéologie étaient posées. 2.3 L’archéologie évolutionniste L’archéologie évolutionniste est l’une des approches suivies pour comprendre les sociétés humaines anciennes. C’est depuis 1860 que les archéologues ont commencé à appliquer l’approche évolutionniste dans leurs recherches (Trigger, 2006). Le fondement théorique de l’archéologie évolutionniste est l’évolutionnisme unilinéaire forgé dès le 18ème siècle par les philosophes des Lumières, détracteurs de l’obscurantisme et de l’absolutisme. Le postulat de base de l’évolutionnisme unilinéaire est le suivant : les sociétés humaines dans leur ensemble évoluent à travers les stades suivants : - sauvagerie, - barbarie, - civilisation. L’archéologie évolutionniste s’attache à comprendre et à expliquer, à partir des vestiges, les stades d’évolution des sociétés humaines, d’une part, et des déterminants ou des causes du développement rapide de certaines sociétés humaines et le caractère relativement statique d’autres catégories de groupes sociaux d’autre part. L’archéologie raciste qui s’est développée en Afrique trouve son fondement dans cette tentative d’explication des disparités de 43
développement des groupes humains. L’idéologie de l’inégalité entre les sociétés est présentée dans les travaux de Gustav Klemm (1843-1852), Jared Diamond (1997), Joseph Arthur Comte de Gobineau (1853-1855), entre autres. Dans la logique de la présentation d’un bref aperçu sur la pensée archéologique, il n’est pas possible de taire cette littérature qui n’a rien de scientifique depuis sa répudiation par des thèses affirmant l’unicité de l’espèce humaine malgré les différences de pigmentation de la peau (Cheik Anta Diop, 1981, 1974). Dans le contexte anthropologique actuel, l’archéologie évolutionniste ne semble plus avoir des adeptes, au regard des dérives qu’elle a entraînées et qui se sont exprimées par la construction d’une image dévalorisante des sociétés considérées comme « sauvages ». Elle a fait son temps, et a su servir les intérêts des puissances impérialistes au XIXème siècle. 2.4 L’archéologie historico-culturelle L’archéologie historico-culturelle est un autre paradigme de l’histoire de la pensée archéologique. Elle a pris racine en Allemagne, à la suite de la répudiation de l’archéologie évolutionniste dont la coloration raciste était évidente. Les précurseurs de cette école sont Adolf Bastian et Rudolf Virchow. L’objet de l’archéologie historico-culturelle était l’identification des cultures préhistoriques et leur origine, la reconstitution de leurs mouvements dans l’espace et leur affiliation ethnique. Faire de l’archéologie, pour cette école consistait à mobiliser les méthodes de la discipline pour constituer une documentation matérielle dont l’exploitation devait déboucher sur la mise en évidence des cultures et l’identification des groupes ethniques productrices et utilisatrices. On pourrait parler d’une archéologie de l’ethnicité, l’identification des groupes ethniques producteurs et utilisateurs étant au centre des préoccupations des précurseurs. Cette archéologie s’est mise très tôt au service 44
des idéologies, notamment du nationalisme dans certains pays comme l’Allemagne, avec comme figure de proue, Kossinna (1911 et 1926-1927) : d’où la désaffection des archéologues et le recours conséquent au modèle processualo-fonctionnaliste. 2.5 L’archéologie processualo-fonctionnaliste La contribution de l’archéologie historico-culturelle à la connaissance des cultures préhistoriques, notamment à leur caractérisation et leur taxinomie est indéniable. L’archéologie historico-culturelle ne s’est pas contentée de décrire, de caractériser et de classer les cultures. Elle a aussi cherché à donner sens aux systèmes culturels et à expliquer les changements les ayant marqués. Toutefois, elle s’est appuyée sur une grille d’analyse étriquée, se limitant au modèle diffusionniste et aux migrations qui expliquent les changements en s’appuyant uniquement sur les facteurs exogènes. L’archéologie historico-culturelle a vite montré ses limites en faisant peu de cas des facteurs endogènes du changement culturel. Elle est apparue inopérante, en tant qu’approche, sur la lancinante et importante question du fonctionnement des cultures et celle des changements qui les affectent dans le temps et dans l’espace. La rupture avec ce modèle s’imposait désormais, au regard du problème épistémologique qu’il posait : d’où l’élaboration de nouvelles approches que Trigger a regroupées dans le concept d’archéologie processualo-fonctionnaliste (Trigger, 2006). La catégorie indique : le modèle économique, le fonctionnaloprocessualisme environnemental, l’approche conjonctive, le modèle soviétique ou l’approche marxiste, le modèle écologique et de gestion de l’espace, le modèle fonctionnaliste, l’approche matérialiste de Graham Clark et le modèle de l’anthropologie sociale. Les paradigmes explicatifs ainsi élaborés s’imposaient, à l’époque, comme des outils alternatifs à l’archéologie historico-culturelle, dans la 45
recherche de la compréhension et de l’explication des changements culturels intervenus dans les sociétés humaines du Pléistocène et de l’Holocène. Il serait fastidieux de présenter en extension cette pléthore de paradigmes sur les changements culturels dans un travail consacré à l’élaboration d’une nouvelle approche théorique de l’archéologie exploitable par les spécialistes pour étudier les sociétés humaines du passé et subactuelles. Nous n’en dégagerons que la quintessence, les détails pouvant être trouvés dans l’abondante littérature consacrée aux approches qui structurent l’archéologie processualo-fonctionnaliste. Le fonctionnalo-processualisme environnemental Le postulat de base du fonctionnalo-processualisme environnemental, tel que l’ont élaboré ses précurseurs et leurs disciples, est que le milieu naturel, dans sa complexité et son dynamisme est en interaction avec les sociétés humaines. Les changements qui l’affectent ont des retentissements sur les phénomènes humains et les systèmes culturels (Worsaae, 1849 ; Graadman, 1906 ; Crawford, 1912 ; Guest, 1883 ; Kristiansen, 2002 ; Godwin, 1933 ; Crawford, 1912 ; Hverfield, 1912 ; Vidal de la Blache, 1952). Par rapport à ce postulat, les vestiges archéologiques n’ont de sens que s’ils sont analysés dans leurs relations avec les éléments du milieu physique. La domestication des plantes ou l’agriculture a une explication écologique. Les changements climatiques du début de l’Holocène (10000 BP), semblent avoir libéré des espaces antérieurement couverts de glaciers et sur lesquels les populations ont développé la première agriculture. Les fortes densités humaines et l’intense activité agricole dans le delta du Nil, la plaine indo-gangétique, les vallées du Tigre et de l’Euphrate ont des fondements écologiques. L’abondance de l’eau et la présence de terres fertiles, éléments d’attrait manifestes, ont joué en faveur des implantations humaines 46
dans ces régions. Ce qui précède nous replonge dans la théorie de la dessiccation ou de l’oasis sur l’origine de la production alimentaire de Raphael Pumpelly (1908). D’après lui, l’assèchement progressif du Moyen-Orient à la fin du dernier âge glaciaire a contraint les chasseurs-collecteurs à s’organiser autour des réserves d’eau pour trouver de nouveaux moyens de subsistance par la domestication des plantes et des animaux. La théorie de la dessiccation s’est imposée comme un modèle processuel d’explication du passage de la chasse au pastoralisme, et de la cueillette à l’agriculture ou la domestication des plantes. Les théories explicatives environnementalistes, à travers lesquelles les processus sociaux et culturels sont expliqués, font peu de cas des efforts fournis par les populations pour que s’accomplissent ces processus. La théorie d’Hérodote suivant laquelle « l’Egypte Pharaonique est un don du Nil », la théorie de la dessiccation, entre autres, ne manquent pas de pertinence, mais elles auraient été plus intéressantes si elles avaient intégré la dimension humaine, notamment l’influence des populations en termes de travail sur les changements observés dans les rapports des sociétés humaines aux éléments du milieu naturel. Il a fallu que les sociétés humaines s’organisent pour tirer avantage des crues du Nil, du Tigre et de l’Euphrate, d’une part, des terres libérées par la dessiccation due à la péjoration climatique de la fin du dernier âge glaciaire, d’autre part. La théorie du possibilisme développée par Vidal de la Blache (1952) valorise la dimension culturelle des adaptations humaines au milieu écologique. Malgré les insuffisances ainsi relevées, et que d’autres approches sont supposées combler, le fonctionnaloprocessualisme environnemental a été d’un apport remarquable à l’intelligibilité des processus sociaux et culturels observés dans les sociétés initiales.
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Approches anthropologiques Les changements perçus ici comme des processus sociaux et culturels sont au cœur des préoccupations des anthropologues depuis le XIXème siècle. Les sociétés et les systèmes culturels sont alors perçus comme des entités essentiellement dynamiques, assimilables à des êtres dont la vie cyclique est inscrite dans un processus qui rend bien compte de la métaphore biologique ou organique (Winckelmann, 2005 ; Belting, 1989). Dans ce champ scientifique, la réflexion a été féconde, d’où la profusion de théories et d’approches qui structurent les grilles d’analyse des dynamiques sociales et culturelles. L’évolutionnisme dans ses deux nuances, unilinéaire et multilinéaire, le diffusionnisme, le fonctionnalisme, le structuralisme et le structurofonctionnalisme sont autant d’approches exploitées par les spécialistes des sciences sociales pour rechercher le sens des changements qui affectent les groupes sociaux et les systèmes culturels. L’évolutionnisme unilinéaire Courant théorique bien connu, l’évolutionnisme se développe dès les XVIIème et XVIIIème siècles par les philosophes et les spécialistes des sciences biologiques (Lamark, Darwin), qu’ont suivis les anthropologues dès le XIXème siècle (Morgan, 1877 ; Tylor, 1871). Le postulat de base de l’évolutionnisme se résume au fait que l’humanité – ou l’homme – évolue vers un progrès (technique, intellectuel, économique, etc.) constant, et que les sociétés humaines tendent à passer d’un état de relative simplicité organique ou organisationnelle à un état complexe et différencié. Les sociétés humaines, à la quête du bien-être matériel, voire spirituel, sont en perpétuelles mutations, et évoluent suivant des stades de développement successifs, les précédents étant moins complexes que les suivants : sauvagerie, barbarie, civilisation, pour rejoindre E.B. Tylor (1871). 48
L’évolutionnisme multilinéaire L’étude des sociétés initiales met en évidence leur extrême diversité et le fait que toutes ne suivaient pas le fameux schéma d’évolution rigide dessiné par les évolutionnistes unilinéaires (Morgan, 1877 ; Tylor, 1871). Julian H. Steward (1955, 1953) a été très critique à l’endroit de l’évolutionnisme unilinéaire. Le concept d’évolutionnisme multilinéaire est l’expression même du rejet du paradigme d’une évolution à sens unique pour toutes les sociétés humaines quels que soient les milieux dans lesquels elles sont installées. L’évolution multilinéaire est donc une nouvelle approche aux processus de changement culturel. Julian H Steward (1979) proposant et développant le nouveau concept d’évolutionnisme multilinéaire, relève, pour la rejeter, l’idée très simpliste de l’unicité et le caractère unidirectionnel du schéma évolutif des sociétés humaines dans leur ensemble. Ce schéma ne rend pas compte de la diversité des cultures, ni des sociétés dont elles sont l’émanation, ni même de leur histoire. Steward (1955, 1953) s’est appesanti sur les rapports de causalité et des lois générales qui, de son point de vue, sont essentiels dans les processus de changements sociaux et culturels. Selon lui, plusieurs facteurs déterminent les changements des systèmes culturels. Steward retient particulièrement : - le milieu écologique ; Il suffit de passer en revue les thèses des tenants des paradigmes environnementalistes pour se rendre compte de l’impulsion des dynamiques des écosystèmes sur les processus de changements culturels et sociaux. Le milieu physique, parce qu’il imprime sa marque sur les sociétés, contribue à les différencier. - le développement technologique dont les innovations ont un retentissement sur la culture peut modifier le corps social et les rapports sociaux,
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les idéologies ou les représentations sociales sont aussi considérées comme des facteurs de changement des systèmes sociaux. Mais les évolutionnistes unilinéaires n’en ont cependant pas tenu compte, bien qu’elles orientent, de manière manifeste, l’organisation sociale, les interactions sociales, l’action sociale, les types de rapports que la société développe avec le milieu et les autres.
Le diffusionnisme Le courant diffusionniste a été largement utilisé dans la compréhension et l’explication des processus de changements sociaux et des systèmes culturels. Le diffusionnisme se fonde sur l’égalité des hommes en tant qu’entité biologique, mais sur l’inégalité des cultures, l’humanité présentant des foyers culturels plus avancés que d’autres. Pour les précurseurs du diffusionnisme, les sociétés se développent beaucoup plus par l’emprunt et l’imitation à la suite de contacts culturels entre peuples, plus nombreux et diversifiés que ne le croyaient les évolutionnistes. Pour les diffusionnistes, l’humanité ne se développe pas en cellules fermées, repliées sur elles-mêmes, chacune évoluant d’une façon autonome, au rythme des inventions. Le fonctionnalisme Le courant diffusionniste, vulgarisé par Bronislaw Malinowski (1963), Alfred Reginald Radcliffe-Brown (1972) et Talcot Parsons (1951) semble s’être inspiré de l’organicisme d’Herbert Spencer et Auguste Comte qui, s’appuyant sur la métaphore biologique ou organique (Wincklemann, 2005 ; Hans Belting, 1989), ont assimilé les organisations sociales à des organismes vivants. Le diffusionnisme naît de la démarcation de ses précurseurs, des courants évolutionnistes et diffusionnistes, à forte connotation historique. Malinowski, Radcliffe Brown (1972), 50
Talcot Parsons (1951), entre autres, ont proposé un nouveau modèle d’analyse des sociétés humaines, axé sur les institutions et les rôles qu’elles remplissent pour assurer le plein fonctionnement des organisations sociales. Le corps social dont les institutions – famille, sociétés secrètes, organisations religieuses, politiques et économiques, système éducatif - sont assimilées aux éléments du corps biologique – cœur, cerveau, appareil digestif, foie, appareil génital fonctionne comme ce dernier. La pensée de Malinowski sur la société est relativement novatrice. Pour lui, la société est une machine ou un organisme bien structuré dont les éléments, généralement dépendants, et auxquels sont assignés des fonctions particulières, ne peuvent pas être isolés. Malinowski postule aussi que les fonctions assignées aux institutions sociales doivent répondre aux « besoins primaires ou animaliers » et aux « besoins dérivés ou culturels » (Malinowski, 1968). Au cœur de l’étude des phénomènes sociaux, se situent donc les comportements par lesquels les besoins sont satisfaits ; d’où les trois postulats qui sous-tendent sa théorie : - l’unité fonctionnelle selon laquelle, tout élément d’un système est fonctionnel pour le système social tout entier ; - le fonctionnalisme universel à travers lequel Malinowski pose que chaque élément social et culturel remplit une fonction dans le système ; - le postulat de la nécessité qui voudrait que chaque élément social et culturel soit indispensable au système. En clair, le fonctionnement des instituions sociales et culturelles est garant des processus d’adaptation, ou de satisfaction des besoins « primaires ou animaliers » et des besoins « dérivés ou culturels » (Malinowski, 1970). Le modèle ainsi proposé qui a particulièrement marqué l’archéologie américaine, assimilée par la plupart des 51
spécialistes à l’anthropologie, sert d’outil d’analyse des sociétés du passé. Le modèle d’analyse sociale de Malinowski, qualifié d’hyper-fonctionnalisme, malgré ses insuffisances (Talcot Parsons (1951), Radcliffe Brown (1972), Robert K. Merton (1965) contribue à la compréhension des sociétés actuelles et anciennes. Mais le modèle historique ou évolutif ainsi que le paradigme diffusionniste qu’il semble rejeter, gardent leur importance dans une étude des sociétés humaines dont les processus de changement restent une préoccupation majeure que le fonctionnalisme seul ne permet pas de satisfaire. Approche économique L’approche économique est un autre modèle d’interprétation des données archéologiques proposé par Gordon Childe ; en vue de comprendre et d’expliquer les processus de changements socioculturels. Les approches historicoculturelles, évolutionniste unilinéaire et diffusionniste ont montré leurs limites dans les tentatives d’explication des changements sociaux et culturels ayant connu les sociétés initiales, dites «préhistoriques ». Gordon Childe, l’un des précurseurs distingués de ces modèles explicatifs, s’en est détaché, sans véritablement rompre avec eux, pour élaborer un modèle d’interprétation des données archéologiques axé sur les activités économiques. Gordon Childe postule que les sociétés initiales ou « préhistoriques » du Moyen-Orient ont vécu deux révolutions similaires à la révolution industrielle européenne au XIXème siècle dont le foyer primitif était l’Angleterre. Ces deux révolutions se sont traduites, dans les faits, d’une part, par le passage d’une économie de prédation basée sur la collecte, la chasse et la pêche, à une économie de production, caractérisée par l’agriculture, le pastoralisme et les échanges ; et d’autre part, par le passage d’une vie rurale basée sur une économie d’autosubsistance, à une vie urbaine dominée par des échanges. Selon Gordon Childe, ces deux 52
révolutions ont été déterminantes, en termes de développement technologique, de croissance remarquable de la production agricole et de l’augmentation rapide de la population (Childe, 1928, 1930, 1964, 1929). Gordon Childe précise que trois régions du Moyen-Orient ont été le théâtre de ces changements socioculturels car bénéficiant de deux atouts naturels majeurs, la disponibilité de l’eau et des terres fertiles : facteurs écologiques reconnus du développement des premières civilisations. Il s’agit du delta, le « croissant fertile », la plaine de l’Indus, respectivement drainés par : - le Nil pour le delta ou la basse Egypte ; - le Tigre et l’Euphrate pour le « Croissant fertile » ou Mésopotamie ; - l’Indus pour la plaine éponyme. La nature clémente de ces régions a été l’un des ressorts de l’importante production de richesses qui à leur tour, ont entraîné la concentration du pouvoir politique et l’apparition des villes. Ces vieilles civilisations, bien qu’ayant eu comme moteur d’émergence des conditions écologiques similaires, ne présentaient de similitudes, ni dans leur structuration, ni dans leur fonctionnement. Un tel résultat ouvrait des perspectives de réflexion pour poser les bases de l’évolutionnisme multilinéaire. Approche conjonctive Taylor (1948) a mis en évidence les limites du travail de collecte et d’analyse des données par les archéologues, d’une part, et d’autre part, l’examen des vestiges à l’intérieur d’un site, et d’un site archéologique à un autre, dont l’objectif est de maîtriser les mouvements des objets ainsi que les divers usages. Le lithique, la céramique, l’os, dans une certaine mesure, qui résistent mieux à l’usure du temps, apparaissent comme des témoins matériels sur lesquels se polarisent les 53
analyses. D’autres vestiges tels que les macros et micros restes végétaux et fauniques, tout aussi importants que les industries lithique, céramique, métallique, ostéologique, font rarement ou presque jamais l’objet d’analyses scientifiques sérieuses. Cette situation est due non pas au fait que les objets en bois, en paille, en peaux, en écorce, en bambou, entre autres, n’ont pas contribué au fonctionnement des sociétés initiales, mais surtout à l’impuissance des archéologues face aux dégâts irréversibles du temps, mais qui s’interrogent toujours sur cette catégorie de vestiges, désespérément recherchés lors des fouilles. La nature les prive donc de précieuses données dont l’exploitation aiderait à aborder la lancinante question des changements socioculturels intervenus dans les sociétés de l’âge de la pierre et de l’âge des métaux. En relevant les insuffisances, Taylor semble attirer l’attention des archéologues sur le caractère lacunaire de la documentation archéologique sur laquelle ils travaillent. Les intempéries et les actions anthropiques et biologiques, facteurs reconnus de la conservation différentielle, s’attaquent à toutes les catégories de vestiges. Les archéologues, malgré la finesse des méthodes et l’efficacité des outils, ne parviennent jamais à tout prélever, contribuant ainsi à aggraver les lacunes de leur documentation. Alors, que peut-on tirer de l’analyse d’une documentation lacunaire, en termes de recherche de la compréhension des changements socioculturels ? Les spéculations dans lesquelles s’engagent souvent les archéologues, trouvent leur origine dans cette documentation lacunaire, assimilable à un bas relief sur lequel les creux représentent les vestiges disparus et non prélevés, et les saillies, les corpus constitués. Taylor propose un nouveau paradigme d’analyse des vestiges et faits archéologiques sur la base duquel des changements socioculturels peuvent être saisis. Il s’agit de l’approche conjonctive (Taylor, 1948), fondamentalement culturelle et 54
sociale qui place le site archéologique au cœur des analyses au bout desquelles l’intelligence de la vie des sociétés du passé et de la dynamique de leurs cultures est assurée. Taylor pense qu’en plus des études chrono culturelles faites sur une documentation lacunaire, des analyses intersites, et de sérieuses études intrasites sont incontournables. Dans ces études, une attention particulière doit être accordée à tous les vestiges et faits archéologiques dans le but de mettre en évidence et de comprendre les interactions les ayant générés. Les analyses doivent s’appesantir sur les aspects quantitatifs, la répartition spatiale des vestiges, leurs caractéristiques morphologiques, leurs usages, et sur les technologies dont ils sont issus. Pour Taylor, cette démarche garantit la production de connaissances pertinentes sur les cultures des sociétés préhistoriques. Le modèle proposé par Taylor est d’une forte connotation anthropologique et historique. Il impose aux archéologues, qui s’appliquent à comprendre les systèmes socioculturels, à faire une ethnographie et une histoire des sociétés étudiées à partir des faits archéologiques. L’approche conjonctive n’est cependant pas fondamentalement éloignée du modèle processuel qui a aussi une forte connotation anthropologique.
