206 22 37MB
French Pages 243 [244] Year 1995
CANADIANA ROMANICA publics par Hans-Josef Niederehe et Lothar Wolf Volume 10
Andre Magord
UNE MINORITE FRANCOPHONE HORS QUEBEC: LES FRANCO-TERRENEUVIENS
Max Niemeyer Verlag Tübingen 1995
Collection des Theses du Centre d'fitudes Canadiennes de Paris III/ Sorbonne N°2
Die Deutsche Bibliothek - CIP-Einheitsaufnahme Magord, Andre : Une minorite francophone hors Quebec: les Franco-Terreneuviens / Andre Magord - Tübingen : Niemeyer, I995 (Canadiana Romanica; Vol. 10) NE:GT ISBN 3-484-56010-X
ISSN 0933-2421
© Max Niemeyer Verlag GmbH & Co. KG, Tübingen 1995 Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany Druck: Weihert-Druck GmbH, Darmstadt Einband: Hugo Nadele, Nehren
Table des matieres Table des matteres Präface
v IX
Avant-propos
l
Introduction g£n£rale
3
Le peuplement franco-terreneuvien
7
Introduction I - Terre-Neuve: Contextes g£ographique et historique Introduction göographique L'ere precolombienne Les premiers habitants Les premiers Europeans L'histoire officielle de la prisence fransaise ä Terre-Neuve : le cadre historique La colonisation europeenne Le traite" d'Utrecht - Le peuplement franco-terreneuvien Cinq siecles d'histoire Une histoire dans I'Histoire Les premiers pionniers Le XVne siecle Le XVDIe siecle, un peuplement en marge de I'officialit^ "La Grande Liaison" L'6tablissement de communautös francaises en terre ennemie : 1'aboutissement d'une logique Les communaut6s fran$aises de la poninsule de Port-au-Port Pourquoi s'installer ä Terre-Neuve ? Evolution d&nographique Presentation des donnoes L'6tablissement des premieres families L'immigration importante des anndes 1890 Les Evolutions domographiques en chiffres Etude des difforentes origines de la population Listes alphabotiques des patronymes en 1884 et 1921
7 7 7 9 9 9 10 10 11 18 18 18 19 20 24 26 29 32 35 39 39 40 46 49 50 51
VI
Une minoriti francophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Etude des engines des differentes composantes de la population des quatre communaute's franco-terreneuviennes itudi^es : la contribution des families souches Origine des patronymes de la population des quatre communautos franco-terreneuviennes en 1921 Reprosentativite" des diffärentes origines par communautis de 1830 ä 1920
56 58
Formation d'une identity collective chez les Franco-Terreneuviens
61
Introduction I - Approche theorique Introduction theorique de l'ethnicite" Trois cadres idoologiques La Nouvelle Ethnicite" Vers'une approche th€orique synthe'tique du concept d'ethnicite" Une approche psycho-sociologique de l'identitö L'identite": un phonomene paradoxal Definition des outils conceptuels.... Le contexte identitaire structural canadien La population canadienne La problömatique de l'identitö canadienne Le contexte canadien des itudes ethniques - Organisation des communautes et formation du contexte identitaire franco-terreneuvien Les valeurs fondatrices Le cadre structural La vie economique des communaute's franco-terreneuviennes jusqu'en 1940 L'organisation sociale : le Systeme de relations parentales Vie sociale et agencement du travail Le cadre culturel La vie sociale Valeurs spirituelles et morales - Dynamiques fundamentales de l'identit£ collective L'identit6 collective des Franco-Terreneuviens et la notion de solidarit6 La dynamique interne au groupe Le Systeme culturel La mentalite* du groupe Le Systeme cognitif individuel Dynamiques identitaires intra-groupe et inter-groupes Les facteurs d'identification ethnique fondamentaux de Driedger Identification ä un territoire
61 62 62 62 63 64 68 68 68 71 71 73 73
54
76 76 78 78 81 83 87 87 91 94 94 96 96 96 98 101 102 103
Table des matteres
Identification des institutions ethniques Identification une culture ethnique Identification des symboles historiques Identification une ideologic Identification des dirigeants charismatiques La langue ethnique B an
ΥΠ
103 104 104 105 105 106 110
Assimilation et renaissance
ill
Introduction I - Assimilation et persistence Les facteurs d'assimilation Les pr£mices de Γ assimilation L'assimilation structurale Les modifications internes au groupe Les facteurs subjectifs d'assimilation L'assimilation Le bouleversement des structures cognitives L'assimilation linguistique etle bilinguisme Les facteurs de persistance Les cellules ethniques Les causes du phenomene de persistance Evaluation qualitative des evolutions de l'identit Presentation des modeles d'otude Evaluation des facteurs d'identification ethnique fondamentaux Evaluation systomatique des differents types d'adaptation Π - La renaissance Les premiers developpements Les activitos de l'association francophone Une premiere evaluation doublement equivoque La realito dans son contexte Les annees Quatre-vingts ΙΠ - Evaluation de la vitalio de Γίΰεηΐίίέ ethnique franco-terreneuvienne Introduction mothodologique Evaluation th6orique de la renaissance franco-terreneuvienne Evaluation de l'impact du mouvement de renaissance sur 1'identito ethnique franco-terreneuvienne Evolution du cadre structural de l'identiti ethnique Evolution du cadre culturel Nature et vitalite" de l'identiti ethnique franco-terreneuvienne
Ill Ill Ill Ill 113 114 115 116 116 116 118 118 120 122 122 125 127 129 129 131 132 135 136 137 137 140 146 146 150 152
!
Une minoritifrancophone hörs Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Nature et vitalito de l'identite* ethnique subjective Vitalite" des sentiments constitutifs de l'identitö ethnique Vitalite" de l'identito ethnique Vitalite" ethnolinguistique Bilan
152 158 165 170 177
Conclusion
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Annexes Annexe A : «We Three» («Nous trois») Annexe B : Histoire de laprösence fran9aise ä Terre-Neuve Annexe C : La Pr6sence Fran9aise ä Teire-Neuve du XVIe siecle ä aujourd'hui Annexe Cl : Garte des noms de lieux fra^ais ä Terre-Neuve Annexe C2 : Liste non-exhaustive des noms de lieux fransais ä Terre-Neuve Annexe C3 : Liste non-exhaustive des patronymes de personnes ou de families fran9aises otablies de fa^on permanente ä Terre-Neuve du XVIIe siecle ä aujourd'hui Annexe D : L'identite" ethniquefranco-terreneuvienne: questionnaire Annexe E : Organigramme de la Francophonie terreneuvienne Annexe F: Liste des patronymes en 1921 et 1988
189 189 190 192 192 193
196 199 205 206
Bibliographie
210
Plan de la bibliographic: I - Etudes sur Terre-Neuve et les Franco-Terreneuviens A-Livres B - Theses (Ph. D., M.A.) et autres documents non public's C-Articles - Etudes sur le multiculturalisme au Canada A-Livres B-Articles ffl - Etudes sur l'ethniciti A-Livres B-Theses C-Articles IV - Sources officielles
210 210 210 213 215 218 218 220 221 221 224 224 227
Index
229
Table des cartes
232
Table des graphiques et tableaux
233
Preface Le pari pouvait paraitre difficile ä tenir. S'intoresser ä des francophones hors Qu£bec qui comptent pour moins d'l % de la population d'une province qui, elle-meme, ne repr6sente guere plus de 1 % de la population totale du Canada pouvait relever de la gageure. En bon connaisseur de la region e"tudi£e, M. Magord apporte non seulement du nouveau ä notre connaissance de l'histoire des Franco-Terre-Neuviens mais il analyse aussi les craintes et les espoirs d'une minorito que aurait pu croire condamnoe ä disparaitre. L'intöret de la domarche m6thodologique adopted ici est d'avoir priviligie" 1'approche pluridisciplinaire et d'avoir eu recours ä l'histoire, ä la göographie humaine, ä l'ethnologie et ä la sociologie. Apres une premiere partie historique le travail s'appuie sur Fexploitation des r6sultats d'une enquete sur le terrain relevant de I'observation participante. Cette etude restitue avec bonheur le v£cu social cotoyo pendant pres de cinq armies. La perception de la communaute" franco-terre-neuvienne est authentique et originale. Ce regard de I'int6rieur n'exclut pas la roforence aux sources premieres et l'inventaire systomatique de documents oraux de premiere main et de t6moignages souvent inddits ont permis la constitution du "fonds Andre" Magord" maintenant dopose" dans les archives du centre de recherches du professeur Gorald Thomas ä l'Universit6 Memorial ä St Jean de Terre-Neuve. La proble"matique de assimilation se pose avec acuit6 au sein de cette micro-soci6t6 qui marque tous les signes incontestables de la renaissance mais d'une renaissance qu'il faut relativer en la replant dans un contexte de crise iconomique et dans un environnement anglophone dont on sait les capacitis de r€cup6ration et d'assimilation. La these de M. Magord peut surprendre puisqu'elle va ä l'encontre des id6es pr66tablies mais, comme toutes les hypotheses scientifiques, eile est progressivement dimontroe au terme d'un raisonnement mithodique. La rhotorique de persuasion de M. Magord est convaincante, meme si parfois on a le sentiment qu'il s'agit d'un acte de foi. La demarche est en tout cas rigoureuse et authentique. On ne peut done que foliciter 1'auteur pour avoir meng cette itude originale et neuve sur une communauto de francophones hors Qu6bec qui, malgri sa triple minorisation, n'a pas cess6 d'affirmer son existence.
Jean-Michel Lacroix septembre 1994
Awe Franco-Terreneuviens. A Emile Benoit.
Avant-propos Cette ötude de la minoritd franco-terreneuvienne, groupe de population isol£e sur "un bout du monde", n'a e"te rendue possible que grace ä un heureux concours d'aides diverses et tres pre"cieuses. Je tiens tout particulierement ä remercier le Professeur Jean-Michel Lacroix, directeurfondateur du Centre d'Etudes Canadiennes de l'Universite" de Paris , Sorbonne Nouvelle, le Professeur Gerald Thomas, directeur-fondateur du Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes de l'Universite" Memorial de Terre-Neuve, le Professeur Rodrigue Landry, directeur-fondateur du Centre de recherche et de D6veloppement en Education de l'Universito de Moncton et 1'ethnologue M. Michel Valiere. Je souhaite d'autre part exprimer ma reconnaissance ä tous ceux de mes proches qui chacun ä leur fagon m'ont soutenu durant ces annoes de recherche. Je remercie tout particulierement ma compagne qui a accepte" de partager cette longue öpreuve. Nombreux enfin sont ceux qui m'ont apporto leur aide materielle. Je sais ce que je dois aux Amitios Acadiennes, au Conseil G6n6ral de la Vienne, ä "the Institute of Social and Economic Research" ä Terre-Neuve et au gouvernement canadien. Mes demiers remerciements, mais non les moindres, s'adressent aux Franco-Terreneuviens. Leur coopöration a 6t6 illimitee et dosintöressöe et leurs tomoignages riches d'enseignements. Je les remercie du fond du tchoeur.
"Avant d'etre tout le monde, ilfaut etre quelqu'un." Gilles Vigneault
Introduction gen£rale Lorsqu'en 1949 le dominion anglais de Terre-Neuve et du Labrador devient la dixieme province de la confdderation canadienne, peu d'observateurs se doutent qu'une nouvelle minorite francophone vient de s'ajouter ä la francophonie pancanadienne. A cette epoque-lä, plusieurs Franco-Terreneuviens de la cote ouest de l'ile, inquiets pour leur avenir, prennent soin de signaler leur presence par telegramme au premier ministre d'alors, John G. Diefenbaker. Us ne recevront de reponse que vingt ans plus tard lorsque la politique föderale de bilinguisme et de biculturalisme de Pierre Elliott Trudeau viendra soutenir amorce d'un mouvement de renaissance ethnique dans leurs communautos soumises ä une forte assimilation culturelle et linguistique. L'6tude de la minorito francophone de Terre-Neuve s'est imposed ä nous par son originaliti et par I'intiret spocifique qu'elle represente dans le domaine des etudes ethniques. Plus petite minorite francophone au Canada, derniere ä l'avoir rejoint, les Franco-Terreneuviens n'en ont pas moins ecrit une des plus longues pages de l'histoire de la presence fran9aise dans le Nouveau Monde. Parmi les differentes communautes fran9aises etablies sur la cote ouest de Terre-Neuve au XIXe siecle, seules trois, Cap-Saint-Georges, La Grand'Terre et L'Anse-äCanards,1 ont subsiste jusqu'a nos jours pour former le seul groupe de Franco-Canadiens qui, en dehors des Acadiens, ne soit pas d'origine quebecoise. L'interet principal de ce groupe ethnique reside dans le fait que differents stades devolution de 1'ethnicite, comprenant une periode de forte identite collective puis d'assimilation et enfin de renaissance ethnique, s'y sont d6veloppes de fa£on distinctive. L'evolution de la population franco-terreneuvienne ayant eu lieu ä partir du noyau initial de peuplement, sans aucun apport de population francophone depuis le debut de ce siecle, l'£tude du phenomene ethnique dans cette minorit6 dimographiquement stable revet un aspect plus fundamental. Notons que analyse des rapports entretenus par cette minorit6 francophone avec La communauto de La Barre qui disparait dans les annees soixante ne sera prise en compte que dans la presentation socio-historique des Franco-Terreneuviens. La communauto de L'Anse-ä-Canards inclut le lieudit"Maisons-d'Hiver" (voir carte n* 6 p. 33). Les quelques dizaincs de francophones qui vivent en dehors des trois communautes dtudiies sur la poninsule de Port-au-Port ainsi qu'ä Stephenville et St Georges ne foment pas d'entites collectives distinctes. Us ne feront pas 1'objet d'une 6tude particuliere. Le Labrador, rogion situee au nord-est du Qudbec, appartient ä Terre-Neuve, dixiöme province du Canada depuis 1949. II y existe une communauto francophone dynamique. Toutefois, les origines et les conditions de deVeloppement de cette communauto dtant tout ä fait diffdrentes de celles des Franco-Terreneuviens, nous ne 1'avons pas incluse dans notre otude. II en est de meme pour les francophones de Saint-Jean.
4
Une minoritofrancophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
le monde anglophone qui 1'entoure permet une observation des ratines historiques du bilinguisme et du biculturalisme au Canada. L'etude des Franco-Terreneuviens n'est pas non plus sans poser le probleme du röle des communautos francophones hors Qu6bec au Canada. Ces communaut6s, triplement minoritaires dans leur rapport ä la majorite anglophone de la province, du pays et ä celle, francophone, du Quobec, reprosentent les oloments essentiels ä la validite de la politique du bilinguisme et du biculturalisme f£d6ral fondo sur le principe de la personnalit6.2 La gageure de ces minorites reside dans le fait qu'en dopit d'une volonto manifeste de maintenir leur langue et leur culture,3 le rapport inigal avec la majorito anglophone ne permet pas encore de pouvoir enrayer les phenomenes d'assimilation. Ce defi est plus particulierement difficile ä relever ä Terre-Neuve ou la situation de la minoritd francophone est la plus inegale de toutes les provinces canadiennes.4 Ce phonomene est renforce par la faiblesse du tiers groupe et s'illustre par le peu de reconnaissance donnee aux Franco-Terreneuviens par le gouvernement provincial. Le Quebec, qui pr6fere concevoir le Canada dans le cadre d'une dualitö de deux entitos unilingues, semble, quant ä lui, de moins en moins pret ä soutenir des minority's francophones dont les revendications s'apparentent ä celles de la minorito anglophone dans cette province.5 En depit de toutes ces difficultes, les communautes francophones hors Quebec continuent de representer le ciment d'un Canada bilingue et biculturel. L'enjeu de la survie de ces microsoci6t6s est done d'importance pour l'avenir du Canada. Nous nous proposons d'etudier en ce sens 1'identite collective des Franco-Terreneuviens depuis sa formation initiale jusqu'ä la renaissance ethnique actuellement en cours. L'analyse de 1'evolution de 1'identite franco-terreneuvienne, minorite" ethnolinguistique face ä un groupe majoritaire anglophone, souleve le probleme de la varioto et de la complexite" des facteurs qui sous-tendent I'ethnicito. L'aspect multidimensionnel de Fethnicito suscite en effet une multiplicite d'approches thooriques. Dans les annees soixante, les recherches commandit6es par la Commission Royale sur le bilinguisme et le biculturalisme ont permis l'etude des phenomenes gravitant autour des notions de groupe ethnique, d'assimilation, d'intogration, de relations inter-groupes, d'6ducation et de religion de plus procise que par le pass€. Toutefois, les questions importantes des implications rationnelles du phönomene d'ethnicite" sur l'individu et le groupe, et de la persistance de l'ethnicite face aux forces Jean-Michel Lacroix, (a), "A propos des Hispaniques : Bilinguisme et Biculturalisme au Canada", dans Jean Cazemajou, (ed.), Les Minoritls Hispaniques en Amarique du Nord (1960-1980), Presses Universitaires de Bordeaux, 1985,2e 6dition, pp. 71-82. Roger Bernard, (directeur de la recherche), (a), Le Declin d'une Culture. Recherche, Analyse et Bibliographie. Francophonie hors Quebec 1980-1990, Ottawa, Vision d'Avenir, Foddration des Jeunes Canadiens Franc^ais Inc., 1990. Les chiffres du recensement de 1986 montrent qu'environ 3000 francophones vivent ä Terre-Neuve et au Labrador. Us reprosentent ä peu pres 1% de la population totale. D'apres Profils, recensement Canada 1986, divisions et subdivisions de recensement, Terre-Neuve, partie 1, Statistique Canada, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1987. Voir par exemple Hans-Joseph Niederehe, "Langue et Identitd des Francophones au Canada", dans JeanMichel Lacroix et Fulvio Caccia, Metamorphoses d'une Utopie, Presses de la Sorbonne Nouvelle, Editions Triptyque, 1992, pp. 131-148.
Introduction g n rale
5
d6personnalisantes de la societe moderne restent toujours sans reponse, faute de modeles d'analyse suffisamment 61abores pour parvenir ä des conclusions d6finitives dans ces domaines. La Präsentation coh£rente et approfondie d'un groupe ethnique implique done une approche dialectique de la notion d'ethnicite, terme polyse"mique s'il en est La difficultö de cette gageure se trouve exacerbe"e par les implications ideologiques qu'elle recele. Rappelons qu'au Canada la quete officielle d'une identito collective fondle sur le concept d'unito dans la diversite" alimente une polomique qui a recemment culmine dans l'6chec des accords constitutionnels du Lac Meech. Face ä l'absence de theorie explicative qui laisse le champ libre ä rapproximation ideologique, la rationalisation scientifique des dynamiques 6volutives Ii6es ä I'ethnicit6 doit reprosenter la täche essentielle de toute nouvelle approche en ce domaine. Une analyse selon les m6thodes de la recherche quantitative, qui a pour but de mesurer les phenomenes sociaux, implique en premier lieu la constitution d'un corpus important de donne"es descriptives. Or, contrairement ä l'ensemble des autres minoritds francophones hors Quebec, les Franco-Terreneuviens n'ont 6te" 1'objet d'6tudes approfondies en sciences sociales que dans les domaines du folklore, sous l'£gide du professeur Gerald Thomas6 et ä un moindre degre de la linguistique et de l'histoire. L'analyse de l'identito de ce groupe a done n6cessit6 dans un premier temps une recherche qualitative dans differents domaines des sciences sociales. Plus precisoment, nous nous sommes placo en situation d'immersion totale ou encore d'observation participante dans les trois communaute's ä l'etude. Le nombre restreint de Franco-Terreneuviens et le territoire facilement identifiable que ces derniers occupent correspondent aux situations limitees exigees par cette methode d'enquete "vu investissement de temps et de ressources personnelles qu'elle exige."7 Au cours de nos cinq annoes de prosence sur le terrain, nous avons pu constituer un corpus important d'informations souvent inodites et indispensables ä 1'analyse des situations sociales ainsi que de leurs dynamiques et de leurs processus. Aux informations recueillies selon la m£thode de l Observation participante, aux entrevues effectuees en situation, nous avons pu ajouter diverses donn6es provenant de sources premieres telles que les recensements, les documents gouvernementaux, les archives provinciales, les journaux, les recits de voyageurs, les registres paroissiaux, les actes notaries, les correspondances des marchands, les pierres tombales ainsi que les documents du Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes qui comprennent de nombreuses donnees recueillies sur le terrain. Les tomoignages oraux reprösentent toutefois la principale source d'information de ce travail. Tous les informateurs encore en vie sont identifiös dans le texte par un code. Lorsqu'il s'agit de temoignages enregistres ou not6s par 6crit, le code correspond ä une cote qui donne ^ 7
Gerald Thomas, (a), Les Deux Traditions. Le Conte Populaire chez les Franco-Terre-Neuviens, les dditions Bellarmin, 1983. A. Ouellet, Processus de Recherche. Une Approche Systlmiqw, Presses de rUniversite" du Qudbec, 1987, p. 231.
6
Une minoritl francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
acces au document cit£. Tous les documents rite's sont diposos au Centre d'Etudes FrancoTerreneuviennes, ä l'universiti Memorial de Saint-Jean de Terre-Neuve sous le titre : collection Andro Magord.8 Les donnoes descriptives ainsi recueillies ont permis de digager des tendances ge"n6rales qui ont ensuite etc analysoes ä aide de questionnaires standardis6s. Les rosultats de cette 6valuation quantitative sont pr6sente"s sous forme de graphiques. Nos deux m6thodes d'analyse complomentaires permettront ainsi un regard novateur sur la nature complexe de l'identiti franco-terreneuvienne. Nos diffirentes approches s'articuleront en configurations dialectiques qui aideront ä ilaborer des syntheses construct!ves, ä partir de modeles d'ötudes qualitatif et quantitatif, dans les domaines de l'histoire, de la goographie humaine, de l'ethnologie, de la sociologie, de la psychologic, de la socio-linguistique et des sciences politiques. Nous inscrirons egalement notre travail pluridisciplinaire dans une perspective ovolutive pour tenter de donner une dofinition ä la fois precise et prospective du concept d'identite" ethnique 6tudie\ Notre recherche rejoint 1'approche pluridisciplinaire des 6tudes canadiennes en sciences sociales qui a pour pr6curseur le professeur Jean-Michel Lacroix dans le contexte fran9ais des dtudes en civilisation nord-amiricaine et le professeur Leo Driedger, entre autres, au Canada.9 La force de cette approche est de proposer plusieurs outils de recherche que peut juxtaposer selon les besoins de analyse. Elle permet des regards cruise's sur une m6me roalito. Notre £tude s'articulera dans un premier temps sur une Präsentation socio-historique et ethnographique de la communaute franco-terreneuvienne. Nous analyserons ensuite, apres avoir souligno notre approche theorique et m6thodologique, l'identito sociale et culturelle de ce groupe puis les phonomenes d'assimilation et de renaissance ethnique qui marquent son evolution. Nous procoderons des lors ä une 6valuation de la validito de l'identite" ethnique franco-terreneuvienne. Nous olaborerons en dernier lieu des syntheses prospectives ä partir de 1'evaluation de ces phonomenes.
