Usuriers Publics Et Banquiers Du Prince: Le Role Economique Des Financiers Piemontais Dans Les Villes Du Luche De Brabant [1° ed.] 2503529259, 9782503529257


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Francese Pages 467 [486] Year 2013

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Usuriers Publics Et Banquiers Du Prince: Le Role Economique Des Financiers Piemontais Dans Les Villes Du Luche De Brabant [1° ed.]
 2503529259, 9782503529257

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Usuriers publics et banquiers du Prince

SEUH 28 Studies in European Urban History (1100–1800)

Series Editors

Marc Boone Anne-Laure Van Bruaene Ghent University

Usuriers publics et banquiers du Prince Le rôle économique des financiers piémontais dans les villes du duché de Brabant (XIIIe - XIVe siècle)

David Kusman

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F

Illustration de couverture: Légende de la conversion d'un accapareur, © Den Haag, Koninklijke Bibliotheek, ms. KB, 71 A 24, f° 98v°. © 2013, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2012/0095/12 ISBN 978-2-503-52925-7 Printed on acid-free paper

À la mémoire de ma mère

Table des matières Liste des figures et graphiques Abréviations 1. Monnaies : 2. Revues et collections : 3. Dépôts et fonds d’archives et Universités : Remerciements Introduction Première partie. L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif Chapitre i  Prélude : le marché de l’argent en Brabant avant l’implantation des tables de prêt piémontaises (1235-1282) 1. Le marché bruxellois du crédit : anomalies apparentes dans l’avènement d’une place financière parmi d’autres dans le réseau urbain brabançon 2. Émergence d’autres pôles financiers et espaces de libertés économiques : Léau, Bois-le-Duc et Malines 3. Concurrence de places financières étrangères : Le cas révélateur de Cologne 4. Concurrence des groupes de prêteurs professionnels : Juifs, templiers, hospitaliers et ordre teutonique 5. Un bilan du marché de l’argent à la veille de l’arrivée des compagnies de prêt piémontaises Chapitre ii  L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises organisées : les conditions d’une expansion 1. Tournai et le comté de Flandre : portes d’entrée des prêteurs lombards en Brabant 2. Mise en place d’un premier réseau de tables de prêt lombardes rurales en Brabant 3. Première internationalisation des activités des Lombards en Brabant

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Usuriers publics et banquiers du Prince

Deuxième partie. Usuriers au service d’un Prince entrepreneur et réseaux financiers internationaux Chapitre i  Préambule : un coûteux sésame pour l’entrée des manieurs d’argent astésans dans les entreprises financières du Prince 1. Les moyens 2. Les buts Chapitre ii  Usque partes ipsius ducis ducentes saccos lane duci facere possit. La laine et l’argent : l’aventure anglaise (1295-1305) 1. Les entreprises commerciales et financières : collaboration et compétition 2. L’argent de la diplomatie et la diplomatie de l’argent 3. De l’Angleterre vers le Brabant et du Brabant vers la Savoie Troisième partie. L’intégration dans la société brabançonne Chapitre i  Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) 1. Une économie politique du crédit lombard en Brabant basée sur l’asymétrie de l’information 2. Le Brabant septentrional, un laboratoire d’application des techniques du crédit lombard Chapitre ii  Les Lombards à la cour de Brabant : possibilités et limites d’une intégration 1. De l’hôtel à la recette ducale 2. De la recette au conseil Chapitre iii  L’intégration dans les villes brabançonnes : l’exemple de Malines 1. L’intégration à long terme des Piémontais dans l’espace urbain et dans les finances publiques 2. L’intégration dans le milieu des affaires de la ville Chapitre iv  Des premières oppositions à la rupture définitive (1308-1333) 1. Premières oppositions 2. La rupture 3. Le retour de la haute-finance bruxelloise sur le devant de la scène

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Table des matières

Conclusions

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Annexes : cartes et schémas

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Termes techniques et concepts ­fréquemment utilisés

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Sources éditées et bibliographie

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Index

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Liste des figures et graphiques

Fig. 1. Les receveurs de Brabant (1271-1289). Fig. 2. Reproduction d’un petit denier bruxellois (milieu du XIIIe siècle) représentant un pont à l’avers. Fig. 3. L’offre d’argent à Bruxelles au XIIIe siècle.  Fig. 4. L’offre de crédit local en Brabant avant 1282. Fig. 5. La maison des Lombards de la Lormerie à Tournai. Fig. 6. La durée des contrats de prêt lombard à Tournai (1254-1289). Fig. 7. La négociation de l’octroi. Fig. 8. Vieux gros d’argent frappé en Brabant à l’époque de Jean II (1294-1312), avers et revers. Fig. 9. Les systèmes de payement utilisés pour rembourser le duc de Brabant et l’importance respective des intermédiaires y participant par origine géographique.  Fig. 10. Sceau employé en Angleterre par Arnould d’Yssche le 21 décembre 1295 à Westminster pour donner quittance au nom du duc de Brabant à l’Échiquier Royal. Fig. 11. Les calice et patène dits de Dolgellau, appartenant probablement à la vaisselle d’argent d’apparat du roi Édouard Ier. Fig. 12. Tableau de répartition des 21 agents financiers cités entre 1295 et 1297. Fig. 13. Le château du Mont-César dominant la ville de Louvain. Fig. 14. La tour des Betramenga et Scarampi sur l’actuelle Piazza Statuto à Asti. Fig. 15. Sceau de Berardo Roero, employé le 26 octobre 1286. Fig. 16. Localisation des lieux de garnison pour dettes pour les banques de la famille Roero (1291-1307). Fig. 17. Tableau des emprunts du seigneur Jean de Cuyck, souscrits auprès des Lombards de Maastricht, Looz et Saint-Trond entre 1294 et 1307. Fig. 18. Schéma d’organisation des sociétés de prêt astésanes pour leurs opérations de crédit en Brabant septentrional. Fig. 19. Acte d’emprunt de 500 lb. n.t. de Jean V de Heusden et Jean de Megen auprès de Giovanni de Mirabello et son fils Simone, représentés par Ruffino de Valfenera. Fig. 20. Un échantillon des relations d’Enrico de Mercato à la cour de Brabant dans la première décennie du XIVe siècle.

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Usuriers publics et banquiers du Prince

Fig. 21. Sceau du receveur Enrico de Mercato, le représentant en pleine activité, assis sur un banc et compulsant probablement un de ses livres de comptes. Fig. 22. Les receveurs de Brabant actifs durant la période de la haute-finance lombarde (1297-1333). Fig. 23. La fréquence d’apparition d’Enrico de Mercato et de Giovanni de Mirabello dans le conseil ducal et dans le conseil de régence (1303-1329). Fig. 24. Les biens immobiliers des familles della Rocca, d’Arazzo, de Broglio-­Montemagno et leurs associés à Malines acquis entre 1299 et 1339. Fig. 25. Vue anonyme du cimetière Saint-Rombaut de Malines peinte du côté du couvent des franciscains. Fig. 26. Hôtel de ville de Malines datant du XVe siècle (actuel bâtiment de la Poste) comportant une partie de l’ancienne maison des Lombards, Den Beyaert. Fig. 27. Localisation des biens immobiliers de la communauté astésane de Malines (1295-1339). Fig. 28. Localisation des biens immobiliers de la communauté astésane de Bruxelles (ca.1292-1333). Fig. 29. Localisation des biens immobiliers de la communauté astésane de Louvain (ca. 1292-1313). Fig. 30. Le fonctionnement du change communal de Malines dans le premier tiers du XIVe siècle dans le cadre de la gestion des rentes viagères achetées et vendues par des Bruxellois. Fig. 31. Extrait du compte communal malinois de 1311-1312. Fig. 32. Gisants de Vranc de Halen alias Franco de Mirabello, fils de Giovanni de Mirabello et son épouse Marie de Ghistelle, édifiés par le sculpteur bruxellois Jean van Mansdale, dit Keldermans, entre 1390 et 1416. Fig. 33. Sceau en cire de Giovanni de Mirabello figurant un lion couronné. Fig. 34. Le castrum de Quarto, jouxtant les biens et le château des Mirabello, à 6 km. à l’est d’Asti. Graph. 1. Échantillon des monnaies les plus significatives circulant en Brabant (1170-1288). Graph. 2. Répartition des monnaies principales en dettes et en créances du Brabant vis-à-vis de l’étranger. Graph. 3. Secteurs socio-professionnels de clientèle des Lombards de Tournai (1254-1289). Graph. 4. Fréquence des emprunts et des échéances des contrats de prêt lombard dans l’année (1254-1289).

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Liste des figures et graphiques

Graph. 5. Nombre d’opérations annuelles de la table de prêt de Tournai (1263-1289). Graph. 6. Répartition de l’offre de crédit au seigneur Jean V de Heusden. Graph. 7. Identité sociale des cautions du seigneur Jean V de Heusden. Graph. 7bis. Identité sociale des cautions effectives du seigneur Jean V de Heusden. Graph. 8. La croissance du volume des opérations de prêt des sociétés de prêt lombardes en Brabant.

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Abréviations

1. Monnaies : d. : denier g.t. : gros tournois lb. : livre Louv. :  Louvain n.t. : noirs tournois ob. : obole p.t. : petits tournois par. : parisis pay. : payment s. : sous sterl. : sterling tour. : tournois v.g. : vieux gros 2. Revues et collections : A.B.B. : Archives et Bibliothèques de Belgique A.H.S.S. : Annales, Histoire, Sciences Sociales A.S.R.A.B. : Annales de la Société Royale d’Archéologie de Bruxelles B.C.R.A.L.O.B. : Bulletin de la Commission Royale pour la publication des Anciennes Lois et Ordonnances de Belgique B.C.R.H. : Bulletin de la Commission Royale d’Histoire B.G. : Bijdragen tot de Geschiedenis B.I.H.B.R. : Bulletin de l’Institut Historique Belge de Rome C.B. : Cahiers Bruxellois C.M. : Cahiers Marxistes F.G.J. : Forschungen zur Geschichte der Juden H.K.K.O.L.K.M : Handelingen van de Koninklijke Kring voor O ­ udheidkunde, Letteren en Kunst van Mechelen H.M.G.O.G. : Handelingen der Maatschappij voor Geschiedenis en Oudheidkunde te Gent I.H.B.R. : Institut Historique Belge de Rome J.M.G. : Jaarboek voor Middeleeuwse Geschiedenis M.Â. : Le Moyen Âge M.G.H. : Monumenta Germaniae Historica P.S.H.A.L. : Publications de la Société Historique et Archéologique dans le Limbourg xiv

Liste des abréviations, monnaies, poids Abréviations et mesures

P.S.H.I.G.-D.L. : Publications de la Section Historique de l’Institut Grand-Ducal de Luxembourg R.B.P.H. : Revue Belge de Philologie et d’Histoire R.G.P. : Rijks Geschiedkundige Publicatiën R.N. : Revue du Nord S.H.M.E.S. : Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public T.H.F. : Trierer Historische Forschungen V.S.W.G. : Vierteljahrschrift für Sozial-und Wirtschaftsgeschichte W.H.G.U. : Werken uitgegeven door het Historisch Genootschap gevestigd te Utrecht 3. Dépôts et fonds d’archives et Universités : A.C.P.A.S.B. : Archives du Centre Public d’Aide Sociale de Bruxelles A.E.A.R.B.-C. : Archives de l’État à Anderlecht, dépôt de la Région de Bruxelles-Capitale A.E.B. : Archives Ecclésiastiques du Brabant A.E.M. : Archives de l’État à Mons A.E.N. : Archives de l’État à Namur A.E.T. : Archives de l’État à Tournai A.G.R. : Archives Générales du Royaume, Bruxelles A.O.C.M.W.M. : Archief van het Openbaar Centrum voor Maatschappelijk Welzijn Mechelen A.S.A. : Archivio di Stato, Asti A.S.C.A. : Archivio Storico, Commune di Asti A.S.G. : Archives de Sainte-Gudule A.S.T., S.P. : Archivio di Stato, Torino, sezione prima A.S.T., S.R : Archivio di Stato, Torino, sezioni riunite A.S.V. : Archivio Segreto Vaticano A.V.B. : Archives de la Ville de Bruxelles B.P.R. : Bosche Protocollen, Registers (Schepenprotocool) B.R.B. : Bibliothèque Royale de Belgique C.B. : Chartes de Brabant C.C. : Chambres des comptes C.F.B. : Cour féodale de Brabant Coll. : Collectoria D.L. : Duchy of Lancaster E. : Exchequer H.C.C.S : Hôtel des Comtes et Comtesses de Savoie HUA : Haupturkundenarchiv K.U.L. : Katholieke Universiteit Leuven K.U.L.U.A. : Katholieke Universiteit Leuven Universiteitsarchief N.A. : Nationaal Archief, Den Haag P.S.G. : Pauvres de Sainte-Gudule xv

Usuriers publics et banquiers du Prince

R.A.A. : R.A.G. : R.A.G.A. : R.A.K. : R.A.L. : S.A. : S.H. : S.K. : S.L. : S.D. : S.M., S.R. : T.G. : T.N.A. : U.C.L. : U.G. : U.L.B. :

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Rijksarchief Antwerpen Rijksarchief Gent Rijksarchief in Gelderland, Arnhem Rijksarchief Kortrijk Rijksarchief Leuven Stadsarchief Antwerpen Stadsarchief ’s-Hertogenbosch Stadtarchiv Köln Stadsarchief Leuven Stadsarchief Diest Stadsarchief Mechelen, Stadsrekeningen Trésorerie Générale The National Archives, Kew Université Catholique de Louvain Universiteit Gent Université Libre de Bruxelles

Remerciements

Arrivé au terme de cette «  longue route  » qu’a été la réécriture de cette thèse de doctorat, en vue de sa publication, il m’est agréable de remercier les personnes et institutions sans lesquelles ce livre n’aurait pas pris une forme définitive. Tout d’abord, ma promotrice, le Professeur Claire Billen (U.L.B.) a accompagné de ses conseils stimulants, avec une attention qui ne s’est jamais démentie, la relecture du manuscrit, veillant à ce que son caractère scientifique ne dépare jamais sa lisibilité. Ensuite, je me dois de souligner le rôle déterminant dans l’élaboration de cette thèse du Pôle d’Attraction Interuniversitaire V-10 «  Urban Society in the Low Countries, Late Middle Ages-16th century  », dirigé par Marc Boone (U.G.), ce pôle (et ses successeurs les P.A.I. VI/32 et VII), regroupe plusieurs universités belges et néerlandaises depuis 2002. C’est dans ce cadre enthousiasmant que j’ai pu bénéficier de discussions constructives avec, notamment, Marc Boone (U.G.), Chloé Deligne (U.L.B.), Bart Lambert (U. G.) et Bram Vannieuwenhuyze (K.U.L.) ; je leur en suis vivement reconnaissant. Ce livre représente un essai de conciliation des thèses des historiens économistes néo-institutionnalistes et de leurs collègues partisans d’une anthropologie économique ; cette réflexion fut jalonnée de débats passionnants avec Jean-Luc Demeulemeester (Solvay Business School-U.L.B.). En outre, les théories élaborées dans cet ouvrage ont pu être considérablement enrichies lors de plusieurs rencontres scientifiques, spécialement : la journée d’études « Holland/Zeeland en Henegouwen onder de Avesnes (1299-1345). Communicatie, bestuur en cultuur ten tijde van een multiculturele personele unie”, organisée à Gand par Thérèse de Hemptinne (U.G.) (5/9/2008), l’atelier « Market culture in late medieval/early modern Europe  », organisé à l’U.L.B. par Claire Billen et Martha Howell (Columbia University) (7/11/2009), l’atelier  : «  Intermediaries and intermediation in capital markets : a global historical approach », organisé à l’Université d’Utrecht par Christiaan van Bochove (Universiteit Utrecht) et Juliette Levy (University of California, Riverside) (17-19/6/2010) et finalement, le séminaire d’histoire financière d’Oscar Gelderblom et de Joost Joncker à l’Université d’Utrecht (16/12/2010). Enfin, sans le soutien financier et humain des institutions scientifiques suivantes, cette recherche n’aurait guère eu de chances d’aboutir ; qu’elles trouvent ici l’expression de ma profonde gratitude : l’Institut Historique Belge de Rome, la Fondation pour la protection du patrimoine culturel, historique et artisanal (Lausanne), le Centro Studi « Renato Bordone » sui Lombardi, sul credito e sulla banca di Asti et last but not least, les P.A.I. V/10 et VI/32, financés par la Politique Scientifique Fédérale. Ces remerciements ne seraient complets si mes pensées n’allaient maintenant vers Odile, qui a partagé mes doutes comme mes espoirs et a toujours porté un regard optimiste vers l’achèvement de ce périple à travers les étapes européennes de « mes » Lombards : grazie mille !

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Introduction

Le crédit des Lombards, un révélateur des tensions sociales dans la ville médiévale S’ il est un ressort essentiel de l’économie, le crédit délivre toutefois un message sur le plan social : il forge des relations mais est porteur d’opprobre et de stigmatisation, que l’on songe seulement aux fichiers de débiteurs à risque circulant entre institutions bancaires ou groupes d’assurance ou aux affiches fleurissant chez les commerçants de détail signalant qu’ici « on ne fait plus crédit ». Quant à l’autre versant de la relation de crédit, celui du créancier, est-il besoin de rappeler, déjà sous la plume de Balzac, les portraits au vitriol des usuriers et grands banquiers provoquant la faillite d’un naïf boutiquier de la classe moyenne tel que César Birotteau1 ? Le crédit repose sur une relation de confiance trahissant autant la position du débiteur que celle du créancier. Aussi éphémère soit-elle, une relation de crédit entre deux parties est un excellent paramètre pour mesurer la capacité d’individus parfois socialement très différenciés de s’associer les uns avec les autres, de se faire confiance, de négocier la dette qui les lie réciproquement2. Ces préoccupations économiques et sociologiques récentes paraissent bien éloignées du crédit dans la société du bas Moyen Age. Et pourtant, en entamant mes recherches sur la place économique et sociale des financiers lombards en Brabant aux XIIIe et XIV e siècles, financiers essentiellement issus de la ville piémontaise d’Asti, j’ai été confronté à des enjeux similaires, même s’ils différaient énormément des considérations actuelles des sociologues du crédit dans leurs modalités. L’étude du crédit des Piémontais dans les villes médiévales est en effet révélatrice d’enjeux toujours aussi fondamentaux dans nos sociétés dites modernes : l’acceptation ou l’exclusion sociale, la place des étrangers dans la Ville, le rôle économique de minorités culturelles, et finalement, leurs stratégies d’intégration dans la société urbaine : tels sont les phénomènes auxquels l’historien des minorités marchandes étrangères est confronté3. En effet, en choisissant le titre de cette étude, j’ai voulu exprimer une double définition des Lombards, telle qu’elle existait au Moyen Age  : celle d’usurier public et de banquier du Prince. Il s’agissait de rendre compte de la position ambivalente des financiers piémontais dans le duché de Brabant. Ceux-ci y deviendront dans la dernière décennie du XIIIe siècle les bailleurs de fonds principaux du duc de Brabant Jean Ier (1268-1294). Cependant, leur intégration dans les villes brabançonnes s’accompagnera d’une définition politique et sociale, celle du Lombard prêtant à intérêt, d’abord, celle d’usurier public, ensuite. de Balzac 1975, pp. 262-283 et pp. 302-311. Sur une approche sociologique de la place de la confiance dans les rapports économiques, voir Fukuyama 19972, p. 22. Développements plus récents et applications de ce concept à une analyse historique de longue durée dans Muldrew 1998 puis Fontaine 2008.  3 Au sujet de cette thématique : Les immigrants et la ville 1996 et Elites, Minorities 1999. 1 2

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Usuriers publics et banquiers du Prince

Définition politique, car ce terme impliquait généralement, par son caractère officiel, publiquement reconnu, l’existence d’un octroi de prêt délivré par le Prince, contre le payement d’une taxe annuelle. La subordination au Prince impliquait de la part de celui-ci la protection des Lombards et de leur famille. Ces derniers, avant d’être des citoyens d’une ville à part entière, étaient d’abord des serviteurs du Prince, placés sous sa juridiction exclusive. Définition sociale, car le terme était lourd de connotation ; il impliquait l’exercice d’une activité condamnée par le christianisme médiéval, celle consistant à faire un profit illégitime sur l’argent prêté, à recevoir en retour plus que la somme prêtée. Il importe de le souligner d’emblée ; de manière croissante, dans la ville médiévale, l’usure publique est associée au statut d’étranger. Cette définition théologique, introduite par les canonistes du XIIe siècle, aura, nous le verrons, un impact important sur les entreprises des financiers piémontais en Brabant4. Par ailleurs, en incluant le terme de banquier dans le titre de cette étude, j’ai souhaité accorder une place prééminente à la pratique courante de l’activité bancaire par les financiers piémontais. En cela j’entends la tenue de dépôts à terme et à vue, la banque de virement, l’exercice du crédit ainsi que le change de monnaies étrangères. En étudiant le comportement de ces banquiers dans plusieurs villes, de grande et de petite taille, j’ai enfin voulu mettre en évidence l’adaptabilité de ceux-ci à la conjoncture économique et aux changements politiques. L’espace choisi : le cas du Brabant, un territoire de prédilection des financiers piémontais Le choix du duché de Brabant comme terrain d’étude, semblait, a priori, aller de soi. En 1309, d’après les convocations envoyées par des clercs du roi des Romains – et futur empereur – Henri VII à des Lombards résidant en terre d’empire, probablement dans le but de glaner de l’argent frais à la veille de son expédition vers l’Italie, la principauté ducale comptait de loin la plus forte densité de tables de prêt lombardes par rapport aux autres principautés des anciens Pays-Bas. Le duché de Brabant recevait en effet quarante-deux convocations – sur un total de quatre-vingt-huit – pour autant de localités différentes si l’on inclut les seigneuries semi-autonomes ou autonomes de Bergen-op-Zoom, Breda, Aarschot et Diest. Le Hainaut et le Cambrésis ne reçurent que vingt-six convocations, le comté de Namur, cinq, le comté de Looz, sept, la Flandre impériale, sept et enfin, la ville de Maastricht, une seule. À la même époque, le comté de Flandre, principauté la plus urbanisée des anciens Pays-Bas, n’aurait compté que onze tables de prêt5. Par ailleurs, s’intéresser à l’évolution économique de la région du Brabant comme un espace institutionnel cohérent et comme un espace d’échanges avec les régions voisines, c’est saisir l’opportunité d’échapper à la vision, traditionnelle en histoire économique, de la primauté de la région économique Bruges-Anvers comme pôle d’attraction des capitaux et des marchandises pour tous les anciens Pays-Bas. Dans ma perspective de recherche, se Au sujet de l’usure comme marqueur de l’altérité dans la ville médiévale, voir en dernier lieu  : Todeschini 2007, pp. 121-122. 5 Edition dans Dillo et Van Synghel 2000, vol. 2, n°1514a, pp. 1283-1291[29/11-16/12/1309] ; Reichert 2003, atlas, carte D.I.1., Réseau de tables de prêt pour la période 1301-1350. 4

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Introduction

concentrer uniquement sur ces deux places internationales, c’était s’interdire de saisir les dynamiques opérant dans les changements de hiérarchie des réseaux urbains, d’une part et d’autre part, les interdépendances entre places commerciales de différentes principautés6. La période choisie : crédit lombard et croissance économique La période étudiée démarre au début du XIIIe siècle pour s’achever à la fin du premier tiers du XIVe siècle. Pourtant, la première table de prêt significative attestée en Brabant ne remonte qu’à l’année 1282. Pourquoi, dès lors, commencer cette étude à la première décennie du XIIIe siècle ? Deux raisons ont présidé à ce choix. En premier lieu, il me semblait pertinent, afin de pouvoir expliquer l’opposition croissante des élites urbaines envers les financiers piémontais en Brabant, d’éclairer son contexte historique. Par analogie avec l’étude des relations de la minorité juive avec la communauté chrétienne au Moyen Age, la dialectique des rapports d’une minorité étrangère avec le pouvoir de la communauté majoritaire qui l’entoure ne se comprend qu’en appréhendant les structures de ce pouvoir majoritaire, son histoire et ses manifestations politiques7. En second lieu, je voulais rompre avec l’idée d’un retard technologique conséquent des financiers locaux par rapport aux marchands-banquiers italiens. Les Piémontais n’arrivèrent pas au milieu d’une société urbaine étrangère à l’idée de la banque. Des concurrents préexistaient, brabançons ou étrangers d’ailleurs8. On le verra, une activité bancaire – encore embryonnaire il est vrai – se développe dans le premier tiers du XIIIe siècle, période caractérisée par la croissance des échanges commerciaux entre le duché de Brabant et les principautés voisines. Avantage de cette méthode régressive, elle permettait de comprendre le choix ultérieur d’implantation des sociétés de prêt astésanes dans des localités géographiquement périphériques comme Bois-le-Duc, mais connaissant des avancées techniques dans le domaine du crédit depuis le milieu du XIIIe siècle, bien avant l’arrivée des premiers manieurs d’argent italiens en Brabant. Atout potentiel des deux siècles embrassés par cette recherche, celle-ci pouvait jeter un éclairage sur un domaine jusqu’à présent méconnu pour le duché de Brabant, par rapport au comté de Flandre : la banque9. Dans ce contexte, il vaut déjà la peine de le relever, la période de montée en puissance du crédit lombard coïncidait avec la croissance économique nord-européenne. Ceci donnait déjà à réfléchir sur l’importance du rôle économique des manieurs d’argent piémontais. Dans les anciens Pays-Bas, une monétarisation massive des échanges avait gagné les campagnes, couplée à une phase d’expansion commerciale et agricole soutenue, au Cf. au sujet de la région comme unité spatiale d’observation en histoire économique pour les anciens Pays-Bas, les observations de de Boer 2000, pp. 246-248. 7 Au sujet des rapports de la communauté juive avec le monde chrétien au Moyen Age, les considérations d’ Haverkamp 2003, pp. 4-8, sont conceptuellement très enrichissantes. 8 Voir le premier chapitre de la 1ère partie  : L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais déjà compétitif. Les hommes d’affaires italiens opérant dans nos régions, de quelque origine qu’ils fussent ne furent jamais des banquiers purs, leurs activités financières n’étaient qu’une part de leurs opérations commerciales. Il est donc légitime de les appeler aussi des marchands-banquiers (cf. Hunt et Murray 1999, p.  99). Ce qui est constaté pour les Italiens vaut d’ailleurs en grande partie pour les hommes d’affaires des anciens Pays-Bas, la banque n’était jamais qu’une de leurs branches d’activité, on les qualifierait mieux d’ailleurs de marchands polyvalents . Dès lors, lorsque le lecteur rencontrera le terme de banquier, il faudra bien garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une définition exhaustive des affaires du personnage concerné. 9 Pour la Flandre, outre l’étude de De Roover 1948, sur le marché brugeois de l’argent, critiquable pour l’étude des Lombards—mais qui reste essentielle sur bien des points— il faut désormais citer l’ouvrage de Murray 2005. 6

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moins jusqu’à la première grande crise agraire de 1315-1317. L’industrie textile était elle aussi dans un mouvement encore ascendant de conquête des marchés étrangers. En effet, depuis 1270, à l’occasion des frictions politiques entre le royaume d’Angleterre et le comté de Flandre, les marchands-drapiers brabançons avaient remplacé progressivement leurs concurrents flamands comme fournisseurs de la cour royale anglaise en draps de luxe à base de laine anglaise. À partir des années 1300, les draps d’Anvers, Bruxelles, Diest, Louvain et Malines étaient également vendus sur les foires de Champagne10. La date de 1333 clôture ma recherche. Cette date correspond à l’arrestation du banquier piémontais et trésorier ducal Giovanni de Mirabello à Bruxelles ; elle mit fin au rôle des Piémontais dans la haute finance à la cour ducale. L’objet de l’étude étant brièvement exposé et ses limites chronologiques et spatiales posées, il me paraît nécessaire, avant de présenter les enjeux de ma recherche, d’analyser le point de vue des historiens qui se sont intéressés à l’histoire des prêteurs lombards. L’historiographie des Lombards : d’un thème de recherche en mode mineur à un sujet historique  L’historiographie traditionnelle a, jusqu’il y a peu, accordé une place modeste au Lombard, place modeste découlant d’abord du maître-livre de Georges Bigwood consacré au régime juridique et économique de l’argent au Moyen-Âge. Bigwood, dont la formation d’historien était doublée par celle d’avocat à la Cour d’appel, analysait la position des Lombards essentiellement dans le cadre juridique étroit des octrois de tables de prêt. En se fondant sur les montants des prêts des tables de Nivelles et de Tournai, il attribuait aux financiers piémontais une place modeste sur le marché du crédit, arguant de la petitesse des montants moyens annuels des prêts, tout en reconnaissant que les renseignements réunis étaient par trop hétérogènes pour évaluer le chiffre d’affaires des tables de prêt11 . Mais c’est ensuite, et en premier ordre, l’étude-phare de Raymond de Roover au sujet du marché de l’argent à Bruges qui imprima longtemps sa marque à la vision historiographique des Lombards. Quatre chapitres de cette étude concernaient la position légale et sociale des Lombards ainsi que leur fonction économique. Les prêteurs italiens apparaissaient comme spécialisés dans le crédit aux classes défavorisées. L’auteur leur déniait toute avancée technique en matière bancaire. Les « Lombards » opérant à Bruges étudiés par de Roover étaient également issus du Piémont, majoritairement des villes d’Asti et de Chieri. Selon de Roover, la pratique publique de l’usure dévalorisait socialement le Lombard, le rejetant aux marges de la ville médiévale. Cette place marginale du prêteur sur gages découlait de la fameuse trinité financière dressée par l’historien-économiste belge émigré aux ÉtatsUnis, divisant le marché de l’argent brugeois en changeurs locaux, marchands-banquiers toscans et prêteurs sur gages lombards. Les premiers acceptaient des dépôts et alimentaient la monnaie princière en métaux précieux, les seconds opéraient à un échelon international et utilisaient des instruments financiers élaborés telle la lettre de change. Les derniers, exclus du commerce international, répondaient à la demande du crédit à la consommation des Contamine, Bompaire, Lebecq et Sarrazin 19972, p. 210 et pp. 251-267 ; Van Uytven 2004, pp. 123-124. Bigwood 1921-1922, pp.  328-375. Cette critique n’enlève rien à la valeur de ce travail fondateur et pionnier  : Bigwood fut souvent le premier à dépouiller des centaines de pièces comptables dispersées entre Bruxelles et Lille tout en tentant une approche quasi-prosopographique du phénomène du crédit lombard.

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petites gens en offrant quasi-exclusivement du prêt sur gages, à des taux d’intérêts supérieurs (43,3%) au taux de profit moyen des entreprises marchandes (entre 7 et 15%)12. Cette position théorique fut ébranlée une première fois par Frans Blockmans dans une étude prémonitoire parue en 1956, puis par Erik Aerts et Raymond Van Uytven une trentaine d’années plus tard. Les trois historiens démontrèrent que la séparation stricte entre les trois groupes d’acteurs économiques, marchands-banquiers toscans, changeurs et Lombards tenait plus du rideau de bambou que d’une cloison étanche13. Blockmans, le premier, éclairait notamment l’activité d’intermédiaires essentielle des Lombards d’Anvers, en relation avec son cycle de foires dans le dernier tiers du XIVe siècle14. Il fallut cependant attendre la fin des années quatre-vingt et la dernière décennie du XXe siècle pour voir se développer un véritable courant de recherches dédiées aux Lombards, thème malgré tout encore minoré dans l’histoire de la banque européenne15. Winfried Reichert démontra, le premier, l’utilité d’études familiales axées sur la mobilité des parentèles astésanes en Rhénanie et en Moselle. L’auteur procédait également à une cartographie du phénomène lombard, enfin il éclairait la recherche prioritaire par les Lombards d’une protection seigneuriale, qu’il s’agisse d’un seigneur local, ou du Prince16. Rémi van Schaïk, quant à lui, tout en insistant sur la mobilité des financiers lombards, évoquait aussi la nécessité d’étudier leur intégration, généralement bonne, dans les villes, comme le cas de la Gueldre le laissait penser17. De l’autre côté des Alpes, finalement, Renato Bordone mettait en exergue le réinvestissement en Piémont des surprofits réalisés par les Lombards dans les anciens Pays-Bas, l’achat de seigneuries entières étant rendu possible par les succès financiers des usuriers astésans, livrant les clefs de l’accès à la noblesse18. Des questions laissées sans réponse par l’historiographie des Lombards Malgré ces succès incontestables, le chercheur restait insatisfait sur plusieurs points : - d’où provenaient les ressources énormes des Lombards finançant les opérations de crédit du Prince en Brabant, compte tenu de la relative modestie des parts des actionnaires ? - en relation avec l’interrogation précédente, ne pouvait-on formuler l’hypothèse d’une participation des Lombards à la politique territoriale des ducs de Brabant et donc à la haute finance19 ? - les Lombards étaient-ils seulement des contribuables passifs, « taillables et corvéables » à merci par le Prince, soucieux d’accroître sans cesse les ressources de sa fiscalité ; autrement dit, quelle était leur part de négociation avec les pouvoirs dans l’octroi d’une table de prêt et sa taxation ? De Roover 1948, pp. 99-108 , p. 139 et p. 345. Selon l’heureuse expression de Tihon 1961, p. 335, n. 2. Blockmans 1956 ;  Aerts 1980, pp. 55-56 et Van Uytven 1987a. Une prestigieuse synthèse bancaire attribuait encore récemment aux Juifs et aux Lombards, un quasi-monopole sur le prêt sur gages, leur seul apport à la banque médiévale au fond, grâce à un monopole de fait : Van der Wee 2000, p. 77. 16 Reichert 1987. 17 Van Schaïk 1997. 18 Bordone 1992. 19 En travaillant sur la typologie du crédit des Lombards dans le duché de Brabant, j’avais été frappé par l’importance des moyens mis à disposition par ceux-ci au profit des ducs Jean II et Jean III mais aussi de souverains étrangers, se comptant à chaque fois en prêts de dizaines de milliers de livres tournois (Kusman 1999b, pp. 843-931). La question des ressources énormes de certaines sociétés de prêt astésanes n’est pas abordée dans la dernière synthèse de Bordone et Spinelli 2005, pp. 97-106. 12 13 14 15

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- quel était leur rôle dans la construction de réseaux urbains régionaux, voire supra-régionaux ? - quel était leur apport technique exact dans le domaine bancaire ? - et surtout, quelle était la raison d’une telle polarisation des sociétés de prêt lombardes en Brabant, par rapport aux autres principautés des anciens Pays-Bas ? Ce sont ces questions, apparemment simples, voire naïves, qui m’ont initialement incité à entamer cette recherche. Pour tenter d’y répondre, il fallait compter avec les spécificités archivistiques du duché de Brabant. Si je m’attarderai à cette problématique, c’est que l’aspect qualitatif des archives a inévitablement influencé la vision historiographique de l’objet historique “Lombards”. Les sources d’archives et les problèmes méthodologiques qu’elles suscitent Il s’agissait en effet de contourner le problème notable de la pauvreté des archives brabançonnes à caractère économique. L’absence de comptes de la recette générale avant 1363 et de comptes d’hôtel avant 1342 ne facilitait pas la tâche d’une évaluation de l’impact du crédit lombard dans les recettes princières20. Le fonds des chartes de Brabant, conservé aux Archives Générales du Royaume, à Bruxelles, ne livrait pas plus de données sur les rapports entre le Prince et les Lombards résidant dans le duché. Lorsqu’il importait d’estimer le chiffre d’affaires des banquiers piémontais, la situation s’avérait encore pire. Aucun livre de comptes n’existait, encore moins des livres de raison relatant, comme en Toscane, les souvenirs du pater familias et destinés à édifier les descendants, à les préparer à la carrière commerciale. Quand les archives étaient moins avares de renseignements, c’était une image résiduelle du crédit lombard qui se formait, celle d’un crédit en souffrance : une grande partie des sources relatives au crédit lombard provenait de dettes non liquidées. On ignorait le plus souvent tout des créances honorées, les lettres obligatoires étant normalement détruites par les créanciers après liquidation de la dette ou rendues aux débiteurs qui faisaient de même. Par ailleurs, aucun acte d’octroi princier de prêt n’était conservé pour le duché de Brabant, seul le texte d’une consultation de l’université de Paris, datant de 1319, levait un coin du voile sur la condition juridique des financiers piémontais en Brabant21. Pour pallier les insuffisances des archives commerciales conservées en Brabant, il fallut par conséquent se tourner d’abord vers les autres dépôts provinciaux et communaux en Belgique, et ensuite, surtout, vers les dépôts étrangers. En effet, durant presque un demi-siècle, deux sociétés bancaires astésanes opérèrent en Brabant, celle de Giovanni de Mirabello et celle de Benedetto Roero. Le premier avait transmis à son fils, Simone de Mirabello, régent de Flandre, de très nombreuses reconnaissances de dettes assez détaillées et conservées aujourd’hui aux Archives de l’État à Gand. Au sujet du second, existait, heureusement préservé, un registre issu du fonds des collectories pontificales. Comptant près de deux cents pages, conservé aux Archives du Vatican, ce registre énumérait les avoirs immobiliers et mobiliers de Roero répartis entre Courtrai et Bonn et cédés au pape Jean XXII à partir de 132122. 20 21 22

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Cf. Uyttebrouck 1974 et la notice d’Aerts 2000. Kusman 1995. A.S.V., Coll. 433a ; Tihon 1961, p. 336, en avait déjà perçu l’intérêt.

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Sans être pléthoriques, ces sources initiales me permirent ensuite d’amorcer d’autres investigations dans des dépôts traditionnellement profitables à la connaissance des anciens Pays-Bas, les Archives Départementales du Nord, à Lille, et les National Archives à Londres23. Puisqu’il s’agissait d’estimer l’action d’une finance “internationale”, j’ai eu recours aux comptes d’hôtel d’autres principautés où des sociétés de prêt dépendant de Mirabello et Roero avaient pris pied, principalement le comté de Flandre et le comté de Hainaut, puis finalement le comté de Gueldre (Archives de l’État à Gand, Archives départementales du Nord à Lille, Archives de l’État à Mons et Archives de la province de Gueldre à Arnhem). Détailler le périple suivi dans l’exploitation des sources ne s’avère pas un exercice académique gratuit ; au contraire, ceci éclaire la difficulté originelle de cerner l’objet historique “Lombards”. Même dans une situation sensiblement meilleure qu’en Brabant, en Hainaut par exemple, où l’on dispose des textes d’octrois de prêt, l’historien est face à des noms et à un texte d’octroi de table de prêt reflétant la vision du Prince et, seulement partiellement, les revendications des Lombards. C’était là une des difficultés de cette enquête que de reconstituer une stratégie commerciale sur la base de ce type de texte légal. La majorité des sources relatives aux banquiers piémontais émane des pouvoirs légiférants ou des emprunteurs : octrois de tables de prêt et contrats d’emprunts se rencontrent assez aisément dans les fonds d’archives principautaires ; les actes juridiques émanés des Lombards eux-mêmes, testaments, donations, partages successoraux, quittances, sont, en revanche, beaucoup plus rares. Un objet historique sans stratégie ? Pour l’historien, le risque inhérent à la non-diversité des sources d’archives est de relativiser le concept de stratégie commerciale dans le chef des financiers piémontais. Si l’on se basait uniquement sur des octrois de tables de prêt et des états de taxation, les Lombards seraient aisément réduits à un rôle d’acteurs passifs, dans une dialectique dominants-dominés où la fiscalité princière semblerait dicter ses conditions aux exploitants de casane et provoquer leur émigration vers des terres plus accueillantes. Cette dimension est fort présente dans les travaux de Robert-Henri Bautier par exemple24. Cet angle de vue rend malaisée la prise en compte des choix économiques des manieurs d’argent piémontais, décisions humaines soumises à une certaine incertitude et au-delà, la prise en compte du facteur humain tout court. Le danger de la réification est typique des relations économiques  : « Qu’il s’agisse d’objets, de personnes, de compétences et de sentiments propres au sujet, tout devient chose, tout devient objet sitôt que ces éléments sont saisis du point de vue des transactions économiques »25. Ce danger de faire d’un objet d’étude une catégorie chosifiée ne devrait pas être sous-estimé. De manière générale, l’octroi délivré à une table de prêt, conçu comme un rapport économique contractuel entre le Prince et « ses Lombards », est

L’intérêt des archives anglaises pour l’histoire politique et économique du Brabant au bas Moyen Âge, avait été démontré dès 1936, dans la thèse lumineuse de Jean de Sturler : de Sturler 1936. 24 Cf. son dernier article en date : Bautier 1992b. 25 Honneth 2007, p. 24. Sur le danger de réification en histoire économique, voir par ex. les avertissements de REVEL 1989, pp. V-VI. 23

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réifiant. Mais plus précisément, en Brabant, en l’absence d’une nation marchande les représentant, les Lombards sont assimilés à des droits régaliens, non à des marchands étrangers26. Méthode de travail : à la recherche du concept de stratégie commerciale A.

Importance du facteur humain

La recherche d’une stratégie commerciale chez les financiers piémontais, se heurtant au caractère parfois très laconique des sources, j’ai recouru, dans l’exploitation des archives, à l’emploi de bases de données27. L’usage d’une base de données principale consacrée aux financiers piémontais en Brabant entre 1282 et 1333 permettait, par la mise en évidence de critères communs à plusieurs associés d’une banque, de dégager des stratégies commerciales supra-principautaires. J’y ai associé des bases de données secondaires, car, si l’on considère que le réseau de crédit est une construction sociale, il fallait tenir compte de la clientèle des Lombards et de leurs concurrents, des notaires travaillant pour les Lombards et des témoins des actes d’emprunt ainsi que des échevins les authentifiant28. En élaborant des catalogues prosopographiques relatifs à la clientèle des banquiers italiens, le rapport aux pouvoirs (Prince, noblesse urbaine et rurale, clergé séculier et régulier, élites urbaines et groupes médians) pouvait être envisagé. Cela revenait à placer le facteur humain au centre de ma recherche. Ce facteur humain se manifestait par l’emploi de stratégies ajustées à la taille du marché visé et à ses conditions politiques locales. Il s’agissait de ne plus voir le Lombard comme un objet historique réifié, un usurier dépendant du bon-vouloir du Prince et soumis à la menace potentielle d’une expulsion ou d’une saisie, mais comme un acteur social s’adaptant à la conjoncture et capable de développer sur la longue durée un plan de développement de ses activités bancaires. Dans cette perspective, l’idée de travailler à une sociologie du crédit lombard s’est imposée progressivement, en tenant compte du fait que le phénomène du crédit mettait en jeu des rapports d’amitié ou d’inimitié entre le créancier et le débiteur. B.

Une sociologie du crédit lombard

Il importait d’observer sous la loupe un milieu de manieurs d’argent, pas forcément homogène, travaillant dans un cadre idéologique hostile au profit immodéré, celui de l’Église, un milieu d’hommes d’affaires attentif à soigner sa réputation, entachée par la pratique de l’usure. Sous cet angle de vue, la comparaison s’imposait avec le milieu actuel des traders, opérateurs financiers actifs comme intermédiaires pour placer les ordres de vente ou d’achat en bourse de leurs clients  : eux aussi encourent une condamnation morale, sans doute partiellement nourrie par des lointains précédents médiévaux, eux aussi Dès 1284, ils sont cités parmi les autres revenus du domaine administrés par le receveur princier : (. . .) et avons mis en ses mains tout ce qui venra de no cens, de no rentes, en deniers, en bleis, en capons, en gelines, de nos iauwes, de nos bos, de notre monoie, de nos Lumbars, de nos Juis et tous les pourfis et les escheances ki nous venront (. . .) . Éd. dans Martens 1943, n°1, pp. 21-22[18/4/1284]. On peut rapprocher la situation des Lombards de Brabant de celle des Juifs en France où les Iudei nostri du roi de France sont taxés car ils lui appartiennent en propre (Scordia 2005, p. 368). 27 Pour l’intérêt de la prosopographie consacrée aux financiers et aux méthodes de travail, voir De Ridder-Symoens 1991, p. 114 ; Van Kan 1995. 28 Dutour 1999. 26

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sont soucieux de leur réputation29. De même, les entreprises de légitimation des banquiers piémontais, qu’il s’agisse de fondation de chapelles ou de donations d’avoirs à l’Église, trouvent un parallèle récent dans l’étude du milieu des financiers philanthropes de Wall Street30. Dans le même ordre d’idées, l’étude de la relation entre la stigmatisation des banquiers piémontais comme usuriers et leurs ambitions sociales s’est appuyée sur les observations de Pierre Bourdieu sur la place du capital symbolique dans les stratégies sociales des agents économiques. Dans le domaine économique, en effet, le capital symbolique suppose une reconnaissance basée sur l’image de marque, l’ancienneté et le prestige social et culturel de l’opérateur économique qui le possède31. Enfin, la question du rôle social que les banquiers piémontais avaient à tenir, pour légitimer leur participation à des entreprises commerciales conjointes, a été considérée sur la base des travaux d’Erving Goffman relatifs aux interactions des minorités ethniques avec les élites dominantes lorsque les minorités se conforment aux attentes de celles-là, en acceptant des salaires en rapport avec leur origine raciale et non avec le niveau de la fonction32. En ce qui concerne la reconstitution de ces interactions, l’apport de la sociologie des réseaux s’est révélé enrichissant, en étant cependant accompagné des précautions méthodologiques nécessaires  : la reconstitution d’un réseau de relations exhaustif pour le Moyen Âge restera toujours un vœu pieux33. C.

Géographie du crédit lombard

En relation avec la prosopographie du milieu des manieurs d’argent, un accent particulier a été mis sur la cartographie des implantations lombardes, du plan local (au niveau de la ville), jusqu’au plan international (au niveau de réseaux bancaires supra-régionaux). L’approche se veut donc à la fois micro-historique et macro-économique, ces variations de focale autorisant une meilleure perception des choix commerciaux des banquiers astésans et de la chronologie de ces choix. Dans l’analyse de cette géographie évolutive des tables de prêt piémontaises, une attention spéciale a été dévolue à la région brabançonne comme espace dynamique d’échanges, un espace sur lequel pouvaient se greffer des réseaux de crédit supra-régionaux, suscitant des économies d’échelles considérables, tout comme pour les réseaux de foires médiévales34. En outre et plus généralement, pour les historiens économistes, la région offre un observatoire intéressant en raison de sa cohérence culturelle et/ou de sa complémentarité géographique, cette dernière étant fondée sur un système d’échanges stimulés par la proximité et par la diversité des ressources disponibles35. Dans cette géographie évolutive du crédit lombard, je relèverais aussi la place de la commercialisation poussée des productions agricoles et des plantes industrielles dans les campagnes des anciens Pays-Bas aux XIIIe et XIVe siècles, assimilable sous biens des aspects, à une structure d’économie pré-capitaliste, comme l’ont montré les travaux de Jan-Luiten van Zanden et de Bas Van Bavel36. Le poids des campagnes dans la croissance Godechot 20052, pp. 254-255. Guilhot 2006. Bourdieu 2000, pp. 162-164 et pp. 236-237 ; Guilhot 2006, pp. 163-164. Goffman 19692, pp. 47-48 Granovetter 20082, pp.  203-222 et pp.  244-255  et les remarques méthodologiques stimulantes de Lemercier 2005, pp. 88-112. 34 Epstein 1994, p. 468. 35 Cf. la définition de Bergier 1995, p. 106. 36 van Zanden 1993, pp. 34-35 ; Van Bavel 2003. 29 30 31 32 33

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économique des principautés des anciens Pays-Bas et leurs interactions avec les réseaux urbains éclairèrent souvent, j’y reviendrai à plusieurs reprises dans cette étude, les choix d’implantations géographique des tables de prêt piémontaises et leur hiérarchisation. D.

Des institutions économiques aux acteurs du crédit

Finalement, tout comme cette enquête sur les stratégies commerciales a pu s’enrichir des apports de la sociologie, j’ai souhaité utiliser, dans l’explication des choix commerciaux des banquiers piémontais, des outils d’analyse économique modernes. En accordant la primauté au facteur humain, et en admettant que les institutions commerciales sont des constructions sociales37, on ne peut pour autant faire table rase des théories des économistes néo-institutionnalistes américains, Douglass North, en particulier. Je pense ici à l’interventionnisme de l’État princier dans l’érection d’institutions garantes de la contractualisation des obligations commerciales – et par conséquent, dans l’enregistrement légal des dettes – favorable au développement du commerce à longue distance38. Pareillement à ces institutions légales publiques, des institutions privées informelles pouvaient aussi influer la résolution d’une obligation commerciale, ainsi que le remarque Avner Greif. Qu’il s’agisse de sanctions sociales fondées sur l’exclusion du groupe ou sur la ruine de la réputation commerciale, ces actes officieux occupaient une place importante dans la sphère des échanges commerciaux au Moyen Âge. Il en allait de même pour les croyances religieuses, à mi-chemin entre les normes officielles publiques et les normes privées. Toutes ces normes étaient diffusées au sein de la communauté des marchands et en dehors, elles concernaient la société de prêt tout autant que le groupe familial39. L’influence de tous ces paramètres sur les décisions commerciales des banquiers piémontais me paraît hors de doute. Toutefois, les institutions commerciales ne représentaient, pas plus au Moyen Âge qu’aujourd’hui, l’alpha et l’oméga de l’efficience du marché du crédit. Stephan R. Epstein l’observe avec beaucoup de justesse, les marchés pré-industriels, comme les marchés capitalistes actuels, étaient le produit de systèmes politiques et légaux qui, à leur tour, n’étaient que le résultat de négociations politiques et de contestations40. Cette dimension me paraît essentielle pour saisir les dynamiques à l’œuvre dans la formation de marchés du crédit au bas Moyen Âge et elle a été intégrée dans mon enquête. Dernier aspect intégré dans l’étude des acteurs du crédit, le rôle de la circulation de l’information entre banquiers, intermédiaires et emprunteurs. Sous cet angle de vue, j’ai considéré plus spécialement les interactions des banquiers piémontais avec les différents vecteurs (individus ou collectivités) de l’information commerciale et politique, en m’interrogeant sur la capacité de ces vecteurs à réduire les situations d’asymétrie d’information, ou au contraire, à les accroître41.

Granovetter 20082, pp. 203-222 et pp. 244-255. North 1996, pp. 54-60 et pp. 120-122. Greif 2000, pp. 251-284 et Greif 20083, pp. 269-282. Epstein 20012, p. 172. Article fondateur d’ Akerlof 1970, pp. 488-500. Sur les situations d’asymétrie d’information et les marchés du crédit dans l’Europe pré-industrielle, voir Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001 et Temin 2004, pp. 710-711. J’analyse cette thématique dans le chapitre 1 de la dernière partie : Usuriers au service de la politique territoriale du Prince. 37 38 39 40 41

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Finalité de l’étude Au terme de ce travail, j’espère pouvoir d’abord proposer une explication plausible du succès en Brabant des sociétés de prêt piémontaises aux dépens de leurs concurrents : les sociétés toscanes de marchands banquiers, d’une part, et d’autre part les banquiers locaux issus du patriciat des élites des grandes villes brabançonnes, Bruxelles et Louvain. Ensuite, je souhaiterais éclairer la nature exacte du rapport aux pouvoirs (Prince, noblesse, clergé et groupes élitaires des villes) des financiers piémontais en Brabant et les modalités de leur insertion à la cour princière et dans la société urbaine. Enfin, je mettrai en lumière le rôle des financiers d’Asti dans la genèse de réseaux bancaires internationaux. Partition de l’étude Une première partie (« L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais déjà compétitif  ») envisage d’abord la position des concurrents locaux et étrangers au crédit lombard et leur rapport au pouvoir princier avant la présence lombarde (ca. 1200-1282). La mobilité des capitaux, circulant entre plusieurs places financières brabançonnes est envisagée comme une composante essentielle du fonctionnement du marché de l’argent en Brabant. La mainmise initiale notable des marchands-banquiers bruxellois dans le domaine de la haute finance, est expliquée. Les conditions de l’arrivée des financiers piémontais dans les anciens Pays-Bas sont ensuite envisagées. Je m’intéresse dans ce contexte au rôle de la cité de Tournai et du comté de Flandre comme portes d’entrée des sociétés de prêt astésanes en Brabant, dans le dernier tiers du XIIIe siècle. La question du déployement d’un premier réseau – encore timide – de tables de prêt lombardes en Brabant est étudiée par la suite. Une seconde partie («  Usuriers au service d’un Prince entrepreneur et réseaux financiers internationaux ») aborde toute la question de la pérennisation de la présence piémontaise en Brabant et des moyens utilisés pour y parvenir. La participation à des réseaux européens de manieurs d’argent vers l’Angleterre et les collaborations avec les élites brabançonnes qui en découlent seront ensuite analysées, dans le cadre du conflit territorial opposant le roi de France Philippe IV et le roi d’Angleterre Édouard Ier à partir de 1294. La troisième partie (« L’intégration dans la société brabançonne ») considère trois questions : le rapport des financiers astésans au pouvoir, la problématique de leur intégration dans la société urbaine brabançonne et les raisons de la disparition d’une haute finance essentiellement dominée par les Lombards. En ce qui concerne le rapport au pouvoir, l’attention est portée sur celui du Prince dans un premier temps, avec la part significative prise par les sociétés lombardes à la politique territoriale des ducs de Brabant. La réussite temporaire d’une intégration dans les cénacles de la cour princière, à Bruxelles, et toute la difficulté de s’y maintenir, sont abordées dans un second temps, en observant le point de vue de la noblesse et des élites urbaines. La problématique de l’intégration sociale des financiers astésans dans les villes est étudiée à partir de l’exemple de Malines et de sa comparaison avec les cas de Bruxelles et de Louvain, le rôle intégrateur des techniques bancaires pour les marchands étrangers à Malines y est considéré. 11

Usuriers publics et banquiers du Prince

La question des oppositions croissantes à la finance piémontaise en Brabant (1308-1333), aboutissant à leur débâcle à la cour de Bruxelles, est enfin discutée. Dans cette perspective, le rôle de l’usure publique comme facteur stigmatisant et son instrumentalisation sont débattus. La réaction à la publication des décrets ­anti-usuraires du concile de Vienne est observée en comparant la situation brabançonne aux réactions régionales dans d’autres principautés (Flandre, Hainaut et Liège). L’emprisonnement en 1333 du receveur général, l’Astésan Giovanni de Mirabello, puis son décès en détention, mettront un terme pour plusieurs années à la présence astésane dans la ville. La déconfiture de la banque privée Mirabello est analysée en définissant sa portée pour l’intégration des communautés piémontaises en Brabant. L’héritage intellectuel des Lombards et les conditions politiques très réglementées du retour généralisé de ces derniers en Brabant, sont finalement éclairés. L’organisation de l’ouvrage comporte quelques spécificités. Afin d’alléger la lecture, la numérotation des notes infrapaginales recommence à zéro à chaque nouveau chapitre. Les références aux archives se trouvent directement en regard des pages concernées : par souci de préserver les dimensions de ce livre dans des limites raisonnables, une section finale relative aux sources inédites n’a pas été envisagée. Le lecteur trouvera les sigles des dépôts d’archives dans la liste d’abréviations. Enfin, tout au long de cette étude, plusieurs termes spécialisés seront utilisés tels société ou table de prêt. Les termes techniques et concepts fréquemment utilisés dans cette étude ont été regroupés à la fin de l’ouvrage et définis (voir p. 401).

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Première partie. L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

Chapitre i

Prélude : le marché de l’argent en Brabant avant l’implantation des tables de prêt piémontaises (1235-1282)

A.

Les raisons d’un prélude

On ne peut appréhender correctement les modalités d’activité et de développement d’une minorité ethnique au sein d’une société donnée qu’en étudiant les structures de pouvoir de cette même société majoritaire qui l’entoure. Les marchands-banquiers piémontais résidant en Brabant, qualifiés de « Lombards », avaient toutes les caractéristiques d’une minorité étrangère et, dans une certaine mesure, on le verra, d’une minorité culturelle. Partant, il m’a paru pertinent d’étudier les conditions du marché du crédit régnant avant l’arrivée des sociétés lombardes en Brabant. D’abord, parce que la connaissance du passé était susceptible de me fournir quelques clefs de compréhension pour l’évolution du commerce de l’argent dans nos régions et les raisons profondes de la présence des financiers lombards. Ensuite, parce que je souhaitais examiner la problématique du « retard technologique » supposé des hommes d’affaires des anciens Pays-Bas : ils auraient été singulièrement dépourvus en matière de techniques bancaires face aux hommes d’affaires italiens, utilisateurs aguerris d’instruments financiers élaborés. Selon la tradition historiographique, le déficit d’infrastructures bancaires élaborées aurait finalement nécessité l’intermédiation des Italiens, seuls capables d’effectuer des opérations comptables importantes au plan international au moyen de virements ou de contrats de change1. Pourtant, selon toute apparence, les Lombards n’arrivèrent pas dans les anciens Pays-Bas au milieu d’un désert vide d’infrastructures bancaires ; il n’y avait peut-être pas un tel « retard technologique » dans lequel auraient été plongées les élites locales2. De même, au sein des élites marchandes et ecclésiastiques, la culture du crédit était assez vivace pour que la peur de l’enfer ne bride pas les volontés en matière d’investissements à risque ; l’effroi face à la condamnation ecclésiastique du prêt à intérêt devant être finalement relativisé. Au contraire, le rôle des restitutions des profits injustifiés n’est plus à sous-estimer, notamment sous la forme de donations charitables, ces restitutions étaient garantes du maintien du consensus social de la cité et de l’honorabilité des pratiques commerciales3. De Roover 1948, pp.  12-13 accordait la suprématie aux marchands-banquiers toscans par rapport aux changeurs locaux, sur la base de leur maîtrise de la comptabilité à partie double, la lettre de change et le billet à ordre. Pour la postérité de ce modèle interprétatif, voir par ex. Dubois 1991 et Van der Wee 1991. Cette vision a été définitivement remise en cause par l’article de Aerts 1980. 2 Blockmans 1985. Voir ensuite, notamment, Greve 1996 et Munro 2000. 3 La vision quelque peu apocalyptique du marchand chrétien bridé dans ses pratiques financières par la peur de l’enfer et sauvé par l’invention du purgatoire qui se dégage de l’ouvrage classique de Le Goff 1986 est désormais nuancée par Todeschini 2002, particulièrement aux pp. 133-148. L’article précurseur de Wyffels 1991b, contenait déjà des mises en garde utiles sur la vision par trop partielle de Le Goff. 1

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B.

La montée en puissance du Brabant

Dans la période considérée, c’est-à-dire les trois premiers quarts du XIIIe siècle, le duché de Brabant compte parmi les principautés des Pays-Bas du Sud où la circulation monétaire internationale est la plus intense, et où les frappes de monnaie sont de bonne qualité. Il semble même, d’après l’analyse des trésors monétaires retrouvés, que le duché, plus que le comté de Flandre, ait joué un rôle de plaque tournante des anciens Pays-Bas dans la circulation des monnaies allemandes, anglaises et françaises. Le marché des changes internationaux était sans doute devenu florissant dès les années 1250-12604. Assez en tout cas pour provoquer la venue, bien avant les premiers bailleurs de fonds originaires du Piémont, d’élites financières étrangères. Celles-ci tenteront de participer au marché du crédit au Prince. C’est aussi le cas d’une minorité religieuse vivant alors sous un régime de tolérance relatif et disposant de relais familiaux supra-régionaux, les Juifs ashkhénazes établis en Brabant5. À l’instar de Bruges, l’abondance de la monnaie métallique, ses facilités d’approvisionnement, sa qualité sont des facteurs déterminants dans l’efflorescence d’­activités bancaires futures, c’est pourquoi, une grande place y a été consacrée dans l’exposé6. La croissance économique de la principauté est en conjonction avec une courbe ascendante des populations rurales et urbaines. Sans qu’on puisse la chiffrer –  en l’absence de dénombrements de feux complets antérieurs au XVe siècle – le Brabant connaît, comme la plupart des États européens au XIIIe siècle, une hausse démographique soutenue7. Celle-ci se devine dans les défrichements croissants et dans l’amélioration des techniques agricoles ; elle se poursuit par le passage à une culture plus intensive, la rotation régulière des cultures et l’émigration d’une part importante de la population rurale vers les villes. Cette croissance touche au premier chef les villes d’Anvers, Bruxelles et Louvain et dans une moindre mesure, Bois-le-Duc, des villes amenées à devenir rapidement des centres politiques majeurs en Brabant8. Le développement d’un secteur secondaire notable dans ces villes est à relever : la draperie brabançonne a une aire de distribution supra-régionale voire européenne, avec l’Angleterre et la Rhénanie dès le premier tiers du XIIIe siècle9. À ce point de l’exposé, il importe de dire quelques mots de l’environnement politique du Brabant dans les années 1200-1230. Le duché de Brabant, fief impérial, oscille entre une allégeance théorique des ducs à l’empire et des alliances politiques opportunistes nouées avec les Capétiens, en la personne de Philippe-Auguste, puis avec la couronne Muntslag en circulatie 1983, pp. 14-19 et pp. 38-39. Cf. Cluse 2000. Voir en ce sens l’analyse pénétrante de Murray 2005, pp. 119-133. On estime qu’entre ca. l’an 1000 et 1300, la population de l’Europe, sans la Russie, aurait doublé voire triplé ­atteignant 76 à 83 millions de personnes (Bairoch 1997, vol. 1, pp. 39-40 ; Bois 2000, pp. 12-15). Quant à la démographie ­spécifiquement urbaine, les villes de plus de 20.000 personnes auraient au moins doublé de taille entre l’an 1000 et l’an 1300. Quelques essais chiffrés sont connus pour les grandes métropoles occidentales  : de 25.000 à 50.000 habitants à l’époque de Philippe-Auguste, la ville de Paris aurait atteint le chiffre de 200.000 personnes en 1300. La ville de Florence aurait plus que doublé sa taille en 1300 avec une population estimée à 100.000 âmes. Le comté de Flandre aurait compté trois villes avec une population supérieure à 40.000 habitants dès le XIIIe siècle : Bruges, Gand et Ypres, selon Nicholas 1992, p. 130 et Idem 1997, pp. 178-180. 8 Steurs 2004a, dans Van Uytven 2004, donne un bon aperçu qu’on complétera utilement par deux études ­approfondies sur l’expansion des campagnes bruxelloises  : De Waha 1979, et Charruadas 2004 et Idem 2007 ­(importance des cultures oléagineuses et de maraîchage). 9 Steurs 2004c. 4 5 6 7

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Prélude : le marché de l’argent en Brabant | Chapitre i

Nom

Origine géographique

Période d’activité

Nicolas de Lapide

Malines

1271-1274

Henri Prochiaen

Bruxelles

1278-1281

Jean de Huldenberg

Bruxelles

1282-1284

Gauthier Volkaert

Anvers

1282, 1284-1289 et 1295

Pierre

Inconnue

1289

Fig. 1. Les receveurs de Brabant (1271-1289)14

anglaise à partir de 119410. Le duché est en pleine phase de formation territoriale  : en direction du Brabant septentrional, certainement au-delà Oisterwijk, Hoogstraten, Turnhout et Arendonk et, vers, l’est, en direction de la principauté ecclésiastique de Liège où Henri Ier, déjà maître du comté de Duras et du comté de Brugeron autour de Jodoigne, acquit ensuite, notamment, la haute-avouerie de l’abbaye de Saint-Trond et une série de petits territoires autour de la ville de Maastricht11. Dans ce processus de formation d’un état princier brabançon, les capitaux de financiers, autochtones ou étrangers, joueront un rôle décisif pour soutenir la politique ambitieuse d’accroissements territoriaux des ducs de Brabant Henri Ier (1190-1235), Henri II(1235-1248) et Henri III (1248-1261). Sous cet angle, il faut observer l’avènement précoce de plusieurs places financières, sur le plan local et régional, dont certaines étaient excentrées ou autonomes telles Boisle-Duc, Léau ou Malines, ainsi qu’on le verra plus loin12. Il justifiera l’attrait exercé sur les manieurs d’argent d’Asti cherchant à investir leurs capitaux, dans le dernier quart du XIIIe siècle. Il faut par conséquent parler d’une pluralité de pôles névralgiques disponibles pour les investisseurs de capitaux actifs dans le duché. Cela implique la présence de ­plusieurs groupes de concurrents éventuels, source potentielle de tensions. Le plus ­puissant de ces pôles, en raison du rôle centralisateur qu’il sera amené à jouer au début du XVe siècle dans l’administration des finances bourguignonnes, sera finalement celui situé à Bruxelles13, mais, deux siècles auparavant, cette évolution était loin d’être inéluctable, comme ­l’indique ce tableau de répartition géographique des receveurs de Brabant dans la première phase de structuration des finances princières (fig.1).14 De Sturler 1936a, pp. 96-110. Avonds 1982, pp. 457-458 ; Despy 1995 ; Steurs 2004b. La ville de Malines, enclave liégeoise juridiquement autonome dans le duché de Brabant, peut être considérée comme de facto brabançonne, à partir du pre­mier quart du XIVe siècle : Avonds 1970. Toutefois, son intégration économique dans le réseau urbain brabançon remonte au moins au milieu du XIIIe siècle, notamment en matière de commerce du drap et de métal précieux à destination de l’Angleterre (De Sturler, 1976, pp. 13-20). Sur le dynamisme des places financières de Léau, Bois-le-Duc et Malines, voir infra pp. 38-42. 13 Notamment pour le contrôle des finances princières par la création de la chambre des comptes de Bruxelles en 1404 (voir Kauch 1933, pp. 330-336). 14 Tableau réalisé à partir des données figurant dans Martens 1954, pp. 80-97 et p. 603. Le Malinois Nicolas de Lapide est signalé comme seigneur foncier à Malines près du Nieuwbrug de 1281 à 1307 (Laenen 19342, p. 119 et p. 121) ; il est également cité comme avoué de la ville au nom du seigneur Wouter Berthout en 1265 et siège parmi les échevins de la ville de 1266 à 1299 (Croenen 2003, p. 181, p. 187 et p. 200). Pour la mention de Pierre, clerc et receveur du duc, présent à un acte en faveur des biens de l’abbaye d’Afflighem à Bruxelles : A.E.A.R.B.-C., A.E.B., n°1418, pp. 18-19[25/9/1289]. Henri Prochiaen est déjà cité comme receveur pour l’assignation du douaire de Marguerite d’Angleterre, future épouse de Jean II de Brabant en 1278, voir infra, la 2e partie, chap. 2, la n. 165. 10 11 12

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L’image qui se dégage de ce tableau est celle d’une hiérarchie instable des places financières dans le dernier tiers du XIIIe siècle. Mais d’autres indicateurs de nature institutionnelle esquissent les traits d’un réseau multipolaire des places d’argent brabançonnes dès le commencement de ce siècle. Le premier de ces indicateurs touche aux conditions de l’essor du marché de l’argent bruxellois. 1. Le marché bruxellois du crédit : anomalies apparentes dans l’avènement d’une place financière parmi d’autres dans le réseau urbain brabançon A.

L’emprisonnement pour dettes à Bruxelles

La première manifestation marquante de la ville de Bruxelles comme place de règlements financiers remonte à un acte de 123515. Des citoyens de la riche ville de SaintQuentin en Vermandois étaient détenus dans la cité brabançonne en vertu de dettes contractées vis-à-vis de leurs créanciers bruxellois. Une bonne part de la richesse de SaintQuentin dérivait de sa production textile exportée vers les foires de Champagne et vers le monde méditerranéen, en particulier la ville de Gênes16. Ancienne possession du comte de Flandre Philippe d’Alsace, Saint-Quentin appartenait depuis 1185 au domaine royal capétien17. La somme à rembourser par les bourgeois de Saint-Quentin aux Bruxellois était en possession de deux seigneurs flamands, Robert VII, seigneur de Béthune et avoué d’Arras et Arnould IV, seigneur d’Audenaerde. Ces deux seigneurs avaient mis l’argent en dépôt dans la ville de Lessines, seigneurie appartenant à Arnould IV. La libération des otages de Saint-Quentin était explicitement conditionnée par l’envoi de lettres patentes par Robert de Béthune et Arnould d’Audenaerde, officialisant leur volonté de faire transférer sous leur protection l’argent dû à Bruxelles. S’il est douteux – en l’absence de nouvelles sources – que la lumière se fasse totale­ ment sur cet acte au contenu assez laconique, plusieurs observations peuvent néanmoins se dégager de l’analyse de son contenu et de ses formes diplomatiques. Avant tout, le rôle singulier du duc de Brabant Henri II retient l’attention : c’est en effet lui qui, en tant que disposant de la charte, s’imposait comme le garant du remboursement des bourgeois bruxellois18. Le Prince se manifestait d’entrée de jeu comme le protecteur suprême du droit des obligations commerciales nées entre créanciers et débiteurs. Cet interventionnisme princier dans l’administration urbaine de l’endettement était logique pour le duc de Brabant qui cherchait à affirmer sa présence politique à Bruxelles, face aux prétentions des potentats locaux, tous gros propriétaires fonciers, bien installés dans les campagnes environnant la ville, sources de l’approvisionnement urbain. Qu’il s’agisse de grosses institutions ecclésiastiques tels le chapitre Sainte-Gudule à Bruxelles, le A.D.N., B.771, n°621 [21/9/1235], et édition de cet acte dans Favresse 1938, pp. 406-408. Les draps de Saint-Quentin étaient exportés vers la Méditerranée et notamment Gênes via Marseille dès la première moitié du XIIIe siècle. En 1248, la ville fournit une aide de 1.500 lb. parisis au roi de France, soit autant que les montants respectifs des villes d’Orléans et de Tours ; cf. Sivery 1995, pp. 141-142, p. 209 et pp. 221-222 ; Doehaerd 1941, vol.1, p. 63, p. 156, p. 166, et p.189. 17 Baldwin 1991, p. 25 et p. 81 et De Hemptinne 1982, p. 388. 18 Son rôle actif ressort du dispositif de l’acte (. . .) nos eis burgensis de Sancto Quintino qui pro eodem debito, apud Brucelliam captivii detinentur, liberos emancipabimus, tali conditione quod dominus Arnoldus de Oudenarden et dominus adovcatus de Bethunia litteras suas patentes destinent quod pecuniam ab illis de Sancto Quintino apud Lessines translatam, apud Brucelliam in eorum conductu facient transferri. 15 16

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Prélude : le marché de l’argent en Brabant | Chapitre i

chapitre Saint-Pierre d’Anderlecht, le prieuré de Forest ou de puissants seigneurs laïcs tels les Aa, rattachés à la famille des châtelains de Bruxelles, le duc devait évidemment composer avec ces différents pouvoirs, dans les murs et hors les murs de la ville19. Le contrôle du crédit et des pratiques marchandes s’inscrivait dans la longue durée chez les princes de la maison de Louvain20. Ils en avaient déjà théorisé le cadre dans leur charte de privilèges octroyée à la ville de Louvain en 1234 où un article évoquait les contrats commerciaux conclus entre des forains, c’est-à-dire des étrangers à la ville et des bourgeois de la ville agissant comme courtiers et hôteliers21. Cependant, l’attitude d’Henri II différait singulièrement de celle de son prédécesseur et père, Henri Ier. Pour ce dernier, il importait de pouvoir se servir des capitaux des marchands brabançons comme garantie à l’étranger, ou comme ressource fiscale. Cette attitude transparaissait des chartes de franchise urbaine inspirées du droit de Louvain, dans les années 1233-1234, telle la charte de la bourgade de Grez, en janvier 1233, où le duc Henri Ier déliait les bourgeois de leur service financier si l’un d’eux ou ses biens étaient saisis en raison des dettes du prince à l’étranger22. Les privilèges des bourgeois de Louvain, quant à eux, leur octroyaient la suspension de leur aide financière si le Prince ne respectait pas leurs privilèges ou la sentence des échevins23. La transformation progressive des aides féodales traditionnelles (mariage du prince, chevalerie, naissance de ses enfants et captivité du duc) en une taxation plus ou moins régulière était un phénomène typique pour les « bonnes villes » d’une principauté et était sans doute déjà sous-entendue dans les termes servitium pecuniarum et exactionis employés dans la charte concédée aux bourgeois de Louvain en 123424. La pratique pour les ducs de Brabant de laisser s’accumuler les dettes envers des créanciers étrangers, quitte à ce que les marchands brabançons soient arrêtés à l’étranger à cause de l’impécuniosité ducale, en vertu du principe de solidarité

De Waha 1979, pp.  284-285  ; Charruadas 2004, pp.  79-80 (importance du hameau de Molenbeek sur l’axe commercial Flandre-Rhénanie) ; Despy 1995-1996, p. 40 (fondation probable du prieuré par le châtelain de Bruxelles) et Demeter 2004, pp. 45-50 et, finalement Charruadas 2011, pp. 185-228. 20 Sur le rôle de l’État— ou de l’autorité qui tend à l’incarner— comme autorité tierce, responsable du respect des ­obligations commerciales par les parties et donc de l’efficacité des échanges à longue distance voir l’ouvrage de North D.C. 1996, pp. 54-60 et pp. 120-122. 21 A.G.R., Chartes de Brabant, n°32 [mars 1234] et éd. dans Van De Kieft et Niermeyer 1967, pp. 396-397. La charte ducale de 1234 envisage les torts causés à la communauté urbaine par les personnes extérieures à la ville (forensis)  : en cas d’­atteintes à des citoyens de la ville par des forains et le refus de ces derniers de comparaître devant la justice échevinale, les habitants de la ville ne pourront plus conclure de contrats d’achat, de vente ou d’actes de crédit avec ceux-ci durant 40 jours ni les accueillir dans leurs hôtels sous peine de comparaître eux-mêmes devant la justice : extrait de l’art. 1 de la charte de Louvain : Porro, si quis forensis, ausu temerario, cuiquam opidanorum dicti loci injuriari presumpserit(. . .) ne aliquis deinde, per quadraginta dies ei opidanus aliquo contractu se misceat, utpote emendo vel vendendo, credendo, vel intra hospitium suum colligendo ; scientes quod quicumque hoc mandatum excesserit, in tantum conquerenti tenebitur, in quantum is reus tenebatur. Voir l’analyse de cet article dans Despy et Billen 1978, p. 25. Sur la fonction d’intermédiation commerciale de l’ hôtel particulier : Schneider 1950, pp. 205-206 ; Wolff 1954, pp. 561-570 et Murray 2005, pp. 180-182. Le droit de la ville de Louvain remonte ­probablement au dernier tiers du XIIe siècle, sans qu’il soit possible d’affirmer que le contenu des privilèges octroyés à celle-ci en 1234 reflète fidèlement le droit coutumier de la ville au siècle précédent (Despy 1969, pp. 35-46 ; Van Uytven 1980, pp. 79-80). 22 Éd. dans Wauters 1869, pp. 120-121 où Grez est erronément identifiée avec Grave (cf. Steurs 1971-1972, n°45, p. 255, pour les similitudes existant entre les articles des chartes de Grez et de Louvain : Idem 1970, pp. 33-64. 23 En outre, dans le dispositif initial de sa charte, le duc de Brabant garantit aux bourgeois de la ville de Louvain l’­exemption de toutes aides et tailles dues au Prince, si un des leurs était arrêté à l’étranger en raison des dettes de leur Prince ou voyait ses marchandises saisies. Et cela jusqu’à ce qu’il accorde réparation au citoyen lésé, devant le conseil des échevins : Van De Kieft et Niermeyer 1967, p. 396. 24 Van Uytven 1966, pp. 413-456, pp. 428-429 ; Blockmans 1994, pp. 218-250, p. 224. Sur la « fiscalisation » des aides féodales théoriques, voir van Schaïk 1993, pp. 259-260. 19

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« ­nationale », deviendra courante à la fin du XIIIe siècle25. Cette pratique trouve clairement son origine dans le règne du duc Henri Ier de Brabant. L’initiative d’Henri II, visant à promouvoir Bruxelles comme place financière supra-régionale, marquait donc une césure importante pour l’histoire financière de la ville. L’origine exacte de la dette, reste, quant à elle, mystérieuse. En relation avec l’avènement de Bruxelles comme marché de l’argent, on peut toutefois formuler l’hypothèse suivante : la « dette » des marchands de Saint-Quentin correspondait en fait à leur caution effective pour un emprunt contracté par Robert de Béthune, ou, plus vraisemblablement, par Arnould d’Audenaerde, envers des bourgeois de Bruxelles. Il est en effet bien possible qu’Arnould d’Audenaerde ait emprunté des capitaux sur le marché bruxellois. Arnould d’Audenaerde était souvent présent à Bruxelles. Devenu vassal du duc de Brabant avant 1221, Arnould bénéficiait d’une rente féodale sur le moulin à brai de Bruxelles depuis 123426. Institution d’origine ducale et lieu par excellence de concentration des capitaux en vertu de ses prélèvements seigneuriaux, le moulin à brai semble avoir rapporté des profits fiscaux constants27. La perception de cette rente devait impliquer une certaine familiarité avec la ville de Bruxelles et ses institutions commerciales. Par ailleurs, Arnould était devenu un spécialiste des affaires d’argents depuis qu’il avait été choisi pour porter, avec Rasse de Gavre, la rançon du comte Ferrand de Flandre (pris à la bataille de Bouvines) au roi de France en 1226. En 1227, en tant que vassal du comte de Flandre, il fut chargé avec le châtelain Léon de Bruxelles, de répartir l’assiette d’une rente de 800 lb. de blancs deniers redevable par le duc de Brabant au comte de Flandre Ferrand de Portugal, au terme d’un conflit entre les deux princes28. Quant à son comparse, le seigneur Robert de Béthune, avoué de Béthune et seigneur de Termonde, c’était un habitué de pratiques de cautionnement fictives qui étaient en réalité des emprunts conclus en foire en son nom principal avec plusieurs co-débiteurs29. Dans ce contexte, il est tout à fait imaginable que des marchands de Saint-Quentin se soient portés caution du seigneur d’Audenaerde dans l’espoir d’exporter leurs produits, draperie et vin sur le marché bruxellois30. Dans ce cas de figure, le seigneur d’Audenaerde aurait assumé un rôle d’intermédiaire et de courtier du pouvoir, en faisant valoir sa présence régulière à Bruxelles pour y favoriser les intérêts de Saint-Quentin31. Blockmans 1986, pp. 1-7, p. 2. En 1227, le duc Henri Ier s’engagea à payer au comte de Flandre Ferrand de Portugal la somme énorme de 15 000 lb., pour le payement de laquelle il dut recourir au crédit de financiers établis en Brabant ou à l’étranger (Smets 1908, p. 289). 26 Verriest 1950, pp. xxxvi-xxxvii ; Favresse 1938, n°8, pp. 403[25/12/1233] : rente annuelle de 50 lb. monnaie de Flandre. 27 Au début du XIVe siècle, le moulin est encore l’objet d’assignations pour des rentes émises par le duc de Brabant (Deligne 2003, p. 68, n. 214). 28 Smets 1908, p. 196. 29 Robert de Béthune s’était déjà « porté caution » à deux reprises de lignages de la petite noblesse pour des créances détenues par des bourgeois d’Arras ou de Douai (Des Marez 1901, n°2[27/8/1227]-3[novembre 1229], pp. 104-105) ; Warlop 1975-1976, vol. 1, pp. 281-282 et Sivery 1984, p. 276 (en corrigeant pour les emprunts des années 1226, 1227 et 1229 de Robert de Béthune erronément placés au XIVe siècle). Sur le baron flamand Robert VII de Béthune et sur Arnould IV d’Audenaerde, voir Warlop 1975-1976, vol.1, p. 151 p. 309, vol.3, n°21, pp. 668-669 et vol. 4, n°164, p. 1038. 30 La ville exportait du vin laonnois vers la Flandre et le Hainaut. Prêt de bourgeois de la ville à un noble du Laonnois en 1218 (Saint-Denis 1994, p. 210 et pp. 448-449). 31 Sur cette notion de courtier du pouvoir qui pouvait monnayer son accès au Prince à ses obligés, voir en dernier lieu Stein 2001. 25

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Les relations commerciales de Bruxelles avec le Vermandois semblent effectivement inexistantes dans la première moitié du XIIIe siècle et sont plutôt orientées vers l’Angleterre, le pays rhénan, le Brabant septentrional et ses campagnes en plein développement32 et au-delà, le comté de Hollande33. Les grands gagnants de l’arrestation des bourgeois de Saint-Quentin sont, par conséquent, les bourgeois de Bruxelles, qui entretenaient des contacts sans doute privilégiés avec le comté de Flandre depuis que leur ville avait fait partie du douaire de Mathilde de Boulogne, nièce du comte Philippe d’Alsace et épouse d’Henri Ier34. Les élites bruxelloises attachaient beaucoup d’importance à l’alliance avec la Flandre et sa noblesse et, au-delà, à leurs possibilités de négoce en Flandre et plus au sud, sur les foires de Champagne et en France35. Au terme de cet épisode, les Bruxellois bénéficiaient d’une protection ducale importante en matière de créances envers des débiteurs étrangers : l’emprisonnement pour dettes à Bruxelles s’en trouvait implicitement contractualisé par le Prince pour la première fois bien avant que le magistrat bruxellois obtienne des compétences juridictionnelles en ce domaine en 129136.  . Les courtiers-hôteliers et l’accueil d’un groupe social surveillé : B les marchands étrangers Cette protection légale était favorable aux performances économiques de la communauté des marchands de la ville et à la construction d’une identité urbaine forte vis-à-vis des marchands étrangers, concurrents potentiels sur le marché de l’argent. On peut, pour cela, invoquer la théorie des protection costs de Frederic Lane qui mesure le bien-être et le succès économique des sujets d’un État à l’efficacité avec laquelle ce dernier rencontre leurs besoins en matière de protection des transactions commerciales37. Dans les deux villes les plus importantes du duché, Bruxelles et Louvain, aux alentours de 1230, les étrangers contrevenants sont abandonnés à la justice privée des bourgeois de leur ville d’accueil s’ils refusent de comparaître devant le magistrat urbain38. En cas Smets 1908, pp. 268-270 et Steurs 2004c, pp. 77-80. Traité commercial conclu entre le comte de Hollande et le duc de Brabant réglant la perception de leurs tonlieux respectifs et les procédures de payement entre leurs marchands éd. dans Koch 1970, n°245, pp. 412-414 [vers le 3/11/1200]. 34 Mathilde, nièce du comte de Flandre Philippe d’Alsace avait épousé Henri de Brabant en 1180, les magistrats, patriciens et bourgeois de la ville de Bruxelles s’étaient portés garants des conventions de mariage en 1179-1180 : Favresse 1938, n°2, p. 369 ; Pereira 1995, pp. 83-87 ; Kusman 1991, vol. 1, pp. 25-26. 35 Dès le XIIe siècle, ce sont les foires de Champagne, qui se profilent d’abord comme places de règlements financiers internationaux ou supra-régionaux (North M. 1996, pp.  223-238, pp.  223-224). Au sujet l’emploi des lettres de foires d’Ypres et l’essor des foires flamandes à partir de la fin du XIIe siècle, voir des Marez 1901 et Yamada 1991, pp. 773-789. 36 Acte ducal du 1er mars 1291 donnant notamment pouvoir aux créanciers bruxellois, sur base de lettres échevinales, de saisir les biens du débiteur ou de ses garants, éd. dans Favresse 1938, n°40, p. 477. L’importance de la contractualisation des obligations commerciales est relevée par Greif 2000, pp. 257-258. 37 Meriam Bullard, Epstein, Kohl et Mosher Stuard 2004, p. 99. Même si la théorie s’applique effectivement mieux à la période moderne, elle me semble coïncider avec certaines phases d’interventionnisme du Prince au Moyen Age dans le domaine économique. 38 Deux articles de la charte bruxelloise du 10 juin 1229 concernent les infractions dont se rendraient coupables des étrangers vis-à-vis de bourgeois bruxellois : l’art. 25 (défense à tout bourgeois de recueillir dans son hôtel, un étranger ayant empêché un autre bourgeois de disposer de ses biens) et art. 43 (cas où un étranger frappe un bourgeois et circule dans la ville sans avoir conclu de trève avec sa victime, un recours à la vengeance privée étant permis si le coupable ou un membre de son clan familial persiste à se montrer devant sa victime après avoir reçu une admonestation devant témoins). Éd. dans Godding 1999, pp. 150-151. La charte louvaniste de mars 1234 est éditée dans Van De Kieft et Niermeyer 1967, pp. 396-397. L’art. 2, l.10-13 mentionne la possibilité du recours à la légitime défense et l’obligation d’entraide des bourgeois entre eux en cas d’atteintes aux biens ou à la personne d’un de ceux-ci par un étranger. Le droit d’arrêt , très répandu dans les villes 32 33

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

d’infraction, les autorités urbaines veillent à surveiller une catégorie particulière d’agents économiques amenée à entretenir des contacts réguliers avec les marchands étrangers : les ­courtiers-hôteliers39. Ceux-ci ne pourront plus les accueillir dans leur hôtel, l’hospicium. Il s’agissait généralement d’un bâtiment assez spacieux doté d’enseignes et appartenant parfois à de très riches marchands pouvant servir de cautions financières à des marchands étrangers. L’intermédiation obligatoire des courtiers pour les opérations commerciales des marchands étrangers était une caractéristique générale de l’économie des anciens PaysBas40. Cela dit, une nuance sémantique pourrait trahir une hostilité latente des Bruxellois à l’encontre des contrevenants spécifiquement originaires d’une autre patrie : dans la charte ducale concédée à la ville de Bruxelles en 1229, l’étranger est toujours qualifié d’alienus, impliquant une altérité marquée, rattachée à un pays étranger, tandis que les échevins de Louvain employent en 1234 l’adjectif forensis, plus général, signifiant d’abord être étranger à la ville, hors les murs. En allant plus loin, la charte de 1229 exprimerait une volonté spécifique des groupes dominants bruxellois d’incarner une identité brabançonne en prétendant savoir qui est étranger au pays brabançon41. Dans ce contexte de concurrence latente avec les financiers étrangers, les Bruxellois avaient développé assez précocement une grande expertise dans le domaine du change international, du trafic des métaux précieux et de la frappe des monnaies. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler le récit des miracles de Notre-Dame de BasseWavre mettant en scène des orfèvres bruxellois auxquels le prieuré wavrien, dépendant de l’abbaye d’Affligem, commandite en 1152 une châsse précieuse, d’or et d’argent, confectionnée en trois mois42. Dès 1226, un Henri de Bruxelles s’était distingué comme changeur royal en Angleterre. Ces compétences en matière de métaux précieux allaient faire la renommée des Brabançons sur le marché monétaire anglais sous le règne du roi Henri III43. des anciens Pays-Bas et permettant aux bourgeois ou habitants d’une ville de faire saisir d’initiative les biens d’un débiteur étranger sans titre exécutoire, constitue sans doute un vestige de la justice privée : Godding 1987, n°43, p. 69. 39 À propos des courtiers et de leurs hôtels à buts commerciaux à Louvain, voir supra n. 21. La nuance entre la domus, maison privée sans affectation commerciale, et l’hospicium des bourgeois spécialisés dans l’accueil des marchands étrangers existe tant à Bruxelles qu’à Louvain. A Bruxelles, le terme hospicium n’apparaît qu’à deux reprises, dans l’art. 24, à propos de celui qui recueille dans son hôtel une personne qui enfreint les dispositions de a charte urbaine et refuse de payer l’amende et à l’art. 25 cité plus haut (accueil de marchands étrangers) contre 4 occurrences de domus en relation avec la notion de maison privée et de propriété privée (art.10, 16, 37 et 40) et à l’art. 1 de la charte louvaniste en relation avec l’interdiction de conclure des obligations commerciales avec des contrevenants étrangers. Dans les deux chartes, les termes employés sont identiques : hospicium+ le verbe colligere. 40 Doehaerd 1984, vol. 1, p. 66. 41 Du Fresne du Cange 1883-1887, vol. 1, Niort, 1883, p.  178 et Fuchs et Weijers 1977-2005, vol. 1, p.  179. Forensis signifie quant à lui d’abord du dehors, d’extérieur à la ville, puis seulement étranger et est aussi lié à la notion de l’aubain, l’étranger se trouvant dans une seigneurie qui est privé d’une partie ou de la totalité de ses droits de succession. Cf. du Fresne du Cange 1883-1887, vol.3, p.  549  ; Burgers 2002, vol. 1, Leyde-Boston, 2002, p.  579 et Fuchs et ­Weijers 1977-2005, vol. 4, pp.  2108-2109. Le sentiment d’appartenance brabançon sera exprimé explicitement dans les ­testaments «  constitutionnels  » des ducs Henri II (1248) et Henri III (1261), dictant une série de réformes fiscales et ­judiciaires touchant leus sujets. Ces testaments mentionnent les habitants (homines) de la terra Brabantie. En 1261, le duc Henri III souhaitera même dans ses dernières volontés que l’on expulse de la terre du Brabant les Juifs et les ­Italiens ­(Cahorsini) pretant à usure  : éd. dans Boland 1942, p.  94[4]. Sur le sentiment de cohésion croissant autour d’une «  patrie  » brabançonne à partir du milieu du XIIIe siècle  : Avonds 1991, pp.  33-43. L’identité brabançonne, celle des Brabantini, remonte quant au moins au premier quart du XIIe siècle : de Waha 1998, pp. 69-71 et p. 102. 42 Despy 1979, p. 36. 43 De Sturler 1936a, p. 121 ; Fryde 1984, voir pp.19-26. Entre 1257 et 1259, les Brabançons (et parmi eux surtout les marchands de Bruxelles, Léau et Malines) étaient les vendeurs d’argent prédominants au change de Canterbury  ; ils ­fournirent 6 375 lb. sterl. d’argent , devant les Flamands (2 719 lb. sterl.) et tous les autres fournisseurs des anciens Pays-Bas, les Anglais et les Allemands (4 011 lb. sterl.).

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Prélude : le marché de l’argent en Brabant | Chapitre i

C.

D’utiles intermédiaires entre l’offre et la demande d’argent

Le savoir-faire bruxellois profitait certainement de la situation géographique opportune de Bruxelles, située à l’intersection d’un réseau marchand européen liant la ville de Cologne, vaste marché de redistribution de l’argent saxon extrait des mines du Freiberg et de Goslar, au marché anglais44. Des marchands brabançons étaient installés à Cologne depuis 113545. Les monnayeurs brabançons entraient en concurrence avec leurs collègues colonais sur le marché londonien. En définitive, ce fut un Bruxellois, Renier, qui fut chargé en 1247, en pleine réforme monétaire anglaise, de recruter des ouvriers et changeurs sur le continent. Renier rémunérait notamment des travailleurs venus de Goslar46. L’essor des mines saxonnes du massif du Harz n’est d’ailleurs peut-être pas étranger à l’attraction suscitée par la ville archiépiscopale de Magdebourg où émigrèrent des marchands brabançons dans le dernier quart du XIIe siècle47. Le dynamisme des monétaires brabançons est encore éclairé par l’existence de plusieurs deniers de Bruxelles ou à tout le moins d’origine brabançonne retrouvés en Poméranie qui auraient été frappés dans la première moitié du XIe siècle48. Ce dernier fait, qui suppose le fonctionnement d’un atelier en bonne et due forme, est peut-être trop minoré dans l’histoire économique du duché. En effet, les marchands brabançons pris dans les rets du commerce à longue distance ne devaient pas tellement différer de leurs alter ego italiens dans leurs stratégies commerciales  : pour des raisons compréhensibles, ces derniers cultivaient des relations étroites avec les ateliers de frappe monétaire. L’inverse était tout aussi vrai, les monétaires développaient également une activité marchande complémentaire et bénéfique à leur activité principale, s’appuyant sur des correspondants à l’étranger ; ils devaient vraisemblablement fournir en métaux précieux les ateliers monétaires brabançons. La compétence des monnayeurs les faisait rapidement admettre dans les rangs du magistrat urbain et parmi les ministériaux du Prince. Ces aristocraties de responsables monétaires souvent constituées en castes héréditaires et bien Cf. l’étude classique de Kuske 1956, pp. 155-156 mise à jour par Fryde 1984, p. 13, Spufford 1988, pp. 111-113 et Huffman, 1998, pp. 41-44. 45 Des bourgeois de Cologne originaires d’Anvers, Bruxelles et Louvain sont cités entre 1135 et 1180 dans Hoeniger 1884-1894, pour la période ca. 1135-1180, vol. 1, p. 346 et vol. 2/2, p. 17, n°41, p.19, n°s 76 et 79, p. 22, n°66, p. 25, n°s 110 et 113 et p. 27. Ils habitent surtout dans la paroisse Klein St. Martin, le quartier marchand où se côtoyaient des Brabançons, Flamands, Bavarois, Saxons et Frisons (Jakobs 1971, p. 89). La chronique de Gislebert de Mons relate le dépouillement par le comte de Duras en 1189 de plusieurs marchands brabançons et flamands sur ses terres. Les marchandises saisies ­comprenaient notamment des draps et de l’argent (certainement sous forme de lingots). La situation de Duras, entre Léau et Saint-Trond, au bord d’une route reliant Louvain à Maastricht, rattache cet épisode au développement du trafic commercial entre Flandre et pays rhénan : Margue 2000, p. 394. 46 Fryde 1997, pp. 41-42. 47 À Magdebourg, trois marchands de la ville d’émigration récente, Giselbert de Diest, Lambert de Louvain et Renier de Bruxelles sont témoins d’un acte de l’archevêque Wichman en 1179, réglant les modalités des emplacements disponibles sur le marché de la ville lors des foires : Despy 1997, p. 293. 48 Despy 1997, p.  257. L’identification bruxelloise reste contoversée Il est bon de rappeler le constat du dernier ­numismate s’étant intéressé à la question (Albrecht 1959, vol. 1, pp. 59-60 puis l’avis de Baerten 1965, pp. 13-17). Les deniers attribués à Bruxelles comportent un type très répandu dans les pays d’Empire qui apparut vers 1000-1010, figurant une croix et en forme tronquée l’inscription Hludovicus imp. au revers de la pièce et à l’avers MONETA BRUOCSELLA. Albrecht, sur base d’autres pièces, tend à attribuer cette frappe au comte Lambert le Barbu (994-1015). Aux problèmes ­techniques d’interprétation chronologique de ces deniers—une monnaie en circulation peut avoir été en usage plusieurs siècles durant— et au fait que plus aucune publication récente n’ y a été consacrée depuis Baerten, op. cit., se rajoute le fait qu’un nom de lieu figurant sur une pièce n’est pas toujours celui de l’atelier monétaire ou même du lieu d’émission : cf. Bompaire et Dumas 2000 p. 92. 44

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

connues pour les villes de Lombardie au Xe siècle et celles d’Alsace au bas Moyen-Age, mériteraient d’être étudiées pour le Brabant49. Le succès de cette main-d’œuvre de spécialistes Outre-Manche dépendait logiquement des rapports de bonne entente d’Henri Ier de Brabant avec la monarchie anglaise. Les ducs de Brabant avaient développé des relations politiques importantes avec les rois d’Angleterre, débouchant à partir de 1224 sur plusieurs mesures favorables au commerce des Brabançons dans le royaume. Amorcé dès le règne du duc de Brabant Henri Ier (11901235), ce rapprochement a bien été étudié dans la thèse majeure de Jean de Sturler50. Le roi Richard Cœur de Lion avait ainsi promis au duc un fief de bourse de 1 000 marcs d’esterlins vers 1199-1201 dont le payement se fit attendre51. La somme représentait l’équivalent de 233,8 kg. d’argent pur52 ! Il est vraisemblable que le négoce de quelques entrepreneurs-monnayeurs bruxellois à la monnaie de Londres, au service des rois d’Angleterre, se traduisit alors par une importation notable d’esterlins anglais. Au surplus, dès le premier tiers du XIIIe siècle, le milieu des marchands drapiers bruxellois n’était pas dépourvu de devises anglaises du fait de ses relations commerciales avec l’Angleterre, notamment pour l’importation de laine53. Il est possible que cette dernière ait constitué le frêt de retour des exportateurs brabançons d’argent saxon ou de billon vers Londres. Ces deux branches du commerce ­supra-continental contribuèrent certainement à une circulation accrue de la monnaie anglaise en Brabant. Un autre indice suggère le gonflement du volume des espèces monétaires disponibles en Brabant : c’est la possibilité donnée en 1237 par le pape Grégoire IX au duc Henri II de Brabant, de proroger d’un an le payement du rachat des vœux de croisade de son père, qui représentait une somme de 1 000 marcs d’esterlins, moyennant la réception d’une caution suffisante54. Cette possibilité ajoute du poids au postulat de l’existence de quelques hommes d’affaires brabançons en relation avec l’Angleterre, d’une carrure suffisante pour garantir la solvabilité de leur Prince55. L’hypothèse n’est peut-être pas si fragile quand on connaît le recours croissant au crédit pour le Lopez 1953. Le phénomène est général pour les villes d’Europe du Nord-Ouest à partir des XIe-XIIe siècles  : Nicholas 1997, p. 77, p. 115, p. 171 et p. 215. A Metz, au XIVe siècle, les changeurs messins fournissent des métaux précieux à l’atelier monétaire de la ville et en vendent à des ateliers de princes voisins. En 1292, l’évêque de Metz afferme à la ville pour 5 ans le droit de frapper des monnaies : Schneider 1950, pp. 255-256. Dans les villes rhénanes, des clans familiaux d’origine ministériale obtiennent la gestion journalière héréditaire de l’atelier, sans que le Prince renonce pour autant à son droit régalien, ce sont les Münzerhausgenossen ou associés de la monnaie. A Strasbourg, une oligarchie fortunée détient ainsi le monopole de la frappe et du change sans que cela implique une cession de droit régalien (Bompaire et Dumas 2000, p. 397 ). À Bruxelles, la famille des Monetarii attestée depuis la première moitié du XIIe siècle (Charruadas 2008, vol. 2, pp. 74-76 représente sans doute l’archétype de ces familles héréditaires liées à la frappe de la monnaie). 50 de Sturler 1936a, pp. 104-111, et p. 473 : diverses faveurs particulières sont ainsi accordées à des marchands brabançons par le roi d’Angleterre sous le règne du duc Henri Ier (1190-1235). 51 de Sturler 1936a, p. 96, n. 76. Sur le fief reçu par le duc de Brabant : Vanderkindere 1904, pp. 284-285. 52 Le marc anglais était basé sur le marc de Cologne, d’un poids de 233,8 g. d’argent : Fryde 1984, p. 29, n. 31. Il faut toutefois noter que Pegolotti, agent des Bardi à Anvers en 1315-1317 évalue le marc de Cologne en usage en Brabant à un poids légèrement inférieur, à savoir 233,280 g. ; à Anvers, il descend même jusqu’à 231,954 g., voir Witthöft 1987 vol. 1, pp. 444-445. On considère actuellement que les données monétaires compilées par Pegolotti remontent en fait à 1290 et ne sont certainement pas ultérieures à 1300 : Travaini 2003, pp. 119-121. 53 Le marchand bruxellois Michel Wichmar lègue en 1228 la somme impressionnante de 30 marcs d’esterlins, soit environ 7 kgs. d’argent pur : Despy 1981, p. 153. 54 Rachat des vœux de croisade du duc Henri Ier à hauteur de 1 000 marcs, dans l’acte pontifical de Grégoire IX [Terni, 31/1/1237] éd. et partiellement analysé dans Auvray 1896, n°3460, col. 540-541. 55 Smets 1908, p. 175. Indice supplémentaire du volume important de métaux précieux en circulation en Brabant à cette époque, le jeune Henri de Brabant, futur Henri Ier, prête la somme imposante de 5 000 marcs d’argent au comte de Namur 49

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Prélude : le marché de l’argent en Brabant | Chapitre i

financement des croisades en terre sainte à partir du dernier tiers du XIIe siècle56. L’intervention de la haute finance colonaise a pu ainsi être mise en évidence pour la participation à l’expédition en terre sainte de l’archevêque de Cologne Philippe de Heinsberg à hauteur de 1 000 marcs de Cologne. Les liens étroits entre les croisades et la haute finance participaient d’une évolution de longue durée des systèmes financiers de l’Europe médiévale57. Ce faisceau d’indices permet de conclure à l’existence d’une classe d’hommes d’affaires bruxellois qui disposait à partir du premier tiers du XIIIe siècle de contacts internationaux dans le domaine du trafic des métaux précieux sans recours observable à des intermédiaires financiers italiens actifs sur les foires de l’Europe du nord-ouest tels les Astésans ou les Placentins58. Plus généralement, il est peu douteux que la technique des règlements bancaires par compensation, par crédit ou débit de comptes courants, devait être maîtrisée, sous une forme rudimentaire, par les négociants brabançons, dès les années 120059. Les dépôts d’argent informels étaient aussi pratiqués60. D.

Anomalies apparentes dans l’histoire financière de Bruxelles

Pourtant, première anomalie dans l’histoire financière de Bruxelles, en dépit de l’expertise reconnue de ses monnayeurs, un histogramme (voir graph. 1) des monnaies utilisées pour les transactions financières (dettes et créances) entre le Brabant et l’étranger jusqu’à la bataille de Worringen61, tend à prouver que celles-ci sont majoritairement libellées en marcs non-spécifiés et en marcs de Cologne dans le premier tiers du XIIIe siècle, jamais en monnaie de Bruxelles. La prépondérance des marcs non-spécifiés suggère que les payements pouvaient être exécutés en poids d’argent pur, sous forme de lingots en lieu et place de deniers par des marchands brabançons. Le lingot fut longtemps un instrument de payement particulièrement adapté aux transactions financières

Henri l’Aveugle en 1188 en échange de l’engagement de toutes les terres namuroises situées sur les rives gauches de la Sambre et de la Meuse, épisode relaté par Gislebert de Mons (Ganshof 19824, pp. 196-197). 56 À son retour d’Orient, l’évêque de Liège emprunte une somme d’argent à un compatriote établi à Gênes en 1195, payable en lingots : Van Werveke 1932, p. 458. 57 L’archevêque de Cologne engage la monnaie de la ville à la bourgeoisie locale pour une somme de 1 000 marcs en 1174 : von Stromer 1986, pp. 66-67. Pour l’exemple du financement des croisades en Prusse au XIVe siècle, voir l’ouvrage classique de Paravicini 1995, vol. 2 particulièrement aux pp. 210-309. Sur la relation étroite entre les croisades de la fin du XIIe siècle et la structuration des finances publiques par la construction d’un appareil fiscal performant  : Ormrod et Barta 1996, pp. 53-56. 58 En ce sens, voir aussi les observations de Fryde 1984, p. 26. 59 Cette technique par jeu d’écritures sur les comptes respectifs des marchands transpire d’un traité commercial entre le comte de Hollande et le duc de Brabant en 1200 dont une clause est relative aux procédures entre les marchands du duc de Brabant et ceux du comte de Hollande, lorsque les premiers peuvent accorder des prêts à leurs collègues hollandais trafiquant en Brabant sans prise de gages nécessaires et réciproquement, cité à la n. 33. 60 Ceci ressort de l’art. 37 de la charte de libertés de Bruxelles en 1229, lorsque les voisins de l’hôte logeant une personne devant purger une peine de prison peuvent garder son argent pendant sa détention (Godding 1999, p. 151). 61 Je précise que le dépouillement a été fait uniquement à partir des inventaires analytiques des chartes et cartulaires de Brabant d’Alphonse Verkooren ; il ne constitue donc qu’une première approche du phénomène. Les termes de l’étude ont été bornés par, d’une part la première mention d’une monnaie clairement libellée (livre de Flandre en 1179 pour la dot de Mathilde de Boulogne, épouse du futur Henri Ier de Brabant) et, d’autre part, l’année de la victoire de Worringen (1288). L’acquisition du Limbourg qui suivit cette victoire me semble constituer une césure suffisamment importante dans l’histoire monétaire du duché par l’accroissement des flux commerciaux que cette acquisition ne devait pas manquer de susciter. D’autre part, le duc de Brabant débute une série de dévaluations à partir de l’année 1289, s’adaptant aux dévaluations du roi de France, face à la hausse du prix de l’argent (à ce sujet, voir Peeters 1983, p. 129).

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

14 12 10 8 Nombre de mentions

6 4 2 1170-1198 1199-1228 1229-1258

Années

1259-1288

Monnaies

Graph. 1. Échantillon des monnaies les plus significatives circulant en Brabant (1170-1288)

i­ nternationales importantes, évitant le transport de milliers de deniers et offrant un bien plus grand pouvoir d’achat62. À partir du milieu du XIIIe siècle, les livres de deniers Louvaignois sont de plus en plus fréquemment utilisées (voir graph. 1), y compris pour des dettes envers des créanciers extérieurs au duché de Brabant (voir graph. 2), ce qui donne la mesure de la confiance que ces derniers pouvaient placer dans la valeur de la monnaie de Louvain. Ces livres de Louvain représentent, selon toute apparence, le modèle de petits deniers brabançons les plus utilisés en Brabant à l’époque63. La fiabilité de la livre de Louvain trouve d’ailleurs un écho net dans son utilisation comme unité de compte pour les cens fonciers sujets à de fortes dévaluations64. La monnaie bruxelloise n’est mentionnée qu’une seule fois dans une transaction avec un débiteur rhénan en 127765. Cette reconnaissance de la livre de Bruxelles comme moyen de payement sur les marchés étrangers est donc bien plus tardive que les premières mentions de la monnaie de Louvain (dès la décennie 1209-1218). Compte tenu de ces données statistiques, on peut soutenir plus aisément l’argumentation selon laquelle le savoir-faire des monnayeurs bruxellois s’exerça à l’étranger au service des monarques de l’Europe du Nord-Ouest vraisemblablement à cause des préVoir notre n. 56. Aux constatations de Van Werveke 1932, pp. 462-464, valables pour les anciens Pays-Bas, on peut, à titre de comparaison pour l’espace suisse, joindre les pages suggestives de Morard 1997, pp. 380-381 (emploi majoritaire des lingots jusqu’à la fin du XIIIe siècle). 63 Boffa 2007, pp. 166-167. 64 Peeters 1983, pp. 122-123. Dans le trésor monétaire de la rue d’Assaut datable de ca. 1267, la ville de Louvain arrive en première place devant les autres monnaies brabançonnes avec 7 841 d., contre 6 100 d. (Bruxelles), 1 465 d. (Nivelles) et 1 051 d. à Anvers : Boffa 2007, pp. 159-160. 65 Verkooren 1961-1962, vol.1, p. 142 [26/2/1277]. 62

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Prélude : le marché de l’argent en Brabant | Chapitre i

Livres de Flandre Marcs de deniers "anglici Brabantini"

Type de monnaies

Livres tournois Livres de Louvain dette créance

Marcs non-spécifiés Marcs d'esterlins Marcs de Cologne Marcs de Liège 0%

10%

20%

30% 40% 50% 60% 70% 80% Pourcentage de la monnaie en dette et en créance

90%

100%

Graph. 2. Répartition des monnaies principales en dettes et en créances du Brabant vis-à-vis de l’étranger, 1170-1288

tentions monopolistiques des élites financières louvanistes sur les frappes du petit denier brabançon66. La ville de Louvain abritait un atelier monétaire princier depuis le XIe siècle, bien antérieur à son équivalent bruxellois67. Ces prétentions étaient évidemment renforçées par le rôle politique éminent de la cité de la Dyle : même si le Prince s’appuyait sur le groupe des quatre « chefs-villes les plus importantes de Brabant, Anvers, Bois-le-Duc, Bruxelles, et Louvain, la ville de Louvain reste en effet la résidence politique principale des ducs de Brabant jusqu’à la régence d’Aleyde de Brabant (1261-1268)68. D’autres caractéristiques centralisatrices concouraient à la primauté de Louvain. Il y a déjà été fait allusion : l’influence de son droit, particulièrement en Brabant septentrional (mairie de Bois-le-Duc) et dans la partie romane du duché (Genappe, Grez, Incourt. . .). La diffusion de la monnaie et des mesures de Louvain était également sensible dans ces régions. Dans l’est du Brabant septentrional, la monnaie de Louvain remplaça les unités monétaires employées avant l’expansion brabançonne dans Deligne, Billen et Kusman 2004, pp.  69-92, pp.  77-78 et A.D.N., B606, pièce 3884 [25/8/1297]  : Cinq ­ onnayeurs bruxellois sont engagés à l’atelier du comte de Hainaut Jean d’Avesnes à Valenciennes en 1297, probablement m en vue de la frappe d’esterlins (imitations des esterlins anglais) et en plus faible proportion, des deniers montois comme semble l’indiquer le compte du prévôt de la monnaie pour les 22 premières semaines d’activité des monnayeurs : A.D.N., B.3268, dépenses et recettes de l’hôtel de la comtesse de Hainaut, 1295-1304  : compte de la monnaie de Guillaume le Duc, maître de la monnaie de Valenciennes, f°7r° ; aucun Louvaniste n’est cité parmi les artisans engagés. À la fin du règne d’Henri III (1216-1272), les marchands brabançons figurent toujours parmi les fournisseurs principaux de lingots d’argent à la monnaie royale. Dans le compte de la fourniture de billon étranger au change de Londres, pour l’année 1266 (T.N.A., E./698/41), sur 6 noms de marchands étrangers figuraient 4 Brabançons dont 3 Bruxellois (Arnold pour 80 lb. 10s., Gautier pour 23 lb. et Jakemyn pour 118 lb.3s.9 d.) et 1 Louvaniste (Terricus pour 84 lb. 10s.). 67 Van Uytven 1980, p.  77 et Albrecht 1959, p.  58  : un denier du comte de Louvain avec le nom de l’atelier ­louvaniste est frappé vers 1038-1040. L’atelier bruxellois fonctionnait sans doute de manière régulière seulement depuis le premier quart du XIIe siècle : Steurs 2004c, p. 78. 68 Article classique de De Ridder 1979. 66

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la région, le marc de Cologne notamment69. Jusque dans les années 1280, la livre de Louvain prédomine dans les reconnaissances de dettes y compris pour des financiers bruxellois appartenant au patriciat tel Renier Eggloy qui allait jusqu’à demander au comte de Hollande Florent V l’acquittement de son prêt en livres de Louvain payment- c’est-à-dire déjà soumise à des fluctuations de cours- probablement pour cacher l’intérêt en jouant sur les taux de changes70. L’expérience des Bruxellois à l’extérieur des frontières brabançonnes contribua sûrement à l’avènement de la monnaie bruxelloise comme concurrente sérieuse de la monnaie de Louvain. Mais ce ne fut qu’en 1291 que le duc de Brabant fixa un plus grand nombre de monnayeurs actifs à Bruxelles (50) qu’à Louvain (40). Cette époque coïncide avec une augmentation décisive des actes ducaux passés à Bruxelles presque dans un ratio de 1 pour 4 par rapport à Louvain et avec un rôle prééminent de cette première ville comme résidence politique des ducs de Brabant71. E.

Les manieurs d’argent de Sainte-Gudule

Une seconde anomalie de l’histoire financière de Bruxelles est constituée par la présence de pouvoirs concurrents au sein des infrastructures commerciales de la ville, contrairement à la ville de Louvain72. Afin d’asseoir son autorité sur la frappe de la monnaie, le duc devait en fait composer avec les pouvoirs locaux en place et les potentes qui les représentaient. Ces patriciens, en relation avec le chapitre Sainte-Gudule, exerçaient couramment le commerce de l’argent, en conjonction avec des activités marchandes. La monnaie avait été établie sur un alleu cédé par le duc au chapitre Sainte-Gudule, fondation princière. Le chapitre était donc devenu seigneur foncier de l’atelier monétaire bruxellois, probablement depuis le XIIe siècle au plus tard. Evocation symbolique de la localisation de l’atelier, les premiers deniers et oboles bruxellois frappés sous Henri Ier semblent bien représenter au revers l’avant-corps de la collégiale Sainte-Gudule73. Le duc Steurs 2004c, pp. 69-70. A.G.R., Chartes de Brabant, n°119[12/11/1285], pour un prêt de 400 lb. Louv. ; Peeters 1983, pp. 122-123. Acte du duc de Brabant Jean Ier déterminant le nombre de monnayeurs pour tout le Brabant : Verkooren 1910, p. 178 [juillet 1291]. Sous Jean Ier, pour 40 actes ducaux donnés à Bruxelles, il n’y en a plus que 11 donnés à Louvain (De Ridder 1979, pp. 332-333). 72 À Louvain, les ateliers monétaires successifs furent d’abord situés sur le domaine foncier de la Ville, dans des maisons privées habitées par les monnayeurs travaillant sous la direction du duc. L’atelier monétaire était situé dans la veteris moneta strata avant 1296 (actuelle s’Meierstraat). Puis l’atelier déménagea dans la moneta strata ou actuelle muntstraat. En 1312, elle était située dans le quartier juif, dans le voisinage de l’église Saint-Pierre actuelle (Crab 1967, p. 19 et p. 22 et Van Uytven 1980, p. 189). 73 Les deniers frappés par Henri Ier figurant au revers une église ont été rapprochés de la représentation d’église figurant sur le sceau censal du chapitre Sainte-Gudule à Molenbeek-Saint-Jean, datant de 1277 (Baerten 1965, p. 20). En Flandre également, même si le comte contrôlait les ateliers monétaires urbains, chaque ville avait son type monétaire particulier (Nicholas 1992, p. 111). On possède une mention de la moneta de Bruxelles vers 1200 dans un acte resté inédit (Paris, B.N., Mss., coll. Moreau, t. 102, f°138) cité dans Steurs 1977, pp. 59-105, voir pp. 94-95. On corrigera p. 95 pour la mention d’un office de change de la ville vers 1200 dans le même acte. Il s’agit en réalité d’une brasserie (camba) peut-être la même que celle attestée dans l’Orsendael en 1321 dans le même quartier que l’atelier monétaire (Martens 1958, p. 137). L’atelier, attesté avec certitude dans l’Orsendael à partir de 1299 devait remonter au moins au milieu du XIIIe siècle, il est fermé en 1308 : Coekelberghs 1988, pp. 31-32. Selon Godding 1960, p. 63, l’atelier monétaire aurait été établi sur une parcelle allodiale du duc cédée au chapitre peu après sa fondation, au plus tôt vers le milieu du XIe siècle ; la première mention d’une monnaie bruxelloise dans les textes date quant à elle de 1073 : il s’agit d’une charte de l’évêque de Cambrai mentionnant un cens de 2 s. en monnaie de Bruxelles pour le chapitre Sainte-Gudule (Baerten 1965, p. 13). 69 70 71

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Fig. 2. Reproduction d’un petit denier bruxellois (milieu du XIIIe siècle) représentant un pont à l’avers, © B.R.B., Cabinet des Médailles, n° Inv. 298.

s’approcha de l’atelier monétaire bruxellois en acquérant un bien à proximité de la moneta, mais celle-ci resta un alleu du chapitre au bas Moyen Age74. Un autre lieu vital d’activité pour les changeurs, le quartier du pont des monnayeurs était aussi investi par les chanoines de Sainte-Gudule dès les années 126075 (fig. 2). Il semble bien que l’institution canoniale ait entamé cette campagne d’acquisitions immobilières en ayant à l’esprit la poursuite à long terme d’un investissement économique dans la frappe des monnaies et dans les profits conséquents en découlant. La proximité de Sainte-Gudule avec les circuits de l’argent n’était pas purement topographique. En effet, la domination du sol se traduisit concrètement par une influence grandissante des chanoines dans le secteur du négoce international. Le chapitre ne comptait pas que de purs patriciens, rentiers et otiosi, uniquement attachés à des placements sans risques. Il s’en détachait de véritables investisseurs de capitaux, malgré leur appartenance au monde des grands seigneurs fonciers de la ville76. Des entrepreneurs en quête d’argent pouvaient s’adresser à eux pour leur négoce Outre-Manche. Tel paraît bien avoir été le cas du fournisseur Falcon alias Valke ou à tout le moins d’un membre de sa famille, fournisseur de billon à la monnaie de Londres sous le règne du roi d’Angleterre Édouard Ier (1272-1307)77. Un Gossuin Valke, riche propriétaire foncier dans l’Overmolen, hors les murs de Bruxelles, emprunta par lettres échevinales de grosses sommes d’argent aux dignitaires du chapitre et à un prêtre bruxellois en 1283 et en 128978. Le postulat que la frappe C’est le cas pour l’atelier situé en 1321 dans l’Orsendael ( le duc paye apparement lui-même un cens pour un bien voisin, cf. Martens 1958, p. 142 : Dominus dux de domistadio quod fuit Tyloyi Zeguwale, pertinente ad Monetam : 2 capones et Ibidem, p. 278 pour le payement par le duc d’un cens aux chanoines de Sainte-Gudule pour la moneta de l’Orsendael). 75 Cession de bien par Henri Arbor et son épouse au doyen de l’église collégiale situés prope pontem monetarium pour un cens annuel de 3 lb. de Bruxelles (Martens 1977, t. 5, n°10, p. 12 [mars 1268], voir aussi Lefevre et Godding 1993, n°247, pp. 201-202 [1286]). 76 Pour la vision classique d’un patriciat largement improductif au point de vue économique, voir notamment Van Uytven 1978, pp. 476-477 et Despy 1992 pp. 16-17. Sur l’implication des hommes d’affaire du chapitre dans l’approvisionnement de la ville en denrées alimentaires de consommation courante : Billen et Duvosquel 2000, p. 54. 77 T.N.A., E.101/698/45 (daté du règne d’Édouard Ier) : plusieurs mentions de Falcon de Bruxelles pour une livraison totale d’argent de 75lb.16s.8d. de même qu’un Ernald et un Bauduin de Bruxelles, les autres monnayeurs cités(en moindre nombre) sont originaires de Bois-le-Duc, Cologne, Nivelles et Ypres. 78 A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., n°4885 , f°5r° Lefevre et Godding 1993, n°227[octobre 1283], emprunt de 100 lb. de Bruxelles à Gerelm Rikeman et à Jean Vos et n°280[26 août 1289], emprunt de 300 lb. de Bruxelles au prêtre Jean Vulpes. 74

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de la monnaie ducale à Bruxelles ait pu être affermée à des hommes d’affaires spécialisés dans le trafic des métaux précieux et gravitant autour de Sainte-Gudule est donc assez tentant dans la mesure où l’on sait déjà que le duc de Brabant Henri III (1248-1261) afferma la frappe de sa monnaie à divers entrepreneurs dont un certain Bastinus 79. L’incurie de sources se rapportant directement au fonctionnement des ateliers monétaires brabançons à cette époque ne permet cependant pas de consolider cette supposition dans l’état actuel des recherches. L’esprit de lucre n’était pas une nouveauté dans le paysage des institutions canoniales bruxelloises ; il hantait les consciences des clercs au moins depuis le dernier quart du XIIe siècle si pas déjà antérieurement80. La place de choix du chapitre Sainte-Gudule dans le prêt de l’argent à Bruxelles et dans les environs immédiats de la ville, se déduit aussi du sobriquet d’un de ses trésoriers actifs dans les années 1290, indubitablement tiré d’une activité annexe de manieur d’argent : Arnould Lombaert, en fait issu de la famille patricienne de Platea ou Uten Steenweghe81. Une stratégie semblable recouvrait peut-être le choix du patronyme du chanoine Gerelm Rikeman82. Soucieux de la conscience de ses ouailles et de ses dignitaires, le chapitre avait d’ailleurs élaboré assez tôt l’appareillage théologique leur permettant de valoriser socialement leurs biens « mal acquis », c’est-à-dire, provenant d’opérations usuraires, au moins depuis 1244, par le biais de donations83. Il leur était aussi loisible de pouvoir se faire inhumer dans l’église, moyennant la fondation d’une riche chapellenie84. L’apparition rapide de ces pratiques de restitutions répondait à l’omniprésence du prêt à intérêt dans la société bruxelloise, une culture du crédit prégnante bien avant l’implantation des premiers établissements bancaires piémontais dans le dernier tiers du XIIIe siècle. L’influence doctrinale du chapitre sur les consciences de ses paroissiens Gossuin apporte en garantie la maison où il habite à Overmolen et tous ses biens allodiaux et meubles. Il décide de fonder une chapellenie à Sainte-Gudule quelques mois plus tard, n°283[17/9/1289]. Gerelm Rikeman est cité comme chanoine de Sainte-Gudule en avril 1277-1278 : A.D.N., B1564, p. 222, f°75r°. 79 Baerten 1965, p. 20. Ce Bastinus avait repris le nom d’un premier entrepreneur renommé oeuvrant déjà probablement sous le duc Henri Ier (Boffa 2007, p. 170). On rencontre également TIBA(UT), WALT(ERUS) et un peu plus tard JOH(anne)S : Muntslag en circulatie 1983, pp. 21-22. Baerten fait l’hypothèse qu’il s’agit dans la majeure partie des cas de receveurs princiers auxquels avait été confiée la direction de l’émission monétaire. Il me semble au contraire plus logique que les noms indiqués sur les pièces soient ceux des monétaires assumant la direction effective des ateliers, comme c’est du reste déjà le cas sous l’Empire romain et dans les royaumes francs dès le VIe siècle : Fournial 1970, pp. 12-13. 80 À cette époque, certains chanoines d’Anderlecht auraient déjà été séduits par les sirènes de la mercatura et de la venalitas, un état de fait dénoncé dans la vie de Saint Guidon, rédigée à l’usage des chanoines locaux : cf. De Waha 1980, pp. 45-60. Selon des recherches plus récentes qu’il a menées, M. de Waha me communique que la rédaction de la vita de Saint-Guidon pourrait bien remonter à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle au plus tard (renseignement oral communiqué le 12 octobre 2005). 81 En 1291, le bourgeois Gilles Lose qualifie son interlocuteur, dans un acte de cession au chapitre, de discretus vir et de dominus, Arnoldi dicti Lumbaert, canonici et thesaurarii eiusdem ecclesie (Lefevre et Godding 1993, n°310, pp. 235-236) : celui-ci est à identifier avec Arnould de Platea cité comme trésorier du chapitre entre 1290 et 1300 (Ibidem les n°297, 327, 328, 385, 394, 401, 405, 446, 455, 472 et 491). Le terme discretus [distingué] est fréquemment réservé aux élites urbaines selon Braunstein 1997, voir p. 31 et Derville 1997, voir p. 121 et p. 129. 82 Le prénom Gerelm se rencontre souvent pour les familles patriciennes Tserclaes et Vederman toutes deux massivement représentées dans les rangs canoniaux au XIVe siècle. 83 Le testament du clerc de Bruxelles Gossuin, contient, après plusieurs donations au chapitre de Sainte-Gudule, une clause finale relative aux restitutions à faire endéans les deux ans après son décès de minus juste acquisitis jusqu’à un montant de 15 lb. de Bruxelles. La formule signifie une rupture du principe d’égalité dans les échanges et sous-entend des acquisitions provenant d’opérations usuraires (éd. dans Lefevre et Godding 1993, n°55, pp. 71-73 [août 1244] ; en 1300, Adam de Heembeek est plus explicite lorsqu’il consacre 40 sous pro male acquisitis (Ibidem, n°469, p. 317 [5/1/1300]). Au sujet de ce type de restitutions testamentaires : Todeschini 2002, pp. 163-174 ainsi que plus récemment : Ceccarelli 2005. 84 Ainsi pour le testament du clerc Henri Godenoy : 40 lb. sont réservées à la liquidation de sa dette et à eius injuriis restituendis et 140 lb. (!) à la fondation d’une chapellenie et à son inhumation (Ibidem, n°308, pp. 233-244 [octobre 1291]).

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transparaissait des prétentions de son école capitulaire au monopole de l’enseignement pour les jeunes garçons et jeunes filles, au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle85. Même si les sources ne sont guère disertes en la matière, une autre activité lucrative du clergé séculier bruxellois consistait dans l’achat de rentes viagères sur des marchés extérieurs. Assez détaillées, les clauses d’achat de ces rentes permettent de reconstruire en l’espèce des liens d’affaires qui dépassaient les bornes du milieu clérical.  . Un cliché du monde des prêteurs d’argent bruxellois avant l’arrivée des F Lombards : les crédirentiers de l’abbaye de Kornelimünster (1263-1280) C’est à l’occasion d’une opération de financement de l’abbaye rhénane d’Inde à Kornelimünster (près d’Aix-la-Chapelle), que l’historien peut, exceptionnellement, dresser un tableau social assez diversifié du monde des manieurs d’argent bruxellois. Cette abbaye était propriétaire d’imposants biens fonciers et dîmes dans l’ouest du comté de Flandre. Les coûts d’exploitation de ces biens éloignés avaient nourri l’endettement de la communauté monastique, laquelle dût émettre des rentes viagères sur le marché brabançon pour satisfaire ses créanciers les plus pressants86. Le fonctionnement de la rente viagère était le suivant : le vendeur ou débirentier vendait à l’acheteur ou crédirentier le droit de percevoir toute sa vie durant une annuité représentant l’intérêt de la somme vendue. Par exemple, en échange, d’une somme payée, correspondant à une avance d’argent de 60 lb. de Bruxelles, le créancier obtenait en remboursement de son prêt une rente annuelle de 12 lb. de Bruxelles, ce qui représentait un taux d’intérêt de 20%. Le taux moyen des rentes émises était de 16,1%, en rapport avec l’état préoccupant des charges de la communauté monastique ; il offrait un bénéfice plus avantageux que le taux des rentes viagères vendues dans les Pays-Bas méridionaux à la même époque87. Jusqu’en 1279, le clergé  bruxellois fournit majoritairement les rangs des crédirentiers de l’abbaye rhénane d’Inde à Kornelimünster. Cependant, à partir de 1280, les groupes intermédiaires de la ville investiront en nombre croissant dans la dette de Kornelimünster88. La prépondérance initiale d’ecclésiastiques parmi les créanciers de l’abbaye de Kornelimünster s’explique par l’essence du crédit par rente viagère. Celle-ci permettait de tourner l’écueil de l’interdit du prêt à usure pesant sur les âmes chrétiennes depuis le concile de Latran II (1139) jusqu’au récent concile de Lyon (1274) : en ne mentionnant pas expressément la perception d’un intérêt, l’opération se réduisait à l’achat licite d’un droit viager de percevoir un revenu89. Ainsi, l’abbé Renaud pouvait-il justifier sans ironie le versement d’une rente viagère de 8 lb. de Bruxelles au prêtre Godefroid de Bruxelles ad evitandum usurarum onus quod nos opprimebamur puisqu’elle était assignée Uyttebrouck 1978, p. 461. Kuhn 1982, pp. 72-77. En 1268, le taux attesté à Tournai est de 11, 54% : Sivery 1984, p. 287. Taux moyen de 12, 5% pour les rentes viagères émises au XIIIe siècle dans les Pays-Bas du sud : Godding 1987, n° 828, p. 484. 88 Les différents crédirentiers sont connus par les actes d’émission de rentes de l’abbé de la communauté dans A.D.N., B.1564 (Quatrième cartulaire de Flandre, B1564 (1085-1294), f°73r°-f°76v°, émis entre 1263 et 1280. 89 Tracy 2003, p. 15. Le concile de Lyon avait employé l’image de l’abîme (vorago) pour qualifier l’usure (Todeschini 2002, p. 106) ; l’expression vorago usurarum se retrouve dans un acte du pape Honorius IV en 1285 pour qualifier la nature de l’endettement de l’abbaye de Kornelimünster (Kuhn, 1982, p. 72 ). 85 86 87

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sur 16 bonniers de bois possédés par l’abbaye rhénane à Deux Acren90. Cette technique ne trompait pas, du reste, les observateurs avertis du monde clérical. Le poète Rutebeuf moquait cruellement ce goût prononcé des clercs pour la rente, dans son miracle de Théophile91. Au nombre des crédirentiers ecclésiastiques, on comptait trois prêtres de Bruxelles et d’Evere qui côtoyaient trois chanoines de Sainte-Gudule bien nés dont le patricien Gerelm Rikeman. Ce dernier était, on l’a vu, aussi intéressé au commerce anglo-brabançon92. Les chanoines n’étaient pas les moins avides  : ils demandaient les taux d’intérêt les plus élevés, à savoir 20% et obtenaient fréquemment le payement de leurs annuités dans une monnaie d’excellente qualité : la livre parisis. Pour les chanoines, des profits sur les taux de change étaient concevables car les rentes étaient achetées en livre de Bruxelles et plus rarement en livres de Louvain93. Payables à Bruxelles, les montants des rentes devaient être rehaussés par les commissions prélevées par les changeurs locaux94.  Cependant, je l’ai dit, cette opération de crédit profitable avait rapidement conquis des adeptes au sein du monde laïc (voir fig. 3), particulièrement dans les couches moyennes de la bourgeoisie bruxelloise. Le milieu des marchands était représenté avec Guillaume et Aleide de Lacu, sans doute originaires de Laeken95, et celui des artisans de luxe avec Guillaume Hondeloze, appartenant à une famille de pelletiers96. Le métier de pelletier s’insérait dans un milieu professionnel, celui du travail des peaux, répondant à la demande des hôtels princiers de l’Europe du nord-ouest en fournitures de cour raffinées et fort présent dans l’activité de prêt d’argent. En témoigne, la carrière éblouissante du sellier Gauthier de Bruxelles : elle se termina au service du roi de France comme membre de son hôtel. Exerçant ses talents dans le royaume de France sans doute dès les années 1270, bourgeois de Paris, l’intéressé avait été amené à devenir un banquier du duc de Brabant Jean Ier lorsque ce dernier séjournait à la cour du roi de France.

A.D.N., B.1564, f°74r° -v°, p. 220 [mars 1280 n.s.]. Écrit vers 1285 et célébrant le culte marial, ce miracle mettait en scène un clerc passant un pacte avec le diable. Après une durée de sept années, le clerc Théophile comprenait, plein de regret, pour son pacte que (. . .) De félonesse rente me paieront mes rentiers. Le payement de la rente va ici de pair avec la félonie, la trahison des engagements passés, éd. dans Cohen 1934, p. 40, datation dans Favier 2005, p. 130. 92 Cf. supra, la n. 82. 93 Kusman 2008a, vol. 1, pp. 23-25 (tableau des créanciers et commentaire). 94 Aucune équivalence ne figure dans les actes entre deniers parisis et deniers de Bruxelles. Leur parité théorique sera établie entre 1283 et 1284 quand 3 deniers bruxellois, 3 deniers louvaignois et 3 deniers parisis vaudront 1 esterlin de Brabant (Boffa 2000, pp. 31-137, voir n° 54, p. 45 [février 1283] et n°60, p. 46[novembre 1284]). Il s’agit de taux fixés par l’autorité émettrice, à savoir l’atelier monétaire princier. Toutefois, dans la pratique commerciale, le change des monnaies étrangères différait des cours d’émission (cf. Wyffels 1967, réédité dans Wyffels 1987, p. 492). Le change sur la place où vivait le créancier s’accompagnait naturellement de pertes pour le débiteur, compte tenu des commissions locales de change. Par exemple, la sous-évaluation de la monnaie artésienne par rapport aux deniers bruxellois pouvait cacher un gain sur le taux de change : en 1271, on changeait à Bruxelles 880 lb. de Bruxelles pour 953 lb. 6s. 8 d. d’artésiens (Buntinckx 1944, p. 87). Or, la parité entre deniers parisis et deniers artésiens s’établit à cette époque (Wyffels 1987, pp. 490-491) et donc celle, probable, du denier parisis avec son équivalent bruxellois. 95 Un Guillaume de Palude filius Yde de Lacu est cité dans le censier de 1321 (Martens 1958, p. 239),pour une redevance de 1 d. à Merchtem, il possède un obstallum (waréchaix), à côté de sa maison. Pour le sens de obstallum comme terrain vague à des fins commerciales, voir Deligne 2003, p. 89. À Gand et à Ypres, au XIIIe siècle, le magistrat ou le comte de Flandre cèdent de nombreux upstalle ou terrains vagues aux habitants comme terrains à bâtir, moyennant le payement d’un cens, voir Desmarez 1898, pp. 124-135 et p. 191. 96 Guillaume Hondeloze (ou son fils) est mentionné comme pelletier en 1331. Je remercie Chloé Deligne de m’avoir signalé cette intéressante mention : A.C.P.A.S.B., Fonds O, boîte 1, n°23 [18 juillet 1331]. 90 91

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Chapitre Sainte-Gudule Offre d’argent Agents intermédiaires agissant pour le compte Institutions hospitalières bruxelloises

de ces institutions , par Offre d’argent Instruments financiers disponibles :

ex.: Gossuin Valke Thiloy de Bruxelles Guillaume Hondeloze

-rentes viagères -lettres obligatoires -lettres échevinales

Demande d’argent

Demande de métaux précieux ou d’argent monnayé émanant de: -ateliers monétaires -abbayes -noblesse et marchands -riche paysans

Fig. 3. L’offre d’argent à Bruxelles au XIIIe siècle.

Un des associés de Gauthier était un pelletier parisien97. L’attraction de spécialistes bruxellois des métiers de la sellerie et de l’harnachement vers Paris paraît du reste avoir été assez forte dans le dernier quart du XIIIe siècle ; collaborant régulièrement avec les orfèvres pour l’ornementation de selles, les selliers répondaient sûrement à la demande en objets de luxe à la cour du roi de France98. Kusman 2008a, vol. 1, pp. 26-27. Ainsi trouve-t-on dans le quartier de la sellerie, deux lormiers bruxellois, Henri et Jacques (Geraud 1991, p.  96, col. 1-2). L’activité de lormier comprend la fabrication de tous les accessoires en cuir, en fer et en métal (y compris l’or et l’­argent) servant aux selles, freins, harnachement, éperons. . ., cf. Godefroy 1891-1902, t. 5, Paris, 1888, p.  33. La ­participation des selliers et lormiers à l’artisanat de luxe découle aussi de leur complémentarité avec le métier des orfèvres. Selon un statut de 1363, la confrérie bruxelloise de Saint-Eloy regroupant les orfèvres, comprenait également les selliers et les lormiers. Une situation valable partiellement dès le début du XIVe siècle puisqu’un sellier fait une donation à la confrérie dès 1304 (Libois 1967-1968, vol. 5, p. 57 et p. 66 et vol.6, 1968, pp. 29-77). 97 98

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Enfin, dans l’ensemble des bailleurs de fonds laïcs de l’abbaye de Kornelimünster, un troisième secteur socio-professionnel de la ville émergeait, relevant lui aussi de la bourgeoisie moyenne bruxelloise : celui des hommes d’affaires polyvalents incarnant les intérêts des institutions de secours de la Ville. C’est dans ce milieu qu’il faut replacer Thiloi ou Thiloy, fils du défunt médecin de la ville, maître Godescalc. En effet, lorsqu’on parle d’un médecin au XIIIe siècle, c’est très vraisemblablement du médecin de l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles dont il est question : les statuts de l’hôpital, donnés par l’évêque de Cambrai en 1211, sont les premiers pour les institutions hospitalières bruxelloises à prévoir la visite des malades par un médecin. Cela restera longtemps l’exception bruxelloise au XIIIe siècle99. L’institution de secours détenait des biens immobiliers près du pont des monnayeurs au moins depuis 1281100. Ce quartier regroupait sans nul doute les activités des monnayeurs et des changeurs101. Au-delà des profits somme toute symboliques d’un seigneur foncier – l’hôpital – dans le quartier des monétaires-changeurs, la relation nouée entre seigneur foncier et tenancier de maison supposait aussi des liens de sociabilité entre ces deux mondes opposés seulement en apparence102. Ceci éclaire ainsi d’un jour nouveau les activités lucratives des bourgeois bruxellois liés à la gestion des hôpitaux urbains. Thiloi, fils de médecin, était un puissant manieur d’argent, qu’il faut probablement identifier avec Tiloi ou Thiloy Zeguwale, habitant une riche demeure jouxtant l’atelier monétaire de la ville ; elle fut acquise par le duc de Brabant au siècle suivant103. L’intéressé appartenait au surplus aux classes lettrées de la ville. Il imposa aux moines de l’abbaye de Kornelimünster l’acceptation de plusieurs renonciations aux exceptions de droit romain dans la charte d’achat de rente qui lui fut délivrée. Les exceptions de droit romain étaient des outils légaux permettant à un débiteur de contester le remboursement d’un prêt en arguant d’un vice de forme dans le contrat d’emprunt. Cela incite à penser que la connaissance du droit romain était fort familière au prêteur bruxellois ou à son père (qualifié de maître, donc peut-être frotté de droit romain lors de ses études de médecine)104. L’emploi de ces clauses juridiques élaborées, participant de la redécouverte du droit romain au bas Moyen Âge, ne se popularise dans la pratique juridique brabanArt. 25 des statuts de l’hôpital donnés par l’évêque de Cambrai en 1211 édité dans Bonenfant 1953, n°10, p. 24 et commentés dans Bonenfant 1965, p. 72. La vente d’une rente de l’abbaye de Kornelimünster se fait à Thiloio, filio quondam magisteri Godescalci phisici de Bruxella : A.D.N., B. 1564, f°73v°-74r°, p. n° 6219 [juin 1280]. 100 Bonenfant 1953, n°191, p.  243  : cession au profit de l’hôpital de la propriété allodiale de deux fonds de maison[2/4/1281] ; voir aussi le n°202[16/10/1284], pp. 255-256, pour une transaction similaire. 101 La profession de monétaire—monetarius en latin, munter en néerlandais médiéval —implique au XIIIe siècle la double activité de monnayeur et de changeur et éventuellement celle de banquier, voir à ce sujet : Fuchs et Weijers 1977-2005, vol. 4, col. 2012. À Bruges, dès 1224, la gestion de la monnaie comtale et l’exploitation d’une table de change est dévolue au même personnage, Andreus Monetarius (Murray 2000, p. 150). Une confusion similaire existe déjà dans la Rome antique avec les activités désignées par le terme argentarius (Andreau 1999, pp. 330-340). 102 Puisque le montant du cens recognitif payable au seigneur foncier était fixé une fois pour toutes et inévitablement soumis aux dévaluations successives du XIVe siècle. 103 Martens 1958, p. 142. Un indice de l’entregent de Thiloi est fourni par le fait qu’en 1281, après avoir acquis les possessions flamandes de l’abbaye de Kornelimünster, le comte de Flandre Guy de Dampierre s’était engagé à continuer à lui verser la rente viagère tout comme auparavant : A.D.N., B. 1564, f°73v°, p. n°217 [31/5/1281]. 104 L’acte de constitution de rente contient des renonciations particulières aux exceptions pour vice de consentement (omni dolo et fraudi ), pour le privilège de for ecclésiastique, qu’elles soient de droit canonique ou de droit romain (nove constitucioni omni iure beneficio canonico pariter et civilis (...). Sur les exceptions de droit romain : Gilissen 1951 et Vercauteren 1960, pp. 325-340, réédité dans Vercauteren 1978, voir p. 161. 99

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çonne que dans le dernier tiers du XIIIe siècle et encore, est-il moins fréquent qu’en Flandre ou en Hainaut à la même époque105. Thiloi n’était que la figure de proue d’une phalange importante de financiers participant à la gestion des deniers de la charité à Bruxelles, dont le bien nommé Guillaume le Monnayeur, proviseur de l’hôpital Saint-Nicolas de Bruxelles en 1264, l’hôpital par excellence des milieux marchands de la ville106. Parallèlement, pour quelques familles bruxelloises, une carrière dans les institutions de secours allait de pair avec celle de receveur de Brabant107 et permettait de pousser les intérêts économiques du groupe familial108. Les bénéfices attendus par la multitude des créanciers de l’abbaye n’étaient, cela étant, pas uniquement matériels. En effet, l’opération de crédit des Bruxellois avait un volet clairement politique : elle soutenait les plans d’unification territoriale du comte de Flandre Guy de Dampierre. Les biens de l’abbaye sur lesquels les rentes viagères avaient été assignées se situaient dans les terres de débat entre le comté de Flandre et le comté de Hainaut, ou à proximité : certains de ces biens relevaient partiellement du seigneur d’Audenaerde, qui était depuis longtemps, on l’a vu, familier de la cour brabançonne et entretenait des contacts avec les élites bruxelloises. La stratégie virulente d’expansion territoriale des Dampierre à l’encontre de la maison des Avesnes en Hainaut avait débuté dès le règne de Marguerite de Constantinople (1244-1278)109. Quelques années plus tard, tirant parti du surendettement de l’abbaye, Guy de Dampierre acquit l’ensemble du patrimoine foncier de Kornelimünster à Brakel, DeuxAcren, Ellezelles, Horebeke, Renaix et Wodecq pour une somme de 4 100 lb. de Flandre110. Après son achat, le prince flamand honora scrupuleusement les engagements de Kornelimünster envers les bourgeois bruxellois qui détenaient des droits et seigneuries de l’abbaye entre Tournai et Brouxelle, sur les domaines abbatiaux111. Toutefois, il n’est pas impossible que l’achat des rentes ait aussi servi les ambitions de la maison des ducs de Brabant en poussant l’abbaye, affaiblie par cet endettement de longue durée, à aliéner au profit du domaine brabançon ses terres à Puurs, au sud de ­Rupelmonde112, 105 Vercauteren 1960, pp. 154-156. 106 Acte édité dans Favresse 1938, n°23, pp. 431-432. 107 Henri Prochiaen joue un rôle de gestionnaire de patrimoine immobilier en présidant à un transfert de biens en faveur

de l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles en 1265 (Bonenfant 1953, n°121, pp. 163-164 [août 1265]).

108 Achat de terres à Guillaume Lose en 1274 par l’hôpital Saint-Jean ; son parent, Jean Lose est proviseur de l’hôpital

en 1277 (Bonenfant 1953, n°165 et n°175). Thierry Lose, ancien receveur de Brabant, devient proviseur de la léproserie Saint-Pierre en 1307, tout en étant échevin : Bonenfant 1965, p. 91, n.3. 109 Les terres de Wodecq et Deux-Acren étaient entrées dans le patrimoine de l’abbaye vers 825. À Wodecq, le sire d’ Audenaerde imposa progressivement des droits d’avouerie. Les deux biens furent vendus au comte de Flandre en 1280 et firent l’objet de prétentions territoriales du comte de Hainaut à partir du XIVe siècle  : Hasquin 1980-1981, vol.2, Wallonie-Bruxelles, pp. 1637-1638 et vol. 1, Wallonie-Bruxelles, pp. 376-378. Sur la politique des Dampierre à l’égard du Hainaut, voir Vandermaesen 1982, pp. 309-406. 110 Kuhn 1982, p. 81. 111 Le soin du comte de Flandre à acquitter les crédirentiers bruxellois, après l’achat par celui-ci voir deux actes dans A.D.N., B. 1564, f°73 v°, p. n°217 [31/5/1281]) et R.A.G., Oorkonden van Vlaanderen, chronologisch supplement Wyffels, n°305, s.d., fin XIIIe siècle. 112 Renaud, abbé et les religieux de Kornélimünster à Inde, vendent à Félicité [dame de Hoboken], veuve de Godefroid, en son temps seigneur de Perwez, tous les biens et droits qu’ils possèdent à Puurs au prix de 940 lb. monnaie de Bruxelles [1277, 26 février] : Verkooren 1961-1962, vol. 1, p. 142. La vente fut confirmée par un acte du duc de Brabant Jean Ier le 18 avril suivant(Kuhn 1982, p. 83). Félicité valorisa rapidement cet achat en opération immobilière profitable puisqu’elle vendit le domaine de Puurs à l’abbaye Saint-Bernard d’Hemiksem pour 1 400 lb. de Louvain en 1278 (Strubbe et ­Spillemaeckers 1956, pp.  1-2). La vente à une abbaye brabançonne permettait d’intégrer l’acquisition dans le territoire brabançon tout en trouvant là un acheteur aux reins solides. Pour le rôle joué par les abbayes dans la politique économique du Prince, voir l’article classique de Van Uytven 1959.

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ou à Diegem, dans une zone propice à l’élevage bovin, au nord-est de Bruxelles113. Bénéficiaire de l’aliénation de Puurs, Félicité, dame de Hoboken, était la veuve de Godefroid, seigneur de Perwez, un petit-neveu du duc de Brabant Henri Ier114. Si l’on ajoute que cette période se place juste avant la poussée expansionniste des ducs de Brabant destinée à sécuriser le négoce vers la vallée rhénane, l’opportunisme commercial des crédirentiers bruxellois est incontestable. En dominant par la dette un monastère important comme l’était celui d’Inde, situé près d’Aix-la-Chapelle, les Brabançons assujettissaient un peu plus l’espace économique de l’archevêché de Cologne. Le duc de Brabant Jean Ier (12681294) était d’ailleurs déjà l’avoué de la ville d’Aix-la-Chapelle115 . Quel qu’ait été le poids relatif des ambitions du comte de Flandre et de celles du duc de Brabant dans le succès de l’emprunt de l’abbaye de Kornelimünster sur le marché bruxellois, un fait est certain  : la ville de Bruxelles était désormais une place de haute finance. En recourant au crédit de groupes sociaux très différents, les princes territoriaux pouvaient y trouver un appui à leur politique d’unification de territoires morcelés par les différentes seigneuries laïques ou ecclésiastiques. Après s’être intéressé aux élites locales, acteurs individuels du crédit en Brabant, il importe à présent, en prenant quelque hauteur, d’envisager le rôle d’institutions caritatives ou de collectivités urbaines, sur le marché du crédit. Parmi les institutions ecclésiastiques susceptibles de répondre à la demande d’argent frais dans les campagnes, les institutions charitables étaient tout autant actives que les monastères. G.

Hôpitaux et crédit

L’essor des hôpitaux comme institutions de crédit en Brabant correspondait au poids grandissant du crédit rural au sein de la société médiévale, dans le contexte d’une phase de hausse régulière des rendements agricoles, durant le «  long XIIIe siècle  » et de dépossession des petits propriétaires paysans au profit des citadins116. Les possessions rurales extrêmement importantes des hôpitaux les rendaient particulièrement aptes à bénéficier des fruits de la croissance. La hausse des rendements céréaliers se traduisait notamment par l’acquisition des dîmes par ces institutions de secours qui offraient aux élites féodales des capitaux en forte quantité dans ce but117. La constatation est presque banale pour l’historien économiste mais mérite peut-être d’être rappelée : le secteur rural reste au Moyen Age le prime mover des changements économiques d’ampleur. Sans la croissance 113 En 1274, Godefroid de Bruxelles acquiert, en sus de sa rente viagère de 12 lb., l’usufruit viager des biens de l’abbaye

à Diegem pour la somme de 80 lb. et 20 s. de Bruxelles (cachant sans doute un intérêt de 1,25% pour un prêt antérieur de l’intéressé) de la même manière que le détient déjà à parts égales Louis de Boitsfort, certainement un bourgeois bruxellois : A.D.N., B.1564, p. n°223, f°75r°. 114 Knetsch 1917, table II et n°51, pp. 29-30. 115 Avonds 1982, p. 458. 116 Gaulin et Menant 1998, pp. 35-67 : en Italie, le phénomène est particulièrement aigu pour les métropoles bancaires internationales qu’étaient les villes de Florence et de Sienne. Pour le Brabant, voir l’étude de de Waha 1979, p. 212, où il met en exergue à Anderlecht le rôle de crédirentier dans les campagnes des principales institutions ecclésiastiques de Bruxelles, hôpitaux Saint-Jean et Saint-Pierre et tables des pauvres de Sainte-Gudule et de Saint-Nicolas. 117 En 1277, le chevalier Gauthier de Bodenghem vend à l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles la dîme qu’il tenait en fief de la dame de Dongelberg pour un montant de 900 lb. de Bruxelles, payable endéans trois ans, tout en se réservant le droit de majorer ou de minorer le prix de vente proportionnellement au revenu de la dîme durant cette période (Bonenfant 1953, n°172, pp. 218-220 [25/3/1277]). En cas de défaut de payement aux échéances prévues, le chevalier pourra aller résider à Bruxelles avec deux serviteurs et trois palefroids aux frais de l’hôpital.

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des rendements agricoles, le développement démographique et l’expansion commerciale et industrielle des villes eût été impensable118. L’utilisation des hôpitaux par les élites marchandes comme des outils susceptibles de se procurer du crédit à bon marché ou de lancer des emprunts était d’autre part fort logique, compte tenu du loyer de l’argent particulièrement modeste qu’ils offraient à l’aide de l’achat de rentes perpétuelles dont les taux fluctuaient entre 5 et 6,26%. En échange du payement par l’institution caritative d’une somme, le débiteur et ses héritiers lui remboursaient une rente perpétuelle sous forme d’intérêts annuels, éventuellement constituée sur un bien immobilier119. Enfin, au point de vue de l’éthique néo-aristotélicienne imprégnant la pratique des échanges commerciaux, il s’agissait d’une « bonne usure » exempte de toute coercition et non-entachée par l’esprit de profit puisque bénéficiant au bien commun de la société en l’enrichissant par des donations120. La donation faite à l’infirmerie du béguinage de la Vigne par le clan d’amis et de familiers du manieur d’argent Guillaume Langevoet et de sa fille Catherine, est exemplaire à ce sujet121  ; elle éclaire le souci des grands financiers de contribuer à une forme de charité qui correspondait peut-être plus à leur spiritualité122. Aux bénéfices spirituels et matériels offerts par les emprunts ou donations à des institutions caritatives, s’ajoutait un gain politique considérable pour les gestionnaires laïcs des hôpitaux, celui de pouvoir faire valoir légalement les prétentions bruxelloises en matière de gestion de l’endettement. Qu’il s’agisse des intérêts de l’hôpital Saint-Jean ou de ceux de la léproserie Saint-Pierre de Bruxelles, il est frappant que bien avant que les créanciers bruxellois individuels puissent poursuivre leurs débiteurs étrangers sur la base des lettres échevinales, cette possibilité soit déjà donnée à des hôpitaux par le duc de Brabant123. Cela faisait des hôpitaux un formidable instrument de domination sociale mais aussi de ­fructification de capitaux privés pour les élites urbaines. La participation fervente de celles-ci à leur gestion s’en explique d’autant plus facilement124. Si l’on poursuit ce tour d’horizon du marché de l’argent brabançon, il faut à présent porter son attention vers les villes secondaires brabançonnes frontalières ou les villes brabançonnes disposant d’un statut seigneurial autonome dans le duché de Brabant, telle la ville de Malines. Ces cités faisaient preuve d’un dynamisme singulier dans le domaine des techniques financières. Reyerson 1999, pp. 50-51. Kusman 2008b, p. 367. Cf. les constatations semblables de Soetaert 1986, p. 54. Langholm 1998, pp. 62-68 et Todeschini 2002, pp. 364-365. Les béguines de l’infirmerie de la Vigne célèbreront un obit pour Guillaume et sa fille et leurs amis ; en échange de leur rente annuelle de 4 setiers de seigle, ils recevront une rente annuelle de 20 s. de monnaie courante, dont seront toutefois déduits les frais pour un lot de vin délivré aux béguines infirmes à l’assomption : A.C.P.A.S.B., H.317, f°13r°. Censier et obituaire de l’infirmerie de la Vigne, non daté mais remontant pour les mentions les plus anciennes au milieu du XIIIe siècle . La mention est sans doute de la fin du XIIIe siècle. 122 Le manieur d’argent Guillaume Langevoet apparaît en 1295 au sein d’un groupe de bourgeois bruxellois prêtant la somme respectable de 3 000 lb. sterl. au trésorier du roi d’Angleterre Édouard Ier (de Sturler 1936a, p. 163, n. 113b). 123 En 1271, la léproserie Saint-Pierre obtenait du duc de Brabant toute l’assistance pour faire poursuivre ses débiteurs par les officiers ducaux (Le Mire 1734, p. 605 [4/12/1270]). En 1253, une première mention de la garantie bruxelloise en matière d’obligations apparaît au bénéfice de l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles pour la donation d’un alleu à l’hôpital. Deux échevins de la ville sont les auteurs de l’acte (Charruadas 2004, p. 101). 124 Histoire de l’Europe urbaine 2003, vol. 1, p.  566. Le caractère capitaliste de la gestion des hôpitaux est illustré par l’exemple du patricien bruxellois Guillaume Coninc, proviseur de l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles en 1277 (Bonenfant 1953, n°175, p. 223) ; il est remboursé de ses prêts d’argent au comte de Berg en 1283 (voir infra, n.175). 118 119 120 121

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2. Émergence d’autres pôles financiers et espaces de libertés économiques : Léau, Bois-le-Duc et Malines A.

Dynamisme de localités-frontières, Léau et Bois-le-Duc

La ville secondaire de Léau représente un cas remarquable de croissance économique dans la mesure où, ville neuve créée par le duc de Brabant au XIIe siècle pour devenir un pôle commercial dynamique, face à la frontière liégeoise, elle connut un démarrage fulgurant de l’industrie textile d’exportation dès la première moitié du siècle suivant. Des draps, de qualités diverses, y étaient confectionnés à destination de l’Angleterre et du pays rhénan. La ville était reliée au réseau urbain brabançon (Diest, Aarschot, Malines, Anvers) et au gateway anversois par sa situation sur la rivière de la petite-Gette, reliée au Demer, à la Dyle puis au Rupel menant à l’Escaut. Un quasi-droit d’étape était d’ailleurs prévu pour les embarcations marchandes passant par Léau. La petite ville se situait par ailleurs à proximité d’un autre axe commercial, quant à lui routier, vers Aix-la-Chapelle, passant par Saint-Trond, Borgloon, Tongres et Maastricht. D’autre part, la fonction militaire de Léau apparaît à cette époque lors des attaques menées depuis le pays de Liège par les troupes du Prince-Evêque à son encontre. La position de ville-marché, en bordure de la principauté, provoquait indubitablement une concurrence commerciale qui n’était pas du goût du prélat et de son entourage : en 1287 certains marchands de la cité épiscopale n’hésiteront pas à écouler leur laine et étoffes sur le marché de Léau, plutôt qu’à Liège, profitant sans doute de conditions fiscales plus avantageuses pour le commerce125. Le commerce du drap et la position géographique de la ville, située à un nœud vital de l’économie transitaire de la principauté, entre la vallée mosane et l’axe commercial conduisant à Anvers, nécessitaient sans aucun doute l’intervention de courtiers traitant avec les marchands étrangers arrivant dans la ville ou y séjournant. Corrélativement, les bourgeois originaires d’autres cités arrivant à Léau bénéficiaient d’un statut juridique très favorable si on compare leurs libertés aux droits accordés aux nouveaux arrivants des autres villes brabançonnes, en étant assimilés de jure à des bourgeois natifs de la ville dès 1213126. Le commerce de l’argent devait être notable dès le milieu du XIIIe siècle, quand des marchands originaires de la ville allèrent proposer leur billon aux changeurs anglais de la monnaie royale, alors que l’abondance des capitaux en circulation à Léau impressionnait suffisamment le pape Alexandre IV en 1256 pour qu’il en fasse mention à l’évêque de Liège. L’expérience « anglaise » des monnayeurs de la ville explique aisément l’apparition relativement rapide par rapport à Bruxelles de changeurs-monnayeurs127. Preuve du poids de ces personnages dans la gestion des affaires de la ville, une famille de changeurs, dont certains parents avaient été les créanciers de l’abbé Guillaume de Ryckel, était représentée au sein du magistrat urbain dans le dernier tiers du XIIIe siècle. Un Othon Cambitor prêta avec ses associés, 20 marcs et 10 s. de Liège (cachant un intérêt annuel de 2,5%) à l’abbé en 125 Les considérations qui suivent sur le rôle des villes périphériques de Bois-le-Duc et de Léau, figurant dans Kusman

2008a, vol. 1, pp. 31-36, ont été mises à jour dans Kusman 2011, pp. 427-435. Afin d’alléger au maximum les références, je me permets pour l’essentiel de la démonstration suivante, de renvoyer aux travaux précités si le lecteur est désireux d’­approfondir la question au point de vue de la bibliographie antérieure. 126 (. . .) quod equali jure vel libertate advenientes burgenses, sicut qui natione sint, in opido gaudeant (Van De Kieft et Niermeyer 1967, n°10). 127 Kusman 2011, p. 432.

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septembre 1253. Othon agissait aussi comme intermédiaire financier pour solder le passif de l’abbé auprès des Juifs et de tenanciers de tables de prêt italiens (les Cahorsins) installés à Léau128. L’influence italienne à Léau en matière de culture des affaires se faisait sentir. La proximité d’une petite colonie marchande toscane à Liège et sa participation probable dans le drainage de la fiscalité pontificale vers Rome129, semblent avoir été assez prégnantes pour susciter, sous la plume de l’abbé Guillaume de Ryckel, l’emploi du terme de socius à propos des associés du changeur Othon. Facteur indéniablement favorable à la croissance du volume des activités bancaires, le niveau particulièrement bas des taux d’intérêt débiteur  ; dans cette localité-frontière, il restait inférieur au loyer de l’argent des prêteurs de la place financière de Liège : pour les prêteurs locaux, les taux n’outrepassaient pas 10%, voire 8,33% pour des prêts à court terme ; le taux comparativement un peu plus élevé des prêts accordés par les banquiers juifs de Léau restait pourtant bien en-deçà du taux d’intérêt liégeois130. La présence concurrente de plusieurs prêteurs et donc l’existence d’une large offre d’argent devait contribuer à réduire les taux de ce crédit d’urgence pour l’abbé. À l’existence de ces manieurs d’argent locaux s’ajoute la mention ponctuelle de Cahorsins à Léau en 1253. Le terme ne semble pas être une figure stylistique de l’abbé Guillaume de Ryckel pour désigner des marchands siennois131, ou placentins132 qui auraient résidé temporairement à Liège ni même des négociants originaires de Cahors133. L’absence de patronymes individuels sous la plume de l’abbé Guillaume de Ryckel – il est seulement question des Cauwersinis apud Lewis  – conforte plutôt l’hypothèse que ces Cahorsins étaient originaires du Piémont. Leur résidence ponctuelle dans la ville pourrait bien être rapportée d’une part à sa dynamique industrie drapière, dépendante du trafic de produits d’apprêt du drap comme la guède attestée en Hesbaye ou de produits d’importation méditerranéenne comme l’alun, un mordant indispensable aux draps134. D’autre part, Guillaume de Ryckel était familiarisé avec le cycle des foires de Champagne et les emprunts qui y étaient négociés135. On peut imaginer qu’il y ait noué contact avec l’un ou l’autre des prêteurs astésans qui y étaient représentés depuis 1235 et avaient atteint Utrecht au plus tard en 1260136. Enfin, le procès long de six ans que l’abbé engagea devant la curie pontifi128 Otton Cambitor cité comme échevin en 1274 : Piot 1870, n°279, p. 345 [avril 1274]. Pour les mentions des prêts

du changeur Otton de Léau à l’abbé Guillaume de Ryckel, voyez Pirenne 1896, p. 23, p. 299 et p. 322. Lorsque l’abbé Guillaume de Ryckel ne distingue pas le capital(de sorte) de la somme prêtée(usura) il est clair que l’intérêt perçu vient en sus des marcs ou des livres, par ex. pour une dette au domino Ottoni de Lewis[peut-être le même personage que le changeur, à moins qu’il ne s’agisse d’un ecclésiastique] 5 marc et 10 s. leod., 3 livres et 5s. lov. : Pirenne 1896, p. 25(1253). 129 Un marchand florentin est attesté à Liège dès 1254 : Yante 1999, p. 138, n. 27. 130 Kusman 2011, p. 434. Pour les prêteurs juifs, voir infra dans ce chapitre : Les Juifs, des concurrents sérieux avant les Lombards sur le marché du crédit ? 131 L’abbé emprunta de fortes sommes à des banquiers florentins actifs à Liège et à des banquiers siennois aux foires de Champagne, dettes dont certaines ne furent éteintes qu’en 1267 (Pirenne 1896, pp. xiv-xv et p. xviii, p.20, 101, 335-336. Il nomme d’ailleurs parfois ces personnages « Lombards » ; voir aussi Piot 1870, t.1, n°272, p. 335 [avant le 17 avril 1267 n.s.]). 132 Aucuns Placentins ne sont actifs à Liège ou en Brabant au XIIIe siècle (Racine 1979). 133 Les Cahorsins opérant en Europe du Nord-Ouest sont alors actifs surtout en Flandre et en Angleterre(cf. Wolff 1950 ; Fryde 1991 ; Wyffels 1991a). 134 Joris 1963, pp. 785-786 et Liagre 1955. La guède est cultivée à Meer en 1255-1259, non loin de Léau (dépendance de Halle-Boienhoven, prov. de Brabant, arr. Louvain, canton de Léau) : Joris 1958, p. 220. 135 En septembre et en octobre 1255, l’abbé doit négocier avec des marchands siennois installés à Troyes (Pirennne 1896, p. 334). 136 Castellani 1998 pp.  148-149 (famille Gutuarri à Provins). Les Astésans, sont signalés ensuite à Douai en 1247, à Warneton vers 1250 (Wyffels 1991a, p. 314), à Utrecht en 1260 (Melles 1962, p. 29 : famille Asinari).

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cale contre ses créanciers imposait des voyages fréquents vers l’Italie et donc de lourds frais de déplacements : les cités de Gênes, Milan et Rome sont citées137. L’apparition très précoce-par rapport au reste du duché de Brabant- de marchands piémontais à Léau s’insérait par conséquent dans ce contexte d’échanges soutenus entre l’abbé et la communauté des marchands italiens actifs dans les anciens Pays-Bas. Le crédit à la consommation des Piémontais de Léau se rapprochait par ailleurs de leurs opérations de prêt du début du XIVe siècle, au taux réglementaire de 43,3%, avec 57 lb. de Louvain avancées à l’abbé Guillaume de Ryckel, moyennant un taux de 40,3%138. La situation de Bois-le-Duc, située sur un affluent de la Meuse, face au comté de Hollande, est sensiblement similaire à celle de Léau  : il s’agissait également d’une ville neuve frontalière, créée par le duc de Brabant, vers 1195. Tout comme pour la ville de Léau, le droit urbain de Bois-le-Duc était celui de la ville de Louvain139. Vers 1250, l’industrie textile était pareillement devenue assez vivace, quoique de portée plutôt régionale  ; elle concurrençait les productions voisines du comté de Hollande140. Enfin, le payement des obligations financières se faisait en monnaie de deniers de Louvain, c’est-à-dire dans une monnaie relativement forte ; cette particularité rapprochait encore l’organisation urbaine de Bois-le-Duc de celle de Léau141. En revanche, la ville pouvait faire état de techniques bancaires plus avancées qu’à Léau. Ainsi, dès 1274, les gestionnaires des finances urbaines acceptaient le dépôt à l’actif des recettes de la ville de rentes annuelles pour le payement de fondations testamentaires. Ceci impliquait la circulation de capitaux entre la trésorerie de la ville et les institutions ecclésiastiques. L’emploi du verbe deponere fut attesté la même année pour un dépôt d’argent du duc de Brabant. C’est sans doute une des mentions explicites les plus anciennes d’un dépôt auprès d’un banquier privé pour tout le duché de Brabant. La réputation de la banque de dépôt à Bois-le-Duc dépassait les frontières brabançonnes : dès 1285 Gérard de Luxembourg, seigneur de Durbuy confia 200 lb. de Louv. auprès du bourgeois et échevin de la ville, l’hôtelier Alard, sous forme de fonds libérables rapidement. Alard de Bois-le-Duc était un banquier assez renommé auprès de la noblesse ; en 1291 il offrait ses services à Guillaume de Mortagne, un vassal du comte de Flandre142. Il faut le remarquer, la cité de Bois-le-Duc avait bénéficié très tôt de l’immigration d’élites bruxelloises et gantoises, l’intégrant sans nul doute dans des réseaux marchands supra-régionaux143. Le rayonnement financier de Bois-le-Duc se confirmait pour les prêts sur le court terme  : lorsque l’abbé Guillaume de Ryckel eut besoin d’emprunter de l’argent ailleurs qu’à Léau ce n’est pas vers des prêteurs de Louvain qu’il se tourna mais vers un patricien 137 Pirennne 1896, pp. xviii-xix et pp. 334-335. 138 De predicta autem summa pecunie fuerunt 57 lb. de sorte et 23 lb. lov. de usuris (Pirenne 1896, p. 14). À Anvers, en

1306, le taux d’intérêt est de 2 deniers la livre par semaine, 3 deniers pour les étrangers, soit entre 43 1/3 % et 65% ( Acte du duc Jean II, confirmant les privilèges d’Anvers, édité dans Willems 1839-1869, t. 1, nº 120, pp. 738-739 [6/12/1306]). Sur les opérations de crédit des Juifs, voir infra pp. 48-50. 139 Van Uytven 1982. 140 Van Uytven 1992c, pp. 69-74 et p. 84 ; Bonenfant 1962, pp. 152-154 et Steurs 1991, voir notamment p. 645. 141 Pour Léau : Pirenne 1896, p. xlvii. Pour Bois-le-Duc, voir Camps 1979, vol. 1, n°278, pp. 358-358 [1/10/1258], les exemples se multipliant à partir des années 1270 : Ibidem, n°333, p. 422 [ 2/2/1272] ; n°341, p. 430 [14/7/1273] ; n°343, pp. 431-433 [30/3/1274] ; n°345, pp. 434-435 [17/4/1274], etc. 142 Kusman 2011, p. 431. 143 Kusman 2011, p. 428, voir ausssi la mention parmi les échevins d’un Hugon de Bruxella et d’un Bauduin de Gand dès 1245 et d’un Gislebert de Coudenberg échevin de la ville en 1249 (Camps 1979, vol. 1, n°212, pp. 292-293 [novembre 1245], n°231, pp. 310-311 [21 avil 1249]).

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de la ville de Bois-le-Duc en 1257, le bourgeois Gilles Cnode. L’abbé allait même jusqu’à consigner explicitement le total annuel de ses intérêts payables dans la ville de Bois-le-Duc, se montant à 12 lb., en employant l’expression ad usuras144 ! À défaut de pouvoir calculer le loyer des prêts à court terme, le taux d’intérêt des emprunts à long terme nous est donné en 1273 : 10%, soit beaucoup moins que le taux des rentes viagères achetées par les bourgeois de Bruxelles de l’abbaye de Kornelimünster, plus proches, en moyenne, des 16%145. Cela pourrait suggérer que la ville était un endroit de choix pour y placer ses emprunts et, en outre, que la fixation des taux d’intérêt ne dépendait pas tant des motivations politiques des bailleurs de fonds  ; elle résultait bien d’avantage d’une négociation entre les parties selon la situation générale du marché local de l’argent. B.

Malines : émergence progressive d’un espace de libertés économiques

Le cas de Malines, seigneurie autonome dépendant de l’évêque de Liège et enclavée dans le duché de Brabant mérite aussi que l’on s’y arrête car elle constituait un maillon important de la politique économique des ducs de Brabant à l’égard des villes. Quand le duc Henri III reçut la ville en engagère de l’évêque de Liège vers 1255, il tenta immédiatement de s’attacher sa fidélité en lui octroyant le marché du sel, au grand déplaisir des Anversois qui en avaient le monopole, c’est-à-dire que le sel devait obligatoirement être exposé à la vente dans la ville d’Anvers avant de pouvoir être commercialisé ailleurs en Brabant. La position stratégique du seigneur de Malines, Gauthier Berthout, parmi les co-régents du duché de Brabant en 1267-1268, d’une part et d’autre part l’action militaire entreprise en 1268 par l’élu de Liège, Henri de Gueldre, afin de récupérer ses droits seigneuriaux sur la ville, ne firent que pousser encore plus les Malinois dans la sphère d’influence politique et économique brabançonne 146. La vitalité du négoce des grands marchands de la ville légitimait l’interventionnisme ducal  : les monnayeurs malinois s’étaient taillé une réputation de professionnels OutreManche dès le second tiers du XIIIe siècle147. La célèbre appréciation de l’auteur du Red Book, un memorandum sur les diverses monnaies délivrées à la monnaie royale anglaise au XIIIe siècle, Argentum (. . .) de Maclyn[ia] semper est purum et non decidens148, attribuait au billon apporté par les monnayeurs malinois à la monnaie de Londres une pureté indiscutable. Dans la pratique, les Malinois, tout autant que leurs collègues bruxellois ou louvanistes, ne fournissaient pas toujours un métal au-dessus de tout soupçon149. Reste que le quartier de l’office du change de la ville et ses wisselcameren étaient considérés comme assez profitables pour attirer les investissements immobiliers d’institutions laïques et ecclésiastiques de la ville150. 144 Pirenne 1896 p. 120, voir d’autres mentions de payements à Bois-le-Duc, notamment pp. 128-129. 145 Kusman 2011, p. 434. 146 Van Uytven 1987b, p. 39. Sur les circonstances de l’engagère de Malines au duc de Brabant Henri III à placer au plus

tard au 18 décembre 1255 et juridiquement terminée en 1268, voir Croenen 2003, pp. 98-99.

147 Ainsi, le 23 août 1266, les responsables anglais de la monnaie de Londres reçoivent du billon de 12 fournisseurs étran-

gers, 5 sont brabançons dont 4 de Malines et 1 de Bruxelles (T.N.A., E.101/698/41) et de Sturler 1976, p. 19.

148 Hall 1896, pp. 979-980. L’ouvrage est datable du règne d’Henri III (1216-1272) : Fryde 1984, p. 12. 149 T.N.A., E.101/698/46 (règne d’Édouard Ier). Le seul fournisseur brabançon mentionné sur ce rouleau est Lambert de

Malines pour 104lb. 8s. 6d. mais 6d. doivent être ajoutés à son métal pour correspondre à l’aloi demandé à la monnaie de Londres. 150 En 1255, l’Hôpital Notre-Dame de Malines achète un bien-fonds près du change de la ville grâce à deux fondés de ­pouvoir laïques (Beterams 1956-1957, n°2561, p.  312[6/4/1255]. Quelques années plus tard, le seigneur de Malines

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Mais il y a plus, au lieu de se livrer à une concurrence effrénée avec les acteurs du marché de l’argent bruxellois, les financiers de Malines choisirent de remplir une fonction complémentaire de celle de Bruxelles en matière d’investissement de capitaux. Si des emprunts lancés par des institutions caritatives ne trouvaient pas d’amateurs à Bruxelles, les gestionnaires des hôpitaux bruxellois allaient les chercher plus loin, jusqu’à Malines, en l’occurrence  : le doyen du chapitre Saint-Rombaut de Malines était le proviseur de l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles en 1277. Cette mobilité des élites facilitait évidemment ce genre d’opérations et s’appuyait sur une bonne connaissance des marchés immobiliers respectifs des deux villes151. La famille malinoise de Lapide, dont un des membres avait été receveur du duc de Brabant entre 1271 et 1274, avait également placé de l’argent à Bruxelles dans le domaine immobilier en acquérant de fructueuses parts dans un steen, un bâtiment en pierres sans doute fortifié et une des demeures plus prestigieuses de la ville : le Meerte, futur lieu de réunions échevinales, avant 1301152. Dernier aspect décisif dans la construction d’un marché financier renommé, à côté de son rôle dans les réseaux financiers régionaux, la ville s’efforçait aussi de crédibiliser son image sur les marchés de l’Europe du Nord-Ouest par la pénalisation des dettes commerciales. La prison pour dettes contractées en foires de Champagne existait à Malines au moins depuis 1278153. Ce tour d’horizon des acteurs individuels et collectifs du marché financier brabançon ne serait pas complet si je n’abordais la question de la concurrence des élites financières étrangères. En effet, j’ai voulu souligner dans la partie introductive de ce chapitre la vitalité des monnaies brabançonnes et étrangères circulant en Brabant et leur bonne qualité, conditions favorables à l’efflorescence d’activités bancaires futures. Il convient aussi de mettre en relief le développement d’une industrie textile à vocation européenne qui s’appuyait sur des marchands-banquiers disposant de correspondants en Angleterre. Tous ces facteurs concoururent à attirer dans le duché des financiers étrangers, bien avant l’arrivée des ­premiers banquiers piémontais. Sous le concept d’élites financières étrangères, j’entends désigner tout groupe social dont l’altérité culturelle était suffisamment marquée en Brabant, qu’il s’agisse des marchands-banquiers originaires de Cologne, de minorités religieuses tels les Juifs installés en Brabant depuis le début du XIIIe siècle ou encore des ordres militaires de chevalerie. Tous avaient en commun de cultiver des appartenances culturelles fortes structurant leur identité de groupe et leur cohésion au sein de la société urbaine brabançonne : la citoyenneté d’une ville étrangère (Cologne), des coutumes religieuses étrangères à la religion Wouter Berthout concédait aux bourgeois Malinois de pouvoir disposer d’ une maison représentant les intérêts de la communauté urbaine, à côté du change de la ville (éd. dans Wauters 1869, pp. 211-212 [août 1264). En 1315, l’hôpital Notre-Dame confisque trois chambres de changeurs dans la rue des changeurs (Beterams 1956-1957, n°2650, p.  323 [27/3/1315]). Le change appartenait au seigneur de Malines depuis 1213 (Croenen 2003, p. 104). 151 Jean Hont, doyen du chapitre Saint-Rombaut de Malines et proviseur de l’hôpital Saint-Jean est mandaté par les frères et sœurs de l’hôpital et les autres proviseurs, Guillaume Coninc, Guillaume Blomart, Jean Lose et Jean de la Senne, afin pour aliéner des revenus et biens de l’hôpital afin de réunir les capitaux nécessaires à l’achat d’une dîme : Bonenfant 1953, n°175-176, pp. 222-225 [5-9/4/1277]. 152 Favresse 1938, n° 51 [octobre 1301], pp. 503-505 (Godefroid de Lapide). Sur le receveur Nicolas Van den Steen alias de Lapide, voir supra, p. 4. À la même époque, un groupe familial portant également le patronyme de Lapide est très présent à Bruxelles, par l’importance de ses acquisitions immobilières, mais il semble s’agir dans ce cas d’une parentèle ayant fait souche à Bruxelles depuis le début du XIIIe siècle (Charruadas 2008, vol. 2, pp. 58-59). 153 Un marchand étranger séjournant à Malines avait été emprisonné pour des dettes contractées à la foire de Provins de mai 1277 : Laurent 1929, n°I, pp. 10-11 [janvier 1278].

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dominante (la minorité juive présente en Brabant) et enfin, un idéal militaire et spirituel de croisade en terre sainte (par exemple, au sein des ordres de chevalerie, les templiers)154. Je commencerai par le cas – le plus classique dans la société médiévale – de la citoyenneté étrangère en prenant l’exemple des banquiers de la ville de Cologne. 3. Concurrence de places financières étrangères : Le cas révélateur de Cologne A.

Les prémisses

Au premier rang de ces prêteurs étrangers, il faut citer les membres du patriciat de Cologne même si leurs prêts recouvraient sans doute en partie du crédit à la consommation au Prince. Les raisons de l’activité des Colonais en Brabant découlaient d’abord des relations précoces tissées entre le duché de Brabant et la métropole rhénane notamment pour le négoce du vin rhénan, exempté de taxes en 1239 entre Cologne et Brabant par le duc Henri II. Ce négoce avait suscité les convoitises des élites politiques et marchandes bruxelloises155. Les relations entre le Brabant et Cologne s’étaient formalisées par un traité commercial conclu en 1251 avec le duc de Brabant Henri III, traité pour lequel les villes de Bruxelles et de Louvain avaient marqué leur intérêt. L’accord garantissait le respect des obligations commerciales des marchands respectifs et la sécurité de la circulation entre les deux états même en cas de conflit entre l’archevêque de Cologne et le duc de Brabant156. B.

Élites financières en mouvement

Le trafic entre l’archevêché de Cologne et le duché de Brabant s’était caractérisé à la fin du XIIe siècle par l’émigration d’élites marchandes bruxelloises et louvanistes vers Cologne, premier débouché pour l’argent saxon ; un patricien bruxellois, Gossuin Leeuw, avait même fondé une maison de marchands brabançons dans cette ville157. ­Réciproquement, il faut mettre en relief l’arrivée récente de familles de souche colonaise à Bruxelles, les de Canis, et à Louvain, les Colneren158. Pour ne s’intéresser qu’aux de Canis, ils provenaient d’une vieille famille patricienne colonaise, active dans la vente de draps au détail159. Cette émigration n’était pas circonscrite à la société urbaine. Sous le règne du duc Henri Ier de Brabant, l’abbaye cistercienne de Villers-la-Ville, gros propriétaire de terres céréalières, s’attacha les services d’un gestionnaire habile comme Karl Von der Salzgasse160. Karl était 154 L’influence des appartenances culturelles sur les comportements économiques est soulignée par Greif 2008, pp. 269-273, qui préfère d’ailleurs parler de cultural beliefs. 155 Ennen 1971, p. 29. Les Bruxellois avaient fait valoir leurs prétentions à contrôler indirectement le commerce du vin en obtenant en 1291, le monopole du transport du vin dans la ville et la perception éventuelle d’une taxe sur cette denrée par la cession de la grue et du poids, par le duc de Brabant (Dickstein-Bernard 1979, p. 57). Le lignage Eggloy avait investi dans ce secteur dès la fin du XIIIe siècle en acquérant plusieurs vignes hors la porte de Sainte-Gudule : Godding 1959-1960, vol. 4, p. 201, p. 208, p. 213 et pp. 219-220, n. 16. 156 Éd. dans Ennen et Eckertz 1860-1867, vol.1, n°302, p. 307 [13/12/1251] . L’acte est scellé par le duc Henri III et les villes de Louvain et de Bruxelles (dans l’ordre). 157 L’acquisition à Cologne vers 1200 d’une maison appelée par la suite domus Brusselae sur le marché au foin, face à la boucherie de la ville, est citée dans Keussen 1918, pp. 21-22 et Deeters et Militzer 1981, p. 43, voir aussi supra, la n. 45. 158 La patronyme de la famille Colneren à Louvain désigne l’origine colonaise de ses membres (Van Uytven 1980, p. 84), famille de Canis de Cologne alliée en 1341 au lignage bruxellois Vederman : Martens 1990, pp. 84-85). 159 Von Winterfeld 1925, p. 46. 160 Sur la constitution du patrimoine de l’abbaye au XIIIe siècle, voir Monasticon belge 1968, pp. 370-379.

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un membre éminent des classes dirigeantes de la ville de Cologne qui avait déjà fait ses preuves au service d’une autre abbaye cistercienne de l’Eifel, celle d’Himmerod. Il poursuivit une activité financière et politique féconde au service des empereurs d’Allemagne durant son abbatiat brabançon161. Plus spécifiquement, la place occupée par les élites colonaises comme marchands fournisseurs à crédit de la cour ducale et, probablement, comme importateurs de draps brabançons ressort d’un acte d’avril 1270. L’acte relate l’arrestation pour dettes de marchands colonais à Bruxelles et, en représailles, l’emprisonnement de leurs confrères Bruxellois à Cologne162. Les ressortissants colonais arrêtés, étaient majoritairement des marchands drapiers de carrure internationale163. Au sein de ce milieu se dégageait la figure de Constantin Crop de Lyskirchen, marchand drapier aux foires d’Ypres et créancier de la régente de Brabant (1261-1268) Aleyde de Bourgogne, mère du duc Jean Ier 164. Crop avait prêté à Aleyde par son agent local (nuntius) la somme de 63 lb. de Louvain. A la suite de ce prêt, Crop fit l’objet de persécutions menées par des bourgeois bruxellois165. Les marchands bruxellois ne semblent pas avoir été très présents sur les foires d’Ypres, contrairement à leurs confrères colonais166. Ces persécutions étaient-elles révélatrices d’un climat d’hostilité croissante envers certains marchands colonais qui tentaient de s’imposer comme fournisseurs de la cour ducale, notamment parce qu’ils fréquentaient en plus grand nombre les foires de Flandre et de Champagne ? Je serais bien tenté de le penser. En dépit de cet incident grave, la famille patricienne Crop de Lyskirchen allait témoigner d’une continuité de services offerts aux ducs de Brabant depuis la régente Aleyde de Bourgogne jusqu’à la duchesse Jeanne, sous la forme de crédits ouverts167. L’arrestation des Colonais prouvait qu’ils disposaient dès avant 1270 d’aubergistes à Bruxelles susceptibles de gérer leurs dépôts en leur absence car l’argent saisi sur les premiers in multo ipsum debitum excedebat168. Le soutien de cette haute finance rhénane aux princes brabançons se manifestait de manière plus éclatante encore dans deux domaines, qu’il convient d’examiner  : pre161 Schulz 1996, pp. 134-136. 162 Favresse 1938, n°28, pp. 438-446 [14-20 avril 1270]. 163 Les marchands arrêtés à Bruxelles nommément cités sont Jean de Stessa, Herman Hierzelin, Bruno Scherfgin et

Constantin Crop. On peut remarquer particulièrement, représentés aux foires d’Ypres, Lille et Torhout, Henri Hildeger, Gérard Quatremars [Quartermarc] et Bruno Scherfgin dans Wyffels 1991, n°439, p.  44 [3/8/1272], n° 3668-3669 [12/5/1289], p. 330 et n°768, p. 74 [2/8/1275]. Un parent de Bruno Scherfgin, Gérard, est déjà mentionné aux foires de Champagne en 1257. Sur la prépondérance des marchands drapiers dans le patriciat colonais : Von Winterfeld 1925, pp. 39-47 (notamment familles Birklin, Hierzelin, de Lyskirchen, Scherfgin). 164 Le nom de Constantin Crop est phonétiquement écrit dans l’acte bruxellois Constantin Rop. De Lyskirchen avait épousé une héritière de la famille Kaltkreisen, active dans le trafic de drap aux foires d’Ypres en 1275 (Von Winterfeld 1925, p. 45). 165 (. . .)e quibusdam civibus Bruxellensibus fuerat consecutus. . . : l’acte n’est hélas pas prolixe sur la nature de ces vexations mais le fait qu’elles soient isolées dans l’acte des saisies classiques opérées sur les autres marchands allemands suggère un acharnement particulier. 166 Une unique mention d’Henri de Brussele en 1277 pour une dette de 50 s. artésiens envers Jean Schatin dans Wyffels 1991, p. 112, n°1208). 167 Constantin joue aussi un rôle d’agent financier pour le duc Jean Ier, recevant de celui-ci une somme de 300 lb. ­monnaie de Brabant à transmettre à un créancier colonais (Verkooren 1961-1962, vol.1, p.186[10/1/1293])  ; sur les prêts ­acccordés à la duchesse Jeanne voir Verkooren 1961, n°6488, pp. 144-145 [28/9/1388], n°6844, p. 267 [22 mars 1395] et n°6922, pp. 290-291 [10 janvier 1396]. 168 Favresse 1938, p. 442.

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mièrement, la gestion de l’hôtel ducal à Cologne et deuxièmement le financement de la politique expansionniste du duc Jean Ier, destinée à sécuriser le couloir terrestre emprunté par les négociants brabançons vers la Rhénanie et passant par les terres d’Outre Meuse, de Maastricht à Cologne. La protection de cet axe commercial essentiel importait naturellement aux marchands-banquiers de Cologne, soucieux de développer leur négoce dans les terres brabançonnes169. Toutefois, cette politique d’expansion territoriale brabançonne allait rapidement heurter les prérogatives juridictionnelles des autres princes territoriaux responsables de la protection et de la sauvegarde des marchands, au nombre de ces princes : le comte de Gueldre, bientôt rejoint par l’archevêque de Cologne. Intéressons-nous d’abord à la présence physique des princes brabançons à Cologne. Les aides financières des grands bourgeois de Cologne seront envisagées ensuite.  . L’hôtel du duc de Brabant à Cologne, lieu de proximité avec les grands C bourgeois de la ville Entre 1215 et 1235, le duc Henri Ier de Brabant avait patiemment acquis dans le quartier marchand, face au palais archiépiscopal, un complexe immobilier imposant avec cour intérieure et dépendances, appartenant à l’abbaye de sœurs augustines de Weiher, contre le payement d’un cens héréditaire170. La Haus des Herzogs von Brabant, située dans la paroisse Saint-Laurent, était l’ancienne maison du percepteur du tonlieu urbain, un magnat qui s’était constitué en quelques années un patrimoine immobilier dans plusieurs quartiers de Cologne. L’édifice ducal, probablement bien clôturé, était doté d’un grand portail et d’une tour. Pourvu d’une vaste cuisine, cet hôtel servait uniquement à accueillir le duc lors de ses brefs séjours dans la cité archiépiscopale, il fut dès lors affermé dès 1237 à de riches bourgeois de la ville171. Ainsi, le patricien Heinrich Hildegher Birklin et son épouse, Bliza, usufruitiers de la maison de Jean Ier, agirent comme de véritables agents immobiliers pour ce dernier en agrandissant l’hôtel ducal par l’acquisition des immeubles contigus entre 1285 et 1298172. C’est sans doute en sa qualité d’aubergiste et maître d’hôtel de la maison du duc de Brabant que le même Heinrich Hildegher avança au duc la somme considérable de 2 000 marcs de Cologne (soit plus de 467 kg. d’argent ou 1 333,3 lb. sterl.), destinée à rémunérer le comte Adolphe VII de Berg en 1287173. Ce dernier était un des vassaux les plus sûrs du duc dans l’alliance de seigneurs rhénans qu’il monta contre l’archevêque de Cologne, devenu son ennemi, dans les années précédant la bataille de Worringen (1288)174. 169 Baerten 1991, p. 78. 170 A.G.R., C.C., n°1, f°39v° [11/8/1215] et Ennen et Eckertz 1860-1867, vol. 2, n°155, pp. 155-156 [1235] ce dernier

acte prévoit le payement d’un cens héréditaire de 6s./an.

171 Merlo 1878, pp. 115-141 ; Vogts 1966, pp. 17-38 et p. 565 ; Deeters et Militzer 1981, pp. 45-46 ; Zöller

1987, pp. 113-114. Le prix d’achat de 325 marcs de Cologne dépassait largement la moyenne du marché immobilier dans ce quartier (120 marcs). Éd. dans Planitz et Buyken 1937, n°1590-1591, p. 425, n°1593, p. 427, n°1599, p. 429. 172 Éd. dans Planitz et Buyken 1937, n°1590-1591, p. 425, n°1593, p. 427, n°1599, p. 429 et Merlo 1878, pp. 136-138. 173 A.G.R., C.C., n°1, f°115r° [28/11/1287] et Verkooren 1961-1962, vol. 1, p.168. La parité entre le marc sterling (160 d.) et le marc colonais est généralement reconnue à Cologne dans la seconde moitié du XIIIe siècle (Huffman 1998, p. 45, n.17 et p. 54). 174 Un acte de 1284 détaille les conditions de l’alliance entre Renaud, comte de Gueldre et l’archevêque Sigfried de Cologne à l’encontre du duc de Brabant et de ses alliés, le comte Adolphe de Berg, son frère Henri von Windeck et le comte Everard de la Marck (éd. dans Lacomblet, 1846, n°793, p. 467 [16/8/1284]). Sur le soutien apporté aux Colonais à partir de 1286 par le comte de Berg et son frère : Ennen 1971, p. 30.

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Les élites marchandes bruxelloises ne s’y étaient pas trompées, elles prêtaient également de leurs deniers au comte de Berg. Le marchand drapier et patricien de Bruxelles, Guillaume Coninc, son beau-père et ses héritiers obtinrent en 1283 une assignation du comte sur sa rente féodale de 60 marcs d’argent tenue du duc de Brabant, en remboursement de leurs avances175. La même année, Adolphe de Berg cédait au duc de Brabant ses droits détenus sur le duché de Limbourg. C’était une étape importante dans la guerre de succession du Limbourg qui allait déboucher en 1289 sur l’acquisition du Limbourg par le Brabant. Cet accroissement territorial était nettement favorable aux intérêts commerciaux des villes brabançonnes. Le Limbourg commandait l’accès d’une des principales voies de passage des marchands brabançons vers la Rhénanie. La région devait être sécurisée, car elle était la proie d’un brigandage chronique176. D.

Crédit au Prince après Worringen

De 1289 à 1311, les élites colonaises vont subvenir au crédit des ducs de Brabant en finançant ce que l’historiographie a traditionnellement appelé leur Ostpolitik, c’est-àdire la politique d’expansion des ducs de Brabant vers la vallée mosane et le Rhin177. Pour prendre la mesure de l’engagement des grandes familles de Cologne aux côtés du duc Jean Ier, il faut concevoir qu’en 1288, la majorité du patriciat colonais avait participé dans les rangs brabançons à la bataille de Worringen, symbole de l’avènement de l’autonomie de la ville vis-à-vis de l’archevêque de Cologne Sigfried de Westerburg. Le patriciat colonais, placé sous la direction du lignage Overstolz, composé majoritairement de chevaliers, combattit aux côtés des chevaliers du comte de Berg, à cheval178. Moins d’un an plus tard, le 5 avril 1289, un groupe de bourgeois colonais rassemblant Gérard dit Overstolz, Mathias Spiegel, Heinrich Flacco, Francon de Cornu et Heinrich Hildeger dit Birklin avançaient au duc Jean Ier et à son frère Godefroid d’Aerschot, seigneur de Vierzon, la somme de 500 marcs de Cologne, 12 sous de deniers colonais comptés pour un marc179. Le seigneur Jean de Cuyk, un influent personnage à la cour de Brabant, vassal du duc, se porta garant pour Godefroid de Vierzon. Sa famille avait une longue tradition de contacts, généralement amicaux, avec les bourgeois colonais180. La somme était payable à la Saint-Rémy prochaine (1er octobre) soit six mois plus tard. À défaut de payement dans les termes, Jean et son frère étaient tenus de se constituer otages à Cologne avec 10 chevaliers, endéans la quinzaine, jusqu’à satisfaction de la dette. 175 A.G.R., C.C., n°1, f°21r° [22 janvier 1283]. Analyse dans Verkooren 1961-1962, vol. 1, p.  156. Guillaume avait

prospéré dans le commerce de la laine anglaise. Dans les années 1260, il figure (ou son fils) parmi des marchands importateurs soumettant une liste de plaintes aux autorités flamandes à la suite de saisies opérées par celles-ci (Luykx 1948, pp. 1-40, p. 29 [13/12/1260]). 176 Baerten 1991, pp. 78-80. 177 Intervention de Constantin de Lyskirchen en 1293 pour le payement d’un créancier colonais du duc, mentionné à la n. 167 ; prêt de Hildeger dit Ruffus de Stessen au duc Jean II dont une partie-5.000 lb.- lui est remboursée en 1311 : A.G.R., C.C., n°1, f°117 et analyse dans Verkooren 1961-1962, vol. 1, pp. 229-230 [27 janvier 1311]. 178 Lehnart 1988, pp. 181-182. 179 Stadtarchiv Köln (S.K.), HUA n°545, édit. dans Ennen 1867, n°323, p.292. L’original porte le grand sceau équestre du duc Jean Ier en cire. Un transfixe est annexé au premier acte, portant l’accord de Jean de Cuyck pour se porter caution à la demande de Jean Ier avec le sceau de Jean de Cuyck. Godefroid d’Aarschot n’était pas présent lors de l’actum de l’acte (cf. Croenen 1999, p. 44, n. 16) . 180 Dès 1206, le seigneur Albert de Cuyck était témoin d’une charte de Philippe de Souabe, roi des Romains, pour les bourgeois de la ville de Cologne (Coldeweij 1981, p. 53, voir aussi pp. 60-63).

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Prélude : le marché de l’argent en Brabant | Chapitre i

Cette obligation de garnison, classique pour les dettes pendantes des grands féodaux au Moyen Age, devait sans doute se faire dans l’hôtel du duc à Cologne. . .géré par Heinrich Hildeger Birklin. Exceptés Birklin et de Cornu, tous les autres bourgeois colonais cités avaient déjà tenu un office dans la magistrature de la ville en 1279 : Spiegel et Flacco comme échevins, Overstolz comme Mühlenerbe, c’est-à-dire administrateur héréditaire d’un des 26 moulins du Rhin à Cologne181. Les créanciers appartenaient donc presque tous au milieu des élites dirigeantes de la ville qui s’était homogénéisé depuis 1268182. Ceci renforçait l’aspect politique du prêt ; en l’espèce, il n’est même pas sûr que la perception d’un intérêt ait été prévue. La fondation par le duc Jean Ier en 1290 en la collégiale Sainte-Gudule de Bruxelles, d’un autel en hommage au culte des Trois Rois – très en vogue à Cologne183 – fut certainement une manière de rendre hommage au soutien fidèle du patriciat colonais aux entreprises des ducs de Brabant : les Saints patrons de Cologne figuraient sur certains étendards des bourgeois colonais lors de la bataille de Worringen184. Au-delà, le culte des Rois Mages, patrons des voyageurs et des pèlerins, apportant leurs dons dans des récipients en métaux précieux, renvoyait à une métaphore des relations commerciales entre les villes de Bruxelles et de Cologne185. Les ducs Henri Ier et Henri II avaient déjà montré leur attachement aux Trois Rois en fondant des chapellenies à l’église Saint-Pierre de Cologne et à la cathédrale de cette ville où étaient conservées les reliques des Rois Mages depuis 1164186. 4. Concurrence des groupes de prêteurs professionnels : Juifs, templiers, hospitaliers et ordre teutonique Au sein des élites financières considérées comme étrangères en Brabant, il faut ménager un espace particulier aux communautés juives. Leur présence diffuse dans le duché de Brabant faisait des financiers juifs des acteurs du crédit local. Des communautés juives existaient en Brabant à la fin du XIIIe siècle, dans les villes de Bois-le-Duc, Bruxelles, Genappe, Jodoigne, Léau, Louvain, Tirlemont et dans l’enclave liégeoise de Malines (voir carte 1.2)187. Qu’un grand penseur de l’économie médiévale tel que le dominicain Thomas 181 Ennen 1971, p. 29. 182 Groten 1995, p. 299. 183 A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., boîte 42, n°59, [2 février 1290]. Analysé dans Lefevre et Godding 1993, n°287,

p. 221. 184 Voltmer 1988 p. 209. 185 Trexler 1997, p.  4  : dès l’Antiquité, le roi Salomon parle de l’encens et la myrrhe comme les «  poudres des ­marchands ». L’échange des cadeaux entre les rois Mages et Marie renvoit déjà une métaphore du commerce. Sur le succès des fêtes des Trois Rois mises en scène dans les villes d’Italie du nord telles que Milan et Florence dès la fin du XIIIe siècle comme allégorie des échanges commerciaux entre Italie et Orient : Ibidem, pp. 87-89. 186 Fondation par Henri Ier et Marie de de France, fille du roi de France Philippe-Auguste, d’une prébende en l’église ­Saint-Pierre de Cologne en l’honneur de Dieu, de la Sainte-Vierge et des Trois Mages et assignation à parts égales d’ une dotation de 12 marcs de Cologne sur le tonlieu de Louvain et sur la halle aux draps ducale de Bruxelles (Verkooren 1910, n°22, pp. 25-26, Jodoigne, août 1222, éd. dans Merlo 1878, p. 121). Fondation par le duc Henri II d’une chapellenie des Trois Rois en la cathédrale de Cologne après la mort d’Henri Ier son père en novembre 1235 (Verkooren 1961-1962, t.1, p. 78 [après le 5 novembre 1235]). 187 Cluse 2000, pp.  22-31. On corrigera, p.  21, quand cet auteur affirme qu’aucune preuve n’existe à l’appui de l’­existence d’une communauté juive à Bois-le-Duc avant 1309. Une porta judeorum est mentionnée dans la ville dès 1293 : cf. G. Van Synghel 1998, pp. 395- 423, n°3, p. 407 [1293].

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d’Aquin se soit penché sur la situation juridique des communautés juives en Brabant n’était donc pas, comme on le verra, le fruit du hasard.  . Les Juifs et le bien matériel de la communauté : le développement d’une A économie politique du crédit Si j’ai attribué aux Juifs un rôle de prêteurs professionnels, il ne s’agit aucunement d’un constat définitif sur la prépondérance de leur activité de prêt sur tout autre métier en tout temps et en tout lieu dans l’Europe médiévale188. Il se trouve simplement qu’en Brabant, c’est, à peu de chose près, l’activité de manieur d’argent qui a prévalu, une situation qui reflétait partiellement les prescriptions ségrégationnistes du concile de Latran IV (1215). Ce concile partait implicitement du postulat que les Juifs étaient des usuriers prospérant sur les revenus des Chrétiens : la possibilité que les Juifs exercent une activité lucrative mais non-usuraire n’était même pas envisagée189. Dès la régence d’Aleyde de Brabant (1261-1268)190, l’accès à toute autre profession leur était de facto barré comme l’atteste la consultation d’Aleyde au dominicain Thomas d’Aquin (ca. 1267) sur le bon gouvernement du Brabant  : (. . .) quod Judaei terrae vestrae nihil videntur habere nisi quod acquisierunt per usurariam pravitatem 191. Cet avis du théologien dominicain constitue une source exceptionnelle pour mieux saisir la situation des Juifs dans la société brabançonne et mérite donc qu’on s’attarde sur ses conclusions principales. Les communautés juives dans les villes brabançonnes n’étaient pas stigmatisées au point que soit imposé à leurs membres le port d’une rouelle infamante. À la question d’Aleyde sur l’opportunité d’un signe distinctif imposé, Thomas préconisa le port, plus 188 Le choix plus large de professions libres pour les Juifs d’Italie (agriculteurs, bouchers, charretiers, négociants, épiciers,

pelletiers. . .) est illustré par le cas des communautés d’Ombrie dans Toaff 1993, pp. 265-280.

189 Todeschini 1997, p. 23. L’usure était décrite comme un comportement typiquement hébraïque, visant spécifique-

ment l’affaiblissement économique de la société chrétienne et de l’Église. On peut citer les canons du concile interdisant aux Juifs l’exercice des fonctions publiques et l’obligation du port d’un signe distinctif mais également le canon intimant aux Juifs la restitution aux débiteurs des usures immodérées prélevées sur ce derniers (éd. dans Alberigo 19733 , pp. 265-266 ; commentaire dans Müller 2002, vol. 1, p. 202, n. 73). 190 Hoebanx-Nihon 1943. 191 Éd. dans Busa 1980, p. 594-595. L’article classique de Pirenne 1928, reste toujours la meilleure introduction à cet avis de Thomas d’Aquin. La consultation peut être datée de ca. 1267 et est adressée à Aleyde de Brabant et non à la seconde épouse de Jean Ier, Marguerite de France (1270-1271), comme le pense Cluse 2000, pp. 174-180, dont les arguments ne m’ont pas convaincu ; j’y ai répondu en détail dans le compte rendu de l’ouvrage (Kusman 2003), auquel je me permets de renvoyer. La consultation de Thomas d’Aquin est transcrite par le secrétaire communal de la ville de Bruxelles et annaliste du Brabant, Petrus A Thymo, dans le second tiers du XVe siècle : A.V.B., nº II, Brabantiae historia diplomatica, t.II, fº 69, v° b et voir la table des matières du même volume, f° 114 r° : Capitulum quartum ; quid factus Thomas de Aquino ad consultationes Aleydis, ducisse Brabancie respondit. Depuis la parution du compte-rendu, j’ai retrouvé encore deux copies de la consultation de Thomas d’Aquin, la première ( B.R.B., ms. II.927, f°66v°-68r°), exécutée au XIVe siècle, Responsio ad articulos quosdam per ducissam Brabancie sibi missos pourrait provenir de l’abbaye de Villers. La seconde (ms. B.R.B., ms. IV 717 ), exécutée au XVIIIe siècle sous forme de copie sur papier authentifiée par le secrétaire du chapitre Sainte-Gudule B. Clarenbos, pourrait être la même que celle retranscrite au XVe siècle par Thymo (A.V.B., nº II, t.II, fº 69, v° b). Elle comporte le même titre en exergue à la consultation à un mot près  : Aleidis de Burgundia, ducissa Lotharingie et [et manque dans B.R.B., ms. IV 717 ] Brabancie, relicta quondam Heinrici tertii ducis ducatuum prescriptorum, curam gerens tam de propria quam filiorum animarum salute et subditorum pace atque Reipublice incremento, doctorem sanctum beatum Thomam de Aquino ordinis predicatorum consuluit ; qui sibi super petitis respondendo, rescripsit prout infra sequitur. Mais il s’agit bien d’une copie qui se trouvait originellement dans les archives du chapitre. Elle comporte la mention : Extractum ex antiquo registro reperto Sylvae Duci restituto capitulo insignis ecclesiae collegiatae D.D. Michaelis et Gudila Bruxellensis etc... Il est possible que cet ancien registre reposant aux archives de Bois-le-Duc ait été emporté dans le Brabant septentrional à l’époque des guerres de religion par d’anciens secrétaires communaux de la ville quittant Bruxelles pour le nord du duché ou les futures Provinces-Unies, tel l’ancien greffier de Bruxelles, Corneille Aerssen (1543-1627), lié aux milieux humanistes : Martens 1995-1996, pp. 84-86.

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discret, sur les franges de leurs vêtements (aux quatre angles inférieurs) d’un signe distinctif afin qu’ils ne soient pas confondus avec les chrétiens. Il n’était nullement question de l’emploi d’une couleur pour accentuer ce marquage discriminatoire192. La latitude laissée aux gouvernants et à leurs conseillers pour établir en quoi ce marqueur social devait consister est révélatrice. Elle ne fait que confirmer selon moi que, comme pour la définition de l’usure et des taux d’intérêt maxima autorisés, l’Église laissait aux États médiévaux des anciens Pays-Bas un grand espace de négociation dans la supervision du marché du crédit et de ses acteurs193. Thomas admettait aussi, en adepte de la justice distributive, le principe d’une fiscalisation d’une partie des revenus usuraires des Juifs pour le bien commun – in communem utilitatem terrae  – une fois les débiteurs dédommagés et des dons à des œuvres pieuses effectués. Le bien commun était entendu ici comme le bien matériel de la communauté, sans bénéfice moral194. Il n’en restait pas moins que le principe coutumier de la taxation des Juifs, probablement appliqué depuis le premier tiers du XIIIe siècle195, était explicitement reconnu comme producteur de richesses dans l’intérêt général du pays196. La portée de l’avis était encore accrue par son application similaire aux Cahorsins et à tous ceux qui s’adonnaient au vice de l’usure197. Cette position pragmatique, relevant davantage d’une économie politique du prêt198 que d’un strict dogmatisme, correspondait visiblement aux attentes du gouvernement de régence brabançon et probablement aussi à celles des élites urbaines. Le jugement accomodant de Thomas d’Aquin sur le prêt à intérêt allait avoir une postérité intellectuelle notable au siècle suivant lorsqu’il s’agira, pour le duc de Brabant et son conseil, de statuer sur la légitimité du crédit lombard199. Un avis nettement plus rigoriste du franciscain John de Peckham répondant à des questions similaires envoyées à l’université de Paris après 1274, semble avoir trouvé un écho192 Cf. Pastoureau 2004, p. 205. Si l’emploi de la rouelle de couleur jaune, portée sur le haut du vêtement est la plus

f­ réquente, elle n’est nullement générale, tant les couleurs que les symboles varient. Les études régionales illustrent la très grande variété des situations : en Champagne, à partir de 1288, certains Juifs aisés se voient exemptés du port de la rouelle contre payement d’une taxe (Benner et Reverchon 2003, pp.  151-213, p.  190)  ; en Franche-Comté, c’est le pape Innocent IV qui doit rappeler à l’archevêque de Besançon en 1245 de veiller à ce que les Juifs de son diocèse puissent être distingués des chrétiens (Holtmann 2003, pp. 49-50). 193 Shatzmiller 2000, pp.  76-79 et pp.  96-100  ; pour le cas particulier des anciens Pays-Bas  : Wyffels 1991b, pp. 870-871. 194 Au sujet de cette nuance lexicale, toujours prévalente chez les penseurs néo-aristotéliciens, d’un bonum ­commune entendu au sens moral et d’une communis utilitas au bénéfice essentiellement matériel pour la communauté des sujets du Prince, voir Kempshall 1999, pp. 19-21, p. 58, pp. 115-116, p. 183. Pour l’emploi similaire de la notion de ­commune utilite dans un miroir du prince rédigé par le roi Louis X, voir Scordia 2004, pp. 507-532, pp. 516-517 puis ­Lecuppre-Desjardin et Van Bruaene 2009. L’importance de cette notion d’utilitas communis pour les élites urbaines ressort de son emploi par les villes de Bruxelles et Louvain dès 1260 afin de justifier un emprunt collectif auprès d’un ­financier d’Arras (Favresse 1938, n°17, pp. 421-422 [décembre 1260]). 195 Écho d’une taxation régulière dans la donation de 100 lb. de Louv. par Gérard de Marbais comme aumône, à ­l’instigation du pape Urbain IV, sur une somme de 200 lb. de Louv. qu’il recevait chaque année comme pension au titre de conseiller ducal d’Henri III (1248-1261), la somme provenait des revenus tirés des opérations usuraires des Juifs de Brabant, éd. dans Guiraud 1901, n°204, p. 57 [8/2/1263]. 196 Busa 1980 p. 595, art. 1. 197 Quod autem de judaeis dictum est, intelligendum est de Cauorsinis, vel quibuscumque aliis insitentibus usurariae Ibidem, art. 4. Quoique cette clause n’apparaisse que dans l’art. 4 à propos des dons faits par les Juifs au Prince, il ne fait pas de doute qu’elle s’applique à tout le texte. Les Cahorsins sont déjà entendus ici comme des financiers nord-italiens. 198 En ce sens voir aussi les constatations de Todeschini 2002, pp. 278-279. 199 Voir la troisième partie, chapitre 4, Des premières oppositions à la rupture définitive (1308-1333), La consultation de l’­Université de Paris et des officialités de Cambrai et Reims  : un cliché des rapports de force entre manieurs d’argent malinois et ­bruxellois.

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bien moindre dans les cercles du pouvoir200 . Ce même Peckham avait au contraire trouvé un accueil très favorable à ses thèses dans le royaume de France où Saint-Louis souhaitait purifier son royaume de l’usure201. Le futur archevêque de Canterbury incarna bientôt à l’Université de Paris tout un mouvement essentiellement franciscain, emprunt des idéaux de pauvreté évangélique, opposé aux doctrines averroïstes et aux thèses de Thomas d’Aquin et de ses suiveurs202. Tout se passait en fait comme si les avis universitaires traitant de la position sociale des Juifs dans la société brabançonne n’étaient que des révélateurs de l’attitude générale du Prince et de ses conseillers face à l’existence et au contrôle des usuriers publics étrangers, de quelque confession religieuse qu’ils fussent. En ce sens, ces avis universitaires, et au premier chef la consultation donnée par Thomas d’Aquin, apparaissent davantage comme l’objet d’une négociation avec le Prince et le produit d’un débat d’idées tenant compte du climat socio-politique particulier à chaque état que comme le témoignage d’un système scolastique monolithique. Dans les faits, les Juifs étaient en relation avec les ducs de Brabant qui les protégeaient et en avaient la tutelle au moins depuis le règne d’Henri Ier  . Certaines familles possédaient des attaches familiales importantes à Cologne et à Louvain. En dehors de son contenu polémique obéissant à l’antijudaïsme féroce du dominicain louvaniste Thomas de Cantimpré, l’exemplum de la conversion de Rachel confirme cette situation de tolérance relative, comprenant en particulier la libre pratique de culte203. En 1267, Jean de Brabant et la régente Aleyde rappelèrent leur pouvoir de tutelle sur les communautés juives pour les deux villes les plus importantes du duché, Bruxelles et Louvain, tout en attribuant à la première citée un rôle centralisateur décisif pour le judaïsme brabançon204. La protection ducale influait quelque peu sur la répartition spatiale des Juifs. Elle semble avoir surtout joué dans le cas de la communauté bruxelloise dont les installations cultuelles étaient situées sur le Coudenberg, en contrebas du palais ducal205. 200 Alors que pour Thomas d’Aquin, il fallait inviter les Juifs à quitter leurs activités usuraires pour des métiers dénués

de profit illicite, comme cela se faisait en Italie, Peckham en fait une stricte obligation. Ils devront également être forcés de restituer leurs usures. Sur cette consultation, conservée uniquement à New York (Hispanic Society of America, B 2716) et à Paris (Bibliothèque Mazarine, 1652), voir Cluse 2000, pp. 177-185. 201 Cf. Le Goff 1996, p. 667, Louis IX émet des ordonnances visant spécifiquement ce problème et cela dès 1254 puis en 1258 : « Saint Louis dit des usures des juifs qu’ elles appauvrissent notre royaume. C’est la part de l’économique dans un dossier d’exclusion essentiellement religieux, idéologique, politique. » Voir aussi Ibidem, pp. 796-804 : le roi interdit aux Juifs de prendre des usures définies comme ce qui vient en sus du principal. 202 Actif comme professeur à l’Université de Paris entre 1269 et 1272, Peckham devient archevêque de Canterbury en 1279 : cf. Wesseling 1992, col. 517-520 et plus récemment Thompson 2004, pp. 362-368. 203 Rachel et ses parents, venus de la ville de Cologne, habitaient Louvain. La petite aurait été convertie à l’âge de six ans pour devenir moniale à l’abbaye de Parc-les-Dames, contre la volonté de ses parents, qui en appelèrent à la protection du duc de Brabant, de l’évêque de Liège et du pape, car la conversion forcée des Juifs avait été condamnée par le pape Alexandre III. Le récit est datable des années 1220. Cantimpré entra dans le couvent des dominicains de Louvain au plus tard vers 1232 (Cluse 2000, p. 321), éd. et commentaire dans Platelle 1997, pp. 47-48 et n°109, pp. 158-161. Sur cet épisode voir aussi Stengers 1949, p. 13. 204 C’est en effet selon moi la manière dont il faut lire l’acte de 1267 où Jean promet au magistrat de la ville de Louvain que les Juifs de cette ville auront le même statut que ceux de Bruxelles : Praeterea promittimus eisdem (...) atque etiam Judeos et Cauwersinos ibidem statuere et tenere in omni eodemque statu quo apud Bruxellam tenentur. L’acte est d’ailleurs scellé par la ville de Bruxelles avec le conseil de régence (Willems 1836-1839, t. 1, nº 62, pp. 664 –665, acte daté de Louvain [22/6/1267]). 205 Mention des Jodentrappen en 1300 recouvrant sans doute le porche d’une vaste demeure, d’un Jodenpoel (1346) et d’une Jodenpoelestrate (1328), mention d’une étuve appartenant au Juif Hezdin dans la seconde moitié du XIVe siècle, ces deux dernières installations sont à mettre en rapport avec un Mikwe, c’est-à-dire un bain rituel. L’existence d’une synagogue

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La résidence de la communauté n’était toutefois pas circonscrite dans un quartier physiquement isolé de la population chrétienne. Plusieurs Juifs avaient élu domicile dans le bas de la ville, dans le quartier marchand, parmi les hommes d’affaires et artisans206. ­L’absence de zonage territorial était aussi de mise pour la communauté juive de Louvain, établie dans la paroisse Saint-Pierre. Ainsi, au début du XIVe siècle, le clerc d’origine bruxelloise Arnould Coninc habitait à côté du rabbin communautaire, tout près du cimetière de l’église collégiale Saint-Pierre207. B.