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Schéma 1 : Schéma théorique d’analyse des vestiges suivant le modèle conjonctif (Martin ELOUGA, 2017). 2.6 L’archéologie processuelle Les sciences sociales sont tributaires des idées développées par les sciences biologiques dans leur tentative d’explication du développement des organismes vivants. Les biologistes, s’appuyant sur l’immanence du caractère cyclique des espèces biologiques, ont pu élaborer le modèle processuel sur la base de la métaphore biologique que les historiens ont appliquée dans l’étude de l’art (Vassari, 1981 ; Winkelmann, 2005 ; Wolfflin, 1952 ; Gombrich, 1968 ; Focillon, 1939). Les organismes biologiques naissent, s’épanouissent et, au bout du compte, disparaissent. Ils entrent donc dans un processus de transformation ponctué d’étapes à travers lesquelles les changements qui les affectent peuvent être analysés. Les historiens de l’art ne sont pas les seuls spécialistes des sciences sociales à avoir exploité la métaphore biologique ou organique. Les économistes et les archéologues les ont suivis dans cette démarche. Le modèle 56
processuel proposé par les archéologues (Binford, Renfrew, Clarke, Leslie White ; Caldwell Joseph) s’inscrit dans la logique du dynamisme des systèmes culturels. Ces systèmes naissent et intègrent un processus au cours duquel des changements les affectent et les transforment et que les archéologues sont appelés à découvrir et à expliquer. C’est dans la seconde moitié du XXème siècle, précisément après la seconde guerre mondiale, que l’archéologie processuelle ou le processualisme, une des archéologies constituées dans le contexte de la « new archaeology » ou nouvelle archéologie, courant de pensée né dans les milieux intellectuels anglo-saxons et bien connu comme l’antithèse de l’archéologie traditionnelle, a commencé à se développer sous l’impulsion de Lewis Binford, Colin Renfrew, David Clarke, qui ont vulgarisé les idées des pionniers (Leslie White ; Caldwell Joseph, 1959). Il nous a semblé nécessaire de revenir succinctement sur la pensée de Binford, vulgarisateur reconnu du socle théorique d’élaboration du nouveau paradigme, pour saisir la quintessence de la « new archaeology ». Cette pensée est présentée avec éloquence dans deux de ses articles (Binford, 1962 et 1965). A partir de ces textes, on apprend que l’objet de la « New archaeology » est identique à celui de l’anthropologie américaine. On comprend bien le titre d’un de ses textes : « Archaeology as anthropology ». Il s’agit d’expliquer les régularités ou les similitudes, ainsi que les différences ou disparités culturelles ou comportementales. Pour réaliser cet objectif, Binford propose d’analyser les comportements humains comme des systèmes culturels intégrés et fonctionnels. Une telle analyse donne lieu à des généralisations et à des lois permettant d’expliquer les changements intervenus dans ces systèmes culturels. Il relève aussi que les vestiges archéologiques sont particulièrement utiles dans l’étude des changements sociaux à des échelles de temps assez longues. 57
Selon Binford, à la suite de son maître, Leslie White, les comportements humains se caractérisent par de fortes régularités ; de ce fait, il y aurait très peu de différences entre l’analyse et l’explication d’un aspect du changement social et l’examen d’un ensemble de changements similaires. Binford, malgré cette vue large sur les comportements et les changements sociaux, a privilégié les similarités culturelles dans ses analyses, au détriment des différences ; d’où son engagement à expliquer les processus généraux relatifs au développement de l’agriculture, l’évolution des civilisations, la variabilité des modèles d’adaptation des chasseurscueilleurs. Pour Binford, la culture est perçue comme l’ensemble des moyens extra somatiques dont dispose l’espèce humaine pour s’adapter au milieu physique. Par rapport à ce postulat, les changements socioculturels, dans tous leurs aspects, sont alors analysés comme des réponses aux dynamiques à long, moyen ou à court terme de l’environnement naturel, notamment, la dégradation des écosystèmes, les conséquences de la forte pression démographique et la compétition des systèmes culturels partageant le même milieu physique sur les ressources naturelles. Binford s’est particulièrement intéressé à l’évolution ou au changement culturel dont il a pris soin de préciser le contenu, avant de proposer une quelconque explication. Pour lui, l’évolution est un processus actif ou opérationnel à l’interface d’un système vivant ou biologique et son milieu physique. Le changement socioculturel est le résultat des réponses rationnelles des groupes humains aux contraintes résultant des changements écologiques. Tous les changements sociaux et culturels sont, par voie de conséquence, plus dus aux facteurs écologiques qu’à la diffusion de traits culturels spécifiques d’une société à une autre et aux migrations de populations humaines, tel que le pensaient les précurseurs de l’archéologie historico-culturelle et leurs disciples. 58
L’archéologie processuelle, une des tendances de la « new archaeology », rappelons-le, s’est constituée en réaction au modèle historico-culturel, aussi connu comme l’archéologie de l’ethnicité, proposée par Adolf Bastian et Rudolf Wirchow. Cette archéologie, essentiellement descriptive, est polarisée sur l’identification, la classification et la comparaison des vestiges dans l’espace/temps. L’objectif du nouveau paradigme était alors de définir des cultures archéologiques perçues comme moyen d’identification des ethnies productrices. Le classificationnisme des précurseurs du modèle historicoculturel a vite été mis en cause par de jeunes archéologues anglo-saxons, cristallisés autour de Lewis Binford. Les détracteurs de l’archéologie historico-culturelle, considérés par certains comme des iconoclastes (Chipindale, 1987, 1993), proposent une archéologie scientifique et davantage anthropologique ; pensée développée par Binford (1962, 1965), tête de file des détracteurs de l’archéologie historicoculturelle, dans deux de ses publications : - « Archaeology as anthropology » - « Archaeological systematic and the study of culture process» « L’archéologie est l’anthropologie ou rien ». Ce postulat de Willey et Phillips (1958) a été vulgarisé par Lewis Binford dans son article « Archaeology is Anthropology », publié dans American Antiquity en 1962. Pour les précurseurs du processualisme et leurs disciples, l’archéologie, en tant que discipline scientifique, ne devrait plus être polarisée sur la description et la classification d’ensembles culturels à partir desquels les archéologues pourraient redécouvrir les ethnies productrices et utilisatrices ou alors se contenter d’utiliser les modèles théoriques empruntés à d’autres disciplines pour expliquer les phénomènes sociaux. Pour les processualistes, l’archéologie, perçue comme l’anthropologie, devrait se focaliser sur l’étude des processus 59
sociaux, technologiques, religieux, culturels, tout court, vécus par les sociétés du passé (Binford, 1962). L’analyse de ces processus devrait déboucher sur l’élaboration des lois universelles permettant de comprendre et d’expliquer les comportements des sociétés humaines du passé. La fixation des processualistes sur les comportements des groupes humains et des individus justifie leur attachement à l’ethnoarchéologie, approche pertinente et indiquée pour mettre les théories élaborées à l’épreuve des faits (Binford, 1978, 1981, 1983 ; Renfrew, 1985). Entre autres champs d’expérimentation du nouveau paradigme, on peut indiquer, à titre de rappel, les Esquimaux Nunamuit en Alaska, les chasseurs-cueilleurs contemporains, en général. Binford a redynamisé la pensée archéologique, mais le nouveau courant de pensée qu’il a proposé a vite montré ses limites, limites exploitées par ses contemporains pour développer une antithèse du paradigme processuel. 2.7 L’archéologie post- processuelle ou post moderne L’archéologie post-processuelle, approche consacrant le relativisme méthodologique, est née dans les années 1970 et 1980. Elle s’est affichée comme l’antithèse du processualisme, avec comme précurseurs : Ian Hodder, Christopher Tilley, Daniel Miller, Michael Shanks. C’est en 1985 que la nouvelle école fut formalisée et vulgarisée par Ian Hodder qui s’est appuyé sur les idées d’Edmund Leach (1973). L’archéologie post-processuelle, telle que formalisée par Ian Hodder, apparaît comme une redécouverte du concept de culture, notamment du relativisme culturel qui découle du caractère idiosyncratique, donc éminemment spécifique des comportements des individus et des groupes humains (Trigger, 2006 : 444). Le postulat théorique du post-procesualisme est suffisamment clair : la variabilité ou la relativité des comportements, des systèmes de pensée et de croyances des groupes humains. 60
L’idée du relativisme culturel s’est développée concomitamment avec des mouvements intellectuels dont l’influence sur la pensée archéologique a été remarquable. Sans être exhaustif, on évoquerait : le néo-marxisme ayant pour base d’analyse le marxisme et le structuralisme (Godelier, 1986), deux approches complémentaires qui pouvaient être appliquées dans le champ de l’explication des changements des systèmes culturels des sociétés du passé. A contrario, les anthropologues néo-marxistes avaient répudié les approches néo-évolutionniste et structuraliste classique, matérialiste culturelle, ainsi que l’écologie culturelle. Comme l’a précisé Trigger (2006: 445): « these approaches unduly reified stability, treated the causes of cultural changes as being external to social relations and regarded human beings as passive objects that were modeled by external factors ». Pour les néo-marxistes, le conflit est le moteur de la vie sociale globale, des changements socioculturels, en quelque sorte. Les néo-marxistes se distinguent aussi par leur humanisme. Ils placent l’homme au cœur de la dynamique sociale, donc des changements socioculturels. Il en est l’architecte et ne peut, en aucun cas, les subir. Les hommes ne sont pas, par rapport à ce qui précède, des êtres passifs moulés par des forces externes. Le courant post-moderne qui se développe à la même époque, et dont l’influence sur le post-processualisme est sans conteste, met l’emphase sur le caractère subjectif des connaissances produites par les scientifiques. Le postmodernisme s’est inscrit dans une logique relativiste, rejetant, par le fait même, le postulat de l’existence de connaissances objectives ; toute connaissance résultant des choix subjectifs qu’opère un scientifique du point de vue du sujet traité, des outils théoriques et méthodologiques exploités dans le procès de la recherche. Les paradigmes théoriques établis, comme le diffusionnisme, l’évolutionnisme culturel qu’on pourrait 61
assimiler à des idéologies au service d’intérêts des impérialistes du XIXéme siècle (Copans, 1974, 1975 ; Asad, 1973 ; Leclerc, 1972), étaient rejetés du fait de leur caractère hégémonique. L’hégémonie n’a pas de place dans le champ scientifique comme le montre le relativisme des connaissances. On comprend pourquoi les postmodernistes relèvent le caractère spécifique ou original des cultures (Trigger, 2006 : 447). Trigger (2006 : 447) précise que « post modernists agreed that there could never be a single objective version of human affairs ; instead there were multiple versions or thoughts seen from different standpoints, such as those of poor and rich, winners and losers, females and males, different professions and various ethnic groups”. Cette idée de Trigger exprime, avec emphase, la relativité des connaissances, et s’affiche comme une antithèse du modèle positiviste qui prône l’objectivité des savoirs produits sur une base rationnelle. Un autre courant ayant influencé les précurseurs de l’archéologie post-processuelle est la nouvelle anthropologie culturelle développée aux Etats Unis suite au déclin de l’anthropologie boasienne ancrée sur le néo-évolutionnisme (Trigger, 2006). Pour les précurseurs de la nouvelle anthropologie culturelle, les cultures humaines se distinguent par leur unicité ou leur caractère idiosyncratique. Elles devraient, par conséquent, être étudiées comme telles, et non suivant la démarche proposée par les précurseurs de l’archéologie processuelle, axée sur la recherche des régularités entre les cultures ; régularités à partir desquelles des lois permettant d’assurer l’intelligibilité des changements intervenus dans les systèmes socioculturels pourraient être élaborées. L’archéologie post-processuelle a remarquablement puisé dans les courants de pensée ainsi présentés pour préciser son contenu.