Pour les documents enregistros, le second code indique ou I'information citie se trouve sur la cassette. Par exemple Mme C 110 l B 341 signifie que I'information se situe sur la face b de la premiere cassette classee sous le numoro C 110, au chiffre 341 sur le compteur du magnetophone. Pour les notes ecrites seul le premier code figure. Afin de faciliter la comprdhension des extraits d'entrcvues cites dans cette those et parce que I'information qu'ils communiquent portent presque toujours sur le contenu et non sur la forme, nous avons transcrit ces citations en francais standard. Une otude plus spdcifiquement orientde sur les phonomenes linguistiques ou socio-linguistiques impliquerait un mode de transcription qui rendrait compte des composantes linguistiques du discours dans toutes ses nuances et sp6cificit6s. Le professeur Gerald Thomas, directeur du Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes a mis au point un tel modele de transcription, indispensable notamment ä l'dtude des techniques narratives du conteur et du contexte linguistique de la narration. Nous donnons en annexe A un exemple de ce mode de transcription ou chaque son imis est transcrit. Jean-Michel Lacroix, (a), et al., (ed.), Canada et Canadiens, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2e odition, 1985. Leo Driedger, The Ethnic Factor. Identity in Diversity, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Limited, 1989. (Voir 6galement ces deux auteurs en bibliographic).
PREMIERE PARTIE
Le peuplement franco-terreneuvien
Introduction Les historiens nord-americains ont en gdnoral porto un intöret ä l'otude des groupes 1 ethniques. Le döveloppement de la recherche historique dans le doraaine de l'ethnicite" et plus particulierement dans celui de rimmigration demeure indispensable ä la production de donnees exactes qui seules permettront d'eliminer certaines iddes re9ues incorrectes et d'elaborer une synthese plus large du concept d'identitö. L'identite ethnique, comme toute identite, se construit en reference ä un passe specifique. Pour un groupe, ce passe correspond a son histoire. La connaissance et la transmission de l'histoire, ainsi que son "rappel ä travers education des jeunes gonerations contribuent ä fa9onner l'identite d'un groupe social" dit Muchielli.2 Nous entendons, par consequent, proc6der ä une presentation socio-historique aussi complete que possible du groupe concerno. Nous 6tudierons plus particulierement les themes suivants, indispensables ä la compröhension de l'identite collective des Franco-Terreneuviens : les origines des differents groupes qui forment la population francophone, les motivations et les dynamiques qui animent les differents mouvements d'immigration, les relations entre les differents groupes de colons et revolution dömographique. I - Terre-Neuve : Contextes geographique et historique Introduction gfographique Les caracteristiques geOgraphiques de l'ile de Terre-Neuve ont conditionno son peuplement initial et lui ont confore un röle historique de tout premier ordre. Soparee du Labrador par le seul detroit de Belle lie, Terre-Neuve est habit6e des le sixieme millinaire avant notre ere et la position de l'ile sur le globe, entre 55° et 63° de longitude ouest et entre 46° et 51°40 de latitude nord en fait le point d'Amerique du Nord le plus proche de l'Europe. Cette caracteristique lui vaut d'etre decouverte par des Europeens bien avant que Christophe Colomb ne pose le pied en Amörique. La prosence d'une faune aquatique tres abondante reprosente sans nul doute le deuxieme de tout premier plan qui Oriente le cours de l'histoire du peuplement francophone ä 1
2
Richard Kolm, "Ethnicity and Ethnic Groups: Research Needs", The International Migration Review, vol. 8, 1974, pp. 59-67. Alex Muchielli, L'ldentitl, Que sais-je ? , Presses Universitaires de France, 1986, p. 43.
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Une minoriti francophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Terre-Neuve. La profusion des banes de poissons, de monies en particulier, attire la convoitise des Europeens dont le but initial est la recherche d'un passage nord-ouest vers les Indes et les terres de Cathay. Enfin, un certain nombre de donn£es goographiques spe"cifiques determine 1'etablissement des differents groupes de population sur 1'ile. Terre-Neuve, sans le Labrador s'etend sur 111 390 kilometres carres.3 La cote, tres d6coup6e, s'e"tend sur 9600 kilometres et procure de nombreux abris naturels. Le climat oceanique se distingue par sa tres grande instabilite. Les influences polaires et oceaniques s'y opposent constamment et provoquent rogulierement des tempetes. Les hivers sont longs mais moins rigoureux que sur le continent. La moyenne des tempiratures est de moins 4° Celsius en Janvier ; eile ne dopasse pas 15,5° en juillet. La partie nord de 1'ile reste bloqu6e par les glaces entre un et cinq mois par an et ce phenomene retarde pendant longtemps la sedentarisation de la population sur ces cotes. Les brouillards tristement celebres de TerreNeuve, cre"6s par la rencontre du courant froid du Labrador et du courant chaud du Gulf Stream, sont tres friquents sur les Grands Banes au large de l'ile et atteignent regulierement la cote. Les precipitations sont tres importantes et augmentent le taux d'acidite d'une terre peu abondante et pauvre. La foret couvre 40% de la surface de l'ile. Elle represente un eloment indispensable dans le ddveloppement de la colonisation, notamment pour la fabrication des maisons, des bateaux et pour le chauffage. Selon I'exposition au vent et la qualitd du sol poussent e"galement des arbustes, des mousses et des lichens ainsi que toute une vegetation de tourbieres et de toundra. L'absence de sols fertiles lie toute existence humaine au monde de la mer. Les colons ne se rendent ä l'interieur des terres que pour trouver de la viande et des fourrures.4 Le reste de leur nourriture provient du produit de leur peche.5 L'implantation de la population se fait done tout le long de la cote dans de petits havres naturels ou trouve suffisamment de place pour faire secher le poisson. Certains de ces villages ne sont toujours pas relies au reste de l'ile par voie terrestre. Aujourd'hui encore, sur les 600 000 habitants de Terre-Neuve plus des deux tiers de la population vit sur la cöte et la moiti6 de la population vit dans des communautis de moins de 1000 habitants. Ceci, malgre' un programme de relocalisation des petites communautes mis en oeuvre dans les annees soixante. Dans ces villages cotiers, la vie en quasi-autarcie a permis la survivance des traditions et le developpement de fortes identit6s collectives. Isolees et tournees vers la mer, ces communaute"s conferent ä Terre-Neuve son caractere et son originalito.
Gary E. Me Manus (Associate Director) and Clifford H. Wood (Director), Atlas of Newfoundland and Labrador, Memorial University of Newfoundland, Cartographic Laboratory, Department of Geography, Breakwater, 1991. Us chassent le caribou, 1'orignal, Tours, le castor, le lievre arctique, le lynx, la loutre, le rat musquo et d'autres petits animaux ä fourrures, ainsi que de nombreux oiseaux. Monies, harengs, maquereaux, capelans mais aussi phoques et baleines ainsi que saumons, unites et anguilles en eaux douces.
Le peuplement franco-terreneuvien
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L'ere precolombienne Les premiers habitants Les livres d'histoire ont longtemps attribue la decouverte de l'ile de Terre-Neuve ä John Cabot, de son vrai nom Caboto, venitien, envoye par le roi d'Angleterre en 1497 ä la conquete de nouvelles richesses. II est toutefois prouve aujourd'hui que des peuples autochtones ainsi que des Europeens ont habite 1'ile bien avant cette date. Dans les annees soixante, plusieurs sites archeologiques ont ete decouverts montrant que des Indiens de la periode Archaique Maritime vivaient sur 1'ile entre les annees 5500 et 1000 avant l'ere chretienne. Des Paleo-Esquimaux du Dorsetien sont egalement prosents sur Tile entre les ann6es 700 avant notre ere et le Ve siecle de notre ere. Un troisieme peuple d'Amerique du Nord, les Inuit du Labrador, arrivent ä Terre-Neuve vers la fin du XVe siecle, ä l'epoque des grands voyages de decouvertes. Lorsque John Cabot atteint 1'ile en 1497, il trouve des Indiens ä peau rouge, les Beothucks. Personne ne sait actuellement ä quand remonte leur presence ä Terre-Neuve. Us furent totalement extermines au cours du XIXe siecle. Enfm les Indiens micmacs venant d'Amerique de l'Est immigrent en nombre important ä Terre-Neuve en se joignant aux explorations des Europeens. Us connaissent dejä probablement 1'ile qu'ils peuvent apercevoir depuis la cote de la Nouvelle-Ecosse et facilement rejoindre avec leurs canoes. Les premiers Europeens Des legendes norvegiennes6 puis irlandaises7 contant les exploits de navigateurs qui auraient decouvert des terres dans 1'Atlantique ouest ont longtemps laisse les scientifiques incrodules. Dans les annees cinquante, la docouverte d'un site archeologique ä l'Anse-aux-Meadows, au nord de la peninsule de St Anthony prouve que des Vikings vivaient ä cet endroit vers 1'an 1000.8 Aucune preuve scientifique ne vient confirmer le r£cit d'aventures similaires qu'aurait vecues un moine irlandais au Vie siecle. Toutefois, en 1977, six Irlandais prouvent qu'un tel voyage est possible en traversant 1'Atlantique avec la petite embarcation traditionnelle irlandaise, le "Carragh". D'autres opopees legendaires n'ont pu etre verifiees. Des pecheurs des lies Jersey, poussos par des tempetes seraient venus ä Terre-Neuve des le XHIe siecle. Des marchands de Bristol pretendent avoir envoyo des bateaux de peche vers une ile de l'ouest des le XFVe siecle.9 Les Portugals affirment avoir croisd sur les cotes de Terre-Neuve des le XVe siecle. Tres peu de documents viennent eclairer ces affirmations puisque la d£couverte de l'ile de Terre-Neuve est tenue secrete le plus longtemps possible afin d'eviter la concurrence etrangere. En 1983, des 6
Matthias Thordarson, The Vinland Voyages, New York, American Geographical Society, Research Series nB18, edited by Halldor Hermannson, 1930, (traduction).
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Thimoty Jacobson, Discovering America. Journeys in Search of the New World, Key Porter Books, 1991. Helge Ingstad, The Norse Discovery of America, Oslo, Norvegian University Press, vol. 1 & 2,1985.
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Pour une dtude de la prosence europoenne prdcolombienne ä Terre-Neuve, voir Frederick W. Rowe, A History of Newfoundland and Labrador, Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1980, pp. 23-51.
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fouilles archoologiques permettent toutefois d'&ablir que des Basques ont doveloppo en secret une Industrie de transformation de la baieine sur la cöte sud du Labrador ä Red Bay, des le dobut du XVIe siecle.10 II est fort probable que la ddcouverte de Terre-Neuve se soil communiquee dans le monde des pecheurs, notamment parmi ceux qui se retrouvent dans les eaux islandaises avant le developpement de la peche dans Atiantique.11 Des la fin du XVe siecle et surtout au debut du XVIe, l'ile de Terre-Neuve et ses immenses röserves de poissons sont ainsi connues en Europe. Une nouvelle phase de l'histoire terreneuvienne prend alors son essor avec les voyages d'explorateurs ä la recherche d'un passage nord-ouest vers les Indes et les terres de Cathay, et avec les expeditions de simple peche qui se multiplient ä cette opoque. L'histoire officielle de la presence franchise ä Terre-Neuve : le cadre historique La colonisation europaenne A la suite de l'expodition de John Cabot en 1497, Terre-Neuve est visitee chaque ann6e par un nombre grandissant de navires anglais, fransais et portugais, et meme, un peu plus tard, espagnols, mandate's par les grands monarques de l'epoque pour fonder de nouvelles colonies. Parallelement, le nombre des expeditions de simple peche augmente rapidement. Leur rentabilito est assuröe par un marche tres important puisqu'au XVIe siecle la religion catholique impose environ 150 jours de maigre par an en France, en Espagne ou au Portugal. A cette 6poque, presque tous les ports fransais de la cöte atlantique arment pour la peche terreneuvienne.12 La peche ä la morue se pratique au large de Terre-Neuve sur les Grands Bancs. On l'appelle peche errante ou peche ä la morue verte. Seuls les marchands anglais se montrent peu enclins ä armer pour la peche terre-neuvienne. Le marche e"tant trop restreint dans une Angleterre devenue protestante et n'observant pas les nombreux jours de maigre de la religion catholique. Toutefois vers les ann6es 1530, l'apparition d'un nouveau mode de peche qui permet une meilleure conservation du poisson modifie considorablement l'activite des pecheurs ainsi que l'enjeu de la peche terre-neuvienne. Appelee peche s&ientaire ou peche ä la morue seche, cette nouvelle technique pour laquelle un grand nombre d'hommes travaillent ä terre pour le salage et le sochage du poisson est adoptee progressivement par les armateurs frangais. Des le XVIe siecle, des milliers de marins fransais viennent ainsi s'installer sur les cotes terre-neuviennes pour se livrer ä des activit6s de peche saisonniere. 10 "xvith Century Basque Whaling in America", National Geographie, Gilbert M. Grosvernor (ed.), vol. 168, July 1985, pp. 40-71. 11 Henry Harrisse, The Discovery of North America. A Critical Documentary and Historic Investigation, Amsterdam, N. Israel (Publishing Department), 1961. 12 Voir carte n° 1 page p. 12. - Entre 1510 et 1540 pres de 50 ports de l'Atlantique participent ä rarmement terre-neuvien. Selon Charles de la Morandiere, Histoire de la Peche Franfaise de la Morue dans I'Amarique Septentrionale, Tome 1, Paris, G.P. Maisonneuve et Larose, 1962, p. 231.
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Craignant de voir des colons fran9ais s'installer ä Terre-Neuve, 1'Angleterre en concurrence directe avec la France dans la conquete du Nouveau-Monde, se doit de roagir. Les armateurs anglais sont encourages ä d6velopper leurs activitos de peche ä Terre-Neuve. En 1563, la reine Elizabeth rend obligatoire la consummation de poisson deux fois par semaine. En 1583, Sir Humphrey Gilbert se rend ä Terre-Neuve pour reaffirmer la souverainet6 de la couronne d'Angleterre sur l'ile. Au d6but du XVIIe siecle, plusieurs tentatives d'installations de colonies officielles sont entreprises. La premiere, menoe par John Guy en 1610, a lieu ä Cupids dans la baie de la Conception. A cette opoque, les Fran9ais occupent dejä les meilleures zones de peche au nord et au sud de Tile et de fa?on assez previsible, la concurrence entre la France et 1'Angleterre pour obtenir le monopole de la peche terre-neuvienne se transforme en un conflit ouvert dans le courant du XVIIe siecle. En 1662, les Fran9ais possedent un poste fortifie ä Plaisance sur la cöte sud de 1'ile. En 1690, les Anglais parviennent ä le detruire. Pendant 1'hiver 1696-1697, D'Iberville, un Canadien fran9ais ä la tete d'un groupe de soldats bien entrain^s prend ä son tour la quasitotalite des installations anglaises sur 1'ile. Ces guerres incessantes montrent combien 1'enjeu de la peche terre-neuvienne devient considorable. Notons ä ce propos qu'ä l'aube du XVIIIe siecle, 1'enjeu du monopole de la peche n'est plus simplement £conomique. L'espace et les poissons existent en quantite süffisante pour que plusieurs pays puissent y pecher en paix. Lorsqu'en 1701, la guerre 6clate ä nouveau entre la France et I'Angleterre, 1'enjeu essentiel de la peche terre-neuvienne, otant donn6 l'augmentation importante du nombre d'hommes employds par cette activite, est devenu la formation d'oquipages de marins indispensables aux flottes de guerre des deux pays pour la conquete et le maintien de leurs colonies.13 La determination de la France et de I'Angleterre ä conserver leurs pipinieres de marins est ä I'origine d'une situation originale et complexe qui seule peut creer les conditions d'un peuplement fran9ais ä Terre-Neuve. Le traitl d' Utrecht a) One situation paradoxale En 1713, ä la suite de sä d6faite centre I'Angleterre, la France signe le traito d'Utrecht en vertu duquel eile perd toute possession territoriale ä Terre-Neuve mais garde des droits de peche. L'article 13 du traito d'Utrecht stipule : "L'Isle de Terre-Neuve, avec les isles adjacentes appartiendront ddsormais absolument ä la Grande Bretagne,... II ne sera pas permis non plus d'y fortifier aucun lieu, ni d'y etablir aucune habitation en facon quelconque, si ce n'est des echafauds et cabanes necessaires et usitos pour secher le poisson. Dans la dite isle, il ne sera pas permis aux dits sujets de la France de secher et de pecher le poisson en aucune partie que depuis le lieu appelo Cap de Bona-Vista jusqu'ä
septentrionale de la dite isle, et de lä en suivant la partie 14
occidentale jusqu'au lieu appelo Pointe Riche." 13 14
C. de La Morandiöre, op. dt., L l, p. 522. A. Bellet, La Grande Peche de la Monte a Terre-Neuve, Paris, 1902, p. 39.
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Carte n 8 1 : Les principaux ports terre-neuviers fran^ais du XVIe au XIXe siecle
DIEPP LE HAVRE/ FECAMP HONFLEUR
ROUEN
GRANVILLE SA1NT-MALO
SAINT-NAZAlREt
NANTES
^· LES SABLES DOLONNE
»BAYONNE
"SAINT-JEAN DE LUZ \
SOURCE: Andre Magord, juillet 1992
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Cette longue citation illustre le phenomene original que genere ce trait€. La France n'a plus de droits de colonie mais eile maintient son activit6 de peche. Les Anglais eux ne doivent mener aucune entreprise qui puisse gener les activitos de peche des Franfais sur la partie de la cote qui leur est attribuoe.15 Le traito d'Utrecht cr6e une situation tout ä fait surprenante puisqu'il interdit aux colons anglais de mener la seule activite' qui permet de vivre ä Terre-Neuve ä cette epoque, la peche, alors qu'il autorise les vaincus ä developper cette activite sur une grande partie du territoire. II semble encore plus incroyable que la France ait pu maintenir ses avantages apres une nouvelle defaite et une renegotiation du traite\ En 1783, lors du traite de Versailles, la France n'est pas en position de force pour negocier et eile perd toutes ses possessions en Amorique du Nord. Le maintien de ses privileges attachös ä la cote fran^aise ne peut s'expliquer que de deux fa£ons. D'une part, la Strategie de la France peut avoir de sacrifier tous ses territoires au profit de ses droits particuliers ä Terre-Neuve. Les tomoignages suivants montrent l'importance que la France donne ä sä presence ä Terre-Neuve et soulignent I'ambition d'une reconquete 6ventuelle. En 1756, un armateur de Saint-Malo ecrit : "La possession de l'lle entiere de Terre-Neuve, en privant I'Angleteire d'une grande ressource, augmenterait tellement les nötres qu'apres dix annees de paix nous pounions rivaliser seul avec eile, opposer au moins un nombre 6gal de nos vaisseaux aux siens, et comme eile maintenir notre commerce maritime dans toute les parties du
En 1763, le Due de Praslin eOivait ä l'ambassadeur de France ä Londres que : "Si les Anglais voulaient rendre notre droit de peche illusoire, ils altereraient necessairement la bonne intelligence que nous dosirions maintenir entre les deux nations, attendu que jamais la France ne peut abandonner un interet aussi csseniiel."17
D'autre part, il est probable que paradoxalement, rAngleterre souhaite la pr£sence fran5aise ä Terre-Neuve afin d'empecher une colonisation dont le controle pourrait leur ochapper rapidement, comme dans le cas de la Nouvelle-Angleterre. Un accord tacite entre la France et TAngleterre, fonde sur des preoccupations de politique internationale plutöt que sur une roaliti locale expiique par ailleurs le manque de procision des termes du traite. b) De interpretation des lois Le probleme de la peche concurrente n'est pas clairement evoqud dans le traito d'Utrecht. Les Anglais estiment que les sujets de la Grande-Bretagne peuvent librement pecher sur la cote ^
La partie de la cote reservee a la peche franfaise a souvent ete appelee le "French Shore" en anglais comme en fran9ais. Les textes officiels anglais utilisent le terme moins flatteur de "Treaty Shore". Nous emploierons 1'expression "cote francaise" trouvee r6guli6rement dans les textes officiels frangais. ^ Archives dipartementales. He et Vilaine. Dans Jean-Fran9ois Briere, "L'Armement Frangais pour la Peche ä Terre-Neuve au XVIIIe Siecle", Ph.D., Toronto, Ontario, York University, Jan. 1980, p. 321. 17 Jean-Francois Briere, op. cit., p. 307.
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fran9aise de Terre-Neuve puisque le traite" ne mentionne pas express£ment que le droit de peche des Fran^ais y est exclusif. La cour de France affirme, quant ä eile, que le traite lui donne la liberti de pecher sur cette cote et que tout ce qui limite le libre exercice de cette peche porte n&essairement atteinte ä l'exacte application du traite". "La presence des pecheurs anglais 6tait done implicitement condamnoe par le traite" d'Utrecht", conclut Charles de La Morandiere.18 Du traiti d'Utrecht jusqu'en 1756, date ä laquelle 6clate la Guerre de Sept Ans entre la France et I'Angleterre, les pecheurs fran9ais occupent rogulierement les havres19 du Cap Bonavista au Cap Normand. Mais la guerre interrompt leurs activites alors en pleine expansion, et jusqu'au traitö de Paris, en 1763, les ports fran^ais ne peuvent armer pour Terre-Neuve, la se"curitd de leur entreprise n'itant plus assuroe. Cette opoque correspond ä une arrivoe massive d'immigrants anglais et irlandais ä Terre-Neuve. Dans les ann6es 1776 pres de 3000 se"dentaires vivent officiellement ä Terre-Neuve. Une fois la paix r£tablie, les Fran9ais reviennent au Petit Nord mais des pecheurs s6dentaires anglais occupent maintenant de nombreux havres. Le vide juridique laisse* par le traite d'Utrecht ne permettant pas d'arbitrer cette situation conflictuelle, des heurts permanents ont lieu entre les autoritos fran9aises et les colons terre-neuviens pendant toute la periode de la presence fran9aise officielle ä Terre-Neuve. Des 1778, la France et l'Angleterre s'affrontent ä nouveau lors de la Guerre d'Indipendance en Nouvelle-Angleterre. En 1783, le traite de paix de Versailles modifie les limites de la cote fran9aise. La France abandonne la zone de peche du Cap Bonavista au Cap Saint-Jean, maintenant peuplöe de nombreux colons anglophones, et obtient en ochange le prolongement de la cote fran9aise jusqu'au Cap Ray sur la cote occidentale.20 Les armateurs fran9ais hositent ä se rendre sur la cöte ouest qu'ils connaissent mal mais leur gouvernement les encourage en leur offrant des primes et des exemptions de taxes. Toutefois au debut du XIXe siecle, une autre guerre entre la France et I'Angleterre empeche la peche sedentaire ä Terre-Neuve de 1803 ä 1816. A nouveau, de nombreux colons anglais s'installent sur la cöte ouest en 1'absence d'une presence fran9aise officielle, recroant ainsi les conditions de cohabition conflictuelle ult6rieures au traite de Versailles. Apres le traito de Paris en 1816, une pe"riode de paix durable s'installe enfin entre la France et I'Angleterre. Cependant la peche fran9aise ä Terre-Neuve ne retrouve jamais son essor antorieur et dans le courant du XIXe siecle, difforents facteurs entrainent la disparition progressive de rarmement terre-neuvien fran9ais. Tout d'abord, en temps de paix, le besoin en marins pour les flottes de guerre diminue, sans compter qu'ä partir de 1850, les bateaux ä vapeur, qui demandent des oquipages beaucoup plus re"duits que ceux des voiliers, sont mis en service. D'autre part, la diminution des prises de poissons ä partir de 1830 et l'augmentation importante de la population anglaise sur la cote occidentale accentuent les conflits. Les armateurs fran9ais abandonnent progressivement la peche terre-neuvienne et seul l'interet grandissant des 18 19 20
C. de La Morandiere, op.cit., 1.1, p. 333. Terme employ£ le plus couramment pour ddsigner les baies, les anses ou les plages attribuees aux patrons de peche. Voir carte ne 2 p. 16.