Réseaux familiaux supra-régionaux et mobilité

Les rapports hiérarchiques entretenus entre les communautés bruxelloise et louvaniste et le grand centre du judaïsme qu’était Cologne expliquent pour partie leur émigration sensible dans cette ville dans la seconde moitié du XIIIe siècle ; cependant, le phénomène est contemporain, il faut l’observer, de l’essor des relations commerciales entre la métropole rhénane et le duché de Brabant208. La diaspora colonaise affermit peut-être les contacts des notables juifs avec les ducs de Brabant dont l’hôtel était situé dans le voisinage direct du quartier juif à la fin du XIIIe siècle209. Les relations qu’ils entretenaient avec leurs coreligionnaires de Cologne assuraient indéniablement aux financiers juifs du Brabant une bonne connaissance du mouvement des capitaux en Europe du Nord-Ouest. Par ailleurs, le mouvement d’émigration de la diaspora d’Angleterre, entamé à partir des années 1290, à la suite de l’édit d’expulsion d’Édouard Ier, amena vers Bruxelles et Louvain quelques représentants savants de la communauté juive du royaume210. D’autres Juifs anglais arrivés dans les anciens Pays-Bas avaient intéressé à leurs affaires des citadins aisés jusqu’en Flandre, même si les sources font défaut pour préciser le volume de leur négoce211. est vraisemblable pour la première moitié du XIVe siècle. Sur ces toponymes voir Cluse 2000, p. 27, pp. 39-40 et p. 42, n. 189 et Deligne, Bruxelles et sa rivière, p. 123, n. 510. 206 Un Juif dénommé Emile habite près du pont des Monnayeurs avant 1282 (Cluse 2000, p. 27) ; Abraham Judeus habite quant à lui rue de la Fourche en 1334 (Stengers 1949, p.  111, n. 85). Enfin, Reynette la Juive habite dans la Lange Ridderstrate, quartier assez aisé, regroupant demeures patriciennes, manieurs d’argent et artisans de luxe entre 1321 et 1346 (censier pour l’ammanie de Bruxelles de 1346 : A.G.R., C.C., n°44825, f°6r°). Reynette n’est pas mentionnée dans le censier de 1321. Sur l’habitat mêlé de la La Lange Ridderstrate, quelques autres mentions dans l’ordre chronologique : un bottier possède en usufruit la moitié d’un bien situé Ridderstrate : Lefevre et Godding 1993, n°314, p. 241 [octobre 1292] ; un fripier réside dans la Corte Ridderstrate en 1321 : Martens 1959, p. 231 ; un artisan du cuir en 1328 dans la Ridderstrate (Billen 1997, p.15). Les puissants lignages Eggloy, Hertoghe et Tserclaes habitent aussi dans cette rue au XIVe siècle (Godding 1959-1960, vol. 5, p. 6, pp. 105-106 et vol. 4, p. 201, p. 208, p. 213 et p. 218). 207 Le voisin du rabbin Moïse était un brasseur de la ville (S.L., Chartes de la ville, n°4461[3/10 /1312]). Dans la maison de Moïse habitait aussi un enlumineur de livres (Cluse 2000, p. 42, n. 193), indice d’une forte mixité culturelle du quartier. 208 Émigration de Juifs originaires de ces deux villes mais également de Jodoigne et Tirlemont à Cologne entre 1251 et 1300 ; ils habitent tous dans la paroisse Saint-Laurent (Cluse 2000, pp. 23-25). 209 S.K., Schreinbüchern, n°103, f° 14a, une partie du Judenviertel s’étend en face de l’église Saint-Laurent, dans la rue des orfèvres ou Unter den Goldschmieden (Schmandt 2002, voir le plan, p. 270). C’est au coin de cette rue que le duc de Brabant fait acquérir une maison par Hildegher Birklin afin d’agrandir son hôtel (Merlo 1878, pp. 136-138). 210 Isaac bar Eliahu Chasan, originaire d’Oxford, termina en 1309 à Bruxelles une superbe bible avec les commentaires du Talmud champenois de Rachi de Troyes (1040-1105) : Cluse 2000, pp. 40-43. Sur l’expulsion des Juifs du royaume d’Angleterre : Mundill 1998. 211 Le testament d’Henri de Masmines (actuellement Wetteren, arr. Termonde, province de Flandre orientale) nommé Banrage, en date du 23 mai 1299, l’illustre ; il y apparaît notamment comme étant en comptes avec la couronne anglaise : somme de 30 lb. par. à donner à Gilles d’Audenaarde, clerc du roi d’Angleterre. Aumône de 20 s. d’esterlins à remettre au roi d’Angleterre par l’entremise du dit Gilles et enfin, 30 lb. par. ou 10 lb. sterl. que fureunt accepte de Judeis et volo quod ista

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 . Les Juifs, des concurrents sérieux avant les Lombards sur le C marché du crédit ? La question de la concurrence des Juifs sur le marché du crédit transparaît clairement au travers du testament du duc de Brabant Henri III. Au-delà de la condamnation morale de l’usure qu’il contenait, le testament d’Henri III (26 février 1261) peut aussi être considéré comme un outil idéologique destiné à lutter contre la concurrence de manieurs d’argent étrangers, juifs et lombards. Le duc de Brabant s’engageait à ce qu’ils soient complètement expulsés du duché s’ils ne renonçaient pas à leurs pratiques usuraires et de crédit à l’exemple des autres marchands. Cette attitude radicale relevait d’une position théologique très répandue dans l’Europe médiévale. L’image de l’honnête marchand était opposée à celle du Juif ou du Cahorsin prêtant à intérêt. Depuis la fin du XIIe siècle, l’usure manifeste était tenue par les théologiens comme une habitude néfaste typique des étrangers, les excluant de la communauté des fidèles chrétiens. Les étrangers s’adonnant à cette pratique ne pouvaient nullement espérer jouir de la confiance publique pour authentifier leurs actes commerciaux212. La consultation sur le bon gouvernement de Thomas d’Aquin marqua le retour d’une realpolitik dans l’attitude des princes de Brabant à l’égard des Juifs, durant une période de crise du pouvoir : la régence d’Aleyde fut contestée par l’évêque de Liège et le comte de Gueldre et caractérisée par de nombreuses opérations militaires213. Cette attitude conciliante revenait à admettre que les opérations de prêt des communautés juives ne constituaient pas une menace pour les prétentions des élites urbaines à contrôler tous les secteurs du crédit (haute finance, crédit à l’investissement et prêt à la consommation). Les Juifs de Bruxelles et de Louvain pratiquaient surtout le crédit sur gages. L’absence de sources urbaines (registres échevinaux, chartes, chirographes. . .) enregistrant leurs opérations n’est pas en contradiction avec l’existence de ce type de crédit, car le gage déposé dispensait les parties de dresser des actes échevinaux ou notariés et faisait foi lors des procès214. Les livres de comptes de l’abbé de SaintTrond, Guillaume de Ryckel, apportent quelque lumière sur les opérations de crédit des Juifs de Brabant. Les emprunts contractés par l’abbé auprès de ces derniers nous laissent l’image d’une disponibilité de capitaux assez faible, en adéquation avec du pecunia accepta a Judeis per executores meos restituatur(. . .)pro salute anime mee. Éd. dans Jamees 1991-1993, vol. 1, n°302, pp. 240-242. Banrage avait probablement déposé une partie de ses avoirs auprès de prêteurs juifs, contre participation à leurs bénéfices. Le personnage est probablement à rattacher à la famille noble de Masmines détentrice d’une maison sur le marché de Termonde sans doute dès 1319 et acquérant aussi des biens à Gand vers le milieu du XIVe siècle. Sur cette noblesse frontalière en voie d’urbanisation et entretenant des relations étroites avec les élites citadines, voir en dernier lieu : Balthau 1997, pp. 176-187). Quant au clerc Gilles d’Audenaarde, il était un personnage-clef de l’administration financière anglaise qui remboursa les dépenses de l’hôtel du jeune Jean de Brabant, futur Jean II lorsqu’il séjourna à la cour peu avant son mariage avec la fille du roi Édouard Ier (1290), en 1286-1289(Byerly et Ridder Byerly 1986, sub n°3248 ; Prestwich 19972, p. 546). Il apparaît déjà au service du roi Henri III en 1272 lors du rapatriement des joyaux de la couronne engagés à des marchands étrangers : Rymer 1815-1830, vol.I/1, p. 492. 212 Éd. dans Boland 1942, p. 94 [4] : Item, expellantur Judei et Cawersini de terra Brabantie et exstirpentur penitus, ita quod nullus remaneat in eadem, nisi tantummodo qui ut alii mercatores negociari voluerint et esse, sine prestatione et usura. Le verbe exstirpare, employé pour renforcer l’action d’expulser les Juifs et Italiens du duché et rendu dans la traduction flamande du XVe siècle par uutzuveren montre bien la radicalisation de l’attitude du Prince envers les usuriers. Les usuriers étrangers étaient assimilés à un mal profond qu’il fallait extirper. Dès la seconde moitié du XIIe siècle, Bernard de Clairvaux utilise le stéréotype du Judeus, mercator pessimus pour suggérer l’image du Juif usurier : Todeschini 1997, p. 21 et Idem 2007, pp. 121-122. 213 Bonenfant 1950, p. 263. 214 Shatzmiller 2000, pp. 107-108.

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prêt à la consommation destiné à couvrir des dépenses imprévues. Ainsi, les Juifs de Léau lui prêtèrent 22 marcs, soit moins que la petite communauté de prêteurs lombards (57 lb. de Louvain, soit 38 marcs de Liège) et évidemment moins que les marchands toscans actifs à Liège, auxquels l’abbé devait encore 2 480 lb. parisis215. Plus marquant reste le niveau relativement bas des taux d’intérêt appliqués : entre 13,5 et 25 % tout en montant jusqu’à 30% pour de plus faibles sommes, ils étaient plus compétitifs que les taux du marché à 50%, des célèbres usuriers de la place de Liège dont le haut niveau exprimait la forte demande dont ils étaient l’objet et leur renommée216. Sous cet aspect, il est clair que ces taux, bien inférieurs au taux maximum de 60% admis pour les Juifs de Tirlemont en 1303217, reflétaient partiellement la situation générale du loyer de l’argent à court terme dans l’Europe du Nord-Ouest vers 1250, à savoir, celle d’une abondance des capitaux liée à la production importante des mines d’argent anglaises, saxonnes et de Bohème218. En revanche, les taux des emprunts à court terme pour le crédit privé allaient connaître une forte envolée dans la première moitié du XIVe siècle, due à la crise économique d’ampleur secouant l’Europe219. Le jugement de Jean Stengers sur le niveau modeste des opérations de crédit des établissements juifs en Brabant, vraisemblablement en liaison avec des prêts à très court terme (jusqu’à un an), garde donc toute sa valeur220. Un élément ultérieur soutient d’ailleurs la thèse de l’exclusion des Juifs brabançons des circuits de la haute finance : lorsque le roi d’Angleterre Édouard Ier viendra engager ses joyaux en Brabant en 1297 afin d’y emprunter des capitaux, il s’adressera à des patriciens brabançons et à des Lombards mais pas aux Juifs de la principauté221. Cela n’exclut évidemment pas une « division du travail » entre les différents opérateurs de crédit présents en Brabant et plaiderait plutôt pour une complémentarité des opérations de crédit des Juifs avec celle des Lombards au moins valable pour la seconde moitié du XIIIe siècle. Enfin, il est hors de doute que pour alimenter leurs prêts, les financiers juifs recueillaient les fonds de bourgeois et d’ecclésiastiques contre rémunération, un témoignage explicite en est fourni en 1369 : deux prêtres de Sainte-Gudule avaient confié leurs 215 Pirenne 1896, p. XVIII. Pour les Lombards ou « Cahorsins » de Léau : Ibidem, p. 14, p. 23 et p. 109. Les payements

renseignés aux p. 23 et p. 109 concernent probablement des payements d’intérêt et n’ont donc pas été pris en compte pour le calcul de leur capital prêté. Pour le taux de change entre le marc de Liège et la livre de Louvain, Ibidem, p. LI. 216 Pirenne 1896, p.12. Prêt accordé le 30 septembre 1253 par les Juifs locaux à l’abbé pour 16 marcs de capital, 4 marcs et demi d’intérêt, le 16 novembre suivant, 4 marcs de capital et 10 s., 10 d. pro usuris. Le 20 novembre suivant, Jutte, qui exerçait sans doute pour son compte, lui prêta une somme de 2 marcs liégeois pour 12 s. d’intérêt. Exemple supplémentaire de taux à 12, 5%, p. 23. Sur l’équivalence dans les comptes de l’abbé entre marc et livre : Ibidem, p. 47. L’abbé avait dû emprunter au bourgeois de Liège Jean de Dinant la somme de 30 marcs dont 17 marcs comme intérêt perçu durant 14 mois, payé par l’intermédiaire du célèbre changeur liégeois, Gérard des Changes (Ibidem, p. xxiii et p. 20). Des taux de 40% pour des prêts à court terme sont encore attestés à Liège en 1288 : Wyffels 1966, réédité dans Idem 1987, pp. 466-467. 217 Stengers 1949, p. 42. 218 Sur les volumes énormes de production monétaire au XIIIe siècle (ex. d’estimation de 100 à 150 millions de pièces, soit 200 t. d’argent pour l’Angleterre au cours de ce siècle !) : Contamine 19972, pp. 251-255 ; Spufford 1986, pp. 109-127. 219 Des taux de plus de 100% sont attestés dans les anciens Pays-Bas (165,5% en Gueldre vers le milieu du siècle, au même moment, en Hainaut les indemnités prévues dépassent les 130% : Cluse 2000, p. 128 et p. 135 qui corrige sur certains points les taux d’intérêt excessifs calculés par Stengers 1949, p. 42). En Bourgogne, à la fin du XIVe siècle, le maximum légal est de 87% pour les prêts à usure. En Italie, le crédit à la consommation reste dans une marge de 15 à 50% (Homer et Sylla 19963, pp. 99-100). Sur la crise du XIVe siècle et les différents modèles interprétatifs sur sa durée et son impact réel sur la population, voir Epstein 2001, pp. 38-68 et Bois 2000, pp. 178-188. 220 Stengers 1949, p. 39 et p. 166, n. 287 : dans sa charte du 19 juin pour Tirlemont, le duc avait statué que les Lombards ne pourraient plus prêter que pour un an et plus, clause absente de l’octroi de prêt pour les Juifs de la ville. 221 Voir infra, IIe partie, chap. 2, pp. xx.

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avoirs sur un compte de dépôt rémunéré par deux Juifs bruxellois, contre la remise de joyaux en gage, durant six mois222. Finalement, il convient de s’interroger sur l’activité bancaire des ordres militaires dans le duché de Brabant. Je l’ai dit, ces ordres se démarquaient du reste de la population au sein de la société brabançonne. Surtout parce que ces chevaliers ne dépendaient que du pape, mais aussi par la combinaison de plusieurs caractéristiques : leur discipline militaire stricte, leur implantation internationale du fait de leur participation aux croisades, leur règle de vie en commun de type conventuelle et enfin, leurs services bancaires étendus. Du point de vue moral, leurs privilèges d’exemption étendus, leur cupidité supposée et leur orgueil, nourrissaient les lieux communs des écrits des polémistes du XIIIe siècle223. Ainsi en allait-il de la situation des templiers, équivalente sous bien des aspects à celles des financiers étrangers dans la société médiévale, comme l’atteste le sort qui leur fut réservé par le roi de France Philippe le Bel lorsqu’il saisit les biens du Temple en 1312. Ils étaient considérés comme indépendants du groupe des conseillers et agents du roi, incontrôlables, de manière comparable aux Juifs et aux Italiens. Ils devaient être évincés des leviers de pouvoir des finances royales224. D.

Les réseaux des ordres de chevalerie

La question du rôle bancaire des moines-chevaliers qu’étaient les hospitaliers, templiers et chevaliers teutoniques peut être posée à bon droit sur la base de la taille de ces ordres et de leur vaste diffusion géographique en Europe du nord-ouest. Leur implantation dans le duché de Brabant, il est vrai modeste dans le cas de l’ordre teutonique (une seule commanderie, celle de Pitsenburg à Malines), prenait une dimension respectable chez les templiers (six maisons dont celle de Louvain) et très importante chez les membres de l’ordre hospitalier (douze maisons dont celles de Bruxelles). Toutefois, leur ancrage essentiellement rural donne à réfléchir sur leur fonction ­économique exacte225. Ainsi, les commanderies installées en Brabant paraissent surtout avoir joué un rôle d’actifs propriétaires fonciers par le biais de l’exploitation indirecte, à l’exemple de la seule commanderie installée dans une ville, celle de Louvain226. En dépit de la spécialisation précoce des templiers dans la banque de dépôt, il est clair que l’absence d’un lien féodal entre le duché de Brabant et le royaume de France – à la différence du comté de Flandre – ne rendait pas du tout évident les transferts financiers importants vers le Temple de Paris ; les ducs de Brabant se méfiaient vraisemblablement de l’influence en

222 Il a été fait allusion supra p. 44 n. 211 aux participations d’Henri de Masmines à des opérations financières menées par des Juifs liés à la couronne anglaise ; il devait déjà s’agir d’une forme de dépôt primitive. Cf. Lefevre 1930, pp. 902-912. Le terme écoulé, 25 livres furent remises contre un dépôt de 200 moutons et 35 livres contre un dépôt de 200 francs. L’ignorance du type de monnaie employée (livre vieux gros, tournois, payment. . . ?) rend le calcul du taux pratiqué assez hasardeux. 223 Demurger 2005, pp. 395-405. 224 Ibidem, p. 496. 225 Pitsenburg avait bénéficié d’une fondation de la famille des Berthout en 1236 et est citée pour la première fois en 1269 (Arnold 1988, p. 27 et Croenen 2003, p. 88). Les six commanderies templières étaient celles de Géraucourt, La Braque, Louvain, Neuve-Court, Vaillampont, Vieille-Court. Les douze maisons des hospitaliers étaient celles de Binkom, Bois-lesDames, Bois-Saint-Jean, Bruxelles, Chantraine, Dongelberg, Gaspeldoren, Jaucourt, Mont-Saint-Jean, Saint-Jean(Nivelles), Villeroux et Walsbergen, cf. Marchal-Verdoodt 1965. 226 Vander Linden 1923, p. 257 et Dailliez 1978, voir n°159 [5/9/1289] et p. 397.

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Brabant des membres de cet ordre, banquiers des rois de France227. La seule mention d’un emprunt au Temple date de 1284, époque où Jean Ier séjourna souvent à Paris avec son épouse, sans doute à la suite de ses promesses de soutien militaire à Philippe III le Hardi, lequel préparait une expédition armée contre le royaume de Castille228. E.

Banque et exécution des traités diplomatiques

Ceci m’amène à relever une caractéristique commune aux trois ordres de chevalerie présents en Brabant : la prépondérance de leurs activités financières en relation avec l’exécution des clauses des traités diplomatiques et des alliances militaires. Le payement des aides des princes chrétiens destinées aux croisades était une activité traditionnelle des templiers  ; il en alla de même en Brabant, avec, il vaut la peine de le souligner, peu de succès. Le duc de Brabant avait obtenu en 1227 du pape Grégoire d’être relevé de ses vœux de croisade, moyennant le payement au Temple à Paris de 3 000 lb. parisis pour envoyer 40 chevaliers à la croisade à sa place. Le payement n’eut jamais lieu229. Pareillement conjecturale me paraît avoir été la participation de l’ordre teutonique aux transferts de fonds du roi des Romains Alphonse de Castille au duc de Brabant Henri III, pour prix de son soutien, en 1258230. Enfin, les chevaliers hospitaliers de Neuerburg paraissent aussi avoir rempli une fonction d’agents de confiance et de courtiers du duc de Brabant, à l’exemple du frère hospitalier Erwin, mandaté pour exécuter des payements au comte de Berg, allié des Brabançons Outre-Rhin dans les années précédant la bataille de Worringen231 .Ce fut le receveur de Brabant, l’Anversois Gauthier Volkaert qui joua les intermédiaires entre le frère hospitalier et le duc de Brabant. 5. Un bilan du marché de l’argent à la veille de l’arrivée des compagnies de prêt piémontaises L’étude du marché de l’argent brabançon avant l’arrivée des sociétés de prêt lombardes offre plusieurs pistes de réflexion sur le fonctionnement de ce marché et sur la géographie ultérieure des tables de prêt piémontaises dans le duché. L’absence d’opérations de crédit significatives menées par des Anversois ou des Louvanistes au bénéfice du Prince ou de Princes étrangers retient d’abord l’attention232. Les groupes dominants de la ville de Louvain, en particulier, auraient beaucoup plus investi 227 Le trésor des rois de France est confié à l’ordre du Temple depuis le milieu du XIIe siècle : Demurger 1985, pp. 163-

168 et pp. 203-205.

228 Emprunt de 10 000 lb .n.t. auprès du trésorier du Temple à Paris dont la ville de Léau s’est portée caution : Chartes de

Léau, n°16 [1er juin 1284], analysée dans Piot 1879, n°15, p. 5 et Peeters 1980, vol. 1, p. 70. Sur la présence du duc dans l’armée française pour aller guerroyer en Aragon : Boffa 1996, p. 21 (le duc Jean Ier servit avec les siens pour le roi de France du 29 février 1284 au 8 janvier 1286). 229 Smets 1908, p. 197, n. 7 et éd. dans Auvray 1896, n° 132, col. 69-70. 230 Verkooren 1961-1962, vol.1, pp. 117-118 [21/10/1258] : 2 000 lb. tour. avaient été promises au duc de Brabant pour prix de son soutien contre Richard de Cornouailles. 231 Verkooren 1961-1962, vol. 1, p.157 [ 3/8/1283]). Neuerburg : Land de Rhénanie-Palatinat, arr. de Bitbürg-Prum, Allemagne. 232 Le cas du receveur de Brabant, l’Anversois Gauthier Volkaert (1284-1289), qui réalise des transactions financières importantes durant son mandat me paraît devoir être différencié de celui des financiers prêtant de l’argent en dehors de toute activité administrative au service du duc.

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leurs capitaux dans la frappe de monnaies reconnues internationalement – et sur lesquelles ils prétendaient exercer une mainmise  – que dans le crédit au Prince. C’est en tout cas l’image que reflète l’analyse du chartrier des ducs de Brabant. Mais, en outre, cette étude fournit deux autres éléments majeurs pour saisir l’évolution ultérieure de la haute finance en Brabant. D’une part, elle établit les velléités monopolisatrices des élites ecclésiastiques et laïques de la ville de Bruxelles dans le domaine de la haute finance. D’autre part, il est clair qu’à Bruxelles, les ducs de Brabant ont marqué leur présence par le biais de volumineuses opérations de crédit montées à leur profit ou au bénéfice de princes étrangers dont ils désirent s’attacher la fidélité. Au surplus, la politique économique volontariste du Prince ne se limite pas à Bruxelles. Elle se matérialise dans ses initiatives visant à organiser le réseau urbain brabançon en une zone de crédit prééminente (Bruxelles) et en zones du crédit secondaire (Bois-le-Duc et Léau) comme cela appert dès le milieu du XIIIe siècle. La fonction de Bois-le-Duc et de Léau comme marchés du crédit secondaires, illustre cette politique (voir cartes 1.1 et 1.2) : il s’agissait de deux villes-neuves fondées par les ducs et situées à la périphérie du duché. Dans cette perspective, la comparaison entre les taux d’intérêt des plaques tournantes financières frontalières et certains taux d’intérêt à court et à long terme de places plus centrales est instructive car elle raffermit l’hypothèse d’un loyer de l’argent plus élevé dans les centres urbains prééminents et dotés d’une renommée supra-régionale comme centres de la haute finance ; c’est le cas de Bruxelles et Liège à la fin du XIIIe siècle dans l’espace de l’entre Escaut et Rhin, au même titre que Metz dont la zone d’influence bancaire s’étendait jusqu’en Champagne233. On assiste donc, et c’est un enseignement fondamental des années 1200-1280, à la formation d’une géographie multipolaire de places financières, où chaque place tend à se spécialiser dans le prêt à un type de clientèle bien défini. Les sommes avancées pour des débiteurs étrangers par les groupes dominants bruxellois correspondent, dès l’origine, à un crédit de nature politique basé en principe sur un loyer élevé de l’argent et qui sert les ambitions territoriales des ducs de Brabant, qu’il s’agisse de la frontière septentrionale du duché (comté de Hollande) ou de sa frontière orientale (archevêché de Cologne). Un puissant débiteur comme le comte de Berg, qui peut monnayer son appui politique contre l’archevêque de Cologne, est en situation de force pour traiter avec ses créanciers bruxellois. Par contre, s’il s’agit d’un débiteur se trouvant déjà dans une position affaiblie, comme l’abbé Guillaume de Ryckel, dont l’abbaye ainsi que la ville de Saint-Trond font l’objet des tentatives répétées d’annexion des Brabançons, le risque encouru de se voir lié par la dette à l’une des villes les plus importantes du duché apparaît bien trop grand234. Gestionnaire avisé, l’abbé fait donc jouer l’offre à son avantage en s’adressant aux manieurs d’argent de Léau. Cette attitude prudente montre aussi les limites du montage financier mis au point initialement par les ducs de Brabant dans leur réseau urbain. Le Prince n’est pas le seul 233 Schneider 1950, p. 310 et plus récemment sur l’avènement de ces places bancaires à partir des années 1200 pour les

plus précoces (Metz et Strasbourg), voir Escher et Hirschmann 2005, vol. 1, p. 254.

234 Le duc Henri Ier avait acquis l’avouerie sur l’abbaye. La fondation de Léau représentait dans une certaine mesure une

avancée territoriale supplémentaire vers Saint-Trond pour le contrôle de cette seigneurie locale dépendant de l’évêque de Liège, cf. Zylbergeld 1981, pp. 83-85.

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maître du jeu du crédit, qui apparaît finalement assez libre. C’est là une caractéristique dominante de la période « pré-lombarde » : le crédit à des seigneurs ou des princes étrangers semble encore échapper partiellement au contrôle ducal. Une autre caractéristique décisive de cette période mérite d’être mise en exergue car je l’avais placée en préambule à ce chapitre. Il s’agit de la problématique du prétendu retard technologique des hommes d’affaires locaux par rapport aux marchands-banquiers italiens  : les progrès rapides en la matière des «  localités de  finance périphérique  » démentent ce point de vue historiographique, mais à nouveau avec des nuances régionales notables. En effet, les avancées des bourgeois de Bois-le-Duc et de Léau en matière de dépôts bancaires ou de pratiques usuraires tranchent avec le conservatisme bruxellois. À Bruxelles, on l’a vu, la banque de dépôt relève du dépôt informel (charte de 1229) auprès de voisins ou ressort même de la gestion des hôpitaux235. Elle n’est pas institutionnalisée et dans l’état actuel de nos connaissances, l’emploi du terme depositum pour désigner un dépôt d’argent auprès de banquiers privés n’y est pas attesté au XIIIe siècle236. Il n’est pas dans mon intention de faire d’un vocabulaire financier rudimentaire un indice irréfutable de conservatisme bruxellois en matière de pratiques bancaires. Je relève toutefois que le brassage culturel avec des élites provenant de villes étrangères, exception faite des Colonais, était sans doute moins poussé à Bruxelles que dans des localités-frontières. Ces dernières étaient traditionnellement plus accessibles à l’immigration d’élites étrangères, de même qu’était plus rapide l’incorporation de ces élites dans le groupe dirigeant de la ville. Moins anciennes que la ville de Bruxelles, les cités de Bois-le-Duc et de Léau étaient évidemment en demande de ressources humaines237. À Bruxelles, deux secteurs semblaient cependant ouverts à des innovations de type capitaliste. Il a déjà été fait allusion à l’activité des hôpitaux comme injecteurs de capitaux dans diverses entreprises marchandes ou spéculatives. Leur fonction de maillon interurbain pour lever des emprunts bruxellois sur le marché malinois me paraît extrêmement significative à cet égard. Le second secteur est celui de la gestion des moulins. Gérés à la fois par des ecclésiastiques et des laïques -tout comme les hôpitaux- ces moulins bénéficient d’un système de participations avec des compagnons gérant les moulins à l’instar d’une société marchande, au plus tard dès le dernier quart du XIIIe siècle ; ils peuvent aussi rechercher du crédit par l’émission de rentes viagères. Last but not least, les moulins servent, comme les hôpitaux, « d’école de formation commerciale » de futurs gestionnaires des deniers publics. Est-ce pur hasard, si l’une des lignées les plus connues des changeurs

235 Tant l’hôpital Saint-Jean en 1211 que l’hôpital Notre-Dame d’Anvers en 1234 obtiennent que leurs « patients » cèdent

leurs biens à l’hôpital durant leur séjour. En cas de décès intestat, les biens mobiliers du défunt étaient transmis à l’hôpital au bénéfice des pauvres (Kusman 2008b, pp. 361-362). 236 Les sondages effectués portent sur le chartrier de Brabant, le chartrier de Sainte-Gudule et le cartulaire de Saint-Jean édité par Paul Bonenfant. Il va sans dire qu’une exploitation exhaustive du riche fonds des archives médiévales de l’assistance publique à Bruxelles pourrait peut-être modifier ce constat. 237 Le cas de Bois-le-Duc a déjà été évoqué plus haut. À côté de la mention précoce de minorités ethniques à Léau, il faut relever la présence parmi les échevins urbains d’un Arnold de Liège qui, dès 1274, bénéficie de donations foncières du duc de Brabant dans l’hinterland rural de la ville (Piot 1870, vol.1, n°279, pp. 344-345 [avril 1274] ; Piot 1879, n°19, pp. 6-7 [24/2/1291] et Peeters 1982, p.  20). Pour une critique très efficace du concept de localité périphérique, synonyme de retard technologique et économique, voir l’article de Pollard 1995, pp. 121-136, pp. 133-136. À Bruxelles, l’ancienneté des élites en place—par rapport aux villes brabançonnes périphériques— nourrissait sans doute leur conservatisme.

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

bruxellois au XIVe siècle, la famille den Hane ou Gallus est issue d’un ancêtre actionnaire du Capsmolen à Saint-Josse238 ? De ce survol rapide des places financières, il ressort finalement que le marché de l’argent en Brabant n’était pas unifié et unitaire mais jouait au contraire sur la complémentarité. Cette complémentarité des places financières est révélée par la lecture des chartes des ligues interurbaines de 1261-1262, destinées à préserver l’intégrité du territoire brabançon, menacée par une crise successorale. Il était en effet question, dans les doléances des oligarchies urbaines adressées au gouvernement de régence d’Aleyde, d’oublier les vieilles rancœurs nourries entre villes, de pourvoir au règlement des litiges juridiques réciproques par l’institution de commissions paritaires, composées d’échevins et de jurés et de veiller à l’avancement du profit du pays239. Ces ligues interurbaines répondaient à une situation d’interdépendance financière des villes brabançonnes, dans laquelle, de manière croissante, les titres de créances des bourgeois d’une ville devaient pouvoir être reconnus par le magistrat d’une autre cité. La complémentarité des places financières brabançonnes était dans l’intérêt du duc de Brabant, désireux de se préserver le choix le plus large possible dans l’offre disponible et de ne pas dépendre d’un seul fournisseur de crédit comme c’était le cas en France et en Angleterre. En agissant comme il le faisait, le duc de Brabant se réservait un accès à un marché du crédit secondaire, indépendant des exigences politiques de la haute finance bruxelloise et louvaniste. Naturellement, reconstruire la part exacte d’initiative princière dans la formation de ce marché du crédit restera toujours une entreprise hypothétique. Il ne s’agissait sans doute pas d’une politique économique systématique et, en outre, d’autres protagonistes avaient voix au chapitre : les aristocraties urbaines et les groupes nobiliaires, hobereaux de campagne, seigneurs locaux et grands barons. Quoi qu’il en soit, dans le dernier quart du XIIIe siècle, il paraît clair que le duc er Jean I de Brabant a réussi à susciter à son avantage une véritable « division du travail » entre les différents opérateurs de crédit, brabançons et étrangers, selon ses besoins et l’endroit où sa cour itinérante se trouve. L’exemple des financiers colonais et des templiers de Paris me paraît assez évocateur à ce sujet. Une telle politique de diversification des emprunts rendait évidemment l’accumulation des dettes moins douloureuse, à court terme du moins. À l’appui de cette hypothèse de diversification de l’offre de crédit, milite l’absence totale d’intermédiation financière d’une compagnie toscane pour canaliser les revenus de la fiscalité du clergé brabançon vers Rome au XIIIe siècle, comme c’était le cas à Liège. Ce furent en fait les grosses abbayes norbertine et bénédictine de Parc et de Vlierbeke qui effectuèrent ces missions en Brabant240. Le résultat recherché par le Prince était atteint  : diluer au maximum la pression des créanciers et court-circuiter l’influence des compagnies financières toscanes en Brabant. En plus de la présence simultanée de plusieurs acteurs sur le marché du crédit (voir fig. 4) empêchant toute création d’un monopole bancaire, une ultime caractéristique permet d’expliquer l’arrivée tardive de marchands-banquiers italiens dans le centre du 238 Sur ces moulins, voir les pages pertinentes de Deligne 2003, pp. 24-29. Sur la famille den Hane : Goffin 1956, p. 286 et Dickstein-Bernard 1977, p. 64, p. 312 et p. 334. 239 Boland 1944 et Boland 1946. 240 Cf. Jonckheere 1997, vol. 1, p. 30 et p. 38. Un seul prêt d’une compagnie toscane, en l’occurrence, les Bonsignori de Sienne est contracté par le duc de Brabant en 1278.

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Prélude : le marché de l’argent en Brabant | Chapitre i

Typologie des créanciers

Type d’instrument de crédit

Collectivités : hôpitaux, tables des pauvres,

Rentes viagères et rentes perpétuelles

chapîtres collégiaux et abbayes Particuliers : 1) artisanat de luxe

Rentes viagères, rentes perpétuelles et lettres obligatoires

-pelletiers -selliers -orfèvres 2) Commerce de l’argent : -changeurs et monnayeurs 3) groupes intermédiaires : bouchers 4) patriciens et marchands polyvalents Fig. 4. L’offre de crédit local en Brabant avant 1282.

duché, c’est-à-dire les villes de Bruxelles et de Louvain : il s’agit de la monétarisation approfondie de la société brabançonne tant dans les villes que dans les campagnes. L’explication classique de l’arrivée des Lombards dans l’Europe du Nord-Ouest est celle d’une réponse à la demande croissante en espèces métalliques. Elle ne fonctionne pas dans le cas présent. Il est tentant de supposer qu’en Brabant, cette « faim d’argent » se fit sentir assez tardivement. Une preuve de l’abondance des capitaux peut se trouver dans les taux d’intérêt à long terme. D’une manière générale, les taux de la dette à long terme évoluaient au XIIIe siècle, autour de 10% alors que des taux à long terme de 15% étaient courants ailleurs en Europe241. Jusque dans les années 1280, c’était à ce taux de 10% que les ducs de Brabant négociaient les rentes féodales qu’ils concédaient à leurs vassaux242. En clair, le loyer de l’argent était cher pour les débiteurs extérieurs au Brabant mais ­pouvait descendre assez bas pour des débiteurs brabançons, jusqu’à 7,5%, voire 5% selon la confiance qu’ils inspiraient à leurs créanciers243. Cette situation favorable illustre bien la position stratégique du duché, paradis pour des intermédiaires financiers polyvalents, habiles à faire se rencontrer l’offre de métaux précieux (Saxe) et sa demande massive (Angleterre). La débâcle financière de l’abbaye de Kornelimünster démontre bien l’esprit entreprenant de ces courtiers actifs entre Rhin et Escaut. Alors qu’on aurait pu s’attendre à trouver de nombreux crédirentiers issus 241 Blanchard 1996, pp. 57-58 et voir le tableau n°1, p. 72. Sur le modèle d’une implantation des Lombards répondant

à une faim de numéraire, voir notamment Bautier 1979, pp. 7-32, p. 24.

242 À partir de 1258, le taux des rentes féodales se stabilise à 10%. Celle de Thierry de Heinsberg, vassal d’Aleyde de Bra-

bant est constituée par une somme de 1 000 lb. Louv. pour laquelle une rente de 100 lb. de monnaie semblable lui est assignée sur la recette de Maastricht (Verkooren 1961-1962, vol.1, p. 129 [6/10/1266] ; autres exemples, p. 117 [4/4/1258], p.129 [19/6/1267] et dans Verkooren 1910, n°89, p. 70 [9/8/1269]). La concession de rentes féodales par un suzerain correspond à une forme féodale de dette à long terme cf. Soetaert 1986, p. 51. 243 Ex. d’une rente viagère de 3 lb. de Louvain contre versement d’une somme de 40 lb. de Louvain à l’abbaye de Villers par Nicolas, maître de Hex : Despy 1959, n°323, p. 124 [mai 1273] ; taux d’intérêt de 5% dissimulé dans la formule de l’emprunt contracté par Marie de Louvain et son fils auprès du prévôt de Saint-Jacques sur Coudenberg d’une somme de ducentis libris Bruxellensium decem minus : les 10 lb. représentent l’intérêt soustrait au principal (Bonenfant 1953, n°98, p. 137 [12/5/1256]).

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

des grandes familles marchandes des villes flamandes de Bruges et Gand pour financer la politique territoriale du comte de Flandre Guy de Dampierre, ce sont majoritairement des Bruxellois qui achetèrent des rentes à l’abbaye de Kornelimünster, détentrice de nombreux biens fonciers en Flandre. Jusque dans la première décennie du règne du duc Jean Ier (1268-1294), la présence de financiers piémontais n’était pas une composante indispensable de la conjoncture brabançonne. Il faudra une double contingence, économique et politique, pour susciter l’entrée en massive des sociétés de prêt italiennes en Brabant comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

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Chapitre ii

L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises organisées : les conditions d’une expansion

1. Tournai et le comté de Flandre : portes d’entrée des prêteurs lombards en Brabant A.

Prologue : Ouverture vers l’International

Les raisons qui poussèrent les marchands d’Asti à se rendre à l’étranger depuis le premier tiers du XIIIe siècle sont à rechercher dans le rôle croissant des foires de Champagne comme lieux de rencontre du commerce européen et clearing house des payements internationaux. Dès 1191, des marchands d’Asti établis à Gênes concluaient des contrats établis sur les quatre foires de Champagne de Lagny-sur-Marne, Bar-sur-Aube, Provins et Troyes, couvrant la majeure partie de l’année1. On peut même se demander si les marchands « Lombards » attestés par la chronique de Galbert de Bruges n’étaient pas des marchands astésans, transporteurs de biens de luxe qui s’étaient aventurés dans le comté de Flandre à l’occasion de la foire renommée d’Ypres de mars 1127. Celle-ci était fréquentée par les négociants coutumiers du trafic à longue distance. À la nouvelle de l’assassinat du comte de Flandre Charles le Bon, les marchands présents à la foire s’enfuirent et propagèrent la nouvelle partout, preuve de la place d’Ypres dans un réseau « international » d’information financière des foires marchandes2. La présence des Astésans sur le marché génois, sans qu’on puisse la chiffrer précisément, dut en tout cas être massive à partir de la première décennie du siécle suivant lorsqu’ils furent actifs comme banquiers et détaillants de draps des Pays-Bas3. La modernité du modèle 1 Bordone 19972, p. 9. Voir aussi le maître-ouvrage de Doehaerd 1941, vol. 1, pp. 89-90. Le cycle des six foires de Champagne et de Brie débutait avec la foire de Lagny-sur-Marne, le 2 janvier et durait jusqu’au lundi avant la mi-carême, lui succédait celle de Bar-sur-Aube, débutant , le mardi avant la mi-carême, à savoir avant la fin de février ou dans le courant du mois de mars selon la date annuelle de Pâques, puis celle de Provins, à partir du mardi avant l’Ascension, c’est-à-dire à la fin d’avril ou dans le courant de mai, d’une durée imposée de 46 jours, celle de Troyes, dite foire chaude, le mardi après la quinzaine de la Saint-Jean Baptiste, soit dans la première semaine de juillet et jusqu’au 14 septembre, celle de la Saint-Ayoul de Provins, du 14 septembre jusqu’à la Toussaint et enfin, celle de Troyes, du lendemain de la Toussaint, 2 novembre, jusqu’à la semaine avant Noël (Bourquelot [1865], vol. 1, pp. 81-83). 2 Rider 1994, p. 41[16], l. 53-63 : Quo tempore negotiatores omnium circa Flandriam regnorum ad Ipram confluxerant in cathedra Sancti Petri[22 février], ubi forum et nundinae universales feriabantur, qui sub pace et tutela piissimi comitis securi negotiabantur. Eodem tempore ex Longobardorum regno mercatores descenderant ad idem forum, apud quos comes argenteam kanam emerat marcis viginti una(. . .). Sur le cycle très dynamique des foires de Flandre à cette époque : Yamada 1991, p. 781. 3 Le caractère incomplet du dépouillement—déjà impressionnant par la qualité de ses analyses— de Renée Doehaerd a, il est vrai, été critiqué par Bautier 1987, article réimprimé dans Bautier 1992, pp. 182-237, p. 218, n. 26. Reste néanmoins que de 1200 à 1210 les familles astésanes, citées par ordre chronologique sont omniprésentes dans les registres des notaires génois pour des transactions de change international : il s’agit des lignages de Montemagno, Solaro, Scarampi, Cavazzone, Garretti, Damiano, Monaco, Serra, Sarraco, Calcagno, Romano, Rapa, Bovino, de Valfenaria et Rabbia, (voir Doehaerd 1941, vol. 2, pp. 1-131, n°1, 2, 5, 6, 8, 9, 10, 13, 15, 17-19, 21-23, 25, 26, 35, 40-44, 46-50, 53, 54, 60-62, 64, 66, 68-70, 72, 73, 75, 77, 78, 81, 84-94, 97-99, 104, 105, 108-111, 119, 120, 122, 133, 134, 137, 167, 217, 223-225, 230-232, 242, 243, 250, 256, 258, 259 et 265).

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

des institutions commerciales génoises a été soulignée récemment ; il faut constater d’emblée une stratégie commerciale raisonnée des Astésans pour s’implanter sur des places financières non-conservatrices dans leurs pratiques bancaires4. Par ailleurs, à Gênes, la petite communauté astésane constituait le trait d’union entre les marchés méditerranéens et les foires transalpines : changeurs et marchands-transporteurs vers les foires de Champagne, les ressortissants d’Asti entrèrent en contact avec des marchands génois et lucquois à l’aube du XIIIe siécle5. Si les Génois remplacèrent progressivement les caravanes de marchands astésans en route vers les foires de Champagne par leurs propres convois de négociants, les Astésans restèrent à Gênes comme fournisseurs ou preneurs de crédit, comme changeurs ou comme courtiers6. Le chroniqueur d’Asti Ogerio Alfieri cite la date de 1226 comme marquant le début des opérations usuraires des citoyens de sa ville en France et dans les parties transalpines, avec moult profits, en dépit d’atteintes fréquentes à leurs personnes et leurs biens 7. C’est à cette période d’émergence du crédit lombard à l’étranger qu’il faut rattacher les prêts des Lombards de Léau, en Brabant, à l’abbé Guillaume de Ryckel en 12538 ou des « Cahorsins » de Paris à la ville de Tournai en 12439. Quelques années plus tard, ces marchands nord-italiens exercèrent à nouveau leurs activités en Brabant dans la ville drapante de Diest, mais on ignore tout du volume de leurs affaires10. Cependant, il est hors de doute que la plupart des financiers astésans, attestés massivement en Brabant à partir des années 1290, furent d’abord actifs à Tournai, un peu en Hainaut et beaucoup dans le comté de Flandre11. La primauté de l’implantation flamande et tournaisienne s’expliquait non seulement par l’équipement commercial plus poussé du réseau urbain du bassin scaldien (foires internationales, relations avec la hanse germanique et celle de Londres) mais également par le démarrage précoce de l’industrie textile ­d’exportation des villes de cette région, présentes sur le marché génois dès les années 120012. Représentés par un office de prêt et de change à la foire champenoise de Provins en 1235, les Astésans s’installèrent à Douai une dizaine d’années plus tard où ils acquirent le droit Greif 2000, pp. 271-278. Sur les opérations avancées de dépôt, de crédit et de change sur la place de Gênes dès le début du XIIIe siècle : Doehaerd 1941, vol. 1, pp. 100-146. 5 Abulafia 1997, p.  19  ; Castellani 1998, pp.  146-148. Exemples de contrats dressés avec des marchands génois des familles Grimaldi et Spinola, dans Doehaerd 1941, vol. 2, n°1, p. 1[25/2/1200], n°230[22/6/1203 ou 1208], p. 111, n°231, pp. 111-112[6/7/1203 ou 1208], n°232, p. 112[6/7/1203 ou 1208] et avec des marchands lucquois des familles Mixo et Fornari dans Ibidem, n°224, p. 108[17/5/1207 ou 1213], n°258, p. 125[1/9/1210], n°318, p. 159[28/2/1214]. 6 Sur le remplacement des convois de marchands astésans par les caravanes gênoises dès la fin du XIIe siècle, voir Doehaerd 1941, vol. 1, p.  89 et Crouzet-Pavan 20042, p.  357. Les deux voies choisies étaient d’une part la voie transalpine par Albe, Asti, Turin, Ivrée, le Mont Cenis, Charolles, Beaune, Chalon-sur-Saône, Dijon, Châtillon s./ Seine et Bar s./ Aube et les autres foires de Champagne ou une autre voie mi-terrestre, rejoignant la Provence par terre ou par mer et rejoignant ensuite le sillon Rhodanien puis Lyon pour rejoindre Chalon-s./ Saône. Cela ne mit cependant pas un terme aux activités des financiers d’Asti sur le marché génois comme semble le penser Reichert 2002, p. 279, ceux-ci restèrent actifs soit comme bailleurs de fonds, soit come emprunteurs pour des contrats commerciaux établis sur les foires de Champagne jusque vers 1250 (Doehaerd 1941, vol. 1, pp. 213-215). 7 Anno Domini 1226, cives Astenses coeperunt praestare et facere usuras in Francia et Ultramontanis partibus, ubi multam pecuniam lucrati sunt  ; tamen ibi multa passi sunt in personis et rebus  : cité dans Bautier 1979, p.  9 et p.  25, n. 10. La chronique complète est éditée dans Cibrario et Combetti 1848, col. 677. 8 Cfr. supra., 1ère partie, chap. 1, p. 29-30. 9 Verriest 1904, pp. 143-267, p. 231 Olivero, de via Parisius pro Cahoursinis, 40 sol.[vers le 1e avril 1243]. Des citoyens d’Asti reçoivent des privilèges du roi de France Louis VIII dès 1225 : Reichert 2003, p. 587. 10 S. D., chartrier, n°9[13/12/1278] : Jean de Loe et sa fille cèdent en aumône leur bien immobilier avec ses dépendances, où résident les Cahorsins ou Lombards, situé près de l’hôpital de la ville, aux chevaliers hospitaliers de Saint-Jean. 11 La forte présence des tables de prêt lombardes dans l’ammanie de Bruxelles attestée dès 1286 (voir infra, pp. XX), est confirmée ultérieurement par la première citation de tous les Lombards de Brabant, concrétisée par un prêt gigantesque de 100 000 lb. au duc de Brabant en 1293, impliquant sans doute un premier octroi comme le pensait avec raison Tihon 1961, p. 349. 12 Nicholas 1992, pp. 164-175. 4

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

de bourgeoisie13. En outre, les tables lombardes de Flandre finançaient le trésor de la comtesse Jeanne de Constantinople avant l’année 124414, sans qu’on puisse toutefois identifier des manieurs d’argent piémontais opérant pour celle-ci, dans des villes déterminées, avant 127415. À la diffusion dense des tables de prêt dans le comté de Flandre, s’opposa, dans un premier temps, la seule table de prêt hennuyère d’une ville importante, celle de Mons, à laquelle succéda bientôt celle de Valenciennes16. L’influence du politique n’était pas négligeable dans la structuration de ce réseau de crédit, la table de Mons résultant indubitablement de l’union personnelle entre les deux comtés lors du règne de Thomas de Savoie et Jeanne, comtesse de Flandre, de Hainaut et de Namur17.  . Réseaux de crédit régionaux et trafic international : Tournai, une nouvelle B localité-frontière propice aux manieurs d’argent La résidence et l’intégration sociale de prêteurs lombards à Tournai obéissaient dans les faits à un schéma qui inspirera chaque installation durable des marchands d’Italie septentrionale dans les villes des anciens Pays-Bas. Il reposait sur les facteurs suivants : autonomie relative de la ville, dotée d’une seigneurie particulière épiscopale discrète par rapport au pouvoir grandissant du roi de France18, modernité des institutions financières et marchandes19 et enfin, profil international de Tournai, appartenant à la Hanse des 17 villes drapantes20. En 1247, Giovanni Solaro et deux membres de la famille Bolla recevaient octroi de prêt et droit de bourgeoisie à Douai pour y exercer leurs activités commerciales (Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 271 et Castellani 1998, pp. 148-149). 14 Un relevé des dettes de Thomas et Jeanne, comte et comtesse de Flandre, établi le 3 décembre de cette année, cite les sommes dues aux tables des « Cahorsins » d’Audenaarde, Courtrai, Furnes, Poperinghe, Bruges et, seul établissement hennuyer, à la table de Mons. En 1249, s’y ajoutent les Lombards de la table de Warneton : Tihon 1961, p. 340 ; Luykx 1946, p. 606 et suiv. et Morel 1908, n°1, pp. 103-104. 15 Manfredo, Manuele et Giacomino Garretti, créanciers de la comtesse de Hainaut Marguerite de Constantinople au mois d’août 1274, résident dans la maison des Lombards de Mons : A.D.N., B 1561, f°76r°-v°, p. 264. En mars 1276, Jakemon le Lombart alias Giacomo de Caloccio et ses associés, habitant à Bruges dans le quartier des affaires ou Wijc, recevaient un octroi de Marguerite de Constantinople contre un prêt de 1.000 lb., monnaie de Flandre (A.D.N., B 1561, f°78r°). Dans l’état des dettes de la comtesse, dressé en 1244 (Luykx 1946, n° 78, pp. 606-609[3-4/12/1244]), des Astésans opérant en marge des tables de Flandre sont cités. Il s’agit de Guglielmo Asinari pour un montant de 114 lb. 12 s. 8 d. artésiens, Otto Bolla(Otheboult), pour 200 lb. art. et Berardo Betranni pour 160 lb. tour. et en association avec Marco Mair, 300 lb. tour. Sur Otto Bolla, non-identifié dans l’éd. précitée et installé à Douai en 1247 : Reichert 2003, p. 259. Marco Mair est sans doute issu de la famille des marchands-banquiers lucquois Mayre, présents aux foires de Troyes en 1265 (Blomquist 2005, p. 532). 16 Mention de Guglielmo Turco de Castelli, résidant à Valenciennes dès 1278 (Reichert 2003, p. 759[23/4]) où il prête 200 lb. par. au comte de Bourgogne Othon IV (Morel 1908, p. 59. Les Roero sont peut-être également présents comme créanciers de la comtesse Marguerite de Constantinople en 1278 en la personne de Manuel et a ses compaignons, a Jehan,le frere Parcheval, et a ses compaignons, ki demorerent a Valenciennes, 1.000 lb. : R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, Fonds Gaillard, n°517[25/12/1278], éd. dans Luykx 1961, n° 14, p. 451. Manuele, Giovanni et Percivalle Roero sont constamment cités dans les anciens Pays-Bas entre 1283 et 1322 (Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, pp. 34-38). Les documents invoqués par Nicholas 1992, p. 170, pour déceler une activité plus grande des Lombards en Hainaut qu’en Flandre au XIIIe siècle sont tardifs et non-représentatifs pour l’époque considérée. 17 Le comte Thomas II de Savoie (1199-1259) avait épousé en 1237, Jeanne, comtesse de Flandre, Hainaut et Namur(1188-1244) et veuve du comte de Flandre Ferrand de Portugal (†1233), cfr. l’étude classique de Le Maire 1961. 18 Si le statut juridique de la ville de Tournai est celle d’une seigneurie épiscopale dépendant du roi de France depuis 1188, dans les faits, ce lien se matérialise surtout par un service militaire dû par la Commune au monarque. Il est rarement presté et est alors converti en versement financier. Le lien avec la royauté ne se resserre qu’avec le début du XIVe siècle : Thieri 1987, vol. 1, pp. 4-17 et p. 267. 19 Même si ce concept de modernité peut paraître à première vue incongru pour le Moyen Age. Pour l’application de ce modèle aux villes de Douai et de Gand, basé sur la souplesse de leurs institutions politiques et sur la capacité de ces économies urbaines à surmonter les crises du secteur textile : Howell et Boone 1996. 20 Laurent 1935. Au milieu du XIIIe siècle, la Hanse dite des XVII villes compte déjà 22 villes : 10 dans le comté de Flandre (Arras, Saint-Omer, Tournai, Gand, Bruges, Ypres, Dixmude, Lille, Douai et Bailleul), 2 dans le comté de Ponthieu (Abbeville et Montreuil-sur-Mer), 4 dans le Vermandois (Amiens, Saint-Quentin, Beauvais et Péronne), 2 dans le comté de Champagne (Aubenton et Châlons-s./ Marne, Reims) et trois dans les terres d’Empire (Huy, Cambrai et Valenciennes). 13

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Arrêtons-nous un instant aux deux derniers aspects cités. Tout d’abord, les finances municipales apparaissaient déjà fort élaborées, l’émission de rentes viagères étant attestée depuis 1228. Les comptes urbains, assez détaillés, divisaient thématiquement les dépenses (frais de voyage, service de la dette, dépenses pour fortifications). La ville acquit finalement les outils d’une fiscalité indirecte, la maltôte frappant les biens de consommation et les opérations commerciales dans le dernier quart du siècle21. Dès le compte de 1276-1277 si pas avant, il était clair que les élites politiques urbaines tenaient des comptes courants avec les financiers à la tête de la Charité Saint-Christophe, organisation en charge des finances urbaines22. Sur le plan culturel, la production abondante de l’écrit était particulièrement adaptée aux nécessités pratiques de la vie commerciale, grâce à l’emploi massif des chirographes pour les obligations pécuniaires. Ces documents concis ne s’embarrassaient pas des formes diplomatiques usuelles et pesantes des chartes telles les invocations, les longs préambules et les clauses de corroboration. Divisés en deux parties – une pour le créancier et une pour le débiteur – les chartes-parties étaient en outre enregistrées au greffe scabinal, offrant une garantie renforcée du respect des obligations. Authentifié par le greffe scabinal, le chirographe créait de la confiance entre le créancier et le débiteur, une plus-value inestimable qui pouvait être ré-injectée dans les entreprises des banquiers piémontais. Cela répondait d’ailleurs aux vœux d’une administration urbaine tournaisienne désireuse de contrôler l’endettement en l’administrant. L’écriture de ces actes non-scellés, généralement en langue vulgaire, c’est-à-dire ici en picard, pourrait les rattacher à ceux d’une chancellerie urbaine appartenant à la catégorie dite des villes « novatrices », non seulement au point de vue de la diplomatique mais également au point de vue des techniques de crédit. Un support de stockage de l’information efficace comme le chirographe reposait sur son caractère concis, sur un système d’écriture riche en abréviations et sur des conventions écrites reconnues du plus grand nombre23. Nul doute que ces documents, émis par milliers, étaient à même de toucher de larges couches de la population. Écrits dans la langue du peuple, ils incarnaient une démocratisation du crédit, fondamentale pour le succès futur de la banque lombarde de Tournai. Le latin restait en effet l’apanage des groupes sociaux for-

En 1277, cfr. Thieri 1987, vol. 1, pp. 119-120 et Sivery 1984, p. 287. Ex. : Nous contames entre nous[le magistrat] et Signeur Jakemon[ Jakemon a le Vake, prévôt de la charité], le mardi après le Trinité, si li devemes 600 lib. Et 42 lib. Et 12 sol. Et il nous doiut 300 lib., pour Wauter de Liège. Si que tout conté et rabattu entre nous et lui à cel jour, nous li devomes 300 lib. Et 42 lib. Et 12 sol. (Verriest 1904, p. 245). Les seuls comptes conservés qui sont parvenus jusqu’à nous sont ceux de 1240-1241, 1241-1242, 1242-1243, 1242-1243 et 1276-1277. 23 Delmaire 2000, pp. 115-117 a récemment émis l’hypothèse d’une typologie de villes conservatrices au point de vue de la diplomatique des actes (celles utilisant le latin et scellant leurs chartes), distinctes des villes novatrices, adeptes de la chartepartie en langue vulgaire. Soulignons qu’Arras, place financière de renom, qui emploie les chirographes depuis 1246-1247, possède un abrégé de ses finances dès 1241-1242. À Douai, où un fonds de 35 000 chirographes subsiste encore, la banque de dépôt est chose courante dès 1247-1248 (Blockmans 1985, p. 195). Sur l’important fonds de chirographes d’Ypres voir en premier lieu Des Marez 1901, puis l’édition récente de Wyffels 1991. Quant aux chirographes de Tournai, Léo Verriest les estimait au bas mot à quelques 80 000 pièces rien que pour le XIIIe siècle. Sur le total de la documentation, il évaluait à des dizaines de milliers les obligations financières telles que lettres de foires et reconnaissances de dettes simples (Verriest 1935, p. 140 et p. 144). Un lien entre des moyens de stockage efficace de l’information et la génèse de marchés efficients au Moyen Age a été établi dans l’article novateur de Blum et Dudley 2003. Les auteurs démontrent le rôle de l’information technology dans les phases de croissance de l’économie médiévale entre 1000 et 1300 en prenant comme exemple le rôle de la minuscule caroline pour le latin et son système d’abréviations. 21 22

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tunés au Moyen Âge, ceux dont les membres pouvaient bénéficier d’une bonne éducation dans les écoles capitulaires24. En recourant aux chirographes les banquiers piémontais favorisaient par conséquent une intégration rapide au sein de la bourgeoisie marchande de la ville. Des raisons matérielles participaient aussi de la popularité de ces actes, leur encombrement moindre que les lettres obligatoires scellées – généralement d’un format plus grand – permettant certainement un classement plus aisé dans les divers papiers d’affaires. Courants pour les transactions internes à la société, les chirographes seront usités dans la société de prêt de l’Astésan Benedetto Roero, à Bonn au début du XIVe siècle, on les trouvera aussi employés en Brabant dans les banques de Malines et de Nivelles et dans le comté de Hainaut25. C’est incontestablement un cas de transfert technique qui se fit au profit des marchands italiens : on ne voit pas que les prêteurs astésans aient fait usage à Tournai de contrats de prêt notariés, pourtant très répandus en Italie du Nord depuis le XIIe siècle26. Au plan du commerce de l’argent proprement dit, Gilles Le Muisit, abbé de Tournai, témoigna, dans sa chronique, de l’activité des changeurs et preneurs de dépôts autour de l’office de change, localisé sur le grand marché de la ville, dès la seconde moitié du XIIIe siècle27. Les investissements immobiliers des institutions ecclésiastiques attestaient les profits découlant des infrastructures bancaires de la ville. Ainsi, l’église Saint-Nicolas détenaitt-elle dans le dernier quart du même siècle une rente sur le change de la ville, la léproserie avait, quant à elle investi des capitaux sur la halle du marché28. Ensuite, le profil international de la ville mérite d’être mis en exergue. Il découlait de facteurs structurels et conjoncturels. La position frontalière de Tournai, proche de la Flandre gallicante et enclave dans le comté de Hainaut en faisait sûrement une place de choix pour des intermédiaires commerciaux tels que les Lombards, acteurs de réseaux financiers supra-régionaux29. La conjoncture économique jouait surtout : dans le dernier quart du XIIIe siècle, la ville de Tournai intensifiait ses relations avec les villes de Gand et de Bruges et leurs infrastructures portuaires développées, notamment pour le commerce du blé dont la ville de Gand s’était assurée le droit d’étape. La situation favorable de la ville, Dijkhof 2000, p. 142. Bigwood 1921-1922, vol. 1, pp. 457-458. Un indice de leur importance dans les archives comptables est donné par la déclaration du Piémontais Giovanni de Cordua, en 1409 lorsqu’il détaille les  chirographes obligatoires faitez a l’usage del tauble ensi bien comme les chirographes de cognissance qui estoient en wagiez en la dicte tauble [de Nivelles] impliquant tant leur usage pour des actes relatifs à la gestion interne de la société de prêt que pour les reconnaissances de dettes de débiteurs. Diverses sociétés de prêt liquidées par l’Astésan Benedetto Roero à partir de 1321, connaissent l’emploi de chirographes, telles la société des Lombards de Bonn. Dans la société des Lombards de Malines, les chirographes contiennent des prêts mais également des obligations financières nouées entre participants d’une table de prêt : A.S.V., Coll. 433a, f°20r°, f°66v°, f°67r°-v°. Dans l’octroi des Lombards de Saintes, en Hainaut, pour les frères Uberto et Pietro Roero (cousins de Benedetto) et les frères Andrea et Odoardo, de la même famille, le comte de Hainaut déclare se fier à leurs titres de créances par lettres par chirografe u par boinne vive voi (A.D.N., B.1584, 3e cartulaire de Hainaut, 1187-1328, p. n°195, Godefroy 5077, f158r°-158v° [3/2/1316]). 26 Doehaerd 1941, vol.1, pp.  52-58  ; Crouzet-Pavan 20042, pp.  172-182  ; Castignoli 1995, pp.383-399, voir pp.384-386. 27 Tunc[vers 1267]temporis, cambiatores sedebant in foro, in cambio constituto ibidem. Fuitque concorditer depositum(. . .), éd. dans Lemaître 1906, p. 23. Gilles le Muisit vécut de 1272 à 1352 et fut abbé à partir de 1331 (Ibidem, pp.ii-xi et p. x). Il écrit sa chronique à partir de 1345. 28 Verriest 1904, p. 237 [compte de 1276-1277]. Dans la halle du marché, officiaient également de nombreux changeurs : Ibidem, p. 237, n. 1.(compte de 1276-1277). 29 En ce qui concerne les relations de la ville de Tournai avec le comté de Hainaut : Cauchies 2007.   24 25

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branchée sur l’axe commercial scaldien, en relation à la fois avec le riche bassin céréalier de l’Artois et les villes drapantes de Flandre, se révélait en raison de la baisse d’activité des foires de Champagne. Le commerce de la pierre du Tournaisis, enfin, avait constitué un enjeu d’échange non-négligeable avec Gand depuis le XIIe siècle30. À côté de l’importance du trafic des matières premières, il importe de relever le dynamisme de la cité de Tournai, centre de production de draps de laines et de toiles de lin, allant de pair avec le commerce de l’argent. Les exportations de serge tournaisienne, très précoces sur les marchés méditerranéens, s’appuyaient de la sorte sur certains intermédiaires astésans, comme à Gênes vers 120031. L’appartenance de la cité épiscopale à la Hanse des XVII villes, regroupant des centres drapiers urbains brabançons, flamands, hennuyers et liégeois offrait aux prêteurs piémontais une large base d’exercice pour leurs activités financières. La Hanse servait ­d’interface entre les foires de Champagne et les villes drapières d’Europe du nord-ouest. Elle permettait aux marchands de choisir le lieu du remboursement de leurs obligations qui pouvait être un office de change tenu par un de leurs correspondants, aux foires de Champagne ou ailleurs, là où la Hanse des XVII villes jugeait bon de tenir la foire32. En effet, un acte de décembre 1268 montre toute la souplesse des systèmes de payements médiévaux, permettant d’assigner un remboursement sur une place plutôt que sur une autre, indubitablement en fonction du volume des affaires qui y seraient traitées et du marché des changes, à l’exemple d’une bourse moderne des valeurs. Les banquiers astésans Tommaso de Baieni et Giacomo Layolo demandaient en effet à leurs débiteurs tournaisiens de les rembourser à la prochaine foire de Lagny-sur-Marne, au mois de février suivant, ou en tout autre lieu selon la décision des XVII villes33. Condition bénéfique à la crédibilité de la place financière de Tournai, l’exécution sur les biens meubles et immeubles des débiteurs des marchands opérant en foires de Champagne y était garantie34. La plupart des obligations pécuniaires était, quant à elle, libellée en livres parisis, une monnaie d’argent d’un excellent aloi, supérieur à la livre tournois, à même de rassurer les créanciers les plus frileux35. Cf. Sivery 1980 et Sivery 1983, p. 138 et p. 143 : en 1261, l’officier péager de Bapaume réclame une réduction de la ferme qu’il paye pour son office car les marchands de la Hanse des 17 villes ne fréquentent plus les foires de Champagne depuis plusieurs années. Une nouvelle contribution de Boone et Lecuppre-Desjardin 2007, pp. 197-199, éclaire plus spécifiquement les rapports privilégiés entre Tournai et la ville de Gand au bas Moyen Âge.  31 Doehaerd 1941, vol. 2, n°s17-18, p. 9, n°21-22, p. 11, n°25, pp. 12-13, n°34, p. 17, n°36, p. 18, n°s 40-43, pp. 20-21, etc. . . Sur l’importance de la laine indigène à Douai et Tournai au XIIIe siècle, l’étude-phare reste celle de Verhulst 1972, pp. 288-289. 32 Laurent 1935, pp.  88-89, notamment pour prévenir les administrateurs des foires de Champagne de la venue de marchands des XVII villes à la prochaine foire. 33 A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°2, datée du 10 décembre 1268. Le document original portait la mention dorsale Lettre a foire Lombard.La feste de Ligni qui y est citée comme lieu de remboursement renvoie à la prochaine foire de Lagnysur-Marne qui se tenait normalement du 2 janvier au mardi avant la mi-carême soit ici le mardi 26 février 1269, les octaves de la chandeleur correspondant à la semaine suivant le 2 février. À titre de comparaison avec le système financier moderne, Michel Beaud constatait en 1987, l’importance de la place de Londres dans les échanges financiers internationaux en raison des transactions croissantes qui y étaient traitées en dollars, livres et plusieurs autres devises internationales : Beaud 1987, p. 358. 34 Verriest 1911, p.396 : exemple d’exécution forcée sur les biens d’un débiteur, à l’instigation du sergent des foires de Champagne, attestée en 1302. Après remise de la réquisition de bien par le sergent, il semble que la vente ait eu lieu immédiatement au profit du créancier : Laurent 1932, p. 678. 35 Tournai, considérée par les rois de France comme une de leurs bonnes villes est rattachée à l’espace monétaire royal où les livres parisis et tournois ont concuremment cours. La parité était de 4 parisis pour 5 tournois depuis 1226. Le denier parisis de Saint-Louis avait un poids de 1,2881 g. et une teneur d’argent fin de 0,4507 g contre 1,1279 g. et  0,3372 g. de fin pour le d. tour. (Fournial 1970, p. 71 et pp. 82-84). Sur les 124 emprunts contractés auprès des Lombards tournaisiens qui sont parvenus jusqu’à nous, seuls 14 sont exprimés en lb. tournois. 30

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

La prospérité du secteur textile à vocation internationale des villes des anciens Pays-Bas était évidemment subordonnée à la fluidité des capitaux. La production et ­ l’exportation de draps, y compris de qualité moyenne, reposaient sur un apport de crédit. Corrélativement, la présence des changeurs s’avérait indispensable pour accueillir les espèces monétaires des marchands exportateurs étrangers, notamment italiens. Les halles aux draps avoisinaient très souvent les bancs des changeurs de la ville36 ou les abritaient37. Tournai n’échappait pas à cette triade « draps-banque-finances ». Finalement, indispensable à l’apprêt des draps, le négoce des plantes tinctoriales était pareillement soutenu par le prêt d’argent. La culture de la garance, utilisée pour teindre les draps en rouge, était très vivace dans les campagnes autour de Tournai. Quant à la garance de Picardie, elle faisait sans aucun doute l’objet d’un trafic fructueux qui reposait sur des capitaux fournis par des entrepreneurs à des paysans38. Produit stratégique pour l’économie urbaine, la garance était attentivement contrôlée par le magistrat de la ville ; sa vente étant surveillée par des mesureurs et des courtiers39. Utile par ses seules racines à croissance lente (jusqu’à trois ans), la plante exigeait des soins nombreux. Son achat massif nécessitait par conséquent une mise de fonds importante. L’extension de la culture de cette plante suivait la conjoncture de l’industrie drapière40. Mais il fallait aussi compter avec la guède, pour la teinture en bleu, attestée dans les produits taxés au péage de la seigneurie de Mortagne, aux mains des premiers protecteurs des Lombards tournaisiens, comme nous le verrons plus loin41. Dans l’arc chronologique 1254-1290, les Lombards allaient en effet s’installer dans de nombreux sièges de péages majeurs et de châtellenies, endroits stratégiques pour pratiquer le change de la monnaie ou obtenir des assignations sur les revenus des tonlieux de transit. Péages et châtellenies constituaient aussi des centres de pouvoirs où l’on pouvait nouer des relations avec les princes qui en avaient la tutelle et les lignages locaux qui en avaient la possession. Au nombre de ces péages importants, en liaison avec le négoce international à destination de la Méditerranée, relevons déjà Antoing, Tournai, Audenaarde-Pamele, Aardenburg, Hulst42. Certains péages étaient dans les mains d’un seigneur particulier, comme à Antoing où le tonlieu fluvial situé sur l’Escaut, appartenait à Jean d’Audenaerde, en comptes avec les Lombards au moins depuis 128243. Point d’arrêt obligé Comme à Bruges, où les changeurs avancant le capital nécessaire aux achats des drapiers travaillaient juste à la sortie de la halle aux draps au XIIIe siècle (Murray 2005, p. 67). 37 C’est le cas à Bruxelles, après la construction de la nouvelle halle en 1353 (Billen et Duvosquel 2000, p. 52). À Tournai, les tables des changeurs sont localisées dans la halle aux draps dans le courant du XIIIe siècle : Rolland 1956, p. 88). 38 Ex. en 1277, quand l’entrepreneur Jehan de Wavrins avance 2 marcs d’esterlins comme crédit à Pierron le tourbier, vendeur de garance, en plus du prix unitaire de 15 s. tour. par faisceau de garance livrables entre le 1er octobre et la mi-mars suivante, cf. Verriest 1935  , n°34, pp.  173-174[6/1/1277 n.s.]. Sur la présence de la garance picarde sur le marché tournaisien à cette époque : Sivery 1980, p. 819. 39 Billen et Heirwegh 1985, p. 255. La ville veille à concentrer sa production intra muros ou dans ses abords proches. Ordonnance urbaine interdisant aux courtiers et aux mesureurs de garance d’en pratiquer eux-mêmes le négoce, promulguée le 6 mai 1281, éd. dans Verriest 1905, p. 126. 40 Thoen 1992, pp.  55-56. Un article récent fait le point sur le rôle des entrepreneurs dans les cultures à application industrielle : Van Bavel 2003. 41 En 1273, la navée de guède y est taxée jusqu’à 60 s. a le volente dou seigneur  : d’Herbomez 1895, n°144, p.  184 [23/10/1273]. 42 Un aperçu comparatif des principaux péages de cette période livre les données suivantes : vers 1252, Damme comptait 139 produits taxés, Valenciennes, quant à elle, 103 vers 1280, Lille en comptait 72, vers 1251, Messines, 59 en 1228. Sur le bassin scaldien :Termonde comptait 86 produits taxés en 1271, Gand 64, en 1271, Antoing 91( !) en 1271, Tournai 60 en 1285-1286, Audenaarde : 51 en 1271 et Cambrai : 61 (Sivery 1980, pp. 811-812). 43 Verriest 1950, p. LIV, rédigé dans le dernier quart du XIIIe siècle. Mention des Lombards installés à Pamele, berceau des seigneurs d’Audenaerde et payant au seigneur d’Audenaerde, un cens très important de 50 lb. Ibidem, p. LXV et p. xci. 36

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pour le transit commercial, le péage était environné d’auberges et d’hôtelleries répondant aux nécessités du trafic de passage, hébergement et change des espèces étrangères en monnaie locale44. C’était un lieu privilégié d’installation pour les Piémontais tenant des tables de change et, plus spécifiquement, maîtrisant les parités or-argent, depuis la réapparition de la frappe de l’or, en 125245.  . Tournai, école de pratique commerciale pour les banquiers piémontais C du Brabant ? Tournai était donc, depuis longtemps, une place de choix pour les protagonistes du commerce international et on peut imaginer comment certains marchands d’Italie septentrionale avaient bâti une fortune dans le domaine de l’exportation de draps tournaisiens vers la Méditerranée, dès le premier tiers du XIIIe siècle. Cette fréquentation de longue date de la place d’affaire picarde par les négociants italiens, combinée au dynamisme financier de la ville, en faisait une excellente école d’apprentissage pour les futurs tenanciers de tables de prêt en Brabant et en Flandre46. Ainsi, la famille Roero, très présente en Brabant et en Flandre, avait ses représentants à la table de Tournai dès 1261, puis, en janvier 1272, en les personnes de Giacomo, Giorgio et Callile Roero. De même, les de Mercato, envoyèrent leur parent, Guglielmo, à la banque de Tournai en 1288, où il fut employé par Rainerio Roero et Tommaso de Baieni. De nombreux frères, oncles et neveux travaillaient ensemble au sein de la table de prêt de Tournai ; ce n’était pas le fruit du hasard. L’apprentissage concret du négoce se faisait au sein du groupe familial, tout comme à Gênes ou à Florence. À Tournai, Auberto de Solaro reçut son neveu Tommaso en 1271. En 1272, Bonifacio de Baieni travailla avec son frère Tommaso et son neveu, Bertolotto47. Les aînés des familles regagnaient régulièrement leur patrie afin de se consacrer à la vie politique de leur cité natale, tout en investissant dans la terre les profits lucratifs de leurs opérations usuraires : entre 1287 et 1309, deux frères de la famille Roero, Berardo et Giorgio, revinrent régulièrement à Asti à cette fin48. Mention de Berardo Roero, associé à Enrico de Mercato et Gandolfino Ottino comme prêteurs et bourgois dAntoing (A.E.T., archives locales C. 562, archives communales d’Antoing,[25 juin 1294]). 44 À titre de comparaison, une étude de cas est instructive pour le Valais romand : Dubuis 1976, rééditée et remise à jour dans Dubuis 1997, pp. 171-181. Saint-Maurice est un carrefour important pour le trafic alpin des cuirs et des draps entre l’Italie septentrionale et l’Europe du Nord-Ouest, du fait de sa situation sur un axe routier dont les deux extrémités mènent aux cols du Grand-Saint-Bernard (à l’ouest) vers le Piémont et du Simplon (à l’est), vers la Lombardie. 45 Ainsi, l’octroi de prêt pour les Lombards de Hulst par le comte Guy de Dampierre contient-t-il la clause qu’ils pourront (. . .)demorer en nostre vile de Hulst pour marchander, vendre et achater, changier et toute maniere de marchandise de même que pour leurs collègues de Grammont (A.D.N., B.1564, f°18r°, p. n°50[ 8/9/1280]) pour les Lombards de Furnes (A.D.N., B.1564, f°20v°, p. n°58[27/10/1281], pour ceux de Bruges (A.D.N., B.1564, f°58v°,p. n°181 [ 28/10/1281])et enfin ceux d’Ardembourg (A.D.N., B.1564, f°58v°,p. n°180[6/1/1282 n.s.]. Au sujet de la circulation de l’or : Bautier 1979, p. 10 et Fournial 1970, pp. 80-81 ainsi que l’article de Lopez 1956. 46 Bigwood 1921-1922, vol. 2, n° 2, p. 104, n°35, p. 107 et n° 116, p. 113. Rainerio sera un des principaux dirigeants de la première génération des banquiers lombards en Brabant (voir infra la 2e partie). 47 Bigwood 1921-1922, vol. 2, p. n° 36, n°43, p. 107. Pour la collaboration entre frères, voir les nombreuses mentions de Tommaso et Bonifacio de Baieni entre 1260 et 1283, Fiore et Giorgio Roero entre 1274 et 1283, Daniele, Perrino et Ysnardo Asinari entre 1286 et 1289 (Ibidem, pp. 104-113). Un témoignage autobiographique tardif de cette pratique dans les milieux d’affaires piémontais est fourni par le Chiéresien Lodovico Porchini (1511-1573) : Greilsammer 1989, pp. 31-32. Pour des exemples similaires génois et toscans, on consultera : Doria 1995, p. 337, à propos de l’apprentissage aux foires de change et sur les places étrangères. L’apprentissage débutait vers 14-15 ans voire plus tôt à Florence : Herlihy et Klapisch-Zuber 1978, pp. 574-578 ; Day 1994, pp. 194-195.  48 Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, p. 35 (Berardo Roero). Auberto et Tommaso de Solaro, revenus de Tournai seront credendarii de la commune d’Asti, tous deux en 1273 et en 1276 (Sella 1880-1887, voir l’index, vol. 4, p. 246). La credenzia

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

L’autonomie croissante de la commune de Tournai par rapport à son évêque, le profil économique dynamique de la cité et le bourgeonnement de l’écrit, dans tous les domaines de la vie sociale, contribuaient à donner à la place tournaisienne des accents de cité-état italienne en formation, une situation qui ne devait pas déplaire aux financiers piémontais49. D.

Prospérer à l’ombre d’une seigneurie semi-autonome 

C’est dans le domaine seigneurial du châtelain de la ville, Arnould de Mortagne (1226-1265), qu’apparurent les premiers prêteurs italiens qualifiés de Bourgeois de Monseigneur de Mortagne, dans la seigneurie dite du Bruille, sur la rive droite de l’Escaut, à proximité de la forteresse du châtelain50. Les manieurs d’argent avaient un statut de bourgeois seigneurial, distinct du statut de bourgeois classique, statut qui préservait normalement les Piémontais du payement de l’impôt de la ville, prélevé sur la rive gauche de l’Escaut, la taille. Au moins depuis 1254, Bonifacio de Baieni, Giacomo et Giordano de Solaro disposaient de ce statut ; ils étaient les dirigeants principaux de la société de prêt51. La seigneurie du Bruille était détenue en fief du comte de Flandre par les seigneurs de Mortagne.Cette adaptation du droit de bourgeoisie urbain par le seigneur local haut-justicier, tendait à effacer les distinctions entre l’étranger et le bourgeois, notamment au point de vue de la durée de résidence minimale pour l’obtention de la bourgeoisie et des exemptions fiscales dont pouvaient bénéficier les marchands étrangers résidant dans une ville. Toutefois, comme dans l’autre partie de la cité, la qualité de bourgeois se perdait par un séjour trop long hors les murs de la seigneurie, à savoir, plus d’un an52. La famille des châtelains de Mortagne, protecteurs des premiers lombards, avait de solides appuis en Flandre : elle était alliée aux sires de Nevele, châtelains de Courtrai. Les Mortagne étaient pairs du comté de Flandre et des fidèles de Guy de Dampierre, dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Ils étaient également apparentés aux comtes de Flandre53. a des compétences délibératives et consultatives et est censée représenter l’assemblée des citoyens (Castellani, Gli uomini d’affari, p. 17). Sur le ré-investissement des profits usuraires dans l’achat de seigneuries et dans la carrière politique par les grandes familles astésanes (notamment les Roero) : Bordone 1992, spécialement pp. 466-489 et p. 159, n. 56. 49 À propos des cités-états italiennes au XIIIe siècle, voir Crouzet-Pavan 20042, pp. 253-290. L’autonomie d’Asti est menacée par les visées expansionnistes de la maison d’Anjou à la fin du XIIIe siècle et jalousement défendue par ses élites : R. Bordone 2002, pp. 67-68. 50 La Bruille était située en aval du « bourg » de Saint-Brice. Le quartier fut annexé à la commune de Tournai en 1289 (Rolland 1956, p. 96). Une prison y existait dès 1242-1243 pour les délits relevant du seigneur de Mortagne (Verriest 1904, p. 229, n. 1). A partir de 1252 au moins, le château du Bruille à Tournai est aussi une pairie du comté de Flandre : Nieuss 2006, p. 22. Les Lombards de la Bruille sont cités dans un acte de prêt du 24/12/1270 (éd. dans Bigwood 19211922, vol. 2, n° 5, p. 2569-270). 51 A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5, chirographes inédits de Tournai, 1235 à 1305. Des partages de créances entre les de Baieni et les Solaro, actionnaires principaux de la société à Tournai indique leur prépondérance dans la hiérarchie des associés, en 1272-1273 : Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 345. 52 Pour l’Italie  : Gilli 2000, pp.  59-77, pp.  66-67 et pp.  74-75. Pour les anciens Pays-Bas, l’état de la question le plus récent est celui de Boone 1996a. Dans les anciens Pays-Bas, la durée de résidence minimale était fréquemment d’une année pour l’obtention du droit de bourgeoisie : Godding 1987, n°20, p. 58.La haute-justice appartenait au châtelain dans toute la commune du Bruille, voir la charte de privilèges de la franchise seigneuriale en 1274 : d’Herbomez 1895, n°148, mars 1274 (n.s.). Même si elle représente sans doute un état tardif des premiers privilèges, la charte est censée codifier des usages anciens autorisés par les prédécesseurs de Jean de Mortagne, en donnant une loi en tel maniere que mi ancisseur dounerent et otroierent(. . .). 53 Un Evrard-Raoul, châtelain de Tournai (ca. 1192-1226) avait épousé en secondes noces Elisabeth, dame de Nevele et châtelaine de Courtrai. Les deux familles continuèrent à garder des liens proches en raison de la proximité de leurs biens patrimoniaux : Roger de Mortagne fut seigneur d’Espierres (1247-1276) dont le tonlieu était proche de Courtrai, il accomplit des missions diplomatiques en Angleterre et en France pour le comte Guy de Dampierre dès 1266 : Gastout 1943, p. 175 et n. 3. Encore en 1297, un des petits-fils d’Everard-Raoul, Guillaume seigneur de Mortagne et d’Ossemer est

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

Enfin, Mortagne, pairie du comté de Flandre, était située sur un nœud commercial de l’axe scaldien, non loin de Valenciennes à une douzaine de km. de la ville de Tournai, ce qui garantissait à ses seigneurs d’être rapidement sur les lieux, en cas de troubles sociaux ou de conflits armés54. Les châtelains du XIIIe siècle, personnages à mi-chemin entre la noblesse et la bourgeoisie d’affaires, représentaient une nouvelle espèce de fonctionnaires. Maîtres de recettes domaniales importantes, ces châtelains habitaient en ville, tout en continuant à garder des attaches avec leurs terres patrimoniales  ; un lieutenant pouvait résider de manière permanente au château pendant leur absence. Ils constituaient enfin, par leurs attributions militaires, administratives et judiciaires, un rouage vital dans la construction et la consolidation d’un État médiéval, cela justifiait pleinement que des financiers étrangers ouvrissent une boutique de prêt dans leur juridiction, garante de la paix commerciale55. L’installation initiale dans la partie de la ville dotée d’une seigneurie particulière procédait d’une décision logique des dirigeants des sociétés de prêt piémontaises. Au point de vue juridique et politique, cette installation assurait au banquier d’Asti la protection des siens et de ses biens tout en échappant à l’arbitraire des taxations propres à d’autres seigneuries particulières situées dans des nœuds commerciaux vitaux. Elle s’insérait dans la dialectique des rapports de pouvoirs entre le Prince et les seigneuries autonomes56. En effet, d’une part, les financiers italiens apportaient des capitaux frais au seigneur local et des connexions commerciales régionales qui leur assuraient de jouer un rôle de banquier privé. D’autre part, le Prince, ici le roi de France ou le comte de Flandre, cherchait à être le protecteur de « ses Lombards », ce qui lui garantissait la fiscalisation des revenus usuraires au profit de ses recettes, par la perception d’une taxe annuelle sur l’octroi de la table de prêt. À Tournai, les Lombards rechercheront rapidement la protection de plusieurs pouvoirs de tutelle, afin de favoriser leur intégration dans la ville. Ces pouvoirs se répartissaient sur les deux rives de l’Escaut. Sur la rive droite, on l’a vu, un seigneur local exerçait sa juridiction : le seigneur de Mortagne, châtelain de la ville et vassal du comte de Flandre. Sur la rive gauche, c’était la seigneurie épiscopale appartenant au domaine royal français et le magistrat y exerçant la juridiction tendait à disposer de prérogatives envahissantes aux dépens de l’évêque, notamment dans le domaine économique et juridique.

choisi en tant que conseiller et représentant du comte de Flandre aux côtés de Guillaume, un de ses fils cadets, pour un traité d’alliance conclu avec le duc de Brabant en 1298 : A.D.N. B. 246 [6/3/1298], sur cet important lignage fidèle aux comtes de Flandre, voir aussi Warlop 1975-1976, vol.1, p. 48, vol. 2, p. 310 et vol.3, p. 916 et pp. 921-922(n°24) et pp. 923-924 (n°33-34), vol. 4, n°210, p. 1155, qui corrige plusieurs erreurs généalogiques de Gastout concernant les sires de Mortagne. Everard-Raoul de Mortagne, châtelain de Courtrai (1250-1276) et seigneur de Nevele, était apparenté à la maison des comtes de Flandre par son mariage avec Jeanne de Béthune. 54 Nieuss 2006, pp. 19-21. 55 Le rôle des châtelains dans l’espace culturel français comme entrepreneurs, hommes d’affaires, officiers créditeurs du Prince et «  bourgeois en devenir  » a été éclairé une première fois par Duby 2002, pp.  447-450  ; il a ensuite été mis en évidence pour la Savoie par Castelnuovo et Guilleré 1999, pp. 151-164. 56 Sur l’importance de l’Herrschaftsnähe justement mise en exergue par «  l’école de Trèves  », sous la direction du Professeur Haverkamp, comme instance de protection juridique des prêteurs lombards voir l’article fondateur de Reichert 1987, pp. 188-223, pp. 194-195 et pp. 213-216. Le danger des taxations arbitraires levées par des seigneurs particuliers est éclairé par une ordonnance de Philippe le Bel en 1292, où il défend à ses prévôts et baillis d’arrêter les marchands de la Hanse des XVII villes, pour le compte de leur seigneur particulier (Bourquelot [1865], t. 1, pp. 135-136).

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

 . L’assimilation à la bourgeoisie de la ville et les limites d’une E double appartenance Les traces de l’accès à la bourgeoisie urbaine par les prêteurs astésans ne sont guère parvenues jusqu’à nous57 ; il est néanmoins probable que plusieurs Italiens l’obtinrent de fait, plutôt par assimilation au statut de bourgeois classique que par concession officielle58. En pratique, les associés de la table de prêt de la cité épiscopale semblent avoir privilégié l’obtention d’un simple statut de résident ou de « manant » dans la ville. Ils résidaient dans le quartier des artisans du cuir, d’où leur appellation courante de « Lombards de la Lormerie »59. Cette demeure était localisée à proximité d’un infra-territoire urbain sacré, immune du pouvoir laïc, la cathédrale Notre-Dame dans une portion de la ville où le chapitre cathédral disposait de nombreux biens immobiliers (cfr. fig. 5)60. Habiter à proximité de l’enclos capitulaire, c’était évidemment se ménager un refuge contre d’éventuelles attaques dirigées contre les « usuriers » lors d’émeutes urbaines ou se protéger de la rancœur de mauvais débiteurs, du moins en théorie61. Les Piémontais ne furent que très rarement qualifiés de bourgeois de la ville. Il leur suffisait pourtant d’avoir résidé un an dans la ville, d’être de bonne renommée et de payer un droit assez modeste, en moyenne de 14 d.t., pour devenir bourgeois62. Comment peut-on comprendre cette attitude ? D’abord, la forte mobilité de certains associés, passant d’une table de prêt à l’autre, rendait le payement de ce droit superfétatoire ; en cas de séjour trop prolongé extra muros, au retour à Tournai, le droit de bourgeoisie était à nouveau redevable et plus cher. L’exemple de Giacomo de Solaro, bourgeois de la ville, l’illustre : présent à Tournai seulement de 1254 à 1268 et en 1270, Giacomo dut racheter son droit d’entrée dans la bourgeoisie pour 1 lb. en 1279-128063. Seuls sont conservés les registres communaux de 1275-1276, 1279-1280 et 1280-1281, recensant les nouveaux bourgeois, édités par Léo Verriest, (Thieri 1987, vol. 1, p. 107). 58 L’expression est de Bigwood 1921-1922, vol. 1, pp. 271-272, et me paraît tout à fait justifiée : la plupart des Lombards actifs dans les anciens Pays-Bas à cette époque jouissent d’un statut libéral équivalent à celui du bourgeois mais pas du statut légal de bourgeois stricto sensu. La Flandre constitue cependant une exception de taille. Voir infra notre 3e partie pour les considérations relatives aux statuts de bourgeois et de résident dans le comté de Flandre. 59 A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°2, 1250-1268, acte du 10 décembre 1268 emprunt remboursable à Tumas de Baene et à Jakemon Layoul, Lombars, demorant en la Lormerie, en la maison Bauduin Catine ainsi que Papiers Léo Verriest n°8 Notes, 1235-1319[20/1/1272 n.s.] et Bigwood 1921-1922, vol. 1, p.  325, n.3[26/5/1274]. la Lormerie correspondait à l’actuelle rue des chapeliers, elle y comptait lormiers et selliers, voir Ruelle 1962, pp. 1-67, n°23, p. 46, l. 5 et n.2[31/7/1331]. 60 Kusman 2009b, p. 214. 61 Une ordonnance tournaisienne prescrit qu’on peut aller chercher les débiteurs étrangers fautifs n’importe où afin de les juger devant les échevins et saisir leurs biens ou les juger sur place, s’il ne veulent venir à leur corps défendant, sauf s’ils se trouvent dans un monastère ou dans une église (Verriest 1923, n°77, p. 193[10/12/1282]). Mais l’immunité des cloîtres et églises consacrées était parfois violée aux dépens de celui qui s’y était réfugié. Ainsi, en 1315, le financier siennois Baldiccione Guiducci est-il arrêté avec ses compagnons dans l’immunité de l’abbaye Saint-Martin de Tournai sur ordre du sénéchal de Lille, qui croyait l’Italien banni du royaume de France (Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 262). 62 Soit 11, 2 d. par.. 63 Il est aussi un des membres de la table flamande de Rupelmonde à partir de 1293, voir Reichert 2003, vol. 2/3, p. 632. Sur sa présence à Tournai à partir de 1254, voir A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5, chirographes inédits de Tournai, 1235 à 1305. Jakemes dou Solier est cité dans les « nouveaux » bourgeois de Tournai en 1279-1280 : Verriest 1905, p. 46. La fluctuation dans les taux de rachat était aussi influencée par l’évolution des charges pesant sur les finances urbaines et par les troubles sociaux. En 1275-1276, alors que la ville entamait la construction d’une seconde enceinte, les droits de rachats furent multipliés par 30 en moyenne : Thieri 1987, vol. 1, p. 111. Il est à noter qu’à Gand, ils correspondent à une taxe équivalente à 15% de la fortune en biens meubles : Boone 1996a, p. 711, n. 18. 57

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

Fig. 5. La maison des Lombards de la Lormerie à Tournai. Plan adapté du plan figurant dans Dumoulin et Pycke 1971, p. 302. Légende :  = emplacement probable de la banque lombarde de Tournai, dans la rue de la lormerie, jouxtant l’enclos capitulaire

Ensuite, s’ils étaient simples résidents, les Lombards échappaient de jure non seulement au payement de ce droit mais aussi aux tailles communales dues par les bourgeois, du moins jusqu’en 129364. Confirmation tardive du caractère conflictuel du payement des taxes communales, en 1462, la Ville de Tournai n’autorisera les Lombards privilégiés par le roi de France Louis XI à s’établir dans la ville que moyennant des amendements à leur octroi, jugé contraire aux franchises de la ville au point de vue fiscal65. L’interprétation du statut exact de cette bourgeoisie de fait fut très vite débattue au sein du magistrat urbain. Dès avant 1259, l’arrestation arbitraire de certains employés de la table de prêt de la cité, admis dans la bourgeoisie de la ville, l’atteste. Des sommes impayées par les Italiens, réclamées par le magistrat, justifiaient l’arrestation. Un arbitrage fut effectué par des bourgeois de la ville afin de résoudre le différend opposant Bonifacio de Baieni, son frère Tommaso, Giacomo et Uberto de Solaro au magistrat urbain ; les Piémontais réclamaient eux aussi certaines sommes d’argent dont le magistrat leur était redevable66. Le litige montrait les limites de la double appartenance juridique des Piémontais. Ce que l’analyse sommaire de l’acte faite par Hocquet ne dit pas, on peut le deviner par ailleurs. Certains Lombards étaient simultanément bourgeois du seigneur de Mortagne tout en se réclamant de la bourgeoisie de la ville ! Il s’agissait, comme, on l’a vu plus haut, de Bonifacio de Baieni, de Giacomo et de Giordano de Solaro. En d’autres termes, ils n’étaient pas exclusivement soumis à la juridiction communale et pouvaient en appeler à leur seigneur protecteur en cas de jugement non favorable à leurs intérêts. L’exemption des

Un ban communal décréta à cette date que tout « manant » ayant résidé au moins un an et un jour dans la ville était assimilé au bourgeois pour le payement de la taxe annuelle sur les biens meubles et immeubles, indice d’une volonté de « fiscaliser » les résidents de longue durée (Thieri 1987, vol. 1, p. 105 et pp. 109-110). 65 Il est notamment décidé qu’ils contribueront aux impostz et aux autres charges et subcides communes de nostre dicte ville comme les autres manans[c’est moi qui souligne)et habitans d icelles (d’après Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 276). Evolution similaire à Paris dans les années 1280-1290, les Lombards protestèrent d’abord qu’ils n’avaient pas à payer les tailles dues par les bourgeois. Des arrêts du Parlement de Paris prétendirent le contraire. En 1298, un Lombard devenu bourgeois parisien, Raimbaldo, essaya encore d’échapper au payement de la taille. Des bourgeois parisiens s’en plaignent au Parlement de Paris : Racine 2001, pp. 108-110. 66 Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 289. L’acte fit l’objet d’un vidimus devant l’official de Tournai (Hocquet 1905-1939, vol. 1, n°42, p. 20 [18/11/1259] ; l’acte a malheureusement disparu comme beaucoup d’autres chirographes dans l’incendie des archives de la ville en 1940). 64

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

tonlieux de Mortagne, Antoing, Outrijve et Audenaarde, garantie aux bourgeois de Tournai, pouvait conduire les Lombards à jouer sur cette double affiliation juridique67. Cela étant, la procédure judiciaire utilisée était synonyme de modération dans les poursuites dirigées contre les protagonistes de la table tournaisienne. Le recours à l’arbitrage marquait une procédure institutionnelle caractéristique des groupes sociaux aisés dans les régions à haut degré d’urbanisation d’Europe, ce qui suggère un statut plutôt enviable des Piémontais dans la cité épiscopale. Pareille résolution de conflit avait sans nul doute une fonction intégratrice, spécialement au sein des milieux marchands68. La délivrance à Bonifacio et Tommaso de Baieni, Giacomo et Uberto de Solaro d’un vidimus du jugement arbitral par l’officialité de Tournai prouvait tout l’intérêt que ceux-ci portaient au verdict prononcé, probablement assez favorable aux prêteurs astésans69. Enfin, l’arbitrage était accompli par cinq bourgeois de la ville dont les familles participaient au commerce local, à la gestion municipale et au marché du crédit70. Il démontrait la volonté des élites politiques, liées aux milieux marchands et à certains groupes professionnels médians, de préserver un climat de confiance et de «  certification publique  » favorable au séjour des marchands étrangers dans la ville71. F.

La place du crédit lombard à Tournai

Toute étude de la place occupée par le crédit lombard à Tournai passe obligatoirement par une classification de la clientèle des banquiers piémontais, celle-ci découle de l’analyse, principalement par Georges Bigwood, de cent vingt-sept reconnaissances de dettes parvenues jusqu’à nous (cf. graph. 3)72. À la fin de 1280, le magistrat de la ville éditera une ordonnance punissant d’une amende de 10 lb., ceux, qui sous le couvert d’une fausse déclaration, se font passer pour bourgeois de Tournai et passent sans wienage paiier à ces tonlieux (Verriest 1905, p. 120). Auterive citée dans l’ordonnance communale est à identifier avec Outrijve, prov. de Flandre occidentale, arr. de Courtrai. Sur une exemption accordée par le seigneur d’Antoing en novembre 1280 : Vrancken 1978, p. 48. 68 Voir par exemple pour l’Italie, Crouzet-Pavan 20042, p.  241. À Tournai, une sanglante affaire implique un clerc, membre de la famille patricienne A le Take, coupable d’un meurtre en 1274, elle est réglée par arbitres interposés : Theri de Phalempin, membre d’une autre famille importante de la ville, figure parmi les arbitres entre le clan du meurtrier et celui de la victime, avec Jehan Liépus A le Take, frère du meurtrier et Jehan Paiiens (appartenant également à un clan patricien) : Verriest 1923, n°35, pp. 157-158. Autres exemples d’arbitrages entre la ville et le seigneur d’Ere (Ibidem, n°60[janvier 1279 n.s.), et entre la ville et l’abbaye Saint-Martin de Tournai (d’Herbomez 1901, vol.2, n°894, p. 404[octobre 1285]). L’arbitrage très courant au sein des groupes marchands, avait déjà été relevé par des Marez 1901, p. 47. 69 L’intervention de l’official tournaisien s’expliquait ici par l’activité fébrile déployée par l’officialité dans la délivrance de copies et vidimus, fort demandée par les parties, nullement par sa compétence dans les affaires d’usure (Vleeschouwers-Van Melkebeek 1985, p. 139). 70 Watier de Havinnes, Jean au Poch, Gilles Campion, Colars de Holaing et Libert de Kain. Le premier est depuis 1249 le gendre de Jean Au Poch, échevin de la ville vers 1260 et en 1265(Verriest 1923, p.159 et d’Herbomez 1901, vol. 2, n°794, p. 272 [juin 1265]). De Havines est un crédirentier actif avec son beau-père (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°1). Il est encore actif comme grossiste en bois en 1280 (Verriest 1905, p. 80 ) des membres de la famille de Havines apparaissent comme clients des Lombards de Tournai dans les années 1287-1289 (Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°s 109, 111, 115, 118, 122, p. 113). Gilles Campion n’apparaît plus en relation avec les Lombards mais un Watier Campion, pelletier, est client de la table des Lombards en 1289 (Ibidem, n° 119, p. 113). De Gilles de Holaing, on sait seulement qu’il était propriétaire à Tournai en 1251 (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°2, 1250-1268), deux membres de cette famille, un mercier et un patron forgeron sont débiteurs de la même table de prêt en 1273 (Bigwood 1921-1922, vol. 1, n°71, p. 109). Sur l’identification de Colars de Holaing comme forgeron disposant d’un valet : Verriest 1911, p.475. Seul Libert de Kain reste dans l’ombre et on ignore tout de son attitude politique ou de ses intérêts économiques. 71 L’expression, désignant l’interventionnisme des autorités urbaines en matière d’authentification et de contrôle du crédit est de Gaulin 2004. 72 Graphique établi d’après le tableau des opérations de crédit pubié dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, pp.  103-113, complété par quelques emprunts supplémentaires trouvés aux A.E.M dans le fonds Léo Verriest. 67

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

Citadins sans précision 14%

Super-élites politiques 8% Elites pol./patriciat 11% Elites ecclésiastiques 1%

Paysans 4%

Elites paysannes 1%

Noblesse 5%

Commerce du bois 2%

Cléricature 2%

Commerce textile 13% Alimentation 1%

Indéterminés 18%

commerce de l'argent 3% Commerce du cuir 3%

Immobilier 8%

Commerce du vin 1% Commerce des céréales 1%

Commerce non-spécifié 2% Travail des métaux 2%

Graph. 3. Secteurs socio-professionnels de clientèle des Lombards de Tournai (1254-1289)

Au premier abord, on peut constater que la clientèle des Lombards était socialement très diversifiée, allant de la petite paysannerie aux élites politiques de la ville, confirmant encore, si besoin était, le caractère universel de l’endettement dans la société médiévale73. Cependant, il faut l’admettre, les citadins restaient majoritaires au sein de la clientèle, contrairement à ce que l’on a observé à propos du crédit des financiers juifs de Provence et de Bourgogne, essentiellement destiné à la paysannerie74. Au sein de la clientèle urbaine, deux sous-groupes sociaux se distinguaient  : le monde des élites tournaisiennes et le secteur textile. Le prêt des Lombards aux élites tournaisiennes est un fait difficilement contournable. Ceci écarte d’emblée l’idée d’un crédit de subsistance destiné majoritairement aux classes défavorisées. Le montant moyen annuel des emprunts conclus sur une période continue de 8 ans (1266-1274) était de 47,1 lb. par., soit 626,6 fois le salaire journalier d’un ouvrier du bâtiment qualifié en 1276, une image forte, qui dénote un crédit essentiellement destiné aux groupes marchands et à l’aristocratie urbaine. Le volume des prêts des Lombards de Tournai atteignit son pic en 1270, avec un montant moyen de 143 lb. par. par opération, puis il déclina lentement jusqu’à passer en-dessous de la barre des 40 lb. à partir de 1274, pour atteindre finalement un peu moins de 15 lb. par. en 1289, dernière année documentée pour la banque des de Baieni-Roero-Solaro75. Shatzmiller 2000, pp. 102-104. Shatzmiller 2000, pp. 104-108 ; Holtmann 2003, pp. 205-232. Moyennes établies d’après le tableau des opérations de crédit pubié dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, pp. 103-113, avec quelques emprunts supplémentaires trouvés aux A.E.M. Les moyennes annuelles sont calculées selon le style de Pâques. Pour les salaires des ouvriers du bâtiment (18 d./jour), voir Verriest 1905, p. 37. Le salaire d’un simple manouvrier est encore plus bas : 8 d. / jour ; le caractère saisonnier d’un chantier du bâtiment rend le calcul des revenus annuels de l’ouvrier illusoire. 73 74 75

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

Le poids des super-élites tournaisiennes dans la clientèle – emprunteur principal et caution confondus – n’était pas négligeable : 8%. J’ai défini – avec la part d’arbitraire que cela comporte  – les personnages appartenant au secteur des super-élites comme des individus ayant détenu au moins trois mandats de gestionnaires urbains, essentiellement de nature politique comme celui d’échevin, de juré et d’eswardeur ou de nature économique comme le statut de membre de la confrérie de la Charité Saint-Christophe, chargée d’administrer les deniers de la ville76. Cumulée avec les membres des élites « subalternes » (politiques, patriciat, chanoines et mandataires politiques du monde rural), la part des classes très aisées de la population dépassait 20% de la clientèle. Deux familles patriciennes matérialisaient les rapports étroits des prêteurs piémontais avec les groupes dominants de la ville : les Catine et les A le Take. Un membre de la première famille citée, Bauduin Catine, courtier-hôtelier important, louait une de ses maisons à Tommaso de Baieni et Giacomo Layolo dans la rue de la Lormerie où ils exploitaient leur boutique de prêt77. Bauduin ne répugnait pas au commerce de l’argent, tout en accueillant des marchands étrangers à côté de son habitation principale78. C’était une stratégie typique des grands lignages urbains pour garder un droit de regard sur les opérations financières des marchands étrangers et leur servir d’intermédiaires79. La demeure était proche des ateliers des selliers et des lormiers. À cet égard, il vaut la peine de souligner que le commerce des chevaux était souvent une activité annexe d’un hôtel à fonction commerciale et qu’il intéressa les Laiolo, Solaro, Baieni et Roero en 1269 et en 127980. La famille Catine compta dans ses rangs plusieurs débiteurs ou co-débiteurs de la table de prêt entre 1270 et 128881. Il paraît hors de doute que Bauduin Catine ait fait valoir ses relations familiales, pour promouvoir les intérêts des Italiens. Les Catine étaient alliés à la puissante famille patricienne A le Take, détenant le record d’emprunts aux Lombards entre 1260 et 1274, avec 13 emprunts à titre principal sur un total de 127 opérations de prêt soit 10% du total82 ! Une remarque méthodologique  : j’ai travaillé sur la base de la représentation par ces 157 débiteurs ou co-débiteurs des divers secteurs socio-professionnels de la ville. 25 personnages n’ont malgré tout pu être identifiés et ont été rangés dans la catégorie « Indéterminés ». Parler de super-élites monopolisant plusieurs secteurs de la vie urbaine suppose un certain degré de recouvrement dans l’échantillon de population étudié : ainsi, seuls 13 individus ont été classés dans les super-élites mais ils sont aussi actifs dans le commerce de bois, le secteur textile, etc. . .. Les pourcentages sont donc d’un ordre relatif . 77 Kusman 2009b, p. 214. 78 A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5, acte du 1er mai 1289 : Bauduin Catine prête 73,5 lb. tour., puis cède sa créance détenue sur Gilbert de Bauduimont et sa famille à son frère Roger Catine. Bauduin résidait dans sa maison, dès avant février 1257 n.s., date à laquelle il achète une seconde maison, attenante à la sienne, à un chaudronnier (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5, années 1235 à 1305), cela implique que Tommaso de Baieni et Giacomo Layolo lui louaient la seconde maison acquise en 1257. 79 À Gênes, l’accueil des marchands étrangers se fait dans les maisons et magasins des membres des familles dominantes de la ville qui leur servent d’intermédiaires pour leur négoce ou leur louent des espaces commerciaux (Heers 19972, p. 259 ; Petti Balbi 2005, p. 28). Phénomène similaire attesté à Bruxelles où les auberges, lieux de transactions, sont aux mains des clans patriciens (Kusman 2007, pp. 168-169) et sans doute aussi à Louvain dès le XIIIe siècle (voir supra la 1ère partie, le chap. 1, p. 6 et pp. 9-10 pour le rôle des courtiers-hôteliers en Brabant). 80 Bigwood 1921-1922, vol. 1, pp. 358-359. Une ordonnance tournaisienne de septembre 1276 spécifie qu’il est interdit aux hôteliers d’acheter le cheval de leur hôte pour le revendre (Verriest 1905, p. 40), évocation probable de la pratique courante de laisser son cheval en gage de dettes auprès de son hôtelier. C’est le cas à Bruxelles (cfr. Godding 1995-1996, voir pp. 138-141. À Bruges, une ordonnance de 1303 interdit aux courtiers de pratiquer le commerce à l’exception du commerce de chevaux, de tourbe et de hareng (Murray 2005, p. 198). 81 Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°s 31, p. 106, [28/2/1270], n°33, p. 106[29/5/1270], n°88, p. 111[7/10/1273], n°112, p. 113[5/4/1288]. 82 Maroie Catine, sans doute une sœur de Colombine Catine, mère de Bauduin Catine maria une de ses filles à Hanins A le Take (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5, notes généalogiques sur la famille Catine) et Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°s 2, 5, 15, 29, 35, 49, 54, 67, 79, 80, 85, 86, 90, 94, pp. 104-111. Par emprunts à titre principal, j’entends un emprunt conclu en son nom principal et cautionné par d’autres. 76

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

En prêtant à cette dernière famille, les Piémontais entraient de plain-pied dans le monde des patriciens dont la distinction sociale s’affichait dans les rues de la ville83. Pour en prendre toute la mesure, il suffit d’accompagner pendant quelques années un des protagonistes de ce milieu patricien, Everard A le Take, client fidèle des prêteurs. Mentionné comme échevin de Tournai en 1259, il était le père de Gossuin A le Take, devenu chanoine du chapitre Notre-Dame en 1263. Everard était homme de fief du châtelain de Tournai, Arnould de Mortagne en 1261. Il fut enfin échevin de la paroisse de Saint-Brice en 1272, sur la rive droite de l’Escaut84. Son lignage pouvait recourir à la violence si il s’estimait lésé dans ses prérogatives par un parti adverse, fût-il d’une position sociale élevée85. Pour autant, la famille n’avait pas délaissé le grand commerce et ne manquait pas de capitaux86. On peut raisonnablement penser que les Solaro et les de Baieni accordèrent des taux d’intérêt relativement modérés à Everard, pour se ménager un allié de poids et concurrencer les prêteurs arrageois présents sur le marché du crédit tournaisien87. Une autre caractéristique de la clientèle de la banque lombarde est l’importance relative du secteur professionnel du commerce drapier lato sensu, composant 13% du total des clients de la banque. Ainsi, deux débiteurs fréquents des Lombards de Tournai, Everard A le Take et Jehan Sartiaus, étaient des marchands-détaillants de laine en contact avec un marchand-grossiste de Douai à qui ils achetaient de la laine locale à crédit88. Les entrepreneurs en garance se finançaient eux-mêmes, par du crédit à court terme, auprès des prêteurs astésans Tommaso et Auberto de Solaro en 127189. Les terribles pertes des archives La position considérée du clan A le Take se déduit aussi de la possession d’un four familial le four Lieput A le Take au XIIIe siècle (Pycke 1988, n°302, p. 307) mais également par l’existence d’une rue Henri A le Take dès la seconde moitié du e XIII siècle (Dumoulin et Pycke 1971, p. 302. 84 d’herbomez 1901, vol. 2, n°709, p.  161[juillet 1259]  ; Pycke 1988, n°330, pp.  328-329  ; d’Herbomez 1895, n°125, pp. 126 [21/11/1261], n°138, p. 175 [19/4/1272]. 85 Kusman 2009b, p. 213. 86 Henri a le Take, domicilié dans la Lormerie engage un courtier en 1277 afin de faire vendre 26 tonneaux de vin blanc de la Rochelle. Evrard a le Take et un associé procèdent à un achat de laine auprès d’un bourgeois douaisien en 1278 (Verriest 1935, n°35, pp. 174-175 et n°40, p. 181[4/10/1278]). Entre 1261 et 1273, Everard emprunte ou cautionne pour une somme moyenne de 86,3 lb. par., soit plus de deux fois le montant moyen des emprunts, voir Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°2, p. 104, n°15, p. 105, n°s 80, 81, 85, 86, 90, pp. 110-111 et (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5 [19/7/1267]). 87 Les taux d’intérêt étant compris dans le montant total de la somme prêtée, sur leur calcul, cf. l’article classique de Wyffels 1991b, p. 861. Evrard obtint en 1273 exactement du 5% pour des emprunts courant sur deux mois-soit 30%/analors que la plupart des emprunteurs devait escompter un taux de 20, voire 30% pour un terme identique, soit jusqu’à 180%/ an. En 1258, un Everard A le Take avait emprunté 250 lb. par. à Colard Crespin d’Arras. Le taux d’intérêt annuel variait entre 24% et 30 % (Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 450). 88 Verriest 1935, n°40, p. 181 [4/10/1278]. 10 sacs de laine (9 de Neufmoustier et 1 de Fontaines) achetés à Engherran Pilate pour la somme de 587 lb. par. payables à Douai, endéans le 3 mai 1279, le vendeur se réservant le droit de percevoir des intérêts compensatoires en cas de retard de payement. Everard A le Take (qu’il n’est pas toujours facile de distinguer de son père, portant le même prénom) apparaît à 8 reprises comme débiteur principal ou co-débiteur des Lombards, Jehan Sartiaus, à 4 reprises, entre 1261 et 1273 (voir Bigwood 1921-1922, vol.2, p. 104, n°2, p. 105, n°15, p. 106, n°s 29, 31, 32, p. 107, n°35, p. 110, n°s 80, 81, p. 111, n°s 85, 86 et 90) ainsi qu’une pièce qui avait échappé à l’attention de Bigwood et qui se trouve actuellement aux A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5 [19/7/1267]. 89 Un peu plus de quatre mois pour Jakemes de Vesenciel et Jakemes li Rous, empruntant une somme de 13,5 lb. par. le 29/5/1271, remboursable le 9 octobre suivant (Bigwood 1921-1922, vol. 2, p. 107 ,n° 36). Le second personnage avait acquis avec Jehan Gierrj 400 ( !) faisceaux de garance de Brisses li Marcans en mars 1248 (a.s.). Il s’agit de garance à planter (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°2, 1250-1268). Le Rous est un partenaire d’affaires connu de Jakemes de Vesenciel, lequel appartient à une riche famille tournaisienne (de la Grange 1897, pp. 5-365, p.33) et est son co-débiteur à plusieurs reprises pour des transactions financières et immobilières en octobre 1253 (A.E.M., Papiers Léo Verriest, n°8, Notes, 12351319) et en janvier 1269 (n.s.) (A.E.M., Papiers Léo-Verriest, n°3, 1268-1309). La date de remboursement de l’emprunt, fixée au mois d’octobre,est une date classique pour la valorisation de produits agricoles sur les marchés urbains. Le taux probable est de 12,5% (intérêt d’1,5 lb. sur le principal de 12 lb.), soit ca. 37%/an, ce qui justifie le terme court de l’emprunt et une association crédible entre les deux personnages en vue d’une entreprise commerciale. 83

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

Durée

Nombre

Pourcentage des opérations

< 3 mois

71

57 %

> 3 mois < 6 mois

33

27 %

> 6 mois < 9 mois

15

12 %

> 9 mois < 12 mois

4

  3%

12 mois

1

0,8%

Fig. 6. La durée des contrats de prêt lombard à Tournai (1254-1289)91

t­ ournaisiennes permettent de supposer que l’acte précité de 1271 n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de ce type de crédit lié à l’apprêt du drap. La part prise par le secteur commercial dans la clientèle des Lombards de Tournai ressort de la durée des crédits (fig. 6) : ils étaient très majoritairement consentis à très court terme, pour une durée inférieure à trois mois. Ceci exclut l’existence d’un crédit lombard répondant essentiellement aux besoins en argent frais de la vie agricole en permettant aux paysans de faire la soudure entre la fin de l’hiver et les premières récoltes, ces prêts étant généralement étalés sur plus de trois mois90. En revanche, ce très court terme suggère vraisemblablement des crédits pris pour des achats en foire, remboursables à une foire suivante lorsque l’emprunteur aurait réalisé ses marchandises, comme de rares indices le confirment92. On peut penser par exemple à des crédits pris pour des achats de draps : les délais de remboursement en vigueur dans le commerce drapier oscillaient entre deux et trois semaines en Brabant et en Flandre, ce qui refléterait de la sorte la place occupée par les entrepreneurs du drap dans la clientèle de la banque lombarde93. De même, le cycle saisonnier des emprunts et remboursements (cf. graph. 4), était réparti plus uniformément sur l’année que dans le cas des prêts de soudure typiques des campagnes où, dans ce dernier cas, près de la moitié des emprunts avaient lieu dans le premier tiers de l’année, spécialement à la fin de l’hiver, les remboursements étant fixés pour les 9/10e de ceux-ci durant les sept derniers mois de l’année94. Ceci dénote la présence d’un modèle de refinancement périodique, répondant à des cycles réguliers de profits marchands, alignés sur les foires successives rythmant ­l’année dans le comté de Flandre et en Champagne95. Ce modèle s’appliquait sans doute aux En Provence, plus de 70% des prêts sont conclus pour des périondes comprises entre 3 et 12 mois à Arles en 1432-1441 (Shatzmiller 2000, pp. 105-106). À Dijon, les Juifs prêtent leur argent dans presque 90% de leurs contrats entre 3 et 7 mois tandis qu’à Constance, les prêteurs sur gages de la seconde moitié du XIVe siècle dépassent souvent une durée de 7 mois et demi (Holtmann 2003, pp. 222-223). Enfin, dans le Valais savoyard, les prêteurs lombards des casanes de Leytron et Saillon actifs dans la première moitié du XIVe siècle avancent leurs capitaux pour des durées moyennes de 7 mois et demi (Dubuis 1997, pp. 183-210). 91 Tableau établi sur la base d’un échantillon de 124 opérations dont les termes d’échéance étaient spécifiés. 92 A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°2, dette collective de Jean Sartiaus, Henri Pourret le jeune et Everard A le Take, datée du 10 décembre 1268, la date de remboursement renvoyant à la prochaine foire de Lagny-sur-Marne qui se tenait du 2 janvier au mardi 26 février 1269. Une autre dette du 23 juillet 1267 d’Henri de Bruxelles, bourgeois de Tournai, est remboursable à la foire de Lille, le 1er août suivant Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°12, p. 105. 93 Dickstein-Bernard 1995, p. 10 ; Des Marez 1901, p. 86. 94 Dubuis 1997, p. 199. 95 Au XIIIe siècle, les cinq foires de Flandre se déroulaient, en supposant que Pâques tombât un 15 avril, du 28 février au 29 mars (Ypres), du 23 avril au 22 mai (Bruges), du 19 mai au 26 mai (Ypres), du 24 juin au 24 juillet (Thorhout), du 16 août au 15 septembre (Lille), du 1er octobre au 1er novembre (Des Marez 1901, p. 86). Pour les foires champenoises, voir plus haut dans ce chapitre la n. 1, p.  58. 90

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25

20

nombre

15

10

5

0

janvier

février

emprunts

mars échéances

avril

mai

juin

juillet

août

septembre octobre novembre décembre

mois

Graph. 4. Fréquence des emprunts et des échéances des contrats de prêt lombard dans l’année (1254-1289)

membres des familles A le Take et Sartiaus fortement investis dans le commerce du drap et du vin, comme on l’a vu96.  . Les remous du Concile de Lyon, prélude à un déplacement G des activités bancaires Du 7 mai au 17 juillet 1274 se tint le concile de Lyon, dont les décrets allaient avoir des conséquences durables sur la pratique du prêt à intérêt. Ces décrets interdisaient notamment, aux bourgeois d’une ville, de louer un bien aux usuriers étrangers  ; aux autorités publiques, laïques et ecclésiastiques, de protéger et d’accueillir les usuriers manifestes étrangers sous la menace de l’interdit, de l’excommunication et de la suspension des offices97. Les décrets conciliaires semblent avoir rencontré quelque écho dans les consciences tournaisiennes, sous l’influence des décisions fiscales du roi de France Philippe le Hardi, à en croire une tradition tardive98. Cf. Supra, p. , n. 87 et n. 89. Éd. dans Mansi 1903, pp. 99-100 : Nemo illis ad foenus exercendum domos locet, vel sub alio titulo concedat. Le suspense concernait le haut-clergé et notamment les évêques, l’excommunication, le bas-clergé et les individus, l’interdit punissant quant à lui les collectivités laïques qui procuraient un logement aux Lombards telles les villes. On prévoyait notamment la suspension forcée d’un dignitaire ecclésiastique ayant collaboré même indirectement à des pratiques usuraires. Le suspense établissait quant à lui à la suspension de tous les offices religieux excepté une messe hebdomadaire et la fermeture des églises jusqu’à l’arrêt des pratiques usuraires. Voir les notices se rapportant à l’interdit et au suspense dans Vacant 1923-1950, t. 14, col. 2864-2867 et t. 7, col. 2280-2290. 98 Cousin 18682, vol. 2, p.  84 cite le concile de Lyon -avec la date erronée de 1277- qui ordonna que désormais on ne baillast nulle part argent à usure. Ce nonobstant les changeurs et marchans, Italiens de nation, exerçoient usure en la France, par la permission que le roy, en l’an 1277, leur accorda, à qui ils donnèrent une grande somme d’argent, dont Villaneus, a bon droict, taxe en ce faict l’avarice du roy (Cette dernière date est correcte : il s’agit de la première taxation dont les Lombards firent l’objet dans le royaume de France en 1277 : Bautier, « Les Lombards », p. 11 et p. 27, n. 33). Cousin se fonde sur la Cronica du Florentin Giovanni Villani (dont la rédaction débute en 1300) qui rapporte aussi le fait : Villani 1823-1826, vol. 1, livre 7, p. 226. 96 97

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

Symptôme de la diffusion des canons conciliaires dans les anciens Pays-Bas, l’attitude des créanciers siennois de la comtesse de Flandre, Marguerite de Constantinople, appartenant à la société des Bonsignori : en 1278 ils firent promettre à celle-ci, dans une reconnaissance de dette, de citer, dans ses renonciations aux exceptions de droit romain, les récentes constitutions publiées au concile de Lyon99. L’effet sur le volume des affaires des boutiques de prêt lombardes de Tournai fut en tout cas immédiat, une seule opération de prêt étant enregistrée après le concile de Lyon, terminé en juillet 1274, celle du 18 mai 1275100. Les premiers emprunts aux Piémontais ne reprirent qu’en 1282. Entre 1276 et 1279, les associés des boutiques de prêt vendirent leurs gages101. Finalement, la répartition socio-professionnelle de la clientèle des banquiers piémontais se modifia profondément. Dans les années 1280, les élites politiques et économiques ne représentèrent plus que 7% de la clientèle. Dans le même temps, des groupes sociaux moins visibles durant la période précédente, issus de la paysannerie tout d’abord avec 17% des clients, de la noblesse ensuite, avec 11% et finalement du secteur du travail du cuir avec 7%, vinrent grossir les rangs des débiteurs tournaisiens102. Quels enseignements peut-on tirer de ce changement radical du profil de la clientèle des banquiers de Baieni, Roero et Solaro ? Le retrait des élites des rangs de la clientèle donne à penser qu’il était moins honorable pour les membres du patriciat d’être en comptes avec des usuriers publics. Il apparaît surtout que les décrets lyonnais furent instrumentalisés par les élites politiques de la Ville pour contrer l’influence des prêteurs piémontais sur le marché de l’argent dans un contexte précis, celui d’une crise financière et sociale. En mars 1276, Bonifacio de Baieni, Fiore et son frère, Berardo Roero et Emmanuele Layolo, représentant aussi leurs associés absents, renoncèrent à leurs prétentions juridiques dans un procès pendant à l’encontre de la Ville. L’acte fut authentifié par le châtelain de Tournai et ses hommes de fief, puisqu’il était aussi garant de la protection des Lombards et du respect de leurs engagements103. Le contenu des plaintes juridiques déposées par les Lombards nous échappe cette fois encore. Cependant, la conjoncture économique de la Ville éclaire le contexte du procès. Les autorités communales étaient engagées dans une campagne de travaux pour la nouvelle enceinte de la ville, au moment précis où les finances urbaines étaient au bord de la débâcle. Les dépenses de la ville étaient consacrées à 80% au remboursement d’annuités de rentes viagères et d’emprunts en cours, soit un total de 2 097 lb. Il fallut employer le produit de la R.A.G., Fonds Saint-Genois, chartes de Flandre, n°238 [septembre 1278] et Fonds Gaillard, n°517 [25/12/1278] ; éd. dans Luykx 1961, n°119, p. 120. 100 Il s’agit d’une opération de prêt sur gages, éd. dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°VIII, pp. 285-286[18/5/1275] et Tihon 1961, pp. 346-347. 101 Castellani 1998, p.  147, incline à croire qu’il s’agit de contrats fictifs pour des prêts, je ne le pense pas. Les liquidations de gages après une période de forte activité sont pratiques courantes pour les Lombards. 102 Kusman 2008a, vol. 1, graph. 4, p. 89. La présence de travailleurs du cuir dans la clientèle des Lombards ne surprend pas, étant donné la localisation de la boutique de prêt dans le quartier des selliers et des lormiers. Dès les débuts de la banque de la lormerie, on voit un cordonnier souscrire à un prêt de 5 lb. de parisis auprès de Bonifacio de Baieni et Giordano de Solaro (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5, chirographes inédits de Tournai, 1235 à 1305 [22/8/1254]). 103 Acte de renoncement à leurs prétentions suite au procès engagé devant le magistrat urbain de toutes convenences et de toutes actions ke nous aviemes u poiens avoir contre les gouverneurs[de la cité de Tournai] édité dans Verriest 1923, n°46, pp. 169-170 [mars 1276 n.s.], donné à Tournai et scellé par Bonifacio de Baieni, son frère Tommaso, Fiore Roero et Berardo Roero pour eux et leurs frères, Giorgio et Rainerio et Emanuele Layolo, pour Giacomo et Huberto, ses frères. Voir aussi d’Herbomez 1895, n°159, pp. 214-215, [mars 1276] : acte de teneur similaire mais donné par le châtelain de Tournai qui atteste que les Lombards précités sont venus par-devant lui et ses hommes de fief acquitter le magistrat urbain de toutes leurs prétentions juridiques. 99

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taille – 1 607 lb.  – à rembourser le prévôt de la Charité Saint-Christophe dont la confrérie assurait le service de la dette. En 1277, le roi de France Philippe III avait octroyé à la ville de Tournai le droit de percevoir la maltôte – l’assise – pour subvenir au financement de l’enceinte, la taille étant insuffisante104. Il n’est pas impossible que les prêteurs italiens aient à nouveau refusé de payer cette taille en raison de leurs privilèges. Il est en tout cas certain que les gestionnaires financiers de la Ville étaient à la recherche de nouvelles ressources. Parmi les vassaux du seigneur de Mortagne, témoins de cet engagement, figurait Jakemes li Vakiers qui était aussi le prévôt en fonction à la Charité en 1276-1277105. À cette crise financière s’ajoutèrent des tensions sociales nées entre les groupes dominants de la ville et le reste de la population. Tournai fut effectivement prise dans la tourmente d’émeutes populaires depuis 1274-1276 jusqu’en 1281 ; le magistrat se trouva écartelé entre son désir d’apaiser les revendications des métiers du textile touchés par la crise et la concurrence d’autres villes drapantes et son souci de retenir les marchands étrangers venant négocier dans la ville, lesquels participaient de sa richesse. La révolte ne visait pourtant nullement les Lombards en premier ordre. Les révoltés ne s’en prirent pas physiquement aux Lombards mais à des membres du magistrat urbain comme le maïeur, un indice que les Italiens avaient veillé à garder une position attentiste dans ce conflit106. Certains de leurs clients provenaient d’ailleurs des Chauxfours, banlieue industrieuse de la ville, outre-Escaut et ferment d’agitation urbaine107. Il semble finalement que la démagogie de certaines élites, soucieuses de contrôler socialement les groupes médians de la ville, tels les métiers de l’alimentation, ait joué un rôle dans la baisse d’activité forcée des banques lombardes de Tournai108. Dans ce contexte, il ne faut absolument pas exclure que les édiles tournaisiens aient profité de leur victoire juridique en 1276 pour confisquer les titres de créance de la société de prêt piémontaise et s’en servir pour asseoir l’impérialisme tournaisien sur son hinterland. Ces titres étaient conservés en copie au greffe scabinal. La saisie de titres de créances de financiers étrangers par les autorités judicaires locales était après tout une pratique fort courante109. Le coût d’arrêt aux affaires lombardes, donné par le concile de Lyon, ne fut pas définitif. Vers 1288, le volume annuel des opérations de prêt avait même repris quelque vigueur, sans commune mesure, toutefois, avec le nombre d’opérations de la période antérieure à 1274 (cf. graph. 5). Une modification fondamentale du territoire urbain paraît avoir eu un effet bien plus décisif sur les boutiques lombardes, alors toujours dirigées par les frères Bonifacio et Tommaso de Baieni, documentés à Tournai jusqu’en 1290110. 104 Thieri 1987, vol. 1, p. 100 et pp. 119-120. 105 Verriest 1904, p. 235. L’intéressé avait aussi été prévôt durant l’exercice 1275-1276. 106 Dès novembre 1274, des prémices d’émeute touchent la ville. A partir de 1277, les métiers du textile prédominent dans

la révolte. Le 15 avril 1276, une ordonnance est prise pour protéger les marchands étrangers venant à Tournai des menées de révoltés : Thieri 1987, vol. 1, pp. 194-204. 107 Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°76, p.  110[30/7/1273] et n° 106, p.  113[16/3/1286]. L’ordonnance du 15 avril 1276, relative à la protection des marchands étrangers, éd. dans Verriest, Institutions Judiciaires de Tournai, p. 39, cite les causforniers parmi ceux qui seraient tentés d’attenter à l’intégrité de ces marchands. Le quartier des Chauffours, fortement urbanisé, groupait de nombreux ouvriers du bâtiment, travaillant dans les fours à chaux alimentés par le bois de Breuze, tout proche (Billen et Heirwegh 1985, p. 253). 108 Ce sont les groupes médians qui apparaissent les plus touchés par cette fiscalité indirecte, les classes sociales moins aisées étant plus épargnées grâce à un sytème de modulation de la taxation, plus élevée pour le vin que pour la bière notamment, Billen 2008. 109 Dans le comté de Hainaut, les autorités locales saisissent les chirographes et reconnaissances de dettes de Juifs arrêtés en 1349 et les encaissent à leur place : Cluse 2000, pp. 132-136. 110 La maison de prêt reprit ses activités (d’après la documentation publiée par Bigwood) en 1282 et Bonifacio et Tommaso de Baieni y furent actifs jusqu’en 1288 (Bigwood 1921-1922, vol. 2, pp.  112-113). Tommaso y fit faire encore des

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40 35 30 25 20

nombre d'opérations

15 10 5 0

1263 1264 1265 1266 1267 1268 1269 1270 1271 1272 1273 1274 1275 1282 1283 1287 1288 1289

Graph. 5. Nombre d’opérations annuelles de la table de prêt de Tournai (1263-1289)

Il s’agit de l’annexion en 1289 par la Ville des seigneuries du Bruille et de SaintBrice situées sur la rive droite de l’Escaut. Les autorités urbaines achevaient ainsi une phase d’unification territoriale importante en profitant des travaux de construction de la seconde enceinte111. La seigneurie du Bruille constituait une enclave légale face à la commune, les droits en furent achetés à la châtelaine Marie de Mortagne. C’était une césure importante dans l’histoire de la ville qui marquait son emprise croissante sur son arrière-pays et sur les seigneuries outre-Escaut telles les Chauxfours et le quartier du Bruille. Plus aucune opération de prêt ne fut signalée après 1289 ; il est frappant de constater la synchronie entre la fin de l’activité des de Baieni et l’annexion du dernier lieu de pouvoir des Astésans à Tournai, mettant un terme à leur position légale privilégiée. L’implantation tournaisienne cessa par conséquent, au bout d’une trentaine d’années, d’être un centre de crédit local rentable pour les Lombards. À partir de 1288-1289, le centre de gravité de leurs affaires se déplaça plus encore vers la Flandre, puis le Brabant. Le rôle de la conjoncture économique pesait dans les destinées collectives autant pour les Lombards que pour les autres marchands-banquiers. Je distinguerais spécialement dans cet ordre d’idées la concomitance des déplacements successifs des activités des Piémontais avec les phases d’essor et de déclin du secteur textile des villes de Picardie, d’Artois, de Flandre et de Brabant. Ces villes recouraient toutes aux investissements financiers des hommes d’affaires italiens pour l’exportation à longue distance de leurs draps112. réparations importantes en 1290 (Ibidem, vol. 1, p. 325), mais s’agit-il toujours de la maison louée à Bauduin Catine ? Voir A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°8 Notes, 1235-1319[décembre 1290] pour les réparations faites à la maison en tenure par Thomas de Baene, li Lombars-en le caingle, c’est-à-dire proche de la première enceinte urbaine. 111 Rolland 1956, p. 96, la ville de Tournai acquérait aussi la seigneurie des Chaufours avec son échevinage propre, outreEscaut. Jusqu’en 1289, les Lombards du Bruille prêtaient encore à des clients extérieurs à la ville, parfois assez éloignés, comme l’abbaye de Cysoing, au sud-ouest de la ville, entre Tournai et Lille (de Coussemaker 1886, n°s 182, 189 et 192). 112 Day 1994, p.  193 et Van der Wee 1995, p.  472. Le concept de stratégie commerciale appliquée au choix du site d’activité a été, en raison de l’abondance et de la qualité des archives considérées, surtout étudié pour les compagnies de marchands-banquiers toscans. Un exemple récent en est fourni par Weissen 2002 ; Sivery 1980, pp. 826-827, voit dans

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Les années 1280 correspondaient en effet au décollage international de la draperie brabançonne et à la nécessité grandissante d’une monnaie, le gros tournois, liée aux échanges internationaux et pouvant s’échanger avec une autre monnaie au fort pouvoir d’achat, le florin. La présence de manieurs d’argent familiarisés avec les deux monnaies et disposant de facteurs et courtiers en relation avec les marchés d’Italie septentrionale devenait donc cruciale113.  . Un réseau de crédit inter-régional entre Tournai, la Flandre et le Brabant : H Béatrice de Brabant, actionnaire des Lombards de Courtrai Béatrice de Brabant avait été l’épouse du comte de Flandre Guillaume de Dampierre (1247-1251†) ; elle était aussi la tante du duc de Brabant Jean Ier114. Ses attaches familiales dans les deux États principautaires allaient servir les buts d’expansion des sociétés de prêt astésanes en Brabant. Béatrice participa, vraisemblablement dès les origines, au capital de la société de prêt de plusieurs financiers d’Asti, placés sous la direction de Giorgio Roero et résidant à Courtrai. Elle était intéressée aux profits des Lombards à hauteur de 41%115. La proximité avec les Lombards de la ville s’expliquait par le fait que Béatrice avait reçu Courtrai et les droits seigneuriaux qui en dépendaient en douaire de la comtesse Marguerite de Flandre. Elle y vécut après le décès de son époux et porta alors le titre de dame de Courtrai à partir de 1251116. Cet intéressement aux affaires de prêteurs astésans par le seigneur du lieu n’était guère exceptionnel dans les anciens Pays-Bas du XIIIe siècle. On peut penser à d’autres cas où le dominus loci en tant que seigneur haut-justicier percevait une bonification, par exemple, parce que les Lombards demeuraient dans une maison lui appartenant, ce qui lui permettait de disposer de manieurs d’argent dans son entourage immédiat. Alice de Liedekerke, épouse de Rasse de Gavre, recourait à cette pratique avant 1294117. Rapidement, la tante du duc Jean Ier suscita l’efflorescence d’un puissant réseau de crédit interrégional entre Courtrai et Tournai. Giorgio Roero, chef de la banque courtraisienne, avait travaillé à la banque de Tournai entre 1272 et 1276118. Deux de ses associés, son frère Berardo Roero et Huberto Layolo étaient aussi actionnaires de la table de prêt l’incorporation définitive de Tournai au domaine royal et sa fonction croissante comme place militaire et politique les causes de son déclin industriel et commercial. 113 Boffa 2005. En Brabant, la volonté ducale d’imposer le nouveau standard monétaire y compris dans les campagnes brabançonnes transparaît de ses landchartere en 1292 lorsqu’il donne pour les amendes à percevoir, dès le premier paragraphe des dispositions, la parité entre le petit denier de Louvain et le vieux gros tournois du roi de France : (. . .)il doit payer V s. de Lovignois, petite monnoie a nos et a nos sucesseurs, c’est assavoir le gros tournois vies du coing le roy Louwis pour XVI deniers, ou le value : éd. dans Willems 1836, voir p. 542 et p. 549. 114 Elle l’avait épousé à Louvain en novembre 1247, cf. Gastout 1943, p. 46. 115 Je me base sur la charte de partage des profits entre les Lombards de la table courtraisienne, Giorgio Roero, son frère Berardo Roero, Huberto Layolo et Enrico Roero qui reconnaissent que sur les 1 700 lb. monnaie de Flandre prêtées à Gauthier de Nevele, châtelain de Courtrai, 700 lb. reviennent à Béatrice, dame de Courtrai (R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°417[26/10/1286]). La maison proche du cimetière Saint-Martin de Courtrai est citée en possession de Berardo, à la mort de Giorgio (Fayen 1908, n°1622-1623, t. 2, pp. 596-597, [25/7/1325]). 116 Gastout 1943, p. 45 et p. 52, n. 5 et p. 151. Une rente de 3 000 livrées de terre avait été assignée sur la châtellenie et les revenus de la ville de Courtrai au titre de douaire de Béatrice. 117 Warlop 1975-1976, vol. 1/1, p.  283. Alice, dame de Liedekerke fait une donation testamentaire de 100 lb. pro restitutione eorum quae recepi a Lumbardis qui manserunt in domo mea apud Boular : il s’agit de la restitution de revenus d’origine usuraire (de Smet 1837-1865, vol. 2, n°284, pp. 969-971 [24/11/1294]). Boelaer/Boulers : arr. d’Alost, province de Flandre orientale. 118 Voir supra, p. 81, n. 105 ; Bigwood 1921-1922, vol.1, p. 107, pp. 111-112.

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tournaisienne sans y être toujours physiquement présents119. Tous devaient en tout cas jouir de l’entière confiance de Béatrice qui n’hésita pas à leur confier un dépôt à terme libellé en esterlins. Cette monnaie d’excellente tenue sur les marchés internationaux pouvait être utilisée par les Lombards pour leurs opérations de crédit ; elle était fort usitée par les marchands négociant entre l’Angleterre et l’Europe continentale120. Les Roero habitaient une demeure en pierre à quelques mètres de l’église SaintMartin de Courtrai, seule église paroissiale de la ville. Atout supplémentaire, ils étaient proches du marché et de la halle, pour laquelle les prêteurs devaient certainement aussi offrir leurs services de changeurs. La ville était en effet siège d’une foire d’envergure régionale mais pourtant fréquentée par des marchands-importateurs étrangers (toscans notamment), l’industrie de la toile s’y pratiquait de pair avec l’industrie lainière, comme à Tournai121. Courtrai appartenait au très dynamique réseau urbain flamand des villes drapières secondaires de la Lys, avec notamment Menin et Wervik. À ce titre, il convient d’observer que le Lombarden steen devint au siècle suivant le lieu de rendez-vous habituel des drapiers pour la distribution des laines filées aux tisserands, une preuve éventuelle de l’intervention déjà ancienne des Italiens dans le commerce drapier122. Une autre optique d’observation de l’activité du réseau de crédit interrégional Layolo-Roero consiste à examiner ses relations bancaires avec la moyenne noblesse flamande, disposant d’assises foncières dans l’hinterland de Courtrai. Sous cet angle, les opérations de crédit de la table de Courtrai s’étaient déployées au gré des alliances familiales de la moyennenoblesse flamande, en demande d’argent frais, en particulier dans le cas de la maison des Mortagne. Deux clients de la banque courtraisienne se distinguaient au sein de cette parenté : Roger de Mortagne, seigneur d’Espierres et oncle du châtelain de Tournai, Jean de Mortagne123 et un autre neveu de Roger de Mortagne, Gauthier de Nevele, châtelain de Courtrai124. Le premier client, Roger de Mortagne, était maître du péage d’Espierres, situé sur l’Escaut, en amont d’Audenaarde et à proximité de Courtrai, source de profits estimables125. Roger avait avancé 200 lb. parisis à son neveu en 1272, somme qu’il avait peut-être luimême emprunté à des Lombards126. Mais le seigneur péager était un gestionnaire avisé de ses deniers, loin de correspondre à l’image du noble faible, acculé à l’endettement du fait 119 Ils sont en tout cas présents pour le procès les opposant à la Commune : Verriest 1923, n°46, pp. 169-170[mars 1276 n.s]. 120 R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°450 [18/10/1287]. Enrico Roero reconnaît que la dame de Courtrai a procuré pour son

associé, Huberto Layolo la somme de 25 lb. d’esterlins anglais, que les Lombards de Courtrai s’engagent à lui rendre endéans les sept années suivantes chaque année à Pâques. La bonne valeur de l’esterlin se déduit du fait qu’en 1270-1275, une lb. sterl. s’échange déjà pour 65 s. Flandre, en 1286 ce rapport monte à 66 s. 8 d. pour 1 lb. sterl.(Spufford 1988, p. 209, voir aussi Boffa 2005, pp. 99-102). Les échéances inhabituelles réparties sur 7 ans pour 25 lb. correspondant à des annuités moyennes de 3 lb. 15 s. et 34 d. rendent le payement d’un intérêt probable. On peut penser que des annuités de 4 lb. cachant un intérêt de 3 lb. (soit 12%) furent remboursées. 121 Gastout 1943, pp. 81-82. La dame de Courtrai avait obtenu par son douaire une rente annuelle de 5 lb. sur la foire de pentecôte de la ville. La draperie de Courtrai perce sur les marchés étrangers dès le 1er quart du XIVe siècle et est mentionnée par le marchand florentin Pegolotti parmi les draperies flamandes secondaires : Stabel 1995, p. 99 et pp. 131-132. 122 Stabel 1995, pp. 131-137. Demeure en pierre des Lombards mentionnée en 1349 en bordure de la halle de la ville et du cimetière de Saint-Martin : Reichert 2003, p. 385 et plus récemment : Haquette 2009, p. 146. 123 Sur ce personnage, voir les mentions de 1270 à 1276 dans d’Herbomez 1895, p. 160, 162, 166, 171 et 218. 124 Gauthier était le fils d’Everard-Raoul, châtelain de Courtrai (1250-1276) et frère de Roger de Mortagne, seigneur d’Espierres (1247-1276) : Warlop 1975-1976, vol. 1/II, n°121, p. 916 et pp. 923-925 et Gastout 1943, p. 177. 125 En 1257, Roger de Mortagne avait rendu homage à l’évêque de Tournai pour une rente assise sur le wienage d’Espierres, d’une valeur de 30 lb. par./an (d’Herbomez 1895, n°96, p.  116[juin 1257], avec l’accord de son frère, le châtelain de Tournai, Arnould, seigneur de Mortagne et père de Jean de Mortagne). 126 d’Herbomez 1895, n°136, pp. 171-172[20 mars 1272] et mention d’une dette de Roger aux Lombards de Courtrai d’un montant de 200 lb. dans R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°199[14/12/1276]. Compte récapitulatif de la sucession de Roger de Mortagne, seigneur d’Espierres, dressé par Adam, chapelain de Beatrice, dame de Courtrai.

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de la chute de ses revenus ou du morcellement de son domaine : se résignant à emprunter encore et toujours plus pour éteindre ses dettes précédentes, avant de finalement vendre sa propriété127. Les comptes courants qu’il tenait avec les Lombards de Courtrai attestent que ceux-ci, bien plus que ses bailleurs de fonds, étaient ses banquiers privés, en particulier pour les voyages fréquents qu’il devait entreprendre au parlement de Paris, afin de défendre les intérêts du comte de Flandre, ou en Angleterre dans le cadre de missions diplomatiques128. Il se chargeait finalement d’achats de biens de luxe pour Béatrice de Courtrai, elle-aussi, cela a été dit, détentrice d’un compte privé auprès de la banque des Roero-de Layolo129. Le second client des Lombards courtraisiens, Gauthier de Nevele, sire de ­Warcoing, était par contre lourdement endetté auprès de la table de Courtrai, notamment vis-à-vis de Rainerio et Simone Roero. Rainerio avait lui aussi fait ses premières armes à la table de Tournai avec ses frères, Berardo, Giorgio et Fiore Roero130. L’endettement de Gauthier de Nevele incita ce dernier à recourir à la caution du fils aîné du comte Flandre, Robert de Béthune, pour rassurer ses créanciers piémontais en 1295131. Intéressée aux profits de la banque lombarde courtraisienne, Béatrice tira sûrement parti de l’affaiblissement financier de Gauthier de Nevele pour le dominer un peu plus dans le litige l’opposant à lui pour une autre dette de 3 000 lb. parisis. Un jugement de l’officialité de Tournai l’obligeait à accepter la vente à la dame de Courtrai de ses biens de Warcoing132, biens situés sur la route menant de Tournai à Courtrai. Les biens, consistant notamment en prés d’élevage et bois, tombèrent dans la main de Béatrice à hauteur de la dette et à titre d’usufruit viager133. Ceci démontre par ailleurs que la dame de Courtrai se comportait en véritable femme d’affaires pour faire fructifier son patrimoine. D’autres indices jettent quelques lumières sur ses compétences financières étendues. Il s’agit d’une part de sa gestion efficace de la succession de Roger de Mortagne en 1275134. Après 13 années de litiges juridiques, les exécuteurs testamentaires clôturèrent la succession de Roger de Mortagne sur une balance positive de 1 634 lb. 5s. 4 d., inscrite au crédit des exécuteurs testamentaires, alors que seules 472 lb. 39s. 11 d. étaient à mettre à son débit135. D’autre part, Béatrice s’était entourée de techniciens du droit et des affaires dans 127 Warlop 1975-1976, vol. 1, pp. 282-283, selon mes calculs, la balance finale du testament de Roger de Mortagne

signalée par Warlop, est de 1 634 lb. 5s. et 4 d. et non de 1 734 lb. 16 s. 7 d.

128 Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 161 et R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°199[14/12/1276] et n°208[10/6/1277] : les

virements réciproques entre Roger de Mortagne et les Lombards de Courtrai totalisent des versements de 140 lb. 9s. 9d. 1 ob. de Flandre au profit du premier et 545 lb. 10 s de Flandre au profit des seconds. En 1275, Quand messire Roger dut aller au parlement il reçoit de Andrieu le Lombart 147 lb. 9s.[20/11/1275]. Dans le même compte, il est fait état de dépenses enregistrées en octobre 1275 en Angleterre (R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°199[14/12/1276]). Roger de Mortagne représentait le comte de Flandre au parlement de Paris depuis 1266 (Gastout 1943, p.  175). Andrieu le Lombard est probablement Andrea de Mercato, frère d’Enrico de Mercato, actif en Brabant à partir de 1292 (Kusman 2008a, vol. 4, annexe, II. p. 19). 129 Gastout 1943, p. 175 : achats de draps et autres marchandises pour elle à Gand en 1275. 130 Bigwood 1921-1922, vol. 2, pp. 111-112. 131 Pour le premier emprunt de 1 700 lb. de Fl.  : (R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°417[26/10/1286]), pour le second emprunt conclu avant 1295 : A.D.N., B. 4055, n°3736[14/8/1295]. 132 Province de Hainaut, arr. de Tournai. 133 de Saint-Genois 1843-1846, n° 436, p.  131[17/4/1287] il s’agit d’un vidimus pour un acte remontant déjà au 15/10/1283, sur la compétence de l’officialité tournaisienne en matière d’emprunts à rembourser, voir aussi Vleeschouwers-Van Melkebeek 1985, p. 137. 134 Gastout 1943 pp.  175-176, acte du 16/5/1275. Béatrice avait été nommée comme exécutrice testamentaire principale aux côtés du frère de Roger, Everard-Raoul de Mortagne-Nevele (père de Gauthier), de son neveu, le châtelain de Tournai, Jean de Mortagne et du prieur des franciscains de Lille, Hellin de Comines. 135 Parmi ces dernières dettes, il fallait acquitter A me dame de Courtray meisme 300 lb. 4 s. 1 d. les ques ele a preste au testament : R.A.G., Fonds Gaillard, n°741[vers 1278] et n°743[1288] pour la clôture finale. Le clerc a « arrondi » les sommes

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son conseil. Au nombre de ceux-ci, il faut signaler le prêteur « tournaisien » Tommaso de Baieni en 1282136. Le choix de Tommaso comme conseiller répond au profil recherché par les Princes d’Europe du nord-ouest parmi les élites financières d’Italie septentrionale, celui d’un financier avec des capacités de diplomate, voire de mandataire politique, au même titre que les marchands florentins opérant dans les anciens Pays-Bas en ce dernier quart du XIIIe siècle137. Béatrice s’attacha aussi les services de Jakemon de Deinze, chanoine du chapitre Notre-Dame de Courtrai, clerc de ses recettes et dépenses, appelé à devenir bientôt le receveur du comte de Flandre, une fonction qu’il développa considérablement sous Guy de Dampierre138. Il fut aussi un agent efficace de la tactique de résistance flamande à la juridiction épiscopale tournaisienne ; au-delà de l’évêque, cette politique visait à contenir les menées expansionistes du roi de France dans le comté de Flandre139. Enfin, un des baillis de la dame de Courtrai, Jehan des Planckes, était peut-être apparenté à un manieur d’argent et client occasionnel des Lombards tournaisiens, ce qui confirmerait les communications régulières entre les milieux d’affaires des deux villes voisines140. La présence de ces techniciens du droit et des finances était justifiée par les sommes d’argent importantes brassées dans la seigneurie de Courtrai. En 1280, les recettes brutes s’élevaient à 10 799 lb. 11s. 10 d. de Flandre ; après déduction des dépenses, elles se montaient encore à un solde positif de 1 912lb. 18s. 5d.141. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que le pouvoir, l’influence territoriale et la richesse de la dame de Courtrai se soit ressenti jusqu’à Tournai, où il n’était pas indiqué de salir publiquement la réputation de celle-ci. En 1280, en pleine crise sociale, un certain Hennetins ou Hennekins fut banni de la ville pour un an, pour l’outrage qu’il dist de Medame de Courtrai142. Les cas d’étude des Lombards de Courtrai et Tournai sont instructifs dans la mesure où ils permettent de discerner clairement une stratégie délibérée de développement des activités financières des marchands-banquiers astésans en dehors du cadre normatif des octrois de prêt du comte de Flandre. à 1 634 lb.16s.7d. et à 474 lb. 4s. 10 s. 136 R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°316 [22/8/1282] : mention de Thomas le Lombard. 137 Pour les Florentins, voir Grunzweig 1950-1951, pp. 119-120 et Queller et Kittel 1983, p. 292. Tommaso de Baieni est credendarius de la ville d’Asti en 1275 (Sella 1880-1887, vol. 4, n°1023, p. 46 Le credendarius est un conseiller appartenant au magistrat de la ville avec des compétence consultatives et délibératives(Ibidem, p.  6 et Castellani 1998, p. 17 ). 138 Kittell 1991, p. 89, Jakemon avait été au service de Béatrice de 1280 à 1283, voir R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°s 276, 316 et 324. Il fut nommé receveur en 1292, alors qu’il était encore chanoine de Courtrai : Queller et Kittel 1983, p. 293 et p. 316 ; Gastout 1943, p. 180. 139 En décembre 1297, comme receveur de Flandre, Jakemon se plaint à Boniface VIII des vexations que l’évêque de Tournai lui avait fait subir en tant que prévôt de Notre-Dame de Bruges, à propos de la perception des revenus de la prévôté de Notre-Dame de Bruges. Cette perception était une dîme accordée au roi de France et levée par les collecteurs épiscopaux dans toute la juridiction de l’évêché de Tournai (Funck-Brentano 1897, p. 278, n.3). 140 Il s’agit du bailli Jehan des Plankes, cité comme bailli de la dame de Courtrai en 1285 : Gastout 1943, p. 132. Un Jehan cousin des Planckes emprunte et cautionne des emprunts aux Lombards en 1266 et en 1268 (Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°7, p. 104 et n°23, p. 105, le nom cousin des Planckes est déformé par Bigwood en Colin des Planckes pour l’emprunt de 1266). L’intéressé est un manieur d’argent très actif entre 1263 et 1265 (A.E.M., Papiers Léo Verriest, classeur n°5 actes de mars 1263 a.s. et de mai 1265). Tandis qu’un Jean de Plancke est l’homme de fief du châtelain de Tournai en 1276  : d’Herbomez 1895, n°159, pp. 214-215) et est banni de Tournai aux côtés de Jean d’Ere et Jean Hakon de Haudion en 1280, comme ennemi de la ville (Verriest 1905, p. 24). 141 R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°276[13/11/1280]. Ajoutons qu’en 1273, Guy de Dampierre avait racheté une partie du douaire de Béatrice de Brabant contre le versement annuel d’une rente viagère de 4 500 lb. de Flandre assignée sur les recettes des bailliages du comté (Luykx 1961, n°87, pp. 405-406 [juin 1273], d’après A.D.N., B. 1561, f°47, p. 148). 142 Le bannissement fut prononcé le 17/6/1280 : Verriest 1905, p. 63.

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Sans conteste, le soutien de Béatrice de Brabant à la famille des banquiers Roero eut un effet démultiplicateur sur le rayon d’action de leurs sociétés de prêt, opérant initialement au plan régional. Les frères Roero, Berardo, Enrico et Giorgio passèrent tous par la table de Courtrai avant d’œuvrer en Brabant et à Maastricht au service du duc Jean Ier à partir des années 1290143. Il est donc certain que le rôle de Béatrice de Brabant comme maillon vital entre les différentes tables de prêt et comme « catalyseur » du crédit lombard en Brabant a, jusqu’à présent, été largement sous-évalué par la recherche144. La fonction de patronage de réseaux financiers par la parentèle des Princes est bien établie ; il ne fait pas de doute que c’était là un puissant adjuvant aux entreprises de crédit des Astésans145. À l’appui de cette observation, je relève le soutien financier apporté par Béatrice à son neveu, le duc Jean de Brabant, en 1287-1288, en pleine campagne militaire pour annexer le Limbourg. Béatrice y alla de sa propre cassette, probablement avec la garantie bancaire de ses Lombards, pour soutenir le parti de son neveu à hauteur de 4 300 lb. par.146. En effet, l’influence culturelle des contrats de prêts des financiers italiens transparaissait à travers les conditions draconiennes posées par Béatrice à son débiteur. D’une part, les renonciations aux exceptions de droit romain qu’elle demanda pour un premier prêt, étaient typiques des contrats de prêt des banquiers italiens147. D’autre part, Béatrice pouvait exiger le séjour de plusieurs otages plèges du duc pour le non-respect éventuel d’une échéance, à Nivelles, en Brabant, siège d’une table de prêt lombarde depuis 1280. Parmi ces plèges, figurait le banquier d’Asti Tadeo Cavazzone148. L’accord de Cavazzone, pour aller se constituer otage dans une auberge nivelloise aux côtés d’aristocrates brabançons de haut vol et du receveur ducal, laissait penser qu’il était engagé dans les négociations du remboursement de la dette comme agent de liaison entre la cour de Brabant et la seigneurie de Courtrai et qu’il avait été présenté au duc de Brabant par sa tante149. Béatrice se chargea d’ailleurs de négocier un nouvel emprunt pour le duc de Brabant, auprès d’un bourgeois de Douai, lorsque le duc fut à nouveau en manque de deniers, en septembre 1288, devant les murs de Fauquemont, assiégée par ses troupes150. 143 Georgio, Antonio, Rainerio et Percivale Roero font partie d’une société de prêt située à Maastricht, prêtant au seigneur

Guillaume de Hornes (A.G.R., C.C., n°1, f°116r°-116v°[9/7/1293]) ; Enrico Roero est chef de la table de prêt d’Overijse en 1293 (A.S.V., coll. 433a, f°82r°), Berardo est signalé en Brabant à partir de 1292 (A.S.V., coll. 433a, f°50v°). 144 Avant sa « période lombarde », Béatrice de Courtrai avait déjà été en comptes avec des prêteurs arrageois et douaisiens dès 1270 (Gastout 1943, pp. 148-149). 145 Un exemple très récent dans Lambert 2006, p.31 (à propos du rôle de promotion des Rapondi de Lucques par Yolande de Bar, apparentée à la famille comtale de Flandre). 146 Favresse 1938, n° 37, pp. 465-469 [ 28/4/1287] : la somme était prêtée à son neveu, Jean Ier de Brabant, pour lequel se portaient caution les magistrats des villes d’Anvers, Bruxelles et Louvain et plusieurs conseillers nobles du duc de Brabant. Je reviendrai sur cet important acte. 147 Les garants du duc renoncent aux exceptions générales de droit romain et de droit canonique et à des exceptions particulières basées sur les entraves extérieures (non numeratae pecuniae : argent reçu non compté), les vices de consentement (dol et lésion). Ces renonciations aux exceptions, sauf la non numeratae pecunia sont employées par les Lombards de Tournai en 1276 (Verriest 1923, p. 170. Sur les renonciations aux exceptions de droit romain : Gilissen 1951, pp. 513-550 et Vercauteren 1960, pp. 149-164. 148 Dans une reconnaissance de dette du comte de Gueldre envers Tadeo Cavazonne, le comte s’engage à ce que ses garants aillent se constituer otages à Bois-le-Duc, à la semonce de Tadeo  : A.D.N., B.1426, n°2330[15/1/1282]. Des Lombards protégés par le duc de Brabant sont signalés à Nivelles à partir de 1280 : Reichert 2003, pp. 562-563. 149 Il s’agissait du frère de Jean Ier, Godefroid de Brabant, seigneur de Vierzon et d’Aarschot, du receveur de Brabant, Gauthier Volkaert et d’Ywain de Meldert, sénéchal de Brabant. 150 Lettre close éd. dans Willems 1839-1869, t. 1, nº 67, pp. 670 –671[2/9/1288], acte daté de Valkenburg, voir aussi le n°68, pp. 671-672 [Vers le 1er novembre 1288]. Un nouvel emprunt de Béatrice auprès d’un bourgeois de Douai fut négocié le 23 septembre 1288 pour 623 lb. par., peut-être à mettre en rapport avec un prêt de celle-ci à Gauthier Volkaert, receveur de Brabant, d’une somme de 500 lb. par. au profit du duc de Brabant (analyse de ces actes dans Gastout 1943, n°149, p. 288

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Si l’on persiste à suivre les futurs protagonistes du crédit lombard en Brabant dans la géographie évolutive de leurs implantations commerciales, afin d’appréhender leur stratégie commerciale – c’est le choix qui a été défendu dans l’introduction – il faut à présent se tourner vers les territoires frontaliers dotés d’un péage important : ils constituaient un espace significatif d’investissement pour les banquiers piémontais. I.

L’importance des villes frontières à péage

Par ville frontalière, j’entends non seulement une ville proche d’une frontière politique mais aussi une ville proche d’une frontière physique d’origine naturelle, comme la Mer du Nord ou l’Escaut. Dans ces territoires périphériques, les autorités locales cherchaient fréquemment à attirer des immigrants en leur offrant des conditions d’installation avantageuses, un statut juridique moins contraignant et une taxation moins élevée que dans les régions centrales151. Le premier exemple considéré dans cette perspective est celui de la frontière physique, celle d’Aardenburg, avant-port de Bruges, peu éloignée de l’embouchure du Zwyn, située dans une zone côtière qu’on pourrait qualifier de périphérique mais qui connaissait en réalité une phase de croissance commerciale. L’obtention auprès du comte de Flandre Guy de Dampierre d’un octroi d’exploitation d’une table de prêt à Aardenburg, le 4 juin 1281, par Bernardo Roero et Giacomo Canelli, deux financiers actifs ultérieurement en Brabant, démontre le pragmatisme économique des Astésans152. Aardenburg, reliée à Bruges par la rivière Ee, canalisée depuis 1244, fut choisie comme étape de remplacement pour les marchands étrangers, en particulier les Allemands et les Espagnols entre le 26 août 1280 et le 13 août 1282, à la suite des premières émotions populaires à Bruges ; son port fut sans doute aménagé pour recevoir des navires de gros tonnage. Le péage de Bruges, déplacé, fut perçu à Aardenburg ; une balance publique allait bientôt être actionnée par un fonctionnaire comtal dans la ville. Une taxation, moins lourde qu’à Bruges, était favorable aux marchands étrangers et enfin, les tarifs des courtiers et des aubergistes furent fixés par Guy de Dampierre153. Comme à Bruges, les patriciens membres de l’échevinage se recrutaient majoritairement, semble-t-il, parmi les bourgeois membres de la hanse de Londres154. Le négoce et le change des monnaies était accessible à Bernardo Roero et son associé. Des opérations de courtage vers les différents marchés producteurs drapiers brabançons, pour des marchands-drapiers toscans, étaient dès lors tout à fait concevables155. À la différence des Lombards établis à Bruges à la même époque, appartenant aux [23/9/1288], d’après R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°470 et n°151, p. 289[1/10/1288], d’après A.D.N., B. 4045, n°2049). Sur le soutien financier de Béatrice à son neveu : Ibidem, pp. 170-171. 151 Cf. les observations de Pollard 1997, pp. 35-37 et pp. 94-96. 152 A.D.N., B. 1564, f°58v°, p.  180, acte du 4/6/1281, modifié le 6/1/1282 pour une durée de six ans avec clause de monopole valable tant que la dette comtale de 600 lb. envers les Lombards n’est pas acquittée. Leur carrière ultérieure en Brabant, notamment à Louvain, est étudiée dans Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, p. 9 et p. 36. Identification erronée de Reichert 2003, p. 30, de Jakemon le Kanelos avec Giacomo de Caloccio. 153 Les marchands espagnols, italiens et hanséates s’étaient plaint au comte de Flandre de perceptions trop élevées au tonlieu de Bruges, perçues par le seigneur de Gistel, hostile à la ville : Wyffels 1987, pp. 363-446, voir pp. 378-380 et p. 408. 154 Ab Utrecht Dresselhuis s.d., pp. 246-248 (d’après les coutumes de la ville d’Aardenburg recopiées dans un projet de charte communale non-daté). 155 Le cumul du commerce de l’argent avec d’autres activités marchandes est une caractéristique qu’on retrouve chez d’autres sociétés nord-italiennes, les Lucquois, actifs aux foires de Champagne, combinent le prêt avec le change et le commerce dès le mileu du XIIIe siècle : Blomquist 1985, pp. 526-530.

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familles Caloccio et Montefalcone, Roero et Canelli avaient l’autorisation et la protection comtales pour marchander, vendre et achateir changier et toute maniere de marchandise faire, ostei fors usure manifeste a taule levee(. . .). Le comte déclarait prendre en nostre main et nostre conduit les dis marchans leurs maisnies et leurs avoirs par toute nostre terre de Flandre, c’est-à-dire qu’ils pouvaient se déplacer dans toute la Flandre pour conclure des contrats de prêt ou fournir leurs services d’intermédiaires, tant que le siège de leur maison de prêt resterait fixé à Aardenburg. La seule restriction portait sur la pratique de l’usure publique, à table levée156. L’exemption de toutes tailles et services militaires leur était en outre garantie, le tout contre un prêt de 600 lb. monnaie de Flandre, assez modique, comparé au prêt de 1 400 lb. de la même monnaie que leurs compatriotes Giacomo de Callocio et Centurione de Montefalcone avaient accordé au comte de Flandre pour leur octroi de Bruges157. Un second exemple jette quelques lumières sur les choix commerciaux des banquiers piémontais, cet éclairage est donné par une seigneurie particulière, frontalière, celle d’Audenaerde, en bordure de l’Escaut. Les relations politiques entre le seigneur d’Audenaerde et le duché de Brabant, spécialement la ville de Bruxelles, étaient anciennes et fondées sur des liens de fidélité vassalique, comme on l’a vu dans le premier chapitre. Les seigneurs d’Audenaerde connaissaient bien le monde des marchands et les systèmes de règlements de dettes par assignation sur des revenus féodaux ou domaniaux158. Dans le dernier quart du XIIIe siècle, Jean d’Audenaerde possédait également des droits seigneuriaux dans les terres de débat entre Flandre et Hainaut159. Il ne fait pas de doute que sa position de border lord dans ces territoires ne l’ait incité à faire fructifier ses biens domaniaux. Une preuve en est fournie par son important péage à AudenaardePamele. Le tonlieu d’Audenaarde était protégé par le château de Pamele, en face de la ville, lieu de domination de l’eau en amont et en aval de l’Escaut, sur une trentaine de kilomètres, pas moins de 51 produits différents y étaient taxés en 1271. Pamele était située sur la rive droite de l’Escaut et constituait la « partie jumelle » extra muros de la ville d’Audenaarde, sur la rive droite160.  À Audenaarde, au lieu d’un prêt au seigneur, valant payement de l’octroi de la table de prêt, les Lombards payaient un cens recognitif pour l’exploitation de leur table de prêt. Ce cens faisait l’objet d’une discussion avec les autorités urbaines, il pouvait se monter à 50 lb. (voir fig.7). Évidemment, le payement d’un cens annuel par les Lombards pouvait toujours être renégocié par compensation, grâce au système des comptes courants, si le seigneur local avait souscrit des emprunts envers ceux-ci, comme on l’a vu avec le seigneur d’Espierres, 156 L’expression est la plus courante en Flandre dans les octrois pour interdire l’usure manifeste, employée aussi pour la

table de Furnes (éd. dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°11, p. 289) et pour celle d’Hulst (A.D.N., B.1561, f °18r°, p. n°50). À Montpellier, la mensam nummulariam d’un changeur de, située près de l’église Nôtre-Dame-des-Tables est citée en 1294 : Reyerson 1985, p. 91, et en 1302, les frères Alamandini, changeurs et apothicaires possèdent une tabula nummularia où les sommes de créances peuvent être déposées 157 A.D.N., B. 1564, f°58v°, p.  180 pour Aardenburg et f°58v°, p.  n°181[28/10/1281] et A.D.N., B. 505, n°2307 pour Bruges. 158 Voir plus haut chap. 1, pp. 5-8. Jean Ier de Brabant rachèta une partie de la rente féodale due au seigneur d’Audenaerde en 1279 (Verkooren 1961-1962, vol. 1, pp. 210-211[24/3/1279]. 159 Cf. Supra, chap. 1, p. 26. 160 Cf. l’instructif c.r . de l’édition du vieux-rentier des seigneurs d’Audenaerde de Léo Verriest par Duby 1956, pp. 181186, p. 182 ; Sivery 1980, pp. 811-812 et enfin Stabel 1995, p. 70 et n. 58.

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Fig. 7. La négociation de l’octroi (© B.R.B., Cabinet des Manuscrits, ms. 1175, f° 14v°).

Roger de Mortagne161. Néanmoins, la négociation annuelle du montant concrétisait bien un espace de liberté non-négligeable pour les Piémontais. Leur position sociale pouvait être qualifiée de respectable162. L’octroi des Lombards de Pamele (entre 1275 et 1291), dépendant du seigneur d’Audenaerde163 donne un bon aperçu de l’intensité d’une négociation d’octroi et du payement de son cens annuel. À gauche, la triple silhouette désigne un groupe solidaire, lié par des intérêts communs les Lombards164. Les mains ouvertes, vers le haut, vers l’interlocuteur puis vers le bas semblent montrer l’acceptation des termes de l’octroi et le payement annuel prévu après discussion et négociation. En face d’eux, les échevins, placés derrière le maire semblent acquiescer à sa démonstration en tenant les mains ouvertes, paumes rejetées vers l’extérieur, signe de reconnaissance d’une autorité165. Le maire paraît désigner de sa main droite les Lombards et de l’autre marquer lui aussi l’adhésion aux termes de l’octroi. Les deux doigts qu’il tend, le pouce et le majeur, signifient le plus souvent une affirmation de la personne, dans un sens de supériorité et de hiérarchie tout en affirmant une idée. Deux familles de banquiers d’Asti actives ultérieurement dans le duché de Brabant entretinrent des rapports financiers avec Jean d’Audenaerde : les de Mercato et les Roero, présents dans la ville d’Antoing, où le tonlieu fluvial sur l’Escaut appartenait semblablement aux Audenaerde. Un Guglielmo de Mercato avait été prêteur à Tournai en 1288 aux côtés de Tommaso de Baieni et de Rainerio Roero, ce qui expliquait sans doute que les Roero et les de Mercato fussent à nouveau associées dans le cas de la maison de prêt d’Antoing166. Le seigneur d’Audenaerde était par ailleurs un des grands barons de Flandre. ­Représentant de la noblesse entrepreneuriale, il écoulait sur le marché tournaisien ses 161 Voir supra, la p. 94 de ce chapitre. 162 Ainsi dans l’ill. relative aux Lombards d’Audenaarde-Pamele ci-dessus, est employé le verbe priserdont une des premières

significations est : estimer la valeur à (Tobler et Lommatzch 1925-1974, vol. 7, Wiesbaden, 1969, col. 1888-1890), ce qui suppose une négociation préalable. Dans un compte de régularisation entre les Lombards de Valenciennes et le comte de Hainaut, au XIVe siècle, le comte fait l’aveu suivant : Item leur devons nous[aux Lombards] en recompensation des censes ke nous aviemes levees ou temps passeit trente deus lib. de gros, affirmation explicite de payements par compensation des octrois déjà versés (A.D.N., B.1584, p. n° 82, f°70r°[19/6/1321]. 163 Éd. dans Verriest 1950, p. 14v°. En ce qui concerne la datation du ms., voir en dernier lieu Van Den Bossche 1969. 164 Tout ce qui va suivre, concernant la gestuelle médiévale est extrait de l’excellent ouvrage de Garnier 1982-1989, vol. 1, pp. 174-177 et p. 209-211 et vol. 2, p. 67 et suiv. 165 Ibidem, vol. 1, pp. 174. 166 Bigwood 1921-1922, vol. 2, p. 113, n°116 ; Verriest 1950, p. LIV. Mention de Berardo Roero, associé à Enrico de Mercato et Gandolfino Ottino comme prêteurs et bourgois dAntoing (A.E.T., archives locales C. 562, archives communales d’Antoing [25 juin 1294]).

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s­ urplus en bois de chêne, indubitablement en forte demande dans une ville qui avait entrepris de lourds travaux pour la construction de son enceinte. Son immersion dans le monde des affaires le rendait particulièrement réceptif à l’offre d’argent d’Enrico de Mercato et de ses associés, les de Baieni et les Layolo présents en ces années à Antoing, Tournai, Grammont puis bientôt à Bruxelles167. Très distinctement, les banquiers piémontais issus des familles Canelli, de Mercato et Roero optèrent pour l’installation dans des zones périphériques, susceptibles d’alimenter des réseaux de crédit supra-régionaux, à destination du Brabant et du Hainaut (voir carte 3). Leur rôle économique dans ces villes secondaires qu’étaient Aardenburg ou Audenaarde paraît avoir été notable si l’on en juge par les libertés commerciales dont ils bénéficièrent et par la représentation iconographique honorable de leur activité à Audenaarde. En revanche, l’intervention de Piémontais dans l’administration locale ou centrale du comté de Flandre semble inexistante, qu’il s’agisse des recettes ou de la frappe de la monnaie, contrairement à d’autres principautés méridionales des anciens Pays-Bas comme le Hainaut ou le Namurois à la même époque168. Dans le comté de Flandre, c’était un florentin, Gerardo Bardi, qui avait obtenu la ferme des monnaies de Flandre en 1297 après un prêt énorme de 12 000 lb.169. Il semble bien que la concurrence forte entre les différents groupes de marchands étrangers comme fournisseurs de marchandises et de capitaux auprès du Prince soit responsable de cette situation. Bardi était au surplus bourgeois de Bruges170. Quelques années auparavant, en 1281, ce furent aussi des Florentins qui obtinrent un octroi de 6 ans pour pratiquer tout négoce, le change de l’argent et de l’or à Gand, ville de résidence princière, dans la Rue de Braibant. Les financiers Astésans devront attendre 26 ans avant de pouvoir obtenir un tel privilège d’exploitation dans la ville comtale171. À l’échelon supérieur, celui de la haute finance, vers 1290, la compétition entre les différents financiers arrageois, florentins, lucquois et siennois était devenue trop forte pour permettre aux Astésans de se constituer une position dominante. Les Arrageois, suivis des Florentins, puis des Siennois étaient créanciers du comte Guy de Dampierre, pour des sommes supérieures à 10 000 lb., monnaie de Flandre. Les Lombards arrivaient au 4e rang, avec une somme totale de 7 900 lb., 7s. et 6 d., résultant presque toujours de prêts non-acquittés depuis les années 1280, consécutifs à leurs privilèges, tels les Lombards de 167 Pour la grande baronnie de Pamele incluant entre autres les fiefs de Kortemark, Pamele, les bois de, Flobecq et Lessines

en 1281, voir Warlop 1975-1976, vol. 1/2, p. 430, n.29. En 1291, le seigneur Jean d’Audenaerde vend à G. Wetin, bourgeois tournaisien pas moins de 800 chênes tirés des bois de Pottelberg et de la Louvière à Flobecq ainsi que toute la dépouille de 25 ha. (Verriest 1950, p. L). Prêt de 500 lb. parisis de Enrico de Mercato à Bruxelles au seigneur Jean d’Audenaerde, payé partiellement par le comte Guy de Dampierre, à concurrence de 385 lb. tour., ou 308 lb. par. La lb. tour. est comptée à raison de 4 tournois pour un esterlin brabançon, soit un taux de change très avantageux pour Mercato (R.A.G., Fonds Gaillard, n°354[15/11/1292]). 168 En Hainaut, Manfredo, Manuele et Giacomo Garretti avaient obtenu l’affermage des principaux revenus domaniaux de Marguerite de Constantinople dans la ville de Mons pour trois ans (A.D.N.,B.1561,f°76v°[août 1274]). À Namur, Uberto Allione, ancien monnayeur au service du roi d’Angleterre, avait obtenu la direction de l’atelier monétaire comtal  : Hall 1896, vol. 3, p. 982 [1279] ; A.D.N., B. 1564, f°31r°-32r­°, p. n°93[février 1283 n.s.] et n°94[1/11/1283]. 169 A.D.N., B.4058, n°4040[15/8/1297]  ; Bigwood 1921-1922, vol. 1, p.  528 (d’après A.D.N., B 4058, Godefroy 4028bis). 170 Gerard Bart, bourgeois de Bruges, fournit une caution au comte de Flandre avec le receveur Jakemon de Deinze en 1295 (Gysseling 1977 , p. 2195, n°1433a [12/6/1295]) 171 Bigwood 1921-1922, vol. 2, p.  65 et n°10, pp.  287-288, octroi de juin 1281 pour Champoulin Guide [Guidi] et Jacobin Perouli [Peruzzi ?], d’après A.D.N., B. 1564, n°252 et octroi du 20/3/1307 pour les frères Mirabello et Roero, pour une durée de 10 ans, cfr. aussi Rogghé 1946, pp. 200-202.

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Grammont, pour 240 lb., ceux d’Oudenburg, pour 100 lb., ceux de Bruges pour 1 400 lb. Ils figuraient sous la rubrique comptable portant le titre Encor doit on as Lombars ki deurent demorer en Flandres172. Il en allait pareillement du contrôle de la recette comtale. En Flandre, des « Lombards  », en réalité des financiers Florentins, probablement liés à Albizzo de Guidi de Franzesi et ses associés, offrirent vers 1295 de prendre à ferme la recette de Flandre à la condition expresse que le comte les autorisât à établir une maison à Gand pour y faire le commerce de gros et le change dans tout le comté, en important leurs marchandises des foires de Champagne. Ces marchands étaient disposés à soutenir financièrement le comte à concurrence de 10 000 lb. Le projet échoua apparemment en raison du long règne du receveur courtraisien Jakemon de Deinze, en fonction de 1292 à 1300. Il n’en était pas moins symptomatique de la lutte effrénée que se livraient les banquiers italiens173. C’est en Brabant que les banquiers piémontais allaient faire leur entrée dans la haute finance ; les conditions de cet accès n’étaient pourtant au départ guère favorables. La géographie initiale de l’implantation des tables lombardes éclaire ces conditions. 2. Mise en place d’un premier réseau de tables de prêt lombardes rurales en Brabant A.

Double contingence du politique et de l’économique

Je l’ai dit, l’installation à grande échelle d’officines de prêt lombardes n’allait pas de soi en Brabant ; elle résulta de l’imbrication d’un choix politique avec des paramètres économiques. Aucun octroi individuel ou collectif n’est conservé pour la première période de diffusion des tables lombardes dans le duché. L’historien en est donc réduit à des hypothèses de travail concernant les conditions de cette diffusion et l’inévitable négociation avec les pouvoirs en place que cette installation de financiers étrangers sous-tendait. La comparaison avec le comté de Flandre fournit cependant quelques éléments fortifiant ces hypothèses. Celui qui tenait les rênes du pouvoir en Brabant était face à un dilemme classique. Comme son beau-père, Guy de Dampierre, Jean Ier avait certainement l’intention d’éviter toute emprise monopolistique d’une seule société de prêt italienne sur les finances ducales

172 Un relevé des dettes du comte de Flandre indique une somme totale de 65 166 lb. 1 s . pour les créanciers d’Arras. Les

Siennois sont créanciers du comte pour des dettes contractées aux foires de Champagne d’un montant total de 13 032 lb., les Florentins, également aux foires de Champagne, ont avancé la somme de 4 406 lb., les Placentins ont une dette de 3.797 lb. 6 s. 8 d. Si l’on ajoute les financiers Florentins, Biche alias Albizzo Guidi, représentant de la compagnie Franzesi et ses associés, demeurant à Gand, et le receveur de Flandre Gerardo Luppicini(sur ce personnage, receveur entre 1289 et 1292, voir Kittell 1991, p. 62), qui ont une créance supplémentaire de 9 868 lb. 16s. et 10,5 d. , cela les place au 2e rang des créanciers du comte. Éd. de cet important document dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°, 15, pp. 293-298[15/9/1290], l’original aux R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, supplément Wyffels, n°157. 173 Rôle en français cité dans Bourquelot [1865], vol. 1, p. 186, n. 3, analysé dans de Saint-Genois 1843-1846, n°815, p. 239 et publié dans Funck-Brentano 1897, pp. 85-86, n. 1. Sur Jakemon : Kittell 1991, p. 207. Albizzo alias Biche et ses compagnons sont cités comme demeurant à Gand en 1290 (Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°, 15, pp. 293-298[15/9/1290]). À la même période, les Franzesi, proches conseillers du roi de France Philippe le Bel dirigeaient virtuellement les finances royales. Vers 1293, Biche et Mouche avaient demandé à leur compagnie de mettre à disposition du roi de France la somme gigantesque de 200 000 livres, sur la base de leurs opérations aux foires de Champagne (Favier 2005, pp. 29-30, pp. 80-81 et p. 183).

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en poursuivant le développement de places de crédit secondaires initié par ses prédécesseurs, des places susceptibles de lui offrir un argent à bon marché174. Toutefois, d’un autre point de vue, la consolidation de l’état brabançon en formation nécessitait un apport croissant de capitaux et la présence d’hommes d’affaires dotés de qualités de diplomates et disposant de correspondants dans toute l’Europe du nord-ouest. On l’a déjà observé, en ce dernier quart du XIIIe siècle, seuls les marchands-banquiers d’Italie septentrionale répondaient à ces exigences. Cela étant dit, ces capitalistes internationaux obéissaient à des logiques supra-régionales, au contraire du Prince pour lequel la construction de son État était déterminée par une logique plus territoriale175. Compte tenu de ces logiques opposées, il valait mieux pour le Prince éviter l’installation immédiate d’élites étrangères dans les «  centres nerveux  » du réseau des places financières brabançonnes, sièges des trois ateliers monétaires principaux : Bruxelles, Louvain et Anvers. Cette dernière cité était le débouché maritime naturel vers l’Angleterre, partenaire commercial primordial pour l’industrie drapière brabançonne. Au surplus, les Lombards arrivaient dans une société où tout le monde prêtait à tout le monde sans crainte démesurée de l’interdit usuraire. D’une part, le poids des groupes intermédiaires dans le crédit comme les bouchers et les pelletiers se faisait sentir tant à la ville que dans les campagnes. Cela contribuait à nourrir une offre d’argent extrêmement fragmentée au plan local. D’autre part, la prétention des élites patriciennes de Bruxelles et Louvain à vouloir contrôler le monde de la haute finance était patente ; vers 1290, le crédit au Prince, explicite ou implicite leur assurait l’obtention de privilèges et l’ouverture de nouveaux marchés à l’étranger pour leur industrie textile en plein essor176. Cela est très clair pour la ville de Louvain : le duc Jean Ier avait bénéficié de la caution de la ville équivalente à une somme de 13 000 lb. de Louvain pour apaiser ses créanciers. Cette pesante dette ducale poussa le duc de Brabant à l’inclure dans la négociation de la charte de privilèges de 1291, octroyant à la ville le droit de percevoir les assises durant 15 ans contre une redevance annuelle177. Le duc promit à la ville d’honorer le payement de la somme en n’importe quel lieu choisi par ses bailleurs de fonds étrangers. Il rendrait les chartes de caution que les Louvanistes avaient remises au duc pour garantir le payement de cette somme à ses créanciers. Jean Ier se chargeait en outre de faire restituer les draps et autres biens saisis sur les bourgeois de la ville en France, à l’occasion de la dette précitée. C’étaient principalement les élites marchandes et patriciennes, enrichies par le négoce du drap, qui étaient demanderesses de ces privilèges leur accordant un contrôle social accru sur les métiers du drap : entre autres dispositions, le salaire des tisserands fut plafonné, tandis qu’ils devaient collecter parmi leurs collègues une somme annuelle de 200 lb. payable au duc de Brabant ; les burgenses, c’est-à-dire les bourgeois notables de la ville, avaient l’autorisation de sonner la cloche signalant le début de la journée de travail des tisserands et des autres travailleurs178. Face aux banquiers italiens, les élites urbaines bruxelloises pouvaient aussi faire valoir leurs prétentions dans un autre champ d’activités, celui de l’authentification des 174 Jean Ier avait épousé en secondes noces Marguerite de Flandre, fille du comte de Flandre en 1273 (Strubbe et Voet 1991, p. 358). 175 Sur ce point voir l’article classique de Blockmans 1987, pp. 180-181. 176 Van Uytven 1976a, ré-édité dans Van Uytven 2001a, VIII, voir p. 86. 177 S.L., n°1288[29/9/1290], éd. dans Van Uytven 1966, p. 441. Sur la phase intense de négociation préalable entre les élites urbaines et le Prince, influant sur le contenu définitif de la charte de privilèges : Ibidem, pp. 426-427. 178 Ibidem, p. 438, [2] et [3] : le salaire journalier est plafonné à 12 d., sauf ce qui leur est concédé par la coutume des prédecesseurs du duc.

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o­ pérations d’emprunt par le biais des lettres échevinales, privilège qui leur avait été octroyé en 1291 par le duc de Brabant179. Le pouvoir juridique et le rayonnement d’une ville sur son arrière-pays s’exprimait notamment par l’extension géographique de ses lettres échevinales utilisables même par des créanciers de sa banlieue rurale proche. La portée de ces titres de créances, autorisant l’exécution sur les biens des mauvais débiteurs, finit par être étendue à tout le Brabant. Dès le dernier quart du XIIIe siècle, ces lettres échevinales étaient usitées pour prouver la possession de biens fonciers dans les environs de Vilvoorde, ou parfois plus loin, au nord ou à l’est de la ville180. Il va de soi que du point de vue des financiers piémontais, l’utilisation de ces titres était susceptible de renforcer leur position dans le domaine de l’offre de l’argent et en faire de sérieux concurrents pour les financiers bruxellois. L’effort financier énorme que le duc de Brabant fournit, avant et après la victoire de Worringen (1288), pour soutenir son entreprise militaire, destinée à annexer le Limbourg, jetait les bases d’une négociation politique plus dense et ardue avec les villes principales du duché. De cette négociation, dépendaient l’obtention du soutien financier des villes et leur représentation politique aux États de Brabant alors en formation181. Dans ce contexte de pression fiscale renforcée, l’immixtion de financiers étrangers dans le crédit au Prince devait inévitablement être vécue comme une menace par les élites urbaines d’Anvers, Bruxelles et Louvain ; cette immixtion pouvait se traduire par un contrôle indirect des élites marchandes étrangères sur des institutions commerciales vitales pour le fonctionnement efficient du réseau urbain. Le système des assignations permettait ce contrôle indirect, en assignant par exemple la créance d’un bailleur de fonds sur des revenus domaniaux, les tonlieux, mais aussi sur la monnaie princière182. De fait, contrairement au comté de Flandre ou au comté de Hainaut, aucun financier italien n’obtint apparemment l’affermage de revenus de nature monétaire, encore moins des assignations sur la taxation du grand commerce dans les grandes villes du duché, avant le dernier quart du XIVe siècle183. En cela le duc de Brabant se distinguait encore des grands monarques comme le roi d’Angleterre Édouard Ier qui céda une partie de ses revenus fiscaux par le biais de l’assignation ou de l’affermage des ventes de laine184. 179 Le 1er mars 1291, le duc de Brabant avait donné pouvoir aux créanciers bruxellois, de saisir sur preuve de lettres

échevinales, les biens du débiteur ou de ses garants, éd. dans Favresse 1938, n°40, p.  477. Une dernière semonce était adressée au débiteur devant sa maison ou sur le marché de la ville afin qu’il acquitte sa dette dans les 14 jours. Le dernier paragraphe relatif aux lettres échevinales permet de penser que celles-ci étaient déjà valables dans tout le Brabant :Voirt willen wij wies men scepenen oft scepenen letteren heeft van dien van buyten, waer dat zij geseten sijn in onse landt, dat wij se oft onse rechtere selen doen innecomen te plegene wat scepenen op hem deylen selen oft wijsen, en ware van vryheiden, dies die van buten tot haer niet geplogen en hebben. Ende wij noch onse rechtere en mogen niemene recht ontseggen, noch geleide geven, en sij bij dengenen die men ‘ t scout sculdich es. La ville de Louvain avait elle aussi acquis le droit de faire valoir ses lettres échevinales dans tout le Brabant (Godding 1954, pp. 314-315). 180 Des exemples de l’emploi de ces lettres échevinales existent dans A.G.R., C.C., n°50867, censier ducal du dernier quart du XIIIe siècle : biens situés à Hummelgem, Lelle (sous Berg), Erps, Kortenberg, Steenokkerzeel, Kampenhout, Vilvorde et Perk. L’ordonnance ducale sanctionnait juridiquement une pratique probablement déjà courante depuis quelques décennies (de Waha 1979, p. 72 et Godding 1973, pp. 118-119). 181 Baerten 1992, p.  78  ; Van Uytven 1966, pp.  414-415. Un processus similaire de formation des états et de développement accru du rôle politique des villes se déroule en Gueldre vers 1300, lorsque les finances comtales sont au bord de la banqueroute : van Schaïk 1993, p. 260. 182 À Anvers, ce sont par exemple trois bourgeois de la ville qui afferment partiellement le tonlieu ducal en 1242 (Despy 1988, p. 111). On a évoqué plus haut, p. 88, le cas de Gerardo Bardi qui avait pris à ferme la monnaie du comte de Flandre en 1297. 183 Pour des exemples d’affermage de revenus domaniaux en Flandre et en Hainaut, voir plus haut, p. 88. En 1371, le Lucquois Nicolao Chiavra obtient la ferme du tonlieu des laines en transit vers la Lombardie (Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 220). 184 Dès 1275, le roi Édouard Ier avait affermé les revenus des douanes sur les marchandises exportées, notamment la laine, à ses banquiers toscans, au premier rang desquels les Riccardi de Lucques (Blockmans 1997, p. 81 et Körner 1996, p. 517.

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Au point de vue des rapports politiques du duc de Brabant avec ses «  bonnes villes  » les plus importantes, il est en conséquence symptomatique qu’excepté la ville et seigneurie de Nivelles – dont l’abbesse revendique encore l’autonomie185 – les premières tables lombardes sur lesquelles le Prince exercera sa juridiction soient toutes situées dans des bourgades rurales, au mieux, des villes-marchés comme Wavre ou Jodoigne186. En 1280 des Lombards sont actifs à Nivelles et entrent en conflit avec l’abbesse, seigneur de la ville187. Six ans plus tard, la liste des établissements piémontais s’accroît des localités de Genappes, Gembloux, Wavre, Overijse, Asse et Merchtem188 (voir carte 2). Le receveur de Brabant ou le sénéchal n’évoquaient jamais dans la pratique de leur office les Lombards de Bruxelles ou ceux de Louvain189. Il ne s’agissait pas d’un oubli. Dans ces deux dernières villes, les financiers astésans ne disposaient pas encore d’une table de prêt reconnue publiquement et protégée par le Prince, malgré la possibilité théorique qui leur avait été donnée d’accueillir, au plus tard en 1267, des prêteurs juifs ou italiens190. Ce n’est qu’en 1292 qu’un premier prêteur astésan résidera à Bruxelles et encore n’habitera-il pas dans une domus Lombardorum publiquement reconnue mais dans une demeure privée191. À Louvain, un phénomène similaire semble s’être produit. Les premiers Italiens présents dans la ville y auraient adopté un profil discret et honorable, en entrant dans la cléricature, tel Enrico de Mercato. Là aussi, je ne retrouve nulle trace d’une maison publiquement reconnue de Lombards192. Même à Bois-le-Duc, une ville moyenne où le financier Tadeo Cavazzone était présent depuis 1282, ce dernier n’appartenait visiblement pas encore à la communauté des Lombards « fiscalisés » du Prince, dont le receveur ducal était chargé de percevoir une taxe depuis 1284193. Cette taxe, même si elle n’était pas appelée en ces termes 185 La seigneurie de l’abbesse de Nivelles ne laisse échapper la ville dans l’orbite brabançonne qu’à partir de 1332  :

Hoebanx 1963, p. 391. On estime que Nivelles devait compter de 4 à 5 000 habitants vers 1374 : Despy 1973, p. 27.

186 Despy 1973, p. 43 et p. 48. 187 Le duc les appuiera dans ce conflit (cfr. Hoebanx 1952, p. 261). 188 Nivelles est reprise dans cette liste : A.G.R., C.C., Compte en rouleau (C.R.), n°2602, m.6, 1286 compte de l’amman

Henri Leuken pour l’ammanie de Bruxelles.

189 A.G.R., C.C., C.R., n°2602, m.6 : Item feria quarta post pentechostem, nunciis qui portaverunt litteras domini Walteri

Volcart, militis, ad Lumbardos de Nivella, de Genapia, de Gemblaco, de Wavra, de Ischa et de Aska, v.s. et ix. d. ; (. . .)Item feria quinta ante divisionem apostolorum, nuntio cum litteris domini dapiferis ad Lumbardos de Gemblaco, xii d. Éd. défectueuse de ce compte dans Prims 1929. 190 En 1267, le jeune Jean de Brabant promet au magistrat de la ville de Louvain que les Juifs et « Cahorsins » de cette ville auront le même statut que ceux de Bruxelles (éd. Willems 1839-1869, t. 1, nº 62, pp. 664-665 [22/6/1267]). Il s’agit évidemment plus d’une éventualité future que d’une preuve concrète de la présence permanente de Lombards dans les deux villes à cette date. Ceci montre toutefois la synchronie de ces villes dans l’accueil des manieurs d’argent italiens. 191 Le premier Astésan signalé à Bruxelles est Enrico de Mercato, d’après une quittance de Henris Lombars de Bruxele : R.A.G., Fonds Gaillard, n°354 [15/11/1292] et Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, p.  20. Pour qu’ une maison de prêt lombarde publique et dotée d’un octroi d’exploitation princier apparaisse à Bruxelles, il faudra attendre le dernier quart du XIVe siècle : Kusman 2007, pp. 154-155. 192 Le Lombard Godefrido de Lovannio en 1292 alias Godefrido de Mercato est cité parmi les Lombards créanciers d’Herentals en 1292 (Verbiest 1949, pp.  175-183, p.  182, d’après R.A.A., Fonds Herentals, Burgerl. Afd., Bijvoegsel, n°14 [5/1/1292] et Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, pp. 21-22). Le patronyme toponymique du personnage indique que la table de prêt de Louvain n’avait pas encore de statut publique. Un Henricus Marcsant, prêtre de Louvain ou Marchant, est également signalé entre 1287 et 1296. Je l’identifie avec Enrico de Mercato dont la famille est en outre actionnaire de la table de Louvain dans le premier quart du XIVe siècle : Jamees 1991-1993, vol. 1, n°206, pp. 160-161[25/1/1287] ; K.U.L., UA, chapitre Saint-Pierre, chartrier, n°72. La mention dorsale de la charte, contemporaine de l’acte indique Ita a domino H. Marcha, le patronyme avec lequel Enrico de Mercato est connu dans les sources brabançonnes dans le premier quart du XIVe siècle, voir Martens 1954, p. 99 et les actes ducaux des 11 et 14 mai 1305 édités dans De Ridder 1974, voir n°16 et n°21, p. 86-87. 193 R.A.G., Fonds Gaillard, n°765[5/4/1282]. La table de Bois-le-Duc n’est pas citée dans le compte en rouleau de l’amman de Bruxelles, détaillant les contributions des Lombards. La première mention de la maison des Lombards de Bois-le-Duc date de 1293 (Van Synghel 1998, n°3, p. 407[1293]). La perception de revenus sur les Lombards figure dans l’acte de nomination du premier receveur de Brabant doté de larges compétences, l’Anversois Gautier Volkaert : (. . .) et avons mis en ses mains tout ce qui

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dans les actes du XIIIe siècle, correspondait déjà, selon toute vraisemblance, à l’octroi annuel, le servitium, payé dans le premier quart du XIVe siècle par tous les Lombards de Brabant en échange de la protection princière194. Parmi les sept bonnes-villes de Brabant existantes à cette époque, Bruxelles, Anvers, Bois-le-Duc, Tirlemont, Léau et Nivelles, seules deux, Bois-le-Duc et Nivelles, abritent donc des tables de prêt vers 1286195. En résumé, la politique économique de Jean Ier était soucieuse de trois facteurs. En premier lieu, les hommes d’affaires pouvaient stimuler, par leur rôle d’intermédiaire avec le commerce international, l’essor des petites villes brabançonnes ou de centres urbains en devenir. Cet essor se fondait en particulier sur l’efflorescence de draperies régionales et sur le trafic des produits tinctoriaux et de substances d’apprêt des draps, attesté sur les marchés de Gembloux, Genappe, Jodoigne, Nivelles, Wavre et Overijse. Il s’agissait principalement de la guède, de la garance et de l’alun196. En second lieu, en soutenant des Lombards actifs dans une seigneurie autonome, le duc affaiblissait un pouvoir local, constituant un obstacle à la formation de son état. En dernier lieu, le Prince devait ménager les susceptibilités des édiles des villes les plus importantes, hostiles à une influence trop grande de prêteurs étrangers sur leurs infrastructures commerciales et sur les intérêts de leurs négociants à l’étranger. Du même coup, Jean Ier se réservait un accès privilégié à un marché du crédit secondaire, indépendant des exigences politiques de la haute finance bruxelloise et louvaniste. Durant cette première période, les Lombards semblent surtout s’être concentrés dans l’ammanie de Bruxelles et dans la partie romane du duché. Le développement local poussé de l’administration financière et la centralisation politique du duché, croissante à partir des années 1280, expliquaient en partie cette situation. À l’apparition d’un receveur général s’ajouta bientôt l’institution d’une taille générale en 1286 dont les comptes furent contrôlés au château ducal de Tervuren, indice d’une administration fiscale plus efficace ; la taille était en effet contemporaine de la mention des premières tables de prêt lombardes et de l’apparition de sièges locaux de recettes domaniales197. Le prélèvement de cet impôt venra de no cens, de no rentes, en deniers, en bleis, en capons, en gelines, de nos iauwes, de nos bos, de notre monoie, de nos Lumbars, de nosJuis et tous les pourfis et les escheances ki nous venront (. . .). Éd. dans Martens 1943, n°1, pp. 21-22[18/4/1284]. 194 Ce service financier est cité dans le préambule d’un avis juridique et théologique de l’Université de Paris relatif aux Lombards du duché prêtant à usure  : Kusman 1995, n°1, p.  220 [entre septembre 1318 et mars 1319]  : Dux Brabancie est in possessione et fuerunt sui praedecessores a tempore a quo non extat memoria, tenendi, tuendi et manutendi Lumbardos, Tuscos, Caursinos, ac alios alienigenas quoscumque mercatores habitantes in Brabantia, de suis pecuniis et mercibus mercantes et contrahentes, pro certo servicio quod sibi prestant, singulis annis et suis praedecessoribus prestiterunt. Tihon 1961, pp. 349-350, supposait déjà avec justesse que les Lombards jouissaient d’un octroi collectif dès leur installation en Brabant. 195 Van Uytven 1966, pp. 418-419. Il est frappant que dans ce domaine comme dans le domaine politique (Van Gerven 1998, pp. 385-406, p. 398) les villes de Bruxelles et de Louvain se démarquaient fortement du groupe des autres bonnes villes. 196 Dans la partie méridionale du duché, le sandyx ou guède pour la teinture bleue est attesté dans la charte de franchise de Genappe en 1211 en relation avec le tonlieu du marché, et cultivée à Wavre après 1250 (Despy 1969, p. 40 et p. 42 et Van Uytven 1984), le commerce du lin est attesté à Wavre et Jodoigne, la draperie l’est à Nivelles (Despy 1973, pp. 30-48). Une des principales substances d’apprêt du drap était l’alun, servant à fixer les teintures : il devait être importé de Méditerranée. Quant à la garance pour la teinture rouge, elle était probalement importée du Hainaut et du Tournaisis via Nivelles (Van Uytven 1983b, pp.  113-114, ré-édité dans Van Uytven 2001a, XI). À l’est, vers Louvain, on peut enfin mentionner l’existence probable d’une draperie à Overijse dans la seconde moitié du XIIIe siècle sur la base de sa charte de franchise de 1234, cf. Steurs 1971-1972, n°47, p. 257, [décembre 1234] ; éd. Willems 1839-1869, t. 1, p.642 : le passage relatif à la confection des draps, probablement à base de laine indigène, est le suivant : Ceteri autem burgenses ejusdem ville usuarium et jus in silva nostra habebunt, prout hactenus habuerunt, hac conditione adjecta, quod singuli burgenses pannos laneos in domo sua componi facient, secundum quod sibi competent facultates.Voir aussi Hasquin 1980-1981 vol. 4, Flandre, pp. 2578-2579 et Vande Putte 1993. 197 Martens 1954, pp. 260-266 et pp. 513-519 : en 1282, un receveur domanial est mentionné pour Herentals, en 1284, c’est le cas pour Bruxelles et Louvain, en 1285, pour Jodoigne, en 1287 pour Tirlemont et en 1293 pour Overijse : Wauters 1888, p. 8. Les receveurs domaniaux remplaceront progressivement les anciens baillis du duc de Brabant.

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direct était probablement à mettre en relation avec les dépenses grandissantes occasionnées par la guerre de succession du Limbourg (1283-1288) et auxquelles participeront également les abbayes brabançonnes, sollicitées à partir de 1284198. Le conflit armé suscita le développement d’un appareil fiscal dimensionné aux besoins du Prince tant en Brabant qu’en Gueldre199. La réforme administrative et fiscale toucha d’abord les mairies de Bruxelles, Louvain et Nivelles, soit la partie du duché la plus densément urbanisée. Il s’agissait bien d’une véritable conquête du duché, témoignant des difficultés rencontrées par les manieurs d’argent italiens pour imposer leur présence relativement durable dans le réseau urbain brabançon, face à la forte concurrence du crédit local. Il fallut attendre 1292 et la première landchartere octroyée à l’ammanie de Bruxelles pour voir énoncée, dans un acte ducal, la protection dont jouissaient les Lombards et les Juifs, au même titre que les monastères et les clercs : quiconque s’en prendrait à eux devrait en rendre compte à la justice ducale200. Quand on sait que par ce texte, le duc Jean Ier, grand législateur, ambitionnait une plus grande unification juridique du Brabant, particulièrement au point de vue du droit pénal et des compétences des officiers de justice, la mention de cette protection princière en est d’autant plus significative201. L’initiative ducale pour imposer «  ses Lombards  » était décisive et faisait pendant à la force exécutoire des lettres échevinales des collectivités urbaines en matière de poursuite des créances202. Potentiellement, la tutelle des financiers italiens constituait pour Jean Ier un formidable outil de domination par la dette des pouvoirs seigneuriaux qui ne lui étaient pas inféodés. En empruntant à des manieurs d’argent patronnés par le Prince, le seigneur local ou ses échevins s’assujettissaient un peu plus au pouvoir central. La protection princière impliquait automatiquement l’aide des officiers de l’administration ducale pour opérer des saisies sur des débiteurs impécunieux des Lombards, avec à leur tête le sénéchal. Ce fait n’a pas été suffisamment souligné : le sénéchal de Brabant était le substitut du Prince, chargé de corriger les abus des officiers ducaux ou d’exercer la haute-justice en son nom203. La correspondance du sénéchal avec les Lombards de la table de prêt de Gembloux, sans qu’il soit possible d’en percer le contenu, montre en tout cas que lui et lui seul, en tant que représentant ducal, prétendait être l’interlocuteur légitime des Lombards dans les affaires juridiques204. L’abbé de Gembloux, seigneur de la bourgade n’avait aucune juridiction sur ceux-ci, ni au surplus sur les bourgeois de la ville libérés de charges et redevances foncières dues à l’abbé. Le duc exerçait d’ailleurs l’avouerie sur l’abbaye de Gembloux comme sur celle de Nivelles205. Du coup, 198 En 1286, tous les baillis doivent venir à Tervuren, rendre le compte de la taille qu’ils perçoivent pour le duc (A.G.R.,

C.C., C.R., n°2602, m.7). Le premier receveur de Brabant est le Malinois Nicolas de Lapide en 1271-1274 suivi du Bruxellois Henri Prochiaen en 1278-1281 (voir chap. 1, p. 4). Sur cette taille qui s’avéra bientôt insuffisante et dont on ignore tout du mode de perception—par quotité ou par répartition—voir Wauters 1862, p.  317. Sur l’évolution de la fiscalité brabançonne dans les années 1280 : Van Uytven 2001b, pp. 745-746. 199 Van Schaïk 1993, pp. 257-258. Dès 1293, la noblesse, les villes et habitants du comté de Gueldre tombèrent d’accord pour demander la levée d’un impôt général afin de réduire la charge de la dette. 200 La protection ducale est citée dans les privilèges donnés en néerlandais médiéval et en vieux-français pour l’ammanie de Bruxelles, éd. dans Willems 1836, n°183, p. 547[1292], pour les Lombards, voir p. 546 et n°184, p. 553. 201 Van Uytven 1966, p. 432. 202 L’expression n’est pas une image, les Lombards sont considérés comme des droits régaliens appartenant au Prince au même titre que la monnaie ou la haute-justice, voir supra, p. 93 la n. 194 de ce chapitre. 203 Smolar-Meynart 1991, pp. 31-38. 204 A.G.R., C.C., C.R., n°2602, m.6. 205 Despy 1973, p. 39 ; Escher et Hirschmann 2005, vol. 50/1, p. 437 et vol. 50/2, pp. 219-220. Les bourgeois avaient été libérés des charges seigneuriales en 1187. Un acte ultérieur, datant du règne de Jean III, petit-fils de Jean Ier, montre

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les Astésans s’intégraient dans les plans du Prince pour s’immiscer dans la gestion des villes dotées d’un seigneur particulier. En soutenant le magistrat urbain contre son seigneur, Jean Ier mettait à disposition des élites municipales des sources de financement alternatives – les capitaux des Italiens – puis appuyait les revendications de ces mêmes élites en matière d’autonomie financière. C’est ce qui se passa précisément à Nivelles. B.

L’abbesse de Nivelles et la porte fermée des Lombards

En 1280, l’évêque de Liège, passant par Nivelles, s’était ému de la présence des usuriers piémontais, prêtant à usure publiquement dans la ville. Il demanda instamment au chapitre de la ville d’y mettre bon ordre, sous la menace de la suspension des offices religieux, conformément aux décrets du récent concile de Lyon. Sous la pression de son chapitre, l’abbesse Elisabeth de Bierbais se rendit chez les Lombards et trouva porte close mais leur fit parvenir une lettre dans laquelle elle leur demandait de cesser leurs pratiques usuraires. Ceux-ci feignirent d’arrêter puis reprirent leurs activités, visiblement avec l’appui de représentants ducaux. Une seconde démarche d’Elisabeth de Bierbais s’avéra sans effets car les prêteurs furent défendus par deux serviteurs du bailli du duc Jean Ier qui les assurèrent de leur bon droit. Une requête de l’abbesse auprès du duc se heurta enfin à un refus poli et argumenté, car dans toute l’étendue de ses territoires et des terres soumises à son avouerie, la juridiction sur les Cahorsins et autres usuriers étrangers lui appartient en propre et à nul autre que lui206. Cette argumentation est essentielle parce qu’elle consacre implicitement –  ce discours est attribué au duc par Elisabeth de Bierbais – la prétention des ducs de Brabant à monopoliser la juridiction sur les usuriers étrangers sans aucune interférence des autorités locales, qu’il s’agisse d’un seigneur ou du magistrat urbain. Le chapitre collégial de Nivelles, plus combatif que l’abbesse sur ce point, rappela pourtant que nul étranger ne pouvait s’installer à Nivelles sans son autorisation et suspendit au moins une fois (en septembre 1280) la célébration des offices conformément aux décrets conciliaires. Mais rien n’y fit, pas même l’intervention de l’évêque de Liège, Jean d’Enghien. Celui-ci s’était empressé de transmettre l’affaire à des mandataires chargés de négocier avec le duc en son nom (8 août 1280). L’évêque était lui-même endetté auprès du duc de Brabant, un fait de nature à refroidir ses ardeurs répressives207. En appuyant les Lombards de la ville, certainement protégés par le bailli ducal, le duc inscrivait sa politique dans les traces de celle de son père, Henri III208. Celui-ci avait déjà utilisé le pouvoir judiciaire de ses officiers pour empiéter sur la juridiction abbatiale et asseoir son autorité dans la ville, notamment en exigeant la levée d’une taille sur les terres de l’abbesse, en saisissant indûment des draps des bourgeois et en se mêlant de la perception des dettes des cependant que l’abbé de Gembloux avait cependant fini par se faire reconnaître divers droits de justice sur les Lombards et les Juifs habitant sa seigneurie (Verkooren 1961-1962, vol. 2, p. 31[28/8/1329]). 206 (. . .) que respondit dicte abbattisse predicte quod ad causam nichil pertinebat de dictis feneratoribus alienigenis seu Causinis[sic], sed sibi suberentur sicut subfuerentur[sic] suis antecessoribus, et ad eum pertinet institutum remotio et onus cohercio eorundem et ad nullum alium ubicumque fuerunt infra terminos terre et advocatie sue. Sur ces événements : Hoebanx 1952, pp. 261-262 et n. 3 ; Gorissen 1952, pp. 107-133, p. 115 et suiv. 207 Hoebanx 1952, p. 262, n. 3 qui se trompe cependant sur l’identité de l’évêque : il ne s’agit pas de Jean de Flandre (12821291) mais de l’évêque Jean d’Enghien (1274-1281), voir pour la datation A.E.A.R. B.-C., A.E.B., n°1417, f°540 r°-541r°. Sur ce personnage docile et malléable, voire amorphe : Marchandisse 1998, pp. 150-155. Jean d’Enghien devait une somme de 1 000 mars liègeois au duc de Brabant citée dans les dettes de son sucesseur (Marchandisse 1997, n°11, p. 50 [22/9/1284]). 208 Remarquons que dans la seconde moitié du XIVe siècle, les Lombards disposeront à Nivelles d’un sergent attitré pour exécuter les saisies (Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°67, pp. 382-384[3/12/1383]).

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bourgeois ou de leurs créances209. De fait, les Lombards du duc semblent avoir prêté aux élites politiques de la ville dès 1291210. Par-là, les bourgeois nivellois liaient un peu plus leur sort à l’alliance avec le duc, tandis qu’ils cherchaient à réduire la mainmise de l’abbesse sur l’administration des revenus urbains. Ils y parviendront une première fois en 1278211. Je dois l’observer, la spécialisation de Nivelles dans le commerce de l’argent était ancienne, la mention de changeurs en 1182 – la plus ancienne de Brabant – en atteste et un atelier monétaire y avait fonctionné jusqu’à la fin du règne d’Henri Ier212. Elle jouait enfin un rôle de lieu de garnison pour dettes dès le duc Henri III de Brabant afin que ses obligés de rang princier puissent y envoyer leurs plèges213. Pour le plège, tenir garnison impliquait la résidence dans une auberge, généralement luxueuse214. Corrélativement, la présence de manieurs d’argent et de changeurs dans la ville, aptes à encaisser des payements en monnaies étrangères, était un fait assuré. La présence des élites financières bruxelloises se faisait d’ailleurs sentir parmi les baillis nivellois depuis le milieu du XIIIe siècle  : un riche bourgeois originaire de Bruxelles comme Jean Lose était bailli ; il appartenait à une famille d’hommes d’affaires bientôt impliquée dans la gestion des institutions caritatives bruxelloises215. Finalement le conflit nivellois permet à l’historien d’apprécier la rigueur de l’application des décrets anti-usuraires en Brabant sous Jean Ier. Leur effet répressif y étant plus que relatif, le duc avait simplement répondu aux mandataires épiscopaux que, pour ce qui regardait la tranquillité de son âme, il s’arrangerait le cas échéant avec les évêques ou avec l’empereur. La crainte réduite chez ce prince de la menace d’excommunication à laquelle il s’exposait en soutenant des usuriers trouvait un écho dans son empathie à l’égard de financiers juifs établis à Paris. En 1283, il demanda à son beau-frère, Philippe le Hardi, l’élargissement d’Abraham de Faloie et sa mesnie que le roi de France voulait soumettre à une taille216. C.

L’impact du concile de Lyon en Brabant : much ado about nothing !

En Brabant, la réception favorable de la législation anti-usuraire semble être plutôt le fait d’institutions ou d’auteurs ecclésiastiques. Un avis sur le bon gouvernement, attribué au théologien franciscain John de Peckham, confirme cet état de fait. Probablement envoyé au duc de Brabant Jean Ier ou à son entourage, cet avis n’est connu que par une seule copie existante actuellement dans un manuscrit de l’abbaye norbertine de Parc-lez-Louvain217. 209 Cfr. Hoebanx 1948, p. 54, pp. 58-59 [vers 1257-1261]. 210 Bigwood 1921-1922, vol. 2, n° 16, p. 298[22/3/1291], somme de 500 lb. tour. dont 200 lb. d’intérêt. 211 Ils obtiennent par exemple de l’abbesse de percevoir le tiers des taxes issues de l’emploi du poids public qu’elle vient

d’instituer et la moitié de la caution de 100 s. déposée par tout plaignant et perdue en cas de plainte infondée (Hoebanx 1952, pp. 275-276). 212 Despy 1973, p. 32 et Boffa 2000, n°s 25, 26 et n°32, pp. 38-39. 213 En 1254, à l’occasion du payement d’une dette énorme de 8 000 marcs de Cologne due par le comte Thibaud II de Bar au duc Henri III de Brabant, en cas de retard de payement les plèges du comte, Renaud de Pierrepont, chevalier et frère du comte, Amédée, seigneur de Montfaucon, Gérard de Vallery, Joffroi, seigneur de Beaumont et Simon, seigneur de Clermont, s’obligèrent à séjourner dans la ville de Nivelles jusqu’à ce que satisfaction soit donnée au duc de Brabant (Verkooren 1910, p. 108). J’ai mentionné plus haut (p. 86) l’importance de Nivelles comme lieu de garnison pour dettes en 1287. 214 Sur le rôle des auberges dans la garnison pour dettes voir Godding 1995-1996. 215 Hoebanx 1948, pp. 65-67, n. 4 : Jean Lose est amman de Bruxelles en 1265 et en 1270, proviseur de l’hôpital SaintJean vers 1277. 216 Wauters 1862, p. 386. Les faits ont lieu en 1283. Philippe le Hardi voulait qu’Abraham et les siens contribuent à une taille de 60 000 lb., imposée sur les Juifs du royaume. 217 Cluse 2000, pp.  178 et B.R.B., ms. 21838, f°67r°-68v°. Le ms. est composite  ; au moins trois parties distinctes le composent, elles auraient été réunies lors de son acquisition par l’abbaye de Parc-lez-Louvain au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Le

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Cet avis est antérieur aux années 1290-1291 et ultérieur au concile de Lyon dont il reprend une disposition218. Il y est en effet question de la licéité de la location de maisons à des Lombards. Celles-ci ne pourront être louées qu’à des Lombards et à leurs serviteurs renonçant à l’usure ; si le Prince leur loue ou leur cède des maisons pour exercer l’usure, il participe à leur entreprise usuraire. Les taxations perçues sur les Lombards ne devront retenir que ce qui provient d’un capital dépourvu d’intérêts. L’avis du théologien reconnaissait avec lucidité une donnée constante et vitale au succès du crédit lombard  : la participation du Prince à leurs affaires. La question de la location de maisons ducales à des Lombards n’était nullement un produit de l’imagination des frères mendiants hostiles aux usuriers, bien au contraire, elle renvoyait à des situations très concrètes de proximité entre le duc de Brabant et « ses Lombards » En dépit de cet avis négatif, dans l’entourage ducal on semble s’être intéressé au concile de Lyon uniquement parce que l’évêque de Liège Henri de Gueldre, hostile au duc de Brabant, y avait été déposé : le chroniqueur Jean Van Heelu, plus lié à la noblesse brabançonne219 qu’aux élites urbaines ne dit pas un mot des décrets anti-usuraires de Lyon, peut-être justement parce que dans son esprit, ces décrets entravaient l’autorité du duc de Brabant en légiférant à la place de ce dernier sur les usuriers étrangers, Juifs ou Lombards220.  . Les Lombards représentés à la cour : le rôle des réseaux de D fidélité aristocrate Les fidélités politiques et la culture de cour contribuèrent probablement à accélérer décisivement l’implantation des Lombards dans nos régions. En premier lieu, les tenanciers de tables de prêt étaient établis dans deux bourgades, Asse et Overijse, dont les seigneurs ou les lignages principaux pouvaient leur servir de relais de communication auprès du Prince. Il s’agissait de vassaux du duc de Brabant, comme Robert Ier d’Assche et Arnould premier possesseur était une personne privée, peut-être un ecclésiasistique en raison de la présence d’un confessional aux f°13-67. L’écriture pourrait se rattacher au XIVe comme au XVe siècles (renseignements aimablement communiqués par Céline Van Hoorebeeck et Michiel Verweij, du département des Mss. de la B.R.B., le 10 octobre 2005). J’ajouterais que l’attribution complète à Peckham proposée par Cluse est malaisée à confirmer. L’avis universitaire en tant que tel commence sans aucun titre, par une série de questions auxquelles il est successivement répondu. Aucun préambule ne l’introduit et aucune clause de validation finale ne le clôture. Il s’agit donc à tout le moins d’une copie tronquée de l’avis universitaire original ; le copiste s’intéressait visiblement à l’essentiel de l’acte, ce qui pourrait écarter une copie de l’acte faite par une chancellerie princière ou urbaine. 218 Dans les années 1290-1291, le duc exempte les bonnes villes de Brabant de certains types d’impôts et leur restitue des terres communes Les questions posées à John de Peckham sur la fiscalité concernent la licéité des impôts levés par un Prince sur ses sujets à l’occasion du mariage de ses enfants, de leur chevalerie ou des noces du frère du Prince ou de sa chevalerie, des questions précisément abordées par le duc de Brabant dans les chartes qu’il concède aux principales villes brabançonnes en 1290-1291. Une autre question concerne l’accensement par le Prince de prés communs. Des thèmes déjà abordés par Jean Ier dans ses chartes de privilèges concédées aux villes de Louvain, Anvers, Lierre, Léau et Tirlemont, entre 1290 et 1291 (dans les chartes urbaines, il est question des noces du Prince ou de ses enfants ainsi que de la chevalerie de ses fils, la restitution des terres communes est accordée aux villes d’Anvers, Lierre, Tirlemont et Léau : Van Uytven 1966, pp. 440-441). L’emploi du terme Lombard dans l’avis pourrait permettre de réduire encore la fourchette chronologique de cet avis à la période 12841290, car la première utilisation du terme dans la chancellerie princière brabançonne ne remonte qu’à 1284, dans l’acte de nomination du receveur Gauthier Volkaert. 219 Van Heelu écrivit sa chronique sur commande du lignage noble des Wezemaal (Avonds 1988). 220 Willems 1836 : Daer na cortelinge, leggen eene consilie te Lyoen, daer toe quam menich baroen, van leeken ende van papen beide ; want van al kerstenheide, quamen daer al die prelate. Daer wert, om sine onmate, die bisscop Heinric ontset van sijn bisdom(. . .), vv. 724-732, pp. 31-32. L’évêque Henri de Gueldre (1247-1274) fut démis de ses fonctions pour dépravation et violence (Caspers 2004, p. 130).