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Les travaux ethnoarchéologiques de Hodder (1982 b) en Afrique au sud du Sahara ont servi de base pour réfuter le postulat de l’archéologie processuelle selon lequel les vestiges archéologiques isolés ou organisés en structures reflètent l’organisation sociale des groupes producteurs et/ou utilisateurs (Trigger, 2006 : 452-453). Pour Ian Hodder, la culture matérielle ne saurait être uniquement le reflet de l’organisation sociale des groupes humains. Elle est aussi un facteur déterminant des interactions sociales. A l’interface de deux ou plusieurs groupes sociaux, les effets de la culture matérielle sont remarquables. Elle engendre des négociations et des transactions diverses qui déterminent les types de rapports pouvant se développer entre les sociétés humaines. Ces rapports peuvent être conflictuels, de coopération, de domination et d’exploitation, de parasitisme, entre autres. Il faut donc éviter de porter un regard réductionniste sur la culture matérielle, élément vital des sociétés humaines du passé mais aussi actuelles, en limitant sa valeur à la connaissance des statuts sociaux ou du niveau de différenciation sociale. Lorsque les précurseurs de l’archéologie processuelle s’appuient sur les aménagements des tombes pour mettre en évidence la différenciation sociale, Hodder prend leur contre pied en postulant que les pratiques funéraires ont souvent été influencées par les croyances religieuses, l’hygiène, les rivalités ou les conflits de classes. L’approche processuelle rend toute signification et toute symbolique des sépultures insaisissables. Le glissement des post-processualistes vers l’approche contextuelle, modèle d’une pertinence reconnue pour toute démarche herméneutique, s’inscrit bien dans leur logique éminemment holistique dans la recherche du sens des faits archéologiques. L’approche contextuelle exige que les spécialistes en sciences sociales examinent tous les aspects du problème autour 63
duquel se structure la recherche pour en assurer une meilleure saisie. Si l’on revient sur le cas des sépultures, éléments déterminants de la culture matérielle, la recherche et la saisie de leur signification imposent aux archéologues d’analyser, non seulement les nécropoles ou les cimetières, mais aussi d’autres faits archéologiques, comme les modèles d’occupation de l’espace (Trigger, 2006 : 455-456). Trigger le montre clairement lorsqu’il affirme que : « by drawing attention to properties of material culture that had hithertoo been ignored, Hodder revealed the danger inherent in all interpretations of archaeological evidence analysis in isolation from its broader cultural context. Even animal bones cannot convincingly be used to reconstruct diet until it has been demonstrated that the animals involved had been slaughtered for eating rather than as sacrifices to the gods or for the use of their hides only. By demonstrating that an archaeological culture cannot be interpreted adequately in a piecemeal fashion, Hodder placed heavy new demands on archaeologists to undertake a comprehensive internal study of archaeological finds that in principle resembled Walter Taylor’s conjunctive approach, but in its conceptualization went far beyond it. The contextual approach differed radically from the belief of processual archaeologists that a few selected variables can be studied at a single site to answer a specific archaeological question”. L’approche contextuelle proposée par Ian Hodder est, certes, exigeante, mais elle élargit le champ dans lequel les archéologues sont supposés tirer des informations pour interpréter les faits archéologiques et donner sens aux changements ayant affecté les systèmes culturels au cours du temps. L’archéologie post-processuelle est cependant loin de résoudre tous les problèmes que rencontrent les archéologues engagés en permanence dans une démarche herméneutique. Elle ne saurait être considérée comme une alternative à 64
l’approche processuelle, mais plutôt comme un modèle complémentaire qui vient atténuer ses insuffisances. Le développement de l’archéologie post-processuelle a, à l’évidence, atténué l’insatisfaction des spécialistes face aux différents paradigmes déjà connus et éprouvés, mais ne l’a pas effacée. C’est dans ce contexte d’élaboration d’outils nouveaux permettant la saisie des dynamiques sociales que l’archéologie contemporaine se développe. 2.8 L’archéologie contemporaine ou « contemporary archaeology » La seconde moitié du XXème siècle aura été un moment faste dans la production des concepts, des paradigmes théoriques et méthodologiques en archéologie. Le bouillonnement intellectuel à l’œuvre dès cette époque est resté vivace et fécond. La multiplication des écoles archéologiques et des approches d’interprétation des vestiges en est une pièce à conviction. L’archéologie contemporaine « contemporary archaeology » a été proposée dans cette mouvance, dont le dynamisme du champ épistémologique de la discipline est une conséquence incontestable. Les précurseurs de l’archéologie contemporaine et leurs disciples (Victor Buchli, & Gavin Lucas, 2001 ; Paul GraveBrown, 2000 ; Gould & Schiffer, 1981 ; Burström, 2007 ; Michael Shanks & Christopher Tilley, 1987) ne proposent pas un nouveau paradigme d’interprétation des témoins matériels, mais une théorie de l’archéologie qui élargit le champ d’observation de la discipline, du point de vue chronologique et thématique. L’archéologie, dans son sens étymologique découle, à titre de rappel, de deux mots grecs : archaios, qui veut dire ancien, et logos, c'est-à-dire, « science ou discours scientifique » est une science qui étudie les objets anciens ou les antiquités. Chez les historiens grecs comme Thucydide et Hérodote, nous l’avons déjà dit, l’archéologie était définie comme « l’histoire ancienne ». Lorsque la 65
discipline se constitue au XIXème siècle, les contours du contenu du concept sont mieux reprécisés. Il serait fastidieux de revenir sur toutes les définitions que propose la littérature archéologique existante. On retient en substance, que l’archéologie est une discipline scientifique qui s’attache à reconstituer la vie des sociétés humaines du passé et la dynamique de leur milieu d’implantation à partir de témoins matériels. Les épistémologues l’ont classée dans les sciences sociales, dans le domaine précis des sciences historiques de l’homme (Piaget, 1970). Pendant des décennies, elle a eu pour objet d’étude, les cultures humaines anciennes et leurs milieux d’épanouissement. Les archéologues, bien que travaillant dans le présent, se sont enfermés, peut-être inconsciemment, dans la tour d’ivoire du passé, comme si le passé et le présent étaient, ontologiquement et chronologiquement, deux catégories distinctes, discontinues et opposées, n’ayant aucun rapport, ni génétique, ni de complémentarité. Faire de l’archéologie dans le monde contemporain et en même temps l’archéologie du monde contemporain, est la voie proposée par les promoteurs de la nouvelle école de pensée. Le titre de l’ouvrage de Holtorf & Piccini, 2009, contemporary archaeology. Excavating now rend mieux compte de la pensée des précurseurs de l’archéologie contemporaine. Cette pensée de Cornelius Holtorf: “To some, an archaeology studiying contemporary period may sound like a contradiction in terms; isn’t archaeology dealing with precisely what comes before the contemporary? But there is no reason why archaeologists, studying material remains, should not be studying objects from the recent pasts of the twentieth and twenty-first centuries. To a large extent, our surroundings are literally made of artefacts, sites and monuments from this period. Yet, it can take an archaeologist to realize the potential of rendering a scrap of yesterday into archaeological material” (Holtorf & Piccini, 2009). 66
La contradiction entre le sens étymologique du concept d’archéologie et l’objet d’observation de l’archéologie contemporaine est évidente. Mais les précurseurs de la nouvelle école ne s’attardent pas outre mesure sur la dimension chronologique de l’objet d’observation de l’archéologie. Ils n’ont pas, non plus, pensé à redéfinir le concept pour lever la contradiction et ouvrir le champ à l’archéologie contemporaine. C’est l’objet en tant que réalité matérielle du passé, ancien et récent, ou alors de la période contemporaine, qui intéresse l’archéologue. Pourtant, les sociétés humaines, aussi bien anciennes que contemporaines, sont des machines de production d’artefacts dans lesquelles elles sont noyées. L’objet d’observation de l’archéologie, en général, de l’archéologie contemporaine, en particulier, devrait alors être perçu comme un ensemble dynamique en construction permanente et qui se structure avec le temps, dont les éléments s’inscrivent dans le passé au rythme de leur création et du temps qui passe. Les précurseurs de l’archéologie contemporaine auraient pu s’appuyer sur la conception structuraliste de l’histoire de Levis Strauss, pour justifier l’engagement des archéologues à observer les sociétés contemporaines. Pour Levis Strauss, en effet, « tout est histoire, ce qui s’est passé il y a des millénaires est histoire, ce qui s’est passé il y a des siècles est histoire, ce qui s’est passé il y a quelques heures est histoire et ce qui s’est passé il y a quelques secondes est aussi histoire ». Cette pensée de Levis Strauss indique clairement que le temps, les minutes et les secondes qui s’égrainent, inscrivent toutes les actions humaines dans le passé sans que les groupes ou les individus puissent, chaque fois, s’en rendre immédiatement compte. Par ailleurs, le présent n’est pas coupé du passé dont il est une émanation, et dans la meilleure des hypothèses, un continuum. L’observation des sociétés actuelles s’impose finalement si l’on veut comprendre les articulations, au moins matérielles, entre le passé et le 67
présent. L’ethnoarchéologie, en tant qu’approche d’interprétation des vestiges est une démarche par laquelle les archéologues se déploient aussi bien sur les objets du passé que sur les objets du présent (David & Kramer, 2003). L’archéologie contemporaine, sous discipline ou approche se donne donc comme objet d’observation les cultures des sociétés actuelles. Elle partage alors, par rapport à l’objet ainsi défini, le même champ d’observation que d’autres disciplines des sciences sociales : l’anthropologie, la géographie, la sociologie. Tant qu’elle suit la démarche archéologique classique, elle dispose de sa boîte à outils. Mais l’observation des sociétés actuelles pose effectivement la question des méthodes et des approches, voire des paradigmes théoriques d’interprétation des données, un problème épistémologique réel. Les précurseurs de cette école en sont conscients, au regard du rapport qu’ils établissent entre l’archéologie contemporaine et les autres disciplines. Ces propos de Cornelius Holtorf (2009) sont suffisamment expressifs sur la question, et répondent bien aux préoccupations épistémologiques relevées : « what is more, contemporary archaeologies are - as we have indicated earlier – a field at the interface of several disciplines including archaeology, history, anthropology, and material culture studies”. La pluridisciplinarité apparaît clairement ici comme l’option choisie par les adeptes de l’archéologie contemporaine pour l’étude des sociétés. Pour régler les problèmes épistémiques, l’archéologie contemporaine s’appuie sur un socle scientifique que structurent les concepts, les paradigmes théoriques et méthodologiques de l’archéologie, de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie, entre autres. C’est bien la culture matérielle qui est au cœur des préoccupations de l’archéologie contemporaine. Limiter les collaborations aux sciences sociales, nous semble peu porteur, au regard des problèmes que posent l’étude des objets matériels. La connaissance des 68
supports ou des matériaux à partir desquels ils ont été créés, est une nécessité dans le contexte anthropologique actuel. Les systèmes techniques mis en œuvre et les processus de transformation aboutissant aux objets doivent aussi être connus. On comprend d’emblée que l’implication des sciences de la nature et des sciences physiques est un impératif pour tout spécialiste engagé à assurer l’intelligibilité des cultures matérielles et à en saisir les significations. L’objet d’étude de l’archéologie contemporaine s’étend ; les champs de bataille des guerres récentes, les dépotoirs ou décharges d’ordures, l’histoire des familles, les monuments, les véhicules abandonnés, les camps de toutes sortes, sont autant de sites qu’explore l’archéologie contemporaine. L’archéologie contemporaine aiderait, par ses résultats, à articuler les cultures du passé aux récentes qui, pendant longtemps, notamment avant les premiers développements de l’ethnoarchéologie (David et Kramer, 1993) ne bénéficiaient pas de la sollicitude des archéologues dont les attitudes apparaissent, comme une césure entre le passé et le présent qui y plonge indiscutablement les racines. La synthèse de la pensée archéologique, que nous avons voulue brève, répertorie les modèles ou les approches, plus ou moins satisfaisants, à partir desquels les systèmes culturels des sociétés initiales et subactuelles sont analysés et leur intelligence assurée. L’engagement des précurseurs à structurer leur pensée et en produire des paradigmes pouvant servir d’outils scientifiques à la communauté des archéologues est partagé. Le même engagement apparaît dans la défense des modèles produits qui se sont parfois affichés comme des savoirs impérialistes, paradigmes incontournables dans toute activité herméneutique ou interprétative. Mais l’acharnement à défendre une chapelle idéologique n’étouffe pas la conscience du fait qu’aucune théorie scientifique n’est satisfaisante. Quelle que soit sa pertinence, elle renferme 69
toujours des faiblesses, des insuffisances que seule une remise en question hardie et permanente permet de corriger et de faire avancer la connaissance. Forger et proposer des paradigmes à la communauté scientifique et soumettre les modèles élaborés à la critique, autrement dit, construire et déconstruire, représentent deux attitudes appréciables des archéologues, comme de tout autre scientifique, sans lesquelles le champ épistémologique de la discipline serait entré dans la sclérose. Ces attitudes, implicitement dénonciatrices des savoirs hégémoniques, semblent encourager les ruptures qui débouchent inéluctablement sur l’amélioration ou la répudiation des modèles insatisfaisants, et leur remplacement par d’autres, plus pertinents, le cas échéant. La multiplication d’outils théoriques et intellectuels dans le champ de l’archéologie, résultat des attitudes ainsi relevées, est manifeste (Andrew, 2002 ; Bruneau et Balut, 1997 ; Gardin, 1979 ; Johnson, 2000, Asa Berger, 2014 ; Urban and Schortman, 2012, Skibo, and Andrew, 2002 ; Bruneau et Balut, 1997 ; Gardin , 1979 ; Johnson, 2000 ; Asa Berger, 2014 ; Urban and Schortman, 2012 ; Skibo and Schiffer, 2009 ; Hodder, 1982, 1986 ; Binford, 1989 ; Courbin, 1981 ; Schmidt, 2006 ; David & Kramer, 2003). Nous l’avons déjà souligné, aucun des modèles proposés n’a donné entière satisfaction dans le procès d’explication et d’interprétation des changements socioculturels. Malgré les querelles observées dans la littérature où se bousculent des paradigmes opposés par leur contenu, la complémentarité des approches semble être le moyen le plus porteur en termes de saisie des systèmes culturels des sociétés humaines passées et subactuelles. L’effort de multiplication d’idées nouvelles pouvant déboucher sur de nouveaux outils théoriques et méthodologiques est réel, au regard du rythme de production de nouveaux concepts et approches. L’archéologie des interfaces ou des contacts qui va progressivement se 70
structurer à partir des bases que nous posons dans le présent travail est notre contribution à cet effort de renouvellement de la pensée archéologique.
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CHAPITRE 3 : LES INTERFACES SOCIALES ET HOMME/MILIEU Les interfaces ou les contacts lient deux ou plusieurs entités ou catégories sociales, culturelles, naturelles, homogènes ou hétérogènes, similaires ou différentes. Il suffit simplement de simuler les contacts homme/milieu et les interactions sociales pour avoir une idée de l’univers des interfaces ou contacts produits. L’écologie, en tant que discipline scientifique, s’intéresse aux interactions en œuvre dans un écosystème donné, mais l’archéologie, sans négliger la question du rapport des individus et des sociétés au milieu, ni des relations sociales, ne s’est pas suffisamment appesantie sur la mise en évidence et la compréhension des interfaces. Le moment est alors venu pour qu’une telle lacune soit comblée. Une lecture empirique des interfaces société/milieu physique et des interactions sociales permet d’en constituer le répertoire et de comprendre la nécessité d’en faire une question de recherche. 3.1. Interfaces société/milieu physique Le milieu physique de fixation des sociétés humaines, dans sa diversité, présente des phénomènes aussi bien vitaux que contraignants. Le relief, le climat, le réseau hydrographique, le sol, le sous-sol, la flore et la faune, sont autant d’éléments de la nature avec lesquels des individus et des groupes, cherchant à satisfaire les besoins primaires et dérivés (Malinowski, 1968), sont en interaction permanente. Nous percevons ces contacts comme des binômes dont les termes, la société et l’élément de la nature, sont essentiellement variables, comme on le voit ci-dessous. - société – relief (montagnes, volcans, plaines, vallées, etc.) - société – hydrographie (rivière, fleuve, lac, mer, océan - société – flore (monde végétal) - société – faune (monde animal) 73
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société – climat (précipitation, sécheresse, froid, température) - société-sol (ressources du sol) - société – sous-sol (ressources minières, ressources énergétiques, roches, etc.). Plusieurs éléments caractérisent le milieu physique ; dans le cas du relief, s’individualisent des montagnes, parmi lesquels des volcans, des plateaux, des plaines, des vallées. L’hydrographie n’est guère une réalité homogène. La catégorie indique : des océans, des mers, des fleuves, des lacs et des rivières. Le milieu physique se caractérise aussi par le sol et le soussol, support de la biodiversité dont la flore et la faune sauvages sont les composantes essentielles. C’est au contact avec ces éléments qui structurent les écosystèmes que les sociétés humaines opèrent des choix pour fixer leur habitation, développer des activités de production ou de prédation, soigner des maladies, organiser des cérémonies rituelles ou religieuses, se divertir ou jouer. Un ou plusieurs éléments de la nature peuvent influencer le choix opéré par le groupe ou l’individu pour satisfaire un besoin. Si l’on considère le besoin de se loger, plusieurs facteurs naturels déterminent le choix du site d’implantation de l’habitation et des matériaux nécessaires pour la réalisation de la fondation, des élévations et de la couverture. Mais ces facteurs naturels ne suffisent pas pour orienter les choix opérés par des groupes ou des individus. Les systèmes de représentations sociales, de symboles et des idéologies entrent également en jeu. Sans être déterministe, la position topographique, la disponibilité de l’eau, des matériaux ligneux et non ligneux fournis par la flore, la nature des sols et du sous-sol, semblent conditionner la création d’un village (communication personnelle d’Okala Ignace, et d’Alinga Fidèle, 1984). Pour satisfaire le besoin de logement, le 74
groupe entre en interface avec la flore, l’hydrographie, la topographie, qui ne s’imposent évidemment pas à lui, mais dont la gestion est orientée par les représentations sociales, les croyances, le système symbolique et les idéologies qu’il a développés autour de chacun des éléments de la nature considérés. Dans l’hypothèse que l’aménagement d’un village met le groupe en interface avec tous les éléments de la nature, il se met inévitablement en place un tissu complexe de relations nécessaires à l’accomplissement des tâches qu’imposent les traditions architecturales endogènes. En interface avec la nature, le groupe négocie avec la flore, la topographie et l’hydrographie pour assurer une production architecturale diversifiée, mais il tient aussi compte des ressources du sol et du sous-sol pour se fixer dans un site. Si un aspect de la vie sociale d’un groupe donne lieu à tant de contacts ou d’interfaces avec le milieu physique, on comprend que le champ de déploiement de l’archéologie des interfaces est bien large et mérite une attention particulière. L’archéologie du bâti s’est considérablement développée et fait avancer les connaissances sur les techniques d’acquisition des matériaux et de construction ainsi que sur les approches fonctionnalistes des œuvres architecturales. Mais le tissu relationnel qui se met en place et sur lequel s’appuie tout projet architectural ne bénéficie pas encore véritablement de la sollicitude des spécialistes en archéologie du bâti ou des archéologues tout court. A l’interface société/milieu naturel, plusieurs autres activités se développent. La production agricole, la chasse, la pêche, l’artisanat de production - métallurgie, céramique, vannerie l’artisanat alimentaire, entre autres, qui sont le résultat des négociations et des transactions des groupes avec le milieu physique. En abordant le milieu physique, on pense aux écosystèmes qui hébergent les sociétés humaines et avec lesquels elles sont en interaction permanente. La pêche donne lieu à ces 75
transactions et négociations avec la nature, et pour le cas retenu, le réseau hydrographique dont les composantes sont, une fois de plus, des mers, des océans, des fleuves, des lacs et des rivières. Ces transactions et négociations reposent sur les savoirs dont dispose le groupe sur l’élément du réseau ciblé pour l’exploitation. Elles sont des moyens d’adaptation à cet élément de la nature. Elles se matérialisent par les technologies élaborées par les pêcheurs, l’arsenal des armes et des techniques de pêche, les embarcations utilisées, les sites choisis pour les campements de pêche, l’aménagement de l’habitation des pêcheurs. L’arsenal ainsi répertorié montre que la présence de l’eau – océans, mers, fleuves, rivières, lacs – ne suffit pas pour faire prospérer les activités ichtyologiques. Les couvertures végétales, le sous-sol, sont aussi des réserves de ressources nécessaires à la production de l’armement et des embarcations. On comprend clairement que les pêcheurs, en marge des milieux marins et fluviaux, sont aussi en interfaces avec les éléments continentaux, pour satisfaire les besoins de la société en produits marins, fluviaux ou lacustres.