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pecheurs saint-pierrais pour la cote ouest de Terre-Neuve permet ä la France de trouver une base credible pour negocier son maintien sur la cote fransaise jusqu'en 1904. A partir de 1832, les diplomates francais doivent faire face ä une autorit6 supplomentaire ä la suite de la creation du parlement terre-neuvien. Ce dernier se etre un virulent defenseur de la population locale. La France d6sire avant tout preserver ses droits exclusifs afin de continuer ä assurer suffisamment de rentabilit£ aux armements pour la peche s6dentaire. Dans cet esprit, la convention de 1857 modifie et diminue ä nouveau la cöte fran9aise. Un droit de peche, expressoment exclusif, est accord6 aux Franc, ais mais ces demiers ne doivent plus occuper que cinq emplacements de peche, soil Port-au-choix, Petit Port, Port-a-Port, 1'Ile Rouge et Cod Roy. Cette convention est rejetoe par le parlement terre-neuvien qui d£sire recouvrer la souverainete" sur tout le rivage. La presence frai^aise se concentre alors sur la p6ninsule de Port-au-Port Un nouvel accord est n6goci£ en 1885 sous la forme d'un modus vivendi sign6 entre la France et I'Angleterre qui doit etre renouvele chaque ann€e. Les deux pays acceptent mutuellement de ne pas inquioter les populations respectives. Les Fran9ais obtiennent le droit d'acheter de la bouette21 et de laisser une famille pendant 1'hiver pour garder leurs etablissements. En contrepartie, ils reconnaissent le droit ä toute exploitation agricole ou miniere sur le littoral occidental terre-neuvien, notamment la construction du chemin de fer.22 Toutefois des 1886, le gouvernement terre-neuvien vote un "Bait Bill" afin d'interdire la vente d'appäts aux Francais. Cette loi aurait pu ruiner däfinitivement tout espoir de peche pour les Fran£ais mais la döcouverte du bulot, sorte d'escargot de mer, fournit un excellent et abondant appät aux pecheurs francais.
21 22
Norn donno aux poissons qui servaient d'appäL II s'agissait de harengs en gondral. L'autorito de la France sur le littoral s'otendait ä 400 metres ä l'intorieur des terres. La France put ainsi retarder diff^rents projets de doveloppement du gouvernement
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Carte na 2 : La «cote francaise» de 1713 ä 1783 puis de 1783 ä 1904
\ 58°
I 54«
56
52°
52°-52°
50°_
Bale Bonevista Bonavista
TERRE - NEUVE
48°-
Cap Ray
int-Jean
cöte fran?aise 1713-1783 cote fran^aise 1783-1904
Saint-Pierre 50
58°
I
Source : Andr* MAGORD
56° I
kilometres
100
150 54' I
46'52
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Dans les vingt dernieres annöes du XIXe siecle, un nouvel element de conflit fait surface : le homard. A mesure que les prises de morues declinent, la peche au homard prend de 1'importance. Une concurrence entre diff6rents modes de peche s'ajoute maintenant ä la concurrence entre pecheurs de differents pays. La diminution de la rentabilite de la peche terreneuvienne ainsi que les problemes caused par la presence anglaise sur place decouragent les armateurs fran9ais. En 1890, la peche sodentaire frangaise sur la cote ouest se limite ä onze navires en provenance de France qui se repartissent entre les havres de Port-au-Choix, 1'Ile Sauvage, 1'Ile Saint-Jean, Brig Baie et l'Ile Rouge. A terre, 6 homarderies23 occupent 80 hommes. 24 De plus, ä cette epoque, des goelettes terre-neuviennes viennent piller les etablissements de peche fran9ais et toute tentative d'arrangement est repoussoe par le gouvernement terre-neuvien. A la fin du XIXe siecle, la peche terre-neuvienne franfaise n'est essentiellement pratiquee que par les armateurs saint-pierrais. En 1898, ils emploient 109 hommes pour la peche ä la morue et 5 homarderies employent 123 hommes.25 Les armateurs fran9ais qui obtiennent des concessions sont tenus d'employer une main d'oeuvre recrutee ä Saint-Pierre. La diminution de l'interet 6conomique et politique de la peche terre-neuvienne et la determination du gouvernement terre-neuvien ä recouvrer une souveraineto territoriale pousse la France ä coder tous ses droits et privileges le 8 avril 1904. Le gouvernement fran9ais des indemnites financieres et territoriales ainsi que le droit de pecher dans les eaux territoriales entre le Cap Ray et le Cap Saint Jean. On a peine ä concevoir que la France ait pu proserver ses privileges pendant pres de deux siecles. La peche terre-neuvienne lui a procure un produit exportable et abondant ainsi que de nombreux emplois. De plus, en retardant la colonisation sur le littoral de la cote fra^aise, le traite d'Utrecht a permis de maintenir la pratique de la peche sedentaire et par la meme les popinieres de marin si cheres ä la flotte de guerre fran9aise. La position de I'Angleterre est difficile ä cerner. II semble qu'elle ait toujours tiraillee entre son interet particulier, son obligation de satisfaire au droit international et l'insistance du gouvernement terre-neuvien ä se d6barrasser de la prosence fran?aise. Jean-Fran9ois Briere conclut sa these26 en faisant d'Utrecht une victoire diplomatique pour la France : "Nul doute que si les nogociateurs anglais d'Utrecht avaient pu prdvoir ce qui allait se passer, ils eusseni inverse les roles en se contentant d'un English shore...la peche motropolitaine et la marine de France furent les vrais gagnants d'Utrecht"
Nous ne pensons pas que les negociateurs anglais aient eto dupes ä ce point. L'Angleterre peut eliminer la presence fran9aise ä Terre-Neuve en 1783. Elle prefere probablement maintenir une 2
^
24 25 26
Usine de conservation du homard. C. de La Morandiere, op.cit., p. 1226. C. de La Morandiere, op. cit., p. 1236. J.-F. Briere. op.cit., p. 368.
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situation qui empeche une implantation massive de colons sur un territoire qui, trop vaste, peut öchapper ä son autorite. Tout comme pour la France, le trait£ d'Utrecht repre"sente pour 1'Angleterre un moyen astucieux de perpotuer une activito indispensable ä sä politique de conquete au plan mondial. Pour les deux pays, il est essentiel que les marins pecheurs reviennent chaque annoe dans leurs ports respectifs afin de pouvoir embarquer sur des navires de guerre en cas de conflits. Le traito d'Utrecht protege ainsi la peche metropolitaine fran^aise et anglaise et proserve les pdpinieres de marins indispensables aux deux puissances pour continuer ä se battre sur tous les ocoans du globe.
II - Le peuplement franco-terreneuvien Cinq siecles d'histoire La prosence frangaise ä Terre-Neuve est marque'e par le grand nombre de conflits qui opposent la France et 1'Angleterre. La tentation d'articuler une histoire du peuplement francoterreneuvien autour de ces dates officielles s'avere d'autant plus forte qu'elles representent le corps essentiel des documents disponibles sur cette dpoque. Cette approche serait toutefois insuffisante. Jean-Fran9ois Briere27 qui propose une etude tres riche de la pr6sence fran9aise ä Terre-Neuve au XVIIIe siecle, n'en conclut pas moins : "En gagnant le droit de durer, d'avoir une histoire, la peche fran^aise perdait celui d'inscrire cette histoire dans le sol, eile quittait I'histoire. La survivance la condamnait ä l'oubli."
Cette affirmation montre combien la r6alit6 peut parfois etre 61oign6e des textes officiels. En 1904, le gouvernement fran9ais abandonne Terre-Neuve mais toute une population fran^aise vit alors sur place et d6cide d'y rester. Pour concevoir un tel phonomene, il faut comprendre que la vdritable trame de I'histoire franco-terreneuvienne se tisse entre les evenements de I'histoire officielle. Une histoire dans I'Histoire Les difforents traitos permettent de perpftuer la prosence fran9aise ä Terre-Neuve mais les me"canismes qui engendrent le peuplement fran9ais se batissent sur le detournement de la logalite". Deux raisons majeures justifient cette marginalae" du peuplement franco-terreneuvien. Tout d'abord, 1'Angleterre aprfes avoir revendiquo la possession de Terre-Neuve une premiere fois en 1583, interdit des 1713 tout peuplement fran9ais sur l'ile. L'ötablissement de pionniers fran9ais ne peut done etre que clandestin. Le principal agent de cette marginalito reste toutefois la motivation de ces pionniers fuyant des systemes oppressifs. Us dosirent avant tout maitriser la destinde de leur nouvelle existence et afin de garder leur independence ils recherchent constamment les espaces libres le long des milliers de kilometres de la cote terre-neuvienne, obe"issant seulement aux exigences de la quete mythique de la frontiere. 27
J.-F. Briere, op.cit., pp. 415-416.
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Seule une teile quete, moteur du peuplement europoen en Am6rique du Nord, peut gönörer la dotermination hors du commun n6cessaire ä ces pionniers pour vivre ä Terre-Neuve. Les differentes phases de la presence francaise ä Terre-Neuve s'accompagnent presque toujours de tentatives d'ötablissements. La recurrence de certaines dynamiques dans ces modes d'etablissement confere un caractere de continuite" au peuplement franco-terreneuvien. Nous soutenons ainsi que le peuplement franco-terreneuvien trouve ses origines au XVIe siecle et non pas au XVIIIe comme Tont icrit la plupart des historiens de Terre-Neuve. Les premiers pionniers La prösence de pecheurs basques ou francais ä Terre-Neuve remonte probablement au XVe siecle mais nous disposons de trop peu de donnies pour itudier correctement cette periode. Rappeions seulement que lors de son voyage legendaire en 1492, Christophe Colomb a ä son bord deux pilotes bretons selectionnes pour leur experience de l'Atlantique.28 Comme nous l'avons dejä souligne, les premieres expeditions ä Terre-Neuve ont pour but de docouvrir un passage nord-ouest vers les terres orientales. II est done tout normal de trouver les premieres traces d'activite et dEtablissement sur la cote sud du Labrador, au nord de Terre-Neuve. Des le debut du XVIe siecle, Normands et Bretons pechent en ces lieux. Des documents authentiques attestent de la presence de Jean Deny s de Harfleur en 1504 et de Thomas Aubert de Dieppe en 1506 sur la cote nord de Terre-Neuve.29 En 1510, "La Jacquette de Dahouet", dans les cotes du Nord, arme pour Terre-Neuve.30 Les Bretons y menent une activite suffisamment importante pour qu'en 1514 les moines de Beauport rappellent aux pecheurs de Brehat que le poisson pris ä Terre-Neuve 6tait soumis ä la dime au meme titre que le poisson pris sur les cötes bretonnes.31 Lorsqu'en 1534, Jacques Cartier accomplit son premier voyage en Am6rique du Nord, il croise des bateaux rochelais au large de la cote ouest de Terre-Neuve et docouvre des Fransais installos dans la baie de Chateau qui devient son port d'attache.32 Les Fransais ne se cantonnent pas uniquement au Labrador puisqu'en 1527 John Rut, un capitaine anglais, decouvre dans le port de Saint-Jean, onze navires normands.33 Des cette epoque les patrons de peche laissent re"gulierement des hommes pendant 1'hiver sur les lieux de peche s6dentaire pour prot6ger les installations et le materiel contre les dipredations des autochtones ou d'autres pecheurs. Les Basques, pecheurs repute's pour leur dosir de mener leurs activitis en secret, loin de toute concurrence sont les premiers ä occuper la cote ouest, espace libre par excellence. Differentes cartes attestent de leur presence au XVIe siecle et, en 1575, les opaves de deux 28 29
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32 33
C. de La Morandifcre, op.cit., p. 321. Samuel Eliot Morison, The European Discovery of America: The Northern Voyages, New York, Oxford University Press, 1971, pp. 270-273. Andr6 Lebailly, Saint-Pierre et Miquelon. Histoire de Archipel et de sä Population, Saint-Pierre et Miquelon, editions J J.O., 1988, p. 6. Henri Harrisse, Dicouverte et Evolution Cartographique de Terre-Neuve et des Pays Circonvoisins, 1497 1501 -1769, Paris, Henry Stevens, Sons & Süles, MDCCC. Lieu situo sur la cöte sud du Labrador. H. Harrisse, op.cit., p. 26.
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grands navires biscaiens naufragos sont trouve"es dans la bale Barkham Saint-Georges.34 Dans la premiere moide* du XVIe siecle, les Basques deVeloppent une veritable Industrie de production d'huile de baieine ä Red Bay sur la cote sud du Labrador.35 Des cette 6poque, les Basques se sont done fix6s au Labrador et sur la cöte ouest laissant probablement eux aussi des gardiens sur place etant donne l'intensito de l'activite de peche. Entre 1560 et 1570, mille hommes sont implique's dans la peche ä la baleine dans le dotroit de Belle-Isle.36 D'apres Horwood, en 1550, les Basques envoient ä Terre-Neuve 200 bateaux avec ä leur bord pres de 6000 hommes. Les Fransais arment 60 bateaux transportant 2100 hommes en 154037 et quarante ans plus tard le nombre de bateaux atteint 150 unitos.38 Les Anglais participent 6galement ä la peche terre-neuvienne mais seulement une quarantaine de leurs bateaux arment pour Terre-Neuve. Us se cantonnent ä la cöte est. Ainsi des le XVIe siecle, l'etablissement des postes de peche permanents occasionne rarrivee des premiers colons. On ne peut parier encore d'un v£ritable peuplement mais ces premiers pionniers, en creant un precedent, suscitent les initiatives de peuplement ä venir. Les mouvements qui vont alimenter ce peuplement apparaissent dans les d6veloppements d'une activite de peche terre-neuvienne en pleine expansion. Toutes les cotes de 1'ile sont maintenant connues et chaque nation se repartit dans une region ou eile peut mener ses activite's avec le moins de concurrence possible.39 LeXVIIesitcle a) Basques etAcadiens A Taube du XVIIe siecle, la presence franfaise en Amerique du Nord prend un nouvel essor. La colonisation de l'Acadie commence en 1603 et Quebec est fonde" en 1608. Le developpement du trafic maritime dans cette region favorise la presence fransaise sur la cöte sud de Terre-Neuve.
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Selma Huxley Barkham, The Basque Coast of Newfoundland, Newfoundland, 1989, p. 12. National Geographic, op. at., pp. 40-71. The Illustrated History of Canada, edited by Craig Brown, Toronto, Lester and Orpen Dennys Limited, 1987, p. 21. Harold Horwood, "French in Newfoundland", Memorial University of Newfoundland, 1968, p. 4. Julien Thoulet, Un Voyage a Terre-Neuve, Paris, Nancy, Berger-Lerrault & Cie, Librairies Editeurs, 1891, p. 47. Voircarten B 3p.21.
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Carte n- 3 : Presence frai^aise, basque, portugaise et autochtone ä Terre-Neuve au XVIe siecle
Terre-Neuve Bcothucks
Fr annals Dasqucs fian^ali el espagitols
SOURCE: Andri Magord, juillcl 1992
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A cette meme dpoque, les pecheurs fran9ais installs sur la cote est de la pe"ninsule d'Avalon ä la Manche, Forillon, Fermeuse, Rognouse, entre autres, sont chasses par les Anglais et se rofugient plus au sud. Lorsque le gouvernement franc.ais cherche ä fonder une colonie ä Plaisance dans les annoes 1620, il trouve ainsi: "un certain nombre d'habitants dissominos sur toute la partie de la cote sud comprise entre la baie des Tre"pas et le Cap d'Espoir.."40 Ce sont probablement certains de ces pecheurs franc.ais d61og6s de la cote est qui sont ä l'origine de la fondation de Plaisance en 1626. Charles de La Morandiere souligne que la cote sud n'6tant pas bloquie par les glaces : "Plaisance eut pour origine le desir de certains pecheurs de s'installer d'une facon definitive dans cette region, d'y hiverner pour s'y livrer aussi bien ä la peche d'automne et de printemps qu'ä celle d'oteY'41
Plusieurs autres communautos sont fondoes dans cette rdgion ä la suite du d6veloppement de rindustrie baleiniere. D'autre part, il est possible que des 1613, apres la destruction de Port Royal par les corsaires anglo-am6ricains, des Acadiens cherchent refuge sur la cöte sud de Terre-Neuve, commen9ant ainsi un mouvement migratoire qui va constituer une des principales dynamiques du peuplement franco-terreneuvien pendant pres de trois siecles. A la meme 6poque, les Basques poursuivent leur implantation sur la cote ouest. Les baleines n'otant plus en nombre tres important, ils doivent deVelopper leurs activites de chasse au phoque et de peche ä la morue.42 Ils s'installent sur les lieux les plus proches des meilleurs endroits de peche. Des 1602, les emplacements des futures communaute's francoterreneuviennes figurent ainsi sur une carte Barkhammaritime.43 La presence basque sur la pöninsule de Port-auest prouvee par la de"couverte du premier document e"crit sur la cöte ouest de Terre-Neuve. En 1632, le capitaine Antonio de Yturribal?aga ridige le testament d'un marin basque mourant en commenc.ant en ces termes : "En el parajal de la isla de San Jorge ... at 48°30 north of the equator...>>44 En 1677, alors que comptait seulement huit bateaux frangais sur la cote ouest, Detchevery, un cartographe basque confirme la predominance de ses compatriotes sur le littoral ouest. Les ports de Trois lies, Bonne Baie et de Ingornachua sont tous occupes par des pecheurs
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C. de La Morandiere, op. cit., p. 406. Cette these est soutenue par les chiffres du recensement publio dans H. Horwood, (1968), op. cit., p. 7 et par la lettre de Lord Baltimore demandant en 1621 d'envoyer un navire militaire aim de chasser les Francais de Trepassey, dans J.D. Rogers, A Historical Geography of the British Colonies, vol. 5, Part IV, Newfoundland, Oxford, at the Clarendon Press, MDCCCLXI, p. 62. C. de La Morandiere, op.cit., p. 279. Laurier Turgeon, "Peches Basques en Atiantique Nord (XVIIe-XVIIIe siecle)", these de doctoral de 3e cycle sous la direction de Pierre Guillaume, Universiti de Bordeaux III, 1982. Selma Huxley Barkham, "The Fishermen's Contribution to the Early Cartography of Eastern Canada", Ottawa, a paper presented at the eleventh international Conference on the history of cartography, July 1985, Figure 10, Carte de M. Tatton. Document d'archive decouvert par Selma Barkham. Dans S. Barkham, (1989), op.cit., p. 14, "La isla de San Jorge" est Factuelle "He Rouge".
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basques.45 Le fait le plus marquant reste toutefois que sur la pdninsule de Port-au-Port, les emplacements choisis par les Basques pour ötablir leurs postes de peche permanents correspondent exactement ä ceux qui sont ä l'origine des cornmunautos fran9aises qui sont au centre de notre e"tude, soit le Cap-Saint-Georges, 1'Ile Rouge, La Grand'Terre, Maisonsd'Hiver, L'Anse-a-Canards et La Barre.46 Au XVIIe siecle, la presence de colons pionniers au sud de Terre-Neuve, en Acadie, au Quebec et au Labrador laisse supposer que la cote ouest de Terre-Neuve, qui b6ne"ficie d'une activitd intense, et notamment les quatre communautes que nous venons de citer sont dejä habitues.47 Cette these est renforcee par la presence des autochtones et par 1'interet qu'ils reprosentent pour les Europoens de l'epoque. b) La contribution des autochtones En premier lieu, rappelons que les Inuit vivent sur la cote sud du Labrador et sur la pe"ninsule Nord depuis plusieurs millenaires lorsque les premiers Europoens arrivent. On sait malheureusement peu sur l'autre peuple autochtone de 1'ile, les Beothucks si ce n'est que deux siecles suffisent aux Europe"ens pour les exterminer jusqu'au dernier. L'histoire de la presence micmac ä Terre-Neuve souleve encore aujourd'hui de nombreuses controverses. Les Micmacs soutiennent que leur presence sur 1'ile remonte ä plusieurs mill6naires, tout comme les Beothucks, mais aucune recherche archoologique n'a encore pu prouver ce fait. Le premier temoignage de la presence micmac ä Terre-Neuve provient de notes 6crites par Samuel de Champlain lors de son exploration de la cote ouest en 1604 ou il declare que les Micmacs viennent ä Terre-Neuve de fac.on saisonniere en traversant le ddtroit de Cabot dans leurs canoes.48 Les premieres sources d'information sur l'union entre les Fran^ais et les Micmacs proviennent d'ailleurs d'Acadie. En 1632, un nouveau groupe de colons bretons et normands est envoye" en Acadie. Contrairement aux Anglais, et ce fait se ve"rifie dans toute I'histoire coloniale franchise, les colons fran9ais tissent rapidement des liens serris avec la population autochtone, acceptant facilement les manages inter-raciaux. Un grand nombre de ces nouveaux colons öpousent des femmes micmacs. Les Micmacs d'Acadie deviennent par la suite les alliis militaires des Franc.ais qui leur imposent la religion catholique. Unis aux Fran9ais, les Micmacs les accompagnent lors des difförents mouvements de migration vers Terre-Neuve.49 45
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D'apres Detchevery, dans S. Barkham, (1989), op. tit., p.14. E. R. Scary rapporte que le nom Port-au-Port provient du basque "Apphorportu" ou "Orphor portu" signiflant probablement un port tres calme. De meme Ingomachoix provient du basque "angura chou", (mauvais ancrage) et Port-au-Choix de "Portuichoa" ou "Portu chocaharra", (petit port). D'apres E. R. Seary, "Some Portuguese, Spanish and Basque Places Names in Newfoundland", (non publio), 1971.
Se reporter ä la carte n» 6 p. 33. Le premier document officiel qui authentifie la presence de colons sur la cote ouest ne remonte toutefois qu'en 1714, dans S. Barkham, (1989), op. cit., p. 18. Dorothy Anger, Noywa' mkisk (Where the Sand Blows), Port-au-Port East, Newfoundland, Baie Saint-Georges Regional Band Council, 1988, p. 9. D'apres H. Horwood, (1968), op. cit., p. 19.