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d’Yssche, amman de Bruxelles en 1288. Tous deux combattirent à la bataille de Worringen et figuraient dans l’entourage des chevaliers du duc Jean Ier 221. La bourgade d’Asse, située à proximité de la frontière avec la Flandre impériale et la ville d’Alost, était un centre de ressources militaires et une place stratégique pour garder la frontière occidentale brabançonne face au comté de Flandre222. En second lieu, la culture de cour constituait un espace de communication pour la finance astésane ; les déplacements fréquents de l’hôtel itinérant du duc de Brabant dans le cadre de traités internationaux permettait de nouer des contacts avec des manieurs d’argent italiens, qu’il s’agisse de prêteurs ou de fournisseurs223. Outre les négociations politiques, les plaisirs de la chasse étaient aussi une occasion d’échanges sociaux entre les princes et leurs hôtels respectifs, notamment entre le duc de Brabant et le comte de Flandre224. L’itinéraire du financier astésan Tadeo Cavazzone, qui passa au service du duc de Brabant et du comte de Hollande, tout en opérant ponctuellement pour le comte Guy de Dampierre, jette quelques lumières sur ces financiers de cour très mobiles dans le dernier quart du XIIIe siècle.  . Tadeo Cavazzone, première figure représentative de la double E appartenance en Brabant Tadeo Cavazzone était présent dans la ville brabançonne de Bois-le-Duc depuis au moins 1282 ; il y prêta en plusieurs fois plus de 10 000 lb. n.t., au comte Renaud Ier de Gueldre (1271-1326). Ces sommes ne seraient remboursées qu’en 1292, avec la caution du comte de Flandre Guy de Dampierre. Il ne s’agissait pas d’une caution de pure forme. La présence d’actes de prêt et de quittance dans les archives du comte de Flandre ou aux Archives départementales du Nord à Lille, dans le fonds de la Chambre des Comptes de Flandre, atteste que la garantie du comte de Flandre joua pour tous les emprunts contractés envers Tadeo Cavazzone225. La bonne solvabilité du comte de Flandre était réputée au sein 221 Robert d’Assche, appartenant au lignage des Grimbergen, chevalier banneret, était son porte-étendard (sauf à la

bataille de Worringen) : Wauters 1862, p. 161, p. 311, pp. 333-334 et Butkens 1724, pp. 154-155. Il figure parmi les 20 témoins aux chartes ducales les plus fréquents sous le règne de Jean Ier (voir l’étude statistique de Croenen 2003, p. 242). Arnould d’Yssche appartenait à une famille d’origine ministériale, qui s’était élevée dans la hiérarchie sociale en occupant des fonctions auliques : Smolar-Meynart 1991, p. 11, n. 11, p. 12, n. 17, p. 19, n. 41, p. 32, n. 95, p. 60, n. 4 et pp. 524-525). Il figurait parmi les feudataires du duc au moins depuis 1277 (Bonenfant 1953, n°178, p. 226-228[10/6/1277]). Pour la participation de Robert d’Assche et Arnould d’Yssche à la bataille de Worringen : Willems 1836, vv. 846-849, p.30 et Wauters 1971-19752, livre 3, chap. 3, p. 292 et p. 301. Le seigneur d’Asse est cité parmi les destinataires les plus fréquents— avec Wouter Berthout, seigneur de Malines— des messagers de Jean Ier dans le compte de l’amman en 1286 (A.G.R., C.C., C.R., n° 2602, m. 6 et m. 8). Indice intéressant quoique tardif de la participation conjointe du seigneur local et du Prince aux bénéfices des Lombards d’Asse, selon un acte de 1440, décrivant les droits respectifs du duc et des seigneurs d’Asse, les profits des Lombards et autres usuriers devaient être partagés entre le Prince et le seigneur local ( J. Verbesselt 1965, p. 411). 222 Wauters 1971-19752, livre 3, chap. 3, p. 301. 223 Un Johanni de Fraxena alias Giovanni de Frassinello est remboursé sur ordre du duc pour des frais à son palefroid ; Gerardo de Porta (alias Gerardo della Porta, actif à Herentals vers 1309 ( cf. Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, p. 31-32), résidant à Vilvoorde, payait une taxe de 4 s. : A.G.R., C.C., C.R., n° 2602, m. 1 et m. 5. Les de Porta et Frassinelli sont des lignages astésans : Castellani 1998, p. 269 et Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 248. 224 Vale 2001, p. 150, donne un exemple où Guy de Dampierre rendit visite à son beau-fils en novembre 1293, accompagné de son épouse et de leur hôtel, soit en tout, un équipage de 200 chevaux. Pendant que l’hôtel comtal restait à Bruxelles, Guy de Dampierre et Jean de Brabant chassèrent le sanglier dans la forêt de Soignes toute la journée du 21 novembre. 225 Acte d’emprunt du Comte de Gueldre pour 900 lb. de Louvain, A.D.N., B.1426, n°2330[15/1/1282] ; nouvel emprunt pour 3 000 lb. Louv., R.A.G., Fonds Gaillard, n°765[5/4/1282] ; dernière reconnaissance de dette de Guy de Dampierre pour une somme de 6 706 lb. et 16 d. n.t., ; R.A.G., Fonds Saint-Genois, n°615[15/12/1291], éd. dans Camps 1979, vol. 1 n° 467, pp. 569-570. La parité du petit denier de Louvain envers le denier n.t. étant favorable à la première monnaie, la somme totale dépassait sûrement les 10 000 lb.n.t.(dès 1283-1284, 3 deniers bruxellois et 3 deniers parisis courront pour 1’esterlin de

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de la communauté des prêteurs nord-italiens et ces derniers eurent à nouveau recours à sa garantie durant leur séjour dans le duché de Brabant226. Devenu le beau-fils de Guy de Dampiere en 1286 (il avait épousé Marguerite de Dampierre en 1286), le comte Renaud Ier de Gueldre fit donc appel au bon crédit du comte de Flandre au nom de la solidarité familiale227. Toutefois, les embarras financiers du comte de Gueldre offrirent à Guy de Dampierre l’opportunité d’exercer la tutelle du comté en 1291 pour cinq ans, lorsque Renaud lui engagea sa principauté pour rembourser les avances d’argent. Tadeo Cavazzone joua dans cette affaire un rôle décisif dans la mesure où il transmit ses titres de créances au comte de Flandre en lui communiquant des informations précieuses sur la rentabilité des revenus domaniaux du comte de Gueldre228. Dans le cadre du versement de ses annuités versées par le comte de Flandre, Cavazzone entretenait des contacts avec des acteurs majeurs du groupe des techniciens de la haute finance flamande  : le Florentin Gerardo Bardi, représentant de la compagnie éponyme de marchands-banquiers à Bruges et le receveur de Flandre Jakemon de Deinze229. Tadeo Cavazzone mit aussi ses remarquables talents dans la haute finance au service du comte de Hollande Florent V. Du fait de sa résidence occasionnelle à la cour de la Haye et à Dordrecht, il prêtait de l’argent au prince hollandais et effectuait des missions diplomatiques et commerciales pour lui jusqu’en Angleterre230. Ce n’est qu’à partir de 1284 que le Piémontais débuta officiellement sa carrière de banquier au service du duc de Brabant, sous une identité différente. Ainsi, Tadeo Cavazzone –  dilecto nostro Willelmo, Lumbardo nostro de Buscoducis  – était connu sous le nom de Guillaume le Lombard en Brabant et bénéficia d’une assignation ducale sur les assises de la ville de Bois-le-Duc pour un prêt de 1 827 lb. 10 s. de Louvain, durant quatre années231. L’assignation à laquelle consentait le duc de Brabant était une pratique inédite pour rembourser un financier étranger et ce n’était pas un hasard si elle était accordée aux marges du Brabant, dans un territoire encore fraichement conquis, éloigné du centre historique du duché, regroupant les mairies de Bruxelles et de Louvain. Jean Ier allait encore avoir recours à ces assignations périphériques pour rembourser « ses » Lombards. Ce faisant, il rassurait les milieux des marchands-entrepreneurs drapiers de sa volonté de ne pas entraver économiquement le secteur international textile des principales villes exportatrices du Brabant232. La marge de manœuvre plus grande de Jean Ier à Bois-le-Duc était certainement justifiée par la reconnaissance publique très visible des Lombards à Bois-le-Duc  : Brabant, cfr. supra, chapitre 1, p. 32 , n.94 tandis que 4 parisis courent pour 5 tournois). Quittance finale de Tadeo Cavazonne au comte de Flandre dans Camps 1979, vol. 1, n°488, pp. 591-592 [26/12/1292]. 226 A.D.N., B.4055 n°3806[27/5/1296], caution du comte de Flandre Guy de Dampierre et de ses deux fils pour le duc de Brabant. Voir aussi Grunzweig 1962, p. 541 qui cite un cas intéressant vers 1282 : les Salimbeni de Sienne obtiennent que le comte de Flandre Guy de Dampierre paye pour le père de son beau-fils, Jean, sire de Châteauvillain, une somme de 1 600 lb. tournois. 227 Bonenfant 1950, p. 265. 228 J’ai étudié de manière approfondie ce cas de partage de l’information : Kusman 2009a. 229 Camps 1979, vol. 1 n° 467, pp. 570 [15/12/1291]. 230 Sur l’activité de Cavazonne, conseiller et diplomate au service du comte de Hollande entre 1285 et 1290, voir l’article exhaustif de Van Uytven 1996, pp. 219-220. 231 Camps 1979, vol. 1, n° 405, pp. 506-508[3/12/1284]. 232 En 1291, afin de rembourser Cavazonne, le duc lui assigne 135 lb. de Louvain à percevoir sur une créance détenue sur l’abbaye Saint-Bernard de Bornem (Camps 1979, vol. 1, n° 464, pp. 567-568[10/6/1291]).

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p­robablement dès cette époque, ils logeaient dans la domus ducis –  autrement dit dans l’ancien hôtel ducal – une maison en pierre située sur le grand marché de la ville, à côté du couvent des frères-mineurs233. Un épisode éclaire finalement la proximité croissante du banquier italien avec la cour brabançonne. Il s’agit de – je l’ai déjà évoquée – la caution de Tadeo Cavazzone pour le duc de Brabant, endetté auprès de Béatrice de Courtrai à hauteur de 4 300 lb. par. en 1287. L’Astésan apportait sa garantie aux côtés du frère de Jean Ier, Godefroid de Brabant, seigneur de Vierzon et d’Aarschot, du receveur de Brabant, Gauthier Volkaert et d’Ywain de Meldert, sénéchal de Brabant234. À défaut du payement de la somme, les garants du Prince étaient tenus, à la semonce de Béatrice de Courtrai, de se constituer otages à Nivelles et d’y demeurer jusqu’à acquittement de la dette. Le séjour collectif à Nivelles de ces personnages de haut rang – Volkaert était déjà chevalier – montre le statut social enviable du Lombard. Il était censé résider avec eux dans une auberge au contraire des magistrats des villes de Louvain, Bruxelles, Anvers, Tirlemont et Léau qui, tout en apportant leur caution, n’étaient pas forcés de tenir garnison ! Il faut rappeler l’origine féodale de la plégerie ; au départ, les plèges se constituaient otages pour le respect des engagements pris par les parties à un accord à la suite d’un jugement. Se constituer plège supposait donc une certaine position dans la société de cour. Cela expliquait d’ailleurs l’envoi très fréquent par les seigneurs de la haute-noblesse de chevaliers pour tenir garnison à leur place235. Evidemment, la présence de Cavazzone se fondait aussi sur l’activité d’une officine de prêt lombarde à Nivelles avec laquelle il pouvait négocier et qu’il connaissait très probablement. Cela n’en dénote pas moins la confiance dont il jouissait à la cour brabançonne. En Brabant, l’économique semble donc avoir été subordonné au pouvoir politique. Cela éclaire le développement initial de réseaux de crédit supra-régionaux aux frontières du duché de Brabant. F.

Espace et frontières : des réseaux lombards supra-régionaux et dynamiques

Avec Nivelles, Asse ou Bois-le-Duc, le Prince poursuivait une stratégie sociale et économique cohérente à l’égard de minorités étrangères : l’installation de financiers étrangers dans des espaces frontières reliés à des nœuds de circulation stratégiques. Vers 1286, (voir carte 2) les établissements lombards ceinturaient le duché d’offices de change établis aux points de contact avec les principautés étrangères  : Hainaut (Nivelles, Genappe) et Namurois (Gembloux), la principauté ecclésiastique de Liège ( Jodoigne), la Flandre (Asse et Merchtem), et le comté de Hollande (Bois-le-Duc). Dans la partie méridionale du duché, une véritable chaîne de casane très dense permettait sûrement, aux négociants et entrepreneurs textiles, des économies d’échelle importantes en jetant les bases d’un réseau de crédit où les frais de transport de l’argent et ses coûts de transaction devaient être réduits236. 233 Janssen 2007, p. 103. 234 Favresse 1938, n° 37, pp. 465-469 [ 28/4/1287].  235 Sur la coutume féodale de devoir fournir des otages garants d’un jugement  : Duby 2002, p.  206 et pp.  514-515 et

Godding 1987, n°766-781, pp. 441-450.

236 Sur le rôle de ces réseaux régionaux ou sub-régionaux, certainement liés à des foires et marchés dynamiques, voir

Epstein 1994, p. 468. Pour l’utilisation du concept en histoire économique, voir Bergier 1995, pp. 101-107.

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Pour ne citer que quelques exemples révélateurs de l’interdépendance de ces marchés, l’information de nature commerciale devait circuler de manière aisée entre Genappe et Jodoigne éloignées d’une trentaine de km. l’une de l’autre, soit une demi-journée de cheval au maximum237. Nivelles était distante d’à peine 29 km. de Mons en Hainaut, siège d’une autre maison de Lombards avec lesquels les prêteurs de Nivelles étaient peut-être associés. Genappe était située sur la rive gauche de la Dyle et appartenait au réseau des petites villes évoluant dans l’orbite de Louvain. Mais Genappe servait également de marché de redistribution de plantes tinctoriales alimentant l’industrie textile de Nivelles, exportatrice jusqu’aux foires de Champagne. Quant à Wavre, située à l’intersection de la route Bruxelles-Namur et de la voie semi-terrestre Louvain-Nivelles, c’était aussi un marché local pour les plantes industrielles, comme je l’ai déjà observé. La forte représentation des manieurs d’argent dans des villes-marchés orientées vers le négoce de produits d’apprêt du drap permet de supposer une intermédiation de ceux-ci pour le trafic de ces denrées et leur exportation éventuelle vers les foires de Champagne ou vers l’Angleterre. Ce dernier pays était un débouché notable pour la guède brabançonne, hesbignonne et lombarde. D’autre part la guède et son exploitation commerciale était peut-être dès cette époque un investissement apprécié des Lombards238. Également située sur la route menant à Namur dont elle n’était éloignée que de 15 km., la petite ville-marché de Gembloux et sa table de prêt, pouvait servir de relais d’informations monétaires pour le monnayeur astésan Uberto Allione. Ce dernier, chargé en 1283 par le comte de Flandre de la frappe d’une grosse monnaie, de même teneur que les esterlins anglais devait veiller à ce qu’ils soient pareils aux esterlins ayant cours en Brabant et valant chacun trois deniers de Bruxelles ou de Louvain239. En direction du comté de Flandre (voir carte 3), à l’ouest de Bruxelles, Asse était située sur une ancienne voie romaine entre Bruxelles et Alost, siège d’un atelier monétaire important où l’on avait frappé une grosse monnaie, valant 2/3 de gros tournois, l’aquila. La bourgade d’Asse servait de relais et de point de change monétaire sur un axe commercial essentiel menant de Cologne à Gand dans le comté de Flandre. Ce relais existait depuis le dernier quart du XIIe siècle240. La bourgade de Merchtem devait entretenir aussi des rapports commerciaux avec la ville flamande de Termonde en raison de la présence fréquente de ses bourgeois dans cette cité scaldienne. Cette ville drapante secondaire était un centre de transit commercial comme siège du tonlieu du grain allant vers Gand, par l’Escaut et en sens inverse, via Rupelmonde vers Malines puis l’intérieur du Brabant. Les Lombards louaient à Termonde, depuis la fin du XIIIe siècle, une maison à Robert, comte de Nevers et seigneur de la ville, fils aîné du comte de Flandre. La maison était établie sur le marché aux grains de la ville241. 237 Des exemples de durées d’étapes journalières sont donnés dans Hoebanx 1991. Voir aussi l’introduction de Gauvard 2004 sur la circulation des informations au Moyen Âge, pp. 11-37, pp. 17-18, et pp. 29-30. 238 La guède lombarde alimentait logiquement toutes les draperies du bassin du Pô et donc aussi celle d’Asti : Joris 1958, pp. 233-234 et Herbillon et Joris 1964, p. 496 et pp. 500-501. Pour l’exportation vers l’Angleterre dans le dernier quart du XIIIe siècle : de Sturler 1936a, p. 297. À Courtrai, dans les années 1410-1433, un Piémontais, Rolando Anya est inscrit dans la gilde de la draperie comme teinturier et possède une teinturerie pour le bleu -couleur produite par la guède- en bordure de la Lys : Sabbe 1924, pp. 177-179. 239 A.D.N., B. 1564, f°31r°-32r­°, p. n°93[février 1283 n.s.]. 240 Boffa 2005, pp. 99-100. Mention d’une voie publique fréquentée par les marchands vers 1150-1160 (Margue 2000, pp. 391-392 et 404). L’axe principal, situé au nord d’Asse, filait vers Erembodegem (commune d’Alost), cfr. de Leyn 1998. 241 De Vlaminck 1867, p. 18 et pp. 168-169 ; Nicholas 1992, pp. 217-218. En 1318, Le nombre des bourgeois de Merchtem s’était tellement accru qu’il nécessita la conclusion d’un traité spécial entre le duc de Brabant et le seigneur de Termonde. Il y était stipulé quel les bourgeois de Merchtem ou de Chapelle-au-Bois, coupables d’un délit à Termonde et

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De l’autre côté de la frontière brabançonne, des établissements lombards étaient signalés également à Alost et à Grammont depuis le début des années 1290 ainsi qu’à Audenaarde-Pamele242. Dans ces territoires, comme on l’a observé dans le cas des Mortagne, il faut mettre en exergue l’action stimulante des lignages nobles à fidélités plurielles sur le volume des opérations de crédit des Piémontais. L’itinérance de plusieurs aristocrates, dépendant de suzerains différents, s’appuyait sur les réseaux de crédit lombards. J’ai déjà relevé à ce propos la symbiose entre l’activité bancaire des financiers astésans des familles de Mercato et Roero et la valorisation par Jean d’Audenaerde de son domaine seigneurial dispersé. Au sujet de l’itinérance de ces lignages nobles, il vaut finalement la peine de souligner la présence, vers 1293, du seigneur d’Audenaerde en Angleterre. Il y visita le jeune prince Jean de Brabant alors qu’il résidait à la cour de son beau-père le roi Édouard Ier. L’Angleterre, comme on le verra au chapitre suivant, jouera un rôle important dans la croissance des affaires de lafamille de Mercato243. Les alliances matrimoniales servaient aussi les buts d’expansion des manieurs d’argent. Alice de Boelare, qui abritait une table de prêt dans une de ses maisons, était dame de Liedekerke et l’épouse de Rasse de Gavre. Celui-ci, vassal du comte de Flandre, était également seigneur de Breda, ville enclavée dans le duché de Brabant, où seront signalés des prêteurs astésans dans le premier quart du XIVe siècle. Le château de Breda relevait en effet comme fief du duc de Brabant244. Au total, le premier fil conducteur des stratégies marchandes des Astésans en Brabant semble avoir été l’accès à l’information sur le marché dans les meilleures conditions possibles, cet accès à l’information sur la demande d’argent étant garant de leurs profits bancaires245. Il ne s’agissait pas seulement de parsemer de tables de prêt l’hinterland rural des grandes villes en conformité avec la stratégie sociale et économique du Prince. Il s’agissait aussi de faciliter les relations entre membres de casane différentes qui disposaient souvent de participations croisées246. Les contacts réguliers qu’ils entretenaient avec les officiers de justice locaux, attestés notamment à Nivelles, participaient évidemment de leur maîtrise des différents paramètres de leurs opérations d’emprunt, tels que les moyens de coercition sur un débiteur, la connaissance éventuelle de sa solvabilité et de ses garanties247. Quant à lui, le duc de Brabant souhaitait – au moins dans une première phase – stimuler un plan d’implantation des tables de prêt, soucieux des aspects politiques du prêt à intérêt dans les bonnes villes du duché. En maintenant les casane aux marges du duché, il évitait que les élites urbaines des deux sièges politiques les plus importants du duché, quittant cette ville sans avoir été arrêté et puni, ne pouvaient être attrait en justice que devant les magistrats du lieu ou ils avaient leur domicile (Wauters 1971-19752, livre 4, chap. 3, p. 159). 242 Pour les tables d’Alost et Grammont citées en 1290 : Bigwood 1921-1922, vol.2, n°15, p. 296[15/9/1290]. 243 Au sujet de la visite du seigneur d’Audenaerde à Jean de Brabant : de Sturler 1936a, pp. 143-144, n. 10. 244 De Smet 1837-1865, t. 2, n°284, p. 969[21/11/1294], Warlop 1975-1976 vol. 1, p. 283 ; Reichert 2003, p. 160 : il est question des Lumbardi qui manserunt in domo apud Boular ; Van Uytven 1992c, p. 75. 245 Les marchands médiévaux étaient tout aussi conscients que les brokers actuels opérant à Wall Street de la maîtrise nécessaire de l’information la meilleure possible, cfr. Jorda 2002, pp. 44-49. 246 Par exemple, Giovanni de Mirabello, à l’apogée de sa carrière comme receveur de Brabant vers 1333, avait plusieurs parts dans des maisons de prêt du duché avecques autres lombars en Brabant. En 1439, Daniele Boba vend ses parts dans les maisons de Louvain et Tirlemont (Bigwood 1921-1922, vol.1, pp. 343-344). 247 Pour la collaboration des autorités laïques et ecclésiastiques en matière de coercition du débiteur : Grunzweig 1962, pp. 535-543.

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Bruxelles et Louvain, se plaignent de la «  souillure  » de l’usure lombarde248. Il en allait naturellement tout autrement des villes à seigneurie autonome pour lesquelles Jean Ier ne s’embarrassait pas de scrupules. Le cas nivellois est éloquent à ce point de vue ; il faut ajouter que dans la seigneurie autonome de Diest, relevant de l’archevêque de Cologne, des « Cahorsins » où des Lombards étaient actifs au moins depuis 1278, mais on ignore tout de leurs activités ou de leurs liens éventuels avec le duc249. D’autre part, les populations de ces espaces-frontières et a fortiori les financiers étrangers qui y séjournaient avaient conscience d’appartenir à des territoires économiques distincts, avec des valeurs culturelles propres à ces espaces et où les capitaux et les marchandises étrangères confluaient et s’échangeaient250. Les habitants de ces localités pouvaient jouer le rôle d’interprètes, voire de diplomates251. Le cas le plus éclatant de ces places financières en contact avec les flux internationaux du négoce reste finalement celui de la ville de Bois-le-Duc, en Brabant septentrional. La réputation des manieurs d’argent de la localité remontait déjà au milieu du XIIIe siècle. Vers 1285, ses avancées dans le domaine bancaire étaient connues de princes étrangers et implicitement prises en compte par le duc de Brabant. Le rayon d’action commercial de la ville s’étendait à toute la principauté, puisque les bourgeois de la ville reçurent l’exemption de tonlieux dans tout le duché252. La ville était en outre reliée par le biais du Dommel au réseau des villes du comté de Hollande et notamment à Dordrecht, par l’intermédiaire de la Meuse. Facteur d’attraction de princes étrangers en quête de fonds, la ville de Bois-le-Duc connaissait une culture de cour ; un tournoi, attesté dans le dernier quart du XIIIe siècle, devait être assez renommé pour que la noblesse de tous les anciens Pays-Bas s’y intéressât253. Au surplus, en plus de servir de place de remboursement pour les obligations du comte de Flandre envers les Lombards de la ville, Bois-le-Duc servit à plusieurs reprises, de plaque-tournante pour les missions des administrateurs flamands exerçant la tutelle sur la Gueldre : ils y séjournèrent souvent avant de se diriger vers le comté de Gueldre ou bien avant de revenir vers la Flandre, en passant par Bruxelles, autre place financière254.

248 J’emprunte ce terme à l’intéressant article de Shosuke 2003, pp. 982-987 où l’auteur applique le concept de souillure

à l’espace géographique, le centre du Japon et sa capitale étant les plus purs, les régions intermédiaires, chargées d’impureté et les marges où séjournent la majorité des étrangers étant considérées comme souillées. Cette conception de l’espace se défait au fur et à mesure de la croissance des échanges commerciaux à partir du XIIIe siècle. 249 Voir Supra, p. 62 et de Sturler 1936b. 250 Constatations similaires de Shosuke 2003, p. 995. Le rôle dynamique des villes frontières au carrefour de plusieurs courants commerciaux pour les activités marchandes et bancaires est notamment relevé par Lopez 20013, p. 95. 251 Tadeo Cavazonne est un des deux arbitres choisis par le seigneur de Grave, le Gueldrois Jean de Cuyck, lors de son conflit avec la ville de Dordrecht pour les droits de tonlieux à payer dans sa ville par les bourgeois de la ville hollandaise, l’autre arbitre étant le bailli de Hollande du sud, pour représenter les intérêts hollandais (Van den Bergh 1866-1873, n°552, pp. 242-243, [14/6/1285]). 252 Cfr. plus haut, le chapitre 1, pp. 40-41 pour les premières mentions des manieurs d’argent de la ville. En 1284, le duc de Brabant accorda une nouvelle charte de privilèges à la ville de Bois-le-Duc, 6 des 61 articles sont consacrés à la perception des dettes, la citation à comparaître d’une personne en défaut de payement, la proclamation publique des mauvais débiteurs, le prêt sur gages, la saisie des biens et de la personne endettée Camps 1979, vol. 1, n° 399, pp. 495-502, art. 1(tonlieu), art. 11, 13, 15, 24, 43 et 53 [31/1/1284]. Sur l’importance des crieurs publics dans la communication efficace de la dette et son administration au Moyen Age : voir l’introduction de Gauvard 2004, p. 35. 253 Camps 1979, vol. 1, n° 434, p. 538[dernier quart du XIIIe siècle] : Jeanne de Chatigni, dame de Chateauroux écrit à Béatrice, dame de Courtrai au sujet du tournoi de Bois-le-Duc auquel se sont rendus sont époux et son frère. Déjà en 1277, un tournoi aurait été tenu dans la ville, à l’occasion duquel Florent V de Hollande aurait été fait chevalier : Avonds 1998, p. 47, n. 47. 254 Kusman 2009, p. 102, n. 65.

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3.

Première internationalisation des activités des Lombards en Brabant

 . Emergence progressive de Malines, plaque tournante des matières A tinctoriales Comme je l’ai observé plus haut, la ville de Malines était, préalablement à l’arrivée des manieurs d’argent d’Italie septentrionale, une ville favorable au commerce de l’argent sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de prêt, de vente de métaux précieux ou encore de change. Ce qui pouvait justifier l’implantation d’une maison des Lombards fut certainement le démarrage foudroyant de l’industrie drapière malinoise, attestée aux foires de Champagne et de Chalon-s./Saône dès les années 1280255. Non seulement des Lombards alimentaient le marché malinois en laine achetée à crédit, dès cette époque256 mais encore, ils finançaient un entrepreneur drapier malinois actif à Lagny, à charge pour lui de déposer en leur hôtel des gages suffisants257. Sur le plan de la pratique des affaires, il a été déjà montré que la ville de Malines s’efforçait de faire respecter les jugements des sergents des foires de Champagne afin d’établir sa crédibilité à l’égard des marchands étrangers fréquentant la ville. En principe, la justice malinoise était tenue de fournir au sergent des foires un inventaire exact des biens du marchand en défaut de payement au moment où ce dernier avait contracté une dette en foire. La dette de foire était théoriquement prioritaire sur les autres dettes du marchand, quelle que fusse leur ancienneté. Cette priorité était toute théorique et connaissait des exceptions notamment dans le cas de Lombards qui réussirent en 1295, avec la complicité des autorités urbaines malinoises et des milieux marchands à échapper au droit de saisine du sergent des foires258. Finalement, les Astésans étaient aussi représentés depuis 1278 à Lagny au sein de la nation des marchands lombards et toscans présents aux foires de Champagne par Guillato Beltrame et Salvano Testa, consuls élus par leurs pairs qui avaient tout pouvoir pour négocier au nom de la ville d’Asti259. Cette représentation diplomatique redoublait évidemment leur protection juridique, un atout dont pouvait tirer parti les pouvoirs locaux qui appuyaient les Italiens. En effet, dès cette époque, les Lombards étaient protégés à la fois par l’évêque de Liège et le seigneur de Malines Wouter Berthout, qui percevaient une taxe sur leurs profits, chacun pour une moitié, sans aucune crainte de réprobation morale ou religieuse, preuve 255 Dubois 1976, p. 163-164 ; Van Uytven 1976a, p. 86. 256 S.M., Finances de la ville n°112ter, chartes [26/5/1284] : achat par le magistrat de la ville de laine à Alost à Guillaume,

le Lombard d’Alost pour une somme de 500 lb. par..

257 Henri de Lesele doit 160 lb. pour une dette contractée à la foire de Lagny-sur-Marne en 1292 n.s. (la foire a lieu en

janvier) à la suite de l’achat de brésil. L’intéressé avait déposé 4 sacs de laine et 15 draps à l’hôtel des Cahourcins de la ville de Malines, probablement en gage d’un prêt (Laurent 1929, n°4, pp. 29-38, p. 30 [février 1295 n.s.]). 258 Sur les interférences croissantes à partir du dernier quart du XIIIe siècle à l’application internationale du droit des foires de Champagne, suscitées par les autorités urbaines de la ville du débiteur, au nom de la solidarité urbaine et des intérêts des milieux marchands, voir Laurent 1932, pp. 704-706. Les obstacles croissants à la justice des foires vont de pair avec leur déclin. Dans le cas, déjà cité, des Lombards de Malines ayant en gages les draps d’Henri de Lesele, le procureur de la ville affirme au sergent que li diz Henri de Lesele n’avoit onques eu ne mis ne fet mestre en l’ostel des diz Cahourcins la dte laine ne les diz dras en pris de deus cenz livres, ne de meinz ja fust il que l’on deist que la laine et li drap valoient bien deus cenz livres.Un troisième mandemenent de saisie des foires de Champagne reste sans effets. 259 Reichert 2003, pp. 396-397 et Bourquelot [1865], vol. 1, pp. 169-170. Les autres villes représentées aux foires étaient Rome, Gênes, Venise, Plaisance, Lucques, Bologne, Pistoie, Asti, Florence, Sienne et Milan. Le 19/2/1278, les consuls de ces villes s’étaient assemblés à Lagny pour donner leur accord au roi de France Philippe III de transférer les activités leurs comptoirs de Montpellier vers Nîmes, cette dernière ville étant au contraire de la première sous la domination du roi de France.

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rréfutable de la bonne réputation du prêt à intérêt dans la ville et des bénéfices matériels qui en découlaient260. L’intéressement aux affaires du puissant clan familial des Berthout allait peser ultérieurement d’un grand poids sur la destinée des Lombards de Malines. Établis à proximité du cimetière du chapitre Saint-Rombaut, les Astésans jouissaient vraisemblablement aussi de l’appui des chanoines de la ville desquels ils détenaient leur bien-fonds vers 1295261. Dès cette époque enfin, et c’est important, Malines constitua un débouché important pour les produits tinctoriaux, guède, garance et peut-être brésil, achetés sur les foires de Champagne et sur le marché brugeois. Compte tenu du rôle effacé à cette époque d’­Anvers comme marché de la garance, on peut même se demander si Malines ne jouait pas le rôle d’une place secondaire de redistribution des produits tinctoriaux pour tout le centre du duché et notamment Bruxelles. Le kermès et le bois de brésil provenaient des foires de Champagne. La garance était importée du marché brugeois. Sans qu’elle soit prouvée, l’intermédiation de courtiers piémontais pour la garance importée du Hainaut et d’Artois, via Valenciennes et Tournai est tout à fait imaginable262.  . L’intermédiation avec les autres financiers italiens, un motif classique B qui se répétera En 1290, Tadeo Cavazzone honorait à Londres un payement de 1 000 lb. parisis en faveur du Lucquois Pelegrino de Chiartre, partenaire occasionnel des Riccardi et créancier du duc de Brabant. La quittance de Pelegrino montrait bien la place cruciale qu’il occupait dans ces circuits de payements internationaux. La somme de 1 000 lb. était due au duc de Brabant par le comte Florent V de Hollande et ce dernier avait demandé à Tadeo de payer le Lucquois à Londres au bénéfice du duc263. On l’a vu, Cavazzone connaissait aussi le milieu des marchands-banquiers florentins, par l’intermédiaire de Gerardo Bardi qu’il avait rencontré à Bois-le-Duc264.

260 Voir un projet d’accord où il est décrété ke, S’estranges gens, Lombart ou autre, voloient venir manoir dedens le francise et

porfis en aukune manire en pewist venir ou vosissent doneir dou leur et servir pour chou k’ilh ewissent plus d’aiue et de faveur de mon sengeneur l’evecke et des successeurs et de mon sengneur V(athier)B(erthaut) et de ses oirs , che pourfit et chel emolument ilh le partiroient a moitiet ; et cheaux devroient ilh premiers rechevoir ki leur condition vorroient faire melheure ; et en tele manire est consentit dou Juis mais ke me sire li eveckes les puist resceure dou duch de Brebant, de cui me sire W(athiers)B(er)th(aus) dist k’ilh les tient. Projet d’accord entre l’évêque de Liège et Wouter Berthout, seigneur de Malines sur le partage de leurs droits dans la ville et franchise de Malines, art.8 [vers 1283], d’après R.A.G. Fonds Saint-Genois, chartes de Flandre, n°1046, transcription aimablement communiquée par Godfried Croenen, que je remercie vivement. D’autres autorités se mêlaient de la juridiction sur les Lombards En 1293, le seigneur de Malines et le seigneur de Nekkerspoel, son neveu s’accordèrent pour que les Lombards de Nekkerspoel, la banlieue rurale de Malines, jouissent des mêmes privilèges que ceux de la ville. En 1301, le duc de Brabant passa un accord avec le seigneur de Malines pour que les octrois futurs concernant les Lombards de la ville prévoient le partage de leurs profits taxés entre le seigneur local et le duc de Brabant (Laenen 19342, pp. 248-249). 261 En 1295, leur héritage avec le fonds et les dépendances relève du chapitre Saint-Rombaut, seigneur foncier  : A.E.A.R.B.-C., A.E.B., n°7792, f°154r°-154v°[21/2/1295 n.s.]. À nouveau mes remerciements à Godfried Croenen pour m’avoir communiqué copie de cette très intéressante pièce. 262 Profits de la guède et de la garance partagés entre l’évêque de Liège et Wouter Berthout mentionnés R.A.G. Fonds Saint-Genois, chartes de Flandre, n°1046, n°3[vers 1283]. Pour le bois de brésil produisant une teinture rouge et acheté aux foires de Champagne, voir supra p. 106, n. 257 de ce chapitre. Anvers n’était pas un grand marché pour la garance. En 1361, les Malinois achètent la garance à Bruges, voir Van Uytven 1983, pp. 113-114. Mention de Guglielmo Turco de Castelli et des Roero à Valenciennes dès 1278, voir supra, la p. 63, n. 16 de ce chapitre. 263 Kaeuper 1973, tableau I, n.7. L’acte est édité dans Camps 1979, vol. 1 n°455, pp. 558-559[29/8/1290] ; voir aussi Van Uytven 1996, p. 219. 264 Camps 1979, vol. 1 n° 467, pp. 570 [15/12/1291].

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Première partie | L’arrivée dans un marché de l’argent très morcelé mais compétitif

Être un Lombard vers 1290 ne consistait pas simplement à prêter et à changer de l’argent, mais aussi à mettre à disposition du Prince, moyennant commission, un véritable « carnet d’adresses professionnel ». Ainsi, vers 1309, le siennois Tommaso Fini contrôlait pratiquement la politique économique du comté de Flandre grâce à son rôle de courtier auprès des autres bailleurs de fonds italiens approchés pour prêter au comte Robert de Nevers. L’intermédiation des Astésans se basait quant à elle sur une longue expérience acquise dès l’entame du XIIIe siècle sur le marché génois, où ils mettaient en contact les producteurs de draps flamands avec les acheteurs de draps génois et toscans265. Elle s’était enrichie considérablement par les séjours des banquiers d’Asti à Tournai et dans le comté de Flandre. C.

Propos d’étape

A l’issue de cette première partie, il me semble nécessaire de cristalliser quelques résultats glanés au sujet de la géographie primitive des tables de prêt brabançonnes. Que peut-on déduire de l’arrivée des banquiers piémontais dans un marché de l’argent très compétitif mais morcelé ? Je relèverais la prépondérance de trois facteurs concurrents influençant la géographie primitive des banques lombardes  : la forte compétition, le dynamisme des villes périphériques et enfin l’importance de la région comme échelle géographique d’étude des entreprises économiques des hommes d’affaires d’Asti. Cela a été dit dès l’entame de cette recherche, les « Lombards », n’arrivent pas dans un désert au point de vue des techniques bancaires. La banque de dépôt, les payements par compensation et le prêt à intérêt sont déjà pratiques courantes dans certaines villes du duché de Brabant. Les monnaies d’argent en circulation sont abondantes et leur parité monétaire fait bonne figure sur les marchés d’Europe du Nord-Ouest. Il faut, dans les années 1200-1280, observer la diversité des acteurs présents sur le marché de l’argent : les groupes intermédiaires, les institutions hospitalières et les aristocraties urbaines contribuent tous à leur façon à modeler un marché du crédit qui couvre tous les échelons de la demande d’argent, du crédit local et rural jusqu’à la haute finance. Dans ce dernier domaine, les velléités monopolisatrices des élites des villes de Bruxelles et de Louvain sont particulièrement perceptibles ; les oligarchies freineront dans ce but l’implantation publique de maisons de prêt tenues par des Piémontais dans ces deux villes. C’est là un phénomène essentiel, puisque de la reconnaissance publique des banquiers piémontais dans les villes dépendra leur honorabilité, leur intégration et finalement, leur participation au bien commun de la cité chrétienne, tel qu’il était conçu par les théologiens du bas Moyen Âge. Car la compétition sur le marché de l’argent brabançon était intense, c’était une géographie multipolaire de places financières en formation que les premiers banquiers piémontais appréhendèrent, et c’est assez logiquement que les premiers d’entre eux conduirent leurs affaires les plus fructueuses sur des places périphériques mais aux avancées techniques connues, Léau, d’abord vers 1250, Bois-le-Duc, ensuite, vers 1282. Le dynamisme des 265 Day 1994, p. 19.

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L’installation dans les anciens Pays-Bas de compagnies piémontaises | Chapitre ii

places périphériques et frontalières était reconnu par les banquiers piémontais dans leur analyse commerciale, préalable à toute installation pérenne dans une ville. Tournai, Courtrai et Aardenburg, plus spécialement, représentèrent incontestablement pour la famille Roero des succès commerciaux, en phase, il faut le souligner, avec les cycles de croissance et de déclin du commerce des draps. Le duché de Brabant, dont les villes exportaient à partir de 1280 leurs draperies de luxe à destination du royaume d’Angleterre représentait le choix suivant d’installation des banquiers piémontais. Dans cette perspective, leur participation au commerce des produits tinctoriaux apparaît hautement vraisemblable. Pour mieux apprécier la stratégie commerciale des Piémontais, j’ai opté pour l’échelle d’analyse de la région. Cela imposait naturellement une sélection parmi les sources d’archives surabondantes, relatives à l’encadrement réglementaire du prêt lombard. En surmontant le déterminisme de l’octroi de prêt local, la région – ou plutôt les régions – permet de mieux saisir, grâce à la prosopographie, les actions des groupes familiaux astésans, orientant progressivement leur activité de négoce des villes de la Lys et de l’Escaut vers l’ammanie de Bruxelles et la partie méridionale du Brabant. J’ai proposé dans cette optique une clef d’analyse supra-régionale tenant compte de la place des Piémontais dans des réseaux de crédit reliant le Tournaisis à la Flandre méridionale et la Flandre méridionale à l’ouest du Brabant. Seule cette clef d’analyse laisse quelques chances à une restitution dynamique des entreprises commerciales des Italiens. L’activité de financiers, placés sous la direction de Giorgio Roero et d’Enrico de Mercato, au service de lignages seigneuriaux aux assises foncières dispersées, comme les Mortagne ou les Audenaerde est à relever. Elle s’inscrivait dans la stratégie commerciale des banquiers. Ces seigneurs cultivaient des fidélités plurielles en Brabant, en Flandre et en Tournaisis. Ils ne pouvaient se passer des connaissances comptables des Piémontais et de leurs informations en matière commerciale sur les besoins des villes en matières premières266. Ceci explique leur symbiose et leur bonne entente initiale. En outre, ces aristocrates très itinérants introduisaient les banquiers dans la société de cour des princes des anciens Pays-Bas. Que ceci soit clair, la présence simultanée de plusieurs acteurs sur le monde du crédit, permit d’éviter dans un premier temps, comme dans le comté de Flandre, l’emprise d’une seule compagnie de marchands-banquiers italiens sur les finances princières. Il faudra un coûteux sésame aux dirigeants des sociétés de prêt astésanes pour leur assurer leur participation aux entreprises financières et diplomatiques du Prince.

266 Sur les influences comptables des Piémontais notamment par l’intégration ultérieure dans les comptes princiers d’une

comptabilité bilatérale, le crédit figurant en regard du débit, sur des colonnes opposées : Sivery 1975, pp. 144-161 et p. 185 et Sivery 1978.

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Deuxième partie. Usuriers au service d’un Prince entrepreneur et réseaux financiers internationaux

Chapitre i

Préambule : un coûteux sésame pour l’entrée des manieurs d’argent astésans dans les entreprises financières du Prince

1.

Les moyens

A.

Le prêt de 1293 octroyé par tous les Lombards de Brabant

Peu avant 1293, tous les Lombards de Brabant consentirent à avancer au duc de Brabant une somme gigantesque de 100 000 lb. tour., dépassant proportionnellement tout ce que les compagnies siennoises et florentines avaient été capables de prêter à chaque demande des comtes de Flandre1. Elle équivalait au volume des tailles contemporaines levées sur les Lombards dans le royaume de France par Philippe le Bel2. La somme empruntée représentait encore près du triple des revenus ordinaires annuels du comte de Flandre vers 1278-1279 et surpassait amplement ses revenus totaux, comprenant les impositions et emprunts extraordinaires. Les rentrées de Guy de Dampierre étaient indubitablement supérieures à celles de son voisin brabançon, la Flandre ayant connu une urbanisation et l’essor de son commerce international plus précocement que le Brabant. Autre aspect marquant, la somme égalait presque les recettes de l’évêque de Liège qui était, à la fin du XIIIe siècle, un des princes le plus riches de la chrétienté3 ! C’était là une aubaine pour les finances du duc Jean Ier, exsangues après les efforts consentis par le Brabant pour annexer le duché de Limbourg. Jean Ier suivait peut-être l’exemple du roi d’Angleterre, qui avait exigé un prêt forcé des marchands italiens présents sur son territoire pour les autoriser à pratiquer le commerce dans le duché aussi longtemps que la dette courrait4. A.S.V. Coll. 433a, f°82r°. Rappelons qu’en 1290, les financiers arrageois sont créanciers du comte pour 65 166 lb. 1 s., monnaie de Fl., les Florentins pour un total de 14 274 lb. 16s. 10,5d. et les Siennois, pour 13 032 lb (voir supra la 1ère partie, chap. 2, p. 91, n. 172). 2 Bautier 1992b, pp. 77-78 donne des chiffres de 141 494 lb. et 152 000 lb. tour. pour des tailles annuelles levées sur les Lombards de France vers 1290-1292. 3 Vers 1278-1279, au début du règne de Guy de Dampierre, les revenus annuels du comte de Flandre sont évalués à 28 000 lb. parisis ou 35 000 lb. tour. (la livre tournois équivaut au 4/5 de la livre parisis). Les revenus totaux (ordinaires et extraordinaires) de la comtesse Marguerite de Dampierre sont quant à eux évalués à 72 320 lb. tour.: Luykx 1961, p. 298 et la mise à jour de ces données par Croenen 2003, p. 135. Marchandisse 1997, p. 8, évalue les revenus annuels de l’évêque de Liège à 21 600 florins. À la curie romaine, la parité du florin était de 1 fl. pour ca. 10 gr. tournois, entre 1280 et 1290. Soit, étant donné la valeur d’1 gros pour 12 petits tournois, un revenu an-nuel de 129 600 lb. tournois (Fournial 1970, p. 85 et p. 88 et Spufford 1986, pp. 172-174). Dans l’état actuel des sources, aucun compte des recettes et dépenses du duc de Brabant n’est disponible pour le XIIIe siècle. 4 Prestwich 1972, pp. 178-179 et p. 208, remarque que les prêts forcés paraissent avoir constitué la majeure partie des emprunts d’Édouard Ier auprès des banquiers italiens à partir de 1294 et jusqu’en 1298, totalisant un montant de 30 000 lb. sterl. (soit ca. 120 000 lb. tour.) pour onze compagnies. Ces prêts étaient « forcés », car leur octroi par les compagnies italiennes conditionnait la continuité de leurs activités marchandes en Angleterre. Elles étaient en effet menacées de la saisie de leurs actifs et de l’expulsion du royaume dans le cas d’un refus. Leur accord fut récompensé par l’octroi par le roi de licences d’exportation des laines anglaises. 1

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

 . Organisation des premières sociétés de prêt lombardes pour B l’emprunt ducal Le montant de l’emprunt excédait évidemment les moyens propres des tables de prêt brabançonnes. Quelle était alors l’organisation des banquiers pour supporter une pareille somme ? La coopération de banques lombardes extérieures au Brabant, en Flandre, à Cologne, à Aix-la-Chapelle et à Maastricht, par le système des participations croisées, apparaît tout d’abord quasiment certaine. Le cas de la table de prêt d’Overijse l’illustre. Placée sous la direction d’Enrico Roero, la table semble avoir joué un rôle névralgique dans la centralisation des fonds destinés au duc de Brabant, car Enrico et ses associés reçurent rapidement une assignation de remboursement de la part du duc Jean Ier 5. Enrico était apparenté à Antonio et Uberto Roero. Ces derniers travaillaient dès la fin du XIIIe siècle aux banques de Cologne, Maastricht et Saint-Trond ; Antonio et Uberto bénéficiaient de l’expérience de leurs pères respectifs, les frères Giorgio et Rainerio Roero, tous les deux passés par les bancs de prêt de la lormerie à Tournai6. La famille Roero, avait vraisemblablement déjà quelque intérêt dans les tables d’Asse, Genappe, Merchtem et Nivelles7. La participation des tables de Flandre à cette vaste levée d’argent était également crédible car des membres des familles de Baieni, de Mercato et Roero œuvraient aux banques d’Alost, Courtrai, Grammont et Termonde vers 1290. Les actifs des sociétés de prêt en Brabant étaient extrêmement parcellisés, comptant jusqu’à 16 parts au début du XIVe siècle, ce qui donne à penser que le prêt de 100 000 lb. accordé par tous les Lombards de Brabant fut constitué de modiques apports respectifs8. Enrico Roero obtint pour lui et ses associés en guise de premier remboursement la somme de 574 lb. 9s. 3 d. tour., assignée sur divers revenus princiers, en dix échéances annuelles  9. Indices additionnels de la faiblesse de leurs capitaux propres, vers 1292, des tables de prêt actives à Halen et à Herentals ne pouvaient avancer ensemble au duc que 3 420 lb. de Louvain10, tandis que Vincente Trosello, les frères Galvagno, Giovanni et Oberto Roero, Bertolino de Trana et Ruffinetto Roero, associés aux tables d’Aix-la-Chapelle et de Maastricht prêtaient 900 marcs d’Aix, soit 540 lb., au seigneur Waleran de Fauquemont11. Des exemples contemporains pour le comté de Hainaut et pour le royaume de France suggèrent un capital moyen oscillant entre 1 000 et 2 000 lb. par table12. Il est enfin utile de rappeler A.S.V. Coll. 433a, f°82r° [7 ou 10/8/1293 : la copie de la charte ducale donne le vendredi le jour Saint Lorent, or en 1293, la Saint-Laurent, le 10 août, tombe un lundi]. 6 A.G.R., C.C., n°1, f°116r°-116v° [9/7/1293](Maastricht)  ; A.S.V., Coll. 433a, f°81r° [3/7/1294 et 1/8/1303]),­ (Saint-Trond pour Giorgio Roero et ses héritiers) et f°31r° ; Reichert 2003, pp. 367-368 (maison des Roero à Cologne dès 1296. Antonio était le fils de Giorgio Roero, Uberto était le fils de Rainerio. Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, p. 34, p. 37). 7 Mention des Roero possédant collectivement dans le dernier tiers du XIVe siècle, les tables d’ Asse, Genappe, Merchtem, et Nivelles (dès 1330) : Reichert 2003, p.80 p. 300, vol. 2/3 p. 497 et p. 564. 8 Dans le premier quart du XIVe siècle, la table des Lombards de Louvain compte au moins 16 parts différentes réparties entre les familles Canelli, Mercato et Roero (dont Uberto : A.S.V., Coll. 433a, f°35v°). 9 A.S.V. Coll. 433a, f°82r° La somme était assignée sur divers revenus princiers (l’annuité correspond sans doute au loyer de l’argent entre 10% et 20% ?) compté sur sur le principal. 10 A.S.V., Coll. 433a, f°52v°, f°56r°-57r°. Je reviendrai sur les modalités de remboursement de ces prêts, négociées par assignation sur les revenus d’Halen et d’Herentals. 11 A.D.N., B.4051, n°3414[17/11/1292]. Chaque marc est compté pour 12 s. d’Aix. 12 En novembre 1296, un des quatre associés de la maison des Lombards de Walincourt (dép. Nord, arr. de Cambrai) emportait nuitamment tous les avoirs mobiliers de la table de prêt. Plainte fut déposée devant le seigneur du lieu par Viviano Peila. L’intéressé qui déclara avoir perdu le plus dans ce vol, s’était fait dérober l’équivalent de 700 lb. tour.. Même si l’on considère que 5

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Préambule : un coûteux sésame pour l’entrée des manieurs d’argent | Chapitre i

que dans la dernière décennie du XIIIe siècle, la communauté des Lombards de Flandre ne déboursa que la somme de 7 900 lb., 7s. et 6 d., monnaie de Flandre au comte Guy de Dampierre, due pour leur octroi d’exploitation13. Ensuite, outre le soutien des banques lombardes situées hors du Brabant, les Piémontais pouvaient sûrement compter sur les capacités de déposants privés dans leurs tables de prêt. Ces capitaux privés venaient sans doute partiellement du comté de Flandre. La participation de la haute-noblesse flamande aux profits des Lombards y était chose courante depuis l’époque de Béatrice de Brabant, en comptes avec les Lombards de Courtrai14. Un document de 1296, ultérieur au règne du duc Jean Ier de Brabant, montre tout l’intérêt que la maison des comtes de Flandre portait aux affaires des Lombards de Brabant. Guy de Dampierre et ses deux fils, Guillaume de Crèvecœur et Robert, sire de Béthune et de Termonde avaient remis une garantie scellée, c’est-à-dire un acte de caution aux banquiers Enrico, Giacomo, Uberto et Perrino de Mercato et Berardo, Rainerio et Antonio Roero et leurs associés demorant en Brabant en vertu de conventions de prêt passées par le duc de Brabant Jean II (1294-1312) avec les Lombards de Brabant. Le duc assura Guy de Dampierre et ses deux fils qu’ils seraient indemnisés de leur caution – si elle jouait – en engageant ses biens domaniaux en garantie de son obligation15. On l’a vu précédemment dans le cas de la caution du comte de Flandre pour le comte de Gueldre, ce type d’engagement était loin d’être purement formel. Si la garantie des Dampierre était sollicitée, les biens seraient réellement hypothéqués en faveur du prince flamand jusqu’à ce que celui-ci rentre dans ses fonds. Au surplus, Robert de Béthune entretenait d’excellents rapports avec les financiers astésans. Enrico de Mercato était un membre occasionnel de son conseil lorsque celui-ci se réunissait pour la reddition des comptes à Warneton. De plus, à Termonde, les Lombards logeaient dans une partie de la Prinsenhof, la demeure appartenant à Robert de Nevers, pour laquelle ils lui payaient un loyer annuel de 12 lb. et où ce dernier avait aménagé une chapelle vers la fin du siècle16. Cette proximité du fils aîné du comte de Flandre avec les Italiens renforce l’hypothèse d’une contribution de celui-ci à leurs entreprises. La mainmise importante du groupe familial des de Mercato sur des réseaux de crédit à cheval sur la frontière flamando-brabançonne ne pouvait que faciliter la communication entre la cour de Robert de Béthune et le Brabant. Un des parents d’Enrico, Olivero de Mercato, tenait déjà probablement une table de prêt à Merchtem, située face à Termonde17 ; un autre, Godefrido de chaque associé avait une part égale, cela ne faisait qu’un actif maximum de 2 800 lb. (A.D.N. B.506, n°3865). Dans le 1er quart du XIVe siècle, en France, le capital moyen des tenanciers des tables de prêt ne dépassait guère 1 000 livres, d’après Bautier 1979, p. 18. 13 Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°15, pp. 293-298[15/9/1290]. 14 Cf. le chapitre 2 de la 1ère partie, pp. 82-83. Des exemples de dépôts privés dans la banque des Lombards de Bruges sont étudiés par Murray 2005, pp. 146-147. 15 A.D.N., B.4055 n°3806[27/5/1296]. Le duc de Brabant avait de plus renoncé à toutes les exceptions de droit romain lui permettant de surseoir à ses engagements. 16 A.G.R., C.C., C.R., n°210, compte du 1/10/1295 au 1/10/1296, m.1 pour la mention d’Henri le Lombart [alias de Mercato] avec le seigneur de Nevele, Monseingneur Otton, Henri de Berlare, maître Jean de Milli et d’autres conseillers anonymes. En 1299, Robert de Béthune obtient de l’official de Cambrai l’autorisation de pouvoir faire célébrer des messes dans sa maison de Termonde A.D.N., B. 893,n°4224[13/7/1299]. Les Lombards louaient la maison de Robert à Termonde depuis au moins 1293 (A.G.R., C.C., C.R., n°s 208, m. 2, 209, m. 7, n°210, m. 1). Voir aussi de Vlaminck 1867, pp. 157159 et pp. 168-169. 17 Olliver du Marciet est cité comme demeurant à Merchtem en 1309 dans le dénombrement des Lombards résidant dans les terres d’Empire et appelés à payer une taxe au roi des Romains Henri VII de Luxembourg : Dillo et Van Synghel 2000, vol. 2, n°1514a, pp. 1283-1291, p. 1285, n.6.

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

Mercato, domicilié à Alost, percevait des revenus grâce à sa femme à Termonde18. Pour un manieur d’argent, la possession de biens immobiliers ou de rentes dans une ville étrangère facilitait ses relations avec des correspondants locaux. Finalement, le partenariat étroit entre la famille de Mercato et les frères Roero pour leurs opérations et leur résidence en Brabant se traduisait par la possession commune d’une maison privée à Bruxelles, probablement dès la fin du XIIIe siècle19. La place notable prise par les dépôts privés dans la surface financière des compagnies de marchands-banquiers italiens n’avait rien de surprenant. Cela se vérifiait tant chez les banquiers lucquois de la Compagnie des Onesti, créanciers du duc de Brabant Jean II avant 1304, que chez les banquiers siennois Bonsignori, notamment actifs en Flandre dans la dernière décennie du XIIIe siècle ; les uns comme les autres étaient engagés dans le maniement des dépôts de la chambre pontificale se chiffrant en dizaines de milliers de florins20. C.

Négocier la dette

Pour le duc de Brabant Jean Ier, la gestion politique d’une telle dette se concrétisa dans les modalités de remboursement choisies pour faire rentrer les créanciers italiens dans leurs fonds. On recourut abondamment au système de l’assignation, mais celle-ci porta prioritairement sur de revenus princiers alors non-susceptibles d’être affermés aux élites urbaines des grandes villes comme la monnaie ducale, les amendes de justice et les revenus des forêts, d’une part21. D’autre part, les assignations portant sur des assises furent effectuées dans des bourgades ou des villes secondaires du réseau urbain brabançon, très excentrées, comme Halen, Hilvarenbeek et Herentals22. En effet, dès 1292, Giovanni de Mirabello, Manuele Roero, les frères Berardo et Rainerio Roero, Symone, Giovanni Roero, Gavandino (ou Galvagno) Roero, Vincente Trossello, Georgio Garretti, Enrico de Mercato, Uberteto de Mercato et Godefrido de A.G.R., C.C., C.R., n°2840 (s.d., ca. 1295-1296) : Compte des arriérés des hommages féodaux dus aux domaines de Termonde dont est notamment redevable : Dame Maroie, femme Godefroid dou Markiet d Aalost, 45s.8d.(...). 19 Fayen 1908, t. 2, ns°1622-1623, pp. 596-597 [25/7/1325]. 20 Pour le prêt de 58 000 lb. au duc de Brabant : A.G.R., C.C., n°1, f°76r°-76v°[6/9/1304], l’acte ne précise pas s’il s’agit de lb. tour. mais c’est probable ; le pape Clément V menaca le duc de Brabant et ses garants de l’excommunication, s’il ne satisfaisait pas à la créance de Dino Onesti et ses héritiers  : Tosti 1884, vol.1, n°376, p.  72[16/1/1306] et A.S.V., Reg. Vatic., n°52, f°65v°. Pour l’importance des dépôts chez les tenanciers de tables de prêt en général voir l’article fondateur de Blomquist 1985, pp.  533-534. Sur l’appartenance des Onesti aux compagnies marchandes lucquoises gérant les fonds pontificaux : Blomquist 1971, p. 161 et p. 173, ré-éd. dans Blomquist 2005. Le pape Nicolas IV(1288-1292) avait déposé la somme de 80 000 florins auprès des Bonsignori de Sienne fortement engagés dans les crédits aux princes des anciens Pays-Bas sur les foires de Champagne : Jonckheere 1997, vol. 1, pp. 61-65 et vol. 2, p. 56 et Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 79. Après la faillite des Bonsignori, la récupération de ce dépôt fit l’objet d’un procès initié par la chambre pontificale en 1345-1346 (A.S.V., Coll., reg. n°431, Processus super restitutione 80.000 floren. facienda Rom. Ecclesiae a sociis de Bonsignoribus Senensibus). 21 Pour la table d’Overijse : Assignation de 574 lb. 9s. 3 d. pour Antonio et Huberto Roero à percevoir sur la ville d’Overijse, sur la monnaie, les bois de Campine et les haies de Brabant (A.S.V., Coll. 433a, f°82r°[10/8/1293]) par montants annuels de 55 lb. 11s. et 7d.. Les bois de Campine, situées au nord de l’actuelle province d’Anvers comprenaient notamment le bois de Grotenhout (d’une superficie de ca. 240 ha. au XVIIIe siècle). Quant aux haies de Brabant, il s’agissait de bois de taillis. Une zone de la forêt de Soignes porte ce nom (Heegde) dès le XIIe siècle : Smolar-Meynart 1991, p. 166, n. 13 et p. 168. 22 À Herentals, l’octroi des assises avait été, comme pour les bonnes villes brabançonnes en 1290-1291, accordé pour une durée de quinze ans et concernait les assises des portes, d’un montant annuel de 600 lb. de Louv. . Il s’agissait probablement d’une taxe frappant l’importation des marchandises entrant dans la ville pour être vendues sur le marché, voir Van Uytven 1966, p.  423. Cette dénomination d’assise est aussi connue à Gand  : Harsgor 1994, p.  259. Éd. de la charte d’octroi d’assises pour Herentals et des libertés équivalentes à celles des bonnes villes de Brabant, dans Willems 1839-1869, t. 1, n°73, p. 676[15/4/1291]. 18

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Préambule : un coûteux sésame pour l’entrée des manieurs d’argent | Chapitre i

Lovannio [alias de Mercato] reçurent des assignations de payements sur les bourgades d’Hilvarenbeek et Halen ainsi que sur la ville drapante d’Herentals. Le grand nombre des associés principaux cités prouvait qu’il s’agissait très vraisemblablement d’annuités de payement découlant encore du remboursement des 100 000 lb. . Le total des assignations se montait à 3 740 lb. de Louv. (2 400 pour Herentals, 1 020 pour Halen et 320 pour Hilvarenbeek). À Herentals, les annuités, correspondant aux montants annuels des octrois d’assises, étaient de 600 lb. de Louv. pendant quatre ans23. Afin de se concilier la confiance de ses créanciers, le duc avait recouru à une fiction juridique dans laquelle les assignations prenaient la forme d’emprunts faits par les communautés urbaines et rurales aux Lombards. Le magistrat et la communauté urbaine de Herentals se déclarèrent débiteurs de Manuele Roero et ses associés ; il en alla sans doute de même à Halen et à Hilvarenbeek24. L’affectation ducale des charges financières sur des revenus perçus dans des localités brabançonnes secondaires s’inscrivait en tout cas logiquement dans la politique menée par Jean Ier à l’égard de ses grandes villes : le duc rassurait les groupes patriciens dominants des bonnes villes de Brabant en n’autorisant aucune assignation à des marchands étrangers sur leurs infrastructures commerciales. Les patriciens de Bruxelles et de Louvain visaient plus que tout le contrôle de la fiscalité indirecte en revendiquant l’affermage des assises en échange du versement d’un octroi annuel au duc de Brabant. La part de la fiscalité indirecte dans les finances des grandes villes était indubitablement déjà prédominante25. À cet égard, l’année 1293 représenta une date-clef dans la conjoncture des finances princières ; la même année, le duc de Brabant fit lever un impôt de quotité proportionnelle de 5% sur la fortune de ses sujets, exemptant toutefois les chevaliers et écuyers26. Cet impôt jetait les bases d’une négociation sur l’étendue du pouvoir économique du duc de Brabant. Le prince spécifia et jura à ses vassaux et sujets que ce prélèvement fiscal ne créerait pas un précédent pour justifier de future perceptions sans leur accord. Les villes de Louvain, Bruxelles, Anvers, Bois-le-Duc, Tirlemont, Nivelles, Léau et Jodoigne étaient autorisées à appuyer les vassaux ducaux dans leur désobéissance, par conseil et aiude si leur prince ne respectait pas son serment. La charte avait été scellée par le fils de Jean Ier27. A.S.V., Coll. 433a, f°50v°, f°52v°, f°56r°, f°57r°, f°57v° et f°58r : de assignamento ducis Braybancie facto super Herentals, Halles et Becha. Herentals : arr. de Turnhout, prov. d’Anvers ; Halen : arr. d’Hasselt, prov. de Limbourg ; Hilvarenbeek (connue au Moyen Age sous les variantes toponymiques Beek, Beeca, Beeche, Beke)  : province des Pays-Bas septentrionaux, Pays-Bas. L’autre possiblité était Beke dans le sud de la province du Limbourg hollandais (Camps 1979, vol.2, p. 1146). J’ai toutefois opté pour la première possibilité ; la localité d’Hilvarenbeek apparaît déjà comme un centre de revenus domaniaux dès le XIVe siècle (Camps 1979, vol.2, n° 604, p.729[4/12/1300] ; Martens 1954, p. 106 et p. 280 : en 1300, les habitants d’Hilvarenbeek recoivent avec ceux de Rixtel et Aarle des communs contre un cens de 40 s. de Louvain ; en 1337, les habitants de Rixtel, Aarle et Hilvarenbeek sont confirmés dans la possession de leur territoire délimité par le drossard de Brabant). La draperie d’Herentals produit des étoffes à partir de laine anglaise dès le dernier quart du XIIIe siècle (Histoire du Brabant 2004, p. 123). 24 A.S.V., Coll. 433a, f°50v°, f°52v°, f°56r°, f°57r°, f°57v° et f°58r et éd. complète de la charte d’emprunt fictif de la ville d’Herentals [5/1/1292] dans Verbiest 1949, pp. 182-183. Le terme d’assignation—assignamentum—n’est employé que par les Lombards. 25 On considère au bas moyen-âge, pour l’Europe du nord-ouest, que 75 à 80% des revenus d’une ville proviennent de la taxation indirecte : Boone 2008, p. 664 et p. 674 ; Billen 2008, p. 871. 26 Sur la typologie de l’impôt direct, on se réfère à l’ouvrage classique de Favier 1971, pp. 15-16 et les exemples assortis. 27 Favresse 1938, n°42, pp. 481-483 [24/3/1293]. Les sujets du Prince soumis à l’impôt pouvaient défalquer du prélèvement tant la valeur de leur demeure que celle de leurs dettes. 23

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

2.

Les buts

A.

L’accès aux marchés étrangers et l’intégration à la cour brabançonne

L’opération de crédit d’Enrico Roero, Enrico de Mercato et leurs associés, poursuivait deux buts, l’un à court terme, l’autre, à long terme. Dans un premier temps, le prêt allait légitimer la collaboration des banquiers piémontais aux entreprises commerciales menées par l’hôtel du futur Jean II de Brabant en Angleterre. Les principales familles d’actionnaires des tables de Brabant allaient offrir au duc leur compétence de marchands-banquiers dans le domaine de la commercialisation de la laine anglaise hors du duché de Brabant, comme on le verra bientôt. Mais plus globalement, l’opération des Lombards de Brabant allait pérenniser leur installation dans le duché et accélérer leur intégration dans les cercles du pouvoir ducal. Cette intégration se traduisit par la participation des Piémontais à la diplomatie ducale et par leur intervention dans la collecte de fonds importants promis par le roi d’Angleterre en échange de l’alliance militaire du duc de Brabant. Dans l’immédiat, l’essentiel était en tout cas atteint : avec leur rôle de banquiers du duc de Brabant, les Astésans pouvaient maintenant concurrencer la surface financière des principales villes brabançonnes. En 1285-1286, les villes de Léau, Louvain, Bruxelles, Anvers, Tirlemont et Bois-le-Duc, s’étaient portées caution du duc Jean Ier, pour un emprunt au roi d’Angleterre se montant au moins à 50 000 lb. n.t.28. Les grands groupes marchands de ces villes avaient évidemment intérêt à ce que de bonnes relations soient maintenues entre le royaume d’Angleterre et le duché de Brabant  : ils importaient de la laine anglaise en quantité et la réexportaient sous forme de draps de luxe vers le marché anglais et vers les foires de Champagne. Les premières données chiffrées disponibles en 1271-1273 donnaient la première place à Louvain en nombre de sacs de laine importés, suivie des villes de Bruxelles, Anvers, Léau, Tirlemont et, loin derrière, Bois-le-Duc. À partir de 1279, les marchands-drapiers des villes brabançonnes jouirent de facilités notables pour écouler leur production en Angleterre29. Le marché anglais, convoité par les sociétés de prêt piémontaises dès leur présence à Courtrai, était désormais devenu une préoccupation majeure du négoce des Lombards.

En effet, le 1er avril 1285, les villes de Léau, Louvain, Bruxelles, Anvers, Tirlemont et Bois-le-Duc s’étaient portées cautions d’un emprunt ducal contracté auprès d’Édouard Ier pour un montant de 40 000 lb. noirs tournois (Favresse 1938, n°34, pp. 461-462 ). En août 1286, les mêmes villes, à l’exception de Bois-le-Duc, se portaient garantes d’un nouvel emprunt ducal vis-à-vis du roi pour 10 000 lb. tournois (Ibidem, n°36, pp. 464-465). 29 de Sturler 1936a, p. 129 et pp. 483-484, n. 3. Sur les facilités commerciales des Brabançons : Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 1, p. 298[23/1/1279] : licence pour les marchands brabançons de vendre dans le royaume avant la fête de la Saint-Gilles (1er septembre) prochaine les draps qu’ils ont emporté avec eux en Angleterre et ceux qu’ils importeront dans ce terme. 28

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Chapitre ii

Usque partes ipsius ducis ducentes saccos lane duci facere possit*. La laine et l’argent : l’aventure anglaise (1295-1305)

1. Les entreprises commerciales et financières : collaboration  et compétition A.

La laine anglaise commercialisée pour le duc

Dans le cadre des relations politiques et commerciales entre l’Angleterre et le Brabant, deux secteurs économiques allaient faire l’objet des convoitises des marchandsbanquiers et gens de finance locaux et étrangers  : la laine et l’argent. En analysant ces deux secteurs de compétition, il m’a paru indispensable de confronter systématiquement les transactions conduites par les agents financiers piémontais avec celles des élites locales actives en Brabant, afin d’essayer de saisir les interactions entre ces deux groupes sociaux et leur éventuelle collaboration. Je m’intéresserai d’abord à la laine. Pour concevoir l’importance des privilèges commerciaux obtenus du roi d’Angleterre par le duc Jean II, il importe de restituer l’évolution des rapports politiques entre l’Angleterre et le Brabant. Dans la dernière décennie du XIIIe siècle, les relations politiques anglo-brabançonnes avaient pris un cours décisif. Les épousailles de Jean de Brabant, fils aîné du duc de Brabant Jean Ier, avec Marguerite, fille du roi d’Angleterre Édouard Ier avaient été célébrées en grande pompe à Westminster en 1290. Elles ne faisaient que sanctionner un rapprochement diplomatique constant des ducs de Brabant avec la dynastie Plantagenêt. Amorcé depuis le règne du duc de Brabant Henri Ier (1190-1235), ce rapprochement a bien été étudié dans la thèse irremplaçable de Jean de Sturler1. Jean de Brabant, encore fiancé, avait résidé plusieurs années à la cour de son beau-père, sporadiquement à partir de 1284, puis régulièrement à partir de 1285. Il y bénéficia d’une éducation chevaleresque au même titre que les deux neveux d’Édouard Ier, Thomas et Henri2. C’est enfin dans le contexte de la vie de cour très cosmopolite des Plantagenêts, que le jeune prince brabançon noua ses premiers contacts avec la haute

*

Citation extraite de T.N.A., E.372/146m.36/2/dorso : compte des contrôleurs de la coutume de la laine du port de Boston (1294-1297). 1 de Sturler 1936a, pp. 144-145 et p. 473, sur les relations diplomatiques croissantes entre le roi Henri III d’Angleterre et le duc de Brabant Henri Ier : Ibid., pp. 104-111. Pour un exemple de fief de bourse octroyé au duc de Brabant par le roi d’Angleterre dans le premier tiers du XIIIe siècle, voir supra, le chap. 1, p. 24. 2 Vale 2001, pp. 49-50 ; compte des dépenses de l’hôtel de Jean de Brabant en Angleterre pour les années 1286-1290, éd. dans Byerly et Ridder Byerly 1986 et compte des dépenses des hôtels de Jean de Brabant, Thomas et son frère Henri de Lancaster pour 1293-1294 dans T.N.A.E.101/353/4, m.3 -4.

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

finance italienne  : des marchands-banquiers lucquois fournissaient vraisemblablement son hôtel3. La mort prématurée de Jean Ier (3 mai 1294), mortellement blessé au tournoi de Bar-le-Duc, n’interrompit pas les excellents rapports entre les Plantagenêts et la maison des comtes de Louvain ; elle hâta en revanche les choix politiques de son jeune successeur. Au mois de mars 1294, Philippe le Bel avait confisqué l’Aquitaine, détenue en fief par Édouard Ier. Peu après le 18 juin 1294, soit plus d’un mois et demi après le décès de son père, le jeune Jean II décidait de rentrer subitement d’Angleterre. Son oncle Godefroid de ­Brabant, prétendant être le régent du pays, soutenait un parti pro-français et avait saisi les biens de ceux qui avaient vécu des faveurs de Jean Ier. Des messagers, émanant ­indubitablement du parti anglophile, avaient alors été dépêchés vers Jean II pour l’avertir de la situation. Il fut mis fin au désordre et Jean succéda à son défunt père4. Dans le contexte des prétentions territoriales d’Édouard Ier sur l’Aquitaine, le duc Jean II de Brabant était devenu une pièce essentielle sur l’échiquier du monarque anglais, déterminé à engager une campagne militaire et diplomatique contre le roi de France. Jean II appartenait au cercle des princes impériaux alliés de la première heure d’Édouard Ier. Le 23 avril 1295, par le traité de Llanfaes, conclu dans l’île d’Anglesey, le duc de Brabant s’obligea à servir militairement son beau-père, six mois durant, avec deux mille hommes d’armes à cheval, contre la somme considérable de 160 000 lb. noirs tour.. Un premier montant de 23 000 lb. sterl. fut alors versé en acompte5. Cinq jours plus tard, le roi octroyait au duc de Brabant une assignation de 4 000 lb. sterl. sur la nouvelle coutume de la laine, une taxation indirecte sur la laine achetée par les marchands brabançons en Angleterre, à savoir 40 s. sterl. par sac de laine ou par 300 toisons laineuses6. Finalement, et c’est cette dernière transaction qui va plus particulièrement nous intéresser, Jean II reçut d’Édouard Ier la faveur d’exporter gracieusement à son bénéfice 200 sacs de laine sur le continent à un tarif fiscal préférentiel en 1295 de 80 d. par sac de laine soit une réduction de 84% du montant normal de la taxe7. L’opération, assez élaborée, éclaire le rôle déterminant de courtiers informels et professionnels, à la fois intermédiaires auprès du pouvoir princier et agents financiers. Ce fut bel et bien un Astésan, Enrico de Mercato, un des banquiers principaux du duc, qui assuma la direction de l’exportation des sacs de laine. Enrico portait le titre 3 Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 2, p.  322[15/9/1289]  : lettre de recommandation de Jean de Brabant pour Peregrino de Lucques, Bartolomeo de Barcha, Ponzio Bernardini, Rusticelli Bernardini et leurs associés marchands de Lucques afin qu’Édouard Ier veuille bien leur accorder sa protection. Le premier de ces personnages, Peregrino ou Pelegrino, était sans doute aussi en comptes avec le duc Jean Ier en 1290, cfr. supra, 1ère partie, chap. 2, p. 107. Il est possible qu’il ait été un marchand-fournisseur de l’hôtel de Jean de Brabant en Angleterre comme beaucoup de ses collègues. Un Ferinus, Lombardus fournit huit chevaux pour l’hôtel de Jean de Brabant, Thomas et Henri de Lancaster en 1293 à l’occasion d’un tournoi (Burtt 1853, pp. 12-13). Sur le cosmopolitisme ambiant à la cour d’Édouard Ier : Vale 2001, p. 95. 4 Vander Linden 1906-1938, vol. 2, pp. 193-194, livre III, vv. 2895-2903. Le retour de Jean de Brabant mit fin au bannissement des anciens courtisans de son père et aux manœuvres de Godefroid d’Aarschot. Toutefois, Jean II fit arrêter l’ancien receveur de Jean Ier, Henri Prochiaen pour malversation financière : Wauters 1862, p. 222. 5 T.N.A., C 62/71,m.1 et m.3. Traité publié dans Rymer 1815-1830, vol. II, 1, p. 820. La somme initale de 20 000 lb. sterl. paraît finalement être passée à 23 000 lb. sterl. : T.N.A., E. 159/68, m.1. La parité du n.t. avec l’esterlin est sans doute déjà au moins d’un esterlin pour 4 n. t., voir Spufford 1986, p. 209 où entre 1292 et 1297 le denier tournois passe de 82 s. 6 d. à 83 s. 4 d. 6 Ce droit de douane à l’importation et à l’exportation était prélevé notamment dans les grands ports anglais de Boston, Great-Yarmouth, Hull et Southampton. Elle fut établie entre 1294 et 1297 par le roi d’Angleterre, dans les préparatifs des futures hostilités contre la France (de Sturler 1936a, pp.167-168). 7 Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 3, p.133[28/4/1295]. La nouvelle coutume sur la laine, une taxe à l’exportation des laines anglaises était normalement de 40 s. par sac. (480 d.).

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Usque partes ipsius ducis ducentes saccos lane duci facere possit | Chapitre ii

enviable d’attornatus du duc de Brabant, c’est-à-dire qu’il était son fondé de pouvoirs pour recevoir au nom du duc une première livraison de laines anglaises brutes (92 sacs de laine soit l’équivalent de plus de 15 tonnes !) et les exporter à partir du port de Boston, le débouché commercial le plus important de l’Angleterre pour le négoce textile8. Les associés d’Enrico, qui lui étaient logiquement subordonnés, étaient les marchandspatriciens bruxellois Hugues de Coudenberg mercator ducis –  marchand-fournisseur du duc – et Henri Taye. Hugues de Coudenberg et Henri Taye étaient profondément engagés dans les relations avec la maison royale anglaise et le commerce textile anglo-brabançon depuis les années 12709. La proximité des familles Coudenberg et Taye avec le pouvoir ducal et le grand commerce se traduisait dans la possession par ces lignages de tenures et parcelles allodiales sur le Coudenberg : dans ce même quartier, pas loin du palais ducal, un peu en contrebas, à proximité des bancs des changeurs de la rue d’Angleterre, se trouvait la halle à la laine, propriété du duc de Brabant. Taye possédait aussi un bien immobilier à proximité du quartier de la Chapelle, quartier des artisans textiles10. L’aspect fortement spéculatif de l’opération découla du fait que le jeune prince, bien conseillé par ses marchands, fit probablement vendre ces laines au comte de Flandre Guy de Dampierre dans le courant de l’année 1296 pour un montant de 2 500 lb. tour.. Le valet ducal Adam de Braine s’était chargé du volet flamand de l’opération11. Les gens de l’hôtel ducal jouèrent en l’espèce un rôle essentiel. Enrico de Mercato et Adam de Braine étaient valets de l’hôtel, Hugues de Coudenberg, en tant que marchand-fournisseur, entretenait des contacts réguliers avec le personnel de la maison ducale12. L’écoulement de la laine sur le marché flamand intervenait à un moment stratégique ; il était basé sur une évaluation pragmatique de la situation économique du comté de T.N.A., E.372/146m.36/2/v°. Le poids unitaire de 165 kg. du sac de laine qui n’était qu’une unité de mesure et ne désignait pas le mode de conditionnement de la laine est donné dans : de Sturler 1934, voir pp. 6-7. Les collecteurs royaux de Boston accusèrent un déficit de 153 lb 6 s. 8 d. dans leur compte. Cette somme résulte de la différence de 184 lb. (la taxe normale de 40 s./sac) avec la somme réellement payée par les Brabançons de 30 lb. 13 s. 4 d. (à raison 80 d./sac). On ignore ce qu’il advint des 108 sacs de laine restants. Au sujet de Boston : Bell, Brooks et Dryburgh 2007, p. 60. 9 de Sturler 1936a, p. 132, n. 286 (pour la mention d’Hugues de Coudenberg comme échevin et l’importation de laine anglaise en 1273). Enregistrement devant la justice commerciale du maire de Londres d’une reconnaissance de dette du drapier Etienne de Paris en faveur d’Hugues de Coudenberg pour un montant de 24 lb. sterl. : Sharpe 1899-1912, vol. 2 (letterbook B), p. 57 [5/11/1294]. Hugues participa en 1290 à l’assignation du douaire de Marguerite d’Angleterre A.G.R., Chartes de Brabant, n°147 [14/12/1290]  ; la famille Taye participait aussi au commerce du drap  : de Sturler 1936a, p.132 : Henri et Isembert Taye sont mentionnés en 1273 parmi les 25 négociants bruxellois importateurs de sacs de laine anglaise. 10 Martens 1959b, voir p.181 et Godding 1959-1960, t. 4, p. 213.  ; Smolar-Meynart 1998, voir pp.  20-21. Gislebert Taye possède plusieurs terrains au Coudenberg en 1294  ; Henri Taye possède un bien près de la Steenporte en 1317 (Godding, 1959-1960, t. 5, p.  103). Cette porte de la première enceinte, située sur la Rue Haute donnant accès aux campagnes au sud de Bruxelles, séparait le quartier de la Chapelle, abritant les tisserands et les foulons, extra muros de l’intérieur de la ville (Demeter et De Ghellinck 2008, pp. 19-20). Ajoutons une mention évoquant peut-être dès 1290 les relations entre les béguines (de Terarken ?) et la halle aux laines dans Lefevre et Godding 1993, n°290, p. 290 : en 1290, dans un acte de fondation d’une chapellenie en l’autel de Notre-Dame de l’Eglise Saint-Nicolas—l’église principale du quartier marchand—, les fondateurs sont Henri Godenoy, clerc et sa parente la béguine Ida de Wolhus, c’est-à-dire Ide de la halle à la laine. 11 Le 16 juillet de cette année, Jean II donnait quittance au comte de Flandre des laines payées à Adam de Braine, valet ducal, que Jean II lui avait vendues (A.D.N., B 4056, n°3832). L’hypothèse d’une vente de laines anglaises par le duc de Brabant avait déjà été proposée par Wauters 1866, p. 222, mais pour l’année 1294. Wauters pensait que la laine avait été transportée dans les navires de l’escadre anglaise raccompagnant Jean II vers le Brabant lors du décès de son père. Or, dans l’acte du 18 juin 1294 du roi Edouard Ier, publié dans Rymer 1815-1830, vol.1/2, p. 802, cité par Wauters à l’appui de cette hypothèse, il n’en est jamais question. Par contre, Adam appartenait à l’hôtel du jeune Jean de Brabant en Angleterre dans les années 1286-1289, ce qui renforce l’hypothèse de Wauters sur la vente de laine anglaise par les gens du duc : Byerly et Ridder Byerly 1986, n°3247, p. 401. 12 L’Italien est cité comme valet dans T.N.A., E. 403/95, m.1 [2 juin 1295] ; pour Adam de Braine, voir la n. précédente. 8

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

Flandre, soumis à un blocus économique par le roi Édouard Ier depuis 1294. Les marchands toscans avaient stocké des milliers de sacs de laines anglaises en Brabant et en Hollande dès 1295 dans l’attente de pouvoir les exporter à un prix de vente suffisamment rémunérateur13. Aucun marchand toscan ne parvint apparemment à imposer sa participation à l’entreprise des Brabançons et des Piémontais. Plutôt que de vouloir concurrencer à tout prix les compagnies toscanes – dont le volume du négoce était bien plus important – il semble que les Astésans et les marchands bruxellois gravitant autour du duc Jean II n’aient nourri qu’une seule ambition  : procurer de l’argent frais à leur prince en enregistrant un bénéfice aisé sur le prix de vente et de grasses commissions. Plus d’un siècle plus tard, le duc de Brabant Jean IV aura recours lui aussi à la spéculation sur les produits de luxe avec, il est vrai, moins de succès14. L’inflation étant perceptible sur le continent, il devenait attractif de spéculer en accumulant un stock de laine avant de le revendre, lorsque les cours de la laine brute seraient plus élevés après la levée du blocus du côté français (mars 1296)15. Il fallait aussi tenir compte des dévaluations successives de la livre-tournois par le roi de France depuis 1290 par rapport à la livre sterling et de ses conséquences néfastes en Flandre16. Le taux de profit allait être en outre déterminé par la qualité supérieure des laines anglaises par rapport aux laines indigènes, plus légères, également utilisées par les marchands drapiers flamands17. Si l’on ajoute que ces laines avaient été reçues sans bourse délier, exceptée une taxe fortement diminuée, le caractère avantageux de l’opération ne saurait être ignoré. En effet, les Brabançons ne payèrent que 30 lb. 13 s. 4 d. sterl. de taxes d’exportation à Boston, soit une taxe de 6,6% pour un sac de laine d’une valeur moyenne de 5 lb.. Il n’est pas déraisonnable de penser que du côté flamand les taxes de transit furent également abaissées en raison du destinataire de la laine, le comte de Flandre18. En prenant comme prix moyen de vente un montant de 5 lb. par sac de laine, chiffre sans doute en-dessous de la réalité, la vente des 92 sacs de laine aurait dégagé une recette de 460 lb. sterl. ou 1 840 lb. n.t.19 . En tenant compte du taux de change plus élevé Dès avant mai 1295 des compagnies florentines et lucqoises avaient entreposé leur laine en Brabant et en Hollande et obtinrent finalement de Philippe le Bel de pouvoir les écouler sur le marché français à hauteur de 2 000 sacs (de Sturler 1936a, p.185 et Bigwood 1930, p. 205). 14 Dans le premier quart du XV e siècle, le duc de Brabant Jean IV procédait à des achats à crédit d’épices sur le marché brugeois et revendait ces épices à perte afin se procurer de l’argent frais : Van Uytven 1992b, p. 76. Avant lui, la duchesse Jeanne de Brabant avait, visiblement avec plus de profit, fait vendre des laines anglaises par Jean Daneels, membre de son hôtel, à Anvers, Bergen-op-Zoom et Malines à la fin du siècle précédent (A.G.R., C.C., C.R., n°s 3021-3022). 15 Sur le contexte général de la hausse des prix de la production agricole à la fin du XIIIe siècle aussi bien dans le nord de la France qu’en Angleterre : Contamine, Bompaire, Lebecq et Sarrazin 19972, pp. 228-231 et Bois 2000, pp. 61-65. En mars 1296, le roi de France Philippe le Bel qui avait aussi imposé un blocus, révoque le mandement des gardiens chargés d’interdire l’importation des laines anglaises en Flandre : Funck-Brentano 1897, p. 14, n. 2. 16 En 1290 pour parer à la hausse du cours des métaux précieux, Philippe le Bel impose une première mutation nominale au cours du gros tournois. Le d.t. perd 8,6% par rapport à 1266 (0,3369 g. d’argent fin), le gros tournois, passant de 12 à 13 d.t. (0,3077 g. d’argent fin). En 1295, une nouvelle mutation nominale porte le cours du gros tournois à 15 d.t., réduisant le d.t. à 0,279 g. d’argent fin (Fournial 1970, pp.  87-89). En 1297, la valeur d’1 lb. tour. s’établissait à 83 s. 4 d. sterl. en Angleterre, deux ans plus tard, elle était déjà de 120 s. sterl. : Spufford 1986, p. 209. Voir aussi Grunzweig 1953, pp. 117-172, pp. 121-123. Guy de Dampierre frappait des monnaies imitant la valeur du gros tournois en poids et en teneur d’argent : Murray 2005, p. 124. 17 Verhulst 1972, pp. 298-299 ; Chorley 1987 ; Munro 1997, voir pp. 54-61. 18 T.N.A., E.372/146m.36/2/v°. Sur la part grandissante dans le commerce au début du XIVe siècle des coûts de transaction dans le prix unitaire des marchandises en conjonction avec les conflits militaires, : North 1985, pp. 557-576 et Munro, 1997, pp.  74-77  : ces coûts comprennent non seulement les taxations directes et indirectes auxquelles sont soumis les biens commerciaux mais aussi les coûts de transport, de distribution, de courtage (déjà comptés ici) et les droits de propriété sur le produit. 19 En 1297, la vente à Anvers par des marchands anglais de 75 sacs de laine aurait dégagé un profit moyen par sac de 5 lb. 6 s. 8 d. pour un total de 403 lb. sterl. : de Sturler 1934, p.7. Le prix moyen du sac de laine évalué à 6 1/2 lb. sterl. avant 13



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de 4% de la lb. sterl. en Flandre qu’en Brabant, ce montant passait à 1 913 lb. 12 s. n.t.20 . À ce montant devait s’ajouter des frais de courtage et de commercialisation récompensant Enrico de Mercato, Hugues de Coudenberg, Henri Taye et Adam de Braine pour leur service. Ils avaient écoulé les laines sur le marché flamand grâce à leurs relations d’affaires et avaient dérogé à l’embargo anglais sur les laines, ce qui supposait une prise de risque supplémentaire. Les différents frais et commissions perçus restent inconnus. Les coûts de transport devaient être modiques, car, comme l’expliquait un marchand génois en 1327, les coûts de transport par mer restaient compétitifs par rapport au transport par terre21.. La liberté de commerce des marchands brabançons en Albion semble en tout cas avoir frappé les contemporains, un clerc anglais en attribuait lucidement la cause au mariage entre le duc Jean II et la fille d’Édouard Ier, faisant du Brabant un partenaire commercial privilégié22. Si la communication entre les milieux drapiers bruxellois et gantois était vivace depuis 127423, la laine anglaise fit l’objet d’un fructueux trafic entre Bruxelles et Gand durant le blocus anglais24. Incontestablement, le succès de l’opération reposait sur les contacts d’affaire combinés des marchands italiens et bruxellois en Angleterre et dans le comté de Flandre. B.

L’argent du duc de Brabant

Autre domaine suscitant d’opportunes collaborations entre les Astésans et les élites marchandes brabançonnes, l’argent versé par le roi d’Angleterre à ses alliés – dont le duc Jean II – et ses procédés d’acheminement vers le Brabant. En l’absence d’une banque de dépôt active en Brabant, offrant des services d’une échelle comparable aux opérations des templiers en France, le transport des fonds anglais et son entreposage constituaient un formidable champ de concurrence et une source de profits. Un demi-siècle plus tard, les opérations politiques et financières du roi d’Angleterre Édouard III sur le continent seront elles aussi source d’enrichissement pour des financiers intermédiaires chargés du transport des fonds destinés aux princes d’empire alliés du monarque anglais25. Entre 1295 et 1305, le blocus était sans doute tombé en-dessous de 5 lb. sterl. à l’achat chez le producteur : de Sturler 1936a, p. 193, n. 92a ; Prestwich 1972, pp. 198-199 : en Angleterre, le prix unitaire du sac de laine ne se redressa qu’à partir de 1297 où il s’établit autour des 5 lb. sterl. ; Strayer 1977, voir p. 275. Les marchands-grossistes italiens avaient répercuté la hausse de la taxation à l’exportation sur les petits producteurs de laine afin de garder leur marge de profits à la vente. 20 Le change de la livre sterling en lb. n.t. en Flandre était de 4% plus élevé à celui pratiqué en Brabant, au début de l’année 1297 : Cuttino 1941, pp. 164-165, les comptes de l’évêque Langton, émissaire royal, indiquent que 100 lb. sterl. étaient changées pour 24 lb. n.t.à Bruges, au début de l’année 1297 alors qu’en mai de la même année 1’esterlin valait encore 4 petits tournois à Bruxelles. 21 Munro 1999, voir pp. 11-12. 22 Une source narrative anglaise relie l’importante exemption des Brabançons pour l’exportation des laines au mariage : Transitus autem marinus singulis mercatoribus cum vino et aliis mercibus fuerat interdictus (ex Anglia), exceptis illis de Braban qui lanas Anglie emptas libere asportabant, eo quod dux eorum, filiam regis Anglie habuit in uxorem . Il s’agit des Annales Dunstaplense, écrites au prieuré augustin de Dunstable, dans le comté de Bedford citées par Funck-Brentano 1897, p. 135, n. 2 et éd. partiellement par Pauli 1885, pp. 504-513, p. 513, l. 47-49 : daté de l’an 1295. En 1297, des marchands colonais avaient vu leur navire saisi par les officiers du roi Édouard Ier. Suspectés par les Anglais d’exporter des marchandises vers la Flandre toujours soumise à l’embargo économique, leurs biens avaient été confisqués : Huffman 1998, pp. 171-172. 23 Le 22 mai 1274, les magistrats des villes de Bruxelles et de Gand s’engageaient réciproquement à ne pas recevoir et faire travailler les foulons et tisserands bannis de leurs villes respectives (Favresse 1938, n°29-30, pp. 446-447). 24 Lors du blocus, Des officiers anglais chargés d’une enquête sur les exportations clandestines de laine anglaise à destination de la Flandre avaient affirmé à propos des marchands brabançons : Audiverunt tamen dici quod quidam mercatores de villa de Brussella habent communicationem cum illis de Gandavo  ; nomina eorum tamen ignorant  : Blockmans 1938, p. 214, n.6, (d’après T.N.A., C. 47/29/1, nrs. 4-5). 25 Lyon 1995.

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

le duc de Brabant allait recevoir des subsides du roi d’Angleterre pour prix de son soutien politique et militaire à la cause des Plantagenêts contre le roi de France. Au total, 316 000 lb. n.t. avaient été promises au duc de Brabant dont environ un tiers était remboursable. Des promesses de payement du roi Édouard Ier, moins de la moitié parvint au duc de Brabant entre 1295 et 1298 : 31 437 lb. 10 s. sterl., soit, au taux de change de 4 tournois pour un esterlin, 125 750 lb. n.t.. C’était néanmoins déjà beaucoup et cela plaçait Jean II de Brabant juste après le roi des Romains Adolphe de Nassau et le comte de Flandre Guy de Dampierre26. Par rapport au train de vie assez correct de la haute noblesse anglaise, la somme glanée en quatre ans par le duc de Brabant le mettait sur un pied d’égalité avec les comtes de Cornouailles et de Lancaster, dont les revenus annuels fluctuaient entre 6 000 et 8 000 lb. sterl.27. L’argent fut certainement transporté par barils comme c’était alors l’usage pour les grandes sommes d’argent, le denier étant généralement l’unité divisionnaire utilisée pour le stockage. Cela signifiait que plusieurs millions de pièces allaient passer la Manche28. Pareille entreprise légitimait l’arrivée de spécialistes du commerce de l’argent, aptes à superviser le recouvrement des capitaux anglais. L’encaissement de certaines sommes, promises par le monarque anglais au père de Jean II, s’était en effet révélé fastidieux dans le passé29. L’intermédiation des Italiens pourrait alors avoir été présentée comme une amélioration éventuelle dans les méthodes de perception des subsides anglais. Dès cette époque, au sein du groupe des manieurs d’argent originaires d’Asti, se détachaient des entrepreneurs dépositaires d’un savoir technique sur la frappe des fortes monnaies d’argent et sur les parités monétaires du nord et du sud de l’Europe, actifs des deux côtés de la Manche. La carrière du monnayeur d’origine astésane Uberto Allione est assez évocatrice sous cet angle : en fonction dès 1279-1280 parmi les maîtres de la monnaie au change de Londres, il perçut un salaire annuel du roi de 200 lb. sterl. en 1279. Il apparut enfin avec ses associés en 1283 au service du comte de Flandre et marquis de Namur, Guy de Dampierre pour frapper des monnaies d’une teneur comparable aux esterlins anglais. Il ne quitta définitivement l’Angleterre qu’en 1297 d’après le sauf-conduit qui lui fut délivré pour rejoindre sa patrie, après avoir « servi fidèlement le roi d’Angleterre »30. Cette famille semble avoir détenu un savoir technique similaire en Savoie et en Piémont au début du siècle suivant en la personne de Giorgio Allione31. Adolphe de Nassau reçut 40 000 lb. sterl., Guy de Dampierre, une somme de 36.526 lb. sterl. 2 s. et 8 d. (Fryde 1962, pp.1168-1187, p. 1170 et p.1172). Dans le contexte des dévaluations successives effectuées par le roi de France, le rapport de parité livre sterling-livre tournois passa de 1 lb. sterl. pour 4 lb. tour. au début de cette période à 1 lb. sterl. pour 8 lb. tour. en 1305 (Lyon 1955, pp. 73-74). Ces considérations rendent vain tout essai de comptabilisation exacte des subsides versés à Jean II, raison pour laquelle je n’ai pris en compte que la période 1295-1298 (Kusman 2008a, vol. 1, p. 140). 27 Quant aux grands barons d’Angleterre, ils devaient se contenter de revenus annuels de plusieurs centaines de lb. sterl. : Kaeuper 1973, pp. viii-ix. 28 Les barils contenaient à cette époque chacun un sac de 100 lb. sterl. ou 24 000 d. et étaient le mode de conditionnement choisi pour les pièces de monnaie (de Sturler 1959, p. 602, n. 1). 29 Ainsi, la dot de 50 000 lb. tour. due par Édouard pour sa fille Marie d’Angleterre dont le roi ne s’empressa pas d’acquitter le reliquat de la somme. Une assignation fut décidée en 1291 par le roi au profit de Jean Ier sur le douaire de Marguerite d’Angleterre (consistant en revenus assignés sur le domaine brabançon !), et étalée sur les trois années successives pour solde de tout compte (de Sturler 1936a, pp. 144-145, n.14 et p.157, n. 84). 30 Hall 1896, p. 982 ; Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 1, p. 313 et vol. 3, p. 242 [10/3/1297] ; A.D.N., B. 1564, f°31r°-32r°, p. n°93[février 1283] n.s.. 31 A.S.T., S.R., trésorerie générale, Inv. 16, f°1, compte en rouleau n°2, m. 8 (compte de 1301-1302)  : Giorgio Alione perçoit pour le comte de Savoie la taxe sur les maîtres de la monnaie comtale ; en 1312, il est chargé de la frappe de gros d’argent pour le futur empereur Henri VII avec son collègue génois, Filippo de Nigro : acte du 13 janvier 1312 édité dans Schwalm 1906, n°728, p. 720, voir également le n°727, p. 719. 26

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Avant d’analyser les circonstances concrètes de l’intervention de la finance astésane dans ces mouvements de fonds, il n’est pas inutile d’essayer de formuler les conséquences macro-économiques de la diffusion massive d’une monnaie étrangère en Brabant. Théoriquement, cet afflux de millions de pièces d’esterlins dans nos régions, augmentant la masse monétaire, devait, dans sa phase initiale, participer de la richesse intérieure de la principauté en poussant les salaires à la hausse. Cette crue monétaire était alimentée par l’ampleur inaccoutumée des frappes monétaires, attestée tant en France qu’en Angleterre à la fin du XIIIe siècle, en raison des hostilités militaires entre les deux royaumes. Dans ces États, les frappes monétaires de la fin du XIIIe siècle auraient atteint des niveaux pour beaucoup inégalés pendant les deux siècles suivants. Il faudrait attendre les importations massives de métaux précieux du Mexique et du Pérou au XVIe siècle, pour revoir de tels volumes monétaires atteints 32. La conjoncture était doublement propice à l’intervention de financiers italiens dans des transferts d’argent entre Angleterre et Brabant33. En premier lieu, d’un point de vue commercial, l’industrie drapière brabançonne était incontestablement en phase de croissance. L’augmentation relative des importations de laine anglaise l’indiquait34. Il a déjà été montré dans le chapitre 1 que le marché de l’argent anglais formait un pôle d’attraction pour les capitaux brabançons dès le premier tiers du XIIIe siècle. Des marchands-entrepreneurs originaires du duché approvisionnaient les hôtels monétaires royaux anglais en billon des régions rhénanes, tout en étant rémunérés en lb. sterl. pour leurs opérations de change et en ramenant ces devises fortes pour les réinvestir en Brabant, notamment par des achats de laine anglaise. Ces marchands-entrepreneurs contrôlaient un ou plusieurs stades de production de la draperie en donnant leur laine à travailler aux artisans textiles, foulons, tisserands et teinturiers. L’approvisionnement en billon décroît sous Jean II, un indice évident de la présence accrue de fortes monnaies dans la principauté ; il est clair qu’il n’est plus indispensable d’aller en Angleterre pour se fournir en fortes devises. D’autre part, une autre forte monnaie circule maintenant couramment en Brabant, il s’agit du vieux gros ou de ses imitations continentales (fig. 8)35. Acheter ou recevoir des payements dans une monnaie forte, dans une période d’inflation généralisée, signifiait augmenter son pouvoir d’achat, à un moment où l’industrie textile flamande concurrente souffrait du blocus imposé au comté de Flandre. La nécessité de disposer d’une monnaie forte pour les négociants brabançons fut rappelée par l’accord monétaire du 31 octobre 1299 entre le fils aîné de Gui de Dampierre, Robert sire de Béthune et de Termonde, administrateur du comté de Flandre, et le duc de Brabant, conclu dans le contexte d’alliance politique des princes des Pays-Bas soutenant Édouard Ier. Outre le fonctionnement d’ateliers monétaires en Brabant et en Flandre, placés sous la surveillance de représentants flamands et brabançons et émettant des monnaies communes aux deux principautés, l’accord prévoyait que les marchands des deux pays pourraient se fournir en 32 Cfr. l’article classique de Miskimin 1985, voir surtout pp. 178-182 et Strayer 1977, pp. 269-291 et dernièrement Bois 2000, p. 29. Ce même auteur n’hésite pas à parler pour les économies du bas Moyen Age d’économies monétaires de production, accordant une place centrale à la masse monétaire en circulation sur les cycles de croissance médiévale (Ibidem, pp. 202-205). 33 Kusman 2001, pp. 25-28. 34 C’est ce qu’il faut déduire des données malheureusement éparses des archives douanières anglaises : de Sturler 1936a, pp. 309-310. A Hull, les importations de ballots de laine par les Brabançons forment 5,9% de l’exportation totale en 12941295 et 2,5 % en 1302-1303 ; à Boston, 13% en 1296-1297, 2,9% sur 6 mois en 1303 ; à Ipswich, 71% des exportations( !) en 1294-1298, à Southampton, 3,7% en 1286-1287 et 1,4% en 1308-1309. 35 Boffa 2005, p. 102, n. 37.

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Fig. 8. Vieux gros d’argent frappé en Brabant à l’époque de Jean II (1294-1312), avers et revers. L’avers de la pièce comporte déjà les lions à la queue fourchue symbolisant le duché de Limbourg annexé au Brabant. Comme sur les sceaux ducaux, l’écu est écartelé aux 1 et 4 des lions de Brabant et aux 2 et 3 des lions de Limbourg. Ce gros de Brabant doit avoir été frappé après le 1er février 1298, date à laquelle, le jeune duc sera adoubé par le roi d’Angleterre Édouard Ier et procède à un changement de ses armoiries, auparavant dépourvues des lions de Limbourg (Avonds 1999, pp. 73-74 et n. 264)- © BRB, Cabinet des Médailles, Collection de Jonghe, n°531-E71.

monnaie en ces ateliers pour commercer en Angleterre·. Une disposition de l’accord soulignait bien la situation stratégique des courtiers et des aubergistes dans la détention de capitaux étrangers circulant en Brabant et en Flandre. Les aubergistes et les « courtiers d’argent » ne pourraient vendre leur monnaie d’argent qu’aux employés des ateliers monétaires de Brabant et de Flandre36. En second lieu, d’un point de vue plus strictement monétariste, la livre sterling était à la fin du XIIIe siècle la devise la plus forte de l’Europe du nord-ouest. Dès 1260, en acquérir était un investissement estimé judicieux par les marchands-banquiers siennois qui tenaient également l’Angleterre comme une place financière favorable au crédit, les taux d’intérêt y étant plus élevés qu’aux foires de Champagne37. Il vaut la peine de rappeler ici une stratégie d’investissement répandue chez les marchands italiens actifs dans nos régions : l’acquisition et le maniement de devises fortes alors que la zone monétaire de l’Italie septentrionale était notoirement composée de monnaies tendant vers la dévaluation. Celle-ci s’exprimait de manière seulement moins brutale que pour les deniers d’argent tournois du royaume de France. L’affaiblissement progressif des petites monnaies d’argent circulant en Piémont et en Toscane fournissait au marché intérieur de ces régions un salariat à bon marché. En revanche, sur les marchés d’Europe du Nord-Ouest, les Italiens poursuivaient une politique systématique de placements en monnaies fortes38. A.D.N., B. 607, n°4240. L’intervention de courtiers-hôteliers est attestée pour l’atelier monétaire de Valenciennes en 1302 où il appert que le responsable de la monnaie rémunère les services des premiers pour l’aider à se procurer de l’argent à frapper, à raison de 1 s. 2 d. tour. par marc d’argent frappé (soit 8,75%) : Smit 1924-1939, vol. 1, Amsterdam, 1924, p. 10. 37 Les foires, en raison de leurs taux d’intérêt particulièrement bas et de leur monnaie faible -le denier provinois-étaient considérées comme des places avantageuses pour les emprunteurs. Il fallait acheter des esterlins et vendre des deniers provinois si l’on voulait en faire son profit : selon l’article de Sivery 1983, voir p. 142 (d’après une lettre de marchands siennois envoyée à leur associé en poste aux foires de Champagne, datée du 5 juillet 1260, traduite et présentée dans Lopez 20013, n°192, pp. 388-392). 38 Grunzweig 1953, p. 128 et plus récemment Cipolla 19933, p. 172. 36

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Toutes autres monnaies que la livre sterling étant interdites en Angleterre, la copie d’esterlins en Brabant battait son plein à l’époque. Les copies continentales d’esterlins, frappées dans le dernier quart du XIIIe siècle, furent bientôt nommées Anglici Brabantini en raison de la réputation prestigieuse des copies brabançonnes. Les payements au duc Jean II en livres sterling pouvaient, le cas échéant, favoriser une imitation des esterlins anglais. Appelés crockards et pollards en Angleterre, ces copies furent admises en Angleterre jusqu’à Pâques 1300, faisant exception à la règle, malgré leur aloi inférieur39. L’importation massive d’esterlins créait au bout du compte une spirale ascendante de croissance : en facilitant la copie des différents types de monnaies anglaises sur le continent, elle permettait de financer les échanges commerciaux avec le royaume d’Angleterre. Ce processus a été mis en évidence pour d’autres principautés d’Europe du nord-ouest tel l’archevêché de Cologne40. Si l’on revient à présent aux techniques et aux réseaux humains mis en œuvre pour effectuer les transferts d’argent de l’Angleterre vers le duché de Brabant, un constat pourrait résumer cette aventure anglaise : une poignée d’intermédiaires privilégiés furent mandatés pour recevoir au nom du duc Jean II les sommes promises par le roi d’Angleterre. L’historien est le plus à même de comprendre les rouages de cette intermédiation financière en établissant une typologie des systèmes de payement de la couronne anglaise. L’action des agents du duc de Brabant peut être observée au travers de quatre systèmes distincts : - le versement de la main à la main par mandat royal sur l’Échiquier à Westminster : il s’agissait le plus souvent d’un « bref de Liberate », c’est-à-dire d’un mandat royal abrégé donné au trésorier de l’Échiquier – le trésor anglais – pour délivrer immédiatement aux créanciers royaux la somme d’argent due41. - le payement par assignation sur les revenus douaniers de la laine anglaise exportée sur le continent. - le versement de la main à la main par mandat royal sur la trésorerie anglaise d’Anvers, financée par le produit des ventes de laine sur le continent. Cette trésorerie, chargée de centraliser les fonds nécessaires à la campagne militaire d’Édouard Ier fut instituée à Anvers entre 1295 et décembre 129842. - le payement par des lettres obligatoires encaissables sur les foires de Champagne. Afin de bien saisir l’enjeu de la participation à ces transferts de fonds complexes pour les différents groupes sociaux en présence, j’ai ramené sous forme tabulaire le volume de chaque catégorie d’opération et l’importance relative des différents agents financiers y prenant part (voir fig. 9). Le grand nombre d’assignations sur les revenus de la taxation de la laine retient aussitôt l’attention. Le recours intensif à ce procédé n’est guère étonnant quand on connaît l’usage immodéré que les monarques anglais firent de la taxation indirecte pour soutenir l’effort de guerre contre le roi de France Philippe IV43. La coutume de la laine, d’un montant de 40 s. À ce sujet, voir l’article de Mate 1969, voir p. 204, n. 16. La diffusion de ces monnaies atteignit un pic après 1294. Leur interdiction à la circulation fut décidée car elles menacèrent finalement la stabilité monétaire anglaise. 40 Sur cette pratique, voir au point de vue de l’histoire monétaire Spufford 1988, p. 191 et Huffman 1988, p. 56, pour l’exemple similaire des échanges économiques entre Cologne et Angleterre basée sur l’imitation d’esterlins par les Colonais et leur ré-utilisation pour financer leurs achats en Angleterre. 41 Sur cette pratique comptable : Favier 1971, pp. 257-258. 42 de Sturler 1936a, pp. 174-196. 43 Ormrod 1996, pp. 114-116 et p. 124. 39

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Type de payement et nombre d’opérations

Astésans

Florentins /Lucquois

Brabançons

Assignation sur la taxation de la laine :11

9

5

7

5

Versement à l’Échiquier : 5

3

1

2

Versement à la Trésorerie d’Anvers : 5 Lettres obligatoires payables aux foires de Champagne : 1

Anglais

8 1

Gueldrois

1 1

Total opérations : 22 Fig. 9. Les systèmes de payement utilisés pour rembourser le duc de Brabant et l’importance respective des intermédiaires y participant par origine géographique.

sterl. par sac de laine était prélevée dans les ports de Boston, Great Yarmouth et Londres. Grâce à ces revenus plantureux, le roi d’Angleterre remboursait ses créanciers les plus importants, spécialement ceux qui appartenaient aux grandes compagnies bancaires toscanes tels les Riccardi de Lucques, entre 1275 et 1294 et les Frescobaldi, entre 1304 et 131144. Les profits assurés découlant des assignations sur la fiscalité indirecte expliquent la forte attraction qu’elles pouvaient exercer sur les manieurs d’argent présents à la cour brabançonne : ces assignations recouvrirent 50% du total des opérations. La concurrence aiguë suscitée par l’appropriation de tels revenus s’exprimait dans la participation des Florentins, présents uniquement dans le cadre de ces opérations financières. Une clef de lecture intéressante de ces assignations sur la laine est de s’attacher à l’importance des commissions rattachées à leur perception, d’une part et à leur répartition par groupe social, d’autre part. En la matière, les commissions perçues par les mandataires placés sous la direction du chevalier de l’hôtel ducal, Arnould d’Yssche, s’écartèrent fortement de la norme45. Conformément au traité conclu dans l’île de Llanfaes à la fin du mois d’avril 1295, le duc de Brabant pouvait percevoir une somme de 4 000 lb. sterl. sur la coutume prélevée sur la laine anglaise exportée par les marchands brabançons. La perception de cette somme nécessita pas moins de cinq opérations distinctes étalées entre octobre et décembre 129546. Au cours de la principale opération, Arnould d’Yssche, mandataire de Jean II, réussit avec ses deux associés, les marchands Lapo Bourcato et Guillaume de Nova Villa, à s’approprier la totalité d’une cargaison de laine dans le port de Boston, appartenant aux marchands de 44 Kaeuper 1973, pp.  82-83  ; Sapori 1947, voir p.  28 et p.  122. D’autres compagnies florentines reçurent pour leurs créances des assignations sur la coutume de la laine telle la compagnie des Spini, dès 1296-1297 : T.N.A.,E.372/146, m.36/2/v°. 45 Arnould d’Yssche est désigné comme familier et chevalier du duc en 1295 : acte donné à Louvain édité dans Kern 1911, p.74, n°106 [3/9/1295]. Les termes de l’acte, dilectus et familiaris noster sont employés dès le milieu du XIIIe siècle et dénotent l’appartenance à la familia et à l’hôtel du prince, voir sur base de l’évolution institutionnelle de l’entourage des comtes de Hollande au XIIIe siècle (Burgers 1998, p. 78). Pour le concept de familia en Brabant, faisant référence à l’entourage et à l’hôtel du prince à partir du XIIe siècle, voir en dernier lieu : Croenen 1999, voir p. 44, n. 19. 46 T.N.A.,E.372/146m.36/2/v°/compte des collecteurs de la coutume de la laine du port de Boston (1294-1297)  ; T.N.A., E.403/99/m.1-4 (Issue Roll de la 23e année du règne d’Édouard Ier). Memorandum de divers versements au profit du duc de Brabant, complété par T.N.A.E.159/69, m. 21, d. T.N.A. ; E.30/34 T.N.A., et E.101/457/1 (Exchequer, King’s Remembrancer, Various Accounts).

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Brabant. D’un poids supérieur à 41 tonnes, la laine détournée était exemptée de toutes taxes par concession royale. Le 5 octobre 1295, le roi d’Angleterre avait effectivement octroyé à l’ensemble des marchands brabançons d’importer dans le duché une quantité de laine équivalente à une taxation de 500 lb. sterl., soit, à 2 lb. par sac, une quantité de 250 sacs de laine (voir Annexes, Schéma 1, n° 1.1). Non seulement les marchands brabançons furent spoliés d’une quantité de 250 sacs de laine, mais au surplus, ils furent forcés de payer une taxe de près de 500 lb. sterl. aux collecteurs du port de Boston, au profit d’Arnould et de ses associés, qui déclarèrent agir au nom du duc de Brabant47. Les bénéfices potentiels de la transaction représentaient pour Arnould d’Yssche et ses compagnons une somme minimale de 1 750 lb. sterl., comprenant le montant de la taxation de 500 lb. sterl. auquel il fallait ajouter le résultat du prix de vente unitaire moyen de 5 lb. sterl. par sac, soit un montant de 1 250 lb. sterl., pour une quantité de 250 sacs. Mais il y a plus, en sus de l’opération de détournement, Arnould d’Yssche encaissa une commission de 1 030 lb. sterl. au 21 décembre 1295, correspondant vraisemblablement à un intérêt total de 47% comptabilisé sur les 4 000 lb. promises le 28 avril et acquittées complètement près de 8 mois après48. En l’espèce, l’opération de transbordement de la laine profita à des happy few en comptes avec le duc de Brabant et très intéressés au commerce textile. La composition sociale du groupe des mandataires ducaux l’atteste. Le premier d’entre eux, Arnould d’Yssche dit le Brun appartenait, on l’a vu, à l’hôtel ducal, autrement dit, en tant que familier ducal, il pouvait donner ou de ne pas donner accès à la personne ducale. Il était pour les marchands étrangers fournissant les cours princières un personnage-clef. En mandatant Arnould en Angleterre, Jean de Brabant avait désigné un vassal et conseiller ducal expérimenté, écouté de son père, Jean Ier49. Combattant éprouvé s’étant distingué pendant la guerre de succession du Limbourg, il exerçait sûrement un ascendant sur le jeune duc, amateur de tournois en Angleterre et pas encore adoubé50. Cet ascendant était reconnu par le roi d’Angleterre qui le gratifia d’un don de 50 lb. sterl., une manière habituelle pour le monarque de s’assurer des appuis dans l’entourage des T.N.A., C. 62/71/m.2[5/10/1295]et T.N.A. E. 372/146, m. 36/2/r° et E. 159/69, m. 21 d. (compte des collecteurs de la coutume de la laine du port de Boston [10/10-21/12/1295]). Les collecteurs de Boston ne dénombrèrent que 249 sacs de laine et 178 toisons laineuses taxées et transportées par Arnould et ses acolytes. Il s’agissait sans doute de tromper les apparences en ne spécifiant pas dans leur compte de taxation la quantité exacte de 250 sacs de laine, appartenant à la communauté des marchands de Brabant. 48 C’est ce qui ressort de la comparaison de l’Issue Roll de 1295 (T.N.A. E. 403/99/m. 1-4) et du Memoranda Roll de la même année (T.N.A. E. 159/69, m. 21 d.). Alors que le premier donne un total de 5 880 lb. sterl. payées au 21 décembre 1295, le second laisse paraître un arrièré de 1 450 lb. au 14 décembre alors qu’à cette date, selon la première source, il ne restait à acquitter que 850 lb. sterl., le total reçu étant déjà de 5 030 lb. sterl. ! Il est clair que les 1 030 lb. sterl. en surplus dans le premier compte proviennent d’une généreuse commission destinée à Arnould d’Yssche et ses partenaires. 49 Bonenfant 1953, n° 178, pp. 226-228 [10/6/1277]. Arnould d’Yssche figure parmi les feudataires du duc de Brabant scellant l’acte. Son sceau portant la légende S. ARNOLDI DE YSKA DICTI BRUNS MILITIS, et dans le champ, un écu à trois fleurs de lis, est exactement le même que celui qu’il employe en Angleterre en 1295 (cf. infra, p. 131 fig. 10, le sceau appendu à la charte T.N.A., E30/34), ce qui permet une identification certaine entre les deux personnages. Dans le contexte de la perception de la taille ducale, en 1286, A.G.R., C.C., C.R., n° 2602, m. 8, le duc de Brabant Jean Ier est en contact avec Arnould. 50 Willems 1836, voir p. 87, l. 2263-2264, pour sa participation au blocus d’Aix-la-Chapelle en 1284 et p.191(bataille de Worringen), 5094-5095 et p. 307 (bataille de Worringen en 1288), l. 846-849. Pour les tournois auxquels participe le jeune prince jusqu’au 16 mai 1293 : T.N.A., E. 101 /353/4, m.3-m.4 (Compte des dépenses de l’hôtel de Jean de Brabant et de Thomas et Henry, fils du frère du roi Édouard Ier, Edmond, comte de Lancaster). Jean II ne fut adoubé qu’entre l’automne 1297 et le mois de mars 1298 à Gand par le roi d’Angleterre en compagnie d’autres princes d’empire (de Sturler 1936a, p. 152, n. 59 et Avonds 1999, pp. 91-92). La proximité d’Arnould avec le duc est renforcée par le séjour du chevalier en Angleterre dans l’hôtel du jeune prince, dès 1286-1287 : Byerly et Ridder Byerly 1986, n°3249, p. 401. 47

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princes d’empire51. Ce sont toutefois les liens d’Arnould avec le commerce drapier qui doivent retenir notre attention : entrepreneur aguerri, il n’est pas impossible qu’il ait profité de son séjour Outre-Manche pour promouvoir ses intérêts privés à Overijse. Il détenait dans cette localité avant 1290 un petit domaine d’une valeur de 13 lb. tour., comportant des prés. Ces prés pouvaient être arrentés, éventuellement pour y installer des troupeaux de moutons ou pour y sécher la laine avant qu’elle ne soit donnée à des tisserands52. Or, la bourgade d’Overijse – et donc le domaine foncier d’Arnould – appartenait au douaire de Marguerite d’Angleterre, épouse de Jean II. En outre, une halle aux draps était sans doute en activité à Overijse. Cela donnait une opportunité supplémentaire aux marchands locaux de nouer des relations avec la maison royale anglaise53. Dès 1234, le duc de Brabant Henri Ier avait voulu y stimuler le développement d’activités textiles en exemptant les bourgeois locaux des droits de péage à Louvain, Wavre et Bruxelles, à la condition qu’ils fassent fabriquer des draps de laine dans leurs maisons, selon leurs moyens54. À la suite de cette charte, les indices convergent pour démontrer l’essor du commerce du drap à Overijse : à l’installation d’un béguinage en 1267 succéda bientôt la présence de foulons dans la ville, suivie de la perception d’une assise des draps en 1350, contemporaine de la présence de pas moins de trois blanchisseries55. Par ailleurs, l’activité d’une table de prêt piémontaise à Overijse pouvait favoriser l’ouverture de la bourgade vers le négoce international. Arnould d’Yssche ne gagna-t-il pas dans la dernière décennie du XIIIe siècle le sobriquet d’Arnould Lombard 56 ? Dans ces conditions, cet entreprenant chevalier aurait très bien pu porter les aspirations d’un groupe de marchands-drapiers locaux coopérant avec les financiers astésans d’Overijse (les Roero), en important de la laine anglaise, en la faisant travailler et en l’écoulant partiellement sur le marché régional, grâce à la halle aux draps. L’entregent remarquable d’Arnould d’Yssche explique son association avec Lapo Bourcato et Guillaume de Nova Villa. Bourcato était un facteur du Florentin Donato Velluti, dont la compagnie pratiquait le négoce de la laine anglaise et avait prêté une somme de 6 51 T.N.A., C.62/71/m.2 [5/10/1295]. Édouard Ier n’hésitait jamais à délier sa bourse pour des gratifications à des personnages qu’il jugeait importants dans l’entourage immédiat des princes dont il recherchait l’alliance : Wikbold de Holte, « clerc et familier » du roi d’Angleterre doyen du chapitre cathédral de Cologne, prévôt d’Aix-la-Chapelle et secrétaire de l’archevêque de Cologne bénéficia ainsi d’une prébende à la cathédrale de Dublin et d’une somme de 500 lb. sterl. en 1294 de la part du roi d’Angleterre pour son action dans le ralliement à la cause anglaise de l’archevêque de Cologne Siegfried de Westerburg(1275-1297) : Trautz 1961, p.133 et de Sturler 1959, pp. 578-579 et p. 601. 52 À Bruxelles, le Wollendries ou pré aux laines sert à cet usage : Billen, et Duvosquel 2000, p. 68. 53 A.G.R., Chartes de Brabant, n°147, analyse dans Verkooren 1910, n°147, pp.110-112, acte du 14 décembre 1290, vidimus d’Edouard II, du 4 décembre 1312. Dans un passage consacré à Overijse et Rosières, on assigne onse livres quinse saus [de Louvaignois]de la maison dou pain & de dras pour le douaire de Marguerite d’Angleterre sans spécifier la localisation exacte. Le village de Rosières (actuellement prov. de Brabant, arr. de Bruxelles) était imbriqué dans la franchise d’Overijse, selon certains seulement jusqu’au XIIIe siècle selon d’autre encore ultérieurement (Vande putte 1994, voir le chap. 5.5, Het domein van Hertoginnedael to Overijse en te Rozieren(1992), pp. 226-236 et Denayer 1997). 54 Moyennant quoi, ils bénéficiaient d’un droit d’usage dans la forêt de Soignes : Steurs 1971-1972, voir n°47, p. 257 [décembre 1234] éd. dans Willems 1839-1869, t. 1, p. 642 : le passage relatif à la confection des draps, probablement à base de laine indigène, est le suivant :Ceteri autem burgenses ejusdem ville usuarium et jus in silva nostra habebunt, prout hactenus habuerunt, hac conditione adjecta, quod singuli burgenses pannos laneos in domo sua componi facient, secundum quod sibi competent facultates.Voir aussi Hasquin 1980-1981, vol. 4, Flandre, pp. 2578-2579. 55 Denayer 1999 ; Vande Putte 1997, voir pp. 141-144. Pour la mention de foulons : Wauters 1971-19752, livre 9, chap. 3, p. 448 : un Henri Fullo est échevin d’Overijse en 1319. 56 Arnould d’Yssche dit Lumbart, est cité en 1306, dans une charte des échevins d’Overijse (Martens 1977, t. 5, n° 74, p. 48[7/1/1306]) et la table des Lombards est citée en 1286 dans le compte de l’amman de Bruxelles (A.G.R., C.C., C.R., n° 2602, m. 6). Il serait très tentant de retrouver Arnould d’Yssche dans le personnage cité comme Arnaldus Lumbard, aux côtés d’un marchand louvaniste, Jean le Parcheminier et qualifié de marchand importateur de laine le 23 septembre 1296 dans SMIT 1928, n°123, n°123, § 13 d’après le Custom account E.122 5/5 du 14 mai 1296 au 1er juillet 1297. Malheureusement, le prénom Arnould étant assez répandu, ceci ne peut rester qu’une hypothèse.

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Fig. 10. Sceau employé en Angleterre par Arnould d’Yssche le 21 décembre 1295 à Westminster pour donner quittance au nom du duc de Brabant à l’Échiquier Royal de la somme de 4 000 lb. sterl., assignée sur la coutume de la laine (©T.N.A., E.30/34), comportant 3 lys sur un écu et la légende S.[pour SIGILLUM][ARNOL]DI DE YSKA DICTI BRUNE MILITIS).

000 lb. tour. au duc de Brabant. Lapo participait à l’assignation de la laine du duc de Brabant sans aucun doute en raison de son statut de créancier prioritaire du duc57. Quant à son collègue, Guillaume de Nova Villa, il était peut-être d’origine astésane, Villanova – ressortant au contado d’Asti – ayant été déformée par les scribes anglais en Novavilla58. L’intermédiation de Bourcato et de Nova Villa doit bien, en tout cas, être considérée comme la récompense de leurs services financiers à la maison ducale. L’expression per manus, utilisée par les clercs anglais de l’Échiquier pour désigner l’intervention des deux négociants aux côtés d’Arnould d’Yssche, pourrait d’ailleurs le confirmer. Cette expression était employée à l’endroit des créanciers royaux obtenant de l’Échiquier la somme reçue en payement de leurs avances59. La discrétion des sources brabançonnes et flamandes au sujet des deux Italiens suggère fortement que ceux-ci, qualifiés de « bourgeois de Bruxelles » par les clercs anglais de l’Échiquier, n’étaient que de passage dans cette ville. Sans doute comptaient-ils réexporter la part de laine qui leur était échue vers la Toscane par la voie terrestre via les foires de Champagne ou bien la revendre à des drapiers brabançons. A.G.R., C.C., n°1, f°107v°[11/10/1295]. Lapo Bourcato donne quittance d’une somme de 6 000 lb. sterl. à Arnould d’Yssche. Les témoins de l’acte appellés à la demande de Bourcato sont Taldo Janiani de la compagnie des Frescobaldi, un officier royal représentant la ville de Londres, John Bret et maître Geoffroy de Vezanno, clerc du pape, un collecteur pontifical présent de longue date en Angleterre, en compte avec les banquiers toscans : Kaeuper 1973, p. 90, signale la présence de Giffredo de Vezzano dès 1281 lorsqu’il reçoit des payements des Riccardi en faveur du pape, de la part d’Édouard Ier. Vezano est encore au service du pape Boniface VIII en 1298 (Digard, Faucon et Thomas 1890, n°2487, p. 67). Sa présence révèle l’importance des circuits financiers internationaux auxquels participaient les Frescobaldi et les Velluti. L’intervention d’un officier royal représentant la cité de Londres était quant à elle motivée par la révocation des privilèges de la ville entre 1285 et 1298 par le roi d’Angleterre et la tutelle royale exercée sur celle-ci, matérialisée par l’existence de deux custodes ou gardiens royaux nommés à la tête de la ville (Raban 2000, p.50). 58 Villanova d’Asti était une ville-neuve contrôlée par Asti, à l’ouest de la ville où s’étaient établies de nombreux lignages astésans dès le premier quart du XIIIe siècle : Castellani 1998, p. 218. 59 L’assignation de la laine se fait per manus Ernulphi Diske, attornati eiusdem, per manus Lapi Boucare et Willelmi de Nova Villa burgensium et mercatorum de Brusella (T.N.A. E. 372/146, m. 36/2/r°). Lorsque certains payements au bénéfice du roi Édouard Ier sont effectués par les Riccardi, compagnie lucquoise au service d’Édouard Ier, ils sont accompagnés de la mention per manus en 1282-1283, dans les comptes de la Garde-robe royale selon Kaeuper 1973, pp. 125-127. Dans ces mêmes années, les Riccardi avancent des sommes d’argent à Édouard Ier dont on ne trouve, par ailleurs, aucune trace de remboursement. 57

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La forte compétition suscitée par le marché des commissions sur les assignations de la laine transparaît à nouveau de l’opération d’assignation de 25 000 lb. sterl. exécutée entre le 2 février et le 20 novembre 1297. La pluralité des partenaires mentionnés l’illustre autant que la diversité de leurs statuts sociaux. Ils étaient Florentins comme Taldo Janiani, Astésans comme Vivaldino Marrono et les membres de la famille de Mercato, bruxellois comme le marchand Jean Papsac et enfin Gueldrois comme le seigneur Jean de Cuyck (voir Annexes, Schéma 1, n° 1.4). La laine des marchands brabançons taxée dans les ports de Boston, Great Yarmouth et Londres devait servir à cette assignation, destinée à financer un prêt de 100 000 lb. n. t. promis au duc de Brabant par le roi Édouard Ier depuis 129560. La modicité des commissions prélevées en 1297 par les intermédiaires astésans frappe d’emblée : elles se situèrent entre 0,27% et 1,52% avec un seul pic à 3%. C’étaient là des chiffres situés plutôt en-dessous de la moyenne des frais contemporains s’appliquant aux mouvements de fonds anglais61. Les marchands piémontais auraient été moins gourmands que les courtiers brabançons dans la fixation de leurs frais. Il s’agissait vraisemblablement des taux que les Lombards étaient socialement autorisés à exiger. Le bas niveau des frais réclamés renforçait la légitimité des Lombards à participer aux mouvements de fonds du duc de Brabant, domaine fortement convoité par les élites urbaines et les courtisans de Jean II62. Symptomatiquement, le Florentin Taldo Janiani, pourtant au service de la grande compagnie des Frescobaldi, parut lui aussi maintenir ses tarifs de courtage à un niveau extrêmement bas : sans doute pas plus de 0,3%63. Au contraire, les frais de courtage des marchands des anciens Pays-Bas et des membres de la cour ducale étaient beaucoup plus élevés, je l’ai déjà observé dans le cas d’Arnould d’Yssche, dont la commission dépassa aisément les 30%. En 1297, le marchand et courtier bruxellois Jean Papsac obtenait, toujours dans le cadre de la perception des 25 000 lb. sterl. promises au duc de Brabant, une commission de 5% sur une somme de

Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 3, pp.  231-232. Il est question pour la première fois d’un prêt du roi d’Angleterre au duc de Brabant le 15 août 1295 (A.G.R., Chartes de Brabant, n°157, acte du roi d’Angleterre donné à Westminster) quand le premier s’excuse envers le second de ne pouvoir lui avancer cet argent pour l’instant car il a eu fort à faire, notamment dans les Galles, alors théâtre d’une campagne militaire d’envergure. Ce prêt est mentionné avec la date de 1296-1297 par de Sturler 1933, n°39, p. 20 (acte perdu dont le seul millésime, 1296, est donné dans des inventaires de 1323 et 1340-1341). Il est également évoqué par les collecteurs de la coutume de Boston en 1297 dans leur compte : Et Johannes, dux Brabantie, cui ijdem collectores liberaverunt.m.m.ccc. xxxiij. li. xv.s.ob., in partem solutionem decem millium librarum, que rex precepit de dicte custuma, per eosdem collectores solvenda eidem duci in partem solutionis .xxv. millium librarum, que rex eidem duci concessit de prestito percipiendo, de custuma regis per diversos portus regni (T.N.A., E.372/146m.36/2/v°). Les autres documents portant sur l’assignation sont les suivants : T.N.A. E. 159/70, m. 107 v° ; Calendar of the Close Rolls 1892-1898, vol. 2, p. 506 [3/11/1317] ; T.N.A. E./122/5/14 (Custom Accounts). 61 Je considère comme commission le versement de 38 lb. sterl. 17s. 3d. sterl. sur un total de 10 000 lb. (T.N.A.E/122/5/14), soit 0,39% pour Vivaldino Marrono et la perception par le même de 302 lb. 11 s., 3 d. 1 obole sur un le transfert de 10 000 lb. sterl. (T.N.A., E. 372/146 m.36/2/v°), soit 3,02%. Enfin, Uberto de Mercato et le même Marrono perçoivent respectivement des commissions de 1,52% et 0,27% (T.N.A.,E. 372/146m.36/2/v° ; Calendar of the Close Rolls 1892-1898, vol. 2, p. 506, dans un acte du 3 novembre 1317 ; Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 3, pp. 231-232.). Fryde 1962, p. 1186, évalue les frais bancaires enregistrés par les fonctionnaires anglais pour le transport de l’argent vers les Pays-Bas entre 1294 et 1298 entre 2 à 3 % et observe les mêmes pourcentages pour les commissions prélevées par les compagnies bancaires au service de la curie pontificale au début du XIV e siècle. Chez les Florentins, la rémunération des mouvements de fonds de leurs clients variait de 1 à 5% (Renouard 20092, p. 201). 62 Sur ce rite sociologique d’interaction avec les élites dominantes où les minorités ethniques se conforment aux attentes de celles-là en acceptant des salaires en rapport avec leur origine raciale et non avec le niveau de la fonction : Goffman 19692, pp. 47-48. 63 Sur une assignation de 10 000 lb., il ne reçut que la somme de 31 lb. 11 s. 3 d., soit 0,3% (T.N.A.E/122/5/14). 60

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4 000 lb., payable par assignation sur les revenus de la laine au port de Boston64. Les tarifs élevés demandés par les courtiers des métropoles commerciales des anciens Pays-Bas aux marchands étrangers reflétaient pareillement cette réalité : près d’un quart de siècle plus tard, Pegolotti, facteur des Bardi vers 1315, s’en plaignit amèrement lorsqu’il négociait des achats de laine à Bruges pour sa compagnie65. C’était plutôt dans l’arbitrage des changes, suivant la réception des esterlins anglais, que les manieurs d’argent italiens pouvaient escompter quelque marge bénéficiaire. Le change avantageux de la livre sterling en monnaie tournois et en monnaie brabançonne était notoire. Des profits variant entre 4 et 5% s’offraient aux marchands-banquiers maîtrisant les taux de change européens66. Ce profit indirect était par essence moins visible et donc plus acceptable par les groupes sociaux dominants à la cour brabançonne. Intéressons-nous de plus près à l’organisation des divers protagonistes de l’assignation de 1297. En relation avec ce qui a été dit sur le niveau des commissions, une hiérarchie se dégage au sein du groupe des mandataires ducaux (voir Annexes, Schéma 1, n°1.1. bis et n°1.4). Au sommet, on rencontre le seigneur Jean de Cuyck qualifié d’attornatus, il avait toute latitude pour agir au nom de Jean II, possédant un statut très similaire à celui d’Arnould d’Yssche en 1295 (Annexes, Schéma 1, n° 1.1). Jean de Cuyck fut le grand maître d’œuvre des transferts financiers réalisés entre le royaume d’Angleterre et le duché de Brabant entre 1297 et 1305. À un échelon inférieur, opéraient des fondés de pouvoir subalternes, semblables aux facteurs des grandes compagnies toscanes, tels le Florentin Taldo Janiani, des Frescobaldi, Vivaldino Marrono et Enrico de Mercato, représentant les intérêts des sociétés de prêt piémontaises en Brabant. Les trois Italiens jouèrent un rôle prépondérant dans l’encaissement de l’assignation de 25 000 lb. sterl. en 1297. Seul marchand brabançon, Jean Papsac remplissait une fonction analogue aux Italiens, étant désigné lui aussi comme procureur de Jean de Cuyck. L’intervention de fondés de pouvoir ou attornati était une pratique courante dans le commerce de la laine en Angleterre ; ces personnages connaissaient très bien les arcanes financières et légales de leur métier67. Au niveau hiérarchique le plus bas, le frère, le neveu et le cousin d’Enrico de Mercato intervenaient pour réceptionner physiquement l’argent à Bruxelles  : il s’agissait respectivement d’Andrea, Giacomo et Uberto de Mercato68. La situation prééminente de Jean de Cuyck dans l’organisation des transferts d’argent sous-tend, tout d’abord, un phénomène assez neuf dans la haute-noblesse du duché de Brabant, emblématique de l’adaptation des mentalités nobiliaires du XIIIe siècle à l’économie de profit : l’insertion dans le monde de la haute finance, car Jean de Cuyck T.N.A., E.372/146m.36/2/v° ; Calendar of the Close Rolls 1892-1898, vol. 2, p. 506 [ 3/11/1317] ; Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 3, pp. 231-232 ; T.N.A.E/122/5/14. 65 À Bruges, vers 1303, le courtage s’élèvait sans doute à 3,33% sauf pour les marchands de la Hanse, bénéficiant d’un tarif de faveur. Pegolotti regrettait qu’il faille rendre les courtiers de la laine plus “bienveillants” en leur versant une prime officieuse équivalente à la moitié de leur tarif de courtage normal (de 4 d. gr., soit 2 d. gr. en plus) : Van Houtte 1950, p. 191, n. 6, pp. 192-193. 66 Ces profits perçus sont libellés par les Florentins de avantagio cambij. Ils sont cités dans le compte de la mission de l’évêque Gauthier de Langton, ambassadeur d’Édouard Ier sur le continent : en février 1297, en Angleterre, 24 000 lb. n.t. dues au comte de Flandre n’étaient plus équivalentes qu’à 5 760 lb. sterl., soit un gain sur le change de 4% , tandis que 250 lb. sterl. étaient changées pour 1 050 lb. n.t. par les marchands Florentins Mozzi en Brabant, soit un taux de proft de 5% (Cuttino 1941, pp. 178-179). 67 Ils agissaient aussi fréquemment pour les abbayes souhaitant entrer en contact avec les marchands étrangers  : Bell, Brooks et Dryburgh 2007, p. 44 et p. 64. 68 T.N.A., E.159.70m.107v° ; T.N.A.,E.372/146m.36/2/v°. 64

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tirait autant profit de ses ressources domaniales que de ses aptitudes diplomatiques. Signe de sa richesse, dès 1289, il s’était porté garant d’un emprunt de Jean Ier à des bourgeois de Cologne69. Un pas supplémentaire fut franchi quand, en 1295, Jean de Cuyck fut remboursé par le duc Jean II d’une somme équivalente à dix fois la redevance annuelle due par les tisserands de Louvain à ce dernier70. Son activité fébrile dans la supervision du transfert des fonds anglais vers le Brabant trahissait cette position grandissante de bailleur de fonds des ducs de Brabant71. Aristocrate étranger à la cour ducale – ses principales possessions étant sises dans le comté de Gueldre – il pouvait compter sur des ressources fiscales régulières : les revenus de la fiscalité de transit prélevés dans le tonlieu de sa seigneurie de Grave, située sur la Meuse, axe vital du trafic hollando-rhénan reliant Dordrecht à Cologne et, au-delà, aux villes hanséatiques plus éloignées. La ville de Dordrecht contesta sans grand succès ce droit de taxation sur le trafic en provenance de la ville hollandaise72. Jean de Cuyck était pareillement très instruit de la position stratégique de la seigneurie de Grave pour la circulation des monnaies sonnantes et trébuchantes. En témoigne sa participation, à la fin de l’été 1296, avec la complicité des officiers du duc de Brabant, à un détournement d’argent promis par le roi Édouard Ier à l’archevêque de Cologne Siegfried de Westerburg. Parti de Dordrecht, les deniers anglais, équivalant à une somme de 1 540 lb. sterl., devaient rejoindre la Rhénanie en passant par la Gueldre73. La nouvelle du détournement parvint au roi d’Angleterre en février 1297 qui promit de s’en entretenir avec le duc de Brabant et Jean de Cuyck afin de faire restituer les esterlins promis à Siegfried de Westerbug74. La somme avait été distraite dans le « conduit » du seigneur de Cuyck, c’est-à-dire, alors que le convoi était censé être placé sous sa protection75. La minuscule ville de Grave était en effet un fief direct d’Empire enclavé en Gueldre  ; le seigneur local pouvait y exercer la haute-justice76. La confiscation des capitaux anglais s’insérait dans le contexte des droits de péage contestés Stadtarchiv Köln, HUA n°545 : caution pour une somme de 500 marcs de Cologne pour le duc et son frère, Godefroid d’Aerschot, seigneur de Vierzon. 70 Soit 2 000 lb. de Louvain : Van Uytven 1961, p. 149. Pour l’acte du 25 janvier 1295 n.s., date de la quittance de Jean de Cuyck envers le duc de Brabant : A.G.R., C.C., n°1, f°107 v°. 71 Outre les assignations faites sur les douanes de la laine, il n’est pas impossible que certains payements à l’Échiquier et par lettres obligatoires lui aient été assignés comme intermédiaire en guise de remboursements de prêts antérieurs durant la période 1297-1305 pour un total de 13 518 lb. 15 s. sterl. (Lyon 1955, p. 86 et pp. 88-92) . 72 Des marchands de Lübeck reçurent un sauf-conduit du seigneur de Cuyck dès 1279 (Van Uytven 1992c, voir pp. 75-76). L’exercice du droit de taxation du seigneur de Cuyck déboucha sur un conflit avec la ville de Dordrecht en 1285 (Van Den Bergh 1866-1873, vol. 2, n°552, pp. 242-243). 73 La somme avait été envoyée de Malines (également siège d’une trésorerie anglaise) vers la trésorerie de Dordrecht, entre juillet 1294 et le 7 août 1295, période d’activité d’une trésorerie anglaise à Dordrecht, dirigée par Robert de Segre et Elias Russel : de Sturler 1959, p. 607 : la somme est mentionnée pro solucione facienda attornato archiepiscopi Coloniensis. Une somme totale de 10 000 marcs sterl. avait été promise à l’archevêque Siegfried de Westerburg par Édouard Ier, dès 1294, pour prix de son alliance contre le roi de France (Ibidem, p. 598) 74 Rymer 1815-1830, vol. I, 2, p. 859 [ 7/2/1297]. Gauthier de Langton, évêque de Coventry et de Lichfield, Othon de Grandson, chevalier et le chanoine Jean de Berwick sont dépêchés ad partes Brabantiae et Hollandie pour s’interposer entre l’archevêque et le duc, les ramener à la paix et faire restituer les sommes. Ce fut le frère Hermann, de l’ordre des chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem qui apporta la nouvelle à Édouard Ier : (. . .) super denariis, per gentes ducis Brabantiae, in conductu domini de Cuk ablatis, ut asseruit(. . .). La datation de la saisie est permise grâce à une transcription d’un acte du 16 septembre 1296, donné à Bruxelles et consigné dans le cartulaire des seigneurs de Diest où le duc reconnut que le lieu où des saisies avaient été récemment opérées en son nom, ne relevait pas de son autorité : de Sturler 1936b, voir p. 153 et p. 176 : (. . .) quod locus in quo denarii archiepiscopi Coloniensis noviter ex parte nostra capti fuerunt et retenti, de nobis non tenetur et quod nullum jus justiciamve altam sive bassam habemus in eodem. 75 De Craecker-Dussart 1974, pp. 185-186 ; Doehaerd 1976, pp. 203-217. 76 Le pays de Cuyck était fief d’empire et les ducs de Brabant n’y avaient aucun pouvoir : Coldeweij 1981, p. 127. 69

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par la ville de Dordrecht : en saisissant l’argent, Jean de Cuyck ne faisait que manifester son droit légitime de taxation sur le transit du numéraire par son territoire. Ensuite, la stature de seigneur frontalier de Jean de Cuyck, demeurant en territoire gueldrois, mais proche du pays brabançon, participait aussi de son admission dans le cercle des mandataires ducaux77. Cette situation le prédisposait aux missions d’ambassadeur tant pour le comte de Flandre, dont il était devenu le vassal en 1294, que pour le pour le roi d’Angleterre78. Comme ambassadeur anglais envoyé vers le roi des Romains, Jean de Cuyck s’employa avec succès à convaincre son parent, Adolphe de Nassau, de rejoindre l’alliance des princes impériaux dirigée contre le roi de France79. Il occupait donc une place primordiale sur l’échiquier politique des anciens Pays-Bas, un fait qui n’échappait nullement à Édouard Ier et à Jean II de Brabant80. Le rôle de confiance qui lui fut attribué en 1297 dans le transfert vers le Brabant des 25 000 lb. sterl. pourrait par conséquent traduire la volonté du jeune duc de Brabant d’associer ce seigneur gueldrois assez autonome au milieu des grands conseillers ducaux81. Jean de Cuyck n’était apparu dans l’entourage ducal qu’à partir de 128182. La seigneurie de Grave ne serait intégrée au duché qu’au bout d’un long processus, en 132383. Suivant immédiatement Jean de Cuyck dans la hiérarchie des mandataires ducaux, venait le Florentin Taldo Janiani, qualifié d’attornatus du noble gueldrois. Ce titre enviable laisse entendre qu’il était à la fois un marchand-fournisseur et un homme de confiance pour Jean de Cuyck en Angleterre, à l’exemple du Florentin Tote Guidi pour le chambellan du roi de France Enguerran de Marigny84. Un des principaux dirigeants de la faction Bianchi des Frescobaldi en Angleterre, Taldo Janiani, appartenait à une compagnie de marchandsbanquiers au service du roi Édouard Ier depuis 127785. Dans le cadre des assignations sur la laine au port de Boston, il côtoya sûrement les marchands et financiers brabançons en

D’après le compte de l’amman de Bruxelles de 1286, un messager ducal est envoyé au seigneur de Cuyck, résidant alors à Bois-le-Duc : A.G.R., C.C., C.R., n°2602, m. 8. 78 A.D.N., B4054, n°3630 [29/12/1294] : quittance du sire de Cuyck à Jakemon de Deinze receveur de Flandre pour une rente féodale annuelle de 120 lb. parisis. Jean de Cuyck joua un rôle diplomatique prédominant aux côtés du gouverneur flamand de la Gueldre, Henri de Blamont et du receveur Jakemon de Deinze dans le rapprochement politique entre Guy de Dampierre et Édouard Ier en 1297. Le 9 janvier 1297, le roi d’Angleterre mandatait ces trois personnages pour négocier en son nom un traité d’alliance avec le comte de Flandre. Les premières manœuvres de rapprochement furent en réalité sans doute entamées par Guy de Dampierre : Rymer 1815-1830, vol. II, 2, p. 853 ; Prestwich 1997, pp. 388-389 et pp. 391-392 et Queller 1956, p. 416. 79 Kern 1910, p. 195. Par son mariage avec Jutta de Nassau, Cuyck était parent du roi des Romains. 80 Rymer 1815-1830, vol. II, 1, p.  871  : dans un acte de 1297, le monarque anglais le cite parmi les multis Flandriae nobilibus qu’il souhaite avertir de son arrivée prochaine en Flandre. Le rôle « d’agent de liaison attitré » de Jean de Cuyck dans les négociations entre le Brabant et l’Angleterre mais également entre l’Angleterre, le Brabant et le comté de Flandre est éclairé par de Sturler 1936a, pp. 160-162 ainsi que Queller 1956, pp. 417-418 et A.D.N., Musée 63, ancien B. 246, n°4142 [6/3/1298] : arbitrage entre le duc de Brabant et le comte de Flandre au sujet des différends les opposant. 81 Sous Jean II, Jean de Cuyck deviendra le conseiller le plus présent suivi, par ordre d’importance, de Daniel de Bouchout (1267-1320) et Florent Berthout (1283-1331) : statistiques fournies dans Croenen 2003, p. 242. 82 Il s’agit d’abord d’un acte du 17 avril 1281(n.s.) où Jean, sire de Cuyck figure comme témoin pour un acte de donation ducale à Arnould de Louvain, époux d’Elisabeth, dame de Breda, ensuite de sa participation à la bataille de Worringen en 1288 aux côtés du duc de Brabant. L’intéressé est seigneur de Cuyck entre 1265 et 1308 (Wap 1858, p. 81, pp. 86-92 et p. 252). 83 Verkooren 1910, n°272, pp. 201-202 [24 juillet 1323]. 84 En 1313-1314, Tote Guidi (parfois identifié à un Lucquois) est l’agent financier d’Enguerran en Angleterre, qualifié de marcheant monseigneur Engerran de Marreigny : Favier 2005, p. 638. 85 Sapori 1947, p.5. Les frères Janiani, Taldo et Giacomo représentaient avec Coppo Guiseppe (alias Coppe Joseph) et Coppo (contraction de Jacoppo) Cotenne la compagnie Frescobaldi en Angleterre. Giacomo Janiani serait apparu une première fois en 1288 pour un prêt au roi d’Angleterre : Rhodes 1907, pp.137-168, voir p.146 et Bigwood 1930, p. 203. 77

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129586. Il connaissait Arnould d’Yssche et Lapo Bourcato, puisqu’il avait été témoin de la quittance de Lapo à Arnould87. C’est peut-être à l’occasion de ses contacts avec le chevalier de l’hôtel ducal, qu’il accepta, de concert avec le facteur des Velluti, Lapo Bourcato, d’accorder un prêt de 5 000 lb. sterl. au duc de Brabant, prêt normalement remboursable seulement à partir de 1301 sur l’assignation de la laine de 25 000 lb. sterl.88. Taldo encaissa pourtant rapidement, en tant que fondé de pouvoir du duc, un acompte de 800 lb. sterl. sur le remboursement dès 1297, grâce à la taxe de la laine levée dans le port de Hull sur les marchands brabançons89. La liquidation du reliquat de la dette ducale fut assez laborieuse pour être mentionnée par le chroniqueur Donato Velluti plus d’un siècle après les événements90. Constamment associé à Taldo Janiani, le banquier d’Asti Vivaldino Marrono paraît avoir joué un rôle d’agent de liaison entre la société de prêt des de Mercato et la compagnie des Frescobaldi91. C’était un trait typique du banquier médiéval, caution d’engagements financiers ou tiers recevant un prêt en faveur de son prince, il pouvait aussi aider à négocier des prêts auprès d’autres compagnies bancaires92. L’intermédiation de Marrono entre banquiers florentins et astésans se justifiait au surplus par une donnée conjoncturelle : le nouveau rôle de Bruxelles comme place de change européenne pour la campagne militaire d’Édouard Ier. Bruxelles devint le lieu de payement des alliés bourguignons du monarque anglais à la suite des traités d’assistance militaire passés dans la ville entre le mois de février et le mois de novembre 1297. Une somme équivalente à 60 000 lb. n.t. devait être versée par les envoyés anglais à partir du 1er juin 1297, ce qui supposait la collaboration de changeurs et de banquiers disposant de relais en Bourgogne en Franche-Comté et en Italie septentrionale et le prélèvement de nouvelles commissions. . .93. Autrement dit, les Florentins devaient assurer leur présence en Brabant par l’envoi de facteurs et ceux-ci ne pouvaient se passer des services des banquiers piémontais présents à Bruxelles tels Andrea, Giacomo et Uberto de Mercato, T.N.A., E.372/ 146m.36/2/v°. L’assignation est enregistrée sur le compte en rouleau juste après celle dont bénéficièrent Arnould d’Yssche et ses comparses en 1295. 87 A.G.R., C.C., n°1, f°107v°[11/10/1295]. 88 Taldo Janiani était resté—avec le représentant de la compagnie Velluti—créancier de Jean II pour une somme de 5 000 lb. sterl. citée en 1301 : Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 3, p.697 et T.N.A., C./66/121/m.7, acte du roi du 24 août 1301, donné de Glasgow. Le roi concédait cette nouvelle assignation, ayant constaté les dettes de Jean II envers Donato Velluti de la société éponyme et Coppo Cotenne pour les Frescobaldi pro debitis in quibus prefatus dux tenebatur, eisdem[les Frescobaldi et les Velluti] quinque millia librarum de summa predicta assignaverit (. . .). Il restait en réalité à cette date un solde de 4 186 lb.6s.9d. sterl. à payer à l’Echiquier dans les six années suivantes par échéances bisannuelles, ce qui signifie qu’une somme de 814 lb. 14 s. 3. sterl. avait déjà été payée auparavant (voir n. suivante). 89 Calendar of the Close Rolls 1892-1898, vol. 2, p. 506, acte du 3 novembre 1317 donné à Westminster relatant cette assignation de 800 lb. sterl jadis faite à Janiani. 90 Le 27 octobre 1305, le roi mandait de Westminster aux membres de la compagnie Frescobaldi, à ce moment receveurs de la coutume de la laine, d’assigner aux marchands de leur compagnie et ceux de la société Velluti, la somme de 2 790 lb. 17s. sterl., arriéré de la somme de 4 186 lb.6s.9d. sterl. due en 1301 : Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 4, p. 399. La Cronaca domestica di Messer Donato Velluti scritte tra il 1367 e il 1370, cite (. . .) una detta d’uno grande barone, la quale il detto re s’arreco sopra di sé per bontà del detto Amerigo[Frescobaldi], bene 20.000 fiorini, che Amerigo ne valesse assai meglio. Texte cité et commenté dans Sapori 1947, p. 14, n. 29. Velluti relatait la participation conjointe des deux compagnies à ce prêt, mention interprétée par Sapori comme une référence claire à l’emprunt de Jean II. Amerigo Frescobaldi avait été à la tête de la compagnie éponyme au début du XIV e siècle, jusqu’à la saisie de ses avoirs par Édouard II en 1311 : Grunzweig 1933, n°51, p. 65[13-21/5/1321]. 91 Un parent de Vivaldino, Pagano Marrono, était recteur de la Société San Secondo d’Asti en 1282, une société d’armes à base topographique située dans le voisinage de l’Eglise San Secondo, patron de la cité (Castellani 1998, p. 45). 92 Kaeuper 1973, pp. 102-103. 93 de Sturler 1960. Le 10 mai 1297, un traité d’alliance est conclu entre Édouard Ier et une vingtaine de nobles originaires de la Franche-Comté. Les clauses financières du traité prévoyaient le soutien militaire de ces nobles en échange d’une somme de 60 000 lb. n.t., payable à Bruxelles, à partir du 1er mai 1297 et ensuite 30 000 lb. n.t. payables les 1er juin et 1er décembre de chaque année à Bruxelles ou à défaut dans le comté de Flandre, à Bruges ou à Gand, dans le comté de Hollande ou ailleurs en Brabant. 86

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pour le change manuel des espèces. Les Frescobaldi exécutèrent au surplus un payement à Florence pour Jean de Chalon-Arlay, un allié franc-comtois fidèle de l’Angleterre, présent à Bruxelles94. Pareillement, le mandataire et membre de l’hôtel ducal Enrico de Mercato remplissait indubitablement une fonction d’intermédiation plus élevée que les autres membres de sa parentèle. Vers le mois de mars 1297, l’évêque Langton, émissaire du roi d’Angleterre résidant alors à Bruxelles, fit parvenir à Enrico de Mercato un payement de 2 000 lb. sterl.. Cette transaction était indubitablement liée à son entregent pour le recrutement et la solde des alliés franc-comtois du roi d’Angleterre à Bruxelles95. C’est probablement dans le cadre de l’aventure anglaise qu’Enrico rencontra quelques représentants majeurs du milieu d’affaires tout-puissant des marchands-banquiers florentins, désireux d’accéder à la personne ducale. Outre Taldo Janiani, des Frescobaldi, il faut mentionner Tegro Amatori ou Trenco Amatore, probablement issu de la famille marchande florentine Amadori. Signalé en Angleterre dès 1274 pour un prêt au roi d’Angleterre, Tegro assurait également des services financiers pour la curie romaine. Le Florentin s’associera avec Enrico de Mercato, pour un prêt considérable au duc de Brabant de 16 090 lb. (tour. ?) en 130396. Dernier agent financier notable au service du seigneur Jean de Cuyck et marchand au nom peu reluisant, Jean Papsac était Bruxellois, mais son patronyme le rattachait probablement à une origine rurale 97. Papsac était un mercier d’origine non-patricienne ayant débuté dans les affaires à Bruxelles vers 1294. La diversité de son négoce ainsi que le secteur de la ville choisi par l’intéressé pour y déployer ses activités illustraient son parcours professionnel. Papsac avait acquis de l’orfèvre Gilles de Braine, un courtil situé rue de la Colline en face de la demeure du patricien Henri l’Orfèvre le vieux, moyennant un cens annuel héréditaire de 36 s. de Bruxelles et 6 chapons payable au seigneur foncier. Le terrain comportait quatre habitations cédées par le même Gilles, à titre allodial cette fois. Celles-ci représentaient sûrement des espaces de stockage pour des marchandises, matières premières ou produits semi-finis98. Papsac vendait vraisemblablement dans ses échoppes, en Selon, Castellani 1998, pp. 245-246, le dernier comte de Bourgogne, Othon IV recourut excessivement au crédit des usuriers établis dans sa principauté, dont des membres des familles Garretti et Guttuari. Acculé à la débacle financière, Othon vendit son comté au roi de France Philippe le Bel en 1295. Un des grands barons franc-comtois, Jean de Chalon, sire d’Arlay, fidèle client des prêteurs astésans, était cité parmi les quatre procureurs des alliés franc-comtois d’Édouard Ier réunis à Bruxelles en mai 1297 (de Sturler 1960, p. 25, n. 33). Une somme de 4 000 lb. tour. ou 6 667 fl. d’or des Frescobaldi fut payée à Jean de Chalon à Florence en 1297 : T.N.A., E.101/126/13, m.3 et Fryde 1962, p. 1175, n. 5. 95 Cuttino 1941, p. 164. Parallèlement, quatre procureurs franc-comtois, chargés de représenter les autres seigneurs alliés du roi d’Angleterre, perçurent en 1297 au titre de leur mandat 2.000 librarum eiusdem monete, eisdem nobilibus debite ultra dictam summam 60.000 librarum et pro eodem anno, per manus eorundem, ibidem [sc. Bruxellae], eodem mense [sc. Maij], 1.000 li. Turonensium (. . .) : Ibidem, p. 154. Cette clause, ne figurant pas dans le traité d’alliance citée par de Sturler 1960, p.28, n.54), suggère une commission de 3,33% partagée entre les procureurs (2 000 lb.), comptabilisée sur un montant total de 60 000 lb.. 96 Sur la famille Amadori : Astorri 1998, p. 97. Tegro Amatori, ou Trenco Amatore, probablement issu de la famille marchande florentine Amadori. Il prêta 466 lb.13s.4d. sterl. au roi d’Angleterre en 1274  : Rhodes 1907, voir p.  141 et p. 166 ; Bond 1839, n°55, p.274 [17/10/1274] ; Croenen 2006, n°57, pp. 80-81 [21/12/1303]. 97 Le terme Papsac désigne un sac à purée à base de céréales (souvent d’orge) ou sac à bouillie, destiné à nourrir l’enfant en bas âge : Verwijs et Verdam 1885-1929, vol. 6, p. 112. La bouillie à base d’orge reste un des aliments de base dans les campagnes au Moyen Age. L’orge est encore identifiée à une nourriture de rustre au XVIe siècle, même sous sa forme panifiable, voir par ex. Le Roy Ladurie 1969, pp. 51-53. Voir aussi Vroonen s.d., vol. 1, pp. 245-253. 98 Lefevre et Godding 1993, n°358, p. 263. Ce patrimoine immobilier assez imposant est déjà mentionné en 1272, avec le même cens héréditaire comportant la mention dorsale suivante, d’une écriture du XIV e s. : van de husen die Papsach hadde in de Hovelstrate (Ibidem, n° 163, p.154). Une maison des merciers et une rue des merciers sont mentionnées (s’agit-t-il encore de la Rue de la Colline ?), jouxtant la Grand-Place en 1295 : Ibidem, n°391, p. 277 [23/10/1295]. Les Goutsmet ou Aurifaber exercent encore le métier d’orfèvre à cette époque. La redevance payée pour leur métier par les membres de cette famille en 1321 l’indique (Martens 1958, p. 250). 94

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amont et en aval de plusieurs filières artisanales, des ballots de laine anglaise, des draps et des objets d’orfèvrerie et de cuir. Plusieurs métiers de luxe, vivant en partie des commandes des cours princières, avoisinaient sa demeure : un boursier et un sellier et, comme on l’a dit, un orfèvre99. Ce dernier ou son fils, Henri l’Orfèvre, reliait indirectement Papsac au monde des Lombards. Henri l’Orfèvre cautionna, avec d’autres bourgeois bruxellois, le payement par les habitants de la bourgade de Halen d’une assignation aux prêteurs d’Asti entre 1292 et 1302. Parmi ces bourgeois bruxellois, figuraient des membres de la famille patricienne uten Nuwenhuyse, également représentée parmi les marchands brabançons du port de Boston, dans le négoce en gros de laine anglaise100. Jean Papsac était incontestablement au cœur d’un maillage de relations de voisinages et d’affaires hétérogène comprenant les plus importants groupes intermédiaires, les bouchers, les selliers et les pelletiers, des patriciens et un des conseillers les plus écoutés du duc de Brabant, Jean de Cuyck. Cela faisait de lui un passeur social101. Personnage-clef des transactions anglaises, il reliait des individus aux intérêts composites comme les financiers astésans et les grands seigneurs fonciers de la ville de Bruxelles (voir Annexes, Schéma n°2)102. Cette fonction de courtier, rapprochant, par sa connaissance d’informations de nature économique et politique, des individus aux niveaux de richesse très variés conférait à Papsac une position de pouvoir, laquelle se traduisait sans nul doute par le niveau élevé de sa commission de courtage en 1297 (5%). On le voit par leur aspect fortement rémunérateur, les assignations sur les coutumes de la laine étaient un miroir assez fidèle du monde des manieurs d’argent influents à la cour ducale, dans la dernière décennie du XIIIe siècle. Derrière les assignations sur la laine, se profilaient les aspirations de groupes sociaux très différents, cherchant à s’intégrer dans la société de cour bruxelloise à des degrés divers : banquiers piémontais, courtiers locaux nonpatriciens, marchands-banquiers toscans et aristocrates étrangers. Papsac est signalé comme marchand-exportateur de laine dans le port de Boston : Smit 1928, n°123, p.69, n°123, §35, Johannes Papsac, pour 10 sacs et 24 pierres de laines en 11 sarpillères sur un navire de Henri Baste, marin de Middelburg, taxé 21lb 17s. sterl. le 7 juin 1297, d’après le Custom account du port de Boston (T.N.A., E 122/5/5) du 14 mai 1296 au 1er juillet 1297. Le bien-fonds des sœurs Sarijs, filles de feu le sellier Césaire est situé entre la maison de Papsac et celle d’Henri le faiseur de bourses : A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., chartrier, boîte 49, n°310 [3/11/1322]. La vente d’or et d’argent à laquelle se livraient les merciers de la ville de Bruxelles est évoquée dans la confirmation par Jeanne de Brabant du privilège de Jean III duc de Brabant octroyé aux orfèvres : Bonenfant-Feytmans 1950, pp. 85-171, n°1, art.XI, p. 128 (acte du 30 novembre 1400). Au sujet des solidarités urbaines découlant du voisinage : Heers 19972, pp. 224-231. 100 Les créanciers astésans appartenaient aux familles de Mercato, Mirabello, Roero et Trosello  : A.S.V., Coll. 433a, f°56r°-57r° et perçoivent une assignation ducale de 1 020 lb. louv. entre 1292 et 1302 sur les revenus de Halen. Henri Aurifaber, de la famille bruxelloise Goutsmet ou Aurifaber s’associe notamment à Jean et Arnould uten Nuwenhuyse (de Nova Domo) pour cautionner la dette de la bourgade de Halen envers les Lombards. Un Léon de Nuwenhuyze importe de la laine anglaise au port de Boston en 1297 à raison de 8 sacs et 25 pierres de laine, taxe de 17lb. 18s.6d. sterl. : Smit 1928, § 29, p. 68 pour Leo de Nova Domo. 101 Par cette expression, je propose de désigner un individu disposant de relations d’affaire et de voisinage dans des milieux sociaux diversifiés, à l’aide duquel des groupes sociaux très différents les uns des autres peuvent entrer en contact. Pour un bilan actuel de ce type d’approche voir l’article clairvoyant de Lemercier 2005. En s’inspirant de la sociologie des réseaux, on considérera à titre d’hypothèse que plus le lien entre Jean Papsac et ses voisines, les sœurs Sarijs sera fort, plus grande sera la probabilité que Papsac connaisse aussi le boucher Mandray en rapports d’affaires avec les sœurs Sarijs. Voir la théorisation de ce modèle des liens forts et de « la force des liens faibles » dans Granovetter 20082, pp. 45-69. Deux membres de la famille Sarijs disposent d’étals à la boucherie ducale en 1321 : Martens 1958, pp. 271-272 : Impayn et Walter. Plutôt que de réseau, je préfère parler d’un ensemble de relations ou de maillage de relations pour Jean Papsac, car la description d’un réseau reposerait par définition sur l’exhaustivité des liens du personnage, une entreprise guère réaliste, vu l’impossibilité de quantifier la densité des relations interpersonnelles à partir des sources médiévales. 102 Pour les transactions avec Jean de Lombeke, voir A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., chartrier, boîte n°48, n° 294[21/11/1319], pour Jean Mandray, Ibidem, A.S.G., boîte 49, n°310 [3/11/1322], pour Amaury Soyman, et Jean Mandray : A.C.P.A.S.B., B 172 (a), n°7, [25/10/ 1320]. 99

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La deuxième procédure la plus courante pour satisfaire les créanciers brabançons, fut le versement de la main à la main par mandat royal sur l’Échiquier. Dans ce cas de figure, les manieurs d’argent piémontais se manifestèrent comme intermédiaires privilégiés pour recevoir un premier versement de 20 000 lb. sterl. en 1295, acompte des 160 000 lb. sterl. promises au duc de Brabant le 23 avril de cette année103. Le seul Brabançon admis dans le cercle des mandataires ducaux fut le chapelain ducal, Jean de Berthem (voir Annexes, Schéma 1, n°1.2). Enrico de Mercato et le chapelain ducal Jean de Berthem étaient venus à l’Échiquier royal, munis d’un bref –  c’est-à-dire un mandat royal abrégé  – donnant ordre au trésorier de l’Échiquier de leur délivrer les sommes dues, ce qui eut lieu les 9 et 17 mai puis le 30 juin 1295. Le gros de la somme fut apporté au duc par Enrico de Mercato, apparemment sans passer par l’entremise du receveur ducal. À nouveau, l’emprise de l’hôtel ducal se ressentait sur la procédure d’assignation  : Enrico était valet ducal et aussi qualifié par les fonctionnaires anglais de marchand du duc, donc de marchand-fournisseur. Jean de Berthem était chapelain. Le chapelain était cité pour la perception d’une somme de 1 200 lb. sterl. en 1295 ; son patronyme était celui d’une famille louvaniste, ce qui pourrait expliquer son association avec Enrico de Mercato, simultanément admis au sein de la cléricature de la ville de Louvain en ces années104. Jean de Berthem fut, avec le fonctionnaire royal Gilles d’Audenaarde, responsable de la gestion des dépenses de la maison de Jean de Brabant dans les années 1285-1289. Il effectua aussi des missions en Brabant pour le duc105. Son double statut de chapelain et de clerc impliquait la gestion d’une chancellerie embryonnaire ; de ce point de vue il était naturellement associé à la rédaction et à la formulation des décisions du futur Jean II106. Le roi Édouard Ier ne s’y était pas trompé en gratifiant de ses largesses ce confident du prince, afin de disposer dans l’entourage princier d’un nouvel homme de confiance – après Arnould d’Yssche – qui disposait d’un accès privilégié au Prince. Jean de Berthem obtint des bénéfices ecclésiastiques en Angleterre, sous la forme de deux patronats d’église. Il allait devenir également chapelain du roi et membre de son hôtel107. Les deux derniers systèmes de payement utilisés par Édouard Ier pour acquitter les subsides dont il était redevable à son beau-fils nous intéressent moins : les intermédiaires astésans et brabançons en furent largement exclus (voir Annexes, Schéma 1, n°1.3.). Il s’agit d’une part du versement de la main à la main par mandat royal sur la trésorerie royale d’Anvers et d’autre part du payement par lettres obligatoires négociables aux foires de Champagne. L’une comme l’autre pratique avaient en commun avantage d’éviter le complexe transport de millions de pièces d’argent anglaises par-delà la Manche. 103 T.N.A., E. 403/95, m.3 ; T.N.A., E. 159/68, m.1 et T.N.A., C.62/71, m.1. 104 Les Bertem sont issus d’une famille louvaniste ; un parent, Regnier de Berthem est cité comme marchand drapier en

Angleterre en 1273 dans de Sturler 1936a, p. 131, n. 285. Entre 1286 et 1296, Enrico de Mercato est aussi cité comme prêtre à Louvain, voir supra, la 1ère partie, chap. 2, p. 94 . 105 Byerly et Ridder Byerly 1986, n°3247, p. 401 : dépense datée du 18 mai 1287 : Johanni de Berchem [sic]clerico Johannis eunti in Brabanciam ad mandatum ducis Dominica post ascensionem ad expensas suas, xxvj s.viijd. et Ibidem, n°3305, p.406. 106 Sur l’implication croissante des chapelains et clercs dans la chancellerie ducale à partir du règne du duc Henri Ier (1190-1235) : Croenen 1999, voir p. 56. Pour le travail des clercs dans la chancellerie ducale au XIV e siècle : Vanrie 2000, voir p. 60. 107 Wangermee 1941, vol. 1, pp. 41-42. Il s’agit des églises de Newchurch et de Fakenham. Pour la nomination de Jean de Berthem comme chapelain royal et membre de l’hôtel : Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 3, p. 408 [18/4/1299].

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La trésorerie, centralisant les fonds nécessaires à la campagne militaire d’Édouard I avait été instituée à Anvers au cours de l’année 1295 et fonctionna de manière continue du printemps 1296 jusqu’au mois de décembre 1298. Ses ressources provenaient de l’institution de l’étape préférentielle de la laine anglaise dans le port d’Anvers, récompensant le duc de son aide politique et militaire. La vente des ballots de laine dirigée sur place par les fonctionnaires de l’Échiquier délégués et des marchands anglais reposait sur le principe de l’exposition prioritaire de la laine à Anvers avant tout autre lieu. À ce titre, les facteurs de compagnies florentines et lucquoises vinrent se fournir en laine dans la ville108. La trésorerie anversoise contribua temporairement à faire du duché une sorte de banque de dépôt de la couronne anglaise, engendrant un bénéfice chiffré à plusieurs dizaines de milliers de livres tournois durant son activité109. La part croissante d’Anvers dans le mouvement des subsides anglais s’expliquait par deux facteurs corrélatifs : premièrement elle était devenue le lieu de séjour principal de la communauté marchande anglaise en Brabant en 1296, par privilège ducal110 ; deuxièmement, elle révélait le souci de la couronne anglaise de raffermir son contrôle sur les flux de capitaux subsidiant ses alliés. Le payement par lettres obligatoires encaissables en foires de Champagne révélait une préoccupation similaire. En utilisant cette technique, le Plantagenêt favorisait du même coup deux compagnies bancaires toscanes au service des finances royales ; c’était là, pour ces compagnies, une manière usuelle d’entrer en relation avec un prince étranger111. Le duc de Brabant et Jean de Cuyck furent les seuls à recevoir ces lettres obligatoires, destinées à solder le reliquat d’un versement de 40 000 lb. n.t. promis au duc de Brabant en 1295 en vertu de son soutien. Les lettres, reçues à l’Échiquier en 1305, étaient d’une valeur totale de 1 500 lb. sterl. et étaient émises par les compagnies Bellardi de Lucques et Frescobaldi de Florence. Différentes des lettres obligatoires circulant dans les anciens Pays-Bas, ces promesses de payement se rapprochaient des lettres obligatoires anglaises en ce qu’elles étaient des instruments de crédit négociables dont le montant devait être acquitté en livres tournois ou en livre sterling, en Brabant, à Paris ou aux foires de Champagne, en monnaie locale ou en tout autre lieu choisi par le duc de Brabant ou son mandataire112. Similaires aux contrats italiens de change, ces instruments usités en Angleterre ne paraissent pas avoir été d’un usage courant en Brabant pour le commerce ou le crédit local à la fin du XIIIe siècle. er

108 de Sturler, 1936a, pp.  174-196. Parmi les marchands anglais, on peut en mentionner  : Gilbert de Chesterton,

bourgeois de Stanford et marchand de laine, jouant également parfois le rôle d’agent financier d’Edouard Ier sur le continent et Elias Russel, de Londres, pour la même fonction et menant le même négoce. Séjournant notamment en Brabant entre septembre 1295 et décembre 1298. Les deux derniers personnages s’occupèrent de la direction de la trésorerie établie à Anvers entre 1295 et 1298 (Kusman 2008a, vol. 4, Annexes, I.4, p. 14, n. 18). 109 Les ventes de laine les plus significatives rapportèrent au moins 25 000 lb. sterl. après déduction des frais de commercialisation soit environ 18% des subsides (de Sturler 1959, p. 571). 110 Éd. scientifique récente de la charte ducale donnant des privilèges à la communauté des marchands anglais établie à Anvers dans Sutton et Visser-Fuchs 2009, n°1, pp. 66-79 [22/7/1296]. 111 Pour les services financiers assurés par les Frescobaldi en Brabant et en Flandre, destinés à rémunérer les alliés du roi d’Angleterre dont Jean de Cuyck, vers 1296-1298  : T.N.A., E.101/126/13. Gauthier Langton, évêque de Chester, de Coventry et de Lichfield et gardien de la Garde-robe royale, département financier chargé des fournitures de luxe au roi, avait confié un dépôt bancaire aux Bellardi de Lucques à la fin du XIIIe siècle  : Beardwood 1964, pp.  9-31. L’action des parentèles nobiliaires pour diffuser la renommée des compagnies toscanes est mise en lumière par Renouard 20092, pp. 240-241. 112 (. . .) in partibus Brabancie vel apud Parisius vel in nundinis de Campania in moneta cursabili, ubicumque dictorum locorum dictus dominus Johannes vel eius attornatus pagamentum suum debiti supradicti elegerit (. . .) : Lyon 1955, pp. 89-90. La mention, en troisième place, des foires de Champagne correspond certainement à une demande des compagnies italiennes car l’assignation de payements au bénéfice ou aux dépens du duc de Brabant aux foires de Champagne est rarissime à cette époque. Le même constat s’impose pour Paris.

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Les lettres obligatoires auraient été diffusées en circuit fermé pour le seul profit du duc ou de son conseiller, Jean de Cuyck. Pour le monarque anglais, payer la fidélité d’un vassal ou d’un obligé avec une lettre obligatoire constituait un outil de distinction sociale. Le duc Jean Ier, père du jeune prince, était lui-même déjà grand amateur de ce mode de payement : En absence du marchand lucquois, Peregrino de Monte Chiarra, créancier de marchands louvanistes pour des achats de laine anglaise, le duc avait fait saisir les reconnaissances de dette des débiteurs louvanistes, déposées dans des coffres au magistrat de la ville avant 1294. Il avait fait forcer les coffres et s’en était fait payer le montant de 1 316 lb. tour. par le magistrat de la ville113. L’instrument financier employé honorait son destinataire, le duc de Brabant. Il s’agissait, pour les Bellardi et les Frescobaldi, de convaincre ce dernier qu’il était l’heureux bénéficiaire d’une innovation financière encore assez rare. En utilisant cet argumentaire commercial, les marchands-banquiers toscans développaient une relation d’affinité avec Jean II et tissaient les fils de leur renommée à la cour ducale. Comme les traders actuels, intermédiaires procédant à des achats en bourse pour de riches clients, les Bellardi et les Frescobaldi jouaient sur la forme neuve de l’instrument financier114. Cette façon d’attribuer un caractère fétiche à un échange marchand en jouant sur la forme de la transaction est probablement typique d’une démarche à but commercial quelle que soit l’époque considérée115. 2.

L’argent de la diplomatie et la diplomatie de l’argent

A.

La recherche de crédits sur le continent

Ce qui permet à l’historien de distinguer dès la fin du XIIIe siècle un essor du monde de la haute finance en Brabant, c’est la capacité de plusieurs financiers bruxellois et piémontais à mettre sur pied un réseau de crédit conjoint apte à soutenir les entreprises diplomatiques des envoyés du roi d’Angleterre dans les anciens Pays-Bas. Ces émissaires voyageaient dans les anciens Pays-Bas afin d’organiser la campagne militaire d’Édouard Ier contre Philippe le Bel et de gagner le soutien politique des princes d’empire. Les prêts accordés aux émissaires anglais prirent deux formes : celle du prêt simple et celle du prêt sur gages. Dans les deux cas, les bénéfices retirés de ces entreprises par les élites marchandes et politiques bruxelloises furent conséquents et s’inscrirent dans deux desseins différents. Le premier de ces desseins visait l’aide à une alliance anglo-brabançonne susceptible de renforcer la présence bruxelloise sur le marché des étoffes de luxe exportées vers l’Angleterre. Le second visait à faire de Bruxelles, ville de résidence princière, un lieu essentiel de séjour princier et de négociations diplomatiques pour la haute noblesse européenne. La fréquentation 113 Sur le succès remporté par la lettre obligatoire en Angleterre comme instrument de crédit négociable à la fin du XIIIe

siècle : Munro 1991, pp. 56-57, n.18. L’ouvrage de de Sturler, 1936a, p. 279, relate l’exemple de reconnaissances de dettes de marchands louvanistes envers le marchand lucquois, Peregrino de Monte Chiarra. 114 Cf. un exemple inverse de distinction sociale par l’instrument financier : celui des courtiers actuels tiré de l’ouvrage percutant de Guilhot 2006, pp. 82-83, qui distingue les nouveaux traders actifs à Wall Street comme Georges Soros et Ivan Boesky, qui spéculent sur les marchés des change et les offres hostiles d’achat, des représentants traditionnels des grandes banques et de l’industrie. Les premiers, issus de la classe moyenne, usent et abusent des junk bonds—des titres obligataires très mal cotés émis par des sociétés surendettées—pour financer leurs opérations d’achat. Les seconds se refusent à employer des junk bonds au nom de l’éthique des affaires et sont issus de l’establishment bancaire composé majoritairement de la hautebourgeoisie américaine blanche et protestante. 115 Pour une comparaison avec les pratiques actuelles de sociabilité des traders anglais établies avec leurs clients afin d’établir un climat de confiance dans leurs transactions boursières avec ces derniers : Godechot 2001, pp. 106-108 et p. 273.

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des auberges de la ville par cette clientèle huppée ne pouvait qu’être profitable au commerce et à l’artisanat de luxe. Il est bien légitime d’évoquer dans ce cadre une diplomatie de l’argent qui se mit en place dans cette dernière décennie du XIIIe siècle et dont le siège principal était la ville de Bruxelles. Les deux prêts étudiés furent essentiellement une affaire bruxelloise. L’identité et le titre de l’emprunteur principal nous éclaire sur les enjeux politiques de ces opérations de crédit : Gauthier Langton, futur évêque et gardien de la Garde-robe royale116. Ce département administratif autonome était responsable des finances de l’hôtel du roi. À la fin du règne d’Édouard Ier, la Garde-robe avait fini par mener une politique financière indépendante de celle de l’Échiquier – particulièrement en temps de guerre – afin de soutenir la politique étrangère du monarque tout en développant des compétences proprement diplomatiques et en dépêchant des ambassades aux alliés du roi117. La Garderobe s’occupait également des fournitures de luxe de l’hôtel du Roi et s’approvisionna en draps brabançons depuis 1297 au moins. La domination de ces draps sur le marché anglais allait se concrétiser au siècle suivant aux dépens de leurs équivalents flamands118. Nouer des relations avec ce département stratégique de l’administration royale, c’était donc, pour les marchands-entrepreneurs textiles brabançons, faciliter l’accès à la demande en produits de luxe émanant de la cour anglaise. Le premier recours au crédit de Langton eut lieu dans le courant de l’année 1295 et probablement après la conclusion du traité de Llanfaes du 28 avril 1295. Les bourgeois et patriciens bruxellois Guillaume Langevoet, Henri Taye et Guillaume van den Berg prêtèrent 3 000 lb. sterl. – soit au moins 12 000 lb. tour. – à Gauthier Langton, Guillaume March, évêque de Bath et de Wells, en tant que trésorier royal et Guillaume de Louth, évêque d’Ely, cautionnèrent l’emprunt auprès des bourgeois bruxellois. Les Bruxellois furent remboursés par l’entremise d’Henri Lombard de Bruxelles alias Enrico de Mercato119. Cette somme considérable, délivrée aux trois dignitaires anglais, devait faciliter un payement du roi d’Angleterre au duc de Brabant, octroyé avant le 2 juin 1295. Gauthier Langton, en sa qualité de gardien de la Garde-robe royale, aurait négocié avec Enrico de Mercato l’emprunt anglais à contracter à Bruxelles. Langton était un redoutable praticien des choses de finance ; en avril 1296, c’est à des banquiers Florentins, les Pulci et les Rimbertini, qu’il s’était adressé pour supporter le coût de ses missions diplomatiques en Brabant. Au siècle suivant, il fut poursuivi par la justice royale pour des malversations financières commises grâce à des prêts contractés à son profit ou grâce à des opérations immobilières frauduleuses120. La Garde-robe royale, dirigée par Langton remboursa les créanciers bruxellois, par l’intermédiaire d’Enrico de Mercato, d’où la mention per manus signifiant éven-

116 Langton devint évêque de Chester, de Coventry et de Lichfield en 1296 jusqu’en 1321 : Fryde 19863, p. 104. 117 Tout 1933, pp. 20-26 et Cuttino, 1940, p. 124. 118 En ce qui concerne les fournitures d’étoffes brabançonnes provenant principalement des villes d’Anvers, Bruxelles,

Diest, Louvain et Malines à la Wardrobe d’Édouard Ier, voir de Sturler 1968, pp. 329-352 ; Lloyd 1982, p. 116 et pour le règne d’Edouard III, l’étude de Lachaud 2000, pp. 217-233. 119 T.N.A.,E.403/95, m.1(. . .)Eidem Waltero[Gauthier de Langton, custos de la Garde-robe d’Edouard Ier] : M M M libras liberatas Henrico Lumbard de Brusseles, valetto Johannis ducis Brabantie, ad opus Willelmi Langhefot, Henrici Taye et Willelmi de Bergh, burgensium de Brusseles, in quibus venerabiles patres, Willelmus Elyensis et Willelmus Bathonensis et Wellensis episcopi ac etiam idem Walterus, dictis burgensibus per litteras suas patentes obligabantur, secundo die junii. 120 T.N.A., E.101/354/5, f°4r°  : les trois compagnies florentines accordent à Langton la somme de 1 000 lb. n.t. équivalentes à 250 lb. sterl. pour les affaires du roi en 1296. Sur son procès : Beardwood 1964, pp. 9-31.

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tuellement que l’intéressé pouvait bénéficier d’une partie de ce payement pour son rôle d’intermédiaire121. De Mercato, qualifié de valet ducal, se manifestait une nouvelle fois comme l’intermédiaire par excellence entre les fonctionnaires royaux anglais, les élites bruxelloises et le duc de Brabant. Il est toutefois plus enrichissant d’étudier la stature des bailleurs de fonds bruxellois : elle les rattachait presque tous, de près ou de loin, au commerce drapier anglo-brabançon. Portant un patronyme peu flatteur, Guillaume Langevoet était – comme Papsac – un bourgeois non-lignager. Langevoet, décédé avant 1321, avait possédé un bien-fonds et un pré dans le quartier marchand Saint-Nicolas à Bruxelles122. Un parent, Jean Langevoet, résidait dans le second quart du XIVe siècle dans une habitation à portique située hors les murs de la première enceinte, probablement proche du quartier des béguines de la Vigne, intéressées à la préparation des laines préalable au tissage des draps123. On l’a vu dans le premier chapitre, Guillaume Langevoet et sa fille Catherine étaient sensibles à la spiritualité du béguinage de la Vigne, au bénéfice duquel ceux-ci fournissaient une redevance annuelle fixe en seigle, équivalente à un volume de 195 litres ou à un poids de 132 kg.. Ceci permet de penser que Langevoet était bien informé des circuits d’approvisionnement en grains reliant les campagnes proches à Bruxelles124. Un des descendants de Guillaume Langevoet allait finalement devenir seigneur foncier dans la très huppée paroisse Sainte-Gudule vers le milieu du XIVe siècle, tandis qu’une de ses filles, Aleyde acquit des biens près de la warande ducale du Coudenberg avant 1354125. Cela donnait la mesure de la promotion sociale accélérée des membres de la parentèle des Langevoet, résultant des entreprises financières de leur aïeul, le manieur d’argent, Guillaume. Homme neuf dans la haute finance bruxelloise, Langevoet s’était associé à deux patriciens. L’un d’eux nous est déjà connu : il s’agit d’Henri Taye, très intéressé au commerce drapier et participant avec Enrico de Mercato, la même année, à l’exportation de 92 sacs de laine au profit de Jean II. L’autre, Guillaume van den Berg, était un seigneur foncier très présent dans les lieux de pouvoirs symboliques de la Ville aussi bien dans le bas que dans 121 La mention relative à cette opération dans Fryde 1962 (édition du T.N.A., E.36/202), p. 113, comporte comme titre

de chapitre dux Brabancie, accompagné de la description de cette avance faite par la garde-robe  : Johanni Duci Brabancie de prestito, in denariis sibi liberatis ad scaccarium secundo die Junii per manus Henrici Lumbard de Brussels 3.000 li. . Tout payement par ce service, donnant lieu à une reddition de compte, était considéré comme un prêt, donc toute avance d’argent pour un objet qui ne ressortait pas à la compétence normale de la Garde-robe, par exemple le payement d’un salaire de fonctionnaire royal ou de l’orfèvre du roi (Ibidem, pp.xviii-xix). 122 Martens 1958, p. 82, en 1321, le domistadio quod fuit Willelmi Lancvoet appartient alors à Gilles Verentruden qui le possède parmi d’autres biens immobiliers. Le cens est cité parmi les redevances dues au duc dans le quartier de Saint-Nicolas (f°8v°-f°9r°). 123 Martens 1958, p. 33, pp. 27-28 et p. 149, cite Jean Langevoet qui possédait une habitation avec emprise sur la voie publique dans le quartier du Hergracht en 1321, dans les alentours immédiats de la ville. Il s’agit du fossé des béguines de la Vigne ou Beghynenheergracht au nord-ouest de la ville, plutôt que du fossé dit droge heergracht, au sud de la ville, près de l’église de la Chapelle. Au sujet de l’intervention des béguines dans la production textile : Hennes 1978-1979, vol. 1, pp. 107-109. 124 A.C.P.A.S.B., H.317, f°13r° [datable de la fin du XIIIe siècle]. Pour le volume et le poids des 4 setiers délivrés annuellement au béguinage, voir Tits-Dieuaide 1975, p. 263 et p. 268. Pour l’importance du seigle autour de Bruxelles : de Waha, Recherches sur la vie, p. 222 ; Charruadas 2004, pp. 81-82. 125 Henri Langevoet possèdait un fonds et sa maison dans la Lange Ridderstrate (A.E.A.R.B.-C., A.E.B., S.G., n°65, n°774 [30/8/1368]). Je remercie Bram Vannieuwenhuyse, pour m’avoir aimablement fourni copie de cet acte. En 1354, Aleyde, fille de Guillaume Langevoet transmet des biens jouxtant la warande ducale, et adjacents aux biens du patricien Gauthier Sleeus (A.E.A.R.B.-C., A.E.B., chartrier, boîte 57, n°581 [23/8/1354]).

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le haut de la ville126. Il incarnait, encore davantage qu’Henri Taye, une faction progressiste des élites politiques bruxelloises ; fils d’échevin, il allait lui-même occuper neuf fois cette fonction à partir de 1303127. La recherche de crédits sur le continent par les émissaires anglais s’appuya sur une seconde technique de financement : l’emprunt sur gages. À l’automne 1297, le roi d’Angleterre Édouard Ier reçut une somme de 1 000 lb. sterl., contre l’engagement de certains joyaux de la couronne. Ceux-ci provenaient de la fraction du trésor royal déposé à la tour de Londres. Les prêteurs étaient dirigés en Brabant par Enrico de Mercato à Bruxelles et dans la principauté ecclésiastique de Liège par son associé Opecino Garretti, à Huy et à Liège128. C’est à Anvers, siège de la principale trésorerie anglaise, que les envoyés anglais de la Garde-robe, placés sous la direction de l’évêque Gauthier Langton, conclurent l’engagement d’une couronne en or ornée de saphirs et autres pierres précieuses, un chapel en or ayant appartenu à une reine d’Angleterre, un fermail et un peigne, tous deux en or, et une vingtaine de cylindres creux contenant des bagues comportant rubis, saphirs et autres pierres précieuses. L’ensemble de ce petit trésor avait été évalué à près de 7 000 lb. n.t. par des experts dont, du côté anglais, un orfèvre. Les discussions s’étaient prolongées plusieurs jours à Bruxelles et à Louvain avant la conclusion du contrat. À leur grand regret, les Anglais n’obtinrent d’Enrico, Opecino et de leurs associés que 4 000 lb. n.t. soit ca. 60 % de la somme, une estimation pourtant tout à fait courante pour ce mode d’emprunt dans les anciens Pays-Bas129. Les joyaux ne furent désengagés qu’en mai 1298 au prix de 5 160 lb. n. t. grâce à un payement de Coppo Cotenne, un des responsables de la compagnie Frescobaldi en Angleterre130. Le groupe des prêteurs d’Asti réalisait un gain usuraire de 29% sur 7 mois. À première vue, le périple des joyaux illustrerait à merveille le désespoir grandissant du Plantagenêt, lorsqu’il déplora, en août 1297, à la veille de s’embarquer pour le continent, son manque flagrant de liquidités. C’est vrai, les crédits ouverts par les compagnies toscanes actives en Angleterre ne suffisaient plus à alimenter la cassette royale131. Pressé par le temps, le monarque anglais dut alors requérir à de coûteux expédients. 126 L’intéressé possédait un courtil situé sur la Grand-Place, un lieu de pouvoir symbolique. Le magistrat bruxellois

envisagea de tenir des réunions sur la place, abritées par la riche demeure dite de Meerte, dès 1301 : Martens 1977, t. 5, n°56, p. 38 (acte du 29 janvier 1300). Pour les différents actes d’acquisitions du Meerte sur la Grand-Place : Favresse 1938, n°s 48-51 [octobre 1301], pp. 499-505. Sa famille disposait d’un hôtel sur le Coudenberg, proche du Jodenpoel —le bassin rituel de la communauté hébraïque de la ville—dans la première moitié du XIVe siècle : Godding 1959-1960, t. 4, p. 89. Van den Berg possédait en outre des biens fonciers à Jette avant 1321, ainsi que dans les environs d’Alsemberg et de Rode et Idem, Le censier ducal, p.154 (Alsemberg et Rode) et pour Jette, p.182 : de bonis que fuerunt Willelmi de Monte. vi d.. 127 Vandencandelaere 2008-2009, p. 40, n. 69, n. 5. Van den Berg fera partie d’un des premiers régimes scabinaux s’ouvrant—timidement— aux métiers, en 1303. 128 Les considérations qui suivent concernant l’engagement des joyaux d’Édouard Ier aux Lombards de Bruxelles sont principalement tirées de Kusman 2006. 129 7 015 lb. n.t. selon le compte qui est tenu dans T.N.A., E.159/71/m.36 [3/10/1297]. Mais d’après mes calculs la somme ne s’élevait en fait qu’à 6 715 lb.n.t. ou dans le meilleur des cas à 6 995 lb. n.t (E. 368/69/m.81). Au XVe siècle, les Lombards de Sluys prêtaient sur gages à hauteur de 60% de la valeur totale engagée : De Roover 1948, p. 133. Spufford 2002, p. 44 se trompe quand il affirme que le prêt était de 4 600 lb. tour., les 600 lb. sont un premier intérêt comptabilisé. Cette interprétation erronée basée uniquement sur la lecture du T.N.A., E.159/71/m.36, l’amène à parler d’un taux particulièrement bon marché de 18,3%/an pour un prêt sur gages. Pour les détails du calcul de ce taux d’intérêt, voir Kusman 2006, pp. 16-17. De Mercato et Garetti travaillaient avec trois associés, Gualeto de Catena, Bartolomeo de Jiaffa et Gandoldo Deati. 130 T.N.A., E.101/127/5, n°44. 131 Nous avoms serche totes les voyes que nous avoms (peu) coment nous peussoms chevir de deniers e des autres choses que mester nous ont pur cest passage e en trouvoms si pou de chevisance : lettre du 21 août 1297 citée par Fryde 1962, p. 1177, n. 4. Chevisance doit sans doute être entendu ici dans le sens d’approvisionnement, de ravitaillement, secours financier : son

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Toutefois, cette interprétation traditionnelle fait peu de cas de la portée symbolique de l’engagement de joyaux appartenant à la famille royale anglaise après le déclenchement du conflit armé avec le royaume de France. Édouard Ier ne pouvait pas engager ses joyaux sans arrière-pensées politiques. La modicité du montant du prêt reçu ne correspondait pas à une logique purement lucrative. Si les difficultés de trésor du monarque anglais étaient bien réelles, l’engagement des joyaux traduisait aussi l’utilisation de ces regalia comme instruments de pouvoir pour ranimer la ferveur des princes néerlandais gagnés à l’alliance anglaise132. Les prêteurs piémontais jouèrent un rôle de confiance dans cette instrumentalisation des symboles de la royauté anglaise. Une preuve en est donnée par la considération dont jouissait Enrico de Mercato, qui, en tant que marchand-fournisseur ducal – mercator ducis – avait le privilège de garder dans sa demeure bruxelloise l’objet le plus précieux, le chapel ayant appartenu à une reine d’Angleterre, d’une valeur vénale de 1 000 lb. n.t., enfermé dans un écrin scellé, tandis que ses collègues pouvaient emporter tous les autres joyaux vers leurs boutiques de prêt de Huy et de Liège (voir carte 4)133. Le transfert des joyaux anglais vers Huy et Liège, à l’attention d’Opecino Garretti, s’était déroulé sous la protection ducale : le jeune duc Jean II avait assisté à la remise des joyaux par le clerc John de Droxford, en présence d’Enrico de Mercato134. Dans ces circonstances, Enrico de Mercato remplissait sûrement une fonction annexe de diplomate, voyageant d’une cour à l’autre, afin de concilier les vues du roi d’Angleterre et celles du duc de Brabant quant à leurs obligations réciproques. Dans l’attente des subsides supplémentaires promis par le roi Édouard Ier en 1297, le prince brabançon avait tout intérêt à suivre de près le déplacement des joyaux anglais. Ceux-ci représentaient des garanties matérielles du respect des engagements financiers de son beau-père. L’archevêque de Trèves n’agit pas différemment, près d’un demi-siècle plus tard, lorsqu’ Édouard III lui promit d’importantes rétributions pour prix de son soutien. Le monarque anglais lui engagea sa grande couronne d’or en caution des subsides financier de 50 000 florins qui lui avait été promis135. De son côté, malgré les pertes inhérentes à ce mode d’emprunt, le roi d’Angleterre retirait des gains politiques de cette opération. Tout d’abord, on l’a deviné, il renforçait la fidélité de son beau-fils, dans l’alliance militaire qu’il avait bâtie contre Philippe IV, en déposant à Bruxelles le plus précieux de ses gages. Jean de Brabant s’était engagé en 1295 à servir militairement le roi d’Angleterre durant six mois avec deux mille hommes d’armes à cheval ; ce n’était pas rien. Ensuite, Édouard Ier s’assurait de la cohésion de ses différents alliés. Grâce à la distribution de ses joyaux entre le Brabant et le pays liégeois, il scellait sens premier est nourriture, alimentation  : Godefroy 1881-1902, t. 2, pp.  117-118. D’après Fryde 1962, p.  1175, Les Frescobaldi de Florence, les créanciers royaux les plus importants à cette époque, ne purent rassembler que 6 272 lb. sterl. sur le continent soit 3,8 % du montant estimé des capitaux anglais à destination des alliés du roi d’Angleterre. 132 Les forces françaises avaient envahi le comté de Flandre à la mi-juin alors que le roi Édouard Ier n’avait pas encore débarqué avec ses troupes ; en son absence, ses alliés renâclaient à intervenir, lorsque le comte de Juliers, avec certains seigneurs rhénans et brabançons le firent, ils furent défaits par le comte d’Artois le 20 août. 5 jours plus tard, la ville de Lille tombait. Lorsque le monarque anglais arriva enfin avec ses troupes, le 24 août, la guerre était déjà à moitié perdue. Quant à l’aide du roi des Romains, Adolphe de Nassau, elle se faisait attendre, selon Prestwich 19972, pp. 392-393. 133 Kusman 2006, p. 23 et pp. 26-27. Lors de la remise des précieux joyaux à Enrico de Mercato, le chapel fut placé dans un écrin, scellé des sceaux d’Adam, l’orfèvre royal, de Coppo Cotenne, des Frescobaldi et d’ Enrico de Mercato, il ne pouvait quitter la maison d’Enrico sous aucun prétexte. 134 T.N.A., E.101/684/5/2 [vers le mois de décembre 1297]. 135 Mentgen 1996, voir pp. 81-83 : en 1339, le roi d’Angleterre Edouard III, engagea sa grande couronne d’or auprès de l’archevêque de Trèves, Bauduin de Luxembourg, puis à un banquier juif auprès duquel le roi était endetté et qui servit d’intermédaire diplomatique et financier entre le prince-électeur de Trèves et le roi d’Angleterre.

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symboliquement la réconciliation du duc de Brabant avec l’évêque de Liège, Hugues de Chalon, frère d’un autre fidèle de la cause anglaise, Jean de Chalon-Arlay. En effet, Jean II et Hugues de Chalon étaient en conflit ouvert depuis le début de l’année 1297, spécialement au sujet de leur juridiction respective sur la ville de Maastricht. Des émissaires anglais œuvrèrent au rapprochement des deux princes néerlandais six mois durant, jusqu’en juin. Le 25 octobre 1297, Jean de Brabant et Hugues de Chalon signèrent un accord définitif sur le partage de leurs droits dans cette ville. En répartissant les bijoux et insignes royaux entre le duc de Brabant et l’évêque de Liège, Édouard Ier associait les deux princes à la responsabilité de veiller à l’intégrité des objets mis en gage, puisque ceux-ci exerçaient chacun la tutelle sur les Lombards de leur principauté136. Tant Jean II qu’Hugues de Chalon étaient des partisans déclarés du roi d’Angleterre. Ce dernier, à l’exemple d’un suzerain arbitrant les différends de ses vassaux, pouvait recourir à des pratiques de conciliation et d’arbitrage entre grands seigneurs féodaux rivaux mais liés par leur attachement commun à la cause Plantagenêt. Le partage de ces signes éminemment identitaires de la maison royale des Plantagenêts qu’étaient les joyaux de la couronne, était susceptible de rapprocher des partis apparemment opposés. La vaisselle aux armes du roi d’Angleterre jouait d’ailleurs un rôle semblable : devenu l’allié du roi Edouard Ier, le comte de Flandre Guy de Dampierre reçut du monarque anglais en septembre 1297, entre autres gages, une coupe dor esmaillie et escucenee desus et desous de France, de Navare, de Flandre, de Braybant et de Pontiu [Ponthieu]. Les blasons figurant sur la coupe délivraient un message explicite illustrant l’alliance du comte de Flandre et du duc de Brabant pour appuyer les prétentions anglaises sur le royaume de France137. Au surplus, pour un monarque comme Édouard Ier, qui se prétendait le successeur en vertu chevaleresque du roi Arthur, l’utilisation de symboles régaliens à des fins de propagande allait de soi. N’avait-il pas ramené en grande pompe à l’abbaye de Westminster la couronne attribuée au roi Arthur et conservée jusque-là au pays de Galles, après sa victoire remportée contre le prince gallois Llywelyn en 1285 ? La mode contemporaine des tournois de la Table Ronde transmettait l’image du roi Arthur, entouré de ses fidèles chevaliers, défendant un idéal commun. Jean II était lui aussi sensible aux valeurs chevaleresques diffusées par le cycle arthurien138. B.

Bruxelles, place financière et politique en devenir

On pourrait croire que la pratique du prêt sur gages, restait, à la fin du XIIIe siècle, l’apanage des banquiers d’Asti. Il n’en est rien. Il est raisonnable de penser que le séjour de l’évêque Langton et de sa suite dans la ville suscita, à nouveau, les envies des financiers et marchands-fournisseurs de cour locaux, comme l’avaient fait auparavant les marchés de la laine et des transferts de fonds destinés au duc de Brabant. L’enjeu dépassait largement la promotion du commerce 136 Sur ce conflit : Marchandisse 1994, pp. 37-66, pp. 50-57. Le 23 octobre 1297, le duc de Brabant, d’une part, les

villes de Liège et de Huy, d’autre part, s’en remettaient à des arbitres pour apaiser les différends qui les sépa-raient : Fairon 1933- 1940, vol. 2, n° 32, pp. 52-53. 137 Kusman 2006, p.  37. Des considérations très intéressantes sur l’utilisation politique des armoiries orfévrées, représentant les armes de princes territoriaux alliés ou liés par des relations féodo-vassaliques, se trouvent dans Vale 2001, p. 277. 138 Avonds 1999, pp. 37-38 et p. 83. Il semble que le monarque anglais ait joué le rôle du roi Arthur lors de différents tournois de la Table Ronde. Avonds étudie la propagation du cycle arthurien en Brabant, spécialement à partir du règne de Jean II. Son père, Jean Ier de Brabant, était décédé lors d’un tournoi de la Table Ronde à Bar-le-Duc, en 1294.

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drapier anglo-brabançon. Avec l’engagement des joyaux anglais, le duc de Brabant et ses banquiers piémontais avaient stimulé la fonction de la ville comme place financière et politique. Durant les premiers mois de l’année 1298, deux événements importants allaient encore accroître la présence nobiliaire étrangère dans les murs de Bruxelles. Le premier de ces événements fut le séjour forcé à l’auberge de plusieurs seigneurs rhénans anglophiles, réunis sous la bannière du comte Gérard de Juliers. Ces nobles personnages étaient en garnison dans la ville en vertu de leur caution pour les engagements financiers du comte de Gueldre Renaud Ier à l’égard de son beau-père, le comte de Flandre Guy de Dampierre, se chiffrant à 60 000 lb. tour.139. Le second événement fut la visite du roi d’Angleterre à son beau-fils et sa belle-fille à Bruxelles. Il s’agissait de la première visite du monarque anglais à Marguerite d’Angleterre depuis son arrivée sur le continent au début de l’année 1297140. Ces deux événements supposaient l’affluence dans la ville de plusieurs dizaines de membres d’hôtels seigneuriaux, princiers et royaux qui allaient devoir chercher à loger dans la ville. Leur rang était varié, allant des hauts dignitaires comme les chambellans et les maîtres d’hôtel jusqu’à des représentants du personnel aulique subalterne, comme les valets et les clercs assignés aux dépenses en passant par des nobles de rang plus modeste, comme des chevaliers et écuyers. Tous ces personnages avaient le droit de porter la livrée de leur maître. Ces séjours étaient propices, pour les aristocrates étrangers, à une consommation ostentatoire. Bruxelles était un centre de l’artisanat de luxe, spécialement pour la draperie, l’orfèvrerie, la pelleterie, la sellerie et les armures141. Le premier de ces événements, le séjour de seigneurs plèges du comte Renaud Ier de Gueldre à Bruxelles, est à replacer dans le cadre des embarras financiers du prince gueldrois qui avaient fait de lui l’obligé de son beau-père, le comte de Flandre Guy de Dampierre142. Des nobles rhénans allèrent pour ce motif en garnison dans deux auberges bruxelloises connues, durant le premier trimestre 1298 : celle d’Henri Vederman et la maison Vinke, qui était vraisemblablement l’hôtel de Jean Vinke. Afin de subvenir à leurs frais de séjour, ces aristocrates engagèrent leur vaisselle auprès de ces hôteliers. Celle-ci provenait originellement d’un lot de la vaisselle royale anglaise que le roi Édouard Ier avait prêté au comte de Flandre. Guy de Dampierre pouvait les engager à hauteur de 1 200 lb. 2 s. 8 d. sterl., du 25 septembre au 28 octobre 1297143. Le prince flamand prêta à son tour une portion non-négligeable de cette vaisselle royale, parfois frappée des écussons des Plantagenêts, aux nobles personnages qui s’étaient portés garants de son beau-fils. Ainsi, le comte de Juliers déposa-t-il divers plats d’argenterie chez Henri Vederman, pour une valeur de 400 lb. tour.. Vederman devait envoyer ce lot de gages à Cologne si celui-ci n’était pas racheté endéans 139 Kusman 2006, p. 31. Au sujet de la garnison pour dettes, voir le chapitre 2, p. 102. 140 La visite d’Édouard Ier à Bruxelles est à placer en février ou en mars 1298, tandis que Marguerite était partie pour le

Brabant en janvier ou en février 1297 : de Sturler, 1936a, p. 147 et p. 152. 141 À titre comparatif, l’hôtel du jeune Jean de Brabant aurait compté une cinquantaine de personnes lorsqu’il résida en Angleterre, avant son accession au pouvoir ducal, tandis qu’en 1354, l’hôtel du comte de Hainaut-Hollande et Zélande, Guillaume V aurait compté 60 personnes. Enfin, lorsqu’ils viennent visiter le duc de Brabant en 1293, le comte et la comtesse de Flandre sont accompagnés par un plus large entourage que leur hôtel avec un train de deux cent chevaux, ce qui se justifie en partie par la présence immédiate de la Forêt de Soignes, lieu de chasse renommé pour les princes étrangers : Vale 2001, pp. 49-52 et p. 150. Pour le rôle de Bruxelles dans l’artisanat de luxe : Uyttebrouck 1991, p. 201. Au sujet de la renommée de la peletterie et de la sellerie bruxelloise à la fin du XIIIe siècle(cf.. supra, chap. 1, pp. 32-33). 142 Cf. le chap. 2, p. 101. 143 A.D.N., B.4057, n°3999 [25/9/1297].

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Fig. 11. Les calice et patène dits de Dolgellau, appartenant probablement à la vaisselle d’argent d’apparat du roi Édouard Ier, Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2013.

les huit jours après l’établissement de l’inventaire de ces gages. Le comte de Spanheim laissa quant à lui une coupe d’argent en gage chez Jean Vinke, recevant seulement 48% de sa contre-valeur, par conséquent à des conditions plus défavorables que chez Enrico de Mercato et ses comparses. Vinke avait lui aussi joué les hôteliers144. La sollicitude particulière de Guy de Dampierre à l’égard des barons rhénans s’explique par d’autres raisons. Ces derniers lui avaient apportée une aide militaire notable contre le roi de France, d’une part et d’autre part certains d’entre eux, comme le comte de Juliers, étaient ses vassaux145. Les comtes de la Marck, de Juliers, de Spanheim et le seigneur de Molsberg, explicitement mentionnés comme bénéficiaires des joyaux anglais, combattirent aux côtés des forces flamandes contre Philippe le Bel à Lille en juin et en août 1297146. En raison de leur statut, ils n’hésitèrent pas à porter leurs frais de séjour au compte de Guy de Dampierre. Les montants déboursés étaient révélateurs du profit que les courtiers144 Le comte de Spanheim avait initialement déposé chez Vinke une coupe d’or aux armes d’Angleterre, d’une valeur de

60 lb. de nouveaux esterlins (soit 240 lb. tour.) et une coupe d’argent doré d’une valeur de 25 lb. tour. dont le comte n’obtint que 12 lb. tour. (R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, Supplément, n°251, rouleau datable du 1er trimestre 1298, éd. et commentaire du compte en rouleau concernant le séjour du comte de Juliers et du comte de Spanheim à Bruxelles dans Kusman 2006, pp. 30-33). 145 Mention de la solde des seigneurs d’Allemagne au service du comte de Flandre pour laquelle la vaisselle a été engagée et du fief-rente du comte de Juliers, d’une valeur de 100 lb. tour. dans R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, Supplément, n°251. Outre le comte de Juliers, d’autres princes rhénans, tel le comte de la Marck depuis 1296, percevaient une rente féodale du comte de Flandre (Kusman 2006, p. 33, n. 98). 146 Le séjour des plèges rhénans ne doit pas être situé à Bruxelles vers 1296 (Meihuizen 1953, p.  21), mais bien au début de l’année 1298. Les dépenses antérieures à celles de Bruxelles enregistrées par le seigneur de Molsberg et le comte de Spanheim chez un hôtelier d’Ypres (R.A.G., Chartes de Flandre, Supplément, n°251) trouvent un écho dans leur présence aux côtés du comte de la Marck et de Guillaume de Juliers dans cette ville du 24 juin au 1er octobre 1297, dans un compte d’hôtel daté cité par Funck-Brentano 1897, p. 240, n. 1. Voir aussi Prestwich 19972, p. 392. Le comte Everard de la Marck connaissait bien Bruxelles ; il y avait déjà accompli une mission diplomatique au service du comte de Flandre dont le contenu reste inconnu mais pour laquelle il fut rétribué de ses frais, à hauteur de 540 lb. de Louvain : A.D.N., B.4052, n°3497 [7/7/1293]. Il ne semble toutefois pas avoir logé chez Vederman ou chez Vinke. Le séjour des plèges rhénans à Bruxelles transparaît d’autres sources où est cité l’archévêque de Cologne Wikbold de Holte (1297-1304), lequel s’était également obligé à tenir garnison à Bruxelles pour la dette de 60 000 lb. tour., voir Knipping 1913, p. 248, n°3633 [ca. 1298].