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Milieu
Homme
Schéma 2 : Figuration des facteurs déterminants et des effets induits de l’interface homme – milieu (Martin ELOUGA, 2017) 3.2. Interfaces sociales Au cœur de la structuration des interfaces société – société se trouvent les savoirs et les savoir-faire inégalement distribués parmi les hommes et les groupes. Ces inégalités devant les savoirs, indicateurs de la complémentarité des individus et des sociétés sont le fondement des coopérations parfois nécessaires entre les acteurs individuels et les acteurs collectifs. Les intérêts individuels ou collectifs structurent aussi les interactions ou les contacts des groupes ou des individus. A l’interface des individus ou des groupes, les savoirs et les intérêts des uns et des autres motivent le type de rapports induits. Les relations peuvent être de domination et d’exploitation, de conflit, de coopération, de parasitisme, de mutualisme, comme l’avaient déjà relevé les botanistesécologues analysant les interactions en œuvre dans un écosystème. L’univers des interfaces et des relations qui en résultent est si complexe qu’il ne peut, ni être cerné avec 77
exactitude, au regard du caractère incertain et surtout imprévisible du comportement des hommes ou des groupes, ni livrer de manière exhaustive les contacts qui se créent entre les représentants du genre humain. Cet univers est donc celui de l’incertitude, et impose que l’on s’en tienne aux interactions que l’intelligence réussit à mettre en évidence. - Individu – individu - Individu – société - Société - société. Les individus sont des membres d’une société pour laquelle ils ont un impérieux devoir de socialisation, d’intégration, d’accomplissement et d’épanouissement. Ces missions ne peuvent être bien remplies que si les membres, de par leur position ou statut social, jouent pleinement le rôle que la société leur assigne, dans le strict respect des systèmes de valeurs, de normes et de symboles. De ce qui précède, on comprend aisément que tout membre d’une société est un acteur du jeu social ayant un ou des rôles bien définis qui le mettent en contact avec d’autres acteurs, soit individuels, soit collectifs. Un répertoire situationnel permet de définir les champs dans lesquels les acteurs individuels et collectifs se meuvent. Pour mieux dresser ce répertoire, nous nous référons à la métaphore biologique ou organique dont la connotation cyclique est évidente. Les êtres humains sont alors considérés comme des catégories biologiques qui, dès leur constitution, entrent dans un cycle dont les segments essentiels sont : la conception, la naissance, le passage de la classe des cadets sociaux à celle des aînés ou initiés, le mariage, l’accomplissement en tant qu’homme ou femme, la vieillesse, la mort. Ces situations sociales particulières ainsi que les besoins sous-jacents imposent divers contacts entre les individus, les individus et les groupes, enfin entre les groupes.
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Le besoin de reproduction sociale induit des contacts entre des hommes et des femmes. De ces contacts, se développent des rapports amoureux qui débouchent, très souvent sur le mariage, l’union reconnue entre un homme et une femme. La rencontre entre un homme et une femme n’implique pas directement l’union ; celle-ci n’est possible que si les deux familles la consacrent par des rituels qui varient d’un univers culturel à un autre. On passe alors d’une interface individu – individu à une interface groupe – groupe, les groupes étant représentés ici par les deux familles. Le contact entre une matrone et une femme à terme et en travail est tout aussi individuel. Mais la naissance du bébé installe la mère au cœur de multiples préoccupations, à la fois individuelles et collectives dont l’intensité augmente lorsqu’il s’agit de la naissance des jumeaux. La santé de la mère et de l’enfant est l’enjeu de toute la mobilisation des individus et des groupes. Inutile de recenser les contacts créés, le risque d’en oublier quelques-uns est grand. Retenons cependant que la vie matrimoniale naît des interfaces individuelles et des groupes qui en sont en même temps le ferment. Si les interfaces en œuvre au sein de la famille laissent des traces que pourraient découvrir et exploiter les archéologues, elles deviennent intéressantes pour le développement de l’archéologie des interfaces dont nous sommes en train de planter les jalons. Les individus ou les groupes vivant dans un milieu ont des besoins divers, aussi bien primaires que dérivés ou culturels (Malinowski, 1968). La satisfaction optimale de ces besoins vitaux impose une diversité d’activités dans lesquelles sont individuellement ou collectivement engagés les membres du groupe. Ces activités, qu’elles soient économiques, culturelles, religieuses, sanitaires, sportives, politiques, diplomatiques, d’aménagement de l’habitat, sont aussi productrices et porteuses d’interfaces. A partir de certaines de ces activités, nous analysons l’écheveau d’interfaces 79
créées et qui participent à la structuration institutionnelle et au fonctionnement du groupe. La première humanité dont les représentants sont Homo habilis et Homo erectus s’est constituée au pléistocène, il y a quelques millions d’années ( Picq, 2005, 2004 ; Lecointre et Guyader, 2001). Pour s’adapter à leur milieu, les sociétés initiales, bien connues comme « sociétés préhistoriques ou de l’âge de la pierre » ont développé plusieurs activités dont les mieux connues à travers les témoins découverts dans les sites archéologiques sont : l’industrie lithique, l’industrie de l’os, la chasse, la pêche, la cueillette, les peintures et les gravures rupestres (Leroi Gourhan et Brezillon, 1972 ; Leakey, 1971, 1978 et 1981 ; Leroi Gourhan, 1964, 1988 ; Price, and Brown, 1985 ; Clottes, 2001 ; Anati, 1989 ; Demoule, 2005 ; Clottes et Lewis-Williams 2010 ; Clark, 1969 et 1974 ; Binford, 1989 ; Johanson, & Edey, 1981 ; Garanger, 1992 ; Mohen et Taborin, 1998 ; Jouary, 2002). Les changements climatiques du début de l’Holocène ont donné lieu à d’autres activités, notamment la production agricole et le pastoralisme, activités auxquelles sont liées la sédentarisation et l’apparition des villages, bien que les archéologues n’aient toujours pas des arguments solides pour indiquer lequel des deux phénomènes a impulsé l’autre. Cette question a donné lieu à de terribles et fascinantes spéculations, pas éloignées des idéologies. Toutes les activités ainsi rappelées avaient comme support le milieu physique, comme c’est le cas de nos jours. Elles résultent donc des interfaces société-milieu, base à partir de laquelle les divers acteurs sociaux s’organisent. C’est dans la perspective de cette organisation que les interfaces ou interactions sociales se dessinent. Quelle que soit l’activité considérée – artisanat de transformation des matières premières, production de la viande par la pêche, la chasse ou l’élevage, l’agriculture, l’architecture et l’aménagement de l’habitat, les jeux, les 80
soins de santé, les pratiques religieuses, les individus et/ou les groupes ne peuvent pas vivre dans l’autarcie et espérer tirer la meilleure partie des ressources de la nature. Les insuffisances ou les limites des savoirs et savoir-faire des membres du groupe imposent des initiatives de coopération et de solidarité génératrices d’interfaces ou d’interactions. Les travaux archéologiques sur les industries lithiques, ostéologiques, céramiques et sidérurgiques, toutes porteuses de technologie, montrent le caractère processuel de la production. La matière première prélevée des gisements entrait dans un processus de transformation structuré par un ensemble de procédés techniques se succédant, parfois de manière irréversible, qui débouchait sur un produit fini ou semi fini. Les acteurs sociaux individuels et collectifs en interaction constante pour assurer la production interviennent dans : - la recherche, le prélèvement, le conditionnement et le transport de la matière première du gisement à l’atelier de transformation ; - la transformation de la matière première en produits finis, - la distribution des produits finis ou semi finis. La production métallurgique, céramique et architecturale dans les sociétés africaines anciennes se distingue par sa dualité. Elle est à la fois matérielle et spirituelle, donc fortement ritualisée. La matière première, ainsi que l’activité elle-même, appartiennent aux ancêtres dont il faut implorer l’intercession bienfaisante pour le succès des opérations. C’est à ce niveau que les initiés, détenteurs des savoirs rituels entrent dans le jeu de la production en tant que maîtres de la liturgie à travers laquelle le contact avec les esprits est établi. Contact nécessaire, car instaurant des échanges entre les vivants et les morts et garant du succès des opérations de production. A l’évidence, de la recherche de la matière première à l’obtention du produit fini, les interfaces en œuvre sont 81
multiples. Elles naissent entre les vivants, ensuite, entre les vivants et les esprits ; l’enjeu des collaborations qui en découlent étant le contrôle et la maîtrise de la chaîne de production. On pourrait multiplier les exemples pour montrer que toute activité humaine s’appuie sur un réseau complexe d’interfaces pour prospérer. Les activités ludiques, médicales, religieuses, sportives, entre autres, n’échappent pas à la règle. Les jeux peuvent être individuels, mais ils sont davantage collectifs. Les guérisseurs sont toujours en interface avec leurs patients en dehors et dans les espaces aménagés pour leur soin quotidien, découverts dans certains sites archéologiques au Cameroun (Photo 1 et 2). Certains sports se distinguent par leur caractère collectif ; l’organisation d’une partie de lutte, de tire à l’arc, pour ne citer que ces deux exemples produisent des interfaces entre les équipes, les dirigeants, les joueurs d’une même équipe et entre les équipes qui s’opposent. Tout se structure alors autour des contacts ainsi créés. Les manifestations religieuses sont aussi vieilles que l’humanité (Leroi Gourhan, 1964). Elles représentent un autre champ de construction de collaborations nécessaires à la quête des contacts avec les forces de la nature, les divinités ou les esprits, parfois incarnés par un arsenal matériel diversifié, reflet de la personnalité de chaque groupe social. Les rites organisés par les groupes aux lieux indiqués, dans le but d’entrer en contact avec les esprits et communiquer avec eux pour conjurer les maux qui minent la société ou pour implorer leur bénédiction pour l’épanouissement du groupe, sont des moments précis au cours desquels les interactions sociales se construisent et prospèrent.
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Aspects iconographiques des traces issues des interfaces homme/milieu (Photos 1 à 19)
Photo 1 : Espace de traitement des malades (Martin Elouga 1994)
Photo 2 : Espace de traitement des malades (Séverin S. Abega) Dans le cycle de la vie, la mort représente un moment aussi marquant que la naissance, au regard de la mobilisation 83
sociale qu’elle provoque (Mebenga, 2008). Le corps inanimé, quels que soient les traitements qu’il subit, doit être, in fine, inhumé, sauf en cas d’incinération et d’épandage des cendres. Ces pratiques funéraires – traitements particuliers du corps, aménagement de la sépulture, témoin incontestable du rapport de l’homme au sol, enterrement conforme à la culture du groupe et au statut du défunt - induisent divers contacts avec le sol, lieu d’aménagement de la tombe, et des interactions sociales d’une complexité établie. Ces interactions prennent corps avec les cérémonies rituelles, les moments de partage de nourriture et de boisson, ainsi que des biens du défunt, dans le strict respect de sa volonté. Les interfaces sociales ne se résument pas aux coopérations ou collaborations bienfaisantes entre des individus ou entre des groupes. Les ambitions hégémoniques et la bellicosité de certains groupes mus par des intérêts égoïstes, peuvent générer des contacts tumultueux se traduisant par des conflits et des violences. Les guerres intra et interethniques résultent de tels contacts. Il en est de même des conflits armés interétatiques. Le sol a souvent enregistré, comme une mémoire fidèle, les traces matérielles de ces affrontements ethniques ou interétatiques. Les fortifications qui ceignent certaines entités sociopolitiques africaines, les tranchées de la première guerre mondiale, sont des preuves tangibles des guerres ayant émaillé les rapports entre les ethnies et les états (Elouga, 2014 ; Bah, 1985 ; Gonzemaï, 2002, 2008 ; Tardits, 1980 ; Mauny, 1961 ; Person, 1968 ; Montigny, 1931 ; Touchard et al, 2012).
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Société A
Société B
Schéma 3 : Fondements culturels et résultantes des interfaces société – société (Martin ELOUGA, 2017).
Schéma 4 : Synthèse des effets qu’induisent les interfaces sociétés/milieu naturel (Martin ELOUGA, 2017) 85
Sur la base des binômes matérialisant le lien entre une société et une entité environnementale, une lecture exhaustive des contacts dérivés et des activités induites n’est pas envisageable. Il en est de même des entités binaires issues de l’interface individu/individu, individu/société et société/société. Une constante se révèle cependant, les interfaces apparaissent comme le ferment de toutes les activités humaines que semblent structurer les besoins élémentaires et dérivés des groupes et des individus en proie aux multiples contraintes environnementales. Ces interfaces ou contacts ne manquent pas d’impact sur le milieu qui sert de support à ces activités, qu’elles soient économiques, culturelles, sociales, religieuses, ludiques, politiques, militaires, entre autres. La formation des sites, résultat du transfert relativement intentionnel, des éléments du système culturel vers le système archéologique, est une conséquence majeure des interfaces homme/milieu et des interactions sociales comme on va le constater dans le chapitre suivant.
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CHAPITRE 4 : L’ARCHEOLOGIE DES INTERFACES Il est impératif et nécessaire de clarifier le concept d’archéologie des interfaces et les notions sur la base desquelles il est forgé afin de lui donner des contours et un contenu précis. Ceci éviterait toute ambiguïté et faciliterait la compréhension du concept. La réflexion ne se limite pas à la définition des contenus, elle se prolonge aussi pour aborder la question de la formation des sites archéologiques, donc des corrélats archéologiques des activités que génèrent les contacts homme milieu et les interactions sociales. 4.1 Qu’est-ce que l’archéologie des interfaces ? La multiplicité des écoles nourrit la réflexion des archéologues qui exploitent les insuffisances des modèles existants, plus ou moins éprouvés, pour élaborer de nouveaux paradigmes théoriques et méthodologiques. L’archéologie des interfaces se met en place dans ce contexte caractérisé par la remise en cause des paradigmes connus. Attitude affichée et encouragée par les iconoclastes, adeptes de la réfutabilité ou de la falsifiabilité tant prônées par Karl Raimund Popper (Lecourt, 2010 ; Popper, 1971). Les concepts majeurs sur la base desquels l’archéologie des interfaces se structure sont : société, milieu physique et interface. Les interfaces ou les contacts, encore une fois, sont perçus ici comme le lieu de rencontre de plusieurs entités ou catégories sociales, culturelles, naturelles, homogènes ou hétérogènes, similaires ou différentes. L’implantation de l’homme dans le milieu physique est productrice d’interfaces. Ces interfaces génèrent diverses activités soutenues par des comportements et des gestes qui se formalisent par des actions de production, d’échange et de consommation. Les témoins archivés par le sol sont des éléments à travers lesquels des comportements résultant de différents types de rapports que produisent les interfaces se sont matérialisés. Les contacts qui se nouent entre les 87
individus et entre les groupes, d’une part, entre les individus ou les groupes et le milieu physique, d’autre part, sont des facteurs déterminants de l’organisation sociale, de l’action sociale et du changement social. Ces contacts, motivés par divers besoins, primaires et culturels, peuvent donner lieu à des négociations et des transactions de toutes sortes. Quel que soit leur champ d’occurrence, les interfaces modèlent la vie sociale globale d’un groupe humain et s’illustrent comme le moteur des transformations qui s’y produisent. Le fait archéologique apparaît alors comme une résultante de la matérialisation des comportements ou savoirfaire qui, par leur caractère structurant, entretiennent les rapports issus des contacts. Dans cette hypothèse, la recherche sur les systèmes culturels des sociétés initiales et subactuelles, telle que conçue par l’archéologie des interfaces, est polarisée sur la reconstitution, à partir des vestiges, du réseau relativement complexe de rapports créés par le contact homme/nature et par les interactions sociales. L’intelligibilité des contextes géographiques, historiques, socioculturels, religieux et économiques d’occurrence des interfaces et des comportements qui en résultent, catégories essentiellement dynamiques, doit aussi être assurée (Schéma 5).