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La cohabitation avec le peuple inuit s'avere beaucoup plus problematique. Les cas degressions violentes imaillent l'histoire et les Europeens ne profitent jamais d'une cooperation ou d'une domination pacifique. En 1677, Detcheverry raconte en de"tail les precautions prises par les deux camps lors du troc. Inuit et Europ6ens se tiennent sur les bords opposed d'une riviere et les marchandises sont 6changees par des canoes envoyes d'un bord ä 1'autre.50 L'histoire des relations entre Europ6ens et autochtones allie parfois le meilleur et souvent le pire mais, dans les deux cas, favorise l'expansion du peuplement colonial. Les autochtones facilitent l'adaptation des colons en partageant leur savoir faire et surtout en fournissant des fourrures qui sont ä la base d'un commerce lucratif. Us precipitent le peuplement europe"en initial en rendant indispensable la presence de gardiens dans les postes de peche qu'ils de"truisent pendant 1'hiver. Basques, autochtones et Fran5ais repre"sentent done les composantes plausibles d'un peuplement initial sur la cote ouest. Le phonomene le plus significatif du peuplement terreneuvien au XVIIe siecle reste toutefois le developpement de communautes frangaises sur la cöte sud de l'ile et l'amorce de mouvements migratoires le long des cotes.51 Dans le courant du XVIIe siecle, les armateurs europeens envoient leurs navires vers les memes destinations qu'au XVIe siecle. La France et l'Angleterre en lutte pour obtenir le monopole de la peche ä Terre-Neuve intensifient leurs efforts de colonisation. Les Anglais s'implantent dans les baies de la Trinite", de la Conception et sur la cöte est de la peninsule d'Avalon tandis que les Fran5ais maintiennent leur presence au Petit Nord ainsi que sur la cote sud ou Plaisance, fortifie" en 1662, compte 640 habitants en 1687, auxquels s'ajoutent les centaines de pecheurs contractuels qui restent sur place pendant 36 mois et les milliers de pecheurs saisonniers qui arrivent chaque printemps et repartent chaque automne.52 La combinaison de ces difforents facteurs contient les germes de 1'evolution du peuplement terreneuvien au XVIIIe siecle. Le XVIIIe siecle, un peuplement en marge de I'officialita En 1701, la France et l'Angleterre s'affrontent lors de la guerre de succession d'Espagne. En 1710,1'Acadie est prise par les Anglais. Lorsqu'en 1713 la France reconnait officiellement la perte de cette colonie, des Acadiens viennent se rofugier dans les communautos de la cöte sud de Terre-Neuve ou certains avaient coutume de venir chasser et faire du troc.53 Ce mouvement migratoire s'otablit et s'amplifie au point que le gouverneur anglais essaye de retenir les colons acadiens en empechant l'achat des greements pour leurs bateaux.54
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S. Barkham, (1989), op.cit., p. 18. Voir carte nB 4 p. 25.
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C. de La Morandiere, op. cit., p. 432.
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H. Horwood, (1968), op. c/ ., . 29. Ibid.
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Carte nfi 4 : Presence fran^aise, anglaise et autochtone ä Terre-Neuve au XVIIe siecle
Labrador
SOURCE: Andri Magord, juillcl 1992
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Sur la cote sud, Plaisance est dosormais aux mains des Anglais et devient Placentia. Les pecheurs fran9ais qui de"sirent rester sur place doivent preter un serment de fidelito ä la couronne d'Angleterre. Sur les 640 colons franc.ais alors pr6sents, pres de 450 restent sur place dans un premier temps. Toutefois 1'Angleterre ne se donne jamais vraiment les moyens de gouverner la cote sud. L'absence de voritable autorite" officielle est neTaste aux colons fran?ais. Ceux qui essayent de rester dans la rogion de Plaisance sont vite docouragos par le traitement injuste que leur infligent les peu scrupuleux repre"sentants du gouvernement local. Certains Fran9ais se fondent dans la population anglophone. Les autres se diplacent vers l'ouest de la cote sud ou les Anglais s'aventurent rarement et prolongent ainsi le mouvement migratoire amorce par les premiers colons fra^ais au XVHe siecle selon une logique facile ä saisir; les colons preforant fuir 1'extension progressive d'autoritds diverses en direction de nouveaux espaces libres. Diffe"rentes tentatives d'e"tablissement vont dorenavant s'e"chelonner le long des cötes selon un mouvement est-ouest. "La Grande Liaison" La presence anonyme d'habitants permanents dans des regions öchappant ä tout contröle officiel offre des perspectives de prosperite" ä tous ceux qui de"sirent se soustraire aux taxes exorbitantes et aux monopoles d'entreprises. Pour les colons, il ne s'agit pas de s'enrichir mais de mener une vie independante apres une existence anterieure souvent misereuse. Pour les petits armateurs europoens et pour tous ceux d'Ame'rique du Nord, la perspective d'un commerce clandestin dchappant au monopole des grandes compagnies represente une aubaine sans pareille. Tout au long du XVIIIe et du XIXe siecles, un commerce clandestin s'etablit ainsi sur les cotes sud et ouest de Terre-Neuve, doterminant souvent les conditions du döveloppement du peuplement. L'exemple d'un armateur malouin nomme Chenu, illustre parfaitement notre propos.55 Proprietaire d'un poste de peche ä Fortune, il essaye apres 1713 de maintenir son activite" en pretant serment ä la couronne d'Angleterre. Apres quelques annoes il d6place toutefois son poste de peche au Cap Ray. En 1723 et 1724, il recrute des pecheurs ä 1'ile Scatari.56 Parmi ces hommes, se trouvent Basile Bourny et M. Sabot qui habitent Fortune en 1714 et connaissent probablement Chenu. D'autres r6sidents de Fortune ou de Hermitage comme les Vincent, les Commaire et les Durand forment le noyau des communautos de Cap Ray et de Codroy sur la cote ouest pour les vingt annees ä venir. Le Cap Ray devient rapidement la plaque tournante d'un trafic international entre les bateaux fran9ais saint-pierrais, acadiens qu6b6cois, basques et de la Nouvelle-Angleterre. Un commerce particulierement intense s'installe dans le triangle forme par Saint-Pierre et
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Olaf Uwe Janzen, "«Bretons... sans Scrupule»; The Family Chenu of Saint-Malo and the Illicit Trade in Cod During the Middle of the XVIIIth Century", Martinique & Guadeloupe, a paper presented at the annual meeting of the French Colonial Historical Society, May 1988, pp. 14-21. Situee ä Test du Cap Breton.
Le peuplement
franco-terreneuvien
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Miquelon, la cote sud et ouest de Terre-Neuve et l'Acadie. Saint-Pierre et Miquelon importe du bois de la cote sud mais aussi du foin et de l'avoine de la val!6e de Codroy et de la baie SaintGeorges. Les marchands quobecois viennent chercher du hareng sur la cote ouest, de l'huile de baleine sur la cote sud et de l'alcool, du tabac et des produits de manufacture ä Saint-Pierre et Miquelon. Les Basques et les Fra^ais du Labrador ainsi que les navires anglo-am6ricains se joignent ä ce trafic international. L'entrepöt construit au Cap Ray est souvent pr6fer6 ä ceux de l'Ile Royale beaucoup plus surveill6s et plus frequemment attaquos. Toute cette activito permet aux communaute's non seulement de perdurer mais aussi de se dovelopper. Le gouvernement anglais ne se donne jamais les moyens de mettre un terme ä ce commerce illogal. Desservi par des representants facilement corrompus, il reconnait son impuissance et qualifie la r6gion du Cap Ray de "little commonwealth in itself le gouvernement fransais parle de "cette petite ropublique".57 En fait le plus grand danger pour les colons de cette region vient plutöt des pirates qui croisent souvent dans ces eaux peu surveill6es. La tradition orale franco-terreneuvienne rapporte la pr€sence d'un pirate nomine" Cobin qui aurait eu son quartier genöral ä la baie Saint-Georges dans les annöes 1790.58 En 1734, dix families vivent au Cap Ray. Sept ans plus tard, ce chiffre triple mais la moiti6 seulement de la population est fran9aise. La plupart des autres habitants sont des Irlandais qui viennent sur la cote sud pour ochapper aux conditions de vie mise"rables qui leur sont riservoes dans les rogions dominoes par les marchands anglais. Parmi les pecheurs fran9ais, beaucoup sont cölibataires et vont se marier ä Tue Royale. En 1792,1'ordonnateur Bigot ocrivit: "J'ai trouv6 a Niganiche (sur 1'Ile Royale) une grande liaison avec le Cap Roy. Les Francois qui se sont otablis sur cette cote venaient se marier ä Niganiche et ramenaient leur femme avec eux. Je n'avais pas jusqu'ä present instruit de ces manages.. J'ai prio le euro de Niganiche de ne plus faire de ces manages. Le Cap de Roy augmente tous les jours en Francais. Outre que la peche y est abondante, c'est qu'ils y sont indipendants."59
Toutefois lorsqu'en 1744, la guerre de succession d'Autriche delate entre la France et 1'Angleterre, le gouverneur de l'Ile Royale fait eVacuer certaines communautis fran^aises comme La Poile et Port-aux-Basques. Apres le traite de paix d'Aix-la-Chapelle en 1748, les deux pays s'affrontent ä nouveau en 1756. convient ä ce stade de notre prosentation de prociser le fonctionnement d'une histoire dans I'histoire. Les historiens tels que Anspach, Pedley, Harvey ou Prowse60 privile'gient une approche romantique pour prosenter ces poriodes de conflits en insistant sur les faits d'armes, 57 58
59 60
O. Janzen, (1988), op. « ., . 49. Ce fait est par Harold Horwood, Pirates and Outlaws of Canada 1610-1932, Toronto, Double Day Canada Limited, 1984. Archives Nationales, Colonies, ClIB, 24, f. 117, dans C. de la Morandiere, op. at., p. 846. Cf bibliographic.
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les morts et en ne retenant que les decisions officielles. Horwood refute cette perspective en rappellant qu'en quatre siecles, les conflits franco-anglais ä Terre-Neuve font moins de 1000 morts.61 Nous soutenons ce point de vue car, s'il est vrai que les differents traites marquent tour ä tour l'extension de la domination anglaise sur 1'ile, ils entrainent presque toujours les mouvements de migrations est-ouest doja 6voquos. Les decisions officielles nogocioes en Europe sont en fait presque toujours detournees. De plus, 1'antagonisme entre la France et l'Angleterre a peu de repercussion dans les communautds locales isoloes ou le ddsir d'autonomie 1'emporte sur les clivages que pourraient causer les differences d'origines. Les cas de divisions ou de discrimination sont toujours associes ä l'initiative des repre"sentants officiels dosireux de faire appliquer des lois contraires ä une realite locale qui defie toute logique politique de l'öpoque. L'entraide entre pecheurs d'origines fransaise et anglaise (irlandaise et anglo-normande essentiellement) permet ainsi 1'implantation en temps de guerre de colons appartenant ä une nation ennemie. Charles de La Morandiere rapporte qu'un morutier est arraisonno par une frigate anglaise le 21 aoüt 1755 au Cap Ray. Interroge par les Anglais, le capitaine rdpond : "...qu'il itait venu faire sä peche ainsi qu'il avail coutume depuis trente ans...L'Anglais lui ropondit que ce n'otait pas permis aux Francais d'apres le traito d'Utrecht sauf depuis Bonavista jusqu'ä Portichery (Port-auChoix)."62 Ce temoignage en dit long sur l'impact röel du traite d'Utrecht dans les regions isoloes. Une veritable histoire dans 1'histoire se doroule en fait sur la cöte sud-ouest de Terre-Neuve. En 1756, l'acces ä Terre-Neuve est ä nouveau interdit aux navires francais. Une population fran9aise locale continue cependant ä vivre sur place grace au maintien du troc avec des bateaux franc.ais qui osent braver la marine anglaise ou avec des marchands clandestins venant de 1'ile Royale, du Quebec ou de la Nouvelle-Angleterre. A la suite du traito de Paris en 1763, la France ne possede plus que Saint-Pierre et Miquelon mais eile a maintenu ses droits de peche ä Terre-Neuve. L'arrivoe de colons fransais peut done continuer mais ce sont surtout des Acadiens victimes du Grand Derangement63 qui cherchent ä s'installer sur la cote ouest. En 1764, un reprosentant du roi de France est envoye sur la cote ouest avec instruction d'empecher les Fran5ais de rester dans la rdgion une fois leur peche terminoe. "A cet 6gard, on lui enjoignait, s'il restait des hommes sur la cöte apres le dopart des navires d'en avertir le gouvemement anglais ä Terre-Neuve."64 Ces mesures n'auront jamais raison de la de colons docidos ä preserver leur nouvelle existence et lorsqu'en 1766 James Cook est envoye par la couronne d'Angleterre pour 61 62 63
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H. Horwood, (1968), op. at., p. 12. C. de La Morandiere, op. at., p. 847. En 1755,1'armoe anglaise doporta des milliers d'Acadiens dans des conditions atroces. Voir ä ce sujet la derniere publication sur l'histoire des Acadiens, Yves Cazaux, L'Acadie Historique des Acadiens. Du XVIIe aide a nos jours, Paris, Albin Michel, 1992. C. de La Morandiere, op. tit., p. 893.
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inspecter la cote ouest, il trouve plusieurs communautes sur la partie sud de ce littoral.65 Parmi ces colons pionniers, des families comme les Vincent, les Bourny et les Commaire dont on note le passage ä Saint-Pierre et Miquelon, Fortune, Hermitage et Gröle, entre 1690 et 1715, se retrouvent sur la cote ouest apres avoir souvent transito par 1'Acadie.66 D'autres colons ont sans doute echappe aux expulsions en se fondant parmi la population anglaise environnante. Enfin notons qu'en d6pit de deportations tragiques et multiples, de nombreuses families acadiennes perseverent dans leur quete d'une vie libre et ind6pendante et multiplient les tentatives d'implantation ä Saint-Pierre et Miquelon, au Nouveau-Brunswick et sur la cote ouest de TerreNeuve.67 Citons 1'exemple d'une famille Benoit d6port6e aux Malouines en 1755, rapatriee en France, repartie ensuite ä Saint-Pierre et Miquelon et qui s'installe enfin sur la p6ninsule de Port-au-Portenl860.68 Cette formidable determination reprosente un eliment essentiel de l'histoire du peuplement francophone sur la cote ouest de Terre-Neuve. Le peuplement sur la partie nord de la cote ouest est alimento par un mouvement similaire ä celui de sa partie sud. Le traito d'Utrecht autorise la presence fran9aise au nord de la cote ouest jusqu'ä La Pointe Riche. L'ambigui'te' du traite", evoquee ulterieurement, rend toutefois possible l'implantation de colons anglais sur tout le littoral que les Fran9ais utilisent pour le salage et le sichage du poisson. Les conflits engendre"s par cette situation et l'expansion rapide de la population anglaise creent le meme mouvement est-ouest que sur la cote sud, vers le dernier espace libre. Plusieurs postes de peche sont 6tablis au-delä de la limite officielle de la Pointe-Riche. Le gouvernement frangais essaye meme d'avancer que la dite Pointe Riche se trouve bien plus au sud que le lieu design6 par les Anglais. A partir des annoes 1770 implantation de colons francophones sur la partie nord de la pdninsule Nord est facilitie par le ddveloppement d'activitis commerciales avec des marchands quebecois qui s'installent sur la cote sud du Labrador. L' atablissement de communautos frangaises en terre ennemie : aboutissement d'une logique En 1783, ä la suite du traite de Versailles, les limites officielles de la cote fran9aise sont deplacees du littoral nord ouest au littoral ouest entre le Cap Saint-Jean et le Cap Ray. A cette opoque, les pionniers en quete d'une vie nouvelle ont repousse les limites de "la frontiere" jusqu'ä la cote ouest. Us ont ainsi cr£e" une tradition de peuplement independant et de commerce clandestin. Les Basques, les Fran9ais puis les Acadiens, souvent li£s aux autochtones ont perpotue cette tradition depuis le XVIe siecle. A la fin du XVIIIe siecle, 65 66 67 68
O. Janzen, (1988), op. dr., p. 41. O.Janzen,(1988),op. at., p. 41. Voir carte ne 5 p. 31. Information communiquoe par Gerry Bennett, genealogiste des families Benoit sur la cote ouest de TerreNeuve. L'histoire des Acadiens aux lies Saint-Pierre et Miquelon est prosentde en ddtail dans: Michel Poirier, Les Acadiens aux lies Saint-Pierre et Miquelon, les Editions d'Acadie, 1984.
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Une
francophone
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presque tous les meilleurs postes de peche, Port-aux-Basques, Codroy, Saint-Georges, CapSaint-Georges, I'fle Rouge, La Barre, Bale des lies, Bonne Bay, Port-au-Choix et Ferolle ont une tradition de peche de plus de deux siecles. S'ils ne le sont dejä, ces lieux vont rapidement etre tous habitos de fa5on permanente par des pecheurs sidentaires. Le dernier espace libre de Tile est maintenant occupe\ L'histoire officielle et celle du peuplement anonyme se rejoignent. Conformoment ä 1'esprit d'Utrecht, la France empeche l'implantation de toute force concurrente dans les domaines de la peche, du commerce, de l'industrie miniere, forestiere et des chemins de fer. La cote ouest demeure ainsi un "no man's land" ou les autoritos franfaises et anglaises se neutralisent mutuellement. De meme, le monopole oconomique que les compagnies commerciales de la cote est veulent exercer est longtemps exclu. Un commerce clandestin qui garantit aux colons une amölioration de leur niveau de vie peut ainsi perdurer entre la cote ouest, Halifax, les EtatsUnis et Qu6bec. En gardant les caractoristiques de Iibert6 et d'indopendance du monde de la frontiere, la cote ouest continue d'attirer des pionniers dont la d6termination permet de contrecarrer la clause du traite" d'Utrecht provue notamment pour empecher l'otablissement de colons. L'£tude du rapport des forces en presence permet de comprendre les conditions du peuplement local. A partir de 1783, la prosence fransaise ne prend pas 1'essor escompti, les armateurs montrant un enthousiasme limito pour envoyer leurs navires dans une r6gion qu'ils connaissent peu. De plus, de nombreux colons de Grande-Bretagne s'installent durant les quinze ann£es d'interruption de la peche fran9aise occasionnoe par les guerres napolooniennes. En 1816, apres un nouveau traitö de Paris, on retrouve ainsi la meme situation conflictuelle qu'avant le traito de Versailles. Rappelons que les Fran9ais ont le droit de pecher et de socher le poisson sur la cöte mais ils ne doivent en aucun cas s'otablir de fason permanente alors que les Anglais peuvent en thöorie s'installer sur place mais ils ne doivent mener aucune activite" interferant avec la peche fran9aise. Les rapports des officiers fran^ais relatant le reglement de cette situation sont souvent ambigus. Ils soulignent le danger de l'implantation d'une population södentaire franco-acadienne et anglaise. Un capitaine explique que ce fait est inquiitant car il peut permettre au gouvernement anglais de justifier une modification des droits de peche franfais.69 II n'est toutefois pas possible non plus d'6vacuer une population anglaise forte de pres de 2000 ämes dans les anne"es 1830 sans entrainer un conflit majeur avec l'Angleterre. Les officiers de la marine franc.aise fönt savoir qu'il leur semble trop inhumain d'empecher ces colons qui vivent dans des conditions souvent pricaires, de faire une peche vivriere. Cette attitude charitable est aussi motived par la peur de repre"sailles contre les 6tablissements de peche et les stocks de sei pendant l'hiver.
69
C. de La Morandifcre, op. dt., p. 1175.
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Carte ns 5 : Presence franchise, anglaise, acadienne et autochtone ä Terre-Neuve au XVnie siecle
1... ..S^nljohn'i 2... . Fofllton 3... ..L» Manch« 4... ..Feiern»? 5... ..RognouK 6... ..BdedaTitpa» 7... ..Ptalianct 8... ..Fortune 9... ..Crole
10. Salnl lleire 11. Mtauelon 12. 1 Icrmllag« 13. UPoU* 14. Tori aui Baaquei IS. C.pRoy 16. Cod Roy 17. FttaUti 18. Bale Notn Dame
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-«-.SOURCE: Andre Magord, juillcl 1992
Migration (franfaist) Migration (anglaise)
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Une minoritafrancophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Les changements des modes de peche et les modifications du traite sont ä l'origine de poriodes de tension et meme de violence mais, en regie g ne ale, la cohabitation entre les pecheurs saisonniers fra^ais et la population locale est source de cooperation. En echange d'un service de gardiennage pendant l'automne et l'hiver et de l'approvisionnement en appäts au printemps et en 6t6, les pecheurs francais autorisent les colons ä faire une peche vivriere. Us ne s'opposent apparemment pas au commerce clandestin avec d'autres nations et troquent souvent euxmemes des biens de premiere ne"cessite" centre des fourrures ou des legumes frais. Wilson qualifie ainsi cenains colons de ve~ritables "auxiliaires" de la peche fransaise.70 Un capitaine temoigne ä propos de colons irlandais en ces termes : "On ne peut que se foliciter des bons proceües qu'ils ont envers les Frangais, on n'a jamais ä s'en plaindre. Us sont d'ailleurs en bien petit nombre sur une terre qui est leur refuge depuis trente ans."7l
Les officiers frangais prennent simplement soin de ne jamais signer d'accords Merits qui pourraient servir de base juridique ä des revendications de la population locale. L'etablissement et le developpement de nombreuses petites communautos est ainsi toler6 en vertu d'ententes ä 1'amiable prononcees entre les colons et les autorites fran9aises qui proferent negocier devant la determination des pionniers. En prolongeant le traite" d'Utrecht pendant pres de deux siecles, I'Angleterre atteint son double objectif d'empecher le deVeloppement d'une colonisation massive dans des regions qui echappent ä son contröle et de preserver la peche saisonniere. Le d6calage entre ces preoccupations de politique internationale et la realite" locale a toutefois engendro un peuplement limito avec ses caractoristiques propres et rejetant tout Systeme en place. La plupart de ces communaut6s sont peuploes de colons d'origines diverses. L'otablissement et le deVeloppement de communautos fran?aises homogenes sur une terre ötrangere et longtemps ennemie nocessitent done des explications supplementaires.
Les communautos frangaises de lapininsule de Port-au-Port: la those de la derniere frentiere Au dobut du XIXe siecle, Charles de La Morandiere demontre en citant un document de 1821 que, en plus des deux families initialement otablies dans la baie Saint-Georges en 1780, "18 autres sont maintenant präsentes, ce qui forme une population de 119 individus sur lesquels il y a un grand nombre en äge de se marier."72
70 71 72
Rev. Harold Wilson, The French Shore Question, Newfoundland, S .E. Garland Publisher, 1904, p. 96. Archives Nationales, Marine, BB4,412, fo 149, dans C. de La Morandiere, op. cit., p. 1175. Annales maritimes, 1-14, annee 1821, p. 961, dans C. de La Morandiere, op. dr., p. 1171.