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hôteliers bruxellois pouvaient attendre du séjour de tels personnages. Le comte Gérard de Juliers imputa au comte de Flandre une somme de 400 lb. dont une portion de 250 lb. était attribuée à ses dépenses chez son hôte dans la ville de Bruxelles et ailleurs dont il nest mie encore payes. Le comte de Spanheim transmit au comte de Flandre ses frais totaux de gîte, s’élevant à 131 lb., comprenant dépenses de vin, de pain, de cuisine, de logement, de soin aux chevaux et aumônes. Il est au reste possible d’estimer les frais quotidiens de gîte. Au début du XIVe siècle, à Bruges, le fils du comte de Juliers et son entourage dépensaient de 9 s. 3 d. jusqu’à 41 s. 7 d. par. par jour pour les hôtelleries les plus luxueuses, des tarifs en rien excessifs : en septembre 1297, l’évêque Langton déboursa 5 lb. p.t. pour un séjour de 12 jours dans un hôtel malinois pourvu d’un espace de stockage pour les joyaux de la couronne qu’il transportait avec son escorte, soit 8 s. 4 d. tour. par jour. En 1292, des émissaires de Guy de Dampierre, chargés de rejoindre Liège, passèrent par Bruxelles où ils séjournèrent deux jours, dépensant un peu plus d’1 lb. tour. par jour et par personne147. En tenant compte du chiffre maximal de 2 lb. par jour, on peut donc conjecturer que le comte de Gérard de Juliers, le comte de Spanheim et un entourage très restreint séjournèrent quelques mois à Bruxelles – peut-être trois – au début de l’année 1298. Ces estimations de frais pour les personnages de haut rang donnent un bon aperçu de ce que pouvait rapporter aux groupes marchands et aux hôteliers de la ville la résidence d’un hôte plus fameux encore. L’occasion de pareils profits fut fournie par le second événement marquant de cette période, la visite d’Édouard Ier à son beau-fils à Bruxelles, au premier trimestre 1298148. Ce séjour aurait bien pu justifier l’usage de la vaisselle anglaise parmi les nobles rhénans déjà présents à Bruxelles, pour faire honneur à la présence du roi dans les murs de la ville149. Le chroniqueur brabançon Lodewijk Van Velthem décrit la magnificence avec laquelle Édouard fut reçu, les festivités données en son honneur et les nombreux comtes qui y assistaient et se disaient vassaux de Jean II, ce qui provoqua l’admiration du monarque. Le chroniqueur peut être tenu pour un auteur fiable ; il était bien introduit dans les cercles de la cour ducale. Il avait par ailleurs passé l’hiver 1297-1298 dans la ville de Gand, où logeait Édouard Ier, parmi les troupes galloises du monarque, en même temps que le comte de Flandre, le duc de Brabant et leurs vassaux respectifs. Le Spiegel historiael pallie donc l’indigence extrême des sources sur 147 Pour les frais du comte de Spanheim : R.A.G., Chartes de Flandre, Supplément Wyffels, n°313 [après 1297], pour les

frais du comte de Juliers et son entourage : Murray 2005, p. 200 et pour Langton : B. L., Add. Ms. 7965, f°18r° (compte de la Garde-robe royale pour la 25e année du règne d’Edouard Ier, 1297). Le rapport entre le d. par. et le d. tour. est toujours de 4 parisis pour 5 tournois à cette époque. Pour la participation de Guillaume de Juliers à la bataille de Courtrai, voir en dernier lieu : Boffa 2003, p. 25 et p. 29. Pour les frais des émissaires du comte de Flandre Guy de Dampierre, Guillaume de Mortagne, le seigneur d’Espierres et Lotin de Bruges, chargés de rallier Liège à l’occasion du décès de l’évêque Jean de Flandre, voir Marchandisse 1997, n°30, p.72 (dépense enregistrée à la fin de 1291). 148 Si l’on ignore tout de l’ordre de grandeur des dépenses de la cour d’Édouard Ier en visite à Bruxelles, on peut s’en faire une idée avec quelques données isolées recueillies par Brice Lyon pour les fournitures au roi à Gand, quartier général présumé des Anglais lors de leur campagne militaire : en 1297, 3 s 7.d sterl. (soit 12 s. 28 d. tour.) furent dépensés pour aménager une écurie destinée au cheval malade du roi. John de Weston, clerc de la Garde robe Royale acheta une doublure en fourrure pour Elisabeth, comtesse de Hollande et fille d’Édouard Ier au prix de 5 s.. Thomas Brown, volailler de l’hôtel royal, acheta 30 cignes (au prix unitaire de 2 s. sterl.) and 40 butors (au prix unitaire de 12 d. sterl.) à Bruges. Il acheta aussi 321 barriques de vin rhénan auprès de marchands flamands pour un montant de 1 310 lb. 11 s. 11 d. sterl. : Lyon 2003. Cet auteur estime que pour la campagne d’Edouard Ier, 80 % de l’approvisionnement provenait directement d’Angleterre. Il conclut que les dépenses principales étaient liées aux frais de logement. 149 À titre comparatif, l’utilisation à des fins de propagande de la vaisselle d’argent est documentée par le fait suivant. Le conseil de la ville de Strasbourg recommandait qu’on emploie la vaisselle aux armes de la ville dans les auberges lorsque la cité attendait des hôtes étrangers de marque : Monnet 2004, p. 132. Selon moi rien n’exclut qu’inversément, en 1298, la vaisselle portant les armes des Plantagenêt ait été utilisée par ses alliés comme signes identitaires de leur appartenance au parti anglophile.

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les manifestations organisées par le Prince et la Ville lors du cérémonial d’entrée du monarque anglais et de sa cour. Les festivités justifiaient en retour la munificence du beau-père de Marguerite d’Angleterre et de sa suite durant leur séjour à Bruxelles, il suffit pour cela, d’invoquer la possibilité de chasses pouvant être organisées aux alentours de Bruxelles ou de tournois150. Le marché du crédit sur gages à la haute noblesse, ouvert à Bruxelles par les aléas de la diplomatie anglo-flamande représenta, avec les transactions sur la laine et sur le transfert des subsides anglais, un moment décisif dans l’intégration des financiers piémontais en Brabant. Pourquoi ? La diffusion d’informations sur le séjour des envoyés anglais et des nobles rhénans se fit nécessairement au sein d’un petit groupe restreint de spécialistes du monde de l’argent dont les Piémontais étaient des protagonistes majeurs. Une fois accueillis, les hôtes étrangers de haut rang pouvaient propager des rumeurs, voire des informations de nature politique du fait de la fonction de sociabilité des auberges et hôtels151. Ces nouvelles étaient susceptibles d’influencer les stratégies des grands marchands de la ville. L’enjeu de l’accueil des dignitaires étrangers ressort de l’envergure des courtiers-hôteliers intervenants dans ces circonstances et de la localisation de leurs biens. Henri Vederman habitait depuis 1270 en contrebas de la collégiale Sainte-Gudule, dans la Vederstrate. Vederman appartenait à une famille de seigneurs fonciers dont le patronyme renvoyait sans doute à un illustre ancêtre marchand pelletier ou fourreur. L’implantation dense de plusieurs membres de la lignée dans la Vederstraat, ou rue aux plumes, renforce cette présomption. En quête d’honorabilité, plusieurs membres de ce lignage rejoignirent les stalles de la très conservatrice collégiale Sainte-Gudule dès la fin du XIIIe siècle. Henri Vederman cautionnera –  activité fréquente chez les hôteliers  – la création d’une chapellenie Saint-Mathieu à la collégiale aux côtés du patricien Godefroid Hinckaert152. Outre ses compétences de manieur d’argent, une autre caractéristique rapprochait d’Henri Vederman des membres de la famille de Mercato  : ses liens de voisinage avec le frère d’Enrico, Andrea, habitant avec ses neveux, à côté de lui, un complexe de maisons à porche en contrebas de l’église de Sainte-Gudule dans la Vederstrate. Ces bâtiments sont à identifier avec les résidences occupées par les familles de Mercato et Roero à Bruxelles dans le premier quart du XIVe siècle153. La solidarité de voisinage des Vederman avec les de Mercato se prolongeait hors les murs de la première enceinte. Au siècle suivant un Amaury 150 Vander Linden 1906-1938, vol. 2, 4e livre, c. 4, p. 236, l. 21-29 ; Besamusca, Sleiderink et Warnar 2009, p. 15. Sur la magnificence nécessaire des monarques, voir entre autres Vale 2001, pp. 169-185. 151 Novák 2004, p. 158. 152 Godding 1959-1960, vol. 5, pp. 106-107. Jean Vederman dont on ignore le lien de parenté exact avec Henri, est cité comme grand chanoine de Sainte-Gudule le 24 janvier 1298 (Kusman 2006, p. 33, n. 99). Trois fils d’Amaury Vederman, parent d’Henri, seront chanoines à Sainte-Gudule dans le premier quart du XIVe siècle et habiteront dans la rue : Gerelm, Amaury et Jean, cf. Martens 1990, p. 71 et Martens 1977, t. 5, n°64, p. 65, pour la caution financière de Vederman et Hinckaert de 200 lb. de tournois brabançons en 1301). Ajoutons que la Vederstrate comptait au moins deux pelletiers en 1321 : Martens 1959a, pp. 230-231, parmi ceux-ci, un Amaury de Boitsfort, prénom fréquent dans la famille Vederman. Le patronyme toponymique de Boitsfort indiquerait des investissements de cette famille de pelletiers dans la réserve à gibier qu’était alors la forêt de Soignes, alimentant le commerce des peaux. Pour les rues dominées par une famille aux intérêts solidaires groupée autour de maisons proches, dans les villes tant italiennes que des anciens Pays-Bas : Heers 1993, p. 61 et p. 157 et suiv.. L’association entre la pelleterie et l’utilisation de plumes découle du fait que du duvet était employé dans certains cas à la place de la fourrure ou comme élément de la doublure du vêtement. La pelleterie et le travail des plumes sont même parfois assimilés par certains auteurs littéraires, voir Verwijs et Verdam 1885-1929, vol. 8, col. 1335-1336. La confusion sémantique entre les peaux et les plumes provient en partie du latin médiéval où penna signifie à la fois plume et fourrure montée sur un habit ; voir aussi pour le vocabulaire de la pelleterie et le commerce des plumes par les pelletiers : Delort 1978, vol. 1, pp. 7-14. 153 Martens 1958, p. 58; Kusman 2006, pp. 33-35 ; Kusman 2007, pp. 147-152.

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Vederman possèdera un bien dans le quartier maraîcher de l’Orsendael, proche de celui d’un fils d’Enrico de Mercato154. Si le profil du courtier-hôtelier Jean Vinke était moins imprégné par l’artisanat de luxe que celui d’Henri Vederman, Vinke évoluait comme Enrico de Mercato dans les sphères de l’hôtel ducal ; Jean II semblait l’estimer, sans nul doute en raison de son statut de bailleur de fonds qui faisait de lui un receveur princier putatif155. Son hôtel, Rodenborgh, où le comte de Spanheim logea, était vraisemblablement situé dans la rue de la Montagne, face à l’église Sainte-Gudule, une rue où abondaient les auberges au XVe siècle156. Vinke entretenait finalement des relations avec les marchands-fournisseurs de la cour, les bouchers de la famille Lose, notamment157. Sa location, avant 1315, de portions du fossé de la première enceinte, pouvant être utilisés comme réservoirs à poisson, à la Warmoesporte, pourrait dénoter, là encore, son statut de valet-fournisseur de la cour. La précocité de cet investissement par rapport à l’édification de la seconde enceinte, datant de la seconde moitié du XIVe siècle, ne permet pas de conclure avec certitude158. La fonction de la ville de Bruxelles et de ses luxueuses auberges comme lieu de résidence de l’entourage des princes de haut rang est notoire à partir du milieu du XIVe siècle : l’entourage des comtes de Hainaut et de Flandre loge alors dans des hôtels renommés de la ville. Un quart de siècle plus tard, des princes et seigneurs issus de toute la noblesse européenne y passent avant de rejoindre la route des croisades en Prusse  ; ils y payent leurs dettes159. Il est assuré que cette fonction remonte à la fin du XIIIe siècle lorsque la ville acquiert une place de premier plan dans le domaine des négociations diplomatiques internationales. Dans cette optique, je voudrais rappeler l’importance du séjour des plèges du comte de Gueldre à Bruxelles, dans les premiers mois de l’année 1298. Il apparaît clairement que l’intervention de Jean II et de ses manieurs d’argent bruxellois, au début de l’année 1298, se place dans le cadre d’un arbitrage que le duc avait organisé entre le comte de Gueldre et le comte de Flandre, destiné à régler leurs différends financiers. En effet, le projet d’un payement définitif de 60 000 lb. tour. par le comte de Gueldre pour désengager son comté de la tutelle flamande avait été établi à Bruxelles dès la Noël 1295 par le duc de 154 Il porte le même prénom que son père—décédé à cette date—A.G.R., C.C., n° 44825 (vers 1346), f° 22 r° Item Heinrec

Marcsant, van Oden Alien goede j vierendeel ende j sesten deel van j capune (dans le chapitre relatif aux biens de l’Orsendael). Amaury Vederman qui demeure également dans la Vederstrate (Godding 1960, p.  239) possède un bien situé près de la Monnaie dans l’Orsendael (A.G.R., C.C., n° 44825, f° 23 r°). Le quartier de l’Orsendael comprenait, outre des zones de maraîchage, des brasseries (Billen et Duvosquel 2000, pp. 172-173). L’origine du bien des Vederman remontait peut-être au siècle précédent, quand le chanoine Jean Vederman prêta une somme d’argent à Francon Fraic, dont le remboursement était assigné par une rente constituée sur son bien-fonds dans l’Orsendael (Martens 1977, t. 5, n° 50, pp. 34-35 [24/1/1298]). 155 Il le qualifiait de onsen gheminden knape[notre cher valet] : Camps 1979, vol. 2, n°609, pp. 734-735 [20/3/1301]. Le duc de Brabant empruntera la somme de 3 000 lb. pay. de Jean Vinke au duc de Brabant : S.A., charters en autografen CH. B. 61 [1/7/1308]. Sur son activité future de receveur vers 1321 : Martens 1954, p. 101. 156 Martens 1977, t. 7, n° 232, p. 136 [24/5/1336] ; Martens 1958, p. 57. Au sujet des différentes auberges de la rue de la Montagne : Godding 1995-1996, p. 133. Un indice du rôle de prêteur sur gages et de marchand polyvalent de Vinke se trouve dans son avance de fonds pour le duc de Brabant en 1306 : c’est avec six bons draps qu’il paye la somme de 182 lb. 14 s. de Brabant, monnaie courante et non en monnaie sonnante et trébuchante : A.G.R., C.C., n°1, f°77r° [17/12/1306]. 157 Deligne, Billen, et Kusman 2004, p. 79. 158 Martens 1967, p. 290, n. 55 : un acte bruxellois cité de 1315 prouve que le contrat de location reconduit une location antérieure par le même Vinke. Au sujet de l’usage des anciens fossés de fortification de la ville comme réservoirs à poissons : Deligne 2003, p. 125, n. 526 (Warmoesporte).  159 Vale 2001, p. 153 ; Paravicini 1995, vol.2, pp. 259-260. Il est intéressant de relever la mention d’un hôtel particulier des comtes de Juliers dans Martens 1943, n°57, p. 137 [10/6/1355]. L’hôtel était situé alors pas loin de la Vederstrate dans l’Eetegat (actuel boulevard de Berlaimont).

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Brabant, de concert avec le comte de Flandre. De même, le compte des dépenses et recettes de la principauté sous tutelle avait également été dressé dans la ville par des fonctionnaires flamands et gueldrois, sans doute en présence de spécialistes des finances brabançons. Le duc de Brabant avait promis au comte de Gueldre, venu à Bruxelles, de s’entremettre pour lui auprès du comte de Flandre des modalités d’échelonnement du payement des 60 000 lb., il était accompagné dans sa mission du comte de la Marck, de Gérard de Juliers, du seigneur Florent Berthout, de Jean de Cuyck et Waleran de Fauquemont, ces derniers étant deux conseillers ducaux de premier plan160. Cuyck et Fauquemont sont également cités en 1298 comme des plèges du comte de Flandre lors du séjour des seigneurs rhénans à Bruxelles ; ils sont responsables de l’inventaire dressé de la vaisselle prêtée par Guy de Dampierre161. En Brabant, de plus en plus, le prince envisageait sans aucune gêne ses talents d’arbitre comme une manière de faire du profit. Cette vision audacieuse du métier de Prince remontait au règne du duc de Brabant Jean Ier . Il s’en ouvrit lors d’une confidence à ses conseillers Waleran de Fauquemont et Jean de Cuyck, rapportée par le chroniqueur Lodewijk Van Velthem, vers l’hiver 1293-1294 à Paris, dans le cadre d’un litige entre le comte de Flandre et le roi de France. Il s’agissait selon le duc de laisser s’accumuler les tensions entre deux partis ennemis, puis au plus fort de la mêlée, d’intervenir et de se placer comme arbitre entre les deux parties et ainsi de gagner peut-être plus en conférences que ce que son pays rapporterait en revenus en une année162. Ultérieurement, Jean II semble avoir voulu imposer à nouveau la ville de Bruxelles comme lieu d’arbitrage et place de payement dans le cadre d’un traité d’alliance entre le comte de Flandre Guy de Dampierre et Jean Ier d’Avesnes, comte de Hollande. Jean de Cuyck et Waleran de Fauquemont étaient les arbitres désignés par Jean II163. Le courtage diplomatique se manifestait ainsi comme une dimension inhérente de la communication de Jean II avec les grands princes étrangers. Bien plus, ce rôle d’intermédiaire lui aurait permit de prémunir son pays des ambitions territoriales de voisins trop puissants en mettant systématiquement en avant ses talents de négociateur neutre, au-dessus de la mêlée164. L’avènement de Bruxelles comme place prééminente de négociations politiques et de tractations financières se situait dans la continuité du rôle accru de la cité comme centre de décision pour le gouvernement ducal, depuis le règne de Jean Ier. L’intention initiale de 160 Meihuizen 1953, p. 21, p. 28 et p. 37 et p. 113 (éd. de la plainte du comte de Gueldre adressée au roi de France après

1296, A.N., section J 522, n°22).

161 Kusman 2006, p. 32. 162 Dat ick er an winnen soude, vorwaer, meer goets in perlementen, dan mijn lant .I. jaer soude renten, Ende om dese sake,

sonder waen, lat ic die werringe vort gaen : Vander Linden 1906-1938, vol. 2, 3e livre, p. 182, vv. 2645-2649 et Besamusca, Sleiderink et Warnar 2009, p. 14. 163 Le 26 janvier 1299, il donnait son accord au comte de Flandre Guy de Dampierre sur le traîté d’alliance que ce dernier souhaitait conclure avec Jean Ier d’Avesnes, moyennant ses conditions : que le comte de Flandre lui payât tous les dommages que le duc de Brabant estimait avoir supporté à cause du comte de Flandre, selon l’estimation arbitrale de Guillaume de Flandre, fils de Guy de Dampierre, Guillaume de Mortagne, seigneur de Dossemer, Waleran de Fauquemont et Jean de Cuyck. Les arbitres devaient se rendre à Bruxelles endéans la mi-carème, et y rester jusqu’à ce qu’ils trouvent un accord (A.D.N., Musée 63,[ancien B 246, n°4142]). 164 Meihuizen 1953, p. 28. Exerçant la tutelle du comté de Gueldre, le comte de Flandre avait acquis jusqu’en 1295 le contrôle de toute une série de places fortes contiguës avec la frontière brabançonne. En appuyant les plaintes de Renaud de Gueldre, le duc de Brabant se ménageait un allié potentiel pour contrer la politique d’encerclement de son puissant voisin. Escher-Apsner 2006, p.  329 éclaire le rôle de la dynastie brabançonne comme porteuse d’innovations en terres d’Empire en raison de sa position d’interface entre l’Empire et les territoires relevant du royaume de France. Cette position d’intermédiaire influent se serait également matérialisée dans le domaine politique par les nombreuses alliances matrimoniales nouées simultanément avec les royaumes d’Allemagne et de France.

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Origine géographique

Nombre

Noms

Bruxelles (Brabant)

5

Hugues de Coudenberg, Guillaume Langevoet, Jean Papsac, Henri Taye et Guillaume van den Berg

Braine-L’Alleud (Brabant)

1

Adam de Braine

Louvain (Brabant)

1

Jean de Berthem

Overijse (Brabant)

1

Arnould d’Yssche

Londres et Stanford (Angleterre)

4

Gilbert de Chesterton, Robert de Segre, Ralph de Manton,

Grave (Gueldre)

1

Asti (Piémont)

5(6?)

Florence (Toscane)

Elias Russel

2

Jean de Cuyck Enrico, Andrea, Uberto, et Giacomo de Mercato, Vivadino Marrono et (peut-être) Guillaume de Novavilla Lapo Bourcato et Taldo Janiani

Fig. 12. Tableau de répartition des 21 agents financiers cités entre 1295 et 1297 167.

ce dernier d’y fixer en 1278 le payement des premières échéances de la dot de Marguerite d’Angleterre me paraît, sous cet angle, très révélatrice165. En 1295-1297, la prépondérance de la ville de Bruxelles s’observe en outre nettement à travers le transfert des capitaux anglais et les emprunts conclus dans cette ville par les émissaires diplomatiques d’Édouard Ier. Rien que pour 1295, le volume des transactions bruxelloises surpassa allègrement le nombre des opérations financières conclues entre 1296 et 1298 sur la place d’Anvers. Une somme de 23 000 lb. sterl. avait été envoyée à Bruxelles tandis que sur un total de 40 000 lb. tour. ou plus de 10 000 lb. sterl. payables à Anvers, ce ne furent tout au plus que 4 150 lb. sterl. qui furent versées dans la cité de l’éphémère étape de la laine, pourtant siège d’une trésorerie, le reste fut acquitté par des lettres obligatoires négociables dans les anciens Pays-Bas ou aux foires de Champagne166. L’identité des intermédiaires financiers cités entre 1295 et 1297 confirme cette prépondérance bruxelloise (fig. 12).167 Le tableau de répartition par origine des agents financiers intervenant dans les différentes opérations le montre, près d’un quart de l’ensemble des agents était originaire de Bruxelles. Si l’on prend en compte les membres du groupe familial de Mercato, dont on peut penser qu’ils résidaient majoritairement à Bruxelles, cette proportion approchait la moitié du groupe étudié. L’hégémonie bruxelloise se reflète également dans la succession presque ininterrompue de receveurs bruxellois nommés à la tête des finances princières entre 1290 et 1302, aux dépens des Anversois  : Hugues de Coudenberg (1290-1291) et Thierry Lose 165 De Ridder 1979. Sur l’intention initiale de Jean Ier de fixer trois des cinq tranches de payement de la dot en 1278

à Bruxelles, 30 000 lb. devant être payées à Bruxelles, les autres 20 000 lb. devant être versées à Paris, une des grandes places financières de l’époque  : Wangermee 1941, vol. 1, p.  7 et Calendar of the Patent Rolls 1893-1901, vol. 1, p.  299 [24/1/1279]. 166 Pour le versement des 23 000 lb. sterl., majoritairement concédé à des financiers opérant à Bruxelles, voir Kusman 2008a, vol. 4, Annexes, I., l’annexe 4., n°1, et pour les transactions anversoises, annexe 4, n° 10, 11 et 22-24. Entre 1296 et 1298, la parité de la lb. tournois avec la sterling était passée de 4 tournois à 6 tournois pour un esterlin. Pour le payement par lettres obligatoires, voir Lyon 1955, pp. 72-73. 167 Ce tableau ne comprend ni Henri Vederman ni Jean Vinke cités en 1298 pour l’accueil et le crédit aux alliés d’Édouard Ier à Bruxelles en 1298.

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

(1297-1302) appartenaient au patriciat de la ville ; la famille de Jean Boote (1293-1294) fournira plusieurs échevins au magistrat bruxellois dès le début du XIVe siècle. L’Anversois Gauthier Volcart n’officiera que pendant un court intermède entre le 26 janvier et le 13 octobre 1295168. En imposant une équipe de patriciens et de techniciens des affaires principalement bruxelloise, le duc Jean II donnait un gage à un des principaux groupes politiques en Brabant, celui des villes, alors que les futurs « États », noblesse, villes et clergé, étaient en formation. Les dettes énormes laissées par le duc Jean Ier avaient déjà motivé la levée d’un impôt général exceptionnel de 5% en Brabant sur tous les revenus, dès 1293. Cet impôt ouvrait la voie à un droit de regard ultérieur sur les revenus de la fiscalité princière par les représentants des villes169. En 1295-1297, un contrôle bruxellois sur les deniers princiers s’exerça sans doute à la faveur d’une nouvelle aide financière importante fournie au duc de Brabant, aide suscitant un privilège pour la ville170. N’est-il pas imaginable que dans cette conjoncture, les élites bruxelloises, représentées par les familles Coudenberg, Taye et Van den Berg aient réclamé et obtenu, au nom de « l’intérêt commun » des villes brabançonnes un droit de surveillance des payements effectués au bénéfice du duc de Brabant entre 1295 et 1297 ? Ce droit de surveillance se serait transformé en une franche collaboration à la réception des subsides anglais, notamment pour les assignations royales sur la laine anglaise importée par les marchands brabançons. Aussi louable soit-il, ce noble dessein semble, assez vite, avoir suscité des pratiques de clientélisme du Prince au seul profit des notables bruxellois et leurs associés. Dès lors, l’intégration dans «  l’équipe bruxelloise  » d’hommes neufs issus des groupes intermédiaires ou représentant partiellement leurs intérêts comme de Mercato, Langevoet ou Papsac, s’expliquerait mieux. Elle matérialiserait la résolution ducale d’adjoindre aux élites patriciennes des membres des milieux marchands, bénéficiant d’un soutien plus populaire dans les classes moyennes de la ville et par là d’une légitimité sociale plus grande. Pour des financiers expérimentés mais dominés par les élites urbaines traditionnelles comme Langevoet, Papsac ou les de Mercato, l’aventure anglaise offrait une formidable chance de promotion sociale. Dépourvus du capital symbolique propre aux patriciens bruxellois, ces hommes neufs avaient à présent l’opportunité d’ancrer leur réseau de sociabilité à la cour de Brabant171. Les marchands-banquiers piémontais furent incontestablement, à côté des aristocrates de la cour ducale et des patriciens bruxellois, des auxiliaires actifs de la politique du 168 Pour les receveurs, voir Martens 1954, pp.92-96. Pour leurs familles : Godding 1959-1960, voir t. 4, pp. 201-203 et

pp. 212-215 et t. 5, pp.16-17.

169 Cf. supra, 2e partie, chap. 1, p. 117. 170 Godding 1975, voir pp.  121-122, n. 18-20  : l’auteur remarque d’abord l’extension du pouvoir bruxellois sur son

hinterland à partir de 1295, matérialisé par le droit accordé à la ville de Bruxelles de lever l’assise sur la bière dans un périmètre défini autour de la ville, comprenant notamment Etterbeek et Schaerbeek, outrepassant les limites de la franchise urbaine. Il lie ensuite ce privilège ducal à une aide financière probablement accordée par la ville à cette époque. Voir aussi DicksteinBernard 1977, p. 14. 171 Guilhot 2006, pp. 163-164, donne l’exemple actuel des petits arbitragistes de Wall Street, débutant leur carrière dans des modestes firmes de courtage, dans un milieu social de financiers dominés par l’establishment traditionnel des illustres familles de banquiers, titulaires de diplômes prestigieux et à la tête des grands établissements de la place de New York. Dans le domaine économique, le capital symbolique suppose une reconnaissance basée sur l’image de marque, l’ancienneté et le prestige social et culturel de l’opérateur économique qui le possède (Bourdieu 2000, pp. 162-164 et pp. 236-237). Papsac et Langevoet évoquent de par leur sobriquets-sac à bouillie et long pied- des origines sociales basses ou des difformités physiques stigmatisées par leur environnement professionel.

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Usque partes ipsius ducis ducentes saccos lane duci facere possit | Chapitre ii

courtage diplomatique du duc Jean II, même si, malheureusement, les sources font défaut pour apprécier leur poids, les Lombards étant majoritairement présents parmi les gens de l’hôtel ducal, une institution encore très mal connue pour le XIIIe siècle et dont l’influence était par essence, difficilement palpable. Un autre groupe social se manifestait pour la première fois dans la haute finance bruxelloise  : celui des bourgeois non-lignagers. Guillaume Langevoet, Jean Papsac et Jean Vinke personnifiaient des homines novi de la moyenne bourgeoisie tirant parti de leurs aptitudes techniques pour assister le duc de Brabant dans ses relations financières avec le roi d’Angleterre. L’accès des trois agents financiers aux mêmes circuits d’information commerciale est parfaitement visible dans la symétrie de leurs attitudes économiques. Dès la fin du XIIIe siècle, Langevoet, Papsac et Vinke avaient investi – directement ou par leur épouse interposée – une partie de leur fortune mobilière dans l’achat de rentes viagères à Malines, ville appelée à devenir une place primordiale des changes en Brabant dans les décennies suivantes172. Ces personnages avaient, au surplus, une bonne connaissance du commerce drapier et certain d’entre eux, comme Guillaume Langevoet, nourrissaient des liens forts avec les béguines. Par leurs attaches avec les métiers de luxe et de l’alimentation et avec les institutions caritatives, ils jetaient des ponts entre les protagonistes des transactions anglaises et les membres des métiers173. Ils formaient les premiers bataillons d’une nouvelle aristocratie de l’argent dans le paysage commercial bruxellois. Ces hommes neufs, issus des groupes médians, revendiquaient sans doute, comme dans le comté de Flandre à la fin du XIIIe siècle, une participation à la gestion de la fiscalité indirecte, les assises, monopolisées par le patriciat174. La présence accrue de la cour ducale à Bruxelles, le séjour d’émissaires diplomatiques et enfin la visite de monarques et princes étrangers, étaient autant de facteurs susceptibles d’accroître les revenus de ce type de fiscalité par la consommation importante qui en découlait. Le rôle du Brabant comme plaque tournante des manœuvres politiques anglaises et des mouvements de fonds apparaît dans le cadre d’une dernière alliance d’Édouard Ier avec un autre prince d’empire : celle conclue avec le comte de Savoie Amédée V (1285-1323). Dans le comté de Savoie, comme dans le duché de Brabant, des sociétés de prêt piémontaises avaient ancré leurs activités au profit du prince territorial, qui prélevait des taxes annuelles sur celles-ci175. Il est par conséquent imaginable que les tables de prêt sises en Brabant fonctionnèrent en coordination avec les tables lombardes de Savoie pour le change et le transfert de sommes d’argent dues aux alliés savoyards du roi d’Angleterre. L’activité paral172 S.M., Rentes K. S.I. Safe I,n°1, f°9v° pour les époux Papsac, une rente annuelle de 50 lb. payements [11/8/1299], f° 7r°

25 lb. pay. pour Helewige, femme de Guillaume Langevoet et 50 lb. pour sa fille Aleyde (vers 1299) ; f° 10 v°, Yde, épouse de Jean Vinke, pour 100 ( !) lb. pay. (vers 1302). Il y aurait sûrement beaucoup à dire du rôle dynamique des épouses de ces trois financiers. Il est certain que les ménages Papsac, Langevoet et Vinke, formaient de véritables unités entrepreneuriales où les conjoints étaient sur le même pied pour gérer leurs actifs. Voir pour la Flandre, le cas gantois étudié dans la thèse de doctorat de Shennan Hutton sur le statut des femmes dans la société gantoise au bas Moyen Âge (Hutton 2011). Au sujet du rôle de Malines comme place financière pour les Lombards, voir la 3e partie, chap. 3. 173 Si Langevoet, comme on l’a vu, était un donateur au béguinage de la Vigne, Jean Vinke, recourait au crédit de l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles : A.C.P.A.S.B., P.S.G., B.203, f°12 r°, p. n°98, mention de la constitution d’une rente de 4 lb. dits deniers torre (la version brabançonne du tournois : Peeters 1981, p. 64) payable à l’hôpital Saint-Jean [30/7/1303], voir aussi A.C.P.A.S.B., P.S.G., B.203, f°12 r°, p. n°95 [16/7/1303]. La rente perpétuelle est assignée sur une demeure située à proximité du marché aux poissons, sur le Steenweg, vers Molenbeek. 174 Boone 2002, pp. 52-55 ; Vandecandelaere 2008-2009, pp. 14-17. 175 En Savoie, à partir de la fin du XIIIe siècle, l’implantation des tables de prêt piémontaises suivait les inflexions de la politique territoriale du comte Amédée V (Castellani 1998, pp. 152-153).

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

lèle contemporaine de banquiers astésans au service du comte de Hainaut Jean d’Avesnes, présents simultanément en Italie et en Hainaut, plaide pour cette hypothèse. Jean d’Avesnes était un francophile déclaré ; il est clair que les activités diplomatiques menées par les partisans du roi de France comme ceux du roi d’Angleterre stimulaient fortement les réseaux bancaires internationaux176. Le rôle joué dans cette perspective par la ville de Louvain pour accueillir des capitaux anglais l’atteste. 3.

De l’Angleterre vers le Brabant et du Brabant vers la Savoie

 . Le rôle de Louvain dans les mouvements de capitaux internationaux et dans A l’alliance anglo-savoyarde Entre juillet 1294 et août 1295, la ville de Louvain accueillit dans le château ducal du Mont-César (voir fig. 13) une somme de près de 20 000 lb. sterl. en provenance de la ville de Dordrecht177. L’argent anglais était très probablement destiné à financer le recrutement des alliés savoyards d’Édouard Ier, mission originellement dévolue au comte Amédée V de Savoie et à son frère Louis de Vaud. En effet, dès le mois de juin 1294, le duc de Brabant avait reçu la garde d’une somme de 22 000 lb. sterl. à leur transmettre ; la somme fut vraisemblablement déposée dans un premier temps dans la trésorerie anglaise de Dordrecht, en activité à partir de juillet 1294178. Le choix de la ville de Louvain –  plutôt que Bruxelles  – comme lieu de dépôt des capitaux anglais peut étonner : il s’expliquait par la combinaison de plusieurs facteurs ­structurels et conjoncturels. Historiquement, la première résidence ducale était aussi la cité brabançonne dont les achats en laine anglaise avaient été les plus importants. Signe important de l’affection de la dynastie royale anglaise à l’égard de Louvain, Marguerite d’Angleterre, la jeune épouse de Jean II, y passa lors de son arrivée en Brabant au début de l’an 1297. Elle y fit acheter des draps écarlates et des épices179. 176 En 1297 et vers 1299-1300, un messires Sanses et sa compagnie couvre des dépenses du comte de Hainaut en relation

avec des voyages entrepris vers la cour pontificale à Rome en accordant des lignes de credit en florins en Hainaut et à Asti, il est en comptes avec un autre Lombard au service de Jean d’Avesnes Francekin ou Franceschino : A.D.N., B.3268, f°9r° et f°62r°. Sur le soutien militaire de Jean d’Avesnes à Philippe le Bel : Funck-Brentano 1897, p. 240. 177 Estimation réalisée d’après les données relatives au transport entre le 23 novembre et la mi-décembre 1294 d’un subside destiné au continent et se montant à 25 126 lb. sterl. entreposé dans 42 barils (de Sturler 1959, pp. 602-605), représentant plus de six millions de deniers d’esterlins, soit un poids en kgs. d’argent de 8 T. 668 kg., 47 gr. . Le poids en g. du denier, d’après Spufford 1988, p. 402 et p. 127, n.2, est de 1,44 g. vers 1279 ce qui donne une lb. d’un poids de 345,6 g. La Tower pound est d’un poids d’approximatif de 350 g. et c’est avec ce poids qu’on frappait une lb. sterl. Le document renseignant ce transfert d’argent vers le Brabant provient du M.S. Dodsworth 76, éd. dans Cuttino 1941, pp. 166-167. Il a été erronément rattaché par Cuttino au compte de séjour de l’évêque Langton dans les Pays-Bas entre le 23 juillet 1296 et le 20 novembre 1297 (T.N.A.E. 308/19). Or, il relate l’arrivée en Brabant de ces 16 barils chargés d’esterlins et leur retour, vers Dordrecht, où ils sont entreposés dans une tour par le bailli du lieu. Cette opération ne peut donc dater que de l’époque où une trésorerie anglaise est en fonction à Dordrecht (avant d’être déplacée vers Malines), c’est-à-dire du 22 juillet 1294 au 7 août 1295 : voir de Sturler 1959, p. 577 et p. 582, n. 1, également pour une allusion à cette tour abritant le trésor anglais à Dordrecht. 178 de Sturler 1960, pp. 23-24 et voir la note précédente. 179 En 1273, la ville de Louvain est —exceptée la seigneurie autonome de Malines—la première importatrice de laine anglaise avec 940 sacs de laine, devant Bruxelles, importatrice de 290 sacs : de Sturler, 1936a, pp.128-129 et p. 312. Pour les achats de Marguerite d’Angleterre réalisés entre janvier et mars, période couverte par la partie du compte du Wardrobe book pour la 25e année du règne d’Edouard Ier 1297 du 22 janvier au 22 mars : B.L., Ad. Ms. n° 7965, f°151 r°. La continuation de la chronique de John de Tayster, moine du monastère anglais de Saint-Edmond permet de rapprocher l’arrivée de la princesse

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Fig.13. Le château du Mont-César dominant la ville de Louvain tel qu’il se présentait encore à la fin du XVIe siècle dans ce détail d’une peinture de Josse van der Baren, ­Triptyque représentant le martyre de Sainte-Dorothée, © M - Museum Leuven, inv. S/83/V M. Sur la droite, l’ancienne commanderie des templiers et sa chapelle Saint-Nicolas.

L’existence depuis la fin du règne de Jean Ier d’une petite communauté de marchands nord-italiens, certes assez discrète dans les témoignages des sources, légitimait le choix de la monarchie anglaise. Lucquois et Piémontais résidaient dans cette ville – siège d’un atelier monétaire  – de manière plus ou moins durable. Les Italiens y vendaient notamment des laines anglaises et déposaient leurs titres de créances sur le change de la ville en leur absence180. Facteurs structurels de poids, l’aspect encore très fortifié du site défensif, par comparaison avec le Coudenberg à Bruxelles et son éloignement de l’agitation des quartiers industrieux, devaient rassurer les fonctionnaires anglais quant à la sécurité de leurs fonds. La ville de Bruxelles, en revanche, avait connu l’agitation parmi ses foulons en 1282181. Preuve de la confiance qu’inspirait ce site, plus d’un quart de siècle après ces événements, le roi Édouard III d’Angleterre séjournera avec son épouse dans le château du Mont-César durant l’hiver 1338182 . en Brabant de la fin du mois de janvier. Il y est dit qu’elle appareilla le 2 janvier 1297 vers le Brabant : Liebermann 1888, p. 597, l. 9-10. 180 de Sturler, 1936a, p. 279. Au sujet des banquiers d’Asti présents dès 1292 dans la ville, apparentés à la famille de Mercato, voir la 1ère partie, chap. 2, p. 94, n. 192. Mention en 1307 d’un changeur privé, Walter Blide acceptant les capitaux d’individus déposés en garantie de leurs différends juridiques : S.L., chartrier, n° 8455 [24/11/1307]. 181 La présence d’un sculpteur habitant aux environs du Coudenberg donne à penser que l’apparat décoratif du château ducal importait au duc Jean Ier. Dès cette époque, des travaux de transformation accentuant l’aspect résidentiel au dépens des éléments défensifs furent sans doute entrepris : Smolar-Meynart 1998, p. 19 ; Demeter 2004, pp. 47-48. Au sujet des qualités défensives et stratégiques importantes du château du Mont-César à cette époque pourvu d’un fossé sur sa face nord, voir l’article exhaustif de Amand 2003. Un règlement salarial des foulons est émis en 1282 par les échevins, le conseil de la ville et la gilde du drap avec le bon vouloir des maîtres et valets du métier, en raison de la discorde qui a touché le dit métier (Favresse 1938, n° 33, p. 454-461 [juin 1282]), un signe des revendications salariales croissantes du prolétariat textile avec l’ouverture de la draperie bruxelloise sur les marchés étrangers. 182 Le séjour de l’hôtel royal anglais est documenté dans Lyon, Lyon et Lucas 1983, p. 246, p. 268 (ménestrels jouant devant le roi) ainsi que de Ram 1861, vol. 2, p. 785.

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Si l’on ignore tout des conditions pratiques d’intervention des manieurs d’argent d’Asti durant le séjour du numéraire anglais, un fait ultérieur est révélateur pour mon propos : la ville de Louvain jouera un rôle primordial dans les négociations préparatoires au mariage d’Amédée, comte de Savoie et Marie de Brabant (ca. 1280-1336), sœur de Jean II ; des noces semi-officielles furent célébrées dans le château ducal en présence d’une délégation savoyarde et du duc de Brabant entouré de ses courtisans en 1297183. Dans le cadre de cette alliance matrimoniale, plusieurs familles prééminentes de banquiers d’Asti allaient offrir leurs services des deux côtés des Alpes. B.

Les financiers d’Asti, entre Brabant et Savoie

Au fil des relations politiques nouées entre le comté de Savoie et le duché de Brabant, on retrouve, à plus petite échelle, des phénomènes de collaboration entre marchandsbanquiers d’envergure diverse pour la participation à ce secteur profitable qu’étaient les alliances matrimoniales européennes et leurs conséquences : change des devises, financement des voyages à caractère diplomatique et payement de la dot. Ce domaine particulier de la haute-finance exigeait des talents politiques et financiers peu répandus et des aptitudes linguistiques. Sous cet angle, pour les Astésans, la connaissance du dialecte franco-provencal diffusé par les troubadours en Ligurie puis en Piémont à partir du début du XIIIe siècle, était un atout évident. Le franco- provençal était parlé en Savoie et dans certaines parties septentrionales du Piémont. Le dialecte piémontais, quant à lui, mêlait franco- provençal et lombard et ne devait pas être si éloigné du français utilisé à la cour de Jean II pour leurs contacts avec la noblesse française ; même l’occitan ne semble pas avoir été inconnu du père de Jean II, Jean Ier qui l’utilisa dans un de ses poèmes184. Dans le comté de Flandre, dans les années 1280-1290, les premières quittances émises par les Cavazzone, Layolo, de Mercato et Roero le furent en français, non en latin185. À nouveau, ce n’est qu’en dressant quelques portraits emblématiques de la finance astésane que l’historien peut tenter une reconstitution réaliste des réseaux bancaires unissant le Brabant à la Savoie astésane à la fin du XIIIe siècle. La typologie des hommes d’argent piémontais œuvrant à l’organisation de ces réseaux était à deux volets. Une première catégorie de ces hommes d’argent recouvrait des marchands-banquiers extrêmement mobiles, disposant d’une bonne connaissance des marchés européens, des deux côtés des Alpes, du fait de leur carrière. Cela faisait d’eux des diplomates en puissance. 183 Les noces louvanistes eurent lieu de manière semi-clandestine, le comte de Savoie étant représenté par un procureur. Ce

fut Othon de Grandson, un noble également fidèle du parti anglais, qui représenta le comte de Savoie. Othon est d’ailleurs en Brabant entre janvier et juin 1297 ; en février, il joue au surplus un rôle d’arbitre dans le différend opposant Jean II de Brabant à l’archevêque de Cologne lors du détournement du subside anglais promis à Siegfried de Westerburg : Kusman 2005, pp. 125-129. 184 Sur le succès de la culture française au sens large, diffusée par les troubadours provençaux en Piémont : Bordone et Gnetti 2001, pp. 43-44 ; Bordone et Spinelli 2005, p. 140 ; pour les dialectes parlés de part et d’autres des Alpes sous domination savoyarde : Demotz 2000, p. 305 ; très instructif est aussi l’ouvrage d’ D’Azeglio 1886, pp. 47-89 et pp. 130134, où figurent de nombreux exemples d’expressions ou de termes d’influence française. Pour l’utilisation du français à la cour des ducs de Brabant : Janssens et Sleiderink 2003, pp. 25-28. 185 R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, fonds Saint-Genois, n°417 [26/10/1285], n°450 [18/10/1287]  ; Fonds Gaillard, n°354 [15/11/1292] ; Camps 1979, vol. 1, n°488, pp. 591-592, d’après R.A.G., chartes de Flandre, Fonds SaintGenois, n°658 [26/12/1292]. Pour le duché de Brabant, la comparaison est malaisée, les premiers textes relatifs aux Lombards étant des reconnaissances de dettes émises par leurs débiteurs. Ces reconnaissances de dettes sont généralement en latin, plus rarement en français, voir infra, la 3e partie, chap. 1, pp. 221-222.

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Figure de proue incontournable de ce milieu, Tadeo Cavazzone, avait été marchand et banquier du duc de Brabant et du comte de Hollande en Angleterre vers 1290. Il entretenait des contacts avec les négociants internationaux lucquois et florentins. En 1294, il avança la somme nécessaire à une mission diplomatique anglaise à destination du roi des Romains Adolphe de Nassau. Il demeurait alors à Bois-le-Duc mais travaillait simultanément à Dordrecht, comme banquier-changeur et spécialiste des transferts de fonds internationaux, au profit de la trésorerie anglaise établie dans la ville hollandaise. La maison des Lombards avoisinait le centre des affaires de la ville, à proximité du quartier du négoce du vin dont Dordrecht deviendra l’étape en 1299186. Cavazzone était donc l’homme idéal pour offrir ses services à la couronne anglaise. En 1294, la ville de Dordrecht jouait un rôle de centre nerveux pour les flux de capitaux de l’Europe du nord-ouest. Son change public acceptait les dépôts des marchands et développa rapidement des activités de virement au bénéfice de ceux-ci. Le change autorisait de même des payements par compensation entre les marchands et les finances urbaines où les Lombards jouaient un rôle d’interface187. L’itinéraire professionnel du Piémontais ne se borna pas aux Pays-Bas. Sa maîtrise des taux de change et son rôle de banquier de plusieurs princes territoriaux des Pays-Bas rendent sa participation au trans­fert de fonds anglais vers la Savoie hautement vraisemblable. La suite de la carrière de l’Astésan tend à confirmer cette hypothèse. Dès le 27 avril 1295, Cavazzone est signalé en Piémont où il co-hérite avec le titre de dominus de biens situés à Riva, à l’ouest d’Asti. Ses biens fonciers possédés dans l’hinterland d’Asti s’accroissent jusqu’en 1297. Au point de vue politique, de surcroît, outre son anglophilie évidente, l’intéressé semble graviter dans le cercle des conseillers piémontais du comte de Savoie en février et en mars 1297, lors de réunions tenues à Vigone près de Turin, ville de résidence princière secondaire du comté de Savoie. Le passé de Cavazzone comme représentant gibelin du popolo dans le magistrat de la ville d’Asti en 1276, expliquait sans doute le choix du comte de Savoie qui, en l’appelant comme conseiller, désignait à la fois un serviteur avec une expérience de gestionnaire urbain et un homme d’affaires de format européen188. Le marchandbanquier Uberto de Mercato, cousin d’Enrico et protagoniste des transactions anglaises en 1297, suivit sans doute une trajectoire semblable ; lui ou son procureur était présent à Asti à la fin de cette même année dans le cadre d’un conflit territorial entre les villes de Turin et d’Asti. Giacomo, neveu d’Enrico de Mercato possédait des biens sur le grand marché d’Asti d’où la famille tirait fort probablement son nom189. 186 Kusman, 2005, pp. 135-136. Sur la maison des Lombards en pierre : Reichert 2003, p. 255 [13/7/1293]. Elle est située à proximité du Wijnbrug, quartier non seulement dédié au commerce actif du vin mais comptant également les maisons les plus riches de la ville (van Herwarden 1996, pp. 188-189). Au sujet des contacts entre Cavazzone et les marchands toscans, voir supra, 1ère partie, chap. 2, p. 107). 187 Van Uytven 1996, p. 217. Ainsi, les comptes de la ville de Dordrecht mentionnent-t-ils des versements effectués par le Lombard Bartholomée pour le compte de tierce personnes débitrices de la ville (Burgers et Dijkhof 1995, p. 11, vel 6, l. 6-7[1283-1284], p. 20, vel 17, l. 7-8[1284-1285]. 188 Kusman 2005, p. 136 ; Demotz 2000, p. 102 et p. 331 ; Castelnuovo 1996. 189 Uberto de Mercato fut cité dès le 20 novembre 1297 dans le cadre d’un conflit territorial entre les villes de Turin et Asti. On lui reconnaissait la co-propriété d’une maison située à Asti, à la porte du marché, et qui avait été disputée par un citoyen de Turin : jugement arbitral sur les controverses nées entre ceux de Turin et ceux d’Asti édité dans Sella 1880-1887, vol. 4, n°1050, pp. 83-90, voir p. 87. Est-ce déjà lui qui apparaissait comme témoin avec Alexandre de Iaffe, comme dominus Ubertus de Mercato dans un acte foncier concernant des biens de Guillaume Paganus, situés à Quarto (Vergano 1942, n°138, pp. 155-156, acte du 17 octobre 1250) ; Bera 2004, p. 780.

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Une seconde catégorie de manieurs d’argent recouvrait les prêteurs résidant à Asti ou à Chambéry, ville de résidence savoyarde principale d’Amédée V, mais disposant d’associés aux foires de Champagne, dans les anciens Pays-Bas ou en Angleterre. À ce point de vue, l’action déployée par les membres de la famille gibeline Alfieri dans la période 1297-1304, me paraît fort significative. L’un d’eux, Martino Alfieri, exploitant une table de prêt à Chambéry, avait mis ses capitaux à disposition d’un actif diplomate du comte de Savoie, le prévôt de Lausanne, Aymon de Quart. Aymon servait d’agent de liaison entre plusieurs cours princières alliées de la dynastie Plantagenêt : la Savoie, le Brabant et la principauté épiscopale de Liège190. Grâce à ses partenaires d’affaires, Martino pouvait avancer au comte de Savoie les frais de ses missions diplomatiques à Paris et à Londres. Ce fut le cas en 1299, lorsque ce dernier, en tant qu’envoyé plénipotentiaire du roi d’Angleterre, fut chargé de négocier une paix définitive entre les deux monarques, paix scellée au mois de septembre suivant par le mariage à Paris d’Édouard Ier avec Marguerite de France. Le prêt se fit avec l’aide des Maccalufo, appartenant tout comme les Alfieri au parti gibelin d’Asti et disposant d’un correspondant à la foire de Provins191. Les connaissances d’Alfieri en matière de changes des monnaies s’avérèrent en outre précieuses dans une période où une monnaie de rayonnement international, le gros d’argent, fut lancée en Savoie (1297). Cette monnaie intégrait un peu plus la principauté dans un jeu d’échanges macro-économiques reliant le nord-ouest de l’Europe à l’espace méditerranéen192. C’est finalement sa position de fournisseur de la cour savoyarde qui nous intéresse plus particulièrement, car il se manifesta comme vendeur de draps locaux pour l’hôtel de la nouvelle comtesse Marie de Brabant dès l’arrivée de celle-ci dans les états de son époux. Il livra pour la dame de compagnie brabançonne de Marie un luxueux drap de production locale, elle qui avait dû passer sa prime jeunesse dans les draperies brabançonnes très raffinées193. Ce fut le point de départ d’une relation privilégiée avec l’hôtel comtal. Quelques 190 Aymon de Quart prêta au comte de Savoie la somme de 1 925 lb. vienn. en février 1298 alors qu’ils étaient tous deux à

Gand aux côtés du roi d’Angleterre. Le valdôtain appartenait au surplus à l’armada de clercs au service d’Édouard Ier et s’était entremis d’une mission de pacification entre le duc de Brabant et l’évêque de Liège à l’automne 1297, cela à l’instigation d’Édouard Ier. Il est intéressant de noter que, comme le chapelain de Jean II, Jean de Berthem, Aymon de Quart bénéficiait de bénéfices ecclésiastiques en Angleterre (Kusman 2005, pp. 139-141). Le prêt de 1 925 lb. vienn. est cité dans A.S.T., S.R., T.G.(Trésorerie générale), Inv. 16, f°1, compte en rouleau n°1, m.3, compte du 8 mai 1297 au 25 mai 1298. En 1297-1298, le taux de change du denier viennois avec le denier tournois est de 240 den. tour. pour 300 den. viennois (A.S.T., S.R., T.G., Inv. 16, f°1, compte en rouleau n°1, m.2), ce qui donne en tournois une somme de 1 540 lb. . Le différend entre Jean II et l’évêque Hugues de Chalon a été évoqué supra, p. 146. 191 Sur cette paix : Prestwich 19972, p. 396. Emprunt de 500 lb. accordé par Martino Alfieri et Renero Macaluffo, à l’occasion des dépenses d’Amédée en Angleterre et en France (A.S.T., S.R., H.C.C.S., Inv. 38, f°46, compte de l’hôtel entre le 13 décembre 1298 et le 28 juin 1299, compte en rouleau n°7, cartelle 3/21), prêt de 64 lb. de vienn. accordé au comte de Savoie à Lyon vers 1299 et opération de change en esterlins à l’époque où le comte s’employe à négocier une paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre (A.S.T., S.R., H.C.C.S., Inv. 38, f°46, compte de l’hôtel pour 1299, n°7, cartelle 3/24). Maccaluffo est à la foire de Provins en 1299 (Doehaerd 1941, vol. 3, n°1535, p. 875 [21/7/1299]). Les familles Alfieri et Maccaluffo appartenaient au parti gibelin d’Asti : Castellani 1998, p. 266. 192 Martino Alfieri sera nommé avec Benjamino Toma et ses associés maître de la monnaie épiscopale de Genève le 11 août 1300 (Sella 1880-1887, vol. 1, p. 229 et p. 253). Sur le lancement du gros d’argent en Savoie : Demotz 2000, p. 44. 193 Dans le premier quart du XIVe siècle, le dit du Lendit, une œuvre versifiée louant la foire du Lendit, foire de renommée royale, à Compiègne, proche de Paris, cite les draperies de Malines et de Bruxelles comme étant celles qui sont les plus belles à voir après celles de Gand, Ypres et Douai : Van Uytven 1983a, ré-édité dans Van Uytven 2001a, X, pp. 163-164. Le drap local livré est un drap pers dont l’origine n’est pas spécifiée, mais son prix réduit comprenant sa finition et d’autres fournitures, en fait une production strictement régionale : l’expression du clerc du receveur Item libravit pro decem ulnis et dimi persij pro Berta, aparatrice domine comitisse, et pro ipso panno tondendo et pro cendallo dicte robe et pro una forratura data

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années plus tard, Martino et ses collègues allaient couvrir les frais de voyage de Marie en Brabant. Ce voyage était motivé par le retard dans le paiement de sa dot (due depuis 1297), d’un montant très élevé – 25 000 lb. tour. – contesté par le duc Jean II de Brabant. En 1304, Amédée V adressait à Jean II ses premières doléances et Marie fut sans doute chargée d’une mission conciliatrice à cette occasion. Les familles gibelines les plus illustres d’Asti se manifestèrent pour supporter cette entreprise. La société de Martino Alfieri et son parent Giorgio en finança une partie en avançant les frais de voyage, de 15 lb. de v.g. à des Astésans appartenant sans doute à l’hôtel de Marie  ; ils provenaient des clans familiaux de Castello et Vegleti. Astésan issu d’une famille patricienne de premier plan, Giovanni Scarampi, s’était porté caution de Guttuario Guttuari de Castello et ses associés, débiteurs de Giorgio Alfieri en 1304 à l’occasion du voyage vers le Brabant. Tandis que Martino restait à Chambéry, son frère Giorgio exploitait un office de change et de prêt à Bruxelles avec son associé Giovanni Tavani194. La présence de la parentèle Alfieri à Bruxelles s’insérait dans la période d’exode maximal des principales familles gibelines d’Asti au mois de mai 1304, suite à la victoire du parti guelfe, dirigé par les Solaro. Sous cet éclairage, le partenariat entre les lignages Alfieri, de Castello, et Scarampi dans un territoire d’empire, le duché de Brabant, apparaît comme une manifestation de la cohésion du parti gibelin à l’étranger, résultant de la conjoncture politique d’Asti195. Pour ne s’intéresser qu’aux Scarampi, leurs chefs de famille étaient eux aussi engagés de longue date dans les méandres de la haute politique internationale. En 1298, l’hôtel du comte de Savoie passa par Asti avant de rejoindre Rome, sans doute dans le cadre de la représentation diplomatique du comte de Savoie à la cour pontificale. Les Savoyards logèrent en cette occasion dans l’hôtel du banquier Filippo Scarampi, dont la famille était présente dans le royaume de France depuis 1292, notamment à Paris. En outre, à Asti, Filippo avait été un associé du prêteur Vincente Trosello, signalé parmi les Lombards faisant affaire

magistero Aduardi pro roba sua a domina comitissa sibi data pannum cuius traxit Martinus Alpherius et solvit , ix.lb. xviii den. vien.., montre bien jusqu’où s’étendait le rôle de fournisseur de la cour pour Martino Alfieri (A.S.T., S.R.,T.G., Inv. 16, f°1, compte en rouleau n°1(1297-1298), m.1 et m.3[vers 1297]). Berte rentra en Brabant en 1300 (A.S.T., S.R., H.C.C.S., Inv. n° 38, f° 21, mazzo 2-3, compte n°10 bis du 1er février au 16 juin 1300, m.3, non-numérotée). Pour comparaison, vers 1300, un drap pers de Bruxelles de 18 aunes acheté aux foires de Champagne revient à 37 lb. vienn. (A.S.T., S.R., H. C.C.S., Inv. 38, f°46, mazzo 2, compte en rouleau n°11, m. 3, du 25/4/1300 au 6/1/1301). Sur la vigueur de la draperie lombarde au XIIIe siècle, à base de laine locale : Morenzoni 1993, p. 20 et Hoshino 1980, p. 39 : draps milanais attestés dans les tarifs douaniers de Bologne(1288) et Sienne (1298). En 1313, Lanfranc de Solaro prend en charge l’exportation à partir de Gênes de draps originaires de France et de Lombardie : Reichert 2001, p. 86, n. 39. 194 Kusman 2005, p. 147 et p. 148, n. 149 (pour la somme de 15 lb. v.g.). Acte notarié d’un contrat de change du 24 février 1304 donné à Asti portant la reconnaissance de dette de Guttuaro de Guttuaro de Castello et des frères Guglielmo et Leone Vegleti au nom de leur change, envers les changeurs Giorgio Alfieri et Giovanni Tavani qui ont changé en deniers d’Asti pour une somme de 8 lb. de v. gr. tour. du roi de France, payable à Bruxelles le 1er mai suivant aux deux changeurs ou à leurs représentants ou à Asti le 1er juillet suivant à un de leurs facteurs, éd. dans Sella 1880-1887, vol.1 p. 18, allegato n. 2 et p. 235. La créance de Giorgio Alfieri, banquier à Bruxelles, est encore mentionnée dans le procès relatif à diverses créances de feu le seigneur Giorgio Alfieri le 28 février 1333 (A.S.T., S.P., fonds de famille Alfieri di Sostegno, liasse n°170, acte notarié du 28 février 1333). 195 La présence de Giorgio Alfieri à Bruxelles pourrait être liée à la fuite des familles gibelines d’Asti en 1304 chassées par le parti des Solaro. Selon le chroniqueur Guglielmo Ventura, la majeure partie de la famille Alfieri s’enfuit en 1304 aux côtés des familles de Castello, Scarampi et Vegleti, entre autres : Combetti 1848, col. 73 et Castellani 1998, pp. 216-217. Quatre ans auparavant, Martino Alfieri est encore à Asti pour accorder un prêt à son parent, Rolando Alfieri (A.S.T., S.P., fonds de famille Alfieri di Sostegno, liasse n°170, acte notarié du 6 juin 1300.

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Fig. 14. La tour des Bertramenga et Scarampi sur l’actuelle Piazza Statuto à Asti (achevée dans la seconde moitié du XIIIe siècle). Cliché, David Kusman.

en Brabant à partir de 1292196. Les Scarampi disposaient de plusieurs maisons dans la ville à proximité de la cathédrale et, en co-propriété avec les Bertramenga, d’une tour imposante dominant le marché aux porcs, au vin et au foin (voir fig.14)197. L’influence des banquiers gibelins d’Asti dans l’organisation de réseaux marchands entre le Brabant et la Savoie ressort en filigrane d’un ultime événement en liaison avec la visite de Marie dans le duché en 1304. De quoi s’agit-il ? À l’époque où Marie de Brabant allait parlementer avec son frère à Bruxelles pour s’enquérir de la liquidation de sa dot, l’hôtel du comte de Savoie Amédée V séjournait dans le château ducal de Louvain : pour la première fois, le fils d’Amédée, Édouard, allait participer à une bataille d’importance, dans les rangs de l’armée française, à Mons-en-Pévèle, contre les troupes flamandes198. Le comte de Savoie fit procéder à des achats de draps brunets à Bruxelles entre le mois de mai 1304 et mars 1305 par des fournisseurs dépêchés sur place, les Lucquois de la compagnie 196 A.S.T., S.R., H. C.C.S., Inv. 38, f°46, mazzo 2, compte en rouleau n°6, m.2, dépenses de l’hôtel du comte de Savoie faites

en 1298 en Piémont. Sur la membrane fortement endommagée, on déchiffre difficilement la mention du séjour, le jeudi de l’hôtel comtal à Asti en l’hôtel de Filippo Scarampi en présence de nombreux représentants des principaux lignages de la ville. La veille(le mercredi), l’archidiacre de Liège avait rencontré le comte, sans doute à Pont Saint-Martin (prope Pontem ), près d’Ivrea. En 1297 Scarampi s’était porté caution pour une dette du comte de Savoie de 300 lb. de deniers astésans (Sella 1880-1887, voir vol. 1, p. 249, il avait été credendarius de la ville en 1290, vol. 4, n° 1035, p. 63). L’archidiacre devait être Gérard de Nassau, archidiacre de l’église de Liège de 1262 à 1313 : Marchandisse 1997, p. 318, n.59. Sur l’activité de la famille Scarampi en France et sur son association avec Vincente Trosello (1280) : Castellani 1998, p. 62 et p. 243 et Reichert 2003, p. 588 (actes des 2 mai et 3 septembre 1292 pour Paris). 197 Bera 2004, p. 171 et p. 616. 198 Kusman 2008a, vol. 1, p. 212.

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Bellardi199. On peut conjecturer que le séjour de l’hôtel savoyard dans la résidence ducale de Louvain plutôt qu’à Bruxelles était justifié par le régime politique scabinal bruxellois favorable aux métiers. C’était là un ferment d’agitation sociale. Le climat y était peu propice à l’organisation de troupes offensives destinées à réprimer le régime insurrectionnel des villes flamandes, où les métiers participaient à la gestion communale200. Il est en tout cas avéré que la gilde bruxelloise du drap, auparavant à nette dominante patricienne, avait dû accepter dans ses rangs des entrepreneurs, représentants des métiers textiles et peut-être, des gestionnaires issus des métiers de l’alimentation comme les bouchers201. Dans ces conditions, qui d’autre mieux que les Piémontais présents à Bruxelles pouvaient agir comme intermédiaires entre les Lucquois et le milieu des entrepreneurs drapiers ? La compagnie Bellardi était elle aussi mêlée à la liquidation de la dot de Marie de Brabant. En 1304, les banquiers lucquois avaient ouverts les coffres de leur filiale parisienne pour le comte de Savoie à hauteur de 14 596 lb. 5 s. tour. afin de financer une première tranche du payement de la dot202. Les Bellardi étaient présents sur le marché des laines anglaises et étaient fournisseurs en objets d’orfèvrerie du roi Édouard Ier. Il est vraisemblable qu’Astésans et Lucquois s’étaient déjà côtoyé en Angleterre dès la fin du XIIIe siècle dans le petit milieu des importateurs de laine203. En comparant les moyens des Bellardi avec ceux des Alfieri et de leurs associés, la renégociation de la dot de Marie de Brabant se révèle sous un autre angle : elle apparaît davantage comme un champ de collaboration que comme un terrain de compétition pour les différents financiers en présence. Les deux types d’organisations bancaires se complétaient et coopéraient sûrement à Bruxelles en 1304. Il faut en effet se demander si Giorgio Alfieri et son complice Giovanni Tavani, ne jouèrent pas les courtiers pour les marchands-drapiers Bellardi, en quête de draps bruxellois à livrer au comte de Savoie. Ils pouvaient travailler de concert avec les de Mercato et les Roero fixés depuis longtemps dans la ville. Jusque dans le dernier tiers du XIVe siècle, époque du début du déclin de la draperie bruxelloise, les Lombards jouaient très certainement un rôle de courtiers pour les marchands étrangers, notamment italiens. Les bons contacts entre les Lombards de Bruxelles et plusieurs membres de familles de bourgeois et patriciens bruxellois, siégeant dans le premier gouvernement bruxellois réformiste de 1303-1305, ont été soulignés précédemment. Ces contacts soutiennent la thèse de la bonne intelligence des Italiens avec le milieu des entrepreneurs-drapiers gagnés à une meilleure entente avec les métiers du drap204. 199 Kusman 2005, p. 150. 200 Encore que, dans le dernier état de la question, le régime bruxellois ne peut être qualifié de «  révolutionnaire  »

qu’à partir de la fin de l’année 1305 lorsque les patriciens conservateurs alliés du duc de Brabant ont quitté la ville  : Vandecandelaere 2008-2009, pp. 52-55.  201 Ibidem, pp. 48-50. 202 Kusman 2005, p. 149, n. 151. 203 Les Bellardi se chargent d’achats à credit (fournitures de joyaux) à Paris en octobre 1299 pour le roi Édouard Ier lors de son second mariage avec Marguerite de France, soeur de Philippe le Bel pour une valeur de 2 500 marcs d’esterlins : T.N.A., C.47/13/1/28. Les Bellardi de Paris étaient aussi en comptes avec la compagnie siennoise des Gallerani de Londres lorsque ces derniers souhaitaient changer des esterlins en tournois dans la ville française ou disposer de lignes de crédit : Les livres des comptes des Gallerani 1961-1962, vol. 1, n°36, p. 14 [8/7/1305], n°174, p. 53[10/9/1306], n°249, pp. 74-75[7/5/1305], n°261, p. 77[8/7/1305]. Au sujet de l’exportation de laines anglaises par les Bellardi à partir du port de Boston vers 1297 : T.N.A., E. 372/146m. 36/2v°. 204 Le rôle implicite des Lombards comme courtiers découle de la défense qui leur est faite par la gilde du drap en 1365 d’accompagner les marchands étrangers vers la halle aux draps, éd. dans Favresse 1946, voir p.183, § 15. Les Piémontais ne répugnaient pas à se mêler de vente de draps à des collègues toscans comme le confirment les archives de la compagnie florentine Del Bene, active dans l’achat de draps en Brabant et en Flandre vers 1320. Ses agents sont en comptes avec un

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À l’appui de l’hypothèse d’une association entre les Astésans et les Lucquois accompagnant la maison savoyarde et les Astésans « sédentaires » à Bruxelles, il est intéressant de relever la participation ultérieure des familles Alfieri, Mercato et Scarampi à une entreprise commune, celle de la table de Malines, avant 1324. Les Mercato et les Roero étaient solidement implantés à Bruxelles et à Louvain et pouvaient assister les Alfieri et les Scarampi, nouveaux venus en Brabant pour prospecter une clientèle. Giovanni Scarampi envoya son propre fils faire négoce dans les anciens Pays-Bas dès avant 1309205. Dans ce cas, Bruxelles jouerait, comme Tournai auparavant, le rôle de lieu de transmission d’un savoir commercial entre les anciennes et les nouvelles générations de banquiers piémontais. C.

Propos d’étape

J’ai voulu, dès la première partie de cette recherche, privilégier un fil d’Ariane pour reconstituer les activités des banquiers piémontais dans la société médiévale des anciens Pays-Bas, celui de leur stratégie commerciale. En persistant à user de cette clef d’analyse, constatons que l’internationalisation réussie des activités économiques des Piémontais en Brabant procéda de l’intégration de trois paramètres pour mener leurs affaires : l’accès à l’information commerciale et sa mise en circulation, le dialogue, patiemment construit, avec les représentants du patriciat urbain et des groupes médians et enfin, la pratique de l’intermédiation financière. L’accès optimal à l’information commerciale s’observe avant tout dans la synchronie entre la participation des Piémontais aux entreprises commerciales du duc de Brabant et le cycle de croissance de l’industrie drapière brabançonne. Cette faculté de coller à la conjoncture économique a déjà été relevée dans les cas précédents des implantations des Lombards à Courtrai et à Tournai. Dans la dernière décennie du XIIIe siècle, le réseau des banques lombardes du Brabant, déjà greffé sur des circuits régionaux de circulation commerciale, déploya une activité intense d’intermédiation et de change entre le royaume d’Angleterre et le duché de Brabant. Le commerce drapier anglo-brabançon prenait son envol, profitant des difficultés d’approvisionnement de la draperie flamande en laine anglaise. La connaissance de première main de nouvelles de nature marchande ou politique est confirmée par la présence prédominante des Piémontais dans les hôtels princiers, qu’il s’agisse de l’hôtel ducal ou de l’hôtel de la comtesse de Savoie. L’hôtel princier était l’interface idéale entre le Prince et les milieux marchands. Ceux qui en faisaient partie ou y avaient leurs entrées détenaient un pouvoir et un avantage qualitatif sur leurs concurrents afin d’anticiper leurs investissements. Ceux-ci étaient dictés, entre autres choses, par les guerres, les traités de paix, l’application de mesures fiscales ou la hausse des prix des marchandises de luxe, plus spécialement des draps206. Au sein de l’hôtel les informations se diffusaient rapidement et pouvaient sans doute faire l’objet d’un courtage vers l’extérieur : en témoignent l’épisode des emprunts sur gages conclus en chaîne sur la place bruxelloise en 1297-1298 marchand drapier astésan résidant à Alost  : Gianni Quaranta, à Alost  : Sapori 1932, p.  309. Sur l’origine astésane de la famille Quaranta : Reichert 2003, p. 104 et vol. 2/3, p. 530. 205 Olivero de Mercato, Giovanni Scarampi et Rolandino Alfieri apparaissent aux côtés de 5 autres prêteurs astésans et leurs associés à Malines, actifs sans doute depuis quelques années dans la ville car ils possèdent des reconnaissance de dette des prédecesseurs du seigneur Florent Berthout, éd. dans Croenen 2006, n°124, pp. 170-173 [7/12/1324]. Enrico, fils de Giovanni Scarampi figure comme témoin à la convocation d’un Lombard d’Eindhoven en 1309 (Dillo et Van Synghel 2009, vol. 2, p. 1286, §20 [29/11/1309-16/12/1309]. 206 Cf. Renouard 20092, pp. 196-197.

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et la spéculation sur la laine anglaise par des marchands-banquiers piémontais, toscans, bruxellois et des conseillers ducaux. Dans cette perspective d’accès optimal à l’information, il vaut la peine de restituer l’entrée des Piémontais au sein de l’entourage ducal dans un contexte de changement radical de la morphologie de l’entourage princier. Après la mort de Jean Ier en 1294, le pouvoir ducal traversa une crise. Le jeune Jean II était en Angleterre, il dût rentrer précipitamment en Brabant pour empêcher un parti pro-français de prendre le pouvoir. C’est grâce à cette crise qu’il est possible de jeter un rai de lumière sur les conseillers officiels et officieux de Jean II de Brabant et sur leur rapport au pouvoir207. À travers le prisme d’opérations complexes de transferts de fonds et de spéculation sur une matière première –  la laine anglaise  – il devient aisé de percevoir la formation d’une nouvelle faction de l’entourage ducal très anglophile. Ces hommes, groupés autour de Jean II, provenaient d’horizons très variés, marchands-entrepreneurs d’origine patricienne, courtiers et hôteliers appartenant aux groupes artisanaux médians et aux milieux marchands, négociants-banquiers piémontais et toscans, représentants de la haute-noblesse étrangère et lignages de hobereaux. Une caractéristique commune reliait la majorité de ces acteurs, ils appartenaient à l’hôtel princier ou entretenaient des relations suivies avec celui-ci. L’intervention de chapelains et de valets ducaux dans des procédures financières complexes me semble très significative pour observer l’avènement de ces « gens de l’hôtel ». Ceci éclaire la croissance significative des services auliques sous le règne du duc Jean II de Brabant, phénomène qui n’a, me semble-t-il, pas été suffisamment souligné pour cette époque208. Ces intimes du Prince, de par leur position de conseillers officieux, présentaient l’atout indéniable d’être indépendants du conseil ducal, encore sous l’empire des anciens conseillers de son père, ces conseillers dont le jeune prince cherchait à s’alléger depuis son accès chaotique au pouvoir en mai-juin 1294209. De cette façon l’exclusion d’un levier institutionnel traditionnel de l’administration financière ducale, le receveur de Brabant (cf. Annexes, Schéma 1, n° 1.1 à 1.4) apparaît comme plus logique. L’influence du modèle de la cour des Plantagenêts n’était peut-être pas étrangère à la part prépondérante prise dans le gouvernement de Brabant par les gens d’hôtel de Jean II. Les services auliques anglais, coiffés par la Garde-robe royale, avaient acquis des attributions dépassant de loin celles d’un simple hôtel, particulièrement de nature politique. Le modèle anglais a pu laisser un souvenir durable chez le futur duc de Brabant lorsqu’il organisa son propre hôtel. Jean de Brabant avait séjourné pour de longues périodes à la cour anglaise de 1285 à 1294 aux côtés des neveux du roi d’Angleterre pour y parfaire son éducation210. Il y disposait de serviteurs anglais et brabançons, comprenant un barbier, un fauconnier, un chapelain, un clerc, des pages, des messagers, des chevaliers, des valets mais aussi d’un chambellan, d’un tailleur, d’un palefrenier et probablement d’un précepteur211. L’hôtel 207 Sur l’utilisation des crises politiques pour décoder les valeurs idéologiques ayant cours dans la société médiévale, voir les

pages instructives de Avonds 1984, pp. 11-12.

208 C’est à partir de son règne qu’on mentionne pour la première fois un sénéchal de l’hôtel en 1306, Gauthier de

Wyneghem, chargé de la direction des services de la maison du prince. À partir de 1371, ses atttributions seront reprises par le maître de l’hôtel des ducs de Brabant : Smolar-Meynart 1991, p. 448, n. 162. 209 Wauters 1862, pp. 222-223, n. 2. Il a été dit plus haut que jusqu’au retour de Jean en Brabant, vers le 18 juin 1294, c’est son oncle Godefroid qui prétendit régenter le pays, alors que Jean Ier était décédé depuis plus d’un mois ( 3 mai 1294). 210 de Sturler 1936a, pp. 143-146. 211 Au sein des serviteurs anglais, je citerai son barbier, Woterkinus de Storton, qui apparaît souvent dans son entourage en 1293 : T.N.A., E.101/353/4, m.3. Sur le rôle peu négligeable, dans les sphères du pouvoir, du barbier, personnage-clef

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anglais de Jean de Brabant aurait compté autour d’une cinquantaine de personnes à son apogée. Une quinzaine de ces fidèles put accompagner le duc lors de son retour définitif en Brabant en 1295212. L’hôtel ducal en formation constituait, pour le Prince, un formidable vivier de ressources humaines fiables et, pour des conseillers qui avaient partagé une aventure commune Outre-Manche, un endroit de sociabilité. Le séjour anglais de cet hôtel ouvrait pour ses membres les portes à des fonctions plus prestigieuses, telles celle de receveur ducal, ce fut le cas pour Enrico de Mercato et Arnould d’Yssche dans le premier quart du siècle suivant213. Un second paramètre déterminant dans les choix des banquiers d’Asti me paraît être le souci de bâtir un réseau d’amitiés et de collaboration avec un vaste éventail social de la bourgeoisie bruxelloise, gage d’une intégration pérenne dans la société urbaine. La laine et sa commercialisation, notamment, au lieu d’être un objet de compétition acharnée et d’oppositions, jeta les fondements de la collaboration entre les Astésans et les hommes d’affaires bruxellois. Il s’agit là d’un moment absolument déterminant où cette collaboration apparaît, pour l’historien, inévitable, crédible et concrète. La stratégie des Piémontais cadrait d’ailleurs avec un des pans de la politique de contrôle social très inventive du duc Jean II, cherchant à intégrer des homines novi au sein du groupe des manieurs d’argent opérant entre Londres et Bruxelles. Dans la dernière décennie du XIIIe siècle, le poids de la fiscalité indirecte se ressentait nettement et de manière croissante dans les finances urbaines. Son effet sur les revenus des groupes intermédiaires était sensible. Par le biais des octrois, les édiles municipaux patriciens obtenaient de manier les deniers provenant des revenus des assises prélevées sur les opérations commerciales. À l’opposé, les prélèvements fiscaux répétés du duc suscitaient les ambitions de nouveaux riches, notamment immigrés des campagnes, qui revendiquaient, de par leurs compétences comptables, une participation au pactole du transfert de fonds des esterlins anglais en 1295-1297. La fiscalité et son exercice se manifestaient partout en Europe du nord-ouest comme un révélateur de clivages sociaux214. Il est tentant d’imaginer que Jean II tenta, par le biais du transfert de ses subsides, de créer un climat de consensus entre ces différents groupes sociaux, en imposant aux patriciens bruxellois la collaboration avec des représentants ou des partenaires commerciaux des groupes intermédiaires dans une période de tensions sociales croissantes dans le secteur des métiers textiles. Finalement, dans le choix des banquiers piémontais d’ancrer leurs activités de change et de banque à Bruxelles, on peut relever une nouvelle preuve de leur stratégie en phase avec la géographie changeante des places financières brabançonnes : la présence de la cour ducale se marquait de manière de plus en plus consistante dans la ville. L’administration financière du prince s’y développait, suscitant des vocations et des compétences, attirant les marchands-banquiers d’Italie septentrionale, Piémontais et Toscans confondus. de l’entourage princier, à la fois coiffeur, chirurgien, médecin, apothicaire et dentiste exerçant sa fonction dans l’intimité du prince plus souvent que tout autre serviteur ou conseiller ducal, on consultera Avonds 1991, p. 85. Ainsi qu’on peut le constater à la lecture du compte précité (T.N.A.., E.101/353/4, m.4) à compléter par le rouleau des dépenses de l’hôtel de Jean de Brabant pour les années 1285-1289 (de la 14e année à la 17e année du règne d’Édouard Ier), T.N.A.., E 101/352/6 édité dans Byerly et Ridder Byerly 1986, pp. 401-413. 212 Vale 2001, pp. 49-50 et Calendar of the Close Rolls 1900-1908, vol. 3, p. 443, dans un acte du 23 avril 1295, où le roi d’Angleterre mande à ses baillis de laisser embarquer quinze serviteurs (dont un clerc) du duc de Brabant au port de Yarmouth pour rejoindre le Brabant. 213 Martens 1954, p. 98 et p. 100 : Enrico de Mercato est nommé receveur en 1309, Arnould d’Yssche en 1313. 214 Dumolyn et Haemers 2005.

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Dans ce pari sur Bruxelles que firent les membres des familles de Mercato et Roero et leurs associés et facteurs, on peut voir l’expression d’une évaluation autant commerciale que politique des potentialités des autres cités brabançonnes. La place d’Anvers n’eut, nous l’avons vu, qu’un rôle épisodique dans les transferts de fonds entre l’Angleterre et le Brabant, en relation avec le fonctionnement ponctuel d’une trésorerie anglaise. La ville de Louvain, autre résidence princière notable, développa quelque activité bancaire au service de l’alliance anglo-savoyarde ; à Louvain aussi, la famille de Mercato était présente, mais en définitive, de manière moins importante qu’à Bruxelles. C’est cette dernière ville qui devint réellement un lieu de conférences internationales, fonction considérée par les ducs de Brabant Jean Ier et Jean II comme une source de revenus prometteuse. Un dernier paramètre transparaît distinctement du négoce des sociétés de prêt des Alfieri, Cavazzone et de Mercato, pour ne citer que les plus importantes. Il s’agit de l’importance de l’intermédiation financière comme activité lucrative à part entière. En effet, dès leurs premières années en Brabant, et c’est ce qui fait toute leur force, les Piémontais sont des intermédiaires au sens économique du terme, puisqu’ils prêtent de la monnaie à des tiers et reçoivent des dépôts à vue. C’est très probablement grâce à ces dépôts bancaires que les sociétés de prêt astésanes installées en Brabant avancèrent vers 1293 la somme extraordinaire de 100 000 lb. tour. au duc de Brabant. Les banquiers piémontais développaient une activité d’intermédiation entre des prêteurs et des emprunteurs qui ne se connaissaient pas forcément, ce fut le cas, en 1295, lorsque le trésorier Gauthier Langton cherchait à négocier sur la place bruxelloise un emprunt pour la couronne anglaise215. Dans les années 1290, la figure incontournable du « courtier d’argent » n’est d’ailleurs pas une exclusive du milieu piémontais, on a vu que plusieurs intermédiaires bruxellois d’origine sociale nonlignagère s’entremettent de transferts financiers pour le compte du duc Jean II, de l’accueil et du crédit à des nobles étrangers216. L’intermédiation créa aussi un espace de collaboration intense entre les marchands banquiers toscans et les financiers piémontais basés à Bruxelles. L’Angleterre, le Brabant et la Savoie sont les terrains où se cristallisent les entreprises communes et échanges d’information entre les compagnies florentines, lucquoises et les sociétés de prêt astésanes. Prêter, c’est négocier. Il ressort de l’aventure anglaise qu’Enrico de Mercato et ses associés avaient des aptitudes particulières pour des missions diplomatiques dont le duc de Brabant tira profit. L’utilisation par le monarque anglais de ses joyaux engagés chez les Lombards et répartis entre la principauté ecclésiastique de Liège et le duché de Brabant l’illustre. Le prêt sur gages fournissait ainsi un formidable outil de communication entre princes étrangers qui utilisaient leurs prêteurs respectifs pour entamer ou poursuivre des négociations plus ou moins confidentielles. Dépositaires d’informations mises à jour régulièrement grâce à leurs facteurs, les banquiers piémontais étaient, sans conteste, des agents appréciés de la politique étrangère de Jean II. Les aventures anglaises et savoyardes livrent donc des clefs pour mieux apprécier l’insertion progressive des prêteurs piémontais dans la société urbaine brabançonne. Leurs interactions avec les bourgeois, marchands patriciens ou artisans y sont déchiffrables. Le choix de certains banquiers piémontais de s’établir en Brabant pour un séjour de longue 215 Sur la notion d’intermédiation bancaire, voir par exemple Capul et Garnier 1996, p. 26. 216 Le terme coultier dargent est cité dans le traité monétaire passé entre le duché de Brabant et le comté de Flandre  :

A.D.N., B. 607, n°4240 [31/10/1299].

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Deuxième partie | Usuriers au service d’un Prince entrepreneur

durée est manifeste, dès la dernière décennie du XIIIe siècle. Toutefois, il serait erroné de considérer les Piémontais comme un corps homogène. Une première génération d’hommes d’affaires originaires d’Asti choisit de quitter les anciens Pays-Bas pour le Piémont afin de réinvestir ses profits dans la propriété foncière et dans une carrière politique à l’extrême fin du XIIIe siècle217. Ces hommes d’affaire sont en majorité gibelins. La chronologie de leur retour tenait compte il est vrai de l’évolution des luttes de factions à Asti ; la faction gibeline du Popolo d’Asti –  à laquelle appartenait Cavazzone  – partageait vers 1295 le pouvoir avec le parti guelfe, dirigé par la famille Solaro, alors favorable à une alliance avec le comte Amédée V en Piémont. C’est dans cette optique que Cavazzone offrit ses services de conseiller et de financier expérimenté au comte de Savoie Amédée V218. Si son itinéraire nous est particulièrement bien documenté, il n’était en revanche certainement pas le seul à avoir fait ce choix pragmatique d’une reconversion dans le jeu politique de la ville d’Asti, une fois un capital suffisant amassé Outre-Monts.

217 Bordone 1992, pp. 481-493. 218 Car Cavazzone est rattaché à la faction gibeline modérée, celle du Popolo, moins élitaire que la faction des Magnates

du parti gibelin d’Asti, et disposée à négocier le partage du pouvoir avec la pars guelfa : Castellani 1998, p. 81, n. 127 et pp. 173-187.

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Troisième partie. L’intégration dans la société brabançonne

Chapitre i

Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330)

1. Une économie politique du crédit lombard en Brabant basée sur l’asymétrie de l’information A.

De la théorie à la pratique

Il ne suffit pas d’analyser le rôle des Piémontais dans les réseaux financiers internationaux à la fin du XIIIe siècle pour rendre compte de leur place croissante dans l’économie brabançonne. Une part notable des activités bancaires du crédit lombard reposait en fait sur le crédit local. Ce crédit local répondait partiellement à la demande en capitaux de la haute noblesse des anciens Pays-Bas. Par le volume des sommes engagées, ce crédit prit rapidement une teinte politique. Pour cette raison, je propose d’user du concept d’économie politique du crédit lombard. J’entends par là éclairer les liens existant entre le crédit lombard mis à disposition d’une série de potentats aristocrates étrangers situés aux marges du duché et le pouvoir politique en Brabant. Fréquemment, de puissants seigneurs locaux ou des barons frontaliers seront assujettis par la dette ou du moins fidélisés au pouvoir princier, en tant que clients réguliers d’une table lombarde opérant en territoire brabançon. Comment peut-on expliquer cet assujettissement ? Les manieurs d’argent astésans présents en Brabant détenaient leurs privilèges du Prince ; à ce titre, ils étaient protégés par celui-ci dans toute l’étendue de son dominium. Cette protection princière avait valeur d’assurance commerciale pour les prêteurs astésans. L’endettement de seigneurs frontaliers occupant une position stratégique aux frontières du duché n’était jamais dénué d’avantages potentiels pour le Prince, car l’enregistrement de ces dettes se faisait par chartes scellées, en général devant les vassaux de ces seigneurs ou ceux du prince territorial concerné, par actes notariés ou, plus rarement, au moyen de chartes authentifiées par les échevins des villes où les Lombards résidaient. En garantie du remboursement, l’engagement des biens immobiliers et mobiliers du débiteur principal était souvent de règle. En outre, des débiteurs collatéraux étaient fréquemment exigés par les banquiers italiens ainsi que des chevaliers ou écuyers de l’emprunteur principal, disposés à aller séjourner dans une auberge comme otages en cas de retard dans les échéances. En cas de défaut de payement, l’exécution sur les biens des débiteurs défaillants relevait du pouvoir temporel protégeant les Lombards ; la plupart du temps, il s’agissait du duc de Brabant et, plus concrètement, de ses officiers locaux et de leurs sergents d’armes. En définitive, l’endettement de potentats locaux, trop autonomes aux yeux du suzerain, servait les buts expansionnistes de sa politique territoriale. Ces potentats étaient souvent détenteurs d’alleux comprenant des ensembles fonciers importants ; une méthode pour les affaiblir avait été de 171

Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

favoriser le développement de la justice extra-territoriale de villes, garantes de la protection juridique de leurs bourgeois, une autre fut de soutenir légalement des créanciers étrangers extérieurs à la seigneurie1. Les dettes de ces seigneurs ne résultaient d’ailleurs pas forcément d’un emprunt direct. Elles pouvaient aussi correspondre au cautionnement d’un seigneur pour un emprunt que le Prince s’avérait incapable de payer ou, plus prosaïquement, aux frais de résidence, dans de luxueuses auberges, d’écuyers garants de leur seigneur. La société féodale se trouvait à l’entrecroisement de deux économies, une économie du profit de plus en plus envahissante, d’une part et d’autre part une économie de don intégrant les notions aristocratiques de largesse et de solidarité de groupe2. Ce phénomène de contrôle politique par la dette était monnaie courante en Brabant, bien antérieurement à l’arrivée dans le duché des sociétés de prêt dirigées par les familles de Mercato et Roero3. La nouveauté tenait ici à une différence d’échelle dans les buts  et les moyens  : en effet, les capitaux des prêteurs piémontais pouvaient être mis à disposition de princes territoriaux proches du Brabant et par leur ordre de grandeur, déséquilibrer leurs finances, en provoquant l’engagement de tout ou partie de leurs droits régaliens. Un tel minage des centres de pouvoir féodal insoumis aux ducs de Brabant est ainsi typique du règne des trois premiers ducs : Jean Ier, Jean II et Jean III (1312-1355), entre 1282 et 1330. Il serait toutefois réducteur de subordonner exclusivement les activités des tenanciers de tables de prêt aux intérêts du duc de Brabant. Dans le cadre de la formation de l’état territorial brabançon, les Astésans tentaient d’associer une stratégie commerciale de maximisation des profits à l’obtention d’une relative sécurité de leur personne et de leurs biens. Ils étaient en effet disposés à monnayer leurs créances au plus offrant – fût-ce à un autre Prince territorial ou à un seigneur local –afin de s’assurer des points d’appui multiples, voire des bases de repli en cas de déconvenue avec le pouvoir central de la principauté où ils détenaient leur octroi collectif. Par conséquent, il ne suffit pas de se limiter à l’étude des relations entre les Lombards et la société féodale pour appréhender les stratégies d’investissement des prêteurs italiens. Au contraire, il faut envisager leurs relations avec les pouvoirs en présence, en s’intéressant aux interactions entre le(s) Prince(s), la noblesse baronniale, les élites urbaines, le clergé local, représentant autant de sources de pouvoir, d’une part, et, d’autre part, les Lombards4.  . Le rôle de l’asymétrie de l’information dans l’endettement B de la haute-noblesse En traitant du crédit, l’historien rencontre effectivement une pluralité d’intervenants. Cela a été exposé dans la première partie, au nom de la protection ducale, les baillis locaux pouvaient soutenir matériellement les revendications juridiques des Lombards comme à Nivelles en 1280. Par ailleurs, d’autres auxiliaires du pouvoir princier ou du pouvoir urbain coopéraient avec les Lombards  : notaires impériaux habilités à retranscrire les reconnaissances de dettes, clercs urbains et courtiers-hôteliers chargés de loger Sur la première méthode : Van Uytven 1976b, p. 95. Fontaine 2008, pp. 241-249. Cf. le chapitre 1 de la 1ère partie. J’ai exposé les bases de cette approche envisageant les interactions des Lombards avec ces trois sources de pouvoirs dans Kusman 1999a, pp. 124-127.

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les otages garants de l’emprunt. Les courtiers-hôteliers étaient souvent, comme à Tournai, Bois-le-Duc et Bruxelles, membres du patriciat ou des groupes intermédiaires de la ville ; ils fournissaient donc aux manieurs d’argent italiens des clefs d’accès à une intégration éventuelle dans la ville. La collaboration entre les prêteurs italiens et les représentants des couches dominantes urbaines actives dans l’hôtellerie était indispensable à l’accueil des nobles venant tenir garnison pour dettes ; elle reposait certainement sur un partage d’informations de première main au sujet du débiteur et de la fiabilité de ses garants. Enfin, on le constatera, de nombreux notaires étaient issus de familles notables locales, certains cumulant même leur office de notaire avec celui de clerc de la chancellerie urbaine. Le fait pour les financiers d’Asti de recourir à des notaires indigènes, au contraire de leurs confrères toscans à la même époque, n’est pas tellement surprenant ; j’y reviendrai ultérieurement5. L’utilisation de notaires appartenant au magistrat d’une ville importante introduisait les usuriers lombards encore un peu plus avant dans les coulisses du pouvoir  ; ils pouvaient éventuellement obtenir des informations inédites de première main sur les décisions politiques et économiques de la Ville, de la bouche de ceux qui étaient chargés de mettre par écrit ces mesures : les clercs et secrétaires urbains6. Pour les de Mercato, les Roero et leurs associés, bénéficier d’une information de la meilleure qualité possible signifiait optimiser ses profits. L’outil pratique permettant cette optimisation des profits s’apparentait à ce que les économistes actuels nomment l’asymétrie de l’information. Les ouvrages concernant l’asymétrie de l’information s’inspirent principalement des travaux actuels de l’économiste américain Joseph Stiglitz7. Selon cet auteur, dans les pays en voie de développement, l’accès inégal à une information de nature économique ou politique, par essence coûteuse, favorise l’émergence d’arbitragistes qui tireront profit de leur connaissance pour enregistrer des gains substantiels dans l’exercice de leur activité. De manière similaire, le prêt d’argent s’appuyait, tout comme la spéculation sur les matières premières, sur l’asymétrie de l’information : les prêteurs en savaient plus que les emprunteurs sur les conditions concrètes du remboursement et se renseignaient préalablement sur les garanties financières du futur débiteur. Dans un monde médiéval où il n’existait pas de registre de mauvais payeurs informant les différents banquiers, l’accès à une information fiable sur les moyens de la clientèle visée par l’offre de crédit était vital pour les manieurs d’argent astésans. Ce qui demandait des ressources informatives fiables, ce n’était pas tant de repérer la demande d’argent en elle-même. Dans une économie pré-capitaliste et encore très rurale, où les emprunts supérieurs à un millier de livres tournois restaient peu fréquents en rythme annuel, il était aisé de déceler rapidement une telle demande. En revanche, bien plus difficile était de trouver la victime potentielle, suffisamment mal informée des risques du prêt lombard sur gages immobiliers et mobiliers. Dans ce cadre, des conseillers du duc de Pour le recours exclusif, chez les marchands-banquiers toscans, à des notaires issus d’Italie septentrionale jusqu’au XVe siècle : Murray 1995, pp. 92-93. 6 On trouvera un bon résumé du rôle combiné des courtiers, notaires et hôteliers comme vecteurs d’information pour le commerce dans l’ouvrage de Reyerson 2002, pp. 166-167. 7 J’emprunte et adapte librement cette relation entre l’information et la formation des prix du marché à la théorie formulée par Joseph Stiglitz, exposée notamment dans Newbery et Stiglitz 19852, pp.  51-52 et pp.  238-239 (« Information and Market Equilibrium »); voir aussi, d’un point de vue théorique, l’article précurseur d’ Akerlof 1970, pp. 488-500. Application de ce modèle à l’histoire économique pour le rôle des notaires parisiens sur le marché du crédit dans l’ouvrage récent de Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001, pp. 11-23. 5

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Brabant ou des courtiers-hôteliers appartenant au patriciat urbain pouvaient jouer un rôle d’intermédiaire entre les parties contractantes. Quant aux futurs débiteurs, s’ils étaient dépourvus de relais d’information fiables à la cour brabançonne, ils ne pouvaient se fier qu’à la bonne foi de leurs bailleurs de fonds. En effet, contrairement à la situation parisienne des XVIIe et XVIIIe siècles, où les notaires sont censés améliorer le fonctionnement du marché du crédit pour les deux parties, du fait de leur rôle d’intermédiaires en réduisant l’asymétrie de l’information, en Brabant et dans les principautés avoisinantes, les Lombards recoururent dans le cas présent à des intermédiaires, courtiers, changeurs, notaires et conseillers princiers afin d’accroître l’asymétrie de l’information à leur profit, ce qui renforce le caractère politique de ce crédit, essentiellement dirigé vers la noblesse. Les relations interpersonnelles jouaient par conséquent un rôle décisif dans la genèse des rapports de crédit, autant que la simple loi de l’offre et de la demande. Cette utilisation raisonnée et productive de l’asymétrie de l’information me paraît avoir été sous-estimée par les historiens économistes jusqu’à présent ; elle l’est cependant moins par les économistes actuels travaillant sur les mécanismes du crédit hypothécaire8. Sans aucunement prétendre à dresser un inventaire exhaustif des phénomènes d’asymétrie de l’information ayant cours au sein du crédit lombard, je tenterai ici d’en dégager les manifestations les plus significatives. Il est en en effet possible de discerner dès le dernier quart du XIIIe siècle l’émergence de conditions propices à un déséquilibre de l’information. Dans ce contexte, un véritable marché de la créance lombarde naît, où les titres sont négociables au plus offrant. Guy de Dampierre, comte de Flandre, avait ainsi pu racheter à Tadeo Cavazzone, banquier d’Asti, résidant en Brabant à Bois-le-Duc, les reconnaissances de dette de son beau-fils, le comte Renaud Ier de Gueldre, se chiffrant à un total de plus de 10 000 lb. n.t. Cet achat, autrement dit la commercialisation de ce titre de créance lombard, avait été rendu possible par la présence à la cour de Renaud Ier d’informateurs du comte de Flandre. Ces intermédiaires, clercs, chapelains, banquiers italiens et conseillers issus de la haute noblesse, connaissaient fort bien la situation désastreuse des finances du comté de Gueldre, provoquée par la guerre de succession du Limbourg. En retirant un avantage politique des titres de créance de Cavazzone, le comte de Flandre facilita ses conditions d’accès à la tutelle du comté de Gueldre, dont les revenus furent engagés à la Flandre pour cinq années à partir de 1291. L’information avait circulé à son profit, lui livrant des données essentielles sur la méconnaissance par le comte de Gueldre des mécanismes du crédit lombard, garanti par l’hypothèque de revenus vitaux de la fiscalité princière : les droits de péages du comté de Gueldre, prélevés au confluent de la Meuse et du Waal. Dès cette époque, un marché des titres de créances lombardes se constituait, entre Flandre et Gueldre9.  . Cologne, Maastricht et leurs auberges, points d’ancrage extérieurs de la C finance astésane en Brabant L’asymétrie de l’information profitant aux prêteurs piémontais reposait sur une phalange d’intermédiaires variés. Parmi ces intermédiaires, j’ai distingué l’action des Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001, pp. 25-29 et pp. 346-352 ; Menant 2004, pp. 141-142 et p. 147 ; Cao 2005, pp. 163-164. 9 Kusman 2009a. 8

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courtiers-hôteliers. Ceux-ci accueillaient dans leur auberge, comme on l’a vu dans le chapitre précédent, des aristocrates qui se constituaient alors otages des créanciers jusqu’à satisfaction de la dette par l’emprunteur principal. J’analyserai ici le fonctionnement des séjours à l’auberge et l’action spécifique des courtiers-hôteliers à partir des exemples bien documentés des villes de Cologne et Maastricht. De nombreuses garnisons d’otages pour dettes furent fixées dans ces deux cités, dès la fin du XIIIe siècle. Avant de s’engager plus avant dans l’explication des mécanismes de ce système, il importe de bien saisir la conjoncture politique et économique dans laquelle ces auberges participèrent du crédit lombard. L’espace supra-régional des activités bancaires des Piémontais s’était dilaté après l’annexion définitive des territoires limbourgeois au duché de Brabant (1289), consécutivement à la défaite du comte de Gueldre et de l’archevêque de Cologne10. Demeurant dans le duché de Brabant et dans le comté de Flandre, les financiers de la famille Roero et leurs associés avaient tout intérêt à ce que la voie commerciale du Brabant vers Cologne soit pacifiée11. La première impulsion vers l’établissement de sociétés de prêt lombardes dans ces territoires vint donc du duc de Brabant Jean Ier. Celui-ci, en tant que protecteur des Lombards de Brabant, était désireux de marquer son autorité dans des villes où il partageait la seigneurie (Maastricht), y exerçait l’avouerie (Aix-la-Chapelle) ou encore essayait de s’y imposer de fait (Cologne), la tutelle des Lombards étant un droit régalien, elle servait la politique impérialiste des ducs de Brabant12. En envoyant des dirigeants et des facteurs à Maastricht et Cologne, la famille Roero et ses associés pouvaient stimuler la circulation et le change des monnaies brabançonnes en Rhénanie et dans la vallée de la Meuse sur un axe commercial très employé, filant de la rive gauche du Rhin vers le Brabant à travers le comté de Juliers et la ville de Maastricht13. L’activité d’un atelier monétaire à Maastricht, émettant des petits deniers brabançons, vaut la peine d’être signalée : ses profits étaient partagés à parts égales entre le duc de Brabant et l’évêque de Liège. Ceci y rendait probable une collaboration des Astésans aux questions monétaires, précisément en raison de leur connaissance intime des mouvements des cours des monnaies d’Europe du Nord-ouest14. Pareillement, l’esterlin brabançon, excellente variante de l’esterlin anglais, rencontrait un franc succès dans la vallée rhénane, spécialement grâce à l’atelier monétaire de Bonn, où Jean Ier avait fait frapper des pièces Le traité de Paris du 15 octobre 1289 conféra officiellement au duc de Brabant les territoires du Limbourg avec le château de Duisburg, Wassenberg, Herve, Sprimont et Tiel et des versements cumulés de 10 200 marcs d’argent, destinés à racheter l’engagement de Duisburg, Wassenberg, Herve et Sprimont : A.G.R., Chartes de Brabant, n°137 ; Verkooren 1910, n°s 137-138, pp. 101-105 ; Funck-Brentano 1897, pp. 115-116 ; Avonds 1982, p. 458 et pp. 463-464 ; Janssen 2003, p. 24. 11 Reichert 2002, p. 282. 12 Acte de haute-avouerie ducale analysé dans Mummenhof 1937-1961, vol. 1, n°s 332-333, pp. 174-175 [30/5/1277] ; Avonds 1982, p. 458 (Aix-la-Chapelle). La co-seigneurie exercée à Maastricht par le duc de Brabant et l’évêque de Liège se traduisait par l’existence de deux collèges échevinaux distincts, la ville s’efforça de mener une politique relativement autonome en participant à des traités politiques aussi bien du côté brabançon que du côté liégeois, même après le partage juridique détaillé finalisé entre le duc de Brabant et l’évêque de Liège en 1284 (Ubachs 2000, p. 95). Sur la forte présence des ducs de Brabant à Cologne où ils possédaient un hôtel dès le premier tiers du XIIIe siècle, et au sujet du soutien du patriciat local, voir supra, la 1ère partie, chap. 1, pp. 45-47. 13 Kuske 1956, pp. 222-223. 14 N.A.., Vilvoordse charters, n°16.7 [février 1284 n.s.] : le traité de partition de la ville de Maastricht entre l’évêque de Liège et le duc de Brabant prévoyait que que li mounoie de le vile de Treit soit commune aussi bien al eveske que au duc et tout li pourfit ki envenroit aussi seront partable autant al uns daus que al autre et li uns daus ne puet la faire mounoie pars luy mais tout ensamble et de comun acort le puis seur faire et nient autrement Et doit estre cele mounoie estre ferve tout en un meisme coing et toute dun pois et dune valeur(. . .). L’atelier monétaire de Maastricht avait déjà participé à la dernière phase d’émission du petit denier brabançon, entre ca. 1282 et 1288 (Boffa 2007, p. 152 et p. 158). 10

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dès 1288-1289. Sous cet angle, les banquiers lombards pouvaient, là encore, jouer un rôle d’intermédiaire pour diffuser cette nouvelle monnaie auprès des élites marchandes tandis que la monnaie archiépiscopale de Cologne ne connaissait plus qu’une existence juridique, la bataille de Worringen ayant sonné le glas de son émission en 128815. Dès les années 1306-1308, à Bonn, un cousin de Benedetto Roero, Martino, exploitait une banque de prêt avec son parent, Percivalle, banque à laquelle s’adressait l’archevêque de Cologne Henri de Virnebourg. L’archevêque pouvait compter sur les sociétés de prêt des Roero à Bonn et à Cologne pour rembourser ses créanciers en monnaie de Brabant. L’un de ceux-ci n’était autre que le patricien Constantin Crop de Lyskirchen, issu d’une famille de grands marchands colonais, fréquentant de longue date, on l’a vu dans la première partie, les foires de Brabant16. La place occupée par les bancs de prêt de la famille Roero dans les nœuds d’échanges interrégionaux explique la localisation des maisons des Lombards de Cologne et de Maastricht dans le quartier marchand et dans le voisinage des auberges. La demeure principale de Cologne était celle de Sainte-Marie du Capitole, située dans le quartier des affaires, avoisinant le quartier des brasseurs, la maison des marchands de Bruxelles (sur le marché principal de la ville), les bancs des bouchers et l’hôtel patricien des Gürzenich et plus loin, les boutiquiers détaillants de draps et d’épices importés dans la ville. Dès 1299, les frères Opecino et Enrico della Rocca, associés aux Roero, acquirent également avec Antonio Roero (fils de Giorgio Roero), une vaste demeure dans le Malzbüchel, le quartier des moulins à moût, dotée d’une cave, donc d’un espace d’entreposage commercial. À Maastricht, deux demeures des Lombards se trouvaient dans le quartier des rames aux draps (Raamstraat ou vicus tendiculorum)17. Ces villes étaient d’un accès aisé pour la clientèle des Lombards issue des rangs de la haute-noblesse du Limbourg, de la Gueldre et de la Rhénanie. Ce furent à nouveau des manieurs d’argent confirmés qui prirent en main le fonctionnement des établissements bancaires de Cologne et de Maastricht durant les premières années, afin de transmettre leur expérience aux générations suivantes. Giorgio Roero et son fils Antonio, Rainerio, frère cadet de Giorgio et son fils Percivalle ainsi qu’un neveu Pietro, étaient présents à Maastricht dès 129318. Berardo Roero, autre frère cadet de Giorgio et un ancien actionnaire principal des tables de Courtrai et de Tournai, quant à lui, dirigea durant les premières années la maison des Lombards de Cologne, de concert avec les frères della Rocca qui en détenaient l’autre partie. Signe Escher et Hirschmann 2005, vol. 1, p. 252 et p. 254. Après 1308, l’archevêque de Cologne frappera à nouveau une monnaie mais à Bonn. Après sa victoire, le duc de Brabant Jean Ier fit émettre des esterlins à l’atelier monétaire de Bonn, alors fermé, la ville de Bonn fit également frapper des esterlins au type du duc : Tourneur 1937 et Muntslag en circulatie 1983, p. 24. 16 En 1303, l’archevêque de Cologne, en comptes avec les Lombards de la ville, put rembourser une somme de 6 000 marcs de Brabant, le g.t. compté pour 4 d. de Brabant prêtée par le patricien Constantin von Lyskirchen : Knipping 1913, n°3911, p. 309 [5/2/1303]. En 1306, Opecino Grasverdo obtenait avec ses associés un octroi de prêt de l’archevêque de Cologne Henri de Virnebourg pour dix années à Kempen moyennant une somme de 100 marcs de Brabant. L’année suivante, Andrea Rastello et le même Grasverdo prêtaient la somme de 500 marcs de Brabant à l’archevêque (Irsigler 1981, p. 134). Au sujet de la société de prêt de Bonn et de ses versements à l’archevêque de Cologne : Reichert 2003, p. 141 et A.S.V., Coll. 433a, f°59v°-f°62r°. 17 Doppler 1902, n°43, p.  28[25/2/1296]. À Cologne, la famille posséda une maison à Sainte-Marie du Capitole, proche du Malzbüchel et des moulins à moût, dans la paroisse de Saint-Martin entre 1302, au plus tard, et 1331. La domus Lombardorum est en fait attestée depuis 1299 (Reichert 2003, pp. 367-368 et pp. 373-374, pp. 464-465) ; pour les autres activités marchandes du quartier : Keussen 1918, vol. 1, carte (Tafel 3) et Planitz et Buyken 1937, n°1629, p. 437. Au sujet de la maison des della Rocca : Planitz et Buyken 1937, n°1884, pp. 519-520 [31/10/1299]. 18 A.G.R., C.C., n°1, f°116r°-116v° [9/7/1293] et Doppler 1902, n°43, p. 28 [25/2/1296]. 15

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Fig. 15. Sceau de Berardo Roero, employé le 26 octobre 1286 pour donner, en même temps que ses collègues de la banque de Courtrai, Giorgio Roero, Huberto Layolo et Enrico Roero, quittance d’une somme de 1 700 lb., monnaie de Flandre, prêtée au châtelain de Courtrai, Gauthier de Nevele (©Rijksarchief Gent, Chartes des Comtes de Flandre, Fonds ­S­aint-Genois, n°417), cliché, David Kusman. Berardo Roero tient d’une main un « tiroir », soit une pièce de viande destinée à apaiser l’oiseau de chasse et de l’autre, probablement la main gauche, l’oiseau, sans doute sur un bâton avec la légende SI[GILLUM] [B]ERARDI R[OTARII]. Mes remerciements à Bauduin van den Abeele pour ses éclaircissements techniques en matière de fauconnerie médiévale.

de l’intérêt que la famille Roero accordait au marché colonais, elle y envoya un homme d’affaire expérimenté actif dans les anciens ­Pays-Bas depuis 1276. Au surplus, l’intéressé avait indéniablement la volonté de se démarquer – voire de surpasser socialement – ses frères et cousins en adoptant un sceau personnalisé le représentant assis, tenant au poing un rapace, rompant ainsi avec la tradition familiale de leurs armes parlantes (les roues). Cette représentation à caractère nobiliaire prononcé, évocatrice de la chasse au vol, trahissait ses ambitions aristocratiques. En 1299, revenu à Asti, pour acter l’achat d’un imposant patrimoine foncier aux comtes de Biandrate, vassaux de l’évêque d’Asti, Berardo portait le titre de seigneur. Berardo succéda vraisemblablement à Giorgio, décédé entre 1293 et 1299, comme chef des sociétés de prêt en Brabant et en Rhénanie19. Giorgio mort, Berardo hérita de ses parts dans la maison possédée à Bruxelles de concert avec la parentèle des de Mercato20. Ainsi planté le théâtre et les acteurs des opérations de crédit des Piémontais, au-delà des frontières du Brabant, rapprochons-nous d’un peu plus près du milieu des courtiers-hôteliers de Cologne et de Maastricht pour observer leur apport concret à ces opérations. Cet apport était double : construction d’une bonne réputation et partage de l’information. Les Roero étaient au nombre de 11 (Berardo, Manfredo, son fils, Simone, Michele, Martino, fils de Simone, les frères Pietro et Daniele, les frères Dunioto et Benedetto, les frères Antonio et Alessandro) et détenaient chacun un 12e d’une moitié de la maison de Cologne sise au Malzbüchel. La position élevée de Berardo dans au sein de la société Roero ressort aussi du fait que les frères Opecino et Enrico della Rocca lui cédèrent des parts dans la maison du Malzbüchel en le désignant de la manière suivante : Berardi et sociorum suorum Rotariorum (Planitz et Buyken 1937, n°1885, p. 520 [31/10/129920/3/1322]) et Reichert 2003, p. 368. Le 20 août 1299, Berardo recevait à Asti avec le titre de seigneur la 4e part du fief des châteaux de Monteu et de Santo Stefano, achetés des comtes de Biandrate par sa famille pour un montant de 29 000 lb. d’Asti, son frère Rainerio en recevait une 3e part, les frères Antonio, Dunioto et Benentino (ou Benedetto), fils de feu Giorgio une autre 3e part et une 12e part (A.S.A., Archivio Roero di Cortanze, parte prima, cartelle n°22 : Instrumenti vari di vendita, n°1181[20/8/1299] ainsi que Bordone 1992, pp. 481-482). Le sceau de Berardo, très singulier pour la fin du XIIIe siècle, représente un personnage assis, tenant un oiseau de proie : à la différence de son frère, Giorgio et son cousin, Enrico il ne figure pas de roue sur son écu (sur cette emblématique, voir Natta-Soleri et Fè D’Ostani 2001, pp. 51-52). Sur le rôle de l’image sigillaire comme miroir des aspirations sociales et des revendications de son détenteur : Pastoureau 2004, p. 223. Sur la chasse au faucon comme élément de distinction nobiliaire parmi les élites urbaines, voir Bove 2004, p. 531. 20 Berardo était décédé avant le 25 juillet 1325 : Fayen 1908, t. 2, n°1622-1623, pp. 596-597, [25/7/1325]. 19

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Les courtiers-hôteliers locaux instillaient de la confiance dans les contrats de prêt lombards. Par la qualité de leurs services, par leurs connaissances profondes du commerce local et par leurs liens fréquents avec les magistrats locaux, les hôteliers étaient censés avoir une réputation d’intégrité, donc être renommés. Cette affirmation pourrait à première vue surprendre ; il convient pourtant de dépasser le lieu commun, propagé par les prédicateurs dans leurs exempla, de l’auberge comme un lieu de perdition mal famé21. Les hôtels choisis par les banquiers pour les séjours des aristocrates plèges ne s’adressaient aucunement au tout-venant et étaient majoritairement situés dans des villes importantes (cf. fig. 16). La renommée des hôtelleries luxueuses du Limbourg et de la vallée rhénane était diffusée par les romans de chevalerie dont le Roman de la Rose de Jean Renart, écrit vers 1228, qui avait pour théâtre les terres d’Empire. Ce roman, se déroulant notamment à Cologne, Maastricht et Saint-Trond, relatait les efforts d’un empereur cherchant à conquérir les faveurs d’une jeune femme noble désargentée. Les régions traversées par les protagonistes étaient hautement urbanisées  ; la bourgeoisie locale y menait grand train grâce à ses profits retirés du grand commerce. La ville de Saint-Trond par exemple, disposant d’auberges pour le comte de Looz et ses garants en 1307, était située sur un axe important du commerce drapier menant à Cologne par Maastricht22. Les hôtels de Maastricht et de Saint-Trond étaient explicitement cités par Jean Renart ; un tournoi placé à Saint-Trond donnait même l’occasion au narrateur de vanter les mérites de l’hôtellerie locale accueillant les participants à la joute. Ces hôtels à un étage, comportant des galeries parfois décorées, visaient une clientèle élitaire, à la consommation ostentatoire, et composée majoritairement de chevaliers  ; ils étaient situés à proximité du marché principal de la ville23. Les contrats de prêt lombard conclu avec la noblesse rhénane qualifiaient l’hôtel imposé pour la garnison d’honestus, c’est-à-dire d’honorable24. La croyance, pour les nobles venant séjourner dans un hôtel de haute classe, qu’ils se trouvaient quasiment plongés dans une épopée chevaleresque, pouvait être accentuée par les financiers astésans eux-mêmes. Les Roero et les de Troya présents à Cologne par exemple, en voie d’anoblissement à Asti, étaient friands de prénoms renvoyant au cycle arthurien ou à d’autres romans chevaleresques d’origine bretonne : Percivalle (Perceval), Galvagno (Gauvain) et Tristano (Tristan). L’attachement des Astésans à cultiver leur bonne renommée ne peut être mieux exprimé que par Tristano de Troya : il fonda un hôpital dans la cité rhénane pour les Juifs convertis et les pauvres jeunes filles malades dès 1311, ce qui représentait assurément la plus précoce des « entreprises sociales » des usuriers astésans opérant en Europe du

Reyerson 2002, p. 89 et Murray 2005, p. 205. A.S.V., Coll. 433a, f°49v°-50r°[6/6/1307] : emprunt de 11 374 lb. n.t. à des membres des familles de Roero, Arazzo et di Cuminiano, le séjour des otages est prévu à Saint-Trond ou à Maastricht. La draperie de Saint-Trond commence à être exportée vers la Rhénanie à la fin du XIIIe siècle. Une forte activité du patriciat dans la brasserie y est constatée dès le XIIe siècle, celle-ci allait peut être de pair avec la possession d’auberges. : Charles 1965, pp. 241-250 et p. 289. 23 Picherit 2002, pp. 301-332, pp. 306-308 ; Lecoy 1963, Introduction, p. viii-xv et pp. 62-64, vv. 1996-2073). Au sujet des tournois organisés dans les villes des anciens Pays-Bas et dans les villes de la ligue hanséatique à partir de la fin du XIIIe siècle, voir Pleij 2007, pp. 107-109. 24 A.S.V., Coll. 433 a, f°86 r° (comte de Berg) et un emprunt ultérieur de l’archevêque de Cologne, f°62 r° [11/3/1311] avec lieu de garnison à Bonn. 21 22

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Créanciers

Emprunteur(s)

Plèges/Otage(s)

Lieu de garnison

Date

Banque lombarde d’Aix-la-Chapelle

Le duc de Brabant Jean Ier et Waleran de Fauquemont

8 chevaliers otages pour le duc et 4 chevaliers otages pour Waleran

Cologne

13/8/129125

Banques lombardes d’Aix-la-Chapelle, Cologne et Maastricht

Waleran de Fauquemont

Duc de Brabant et comte de Flandre plèges et otages pour Waleran avec possibilité de substituer à leur place 2 à 3 chevaliers comme otages

Maastricht

17/11/129226

Banques lombardes de Bonn, de Cologne et de Syberg

Comte de Berg

Comte de Berg et 19 plèges de rang aristocratique avec possibilité de substituer à leur place comme otage 2 chevaliers pour le comte et un familier de bonne condition par plège

Cologne

2/2/130327

Banques lombardes de Cologne et de Syberg

Comte de Berg

Comte de Berg et 18 plèges de rang aristocratique, 1 plège de rang bourgeois et 3 bourgs caution du comte. Chaque plège aristocratique peut substituer comme otage en son nom un familier de bonne condition avec destrier, ses frais de séjour étant à charge du comte. Chaque bourg peut substituer comme otages 6 échevins ou conseillers du magistrat ou 6 personnes issues du patriciat

Cologne et si pour une cause légitime, cela s’avérait impossible pour certains otages, Mülheim an der Ruhr pourra être choisie comme lieu de garnison

27/4/130628

Banques de Borgloon et de Montenaken

Comte de Looz

Jean II, duc de Brabant, Jean d’Agimont, Gérard, sire de Horne, Jean, seigneur de Cuyck et son fils Othon et 8 autres garants et otages de rang aristocratique ou otages à leurs propres frais, avec possibilité de substituer à leur place comme otage 2 chevaliers ou porteétendards à leur place pour le duc et 1 chevalier pour chaque autre plège

Maastricht ou Saint-Trond

6/6/130729

Fig. 16. Localisation des lieux de garnison pour dettes pour les banques de la famille Roero (1291-1307).2526272829 25 26 27 28 29

QUIX 1841, n°241, pp. 163-164. A.D.N., B.4051, n°3414. A.S.V., Coll. 433a , f°86r°-86v°. A.S.V., Coll. 433a , f°85r°-v°. A.S.V., Coll. 433a , f°49v°-50r°.

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Nord-Ouest  ; pour ce faire, il s’était abouché avec deux bourgeois de la ville, Adolf et Wedekind de Revele30. Cette situation, où nobles et usuriers partageaient des valeurs identitaires communes et un imaginaire nourri de culture chevaleresque, séduisait évidemment les garants et otages, et, éventuellement, donnait un sens enchanté aux dangers courus en cas de banqueroute du débiteur principal. Les ducs de Brabant Jean Ier et Jean II, protecteurs des Lombards, nourrissaient eux-mêmes une véritable passion pour le cycle arthurien et il n’est pas exclu qu’ils aient utilisé leur bonne connaissance de cette littérature à des fins de propagande auprès de certains de leurs fidèles chevaliers pour les décider à aller en garnison en leur nom31. Dans le crédit à la noblesse, la question de la réputation, la fama, était loin d’être accessoire. Aller résider en otage dans la demeure d’un usurier manifeste tel qu’un Lombard, fût-il créancier légal, n’était pas chose facile pour un garant de rang nobiliaire. Depuis le troisième concile de Latran, en 1179, les usuriers manifestes, c’est-à-dire visibles de tous, étaient stigmatisés par l’Église, la sépulture en terre chrétienne leur était interdite. La nécessité de cultiver au sein de la bonne société urbaine, une réputation au-dessus de tout soupçon était donc cardinale, pour les financiers piémontais comme pour les financiers juifs, d’ailleurs32 . À ce point de vue, à Cologne et Maastricht, la position sociale honorable des banquiers d’Asti transparaissait de leurs bonnes relations avec les groupes dominants, grands détenteurs du sol urbain. Le groupe familial dirigé par Giorgio Roero à Maastricht avait bénéficié du soutien du puissant chapitre Saint-Servais en la personne de son prévôt, Guillaume de Juliers, appartenant à la haute noblesse rhénane. Les chanoines locaux participaient aux profits des opérations bancaires de la table de prêt des Roero, établie en partie sur les possessions du chapitre33. À Cologne, trois indices traduisaient la bonne renommée des Piémontais. Le premier était leur entrée rapide dans la citoyenneté de la ville. Dès 1296, Opecino della Rocca, Anechino Roero et leurs associés furent admis par le magistrat urbain comme citoyens de Cologne, jouissant pour un terme de 25 ans de droits équivalents aux bourgeois natifs de la ville, ils disposaient en outre d’une maison des Lombards publiquement reconnue, renforçant leur visibilité et leur reconnaissance politique. Second indice, le magistrat leur permettait d’exercer le prêt publique à un taux très confortable de 54 % dans la période de l’octroi34. Leur activité usuraire, source de surendettement potentiel Kuske 1956, p. 5 ; Irsigler 1981, p. 137. En 1308, l’archevêque de Cologne avait engagé à Tristano la moitié du tonlieu d’Andernach, conséquence probable d’un prêt de l’Astésan. 31 Percivale Roero était actif à Maastricht. Mais à la table de prêt d’Aix-la-Chapelle, également aux mains des Roero, Gawinus donc Galvagno Roero, était en fonction dès 1291, aux côtés de Vincente Trosello, ce dernier étant également partenaire dans les banques de prêt brabançonnes (Quix 1841, n°241, pp. 163-164[13/8/1291]). Pour Tristano de Troya résidant à Cologne, voir la n. précédente. Sur le succès de la culture chevaleresque à Asti à partir du premier tiers du XIIIe siècle, véhiculée par les trouvères : Bordone et Spinelli 2005, pp. 139-148. Au sujet de la diffusion du cycle arthurien en Brabant dès le règne de Jean Ier, qui se traduit par l’adoption d’un cimier à tête de dragon (symbole tiré des légendes arthuriennes) figurée au-dessus du heaume du duc de Brabant : Avonds 1999, pp. 91-92. Le duc Jean II est pareillement influencé par cette littérature du fait de sa jeunesse passée à la cour d’Édouard Ier d’Angleterre. 32 Todeschini 2007, p. 106 et pp. 114-116 ; Shatzmiller 2000, pp. 37-42. 33 Kusman 2009b, pp. 215-216. 34 (. . .) Noveritis quod pro nobis et sociis nostris, qui in cives Colonienses sumus et sunt recepti a dominis iudicibus, scabinis, consilio et civibus Coloniensibus(. . .), éd. complète de l’octroi pour une durée de 25 ans dans Ennen et Eckertz 1860-1867, vol. 3, n°431, p. 410 [27/9/1296] ; Irsigler 1981, p. 136. Dans le premier quart du XIVe siècle, certains Juifs de la ville jouissent également du statut de bourgeois, apparement en relation avec un octroi urbain de résidence pour exercer le prêt : Schmandt 2002, pp. 38-40. L’acceptation morale du taux usuraire de 54% pour le crédit lombard se déduit d’autre part de son emploi contractuel par des bourgeois de la ville dans une cession de rente perpétuelle passée dans le quartier des Lombards établis au Malzbüchel. Ainsi, le bourgeois Werner de Bunheym engagea –t-il en 1307 à deux créanciers colonais une rente 30

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pour les groupes médians de la ville, était reconnue comme socialement admissible pour l’oligarchie colonaise en raison des avantages économiques qui en découlaient pour cette dernière : l’activité des courtiers-hôteliers locaux était stimulée par le séjour des chevaliers cautions de la haute noblesse endettée auprès de la banque lombarde de Cologne. Le troisième indice touchait à la collaboration entre élites locales et Piémontais dans le domaine du prêt d’argent. Certains patriciens de premier plan, appartenant aux familles Hardefust et von der Aducht, participaient aux opérations de crédit de la société de prêt des Roero ou recouraient à leur crédit35. La conservation d’un bon renom dans la cité gouvernait au reste la conduite des deux parties du contrat d’emprunt. Pour les aristocrates s’engageant à aller séjourner dans une auberge en cas de non-respect d’une échéance, cela impliquait le respect de leur parole donnée : ils étaient tenus de se comporter, comme les plèges du duc de Brabant, du comte de Looz ou du comte de Berg, more bonorum fideiussorum, selon les bonnes mœurs des fidéjusseurs. Ce véritable code d’honneur impliquait le séjour et la consommation à ses propres frais dans l’auberge désignée aussi longtemps que le créancier n’était pas remboursé par le débiteur principal, à charge pour ce dernier de dédommager l’otage de ses frais de séjour. En envoyant plusieurs vassaux et chevaliers séjourner en son nom, le prince territorial gardait son bon crédit tout en démontrant son pouvoir de mobilisation politique. La garnison pour dettes répondait de cette façon aux exigences des créanciers dont la confiance dans le crédit de la haute-noblesse restait limitée. Les associés des sociétés de prêt astésanes indiquaient alors des hôtels plus ou moins luxueux selon le statut social des otages. La coutume more bonorum fideiussorum, d’origine féodale, préexistait cependant à l’arrivée des banquiers d’Asti dans ces régions. Dès 1268, après la conclusion d’un traité de paix avec la ville de Cologne comportant des clauses financières, le duc de Limbourg avait dû promettre que des nobles iraient en son nom en garnison dans la ville de Cologne comme otages, s’il ne parvenait pas à respecter ses échéances de payement. Les fidéjusseurs devaient y demeurer, y boire et y dormir jusqu’à satisfaction des obligations36. Une disposition de la charte de privilèges donnée à la ville de Bois-le-Duc en 1284, montre la protection princière juridique importante dont jouissaient les aubergistes de la ville  : ils pouvaient perpétuelle assignée sur deux maisons du Malzbüchel pour une somme de 8 marcs de deniers, monnaie courante. S’il ne rachetait pas cette rente endéans la prochaine Saint-Martin, la rente passait dans l’usufruit de ses créanciers. Elle était encore rédimible endéans l’année mais ad usuras Judeorum vel Cauwertnorum : moyennant le payement d’une somme de 8 marcs et 54% d’intérêt (3 oboles par marc, chaque semaine, c’est-à-dire le taux d’intérêt concédé dans l’octroi de prêt aux Lombards de Cologne en 1296). Passé ce dernier terme, la rente tombait dans le patrimoine des créanciers de Werner, libre de toute prétentions juridiques (Planitz et Buyken 1937, n°2172, p. 635 [12/4/1307]). 35 Irsigler 1981, p.  134  : rachat du tonlieu archiépiscopal de Leutesdorf engagé à des Lombards d’Aix-la-Chapelle co-financé par Andrea Rastello, Opecino Grasverdo et le Colonais Johan Hardefust pour la somme de 7 825 marcs. Hardefust appartient à cette époque à l’entourage de l’archevêque Henri de Virnebourg (Hansen 1910, n°1, pp. 410-413 [10/4/1306]). En 1308, Heinrich von der Aducht, fils de Wathelm, remet à titre de gage —indice d’un prêt antérieur des Lombards— à Antonio Roero, demeurant dans la maison Novum Celarium un cens de deux marcs de deniers monnaie courante assignée sur la maison appelée Domus Wathelmi : Planitz et Buyken 1937, n°2175, p. 636 [25/10/1308]. Au sujet de la famille patricienne von der Aducht, actionnaire des moulins de la ville et appartenant aux élites dirigeantes, voir Groten 1995, p. 296 et p. 299. 36 Kusman 2009a, p.  90, n. 34  ; Hermesdorf 1957, pp.  180-181 et pp.  183-184. Les frais de séjour  pouvaient être très importants : Waleran de Luxembourg demanda à Renaud de Gueldre en 1286 que ses dépenses et frais de plégerie en Limbourg lui soient acquittés en marcs de Brabant, à raison de 1 200 marcs ( J.A. Nijhoff, Gedenkwaardigheden uit de geschiedenis van Gelderland, vol.1, Arnhem, 1830, n°1-2, pp. 3-5[24/4/1286-4/7/1286]). Exemples de frais d’otages nobles remboursés par le comte de Gueldre pour des emprunts à des Lombards (dont la société de Mirabello) dans Nijhoff 1830, n°104, p.  108[14/6/1309] et n°158, pp.  156-157 [19/7/1314] et R.A.G.A., Chartes des comtes de Gueldre, Aanwinst Buuren, 3.7,  Compte des dépenses des cautions du duc de Gueldre pour leur garnison à Gorinchem, à l’instance des Lombards de ce lieu, dans l’auberge de Sophie de Hoogstraaten (1344).

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transmettre leur litige à l’officier de justice local, en cas d’impayés37. Les informations sur la solvabilité des otages du débiteur principal étaient, certainement, pareillement transmises par les hôteliers aux Lombards. Plus généralement, la circulation dense des informations de toute nature dans les auberges a amené K. Reyerson à user à leur sujet de l’analogie avec les actuelles newsrooms, c’est-à-dire de lointains ancêtres de nos bureaux de presse, concentrant les informations de toute nature et les rumeurs plus moins fondées38. C’est à Cologne que les contours de l’action des courtiers-hôteliers se dessinent le plus nettement en matière de partage de l’information avec les Piémontais. Dans le cas des emprunts des ducs de Brabant Jean Ier et Jean II auprès de la société des Roero, on peut distinguer une sorte de collusion entre la banque Roero, le milieu des courtiers-hôteliers et la dynastie ducale. Il s’agissait primitivement de l’utilisation raisonnée de la maison ducale à Cologne par le débiteur principal – le duc de Brabant – afin d’impressionner à la fois ses créanciers et ses garants. En mettant à disposition son hôtel, dans la paroisse Saint-Laurent, pour les garnisons des otages, le duc de Brabant devenait quasiment un associé des Lombards et des courtiers-hôteliers. Ces derniers pouvaient retirer un profit important de la venue de représentants de la haute-noblesse sommés (ad monitionem Lombardorum. . .) de se rendre à l’hôtel en vertu de leur condition de chevalier. L’hôtel ducal, géré par le patricien-hôtelier Heinrich Birklin, servait de lieu de résidence pour le Prince et ses conseillers en cas de séjour pour dettes au moins depuis 1289, date à laquelle le duc emprunta à plusieurs patriciens colonais dont Birklin. Il s’agissait d’une innovation dans la mesure où auparavant, bien qu’affermé, l’hôtel ducal était réservé au duc et à sa suite lors de leurs passages à Cologne. Les hôteliers tels que Birklin étaient souvens détenteurs d’une expérience passée de marchand sur les foires d’Europe du NordOuest, ce qui les rendait compétents pour être courtiers entre les nobles arrivant en ville et les marchands ou banquiers locaux. Ils achevaient leur carrière en investissant les profits retirés du grand commerce sur le marché immobilier39. L’hôtelier, pouvait, finalement, on l’a vu précédemment dans le cadre des opérations de crédit à la couronne anglaise, faire office de prêteur à court terme40. La demeure prestigieuse du duc de Brabant devait d’emblée frapper le noble y arrivant par son confort41. La principale chronique de la ville de Cologne l’évoquait en des Ainsi, le client d’une taverne incapable de payer son verre de vin, de bière ou d’hydromel, avait jusqu’au lendemain à midi pour acquitter le tavernier. Si toutefois un litige s’ensuivait et que le débiteur refusait d’acquitter la dette dans le terme prévu, la cause était transmise à l’officier de justice et le débiteur devait, en plus de sa dette de boisson, payer 3 s. de Louvain à l’officier de justice et 2 s. au tavernier (Camps 1979, vol. 1, n° 399, p. 498, art. 29 [31/1/1284]) 38 Reyerson 2002, p. 167. 39 Actif aux foires d’Ypres en 1272 comme marchand, Heinrich Birklin se lança dans le commerce drapier et enfin dans la carrière d’hôtelier tout en menant de fructueuses opérations immobilières dans la paroisse Saint-Laurent de Cologne, celle de l’hôtel ducal : Von Winterfeld 1925, pp. 39-40. Constatation similaire pour le patricien Heinrich Quartermartt, voir infra. 40 À Bois-le-Duc, le luxueux hôtel patricien d’Alard de Bois-le-Duc hébergeait les garants du comte de Flandre et du comte de Gueldre endettés auprès du banquier Tadeo Cavazzone : non seulement l’hôtelier les y logeait avec leur suite mais il tenait à leur disposition des fonds libérables rapidement en cas de besoin. L’activité du courtier-hotelier, Alard de Bois-le-Duc, durant le séjour de Guillaume de Mortagne et Lotin de Bruges, cautions du comte de Flandre, est documentée dans Meihuizen 1953, p. 120 et pp. 123-124. Sur cet hôtelier et les plèges du comte de Flandre, voir aussi Camps 1979, vol. 1, n°407, pp. 509510[5/1/1285] et n°467, p. 570 [15/12/1291]. 41 La demeure était dotée de plusieurs chambres, d’une aile réservée aux cuisines ducales et comportait, outre plusieurs jardins, une vaste cour intérieure avec écuries, clôturée par un portail et de solides murs.Cf. supra, la 1ère partie, chap. 1, p. 45. 37

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termes explicitant la catégorie d’hôtes à laquelle l’auberge ducale s’adressait : ein von den koestlichen herbergen binnen Coellen, für Fursten und Heren42. En 1293, empruntant 500 marcs à la ville de Cologne, Jean Ier évoqua explicitement la possibilité qu’il puisse utiliser son hôtel pour y envoyer des garants. Quelques années plus tard, le seigneur Jean de Heusden vint tenir résidence à l’auberge du duc. En sa qualité de caution, il exigea des lettres de non-préjudice pour ce séjour à l’auberge afin qu’il ne soit pas tenu garant dans le futur des engagements financiers de Jean II de Brabant. Il faut le souligner, Jean II lui-même ne fut pas un utilisateur effréné de son auberge, n’y demeurant pour la première fois, qu’en 1299, preuve de la fonction commerciale prédominante de la maison ducale à Cologne43. D’autres auberges colonaises que celle du duc de Brabant étaient disponibles pour les otages en garnison comme l’attestent les opérations menées conjointement par les associés des maisons des Lombards de Bonn, gérées par les cousins de Benedetto Roero, et celle de Cologne, dirigée par Berardo Roero, l’oncle de Benedetto : le séjour devait se faire dans la paroisse Saint-Martin, c’est-à-dire dans la paroisse où résidaient les Lombards de Cologne, dans une ou plusieurs auberges respectables désignées par les Lombards44. Tout autant révélatrice de la bonne intelligence des Piémontais avec le milieu des courtiers-hôteliers m’apparaît être l’acquisition d’un patrimoine immobilier imposant par trois frères de la famille de Rupe alias della Rocca en 1304 dans la paroisse plutôt résidentielle de Saint-Alban, un quartier où le clan familial patricien des Quartermatt était puissamment implanté ; comme les Birklin, les Quartermartt maîtrisaient les ressorts du grand commerce drapier45. Tommaso, Alberto et Enrico de Rocca avaient acquis des époux Vanme Cusine la demeure Zum Bock. La demeure vit bientôt sa surface s’étendre par l’acquisition des espaces contigus, comprenant une auberge et une cour privée. Heinrich Quartermartt possédait depuis la fin du XIIIe siècle une rente perpétuelle assignée sur la moitié de la demeure et son fonds, rachetable moyennant la coquette somme de 70 marcs de deniers colonais. En cas de défaut de payement, le crédirentier pouvait acquérir la moitié de la maison sans aucun jugement nécessaire 46 ! Les Quartermartt, marchands et hôteliers allaient, une vingtaine d’années plus tard, faire l’acquisition de l’hôtel ducal à Cologne, des mains Leverkus 2005, pp. 196-197. Voir également la Cronica von der Hilliger Stat von Coellen bis 1499, éd. dans Hegel 1877, pp. 647-648. Le chroniqueur ajoute que lorsque le duc de Brabant vient à Cologne, il use de l’auberge comme de son propre logis. 43 Knipping 1913, n°3688 [6/9/1299], Jean II était présent à Cologne pour sa mission d’arbitrage du différend opposant l’archevêque de Cologne Wikbold au comte de Juliers, voir également Merlo 1878, p. 139. Pour le séjour du sire de Heusden en 1300 : N.A., Graven van Holland, Leen en Registerkamer, ancien n° 418, actuellement inv. nr. 2118, f°76v° [24/6/1300]. 44 A.S.V., Coll. 433a, f°68r°-69r°[8/3/1315] : prêt de 3 000 marcs de deniers de Cologne, monnaie courante, à Robert comte de Virnebourg et Henri, prévôt de Bonn et archidiacre de Cologne par les Lombards Martino Roero, bourgeois de Bonn et Pierre de Milan, bourgeois de Cologne. Outre l’engagement aux Italiens du tonlieu inférieur d’Andernach, avec les droits de perception et l’exemption de taxe, le prêt prévoit le séjour d’otages. En cas de défaut de payement, les deux débiteurs principaux désigneront chacun un familier à cheval, qui ira séjourner à leurs frais dans deux hôtels honorables que Martino Roero, ses associés ou leurs mandataires choisiront dans la paroisse Saint-Martin de Cologne. La ville de Cologne aurait compté pas moins de 30 auberges dès le XIVe siècle : Leverkus 2005, p. 118. 45 Irsigler 1979, p. 46. 46 Kuske 1956, p. 4 . Ces espaces adjacents comportaient en particulier le sol et l’auberge (Scuppe) batie dessus, mention dans Planitz et Buyken 1937, n°1293, p.  332, et dans Keussen 1918, vol. 2, p.  493, qu’on consultera aussi pour l’importance des demeures patriciennes bâties dans la paroisse Saint-Alban (Keussen 1918, vol. 2, p. 95) ; Reichert 2003, p. 369. Identification des Rupe avec la famille della Rocca dans Castellani 1998, p. 38. Quartermatt avait acquis en août 1287 une rente héréditaire de 4 marcs de deniers de Cologne assignée sur la moitié de la maison Ad ircum —Zum Bock— et son fonds, de Jean de Irco junior, rente rédimible moyennant le payement à Quartermatt d’un prix de 70 marcs de deniers colonais (Planitz et Buyken, 1937, n°1288, pp. 329-330). 42

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de la veuve d’Heinrich Birklin47. La détention commune de droits sur une même demeure fondait sans nul doute une sociabilité entre le milieu des marchands d’Asti et la famille colonaise d’hôteliers48. L’auberge ou l’hôtel, apparaissent sans nul doute comme un domaine d’investissement significatif pour les banquiers astésans et les grands marchands locaux, un lieu où les nouvelles s’échangeaient, au gré des séjours des aristocrates de passage dans ces demeures. Au-delà de cette constatation somme toute banale, cela doit pourtant nous faire réfléchir sur les avantages qualitatifs que pouvaient retirer certains otages de leurs séjours en glanant des nouvelles fraîches ou en nouant des liens avec les élites citadines locales. Je pense ici plus particulièrement à des seigneurs intermédiaires entre le monde du profit et les princes territoriaux comme Jean de Cuyck ou Waleran de Fauquemont, conseillers du duc de Brabant. Les seigneurs de Cuyck, par exemple, entretenaient des attaches féodales avec l’archevêché de Cologne dont ils relevaient en partie leurs biens à Herpen, ce qui pouvait requérir leur présence ponctuelle dans la cité archiépiscopale49. Tous les nobles allant en séjour forcé à l’hôtel n’étaient pas semblablement démunis face aux exigences drastiques des créanciers de leurs seigneurs. Certains de ces otages, comme Jean de Cuyck et Waleran de Fauquemont pouvaient indubitablement monnayer leur statut de courtier du pouvoir pour négocier plus ou moins favorablement les conditions de leur garnison. Eux aussi étaient dépositaires d’information servant les buts de la société de prêt des Roero.  . Les seigneurs de Cuyck et de Fauquemont, clients des Lombards et D courtiers du pouvoir L’acquisition de points d’appui aux frontières du Brabant et dans les principautés voisines n’était qu’un volet de la stratégie commerciale des sociétés de prêt astésanes en Brabant. Il ne suffisait pas de disposer de vastes demeures dotées d’espaces de stockage, d’auberges de renom où pouvoir envoyer ses garants et d’entretenir de bonnes relations avec les élites urbaines comme à Cologne ou à Maastricht. Encore fallait-il s’assurer des relais du pouvoir à la cour brabançonne pouvant introduire les prêteurs dans le cénacle de la haute-noblesse en demande d’argent. Ces relais, les banquiers de la famille Roero les trouvèrent dans les figures de Jean de Cuyck et de Waleran de Fauquemont. Les sociétés de prêt lombardes protégées par le duc de Brabant allaient jouer un rôle bancaire déterminant au service de ces deux seigneurs entre 1292 et 130750. Étant donné qu’Heinrich Hildegher, le précédent aubergiste de la maison ducale, dicte ses dernières volontés en 1299 (Planitz et Buyken 1937, n°1801, pp. 491-492[26/2/1299] et n°1802, p. 492 [26/2/1299]) mais que son épouse Bliza et son fils sont encore vivants en 1307(Beterams 1954, n°19, pp. 28-29 [3/11/1307]), l’auberge dut être acquise dans le premier quart du XIVe siècle par la famille Quartermatt. Celle-ci possède déjà la maison ducale à Cologne avant 1321, date à laquelle un de ses représentants, l’échevin Johannis Quattermart de Domo Ducis ou Johan Quattermart der ridder zu des herzugin hus est cité (Stein 1895, vol. 1, n°1, pp. 1320-1321[14/3/1321] et Archives d’Arenberg à Enghien, chartrier, n°64 [5/7/1328]). La détention de la maison ducale par les Quartermatt est donc antérieure à 1336 (contrairement à ce que pensait Merlo 1878, pp. 139-140). 48 Un acte tardif confirme la bonne entente entre la communauté astésane de Cologne et la famille Quartermatt : en 1337, Johann Quartermatt, son frère Heinrich et leurs épouses respectives cèdent un héritage appelé domus pistorea—probablement une ancienne halle au pain située près de l’hôtel ducal de Cologne— à un orfèvre, pour le tenir en fief du duc de Brabant. Parmi les témoins, Lufredus de Troia, bourgeois de la ville et issu d’une famille astésane active à Cologne (Verkooren 19611962, vol. 2, pp. 53-54 [1/2/1337]). 49 Coldeweij 1981, p. 63. 50 Le premier emprunt conclu par Waleran de Fauquemont auprès de Vincente Trosello alias Pierre d’Aix-le-Chapelle, Galvagno Roero et Bertolino de Trana l’est en 1292 (A.G.R., C.C., n°1, f°27v°[16/11/1292]), le dernier emprunt conclu par 47

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L’ascendant de ces deux seigneurs découlait de leur statut de seigneurs frontaliers vivant sur un grand pied, grâce aux revenus de la fiscalité douanière, prélevés de manière plus ou moins légitime. On a vu précédemment comment Jean de Cuyck fut aux prises avec les bourgeois de Dordrecht dans l’exercice de son droit de péage à cette époque. Waleran, également sire de Montjoie (aujourd’hui Monchau) depuis 1269, prétendait lever des taxes de transit sur les marchands de passage par ses terres, entre Cologne et Bruxelles et justifiait de cette façon un véritable brigandage organisé51. Cuyck et Fauquemont incarnaient des pouvoirs féodaux en Gueldre et en Limbourg, des seigneuries quasi-autonomes, contrôlant les voies d’accès au duché à la marge orientale et septentrionale du Brabant, des territoires importants au travers desquels circulait une partie du commerce de transit de la Rhénanie et du nord de l’Allemagne à destination de l’Angleterre. On comprend donc que les ducs de Brabant Jean Ier et Jean II aient été désireux de pérenniser la fidélité et l’appui militaire des lignages de Cuyck et de Fauquemont, en leur concédant des fiefs et d’autres avantages matériels52. En cela, ils concurrençaient le comte de Flandre Guy de Dampierre qui essayait lui aussi de gagner les faveurs de ces personnages au moyen de rentes féodales53. Cultivant les allégeances féodales multiples et très au fait des mécanismes de l’économie monétarisée des anciens Pays-Bas Jean de Cuyck et Waleran de Fauquemont avaient été mandatés à partir de 1291 comme arbitres auprès du comte de Gueldre par le duc de Brabant dans le cadre du litige financier de Renaud Ier de Gueldre et du comte de Flandre. Officiellement, ils n’étaient que des arbitres, officieusement, leur pouvoir économique et politique faisait de ces grands barons des médiateurs d’information. Dans ce cadre, ils étaient susceptibles d’assister les financiers astésans dans leur prospection d’une clientèle appartenant à la haute-noblesse en leur délivrant des informations sur les sûretés des emprunteurs, tout simplement parce qu’ils appartenaient à leur entourage féodal54. Cuyck et Fauquemont se connaissaient d’ailleurs bien et s’estimaient sans doute. En 1297, Jean de Cuyck promit par exemple d’apurer, sur simple demande du créancier et en toute confiance (amicabiliter), une dette de 22 lb. de Liège qu’un serviteur de la maison de Waleran de Fauquemont devait à Pietro Roero, associé de la table de Maastricht55. Devenus des conseillers ducaux de premier plan depuis les années 1293-1294, ces deux personnages étaient en symbiose avec le milieu des manieurs d’argent d’Asti, et ce, pour plusieurs raisons56. Pour commencer, leur pouvoir militaire intéressait les banquiers piémontais  ; les Cuyck et Fauquemont avaient courageusement combattu à Worringen, alors dans des

Jean de Cuyck auprès de Poirino Roero l’est en 1307 (A.S.V., Coll. 433a, f°81r°[6/8/1307]). Voir également le tableau des emprunts de Jean de Cuyck, infra, fig. 17. 51 Au sujet de Jean de Cuyck et de son péage de Grave, voir supra, la 2e partie, chap. 2, p. 134, pour Fauquemont, voir Mummenhof 1937-1961, vol. 1, p. 372 ; Funck-Brentano 1897, p. 243. 52 Sur ce processus : Van Uytven 1982, pp. 39-41 et Steurs 1993, pp. 303-304, pp. 311-312 et pp. 386-387. 53 Wauters 1881, p. 536[ 24-25/10/1296] et A.D.N., B.4055, n°3630 [29/12/1294]. 54 La plupart des possessions du sire de Cuyck étaient situées dans le comté de Gueldre mais relevaient de l’empire ; il était aussi vassal du comte de Flandre avant de devenir le conseiller principal du duc de Brabant, voir supra, la 2e partie, chap. 2, pp. 133-135. Au sujet de Waleran de Fauquemont, ancien vassal et beau-frère du comte de Gueldre, désormais un des plus fidèles conseillers du duc de Brabant mais aussi vassal du comte de Flandre et sur le rôle de Cuyck et Fauquemont comme médiateurs d’information en Gueldre au service des financiers italiens : Kusman 2009a, pp 200-201. : 55 A.S.V., Coll. 433a, f°80v°[15/3/1297]. 56 Croenen 2003, p. 135 p. 242. Jean de Cuyck, décédé en 1308, occupe le 1er rang parmi les 12 conseillers ducaux les plus actifs, Waleran de Fauquemont, décédé en 1302, occupe le 6e rang.

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camps opposés57. Se mettre au service de ces chefs de guerre expérimentés, pouvant lever des bannières sous leur commandement, c’était, pour les Lombards de Brabant, prendre une assurance supplémentaire pour leur sécurité personnelle et celle de leurs biens. Cela avait été vrai autrefois des de Baieni et des Solaro, ouvrant leurs premières banques à Tournai et recherchant le soutien des seigneurs de Mortagne ; cela l’était tout autant pour les Roero. Réciproquement, du point de vue des nobles, le métier des armes était grand consommateur de capitaux, qu’il s’agisse d’achats d’armures ou de soldes de garnisons. Le recours au crédit des Piémontais était donc indispensable. Vers 1302, au titre de gouverneur du Limbourg et de Maastricht pour le duc de Brabant, Jean de Cuyck fut chargé du maintien de l’ordre dans la cité mosane. La présence de Jean de Cuyck à Maastricht en 1303-1304 s’expliquait par la révolte de la bourgeoisie de la ville contre le gouverneur militaire de la principauté de Liège Jean de Chalon-Arlay, révolte soutenue par les forces brabançonnes. Un des fils de Jean de Cuyck, Guillaume, combattit en cette occasion aux côtés des bourgeois de Maastricht et y perdit la vie58. En 1303, Pietro Roero et ses associés de Maastricht n’hésitèrent pas à avancer l’argent nécessaire en monnaie courante – 120 lb. pay., monnaie de Maastricht – à Jean de Cuyck pour offrir de dignes funérailles à son fils. Il va sans dire que le geste de Pietro devait être apprécié à sa juste valeur par le seigneur de Cuyck59. Les aptitudes au commandement militaire de Waleran de Fauquemont étaient également significatives. Sous le règne de Waleran (1268-1302), la forteresse de Fauquemont devint un des châteaux les plus inexpugnables de la vallée mosane60. Spécialiste de la défense des places-fortes, il monnayait ses compétences au plus offrant. Vers 1285 puis à nouveau en 1295, il réussit à être aux gages de la ville d’Aix-la-Chapelle en tant qu’écoutête. Son office impliquait de faire respecter les droits du duc de Brabant dans la cité rhénane et spécialement l’avouerie ducale61. En 1300, il mit ses talents de stratège au service de la ville de Gand afin de résister aux forces françaises, contre une confortable solde et le statut de bourgeois de la ville62. Ensuite, autre facteur de symbiose, Cuyck et Fauquemont avaient, en vertu de leurs possessions relevant de plusieurs obédiences, des aptitudes reconnues pour la diplomatie, laquelle exigeait des déplacements fréquents entre les cours princières. Par conséquent, l’emploi de comptes courants sur plusieurs banques de la société Roero s’imposait de même que le change fréquent entre des monnaies très diverses, qu’il s’agisse de monnaie payment à Maastricht, de marcs de Cologne et d’Aix-la-Chapelle en Rhénanie, de vieux Wauters 1862, p. 161, pp. 169-170 et p. 174. Jean de Cuyck est cité comme gouverneur du Limbourg et de Maastricht en 1302 (R.A.G.A., Chartes du comte de Gueldre, n°150[12/7/1302]) ainsi que Kurth 1927, p. 117, l. 5-13 et Coldeweij 1981, pp. 73-74. 59 A.S.V., Coll. 433a, f°81r° [4/8/1303]. 60 Hupperetz 2005, p. 397. 61 Même si elle n’apparaît que sous le terme de jus suum quod habet in dicta civitate Aquense  : A.G.R., C.C., n°1, f°27v°[2/3/1285], analyse dans Mummenhof 1937-1961, vol. 1, n°410, p. 221[2/3/1285]. La charge d’écoutête devait être assez profitable : en 1292, le roi des Romain Adolphe la confie au comte Waleran de Juliers jusqu’au remboursement d’une avance de 1 050 marcs de deniers d’Aix-la-Chapelle faite par ce dernier à Adolphe (Ibidem, n°501, p. 269 [12/9/1292]). En 1295, Waleran était à nouveau titulaire de la charge et protecteur de la ville au nom de l’empire (Ibidem, n°532, pp. 283-285 [8/1/1295]). 62 Funck-Brentano 1897, pp. 243-244 ; acte de constitution d’une rente viagère de 500 ( ?) lb., monnaie de Flandre par les échevins de Gand en faveur de Waleran parce qu’il s’est humilié à devenir le conseiller de la ville, notamment pour ses affaires militaires et a été reçu bourgeois de la ville de Gand, éd. dans De Potter s.d., n°11, pp. 25-27 [1/3/1300, n.s.]. Ses gages journaliers semblent avoir été de 100 s., monnaie de Flandre. 57 58

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gros tournois du roi de France, de monnaie payment de Brabant ou de livres sterling en Angleterre. Jean de Cuyck et Waleran de Fauquemont exercèrent leurs talents d’émissaires diplomatiques au service du comte de Flandre et auprès du roi des Romains en 129963. Quelques années plus tard, Jean de Cuyck, passait par Courtrai et sa banque lombarde, avant d’aller parlementer à Paris face aux représentants du roi de France, au début de 1305, aux côtés de trois nobles flamands, Gérard de Zottegem, Jean de Gavre et Gérard de Moor alors que les Dampierre étaient encore emprisonnés au Châtelet de Paris64. Jean de Cuyck et Waleran de Fauquemont entretenaient en outre tous deux d’excellentes relations avec le roi d’Angleterre Édouard Ier  65. Ils étaient finalement des arbitres réguliers des litiges entres princes territoriaux rhénans mais également, entre le duc de Brabant, et le comte de Flandre66. Il importe de l’observer, le crédit avancé par les banques de la famille Roero à Jean de Cuyck et à Waleran de Fauquemont fut, en grande partie, non-remboursé. Le duc de Brabant utilisait très consciemment le levier de l’argent pour consolider son alliance avec ces deux barons très indépendants. Quant aux banquiers piémontais, ils achetaient le soutien de ces courtiers du pouvoir. En reportant à une date indéterminée le solde de leurs avances, en négociant la dette, les Italiens ouvraient la voie à des rapports de patronage leur donnant l’occasion de contacts réguliers avec leurs débiteurs, par exemple à cause du versement d’intérêts parfois très lourds67. La banque de Maastricht, associée à celle de Saint-Trond avait accordé des emprunts, toujours remboursables à volonté, à Jean de Cuyck, qui se montèrent à un total de plus de 20 000 lb. noirs tour. en 1307, sous la forme d’obligations souscrites au nom de Jean de Cuyck ou au nom de Jean II mais endossées par de Cuyck. Les montants étaient rapidement passés d’un niveau correspondant à du prêt à la consommation à de la hautefinance : le prêt de 12 000 lb. avait par exemple été fait pour le duc de Brabant et c’est Jean de Cuyck qui avait accepté la responsabilité du remboursement, profitant d’une ­assignation ducale sur la ville de Malines à l’effet de payer la somme avancée par les prêteurs de Maastricht (voir n°7 du tableau fig. 17). Jean de Cuyck et Waleran de Fauquemont sont dépêchés en mission diplomatique auprès du nouveau roi des Romains, Albert d’Autriche. Cuyck et Fauquemont obtiennent qu’Albert d’Autriche lève la sentence de proscription lancée à l’égard des comtes de Flandre par ses prédecesseurs Rodolphe de Habsbourg et Albert de Nassau (Funck-Brentano 1897, pp. 323324). Pour le rôle diplomatique de Jean de Cuyck auprès du roi des Romains Adolphe de Nassau auquel il était apparenté par son épouse Jutta de Nassau : Kern 1910, p.195. 64 Boone 2002, p. 72. Jean de Cuyck séjourna à Courtrai où les Lombards de la ville s’occupaient aussi de fournitures au bailli chargé d’accueillir Jean de Cuyck (R.A.K., Comptes des baillis de Courtrai et de la châtellenie de Courtrai, compte en rouleau n°156 (22/1-15/8/1305) et n°156 bis (octobre 1304-janvier 1305). 65 En 1295, Waleran de Fauquemont recevait du roi d’Angleterre une rente féodale de 300 lb. tour. : Funck-Brentano 1897, p. 244, n. 3. Pour l’activité de Jean de Cuyck au service d’Edouard Ier : de Sturler 1936a, pp.160-162 ; Coldeweij 1981, pp. 76-77, ainsi que la 2e partie, chap. 2, pp. 133-135. 66 Nombreux exemples de l’activité conjointe de Jean de Cuyck et de Waleran de Fauquemont comme arbitres en Rhénanie dans Knipping 1913, n°3773, pp.  278-279 [1/12/1300] (arbitrage entre l’archevêque de Cologne Wikbold et le comte Gérard de Juliers), n°3786, p. 282 [21/1/1301], voir aussi les n°s 3795, p. 284[3/2/1301], 3876, pp. 300-301 [24/10/1302], 3892, pp. 305-306[1302]. Au sujet de la mission d’arbitrage de Waleran de Fauquemont et Jean de Cuyck au service du duc de Brabant afin de s’entendre sur les dommages qu’il réclamait au comte de Flandre, voir A.D.N., Musée 63,[ancien B 246, n°4142] (26/1/1299). 67 Dans un cas, au moins (n°4 du tableau, fig. 17), Rainerio Roero et ses associés de Maastricht n’hésitèrent pas à défalquer un intérêt de 43,8% sur le prêt délivré à Jean de Cuyck. Le montant de 2 877 lb. comprend un intérêt annuel de 877 lb. calculé sur 2 000 lb. L’inventaire des titres de Benedetto Roero remis à la chambre pontificale en 1325 le confirme bien en séparant le capital et les intérêts sous la forme suivante : item una autre leitre du dit segneur de Cuic de vint et huit chens livre et soisante diz sept livres de tournoiis noirs :A.S.V., Coll. 433a, f°80v°. 63

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Date

Montant

Prêteurs

Source

1. 3/7/1294

5 lb. n.t.

Giorgio (Roero) ou ses héritiers légitimes (Saint-Trond)

A.S.V., Coll. 433a, f°81r°

2. 15/3/1297

22 lb., monnaie de Liège

Pietro Roero (Maastricht)

A.S.V., Coll. 433a, f°80v°

3. 20/3/1297

130 lb. monnaie pay. de Brabant

Pietro et Tommaso Roero et associés (Maastricht)

A.S.V., Coll. 433a, f°82v°

4. 1/8/1303

2 877 lb. t., un g.t. compté pour 16 d.t.

Rainerio, Percivalle, Antonio et Pietro Roero et associés (Maastricht)

A.S.V., Coll. 433a, f°81r°-v°

5. 4/8/1303

120 lb. monnaie pay. de Maastricht, un g. t. compté pour 16 d. n.t.

Pietro Roero et associés (Maastricht)

A.S.V., Coll. 433a, f°81r°

6. 5/2/1304

50 lb. g.t.

Percivalle Roero (Maastricht)

A.S.V., Coll. 433a, f°80v°

7. 4/7/1304

12 000 lb. monnaie pay. de Brabant, un g.t. compté pour 16 d.

Percivalle et Pietro Roero et associés (Maastricht)

A.S.V., Coll. 433a, f°81v°

8. 8/1/1307

1 000 lb.n.t.

Huberto Roero et associés (Looz)

Bormans et Schoolmeesters 1898, n°927, pp. 52-53.

9. 6/8/1307

200 lb. g.t., un g. t. compté pour 16 d. n.t.

Poirino Roero (Saint-Trond)

A.S.V., Coll. 433a, f°81r°

TOTAL :

20 165 lb. n.t.*

Fig. 17. Tableau des emprunts du seigneur Jean de Cuyck, souscrits auprès des Lombards de Maastricht, Looz et SaintTrond entre 1294 et 1307.

La majorité de ces titres de créance exprimés en monnaie courante appartenant à la donation de l’astésan Benedetto Roero exécutée au bénéfice du pape Jean XXII, une vingtaine d’années plus tard, il faut en déduire qu’ils ne furent jamais remboursés. . . Une reconnaissance de dette envers les Roero fut tout de même honorée, grâce à l’intervention du chapitre Saint-Lambert de Liège68. Dans la ville d’Aix-la-Chapelle, la banque dirigée par Bertolino de Trana, Vincente Trosello et Galvagno Roero, prêta en 1291-1292 un total de 1 200 marcs de deniers d’Aix à Waleran de Fauquemont, soit l’équivalent de 228 kg. Les Lombards d’Aix s’associèrent à ceux de Cologne en 1292, en la personne de Giovanni, fils de Giorgio Roero et Oberto Il ne s’agit bien sûr que d’une estimation du montant total, converti en livre noirs tournois. Les calculs ont été établis compte tenu de la valeur moyenne de la lb. payment de Brabant dans les années 1303-1307 par rapport au gros tournois de Brabant ou torre, soit un denier torre courant pour 16 d. payment. Vers 1307-1308, période d’activité de la société de prêt des Roero à Borgloon et Montenaken, dépendant de l’évêque de Liège, 2 d. liégeois courent pour 3 d.t., la somme de 22 lb. liégeois correspondant alors à 33 lb. n.t. (sur ce taux :A.S.V., Coll. 433a, f°47v°). 68 Seule la reconnaissance de dette du 8 janvier 1307 se retrouve dans les archives du chapitre cathédral Saint-Lambert de Liège. Dans ce cas précis, c’est sans doute avec l’aide des chanoines et de leurs supérieurs que les Lombards obtinrent le payement de leur obligation de 1 000 lb. tour., on peut donc penser que le chapitre racheta cette obligation à la société des Roero ou perçut une commission pour avoir aidé à sa liquidation. Je reviendrai plus loin sur l’assistance matérielle importante de l’Église de Liège à la banque Roero à propos des opérations de prêt des Astésans en Brabant septentrional. *

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Roero, cousin de Galvagno69. Dans ce cas, cependant, les Piémontais étaient en droit d’attendre un remboursement prompt de leurs avances : la somme était remboursable par assignation sur les revenus de Waleran à Aix-la-Chapelle et à Ravensberg, en particulier sur les assises d’Aix70. Ces engagements contractuels devaient être propices à des contacts suivis entre le sire de Fauquemont et les gens d’Asti, soit en raison de la coutume de la garnison en auberge (cf. tableau fig. 16), soit par le versement des annuités assignées aux Italiens71. En devenant les banquiers du sire de Fauquemont, les Astésans furent inévitablement amenés à jouer un rôle de conseillers proches ou de négociateurs pour leur débiteur dans les matières économiques et politiques. Si ce rôle ne peut être certifié pour Waleran de Fauquemont, il l’est assurément pour son fils, Renaud, vers 1308-1309, dans le cadre de négociations avec le duc de Brabant où les Lombards et le sire de Masmines, un habitué des affaires d’argent, font office d’arbitres et d’émissaires politiques72. Les rapports fréquents de la famille de Fauquemont avec les manieurs d’argent peuvent aussi être inférés de la détention par cette famille d’une rente viagère sur le change de Malines à la même époque. L’office de change de la ville se distinguait dès les années 1310 par l’emploi de techniques bancaires assez perfectionnées, on le verra plus loin73. Dans le premier quart du XIVe siècle, l’effet du patronage des banquiers astésans par la haute noblesse « frontalière » représentée par Cuyck et Fauquemont sera particulièrement sensible dans les limites d’un horizon géographique bien délimité : le Brabant septentrional. C’est dans cette région que l’historien peut discerner avec le plus de relief les mécanismes des opérations de crédit marquantes des sociétés de crédit astésanes en Brabant. Le crédit lombard répondit à la demande de deux strates différentes de l’aristocratie locale : la haute noblesse et la petite noblesse terrienne environnant Bois-le-Duc.

Quix 1841, n°241, pp.  163-164[13/8/1291]  ; A.G.R., C.C., n°1, f°27v°[16/11/1292]  ; A.D.N., B.4051, n°3414[17/11/1292]. Chaque marc étant compté pour 144 deniers d’Aix et le denier d’Aix étant sans doute à cette époque d’environ 1,32 g.(Suhle 1964, p. 144). Giovanno Roero, agissant en 1292, semble avoir plutôt été actif à Cologne où il est signalé au moins à partir de 1304 (Kusman 2008a, vol. 4, annexe II, p. 37). Également cités en 1292 sont Oberto ou Auberto Roero, cousin de Galvagno, travaillant à Cologne et Ruffineto Roero, ce dernier ne paraissant pas avoir débuté sa carrière à Aix (Reichert 2003, p. 21 et p. 374), sa présence à Cologne n’étant pas antérieure à 1333. 70 120 marcs de deniers d’Aix étaient à percevoir à Aix-la-Chapelle le 24/7/1292 et 30 marcs le 24/9/1292 (cette dernière rente annuelle correspondant à un revenu censé garantir aux marchands d’Aix la protection dusire de Fauquemont) et 50 marcs perceptibles le 30 novembre suivant à Ravensberg. Identification de Berghe avec Ravensberg( kr. Bielefeld, RB. Minden) dans Mummenhof 1937-1961, vol. 1, p. 410. Les Fauquemont disposaient de droits à Ravensberg par Jutta, épouse de Waleran II de Montjoie (Ibidem, p. 402). 71 L’emprunt de 1291, d’un montant de 300 marcs, était conçu comme une obligation fictive de la ville d’Aix-la-Chapelle envers le duc de Brabant, cachant en fait une assignation sur les revenus de Waleran. Celui-ci avait promis de se rendre dans une auberge colonaise ou d’y mandater quatre chevaliers à sa place en cas de défaut de payement. En 1292, les cautions et Waleran lui-même promirent d’aller en otage à Maastricht ou à y déléguer à leur place deux à trois chevaliers en cas de retard de payement. 72 A.G.R., C.C., C.R., Recette générale de Flandre, compte n°1, recettes et dépenses du receveur de Flandre, le Siennois Tommaso Fini, du 25 décembre 1308 à juin 1309, m. 21, nombreuses dépenses de messagers comtaux envoyés au sire de Fauquemont, au sire de Masmines et aux Lombards avec lesquels il se rend a Brouxiele pour faire lacort dou signeur de Faucomment. Le sire de Masmines est également envoyé trouver les gens du sire de Fauquemont à Bruxelles. La famille de Masmines était possessionée à Termonde, siège d’une table de prêt lombarde (Balthau 1997, pp. 173-193). L’objet exact des négociations reste inconnu. 73 S.M., S.R., SI, n°1 (compte de 1311-1312), f° 110v° : Item van Walravens lijftochte, sheren soens lijftochte van Valkenborch, van onser vrouwen daghe in halven oeste ende van onser vrouwen lichtmesse---50 s. gr. La dénomination de la rente viagère comme étant celle du fils de Waleran suggère que ce dernier fit acheter cette rente pour son fils lorsque celui-ci était encore mineur, coutume assez répandue dans les anciens Pays-Bas. En ce qui concerne les techniques bancaires en pratique à Malines, voir infra, dans cette 3e partie, le chapitre 3. 69

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

2. Le Brabant septentrional, un laboratoire d’application des techniques du crédit lombard A.

Le crédit à la noblesse du Brabant septentrional

Dès la fin du XIIIe siècle, les grandes familles terriennes du Brabant septentrional s’adressaient au comptoir de prêt d’une société astésane basée à Heusden. L’emploi de la monnaie de Louvain était un indice des accointances des prêteurs astésans du cru avec les sociétés de prêt piémontaises du Brabant74. Le rôle de Jean de Cuyck dans la promotion des intérêts du crédit lombard auprès de ces familles nord-brabançonnes m’apparaît sans équivoque ; d’abord en raison de la présence ancienne du seigneur gueldrois dans les murs de la ville de Bois-le-Duc : il y résidait ponctuellement au moins depuis 1286 quand le messager ducal l’y trouva75. Il y disposait d’une rente féodale offerte par le duc de Brabant76. Ensuite, il nourrissait des contacts suivis avec le personnel financier de la ville au titre d’intermédiaire pour des assignations de payement sur les revenus urbains ordonnées par le duc de Brabant77. Le soutien de Jean de Cuyck aux financiers astésans en Brabant septentrional sera en outre facilité par ses liens de parentèle et son anglophilie, partagée avec les grands lignages baronniaux, dont les seigneuries autonomes étaient enclavées en territoire hollandais : les Heusden et les Hornes. Marguerite, petite-fille de Jean de Cuyck, épousera ainsi le seigneur Jean IV de Heusden (1308-1316) en 130878. Pareillement, Guillaume de Hornes, un des fils de Guillaume II, sire de Hornes et d’Altena (†1300) avait épousé la sœur de Jean IV de Heusden, Sophie, en 1294, ce qui fera des Cuyck et des Hornes des parents élargis dans le premier quart du siècle suivant79. Cette solidarité familiale et lignagère devait promouvoir ultérieurement les intérêts des banquiers piémontais. Les seigneurs frontaliers du Brabant septentrional avaient d’abord mené une politique de balancier, dictée par la proximité de deux puissants princes territoriaux : au nord le comte de Hollande et au sud le duc de Brabant80. Cependant, une partie de l’aristocratie nord-brabançonne fit implicitement allégeance au duc de Brabant à la fin du XIIIe siècle. Le déclenchement des hostilités entre le roi de France Philippe le Bel et le roi d’Angleterre N.A., Graven van Holland, Leen en Registerkamer, n°2118, f°76r°, pièce n°14 [13/7/1293] : prêt de 445 lb. de Louvain. Parmi les débiteurs principaux, on trouve Hubert de Beusichem et Jean d’Arkel, deux représentants de l’aristocratie de l’évêché d’Utrecht et le seigneur Arnould de Giessen, un vassal du seigneur de Hornes, dans le pays d’Altena, en Brabant septentrional. Jean d’Arkel relevait Gorinchem en fief du comte de Hollande : Van Amstel 1999, p. 94 et p. 115 ; van Slichtenhorst 1654, VIe livre, p.  107 et Klaversma 1985, pp.  8-9. Gorinchem était située à vol d’oiseau à 28 km au nord-ouest de Heusden. Heusden et Gorinchem  sont actuellement situées dans la province de Hollande médidionale, Pays-Bas mais étaient disputées à cette époque par le duc de Brabant et le comte de Hollande Avonds et Brokken 1975. Je n’ai par contre pas réussi à identifier Hubert de Boenresloet, autre co-emprunteur des Lombards de Heusden en 1293. 75 A.G.R., C.C., C.R., n°2602, m.8. La fréquentation régulière de la ville par Jean de Cuyck s’observe aussi dans le fait qu’il fut appelé quelques années plus tard comme expert avec l’Anversois Gauthier Volkaert pour se prononcer sur les privilèges concédés par le duc Jean Ier à la ville de Bois-le-Duc (Camps 1979, vol. 1, n°459, pp. 562-563 [24/1/1291]). 76 Coldeweij 1981, p. 104.  77 Jean de Cuyck était coutumier des transactions financières avec la ville de Bois-le-Duc comme en 1307, quand il s’occupa d’assigner une portion de la taille levée sur la mairie de Bois-le-Duc à Poirino Roero, Lombard de la table de SaintTrond  (A.S.V., Coll. n° 433a, f°81r° [6/8/1307]) et en 1308 lorsque le receveur de Gueldre lui confia 100 lb. payables à l’écoutête de Bois-le-Duc : Coldeweij 1981, p. 104. et Nijhoff 1830, vol.1, n°90, p. 97[21/2/1308 n.s.]. 78 Coldeweij 1981, pp. 231-232, sub n°VIII-A. 79 Klaversma 1985, p. 8. Au sujet du concept de parenté élargie aux parents par alliances, tant par les femmes que par les hommes, définis en vieux-flamand par vrienden en magen, voir Croenen 2003, pp. 42-58. 80 Avonds et Brokken 1975, pp. 5-10. 74

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Édouard Ier clarifia les choix politiques de cette noblesse très autonome et contribua à la solidarité de ses membres. En effet, la maison de Heusden s’était rapprochée du duc de Brabant à la faveur de l’assassinat du comte de Hollande, Florent V, accusé de trahir les alliés du roi d’Angleterre en passant dans le camp français. Jean III de Heusden participa avec Jean de Cuyck au rapt du comte de Hollande en 1296 aux côtés du lignage noble des Amstel. Le premier avait trouvé refuge avec plusieurs complices en territoire brabançon, à Bois-le-Duc, vraisemblablement à l’invitation du duc de Brabant Jean II. Le suzerain de Jean de Heusden, le comte Thierry VIII de Clèves, était également soupçonné d’avoir prêté main-forte au rapt du comte de Hollande en le planifiant avec Jean II de Brabant. Thierry VIII avait de bonnes raisons pour cela car le comte de Hollande Florent V avait tenté d’obtenir la suzeraineté de la seigneurie de Heusden en 1290. Les comtes de Clèves, suzerains des domaines de Heusden et du pays d’Altena inféodés aux Hornes avaient formalisé leur alliance avec les Plantagenêts en 129681. Semblablement, Guillaume II, sire de Hornes et d’Altena (†1300) et ses quatre fils étaient suspectés d’être des complices objectifs des comploteurs de par leurs relations fréquentes avec ces derniers et leur lien familial avec les Heusden82. Bien que ni le seigneur de Heusden ni le seigneur de Hornes ne fussent, légalement parlant, des vassaux du duc de Brabant83 et encore moins ses conseillers, en collaborant au coup d’état hollandais, ils entraient de fait dans une relation de clientèle et de réciprocité de services avec ce dernier. La participation des deux barons à des actes politiques importants dans la vie du duché est ainsi attestée dans les années suivantes ; elle culminera en 1312 quand Gérard de Hornes et Jean IV de Heusden scelleront la charte de Kortenberg (1312), instituant un Conseil chargé de veiller au respect des privilèges du Prince et de ses sujets, où siégeaient quatre membres permanents de la noblesse et dix représentants des villes84. Avonds et Brokken 1975, pp. 23-24. Le sire de Hornes se porta caution de Gisbert IV d’Amstel, Herman de Woerden et Jean de Cuyck dans plusieurs actes. Son fils, le chevalier Guillaume, avait épousé en 1294, Sophie, fille de Jean III de Heusden, dont le nom figurait parmi les « meurtriers et traîtres » du comte Florent V de Hollande. La même année, Gérard, autre fils du sire de Hornes avait passé des conventions de mariage avec Jeanne de Louvain, petite-fille du duc de Brabant Henri II : Klaversma 1985, p. 7 et pp. 11-13 ; Knetsch 1917, p. 35, n°XIV, 11. Voir aussi Avonds et Brokken 1975, p. 25 avec le tableau généalogique annexé. Le comte de Hollande Jean d’Avesnes reprocha au duc de Brabant d’abriter les meurtriers de son père à Bois-le-Duc. Le duc de Brabant s’en remit à l’avis de son beau-père, le roi d’Angleterre Édouard Ier : voir l’acte ducal [après le 18/10/1297] éd. dans Van Amstel 1999, annexe 2-3, p. 218. 83 Galesloot 1865, p.  275, n. 5 apporte une série de preuves à l’appui pour la vassalité de Guillaume de Hornes en Brabant septentrional dans le dernier tiers du XIIIe siècle  : il s’agit cependant de copies parfois peu fiables de la main de l’érudit Butkens. La plus tangible est celle d’un fief de bourse assigné à partir de 1272 sur les revenus de la ville de Bois-le-Duc (Camps 1979, vol. 1, n°333, p.  422 [2/2/1272]). Les autres fiefs cités, Leende, Loon-op-Zand et Minen, situés dans la mairie de Bois-le-Duc sont relevés du duc de Brabant par le petit-fils de Guillaume, Guillaume IV, vers 1330. Pour Jean III de Heusden, Avonds et Brokken 1975, p. 26, relèvent un exemple isolé où ce dernier se reconnaît vassal de Jean II de Brabant en ce qui concerne l’usufruit de la terre de Heze, transmis à son épouse, Ermengarde, en 1304. 84 Jean III de Heusden (†1308) fut témoin du traité entre Jean II de Brabant et Jean Berthout au sujet du partage de leurs droits respectifs sur Malines (Verkooren 1910, n°186, p. 136 [12/11/1301]). Puis, ce furent les représentants de la seconde génération, Jean IV de Heusden et Gérard de Hornes qui se manifestèrent dans les grands événements de la vie politique du duché, parmi d’autres garants nobles brabançons et étrangers. Le premier, Gérard de Hornes figura comme témoin aux côtés de Roger de Leefdael, conseiller ducal prééminent, pour une charte ducale relative aux coutumes s’apppliquant en Brabant pour la nomination de tuteurs et leur caution (Nijhoff 1830, n°118, p. 121 [12/11/1310]). La charte de Kortenberg (1312) voit les sires de Hornes et de Heusden apparaître aux côtés des conseillers et vassaux ducaux : Verkooren 1961-1962, vol. 1, pp. 235-236 [27/9/1312]. Le conseil de Kortenberg avait notamment compétence en matière de contrôle de la perception des aides au Prince, de l’exercice de la justice par les officiers ducaux et des privilèges des Brabançons. Son activité concrète ne débuta qu’à partir de 1332. Cf. Van der Straeten 1952 et Avonds 1991, pp. 234-239. Gérard de Hornes et Jean de Heusden se portèrent finalement plèges du mariage en 1311 de Sophie, fille de Florent Berthout, seigneur de Malines et conseiller ducal avec le futur comte de Gueldre, Renaud II (Verkooren 1910, n°231, p. 171 [10/1/1311]). 81 82

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

La conjoncture économique entrait finalement en ligne de compte. À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, le Brabant septentrional connaît une vague de défrichement sans précédent, marquant le démarrage de son économie proto-industrielle, basée sur l’exploitation de la tourbe – utilisée comme combustible – et le travail de la laine85. Il n’y avait par conséquent nul hasard dans le développement contemporain simultané du commerce de l’argent piémontais dans les deux domaines seigneuriaux indépendants du Brabant septentrional relevant des seigneurs de Heusden et de Hornes. L’organisation des banquiers était assez élaborée, reposant sur la participation d’au moins quatre sociétés de prêt distinctes, y compris au niveau du crédit délivré aux strates modestes et moyennes de l’aristocratie. Pour ces deux groupes sociaux, on peut brosser à grands traits les mécanismes de prêt sur la base des reconnaissances de dette qui en ont été conservées86. C’est dans le dominium des seigneurs de Hornes et d’Altena que, au cours des années 1309-1317, les frères Giovanni et Simone de Mirabello, ainsi qu’un cousin éloigné, Enrico, ancrèrent la majeure partie de leurs activités lucratives, plus précisément dans les bourgades de Wessem et de Woudrichem87. Pareillement, Benedetto Roero et son frère Giovanni dirigeaient deux tables de prêt avec la licence des seigneurs de Hornes dans leurs possessions de Weert et de Wessem jusqu’en 1322, date de la liquidation de leur société de prêt et du solde de leurs créances88. Les Mirabello et les Roero s’associaient pour leurs opérations à la table de prêt de Heusden, placée en ces années sous la direction de Gandolfo Vacca, présent dans la seigneurie de Jean IV de Heusden depuis 131289. Une quatrième société paraît avoir collaboré à ces activités bancaires, celle des Lombards de Bois-le-Duc. Citée depuis 1309, son fonctionnement, mieux documenté que les autres sociétés de prêt, semblait assez hiérarchisé. Un neveu de Giovanni de Mirabello, Colino ou Nicolo pourrait y avoir eu la haute main90. Deux autres personnages œuvraient plus journellement derrière le comptoir de la table de Bois-le-Duc  : d’une part Bonifacio dit Fassijn, serviteur des Lombardorum sociorum de Bois-le-Duc, probablement un facteur, peut-être apparenté aux Mirabello et d’autre part, Gilles le Lombard, recevant des payements de bourgeois de Boisle-Duc, ad opus Lombardorum sociorum in Buschoducis, sans doute un gouverneur ou un maître de la table, résidant sur place toute l’année91. Sur cette modification drastique du paysage rural : Steurs 1993, p. 387. Camps 1979, vol. 2, n° 773, p. 926 et R.A.G., Chartes des Comtes de Flandre, Fonds Autrichien, actes de 1309 à 1317 et Kusman 1999b, pp. 850- 852, p. 904, p. 912 et pp. 917-919 et Kusman 2008a, vol. 2, fig. 12, n°s 1 à 8, pp. 275-276. Je corrigerai toutefois ces données lorsque des erreurs y étaient présentes. 87 Woudrichem était enclavée dans le comté de Hollande mais son droit était influencé par le droit de la ville de Boisle-Duc : Steurs 1993, p. 373. La bourgade, située dans le pays d’Altena, était sous la domination locale des seigneurs de Hornes qui leur concédaient de la part du comte de Hollande des privilèges au moins depuis le dernier quart du XIIIe siècle : Korteweg 1948, pp. 64-65. Au sujet de Wessem et de Weert, voir infra dans ce chapitre, p. 197, n. 115. 88 A.S.V., Coll. 433a, f°20r°-22r° : quorundam bonorum temporalium ad ipsum Benedictum et Johannem eius fratrem olim pertinentium in villis de Wessem et de Wert, sub dominio domini de Horne consistentium ; Reichert 2003, p. 328. L’essentiel de ce qui va suivre s’appuye sur : Kusman 1999b, pp. 850- 852, p. 904, p. 912 et pp. 917-919 et sur Kusman 2008a, vol. 2, fig. 12, pp. 275-276). 89 N.A., Graven van Holland, Leen en Registerkamer, n° 2118, f°80r°[14/1/1312]. 90 Chef de la maison des Lombards, Colino [diminutif de Nicolo ?], était un parent de Giovanni de Mirabello, cité en 1309, lors de la convocation des Lombards par le roi des Romains, Henri VII : Dillo et Van Synghel 2000, vol. 2, §18, p. 1286, [29/11/1309-16/12/1309]. Colino fut qualifié de neveu de Giovanni 1316 (S.M., S.R., S.I, n°3, compte de 13151316, f° 42 r°). 91 Erens 1950, n°524, p. 368 [22/3/1317] et les n°s 413, 446, 454, 463, 467 et 483, de 1309 à 1315. Sur la hiérarchie interne des maisons des Lombards : Bordone 1994, pp. 11-12. 85 86

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La clientèle des Piémontais était surtout composée de familles de la petite-noblesse du Brabant septentrional, possédant des terres en fief ou en censive, dépendantes du seigneur local, Gérard de Hornes et d’Altena : ces familles avaient pour nom les Uitwijk, les de Aule et les de Campo. Beaucoup d’entre elles se distinguaient par des liens de sujétion multiple : ces hobereaux étaient parfois vassaux du comte de Hollande92. Il s’agissait aussi de serviteurs proches de Gérard de Hornes, appartenant à sa maison tel un Thierry de Aule qui en était le familier93. Quelques-uns de ces personnages avaient également appartenu à l’entourage du comte de Gueldre Renaud Ier et, à ce titre, cautionné ses emprunts au prêteur installé à Bois-le-Duc, Tadeo Cavazzone  : il faut mentionner sous cet aspect les lignages sous obédience gueldroise, Vandrijc et Hack de Tule, appartenant à l’hôtel comtal à la fin du XIIIe siècle94. La présence de débiteurs originaires de Gueldre était liée à l’activité des Mirabello et des Roero dans les bourgs de Weert et de Wessem, relevant du pays de Hornes, enclavé dans les limites du comté de Gueldre95. D’autres de ces débiteurs, enfin, cédèrent une partie de leurs droits seigneuriaux aux Hornes comme les Herlaar, notamment propriétaires de terres à Bladel, dans l’hinterland de Bois-le-Duc96. Pour les huit emprunts contractés jusqu’en 1317, les sommes étaient libellées en monnaie légère, à savoir en livres de noirs tournois soumise à dévaluation, 16 d. n.t. étant alors comptés pour 1 vieux gros tour. du roi de France. Le vieux gros utilisé comme monnaie de compte par les Piémontais était sans doute la version brabançonne du vieux gros du roi de France97 . Le montant moyen de ces prêts, intérêts compris, était de 429 lb. n. t. . Interrogeons-nous sur la représentativité statistique de ces pièces. Ces contrats d’emprunts ne figurent qu’un petit échantillon d’actes de crédit, la reconnaissance de dette étant généralement détruite après acquittement98  ; sept emprunts ont un montant spécifié. Sur ces sept emprunts, seuls deux sont supérieurs à 1 000 lb. n.t., ce qui contribue à tirer vers le

Les de Campo ou uten Campe sont des propriétaires fonciers situés dans la circonscription de Woudrichem : un Willem uten Campe, fils de Tielman est cité en 1358 : Korteweg 1948, n°116, p. 97 [8/5/1358]. Henri d’Emmichoven, caution de Thierry de Aule en 1315 (Kusman 1999b, p. 919 [sub 17/6/1315]) est un vassal de Gérard de Hornes (Korteweg 1948, n°47, pp. 38-39 [12/3/1311]). Arnould d’Uitwijk, emprunteur en 1309 de 300 lb. n.t. à la table de prêt de Wessem (Kusman 1999b, p. 917 [sub 6/7/1309]), est vassal du comte de Hollande pour ses biens d’Uitwijk, mais il est également seigneur de Waardhuizen ou Werthusen, relevé en fief de Gérard de Hornes : Korteweg 1948, n°24, p. 11 [ca. 1280], n°47-51, pp. 38-43 et n°60, pp. 49-50 [19/3/1317]. Fastré de Giessen dont un aïeul, Arnould, avait figuré parmi les premiers clients des Lombards de Heusden en 1293 est aussi garant de Thierry de Aule en 1315. La suzeraineté du domaine foncier des Giessen est contesté en 1307-1308 par le seigneur de Hornes et le comte de Hollande, l’escalade militaire qui en découle est suspendue par un jugement arbitral favorable aux Hornes. Les Giessen tenaient leur bien pour un alleu : Klaversma 1985, pp. 28-29. 93 Korteweg 1948, n°47, pp. 38-39 [12/3/1311], il n’en est pas moins aussi son homme de fief. 94 Un Alard de Vandrijc figurait dans les cautions de Renaud Ier de Gueldre en 1282 ainsi que Pierre de Tule, Giselbert, son frère, dit Hacke et Rodolphe, dit Hacke, rattachés au lignage Hack de Tule : R.A.G., Chartes de Flandre, Fonds Gaillard, n°765 [5/4/1282]. 95 Janssen 2003, p.85 et Kaart 1, p. 468. 96 Emprunt de Gérard de Loon, sire de Herlaar par son épouse, Aleyde, au montant non-spécifié, signalé dans Camps 1979, vol. 2, n°773, p. 926 [3/2/1309]. Sur les possession des Herlaar : Steurs 1993, pp. 146-147 et pp. 226-227. Le sire de Herlaar possédait des terres arables à Bladel, au sud-ouest de Bois-le-Duc. Herlaar : commune de Sint-Michiels Gestel, arr. de Bois-le-Duc, province de Noord-Brabant. Sur l’histoire de cette famille et la vente de leurs biens aux Hornes en 1315 : Kuys 1980, pp. 382-383 et p. 389 ; Klaversma 1985, p. 34. 97 Peeters 1980, p. 118. 98 Ces reconnaissances de dette furent déposées par Giovanni de Mirabello selon toute vraisemblance sur le change de la ville de Gand. Elles appartenaient aux archives de la ville de Gand confisquées par Charles Quint en 1540 et renvoyées vers la Belgique sous le nom de « Fonds autrichien » dans la collections des Chartes de Flandre mais dans le mauvais dépôt( celui des Archives de l’État à Gand), cf. Aerts 1996, pp. 440-442. 92

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

haut le volume moyen de ce crédit99. La valeur médiane de ces montants nous ramène à un montant plus réaliste de 120 lb. n.t. . Il ne s’agit donc nullement de haute finance mais plutôt d’un crédit d’investissement à long terme, remboursable le plus souvent en quatre ou six échéances annuelles. L’usage de taux d’intérêt préférentiels avec cette clientèle semble avoir été la règle plutôt que l’exception. L’emploi ponctuel par les emprunteurs Guillaume de Nieuwland et Arnould de Uitwijk de qualificatifs de dilection à l’égard des Lombards, dilecti nostri, pourrait bien être un signe de la bonne entente créée entre créanciers et débiteurs : dans ces deux cas, les taux perçus n’auraient été respectivement que de 5 et de 12,5%100. La prise de gages mobiliers et immobiliers du débiteur principal était généralement la règle. Le loyer de l’argent était tendanciellement bas, oscillant vraisemblablement entre un taux plancher de 5% et un maximum de 15% avec une exception d’un taux de 49% pour un parent de la famille des seigneurs de Heusden101. En revanche, les taux d’intérêt moratoire étaient très élevés, allant de 76% à 152% l’an102. Le niveau apparemment modeste des taux d’intérêt de base conforte en tout cas l’idée d’un investissement réfléchi dans les infrastructures domaniales grâce aux capitaux des banques lombardes, pour les lignages de hobereaux installés autour de Bois-le-Duc. De par leur situation géographique dans les pays de Heusden et d’Altena, ces détenteurs de terre tissaient certainement des relations intenses avec Bois-le-Duc ne fût-ce que pour la valorisation de leurs surplus agricoles dont la ville, en forte croissance, était demandeuse. Les fonds qu’ils recevaient en argent comptant et rapidement, même s’il s’agissait de « noirs deniers » répondaient à une demande réelle de leur part, cette monnaie étant plus adaptée aux échanges des campagnes que les monnaies plus lourdes en métal du type gros ou esterlin103. Si derrière l’expression des emprunteurs, in usus nostros conversis, il paraît difficile de connaître la destination exacte de ce crédit, on peut cependant supposer qu’il était destiné à l’entretien de leur patrimoine foncier, compte tenu de la hausse des rendements des terres sablonneuses du Brabant septentrional à cette époque (élevage, céréaliculture avec le seigle notamment)104. L’interdépendance de cette petite aristocratie terrienne avec la Emprunt du 11/2/1315 (et non le 11/2/1316 comme erronément indiqué dans Kusman 1999b, p. 920) de Guillaume de Campo aux frères Giovanni et Simone de Mirabello (1 150 lb. n.t.) et de Thierry de Aule le 17/6/1315 (1 200 lb. n.t.). 100 Kusman 1999b, p. 919, actes des 7/5/1309 (Guillaume de Nieuwland) et 6/7/1309 (Arnould de Uitwijk). Si, pour le premier emprunt reconnaissant une somme de 120 lb., on comptabilise 20 lb. d’intérêt compris dans la somme totale et que cette somme est remboursable en 4 termes de 30 lb. chacun, il devient concevable que l’intérêt ne soit que de 5% (25 lb. + 5 lb. d’intérêt annuel). L’emprunt d’Arnould de Uitwijk reconnaît une somme de 300 lb. payable en 4 termes de 75 lb. Il est probable que ces termes annuels comprenaient une somme de 50 lb. + 25 lb. d’intérêt annuel, soit 12,5% d’intérêt sur une somme principale de 200 lb. Exemple similaire pour un emprunt de 64 lb. n.t. contracté par Arnould Hack de Vandrijck le 5/11/1310, remboursable en 4 tranches de 16 lb. ; les 6 lb. représentaient sûrement un intérêt annuel de 15%. L’idée des prêteurs était, dans la mesure du possible, d’arriver toujours à une somme ronde pour le montant écrit de la reconnaissance de dette afin d’éviter tout soupçon d’usure. 101 Aucun taux de 20 % en tout cas comme indiqué dans Kusman 2008a, vol. 2, pp. 275-277. Sur l’emprunt avec un taux de 49 % (Kusman 1999b, p. 853, n. 59). 102 Kusman 2008a, vol. 2, pp. 275-277. 103 Celles-là étant réservées aux commerce international en particulier la draperie, comme on l’a vu dans le chapitre précédent. 104 Hoppenbrouwers 2004. Bois-le-Duc organise un important marché hebdomadaire au bétail dès le premier tiers du XIVe siècle : Kuijer 2000, p. 152. À la différence d’une clientèle paysanne, adepte d’un crédit de soudure à la fin de l’hiver ou au début du printemps remboursable au moment de la vente des récoltes, la date variable de conclusion des contrats d’emprunt (3 à la fin du printemps, 1 en été, 2 en automne et 1 en hiver) indique plutôt une stratégie d’investissements à long terme. En 1311, Arnould d’Uitwijk, qui avait emprunté 300 lb. n.t. à la table des Lombards de Wessem en 1309, transmet 26,5 journaux de terre, situés à Waardhuizen au chapitre Saint-Pierre d’Utrecht et les reprend en bail héréditaire, peut-être dans l’espoir de pouvoir commercialiser une partie de ses productions à Utrecht grâce aux chanoines (Korteweg 1948, n°48, pp. 39-40 [7/4/1311]). Le doyen et le chapitre peuvent disposer de cette terre comme ils l’entendent. 99

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ville est bien assurée aux moins pour deux débiteurs de la société des Mirabello, Guillaume de Nieuwland et Gislebert Hack de Tule105. Pierre Hack de Tule, un frère de Gislebert, s’était endetté avec Guillaume de Nieuwland en 1312, auprès du chapelain de l’autel du Saint-Esprit de Bois-le-Duc. Co-débiteurs, ils durent rembourser leur créancier en lui assignant une rente annuelle de 9 lb. sur leurs biens immobiliers situés dans la ville, pas loin du marché aux poissons pour Hack de Tule et en dehors de la ville pour Nieuwland. Hack de Tule appartenait à une famille de ministériaux gueldrois, dont plusieurs membres avaient naguère été cautions du comte Renaud Ier de Gueldre en s’engageant à se rendre dans une des auberges de la ville106. Les Nieuwland, quant à eux résidaient dans une mansio, sans doute une demeure rurale de belle allure, jouxtant le polder den Eigen, vital pour l’irrigation et la protection des cultures de l’hinterland de Bois-le-Duc ; ils y possédaient des terres où la culture du seigle était pratiquée107. Cette osmose entre la noblesse et la ville de Bois-leDuc s’étendait aux garants allant séjourner à l’auberge de la ville108. On peut donc soutenir que les rapports de crédit stimulaient les échanges culturels et sociaux entre une frange de la petite-noblesse terrienne et la société urbaine nord-brabançonne. La structure des casane des Mirabello et des Roero reposait sur un réseau d’auberges proches de la frontière septentrionale du Brabant, dans lesquelles résidaient en permanence des représentants locaux des Lombards : à Wessem, Woudrichem et Bois-le-Duc. Ces auberges faisaient pendant au réseau des auberges de Berardo et Giorgio Roero en pays lossain, à Maastricht et en Rhénanie (voir carte n° 5 des auberges respectives des sociétés de prêt Mirabello et Roero). Les séjours à l’auberge en cas de défaut de payement étaient majoritairement choisis dans les territoires des seigneurs exerçant la tutelle sur les sociétés de prêt piémontaises : à Wessem, dans le pays de Hornes dans un seul cas, et à Woudrichem dans le pays d’Altena, dans cinq cas (avec dans un contrat de prêt la possibilité de loger à Bois-le-Duc au lieu de Woudrichem). La ville de Bois-le-Duc accueillait, quant à elle, deux séjours pour dettes. Le rôle central de la bourgade de Woudrichem éclaire l’implication des seigneurs de Hornes dans le commerce de l’argent piémontais, fondée sur une symbiose entre les activités usuraires des « Lombards » et la politique d’acquisitions foncières de Gérard de 105 Kusman 1999b, p. 917 [sub 7/5/1309] et p. 918 [sub 29/11/1312]. 106 En 1312, Pierre, fils de Hack de Tule, possédait avec Guillaume de Nieuwland une partie d’un héritage situé dans une rue

de la ville menant au marché aux poissons. Il avait acquis cet héritage par jugement judiciaire et vendit une rente héréditaire de 9 lb. assignée sur celui-ci au chapelain de l’autel du Saint-Esprit dans l’église Saint-Jean de Bois-le-Duc (Camps 1979, vol. 2, n°871, pp. 1063-1064 [15/4/1312]). À Bois-le-Duc, la table du Saint-Esprit jouait sans doute le rôle de banque de dépôt en gérant la distribution de donations des riches bourgeois de la ville comme en 1293 (Van Synghel 1998, n°3, pp. 405-410 [14-20/9/1293]). Les deux caisses, celle du Saint-Esprit et celle du change urbain fonctionnaient sans doute comme des vases communicants. L’absence d’unité de caisse où une administration unique représenterait la totalité des finances urbaines a été mise en évidence pour la ville de Bruxelles par Fujii 1993 (qui reprend et développpe certaines conclusions déjà formulées sur ce point par Claire Dickstein-Bernard). Tuil/Tule : province de Gueldre, commune de Haaften, Pays-Bas. 107 Camps 1979, vol. 2, n°784, pp.944-947[21/8/1309]  : acte ducal donnant un statut pour le polder et en fixant les limites, voir p. 945, l. 9-13 où il est fait état des demeures du chevalier Henri de Nieuwland et d’Anselme de Nieuwland, jouxtant un champ du polder. Le polder den Eigen était situé sur le territoire actuel des communes de Bois-le-Duc, Rosmalen et Nuland. Mention d’un bail d’un champ de seigle payable à Henri de Nieuwland : Camps 1979, vol. 2, n° 859, pp. 10481049 [22/11/1311]. Les Nieuwland, Jean et Guillaume, sont également débiteurs à la même époque du bourgeois de Boisle-Duc Jean Dicbier le vieux et lui assignent des rentes héréditaires sur leurs biens à Geffen, Nuland et Wilshuizen (Van Synghel 1998, n°12, pp. 421-422 [2/12/1311]). 108 À l’instar des Hack de Tule, anciens garants du comte de Gueldre en 1282, Fastré de Giessen, du pays d’Altena, est caution de Thierry de Aule en 1315 (Kusman 1999b, p. 919 [sub 17/6/1315]) alors qu’un de ses aïeux avait obtenu du duc de Brabant une rente féodale de 30 lb. de Louvain encaissable sur les recettes ducales à Bois-le-Duc (Camps 1979, vol. 1, n°421, pp. 525-526 [5/10/1286]).

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Hornes. Trois des sept obligations financières sont en effet authentifiées devant les échevins de Woudrichem en 1315-1317109. Les privilèges exacts des Lombards de Woudrichem nous sont malheureusement inconnus pour cette époque ; toutefois, une charte de la fin du XIVe siècle donne à penser qu’ils leur étaient particulièrement favorables, tant au point de vue de leur sécurité personnelle qu’au sujet de la force d’exécution de leurs titres de créances, authentifiés par le magistrat local110. La situation géographique propice de Woudrichem, située au confluent de la Meuse et du Waal, commandant à la fois l’accès commercial au comté de Hollande et au duché de Brabant, faisait du commerce de l’argent une entreprise indubitablement rémunératrice dans cette seigneurie indépendante. Woudrichem attirait même les marchands de Lübeck, étant en outre le siège d’un tonlieu impérial productif puisqu’en 1323 il fut engagé à Gérard de Hornes par le roi des Romains Louis de Bavière, à concurrence de 20 000 lb. p.t.111. Comme à Bois-le-Duc, l’aubergiste bénéficiait d’une excellente protection judiciaire en matière de créances. L’échevinat de la ville, ardent promoteur de la coutume de la garnison en auberges, imposait son application dans les chartes comportant une obligation financière112. Le seigneur de Hornes quant à lui, veillait à assurer la validité juridique des lettres échevinales de Woudrichem afin qu’elles aient force exécutoire au-delà des murs de la ville, à l’exemple des villes brabançonnes113. Sa collaboration avec la table locale de prêt transparaît d’un verdict de justice qu’il rendit en 1313 après que deux clans opposés aient combattu dans la bourgade. Les fauteurs de troubles devaient payer la pénalité financière décidée par Gérard de Hornes, d’un montant de 250 lb.n.t. (1 g.t. pour 16 d.n.t.). En cas de défaut de payement le seigneur emprunterait la somme aux Lombards te coste winnen ter Lombaerde, dat pond omme viere penninghe de weke, tot ons selves seggens. Autrement dit, le taux d’intérêt moratoire lombard était publiquement reconnu, de manière similaire à la ville de Cologne où l’usure lombarde était publiquement admise. Ce taux moratoire correspondait à du 86,6% sur une base annuelle ! Les parties en faute devaient rembourser Gérard de Hornes du principal et des intérêts. Après un nouveau retard, les débiteurs étaient tenus de séjourner à Woudrichem, à la semonce du sire de Hornes ou de son messager, dans une auberge qu’il leur indiquerait jusqu’à satisfaction de la 109 Kusman 1999b, pp. 919-921. 110 Les clauses étaient particulièrement avantageuses par rapport aux octrois les plus répandus. Les Lombards étaient

protégés par le seigneur d’Altena contre toute tentative d’arrestation ou de saisie des biens de quelque pouvoir qu’elle émane, temporel ou spirituel(art. 14). Leurs débiteurs seraient, en cas de défaut de payement, incarcérés dans la tour-prison de la ville à leurs frais jusqu’au remboursement de la dette (art. 17). Les Lombards ne pourront souffrir d’aucun dommage causé par leur méconnaissance de la langue du pays, ils ne prêteront serment que dans leur langue (art. 19). Si les responsables de la table jugeaient que l’argent qu’ils avaient reçu était faux ou de mauvais aloi, ils pouvaient le refuser sur une simple parole et seraient crus sans autre formalité(art. 24). Les Lombards pouvaient porter jour et nuit leurs armes dans la ville sans être inquiétés (art. 30). La saisie de seigneuries pour dettes impayées et leur occupation primait sur le respect du droit féodal, quelque soit le rang du seigneur, jusqu’à l’acquittement de la somme due (Korteweg 1948, n°180, pp.160-169 [29/9/1388]). 111 Korteweg 1948, n°69, p. 55 [décembre 1323] ; Klaversma 1985, p. 47 et n. 245. 112 L’aubergiste était cru sur parole par la justice aux dépens du client en cas de contestation sur une dette : Hermesdorf 1957, p. 42 et p. 62. Les clients pouvaient quitter l’auberge sans payer et bénéficier d’un délai (ici jusqu’au lendemain midi) mais au-delà, ils s’exposaient à la saisie de leurs biens et à payer 3 s. au juge et 2 s. à l’aubergiste, charte de privilèges éd. dans Korteweg 1948, n°109, p. 87, art. 37 [17/9/1356] et Ibidem, n°70, pp. 56-58 [11/10/1324] : Englebert d’Andel prend à ferme les grandes et petites dîmes de Giessen, du chapitre de Oudmunster. Cinq personnes se portent caution de son engagement de 130 lb. n.t. En cas de défaut de payement le débiteur principal et ses cautions s’engagent à venir en leistinge — c’est-à-dire en garnison— dans une auberge de Woudrichem désignée par le chapitre ou son messager. 113 En 1329/1330, Guillaume IV de Hornes passe un accord spécial avec Jean d’Arkel où les deux seigneurs convienent que les lettres échevinales de leurs seigneuries respectives, Woudrichem et Gorinchem auront force de loi dans leurs deux villes : Korteweg 1948, n°82, p. 63 [2/11/1329/1330].

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somme due. L’obligation pour les coupables de présenter des garants de leur payement était prévue par la charte. La similitude de ces prescriptions avec les conditions draconiennes des contrats de prêt des Lombards est frappante et conduit à parler de syncrétisme en matière de techniques financières dans le chef de Gérard de Hornes. Il y avait certainement, en l’espèce, partage d’informations entre les banquiers d’Asti et le seigneur local114. J’irais jusqu’à dire qu’une forme de culture du crédit se diffusait au bénéfice du seigneur de Hornes. Cette culture du crédit se distinguait nettement à Weert, siège de la maison des Lombards exploitée par la famille de Benedetto Roero. Dès 1300 au moins, Guillaume II de Hornes, père de Gérard, percevait des profits sur les opérations usuraires. Ceci ressort de ses dernières volontés rédigées, aspect révélateur, dans sa demeure de Weert ; ceux qui avaient souffert de ses extorsions de fonds devaient être entièrement dédommagés par une donation financière dont 20 lb. n.t. devaient être employées annuellement à l’entretien d’un d’autel dans le monastère tout proche de Keyserbosch. La spécification dans le testament de Guillaume de Hornes de sa domus à Weert suggère que le seigneur de Hornes laissait sa demeure à la disposition des financiers piémontais en son absence, comme on l’a déjà observé pour plusieurs nobles flamands dont la dame de Liedekerke à la fin du XIIIe siècle. Généralement bien fournies, ces demeures pouvaient le cas échéant servir d’auberges115. En s’appuyant sur un réseau de tables de prêt lombardes couvrant à la fois la Gueldre et le Brabant septentrional, avec les tables de Weert, Wessem et Woudrichem, les Hornes disposaient d’un outil efficace pour s’implanter dans des territoires éloignés de leur domaine originel, le pays de Hornes, fief du Saint-Empire, enclavé en terre gueldroise. On sait que leur politique matrimoniale avait obéi à une préoccupation similaire116. Indice significatif de l’intensification des contacts entre les Hornes et les manieurs d’argent piémontais, dès l’entame du XIVe siècle, les Hornes tentèrent, sans succès, d’introduire les monnaies payment courantes, donc soumises à dévaluation dans leurs transactions avec le chapitre Saint-Sauveur d’Utrecht117. La formation d’une culture du crédit dans l’environnement seigneurial des seigneurs de Hornes s’observe en outre dans un autre domaine, celui de l’application du droit savant dans les pratiques commerciales. Il s’agit des renonciations aux exceptions de droit romain. Le créancier qui maîtrisait l’emploi des renonciations aux exceptions de droit romain avait un avantage qualitatif sur son débiteur : il pouvait l’empêcher de recourir à 114 Korteweg 1948, n°52, pp. 43-45 [25/7/1313]. 115 Klaversma 1985, pp.  14-15. Guillaume II de Hornes fut enterré dans le cloître de Keyserbosch (actuellement

commune de Weert, province du Limbourg néerlandais). Sur l’interdépendance entre la location aux Lombards d’une demeure seigneuriale et la participation du seigneur local à leurs profits, voir supra, 1ère partie, chapitre 2, p. 99. L’auberge de Wessem, relevant pareillement des biens patrimonieux des Hornes, citée en 1309 dans les titres de créance des Mirabello, était probablement identique avec la table de prêt des Lombards, vu la taille réduite de la localité. À titre comparatif, une analyse du mobilier de la casane des Lombards de Sembrancher, en Valais savoyard, montre qu’elle servait aussi d’auberge pour les marchands de passage, du fait de la présence de nombreux lits, d’une écurie, de tonneaux de vin en quantité et d’un grenier abritant le froment : Morenzoni 1993, pp. 5-6. 116 Steurs 1993, p. 378, rappelle bien à propos que la famille des Hornes, n’était pas comme les Herlaar ou les Tilbourg, une famille de très vieille souche brabançonne et utilisa, à partir du XIIIe siècle, les successions et la politique matrimoniale pour s’implanter dans ces territoires où ils pouvaient être considérés comme des étrangers. 117 Korteweg 1948, n°32, pp. 18-20 [28/1/1301] : le chapitre d’Oudemunster à Utrecht exigeait le payement des baux de ses biens situés dans le pays d’Altena en une legitimam, certam et legalem monetam Trajectensem ou sa contre-valeur en toute autre bonne monnaie équivalente il refusa les nouvelles monnaies, désireux d’être remboursé dans l’ancienne monnaie forte ayant cours à Utrecht. Par contre, feu Guillaume II de Hornes avait estimé pouvoir payer en monnaie courante : pro tempore usuale et non amplius solvere teneamur. Il est clair que c’est la monnaie de noirs tournois qui faisait l’objet des plaintes du chapitre.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

celles-ci pour éluder ses obligations. Citons par exemple l’exemption non numerata pecunia, autorisant l’emprunteur à contester le montant du remboursement sur le motif que le montant prêté n’avait pas été compté lors de la conclusion du contrat, ou encore, le privilegium crucis et fori, privilège de for ecclésiastique et d’immunité rendant nulle la poursuite des dettes car le magistrat séculier chargé de contraindre le débiteur à acquitter sa dette n’avait aucune compétence en raison de l’état de clerc du débiteur ou de sa résidence dans une immunité ecclésiastique118. En acceptant de renoncer à ces exceptions de droit romain couvrant presque tous les cas imaginables de contestations juridiques, le débiteur et ses garants anéantissaient leurs possibilités de recours devant un tribunal civil ou ecclésiastique. Ainsi, c’est indubitablement sous l’influence des banquiers piémontais que Gérard de Hornes utilisa presque exactement le même formulaire de renonciations aux exceptions de droit romain imposées à son suzerain, le comte de Clèves Thierry IX (1310-1347), après avoir repris à son nom, en 1314, une dette du comte de Clèves, d’un montant de 30 000 lb. n.t. envers la banque lombarde de Malines dirigée par Giovanni de Mirabello et Benedetto Roero. La reprise de dette de Gérard de Hornes s’accompagnait d’un transfert de connaissance dans le domaine du droit romain : 12 renonciations aux exceptions de droit romain sur 14 étaient identiques à celles déjà demandées au comte de Clèves par Mirabello et Roero119. Dans les anciens Pays-Bas, les années 1280 à 1315, sont certes marquées par une récupération du droit savant, du droit canon et du droit civil dans le but de légitimer le pouvoir princier mais, plus spécialement en Brabant, cette redécouverte du droit romain se manifeste sensiblement en matière de règlement des dettes120. La maîtrise des aspects juridiques du crédit avait naguère permis à Béatrice de Brabant, dame de Courtrai, de s’emparer des biens fonciers du châtelain de Courtrai par ailleurs endetté auprès des banquiers de la société de Giorgio Roero121. Pareillement, grâce à la connaissance des renonciations aux exceptions de droit romain, Gérard de Hornes pouvait exercer une domination symbolique forte sur son suzerain, le comte de Clèves, dont il cherchait à s’émanciper. En échange de sa caution effective, Gérard de Hornes exerça une tutelle sur les terres des comtes de Clèves, pour une durée de quatre ans et demie, en tant que régent de leurs domaines fonciers. Les biens des Clèves furent hypothéqués en garantie du payement de leur dette et notamment la seigneurie de Heusden122. Les avances de fonds de Gérard de Hornes lui permirent en outre de recevoir une assignation sur le fief de Kranenburg, relevant des Clèves et, notamment, de nommer les receveurs dans le pays de Clèves123. 118 Doehaerd 1941, vol. 1, pp. 53-57 ; Gilissen 1951, pp. 513-550 ; Vercauteren 1960 et Godding 1987, n° 732, pp. 417-418, n°733, pp. 418-419 et n°768, pp. 442-443. 119 Archives d’Arenberg à Enghien, Chartrier, n° 42 [31/10/1314] et n°45 [31/10/1314] et Kusman 2008a, vol. 2, pp.  288-296. Parmi les exceptions identiques, mentionnons les exceptions de dol, de défaut, de fraude, de lésion et de déception et de tromperie, citées précisément dans le même ordre dans les deux lettres obligatoires de reconnaissance de dette. 120 Vercauteren1960, pp.  331-332 et pp.  339-340, remarque qu’en Brabant, si les premières exceptions aux renonciations apparaissent en 1229-1230, un hiatus de trente ans existe avant leur réapparition. Aspect intéressant, le premier acte mentionnant leur réapparition est celui d’un créancier arrageois, prêtant une somme aux villes de Bruxelles et Louvain en 1260. Les chancelleries urbaines des deux villes émettant l’acte ont certainement inclus les renonciations à la demande du prêteur. L’influence des manieurs d’argent sur la diffusion de ces pratiques juridiques mérite par conséquent d’être soulignée pour le Brabant. 121 Cf. supra, 1ère partie, chap. 2, pp. 82-84. 122 Archives d’Arenberg à Enghien, Chartrier, n° 42 [31/10/1314] 123 Archives d’Arenberg à Enghien, Chartrier, n° 48 [7/8/1316]. Au terme de sa caution en 1314, Gérard de Hornes pouvait démettre et nommer les receveurs du pays de Clèves à sa discrétion. En 1315 et en 1316 deux receveurs se succèdent avec le titre de collector reddituum : Kastner 1972, pp. 169-170.

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Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) | Chapitre i

B.

Bois-le-Duc et le développement d’une « éthique du crédit lombard »

Face à Woudrichem, le rôle de la ville de Bois-le-Duc dans le crédit lombard à cette époque semblerait presque modeste. La bonne ville brabançonne n’intervenait que dans deux opérations de prêt à destination de hobereaux et de la moyenne-noblesse du Brabant septentrional. Pourtant, la ville de Bois-le-Duc mérite qu’on s’y intéresse pour deux raisons. Tout d’abord, la ville acquérait une réputation comme lieu de règlement pour la haute finance. En effet, l’emprunt du comte de Clèves impliquait lui aussi le séjour de plèges du prince territorial, or, ce séjour devait se faire à Bois-le-Duc à la sommation des créanciers, pour une durée ininterrompue de six semaines, aux frais du comte de Clèves, jusqu’à satisfaction de la somme due au terme échu. La hiérarchie des otages était précisément détaillée, à savoir, pour les évêques et barons garants, un chevalier ou des familiers honorables à cheval, pour les chevaliers, un écuyer ou un familier idoine, à cheval et pour les villes garantes, quatre bourgeois à cheval, idoines et honorables pour aller tenir garnison à Bois-le-Duc. L’obligation de déléguer des chevaliers ou des commensaux et des bourgeois à cheval montre tout le profit que les prêteurs et leurs associés attendaient d’un tel séjour à l’auberge124. La somme de 30 000 lb. empruntée par le comte de Clèves à Giovanni de Mirabello et Benedetto Roero représentait une somme très appréciable pour un prince territorial alors moins puissant que le duc de Brabant. Il est aisé de s’en convaincre en réalisant qu’elle était équivalente en Brabant à trois fois la part de Bruxelles et de Louvain dans l’aide ducale de 1331 ou à la quasi-totalité des recettes ordinaires du comte de Flandre Louis de Nevers à la même époque, lequel était sans aucun doute un des princes laïcs les plus riches de l’Europe du nord-ouest125. Ensuite, de manière similaire à Woudrichem, le crédit lombard jouissait d’une position sociale respectable à Bois-le-Duc. J’ai déjà fait allusion à l’existence d’une société de prêt très structurée où les Mirabello avaient la haute direction. Cette société prêtait aux élites politiques de la ville, avec la complicité de l’abbaye de Tongerlo dont l’avidité en dîmes céréalières était notoire en Brabant septentrional126. 124 Parmi les garants puissants du comte de Clèves, il faut citer en particulier l’évêque Jean de Munster, les comte Gérard de

Juliers et de Englebert de la Marck, ainsi que plusieurs seigneurs frontaliers de la Rhénanie et du Brabant comme le seigneur Renaud de Fauquemont (fils de Waleran), Godefroid, sire de Heinsberg et de Blankenberg, Gérard, sire de Hornes, d’Altena et de Perwez, Pierre, seigneur de la Leck, Arnould, sire de Wezemaal, Gérard de Wezemaal, Othon de Cuyck (fils de Jean de Cuyck), Guillaume de Bronckhorst, sire de Batenburg, Alard de Driel, et les villes et bourgades du comté de Clèves : Wesel, Kalkar, Clèves, Huissen, Kranenburg, Woudrichem, Wessem et Weert. 125 Dickstein-Bernard 1977, p. 389 : en 1331, les bonnes villes de Brabant participent au mariage de Jeanne, fille de Jean III de Brabant avec Guillaume de Hainaut. Leur part s’élève à 15 000 lb. de n.t. La ville de Bruxelles verse 5 000 lb., comme Louvain. En 1331, le revenu annuel ordinaire du comte de Flandre s’élevait à 26 000 lb. par. soit 32 500 lb. tournois : Vandermaesen 1999, pp. 279-306, p. 289. Pour la prépondérance du Brabant, considéré comme un puissant voisin dès le règne du comte Othon de Clèves (1305-1310) : Kastner 1972, p. 105. 126 Erens 1948-1952, t. 2 , n°413, p. 191 [21/5/1309], n°446, p. 243 [mai 1312], n° 454, p. 254 [25/8/1313], n°463, pp. 262-263 [27/7/1314], n°467, pp. 268-269 [vers 1314] et n°483, pp. 304-305 [1315] pour un total de 1 495 lb. n. t. empruntées. Voir également le règlement final de cette transaction débouchant sur le transfert à l’abbaye de Tongerloo par les débiteurs des Lombards de la dîme et du patronat de Mierlo sub n°524, pp. 367-371 [22/3/1317]. L’association lucrative entre l’abbaye de Tongerloo et les Mirabello dans le domaine des dîmes est en outre éclairée par une liste ultérieure de titres de créances en possession d’Isabelle de Lierde, veuve de Simone de Mirabello, fils bâtard de Giovanni, vers 1355. La dîme de Westerlo paraît avoir fait l’objet d’un accord entre Simone et l’abbaye : Item eene lettre van den acorde van der tienden van Westerle tusscen den abt van Tongherloe ende minen here ende mire vrouwen (RA.G., Chartes des comtes de Flandre, Fonds autrichien, dans une layette contenant des pièces de 1284 à 1485). Un indice de la convoitise aigüe suscitée par les dîmes acquises par l’abbaye est fourni par le conflit entre l’abbé de Tongerloo et le seigneur Guillaume Ier de Wezemaal pour la possession des dîmes de Westerlo et Olen qui se solda en 1333 par le meutre de l’abbé, attribué à Guillaume (van Ermen 1984, pp. 119-142, p. 123).