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Schéma 5 : Des vestiges archéologiques à la reconstitution des dynamiques des systèmes socioculturels et des milieux naturels (Martin ELOUGA, 2017). Les recherches archéologiques s’appesantissent sur des vestiges soumis à plusieurs analyses dont les résultats permettent de répondre à bien de questions relatives à la connaissance des sociétés humaines dans leurs interactions et leurs rapports avec le milieu physique. Le peu d’intérêt porté sur les contacts et la très faible sollicitude dont ils bénéficient de la part des archéologues, malgré leur diversité, semblent évidents. Pourtant, ces contacts sont, incontestablement, à l’origine des témoins matériels archivés par le sol. Il est donc temps de porter une attention particulière sur les interfaces telles qu’elles se concrétisent entre les individus et les groupes sociaux, d’une part, et entre ces catégories sociales et les éléments du milieu physique, d’autre part. Les contacts, phénomènes au cœur de l’archéologie des interfaces, ont eu lieu, il faut le préciser, dans des contextes sociaux, environnementaux, économiques, historiques, culturels et religieux précis, probablement différents cependant de ceux consécutifs aux interfaces. Il s’ouvre là un 89
champ fertile que les archéologues sont appelés à défricher. La documentation archéologique, rigoureusement constituée, source d’informations inestimables obtenues par des analyses morphologiques, technologiques et environnementales, pourrait tout aussi être exploitée pour rendre intelligibles les conditions générales dans lesquelles des interactions sociales et des contacts entre les sociétés et les éléments du milieu physique se sont produits. Les contextes créés par les contacts doivent aussi être explorés et surtout documentés. Les industries lithiques, céramiques, de l’os, métalliques, entre autres, ainsi que les structures d’habitat, sont autant d’éléments matériels que livrent les sites archéologiques pour une connaissance des contextes résultant des interfaces homme/milieu et des interactions sociales. Il faut les définir, les caractériser et surtout, les mettre en relation avec les contacts les ayant générés. Rappelons, sans être déterministe, que l’environnement global d’un groupe humain influence l’organisation sociale, l’action sociale et le changement social. Si les contextes sont reconstitués à partir des faits archéologiques – témoins isolés et ensembles structurés- il devient possible d’apporter un éclairage sur les modèles d’organisation, les actions sociales et les dynamiques dont l’impulsion a été donnée par les brassages humains plus ou moins intenses et les contacts homme/milieu. Les modèles d’occupation de l’espace et d’organisation de l’habitat, les activités économiques, les systèmes culturels se distinguant par leurs diverses composantes - croyances religieuses, pratiques funéraires, production architecturale funéraire, domestique et industrielle – émergent alors comme des préoccupations épistémiques essentielles de l’archéologie des interfaces. Une approche scientifique qui exploite le fait archéologique pour saisir les diverses formes de contact entre l’homme et le milieu naturel ainsi que les interactions sociales en vue d’assurer 90
l’intelligibilité des dynamiques des systèmes socioculturels et des écosystèmes. Une analyse des corrélats archéologiques des interfaces homme/milieu et des interactions sociales exprime, avec éloquence, la nécessité d’inscrire les interfaces au cœur des préoccupations scientifiques, d’une part, la pertinence et l’originalité du nouveau paradigme d’étude des systèmes socioculturels dans la double dimension synchronique et diachronique, d’autre part. 4.2 Corrélats archéologiques des interfaces société/milieu physique et des interactions sociales Les contacts sont producteurs d’activités et de comportements qui varient suivant leur nature et les types de relations qu’ils induisent. A partir de quelques cas d’interfaces société/milieu naturel et des interactions sociales, nous procédons à une lecture de la formation des sites archéologiques. Il s’agit d’une analyse du processus qui se développe du système culturel au système archéologique (Schéma 7) et qui consiste à interroger les activités et les actions que génèrent les contacts humains et les relations sociétés/milieux. 4.2.1 Interfaces homme/milieu et formation des sites archéologiques Au contact avec le milieu physique, les sociétés humaines, en proie à des besoins illimités, ont l’obligation de les satisfaire pour s’y adapter, assurer la reproduction sociale et se mettre en sécurité. La recherche de la satisfaction des besoins primaires et dérivés ou culturels s’appuie, encore une fois, sur des activités de toutes sortes englobant : l’aménagement de l’habitat, les jeux et les loisirs, les croyances, les soins de santé, la production de la nourriture, des armes, d’outils, d’objets usuels et de valeur esthétique. Il n’est pas possible d’examiner les corrélats archéologiques de toutes ces
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activités. La réflexion est donc axée sur l’aménagement de l’habitat et la formation des sites archéologiques. L’un des besoins primordiaux que les sociétés cherchent à satisfaire, une fois implantées dans un milieu, est celui de se donner un abri. Les sociétés initiales se contentaient des grottes et des abris sous roche comme espace de logement ou de repos. Au fil de l’histoire, l’esprit d’inventivité et de créativité a doté l’espèce humaine de moyens lui permettant de produire des habitations adaptées. La maîtrise des techniques architecturales et des écosystèmes a donné lieu à l’apparition des campements et des villages, véritables marqueurs des contacts de l’homme avec le milieu physique. Les structures utilisées par les premières sociétés humaines comme abri étaient naturelles. Il s’agit, encore une fois, des grottes et des abris sous roche ; espaces de repos, certes, mais aussi d’expression plastique diversifiée. Les représentants de la première humanité ainsi que leurs descendants ont dessiné, peint, gravé sur des surfaces rocheuses et sculpté des blocs de roche. Ils ont aussi produit une architecture en pierre fabuleuse à des fins funéraires ou religieuses. Les peintures, les gravures, les sculptures et les structures mégalithiques ainsi réalisées ont fait des grottes et des abris sous roche qui en sont des supports des lieux particuliers de recherche archéologique (Anati, 2003 ; Tchandeu, 2016 ; Vidal, 1969). Le campement se singularise par son caractère saisonnier et temporaire. Par contre, le village dont l’occupation permanente se mesure à des échelles de temps assez longues, de l’ordre du centenaire ou du millénaire est nonobstant exposé au retentissement déstructurant des soubresauts de l’histoire. Il a souvent été abandonné, de manière brusque, par des populations en proie aux affres des guerres. Le campement, qu’il soit de chasse, de pêche ou de tout autre activité économique imposant son aménagement, passe assez vite, du système culturel au système archéologique et devient, après l’abandon, objet d’observation des archéologues. 92
Le village, ensemble plus densément structuré, se distingue par la multiplicité des espaces qui le composent (Fig. 2). Sans être exhaustif, retenons : - les maisons d’habitation, ou espace de repos, - les espaces d’activités domestiques, - les aires de dépôt de déchets ou exutoires, - les aires d’inhumation des corps ou cimetières, - les aires de soins de santé, - les aires de jeux, etc. La construction d’une habitation laisse des traces dans le milieu. Le lieu d’implantation reçoit une diversité de matériaux, périssables ou non. Certains de ces matériaux sont prélevés dans le périmètre du village, la terre utilisée pour les élévations notamment. Les puits d’extraction de cette terre, sont des indicateurs d’une activité de production architecturale matérialisant l’interface homme/milieu. Autour de l’habitation, des fosses peuvent être creusées à des fins d’aisance, de déjection d’ordures ménagères ou d’accès à l’eau de la nappe aquifère ou d’incinération des ordures. Les structures horizontales et verticales ainsi mises en place indiquent quelques aspects de la culture matérielle des populations.
Photo 3 : Fosse à Bakassi (Mandeng 2014) Photo 4 : Fosse à Kribi ( Bessaka, 2014) 93
Photo 5: Fosse à Bakassi (Mandeng, 2014) Photo 6 : Dépôt archéologique à Bakassi- Issanguele(Mandeng, 2014)
Photo 7 : Dépotoir dans un atelier de fonte de bronze à Mfoyet (Ndjinga Ndjinga- 2015) Les corps des défunts, parfois de certains animaux domestiques comme le chien et le chat, sont enterrés dans le village. Suivant les univers culturels, les sépultures des humains sont, soit isolées les unes des autres, soit regroupées dans des cimetières. Quel que soit le modèle d’organisation des espaces funéraires en vigueur, les tombes isolées et les cimetières matérialisent l’action de l’homme sur le milieu 94
physique et contribuent à la mise en place de structures que pourraient observer les archéologues a posteriori (Photos 8 et 9).
Photo 8 : Sépulture entourée de Nueboedia laeris (Elig Kono – Monatlé) Martin Elouga 1994
Photo 9 : Céramique déposée sur une sépulture (Martin Elouga 1994)
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La croyance en un être suprême dont la dénomination varie d’un univers culturel à un autre, est un comportement humain partagé. C’est à travers des pratiques liturgiques et rituelles que les sociétés dont la spiritualité s’adosse sur un socle matériel vivent et expriment leur foi en cet être suprême. Le lieu de prière, doté d’un arsenal mobilier relativement riche en objets sacrés utilisés pour la célébration du culte est un exemple de trace matérielle qu’imprime la vie religieuse des groupes humains dans le milieu physique. Les espaces ainsi répertoriés, facteurs essentiels pour le fonctionnement du village, matérialisent des catégories formalisées de comportements. L’abandon brusque du village ainsi structuré, situation exceptionnelle et rare, l’introduit, dans un système archéologique. Le village devient, dans cette hypothèse, un site archéologique dont la reconstitution dépend de la perspicacité des spécialistes. Le village, dans son fonctionnement quotidien, entretient, de manière permanente, le passage de certains éléments, du système culturel au système archéologique. Les déchets de toutes sortes, les cases en ruine, les cimetières, les aires de culte, de jeux et de soins abandonnés, intègrent le système archéologique et s’inscrivent dans le champ d’observation des archéologues. Des cas d’occupation successive et discontinue des sites ont été observés au Cameroun (Elouga, 2001, 2010, Leka, 2013). Mfomakap, Nditam, Yoko, Nkol Owondo, Avoh, entre autres, sont des exemples de villages aménagés dans des sites anciennement habités. Dans ce cas de figure, un système culturel se superpose ou chevauche un système archéologique qu’il enrichit avec le temps et dont il peut tirer des vestiges en bon état de conservation – poterie, molettes, pipes, figurines, etc. pour satisfaire certains de ses besoins. Dans cette hypothèse, c’est le système archéologique qui alimente le système archéologique.
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Fig. 1 : Carte de localisation de Nditam (Leka Marie Juliette, 2014)
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Fig. 2 : Plan de masse de la chefferie Tikar de Nditam (Martin ELOUGA, 2004)
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Fig. 3 : Carte des Sites archéologiques de Kribi (ETOUNA, Joachim, 2014).
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4.2.2 Corrélats archéologiques de la production métallurgique La diversité des besoins qui naissent de l’implantation des groupes sociaux dans un milieu justifie la multiplicité des activités développées par ces groupes pour les satisfaire. La recherche de la satisfaction des besoins primaires et culturels (Malinowski, 1968) par les sociétés humaines a donné lieu à l’organisation d’activités de production, de prédation, ludiques, religieuses, entre autres. Les métallurgies d’élaboration et de transformation sur lesquelles porte la réflexion, entrent dans la catégorie des activités de production, porteuses de technologie. La métallurgie se distingue, tout comme la poterie, par les traces remarquables qu’elle imprime sur la nature. C’est de la lecture des procédés opératoires d’élaboration et de transformation des métaux, observés de la mine au métal, que les impacts des activités métallurgiques sont mis en évidence (Photos 10 à 14). La construction des ateliers et l’aménagement des structures d’élaboration - fourneaux - et de transformation - foyer de forge des métaux - l’extraction des matières premières de la mine, le traitement des minerais, la production du combustible, les activités d’élaboration du métal et de production des objets, laissent des marques parfois indélébiles dans la nature et participent ainsi à la formation des sites archéologiques. L’atelier de métallurgie est un espace bâti et équipé. Les éléments qui le structurent, si l’on considère l’activité d’élaboration du métal, sont les suivants : - le hangar qui sert d’abri aux métallurgistes, les compagnons et les apprentis, - le fourneau, structure centrale dans laquelle le minerai est réduit ou fondu, - l’aire de stockage du minerai - l’aire de stockage du combustible.
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Dans les sites mis au jour au Cameroun, on retrouve des traces de hangars, des restes de fourneaux en ruines, des résidus de minerai et de combustible. La construction de l’atelier de réduction des minerais participe à la formation des sites archéologiques. Tant que l’atelier est fonctionnel, il est considéré comme un espace industriel. L’arrêt de la production et l’abandon de l’atelier ces structures du système culturel pour les intégrer dans le système archéologique. Les structures sorties du système culturel et qui se retrouvent dans le système archéologique, du fait de leur relative résistance à l’usure du temps, n’attendent plus que les observations des spécialistes. Les découvertes d’ateliers de métallurgie à travers le Cameroun (Elouga, 2011, 2015 ; Essomba, 1991 ; Warnier, 1979 ; Bokoum, 2002) sont tributaires de la résistance des éléments qui les structurent aux intempéries. L’élaboration des métaux n’est possible que si le minerai et le combustible sont disponibles. Ces deux activités sont d’un fort impact sur la nature au regard des traces qu’elles y impriment. Cet impact remarquable caractérise des sites dans lesquels des puits d’extraction, d’une plus ou moins grande envergure, ont été découverts dans le Cameroun forestier (Elouga, 1985 ; Elouga, 2001 ; Essomba, 1993). Leur abandon les intègre de facto dans un système archéologique. La production du combustible a un double impact sur l’environnement. Elle participe à la disparition d’espèces végétales (Warnier, 1979), en même temps qu’elle laisse des traces au sol. Les aires de production du charbon de bois sont reconnaissables par l’abondance des déchets laissés sur place par les producteurs. Les résultats des analyses physico chimiques d’échantillons et les informations recueillies auprès des métallurgistes et des témoins de cette activité, montrent que plusieurs types de minerais ont été utilisés par les métallurgistes (Essomba, 1993). L’extraction du minerai de fer est modifie quelque peu 101
le milieu physique. Les données ethnographiques relatives aux pratiques métallurgiques de certains peuples comme les Voute et les Tikar, attestent l’utilisation des « sables scintillants » des lits de cours d’eau comme minerai. Ce mode de prélèvement de la matière première ne laisse aucune trace dans le milieu ; les excavations résultant de l’extraction du sable étant remblayées par la charge des eaux en un laps de temps assez court. Mais dans beaucoup de systèmes techniques métallurgiques, le minerai est d’origine continentale. Il est extrait des gisements identifiés par des personnes averties ayant une connaissance empirique des lieux potentiels d’extraction. Dans ce cas de figure, les métallurgistes attaquent le sol des gisements pour prélever la matière première nécessaire à la production du métal. Les aires d’extraction sont alors reconnaissables par les puits béants qui les jonchent. Dans l’archéologie de la métallurgie au Cameroun, des témoins d’activités extractives de cette nature ont été découverts à Nitoukou, Mebomo et Okok. Les puits d’extraction du minerai représentent un autre type de corrélats de l’activité métallurgique. La phase de l’élaboration du métal est tout aussi déterminante dans la production des traces dans la nature. Un cycle de production induit une sollicitation intensive et régulière du fourneau de réduction, une abondante consommation du minerai et du combustible, l’utilisation d’outils de travail comme des tuyères et des soufflets nécessaires à l’entretien de la combustion, des poteries dans lesquelles sont stockées les eaux de refroidissement des métaux. L’élaboration du métal, que ce soit le fer ou le bronze, est productrice d’abondants déchets. Ces déchets qui s’individualisent en fragments de parois de fourneau, de tuyères, de soufflets en terre et en résidus de charbon de bois, sont collectés et déposés non loin de l’atelier. Le dépôt ainsi constitué, est connu comme le crassier, indicateur incontestable de l’activité d’élaboration des métaux et de distinction des 102
ateliers de production des alliages métalliques et de métaux purs de ceux de fabrication d’objets.
Photo 10 : Ferrier de la métallurgie du fer à Bidzab (Martin Elouga, 2013)
Photo 11 : Fourneau de fonte de bronze à INA (E. Gabin Elouga, 2015)
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Photo 12 : Vue de dessus de fourneaux de bronze à SAN (E. Gabin Elouga, 2015)
Photo 13 : Fourneaux à SAN (E. Gabin ELOUGA, 2015) La transformation des métaux en produits semi-finis et finis, activité moins lourde que l’élaboration des métaux, laisse aussi des traces importantes dans la nature. Les ateliers, lieux de production d’objets utilitaires ou de valeur esthétique et des armes, sont des aménagements particuliers (photo 14) que l’archéologie met au jour et reconnaît à partir des témoins trouvés in situ.
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Photo 14 : Atelier de transformation du fer à Nyem/pays Voute (Martin Elouga 1995) 4.2.3 Corrélats archéologiques de la production céramique La production céramique laisse des traces dans la nature d’où sont prélevées des matières premières et dans les unités d’habitation des potiers, lieu de concentration des tâches de transformation de ces matières brutes. Si les connaissances sur ces traces, considérées ici comme les corrélats archéologiques de la production céramique, ne sont pas acquises aujourd’hui, il reviendra aux archéologues qui les découvriront plus tard de les fournir. L’acuité du travail à abattre est évidente. Nous pensons donc qu’il est utile de repérer et de localiser toutes ces traces, dans l’objectif d’en donner une signification conforme aux informations livrées par les producteurs. Une telle recherche est loin d’être entièrement satisfaisante, certes, mais de par les renseignements qu’elle apporte, il n’y a pas de doute qu’elle pourra alléger les travaux de prospection et les interventions des archéologues qui s’engagent à étudier l’organisation de l’espace, en général, les structures d’habitat, en particulier.