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Le peuplementfranco-terreneuvien
Carte n2 6 : La Peninsule de Port-au-Port
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SOURCE: Andre IvUgord. |uillci 1W2
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Une minoritl francophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Dix ans plus tard, la population de la baie Saint-Georges est d'environ "2000 ames qui peuvent se diviser en quatre parties, savoir: 400 Anglais, 1200 Acadiens, Frangais et Sauvages 400".73 Au sud de la cöte fran9aise une population d'origine mixte croit rogulierement dans les communaute's de Petite Riviere, Grande Riviere et Codroy. De plus, l'implantation des colons fransais est facilitoe par une modification des regies d'acquisition des lieux de peche. En 1815, les patrons de peche fran9ais, soucieux d'oviter le Probleme de la concurrence demandent que les postes de peche soient delivre's par tirage au sort pour une poriode de cinq ans. Les pecheurs saint-pierrais qui ne peuvent pas participer au tirage au sort en motropole obtiennent attribution de cinq postes ä Codroy, Baie Saint-Georges, Portau-Port, Cap-Saint-Georges et 1'Ile Rouge.74 Les pecheurs franc.ais qui reviennent tous les ans au meme endroit peuvent dvaluer la vie sur place, 61aborer des plans et cröer des liens avec la population locale acadienne. Cette situation encourage l'installation de marins fra^ais qui ne"gocient leur liberti ou disertent.75 Toutefois le taux d'immigration anglaise, facilit6e par l'absence de toute autorito fran^aise pendant l'automne et l'hiver d6passe rapidement celui des colons fran9ais qui doivent faire face ä une double situation d'illogalito vis-ä-vis des gouvernements fran9ais et anglais.76 A partir de 1830, en dehors d'un groupe d'agriculteurs acadiens rassemblos dans la rogion de Stephenville, les communaute's de la cöte ouest sont progressivement dominoes par la population anglophone. L'int6grit6 linguistique et culturelle des groupes francophones est ainsi progressivement roduite au domaine de la vie privoe. Soucieux d'ochapper ä toute structure opprimante, des pecheurs fran9ais choisissent alors de s'installer sur la derniere frontiere possible, la cote ouest de la peninsule de Port-au-Port. Les premiers pionniers de cette nouvelle phase de peuplement s'e"tablissent ä Cap-Saint-Georges. A partir de ce stade initial, le lien cr66 par la rencontre entre Fran9ais, Acadiens et Micmacs et, dans une moindre mesure, Basques et anglophones a permis de perpötuer une presence francophone sur les cotes de Terre-Neuve. Ce lien joue un role primordial puisque sans 1'apport des francophones de Saint-Georges principalement mais aussi de tous les groupes francophones de la cote fran9aise, les comrnunautis de la derniere frontiere n'auraient pas pu se dovelopper en maintenant leur intfgrito linguistique et culturelle. L'histoire des colons pionniers dont chaque tentative d'6tablissement sert de modele incitateur, de base d'accueil et de relais pour les nouveaux arrivants animos par le meme d6sir d'une vie nouvelle trouve ainsi un 73
Archives de l'Institut de la Marine de Saint-Pierre et Miquelon, El, 1, IV, piece 1 dans C. de La Morandiere,
74
Voir carte ne 6 p. 33 pour 1'emplacement des quatre derniers lieux. Nous savons que les patrons de peche laissaient souvent des pecheurs ä Terre-Neuve pour surveiller les installations de peche pendant l'hiver. Des pecheurs obtenaient de leurs patrons la permission de rester sur place. II semble que les colons aient chercho ä echapper ä ces autoritos en se faisant naturaliser. Le recensement de 1921 qui indique les dates d'arrivee des colons francais et leur date de naturalisation montre que la majorite^ de ces personnes obtiennent la nationalitg anglaise dans les annees qui suivent leur arrived. Des 1830, un nomm6 Lafillatre dopose une demande en ce sens aupres des autoritds terre-neuviennes, Newfoundland House of Assembly Journal, 1851,p. 173.
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76
.
., . 1179.
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aboutissement cohorent. Plutöt qu'ä une naissance, la fondation des communautos francoterreneuviennes dans le courant du XIXe siecle correspond done ä une renaissance ou plus exactement ä un prolongement de l'histoire de la presence fran9aise ä Terre-Neuve. Dans les ann£es 1860, le village de Cap-Saint-Georges compte dejä une vingtaine de families qui, ä leur tour, vont grossir les populations initiales des communaut6s de La Grand'Terre, Maisons-d'Hiver, L'Anse-ä-Canards ainsi que La Barre. Grace ä cet apport, ces quatre communaut6s acquierent une base de population homogene qui suscite la derniere vague d'immigration de pecheurs frangais. L'arrivoe groupee de ces demiers immigrants de France dans les ann£es 1890 permet d'ancrer la spdcificitd francophone de ces communautos. Pourquoi s'installer a Terre-Neuve ? a) La vie des pecheurs Au XIXe siecle rarmement terre-neuvien perd progressivement de son importance. Toutefois les ports qui jouissent "d'un arriere pays relativement pauvre, ou les hommes vivant miserablement sur la terre avaient intoret ä s'embarquer sur les morutiers de la ville voisine"77 continuent ä armer pour la peche sodentaire qui exige une main d'oeuvre importante. Ainsi la plupart des navires arrivant sur la cöte ouest de Terre-Neuve proviennent des ports de SaintMalo, Grand ville, la region de Saint-Brieux et, ä un moindre degrö, de La Rochelle et du pays Basque, sans oublier Saint-Pierre et Miquelon. Composition de l^quipage. Un equipage de 120 hommes comprend une soixantaine de pecheurs et une quarantaine de travailleurs ä terre.78 Parmi ces deux categories d'employos, un nombre requis de nouvelles recrues est impos6 par le gouvernement soucieux de pr6server sa popiniere de marins pour la flotte de guerre. Les armateurs se plient volontiers ä cette mesure, car les novices age's entre 16 et 25 ans et les mousses äg6s entre 10 et 14 ans, recrutes parfois dans les o helinats, reprisentent une main d'oeuvre ä tres bon marche'. Le reste de l'6quipage se compose du capitaine, d'un pilote quand le capitaine connait peu les lieux de peche, des officiers de marine dont un contremaitre, un Chirurgien, un charpentier parfois le saleur et l'6testeur, ainsi qu'un aumönier. La traversoe et I'arrivle. Les navires terre-neuviens partent au dobut du printemps. La traversoe dure entre quatre et six semaines. La mer souvent agitee, la faim, le manque de confort le plus elomentaire, le froid encore hivemal ä 1'approche de Terre-Neuve ont tot fait de dotruire chez les nouveaux venus toute vue romantique de l'öpreuve ä laquelle il doivent faire face. Sitöt aniv6s ä Terre-Neuve, les pecheurs entreprennent les travaux de construction ou de reparation des installations de peche. Us sont Iog6s "dans des cabanes de branchages qui ne contiennent que des cadres et des hamacs.79 Un bätiment plus sophistiquo abrite le capitaine, 77 78
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C. de La Morandiere, op. at., p. 315. L'ensemble de nos informations proviennent de tömoignages oraux et de C. de La Morandiere, op. dt., p. 8; H. L. Duhamel du Monceau, des Peches, 6 vol., Paris, Sallant et Nyon, 1769. Comte Joseph Arthur de Gobineau, Voyage a Terre-Neuve, Paris, oditions du Jour, Montroal, 1861.
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Une minorito francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
les officiers et tout autre privilegio. Le chauffaut ou avaient lieu diverses opirations de transfonnation du poisson reprosente I'ddifice principal. Lorsque suffisamment de boette a 6t6 accumule'e pour appäter les lignes, la peche peut commencer. Tous les matins, des l'aube, les pecheurs partent par groupe de trois. Le lieu de peche, souvent situ6 ä plusieurs kilometres de la cote est de"signe" par le maitre de chaloupe. Chaque pecheur utilise deux lignes ä main qu'il remonte tour ä tour. Le long de la cote d'autres hommes peuvent tendre des filets ou pecher ä la faux80 en attendant le retour des pecheurs. En fin d'apres-midi chaque chaloupe rapporte ses centaines de monies au chauffaut, long bätiment de rondins qui avance sur la mer. Les conditions de travail des chauffaudiers sont particulierement ponibles. Dans une puanteur indescriptible, ils doivent ouvrir les poissons, les nettoyer, les prdparer pour le salage et re"cup£rer les foies pour la fabrication de l'huile. Apres les operations de salage et de ri^age, il incombe aux graviers d'exposer les poissons au vent et au soleil sur les plages de galets; les greves, ou sur des vigneaux, longues tables de branchage. Au coeur de la Saison de peche, l'ensemble des travailleurs ne b6n6ficie que de deux ou trois heures de sommeil par nuit. La fatigue, le manque d'hygiene et de nourriture convenable donnent ä ce travail un caractere inhumain. Le seul rdconfort vient des rations d'eau de vie largement distribuoes. A la fin d'une bonne Saison de peche, les quantites de monies pechoes sont telles qu'une fois chargees ä bord, il n'y a plus assez de place disponible pour les hommes qui doivent coucher sur le pont. Certains armateurs envoient des "saques", bateaux employes uniquement pour le transport des passagers. Des centaines de pecheurs s'entassent alors sur des embarcations preVues pour recevoir seulement quelques dizaines d'entre eux. A leur retour en France, dans le courant de 1'automne, les pecheurs resolvent leur part des b6n6fices, accordoes selon la function et le rang qu'ils occupent. Les gains sont peu ! $ et parfois nuls si la campagne de peche n'a pas 6te suffisamment fructueuse. Pendant 1'hiver la plupart d'entre eux cherchent des emplois de journaliers dans les fermes. A la lumiere de telles informations, il devient difficile de concevoir les raisons qui peuvent pousser ces milliers de marins ä accepter un travail aussi pönible et dangereux et qui les s6pare de leur famille. II faut comprendre que pour la majorite" de ces hommes venant de milieux tres pauvres, la perspective d'un salaire un peu plus justifie beaucoup de sacrifices. De plus, comme le souligne Jean-Fran9ois Briere, la peche terre-neuvienne est moins meurtriere que celle des voyages tropicaux. "La peche terre-neuviere est dangereuse non pas parce qu'elle tue, on y meurt moins qu'ailleurs, mais par la maniere dont eile tue : brutale, violente, spectaculaire."81 Enfin, une autre dimension de cette activiti pennet de mieux comprendre la
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Cette technique de peche restoe tres populaire ä Terre-Neuve a £t^ longtemps contested car eile blesse beaucoup de poissons sans les prendre. Le pfecheur laisse descendre au milieu du bane de monies un plomb terming par deux grands hamecons. II 1'agite en tirant onergiquement sur le fil. Les monies sont attirees et s'empalent sur les hamegons. J.-F. Briere, op. cit., p. 66.
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franco-terreneuvien
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rosignation de ces hommes face ä un destin si dur. Dans Pecheur de Terre-Neuve*2 un ancien Terre-Neuvas explique les valeurs positives d'une teile öpreuve. Selon lui, les pecheurs doveloppent une aptitude ä resister ä la souffrance et ä supporter 1'injustice. Chacun se forge une volonte plus forte et sort grandi de 1'epreuve. Dans un milieu oü le röle et l'attitude de chacun sont primordiaux pour le succes de 1'objectif commun, le v6cu impose la solidarito si difficile ä apprendre autrement. Enfin, apres une teile epreuve, la vie de retour en France semble plus douce. Ces diffeYentes notions sont probablement evoquoes avec un romantisme excessif par le narrateur mais differents tomoignages nous ont confirmo la sp6cificit6 de ces traits de caractere chez les anciens pecheurs terre-neuviens qui s'installent sur la poninsule de Port-au-Port. b) Les motivations des colons pionniers La seclentarisation des pecheurs terre-neuviens sur la cöte ouest de Tile reprisente toujours une tendance constante pour un effectif reduit. II est bien sur tres difficile de documenter cette pratique qui se veut anonyme par excellence mais divers tomoignages portant sur des epoques difforentes confirme sa Constance. La presence d'un colon francais vivant sur la cöte ouest de Terre-Neuve est rapportee pour la premiere fois en 1714.83 En 1863, Gobineau d6crit plusieurs rencontres avec des deserteurs frangais en divers lieux de la meme cöte.84 Enfin les expediences traumatisantes de deserteurs fran9ais qui se retrouvent isoles dans des communautes anglophones sont abondamment relatees dans la tradition orale anglaise. Ainsi ä Ha-Ha un donomme Beaupatrie s'integre tant bien que mal ä la communautd anglophone locale et change son nom en Beaufils apres son mariage. Quelles peuvent done etre les motivations de ces futurs colons pionniers ? A partir de 1815, les oquipages retournent chaque ann£e au meme endroit. Travaillant ä terre, ils peuvent 6tudier les lieux et 6tablir des liens avec la population locale, notamment avec les Acadiens qui vivent dejä sur place. Pour ces pecheurs qui ont dejä os6 rompre une premifere fois avec leurs structures traditionnelles d'origine, la perspective de l'^tablissement ä TerreNeuve doit sembler progressivement plus plausible. Alors que les liens avec la France perdent de leur force a la suite d'eloignements longs et rep6t6s, la possibilito d'une vie nouvelle sous le sceau de l'independance et de la liberte tente ces pecheurs qui ont appris ä faire preuve de volonto et de determination et qui ont rejete un fatalisme endemique qui les condamne ä trop de misere. En France ils ont peu d'espoir de voir leur condition s'am61iorer tandis qu'ä Terre-
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Sur le Grand Bane. Pecheurs de Terre-Neuve. (Recit d'un Ancien Pecheur), Saint-Malo, France, odition "L'Ancre de Marine". Rendition de de 1905 en 1986. S. Barkham, (1989), op. dt., p. 18. Avant cette date un nomm£ Pierre Constantin avail d6ja construit une maison en 1709 ä Port-au-Choix mais il vivait ogalement au Labrador. J. A. de Gobineau, op. cit., p. 74.
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Neuve, ils peuvent se porter acqu6reurs des terres qu'ils occupent.85 La devise du colon pionnier franco-terreneuvien aurait pu etre, tout est ä moi et vient de moi. Les motifs des doserteurs peuvent 6galement etre plus procis. L'äge de ces nouveaux pionniers au moment de leur arrivöe pennet de mieux determiner les conditions de leur immigration. Ceux qui ont 25 ans ou moins sont en g6n£ral des d6serteurs. Parmi les plus jeunes, entre 17 ans et 19 ans et meme 11 ans pour Jean Cornact86 en 1872, il est fort possible que les conditions tres penibles de leur travail reprosentent la motivation principale de leur d6sertion. Les jeunes orphelins reprosentent certainement des candidats potentiels ä la disertion. Nous avons igalement recueilli plusieurs tömoignages qui affirment que certains de ces jeunes orphelins, ägos de moins de 15 ans, ont 6t6 adopt6s par des families locales. Les nombreuses histoires romantiques transmises par la tradition orale sont probablement exag£re"es. Toutefois nous avons remarqu6 que dans la tranche d'äge des moins de 20 ans, les nouveaux immigrants se marient souvent dans les mois qui suivent leur arrivde. Pour ceux qui ont entre 20 et 25 ans, la perspective approchöe d'un long et p6rilleux service militaire dans la marine fran9aise pousse sans aucun doute la plupart d'entre eux ä prendre leur decision. Parmi ceux qui ont plus de 25 ou 30 ans, soit approximativement 50% de ces nouveaux colons, il convient de rappeler que bon nombre ne sont pas de"serteurs. Certains tiennent le role de gardien des installations de peche, d'autres nogocient leur liberto. M. Yves Bozec par exemple, revient pour s'installer ä L'Anse-ä-Canards apres s'etre acquittö de son service militaire. Les capitaines ont peu de raisons d'empecher ces hommes de rejoindre une population dejä 6tablie, d'autant plus que ces pecheurs travaillent souvent pour eux pendant la saison de peche. L'ensemble de ces immigrants semble avoir obtenu leur naturalisation« facilement. Toutefois certains choisissent de garder leur nationalitö fran9aise, comme Jean Letacanoux et Yves Lemoine par exemple.87 Pour la majeure partie de ces nouveaux immigrants, il semble que la dicision de leur Etablissement dans l'une des quatre communautos de la cote ouest et sud ouest de la peninsule de Port-au-Port soil prise en connaissance de cause apres plusieurs voyages. L'ötablissement des immigrants dans les quatre communaut6s e"tudie"es se r6partit en deux phases essentielles de peuplement, de 1830 ä 1880 et de 1880 ä 1904.
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Cet Moment dut 6tre decisif dans la decision de beaucoup de colons. Notons le paradoxe de l'histoire puisque le gouvemement terre-neuvien accorde des droits de proprioto concemant des terrains dont il n'a pas la jouissance et, qui plus est, ä des colons installed illogalement. Ce patronyme apparait 6galement sous les formes Cornac, Cornect, Comec, Comick ou Lecomic. Voir E. R. Seary, Family Names of the Island of Newfoundland, St John's, Memorial University of Newfoundland, 1976 et Gerald Thomas, (a), "French Family Names on the Port-au-Port Peninsula, Newfoundland", Onomastica Canadiana, vol. 68, ns 1, June 1986, pp. 21-33. Immigros respectivement en 1888 ä L'Anse-ä-Canards et 1896 ä Cap-Saint-Georges.
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Evolution demographique Presentation des donnies La prosentation de evolution de la population dans les quatre communautos qui nous Interessent pose probleme car meme Cap-Saint-Georges n'est pas mentionni dans les recensements de 1836, 1857 et 1869 et les rosultats des premieres enquetes faites sur place en 1874 et 1884 sont plutöt fantaisistes portant tantöt sur un hameau, tantot sur l'autre, au nom de toute la communauto formoe de plusieurs groupes de population etalos le long de la cote. A partir de 1850, les pretres de Saint-Georges tiennent des registres paroissiaux indiquant parfois les communautes d'origines des personnes inscrites. Ces informations sont essentielles mais de nombreuses difficultes compliquent la täche du chercheur. Les pretres g6n€ralement anglophones n'ont aucune notion de fran9ais et transcrivent les noms phonetiquement. Les personnes concernoes, souvent analphabetes ne pouvaient les corriger. Des noms sont 6galement anglicis6s autoritairement. Enfin notons que certaines families vivent dans une communauto pendant la saison de peche et dans une autre pendant 1'hiver, ce qui explique peutetre pourquoi de nombreuses informations sont erron6es ou incompatibles. Ainsi les chiffres donnes par John Mannion pour la population de la poninsule de Port-au-Port : 6 families en 1857,15 en 1866, 10 en 1869, 20 en 187188 sont bien en de?ä des chiffres de la population que peut dresser ä partir des registres de manages, de baptemes et de dices tenus ä partir de 1850 pour le diocese de Saint-Georges. Nous nous proposons d'otudier l'ötablissement de la population des quatre communautos qui nous Interessent ä partir des donne"es que nous avons pu mettre ä jour. Nos listes sont probablement incompletes mais suffisamment premises pour observer les tendances et les variations domographiques. La ropartition des communautes est rogie en partie par les caracte~ristiques geOgraphiques de la rogion. La Pe"ninsule de Port-au-Port se prösente sous la forme d'un triangle de terre qui avance sur pres de soixante kilometres dans le golfe du Saint-Laurent. Au sud-ouest de ce triangle des collines assez 61eve"es descendent vers les vallöes otroites de Cap-Saint-Georges sur le versant sud et de La Grand'Terre sur le versant nord. Plus au nord, L'Anse-a-Canards s'6tale autour d'une baie. La p6ninsule s'effile ensuite en une lohgue et itroite bände de terre qui mene ä La Barre. Cette derniere communaute tourne le dos ä l'ocdan et donne sur une baie intirieure plus abritde. Le choix de ces diffirents emplacements est dict6 par la proximito de lieux de peche immensoment productifs. Enfin chaque communauto se trouve proche d'une riviere qui procure 1'eau potable aux premiers arrivants. Le climat sur la poninsule est peut etre le plus favorable de toute Tile. Les 6t6s y sont plus chauds que nulle part ailleurs ä Terre-Neuve, il y a moins de brouillard, moins de pluie et les 88
John J. Mannion, "Settlers and Traders in Western Newfoundland", Peopling of Newfoundland: Essays in Historical Geography, John J., Mannion ed., Memorial University of Newfoundland, Institute of Social and Economic Research, 1977, pp. 234-75.
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jours ensoleillos sont plus roguliers. Les baies sont parfois bloquees par la glace pendant une courte poriode mais en g6n6ral la navigation est possible toute 1'annee.89 La saison estivale est suffisamment longue pour permettre la culture de nombreux produits v6g6taux. Aux yeux des colons fran9ais, l'abondance du poisson, une vie en toute libertö et le gain de la totalitö du fruit de leur travail compensent la rudesse du climat. LEtablissement des premieres families Nous avons dressi les listes des Franco-Terreneuviens qui se sont otablis dans les quatres communaute's de Cap-Saint-Georges, de La Grand'Terre, de Maisons-d'Hiver et L'Anse-äCanards et de La Barre entre 1830 et 1880 principalement ä partir des registres diocosains et de tömoignages oraux. Nous avons 6galement recueilli des informations dans les relevos des recensements officiels et plus particulierement celui de 1921, le premier ä etre nominal. La date inscrite devant chaque couple correspond au premier bapteme enregistre. II ne s'agit pas nöcessairement de la premiere naissance. Lorsque cela est le cas, cette date suit en regle g6n6rale celle du mariage d'une annöe. Dans la premiere colonne, les couples mentionnos ont souvent formös en dehors de la communauto. Par exemple, Luc Benoit et He"lene LeBlanc se marient en 1832, mais ils n'apparaissent ä Cap-Saint-Georges qu'en 1854. a) Cap-Saint-Georges La communautö de Cap-Saint-Georges est constitute d'une se"rie de petits hameaux 6chelonn£s le long de la cöte et regroupos autour des acces les plus faciles ä la mer. L'extremito ouest de la pdninsule nommoe Cap de Latte en 1534 par Jacques Carrier90 est rebaptise'e Cap San Georgio par les Basques.91 Ce nom est ensuite repris sous sä traduction fran^aise pour disigner Tun des hameaux. Petit Jardin et Grand Jardin doivent leur nom aux cultures entreprises ä cet endroit. L'eau du ruisseau qui s'öcoule ä Ruisseau Rouge a pu etre teintoe par les sols riches en mineiaux, donnant ainsi son nom ä ce lieu. Le nom Degrau ou Degras signifie pour les pecheurs saisonniers, un second emplacement ou se rend en cas d'e~chec au premier poste de peche.92 Le premier habitant du hameau suivant donne son nom ä emplacement, la Pointe äLuc.93
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90 91 92
93
Les informations climatiques proviennent de : Newfoundland Settlement Survey - Picadilly, Department of Mines and Technical Surveys, 1954, dans Sister Elizabeth Quinlan, "History of Port-au-Port", St John's, Canada, Maritime History Group, Memorial University of Newfoundland, 1972, p. 4. S. Morison, op.cit., p. 359, dans G. Thomas, (a), (1983), op.cit., p. 24. S. Barkham, (1989), figure 10, op. at., p. 32. C. de La Morandiere, op. cit., p. 1378. Voir ogalement l'article de Gerald Thomas, (b), "Noms de Lieux et de Lieux-Dits Associos aux Franco-Terre-Neuviens de la Presqu'ile de Port-au-Port", 450 Ans de Noms de Lieux Francais en Amdrique du Nord, Quobec, Les Publications du Qudbec, 1986, pp. 259-275. De nombreux autres hameaux se sont constituos le long de la cote en direction de Test. Nous n'avons retenu que ceux qui sont reconnus aujourd'hui comme dtant les plus reprdsentatifs de la communauto francaise.
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Le peuplementfranco-terreneuvien
Tableau n 8 1: Etablissement des premieres families de migrants et d'immigrants dans les hameaux regroupes sous le nom de Cap-Saint-Georges94 1830-1860
1860-1870
1870-1880
1834 JeanMarche Marie Young
1863 Julien Reneau Bonnie Morel
1837 Guillaume Robin (Icrd6serteur)
1864 Peter Louvel Heloi'se Reneau
John Ogden Annie Marche
1841 Louis Laino Nathalie Marche
1865 Simon Gallant Josephine Boissel William Simon Marie Marche Simon Gallant Sophie Boissel John Ρΐΐέ Sarah Lacosta
Francis Laine" Rosalie Young
1843 Julien Reneau Elizabeth Marche 1850 Jean Elizagaraye (dit Lacosta) Adele Couenne 1853 Philip Hynes 1854 LucBenoit H61ene LeBlanc 1855 Auguste Simon Plonie Marche 185? Didier Josseau Adele Couenne
1870 Pierre Blanchard Melene Perrier
1871 Pierre Lame Adeline Duval Adolphe Revolan Marie Duval Michael Benoit D6sir£e Laine"
1867 Victor Damois Victoria Lucas Luc Benoit Catherine Josseau
1872 ? donne naissance ? William Reuban
1868 Ambroise Gallant Celine Poirier John Duffee Ann Campbell
1873 Gilles Reneau Louise Duval Patrick Josseau Elisabeth Barry Jean Dutreuil Rose Felix
1869 Archibald Campbell Isabella Mclsaac T95 donne naissance ? Elizabeth Chaisson
1879 Francis Simon Angele Perrier
Source : Απατέ Magord, 1992
Ce tableau montre que la population de Cap-Saint-Georges s'accroit beaucoup plus rapidement que celle des autres communaute's franc, aises.96 Cette caract6ristique peut s'expliquer par le fait que Cap-Saint-Georges reprosente la seule des quatre communaute's situ e sur la baie SaintGeorges. La communication et les echanges plus faciles avec la ville de Saint-Georges ou vivent de nombreux francophones contribuent la dynamique demographique. Les pecheurs de 94
95 96
Chaque patronyme, quel que soil le nombre de ses membres n'est reprosente que par la premiere personne recensee sous ce nom dans chaque communautd. Seul le nom Benoit reprosente deux families d'origines distinctes franfaise et acadienne. ?: Signifie que le nom des parents n'est pas connu. Cf tableaux n" 5-6-7 p. 47-48 pour une comparaison.