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Surtout, la reconnaissance publique d’un intérêt à percevoir par les Lombards sous la formule ad custum Lombardorum était décisive pour l’efflorescence des opérations de crédit des Lombards de Bois-le-Duc. Elle signifiait que la coutume de percevoir des intérêts en cas de retard de payement était politiquement tolérée. Entre 1309 et 1317, des intérêts compensatoires, entendus comme frais coutumiers, furent sans nul doute prélevés, en l’absence du remboursement du capital, sous le terme de custus lombardorum. Mentionnés uniquement dans les clauses relatives aux retards de payement, ces frais ne pouvaient être tenus comme usuraires, conformément à la législation canonique en la matière. Il faut d’ailleurs rappeler qu’à Cologne, à la même époque, un bénéficiaire de rentes constituées mises en gage auprès de ses créanciers avait la possibilité de les racheter à ces derniers, moyennant la perception préalable d’un « taux d’intérêt lombard » légal perçu durant la mise en gage,  probablement supérieur à 50%, désigné par la formule ad usuras Judeorum vel Cauwercinorum127. À Bois-le-Duc, l’emplacement stratégique de la domus Lombardorum, sur le marché de la ville, à proximité du couvent des Frères Mineurs, justifiait sans nul doute que les prêteurs astésans respectassent les formes usitées quant aux contrats de prêt à finalité non-usuraire. L’influence doctrinale des franciscains sur les transactions commerciales se remarquait en outre au sein de la gilde des marchands de draps, placée sous la titulature de Saint-François. La halle aux draps avoisinait le cimetière des frères mineurs128. Enfin, et c’est assez exceptionnel pour être souligné, le gardien des frères mineurs remplissait peutêtre une fonction d’authentification de certains actes touchant à la Ville au tournant du XIIIe siècle129. Du point de vue théologique, les Astésans ne craignaient pas trop les foudres de la justice ecclésiastique, leurs avances d’argent pouvant être assimilées à des prêts gratuits selon la doctrine des théologiens les plus progressistes. Dès la fin du XIIIe siècle, quelques penseurs mendiants, essentiellement issus des rangs des franciscains comme Jean Dun Scot (ca. 1265-1308), Astesano d’Asti (v.1280-ca.1330) et Gérard Odonis (ca. 1290-1348) admirent des exceptions à la violation du principe d’égalité dans une transaction commerciale, si un dommage était causé au créancier dans un prêt tenu pour gracieux130. Désignés comme mutua, les prêts des Mirabello et de leurs associés de Bois-le-Duc ne contenaient aucune trace explicite d’usure, le terme usura étant totalement absent des contrats de prêt. Dès lors, le prélèvement d’intérêts de retard correspondait à une pénalité légitime en dédommagement du risque couru par le capital des prêteurs dans le laps de temps où celui-ci était avancé au débiteur. 127 Cette mention ad custus Lombardorum (R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, Fonds autrichien [7/5/1309])

est présente dans les prêts à la noblesse foncière mais également dans les emprunts des élites urbaines de Bois-le-Duc aux Lombards entre 1309 et 1315 sous la formule stéréotypée : et si dicta pecunia dicto termino non fuerit persoluta, conventum est quod extunc ulterius ipsa pecunia, quam diu steterit non soluta, stabit ad consuetos custus Lombardorum (voir par ex. Erens 1948-1952, t. 2 n°413, p. 191 [21/5/1309]). Au sujet du taux de l’usure lombarde à Cologne, voir supra p. 180, n. 34. 128 Mention de la domus Lombardorum, donc reconnue publiquement par les autorités de la ville en 1293 : Van Synghel 1998, n°3, p.  407[14-20/9/1293]. Pour la halle aux draps du marché, dans le voisinage immédiat du cimetière des Frères Mineurs : Camps 1979, vol. 2, n°529, p. 640 [23/12/1295] ; Kuijer 2000, p. 47 et p. 62 et Kusman 2007, p. 164. 129 Janssen 2007, p. 120. 130 Les exceptions licites au péché d’usure dont le damnum emergens ou intérêt prélevé par le créancier suite à un dommage causé par un retard dans le rembousement de la somme prêtée sont étudiées dans Vacant 1923-1950, vol. 15, 2, 1950, col. 2336-2372 ; Capitani 1974, pp. 36-41 ; Le Goff 1986, pp. 77-79, Langholm 1992, p. 370, p.416, p. 526 et pp. 586-590 et Ceccarelli 2001, pp. 25-30. La forme du mutuum était privilégiée par les Lombards également sur d’autres marchés comme à Fribourg : Scarcia 1999, pp. 189-197.

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Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) | Chapitre i

 . L’asymétrie de l’information du crédit Lombard au service C du duc de Brabant ? Jusqu’à présent, nous avons vu à l’œuvre les sociétés de prêt des Mirabello et des Roero en Brabant septentrional en comptes avec la haute noblesse possédante, plus particulièrement les Cucyk et les Hornes. J’ai essayé de démontrer comment ce crédit lombard était légitimé par différents groupes sociaux, les courtiers-hôteliers, le patriciat urbain, l’aristocratie terrienne et, très vraisemblablement, les franciscains. Toutefois, cette situation d’asymétrie de l’information n’est éclairée de la manière la plus complète pour tous ces groupes sociaux que dans un cas unique : lorsque le duc de Brabant Jean III spécula sur l’endettement de la famille des seigneurs de Heusden entre 1318 et 1330. Cette opération s’intégrait dans la politique continue d’expansion territoriale des ducs Jean II et Jean III au nord de la mairie de Bois-le-Duc. Dès le règne de Jean II, le Brabant septentrional, représenta une zone d’expansion territoriale. Face à Bois-le-Duc, la forteresse de Heusden, située sur la Meuse, contrôlait un flanc stratégique de la frontière du duché vis-à-vis du comté de Hollande ; sa domination constituait un atout politique incalculable pour le duc de Brabant. La volonté ducale d’y affirmer la réalité de son pouvoir était durable131. Au terme d’un conflit violent entre la ville de Bois-le-Duc et le seigneur Jean III de Heusden, en 1306, le duc de Brabant imposa son arbitrage aux deux parties, symptôme de ses aspirations de suzerain132. Pour la ville de Bois-le-Duc, pareillement, le seigneur de Heusden incarnait un pouvoir autonome préjudiciable à ses intérêts commerciaux. Les sires de Heusden y prélevaient un tonlieu de transit sur les marchandises en provenance de Bois-le-Duc et à destination du marché hollandais, en particulier Dordrecht, ce qui bridait le développement commercial de la ville brabançonne dans la mesure où Heusden, du fait de sa position géographique, contrôlait les débouchés mosans de la ville brabançonne vers la Hollande133. Dans cette conjoncture politique particulière, un nombre considérable d’acteurs différents se portèrent acquéreur de titres de crédit – en fait de reconnaissances de dettes à des Lombards – gagées sur le patrimoine des seigneurs de Heusden. Avant de détailler les modalités de circulation de ces titres de créance, intéressons-nous aux origines de l’endettement de la maison seigneuriale de Heusden. Les embarras pécuniaires du sire de Heusden prenaient leur source dans le gigantesque emprunt du comte de Clèves Thierry IX à la société de prêt de Giovanni de Mirabello et Benedetto Roero, basée à Malines, conclu en 1314 et repris à son nom par Gérard de Hornes. Peu avant 1317 et sans doute pour couvrir les frais de son premier emprunt, Thierry de Clèves engagea en effet à Giovanni de Mirabello la seigneurie de Heusden à hauteur de 131 Jean Ier de Brabant aurait réussi dès 1279 à se faire reconnaître par les seigneurs de Heusden la suzeraineté sur la forteresse de Heusden après l’avoir conquise : Avonds et Brokken 1975, pp. 15-16. 132 Ibidem, pp. 1-2. Pour les heurts entre le seigneur de Heusden et la commune de Bois-le-Duc en 1306 : Verkooren 1961-1962, vol. 1, p. 214 [10/2/1306] et Camps 1979, vol. 2, n°698, pp. 834-835 [4/2/1306]. 133 Le tonlieu était prélevé sur la Dieze, formée par le confluent du Dommel et de l’Aa arrivant à Bois-le-Duc et rejoignait ensuite la Meuse dans la partie orientale du pays de Heusden. Dans cette perspective, la ville de Bois-le-Duc veillait à maintenir en bon état ou à développer les infrastructures de canalisation et de gestion de l’eau. En 1251, la ville de Boisle-Duc avait déjà obtenu du seigneur de Heusden l’exemption du tonlieu dans ses terres pour les marchands venant de la ville. L’écoutête de Bois-le-Duc avait quant à lui tout pouvoir pour exécuter des travaux d’endiguement de la Meuse de Grave jusqu’à la Dieze : Avonds et Brokken 1975, p. 2 et pp. 6-10.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

6 000 lb. n.t. L’engagement de Heusden jette un éclairage plus intense sur le processus des prêts lombards et leur endossement par des seigneurs se constituant opportunément cautions : il n’est même pas certain que ceux-là – en l’occurrence Gérard de Hornes – acquittaient systématiquement en monnaies sonnantes et trébuchantes les créanciers lombards. Ils pouvaient leur céder l’usufruit d’une partie des terres qui leur avaient été engagées en échange de leur cautionnement effectif. Cet engagement avait été facilité par le décès du seigneur Jean IV de Heusden (†1316), sans héritiers directs, provoquant la garde de de ce fief vacant par son suzerain, Thierry IX de Clèves. Celui-ci se déclara cependant prêt à investir du dit fief le jeune Jean de Heusden, demi-frère du défunt Jean IV et encore mineur, à condition qu’une fois majeur, il apurât la dette du comte de Clèves envers Mirabello. En attendant, c’étaient le deux tuteurs du jeune homme, Gérard de Hornes et Jean van den Elshout, de lointains parents, qui devaient avancer l’argent du remboursement, tout en administrant la seigneurie et les revenus de son tonlieu. Les deux tuteurs pouvaient légitimement espérer quelque profit de l’opération, car si Jean de Heusden ou son suzerain désargenté s’avéraient incapables de les rembourser, tant du capital que des intérêts, ils pourraient librement posséder la seigneurie jusqu’à ce qu’ils soient dédommagés de leurs frais134. Le volume important des créances lombardes pesant sur les revenus du comte de Clèves se devine dans les années suivantes à quelques faits significatifs. D’abord à l’énumération de quelques titres figurant dans un inventaire sommaire de la trésorerie des chartes du comte de Hainaut à Valenciennes  : rédigé en 1318, l’inventaire comportait une liste de dettes à encaisser sur le pays de Clèves. Ces titres de créances étaient tombés dans le patrimoine du comte de Hainaut, propriétaire de Malines et de sa table de prêt depuis le 10 mars 1316. Vers 1333, ensuite, Giovanni de Mirabello et ses associés détenaient encore une créance de 13 000 lb. sur le comte de Clèves. Les héritiers de Giovanni n’obtinrent finalement satisfaction de leur dû qu’une vingtaine d’années plus tard et avec beaucoup de difficultés135. 134 Copie de l’acte dans S.H., Zwart privilegieboeek, n°1199, f°237 r°-v° [13/1/1317], l’original portant encore les huit

sceaux de Thierry de Clèves et son épouse, Marguerite et des seigneurs Jean de Cuyck, Henri de Horps, Thierry de Eyl, Godefroid de Hönnepel, Jean de Broechusen et Jean vander Straten repose actuellement aux N.A., Vilvoordse charters, 7.2., malheureusement, sa lecture est devenue très difficile en raison de traces d’humidité. Jean van den Elshout était un lointain petit-cousin de Jean V de Heusden (Avonds et Brokken 1975, pp. 36-37). Gérard de Hornes était un lointain parent par alliance de Jean V de Heusden du fait du mariage de Sophie de Heusden—fille de Jean III de Heusden, père de Jean V et demi-sœur de Jean V— avec son frère, le chevalier Guillaume de Hornes en 1294 (Verkooren 1961-1962, vol. 1, p. 188 [6/8/1294]). Ceci pourrait montrer que le rôle de soutien de la parenté par alliance ne s’arrêtait pas forcément à la caution des traités politiques ou contrats de mariage ( comme le pense Croenen 2003, pp. 254-264) mais valait aussi pour les tutelles familiales en cas de minorité. 135 A.D.N. B. 1584, f°64r° : Item une boiste de pluisieurs des lettres des dettes des Lombards de le ville de Cleve : il s’agit des assignations au profit des Lombards. Le 11 mars 1316, le comte Guillaume Ier de Hainaut, Hollande et Zélande assurait déjà le seigneur de Malines, Florent Berthout, qu’il ne se mêlerait pas des dettes de ce dernier avec les Lombards de Malines : Croenen 2006, n°93, pp. 130-135 [10/3/1316] et n°95, pp. 138-139 [11/3/1316]). En 1333, le duc de Brabant Jean III fit saisir dans la maison du receveur Mirabello à Bruxelles une lettre de créance s’élevant à 13 000 lb., créance réclamée par son fils bâtard, Simone de Mirabello (Kusman 1999b, p. 897). Une fraction importante de cette créance (10 000 lb.n.t.) est encore revendiquée en 1357 par Isabelle de Sommergem, veuve de Simone de Mirabello et alors remariée à Arnould de Rummen. Le duc de Brabant Wenceslas se prononce pour que le comte Jean de Clèves, fils de Thierry IX, assigne le payement de la dette sur la seigneurie du pays de Malines, appartenant à son épouse, Mathilde de Gueldre (fille du comte Renaud de Gueldre et de Sophie Berthout) : Haupstaatsarchiv Düsseldorf, Landesarchiv Kleve-Mark, Urkunden, n°400 [24/11/1357]. Mes sincères remerciements à Godfried Croenen pour m’avoir transmis sa transcription de cet intéressant acte.

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Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) | Chapitre i

Les seigneurs successifs de Heusden souffrirent visiblement d’un déficit d’information dans leurs relations avec le monde des manieurs d’argent de même qu’avec leur parentèle. Leur bienveillance était notoire ; elle les amenait de longue date à cautionner sans grande circonspection les prêts de leurs nombreux parents et alliés. Le recours à leur garantie financière par des personnages aussi variés que le duc de Brabant, les seigneurs de Hornes ou Gérard de Loon, seigneur de Herlaar prouve assez l’excellent crédit dont les sires de Heusden jouissaient auprès des banquiers étrangers à l’entame du XIVe siècle136. Devenu régent du jeune Jean de Heusden, et cultivant toujours ses contacts privilégiés avec la finance lombarde, Gérard de Hornes pouvait de la sorte prétendre à une tutelle durable sur la terre de Heusden, une prétention s’appuyant également sur les liens de parenté anciens des Hornes avec les Heusden137. Toutefois, malgré son accès aisé à l’information commerciale et politique, les espoirs d’expansion territoriale de Gérard de Hornes allaient être déçus. Le co-régent, Jean van den Elshout, intrigua apparemment pour exercer seul la tutelle ; il réussit à se faire nommer châtelain de Heusden par le duc de Brabant après avoir transmis la forteresse du lieu à ce dernier en 1317138. Les opérations de crédit suivantes des Astésans dans la terre de Heusden suggèrent effectivement une reprise en main de celles-ci par l’autorité ducale. Le duc de Brabant, son conseil et ses officiers allaient bientôt renforcer l’efficacité du crédit lombard. La collaboration croissante du duc de Brabant et de ses banquiers piémontais à l’assujettissement de la terre de Heusden est à replacer dans un mouvement général de montée en puissance de l’argent lombard dans les cours princières des anciens Pays-Bas. Tant du côté brabançon que du côté hollandais, les capitaux affluèrent, chiffrables en dizaines de milliers de livres et destinés à gagner des alliés et aliéner des droits seigneuriaux. Au-delà du Waal, le rôle du « financier de cour » Guillaume de Duvenvoorde, assistant le comte de Hainaut-Hollande et Zélande pour l’achat de Malines au seigneur Florent Berthout en 1316 fut exemplaire de ce point de vue. Il relève d’une stratégie lucide d’intrusion dans la politique intérieure brabançonne139. En acquérant Malines, le comte de Hainaut et de Hollande obtenait en même temps la tutelle d’une des plus puissantes tables de prêt lombardes de l’espace brabançon. Du côté brabançon, en 1318-1319, le comte Thierry IX de Clèves reconnut pour la première fois, que la terre de Heusden – exceptée la forteresse – avait été tenue de tout temps en fief des ducs de Brabant. Au mépris flagrant de ses propres droits de suzerain, le 136 Tant les Lombards que les financiers de Cologne en bénéficiaient  : actes de cautions pour le duc de Brabant  dans

N.A. Graven van Holland, Leen en Registerkamer, n°2118, f°76v° [24/6/1300] f°78r°[ca. 1301] ; actes de caution pour le seigneur de Guillaume de Hornes et ses fils et pour Gérard de Loon, sire de Herlaar dans N.A. Graven van Holland, Leen en Registerkamer, n°2118, f°76v° [9/9/1300], f°79r° [3/2/1309].  137 Verkooren 1961-1962, vol. 1, p. 188 [6/8/1294] : le comte de Clèves avait promis au seigneur Jean de Heusden et à sa femme que s’ils venaient à mourir sans héritiers mâles, il donnerait la terre de Heusden à Sophie de Heusden, épouse de Guillaume de Hornes. 138 La forteresse, alleu des Heusden, n’appartenait pas à la «  terre de Heusden  » relevant des Clèves qui comprenait uniquement la ville et le tonlieu : Avonds et Brokken 1975, pp. 39-41. Ces auteurs supposent que la forteresse fut vendue par van den Elshout puis reprise en fief du duc de Brabant. 139 Cf. à ce sujet les conclusions similaires de Avonds et Brokken 1975, pp. 43-44 et p. 60 : le second époux de Sophie de Heusden, Jean de Saffenberg, mécontent d’avoir été exclu de l’accord de tutelle, se rendit d’abord à Bruxelles pour transmettre Heusden en fief au duc de Brabant, vers 1317-1318. Après avoir échoué, il vendit alors ses droits sur Heusden au comte de Hollande pour une somme de 12 000 lb. n.t., puis fut investi par le comte de Hollande de la terre de Heusden et sa forteresse, comme fief hollandais. Poursuivant cette diplomatie de l’argent encore plus avant, Guillaume Ier de HainautHollande achetait la seigneurie de Malines à Florent Berthout en 1316 pour la somme de 23 000 lb. tour..

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

droit féodal était foulé aux pieds par le comte de Clèves . . . Au nombre des 66 vassaux de Thierry de Clèves confirmant par serment prêté sur les évangiles l’affirmation de celui-ci, figurait Gérard de Hornes. Cet hommage vassalique fut prêté à Heesch, près de Oss, devant les échevins de Bois-le-Duc ! L’intervention des autorités urbaines dans l’authentification d’un acte purement féodal mérite d’être relevée et montre tout l’intérêt que les élites politiques de Bois-le-Duc portaient à cette affaire ; j’y reviendrai. Malgré la guerre consécutive entre le comte de Hainaut-Hollande et Zélande et le duc de Brabant à propos de la possession de Heusden, le conflit fut réglé par un traité de paix conclu en 1322, tranché distinctement en faveur du Brabant et scellé par un mariage prévu entre Jeanne, fille de Jean III et l’héritier du comté de Hainaut-Hollande. Heusden allait appartenir au Brabant jusqu’en 1357140. Restait cependant, pour le duc de Brabant et ses conseillers, la problématique du contrôle politique du jeune seigneur Jean V de Heusden. Devenu majeur en 1319, ce dernier aurait pu croire que ses embarras étaient terminés. Il avait octroyé, semble-t-il, une rente annuelle de 200 lb. tour. à un de ses régents, Jean van den Elshout, pour solde de tout compte. Toutefois, d’une part, les obligations financières des Heusden n’étaient pas entièrement honorées car Giovanni de Mirabello et ses héritiers restèrent en possession de l’usufruit de la seigneurie jusqu’en 1333. Receveur de Brabant depuis 1321, Giovanni pouvait assortir ses revendications de menaces de saisies141. D’autre part, les faits montraient que l’assujettissement politique du sire de Heusden au pouvoir brabançon n’était nullement jugé suffisant aux yeux du duc Jean III et de ses conseillers. En 1325, par exemple, lorsque Jean V de Heusden parut rechigner à livrer au duc de Brabant le château de Heusden, ce furent ses amicos et consanguineos qui assistèrent le duc de Brabant afin que le sire de Heusden remplisse ses obligations dans les huit jours de la réquisition ducale142. Parallèlement, l’impérialisme économique des élites patriciennes de la ville de Bois-le-Duc alimentait probablement cette stratégie de contrôle par le crédit du seigneur de Heusden. Les déboires financiers du jeune Jean V ne faisaient en réalité que commencer. Auparavant, les seigneurs de Heusden avaient uniquement cautionné des emprunts de la noblesse des Pays-Bas aux Lombards du Brabant septentrional. À présent, ce fut Jean V qui conclut, de 1323 à 1330, des emprunts, authentifiés par contrats notariés, lettres obligatoires et lettres échevinales, ces dernières étant souvent passées devant le magistrat de Bois-le-Duc. Leur montant nominal moyen était, il vrai, relativement modeste, inférieur à 400 lb.n.t. Les emprunts étaient généralement remboursables dans l’année. Mais finalement, ils s’accumulèrent pour atteindre un montant total de plus de 10 000 lb. n.t. 140 Pour les deux investitures féodales du comte de Clèves : A.G.R., C.C., n°1, f°45r°-v°[13/7/1318] et A.G.R., C.C., n°1,

f°45v°[19/3/1319]. La seconde déclaration, en présence des 66 vassaux du comte de Clèves, fut donnée en 1319, à Heesch, près de Oss, devant les échevins de Bois-le-Duc. Avonds et Brokken 1975, p. 54-55 expliquent l’attitude du comte de Clèves de la manière suivante : en renonçant à son autonomie de suzerain, il espérait appuyer ses droits sur Heusden contre le comte de Hollande. Le traîté de paix entre le Brabant et la Hollande fut définitivement conclu le 21 octobre 1322 (Ibidem, pp. 57-60). 141 La terre de Heusden figure dans les biens confisqués par le duc de Brabant Jean III revendiqués par Simone de Mirabello au duc de Brabant en 1333 (Kusman 1999b, p. 876 et p. 894). Jean V était devenu majeur en mai 1319 selon Avonds et Brokken 1975, pp. 34-35. 142 de Ram 1854-1860, vol. 2, Bruxelles, 1854, p. 505, livre 5, cap. 79, sub 6/10/1325, et acte de remise de la forteresse par Jean de Heusden éd. dans Willems 1939-1869, t. 1, n° 141 [6/10/1325] et analyse dans Verkooren 1961-1962, vol. 2, pp. 24-25.

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Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) | Chapitre i

9% 9% Lombards Prêteurs nobles

10%

Prêteurs bourgeois Prêteurs indéterminés

72%

Graph. 6. Répartition de l’offre de crédit au seigneur Jean V de Heusden

vers 1330, date du décès de Jean V de Heusden. On peut se demander si certains de ces emprunts, dont le motif n’est jamais donné, n’étaient pas destinés, d’ailleurs, à solder les annuités des charges affligeant encore le domaine seigneurial143. L’offre d’argent (graphique 6) émanait majoritairement des sociétés de prêt piémontaises de Bois-le-Duc, Bruxelles, Malines et Valenciennes. Les Lombards, représentant 73 % de l’offre de crédit étaient installés à Bois-le-Duc dans 14 prêts sur 24, essentiellement négociés par des membres des familles de Crabiello de Montemagno et de Mirabello. Des associés externes participaient à 8 autres prêts, preuve du lucre qu’on attendait de ces opérations, deux dernières opérations étant exclusivement le fait de la société de prêt de Bruxelles. Les entreprises de crédit collectives furent mises sur pied en collaboration avec au moins trois sociétés de prêt : celle de Valenciennes, celle de Malines et celle de Bruxelles. Les trois dernières sociétés fonctionnaient selon un schéma de participations croisées conférant à leurs actionnaires une ubiquité commerciale grâce à un système de procureurs ayant mandat pour représenter leurs intérêts (voir fig. 18).

143 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3751-40, B.10, lade 8-11. Sur 40 actes, l’acte le plus ancien est celui du 26/9/1323, n°3751 et le plus récent celui du 24/6/1330, n°37540. Il est intéressant de constater que certains emprunts furent conclus à Bruxelles le même jour, par le même notaire, Jean de Waerloes, avec le même mandataire principal des Lombards, Ruffino de Valfenera, mais pour des sommes différentes. Dans l’un, le noble Arnould de Kraainem et le bourgeois Daniel de Pede se constituaient co-débiteurs du seigneur de Heusden (emprunt de 19 lb. v.g.  : n°37511, B. 10, lade 10 [8/7/1325]) et dans l’autre, Arnould de Kraainem, n’était que témoin et Daniel de Pede ne faisait que mettre à disposition la chambre où il résidait (emprunt de 500 lb.v.gr : n°37513, B. 10, lade 11 [8/7/1325]). On peut se demander si l’emprunt de 19 lb. n’était pas la reconnaissance implicite d’un intérêt perçu sur les 500 lb., étant donné la conjonction des dates. Dans l’analyse prosopographique et statistique des emprunts, pour ne pas alourdir inutilement les notes infrapaginales, je ne ferai référence à une pièce précise que lorsque je m’intéresserai à un personnage en particulier. En revanche, lorsqu’il sera question de collectivités, les Lombards ou la parentèle de Jean V de Heusden par exemple, je m’abstiendrai de citer tous les actes y relatifs.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Société de Valenciennes Giacomo Garretti, Giovanni de Mirabello, Dionigio et Bartolomeo della Rocca, Leone Deati et Opecino Surdo.

Société de Malines Gabriele et Giovanni de Broglio, Dionigio della Rocca, Leone et Oberto Deati, Giovanni et Simone de Mirabello.

Société de Bruxelles Giovanni de Mirabello, Martino Frenario, Ruffino de Valfenera, Enrico, fils d’Enrico de Mercato et Gerardo Roero.

Société de Bois-le-Duc : fonction de centralisation des opérations de prêt à destination du seigneur de Heusden Martino de Crabiello, Riccardo et Tommaso de Broglio et Manfredo de Mirabello Fig. 18. Schéma d’organisation des sociétés de prêt astésanes pour leurs opérations de crédit en Brabant septentrional*.

Opecino Surdo ou Surdero et Giacomo Garretti étaient les chargés d’affaires à Valenciennes des familles Deati, Mirabello et Valfenera  ; Surdo et Garretti étaient en comptes avec l’hôtel de la comtesse de Hainaut, Jeanne de Valois, ce qui expliquait leur présence fréquente à Valenciennes, siège d’une des résidences des comtes de Hainaut. À Bruxelles c’était surtout Ruffino de Valfenera qui jouait le rôle de procureur pour ses associés144. Martino de Crabiello, à son tour, servait comme mandataire des autres sociétés de prêt lombardes à Bois-le-Duc, agissant comme mandataire local de Giacomo Garretti, Percivale de Broglio et Ruffino de Valfenera. L’efficience de ce système était encore renforcée par le fait que les débiteurs eux-mêmes allèrent jusqu’à désigner dans certains actes notariés deux à trois fondés de pouvoir astésans spécialement chargés de recevoir les échéances de remboursement. Ces mandataires représentaient naturellement les intérêts de chacune des tables participantes et étaient à même d’imposer à l’emprunteur les modes de remboursement les plus judicieux : assignations, saisies, annuités, etc. La procuration donnée à des financiers astésans plutôt qu’à des serviteurs de la maisonnée de Jean de Heusden montre qui dictait vraiment les conditions  : l’asymétrie de l’information penchait en faveur de *

Les données utilisées pour la reconstitution des tables de Bois-le-Duc, Bruxelles et Malines sont exraites de N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3751-40 . En ce qui conerne la participation des familles Deati, Garretti, Mirabello et della Rocca à la table de Valenciennes entre 1312 et 1323 : Kusman 1999b, p. 865, p. 876, et pp. 909-911. Pour Opecino Surdo et Bartolomeo della Rocca, cités à Valenciennes entre 1325 et 1334 : Reichert 2003, vol. 2/3, pp. 761-762. 144 Opecino Surdo réside à Valenciennes en 1325, époque où il se charge des dépenses de voyage de la comtesse de Hainaut Jeanne de Valois, épouse du comte Guillaume II de Hainaut : A.D.N., B 3270, f°11r° [30/11/1325] ( comptes des dépenses de l’hôtel des comtes et comtesses de Hainaut et de Hollande, 1325-1326). Il est établi dans la ville hennuyère depuis 1321 au moins (A.S.V., Coll. 433 a, f°14v°[5/2/1321]), il y collabore déjà avec Berardo de Crusiglio, Benedetto Roero et Giovanni de Mirabello, les deux derniers représentant également la table de prêt de Gand. Giacomo Garretti est un autre dirigeant principal de la table de Valenciennes, fidèle associé de Giovanni de Mirabello. En outre, la table de Valenciennes resta créancière de celle de Malines en 1324 (Kusman 1999b, pp. 909-911). Au sujet de l’intermédiation d’Opecino Surdo dans un emprunt conclu à Bruxelles par Ruffino de Valviaria (déformation du patronyme de Valfenera), mandataire d’Alberto Deati et de Bartolomeo de Rocca : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37517, B.10, lade 11 [8/5/1326]. *

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Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) | Chapitre i

Martino de Crabiello et de ses donneurs d’ordres145. Un avantage comptable découlait de cette collaboration souple entre des tables de prêt juridiquement autonomes : des transferts de fonds pouvaient être opérés par simple jeu d’écritures entre les banques de Valenciennes et de Malines ou de Bruxelles pour faire parvenir les capitaux à Bois-le-Duc, en évitant la multiplication excessive des transports d’argent liquide. La circulation des fonds provenant originellement de la banque de Malines n’était guère surprenante : la ville des Berthout était devenue une place bancaire de premier ordre dans les années 1320-1330, grâce à l’essor supra-régional de son office de change urbain. Le comte de Hainaut-Hollande Guillaume III (1304-1337) en était bien conscient, y plaçant des emprunts dès 1321 sous forme de rentes viagères146. L’activité de Giovanni de Mirabello à la cour de Bruxelles comme receveur de Brabant entre 1321 et 1333, autorisait très probablement ses associés hennuyers et malinois à bénéficier d’un apport additionnel de capitaux. Ces capitaux, ils pouvaient les investir dans des opérations de crédit aux marges du duché de Brabant. Le trésorier princier était avant tout un banquier au Moyen Âge et en premier lieu le banquier du Prince ; il avait toute latitude pour gérer la recette et les dépenses de son maître et les faire fructifier au mieux, quand bien même il s’agissait d’entreprises hautement spéculatives et même si fréquemment, l’avancement du patrimoine privé et la gestion des deniers princiers allaient de pair. En définitive, le trésorier ducal tenait ses comptes à l’embranchement de divers canaux d’informations où confluaient les nouvelles de nature politique, économique et commerciale147. Les autres financiers du sire de Heusden, soit 27% de l’offre de crédit, avaient en commun d’être presque tous, de près ou de loin, engagés dans la politique d’expansion territoriale menée par la cour ducale de Bruxelles. Tel était le cas, par exemple, en ce qui concerne les bailleurs de fonds issus de la moyenne-noblesse du Brabant septentrional, de

145 Exemples dans N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37515, B.10, lade 10 [19/7/1325]  ; n°37512, B.10, lade 10

[19/7/1325] ; n°37525, B.10, lade 9 [10/12/1326]. Au sujet de Gerardo Roero, Martino de Crabiello, Ruffino de Valfenera, Martino Frenario, Gabriele de Broglio et Opecino Surdo procureurs légitimes désignés par Jean de Heusden et Jean de Megen pour gérer toutes les modalités du remboursement  : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37514, B.10, lade 11 [10/6/1325] ; n°37511, B.10, lade 10 [8/7/1325] ; n°37513, B.10, lade 11 [8/7/1325] ; n°37517, B.10, lade 11 [8/5/1326]. 146 La préférence du remboursement à Malines transparaît de trois contrats d’emprunt  : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37514 , B.10, lade 11 [10/6/1325] (Malines ou Bois-le-Duc)  ; n°37513, B.10, lade 11 [8/7/1325]  (Malines)  ; n°37517 , B.10, lade 11 [8/5/1326] (Malines ou Bruxelles). Pour le rôle de place bancaire émergente de Malines dès le dernier quart du XIIIe siècle, voir supra, 2e partie, chap.2, p. 155. J’analyserai ce rôle plus en détail pour les années 1310-1320 dans le chapitre 3, en liaison avec l’intégration des Astésans dans les villes brabançonnes. Au sujet des émissions de rentes viagères à Malines en faveur de Guillaume II de Hainaut-Hollande : Smit 1924-1939, vol. 3, p. 193 et n. 5. 147 Kusman 1999b, p. 876 et p. 884. Je ne pense pas qu’il faille faire des seuls Lombards, comme le pense Martens 1954, pp. 122-123, des « banquiers » professionnels, les autres receveurs princiers étant plutôt des « fonctionnaires » au service du duc. Les carrières respectives de Thierry Lose et de Jean Vinke, deux receveurs d’origine bruxelloise maniant l’argent dans le cadre du crédit au roi d’Angleterre (voir supra, 2e partie, chap. 2, pp. 153-155) démentent cette vision, du moins pour la première moitié du XIVe siècle. Ils étaient, tout autant que les financiers astésans, des techniciens du commerce de l’argent, même s’ils en maîtrisaient sans doute moins les finesses comptables. L’acte de nomination du receveur anversois Gauthier Volkaert établit déjà explicitement que le duc ne pourra démettre son receveur tant que le premier sera son débiteur, en raison d’avances d’argent prodiguées par le second : Martens 1943, n°1, pp. 21-23 [18/4/1284]. Plusieurs exemples étrangers donnent à penser que les responsables des finances princières sont en relation constante avec les milieux d’affaire et la banque et en sont souvent des représentants officieux, voir l’exemple de l’argentier Jacques Cœur dans Mollat 1988, pp. 54-55 et celui des trésoriers du duché de Bretagne dans Kerherve 1987, vol. 2, pp. 742-758. L’apparition précoce de receveurs gagés comparables à des « fonctionnaires », constatée en Flandre par Kittel 1991, pp. 198-200, n’empèche pas que le receveur puisse encore jouer le rôle de banquier du prince comme Conte Gualterotti en 1324. Le Toscan dut ainsi maintenir l’équilibre des finances quand les recettes ne rapportèrent que 25 968 lb., 5 s., 7 d. par. alors que les dépenses s’élevaient à 35 699 lb. 5 s., 5 d. par.. Le comte Louis de Nevers se reconnut débiteur envers son receveur d’une somme de 9 730 lb., 19s., 10 d. par. (A.D.N., B.4064, n°5642[9/5/1324]).

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Guillaume de Kranendonk et de Gerlac van den Bossche. Parents148 de Jean V de Heusden, ils étaient vassaux du duc Jean III, conseillers ou fonctionnaires ducaux  ; ils occupaient une place prédominante dans la consolidation de l’État brabançon dans la mairie de Boisle-Duc149. Ceci valait autant pour les patriciens de Bois-le-Duc et les riches bourgeois de Bruxelles qui déliaient leur bourse pour le sire de Heusden, qu’ils soient parents proches d’officiers ducaux locaux comme Thierry Rover, ou qu’ils authentifient leurs créances par lettres échevinales bruxelloises comme Jean Goddijn, issu des milieux marchands150. Les lettres échevinales bruxelloises, de par leur valeur juridique dans tout le Brabant, portaient évidemment les ambitions de la cour ducale aux marges du duché ; Goddijn n’était d’ailleurs pas le seul manieur d’argent bruxellois à investir ses capitaux en Brabant septentrional à cette époque  : un patricien comme Jean Blomart l’imitait. En cas de défaut de payement, les créanciers bruxellois pouvaient saisir les biens mobiliers ou immobiliers de leurs débiteurs et faire appel à tout pouvoir séculier ou spirituel pour obtenir satisfaction151. L’intéressement du duc de Brabant Jean III au contrôle par la dette de Jean V de Heusden ressort sans ambiguïté de l’itinéraire archivistique des titres de créance à l’égard de ce dernier. Le duc entra en possession de pas moins de 88 de ces titres, dès lors conservés au sein du trésor des chartes de Brabant, dans une layette relative à la seigneurie de Heusden. Plus d’un siècle après les événements, la description archivistique des deux secrétaires de la chancellerie ducale, Henri le Marchant et Edmond de Dynther ne laisse aucun doute sur l’interventionisme ducal dans la cause des créanciers du seigneur de Heusden  : Item en une laye signee Par. sur laquelle est escript lettres de Jehan seigneur de Heusdain. Sont plusieurs lettre de diverses obligacions que furent en temps passe Jehan sire de Heusdain, Jehan de Meghen et plusieurs autres nobles par lettres soubz leurs seaulx, par instrumens, par lettres deschevinage et autres de quelles sommes dargent envers Lombars et autres personnes. Et promet le dit sire de Heusdain les autre acquitteez. Et pour ceste cause a obligie plusieurs de ses 148 Guillaume de Kranendonk, frère d’Ermengarde, mère de Jean V est donc l’oncle maternel de ce dernier. Gerlac van den

Bossche, est l’époux d’Aleide, demi-sœur de Jean V et fille de Jean III de Heusden : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3755, B. 10, lade 8 [30/7/ 1324] et n°3752, B.10, lade 8 [5/1/1325 n.s.] et pour l’identification : Avonds et Brokken 1975, p. 274 et p. 37. 149 Les détenteurs de fief sont Guillaume de Kranendonk, pour sa demeure de Kranendonk et le village de Malreheze proche de Bois-le-Duc et Hubert de Rydere, chevalier, prêtant avec Gerlac van den Bossche une somme indéterminée à Jean V de Heusden : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3752, B. 10, lade 8 [5/1/1325]. Hubert détient un fief-rente de 10 lb. /an sur la halle aux draps de Bois-le-Duc (Galesloot 1865, p. 97 et p. 265. Guillaume de Kranendonk est un conseiller actif du duc Jean III dans la période 1313-1334 et surtout dans les années 1332-1334 (Avonds 1991, p.  110, p.  117, p. 139 et p. 143), de même que Gerlac van den Bossche (Avonds 1984, p. 30, n.58) qui est aussi sénéchal et burgrave du Limbourg vers 1317-1319 (Avonds et Brokken 1975, p. 27). Ce Gerlac de Bois-le-Duc avait reçu en tant que sénéchal du Limbourg le serment de fidélité du comte de Clèves pour l’inféodation de Heusden au Brabant en 1319 (A.G.R., C.C., n°1, f°45v°[25/3/1319]). 150 Le patricien Thierry Rover est le fils de Rover, l’écoutête de Bois-le-Duc, en fonction entre 1325 et 1327. Sa famille appartient aux élites politiques de la ville : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3751, B. 10, lade 8[26/9/1323], pour le prêt et Jacobs 1986, p. 238 et p. 296). Le bourgeois Jean Goddijn, prête 10 lb. de v. gr., remboursables dès sa sommation, lettre échevinale passés devant les échevins de Bruxelles Gerelm de Platea dit Coninc et Louis Esselen : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3759, B. 10, lade 8 [1/3/1326 n.s.]. Goddijn était sans doute déjà marchand-drapier (voir une exécution sur dettes d’un de ses débiteurs, prononcée par le tribunal de la gilde du drap bruxelloise, éd. dans Dickstein-Bernard 1995, pp. 1-43, n°3, pp. 22-24[28/11/1333]). 151 En 1318, Jean, fils de Francon Blomart détient une rente viagère de 40 s. de v. gr. de la ville de Bois-le-Duc, la charte est confirmée par le duc de Brabant : S.H., chartes, lade 004, n° 36 [18/10/1318], une somme de 6 d. par jour de retard est retenue après un laps de huit jours après l’échéance de la rente, soit 456,25% d’intérêt compensatoire annuel ! La ville oblige tous ses biens mobiliers ou immobiliers en garantie du payement de la rente, autorise tout pouvoir séculier ou spirituel à lui faire respecter ses engagements et demande au duc Jean III de sceller la charte afin de renforcer la validité de l’engagement.

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Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) | Chapitre i

terres. Et sont les dictes lettres en date de environ lan mil ccc. et xxvj et en ya environ lxxxviij et ny a autre chose en ladite laye. Il s’agissait bel et bien d’asseoir des droits de propriété fictifs sur un territoire au moyen de titres de créance : en participant de l’endettement de son seigneur, le duc forçait finalement le sire de Heusden à recourir à l’engagère152. Fait intéressant, un des secrétaires ducaux, Edmond de Dynther, connaissait fort bien et la région et les événements relatés dans l’inventaire en raison de ses origines nordbrabançonnes. En 1422, il se rendra même à Bois-le-Duc, comme émissaire du duc de Brabant pour une négociation touchant aux privilèges des États de Brabant153. Les démêlés de Jean V de Heusden avec la ville de Bois-le-Duc et ses banquiers avaient sans nul doute laissé des traces dans la memoria familiale de ce petit lignage brabançon. Un de ses ancêtres présumés, Thierry de Dynther, avait cautionné ou endossé plusieurs dettes du seigneur de Heusden envers trois membres de la société de prêt de Bois-le-Duc, Martino de Crabiello gouverneur de la table de prêt et ses associés, Manfredo [de Mirabello] et Riccardo [de Montemagno]154. Un siècle plus tard, dans sa chronique des ducs de Brabant, Edmond de Dynther consacrera plusieurs lignes à l’histoire politique de Heusden, sans cesse convoitée par les Brabançons155. Le duc Jean III entra en possession d’un très grand nombre des titres de créances des Lombards, évidemment parce que ces derniers avaient fait appel à ses officiers pour recevoir leurs impayés. L’action judiciaire princière culmina en 1331, lorsque l’officier haut-justicier, le sénéchal de Brabant, ou son délégué, reçurent plein pouvoir pour effectuer les saisies relatives aux dettes lombardes du sire de Heusden dans tout le Brabant, après leur

152 A.G.R., Inventaires de la IIe section, n°65, f°73r° : l’ inventaire analytique des chartes de Brabant est réalisé en 1434

sur ordre du duc Philippe le Bon alors qu’elles étaient conservées à Nivelles dans une tour de l’église Sainte-Gertrude (Cuvelier 1904, p. 37). On peut constater qu’à l’époque, les titres de créance détenus sur la seigneurie de Heusden étaient considérablement plus nombreux, ce qui suggère des pertes archivistiques importantes entre le XVe siècle et la constitution des dépôts d’archives nationaux à partir du XIXe siècle. La layette contenait indubitablement les chartes et instruments notariés relatifs à Heusden et transférés aux Archives générales du Royaume à la Haye dans le fonds dit des « Handschriften, Derde Afdeling ». L’origine du fonds remonte à l’année 1891 lorsque environ 450 chartes, dites « Weense oorkonden » furent cédées par l’Autriche aux Pays-Bas. Ce fonds avait été emmené par les Autrichiens en 1794 au sein d’un ensemble de chartes appartenant au fonds des Chambres de Comptes. Parmi celles-ci figuraient donc certains actes extraits du chartrier originel des ducs de Brabant. Ces actes qui auraient dû réintégrer le fonds des chartes de Brabant aux Archives Générales du Royaume à Bruxelles ne firent pas partie du dernier échange d’archives relatif à ce fonds entre les Pays-Bas et la Belgique en 1953 (Aerts 1996, p. 453). 153 L’origine des ancêtres d’Edmond de Dynther, provient du hameau de Dinther (aujourd’hui commune de HeeswijkDinther, province du Brabant septentrional, Pays-Bas), proche de Bois-le-Duc. Au début du XIVe siècle, plusieurs membres de ce lignage sont actifs dans la mairie de Bois-le-Duc dont un Albert de Dynther, seigneur et chevalier possédant des biens dépendant de l’abbaye de Berne, dans la paroisse de Dinther (Camps 1979, vol. 2, n°766, pp. 915-917 [28/8/1308]) ; Stein 1994, p. 79 et p. 83. 154 Thierry de Dynther apparaît dans sept chartes, souvent aux côtés d’un autre garant nord-brabançon, Gérard van der Aa : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n° 37510, B.10, lade 8 [4/7/1325] ; n°37520, B.10, lade 8 [9/8/1326] ; n°37526, B.10, lade 9 [25/12/1326]  ; n°37518, B.10, lade 8 [9/8/1327]  ; n°37534, B.10, lade 9 [23/9/1328]  ; n°37536, B.10, lade 9[2/4/1330] ; n°37540, B.10, lade 9 [24/6/1330]. 155 Edmond de Dynther connaissait bien l’histoire politique de Heusden comme l’illustre sa chronique (rédigée vers 1440), portant sur la campagne militaire des Brabançons en Brabant septentrional en 1420-1421. Il y relate qu’ Heusden— alors légalement sous domination hollandaise— fut prise en 1420 lors d’une des campagnes militaires des Brabançons contre le comté de Hollande. Jacqueline de Bavière y fit sa joyeuse entrée comme duchesse de Brabant. Le gouverneur local, un noble hollandais, dût jurer d’administrer la ville dans l’intérêt du Brabant ou sinon, se démettre de sa fonction. Les troupes brabançonnes, sous la direction du comte de Saint-Pol, occuperaient la ville jusqu’à ce qu’elles soient dédommagées de leurs dépenses militaires pour la prise de Heusden et de Geertruidenberg. En d’autres termes, De Dynther saississait très clairement les rouages de la construction juridique imaginée pour garder Heusden et son pays en engagère, sans que l’occupant brabançons ne puisse montrer un droit de propriété sur la ville, cf. Hoppenbrouwers 1992, pp. 6-7 et de Ram 1854-1860, t. 2, Bruxelles, pp. 522-523, livre 5, cap. 93-94 (1420-1421) ; Stein 2004, p. 190 .

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

proclamation 156. Le duc de Brabant pouvait espérer des indemnités oscillant entre 12,5 et 39 % de la somme principale en échange de sa collaboration à l’encaissement des dettes de Jean V de Heusden157. Pour bien saisir l’efficacité redoublée des banquiers piémontais, soutenus dans leurs opérations de crédit par une pluralité de pouvoirs, il importe de sérier les différents acteurs participant à ce marché de la dette lombarde, un marché où les titre de créances lombards pouvaient circuler, en étant commercialisés et transmis à des tiers. Cette circulation de titres de créance émis par des financiers réputés usuriers notoires était tout à fait décisive pour le succès de la banque lombarde et son admission sociale. Dans cette perspective, j’ai analysé successivement les co-débiteurs et les personnages se portant garant du sire de Heusden, emprunteur principal, les témoins assistant au contrat d’emprunt, les courtiers-hôteliers et intermédiaires informels mettant à disposition leur domicile pour accueillir l’emprunteur et enfin, les représentants de l’autorité publique authentifiant les emprunts à savoir les échevins urbains et les notaires. La certification publique conforte immédiatement l’idée d’un crédit de nature politique : aucunes lettres d’emprunt n’étaient en effet certifiées par lettres obligatoires sous seing privé simplement scellées. Les prêteurs avaient sûrement refusé d’authentifier leurs actes avec les seuls sceaux du débiteur et de ses garants158. Plutôt que de m’attacher aux modalités d’intervention des différents acteurs de ce marché du crédit, j’essayerai de dégager l’importance respective des différents groupes sociaux tel qu’elle ressort de ces trois champs d’intervention de l’opération de crédit : la caution, l’intermédiation – et je comprends en cela les témoins de l’emprunt – et la certification publique du crédit159. Un premier groupe social occupe une place privilégiée dans le cautionnement ; il s’agit de la chevalerie issue du pays de Heusden et de la mairie de Bois-le-Duc, vassale 156 Die hertoich van Brabant machticht den toonre sbriefe, geliken den drossaert van Brabant, omme te manen over al in

Brabant der Lombarde sculden van Huesden etc., datum xiiic xxxj octava die junii (N.A., Graven van Holland, Leen en Registerkamer, inv. n° 2118, f°85r° [8/6/1331]). Entre 1323 et 1329, c’est un Bruxellois, le patricien Rodolphe Pipenpoy (voir Smolar-Meynart 1991, p. 526). 157 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37516, B.10, lade 8 [1325] ; 37522, B.10, lade 8 [5/11/1326] ; n°37523, B.10, lade 9 [5/11/1326] ; n°37536, B.10, lade 9[2/4/1330] ; n°37540, B.10, lade 9 [24/6/1330] ; n°37534, B.10, lade 9 [23/9/1328] ; n°37539, B.10, lade 10 [1329]  ; n°37514, B.10, lade 11 [10/6/1325]  ; n°37517, B.10, lade 11 [8/5/1326]  ; n°37513, B.10, lade 11 [8/7/1325]. Dans la plupart des cas, ces « taxes de perception » étaient versées au duc de Brabant sans préjudice de la somme principale. Le taux moyen s’établit à 24,5%. Au sujet de la variabilité de ce quint denier, forcément liée aux conditions politiques prévalant, voir Cullus 1991, pp. 176-177. Les recettes provenant des amendes perçues sur les dettes aux Lombards, non-acquittées au terme prévu sont reprises dans la recette ducale dans la seconde moitié du XIVe siècle. Elles sont parfois perçues par les officiers de justice locaux : Martens 1954, p. 158, n. 4. 158 Les lettres obligatoires authentifiées uniquement par les sceaux du débiteur principal, Jean de Heusden et de ses éventuels co-débiteurs ne sont au nombre que de trois, dont deux sont renforcées des sceaux d’une autorité publique, le comte de Gueldre (37537) et le duc de Brabant (3758) : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3758 , B.10, lade 9 [22/2/1325 n.s.] ; n°37526 , B.10, lade 9 [25/12/1326] ; n°37537 , B.10, lade 9 [26/9/1329]. Mais il ne s’agit jamais d’emprunts, ce sont soit des lettres de non-préjudice pour les garants d’emprunts précédents, soit des lettres d’engagement de droits seigneuriaux. L’analyse qui va suivre peut paraître fastidieuse, mais elle permet de reconstituer le fonctionnement d’un réseau de crédit qui est loin de se limiter aux seuls prêteurs astésans. Elle s’inspire notamment des méthodes employées par Dutour 1998, pp. 466-472, reconstituant à partir d’actes notariés les réseaux de notables dijonnais. 159 En ce qui concerne les co-débiteurs simples garants, j’ai pondéré le nombre de mentions de bourgeois des villes en leur donnant un coefficient maximal de deux par occurrence dans chaque acte afin de ne pas transmettre une fausse impression d’une majorité d’élites bourgeoises cautions. En effet, numériquement majoritaires dans certains actes, comme dans le cas des bourgeois de Heusden, ceux-ci ne le sont pas forcément au vu du nombre total d’actes pris en compte. Précisons que l’identification des groupes sociaux amenés à assister le seigneur de Heusden dans le remboursement de ses dettes n’est nullement exhaustive mais permet de dresser une image relativement fidèle des groupes de garants et de leurs motivations propres, compte tenu d’un échantillon de 40 actes étudiés.

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Chevaliers de la mairie de Bois-leDuc (2) 3%

Chevaliers du pays de Heusden, vassaux du duc de Brabant (13) 19%

Non-identifiés (4) 6% Lombard de Heusden (1) 1%

Chevaliers de la mairie de Bois-leDuc, vassaux du duc de Brabant (4) 6%

Bourgeois de Heusden (8) 11% Bourgeois 14% Bourgeois de Bruxelles (2)3%

Moyenne-noblesse vassale du duc de Brabant(2) 3%

Moyenne-noblesse, parentèle de Jean de Heusden (32) 46%

Bourgeois de Bois-le-Duc(1) 1% Haute-noblesse vassale du duc de Brabant (2) 3%

Graph. 7 Identité sociale des cautions du seigneur Jean V de Heusden

Chevaliers du pays de Heusden, vassaux du duc de Brabant 24%

Chevaliers du pays d'Altena, vassaux du seigneur de Hornes 9%

Bourgeois 29%

Chevaliers de la mairie de Bois-le-Duc 5% Chevaliers de la mairie de Boisle-Duc, vassaux du duc de Brabant 19%

Bourgeois de Heusden 10%

Bourgeois de Bois-le-Duc 19%

Moyenne-noblesse, parentèle de Jean de Heusden 14%

Graph. 7 bis. Identité sociale des cautions effectives du seigneur Jean V de Heusden

du duc de Brabant. Sous cette appellation, il sera question ici d’une classe sociale se réclamant du titre de chevalier et aspirant à entrer dans la noblesse  : ces quasi-hobereaux jouaient de leurs deniers pour acquérir des droits seigneuriaux des membres de la haute-noblesse. Tant dans le cautionnement simple (graph. 7)(26%) que dans le cautionnement effectif, avec une présence dans 47% des actes (graph. 7bis), des chevaliers se déclarèrent disposés à se rendre dans une auberge pour leur seigneur, en cas de défaut de payement mais aussi, à le remplacer intégralement dans ses obligations pécuniaires160. Dans la mairie de Bois-le-Duc, Thierry de Dynther, comme il a été dit plus haut, cautionna ainsi à de nombreuses reprises les engagements du seigneur de Heusden entre 160 Par cautionnement effectif, j’entends les garants qui endossèrent réellement la dette mentionnée dans le contrat lors

d’un contrat de reprise de dette, au contraire des garants simples mentionnés dans lors de la conclusion du premier contrat d’emprunt.

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1325 et 1330161. Il intervenait notamment aux côtés d’un chevalier de la mairie de Heusden et d’un patricien de Bois-le-Duc pour rembourser un prêt lombard en souffrance depuis 1320162. De Dynther relevait deux fiefs du duc de Brabant, l’un dans son terroir natal et l’autre à Sint-Oedenrode163. Dans le pays de Heusden, Gérard van der Aa, d’un lignage de hobereaux, se distinguait par son cautionnement fréquent. Ses investissements fonciers à la campagne étaient notables. Lui aussi était vassal de Jean III pour des biens détenus à Bois-le-Duc, tout en gravitant dans l’orbite politique du seigneur de Heusden. Van der Aa fit son entrée dans la noblesse aisée à cette époque164. Symptomatiquement, des vassaux du seigneur Gérard de Hornes, Emond de Emmichoven et Louis de Borchgreve, originaires du pays d’Altena, participèrent aussi à cette aventure (10%)165. Comment expliquer cette abondance du groupe des chevaliers et spécialement ceux issus du pays de Heusden et d’Altena dans le cautionnement du crédit lombard ? Deux raisons doivent, me semble-t-il, être invoquées. En premier lieu, les élites foncières des campagnes environnant Bois-le-Duc et Heusden étaient sensibles aux valeurs culturelles véhiculées par la société urbaine et, inversément, la société urbaine était de plus en plus séduite par des modèles de comportements dictés par la société chevaleresque. Le succès des tournois sur les places de marché des villes et notamment à Bois-le-Duc en est une preuve très parlante166. En venant résider en ville, dans une auberge, comme otage d’une dette, les chevaliers avaient l’opportunité d’entrer dans la sociabilité des milieux marchands et politiques de la ville. Ils pouvaient, par exemple, obtenir des informations sur la nature de la protection juridique offerte par la ville de Bois-le-Duc ou par la ville de Heusden en matière de bourgeoisie foraine, permettant de jouir du statut de bourgeois d’une ville tout en résidant le plus souvent à l’extérieur des murs. Une véritable stratégie d’acquisition de points d’appui juridique en ville semble de la sorte perceptible parmi les Borchgreve, un des lignages ruraux du pays d’Altena à la fin du XIVe siècle, le but final étant l’accès à la magistrature communale de Bois-le-Duc167. Le pays de Heusden était pareillement un territoire où les grands propriétaires terriens recherchaient la garantie juridique des échevins urbains, notamment en matière de juridiction gracieuse. Ces détenteurs de revenus fonciers propageaient ensuite dans les campagnes les valeurs culturelles propres à la société urbaine, telles que la bourgeoisie foraine ou la garantie échevinale 161 Voir supra, p. 209, n. 154. 162 Il s’agissait de Gérard van der Aa, chevalier de la mairie de Heusden et de Gérard de Megen : Jacobs 1986, p. 39 et

p. 247 et pp. 254-255, mentionne un Nicolas de Megen, échevin en 1294-1295 en 1300 et encore dans les années 1327-1329. Deux autres personnages dont l’origine et le statut social restent indéfinissables sont Guillaume de Haren et Jean de Druempt. Il s’agit peut-être de hobereaux locaux (N.A., Handschriften, Derde afdeling, 37520, B.10, lade 8 [9/8/1326] ; n°375 19, B.10, lade 8 [16/9/1326] et n°37518, B.10, lade 8 [9/8/1327]). 163 Galesloot 1865, p. 255. 164 Hoppenbrouwers 1992, vol. 1, p. 357 et p. 359. Van der Aa tient son patronyme de la rivière confluant à Bois-le-Duc avec le Dommel et se jettant dans la Meuse. Gérard van der Aa et son fils détenaient des fiefs à Bois-le-Duc : Galesloot 1865, p. 299, n. 2 et 3. Le statut social transitoire de Gérard van der Aa est visible dans le fait qu’il est parfois qualifié d’écuyer dans les actes de cautionnement pour le seigneur de Heusden  : N.A., Handschriften, Derde afdeling, 37512, B.10, lade 8 [19/7/1325].  165 N.A., Handschriften, Derde afdeling, 37537, B.10, lade 9 [26/9/1329]  ; 37520, B.10, lade 9 [12/10/1329].Au sujet de la vassalité des Emmichoven, familiers du cautionnement des prêts lombards, voir supra, p. 193, n. 92. Quant à Louis de Borchgreve, un des ses parents, Thierry, homme de fief du pays d’Altena, épouse une sœur de Gérard de Hornes : Klaversma 1985, p. 36. 166 Pleij 2007, pp. 108-109. 167 Il s’agit au départ d’un lignage possessioné dans la terre d’Uitwijk, possédant terres et armoiries mais dépourvu de droits seigneuriaux qui s’installe dans la ville de Bois-le-Duc au début du XVe siècle, tout en gardant ses attaches rurales. Plusieurs de ses membres obtiennent des mandats urbains vers le milieu du XVe siècle : Kusman 1995a, voir pp. 103-115. La famille ne dédaigne pas de manier l’argent, voir Ibidem, n°6a [31/10/1387] et n°7a [31/10/1389], pp. 110-111.

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en matière d’exécution des dettes. Plusieurs membres de familles de l’aristocratie foncière des environs de Heusden acquirent rapidement des postes dans le magistrat urbain dans le courant du XIVe siècle168. Le cautionnement pour des dettes à des Lombards s’intégrait dans la transmission de ces valeurs propres à la société urbaine, aux nombres desquelles, la certification publique des actes commerciaux. En second lieu, on l’a dit, la reprise de dette servait aux chevaliers « d’ascenseur social » vers l’accès à la pleine noblesse, du fait de l’obtention de droits seigneuriaux en garantie de leurs avances de capitaux. Le statut, fréquent à cette époque, pour ces chevaliers, de vassal du duc de Brabant, dessine clairement le cadre institutionnel de leurs ambitions, celui de l’État brabançon en formation. Après la chevalerie, il me faut relever le rôle prédominant de la parentèle du seigneur de Heusden, très active aussi bien dans le cautionnement simple que dans le cautionnement effectif des emprunts de Jean V de Heusden (voir graphiques 7 et 7bis). L’endettement d’un membre du groupe familial des Heusden auprès de Lombards était censé mettre à l’épreuve la solidarité lignagère de la maison aristocratique. Cette participation des parents ne différait d’ailleurs pas des observations faites au sujet d’autres groupes sociaux, paysannerie notamment, en matière de crédit rural, qu’il s’agisse de prêts ou de cautionnement. En revanche, les buts de cette garantie familiale pouvaient différer ; il ne s’agissait pas forcément, de maintenir à tout prix l’intégrité du patrimoine familial d’un frère ou d’un fils comme dans le cas des domaines fonciers de la paysannerie169. Dans le cas présent, la parentèle était plus éloignée ; Guillaume de Kranendonk et Gauthier van der Heiden étaient respectivement les oncles maternel et paternel de Jean V. Jean de Megen était le neveu de ce dernier170. Les riches possessions du pays de Heusden, situées à un nœud géographique primordial du commerce mosan, légitimaient le pragmatisme des garants par rapport aux risques du crédit lombard et, par conséquent, déclenchaient les convoitises. Grâce à ses avances d’argent, Guillaume de Kranendonk reçut en engagère pas moins de cinq moulins appartenant à la seigneurie de Heusden : les deux premiers étant à Heusden même, les trois derniers à Baardwijk, Genderen et Wijk. Le moulin de Baardwijk n’était situé qu’à 14 km. à l’ouest de Bois-le-Duc et participait sans doute de l’approvisionnement en céréales de la ville. Kranendonk obtint en outre une somme de 160 lb., représentant l’arriéré du terme échu d’une rente annuelle de 100 lb. qu’il percevait avec son co-garant, Gérard van der Aa 171. La bonne entente de Kranendonk avec les Lombards de Bois-le-Duc, Bruxelles et Malines représentés par Martino de Crabiello est très vraisemblable car Guillaume utilisait les mêmes techniques que ceux-ci pour se faire rembourser172. 168 Hoppenbrouwers 1992, pp. 187-191 et Boone 1996b, pp. 169-170.  169 Fontaine 1998, p.  15. Deux études prosopographiques récentes ont toutefois nuancé le tableau en indiquant une

minorité de cautionnement intra-familial, pour l’Angleterre : Pimsler 1977, p. 6 et Postles 1996, pp. 432-434. La majorité des quelques cas de cautionnement intra-familial concerne les pères et les fils ou les époux et épouses. 170 Gauthier van der Heiden, frère de Jean III de Heusden est donc l’oncle paternel de Jean V de Heusden (Avonds et Brokken 1975, p. 33 et p. 36). Jean de Megen est le neveu de Jean V de Heusden, cf. N.A., Handschriften, Derde afdeling, n° 3758, B.10, lade 9 [22/2/1325]. 171 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n° 3755, B.10, lade 8 [30/7/1324], acte authentifié par les échevins de Bois-le-Duc, Pierre van den Steen et Jean Ayken. 172 Par ex. dans N.A., Handschriften, Derde afdeling, n° 37524, B.10, lade 11 [3/12/1326] : Jean de Heusden et Jean de Megen promettent de rembourser solidairement et sur leurs biens le noble seigneur et chevalier Guillaume de Kranendonk, la somme de 35 lb. de v. gr. due au créancier principal, Martino de Crabiello, demeurant à Bois-le-Duc et représentant Gabriele de Broglio et Ruffino de Valfenera. L’acte notarié, passé à Bois-le-Duc, précise que Jean de Heusden et Jean de Megen rembourseront Kranendonk à sa simple semonce, tout en s’engageant à renoncer à toutes les exceptions de droit romain leur permettant d’éluder le dit remboursement.

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Il recourait d’ailleurs lui-même à leur crédit173. Point ultime de rattachement de Guillaume de Kranendonk à la culture du crédit diffusée par les Lombards, il était apparenté à Gérard de Hornes, fervent promoteur de «  l’ingénierie financière lombarde  »174. Kranendonk était au surplus un représentant estimable de la noblesse brabançonne. Vassal de Jean III de Brabant et allié aux Berthout, il était, on l’a déjà dit, conseiller du duc de Brabant175. Le neveu de Jean V de Heusden, Jean de Megen, était aussi pragmatique que Guillaume de Kranendonk à l’égard des obligations financières. Ses entreprises de cautionnement effectif culminèrent en 1325 avec l’engagement à son bénéfice des revenus de tous les tonlieux prélevés dans le pays de Heusden pour un terme de quatre années en vue de rembourser ses avances de fonds. La portée concrète d’un tel engagement est visible dans la validation de l’acte d’engagère par le duc de Brabant Jean III, lequel promit à Jean de Heusden et à Jean de Megen de faire respecter les conditions écrites de la charte, au besoin par la force176. Le cautionnement de Jean de Megen, remontait déjà à 1320, ce qui explique cette saisie forcée des revenus de la fiscalité de transit. Jean de Megen allait être récompensé ultérieurement de son action dévouée par le duc de Brabant qui le nommera écoutête de Bois-le-Duc vers 1332. L’entrée dans l’administration ducale se doubla sans doute de contacts réguliers avec le receveur de Brabant Giovanni de Mirabello que Jean de Megen connaissait sûrement depuis l’époque des premières opérations de crédit des Lombards brabançons à Jean V de Heusden177. Troisième et dernière catégorie sociale importante représentée dans les rapports de crédit du seigneur de Heusden, la haute-bourgeoisie de Bois-le-Duc et de Heusden cautionnait volontiers les emprunts de Jean V. J’ai émis l’hypothèse d’un investissement dans la dette seigneuriale par la chevalerie et la petite-noblesse du Brabant septentrional, investissement destiné à améliorer leur statut et leur capital symbolique. Ceci s’appliqua largement aux patriciens de Heusden des familles Spierink van Aalburg et Kuist van Wijk, gros propriétaires fonciers dans l’hinterland de Heusden. Ils aspiraient à entrer dans le monde de la chevalerie178. Le crédit lombard servait de véhicule à leurs ambitions sociales. En 1326, Gérard Spierink et Jean Kuist s’abouchèrent au Lombard de Heusden, portant le sobriquet de Passerin, alias Rainerio Bertaldo, pour rembourser un prêt des Lombards de

173 Croenen 2006, n°123, pp.  169-170 [8/1/1324]  : lettres de non-préjudice de Guillaume de Kranendonk à Florent Berthout, seigneur de Malines et Robert, seigneur d’Asse pour s’être portés cautions d’un prêt de 12 lb. v.g. t. octroyé par Frank d’Amore et Leone de Mirabello. 174 Klaversma 1985, pp. 23-24 : Guillaume de Kranendonk est un petit-neveu de Gérard de Hornes. 175 Avonds et Brokken 1975, p. 27. Pour le statut de vassal et de conseiller ducal de Guillaume de Kranendonk, voir supra, p. 208. Au sujet de la parenté des Kranendonk avec Sophie, fille de Florent Berthout, sire de Malines et de Mathilde de la Marck : Croenen 2003, p. 263. 176 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3758, B.10, lade 9 [22/2/1325 n.s.], l’acte est une lettre obligatoire scellée par les sceaux du duc de Brabant et du seigneur de Heusden. Datation erronée au 23/2/1326, dans Avonds 1984, p. 122. La seigneurie de Heusden suit le style de l’incarnation : Strubbe et Voet 1991, p. 481. 177 N.A., Handschriften, Derde afdeling, 37520, B.10, lade 8 [9/8/1326]  : Jean de Heusden et Jean de Megen reconnaissent, comme débiteurs principaux sur leurs personnes et leurs biens, qu’ils sont redevables de la somme de 350 lb., due à Martino, Lombard de Bois-le-Duc, comme l’attestent des lettres datées de 1320. Ils déchargent Gérard de Megen, Gérard van der Aa, Thierry de Dynther, Guillaume de Haren et Jean de Drumpt de toute responsabilité pour leur cautionnement et Avonds 1984, p. 123 et Martens 1943, n°28, pp. 72-73 [15/11/1332] : acte d’arrentement perpétuel du droit de mouture des paroisses de Nuland et Rosmalen dans l’hinterland de Bois-le-Duc, pour 40 s. de n.t., payables annuellement à la Saint-Rémy. 178 Une chronique du XVe siècle les rattachera même par un lointain lien de parenté à la famille de seigneurs de Heusden Hoppenbrouwers 1992, vol. 1, p. 179.

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Bois-le-Duc, d’un montant de 16 lb. de v. gr., aux côtés des co-débiteurs principaux, Jean de Heusden et Jean de Megen179. En revanche, pour les élites urbaines de Bois-le-Duc, les déboires financiers de Jean V de Heusden outrepassaient les intérêts privés. Le contrôle par la dette de ce baron très indépendant donnait aux élites urbaines un droit de regard sur la fiscalité de transit prélevée à Heusden sur le commerce de Bois-le-Duc180. La célèbre chronique de la ville, écrite par le clerc communal Pieter van Oss, consacra pas moins de deux chapitres aux événements ayant mené à l’inféodation progressive de Heusden au Brabant, depuis le remboursement à Giovanni de Mirabello du prêt de 6 000 lb. n.t. par Gérard de Hornes et Jean van den Elshout en 1317, jusqu’au conflit entre le duc de Brabant et le comte de Hollande pour la suzeraineté de Heusden en 1319-1322181. Ceci justifie la participation relativement importante de deux membres des élites dirigeantes de la ville, Gérard de Megen et Jean Lysscep, au cautionnement effectif. Le premier s’était constitué à maintes reprises co-débiteur avec les chevaliers des pays de Heusden et de Bois-le-Duc, Gérard van der Aa et Thierry de Dynther182. Il s’associa également avec Jean Lysscep183. La famille de ce patricien, échevin de Bois-le-Duc, était sans doute intéressée aux profits de la banque des Mirabello à Bois-le-Duc. Lysscep avait participé à l’opération d’endettement du sire de Heusden en bon connaisseur du terroir local ; c’était un homme d’affaires investissant ses deniers depuis longtemps dans l’arrière-pays de Bois-leDuc, à Meerwijk par exemple, au nord, village situé dans la sphère d’influence des seigneurs de Heusden. Mais Lysscep plaçait ses deniers également dans le quartier marchand de la ville, dans la Hinthamerstraat ce qui faisait de lui un intermédiaire entre monde marchand et campagnes nord-brabançonnes184. J’ai évoqué jusqu’à présent, en l’estimant quantitativement, la part respective prise par l’aristocratie foncière et par le patriciat urbain dans les rapports de crédit générés par les banquiers piémontais. L’intermédiation et la certification publique me paraissent en revanche se prêter d’avantage à une approche qualitative des acteurs de ce marché du crédit, spécialement pour les emprunts notariés. Commençons par l’intermédiation, qu’elle soit formelle ou informelle, car elle joua un rôle important dans l’asymétrie de l’information ayant joué contre le seigneur Jean V de Heusden. 179 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37523, B.10, lade 9 [5/11/1326]. 180 On a vu plus haut que les tonlieux du pays de Heusden avaient été engagés à Jean de Megen, progressivement gagné à

l’alliance brabançonne.

181 Sanders, et Van Synghe 1997, pp. 55-56 (f°77v° et f°79r°), sous le titre Angaet Heusden. La chronique fut écrite par

Peter van Os, secrétaire de la ville de Bois-le-Duc (1498-1542), les événements étant décrits par année échevinale jusqu’en 1523 (Ibidem, introduction, p. X). Sur la grande fiabilité de cette chronique notamment en ce qui concerne la retranscription par le clerc des documents diplomatiques et leur datation précise :Ibidem, p.XXXIII et Sanders 1998, pp. 89-100. 182 Voir supra, p. 212, n. 162 et N.A., Handschriften, Derde afdeling, 37528, B.10, lade 9 [15/8/1328] : Gérard de Megen y apparaît comme garant-créancier de Jean de Heusden pour une somme de 600 lb. remboursable en quatre termes annuels, le seigneur Jean de Megen sera dédommagé par Jean de Heusden de tous frais subis dans sa fidéjussion pour ce remboursement. 183 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37521, B. 10, lade 8 [23/8/1326]. 184 S.H., Bosche Protocollen (Schepenprotocool), abrégés par la suite par B.P.R., n°1179, f°560, mentionnant la possession par Aghicus et Jean Lysscep, du vivant de Giovanni de Mirabello, receveur de Brabant et de son fils Simone, seigneur de Perwez, des titres de propriété des deux Astésans sur deux héritages situés dans la seigneurie de Heusden. Lysscep est échevin entre 1304 et 1335 : Jacobs 1986, pp. 248-251 et pp. 255-256. Pour les opérations de crédit de Lysscep, voir entre autres : Camps 1979, vol. 2, n° 676, pp. 807-808 [16/12/1304] ; n°736, pp. 882-883 [20/2/1307] et n°807, pp. 979-980 [20/12/1309]. Au sujet de Meerwijk, voir aussi Avonds 1984, pp. 124-125.

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Classiquement, des courtiers-hôteliers issus du patriciat et des groupes médians offrirent l’hospitalité de leur domicile pour accueillir les transactions notariées des Piémontais et de leurs débiteurs aristocrates. Offrir son témoignage pour garantir la probité d’une opération commerciale était une activité classique des courtiers-hôteliers tout comme le courtage ou le cautionnement. Il est raisonnable de penser que ces intermédiaires agirent à la demande des prêteurs ; leur présence insufflait de la confiance dans les contrats de prêt notariés185. Plusieurs Bruxellois, bourgeois lignagers de la meilleure naissance, comme les frères Everard et Jean Tserclaes ou le pelletier Amaury de Boitsfort, accueillirent dans leur hôtels respectifs des Ridderstrate et Vederstrate le seigneur de Heusden et ses prêteurs astésans, représentés par leur mandataire local, Ruffino de Valfenera ou Martino Frenario186. Assurément, des liens de voisinage et de solidarité dans les affaires préexistaient ; la Ridderstrate et la Vederstrate concentraient les habitations principales des dirigeants de la banque piémontaise dans la ville, les De Mercato et les Roero au moins depuis le règne de Jean II (1294-1312)187. Les patriciens bruxellois des familles Tserclaes et Boitsfort investissaient un bonne part de leurs capitaux improductifs sur les marchés du crédit suprarégional, spécialement dans le domaine des achats de rentes viagères, réputés bons placements. Leur implication dans l’endettement du seigneur de Heusden, plus spéculatif, montrait leur accès constant à des informations fiables, grâce à leur collaboration avec les Piémontais mais aussi avec les changeurs communaux des grandes villes brabançonnes188. Témoin occasionnel des transactions lombardes, le financier et courtier informel bruxellois Daniel de Pede se montrera par contre un plus zélé intermédiaire dans son appui au négoce des Piémontais : il se présenta en juin 1325 puis à nouveau en juillet suivant, comme co-débiteur de Jean V de Heusden, en particulier aux côtés des conseillers et nobles brabançons Arnould de Kraainem, Jean de Megen et Gérard de Viane pour un emprunt de 19 lb. de v. gr. conclu à Bruxelles auprès des prêteurs Ruffino de Valfenera, Giovanni de Broglio et leurs associés, Martino Frenario, Martino de Crabiello et Gerardo Roero189. En une autre occasion, Daniel de Pede mit la chambre de la demeure où il résidait à disposition pour abriter un autre emprunt par 185 Reyerson 2002, pp. 170-173. 186 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37517, B. 10, lade 11 [8/5/1326], l’emprunt est conclu in curti mansionis

Everardi dicti Ser Claus sitae in plathea dicta Ridderstrate. Amaury dit de Boitsfort, accueille les Lombards et leurs débiteurs dans sa demeure (N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37514, B.10, lade 11 [10/6/1325]). Cet Amaury, cité comme pelletier, réside dans la Vederstrate, à proximité de la demeure des Lombards de la Ridderstrate (A.G.R., n°44824, censier de 1321 pour l’ammanie de Bruxelles, f° 3v°). Au sujet de l’appartenance patricienne des Tserclaes, voir Godding 1959-1960, vol. 5, pp. 105-106 et au sujet de celle des de Boitsfort : Charruadas 2008, vol. 2, annexe 1, p. 20. 187 L’activité des courtiers-hôteliers de la Vederstrate remontait au moins à la dernière décennie du XIIIe siècle, lorsque Henri Vederman accueillit dans sa demeure plusieurs princes territoriaux de haut rang, alliés à Édouard Ier et pratiquait le prêt sur gages, cf. 2e partie, chap. 2, pp. 150-151. À propos de la demeure des de Mercato et Roero dans la Lange Ridderstrate : Kusman 2007, pp.  147-154. Cette demeure imposante dotée d’un porche comportait peut-être également une cour intérieure. 188 Les frères Tserclaes, Everard et Jean, disposent de rentes viagères de 6 lb. v. gr. sur le change de Malines qui leur servent à effectuer des virements. Elles sont gérées par le changeur bruxellois Jean van den Hane qui correspond avec son alter ego malinois (S.M., S.R., S.I, n°8, 1321-1322, f°71r° ; A.G.R., C.C., n°41193, compte de la seigneurie de Malines, 1330, f°1v°). Amaury dit de Boitsfort, ou en tout cas sa famille, était intéressée dans les opérations de crédit de la banque lombarde. En 1328, l’abbaye hainuyère de Vaucelles, lourdement endettée auprès de la société de prêt de Giovanni de Mirabello, doit émettre des rentes viagères pour rembourser ses créanciers piémontais. Parmi les crédirentiers, on retrouve plusieurs membres de la famille de Boitsfort, Alice, et ses filles, Catherine et Elisabeth et son fils, Rainier ainsi qu’une autre Catherine de Boitsfort : A.D.N., 28 H., n°1674 W.W, n°15 [6/5/1328]. 189 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37514, B. 10, lade 11 [10/6/1325] : caution ; n°37511, B.10, lade 10 [8/7/1325] : caution ; n°37517, B. 10, lade 11 [8/5/1326] : témoin. 

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contrat notarié, conclu chez les banquiers Giovanni de Mirabello et son fils, Simone190. Daniel était sans nul doute un brasseur d’affaires aguerri doublé d’un personnage influent à la cour bruxelloise. Appartenant au patriciat urbain dès cette époque, sa famille entra dans l’administration ducale dans les années suivantes191. Certains bourgeois membres des élites politiques brabançonnes imposèrent aussi leur participation aux actes comme simples représentants de l’élite urbaine et partant, comme garants de l’intégrité des banquiers lombards. Le patricien bruxellois Louis Esselen, témoin d’une des transactions, actait comme échevin de Bruxelles moins d’un an plus tard, aux fins d’authentifier un nouvel emprunt de Jean V de Heusden. Esselen ne faisait que traduire en actions la propension des patriciens bruxellois à s’immiscer dans toutes les affaires d’argent s’apparentant à de la haute finance, y compris celles des Lombards192. D’autres intermédiaires non-financiers étaient chargés de témoigner de la véracité du contrat conclu ; ils étaient membres de la haute et de la moyenne noblesse, vassale du duc de Brabant. Jean de Heusden étant considéré par Jean III de Brabant comme son vassal : le duc de Brabant imposa officiellement la présence de ses hommes de fief comme témoins des emprunts aux banquiers lombards de Bois-le-Duc, Bruxelles et Malines193. Officieusement, leur rôle allait au-delà du témoignage et consistait à rendre Jean V de Heusden moins attentif à l’égard des mesures juridiques préventives prises à son encontre en vue d’assurer le payement de la dette. Le succès du crédit lombard notarié résidait à nouveau dans le fait qu’il mêlait habilement coutumes féodales d’assistance et de conseil, mécanismes de garantie commerciale, droit coutumier et droit savant. Ce contenu hétérogène rendait les actes d’emprunt aussi lisibles pour les aristocrates que pour le monde des marchands en faisant référence aux principes moraux et professionnels qui commandaient leur vie quotidienne respective194. Sur un total de neuf actes notariés, au moins dix vassaux du duc de Brabant furent présents dans cinq actes195  : Rasse de Liedekerke dit de Herzele, seigneur d’Aspelaer, un fils cadet du lignage des Liedekerke, seigneurs de Breda, Arnould, seigneur de Kraainem, Gérard, seigneur de Vianen, bientôt seigneur de Grimbergen196, un autre cadet de famille, 190 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37513 B. 10, lade 11 [8/7/1325]. 191 Dès 1319, Daniel de Pede, «  tenant pension à Bruxelles  » —qui tenet pensionem infra Bruxellam— promettait de

donner à Henri Riddere ou à son agent une somme de 52 s. et 6 d. de v. gr. tour., somme pour laquelle il engageait ses bien allodiaux et mobiliers (Martens 1977, t. 6, n°144, pp. 87 [4/7/1319]).Au sujet de l’appartenance des de Pede au lignage Sweerts : de Waha 1979, p. 108, la famille, originaire d’Anderlecht, s’installe à Bruxelles dès le XIIIe siècle. Le compte de l’amman de Bruxelles Jean de Heiden cite un Daniel de Pede junior au service du sénéchal de Brabant envoyé en mission auprès des receveurs domaniaux de Louvain, Tirlemont et Léau (A.G.R., C.C., C.R., n°2603, compte de l’amman de Bruxelles pour l’année 1333-1334) . Un autre Daniel de Pede aurait été amman de Bruxelles vers la même époque : Henne et Wauters 1968-1972, vol. 2, p. 410. 192 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37514, B.10, lade 11 [10/6/1325] et n°3759, B.10, lade 8 [1/3/1326]  : les échevins bruxellois Gerelm de Platea et Louis Esselen authentifient le prêt du Bruxellois Jean Goddijn. 193 Jean de Heusden accepte lui-même ce statut vassalique. Dans deux actes, il qualifie Jean III comme son cher seigneur : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3758 , B.10, lade 9 [22/2/1325 n.s.] ; n°37523, B.10, lade 9 [5/11/1326]. 194 Cf. les constatations similaires de Reyerson 2002, p. 190, au sujet du discours du notariat provencal pour les actes de commerce, mêlant droit coutumier et droit romain. 195 Avec une moyenne de deux vassaux par actes, j’emploie à dessein cette estimation minimaliste sur le nombre total de vassaux car certains actes notariés sont fort endommagés par des tâches d’humidité, rendant impossible la lecture de toutes les parties contractantes. Sources : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37514, B.10, lade 11 [10/6/1325], n°37511 , B.10, lade 10 [8/7/1325], n°37513 , B.10, lade 10 [8/7/1325], n°37512 , B.10, lade 10 [19/7/1325] ; n°37517 , B.10, lade 11 [8/5/1326]. 196 Drossaers 1948, n°187, p.54 [6 /5/1327]. Identification de Rasse de Liedekerke comme étant Rasse dit de Herzèle, chevalier et seigneur d’Aspelaer († avant 1339) dans de Liedekerke 1961, pp. 345-369. C’est un fils de Rasse XI (†1306), seigneur de Liedekerke et de Breda et d’Alice, dame de Boelare. Ce Rasse disposait en outre d’une maison à Grammont et de rentes et bien-fonds à Breda, relevés en fief du duc de Brabant Jean III.

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le chevalier Godefroid de Kwabeek-Wezemaal, Jean d’Immersele, Gauthier van den Brugghen, Jean, seigneur de Pietersheim, Henri de Farciennes, Jean de Cuyck, seigneur d’Hoogstraaten et Guillaume de Kranendonk. De plus, quatre d’entre eux appartenaient certainement  au conseil ducal, à savoir Gauthier van der Bruggen, Jean d’Immersele, Guillaume de Kranendonk et Henri de Walcourt, sire de Farciennes. Deux d’entre eux, enfin, avaient des liens avérés avec la finance lombarde en Brabant, par l’intermédiaire de leur maison familiale, comme Rasse de Gavre-Liedekerke et Henri de Walcourt, seigneur de Farciennes197. Seules trois familles de la haute-noblesse, les Liedekerke, Kwabeek-Wezemaal et Cuyck avaient des possessions en Brabant septentrional, preuve que l’affaire outrepassait les bornes d’un acte féodal classique198. Dans cette dernière situation, seuls les membres de la cour féodale locale ou des vassaux possédant des biens dans la région auraient été convoqués par le duc. De cette façon, la participation à ces actes notariés de vassaux et conseillers ducaux aux accointances diversifiées éclairait la volonté ducale d’utiliser tous les moyens disponibles pour contraindre Jean V de Heusden au respect de ses obligations. Ces moyens pouvaient être coercitifs, il est vrai, pourtant ils étaient plutôt basés dans le cas présent sur une «  violence douce  »199. En instillant chez le débiteur principal un sentiment de confiance par sa présence solidaire à ses côtés, le groupe aristocratique rendait Jean V plus malléable face aux conditions drastiques du contrat d’emprunt. Un rejeton d’une famille illustre, comme Rasse de Liedekerke, s’attacha même à convaincre Jean de Heusden de la légitimité et du peu de danger des emprunts lombards en se constituant co-débiteur en 1325. Quelques jours auparavant, Arnould de Kraainem et Gérard de Vianen recoururent au même stratagème, en compagnie du bourgeois et courtier bruxellois Daniel de Pede200. Il fallait rassurer le débiteur principal  car, en engageant ses biens mobiliers et immobiliers en garantie du remboursement, Jean de Heusden devait réaliser qu’il le faisait aussi devant ses pairs, des vassaux du duc, ayant scellé avec lui l’acte notarié. Le cas échéant, ceux-ci pouvaient attester la véracité de cet engagement et contraindre le vassal en défaut de payement à accomplir un serment qui était prêté sur les Évangiles, en présence des témoins. 197 On peut rappeler que sa mère, Alice de Boelare, était la protectrice des Lombards de Boelare et était intéressée à leurs

profits (cf. supra, 1ère partie, chap. 2, p. 82). Ainsi, Marguerite, fille de Rasse (XII) de Liedekerke, seigneur de Breda (†1313)­— le frère aîné de Rasse de Liedekerke dit de Herzèle—fait-elle fructifier ses capitaux (sa rente viagère de 50 s. de v.g.) par l’intermédiaire de son valet Simonet dans les mains de Giovanni de Mirabello, sur le change de la ville de Malines dès 1311 : S.M., S.R., SI, n°1, f°131r° (compte de 1311-1312). Sur Rasse XII, seigneur de Breda et politiquement actif en Brabant, voir de Liedekerke 1961, pp. 383-402. Ce Rasse n’ayant pas eu d’enfants légitimes, Marguerite, citée dans les comptes malinois, est sans doute une fille naturelle de Rasse XII (Ibidem, p.  403). Mathilde de Hellebeek, épouse d’Henri de Farciennes, acquiert après 1321 des biens saisis d’un débiteur de Giovanni de Mirabello et de ses associés : Bauduin de Houthem. La qualité de conseillers de Henri de Farciennes et de Giovanni de Mirabello, receveur de Brabant, rend une collaboration entre les deux protagonistes de cette saisie hautement crédible : Kusman 1999b, p. 871. Il faut ajouter qu’un autre membre de cette famille, le seigneur Jean de Hellebeek, conseiller ducal de Jean III (Avonds, Brabant tijdens de regering, vol. n°136, p. 110), effectua, à la suite d’un remboursement d’un de ses débiteurs, un virement au profit de Giovanni de Mirabello, preuve que ce dernier gérait sans doute ses capitaux sur le change de Malines : S.M., S.R., SI, n°2, f°66v°, compte de 1313-1314. 198 Rasse de Liedekerke dispose de fiefs à Breda. Godefroid de Kwabeek était le frère d’Arnould de Kwabeek, seigneur de Bergen-op-Zoom (Dillo et Van Synghel 2000, vol. 2, n°1515, pp. 1291-1293 [1/4/1310]). Jean de Cuyck est vassal du duc pour Hoogstraaten, il possède également des fiefs dans le pays de Breda ainsi que plusieurs fiefs de bourse (Galesloot 1865, p. 131, n. 1 et p. 157). Seigneur d’Hoogstraten entre ca. 1303 et 1357, il possède également des biens à Asten, Mierlo, Nieuwkuyc et Enke. C’est le petit-fils de Jean Ier de Cuyck, fidèle vassal des ducs Jean I et Jean II et protagoniste de l’alliance anglo-brabançonne (Coldeweij 1981, pp. 170-171). 199 Sur le concept bourdieusien de « violence douce » voir Bourdieu 1980, pp. 216-219. 200 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37511, B.10, lade 10 [8/7/1325] ; n°37512, B.10, lade 10 [19/7/1325].

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La symbolique fortement religieuse des cérémonies féodales et l’importance du serment dans le rituel d’hommage est bien connue201. Quant aux conseillers de Jean III, il va de soi qu’ils informeraient leur maître de l’évolution de l’endettement du sire de Heusden. La contractualisation de la dette pouvait être accrue davantage par la présence d’intermédiaires informels inattendus, les prêtres. Leur convocation comme témoins aux actes notariés s’expliquait par la prestation d’un serment par Jean de Heusden sur les Saintes Écritures. L’un de ces ecclésiastiques, Johannis de Amore, appartenait à une famille de prêteurs astésans signalée en Brabant et en Gueldre dans la première moitié du XIVe siècle et associée, entre autres, aux Mirabello202. La sanction religieuse de l’acte, liée aussi à la menace potentielle d’excommunication des débiteurs impénitents, offrait plus qu’une garantie supplémentaire de recouvrer ses deniers : elle offrait la sanction morale de l’Église aux emprunts des Lombards. La certification publique des dettes du sire de Heusden, finalement, était le fait de deux acteurs principaux : l’échevinat de Bois-le-Duc et le notaire public. Les groupes dominants de la ville de Bois-le-Duc avaient un intérêt spécifique à dominer par la dette le seigneur de Heusden, on l’a observé maintes fois et je ne m’y étendrai plus. Les lettres échevinales de Bois-le-Duc, scellées par deux échevins, étaient garantes du succès du crédit lombard en Brabant septentrional. Elles étaient exécutables au terme échu, par payement comptant, par l’engagement de biens immobiliers ou par la vente de gages sans qu’un nouveau jugement judiciaire ne fût nécessaire dans ce dernier cas203. Il n’est donc guère étonnant que sur un échantillon étudié de 41 actes d’emprunt ou de cautionnement, 25 soient authentifiés par des échevinages, dont une majorité par le magistrat de Bois-le-Duc204. Plus neuf pour notre propos est par contre le rôle décisif des notaires publics dans l’asymétrie de l’information du crédit lombard. En plus de leur rôle dans la certification des actes de crédit, les notaires rédigeaient des contrats d’emprunt très favorables aux créanciers. Comment s’exerçait concrètement leur influence sur les actes de crédit piémontais ? Les notaires, habiles auxiliaires du crédit lombard, travaillaient en étroite collaboration avec les élites urbaines, car ils exerçaient souvent simultanément la charge de clercs des chancelleries des villes brabançonnes. Ils étaient au nombre de trois à authentifier les transactions des financiers astésans, tous officiant par autorité impériale. Ils possédaient également la dignité de clerc d’officialité, Jean Daniels ou Daneels et Jean Trippin de Louvain étaient clercs du diocèse de Liège et Jean de Waerloes, dit de Diest était clerc du diocèse 201 N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37515, B.10, lade 10 [19/7/1325] : (. . .)Johannes dominus de Hoesdenne promisit ut debitor principalis sub fide et juramento ad sacrosancta dei ewangelia, tectis scripturis  ; Le Goff 1977, pp.  350-352 et pp. 410-414 . 202 Le prêtre Giovanni de Amore est attesté en 1325  : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37515, B.10, lade 8 [19/7/1325] ; n°37512, B.10, lade 8 [19/7/1325]. Un Bartolomeo de Amore, puis un Rolando de Amore, s’associent aux familles Pulsavino et Bertaldo pour exercer le prêt à intérêt dans le comté de Gueldre  : R.A.G.A., Chartes du comte de Gueldre, n°210 [18/7/1334] et R.A.G.A., Oud Archief Arnhem, chartrier, n°72 [6/1/1340]. En Brabant, un Frank ou Franco d’Amore est l’associé de Leone de Mirabello, probablement en relation avec l’activité de la table de Malines, voir Croenen 2006, n°123, pp. 169-170 [8/1/1324]. Un autre membre de la famille de Amore, Martino, est qualifié de clerc. Il figure parmi les témoins convoqués à Tournai en 1321 lors du partage des créances relatives à l’activité de la maison des Lombards de Gand, à la suite de la donation par Benedetto Roero de ses actifs au pape Jean XXII : A.S.V., Coll. 433a, f°14v° [5/2/1321 n.s.]. 203 Par ex. dans N.A., Handschriften, Derde afdeling, 37523 B.10, lade 9 [5/11/1326]  pour un emprunt à Martino de Crabiello. 204 Seuls deux actes sont authentifiés par les échevins bruxellois et un seul par les échevins de Heusden.

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de Cambrai. Daniels et Trippin œuvraient à Bois-le-Duc tandis que leur collègue Jean de Waerloes officiait à Bruxelles, ce qui correspondait à leur aire juridictionnelle respective, Bois-le-Duc étant située dans le diocèse de Liège et Bruxelles, dans celui de Cambrai. Les actes, délivrés aux créanciers uniquement, étaient des grosses, c’est-à-dire des copies, dont la valeur probatoire était supérieure à celle des minutes notariales, la tenue de registres notariaux restant assez aléatoire dans les anciens Pays-Bas médiévaux205. Contrairement à ce que l’on peut observer des conclusions d’une d’étude menée pour l’époque moderne, il ne semble pas que le rôle des notaires brabançons ait été de mettre en contact l’offre et la demande de crédit et d’améliorer le fonctionnement du marché de l’argent par leur fonction d’intermédiaire entre villes et campagnes206. Cette intermédiation, a priori efficiente pour les deux parties, était assurée par les différents hôteliers-courtiers bruxellois, d’une part, ainsi que les nobles vassaux du duc de Brabant Jean III, représentés à la fois à la cour ducale à Bruxelles et en Brabant septentrional, d’autre part. La passation des contrats notariés dans les demeures d’intermédiaires bruxellois, dans l’étude du notaire ou en terrain neutre confirme que les clients des notaires étaient bel et bien les financiers astésans et non le seigneur de Heusden. Dans le cas contraire, le notaire se serait déplacé jusqu’à Heusden. En s’adressant à un tabellion, dont la réputation était généralement excellente, Martino de Crabiello, Giovanni de Mirabello et leurs associés, en quête de légitimité sociale, avaient tout intérêt à impliquer dans leurs opérations des protagonistes appartenant au monde des élites marchandes et politiques. On peut même se demander si l’exclusion des courtiers-hôteliers bruxellois des transactions lombardes eût été imaginable207. Dans ce contexte, le rôle des notaires employés par les sociétés de prêt lombardes actives en Brabant était d’accroître d’avantage l’asymétrie de l’information aux dépens du débiteur en rédigeant un instrument public extrêmement favorable à ses créanciers et dont il ne saisirait probablement pas toutes les finesses juridiques. En effet, ces notaires publics établissaient des actes imposant l’engagement en garantie du remboursement des biens immobiliers et mobiliers, la renonciation aux exceptions de droit romain pouvant éluder le remboursement ou la désignation par les débiteurs de procureurs astésans, associés objectifs des créanciers. D’autres clauses, extrêmement rigoureuses, montraient chez les notaires une très grande familiarité avec les pratiques des prêteurs astésans. Je mentionnerai ici le recours systématique à l’excommunication des débiteurs impénitents, la perception de pénalités de retard et d’amendes en cas de contrefaçon 205 Sources  : N.A., Handschriften, Derde afdeling,  n°37514, B.10, lade 11 [10/6/1325], notaire de Waerloes  ; n°37511,

B.10, lade 10 [8/7/1325], notaire de Waerloes ; n°37513, B.10, lade 11 [8/7/1325], notaire de Waerloes ; n°37512, B.10, lade 10 [19/7/1325], notaire Trippin ; n°37515, B.10, lade 10 [19/7/1325], notaire Trippin ; n°37517, B. 10, lade 11 [8/5/1326], notaire de Waerloes  ; n° 37524, B.10, lade 11 [3/12/1326], notaire Daniels  ;  n°37525, B.10, lade 9 [10/12/1326], notaire Daniels. Techniquement, ces actes sont des grosses, c’est-à-dire des copies délivrées par les notaires aux créanciers. Une fois la dette honorée, elles étaient incisées, pour prouver l’exécution du contrat, et remises aux débiteurs, cf. Kusman 1999c, p. 57. 206 Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001, pp. 25-29 et pp. 346-352. Dans le domaine du crédit médiéval, la complicité antérieure entre les créanciers et les notaires semble généralement la règle, réseaux de voisinage et clientélisme contribuant souvent à rapprocher les acteurs de l’offre d’argent et leurs notaires, cf. les conclusions éclairantes de Redon 2004, p. 344. Menant 2004, conclut également plutôt négativement sur le rôle éventuel des notaires comme intermédiaires entre offre et demande du crédit dans la Lombardie médiévale. 207 Constatations intéressantes sur le statut social respectable des notaires et leur utilité pour les marchands étrangers dans Reyerson 2002, pp. 81-84. Jean de Waerloes officia dans les demeures de patriciens bruxellois, Daniels dans son étude privée sur le marché de Bois-le-Duc et Trippin sur un champ, hors les murs de Bois-le-Duc.

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de la monnaie ou encore la participation active du notaire à la mise en hypothèque des biens ou leur éventuelle saisie, à l’exemple d’un huissier moderne. Les justices compétentes pour effectuer d’éventuelles saisies correspondaient à tous les territoires où les prêteurs disposaient de correspondants : les foires de Champagne, les justices séculières du duché de Brabant, du royaume de France, des comtés de Hainaut et de Flandre, les tribunaux d’officialité de l’archevêché de Cologne et de l’évêché de Liège, et last but not least, la chambre pontificale du pape Jean XXII (1316-1334)208. La place fondamentale des notaires dans le succès des stratégies commerciales des Lombards de Bois-le-Duc, Bruxelles et leurs associés, ressortait tout autant du dispositif interne des actes. Tout le protocole diplomatique de l’acte tendait à instiller chez l’emprunteur le sentiment de faute, il « confessait » ou « avouait » avoir reçu une somme X, prêtée, à titre gracieux et bien entendu sans aucune trace d’usure, c’était donc à lui maintenant de rétablir l’équilibre et de rendre ce qui lui avait été prêté de manière totalement désintéressée209. Il avait des devoirs mais presque aucun droit légal, au contraire de ses créanciers. Le contrat n’était donc pas bilatéral au sens légal du terme et ne devait pas l’être : il n’y avait aucun objet de lucre dans le contrat susceptible de générer des droits et obligations réciproques pour les deux parties210. Ceci n’empêchait nullement la perception contractuelle et obligatoire de frais et dépenses enregistrés par les créanciers dans l’obtention de la dette. Très variables, ces intérêts compensatoires, qualifiés de «  frais et dépenses  », pouvaient monter jusqu’à plus de 200% 211 ! Enfin, le fait que ces actes soient rédigés dans un latin savant de préférence au néerlandais médiéval contribuait à déstabiliser un baron noble comme Jean de Heusden dont la langue usuelle était naturellement le néerlandais médiéval. L’emploi du latin répondait aux vœux des prêteurs piémontais, familiarisés avec son emploi systématique pour les obligations commerciales notariées en Piémont. La chancellerie urbaine de Bois-le-Duc semble d’ailleurs avoir continué à utiliser le latin pour l’émission de reconnaissances de dettes aux

208 À l’occasion de la donation au Saint-Siège des créances de Benedetto Roero—qui avait part à de nombreuses tables de

prêt brabançonnes— les dirigeants des sociétés de prêt avaient certainement reçu l’assurance d’avoir l’appui de la chambre pontificale dans la poursuite de ces créances. Du reste, des marchands astésans sont fournisseurs en draps brabançons de la chambre pontificale dès 1327, maintenant ainsi des liens étroits avec l’administration financière du pape Jean XXII  :  Schäfer 1911, p. 227, p. 229 et p. 234 (Rolando d’Asti en 1327, Galvanno Polastri en 1328 et Giacomo Monaco en 1330). En ce qui concerne l’aide des sergents des foires de Champagne, les preuves existent en ces années d’un usage— réputé abusif par les arrêtés du parlement de Paris— par les usuriers lombards de la justice des foires pour contraindre un débiteur par le moyen de saisies sur ses biens (Laurent 1932, p. 670). 209 La spécification d’un prêt comme étant gratuit et même parfois accordé « par amour » : ex causa mutui de vera et pura sorte, sine fictione aliquae usurararum, gratis et amore, dissimulait généralement des pratiques de crédit illégales, voir à titre comparatif pour Trévise : Cagnin 2004, pp. 110-111 et dans l’espace provencal : Denjean 2004, p. 189. La référence à l’amour évangélique pour qualifier le prêt était très répandue. 210 Cf. les formulaires semblables de confession de la dette pour le crédit notarié en Valais, en Italie septentrionale et en France méridionale : Dubuis 1977, p. 190 ; Guyotjeannin 2004, pp. 26-27 ; Olivieri 2004, pp. 147-148 ; Reyerson 2004, p.241. Dans le droit civil actuel, c’est encore la définition admise d’un prêt sans objet lucratif. Le contrat existe dès remise de la somme à l’emprunteur, il s’agit d’un contrat unilatéral à titre gratuit où l’emprunteur s’oblige à rendre le bien prêté à une échéance fixe, dans la même espèce et dans la même qualité (Wauthy et P. Duchesne 19826, pp. 128-129). 211 À ce titre, 200 lb. sont exigibles par Giovanni de Mirabello et ses associés pour une dette de 500 lb., payable quatre ans après, soit 10%/an (N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37513, B.10, lade 11 [8/7/1325]) ; 12 lb., exigibles par Martino Frenario et ses associés, pour une dette de 24 lb., exigible à volonté (n°37514, B.10, lade 11 [10/6/1325]), 50 lb., exigibles par Ruffino de Valfenera et ses associés, pour une dette de 117 lb., exigible le 22 juillet suivant soit un intérêt de 42,73% pour une durée de 75 jours ou du 207,97%/an ! (n°37517, B.10, lade 11 [8/5/1326]). Il s’agit de situations idéales : dans la plupart des cas, le montant exact de ces frais n’est jamais stipulé.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Lombards jusqu’en 1345 alors qu’elle authentifiait des actes de crédit dans la langue du peuple, c’est-à-dire en néerlandais médiéval depuis 1339, pour d’autres parties212.  . La place spécifique des notaires dans l’économie de l’information D du crédit lombard Mais venons-en plus particulièrement au partage privilégié d’informations entre notaires et banquiers d’Asti. Cette connivence découlait de la place particulière prise par les notaires dans la circulation du savoir au sein de la société urbaine. J’ai mis en exergue les attaches des notaires avec les cercles dirigeants des villes brabançonnes. Au moins un de ces notaires, Jean de Waerloes, connaissait les banques de prêt Mirabello et Roero depuis près de dix ans. Jeune clerc de la chancellerie urbaine, il avait été délégué par la ville dans un procès d’usure incriminant plusieurs familles astésanes à Malines, notamment les Mirabello et les Roero. L’intention de l’oligarchie malinoise semble avoir finalement été de prendre le parti des associés principaux de la banque piémontaise qui avaient été arrêtés en 1317-1318, à savoir Giovanni de Mirabello et ses associés, Jordano de Solaro, Bernardo Roero et Obertino de Montemagno213. Si le patronyme de Jean de Waerloes, emprunté à un village au nord de Malines, indiquait une origine rurale, il était également dit « de Diest » et il est possible que l’intéressé ait débuté sa carrière scripturaire dans le fief impérial enclavé en Brabant. Les familles Roero, de Mirabello et de Montemagno travaillaient également à Diest dans les années 1310-1312214. Le notariat avait trouvé là un terreau fertile pour faire croître ses activités au service des marchands. Les notaires étaient de puissants médiateurs du droit romain, leurs compétences intéressaient également au plus haut point les édiles de la ville dont la chancellerie communale était à l’époque en plein essor, comptant pas moins de treize clercs entre 1310 et 1319215. Vers 1325, Jean de Waerloes était vraisemblablement devenu le chef de la chancellerie de Malines, un homme d’expérience par conséquent, sans nul doute spécialisé dans les matières financières et ayant un accès prioritaire par son activité de secrétaire urbain à des informations de nature politique confidentielles216. Un fait frappant illustre mieux que 212 Des trois lettres obligatoires de Jean de Heusden émises pour des hypothèques sur ses domaines, aucune n’est rédigée en

latin (N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3758, B. 10, lade 9 [22/2/1325] ; n°37526, B.10, lade 9 [22/2/1326] ; n°37537, B.10, lade 9 [26/9/1329]). Le latin était également employé dans les lettres obligatoires des Lombards passées devant les échevins de Bois-le-Duc : Van Synghel 2007, pp. 246-247 et p. 260. Un acte — tardif il est vrai— montre l’attachement des financiers piémontais à ne pas être lésé dans leur négoce du fait de leur méconnaissance de la langue du pays, il s’agit de la charte de privilège des Lombards de Woudrichem mentionnant une telle clause (Korteweg 1948, n°180, pp.160-169, art. 19 [29/9/1388]). 213 Il accompagna une délegation du magistrat malinois auprès de l’évêque de Liège, dans le cadre d’une négociation relative à leur arrestation vers 1317-1318 à Malines, et leur détention dans la ville, sous le coup d’une accusation d’usure lancée par un de leurs débiteurs. Le 29 septembre 1318, il se rendit avec un échevin malinois vers les officialités de Tournai, Cambrai et Reims pour obtenir conseil sur l’attitude à adopter au sujet des Lombards : S.M., S.R., SI, n°4, compte de 1317-1318, f°33r° ; S.M., S.R., SI, n°5, compte de 1318-1319, f° 85r° et Kusman 1999b, pp. 867-870. 214 Warloes/Waarloos : actuellement, prov. d’Anvers, commune fusionnée avec la commune de Kontich, à une dizaine de km. au nord de Malines. Sur l’activité des Lombards à Diest : Kusman 1999b, pp. 854-855, et p. 909. 215 Aux notaires originaires de Diest déjà mentionnés, ajoutons le notaire Jean (ou Giovanni) Hererio de Diest, au service de Benedetto Roero en 1322 (A.S.V., Coll. 433a, f°22r°), signalé à Diest, et peut-être identifiable avec le notaire Jean de Diest qui oeuvra uniquement dans la région de Diest entre 1323 et 1343 (Prevenier, Murray et Oosterbosch 1996, p. 391, pp. 393-394 et p. 401). Sur la chancellerie diestoise, voir Weckx 2002, p. 13. À Bruxelles, entre 1334 et 1340, le nombre maximal de clercs n’est que de trois : Bonenfant-Feytmans 1949, p. 39. 216 Jean de Waerloes cumule dans les années 1323-1326 son office de notaire public avec celui de clerc communal. Il officie par exemple pour des actes entre la ville et la famille Berthout. À cette époque, il semble même assumer la direction de la chancellerie comme l’indiquent les mentions de chancellerie suivantes où, en son absence, il délègue l’écriture de l’acte  :

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d’autres cette assertion. En tant que clerc communal, de Waerloes avait rencontré, le 13 octobre 1312, les exécuteurs testamentaires du duc Jean II de Brabant quelques semaines avant la mort du vieux duc217. Dans les années suivantes, le notaire développa son talent pour les missions à caractère diplomatique et se spécialisa plus encore dans les matières commerciales et financières. Preuve de ses compétences, c’est lui qui fut chargé, vers 1317, d’écrire les chartes de vente de rentes viagères de la ville de Malines à remettre au changeur bruxellois Jean van den Hane, représentant des crédirentiers bruxellois à Malines218. Les clercs de chancellerie, du moins ceux qui parvenaient aux plus hauts échelons de la hiérarchie, dotés d’une bonne plume, étaient des hommes écoutés, respectés, dont l’avis était recherché, dont les comptes rendus de réunions seraient lus et influenceraient une décision politique. L’exemple ultérieur de Niccolo Machiavel, débutant sa carrière comme secrétaire de la chancellerie communale de Florence en fournit certes une belle démonstration. En Brabant, dès le règne du duc Jean III (1312-1355), les clercs de chancellerie sont chroniqueurs, voire conseillers officieux du Prince  ; ils appartiennent à un groupe social prépondérant dans les affaires politiques auquel le prince accorde une attention soutenue219. Le clerc malinois pouvait donc aisément faire du courtage d’information entre les banquiers piémontais, la cour ducale et les bourgeois bruxellois ou malinois désireux de racheter les titres de créance lombards assignés sur le domaine seigneurial de Heusden. Sa bonne connaissance des interlocuteurs des marchés du crédit bruxellois et malinois plaide en ce sens. Jean de Waerloes fut aussi le notaire le plus diligent au service des Lombards, en authentifiant à Bruxelles pas moins de cinq actes, contre deux chacun pour Trippin et Daniels. Cette attraction du travail scripturaire du notaire malinois à Bruxelles était au surplus motivée par la montée de l’opposition au crédit lombard au sein d’une partie de l’oligarchie bruxelloise, matérialisée notamment par le refus des échevins bruxellois d’authentifier des contrats réputés usuraires220. Compte tenu de ce contexte tendu, les écritures du notaire devaient être appréciées et grassement rémunérées, surtout si l’on pense à la longueur de certains actes de Jean de Waerloes (voir ill. fig. 19)221. Johannes pro Johanne de Waerloes, Arnoldus, pro Johanne de Waerloes voir Croenen 2006, n° 164, p. 222, l. 18-19[15/2/1323] et n°165, p. 223, l. 22-23 [22/6/1326]. 217 S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°181v°. 218 Il accompagna deux échevins de la ville, envoyés vers le comte de Flandre avec d’autres délégués des villes de Brabant durant un conflit politique entre le Brabant et la Flandre ayant des répercussions sur le commerce brabançon : S.M., S.R., SI, n°5, compte de 1318-1319, f°137 r° [10/8/1320]et Avonds 1970, p. 24. Les aptitudes de Jean de Waerloes pour les matières économiques s’observent dans le domaine des rentes viagères (S.M., S.R., SI, n°4, compte de 1317-1318, f°46r°). Le même clerc communal fut envoyé en décembre 1318 à Anvers, alors siège de l’étape anglaise des laines et de la nation des marchands anglais, en raison de « l’intérêt commun » des marchands malinois trafiquant en Angleterre (Peeters, 1993, p. 62). 219 Heers 1985, pp. 57-58 . Sous le règne du duc Jean III (1312-1355), le clerc communal anversois Jean van Boendale, écrit les Brabantsche Yeesten, chronique de l’histoire du Brabant, dont une première partie fut achevée en 1316 et qui fut enrichie dans les années suivantes, certainement pour partie sur la base des renseignements glanés par Van Boendale dans le cadre de son office. Vers 1350, le clerc de Louvain, Jean Cousmaker rédige pour le duc de Brabant une œuvre morale apparentée aux miroirs des princes, le Speculum Morale, cf. Stein 2004, pp. 137-138 et p. 146. L’intérêt du duc de Brabant Jean III pour le groupe social des clercs au sens large s’observe aussi dans le fait qu’il obtint du pape Jean XXII le privilège de pouvoir nommer huit notaires en 1320. Cette faculté s’insérait évidemment dans les plans du jeune prince visant à l’érection d’un diocèse propre au Brabant (Fayen 1908, t. 1, n°817, pp. 330-331 [7/5/1320]). 220 En 1326, les échevins bruxellois reçoivent la promesse de ne pas devoir prononcer de condamnations sur la base de lettres échevinales entâchées d’usure (Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 461. J’analyserai l’impact concret de cette décision sur le crédit lombard dans le dernier chapitre (Des premières oppositions à la rupture définitve (1308-1333)). 221 Même si l’on ignore tout des frais d’écriture, on peut s’imaginer qu’ils étaient assez prohibitifs pour le commun des mortels. Au XIVe siècle, à Liège, un acte notarial coûte 8 s. gr., ce qui équivaut alors à 24 journées de salaire d’un maîtremaçon : Prevenier, Murray et Oosterbosch 1996.

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Fig. 19. Acte d’emprunt de 500 lb. n.t. de Jean V de Heusden et Jean de Megen auprès de Giovanni de Mirabello et son fils Simone, représentés par Ruffino de Valfenera. L’acte, passé à Bruxelles, en la chambre de Daniel de Pede, compte 43 lignes et comporte le seing manuel particulier du notaire, à gauche, identifiable par un autel stylisé surmonté d’une étoile, comportant sur son socle la signature du notaire (Signum J. de Waerloes, dicti de Dyesthe). Au bas du document sont appendus six sceaux : ceux des deux débiteurs principaux et de quatre témoins nobles, à savoir, Arnould de Kraainem, chevalier, Henri de Farciennes, Gérard van der Aa et Gauthier van der Heiden. © NL-Ha NA, Handschriften Derde Afdeling ARA tot 1950, 3.22.01.01, inv. nr. 375.13, B.10, lade 11 [8/7/1325], cliché pris par M. Bakx, des N.A.

Les deux autres notaires, Jean Daniels ou Daneels et Jean Trippin éclaircissaient tout autant, par leur position relativement aisée dans la société urbaine, la manière dont les dirigeants des sociétés de prêt astésanes avaient gagné des soutiens à Bois-le-Duc. Daniels résidait sur le marché de la ville, sa demeure était située à côté de celle de l’écoutête de Bois-le-Duc, Thierry Rover. C’est dans son étude que furent passés deux emprunts auprès de Martino de Crabiello, représentant les autres sociétés de prêt astésanes à Bois-le-Duc. Enregistrer des actes dans ces conditions avait des implications symboliques et pratiques très directes. Le marché, espace économique, était sans doute le lieu par excellence où les noms des endettés pouvaient être publiquement proclamés, en raison de la fréquentation de cet espace par les marchands et banquiers de la ville. Probablement dès cette époque, le groupe familial des Mirabello disposait lui aussi d’une maison sur le marché222. Le voisin du notaire, 222 S.H., B.P.R., n°1176, oud 3, 1376-1383, f°370r° , datable entre mars et septembre 1382( selon Spierings 1984, p. 122):

mention de l’usufruit par Simone de Mirabello, un des petits-fils de Giovanni, d’une demeure en pierre sur le marché de Bois-le-Duc. Les Mirabello devaient déjà disposer d’une demeure dans la ville dès les années 1320-1330, car vers cette époque, Franco et Simone de Mirabello, son frère, fils de Giovanni avaient acquis deux pommiers dans un verger de la banlieue de Bois-le-Duc (S.H., B.P.R. n°1175(oud 2), retroacte cité ca. 1368-1369, f°235v°).

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l’écoutête, était le personnage essentiel chargé de l’exécution du pouvoir répressif en matière de saisie de biens à Bois-le-Duc. Le fils de l’écoutête, Thierry, investissait ses deniers lui aussi dans la dette du seigneur de Heusden. Dans un des actes de Daniels, enfin, le sous-écoutête de Bois-le-Duc était présent comme témoin223. En outre Daniels doit très vraisemblablement être identifié avec un clerc urbain actif entre 1307 et 1317 et entre 1329 et 1334 qui était lui-même fils de greffier urbain ; dans tous les cas il avait certainement des rapports de sociabilité avec l’oligarchie dirigeante et le personnel de la chancellerie urbaine224. Le notaire Jean Trippin dit de Louvain, fournit le chaînon ultime à ce travail consciencieux de contractualisation et de légitimation de la dette lombarde par les financiers astésans et les pouvoirs locaux. Selon son nom, il provenait lui aussi d’une ville brabançonne où les financiers astésans des familles Canelli, Deati, de Mercato et Roero avaient pignon sur rue depuis le début du XIVe siècle225. Trippin était le seul des trois tabellions à officier explicitement pour l’officialité de Liège. Il incarnait les intérêts de l’Église de Liège et de son puissant chapitre Saint-Lambert à Bois-le-Duc, au moins depuis 1319226. Ce chapitre, comptait nombre de Piémontais dans ses rangs depuis 1310 et n’était pas resté insensible à l’appât du gain, notamment, en appuyant les revendications financières d’Huberto Roero et de ses frères à l’égard du seigneur de Cuyck en 1307227. Attitude symptomatique de son intérêt pour l’usure lombarde, le chapitre liégeois mandata son official pour déléguer Trippin afin d’acter les prêts des Lombards au seigneur de Heusden. L’official de Liège fut même présent à l’un des actes, qu’il scella pour en renforcer sa validité. Cet official, Jean Gillard, semblait précisément avoir placé sa confiance en 1325 dans un des chanoines d’origine piémontaise du chapitre Saint-Lambert, Francesco 223 N.A., Handschriften Derde Afdeling, n°37524 , B.10, lade 11[3/12/1326]  ; n°37525 B.10, lade 9[10/12/1326]. La

proclamation publique des mauvais débiteurs existe à Bois-le-Duc depuis 1284 : Camps 1979, vol. 1, n° 399, pp. 495-502, art. 7 et 11 [31/1/1284]. Sur les attributions de l’écoutête en matière de saisies de biens : Jacobs 1986, pp. 27-28. Il dispose pour l’assister dans son office de 4 serviteurs à cheval et 10 à pied. Le patricien Thierry Rover, fils de l’écoutête de Bois-le-Duc prête 50 lb. v. gr. tour. au seigneur de Heusden : N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°3751, B. 10, lade 8[26/9/1323]. Au sujet du rôle du marché comme lieu de communication fréquent pour les décisions de l’administration communale dans les anciens Pays-Bas : Heers 19972, pp. 400-401. 224 Le notaire Johannes quondam Danielis pourrait être identifiable avec Jean fils du magister Daniel, clericus oppidi de Buschoducis, signalé comme clerc au service de la ville de Bois-le-Duc à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle. Il succède à son père comme clerc communal entre 1307 et 1317 et entre 1329 et 1334 (Van Synghel 2007, pp. 142-143, p. 281). Mais il n’est pas signalé par l’auteur dans les notaires ayant été aussi clercs de la ville. Madame Van Synghel (renseignement écrit aimablement communiqué en juillet 2010) me signale toutefois que l’identification du notaire et du clerc est très probable. Une comparaison des écritures devra confirmer cette hypothèse, ce que je n’ai pas eu l’occasion de faire. Ce qui est certain, c’est que le notaire Jean Daniels des années 1320 était en relation avec l’oligarchie de Bois-le-Duc. Tilmann de Sonne, clerc et notaire public par autorité impériale est témoin des deux actes de prêt lombard passés dans l’étude de Daniels. Or, ce Tilmann, échevin en 1335, était issu d’une famille patricienne et poursuivit une carrière de clerc urbain entre 1324 et 1335. Son père avait occupé à de maintes reprises les bancs échevinaux entre 1295 et 1324, ses frères étaient aussi échevins : Van Den Bichelaer 1998, p. 146 et p. 151 ; Van Synghel 2007, p. 145. 225 Au moins depuis 1307, ces familles sont actionnaires de la société de prêt de Louvain : Reichert 2003, vol. 2/2, pp. 432-433. 226 Il actait à cette date en l´église Saint-Jean de Bois-le-Duc un jugement judiciaire entre Arnould Bertoud, receveur du duc dans la mairie, Jean de Bruhese, écoutête à Bois-Le-Duc et les représentants du chapitre Saint-Lambert de Liège, dans le cadre d’un conflit opposant le receveur ducal à l’église de Liège pour la possession de communs situés à Lith, relevant en principe de l’Eglise de Liège comme allleu : Van Den Bichelaer 1998, pp.48-49. Il n’était cependant pas clerc communal de Bois-le-Duc, comme l’affirme cet auteur (cf. Van Synghel 2007, p. 145). La conservation de l’acte liégois de 1319 aux Archives de l’État à Liège, dans les archives du chapitre Saint-Lambert (n°552 [2/8/1319]), prouve bien que Trippin oeuvrait alors pour l’officialité liégeoise. 227 Bormans et Schoolmeesters 1898, n°927, pp. 52-53 [8/1/1307] et supra dans ce chapitre, p. 188. Au sujet de la forte présence de coutres, chanoines et archidiacres d’origine piémontaise dans les institutions capitulaires liégeoises entre 1310 et 1324, spécialement au chapitre Saint-Lambert de Liège : Kusman 2009b, p. 219 (familles de Bugella, de Caretto, de Medici, de Milano, de Monesilio, Roero et Solaro).

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

de Medici, d’une famille connue de banquiers chiéresiens228. Les talents du notaire étaient assez prisés par d’autres autorités : vers 1334-1335, Trippin quittait Bois-le-Duc, où il résidait, pour offrir ses bons offices à la chancellerie communale de Bruxelles, tout en poursuivant son activité pour le banquier Simone, fils de Giovanni de Mirabello229. Les itinéraires professionnels de ces trois notaires étayent le constat suivant. Pour les patrons des sociétés de prêt lombardes de Bois-le-Duc, Bruxelles, Malines et Valenciennes, ces notaires servaient de courroies de transmission d’une économie de l’information. Leur mobilité et leur entregent avec l’oligarchie urbaine en place, leur aptitude au droit romain et leur rôle évident dans la transmission de nouvelles commerciales et des ordonnances urbaines en faisaient des intermédiaires exclusifs pour le profit des financiers astésans et des élites urbaines. Socialement, du fait de leur rôle indispensable au négoce international, ils intégraient les Astésans dans les milieux d’affaires et dans la société urbaine au sens large ; leur connaissance corrélative des langues étrangères était un fait connu. La position névralgique des notaires dans la diffusion publique du savoir au sein de la société urbaine était relevée par le dominicain originaire d’Asti, Jacques de Cessoles, écrivant entre 1259 et 1273 et stigmatisant le mauvais usage qu’ils pouvaient faire de leur plume, poursuivant uniquement le profit privé230.  . Le Brabant septentrional, un laboratoire d’application des techniques du E crédit lombard Si j’ai consacré une grande attention sur les opérations de crédit des sociétés de prêt astésanes en Brabant septentrional, c’est que, d’abord, la richesse relativement exceptionnelle des sources d’archives permettait de débroussailler la manière dont un réseau de crédit lombard fonctionnait concrètement, et, au sein de ce réseau, comment une forme empirique d’asymétrie de l’information pouvait aggraver l’endettement d’une frange bien déterminée de la haute noblesse locale, rebelle au duc de Brabant. Il s’agissait, sans conteste, d’un crédit de nature politique, au service de la politique territoriale des ducs de Brabant. Ensuite et, plus fondamentalement, le rôle du crédit comme accélérateur de l’intégration sociale des Astésans dans la société urbaine brabançonne s’avéra décisif   231. 228 N.A., Handschriften, Derde afdeling,  n°37512, B.10, lade 10 [19/7/1325]  ; n°37515, B.10, lade 10 [19/7/1325].

Identification de l’official liégeois avec Jean Gillard dans Bormans et Schoolmeesters 1898, n°1092, p.  284 [22/11/1325]. Il désigne Francesco Medici, de Chieri, comme arbitre pour le chapitre dans un conflit opposant SaintLambert au chapitre de Cambrai. La famille Medici— dont un Francesco, descendant probable du chanoine— est associée aux familles Asinari et Saliceto dans la gestion de la table de prêt de Fribourg, dans le comté de Savoie, entre 1356 et 1359 : Scarcia 2001, pp. 42-43. 229 Bonenfant-Feytmans 1949, pp. 25-28. Trippin rédigea un acte de compromis juridique entre le duc de Brabant Jean III et Simone et son frère Franco de Mirabello, traitant de la succession de leur père, Giovanni de Mirabello : R.A.G., Chartes de comtes de Flandre, Fonds Saint-Genois, n°1680 [20/3/1333, n.s.] Trippin n’est aucunement actif à la chancellerie de Gand à cette époque comme j’avais cru pouvoir l’affirmer (Kusman 1999b, p. 894). L’ homonyme en question, Jean de Louvain, est notaire par autorité pontificale et impériale (contrairement à Trippin) : Murray 1995, pp. 88-90. 230 Le rôle social du notaire était reconnu. Le dominicain astésan Jacques de Cessoles rédigea en latin un « Livre des mœurs des hommes et des devoirs des nobles ou Livre du jeu d’échecs », véritable métaphore par le jeu d’échecs des hiérarchies et valeurs de la société médiévale. Chaque profession y était rattachée à une pièce du jeu. Le notaire était incarné par un pion. Selon Jacques de Cessoles, les notaires étaient amenés, par leur fonction à lire et relire fréquemment les statuts d’un pays, écrivant les jugements et les actes de nature juridique, ils servent donc le bien commun (la chose publique), pour autant qu’ils ne tournent par leur savoir à leur avantage en en tirant un profit personnel, en rédigeant par exemple de faux instruments publics. Il est clair qu’étaient notamment visés ici des actes notariés contenant de l’usure (éd. dans Mehl 1995, pp. 115-116). Au sujet de cet ouvrage, voir aussi Kramer 1995. Pour l’aptitude des notaires à la langue italienne et aux traductions : De Mey 1992, p.77 ; Prevenier, Murray et Oosterbosch 1986, p. 398. 231 Sur l’action intégratrice des rapports de crédit : Dutour 1999, pp. 78-79.

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Quatre caractéristiques de ce « laboratoire du crédit lombard » que fut le Brabant septentrional me paraissent devoir être retenues pour comprendre l’importance de cette période pour les dirigeants des sociétés de prêt d’Asti. Avant tout, je soulignerais l’attitude pragmatique de la parentèle éloignée de Jean de Heusden à l’égard des titres de créance lombards. Les périls du crédit lombard étaient connus. Le cautionnement de ces emprunts pouvait dès lors être instrumentalisé par des aristocrates pour assurer leur promotion sociale et politique dans le cadre de l’État brabançon en formation. Tel paraît avoir été le choix des lignages nord-brabançons de Kranendonk et de Megen. Il s’agit bien ici d’une économie politique particulière du crédit où les nobles ne se soutiennent plus les uns les autres pour tenir leur rang et assurer la solidarité du groupe familial, mais, au contraire, se saisissent sans émoi des possessions du débiteur principal, leur parent232. Le soutien de la parentèle et des « amis charnels » dans la dette noble touchait donc à ses limites dans le cas du crédit lombard233. L’évocation lucide par Edmond de Dynther, relative à l’année 1325, des amicos et consanguineos poussant Jean V de Heusden à solder ses obligations vis-à-vis du duc de Brabant faisait sûrement référence à un constat factuel, le rôle positif de la parentèle de Jean V, et plus spécialement, les Hornes, Kranendonk et Megen dans la circulation de l’information, au profit du duc Jean III et des financiers piémontais234. En second lieu, on ne saurait assez souligner le caractère essentiel de la certification publique du crédit lombard pour la reconnaissance de sa légitimité et pour sa popularité comme forme d’investissement parmi les élites urbaines. La certification publique de ces titres fondait en droit leur endossement, donc leur circulation et leur acceptation235. Les origines de cette certification des titres de créance lombards, dans le chef des élites communales, remontait au moins au dernier tiers du XIIIe siècle, lorsque les premières générations de financiers astésans avaient ouvert leurs boutiques de prêt à Tournai, sur les deux rives de l’Escaut. Les prêts chirographiés des Laoyolo-Solari et des Roero étaient authentifiés par le greffe communal. Ils pouvaient même être endossés par des tiers. Ces derniers étaient souvent de riches citadins appartenant au patriciat et rachetant ou cautionnant effectivement pour des seigneurs fonciers de l’arrière-pays tournaisien des contrats d’emprunts aux Lombards afin d’acquérir les terres de ces seigneurs. Ces titres de créance, possédés par 232 Contairement aux constatations de Laurence Fontaine sur les élites aristocratiques et la logique de la dette à l’époque

moderne, où dans divers pays d’Europe occidentale, la solidarité de caste dans la lutte contre l’endettement semble l’emporter sur une recherche réfléchie du profit privé et sur l’ambition de monter dans la hiérarchie sociale, cf. Fontaine 2008, pp. 77-93. 233 Ce soutien de la parentèle dans les affaires de cautionnement et dans la dette est défendu par Croenen 2003, pp. 260-264. 234 de Ram 1854-1860, t. 2, Bruxelles, , p. 505, livre 5, cap. 79, sub 6/10/1325, et acte de remise de sa forteresse par Jean de Heusden dans Verkooren 1961-1962, vol. 2, pp. 24-25. 235 Les preuves documentaires n’abondent pas, malheureusement, pour éclairer la transmission à des tiers d’un titre même si le phénomène fut incontestablement important. Signalons un cas relativement probant : trois reconnaissances de dette du seigneur de Heusden, enregistrées à deux années différentes devant les échevins de Bois-le-Duc pour un montant identique (350 lb.), envers les garants Gérard de Megen, Gérard van der Aa, Guillaume de Meer, Thierry de Dynther, Guillaume de Haren et Jean de Drumpt pour un emprunt originellement contracté auprès du Lombard Martino Crabiello, remontant à 1320 (N.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37518, B.10, lade 8 [9/8/1327] ; n° 37519 , B. 10, lade 8 [17/9/1326] ; n°37520, B.10, lade 8 [9/8/1326]). Un écho lointain mais certain de la circulation et de la monétisation des titres de créances lombards est perçu à Bois-le-Duc en 1464. Une ordonnance de Philippe le Bon interdit aux Lombards de la ville d’accorder encore des prêts sur lettres échevinales ou autres titres de reconnaissances de dette ou de cautionnement comme ils ont en eu l’habitude dans le passé : Godding 2005, n°330, pp. 561-562 [2/1/1464].

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

la commune à l’encontre de débiteurs nobles de l’entourage du châtelain de Tournai en manque de crédit étaient utilisés à dessein pour asseoir le pouvoir foncier et social des élites politiques de la ville sur la rive droite de l’Escaut236. Plus d’une trentaine d’années plus tard, l’endettement massif du seigneur Gérard de Diest à l’égard des banquiers Giovanni de Mirabello et Obertino de Montemagno permit pareillement aux groupes dominants de la ville brabançonne et seigneurie enclavée de Diest d’asseoir des droits féodaux sur les possessions urbaines du seigneur local, en rachetant le titre de créance de Giovanni de Mirabello et ses associés, détenu sur Gérard de Diest. L’investiture féodale de la ville de Diest avait eu lieu en présence du duc de Brabant Jean III et de son conseil237. On ne peut exclure, dans cette dernière pratique d’endossement de dette, la possibilité d’une importation culturelle des pratiques des financiers piémontais, associés objectifs des élites de Diest. Les investitures féodales, exécutées par des seigneurs endettés au profit d’une communauté urbaine qui endossait leur dette, étaient courantes dans le contado des villes d’Asti et de Chieri dès le siècle précédent238. Il faut par conséquent le répéter, la société urbaine brabançonne du bas Moyen Âge se situait au carrefour d’une culture commerciale poussée et d’une culture féodale qui interagissaient constamment. Finalement, l’utilisation de ces titres de créance à des fins politiques légitimait le crédit lombard et jetait les bases d’un développement d’un marché de la créance lombarde transmissible. Le crédit rendait solidaires une série d’agents aux motivations très différentes, dans le cadre de l’endossement de ce qu’il faut bien appeler des titres de créances spéculatifs, certes, mais à haut rendement  : courtiers-hôteliers, notaires, clercs urbains, marchands et aristocrates en comptes avec la ville239. La certification publique des actes de crédit se fondait sur la judiciarisation croissante du crédit par le recours systématique au droit romain et aux tribunaux laïques et ecclésiastiques afin de fonder ses prétentions. Sur le même pied que le droit civil, l’action de l’Église, spécialement de l’officialité de Liège, sanctionnant moralement les prêts lombards, doit être rappelée. Les officiaux ou les prêtres appuyaient sur des cordes sensibles du débiteur principal, celle de la fama publica, de la bonne réputation, de la fidélité au serment, de l’appartenance à la communauté des chrétiens. 236 Pour un exemple de reprise de dette lombarde par des patriciens tournaisiens appartenant à la famille Naicure en 1273,

voir Kusman 2008a, vol. 1, pp. 87-88, n. 124. Dans un recueil juridique anversois tiré de la pratique scabinale, daté de la fin du XIVe et du début du XVe siècle, il est reconnu à la personne qui se porte caution, pour autant qu’elle ait satisfait les créanciers lombards, d’obtenir remboursement sur le débiteur principal avec saisie des biens par jugement judiciaire, ceci étant valable dans les lettres où le débiteur principal s’engage à dédommager entièrement son garant de tous les frais subis du fait de sa garantie : Strubbe et Spillemaeckers 1954, n°83, pp. 129-130. 237 L’emprunt à Mirabello et ses associés de Malines est conclu sous la forme d’une lettre obligatoire émanée du seigneur Gérard de Diest et son épouse, Marie de Looz (S.D., chartes des seigneurs de Diest, n°20 [8/2/1316, n.s.] ). Sur son rachat et son utilisation par les élites dirigeantes de Diest afin d’asseoir des droits féodaux sur le seigneur Gérard de Diest, voir l’explication dans Kusman 2008a, vol. 2, pp. 335-337. Les droits concernaient notamment l’engagement des revenus de la fiscalité seigneuriale, perçus dans la ville. 238 Castellani 1998, pp. 23-24 ; Caffu 2007, pp. 249-250, cite un exemple particulièrement révélateur datant de 1252. À cette date, le seigneur local de Borgo Cornalese, situé dans l’hinterland de Chieri, avait cédé sa dette aux bourgeois de Chieri. En échange, il investit de ses droits féodaux quelques citoyens de la ville agissant au nom de celle-ci, en présence du podestat communal et de la cour féodale du lieu. 239 Un phénomène analogue de circulation de titres de créances originellement possédés par des financires piémontais et rachetés par des nobles ou des bourgeois est attesté pour l’Angleterre des années 1340-1350 : Fryde 1985, pp. 45-46.

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Usuriers du Prince et crédit local (1282-1330) | Chapitre i

Aux yeux d’un économiste actuel, les stratégies des banquiers lombards ne différeraient guère du comportement des banques occidentales face à des pays débiteurs en voie de développement dans le dernier quart du XXe siècle. Ces banques s’appuyèrent sur trois incitants au remboursement de la dette : le maintien de la bonne réputation, la saisie des biens des cautions et la menace des sanctions légales240. Toutefois, à la différence de l’époque actuelle, les saisies sur biens s’avérèrent les plus efficaces. L’espace pour une négociation était réduit à une dimension minimale, peutêtre perceptible dans le prolongement des échéances de remboursement. En définitive, le couperet de l’exécution sur dettes tombait pourtant. Car si la dimension de la renégociation de la dette était symbolique, son annulation, elle, était inexistante241. Cela m’autorise à parler d’un crédit orienté vers la politique territoriale du duc de Brabant. Les financiers astésans avaient, au terme d’un de leurs contrats de prêt à Jean V de Heusden, le droit « d’entrer dans les biens des débiteurs et de les occuper », ils mirent sans aucun doute cette clause judiciaire à exécution. En dernier lieu, et ce point ne devrait pas être sous-estimé dans la mesure où il déterminait l’efficience future des réseaux de crédit lombard régionaux, le Brabant septentrional constitua, comme la ville de Tournai plusieurs générations auparavant, un terrain fructueux de collaboration et de solidarité pour de nombreuses familles piémontaises représentées en Brabant. Pour plusieurs de ces familles, des ententes nourries par le voisinage foncier, remontant à l’époque piémontaise, étaient souvent à l’origine de leur coopération dans le domaine commercial. Ainsi en allait-il, à partir des années 1310, des associations entre le dirigeant principal de la table de prêt de Heusden, Gandolfo Vacca, et Giovanni de Mirabello, lequel œuvrait à présent dans les officines lombardes de Bois-le-Duc, Woudrichem et Wessem, après être passé par les tables de Diest, Halen et Herentals à la fin du siècle précédent. Ces deux lignages astésans d’obédience gibeline, les Vacca et les Mirabello, possédaient des terres dans des localités limitrophes à l’est d’Asti, une proximité régionale susceptible de les rapprocher lorsque leurs représentants allèrent faire négoce en Brabant septentrional242. Il semble que les Cavazzone, les Mirabello et les Vacca – trois familles qui firent négoce en Brabant septentrional – étaient apparentées, du fait qu’elles détenaient collectivement des droits de propriété sur une pièce de terre située à Annone, au début du XIVe siècle243. 240 Pour une comparaison avec le contexte capitaliste contemporain des banques occidentales prêtant aux pays en voie de

développement à des taux d’intérêt élévés mais ménageant en même temps aux pays débiteurs un espace suffisant pour la négociation, voir l’article de Bulow et Rogoff 1989.  241 Bulow et Rogoff 1989, pp.  173-176 . Les auteurs insistent sur l’importance de la re-négociation de la dette par les pays en voie de développement pour sa liquidation finale, la possibilité éventuelle pour les pays débiteurs d’obtenir un moratoire temporaire sur le payement de la dette étant même garante de son remboursement final. 242 Les Mirabello étaient originaires de la localité éponyme, proche de Quarto d’Asti, à sept km. à l’ouest d’Asti et à moins de cinq km. au nord-ouest de la place-forte d’Annone, berceau de la famille Vacca. Cf. la mise à jour de mon article sur les Mirabello dans Bordone, Kusman et Reichert 2007. Pour les situations géographiques respectives de Mirabello, dépendance de Quarto et d’Annone, par rapport à Asti, voir la carte figurant dans Castellani 1998, p. 302, carte 2. 243 La famille Vacca est en possession du château d’Annone dans le premier quart du XIVe siècle, voir Nebbia 1999, pp.  99-101. Un Leone de Mirabello, neveu de Giovanni de Mirabello et Tommayno Cavazzone cohéritent un domaine foncier à Annone en 1319 dans le testament de Guglielmo Vacca, père de Gandolfo,  : Ibidem, acte éd. n°16, pp.  121122 [23/10/1319]. La famille Cavazzone avait également des liens importants avec le Brabant septentrional du fait des nombreuses années passées par Tadeo—le pater familias— à Bois-le-Duc entre 1282 et 1291. Leone de Mirabello, quitta probablement le Piémont peu après car il apparaît ensuite en Brabant (Malines) et en Flandre dans les années 1320-1340 (Gand et Termonde)  : cf. Kusman 2008a, vol. 4, pp.  27-28. En 1341, dans le cadre d’un partage familial, Simone de Mirabello, fils bâtard de Giovanni, qualifie Leone de Mirabello de neve, c’est-à-dire son cousin dans ce contexte (Van Der Haeghen 1888, n°24, pp. 40-43 [31/5/1341]).

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

La parenté des familles piémontaises justifiait souvent les associations marchandes ultérieures dans les anciens Pays-Bas ou dans le comté de Savoie244. Les Mirabello et les Vacca acquirent simultanément des parts dans la table de Valenciennes entre 1307 et 1324245. Gandolfo quitta le Piémont une quinzaine d’années plus tard que les Mirabello, avec la dernière vague d’émigration gibeline vers les terres d’Empire à la suite de l’offensive dirigée contre eux par le parti guelfe d’Asti, mené par les Solaro à partir de 1307246. Les solidarités entre d’anciennes familles terriennes du contado à l’est d’Asti étaient semblablement apparentes dans les participations conjointes des tables de prêt de Bois-le-Duc, Louvain et Malines. Martino de Crabiello, agissant surtout comme fondé de pouvoirs à Bois-le-Duc, était en cheville avec plusieurs autres financiers astésans issus des puissantes familles du contado astésan, ayant des parts dans les tables de Bois-le-Duc et de Malines : les Broglio et de Montemagno – appartenant au même groupe familial – et les Deati, investissant de manière croissante dans le marché brabançon. Quittant la banque dissoute de Louvain, certains membres de cette dernière famille partirent travailler à la table de Malines dans les années 1320247. Obertino de Montemagno, enfin, un des associés principaux de la banque de Malines venait du domaine familial de Montemagno, situé à peine à dix kilomètres du noyau originel de la famille Mirabello. Il fut un des associés les plus constants de Giovanni de Mirabello entre 1310 et 1320 avec quatre mentions à ses côtés à Diest, Valenciennes et Malines248. La typologie des migrations des hommes d’affaire d’Asti pouvait certes différer, elle résultait d’un exil politique chez les Vacca ou d’un choix de survie économique chez les Mirabello, quittant le Piémont dans la dernière décennie du XIIIe siècle. Elle n’en obéissait pas moins à une logique de regroupement, une fois les anciens Pays-Bas atteints, fondée sur les affinités régionales. Un phénomène qui n’était pas typique des sociétés de prêt italiennes249. 

244 Castellani 1998, p. 167 (familles Mancinella et Allione) et pp. 179-180(familles Pelleta et Bergognini). 245 Kusman 1999b, p. 911 et pour la mention de Guglielmo Vacca et son fils Gandolfo avec Giovanni de Mirabello à la

table de Valenciennes : A.D.N., B.1584, p. n°48, f°40r°-42v°[28/11/1312], éd. dans Devillers 1874, n°440, pp. 644-649.

246 Gandolfo Vacca d’Annone est emprisonné en avril 1307 avec d’autres partisans astésans de Giovanni de Guttuari,

il quitte le Piémont sans doute quelques années après selon la chronique contemporaine du marchand astésan Guglielmo Ventura : Combetti 1848, p. 758. Les Mirabello et les Vacca sont d’obédience gibeline : Castellani 1998, p. 266. 247 Pour l’appartenance des Broglio et des Montemagno au même lignage astésan : Bordone 1996, p. 40, sur les associations de ces familles, voir Kusman 2008a, vol. 4, pp. 7-9 et p. 14. Leone Deati est mentionné à Malines la première fois dans l’année 1320-1321 c’est-à-dire lorsque la société de Louvain n’est plus active (voir le chapitre 4) : S.M., S.R., S.I., n°7, compte de 13201321, f°66r°, en tant que crédirentier de la ville de Malines, en même temps qu’Obertino de Montemagno. Les Deati et les Montemagno sont aussi fréquemment associés aux Roero dans les anciens Pays-Bas : Castellani 1998, p. 252. 248 Castellani 1998, p. 183, n. 47 ; Kusman 1999b, pp. 911-912. 249 Voir à titre de comparaison l’exemple de Jacques Cœur et ses fidèles collaborateurs en majorité du Berry comme lui : Mollat 1988, pp. 54-55.

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Chapitre ii

Les Lombards à la cour de Brabant : possibilités et limites d’une intégration

1.

De l’hôtel à la recette ducale

A.

L’hôtel, lieu de pouvoir informel

Le rôle du crédit comme moteur de l’intégration des financiers piémontais dans la bonne société brabançonne a été mis en évidence dans le chapitre précédent. Le « fait lombard » était devenu incontournable dans les villes brabançonnes, tant à Bois-le-Duc, qu’à Bruxelles. Corrélativement, les principaux dirigeants de la banque astésane accrurent leur présence dans l’administration financière de la cour ducale, particulièrement à Bruxelles. Cette présence astésane renforcée résultait de la proximité continue des Piémontais avec la personne du Prince. L’appartenance à l’hôtel ducal avait compté pour assurer à Enrico de Mercato, ses frère et neveux, une place prépondérante dans l’organisation de l’acheminement des subsides anglais vers le duché de Brabant, à la fin du XIIIe siècle. L’hôtel représentait en effet le lieu idéal pour s’initier, à une plus petite échelle qu’à la recette, au maniement des deniers ducaux : il suivait le duc dans ses déplacements et devait pourvoir à tous ses besoins. La diversité des tâches exécutées par les responsables des services auliques représentait bien une expérience formatrice irremplaçable, qu’il s’agisse d’achats d’objets de luxe, d’envois d’émissaires diplomatiques à l’étranger, du payement de leurs frais de voyage, de relations avec les marchands-fournisseurs ou encore, de négociations avec des financiers locaux ou étrangers1. Les bénéfices de cette appartenance à la maison du Prince furent encore sensibles au siècle suivant. Puissant outil d’intégration des financiers étrangers à la cour, l’hôtel servit de marchepied aux Astésans pour être à la barre de la recette ducale dans le premier quart du XIVe siècle. L’itinéraire des frères florentins Albizzo et Musciatto Guidi dei Franzesi d’abord valets du roi puis chevaliers au service du roi de France Philippe le Bel et achevant leur carrière comme trésoriers plus ou moins officiels fournit d’ailleurs une utile comparaison à la situation brabançonne2. La prise en charge par le receveur de Brabant des dépenses de l’hôtel n’est évidemment pas incompatible avec le fait que les gens de l’hôtel aient d’abord eux-mêmes payé ces dépenses (cf. Martens 1954, p. 161 et suiv.). La disparition des comptes d’hôtel ducal antérieurs à 1342 empêche malheureusement de procéder à une identification exhaustive du personnel de l’hôtel dans le premier quart du XIV e siècle. 2 Favier 2005, p. 30. Un exemple plus récent est fourni par la carrière de Dino Rapondi, financier au service du duc de Bourgogne Philippe le Hardi et d’abord nommé maître d’hôtel par le duc (Lambert 2006, p. 83). Le modèle hypothétique de fonctionnement de l’hôtel ducal que je propose ci-après, sur la base de données ultérieures et de la comparaison avec l’hôtel français me paraît concevable, compte tenu des comparaisons praticables avec les deux grands modèles d’organisation aulique pour la cour brabançonne, le modèle anglais et le modèle français. Au sujet des comptabilités de la cour de Brabant conservées, au début fort peu dissertes, on consultera Uyttebrouck 1974. 1

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

De façon similaire, valet de l’hôtel résidant à la cour ducale de Bruxelles depuis 1292, Enrico de Mercato devint de facto le relais obligé des banquiers d’envergure recherchant une clientèle parmi les courtisans de la haute noblesse brabançonne et flamande3. Enrico s’était déjà bâti une belle réputation d’intermédiaire lorsqu’il avait été approché en 1295 par les fonctionnaires de la Garde-robe du roi d’Angleterre dirigés par le trésorier Gauthier de Langton, afin de conclure un emprunt équivalent à 12 000 lb. tourn. auprès de patriciens et financiers bruxellois, somme destinée finalement à alimenter le trésor ducal4. Bien plus tard, en 1309, l’hôtel servait toujours d’interface pour les transactions financières du monde aristocrate avec la finance astésane. Enrico de Mercato offrit probablement ses services à Giovanni de Mirabello pour le mettre en relation avec la famille nord-brabançonne des Herlaar, en recherche de crédit. Associés de longue date, Enrico et Giovanni avaient collaboré aux tables de prêt de Halen et de Herentals en 1292 afin d’avancer leurs capitaux au duc de Brabant Jean Ier5. Admis ensuite dans les rangs de l’hôtel, le valet ducal Enrico de Mercato y côtoya un membre important de la famille de Herlaar, Guillaume, chambellan du duc Jean II de Brabant dans les années 1303-1305 ; Guillaume de Herlaar connaissait bien le Brabant septentrional où il conservait des possessions6. La proximité entre l’office de chambellan et l’office de valet rendait le patronage de Guillaume de Herlaar envers Enrico de Mercato et ses associés quasi inévitable. Le chambellan Guillaume de Herlaar était un personnage-clef de l’entourage princier  : s’occupant sans nul doute de la chambre du duc, il résidait auprès de lui, veillait quotidiennement sur sa personne, et adressait aux valets les demandes de fournitures. C’était donc un homme de confiance s’appuyant lui-même sur des serviteurs fidèles, qu’il pouvait recommander au vu de leurs mérites7. La richesse du carnet de relations d’Enrico de Mercato transparaît ultérieurement de sa collaboration à la recette de Brabant avec le manieur d’argent bruxellois Thierry Lose, Emprunt de 500 lb. de parisis du seigneur Jean d’Audenaerde auprès d’Henris Lombars de Bruxele alias Enrico de Mercato, cautionné par le comte de Flandre, cité dans R.A.G., Fonds Gaillard, n°354 [15/11/1292]. 4 Cf. supra, 2e partie, chap. 2, pp. 142-143. 5 Prêt de Giovanni de Mirabello à Aleyde de Herlaar et à son époux Gérard de Loon  : A.R.A. Graven van Holland, Leen en Registerkamer, n°2118, f°79r° [3/2/1309]. Giovanni de Mirabello et Enrico de Mercato collaboraient à Halen et à Herentals où ils reçurent des assignations sur les revenus urbains pour leurs prêts au duc de Brabant : A.S.V., Coll. 433a, f°50r°-57r°. 6 Guillaume, était un arrière-grand-oncle de Aleyde, dame de Herlaar et épouse de Gérard de Loon, sire de Herlaar entre 1306 et 1314 : Kuys 1980, pp. 382-383 et p. 389. Mention de Henri, notre Lombar de Brouselle alias Enrico de Mercato aux côtés du chambellan Guillaume de Herlaar dans A.G.R., C.C., n°8, f°4r°-4v°[25/7/1303], f°58v°[1303], f°59v°-60r° [27/3/1303]. Les actes cités concernent des inféodations au profit du frère naturel de Jean II, il est par conséquent probable que les témoins y apparaissent d’abord en qualité d’hommes de fief du duc. Il n’en reste pas moins vrai que le valet et le chambellan avaient dû se rencontrer d’abord à l’hôtel du Prince. Guillaume de Herlaar est cité comme maire de Tirlemont et onse gheminden ende getruwe knape par Jean II en 1301 (Camps 1979, vol. 2, n°609, pp. 734-735 [20/3/1301]). Guillaume de Herlaar est ensuite cité comme chambellan pour des concessions de fief au profit de celui-ci en Brabant septentrional dans Camps 1979, vol. 2, n°670, pp. 799-801 [2/7/1304] et Erens 1950, n°357, pp. 111-112 [4/2/1305]. Sur le sens de knape comme serviteur attaché à l’hôtel et plus spécifiquement comme valet de chambre : Verwijs et Verdam 1885-1929, vol. 3, col. 1610-1614. 7 L’exemple contemporain d’Enguerran de Marigny, premier chambellan du roi de France Philippe le Bel, est instructif. En 1309-1310, ses attributions financières sont nombreuses, notamment en relation avec la diplomatie du roi. Il charge les financiers florentins à son service, les Guidi de Franzesi, de trouver les deniers nécessaires à cette diplomatie. Voir Favier 2005, pp. 609-614 et Lalou 1999, pp. 270-273. En Brabant, l’hôtel ducal comprend six services dans la seconde moitié du XIV e siècle : la chambre, où officie le chambellan dirigeant notamment les achats de vêtements, la cuisine, la bouteillerie, la fruiterie, la paneterie et l’écurie (Martens 1954, pp.  162-168). Outre le chambellan, l’hôtel comptait certainement dès la fin du XIIIe siècle, un chapelain, un aumônier, des chevaliers, des valets et des clercs : Libon 1947, p. 58. 3

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

HÔTEL DUCAL

R.H.

Guillaume de Herlaar, chambellan originaire du Brabant septentrional

R.A.

R.H.

Enrico de Mercato, valet ducal, fournisseur et financier

R.I.

R.I.

Godefroid Lose, marchand-fournisseur bruxellois R.F.

R.I. Jean Vinke, financier bruxellois et valet ducal

R.A.

Thierry Lose, ancien receveur ducal et financier bruxellois

Abréviations: R.A.: relations d’affaire; R.H.: relation hiérarchique; R.I.: relation indirecte; R.F.: relation familiale.

Fig. 20. Un échantillon des relations d’Enrico de Mercato à la cour de Brabant dans la première décennie du XIVe siècle.

en 1311, au nord du duché, pour les accensements du domaine princier dans la région de Sint Oedenrode8. Il ne fait pas de doute que l’Italien rencontra à l’hôtel le neveu de Thierry Lose, Godefroid, fournisseur ducal et propriétaire d’étals à la grande boucherie de Bruxelles9. La coopération du Bruxellois et de l’Italien à la gestion des finances ducales découlait bien de leur affiliation à un milieu commun, celui des fournisseurs de cour. Le passage quasi-obligé par l’hôtel pour les hommes d’argent touchait encore le courtierhôtelier bruxellois Jean Vinke, protagoniste avec les Lombards de Bruxelles de la mise en gage de certains joyaux du roi d’Angleterre Édouard Ier et valet ducal en 1301. Vinke devint receveur une vingtaine d’années plus tard. Il était au surplus en compte avec la famille Lose (voir la représentation d’un échantillon des relations d’Enrico de Mercato à la cour ducale durant le premier quart du XIVe siècle fig. 20)10. Enfin, l’hôtel, du fait de son itinérance, favorisant les rencontres avec les cours princières étrangères, était susceptible d’ouvrir des portes pour une carrière de receveur au service d’un autre prince ; tel paraît bien avoir été le cas de Manfredo de Viallo, ancien valet et banquier du duc Jean II, puis receveur du comte de Namur en 1313-131411. L’influence de ces riches valets et bailleurs de fonds astésans sous le règne du duc Jean II rend justice à une affirmation sous-estimée de la chronique d’Anvers selon laquelle le Camps 1979, vol. 2, n°835, p.  1015 [12/1/1311]. Ces accensements se font au profit d’un bourgeois bruxellois, Guillaume l’épicier (Willem die Cruudener), vassal du duc Jean II, sur ses terres tenues en fief. 9 Lose reprit à la grande boucherie les étals possédés par le valet ducal Henri Vriendeken vers 1289 : Deligne, Billen et Kusman 2004, p. 79 et Martens 1954, p. 96. 10 Camps 1979, vol. 2, n°618, pp. 743-744 [5/7/1301] ; Martens 1954, p. 101 (Vinke est receveur vers 1321). Pour la participation de Jean Vinke aux opérations de crédit pour la monarchie anglaise, voir la 2e partie, chap. 2, pp. 147-151. Le profil de financier et fournisseur de cour de Vinke ressort de sa faculté à pouvoir honorer une dette ducale avec un stock de six bons draps de Bruxelles (pour un montant de 182 lb. 14 s. de Brabant, monnaie courante, A.G.R., C.C., n°1, f°77r°[17/12/1306]). Thierry et son frère Guillaume Lose se portèrent caution d’un prêt de 3 000 lb. pay. de Jean Vinke au duc de Brabant : S.A., charters en autografen CH. B. 61 [1/7/1308]. 11 A.E.N., chartrier des comtes de Namur, n°s 320 [22/10/1341, vidimus d’un acte ducal du 25/6/1305] et n°321 [vidimus d’un acte ducal du 28/10/1305], pour la mention de Manfredo comme valet ducal. Durant l’année 1313, le receveur comtal Manfredo de Viallo fait crédit au personnel de l’hôtel du comte de Namur (A.E.N., chartrier des comtes de Namur, n°412, compte de 1313-1314). 8

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

duc de Brabant dépendait trop des capitaux étrangers : Joannes II, ut alieno aere se expediret, maximam nummorum copiam congesserat12.  . L’entrée dans l’administration financière du Prince et l’enjeu de la B reconnaissance publique Tant que les gens d’Asti travaillaient dans l’entourage privé du Prince, ils restaient dans l’ombre du Pouvoir. En revanche, une fois désignés à une fonction ayant une portée publique comme celle de receveur, ils passaient en pleine lumière, d’une stature de conseiller secret à celle de conseiller officiel. Les receveurs centraux et régionaux avaient un impact direct sur la vie des sujets, tant dans le domaine de la fiscalité que dans celui de la politique monétaire ; ils représentaient le duc de Brabant dans l’administration de ses domaines. Naturellement, l’accession de banquiers italiens au poste de trésorier participait d’un mouvement général qui toucha pareillement la Flandre –  plus précocement  – et le Hainaut, mouvement tendant à rationaliser les méthodes de gestion comptable et administrative du domaine princier afin d’en améliorer le rendement. Négociants internationaux aguerris, les Italiens maîtrisaient parfois déjà la comptabilité à partie double  ; pour eux l’établissement d’une balance crédit-débit constituait un outil efficace d’anticipation du risque commercial13. En Brabant, le phénomène comportait cependant un aspect plus conflictuel en raison de la compétition acharnée que se livraient les élites urbaines sur le marché de l’argent depuis le milieu du XIIIe siècle. Il faut le souligner, nommer des financiers d’origine étrangère au Brabant à la tête de la recette ducale était un acte politique audacieux, y compris pour le Prince, un acte politique dont le succès dépendait grandement de l’acceptation de ceux-ci dans le champ public par les oligarchies locales. J’ai voulu le démontrer dans le premier chapitre, la volonté des élites bruxelloises de maintenir un contrôle hégémonique sur le crédit au Prince réfréna les ardeurs de possibles concurrents étrangers. Un illustre marchand-patricien colonais comme Constantin Crop de Lyskirchen avait tenté à ses dépens de renforcer sa position de fournisseur de la cour auprès de la duchesse Aleyde de Brabant en lui faisant crédit ; Crop fut l’objet de persécutions menées par des bourgeois bruxellois. Quant aux financiers de la place de Paris ou les marchandsbanquiers siennois, ils n’avaient réussi qu’à jouer un rôle de bailleurs de fonds épisodiques, au gré de l’itinérance de la cour du duc Jean Ier en France ou aux foires de Champagne. Leurs avances couvraient le plus souvent des fournitures ponctuelles à l’hôtel ducal ; Jean II ­profitait lui aussi de ces facilités offertes par des marchands coutumiers des cycles de foires14. Papebrochius 1845, p. 81. Le jésuite Papenbroeck, qui écrit après 1700, se basa notamment sur les archives de la ville pour compiler sa chronique. 13 Introduction générale à ce phénomène  dans Blockmans 1985, pp.  207-208. Pour le Hainaut, voir Sivery 1978, pp. 545-550 : en Hainaut, comme en Brabant, les grands financiers du Prince sont des Astésans et commencent leur carrière à l’hôtel dès la dernière décennie du XIIIe siècle. Dans le comté de Flandre, des receveurs d’origine toscane sont nommés dès la fin du XIIIe siècle. : Boone et Vandermaesen 2003, pp. 298-299. Au sujet de l’évolution des comptabilités à partie double sous l’influence des banquiers d’Italie septentrionale, l’étude la plus complète reste toujours celle de R. de Roover et notamment : De Roover 1956. 14 Un riche marchand douaisien adresse ainsi une plainte en 1306 pour une créance de 500 lb. par. qu’il détenait sur le duc de Brabant depuis l’extrême fin du XIIIe siècle, sa créance ayant été ravie dans la halle de Douai vers 1304 : Espinas 1902, p. 124, n. 1 et pp. 134-135, n. 2. 12

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

Une minorité religieuse était, il est vrai, tolérée, mais uniquement parce qu’elle ne constituait guère de menace pour les ambitions des groupes dominants des villes brabançonnes en matière de haute finance. Il s’agissait des communautés hébraïques disséminées dans les villes du duché de Brabant et essentiellement actives dans le prêt à la consommation. Dans son avis pragmatique sur le gouvernement du duché, remis à la duchesse-régente Aleyde vers 1267, Thomas d’Aquin avait conclu positivement à l’utilisation fiscale des revenus usuraires du prêt d’argent pratiqué par les Juifs, pour le bien matériel de la communauté, sans aucun bénéfice moral15. Cette notion d’utilité commune de la taxation de l’usure pour les sujets du duc de Brabant est primordiale pour suivre le chemin tortueux de la reconnaissance publique du crédit lombard dans les villes du duché. En effet, si la valorisation du bien matériel de la communauté était étendue par le docteur dominicain aux revenus des usuriers italiens, il n’en reste pas moins vrai qu’une quinzaine d’années plus tard, cet acquis politique fut remis en cause par un avis d’un autre théologien, peut-être le franciscain John de Peckham, sinon un de ses élèves. Interdiction de louer des maisons à des usuriers lombards, autorisation au Prince de la taxation de leur seul capital, sans retenir les usures, telles étaient les mesures les plus rigoureuses de l’avis envoyé au duc de Brabant Jean Ier16. L’avis ne connut visiblement pas une diffusion massive en Brabant, néanmoins, il dut rendre les premiers banquiers astésans extrêmement vigilants à l’égard d’une éventuelle accusation d’usure lancée à leur encontre afin de les expulser des villes de résidence ducale, à l’exemple de la politique répressive menée par le roi de France Philippe le Hardi contre les usuriers italiens dans le dernier quart du XIIIe siècle. Cette menace avait connu un précédent en Brabant, à la fin du règne du duc Henri III17. L’admission des financiers piémontais dans la société urbaine des villes les plus importantes du duché n’allait pas non plus de soi : l’inexistence d’une table de prêt lombarde publiquement reconnue à Bruxelles et à Louvain tout au long du XIIIe siècle l’atteste, tout comme la géographie contemporaine des premières tables de prêt piémontaises dans les anciens Pays-Bas18. En Brabant, à l’opposé du comté de Hainaut ou du comté de Flandre le capital symbolique négatif véhiculé par un banquier lombard rendait sa reconnaissance sociale contestable : sa réputation infâme suscitait la défiance19. in communem utilitatem terrae : il ne s’agissait pas de la notion du bien commun « classique » qui, elle, était estimée comme productrice de bénéfices spirituels, cf. supra, 1ère partie, chap. 1, pp. 48-49. Le crédit des communautés juives était essentiellement caractérisé par le prêt sur gages et la mise à disposition d’argent comptant à court terme : Cluse 2000, p. 121. Vers 1300, le duc de Brabant entend lever à son seul profit les taxes sur les maisons de prêt exploitées par les Juifs de Brabant : Ibidem, pp. 103-104. 16 L’avis est datable de la période 1285-1290, soit de la première période d’implantation lombarde, voir supra, 1ère partie, chap.2, p. 99. 17 Bautier 1979, p. 11 et p. 27, n. 33. Le dernier avis d’expulsion des « Juifs et Cahorsins » du duché de Brabant n’était pas si ancien ; il remontait au testament du duc Henri III (26 février 1261), les financiers étrangers persistant dans la pratique de l’usure devaient être profondément extirpés du duché : Boland 1942, p. 94 [4] . 18 Il est en effet frappant de voir la famille gibeline Asinari exploiter une table de prêt à Utrecht dès 1260 avec le droit de bourgeoisie pour ses membres (Reichert 2003, p. 755) alors que le Brabant ne connaît encore aucun octroi de prêt pour les Lombards. Si à Louvain, l’existence d’une table de prêt publique est certaine au moins à partir de 1307, à Bruxelles, il faudra attendre le dernier quart du XIVe siècle (Reichert 2003, p. 432 : acte ducal pour la ville de Léau organisant le  crédit lombard dans la ville sur le même modèle que pour les Lombards de Louvain [7/5/1307] et Kusman 2007, p. 154-155). 19 Sur la notion de capital symbolique négatif, réduisant les chances de reconnaissance sociale et qu’on peut étendre à d’autres communautés minoritaires dans l’histoire, voir Bourdieu 20032, pp.  345-346 ainsi que ce même auteur sur la question de la reconnaissance : Ibidem, pp. 238-240. L’application de ce concept à la période médiévale doit s’accompagner 15

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

L’instauration d’un trésorier ducal d’origine piémontaise, assimilable à un usurier public notoire, exposait par conséquent le Prince et ses conseillers à des difficultés, non seulement d’ordre politique, liées à l’extranéité du premier, mais également d’ordre moral. Pour administrer les deniers de la communauté des chrétiens, il fallait être un bon fidèle, c’est-à-dire, non seulement faire preuve de charité et de justesse dans son office mais encore œuvrer pour l’utilitas du plus grand nombre, ceci passait notamment par les donations de riches financiers bruxellois aux hôpitaux pour pauvres et malades, redistribuant le fruit de leurs opérations spéculatives20. La position stratégique du trésorier dans la communauté des chrétiens entretenait finalement des polémiques soutenues par les ordres mendiants : dans le premier tiers du XIVe siècle, le franciscain Nicolas de Lyre débuta l’écriture de commentaires de la bible en s’intéressant à la problématique de la richesse suscitée spécialement par la fonction du trésorier, assimilé dans sa forme péjorative à Judas, ancêtre de tous les trésoriers et gardant la bourse pour la petite communauté du Christ et de ses apôtres21. Les principes d’une éthique de l’argent, élaborés notamment par les franciscains au début du XIVe siècle, influençaient sans conteste la manière dont les Astésans se présentaient dans les actes publics délivrés durant leur office de receveur. En essayant de gommer leurs patronymes piémontais, ils s’efforçaient d’éviter toute stigmatisation de leur extranéité : leur prénom était suivi ou pas du nom générique Lombard, éventuellement accolé presque systématiquement à leur localité originelle d’activité en Brabant (Bruxelles pour Enrico de Mercato et son neveu Giacomo de Mercato, receveur de Lierre, et Haelen dans le cas de Giovanni de Mirabello), autrement, ils associaient leur surnom à une localité brabançonne22. L’acceptation meilleure du nom générique de «  Lombard  » par rapport à un patronyme méditerranéen peut paraître contradictoire avec ce qui a été dit précédemment et nécessite quelques mots d’explication. En Brabant, depuis la dernière décennie du XIIIe siècle, le nom « Lombard » était passé dans le langage courant pour désigner un personnage qualifié dans le commerce de l’argent ; il connotait de moins en moins une origine étrangère. Si bien que des membres respectables des élites brabançonnes, patriciens ou chevaliers, réputés dans le maniement de l’argent acceptaient ce sobriquet23. de précautions. Largement négatif en Brabant, en raison d’une forte opposition des élites locales, le capital symbolique des Lombards semble meilleur dans d’autres principautés. Dans le comté de Hainaut ou le comté de Flandre, la position sociale des Lombards sera plus élevée en raison d’une acceptation globalement positive par les élites locales des grandes villes (voir infra). 20 Todeschini 2002, pp. 425-429 et supra le chapitre 1 de la 1ère partie, pp. 36-37. 21 Scordia 2005, pp. 25-26 et pp. 243-245. 22 Exemples pour Enrico de Mercato  : Hendrick Lamberts/Lombaerts, rentmeester van Brabant ou encore wi, Heinrec den Lombart van Brusele, die te dien tiden rintmester van Brabant was (Enklaar 1941, n°46, pp.  77-80 [13/6/1314], n°55, pp. 101-103 [23/6/1315] ; R.A.A., Fonds Berthout, chartes, n°32 [21/7/1315]). Giacomo de Mercato alias Jacques Lombard, receveur domanial à Anvers en 1307 sous les noms de Jacques de Bruxelles et Jacques le Lombard : Martens 1954, p. 348, n. 3 et p. 518. Giovanni de Mirabello : Wi, Jan van Mierabel diemen heit van Halen, rentmeester van Brabant ; Johannes de Mirabello dictus de Halen, Brabantie redditum receptor (Erens 1948-1952, vol.3, n°629, pp.  95-96 [9/1/1324]  ; S.H., chartes, n°59, lade 211 [21/4/1332]). Lorsque c’est le duc qui est l’auteur diplomatique de l’acte, il présente plutôt Mirabello sous une titulature tendant à rejeter à l’arrière-plan l’origine piémontaise du receveur, sous la forme suivante : Johanni de Halen, dicto de Mirabello, nostro receptori Brabantie (1321)  : Enklaar 1941, n°43, pp.  73-74 [29/12/1321]. Quant aux clercs de Jean III chargés de rédiger les registres féodaux et les censiers du domaine ducal, ils citaient Mirabello sans son patronyme piémontais : Johannes de Halen, receptor Brabantie (A.G.R., C.C., n°542, f°20v°, registre féodal du duc de Brabant Jean III, vers 1324-1326 et A.G.R., C.C., n°44684, f°7v°, censier ducal pour Haelen). Sur ces stratégies de présentation de soi, voir les réflexions instructives de Dutour 2002. 23 Le chanoine et trésorier de Sainte-Gudule Arnould Lombaert, était en fait issu de la famille patricienne de Platea ou Uten Steenweghe : cf. la 1ère partie, chap. 1, p. 30. Il faut aussi citer le trésorier ducal et chevalier Arnould d’Yssche, issu d’une des lignages prédominants d’Overijse, ancien amman de Bruxelles et également affublé de ce sobriquet (her Art Lumbart van Yssche) à Overijse à partir de 1306 et à Bruxelles puis à Malines en 1311-1312 (Martens 1977, t. 5, n°74, p.  48).

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

Fig. 21. Sceau du receveur Enrico de Mercato, le représentant en pleine activité, assis sur un banc et compulsant ­probablement un de ses livres de comptes. Autour de lui, des éléments de végétation comme des feuilles et des fleurs (des trèfles ?), suggèrent qu’il est dans son jardin. Toute la scène tend à instiller un climat de professionnalisme, d’humilité et de décontraction. Le caractère très réaliste du sceau, certainement confectionné à l’occasion de l’entrée en fonction d’Enrico, tranche avec les armoiries plus répandues des autres financiers d’Asti, présentant généralement des éléments de caractère nobiliaire prononcé (lions, aigles) ou des armoiries parlantes (familles Roero et Cavazzone par ex.). L’acte est donné durant la seconde période de régence du jeune Jean III, de 1314 à 1320 (©R.A.A., Fonds Berthout, chartes, n°32 [21/7/1315]), cliché, David Kusman.

Enrico de Mercato, premier receveur général piémontais en Brabant, nommé en 1309, alla plus loin encore dans sa volonté d’intégration, utilisant un sceau reflétant l’image d’un serviteur ducal intègre. Il se fit représenter comme absorbé dans un de ses livres de comptes. Le sceau devenait pour celui-ci un véritable instrument de communication politique destiné à rassurer les opposants idéologiques du crédit lombard. Ce n’était plus vraiment un symbole de prééminence sociale ou d’ambitions de nature nobiliaire. Le caractère réellement innovant de la démarche était éclairé par le contenu de l’acte auquel le sceau était appendu : une vente de seigle qui avait été coordonnée par Enrico de Mercato et un changeur de Bruxelles destinée à assurer le payement du retour en Brabant du jeune Jean III séjournant alors en France. De Mercato perçut une commission de 6,6% sur la vente rapportant un total de 375 lb., ces frais étant consignés par l’intéressé dans son compte qui en faisait donc foi en cas de contestation : dit heeft Heinrec de Lombart in sine rekeninghe24. Il existait une relation intime entre la question de la reconnaissance publique des Lombards dans les villes et leur admission à la recette ducale. Cette reconnaissance publique ne se manifesta pas de façon uniforme dans tout le territoire brabançon. À cet égard, la nomination du premier receveur local, Jacques le Lombard, alias Giacomo de Mercato, receveur de Lierre en 1303-1306, coïncida avec l’instauration d’un taux d’intérêt lombard publiquement reconnu pour la première fois dans une ville, à savoir, 43,3% par an à Tirlemont ( 2 d./livre par semaine), la vente de gages y étant permise au terme d’une année. Les débiteurs bourgeois de la ville ne pouvaient être contraints au payement avant [7/1/1306] ; A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G. chartrier, n°174[fin mars 1311 (n.s.)] ; S.M., S.R., série 1, n°1, compte de 13111312, f° 127v°, ; voir également Martens 1954, p. 100). 24 R.A.A., Fonds Berthout, chartes, n°32 [21/7/1315]. L’emploi d’un sceau adapté à la situation sociale et politique de l’intéressé et distinct des armoiries familiales, quoique rare, n’est pourtant pas un cas unique chez les manieurs d’argent astésans. Simone de Mirabello, fils batard de Giovanni emploiera un sceau le représentant avec un profil de César peu avant d’être nommé receveur de Flandre (1328). Cependant, cette dernière démarche, empreinte de prétention sociale, est aux antipodes de l’attitude d’Enrico de Mercato. Les armoiries familiales, figurant un lion rampant couronné, n’étant pas utilisées à ce moment (Bigwood 1908, voir p. 41). Le caractère réellement précurseur de ce type de sceau est d’autant plus frappant lorsqu’on le rapproche des premières scènes de genre en France représentant le personnel financier, remontant au règne du roi Charles VII (1429-1461) : il s’agit de miniatures représentant les officiers de la chambre des comptes au travail, assis à un bureau et enregistrant les états de recettes et dépenses dans des registres (Scordia 2005, p. 205 ).

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

cette échéance annuelle, ni se voir refuser le crédit que les Lombards offraient aux étrangers. Toute commission sur les opérations de change (vorewissel) était interdite aux prêteurs25. Quelques années plus tard, les conditions du crédit lombard furent organisées à Anvers à un taux plus élevé pour les emprunteurs étrangers à la ville26. Une troisième ville fit l’objet d’une ordonnance ducale sur le prêt conçue selon le même modèle que les conventions du prêt des Lombards de Louvain : Léau. Pareillement, à Bois-le-Duc, l’existence d’un taux de crédit lombard publiquement reconnu ne faisait plus de doute vers 1309, on l’a remarqué27. Le crédit lombard était donc officiellement réglementé par ordonnance ducale dans cinq villes peu avant 1309  : Anvers, Bois-le-Duc, Léau, Louvain et Tirlemont. En revanche et c’est significatif, la ville de Bruxelles qui concentrait en ces années la majorité des receveurs de Brabant (voir fig. 22) resta exclue de ces privilèges ducaux tendant à unifier les conditions du crédit lombard : nul oubli, mais bien la reconnaissance implicite de l’absence d’une domus Lombardorum, publiquement reconnue à Bruxelles. Cette distinction entre une table de prêt publique et une maison privée de Lombard, loin d’être purement symbolique, traduisait une réalité juridique et économique concrète qui n’a, à mon sens, jamais été suffisamment soulignée par les historiens du crédit lombard28. La volonté de l’oligarchie dirigeante de la ville de Bruxelles d’exercer un monopole sur le crédit empêchait tout essai de régulation officielle des taux d’intérêt au profit de prêteurs étrangers, aussi théorique fût-elle. La reconnaissance légale de l’usurier public était bel et bien devenue un problème politique, a fortiori en l’absence d’une nation des marchands lombards susceptible de représenter juridiquement et commercialement les intérêts de ses membres au contraire des marchands anglais, les seuls négociants étrangers en Brabant à disposer d’un comptoir commercial publiquement reconnu par le duc et d’une nation juridiquement organisée à Anvers dès 129629. Jacques est ensuite receveur ducal à Anvers en 1307 sous les noms de Jacques de Bruxelles et Jacques Lombard (Martens 1954, p.  348, n. 3 et p.  518). Le duc de Brabant fixa les conditions du prêt juif et lombard dans la ville de Tirlemont en 1303 : éd. dans Willems Anvers, 1827-1830, p. 457 [19/6/1303] et Wauters 1874, p. 182, § 12. Pour être exhaustif, il faut reconnaître que la possibilité théorique du prêt public lombard (en même temps que pour les prêts des Juifs) est reconnue pour la première fois à Lierre en 1291, à un taux de 8 d. /mois, soit 40%/an (éd. dans Van Uytven 1966, p. 445, art. 9[21/2/1291]), mais cette table n’est pas citée lors de la convocation fiscale du roi des Romains Henri de Luxembourg en 1309 ; elle ne devient active qu’en 1363 (Reichert 2003, p. 424 ). 26 Vort ane en wille wie niet dat die Lombarde die tAntwerpen woenede ende woenen zelen, dat zie niet en moghen lenen onsen portren van Antwerpen dierre dan tpond omme twee penninghe de weke, ende den vremden lieden om drie penninghe ; ende ware oec dat sake dat ander liede wouden lenen gheld, omme meer ghelds te coste, zone moghen sijt niet diere lenen dan die Lombarde die vore ghenoemt sijn » : éd. Willems 1839-1869, t. 1, n. 120, pp. 737-739, p. 738 [6/12/1306]. Les Lombards peuvent donc prêter aux étrangers à un taux supérieur, à savoir 3d./semaine ou 65%/an. Si les bourgeois veulent aussi prêter leurs capitaux, ils ne peuvent dépasser les taux « lombards » précités. 27 Willems 1839-1869, t. 1, n° 123, pp. 741-744, p. 743 [7/5/1307]. Au sujet de Bois-le-Duc, voir supra, cette même partie, le chap. 1, pp. 199-200. 28 Seules les tables de prêt publiques pouvaient être taxées par le Prince  : c’est la raison pour laquelle aucune table de prêt publique n’est citée à Bruxelles en 1309, dans un relevé des Lombards des principautés impériales appelés à contribuer financièrement à l’expédition militaire du roi de Romains Henri VII, afin de se faire sacrer à Rome (Vercauteren 19501951, ré-éd. dans Vercauteren 1978, pp.  419-443, pp.  420-423 p.  422). Naturellement, cela n’empêchait pas qu’une societas de Lombards—ayant elle un statut privé—soit basée à Bruxelles et y monte des opérations de crédit comme ce fut le cas vers 1325 pour les prêts concédés au seigneur de Heusden. Un argument renforce la précision de ces documents fiscaux : la table lombarde de Genappe citée par le compte de l’amman de Bruxelles en 1286 devint inactive au siècle suivant jusqu’en 1368-1369 où elle sera dite domus apud Genapiam noviter accepta, impliquant donc sa réouverture après une longue période d’interruption (Reichert 2003, p. 300).  29 À partir de 1315, ce privilège sera étendu aux marchands hanséates, florentins et génois : Petti Balbi 2005, p. 10 ; Bordone et Spinelli 2005, pp. 20-21 ; de Sturler 1936, pp. 270-276. 25

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

Même une fois leur présence «  achetée  » au duc de Brabant Jean Ier, après le gigantesque prêt de 1293, le statut légal des financiers de cour piémontais résidant dans le duché resta précaire30. Un acte du duc Jean II l’illustre. Il expliqua en 1307 au pape Clément V que, circonvenu par de mauvais conseillers dans sa jeunesse, il s’était laissé aller à concéder des contrats d’octrois de prêt aux « marchands » Lombards établis en Brabant afin qu’ils exercent publiquement l’usure. Jean II avait promis aux Lombards de sauvegarder leurs privilèges d’octroi contre l’Église romaine et ses représentants, prélats ou simples prêtres. Il avait en outre renoncé à toutes les exceptions de droit romain et de droit canon susceptibles d’annuler ces conventions. Le pontife accepta de casser ces contrats, les déclarant nuls en droit, et de relever le duc de Brabant et ses garants de leurs serments. Les dirigeants de la haute banque astésane, les de Mercato et les Roero, étaient sans nul doute visés par ces mesures31. La rhéthorique employée pour annuler des dettes peu honorables était peut-être classique, elle n’en révélait pas moins la fragilité de la position juridique et sociale des prêteurs piémontais. Si le duc avait recouru à cet expédient en écrivant au pape, c’était pour apaiser une opposition montante à la présence d’usuriers italiens dans son entourage proche. Un nouvel emprunt conclu auprès des tables de prêt du Brabant sept mois plus tard le démontre ; Enrico de Mercato et Giovanni de Mirabello comptaient parmi les banquiers d’Asti sollicités32. L’absence apparente des sources au sujet de la fonction de receveur général de Brabant entre 1306 et 1308, juste avant la nomination d’un premier receveur piémontais (en 1309), pourrait encore renforcer l’hypothèse d’une dissension aiguë au sein du conseil ducal sur la question de l’accès des Lombards à la recette générale de Brabant. L’existence à cette époque d’un parti hostile à l’arrivée des Astésans à la tête de la recette ducale ne fait guère plus de doute lorsqu’on s’intéresse aux modalités de l’exercice de la charge de receveur. Deux périodes exceptionnelles de co-direction de la recette par des Lombards et des Bruxellois exposent la rivalité que les Italiens affrontèrent pour être admis à ce poste ; ils avaient dû accepter la présence d’un second receveur bruxellois à leurs côtés (voir fig. 22). Le rôle exact de ce dernier reste peu éclairci ; il dénote néanmoins un manque de confiance publique dans la personne du trésorier astésan, tout comme si le travail de ce dernier devait être contrôlé par un collègue. Sur ce prêt de 100 000 lb., revendiqué par Benedetto Roero pour sa quotité de participation une vingtaine d’années plus tard : A.S.V. Coll. 433a, f°82r°. 31 Exposita siquidem nobis tua petitio continebat, quod tu olim in etate iuvenili existens et malorum virorum consilio circumventus quasdam cum mercatoribus Lombardis in tuis terris commorantibus conventiones et pactiones illicitas iniisti(. . . ) : Tosti 1885-1888, n° 1967, pp. 102-103 [1/6/1307]. Il est possible que parmi ces « erreurs de jeunesse », Jean II ait pensé à la convention conclue en 1296 avec Enrico, Giacomo, Uberto et Perrino de Mercato et Berardo, Rainerio et Antonio Roero et leurs associés demeurant en Brabant, cautionnée par le comte de Flandre Guy de Dampierre (A.D.N., B.4055 n°3806 [27/5/1296]). Cet acte mentionnait la renonciation aux exceptions de droit romain de la part du duc et pourrait bien correspondre à un octroi doublé d’un prêt forcé des Lombards. 32 Ce prêt ultérieur fut demandé par le duc aux tables de prêt de Grez, Halen, Léau, Louvain, Maastricht et Tirlemont pour financer son voyage à la cour du roi d’Angleterre (A.S.V., coll. 433a, f°82r°-82v°[1/1/1308]) ; parmi les chefs des tables on retrouve Enrico de Mercato pour Tirlemont et Giovanni de Mirabello pour Halen. Il est intéressant de constater que le seul prêteur piémontais qui réussit à obtenir une nouvelle assignation sur les revenus d’une ville brabançonne en 1307 fut un financier du parti guelfe d’Asti : Baldovino de Solaro (Castellani 1998, p. 225, n. 58). Ce dernier reçut une assignation sur les revenus de la ville de Bois-le-Duc pour un montant total de 1 500 lb., en décompte de ce que la ville devait au duc (Camps 1979, vol. 2, n°742, p. 887 [28/4/1307]). L’appartenance de Solaro au parti guelfe délivrait le duc de Brabant de ses scrupules moraux puisque les contrats d’octroi avaient été passés avec les Lombards appartenant en premier ordre au parti gibelin (familles de Mercato et Roero). 30

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Nom

Origine géographique

Période d’activité

Lien antérieur avec la finance astésane33

Thierry Lose

Bruxelles

1297-1302

Oui : lien indirect

Jean de Woluwé, dit de Castro

Bruxelles

1302-1305

Non

Henri Lombard alias Enrico de Mercato

Asti

1309, [1310 ?] 1311

Oui

Thierry Lose

Bruxelles

1311(avec Enrico de Mercato)

Oui :lien indirect

Arnould Lombard d’Yssche

Overijse

1313

Oui :lien direct

Henri Lombard, alias Enrico de Mercato

Asti

1314-1315

Oui :lien direct

Francon Boiken

Bruxelles

1316

Non.

Francon Blomart

Bruxelles

1317-1319

Non

Jean Vinke

Bruxelles

Ca.1321

Oui : lien indirect

Léon van der Borch, de Woluwé

Bruxelles

1324-1325 (avec Giovanni de Mirabello)

Non

Jean van Haelen alias Giovanni de Mirabello

Asti

1321-1333

Oui 34

Fig. 22. Les receveurs de Brabant actifs durant la période de la haute-finance lombarde (1297-1333) 33 .

Une fois les Astésans entrés dans l’administration financière du Prince, qu’attendait-on de leur gestion et quelle était leur spécificité éventuelle ? C.

Les spécificités de l’action des Astésans à la recette de Brabant

L’historiographie traditionnelle du domaine princier a longtemps posé un constat sans équivoque sur la présence des banquiers lombards à la tête de la recette : ils répondaient uniquement à un besoin urgent et ponctuel en monnaies sonnantes et trébuchantes, la bonne gestion du domaine dût-elle en pâtir. Toutes les méthodes, prévarication ou spéculation financière, étaient bonnes pour faire avancer la cause du trésor princier ou royal35. Est-il toujours justifié de condenser les modalités de l’activité des receveurs d’origine italienne aussi crûment36 ? Je ne le crois pas ; la faculté pour un trésorier de rassembler rapidement des masses de capitaux est évidemment importante, elle n’en est pas pour autant le sésame explicatif de l’arrivée des Italiens au gouvernail de la recette. Comme dans le schéma de la fig. 18, tout lien indirect est défini comme une relation absente des sources mais présumée en raison de la fréquentation par les intéressés d’un même milieu social et professionnel. 34 Tableau réalisé à partir des données figurant dans Martens 1954, pp. 95-105 ; Avonds 1984, n°114, p. 50, n.146 et Camps 1979, vol. 2, n°835, p. 1015 [12/1/1311]. 35 Martens 1954, p.  125  ; Favier 2005, p.  80  ; Favier 1987, p.  58  ; Kittel 1991, p.  201, reste dans cette lignée historiographique lorsqu’elle écrit : « (. . .)Italians were proven money-makers who had convenient access to networks capable of providing ready cash. It cannot be entirely coincidental that two of the Italian general receivers were appointed shortly after lending the count large sums of money. Indeed, Flemish counts probably hired Italians more on account of the chronicle need for funds than because of any comital commitment to long-term fiscal reform ». 36 Un tournant historiographique salutaire dans la vision du banquier italien —jusqu’alors considéré comme obnubilé par l’avancement de ses intérêts personnels aux dépens des intérêts de l’Etat qui l’emploie— se trouve dans Boone 1999, spécialement pp. 32-36 et pp. 52-54. 33

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

Trois facteurs qualitatifs me semblent en revanche essentiels pour définir les apports spécifiques des Astésans à la Recette de Brabant. Ces trois facteurs consistaient en l’existence de réseaux marchands familiaux d’échelle européenne, tout d’abord, en une nouvelle culture de l’anticipation du profit commercial, ensuite, et, finalement, en des compétences de gestionnaires bancaires expérimentés. Le dynamisme des réseaux marchands piémontais découlait de leur ubiquité, leur parentèle étant présente des deux côtés des Alpes, particulièrement, en Piémont, dans le comté de Savoie, dans le comté de Bourgogne, aux foires de Champagne, en Rhénanie et dans les anciens Pays-Bas. De Mercato et de Mirabello apportaient dans leurs coffres bien plus que leurs capitaux : un carnet de correspondants couvrant probablement une bonne partie de l’Europe du nord-ouest. Étaient autant de partenaires habituels des financiers d’Asti en Brabant, des intermédiaires financiers locaux, des associés et facteurs dans d’autres tables de prêt lombardes et des marchands-banquiers toscans. Les horizons commerciaux des banquiers astésans étaient incomparablement moins étriqués que ceux des marchands brabançons. Il s’agissait en somme de petites communautés marchandes, très bien implantées localement, contrôlant chacune une portion des échanges commerciaux, spécialement la banque, le change et le courtage. L’organisation décentralisée des tables de prêt lombardes offrait au duc de Brabant et aux puissants barons du duché ce qu’aucune compagnie toscane ne pouvait leur proposer : des officines bancaires recouvrant la majeure partie du territoire brabançon. Une compagnie comme celle de Dino Onesti de Lucques, créancière de Jean II, ne put renforcer sa présence sur le marché brabançon malgré le prêt d’une coquette somme de 58 000 lb. en 1304. Le fils de Dino obtint bien une assignation sur la ville de Malines de 41 000 lb., mais celle-ci ne couvrit finalement qu’un peu moins de la moitié de la dette ducale envers les Lucquois. Et ceux-ci, à part un appel symbolique au Pape, ne disposaient d’aucuns moyens de pression pour récupérer la totalité du solde déficitaire ni pour monnayer leur avances de numéraire par une présence accrue. La compagnie des Filippi, originaire de Pistoia, ne put de même étendre sa présence en Brabant hors de leur comptoir anversois malgré un crédit important accordé au duc Jean II 37. Les marchands-banquiers toscans, disposant de leurs principaux comptoirs commerciaux à Anvers depuis 1315, étaient restés impuissants à s’implanter profondément en Brabant à la même époque. C’était là un signe de la volonté des Astésans d’interdire aux Florentins et aux Siennois l’intermédiation entre le marché brabançon et le marché méditerranéen. La compagnie siennoise des Gallerani disposait d’un dépensier d’origine astésane, chanoine de Bruxelles, qui les représentait sans doute Les Onesti étaient en comptes avec la chambre pontificale dont ils géraient certains fonds  : Blomquist 1971, p. 161. Gettucio, fils de Dino Honesti, inspira sûrement au pape Clément V un acte d’excommunication prononcé à Lyon à l’encontre de Jean II et ses co-débiteurs, les seigneurs Jean de Cuyck, Arnould de Walhain, Gérard de Diest, Rasse de Liedekerke, seigneur de Bréda, Arnould et Gérard de Wezemaal, Jean de Herstal, Jean Berthout, sire de Malines, Henri de Cuyck, Daniel de Bouchout et Vivain Mordet (A.S.V., Reg. Vatican., n°52, f°65v°, éd. imparfaite dans Tosti 1885-1888, vol.1, n°376, p. 72 [16/1/1306, n.s.]). Cela poussa Jean II à agir : A.G.R., C.C., n°1, f°76r°-76v° [6/9/1304] et De Ridder 1974, n°24, p. 92 [2/12/1307] : l’acte d’assignation accordé en 1304, ne déboucha finalement que sur le remboursement établi en 1307, d’une somme de 23 656 lb., 5s. et 4d. payable par échéances annuelles jusqu’en 1318. Malheureusement pour les Onesti, les échéances versées par la ville de Malines ne totalisèrent qu’un montant de 17 496 lb. pay. et ne se poursuivirent pas au-delà de 1317 (S.M., S.R., série 1, n°2, f° 1r° et 110v°, compte de 1313-1314 ; n°3 (1315-1316), f° 1v°, 76r° et 84v° ; n°4 (1317-1318), f°10v°. Les frères Filippi, marchands de Pistoia et créanciers du duc pour une somme de 12 000 lb. parisis, n’eurent apparement pas cette chance, il semble qu’ils n’aient jamais été remboursés (Piot 1890, p. 100, n°348 [18/4/1309] : caution de Jean Ier de Flandre, comte de Namur, pour le duc de Brabant). Simon était actif à Anvers comme dirigeant de la société de la Couronne, depuis 1305 (Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 181).

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

le cas échéant dans cette ville : Piero di Jacoppo da Gorzano, du diocèse d’Asti, économe de la filiale des Gallerani à Londres jusqu’en janvier 1307, puis facteur de la compagnie à Bruges et valet de Tommaso Fini, receveur de Flandre38. Quant à la compagnie florentine Del Bene, elle ne semble guère avoir stipendié de facteur en Brabant pour effectuer ses achats ponctuels de draps. Enfin, les Bellardi de Lucques, présents à Bruxelles en 1304-1305 durent nécessairement recourir à des courtiers bruxellois et piémontais pour se fournir en draps de Bruxelles39. Les sociétés de prêt piémontaises actives en Brabant fonctionnaient selon une organisation familiale décentralisée, le patrimoine de la société étant réparti entre plusieurs frères  ; l’oncle étant à la tête d’une banque accueillait ses neveux afin qu’ils fassent leur apprentissage auprès de lui. Plusieurs frères des familles de Baieni, Isnardi et Roero avaient agi de la sorte à Tournai dès 126140. Comme associés, ils possédaient des participations dans le capital de leur société commune. Cette structure de participations financières reposant sur un très grand nombre de cousins du côté maternel et paternel renforçait à priori la résistance de la société de prêt aux chocs financiers ; en période de crise monétaire, il diluait les difficultés d’accès à des capitaux frais, plus grandes, dans les sociétés marchandes non exclusivement familiales, recherchant de l’argent frais à l’extérieur de la parentèle41. L’organisation familiale d’une société de prêt réduisait a priori les coûts de transaction et d’accès à l’information. Les exemples fourmillent à l’appui de ce modèle familial d’apprentissage, de bonne réputation et de confiance42. Il était plus aisé, pour le banquier Enrico de Mercato établi à Bruxelles vers 1304, d’accorder sa confiance à ses neveux, Giacomo et Pietro, établis à la banque de Louvain, plutôt qu’à un inconnu. Entre 1280 et 1320, les de Mercato œuvrèrent entre autres tables à Alost, Antoing, Audenaarde, Bruxelles, Grammont Herentals, Louvain et Malines. Giovanni de Mirabello travaillait avec son frère, Simone à Wessem et à Woudrichem, avec un autre frère, Manfredo, à Halen, à Bois-le-Duc, avec un cousin, Enrico et un neveu, Colino, gouverneur de la table. Plus tard, Giovanni enverrait son fils faire son apprentissage comme facteur dans la banque de Malines autour des années 1320. Quelques années après, en 1329, Simon agit comme facteur des Peruzzi de Florence à Gand. Un parent d’Enrico de Mercato, Godefrido, avait quant à lui été hôtelier à Gand en 1305-1306. La mobilité des jeunes apprentis-banquiers d’une ville à l’autre faisait l’essence du métier43. R.A.G., Chartes de Flandre, Supplément Wyffels, n° 425 [41/10/1305] et Les livres des comptes des Gallerani 19611962, vol. 1, n°7, p. 6 [mai 1305], n° 11, p. 7 [17/5/1305], n°135, p. 42 [11/3/1306], n°194, p. 59 [octobre 1306] et n°324, p.  93 [11/3/1306]. Les Siennois étaient plus fortement implantés dans le comté de Flandre avec la société des Gallerani qui avait propulsé un de ses agents, Tommaso Fini, à la tête de la recette du comte de Flandre en 1306. Piero di Jacoppo da Gorzano, du diocèse d’Asti représenta par procuration notariée, Giacomo de Sabello, de Rome, pour la prébende de chanoine de Bruxelles à partir de 1305 (Ibidem, vol. 2, pp. 133-134 et Kittel 1991, p. 135, n. 47). 39 Significativement, Balduccio Pegolotti, facteur des Bardi à Anvers de 1315 à 1317, confessa avoir reçu un privilège authentifié avec le grand sceau ducal en 1315, en même temps que les marchands anglais, génois et hanséates, qu’il avait remis à la compagnie des Bardi ayant son siège à Bruges lorsqu’il partit pour l’Angleterre en avril 1317. Ailleurs, comparant le comté de Flandre et le duché de Brabant, il avoua pratiquer le commerce et le prêt essentiellement en Flandre ; quant au Brabant, s’il fallait citer les villes de Malines, Bruxelles et Louvain, c’était bien la cité d’Anvers qui sortait du lot car, située au bord de l’Escaut, c’était l’endroit le plus approprié pour y faire commerce : Evans 1936, p. 236 et p. 250-251. En 1320, Gualterotto et Doffo de Bardi et leurs associés voyagèrent en Brabant pour procéder à des achats ponctuels de draps de luxe. À Bruxelles, ils s’adressèrent directement aux drapiers bruxellois, sans passer par aucun facteur ou courtier local toscan : Sapori 1932, pp. 308-309. Au sujet des Bellardi présents à Bruxelles en 1304-1305, voir la 2e partie, chapitre 2, pp. 162-163. 40 Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°s 106-122 (sauf n°116), pp. 112-113 et n° 36 et n°43, p. 107 ; Doria 1995, p. 337. 41 Mathias 1999, p. 119. 42 Molho et Curto, pp. 573-574. 43 Pour la famille de Mercato, Kusman 2008a, vol. 4, pp. 19-23 et pour les Mirabello : Ibidem, pp. 26-30. 38

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Le maillage efficace des banques de la famille Roero dans la vallée Mosane et en Rhénanie complétait parfaitement l’implantation préférentielle des familles de Mercato et Mirabello dans les anciens Pays-Bas. Au début du XIVe siècle, un cousin de Benedetto Roero, Martino, dirigeait la table de prêt de Bonn, tandis qu’un frère, Antonio, et un oncle, Berardo, s’occupaient de la banque de Cologne. Ils usaient pour leurs opérations bancaires de monnaies d’argent en marcs de Brabant, en deniers d’Aix-la-Chapelle et de Cologne44. Le cercle des parents et alliés soutenait localement l’action du trésorier. Enrico de Mercato recueillit certainement la connaissance que son neveu, Giacomo avait amassée en œuvrant comme receveur local à Lierre. Un autre parent d’Enrico, Olivero, était un correspondant local du trésorier à Merchtem (1309), avant de travailler plus tard à la table de Malines45. Pareillement, Giovanni de Mirabello comptait à Gand sur son fils naturel, Simon, et, à Malines et à Gand, sur sa fille, Isabelle, et enfin sur son autre fils, Franco ou Francon, receveur de Tirlemont de 1332 à 133546. Naturellement, l’historien-économiste doit se prémunir d’un portrait miraculeux des réseaux marchands familiaux des minorités étrangères. La solidarité supposée du groupe marchand étranger avait son talon d’Achille  : en période de dépression économique, les marchands italiens pouvaient être accusés de cultiver une culture du secret défavorable aux intérêts de la communauté des marchands locaux. Les émeutes périodiques dirigées contre les Alien merchants en Angleterre au XVe siècle témoignent de cet état de défiance47. Au surplus, de l’entente interne de ces réseaux marchands familiaux dépendait la fluidité de l’accès à l’information commerciale. Sur ce plan, les conflits familiaux semblent pourtant avoir eu un impact modeste sur la gestion journalière des sociétés de prêt piémontaises en Brabant. Deux familles furent, il est vrai, secouées par des dissensions provoquées par des donations, les Mirabello, en 1327, et les Roero, vers 1321. Le recours quasi systématique à l’arbitrage et au compromis permit de limiter les conséquences financières néfastes de ces litiges sur la bonne marche des casane48. Logiquement, l’existence d’un réseau de négoce étendu supposait en définitive une capacité plus grande à attirer des investisseurs prêts à déposer une partie de leurs avoirs dans les bancs de prêt lombards. Ces bancs de prêt alimentaient à leur tour la recette du trésorier et réciproquement. Dans cette optique et j’en Les Roero étaient également représentés à la banque d’Aix-la-Chapelle en la personne d’un cousin de Benedetto, Galvagno Roero. Voir supra, le chapitre précédent, p. 188 et Reichert 2003, p. 367 et Atlas, carte L. 22 (famille Roero). 45 En 1309, Enrico de Mercato est présent comme conseiller aux côtés du duc de Brabant pour un acte concédant à la ville de Lierre le marché aux bestiaux (Verkooren 1961-1962, vol. 1, p.  224[12/9/1309]), ville où son neveu avait été receveur de 1303 à 1306. En 1314, Enrico exécuta une décision ducale conférant à l’abbaye d’Afflighem des biens à Merchtem (Martens 1954, p. 221, n. 1). Olivero de Mercato est signalé comme tenancier de la table de Merchtem en 1309. En 1324, il figure parmi les membres de la table de Malines (Kusman 2008a, vol. 4, pp. 2-23). 46 Sur l’activité de Francon de Halle, receveur de Tirlemont  : A.G.R., C.C., n° 44684, f°3v°( Registre censal de Zelck, Walsbergen, Betz et Cortenaeken et Haelen)  ; A.G.R., C.C., n° 44754, f°89v° (registre censal pour Haelen et Tirlemont). Francon avait en outre épousé la fille d’un associé des Mirabello, actif à Dam, Albertino ou Obertino Roero. Isabelle avait quant à elle épousé le bourgeois malinois Henri Sconejans avant 1329. Sconejans faisait négoce entre les deux villes. Simon avait épousé Isabelle de Lierde, demi-sœur du comte de Flandre en 1324. Il avait acquis à la même époque la résidence prestigieuse Hof ten Walle, petit manoir situé à proximité du s’Gravensteen à Gand : Kusman 1999b, p. 850, n. 45 et pp. 901-902. 47 Nordio 2004. 48 Le litige des Mirabello fut réglé par règlement à l’amiable devant les échevins gantois préposés aux successions, le litige portant essentiellement sur la succession de l’héritage de Giovanni à Gand : Kusman 1999b, pp. 903-904. Vers 1321, Benedetto Roero fit donation de ses avoirs au Saint-Siège, comportant notamment ses parts dans plusieurs tables de prêt brabançonnes. Dans les années 1321-1330, après qu’il ait dissous ses sociétés de prêt, plusieurs anciens associés de Roero, continuèrent à exercer le métier de banquier  : notamment Oberto de Montemagno à Malines et Enrico de Mercato à Bruxelles. La donation ne freina pas le négoce de ces Lombards, bien au contraire (Kusman 2010). 44

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parlerai plus loin, les changeurs des grandes places financières brabançonnes se révélèrent d’utiles intermédiaires pour centraliser les fonds destinés aux banquiers lombards49. Grâce à leur réseau marchand très ramifié, les hommes d’affaire d’Asti attiraient les apports en capitaux de bourgeois fortunés. Ces derniers, courtiers-hôteliers ou marchands polyvalents, étaient disposés à placer une partie de leurs avoirs auprès d’usuriers publics en échange d’un taux de profit plus élevé que la moyenne. Mais, ils pouvaient également, plus simplement, se contenter de cautionner les prêts souscrits auprès des Lombards ou servir d’intermédiaires pour conclure les transactions. En bref, leur nomination comme trésorier ducal ne mettait aucunement un terme à leur participation dans des tables de prêt brabançonnes et étrangères. Au contraire, il est assuré que ces participations bancaires étaient considérées par le Prince comme un atout essentiel dans l’enrichissement de la recette ducale ; sinon, Jean III ne se serait pas empressé de saisir les titres de participations de son trésorier en 1333 après l’incarcération de ce dernier50. L’activité de banquier des Astésans profitait donc à la recette de Brabant tout autant que leur fonction de trésoriers participait de la croissance de leur négoce51. Il est facile de s’en convaincre lorsqu’on étudie l’évolution du volume des opérations bancaires des Lombards résidant en Brabant, en parallèle avec les périodes où la recette est dirigée par un financier piémontais (voir graph. 8), depuis le début du XIVe siècle. Qu’il s’agisse d’un receveur général ou d’un receveur régional, l’effet de la nomination d’un Astésan sur l’activité des sociétés bancaires lombardes est très perceptible. La croissance des opérations de crédit, déjà assez forte, avec l’entrée en fonction du receveur Giacomo de Mercato à Lierre en 1303, met en exergue le rôle des recettes domaniales. En général, immédiatement dans l’année de nomination, voire quelques années après, le montant annuel totalisé des prêts grimpe vers la barre des 20 000 lb., puis, à partir de 1314, la dépasse avec la seconde période d’office d’Enrico de Mercato. Le sommet sera atteint en 1325 avec un prêt de 48 000 lb. n.t. accordé par Giovanni de Mirabello et ses associés malinois au comte Renaud de Gueldre52. On pourrait, il est vrai, dénoncer le caractère gratuit  de cette démonstration  : après tout, un graphique comparant les opérations de prêt de quelques financiers bruxellois redoutables comme Thierry Lose ou Jean Vinke, également receveurs, ne prouverait-il pas exactement la même chose ? Certes, mais la différence d’échelle serait sans doute de taille  : les rares données numériques conservées sur les transactions de grande ampleur des financiers brabançons au profit du duc ou de la haute-noblesse restent bien en deçà du volume des crédits accordés par les banquiers piémontais53. Sans pouvoir disposer de Voir le chapitre suivant traitant du rôle du change de Malines pour la finance astésane. Enrico de Mercato, receveur de 1309 à 1311 et de 1314 à 1315 possédait indirectement des actifs dans la table de prêt de Louvain grâce à son neveu Giacomo, actionnaire de cette table gérée au quotidien par Giacomo de Canelli et Leone Deati (A.S.V., Coll. 433a, f°35v° et f°39v° ). Malgré son ancrage ancien à la cour ducale. Giovanni de Mirabello possèda notamment des parts notables dans les tables de Malines et de Valenciennes : Kusman 1999b, p. 876, p. 897 et pp. 909-910. Une stratégie identique est adoptée par le receveur de Flandre, le Siennois Tommaso Fini qui reste membre de la société des Gallerani durant la majeure partie de son office en 1306-1309 (Kittel 1991, p. 136, n. 73). 51 Conclusions identiques de Mollat 1998, p.  269, à propos de Jacques Coeur  :  «  De fait, son emploi permettait à l’Argentier de se procurer des liquidités financières et d’effectuer des transports et des changes d’une certaine ampleur. ». 52 Sur ce prêt de 1325  : Stadsarchief Zutphen, Oud archief Zutphen, charters, n°72 [4/3/1325] et éd. partielle dans Spengler-Reffgen 1999, n°200, pp. 183-184. 53 Seul Jean Vinke, accorde un emprunt supérieur à 1 000 lb., il s’agit d’un prêt de 3 000 lb. payment concédé à Jean II de Brabant et garanti par Florent Berthout, seigneur de Berlaer, Gérard de Diest, Othon de Cuyck, seigneur de Zelem, Gilles Berthout, sire de Malines, Daniel de Goor, Daniel de Bochout, chevaliers, Roger de Leefdael, sénéchal de Brabant et les 49 50

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55000 50000 45000 40000

Montants

35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0

1300 1302 1304 1306 1308 1310 1312 1314 1316 1318 1320 1322 1324 1326 1328 1330 1332 Années Montant en lb.n.t. Années où un Lombard est receveur général Années où un Lombard est receveur régional

Graph. 8. La croissance du volume des opérations des sociétés lombardes en Brabant (supérieures á 1000 Ib. n.t.)

données quantitatives détaillées sur les receveurs bruxellois, on peut toutefois remarquer le fait suivant. Dans le premier quart du XIVe siècle, pour réunir des sommes comparables à celles de la haute-finance piémontaise en peu de temps, des bourgeoises Bruxelloises pourtant fortunées en étaient toujours réduites à émettre des rentes perpétuelles sur leurs biens ou à hypothéquer ceux-ci. Voilà une distinction radicale avec la haute-finance astésane, les hommes d’affaire locaux ne disposaient pas d’outils bancaires aussi attractifs que les tables de prêt des Piémontais pour accueillir rapidement les dépôts de tiers et les rémunérer avantageusement. Certaines fortunes privées de la haute-bourgeoisie bruxelloise du début du XIVe siècle étaient il est vrai, très notables ; elles étaient néanmoins d’abord immobilières et circulantes avant d’être constituées d’argent thésaurisé54. frères, Thierry et Guillaume Lose, bourgeois de Bruxelles : S.A., Charters en autografen, CH. B 61[1/7/1308]. Trois ans plus tard, Vinke bénéficie pour moitié avec Englebert Mennen, un autre bourgeois bruxellois, de la rente viagère de 200 lb. du seigneur Florent Berthout, détenue sur la ville de Malines, certainement suite à un emprunt de ce dernier aux Bruxellois, s’élevant sans doute à ca. 2 000 lb., si l’on tient compte d’un taux d’intérêt de 10% : S.M., chartes de la ville n°48 [25/4/ 1311]. On peut aussi mentionner la rente féodale de 25 lb. de v. gr. assignée sur les recettes de Bruxelles et Louvain cédée par Gérard de Hornes au manieur d’argent bruxellois Gislebert Taye. Au taux de 10%, taux habituel pour les constitutions de rente féodales, le capital avancé par Taye était sans doute de 250 lb. v. gr., soit ca. 4 000 lb. n.t. (A.G.R., Chartes de Brabant, n°248 [16/7/1316]). L’absence d’archives financières importantes, du côté des manieurs d’argent brabançons, ne permet pas d’en dire plus. 54 Ainsi, en 1308, Lutgarde, veuve de Gislebert de Bogarden, promit à Alix, fille de feu Everwin de Wisselere de lui assigner une somme de 100 lb. de v.g., sur sa maison, ainsi que sur tous ses biens allodiaux ou ceux qu’elle pourrait acheter (Martens 1977, vol. 6, n°87, p. 56 [28/10/1308]). En 1315, la béguine Hedwige Blomart, d’une riche famille de bourgeois bruxellois et dont l’oncle, Francon, sera receveur de Brabant en 1317-1319, engage tous ses biens à Mathilde de Wambeek pour la somme de 1 000 lb. v. gr. (soit 16 000 lb. n.t.), afin de pouvoir asseoir le patrimoine de son béguinage. Pour bien saisir qu’on se situe

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Un facteur secondaire mais concomitant à cette phase de décuplement des capitaux lombards pesait dans la balance : c’était l’installation de la société de prêt commune de ­Giovanni de Mirabello et Benedetto Roero sur la place financière de Malines en 1314. Cette installation de la société coïncida avec sa première opération de haute finance à destination d’un prince territorial étranger, en l’occurrence le comte de Clèves55. Elle signifiait qu’à Malines, les deux chefs de société étaient assurés de trouver des investisseurs assez nombreux pour placer leurs avoirs dans leur table de prêt. Surtout, elle montrait que, disposant d’un partenaire fiable, le trésorier général de Brabant, Enrico de Mercato, les banquiers piémontais jouissaient de la pleine confiance de bourgeois prêt à risquer leurs deniers dans la domus Lombardorum de Malines. Le crédit lombard, aussi rémunérateur soit-il, restait en effet une entreprise spéculative soumise aux aléas des rapports de force entre le duc de Brabant et la haute-noblesse. Pouvoir faire appel, le cas échéant, à un officier ducal de rang élevé comme le receveur, habilité à ordonner des confiscations, était un argument de poids pour persuader des investisseurs frileux. Un débiteur des Lombards devenait légalement le débiteur du duc de Brabant : les financiers piémontais étaient placés sous la protection du duc qui percevait des droits sur la collaboration de ses baillis et sergents aux exécutions sur dettes par saisies56. J’insisterai à présent sur le second facteur, plus décisif, me semble-t-il, pour expliquer l’exceptionnelle densité et le succès des sociétés de prêt piémontaises en Brabant. Une culture de l’anticipation du profit commercial, que faut-il entendre par là ? Cette culture de l’anticipation se caractérisait par deux attitudes typiquement commerciales  : d’une part, une connaissance préalable des territoires à fort potentiel de croissance économique du duché de Brabant et d’autre part, une excellente prévision des mouvements monétaires à venir. Incontestablement, les gens d’Asti étaient à même de saisir mieux que d’autres, la géographie de l’essor économique du Brabant, avec ses pôles de croissance et ses régions à la traîne et cela en raison même de la large diffusion de leurs tables de prêt dans le duché, telle qu’elle nous est connue par l’itinéraire suivi par le messager du roi des Romains Henri VII, entre le 29 novembre et le 7 décembre 1309, pour adresser ses convocations aux Lombards de Brabant résidant dans 42 localités (voir carte 6)57. Dans cette optique, si l’on recense le là dans un milieu social très homogène, celui des grands financiers bruxellois, il suffit de rappeler qu’une fille du clan familial Blomart avait épousé Henri Lose, père du receveur de Brabant Thierry Lose (Martens 1990, p. 17 et p. 21). 55 Archives d’Arenberg à Enghien, chartrier, n°45, vidimus de l’emprunt du 31/10/1314, en date du 3/2/1316 n.s. 56 En Brabant, le receveur disposait d’attributions judiciaires en tant que chef du domaine et supérieur hiérarchique de tous les autres officiers ducaux y compris du sénéchal depuis le début du XIV e siècle (Martens 1954, p. 227 et p. 234). En 1312, à la suite de la dette de 14 000 lb., monnaie de Brabant, contractée par la ville de Nivelles envers des Lombards non-spécifiés vers 1306, le duc autorise l’abbesse de Nivelles à lever une taille sur la ville pour rembourser les créanciers. Pour l’aider dans cette tâche, le duc met à la disposition de l’abbesse ses baillis et autres officiers de justice (Wauters 1880, n° 77, pp. 289-301 [14/4/1312]). En 1325, à la suite de son emprunt gigantesque de 48 000 lb. auprès de la société de prêt de Giovanni de Mirabello, le comte de Gueldre autorisera les Lombards à recourir à l’autorité de princes territoriaux étrangers afin d’exécuter des saisies sur ses terres et revenus engagés auprès de Mirabello : Stadsarchief Zutphen, Oud archief Zutphen, charters, n°72 [4/3/1325])  : Voert, want Janne van Halen ende sijn geselscap hebben in hoeren brieven dat si moghen ghelt gheven lantsheren van hoere schout utependen daer wi ghelaest wi onsen ridderen, cnapen(. .)steden(. . .). 57 Les Lombards devaient comparaître à Cologne pour acquitter une taxe destinée à financer l’expédition militaire d’Henri en Italie Au passage, il faut signaler que les cartes établies par Vercauteren 1950-1951 et Reichert 2003, atlas, vol. 2/1, carte K) sur ces convocations comportent des lacunes. Le premier omet dans son recensement Veghel (Prov. du Brabant septentrional, Pays-Bas) et Leeuw Saint-Pierre (Prov. du Brabant flamand, arr. de Bruxelles-Hal-Vilvoorde) et le second Veghel et Zétrud-Lumay. Voir l’édition, correspondant à des critères scientifiques modernes, de cette convocation dans Dillo et Van Synghel 2000, vol. 2, n°1514a, pp. 1283-1291[29/11-16/12/1309]. Il est frappant d’observer sur cette carte une très forte polarisation des tables de prêt lombardes en Brabant méridional—polarisation ancienne remontant d’ailleurs

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

nombre d’actes relatifs au Brabant septentrional chez les receveurs de Brabant dans le premier tiers du XIVe siècle, la conclusion est très nette : seul un des sept receveurs généraux d’origine brabançonne accorda son attention à cette région58. Le Brabant septentrional occupa en effet une place de choix dans la gestion des receveurs astésans (voir carte 7). La croissance des campagnes nord-brabançonnes alimentait celle des villes et, au premier chef, Bois-le-Duc, dont l’industrie drapière régionale rencontrait un beau succès. La croissance de la productivité agricole, stimulée par la demande urbaine, devait logiquement entraîner la hausse des rentrées fiscales sur les produits agricoles drainés vers la ville de Bois-le-Duc. Le marché de la terre, reflété par les cens héréditaires, atteignit des prix élevés, même pour le paysan aisé ou le hobereau59. Enrico de Mercato et Giovanni de Mirabello concédèrent directement ou participèrent chacun à au moins six actes concernant la mairie de Bois-le-Duc durant leur office (carte 7). Ces actes touchaient en particulier l’octroi de fiefs, la cession de communaux et de terres marécageuses, le droit de mouture des moulins de Rosmalen et de Nuland et la négociation du payement de l’octroi des assises pour Bois-le-Duc entre 1330 et 133260. Bien entendu, la forte implantation locale des financiers piémontais, jointe à leurs excellents rapports avec les élites urbaines et les hobereaux des terres septentrionales appuyait cet effort de valorisation économique du territoire nord-brabançon, stimulant les défrichements et la mise en exploitation de terres gagnées sur les eaux. Ceci n’excluait pas le clientélisme, certes, mais ce clientélisme fut employé à bon escient, si l’on peut dire, à titre de placement pour le futur. Le système de patronage appliqué par les receveurs lombards n’était pas une fin en soi mais un élément indissociable de la rentabilité de la recette de Brabant dans cette région61.

aux années 1280—dont la densité est très supérieure aux autres parties du duché. Elle s’explique en partie par une pression démographique supérieure à la moyenne dans le roman pays de Brabant et un démarrage protoindustriel plus précoce. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, les percepteurs ducaux des taxes à lever par foyer trouvent plus de dix contribuables par km2 dans le sud du duché contre seulement cinq dans les plaines sablonneuses du nord : Van Uytven 1992a, pp. 29-36. 58 Jean de Woluwé, dit de Castro, receveur de 1302 à 1305, intervint en 1303 pour l’achat de bruyères et de bois à Oirschot (au sud-est de Tilburg) par l’abbaye de Parc-lez-Louvain. Les territoires et localités où les autres receveurs agissent sont essentiellement répartis sur la ville de Bruxelles et son ammanie, la région d’Anvers, Turnhout et la mairie de Tirlemont (Martens 1954, pp. 95-105). 59 À savoir 20 s. gr. tour. /an pour un commun situé entre Herlaar et Boxtel ; 15 s. gr. tour./an pour un terrain vague situé entre Helvoirt et Esch et 6 s. tour./an ajouté à un prix d’achat de 100 lb. n.t, pour un waréchaix situé à Drunen (Enklaar 1941, n°46, pp. 77-80 [13/6/1314], n°55, pp. 101-103 [23/6/1315] et n°43, pp. 73-74 [29/12/1321]). Les cens étaient bien supérieurs au prix du marché plus au sud, à Sint-Oedenrode, bourgade moins importante que Bois-le-Duc : en 1311, dans la seigneurie de Sint-Oedenrode, un riche paysan doit débourser un cens annuel de 6 lb. et 40 poulets pour une ferme avec terrain de 17 bonniers ; un autre paye un cens annuel de 8 s. et 2 poulets par bonnier ; un hobereau et son fils détiennent un fief de 15 bonniers, contre une redevance de 5 lb. 5 s. et 15 oies ( tous les montants étaient en monnaie locale, donc sans doute instable), éd. dans Camps 1979, vol. 2, n°835, p. 1015, l. 30-31 ; p. 1016, l. 20-21 et p. 1017, l. 3-4 [12/1/1311]. 60 Pour Enrico de Mercato : transmission avec Thierry Lose, co-receveur de Brabant d’un bien en fief à Sint-Oedenrode à Guillaume l’épicier, bourgeois de Bruxelles et créancier du duc de Brabant (1311)  ; concessions de communaux à Herlaar-Boxtel (1314) à plusieurs hobereaux, entre Helvoirt et Esch (1315) au village de Esch, et aux villages de Sint-Michiels Gestel, Sint-Oedenrode, Schijndel et Boxtel (date inconnue). Pour Giovanni de Mirabello : concession de l’usage commun des prairies au village de Drunen (1321) et de terres marécageuses à Alphen pour l’abbaye de Tongerlo (1324). Les autres actes concernent la négociation des octrois d’assises de Bois-le-Duc et la concession du droit de moûture de Nuland et Rosmalen à Jean de Megen (1332), cf. Martens 1954, p. 99 et pp. 103-104 et Camps 1979, vol. 2, n°835, pp. 1014-1020, p. 1015, l. 15-20 [12/1/1311]. La proportion d’actes relatifs au Brabant septentrional était pour Enrico de 6 pour 10 ; pour Giovanni de Mirabello, de 6 pour 17. 61 Les considérations de Johnson et Dandecker 2000, pp. 226- 230, montrent comment le clientélisme s’intègre dans un système de gestion administrative considéré comme relativement fluide et souple, dans les sociétés anciennes.