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Traces de la céramique actuelle sur le milieu naturel Nous avons constaté au cours des recherches de terrain que de la mine au vase ou tout autre produit céramique, les processus de production laissent dans la nature des traces dont le repérage et la signification ne seront pas à la portée des archéologues. Ces traces pourraient se situer au cœur de spéculations infructueuses comme c’est le cas avec les fosses découvertes depuis quelques décennies dans les sites (Elouga, 2001), sujet énigmatique sur lequel la communauté scientifique attend toujours un éclairage. Les phases de la chaîne de production au cours desquelles ces empreintes sont laissées dans la nature sont : l’extraction des terres argileuses et la préparation des enduits et des décoctions d’origine végétale. Extraction des terres argileuses et mise en place des structures archéologiques Le gisement de terre argileuse, en tant qu’unité d’exploitation de la matière première de base utilisée par les potières, est bien organisé dans l’espace. L’élément central de cet espace industriel est le puits d’extraction des terres. Les unités secondaires qui en dépendent sont les suivantes : - le foyer de feu de bois dont la fumée éloigne les insectes au cours de l’extraction ; - l’entrepôt, surface défrichée et bien nettoyée (1-1,5m2) sur laquelle les terres extraites du puits sont temporairement stockées avant le conditionnement et le transport ; - un dépotoir de la terre non argileuse, décapée à la surface. Parmi ces éléments, ceux que nous trouvons sur le gisement mis en exploitation sont : le puits, l’entrepôt et le dépotoir. C’est occasionnellement que le feu de bois ou d’amendes de noix de palme vient les compléter. Ce feu est saisonnier et surtout utile en temps de pluies, période de prolifération 106
d’insectes parasites tels que les simulies. Toutefois, même si le feu est allumé en saison pluvieuse, il ne faudrait pas perdre de vue que le foyer sur lequel il a été fait est une donnée permanente dont les traces -cendres et charbons de bois ou amendes brûlées - sont visibles à tout moment. Par rapport à ce qui précède, l’organisation de la mine d’extraction des terres argileuses, peut être schématisée suivant deux scénarios distincts et subordonnés aux saisons de l’année. Sur la base des témoignages des potières et des observations de terrain, nous avons pu établir les relations entre les différentes unités du schéma. En temps de pluie, la fumée provenant du feu de bois, allumé à quelques 2 ou 3 mètres du puits d’extraction de la terre argileuse, éloigne les insectes parasites, permettant ainsi aux mineures de travailler paisiblement. Le sol non argileux décapé en surface est déposé non loin du puits, formant ainsi une espèce de tertre. Les terres extraites du puits sont stockées à l’entrepôt avant d’être conditionnées et transportées du gisement à l’atelier de transformation. En saison sèche, la configuration du gisement d’argile mis en exploitation se réduit à trois éléments essentiels : le puits, l’entrepôt et le dépotoir de la terre non argileuse. Le feu est superflu en cette période de sécheresse avec la disparition des parasites. Son inexistence n’a donc aucune incidence négative sur le rendement. Au cours d’une année, on observe une succession saisonnière de ces deux scénarios. Si l’on néglige l’élément temporaire qu’est le feu pour prendre en considération le foyer qui en résulte, on se rend compte que tout gisement d’extraction de terre présente quatre entités : le puits, le foyer, le dépotoir et l’entrepôt. Celles-ci peuvent se multiplier, relativement à l’intensité de l’exploitation. Dans la plupart des gisements étudiés – Emana, Avoh et Nkol-Nguele - les cas de multiplication sont courants. Le gisement de terre argileuse est finalement un espace comprenant plusieurs puits, de dimensions variables,
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chacun ayant comme éléments structurants, un foyer, un dépotoir et un entrepôt (Photos 11 et 12 ; schéma 6)
1. 2. 3. 4.
Puits d’extraction Foyer de feu de bois Aire de stockage de l’argile Dépotoir des sédiments excavés Schéma 6 : Eléments structurants d’un puits d’extraction de terres argileuses (Elouga Martin 1994)
Parmi ces éléments, ceux que les archéologues auront la possibilité de mettre au jour dans un gisement abandonné sont : le puits d’extraction, le foyer de feu de bois et le dépotoir (Photos 15 et 16). Le repérage de l’entrepôt serait, quant à lui, assez difficile, compte tenu de la rareté des cas d’abandon des terres argileuses extraites au lieu de stockage.
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Photo 15 : Extraction des terres argileuses (Martin Elouga, 1994)
Photo 16 : Puits d’extraction de terres argileuses à Emana/Lékié (Martin Elouga, 1994) Impact de l’activité décorative sur les couvertures végétales L’intervention des potières dont les marques peuvent être retrouvées dans l’environnement naturel ne se limite pas à la seule extraction de la matière première. La préparation des décoctions utilisées lors de la cuisson des produits céramiques les amène aussi à agir sur cette même nature, mais dans ce cas précis, sur le couvert végétal. Les espèces cibles pour la production des enduits, Bridelia ferruginea et 109
surtout, Terminalia altissima, sont systématiquement écorcées par les potières (Elouga, 2001). L’écorçage, fait à l’aide d’outils tels que des galets de roche, des machettes ou des morceaux de bois dur, donne aux arbres concernés par l’opération, un aspect différent de celui de ceux n’ayant pas été touchés. Dans les clairières les forêts environnantes, on se retrouve face à des tiges sans écorces et à d’autres qui en sont bien pourvues. L’observateur averti ne peut rester indifférent face à ces variations de l’aspect des pieds des arbres, indice sûr des interventions humaines sur le couvert végétal. Mais alors, nous devons nous méfier de lier, chaque fois, la présence des pieds écorcés de Terminalia altissima et Bridelia ferruginea à l’activité céramique. Cette réserve concerne surtout Bridelia ferruginea dont les écorces sont prisées, à la fois, par les cueilleurs de vin de palme et les potières qui en font différents usages : fermentation du vin de palme pour les premiers, préparation des décoctions pour les dernières. L’utilisation des écorces de Bridelia ferruginea comme produit de fermentation du vin de palme est la plus répandue au sud Cameroun, en général, dans la Lékié, en particulier, aussi bien dans les villages producteurs de céramique que dans ceux où cette activité artisanale ne se pratique plus du tout. La présente mise au point n’écarte pas tous les risques d’erreurs dans la recherche de la détermination de la finalité réelle des écorces de Bridelia ferruginea. Ces réserves sont un appel à la prudence que nous lançons aux archéologues habitués à spéculer face à certains faits observés dans la nature. Traces de la production céramique dans l’unité d’habitation Le dispositif nécessaire au bon déroulement des phases de transformation des terres argileuses est aménagé dans l’unité d’habitation de la potière. Ce dispositif s’organise en général autour de la cuisine, pôle central de la production lorsque 110
l’atelier n’existe pas. Il comprend : l’aire de stockage des terres, l’aire de transformation de ces terres et l’aire réservée à la cuisson des produits céramiques séchés. Aire de stockage des terres argileuses L’aire de stockage de la matière première est aménagée derrière la cuisine. C’est un espace soigneusement nettoyé sur lequel les potières disposent un tronc d’arbre creux ou bien un tamtam usé dans lequel la terre argileuse est stockée. A défaut de ces deux contenants, elles se contentent d’étaler à la place, des feuilles de bananier sur lesquelles la matière première est déposée. La terre ainsi stockée se retrouve dans un contexte stratigraphique discordant, par rapport à celui du gisement. C’est à ce niveau que l’aire de stockage prend de l’importance car, il faudra plus tard, chaque fois qu’on pourra la repérer, justifier la discordance avec les couches humifères superficielles. Ce genre de dépôt est assez courant dans les villages actuels producteurs de céramique puisqu’il arrive souvent que les potières n’aient pas la capacité matérielle ou le temps nécessaire à la transformation de toutes les terres stockées. Les quantités non utilisées sèchent et sont par conséquent irrécupérables car, nécessitant beaucoup plus de travail pour la préparation de la pâte à modeler. Ces dépôts de matières premières sont des traces indubitables de la production céramique. Leur identification s’impose, des informations exploitables lors des recherches archéologiques futures pouvant en être tirées. Il ne faut pas perdre de vue que la terre n’a pas eu comme unique usage, le façonnage des récipients. Elle a fait l’objet de plusieurs autres utilisations : matière première pour la production des tuyères dans la paléo métallurgie du fer, pour l’aménagement des foyers de feu de bois, et plus tard, pendant la période coloniale, les terres argileuses ont été utilisées comme matériau de base pour la fabrication des 111
briques et la préparation des peintures destinées à blanchir les maisons et les clôtures, tel que l’exigeait l’administration de l’époque. Il n’est pas exclu que ces activités aient, elles aussi, laissé les mêmes traces que la céramique, c’est-à-dire, des dépôts de terre brute aux abords des maisons d’habitation. Il n’est donc pas prudent de considérer les terres découvertes dans une unité d’habitation comme des témoins sûrs de l’activité céramique traditionnelle. Ceux-ci ne sont qu’une donnée relativement infime qui doit être complétée par d’autres tels que l’aire de cuisson des produits céramiques et les traces d’un atelier de production. L’atelier de production La poterie imprime d’autres traces sur l’habitat, différentes de celles que nous venons de présenter. Celles-ci peuvent être trouvées dans l’aire de transformation de la matière première ou alors dans l’aire de cuisson des objets. Au sud Cameroun, la transformation des terres argileuses se fait dans la cuisine ou dans la cour de celle-ci. Mais il existe de rares cas où l’aire de production est un atelier aménagé à cet effet (Photo 17). Il s’agit d’un hangar au toit de raphia soutenu par 4 ou 6 poteaux en bois, et de très petites dimensions - 2 à 3m de large ; 3 à 4m de long. C’est dans cet espace sommairement aménagé que la potière stocke le combustible nécessaire à la cuisson - les écorces d’arbres, du bois sec - ainsi que le matériel de travail comprenant le mortier, le pilon, la planche utilisée pour la fabrication des colombins et les supports, de vieux paniers tissés et des assiettes sans fond. L’atelier, cadre de travail idéal, est malheureusement, en voie de disparition aujourd’hui. Sur l’ensemble du Cameroun méridional, nous ne l’avons retrouvé que chez une potière qui a avoué que l’atelier, par les avantages qu’il offre - lumière suffisante, espace, concentration du matériel de travail - était une structure répandue avant la rencontre avec l’Occident, mais qui a 112
beaucoup décliné, en même temps que l’activité dont elle est le principal support. Le déclin des ateliers, tel que l’attestent les témoignages des potières est effectif. Il ne reste plus à la recherche qu’à les repérer dans les sites historiques et/ou de l’Age des métaux. Ceci n’a pas encore été fait dans la région étudiée, sans doute à cause de la grande humidité et de la présence d’espèces biologiques, les termites particulièrement, qui n’épargnent pas les vestiges matériels en bois et en matériaux non ligneux. Le repérage des ateliers existants est d’une utilité certaine, eu égard aux facilités d’interprétation qu’il pourra donner aux archéologues, les épargnant, en même temps, des difficultés de la situation actuelle où, découvrir une structure semblable dans un site de plein air et établir ses usages précis apparaissent comme une gageure.
Photo 17 : Atelier de production céramique à Emana/Lékié (Martin ELOUGA, 1994) L’erreur possible à laquelle s’expose l’archéologue au cours des investigations est celle d’assimiler toutes les traces de hangar repérées dans les sites aux vestiges d’un atelier de céramique. Au regard des résultats des enquêtes de terrain, il apparaît clairement que l’atelier n’a pas été une structure spécifique à l’activité céramique, mais un cadre commun à 113
plusieurs autres activités artisanales : vannerie, forge du fer ; réduction du minerai de fer. Nous savons aussi à travers la tradition orale que certains chefs de famille aménageaient un abri sommaire à l’entrée de la maison principale ou alors en pleine cour. Celui-ci était le lieu de repos idéal pendant la journée, voire un cadre approprié pour recevoir des amis ou des parents, jouer au songho ou partager un repas avec eux. La structure dont l’usage vient d’être indiqué n’a rien de commun avec un atelier de production d’objets. Mais pour l’ensemble des hangars, le mode d’aménagement est identique. Cette identité des formes, peut-être aussi des dimensions, semble être une source d’erreurs dans la détermination de leur fonction. Celle des ateliers de forge et de réduction du minerai de fer ne pose aucun problème car, ils présentent des éléments discriminants tels que des foyers, des blocs de roche ayant fait office d’enclume, des débris de métaux souvent corrodés, pour l’atelier de forge ; des crassiers, sortes d’exutoires où étaient déversés les déchets de la réduction du minerai, des fosses ayant servi de bas fourneaux, pour l’atelier d’élaboration du fer. A l’évidence, aucune confusion des fonctions n’est possible entre les ateliers de céramique et les ateliers de métallurgie du fer. Ces derniers qui présentent des structures en place distinctes, mettent les archéologues à l’abri de toute erreur d’identification. C’est là un avantage que l’atelier de vannerie et le hangar servant d’abri à certains notables n’offrent nullement pas. Le hangar aménagé devant la maison d’habitation ne présente pas de structures spécifiques permettant de le distinguer de l’atelier céramique. Tout ce qu’on y dépose, disparaît avec le temps - lits et fauteuils en bambou ou en bois. Il en est de même de l’atelier de vannerie où les restes de lianes, de bambous ou de bois ne peuvent résister longtemps aux
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intempéries, encore moins, à l’action dévastatrice des termites qui abondent dans la zone forestière et de savane. L’atelier de céramique non plus, n’a aucune structure d’identification propre et durable. Les dépôts de terres argileuses relativement importants, peuvent être des éléments discriminants, mais dans l’état actuel des travaux sur le terrain, nous avons remarqué que l’aire de stockage des terres argileuses se situe parfois hors de l’atelier, lorsque celui-ci existe. L’information suivant laquelle la céramique dans son organisation, a été héritée des ancêtres ne nous donne pas l’espoir de trouver un jour des restes de terres argileuses dans un atelier de production. On se rend finalement compte qu’identifier l’atelier céramique, l’atelier de vannerie, l’abri aménagé devant les maisons d’habitations, et surtout, distinguer l’un de l’autre, est une tâche non seulement difficile mais aussi délicate. Pour parvenir à des résultats satisfaisants, la prudence doit être de rigueur, aussi bien lors de la collecte des données sur le terrain, qu’au cours de leur analyse et leur interprétation. C’est la condition nécessaire à la reconnaissance de l’atelier de production céramique, qui représente la deuxième catégorie de traces laissées dans l’habitat, la troisième que nous abordons immédiatement étant l’aire de cuisson des produits façonnés et séchés. L’aire de cuisson des produits céramiques La cuisson, opération ultime de la chaîne de production d’objets céramiques, se fait en plein air au sud Cameroun. L’aire de cuisson est la même pour chaque cycle de production de vases. L’allumage du feu au même endroit donne au sol du foyer de cuisson une coloration particulière qui le différencie des zones environnantes présentant un aspect naturel. Il enrichit en outre ce sol en cendre. A l’évidence, la cuisson des produits façonnés et séchés laisse dans la cour de la cuisine une couche de matière organique 115
qui peut être découverte en place ou alors perturbée du fait des remaniements de terrain. L’identification des foyers de cuisson actuels, tout comme celle des structures que nous avons abordées dans les paragraphes précédents ne manque pas d’intérêt dans la perspective des recherches archéologiques futures. Les foyers de cuisson sont des vestiges qui peuvent être découverts dans les sites archéologiques déjà reconnus et dont l’interprétation pourrait être envisagée relativement aux connaissances disponibles sur les aires de cuisson actuelles des produits céramiques. Le repérage de ces aires de cuisson dans un site ne semble pas aisé. On peut bien découvrir des foyers dans d’anciens établissements humains. Mais si toute aire de cuisson de produits céramiques correspond à un foyer, l’inverse ne se vérifie pas du tout. Compte tenu des usages diversifiés du feu au sein d’une unité d’habitation, il serait peu pertinent d’assimiler toutes les traces de foyer à d’anciennes aires de cuisson des produits céramiques. Le feu a été et continue à être utilisé comme un moyen de nettoyage des habitations. Les mauvaises herbes coupées sont entassées et brûlées. Cette opération se répète plusieurs fois au cours de l’année, et parfois aux mêmes endroits, laissant ainsi des traces plus ou moins durables. Le feu est aussi utilisé par des vanniers pour brûler les déchets de leur activité. Celui-ci est en général allumé au même endroit et laisse des traces durables telles que la cendre et le charbon. Le feu est finalement un des moyens d’action sur la matière commun aux potiers, aux vanniers ainsi qu’aux métallurgistes. Par rapport à ce qui précède, les foyers découverts dans un site archéologique devraient susciter une réflexion sur toutes les activités dont ils peuvent être l’émanation. La détermination précise de leur usage devant logiquement découler de l’analyse des données collectées et de leurs contextes de prélèvement.
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4.2.4 Corrélats archéologiques des interactions sociales Les interfaces sociales sont inévitables entre des communautés humaines voisines ou lointaines. Il suffit, pour le comprendre, de se référer à la théorie des besoins et de la division du travail qui rendent compte de la complémentarité des individus et des groupes. Les contacts entre les groupes humains sont, inévitablement, producteurs de relations ou de rapports divers. Ces rapports ont parfois été tumultueux, engendrant des conflits armés entre les groupes en interaction. Dans certaines régions du Cameroun, les systèmes mis en place par les populations agressées pour se défendre contre les ennemis ont laissé des traces qu’explorent les archéologues de nos jours (Elouga, 2014, Bah, 1980, Gonzemai, 2013 ; Mohammadou, 1990). Il s’agit des fortifications (Photo 18 et 19), architecture militaire dont la complexité structurale dévoile l’ingéniosité et la créativité des auteurs.