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Cap-Saint-Georges font au moins un voyage annuel pour aller troquer leur poisson. Les habitants de Saint-Georges et de Sandy Point d€m6nagent au "Cap" pour y trouver un milieu homogene et indopendant. Le doveloppement de Cap-Saint-Georges profite ensuite aux autres communautos selon un enchainement logique. b) La Grand Terre L'6tablissement de la population La GrandTerre demeure la plus complexe retracer car de nombreuses families ne se fixent que temporairement dans cette communauto situ6e un point carrefour entre Cap-Saint-Georges, 1'Ile Rouge et L'Anse- -Canards. Les registres dioc6sains renferment tres peu d'informations sur La Grand'Terre qui tout comme L'Anse- -Canards est trop 61oign6e de Saint-Georges pour recevoir les services d'un pretre. L'existence de cette communaut£ est fortement Ii6e la prosence de 1'Ile Rouge situe"e environ deux kilometres de la cote. Jacques Carrier lui donne son nom en 1534 cause de la couleur de ses falaises.97 Dans le courant du XIXe siecle, rue Rouge est le poste de peche le plus actif de la cote ouest car ce lieu privile'gio permet une peche abondante loin de la concurrence des pecheurs coders. La plage de galets situoe sur la cote nord rend possible le s6chage du poisson sur place. Pendant la saison de peche, l'ile accueille pres de cent pecheurs.98 Pendant 1'hiver, seule une personne est laissoe sur place pour surveiller les installations. Les recensements de 1857,1874 et 1884 indiquent toutefois la prosence de 50, 29 puis 10 habitants 1'Ile Rouge. Le lien entre l'ile et la communaut6 sur le littoral est illustr6 par le nom La Grand'Terre qui indique la fa^on dont les pScheurs ρβΓςοίνεηΐ la cote depuis 1'ile. Mme C. 109 qui nait La Grand'Terre en 1895 nous a confirmo qu'une association 6troite unit ces deux lieux.99 Le premier habitant r6pertori6 est Constant Garnier qui en 1837 travaillait 1'Ile Rouge en tant que comptable pour la compagnie Maritime Atlantique.100
97 98
99 100
G. Thomas, (a), (1983), op. at., p. 24. C. de La Morandiferc, op. cit., p. 1328. Mme C 1091 A 85. Tomoignage oral de Georgina Howell. Gonealogiste des families Leblanc et Tallack.
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Le peuplementfranco-terreneuvien
Tableau n£ 2 : Etablissement des premieres families de migrants et d'immigrants, ä La Grand'Terre 1830-1880
1837
Constant Garnier s'installe ä l'Ile Rouge
1839
Louis Laine", naissance de Louis101 Nathalie Marche
1844
Julien Marche et Marie Young, naissance de Victor. Ce couple est egalement r£pertori6 ä Cap-Saint-Georges*102
1855
7103 Yves Simon, nom des parents inconnu
1868
Jean Laine, manage Louise Reneau
1871
Adolphe Laine", naissance de Johnny, puis diminagement ä Maisonsd'Hiver*
1872
M. Revolan, 6galement re"pertori6 ä Cap-Saint-Georges*
1873
? Philomene Gasto, famille e"galement re"pertori6e ä L'Anse-ä-Canards et La Barre*
1876
Jean Cornact, ogalement ropertorie" ä Cap-Saint-Georges* Source : Andre" Magord, 1992
c) L'Anse-ä-Canards et Maisons-d'Hiver Les villages de L'Anse-ä-Canards et Maisons-d'Hiver ont fond6s söparöment. Toutefois, ces communautos sont aujourd'hui regroupies et aucun facteur specifique ne justifie une itude distincte. L'Anse-ä-Canards tient son nom des nombreux canards qui vivent dans une zone mare'cageuse proche du village.104 Le nom Maisons-d'Hiver provient probablement du fait que des pecheurs de L'Anse-ä-Canards et de La Barre viennent passer l'hiver ä cet endroit. Cependant ce lieu n'offre aucun abri particulier et nous pensons que le choix de cet emplacement est surtout dicto par la proximito d'une zone de peche excellente et par l'abondance du hareng qui vient frayer sur la cote ä cet endroit pr&is. Rappeions qu'en 1604, les quatre emplacements des villages fra^ais actuels avaient ili choisis par les Basques pour otablir leurs postes de peche.105 101
En 1841, naissance du second enfant ä Cap-Saint-Georges. En 1844, Adolphe nait ä La Grand'Terre. 102 * · Cenaines families ont plusieurs lieux d'dtablissement. 103 7 . p^ents inconnus. 104 Tdmoignage oral, M. C 103, Janvier 1987. 105 S. Barkham, (1989), op. dt., p. 10.
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Une minoriti francophone hörs Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
L'histoire du peuplement de ces deux lieux est restee tres vivante dans la tradition orale locale.106 L'ötude de Garry Butler nous a ögalement apporte" de pr6cieux renseignements.107 Le premier habitant s&ientaire dans cette communauto est probablement Buisson qui arrive ä L'Anse-ä-Canards en 1844. D 6pouse Christine en 1857. Seulement deux de leurs enfants survivent, Amelia, ne'e en 1868 et Philomene nee en 1873. Vers 1855, Jean Louis Benoit qui habite Fox Island River domonage avec sä famille ä L'Anse-ä-Canards. us ont trois enfants en 1852, 1856 et 1864. En 1862, Henri Duphenais et sä femme Mathilda, des Acadiens de Margaree arrivös ä West Bay en 1847, domonagent ä Maisons-d'Hiver. Ils ont dix enfants. Dans les annoes 1870, Adolphe Laini, ä La Grand'Terre en 1844, se fixe ä Maisons-d'Hiver avec sä femme. Approximativement en 1872, Andrew Young de Fox Island River s'installe ä L'Anse-ä-Canards oü il ipouse Mary Marche.108 En 1875, Jean-Louis Benoit et sä famille quittent L'Anse-ä-Canards pour Lower Cove. Son frere Henri 6pouse Amalia Buisson, la premiere reprdsentante de la deuxieme gondration ä fonder un foyer ä L'Anse-ä-Canards. Entre 1880 et 1884, les trois fils d'Henri Duphenais s'etablissent dans leur propre maison ä Maisonsd'Hiver. Jean et Henri 6pousent des francophones de Stephenville. En 1880, seul Am6d6 Buisson est France. Les autres habitants sont des Acadiens du Cap Breton ou des francophones n6s sur la cote fra^aise.
106 107
108
Tomoignages oraux M. C. 103, Mme C 106, M. C 100, M. C 112, habitants de L'Anse-ä-Canards. Juin 1990. Gary R. Buller, "Culture, Cognition and Communication: Fishermen's Location Finding in L'Anse-aCanards, Newfoundland", Canadian Folklore Canadien, vol. 5,1983, pp. 7-21. — Supernatural Folk Belief Expression in a French Newfoundland Community: a Study of Expressive Form, Communicative Process and Social Function in L'Anse-ä-Canards. Ph. D. thesis, Memorial University of Newfoundland, 1985. Cette information correspond ä la premiere mention de L'Anse-ä-Canards dans les registres paroissiaux de l'dglise catholique romaine ä Saint-Georges.
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Le peuplemeni franco-terre neuvien
Tableau n* 3 : Etablissement des premieres families de migrants et d'immigrants ä L'Anse-ä-Canards et ä Maisons-d'Hiver 1830-1880109
1844
Ame"d6 Buisson, il opouse Christine Folix en 1857
1855
Jean-Louis Benoit, Marie Duphenais
1862
Henri Duphenais, Mathilda ?
1870
Denis Marche
1872
Andrew Young, Mary March M. Gaudet, Mme Gaudet
1875
Henri Benoit, frere de Jean-Louis, Amalia buisson, fille d'Am&Ie
187?
Adolphe Laine, de La Grand'Terre Source : Andre" Magord, 1992
d) La Barre Bien que la communaute de La Barre110 disparaisse presque entierement en 1968 ä la suite d'un programme provincial de relocalisation des communautes isoloes, son histoire reprosente un intdret particulier pour notre otude.111 Les informations que nous avons recueillies proviennent de t6moignages oraux et des registres diocesains. Jusqu'en 1854, La Barre consiste en un poste de peche officiel pour les Fran5ais. Cette ann£e lä, il est abandonne" malgre l'abondance du poisson car les eaux y sont trop tumultueuses.112 Des 1855, Marie-Anne Lejeune vit ä La Barre.113 Au debut des annies 1880 quatre families sont dtablies : les Lejeune, les Jesso, les LeBlanc et les Hervieu.
109 110
111
112
113
Cette liste n'inclut pas les enfants de la deuxieme gdndration qui fondent des foyers. Dans les textes que nous avons consulted, le terme La Pointe est revenu plusieurs fois pour faire rdforence ä ce lieu. La Pointe correspond ä la traduction du terme anglais utiliso pour dosigner La Barre, soit Long Point. Seule la famille Leroi reste sur place. Mme Leroi y vit jusqu'en 1989 ; dont les deux demieres annoes seule ä la suite du doces de son man. Henry Perley, Memorandum of Information relative to the French Fisheries at Newfoundland, Government of Britain Foreign Office, 1857, p. 10-11. Le texte contenant cette information est cit6 p. 91 note 112. Nous ne savons pas si eile vivait avec son man ou avec ses parents.
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line minoriti francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Tableau na 4 : Etablissement des premieres families de migrants et d'immigrants a La Barre 1830-1880
1870
Marie Anne Lejeune Henry Jesso, naissance de Margaret114 Rosaline Jesso
1879
Patrice LeBlanc115 Marie-Louise Garnier
1882
Naissance de Henri Hervieu ä La Barre
1855
Source : Andro Magord, 1992. Les cinq docennies que nous venons d'otudier marquent done I'arrivoe des families d'origines diverses mais toutes francophones.116 A partir des anndes 1870, F6tablissement, presque sans exception, de la deuxieme g£ne"ration dans leur village natal ou dans l'une des trois autres communautos annonce une poriode de croissance et d'enracinement de la population francoterreneuvienne. Ces quatre communautis forment ainsi peu ä peu des structures d'accueil crodibles pour de nouveaux amvants. Cette caractoristique explique probablement I'immigration frangaise importante qui a lieu dans les annees 1890 jusqu'ä l'abandon de la cote fran9aise par le gouvernement fran9ais en 1904.117 L immigration importante des annaes 1890 Nous dressons pour chaque communautf la liste de ces nouveaux immigrants et de leurs origines. La plupart de nos informations proviennent des deux premiers recensements nominaux effectu6s ä Terre-Neuve en 1921 et 1935. Les personnes d6ce"dees avant cette date ne figurent done pas sur nos listes. La tradition orale ne rapporte qu'une seule personne röpondant a ce cas : M. Leroi, e"poux de Marie Leroi ä La Barre.
114 115
116 117
En provenance de Sydney, Nouvelle-Ecosse. 1879 marque l'annoe du doces de leurs deux petites filles jumelles enterroes au cimetiere de La Barre. Information recueillie dans les registres diocesains de Saint-Georges. Hormis quatre families d'origine anglaise ou mixte au Cap-Saint-Georges. Des Fran^ais en provenance de Saint-Pierre et Miquelon conünuörent d'arriver jusqu'en 1910.
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Le peuplement franco-terreneuvien
Tableau n£ 5 : Immigration des annees 1890 : Cap-Saint-Georges Noms Peter Ozon Sophia Ozon Eugene Lecointre Yves Lagtadu E. Roses Yves Kerfont Ralph Costard Yves Lemoine
Age a la date d'immigration 28 7 3 27 20 21 27 18
Date d'immigration 1890 1890 1890 1892 1895 1895 1896 1896
Lieu d'origine France France S.P.M.118 France France France France France
Source : Andre" Magord, 1992.
Tableau ns 6 : Immigration des annees 1890 : La Grand'Terre Noms Adolphe Revolan Jean Comae Antoine Olivier Joseph Briand Noel Briand Eugene Lecointre Thdophile Dub6 Emile Kerrotret Francis Lebouban Peter Moraze" Francis Dubois Peter Cloaney
Age a la date d'immigration 31 11 30 28 ? 41 33 17 30 19 7 ?
Date d'immigration
1872 1876 1892 1892 ? 1894 1896 1899 1904 1905 7 ?
Lieu d'origine France France France S.P.M. France France France France France S.P.M. S.P.M. SJP.M.11?
Source : Andro Magord, 1992.
118
S.P.M. = Saint-Pierre et Miquelon. Notons que si I'origine fran;aise de ces personnes ne fait aucun dome, la distinction entie la France et Saint-Pierre et Miquelon reste parfois aleatoire. Certaines personnes peuvent se proclamer saint-pierrais simplement pour avoir sejoumer sur les ties franchises avant de venir ä Terre-Neuve. Rappelons qu'au XIXe siecle avail lieu ä Saint-Pierre la foire aux Terre-Neuvas ou les hommes dtaient engagos pour la pftche saisonnibre ä Terre-Neuve. Certains Francais restaient a Saint-Pierre apres I'automne, d'autres ne revenaient en France qu'apres quelques annocs.
119
En provenance ogalement de France, Constant Gamier: 1837, Alfred Retieff: 1852.
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Une minorite francophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Tableau na 7 : Immigration des annees 1890 : L'Anse-ä-Canards Maisons-d'Hiver, La Barre120 Communaute d'accueil A.C. A.C. M.H. M.H. M.H. M.H. M.H. L.B. L.B. L.B. A.C. A.C.
M.H. L.B. L.B. L.B.
Moms Jean Letacannoux Yves Lebozec Yves Rioux Joseph Secardin Alain Huon Jean Leprieur Mary Young Marie Leroi Francis Leroi Joseph Leroi Joseph Lecor Victor Roblet Amelia Secardin (fille de Joseph) Francis Chr6tien Peter Chretien Josephine Savoure
Age a la date d'immigration 19 27 17 26 24 23 1 39 10 2 24 34
Date d'immigration 1888 1888 1892 1894 1895 1900 1903 1903 1903 1903 1903 1904
1
1904
S.P.M.122
28 38 56
1906 1903 1911
S.P.M. S.P.M. S.P.M.
Lieu d'origine France France France France France France S.P.M. France121 France France France France
Source : Andr6 Magord, 1992. L'analyse de ces donnoes nous permet de mieux comprendre les motivations de ces nouveaux pionniers. L'Anse-ä-Canards et La Barre regoivent le plus grand nombre d'entre eux avec 16 personnes puis La Grand'Terre avec 10 et Cap-Saint-Georges avec 8. Cap-Saint-Georges qui reprisente la communaute" la plus d£velopp£e au döbut des ann6es quatre-vingt dix ne que la moiti6 du nombre d'immigrants s'6tablissant ä L'Anse-ä-Canards. Deux elements peuvent permettre d'expliquer ce fait. D'une part Cap-Saint-Georges compose" de petits hameaux ochelonnes sur plusieurs kilometres, n'offre pas la cohösion de la communauto de L'Anse-ä-Canards. La pr6sence nouvelle de quelques families anglaises attonue 6galement le caractere d'homogeneitd. D'autre part la proximito de Saint-Georges qui s'organise en ville conventionnelle doit repousser certains candidate ä I'lmmigration. Notons en ce sens que plus l'influence anglaise augmente ä Saint-Georges plus la proportion d'immigration est favorable ä L'Anse-ä-Canards et ä La Barre, les communautds fran9aises les plus öloignees. La plupart de ces nouveaux immigrants sont des d£serteurs de la peche fran9aise. Ils doivent faire face ä une situation de double iltegalite" vis-ä-vis des autoritds locales et fran9aises. II semble done logique qu'ils cherchent une structure d'accueil la plus sicurisante possible, ce qui implique un environnement familier et l'61oignement le plus important qui soit de toute autorite'. L'histoire d'Yves Rioux illustre ce propos. Doserteur en 1892, il s'appelle 120 121 122
A.C., M.H. et L.B. = L'Anse-ä-Canards, Maisons-d'Hiver et La Barre. Le mari de Mme Leroi meurt quelques annees apres son arrivee. L'dpouse saint-pierraise de M. Secardin ne le rejoint qu'apres la naissance de leur fille.
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Le peuplementfranco-terreneuvien
alors Yves Bolloche. De peur d'etre pris par les autorit6s franchises, il change son nom et devient M. Rioux.123 Les personnes age"es se souviennent que certains de ces de"serteurs ont des cabanes secretes dans les bois ou ils peuvent se cacher. Une chasse ä 1'homme mene"e par des soldats frangais aurait d'ailleurs eu lieu tout au debut du siecle. Plusieurs de ces immigrants dotruisent leurs papiers d'identito, rendant ainsi la recherche genialogique tres compliquee.124 Dans 1'ensemble les immigrants doivent toutefois etre satisfaits de leur nouvelle vie puisque aucun d'entre eux ne repart en France une fois install^ dans l'une des quatre communautos.1 ^ Les evolutions dlmographiques en chiffres Le tableau suivant illustre la stabilite d'une population bien otablie. Tableau n2 8 : Evolution demographique d'apres les chiffres des recensements126 Cap-SaintGeorges127 CG, RR, D
1834 1837 1845 1857 1869 1874 1884 1891 1901 1911 1921 1935 1945 1951 1956 1961 1966 1971 1976 1981 1986
La Pointe äLuc
1 famille 2 families 3 families 40 families 22 families 30 families 145 pers.
75 161 243 288 358 450 607 649 965 1048 1064 1150 1028 1055
La Grand' Terre
2 families 3 families 4 families 7 families 29 pers.
32 37 68 135 122 149 126 308 226 281 241 220 232 251
33 78 110 135 140 169 209 267 332 379 402 382 512 526
L'lle Rouge
Trois Cailloux
1 famille 50 pers.
29 10 pers.
68 94 92 113 230 272 308 274 374 197
L'Anse-aCanards et Maisonsd'Hiver
La Barre
1 famille 2 families 3 families 6 families 86 pers.
2 families 28 pers.
107 178 133 187 182 169 192
48 56 54 79 83
148 147 185 209 192 241
75 5 2 2 2
1 famille
District de SaintGeorges
2180 3334 8654 8657 5473 6632 9100 11861 8822 9748
Source : Andre Magord, 1992.
123
II vecut neanmoins toujours dans la crainte de persecutions, confient ceux qui 1'ont connu. Geraldine Barter, "A Linguistic Description of the French Spoken on the Port-au-Port Peninsula of Western Newfoundland", Master thesis, Memorial University of Newfoundland, 1986. 12 ^ J. A. de Gobineau, op. cit., p. 137, declare avoir rencontre des deserteurs, sur la cote ouest de Terre-neuve, qui regrettaient leur decision. 126 Les donnees concernant les periodes de 1834 ä 1874 proviennent de nos propres recherches. Les autres chiffres proviennent des recensements officiels effectues ä ces dates. Les dates dans les tableaux n* 8 et 9 correspondent ä celles des recensements. 127 Cap-Saint-Georges regroupe les hameaux de Cap-Saint-Georges, CG ; Ruisseau Rouge, RR et Degras, D. 124
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Une ηάηοτίίέ francophone h rs Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Tableau ns 9: Repr sentation statistique des £volutions Cap-Saint-Georees 1884 1891 1901 1911 1921 1935 1945 1951 1956 1961 1966 1971 1976 1981 1986
+9,53% +50.94 +18,52 +24,31 +25,70 +34,89 +6.92 +48.70 +8,61 +1,53 +8.09 -10,61 +2,63
La Grand'Terre
L'Anse- -Canards
+13,8% +136,37 +41.03 +22,73 +3,71 +20.72 +23.67 +27,76 +24,35 +14,16 +6,07 -4.98 +34,04
+24.42
+2,74
+66,36 -25,29 +40,64 -2,68 -7.15 +13,61
La Barre
+71.43 +16,67 -3.58 +46.30 +5,07
-22,92 -9.64 -0,68 -93.34 +25,86 +12.98 — -8.14 +25,6 Source : Απατέ Magord, 1992.
Get ape^u de la d mographie franco-terreneuvienne confirme la progression lente mais reguliere de la population. Les quelques fluctuations de cette tendance globale seront analys es ult6rieurement. Les communautos de La Pointe Luc et de Trois Cailloux, respectivement limitrophes de Cap-Saint-Georges et La Grand'Terre, permettent une evaluation comparative des variations domographiques. En 1900, pres de 1100 personnes d'origines franc.aise et acadien vivent sur l'ensemble de la Pininsule de Port-au-Port.129 Nous nous proposons d'otudier la contribution des difforentes composantes de cette population. Etude des differentes origines de la population La population souche des quatre communaut6s de Cap-Saint-Georges, La Grand'Terre, L'Anse- -Canards et La Barre s'est constituoe entre 1830 et 1910. A la suite des deux poriodes de peuplement que nous venons d'6tudier, 1830-1880 et 1880-1910, le premier recensement nominal de 1921 nous pennet de fake le point sur une population qui n'6volue plus d6sormais qu'en fonction de son taux de croissance naturelle et de migrations r6gionales. Avant d'aborder l'^tude stricto sensu des origines de chaque famille, il importe de souligner que les dynamiques socio-de"mographiques qui re"gissent l'^tablissement des families dans les quatre communautos franco-terreneuviennes interdisent toute conclusion native sur 1'impact des diffirentes composantes de la population. Nous proposons done en premier lieu une analyse comparative des listes de patronymes en 1884 et en 1921 afin de cerner ces Evolutions internes.
128 129
Ces r&ultats ont έΐέ calculos partir des difforents recensements de 1874 1986. J. Mannion, op. dt., p. 81.
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Le peuplement franco-terreneuvien
Listes alphabotiques des patronymes en 1884 et 1921 Tableau n 8 10 : Liste alphabetique des patronymes : Cap-Saint-Georges 1830
Barry Benoit Boissel Campbell Couenne Damois Duffee Duval Dutreuil Elizagaraye Folix Gallant
Hynes Josscau Lain6 Lame Leblanc LerouA Louvelle Lucas Mclsaac Morel Ferner Poirier Reneau Renouf Robin Simon
1884
1921
Aucoin Barter Benoit Campbell Chaisson Cormier Cornact
Costard Dubourdieu Duval Hinks Kerfont Lagtadu Lecointre Lelac Lemoine Leroux Louvelle Marche Muise Parks Philips Renouf Reuban Roses Rowe Simon Young
Source : Απατέ Magord, 1992.
130
Patronymes presents dans la periode 1830 1884 et en 1921.