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Ceci bénéficia tant à la petite aristocratie foncière locale, avide d’acquisitions dans la grande périphérie de Bois-le-Duc, qu’à une institution ecclésiastique régulière, l’abbaye prémontré de Tongerlo, très entreprenante dans les terres céréalières de la Campine nord-brabançonne. Ainsi, dès 1314, des futurs acteurs de l’entreprise d’endettement du seigneur Jean de Heusden, acquirent, sans doute par préemption, une terre commune, située entre Herlaar et Boxtel. Parmi ces acquéreurs, se trouvaient par exemple le chevalier Gérard van der Aa et un rejeton de la riche famille patricienne van Aalburg, tous deux originaires du pays de Heusden. La terre convoitée avoisinait les biens du chevalier Gerlac van den Bossche, futur officier ducal et conseiller de Jean III. Gerlac serait lui aussi un complice ultérieur des sociétés de prêt astésanes opérant dans la mairie de Bois-le-Duc62. Les usagers de ces terres, moyennant le prix d’achat et le payement d’un cens héréditaire, avaient toute latitude pour administrer le domaine foncier, pour leur propre profit et « le bien commun » de tous. Ils disposaient d’amples droits de juridiction pour faire respecter leurs prérogatives, notamment pour empêcher que le terrain concerné ne soit converti pour le pâturage sans leur accord explicite. En d’autres termes, Enrico de Mercato gagnait la fidélité de potentats locaux en leur fournissant les outils nécessaires pour assurer la reproduction de leur domination sur la paysannerie et les seigneurs ou chevaliers moins fortunés qu’eux. L’Astésan avait sûrement obtenu des informations de première main sur les qualités de ce terroir, au sud de Bois-le-Duc, grâce à son service à la cour de Bruxelles comme valet ducal, subordonné au chambellan Guillaume de Herlaar, natif de cette contrée63. Autre relais dynamique du pouvoir ducal et de ses receveurs piémontais, l’abbaye prémontré de Tongerlo –  dont le duc Jean II était l’avoué  – s’était déjà constitué sous le règne de ce dernier un vaste patrimoine foncier de terres laissées en friche dans un triangle approximativement compris entre Bois-le-Duc, Tilburg et Eindhoven. La politique d’acquisitions des Prémontrés, habile, reposait partiellement sur la reprise de terres mises en culture ou de revenus bien affermis comme les dîmes de seigle. Cette direction entrepreneuriale des intérêts monastiques était redevable en bonne part à deux abbés de Tongerlo, Gauthier et Hubert, issus de la famille Bac, composée de riches hommes d’affaire originaires de Tilburg qui agirent d’abord comme hommes de paille pour la communauté religieuse dans de juteuses opérations immobilières. Gauthier Bac avait collaboré dans sa jeunesse avec Enrico de Mercato au titre de receveur ducal d’Oisterwijk pour vendre un terrain vague comme commun, situé dans un territoire formant le noyau des possessions abbatiales dans la mairie64. En 1314-1315, sous l’abbatiat de son oncle, Hubert Bac (1309-1333), l’abbaye avait ensuite coopéré en pleine connaissance de cause avec la société Le commun était situé entre Herlaar et Boxtel. Parmi les acquéreurs, Nenneken van Abrugge était indubitablement apparenté à la famille patricienne de Heusden Spierink van Aalburg (Enklaar 1941, n°46, pp. 77-80 [13/6/1314]). Sur l’action des garants et créanciers du seigneur Jean V de Heusden, Gerlac van den Bossche, Spierink van Aalburg et Gérard van der Aa, voir supra, 3e partie, chap.1, pp. 208-215. Gerlac de Bois-le-Duc, conseiller ducal, devient aussi sénéchal et burgrave du Limbourg vers 1317-1319. Gérard van der Aa, issu d’un lignage de hobereaux du pays de Heusden est vassal de Jean III pour des biens détenus à Bois-le-Duc. Herlaar : commune actuelle de Sint-Michielsgestel, prov. du Brabant septentrional ; Boxtel, commune du Brabant septentrional 63 Le rapport étroit, dans les campagnes, entre la création d’une clientèle et la mise à disposition de celle-ci des moyens d’appropriation de biens économiques tels que les champs communaux, avait déjà été mis en évidence par Weber 1995, vol.2, p. 57 64 Enklaar 1941, n°55, p.  102 [23/6/1315]  : pour la vente d’un terrain vague situé entre Helvoirt et Esch. Pour l’expansion territoriale de l’abbaye en Brabant septentrional dans la 1ère moitié du XIV e siècle, voir Monasticon 1992, p. 279 et p. 293-301 ; Kusman 1999b, p. 879 et Hoppenbrouwers 2004, pp. 116 ; Steurs 1993, p. 383. 62

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

des Lombards de Bois-le-Duc, dirigée par Colino de Mirabello et ses associés, pour obtenir le patronat et la dîme céréalière de Mierlo, en reprenant les dettes de leur possesseur désargenté envers les Lombards avec la complicité de Gérard van der Aa, associé à des patriciens de Bois-le-Duc65. La possession par l’abbaye d’un refuge à Herentals facilita sûrement les contacts entre les Prémontrés et le milieu des manieurs d’argent astésans. Dans cette ville, plusieurs membres des familles de Mercato et Roero avaient tenu la table de prêt depuis 129266. Les affinités électives des trésoriers piémontais avec le Brabant septentrional s’affichaient finalement dans un autre domaine de l’administration des revenus domaniaux : les octrois d’assises délivrés aux villes brabançonnes, c’est-à-dire les autorisations données par le prince aux communautés urbaines de percevoir directement les ressources provenant de la fiscalité urbaine frappant les produits et marchandises vendues dans les murs de la ville, en échange d’une redevance annuelle payée au duc de Brabant. À Bois-le-Duc, les rapports harmonieux des dirigeants de la table de prêt locale avec les élites politiques suscitèrent indubitablement la mansuétude du receveur au sujet de la quote-part de la ville dans les octrois d’assises. En 1326, la ville obtenait l’octroi des assises pour un terme de vingt ans contre une redevance annuelle payable au Prince d’un montant de 500 lb. n.t.. Ce montant fut l’enjeu de longues tractations entre le duc Jean III et la ville. Le duc inclina à la fin, peut-être à l’instigation de son receveur, à accorder finalement un rabais fort substantiel du montant annuel des assises, de 1 500 lb. n.t. à 600 lb. n.t.. Son entregent valut à Giovanni une commission de 20% sur l’octroi. Il obtint ensuite une assignation ducale sur les assises qu’il perçut de 1329 à 1332, en échange de ses avances d’argent à Jean III. Le magistrat de la ville montra sa gratitude au receveur : dès que lui-même ou son messager viendrait à Bois-le-Duc pour notifier aux édiles un retard de payement, une pénalité de 8 s./jour lui serait versée. Le receveur était toutefois disposé à prendre à sa charge les dépenses afférentes à son séjour de 3 jours successifs dans la ville pour la réclamation de sa créance67. La somme fut versée jusqu’en 1339, au bénéfice des héritiers de Giovanni de Mirabello68. La négociation des contributions fiscales par les collectivités ou des personnages privées était acceptée par le personnel financier de l’État brabançon, qui ne 65 Erens 1948-1952, t. 2, n°544, pp.406-407 [30/12/1317])à propos des dettes d’Henri de Mierlo envers les Lombards de Bois-le-Duc. Gérard van der Aa et Enrico de Mercato se connaissaient et avaient dû acquérir en même temps des fermes à Vissenaken-Saint-Martin pour le premier et à Vissenaken-Saint-Pierre pour le second. Celles-ci sont encore mentionnées encore par le nom de leur propriétaire, thof Henrick Lombarts et thof Gerards van der Aa en 1378, une preuve de leur importance. Elles appartiennent alors à l’abbaye de Tongerlo qui avait d’abord acquis sa propre ferme à Vissenaken-Saint-Martin : thof van Tongerloe (Verkooren 1961-1962, vol. 2, pp. 200-201 [15/1/1378]). 66 Manuele et Galvagno Roero, Vincente Trosello, Giorgio Garetti, Enrico, Uberto et Godefrido de Mercato reçoivent une assignation sur les revenus de Herentals en 1292 (Verbiest 1949, p.  182, charte éd.[5/1/1292]). Sur ce refuge à Herentals détenu du chapitre Sainte-Waudru de Mons contre un cens annuel de 10 s. : Monasticon 1992, p. 294. 67 En 1326, la ville reçut l’octroi des assises pour une durée de vingt ans contre un montant annuel de 600 lb. n.t. (Kusman 1999b, p. 886, n. 241). Une charte ducale ultérieure nous apprend toutefois qu’il s’agissait d’une faveur négociée contre le gré du Prince, le montant original de l’octroi étant de 1 500 lb. n.t./an. Le duc tomba finalement d’accord pour autoriser la ville à pouvoir payer les trois années de retard (de 1326 à 1329) au même montant rabaissé (Hermans 1848, n°48 [6/10/1329] et S.H., chartes, n°49 et n°54, lade 210 [3/3/1330]). L’acte ducal précisait bien qu’il s’agissait d’un rabais de 2/3 de la somme, soit normalement un montant payable de 500 lb. et non 600. Les 20% d’intérêts correspondaient visiblement à une commission à verser au receveur de Brabant pour prix de son intervention pacificatrice entre les deux parties. Moins d’un mois plus tard, le duc Jean III priait la ville de Bois-le-Duc de verser pendant dix ans, en son nom, l’octroi annuel de 600 lb.n.t. au profit du receveur astésan (S.H., chartes, lade 209, n°51[1/11/1329]). Au sujet des délais de payement accordés par Mirabello (Kusman 1999b, p. 886, n. 245 et aussi S.H., chartes, lade 210, n°55[3/3/1330]). 68 Par l’intermédiaire de ses successeurs à la recette : Alard d’Oss perçut exactement la même assignation, ainsi que son successeur, Léon de Castro. Au terme des dix années, le duc Jean III acquitta la ville de toutes ses obligations envers Mirabello et ses ayant-droits (Hermans 1848, n°64 [6/2/1335] et S.H., chartes, lade 215, n°87[1/2/1340]).

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

se privait pas de prélever des gratifications pour prix de sa bienveillance et de sa patience. Il n’était d’ailleurs pas propre aux anciens Pays-Bas69. Quoi qu’il en soit, la ville de Bois-le-Duc fut la seule ville brabançonne à bénéficier de l’intervention personnelle du receveur à la même époque. Les autres bonnes villes brabançonnes, Bruxelles, Léau, Lierre Louvain et Tirlemont n’obtinrent pas de rabais sur le montant de l’octroi de leurs assises. Dans les cas précis de Léau, Lierre et Tirlemont, la population urbaine en état de supporter la pression fiscale inhérente au payement de l’octroi était bien moindre. . . La ville de Léau versa par exemple un montant annuel de 400 lb., compte tenu d’une population avoisinant sans doute deux milliers de personnes tout au plus. La ville de Bois-le-Duc, dont la population était au bas mot d’une dizaine de milliers de personnes, avait donc accompli le prodige de payer à peine plus que la ville de Léau pour ses assises70 ! Dans l’exercice de sa charge de receveur, Giovanni de Mirabello s’embarrassa de moindres scrupules que son compatriote Enrico de Mercato, signe que la stature politique des Piémontais à la cour gagnait de l’ampleur dans les années 1320. Ceci est très apparent si l’on superpose la cartographie des acquisitions immobilières de Mirabello à ses zones d’activité privilégiée, les deux zones se recouvrant presque parfaitement (voir carte 7). Le groupe familial des Mirabello s’implanta fortement à Bois-le-Duc et à proximité du duché du Limbourg, à Halen. La famille fit souche dans les deux bourgades et ses rejetons s’insinuèrent dans le cercle des élites dirigeantes avant la fin du siècle. Il est intéressant d’ajouter que les biens des Mirabello situés à Geffen et dans le polder in den Eigen jouxtaient les possessions du chevalier Gerlac van den Bossche et celles de plusieurs membres d’une famille de gentilshommes, les Nieuwland, famille débitrice de la société des Mirabello à partir de 1309, comme on l’a vu dans le chapitre précédent71. Cette famille, vu la situation de ses biens, participait de l’approvisionnement de la ville de Bois-le-Duc72.  Martens 1954,. 155 et Uyttebrouck 1977, p. 251 ; Mollat 1998, pp. 225-226. Bruxelles le 18 octobre 1326, Lierre le 20 octobre suivant, enfin les villes de Louvain, le 25 novembre 1327 et Léau en mars 1328  : Verkooren 1961-1962, vol. 2, pp.  26-27 et Verkooren 1910, vol. 1, n°289, n°298 et n°303, p.  212, p. 217-218 et p. 220. La ville de Tirlemont promit de payer un montant annuel de 1 100 lb. durant 20 ans, à partir du 23 février 1329 (Van Uytven 2001b, p. 737). Le dénombrement de feux de 1374, réalisé en pleine crise de l’industrie textile brabançonne—et donc avec sans doute moins de contribuables— livre les chiffres de foyers taxés suivants : 400 pour Léau (soit une population taxable de 1 600 personnes avec un coefficient multiplicateur de 4), 2 425 pour Tirlemont (soit 9 700 personnes) et 3 647 pour Bois-le-Duc (14 588 personnes avec les mêmes paramètres mais en tenant compte que la ville avait accru son territoire par une seconde enceinte). Pour les chiffres de foyers taxables, voir Van Uytven 1992a, pp. 29-32 et p. 55. D’après les estimations plus prudentes de Kuijer 2000, p. 133, la ville de Bois-le-Duc aurait compté entre 11 940 et 14 675 habitants, un chiffre qui reste très important. L’assiette de l’impôt était d’ailleurs toujours un sujet de débat aigu entre petites et grandes villes au sein des Etats de Brabant à l’époque moderne, ce dont témoigne une remontrance adressée aux Etats de Brabant dans la seconde moitié du XVIIe siècle par les villes de Lierre, Tirlemont, Nivelles, Diest, Vilvoorde, Herentals et Aarschot sur l’injustice les touchant alors : elles sont frappées d’un impôt sur la consommation de 3/20e alors que que les chefvilles de Bruxelles, Louvain et Anvers n’en supportent que deux (Stadsarchief Lier, n°97 Losse oorspronkelijke rekwesten n°97 (1600-1693), document non-daté). 71 À Halen, dans le premier quart du XIV e siècle, un frère de Giovanni, Manfredo, se fit bâtir une maison-forte avec fossés, il acquit en outre des terres aux alentours, des vignes et une ferme. Un de ses fils ou petit-fils est cité comme échevin de Halen en 1390 : Kusman 1999b, pp. 850-851 et p. 903. Sur les biens de la famille Mirabello sur le marché de Bois-le-Duc et dans la banlieue proche de la ville : S.H., B.P.R., n°1176, oud 3, 1376-1383, f°370r° et S.H., B.P.R. n°1175(oud 2), retroacte cité ca. 1368-1369, f°235v°. Dans la mairie de Bois-le-Duc, Giovanni acquit en fief dans la banlieue-est de la chef-ville une dîme proche du polder in den Eigen (actuellement situé sur les communes de Bois-le-Duc, Nuland et Rosmalen)et un bien à Geffen et enfin, une terre à Heesch, les deux biens relevant autrefois du seigneur de Heusden, à 14 km. de la ville (A.G.R., C.C., n°542, 1er livre, f°20v° et 2e livre, f°10r° et A.G.R., C.C., n°543 ; f°127r°, voir également S.H., B.P.R., n°1179, f°560) tandis qu’un Simon de Mirabel, petit-fils de Giovanni, est mentionné parmi les échevins de Bois-le-Duc entre 1370 et 1393 pour acter des mutations foncières intéressant le grand hôpital de la ville : Kusman 1999b, pp. 850-851, n. 47. 72 Camps 1979, vol. 2, n°784, pp.944-947[21/8/1309]  ; Ibidem, vol. 2, n° 859, pp.  1048-1049 [22/11/1311] et Sanders et Van Synghel 1997, p. 54[f°72v°]). 69 70

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D’autres avantages matériels se profilaient à l’horizon pour celui qui tenait en main les rênes de la recette ducale. Le trésorier était aussi conseiller du Prince et disposait d’un accès prioritaire à des sources diplomatiques l’informant sur l’évolution de la politique internationale. De la sorte, la compréhension fine des mécanismes de production et de finition textile par les financiers astésans leur apportait une source de sur-profits notable. Cette compréhension se manifesta par l’acquisition à un tarif préférentiel de waréchaix, c’est-àdire de terrains vagues destinés à l’élevage ovin et par la possession de plusieurs troupeaux de moutons et de brebis, par le groupe familial Mirabello73. L’investissement prévoyant reposait sur une évaluation correcte des risques inhérents à une trop grande dépendance de la draperie brabançonne sur la laine anglaise. Dans un climat de tensions politiques latentes entre le royaume de France, le comté de Flandre et le royaume d’Angleterre, il était sage de se constituer un stock de laine indigène et de pouvoir la commercialiser lors d’une période de pénurie de laine avec une importante plus-value. À plus forte raison dès lors que la draperie brabançonne à base de laine indigène restait assez vivace74. Le conflit qui éclatera entre le duché de Brabant et une quinzaine de principautés coalisées à l’été 1332, donnera raison au receveur, à titre posthume. La guerre ne fut pas seulement militaire, elle fut aussi économique et déboucha sur la mise en place d’un blocus des marchandises passant par le duché de Brabant, blocus installé sur le cours de l’Escaut situé en territoire flamand75. En mêlant allégrement gestion du patrimoine privé et affaires de l’État, Giovanni de Mirabello ne faisait que reproduire un mode de fonctionnement répandu parmi ses confrères dans toute l’Europe du nord-ouest au bas Moyen-Âge, basé sur la préservation et l’accroissement de ses actifs. Dépourvu de gages réguliers suffisants, le receveur n’avait d’autre issue76. Faire figure d’  «  homme intègre  » ne sauvait rien, spécialement dans les périodes de crise du pouvoir politique. Enrico de Mercato eut beau se garder d’associer trop étroitement la recette de Brabant à la gestion de ses biens propres, ceci ne l’empêcha pas, dans des circonstances peu éclaircies, d’être démis de ses fonctions. Il dut céder, sous la contrainte, semble-t-il, une fraction de ses biens immobiliers situés près de Tirlemont en 1317, alors que le crédit lombard était contesté à la cour ducale, le duc Jean III étant au surplus soumis à un conseil de régence préconisant un plan d’apurement de ses dettes77. À Halen, un frère de Giovanni, Manfredo de Mirabello possédait un waréchaix situé entre sa demeure et le fossé qui l’entourait, pour un modeste cens de 3 d. alors que le Bruxellois Gauthier van der Eycken (de Quercu) avait payé au receveur de Brabant Giovanni de Mirabello un prix d’achat de 16 v. s. gr. tour. en plus d’un cens annuel de 1 d. pour acquérir un waréchaix assis sur le domaine ducal de Halen (A.G.R., C.C. n°44684, f°7v° et f°10r°). Au terme de sa carrière de receveur, Giovanni possédait un cheptel ovin disséminé dans tout le duché de Brabant pour une valeur totale de 4 000 lb. tour. (Kusman 1999b, p. 897). La possession à la même époque d’un bien à Lierre par Giovanni de Mirabello indique peut-être une stratégie d’investissement en laine de la Campine anversoise. 74 Verhulst 1972, « La laine », spécialement aux pp. 304-307 et p. 316. Cet auteur souligne bien le caractère vital des bailleurs de fonds extérieurs et de leur disposition à investir leurs capitaux dans ces entreprises de caractère pré-capitaliste. Les premiers baux à cheptel apparaissent précisément dans le cadre de l’élevage ovin. 75 Avonds 1984, pp. 107-108 et pp. 178-183. 76 Van Nieuwenhuysen 1965, pp.  415-416  ; Kerherve 1987, vol. 2, voir pp.  742-758  ; Favier 1987, pp. 374-375 ; Mollat 1998, p. 221 et p. 365 ; en sens contraire, Kittel 1991, pp. 202-204, qui conclut pour la Flandre à une dépersonnalisation croissante de la fonction du receveur, évoluant vers une fonction publique représentant l’État. 77 Martens 1954, pp.  99-100, actes édités dans Erens 1948-1952, vol. 2, n°544, pp.  406-407 [30/12/1317]  ; Martens 1943, n°97, pp.  224-227 [6/1/1318]. Dans le premier de ces actes, Enrico de Mercato transmit son alleu de Vissenaken-Saint-Pierre dans les mains du maire de Tirlemont, au bénéfice de la personne que désignera Jean de Vertrijk, échevin de Louvain, membre de la cour allodiale de Tirlemont. Vu les attributions judiciaires du maire et le caractère gratuit de la mutation foncière, ceci pourrait correspondre à une saisie sur biens par un créancier d’Enrico de Mercato qui s’estimait lésé. Dans le second acte, l’alleu est transféré à l’abbaye de Tongerlo par la cour allodiale de Tirlemont, au profit du frère 73

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La culture de l’anticipation du profit –  et du risque  – commercial se percevait fort bien dans un autre champ important d’activité des receveurs piémontais, celui de la monnaie. L’impact de la politique monétaire sur l’économie d’un État, n’est plus du tout sous-estimé par le Prince et ses conseillers au début du XIVe siècle. Grâce à leurs correspondants étrangers, les Lombards s’adaptaient plus vite aux fluctuations des changes internationaux ; c’était là un autre atout important dont le Prince pouvait tirer parti en anticipant d’éventuelles dévaluations provenant en particulier de son puissant voisin, le roi de France dans les deux premières décennies du XIVe siècle. Ce dernier alternait les dévaluations et les réévaluations, déclenchant ainsi une très forte instabilité monétaire à travers l’Europe du nord-ouest. Le rapport or-argent qui était de 12 au début du règne de Philippe le Bel, de 13,8 en 1295, de 12,9 en 1303 et de 15,2 en 1305-1306 chuta à 16 en 1309. On s’accorde à penser que le volume d’argent européen finançant les importations de biens de luxe (soieries, épices et produits tinctoriaux) au Moyen-Orient et en Asie était devenu largement supérieur aux flux d’or finançant les achats de biens européens en sens inverse. Associé à une baisse de production des mines européennes à partir de 1300, ce mouvement déficitaire orienta à la baisse la teneur en argent pur des monnaies locales78.  Au sommet de la vague de dépréciation monétaire des années 1297-1307, les financiers de la famille Roero, installés à Maastricht, avaient contribué à faire circuler des monnaies légères – la version brabançonne du petit denier tournois français – monnaies dites payment, pour leurs règlements financiers en Limbourg avec le seigneur de Cuyck et le duc de Brabant. Le cours de cette livre payment était sans doute, comme à Malines, aligné sur le cours du gros tournois de Brabant ou Brabantse torre, d’ un cours de 16 d. pay. pour un gros de Brabant79. En favorisant, par leur bonne information, la circulation d’une monnaie plus faible que les marcs d’esterlins brabançons, les financiers astésans de Maastricht rendirent service à Jean II pour une autre raison. Les Lombards pouvaient suivre assez régulièrement l’évolution de la parité or-argent, et par conséquent anticiper les coûts de la frappe de nouvelles monnaies d’argent. L’émission de monnaies faibles allégeait les finances princières et encourageait le commerce de détail local, dans une période

Arnould d’Houthem, représentant les Prémontrés, un indice éventuel que l’abbaye avait des prétentions sur le patrimoine de l’ancien receveur piémontais. Ceci reste néanmoins du domaine des suppositions. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la cession gracieuse de l’alleu se déroula durant une période de crise aiguë pour les Lombards de Brabant, à savoir les années 1317-1318, durant lesquelles des réunions d’état furent tenues, au sujet de la licéité des contrats de prêt lombards (cf. infra dans le chapitre 4, le titre Premières oppositions ). 78 Favier 2005, p. 146. Une première dévaluation a lieu en 1295, le g. t. vaut 15 d. t., une seconde dévaluation brutale se produit en 1303, amenant le cours du g.t. à 24 1/4 d.t. Une première tentative de réévaluation se produit en 1306 avec un gros tournois valant 13 1/8 d.t. mais la hausse des métaux précieux ne permit pas de soutenir longtemps cette réévaluation : Fournial 1970, pp.  88-91 et Mayhew 1999, pp.  26-31. Les dévaluations successives de Philippe le Bel devaient logiquement entraîner une hausse du prix de l’argent pur, hausse à laquelle le duc de Brabant, ne disposant pas de rentrées financières aussi importantes que le roi de France, devait se préparer, cf. Peeters 1983, p. 129. 79 Soumise à dévaluation, la monnaie payment s’opposait aux monnaies de compte, liées à un poids déterminé d’argent fin. Elle existait au moins depuis le règne du duc de Brabant Jean Ier, étant mentionnée dans un acte du 18 février 1291, établissant l’existence de la moneta communiter in bursa currens : Peeters 1983, p. 122 et pp. 128-129 ; Peeters 1981, pp. 62-65. Il est intéressant de relever qu’au début du XIVe siècle, le denier noir tournois faisait déjà l’objet de trafic supra-régionaux entre différents arbitragistes, trafics prenant parfois leur source au royaume de France, voir l’article de Bompaire 1999, observant que la « faim d’argent » attestée par les experts monétaires du roi de France porte surtout sur les petites monnaies, deniers et oboles.

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d’endettement massif des finances princières et de crises sociales80. Sous cet aspect, il faut remarquer que la première année de fonction d’Enrico de Mercato, 1309, correspondit à une dévaluation monétaire du denier payment brabançon. Cette mesure prophylactique visait à réduire l’impact d’une éventuelle dévaluation française qui n’aurait pas manqué de susciter une hausse du cours du métal précieux en Brabant81. Un peu plus tard, Manfredo de Viallo, ancien valet de l’hôtel ducal de Jean II, comme Enrico, exploita, pour les comtes de Flandre et de Namur un atelier monétaire à Alost, ayant pour objet l’émission d’une monnaie tournois payment aux caractéristiques analogue au denier payment brabançon82. Restreindre le rôle des Italiens à la barre des recettes princières à la poursuite de la dépréciation monétaire serait néanmoins réducteur. L’émission d’une monnaie commune au duché de Brabant et au comté de Hainaut le 17 décembre 1323 le démontre : la nouvelle unité monétaire était un esterlin dit à quatre lions, valant un tiers du gros tournois du roi de France (lui-même au titre de 16 d.n.t. de Hainaut ou de Brabant), soit 5 1/3 deniers tour. de Hainaut tandis que le vieux denier payement brabançon « classique » était déjà lui aussi fort déprécié83. L’esterlin au lion était une monnaie plus forte, occupant une place intermédiaire entre le gros tournois et la petite monnaie payment brabançonne, il était le gage d’un relatif équilibre monétaire face aux fluctuations constantes de la monnaie d’argent en France. Elle procurait un pouvoir d’achat décuplé aux marchands brabançons et hennuyers commerçant en France ou en Angleterre, en particulier pour l’achat de la coûteuse laine des Cotswolds84. La conjonction particulière de cette frappe monétaire avec le succès remporté par la draperie brabançonne sur les marchés étrangers dans les années 1320 mérite en effet considération. Le maintien parallèle de la petite monnaie noire dite payment permettait théoriquement aux entrepreneurs-drapiers de comprimer leurs coûts salariaux en payant leur main-d’œuvre en monnaie courante, tandis que la nouvelle monnaie forte était adaptée aux achats des matières premières et des produits tinctoriaux nécessaires à la draperie85. Les autres avantages découlant d’une telle émission étaient flagrants : profits L’assistance technique apportée par les financiers italiens à Jean II dans le domaine monétaire transpire aussi d’une plainte qu’il avait adressée au parlement de Paris concernant une quantité de billon saisie sur des marchands italiens par le prévôt de Laon et remise aux officiers du roi de France. Jean II prétentendit que l’argent en lingots lui appartenait, analyse dans Boutaric 1863-1867, vol. 2, n° 3726, p. 29 [24/1/1305]. En Angleterre également, entre 1298 et 1301 des marchands brabançons et nord-italiens exportent illégalement du billon, sans doute à destination du marché génois, en demande d’argent pour ses échanges avec l’Orient, cf. Bautier 1951, p. 171. 81 Peeters 1983, p. 129. De fait, le roi de France Philippe le Bel ordonna une nouvelle dévaluation en 1311, à la suite de la hausse du cours de l’or et de l’argent, le marc d’or passant de 44 lb. tour. à 55 lb. 44s. 9 d. tour. et le marc d’argent de 55 s. 6d. tour. à 66 s. 6 d. tour.. Le gros tournois était passé d’une parité de 13s. 9d. tour. à 15 d. tour. Le rapport or-argent passa dans le même temps de 13,7 à 16 puis 18 en 1320 en France (Fournial 1970, p. 91 et Contamine, Bompaire, Lebecq et Sarrazin 19972, p. 303). 82 A.E.N., Chartes des Comtes de Namur, n°403 [13/1/1314], compte des dépenses et des recettes de la monnaie comtale d’Alost, réservée au comte de Namur  : Guglielmo Sylvano (également d’Asti) dresse le comte de l’atelier, il est associé à Manfredo de Viallo. Éd. dans Ghyssens 1997, doc. n°17, pp. 45-46, p. 45. 83 Devillers 1874, n°57, p.752-754. Le denier payement brabançon attesté dans les comptes de Malines et d’Anvers était tombé à 1/26e du vieux gr. tour. en 1323-1324 : Peeters 1983, p. 115. Pour l’étude numismatique du traité de 1323 : Ghyssens 1970. Sur l’importance des monnaies intermédiaires, entre gros et petits deniers en France à partir du règne de Philippe VI (1328-1350), voir Bompaire 1999, p. 353. 84 Munro 1997, p. 82, rappelle que l’embarquement d’un sac de laine des Cotswolds sur un navire à destination de Venise ajoutait 25% au coût total du fret 85 À Malines, les foulons étaient cependant payés en gros tournois mais le maître de l’atelier ou le patron drapier avait le droit de payer le salaire de ses ouvriers en nourriture et boissons (Peeters 1984, pp. 118-119). À la fin du premier quart 80

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inhérents à la frappe, versés pour moitié à chaque prince et baisse tendancielle du loyer de l’argent86. Enfin, toute mutation monétaire ne pourrait être arrêtée qu’en concertation entre les deux princes et les responsables monétaires des deux ateliers situés à Louvain et à Valenciennes. L’élaboration du traité monétaire s’était faite avec le concours du receveur, l’instauration de cette grosse monnaie ayant été décidée avec les conseils respectifs du duc de Brabant et du comte de Hainaut87. La nomination d’un bourgeois bruxellois, Raoul Boote comme maître de la monnaie de Valenciennes, chargé de la frappe de la monnaie en Hainaut était peut-être inspirée par Mirabello  : les Boote habitaient pour certains dans le quartier des bouchers mais pour d’autres dans l’artère des financiers de haut vol, la Ridderstrate. La famille Boote évoluait en tout cas dans le même milieu d’affaire que celui des prêteurs piémontais de Bruxelles ; l’un des leurs avait été trésorier ducal et plusieurs membres de la famille Boote détenaient des rentes viagères sur le très crédible change de Malines depuis la première décennie du XIVe siècle, tout comme les Mirabello, pater familias et enfants88. Enfin, le troisième facteur caractérisant l’action des Piémontais à la recette de Brabant était leur compétence de gestionnaires bancaires expérimentés. Ces qualités, Enrico de Mercato et Giovanni de Mirabello les cultivaient depuis leurs années d’apprentissage à la tête des sociétés de prêt lombardes. Ils n’étaient nullement de jeunes financiers de cour, ambitieux et avides de se bâtir une position puissante dans l’administration du Prince. Ils avaient tous deux travaillé dans des banques lombardes depuis la fin du XIIIe siècle. Présents en Brabant au moins depuis 1292, si l’on postule qu’ils avaient commencé leur carrière à Halen et Herentals à 18 ans au minimum, ils devaient être âgés respectivement de 35 et 48 ans lors de leur entrée en fonction ; c’étaient donc des hommes mûrs et sages, au sens de la pyramide des âges médiévale. Les hommes d’affaire italiens atteignaient généralement le pic de leur carrière autour de 35 ans89. Le fait que Giovanni de du XIVe siècle, la draperie brabançonne inonde les marchés d’Europe méridionale et méditerranéens—après avoir touché les cours anglaise et française— en particulier la Provence, la Toscane, la Lombardie, la Vénétie, puis enfin Constantinople et l’Aragon (Van Uytven 1976a, p. 87 et p. 89 ). 86 Sur les rapports entre masse monétaire et taux d’intérêt, on consultera par exemple Samuelson 1972, vol. 2, p. 331, p. 335 et p. 345 et Peeters 1993, pp. 113-115 a constaté une baisse constante des taux d’intérêt des rentes viagères vendues à Malines à partir de 1325-1326 jusqu’en 1332-1333, les rentes se négociant en majorité à 14,28% d’intérêt pour atteindre dans certains cas des taux de 8,82% d’intérêt en 1332-1333. Le taux majoritaire pour la période précédente était de 16,66% d’intérêt. La croissance parallèle des recettes des assises malinoises à partir de 1325-1326 est à relever. L’interdépendance du marché de l’argent malinois avec la politique monétaire et le change telle qu’elles étaient fixées à la cour de Bruxelles et à Louvain, siège d’un atelier monétaire est établie. Elle transparaît de plusieurs visites du magistrat de Malines à Bruxelles et à Louvain pour s’enquérir de l’état de la monnaie, en 1331 et en 1332-1333, période où le roi de France revient à une monnaie d’argent forte : Ghyssens 1970, pp. 79-80 et Joosen 1988, p. 15-16. 87 Kusman 1999b, pp. 877-878. 88 Dans la rue des Bouchers, résident Gilles et Guillaume Boote (1317, 1327, 1329) et dans la Lange Ridderstrate, Gerelm (1345). Raoul Boote aurait quant à lui résidé au Jodenpoel, en contrebas du Coudenberg (1351) : Godding 1959-1960, vol. 4, pp.  201-202. Un Jean Boote avait été receveur de Brabant en 1293-1294 (Martens 1954, pp.  94-95). Certains membres de la famille étaient bouchers dès le début du XIVe siècle (Deligne, Billen et Kusman 2004, p. 81). Au sujet de l’acquisition de rentes viagères à Malines par le clan familial Boote : S.M., Rentes K. S.I Safe I,n°1, f°7r° (Gilles Boote et son épouse , depuis 1299 ainsi que Everard Boote, depuis 1303). La famille Mirabello en possèdait quant à elle depuis 1309 : S.M., Rentes K. S.I Safe I,n°1, f°30r° et n°2, f°5v°. 89 Les espérances de vie moyenne différaient évidemment des catégories mentales de la jeunesse et de la vieillesse : si pour Dante Alighieri, le sommet d’une vie est situé à 35 ans, après quoi l’homme décline, en France, par contre, dans le milieu des chevaliers, la période de la jeunesse, faite parfois d’errance, peut se poursuivre jusqu’à 45 ans, même si l’âge de 30 ans est considéré comme celui de l’expérience (voir les contributions de Hirdt 1992 et Newels 1992). En Angleterre, entre 1250

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

Mirabello fut cité ainsi que ses associés comme Lombards de Haelen, en 1292, plaidait en effet pour qu’il fut le dirigeant de la table locale, donc au moins âgé de 18 ans. À la même époque, le seigneur d’Audenaerde empruntait 500 lb. parisis à Henris Lombars, de Bruxelle alias Enrico de Mercato, indiquant qu’Enrico était déjà un manieur d’argent confirmé sur la place de Bruxelles90. Gestionnaires aguerris, les receveurs astésans disposaient d’outils efficaces. J’ai fait allusion plus haut aux livres de comptes que possédait certainement Enrico de Mercato pour témoigner de sa probité. L’archivage consciencieux des comptes, lettres obligatoires, chirographes et instruments notariés était la norme parmi les banquiers piémontais91. Dans la mesure où le conseil de régence de la seconde période (août 1314-1320) avait imposé aux receveurs un contrôle annuel par les représentants des villes, la bonne tenue de registres comptables s’avérait indispensable. Le contrôle des comptes du receveur par le conseil ducal sera formalisé dans la seconde moitié du XIVe siècle92. Un personnel qualifié assistait finalement les receveurs. J’ai fait allusion précédemment à la fonction primordiale des clercs urbains et des notaires dans l’économie de l’information des banquiers piémontais. Giovanni de Mirabello disposait d’un clerc pour mettre par écrit les conventions passées entre lui et ses différents interlocuteurs et pour recevoir en son nom les sommes dues. Lorsqu’il se rendit en 1324 dans la cité scaldienne afin de recevoir un payement dû au receveur de Brabant, le clerc de Giovanni de Mirabello reçut une bonification du magistrat d’Anvers, une preuve de l’influence qu’on lui reconnaissait. Un valet s’occupait quant à lui des messages à délivrer et des réponses à recevoir93. et 1348, l’espérance biologique de vie à l’âge de 25 ans est de 24,5 ans, soit près de 50 ans (Contamine, Bompaire, Lebecq et Sarrazin 19972, p. 339). Le rôle-clef de l’expérience commerciale dans les carrières des banquiers italiens est évoqué par Boone 1999, pp. 32-33 : Tommaso Portinari arrive à Bruges apparemment âgé de 12 ans, pour faire son apprentissage chez son cousin Bernardo. Il devient le directeur de la filiale en 1465, donc à l’âge de 37 ans. Près d’un siècle plus tôt, Francesco di Marco Datini de Prato quitte sa ville natale pour débuter le négoce à Avignon, il est âgé de 15 ans (Origo 1989, p. 26). Au sein de la communauté marchande lucquoise, il faut être âgé de 15 ans au minimum pour participer aux élections du consul de la nation lucquoise à Bruges tandis que l’âge normal pour diriger une compagnie bancaire semble tourner autour des 30 ans (Lambert 2006, p. 22 et p. 51). L’apprentissage débutait couramment vers 14-15 ans : Day 1994, pp. 194-195. Au début du XVIe siècle, encore, l’âge auquel les marchands piémontais débutent leur carrière à l’étranger tourne autour des 18 ans, cf. Greilsammer 1989, pp. 28-31. 90 A.S.V., Coll. 433a, f°50v° et f°56r° ; R.A.G., Fonds Gaillard, n°354[15/11/1292]. 91 Par exemple, lorsqu’il s’agit de prouver ses créances dans la boutique d’un associé, apothicaire de Malines, en 1322, Benedetto Roero fait référence à leur transcription dans le cartulaire de la boutique : ut dicit Benedictus per scripturas scriptas in cartularijs apothece speciarie : A.S.V., Coll. 433a, f°29v° ; en 1325, de même, les lettres obligatoires entreposées chez un associé rouennais font foi dans la liquidation des actifs des sociétés de la famille de Benedetto Roero (A.S.V., Coll. 433a, f°80r°). Enfin, Giovanni de Mirabello et son frère Simone de Mirabello transmirent soigneusement leurs titres relatifs au Brabant septentrional à leurs associés de la maison des Lombards de Gand et c’est la belle-fille de Giovanni, Isabelle de Lierde qui hérite de ces créances à la mort de son époux, en 1346 (R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, Fonds autrichien, actes de 1309 à 1317  et liste de créances en faveur d’Isabelle de Lierde, rédigée vers 1355]). En 1347, un inventaire de la maison des Lombards de Sembrancher, dans le comté de Savoie décrit les 8 cartularia papirorum magni voluminis et IIII parvi voluminis continencia debita antiqua et laniata et minuta vadia continencia in cedulis in ipsis annexis. L’archivage pouvait donc aussi concerner les dettes liquidées. Quant aux livres de comptes, même si ils ne sont pas souvent cités, ils sont mentionnés explicitement dans un arbitrage familial des Asinari en 1388 (Bordone 1994, pp. 9-10). 92 Lousse 1932, pp. 1-47, art.5, p. 43 ; Avonds 1984, p. 62. La reddition des comptes et leur contrôle se fait en présence du duc de Brabant et de son conseil dès les années 1360 (Martens 1954, pp. 203-207). 93 Kusman 1999b, p. 872 et p. 881. À la même époque, c’est-à-dire les années 1320, les receveurs locaux du comte de Hollande disposent eux aussi d’un clerc chargé de recevoir les sommes dues à leur place  : Smit 1924-1939, vol. 3, pp. 141-142.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Enrico de Mercato

C.D. : 4 mentions (1303-1309)

Giovanni de Mirabello

C.D. : 5 mentions (1324-1329)

C.R. : 3 mentions (1314-1315) C.R. : 0 mentions

Fig. 23. La fréquence d’apparition d’Enrico de Mercato et de Giovanni de Mirabello dans le conseil ducal et dans le conseil de régence (1303-1329). Abréviations: C.D.: conseil ducal; C.R.: conseil de régence.

2.

De la recette au conseil

A.

L’entrée au conseil

Pour les financiers d’Asti, l’entrée au conseil marquait, encore plus que l’hôtel et la recette, une étape cruciale dans leur relation au pouvoir princier. Par contraste, leur rôle au conseil ducal ne peut être restitué que par défaut, en considérant les caractéristiques de la politique ducale durant le premier tiers du XIVe siècle. La discrétion du rôle des Italiens se manifeste clairement dans leur basse fréquence d’apparition au conseil dans les années 1303-1329 (voir fig. 23). Lorsqu’on compare la fréquence d’apparition des conseillers astésans avec celle des conseillers les plus assidus des ducs Jean II et Jean III, on ne peut qu’être frappé par la faiblesse de la représentation des premiers dans les deux organes de pouvoirs consultatifs, conseil ducal et conseil de régence. Sous le duc Jean II (1294-1312) les conseillers les plus actifs comme Daniel de Bouchout, Jean de Cuyck et Florent Berthout totalisent respectivement 58, 57 et 46 mentions94. Sous son successeur, Jean III, pour la période 1313-1333 (dernière année d’activité de Mirabello à la cour ducale), une analyse de l’activité des conseillers pour les matières non-féodales incite à penser que la participation des financiers astésans se situait juste en-dessous de la moyenne95. Le constat est net : les Piémontais n’appartenaient nullement au cercle des conseillers les plus présents96. Il convient dans cette optique de souligner un fait, une fois nommés trésoriers et grâce à cette dignité, les financiers d’Asti étaient assurés de siéger régulièrement au conseil du Prince, comme les deux autres grands officiers ducaux, le chancelier et le drossard97. Toutefois, il est malaisé de saisir en quoi correspondait la présence du receveur ex officio au conseil ducal. Peut-être faut-il voir une participation active du receveur aux sessions délibératives du conseil dans sa mention dans les clauses de corroboration des chartes ducales (fig. 23) ? Dans les autres cas, son rôle serait resté consultatif. Le rôle effacé des Piémontais au conseil ducal était symptômatique de leur manque de légitimité d’une part, et de leur rôle relativement plus notable de conseiller officieux, d’autre part. Les Astésans restaient en effet des novi homines à la cour princière. À nouveau, Respectivement pour 51%, 62% et 40% des actes ducaux émis à cette époque. Statistique établie par Croenen 2003, p. 242, tableau 13. La statistique ne concerne malheureusement que les conseillers les plus assidus. 95 La moyenne est de 3,7 pour une liste de 47 conseillers, moyenne établie d’après le tableau figurant dans Avonds 1984, p. 110. Si l’on considère uniquement les actes non-féodaux dans lesquels Mirabello apparaît, il ne seront au nombre que de 2. De Mercato appparaît quant à lui à 3 reprises dans le conseil de régence de Jean III. Je n’ai pas pris en compte les chiffres des actes de nature féodale donnés par P. Avonds car la période couverte 1313-1355) ne recouvrait pas le même terme chronologique. 96 Quelques exemples  pour la période 1312-1331  : Roger de Leefdael avec 20 mentions, Rodolphe Pipenpoy avec 17 mentions et Othon de Cuyck avec 14 mentions (Croenen 2003, p. 244, tableau 14). 97 Uyttebrouck 1975, vol 1, p. 544 et Avonds 1999, p. 123. 94

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

l’enjeu implicite d’une nomination au conseil tournait autour de l’intérêt commun du pays. Cet intérêt commun était conditionné par le poids des dettes dans les finances du Prince. Les années 1300-1320 furent effectivement marquées par l’endettement chronique du trésor ducal, seulement jugulé avec le terme de la régence de Jean III (1313-1320). Le gouvernement du Brabant fut virtuellement assuré par deux organes à partir de 1314, d’une part le conseil ducal et d’autre part, un conseil de régence composé de représentants des villes et de la petite noblesse98. Le premier organe consultatif disposait effectivement d’une influence accrue du fait de la minorité ducale. En temps normal, le Prince choisissait ses conseillers et les ­convoquait pour l’assister dans sa prise de décision. C’était vrai pour Jean II, en pleine force de l’âge, ce l’était déjà moins pour le duc Jean III, âgé de seulement 12 ans lors de la mort de son père, en 1312. Jean III hérita en grande partie du conseil de Jean II99. La nomination de certains conseillers nobles pouvait d’ailleurs dépendre de leurs relations familiales100. Dans la pratique des affaires politiques, une grande part d’initiative était laissée aux conseillers et pas seulement durant les régences. Le conseil pouvait agir et négocier sans la présence du duc101. À côté du conseil ducal, le conseil de régence incarnait un autre lieu de pouvoir à la cour de Bruxelles, jusque-là traditionnellement investi par la très haute-noblesse, plus spécifiquement, Louis d’Evreux, beau-père de Jean III, Florent Berthout, sire de Malines et Gérard, comte de Juliers. C’est dans le conseil de régence que les oligarchies urbaines obtinrent une plus grande participation au pouvoir princier, en échange de leur contribution à l’apurement des dettes ducales, jusqu’à un montant forfaitaire de 40 000 lb.. Leur participation au second conseil de régence (juillet 1314- octobre 1320) fut formalisée en 1314 par les chartes romanes et flamandes. Le grand sceau ducal, authentifiant les actes princiers, était remis à la garde du conseil de régence. Les représentants des villes exerçaient, en vertu de ces chartes, un droit de regard sur l’administration des finances princières, sur la nomination des officiers ducaux et sur le contrôle des comptes des receveurs. Cela signifiait que la taxation des Juifs et des Lombards passait dans mains des représentants urbains du conseil de régence102. La gestion de la dette lombarde ressortait à sa compétence, autrement dit, le remboursement par le duc Jean III des prêts octroyés plus spécialement par les sociétés de prêt des Mirabello et des Roero. Pour bien saisir les répercussions de cette dette lombarde sur la représentation politique des Piémontais au conseil, et l’hostilité qu’elle pouvait déclencher, il faut concevoir son ampleur, relativement aux autres dettes de Jean III et aux apports financiers des représentants des villes et abbayes de Brabant. En effet, si l’on mesure le montant de l’aide financière accordée au duc Jean III par les représentants des villes brabançonnes et les abbayes de Brabant en 1314 – soit 40 000 lb. Avonds 1984, pp. 23-75. Des conseillers prééminents de Jean II comme Florent Berthout, seigneur de Malines, Daniel de Bouchout et Roger de Leefdael, figurent très souvent dans le conseil de Jean III (Croenen 2003, p. 242, tableau 13 et p. 244, tableau 14). 100 Avonds 1999, p. 141. 101 Ainsi, en 1318, à l’occasion de négociations entre le comte Guillaume Ier de Hainaut-Hollande et Zélande et le Brabant, probablement à propos d’Heusden, le receveur du comte est envoyé à Geertruidenberg doe min here[le comte] den dach helt aldaer jeghens des hertoghen raet van Brabant  : Hamaker 1879, p.  169 (compte du receveur de Zélande, Vrederic, 23/3/1318-30/4/1319). D’autres exemples montrent ainsi le conseil se réunissant sans le duc pour des domaines relevant de la politique intérieure du Brabant (relations avec le conseil de Kortenberg, avec les bonnes villes de Brabant, Maastricht, Malines, etc. . .) ou de la politique étrangère (conflit frontalier avec la Hollande pour le contrôle de Heusden, négociations avec le comte de Flandre au sujet de la juridiction sur l’Escaut, par exemple) : Avonds 1999, pp. 96-99. 102 Lousse 1932, pp. 23-27 et n°3, pp. 40-46 et Avonds 1999, pp. 49-67. Pour la taxation des Juifs et des Lombards, acte n°3, p. 43, art. 4. 98 99

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

petits tour – à l’aune du montant supposé de la dette totale des ducs de Brabant, il apparaît clairement que l’aide promise n’était qu’un maigre viatique destiné à éponger les dettes ducales les plus pressantes. La dette totale des ducs de Brabant Jean Ier et Jean II devrait être évaluée à plus de 300 000 lb. n.t. au début de la régence ! Au moins un tiers de cette dette était constitué par l’emprunt aux Lombards de Brabant103. Il est évident, dès lors, que l’argent mis à disposition du duc par les grandes villes brabançonnes éteindrait avant tout les dettes prioritaires en cours auprès des créanciers, susceptibles, par des saisies, d’entraver le commerce brabançon. Il s’agissait même peut-être d’avantage d’assurer le payement des intérêts, plutôt que le principal, de temporiser, le temps que le commerce brabançon se rétablisse104. La faillite des finances ducales avait des contrecoups sur les affaires des négociants brabançons à l’étranger. Des confiscations de marchandises furent opérées sur ceux-ci à l’instigation de créanciers ducaux, dont certains marchands-banquiers astésans, comme Manfredo de Viallo, dans les comtés de Namur, de Flandre et de Hainaut et aux foires de Champagne, notamment105. Dans ce contexte, en finançant les voyages dispendieux du duc de Brabant auxquels les représentants des États de Brabant ne voulaient pas contribuer, puis, en recevant des assignations sur les revenus domaniaux du Prince dans et autour des villes, les Lombards actifs à la cour de Bruxelles s’attirèrent sûrement de solides inimitiés. Les voyages princiers sans rapport apparent avec l’intérêt supérieur du pays, n’étaient pas énumérés parmi les cas des aides des États de Brabant. En 1308, plusieurs dirigeants des tables de prêt lombardes de Grez, Halen, Léau, Louvain, Maastricht et Tirlemont reçurent de la sorte une assignation du duc Jean II sur les amendes de justice perçues dans les mairies de Louvain et de Tirlemont en raison du prêt de la somme de 1 418 lb., 4s. et 4 d. pay. (1 v. gr. tour. compté pour 18 d.). Le duc Jean II indiqua à propos de cette somme son caractère imprévu : quil [les Lombards] nous ont prestei et delivre en boins deniers contans a no grant besoing, lesqueles nous avons mis et conteis en no profit en nostre utilite et en no voiage d Engleterre. Le voyage était sans doute motivé par les noces du futur Édouard II d’Angleterre, beau-frère de Jean II106. 103 Sur l’estimation totale de ce passif, je me permets de renvoyer à ma thèse de doctorat : Kusman 2008a, vol. 2, pp. 376-

377. La contribution des États de Brabant n’est naturellement pas de 40 000 lb. v. gr. comme affirmé par Van Uytven 2001b, p. 735, ce qui équivaudrait au montant gigantesque de 640 000 lb. n.t. concédé en une seule fois ! La formulation jusq’a le somme de quarante mille libres, les gros tournois vies le roy de France, boin et loyal, contei pour seze deniers exprime un montant en monnaie courante et sa parité en monnaie forte, dans le cas contraire, la formulation aurait été la suivante : quarante mille libres de vies gros tournois le roy de France. 104 L’importance réduite de la contribution des villes et abbayes par rapport à la dette totale est un point important sur lequel, à mon sens, Avonds 1984, pp.  50-55, n’a pas assez insisté dans sa solide démonstration du pouvoir énorme des représentants urbains dans le second conseil de régence. Les termes de la seconde charte wallonne suggèrent pourtant un payement par les villes destiné à assurer le remboursement de toutes les nouvelles dettes enregistrées pendant la durée de la seconde régence. Cela comprenait sans aucun doute le payement des intérêts. Le jeune Jean III déclare que les villes et abbayes et le pays de Brabant ne doivent estre plus avant cargié de nous dettes que jusqu’à le somme de quarante mille libres, les gros tournois vies le roy de France, boin et loyal, contei pour seize deniers : Lousse 1932, p. 43, art. 5 [12/7/1314]. La question du poids des intérêts ressort très clairement en 1315, lorsque le duc Jean III se vit forcé d’engager au seigneur Godefroid de Heinsberg le pays et la ville de Wassenberg pour un montant de 10 000 lb. tour., en échange d’un emprunt de 6 000 lb. tour. auprès de ce même seigneur en raison de la charge de diverses dettes et de leur usure : Avonds 1984, p. 71 et n. 219. 105 Des saisies sont opérées dans le comté de Namur, en 1311-1312, sur des marchands bruxellois à cause des dettes de Jean II envers le receveur comtal Manfredo de Viallo, totalisant un montant de 12 000 lb. de Louvain (A.E.N., chartrier des comtes de Namur, n°412, compte de 1312-1314), dans le comté de Hainaut à la suite de dettes envers le comte Guillaume Ier  (A.D.N., B. 1584, f°149v°-150r° [6/12/1315]), aux foires de Brie et de Champagne en 1300-1305 puis en 1315 (Avonds 1984, pp. 40-41) et enfin, dans le comté de Flandre, sur des marchands anversois, bruxellois et louvanistes (A.D..N., B. 1418, chartes relatives au Brabant, n°51373 [1316]). 106 Parmi ces dirigeants de la banque piémontaise, on peut identifier  : Enrico de Mercato (Tirlemont), Giovanni de Mirabello (Halen), Pietro Roero (Maastricht), Godefrido de Mercato (Louvain) et Abertino Roero (Grez), voir A.S.V., Coll.

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

En 1315, un compte récapitulatif des frais du voyage de retour de France du jeune Jean III stipula qu’il s’était réalisé grâce à une vente de seigle exécutée par Enrico de Mercato et un changeur de Bruxelles. Cette fois-ci, la visite en France était sans doute causée par la volonté du roi de France de remettre en vigueur l’hommage féodal naguère prêté par Jean II à ­Philippe le Bel en demandant à Jean III de le renouveler. Il est hautement vraisemblable que les villes et abbayes du Brabant et les collectivités rurales n’étaient pas disposées à financer ces déplacements à l’étranger. Il s’agissait dans le premier cas d’un cérémonial privé n’engageant pas l’intérêt du pays. Dans le second cas, l’éventualité d’un hommage féodal par le duc de Brabant au roi de France rencontrait une forte opposition au sein du conseil ducal, y compris dans les rangs nobles107. C’est dans ce débat sur la bonne utilisation de l’argent des villes à des fins fiscales qu’il importe de replacer la revendication des représentants urbains au sujet d’un contrôle renforcé du conseil ducal. Cela explique par conséquent le rôle officiel effacé des Piémontais au conseil ducal. Leur activité de financiers posait problème car elle était par essence incontrôlable. Ce dont on accusait les Lombards de Brabant, au fond, c’était d’appartenir à des partis ou groupements ayant profité sans la redistribuer, de la richesse des revenus du domaine princier. Ces partis devaient comprendre, par exemple, les très anglophiles gens de l’hôtel de Jean II ayant participé aux entreprises commerciales du duc et de son entourage en Angleterre. Patriciens et fournisseurs de la cour, comme le Bruxellois Hugues de Coudenberg, ou chevaliers de l’hôtel, comme le hobereau Arnould d’Yssche, ces personnages avaient largement bénéficié de leurs lucratives associations avec Enrico de Mercato et ses collègues dans le cadre de l’alliance anglo-brabançonne à la fin du XIIIe siècle. Des représentants des groupes médians bruxellois, finalement, comme Guillaume Langevoet ou Jean Papsac, avaient bâti leur carrière de courtiers sur leur entregent avec la finance astésane. Cependant, qu’il y ait eu des laissés-pour-compte de l’aventure anglaise ne faisait aucun doute. Nous l’avons vu, la répartition des intermédiaires des transferts financiers entre l’Angleterre et le Brabant privilégiait nettement quelques happy few sur la place de Bruxelles, au détriment de la place d’Anvers108. Ce fut donc plutôt au titre de conseillers officieux du Prince que les Piémontais Enrico de Mercato et Giovanni de Mirabello propagèrent leurs vues sur le gouvernement du duché. Conseillers informels, les Piémontais disposaient de relais de pouvoir, d’agents fiables, en mesure de les informer et qui étaient sensibles à leurs arguments.

433a, f° 82 r° [1/1/1308]. Il s’agit sans doute du financement du voyage de Jean II et son épouse Marguerite en Angleterre à l’occasion du mariage du futur Edouard II avec Isabelle de France. Jean II et Marguerite séjournèrent en Angleterre entre la fin du mois de janvier et la fin du mois de mars 1307 (de Sturler 1936, p. 154). Depuis la fin du XIIIe siècle et la série de privilèges concédés aux bonnes villes brabançonnes en 1290-1291, les cas des aides concédées pour le duc de Brabant étaient les suivants : la rançon à payer pour un éventuel emprisonnement du duc à l’étranger, le mariage de ses enfants et la chevalerie de ses fils, cf. Van Uytven 1966, p.  429 et p.  433  qui établit bien que depuis 1293, la noblesse, le clergé et le tiers-état disposent d’un droit de résistance en matière de demandes d’aides injustifiées. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, outre les trois cas féodaux, trois nouvelles circonstances peuvent fonder une demande d’aides aux Etats de Brabant : la guerre, les dettes ducales et la Joyeuse-Entrée. L’intervention des États de Brabant pour les dettes ducales est surtout justifiée par la crainte pour les villes des répercussions sur le commerce brabançon, du fait des saisies par les créanciers étrangers de marchandises exportées vers les pays de ces créanciers (Moureaux-Van Neck 1962-1966, p. 68 et pp. 89-90). 107 R.A.A., Fonds Berthout, chartes, n°32 [21/7/1315] et Avonds 1984, p. 63. 108 On peut relever que ce débat sur la redistribution équitable des ressources financières existait aussi au niveau du gouvernement des villes des anciens Pays-Bas elles-même à partir du début du XIVe siècle, voir Billen 2009.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Ces appuis et ces patrons, les Piémontais les trouvèrent dans deux milieux sociaux différents, d’une part, celui, prédominant, des services auliques, et d’autre part, celui des lignages baronniaux du Brabant. B.

Le patronage des Astésans au conseil

Au sein de l’hôtel, d’abord, le chevalier Daniel de Bouchout – comme Arnould d’Yssche auparavant – avait dû jouer un rôle de poids pour porter les ambitions d’Enrico de Mercato. Avec le groupe des chevaliers de l’hôtel, les Astésans évoluaient dans un microcosme dynamique et ouvert à une idéologie de culture du profit, du fait de l’interaction entre l’hôtel du Prince et les groupes dominants des villes, marchands-fournisseurs et édiles. Ces chevaliers étaient, comme Jean Papsac autrefois, des passeurs sociaux pour les Lombards, en veillant à leur promotion auprès de deux milieux sociaux différents109 : d’une part, la cour princière et d’autre part, les oligarchies des deux villes les plus importantes, Bruxelles et Louvain. L’avis de Daniel de Bouchout était apprécié non seulement par la ville de Malines mais aussi par les autres représentants urbains au sein du second conseil de régence110. Daniel de Bouchout accompagna sans doute Jean de Brabant en Angleterre à la cour d’Édouard Ier, aux côtés de ses autres familiers, chambellans, valets et clercs111. Il côtoya Enrico de Mercato dans le second conseil de régence. Tirant des profits appréciables de ses moulins situés en Campine anversoise, Daniel de Bouchout ne dédaignait pas le commerce de l’argent112. Lorsqu’on connaît l’aisance avec laquelle il se mouvait au sein des milieux d’affaires bruxellois et malinois, il est aisé de comprendre les raisons de l’assentiment du chevalier à la solution opportuniste proposée par ce conseil pour financer le voyage de retour du jeune Jean III, séjournant en France : une vente de 250 muids de seigle réalisée dans une période de crise frumentaire intense, exécutée par un changeur bruxellois et par de Mercato, moyennant perception d’une commission de 6,6% sur le produit de la vente113. Parmi les familles baronniales ensuite, spécialement les Berthout et les Cuyck, il se trouvait également de riches protecteurs en relations avec les financiers piémontais depuis 109 Pour le comté de Hollande, des pages visionnaires ont été écrites sur le rôle dynamique de ces lignages de chevaliers

allant résider en ville, acquérant le droit de bourgeoisie, s’adonnant au commerce de détail et épousant des filles de la hautebourgeoisie : Jansen 1966, pp. 16-17. 110 Avonds 1984, pp.  67-68. Daniel de Bouchout est souvent reçu à l’auberge malinoise den Pau, accompagné de délégations du magistrat d’Anvers, Bruxelles et Louvain d’Anvers, Bruxelles et Louvain (S.M., S.R., série 1, n°3 (1315-1316), f°60v°[ vers le 1er novembre 1315]). Moins d’un an après, Daniel de Bouchout participa, aux côtés du bruxellois Thierry Lose, en tant que vassal et conseiller, à l’opération d’investiture féodale des revenus du seigneur de Diest, au profit de la ville de Diest, opération destinée à rembourser Giovanni de Mirabello de son prêt de 5 000 lb. tour. au seigneur précité : S.D., chartes des seigneurs de Diest, n°20 [8/2/1316, n.s.]. 111 Dans le compte de l’hôtel anglais du jeune Jean de Brabant, en 1286-1287, il est fait mention d’un dominus Daniel, chevalier de Jean de Brabant, accomplissant en Brabant une mission pour son maître : Byerly et Ridder Byerly 1986, n°3263, p.402, voir aussi n°3318, p.  408. Le blason de Daniel de Bouchout témoignait d’influences héraldiques de la monarchie des Plantagenêt anglaises, comportant un dragon sur le cimier du heaume. Ce symbole du cimier était partagé notamment par les ducs Jean Ier et Jean II (Croenen 2003, p. 272). 112 Beterams 1954, n° 11, p. 26 [10/6/1302] et A.G.R., Chartes de Brabant, n°207 [7/4/1306]. Au sujet de la valeur de ses moulins : un dédommagement de 1 000 lb. de v. gr. tour. du roi de France est exigé de la ville de Malines pour la destruction par ses bourgeois des moulins de Daniel de Bouchout. Le tournois était compté pour 17 deniers courants, un indice de sa bonne connaissance des taux de change ; dans les obligations financières de la noblesse, le taux de change d’un gros pour 16 d. est plus usuel (de Ridder 1974, n°6, pp. 80-81 [15/10/1304]). 113 Croenen 2006, n°90, pp. 127-128 [21/7/1315]. Les prix céréaliers étaient alors au plus haut : Slicher van Bath 19876, pp.  153-154  ; Jordan 1996, p.  51. Le changeur Henri le Clerc est en compte avec la ville de Malines à plusieurs repr ises en 1313-1314, notamment pour recevoir les annuités des rentes viagères des bourgeois bruxellois : S.M., S.R., série 1, n°2 (1313-1314), f°61v° et f°152v°.

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

le dernier quart du XIIIe siècle. L’itinérance élevée de ces membres de la haute-noblesse, due à leurs attaches féodales plurielles et les frais générés par celles-ci justifiait leur recours intensif aux banques lombardes, seules en mesure d’assurer la tenue de comptes courants, ouverts dans plusieurs villes importantes des anciens Pays-Bas. Le phénomène a déjà été suffisamment éclairé pour les relations de Jean de Cuyck avec les marchands-banquiers italiens. Au siècle suivant, un lointain cousin de Jean de Cuyck, Roger de Leefdael, allait jouer un rôle similaire de patronage pour les financiers d’Asti, établi sur des rapports de confiance114. Tout comme son parent, Roger de Leefdael percevait des rentes en argent dans plusieurs places financières importantes : Anvers, Bois-le-Duc et Malines. Dans cette dernière ville, sa rente viagère atteignait des sommets notables – 400 lb. pay.  – si bien qu’une partie de son placement était investie dans la banque lombarde de Malines, dirigée par Giovanni de Mirabello. La perception des rentes anversoises et malinoises en deux termes identiques, à la Noël et à la Saint-Jean supposait finalement la présence de procureurs de Roger de Leefdael dans les deux villes concernées, susceptibles de recevoir la somme en son absence115. La bonne information commerciale de Roger de Leefdael résultait sans équivoque de ses liens privilégiés avec la finance astésane. Un constat vérifiable en Brabant septentrional où, à partir de 1320, il avait, de concert avec son épouse Agnés, appartenant au lignage des Clèves (anciens suzerains de Heusden), mené une campagne structurée de placements fonciers autour de la ville de Bois-le-Duc, comprenant pêcheries et terres. Situés dans un rayon maximal d’une vingtaine de kilomètres autour de la chef-ville brabançonne, les biens acquis répondaient aux exigences de l’approvisionnement urbain116. Sénéchal de Brabant en 1318, donc premier officier judiciaire du duché, nommé châtelain de Bruxelles, dix ans plus tard, cet homme de pouvoir, allait s’avérer l’allié le plus fidèle des banquiers astésans à la cour bruxelloise117. Dans les années 1320, il résidait à moins de 300 mètres de l’hôtel bruxellois des Mercato et Roero, dans l’Etegat118. Par-dessus tout, Roger de Leefdael avait acquis un poids considérable en tant que conseiller, y compris hors des frontières brabançonnes ; les gens du comte de Hollande estimaient son avis lors de conflits féodaux119. Vassal du comte de Hainaut-Hollande et Zélande, il ne craignit pas d’assister à l’inféodation de Malines au comte par Florent Berthout, au mépris des intérêts brabançons, en pleine régence du Brabant ; plus tard, le comte Guillaume utilisa aussi ses 114 La mère de Roger, Aleyde de Herpen, était une petite-fille d’Albert de Cuyck, grand-père de Jean de Cuyck  : Van

Amstel 1999, tableau n° 3, p. 242.

115 Mertens 1857, vol.1, 1857, p.  7 et p.  21 (rente de 200 lb. pay.)  ; Coldeweij 1981, p.  104  ; Roger de Leefdael

possédait une rente viagère à Bois-le-Duc au moins depuis 1313 (S.H., chartes, n°34, lade 206 [24/12/1313] pour une somme de 100lb, 1 g.t. compté pour 14 d.) ; S.M., SAFE, K, rentes, SI, nr°1, f°4r° [25/11/1304], S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°136v° et S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f°15v° . Je reviendrai dans le titre relatif à l’intégration des Lombards à Malines sur les techniques de fructification des rentes viagères sur le change de la ville et dans les tables de prêt lombardes. 116 En 1320, Roger de Leefdael acheta la moitié de la seigneurie d’Oirschot à son seigneur. Oirschot était située à 21 km. au sud de Bois-le-Duc (Klaversma 1985, p. 47). Il est cité comme seigneur d’Oirschot en 1324 (A.G.R, Chartes de Brabant, n°276 [2/1/1324]). Roger payait un cens au domaine ducal pour les pêcheries de Boxtel et Spoordonk (au nord d’Oirschot) et des biens fonciers à Boxtel et à Oss. Oirschot : commune du Brabant septentrional ; Spoordonk, dépendance d’Oirschot ; Oss : commune du Brabant septentrional. Pour les biens pris à cens par Roger de Leefdael dans la mairie de Bois-le-Duc, il faut consulter le registre des cens de la mairie, écrit vers 1340 : A.G.R., C.C. n°45038, f°66v°, f°71v° et f°73r°. Vers 1400, la ville de Bois-le-Duc pratiquait l’exportation de poisson au niveau régional vers Bergen-op-Zoom : Van Uytven 1992c, p. 76. 117 Smolar-Meynart 1991, p. 526 ; Wauters 1971-1975, vol.1, p. 38 ; Kusman 1999b, p. 868. 118 Martens 1996, pp. 298-299. 119 En 1318, un messager est envoyé à Roger de Leefdael pour qu’il intervienne avec d’autres seigneurs zélandais, en tant que parent (maghe) de Jean van der Westkerken afin que la réconciliation prononcée entre ce dernier seigneur et le seigneur Florent van der Vere soit bien accomplie : Hamaker 1879, p. 168.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

services de diplomate pour négocier avec le duc de Brabant120. Ses qualités de diplomate en faisaient un membre de la suite de Jean III de Brabant lors de ses visites à des princes étrangers121. Last but not least, Roger de Leefdael fut un conseiller respecté des villes, notamment Anvers et Malines, durant les dures années de régence, les nombreux cadeaux reçus des magistrats urbains lors de ses visites en faisaient foi122. Le dernier puissant protecteur des sociétés de prêt astésanes fut le seigneur de Malines, Florent Berthout (1283-1331). Son appui n’était naturellement pas désintéressé, sa richesse découlant certainement pour une part non-négligeable de la taxation des revenus des Juifs et Lombards résidant dans sa seigneurie. Le rendement élevé de cette imposition est dénoté par le partage de la fiscalité du crédit lombard, imposé à Florent Berthout successivement au profit de l’évêque de Liège, du duc de Brabant, puis du comte de Flandre123. L’intéressement de Florent Berthout aux lucratives opérations des Lombards de Malines s’observe en outre dans les circonstances de l’accès de ces derniers à la propriété à Malines. En 1299, Dionigio della Rocca et Opecino d’Arazzo avaient acheté au seigneur de Berlaar deux vastes demeures et leurs fonds composés de plusieurs maisons et dépendances, à proximité du couvent des franciscains, tout comme à Bois-le-Duc124. Les appuis et soutiens réciproques du seigneur de Malines et des Lombards de Brabant allèrent crescendo dans les années suivantes. La conjonction de l’accès de Florent Berthout à un premier poste de lieutenant ducal en 1309 et la nomination d’Enrico de Mercato comme receveur de Brabant marqua une première borne le long d’une série de dons et de contre-dons reliant les dirigeants des sociétés lombardes en Brabant à Florent Berthout. Une fois le poste stratégique de lieutenant ducal occupé, on peut en effet présumer que le baron pesa de tout son poids pour appuyer la présence d’Enrico comme conseiller spécialiste du commerce à ses côtés. En effet, quelques jours après, un des premiers actes du duc de Brabant et de son conseil fut de favoriser Lierre aux dépens de Louvain en déplaçant le marché aux bestiaux, jusqu’alors tenu à Wespelaar – dans la grande banlieue

120 A.D.N., B.1583, 2e cartulaire de Hainaut (852-1347), f°106v°-f°108r°, p.n°134, Godefroy 5092, [11/5/1316]. En 1322,

le comte de Hainaut augmenta le fief de Roger avec une rente annuelle de 100 lb. par an et une livrée de chevalier en raison de ses services. Peu avant, le châtelain de Bruxelles avait offert ses services pour arbitrer le différend entre le duc de Brabant et le comte, relatif à la seigneurie de Heusden (Avonds 1991, pp. 142-143). 121 Mons. Rogier de Lievendale est cité parmi les bénéficiaires brabançons du droit de livrée à l’hôtel du comte de Flandre Louis de Nevers, à l’occasion des relevailles de la comtesse Marguerite de Flandre (éd. dans Vandermaesen 1999, p. 291). 122 Avonds 1984, pp. 30-31. 123 L’attitude du duc de Brabant en 1301 est un indicateur clair des profits attendus du commerce de l’argent lombard car il passa un accord avec le seigneur de Malines pour que les octrois futurs concernant les Lombards de la ville prévoient le partage de leurs profits taxés entre le seigneur local et lui-même. Au sujet des différents partages de la taxation des Lombards au profit de l’évêque de Liège, du duc de Brabant et du comte de Flandre, voir R.A.G. Fonds Saint-Genois, chartes de Flandre, n°1046 [ca. 1283] ; Laenen 19342, pp. 248-249 ; éd. Willems 1836-1869, t. 2, n° 2, pp. 441454, p. p. 443 [31/3/1336] et Croenen 2003, p. 118. Je pense que les taxes levées devaient être plantureuses si l’on tient compte des montants très notables des prêts où la table de Malines avait pris part : 30 000 lb. n.t. en 1314 (Archives d’Arenberg à Enghien, chartrier, n°45, [31/10/1314]) et 48 000 lb. n.t. en 1325 (Stadsarchief Zutphen, Oud archief Zutphen, charters, n°72 [4/3/1325]) et qu’on les compare au montant total des revenus annuels de Florent Berthout, avoisinant les 9 000 lb. tour. vers 1311 (Ibidem, pp. 126-127). En 1336, par le traité de Termonde, le comte de Flandre Louis de Male obtiendra du duc de Brabant la co-seigneurie sur les Lombards de la ville et le partage de la taxation de ceux-ci : éd. dans Willems 1839-1869, t. 2, n° 2, pp. 441-454, p. 443 [31/3/1336]. 124 A.O.C.M.W.M., chartrier de Saint-Rombaut, n° 91 [15 mars 1299] et n° 92 [20 mars 1299]. Florent Berthout n’est alors que seigneur de Berlaar, il deviendra seigneur de Malines en 1310 (Croenen 2003, n°39, p. 355).

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

nord-ouest de Louvain – dans la ville campinoise125. Ce déplacement du droit d’étape du bétail brabançon intéressait au plus haut point une branche cadette, celle des Berthout de Berlaar, assez appauvrie, qui disposait d’une rente féodale sur les revenus de Lierre. Il va sans dire que la régularité de ces revenus dépendait grandement de l’essor commercial de la petite ville et qu’Enrico eut voix au chapitre en tant que receveur de Brabant126. On se souviendra qu’un neveu d’Enrico, Giacomo avait été receveur domanial de Lierre, les de Mercato connaissaient donc bien la petite ville campinoise. Enrico de Mercato pouvait finalement s’appuyer sur l’autorité du régent malinois pour donner plus de vigueur à ses actes administratifs entérinant des mutations foncières en Brabant septentrional. En scellant les actes à la demande du receveur, le régent renforçait la légitimité du financier étranger à la cour de Brabant, un aspect, on l’a vu précédemment, dont le Piémontais était soucieux127. Giovanni de Mirabello veilla semblablement à se ménager les faveurs des Berthout : entamant ses premières activités bancaires dans la table de prêt Malines, il fit un geste symbolique fort, en finançant en 1312 le présent offert par la ville à Florent Berthout à l’occasion du mariage de sa fille, Sophie, avec le fils du comte Renaud Ier de Gueldre128. En échange, Giovanni de Mirabello put compter sur le soutien indéfectible de Florent Berthout et ses parents dans les années suivantes, qu’il s’agisse de parlementer avec un débiteur de mauvaise foi de la maison des Lombards de Malines129, de presser le remboursement au receveur de Brabant de la taxe due par un chevalier désargenté130 ou encore de remplacer le seigneur de Heusden dans son crédit déficient131. Les riches patrons des financiers piémontais au conseil de Brabant, Roger de Leefdael et Florent Berthout, outre leur statut de barons influents au conseil et leur pleine immersion dans l’économie de profit partageaient une ultime affinité élective : leurs profondes attaches avec la mairie de Bois-le-Duc. Cette dernière caractéristique les rapprochait d’avantage des Piémontais, bien implantés dans la région  ; ce point a déjà été évoqué à propos de Roger de Leefdael. Quant aux Berthout, leur parentèle élargie comprenait les seigneurs de Heusden, Guillaume de Kranendonk et Guillaume de Boxtel, aristocrates de premier plan dans la mairie de Bois-le-Duc. De plus, Florent Berthout recrutait certain de ses 125 Florent Berthout fut nommé une première fois gouverneur du Brabant en l’absence de Jean II lorsque ce dernier dût se

rendre à l’étranger en 1309 (Croenen 2006, n°77, pp. 111-112 [3/9/1309]). Le marché aux bestiaux est institué à Lierre quelques jours plus tard : Verkooren 1961-1962, vol. 1, p. 224[12/9/1309]. 126 En 1314, un parent de Florent Berthout, Jean II Berthout de Berlaar échangera finalement sa rente féodale assignée par le duc de Brabant sur les revenus de Lierre contre la seigneurie de Helmond, en Brabant septentrional. La rente de Jean II semble en effet avoir fait double emploi avec une rente de 300 lb. pay. déjà assignée sur la même ville au profit du beau-frère de Florent Berthout, le comte de la Marck. L’opération avait été apparemment suggérée au jeune Jean III de Brabant par Florent Berthout, désireux de procurer une aide financière à un de ses plus fidèles parents et alliés, Jean II Berthout de Berlaar (Croenen 2003, p. 140 et Croenen 2006, n°s 162-163, pp. 217-222 [1314]). 127 Enklaar 1941, n°46, pp. 77-80 [13/6/1314] et n°55, pp. 101-103 [23/6/1315]. 128 Kusman 1999b, p. 863-864, n. 117. 129 Il s’agit du hobereau Bauduin de Houthem, refusant d’acquitter Mirabello de son dû : S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f°151r°, sans doute vers l’été 1319, il est question du seigneur de Malines et des gens de la ville qui parlementaient avec Baudouin de Houthem. 130 Ainsi le chevalier Zecho de Beek était-il redevable d’une dette de 500 lb. n.t. au receveur que ce dernier perçut, sûrement au titre de taxe sur un bien foncier comme l’indiquent les termes de la charte (recepisse, levasse et habuisse) : Croenen 2006, n°120, pp. 166-167 [17/10/1323]. Le fait que l’acte soit authentifié par les échevins de la ville indique peut-être que le bien se trouvait dans l’ammanie de Bruxelles. L’appartenance de la charte aux archives des Berthout (R.A.A. fonds Berthout) prouve que Florent Berthout qui est mentionné comme caution de Zecho, avait payé à sa place la dette, sans doute en échange de droits d’usufruit sur le patrimoine du chevalier. 131 Jean II Berthout de Berlaar, seigneur de Helmond promet de payer avec le bourgeois malinois Jean Raduard une dette de Jean V de Heusden d’un montant de 100 lb. n.t., dette due à Janne van Mirabel diemen heit van Halen den rentemeester van Brabant, onsen goeden vrient : R.A.G., Chartes des comtes de Flandre, Fonds autrichien [25/10/1325].

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

serviteurs à Bois-le-Duc : Gérard de Uden, clerc de Florent Berthout était issu d’une famille de Bois-le-Duc. Gérard se chargea d’exécuter la vente des maisons de Florent Berthout au bénéfice de Dionigio della Rocca et Opicio della Rocca, premiers exploitants de la maison des Lombards de Malines. Il administrait également le fief de son maître à Hedikhuizen, en bordure de la Meuse, à 9 km. au nord-ouest de Bois-le-Duc132. Le patronage des financiers piémontais au conseil étant un fait assuré, est-il possible de repérer dans les actes ducaux des années 1309-1333 l’influence des Lombards sur la prise de décision ducale ? C.

Une action qui se devine en filigrane des actes ducaux

Certaines décisions du conseil ducal et du conseil de régence de Jean III paraissent bel et bien avoir été inspirées par les conceptions de l’ « économie politique » des citoyens d’Asti. Ces conceptions consistaient premièrement dans une politique d’ouverture commerciale du Brabant vers le grand négoce à destination de l’espace méditerranéen, deuxièmement dans l’utilisation d’une « ingénierie juridico-féodale » usitée depuis longtemps dans les relations ville-campagnes en Piémont et, troisièmement, dans l’habileté à négocier la dette. L’ouverture du Brabant vers le commerce méditerranéen date précisément de la période durant laquelle les Astésans tiennent en main les rênes de la recette ducale. Ce furent principalement les marchands de Gênes et de Venise qui recueillirent les fruits de cette politique d’ouverture commerciale. L’accueil des marchands italiens s’organisait institutionnellement à partir d’Anvers, port pour les navires hauturiers venant de la Mer du Nord. La cité avait obtenu une nouvelle fois l’étape obligatoire de la laine anglaise, entre 1315 et 1318, ce qui dût enclencher un surcroît d’activité du commerce maritime à longue distance à partir du Brabant vers l’Europe méridionale. Les marchands-importateurs de la cité ligurienne se fournirent en Brabant en draps de Bruxelles et Malines dès les années 1310-1313, des draps écarlates de Bruxelles étant mentionnés sur le marché génois en 1310, des draps de Bruxelles et Malines en 1312133. On sait qu’à cette époque les Génois détenaient virtuellement le monopole de la commercialisation de l’alun, fixateur indispensable à la teinture des draps brabançons. Il est possible qu’ils aient profité de leur nouveau comptoir anversois pour explorer plus avant le Brabant et écouler leurs produits134. Pour certaines des familles d’Asti installées en Brabant, la connaissance du commerce génois remontait au premier quart du XIIIe siècle, époque où des membres de ces familles avaient pratiqué le négoce et le courtage 132 Croenen 2003, p. 41, pp. 186-187 et pp. 262-263. Guillaume de Kranendonk, un conseiller de Jean III, fort actif dans

la région et également en comptes avec la finance astésane promit de tenir Florent Berthout indemne de sa caution pour un emprunt du premier envers Ludinc van den Dijke et Jean Lucas, bourgeois de Bois-le-Duc (Croenen 2006, n° 115, p. 162 [17/6/1322]). 133 Doehaerd 1941, vol. 3, n° 1697, p. 1013 [21/5/1310], n° 1793, pp. 1088-1089 [4/5/1313], n°1679, pp. 992-993 [15/1/1310], n°1753, pp. 1055-1057 [1/4/1312]. Pour l’étape de la laine, transférée de Saint-Omer vers Anvers ca. 1315 : de Sturler 1936, p. 223.  134 L’importation de l’alun en Europe dépendait totalement de l’empire byzantin puis ottoman dont les centres de production étaient contrôlés par quelques familles génoises dès 1264 : Liagre 1955, voir pp.177-178 et n. 1. Le négociant génois Benedetto Zaccaria avait reçu en fief de l’empereur byzantin Michel Paléologue les mines d’alun de la citée de Phocée (Crouzet-Pavan 20042, p. 355). En 1315, les marchands génois obtinrent de disposer d’un comptoir commercial à Anvers et de pouvoir y tenir des assemblées : de Sturler 1936, p. 217. En 1324, le magistrat anversois dépêcha des messagers aux capitaines des navires génois, alors dans le port de Sluis, afin de les inviter à se rendre à Anvers : Peeters 1993, p. 63.

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

à Gênes. Au sujet de Venise, remarquons que les premières galées vénitiennes abordèrent le port d’Anvers dès les années 1318-1319 puis en 1324-1325, avec dans les mains de leurs capitaines, un sauf-conduit général pour faire négoce dans tout le Brabant (1320). Dans le cas des Vénitiens, une politique de concurrence de la place de Bruges s’esquissa afin de retenir les marchands de la Sérénissime dans la cité scaldienne135. Un ambassadeur vénitien, Dardi Bembo, visita le Brabant en 1324, à la tête d’un imposant convoi commercial, apportant sans doute dans ses navires des épices, des soieries et des substances tinctoriales, tous produits importés d’Orient par Venise. En échange, le frêt de retour comprenait fort probablement des produits de la draperie brabançonne, de la laine anglaise et de l’étain136. Des discussions furent tenues à Bruxelles en 13241325 au sujet de l’accueil à Anvers de navires marchands génois et vénitiens. Dans de telles circonstances, les financiers d’Asti installés dans les grandes métropoles commerciales du Brabant pouvaient offrir leurs services d’intermédiaires et éventuellement d’interprètes137. Un second pan de la politique des ducs Jean II et Jean III et de leurs conseillers pourrait avoir été inspiré par les gens d’Asti, à savoir le développement d’une véritable ingénierie juridico-féodale. J’entends par là le développement d’une stratégie de contrôle de puissants barons alleutiers fondée sur l’utilisation conjointe du droit féodal et du droit romain. Cette stratégie de contrôle par la dette a été décrite en détail au chapitre précédent dans le cadre des emprunts du comte Clèves et des seigneurs de Diest et de Heusden aux Lombards de Brabant. Au conseil ducal, Enrico de Mercato avait côtoyé le bourgeois bruxellois Thierry Lose, lui-même en contact avec le baron et régent Gérard de Diest, dont la seigneurie autonome était enclavée dans le duché. Gérard s’adressa en toute confiance à la banque de Giovanni de Mirabello à Diest, sans connaître les accords secrets de Giovanni avec la cour ducale par l’entremise d’Enrico de Mercato. Cela explique qu’en 1315, le seigneur de Diest fut largement victime d’un processus d’assujettissement à la cour ducale dont il ignorait les ressorts, un processus qui allait l’amener à aliéner ses propres revenus urbains au profit des échevins de la ville de Diest, pour rembourser ses dettes lombardes. Il aliéna ces revenus au cours d’une investiture féodale en bonne et due forme, passée devant les vassaux ducaux. 135 La connaissance du négoce vénitien en Brabant dans la première moitié du XIVe siècle est évidemment tronquée par

la ténuité des archives commerciales belges, du fait de l’existence de comptes anversois complets pour la seule période de 1324-1325. Cette connaissance fragmentaire est cependant quelque peu compensée par l’apport des comptes malinois et des archives vénitiennes. L’humaniste florentin Lodovico Guicciardini conte qu’en 1318 les premières galères vénitiennes arrivèrent à Anvers en 1318 : cinq galeasses Venitiennes chargées d’éspices et drogues y venoyent à la foire (. .) : Guicciardini 1920 (suivant l’édition de 1582), p. 136. L’information de Guicciardini se révèle en tout cas exacte : les premières galères abordent Bruges, puis se rendent à Anvers et de là vers Malines, en longeant sans doute la côte vers la Zélande, puis en rejoignant l’Escaut, notamment en 1318, 1319, 1324, 1325 et 1327 (Brown 1864, n°12, p.  4 [décembre 1319])  ; de Sturler 1936, pp. 318-319 ; Lane 1985, p. 185 ; Peeters 1993, pp. 62-63. 136 Mertens 1857, p. 34, p. 40, p. 43, p. 50 et p. 52 : présent fait à Mi chiere [déformation phonétique de l’Italien Messer ?] Dardo Bembo par le magistrat anversois en 1325. Les marchandises importées par Venise comprenaient différents types de soieries, le kermès, la cire, le miel, le coton, le poivre, la cannelle, les clous de girofle, la noix de muscade et le gingembre : de Sturler 1936, pp. 317-318 ; Lane 1985, p. 115 et p. 185. Des marchands vénitiens sont d’ailleurs déjà présents aux foires de Champagne comme acheteurs de draps malinois dès 1303 : Laurent 1934, pp. 364-368 n°16 [octobre 1303] et n°17 [octobre 1304]. Dardi Bembo faisait fonction du chef des affréteurs de navires à Venise, il avait fait construire des galères de taille supérieure à la moyenne pour maximaliser les profits en augmentant les capacités de frêt, elles furent au nombre de trois en 1317 et de cinq en 1318. 137 Au sujet de la collaboration entre Astésans et Vénitiens, on notera avec intérêt la participation en 1320 de Muncio Garretti à l’exportation de 100 sacs de laine du port de Boston vers Venise en les transbordant sur les navires vénitiens qui attendaient dans l’estuaire du Zwyn : Reichert 2001, pp. 98-99.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Ce type de procédure était tout à fait inconnu en Brabant à cette époque. En revanche, l’investiture d’une communauté urbaine par des seigneurs qui en devenaient ensuite vassaux était une pratique courante et légale en Piémont aussi bien à Asti qu’à Chieri. Le rameau noble des Mirabello – dont Giovanni de Mirabello était issu – avait ainsi rendu l’hommage féodal à la ville d’Asti pour leurs propres biens fonciers au début du XIIIe siècle, peu avant d’acquérir la citoyenneté astésane138. Un dernier volet des actes du gouvernement brabançon pouvait reposer sur les capacités de négociateurs des conseillers astésans dans un domaine qu’ils maîtrisaient bien : la négociation de la dette. La fin du règne de Jean II et les années de régence de Jean III comptèrent certainement d’innombrables tractations dans cette matière délicate. Qui était mieux placé que les dirigeants de sociétés de prêt pour assister les conseillers ducaux ? Versés dans le calcul des intérêts, dans l’utilisation des monnaies faibles et dans la pratique des moyens de pressions sur les débiteurs tels que la garnison d’otages dans des auberges et la prise de gages immobiliers, Enrico de Mercato et Giovanni de Mirabello se révélaient de précieux informateurs sur ce plan. Le rééchelonnement interminable de l’emprunt contracté par Jean II de Brabant en 1305 envers Manfredo de Viallo, ancien collègue d’Enrico de Mercato à l’hôtel ducal, peut, sous cet angle, servir de cas d’étude éclairant. Manfredo était à présent receveur du comte de Namur. Les deux Piémontais se connaissaient bien, cela va sans dire ; l’un comme l’autre pouvaient anticiper les décisions prises par leur alter ego, à l’image de joueurs d’échecs. Il y avait bien au départ une relative symétrie de l’information. Cette symétrie n’était pourtant présente qu’en surface. Dans l’emprunt de 12 000 lb. Louv. conclu en 1305, le duc Jean II imposa habilement – sûrement à l’instigation de ses familiers astésans – que le lieu du séjour pour dette des chevaliers puisse être à Bruxelles ou à Namur, clause moins contraignante pour lui. Il avait bien engagé ses biens en garantie de l’exécution du contrat mais n’avait pas renoncé aux exceptions de droit romain. Enfin, il avait fait sceller sa reconnaissance de dette par Viallo et ses frères, Facino et Giovanni, en témoignage de leur accord à ces conditions. Le séjour d’otages pour dettes cinq ans après la conclusion du premier contrat d’emprunt montre l’importance de la négociation et de l’obtention de sursis par les Brabançons. Jean II obtint du comte de Namur Jean Ier et son frère Guy de Zélande, leur plégerie (Manfredo résidait désormais en territoire namurois) et le séjour de chevaliers namurois et leurs valets dans une auberge de Namur, aux frais du comte, frais s’élevant après deux ans à 1 405 lb. courantes avec les intérêts, sachant qu’un séjour de 15 semaines dans un hôtel de la ville revenait déjà à 135 lb., monnaie courante pour deux chevaliers. Du côté brabançon, aucun noble, aucune ville, ne figuraient comme cautions du duc de Brabant. La dette héritée par le duc Jean III ne fut acquittée qu’en 1342 par Guillaume Ier de Namur. . . apparemment sans aucune saisie hypothécaire de 138 De fidelitata facta comuni astensi per Conradum de Mirbello suo nomine et domini Ruffini patris suis de feudo quod tenent

a comuni astensi in Viginti et Vallibus et in Castronovo, de Calcea : Sella 1880-1887, vol. 2, voir n° 384 à 387, pp. 417-418 [8/11/1212] ; Ibidem, vol. 3, n°640, pp. 657-659 [ 21/8/1246]. Parmi les membres de la famille prêtant serment de fidélité à Asti pour l’obtention de la citoyenneté, figure un Gayus de Mirabello, fils du seigneur Manfredo de Mirabello. Le prénom Manfredo, relativement rare en Brabant, se retrouve dans les actes brabançons du XIV e siècle où un Manfred de Mirabello, frère de Jean est cité. cf. aussi Caffu 2005, p. 442-444. Pour les actes féodaux du seigneur de Diest, voir S.D., chartes des seigneurs de Diest, n°20 [8/2/1316, n.s.] et A.G.R., Chartes diverses 2e section 1275-1341, boîte n°2, n°383 [15/1/1323, n.s.]. En soutenant la ville de Diest, Jean III et son conseil pouvaient ainsi affirmer l’autorité éminente du duc sur la ville seigneuriale.

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Les Lombards à la cour de Brabant | Chapitre ii

biens domaniaux brabançons139. Renaud Ier, comte de Gueldre et Thierry IX comte de Clèves avaient été infiniment moins chanceux dans leurs démêlés avec la banque astésane opérant en Brabant. En somme, outre les aptitudes financières des Astésans, leur pratique concrète du droit romain en faisait des acteurs essentiels dans un domaine où les gouvernants du duché de Brabant accumulaient du retard par rapport aux autres principautés, celui de l’entrée des légistes professionnels au Conseil du Prince. Le premier légiste attesté avec certitude au Conseil est Jean Major et à une date assez tardive par rapport aux principautés voisines, comme la Flandre et le Hainaut140.

139 A.E.N., chartrier des comtes de Namur, n°s 320 [22/10/1341, vidimus et quittance d’un acte ducal du 25/6/1305] et n°321 [vidimus d’un acte ducal du 28/10/1305], n° 664 [28/6/1342] : quittance définitive ; A.E.N., chartrier des comtes de Namur, n°412, compte du receveur comtal Viallo pour 1313-1314 : en définitive, hormis le comte de Namur, les autres perdants de l’emprunt ducal furent les marchands bruxellois, faisant l’objet de saisies en février 1311. Le séjour des otages namurois en 1310-1311 est particulièrement bien décrit dans le compte de Viallo, A.E.N., chartrier des comtes de Namur, n°412, compte n° 2 A, un ex. de garnison : Premierement a le semonse le dit Mainfroit mist li cuens de Namur pour despendre sour li a Namur a le maison Jehane de Kerne iiij valles ki laiens gurent.xiij. semaines les queles finerent le nuyt del ascencion, lan m.ccc.x., dont li non sunt teil : Henris dou Mares, Henri de Rynes, Bauduin de Rynes et Jehan de Rougis et monterent li despenses : lxxix lib. x.s.le gros tournois pour xiiij.d. ki valent le gros pour 15d., lxxxv lib. iij.s.vij.d.(. . .). Autres exemples de garnison pour Guy de Zélande, frère du comte de Namur dans Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 552. 140 Plutôt envoyés pour des missions spécifiques, sous le duc Jean III, les légistes ne sont jamais attestés au conseil : Libon 1947, pp. 78-79. Jean Major est envoyé à la cour pontificale d’Avignon pour une mission spécifique, celle de technicien du droit afin d’appuyer le projet brabançon de création d’un diocèse : Avonds 1999, pp. 128-130. Sous Jean III, il n’existera jamais un noyau stable de légistes au service du Prince au sein du Conseil. Pour les principautés voisines : Gilissen 1939 et Vercauteren 1952, pp. 451-505. 

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Chapitre iii

L’intégration dans les villes brabançonnes : l’exemple de Malines

1. L’intégration à long terme des Piémontais dans l’espace urbain et dans les finances publiques  . Un régime juridique libéral et des garanties commerciales pour les A marchands étrangers incitant à une intégration spatiale polymorphe Le choix de privilégier Malines – plutôt que Bruxelles ou Louvain – comme un exemple « réussi » d’intégration à long terme des membres des sociétés de prêt lombardes dans les villes brabançonnes mérite une explication. Vers 1320, on l’a vu précédemment, la ville de Malines était devenue­ une place réputée de haute finance internationale, qu’il s’agisse de l’exécution de clauses financières relatives à des traités politiques ou de la conclusion d’emprunts. À Malines, les actionnaires astésans de la table de prêt locale pouvaient recevoir des dépôts bancaires et investir une fraction de leurs capitaux dans plusieurs tables de prêt extérieures (Bois-le-Duc, Gand, Louvain et Valenciennes, entre autres). Dans le même temps, ils conservaient l’essentiel de leurs actifs en espèces en sûreté sur le change communal. Indéniablement, l’implantation durable de plusieurs familles de manieurs d’argent astésans dans la cité des Berthout répondait à des conditions d’accueil extrêmement favorables, nulle part équivalentes en Brabant, à l’exception notable de Bois-le-Duc. Les comparaisons qui seront établies au long de cet exposé avec le statut des banquiers piémontais à Bruxelles et Louvain éclaireront cette spécificité malinoise. Qu’est-ce qui faisait la spécificité des infrastructures commerciales pour que les membres des familles Alfieri, d’Antignano, d’Arazzo, Broglio, della Rocca, Catena, Deati, de Mercato, Mirabello, de Montemagno, Roero et Scarampi, s’y établissent de façon plus ou moins permanente ? Avant tout, la protection juridique accordée par les autorités urbaines en matière d’obligations pécuniaires : elle constituait un atout vital pour décider les marchands piémontais à s’établir durablement dans une localité. Ceci avait déjà été la règle à l’époque de leur implantation à Tournai, dans le dernier tiers du XIIIe siècle. Sans que les archives malinoises aient gardé trace d’un acte de fondation officielle d’un comptoir des marchands d’Italie septentrionale résidant à Malines, comme c’était le cas à Anvers, tout porte à croire que ceux-ci jouissaient de privilèges juridiques bien établis en matière de litiges commerciaux. Les déboires financiers du marchand florentin Truffino de Spina, dévoilent la présence dans la ville d’une universitas merchatorum ultramontanorum, in Brabantia commorantium. La collectivité des marchands d’Italie, représentée par son capitaine, avait été amenée à confirmer, en le scellant, un acte de non-préjudice de 269

Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Truffino envers la ville. L’intéressé avait passé une année dans la prison de la ville, dans des piètres conditions de détention, pour ne pas avoir honoré la créance contractée en foire de Champagne, de 15 000 lb. de son compatriote, le Florentin Nosso Deo. Le capitaine et les conseillers des marchands ultramontains s’étaient prononcés collégialement sur le différend en faveur de Nosso Deo1. Le choix de Malines comme siège ponctuel par la communauté des marchands d’Italie trafiquant en Brabant était un symptôme éclatant de l’importance prise par la ville dans le commerce international. Cela plaçait Malines sur le même plan que les foires de Champagne, ou que Nîmes, port commercial d’importance pour le négoce vers l’Italie, où une société des marchands lombards et toscans était aussi représentée depuis 12782. Les marchands placentins obtinrent, quant à eux, fait plus rare, de pouvoir administrer à Malines les biens d’un de leurs débiteurs, le marchand drapier Jean le Cerf ou Jan Hert, poursuivi en 1311 pour une dette enregistrée aux foires de Champagne3. De même, la justice malinoise semble avoir favorisé, quand elle le pouvait, les intérêts de la maison des Lombards de Malines, partie prenante dans un procès avec un marchand drapier malinois endetté aux foires de Champagne4. Preuve supplémentaire des sérieuses garanties commerciales de la cité de Malines, en 1315, les marchands astésans Baldovino et Giacomo Villani et Ponzio de Solaro, y stipulèrent le remboursement d’une créance contractée aux foires de Brie pour des achats de soieries du comte de Namur. L’autre localité brabançonne où les Piémontais proposaient le remboursement à leurs agents locaux était Bruxelles5. Plus précieuse, enfin, est une source ultérieure nous éclairant sur la situation privilégiée des Piémontais dans la ville, pareille à un cliché a posteriori de leurs revendications en matière de justice personnelle à Malines et des limites posées à leur activité. Il s’agit du premier octroi concédé par une ville en Brabant (décembre 1342) à des Lombards pour tenir une table de prêt6. Les associés des groupes familiaux de Montemagno et della Rocca reçurent pour quinze années la pleine protection juridique de la ville et l’assimilation, ainsi que leur famille, au statut de bourgeois (coopidanos). Ils jouissaient des mêmes franchises et privilèges que les citoyens de la ville, étaient sujet aux mêmes impôts, leurs gages étant toutefois L’acte de non-préjudice de Truffino était motivé par le fait qu’il avait été molesté durant son incarcération et qu’il tenait le personnel urbain quitte de toute réclamation : S.M., Chartes de la ville, n° 661 [24/5/1305] et Laurent 1929, n° 5-6, pp. 38-43 et n° 14, pp. 53-54 [octobre 1310] pour l’emprisonnement de la mère d’un débiteur malinois par un marchand génois. L’acte de Truffino où il demande au capitaine de la corporation des marchands de sceller son acte ne doit pas faire croire à un rôle passif de ce dernier : il s’agit naturellement de sceller aussi un accord définitif entre toutes les parties car le capitaine scelle l’acte de consilio et voluntate merchatorum universitatis eiusdem, ad instanciam et preces dicti Truffini. 2 La corporation marchande établie aux foires de Champagne à la même époque était non seulement compétente pour connaître des différends entre marchands italiens mais également pour conclure des traités commerciaux avec les princes territoriaux dans les territoires où ils faisaient affaire (Bourquelot [1865], vol. 2, pp. 168-173). 3 Laurent 1932, p. 686. 4 Les Lombards qui avaient visiblement financé les entreprises du marchand-drapier Henri de Lesele obtinrent de pouvoir conserver les 4 sacs de laine et 15 draps déposés à l’hôtel des Cahourcins (Laurent 1929, n°4, pp. 29-38, p. 30[février 1295 n.s.]). 5 Sans doute parce que le troisième associé, Ponzio de Solaro, disposait de correspondants dans cette ville, appartenant à la famille Mignano : A.E.N., chartrier des comtes de Namur, n°413 [14/2/1315] et Kusman 2008a, vol. 4, pp. 23-24. 6 Les Lombards autrement, dépendaient uniquement du duc de Brabant et du comte de Flandre à cette époque. Ce sont en fait deux actes, émanés pour l’un du magistrat de Malines et pour l’autre des Montemagno-della Rocca, datés du 10 décembre 1342 qui livrent l’intégralité des conditions d’octroi de la table de prêt de Malines, ils sont publiés avec une analyse très superficielle par Laenen 1905, n°1, pp. 41-44 et n° 4, pp. 45-46 (on corrigera d’ailleurs p. 35, il ne s’agit pas d’un octroi concédé contre 12 000 lb. tour. mais contre le versement d’une somme de 1 200 lb. g.t., payable en trois tranches de 400 lb., du 10 décembre 1343 jusqu’à la toussaint 1344). 1

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L’intégration dans les villes brabançonnes : l’exemple de Malines | Chapitre iii

exemptés des assises urbaines. Le commerce leur était permis, de même que le change et le prêt. Tous leurs contrats pouvaient être authentifiés par le magistrat urbain, afin de faire foi dans leurs procès éventuels. Un indice très net de leur bonne insertion dans la société malinoise était en outre le privilège de pouvoir s’exprimer dans l’idiome qui leur était le plus familier, c’est-à-dire sans nul doute le français ou, le cas échéant, le franco-provençal. Le monopole du prêt public – pro lucro publice prestare – leur était garanti. Surtout, et c’est important, les échevins malinois et les fermiers des assises jouissaient d’un taux d’intérêt préférentiel pour leurs emprunts  : 21,66%. Un tel taux «  institutionnalisé  » était usuel pour les prêts concédés à des collectivités urbaines offrant une solidité financière meilleure que des emprunteurs privés ; il s’appliqua déjà pour un prêt à la ville accordé en 1311 par Giovanni de Mirabello et ses associés de la banque de Malines. Ce qui fait tout l’intérêt de cette clause, c’est qu’elle légifère officiellement au sujet des emprunts souscrits par la ville en son nom collectif. Autrement dit, la ville de Malines, contrairement aux villes de Bruxelles et Louvain, émettait une ordonnance urbaine régulant son crédit auprès de la banque lombarde locale. Ces deux dernières villes étaient connues pour être hostiles au crédit des banquiers étrangers comme source de financement régulière à cette époque et foncièrement adeptes du recours aux emprunts publiques, les émissions de rentes viagères7. Concession extraordinaire pour un octroi de ce genre, la ville de Malines s’engageait à payer aux Lombards une lourde amende de 1 000 lb. de v. gr. en cas de rupture unilatérale de sa part de l’octroi de prêt. Les seules bornes importantes mises à l’activité de la banque lombarde de Malines étaient peu nombreuses mais révélatrices : l’interdiction de pratiquer le commerce textile et la prohibition du recours à la caution de bourgeois de Malines pour les opérations bancaires. Jusque vers 1342, ces deux pratiques étaient courantes au sein des sociétés de prêt astésanes. Le commerce textile se pratiquait à titre d’intermédiaire financier, d’investisseur ou de manière directe, surtout vers le marché avignonnais8. L’exclusion inopinée des Lombards du commerce textile était, semble-t-il, causée par les problèmes conjoncturels rencontrés par la draperie malinoise depuis le début de la Guerre de Cent Ans et par les conséquences du grand incendie de la ville du mois de mai 1342, responsable de la destruction d’une grande partie des installations commerciales présentes sur le marché, dont la halle aux draps 9. En ce qui concerne Bruxelles, il semble même que la ville ait d’abord puisé dans la caisse communale en certains cas avant de recourir à l’émission de rentes viagères (Dickstein-Bernard 1977, pp. 124-125 et pp. 144-145 ). De même, durant la première moitié du XIVe siècle, il ne semble pas que la ville de Louvain ait recouru aux capitaux de financiers lombards. Le premier prêteur privé de la ville sera d’ailleurs un Brabançon, l’abbé de Tongerlo, en 1361 (Van Uytven 1961, pp. 182-186). 8 Une première voie s’offrait aux tenanciers de tables de prêt par la vente des gages déposés sous forme de draps (Laurent 1934, n°4, pp. 29-38, p. 30 [février 1295 n.s.). Une seconde voie étant l’investissement dans l’industrie textile par l’acquisition de lots de laines anglaise en gros et leur revente au détail. Enrico de Mercato importa en Brabant plus de 15 tonnes de laine anglaise en 1295 comme on l’a vu dans la le chap. 2 de la 2e partie. Au siècle suivant, l’acquisition de sacs de laines par des Astésans groupés en société devint plus fréquente ; les sacs étant revendus généralement sur les marchés artésien, brabançon et flamand : cf. l’étude de Reichert 2001, pp. 96-101. Une troisième voie consistait enfin dans l’exportation de draps de Brabant finis ou semi-finis vers l’espace méditerranéen. En 1334, Guglielmo Grasverdo, Ivain de Valfenera, Giacomo Malabaila et Giacomo Monaco apparaissent en 1334 comme marchands allant du comté de Flandre vers le Brabant et Malines avec un sauf-conduit comtal (A.D.N., B. 1565, p. n°715, f°141 v° [19/6/1334] ). Entre 1327 et 1332, les marchands astésans suivants sont attestés comme fournisseurs de draps brabançons à la cour pontificale d’Avignon : Rolando d’Asti, Galvagno Polastri, Giacomo Monaco, Nicolo De Regibus, cf. Schäfer 1911, pp.  208-210, p.  215, p.  231 et pp.  235-237. Ivano de Valfenera et Giacomo Malabaila, futur banquier du pape apparaissent en contact avec Jean XXII respectivement pour le premier en 1320 (comme intermédiaire bancaire : A.S.V., Obligationes et solutiones, reg. n°7, f° 7 r° [20/12/1320]) et en 1343 pour le second, en tant que marchand drapier du pape (Schäfer 1914, p. 200). 9 Peeters 2004, pp. 30-31 et pp. 36-39. 7

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Au total, au vu des garanties commerciales et juridiques offertes, il n’est guère étonnant qu’à Malines, très précocement par rapport aux autres villes brabançonnes importantes, les chefs et employés des sociétés de prêt astésanes acquirent des biens immobiliers leur permettant d’exploiter une maison publique de prêt. Cette domus Lombardorum abritait habituellement les activités proprement bancaires et commerciales des Piémontais mais aussi les actes de divisions successorales ou les partages de créances entre partenaires d’une même société10. La possession de plusieurs bâtiments, dispersés dans la paroisse Saint-Rombaut, permettait également aux banquiers d’Asti de séparer géographiquement leur activité professionnelle de leur logement privé. Cela raffermissait leur statut légal. Ces bâtiments avaient des statuts juridiques variés et relativement complexes car ils dépendaient d’une pluralité de pouvoirs (voir le tableau comparatif, fig. 24). En traitant avec une multiplicité Implantation

Proximité

Seigneur foncier

1. Nauwstraat, en bordure de la rivière Melaan.

Couvent des franciscains

Chapitre Saint-Rombaut

Alleu acquis de la famille Berthout et rétrocédé au chapitre en tenure : maison privée

2. Begijnenstraatje

Marché à la laine ?

Chapitre Saint-Rombaut

Alleu acquis de la famille Berthout et rétrocédé au chapitre en tenure : maison privée

3. Grand marché de la ville

Halle aux draps, entre les auberges Ingheland et Gheldenaken

Évêque de Liège et seigneur de Malines, Florent Berthout

Tenure prise en bail à rente à la commanderie teutonique de Malines.

Type

Probablement auberge, dite Den Crane

4. Grand marché de la ville

Halle aux draps, entre l’auberge t ‘huis van Milse et l’hôtel Den Crone

Seigneur Guillaume de Gestel

Tenure prise en bail à rente à la commanderie teutonique de Malines. Probablement auberge, dite Den Horen

5. Entre l’Ouden et le Nieuwen Bruul

Halle aux draps

Chapitre Saint-Rombaut

Tenure, auberge.

6. Face au cimetière de l’église St-Rombaut

Église Saint-Rombaut et cimetière paroissial, lieu d’engagement des travailleurs du drap

Chapitre SaintRombaut de Malines

Tenure prise en bail à rente à la ville à partir de 1310. Première maison publique des Lombards, dite le maison des Caorsins en pierre et boutique de l’apothicaire Rollando Carexana

7. Grand marché de la ville

Église Saint-Rombaut, le grand marché et la maison échevinale

Ville et chapitre Saint-Rombaut

Location à la ville Deuxième maison publique des Lombards, dite den Beyaert en pierre, future maison échevinale

Exemples  : vente de titres de créances pour la société de Soignies entre les Turco de Castelli et les Lorenzi, dans la maison des Lombards de Maubeuge (Archivio Storico, Commune di Asti, fonds de la chartreuse, acte du 2/1/1336) ; partage de créances pour la société de Gand entre Benedetto Roero, Berardo de Crusiglio et Opecino Surdo dans la maison des Lombards de Valenciennes (A.S.V., Coll. 433a, f° 14v° [5/2/1321]) ; cession de créances par Rollando Carexana à Benedetto Roero pour la boutique d’apothicaire-épicier de Malines, dans la maison des Lombards de la ville (A.S.V., Coll. 433a, f° 29v° [18/1/1322]).

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L’intégration dans les villes brabançonnes : l’exemple de Malines | Chapitre iii

8. Face au cimetière de l’église St-Rombaut

Entre l’auberge Den Pau et la maison Den Spiegel, habitée par des orfèvres

Chapitre Saint-Rombaut

Tenure. Maison de l’apothicaire Léonie

9. ?

Proche du couvent des franciscains et du cimetière de Saint-Rombaut et peutêtre de la demeure de l’apothicaire Léonie

Probablement chapitre Saint-Rombaut

Demeure privée ? Maison du chirurgien Ruffino de Arnate

10. voir 7 ?

Paroisse Saint-Rombaut

Idem

Demeure privée et/ou auberge Hôtel (hospicium) de Leonardo de Guardeta en 1339, lequel est dit posséder den Beyaert vers 1345

11. Marché à la laine

Maison d’un propriétaire d’étuve, cimetière paroissial

En partie, chapitre Saint-Rombaut

Hôtel de Franco de Mirabello, future hof van Lillo

Fig. 24. Les biens immobiliers des familles della Rocca, d’Arazzo, de Broglio-Montemagno et leurs associés à Malines acquis entre 1299 et 133911.

de seigneurs fonciers aux intérêts parfois très divergents, les membres de la société de prêt rendaient évidemment leur expulsion éventuelle de la ville malaisée. 11 L’insertion des Lombards dans le tissu urbain malinois correspondait à une intégration spatiale polymorphe que je définirais comme la faculté pour les Astésans de pouvoir acquérir des maisons avec diverses affectations : qu’il s’agisse d’un local collectif et professionnel tel que la domus Lombardorum conservant les archives de la société, disposant de tables à compter, de comptoirs et d’espaces de stockages de gages et d’une boutique d’apothicaire, qu’il s’agisse d’hôtels avec fonction d’auberge et enfin, de maisons privées sans affectation commerciale officielle. La co-existence de ces différents bâtiments dans les mains des mêmes familles me paraît être un facteur déterminant pour juger de la bonne intégration d’une minorité marchande étrangère dans une ville12. À Bruxelles, je l’ai dit, la vaste demeure des familles de Mercato et Roero dans la paroisse Sainte-Gudule n’avait aucun caractère public et les Lombards ne possédaient aucune auberge13. À Louvain, si l’intégration spatiale était plus poussée, du fait de la possession conjointe d’une domus Lombardorum et de maisons privées, Giacomo de Canelli, Giacomo de Mercato, Leone Deati et leurs Sources : A.E.A.R.B.-C., A.E.B., n°7792, f°154r°-154v°[21/2/1295 n.s.] ; S.M., Chartes de la ville, n°939 [1/8/1310] ; A.O.C.M.W.M., chartrier de Saint-Rombaut, n°  91 [15 mars 1299], n°  92 [20 mars 1299], n° 96 [15/2/1300], n° 103 [13/6/1301], n°435 [3/12/1348], n°437 [8/12/1348] ; Registre censal de Saint-Rombaut, n° 8203 (fin XIIIe-début XIVe siècle), f°1 r° ; n° 8203a, registre censal de l’église Sainte-Gertrude [vers 1320], pp. 1-2 ; reg. n° 8204, censier de la Mense du Saint Esprit de l’église Saint-Rombaut en 1339, p. 3, pp. 5-6, p. 18, p. 20 et p. 30 ; S.M., Chartes de la ville, n°939 [1/8/1310] ; Jamees 1991-1993, vol. 2, n° 508, p. 167 [18/1/1320], n°555, pp. 207-208 [13/9/1326], n° 562, pp. 212-213 [21/5/1328] ; A.S.V., coll. 433a, f°29r°-30r° [18/1/1322] ; A.S.V., Coll. 433a, f°40v° [12/8/1322] ; A.S.C.A., fonds de la chartreuse, acte du 17/11/1339 ; S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f°150 r° (à propos de l’auberge In Milse, utilisée par les échevins) ; Installe 1997, vol. 2, pp. 208-211 et p. 243. 12 Sur cette méthode d’analyse prenant aussi en compte le statut juridique du bâtiment et le rôle des seigneurs fonciers propriétaires du sol, voir Kusman 2007. Le cartulaire du gouverneur de la table des Lombards, Rolando Carexana, énumérant les créances de la domus Lombardorum est cité en 1322 : A.S.V., Coll. 433a, f°29 v°. 13 Il s’agissait d’un vaste hôtel clôturé à portique, à l’angle des Ridderstrate et Vederstrate, avec emprise sur la chaussée : Ibidem. Les sources relatives à l’implantation bruxelloise se trouvent principalement dans ; Fayen 1908, t. 2, n° 1622-1623, pp. 596-597 [25 juillet 1325], Martens 1958, p. 58 et A.G.R., Chartes de Brabant, n° 897 [25 août 1355]. 11

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associés n’exploitaient ni auberges, ni boutique d’apothicaire14. Dans la ville des Berthout, en revanche, la boutique de l’apothicaire-épicier Rolando Carexana, face à l’église Saint-­ Rombaut, faisait partie des actifs des partenaires de la société de prêt. La boutique avoisinait la demeure d’un compatriote, en bordure du cimetière de Saint-Rombaut, celle du chirurgien astésan, Ruffino de Arnate, lequel devait sans doute se fournir en épices et en plantes médicinales chez Carexana car il accueillit une transaction interne à la société en 132215. Par-dessus tout, à Malines, la signalisation visuelle des Lombards avait valeur de sanction positive de la part des autorités urbaines, c’était un indice irréfutable de leur acceptation publique dans la société urbaine. Exemple particulièrement édifiant, Giorgio della Rocca avait acquis en 1318 une demeure à enseigne sur le grand marché de la ville, appartenant à la commanderie teutonique de Pitsenburg, tenancière du fonds. L’hôtel dénommé Den Crane servait sûrement d’auberge et de lieu de courtage pour les marchands étrangers arrivant dans le quartier commercial. Sa situation topographique, entre deux autres hôtels à fonction commerciale, Gheldenaken et Ingheland, renforce cette présomption suggérée par son nom : Den Crane – la grue – était une référence à l’opération de déchargement de marchandises à l’aide d’une grue, une phase après laquelle les courtiers devaient sûrement intervenir. C’était aussi le nom de l’assise prélevée sur les marchandises déchargées dans la ville16. Il est intéressant d’observer – comme à Louvain – le voisinage entre un Astésan, Giorgio della Rocca et un habitant originaire du roman pays de Brabant, Godefroid de Jodoigne (sans doute propriétaire de l’auberge du même nom). Cela étayerait une fois de plus une fonction d’intermédiation des Piémontais pour la Hesbaye, marché de produits tinctoriaux17. Giorgio complétait l’équipe des membres de la société de prêt malinoise en recueillant probablement dans son auberge les informations de nature commerciale qu’il pouvait glaner et en entretenant des rapports réguliers avec les autorités urbaines. Le statut juridique de l’hôtel Den Crane trahissait une caractéristique typique du bâti médiéval, à savoir la pluralité des pouvoirs détenant des droits sur un même bien immobilier. Les cens héréditaires de 10 lb. de petits deniers de Louv. et de 20 lb. pay. étaient A.S.V., Coll. 433a, f° 39r°, f°41r°-41v°, f°43v°, f°44r°-44v°. Il y avait au moins trois demeures : 1) Maison d’Enrico de Mercato et ses parents dans la Coestrate, proche du marché aux vaches, à partir de 1296 au moins : K.U.L., U.A., chapitre Saint-Pierre, chartrier, n°72  :[19/5/1296], trois siècles après, la Coestrate abrite toujours une maison de prêt lombarde (Van Uytven 1961, p.  462), exemple remarquable de fidélité à un quartier, 2) maison de Jacobus Lombardus (†1313) dans la Proefstrate jouxtant l’ancienne rue de la monnaie et proche de la halle aux draps : S.L., Chartes de la ville, n°4444 [23/3/1306], n°4454 [7/10/1310], n°4463 [7/9/1313] et enfin, 3) maison publique des Lombards située dans la maison dite Keyzer ou domus Caesari, ayant appartenu à feu Sébastien Miles (ou De Ridder) avant 1360 (Martens 1962, p. 54). Je ne suis pas encore parvenu à situer cette maison, peut-être à localiser au marché-au-poisson, où une demeure lombarde alors dans les mains de Bartolomeo Madea est attestée au début du XVe siècle, à côté du refuge de l’abbaye de Vlierbeek : Van Even 20012, vol. 2, p. 255 ; Maesschalck, Viaene et Vandevyvere 2002. Les membres de la famille Miles sont échevins ou chanoine à Saint-Pierre, notamment en 1303 (Vanderlinden 1903, pp. 334-335 et Van Uytven 1961, p. 596). 15 A.S.V., Coll. 433a, f°29 r°  ; Lacorre 1960, pp.  19-24  ; Marshall 1999, p.  44 (préparation de cataplasmes, d’onguents, de laxatifs) ; Jacquart 1998, pp. 306-307 et pp. 482-483 (fournitures de médicaments, plantes médicinales, emplâtres et onguents). 16 Jamees 1991-1993, vol. 2, n°493, pp. 154-155 [28/6/1318] ; S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f° 37 r°. En 1311, les échevins de Malines font des cadeaux en vin dans l’auberge dénommée Gheldenacken (S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f° 149 v°). 17 A.O.C.M.W.M., reg. n° 8204, p. 20. Vers 1306, Jacobus Lombardus, résidait dans Proefstrate ou la rue du prévôt dans la paroisse Saint-Pierre de Louvain. Arnould de Perwez senior lui transmit, avec l’accord de ses enfants l’usufruit de la maison voisine de celle du Lombard, maison avec cour intérieure et dépendances où demeurait son fils, Arnould, contre un cens annuel de 55 s. de Louv.  moyennant l’autorisation du seigneur foncier, le chapitre Saint-Pierre de Louvain. La cession de l’usufruit était certainement faite en raison d’une dette prééxistante des Perwez vis-à-vis du prêteur italien : S.L., chartes de la ville, n°4444[23/3/1306]. La Proefstrate jouxtait l’espace alloué par le duc de Brabant à la ville de Louvain pour sa halle aux draps : S.L., n°1236, cleyn charterboeck, f.°15v°-16r° [26/9/1311]. 14

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payables annuellement à l’évêque de Liège et au seigneur de Malines, seigneurs fonciers, lesquels se partageaient au surplus les profits fiscaux des Lombards dans la ville. La commanderie teutonique de Pitsenburg percevait quant à elle, par bail à rente, un loyer annuel de 22 lb. 10 s., monnaie pay., redevable par Giorgio della Rocca. Ultérieurement, un troisième acteur du marché immobilier malinois exerça des droits sur l’hôtel Den Crane : le chapitre Saint-Rombaut par le biais de rentes perpétuelles. Visiblement, le seigneur de Malines Florent Berthout avait recouru aux capitaux du chapitre malinois en constituant des rentes sur son immeuble. Très vite, Giorgio della Rocca émit lui-même des rentes constituées sur son bien en faveur du béguinage de la ville. La parcellisation extrême de la propriété immobilière dans la ville multipliait les possibilités de crédit pour les résidents aisés18. Au surplus, le statut légal de Giorgio était assimilable à un bourgeois, étant qualifié d’opidanus de Malines par les échevins Jean de Calcovene et Arnould Tsulle. Ceci dénotait un parallélisme entre la citoyenneté et la possession d’une maison avantageusement située dans le quartier marchand19. De manière générale, l’aubergiste d’origine étrangère acquérant la citoyenneté devenait une sorte de représentant local permanent de ses compatriotes20. À travers les villes d’Europe occidentale, la détention d’une maison fondait implicitement l’intégration dans la société urbaine et la possession de droits et privilèges y afférents21. Le souci de se doter de bâtiments privés de prestige, devait aussi imprégner la stratégie d’implantation des Astésans dans la ville. Dans cette perspective, l’acquisition en 1299 par Opicio d’Arazzo et Dionigio della Rocca des mansiones de Florent Berthout et de son épouse, Mathilde de la Marck, traduisaient une volonté de résider dans une demeure de statut élevé, au sein d’un quartier, regroupant des habitants respectables comme, entre autres, celles des maîtres de la gilde du drap22. Les seigneurs fonciers des deux biens étaient les chanoines de Saint-Rombaut de Malines23. Finalement, le choix d’acquérir une demeure en pierre à proximité du cimetière A.O.C.M.W.M., reg. n° 8204, censier de la Mense du Saint Esprit de l’église Saint-Rombaut en 1339, p. 3, p. 6, p. 18, p. 20 : Item Joriis de Lombaert x.lb. Lov. van den herve dat gheleghen es ane de mercht ende dat men heet de Crane dit gheeft Jan van der Heyden(. . .). Item Joriis de Lombaert xx.s. pay. van den herve dat gheleghen es neven Bouden Parijs herve dit gheeft Jan van der Heyden. Sur le mécanisme de constitution de rente : Godding 1987, n° 263, pp. 174-175 et plus spécifiquement sur le bail à rente, Idem 1960, pp. 159-171. Jean van der Heyden, cité par le censier, est le justicier, c’est-à-dire l’officier de justice supérieur de Florent Berthout, cité comme tel en 1328 (Croenen 2003, p. 182). Il était déjà présent lors de l’arrentement du bien en 1318. À propos de la rente de 44 s. constituée par della Rocca sur son bien et achetée par Anne Goudsmet : Beterams 1956-1957, vol. 2, n° 6740, p. 816 [14/6/1320] et n°5076, p. 617 [1/2/1336]. La rente était constituée sur la 4e part du bien Den Crane. 19 Jamees 1991-1993, vol. 2, n°493, pp.  154-155 [28/6/1318]. Rédigé par le greffe scabinal, cet acte ne peut être soupçonné d’être une simple prétention de l’acheteur. 20 Calabi et Keene 2007, vol. 2, pp. 286-348, p. 340 et pour le cas d’étude des marchands hanséates de Bruges : Greve 2001, pp. 264-267. 21 Schubert 2000, pp.  191-194. À Parme, les étrangers étaient admis comme citoyens de la ville moyennant la construction d’une maison de 100 lb. et la prestation d’un serment : Lilley 2002, p. 60. À Venise, également, l’étranger ne peut devenir propriétaire qu’en devenant citoyen de la ville, cf. Mueller 1999, pp. 172-173. 22 Dont la maison, située dans la Begijnenstraat, était habitée moyennant un cens annuel de 2 lb. de petits d. de Louvain et 4 chapons. L’héritage dépendant du prêtre Jean Cupere valait quant à lui un cens annuel total de 7 Lb. (pay ?)/an. Dans la Nauwstraat, l’héritage d’Elisabeth Tolen valait 5 lb. de cens, celui de Godefroid Smale le damoiseau, 4 lb. également, celui de Gauthier van Ecle, de 60 lb. au total mais les chanoines n’en percevaient qu’une rente de 3 s. et 6 chapons ! Voir A.O.C.M.W.M., Registre censal de Saint-Rombaut, n° 8203, f°2 r° et f°4 v°. 23 A.O.C.M.W.M., chartrier de Saint-Rombaut, n° 91 [15 mars 1299], n° 92 [20 mars 1299]. En 1300, Bonino della Rocca vendit les deux demeures à Gilles Berthout, seigneur de Hombeek qui les cèda à son tour à la table du Saint-Esprit du chapitre Saint-Rombaut de Malines : n° 96 [15/2/1300] et n° 103 [13 /6/1301]. 18

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Fig. 25. Vue anonyme du cimetière Saint-Rombaut de Malines peinte du côté du couvent des franciscains, fin XVIIIe siècle (© Stadsarchief Mechelen, fonds Schoeffer).

Fig. 26. Hôtel de ville de Malines datant du XVe siècle (actuel bâtiment de la Poste) comportant une partie de l’ancienne maison des Lombards, Den Beyaert. À l’arrière-plan, à l’autre extrémité du grand marché de la ville, on distingue la halle aux draps, remontant au premier quart du XIVe siècle (cliché, David Kusman).

de Saint-Rombaut pour abriter la première domus Lombardorum, la maison publique des Lombards, couronnait les efforts des banquiers piémontais pour s’insérer dans la société urbaine. Le cimetière, infra-territoire ecclésiastique, était immun de toute tentative d’intrusion d’un pouvoir laïc : qui s’y réfugiait, y était sauf. Évidemment, le territoire franc de l’enclos 276

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paroissial attirait toutes sortes de personnes désireuses d’y trouver un refuge pour des raisons très variées ; les autorités urbaines et l’évêque de Cambrai devaient y mettre bon ordre24. Ce lieu était un puissant vecteur d’intégration dans la communauté urbaine des fidèles25. Le choix d’une résidence proche de l’enclos capitulaire par les financiers piémontais était une attitude déjà bien ancrée chez les Piémontais, qu’il s’agisse de Bruxelles, Louvain, Maastricht ou de Tournai26. Il en allait de même pour la prestigieuse demeure en pierre Den Beyaert : avant d’être la seconde maison des Lombards l’ancien réfectoire canonial, situé sur le grand marché de la ville, avait été un hôpital. Il dépendait partiellement du chapitre et avait abrité des réunions capitulaires. Il n’était éloigné que de quelques dizaines de mètres de l’église Saint-Rombaut27. Toutefois, à Malines, une stratégie d’implantation immobilière à l’ombre de plusieurs pouvoirs est clairement perceptible dans le chef des dirigeants de la banque astésane. La traduction spatiale du phénomène est impressionnante puisqu’elle esquisse une dissémination élevée des manieurs d’argent astésans dans toute la paroisse SaintRombaut : les Piémontais demeuraient aussi bien à proximité des marchés de la ville que des pouvoirs laïcs et ecclésiastiques. Cette installation était plus dense qu’à Bruxelles ou à Louvain où là aussi, les Astésans s’étaient implantés dans les paroisses les plus fameuses de la ville, Sainte-Gudule pour Bruxelles et Saint-Pierre pour Louvain (fig. 27, 28 et 29). À Bruxelles, les Lombards avaient été soigneusement tenus à l’écart des infrastructures commerciales les plus importantes telles que la halle aux draps et les auberges. À Louvain, le phénomène d’éloignement des infrastructures commerciales était attenué mais la densité de l’habitat lombard y était faible. Dans les deux bonnes villes brabançonnes situées dans le cœur historique du duché de Brabant, les maisons des Lombards étaient localisées dans le quartier des bouchers et des pelletiers, plutôt que dans celui des marchands-drapiers, contrairement à Malines28. Tout se passait comme si les élites politiques et marchandes de Bruxelles et de Louvain avaient souhaité empêcher les financiers italiens de s’immiscer dans les arcanes du commerce drapier, ressort principal de la croissance du négoce international des deux cités. À Malines, en revanche, il paraît difficile de distinguer une enclave territoriale imposée aux banquiers astésans, que celle-ci ait existé de fait ou de droit. De telles enclaves limitaient de facto les possibilités de diversification des activités des marchands étrangers29.

24 De Hemptinne 1998, pp.  55-56  ; Godding 1960, pp.  266-27. Vers 1316, le magistrat urbain et les chanoines se préoccupèrent de l’entretien des lieux d’inhumation après que les cimetières de Saint-Rombaut et de Neckerspoel aient été apparement victimes d’intrusions indues, voir S.M., S.R., série 1, n°3, compte de 1315-1316, f° 71 r°. Le receveur communal exécuta une dépense de 16 d. g.t. lorsque l’évêque consacra à nouveau le lieu après qu’on ait placé un nouveau verrou à la porte d’entrée de l’enclos du cimetière : S.M., S.R., série 1, n°3, compte de 1315-1316, f° 62 r° [vers l’été 1316]. 25 Ariès 1975, pp. 33-34 ; Lauwers 1999, pp. 1047-1072 ; Alexandre-Bidon 1998, pp. 240 sqq. ; Martin 2001, pp. 15-16. 26 Kusman 2009b, pp. 211-217. 27 Caulier 2003 ; Installe 1997, vol. 1, p.7 et vol. 2, n°67, pp. 208-211 ; Verwijs et Verdam 1885-1929, vol. 1, col. 764. 28 Kusman 2007, pp. 146-147 et p. 154 pour Bruxelles. Pour Louvain, voir supra dans ce chapitre, p. 274, n. 14. 29 Le modèle du comptoir commercial assigné à une communauté de marchands étrangers dans une enclave territoriale légale est celui qui prévaut à Londres pour les marchands hanséates mais aussi dans les villes contrôlées par les croisés au Proche-Orient (le fondaco, déformation de l’arabe : fondoukh) : voir en dernier lieu pour Londres Calabi et Keene 2007, p. 327 et pour l’exemple de Tyr : Mack 2007, pp. 147-165.

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Fig. 27. Localisation des biens immobiliers de la communauté astésane de Malines (1295-1339), d’après Kusman 2007, p. 148 et mise à jour dans le présent travail. Éléments topographiques numérotés sur la carte à proximité des biens des Lombards : n° 1 : couvent des Frères Mineurs ; n° 2 : nouveau marché aux poissons ; n° 3 : maison des échevins ; n° 4 : La maison Den Beyaert ; n° 5 : Nieuwe Melaan (cours d’eau et rue) ; n° 6 : Nauwstraat ; n° 7 : marché au beurre ; n° 8 : Ouden Bruul ; n° 9 : le marché à la laine ; n° 10 : Oude Begaardenstraat ; n° 11 : Chapelle Saint-Rombaut ; n° 12 : pont des Frères Mineurs enjambant le Nieuwe Melaan ; n° 13 : Grand Marché ; n° 14 : Halle aux draps ; n° 15 : Église Saint-­ Rombaut et cimetière ; n° 16 Begijnenstraat.30

 . Malines et son change public, un révélateur social et un espace de B développement des techniques bancaires pour les banquiers d’Asti Afin d’évaluer l’impact concret des apports techniques des financiers astésans à Malines, il importe de bien concevoir le fonctionnement du change de Malines, tel qu’il est possible de le restituer au début du XIVe siècle. Le change communal était le point focal de rencontre des financiers piémontais, des changeurs communaux et des courtiers-­hôteliers des villes brabançonnes. L’arrivée des Piémontais sur la place d’affaires malinoise se plaçait, on le verra bientôt, dans une conjoncture particulièrement favorable à la croissance de l’intermédiation financière  : celle, pour les villes, du développement de dettes publiques consolidées, les rentes viagères émises en leur nom et vendues par les changeurs31. Le marché des changes et l’accès à l’office de change public était officiellement contrôlé par les bourgeois de la ville. Comme à Anvers, seuls ceux-ci avaient le droit de changer les monnaies étrangères32. Le change des monnaies et l’acceptation de dépôts Carte adaptée de celle figurant dans Installe 1997 vol.1, carte de la paroisse Saint-Rombaut. Voir notamment sur l’ampleur de ce phénomène en Europe du Nord-Ouest : Boone, Davids et Janssens 2003 et plus récemment : Zuijderduijn 2009. 32 Où il était strictement interdit à un changeur de la ville de se faire remplacer à son office par un marchand étranger: Bigwood 1921-1922, vol. 1, pp. 402-403 (privilèges de 1306 et 1387). 30 31

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Fig. 28. Localisation des biens immobiliers de la communauté astésane de Bruxelles (ca.12921333). La flèche indique la seule implantation piémontaise significative (TT), la maison privée à portique des Mercato et Roero, située à cheval sur les Lange Ridderstrate et Vederstrate (n°43). Ce quartier, en contrebas de de la collégiale Sainte-Gudule (n°10) regroupait surtout les métiers liés au travail des peaux et quelques hôtels patriciens. À droite, le grand marché (n°50) jouxtant la halle aux draps ducale (située rue des Harengs)33. Représentation sur le plan de Braun et Hogenberg (1572), © A.G.R., Cabinet topographique et historique n° 1726/1.

bancaires allaient évidemment de pair. Depuis 1305, chaque bourgeois(e) malinois(e) pouvait exercer l’activité de changeur public et de banquier, avec l’accord du magistrat urbain et le paiement d’une taxe de 3 lb., monnaie de Brabant au seigneur de Malines et 2 lb. v.g. à la . Il semble que dès l’origine, les huit changeurs – dont une femme – mentionnés dans Ville34 3 le premier compte urbain fussent tous d’origine brabançonne. L’office de change occupait un espace bien défini ; nous savons que les échevins y offraient du vin en certaines occasions, c’était donc aussi un lieu informel de rencontres pour traiter d’affaires commerciales et politiques en cours35. Il avoisinait probablement la halle aux draps comme c’était le cas dans de nombreuses villes majeures des anciens Pays-Bas36. À Malines, tout comme à Bruxelles, les annuités des rentes viagères étaient payées au bénéficiaire par les changeurs communaux, tenant des registres précis des crédirentiers, Sur la halle aux draps ducale située en bordure du Grand Marché : Dickstein-Bernard 1981, p. 70. Van Dooren 1859-1885, vol.1, p. 33 (acte du 18 mars 1305). S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°150r° : item, van wine dat men dranc in den wissel ende van perteren in sente Bertelmeus avonde--3s. 9 d. pai. [24/8/1312]. Les huit changeurs payant une somme de 20 s. gr. deux fois l’an (à Noël et à la Saint-Jean) sont Paul le changeur, Wouter Bau, Henri le Juif (sûrement un surnom pour un changeur local), Jean de Berthem, dame Avezoete van den Vliete, Henri van Scollant et Jean Criecsteen (S.M., S.R., SI, n°1, f°201 r°). 36 Wouter Bau, d’une famille prédominante de changeurs à Malines possède un héritage dans la halle aux draps avant 1339 : O.C.M.W.M., reg. n° 8204, censier de la Mense du Saint Esprit de l’église Saint-Rombaut en 1339, p. 1. En 1264, la domus cambii paraît cependant encore être située à côté de la première maison des échevins : Wauters 1869, pp. 211-212 [août 1264] ; Billen et Duvosquel 2000, p. 52 ; Murray 2005, p. 286 ; Van Uytven 1961, p. 457 ; Rolland 1956, p. 88. 33 34 35

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Fig. 29. Localisation des biens immobiliers de la communauté astésane de Louvain (ca. 12921313)37.­Éléments topographiques numérotés sur la carte à proximité des biens des Lombards : n°1 Proefstrate (rue du prévôt), proche de l’ancienne rue de la monnaie (moneta sur la carte) ; n° 2 : Église Saint-Pierre ; n°3 : Schipstraat (rue des Bâteaux), jouxtant le marché aux poissons ; n°4 : Wandelwijc, débouchant sur le marché au poisson ; n°5 : Pensstraat (rue aux Tripes) ; n°6 : Craechovenstraat (déformation de Calchovenstraat : rue des fours à chaux), proche du marché et de la halle aux draps ; n°7 : Verduldicheitstraat ; n°8 : Pennincstrata ; n°9 : Sint-Kwintenspoort (ou Porte SaintQuentin donnant accès à la route vers Namur) ; n°10 : Wolvenpoorte : Porte aux Loups ou porte des béguines donnant rue des béguines.

afin de biffer les noms des bénéficiaires d’une rente décédés entretemps. Les rentes étaient placées en dépôt sur le change communal3738. Ce système sous-tendait les relations financières entre les villes brabançonnes dans la mesure où des changeurs représentaient notamment sur le marché malinois les villes de Bruxelles et de Louvain (voir fig. 30) : les noms de Jean van den Hane, Jean de Berthem, Jean Criecsteen, Jean Crupeland, Antoine le changeur (Thonis Wisselere), alias Antoine Papsac, étaient renommés dans les milieux financiers respectifs de ces deux villes. Ils venaient à Malines dresser leurs comptes dans une auberge ou, pour certains, y résidaient plus ou moins longtemps lorsqu’ils exerçaient comme changeur officiel de Malines Cartographie d’après le plan de Louvain de 1366, figurant dans Martens 1962. Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 435 et Blockmans 1985, p. 209 ; Dickstein-Bernard 1977, pp. 310-314 et Van Uytven 1961, pp. 458-461. Les comptes malinois attestent de l’enregistrement méthodique des créanciers de la ville. Par exemple, pour la rente viagère du père de ses enfants mineurs en 1317, figure la mention scriptum in libro. S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 79 r°. En 1342-1343, des copies succinctes de ces listes de crédirentiers furent intégrées sous forme de feuillets dans le compte urbain avec la description de chaque montant et la somme totale : Wouter de wisselere heeft hier van onser portren liftochten van inghaende merte tote ingaende aprille (S.M., S.R., S.I, n°22, compte de 1342-1343, f°121 r°). Les livres de comptes personnels des changeurs malinois sont quant à eux malheureusement perdus à l’heure actuelle. 37 38

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tout en conservant des liens avec leur ville natale39. Périodiquement, le changeur rattaché à une ville A (changeur A) apurait ses comptes avec son collègue d’une ville B (changeur B) en établissant la balance des rentes dues par sa ville aux bourgeois-crédirentiers de la ville B et celles dues par cette dernière ville aux crédirentiers représentés par lui-même (changeur A)40. Les changeurs pouvaient aussi prêter sur le dépôt de rentes viagères qui leur était confié. Ainsi, le changeur bruxellois Jean van den Hane, négocia vers 1314 un emprunt au bénéfice de Malines se montant à 60 lb. pay. de Brabant, emprunt subsidié par trois rentes viagères différentes, appartenant à des citoyens prééminents de Bruxelles41. L’activité remarquable des changeurs bruxellois Jean Crupeland et Jean van den Hane trahissait la forte présence des crédirentiers de Bruxelles sur le marché malinois. Dans le premier quart du XIVe siècle, on peut estimer, sans exagération, que près de 50% de la dette malinoise en rentes était dans les mains de citoyens aisés de Bruxelles42. Les Malinois disposaient d’ailleurs d’un aubergiste particulier à Bruxelles, Jean Van Belleghem, lequel possédait un compte susceptible d’être débité, pour les dettes envers les Bruxellois, ou crédité, pour les dettes de Bruxellois envers les Malinois. Van Belleghem était en comptes avec le changeur bruxellois Jean Van den Hane43. L’interdépendance des marchés

39 Pour Jean de Berthem, voir Uyttebrouck 1963, n°182, pp.  174-175 [2/12/1347]  : Elisabeth Corsbout, fille de Louis Corsbout de Louvain, achète une rente annuelle de 3 muids de seigle, mesure de Louvain, à Jean de Berthem, fils de feu Jean de Berthem, qui fut changeur de Malines. Jean van den Hane, changeur de Bruxelles se rend fréquemment à Malines ou reçoit en 1315-1316 les Malinois à Bruxelles dans le cadre de la gestion de leurs crédirentiers réciproques (S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 71r° et f° 75 v° ; S.M., S.R., S.I, n°3, compte de 1315-1316, f° 56 v° ; S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 25r° et f° 46 r° ; S.M., S.R., S.I, n°8, 1321-1322, f°71r° ). Jean Criecsteen, appartient à une famille patricienne louvaniste spécialisée dans l’affermage des assises : Van Uytven 1961, p. 128. Thonijs wiselere van Brussele, est mentionné pour la première fois dans les comptes malinois vers 1318 lorsqu’il rencontre les membres du personnel financier malinois dans l’auberge de Malines In den Pelgrime (S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 37 r°, voir en outre S.M., S.R., S.I, n°5, 1318-1319, f° 163 v°). Il est à identifier avec Antoine le changeur alias Antoine Papsac, un parent du financier Jean Papsac actif dans la dernière décennie du XIIIe siècle en Angleterre. Il hérite de son bien rue de la Colline en 1330 (Au sujet de l’activité d’Antoine Papsac nommé Antoine Campsor à Bruxelles, voir Martens 1977, t. 7, n° 183, p. 110 [26/3/1330], n° 185, p.  111 [8/6/1329] et n°191, p.  114 [5/7/1330]) et le compte de l’amman Jean van der Heiden  : A.G.R., C.C., n° 2603, 1333-1334 (non-numéroté) où il appert qu’Antoine gère les avoirs de la duchesse de Brabant. Finalement Jean Crupeland est un des gestionnaires des crédirentiers bruxellois à Malines où il se rend fréquemment (voir par ex. S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 103 r°, f°124v° et f°165 r° ; S.M., S.R., S.I, n°3, compte de 1315-1316, f° 84 r° et S.M., S.R., S.I, n°8, 1321-1322, f° 65 r°). Il est mentionné comme changeur de Bruxelles à partir de 1317, date à laquelle il possède des biens près de l’église Sainte-Gudule : A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., boîte n°48, années 1316-1320, n°292 [21/5/1317]. 40 Ex. lorsque l’envoyé malinois établit la balance débit-crédit des rentes viagères avec son homologue bruxellois Antoine le changeur et qu’il constate son profit par rapport à ce dernier : S.M., S.R., S.I, n°22, compte de 1342-1343, f° 85 r°. L’ouvrage de Dickstein-Bernard 1977, p.  339, établit que vers le milieu du XIVe siècle, le changeur de Bruxelles, Jean Michiels payait les rentes viagères dues à Bruxelles au nom de la ville de Gand. Le payement des rentes viagères au changeur d’une ville étrangère qui les gérait donnait lieu parfois à des bonifications ultérieures au cas où la commission correcte sur le taux de change n’avait pas été appliquée. Le changeur bruxellois Crupeland put bénéficier d’un tel profit en 1314 : Jan Crupelande van wissele van ghelde dat wi hem groete gaven van paien sonder bate van liftochte gherekent sfridaghes na jaers dach : S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 103 r°. 41 S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f°164r° : Jean de Lennik, Gauthier de Ruusbroec et Guillaume Clutinc. 42 Estimations résultant du dépouillement du premier registre de crédirentiers de la ville de Malines, portant sur les années 1302-1309 : S.M., Rentes K. S.I Safe I,n°1, f°1 r°-11 r° (65 rentes sur un total de 133) ; le reliquat des rentes était réparti entre des bourgeois de Gand et de Valenciennes, sondages effectués ensuite dans S.M., S.R., S.I, n° 1, compte de 1311-1312, f° 121v°-122v° ; S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 1r° et S.M., S.R., S.I, n°7, compte de 1320-1321, f°66 r°-67r°. 43 S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f°56v°  : Item, Janne van den Hane van vele partien die hi ons leende ane Janne van Belleghem, onsen wert te Brusele, die onse liede daer vertert hadden die Gheerart van den Eechove ende Gherart van Hoffstaden daer rekenden. Jean van Belleghem était installé à Bruxelles au moins depuis 1306, date à laquelle il possédait deux bonniers de terre situés près du vignoble de Renier Eggloy, à Ophem (Martens 1977, t. 5, n° 76, pp. 49-50 [15/7/1306]). L’intéressé possédait en outre une brasserie dans l’Orsendael, un quartier où les brasseurs étaient nombreux dans la première moitié du XIVe siècle (Martens 1958, p. 137, dans Census apud Orssendale ; A.G.R., C.C., n°44825, Censier de 1346 pour l’ammanie de Bruxelles, f° 20 v° ; Deligne 2003, p. 93).

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f­ inanciers bruxellois et malinois était fort poussée, observable jusque dans l’évolution parallèle des taux de change44. Des courtiers très mobiles, enfin, jouaient le rôle d’agents de liaison entre plusieurs marchés de l’argent. Tel paraît bien avoir été le cas du riche bourgeois Jean Blankart, natif de Louvain mais bourgeois de Malines dès 1299 et détenteur de pas moins de 4 fermes à Udenhout, dans l’arrière-pays d’Oisterwijk, en Brabant septentrional45. Blankart avait un compte courant sur le change de Malines au moyen duquel il gérait, au titre d’hôtelier, les capitaux du fils de Waleran de Fauquemont  vers 1314  ; il est possible que le Louvaniste soit devenu finalement seigneur foncier à Malines tout en gardant des attaches avec sa ville natale où résidait son fils, exerçant probablement une profession analogue, hôtelier ou changeur46. Le rôle des courtiers-hôteliers, courroies de transmission des mouvements financiers des changeurs est en effet attesté avec certitude dès cette époque dans d’autres cités des anciens Pays-Bas comme Bruges et Mons47. Les courtiers-hôteliers tenaient les comptes courants de marchands ou de nobles qui descendaient dans leur hôtel et y laissaient des fonds en leur absence. Théoriquement, ces fonds pouvaient ensuite être placés par le courtier chez un changeur communal sur un dépôt rémunéré, même si les archives à ce sujet ne sont guère pléthoriques48. En tenant compte de cette diversité d’opérateurs financiers déjà présents sur le marché malinois, on aurait pu croire les activités bancaires des Lombards totalement superfétatoires. Pourtant, changeurs, courtier-hôteliers et Lombards collaboraient ensemble au sein de l’office de change de Malines. Le schéma de son fonctionnement (fig. 30) montre qu’une part non-négligeable de l’activité du change communal reposait sur le réinvestissement d’une fraction des rentes viagères confiées aux changeurs communaux. Les fonds gérés par les changeurs alimentaient sur une base fractionnaire la banque lombarde de Malines, laquelle pouvait les utiliser pour des opérations de prêt bancaire.

En 1320, le v.g. se négocie exactement au même taux à Bruxelles et à Malines : 1 gros pour 2 sous et une maille, monnaie courante : Smit 1924-1939, vol. 1, pp. 76-77. En 1330, une délégation du magistrat malinois, composée de Jean den Coninc, Jean Rickier et Wouter Bau se rend à Bruxelles omme de munten wille, certainement en vue de connaître l’évolution des cours (A.G.R., C.C., n°41193, compte de la seigneurie de Malines, 1330, non-paginé). Les envois fréquents de messagers malinois à Bruxelles pour s’enquérir de l’état de la monnaie en 1329-1330 et en 1333 sont en outre documentés dans Joosen 1988, p. 15 et S.M., S.R., S.I, n°15, compte de 1332-1333, f° 18 v°. 45 Camps 1979, vol. 2, n°586, pp. 706-707 [14/12/1299] et n°732, pp. 879-880 [18/11/1306]. 46 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 129 v° et S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 59 v°  où est renseigné un virement du compte de Waleran, au compte du créancier malinois, l’échevin Gérard Hondeken, exécuté par Blankart (Hermans 1908, p. 38). Un Jan Blanckaerts est seigneur foncier à Malines en 1307 (Laenen 19342, p. 121). Le fils de Jean Blankart fait procéder en 1314 à des arrestations de bourgeois malinois à Louvain, sans nul doute à cause de rentes viagères impayées ( S.M., S.R., S.I, n°3, compte de 1315-1316, f° 56 v°-57 r°). 47 À Mons, on dénombre en 1283 dans les rôles de bourgeoisie de la ville un Jean a le Take et un Jean li Vakiers sûrement originaires de Tournai et issus de familles connues de manieurs d’argent, partis sans payer leur bail d’habitation : A.E.M., Rôles de bourgeoisie de la ville de Mons, comptes en rouleaux, Ville de Mons, section ancienne, n°1334 [1283]. Au bas Moyen Age, la ville de Mons devient une grande place des changes pour le Hainaut, en relation avec les changeurs de Bruges : Murray 2002, p. 109. 48 En l’absence, à l’heure actuelle, d’archives comptables de courtiers-hôteliers brabançons pour cette époque, notre vision du fonctionnement du change de Malines reste malheureusement incomplète. À Bruges, James Murray ne semble pas avoir pu retrouver des archives de courtiers-hôteliers flamands aussi informatives que celles des célèbres changeurs brugeois de Marke et Ruweel : Murray 2005, pp. 154-163 et pp. 196-205. De même, Greve 1999, p. 214, relève seulement quatre cas d’hôteliers suffisamment documentés par des archives pour Bruges aux XIVe et XVe siècles, et ce, uniquement en raison des faillites ayant touché ces quatre hôteliers, suscitant une ample production d’actes de la pratique judiciaire. 44

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L’intégration dans les villes brabançonnes : l’exemple de Malines | Chapitre iii

Crédirentiers malinois Ordres de virement sur un autre compte

Courtiers-hôteliers malinois

CHANGE DE MALINES

Changeurs locaux

Banque lombarde de Malines, prête :

Jacob Vissenbard Jean Criecsteen

Jean van Haelen alias Giovanni de Mirabello

Ordres de virements

Wouter Bau Jean van Berthem

Aubertino de Montemagno alias Aubertin den Lombard

Henri Van Scollant Henri Le Juif

- à des clients privés

Achat de rentes viagères bruxelloises

Emission de rentes viagères

Ordres de virements

Ordres de virements

Achat de rentes viagères malinoises Changeurs locaux

-à la Ville de Malines - aux fermiers des assises

Emission de rentes viagères

CHANGE DE BRUXELLES

Jean Crupeland

Jean Van den Hane

Ordres de virements

Courtiers-hôteliers bruxellois

Crédirentiers de Bruxelles

Fig. 30. Le fonctionnement du change communal de Malines dans le premier tiers du XIVe siècle dans le cadre de la gestion des rentes viagères achetées et vendues par des Bruxellois.

L’utilisation de pensions annuelles comme comptes courants susceptibles d’être débités ou crédités n’était pas un phénomène isolé en Europe du nord-ouest, tout en étant rarement visible dans les archives comptables du premier quart du XIVe siècle. L’assimilation de la pension viagère à un compte courant dans les finances publiques apparut néanmoins précocement à Malines par rapport au reste du Brabant. La comparaison des comptes conservés d’Anvers avec ceux de Malines livre un constat net. Les rentes viagères anversoises ne jouaient aucunement le rôle de comptes courants49. À Malines, le virement devait prendre la forme d’un ordre oral passé devant le comptoir du changeur avec un certain délai d’attente, ordre parfois donné sous une forme explicite pour assurer une exécution immédiate du paiement, grâce à l’intervention diligente d’un courtier ou À la cour du roi de France, dès les années 1290, des marchands-banquiers parisiens sont les agents financiers et les fournisseurs de conseillers nobles disposant d’une pension annuelle sur le Trésor Royal. Ne résidant pas en permanence à la cour, ces personnages désignent des intermédiaires parisiens comme leurs procureurs. La pension est virée au compte de ces derniers sans qu’il soit question d’un remboursement motivant l’opération. Un exemple parmi d’autres  illustre cette faculté. Le chevalier Foulques de Rigny, participant à la croisade de Philippe III en Catalogne en 1285 puis à la bataille de Mons-en-Pévèle en 1304, s’occupant en outre de ses terres, est rarement présent à Paris. C’est l’intermédiaire parisien Étienne Haudri qui gère alors ses avoirs selon Bove 2004, pp. 96-101. De manière analogue, au début du XVe siècle, le receveur de Philippe le Hardi, Joceran Frepier, effectuera des opérations de virements d’un compte vers un autre en utilisant les pensions de fonctionnaires ducaux comme comptes courants sur ordre de leur bénéficiaire : Van Nieuwenhuysen 1965, p. 412. L’utilisation des rentes viagères comme comptes courants n’est en revanche pas envisagée dans Urban Public Debts 2003 et dans Zuijderduijn 2009. Le virement des rentes viagères n’est pas attesté à Anvers dans le premier quart du XIVe siècle si l’on se réfère à Mertens 1857 dans le seul compte complet existant pour une autre ville brabançonne (1324). 49

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d’un changeur50. L’exécution d’un ordre oral par la présentation devant son banquier était monnaie courante dans les métropoles bancaires méditerranéennes, spécialement Venise et Gênes (dès l’entame du XIIIe siècle), par un simple jeu d’écritures 51. Dès lors que plusieurs changeurs étaient en comptes, leurs clients-dépositaires pouvaient de plus effectuer des virements sur des comptes de villes extérieures, entre Bruxelles et Malines par exemple à l’aide de leur courtier-hôtelier particulier. Ces jeux d’écriture évitaient tout transport excessif d’espèces par compensation entre comptes courants. Le versement de la rente viagère au changeur s’exprimait de manière concise par l’expression révélatrice ane X verghouden, c’est-à-dire bonifié, rémunéré, au compte d’untel. La formule exprimait à la fois la notion de compensation à verser au compte du changeur et la bonification de la rente du déposant. Le changeur devait en outre tirer profit du fait qu’il pouvait utiliser une proportion non négligeable de ses dépôts en rentes pour des opérations de crédit sur lesquelles il percevait une commission, non détaillée dans les comptes urbains52. À partir du moment où le principe de l’utilisation de la rente viagère comme compte courant était admis, le virement de la rente au compte de la société des Lombards de Malines devenait concevable. Ce compte faisait partie intégrante du change de Malines53, sur lequel étaient aussi enregistrés les comptes des changeurs communaux et du personnel de la ville qui y percevait ses salaires. En l’absence de virements éventuels, la somme perçue par un Malinois était inscrite au compte du titulaire : op hem selven ghescreven54. Même les salaires pouvaient être reversés à des créanciers de leurs bénéficiaires initiaux par virement55. 50 Le virement normal, sans doute avec un délai d’exécution s’exprimait de la manière suivante : Jan, Philips Platines sone, van sente Jans messe, ghetelt der Vrouwen van de Vlieten, voir Jan van der Slike ende Vranke Raduwarde—v lb. pai. La rente de Jean Platijn étant assignée par celui-ci à Jean van der Slike et Francon Raduard, par la changeuse de Platijn, Avezoete van de Vlieten (S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 53 r°). L’expression bi hetene, par mandat oral, se retrouve chez le courtier Blankart, gérant la rente viagère de Waleran de Fauquemont pour satisfaire un patricien malinois créancier de Waleran (S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 59 v° ) : Walraven, sheren sone Van Valkenborch, verghouden Gherart Houdekene bi hetene Jan Blancarts van xxvi lb. den grote tornoise te 20 d. valent xxviii lb. 3 s. pay. Mais elle intervient aussi dans des virements plus classiques de rentes viagères au profit de changeurs gérant la rente comme dans le cas de la rente des enfants de Francon Swaef : Item, Heilwige, Margerite ende Katherine, Vranx Suaefs kinderen, van sente Jans, vergouden ane Jacob Vissenbarde, bi hetene ser Jans van Rode : summa 4lb.14s.4d. gr. ende 5 d. pai., die wisselere Olivere (S.M., S.R., S.I, n° 1, compte de 1311-1312, f°136 v°). Ce Jean de Rode donnant un mandat de virement pour les enfants Swaef est un courtier qui gère en ces années des rentes viagères de Bruxellois. Il consacre une journée en juin 1312 à traiter avec les échevins au sujet de ces rentes (S.M., S.R., S.I, n° 1, compte de 1311-1312, f° 157 r°). 51 Doehaerd 1941, vol. 1, p. 102 ; Lane 1985, p. 210 et Lane et Mueller 1997, pp. 6-7. La fonction principale des banquiers vénitiens était d’effectuer les virements pour les marchands d’où les noms de leurs offices, les banche di scritta et del giro. 52 Verghouden est un participe dérivé du verbe verghelden. Dans sa première signification, vergelden, signifie payer ce qui est dû. La seconde acceptation est plus intéressante car elle fait référence à la notion de rétribution et de compensation pour une perte encourue. L’idée de salaire pour une action accomplie est une troisième acceptation. Sur le verbe vergelden, voir Verwijs et Verdam 1885-1929, vol. 8, col. 1744-1746. Le caractère concis des formules employées  pour des transferts bancaires est aussi relevé par Murray 2005, p. 213 pour les paiements d’un compte vers l’autre. En jouant sur les changes, le changeur camouflait une première commission réduite, pour prix de sa gestion, sur laquelle je reviendrai. 53 Dès 1311, les fermiers des assises débiteurs de la banque lombarde effectuent des virements au bénéfice de la Ville que celle-ci peut ensuite attribuer à Giovanni de Mirabello et ses associés mais le clerc communal juge bon d’ajouter à ce propos : dit ghelt horde onsen wissele toe : S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1311-1312, f° 42 r°. Obertino de Montemagno, associé proche de Mirabello possédait un compte intégré dans le compte de ce dernier sur le change de Malines. Il reçut ainsi 15 lb. v. gr. de la part de la Ville in Jans rekeninghen van Halen (S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 185 v°). 54 L’inscription en compte propre (et donc sans la faculté d’investir sa rente ailleurs) était généralement notifiée expressément, par ex. : Item Clause van Inghelmonstre van sente Jans messe op hem selven ute ghescreven – lv s.( S.M., S.R., S.I, n° 1, compte de 1311-1312, f° 160 r°). Voir d’autres exemples de versement de la rente viagère en compte propre dans S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f° 70v°-71 r° et S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 79 r°. 55 Le salaire du clerc Jean de Waerloes fut partiellement reversé à son collègue (S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f°  103 r°). De manière générale, divers membres du personnel urbain pouvaient même contribuer aux recettes du change communal en faisant crédit de leur salaire ou de leur livrées dues à échéances fixes sur leur compte qu’il possédaient au change. Voir des exemples à ce sujet pour des échevins, des clercs et un communemaître dans S.M., S.R., S.I, n°3, compte de 1315-1316, f° 25 r°.

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Dans ce contexte, Giovanni de Mirabello, Obertino de Montemagno et leurs associés de la famille Roero faisaient valoir leur savoir-faire dans trois domaines précis : –– dans la valorisation des capitaux privés déposés sur le change communal avec des taux de profit supérieurs à la moyenne. –– dans le prêt bancaire à des taux préférentiels à la Ville et aux membres du magistrat ainsi qu’à des emprunteurs privés à des taux plus élevés. –– dans le développement d’une comptabilité plus perfectionnée offrant aux receveurs des finances de la ville une vision plus claire de l’allocation des revenus de la fiscalité indirecte. Faire valoriser ses capitaux dans les mains de financiers astésans n’allait pas forcément de soi. Tout le monde n’avait pas ou ne voulait pas avoir accès aux investissements dans la banque lombarde de Malines. Tout d’abord parce que cette méthode de « gestion de fortune privée » s’adressait à une clientèle de privilégiés disposant d’une richesse mobilière suffisante pour en immobiliser une partie dans une entreprise spéculative56. Ensuite parce que certains crédirentiers, effrayés par les attaques menées par les ordres mendiants à l’encontre des usuriers notoires, s’inquiétaient de voir leur nom associé à ceux des Lombards. Finalement parce que d’autres possesseurs de capitaux se contentaient de confier leur rente viagère aux bons soins d’un des changeurs communaux ou de percevoir leurs annuités sans rechercher une perspective d’enrichissement par trop risquée. Les changeurs locaux offraient, il est vrai, la possibilité d’une forme de rémunération du dépôt en réévaluant la rente, mais la bonification n’était pas automatique et variait selon les changeurs, étant sujette à tractations57. Cette bonification négociable d’une rente achetée en monnaie payment, au profit du crédirentier, relativement rare pour les finances des villes brabançonnes au bas Moyen Age, renforçait le caractère perfectionné du marché financier malinois58. Il s’agissait en effet pour la Ville de Malines de maintenir une crédibilité susceptible de toujours convaincre les créanciers étrangers d’investir dans sa dette publique. Un échantillon des clients déposant des capitaux dans la banque de Mirabello étayera cette assertion : en 1311-1312, le futur receveur de Gand, le Florentin Conte Gualterotti et un futur receveur de Brabant, Arnould Lombard d’Yssche transfèrent leur rente aux Lombards. La veuve du seigneur Arnould van den Bogaerde le fait également (S.M., S.R., S.I, n° 1, compte de 1311-1312, f°121 r° et f° 127r°- v°). Quelques années plus tard, au titre de mandataire, Galvagno de Montemagno, frère d’Obertino, un des principaux dirigeants de la banque de Malines, gérait la rente des enfants du conseiller ducal Henri de Quaderebbe, Gosene et Gilles (S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 69 r°). 57 Par exemple, Francon Pyliser et sa sœur Marguerite confiaient leur rente viagère de 30 lb. pay. au changeur malinois Jacob Vissenbard, celle-ci était indexée à 30 lb. 13 s. 6 d. vieux pay.. Alice Pyliser transmit sa rente de 15 lb. pay. au changeur bruxellois Jean Crupeland, pour obtenir une rente de 15 lb. 6 s. 3 d.. Michiel van der Zenne recourut aussi aux bons offices de Crupeland pour 25 lb. pay., il obtenait une rente de 25 lb. 10 s. 5 d.(S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 53 r°). Il ne s’agit pas ici de frais de change, sans quoi la mention van wissele aurait été employée, mais bien d’une bonification de la rente matérialisée dans le versement de l’annuité en oud payment ou vieux-payment, destinée à compenser la dévaluation. Que cette bonification pour dévaluation n’était pas offerte à tout le monde se confirme par des exemples de rentes viagères non-indexées, par exemple pour Francon Clutinc qui touche sa rente de 25 lb. pay. chez Henri le clerc, changeur de Bruxelles sans bonification : S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°122 v°, voir des exemples parmi d’autres de rentes non-indexées au f° 122 r° (Englebert van der Noot, Alice, épouse de maître Henri de Zaventem et Jean Kerremans) Or, la plupart de ces personnages avaient acquis leur rente viagère dans la période 1300-1309, à une période où la parité du d. pay. avec le v. gr. était inférieure à 19 et auraient pu donc réclamer une bonification de leur rente en 1311-1312 alors que cette parité atteignit 21 (voir par ex. S.M., SAFE, K, rentes, S.I, nr°1, f°7 r° pour Henri de Zaventem). 58 À mon sens, Peeters 1981, p. 67 n’a pas assez relevé le caractère inédit de cette technique. À Anvers, également, le paiement des rentes viagères donne lieu à une réévaluation, mais elle semble être automatique, quel que soit le crédirentier (Mertens 1857, pp.  5-28). À Bruxelles et Louvain par contre, les rentes viagères sont systématiquement libellées en monnaies fortes (de v. gr. tour.) : Dickstein-Bernard 1977, pp. 190-191 et p. 195 ; Van Uytven 1961, p. 202. À la fin du XIVe siècle, la ville gueldroise de Zutphen se montre également soucieuse de réévaluer ses rentes viagères, menacées par l’instabilité de la livre de Zutphen, dévaluée par rapport à l’or, afin de conserver sa bonne réputation auprès des crédirentiers étrangers (van Schaïk 2003, p. 115). Par contre cette réévaluation du montant de la rente viagère semble absente du comté de Hollande à la même époque (Zuijderduijn 2009, pp. 111-137). 56

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Enfin, certains crédirentiers étrangers à la ville établissaient un mandataire local simplement chargé de réceptionner leur rente annuelle en leur absence59. Cela étant dit, plusieurs arguments militaient pour risquer ses deniers dans la banque lombarde. Premier argument de poids, la qualité de l’information bancaire diffusée par les Lombards était incomparablement meilleure que celle de leurs compétiteurs, du fait de leur réseau de casane disposant de relais dans tous les anciens Pays-Bas. Cette information était, on le verra, sûrement centralisée à Malines. Second argument, les membres de la table de prêt lombarde veillaient à rassurer des investisseurs frileux en adoptant le langage des théologiens sur les « dommages » permis et exigibles à la suite d’un prêt lorsque le prêteur essuyait un retard de payement. Il n’était pas question d’usure (woeker) mais de principal (principalien) et de « frais » (costen). Ces frais correspondaient à des compensations normales pour le risque couru par le capital du prêteur, avancé, bien sûr, à titre tout à fait désintéressé. L’emploi de cette terminologie, influencée par l’idéologie franciscaine sur le profit, avait eu l’occasion d’être rodé depuis l’époque des premiers contrats de prêt lombards conclus à Bois-le-Duc dans le dernier quart du XIIIe siècle 60. Le contrat de prêt auquel participait l’investisseur externe par un dépôt dans la banque lombarde ne pouvait par conséquent être entaché d’usure et annulé devant un tribunal ecclésiastique par un débiteur mal disposé. Les crédirentiers n’étaient même pas obligés d’entrer en contact direct avec les Lombards, ils pouvaient passer par leur ­changeur – leur banquier – qui effectuait les modalités pratiques de transfert61. À d’autres moments, comme pour la veuve du seigneur Arnould van den Bogaerde, l’on dépêchait un valet ou un fidèle à la domus Lombardorum afin d’exécuter l’opération financière62. Cette tradition de désigner un homme de paille pour traiter en leur nom des contrats réputés usuraires était fermement ancrée au sein de la noblesse des anciens Pays-Bas  ; elle retint l’attention du Florentin (lui-même issu d’une famille de marchands-banquiers) Lodovico Guicciardini, deux siècles plus tard63. Dernier argument, je l’ai évoqué, la perspective d’un taux de profit remarquable. Il semble que les Lombards de Malines étaient aptes à garantir un loyer de l’argent susC’est sans doute de cette manière qu’il faut comprendre l’expression ane [le nom du procureur] ghetelt, la rente viagère du bénéficiaire étant comptabilisée à un mandataire en l’absence du premier. Des exemples en sont fournis dès le premier compte : Item Gherarden, Hendrick sone van Antwerpen, van kersavonde ghetelt heren Janne Uten Hove – iiij lb. (S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°127 r° et d’autres exemples f°131 r°). 60 S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°73v°  : Janne van Halen si wi sculdech van ere rekeninghen gherekent swoensdaghes vor sente Symoens ende sente Juden dach van costen ende van principalien scoude iic xlvi lb gr.La banque lombarde de Malines réclame à plusieurs reprises à la Ville ses costen : S.M., S.R., SI, n°1, f°155 v° : Item van coste van den selven x lb. van xl weken want de rentemeesters daer gheloeft hadde daer scadeloes te houdene – xxxiii s. iiii d. (. . .) Item Janne van Halen ten selven daghe van coste van ghelde dat wi daer sculdech waren lxxxiiij lb. valent iiii lb. groten ; S.M., S.R., SI, n°1, f°158v° : Item Janne van Halen gherekent swoensdaghes vore sente Symoen ende sente Juden dach van costen van ghelde dat hi ons gheleent heeft – valent iic xxvii lb. xvi s. iii d. pay. – x lb. iij s. groten [25/10/1312]. 61 Ceci apparaît très clairement pour les 22 premières rentes viagères payées en 1311-1312, au bas du premier folio, en regard du total 46 lb. 17 s. 3 d. gr., il est dit qu’elles seront versées à Jean Crupeland et parmi celles-ci (sans qu’on sache lesquelles), un tiers arrivera au compte de Giovanni de Mirabello (Janne van Halen), cf. S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°121 v°. Crupeland gérait les rentes de nombreux bourgeois bruxellois issus de familles importantes comme les Langevoet, Eggloy, Goudsmet-Aurifaber, Mennen, Metten Schachte et Boote. 62 Item, ver Machtilden mijns her Arts wive was van den Bogarde van kersavonde verghouden haren cnapen ende heren H. Ewerlinghe van vii lb. gr. ane Janne van Mirabele – C xlvii lb. p. (S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°127r°). 63 Écrivant en 1567 sa description de la ville d’Anvers, alors la plus grande place financière de l’Europe du nord-ouest, il remarque : (. . .) A present partie de la noblesse, ayant deniers comptans, allichez & corrompuz de l’esperance d’un si grand & certain proffit, que celuy qui court en ce temps par le moyen de ces depostz excessifz, & usuraires, donnent leur argent à l’interest, secretement, (car cela leur est defendu par les loix de la Noblesse) ou le font donner par autre pour eux à usure (. . .) : Guicciardini 1920, p. 134. 59

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ceptible de compenser la dévaluation des rentes viagères dans des proportions largement supérieures aux conditions offertes par les changeurs. Les dépôts en rentes viagères remis par les changeurs Jean Crupeland de Bruxelles et Jean Criecsteen de Louvain à la banque lombarde de Malines vers 1312, pour une durée de deux ans, pourraient bien avoir rapporté des profits très conséquents, de l’ordre de 25% en rythme annuel pour l’un d’entre eux 64. Si grande était la confiance mutuelle entre Criecsteen et les financiers astésans qu’il fut choisi comme banquier chargé d’encaisser des sommes pour les frères de Montemagno, Obertino et Galvagno, en 131665. Le Bruxellois Crupeland, quant à lui, gérait les fonds de Simone de Mirabello, fils de Giovanni, en 131966. Au vu des bénéfices attendus, il est compréhensible que le conseiller ducal prééminent Roger de Leefdael n’hésita pas longtemps à investir une partie de sa rente dans la banque de Malines en 1311. Roger de Leefdael confia pour moitié au changeur malinois Wouter Bau et pour moitié à Giovanni de Mirabello une rente viagère de 400 lb. pay., acquise en 1304. En répartissant ses capitaux entre un placement apportant une rémunération régulière, chez un changeur, et un dépôt fournissant à moyen terme des bénéfices plus importants, chez un Lombard, Roger tenait toutefois compte du risque présenté par la clientèle noble surendettée qui s’adressait au crédit des Astésans. On concevra mieux l’ampleur de la somme de 400 lb. pay. à l’aune de quelques salaires du personnel communal : elle représentait près de quinze fois le salaire annuel versé aux archers de la ville (27 lb. 19 s. 6 d. pay. en 1311) ou encore le quadruple du montant réservé aux trois receveurs urbains, pour une demi-année de traitement (100 lb. pay.)67. Dissimulées sous les taux de change, les frais de commissions prélevés par le financier italien et par le changeur furent sensiblement identiques. La rente, payable à la Saint-Jean d’été et à la Noël avait été achetée en 1304 à la parité d’ 1 v.g. pour 18 d. pay. En 1311-1312, le d. pay. utilisé pour les rentes viagères était tombé à 21 d. pour 1 v.g.68. En jouant sur les changes, les manieurs d’argent pouvaient à la fois camoufler la rémunération de la rente du conseiller ducal et les commissions prélevées par Bau et Mirabello. En effet, placée chez Wouter Bau, la rente de 200 lb. pay. rapporta, après « bonification » une somme de 233 lb. 6 s. 7 d. pay., compte tenu d’une parité d’un v.g. pour 18 d. pay. La même rente placée chez Mirabello, rapporta seulement 222 lb. 16 s. pay., compte tenu d’une parité d’1 v. gr. pour 19 d. pay.

64 J’ai fait allusion ci-dessus à la n. 61 au transfert des rentes viagères de Crupeland à Mirabello sur un rapport d’1/3 du montant total, soit pour un total de 46lb. 17s. 3d. gr., environ 15 lb. 7s. Le compte suivant, celui de 1312-1313 est manquant. Par contre, celui de 1313-1314 est conservé et fait état du reversement à Crupeland des fonds virés au compte des Lombards : Jan Crupelande van den partie uten wissele van veerent die hi den Lumbarden gaf—xxiii lb. gr.(S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 124 v°). Le profit d’un peu moins de 8 lb. correspond à un bénéfice de ca. 50 % pour les deux années écoulées. Jean Criecsteen transmit lui aussi une partie des fonds dont il avait la garde à Mirabello dès 1311 (S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°64 v°). Il reçut sur le change de la ville les fonds qu’il avait investis dans la banque lombarde, deux ans après, correspondant à une somme de 24 lb. v. gr. après bénéfice (S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 118 r°). 65 S.M., S.R., S.I, n°3, compte de 1315-1316, f° 102 r°. 66 S.M., S.R., S.I, n°5, 1318-1319, f° 124 v°. Pietro de Mirabello, neveu de Giovanni, effectue un virement de rente viagère d’un montant de 30 s. v.g. au compte de Crupeland naem Moen van Halen, c’est-à-dire au nom de Simon de Haelen, le nom habituel de Simone de Mirabello à Malines. 67 S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f°156 v° et f°178 v°. 68 S.M., SAFE, K, rentes, S.I, nr°1, f°4r° [25/11/1304] avec mention de l’achat de la rente payable en deux termes et S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f° 136 v° et S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 15 v° avec mention d’une parité d’un v.g. pour 18 pay. lors du virement de la rente de Noël à Bau et d’une parité d’un v.g. pour 19 d. lors du virement de la rente de la Saint-Jean à Mirabello. Pour la dévaluation de 18 d. pay. vers 21 d. pay. le v. gr. entre 1304 et 1311 : Peeters 1981, pp. 63-65.

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En réalité, le changeur Bau avait perçu une commission sur l’opération de dépôt de 11 lb. 17 s., soit près de 6 % car la même rente, payable à Noël était comptabilisée dans un compte de la ville à 222 lb. 10 s. et 7 d. avant virement au compte du changeur69. Quant à la banque Mirabello, la commission équivalait elle aussi à ca. 11 lb., ayant été camouflée en utilisant un subterfuge inverse  : l’adoption d’une parité fictive de 19 d. pay. (alors qu’elle était en réalité de 18 d.) permettant de dissimuler la commission. La commission du banquier-changeur semble avoir généralement tourné autour de 6% à cette époque, sauf à Anvers où elle était plus basse70. La rémunération nette de la rente placée tournait donc autour de 11%, c’est important, si l’on réalise que le taux d’intérêt des rentes viagères malinoises dans les années 1310, était majoritairement de 16,6%,71. En terme de dévaluation monétaire, le taux de la rente annulait juste les effets de la chute du d. pay. de 18 à 21 d. pour un v. gr. tour. Bénéficier du placement de sa rente chez un changeur de la ville bien en vue permettait donc d’enregistrer un bénéfice net, allant bien au-delà de la compensation classique d’une dévaluation. Après cette rémunération directe, le placement de la rente à moyen terme chez les Lombards devait ensuite rapporter des profits minimaux de 25% en plus de conseils d’investissement profitables ; l’opération s’avérait incontestablement attractive pour les nobles de la cour de Bruxelles, en raison d’un bénéfice largement supérieur au taux de rémunération des rentes sur le marché anversois72. Si mon évaluation des opérations spéculatives sur les changes et les rentes à Malines est bien justifiée, alors ceci pourrait nuancer l’image traditionnelle de la rente viagère dans les villes médiévales : celle d’un placement de « bon père de famille » rapportant au crédirentier un rendement régulier à un taux d’intérêt relativement plus élevé que les rentes perpétuelles, sans autre risque que celui de la dévaluation ou de la mort prématurée du titulaire du titre73. Au contraire, à Malines la rente et sa commercialisation seraient des éléments moteurs d’une économie du profit basée sur la spéculation, comportant par ailleurs

Item mijnen her Rogiere van Levedale van kersavond, van ij c. lb. brabantsche paiement in grote tornoisen te xix d. ende van wissele – x lb. x s. xij d. groten ende vi d. miten valent – ij c. xxi lb. x s. vij d. pai. (S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f° 126 r°) et : Item minen her Rogiere van Levedale van kersavond van ii c lb. den gr. torn. te xviii d. verghouden ane Wouter Bauwe xi lb. xxvi d. gr. ende ii d. Inghelschen oude – cc xxxiij lb. vi s. vii d. pai. ( S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 15 v°). 70 Ainsi Mathilde, épouse du seigneur Arnould van den Bogaerde fit-elle parvenir sa rente de 7 lb. v. gr. à Mirabello, équivalente après transfert à 157 lb. 10 s. pay., soit une commission de 10 lb. 10 s. (ou 6,8%), compte tenu d’une parité d’1 v. gr. pour 21 d. pay. (S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 66v°). On peut rappeler qu’Enrico de Mercato préléva une commission de 6,6 % sur la vente de muids de blé pour financer le retour de France de Jean III (R.A.A., Fonds Berthout, chartes, n°32 [21/7/1315]). D’après Avonds 1984, p.173 : en 1338-1339, le changeur de Bruxelles prélevait pour ses opérations près de 6% de frais de change. C’est seulement à Anvers que les commissions des changeurs semblent avoir été plus basses, à savoir en moyenne de 3% (moyenne établie d’après dix taux de change appliqués aux rentes viagères achetées en v. gr. : Mertens 1857, p. 10-11 et pp. 13-14). Le niveau très bas de ces frais de change est à mettre en rapport avec le choix de la ville comme comptoir pour de nombreux marchands étrangers (anglais, hanséates et italiens), suscitant un volume élevé d’opérations des cambistes. 71 Peeters 1993, p.113-115 ; Kusman 1999b, p. 863. 72 Vers 1324, le taux moyen des rentes viagères à Anvers est de 12,1% alors que le denier payment des rentes viagères a subi une dévaluation de 50 % depuis les années 1310, pour certaines rentes, de 18 d. pour 1 v. gr. à 27 d. pay. pour 1 v. gr. : Mertens 1857, p. 1, p. 4 et p. 7. 73 Dickstein-Bernard 1977, p. 176 et p. 195 selon laquelle, en outre, la ville de Bruxelles gardait la liberté de liquider ses rentes au taux de change qu’elle fixait selon sa situation financière afin de ne pas perdre le contrôle de sa dette à long terme. À la fin du XIVe siècle, la ville d’Anvers semble avoir elle aussi sous-évalué les taux de change pour payer ses crédirentiers bruxellois (Ibidem, p. 195, n. 146), politique similaire enfin, semble-t-il, à Louvain : Van Uytven 1961, p. 58 et p. 210. Voir enfin l’analyse nuancée de Boone, Davids et Janssens 2003, p. 7, selon lesquels la rente viagère aurait été plutôt une forme d’investissement dans l’assurance-vie, les crédirentiers décédant prématurément payant pour ceux qui avaient la chance de vivre plus longtemps. 69

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un élément non négligeable de négociation entre le crédirentier et le monde des changeurs et manieurs d’argent de la ville74. Le caractère spéculatif de la banque lombarde malinoise et son rôle dans la circulation de l’information financière ressortent de manière lumineuse à travers l’opération d’endettement de l’abbaye cistercienne de Vaucelles. L’abbaye avait emprunté, probablement au début de l’année 1315, à Johanni de Hal eiusque sociijs mercatoribus de Masclinia, c’està-dire à la banque malinoise de Giovanni de Mirabello et ses associés, marchands, de Malines, une première somme de 156 lb. 18 s. et 6 d. v. gr., remboursable le 15 août 1315, assortie d’une pension exorbitante de 10 s. par jour de retard. La somme comportait un taux d’intérêt vraisemblablement inclus dans le montant de 30 % (36 lb. sur une somme principale de 120 lb. v. gr.). D’autres emprunts succédèrent sans doute à ce premier crédit, puisqu’on verra qu’en tout, six reconnaissances de dette furent émises par l’abbaye de Vaucelles, équivalentes à un montant total hors-intérêts de 10 000 lb. tour. (ou 625 lb. v. gr.). Par le jeu d’intérêts inclus dans le principal, la dette s’élevait à 737 lb., 3 s. et 4 d. v. gr. tour. le 28 août 1317, soit près de 12 000 lb. tour. ; à cette dette principale, les Piémontais ajoutaient des intérêts compensatoires calculés séparément s’élevant à 934 lb. 10 s. gr. tour.75. Dix ans après, un arbitrage d’un cardinal de la curie avignonnaise ramena le passif du principal à 600 lb. v. gr. (soit 9 600 lb. n.t. à la parité minimale de 1 v. gr. pour 16 d. n.t.)76. La société des Lombards de Valenciennes, dirigée localement par Berardo de Crusiglio, simultanément membre de la table de Malines, était partie prenante de ce prêt, sans doute dès le début77. Les motivations exactes de cette recherche d’argent frais sont inconnues. Tout juste peut-on supposer avec assez de vraisemblance que l’abbaye cambrésienne avait enregistré des dépenses d’exploitation extraordinaires pour un domaine foncier s’étendant à cette époque du Cambrésis jusqu’en Flandre maritime, dans la région de Knokke et de Westkapelle. Le voisinage des guerres franco-flamandes et les mauvaises récoltes avaient prélevé leur lot de pertes, à en croire un témoignage contemporain de l’abbé de Vaucelles. Il importe évidemment de replacer cette affaire dans le contexte de la phase de surendettement des grandes abbayes cisterciennes de l’Europe du Nord-ouest, touchées de plein fouet par la crise frumentaire des années 1315-1317. Celles-ci recouraient au crédit à court terme afin d’éponger leurs pertes d’exploitation sur des domaines agricoles parfois très dispersés ; cette recherche de capitaux suscitait en retour, comme on le verra, des entreprises de spéculation supra-régionales78. Face à une telle crise, les coûts de transports décuplaient les pertes en raison de la prévalence du transport par terre, soumis à des taxes plus nombreuses et élevées que le trafic fluvial, perçues par les seigneurs locaux et les princes territoriaux. Les pluies incessantes de Ce point est particulièrement évident si l’on lit la réclamation de patriciens issus des familles Pyliser et van der Zennen réclamant une beternessen van haere liiftocht, c’est-à-dire une amélioration de leur rente parce qu’ils avaient acheté leur rente à 19 d./gr/ tour. et que l’on leur avait délivré leur rente comme si ils l’avaient acquise à 20 d./gr. tour. : S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 154 r°, dans les dépenses de toutes sortes, cité par Peeters 1981, p. 67. 75 Les pièces concernant ce dossier sont extrêmement nombreuses et je ne citerai d’abord que les plus importantes  : A.D.N., 28H/81, n°1446 [25/8/1317] ; n°1452 [ca. 1324-1325] ainsi que l’acte du 24 mars 1321 édité dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°35, p. 330-331, d’après les A.D.N., B. 1587 (6e cartulaire du Hainaut), n°19. 76 Intervention arbitrale ultérieure du cardinal-diacre de Saint-Hadrien, Napoléon : A.D.N., 28H/81, n°1669 [30/5/1327]. 77 A.D.N., 28H/81, n° 1665 [25/10/1322]. 78 Très significative sous cet aspect me paraît être la constatation de Peeters 1993, pp. 106-107, selon lequel le Brabant et la ville de Malines étant largement en surplus de stocks céréaliers, ils purent exporter avec de confortables marges bénéficiaires certaines de leurs réserves vers le comté de Flandre, déficitaire, sous une forme nettement spéculative, les prix étant au plus haut sur le marché malinois en 1316. 74

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plusieurs étés successifs – associées aux crues fluviales – affectèrent durablement les infrastructures routières, augmentant indubitablement la pression fiscale sur le trafic commercial et par conséquent les coûts de commercialisation des productions rurales distantes79. Acculée à la banqueroute par le cumul des intérêts, l’abbaye fut placée, conformément aux usages de l’ordre cistercien, sous la tutelle de quatre autre abbayes de l’ordre de Citeaux, les Dunes, Clairmarais, Loos et Cambron, qui se portèrent garantes du remboursement des créances de Mirabello et ses associés. À ce titre, elles imposèrent une tutelle sur les riches granges de l’abbaye à Baudival en Cambrésis et à Cuvele dans le comté de Flandre80. En 1326, les procureurs des quatre abbayes finirent par aliéner la grange de Cuvele et ses alentours, située dans une zone de polders d’approximativement 200 hectares. L’émission de rentes viagères assignées sur Cuvele fut décidée par les procureurs afin de rembourser les quatre abbayes qui avaient acquitté une partie des dettes lombardes de Vaucelles, débitrice principale. La clientèle attirée par ces placements mérite attention. Parmi les crédirentiers acquérant des revenus sur Cuvele figurait notamment un couple, déjà client de la banque lombarde de Malines depuis 1311, les Bruxellois Henri Ser Daenkens et Catherine de Boitsfort qui achetèrent également des rentes de 1 lb. v. gr. pour leurs enfants81. Nul doute qu’ils aient été prévenus par Mirabello et ses associés de l’opportunité d’un investissement en Flandre maritime dans les biens de l’abbaye. L’émission de la rente était – non sans une certaine ironie – présentée par les abbayes garantes de Vaucelles comme la seule solution apte à les dégager de « l’horrible » emprise des usuriers lombards et de leur fidéjussion : cum aliter horrendas manus Lombardorum non poteramus evadere nec a fideiussione Valcellensis alias liberari. . .82. La présence dans les rangs des crédirentiers de patriciens anversois comme les Bacheleer et gantois comme les Borluut prouvait l’attrait considérable de l’opération pour les élites urbaines en contact avec les financiers lombards et désireux de s’assurer un placement prometteur dans une région fertile pour la culture des céréales et adaptée à l’élevage de moutons. Le goût de la haute-bourgeoisie gantoise pour les investissements dans les zones de polders remontait à la seconde moitié du XIIIe siècle83. Giovanni de Mirabello et Berardo de Crusiglio, ce dernier représentant la banque de Valenciennes, collaboraient également à la direction de la domus Lombardorum de Gand avec les Roero ; il n’est pas exclu qu’ils aient averti contre commission certains riches membres des lites patriciennes de la ville de l’émission de rentes décidée par le quatuor d’abbés cisterJordan 1996, pp. 65-71 et pp. 110-111 ; Lebecq 1966, pp. 134-135 et A.D.N., 28H/81, n°1444 [1317]. Des guerres civiles avaient du reste éclaté dans le Cambrésis dès 1311, affectant le domaine foncier de l’abbaye. Sur les relations de crédit intenses entre abbayes cisterciennes et marchands-banquiers italiens actifs dans l’exportation de laine durant cette grande famine, voir en dernier lieu l’étude de Bell, Brooks et Dryburgh 2007, pp. 98-108 ; Hatcher et Bailey 2001, p. 155 ; Epstein 2009, pp. 160-163. 80 Lebecq 1966, p. 134. 81 A.D.N., 28H/81, n°1668 [30/7/1326] pour la décision de l’émission des rentes viagères et A.D.N., 28H/81, n°1670 [7/10/1327] pour la liste des crédirentiers. En 1311, ils font déjà bonifier une partie de leur rente de 64 lb. et 40 d. pay. dans les mains de Giovanni de Mirabello (S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 128 v°). 82 A.D.N., 28H/81, n°1668 [30/7/1326]. Lorsque l’abbaye bénédictine Saint-Bavon de Gand rencontre des difficultés de trésorerie dans le dernier tiers du XIIIe siècle, elle recourt à un expédient identique : Braeckman 1963, p. 95. 83 Pirenne 1902, pp. 284-285. Les gantois Jean et Gerelm Borluut, fils de Gerelm Borluut sont crédirentiers de Vaucelles pour une rente de 7 lb. de même que Jean Bacheleer pour lui et sa femme Elisabeth pour 1 lb. de v. gr. et pour 7 lb. de v.g. Sur la grange de Cuvele : Lebecq 1972. Ce Jean Bacheleer ou Baetseleer est aussi créancier de Mathilde de la Marck, épouse de Florent Berthout pour des fournitures de draps aux deux fils de cette dernière et un changeur de la ville d’Anvers auquel le comte de Hainaut-Hollande et Zélande fait appel dans le premier tiers du XIVe siècle : Croenen 2006, n°103, p. 152 [17/4/1319] ; Smit 1924-1939, vol. 3, p. 194. Sur les ambitions politiques croissantes de la famille patricienne Borluut à Gand à partir de la fin du XIIIe siècle : Boone et Deneckere 2010, p. 78. 79

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ciens. Négociées à un taux de 17%, les rentes viagères s’avéraient être un investissement tout à fait confortable84. La collaboration effective entre les sociétés des Lombards de Gand, de Malines et de Valenciennes s’était encore concrétisée dans le cadre d’une opération de prêt à une abbaye bénédictine, celle faite à l’abbaye Saint-Bavon de Gand en 1315. Un véritable réseau de crédit supra-régional reliait désormais les trois villes85. Obertino de Montemagno qui épaulait Mirabello à Malines permettait à ce dernier de s’absenter de la cité des Berthout pour traiter ses affaires sur le marché flamand, à Termonde, où il résida en particulier dans les années 1311-131286. Un ultime élément devait encourager les patriciens brabançons et flamands à risquer leurs deniers dans le marché de la dette de l’abbaye cambrésienne : c’était l’implication étroite du comte de Hainaut et de l’évêque de Cambrai dans les modalités de remboursement des banquiers astésans. Le comte de Hainaut, en tant que protecteur suprême des Lombards, était décidé à forcer par des menaces de saisies l’abbaye à acquitter sa dette et les intérêts compensatoires qui couraient depuis le 15 août 1315. Il percevait en effet un quint denier sur tous les remboursements faits aux Lombards de Valenciennes, privilège dont il ne se priva pas d’user87. Le comte de Flandre lui-même voyait certainement dans les déboires de Vaucelles une bonne occasion d’unifier son territoire côtier  ; il appuya en 1328 les revendications financières de l’abbaye des Dunes sur le riche domaine de Cuvele88. Pour l’évêque de Cambrai, Pierre de Levis-Mirepoix, le réseau de crédit des Lombards s’accordait avec les plans de sa politique territoriale, visant à empiéter sur le domaine cambrésien de l’abbaye depuis l’entame du XIVe siècle, la revendication épiscopale de la possession des obligations banales, attachées à la mouture des céréales, en était un symptôme net. Dès 1314, l’abbaye avait adressé des plaintes à l’officialité de Reims, jugeant assurément l’officialité de Cambrai trop partiale pour juger ses démêlés avec l’évêque89. Ce dernier parvint à ses fins à partir de 1316, précisément, en aliénant la riche grange de Ribaucourt contre la promesse de soulager les moines de leur dette envers Mirabello et ses associés. Peine perdue, la grange eut beau avoir été engagée pour la valeur de 10 000 lb. n.t., l’évêque, qui était rapidement entré en possession des titres de créances des Lombards, A.S.V., Coll. 433a, f° 14 v° et Kusman et Demeulemeester 2013. A.S.V., Coll. 433a, f° 14 v° et Vleeschouwers 1990, n°636, p. 702-703 [15/11/1315] : dette totale de l’abbaye SaintBavon de Gand évaluée à 4.228 lb. n. t. vers 1324 : Kusman 1999b, p. 860. 86 S.M., S.R., SI, n°1, compte de 1311-1312, f° 64 v°. Sur la présence de ce dernier à Termonde où il avait acquis des biens immobiliers (maisons et fonds) avec son fils, voir en outre : A.D.N., B. 113 (inventaire des archives de la chambre des comptes de Lille, rédigé au XVIIIe siècle), f° 24 r° ainsi que De Vlaminck 1867, p. 62 et p. 169. 87 Par ailleurs, le comte de Guillaume Ier Hainaut conservait toujours sa juridiction sur la partie de Malines dépendant directement de Florent Berthout, depuis son achat en 1316: Croenen 2003, pp. 121-123 et A.D.N., B. 1587 (6e cartulaire du Hainaut), n°19. Cet acte comtal fait état de l’emprunt de 156 lb. 18 s. 6 d. de v.g. tour.courant depuis le 15 août 1315 ainsi que de la “pension” journalière y rattachée de 10 sous par jour soit 182,5 lb/an. Un intérêt [moratoire] exorbitant d’environ 117% qui capitalisé au bout de ces cinq années et sept mois monterait approximativement à 965 lb. vieux tournois du roi de France ! Quant à l’intérêt usuel, en faisant l’hypothèse que le principal était de 120 lb., l’usure aurait été de ca. 30%, un taux normal pour un emprunt collectif conclu par un monastère. Le comte de Hainaut s’interdisait de réclamer plus de 100 lb. de v. gr. 88 A.D.N., 28H/81, n°1674 [6/5/1328]  : acte comtal confirmant l’émission de rentes viagères sur Cuvele. En 1395, l’abbaye de Vaucelles qui lui avait déjà engagé Cuvele, céda la totalité de ses biens flamands à l’abbaye des Dunes par un bail emphytéotique de 50 ans, renouvellé par la suite (Lebecq 1972, p. 382). 89 Kusman 2009b, pp.  206-207. Les ambitions territoriales de l’évêque de Cambrai visant le patrimoine de Vaucelles n’ont pas été suffisamment prises en compte par les études de Lebecq 1972, et celle, plus ancienne, et fondée essentiellement sur les archives du Vatican de Fayen 1906. 84 85

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ne résorba jamais le lourd passif des cisterciens90. Au contraire, il semble avoir tiré parti de ses lettres obligatoires lombardes pour accroître sa domination politique sur l’abbaye, ses successeurs se conformant à cette stratégie. Bénéficiant des revenus de Ribaucourt, revenus qu’il reversait sans aucun doute partiellement aux financiers d’Asti, l’évêque acquit une nouvelle grange, quinze jours après la première, Baudival, engagée cette fois-ci à hauteur de 30 000 lb. tour. afin de couvrir les nouvelles pénalités de retard imposées à Vaucelles91. Ces prises d’hypothèques successives, réalisées moins d’un an après l’échéance du premier emprunt démontraient une alliance objective entre l’évêque et les Lombards et une entente préalable. Les montants gigantesques des engagements donnent en effet à penser que l’évêque et les banquiers furent persuadés, dès le début de l’année 1316, que l’abbaye ne pourrait rembourser immédiatement ses emprunts. Vers 1330, un état des dépenses de l’abbaye attestait que le loyer de l’argent avancé avait atteint le seuil critique de 20 000 lb. par. ou 25 000 lb. p.t.92. À en croire la relation instructive de l’abbé de Vaucelles, c’étaient bien les charges usuraires qui avaient constitué le gros des profits des banquiers lombards93. La familiarité du successeur de Pierre de Levis-Mirepoix, Guy d’Auvergne (13241335) avec la finance piémontaise ne faisait aucun doute. Avant d’occuper le siège épiscopal de Cambrai, Guy avait, comme évêque de Tournai, authentifié des contrats de prêt accordés par Benedetto Roero, Giovanni de Mirabello et leurs associés de la banque de Gand à l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre d’Oudenburg94. Guy d’Auvergne, qui était un cousin de Florent Berthout, se rapprocha probablement de la banque lombarde de Malines dans les années 1325-1330 par l’intermédiaire de la famille des seigneurs de Malines95. L’affaire de Vaucelles accrut indéniablement l’acceptation croissante des financiers astésans à Malines : la circulation de leurs titres de créances confortait leur position sociale élevée au sein des élites marchandes.

La première mention d’un acte de vente remonte au 9/1/1316 (A.D.N., 28H/81, n°1441 [9/1/1316]), soit moins de cinq mois après l’échéance d’un premier emprunt. Voir aussi Kusman 2009b, p. 207, n. 6. 91 A.D.N., 28H/81, n°1442a [21/1/1316]. 92 Kusman, 2009b, p. 207. 93 Vu que, li dis evesques soit en deffaute de paiement et de restituer les lettres de lobligation que li dit Lombart ont encore par devers yaus pour les quils lettres nient restitues et le paiement nient parfait li dit religieus et leur plege ont estet justichiet et ont encourut tous frais despens et damages plus grans que li sors principaus[capital principal, du latin sors-sortis] ne monte selonch chou quil sont prest de vous enfourmer de verite que il vous plaise et que ce soit vos gres que li dis religieus puissent traire a le dite court de Ribaucourt et as appartenanches qui est leur yretages u sil vous plaist a retenir le dite court et les appertenanches dicelui, que vos voellies acquiter les dis religieus envers les dis Lombars en le fourme et en le maniere qui sont contenut es convenenches faites et concordees entre le dist evesque : A.D.N., 28H/81, n°1452 [s.d. mais ca. 1324-1325], selon le témoignage de l’abbé de Vaucelles envoyé au chapitre cathédral de Cambrai à l’époque de la vacance du siège épiscopal, c’est-à-dire entre le 28 mars 1324 et le 22 décembre 1324, le nouvel évêque Guy d’Auvergne ne résidant pas immédiatement à Cambrai : Strubbe, et Voet 1991, p. 265 et Fayen 1906, p. 107. Selon ce dernier auteur, c’est précisément durant la vacance épiscopale que le chapitre cathédral s’empara du domaine entier de Ribaucourt et fit abattre la forêt du domaine pour alimenter les revenus de la mense épiscopale. 94 A.S.V., Coll. 433a, f°18v°-19r° et acte du 20 août 1316 donné à Bruges par le comte de Flandre Robert de Béthune, édité dans Feys et Van De Casteele 1873, p. 104-105 (emprunt de 80 lb. de v.g. tour.). Le registre des Collectoria des Archives du Vatican a déformé (à dessein ?) le prénom de l’évêque de Tournai qui devient Guillaume. 95 Croenen 2003, p. 257, n. 179 : Guy d’Auvergne, cousin de Florent du côté maternel scella le testament de ce dernier en 1331. La familiarité de l’évêque avec l’utilisation de l’usure lombarde comme arme politique est confirmée par un événement contemporain. À l’insistance de Florent Berthout, l’officialité de Cambrai se prononça contre des financiers des familles Alfieri, d’Arazzo et de Rocca, notamment, qui prétendaient détenir des lettres obligatoires contenant les dettes des prédécesseurs du seigneur de Malines envers eux. Ils furent poursuivis pour usure. Les princes territoriaux ayant autorité à Cambrai, en Brabant, en Flandre et en Hainaut ne pouvaient en aucun cas soutenir la cause des Lombards (Croenen, 2006, n° 124, pp.  170-174 [7/12/1324] et Croenen 2003, pp.  263-264). Il s’agissait pour l’évêque, de se couvrir d’un vernis d’honorabilité, en montrant qu’il ne soutenait pas systématiquement la cause des Lombards de Malines. 90

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Mais il y a plus, dans la société urbaine malinoise, le crédit lombard fonctionnait de plus en plus comme un régulateur social de l’endettement. Pour hâter le remboursement de leurs créances sur la Ville, des créanciers malinois ou étrangers à la ville n’avaient guère de scrupules à se rendre à la maison des Lombards de la ville et à y déposer leur titre. Les taux de change fluctuant de la table de prêt, de 21 à 22,5 d. par gros, sans doute sujets à des variations journalières, étaient dissuasifs et forçaient les responsables financiers de la ville à réagir vite pour empêcher que le remboursement en monnaie courante ne devienne trop ruineux. Les variations fréquentes de parité entravant tout essai de prévision budgétaire pour les gestionnaires des recettes de la ville, la situation n’était pas tenable à trop long terme. L’implication financière de ce système était limpide, le dépôt du titre chez les Lombards de Malines, voire sa cession, permettait au crédirentier d’obtenir des liquidités, autrement dit, le titre de crédit devenait un instrument financier réalisable96. Une seconde dimension des activités de la banque de Malines reposait sur le crédit direct à la Ville et aux fermiers des assises. Le phénomène est assez exceptionnel pour les villes brabançonnes à cette époque, il faut le souligner. Dans le chef des banquiers piémontais, le crédit à la ville se fondait sur sa bonne crédibilité, à savoir essentiellement sur la faculté des édiles urbains à leur assigner des remboursements prioritaires sur les revenus provenant de la fiscalité indirecte : les assises. De ce point de vue, l’exercice comptable 1311-1312 illustre bien la place prépondérante prise à cette époque par la banque de Mirabello dans les finances urbaines. Une estimation du « chiffre d’affaires » de la société de prêt de Malines laisse entendre qu’il devait être situé entre 20 000 et 40 000 lb. pay. durant cette période97. Dès 1312, en acompte du remboursement d’un prêt de 4 674 lb.16 s. 4d. pay.98, Mirabello reçut pas moins de 20 assignations, pour un total de de 2 764 lb. pay. en particulier sur les draps bruts, les draps apprêtés, les harengs, le vin et la bière99. Une assise telle que le vin rapporta au financier astésan la somme proportionnellement élevée de 1 046 lb. 10 s. et 6 d. pay., indice sans équivoque du profit de ces assignations qui étaient affermées100. Par le volume de son crédit au bénéfice de la ville sur 96 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f°159 r° Item Janne van Halen dat wi verloren ons ane gheet[au dessus de la mention biffée] ane de xxx libr. gr.die die mijn her Jan van Lancdris hadde die wij hem gaven ende die ons costen som te xxij den. som te xxiij d. ende die ons ten Lumbarden maer staende ende doende daermee te xxi d., 32 lb. pai. Le chevalier Jean de Lancdries avait donc transmis sa créance de 30 lb. v. gr. sur la ville à Giovanni de Mirabello. Il en coûta finalement des « frais » d’intérêt de 32 lb. pay. La mention biffée Janne van Halen dat wi verloren suggère que les responsables financiers de la ville enregistraient des pertes à ce genre de transaction, d’où la formule ons ane gheet : cela nous regarde. En 1317-1318, un crédirentier de la ville pressé de recevoir satisfaction, se rendit chez Galvagno de Montemagno, pour encaisser sa rente de 10 s. 2 d. v. gr., dont coût : 5 lb. 8 s. et 6 d. pay. à payer par la Ville pour coste van ghelde : S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 45v°. Un témoignage tardif mais sûrement probant de la possibilité d’obtenir des fonds avec des titres de créances est fourni par le duc Philippe le Bon en 1464 : il interdisit aux Lombards de la ville de Bois-le-Duc d’accorder des prêts sur la base de titres de crédit authentifiés par lettres échevinales : Godding 2005, n°330, pp. 561-562 [2/1/1464]. 97 Kusman 1999b, p. 863 : estimation basée sur l’addition des versements de la ville à son profit et de son prêt accordé à celle-ci. 98 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 189 r°. 99 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f°s 2r°-v°, 5r°, 8r°,16r°, 18r°, 19r°, 23r°, 24r°, 25r°, 27v°, 29r°, 31r°, 32r°, 34r°-v°, 35r°-v°, 36v°, 37r°-v°et 38v° ; Kusman 1999b, p. 861. 100 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 2v°[26/5/1312], à comparer, aux deux extrémités de l’échelle de ces assignations, à l’assignation sur les harengs, la plus élevée, de 1 326 lb. pay., avec les assignations modestes sur l’assise du bétail sur pied de 9 lb. 15 s. (f° 24r°) et celles du courtage des peaux et des cordonniers, de respectivement 3 lb. 13 s. 6 d. pay. et de 3 lb. 7 s. 6 d. pay. (ff. 31r° et 34v°). Par son montant, l’assise des harengs représentait 48% du montant total des assignations reçues sur les assises. Données revues et corrigées à l’occasion de ma communication «  Mécanismes et enjeux politiques des assignations de paiement sur les assises urbaines au profit des financiers piémontais dans les anciens Pays-Bas (fin XIIIe-XIVe s.)  » à la table ronde Fiscalidad urbana y elites financieras en el Occidente medieval (siglos XIV-XV), 28 et 29 octobre 2010, organisée à Barcelone par Manuel Sanchez et Denis Menjot.

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le change communal Mirabello apparaissait comme le plus gros créancier : sur les 4 958 lb. pay. constituant le poste « recettes » du change communal, 4 674 lb. provenaient de ses fonds propres. Le change constituait à lui tout seul 13,3% des recettes communales101. De manière compréhensible, le statut de client préférentiel de l’oligarchie politique malinoise lui permettait d’escompter, comme je l’ai dit précédemment, un taux d’intérêt annuel de 21,6% pour ses emprunts directs, c’est-à-dire bien moins que les clients privés habituels de la finance lombarde ou des collectivités ecclésiastiques telles que les abbayes. Il faut bien comprendre que même lorsqu’elle recevait des virements au bénéfice des Lombards, la ville bénéficiait d’un point de vue comptable d’une recette puisque cette somme était intégrée au poste crédit du change de la ville, c’était le cas par exemple pour les assignations exécutées par les fermiers des assises au compte des Lombards102. Si ces derniers ne touchaient pas à leur avoir pendant quelques mois, un intérêt était évidemment crédité par les changeurs communaux, la ville sortant bénéficiaire de l’opération en ce qui concerne la balance comptable de son change. Le change représentait, au fond, une sorte de « superbanque » permettant à la ville de s’alimenter en capitaux neufs et dont la banque lombarde aurait été l’actionnaire principal. Le compte des Lombards était bien distinct, cependant, des autres comptes présents sur le change103. J’ai évoqué la possibilité qu’avaient les fermiers des assises, souvent groupés dans une compagnie temporaire, de se financer auprès des Lombards pour payer le montant de la ferme. En général, ils se présentaient lors de l’affermage devant la maison des échevins avec Giovanni de Mirabello ou un facteur de la banque qui se portait caution des fermiers et c’est dans le cas où ceux-ci faisaient défaut pour verser le montant forfaitaire de la ferme que les Astésans intervenaient104. L’apport de capitaux frais jouait plutôt pour des assises dont le montant de la ferme était élevé comme les draps et le vin ou pour des biens de consommation très courante comme le seigle. Il s’agissait vraisemblablement d’acomptes et non du montant total du fermage. C’était apparemment une sorte de « crédit de soudure », permettant aux fermiers de se refinancer entre deux perceptions

101 Peeters 1981, p.62. 102 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 197 r° : Ontfaen van der partie die men der stat sculdech was alst van swissels

weghen van H. van Hoffstade, her Lodewex ende Wouter Baus weghen ende die der stat orbore te bate comen. Item van Arde van Voesdonc van ghebreke van der mede assise ane Janne van Halen v lb. xiii s. vii d. Autre exemple suite à un versement des fermiers de l’assise du vin dans S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f°14r° aux comptes de Giovanni de Mirabello et d’Obertino de Montemagno, pour un total de 439 lb. et 26 d. v. gr., voir également f° 20 r° (assises de l’hydromel et du vin), f° 22v° (assise du seigle), f°22 v°, assise des draps apprêtés, etc. . . 103 La pratique bancaire n’est pas si différente aujourd’hui où, si le déposant souhaite obtenir une rémunération suffisamment élevée de son compte d’épargne, son montant doit rester immobilisé durant un minimum de 12 mois consécutifs (« La Libre Belgique », p. 14, 16/10/2007). L’article de Peeters 1981, p. 62, montre bien comment, dans l’exercice comptable de 1311-1312, le change clôtura l’exercice sur un bénéfice en grande partie à cause des Lombards. Voir en outre un virement des fermiers des assises sur le change communal au bénéfice de la Ville, «  au crédit du change » (S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f° 5 v°) par les fermiers de l’assise des draps apprêtés Schonejans, Jean van de Calcovene et Francon van Berbeleghem, dont il faudra retrancher l’intérêt compensatoire pris par les Lombards depuis 21 mai 1312 pour cause de retard de versement. Cet intérêt de retard s’explique par le fait que cette fois-ci, c’étaient les responsables financiers de la ville qui avaient transmis leur créance sur les fermiers aux Lombards, afin de presser les choses. 104 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 206 r° : Utgaven van wissele van Janne van Buten van den rogghe assise ane Chauercine. Ter Lumbarde gheloeft : Scone Jan, Art van Loven, Willem van Ghent ende Jan Verlamen(. . .) Janne van Mirabeel deisendaghes op doctaven van onser apostelen voor scepenen huus H. van Zelant ende her Jan van den Slike(. .).item Jan van den Weghen, Jan Scoef, Willem Hauwere ende Jan van . . .[déchirure] gheloefden den selven Janne in sente Bertelmeus avonde van x(. . .)[déchirure] vor scepen huus H. van Zeelant ende her Jan van den Sliken.