Photo 18 : Tranchée envahie d’herbes à Nditam (Martin Elouga, 2000)
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Photo 19 : Vue transversale d’une tranchée à Nditam (Martin Elouga, 2000). Nous avons abordé la formation des sites dans ce chapitre, question sur laquelle les archéologues ont fait peu de cas sur l’ensemble du Cameroun (Holl, 1980). Pourtant, l’étude de la formation des sites est intéressante car elle prépare l’archéologue à aborder l’analyse des structures avec réserve, mais plus de perspicacité, le mettant ainsi à l’abri des erreurs d’interprétation. Il importe que de tels travaux se diversifient. Par leur caractère prospectif, ils contribueraient à enrichir les connaissances sur les structures archéologiques et à mieux les interpréter. La mise en relation de la production céramique et métallurgique, de l’aménagement de l’habitat et des interactions sociales avec la formation des sites, montre l’intérêt scientifique d’une telle démarche. Dans l’hypothèse de la pertinence et de la valeur heuristique de toute démarche visant à mettre en évidence les processus de formation d’un site, reflet d’une activité humaine plus ou moins ancienne, la prise en compte de cette activité dans toute recherche portant sur des productions autres que celles analysées ici, devient impérative. Les activités humaines porteuses de technologie comme l’artisanat alimentaire, la vannerie, la chasse, la pêche, entre autres, sont particulièrement concernées. 118
(Martin ELOUGA, 2017) Tout compte fait, la formation des sites reste un phénomène par lequel les éléments isolés ou structurés d’un système culturel donné intègrent un système archéologique par l’abandon, le dépôt, la perte ou le rejet (Reitz &Shackley, 2012). Les vestiges archéologiques ayant résisté à l’épreuve du temps et découverts en bon état de conservation réintègrent parfois le système culturel par le biais du pillage des sites ou d’études systématiques donnant lieu à la documentation des objets prélevés et leur présentation dans des institutions muséales ou des galeries privées (Schéma 7). Les apports entre les deux systèmes, apparemment unidirectionnels, se révèlent plutôt mutuels. Les résultats de la réflexion sur les corrélats archéologiques des interfaces homme/milieu et des interactions sociales, donnent lieu à la classification des sites. Par rapport aux 119
activités céramiques et métallurgiques, les ateliers ou les sites de transformation et les gisements d’extraction de la matière première s’individualisent nettement. Au regard des aménagements des villages et des interactions sociales qui en résultent, la typologie des sites indique des habitats en grotte, des habitats de plein air, des habitats sous abri, des ateliers de production, des nécropoles, des fortifications. Les rapports des groupes à leur environnement respectif est aussi producteur d’un type particulier de site archéologique. Il s’agit, notamment, des espaces d’administration des soins aux malades qui se distinguent par la présence d’éléments spécifiques tels que les urnes en terre cuite pour le stockage des décoctions, les meules dormantes et les molettes, utilisées pour broyer des écorces ou écraser des herbes de la pharmacopée locale ; ces sites se singularisent parfois par la présence de haie vive délimitant les espaces de soin. Les aires de chasse rentrent dans la catégorie d’établissements issus des interactions homme/milieu. La présence de structures verticales telles que les fosses-pièges ou trappes, révélatrices d’une technique de chasse en contexte forestier, caractérisent ce type de site archéologique. Les nécropoles ne sont pas en reste ; les fosses découvertes dans des sites comme Mfomakap, Obobogo, Nkang, Avoh, Ngoume, Ngambe Tikar, sont, au regard de leur concentration spatiale, des sépultures, dans la meilleure des hypothèses, bien que du fait de l’acidité des sols, les reste osseux aient disparus. Nous ne saurons être exhaustif, la littérature archéologique sur le sud Cameroun est suffisamment explicite sur la typologie des sites (Elouga, 2011, 2014, 2007 ; Essomba, 1993, 1992 ; Asombang, 1988 ; Dzou, 2010, Leka, 2013 ; Delneuf et al, 1998). Ce que nous venons d’esquisser ne sert que d’orientation à ceux qui s’intéresseraient à la question.
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CHAPITRE 5 : L’ARCHÉOLOGIE DES INTERFACES. PERSPECTIVES PRATIQUES L’archéologie des interfaces en cours d’élaboration propose une nouvelle orientation à la pratique de l’archéologie en tant que discipline scientifique, mais en même temps, un modèle d’explication des changements socioculturels. La réflexion sur les possibles applications de l’archéologie des interfaces est structurée autour de deux axes majeurs d’étude des systèmes culturels : méthodologique et herméneutique. 5.1. L’archéologie des interfaces. Une approche d’étude des systèmes socioculturels L’archéologie des interfaces est, de prime abord, une approche des sociétés humaines axée sur la compréhension des contacts et des rapports qui en ont découlé. Cette archéologie s’attache à mettre en évidence les réseaux desdits contacts tels qu’ils se sont structurés, a en assurer l’intelligence, à apporter un éclairage sur les systèmes socioculturels. On sait que les sociétés humaines du passé dans leur dynamique spatio-temporelle, ainsi que leurs rapports avec la nature, représentent l’objet d’étude de l’archéologie. L’archéologie des interfaces ou des contacts observe aussi les sociétés humaines, d’une manière générale, mais davantage sous l’angle des interactions sociales et des rapports dynamiques des groupes avec les milieux physiques. Les contacts et les interactions induites, éléments fondamentaux de la structuration ou de l’organisation sociale, des actions sociales et des changements socioculturels sont donc au cœur des préoccupations. La documentation rigoureusement constituée, comprenant des vestiges aussi divers que le lithique, la céramique, le métal, le bois, l’os, le verre, entre autres, est exploitée pour comprendre les systèmes culturels des sociétés anciennes et subactuelles, mais aussi actuelles, celles-ci étant devenues l’objet d’observation de l’archéologie depuis le 121
développement de la « contemporary archaeology » (Holtorf et Piccini, 2009). L’archéologie des interfaces, comme toutes les autres approches théoriques de la discipline, s’appuie aussi sur cette documentation pour produire des connaissances scientifiques. Mais elle privilégie les contacts qui semblent être fondateurs de toutes les mutations ou les changements en œuvre dans les groupes sociaux et les systèmes culturels qu’ils génèrent. La lecture des contacts ou des interfaces, essentiellement empirique, s’organise autour de la prospection et de la fouille, quelles que soient les méthodes et les techniques appliquées pour conduire ces deux activités déterminantes de la recherche archéologique (Barker, 1980 ; Demoule, 2005). On comprend bien qu’avant de se servir des vestiges de toute nature comme documents à partir desquels les interfaces sont mises en évidence et décryptées, la prospection et la fouille offrent d’inestimables possibilités de reconstitution des contacts des groupes sociaux entre eux, d’une part, avec la nature, de l’autre. 5.1.1 De la prospection à la fouille archéologique. Mise en évidence des lieux de contacts Dans le procès de recherche archéologique, la prospection des sites s’inscrit en amont des activités développées par les spécialistes. Elle se résume à la mobilisation et la mise en pratique d’outils scientifiques et techniques divers en vue de la mise au jour des sites, lieux ou espaces présentant, en surface ou en stratigraphie, des traces d’une activité et d’une présence humaine anciennes. Le site archéologique s’affiche alors comme le lieu idéal de recherche des contacts ou des interfaces ; un véritable palimpseste de traces, de témoins divers, de structures verticales et horizontales, identifiables à la surface ou repérables uniquement en stratigraphie, pour les éléments enfouis. Les témoins ainsi répertoriés résultent tous des contacts homme/milieu naturel ou bien des interactions 122
sociales. Il faut les chercher et les mettre en évidence à l’intérieur d’un même site archéologique, d’une part, mais aussi, dans une perspective régionale, entre plusieurs sites. Les anciens établissements humains, devenus des sites archéologiques, peuvent avoir entretenu, de par les fonctions qu’ils remplissaient, des rapports hiérarchiques, les uns occupant, dans cette hypothèse, une place centrale et commandant les autres situés à la périphérie. Une analyse rigoureuse des contacts devrait logiquement déboucher sur la mise en évidence d’un réseau relativement complexe d’interfaces dont l’examen rendrait logiquement compte de la vie dans le site et des dynamiques socioculturelles marquantes. La circulation dans le site ou d’un site à un autre, la disposition des structures et des objets isolés, les éléments naturels contribuant à la vie du site – source d’eau, lac, fleuve et rivière, océan, etc., sont autant de questions qui se posent dans l’étude des établissements humains. Les aires d’activités sont des zones d’interactions sociales et de contacts permanents entre l’homme et le milieu naturel. Les aires de repos méritent aussi d’être mises en évidence, en tant que lieu par excellence des contacts sociaux. Les exutoires résultent du contact que l’homme crée avec la nature pour gérer les déchets produits par les activités domestiques. Ces exutoires, structures horizontales ou verticales par excellence, s’individualisent comme des lieux privilégiés de lecture des interfaces. La mort est génératrice d’interfaces sociales mais aussi elle impose à l’homme des contacts avec la nature. C’est dans cette nature que les corps sont inhumés et que sont aménagées des nécropoles. La mobilisation sociale consécutive au décès d’un membre du groupe est bien connue. L’organisation de divers rites et cérémonies exprime avec emphase cette mobilisation. Le cimetière et la nécropole se distinguent comme des lieux d’expression de contacts de toutes sortes, surtout que pour certaines sociétés, ils 123
représentent la dernière demeure de ceux qui ont accompli leur passage sur terre et qui bénéficient d’un encadrement social particulier qu’impose leur statut de défunt. 5.1.2 Analyse des vestiges et intelligence des contacts L’archéologie comportementale ou behavioriste (Skibo et Schiffer, 2009) est apparue comme un paradigme intéressant et pertinent pour la compréhension des rapports des individus et des groupes aux objets. Le modèle behavioriste nous apprend que les objets ne peuvent être bien compris que s’ils sont replacés dans le contexte des processus qui ont présidé à leur instauration dans l’existence, à leur utilisation et à leur altération ou disparition, pour ceux qui n’ont pas bénéficié de mesures particulières de conservation. Le modèle comportemental est implicitement inscrit dans la logique de l’archéologie des interfaces. Les processus dans lesquels s’inscrivent les objets, et qui structurent leurs rapports aux individus ou aux groupes donnent lieu à la mise en évidence de réseaux de contacts homme/milieu physique et des interactions sociales. L’archéologie comportementale n’a pas fait de la recherche et de la compréhension des contacts, le centre d’intérêt de son modèle, bien qu’analysant, avec récurrence, les relations qui instaurent l’objet dans son existence, commandent son utilisation et le cas échéant, conduisent à sa disparition du fait de son altération par divers facteurs ou alors par divers accidents survenus au cours de son utilisation. L’archéologie des interfaces, par contre, place les contacts au cœur des préoccupations. Les contacts, dans leur infinie diversité, doivent être rigoureusement répertoriés et analysés, leur connaissance étant un préalable à l’intelligence des changements des systèmes socioculturels. Les cultures archéologiques que livrent les sites explorés : industries lithiques, céramiques, métalliques, ostéologiques, entre autres, sont des réserves 124
d’informations pour les adeptes de l’archéologie des interfaces. L’urne funéraire, le fourneau de réduction du minerai de fer ou du cuivre, le biface, la lance en bronze ou en fer, les objets d’art mobilier, en os ou en ivoire, sont analysés dans le but de décrypter les contacts dont ils sont issus et qui ont marqué leur vie, une fois sortis des ateliers. Si l’archéologie comportementale explore les rapports entre les sociétés et les objets, l’archéologie des interfaces, quant à elle, s’attache à mettre en évidence les contacts société/objet car, ce sont ces contacts qui structurent les rapports entre les individus et les groupes avec les objets. Les contacts se lisent, par application rigoureuse de la tracéologie, dans la création de l’objet, dans son utilisation, facteur déterminant de son altération, ou dans le meilleur des cas, pour un objet d’une grande valeur symbolique, dans sa conservation et sa pérennisation. 5.2. L’archéologie des interfaces : approche explicative des changements des systèmes socioculturels L’explication des changements intervenus dans les systèmes culturels est apparue comme une obsession pour les précurseurs des écoles s’étant constitues dans le cadre la « new archaeology ». La floraison paradigmes interprétatifs exprime, avec éloquence, la polarisation des archéologues sur cette lancinante question de la compréhension et de l’explication des dynamiques culturelles des sociétés initiales, subactuelles et actuelles. L’archéologie des interfaces ne va pas déroger à la règle car, elle s’individualise aussi comme un outil d’explication des changements socioculturels. Dans l’hypothèse que les contacts homme/milieu et les interactions sociales sont producteurs d’innovations et de changements, ou alors les impulsent, l’archéologie des interfaces va se distinguer comme un outil pertinent d’explication des mutations socioculturelles. Une exploitation sérieuse des corrélats archéologiques des contacts société/milieu et 125
société/société, véritables réserves d’images, de perceptions, de représentations et de symboles, donnerait à l’archéologie des interfaces, des moyens appropriés pour accéder à une meilleure connaissance des contextes dans lesquels l’humanité s’est constituée et s’est adaptée au milieu naturel ainsi que des possibilités étendues d’explication des changements culturels. 5.2.1 Interactions sociales et explication des changements socioculturels Les interactions sociales, productrices et régulatrices des rapports entre les groupes, tissés sur la base d’intérêts divers, modèlent l’organisation et les actions sociales, au même titre que les comportements individuels et des groupes qui en découlent. Ces comportements s’adaptent aux types de rapports qu’induisent les contacts. Ils peuvent être tendus, entraînant forcément des conflits parfois armés. Ils peuvent aussi être amicaux et servir, éventuellement, de socle à toutes sortes de coopérations ou de collaborations. Les rapports que produisent les interactions ou interfaces sociales apparaissent comme le moteur des changements socioculturels. Raison pour laquelle l’archéologie doit les rechercher et les établir pour atteindre une explication satisfaisante des dynamiques socioculturelles. Les relations amicales entre les migrants Mboum de Ganha établis à Kimi Mengwo et les Toumou les ayant accueillis, ont abouti à l’intégration et à l’acculturation de ces migrants, devenus « Tinkàlà ». A contrario, les rapports conflictuels entre les Voute, les Pamom, les Koandja et les Baare Chamba, ont entraîné une modification significative du paysage des chefferies Tikar de Kimi, Ngambé Tikar, Nditam, Kong, Gah, Ina, Mbeng Mbeng, etc. Ces chefferies sont devenues des places fortes avec l’édification de monumentales tranchées et murailles. L’intégration des Tikar dans les groupes les ayant accueillis ou auxquels ils se sont imposés, l’acculturation qui en est 126
résultée, ainsi que la transformation des territoires en véritables champs de bataille des guerres interethniques, ne peuvent être mieux comprises en marge d’une analyse sérieuse des interactions sociales de l’époque. Les faits archéologiques observés sur le terrain, à savoir, la culture matérielle représentée, dans le cas présent, par des industries métallurgiques et des fortifications se singularisant par une structuration spatiale et morphologique particulière, devraient alors cristalliser l’intérêt des spécialistes. Ces industries et cette architecture militaire représentée par les fortifications sont une matérialisation des comportements découlant des contacts. La recherche devrait s’organiser autour de ces structures d’habitat significatives pour expliquer les dynamiques des systèmes socioculturels. Il ne faut pas perdre de vue que les rapports sociaux ne sont pas stables. Ils se distinguent essentiellement par leur dynamisme sous le double angle diachronique et synchronique. Ce dynamisme entraîne forcément celui des comportements des individus et des groupes qui y sont enrôlés et qui doivent, nécessairement, s’adapter à la nouvelle donne sociale produite par une modification des types de rapports sociaux. Les relations entre les Voute et les Tikar, d’abord conflictuelles, se sont transformées pour devenir amicales (Ngoura, 2014). Les vestiges archéologiques devraient être exploités pour rendre compte de ces changements sociaux. Dans l’hypothèse que les industries lithiques, céramiques, métalliques, représentent une mémoire matérielle, source inestimable d’informations intéressantes, leur exploration rigoureuse rendrait bien compte du passé des sociétés. La voie que trace l’archéologie des interfaces est indiscutablement exigeante, mais peut être bien suivie par les archéologues et les spécialistes avec lesquels ils collaborent.