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Une minoritlfrancophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Tableau ns 11: Liste alphab£tique des patronymes : La Grand'Terre 1921
1830-1884 Barter Benoit Briant Cornact Qoaney Dub6 Hinks Kan le Kerrotret Lainl Lebouban Lecointre Levi Mclsaac Moore Moraze Oliver Revolan Woods Total = 19
Cornoc/131 Gamier
Gaste" Lainl
Marche Revolan Simon Total = 7
Source : Απατέ Magord, 1992. Tableau n 2 12 : Liste alphabetique des patronymes : L'Anse- -Canards et Maisonsd'Hiver 1921
1830-1884 Benoit Buisson Duphenais Fllix Gaudet Lainl Marche Youne Total = 8
Benoit Duphenais Fllix Gast6 Gaudet Hervieu Huon Lainl Lebozec Lecour Leprieur Letacannoux Rioux
Roblet Ryan Secardin Young Total = 17
Source : Andro Magord, 1992.
131
Patronymes prosents dans la penode 1830
1884 et en 1921.
Le peuplement franco-terreneuvien
53
Tableau ns 13 : Liste alphabetique des patronymes : La Barre 1830-1884 Leblanc Lejeune Jeno Total = 3
1921
Benoit Chrdtien Savoure Form anger
Gaudet Jesso Leroi Tourctte Young Total = 9
Source :
Magord, 1992.
Ces listes mettent en evidence des evolutions notoires. A l'exception du Cap-Saint-Georges, le nombre de patronymes a plus que double dans chacune des communaute's 6tudi£es. Par rapport ä 1884, cette augmentation est surtout due ä l'immigration franchise des annees 1890. Les autres nouvelles families proviennent de migrations regionales. Un certain nombre de patronymes disparaissent entre 1884 et 1921, soil 19 au Cap-SaintGeorges,132 4 ä La Grand'Terre (Garnier, Gasta, Laine, Simon), 2 ä L'Anse-ä-Canards (Buisson, Mar ehe) et l ä La Barre (Leblanc). Parmi ces patronymes, quelques uns existent toujours mais sous une forme anglicisee. Reneau est devenu Renouf ; Leblanc, White ; Lejeune, Young et Dubois, Woods. D'autres reapparaissent dans des villages voisins tels que Lucas et Josseau. Enfin plusieurs noms disparaissent faute d'heritier masculin, notamment les families LaRue et Poirier. La pr6sence anglophone est confirmoe ä Cap-Saint-Georges qui compte 6 patronymes anglais (Campbell, Hinks, Muise, Parks, Philips, Rowe). 4 apparaissent ä La Grand'Terre (Kinks, Kanäle, Mclsaac, Moore) et l ä L'Anse-ä-Canards (Ryan). A Cap-Saint-Georges, le nombre de patronymes est le meme en 1884 et en 1921 mais la moitie de ces patronymes sont nouveaux. Une partie de la population n'est done pas fixoe durablement. Par centre, durant cette meme periode, la population a double"133 ce qui confirme la vitalite" demographique des families s&tentarise'es.
132 133
Barry, Boissel, Couenne, Damois, Duffee, Dutreuil, Josseau, Laino, Lucas, Mclsaac, Morel, Perrier, Poirier, Reneau Voir tableau n8 8, p. 49.
, Gallant, Hynes, LaRue, Leblanc,
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Etude des origines des diff rentes composantes de la population des quatre communautas franco-terreneuviennes utudiaes : la contribution des families souches Les families souches ont e"te" arbitrairement de"finies comme l'ensemble des families francophones e"tablies sur la cöte ouest de Terre-Neuve avant 1865 et comprenant au moins 10 membres ä cette date.134 Parmi ces 13 families, seules 4 ne sont pas reprosentoes en 1921 dans au moins une des quatre communautos : les Alexandre, les Blanchard, les Gallant et les Joe.135 Le patronyme Benoit qui compte d6ja plus de 80 reprosentants en 1865 se retrouve dans chacun des quatre villages. Sur 13 families souches, seuls les Felix d'origine fransaise et les Joe d'origine micmac ne sont pas acadiens. Cette etude statistique illustre par consoquent impact de la presence acadienne dans la composition initiale de la population des quatre communautos francoterreneuviennes. Elle souligne 6galement l'importance de la contribution des communautes francophones de l'ensemble de la cote ouest issues d'un processus de peuplement s6culaire.
134
Soil 13 families sur 83. ^ En dehors des 10 noms reprosentatifs, 5 autres patronymes, Duval, Leroux, Louvelle, Marche et Renouf, pr6sents dans une communauto du diocese de Saint-Georges se retrouvent dans au moins un des quatre villages franco-terreneuviens en 1921.
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Le peuplement franco-terreneuvien
Tableau ns 14 : Representativite des families souches dans la population initiale des communautes franco-terreneuviennes Cap-SaintGeorges Alexandre Aucoin Benoit Blanchard Cormier Duffeny Ρέϋχ Gallant Godet
Joe Josseau Leblanc Lejeune Nombre de families souches en 1921 Nombre total de patronymes en 1921 Reprosentativito dans la composition de la population
La GrandTerre
L'Anse-aCanards
La Barre
X
X
X
X X X X
X X
X
X
X
X
X X X
X
X
6
1
5
4
30
19
17
8
16%
0,05%
34%
50%
Source : Andro Magord, 1992.
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Une minorite francophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Origine des patronymes de la population des quatre communautls franco-terreneuviennes en 1921 Tableau ns 15 : Origine des patronymes en 1921 communautes136
CG Aucoin Barter Benoit Brand Campbell Chaisson Cloaney Comact Connier Costard Chrotien Duber s'enrichir, les Franco-Terreneuviens subviennent ä leurs besoins et surtout ils sont leurs propres maitres. L'oquation entre quantito de travail et qualitö de vie prend tout son sens et les premiers colons tiennent ä priserver cette responsabilite" et cette liberti de pouvoir bätir leur avenir sans avoir ä rendre de compte, de pouvoir rocupörer tout le fruit de leurs efforts. Les peres fondateurs franco-terreneuviens ne leguent done aucun hiritage symbolique articute, aucun graal sacro catalyseur d'6nergies pour assurer le dynamisme et la cohesion des genorations suivantes. Les themes de la rupture et de l'accomplissement de la divine, rocurrents dans la colonisation de l'Am6rique ne sont pas repris pour ddfinir la nouvelle existence. La construction de image collective n^cessaire ä la conscience de groupe imane done plus particulierement de la rencontre des pionniers avec renvironnement naturel. Cette image est pragmatique, issue du vicu et fait s'£laborer la conscience de soi de facon simplifioe ä partir de la somme de ses seules actions. En refusant ä leur nouvelle vie une 16gitimit6 d'ordre symbolique,56 les premiers pionniers cherchent sans doute ä exerciser un passe* qu'ils veulent oublier pour construire leur nouvelle existence.
55 56
Vis-ä-vis des autoritds fran^aises et anglaises. A la difforence des premiers colons acadiens ou quobecois, les premiers Franco-Terreneuviens ne sont investis d'aucune mission. Ils ne viennent pas fonder une colonie et ils n'ont aucune reconnaissance officielle.
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Une minoritl francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Pour les deux gonorations suivantes qui ne possedent aucun passo ä exerciser, la symboh'que de 1'image identitaire collective issue de la relation ä l'environnement naturel revet une plus grande importance. La notion de nordicitö eVoque en premier cette dimension symbolique. Selon cette notion, tout accomplissement qui prend place dans l'environnement hostile du nord prend une dimension supp!6mentaire et approche ainsi le concept de d^passement de soi. Ce processus renforce le sentiment d'existence et ouvre la voie ä une conception symbolique de la relation entre l'etre humain et la nature. La notion d'oc6anit6 s'adresse aux Franco-Terreneuviens de la deuxieme giniration, ceux qui n'ont pas traverso I'ocoan.57 Pour eux, I'oc6an est more nourriciere, il rythme la vie au gr£ des migrations des poissons, des baleines, des phoques et des oiseaux. L'ocian est espace imaginaire. II renferme les öpaves de bateaux qui en sombrant entramerent parents ou amis ä la mort. II v6hicule la banquise flottante et les icebergs et rappeile la proximit6 du nord mythique, Symbole de puretö et de durete". Les tempetes s'y döchainent avec une force incroyable, les aurores boräales s'y refletent. L'ocean impose le sentiment de rinfiniment petit et s'impose en infiniment grand. Pour les colons fran9ais isolös ä l'extreme ouest d'une ile entierement anglophone, l'ocian symbolise l'acces ä la terre d'origine, l'ouverture vers le monde extorieur, le rattachement symbolique ä un tout, en l'occurrence un tout francophone compose" de la France, de Saint-Pierre et Miquelon, de l'Acadie,58 qui donne une Ie"gitimit6 ä leur ilot linguistique et culturel distinct. Le cadre structural Apres la fondation des communautos dans la deuxieme moitio du XIXe siecle, les quatre premieres d6cennies du XXe siecle correspondent ä une pe"riode de consolidation d'un mode de vie specifique. L'organisation de la vie dans les communautös franco-terreneuviennes garde un caractere spontani en övitant les influences ext6rieures et en ne s'imposant pas de structures formelles. L'organisation de la vie sociale s'opere alors en fonction des exigences de l'environnement naturel, des prioritös retenues par les pionniers et par la prise en compte de certains 616ments extörieurs dans le domaine 6conomique essentiellement. La vie äconomique des communautas franco-terreneuviennes jusqu'en 1940 Des leur fondation, chacune des quatre communautds s'organise principalement en fonction des activitos maritimes. Tous les habitants vivent par et pour la peche. La morue reprisente
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La presentation qui suit est fondee sur certains timoignages et sur une observation qualitative de ce groupe. Elle porte neanmoins sur un aspect de l'univers psycho-analytique, et done en partie inconsciem, des FrancoTerreneuviens et reste, par consequent, bee ä une de l'auteur. C'est seulement depuis la politique du bilinguisme de Trudeau que les Franco-Terreneuviens s'identifient quelque peu aux Quobecois.
Formation d' une idenatl collective chez les Franco-Terreneuviens
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l'essentiel des prises avec le homard mais harengs, maquereaux et capelans ne sont jamais nogligos. Chaque famille assure son autosuffisance. La nourriture provient principalement des produits de la mer. La chasse ainsi que la cueillette des baies en 6t6 permettent de varier les repas. Des leur Etablissement, les premiers habitants commencent ä exploiter la terre. Les pecheurs saisonniers qui viennent de France chaque cultivent souvent quelques lögumes pendant les mois passos sur place. Les Franco-Terreneuviens troquent probablement leurs poissons contre des plants pour dobuter leurs cultures.59 Les fermiers acadiens de Stephenville leur procurent chevaux, ovins et bovins, chevres, cochons et volailles selon le meme processus. Tres rapidement, ces pionniers redeviennent ainsi les marins-paysans d'avant leur d6part mais ils sont maintenant s6dentaris6s et profitent d'un nouveau cadre de vie. L'argent n'existe pas ou peu. Le troc, imposo par les marchands, est ä la base de toutes activitos commerciales. En ichange de leurs monies sochies et des fourrures d'animaux trappis pendant l'hiver, les Franco-Terreneuviens re9oivent de la farine, du sucre, du et de la melasse ainsi que des produits de manufacture tels que des poeles ä bois, des outils, du materiel de peche. Ils trouvent ces produits ä Saint-Georges ou passent des commandes ä Halifax ou Saint-Jean. Des navires amoricains ou Quobicois viennent ogalement troquer sur la cote ouest de Terre-Neuve. Les pecheurs franfais öchangent des produits Importes de la me"tropole contre des logumes ou de la viande fraiche. Enfin, un trafic illicite qui dure jusqu'en 1930 avec SaintPierre et Miquelon et la cöte sud de Terreneuve permet l'achat ä bas prix de produits de luxe tels que l'alcool et le tabac. Chaque famille a done un mode de vie identique fonde" sur autosuffisance. Les femmes confectionnent des vetements ä partir de la laine des moutons et fabriquent meme des bottes en cuir.60 Les hommes sont marins, paysans et meme artisans puisqu'ils construisent leurs propres maisons et bateaux. Les femmes participent rögulierement ä l'ensemble de ces taches. A partir des annees 1880-1890, rarrivoe groupoe d'adultes dans les quatre communautis accölere le processus de structuration e"conomique. Plusieurs de ces nouveaux immigrants ouvrent des magasins au Cap-Saint-Georges, ä La Grand'Terre et ä L'Anse-ä-Canards. Quelques uns possedent une go61ette et prosperent en allant revendre dans des centres plus importants le poisson acheto ä bas prix sur la cote ouest. Ces personnes deviennent souvent les dirigeants informels de leur communaute\ A la meme öpoque, la peche au homard se doveloppe et plusieurs "factories"61 ä homards emploient des personnes ä temps plein. Ces emplois re"mun£r£s en especes contribuent ä l'introduction de l'argent dans le Systeme 6conomique local.62 Ce phonomene est amplifio par 59 60 61 62
G. Thomas, (a), (1983), op. dt., p. 42. Ces bottes sont appelees localement des "djinques". Tomoignage oral de Gerald Thomas. Terme local. La Morandiere utilise le terme homarderie, op. cit., p. 8. Le tout premier emploi de salario fut celui de gardien de phare. II y avail un phare au Cap-Saint-Georges et un autre ä l'Ile Rouge.
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1'apparition, au tournant du siecle, des premiers fonctionnaires : instituteurs, postiers-receveurs et pompiers. La prösence de ces salarios entraine la transformation d'activite's secondaries en emplois principaux. Quelques Franco-Terreneuviens deviennent ainsi charpentiers, mocaniciens, agriculteurs, trappeurs ou employees de maison ä mi-temps ou ä plein temps.63 Pour les pecheurs, le maintien d'un confort de vie satisfaisant dopend des activitis complomentaires pendant 1'hiver. Beaucoup se d6clarent pecheur et homme ä tout faire.64 L'exemple de la situation iconomique au Cap-Saint-Georges en 1901 illustre les tendances iconomiques du moment.65 Par rapport aux deux recensements procodents, I'agriculture, tout en restant une activitö de subsistance, progresse rapidement. La surface cultivoe passe de 370 acres en 1884 ä 600 en 1901.66 La peche demeure la source principale de revenus. La vente des differents produits de cette activite" reprosente une recette de 4000 dollars ropartie entre les 26 families du Cap-SaintGeorges.67 La diminution des prises de monies ä la fin du siecle est compens6e par 1'expansion de rindustrie du homard. La combinaison des deux modes de peche oblige les hommes ä rester sur 1'eau toute la joumoe et un nombre croissant de femmes sont employdes au nettoyage des poissons et dans les usines ä homards. Les espoirs de prosp6rit6 qu'aurait du faire naitre ce surcroit d'activit6 professionnelle sont anoantis par le Systeme de remunöration e"tabli par les patrons de peche fransais. Les salaires horaires ne dopassent jamais 10 "cents" l'heure et sont payables uniquement en produits provenant de "la boutique"68 qui appartient ä l'employeur- Les pecheurs, quant ä eux, obtiennent un dollar pour 112 livres de morue se"choe et de 70 "cents" ä un dollar pour 100 homards. Seule une partie de leur rotribution, de 10 ä 50 % est versoe en especes. Ne disposant que de tres peu d'argent liquide, les Franco-Terreneuviens achetent ä crddit des produits vendus ä des prix excessifs. Les patrons de peche qui possedent les magasins laissent les pecheurs s'endetter afin de les forcer ä ne plus nögocier qu'avec eux. Ils bin£ficient de la sorte d'un monopole absolu sur l'ensemble des activitos de peche. 63 64 65 66
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Selon les informations du recensement de 1921, op. dt.. D'apres la rubrique emploi du recensement de 1921, ibid.. Ruth King, (a), "A Study of the Censuses in Cape-Saint-Georges: 1874,1884,1891,1901", Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, 80-444. D'apres les documents de recensement effeciuds ä ces dates, op. cit. Les reccttcs pour l'ensemble de la communauti comprenait 100 tonnes de foin, 230 boisseaux (un docalitre) de pommes-de-terrc et 21 de navets ainsi que 1030 tales de choux. Le cheptel d'dlevage se composait de 34 vaches, 130 moutons el 143 poules. 1790 livres de beurre avaient 6t6 fabriquees. La lonte des moutons avait rapporto 200 livres de laine. Cette production qui s'applique ä une population de 200 habitants montre que sans etre devenue une activitd principale, agriculture procure une part importante de la nourriture des Franco-Terreneuviens. Elle ne permet cependant qu'un apport de revenus tres limiii. Ces informations concemeni Cap-Saint-Georges qui esl la seule des trois communautos oludiees ä etre consignee dans le recensement de 1921. Pour plus d'information sur La Grand'Terre, on se reportera ä Wayne Barbour, 'The Communily of Mainland, 18841921: A Factual Report", Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, 75.008, Misc. 90,22.W.75. En 1901 les prises de homards s'elevaieni ä 102 quintaux et les prises de monies ä 750 quiniaux. 1305 litres d'huile de foie de morue avaient produits. Terme local pour dosigner le magasin ou les Franco-Terreneuviens pouvaient acheter des produits alimentaires, des vetements et du matoriel de construction et de peche.
Formation d' une identitl collective chez les Franco-Ten-eneuviens
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D'un point de vue oconomique, la disparition de la peche frangaise en 1904 puis celle des navires saint-pierrais quelques anndes plus tard est done benofique aux Franco-Terreneuviens. Les pecheurs peuvent dös lors nogocier avec difforents acheteurs. Une e"bauche d'oconomie de marchö se met en place et meme si les marchands locaux profitent souvent de l'isolement des communautos pour exploiter les pecheurs, les gains de ces demiers augmentent sensiblement. Dans les annees 1920, le motier hivernal de bücheron se döveloppe considerablement. Plusieurs scieries sont construites dans les communaut6s franco-terreneuviennes. Ces sources de revenus supp!6mentaires permettent l'acces aux biens de consommation courants que proposent les services de vente par correspondance organis6s par les marchands de St John's et Halifax. Dans les ann6es trente, plusieurs pecheurs transforment leurs activitds compl6mentaires en travail ä plein temps. Les motiers de tourneur, forgeron et servante sont officiellement r6pertori6s.69 Malgro cette tendance ä la diversification des activit6s et la progression de la römun6ration en especes, le mode d'organisation öconomique traditionnel pr6vaut jusque dans les annoes 1940. La crise 6conomique qui frappe PAmorique du Nord ä la fin des anne"es 1920 ne bouleverse pas non plus le mode de vie des Franco-Terreneuviens toujours caractörise" par l'autosuffisance. Cependant la chute des prix du poisson ainsi que la rar6faction des produits de premiere nöcessito revelent ä la population locale le danger d'une de"pendance croissante ä un Systeme oconomique provincial fragile. Pendant les quatre premieres docennies de ce siecle, rares sont les families francoterreneuviennes qui deviennent prosperes mais aucune ou presque ne manque jamais de Pessentiel.70 L'isolement les protege en partie des exces de la soci6t6 de consommation et selon la tradition rurale fran5aise, chaque famille garde quelques öconomies, si maigres soient-elles, en cas de besoin.71 Bon nombre de maisons sont spacieuses, bien 6clair6es, entour£es de nombreuses dopendances et "disposies le long d'un chemin ä la maniere du rang de la Belle Province".72 Elles donnent l'image d'un confort de vie satisfaisant. Les structures 6conomiques traditionnelles garantissent aux quatre communautos £tudi6es la stabilite nicessaire ä l'öpanouissement d'une vie sociale et culturelle riche. L'organisation sociale : le Systeme de relations parentales Les deuxieme et troisieme gonörations de Franco-Terreneuviens qui s'installent dans les communautos de Cap-Saint-Georges, La Grand'Terre et L'Anse-ä-Canards maintiennent le 69
Recensement de 1935. Un seul cas de mendicito est mentionnd dans le recensement de 1921. 7 ^ Les systemes de retraite, socurito sociale et allocaüons familiales ne sont mis en place que lorsque TerrcNeuve rejoint le Canada en 1949. Une allocation infime, le "dole money" avail distribuee pendant la depression oconomique des annees trente. 72 Pierre Biays, "Un Village Terre-Neuvien : Cap-Saint-Georges", Cahiers de Glographie, vol. 1,1952, pp. 529.
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principe du refus de toute structure ou autorit6 formelle. Toutefois une forme d'organisation sociale se dessine clairement en fonction d'un Systeme de relations parentales.73 L'otude des relations matrimoniales au sein des premieres gonorations de FrancoTerreneuviens nous permet d'identifier certains phonomenes procis en dopit de la nature informelle du groupe. Pendant une p6riode de formation initiale des communaute's, de 1860 ä 1900, 49% des manages au sein des communautes 6tudi6es ont lieu avec des personnes d'autres localitis.74 Durant les quatre docennies suivantes ce chiffre diminue de moitiö. Cette eVolution s'explique par une forte tendance ä l'endogamie ä rintörieur de groupes qui se constituent pourtant selon un nombre de patronymes re"duit. Les regies de consanguinito sont connues mais les manages ont quand meme lieu entre cousins du troisieme et du deuxieme degrö et parfois meme de premier degro, bien qu'une derogation du pretre soit requise dans ce demier cas. Les families £tant nombreuses, des groupes patronymiques ichangent r6gulierement plusieurs membres dans le cadre d'unions matrimoniales. Cette pratique est appr£ci6e car eile forme des alliances solides dans un monde oü la dynamique de groupe attonue la dureti des travaux. Parallelement ä ces mariages endogames, le dösir d'eViter la diffusion des biens et notamment des terres provoque une concentration progressive de ces groupes patronymiques. Un Systeme de transmission, vente ou echange des terres favorise ainsi la cohesion de groupes issus d'un meme patronyme ou de patronymes unis par alliance. Ces pratiques reprösentent une tendance suffisamment importante pour determiner largement la repartition des habitants et la dynamique des groupes constituos. La stabilisation de ces groupes patronymiques renforcöe par une forte patrilocalit675 entraine une forte association entre identity et territoire. Ces regies, encore une fois informelles, ne sont pas absolues. Les mariages exogames, rimmigration hors des communautos francophones, la cooperation entre groupes sans parent^ sont autant d'eloments 6galement influents dans l'histoire de ces communautos. D'un point de vue g6n6ral, le Systeme matrimonial permet la stabilisation de la population franco-terreneuvienne. engendre des bases solides de cooperation entre difforentes families et assure la s^curite" de chacun dans une collectivitö homogöne. Ainsi, si l'interaction des premieres families ne peut etre qualified que de situation collective, en l'absence de structures formelles ou internes, les communautos franco-terreneuviennes formoes des les deuxieme ou troisieme g6n6rations s'organisent en fonction de structures internes qui r6gissent le jeu des interactions et la persistance des normes qu'il convient maintenant de präsenter.
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De nombreuses informations ainsi que les chiffres cites proviennent de l'Ätude de Nicole Lamarre, "Kinship and Inheritance Patterns in a French Newfoundland Village", Recherche* Sociologiques, vol. 12, ne 3,1971, p. 345-359. 74 Les premiers arrivants 6tant essentiellement des hommes, Us doivent aller chcrcher leurs compagnes ailleurs. 7 ^ La patrilocalitd signifie que le lieu de rdsidence est le m&me que celui de naissance.