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L’intégration dans les villes brabançonnes : l’exemple de Malines | Chapitre iii

des assises105. Les fermiers des assises confiaient en outre des dépôts aux Lombards de la Ville, en perdant parfois sur les changes106. Est-il possible de dépasser cette description factuelle des mécanismes de solidarité entre financiers piémontais et fermiers des assises pour envisager les possibilités d’intervention concrète des Piémontais dans la fiscalité indirecte ? Avaient-ils l’occasion de percevoir directement certains revenus dans les périodes où les fermiers étaient en difficulté ? La situation était-elle tellement différente de la France des XVIe et XVIIe siècles où c’étaient les cautions qui étaient les véritables financiers apportant les capitaux, souvent des officiers des finances professionnels groupés en société pour lesquels les fermiers titulaires n’étaient que des prête-noms107  ? Dans l’état actuel des sources, l’hypothèse dans son intégrité me paraît difficilement défendable. Je me bornerai à signaler d’une part que l’association entre les deux groupes dût être effective pour l’assise du bois et une assise perçue sur un fixateur de teinture, dérivé de la potasse à partir de 1318108 et l’assise des fruits l’année suivante109. D’autre part, à partir de 1320, la trimestrialisation du payement des fermiers, laisse entrevoir un début de prévision budgétaire dans le chef des receveurs de la ville ; les assignations en découlant étant alors mieux planifiées. Cette mesure résultait peut-être des échanges culturels et techniques entre financiers piémontais et fermiers des assises brabançons110. La participation, directe ou indirecte des Astésans de Malines au fructueux marché des assises contrastait vivement avec la situation des autres villes flamandes et brabançonnes à cette époque où les Italiens étaient systématiquement tenus à l’écart de la fiscalité urbaine indirecte111. Un domaine portait plus que tout autre la marque d’une transmission de savoirs de la part des financiers piémontais, celui de la comptabilité communale. À partir du premier compte de 1311-1312, les postes des dépenses et des recettes liés aux opérations du change communal comportent en regard du débit un crédit, selon une présentation bi-latérale où la page est approximativement divisée en deux colonnes. Cette présentation est notamment analogue à celle des comptes courants tenus par les banquiers-changeurs de la Lombardie du XIVe siècle avec leurs correspondants, comportant les mentions nostri/loro lorsque 105 S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 69 v°  : Jan van Halen es ons scudech van der laken assisers weghen ten

ghetouwen donredaghes vor sente Jans messe – lxxiiii lb. pay. Item van wiin assise in sente Jans messe cxci lb. viii s. pay.(. . .). Pour l’assise du blé : S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f° 174 v°. L’affermage de l’assise du vin se monta à 9 030 lb. pay. en 1311, celui des draps bruts à 3 316 lb. pay., des montants très élevés comparés aux montants de l’assise du courtage du sel (58 lb.) ou de l’assise du sel (22 lb.), cf. Peeters 1993, p. 60 et pp. 119-120. Le montant de l’affermage n’était donc pas payé par les fermiers en une seule fois. 106 Ce fut le cas de Guillaume Hauwere lorsqu’il voulut placer en 1312 la somme de 400 lb. 12 s 10 d. en dépôt auprès des Lombards mais n’obtint qu’un taux de change de 22 d. pour le v. gr. alors que selon le clerc de la ville, ils étaient tenus de changer son dépôt à la parité du d. pay., soit 21 d. : S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 154 v°, cité par Peeters 1981, p. 68, n. 125. 107 Bayard 1988, pp. 157-158. 108 S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f°43v°  : Henri le Lombard est mentionné avec Pierre Van Hoembeke comme fermier. Peut-être cet Henri était-il Enrico de Mercato ? L’assise perçue sur le fixateur de teinture est l’assise de la wedeassche ou cendre de guède : c’était une variété de potasse employée pour apprêter le drap avant la teinture. Comme le savon, ce produit était extrait des cendres d’os d’animaux : Verwijs et Verdam 1885-1929, vol. 9, col. 1884. Son usage était donc analogue à celui de l’alun. Ce sous-carbonate de potasse ou acide alcalin est également cité dans les privilèges accordés par le duc à la gilde du drap bruxelloise après la révolte des métiers de 1303-1306 (éd. dans Willems 1839-1869, t. 1, p. 725 [12/6/1306]). 109 S.M., S.R., S.I, n°6, compte de 1319-1320, f° 23 r° (. . .)compt op Henri de Lumbaert, Maes van Aken, Ghene de Zomer, Jan Vlaming, Peter Molaert ende H. de Lumbaert, lesquels ont juré de tenir Molaert indemnes de sa caution. 110 Cette trimestrialisation est par exemple employée pour l’assise des toiles de lin et celle de la batterie S.M., S.R., S.I, n°7, compte de 1320-1321, f° 9 r°. 111 Blockmans 1985, pp. 206-207 ; Boone 1989, p. 120.

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l’opération comptable était en monnaie étrangère ou locale112, la présentation malinoise comportait ici les formules sijn ons sculdech – à gauche – ou sijn wi sculdich – à droite – qui désignait respectivement le débit du change malinois et le crédit. C’est probablement en jouant un rôle de médiateurs culturels que les Astésans transmirent leurs connaissances comptables aux changeurs municipaux. En effet, l’introduction d’éléments perfectionnés d’une comptabilité bilatérale de nature essentiellement bancaire ne pouvait s’expliquer que par le fait que les Astésans conservaient des relations commerciales avec les grandes métropoles bancaires d’Italie septentrionale où les marchands utilisaient quotidiennement cette technique pour mieux contrôler les mouvements de fonds et les opérations de change de leur compte de leur compagnie vers des comptes de clients ou des comptes tiers. Certains financiers piémontais étaient facteurs de la compagnie siennoise des Gallerani, comme Piero de Gorzano ; or il semble bien que les Siennois aient élaboré vers 1305-1308 une technique de gestion des finances de leur société basée sur la mise en regard des recettes et des dépenses113. Les Vénitiens étaient eux aussi familiarisés avec cette technique et on a vu précédemment que la communauté astésane disposait certainement de correspondants parmi les marchands vénitiens négociant en Angleterre et en Brabant114. Dans les comptes malinois, la tenue des comptes procédait d’une application imparfaite de la comptabilité à partie double ; seul le principe le plus courant en vigueur chez les marchands méditerranéens était conservé, les débits étaient placés à gauche, les crédits à droite et l’imputation effective d’une créance sur une dépense se faisait directement en biffant les deux (voir exemple fig. 31)115. En 1311-1312, la présentation des postes adoptée était chronologique, au gré des payements arrivant sur le change. Elle ne s’appliquait pas aux autres chapitres du compte. Aucun bilan clair ne pouvait par conséquent en être tiré. Les deux secteurs bénéficiant de ces avancées furent ceux où les contacts étaient les plus fertiles avec les financiers astésans : le change communal et les affermages des assises. Les assises représentaient le seul poste comptable – en dehors du change – où la comptabilité bilatérale fut introduite précocement. Lorsque le clerc urbain mit en regard, les recettes et les dépenses des assises de la ville, le 18 septembre 1321, il inscrivit à gauche, dans les dépenses, la somme de 46 226 lb. 10s., monnaie de deniers d’assises et à droite, dans les recettes, la somme de 43 968 lb. 19 s., notant soigneusement le déficit de 2 257 lb. 11 s. et 5 d. avec la mention : resten dat haer utghevenen hoegher droech dan hare inneme116. 112 Cassandro 1991, pp. 215-216. 113 L’influence d’ éléments embryonnaires de comptabilité à partie double est de mise mais guère plus, puisqu’il pour

qu’il y ait une comptabilité à partie double complète, chaque poste comptable doit trouver en regard de sa mention un débit et un crédit. Ce n’est pas le cas ici comme on le verra. Pour des applications concrètes voir De Roover 1956, pp.  122-123 et Les livres des comptes des Gallerani 1961-1962, vol. 2, pp.  257-259. Ces deux travaux soulignent bien qu’au début les postes des comptes « à avoir » et « à donner » étaient biffés lorsqu’ils étaient liquidés pour permettre au marchand de visualiser les traites non encore honorées. Sous l’influence des analyses réductrices de de Roover, Kittel 1991, p. 123, a été amenée à relativiser l’influence de la comptabilité à partie double chez les Gallerani. Si elle a raison sur la forme, sur le fond, le principe de la comptabilité double y était bien en usage (cf. sur ce point les remarques dans Les livres des comptes des Gallerani 1961-1962, vol. 2, p. 259). Sur l’activité de Piero de Gorzano chez les Gallerani : Ibidem, t. 1, n°7, p. 6 [mai 1305], n° 11, p. 7 [17/5/1305], n°135, p. 42 [11/3/1306], n°194, p. 59 [octobre 1306] et n°324, p. 93 [11/3/1306], vol. 2, pp. 133-134. 114 Au sujet des techniques des Vénitiens : Lane 1977, p. 181. 115 Cf. l’article de Peeters 1981, pp. 60-61. 116 S.M., S.R., S.I, n°7, compte de 1320-1321, f° 52r°.

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Fig. 31. Extrait du compte communal malinois de 1311-1312 : un exemple d’imputation par compensation sur le change de la ville au débit et au crédit à la suite d’un payement du fermiers des assises des moulins Arnould de Louvain et ses associés. Sur la colonne de gauche du 2e paragraphe en partant du haut : Art van Lovene, Art van Bossche ende heure ghesellen siin ons sculdech alst vans wissels weghen – 52lb.32d. p. van vore (trad. : Arnould de Louvain, Arnould de Bois-le-Duc et leurs associés nous sont redevables, de la part du change, de 52 lb. et 32 d. pay. [taux de change=22,5d./ gros]). Sur la colonne de droite : verghouden ane Janne van Halen – 46 s 4 d. gr. dit ghelt horde onsen wissele toe ( trad. :« Bonifié » à Jean de Halen, 46 s. et 4 d. de v. gr., cet argent appartient à notre change). Le taux de change ­implicite est de 22,5 d.pay./gros avec une erreur de 2 d. dans le change (la conversion exacte donne 52 lb. 30 d.). Les postes sont biffés, indiquant l’exécution effective des payements, ©Stadsarchief Mechelen (S.M., S.R., S.I., n°1, f° 42 r°).

Cette rationalisation de longue haleine de la comptabilité urbaine aurait été inimaginable sans la confiance qui s’était instaurée entre les financiers piémontais et les groupes dominants malinois vers 1311. 2.

L’intégration dans le milieu des affaires de la ville

 . Les relations excellentes entretenues tant avec les élites urbaines laïques A qu’avec les élites ecclésiastiques La qualité de l’intégration d’une communauté étrangère dans une ville se mesure à l’aune des liens qu’elle parvient à tisser avec les multiples pouvoirs en présence : le seigneur local, les membres du patriciat urbain et les grands marchands internationaux d’une part, les représentants du clergé séculier, chanoines et ordres mendiants, d’autre part. J’ai déjà évoqué à maintes reprises la bonne entente régnant entre la famille des Berthout et la maison des Lombards de Malines. Après leur avoir cédé leurs demeures en 1299, Florent Berthout et son épouse Mathilde de la Marck avaient engagé à Opecino d’Arazzo et Dionigio della Rocca leurs droits sur le tonlieu de la ville, ouvrant la voie vers une collaboration inévitable avec les élites financières locales117. 117 A.O.C.M.W.M., chartrier de Saint-Rombaut, n° 92 [20/3/1299].

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Néanmoins, l’appui du seigneur local ne suffisait pas pour se tailler une place respectée dans la société urbaine. Au contraire, le seul soutien du Prince ou du seigneur local s’avérait même parfois contre-productif dans les villes majeures du duché. À Bruxelles, le duc de Brabant avait soutenu l’implantation des familles de Mercato et Roero dans le quartier de la riche collégiale Sainte-Gudule à la fin du XIIIe siècle. Sans l’assentiment des patriciens dominant le quartier de la Ridderstrate, les financiers astésans ne purent pérenniser leur présence et surtout, ils n’obtinrent jamais le droit des autorités urbaines d’exploiter une maison de prêt publiquement reconnue avant la fin du XIVe siècle118. La reconnaissance publique des talents des financiers astésans n’était pas à l’ordre du jour dans le chef de l’oligarchie bruxelloise. Deux exemples rendaient palpable l’ostracisme dont les Piémontais faisaient l’objet dans le domaine du crédit public : d’abord celui de l’assistance aux pauvres et malades et ensuite, celui de la gestion des moulins ; dans ces deux secteurs très engagés dans le crédit et l’investissement de nature pré-capitaliste à Bruxelles, je n’ai retrouvé nulle trace de financiers astésans dans le personnel financier119. Bien diverse était la situation malinoise. Largement gagné à la cause des Astésans, le milieu des changeurs fournirait un appui décisif aux entreprises des Italiens. Pouvoir financier et mandat politique allaient d’ailleurs de pair : le changeur Jean Criecsteen, en comptes avec les frères de Montemagno, avait été receveur de la ville en 1313120. Parmi ces techniciens de l’argent, il faut isoler l’itinéraire de l’un d’entre eux et son fils : le patricien et ancien échevin Wouter Bau. Changeur très zélé, il dirigea également les recettes urbaines en 1304, 1309, 1315 et 1318 et échevin en 1312 et 1318 avant de laisser la place à son fils, Wouter Bau dit le jeune121. Bau avait débuté sa carrière de manieurs d’argent comme fondé de pouvoirs de la commanderie teutonique de Pitsenburg en lui facilitant l’acquisition de biens immobiliers dans la ville. Cette commanderie participait probablement dès le dernier quart du XIIIe aux mouvements d’argent de l’ordre teutonique122. Le bourgeois malinois était rapidement devenu un expert financier dont l’avis et l’expérience acquise au contact des financiers italiens étaient recherchés par les princes étrangers, le comte de Hainaut-Hollande et Zélande, notamment, au service duquel il prit à ferme le change de Dordrecht en 1322, avec deux bourgeois de cette ville, en échange de ses prêts123. Lorsque Guillaume de Hainaut-­ Hollande voulut vendre des rentes viagères assignées sur la place de Malines, il se tourna très logiquement vers un groupe de changeurs composé de Wouter Bau le vieux, Antoine le changeur et Jean Crupeland124. Puis, ce fut le duc de Brabant Jean III qui devint un fidèle client du comptoir du désormais renommé banquier malinois125. La première mention d’une maison publique des Lombards date de 1373, Kusman 2007, p. 155. À ce sujet, voir supra, la 1ère partie et le chap. 1, pp. 57-58. Hermans 1908, p. 38. Ibidem, pp. 37-41 et p. 67. Blockmans 1985, p. 208 et n. 444 ; Paravicini 1995, vol. 2, p. 258 (mention de Malines comme lieu de payement éventuel d’une rançon à Malines en 1287-1288, pour le duc Henri de Mecklenburg, emprisonné à la croisade) et Jamees 1991-1993, vol. 1, voir notamment n° 235, pp. 185-186 [8/5/1295], n°242, pp. 192-193 [23/2/1294] et n° 273, pp. 218-219 [15/10/1296]). 123 Smit 1924-1939, vol. 3, p. 193. 124 Ibidem, p. 191, n. 5 (1321). Antoine Papsac et Crupeland représentaient les crédirentiers bruxellois. 125 A.G.R., Chartes de Brabant, n°341 [26/3/1332] : bilan des comptes courants entre le duc Jean III de Brabant et le financier Barthélémy Blankart, dressé dans le comptoir du banquier Wouter Bau à Malines et résultant dans un boni de 2 000 lb. v. gr. pour Blankart, payable par tiers successifs par Jean III. Godefroid de Heinsberg, un puissant créancier de Jean III se rendit lui aussi chez Wouter Bau pour encaisser son dû, cf. A.G.R., Chartes de Brabant, n°353 [17/2/1333]. 118 119 120 121 122

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Au surplus, Bau accueillait dans son comptoir une clientèle très variée émanant autant des groupes citadins que de la noblesse brabançonne comme entre autres : Mathilde de la Marck, épouse de Florent Berthout, Rasse de Gavre, Roger de Leefdael, le bourgeois de Louvain Henri Platvoet et son épouse, Marguerite de Laken et le doyen de SainteGudule, Henri Slabbart, s’adressaient à lui pour faire fructifier leurs capitaux. Devenu chanoine de Termonde, Slabbart devait connaître les Mirabello car il imita leur comportement d’investisseurs en achetant avec eux des rentes viagères sur cette ville, émises par leur seigneur, endetté envers la finance lombarde126. Sans conteste, l’argent de personnages influents circulait entre les mains de Wouter Bau. Le manieur d’argent était au surplus un négociateur aguerri que le magistrat malinois envoya à Paris durant le premier semestre de 1316 lorsque les marchands malinois furent victimes de saisies dans la ville royale127. C’était donc en tissant la trame d’une stratégie cohérente de maximalisation des profits que dans les années 1313-1330, Giovanni de Mirabello, sa fille Isabelle, ses deux fils, Franco et Simone, son neveu, Pietro, ainsi que leurs associés Filippo d’Arazzo, Oberto de Montemagno et Leone Deati, confièrent leurs rentes viagères à la gestion de Wouter Bau128. Le microcosme bouillonnant des banquiers malinois s’avérait un puissant stimulant à la reconnaissance sociale et à l’intégration des Astésans à Malines. Pour la famille de Montemagno, en particulier, désireuse de se faire un nom dans ce petit monde et qui n’hésita pas, justement, à néerlandiser son nom sous la forme Van der Broele die men heet van den Groten Berghe, afin de faciliter ses tractations avec les responsables politiques de la ville129. Cette famille avait tout intérêt à s’insérer dans la société malinoise. L’exploitation d’une auberge et la direction d’une banque, tantôt réputée de la Gueldre jusqu’à la cour pontificale d’Avignon, allait faire du banquier Gabriele de Montemagno un personnage influent de la place financière malinoise. Un personnage qu’il était prudent de remercier avec moult présents si l’on désirait obtenir une ouverture de crédit, avec lequel il fallait négocier, parlementer, pour obtenir un revirement de sa part. Ce fut le cas lorsqu’il avança les frais de voyage nécessaires à une mission diplomatique de la ville vers la cour pontificale d’Avignon. Les échevins et les jurés témoignèrent de leur reconnaissance au Lombard130. 126 Croenen 2006, n°103, p.  152 [17/4/1319] (testament de Mathilde de la Marck)  ; S.M., S.R., S.I, n°3, compte de

1315-1316, f° 42 r° (dame Marguerite, fille du seigneur Rasse de Gavre)  ; n°4, compte de 1317-1318, f° 15 v°(Roger de Leefdael) et f° 79 r° (Henri, fils de Jean Platvoet et sa femme, Marguerite de Laken) ; n°7, compte de 1320-1321, f°50 r° (Henri Slabbart). Pour les achats de rentes de Simone, Franco de Mirabello ainsi qu’Henri et sa sœur Catherine Slabbart sur la ville de Termonde : De Vlaminck 1867, n° 7, pp. 64-65 [1/2/1337], n°8, pp. 65-66 [30/11/1340] et n° 17, pp. 73-74 [3/11/1353]. Pour la mention de Slabbart comme chanoine de Termonde : Berliere 1906, p. 501, n. 2 et index. 127 Avonds 1984, p. 64 et n. 180 et S.M., S.R., S.I, n°3, compte de 1315-1316, f° 55 v° (envoi de messagers communaux à Paris où Bau réside alors), la situation fut normalisée au mois de juin 1316. 128 S.M., S.R., S.I, n°2, compte de 1313-1314, f° 73v° (Isabelle de Mirabello), f° 114 r° (Filippo d’Arazzo alias Philips den Lumbart) ; n°5, compte de 1318-1319, f° 117 v° (Giovanni de Mirabello et ses deux fils, Franco et Simone) ; n°7, compte de 1320-1321, f° 66 r° (Obertino de Montemagno et Leone Deati) ; n° 8, compte de 1321-1322, f° 73 v° et 83 r° (Mirabello, père et fils et Pietro, neveu), f° 251r°-v° (Obertino de Montemagno ) ; A.G.R., C.C., n°41193, compte de la seigneurie de Malines, 1330, non-paginé (Pietro de Mirabello). 129 Ex. pour un versement de sa rente viagère à Bau de la part d’Obertino de Montemagno : S.M., S.R., S.I, n°7, compte de 1320-1321, f° 66 r° et pour son frère Gabriele de Montemagno, pour un compte de ses créances sur la ville, S.M., S.R., S.I, n° 16, compte de 1333-1334, f°108 v°. Le nom piémontais de la famille est de Broglio de Montemagno. 130 Pour l’auberge de Gabriele, jouxtant la halle aux draps : A.O.C.M.W.M., reg. n° 8204, censier de la Mense du Saint Esprit de l’église Saint-Rombaut en 1339, p. 18. Pour un exemple des présents faits à Gabriele parce qu’il accepta de prêter à la ville : voir S.M., S.R., S.I, n°16, compte de 1333-1334, f° 92 r° : Item, Gabriel den Lombaert dat men hem gaf in hoefsheiden omme dat hi der stat gheleent hadde in hare noet op hem ghescreven, xij lb.gr. oude valent – 13 lb. 12 s. v.g. ghedaen met Wouter

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Puis à nouveau en 1342-1343, lorsque la ville eut besoin des capitaux lombards pour acquitter ses crédirentiers étrangers, pourtant cette fois-ci, les présents offerts aux Astésans ne suffirent pas et la banque de Montemagno semble avoir d’abord refusé d’ouvrir ses coffres. L’intervention d’un neveu de Giovanni de Mirabello, Pietro, paré de la légitimité d’une famille respectée à la fois des Brabançons (pour sa présence ancienne en Brabant) et des Astésans (pour son appartenance à l’antique noblesse du contado d’Asti), débloqua en fin de compte la situation et permit aux échevins de parlementer avec les Lombards autour d’un dîner131. Corrélativement à la détention d’auberges, le commerce était aisément accessible aux Lombards. Leur participation au grand commerce drapier a été évoquée. D’autres secteurs de l’économie leur étaient en outre ouverts. Ainsi, Giacomo de Mercato, membre de la table de prêt de Louvain pouvait vendre du vin à la ville, une spécialité de la famille de Mercato, pour laquelle elle était aussi renommée à Asti et qu’elle dût abandonner après la défaite du parti gibelin en 1304132. En outre, deux boutiques exploitées par des Piémontais à Malines vendaient au détail les épices et les substances tinctoriales133. En d’autres termes, la société malinoise ouvrait aux membres de la communauté astésane, un espace public où il leur était permis de faire affaire et où leur utilité sociale était reconnue sans être tenue pour une concurrence au pouvoir des groupes dominants. Plus spécifiquement, la valorisation positive de l’usure lombarde, sans être assimilée ici à une menace pour la communauté des chrétiens, est éclairée par un phénomène significatif : des rentes perpétuelles avaient été émises sur la nouvelle halle aux draps, probablement pour financer sa construction et parmi les acheteurs de ces rentes figurait, au nom de la banque lombarde, Gabriele de Montemagno, à partir de 1333. L’assignation d’une rente constituée à des marchands-banquiers étrangers – réputés usuriers – sur une des sources principales de la production de richesse des villes brabançonnes, la halle aux draps, ne trouvait pas de comparaison dans d’autres cités textiles prédominantes comme Bruxelles ou Louvain134. Le clergé de la ville vivait lui aussi en bonne intelligence avec les financiers astésans. Pour défendre ce point de vue, je prendrai comme point de départ la quittance donnée à la ville de Malines le 10 avril 1305 par Anselmo d’Antignano, Gugliemo et Opecino d’Arazzo et Bonino de Rocca pour eux-mêmes et tous leurs associés de la maison des ­Lombards de van Berbleghem commoigne meester schepen. Voir également la mention de la présence du magistrat au complet lors de cette cérémonie d’hommage au f° 108 v°. Ce prêt concernait peut-être les avances d’argent faites par Gabriele à la Ville lorsqu’elle envoya une délégation à la cour pontificale d’Avignon pour s’informer des progrès faits par son juriste brabançon, dans les négociations relatives à la vent de Malines au comte de Flandre Louis de Nevers en 1333 (S.M., S.R., S.I, n°16, f° 79 r° et f° 80 v° et Avonds 1970, pp. 50-51). L’hôtel de Gabriele est vendu par ce dernier à Simone de Mirabello, fils de Giovanni en 1345 : Reichert 2003, vol. 2/3, p. 490. Au sujet de la banque de Montemagno, voir infra, pp. 310-316. 131 S.M., S.R., S.I, n° 22, compte de 1342-1343, f° 85 r°-v° et f° 86 r°, Kusman 1999b, pp. 845-846 et Peeters 2004, p. 41. 132 S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 46 r° Jakemart de Marche est cité pour une vente de plusieurs lots de vin. Le même personnage est présent à Asti vers 1305 lorsqu’il s’agit de vendre du vin pour la ville à l’hôtel de Philippe d’Achaïe, neveu du comte de Savoie : A.S.T., S.R., H.C.C.S., Inv. n°40, f°7, n°1-17, mazzo 1, m. 6. La famille de Mercato tirait indubitablement son patronyme d’un des marchés de la ville où elle tenait sa résidence familiale, probablement sur l’actuelle Piazza Statuto où se tenaient les marchés au foin, au vin et aux porcs. Les pelletiers et les bouchers étaient également proches de cete zone commerciale. Giacomo de Mercato effectuera un bref retour à Asti vers 1312, pour constater que la plupart des biens immobiliers de la famille étaient détenus par des membres du parti guelfe, cf. Bera 2004, p. 156 et p. 780. 133 A ce sujet, voir infra, pp. 316-317. 134 Dickstein-Bernard 1977 et Van Uytven 1961. À Malines, la rente perpétuelle est mentionnée dans S.M., S.R., S.I, n° 16, compte de 1333-1334, f°77 v° : Item den Lombaerden van haren cheinse op de halle van sente Jans misse ende van kersavonde doe men xxxiij screef , van 8s.4d. gr. verghouden ane Gabriel den Lombart – ix s.v.d. gr. i.inghelsche. Elle est toujours citée en 1339 : S.M., S.R., S.I, n° 19, compte de 1338-1339, f° 72 r°-v°.

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Malines135. Cette quittance fut produite sans doute après le remboursement d’un premier prêt forcé des Lombards à la ville. À leur demande, le chapitre Saint-Rombaut, la commanderie teutonique à Pitsenburg, les frères mineurs et les frères du couvent des augustins scellèrent l’acte pour en confirmer la valeur. Les trois premières institutions ecclésiastiques avaient croisé la route des manieurs d’argent astésans à maintes reprises. L’authentification par le clergé local de pièces comptables émises par les Astésans rendait leurs opérations de crédit honorables et respectables tant au point de vue canonique que théologique. Respectables et fréquentables, les Astésans de Malines, l’étaient encore lorsqu’il s’agissait de leur apporter un témoignage de l’authenticité d’un partage de créances ou un testament. Jean Rombout de Lierre, clerc puis chapelain du chapitre Saint-Rombaut se chargea de ce labeur à plusieurs reprises136. La rédaction en 1316 d’un vidimus par Henri, doyen du chapitre Saint-Rombaut de Malines, était une étape supplémentaire sur la voie de la reconnaissance par ce très élitiste chapitre : il s’agissait de renouveler la validité de l’emprunt gigantesque du comte de Clèves auprès de l’association bancaire Roero-Mirabello, emprunt conclu deux années auparavant137. Si l’on réalise que cet acte d’emprunt prévoyait des lourdes sanctions religieuses en cas de non-respect du contrat telles que l’interdiction de l’entrée de l’église, l’interdit jeté sur les débiteurs et finalement leur excommunication, on saisira le caractère absolu de l’engagement de l’institution canoniale aux côtés des banquiers. La participation du chapitre aux bénéfices matériels de la société de Malines est à présumer, même si les preuves à l’appui de cette hypothèse manquent jusqu’à présent. Sans aller aussi loin, on peut certes avancer que les Astésans devaient rendre service au chapitre en l’approvisionnant en substances nécessaires au culte comme la cire, par l’intermédiaire de la boutique de l’épicier-apothicaire Rollando Carexana, dont un des principaux actionnaires n’était autre que Benedetto Roero138. À ce sujet, il me faut revenir un bref instant à la problématique de l’insertion des Lombards dans l’espace urbain. Comme à Tournai, le voisinage de la maison des Lombards avec le cimetière de l’église collégiale n’était pas un acte gratuit, dans tous les sens du terme. Résider près de l’enclos du cimetière, c’était quasiment se réserver une place dans l’au-delà, avec la bénédiction des chanoines. Cette dimension spirituelle était particulièrement chère aux Astésans, hantés par la menace d’une exhumation de leur dépouille, si une accusation posthume d’usure notoire les atteignait. Ils n’hésitaient pas à payer des passe-droits aux

135 S.M., chartes de la ville, n°37 [10/4/1305]. 136 A.S.V., Coll. 433a, f° 40 r°- v° [12/8/1322]  : partage de créance entre Jacobus de Lovanio, Lombardus (sans doute

Giacomo de Canelli), de la table de Louvain et Benedetto Roero, pour leurs actifs respectifs dans la maison des Lombards de Louvain, acté par le notaire Jean Rombout de Lierre, clerc du diocèse de Cambrai et notaire public par autorité apostolique et impériale. En 1339, Enrico Vacca fait appel à Rombout alors chapelain perpétuel de Saint-Rombaut pour être témoin de son testament, le pléban du chapitre est également présent. L’acte est passé dans la maison du chirurgien astésan Ruffino de Arnate, proche du cimetière de Saint-Rombaut : A.S.C.A., fonds de la chartreuse, acte du 17/11/1339. 137 Archives d’Arenberg à Enghien, chartrier, n°45, vidimus de l’emprunt du 31/10/1314, en date du 3/2/1316 n.s avec le sceau en cire du doyen : S.’HENR. DEC. ROMBOLDI. MACHLEN. 138 A.S.V., Coll. 433a, f° 29 r°. La présence de deux ecclésiastiques parmi les débiteurs de Carexana est sûrement motivée par la vente fréquente de cire et de cierges au clergé par les épiciers et apothicaires. Les funérailles pouvaient être l’occasion de dépenses importantes chez l’apothicaire : en 1327, l’achat pour la cour pontificale d’Avignon de 181 livres de cire investies en flambeaux et cierges et d’un suaire se monte à 28 s. 4 d. de vieux gros tour. : A.S.V., Camera apostolica, Reg. Av., n°54, la dépense relative à cet achat se trouve dans la copie des dépenses d’un compte de la chambre pontificale, département financier de la curie (ff. 471-488 : compte de 1326-1327, f°488r°).

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Fig. 32. Gisants de Vranc de Halen alias Franco de Mirabello, fils de Giovanni de Mirabello et son épouse Marie de Ghistelle, édifiés par le sculpteur bruxellois Jean van Mansdale, dit Keldermans, entre 1390 et 1416. Autrefois situé dans le chœur de l’église, le monument déjà sérieusement endommagé en 1580, disparut au début du XIXe siècle (© Stadsarchief Mechelen, bibliotheek, J. Le Roy, Notitia Marchionatus Sacri Romani Imperii, Amsterdam, 1678, p. 360).

clercs du chapitre pour s’assurer une inhumation en terre consacrée139. Le sommet de cette admission honorable dans la collectivité des fidèles serait l’obtention d’un monument funéraire privé dans la puissante église collégiale de Saint-Rombaut. Franco de Mirabello (1375†), qui s’était couvert de gloire en 1356-1357 en défendant Malines, en tant que capitaine de la garnison, y parvint. Le monument polychrome, construit pour lui et son épouse, Marie de Ghistelle – issue d’une famille de la haute aristocratie flamande – comportait les gisants des défunts et 14 petits pleurants en pierre dont chacun portait un candélabre et un blason ; elle fut financée par la ville de Malines (fig. 32)140. Le tombeau visible de Franco 139 Reichert 1987, pp. 222-223, cite l’exemple de Lombards actifs dans la bourgade rhénane de Rees au début du XIVe

siècle qui firent inclure dans leur privilège la promesse de pouvoir recevoir des sacrements et d’être inhumés en terre consacrée si, à l’article de la mort, ils montraient de la repentance pour leurs actes usuraires et dédommageaient suffisamment leurs débiteurs. En 1456, une enquête de l’officialité de Bruxelles décrète que les corps d’usuriers lombards notoires qui avaient été enterrés par les prêtres de Saint-Rombaut sans autorisation épiscopale dans le cimetière paroissial soient exhumés et retirés de cette terre consacrée dans les six jours : Vleeschouwers et Van Melkebeek 1983, n° 1046, pp. 674-675 [5 novembre 1456]. Je ne doute pas que cette pratique existât déjà au siècle précédent. Le concile de Lyon avait décrété en 1274 que la sépulture en terre consacrée devait être déniée aux usuriers manifestes sauf s’ils remboursaient leurs usures : Mansi 1903, p. 100  140 Il ne s’agit pas d’un Francon de Halen, fils de Simone de Mirabello comme le pense Installe 2000, p. 77. Il n’y a jamais eu qu’un seul Franco ou Francon parmi les Mirabello au XIVe siècle, beaucoup plus jeune que son frère Simone et sa soeur Isabelle d’ailleurs. Il n’est cité qu’à partir de 1318 dans les comptes malinois, époque où il bénéficie d’une rente viagère de la ville grâce à son père : S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 117 v°. Tous les autre membre de la famille portant ce prénom sont du premier tiers du XVe siècle au plus tôt (A.E.A.R.B.-C., C.F.B., n°4, f° 39 r° (mention d’un Vranc van Halen en 1438), f°54 r° (mention d’un Vranck van Halen, son fils, en 1440)).

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lui assurait la permanence, au ciel et sur la terre, les pleurants représentés suggéraient toute la puissance du personnage, par-delà la mort141. L’entregent des membres de la communauté astésane avec les chanoines de SaintRombaut s’était construit sur des conditions structurelles favorables, à savoir la présence d’Astésans dans les rangs des clercs en général mais aussi parmi les chanoines  : en 1355, Martino Benci, de Chieri, sera finalement nommé prévôt du chapitre142. La question des rapports entre ordres mendiants, augustins et franciscains de Malines et les Piémontais est moins aisément observable, car moins documentée. Elle est pourtant fondamentale, dans la mesure où les ordres mendiants se faisaient les avocats d’une redistribution des richesses de la société chrétienne au profit des pauvres, refusant toute accumulation stérile de profit générée par le prêt à usure143. J’ai évoqué plus haut la première demeure privée des della Rocca-d’Arazzo, jouxtant le pont menant au couvent des franciscains de Malines, acquise en 1299. Sans qu’on puisse cerner précisément l’ampleur de la convivialité régnant entre Italiens et frères mineurs, il est certain que des rapports de soutien mutuel devaient exister. Il est frappant de constater que dans les deux villes brabançonnes où les Lombards réussirent à s’intégrer à long terme, Bois-le-Duc et Malines, la domus Lombardorum avoisinait directement le couvent des frères mineurs. L’influence de l’ordre mendiant se diffusait notablement en Piémont, du fait de la nomination de lecteurs d’origine piémontaise au couvent renommé de Gênes dans le premier quart du XIVe siècle ; tous abordaient la question de l’usure en s’efforçant de distinguer d’un côté, la simple poursuite de l’intérêt vénal, de l’autre, le prêt utile à toute la communauté, vu comme un investissement stimulant la circulation de la richesse dans la cité médiévale144. S’ajoutaient à cela, les spécificités du couvent malinois des frères mineurs, à savoir une application assez libérale de la règle la plus stricte de l’observance franciscaine : les frères pouvaient notamment conserver des possessions personnelles et semblent avoir été plus tard intéressés à l’administration financière des biens ecclésiastiques de couvents placés sous leur tutelle comme les clarisses de Malines145. À la lumière de ces constatations, la localisation des Astésans à proximité des couvents de franciscains ne pouvait apparaître comme pure coïncidence, elle correspondrait à une volonté de « purifier » les gains de l’usure lombarde. Un exemple éloigné, il est vrai, mais concernant la société de prêt de Benedetto Roero, active aussi à Malines, étaye cette hypothèse. En 1322, Pietro de Milano fit don à ses anciens associés, Benedetto et Martino Roero, de ses droits dans plusieurs créances importantes qu’il possédait dans la maison des Lombards de Bonn, en tant qu’actionnaire. L’acte de renonciation fut passé à côté de la porterie de l’entrée du jardin des frères mineurs de la cité rhénane. Lorsqu’on connaît 141 Au sujet de la réapparition du tombeau visible, à partir du XIIe siècle, voir Ariès 1975, p. 96. Au sujet des pleurants, symboles de puissance : Ibidem, p. 100. 142 Reichert 2003, vol. 2/3, p. 490. Sur la présence croissante des Astésans dans la cléricature du diocèse de Cambrai (exemples à Alost et à Malines) à partir du premier quart du XIVe siècle voir Kusman 2009b, pp. 216-219. 143 Bordone, et Spinelli 2005, pp. 126-133. 144 En ce qui concerne la proximité des Astésans avec les frères mineurs à Bois-le-Duc et l’utilisation d’une terminologie financière influencée par les ordres mendiants, voir supra, 3e partie, chap. 1, p. 200. Antonio Astesano, originaire d’Asti est lecteur au studium de Gênes où il enseigne la théologie entre 1307 et 1317 (Ceccarelli 2001, p. 18 et pp. 56-57), à la même époque, un autre Piémontais, Alessandro Bonini, originaire d’Alessandria donne un cours à Gênes, où il aborde notamment la problématique de l’usure (Piron 2001, pp. 139-140). 145 Installe 1997, vol. 2, n°19, p. 71.

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la destination des créances de Benedetto Roero, à savoir une donation au Saint-Siège pour le salut de son âme, en rémission de ses péchés, le lieu choisi pour l’acte apparaissait hautement symbolique. Comme s’il fallait prendre à témoin les frères mendiants de sa repentance146. Dans le cas de la commanderie teutonique de Pitsenburg, la collaboration avec les financiers astésans s’exprimait de manière plus explicite. Pour des motifs compréhensibles, l’ordre des chevaliers teutoniques, fort implanté en Europe du nord-ouest, avait besoin d’entretenir des agents locaux, courtiers ou aubergistes, susceptibles de leur avancer de l’argent ou de changer leurs sommes en monnaie courante locale147. Georgio della Rocca, avait ainsi pris en bail une auberge dépendant de la commanderie et située sur le grand marché, à l’enseigne de la grue, comme on l’a vu. Une autre auberge, Den Horen, dépendait également du patrimoine immobilier de Pitsenburg148. La bonne entente avec les teutoniques remontait cependant au dernier quart du XIIIe siècle, époque où Enrico de Mercato, alors prêtre de Louvain, avait obtenu avec l’appui des teutoniques une chapellenie à Masmines (Massemen) dans la paroisse de Notre-Dame, située dans les environs de Termonde, chapellenie convoitée par le puissant lignage féodal des Masmines. La commanderie possédait en effet le droit de patronage de cette paroisse149. B.

L’accès privilégié à l’information de nature commerciale et politique

Le loyer de l’argent extrêmement favorable pour les déposants au change de Malines, l’opération spéculative de prêt à l’abbaye de Vaucelles à laquelle participèrent des crédirentiers de Brabant et de Flandre et enfin, les liens de connivence entre le doyen de Sainte-Gudule, Henri Slabbart et les Mirabello, tous ces phénomènes – pour ne citer que les plus marquants – auraient été impensables sans une caractéristique décisive de la ville de Malines : l’accès à un flot d’informations de nature commerciale et politique, disponible pour l’investisseur, qu’il fut bourgeois ou noble et la possibilité de discerner parmi ces information, les bonnes des mauvaises. Le rayonnement géographique du marché des rentes viagères malinoises depuis le début du XIVe siècle s’était révélé un puissant adjuvant à la maîtrise par la ville d’un réseau fiable d’informateurs et de correspondants locaux, courtiers et hôteliers. L’achat de rentes par des crédirentiers établis jusqu’à Reims et Valenciennes nécessitait l’envoi régulier de messagers pour s’assurer du nombre précis de crédirentiers encore vivants dans une ville150. Ces derniers tenaient eux-mêmes à s’informer du payement de leur rente, telle Marie Boote, appartenant à une puissante famille de bourgeois bruxellois qui envoya son propre messager à Malines151. 146 A.S.V., Coll. 433 a, f° 67 r°-v° [5/8/1322]. 147 Et il n’en sera pas autrement à partir du milieu du XIVe siècle lorsque les nobles allant guerroyer en Prusse pour

l’ordre teutonique s’endetteront auprès de banquiers lombards issus de la famille Roero, principalement actifs à Bruges mais également au Quesnoy, à Mons et à Valenciennes, voir Paravicini 1995, vol. 2, pp. 185-186 et pp. 294-295. 148 Cf. supra, fig. 24. 149 Jamees 1991-1993, vol. 1, n° 206, pp. 160-161 [25/1/1287]. 150 S.M., Rentes K. S.I Safe I,n°1 (période 1302-1309), f° 1 r°(Gand), f° 1 v°-2 v° (Reims, avec mentions des crédirentiers déjà décédés), f° 3r°-6r° (Valenciennes, avec mentions des crédirentiers déjà décédés) et f° 6r°-11 v° (Bruxelles avec mentions des crédirentiers déjà décédés). Voir également Joosen 1988, p. 8 (compte de 1317-1318, poste dépenses de toutes sortes : nouvelles des crédirentiers), p.  13 ( compte de 1323-1324  : messager pour rente viagère en retard à Reims). Voir aussi Peeters 1993, pp. 67-68 : envoi d’un messager en 1314 à la foire de Provins pour rassurer un marchand malinois, Pierre de Papenbroec, responsable du payement des rentes viagères de bourgeois de Reims. Aux mentions citées par Peeters, on peut également rajouter celle du S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 185 v° (remboursement par la ville de Papenbroec). 151 S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 46 v°  : Smanckene van Brussel van dat hi boetscap brachte van Marie, H. Boets dochter, die lijftocht op de stad hade.

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James Murray, étudiant les infrastructures commerciales avancées de la ville de Bruges, a usé d’une analogie avec un réseau neuronal, où chaque neurone fonctionnerait de  manière optimale en communiquant les informations nécessaires à l’efficience du système nerveux entier. Le grand nombre de neurone reliés les uns aux autres aurait un effet exponentiel sur la diffusion de l’information, tout comme 100 ordinateurs en réseau sont plus efficaces que 100 ordinateurs isolés152. Pour poursuivre l’analogie, au regard des marchands étrangers, les intermédiaires commerciaux tels que les courtiers-hôteliers, les changeurs et les Lombards seraient ici d’habiles neuro-transmetteurs, pour autant qu’ils soient en nombre suffisant. Il y a toutes les raisons de penser qu’en Brabant également, plusieurs facteurs étaient réunis pour l’avènement d’un marché de l’information, dont le centre nerveux aurait été situé à Malines. Ces piliers d’un marché de l’information ne contribuaient pas seulement à massifier les données commerciales et politiques disponibles ; ils permettaient également de faire un tri parmi celles-ci. En premier lieu je distinguerais le dynamisme des notaires de Malines. Bien plus que d’humbles gratte-papiers stipendiés à la ligne, ces personnages reliaient plusieurs groupes sociaux, qui sans eux, ne se seraient peut-être jamais rencontrés. Nobles, patriciens, groupes intermédiaires, chanoines, tous pouvaient passer devant le notaire, comme parties directement concernées par le contrat, bien sûr, mais aussi comme simple témoins ou comme hôtes de l’acte puisque le notaire médiéval des sociétés de prêt lombardes était encore essentiellement un personnage ambulatoire153. Malines était une place très adaptée au notariat spécialisé dans les contrats commerciaux, la présence dans la ville de deux notaires publics d’origine astésane Jalvens ou Galvagno de Ponzio et Daniele Bordoco, en témoigne. Les notaires astésans écrivant pour la domus Lombardorum n’exercèrent dans aucune autre ville brabançonne154. Souvent au service de plusieurs employeurs, les notaires agissaient comme des vecteurs d’information très efficaces dans la ville. Un Jean de Vinsbeke, en plus d’être un notaire œuvrant à Malines, était tabellion de l’officialité de Reims et pouvait donc propager rapidement à Malines certaines décisions prises par l’officialité. Il arrivait en effet que les Malinois fissent appel devant l’officialité de Reims de jugements prononcés par l’officialité de Cambrai155. Le notaire Jean Rombout de Lierre était clerc du chapitre Saint-Rombaut, je l’ai dit. Le notaire et chef de la chancellerie urbaine, Jean de Waerloes, actait de même pour le chapitre Saint-Rombaut ; il connaissait Jean de Vinsbeke156. Alexis de Castres, clerc 152 Murray 2000, pp. 1-3 et p. 14. 153 Exemples pour de Waerloes qui acte à Bruxelles (A.R.A., Handschriften, Derde afdeling,  n°37514, B.10, lade 11

[10/6/1325], n°37511, B.10, lade 10 [8/7/1325], n°37513, B.10, lade 11 [8/7/1325]) ; à Bois-le-Duc, le notaire Trippin se déplace (A.R.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37512, B.10, lade 10 [19/7/1325], n°37515, B.10, lade 10 [19/7/1325]) ; seul le notaire Daniels acte en sa maison située sur le marché ( A.R.A., Handschriften, Derde afdeling, n° 37524, B.10, lade 11 [3/12/1326], n°37525, B.10, lade 9 [10/12/1326]). Autres exemples d’itinérance dans A.S.V., Coll. 433 a, f° 15 r° (notaire Jean de Relenghes à Tournai [5/2/1322], f°21 v°-22 r° (notaire Jean Hererio, à Diest [25/9/1322]), f°29r°-30r° (notaire Jalvens ou Galvagno de Ponzio à Malines [18/1/1322]), f° 40 v° (notaire Jean Rombout de Lierre, à Malines [12/8/1322]). 154 A.S.V., Coll. 433 A, f°29r°-30r° (notaire Jalvens ou Galvagno de Ponzio comme notaire instrumentant et notaire Daniele Bordoco, comme témoin, dans la maison des Lombards de Malines [18/1/1322]). 155 Mannaerts 1997, pp. 80-81. On verra à la n. suivante que Jean de Vinsbeke actait pour le béguinage de la ville. Sur l’importance des décisions prises par l’officialité de Reims pour la ville de Malines, voir infra, chap. 4, le point 1. Premières oppositions. 156 En 1321, il actait avec le notaire Jean de Vinsbeke un accord dans le conflit opposant le doyen et le chapitre de SaintRombaut, d’une part et le béguinage de Malines, d’autre part : Beterams 1956-1957, vol. 2, n°4991, p. 608 [26/4/1321].

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de la ville en 1308, était aussi notaire public et clerc du diocèse de Cambrai157. Dans l’habit de clerc communal, le notaire devenait le confident des échevins et des puissants à la cour de Brabant. Jean de Waerloes apprit souvent parmi les premiers des nouvelles politiques et commerciales affectant l’ensemble du duché de Brabant : décès du duc Jean II, issue de négociations politiques avec le comte de Flandre ou avec la communauté des marchands anglais résidant à Anvers158. Ces clercs communaux, auteurs de la mise par écrit des décisions de leurs maîtres pouvaient d’abord tirer profit de cette connaissance préalable d’une ordonnance urbaine avant sa publication pour leur propre enrichissement, Jean de Waerloes cumula sa fonction de secrétaire communal avec celle de fermier du tonlieu du blé en 1311159. Ensuite, les clercs devaient logiquement monnayer leur savoir auprès de marchands étrangers comme les Astésans à Malines, lesquels avaient de toute façon intérêt à recourir à un notaire exercant simultanément à la chancellerie communale160. Il ne faut pourtant nullement restreindre la fonction des clercs de la chancellerie communale à l’écriture des ordonnances urbaines. Ils se chargeaient par ailleurs de rédiger les lettres de rentes viagères vendues par la ville : ils connaissaient donc les noms des crédirentiers, clientèle potentielle des Lombards, ce qui est facile à démontrer. En 1318, Jean de Waerloes enregistra les chartes de vente de rentes viagères à remettre au changeur bruxellois Jean van den Hane, mandataire des crédirentiers bruxellois à Malines161. À son tour, Jean van den Hane prenait soin des annuités des rentes viagères d’Henri et Catherine Ser Daenkens, clients-dépositaires dans la banque de Giovanni de Mirabello162. Une fois la décision urbaine ou l’obligation financière écrite, il fallait la transmettre. Second pilier fondamental de l’information à Malines, la ville disposait d’une excellente messagerie communale proportionnée à ses intérêts commerciaux et politiques. D’une part, la ville envoyait fréquemment des messagers aux quatre foires de Champagne, Provins, Troyes, Bar-sur-Aube et Lagny-sur-Marne ainsi qu’aux foires de Compiègne et du Lendit, près de Paris. En Brabant, Anvers, débouché des produits brabançons vers l’Angleterre était une destination privilégiée des lettres malinoises. Sur la place anversoise, les messagers apprenaient l’avancement de la finition des draps de la ville qui y était sous-traitée, ou s’informaient de la présence des marchands étrangers dans la métropole scaldienne163. Dès 1311-1312, les courriers prenaient la route pour d’autres destinations commerciales  : Bruges, Mons (pour la perception d’un tonlieu sur les marchands de la ville), la Frise, Lille, Paris, Avignon164. Lorsque des saisies étaient exécutées sur ses marchands, la Ville n’hésitait pas à députer ses édiles pour en négocier la prompte libération, le seigneur de Termonde ou le seigneur de Fauquemont reçurent des délégations urbaines Rombout de Lierre, en plus d’être notaire public par autorité impériale avait obtenu le privilège de pouvoir exercer par autorité pontificale, ce qui accroissait ses possibilités d’emploi (Fayen 1908, t. 1, n° 816, p. 330 [1320]). 157 S.M., Chartes de la ville, n°929 [9/8/1308] et Mannaerts 1997, p. 75. 158 Cf. les considérations sur la place des notaires dans l’information des banquiers d’Asti supra, 3e partie, chap. 1, p. 223, n. 218. 159 Il est cité comme fermier du tonlieu du blé avec Jean Wittoc : S.M., S.R., S.I, n°1, compte de 1311-1312, f° 37 v°. 160 Scarcia 2001, p. 25, relève sur les deux notaires les plus usités chez les Lombards de Fribourg qu’un d’entre eux était clerc de la chancellerie communale. 161 S.M., S.R., SI, n°4, compte de 1317-1318, f°46r°. 162 S.M., S.R., SI, n° 2, compte de 1313-1314, f° 75 v° [août 1314]. 163 Peeters 1993, pp. 64-67. 164  Joosen 1988, p. 3 et p. 16 (compte de 1333-1334 pour Avignon).

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pour cette cause165. Enfin, comme il a été dit plus haut, les Malinois suivaient attentivement l’évolution de la politique monétaire en envoyant des délégués à Bruxelles. D’autre part, le statut politique de la ville lui imposait de préserver des contacts fréquents avec les Princes exerçant une juridiction sur la seigneurie des Berthout : naturellement l’évêque de Liège et l’évêque de Cambrai, mais aussi le duc de Brabant, le comte de Hainaut, puis le comte de Flandre à partir de 1334166. De manière similaire, la chancellerie urbaine veillait à garder des rapports fréquents avec les dirigeants astésans, spécifiquement durant les crises politiques. Un événement particulièrement significatif en fait foi. Après la publication en 1317 des décrétales du pape Clément V réprimant le prêt à usure, les débiteurs des Lombards furent tentés de recourir à celles-ci pour faire casser leurs contrats de prêts. Des membres de la banque lombarde de Malines furent arrêtés sur le motif de l’usure publique167. Une délégation du magistrat, composée de l’échevin Gérard van Hofstade et du clerc Jean de Waerloes se rendit le 29 septembre 1318 à Tournai, Cambrai et Reims pour obtenir un avis des tribunaux d’officialité sur l’attitude à adopter en matière de contrats de prêt lombards168. À la fin du mois de décembre, le magistrat envoya son messager Haghene à Obertino de Montemagno, alors que celui-ci résidait préférablement à Louvain169. Ce même Haghene fut encore dépêché vers Giovanni de Mirabello après sa libération de la prison où il était détenu pour usure. Haghene était peut-être familiarisé avec la langue italienne170. Un autre messager, Willaykene, apporta une lettre à Louvain, dans « l’intérêt » de Giovanni de Mirabello pendant la détention de ce dernier171. Les indices sont certes ténus, on ne peut néanmoins se déprendre de l’impression que le magistrat de Malines souhaitait tenir régulièrement au courant les associés astésans de Giovanni de Mirabello, à Bruxelles et à Louvain, de l’évolution des négociations politiques à son sujet. Au point de vue spatial, la circulation fluide des informations entre les Lombards de la ville et le pouvoir urbain se retrouvait encore dans le choix du bâtiment Den Beyaert pour abriter la seconde maison des Lombards, face au grand marché de la ville. Cette maison en pierre, ancien hôpital pour les pèlerins et les malades, était voisine de la première maison échevinale, située sur le Steenweg et où étaient conservées les archives de la ville et par conséquent les titres de créances des Lombards authentifiés par le greffe scabinal (voir fig. 26 et 27)172. Endroit de communication des décisions intéressant la vie des citoyens, la maison échevinale était aussi un lieu de médiatisation des obligations financières dans lesquelles la banque de Mirabello intervenait173. Dans ce contexte, un facteur déterminant 165  Joosen 1988, p. 6 (compte de 1315-1316). 166 Avonds 1970, pp. 33-35 et pp. 50-51 ; Joosen 1988, p. 8 (compte de 1317-1318). 167 Kusman 1999b, p.  867. Je reviendrai sur cette arrestation dans le chapitre 4 de la dernière partie  : 1. Premières

oppositions. 168 S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 33 v°. 169 S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 86 r° [vers le 27/12/1318]. Obertino de Montemagno participait aussi à la table de prêt de Haacht, en comptes avec celle de Louvain (A.S.V., Coll. 433a, f°102 v°), motif de sa résidence dans cette dernière ville. 170 S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 132 v° : Item Haghene, dat hi ene lettere droech te Brusele ane Janne van Halen, smaendaghes na Sente Baves messe---ij d. gr. [8/10/1319] et f° 135 v° [dépense appartenant en réalité à l’exercice comptable de 1320]. 171 S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 84 v° [31/12/1318]. 172 Voir aussi le cas de Bruges où les archives sont entreposées dans le beffroi depuis la fin du XIIIe siècle, en plein quartier des affaires (Murray 2005, pp. 63-64). 173 Comme le cautionnement des fermiers des assises par les Lombards, acté devant la maison des échevins.

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dans la rapidité de circulation des nouvelles commerciales et politiques était la taille relativement réduite du secteur où les grandes affaires commerciales se traitaient174 : délimité par les sommets d’un triangle unissant la maison des échevins au cimetière Saint-Rombaut puis à la halle aux draps, au bout du marché, le secteur névralgique du négoce international, du courtage et de la banque se retrouvait dans un mouchoir de poche de quelques centaines de mètres, tout au plus (fig. 27). Un troisième pilier de la communication de l’information était fondé sur la présence des courtiers-hôteliers et de leurs auberges, outils de sociabilité et de transmission des nouvelles à travers la ville. Les courtiers-hôteliers habituellement associés à une sédentarisation forcée, à la tête d’une luxueuse auberge, tiraient en réalité toute leur expérience de leur passé de négociant itinérant et de leur bonne connaissance des territoires de croissance économique du Brabant. La carrière du courtier Jean Blankart, originaire de Louvain et bourgeois de Malines dès 1299 est très évocatrice à cet égard. Accolé à son patronyme, le toponyme « de Heusden » soulignait le fait que sa famille avait fait fortune en Brabant septentrional où les Blankart possédaient plusieurs fermes175. Ses investissements dans une entreprise drapière à Louvain l’avaient incité à rechercher du crédit auprès du dirigeant local de la banque astésane, Leone Deati176. Très vraisemblablement, c’est sur le conseil de financiers lombards que Blankart décida d’acquérir des biens agricoles dans la mairie de Bois-le-Duc. Il était en comptes avec Obertino de Montemagno, partenaire de la table d’Haacht, proche de Louvain ; Obertino avait fait affaires au nord du Brabant au début du XIVe siècle, plus précisément dans la seigneurie de Heusden177. D’autres hôteliers tiraient leur savoir et leur puissance du fait que leur demeure était souvent le théâtre de discussions politiques importantes, à l’exemple du patricien Arnould d’Oudenghem dont l’hôtel était fréquenté par les vassaux du seigneur de Malines Florent Berthout, entre autres. Arnould était aussi en contacts avec un conseiller influent du comte de Hainaut, Guillaume de Ventura, natif de Florence178. 174 C’est toujours le cas dans l’Amsterdam des années 1600 où l’information commerciale circule dans un secteur de 250 à

500 m. maximum, comprenant notaires, imprimeurs et libraires, halle commerciale, change public et écoles : Lesger 2006, pp. 244-245. 175 Il posséda quatre fermes dans l’hinterland d’Oisterwijk avec son beau-frère Gilles Uten Lyeminge : Camps 1979, vol. 2, n°586, pp.  706-707 [14/12/1299] et n°732, pp.  879-880 [18/11/1306]. Les actes ne permettent malheureusement pas d’affirmer avec certitude que ces fermes étaient consacrées à l’élevage de moutons, même si la chose est probable, étant donné l’implication de la famille dans le domaine du travail du drap à Louvain (voir n. suiv.). 176 Jean Blankart, fils de feu Gautier dit de Heusden, détient trois parts avec son frère, Gauthier, dans les rames aux draps et le courtil avec dépendances situés dans la rue des Moutons de Louvain en 1305 : R.A.L., Kerkarchief, boîte n°1262, chartrier Saint-Pierre, n°159 [2/2/1305 n.s.]. A.S.V., Coll. 433 a, f. ° 43 v° [16/8/1314] : les trois fils de Gauthier de Heusden, Jean, Gauthier et Arnould dit de Dormael, empruntent 10 lb. de v. gr. à Leone Deati. 177 En 1317, l’épouse de Jean Blankart effectue un virement au bénéfice d’Obertino de Montemagno, membre de la table de prêt de Malines (S.M., S.R., SI, n°4, compte de 1317-1318), f°11 v°. Jean de Heusden avait apporté sa caution au duc de Brabant, redevable d’une somme à Abbertine den Lombaird : A.R.A. Graven van Holland, Leen en Registerkamer, n°2118, f°78r°[ca. 1301]. Pour la table de Haacht : A.S.V., Coll. 433a, f°102 v°. La prépondérance des actes des receveurs lombards en Brabant septentrional a été relevée dans le chapitre précédent. 178 A.D.N., B.1583, f°106v°-f°108r°, p. n°134, Godefroy 5092, [11/5/1316] : prestation de serment dans lostel Ernoul d Odinghem par les vassaux de Florent Berthout à l’occasion de la vente de la seigneurie de Malines au comte de Hainaut, les vassaux Gérard, sire de Voorne, châtellain de Zélande, Roger de Leefdael, Arnould d’Oudenghem, Adam Raduard, Godefroi van den Steene, Jehan de Voght et Jean Rogaes, témoignant tous que la vente s’est passée loyalement. Voir aussi Bastin, valet de sire Arnould d’Oudenghem allant livrer 2 lots de vin à Roger de Leefdael et à maitre Jean de Florence, conseiller du comte de Hainaut (S.M., S.R., S.I, n° 3, compte de 1315-1316, f ° 60 v° [vers le 1/11/1316] et Vercauteren 1972, pp. 538-552). L’hôtel d’Oudeghem était situé sur la rivère Melaan comme la demeure des della Rocca-d’Arazzo (S.M., Fonds Berlemont, textes d’archives et sources iconographiques, n° 80, à l’année 1318).

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Des auberges plus courues que d’autres se transformaient en annexe politique de la maison échevinale à cause des personnages et collectivités importants qui y étaient reçus. C’était le cas de l’auberge Den Pau, jouxtant la boutique de l’apothicaire lombarde Léonie, face au cimetière Saint-Rombaut. L’écoutête d’Anvers y était reçu179, mais également le conseiller Roger de Leefdael, les échevins de Bruxelles et d’Anvers180, ceux de Louvain, le régent Daniel de Bouchout et le changeur bruxellois Jean van de Hane181 et pour finir, le conseiller du comte de Hainaut Jean de Florence182 pour ne citer que les plus importants. Finalement, la présence sur le marché de la ville, d’auberges exploitées par des marchands italiens dénotait la bonne communication régnant au sein de la communauté des négociants et banquiers à Malines. J’ai déjà observé l’importance des auberges tenues par les Astésans, je n’y reviens pas. Mais une seconde communauté de marchands d’Italie septentrionale commençait à s’implanter dans la ville  : les marchands placentins, également actifs dans le prêt à intérêt et le change et qui opéraient aux foires de Champagne, en conjonction avec les drapiers malinois venant proposer leurs produits183. L’hôtel à l’enseigne de l’aigle Den Aer, sur le coin du Nieuwe Bruul, proche du marché au bétail, fut ainsi repris par le Placentin Gabriele Tredepani. Cette auberge, à l’époque où elle appartenait à un autre marchand italien, avait été choisie par le magistrat de la ville pour recevoir dignement le seigneur Gérard de Diest, membre du conseil de régence184. Tredepani avait été hôtelier à Gênes, puis à Bruges avant de reprendre cette activité à Malines et de devenir bourgeois de la ville après 1334185. Ces trois piliers de l’information à Malines, les notaires et clercs communaux, la messagerie de la ville et les courtiers-hôteliers et leurs auberges, contribuèrent de manière radicale à l’internationalisation de la place bancaire de Malines, devenue désormais une étape importante dans le circuit de places financières nord-européennes où l’on pouvait trouver du change et y déposer ses capitaux. Les agents de la compagnie Alberti dépêchés dans les Pays-Bas vers le milieu du XIVe siècle pouvaient trouver du change en florins d’or à Malines, à raison d’une commission de 5% sur le change186. Il semble même que la réputation de Malines comme place bancaire du Brabant ait passé les bornes du XIVe siècle ; en 1430, le magistrat de Louvain envoya le changeur urbain dans la première ville afin d’y faire confectionner une lettre de change, mais sans succès cette fois-là187. À Bruxelles, en revanche, la négociation d’une lettre de change s’avérait malaisée jusqu’au XVe siècle188. S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 34 v° [ca. janvier 1318]. Ibidem, f° 47 v°. S.M., S.R., S.I, n° 3, compte de 1315-1316, f ° 60 v° [vers le 1/11/1316]. S.M., S.R., SI, n°2, compte de 1313-1314, f° 91 v° [1/11/1314]. Laurent 1929, pp. 12-19 [mars 1293 ou 1294], pour la foires de Lagny, pour celle de Lagny, voir Ibidem, n° 4, p. 32 et p. 35 [février 1295], aux foires de Champagne en général : Ibidem, n° 15, pp. 54-56 [novembre 1310]. 184 S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 37 r°. Localisation de l’auberge dans Beterams 1956-1957, vol. 1, n°213, p. 27 [8/10/1322]. La maison « De Aer »appartient alors à un certain Jean de Aquila (aigle en italien, ce qui rend probable l’existence d’une enseigne à cette effigie).Un Andriolus Aquila est mentionné comme témoin d’un acte de commandite d’un marchand vénitien à Gênes dans Doehaerd 1941, vol 2, n° 622, pp. 332-333 [28/10/1250]. 185 Bautier 1987, p. 214. 186 Ex. pour l’année 1348 : E deono fire,a di viii d’ottobre MCCCXLVIII, fior. Quaranta d’oro che ci mandarono a pagare in Firenze, per loro lettera di compagnia, fatta là adi XVI d’agosto, anno detto, a Paolo Mei. Posto che dé avere, adietro a carte LXXXX. Sono per chambio di fior. XLII d’oro che Iachopo di Gherardo ebbe in Mallino, adi VIII d’aghosto, anno detto, da Paolo detto, a ragione di V per cento, peggio in Fiandra. A ffior. Lbr. LVIII : dans Goldthwaite 1995, vol. 1, p. 71, sub carta n° 249v° (1348). 187 Van Uytven 1961, p. 460. En désespoir de cause, le changeur se rend à Bruges. 188 En 1442, des marchands louvanistes tentèrent en vain de négocier une lettre de change à Bruxelles (Thielemans 1966, p. 196). 179 180 181 182 183

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Si j’ai décrit cette lente progression de la centralisation des informations commerciales à Malines, c’est qu’elle eut un impact net sur l’internationalisation des activités bancaires de la banque de Montemagno. Indéniablement, les dirigeants principaux, associés, gouverneurs, facteurs et serviteurs avaient pu capitaliser leurs trente années de présence dans la ville et leurs contacts fructueux avec le monde du négoce international. De cet investissement à long terme dans l’élaboration d’un réseau de collègues, soutiens et patrons, les banquiers piémontais récoltaient maintenant les dividendes. Le réseau bancaire de Gabriele allait amplifier son rayonnement supra-régional dès 1334 avec les bancs de prêt hennuyers de Valenciennes, Bouchain et le Cateau-Cambrésis, notamment, où des membres de la famille della Rocca, également actionnaire à Malines, ouvraient des crédits au comte de Hainaut189. C’est à la fin du premier tiers du XIVe siècle, que la banque lombarde exploitée par les familles de Montemagno, della Rocca et d’Arazzo prit son envol européen. Disposant de deux sociétés sœurs en Rhénanie, à Aix-la-Chapelle et à Cologne, les Lombards pouvaient à la fois répondre aux besoins du crédit de l’archevêque de Cologne et explorer le marché gueldrois, tout proche de la Rhénanie190. En 1342, Gabriele de Montemagno se chargera de couvrir les dépenses du duc Renaud II lorsqu’il viendra fréquemment en Brabant à l’occasion du séjour sur le continent du roi d’Angleterre Edouard III191. Le sommet de l’extension européenne des agences lombardes sera atteint en 1345 avec l’obtention par 12 associés des familles de Montemagno, Cavazzone, de Catena, Deati, della Rocca, Roero, de Ponte, Turco et Bertaudi du privilège d’exercer le change à Londres, York et Canterbury192. Comme le Nucingen de Balzac, Gabriele de Montemagno s’était fait un nom et était connu à la cour de Gueldre comme Gabriel ou Gabriel van Meglen ou à la cour de Brabant comme Gabriel le Lombard, pour le duc Jean III193. Cette familiarité auprès des Princes n’était pas sans rappeler l’illustre précédent de Tadeo Cavazzone, financier de plusieurs princes territoriaux et souvent nommé dans les reconnaissances de dette par un simple prénom194. 189 Reichert 2001, pp. 120-121. En 1334, Gabriele et son frère Galvagno de Montemagno, s’associèrent avec les della

Rocca, Bartolomeo et Giacomo pour une série de prêts à Mons et à Valenciennes d’un montant de 600 fl. Sur ces opérations, voir aussi des opérations de virement à Malines en relation avec la clôture du compte : S.M., S.R., S.I, n°16, compte de 13331334, f° 125 v°. 190 En 1332, les de Montemagno obtiennent avec des membres de la famille Ottino de l’archevêque Walram un octroi d’exploitation d’une table de prêt à Cologne pour onze années contre un cens annuel de 300 florins. En 1334, les mêmes familles reçoivent un octroi similaire pour Aix-la-Chapelle : Bordone 1996, p. 40. Les membres de la famille de Montemagno actionnaires des casane rhénanes sont Andrea, Gabriele, Galvagno, Obertino, Percivalle et Riccardo. 191 R.A.G.A., Recette générale du comté de Gueldre, compte n° 207 (1342-1343), f°16v° : item des wonsdachs nae pinxe, meister Johan Beslach ghesant van Monford tot Megglen te Gabriel mit hondert schilden ende mit enere brieve, voert te Brugghe in Flanderen, den Margreve van Gulijc ij schilde van goude valent –ij lb.ijs.viijd, voir également les f°s 18 v°, 19 v°, 31 r°, 40 r° et 58 v° : les messagers du comte de Gueldre partent en général d’Arnhem ou de Nimègue en avance pour débloquer des fonds avant que le comte n’arrive en Brabant. 192 Reichert 2001, p. 129. 193 R.A.G.A., Recette générale du comté de Gueldre, compte n° 207 (1342-1343), ff. 6v°, 18 v°, 19 v°, 31 r°, 40 r° et 58 v°. En 1342, le duc de Brabant reconnaît qu’il n’a toujours pas versé à « Gabriel den Lombard » et ses associés la somme de 2 200 florins qu’il devait verser par leur intermédiaire au comte de Juliers : A.G.R., Chartes de Brabant, n°665. Même si sous la plume de Balzac, pointe souvent une caricature malhonnête des Rothschild sous les traits du banquier Nucingen, l’auteur de la Comédie humaine a bien saisi l’importance pour une maison de banque de se faire un nom sur la place lorsqu’il décrit les débuts de la notoriété de Nucingen : « (. . .) Comment se faire connaître ? Il suspend ses payements. Bon ! Son nom restreint à Strasbourg et au quartier Poissonnière [quartier des banquiers à Paris], retentit sur toutes les places ! » : de Balzac 1966, p. 10. Sur la mythologie construite par Balzac à partir du personnage de James Rothschild, voir Ferguson 1998, pp. 288-289. 194 Au sujet de Tadeo Cavazzone, voir supra, la 1ère partie, chap. 2, pp. 100-102.

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Conjointement à cette démultiplication des horizons commerciaux des Lombards de Malines, la période se démarquait par une croissance exponentielle du chiffre d’affaire de la banque de Malines. Trois prêts jalonnaient principalement cette progression En 1303 Enrico de Mercato s’associa avec le Florentin Trenco Amatore, pour un prêt considérable au duc de Brabant de 16 090 lb.(tour. ?). En 1314, Benedetto Roero avança avec les Mirabello et d’autres associés la somme de 30 000 lb. n.t. au comte de Clèves, et enfin en 1325, Giovanni de Mirabello accorda sans aucun doute au nom de la banque de Malines un prêt de 48 000 lb. n.t. au comte de Gueldre, payable en six années. Le total équivalait probablement à 94 090 lb. n.t.195. Ces chiffres ne signifieraient rien s’ils n’étaient mis en balance avec le volume des opérations bancaires d’une banque située dans une ville à la démographie comparable196. J’ai choisi pour ce faire la table de Louvain, dirigée par Leone Deati, les Roero et les de Mercato, entre 1304 et 1317. Le volume bancaire de cette table était sans doute inférieur à 10 000 lb. n.t., certainement à 20 000 lb. n.t. Le montant moyen des prêts était de 52,6 lb. n.t., il s’agissait essentiellement de prêt à la consommation ou de prêt d’investissement, en aucune manière un crédit destiné à financer la politique territoriale d’un prince, comme c’était le cas à Malines197. La cartographie comparée de la clientèle et des banques partenaires des deux sociétés de prêt astésanes livre des clefs d’interprétation encore plus significatives pour l’expansion différenciée de chacune des deux banques. Tant au point de vue de sa clientèle que de ses banques partenaires, la société de prêt de Malines possédait une zone de rayonnement géographique beaucoup plus ample que celle de Louvain, cette dernière se restreignant à une activité bancaire de type régional (voir cartes 8 et 9). Par clientèle, j’entends non seulement les individus ou collectivités s’adressant à la banque lombarde pour un prêt mais encore les clients désireux d’y déposer des fonds. Par banque partenaire, j’entends toute autre banque où les actionnaires des sociétés de Malines et de Louvain détenaient des parts ou y officiaient directement. Les observations qu’on peut tirer de cette spatialisation des activités bancaires sont autant enrichissantes pour la compréhension des stratégies commerciales des Lombards. Dans un cas, celui de la banque de Mirabello puis de Montemagno à Malines, les dirigeants astésans auraient opté pour un développement dynamique de la gestion de fortune et de de la banque de dépôt – indispensable au financement de gigantesques opérations bancaires – ainsi que la tenue de comptes courants avec leurs différents associés. Dans l’autre, celui de la domus Lombardorum de Louvain, les dirigeants auraient consciemment soutenu un crédit à caractère régional, principalement axé vers la demande des élites patriciennes louvanistes et leurs placements immobiliers dans l’arrière-pays de la ville. Un partage typologique des fonctions du crédit se serait de la sorte esquissé dès le premier quart du XIVe siècle. Le souci de faire respecter le bon crédit de la ville de Malines était constant et transpirait des modalités généreuses de réévaluation des rentes en monnaie courante. Cela nécessite, me semble-t-il une spécialisation des places financières en Brabant, Malines jouant le rôle de 195 Croenen 2006, n°57, pp.  84-85 [21/12/1303]  ; Archives d’Arenberg à Enghien, chartrier, n°45, [31/10/1314] et

Stadsarchief Zutphen, Oud archief Zutphen, charters, n°72 [4/3/1325]).

196 En 1374, Malines aurait compté une populationde 13 000 habitants, Louvain, 17 000 (Van Uytven 1992, p. 32). 197 La moyenne est établie sur 24 opérations de prêt. Le total des créances impayées de la maison de Louvain tel qu’exposé

dans A.S.V., Coll. 433a, f° 25 v°-44 v°, s’élève à 1 595 lb. 4s. 176 d.n.t.(1 g.t. compté pour 16 d.n.t.). En considérant que la perte ne concerne qu’ un dixième du montant—ce qui me semble une estimation déjà optimiste—le volume des prêts bancaires resterait encore bien en-dessous de celui des opérations bancaires à Malines.

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« bourse négociable aux rentes viagères » et de marché de placement pour les opérations spéculatives à haut rendement, certainement en relation avec les places de Bois-le-Duc et de Valenciennes où étaient établies des banques lombardes très dynamiques. D’autres villes comme Bruxelles et Louvain se cantonnant alors à des opérations de crédit plus traditionnelles, orientées vers l’émission de rentes perpétuelles et viagères avec une négociabilité plus réduite de ces dernières198. Malines devenait graduellement une place bancaire de premier ordre pour le Brabant, jouant un rôle en ce domaine comparable à Bruges dans le comté de Flandre199. Dans le même temps, les Astésans de Malines poursuivirent leurs entreprises d’exportation de laine anglaise et de collaboration à la commercialisation de draps brabançons200. En 1314, des négociants juifs demeurant en Bourgogne à Vezoul s’associèrent à des Lombards bourguignons, pour des achats de draps à Malines. Les associés de Broglio-de Montemagno disposeront plus tard d’une casane à Salins ; il est vraisemblable que les financiers juifs de Vezoul étaient déjà entrés par leur biais en contact avec des facteurs lombards connaissant bien le marché drapier malinois. Il vaut la peine de signaler, sous l’angle des échanges culturels entre les deux communautés, que les banquiers juifs de Vezoul semblent avoir maîtrisé des rudiments de comptabilité bilatérale201. L’étude approfondie du développement de la banque malinoise en liaison avec la banque dite des Leopardi, active en Angleterre et la banque Malabaila, opérant à Avignon, sortirait du cadre chronologique imposé à cette étude. Je m’intéresserai seulement à ces deux banques dans la mesure où leur succès s’était bâti sur l’exploitation d’un capital technique amassé par les banquiers astésans en Brabant. La Société des Leopardi, était une association bancaire qui prêta au roi d’Angleterre Édouard III une somme de 65 983 florins de Florence ou 9 897 lb. sterl. ; elle était essentiellement basée à Malines. Le prêt devait aider le souverain Plantagenêt à subsidier plusieurs princes impériaux ayant apporté leur soutien à l’Angleterre contre la France du roi Philippe VI : entre autres l’archevêque de Cologne, le duc de Gueldre, le duc de Brabant et le comte de Hainaut-Hollande et Zélande202. Tout comme son grand-père en 1297, Édouard III se résolut également à engager plusieurs joyaux à un groupe de financiers 198 Le virement des rentes viagères d’un compte vers l’autre ou au profit de Lombards locaux ne paraît pas attesté à

Bruxelles ni à Louvain (Dickstein-Bernard 1977, pp.336-345 ; Van Uytven 1961, p. 459).

199 S’il fallait encore un argument pour mettre en lumière la circulation très intense des capitaux dans la ville et la richesse

de ses habitants, on peut rappeler que le duc de Brabant Jean II avait assigné à la compagnie lucquoise des Onesti un payement de 41 000 lb. sur les revenus de la ville, étalé sur quatre années : A.G.R., C.C., n°1, f°76r°-76v° [6/9/1304] et De Ridder 1974, n°24, p. 92 [2/12/1307].  200 Calendar of the Close Rolls 1892-1898, vol. 3, p. 250-251 : exportation de 10 sacs de laine exportés du port de Boston le 22/8/1320 à exporter vers l’étape de Saint-Omer en Artois par Gualeta de Catena, ancien associé d’Enrico de Mercato lors de l’engagement des joyaux d’Edouard Ier en Brabant en 1297. D’autres marchands astésans prirent en charge l’exportation de la laine anglaise vers Venise la même année. En 1337, les marchands d’Asti avaient reçu le privilège d’Edouard III de pouvoir commercer en Angleterre. L’année suivante, des marchands déjà au service de la curie avignonnaise, Nicolo de Regibus et Giacomo Monaco, obtinrent une licence spéciale pour exercer le commerce en Angleterre durant deux ans (Reichert 2001, pp. 98-101). 201 Gabriele de Broglio de Montemagno est cité avec Oberto Deati et Giorgio Asinari comme financier du duc de Bourgogne Eudes IV  : Reichert 2001, p.  121, n. 239 [6/4/1339]. Au sujet de l’investissement de la banque juive de Vezoul dans l’importation de draps de Malines avec des Lombards et sur leurs techniques comptables, voir les considérations extrêmement intéressantes de Holtmann 2003, pp. 279-284. Les Lombards de Vezoul détenaient un compte courant dans la banque des Juifs résidant dans la ville. 202 Sur le contexte général du financement de la campagne militaire d’Edouard III, voir Lyon 1995 Lyon, pp. 693-705. Pour le prêt de plus de 65 000 florins : Lyon, Lyon et Lucas 1983, p. 259.

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astésans basés à Termonde et dirigés par Simone de Mirabello, fils de Giovanni et régent de Flandre et Leone de Mirabello, son cousin203. Le nom des Leopardi provenait sans aucun doute de l’enseigne d’une des auberges les plus renommées de Malines : den Leupart. Le maison en pierres, dotée d’une cave en briques, était située sur le marché et face à la maison des échevins, l’apothicaire Léonie possédait vraisemblablement une rente sur la maison204. Un hôtel des Lombards de ce nom existait d’ailleurs à Liège205. Le choix du nom d’une auberge ou d’une maison privée pour dénommer une maison bancaire n’avait rien de surprenant. Les premiers Rothschild, établis à Francfort, vivaient dans une maison de ce nom depuis le XVIe siècle. La signalisation par les enseignes était typiques des quartiers commerciaux et renvoyait soit à une symbolique figurative soit au nom du propriétaire206. On ne peut exlure que l’hôtel fusse destiné à accueillir de prestigieux otages garants pour dettes, dans le cadre des emprunts de la couronne anglaise. Il faut compter également avec un aspect de séduction héraldique, les Léopards renvoyant aux armes des rois d’Angleterre, les Plantagenêts207. Il est en tout cas patent que cette societas Leopardorum n’usa de ce nom que lorsqu’elle traita avec les Anglais208. Deux aspects de la compétence des banquiers astésans et de leur expérience ressortent de cette nouvelle « aventure anglaise » et apparaissent décisifs pour éclairer leur succès international. Je soulignerais d’abord la capacité à attirer des investisseurs externes. Gabriele de Montemagno et son associé, Matteo Cavazzone, accomplirent avant tout un impressionnant travail de courtage financier consistant à convaincre leurs déposants de participer au crédit à la couronne anglaise. Ce phénomène de crédit spéculatif avait, on l’a remarqué, trouvé son aboutissement le plus achevé à Malines. La dimension de «  retour sur investissement  » était cependant d’une portée beaucoup plus importante qu’auparavant. De nombreux marchands-patriciens participant à l’aventure, comme le Louvaniste Jean van der Calsteren ou le Malinois Arnould d’Oudeghem, pratiquaient le commerce de draps avec de la laine anglaise. Au moment où l’industrie de luxe des draps brabançons donnait ses premiers signes d’essoufflement, il était vital de s’assurer le contrôle de l’approvisionnement en laine anglaise, quitte à se faire payer ses avances d’argent en laine209. Ainsi, lorsque Angelo, Guido et Gabriele de Montemagno décidèrent de prêter 65 983 florins de Florence aux envoyés du roi d’Angleterre en 1339210, ce n’était pas tellement la richesse de marchands-banquiers piémontais parvenus au même sommet que les banques florentines Peruzzi ou Bardi qu’il importait de remarquer mais leur formidable aptitude à collaborer avec les patriciens financiers et changeurs des principales villes 203 N.A., DL.27/303, actes des 14/2/1340, 7/9/1340, 1/11/1341 et 19/11/1341. 204 Verheyen 2003-2004, pp.1-9 et p. 15, mention en 1322 de la rente de Léonie, dépendant de la table du Saint-Esprit

de Saint-Rombaut.

205 Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 326. À Malines, une Elisabeth Lippardine est seigneur foncier entre 1288 et 1289 :

Laenen 19342, p. 121. 206 Sur la signalisation des hôtels à enseignes à Bruges, voir Murray 2005, p. 75 et pp. 77-78. Les Rotschild tenaient leur nom de la maison à l’enseigne Zum Roten Schild, dans la Judengasse de la ville. Les lointains descendants du XVIIIe siècle continuèrent à porter le nom alors qu’ils avaient quitté depuis la demeure depuis un siècle : Ferguson 1998, p. 42. 207 Un chroniqueur anglais avait même comparé le roi Edouard Ier d’Angleterre à un léopard pour sa bravoure dans sa jeunesse : Prestwich 1997, p. 24. 208 Reichert 2001, p. 118. Aucune famille de ce nom n’existe à Asti. 209 Sur la participation importante des marchands-drapiers brabançons à la couronne anglaise, voir l’article précurseur de Ziegler 1983, p. 807 et pp. 811-814. 210 Lyon, Lyon et Lucas 1983, p. 259.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

brabançonnes participant au prêt211. Jean Rickier, Guillaume Kerman et Gauthier le changeur de Malines, alias Wouter Bau, fils de l’ancien banquier de Giovanni de Mirabello et le patricien louvaniste Jean van der Calsteren avaient partie liée avec les Lombards dans le prêt au roi Édouard III212. Un autre changeur, Colus Coluche, n’était autre que le petit-fils du créancier du duc Jean II, le banquier Dino Onesti, de Lucques, ayant hérité d’une assignation ducale sur la ville de Malines puis d’une rente viagère sur la ville. Désormais bourgeois d’Anvers, il allait très vite grimper les échelons de la société anversoise jusqu’à l’échevinat de la ville213. Une seconde caractéristique de l’opération bancaire mérite d’être mise en relief : des techniques éprouvées auparavant en Brabant septentrional et en Rhénanie comme le séjour d’otages pour dettes en auberges ou la désignation de procureurs astésans par les débiteurs nobles, furent réemployées dans les contrats d’emprunts du roi d’Angleterre auprès de Matteo Cavazzone et ses associés. Ainsi, lorsqu’en 1339, dans la maison bruxelloise du Piémontais Jean Ferracani et en présence d’un notaire public, les comtes de Derby et de Northampton, l’archevêque de Canterbury et d’autres barons et chevaliers anglais ainsi que les dirigeants des compagnies toscanes Bardi et Peruzzi obligèrent leurs biens en garantie d’un prêt au roi d’Angleterre de 38 116 écus d’or de la monnaie du roi de France Philippe VI, ils s’engagèrent aussi à venir séjourner dans une ville brabançonne comme otage214. Effectivement, en novembre 1340, les comtes de Derby et de Warwick furent retenus en garnison à Malines, alors que quatre chevaliers étaient détenus dans la forteresse ducale, plus spartiate, de Louvain215. Mais il y a plus, les procureurs désignés par les débiteurs anglais et toscans n’étaient pas moins de six : Matteo et Giovanni Cavazzone, Giacomo Gormeti, Antonio Pillosi, Giorgio de Calloccio et Garvagnino Garreti. Ils étaient tous désignés en cour apostolique, afin qu’en leur nom, devant le camérier (le chef des finances pontificales) ou devant la chambre apostolique, son auditeur ou son représentant, en cas de défaut de payement et chaque fois que cela serait nécessaire, les débiteurs précités se soumettent à la censure ecclésiastique, à l’initiative des procureurs ou à la demande de la chambre apostolique. Les peines spirituelles pouvaient aller jusqu’à l’excommunication. Cet intéressement de la chambre pontificale aux profits des financiers astésans –  un quint denier pouvait être perçu par toute autorité publique les assistants  – ne doit plus nous surprendre. Le recours à la sanction de l’autorité pontificale de Jean XXII (1316-1334) a été observé lors des prêts contractés par le seigneur Jean V de Heusden à l’égard des Astésans en Brabant septentrional  ; plusieurs anciens associés de cette 211 Les analyses trop littérales des archives anglaises par Lyon, Lyon et Lucas 1983, p. lxxv et p. cxii ainsi que Reichert 2001, pp. 113-119 n’ont pas fait justice à la complexité du montage financier imaginé par Cavazonne et Montemagno, qui il est vrai, est rendu quasiment impénétrable par les mentions contradictoires des clercs anglais de la Garde-Robe royale. 212 Rickier et ses comparses avancèrent une somme totale de 60 000 florins à la même époque, il est clair que cette somme entrait dans le prêt total de la banque de Cavazzone et de Montemagno. : Lyon, Lyon et Lucas 1983, p. 70. Identification correcte de Bau par Paravicini 1995, vol. 2, p. 258. 213 Coluche est une déformation française de l’Italien Coluccio, lui-même déformation de Nicolo. Le père de ce Nicolo est cité en 1317 pour son assignation sur la ville de Malines qu’il recevait par l’intermédiaire de Wouter Bau : Ierstwerven Colutse Gales van Getuchen sone wilen Adiin Honeste van Luques op de paie van sente Lambrechs daghe die was int jaer ons heren m ccc ende xvii jaer verghouden ane Wouter Bauwe in sente Mathijs daghe van m lb. flor.(. . .) : S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 10 v°. La rente viagère de Nicolo, alias Claes est citée en Item, Clause, Clause sone die men heet Coloeche Galees wonachtech te Antwerpen van Avezoeten wilen sinen wive—40 s. v.g. (S.M., S.R., S.I, n° 4, f°77 r°) ; Prims 1933, p. 107. 214 N.A., E.101/601/9 [15/7/1339]. L’acte est passé en présence de maître Martino Frenario, un ancien partenaire des tables de Bois-le-Duc, Bruxelles et Malines, ayant acquis depuis un degré universitaire. Un autre ancien partenaire des prêts au seigneur de Heusden était Bartolomeo della Rocca, également cité à Bruxelles. 215 Fryde 1988, p. 173.

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L’intégration dans les villes brabançonnes : l’exemple de Malines | Chapitre iii

entreprise étaient affiliés à la nouvelle société des Leopardi. Ce qui mérite toute l’attention ici, c’est plutôt le rôle de tremplin que ce genre d’opération bancaire pouvait jouer pour favoriser l’installation en Avignon d’une banque astésane. Trois ans après avoir fait crédit au roi d’Angleterre Édouard III, les Astésans allaient propulser les frères Guidetto et Giacomo Malabaila comme banquiers du pape Clément VI. Les Malabaila appartenaient à la faction guelfe à Asti216. En analysant les relations entre plusieurs lignages astésans occupant des positionsclefs dans les sociétés de prêt actives en Brabant et la chambre pontificale, il est difficile de ne pas y déceler une stratégie coordonnée des premiers pour s’implanter en Avignon ; et c’est un troisième héritage des années brabançonnes des gens de la banque Leopardi. La plupart des patrons de casane étaient peut-être gibelins, cela n’avait plus de conséquence sensible sur leurs décisions commerciales  : après avoir parié en 1309-1313 sur le sacre impérial d’Henri VII à Rome, les sociétés lombardes actives dans les anciens Pays-Bas paraissent avoir voulu amplifier leur présence sur le marché avignonnais217. Plusieurs faits affermissent cette hypothèse. D’une part, les marchands astésans livraient des draps de Brabant en Avignon depuis 1327, d’autre part, un parent d’un banquier actif en Brabant, Ivain de Valfenera était signalé comme intermédiaire bancaire du pape Jean XXII dès 1320 218. Finalement, Benedetto Roero, d’une famille majoritairement gibeline, avait fait donation de ses avoirs par acte notarié au Saint-Siège en 1320. Le 15 avril 1321, il se déplaça spécialement à Avignon, devant le camérier pontifical, pour confirmer cette donation219. Benedetto avait lui aussi été désigné comme procureur par la chambre pontificale pour la récupération de ses propres créances, disséminées dans les anciens Pays-Bas, il percevait un salaire d’un florin d’or par jour à cette fin ; un de ses parents, appartenant à la faction guelfe d’Asti, devint d’ailleurs également procureur pontifical en 1326 220. Sous ce barême et avec ce statut, la donation au Saint-Siège s’apparentait à la fois à une entreprise lucrative et à une assurance-vie pour le futur221. Par ailleurs, Gabriele de Montemagno, il faut le répéter, devait entretenir un correspondant à Avignon au moins depuis 1333, si pas avant222. L’arrivée des Malabaila à la tête des finances pontificales donna une impulsion décisive au négoce de la banque malinoise dès 1342-1342. Symptomatiquement, la compagnie Malabaila développa ses services de transfert d’argent vers la curie avignonnaise en s’alignant sur la disposition du réseau bancaire existant, développé par les banquiers lombards gibelins : le transfert des « communs 216 Bordone et Spinelli 2005, p.  191. Guidetto fut nommé trésorier de la chambre pontificale, alors qu’en 1344, Giacomo sera en charge de la monnaie du pape. Sur le rôle de la famille à Avignon, voir en outre Renouard 1942, pp. 43-45. 217 Sur le soutien financier apporté par les sociétés de prêt gibelines au roi des Romains Henri de Luxembourg à partir de 1309, voir Bordone et Spinelli 2005, p. 183 et n. 140. 218 Schäfer 1911, pp. 208-210, p. 215, p. 231 et pp. 235-237. Ivain de Valfenera est au service de Jean XXII en 1320 (comme intermédiaire bancaire : A.S.V., Obligationes et solutiones, reg. n°7, f° 7 r° [20/12/1320]), c’est un parent du Ruffino de Valfenera actif à Bruxelles dans les années 1320 pour les prêts au seigneur Jean V de Heusden (cf. le chap. 1 de cette même partie, p. 206 et 216). 219 Kusman 2010, p. 27 et p. 35. La famille faisant partie de la faction des magnates gibelins se distinguait toutefois à Asti par un opportunisme politique certain : Castellani 1998, p. 176. 220 Kusman 2010, p. 33. À la même époque, un parent de Benedetto, Tommaso Roero réussit lui aussi à obtenir ce statut avantageux de procureur lorsque sa fille naturelle fit donation de l’héritage de son défunt mari au Saint-Siège. Depuis la fin du XIIIe siècle, Tommaso Roero adopte une position qui tranche avec le reste de sa famille, il appartient au parti guelfe d’Asti : Kusman 2010, pp. 34-35 ; Castellani 1998, p. 174 et p. 290. 221 Bizarrement, les monographies de Guillemain 1962 et de Favier 1966, ne soufflent mot de ces donateurs-procureurs dont la capacité d’homme d’affaire devait être redoutable. 222 S.M., S.R., S.I, n°16, compte de 1333-1334, f° 79 r° et f° 80 v°.

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services  » –  c’est-à-dire les redevances  – payables par le clergé à la chambre pontificale d’Avignon était limité à l’Angleterre, le nord-est de la France et les pays rhénans, territoires de prédilection des affaires des familles de Broglio-Montemagno, della Rocca et Roero, entre autres223. C.

Le rôle de la ville comme marché privilégié par les apothicaires lombards

L’organisation de la maison des Lombards de Malines mérite qu’on s’y arrête  ; c’était en effet le seul établissement lombard disposant dans ses murs d’une apothece speciaria, c’est-à-dire une boutique d’épices ou de mercerie. Tout indique, qu’en plus du commerce de mercerie, tel que probablement la vente de plantes aromatiques comme la cannelle et de produits tinctoriaux semi-finis ou finis Carexana pratiquait aussi le prêt, l’association entre les métiers du change et de l’épicerie étant usuel en Italie224. Et effectivement, Rolando Carexana, connu sous le nom de Roelande den Specier effectuait dans sa boutique des virements de la ville au profit de Dionigio della Rocca, un des dirigeants de la maison des Lombards de Malines225. Mais Rolando se chargeait aussi d’approvisionner la maison échevinale en épices lors de ses réceptions et en papier226. Dès le début du XIVe siècle, la ville de Malines remplissait certainement une fonction de marché de redistribution des substances tinctoriales vers l’intérieur du Brabant. En 1301, la garance et la guède sont négociées sur le marché de la ville227. Le rôle de Malines dans la redistribution des produits tinctoriaux vers les autres villes drapantes était prépondérant grâce au Rupel connecté au réseau de petites rivières brabançonnes, Dyle et Demer et à l’Escaut. C’est dans ce contexte qu’il faut sans doute replacer l’activité de courtiers spécialisés dans la guède, ce qui suggère que la ville était devenue un marché interrégional pour cette substance dès cette époque228. L’activité d’une seconde boutique d’apothicaire-épicier lombard, celle de Léonie projète un autre rai de lumière sur l’engagement des Italiens dans la profession. En 1332, Léonie alors veuve, quitta Malines pour la Lombardie  ; elle donna vraisemblablement procuration au marchand-drapier Arnould d´Oudenghem pour percevoir la rente viagère de 2 lb. de v.g. qu’elle détenait sur la ville d’Herentals. En 1340, Léonie était d’ailleurs 223 Le duc Renaud II de Gueldre recourt aux service de Gabriele, voir les mentions de la recette de Gueldre : Here Johannes van Ysendijc bi Gabriels brieven aen Lombarde, Gabriels vriende tot Avinon aen ij c x enghelsche die ic Gabriele gaf te Heverle iij.c. ende ij schilde ende ij. aude groeten den enghel voer xxiij aude groten gherekent videlicet – iij c xxij lb. v s. iiij.d.( R.A.G.A., Recette générale du comté de Gueldre, compte n° 207 (1342-1343)), f° 31 r° et encore f° 40r° : Item des dinxdaghes nae sente Matheus daghe, Grote Hensen ghesant van Nymeghen mit Gabriel tot Megglen omme den brief aen die Lombarde tot Avinon van heren Hermans ghelde van Coelne aldaer oft te Rome te boerne j schilt – xxj s iiij d. Item van den wissel ende dat coste aen die Lombarden tot Avinon xv schilde valent – xvj. lb.). Sur le rayon d’action de la banque Malabaila en Europe du nord-ouest, il faut consulter Renouard 1942, p. 45. 224 A.S.V., Coll. 433 a, f° 29 r°  : Speciarius que le dictionnaire de du Cange connaît surtout comme substantif, désigne aussi bien le négociant en épices que le vendeur de plantes tinctoriales et des plantes médicinales, cf. du Fresne du Cange 1883-1887, t.6, pp.319-320 et Niermeyer 2002, col. 983 ( J.F. Niermeyer retient seulement speciarius comme substantif avec la définition de droguiste) ; Lacorre 1960, p.24. Sur l’association entre trafic d’argent et trafic d’épices dans le monde méditerranéen, voir l’étude novatrice de Marshall 1999, pp. 43-44, pp. 67-69, pp. 107-108 et p. 110. 225 S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 10 v° : payement de 1 000 florins versé par l’intermédiaire de Nicolo et Domani Roero à Rolando qu’il reverse sur son compte au changeur Wouter Bau, voir aussi S.M., S.R., S.I, n° 3, compte de 1315-1316, f° 101 r°.  226 S.M., S.R., S.I, n° 3, compte de 1315-1316, f° 76 r° ; S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 46 v°. 227 Van Dooren 1859-1885, vol.1, p. 15. 228 Peeters 1993, p. 58.

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encore en mesure d’exiger des créances sur la Ville de Malines229. J’ai déjà évoqué le rôle de courtier-hôtelier important de ce personnage et son activité de drapier. Arnould intervenait en faveur de Léonie, afin qu’elle recouvre les arriérés de sa rente viagère car elle se trouvait à présent à l’étranger. Oudenghem, marchand drapier, prêtera pas moins de 13 000 florins de Florence au roi d’Angleterre Édouard III en 1339. La compagnie bancaire des Bardi le remboursera de ses avances en sacs de laines. Il exportera également des sacs de laine vers Bruges à la même époque (190 sacs en 1339)230. Un de ses parents avait été échevin de Malines dans les années 1300-1304231, lui-même à moins que ce ne fut son père, était échevin en 1308 et en 1311232. Qu’un personnage aussi puissant qu’Oudenghem se fasse le mandataire de Léonie n’était donc pas un hasard. Elle vendait probablement au détail des produits tinctoriaux alimentant la forte demande du marché des draps apprêtés à Malines, tout en fournissant aussi des épices233. Un des anciens associés de la maison de Malines, Bernardo Roero avait quant à lui développé une activité annexe de fournisseur d’épices à la cour de Hainaut, notamment du gingembre ; Giacomo Garreti faisait de même à Valenciennes234.

229 A.G.R., Chartes de Brabant, Supplément, boîte 382, 1231-1398, n°352bis  [2/12/1332] et S.M., S.R., S.I,. n° 20,

compte de 1340-1341, f° 167r° : une dette ancienne de 14 s. de v. gr. sur la Ville est citée. de Sturler 1936, p. 373 et n.318. Hermans 1908, p. 35-36. Hermans 1908, p. 37. L’épouse de Florent Berthout, Mathilde de la Marck, se reconnaît débitrice de 20 s. v.g. envers Léonie, van crude (Croenen 2006, n° 103, p. 152 [17/4/1319]). 234 A.D.N., B 3270, comptes des dépenses de l’hôtel des comtes et comtesses de Hainaut, Hollande et Zélande, 13251326 : f°35r°. 230 231 232 233

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Chapitre iv

Des premières oppositions à la rupture définitive (1308-1333)

1.

Premières oppositions

 . Prélude aux clivages : l’affaire della Porta, clerc adultère et usurier A lombard ! La question des premières oppositions au crédit lombard est indissociable du statut juridique des marchands-banquiers d’Asti dans le duché de Brabant ; ce statut restait fragile. Aucun texte d’octroi collectif d’exercer le prêt n’est conservé au profit des Astésans pour le XIIIe siècle. L’historien en est réduit à supposer que ceux-ci jouissaient, sans doute par table de prêt, d’une autorisation – donc d’un octroi tacite – de résider dans le duché en échange de taxes annuelles payées au receveur de Brabant depuis 1284. Par ailleurs, le prêt de 100 000 lb., concédé par toutes les tables de prêt de Brabant au duc vers 1292, ouvrait la voie à un octroi de résidence collectif implicite1. Ce prêt, très conséquent, coïncidait ­précisément avec la proclamation de la protection ducale des Lombards et de leurs biens, citée pour la première fois dans un acte intéressant l’ammanie de la ville de Bruxelles2. Tant que la dette ducale n’était pas éteinte, cette protection des personnes et des biens était ­d’application, c’était là une condition sine qua non des octrois de tables de prêt dans le comté de Flandre et il en allait sûrement de même en Brabant. Pourtant, cela ne signifiait aucunement que les « usuriers lombards », placés sous la protection exclusive du Prince, étaient pleinement tolérés dans les villes brabançonnes ; au contraire, leur existence et leurs privilèges y restaient précaires. D’abord, cet octroi, le fait du Prince, était révocable de la simple volonté de celui-ci. Un acte – resté sans suites – du duc Jean II envoyé au pape Clément V en 1307 l’illustre : le duc y expliquait que, sous l’influence de mauvais conseillers, il avait accordé des contrats d’octroi de prêt aux marchands Lombards en Brabant (probablement les familles de Mercato et Roero) afin qu’ils exercent publiquement l’usure, promettant en outre aux Lombards de sauvegarder leurs privilèges d’octroi contre l’Église romaine. Le pontife accepta, à la demande de Jean II, de casser ces contrats et de relever le duc de Brabant et ses garants de leurs serments3. Ensuite, les résistances à l’installation des financiers d’Asti dans les centres politiques et dans les grandes villes brabançonnes étaient tenaces et anciennes ; on a vu, dans le dernier tiers du La perception de revenus sur les Lombards figure dans l’acte de nomination du premier receveur de Brabant doté de larges compétences, l’Anversois Gautier Volkaert (Martens 1943, n°1, pp. 21-22[18/4/1284]). La résidence des banquiers de la famille de Mercato et Roero en Brabant est implicitement mise en parallèle avec le prêt collectif de 100 000 lb. dans un acte de 1296 (A.D.N., B.4055 n°3806[27/5/1296]). Sur ce prêt collectif et l’acte de 1296, voir le chapitre 1 de la 2e partie (A. Le prêt de 1293 octroyé par tous les Lombards de Brabant). 2 Cet acte d’unification juridique concédé à l’ammanie de Bruxelles par le duc Jean Ier est édité dans Willems 1836, n°183, p. 547[1292], pour les Lombards, voir p. 546 et n°184, p. 553. 3 Voir le chapitre 2 de la 3e partie, 1. De l’hôtel à la recette ducale. 1

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

XIIIe siècle, combien leur reconnaissance publique comme prêteurs, à Bruxelles et Louvain, s’était avérée ardue. Seule, en définitive, la ville de Louvain avait récemment accepté l’installation sur son territoire d’une maison publique des Lombards, probablement autour de l’année 1304, date des premières reconnaissances de dettes émises par des bourgeois envers Leone Deati et authentifiées par les échevins de la ville de Louvain. Deati et ses associés jouaient un rôle essentiel dans les rouages de l’économie urbaine en accordant des crédits à court terme aux artisans textiles et aux métiers de l’alimentation4. J’ai choisi d’exposer ici l’affaire della Porta car elle contient certains ferments des premières oppositions à l’intégration des Lombards dans la société brabançonne. Ce procès, instruit devant la justice malinoise, atteste de la complexité des motivations du rejet des financiers italiens au bas Moyen Âge. Sur le plan local, ces motivations remettaient en question la place honorable des Astésans à Malines, censée reposer sur l’intégrité morale dans le négoce et un comportement civique irréprochable. En prenant davantage de hauteur, mise en perspective avec la place de Malines dans les circuits financiers des villes brabançonnes, l’affaire éclaire d’un jour nouveau les antagonismes entre les oligarchies urbaines bruxelloises et malinoises dans le commerce de l’argent, comme on le verra bientôt. Avant le 2 août 1308, un immigré gantois vivant à Malines, Giovanni della Porta, issu d’une famille marchande et gibeline réputée à Asti, fut pendu publiquement dans la ville5. Il était accusé de crimes de révolte et d’adultère à Gand, d’avoir usurpé le statut et l’habit de clerc, d’avoir pratiqué l’usure de manière notoire et manifeste et enfin, d’avoir été bigame. Une fois arrivé à Malines il commit les mêmes crimes6. La conviction des juges séculiers de Malines que della Porta était un usurier manifeste concourut à la sévérité de leur sentence ; c’est-à-dire qu’il avait été clairement établi par une cour judiciaire ou par un aveu de l’intéressé, qu’il pratiquait l’usure. Du coup, contrairement à l’usurier simple, aucune enquête supplémentaire n’avait été nécessaire, la peine prévue s’appliquant automatiquement7. La condamnation de Giovanni della Porta se réduisait-elle cependant à un phénomène de xénophobie envers un usurier étranger inspiré par les canons du concile de Lyon de 12748 ? Je ne le pense pas. Usurier public, della Porta l’était assurément, clerc dévoyé, sans doute. Au surplus, il était parent du tenancier de la table de prêt d’Herentals, Gerardo della Porta, tout en ayant une femme légitime à Vilvoorde, laquelle hérita de sa maison9. Kusman 2008a, pp. 393-394. La reconnaissance juridique d’une table de prêt publique est certaine à partir de 1307 (Reichert 2003, vol. 2/2, p. 432 : acte ducal pour la ville de Léau organisant le crédit lombard dans la ville sur le même modèle que pour les Lombards de Louvain [7/5/1307]) mais la table publique de Louvain fonctionnait au moins depuis le mois d’avril 1304 ou 1305 : A.S.V., Coll. 433a, f° 39 v° [9 avril 1304 ou 1305, il existe deux jours de cette date en 1304 et en 1305, suivant le style chronologique de Pâques] : à cette date, une reconnaissance de dette d’Henri Minne à l’égard de Leone Deati est passée devant les échevins Arnould de Rode et Rodolphe Corsbout. L’ouvrage de Reichert 2003 précité dans cette note ne date l’existence de la table des Deati-de Mercato-Roero que de 1307. 5 Le premier acte mentionnant l’exécution de Giovanni della Porta date du 2 août 1308 et émane de l’official de Cambrai (S.M., Chartes de la ville, n° 928, vidimus [12/8/1308]). 6 S.M., Chartes de la ville, n°931a [10/9/1308]. Sur cette famille active dans le prêt à intérêt dans les anciens Pays-Bas, voir Bera 2004, pp. 610-611. Le patronyme désigne une des grandes portes de l’enceinte de la ville la Porta Arco, près de laquelle, les della Porta possédaient de nombreux biens. 7 Kusman 2009b, p. 218. 8 Dans son chapitre 26, De usuris, le concile s’attaquait aux usurarios manifestos, de toute condition et de tout statut qui n’étaient pas originaires des terres où ils pratiquaient l’usure publique : alienigenas et alios non oriundos de terris ipsorum, publice pecuniam foenebrem exercentes (Mansi 1903, p. 99). 9 Giovanni della Porta a bel et bien l’apparence d’un clerc tonsuré (S.M., Chartes de la ville, n° 928 [2/8/1308, par vidimus du 12 août suivant]) ; cependant, il a une femme légitime qui hérite à sa mort d’une riche demeure à Vilvoorde ( Jamees 1991-1993, vol. 2, n°390, pp. 72-73 [7/5/1309]), comprenant son fonds, un jardin et plusieurs dépendances, vendue à la commanderie de Pitsenbrug. Gerardo della Porta est cité comme tuteur d’Elisabeth quelques années auparavant alors qu’elle 4

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Toutefois, la sévère condamnation du prêteur pourrait bien, au-delà de sa stricte dimension judiciaire, viser les Lombards, qui, comme della Porta, pratiquaient l’usure de manière informelle en allant d’une ville à l’autre, c’est-à-dire sans octroi reçu du Prince ou des autorités urbaines locales. De ce fait, il devenait un concurrent dangereux des autres banquiers piémontais établis à Malines depuis la fin du XIIIe siècle, les della Rocca et les d’Arazzo, car contrairement à ces confrères, il ne payait aucune taxe d’exploitation tout en se réfugiant dans son statut d’homme d’église pour échapper aux jugements des tribunaux laïcs compétents. Il était du reste notoire que certains serviteurs subalternes de tables de prêt prêtaient des capitaux, à l’insu de leurs patrons, pour leur propre profit, possibilité à retenir dans le cas della Porta10. Son usurpation du statut de clerc jetait en outre l’opprobre sur ses compatriotes entrés dans la cléricature, certains, d’ailleurs, comme Enrico de Mercato, afin de trouver le soutien du clergé pour le commerce de l’argent11. En pratique, tant l’affaire della Porta que les autres situations de cumul du prêt à intérêt et de l’activité de clerc, s’inscrivaient en filigrane d’une stratégie consistante développée par les banquiers piémontais pour légitimer leurs opérations lucratives. Ce cumul était en tout cas attesté à Asti dès la fin du siècle précédent : les chanoines évoluant dans le milieu du chapitre cathédral prêtaient de leurs deniers et la question d’une importation culturelle d’un comportement économique jugé acceptable en Piémont peut être posée à bon droit12. Néanmoins, à côté de la question cruciale de l’identité civique honorable des ­Astésans dans la cité, l’affaire della Porta pourrait bien avoir été instrumentalisée par les milieux d’argent bruxellois proches du chapitre Sainte-Gudule pour discréditer la place de Malines en salissant sa réputation alors que celle-ci était déjà secouée par une révolte contre le duc13. Il s’agissait au fond de réhabiliter la memoria d’un clerc, Giovanni della Porta, pendu sans preuves suffisantes. Il faut rappeler qu’un autre financier astésan, Pietro de Gorzano, jouissait en ces années d’une prébende à Sainte-Gudule, tout en étant le facteur des Gallerani à Gand14. Au début de son intervention en faveur du cas della Porta, l’official de Cambrai avait en effet prononcé une sanction spirituelle très grave à l’encontre de la communauté urbaine. À la suite du refus du magistrat de la ville de comparaître solidairement à une citation en justice devant l’officialité de Cambrai, l’official avait fait suspendre les offices divins demeure déjà à Vilvoorde (Ibidem, n°350, p. 40 [23/4/1304]). Il est cité comme tenancier de la table de prêt d’Herentals en 1309 : Van Synghel 2000, vol. 2, n°1514, § 13, p. 1514 [3/12/1309]. 10 Cas attesté d’un valet des Lombards, prêtant à l’insu de ses maîtres en 1449 à la table de Courtrai dans Bigwood 1921-1922, vol. 1, pp. 349-350, une plainte étant déposée à son encontre devant le magistrat par les dirigeants de la table. 11 Avant d’être banquier à Bruxelles, Enrico de Mercato avait été prêtre à Louvain entre 1287 et 1296 où il résidait dans le quartier Saint-Pierre de Louvain, dans une maison dotée d’une cour intérieure sur la Coestrate (Kusman 2009b, pp.  216-217). On peut, à titre comparatif, encore se tourner vers le comté de Flandre. Vers le milieu du XIVe siècle, Un Giovanni Roero, sans doute lié à la famille éponyme exploitant la table des « Grands Cahorsins » était notaire publique, prêtre et chapelain du béguinage de la Vigne : Murray 2005, pp. 142-143. 12 De nombreux chanoines et un au moins un prêtre chapelain, gravitant autour du chapitre cathédral, sont parties prenantes dans des opérations de crédit dès le dernier quart du XIIIe siècle, ils appartiennent aux familles Peletta et di Monteu, par ailleurs actives dans le prêt outre-monts. L’Église d’Asti—la chancellerie épiscopale—joue un rôle institutionnel appréciable pour enregistrer les reconnaissances de dette et stipuler les intérêts « usuraires » exigibles par les prêteurs ecclésiastiques. Je remercie vivement Ezio Claudio Pia pour m’avoir communiqué ces renseignements glanés dans le cadre de sa thèse de doctorat en cours à l’Université de Turin relative à la justice de l’évêque Asti (XIIIe-XIVe siècle). 13 La ville de Malines s’était en effet soulevée dans son entièreté contre le duc avant de conclure rapidement une paix avec celui-ci au terme d’un bref siège : Bacha 1900, p. 254. Exceptée la date, 1308, on ignore tout des raisons de ce soulèvement. 14 Pour de Gorzano, voir R.A.G., Chartes de Flandre, Supplément Wyffels, n° 425 [41/10/1305] et Kittel 1991, p. 135, n. 47.

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à Malines, jeté l’interdit sur la communauté urbaine et proclamé son excommunication. Le chapitre Sainte-Gudule appuya le jugement de l’official en soutenant un témoignage étayant l’accusation selon laquelle la justice séculière malinoise avait agi contre un clerc ne relevant pas de sa juridiction15. La sentence fut assez rapidement levée par l’évêque de Cambrai, vu le manque de fondement de l’argumentation de la partie adverse, mais, dans l’intervalle, la ville avait été diffamée16. Tout se passait comme si une fraction des élites financières bruxelloises avait voulu tirer parti de cette crise pour affaiblir économiquement Malines. Si l’on suit ce postulat, il devient possible de voir dans l’affaire della Porta l’ultime aboutissement d’une compétition ancienne entre les milieux financiers bruxellois et malinois pour imposer un banquier issu de leur ville à la tête de la recette de Brabant. Dans la période 1305-1308 l’activité éventuelle de receveurs généraux en Brabant apparaît plus que douteuse ; cette vacance de l’office de receveur – loin d’être un unicuum dans l’histoire politique du duché – pourrait aussi correspondre à une crise du pouvoir ducal17. Une crise alimentée par l’endettement énorme des ducs de Brabant envers les prêteurs d’Asti. Pour résoudre cette crise financière, certains souhaitaient voir des Piémontais siéger à la tête des recettes ducales qui leur seraient alors engagées, d’autres y étaient hostiles. Cette première crise était en tout cas un symptôme net de la compétition que se livraient les places financières de Bruxelles et de Malines par le biais de leurs financiers astésans respectifs, signe, sans doute, que le marché financier brabançon n’était pas encore suffisamment intégré.  . La consultation de l’Université de Paris et des officialités de B Cambrai et Reims : un cliché des rapports de force entre manieurs d’argent malinois et bruxellois En 1311-1312, au concile de Vienne, le pape Clément V (1305-1314) décréta l’excommunication des communautés urbaines enregistrant les créances des usuriers par la constitution ex gravi. Selon la même constitution, affirmer que le prêt à usure n’était pas un péché, tombait sous le coup d’une accusation d’hérésie et pouvait déclencher l’intervention de l’inquisition18. Le texte fut, semble-t-il, diffusé une première fois dans les cercles universitaires parisiens en 1313 puis au sein d’une audience limitée dans la région de Carpentras et à Narbonne en 131419. Cependant, ce fut le pape Jean XXII qui publia officiellement l’intégralité des constitutions dites « clémentines » le 25 octobre 1317. Le 1er novembre suivant, les décrets étaient envoyés à l’université de Paris afin qu’ils soient enseignés dans les collèges20. La rapidité de transmission des décrétales dans les anciens S.M., Chartes de la ville, n°936 [21/2/1310 n.s .]. En 1310 le magistrat de Malines ira en appel devant la cour de Reims contre le doyen du chapitre Sainte-Gudule de Bruxelles. Le chapitre aurait soutenu les agissements d’un calomniateur, le doyen de chrétienté de Bruxelles Jean de Hasselt, lequel avait incité l’official de Cambrai à agir judiciairement contre Malines. 16 S.M., Chartes de la ville, n° 934 [19/3 et 4/6/1309]. 17 Une vacance de la fonction de receveur du Brabant est attestée explicitement par un événement ultérieur de l’histoire politique brabançonne lorsque durant la minorité du duc Jean IV, le receveur Guillaume van den Berge, ayant l’appui de l’entourage princier, fut démis de ses fonctions par les États de Brabant en 1417 et que les villes assurèrent elles-même l’administration financière du duché (Uyttebrouck 1975, pp. 490-502). 18 Friedberg 1881, col. 1184 : Corpus Iuris Canonici, t. 2, Clementinarum, lib.V, tit. V, cap. un. 19 Denifle et Chatelain 1891, n° 708, p. 169 [1313] : le pape Clément V se ravisa ensuite et demanda que l’exemplaire des constitutions qu’il avait envoyé à l’université de Paris lui soit restitué ou bien détruit. Une nouvelle rédaction des chapitres relatifs aux dettes fut achevée en 1314 ; voir aussi Piron 1998, pp. 289-308, p. 301. 20 Kusman 1995b, p. 209. 15

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Pays-Bas doit être soulignée. Une fois connu, le décret pontifical allait provoquer une vague répressive déferlant vers tous les usuriers notoires, juifs ou piémontais : à la différence de la Rhénanie, les communautés juives ne furent toutefois pas inquiétées21. La ville de Liège adopta dès le mois d’août 1318, une législation assez répressive, tendant à stigmatiser les usuriers publics en les incitant ainsi que leur famille à abandonner leur activité22. À Mons, durant les années 1319-1321, les échevins, s’appuyant explicitement sur les décrétales, adressèrent des missives à diverses autorités séculières et spirituelles dont le comte de Hainaut et son conseil, l’évêque de Cambrai et probablement l’université de Paris. Il importait de savoir si les chirographes montois des membres de la famille astésane Turco de Castello devaient être acceptés comme créances légales sur la ville23. À Saint-Trond enfin, la constitution arriva assez vite à la connaissance de l’abbé, relevant que ses canons étaient publiés pour être enseignés dans les écoles et appliqués par chacun24. Le Brabant n’échappa pas à cette campagne anti-usuraire. La ville de Bruxelles et le duc Jean III consultèrent en effet l’Université de Paris vers l’automne 1318 ou l’hiver 13181319 afin de savoir si, au terme de la constitution ex gravi, les autorités urbaines risquaient d’être excommuniées25. Les questions posées exposant scrupuleusement en préambule la situation juridique des communautés de marchands étrangers résidant en Brabant, l’acte livre une description précieuse de la position légale des banquiers piémontais, le texte du premier octroi concédé aux Lombards n’ayant pas été conservé. D’une part, comme ses prédécesseurs, le duc percevait sur les Lombards de Brabant, Toscans et autres Cahorsins une taxe annuelle (qualifiée de servitium) pour prix de sa protection sur les marchands vivant de leur négoce et du prêt d’argent. D’autre part, les échevins des villes brabançonnes enregistraient les lettres obligatoires conclues avec des marchands lombards, lesquels étaient habituellement et notoirement prêteurs à intérêt (solito plerumque fenus exercere, et super hiis diffamato). La responsabilité des autorités urbaines était engagée à deux niveaux. Premièrement en émettant des lettres échevinales authentifiant des contrats d’emprunt lombards qui pouvaient contenir de l’usure. À Cologne, à la suite d’un procès entamé devant la justice ecclésiastique en 1321 à l’instigation du pape lui-même, le financier juif Salomon de Bâle se voit obligé de rembourser à ses débiteurs nobles les intérêts perçus et de rendre les gages retenus (Schmandt 2002, p. 78). Jean et son épouse Sophie de Saffenberg avaient déposé plainte auprès de la curie avignonnaise sur la base des décrets conciliaires de Clément V. L’archevêché de Trèves fut aussi touché par la campagne antiusuraire. 22 Le 16 août 1318, dans le cadre d’un accord conclu entre le prévôt de Saint-Lambert et la cité et les 30 prêtres des églises paroissiales de la ville, trois dispositions visaient plus particulièrement les usuriers et ceux qui wagnent de leur argent apechiet (i.e., le péché d’usure). L’Église devait les censurer et les forcer à abandonner leurs pratiques, sans exiger d’eux, toutefois, aucun argent. Ceux qui, étant usuriers de leur vivant, se confessaient de leurs péchés sur leur lit de mort, pouvaient être inhumés en terre consacrée, sans perception d’aucune taxe par le clergé à cette occasion. Lorsque l’usurier mourait, sa femme ou ses enfants pouvait hériter de celui-ci, mais les enfants ne pouvaient plus exercer le métier de leurs parents (Fairon 1933-1940, vol. 1, n° 281, pp. 524-527[16/8/1318]). 23 Mention dans Reichert 2003, vol. 2/3, p. 519 (Rolando Turco de Castello est cité comme résidant à Mons avec ses frères et neveux en 1318) et Pierard 1971-1973, vol. 1, p. 144, n° 27, p. 151, p. 153 et suiv. n° 28, p. 158 et p. 160 et suiv., n° 29, p. 167, n° 30 et p. 175, n° 31. Un Jehan Turkes est cité comme bourgeois de Mons résidant dans la paroisse de Saint-Nicolas de Bertaimont en 1302: A.E.M., Rôles de bourgeoisie de la ville de Mons, n°1337 (1302). Je reviendrai sur l’interprétation libérale de ces décrétales au profit des banquiers d’Asti dans les pages relatives au redéploiement des activités des Lombards en Hainaut. 24 Lavigne 1988, p. 149. 25 Datation, édition et analyse de ce texte de l’avis universitaire dans Kusman 1995b mises à jour dans ce présent chapitre. La réponse de l’université de Paris, datée du 13 avril 1319, contient en préambule les questions posées par le duc de Brabant et la ville de Bruxelles, sous la forme d’une cédule, c’est-à-dire un acte rédigé de manière concise et sommaire, cf. Ibidem, pp. 218-219. 21

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Deuxièmement, en prononçant des jugements à la demande des créanciers italiens et à la semonce de l’officier ducal – l’amman – sur la base de leurs lettres échevinales précédentes. Ces jugements pouvaient, bien entendu, provoquer une saisie judiciaire, en cas de défaut de payement du débiteur. Quatre professeurs parisiens de droit canon et de droit civil répondirent en laissant une assez grande latitude aux échevins : ceux-ci n’encouraient des peines spirituelles que si leur conviction était certaine que les contrats d’emprunt étaient usuraires. Dans le doute, ils étaient logiquement lavés de tout soupçon. Les théologiens, également au nombre de quatre, par contre, posaient en principe qu’il était rare que les Lombards ne prêtassent pas à usure. Par conséquent, l’enquête préalable à l’émission des lettres échevinales, s’imposait, notamment par l’audition de témoins. Sinon, les échevins risquaient l’excommunication. Le dernier argument des théologiens parisiens posait un dilemme grave aux échevins de Bruxelles. Malgré leur coutume, qui voulait que les lettres échevinales eussent une valeur juridique supérieure à tout autre témoignage oral ou écrit, les échevins étaient tenus d’admettre à l’audition tout témoin présenté par le débiteur et offrant de prouver que les lettres échevinales émises étaient bien usuraires, a fortiori lorsque l’enquête préalable n’avait pas été menée. Si l’usure était prouvée, les lettres échevinales bruxelloises authentifiant le contrat usuraire devaient être cassées. Les implications de l’avis des théologiens étaient limpides : la suprématie juridique des lettres échevinales était remise en cause et partant, les moyens de l’impérialisme juridique de Bruxelles sur son arrière-pays26. Cela étant, pour l’instant, plutôt que la criminalisation des usuriers lombards, la question posée à l’Université de Paris exprimait les préoccupations de l’oligarchie politique et financière de la ville de Bruxelles sur le contrôle du crédit. Ce n’était pas la hautefinance à destination de l’étranger qui était incriminée ici, une haute-finance répondant à la demande de seigneurs frontaliers ou de princes territoriaux momentanément désargentés. On a vu précédemment comment les patriciens et bourgeois bruxellois, les courtiers-­ hôteliers notamment, tirèrent profit de leur collaboration avec les financiers astésans basés à Bruxelles dans la dernière décennie du XIIIe siècle, pour des prêts au roi d’Angleterre. C’était en revanche le crédit local qui devait être débarrassé de la compétition potentielle des banquiers piémontais. L’exemple théorique cité dans la consultation, celui d’un bourgeois brabançon confessant être endetté envers un marchand lombard de 100 livres ou de 100 muids de froment, démontre que c’était le crédit à la consommation qui était concerné, celui des prêts inférieurs à 1 000 lb. n.t., des prêts servant à acheter une part dans l’étal d’un boucher ou à donner un acompte pour une commande de plusieurs draps ou encore, à investir dans le marché immobilier bruxellois27. À Bruxelles, le remboursement de ce type Depuis 1291, les lettres échevinales avaient force de loi pour authentifier les créances bruxelloises et faire prononcer des saisies subséquentes sur les biens du débiteur défaillant. Une dernière semonce était adressée au débiteur devant sa maison ou sur le marché de la ville afin qu’il acquitte sa dette dans les 14 jours. Les lettres échevinales étaient valables dans tout le Brabant, ce qui causait des conflits avec la ville de Louvain dont les lettres échevinales avaient une portée semblable : Godding 1954, pp. 314-315. 27 Les exemples suivants illustreront ceci. Léon Radbode assigne une rente annuelle de 40 s. de monnaie courante sur une partie de son étal de boucher (Martens 1977, t. 6, n°130, p. 129 [22/6/1317]) ; Jean Vinke donne à un créancier ducal six draps pour la contre-valeur de 182 lb. 14 s., monnaie courante (A.G.R., C.C., n°1, f°77r° [17/12/1306]) ; les sœurs Sarijs, actives dans le métier de la sellerie, assignent une rente annuelle de 25 s. de monnaie courante sur leur fonds avec la maison qui s’y trouve, situé rue de la Colline : A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., boîte 48, n°310[3/11/1322]. Selon Godding 1960, p. 289, il est possible d’estimer la valeur totale des biens hypothéqués à partir de la capitalisation des rentes, le taux maximal en vigueur étant de 5 %. 26

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de prêt était fréquemment assigné sur un bien-fonds ou sur la maison qui s’y trouvait par l’émission de rentes perpétuelles. En fin de compte si le débiteur s’avérait incapable de payer en espèces, son bien immobilier était saisi par jugement scabinal28. Dans cette ville je n’ai retrouvé aucune opération de cette nature à laquelle aurait participé, même indirectement, un financier astésan, preuve, selon moi, de la mainmise des manieurs d’argent du cru sur ce crédit, essentiellement de nature hypothécaire. En posant la question de la légalité de l’enregistrement des créances lombardes, le magistrat bruxellois poussait implicitement le crédit lombard vers la spécialisation dans la haute banque. Dans ce secteur, l’on usait préférentiellement de lettres obligatoires scellées par le débiteur principal et ses garants ou d’actes notariés. En pratique, après la réception de la consultation datée du 13 avril 1319, les échevins bruxellois cessèrent complètement d’authentifier des nouveaux emprunts faits aux Lombards. Seules les quittances, notifiant la clôture des anciens emprunts, seraient dorénavant encore authentifiées par le magistrat29. Il faudrait cependant attendre 1326 pour que les échevins bruxellois reçoivent la promesse ducale de ne pas devoir prononcer de condamnations sur la base de lettres échevinales usuraires, preuve que cette question était l’objet d’une controverse de longue haleine entre Jean III et la ville de Bruxelles30. Les groupes dominants de la ville ne pouvaient évidemment tolérer à long terme l’existence de concurrents dont ils n’étaient même pas habilités à exiger le payement d’un octroi. Les Lombards, placés sous la protection exclusive du duc de Brabant, échappaient en outre à la juridiction urbaine en cas d’enquête sur leurs pratiques usuraires, une tradition qui resterait fermement ancrée31. Au surplus, la régence approchant de son terme et avec elle la tutelle financière des villes sur le duché, la taxation des Lombards allait évidemment revenir dans les mains du duc de Brabant32. À un peu plus d’un an de la fin de la régence, les élites politiques bruxelloises reprenaient de cette façon l’initiative politique sur d’autres villes importantes comme Anvers ou Louvain en occupant la place de porte-parole des cités brabançonnes. Bien représentés parmi les bourgeois du conseil princier, notamment avec le receveur Francon Blomart et le patricien Rodolphe Pipenpoy33, l’oligarchie de la ville avait sans doute pesé de tout son poids sur le jeune prince afin qu’il mesure les conséquences des décrets du concile de Vienne.

Godding 1960, pp. 332-336. Seule exception dans l’état actuel des sources, Jean de Heusden dont le nom est déformé en Jean de Herysdanea et son parent Jean de Megen ( Jean de Naghen) empruntèrent 19 lb. v.g.t. au fils d’Henri Lombard alias Enrico de Mercato par-devant les échevins de Bruxelles dont l’un d’eux est Nicolas Swaef. Le nom de son collègue est presque entièrement effacé  : A.R.A., Handschriften, Derde afdeling, n°37535, B.10, lade 9 [ca. 1328, le jour est malheureusement illisible]. Compte tenu de l’identité des emprunteurs, ce prêt peut être considéré comme de la haute-finance à destination de l’étranger. 30 Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 461. La ville de Louvain n’obtiendra cette clause de non-authentification des contrats lombards usuraires qu’en 1327. 31 En 1383, l’amman de Bruxelles et tout le magistrat de la ville prennent des mesures contre les usuriers jugeant pourtant bon de préciser qu’ils n’ont aucunes compétence sur les Lombards qui tiennent “table publique d’usure” car si des ter stad recht van Bruessele niet en staen noch oec ghewoenlec orborlike zaken der ghemeynre neringhen der stad van Bruessele ende svolx aengaende die tot heer gheuseert hebben gheweest sonder arghelist. : A.V.B., n°5, Coren van Brussele, p. 176. 32 La fin de la régence prit fin en octobre 1320 (Avonds 1984, p. 74). 33 Avonds 1991, p. 110. 28 29

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 . Les remous du concile de Vienne affectant la banque astésane dans les C villes brabançonnes Le contrecoup en Brabant du décret conciliaire publié par le pape Jean XXII ne se borna pas à la prise d’avis auprès de juristes et de théologiens. Dans trois villes, l’organisation même des sociétés de prêt astésanes fut affectée durablement : Bruxelles, Louvain et Malines. Les dirigeants Enrico de Mercato, Giovanni de Mirabello, Leone Deati, et les associés principaux Giacomo de Canelli et Obertino de Montemagno eurent tous maille à partir avec la justice, ce qui signifie qu’on avait voulu décapiter la banque astésane en s’attaquant aux principaux responsables et non seulement aux simples facteurs ou employés. Je commencerai par Louvain, la première touchée par la campagne anti-usuraire, dans l’ordre chronologique. Dans cette ville, la maison des Lombards était spécialisée dans le crédit local aux élites et aux groupes intermédiaires. Les créances de Leone Deati et ses associés dont on a conservé trace étaient enregistrées par le greffe de la ville. Les reconnaissances de dette étaient passées devant deux échevins. Le dernier emprunt attesté date du 23 janvier 1318 34. La société de Louvain est définitivement liquidée par le partage des créances entre Giacomo de Canelli et Benedetto Roero le 12 août 132235. Il est bon d’ajouter que durant les années 1316-1318, si l’on en croit un témoignage contemporain, le prix de certaines matières premières augmenta notablement à Louvain à la suite de la très mauvaise récolte céréalière de l’année 1315, ce qui ne contribuait évidemment pas à disposer favorablement les élites urbaines à l’égard des prêteurs étrangers. La famine affectant les anciens Pays-Bas impressionna assez le marchand astésan Guglielmo Ventura pour qu’il en fît état dans sa chronique, relatant le retour de certains compatriotes à Asti. Toutefois, si l’effet inflationniste désastreux de la mauvaise récolte de 1315 fut sensible à Louvain, il paraît imprudent de le généraliser, Malines paraissant relativement épargnée36. Très vraisemblablement, les associés de la maison des Lombards de Louvain furent l’objet de poursuites judiciaires entamées par le clergé régulier et certaines élites politiques  : les abbés de Vlierbeek, Parc-lez-Louvain, le prévôt du monastère de A.S.V., Coll. 433a, f° 44 r°. A.S.V., Coll. 433a, f° 40 r°-v°. Selon une chronique rédigée dans un manuscrit de l’abbaye de Parc-lez-Louvain, comprenant la légende dorée de Jacques de Voragine et dont la copie fut écrite à partir de 1284 à l’instigation du chanoine Jean Lachman. La chronique proprement dite —Notae pro Historia Lovaniensi ad annos 1316-1319—pourrait remonter au premier quart du XIVe siècle. Son auteur décrit une hausse du prix du muids de froment, mesure de Louvain, à partir de 1316, lorsqu’il s’éleva à 18 s. g.t. puis à 20 s. en 1317, pour ne redescendre qu’à partir de 1318-1319 vers 9 ou 10 s. v. gr..Le muids de sel, aurait quant à lui monté à 1 lb. v.g. pour descendre à la fin de la période vers 14 s. v.g. . Le chroniqueur attribuait les mauvaises récoltes aux pluies incessantes de l’année 1315, causant ensuite une forte mortalité par la famine autant chez les hommes que dans le cheptel : B.R.B., ms. 21877(3417), f° 247 v°. Sur ce manuscrit louvaniste dont la l’écriture débuta sous l’abbé Alard de Tervuren, voir Van Balberghe s.d., p. 192. Guglielmo Ventura relate lui aussi les effets de cette famine de 1315 en faisant état du prix de céréales à 15 s. gr. l’émine d’Asti et de la pinte de bon vin à 6 s. gr. (mesure d’Asti). Les pays touchés, d’après les relations qu’il en eut d’associés y résidant, sont l’Allemagne, la Hollande, la Flandre, le Hainaut, la Lorraine, le Brabant et la France, à tel point que de nombreux compatriotes de Guglielmo quittèrent ces pays pour revenir à Asti et échapper à la famine et à la forte mortalité : Combetti 1848, p. 773 (La Pannonie citée par Ventura n’est pas la Pannonie comme le pense Castellani 1998, p. 239 mais une déformation phonétique du nom employé pour le Hainaut, Hannonie). La famine est étudiée de manière générale par Jordan 1996. L’article d’Avonds 1970, pp. 35-36, note une augmentation significative des parlements des États de Brabant en 1316, vraisemblablement liée à la famine de 1315-1316, ce qui ne préjuge pas d’une situation de pénurie dans la ville, au contraire : des surplus céréaliers y sont attestés (Peeters 1993, pp. 106-107). En France et en Angleterre, la famine de 1315-1316 entraîne effectivement une inflation significative des céréales (Miskimin 1963, p. 21) ; l’ouvrage de Bois 2000, p. 64, relève le rôle fondamental des pluies dans les mauvaises récoltes de 1315. Pour une analyse récente comparant rigoureusement les données climatiques avec les indices des prix céréaliers, voir Campbell 2010. 34 35 36

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S­ ainte-Gertrude et les échevins de la ville. On les accusait de pratiques usuraires et, reproche assez fréquent, de faire enregistrer leurs créances en double exemplaire afin de réclamer deux fois le même montant, tout cela en infraction du canon ex gravi. Leone Deati, Giacomo de Canelli, Godefrido de Mercato et Andrea d’Overijse (frère d’Enrico de Mercato ?) étaient nommément cités comme des Lombards prêtant à usure et dupliquant leurs créances. Ils cessèrent leurs « détestables habitudes » lorsque la constitution ­pontificale fut publiée. Les plaignants ajoutaient que les complices de Deati et ses associés agissaient de la sorte dans tout le Brabant37. L’enregistrement en double exemplaire était en réalité une pratique usuelle dictée par la prudence, destinée à sauvegarder des copies de l’acte original afin de les distribuer aux associés ou de les transmettre à une autorité séculière ou spirituelle compétente pour poursuivre en justice un débiteur en défaut de payement. Benedetto Roero en fit l’aveu au commissaire pontifical lorsque l’abbaye d’Oudenburg contesta sur ce motif le remboursement d’un prêt de 80 lb. v. gr. aux Lombards de la maison de Gand38. Enrico de Mercato fut lui aussi visé par la campagne répressive. C’est sous la menace, semble-t-il, d’une saisie judiciaire qu’il dût abandonner sans contrepartie, durant l’hiver 1317-1318, une ferme et un domaine important à Vissenaken-Saint-Pierre, près de Tirlemont. Il n’est pas exclu, du reste, que l’ancien trésorier ducal ait voulu devancer la diffusion des décrets conciliaires en Brabant en prenant lui-même d’initiative une mesure pacificatrice destinée à modérer l’ardeur de l’opposition au crédit lombard. Après tout, Enrico disposait sûrement de ses propres informateurs sur le marché parisien ; grâce à son passé d’homme d’église, il avait certainement eu vent parmi les premiers de la transmission des décisions du concile de Vienne à l’université de Paris en novembre 1317. Par une cession actée devant le maire de la cour allodiale de Tirlemont en décembre 1317, Olivier de Binkem, Enrico abandonnait ses biens au bénéfice de celui ou ceux qui seraient désignés par le collège des alleutiers39. Les parties intervenant dans le jugement judiciaire avaient toutes entretenu des relations financières avec les banquiers lombards dans le passé. En effet, membre éminent de cette cour allodiale, le patricien et échevin louvaniste Jean de Vertrijk, avait contracté deux ans auparavant avec son fils, son beau-frère et plusieurs associés deux emprunts chez Leone Deati. Ces emprunts étaient toujours non-remboursés lors de la cession de ses avoirs par Benedetto Roero au Saint-Siège, en 132240. Ce fut Vertrijk, précisément, qui désigna alors le bénéficiaire de la cession en janvier 1318 : l’abbaye de Tongerlo. Il est fort possible que cette abbaye, en Quia verbo debitores de Lovannio superius nominati proponi fecerunt quod non tenebantur solvere nisi dumtaxat medietatem summarum suprascriptarum et contentarum in litteris obligatonum de quibus supra mencio est facta,asserentes generalem esse et fuisse in partibus eorum consuetudinem Lombardorum quod dum pecunias mutuant faciant in obligationibus duplum poni .Et communitates suorum partium id pro veritate testificarentur. Les poursuites lancées contre Deati et ses associés sont connues uniquement par un acte du magistrat de la ville et des abbés de Vlierbeek, Parc-lez-Louvain et du prévôt du monastère de Sainte-Gertrude (A.S.V., Coll. 433a, f°44 v° [23/7/1330] et f° 45 r° [2/7/1330]). Des débiteurs louvanistes avaient pris appui sur les décrets du concile de Vienne pour ne payer que la moitié des sommes dues à Deati et ses associés. Le pape fit droit à cette demande afin de pouvoir percevoir les créances de Benedetto Roero cédées au Saint-Siège et assignées sur la maison de Louvain. 38 Bigwood 1921-1922, vol. 1, p.  462 et A.S.V., Coll. 433 a, f° 17r°-17 v°. On a vu plus haut (3e partie, chap. 3, pp. 291-292) que l’évêque de Cambrai avait hérité des titres de créances de Giovanni de Mirabello et Berardo de Crusiglio sur l’abbaye de Vaucelles afin de hâter la perception de leurs titres de créances. 39 Martens 1954, pp. 99-100, actes édités dans Erens 1948-1952, vol. 2, n°544, pp. 406-407 [30/12/1317] ; Martens 1943, n°97, pp. 224-227 [6/1/1318]. 40 A.S.V., Coll. 433 a, f° 39 v°-40 r° (emprunts contractés les 12 et 25 avril 1315). La somme totale des dettes de Vertrijk était de 22 lb. v.g. . Les emprunts de Vertrijk font partie du lot de créances contestées en 1330 au motif qu’elles étaient enregistrées en double exemplaire (cf. supra, la n. 37 de ce chapitre). 37

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comptes avec la finance lombarde en Brabant septentrional, ait lorgné sur les terres de d’Enrico de Mercato, jouxtant les siennes. Les moines de Tongerlo avaient certainement des créances à l’égard des banquiers astésans de Louvain. Porter plainte pour pratiques usuraires pouvait renforcer devant la cour allodiale un droit de saisie sur le domaine foncier du Lombard41. Le chanoine représentant les frères prémontrés devant la cour lors de la cession allodiale n’était autre qu’Arnould de Houthem, frère d’un autre débiteur des Lombards, Bauduin de Houthem. Celui-ci avait fait appel à cette époque au crédit de la maison des Lombards de Malines, laquelle n’allait pas tarder à se retrouver pareillement prise dans la tourmente. En effet, à l’automne 1318, les principaux dirigeants de la banque malinoise, Giovanni de Mirabello et Obertino de Montemagno furent poursuivis devant la justice séculière. À l’origine des déboires de Mirabello et de Montemagno, figurait un hobereau, Bauduin de Houthem, débiteur de la maison de Malines pour 500 lb. v. gr. de capital et 100  lb. v. gr. d’intérêts, soit un taux relativement modéré de 20 %. Le débiteur déposa plainte devant le magistrat de la ville pour usure. Une somme de 600 lb. de v.g., appartenant à la maison des Lombards malinois, fut bloquée sur le change communal, une fois le procès lancé42. La dimension politique de l’affaire était trahie par les parlements, c’est-à-dire des négociations menées entre les représentants des villes brabançonnes et la cour princière, tenues très vite après l’arrestation des Lombards, comme nous le verrons dans les pages suivantes. Il semble que Giovanni de Mirabello, Obertino de Montemagno et deux associés subalternes, Bernardo Roero et Jordano de Solaro, aient dû quitter Malines précipitamment en abandonnant leurs biens immobiliers, une fois la plainte déposée43. Deux jours passèrent, et au moment où, selon Bauduin de Houthem, le capital et les intérêts allaient lui être attribués par jugement scabinal, un acte d’inhibition de l’officialité de Reims fut présenté par la cour échevinale. Gérard de Hofstade et le clerc Jean de Waerloes étaient partis le 29 septembre 1318 prendre conseil auprès des officialités de Cambrai, Reims et Tournai sur l’attitude à adopter dans les causes impliquant les Lombards44. Ils revinrent avec la réponse : un acte de droit romain rendant la cour scabinale incompétente pour traiter de l’affaire et plaçait les Lombards sous sa juridiction. L’official déclarait que les procès d’usure relevaient uniquement du pouvoir spirituel, en égratinant il est vrai un peu le droit : les crimes d’usure relevant en réalité du for mixte, c’est-à-dire de la justice civile et ecclésiastique45. Le procès Sur les opérations conjointes de la maison des Lombards de Bois-le-Duc et de l’abbaye de Tongerlo, en 1314-1315 et la connivence entre le receveur Enrico de Mercato et un des futurs abbés prémontrés, voir supra, dans cette 3e partie, chap. 2, pp. 248249. Pour le voisinage entre la ferme de l’abbaye et celle du receveur : Verkooren 1961-1962, vol. 2, pp. 200-201 [15/1/1378]. 42 Les sources principales sur la plaine déposée par Bauduin se trouvent dans A.G.R., Microfilms-Trésor de Flandre, Chartes de Flandre, 1ère série, Coll. n°14371(série microfilmée 1 à 59), chartes n° 9 [3/12/1319], n°10 [28/10/1320], n° 11 [8/10/1320] et n° 12 bis[20/11/1320] : témoignage des anciens échevins en poste au moment des faits. 43 Kusman 1999b, p. 867. Bernardo Roero avait commencé sa carrière en Flandre avec Giacomo de Canelli à Aardenburg (A.D.N., B. 1564, f°58v°, p.  180 [4/6/1281]). Compte tenu de l’activité ultérieure de Giacomo à Louvain, on peut conjecturer que Bernardo avait lui aussi exercé le change et le prêt en Brabant ultérieurement, peut-être d’abord à Bruxelles, chez son parent, Berardo Roero. Quant à Jordano de Solaro, il apparaît à Malines à l’occasion de la clôture d’un compte du changeur bruxellois Jean Crupeland, assistant le magistrat en sa qualité de changeur (S.M., S.R., S.I, n° 6, compte de 13191320, f° 57 v°). 44 Bauduin et ses aidants prétendaient que quatre jours étaient passés, au terme desquels la somme lui avait été attribuée par le magistrat. Les échevins affirmaient au contraire qu’il n’en était rien et que le troisième jour, l’acte d’inhibition de l’officialité de Cambrai était arrivé. Sur l’envoi de la délégation malinoise aux officialités, consulter S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f°33 v°. 45 Gilissen 1954, p. 589. 41

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civil s’arrêta net, l’argent de la société Mirabello, bloqué sur le change, étant confisqué au profit de la ville. Quant à Bauduin de Houthem, il fut emprisonné par la justice malinoise dans le courant de l’année 1319, peut-être sous l’accusation d’une dénonciation calomnieuse. Ayant reçu un mandement scellé de la ville, il s’était rendu chez les échevins avec l’acte lorsqu’il fut saisi incontinent. Pour être libéré, il dût promettre le 3 décembre 1319 au magistrat de ne pas entamer de procès contre Malines pour la manière dont il avait été traité durant son séjour carcéral46. Personnage puissant, le plaignant, Bauduin de Houthem, était à la fois vassal ducal à Lierre et à Zemst et vassal du seigneur Florent Berthout, pour des droits sur le tonlieu de Malines, hérité de son oncle, Hanneman de Vissere. C’est sans doute dans la cadre de la perception de ses revenus douaniers que Bauduin avait rencontré les banquiers lombards de Malines, lesquels détenaient également une assignation sur le tonlieu précité en 129947 ; Bauduin avait naturellement, comme les Italiens, déposé ses capitaux sur le change communal48. Après le procès de 1319, il dût remettre son fief à un autre vassal de Florent Berthout, le patricien malinois Gérard de Hofstade49. Toutefois, l’arrestation de Bauduin de Houthem ne mit pas un terme immédiat aux ennuis de Giovanni de Mirabello et de ses collègues. Comme il a été dit, le personnel de la maison des Lombards de Malines était parti temporairement de la ville, attendant le retour au calme. Le climat était d’autant moins propice à l’apaisement que la ville de Malines était elle-même endettée envers Mirabello et de Montemagno à hauteur d’une somme de 257 lb. v. gr., soit 5 397 lb. pay. ; certains membres du conseil urbain pouvaient être tentés, en faisant fermer la maison des Lombards, d’annuler simultanément cette dette50. Partis de Malines, c’est dans le ressort territorial du diocèse de Liège que Giovanni de Mirabello, Obertino de Montemagno, Bernardo Roero, Jordano de Solaro et d’autres associés non-cités furent probablement appréhendés, à l’automne 1318, le lieu précis de leur arrestation restant inconnu51. Ils avaient été pris sans citation en justice préalable ni sans avoir eu l’occasion d’opposer leurs arguments, leurs biens étant saisis par les juges séculiers et leurs noms publiquement excommuniés dans les églises paroissiales52. Giovanni de Mirabello, plus spécialement, avait été remis ultérieurement dans les mains de la justice ecclésiastique. Une délégation du magistrat malinois prit la route pour s’enquérir de son sort chez l’évêque de Liège alors qu’il était détenu53. L’arrestation de Giovanni de Mirabello par la justice épiscopale se produisit dans un climat de stigmatisation grandissante des 46 A.G.R., Microfilms-Trésor de Flandre, Chartes de Flandre, 1ère série, Coll. n°14371(série microfilmée 1 à 59), n° 9 [3/12/1319]. Bauduin de Houthem était un procédurier acharné. En 1317, après un procès ardu, le couvent malinois de Leliendaal obtint finalement que l’intéressé lui verse une rente héréditaire d’un muids de blé et de 3 lb. assignée sur ses biens, en raison des dispositions testamentaires promises par ses parents : Installe 1981, n°141, p. 67, 5/6 /1317. 47 Kusman 1999b, p. 871 ; Croenen 2003, p. 205. 48 S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 15 v°, mention de sa rente viagère : It. Boudene van Houthem van den achtesten daghe van merte op hem selven uteghescreven van 3 lb.groten – 63 lb.. L’importance des avoirs de Bauduin se déduit aussi d’un payement de 731 lb. pay. qu’il fit virer à la ville par le truchement du changeur Wouter Bau : S.R., S.I, n°3, compte de 1315-1316, f° 84 r°. 49 A.G.R., Chartes de Brabant, n° 266 [12/10/1321], acte passé devant les vassaux du seigneur de Malines. 50 S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 10 v°. L’exercice comptable couvert par ce compte va du 30/11/1317 au 30/11/1318. 51 En tout cas pas Malines, comme j’avais cru pouvoir l’inférer des sources disponibles (Kusman 1999b, p. 867). 52 Selon la précieuse description faite par le pape Jean XXII dans son mandement à l’archevêque de Cologne et à ses évêques suffragants éd. dans Sauerland 1902, n°520, p. 248-249 [29/5/1319]. 53 S.M., S.R., S.I, n° 4, compte de 1317-1318, f° 34 r° (sans doute vers la fin de l’exercice comptable, soit en octobre, soit en novembre 1318).

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usuriers publics et de leurs parents à Liège, comme il a été déjà observé. Afin d’échapper aux foudres de la justice épiscopale, des donations aux pauvres de la ville étaient pratiquées54. On peut conjecturer que Mirabello et ses collègues avaient été arrêtés après leur départ de Malines dans une des localités abritant des tables de prêt importantes  : Diest, Halen ou Louvain. Obertino semble avoir recouvert promptement la liberté. Il résidait à Louvain où un messager communal de Malines le retrouva au mois de décembre 131855. Mais pour Mirabello et d’autres associés, les choses n’allèrent pas si facilement. La question de leur libération et plus généralement, de la licéité de leurs activités usuraires, se transforma finalement en une question d’intérêt général. Sous cet aspect, la consultation de l’université de Paris sur l’usure publique par la ville de Bruxelles et le duc de Brabant avait déjà mis en lumière les tensions politiques suscitées dans les villes au sujet du marché du crédit et de la place que les marchands étrangers étaient habilités à y jouer. Ce qui permet d’affirmer qu’une «  question lombarde  » sourdait en Brabant, une question mettant en jeu la politique intérieure du pays, c’est l’intensité  particulière des assemblées de membres des États de Brabant. Ces réunions, tenues avec un nombre variable de représentants des États (la noblesse, les villes et le clergé) étaient appelées « parlements » car leur vocation première était d’y débattre. Elles furent toutes organisées durant la période d’incarcération des Lombards et sont documentées grâce aux comptes urbains de Malines, enregistrant les déplacements du magistrat urbain56. En raison des lieux de ces cinq réunions tenues entre le mois d’octobre 1318 et le 1er octobre 1319, la présence des représentants de la ville de Bruxelles et du conseil de régence, ainsi que du jeune duc de Brabant est assez vraisemblable : quatre réunions furent tenues à Bruxelles et une autre à Vilvoorde, autre résidence ducale, le sujet abordé van den Lombarden, au sujet des Lombards, trahissait l’importance des réunions57. Au mois d’octobre 1318, le premier parlement se déroula à Bruxelles avec des représentants des États de Brabant au sujet des Lombards. Une imposante suite de treize magistrats malinois y fut envoyée, comprenant sans doute dans ses rangs un receveur et un représentant des métiers58. Dès le mois de novembre suivant, trois receveurs chevauchaient vers Bruxelles dans « l’intérêt » des Lombards, signe éventuel d’une rencontre avec des membres de la banque lombarde locale pour les tenir au courant des négociations du mois d’octobre59. Unique apparition du débiteur hostile aux Lombards, Bauduin de Houthem participa au premier de ces parlements, trois jours durant, aux côtés d’une délégation malinoise fournie composée notamment de Gérard de Hofstade et Jean Raduard60. Les échevins malinois paraissent avoir pris subséquemment le parti de Mirabello et ses collègues, à en croire les nombreuses délégations envoyées à En 1321, les héritiers d’un usurier notoire décédé, Alexandre Pivos, abandonneront leurs droits sur la maison de ce dernier à la ville au profit des pauvres, afin d’éviter toute poursuite : Pivos avait fait donation de ses profits usuraires aux pauvres de la ville sur son lit de mort : (Fairon 1933-1940, vol. 1, n° 284, pp. 203-205 [28/2/1321]). 55 S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 86 r° [vers le 27/12/1318]. 56 Sur le caractère représentatif de ces assemblées, voir Kusman 1995b, pp. 203-205. 57 S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 84 r°, f°85 v°, f° 86 v°, f° 132 v° et f°133 r° . 58 S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 33 v°. Au sujet de la composition du magistrat comportant trois receveurs et trois communemaîtres en plus des échevins, voir Hermans 1908, p. 39. 59 S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 34r°. 60 Item H. Tollen, Gherart van Hofstade, Jan Kerman, H. Broecstraten, Jan Raduaert ende Bouden van Houthem met haren gheselscape doe si voeren ten perlemente te Brussele om der Lombarde wille met xiii paerden iii dach(. . .), S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f°33v°. Henri Tollen est communemaître, Gérard van Hofstade, Jean Kerman, Henri de Broecstraten sont échevins et Jean Raduard est receveur (Hermans 1908, p. 39). 54

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Bruxelles « dans l’intérêt des Lombards » ou dans l’intérêt de « Jean de Halen »61. À la fin de l’année 1318, une discussion commune réunissait représentants malinois et Lombards à Bruxelles. La présence à cette discussion des associés bruxellois de la table de Malines, tels Enrico de Mercato, Benedetto et Berardo Roero est plausible ainsi que celle de conseillers ducaux62. Cette réunion, en témoigne, il est clair que la communauté piémontaise présente en Brabant était devenue un groupement socio-économique apte à défendre ses droits et à négocier ses prétentions financières63. Cette capacité à négocier ses privilèges découlait de la fiscalisation du crédit lombard au bénéfice du trésor ducal. Comme il a été assez dit, les tables de prêt étaient redevables d’un octroi collectif au duc, ce qui leur conférait une marge de manœuvre relative dans la protection de leurs intérêts64. En soi, cela n’était pas suffisant pour assurer le sauvetage des dirigeants emprisonnés ; la défense de leurs droits reposait sur un carnet impressionnant de relations développé par les dirigeants des sociétés de prêt au fil des années. Et en effet, durant les réunions parlementaires, le pape Jean XXII intervint personnellement auprès de l’archevêque de Cologne et ses suffragants en mai 1319 afin que Mirabello et ses associés soient libérés, rétablis dans leurs droits et puissent récupérer leurs avoirs65. Le pontife affirmait que les constitutions clémentines avaient été abusivement utilisées pour spolier les marchands lombards. Il faut relever à cette occasion l’influence de la famille de Mirabello en Avignon, en la personne d’un Hugo de Mirabello, chapelain pontifical66. Le conseiller éminent Roger de Leefdael œuvra lui aussi à une « paix » avec les Lombards. En cette occasion, le courtier-hôtelier malinois Arnould d’Oudenghem mit sa demeure à disposition pour abriter un parlement. Arnould fut défrayé par le receveur malinois, tout comme Roger de Leefdael, recevant la somme importante de 10 lb. de v.g.67. D’autres représentants de la noblesse, clients traditionnels des banquiers lombards, se joignirent sans doute activement aux débats, tel le régent Gérard de Diest68. Les élites malinoises, en la personne du changeur Wouter Bau furent au surplus approchées par les Lombards et, semble-t-il, acceptèrent des libéralités par l’intermédiaire de Simone, fils de Giovanni et de Pietro de Mirabello, son frère69.

Jean de Halen était le nom brabançon de Giovanni de Mirabello. Jean Raduard, Henri Tollen, Francon Raduard, Renier van den Calcovene se rendirent par exemple à Bruxelles du dimanche 4 au mardi 5 février 1319 compris om den orbore van Jan van Halen : S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 85 r°, voir aussi les f° 85 v° et f° 86 v°. Des messagers prenaient aussi la route pour travailler à la cause de l’intéressé, par ex. : Item Willaykene in jaers avonde dat hi ene lettere droech te Lovene om den orbore van Janne van Halen – iiii d. gr.(. . .) : S.M., S.R., S.I, n°5, f 84 v°.Willaykene tenait sans doute les associés lombards résidant à Louvain au courant de l’évolution des négociations. 62 Kusman 1999b, pp. 205-206. 63 Kusman 1995b, p. 211. 64 Les liens entre aides financières au Prince et concession de droits politiques, sont explorés par Van Uytven et Blockmans 1969, pp. 403-405. 65 Sauerland 1902, n°520, p. 248-249 [29/5/1319]. 66 Kusman 1999b, p. 868 et n. 146. 67 S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 101 r° : van theeren die daer dede minen her Rogier van Levedale voer hi daer lach om perlement van Janne van Halen – 13lb.14s. pay. (à propos de l’hôtel d’Arnould d’Oudenghem) et Ibidem, f° 148 v° : Item mijn her Rogire van Levedale dat men hem gaf in hoefscheyden om dat hi den pays makede ane Janne van Halen – x lb. groten. 68 Kusman 1999b, p. 869, n. 148. 69 Ibidem, p. 869. 61

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Last but not least, il semble que le milieu des changeurs bruxellois représenté par Jean van den Hane, ait été sensible aux avantages d’une solution négociée du litige avec les Lombards. Voilà qui n’aurait guère été surprenant, changeurs bruxellois et financiers astésans de Malines travaillant en bonne entente depuis les années 1311-1312 au moins70. Le 8 octobre 1319 Giovanni de Mirabello était un homme libre. Il résidait désormais à Bruxelles. Les derniers associés emprisonnés furent sans doute délivrés de la détention dans le même temps71. À Malines, la société bancaire lombarde put récupérer ses avoirs bloqués sur le change, moyennant une taxe de 250 lb. v.g., sur une somme totale de 600 lb. v.g.. Dès l’exercice comptable 1319-1320, les affaires reprirent leur cours, Mirabello et de Montemagno disposant à nouveau d’un compte personnel sur le change72. Leone Deati délaissa progressivement le marché louvaniste en acquérant en 1321 une rente viagère sur le change de Malines, inscrite sur le compte de Wouter Bau73. Seul changement perceptible dans le fonctionnement du change de Malines, après la diffusion en Brabant des décisions du concile de Vienne, les comptes de Malines ne signalent plus des virements directs de rentes viagères au profit de la banque lombarde de Malines, comme c’était le cas auparavant. La possibilité qu’avaient les autorités ecclésiastiques de réclamer aux communautés urbaines leurs livres de comptes en cas d’enquête sur des pratiques usuraires dictait la prudence. Les dépôts chez les Lombards se faisaient sans doute à présent par le biais d’ordres oraux donnés aux changeurs de la ville74. J’ai beaucoup parlé des conséquences sérieuses à Louvain et Malines des décrets du concile de Vienne. Qu’en fut-il à Bruxelles ? Cette ville avait été le théâtre, on l’a vu de nombreux parlements sur la question lombarde. Ce furent apparemment surtout les derniers banquiers guelfes des familles Mignano et Peila, disposant d’une petite maison de prêt et de change à Bruxelles, qui subirent de lourdes pertes. Ils durent fermer leur boutique en raison du durcissement de la législation sur le prêt d’argent, peu propice aux affaires. Tommaso Mignano donna quittance au comte de Namur et aux villes de Namur et de l’Ecluse de tout ce que le Prince lui devait ainsi qu’à ses associés le 2 octobre 1319. Le 26 octobre suivant, ses collègues, Gallone Mignano et Daniele Peila l’imitèrent en donnant une charte de quittance scellée au comte de Namur75. Ce qui fait soupçonner une remise de dette ou à tout le moins la suppression des intérêts de la dette par Lorsqu’à l’automne 1318, une délégation de deux échevins malinois se rendit à Bruxelles, dans l’intérêt de Giovanni de Mirabello, les frais de voyage furent partiellement payés par le changeur Jean van den Hane (S.M., S.R., S.I, n°4, compte de 1317-1318, f° 34 r°). À propos des liens entre changeurs bruxellois et Lombards de Malines, voir supra, le chap. 3 de la 3e partie, pp. 286-287 et p. 306. 71 Le messager communal Haghene lui apporte une lettre ce jour-là à Bruxelles : S.M., S.R., S.I, n°5, compte de 1318-1319, f° 132 v°. Le dernier parlement pour les Lombards est tenu le 1er octobre. 72 Kusman 1999b, p. 869, n.150-151 et S.M., S.R., S.I, n°6, compte de 1319-1320, f° 71 v° (Mirabello) et S.M., S.R., S.I, n°7, compte de 1320-1321, f° 66 r° (de Montemagno). Il est donc faux d’affirmer, comme je l’avais fait, qu’Obertino avait recentré son négoce uniquement sur le Hainaut (Kusman 1999b, p. 871). Cependant, est-ce pure coïncidence, pour la première fois, Obertino de Montemagno souhaita rendre son patronyme italien plus local, sous la plume du clerc communal en 1320-1321 : Abertine den Lombaert van der Broele die men heet van den groten Berghe, l’épithète den Lombaert étant biffé par le clerc, comme si cette appelation était devenue honteuse et diffamée. 73 La rente de 3 lb 15 s. v.g. était perçue en même temps que celle d’Obertino de Montemagno, au mois de mai (S.M., S.R., S.I, n°7, compte de 1320-1321, f° 66 r°). 74 Selon le canon ex gravi du concile de Vienne de 1311, les enquêteurs pouvaient réclamer tous comptes ou ordonnances urbains mentionnant des pratiques usuraires. On ne peut exclure non plus que les transferts de rentes dans des comptes de dépôts appartenant à la banque lombarde de Malines aient été retranscrits dans des livres de comptes privés de changeurs existant en sus de leurs livres de comptes publics qui étaient utilisés pour enregistrer les ventes de rentes viagères. 75 A.E.N., Chartes des Comtes de Namur, n°435 [2/10/1319](acte notarié de Tommaso Mignano), n°436[2/10/1319] (acte échevinal de Tommaso) et n°437 (charte scellée de ses associés) [26/10/1319]. 70

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les intéressés, c’est d’abord l’indifférence voire l’hostilité locale envers ces usuriers piémontais affiliés à l’hospicium guelfe de la famille Solaro : les relations entre les manieurs d’argent bruxellois et ces Piémontais paraissent inexistantes tout au long des années 1300-1319. Au surplus, la victoire politique de la parentèle des Solaro à Asti en 1300 sur ses opposants gibelins partisans de la famille de Castello avait laissé des traces dans l’organisation bancaire astésane outre-Alpes76 : les prêteurs astésans appartenant aux familles Solaro et Peila ne collaborèrent guère avec les familles gibeline de Mercato, Mirabello et Roero, la seule opération de crédit de la maison de prêt Solaro-Peila étant destinée à un associé, Manfredo Ripa, sans doute de passage dans la ville, en 130077. Retiennent ensuite l’attention les formes diplomatiques de ces quittances bruxelloises. Tommaso Mignano fit coucher sur parchemin par un notaire un acte long de plus de quarante lignes pour cette simple quittance, truffée de renonciations aux exceptions de droit romain. Il priait tous ses associés disposant encore de titres de créances de les détruire et de les déclarer de nulle valeur, comme il l’avait fait. Enfin, l’acte notarié fut dressé sur la voie publique, devant la maison d’un ancien receveur, le patricien Hugues de Coudenberg et en présence, entre autres témoins, du manieur d’argent Godefroid Lose, du clerc communal, Jean de Londerzeel et d’un autre clerc, astésan celui-là, Vivaldino d’Asti, ce dernier officiant sans doute pour leur société de prêt. Jean de Londerzeel, quant à lui, maîtrisait sans doute déjà les affaires de finance, devenant une douzaine d’années plus tard, un fondé de pouvoirs recherché des bourgeois de la ville pour les donations charitables et la gestion de rentes78. Les acteurs présents et le lieu de passation de l’acte notarié conféraient une publicité maximale à la fermeture de la banque de Tommaso. Le même jour, celui-ci reconnut exactement les mêmes choses devant les échevins de la ville de Bruxelles Everwin Campsor et Renier Eggloy, par lettre scabinale scellée des sceaux des deux magistrats. Avec l’arrivée de Giovanni de Mirabello à Bruxelles, les milieux financiers bruxellois ne perdaient pas au change, si l’on peut dire. L’intéressé allait devenir trésorier ducal en 1321 et faire bénéficier de son savoir-faire le milieu des changeurs, qui, comme on l’a dit plus haut, restait proche des siens. Ce serait en effet simplifier exagérément les choses que de dépeindre Bruxelles comme une ville foncièrement xénophobe et hostile aux financiers lombards. La place bruxelloise accueillait à la vérité des spécialistes, c’était une plus-value technique pour elle, il ne faut pas l’oublier. Ces spécialistes ne se mêleraient pas de crédit local avec prises de gages immobiliers. Ils se cantonneraient uniquement à la grande banque internationale et à la gestion des recettes princières. Plutôt que d’éradiquer la finance lombarde, l’oligarchie bruxelloise avait voulu nettement diminuer l’importance de la place financière de Malines en diffamant les ­Lombards qui y faisaient affaire. Dans ce contexte, il n’est pas sans intérêt de relever que le plaignant à l’origine des déboires de la société de prêt malinoise, Bauduin de Houthem, avait manifesté sa piété par une donation importante au chapitre Sainte-Gudule. Bauduin avait fait don d’une partie de ses biens au trésorier Gerelm Vederman pour fonder une chapelle 76 Castellani 1998, pp. 192-193 et p. 211. À Asti, le terme hospicium désigne une association de nature corporative constituée sur une base familiale, se rapprochant du concept de maisnie dans les anciens Pays-Bas. L’hospicium est constitutif de chaque famille patricienne active dans le Conseil de la cité : Bordone, 1992, pp. 443-445. 77 En 1300, Francescotto Solaro, dit Cavagnolo concède un crédit à Manfredo Ripa, dans la maison de Bayamondo (ou Raimondo) Peila et ses associés. La maison n’est malheureusement pas localisée (Castellani 1998, p. 257 et Reichert 2003, p. 183 [28/6/1300]). 78 À propos du clerc Jean de Londerzeel, décédé en 1334, voir Martens 1996, p. 299.

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dans l’Orsendael au profit du prestigieux chapitre bruxellois79. Était-ce là une manifestation d’une hostilité spécifique de la famille Vederman envers la place financière de Malines  ? Difficile d’être catégorique en la matière  ; il convient pourtant de remarquer l’absence totale d’achats de rentes viagères dans le chef des Vederman sur le change de Malines entre ca. 1300 et 1333, période de clôture de cette étude. La réaction anti-usuraire, telle qu’elle débute vers 1307 en Brabant apparaît donc bien comme le symptôme d’une crise plus profonde mettant aux prises pouvoir princier, élites urbaines, groupes intermédiaires et métiers autour d’enjeux essentiels, tels que la répartition du poids de la dette ducale et donc de l’imposition fiscale et, finalement, le droit de regard des oligarchies urbaines sur le remboursement des dettes ducales, ce qui supposait une compétition des villes pour la nomination d’un receveur urbain issu de l’une d’entre elles80. Un ultime aspect de la campagne anti-usuraire de 1318-1319 doit finalement être abordé, c’est l’action du canon conciliaire ex gravi sur les mentalités des banquiers  : cet aspect humain ne devrait pas être négligé ; il avait lui aussi un effet très concret sur l’organisation de la banque lombarde en Brabant. Naturellement, pour l’historien, tenter de mettre à nu la conscience de Benedetto Roero lorsqu’il fit donation de ses avoirs au Saint-Siège en 1320, s’apparente à un exercice vain, celui de faire le départ entre son opportunisme commercial et ses convictions dans la rémission de ses péchés. Cela étant dit, il faut remarquer la proximité chronologique de la donation avec l’avis des universitaires parisiens donnés à la ville de Bruxelles et au duc de Brabant81. Détenteur de parts dans la maison privée des Lombards de Bruxelles, y résidant sûrement de temps à autre, on peut se demander si Benedetto ne fut pas sensible à l’argumentaire des carmes présents dans la ville et diffusant leur idées grâce à un collège de théologie. Leur prieur général, Guido Terreni, le seul carme à l’époque à contribuer par son travail théorique à une réflexion sur l’usure, défendait implicitement l’idée que le pape ne pouvait absoudre un usurier sans la restitution par ce dernier de ses profits illicites. Il exceptait cependant l’usurier qui était un puissant défendeur de l’Église, celui-là pouvait trouver une forme d’absolution82. Cette position théorique alimentait la stratégie de légitimation sociale des Astésans en Brabant et était utile à l’argumentaire de Benedetto Roero s’il voulait défendre devant ses associés à Louvain l’idée d’une cession significative de créances au pape Jean XXII83. La place grandissante de la curie avignonnaise dans l’essor du réseau bancaire des sociétés astésanes des anciens Pays-Bas, allait du reste donner raison à Benedetto.

A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., boîte 47, n°263(292)[2/5/1315] : les terres étaient situés à Merchtem et à Steenhuffel. Nirenberg 2001, p. 84, montre bien comment la violence exercée contre une minorité doit aussi être analysée comme révélatrice d’une crise sociale plus ample. Les pogroms dont sont victimes les Juifs français en 1320-1321 répondent ainsi à un malaise social touchant la communauté des chrétiens au sujet de la place de plusieurs valeurs dans la société : le roi, les minorités, le mal et le corps. Sur la crise économique et sociale affectant le Brabant depuis les années 1302-1309 focalisée sur le partage du pouvoir politique dans la ville et la répartition de la fiscalité, voir Billen et Kusman 2012. 81 La décision semble avoir été prise par Benedetto Roero vers Pâques 1320 (A.S.V., Coll. 433a, f° 8r°). 82 Langholm 1992, p. 491 et p. 493 et p. 507. Terreni est particulièrement actif vers 1316-1318 et se rend notamment à Bruxelles où les Carmes possédaient un collège d’enseignement. Terreni aurait rencontré son collègue Sibert de Beke, l’un des docteurs parisiens de 1319, à Bruxelles en 1320 (Lickteig 1981, p. 35 et p. 126). 83 La donation de Benedetto Roero comprenait également la renonciation d’une partie de ses collègues à des créances communes dans les maisons de Lombards. Tel fut le cas de Giacomo de Canelli et de Leone Deati pour le participation avec Benedetto à des prêts de la maison de Louvain (A.S.V., Coll. 433a, f° 39 v° [3/8/1322] et f° 43 v° [3/8/1322]).

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D.

Redéploiement des activités de prêt à Bruxelles, en Flandre et en Hainaut

Les chefs des sociétés astésanes veillèrent à raffermir leur intégration fragile à Bruxelles en amplifiant leurs relations avec les courtiers-hôteliers locaux. Ceux-ci restaient jaloux de leurs prérogatives sur l’accueil des marchands étrangers et la noblesse de passage dans la ville. Fruit d’un travail de longue haleine, cette intégration était, il est vrai, due en grande partie à l’entregent d’Enrico de Mercato durant son service à l’hôtel ducal. Comme valet, il avait certainement côtoyé Godefroid Lose, marchand-fournisseur de la maison ducale et neveu de l’ancien collègue d’Enrico à la recette de Brabant, Thierry Lose84. Personnage incontournable du monde des marchands bruxellois de haute volée, Godefroid Lose prêtait de ses deniers au financier Henri Taye, ancien associé d’Enrico de Mercato en Angleterre ; faut-il rappeler, enfin, la présence de Lose comme témoin à l’acte de quittance de Tommaso Mignano en 131985 ? Lose déploya à partir de 1316 une activité fébrile d’investisseur foncier dans le quartier des bouchers et dans le quartier du Warmoesbroek hors les murs, non loin du vaste ensemble immobilier regroupant les demeures d’Enrico de Mercato, de son frère et de ses neveux86. C’est sans doute au cours de ces opérations immobilières que Godefroid fut amené à acquérir des droits sur la riche demeure d’Enrico de Mercato et à habiter dans le prestigieux bâtiment à portique et à dépendances de la Ridderstrate après la mort de ce dernier. Godefroid Lose avait probablement fourni auparavant des capitaux neufs à Enrico de Mercato, dont le remboursement était garanti sur la demeure du Lombard. Au décès de ce dernier, sans doute après 1328, Lose aurait fait valoir un droit de saisie sur la maison en vertu de ses créances87. Quant à Andrea de Mercato, le frère d’Enrico, vers la fin du XIIIe siècle, il habitait pareillement dans une maison à porche. Il entra probablement dans le cercle de sociabilité de son voisin direct, le courtier et financier Henri Vederman à l’occasion de l’engagement de joyaux aux de Mercato et aux courtiers-hôteliers bruxellois en 1297-1298, lorsque Édouard Ier rechercha des capitaux sur le continent88. Les deux groupes familiaux devaient suivre une stratégie similaire d’acquisitions foncières hors les murs de la ville, si l’on observe Cf. le schéma fig. 20 du réseau relationnel d’Enrico de Mercato à la cour de Brabant dans le premier quart du XIVe siècle. A.E.N., Chartes des Comtes de Namur, n°435 [2/10/1319]). En 1315 Henri Taye constitue un rente de 4 lb. sur ses biens en faveur de Godefroid Lose : Godding 1960, p. 193, n. 294. 86 Godefroid acquit le quart d’un terrain situé au coin de la rue de la Fourche (Martens 1977, n° 135, p.  83 [27/4/1318]) : la rue de la Fourche est perpendiculaire à la Lange Vleeschouwerstrate et débouche dans la Lange Ridderstrate, rue où habite Enrico de Mercato et n’est pas loin de la Vederstrate, où réside le frère d’Enrico, Andrea (voir n. suivante). Acquisition d’une rente sur un terrain avec maison dans le Warmoesbroek par Godefroid en 1321 (Martens 1977, n° 149, p. 90 [31/5/1321]). 87 La partie allodiale du bâtiment fut vendue à Ermengarde van den Venne, maîtresse de Jean III, duc de Brabant, en 1355 (AGR, Chartes de Brabant, n° 897 [25 août 1355] ; Lorand 2000, pp. 173-174). L’autre partie du bâtiment était située sur la Vederstrate et appartenait à Andrea de Mercato, frère d’Enrico et à ses enfants (Kusman 2007, p. 147, n. 22). Le portique ou Lombarde Porte de la Ridderstrate est cité dans les censiers de l’ammanie de Bruxelles de 1346 et de 1382 : A.G.R., C.C., n° 44825, f° 14 v° : Item Jan Scuellen, van 1 halven huse in de Ridderstrate aldaer naeste der Lombarden porten, xl s. pay., ij capoenen bi den hertoghe van Brabant ; A.G.R., C.C., n° 44826, f° 19 v° (même mention). L’ensemble du bâtiment, comprenant les parties appartenant à Enrico et celles appartenant à ses neveux est cité dans Fayen 1908, t. 2, n°1622-1623, pp. 596-597 [25/7/1325]. 88 Kusman 2006, pp.  30-33. La demeure à porche d’Andrea jouxtait celle d’Henri Vederman  : n°44824, censier de 1321 pour l’ammanie de Bruxelles, f° 3 v°. La distinction entre la maison d’Andrea et celle de ses parents (celle d’Enrico) comportant chacune un portique est établie par le clerc ayant retranscrit le censier  : Item Andreas Lombardus de fronte domistadi sui in Vederstrate juxta H. Vedermans j.d.; Item, idem ibidem de domistadio proprinquorum, scilicet de fronte dicti domistadii j.d.. 84 85

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le voisinage d’Enrico de Mercato et ses descendants avec Amaury Vederman, parent d’Henri, dans le quartier maraîcher de l’Orsendael, premier territoire campagnard investi au nord de la ville par les de Mercato au sortir de l’enceinte89. Les petits-enfants et neveux d’Enrico poursuivront la tradition en acquérant terres et bien-fonds hors de la porte de Cologne, jouxtant ceux des Vederman90. Ce territoire encore assez rural paraît avoir été le lieu de convergence de plusieurs hommes d’affaires et entrepreneurs d’envergure. Jean van Belleghem, l’hôtelier des Malinois dans la ville vers 1313-1314, disposait à cette époque d’une brasserie dans l’Orsendael 91. Assurément, les achats fonciers d’Enrico et sa parentèle étaient calqués sur la répartition des intérêts économiques de la famille. Les biens fonciers longeaient un axe routier donnant accès au territoire de Schaerbeek et au-delà à la route terrestre et fluviale en direction de Malines92. À Malines, un autre membre de la famille de Mercato, Olivero, travaillait désormais à la table de prêt, après avoir débuté sa carrière à Merchtem93. Giovanni de Mirabello et ses associés veillèrent tout autant que leur collègue Enrico de Mercato à se faire accepter du monde des courtiers-hôteliers et seigneurs fonciers bruxellois en les associant à leurs opérations bancaires. Les fondés de pouvoir Martino Frenario, Gerardo Roero et Ruffino de Valfenera étaient plus spécialement chargés de cette tâche. Les prêts octroyés au seigneur de Heusden et sa parentèle se conclurent dans la maison de courtiers comme Daniel de Pede, dans la cour de l’hôtel du patricien Everard Tserclaes, dans la Ridderstrate ou encore dans la demeure du pelletier Amaury de Boitsfort, dans la Vederstrate94. L’engagement des joyaux du comte de Looz à Bruxelles vers 1323 à la suite d’un prêt énorme de 11 374 lb.n.t. fournit certainement à Mirabello l’opportunité de collaborer pareillement avec les manieurs d’argent locaux95. À Bruxelles, Giovanni de Mirabello pouvait désormais compter sur la célérité de l’amman pour ordonner des saisies sur ses débiteurs. En ces années-là, l’officier ducal n’était autre que Roger de Leefdael, habitant à un jet de pierre du quartier des Lombards96. La nomination de Mirabello comme trésorier ducal en 1321, sonnait comme une victoire sur les opposants au crédit lombard. Le Piémontais succédait à un courtier-hôtelier ayant pignon sur rue, Jean Vinke. Vinke avait lui aussi participé au prêt sur gages à la couronne anglaise en 1297-129897. A.G.R., C.C., n° 44825 (vers 1346), f° 22 r°: Item Heinrec Marcsant, van Oden Alien goede j vierendeel ende j sesten deel van j capune (dans le chapitre relatif aux biens de l’Orsendael). Amaury Vederman, demeurant également dans la Vederstrate (Godding 1960, p. 239) possède un bien situé près de la Monnaie dans l’Orsendael (A.G.R., C.C., n° 44825, f° 23 r°). Le quartier de l’Orsendael comprenait, outre des zones de maraîchage, des brasseries (Billen et Duvosquel 2000, pp. 172-173). 90 A.E.A.R.B.-C.., A.E.B., A.S.G., n° 4885, f°5r°Item Henricus Merchant iiij lb. supra dimidium bonarium terre prout situm foris portam Coloniensis iuxta viam qua itur versus Scarenbeke inter bona Amelrici dicti Vederman et bona Willelmi de Meerbeke. En raison de la mention relative à la porte de Cologne, l’acquisition de la terre doit avoir été faite par Enrico, fils d’Enrico senior, vers 1360 (pour la datation de la porte de Cologne, voir Dickstein-Bernard 1995-1996, p. 110 et p. 124, n° 8). Un Henricus dictus Merchant, filius quondam Godefridi Merchant est cité en 1377 pour le même bien. Il doit s’agir d’un neveu ou d’un cousin d’Enrico de Mercato junior (A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., n° 4885, f° 116 r° [17/6/1377]). 91 A.G.R., C.C., n°44825, Censier de 1346 pour l’ammanie de Bruxelles, f° 20 v° : Item, Wouter Strale van der cammen die was Gherem Ondoers, die wilen was Jans Van Belleghem j d., ghescreven op Wouter Strael (sous le titre In dOrsendael int broec). 92 Kusman 2007, p. 154. 93 Reichert 2003, p. 488 [7/12/1324] et Kusman 2008a, vol. 4 annexes, pp. 22-23. 94 Voir supra, 3e partie, chap. 1, pp. 216-217. 95 A.S.V., Coll. 433a, f°35v° et f°39v° et Kusman 2008a, pp. 364-365. 96 Kusman 1999b, p. 874. Roger de Leefdael est amman jusqu’en 1321 (Henne et Wauters 1968-1972, vol. 2, p. 410). Roger de Leefdael habitait dans l’Etegat à moins de 300 mètres de la Ridderstrate (Martens 1996, pp. 298-299). 97 Kusman 1999b, p. 876 ; Kusman 2006, pp. 33-34. 89

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Ceci étant dit, il est indubitable que consécutivement à leur déconfiture, les membres des familles de Montemagno et Roero concentrèrent davantage leur attention sur l’essor de leurs sociétés en Flandre et en Hainaut. La raison de cette polarisation dans ces régions est à rechercher dans les garanties commerciales et juridiques bien meilleures qu’en Brabant. Avant tout, un indice probant de la confiance des Astésans dans les profits attendus en Flandre et en Hainaut est l’importance de leurs parts, proportionnellement à celles détenues dans les maisons des Lombards du Brabant. Ceci suggère qu’une véritable analyse du risque différenciée existait chez les banquiers astésans. Au début des années 1320, Benedetto Roero possédait « environ » (circa) la 16e part dans la maison des Lombards de Louvain, table extrêmement parcellisée. Le jeu des successions entre associés familiaux et des cessions de parts induisait progressivement l’inégalité des participations individuelles, rendant les partages lignagers extrêmement complexes. Dans cette perspective, à la fin du XIIIe siècle, Antonio frère de Benedetto et Huberto Roero, son cousin, titulaires de la table d’Overijse, n’auraient eu qu’une part de 5 à 10%, dans le prêt de 100 000 lb. des Lombards de Brabant98. Il est en outre possible que comme dans les banques de l’époque moderne, du format de celle des Rothschild, les profits attendus par les partenaires étaient exprimés sur une base fractionnaire, exprimant des pourcentages du total, la 4e part, représentant par exemple le quart des actifs, soit 25%, la 8e part, représentant 12,5%, etc.99. Cette parcellisation extrême reflétait d’ailleurs dans une certaine mesure la structure du marché immobilier bruxellois dans les quartiers les plus recherchés, aux mains des grandes familles patriciennes et reposant sur un système de propriété indivise100. Bien sûr, la répartition des risques entre plusieurs tables de prêt était un facteur déterminant dans ce genre d’entreprise, exprimée par les participations croisées entre les banques de Gand, Malines et Valenciennes101. Une fois ses titres de créances lombardes mis en sûreté chez le banquier Giovanni Torelli, à Rouen, en 1325, Benedetto Roero estima sa participation totale dans l’ensemble des créances brabançonnes à la 8e part102. Seule Malines détonnait dans le paysage commercial brabançon ; en effet, Benedetto Roero y disposait

A.S.V., Coll. 433a, f° 35 v°. La liste complète des partenaires de Louvain comprenait Leone Deati (1), Giacomo de Canelli(2), Uberteto Roero(3) et ses frères, c’est-à-dire Percivale(4), Perrino(5) et Daniele Roero(6), Giacomo de Mercato(7), Petrino de Mercato(8) et ses frères (dont le nombre est inconnu) et Benedetto Roero(9). Soit sans doute une douzaine d’associés. Certains partenaires devaient nécessairement être plus importants que d’autres. 99 Ferguson 1998, pp. 265-268. Bordone et Spinelli 2005, pp. 104-105 citent aussi des exemples tendant à confirmer l’existence de parts inégales. En 1333, sur cinq associés présents à Saint-Nicolas de Port, le premier possède 50 % du capital et les quatre autres le reliquat. En 1289, les associés externes de la compagnie siennoise des Bonsignori avaient eux aussi des parts décroissantes, de 6 800 lb. (la 7e) à 1 200 lb. (la 19e), cf. Jonckheere 1997, vol. 2, p. 3. Enfin, la compagnie florentine Del Bene est composée de trois groupes familiaux vers 1318 dont l’un, celui de la famille Del Bene, est le plus gros actionnaire avec 6 parts sur 13, suivi des deux autres familles avec respectivement 4 et 3 parts (Sapori 1932, pp. 37-38). 100 Libois 1956 ainsi que de Cacamp 1964, voir pp. 88-89 : exemples de parts de 1/15e, 1/24e et de 1/60e aliénées dès le début du XIVe siècle se rapportant à des demeures patriciennes et terrains sur la Grand Marché de la ville en possession indivise. Par le jeu des successions familiales, les parts devenaient inégales. 101 Antonio et Huberto Roero, actifs à Gand, sont représentés dans la table d’Overijse par Enrico Roero. Ils obtiennent en guise de premier remboursement la somme de 574 lb. 9s. 3 d. tour., assignée sur divers revenus princiers (A.S.V. Coll. 433a, f°82r°), étalée sur dix années ! Il ne doit s’agir que du loyer de l’argent, le principal devant se monter à ca. 5 000, voire 10 000 lb. Au sujet des participations croisées, voir Kusman 1999b, p. 910. Ces participations croisées sont aussi attestées, on l’a vu précédemment, pour les opérations de crédit au seigneur de Heusden et à l’abbaye de Vaucelles. 102 A.S.V., Coll. 433a, f° 80 r° [10/10/1325]. Mais peut-être cela avait-il été conclu entre les associés de commun accord, à l’occasion de la donation de Benedetto Roero au Saint-Siège. On peut aussi penser au décès de plusieurs associés et ayantdroits de dettes qui remontaient pour certaines à la fin du XIIIe siècle. 98

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de la 4e part dans la boutique de l’apothicaire-épicier Rolando Carexana, indiquant le caractère moins périlleux des investissements à Malines pour les Astésans103. Pour la Flandre et le Hainaut, dès le départ, les quotités de Benedetto Roero reflétèrent sa confiance dans ces marchés du crédit : il disposait de 3 parts sur 4 dans une des créances de la maison des Lombards de Valenciennes104 de la 4e part dans la maison des Lombards d’Alost, et de la 6e dans celle de Gand105. Si l’on se penche maintenant sur les volumes respectifs des parts des actionnaires en Flandre et en Hainaut, il faut observer qu’il était conséquent. En Hainaut, Benedetto Roero possédait les 3/4 d’une créance de 210 lb. de v.g. de la société de Valenciennes, Giovanni de Mirabello disposant de la dernière part. Une dizaine d’années plus tard, Olivero et Palmerio Turco de Castello cédaient la 6e et la 12e part de la société de Soignies, pour un total de 803 lb. v.g. à un de leurs associés, un montant très élevé106. Dans le comté de Flandre, en vertu de sa participation aux prêts aux abbayes Saint-Pierre d’Oudenburg et Saint-Bavon de Gand, Benedetto put prétendre en 1324 à l’encaissement de deux lettres obligatoires pour un total de 910 florins d’or. Giovanni de Mirabello n’ayant droit qu’à une lettre de 588 florins d’or107. Le constat était sans ambiguïté. Benedetto Roero n’avait sans doute pas investi beaucoup de ses propres deniers en Brabant, la mise de départ sur apport personnel étant extrêmement réduite. Sinon, on s’explique mal pourquoi, en 1325, sur un total de plus de 120 000 lb. n.t. de créances brabançonnes, il n’estima avoir droit qu’à 93 lb. 15 s. g.t., soit au taux de 16 d. n.t. pour un gros, une somme bien modeste de 1 500 lb. n.t., c’est-à-dire 1,25% du total108. Le comté de Flandre fut le premier territoire extérieur au Brabant où les banques de Giovanni de Mirabello et de Benedetto Roero redoublèrent d’activité après la débâcle de 1318-1319. La ville de Gand était devenue une tête de pont importante des sociétés bancaires des Lombards de Malines et de Valenciennes. Berardo de Crusiglio, Giovanni de Mirabello et Benedetto Roero, actionnaires de la maison des Lombards de Gand, disposaient de parts dans les deux autres sociétés109. Dès l’époque des premières opérations de crédit en Brabant septentrional, dans les années 1309-1317, le centre nerveux du réseau des tables de prêt de Giovanni de Mirabello s’était partiellement déplacé à Gand, hors du Brabant. C’est en effet au greffe scabinal de Gand que les titres de créances pour le Brabant septentrional furent conservés et y sont toujours puisque les dettes ne furent jamais éteintes110. Giovanni et son frère Simone, disposaient effectivement, avec clause de monopole, d’une casane ouverte à Gand depuis A.S.V., Coll. 433a, f° 29 v°. A.S.V., Coll. 433a, f°15r°. A.S.V., Coll. 433a, f°14 v° et f° 23 r°. A.S.V., Coll. 433a, f°15r° et A.S.C.A., fonds de la chartreuse, acte du 2/1/1336 : vente de titres de créances pour la société de Soignies entre les Turco de Castelli et Bochino Lorenzo, dit Stefano, fils de Secondo Lorenzi d’Asti, actée dans la maison des Lombards de Maubeuge. 107 Kusman 1999b, p. 910. 108 A.S.V., Coll. 433a, f° 80 r°. Pour comparaison, sur un prêt de 11 374 lb. n. t. concédé au comte de Looz, Benedetto estime sa part en 1322 à 200 lb. v. gr., soit, au taux de change de 1 gros pour 17 d. n.t. attesté dans l’acte, 3 400 lb. n.t. ou ca. 30 % (A.S.V., Coll. 433a, f° 49 r°). 109 Kusman 2008a, vol. 4 annexes, p. 12, pp. 26-27 et pp. 34-35. 110 R.A.G., Fonds autrichien, actes de 1309 à 1317. Ces reconnaissances de dette furent très certainement déposées par Giovanni de Mirabello sur le change de la ville de Gand et appartenaient aux chartes de la ville de Gand confisquées par Charles Quint en 1540 et emportées à Vienne en 1801, cf. Aerts 1996, pp. 440-442. 103 104 105 106

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1307, conjointement avec Daniele, Huberto Roero et leur cousin Antonio Roero. Antonio, frère de Benedetto Roero, était un vétéran des tables du Brabant et du Limbourg comme Giovanni de Mirabello, mais en outre il connaissait bien la Rhénanie pour y avoir œuvré plusieurs années à partir de 1299111. L’installation dans la ville la plus peuplée de Flandre112 s’accompagnait de privilèges juridiques et commerciaux étendus : exemption fiscale complète, protection du Prince dans toute l’étendue de sa principauté, abolition du principe de solidarité pour les collègues d’un Lombard coupable d’un forfait, droit de succession conforme aux usages juridiques des Astésans, remboursement des frais divers causés aux Lombards par le comte de Flandre et last but not least, clause de monopole d’exercice du négoce des marchandises et de l’argent durant toute la durée de l’octroi, c’est-à-dire dix ans durant. Le tout étant accordé contre une somme de 1 000 lb. par. . Si l’interdiction d’exercer l’usure, formulée par l’expression vilaines convenenches, était explicite, l’amende n’était que de 50 lb. par. et exigible seulement à deux reprises dans l’année. Compte tenu des profits attendus de ce genre d’entreprises (jusqu’à 43,3% dans les anciens Pays-Bas), l’amende restait toute symbolique113. Certes, les frères Mirabello et les Roero avaient obtenu du comte de Flandre Robert de Béthune (1305-1322) des conditions d’installation bien plus avantageuses que les Florentins Guidi de la compagnie Franzesi, un quart de siècle plus tôt114. En réalité, la clause du monopole scellait généralement la confirmation d’accords secrets avec d’autres partenaires commerciaux officieux, surtout toscans, sous la forme d’une cartellisation avant la lettre, les Toscans se spécialisant en Flandre dans l’importation et l’exportation des produits de luxe et l’accueil des marchands étrangers et les Astésans dans le change et le prêt d’argent. Ce qui réunissait les deux communautés marchandes italiennes, c’était la mise à disposition de leur compétence professionnelle au service de la cour flamande. En définitive, la société ayant obtenu le monopole n’était qu’un intermédiaire commercial officiel désigné par le Prince et reconnu publiquement pour s’associer avec d’autres marchands nonprivilégiés115. Il est patent qu’à Gand, les Mirabello et les Roero pouvaient arguer de leur connaissance profonde du Brabant pour informer les agents des compagnies toscanes, absentes du territoire brabançon, exception faite d’Anvers. La compagnie florentine Del Bene, par exemple, ne disposait d’aucun facteur à Bruxelles pour importer les draps de la 111 R.A.G., Chartes de Flandre, Supplément Wyffels, n° 465 [20/3/1307], vidimus du 13 octobre 1309. Pour Antonio

Roero, voir Kusman 2008a, vol. 4 annexes, p. 34.

112 La ville de Gand aurait compté 64 000 personnes vers 1356-1358 : Prevenier 1983, pp. 255-256. 113 En 1315, une taxe est perçue en France sur tous les tenanciers de tables de prêt, elle est de 5% sur le capital, ce qui revient

à instaurer une taxe officielle sur l’usure (Bautier 1992b, p. 78).

114 L’exemption de toutes tailles, assises et autres taxes (costumes) était valable pour les héritiers des Lombards, leurs associés

et toute leur maisonnée, donc y compris leurs serviteurs. En 1281, à la différences des Astésans, les Florentins n’avaient obtenu qu’un octroi valable six ans sans aucun monopole d’exercicice du négoce  : éd. dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°10, pp. 287-288 [juin 1281]. Contrairement à ce qu’affirme Rogghé 1946, p. 204, n. 1, les Lombards ne devaient pas recevoir une autorisation spécifique de la ville. Ceux-ci sont en effet placés sous la protection exclusive du Prince. 115 Puisque vers 1313, le Florentin Conte Gualterotti et plusieurs membres de la famille florentine Masetti s’établissent à Gand et, sans octroi explicite, semblent travailler comme courtiers, chargés d’affaire de la compagnie Peruzzi ou hôteliers. Gualterotti ne répugnait d’ailleurs pas à manier l’argent, il fut également receveur de la ville de Gand en 1314-1320. Dans les années 1320, il s’associera avec les Mirabello pour des entreprises communes : Rogghé 1946, pp. 202-213. L’octroi de 1307 recouvre les activités suivantes : marcandant, achatant, vendant, cangant, fasant tous leur autres pourfis de leur argent en quel maniere que il vorront. Dès 1311, le Florentin est en comptes avec Giovanni de Mirabello et possède un dépôt sur le change de la ville de Malines, en vertu de la rente viagère qu’il y détient : S.M., S.R., SI, n°1 compte de 1311-1312, f°121r° : Conte utilise sa rente viagère pour effectuer un virement sur le compte de Giovanni de Mirabello.

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ville et l’informer des conditions locales d’achat. Or, l’étape bruxelloise des marchands florentins centralisait vers 1318-1320 les draps achetés auparavant à Malines, Alost et Gand. De Bruxelles, les marchands prenant ensuite la route vers Paris116. Dans ces quatre villes, Alost, Bruxelles, Gand et Malines, les financiers astésans disposaient de maisons de prêt. À Alost, un des marchands de draps blancs, fournisseur des exportateurs florentins, était d’ailleurs un Astésan, nommé Giovanni Quaranta117. Ce changement d’échelle territoriale dans le négoce des Mirabello et des Roero, un tournant amorcé dès 1307, témoigne à nouveau d’une excellente appréciation du marché de l’argent et de ses possibilités de développement : en tissant des liens avec Gand, Giovanni et Simone de Mirabello d’une part, Huberto Roero et ses parents, d’autre part, faisaient plus que mettre en lieu sûr leurs titres de créances, ils participaient au développement d’un réseau bancaire supra-régional reliant le Brabant à la Flandre. Depuis le XIe siècle, une partie du négoce international gantois était tendanciellement orienté vers l’Empire en direction de la Rhénanie et la Moselle avec pour objet, le vin rhénan et les draps flamands118. La volonté de développer des réseaux de crédit actifs en Brabant et en Flandre fut une constante dans la stratégie commerciale ultérieure des Mirabello ; elle se greffait certes sur un tissu de relations économiques préexistantes. La famille de Mercato suivit certainement les Mirabello dans ce mouvement de redéploiement et peut-être même la précéda-t-elle. Godefrido, un parent d’Enrico, actif également à Louvain, avait été hôtelier à Gand dès 1305, tandis que Guglielmo de Mercato, ancien associé de Rainerio Roero à la table de prêt de Tournai, était usurier public à Gand avec son frère au moins depuis 1321119. Par conséquent, l’importance de Gand aux yeux de Giovanni de Mirabello ne peut jamais être sur-estimée. Aussitôt installé à Bruxelles comme receveur de Brabant, Giovanni de Mirabello veilla dans cette perspective à maintenir des contacts fréquents avec la ville de Gand par l’intermédiaire de son valet personnel120. Les nouvelles circulaient promptement entre les deux villes. Un messager gantois envoyé avec des lettres aux échevins de Bruxelles pouvait ramener la réponse le lendemain121. Le surcroît de ressources financières apporté par le contrôle des recettes princières assurait à Giovanni de Mirabello la poursuite de ses activités bancaires. Le receveur administrait désormais et faisait fructifier, en plus de ses actifs personnels, les revenus du Prince, la distinction n’étant jamais nettement tracée entre le patrimoine privé du trésorier et le patrimoine public. Peu avant 1324, tenant compte de la primauté croissante de la Flandre dans ses investissements financiers, il s’associait donc avec son homologue flamand, le Florentin Conte Gualterotti, pour un prêt très conséquent au comte de Flandre Louis de Nevers de 13 296 lb. par., Mirabello intervenant à hauteur de 5 000 lb. par.122. Le remboursement fut assigné par annuités annuelles de 2 000 lb. par. sur les rentrées de la fiscalité Sapori 1932, p. 64. Sapori 1932, p. 309 et Reichert 2003, p. 530 et p. 945. Blockmans 1938, pp. 175-183 et Doehaerd 1941, vol. 1, p. 165, n. 2. Vuylsteke 1900, p. 138 (compte de 1321-1322), Guglielmo et son frère sont taxés par la ville 1 lb. de v. gr. . Pour la mention de Godefrido comme hôtelier : Ibidem, p. 18 (compte du bailli de 1305-1306). Guglielmo participa à la table tournaisienne dès 1288 avec Rainerio Roero et Tommaso de Baieni (Bigwood 1921-1922, vol. 2, n° 2, p. 104, n°35, p. 107 et n°116, p. 113). 120 Ex. : Sondagh nar Pascen, J. cnape van Hale met lettren tote scepenen, 10 lb. (Vuylsteke 1900, p. 167, l. 25[18/4/1321]). 121 Vuylsteke 1900, p. 168, l. 38 [26/6/1322] et l. 41 [27/6/1322]. 122 Kusman 1999b, p. 880 et A.D.N., B. 4064, n°5648 [5/5/1324]. 116 117 118 119

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urbaine gantoise, la ville de Gand étant redevable au comte d’une somme de 17 728 lb. par.. De quoi s’agissait-il ? En 1308, le roi de France Philippe le Bel avait proposé au comte de Flandre Robert de Béthune le rachat de la moitié des pénalités financières imposées sur les villes flamandes à la suite du traité d’Athis-sur-Orge (1305), perçues jusqu’alors directement par les fonctionnaires royaux français. Désormais, le comte lèverait lui-même une somme de 10 000 lb. sur ses sujets en échange de la cession à la France des châtellenies de Lille, Douai et Béthune, une opération posant les fondements d’un appareil fiscal princier dimensionné au territoire flamand123. Mirabello et Conte se connaissaient depuis 1312 et il est possible que ce dernier ait aidé le fils bâtard de Giovanni, Simone, à accomplir ses premiers pas dans la banque comme facteur au service des Peruzzi. Conte Gualterotti, en plus de la fonction ponctuelle de fondé de pouvoirs de cette compagnie, exerçait la profession d’hôtelier au service de la communauté marchande italienne à Gand 124. Toutefois, contrairement à son collègue Gualterotti, rapidement rentré dans ses fonds, Giovanni de Mirabello ne fut remboursé complètement de ses avances par le magistrat gantois qu’en 1328, après avoir ordonné des saisies sur des marchands gantois à Anvers et à Bruxelles. La ville de Gand estimait pourtant au plus haut point les services de Mirabello qui avait ses entrées à la cour de Brabant. L’échevin et patricien Jean van Artevelde n’hésita pas à venir personnellement à Bruxelles en 1326 et en 1328 pour s’entretenir avec le receveur dans l’intérêt de la ville. Les dons envoyés régulièrement par les Gantois au receveur de Brabant, draps écarlates rayés luxueux et autres étoffes, tonneaux de vin, témoignent de l’attachement porté à ce courtier du pouvoir, capable de promouvoir le commerce de la ville auprès du duc Jean III ou des élites bruxelloises125. Les relations harmonieuses du Piémontais avec la ville de Gand s’appuyaient en premier lieu sur la résidence d’une bonne partie de la famille dans la ville au moins depuis 1323, époque de l’installation de sa fille Isabelle et de son fils Simone. Les Mirabello avaient acquis dans la ville, sans doute dès la première décennie du XIVe siècle, une série de steenen géographiquement proches les uns des autres dans la riche Burgstraat. Ces demeures en pierre, imposant le respect, transmettaient vers l’extérieur  l’image d’un groupe familial relativement uni. À plus forte raison si, comme c’est probable, cette rue outre-Lys devait compter encore nombre de maisons en bois, puisque la plus haute densité de maisons en pierre ne se situait pas dans cette zone mais plus au cœur de la cité, à l’intérieur de l’ancienne enceinte urbaine édifiée vers 1100, dans les quartiers des marchands-drapiers et des négociants de grains. Les steenen avaient sûrement été édifiés en pierre calcaire de Tournai, usuelle pour le bâti lapidaire dans les quartiers commerciaux gantois à cette époque126. L’acquisition, lors de son premier mariage avec une patricienne gantoise issue de la famille Soy, d’un patrimoine immobilier à l’ombre du château comtal, dans la Burgstraat, trahissait les 123 Boone 2002, pp. 74-75. 124 Rogghe 1946, pp. 205-206 et A.D.N., B. 4065, n° 6048 [22/6/1329] : Donato Peruzzi, ancien receveur de Flandre

et Simone sont mentionnés ensemble pour un prêt au comte de Flandre. En 1330, Simone est encore fondé de pouvoirs de la banque Peruzzi en Flandre, cf. Rogghe 1958, p. 6. Conte Gualterotti avait investi dans la banque Mirabello à Malines, en 1312 (S.M., S.R., S.I, n° 1, compte de 1311-1312, f°121 r°). 125 Vuylsteke 1900, p. 596, l. 20 [8/4/1328 n.s.], voir aussi p. 440, l. 10 [1326] ; Kusman 1999b, p. 881 et pp. 899-900, un seul des draps coûtait la somme de 96 lb. pay. de Flandre. 126 En 1322, il ne faut pas moins de 12 grands tonneaux d’eau pour éteindre l’incendie qui s’y était déclaré  : Vuylsteke 1900, p. 168, l. 28-29 [19/6/1322]. Les steenen gantois sont étudiés dans Laleman et Raveschoot 1991, pp. 229-238.

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liens profonds de Giovanni avec la cour flamande. La rue abritait nombre de fournisseurs de la cour, armuriers, épiciers, peintres et merciers en particulier tout comme à son extrémité orientale, quelques bouchers et poissonniers, des drapiers prééminents, enfin127. En 1324, le fils bâtard de Giovanni, Simone épousait la sœur naturelle de Louis de Nevers, Isabelle de Lierde, et acquérait un petit manoir, comprenant fossés, tours et muraille, parcelles, maisons et moulins appelé Ten Walle, acheté à la puissante famille Sersanders, issue du patriciat marchand gantois. Le manoir jouxtant la Burgstraat et aménagé progressivement en demeure de plaisance, deviendrait après le décès de Simone la hof ten Walle, la résidence des comtes de Flandre. En attendant la fin des aménagements, Simone habita une demeure en pierre à côté. L’habitation de Simone à Gand (peut-être bâtie à son initiative) allait laisser son empreinte sur une rue entière, la Ser Symoenstrate, future Abrahamstraat128. En second lieu, en plus de l’extension spatiale des Mirabello autour du château comtal, leur politique d’alliance avec les élites locales tissait les fils d’une bonne renommée dans la cité de la Lys. Et en effet, Les filles de Giovanni de Mirabello entrèrent par mariage dans le cercle des courtisans de Louis de Nevers et dans la haute-bourgeoisie de la ville dès la première moitié du XIVe siècle. Une sœur cadette de Simone de Mirabello, Claire, avait épousé en premières noces, le seigneur flamand Simon de Maelstede puis remaria Gérard, seigneur de Moerseke et devint vers le milieu du XIVe siècle dame de Sint-Jan Steen et avouée de Tamise129. Isabelle de Mirabello, sœur aînée de Claire et crédirentière aisée à Malines, s’établit rapidement à Gand. Elle épousa le patricien malinois Henri Schonejans vers 1313, futur haut-bailli de Gand (il le deviendrait en 1340)130, Schonejans commerçait entre Gand et Malines. Il avait été apparemment fermier de l’assise des draps apprêtés et de la laine ; à ce titre il avait dû recourir à la garantie bancaire de la société de Giovanni de Mirabello à Malines131. Finalement, Simone de Mirabello maria ses filles, Catherine et Zwane, avec les membres de deux prestigieuses familles. Catherine épousa un rejeton de la famille Utezwane, issue de l’aristocratie féodale rurale proche de Gand puis se remaria avec Yvain de Vaernewijck dont le lignage appartenant au meilleur patriciat foncier occupait une place prépondérante dans l’échevinage. Zwane, quant à elle, se maria avec Guillaume van Artevelde, dont le groupe familial comptait de grands propriétaires ­fonciers pratiquant 127 Kusman 1999b, p. 881, p. 895 et p. 903 : les frères de Giovanni de Mirabello, Manfredo, Pietro et Simone disposaient

de droits jusqu’en 1327 sur les trois demeures de la famille situées dans la Burgstrate. Une autre demeure en pierre, plus éloignée de la parentèle, était située près de la Ketelpoort, en face de l’actuelle Savaenstrate, il appartenait au frère de Giovanni, Pietro, qui en avait l’usufruit. Au sujet de la population de ce quartier, consulter Nicholas 1987, p. 89. 128 Kusman 1999b, pp. 901-902 La demeure Ten Walle, originellement un petit manoir, remontait sans doute à l’époque du châtelain de Gand Hugues II (†1232), étant peut-être même à l’origine une motte féodale (Laleman 2000, pp. 16-21). 129 De Ghellinck de Vaernewijck 1899, n°105, pp. 177-178 [10/8/1354] ; Bigwood 1921-1922, vol. 1, p. 238, n. 4 ; De Pauw 1920, p. 793, 40e tableau (on utilisera cependant les autres tableaux généalogiques relatifs aux Mirabello avec la plus extrême prudence, l’auteur ayant utilisé simultanément des sources d’archives fiables et des manuscrits généalogiques parfois fantaisistes. Les mêmes remarques s’adressent à l’ouvrage de Bigwood 1921-1922, qui attribue fautivement à Simone d’autres sœurs que Claire ou Isabelle). Claire est citée comme épouse de Gérard de Moerseke en 1346 dans le testament de Simone (Van Der Haeghen 1888, n° 33, pp. 59-70, p. 65 [15/1/1346]). 130 Kusman 1999b, p. 901 et S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 1313-1314, f° 10 r° pour la mention d’Isabelle comme épouse Schonejans. 131 A.D.N., B.1565, f°32r°, p. n°190 [5/7/1334] et f°131r°,n°636 [11/11/1334] et S.M., S.R., S.I, n° 2, compte de 13131314, f° 5 v° et f°51v° et supra, la 3e partie, le chap. 3, p. 294, n. 103.

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aussi le commerce drapier et le courtage132. Ce mouvement d’alliance avec des familles certes honorables, présentant néanmoins un profil social très différent, témoignait indéniablement d’une réussite éclatante pour les Mirabello, dans leur entreprise d’insertion tous azimuts au sein des classes aisées de la société urbaine gantoise. Aspect révélateur de l’honorabilité des Mirabello à Gand, Leone de Mirabello, simple cousin de Simone de Mirabello, pouvait prétendre en 1327 à un dédommagement de la ville pour son cheval, mortellement blessé133. J’évoquerai enfin un paramètre primordial pour jauger la présence des financiers  astésans dans les villes du comté de Flandre. Il s’agit de l’obtention du droit de bourgeoisie. À Gand, il suffisait à l’étranger de résider un an et un jour dans la ville, résidence confirmée par le serment d’un bourgeois chez qui le nouveau-venu avait élu domicile. Une fois bourgeois, le nouveau citoyen de la ville obtenait le privilège de n’être justiciable que devant les échevins gantois. Le début du XIVe siècle, époque où Giovanni et ses fils Simone et Franco obtinrent le droit de bourgeoisie, était visiblement caractérisé par une ouverture encore assez grande de la bourgeoisie aux étrangers134. Le statut de bourgeois rendait le nouveau-venu solidaire de la ville, en particulier pour des prêts forcés, surtout, si, comme Simone de Mirabello, il appartenait aux classes aisées135. La valeur juridique élevée des lettres de bourgeoisie explique d’ailleurs pourquoi la veuve de Simone, Isabelle de Lierde la conservait parmi ses titres de créances les plus précieux vers 1355136. À Alost, dès 1304, Benedetto Roero, Francesco Roero, Anechino Roero, Engeranno de Solaro et Oddino de Mercadilio, portaient le titre de bourgeois de la ville137. À Termonde, autre base d’opérations de la finance astésane, peu éloignée de la frontière avec le Brabant, Giovanni de Mirabello et son associé Benedetto Roero importaient de la laine anglaise pour la ville en qualité de bourgeois vers 1316138, leur cousin, Leone de Mirabello recevant ce statut en 1332139. En revanche, dans le duché de Brabant, comme cela transparaissait de la consultation de l’Université de Paris en 1319, les marchands lombards étaient placés sous la protection exclusive du Prince à l’exclusion de toute autre juridiction urbaine (sauf à Malines). À Bruxelles, l’incompatibilité entre le statut de bourgeois et celui de serviteur du duc était affirmée par les statuts urbains. Dans ce contexte, les Piémontais, 132 De Ghellinck de Vaernewijck 1899, n° 93, pp.  156-158 [7/6/1350] (Catherine, épouse en 1ères noces de Jérome Uuterzwane et en 2es noces de Yvain de Vaernewijck) et n° 238, pp. 476-477 [15/5/1369] (Zwane, fille de Simone et épouse Guillaume van Artevelde) et De Pauw 1920, p.  156, n°46a [10/9/1377] (Zwane, épouse de Guillaume van Artevelde). Sur la famille Utenzwane, dont les membres deviendront receveurs héréditaires de l’épier à Gand à la fin du XIVe siècle, voir Boone 1988, p. 83 ; sur les familles De Vaernewijck et Van Artevelde, voir Nicholas 1988, pp. 11-14 et pp. 25-26. 133 Vuylsteke 1900, p. 540, l. 28, [25/3/1326 (a.s.)], 160 lb. de dédommagement. 134 Boone 1996, pp. 708-712 ; Kusman 1999b, p. 889. 135 De Pauw 1920, p. 31, Simone est au nombre des 155 bourgeois (dont Marie van Artevelde) qui prêtent à la ville de Gand pour subvenir à ses pressants besoins ; sa contribution se monte à 6 lb. 136 Item eene lettre van mijns heeren ende mire vrouwen porterscepe van der stede van Ghent (liste de titres de créances en possession d’Isabelle de Lierde, veuve de Simone de Mirabello, fils bâtard de Giovanni, vers 1355 : RA.G., Chartes des comtes de Flandre, Fonds autrichien, dans une layette contenant des pièces de 1284 à 1485). 137 A.S.V., Coll. 433a, f° 23r°-23v°. 138 De Vlaminck 1867, p 62 [12/4/1316]. 139 R.A.G., Chartes de Flandre, Fonds autrichien, n°40 [1/10/1332].

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c­ ertainement assimilés à des serviteurs ducaux, ne pouvaient se réclamer simultanément du statut de bourgeois140. Dans le comté de Hainaut, pour concevoir à quel point la situation sociale et politique des financiers astésans en Hainaut s’avérait enviable, il faut remonter aux années 1319-1321, lorsque les premiers contrecoups des décrets anti-usuraires du concile de Vienne furent ressentis à Mons. En Hainaut, les canons des décrétales ne furent pas appliqués au bénéfice des autorités urbaines. Bien au contraire, leur utilisation par les échevins de Mons, désireux d’échapper au versement des intérêts de leurs dettes auprès des Lombards eut un effet contre-productif. En 1319, trois échevins de la ville s’étaient rendus à Cateau-Cambrésis afin de rencontrer l’évêque de Cambrai et lui parler pour cou ke li ville ne voloit prendre les chirographes des Lombars. Si demorerent 3 jours pour leurs frais d’yaus et de leurs chevaux, 4 lb. 3 s. 7 d. 141. L’entrevue n’emporta pas le résultat escompté. L’attitude bienveillante et intéressée de l’évêque de Cambrai vis-à-vis de Giovanni de Mirabello et de Berardo de Crusiglio lors de leurs opérations de prêt à l’abbaye cambrésienne de Vaucelles a déjà été évoquée dans le chapitre précédent relatif à Malines. Mais l’affaire ne s’arrêta pas là. Sur l’insistance des créanciers lombards, le comte de Hainaut fit emprisonner deux magistrats de la ville de Mons qui refusaient d’accepter les chirographes lombards, chirographes appartenant sans aucun doute à Rolando Turco de Castelli, exploitant avec ses frères et neveux la maison des Lombards de Mons142. Cette famille influente, installée à Valenciennes dès 1278143, prêtait de grosses sommes au comte de Hainaut, garantis par les revenus princiers de Binche et de Maubeuge et par ceux de la forêt de Mormal. La société des Turco assurait également pour le comte de Hainaut des payements au duc de Brabant Jean II. Rolando Turco appartenait à l’hôtel du comte de Hainaut Guillaume Ier de Hainaut, Hollande et Zélande (1304-1337) et était seigneur de Bermerain en Cambrésis144. Le service des Turco de Castelli au sein de la maison comtale était signe incontestable de leur bonne réputation à la cour. Les échevins Bauduin de la Loge et Alard du Parc, les opposants les plus acharnés des usuriers lombards, persistant dans leur refus d’honorer leurs dettes, croupirent en prison jusqu’en 1320 puis se constituèrent otages dans une auberge de la ville en 1321 jusqu’au payement de leur dû145. Les clercs du conseil comtal défendaient la cause des 140 Une ordonnance du magistrat urbain en date du 26 février 1356 prévoit que les bourgeois ne pourront se réclamer de

leur bourgeoisie tant qu’ils seront au service du duc (Godding 1987, n°22, p. 59).