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5.2.2 Interfaces homme/milieu et explication des changements socioculturels Les contacts entre l’homme et la nature sont millénaires. L’effort constant consenti par des groupes et des individus étant de s’adapter aux nouvelles conditions géographiques et assurer la survie du groupe. Des théories explicatives des changements des rapports de l’homme avec son environnement ont été proposées et appliquées avec une relative satisfaction. Le déterminisme géographique ou écologique, le possibilisme (Childe, 1957), approches spéculatives, construites à partir des données des sciences de la nature, que partagent les anthropologues et les archéologues, n’ont pas été mises à l’épreuve du fait archéologique, une exigence de l’archéologie des interfaces. Dans l’hypothèse que les dynamiques des écosystèmes n’entraînent pas forcément des changements socioculturels, il apparaît désormais nécessaire de bâtir toute démarche visant à établir les changements socioculturels résultant des modifications écologiques, autour du vestige archéologique, seul élément fiable dont une analyse sérieuse permettrait de donner du sens aux rapports homme/milieu et aux divers changements s’y étant opérés. 5.2.3 La question des sources d’information L’archéologie des interfaces va se pratiquer sur le terrain : d’où la nécessité d’esquisser les voies qu’elle va emprunter pour trouver les informations nécessaires à l’exploration des interfaces et des interactions sociales, d’une part, à assurer l’intelligence des systèmes socioculturels, d’autre part. La question des sources d’informations se pose clairement ici. Le nouveau paradigme, même s’il oriente les archéologues vers d’autres aspects de leur champ d’observation de reférence, aussi bien matériels qu’immatériels (Mveng, 1974 et 1980 ; Ki Zerbo, 198 ; Obenga, 1980), est avant tout de l’archéologie. La documentation matérielle, essentiellement 128
constituée de vestiges, reste donc prépondérante pour son développement. Les méthodes et les techniques appliquées pour acquérir cette documentation sont bien connues. Mais le fait archéologique ne suffit pas pour bien comprendre les contacts homme/milieu physique et les interactions sociales, encore moins les conditions sociales globales ayant suscité un certain nombre de rapports qui, à leur tour, ont contribué à la structuration de la vie socioculturelle, économique et religieuse des groupes humains. Les représentations sociales telles que définies par la psychologie sociale sont « une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun dont les contenus manifestent l’opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, ce savoir désigne une forme de pensée sociale. Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement social, matériel et idéal » (Moscovici, 1989 ; Jodelet, 1984 ; Baggio, 2008). Elles apparaissent comme des facteurs déterminants et essentiels dans l’établissement des contacts homme/milieu et des interactions sociales. On comprend, d’emblée, leur valeur et l’impérieuse nécessité de les prendre en compte dans la recherche de la saisie des contacts et des interactions sociales, d’une part, des rapports et des comportements qui en découlent, d’autre part. La question du répertoire d’images, des perceptions et des systèmes de représentations sociales et symboliques construits, soit autour d’éléments du milieu physique, soit sur des groupes humains donnés, se pose ici. En l’absence des producteurs de l’ensemble de ces images, perceptions et représentations sociales, les membres des sociétés initiales, précisément, il n’est pas du tout aisé de les reconstituer, quel que soit le caractère expressif des faits archéologiques isolés ou organisés en structures. Malgré la difficulté à reconstituer 129
les systèmes de représentation des sociétés anciennes, il ne faut pas perdre de vue que leur intelligence est un préalable à la recherche de signification, située au cœur de toute activité herméneutique sérieuse. Pour les sociétés subactuelles, le problème de l’accès à l’univers des représentations et des symboles qui orientent les contacts, les rapports et les comportements induits, ne se pose pas avec la même acuité. La mémoire collective des groupes constitue un réservoir de faits vécus à partir duquel des informations fiables peuvent être puisées. Les dépositaires des savoirs et des savoir-faire sédimentés depuis des siècles, et dont la transmission est assurée, des générations les plus vieilles aux plus jeunes, sont connus comme la source à laquelle les archéologues et les spécialistes d’autres disciplines doivent s’abreuver, à condition qu’ils se soumettent aux exigences des conventions sociales des groupes étudiés (Ki Zerbo, 1980 ; Vansina, 1980 ; Hampate Bah, 1980 ; Obenga, 1980 ; Djait, 1980 ; Hrbek, 1980). La recherche ethnographique axée sur l’approche emic, retrouve alors toute son importance et sa valeur dans le cadre de l’archéologie des interfaces. Les détenteurs des savoirs sur les systèmes socioculturels s’imposent alors, dans le contexte du paradigme exposé dans le présent ouvrage, l’archéologie des interfaces, comme des acteurs essentiels et incontournables dans toute investigation axée sur la saisie des changements qui affectent les cultures, au regard de la masse d’informations qu’ils sont supposés livrer à la recherche. L’archéologie des interfaces n’innove pas en faisant des savoirs locaux sur les phénomènes socioculturels une composante de référence dans la quête de la compréhension des dynamiques sociales, culturelles et environnementales, l’approche ethnoarchéologique suit cette démarche bien avant que la réflexion sur l’archéologie des interfaces ne s’amorce. Mais mieux que l’ethnoarchéologie, l’archéologie des interfaces place les savoirs ethniques ou 130
tribaux au centre du cheminement qu’elle propose pour assurer l’intelligence des dynamiques socioculturelles et environnementales. La démarche ethnoarchéologique basée sur l’analogie pour interpréter les faits archéologiques, s’appuie sur des données ethnographiques (David, & Kramer 2001: 1-62). Elle diffère de l’archéologie des interfaces qui a la prétention de retrouver aussi bien les systèmes de représentations des sociétés disparues à partir des vestiges, que ceux des sociétés actuelles dont l’exploitation rigoureuse doit déboucher sur l’intelligence des systèmes socioculturels et de leurs divers milieux naturels de création.
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CONCLUSION L’archéologie a échappé à une situation de sclérose avec les idées novatrices développées, dans le cadre général de la « new archaeology », par les précurseurs du processualisme et du post-processualisme aussi reconnu comme un courant contextualiste et proche du modèle postmoderne, du fait des ruptures qu’elle a créées dans le champ épistémologique de la discipline. Avant la seconde guerre mondiale, la réflexion sur la théorie de l’archéologie était effective, certes, mais il a fallu qu’intervienne la « new archaeology », antithèse de « l’archéologie traditionnelle », pour que la pensée explose au sein de la discipline. La dynamique ayant résulté de cette explosion reste d’actualité. La multiplication de nouvelles approches en est une preuve à conviction. Cette réflexion, nourrie par le débat sur ce qu’est l’archéologie en théorie, répond à l’inquiétude et à l’insatisfaction permanentes des archéologues qui, par l’expérimentation d’approches existantes, éprouvées pour la plupart, ne sentent pas avoir donné à la communauté scientifique et aux publics, des réponses satisfaisantes aux questions essentielles sur les dynamiques des systèmes culturels des sociétés initiales et subactuelles. La réflexion est aussi une réaction à l’élargissement du référentiel d’observation de l’archéologie qui s’enrichit, au fil du temps, du fait des préoccupations nouvelles des spécialistes. Mais le moteur de la dynamique du champ épistémologique de l’archéologie reste la dialectique qui caractérise le débat sur la théorie et la pratique de la discipline. Le chemin parcouru est suffisamment long et peut être évalué, par rapport au temps, à l’échelle du millénaire, la réflexion sur l’archéologie ayant été amorcée dans l’antiquité gréco-romaine, bien longtemps, nous le savons tous, avant la constitution de la discipline au XIXème siècle. A ce rythme, il n’est pas exagéré de penser à une réalité atemporelle, cette 133
réflexion étant devenue permanente et n’ayant échappé à aucune époque de l’histoire de l’archéologie. Elle est donc ouverte aux spécialistes dont les contributions multiformes et patientes enrichissent les approches existantes, les corrigent, ou alors innovent en proposant de nouveaux paradigmes conceptuels, théoriques et méthodologiques. L’archéologie des interfaces s’inscrit dans cette logique. Elle dessine une nouvelle approche théorique et pratique dans la discipline ; une voie qui privilégie l’exploration des contacts avec la nature et les interactions sociales pour comprendre et expliquer les systèmes culturels et les changements les ayant affectés, sur le double plan diachronique et synchronique. L’archéologie des interfaces recentre la recherche dans la discipline en replaçant prioritairement les contacts, dont les vestiges ou les témoins matériels sont une émanation incontestable, au cœur des observations des archéologues et des spécialistes des disciplines connexes. L’intelligence des contacts et des interactions sociales, construite sur une base pluri, inter et transdisciplinaire, à partir des faits archéologiques, assure celle des paléo écosystèmes, des systèmes culturels et de leur dynamique dans l’espace/temps.
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Sociologie et questions de société aux éditions L’Harmattan
Dernières parutions
Un nouveau regard sur la triche et le mensonge
Sous la direction de Sonny Perseil, Yvon Pesqueux, Yéda Christophe Banaon, Khaoula Ben Mansour
Osons un nouveau regard sur la triche et le mensonge. Tentons de ne pas exagérer l’aspect éthique de ces pratiques, sans pour autant sombrer dans le cynisme d’une analyse réduite à l’analogie avec le jeu. Tricherie et mensonge, qu’il convient de distinguer, semblent fréquemment être au fondement même de l’organisation. Au travers d’approches interdisciplinaires, d’objets théoriques et de terrains variés, une vingtaine de chercheurs présentent une version rafraîchissante de ces phénomènes. (Coll. Perspectives organisationnelles, 26.00 euros, 258 p.) ISBN : 978-2-343-11775-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-003513-5 Participation et asymétries dans l’interaction institutionnelle
Sous la direction de Lorenza Mondada et Sara Keel
Ce volume étudie différentes formes d’organisation de la participation dans des interactions institutionnelles. Il se focalise sur les échanges présentant une asymétrie entre professionnels et profanes. S’inscrivant dans le domaine de l’analyse conversationnelle et de l’ethnométhodologie, il offre une présentation détaillée de la manière dont ce courant a abordé les interactions institutionnelles avec leurs caractéristiques spécifiques. En proposant huit études monographiques sur des interactions en contexte médical, politique et commercial, cet ouvrage montre comment la question de la participation se pose de manière cruciale dans les interactions institutionnelles asymétriques. (Coll. Cahiers de la Nouvelle Europe, 33.00 euros, 318 p.) ISBN : 978-2-343-11749-2, ISBN EBOOK : 978-2-14-003478-7 Le Djihadisme international : l’ennemi invisible Mutations idéologiques et stratégies opérationnelles
Benhammou Mohamed - Préface d’Emmanuel Caulier
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le monde vit une mutation des menaces qui pèsent sur la sécurité internationale. Nous sommes face à une forme de terrorisme éclaté et largement décentralisé. Comprendre le phénomène
djihadiste, explorer sa complexité et ses subtilités, constituent une avancée certaine vers l’endiguement de ce fléau. Cet ouvrage se veut une aide à la compréhension du phénomène complexe et invisible qu’est le djihadisme international. (Coll. Diplomatie et stratégie, 26.00 euros, 260 p.) ISBN : 978-2-343-11916-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-003575-3 Passage au crible de la scène mondiale L’actualité internationale 2016
Sous la direction de Josepha Laroche
Cet ouvrage forme un ensemble homogène qui éclaire le lecteur sur les lignes de force parcourant la scène mondiale. Plusieurs contributions mettent tout d’abord l’accent sur les échecs du multilatéralisme à la fois dans le domaine de la santé publique mondiale que dans celui du commerce ou bien en termes de sécurité face au terrorisme. Une deuxième partie montre les faiblesses de la politique climatique mondiale et interroge ainsi la position des États et des ONG. (Coll. Chaos International, 14.00 euros, 124 p.) ISBN : 978-2-343-11852-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-003475-6 Moi électeur de la République 250 propositions d’un citoyen normal
Fusalba Thierry
Recueillir les attentes, les espoirs et les craintes des citoyens afin d’aider les candidats à une élection républicaine. Tel est le souhait de cet ouvrage qui traite aussi bien des sujets politiques traditionnels – économie, défense, emploi – que de thèmes novateurs comme la condition animale, la solidarité entre générations ou la sécurité routière. La généralisation du bio, les conditions de travail, la refonte complète du statut d’élu ou l’application d’une laïcité stricte figurent parmi ses deux cent cinquante propositions. (19.00 euros, 182 p.) ISBN : 978-2-343-11980-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-003591-3 La France avec les yeux du futur
Cheminade Jacques
Jacques Cheminade revient sur les nouveaux grands travaux qui s’offrent à la France. Éducation, santé publique, agriculture, industrie et justice sont vues avec les yeux du futur, européen et mondial. Pour ce candidat à l’élection présidentielle, l’urgence est notamment de créer des emplois qualifiés sans avoir à subir l’austérité sociale du monde de Wall Street, de la City et de Bruxelles. Il présente les pistes pour être aux grands rendez-vous du XXIe siècle : la mer, l’espace, le numérique et le développement de l’Afrique. (24.00 euros, 320 p.) ISBN : 978-2-343-11899-4, ISBN EBOOK : 978-2-14-003439-8 L’esprit démocrate
Torres Jean-Christophe
Les démocraties sont en crise. Et cette crise est d’abord une crise de croissance. Par extension, par mondialisation de ses exigences et de ses principes, ce régime engendre passions et indécisions, chaos et injustices ressenties. Mais, si le corps
du régime manifeste les symptômes d’un mal en apparence incurable, l’esprit démocrate perdure et s’exprime avec une vigueur retrouvée dans la société. L’ouvrage tente ainsi d’appréhender les régimes démocratiques en en saisissant toute la force suggestive au-delà des incohérences et des excès. (Coll. Questions contemporaines, 22.50 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-343-11639-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-003344-5 Institutions et politique française
Kesler Jean-François
Cet ouvrage n’est pas une analyse juridique, mais politique (historique, sociologique) des institutions françaises. Il comporte cependant les notions de droit indispensables à leur compréhension et donne également une vision concrète du fonctionnement réel de ces institutions. Il peut se lire comme un traité ou se consulter comme une encyclopédie et s’adresse aux étudiants en droit, en sciences humaines ou encore aux élèves des IEP. Il s’avère être un instrument indispensable pour les épreuves de culture générale, mais s’adresse également au grand public désireux de mieux comprendre la vie politique française. (Coll. Questions contemporaines, 28.00 euros, 268 p.) ISBN : 978-2-343-11320-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-003364-3 Le déclin de l’empire humanitaire L’humanitaire occidental à l’épreuve de la mondialisation
Larché Jérôme - Préface de Michel Terestchenko
Depuis plus de quatre décennies, les ONG humanitaires occidentales sont présentes, malgré une insécurité croissante, auprès des populations civiles victimes de nombreuses crises. Ces ONG fonctionnent pourtant selon un modèle dominant qui, progressivement, est devenu un véritable empire. Comment réagissent-elles aujourd’hui face à un empire normatif et opérationnel en déclin ? Sauront-elles, à l’aide d’un humanitaire complexe, réinventer leurs stratégies et leurs pratiques ? (Coll. Perspectives et stratégies, 22.00 euros, 216 p.) ISBN : 978-2-343-11583-2, ISBN EBOOK : 978-2-14-003527-2 L’opposition citoyenne au projet Cigéo Cadrage géographique et enjeux géopolitiques locaux et globaux
Sous la direction de Pierre Ginet
La filière nucléaire française est confrontée au devenir des déchets radioactifs qu’elle produit. La parole de citoyen-ne-s spécialistes se construit autour de constats et d’hypothèses adressés à l’État nucléaire, élément d’un système global que nous appelons système Davos. Ce livre construit l’espace de rencontre inédit de deux logiques distinctes : celle de l’universitaire et celle de citoyens. Au-delà de la question du devenir des déchets nucléaires, la question posée par Cigéo est celle de la capacité de nos prétendues démocraties à le devenir réellement, ou à achever leur métamorphose. (22.00 euros, 184 p.) ISBN : 978-2-343-11881-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-003548-7
Les acteurs confessionnels du développement
Sous la direction de Luc Chelly
Des acteurs confessionnels agissent depuis plusieurs années dans le domaine du développement. Quel statut et quel rôle s’attribuent ces ONG confessionnelles dans les politiques de développement et celles-ci sont-elles le seul objet d’intervention des acteurs confessionnels ou peuvent-elles porter d’autres visées ? La dimension religieuse est-elle prioritaire ou mineure dans les activités des ONG ? Cet ouvrage étudie les différences sensibles entre ces organisations dans leurs objectifs respectifs et dans leurs modes d’intervention. (26.00 euros, 246 p.) ISBN : 978-2-343-10951-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-003390-2 Édition, littérature, lecteurs en France De l’imprimerie à Internet
Fraisse Emmanuel
Comment le statut de l’auteur et de ses droits s’affirme-t-il, de l’Âge classique à la Révolution ? Où situer les limites de la propriété intellectuelle ? Quel lien entre le triomphe du roman depuis le XIXe siècle et la lecture des femmes ? Quels sont les enjeux des procès faits à Flaubert et Baudelaire. Qu’est-ce qu’un éditeur ? Comment expliquer le zèle collaborationniste des éditeurs sous Vichy ? Paris reste-t-elle une capitale littéraire mondiale ? Les jours du livre et de la lecture sont-ils comptés ? L’auteur propose une approche interdisciplinaire ouvrant la voie à une culture générale littéraire d’aujourd’hui. (Coll. Logiques sociales, 25.00 euros, 248 p.) ISBN : 978-2-343-11370-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-003067-3 Mondialisation Acte II Le choc de l’intelligence artificielle
Fitoussi Roland
Basée sur une rapidité phénoménale de calcul des ordinateurs, l’intelligence artificielle permet des progrès majeurs dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de l’information, et bien d’autres. Dans les années à venir, les bénéfices de l’intelligence artificielle seront la création d’emplois qualifiés mais, surtout, l’amélioration des modes de vie. Cet ouvrage revient donc sur les atouts scientifiques et techniques de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, qui pourront permettre de rétablir la position économique de l’Europe face à la Chine et aux États-Unis, leaders dans le secteur. (Coll. Questions contemporaines, 19.00 euros, 178 p.) ISBN : 978-2-343-11491-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-003227-1
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ARCHÉOLOGIE DES INTERFACES Une approche de saisie et d’explication des systèmes socioculturels L’archéologie des interfaces est une approche des sociétés que propose l'auteur de cet ouvrage. Replacer les interfaces et les processus induits au cœur des recherches archéologiques apparaît comme le défi que doivent relever les archéologues et les spécialistes des disciplines avec lesquels ils collaborent pour assurer l’intelligence des dynamiques des systèmes culturels sous le double angle diachronique et synchronique. Il s’agit donc de partir des faits observés sur le terrain pour reconstituer les interactions sociales et les rapports homme/ milieu, ainsi que les activités qui en résultent et dont les traces structurent les sites.
Martin Elouga, maître de conférences à l’université de Yaoundé-I, est chef de la division de la recherche, des publications et développement, coordonnateur de l’unité de recherche et de formation doctorale en arts, cultures et civilisations et chef du département des arts et archéologie à la faculté des arts, lettres et sciences humaines où il dispense des cours d’archéologie et d’art depuis 2000. Il mène des recherches archéologiques dans la zone d’écotone forêt-savane, avec une polarisation sur les dynamiques sociales et culturelles chez les Tikar du Cameroun central, dont il étudie l’histoire et l'héritage culturel et artistique.
Photographies de couverture de l’auteur : danseurs de Minkeng mi Mbô’ôn chez les Menguissa ; fourneaux de San à la chefferie Tikar de INA ; restes fauniques de Bakassi ; prospection archéologique à Ina.
ISBN : 978-2-343-10421-8 17,50 €