141 Pierard 1971-1973, vol. 1, p. 151. 142 Item, paiiet pour le despens Bauduin De le Loge et Alart Dou Parck, ki furent en prison au castiel pour cou qu’il ne voloient

iestre as convens des Lombars, si furent 2 jours et une nuit et pour leur compaignons et autres plusieurs boines gens ki les alerent visiter, 107 s. 2 d. (Pierard 1971-1973, vol. 1, pp. 153-154 [1319]). Sur l’implantation des Turco de Castelli à Mons, voir supra, p.  323, n. 23. Un Rolandons des Lombars avait déjà acquit à la fin du XIIIe siècle des héritiers de Jean de Lens les maisons d’Henri et Jean de Truille, de Maubeuge : A.E.M., Administrations locales (vestiges en original ou en copie des greffes scabinaux de Mons), p. n°1552, État des cens et rentes dues à Mons à Colart dou Capiel, de Thieusies, s.d.(fin XIIIe), 1 rouleau. 143 Morel 1908, p. 59 [23/4/1278]. 144 A.D.N., B. 3268 (registre contenant principalement des abrégés de comptes du domaine et des officiers de justice, de 1294 à 1305), f° 77 r° [6/9/1303] : prêt de 14 000 lb. tour. par Guglielmo et son fils Giacomo Turco de Castelli. Je remercie vivement M. Philippe Cullus de m’avoir transmis copie de cet acte. Rolando Turco de Castelli est valet du comte de Hainaut (A.D.N., B.1583, 2e cartulaire de Hainaut 852-1347, p.  n° 69, f°58v°-59r° [22/5/1326]). Rolando obtient du comte de Hainaut qu’on n’acceptera aucun bourgeois forain dans son domaine de Bermerain (voir aussi Le Maire 1961, p. 318 et p. 352). Au sujet des payements faits par Gugliemo Turco de Castelli au bénéfice du duc de Brabant, voir A.D.N., B. 1584, f°32r°-32v° [23/11/1312]. 145 La prison était celle du château comtal de Mons (Pierard 1971-1973, vol. 1, p. 161 (1320) et p. 176 (1321)).

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Lombards. Ces derniers étaient apparemment agissants à la cour de Hainaut146. L’un de ces clercs n’était autre que le Florentin Giovanni de Ventura, un habitué des règlements financiers avec la maison des Lombards de Valenciennes et un spécialiste des transferts de fonds ; Ventura traitait notamment avec Oberto de Montemagno, Dionigio della Rocca, et Berardo de Crusiglio pour régler les modalités des assignations comtales sur le domaine. Les trois associés avaient décentralisé dès 1321 une partie notable de leurs activités bancaires sur le Hainaut, après la fermeture temporaire de la maison de Malines147. Digne d’intérêt est enfin la présence dans le conseil comtal favorable aux Astésans, de Godefroid de Naast, issu de la moyenne-noblesse hainuyère mais cultivant des attaches féodales en Flandre impériale, à Rode et possédant un bel hôtel à Mons. On a vu précédemment que ces doubles appartenances féodales, dans le cas des border lords comme les Cuyck ou des Fauquemont, rapprochaient généralement l’aristocratie des banquiers italiens, pour des raisons pratiques  telles l’exercice de la diplomatie le transport aisé des fonds, ou la recherche d’une expertise financière148. Giovanni de Mirabello et un de ses associés les plus anciens, Gandolfo Vacca, avaient suivi le mouvement en reprenant des parts dans la table de Valenciennes lors du renouvellement de l’octroi comtal en 1323, pour une durée de quinze ans ! Cité en premier lieu dans la liste des partenaires de la table, Giovanni était qualifié de boin ami par le comte149. Bernardo Roero, victime comme Mirabello et de Montemagno d’une arrestation en 1318-1319 en Brabant, entra dans l’hôtel du comte de Hainaut. Il s’y chargeait notamment de fournitures d’épices, de draps et de montures, disposant d’un valet pour les commandes de la comtesse de Hainaut. Il était également dirigeant de la table de prêt du Quesnoy150. L’administration financière avait été pareillement investie précocement par les compatriotes de Bernardo Roero depuis 1300. Giacomo de Catena avait manié les deniers comtaux à l’hôtel des comtes et comtesses de Hainaut, puis Giacomo de Benengo avait occupé le poste de receveur du comte de Hainaut Guillaume Ier durant la période 1327-1335151. 146 Pierard 1971-1973, vol. 1, p. 161 : Item, paiiet pour les frais dou proffiu, des eskievins viés et nouviaus et autres ki alarent

a Valenchiennes contre les clers dou conseil monsigneur et contre les Lombars pour chou c’on ne voloit iestre a leur convens, se furent il 14, a cheval et demororent le levier de leur chevaus 7 lb. 19 s. 4 d. (. . .). 147 Au sujet de l’universitaire florentin Giovanni de Ventura, conseiller du comte de Hainaut (1308-1333) et spécialiste des négociations avec les négociants internationaux, hanséates ou lombards, voir Vercauteren 1972, p. 540 et p. 542. Pour l’assignation comtale de 157 lb., 18 s. et 7 d. de v. gr. sur les assises de Valenciennes, voir A.D.N., B.1584, 3e cartulaire de Hainaut, 1187-1328, f°70r°, Godefroy 5385, p. n°82 [19/6/1321]. Le conseil du comte de Hainaut qui est présent et dresse les comptes avec les trois Lombards de cette assignation est composé des seigneurs Godefroid de Naast, Michel de Ligne, du chevalier Thierry du Chastel, de maître Jean de Florence (alias Giovanni de Ventura), de Jean Bernier, Jakemon de Maubeuge et le chambellan Guillaume alias Guillaume de Duvenvoorde. Un intérêt moratoire de 29 % est prévu en cas de retard dans le payement de l’assignation. 148 Sur ce seigneur bibliophile et créancier du comte de Hainaut : Van Coolput-Storms 2007. 149 A.D.N., B. 511, p. n° 5612 [9/12/1323] Morel 1908, n° 16, pp. 141-151 ; Kusman 1999b, p. 876 et pp. 911-912. 150 A.D.N., B 3270, comptes des dépenses de l’hôtel des comtes et comtesses de Hainaut, Hollande et Zélande, 1325-1326 : f°11r°, f°35r° ; A.D.N., B. 3275, fragment de 8 feuillets des comptes de l’hôtel de Guillaume, fils du comte de Hainaut, 1332, f°5v°. 151 Au sujet de l’activité de Giacomo de Catena dans les années 1296-1302, en même temps dirigeant des tables de Binche et de Maubeuge, voir A.D.N., B. 3268, Comptes de recettes et dépenses faites pour la comtesse de Hainaut, 1295-1304, f° 26 v°, f° 27 r°, f° 62 r° et f° 65 v°. Le receveur Giacomo de Benenge était un Astésan : A.D.N., B.3277, compte de l’hôtel de Guillaume comte de Hainaut (1323), f° 2 r° [24/9/1327] (Jaques de Beneng) ; Bigwood 1921-1922, vol. 1, 218 (qui ne connaît que la période 1329-1335 pour ce receveur) et Castellani 1998, p. 93 (Francesco Benengo est cité parmi la faction du Popolo dans le magistrat de la ville en 1310).

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Par contraste avec le Brabant, la lecture de la crise de 1319-1320 en Hainaut révèle distinctement la position sociale privilégiée des Astésans dans cette principauté. Les prendre sous sa tutelle était au surplus pour le Prince une action rémunératrice. Protecteur suprême des Lombards de Malines et de Valenciennes, le comte de Hainaut bénéficiait de frais de perception pouvant aller jusqu’à 64% par créance lombarde pour laquelle ses officiers prêtaient main-forte en vue de la liquidation. En 1319, l’abbaye Saint-Bavon de Gand, endettée envers Mirabello, et ses associés subit ainsi les intimations des gens du comte ; en 1321, ce fut le tour de l’abbaye cistercienne de Vaucelles152. Le rôle du comte de Hainaut dans l’accueil et la reconversion à son service de plusieurs banquiers d’Asti, ayant auparavant œuvré en Brabant, est donc fondamental. Le séjour fréquent de l’hôtel comtal à Malines, pour des fournitures de draps ou des emprunts, facilitait évidemment le dialogue entre les Astésans du Brabant et les gens du comte. Guillaume de Duvenvoorde lui-même, chambellan comtal, résidait de temps à autre dans la ville et y acquit une demeure pour laquelle il payait un cens à Franco de Mirabello, fils de Giovanni de Mirabello, dans le quartier de la halle aux draps153. La situation des Astésans dans les possessions septentrionales des Avesnes ne différait guère de celle du Hainaut : les Lombards offraient leurs services à l’hôtel du Prince. Les comtes de Hainaut-Hollande et Zélande avaient mis à disposition des banquiers piémontais leurs demeures à Geertruidenberg, ‘s-Gravenzande, Leiden, Middelburg et Oudewater à la condition que celles-ci leur restent toujours accessibles et qu’ils puissent y entreposer leurs victuailles154. La position légale des Lombards témoignait d’un régime juridique très libéral. Ils pouvaient commercer, faire le change et prêter de leurs deniers. Leurs créances pouvaient être poursuivies dans toute l’étendue du comté avec l’aide des officiers comtaux du ressort concerné, moyennant un don au comte155. L’exemption de toutes tailles, assises, du service militaire et de droits de succession était généralement en vigueur156. À Valenciennes, les Astésans obtinrent même une équivalence juridique entre leur statut et celui des bourgeois de la ville157. À côté du comté de Flandre et du comté de Hainaut, un troisième territoire de redéploiement fut privilégié par les anciens banquiers du Brabant  : Tournai, ville royale française enclavée en Hainaut. 152 Kusman 1999b, p. 876 et éd. de l’acte pour Vaucelles dans Bigwood 1921-1922, vol. 2, n°35, p. 330-331 [24/3/1321]. Le comte de Hainaut s’interdisait de réclamer plus de 100 lb. de v. gr. pour un emprunt de 156 lb. de v. gr. ! Des exemples plus anciens de lettres obligatoires lombardes rachetées par le comte de Hainaut en échange de son droit de perception figurent dans A.D.N., B. 3268, f° 26 v° [1296] (lettres des Lombards de Binche sur les villes de Binche et de Maubeuge et lettres des Lombards de Grez sur la ville de Binche). 153 Pour les séjours de l’hôtel comtal à Malines, voir par ex. A.D.N., B.3277, compte de l’hôtel de Guillaume comte de Hainaut (1323), f° 9r° [26/8/1323] ; A.D.N., B. 3271, compte de l’hôtel des comte et comtesses de Hainaut, 1326-1327, f°32r° ; A.D.N., B.3274, comptes de l’hôtel de la comtesse de Hainaut 1330-1331, f° 11 v° . Pour les mentions de Guillaume de Duvenvoorde à Malines  : A.D.N., B.3277, compte de l’hôtel de Guillaume comte de Hainaut (1323), f° 8 r°  : le xxje jour[20/7/1323] pour j messaige envoyer de Bruxielle a Maslines a monseigneur Willaume le camberlent qui estoit malades – iij s. iij d. et A.O.C.M.W.M , reg. n° 8204, censier de la Mense du Saint Esprit de l’église Saint-Rombaut en 1339, p. 27. 154 Smit 1924-1939, vol. 3, p. 6. Ainsi, en 1318, le receveur de Zélande Vrederic fait livrer 9 pièces de vin dans la maison des Lombards de Middelburg. A Bréda, l’huissier du comte est un Pieter de Camera,sans doute apparenté à la famille astésane de Camerano (Hamaker 1879, vol.1, p. 154 et pp. 180-182). 155 Octrois de Marly et Valenciennes (28/11/1312) : Kusman 1999b, p. 865, octroi de Saintes (A.D.N. B.1584 n°195, Godefroy 5077 , f° 158r°-158v°[3/2/1316])  ; octroi de Ath  (A.E..M., Trésorerie des comtes de Hainaut, chartrier, n°486 [6/10/1313]). 156 Octrois de Ath et de Valenciennes : A.E.M., Trésorerie des comtes de Hainaut, chartrier, n°486 [6/10/1313] ; Kusman 1999b, p. 865. 157 Kusman 1999b, p. 865.

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Benedetto Roero choisit cette ville en 1322 pour procéder au premier partage de créances des sociétés dans lesquelles il avait part. Benedetto loua une demeure à Tournai, une ville où d’ailleurs, les oncles de Benedetto, Berardo et Rainerio Roero avaient débuté avec succès leurs affaires, un demi-siècle auparavant158. Depuis la dernière décennie du XIIIe  siècle, la cité épiscopale n’était plus considérée par les banquiers astésans comme un pôle de croissance majeur de la banque ; c’étaient plutôt les marchands florentins qui faisaient montre de dynamisme, en matière monétaire notamment159. Mais le choix de Benedetto n’était pas dicté par la poursuite de nouveaux investissements lucratifs. Benedetto habitait à côté de la porte de la Vigne, à proximité de l’enceinte et près du béguinage de la ville  ; une façon pour l’usurier piémontais de rechercher un endroit paisible et retiré pour procéder à la dissolution de ses actifs160. Les béguines avaient eux aussi souffert des décrets du concile de Vienne et de leur publication en 1317 ; un soupçon d’hérésie planait sur elles161. A proximité de la rue de la Vigne également, demeurait le notaire tournaisien Jean de Relenghes, dans une rue jouxtant l’abbaye Saint-Martin de Tournai162. Jean de Relenghes acta à de nombreuses reprises les partages de créances de Benedetto Roero et ses associés, soit dans son étude, soit sur le marché, dans la maison d’un hôtelier tournaisien renommé, Gauthier de Surpont, soit, finalement, dans la demeure de Benedetto163. 2.

La rupture

A.

Signes avant-coureurs

L’arrestation de Giovanni de Mirabello et de ses deux fils à Bruxelles en 1333 ne se produisit pas ex abrupto. À dire vrai, plusieurs facteurs de détérioration des conditions d’accueil des financiers piémontais se firent jour en Brabant bien avant l’arrestation des Mirabello. J’en ai donné le détail dans les pages précédentes. Quatre de ceux-ci me paraissent concluants  : le contexte de faillite des finances princières dans les deux premières décennies du XIVe siècle, le sentiment des élites urbaines d’être menacées dans leurs activités de crédit local par la concurrence des financiers astésans dans les grandes villes, l’aspiration de Bruxelles à l’hégémonie dans le réseau des places financières brabançonnes et enfin l’appartenance des financiers astésans à des réseaux de crédit supra-régionaux. Cette dernière cause fut prépondérante dans la déconfiture de Giovanni de Mirabello à Bruxelles. Cela nécessite une explication. En temps normal, la participation à des banques établies le long des axes commerciaux traversant le Brabant vers la Flandre ou le Hainaut faisait l’essence du métier du prêteur lombard. Le transport des capitaux et leur change, leur virement à des sociétés partenaires transcendait les frontières principautaires, 158 Sur les premières opérations de la famille Roero à Tournai dans la seconde moitié du XIIIe siècle, voir supra, la 1ère partie, chap. 2, pp. 68-79. 159 Reichert 2003, p. 742 : mention de plusieurs membres des sociétés Peruzzi et Guidi à l’atelier monétaire de la ville dans la première moitié du XIVe siècle. 160 A.S.V., coll. 433a, f° 20r°. Localisation du béguinage dans Hocquet 1905-1939, n°282, p. 107 [2/9/1298] et Bozière 1864, pp. 22, 47-48 et 125-127. 161 Lauwers et Simons 1988, p. 17. 162 D’haenens 1962, p.586. 163 A.S.V., Coll. 433a, f° 15r° -v°[5/2/1322], f°20 r°-v° [23/3/1322], f°32v°-33r° [11/5/1322], f°39v°-40r° [5/8/1322].

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les limites d’un pays. Pour autant qu’il respecte les règles et travaille pour une table de prêt légale bénéficiant d’un octroi délivré par le Prince ou la ville d’accueil, le financier astésan –  le « Lombard » – pouvait espérer mener son négoce sans trop d’embarras. Ceci n’avait pas été le cas de Giovanni della Porta, prêtant à usure dans deux principautés sans autorisation légale. Cependant, d’autres circonstances, d’ordre politique, pouvaient altérer les conditions de travail des banquiers étrangers. Au départ gage de sécurité supplémentaire pour leur négoce, les appartenances plurielles des financiers italiens, dépendant de plusieurs princes territoriaux, pouvaient se révéler problématiques à long terme. En effet, l’appartenance à plusieurs réseaux d’affaires régionaux et internationaux incitait les Piémontais à suivre des logiques d’investissements supra-territoriales, transcendant le simple rapport au territoire de la ville d’accueil puis à la principauté toute entière. Un conflit entre le Prince et une ou plusieurs villes de son pays, entre plusieurs villes d’une même principauté ou entre deux princes, mettait en jeu des logiques territoriales opposées aux intérêts transfrontaliers des Lombards. Typique du pragmatisme des banquiers astésans à l’égard des révoltes urbaines contre leur Prince ou un Prince « étranger » sembla être la réaction de Guglielmo Ventura, commentant la révolte du tisserand brugeois Pierre de Coninc en 1302 et sa répression violente dans les années suivantes par les forces armées du roi de France : Multa mala, quae scribi non possent, venerunt ex praedicta discordia164. Cela étant, une famille comme celle des Mirabello outrepassait les limites raisonnables d’une stratégie d’appartenances politiques plurielles en voulant maintenir à tout prix ses liens de fidélité envers le duc de Brabant Jean III et envers les comtes de Flandre Robert de Béthune et Louis de Nevers. Les conflits territoriaux fréquents entre les deux princes, spécialement pour l’exercice de leurs droits de juridiction respective sur l’Escaut autour d’Anvers mirent très vite à mal cette stratégie. Dans la phase initiale du conflit, en 1315-1316, le comte de Flandre Robert de Béthune avait emprisonné le seigneur de Malines Florent Berthout au château de Rupelmonde ; des marchands anversois, bruxellois, louvanistes et malinois étant de plus arrêtés et leurs marchandises saisies165. En 1316, Benedetto Roero et son frère Giovanni Roero, Giovanni de Mirabello, Huberto Pulsavino, Berardo et Andrea de Crusiglio étaient actionnaires de la maison de prêt de Gand tout en résidant à Malines. Ils perdirent leur droit d’exiger une créance de 80 lb. de v.g. sur l’abbaye d’Oudenburg. Robert de Béthune avait pris prétexte de leur absence pour confisquer à son profit la créance due as dis Lombars demorans en le terre de nos anemis et de terme passeit. Robert défendit dès lors aux Lombards d’entreprendre toute action judiciaire contre l’abbaye, placée sous la protection du comte et tenue quitte de toute dette166. L’effet du conflit territorial de l’Escaut sur le négoce des banquiers astésans n’était aucunement anecdotique. 164 Kusman 2007, p.  170 et Combetti 1848, p.  731 pour la chronique de Ventura. La guerre franco-flamande

représentait une gêne pour la poursuite des affaires. Bruges incarnait naturellement une place vitale pour les prêteurs astésans dans le comté de Flandre, notamment du fait de la possession du grand établissement brugeois de prêt sur gages et de banque « Les Grands Cahorsins », sur celui-ci voir Murray 2005, p. 139. 165 Avonds 1984, p.  61  ; Avonds 1991, p.  24. En ce qui concerne les arrestations de marchands brabançons et l’emprisonnement de Florent Berthout, voir A.G.R., Chartes de Brabant, n°250 [28/10/1316] ; A.D.N., B. 1418, n°51373 [vers le 1/11/1316] , B. 1544, n°5129[28/12/1316 ], B. 1442, n°51893[15/5/1317] , B.1571, f°12r°, p. n°19, Godefroy 5178 [13/3/1318], f°12 v°, p. n°20, Godefroy 5180 [18/3/1318]. 166 Feys et Van De Casteele 1873, pièce OO., pp. 104-105 [20/8/1316] ; Kusman 1999b, p. 860.

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Il est intéressant de relever, dans ce contexte de tensions grandissantes entre le duché de Brabant et le comté de Flandre, l’intervention de Simone de Mirabello. Devenu conseiller du comte de Flandre Louis de Nevers, Simone participa à une négociation de pacification vers 1325, destinée à endiguer la litanie de saisies et contre-saisies pratiquées par les officiers des deux princes sur le cours de l’Escaut en aval d’Anvers. Le protocole d’accord secret avait pour ambition de rétablir la libre-circulation des marchands entre les deux principautés vers et au départ d’Anvers tout en respectant la perception des tonlieux d’Anvers167. Présent chacun dans le conseil du Prince, l’un du côté brabançon, l’autre du côté flamand, Giovanni et son fils, Simone de Mirabello, pouvaient influer sur l’ébauche d’une diplomatie de la réconciliation entre les deux principautés. Les Mirabello œuvraient il est vrai en même temps au rapprochement des principautés où ils disposaient de banques : les comtés de Hainaut, Hollande et Zélande, le comté de Flandre et le duché de Brabant. Conclu entre ces États en 1327, un traité d’alliance réglait par l’intervention d’arbitres les différends frontaliers futurs entre Jean III, duc de Brabant, Louis de Nevers, comte de Flandre et Guillaume III, comte de Hainaut, Hollande et Zélande. Du côté flamand, Simone était cité au premier rang des conseillers. Giovanni de Mirabello était quant à lui absent du conseil, sans doute pour éviter tout soupçon de collusion d’intérêts entre le père et son fils168. Il est difficile de préciser davantage, dans l’état actuel des sources, le poids exact des deux conseillers piémontais dans ces accords inter-principautaires. Ce qui est certain, en revanche, c’est que, d’abord à partir de 1327, Giovanni de Mirabello apparut aussi ponctuellement dans l’entourage de la maison des comtes de Flandre. En tant que bourgeois de Gand, il fit don de deux coffres à la comtesse de Flandre169. Ensuite, en 1331, Giovanni de Mirabello figura parmi les bénéficiaires d’un droit de livrée à l’hôtel comtal, à l’occasion des relevailles de la comtesse Marguerite de Flandre. Jehan de Haule [alias Jean de Halen ou Giovanni de Mirabello] était cité parmi les chevaliers et bacheliers de Louis de Nevers en Flandre, aux côtés de son fils, Simone de Mirabello, de Gauthier d’Harlebeke, d’Yvain de Vaernewijck, chevalier et bailli de Furnes, d’Hector Vilain, châtelain de Gand et d’autres conseillers prééminents170. Prise isolément, la présence de Giovanni de Mirabello aux relevailles de Marguerite de Flandre ne serait pas décisive pour indiquer un changement d’affiliation politique. Après tout, des conseillers brabançons de premier plan figuraient aussi parmi les bénéficiaires de la livrée du comte de Flandre : Othon de Cuyck et Roger de Leefdael par exemple. La raison de leur présence était toutefois différente ; ils accompagnaient leur Prince, le duc de Brabant. Comme tous conseillers proches ils étaient tenus d’assister à ces rencontres diplomatiques officieuses que constituaient les festivités autour de la naissance d’un enfant de Prince171. 167 A.D.N., B. 1571, f°52r°-v°, p. n°74 [pièce non-datée venant après un acte de 1325] : à côté des deux princes, sont présents

du conseil ducal, Othon de Cuyck, monseigneur Hermant [Herman van Oss ?], maître Henri Coeke et du conseil comtal, Guy de Flandre, frère-batard du comte de Flandre, Simone de Mirabello, Jean de Bruges et Guillaume de l’Etuve, avoué d’Ypres, voir aussi f°53r°-v°, p. n°75. L’accord ne fut, semble-t-il jamais entériné, faute d’accord sur une série d’amendements nécéssaires. Identifications de Guy de Flandre dans Vandermaesen 1999b, p.  301, n. 4. Ce même Jean de Bruges, archidiacre de Hainaut et procureur du comte de Flandre sera désigné plus tard pour aller rencontrer le magistrat malinois et discuter avec lui des modalités de la vente de Malines au comte de Flandre : A.D.N., B. 1571, f°2v°, p. n°4 [18/10/1333]. 168 De Saint-Genois 1782, p. 202 [vers 1327] ; Verkooren 1910, n°294, p. 214 ; Kusman 1999b, p. 887. Du côté brabançon, Othon de Cuyck occupait le premier rang. 169 A.D.N., B.3231, n°4347bis, [vers 1327-1329] : état des présents faits par les villes de Flandre à la comtesse de Flandre. 170 Éd. dans Vandermaesen 1999b, pp. 291-306 [6/1/1331], p. 293. 171 Vandermaesen 1999b, p. 291 : Othon de Cuyck et Roger de Leefdael sont cités parmi les bannerez en Flandres. Le banneret inconnu Roger de Lievendale indiqué par Vandermaesen (op. cit., p. 285) est sans nul doute Roger de Leefdael.

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En revanche, ici, un faisceau d’indices tangibles dessinait les contours d’une stratégie délibérée de reconversion politique au service de la maison de Nevers, dans le chef du financier piémontais. Giovanni de Mirabello fit officiellement partie du conseil de Louis de Nevers et exerça la charge de receveur en 1329-1330172 ! Très mobile, Giovanni de Mirabello allait jusqu’à effectuer des payements pour le comte de Flandre destinés à Béatrice de Saint-Pol à Paris. Dame de Nesle et de Crevecoeur et veuve de Guillaume de Flandre, fils de Guy de Dampierre, Béatrice nourrissait à ce titre quelques revendications successorales sur le domaine flamand173. La présence aux côtés du comte de Flandre d’un banquier piémontais, possesseur d’une seigneurie patrimoniale brabançonne, Perwez, et simultanément receveur en Brabant s’apparentait à une provocation. Durant la même période, le fils, Simone, épaulait Giovanni à la recette de Flandre, certainement en raison des allers-retours fréquents de son père à la cour de Bruxelles. Cela signifiait que le fils naturel du receveur de Brabant pouvait recueillir de la bouche de son père des informations confidentielles sur la politique intérieure du Brabant. Au surplus, vers 1324-1326, Giovanni de Mirabello acquit de Gérard de Hornes, endetté envers sa société de prêt, la terre ducale de Perwez, apanage de la maison de Louvain174. Naturellement, le souci pour le banquier astésan de ne pas miser sur un seul marché du crédit, celui du Brabant, était déterminant dans son attitude politique ambiguë. Dès 1327, précisément, à l’époque de ses présents à Marguerite de Flandre, Giovanni de Mirabello prit des mesures préventives au sujet de son vaste portefeuille de participations : il possédait des parts dans les maisons de prêt du Brabant de Flandre et du Hainaut avec d’autres actifs mobiliers, le tout se chiffrant certainement déjà en dizaines de milliers de livres tournois d’une part et, d’autre part, il devait partager son patrimoine immobilier entre ses héritiers175. Un conflit ayant opposé Giovanni à ses frères sur l’héritage, il dût être tranché par une cour échevinale gantoise habilitée à arbitrer les conflits successoraux, les Scepenen van Ghedeele ende paysieres. Simone était mandatée par son père pour s’accorder avec ses frères et oncles à cet effet. Un premier accord, passé à Gand le 8 août 1327, transmit la quasitotalité des biens immobiliers et des biens mobiliers à Simone. Les oncles et cousins reçurent des rentes viagères de 200 lb. tour. et héritèrent des Steenen provenant de la succession de la belle-mère de Simone, une patricienne de la famille gantoise Soy. En 1329-1330, enfin, le 172 Vandermaesen 1999a, vol. 1, p. 532 : Mirabello est receveur et conseiller du comte de Flandre dans la période du

8/3/1329 au 4/11/1330.

173 A.D.N., B.4065, n°6004[11/4/1330]. Béatrice de Saint-Pol reçoit 100 lb. de v.g. par la main de nostre boin amy Jehan de

Mirabiel dit de Hale. Un arrêt du parlement de Paris avait donné raison à Béatrice de Saint-Pol afin qu’elle recoive satisfaction pour le payement des rentes assignées à feu Guillaume de Flandre par son père le comte Guy de Dampierre, rentes restées impayées. Il s’agissait notamment d’un revenu annuel de 1 248 livrées de terre assignées sur les domaines du comté : A.D.N., B. 1270, n°5955 [21/1/1329 et vidimus à Paris le 19/1/1333]. 174 Sur la vente forcée de la seigneurie de Perwez par Gérard de Hornes à Giovanni de Mirabello vers 1324-1326, sans nul doute en raison d’obligations non-remplies du premier envers le second : A.G.R., C.C., n°542, f°18r° : Dominus Symon de Halen [nom biffé au-dessus : Theodericus de Horne] terra de Perweys cum omnibus attinentiis suis secundum quod Johannes de Halen pater suus [nom biffé]erga dominum Gerardum, dominum de Horne, eam comparavit. Cette mention de l’achat de Perwez par Giovanni de Mirabello et de sa transmission à son fils Simone ne figure pas dans l’édition du registre des feudataires de Jean III faite par Galesloot 1865. Sur la critique de cette édition, on lira avec profit Bril 1958. Voir également Kusman 1999b, p.  883 et Tarlier et Wauters 1963, p.  8. Thierry de Hornes, fils de Gérard reprendra la seigneurie après le décès de Simone de Mirabello, en 1346. 175 En 1333, Simone estimera, dans un mémoire juridique adressé au duc de Brabant que les biens mobiliers saisis dans la maison de son père se chiffraient à une valeur de 100 000 lb. tour. (Kusman, 1999b, p.  894). Quoique comportant cerainement une part d’exagération, ce chiffre était indicateur d’un volume d’affaires conséquent pour la société de prêt familiale, si on le relie aux rentes viagères compensatoires versées aux cousins et oncles de Simone, d’une valeur de 200 lb. tour. chacune, rentes viagères dont on peut supposer qu’elles valaient 10 à 15% du montant dû à titre successoral.

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Fig. 33. Sceau en cire de Giovanni de Mirabello figurant un lion couronné avec la légende : (. . .)+ S. IOHANNIS DE MIRABE., cliché des archives de la ville de Bois-leDuc : © S.H., chartes, n° 58, lade 211 [7/11/1330].

pape Jean XXII légitimait le fils naturel de Giovanni en lui donnant l’autorisation d’hériter des biens patrimoniaux situés en Piémont176. Le frère, Franco, et les sœurs, Claire et Isabelle n’avaient curieusement pas contesté le règlement successoral, comme si une entente tacite les liait solidairement pour protéger Simone des prétentions successorales de ses cousins. Fils certes naturel, Simone demeurait pourtant le plus puissant, au sein de «  l’entreprise familiale Mirabello ». La clause la plus funeste du règlement successoral de 1327 – pour l’avenir politique de la famille en Brabant – fut la transmission inter vivos de la seigneurie de Perwez à Simone. Résidant en Flandre, le bâtard de Giovanni acquérait la propriété d’une des plus anciennes terres de la maison des comtes de Louvain177. Dans le cas de Giovanni de Mirabello, la possession d’un fief ayant appartenu à des cadets de la famille des ducs de Brabant depuis plus d’un siècle était une marque de notabilité insigne pour un banquier au passé récent d’usurier. Perwez, ensemble foncier imposant ressortait au domaine ducal depuis le tout début du XIIIe siècle, soit une des possessions les plus anciennes des princes de la maison de Louvain. Le seigneur y disposait de la haute, moyenne et basse-justice avec des obligations banales étendues178. La possession conférant les armes, Giovanni de Mirabello traduisit matériellement la possession de ce fief à la même époque en adoptant un sceau (fig. 33) assez répandu au sein de la chevalerie brabançonne de la première moitié du XIVe 176 Kusman, 1999b, p. 887 (avec renvoi aux sources). 177 Simone est cité comme seigneur de Perwez dès 1327 (De Saint-Genois 1782, p. 202). 178 La seigneurie de Perwez entre définitivement dans le patrimoine de la maison de Louvain en 1201, voir Triffin 1978,

pp. 66-74.

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siècle. Les armes des Mirabello étaient de gueules, figurant un lion d’or rampant couronné armé et lampassé d’azur. Peu fréquent dans la société urbaine de l’Italie du Nord, le lion était alors l’animal le plus en vogue sur les armoiries, particulièrement dans les Pays-Bas179. Les financiers d’Asti de la faction gibeline affectionnaient d’avantage des figures symbolisant leur appartenance politique telles que l’aigle (familles Alfieri, Guttuari, Isnardi et Turchi) ou des armoiries parlantes tels que les roues (famille Roero), ou la fleur de lys (famille Layolo)180. Enfin, le blason du Brabant comprenait deux lions différents. Le duc Jean II avait été le premier à imposer sur ses armes, en 1298, l’écu écartelé au lion de Brabant et au lion couronné à queue fourchue du Limbourg à la suite de son adoubement par le roi d’Angleterre Édouard Ier à Gand181. En scellant ses actes du lion couronné, Giovanni de Mirabello, tentait de s’intégrer à l’aristocratie féodale locale en rejetant tout blason qui aurait pu stigmatiser les membres de la famille dans la société urbaine bruxelloise  ; une démarche très différente de celle des patriciens bruxellois de la famille Sleeus, dont les armes au lion couronné correspondaient à des armes parlantes182.  Pour des nobles déclassés du contado d’Asti comme les Mirabello qui avaient dû abandonner leur castrum seigneurial, proche du bourg de Quarto (fig. 34) et quitter le Piémont au sortir du XIIIe siècle, pour pratiquer le commerce de l’argent outre-monts, la détention de Perwez incarnait bien une puissante réminescence du passé nobiliaire de leur famille183. On comprend dès lors pourquoi jusqu’à sa mort, alors qu’il demeurait à Gand aux abords du château comtal, le régent de Flandre Simone de Mirabello persista à porter le titre de seigneur de Perwez et à rendre son hommage féodal au duc de Brabant184. Une aspiration apparaissait en filigrane, celle d’appartenir à la familia des ducs de Brabant, témoignage d’ambition démesurée pour un banquier étranger. En effet, les Hornes, nu-propriétaires de Perwez, appartenaient à la maison des ducs de Brabant puisque l’épouse de Gérard de Hornes était la petite-fille du duc de Brabant Henri II. Les Mirabello, en

179 Pastoureau 1979, pp. 136-142 qui relève que les lions sont couronnés dans 10 % des cas au XIVe siècle, d’or dans

20 % des cas. Les blasons au lion couronné sont très fréquents au sein des chevaliers brabançons au service du duc Jean III en 1332-1334, figurant dans le ms. du héraut Gelre (B.R.B., ms. 15652-56) : Kusman, 1999b, pp. 900-901. 180 Bigwood 1908, pp. 33-44 et Natta-Soleri et Fè D’Ostani 2001. 181 Tarlier et Wauters 1963, p. 8 : mention d’un sceau seigneurial écartelé aux 1 et 4 des armes de Louvain et aux 2 et 3 des armes de Brabant. Il devait s’agir en réalité d’un écartelé aux 1 et 4 des armes de Brabant et aux 2 et 3 des armes de Limbourg, cf. sur ces armes de la maison des ducs de Brabant en vigueur depuis Jean II (1298) : Laurent 1990, vol. 1/1, p. 194 et Avonds 1999, pp. 73-74 et n. 264. Le premier sceau conservé de Giovanni de Mirabello est appendu à une charte de Brabant de 1324 et comporte déjà un lion mais seule une moitié est encore visible, rendant toute comparaison précise malaisée : A.G.R., Chartes de Brabant, n°276. Le fragment de sceau ne semble toutefois pas indiquer de variation notable avec les sceaux ultérieurs, ce qui montrerait que Mirabello est resté fidèle au même modèle de sceau durant toute sa carrière de receveur à savoir le lion couronné mais à queue non fourchue. La description héraldique du sceau des Mirabello est la suivante : de gueules, figurant un lion d’or rampant couronné armé et lampassé d’azur : B.R.B., ms. Goethals, n°738, f°126 r° et B.R.B., ms. 5697, p. 119. L’écu des ducs de Brabant pour le Limbourg comporte un lion de gueules, armé, lampassé et couronné d’or, la queue fourchée passée en sautoir. Les similitudes sont donc relatives. 182 Au sujet des patriciens bruxellois de la famille Sleeus, voir Loutsch 1986, p. 66 et pl. 4. 183 Kusman 1999b, pp. 845-848 et mise à jour dans Bordone, Kusman et Reichert 2007. 184 Pour les mentions de Simone de Mirabello : A.E.A.R.B.-C., C.F.B., n°1, f° 104 r° : dominus Symon de Halen de dominio et terra de Perweys. Ce registre, dit Latijnsboeck est une transcription faite vers 1350 (et mis à jour jusqu’à cette date) du plus ancien livre de fiefs fait pour le duc de Brabant Jean III, à partir de 1312 (actuellement A.G.R., C.C., n°542), cf. Galesloot 1870, p. 1 et Bril 1958, p. 6. Le testament de Simone de Mirabello comporte la clause suivante : Item willic dat tgoed te Pereweiz blive minnen hoyre van mijns vaderweghe (Van Der Haeghen 1888, n°33, pp. 59-70[15/1/1346]). Voir aussi A.G.R., C.C., n°542, second livre, f° 18r° après le décès de Simone, Thierry, fils de Gérard de Hornes, reprit la terre en fief du duc.

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Fig. 34. Le castrum de Quarto (fig. 37), jouxtant les biens et le château des Mirabello, à 6 km. à l’est d’Asti, ill. extraite de Sella 1880-1887, vol. 1, table 9, d’après le Codex Malabaila composé dans la première moitié du XIVe siècle (© Archivio Storico del Comune di Asti). Plus aucune représentation du castrum des Mirabello n’existe à l’heure actuelle, mais la représentation ci-dessus ne devait pas ­tellement différer des dizaines de petites forteresses de ce type qui peuplaient le contado de la ville.

revanche, n’étaient au départ que les usufruitiers de la seigneurie et, en forçant le trait, pour les polémistes de l’époque, ils pouvaient passer pour des usurpateurs du domaine ducal185. Dans le même temps, le receveur de Brabant poursuivit une «  diplomatie de l’argent  » dans laquelle son prêt gigantesque au comte Renaud II de Gueldre en 1325, occupait sans doute une place de choix186. Il ne s’agissait plus seulement, à présent, d’un investissement de nature spéculative sur la dette d’un prince étranger, comme par le passé. Il est vraisemblable que dès cette époque et donc bien avant sa brève carrière à la cour de Flandre, Giovanni envisageait de passer au service d’un prince étranger. Les exemples de conseillers changeant d’obédience deviennent de plus en plus fréquents dans la première moitié du XIVe siècle : un Jean Moliart, receveur du comte de Gueldre devient chancelier du duc de Brabant tandis qu’un Guillaume de Duvenvoorde réussit, quant à lui, fait exceptionnel, à maintenir son activité de conseiller du comte de Hainaut-Hollande et Zélande tout servant le duc Jean III. La position ambivalente du financier piémontais, Lombard privilégié par le duc de Brabant et trésorier princier, bourgeois de Gand et bientôt conseiller comtal en Flandre, soutient cette supposition. La place grandissante des investissements extra-brabançons du manieur d’argent d’Asti allait de pair avec ses sympathies croissantes avec la cour flamande187. 185 Gérard de Hornes semble avoir continué quelque temps à s’intituler seigneur de Perwez, preuve que la vente était

entendue au départ comme concernant un seul droit d’usufruit, voir par ex. Drossaers 1948, n°210, p. 60 [12/8/1329] et Knetsch 1917, p. 35.1 186 Prêt de 48 000 lb. n.t. au comte Renaud II de Gueldre : Stadsarchief Zutphen, Oud archief Zutphen, charters, n°72 [4/3/1325] et éd. partielle dans Spengler-Reffgen 1999, n°200, pp. 183-184. 187 Kusman 1999b, pp. 888-889. En ce qui concerne les carrières de Moliart et Duvenvoorde, voir Avonds 1991, n°136, pp. 150-161 et pp. 255-256.

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Du côté brabançon aussi, des signes avant-coureurs d’une rupture entre la famille Mirabello et les élites locales prenaient forme. J’en mentionnerai deux qui me paraissent particulièrement évocateurs, montrant un durcissement du comportement des élites urbaines vis-à-vis de la finance astésane. Premier symptôme d’un durcissement, le refus par les élites politiques et marchandes de la ville de Louvain d’acquitter leurs dettes envers Leone Deati et ses associés entre 1322 et 1330. Ce n’est pas tellement le refus qui est digne d’intérêt ici mais ses motivations. Au début de l’année 1330, sommés par le procureur de la Chambre pontificale d’honorer leur dette, les débiteurs louvanistes, dans les rangs desquels il faut dénombrer des patriciens illustres comme le sous-maïeur Jean Blankart et Bastin Edelheere, argumentèrent leur refus en imputant aux Piémontais deux pratiques ternissant leur réputation : le péché d’usure et la duplication illégale des créances afin de réclamer le double de la somme principale, toutes pratiques dont les Lombards étaient généralement coutumiers en Brabant, disaient les accusateurs188. La stigmatisation de Leone Deati, Giacomo Canelli et leurs collègues par l’usure et le mensonge (le fait de réclamer une créance fictive) était une première étape vers l’expulsion de certains financiers piémontais. En salissant leur réputation, les accusateurs des Lombards tentaient de les disqualifier comme étant malhonnêtes en affaires. Tout prêteur était naturellement soucieux de cultiver une réputation irréprochable189. Le procès de l’usurier Giovanni della Porta à Malines en 1308 avait bien montré, au-delà de l’instrumentalisation politique qui en avait été faite, l’importance de la fama publica, la rumeur publique dans l’acceptation ou le rejet d’un usurier nouveau venu dans une ville190. La question de l’honnêteté avait sans doute réapparu à l’époque où Enrico de Mercato, premier receveur de Brabant d’origine étrangère, avait participé au gouvernement de régence. Il avait choisi à dessein un sceau le représentant, compulsant un ouvrage – peut-être un livre de comptes – comme un clerc appliqué191. Un second symptôme d’un durcissement de certains «  faiseurs d’opinion  » vis-à-vis des Piémontais, se manifesta parmi les élites urbaines anversoises. En 1325, un co-receveur de Brabant seconda Mirabello : ce co-receveur, nommé Léon van der Borch, disposant d’appuis familiaux dans la cité scaldienne, avait le soutien du magistrat anversois. Les dons en vin faits par les échevins de la ville à Van der Borch étaient neuf fois plus élevés que pour son collègue, Giovanni de Mirabello. De plus, lorsque le clerc de ce dernier vint dans la ville pour recevoir un payement au nom de son maître, il fut payé hors de l’auberge de la ville, comme pour lui signifier une humiliation en l’excluant d’un lieu habituel pour les transactions commerciales. L’emploi de cette violence symbolique était proportionné, mais sa portée était transparente : l’auberge ne devait pas être le théâtre d’un payement au bénéfice d’un Lombard192. 188 A.S.V., Coll. 433a, f°44 r°-45 v°. Ces créances lombardes appartenaient à la donation de Benedetto Roero au Saint-Siège.

Les premiers remboursements à la chambre pontificale par les débiteurs louvanistes ne débuteront qu’en septembre 1330 et s’étenderont jusqu’au 20 mai 1332. La dénonciation des contrats au pape émanait des abbés de Vlierbeek, Parc-lez-Louvain, du prévôt du monastère de Sainte-Gertrude et du magistrat urbain. 189 La question de la réputation intervient pour le financier juif Bondavin de Draguignan à son procès intenté en 1317 par un débiteur l’accusant de réclamer plus que son dû. Bondavin fait venir des témoins atestant sa probité et sa droiture dans ses prêts (Shatzmiller 2000, pp. 41-42 et pp. 156-164). L’article de Piron 1998, p. 303 montre comment, à la suite d’une action judiciaire entamée par des commissaires royaux contre des marchands étrangers installés à Narbonne et accusés d’usure, l’ensemble des édilités de la région prit la défense des accusés traités comme des usuriers alors qu’ils étaient personnages de bonne renommée. 190 Cf. supra, pp. 319-322. 191 Cf., 3e partie, chap. 2, p. 237 et fig. 21. 192 Kusman 1999b, p. 881 et Kusman 2007, p. 168.

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De son côté, Van der Borch favorisait les intérêts commerciaux de la ville d’Anvers en octroyant aux chevaliers teutoniques de Pitsenburg, une extension de leur domaine dans cette ville. Les teutoniques étaient bien entendu fort engagés dans le commerce du vin rhénan transitant par Anvers vers le royaume d’Angleterre ; ceci était tout profit pour le commerce de transit dans la ville et ses revenus tirés de la fiscalité indirecte193. En janvier 1330, Léon van der Borch exerça à nouveau les attributions de receveur, preuve d’un certain flottement à la cour brabançonne au sujet de la personne qui serait le mieux à même d’incarner la fonction de receveur. Mirabello et Van der Borch étaient bel et bien rivaux pour l’exercice de la fonction de trésorier ducal, le premier ayant plutôt l’appui de Malines et le second, celui d’Anvers194. Avec le receveur Van der Borch, le chroniqueur anversois et clerc communal Jean van Boendale et ses écrits polémiques matérialisaient indubitablement les vues des groupes politiques et marchands de la métropole de l’Escaut. Van Boendale écrivit entre 1330 et 1333 un texte en forme de traité politico-social, le Jan Teesteye195. Selon Van Boendale, la cour princière avait perdu tout bon sens commun, l’avidité et la traîtrise y régnaient partout car le prince recevait mieux les Juifs et les Lombards lui prêtant de l’argent qu’un simple bachelier revenant d’un pèlerinage de Jérusalem, qui aurait reconquis le Saint Sépulcre et défait les infidèles196. La virulence de cette attaque ne devrait pas être sous-estimée. Elle plaçait la question lombarde dans le champ de l’irrespect de valeurs chrétiennes centrées sur la piété et la pauvreté apostolique : l’argent surpassait les prouesses accomplies en terre sainte. Dans un autre de ses écrits, le Boec vander wraken, écrit vers 1354, le clerc communal anversois lancera une diatribe longue de plusieurs dizaines de vers contre les usuriers, accusés de mener le gouvernement d’une ville à sa perte. Bien plus, Van Boendale associait étroitement la spéculation, l’usure et l’adultère comme des péchés affligeant désormais les villes. La place importante occupée par l’adultère dans le procès de Giovanni della Porta en 1308 suggère que ce comportement était généralement associé aux Lombards comme un stéréotype. Derrière Van Boendale se profilait la silhouette du conseiller ducal Roger de Leefdael. Le chroniqueur avait dédié son Jan Teesteye au conseiller, pour se faire pardonner de ce dernier. En effet, la colère de Roger de Leefdael s’était déclenchée à l’encontre d’un écrit polémique précédent de Van Boendale, le Leken Spiegel, ouvrage coupable aux yeux de Roger de Leefdael, d’allégations mensongères. Il ressort bien du prologue du Jan Teesteye que Roger de Leefdael et son épouse, Agnès de Clèves, fervents bibliophiles, prenaient

193 Arnold 1988, p. 26. Le 5 février 1325, Léon van der Borch cédait à la commanderie de Pitsenburg un terrain proche

de leur demeure d’Anvers (Kusman 1999b, p. 881).

194 Kusman 1999b, p. 882. 195 Le Jan Teesteye a été écrit entre 1330 et 1333 (Van Gerven 1986, voir p.73). Le chapitre cité est consacré au

gouvernement des princes et à leurs défauts.

196 Snellaert 1869, Jan Teesteye, chap. 11, pp. 165-166, vv. 853-865 :

Want een Jode of een Cauwersijn Zoude vele willecomer sijn Ter heren hove [il s’agit de la cour princière] die ghelt brochte Of die lenen of gheven mochte Dan een reyn baetseleer sonder blame Die van Jherusalem quame Ende theylighe graf hadde ghewonnen Ende heydenesse hadde al daer doer ronnen

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du temps pour débattre avec Van Boendale de ses opinions197. Si pour le clerc anversois, la question du crédit n’était vue qu’à travers le prisme de l’usure, pratique éminemment condamnable, la place du marchand dans la société chrétienne était valorisée. C’était à lui qu’il revenait d’acheter les biens abondants dans une contrée pour les vendre dans une autre contrée où ceux-ci étaient recherchés car rares, une position qui trahissait chez Van Boendale l’influence de la pensée des théologiens néo-aristotéliciens, spécialement Thomas d’Aquin198. Les deux écrits, le Leken Spiegel et le Jan Teesteye, au-delà de la personne de Roger de Leefdael, visaient à susciter l’intérêt d’un public urbain laïc aisé, mêlant la noblesse installée en ville, le patriciat marchand et financier et quelques homines novi enrichis récemment, issus de la classe des artisans et des marchands. Tous partageaient un attrait certain pour la culture chevaleresque199. En devenant le mécène régulier du chroniqueur, Roger de Leefdael pouvait peut-être espérer le contrôler tout en s’achetant une nouvelle virginité, lui qui avait soutenu la cause de Giovanni de Mirabello et de ses amis au moins depuis une quinzaine d’années. Roger de Leefdael décèdera en 1333 et se fera inhumer à la prestigieuse église Sainte-Gudule où il avait fondé une chapellenie. Avec le décès de Roger de Leefdael, c’était en tout cas le soutien le plus puissant de Giovanni de Mirabello à la cour de Brabant qui disparaissait200. B.

L’emprisonnement des Mirabello : les limites d’une double appartenance

Le dernier acte où Giovanni de Mirabello agit comme receveur de Brabant libre de ses mouvements date du 15 novembre 1332 ; à cette date, il cédait les droits de mouture perçus sur les villages nord-brabançons de Rosmalen et Nuland au nom du duc de Brabant au seigneur Jean de Megen, moyennant une rente annuelle de 40 s. n.t.201 . Les premiers signes d’une arrestation du receveur ducal se manifestèrent le 31 janvier 1333 : un messager de la ville de Gand fut dépêché vers le duc de Brabant avec des lettres, au sujet de l’arrestation des trois bourgeois de Gand  : Giovanni et ses fils Franco et Simone202. L’envoi le même jour des magistrats malinois Guillaume Kerman et Jean de Coninc à Bruxelles pour parler au duc omme den Lombaert die ghevaen was binnen der vriheit donne à penser que les Malinois étaient de même avertis des déconvenues des Lombards de Bruxelles et s’en préoccupaient203. Les liens avec la cité des Berthout restaient vivaces : jusqu’à son arrestation, Giovanni de Mirabello avait d’ailleurs accordé une confiance inébranlable au changeur Bau, préférant de loin, laisser sa rente viagère dans les mains d’un changeur malinois, plutôt que dans celles d’un changeur bruxellois et ce, même à partir du moment où, nommé receveur ducal, il résida le plus souvent à Bruxelles. 197 Sleiderink 2007, pp. 558-559.   198 Snellaert 1869, Jan Teesteye, chap. 27, pp.  215-216, vv. 2320-2344. Sur le jugement positif de Thomas d’Aquin

sur l’utilité des marchands dans l’économie, transportant les marchandises d’un point où elles sont abondantes vers un autre point, où elles sont demandées, voir Langholm 1992, p.  221  : cette position se trouve dans un traité sur le bon gouvernement adressé au roi de Chypre. 199 Kinable 1991, pp. 69-100, pp. 97-100. 200 Kusman 1999b, p.  891 et p.  908  ; Martens 1996, p.  299 (pour la chapellenie de Roger de Leefdael). Roger de Leefdael était encore vivant au mois d’août 1333 car il perçoit à cette date sa rente viagère avec son épouse (S.M., S.R., S.I., n° 15, compte de 1332-1333, f° 7 v°, le compte suivant par contre ne mentionne plus la rente de Roger de Leefdael). Le Leken Spiegel est achevé en 1330. Sur la genèse de ces oeuvres, voir Van Gerven 1979. 201 A.G.R., Chartes de Brabant, Supplément, boîte 382, n°3492. 202 Kusman 1999b, p. 889. 203 S.M., S.R., S.I., n° 15, compte de 1332-1333, f° 17 v°.

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Le 1er février, c’étaient les échevins gantois Baudouin Rijm et Guillaume de Vaernewijck qui prenaient la route pour Bruxelles où ils restèrent cinq jours durant. L’objet du séjour était à nouveau de convaincre le duc de délivrer Giovanni et ses deux fils. Dans les faits, les Astésans étaient plutôt – du moins dans un premier temps – assignés à résidence. Le receveur de Brabant reçut encore des présents de patriciens gantois le 21 février suivant ; le 1er mars, c’était une somme de 38 lb. n.t. dont il donnait quittance au comte de Gueldre, scellée de son propre sceau au lion couronné. L’envoyé du comte de Gueldre à Bruxelles n’était autre que le chapelain personnel du comte, Jean Moliart, futur conseiller ducal204. La quittance du trésorier ducal donnée à un homme de confiance du comte Renaud II de Gueldre intervenait peu de temps après le début d’un conflit militaire critique dans l’histoire du duché. En effet, le 23 avril 1332, une coalition de princes et de barons déclara la guerre au Brabant. Parmi cette quinzaine d’ennemis du Brabant, on peut citer l’archevêque de Cologne Waleran de Juliers, l’évêque de Liège Adolphe de la Marck, Jean, roi de Bohême, de Pologne et comte de Luxembourg ainsi que le comte Renaud II de Gueldre. La confédération de ces princes semble avoir été implicitement causée par l’expansion territoriale énorme du Brabant à cette époque et par sa richesse. Plusieurs princes voisins du Brabant redoutaient la politique expansionniste de Jean III. Au mois de juin 1332, un cessez-le-feu fut proclamé après une première phase de guerre déclenchée dans la partie romane du Brabant, dans la région de Jodoigne et de Perwez. Les hostilités devraient reprendre seulement en janvier 1334205. Le receveur de Brabant envisageait-il de passer à l’ennemi peu avant la déclaration officielle de guerre contre le Brabant  ? Le chapelain comtal du comte Renaud de Gueldre devait être un habitué des missions secrètes. Il est difficile de se forger une opinion sûre à ce sujet. Giovanni de Mirabello semble en tout cas avoir accordé en cette occasion une remise de dette très notable sur le prêt de 48 000 lb. accordé au comte de Gueldre, alors qu’il faut relever que ce prêt gigantesque ne fut réellement liquidé qu’en 1342, au bénéfice de son fils Simone206. L’assignation à résidence des trois Italiens laisse penser qu’ils jouaient le rôle d’une monnaie d’échange dans le cadre d’une négociation politique plus large, celle du duc de Brabant face aux revendications territoriales de ses adversaires. En effet, si le comte de Flandre ne participa nullement à la première phase de coalition contre le duc de Brabant, celle de l’année 1332, il avait lui aussi des demandes à appuyer en matière frontalière. L’arrestation des Mirabello survenait alors que les discussions entre Jean III et Louis de Nevers au sujet de leurs juridictions respectives sur l’Escaut battaient leur plein. L’enjeu économique de ces discussions a pu inciter le duc de Brabant à prendre des mesures d’intimidation à l’encontre de Louis de Nevers. Il semble que le traitement dont étaient victimes les Mirabello fut rapporté au comte de Flandre et évoqué au début du mois de février à l’occasion d’un parlement entre les deux princes tenu à Alost. Avant tout soucieux de la réussite des pourparlers sur l’Escaut, Louis de Nevers n’en fit cependant pas un casus belli. Entre le 13 et le 23 mars, des échevins gantois se rendirent à nouveau auprès du duc afin de l’infléchir. Résultat tangible de cette délégation, Franco et Simone furent probablement 204 Kusman 1999b, p. 889 et original aux R.A.G.A., Chartes des comtes de Gueldre, n°16 [1/3/1333]. 205 Avonds 1984, vol. n° 114, pp. 78-93. 206 La quittance donnée à Moliart par Mirabello est conservée aujourd’hui aux Archives de la province de Gueldre à

Arnhem et porte sur toutes les sommes dues jusqu’au 1er mars 1333. Or, ce n’est qu’en 1342 que Simone donna une quittance définitive devant les échevins de Gand, portant sur l’ensemble des dettes de Renaud de Gueldre envers Giovanni de Mirabello (R.A.G.A., Chartes des comtes de Gueldre, n°536 [29/1/1342]).

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libérés peu avant le 23 mars 1333, leur père restant emprisonné peut-être comme otage garant de l’issue des tractations. Louis de Nevers mandata alors Simone pour débattre avec le duc de Brabant de tous les litiges existants entre les deux princes à la suite de l’arrestation de Giovanni de Mirabello. L’acte notarié fut passé dans la chapelle castrale de la forteresse comtale à Gand en présence du comte de Flandre, de ses vassaux et des échevins207. En désignant Simone de Mirabello, un parent de la victime principale, donc juge et partie, comme fondé de pouvoirs pour traiter avec Jean III, Louis de Nevers montrait la place sérieuse qu’il accordait désormais aux prétentions de Simone et à sa relation des spoliations dont il s’estimait victime. Les mois passèrent dans un silence relatif des sources sur le sort du receveur. Entretemps, les derniers grands personnages de la cour qui auraient pu plaider la cause de Mirabello, comme Roger de Leefdael ou Gérard de Diest, étaient soit décédés – comme Roger de Leefdael – soit vieillis et eux-mêmes en butte à des problèmes judiciaires, comme Gérard de Diest. Quant au comte de Flandre, après l’échec d’une nouvelle tentative d’accord sur les droits respectifs du Brabant et de la Flandre sur l’Escaut, pressé par l’évêque de Liège qui cherchait à faire valoir ses droits sur Malines et influencé par les légistes de son conseil, il avait accepté le principe d’une acquisition de Malines le 22 mai 1333. L’évêque de Liège, Adolphe de la Marck, ennemi du duc, vendit à Louis de Nevers ses droits sur la seigneurie de Malines le 28 juillet 1333 pour la somme très élevée de 100 000 lb. de n.t., à charge que le comte de Flandre la tienne en fief de l’Église de Liège. Or, Simone de Mirabello, en tant que conseiller de premier plan, figurait parmi les gens du conseil comtal ayant scellé l’acte. Le soutien de Mirabello à l’achat de Malines ne pouvait qu’envenimer les tensions déjà fort exacerbées entre le duc de Brabant et les sociétés de prêt astésanes installées sur son territoire. Jean III n’était absolument pas disposé à laisser choir la cité des Berthout entre les mains du comte de Flandre. Le receveur de Brabant resta donc emprisonné et, soit que ses conditions de détentions se soient détériorées, soit en raison de son grand âge, il décéda le 17 octobre 1333 pendant l’arbitrage entre Louis de Nevers et Jean III, un accord semblant pourtant proche. À sa mort, il devait être âgé d’une soixantaine d’années : compte tenu du fait que d’une part, il avait débuté ses affaires en Brabant en dirigeant la table de prêt de Halen en 1292 et que d’autre part, son fils Simone, disposant de rentes viagères à Malines dès 1311, était chevalier en 1323 et épousa la sœur naturelle de Louis II de Nevers, en 1324. Dans cette hypothèse, Giovanni de Mirabello serait né vers 1270. C’était bel et bien un vieillard qui avait été emprisonné208. Il vaut la peine de le souligner, le décès de Giovanni de Mirabello précéda de peu l’entrée du comte de Flandre dans la coalition formée contre le duc Jean III. Dès le 21 octobre le comte de Flandre jeta les premiers plans d’un blocus économique du Brabant sur l’Escaut et le 30 novembre 1333, l’alliance des princes coalisés fut renouvelée. À en croire le comte de Flandre lui-même, le duc de Brabant n’avait pas respecté l’engagement de libérer Giovanni après que celui-ci eut répondu à toutes ses exigences. Louis de Nevers se considérait personnellement lésé dans cette affaire : item li diz dus fist prendre et tenir en prison Jehan de Hale et messire Symon son filz bourgois de Gand et souffisament requis de par la dicte 207 Kusman 1999b, p. 892. 208 Sur tous ces événements et la négociation pour la juridiction sur l’Escaut, voir Kusman 1999b, pp. 892-893 et Avonds

1984, p. 148.

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ville de Gand et par autres que il leur fesist droit et loy, le refusa, et depuis il se mist sour le dit conte de quanques il leur avoit a demander a laquele chose le dit Jehan et li diz messire Symons se consentirent et les avoit promy ce delivrer de sa prison la quele chose il ne fist mie ains a tenu le dit Jehan de Hale en sa prison dedens la quele il moru pendant le dit arbitrage. Suivait une liste de doléances présentée par Simone au comte de Flandre209. Le manieur d’argent s’estimait spolié de son héritage en Brabant, d’une valeur annuelle de 100 lb. de v.g. et de tous les autres biens meubles et immeubles appartenant à son père, estimés à 100 000 lb.. La liste fut ultérieurement complétée par un mémoire plus détaillé de Simone de Mirabello adressé au duc de Brabant peu avant mars 1334. Il y apparaissait que la seigneurie de Perwez avait été confisquée tout comme les domaines acquis par les Mirabello à Heusden et Heesch, en Brabant septentrional et à Lierre. Dans les biens immobiliers, figuraient encore la maison du receveur à Bruxelles et le bois lossain de Stokrooie, d’une valeur de 1 500 lb. de v.g., probablement cédé en contrepartie d’un emprunt du comte de Looz Arnould V contracté envers la famille Roero, représentée par Benedetto Roero, associé de longue date du receveur de Brabant210. Dans les valeurs mobilières, de nombreuses lettres obligatoires avaient été saisies, ce qui montre que le receveur conservait chez lui plutôt des titres de crédit que des espèces : des reconnaissances de dette du comte de Clèves, d’un montant de 13 000 lb. tour., des titres similaires du duc, d’un montant total de 1 725 lb. de v.g., et des titres de participation dans plusieurs maisons de prêt du Brabant. Enfin, des troupeaux de moutons et de brebis, disséminés en plusieurs lieux du Brabant, avaient été saisis pour une valeur de 4 000 lb. tour.211. Avec ces deux listes de prétentions financières, l’historien dispose en tout cas d’un panorama évocateur de la manière dont un banquier piémontais investissait ses revenus en Brabant, mêlant participations financières et spéculation sur la laine et le commerce du bois. Simone dût débourser, ultime humiliation, la rondelette somme de 43 lb. de v.g. pour racheter la dépouille de son père et pouvoir l’inhumer dans la chapelle familiale des Mirabello dans l’église Sainte-Pharaïlde de Gand. L’importance des cérémonies funéraires pour les élites donnait toute la mesure de l’affront subi par Simone, obligé de racheter le corps de son père comme une vulgaire marchandise. Désireux de laver cet affront, Simone poursuivit sa cause en justice avec à ses côtés son frère Franco. Ils obtinrent un règlement plutôt favorable de leur litige. Le 20 mars 1334, dans l’auberge du bourgeois et seigneur foncier bruxellois Godefroid Stoutecraen, Jean Trippin notaire public du diocèse de Liège et ancien notaire des Lombards en Brabant septentrional, dressait un acte prépatoire à un règlement juridique de la question212. L’assemblée avait été assez solennelle pour justifier la présence du duc 209 A.D.N., B. 1571, cartulaire de Liège et de Malines 980-1335, p. n°76, f°54 r° [après le 17/10/1333] et Kusman 1999b,

p. 893.

210 A.S.V., Coll. 433a, f°49r-50r°. L’emprunt de 11 374 lb.n.t. avait été contracté le 6 juin 1307, le g. t. déjà compté pour 17

d.n.t. Parmi les garants d’Arnould de Looz, figuraient notamment le duc de Brabant Jean II, le seigneur de Malines Florent Berthout, le seigneur Arnould de Wezemaal et le seigneur Gérard de Diest. Voir aussi Kusman 2008a, pp. 364-365 au sujet de l’engagement des joyaux du comte de Looz à Bruxelles en 1323. 211 R.A.G., Fonds autrichien, réclamation de Simone de Mirabello au duc de Brabant [vers 1334]. La maison de Mirabello à Bruxelles n’est malheureusement pas située, peut-être demeurait-il alors dans le complexe d’habitations des de MercatoRoero, sur les Ridderstrate et Vederstrate. Les dépouillements d’archives effectués dans le chartrier de Sainte-Gudule et dans le chartrier de Brabant ainsi que des sondages effectués aux Archives du C.P.A.S. de Bruxelles ne m’ont jusqu’à présent pas permis de retrouver trace d’une demeure personnelle de Giovanni de Mirabello. 212 Kusman 1999b, p.  894. L’acte d’arbitrage repose aux R.A.G., Chartes de Flandre, Fonds Saint-Genois, n°1680. Stoutecraen était sans doute propriétaire d’une auberge de haute tenue. Il accueille peu de temps auparavant le fils du comte

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de Brabant et de nombre de ses conseillers et vassaux de premier plan, à savoir : Othon de Cuyck, Jean de Racourt, Jean de Hellebeek, Jean Piliser, Herman de Tervuren et un universitaire, maître Henri dit Coecke, chanoine du chapitre Sainte-Gudule à Bruxelles ; du côté flamand étaient présents Philippe d’Axel, Siger de Courtrai, maréchal de Flandre, André de Charolles, Roger Brisetête, Guillaume Bloc, Josse de Heymsrode et Thierry Notaec et deux juristes, l’éminent maître Guillaume d’Auxonne et maître Philippe Ghileyn. Devant cette assemblée, le duc Jean III, d’une part, Simone de Mirabello et son frère Franco, d’autre part, avaient désigné Louis de Nevers comme arbitre de leurs différends et s’engageaient à observer sa sentence. Deux échevins de Bruxelles étaient témoins de l’engagement, Arnould Van den Bogaerde et Guillaume Pipenpoy. Un retournement complet de situation puisque, quelques mois auparavant, Louis de Nevers mandatait Simone pour défendre ses intérêts. Cette fois-ci, l’intervention directe du comte et la menace de longues et coûteuses procédures juridiques laissait entrevoir une solution avantageuse. Simone put en effet conserver la seigneurie de Perwez jusqu’à sa mort ainsi que des dîmes possédées aux alentours de Bois-Le-Duc ; pour le bâtard de Giovanni, c’était une victoire plus que symbolique sur le duc de Brabant Jean III. 3.

Le retour de la haute-finance bruxelloise sur le devant de la scène

 . Les prétentions monopolistiques de la haute-finance bruxelloise associée A aux Nord-Brabançons La déconfiture de la maison privée de prêt des Mirabello à Bruxelles sonna le glas de la présence des Astésans dans l’administration financière du Prince. Plus aucun Piémontais ne tint les comptes à la tête des finances ducales. La disparition de la banque lombarde de Bruxelles scellait la disparition, au moins à court terme, d’un réseau entier d’agents financiers très compétents, assurant la communication entre les places financières de Bruxelles et de Malines. Comment peut-on dès lors expliquer cette cassure définitive entre les banquiers piémontais et la cour de Bruxelles en 1333, eux qui avaient pourtant réussi à tisser des liens avec le milieu influent des changeurs bruxellois ? Sans pouvoir parler d’une xénophobie généralisée à l’égard des Lombards, il semble que le duc de Brabant ait pu tabler, dans son entreprise d’élimination des Mirabello, sur le développement très notable du sentiment d’appartenance brabançon à l’occasion de la grande guerre qui opposa le Brabant à une quinzaine de princes coalisés entre 1332 et 1334213. La situation des Lombards, comme tous marchands étrangers résidant dans un pays en guerre, était précaire. En Rhénanie, les Asinari, financiers au service du comte de Katzenelnbogen, furent jetés en prison par ce dernier en 1332 et libérés seulement après leur renoncement à tout dédommagement et sur l’intervention de leurs protecteurs, le

de Hainaut à Bruxelles et lui fournit 26 chevaux pour lui et sa suite : A.D.N. B. 3275, comptes de l’hôtel de Guillaume, fils du comte de Hainaut, 1332(fragment), f° 6 r°. Peut-être l’auberge était-elle située dans l’Inghelantstrate, en contrebas du Coudenberg, où Stoutecraen apparaît comme seigneur foncier en 1339 (A.E.A.R.B.-C., A.E.B., A.S.G., chartrier, boîte 53, n° 309 [30/4/1339]). 213 Sur ce sentiment très fort d’appartenance régionale (qu’il est sans doute excessif de qualifier de «  national  »), voir Avonds 1984, pp. 181-183.

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comte Renaud II de Gueldre et Godfroid de Jülich-Bergheim214. J’ai déjà mentionné dans ce contexte de montée du sentiment d’appartenance brabançon la violente attaque du chroniqueur anversois Van Boendale contre les Lombards de la cour. Même si elle ne transparaît jamais explicitement des sources, la question de la fuite des capitaux brabançons, engrangés par les financiers astésans dans leurs entreprises de banque et de crédit et exportés en cas de conflit vers des zones de repli plus sûres comme la Flandre et le Hainaut, avait dû être évoquée. La question des lourdes dettes du duc envers son trésorier, pour une partie assignées sur la ville de Bruxelles en 1332 ne peut en outre être oblitérée : 4 000 lb. pay. remboursables par assignation sur les octrois des assises et autres revenus de la ville de Bruxelles en deux termes de 2 000 lb. les 4 avril et 1er octobre 1333. La totalité de la dette ne fut remboursée aux héritiers de Mirabello qu’après la mort du receveur, entre 1334 et 1340215. Les Bruxellois eux-mêmes avaient déjà grandement pourvu au crédit princier en 1328 en raison d’engagements souscrits par Jean III envers le comte Adolphe de Berg 216. Il est aisé de comprendre leur mauvaise volonté à rembourser Mirabello et ses héritiers quand on sait que les annuités de payement étaient assignées sur les assises de la ville, jalousement perçues par l’oligarchie politico-financière en place. Enfin, en échange de l’aide militaire et financière de ses sujets, Jean III fut amené à reconfirmer leurs privilèges, la mise sur pied d’une enquête administrative concernant les agissements des officiers princiers, le 17 août 1332, n’étant pas le moindre de ces privilèges217. Si l’enquête ne concernait pas les receveurs, les milieux hostiles au financier pouvaient saisir prétexte de cette enquête pour l’arrêter sous le chef de malversations ou de trahison. Jean III trouvait en la personne de son receveur le bouc-émissaire idéal dans l’atmosphère de crise morale et politique (enquêtes administratives et guerre) qui agitait le duché de Brabant. Le retour sur le devant de la scène de nombreux protagonistes de la haute-finance bruxelloise, éclipsée par les sociétés de prêt lombardes depuis la dernière décennie du XIIIe siècle, s’observa rapidement après le décès de Giovanni de Mirabello. Ce retour des banquiers bruxellois se matérialisa par exemple dans la place notable prise par la famille Vederman dans le crédit. Les Vederman avaient pris une part modeste aux transactions d’Enrico de Mercato et de Giovanni de Mirabello avec des grands seigneurs étrangers de passage dans la ville en remplissant une fonction de courtier-hôteliers et de prêteurs sur gages. Désormais, ayant capitalisé une longue expérience, la voie était libre pour amorcer un tournant vers la grande banque. Amaury Vederman, au départ actif dans la spéculation immobilière (en 1334-1335) fera partie d’un groupe de financiers bruxellois prêtant au roi d’Angleterre Édouard III en 1339. Plusieurs fils d’Amaury occuperont les stales du riche chapitre SainteGudule, acteur toujours incontournable du commerce de l’argent dans la ville218.

214 Bordone 1996, p. 26. Les comtes de Katzenelnbogen participent à la coalition contre le duc de Brabant. 215 A.E.A.R.B.-C, États de Brabant, n°301 bis (ancien ms. B.R.B., n°14511[17/8/1332]), classé provisoirement dans inv.

104/4 ; Kusman 1999b, p. 890 et p. 923.

216 Willems 1836-1839, t. 1, nº152, p.781 [20/12/1328]. 217 Acte ducal du 17 août 1332, donné à Bruxelles où le duc à la demande de ses États, promet de faire conduire chaque

année une enquête sur la gestion des drossards, baillis, ammans, écoutètes, maïeurs et autres officiers de justice : Verkooren 1961-1962, vol. 2, p. 35. 218 Martens 1990, p. 81 et p. 87. Gerelm devient chanoine en 1304 et son frère Francon en 1307.

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À la différence des banquiers piémontais établis à Bruxelles, les chanoines avaient assez de légitimité pour « purifier » par des donations les profits tirés du maniement des deniers. En 1320-1321, le doyen du chapitre Sainte-Gudule Henri Slabbart s’associa sans sourciller au changeur bruxellois Jean Crupeland pour négocier auprès de riches bourgeois bruxellois la vente de rentes malinoises, opération sur laquelle Slabbart et Crupeland s’étaient partagé une commission de 6,25%, parfaitement dans la norme des frais de change bruxellois219. Slabbart soutint, dès les premières heures, la communauté augustine de Groenendaal installée dans la Forêt de Soignes et placée sous la direction spirituelle de Jean de Ruusbroec vers 1343 en leur faisant don de deux plats en or. Intéressons-nous pareillement à Anthonij Campsoris ou Thonijs de Wisselere alias Antoine Papsac descendant de Jean Papsac, intermédiaire prédominant dans les transferts de fonds anglais vers le Brabant à la fin du XIIIe siècle. Excellent praticien du marché des rentes malinoises, Antoine Papsac fit don aux augustins de Groenendaal, sans doute dans les années 1340, d’une peinture ou d’une statue de saint Jean l’Évangéliste. L’éventualité d’une meilleure communion avec Dieu et du salut de leur âme rendait évidemment les changeurs réceptifs à l’idéologie développée par Jean de Ruusbroec220, eux qui exerçaient un métier sur lequel planait une suspicion d’usure à cause du jeu des changes, suspecté de dissimuler des intérêts illicites. C’était là bel et bien une reprise en main générale des circuits de la banque internationale qui se déroulait, avec l’appui de la cour de Bruxelles. Une bonne illustration en est fournie par l’exécution des obligations de payement découlant du traité de paix d’Amiens conclu entre le duc de Brabant et ses ennemis durant le mois d’août 1334, à l’initiative du roi de France Philippe VI, désigné comme arbitre221. L’exécution des clauses monétaires des traités de paix étant effectivement une attribution fréquente de la grande banque internationale – en raison de la maîtrise indispensable des divers taux de change – c’est là un bon étalon pour apprécier la représentativité régionale des agents financiers acceptés par le duc de Brabant pour cette tâche222. Pour bien prendre la mesure de telles opérations, il faut savoir que la dette totale du duc de Brabant envers les autres protagonistes de la guerre, le « prix de la paix », selon les termes de Piet Avonds, s’élevait à 375 000 lb. tour. dont seulement un peu plus de 140 000 lb. furent effectivement acquittées. La somme exigée tenait compte des exigences des onze belligérants réclamant des dédommagements à Jean III en échange de leur renoncement à des revendications territoriales sur le Brabant : le comte de Gueldre, le comte de Juliers, le comte de Hainaut-Hollande et Zélande, l’archevêque de Cologne, le seigneur de Heinsberg, l’évêque de Liège, le comte de Namur, le comte de Flandre, le comte de Looz, le comte de Luxembourg, le seigneur de Bréda et le seigneur de Fauquemont. Pour quatre de ces princes, les comtes de Gueldre, de Juliers, de Luxembourg et de Flandre, les sources d’archives sont assez loquaces pour livrer l’identité des intermédiaires 219 S.M., S.R., S.I, n°7, compte de 1320-1321, f°52 v°  : commission de 6 lb. v. gr. perçue sur une somme de 96 lb.

correspondant au produit de la vente. Un taux d’un peu moins de 6% est attesté à Bruxelles vers 1337-1338 pour les frais de change prélevés pa le changeur Antoine Papsac (Avonds 1984, p. 173). 220 Warnar 2007, pp. 141-142 ; Dykmans, 1940, p. 60 et pp. 106-107, n. 4. Sur l’identification de Thonijs Wisselere avec Antoine Papsac, voir supra, la 3e partie, notre chapitre 3, p. 281, n. 39. 221 Sur ces obligations financières, je me réfère à l’exposé exhaustif de Avonds 1984, pp. 116-151. 222 On comparera avec le comté de Flandre où, après sa victoire sur les révoltés de 1302, le roi de France Philippe IV charge la compagnie florentine des Peruzzi de collecter les amendes levées sur les villes du comté ayant pris part à la révolte, suite au traité de paix d’Athis-sur-Orge en 1305 : Hunt et Murray 1999, p. 85.

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financiers chargés des payements223, témoignage assez fidèle de la recomposition en cours du monde de la haute-finance brabançonne. En effet, afin de respecter ses premières annuités, chronologiquement rapprochées, le duc semble avoir rapidement renoncé à apurer ses dettes exclusivement au moyen d’aides fiscales négociées auprès des États de Brabant. Le recours à des financiers professionnels s’imposait224. Par conséquent, parmi les agents financiers mandatés comme intermédiaires, se trouvaient certainement des banquiers en comptes réguliers avec Jean III. Le duc de Brabant et le comte Renaud II de Gueldre recoururent à des agents pour dix opérations. Six intermédiaires sur dix étaient d’origine bruxelloise tout en résidant fréquemment à Paris. Parmi les Bruxellois, on peut relever les noms d’Arnould Velle, financier fréquent de la comtesse de Hainaut Jeanne de Valois, habitant Paris au moins depuis 1330 ainsi que le changeur Henri du Pont de Zaventem, fils du changeur bruxellois Henri de Ponte225. Seuls deux bourgeois de Louvain participaient à ces transactions et un seul Astésan, Francesco Asinari, établi à Nimègue226. La forte représentativité des manieurs d’argent de Bruxelles reflétait aussi la contribution de la ville au trésor ducal par le versement d’une somme de 21 500 lb. n.t. destinée à financer l’effort de guerre227. En ce qui concerne le comte de Juliers, si plus de la moitié des vingt agents identifiés étaient originaires d’Aix-la-Chapelle et plus largement de la Rhénanie, on remarque encore quatre opérations exécutées par des intermédiaires bruxellois. Il convient surtout de relever à nouveau le nom d’Antoine le changeur de Bruxelles alias Antoine Papsac228 ; puis venaient deux opérations prises en charge par le Louvaniste Gauthier Criecsteen – appartenant à la famille bien connue du changeur Jean Criecsteen présent à Malines – et une seule effectuée par un autre Astésan bien connu : Gabriele de Montemagno. La présence discrète de Gabriele, dont la banque prenait justement de l’ampleur à cette époque s’explique par sa compromission dans l’effort de guerre aux côtés du comte Guillaume III de Hainaut-Hollande et Zélande. Obertino de Montemagno, Dionigio della Rocca, Giacomo Garretti, Giacomo et Bartolomeo della Rocca et leurs associés avaient avancé au nom des Lombards de Valenciennes 1 000 lb. tour. au profit du comte de Hainaut et de son allié le comte de Flandre, liguées contre le duc de Brabant229. Comment s’étonner que Gabriele de Montemagno – frère d’Obertino – n’ait toujours reçu aucun fonds de la part du duc Jean III en 1342230 ? 223 Cette identification est rendue possible par les tableaux figurant dans Avonds 1984, pp. 165-170. 224 Ibidem, pp. 172-173. 225 Henri de Ponte, changeur à Bruxelles n’est pas d’origine astésane comme son patronyme pourrait le laisser croire. Une

famille de ce nom existe bien à Asti mais ses armoiries ne correspondent aucunement aux armes des van der Brugghen en Brabant : le sceau des Van der Brugghen, changeurs à Bruxelles représente un cours d’eau d’où émergent trois têtes de poisson, surplombé par un pont à trois arches surmonté d’un dragon (De Raadt 1897-1901, t. 1, p. 340), ce qui n’est pas le cas de la famille astésane de Ponte, voir Scordo 2000, p. 202 : d’argent, figurant un écu de gueules. Les quatre autres Bruxellois étaient le chevalier Léon de Kraainem, le chevalier Pierre de Bruxelles, Arnould le changeur, bourgeois de Bruxelles et Godefroid Halfhuis, bourgeois de Bruxelles. 226 A.D.N., B. n°3274 comptes de l’hôtel de la comtesse de Hainaut 1330-1331, f°13r° et 21 r° : Velle couvre les dépenses de la comtesse lorsqu’elle est à Paris. 227 A.V.B., n°2, t.2, f°152v°-153r° [15/5/1340]. 228 Il intervint dans trois opérations sur quatre. Sur la forte activité d’Antoine Papsac à Malines, voir la 3e partie, chap. 3, p. 281, n. 39. 229 Morel 1908, n° 20, pp.  159-165 [25/1/1334 n.s.]  : état des comptes subsistants entre la société des Lombards de Valenciennes et le comte de Hainaut. Gabriele de Montemagno est présent à Malines le 23 juillet suivant pour un prêt concédé avec Bartolomeo della Rocca au comte de Hainaut, d’un montant de 600 florins de Florence (Bigwood 1921-1922, vol. 2, p. 14, n° 64 [23/7/1334]). 230 Avonds 1984, p. 168, n. 511.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

L’étude des transferts de fonds du duc de Brabant vers le comte de Luxembourg et vers le comte de Flandre livre moins de renseignements tout en confirmant dans ses grandes orientations l’évolution déjà observée du recul de la finance astésane. En ce qui concerne le comte de Luxembourg, il semble qu’il ait lui-même agi comme intermédiaire pour transférer les fonds au profit d’autres créanciers du duc Jean III, comme par exemple le comte de Gueldre. Dans d’autres cas, cependant, le comte de Luxembourg assigna lui-même les fonds à ses propres créanciers  : Antoine Papsac de Bruxelles, Othon de Cuyck ou des marchands de Navarre231. Plus révélatrice d’une arrivée des concurrents étrangers des Astésans en Brabant est l’apparition en 1336 de la compagnie florentine des Bardi au service du duc de Brabant, exécutant un payement de 9 120 florins de Florence au comte de Flandre. La compagnie florentine n’avait reçu des privilèges étendus pour commercer dans tout le Brabant qu’en 1327, renouvelant sans doute le privilège unique donné au comptoir florentin d’Anvers en 1315232. Il s’agit de la toute première mention d’une compagnie florentine disposée à exécuter un payement au bénéfice des ducs de Brabant. Il est par conséquent concevable qu’elle ait profité de la fermeture de la banque Mirabello de Bruxelles pour s’engouffrer dans le vide laissé par Giovanni et ses associés, dans la banque comme dans le domaine du trafic des matières tinctoriales approvisionnant les drapiers brabançons. L’importation de plusieurs lots d’alun et de kermès en Brabant et le commerce de la garance figurait dans ses occupations pendant la guerre de 1332-1334. Durant le blocus économique du duché par le comte de Flandre, la compagnie avait établi son siège à Bruges en vue de son négoce dans les anciens Pays-Bas233. Les milieux financiers de Bruxelles et d’Anvers sortirent donc, pour l’essentiel, vainqueurs de la fuite des Lombards de Bruxelles. Cependant, l’importance croissante des élites nord-brabançonnes dans l’administration princière se manifestait, avec la famille van Oss. Ces fonctionnaires originaires des environs de Bois-le-Duc venaient d’une région où la finance lombarde avait été particulièrement active et il n’est pas audacieux de penser qu’ils aient bénéficé d’un transfert de connaissances des gens d’Asti. Le premier receveur nommé qui succéda à Mirabello était effectivement un nordbrabançon, Alard van Oss (1334-1335). Ce dernier eut droit à une des rares dithyrambes adresses par le clerc communal anversois Jean van Boendale à des fonctionnaires ducaux. Ces éloges n’étaient pas gratuits, Alard van Oss se distingua plus tard dans des travaux d’endiguement autour de Lillo, située au nord d’Anvers en bordure de l’Escaut. Alard était passé par le vivier de l’hôtel ducal en tant que maître d’hôtel à l’exemple des valets-financiers d’Asti avant lui234. Après Van Oss, Léon van der Borch, appartenant à une famille de serviteurs ducaux, installée à la fois à Bruxelles et à Anvers et ancien concurrent de Giovanni de Mirabello, reprit les rênes de la recette ducale entre 1336 et 1340235. 231 Ibidem, p. 169 et p. 174. 232 Kusman 1999b, p. 913. 233 A.D.N., B.1565 f°143r°, n°729 [6/6/1334] : le comte de Flandre Louis de Nevers accorde un sauf-conduit aux Bardi

pour aller et revenir plusieurs fois en Brabant et y négocier 100 sacs de laine, 200 balles d’alun, 20 pipes de kermès et 50 balles de garance. 234 Kusman 1999b, p. 882 ; Willems 1836-1839, t. 1, nº137, pp. 760-763, et p. 569, v. 4390-4394, fait attesté en 1341 lorsqu’il est prévôt de Louvain. Il redevient receveur vers 1350 et posséde des biens à Lillo en 1356 (Avonds 1984, p. 221), voir aussi Martens 1954, p. 109. 235 Martens 1954, pp. 104-106.

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 . Propos d’étape : l’héritage des Lombards, un passage de savoir d’une B génération à l’autre Au sortir de la guerre de 1332-1334, l’héritage intellectuel des Lombards devint très visible dans trois secteurs : premièrement celui des pratiques financières d’une frange de la noblesse de cour, deuxièmement, celui des techniques des banquiers locaux et enfin, troisièmement celui, de nature presque macroéconomique, des marchés de crédit interrégional. Premier bouleversement symptomatique des échanges culturels affectant la haute finance bruxelloise, l’avènement d’un acteur neuf, un noble, originaire du comté de Hollande, Guillaume de Duvenvoorde, seigneur d’Oosterhout. Guillaume de Duvenvoorde, tout en étant conseiller du comte de Hainaut-Hollande et Zélande avait secrètement prêté au duc de Brabant Jean III la somme de 56 693 petits florins, équivalente à ca. 45 000 lb. n.t., durant la première phase de la guerre, en mai 1332 lors de la bataille d’Heylissem. Ce prêt ne fut remboursé qu’en 1339 lorsque le roi d’Angleterre distribua à ses fidèles, dont le duc de Brabant, des subsides destinés à les rallier à sa cause contre le roi de France. Le nobliau hollandais deviendra un des conseillers les plus actifs de la seconde moitié du règne du duc Jean III. Résidant à Bruxelles à partir des années 1334-1335, il est fort plausible qu’il ait gagné son entrée dans l’entourage du Prince en concédant un gros prêt, à l’image des financiers d’Asti, une quarantaine d’année auparavant236. De Duvenvoorde menait sans heurts, tels avant lui, Jean de Cuyck ou Roger de Leefdael, un mode de vie mêlant vie de cour, rituel chevaleresque, culture urbaine et maîtrise des arcanes de la grande banque. Fils bâtard d’une branche cadette des seigneurs de Wassenaar, né vers 1290, il avait entamé sa carrière, pareillement aux gens d’Asti, à l’hôtel du Prince, en l’occurrence, celui du comte de Hollande, au titre de valet puis de chambellan. Il prêtait à son premier maître à un taux d’intérêt de 20%, réalisait des profits sur des opérations de change et les réinvestissait dans des acquisitions foncières et dans le contrôle de l’étape du vin à Dordrecht237. Par-dessus tout, Duvenvoorde avait pratiqué le milieu des banquiers astésans depuis une dizaine d’années. Le chambellan du comte de Hainaut disposait d’une maison à Malines, proche de la halle aux draps, sans doute depuis les années 1320, de revenus assignés sur le tonlieu dès 1321, ainsi que d’une rente viagère de 6 lb. v.g. sur le change communal dès les années 1321-1322. Imitant la famille Mirabello, il confiait sa rente aux soins du changeur communal Wouter Bau238. Il avait fait partie, avec le Florentin Giovanni de Ventura, des conseillers du comte de Hainaut chargés de fixer les modalités d’assignation sur les revenus domaniaux au bénéfice d’Oberto de Montemagno et ses associés en 1321239. Suivant dans ses fonctions la cour très mobile des Avesnes, il partageait dès lors 236 A.G.R., C.C., C.R., n°3017, m. non-numérotée, compte de Herman van Oss, chevalier et de Jean de Meldert, des

sommes versées au duc par le roi d’Angleterre, depuis le 21 mai 1338 jusqu’au 24 juin 1339. Le remboursement du prêt à Duvenvoorde est mentionné comme se rapportant aux frais et dommages encourus par ce dernier lors de la guerre de Hillisheim. L’hypothèse a d’abord été proposée en relation avec le rôle très actif de Duvenvoorde comme conseiller ducal à partir de 1334 : Avonds 1984, p. 91, p. 173, n. 536 et p. 181. 237 Cf. Jansen 1966, pp. 17-18. 238 A.D.N., B.3277, compte de l’hôtel de Guillaume comte de Hainaut (1323), f° 8 r°  : le xxje jour[20/7/1323] pour j messaige envoyer de Bruxielle a Maslines a monseigneur Willaume le camberlent qui estoit malades---iij s.iij.d. et A.O.C.M.W.M , reg. n° 8204, censier de la Mense du Saint Esprit de l’église Saint-Rombaut en 1339, p. 27. Pour la rente viagère de Guillaume sur le change de Malines attestée à partir de 1321 et transférée sur le compte de Bau en même temps que celles des Mirabello : S.M., S.R., S.I, n°8, compte de 1321-1322, f°83r°. Voir également Smit 1924-1939, vol. 3, p. 196. 239 A.D.N., B.1584, 3e cartulaire de Hainaut, 1187-1328, f°70r°, Godefroy 5385, p. n°82 [19/6/1321].

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

l’attrait des Lombards pour la diversification géographique des placements de capitaux. Guillaume de Duvenvoorde prêtait aussi à la ville de Mons et c’est son chapelain personnel qui se chargeait de réceptionner les annuités240. Il entretiendra bien plus tard des relations excellentes avec la ville d’Anvers à laquelle il avancera des sommes d’argent en relation avec la perception des assises du vin en 1342241. Cependant, contrairement aux Mirabello agissant à la cour de Bruxelles, assimilés par le discours du chroniqueur Van Boendale à des usuriers étrangers, Guillaume de Duvenvoorde, noble hollandais, avait toute l’honorabilité requise pour être à la fois conseiller des Avesnes et conseiller du duc de Brabant, du moins dans les premières années de sa présence en Brabant242. Bien plus, Guillaume de Duvenvoorde réussit à accomplir dans les années 13401346 ce que Giovanni de Mirabello ne parvint jamais à réaliser à Bruxelles  : l’édification d’un palais personnel, futur palais de Nassau, à proximité du Coudenberg, et la réalisation d’une série de donations charitables, spécialement à la table des pauvres de Sainte-Gudule. Guillaume de Duvenvoorde avait acquis les rentes destinées à une série d’institutions charitables en les achetant à Godefroid Crupeland, issu d’une famille de changeurs bruxellois renommée243. Deuxième secteur de la société ouvert aux innovations, celui des manieurs d’argent locaux ; l’héritage intellectuel de la finance lombarde en Brabant se marqua dans les années suivantes par l’avènement de banquiers professionnels qualifiés de « Lombards ». C’était bien un hommage détourné au savoir-faire des Astésans. Dès avant 1332, le duc de Brabant disposait d’un banquier personnel, le « Lombard » Barthélémy Blankart. Blankart était plus que probablement un lointain descendant du courtier-hôtelier louvaniste Jean Blankart actif à Malines. La possession par Barthélémy d’un compte chez le Malinois Wouter Bau, lui-même désormais banquier professionnel réputé –  et non plus seulement changeur – le confirme. Les Bau et les Blankart avaient fait leurs premières armes au contact de Giovanni de Mirabello et de Gabriele de Broglio244. Un autre « Lombard » brabançon se distinguera en 1338-1339 dans le cadre du payement des subsides du roi d’Angleterre au duc de Brabant à Bruxelles : Jean Cachefour ou Chachefour, Lombard, à Anvers. Celui-ci n’était sans doute que le changeur malinois Jean de Calcoven, dont le nom avait été déformé en français. De Calcoven était en comptes avec Simone de Mirabello245. Devenus « Lombards », ces financiers brabançons n’avaient 240 Pierard 1971-1973, vol. 1, p. 151 (1319). 241 Snitker, De Vries et Westermann 1930, p. 215 et p. 217 : la ville d’Anvers ne parvint pas à affermer l’assise du vin,

Guillaume de Duvenvoorde semble avoir avancé le montant de la ferme dans les années 1341-1343. 242 Durant le mois de novembre 1334, une grande enquête sur les agissements des officiers ducaux en Brabant débute, sous la houlette du conseil de Kortenberg. Pour ce faire, des enquêteurs, juges et receveurs sont nommés pour inspecter le duché tout entier. Le comte de Hainaut promet d’aider tant qu’il le pourra ces enquêteurs, probablement à l’instigation de Guillaume de Duvenvoorde, alors conseiller des deux princes ( Jean III et Guillaume III de Hainaut-Hollande et Zélande) : Avonds 1991, pp. 255-256. Consulter aussi Smit 1924-1939, vol. 3, p. 195 : quand Guillaume de Duvenvoorde réside en Brabant, il est encore consulté pour plusieurs affaires touchant la Hollande et la Zélande. 243 Actes de 1340-1342 cités et commentés dans Dickstein-Bernard 1994, pp. 28-29. 244 Jean van der Delft et Guillaume Nose, échevins d’Anvers, font savoir que par-devant eux Jean III, duc de Brabant, après avoir fait avec Barthélémy Blankard, Lombard, le compte de tout ce que lui devaient le chevalier Gérard de Rassegem (Rasseghem) et Adelaïde, sa femme, a reconnu rester redevable envers le dit Barthélémy d’une somme de 2 000 lb. de v. gr. tour., qu’il s’engage à lui payer, ou au porteur de présentes lettres, par tiers. L’acte est passé dans le comptoir du banquier Wouter Bau à Malines (Verkooren 1910, n°341, p. 240 [26/3/1332]). Sur l’activité de Bau et Blankart, voir précédemment, le chapitre consacré à Malines. Ce Barthélémy Blankart est erronément assimilé à un Piémontais par Bigwood 1921-1922 vol. 2, p. 14, n° 59 et Reichert 2003, p. 59 (avec localisation fautive à Anvers). 245 A.G.R., C.C., C.R., n°3017, m. non-numérotée, compte de Herman van Oss, chevalier et de Jean de Meldert, des sommes versées au duc par le roi d’Angleterre, depuis le 21 mai 1338 jusqu’au 24 juin 1339. Jan van den Calchove, de wisseleire

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plus honte de porter un pithète infamant, devenue synonyme d’excellent banquier, à l’image d’une marque déposée et réputée. Un troisième héritage intellectuel découlait de la collaboration entre les changeurs brabançons et les financiers astésans et il me paraît fondamental. Il s’agit du développement de réseaux bancaires supra-régionaux. Les de Mirabello et de Montemagno, entre autres, avaient indéniablement contribué à l’efflorescence d’un marché du crédit dynamique, interconnecté et assez perfectionné non seulement entre les villes brabançonnes, mais également entre les régions des Pays-Bas méridionaux246. J’ai déjà évoqué sous cet angle, l’importance des réseaux de crédit liant les villes de Gand, Malines et Valenciennes, d’une part et les villes de Bois-le-Duc, Bruxelles, Malines et Valenciennes, d’autre part247. Les Mirabello et leurs associés étaient indubitablement désireux de développer un réseau bancaire similaire entre les villes de Bruxelles et de Gand, une tentative qui échoua avec la débâcle de 1333. Cependant, on peut attribuer aux Astésans une impulsion décisive dans le développement d’un autre réseau bancaire d’envergure, celui liant la Hollande, le Brabant et le Hainaut. Les casane lombardes étaient fortement implantées dans les trois principautés. Dans les années 1320-1330, les changeurs brabançons collaboraient aisément avec les banquiers d’Asti pour des opérations de virement transitant par la place de Malines, appartenant alors au comte de Hainaut-Hollande et Zélande. Cela explique pourquoi Wouter Bau pût facilement prendre à ferme avec d’autres associés le change de Malines en 1322 mais aussi comment Antoine le changeur de Bruxelles (Antoine Papsac) pouvait disposer à Bruxelles des sommes avancées par les Lombards de Hollande au comte de Hainaut-Hollande Guillaume IV. Ceci éclaire enfin comment Guillaume de Duvenvoorde s’imposa si facilement comme financier dans ces principautés, il pouvait adosser ses activités de crédit à des systèmes financiers préexistants depuis des dizaines d’années : les banques lombardes de Bois-le-Duc, Dordrecht, Geetruidenberg, Leiden Malines et Valenciennes, entre autres avaient développé depuis le début du XIVe siècle au plus tard des activités de banque de dépôt et de virement248. Ceci éclaire aussi finalement, pourquoi, lorsque le roi Édouard III arriva dans les Pays-Bas en 1338 et spécialement en Brabant, ses envoyés trouvèrent là une organisation bancaire reposant sur un degré de collaboration élevée entre les Lombards de la société dite des Leopardi et les différents changeurs des villes d’Anvers, de Bruxelles, Louvain et Malines249. C.

Epilogue : discipliner le crédit lombard

La fermeture de la banque des Mirabello à Bruxelles ne sonna pas le glas des tables de prêt dans le reste du Brabant. La place de Malines redevint le centre des opérations financières de la haute-finance lombarde dans le duché. avait des droits à faire valoir sur la succession de Simone de Mirabello: V. Van Der Haeghen 1888, n° 53, pp. 96-103 [13501351], p. 100. 246 Sur les techniques financières et les relations de crédit interrégionales en outre avec le comté de Gueldre, voir Kusman et Demeulemeester 2013. 247 Voir pour le premier de ces réseaux offrant son crédit aux monastères cistercien de Vaucelles et bénédictin de Saintbavon de Gand, la 3e partie, chap.3, supra, p. 291 et p. 338 et pour le second de ces réseaux, en relation avec le crédit mis à disposition du seigneur de Heusden par les sociétés de prêt astésanes, le schéma fig. 18 du chap. 1 de la 3e partie. 248 Smit 1924-1939, vol. 3, p. 195. 249 Cf. supra, cette 3e partie, chap. 3, pp. 312-316.

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Troisième partie | L’intégration dans la société brabançonne

Dès 1337, un nouvel octroi de prêt collectif fut accordé par le duc de Brabant à tous les Lombards présents dans sa principauté. Les comtes de Gueldre et de Hainaut-­ Hollande et Zélande s’étaient portés garants de Jean III de Brabant. Les familles privilégiées étaient les Deati, della Rocca, de Montemagno, Frenario, Vacca, de Broglio, Pali, Morelli, di Riva (de Rupe), de Mercato et Richom. Parmi celles-ci figuraient des vétérans des tables de prêt brabançonnes comme Leone Deati, Guglielmo Vacca ou Gabriele de Montemagno250. L’absence de membres des familles de Mirabello et Roero apparaissait comme une sanction de leur comportement commercial trop opportuniste au goût du duc de Brabant. En effet, Benedetto Roero et Giovanni de Mirabello avaient précocement investi une bonne part de leurs avoirs dans la table de prêt de Gand. Les de Mirabello étaient très implantés à Gand (Simone) et à Termonde (Leone, Pietro et Simone) tandis que les Roero exploitaient l’établissement des « Grands Cahorsins » de Bruges251. En 1337, Simone de Mirabello était toujours un des conseillers les plus fidèles du comte de Flandre tandis que Bernardo Roero occupait la prestigieuse charge de chancelier du comte de Hainaut252. Ces financiers, peu dociles à l’autorité d’un seul prince, privilégiant au contraire les affiliations plurielles étaient difficilement contrôlables par le duc de Brabant. Dans le dernier quart du XIVe siècle, les premiers effets d’une centralisation effective du crédit lombard en Brabant se manifesteront avec l’instauration d’un maire des Lombards. Ce fonctionnaire ducal brabançon était chargé de protéger les Lombards de la principauté, d’une part, mais aussi de percevoir les taxes annuelles dues au Prince, d’autre part. L’institution d’un maire chargé de superviser leurs opérations de crédit allait évidemment de pair avec une fiscalisation plus poussée des Lombards et un contrôle plus strict de leurs activités. L’office de contrôle semble avoir été repris aux Juifs de Brabant253. Parallèlement, c’est à cette époque, en 1373, qu’une maison publique de prêt lombard, une domus Lombardorum, est mentionnée pour la première fois à Bruxelles, en contrebas du palais ducal. Elle est exploitée par les familles Buschetti et de Villa, déjà anoblies et possédant des seigneuries en Piémont. Les de Villa entreraient bientôt dans la même confrérie que le duc de Bourgogne Philippe le Bon, celle du Saint Sacrement de l’église Saint-Jacques sur Coudenberg254. Les Lombards des années 1370, originaires de Chieri, symbolisaient une nouvelle génération de brasseurs d’affaires, ne recherchant plus le prestige social du statut noble comme les Astésans de la première génération, actifs en Brabant, les de Mercato ou les Mirabello ou encore les Roero usant de leurs profits pour se bâtir des seigneuries en Piémont.

250 Devillers 1874, vol. 3, n° 346, pp.  463-464 [11/5/1337] et n°347, pp.  464-465 [13/5/1337]  : l’octroi originel

scellé du grand sceau ducal, malheureusement disparu, datait du 18 mars 1337 ; voir aussi R.A.G.A., Chartes des comtes de Gueldre, n°284 [12/5/1337]. 251 Pour la présence des Mirabello à Gand, voir Kusman 1999b, pp. 896-898 ; pour Termonde, voir R.A.G., Chartes de Flandre, Fonds autrichien, n°40 [1/10/1332], n° 50 [27/1/1341], n°52 [24/4/1343] ; sur les Roero à Bruges, voir Murray 2005, p. 146. 252 Rogghe 1958, pp. 24-25 ; Smit 1924-1939, vol. 3, p. 190. 253 Bigwood 1921-1922, vol. 1, pp.  350-351. Le fait est méconnu, mais un certain Nicolas de Heusden occupe la fonction de maire des Juifs à Bruxelles vers 1346 (A.G.R., C.C., n°44825, Censier de 1346 pour l’ammanie de Bruxelles, f° 1 r°). 254 Sur ces familles, voir Bordone et Spinelli 2005, pp. 92-93 et pp. 196-206. Pour la maison publique des Lombards : Kusman 2007, pp. 154-155 ; pour la confrérie, mention est faite des frères Adrien et Pierre de Villa parmi les confrères vers 1463 dans le registre : B.R.B., ms. 21779, f°3v° et f°27r°.

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Leur statut social était donc estimable et correspondait à un rapprochement géographique avec le palais du Coudenberg. Les Lombards étaient devenus des honesti et discreti viri selon la terminologie médiévale des élites255. Au contraire, pour les descendants des prêteurs d’Asti des années 1300-1330, ayant pris racine dans les villes des anciens Pays-Bas, l’honorabilité passait par la participation à la gestion de la chose publique. Le chemin était néanmoins encore long avant de pouvoir ambitionner d’exercer des charges communales. Il passait par l’admission dans une confrérie, ce fut celle de l’hôpital Saint-Jacques d’Overmolen pour l’épicier Aubertino Frenario. Cette confrérie était traditionnellement ouverte aux marchands étrangers256. Une cinquantaine d’années plus tard, son fils naturel pourrait prétendre à la fonction de receveur des nations, organe de représentation des métiers au sein du magistrat urbain257.

255 Braunstein 1997, p. 31 et Derville 1997, p. 121 et p. 129. 256 Mention d’Abertijn de Specier, décédé, dans Dickstein-Bernard 2005, n°49, p. 3. J’ai relevé dans l’index de cette

confrérie plusieurs familles florentines (Bonavita, Iacoppo, en 1403), de Lucques (Caransoni, Fugazzi, en 1403) et d’Asti (Benedetti, Canelli, Corti, Ficerio et Mancinella). Le premier Astésan membre de la confrérie est Giacomo Turco de Castello, résidant le plus souvent en Hainaut et devenu membre dans la période 1357-1386 (Ibidem, n°1252, p. 53). 257 Dickstein-Bernard 1977, p. 248 et n. 75 : Aubertin Frenier, apothicaire à l’enseigne de la boutique « La Rose », sur la Grand-Place, est le bâtard de feu Aubertin en 1421. Il est cité comme receveur des nations en 1447-1448 et en 1456-1457.

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Conclusions Bien plus que des « Lombards » : plaidoyer pour une reconsidération du rôle économique des financiers piémontais dans la société urbaine des Pays-Bas au bas Moyen Âge

Dès l’introduction de cette étude, l’accent a été mis sur la volonté de penser les Lombards non plus comme les sujets passifs d’une histoire de la dette et des finances publiques les englobant mais plutôt comme les acteurs dynamiques d’une histoire du crédit médiéval. Le « Lombard », concept-gigogne au Moyen Âge, réifiant, désignait tour à tour l’usurier italien et local, le banquier et le marchand italien. Les financiers d’Asti arrivant en Brabant dans les années 1280 sont un peu tout cela, banquiers et marchands. Ce sont aussi des acteurs humains exerçant des activités extraordinairement risquées, celles du maniement des capitaux, de leur change et de leur transfert, d’une place à l’autre dans un environnement idéologique hostile à la conservation non-productive de l’argent, à sa thésaurisation à des fins spéculatives. Pour les théologiens mendiants traditionnels, les usuriers publics ne prenaient aucun risque, à l’opposé des marchands dont les profits participaient de l’enrichissement de la collectivité des chrétiens ; la prise d’intérêts pour leur prêt devenait donc condamnable, et leur profit, profondément immoral1. Toute l’ambiguïté de l’identité civique des financiers d’Asti ressortait clairement de la consultation de l’Université de Paris par la ville de Bruxelles et le duc de Brabant en 1318-1319 : les Lombards étaient marchands mais réputés prêter à intérêt à Bruxelles, se mêlant du prêt à la consommation, une activité concurrençant les intérêts économiques des élites marchandes et politiques de la ville. Les financiers d’Asti étaient tenus pour des usuriers publics à Bruxelles ; en revanche leur identité civique honorable à Bois-le-Duc dans les années 1320-1330 ne faisait aucun doute, leur crédit servant le bien commun de la ville en l’aidant à affaiblir le pouvoir du seigneur de Heusden, lequel levait de lourdes taxes sur le commerce de transit de la ville : leur réputation était donc à géométrie variable. Partant, la réévaluation du facteur humain a été placée au centre de l’analyse du milieu des marchands-banquiers piémontais, facteur humain susceptible d’éclairer l’extraordinaire densité des financiers piémontais en Brabant et leur rôle déterminant dans la haute finance entre les années 1280-1333. Ce facteur humain, ce capital humain était selon nous visible de deux manières : premièrement, en démontrant l’emploi, chez les financiers d’Asti, de stratégies commerciales et sociales ajustées à la taille du marché visé – les régions, la région, puis la ville – et à ses conditions politiques ; deuxièmement, en reconsidérant le rapport de ces manieurs d’argent au prêt à intérêt. 1

Sur la relation entre risque, identité civique, réputation et crédit, voir en dernier lieu Todeschini 2012, pp. 122-128.

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 ) Les stratégies commerciales et sociales des banquiers piémontais : 1 une culture de l’anticipation commerciale Étudier une minorité marchande étrangère, c’est s’intéresser obligatoirement à la manière dont elle s’insère et se déplace dans un territoire donné2. Ferments d’une culture de l’anticipation commerciale, trois facteurs conditionnèrent la géographie primitive des marchands-banquiers d’Asti : la prise en compte de la région comme échelle géographique de leurs entreprises économiques, la concurrence des financiers locaux et enfin le dynamisme des villes périphériques. Dès leur arrivée dans les anciens Pays-Bas, les membres des sociétés de prêt astésanes adoptèrent des stratégies commerciales et sociales calibrées selon la taille de la principauté visée et la typologie économique de son réseau urbain : villes orientées vers le commerce à longue distance, villes-marchés de production et de redistribution régionale et villages intéressés à la production textile ou à la culture des plantes industrielles. Commençons par les stratégies commerciales. Toute la politique d’investissements des Astésans et leur répartition géographique initiale semblaient découler d’une connaissance préalable des zones à fort potentiel de bénéfices. Cette connaissance était fondée sur la prise en compte du dynamisme économique des villes frontalières, sur l’appréciation exacte de la compétition interne des réseaux urbains et enfin, sur les mécanismes préexistants des échanges interrégionaux. Au point de vue macro-économique, Tournai et le comté de Flandre, puis le duché de Brabant constituaient autant d’étapes logiques pour des banquiers en phase avec la conjoncture économique. Arrivant dans la ville royale lors de sa pleine croissance commerciale, Berardo Roero et ses confrères l’abandonnèrent au moment où son secteur drapier commençait à stagner, à la fin des années 1280. De même, ayant travaillé au développement d’un réseau de crédit supra-régional entre le comté de Flandre et le duché de Brabant, sous l’égide de Béatrice, dame de Courtrai, ces mêmes banquiers, menés par la famille Roero, entrèrent en nombre dans le duché de Brabant dans les années où l’industrie textile des villes prenait précisément son essor, à la veille de ses succès sur le marché anglais. La synchronie de la présence des banquiers lombards avec les stades de développement de l’industrie textile des anciens Pays-Bas était bien réelle. La polarisation notable des premières tables de prêt en Brabant méridional vers 1285, encore renforcée au siècle suivant avec onze tables sur quarante-deux, soutient selon moi la fonction essentielle des Piémontais en matière de crédit rural à finalités proto-industrielles (cfr. carte 8). Cette fonction a sans doute été trop sous-estimée jusqu’à présent. Le développement marquant de la production de la guède, couplée à celle de draperies régionales, devait s’appuyer sur des intermédiaires bancaires dotés de relais régionaux et internationaux. Sous cet angle, les contacts entretenus par les financiers Tadeo Cavazzone et Enrico de Mercato avec des marchands-banquiers lucquois et florentins, depuis la fin du XIIIe siècle, révèlent le rôle d’intermédiation remarquable des Piémontais. Dans ce contexte, on ne peut que deviner – faute de sources détaillées – l’importance de la Hesbaye comme marché d’approvisionnement en plantes tinctoriales, sans doute pour la ville de Bruxelles, certainement pour la ville de Louvain. Les Astésans devaient être plus que de simples intermédiaires bancaires, leur activité d’apothicaires-épiciers, observée 2 Cf. les observations de la table ronde instructive livrées par Berengo, Brezis, Rubin, Spini, Todeschini, Vivanti et Zanzi, dans Le minoranze e la vita economica in Europa 2000.

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Conclusions

à Malines, suggère leur intervention dans la commercialisation de la guède hesbignonne, dont Malines était un débouché potentiel. Dans cette région, le coût des transactions, qu’il s’agisse de la circulation de l’information, de transport des marchandises ou de l’argent, était sans doute très réduit d’une table à l’autre. Que l’on songe aux tables de Corroy-le-Grand, Grez et Wavre situées l’une par rapport à l’autre dans un rayon inférieur à quinze kilomètres. Pour des banquiers expérimentés, comme l’étaient les membres de la famille Roero, passés par Tournai, Courtrai et Bruges avant de travailler en Brabant, l’investissement dans des localités aussi rapprochées l’une de l’autre devait obéir à de réelles promesses de profit. La très forte densité du réseau des casane en Brabant par rapport aux autres principautés des anciens Pays-Bas répondit donc, selon toute apparence, à la croissance rapide de son industrie textile à base de laine anglaise sur le plan international mais, également, à l’essor de draperies régionales. La possession par Giovanni de Mirabello de plusieurs troupeaux de moutons en Brabant, attestait la vitalité des draperies indigènes pour la consommation locale. Au surplus, l’évolution ultérieure des draperies régionales de Merchtem et Rumst, utilisant des laines brabançonnes légères et exportées jusque dans l’espace hanséatique dès la fin du XIVe siècle3, étaye la présomption d’un crédit à l’investissement d’origine piémontaise. Ces deux bourgades abritaient des officines de prêt, depuis la fin du XIIIe siècle pour la plus ancienne. De manière plus générale, la multiplication extraordinaire des tables de prêt dans les régions rurales est l’indice d’une forte demande en crédit des paysans, probablement orienté en grande partie vers la culture des plantes industrielles comme la guède, le réséda ou le lin. L’installation d’un réseau serré de petites banques offrait à la fois des possibilités de change de monnaies et une centralisation efficace des capitaux pour des entreprises de nature pré-capitaliste. Au-delà, ceci suggérerait un modèle de croissance soutenue des rendements agricoles au moins jusqu’à la première grande crise agraire de 1315-1317. En réduisant l’échelle d’observation des stratégies commerciales et sociales au niveau des villes elles-mêmes, on peut également tirer des conclusions sur les singulières facultés d’adaptation des Piémontais au marché brabançon. L’instabilité dans la hiérarchie des places financières me semble être avant tout caractéristique du Brabant, et ce fut un facteur pris en compte par les sociétés bancaires piémontaises. J’ai tenté de le démontrer dans la première partie, entre 1200 et 1280, il n’y eut pas une seule cité qui puisse prétendre à un rôle prédominant par rapport aux autres, telle Bruges en Flandre, concentrant une série de fonctions : accueil des marchands-banquiers étrangers, techniques bancaires avancées et haute finance. Cette situation d’une géographie multipolaire de places financières brabançonnes induisait des rapports de compétition entre certaines villes mais aussi de complémentarité4. À nouveau, il faut reconnaître la qualité exceptionnelle des renseignements des premiers financiers astésans actifs en Brabant dans la découverte de ces relations de complémentarité. Les villes de Bruxelles et de Malines avaient été des marchés de l’argent complémentaires dans le dernier tiers du XIIIe siècle, les gestionnaires bruxellois de la charité cherchant à placer des emprunts dans la ville des Van Uytven 1976a, ré-édité dans Van Uytven 2001a, VIII, pp. 93-94. Le cas brabançon est à rapprocher des constatations similaires de Lesger 2006, pp. 261-262, qui observe une hiérarchie mouvante et souple dans les places commerciales des anciens Pays-Bas au XVIe siècle et l’adaptation constante des marchands et leurs facteurs à des changements de polarité dans le réseau de ces places commerciales.

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Berthout ; les élites urbaines circulaient entre les deux cités. Au siècle suivant, les dirigeants astésans des banques de Brabant gardèrent à l’esprit, dans la répartition de leurs tables de prêt, ce binôme dynamique. Enrico de Mercato, Benedetto Roero ou Giovanni de Mirabello avaient travaillé dans les deux banques de Bruxelles et de Malines ou y avaient envoyé leurs fils ou leurs neveux faire leurs premiers pas. Pareillement, les villes périphériques de Nivelles et de Bois-le-Duc avaient été à l’avant-garde des innovations dans le commerce de l’argent, l’une au point de vue monétaire et l’autre dans la banque de dépôt peu de temps avant l’arrivée de Tadeo Cavazzone. Ces deux villes furent choisies par ce financier pour y établir une fonction de garnison pour dettes, avec l’aide des aubergistes locaux. La signification réduite de la place d’Anvers pour les banquiers lombards retient l’attention. La ville n’avait pas été un centre de haute banque sous les trois premiers ducs de Brabant, elle ne le fut pas davantage sous les trois suivants. Seule ville brabançonne à réunir en ses murs un grand nombre de nations marchandes privilégiées (nations anglaise, florentine, génoise et hanséate) et siège fréquent de l’étape de la laine anglaise, la cité scaldienne paraît avoir cependant pâti de la politique commerciale changeante des ducs de Brabant parfois favorable à Malines (notamment pour l’octroi du marché du sel dès 1255). La présence discrète des Astésans à Anvers était vraisemblablement liée à ces paramètres : concurrence des marchands anglais et toscans déjà privilégiés dans la ville et rôle politique effacé sous les ducs Jean Ier et Jean II. Il fallait aussi compter avec l’hostilité des élites locales à l’égard des « usuriers lombards », dont le chroniqueur Van Boendale n’était que le porteparole le plus éloquent. L’absence d’une hiérarchisation poussée des villes dans le domaine bancaire eut des répercussions sur la typologie des services financiers des Astésans, généralement non limités à un créneau particulier, le prêt à la consommation, comme à Bruges par exemple. Au contraire, à Louvain, Leone Deati et ses collègues participaient au crédit local de consommation et d’investissement. À Malines, Giovanni de Mirabello puis Gabriele de Montemagno opéraient dans le secteur de la grande banque, mais aussi dans la banque de dépôt, offrant des services s’apparentant à une forme primitive de gestion de fortune privée pour une frange de l’aristocratie urbaine et de l’ancienne noblesse foncière ; ils prêtaient enfin à la ville et à ses gestionnaires financiers. À Bois-le-Duc, Colino de Mirabello et ses associés cumulaient des activités dans trois secteurs  : haute finance, crédit à la consommation et crédit d’investissement à destination des hobereaux du Brabant septentrional. À Bruxelles, enfin, Enrico de Mercato et Giovanni de Mirabello n’exerçaient leur métier que dans le secteur de la haute finance, l’accès au crédit local leur étant implicitement barré. Ce qui faisait la renommée des banquiers astésans auprès de la clientèle investissant dans leurs tables de prêt, c’était indéniablement leurs informations détaillées sur les marchés du crédit des anciens Pays-Bas déterminant les placements les plus fructueux à faire. Le cas emblématique de l’abbaye cambrésienne de Vaucelles, dont la banqueroute intéressa des crédirentiers venus d’Anvers, Bruxelles et Gand n’était sans doute qu’un exemple parmi d’autres de plusieurs entreprises spéculatives semblables. Celles-ci étaient fondées sur une exploitation empirique de l’asymétrie de l’information donnant de grandes chances aux investisseurs dans les titres de créances lombards d’enregistrer des profits à la fin de l’opération, même si celle-ci s’apparentait en grande mesure à un investissement à long terme. C’était vraisemblablement le service de la dette, plutôt que le principal, qui faisait 374

Conclusions

tout le profit de l’opération, en plus, bien sûr, des saisies éventuelles de gages immobiliers. Les garanties multiples demandées par les banques Mirabello et Roero visaient toutes à une maîtrise la plus complète des paramètres de l’opération : intervention des officiers des princes séculiers pour contraindre les débiteurs récalcitrants, censure ecclésiastique, saisies aux foires de Champagne et séjours coûteux dans une auberge. S’y ajoutaient toute une série de techniques commerciales destinées à séduire et rassurer l’emprunteur  : adoption d’armoiries personnalisées à caractère aristocratique, hôtels luxueux à enseignes pour les chevaliers y séjournant et enfin choix d’un nom de société emprunté à la symbolique héraldique, comme celui des Leopardi, par exemple, pour le roi d’Angleterre. Le cas du comte de Gueldre imprégné d’un ethos chevaleresque et bien démuni face à ses multiples créanciers est très révélateur de ces situations d’asymétrie de l’information volontairement accentuées par les banquiers et leurs aidants. Il montre le décalage significatif existant à la fin du XIIIe siècle entre deux types d’aristocraties : la première est au fait des mécanismes financiers interrégionaux et d’une forme de « nouvelle économie » tandis que la seconde veille avant tout à son bon crédit, à sa « largesse » et à son honorabilité, ignorante des risques politiques de la dette. La circulation des reconnaissances de dette aux Lombards, rachetées par des élites urbaines, montre qu’il existait, dès la fin du XIIIe siècle, un marché – si réduit fût-il – de la dette d’origine lombarde, négociable au plus offrant. Titres de créances sur des nobles ou des abbayes sur-endettées, les lettres obligatoires des Lombards offraient en revanche des taux d’intérêt plus élevés que la moyenne, compensant le risque encouru par les acheteurs de ces créances. La maîtrise des meilleures sources d’information paraît avoir été une constante des Astésans opérant en Brabant. Tissant des relations avec le milieu des courtiers-hôteliers locaux, entrant à l’hôtel du Prince, occupant la fonction de receveur ducal, les Lombards multipliaient du même coup leurs sources d’informations. On l’a observé, leur nomination comme trésorier princier n’interrompait pas leurs participations à de multiples tables de prêt. Maillon ultime de leur réseau d’information, les notaires, souvent clercs communaux, favorisaient indubitablement leurs opérations. Les notaires brabançons devinrent, dans le premier quart du XIVe siècle, du fait de leur cumul d’activités pour plusieurs autorités différentes, laïques et ecclésiastiques, les véritables auxiliaires du crédit lombard, particulièrement après la publication des décrets anti-usuraires du concile de Vienne, interdisant aux chancelleries communales l’authentification des lettres obligatoires lombardes. C’est grâce à cette maîtrise optimale de l’information commerciale que les Astésans actifs en Brabant et en Rhénanie purent ambitionner, à un échelon supérieur, la construction d’un réseau bancaire d’envergure européenne. La participation des gens d’Asti à des réseaux financiers reliant l’Angleterre, le duché de Brabant et le comté de Savoie à l’époque de l’alliance matrimoniale entre Amédée V de Savoie et Marie de Brabant avait déjà ouvert la voie à un tel projet. Plus tard, prêtant au roi d’Angleterre Édouard III, Gabriele de Montemagno et ses associés avaient cherché à intéresser la chambre pontificale d’Avignon au règlement des dettes anglaises. Possédant un agent local à Avignon dès 1333-1334, «  Gabriel de Malines » poursuivait une politique cohérente d’édification d’un réseau bancaire de portée internationale. Il y parviendrait finalement dans les années 1338-1343 avec la banque Leopardi, certes basée à Malines mais disposant entre autres de facteurs en Angleterre, en Avignon et en Rhénanie. 375

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Les remarquables aptitudes de ce banquier pour les participations croisées et son redoutable opportunisme commercial nourrirent sans nul doute son attitude durant la «  grande guerre du Brabant  » de 1332-1334. Plusieurs financiers astésans installés à Malines paraissent avoir parié sur une victoire du camp des princes coalisés contre le duc de Brabant et parmi ces financiers figuraient Gabriele de Montemagno et ses frères. En cas de victoire, Gabriele de Montemagno imaginait sans doute réaliser le déploiement ininterrompu de ses casane entre Valenciennes et la Haye. Deux facteurs me paraissent essentiels dans la construction de la banque internationale de Montemagno :

-la maîtrise d’un temps long de la banque, reposant sur des investissements à long terme pouvant facilement courir jusqu’à dix ans -la formation de réseaux bancaires supra-régionaux reposant eux-mêmes sur des réseaux de boutiques de prêt locales.

Le concept d’une longue durée dans les investissements bancaires des ­Lombards résulte de la comparaison de leur attitude commerciale avec celle des marchands-­ banquiers florentins. La notion d’investissement à long terme se manifestait chez les Lombards dans leur patience à bâtir un lacis dense de tables de prêt couvrant tout le territoire brabançon. Présents en Brabant depuis 1282 pour les premiers, les banquiers disposaient dès le siècle suivant d’officines de prêt présentes de Nivelles au sud, jusqu’à Bois-le-Duc, à environ 170 km. au nord de la première ville. À un niveau supérieur, dès la fin du XIIIe siècle, des réseaux de crédit supra-régionaux s’ébauchèrent entre le Brabant d’une part, et l’archevêché de Cologne (Bonn et Cologne), le comté de Flandre (Alost, Gand et Termonde) et le comté de Hollande (Dordrecht), d’autre part. Au siècle suivant, des changeurs brabançons et hennuyers collaboraient pleinement avec les banquiers lombards pour placer les emprunts du comte de Hainaut-Hollande et Zélande à Bruxelles et à Malines. Au milieu du XIVe siècle, ce sont ces réseaux locaux, puis supra-régionaux qui permettront à la compagnie Malabaila de développer ses services de transfert d’argent vers la curie avignonnaise en se greffant sur le dispositif préexistant des banques lombardes, développé par les banquiers gibelins.  Les territoires concernés par les transferts d’argent vers Avignon étaient limités à l’Angleterre, le nord-est de la France et les pays rhénans, territoires de prédilection des familles de Broglio-Montemagno, della Rocca et Roero. Cette longue durée de la banque lombarde assurait la prise en compte d’un capital intellectuel primordial, celui des expériences commerciales et du savoir-faire glané par les Mirabello et les Roero en Brabant septentrional et en Rhénanie. Le temps d’une génération, le flambeau avait été transmis à Gabriele de Montemagno et ses associés de la banque internationale Leopardi. Cette sensibilité au concept d’un rendement à long terme, les patrons des casane du Brabant la devaient peut-être à leurs origines rurales. Recrutés majoritairement au sein de l’aristocratie foncière gibeline du contado d’Asti, bannie de la ville par les guelfes, les Mirabello, de Montemagno ou Vacca connaissaient bien la longue durée des rendements de la terre. Il est possible que cela ait influé sur leur stratégie bancaire. En revanche, les banquiers florentins recherchaient des profits rapides accompagnés d’un risque minimal et des conditions de travail optimales, garanties par la sécurité 376

Conclusions

juridique d’une nation marchande. Le facteur des Bardi à Anvers vers 1315, Pegolotti, l’avait lui-même avoué  : en Brabant, seule la ville d’Anvers se distinguait des villes de Bruxelles, Louvain et Malines, en raison de ses infrastructures portuaires, de ses facilités commerciales et de son rôle d’entrepôt des marchandises internationales. Il confiait avant cela pratiquer le commerce et le prêt essentiellement en Flandre5. Le facteur risque (sécurité des biens et niveau de taxation) était probablement déterminant dans la prudence des investissements des Florentins en Brabant, où ils ne reçurent qu’en 1327 des privilèges les autorisant à faire le négoce dans tout le pays6. Si les Astésans n’avaient pas cherché à éviter dans leur organisation bancaire le risque commercial très élevé en Brabant, ils s’étaient attachés à le prévoir en s’aidant d’un corpus raisonné de règles juridiques édictées par les institutions politiques présentes sur son territoire. Ceci passait initialement par la recherche d’autorités de tutelle multiples, laïques et ecclésiastiques, ceci a été dit. Plus fondamentalement, la structure même des societates était empreinte de l’anticipation du risque. Première caractéristique de celle-ci, la parcellisation extrême du capital de départ en Brabant, par rapport à la Flandre ou le Hainaut. Dans ce contexte, les apports de déposants externes dans les banques lombardes du Brabant étaient essentiels, en réduisant les risques des actionnaires familiaux. Grâce aux changeurs, les Lombards parvenaient à convaincre les crédirentiers des grandes villes brabançonnes de fournir les gros bataillons de ces déposants externes. Seconde caractéristique, l’autonomie institutionnelle, le fait notable que la disparition d’une table de prêt n’entraînait pas la chute du réseau bancaire tout entier. Nul colosse aux pieds d’argile ici, comme les « supercompagnies  » Bardi et Peruzzi, très hiérarchisées, pour lesquelles les faillites des filiales anglaises représentèrent le début de la fin. Le modèle astésan, souple, décentralisé, reposait sur des participations croisées supra-principautaires, spécialement dans les cas des maisons des Lombards de Bois-le-Duc, Gand, Malines et Valenciennes, dénotant une capacité extraordinaire à absorber des changements politiques radicaux et des traumatismes humains violents  : une véritable résilience financière s’observe sur deux générations. Troisième caractéristique, les patrons des casane se soucièrent constamment de se ménager des zones de repli. Les villes de Cologne, Gand, Maastricht, Tournai et Valenciennes jouaient ainsi le rôle de siège social délocalisé pour les tables de prêt brabançonnes, l’itinéraire biographique de Benedetto Roero l’atteste pleinement. En cas de déconfiture ou de menaces de saisies, c’était dans ces villes que les titres de créances relatives au Brabant étaient transférés. C’est peut-être finalement vers ces marchés de l’argent plus sûrs qu’une partie des profits spéculatifs enregistrés en Brabant était canalisée. La donation inter vivos des avoirs mobiliers de Giovanni de Mirabello à son fils naturel Simone en 1327, pourrait bien le confirmer. Finalement, à ces trois caractéristiques se joignait un ajustement très fin des taux d’intérêt de l’argent prêté, on y reviendra dans la seconde partie de cette conclusion.

Evans, 1936, p. 236 et pp. 250-251. En cela, la situation brabançonne est très similaire à la Rhénanie où les marchands-banquiers florentins font preuve de retenue dans leurs investissements. Raison invoquée : les grandes compagnies bancaires n’y trouvaient pas de places des changes comparables à Bruges, Londres ou Venise, ni d’infrastructures urbaines adaptées aux assemblées fréquentes des nations marchandes. Les vols, fréquents, les taxes et les tonlieux en nombre contribuaient à faire de la Rhénanie une zone à risque pour les Florentins, cf. Weissen 2006.

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On l’a dit, dès l’aventure anglaise, prêter, c’est négocier, non seulement négocier avec son débiteur mais aussi, plus largement, négocier sa place dans le jeu des échanges commerciaux d’une ville. Ceci met en lumière l’importance des stratégies d’insertion sociale mises en place par les Lombards dans les villes brabançonnes : un réseau de crédit est aussi une construction sociale. Une préoccupation commune imprégnait ces stratégies : nouer de solides réseaux de sociabilité avec les pouvoirs locaux en place : élites laïques urbaines et Église. En ce qui concerne les élites urbaines, le désir d’associer d’honorables patriciens et des courtiers locaux influents aux transactions transpirait des contrats de prêt lombard. Dès leur installation dans la ville de Tournai, dans les années 1260, Giacomo de Layolo et Tommaso de Baieni veillèrent à travailler avec le courtier Bauduin Catine, issu d’une des familles tournaisiennes les plus en vue. Plus tard, œuvrant à Cologne ou à Maastricht, les Roero coopérèrent avec des aubergistes profitant évidemment du séjour d’hôtes nobles se portant caution du débiteur principal. Pareillement, à Bruxelles, l’association des courtiers-hôteliers locaux à des opérations de haute finance avec dépôt de gages était une pratique normale. La participation d’Henri Vederman et de Jean Vinke dans l’engagement de la vaisselle royale anglaise à Bruxelles était obligatoire pour Enrico de Mercato, si celui-ci souhaitait pérenniser sa résidence dans la ville de résidence ducale. La force des Astésans, et ce phénomène est très visible à Bois-le-Duc, c’était de transformer des pratiques usuelles et codifiées par la noblesse comme le séjour d’otages en garnison en occasions d’échanges sociaux. Le séjour à l’auberge fournissait l’opportunité, pour des gentilshommes de la mairie de Bois-le-Duc, de tisser des liens avec les élites urbaines, de rechercher la protection juridique de la ville, voire de re-négocier leur dette. La circulation des titres de créances lombardes au sein des groupes dominants de la ville créait au bout du compte une plus-value inestimable pour les banquiers nord-italiens : du lien social. Ceci ressort par conséquent nettement de cette recherche, les financiers piémontais ne maniaient pas les deniers en vase clos et n’étaient pas marginalisés, hormis en période de crise politique majeure. Les excellents contacts entretenus par les banquiers astésans avec des membres des groupes intermédiaires à Tournai laissent penser que le crédit des premiers ne constituait d’ailleurs pas un enjeu majeur des révoltes urbaines. La collaboration avec les financiers locaux, les courtiers et les changeurs, conditionnait l’intégration dans la société urbaine. Ceci semble évident, mais dans la pratique, dans nulle autre grande ville qu’à Malines, un tel niveau d’intégration ne fut atteint. Alors que les villes de Bruxelles et de Louvain se finançaient par les émissions de rentes viagères et par la taxation indirecte, refusant toute possibilité d’une mainmise de banquiers étrangers sur les revenus urbains, à Malines, les édiles recouraient au crédit lombard. Manier l’argent de la commune de façon compétente dépendait du degré de reconnaissance publique des Astésans dans la ville, de leur honorabilité. C’est ici que la prise en compte du facteur humain dans l’étude des sociétés de prêt piémontaises prenait toute sa signification. À Louvain et surtout à Bruxelles, la reconnaissance publique des Astésans se heurtait à la conception patricienne de ce que devait être un bon bourgeois. Pour les anciennes familles patriciennes aisées de Bruxelles et de Louvain, les Lombards, vus à travers le prisme de leurs lettres obligatoires usuraires, transmettaient l’image d’un groupe social illégitime, en un mot, de parvenus qui remettaient en cause la stature politique du milieu échevinal.

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Conclusions

À Malines, le change communal et ses opérations bancaires incorporaient les Lombards dans le milieu d’affaires névralgique de la ville, regroupant les changeurs, les marchands-drapiers et les fermiers des assises. D’autres signes fort éloquents de la bonne réputation commerciale des Astésans transparaissaient de l’obtention du statut de bourgeois, de leur activité de courtiers et d’apothicaires-épiciers et de la détention de rentes perpétuelles sur les halles marchandes communales. Incontestablement, dans la seigneurie des Berthout, les apports technologiques des Lombards n’étaient pas vécus comme une menace par les élites urbaines. À Bruxelles, les apports technologiques potentiels des Astésans pouvaient remettre en cause la reproduction du pouvoir de certaines élites patriciennes en place depuis des générations. C’est une hypothèse à prendre en compte à côté de la concurrence potentielle des Lombards dans le domaine du crédit local7. Nouer des relations excellentes ou à tout le moins normalisées avec le clergé local était évidemment au cœur des préoccupations des dirigeants des banques lombardes, Dionigio della Rocca, Giovanni de Mirabello ou Enrico de Mercato. Tous avaient cultivé des rapports généralement bons avec les puissants chapitres collégiaux des villes de Louvain et de Malines. La situation topographique des demeures lombardes dans les villes brabançonnes de Bois-le-Duc et Malines, notamment, suggère aussi une proximité notable entre les Astésans et les franciscains. À un échelon plus élevé, enfin, le puissant groupe de pression des Lombards de Brabant paraît avoir pu compter sur l’appui de l’évêque de Cambrai, puis du pape Jean XXII, lorsque ces Lombards s’estimaient victimes d’injustices. Il faut ajouter à ce point de vue que de nombreux Piémontais disposaient au moins d’un parent ou d’un parent d’associé qui était revêtu de la dignité ecclésiastique. Le chapitre cathédral Saint-Lambert de Liège fourmillait de la sorte de chanoines d’origine piémontaise. La relation au clergé était donc empreinte de la recherche de la respectabilité du bon chrétien, fondamentale pour les prêteurs astésans. La donation de Benedetto Roero au Saint-Siège l’illustre parfaitement, tout en n’étant pas dénuée d’arrières-pensées commerciales, compte tenu de la présence croissante des Astésans à la cour pontificale d’Avignon. La relation aux groupes élitaires de la société médiévale pose la question du rapport au pouvoir des Lombards. Essentiellement, ce rapport peut être observé sous deux angles, celui du Prince et celui des fidélités plurielles, recherchées par les financiers piémontais. Je commencerai par la première perspective, celle du Prince. Incontestablement, en Brabant, les financiers piémontais ont entretenu un rapport intime avec le pouvoir princier. Accordé dans la foulée d’une hémorragie critique des finances ducales, provoquée par la guerre d’annexion du Limbourg, le prêt de 100 000 lb. au duc de Brabant en 1293 livrait aux Astésans les clefs d’entrée de l’hôtel ducal. Cette somme était énorme, mesurée à l’aune des recettes des princes les plus riches des anciens Pays-Bas tels le comte de Flandre et l’évêque de Liège. Lieu de pouvoir informel, l’hôtel réunissait les moyens humains et matériels permettant au Prince de longs voyages dispendieux. C’était un réservoir de ressources Sur le discrédit jeté par les élites locales sur les innovations techniques des étrangers pouvant saper leur pouvoir politique et la reproduction de leur capital social, voir Hagen 1964, pp. 247-250.

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humaines, ouvert au renouvellement des hommes et des expériences. Disposer dans son entourage de banquiers au fait des taux de change et des mouvements de capitaux était une nécessité pour le duc de Brabant, en particulier à la fin du XIIIe siècle, époque des premières grandes dévaluations du roi de France. L’hôtel rapprochait à nul autre pareil des milieux sociaux très différents par le partage d’une expérience commune exceptionnelle qui était celle du voyage de la cour princière à l’étranger. Ainsi, l’aventure anglaise des années 1295-1298 contribua à faire admettre le valet ducal Enrico de Mercato au sein des élites financières bruxelloises. Patriciens bruxellois, courtiers issus de la classe moyenne ou marchands polyvalents fournisseurs de la cour, tous ces hommes formaient de fait un milieu d’affaires très solidaire et encore ouvert aux apports des marchands étrangers. Une fois engagés au sein du personnel de l’hôtel, les Astésans composaient un groupe très soudé, sans doute renforcé par leur appartenance gibeline. On peut en effet parler d’un groupe pour les Lombards de l’hôtel, car le cursus honorum d’un autre valet astésan du duc de Brabant, Manfredo de Viallo, suggère qu’Enrico de Mercato n’était que le représentant le mieux connu d’une véritable phalange de valets-fournisseurs d’origine piémontaise. Ils étaient dès lors en mesure de contrôler et freiner l’accès à la maison du Prince de concurrents toscans comme les Onesti de Lucques, pourtant gros créanciers du duc Jean II. La position influente d’Enrico de Mercato et ses collègues à la cour ressort aussi de leur entregent dans la conclusion d’emprunts à la consommation ou d’investissement par l’aristocratie. Qu’il s’agisse d’emprunts contractés par les émissaires diplomatiques du roi d’Angleterre Édouard Ier ou du recours par la noblesse endettée du Brabant septentrional au crédit de la banque Mirabello, la personnalité du valet ducal était incontournable. L’exercice d’une fonction aulique apportait en plus un capital social inestimable, permettant de nouer des liens avec le groupe des chevaliers de l’hôtel, un groupe social lui aussi très solidaire, menant un train de vie à mi-chemin entre la noblesse et la bourgeoisie marchande. Les itinéraires biographiques d’Arnould d’Yssche, bientôt appelé le Lombard, et de Daniel de Bouchout étayent ce point de vue. Ces deux chevaliers étaient également de redoutables brasseurs d’argent. Et il en fut sans doute de même pour Roger de Leefdael, futur sénéchal de Brabant. Devenus conseillers de premier plan, ces chevaliers soutiendront les financiers piémontais à la cour en jouant pour ces derniers le rôle de courtiers du pouvoir8. Intercédant en leur faveur lorsqu’ils étaient victimes d’arrestations ou les renseignant sur une clientèle potentielle, ces conseillers étaient pour Giovanni de Mirabello et ses collègues de précieux soutiens. Tout partait donc de l’hôtel et de son rôle intégrateur. Puissant tremplin vers l’administration financière, l’affiliation à l’hôtel n’était pourtant pas suffisante à elle seule pour garantir aux Astésans l’obtention de la fonction de receveur ducal, la plus haute charge d’officier princier. À chaque niveau de pouvoir correspondait un type de soutien, et c’est sans doute l’appui de la grande noblesse baronniale, celle des Berthout et des Diest, qui fut déterminant pour assurer l’accès des Lombards à la recette, puis au conseil du Prince. En dépit de l’appui de ces puissants patrons, les choses n’étaient pas si simples pour un banquier piémontais, traînant une réputation détestable d’usurier en Brabant, dans les années 1300-1308. Le contexte de l’ascension des Lombards dans les sphères du pouvoir à L’importance de ce concept pour saisir les mécanismes de pouvoir à la cour princière ressort bien de l’ouvrage collectif Les courtiers du pouvoir 2001.

8

380

Conclusions

la cour ducale est celui d’une grave crise politique et sociale rythmée successivement par les révoltes urbaines, la banqueroute des finances princières – atteignant un passif supérieur à 300 000 livres tournois – et la régence du jeune Jean III. L’opposition de certains milieux patriciens et cléricaux aux Lombards semble alors avoir désigné ces derniers à la vindicte publique comme des usuriers publics menaçant l’intérêt commun du pays. C’est toute la question de la reconnaissance publique des Lombards en Brabant dont j’ai essayé de montrer qu’elle était fondamentale pour appréhender leurs difficultés d’accès à la fonction de trésorier. L’absence de maisons publiques de prêt lombard à Bruxelles et à Louvain durant tout le XIIIe siècle et l’inexistence d’assignations de paiement sur les assises urbaines de ces villes au profit des Italiens sont symptomatiques de ce courant politique hostile aux Lombards. À travers l’exercice de la charge de receveur filtrait en réalité toute la problématique du contrôle de l’impôt princier par les sujets. Cette question ne devrait pas être sous-estimée car elle questionnait la légitimité d’un banquier étranger à organiser la taxation9. En prêtant au Prince dans le cadre de la haute finance, les Piémontais entraient déjà dans le jeu de la négociation politique de privilèges avec le Prince et affaiblissaient les revendications des États de Brabant. Ceux-ci étaient eux-mêmes désireux d’obtenir des privilèges, en monnayant leur accord pour des impôts extraordinaires en échange d’un contrôle politique accru sur le Prince. Ces privilèges concernaient en particulier le droit d’administrer leurs assises, pour les bonnes villes de Brabant. La question de la reconnaissance publique explique, selon moi, le rôle effacé des Lombards au conseil, préférant agir comme conseillers officieux dans un lieu de pouvoir informel tel que l’hôtel. C’est donc à l’hôtel et à la recette que les Astésans donnèrent la pleine mesure de leur pouvoir : préparation de traités politiques et commerciaux, anticipation de mouvements dévaluatoires, rapprochement politique du Brabant et de la Flandre et politique d’expansion territoriale en Brabant septentrional. Les Lombards du Prince lui apportaient en plus de cela une connaissance des territoires de croissance économique profitable à la gestion du domaine. Au point de vue de la politique internationale, je soulignerais spécialement l’action des financiers piémontais sur le marché anglais dès 1295, contribuant par leurs conseils à faire de Jean II un acteur majeur des échanges économiques entre l’Angleterre et le continent et un véritable « prince-entrepreneur ». Le portrait jusqu’alors dépeint d’Enrico de Mercato et de Giovanni de Mirabello comme des banquiers opportunistes, voire incompétents, paraît de ce point de vue tout à fait injustifié. Les deux hommes étaient des administrateurs des finances aguerris, soucieux de leur image publique et ni plus ni moins honnêtes que leurs collègues brabançons. J’ai adopté le point de vue du Prince, mais une seconde perspective du rapport au pouvoir doit être suivie pour les Lombards, celle des fidélités plurielles. Ce concept définissait l’activité d’un banquier de cour au service de plusieurs princes. Dans la généalogie de ce concept, la carrière de Tadeo Cavazzone est fondatrice. Financier de quatre princes différents, exerçant sans doute dans une table de prêt autonome à Bois-le-Duc, le banquier réussit ce qui causa la perte de Giovanni de Mirabello : maintenir La belle thèse de Scordia 2005, montre bien l’avènement de cette question dans le discours politique et religieux de la France médiévale.

9

381

Usuriers publics et banquiers du Prince

pendant dix années, entre 1284 et 1294, des relations excellentes avec le duc de Brabant et le comte de Flandre. L’adresse politique du financier de cour, sa résidence aux marges du duché et surtout, son retour en Piémont en 1295, paraissent l’avoir préservé d’une débâcle. Le réseau des casane était par essence supra-principautaire et c’est ce qui avait fait son succès auprès de lignages seigneuriaux eux-mêmes sujets à des fidélités plurielles tels les Mortagne puis les Cuyck, seigneurs à l’itinérance prononcée. En réalité, la politique de fidélités plurielles des Lombards était consubstantielle à l’absence pour eux d’une nation marchande susceptible de représenter juridiquement et politiquement leurs intérêts. Le privilège d’octroi était révocable et à durée limitée, donc vecteur d’incertitude pour le banquier bénéficiaire et visant des familles déterminées puisqu’aucune nation marchande ne les représentait. L’absence d’une nation marchande renforçait au surplus la concurrence mutuelle entre prêteurs astésans, plus seulement causée par les appartenances factionnelles aux guelfes et aux gibelins comme dans le cas traditionnel des compagnies marchandes toscanes, mais bien davantage déterminée par la compétition des villes brabançonnes pour atteindre le rang de place financière ; l’affaire della Porta n’en était que l’expression la plus forte. Par conséquent, bénéficier de privilèges d’octrois de princes différents, obtenir le droit de bourgeoisie dans des villes étrangères au pays principal d’accueil, étaient autant de réflexes logiques de survie commerciale. La contradiction entre les appartenances plurielles des Lombards ne s’avérait critique que lorsqu’il y avait un conflit ouvert entre le Prince et une de ses villes ou entre deux Princes protecteurs des Lombards. En Brabant, même en qualité de vassal ducal, Giovanni de Mirabello était dépourvu de la légitimité sociale suffisante pour servir honorablement plusieurs princes, contrairement à un Guillaume de Duvenvoorde, exemple emblématique d’un noble agissant aux conseils de plusieurs princes. Tout comme le financement des dettes de la guerre du Limbourg avait rendu les financiers d’Asti honorables à la cour ducale à la fin du XIIIe siècle, ce fut une autre guerre qui posa les bornes du pouvoir des banquiers piémontais à la cour. La guerre patriotique du Brabant en 1332-1334 mit à jour les contradictions entre les intérêts financiers suprarégionaux des Piémontais et la volonté de consolidation d’un État territorial en Brabant par le duc Jean III. Une seconde ligne directrice me semble ressortir de cette recherche, elle concerne la place de l’usure dans les stratégies des Piémontais. 2)

Une reconsidération de la place de l’usure chez les Lombards

J’ai soulevé dans l’introduction la problématique de la double définition des Lombards en Brabant. Financiers du Prince, ils étaient aussi stigmatisés comme usuriers publics. L’historiographie classique de l’usure, basée essentiellement sur les travaux des théologiens, offre une vision toujours assez apocalyptique de la figure de l’usurier dépeinte par les ordres mendiants  : pour l’usurier, jouir des biens économiques devenait une fin en soi, il adoptait par conséquent un comportement pervers et asocial qui l’excluait de la communauté chrétienne, dont les valeurs incluaient la charité et l’équité des transactions10. Finalement, la création des monts-de-piété aurait constitué l’étape ultime d’un crédit

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382

À l’exception notable de l’analyse nuancée de Todeschini 2012.

Conclusions

institutionnel licite, fondé sur un cycle vertueux de circulation de la richesse au sein de la communauté chrétienne en réponse à l’usure lombarde. Le cas brabançon montre que les choses n’étaient pas si simples et si linéaires. Naturellement, l’impact direct des décisions conciliaires sur la vie quotidienne de la communauté des chrétiens n’est pas niable, comme ne l’est pas non plus la qualification de péché de l’usure. Il n’était guère commode de prêter à usure pour un étranger, surtout du fait de la concurrence de prêteurs sur gages locaux prêtant eux-mêmes à usure. Le rapport à l’argent était fonction de l’identité sociale et politique du manieur d’argent. Le démontre, l’aisance avec laquelle un Arnould d’Yssche, bientôt appelé le Lombard, pouvait recevoir de grasses commissions sur les transferts d’argent anglais dont il avait la responsabilité  : une faveur ducale dont ne pouvaient bénéficier les financiers d’Asti. Paradoxalement, l’avènement de plusieurs financiers locaux qualifiés de «  Lombards  », dans les années 1330-1340 signale l’apparition d’une nouvelle culture du crédit où manipuler une foultitude de monnaies différentes, connaître quotidiennement leur valeur, faire le métier de banquier sont autant de compétences appréciées qui deviennent des occupations honorables. Cette culture du crédit s’est nourrie des apports techniques et intellectuels des financiers d’Asti. Toutefois, ce que je souhaiterais montrer ici, c’est le danger qu’a représenté pour la définition économique et sociale des Lombards, une trop grande focalisation sur l’usure, aux dépens des autres éléments de leur histoire. Dans le duché de Brabant, la définition d’usurier public était éminemment politique, donc variable dans son appréciation11. L’affaire della Porta, où un usurier public étranger est exécuté dans une ville – Malines – où l’intégration des Lombards était excellente, montre l’instrumentalisation très forte de cette définition. En 1308, elle visait un concurrent néfaste pour les Lombards locaux, lié aux élites de l’argent bruxelloises. En 1318, l’accusation d’usure fut dirigée contre les banquiers piémontais de Malines, considérés par certains milieux financiers bruxellois comme une menace pour leurs intérêts dans le crédit local. Plus globalement, la condamnation usuraire de 1318 se situait dans une période de crise financière et frumentaire mettant en jeu la responsabilité du jeune prince et de ses conseillers nobles face aux États de Brabant. L’instrumentalisation de l’usure et la violence symbolique et physique très organisée et localisée qui en découlait correspondaient donc à une crise politique et sociale générale12. À côté des Lombards et des élites urbaines, un troisième acteur important troublait la définition de l’usurier : l’Église. L’attitude changeante des officialités de Cambrai et de Reims à l’égard des Lombards de Malines et de Valenciennes est un excellent baromètre de la situation politique de ces derniers. Ces tribunaux ecclésiastiques chargés de se prononcer sur les cas usuraires pouvaient condamner les Lombards lorsque l’évêque du diocèse concerné n’avait pas été suffisamment intéressé à leurs profits. En revanche, lorsque c’était le cas, comme pour l’évêque de Cambrai, son appui à la cause des Astésans était considérable. La présence ponctuelle de prêtres parmi les témoins de contrats d’emprunts notariés aux Lombards ou même d’un official conférait finalement une assurance morale supplémentaire aux D’autres exemples régionaux confirmant cette définition « à géométrie variable », qu’il s’agisse de la Flandre ou de la Provence : Murray 2005, pp. 142-143 et Shatzmiller 2000, pp. 96-100. 12 Nirenberg 2001, pp.  77-84 démontre bien comment les attaques lancées contre les minorités ethniques sont révélatrices, notamment, de tensions entre le Prince et ses sujets. 11

383

Usuriers publics et banquiers du Prince

créanciers. Le prêt étant gracieux, les juridictions ecclésiastiques pouvaient, au stade ultime, prononcer une sentence d’excommunication à l’encontre des débiteurs. Bien sûr cette qualification de mutuum, de prêt sans usure, était importante, mais ce n’était pas tout. Un dispositif juridique impressionnant était tout aussi vital pour les Astésans. Le cas des prêts gratuits des Lombards, concédés par « bon amour », mériterait, dans ce contexte, une approche renouvelée. D’entrée de jeu, les contrats de prêt lombard adoptent une forme juridique unilatérale ; une fois la somme remise, toutes les obligations étaient du côté du débiteur. Par conséquent, la qualification non lucrative du prêt n’avait pas uniquement une finalité théologique. En réalité, avoir le droit civil pour eux avait, dans le chef des prêteurs astésans et de leurs nombreux procureurs, autant d’importance que de se conformer au droit canon. Enfin, le taux d’intérêt régulé des Lombards à Anvers ou Tirlemont, qualifié d’usuraire, de 2 deniers par semaine devrait lui aussi être reconsidéré. En stigmatisant ce taux annuel de 43,3% – qui n’était qu’un taux maximal –, la question d’un remboursement à très court terme, dans le mois, a été complètement évacuée par l’historiographie. À 0,8% d’intérêt par semaine, l’argent lombard était disponible tout de suite, comptant, ou pouvait être viré dans une banque lombarde éloignée. Les rapports entre les Lombards de Louvain et Jean Blankart, courtier louvaniste installé à Malines et actif dans la draperie louvaniste, devraient être étudiés en tenant compte de ce facteur. Les taux de profit très substantiels tirés de l’industrie drapière en Brabant compensaient sans doute le loyer de l’argent élevé. Par ailleurs, on l’a observé à de maintes reprises, dans la pratique, les taux d’intérêt à court terme s’écartaient nettement du taux régulé selon l’emprunteur et sa crédibilité : en Brabant septentrional, les taux fluctuaient entre 5 et 15% pour des prêts accordés à la noblesse des environs de Bois-le-Duc, entretenant des rapports économiques fréquents avec la ville. En revanche, à la même époque, c’est-à-dire dans le premier quart du XIVe siècle, le loyer de l’argent pouvait monter jusqu’à 30% pour un emprunt courant sur six mois destiné à une abbaye supportant des coûts de transaction croissants comme l’abbaye cistercienne de Vaucelles. On a finalement observé comment une collectivité urbaine dont les finances étaient relativement saines, Malines, pouvait se refinancer auprès de la banque lombarde locale à un taux de 21,6%. La variabilité des taux d’intérêt lombards au niveau régional corrobore l’hypothèse d’un marché financier brabançon dynamique où la compétition entre places financières reste encore très vivace dans la première moitié du XIVe siècle. Il se démarque du modèle bancaire flamand, caractérisé par la toute-puissance de la place financière de Bruges. La forte densité des banques lombardes sur le territoire brabançon plaide au surplus pour le caractère relativement avancé de son marché financier, basé sur des intermédiaires bancaires améliorant visiblement la circulation des informations commerciales. Une fois de plus, les Astésans se différenciaient de leurs concurrents florentins par une circulation optimale des informations entre leurs différentes sociétés de prêt, géographiquement proches les unes des autres13. Au sujet de la faiblesse structurelle des super-companies telles que les Peruzzi de Florence, devenues trop grandes vers 1340 et s’appuyant sur des filiales géographiquement trop dispersées pour assurer une bonne direction des affaires et une circulation efficace des informations, voir Hunt 1994, pp. 249-250. Sur la relation entre le dynamisme des intermédiaires financiers présents sur un territoire donné et le progrès de son marché financier, voir Temin 2004.

13

384

Conclusions

Si cette hypothèse est bien justifiée, ceci signifierait alors que les techniques ­financières du duché de Brabant ont été jusqu’à présent sous-estimées par rapport aux techniques étudiées dans le comté de Flandre. Les lignes directrices proposées à l’issue de cette étude, à savoir la prise en compte des stratégies commerciales et sociales chez les banquiers d’Asti et la reconsidération de la place de l’usure chez les Lombards, nourriront, je l’espère, le débat sur la place des banquiers piémontais dans la société médiévale.

385

Annexes : cartes et schémas

1. Cartes

Carte 1.1. Les places financières dans le duchè de Brabant (1235–1281): La monnaie

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Usuriers publics et banquiers du Prince

Légende: = table de prêt lombarde = banque de dépôt locale = hôpital avec activités de crédit = mention de crédirentiers = communauté juive

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Carte 1.2. Les places financières dans le duché de Brabant, la banque et le crédit (1235–1284)

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Annexes: Cartes et schémas

Carte 2. Une géographie des pemières banques piémontaises dans le duché de Babant (1278–1286)

389

Usuriers publics et banquiers du Prince

Carte 3. Des réseaux de crédit supra-régionaux dynamiques ca. 1292

Carte n°4. Itinéraire suivi pour le transport des joyaux de la couronne en vue de leur engagement aux Lombards du duc de Brabant et de leur prêt au comte de Flandre (1297–1298)

390

Annexes: Cartes et schémas

Carte 5. Carte schématique du réseau des auberges des sociétés de prêt Mirabello et Roero vers 1309–1215

391

Usuriers publics et banquiers du Prince

Carte 6. Les tables de prêt lombardes publiquement reconnues dans le duché de Brabant d’après la convocation du roi des romains Henri VII (1309)

392

Annexes: Cartes et schémas

Carte 7. Les zones d’activité des receveurs Enrico de Mercato et Giovanni de Mirabello et leur patrimoine ­immobilier (1309–1333)

393

Usuriers publics et banquiers du Prince

Carte 8. Le rayonnement d’une banque internationale : la table de prêt de Malines

394

Annexes: Cartes et schémas

Carte 9. Le rayonnement d’une banque régionale : la table de prêt de Louvain

395

Usuriers publics et banquiers du Prince

2. Schémas Schéma 1  : Typologie des principaux transferts de fonds en livres sterling et en livres tournois entre le duc de Brabant et le roi d’Angleterre (1295-1298)

Roi d’Angleterre

Duc de Brabant

Londres Trésorier de l’Echiquier

Boston, collecteurs de la coutume

Bruxelles Receveur de Brabant

Somme de 499 £ 19 s. 10 d. ob.

A. d’Y. a., p.m. : L.P. et G. de N., bourgeois et marchands de Bruxelles : entre le 15/12 et le 21/12/1295

Remarques et abréviations : La somme de 499 lb. 19 s. sterl. correspond aumontant de l’assignation sur la taxation de la laine. Abréviations: a. : attornatus (fondé de pouvoirs) ; A. d’Y. : Arnould d’Yssche.; L.P. : Lapo Bourcato ; G. de N. : Guillaume de Nova Villa ; p.m.: per manus. 1.1. Le payement par assignation sur les revenus douaniers de la laine en Angleterre

Roi d’Angleterre

Londres Trésorier de l’Echiquier

Boston, collecteurs de la coutume

Duc de Brabant Somme de 38 lb. 17 s., représentant une comm. de 0,39% pour un transfert de 10.0000 lb. sterl. V.M., Lombard de Bruxelles, a. de J. de J. de C. et T.J. : après le 24/4/1297 n.s.

Bruxelles Receveur de Brabant

Lombards de Bruxelles, officine de change, de crédit et de dépôt

Remarques et abréviations: Abréviations: a.: attornatus (fondé de pouvoirs); V.M.: Vivaldino Marrono; J. de C.: Jean de Cuyck; T.J.: Taldo Janiani ; comm.:commission. 1.1bis. Le payement par assignation sur les revenus douaniers de la laine en Angleterre, suivi du change par les Lombards de Bruxelles

396

Annexes: Cartes et schémas

Royaume d’Angleterre

Duché de Brabant

Roi

Duc 20.000 lb. sterl. 1.200 £

Londres Trésorier de

1.800 £

J. de B., chapelain ducal et H. L, marchand du duc :9/5/1295 H.L. : 17/5/1295

l’Echiquier 17.000

Bruxelles

Receveur de Brabant

H.L. : 30/6/1295

Abréviations : H.L. : Henri Lombard alias Enrico de Mercato; J. de B. : Jean de Berthem. 1.2. Le versement de la main à la main par mandat royal sur l’Échiquier

Roi d’Angleterre

Duc de Brabant

Londres Trésorier de l’Echiquier

Bruxelles Receveur de Brabant Anvers, siège 10.000 lb. n.t. R. de S., clerc de L’Echiquier, G. de C. et E.R., marchands de laine anglais : 22/7/1296

d’une trésorerie dirigée par E.R. et G. de C. (1295-1298)

Remarques et abréviations: Abréviations: R. de S. : Robert de Segre; G. de C.. : Gilbert de Chesterton; E.R. : Elias Russel: n.t. : noirs tournois 1.3. Le versement de la main à la main par mandat royal sur la trésorerie d’Anvers

397

398 Uberto de Mercato, attornatus de Vivaldino

Vivaldo Marrono, Lombard de Bruxelles et attornatus de Jean de Cuyck et Taldo Janiani

Taldo Janiani, attornatus duseigneur de Cuyck

Jean de Cuyck, attornatus du duc de Brabant

Enrico, Andrea, Giacomo de Mercato et Vivaldino Marrono, Lombards demeurant à Bruxelles, substitués à Taldo Janiani, mandataire de Jean de Cuyck

1.4. Schéma hiérarchique des différents agents financiers brabançons intermédiaires entre le duc de Brabant et le roi d’Angleterre

Jean Papsac, substitué à Jean de Cuyck

versement de 25.000 lb. sterl.

Usuriers publics et banquiers du Prince

Annexes: Cartes et schémas

Schéma 2. Les relations d’affaires et de sociabilité du marchand Jean Papsac ca. 1295-1322 R.A.= Relations d’affaire R.V.=Relations de voisinage Vente=vente de biens immobiliers Seigneur Jean de Cuyck courta ge R.A .

Jean de Lombeke Pelletier Ridderstrate, au coin de la rue des Bouchers

V ente R.A .

Jean Papsac, marchand importateur de laine anglaise et financier Rue de la Colline

Henri Fabricant de bourses Rue de la Colline

R.A .

Gilles l'Orfèvre Rue de la Colline

R.V .

R.V .

R.V .

V ente

Henri l'Orfèvre Orfèvre Rue de la Colline

Ode et Aleyde Sarijs Sellières. Famille de bouchers. Rue de la Colline

P rêt Amaury Soyman Boucher Rue des Bouchers

Cession de biens R.A .

R.A . Jean Mandray, Boucher Rue des Bouchers

R.V .

Everwin Boete Boucher Rue des Bouchers

399

Termes techniques et concepts ­fréquemment utilisés

Assises : taxes indirectes sur les biens commerciaux vendus dans la ville et sur les transactions financières. Prélevées originellement au profit du Prince, elles sont concédées aux villes moyennant payement d’une redevance de manière croissante à partir de la fin du XIIIe siècle en Brabant; elles pouvaient faire l’objet d’un affermage au bénéfice de financiers qui prélevaient cet impôt contre payement d’une somme forfaitaire à la ville. Casane : synonyme de Table de prêt, voir sous ce terme. Haute finance : Activité de financiers locaux ou étrangers, qui, par leurs capacités de crédit et leurs liens avec l’économie urbaine, étaient capables d’influer sur la politique princière en concédant des prêts aux ducs de Brabant ou à des princes étrangers. Lombard : dans la présente étude, ce terme sera entendu comme synonyme de Piémontais, qu’il soit manieur d’argent ou pas. La majorité des marchands ou banquiers qualifiés de Lombards en Brabant est originaire d’Asti et, plus rarement, de Chieri. Toutefois, dans les anciens Pays-Bas, le terme peut désigner tout financier italien, et par extension, tout personnage, exerçant le métier de prêteur. Octroi de prêt : autorisation généralement délivrée par le Prince, en Brabant, à des banquiers piémontais d’exercer leur négoce pour une durée limitée dans le temps, contre le payement d’une taxe annuelle et en échange d’un privilège princier visant à protéger les banquiers dans leur personne et leurs biens. Passeur social : personnage qui en raison de sa fonction est capable de développer un réseau de relations sociales hétérogène et dont l’entregent lui permet de traiter et négocier avec différents interlocuteurs en mettant en avant ses qualités de courtier social. Société de prêt  : toute société de prêt organisée sur la base d’une répartition de ses parts entre plusieurs actionnaires, généralement familiaux et comprenant en outre un gouverneur chargé de la gestion journalière et sans doute plusieurs facteurs. Les societates piémontaises acceptaient également des dépôts qui gonflaient leur capital de départ. La société était le type d’organisation commerciale adopté par les tables de prêt. Table de prêt (lombarde) : banque de prêt lombarde, prêtant sur gages ou sur la caution de garants, effectuant des virements et prenant des dépôts. Le terme provient sémantiquement des premiers banquiers installés à même la rue, recevant et prêtant de l’argent sur une table ou un comptoir de prêt. La table de prêt est souvent associée par les sources médiévales aux financiers d’Asti et de Chieri, mais en réalité, elle pouvait désigner toute activité bancaire : les célèbres marchands-banquiers de Sienne, les Bonsignori, avaient adopté ce symbole comme nom de leur compagnie, la Gran Tavola. Une table pouvait être reconnue publiquement par les autorités locales ou garder un statut privé.

401

Sources éditées et bibliographie

1.

Sources diplomatiques et théologiques imprimées

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Index

Remarque préliminaire: Les numéros renvoient aux pages où le nom est cité, qu’il soit dans le texte principal ou en note. Cet index n’est pas exhaustif. Il ne contient pas les noms cités dans les textes d’archives ni les noms collectifs d’institutions ecclésiastiques ou laïques ou les toponymes de quartiers urbains. En ce qui concerne les noms de lieux, les noms de régions en ont été exclus ainsi que les mentions ponctuelles de localités. Les noms de villes ou villages ont été repris quand ils éclairaient le développement du négoce des Piémontais dans les anciens Pays-Bas ou en Europe. Les noms de villes brabançonnes pertinentes pour la connaissance de la dynamique du réseau urbain brabançon et l’intégration des financiers piémontais dans la société urbaine ont toujours été repris. En ce qui concerne les personnages, outre les familles piémontaises, ont été prioritairement pris en considération : 1) les mentions récurrentes de noms de personnes apparaissant dans les sources et pouvant éclairer les stratégies commerciales des financiers piémontais, 2) les mentions de personnes ayant des contacts suivis avec les financiers piémontais tels que les membres des élites locales, les marchands, les courtiers, les aubergistes, les membres des métiers ou de la noblesse, etc. que ces contacts soient directs ou indirects, 3) les papes, rois, princes et lignages seigneuriaux cités de manière récurrente et nominative.

455

Index des noms de personnes

A

A le Take, Everard, 76-77 Alfieri, famille et société de prêt, 160, 163, 167, 269, 292, 352; Giorgio, 161, 163; Martino, 160-161; Ogerio, 62; Rolandino, 164; Rolando, 161 Allione, famille, 230; Giorgio, 124; Uberto, 90, 103, 124 Amadori (Amatori, Amatore), Tegro (Trenco), 137, 311 Amore (d’), famille, 219; Bartolomeo, 219; Frank (Franco), 214, 219; Giovanni, 219; Martino, 219; Rolando, 219 Angleterre, roi d’; Édouard Ier, 11, 29, 37, 41, 51-53, 93, 104, 113, 118-137, 139-142, 144-149, 153, 155-156, 160, 163, 166, 180, 187, 191, 216, 233, 260, 312-313, 335, 352, 380; Édouard II, 130, 136, 258-259; Édouard III, 123, 142, 145, 157, 310, 312, 314-315, 317, 361, 367, 375; Henri III, 22, 27, 41, 52, 119 Antignano (d’), famille, 269; Anselmo, 300 Aquin (d’), Thomas, 48-50, 52, 235, 356 Arazzo (d’), famille, 178, 269, 273, 292, 303, 308, 310, 321; Filippo, 299; Opecino (Opicio), 262, 275, 297, 300 Arnate (de), Ruffino, 273-274, 301 Asinari, famille, 39, 226, 235, 255, 360; Daniele, 68; Francesco, 363; Giorgio, 312; Guglielmo, 63; Perrino, 68; Ysnardo, 68 Aspelaer, seigneur d’; Rasse de Liedekerke, dit de Herzele, 217-218 Asti (d’), Rolando, 221, 271; Vivaldino, 333 Audenaarde (d’), Gilles, 51-52, 139 Audenaerde, lignage, 67, 88, 109; seigneur d’; Arnould IV, 18, 20; Jean, 67, 88-90, 104, 232 Aule (d’), lignage, 193; Thierry, 193-195 Aurifaber (l’Orfèvre), alias Goutsmet, Henri, 137-138, 399 Auvergne (d’), Guy, évêque de Cambrai, 292

B

Baieni (de), famille et société de prêt, 69, 74-76, 79, 81, 90, 114, 186, 242; Bertolotto, 68; ­Bonifacio, 68-69, 72-73, 79-80; Tommaso, 66, 68, 72-73, 75, 79-80, 85, 89, 340, 378

456

Bardi, famille et compagnie, 24, 101, 133, 242, 313-314, 317, 364, 377; Doffo, 242; Gerardo, 90, 93, 101, 107; Gualterotto, 242 Bau, Wouter (senior), 279, 283, 287-288, 298-299, 316, 329, 331-332, 356, 365, 367; Wouter (junior), 282, 298, 314, 366 Bellardi, famille et compagnie, 140-141, 163, 242 Beltrame, Guillato, 106 Benci, Martino, 303 Benedetti, famille, 369 Benengo (de), Francesco, 345; Giacomo, 345 Berg, comte de; Adolphe VII, 37, 45-46, 55-56; Adolphe VIII, 178-179, 181, 361 Bergognini, famille, 230 Berlaar, seigneur de; Florent Berthout, 152, 244, 262, 275, 297; Jean II Berthout, seigneur de Helmond, 263 Bertaldo, famille, 219; Rainerio alias Passerin, 214 Bertaudi, famille, 310 Berthem (de), Jean, chapelain ducal, 139, 153, 160; Jean, changeur malinois, 279-281, 283 Berthout, lignage, 54, 107, 214, 222, 260, 263, 272, 297, 380; seigneur de Malines; Florent, 135, 164, 191, 202-203, 214, 245, 256-257, 261-264, 272, 275, 290-292, 299, 308, 317, 329, 348, 359; Gauthier, 17, 41-42, 100, 106-107; Gilles, 244; Jean, 191, 241 Bertramenga, famille, 162 Bertranni, Berardo, 63 Béthune, seigneur de; Robert VII, avoué d’Arras et seigneur de Termonde, 18, 20; Robert de Nevers, seigneur de Termonde, 84, 103, 115, 125 Bierbais (de), Elisabeth, abbesse de Nivelles, 97 Blankart, Barthélémy, 298, 366; Jean, 282, 284, 308, 366 Blomart, Francon, 208, 240, 245, 325 Boelaer (dame de); Alice (Aleyde), dame de ­Liederkerke, 82, 104, 217-218 Bois-le-Duc (de), Alard, 40, 182 Boitsfort (de), Amaury, 150, 216, 336; Catherine, 216, 290 Bolla, famille, 63; Otto, 63 Bonsignori, famille et compagnie, 58, 79, 116, 337, 401

Index des noms de personnes

Bordoco, Daniele, 305 Bouchout (de), Daniel, 135, 241, 244, 256-257, 260, 309, 380 Bourcato, Lapo, 128, 130-131, 136, 153, 396 Bourgogne, comte de; Othon IV, 63, 137 Bovino, famille, 61 Brabant, duc de; Henri Ier, 17, 20-21, 24-25, 28, 30, 36, 43, 45, 47, 50, 56, 98, 119, 130, 139; Henri II, 17-20, 22, 24, 43, 47, 191, 352; Henri III, 17, 22, 30, 41, 43, 49, 52, 55, 97-98, 235; Jean Ier, 1, 28, 32, 35-36, 44-48, 55, 58, 60, 82, 86, 88, 91-92, 95-102, 105, 113-120, 124, 129, 134, 141, 146, 152-158, 165, 167, 172, 175-176, 179-180, 182-183, 185, 190, 201, 218, 232, 234-235, 239, 252, 258, 260, 319, 374;  Jean, II, 5, 17, 40, 46, 115-116, 118-130, 132-136, 139, 141, 143, 145-146, 149, 151-152, 154-156, 158, 160-161, 165-167, 172, 179-180, 182-183, 185, 187, 191, 201, 216, 218, 223, 232-234, 239, 241, 244, 248, 252-253, 256-260, 263, 265-266, 306, 312, 314, 319, 344, 352, 359, 374, 380-381; Jean III, 5, 96, 138, 172, 199, 201-202, 204, 208-209, 212, 214, 217-220, 223, 226-228, 236-237, 244, 248-249, 251, 256-260, 262-267, 288, 298, 310, 323, 325, 335, 341, 348-350, 352-353, 357-358, 360-366, 368, 381-382; Jean IV, 122, 322; Wenceslas, 202; duchesse de, Aleyde de Bourgogne (Aleide), 27, 44, 48, 50, 52, 58-59, 234-235; Jeanne, 44, 122, 138; Marguerite d’Angleterre, 17, 147, 150, 153, 156, 259 Brabant (de), Godefroid, seigneur d’Aarschot et de Vierzon, 46, 86, 102, 120, 134; Henri, futur duc Henri Ier, 24; Jean, futur duc Jean II, 52, 104, 119-121, 129, 139, 147, 165-166, 260 Braine (de), Adam, 121, 123, 153 Bugella (de), famille, 225 Buschetti, famille, 368

C

Calcagno, famille, 61 Caloccio (de), famille, 88; Giacomo, 63, 87; Giorgio, 314 Cambitor, Othon, 38-39 Canelli, famille, 90, 114, 225, 369; Giacomo, 87-88, 244, 273, 301, 326-328, 334, 337, 354 Caretto (de), famille, 225 Carexana, Rolando, 272-274, 301, 316, 338 Catena (de), famille, 269, 310; Giacomo, 345; ­Gualeto (Gualeta), 144, 312 Catine, Bauduin, 75, 81, 378

Cavazzone, famille et société de prêt, 61, 158, 167, 229, 237, 310, 314; Giovanni, 314; Matteo, 313-314; Tadeo, 86, 94, 100-102, 105, 107, 159, 168, 174, 182, 193, 310, 372, 374, 381; Tommayno, 229 Chalon (de), Jean, seigneur d’Arlay, 137, 146, 186 Chesterton (de), Gilbert, 140, 153, 397 Chiartre (de), Pelegrino, alias Peregrino de Monte Chiarra ou Pelegrin de Lucques, 107, 120, 141 Clèves, comte de; Thierry VIII, 191; Thierry IX, 198, 201-204, 267 Clèves (de), Agnès, 261, 355 Coeur, Jacques, 207, 230, 244 Cologne, archevêque de; Henri de Virnebourg, 176, 181; Sigfried de Westerburg, 45-46, 130, 134, 158; Wikbold de Holte, 148, 183, 187 Coninc, Guillaume, 37, 42, 46 Cordua (de), Giovanni, 65 Corti, famille, 369 Cotenne, Coppo Giuseppe (Coppe Joseph), 135; Jacoppo (Coppo), 135-136, 144-145 Coudenberg (de), Hugues, 121, 123, 153, 259, 333 Courtrai, dame de; Béatrice de Brabant, 82, 84-86, 102, 115, 198 Crabiello (de), famille, 205; Martino, 206-207, 209, 213, 216, 219-220, 224, 227, 230 Criecsteen, Jean, 279-281, 283, 287, 298, 363 Crop de Lyskirchen, Constantin, 44, 46, 176, 234 Crupeland, Jean, 280-281, 283, 285-287, 298, 328, 362 Crusiglio (de), Andrea, 348; Berardo, 206, 272, 289-290, 327, 338, 344-345, 348 Cuminiano (di), famille, 178 Cuyck, lignage, 185, 190, 218, 260, 345, 382; ­seigneur de; Jean Ier, seigneur de Grave, 46, 105, 132-135, 137-138, 140-141, 152-153, 179, 184-191, 199, 225, 241, 252, 256, 261, 396, 398-399; Jean II, seigneur de Grave, 202; Othon, seigneur de Grave et de Zelem, 179, 199, 244, 256, 349, 360, 364

D

Damiano, famille, 61 Daniels (Daneels), Jean, 219-220, 223-225, 305 Deati, famille et société de prêt, 206, 225, 230, 269, 310, 320, 368; Alberto, 206; Gandolfo, 144; Leone, 206, 230, 244, 273, 299, 308, 311, 320, 326-327, 332, 334, 337, 354, 368, 374; Oberto, 206, 312 Deinze (de), Jakemon, 85, 90-91, 101, 135 Del Bene, famille et compagnie, 163, 242, 337, 339

457

Usuriers publics et banquiers du Prince

Diest, lignage, 380; seigneur de; Gérard, 228, 241, 244, 265, 309, 331, 358-359 Dossemer, seigneur de; Guillaume de Mortagne, 40, 149, 152, 182 Drumpt (de), Jean, 212, 214, 227 Duvenvoorde (de), Guillaume, seigneur ­d’Oosterhout, 203, 345-346, 353, 365-367, 382 Dynther (de), Thierry, 209, 211, 214-215, 227

E

Eggloy, Renier, 28, 281, 333 Espierres, seigneur de; Roger de Mortagne, 69, 83-84, 89 Esselen, Louis, 208, 217

F

Farciennes, seigneur de; Henri de Walcourt, 218, 224 Fauquemont, lignage, 185, 345; seigneur de; Renaud, 189, 199, 306; Waleran, seigneur de Montjoie, 114, 152, 179, 184-189, 282, 284 Ferracani, Jean, 314 Ficerio, famille, 369 Fini, Tommaso, 108, 189, 242, 244 Flandre, comte de; Guy de Dampierre, 34-35, 60, 68-69, 85, 87, 90-91, 100-101, 113, 115, 121-122, 124-125, 135, 146-149, 152, 174, 185, 239, 350; Louis de Nevers, 199, 207, 262, 300, 340, 342, 348-350, 357-358, 360, 364; Philippe d’Alsace, 18, 21; Robert de Béthune, comte de Nevers, 108, 292, 339, 341, 348; comtesse de, Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Namur, 63; Marguerite de Constantinople (de Flandre), 35, 63, 79, 82, 90, 113; Marguerite de Flandre, 262, 349 Frassinnello (famille), 100; Giovanni, 100 Frenario, famille, 368; Aubertino (Aubertin), 369; Martino, 206-207, 216, 221, 314, 336 Frescobaldi, famille et compagnie, 128, 131-133, 135-137, 140-141, 144-145; Amerigo, 136

G

Gallerani, famille et compagnie, 163, 241-242, 244, 296, 321 Garretti , famille, 61, 137, 206; Garvagnino, 314; Giacomino, 63, 90; Giacomo, 206, 317, 363; Giorgio, 116, 249; Manfredo, 63, 90; Manuele, 63, 90; Muncio, 265; Opecino, 144-145

458

Gavre-Liedekerke(de), lignage, 217-218; ­Marguerite, 218, 299; Rasse XI, seigneur de Breda, 82, 104, 217, 241; Rasse XII, ­seigneur de Breda, 218, 299 Giessen, lignage, 193; seigneur de; Arnould, 190; Fastré, 193, 195 Goddijn, Jean, 208, 217 Godenoy, Henri, 30, 121 Gormeti, Giacomo, 314 Gorzano (de), Piero di Jacoppo, 242, 296, 321 Grandson (de), Othon, 134, 158 Grasverdo, Guglielmo, 271; Opecino, 176, 181 Gualterotti, Conte, 207, 285, 339-341 Guardeta (de), Leonardo, 273 Gueldre, comte de; Renaud Ier, 45, 100-101, 147, 152, 174, 181, 185, 193, 195, 244, 263, 267; Renaud II, 191, 202, 310, 316, 353, 357, 361, 363; comtesse de; Sophie Berthout, 191, 202, 214, 263 Gueldre (de), Renaud (futur Renaud II), 191, 263 Guidi de Franzesi (de), famille et compagnie, 232, 339, 347; Albizzo (Biche), 91, 231; ­Champoulin, 90; Musciato (Mouche), 91, 231; Tote, 135 Guttuari de Castello, famille, 137, 352; Giovanni, 230; Guttuario, 161

H

Hack de Tule, lignage, 193, 195; Gislebert, 193, 195; Pierre, 193, 195; Rodolphe, 193 Haghene, 307, 332 Hainaut-Hollande et Zélande, comte de; Guillaume Ier (Guillaume III comme comte de Hollande et de Zélande), 202-203, 206-207, 257-258, 261, 291, 298, 344-346, 349, 363, 365-366; Guillaume II (Guillaume IV comme comte de Hollande et de Zélande), 207, 367; Jean Ier dit d’Avesnes ( Jean II comme comte de Hollande et de Zélande), 27, 152, 156, 191; comtesse de; Jeanne de Valois, 206, 363 Hainaut (de), Guillaume, futur Guillaume II, comte de Hainaut (Guillaume IV comme comte de Hollande et de Zélande), 199, 345, 360 Hardefust, Johan, 181 Haren (de), Guillaume, 212, 214, 227 Heinsberg, seigneur de; Godefroid, seigneur de Blankenberg, 199, 258, 298, 362 Hellebeek (de), Jean, 218, 360 Henri le Juif, 279, 283 Herlaar (de), lignage, 193, 197, 232; Aleyde, dame de Herlaar, 232; Guillaume, 232-233, 248

Index des noms de personnes

Heusden (de), lignage, 190, 192, 194, 201, 203-204, 213-214; Sophie, 190-191, 202-203; seigneur de, Jean III, 183, 191, 201-202, 208, 213, 308; Jean IV, 190-192, 202; Jean V, 202, 204-211, 213-219, 221-222, 224, 227, 229, 248, 263, 314, 315, 325 Heusden (de), Jean, futur Jean V, 202-203 Hildeger (Hildegher), Henri (Heinrich) dit Birklin, 44-47, 51, 182, 184; Bliza, son épouse, 45, 184 Hofstade (de), Gérard, 307, 328-330 Hollande, comte de; Florent V, 28, 101, 105, 107, 191 Hondeloze, Guillaume, 32-33 Hoogstraaten, seigneur de; Jean III de Cuyck, 218 Hornes (de), lignage, 190-193, 197, 201, 203, 227, 352; seigneur de; Gérard, seigneur d’Altena, de Herlaar et de Perwez, 191, 193, 196-199, 201-204, 212, 214-215, 245, 350, 352353; Guillaume II, seigneur d’Altena, 86, 190-191, 197, 203; Guillaume IV, seigneur d’Altena, 196 Houthem (de), Arnould, 252, 328; Bauduin, 218, 263, 328-330, 333

I

Immersele (d’), Jean, 218 Isnardi, famille, 242, 352

J

Janiani, Giacomo, 135; Taldo, 131-133, 135-137, 153, 396, 398 Jiaffa (de), Alexandre, 159; Bartolomeo, 144 Juliers, comte de; Gérard, 145, 147-149, 152, 183, 187, 199, 257 Juliers (de), Guillaume, prévôt du chapitre SaintServais de Maastricht, 148-149, 180

K

Kerman, Guillaume, 314, 356 Kraainem, seigneur de; Arnould, 205, 216-218, 224 Kranendonk (de), lignage, 214, 227; Guillaume, 208, 213-214, 218, 263-264 Kwabeek-Wezemaal (de), Godefroid, 218

L

Lancaster (de); Henri, 119-120, 129; Thomas, 119-120, 129 Langevoet, Aleyde (Alice), 143, 155; Catherine, 37, 143; Guillaume, 37, 142-143, 153-155, 259; Henri, 143; Jean, 143

Langton (de), Gauthier, évêque de Chester, de Coventry et de Lichfield, 123, 133-134, 137, 140, 142, 144, 146, 149, 156, 167, 232 Lapide (Van den Steen), Nicolas, 17, 42, 96 Layolo, famille et société de prêt, 83-84, 90, 158, 352; Emmanuele, 79; Giacomo, 66, 75, 79, 378; Huberto, 79, 82-83, 177 Leefdael (de), Roger, seigneur d’Oirschot et ­châtelain de Bruxelles, 191, 244, 256-257, 261-263, 287, 299, 308-309, 331, 336, 349, 355-356, 358, 365, 380 Léonie l’apothicaire, 273, 309, 313, 316-317 Lesele (de), Henri, 106, 270 Liège, évêque de; Adolphe de la Marck, 357-358; Hugues de Chalon, 146, 160; Jean ­d’Enghien, 97 Lierde (de), Isabelle, dame de Sommergem, 199, 202, 243, 255, 342-343 Lombard (le), Gilles, 192; Henri, 295 Loon (de), Gérard, seigneur de Herlaar, 193, 203, 232 Lorenzi, famille, 272; Bochino dit Stefano, 338 Lose, Gilles, 30; Godefroid, 233, 333, 335; Guillaume, 35, 233, 245; Henri, 246; Jean, 35, 42, 98; Thierry, 35, 153, 207, 232-233, 240, 244-247, 260, 265, 335 Luxembourg, comte de; Henri, roi des romains puis empereur sous le nom de Henri VII, 2, 115, 124, 192, 238, 246, 315, 392; Jean, roi de Bohême et de Pologne, 357 Lysscep, Jean, 215

M

Macaluffo, famille, 191; Renero, 191 Madea, Bartolomeo, 274 Malabaila, famille et banque, 312, 315-316, 376; Giacomo, 271, 315; Guidetto, 315 Mancinella, famille, 230, 369 Manton(de), Ralph, 153 Marck, comte de la; Everard, 45, 148, 152 Marck (de la), Mathilde, 214, 275, 290, 297, 299, 317 Marigny (de), Enguerran, 135, 232 Marrono, Pagano, 136; Vivaldino, 132-133, 136, 153, 396, 398 Medici (de); famille, 225-226; Francesco, 226 Megen (de), lignage, 227; seigneur de; Jean, 207, 213-216, 224, 247, 325, 356 Megen (de), Gérard, 212, 214-215, 227 Meldert (de), Jean 365-366; Ywain, 86, 102 Mercadillo (de), Oddino, 343

459

Usuriers publics et banquiers du Prince

Mercato (de), famille et société de prêt, 68, 89-90, 104, 114-116, 132, 136, 138, 150, 153-154, 157-158, 163-164, 167, 172-173, 177, 216, 225, 239, 242-243, 249, 261, 263, 269, 273-274, 279, 298, 300, 311, 319-320, 333, 335-336, 340, 359, 368; Andrea dit le ­Lombard, 84, 133, 136, 150, 153, 327, 335, 398; Enrico, alias Henri (le) Lombard, 68, 84, 89-90, 94, 109, 115-116, 118, 120-121, 123, 133, 137, 139, 142145, 148, 150-151, 153-154, 159, 166-167, 206, 231-233, 236-237, 239-244, 246-251, 253-256, 258-260, 262-263, 265-266, 271, 274, 288, 295, 304, 311-312, 321, 325-328, 331, 335-336, 340, 354, 361, 372, 374, 378-381, 393, 397-398; Enrico (fils d’Enrico), 151, 206, 325, 336; Giacomo alias Jacques de Bruxelles ou Jacques (le) Lombard, 115, 133, 136, 153, 159, 236-237, 239, 242-244, 263, 273, 300, 337, 398; Godefrido de Lovannio alias de Mercato, 94, 116-117, 242, 249, 258, 327, 340; Guglielmo, 68, 89, 340; Olivero, 115, 164, 243, 336; Pietro (Perrino/Petrino), 115, 239, 242, 337; Uberto, 115-116, 132-133, 136, 153, 159, 239, 249, 398 Mignano, famille, 270, 332; Gallone, 332; ­Tommaso, 332-333, 335 Milan(de), Pierre, 183, 303 Milano, famille, 225 Mirabello (de), famille et société de prêt, 7, 12, 90, 138, 181, 192-193, 195, 197-201, 205-206, 215-216, 219, 222, 224, 229-230, 242-243, 246, 250-251, 254, 257, 265-266, 269, 285, 288, 293, 299, 301, 304, 306-307, 311, 329, 333, 339-341-343, 348, 351-354, 359, 360, 364-368, 375-376, 380, 391; Bonifacio dit Fassijn, 192; Catherine, 342; Claire, dame de Sint-Jan Steen, 342, 351; Colino (Nicolo), 192, 242, 249, 374; Enrico, 192, 242; Franco (Francon), 224, 226, 243, 273, 299, 302, 346, 351, 356-357, 360; Hugo, 331; Isabelle, 243, 299, 302, 341-342, 351; Jean de Halen alias Giovanni, 4, 6, 12, 104, 116, 192-194, 198-199, 201-202, 204, 206-207, 209, 214-218, 220-222, 224, 226, 228-230; 232, 236, 239-244, 246-247, 249-251, 254-256, 258-261, 263, 265-266, 271, 283-294, 299-300, 302, 306-307, 311, 313-314, 326-333, 336, 338-352, 354-361, 364, 366, 368, 373-374, 377, 379-382, 393; Leone, 214, 219, 229, 313, 343, 368; ­Manfredo, 206-207, 242, 250-251, 266,

460

342; Pietro (frère de Giovanni), 331, 342, 368; Pietro (fils de Pietro), 287, 299-300; Simone (frère de Giovanni), 192, 194, 242, 255, 338, 340, 342; Simone (fils de ­Giovanni), 6, 199, 202, 204, 206, 215, 217, 224, 226, 229, 237, 242-243, 287, 299-300, 302, 313, 331, 341-343, 349-352, 356-360, 366-368, 377; Simone (petit-fils de ­Giovanni), 224, 250; Zwane, 342 Monaco, famille, 61; Giacomo, 221, 271, 312 Monesilio, famille, 225 Montefalcone (de), famille, 88; Centurione, 88 Montemagno (de) alias de Broglio, famille et société de prêt, 61, 205, 222, 230, 269, 270, 273, 299-300, 310- 312, 314, 316, 337, 367-368, 376; Andrea, 310; Angelo, 313; Gabriele, 206-207, 213, 299-300, 310, 312-316, 363, 366, 368, 374-376; Galvagno, 285, 287, 293, 298, 310; Giovanni, 206, 216; Guido, 313; Obertino (Aubertin, Aubertino), 222, 228, 230, 243, 283-285, 287, 291, 294, 298299, 307-308, 310, 326, 328-329, 332, 345, 363, 365; Percivalle, 206, 310; Riccardo, 206, 209-310; Tommaso, 206 Morelli, famille, 368 Mortagne (de), lignage, 69-70, 83, 104, 109, 186, 382; Marie, 81; seigneur de; Arnould, ­châtelain de Tournai, 69, 76, 83; Jean, ­châtelain de Tournai, 69, 83-84

N

Namur, comte de; Jean Ier, 241, 266-267 Nassau (de), Adolphe, roi des Romains et empereur, 124, 135, 145, 159, 186-187; Jutta, 135, 187 Nevele, lignage, 69; seigneur de; Elisabeth, 69; Everard-Raoul de Mortagne, châtelain de Courtrai, 70, 83-84; Gauthier, châtelain de Courtrai et seigneur de Warcoing, 82-84, 115, 177 Nieuwland (de), lignage, 195, 250; Anselme, 195; Guillaume, 194-195; Henri, 195; Jean, 195 Nova Villa (Novavilla) (de), Guillaume, 128, 130-131, 153, 396

O

Onesti, famille et compagnie, 116, 241, 312, 380; Colus Coluche (Coluccio), 314; Dino, 116, 241, 314; Gettucio, 241, 314 Oss (d’), Alard, 249, 364; Herman, 349, 365-366 Ottino, famille, 310; Gandolfino, 68, 89 Oudenghem (d’), Arnould (senior), 308, 331 Arnould (junior), 313, 316-317

Index des noms de personnes

P

Pali, famille, 368 Pape, Clément V, 116, 239, 241, 307, 319, 322-323; Jean XXII, 6, 188, 219, 221, 223, 271, 314-315, 322, 326, 329, 331, 334, 351, 379 Papsac, Antoine, dit Thonis Wisselere ou Antoine le changeur, 280-281, 298, 362-364, 367; Jean, 132-133, 137-138, 143, 153-155, 259-260, 398-399 Peckham, John de, archevêque de Canterbury, 49-50, 98-99, 235 Pede (de), Daniel, 205, 216-218, 224, 336 Pegolotti, Balduccio, 24, 83, 133, 242, 377 Peila, famille, 332-333; Bayamondo (Raimondo), 333; Daniele, 332; Viviano, 114 Pelletta; famille, 230, 321 Peruzzi, famille et compagnie, 242, 313-314, 339, 341, 347, 362, 377, 384; Donato, 341 Pillosi, Antonio, 314 Pipenpoy, Rodolphe, 210, 256, 325 Polastri, Galvagno (Galvanno), 221, 271 Ponte (de), famille, 310, 363 Ponzio (de), Galvagno ( Jalvens), 305 Porta della (de), famille, 100, 320; Gerardo, 100, 320; Giovanni, 320-321, 348, 354-355 Prochiaen, Henri, 17, 35, 96, 120 Pulsavino, famille, 219; Huberto, 348

Q

Quaranta, famille, 164; Gianni (Giovanni), 164, 340 Quart (de), Aymon, 160 Quartermartt, Heinrich, 182-184; Johann, 184

R

Rabbia, famille, 61 Raduard, Francon, 284, 331; Jean, 263, 330-331 Rapa, famille, 61 Rapondi, famille et compagnie, 86, 231 Rastello, Andrea, 176, 181 Relenghes (de), Jean, 305, 347 Riccardi, famille et compagnie, 93, 107, 128, 131 Richom, famille, 368 Rickier, Jean, 282, 314 Ripa, Manfredo, 333 Riva (de Rupe) (di), famille, 368 Rocca (de Rupe) (della), famille, 183, 206, 269-270, 273, 292, 303, 308, 310, 316, 321, 368, 376; Alberto, 183; Bartolomeo, 206, 310, 314, 363; Bonino, 275, 300; Dionigio, 206, 262, 264, 275, 297, 316, 345, 363, 379; Enrico,

176-177, 183; Giacomo, 310, 363; Giorgio, 274-275, 304; Opecino (Opicio), 176-177, 180, 264; Tommaso, 183 Roero, famille et société de prêt, 7, 63, 68-69, 74-75, 83-84, 89-90, 104, 107, 109, 114, 130, 138, 150, 158, 163-164, 167, 172-173, 175-182, 184, 186-188, 192-193, 195, 201, 216, 222, 225, 227, 230, 237, 239, 242-243, 249, 252, 257, 261, 269, 273, 279, 285, 290, 298, 301, 304, 310-311, 316, 319-320, 333, 337, 339-340, 347, 352, 359, 368, 372-373, 375-376, 378, 391; Abertino, 258; ­Albertino (Obertino), 243; Alessandro, 177; Andrea, 65; Anechino, 180, 343; Antonio, 86, 114-116, 176-177, 181, 188, 239, 243, 337, 339; Benedetto (Benentino), 6, 65, 176-177, 183, 187-188, 192, 197-199, 201, 206, 219, 221-222, 239, 243, 246, 255, 272, 292, 301, 303-304, 311, 315, 326-327, 331, 334, 337-339, 343, 347-348, 354, 359, 368, 374, 377, 379; Berardo, 68, 79, 82, 84, 86, 89, 115-116, 176-177, 183, 195, 239, 243, 328, 347, 372; Bernardo, 87-88, 222, 317, 328-329, 331, 345, 368; Callile, 68; Daniele, 177, 337, 339; Domani, 316; Dunioto, 177; Emanuele, 79; Enrico, 82-83, 86, 114, 118, 177, 337; Fiore, 68, 79, 84; Francesco, 343; Gavandino (Galvagno), 114, 116, 180, 184, 188-189, 243, 249; Gerardo, 206-207, 216, 336; Giacomo, 68; Giorgio, 68, 79, 82, 84, 86, 109, 114, 176, 177, 180, 188, 195, 198; Giovanni, 63, 114, 116, 188-189, 348; Huberto, 79, 116, 188, 225, 337, 339-340; Manfredo, 177; Manuele, 63, 116-117, 249; Martino, 176-177, 183, 243, 303; Michele, 177; Nicolo, 316; Oberto (Auberto), 114, 189; Odoardo, 65; Percivalle, 63, 86, 176, 180, 188, 337; Perrino, 337; Pietro, 65, 176-177, 185-186, 188, 258; Poirino, 185, 188, 190; Rainerio, 68, 79, 84, 86, 89, 114-116, 176-177, 187-188, 239, 340, 347; ­Ruffinetto, 114, 189; Simone, 84, 116, 177; Tommaso, 188, 315; Uberto (Uberteto), 65, 114, 337 Romano, famille, 61 Rombout, Jean, dit de Lierre, 301, 305-306 Rover, Thierry (senior), 208, 224; Thierry (junior), 208, 225 Russel, Elias, 134, 140, 153, 397 Ryckel (de), Guillaume, abbé de Saint-Trond, 38-40, 52, 56, 62

461

Usuriers publics et banquiers du Prince

S

Saffenberg (de), Jean, 203, 323 Saliceto, famille, 226 Salimbeni, famille et compagnie, 101 Sarijs (soeurs), Aleyde et Ode, 138, 324, 399 Sarraco, famille, 61 Sartiaus, Jean ( Jehan), 76-77 Savoie, comte de; Amédée V, 98, 155-156, 158, 160-162, 168, 375; comtesse de, Marie de Brabant, 158, 160-163, 375 Scarampi, famille, 61, 161-162, 164, 269; Enrico, 164; Filippo, 161-162; Giovanni, 161, 164 Sconejans (Schonejans), Henri, 243, 294 Segre (de), Robert, 134, 153, 397 Ser Daenkens, Henri, 290, 306 Serra (de), famille, 61 Slabbart, Henri, 299, 304, 362 Solaro (de), famille et société de prêt, 61, 69, 74-76, 79, 161, 168, 186, 225, 227, 230, 239, 333; Auberto, 68, 76; Baldovino, 239; Engeranno, 343; Francescotto dit Cavagnolo, 333; Giacomo, 69, 71-73; Giordano, 69, 72, 79; Giovanni, 63; Jordano, 222, 328-329; Lanfranc, 161; Ponzio, 270; Tommaso, 68, 76; Uberto, 72-73 Spina (de), Truffino, 269-270 Surdo (Surdero), Opecino, 206-207, 272 Sylvano, Guglielmo, 253

T

Tavani, Giovanni, 161, 163 Taye, Gislebert, 121, 245; Henri, 121, 123, 142-144, 153-154, 335 Testa, Salvano, 106 Thiloi ou Thiloy (Zeguwale?) ou Thiloy de Bruxelles, 33-35 Torelli, Giovanni, 337 Trana (de), Bertolino, 114, 184, 188 Trippin, Jean, dit de Louvain, 219-220, 223-226, 305, 359 Trosello, famille, 138; Vincente alias Pierre d’Aix-laChapelle, 114, 161-162, 180, 184, 188, 249 Troya, famille, 178; Tristano, 178, 180 Tserclaes, Everard, 216, 336; Jean, 216 Turco (Turchi) de Castello, famille, 272, 310, 323, 338, 344, 352; Giacomo, 344, 369; Guglielmo, 63, 107, 344; Olivero, 338; Palmerio, 338; Rolando, seigneur de ­Bermerain, 323, 344

462

U

Uitwijk (d’), lignage, 193, 212; Arnould, seigneur de Waardhuizen, 193-194

V

Vacca, famille, 229-230, 345, 368, 376; Enrico, 301; Gandolfo, 192, 229-230, 345; Guglielmo (père de Gandolfo), 229-230; Guglielmo, 368 Vaernewijck (de), Yvain, 342-343, 349 Valfenera (Valfenaria) (de), famille, 61, 206; Ivain, 271, 315; Ruffino, 205-207, 213, 216, 221, 224, 315, 336 Van Belleghem, Jean, 281, 336 Van Boendale, Jean, 223, 355-356, 361, 364, 366, 374 Van de Calcovene, Jean, 275, 294 Van den Berg, Guillaume, 142-144, 153 Van den Bogaerde, Arnould, 285-286, 288, 360 Van den Bossche (de Bois-le-Duc), Gerlac, 208, 248, 250 Van den Elshout, Jean, châtelain de Heusden, 202-204, 215 Van den Hane, Jean, 216, 223, 280-281, 283, 306, 309, 332 Van den Vliete, Avezoete, 279, 284 Van der Aa, Gérard, 209, 212-215, 224, 227, 248-249 Van der Borch (de Castro), Léon, dit de Woluwé, 240, 249, 354-355, 364 Van der Calsteren, Jean, 313-314 Van der Heiden, Gauthier, 213, 224 Van Scollant, Henri, 279, 283 Vederman, Amaury (senior), 150-151, 336; Amaury (junior), 150, 361; Gerelm, 150, 333; Henri, 147-148, 150-151, 153, 216, 335, 378; Jean, 150-151 Vegleti, famille, 161; Guglielmo, 161; Leone, 161 Velluti, famille et compagnie, 131, 136; Donato, 130, 136 Ventura (de), Giovanni, alias Jean de Florence, 308-309, 345, 365 Ventura, Guglielmo, 161, 230, 326, 348 Vertrijk (de), Jean, 251, 327 Viallo (de), Facino, 266; Giovanni, 266; Manfredo, 233, 253, 258, 266-267, 380 Vianen, seigneur de (Viane); Gérard, seigneur de Grimbergen, 216-218

Index des noms de personnes

Villa (de), famille, 368; Adrien, 368; Pierre, 368 Villani, Baldovino, 270; Giacomo, 270 Vinke, Jean, 147-148, 151, 153, 155, 207, 233, 240, 244-245, 324, 336, 378 Vinsbeke (de), Jean, 305 Vissenbard, Jacob, 283, 285 Volkaert (Volcart), Gauthier, 17, 55, 86, 94, 99, 102, 154, 190, 207, 319 Von der Aducht, Heinrich, 181

W

Waerloes (de), Jean, dit de Diest, 205, 219-220, 222-224, 284, 305-307, 328

Wezemaal (de), lignage, 99; Gérard, 199, 241; seigneur de, Arnould, 199, 359; Guillaume Ier, 199 Woluwé (de), Jean, dit de Castro (van der Borch), 240, 247

Y

Yssche (d’), Arnould dit le Brun ou Lombard, 100, 128-133, 136, 139, 153, 166, 236, 240, 259-260, 285, 380, 383, 396

Z

Zaventem (du pont de/de), Henri (senior), 285, 363; Henri (junior), 363

463

Index des noms de lieux

A

Aardenburg (Ardembourg), 67-68, 87-88, 90, 109, 328 · Aarschot, 2, 38, 250 Aix-la-Chapelle, 31, 36, 38, 114, 129-130, 175, 179-181, 186, 188-189, 243, 310, 363 Alost, 82, 100, 103-104, 106, 114, 116, 164, 242, 253, 303, 338, 340, 343, 357, 376 Andernach, 180, 183 Annone, 229-230 Antoing, 67-68, 73, 89-90, 242 Anvers, 2, 4-5, 16-17, 23-24, 26-27, 38, 40-41, 86, 92-93, 95, 99, 102, 107, 117-118, 122, 127-128, 139-140, 142, 144, 153, 167, 223, 236, 238, 241-242, 247, 253, 255, 259-262, 264-265, 269, 278, 283, 285-286, 288, 290, 306, 309, 314, 325, 339, 341, 348-349, 355, 364, 366-367, 374, 377, 384, 397 Arras, 20, 49, 63-64, 76, 91 Asse, 94, 99-100, 102-103, 114 Asti, 1, 4, 11, 17, 61-62, 68-70, 82, 85-86, 89, 103, 106, 108, 124, 131, 136, 138, 144, 146, 153, 156-162, 166, 168, 173-174, 177-178, 180, 181, 184, 200, 226-230, 237, 239-242, 253, 264-266, 303, 306, 312-313, 315, 319-323, 326, 333, 338, 346, 352-353, 363-365, 367, 369, 371-372, 375-376, 382-383, 385, 401 Ath, 346 Audenaarde (Pamele), 63, 67, 73, 83, 88-90, 104, 242 Avignon, 255, 267, 271, 299-301, 306, 312, 315-316, 331, 375-376, 379

B

Bar-sur-Aube, 61, 306 Bergen-op-Zoom, 2, 122, 261 Binche, 344-346 Bladel, 193 Bois-le-Duc, 3, 16-17, 27, 29, 38, 40-41, 47-48, 56-57, 86, 94-95, 100-102, 105, 107-108, 117-118, 135, 159, 173-174, 181-182, 189-196, 199-201, 204, 205-209, 211-215, 217, 219-222, 224-227, 229-231, 238-239,

464

242, 247-250, 261-262, 264, 269, 286, 293, 303, 305, 312, 314, 328, 364, 367, 371, 374, 376-379, 381, 384 Bonn, 6, 65, 175-176, 178-179, 183, 243, 303, 376 Borgloon, 38, 179, 188 Boston, 119-122, 125, 128-129, 132-133, 135, 138, 163, 265, 312, 396 Bouchain, 310 Boxtel, 247-248, 261 Breda, 2, 104, 217-218, 346 Bruges, 2, 4, 16, 34, 60, 63, 65, 67-68, 75, 77, 87-88, 90-91, 101, 107, 115, 123, 133, 136, 149, 242, 255, 265, 275, 282, 304-307, 309, 312-313, 317, 348, 364, 368, 373-374, 377, 384 Bruxelles, 4, 11-12, 16-30, 32-33, 38, 41-44, 46-52, 54, 56-57, 59, 67, 75, 86, 88, 90, 92-95, 98, 100, 102-103, 105, 107-108, 116-118, 121, 123, 130-131, 133, 136-138, 141-157, 160-164, 166-167, 173, 176-177, 185, 189, 195, 198-199, 202-203, 205-208, 211, 213, 216-217, 220-224, 226, 231-233, 235-238, 240-243, 245, 247-248, 250, 254-255, 257-260, 264-266, 269-271, 273, 277, 279-285, 287- 288, 298, 300, 304-305, 307, 309, 312, 314-315, 320-326, 328, 330-336, 339-341, 343, 347, 350, 356-357, 359-368, 371-374, 376-379, 381, 396-398

C

Cambrai, 63, 67, 292, 307 Canterbury, 22, 310 Cateau-Cambrésis (le), 310, 344 Chalon-sur-Saône, 62, 106 Chambéry, 160-161 Chieri, 4, 226, 228, 266, 303, 368, 401 Cologne, 23-25, 27-29, 42-47, 50-51, 103, 114, 127, 134, 147, 174-186, 188-189, 196, 200, 203, 243, 246, 310, 323, 376-378 Compiègne, 160, 306 Corroy-le-Grand, 373 Courtrai, 6, 63, 69, 82-86, 103, 109, 114-115, 118, 164, 176-177, 187, 321, 373 Cuvele, 290-291

Index des noms de lieux

D

Diest, 2, 4, 38, 62, 105, 142, 222, 228-230, 250, 260, 265-266, 305, 330 Dinther, 209 Dordrecht, 101, 105, 134-135, 156, 159, 185, 201, 298, 365, 367, 376 Douai, 20, 39, 62-64, 66, 76, 86, 160, 234, 341

E

Eindhoven, 164, 248 Esch, 247-248

F

Florence, 16, 36, 47, 68, 106, 137, 140, 145, 153, 223, 242, 308, 384 Fribourg, 200, 226, 306 Furnes, 63, 68, 88

G

Gand, 16, 32, 52, 60, 63, 65-67, 71, 84, 90-91, 103, 116, 123, 129, 136, 149, 160, 186, 193, 206, 219, 229, 242-243, 255, 269, 272, 281, 285, 290-292, 304, 320-321, 327, 337-343, 348-350, 352-353, 356-358 Geetruidenberg, 209, 257, 346 Geffen, 195, 250 Gembloux, 94-96, 102-103 Genappe, 27, 47, 94-95, 102-103, 114, 238 Gênes, 18, 25, 40, 61-62, 66, 68, 75, 106, 161, 264-265, 284, 303, 309 Gorinchem, 181, 190, 196 Grammont, 68, 90-91, 104, 114, 217, 242 Grave, 134-135, 153, 185, 201 ‘s-Gravenzande, 346 Great Yarmouth (Yarmouth), 120, 128, 132, 166 Grez, 19, 27, 239, 258, 346, 373

H

Haacht, 307-308 Halen (Haelen), 114, 116-117, 138, 229, 232, 236, 239, 242, 250-251, 254-255, 258, 330, 358 Heesch, 204, 250, 359 Helvoirt, 247-248 Herentals, 94-95, 100, 114, 116-117, 229, 232, 242, 249-250, 254, 316, 320-321 Herlaar, 193, 247-248 Heusden, 190, 192-193, 201-204, 209-215, 219-220, 229, 248, 257, 308, 359 Hilvarenbeek, 116-117 Hull, 120, 125, 136

Hulst, 67-68, 88 Huy, 63, 144-146

I

Ivrea (Ivrée), 62, 162

J

Jodoigne, 17, 47, 51, 94-95, 102-103, 117, 274, 357

K

Kempen, 176 Kornelimünster, 31

L

La Haye, 101, 376 Lagny-sur-Marne, 61, 66, 77, 106, 306, 309 Le Quesnoy, 304, 345 Léau, 17, 22-23, 38-40, 47, 53, 55-57, 62, 95, 99, 102, 108, 117-118, 217, 235, 238-239, 250, 258, 320 Leeuw Saint-Pierre, 246 Leiden, 346, 367 Liège, 27, 38-39, 53, 56, 58, 144-146, 149, 188, 223, 225, 313, 323, 330, 379 Lierre, 99, 236-238, 243-244, 250, 251, 262-263, 329, 359 Lille, 44, 63, 67, 77, 81, 84, 145, 148, 306, 341 Londres, 24, 27, 29, 41, 62, 66, 87, 107, 121, 124, 128, 131-132, 140, 144, 153, 160, 163, 166, 242, 277, 310, 377, 396, 397 Looz, 188 Louvain, 4, 11, 16, 19, 21-23, 26-28, 32, 40, 43, 47, 49-55, 59, 75, 82, 86-87, 92-95, 99, 102-105, 108, 114, 117-118, 130, 134, 139, 142, 144, 153, 156-158, 162-164, 167, 190, 198-199, 223, 225, 230, 235, 238-239, 242, 244, 250-251, 254, 258, 260, 262-263, 269, 271, 273-274, 277, 280-282, 285, 287-288, 299-301, 304, 307-309, 311-312, 314, 320-321, 324-328, 330-332, 334, 337, 340, 354, 363, 364, 367, 372, 374, 377-379, 381, 384, 395 Lübeck, 134, 196

M

Maastricht, 2, 17, 23, 38, 45, 59, 86, 114, 146, 174-180, 184-189, 195, 239, 252, 257-258, 277, 377-378 Malines, 4, 11, 17, 22, 37-38, 41-42, 47, 54, 65, 103, 106-107, 122, 134, 142, 155-156, 160,

465

Usuriers publics et banquiers du Prince

164, 187, 189, 191, 198, 201-203, 205-207, 213, 216-219, 222-223, 226, 228-230, 236, 241-246, 252-255, 257, 260-265, 269-293, 295, 297-314, 316-317, 320-322, 326, 328-334, 336-346, 348-349, 354-355, 358, 360, 363, 365-367, 373-379, 383-384, 394 Marly, 346 Maubeuge, 272, 338, 344-346 Merchtem, 32, 94, 102-103, 114-115, 243, 334, 336, 373 Messines, 67 Middelburg, 138, 346 Mierlo, 199, 218, 249 Milan, 40, 47 Molenbeek, 19, 28, 155 Mons, 63, 90, 103, 249, 282, 304, 306, 310, 323, 344-345, 366 Montenaken, 179, 188 Monteu, 177, 321

N

Namur, 90, 103, 266, 280, 332 Nimègue, 310, 363 Nîmes, 106, 270 Nivelles, 4, 26, 29, 54, 65, 86, 94-98, 102-104, 114, 117, 172, 209, 246, 250, 374, 376 Nuland, 195, 214, 247, 250, 356

O

Oirschot, 247, 261 Oisterwijk, 17, 248, 282, 308 Oss, 204, 261 Oudenburg, 91 Oudewater, 346 Overijse, 86, 94-95, 99, 114, 116, 130, 153, 236, 240, 337

P

Paris, 16, 32-33, 54-55, 58, 62, 72, 84, 98, 140, 152-153, 160-163, 187, 221, 234, 253, 283, 299, 306, 310, 340, 350, 363 Perwez, 350-351 Poperinghe, 63 Provins, 39, 42, 61-62, 160, 304, 306

Q

Quarto, 159, 229, 352-353

466

R

Reims, 63, 304, 307 Ribaucourt, 291-292 Rome, 39-40, 58, 106, 156, 161, 238, 242, 315 Rosmalen, 195, 214, 247, 250, 356 Rouen, 337 Rumst, 373 Rupelmonde, 53, 71, 103, 348

S

Saintes, 65, 345 Saint-Omer, 63, 264, 312 Saint-Quentin, 18, 20-21, 63 Saint-Trond, 17, 23, 38, 56, 114, 178-179, 187-188, 190, 323 Salins, 312 Schaerbeek, 154, 336 Sienne, 36, 58, 101, 106, 116, 161, 401 Sint-Oedenrode, 212, 247 Soignies, 272, 338 Stanford, 140, 153 Strasbourg, 24, 56, 149, 310 Syberg, 179

T

Termonde, 52, 67, 103, 114-116, 189, 229, 291, 299, 313, 343, 368, 376 Tilburg, 247-248 Tirlemont, 47, 51, 53, 95, 99, 102, 104, 117-118, 217, 232, 237-239, 243, 250-251, 258, 327, 384 Tournai, 4, 11, 31, 35, 61-74, 76-77, 79-86, 89-90, 107-109, 114, 164, 173, 176, 186, 219, 227-229, 242, 269, 277, 282, 301, 305, 307, 340-341, 346-347, 372-373, 377-378 Troyes, 39, 61, 63, 306 Turin, 62, 159

U

Uitwijk, 193, 212 Utrecht, 39, 194, 197, 235

V

Valenciennes, 27, 63, 67, 70, 89, 107, 126, 202, 205-207, 226, 230, 244, 254, 269, 272, 281, 289-291, 304, 310, 312,

Index des noms de lieux

317, 337-338, 344-346, 363, 367, 376-377, 383 Veghel, 246 Venise, 106, 253, 264-265, 275, 284, 312, 377 Vezoul, 312 Villanova d’Asti, 131 Vilvoorde, 93, 100, 250, 320-321, 330 Vissenaken-Saint-Pierre, 249, 251, 327

W

Walincourt, 114 Warneton, 39, 63, 115 Wavre, 22, 94-95, 103, 130, 373 Weert, 192-193, 197, 199

Wessem, 192-195, 197, 199, 229, 242 Westerlo, 199 Westminster, 119, 127, 131 Woudrichem, 192-193, 195-197, 199, 222, 229, 242

Y

York, 310 Ypres, 16, 21, 29, 32, 44, 61, 63-64, 77, 148, 160, 182

Z

Zétrud-Lumay, 246

467