Formation d une identitl collective chei les Franco-Terreneuviens
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Vie sociale et agencement du travail La Präsentation de la vie sociale des Franco-Terreneuviens est inseparable des notions cl6s qui regissent l'organisation de leur travail. Le mode d'organisation economique qui s'articule sur "une association de genres de vie"76 nocessaires pour assurer l'autosuffisance et un confort de vie satisfaisant implique une grande assiduite au travail. Le röle des femmes dans cette gageure est aussi preponderant que celui des hommes. Les donnies climatiques döterminent pour une grande part agencement des activitis. a) Le travail des hommes Du prin temps ä l'automne, les hommes partagent leur temps entre la peche et agriculture. Les journees de travail commencent souvent avant Taube. II faut parfois plusieurs heures pour se rendre sur les lieux de peche "ä la nage".77 Le retour au port doit avoir lieu ä la mi-journe'e afin de disposer de suffisamment de temps pour "obrouailler"78 le poisson et travailler quelques heures dans les champs avant la tomboe de la nuit. Les activites agricoles sont souvent entreprises collectivement. Les groupes de travail se forment selon la parente" et le voisinage qui genoralement repr6sentent les memes personnes. Cette pratique est une des grandes forces de ces communaute's car eile permet un travail plus important, plus motivant et rend plus acceptables des täches penibles.79 Les travaux agricoles les plus eprouvants, tels que les labours, la coupe des foins, les moissons, la ricolte des pommes de terre et le bucheronnage sont accomplis en groupe par les hommes. Les femmes s'emploient aux semailles, aux plantations de legumes, au ratissage du foin et ä l'eievage du bötail et des volailles. Toutes ces activites sont r6g!6es par un savoir precis. Les mithodes d'ameiioration des sols, le choix des quartiers de lune pour les semailles, le traitement des maladies des plantes et des animaux, le stockage des röcoltes et les techniques d'attelage dependent de connaissances transmises meticuleusement. Dans le courant de l'automne, les amateurs se livrent ä la fabrication du vin de bleuets, de la biere d'6pinette et ä la distillation d'alcool en provision des rejouissances de fin d'annoe.80 Pendant l'hiver la preparation des reserves de bois constitue le seul travail vraiment physique. Les autres activites, qu'il s'agisse de la reparation du materiel de peche, de l'entretien des bäuments, de la fabrication d'objets artisanaux, de chasse au petit gibier ou aux phoques rassembies sur la banquise flottante, representent des moments de detente.
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Expression empruntde ä P. Biays, op. cit., p. 107. Expression bretonne et normande, utilisee localement pour: "ä la nune". Terme local pour nettoyer. Les notions de collectivitö, solidarito, hospitalito dtaient essentielles dans l'organisation de la vie sociale. Nous les dtudierons lors de analyse de l'identito franco-terreneuvienne. L'alcoolisme est peu courant mais tragique pour les families oü l'homme ne remplit plus son role.
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Une ηύηοήίέ francophone h rs Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
b) Le travail desfemmes Les femmes jouent un role prdpondorant dans le mode de vie franco-terreneuvien. En plus de la part importante des travaux agricoles qui leur incombe, elles participent au nettoyage et au sochage du poisson et parfois meme la peche, bien que cette t che soit traditionnellement consid re'e par les deux sexes comme revenant aux hommes. Les travaux m nagers constituent la part la plus importante des activite"s des femmes. Leurs horaires journaliers sont astreignants, r p titifs et confine's l'intorieur des maisons.81 Nourrir l'ensemble de la famille reprosente chaque jour la tache la plus urgente. La femme doit proparer trois repas quotidiens et toujours provoir un supplement pour les froquents visiteurs. Les mets sont simples et peu vane's. Des 16gumes du jardin accompagnent ge'ne'ralement un poisson sale* ou frais selon la saison ou encore une viande fraiche ou conservoe, pour la preparation d'un plat unique. Des logumes au vinaigre ainsi que des patisseries peuvent agre"menter le repas. Le poisson est plus disponible et souvent preTore* la viande. Bouillie, frite ou cuite au four, la morue constitue la base de la nourriture des FrancoTerreneuviens. On prepare des soupes avec les tetes ; les langues et les foies frits sont considers comme une friandise. Fruits de mer, saumons, truites et anguilles viennent varier 1'ordinaire. Lors des fetes, viandes et poissons sont servis lors d'un meme repas. Le the reprosente la boisson la plus courante pendant les repas ainsi qu' differents moments de la journoe. Laver la vaisselle apres chaque repas constitue une obligation car il y a peu de couverts suppiementaires. Les families comptant en moyenne six sept personnes, la femme a done la responsabilite d'une vingtaine de repas quotidiens. Le succes de cette entreprise dopend essentiellement de la preparation hebdomadaire ou saisonniere de differents mets.82 La production de pain, de g teaux et de beurre a lieu une ou plusieurs fois par semaine selon la taille de la famille. On cuit traditionnellement le pain le lundi mais dans les families de plus de quinze membres, cette t che peut devenir quotidienne. La fin de Γέΐέ correspond une pe"riode d'activite particulierement intense. La mise en conserve des produits rocoltos et de difforentes sortes de viandes, la cueillette des baies sauvages et leur transformation en confitures occupent femmes et enfants temps plein. Parmi les autres taches journalieres, il faut entretenir un feu dans le poele, m§me en έΐέ, pour avoir l'eau chaude nocessaire l'hygiene de la famille et aux differentes operations de nettoyage. Les sols recouverts de parquet ne sont pas cir s mais Iav6s l'eau et au savon chaque semaine. Les filles ain6es se chargent en g6n6ral de cette besogne. La lessive a Heu traditionnellement le lundi ainsi que le repassage et l'amidonnage de certains vetements. Les
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Nous avons recueilli plusieurs tomoignages de femmes gees qui expliquent que travailler Γίηΐέπβιιτ des maisons lors de la belle saison et etre ainsi coupees de la vie sociale reprosente Γ aspect le plus contraignant dans leur labeur. Seuls le the\ le sucre, la farine, la molasse, le sei et parfois la levure sont achetes.
Formation dune identi.ll collective chez les Franco-Terreneuviens
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matelas et les couvertures sont Iav6s au printemps et ä l'automne, les murs des pieces principales ä Noel et ä Päques. La nourriture et le pansage des animaux incombent ogalement ä la femme. Les femmes considerent l'ensemble de ces taches comme des corve"es. Elles appröcient par contre les travaux lios au domaine du textile car Us donnent lieu ä des activite"s de groupe.83 La tonte, le cardage, la teinture, le filage et le brochage84 de la laine suscitent des rassemblements tantöt chez les unes tantöt chez les autres. L'eVocation de la vie du village, les chants et les contes fönt de ces assembles, seules occasions de se retrouver entre femmes, des moments riches et intenses. Lors des soances de tricotage, les femmes travaillent en commun au prpjet de l'une d'entre elles qui accueille le groupe et fournit la laine.85 La couture, le tissage, le crochet et la tapisserie sont pratique's individuellement c) Education L'ensemble de ces taches materielles reste secondaire aux yeux des femmes qui privilogient avant tout leur röle de mere. Selon la tradition catholique, les Franco-Terreneuviens ne limitent pas ou peu le nombre des naissances. Les jeunes filles se marient ä partir de l'äge de seize ans et le premier enfant nait presque toujours dans l'annee qui suit le manage. Chaque mere met au monde sept enfants en moyenne dont cinq atteignent Tage adulte.86 Les enfants apprennent rapidement ä etre indopendants. La mere s'occupe des plus jeunes. Ceux qui savent marcher sont sous la responsabilit6 de leurs aine"s. En dehors de leur famille, grands-parents, cousins et voisins forment un second cercle protecteur pour les enfants.Les exigences et les bienfaits de la vie de groupe constituent le premier modele de re"f6rence dans education des plus jeunes. Le jeu prend une place importante dans la vie des enfants qui jouissent d'une grande indöpendance. La plage offre un terrain de decouvertes, d'aventures et de reves.87 Les jeunes Franco-Terreneuviens appricient particulierement les jeux de quilles et "courir la toupie". Entre 1890 et 1900, des ecoles sont construites dans toutes ces communaut6s francoterreneuviennes mais les enseignants, employ6s par le gouvernement terreneuvien, sont tenus 83
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De nombreuses informations concemant le travail des femmes dans les communautfs franco-terre-neuviennes proviennent de Elizabeth Carol Seilars, "Aspects of the Traditional Life of French Newfoundlanders of Black Duck Brook", M.A. dissertation, Memorial University of Newfoundland, 1978, ainsi que de temoignages oraux. Pour cette note Mme C 106, habitante de L'Anse-ä-Canards nous a confid que sa deception est grande lorsqu'elle n'est pas invitee ä une "carderie". Terme local pour tricotage. Le groupe fait cadeau des pelotes de laine lorsque la situation materielle de l'höte est jugee trop precaire d'apres E. Sellars, (1978), op. cit., p. 121. Tricots, chaussettes, chaussons, mitaines, bonnets, pulls, robes, cale9ons, couvertures et edredons sont confectionnes lors de ces reunions. Les families franco-terreneuviennes se divisent en trois classes egales, selon le nombre de naissance, de zero ä trois enfants, de quatre ä six et sept enfants et plus. Ces chiffres ont 6t6 calcules ä partir des recensements de 1921 et 1935, op. cit. La tradition franco-terrcncuvicnnc veut que les bebes naissent non pas dans un chou ou une rose mais sous un rocher, sur la plage. Temoignage oral de M. C 131 15, habitant de L'Anse-ä-Canards, juin 1990.
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d'utiliser uniquement la langue anglaise meme lorsqu'ils sont bilingues. Cette mesure discriminatoire retarde considorablement les progres d'61eves exclusivement francophones pour la plupart. De plus la scolariti des enfants est souvent intermittente ou promaturdment interrompue car des l' ge de neuf ou dix ans, filles et garfons doivent preter main forte lors des peYiodes de travaux intenses. Dans les foyers, la mere, beaucoup plus prosente que le pere, joue un role pr£pond£rant dans Γ education des enfants. Elle veille la transmission de l'hiritage culturel, au bon ddroulement des apprentissages manuels et l'enseignement des valeurs morales qui reposent sur la religion catholique et les croyances traditionnelles. d) La santi Les problemes de santo reprosentent une prooccupation constante pour la maitresse de maison. Le moindre rhume, la moindre coupure doivent etre soignos rapidement et efficacement pour 6viter des complications. On ne contacte le docteur qu'en cas d'extreme urgence et il faut plusieurs heures voire plusieurs jours pour qu'il arrive aupres du malade. Aussi chacune des Franco-Terreneuviennes connait-elle des remedes issus de plusieurs traditions.88 Plantes, 6corces, rosines servent la fabrication des potions ou des onguents qui s'averent efficaces contre les hdmorragies, les infections, les maux de gorge, de tete et d'estomac. La m6thode du placebo est souvent utilisde pour soigner les plus jeunes qui Γόη administre un verre d'eau chaude sucroe.89 En cas d'e"pid6mie, les enfants doivent absorber quotidiennement un verre d'huile de foie de morue et rester pres du poele. La tuberculose et la diphtirie font toutefois de nombreuses victimes. En 1885, 10 des 14 enfants d'une famille Duphenais90 L'Anse- Canards meurent de la diphtorie.91 Ces 6pid6mies augmentent un taux de mortaliti infantile dej έίενέ en d6pit du savoir faire des sages-femmes. L'impuissance devant la mort trop prococe reprosente 1'aspect le plus n£gatif de la vie des Franco-Terreneuviens. Au XIXe siecle, le taux de mortalito reste έΐβνέ pour la tranche d' ge de 10 40 ans. Les travaux ponibles sont souvent fatals pour les constitutions fragiles. Ils impliquent 6galement de nombreux accidents. Les registres paroissiaux92 nous apprennent que les incendies, les tempetes de neige et les noyades causent r gulierement des de"ces.93 Les maladies de l'6poque minent souvent les organismes affaiblis des femmes qui durant les vingt premieres ann6es de leur manage accomplissent leurs travaux alors qu'elles sont rogulierement enceintes. 88 89 90 91 92 93
Certains remedes proviennent de la tradition rurale et maritime fran(aise, d'autres sont inventes sur place en function de la flore terreneuvienne ou transmis par les Indiens micmacs. Brian Kerfont, "Folk Medicine", Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, 76-98,1975. Une origine possible de ce nom est Dauphino. Communication orale de Gerald Thomas. Gary Butler, (1985), op. cit.. Saint-Georges Roman Catholics Diocesan Records, op. cit.. Les noyades sont particulierement frequentes dans la baie Saint-Georges ou les pecheurs se rendent pour vendre leurs produits une fois 1'an. La surcharge des bateaux et la faible connaissance des eaux rendent ces risques d'accidents plus importants.
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Le role du pere comme celui de la mere otant indispensable ä la vie de la famille, la solidarito joue pleinement lors du döces de Tun ou de l'autre. Les voisins, les parents et les amis pretent main forte pour le travail. Les enfants sont repartis dans plusieurs families.94 Les remariages apportent souvent une solution ä ces situations difficiles. Les veufs se remarient en g6n6ral avec une femme plus jeune qu'eux ou avec une veuve. La coutume empeche par contre les femmes veuves d'epouser un homme beaucoup plus jeune qu'elle. e) Deux mondes Du printemps ä l'automne, l'exigence des taches d'une existence autarcique rigit la vie des Franco-Terreneuviens. Les roles distincts attribu6s aux hommes et aux femmes laissent peu de place ä l'interaction entre les deux sexes. Les hommes ne cherchent pas ä rompre cet isolement. Ils passent une grande partie de leur temps libre dans leurs cabanes de peche pres de l'embarcadere. Ils y vaquent ä leurs occupations de pecheurs mais surtout ils y vivent entre hommes ^changeant leurs roflexions sur leur mitier et sur la vie de la communauto. Un grand sentiment de complicito et d'appartenance rogne dans cet univers clos oü les hommes partagent les memes int6rets, les meines soucis et le meme d6sir de se dotendre apres les dures joumees de labeur. Dans leur cabane, face ä la mer, les pecheurs franco-terreneuviens trouvent un refuge oü ils oublient les tracas quotidiens. Seuls, ils s'y reposent ; en groupe, ils s'y distraient ochangeant spontan6ment le rire et la chaleur humaine. Les femmes sont tenues dans leur foyer. Elles souffrent souvent de leur isolement. La Separation du monde des hommes de celui des femmes pendant la belle saison est toutefois compens6e par une vie sociale et culturelle intense durant l'hiver. Le cadre culturel La vie sociale et culturelle a) La veiltee Les Franco-Terreneuviens accueillent les premiers grands froids de novembre avec un certain soulagement car ils indiquent l'approche d'une periode de vie sociale intense. Les quatre communautos renferment un nombre important de musiciens, de chanteurs, de danseurs et de conteurs qui comblent une population avide de divertissements.95 De novembre
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Cette solidarito se manifeste ogalement envers les personnes ägees ou isolees. Dans les recensements de 1921 et 1935 aucun foyer ne comprend moins de deux personnes. Les exemples d'accueil de personnes seules appartenant ä la famille, ä la belle famille ou au voisinage abondent Chaque famille compte des representants dans une ou plusieurs de ces traditions. La dimension artistique des pratiques culturelles franco-terreneuviennes est hors du common. Elle a suscito des itudes de diffdrents specialistes : Pour le conte, consulter G. Thomas, (a), (1983), op. cit. et G. Thomas, Ph.D, (a), (1977), op. dt.. Pour le chant, consulter: Gerald Thomas, (a), "Songs Sung by French Newfoundlanders: a Catalogue of the Holdings of the Memorial University of Newfoundland Folklore and Language Archaive". St John's, Memorial University of Newfoundland, (MUNFL A Publication Series: Bibliographical and Special Series N° 4), 1978, ix + 93p. Pour la musique, voir Colin Harding Quigley, "Creative Processes in Musical
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ä avril, au moins une fois par mois, parents et amis se röunissent lors des veilloes ou chaque artiste peut exercer ses talents. Les participants sont invites ou se rendent sur place spontanement. Apres les jeux de cartes et le repas, un ou plusieurs chanteurs, musiciens ou conteurs animent la soiree souvent au-delä de minuit. La veiltee a toujours lieu amour du poele, dans la piece principale de l'habitation firanco-terreneuvienne, la cuisine. Les chanteurs possedent un repertoire qui peut compter de quelques chansons traditionnelles ä plus de 50.96 Transmises oralement ces chansons sont souvent modifioes. Ces transformations ainsi que la survivance des seuls litres appr6ci6s de la population nous permettent de mieux comprendre les goüts, les intdrets et les espoirs de ce groupe isoie. Les themes de amour et de la guerre sont les plus rocurrents. Les femmes, meres ou grands-meres, chantent ogalement pour distraire les enfants. Le violon et l'accorddon reprosentent les instruments privi!6gi6s des musiciens locaux. Les origines de la tradition musicale franco-terreneuvienne sont difficiles ä determiner. Beaucoup de melodies jouoes par les violoneux locaux se retrouvent aussi bien en Irlande qu'en Bretagne. L'influence celtique, qu'elle provienne des ancetres de France, Bretons pour la plupart, ou qu'elle soit empruntee ä la tradition irlando-terreneuvienne ne peut etre discernoe avec exactitude que lorsque 1'histoire particuliere d'un morceau est connue. La tradition musicale franco-terreneuvienne repose avant tout sur 1'interpretation originale et personnalisoe que chaque musicien s'applique ä donner des differents airs ainsi que sur quelques compositions locales.97 Les musiciens animent ogalement les bals ou les virtuoses de la danse s'illustrent individuellement lors des gigues, ä deux lors des valses et ä plusieurs lors des danses en carrd. Le conte reprosente la tradition artistique la plus soutenue. II remplace les fonctions donnees ailleurs ä la literature, au theatre, au cinema et ä la science fiction. Les conteurs publics, toujours des hommes, exercent leur art lors des veilloes. Les conteurs de la tradition privoe, souvent des femmes, disent leurs contes lors d'occasions informelles, en famille ou entre amis.98 Malgre un repertoire assez vaste, 1'auditoire connait souvent toutes les histoires. Le conteur public doit done son succes avant tout ä sä performance d'acteur: "Dans le style public, le conteur 6tait sans inhibition dans son usage de gestes et de gesticulations...Leurs bras battaient 1'air, les mains ne s'arretaient pas de bouger, le corps se tordait, le visage faisait preuve de toute son dlasticiteV99
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Composition: French Newfoundland Fiddler, Emile Benoit.", Ph. D. thesis, Los Angeles, University of California, 1987. Notamment: "Cadet Roussel", "Dans les prisons de Nantes", "En revenant de la jolie Rochelle", "La Rose et le Lilas". Les hommes rapportent egalement des chants empruntes ä la tradition anglaise de leurs sejours dans les camps de bücherons. Les musiciens locaux composent rarement. Notons toutefois la parution de trois disques qui regroupent les compositions originales d'Emile Benoit D'apres G. Thomas, (a), (1983), op. at., pp. 70-71. D'apres G. Thomas, (a), (1983), op. at., pp. 70-71.
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Le conteur interfere souvent dans le conte selon son inspiration ou cause de trous de memoire. II se fait alors psychothorapeute en incluant des membres de l'auditoire s narration. Par exemple, le conteur, incarnant un prince, choisit dans Γ assemble une grandmere ou une jeune fille timide pour personnifier la princesse. En plus du comique de situation, le conteur met en lumiere un trait de caractere r£el du spectateur. II attribue ainsi un repere identitaire peut-etre necessaire pour renforcer la reconnaissance de cette personne au sein du groupe. En αέηοηςαηΐ un aspect peu plaisant d'une personne, il peut aussi inciter s "victime" corriger son dofaut mis jour en public mais toujours avec suffisamment d'humour et avec le filtre de la fiction pour ne jamais blesser vraiment. Les membres de l'assistance approcient cet exercice pour le sens de communion qu'il gonere. Les conteurs franco-terreneuviens possedent un rdpertoire de 20 60 contes dont Jean le Sot, Cendrilloux, la bete sept tetes. Ils modifient leur recit selon l'auditoire ou le contexte particulier de narration. Les ajustements refletent souvent un souci d'actualisation du conte meme si l'aspect fictif reste essentiel comme le souligne l'immanquable formule d'ouverture : "Bien in coup par une bonne fois...".100· Cette liberto que prend le conteur de resituer le conte dans son contexte personnel nous permet de mieux comprendre la sp^cificite" du milieu de vie des Franco-Terreneuviens. La trame de l'histoire reste celle d'un conte traditionnel mais le contexte se colore d'iliments appartenant souvent au monde de la mer. Les Princes ne traversent plus des forets, absentes sur la poninsule de Port-au-Port mais des "broussailles".101 Les themes merveilleux se situent dans un milieu familier et ordinaire, reflet d'un monde connu.102 Les enfants ne naissent plus dans une rose ou dans un chou mais sous les galets sur la plage. II convient de souligner que, malgre' cette coloration locale, le monde culturel francoterreneuvien103 reste probablement plus proche de la culture rurale fran5aise du XIXe siecle que toute autre culture regionale fran9aise. La pratique de l'humour chez les Franco-Terreneuviens atteint un tel degr6 d'excellence que nous pouvons l'elever au rang d'activito ar stique. L'humour et l'ironie jouent un triple role dans les communautes franco-terreneuviennes. Lors des veilloes, l'humour, "les 100
G. Thomas, (a), (1983), op. ca., p. 168. Cette expression est une des multiples variances locales du plus classique "II 6tait une fois...". Au cours de ses recherches, Gerald Thomas a relevd de nombreux contes d'apres The Types of the Folktale (voir note 1003) dont 30 pour 3 conteurs seulement, ainsi qu'environ 230 "motifs" d'apres le Motif-Index of Folk Litterature (voir note lOOty, classes sous les rubriques animaux, tabou, magie, les morts, merveilles, ogres, epreuves, les sages et les sots, deception, renversement de fortune, decret de l'avenir, le hasard et le son, la societe, recompenses et punitions, captifs et fugitifs, cniauto contre nature, le sexe et l'humour, d'apres G. Thomas, (1983), op. cit., pp. 443-452. Ces rubriques sont caracteiistiques de toute tradition mythique ou 1'homme tente d'apaiser son angoisse motaphysique en crdant des liens analogiques entre le reel et l'inconnu. lOOa Anttj Aame et Stith Thompson, The Types of the Folktale, FF Communications, na 184, Academia Scientiarum Fennica, Helsinki, edition rdvisee, 1961. l°0b Stith Thompson, Motif-Index of Folk Literature, 6 tomes, Indiana University Press, Bloomington, 1955-58. 101 Communication orale de G. Thomas. 102 Christine O'Neill, "Le Conte Populaire Franco-Terre-Neuvien : Porteur de Traits Culturels", B.A. (Hons.), Memorial University of Newfoundland, May 1987. 103 Le monde culturel franco-terreneuvien reste notamment animo de Saints, de diables et de sorcieres.
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blagues",104 les histoires dröles et les taquineries animent les soiroes, garantissent le rire, facilitent les contacts et renforcent le sentiment d'appartenance au groupe. La distanciation humoristique pennet aux intoressos de faire preuve de leur vivacito d'esprit dans un milieu ou la discrotion de toute manifestation intellectuelle est de rigueur. L'humour prend 6galement une place importante lors du moment de la veilloe re"serv6e plus particulierement ä l'exercice de l'imagination et de la spontanöito intellectuelle. Les sp&ialistes de ces epreuves se d£fient au jeu des "devinailles"105 ou lors de joutes oratoires ou ä partir d'un theme de depart deux concurrents improvisent une histoire ajoutant tour ä tour un 616ment ä 1'intrigue. Le premier ä cours d'imagination a perdu. La troisieme dimension du role de l'humour s'illustre dans la vie de tous les jours ou sous le couvert de l'exagoration humoristique on peut indiquer ä une personne que son comportement s'eloigne des valeurs de la communauto. La remarque adresse"e de fa?on d6tourn6e permet ä la personne concerned de corriger son attitude sans qu'il ne reste de trace trap eVidente d'un pr£c€dent d6bilitant. Dans une communauto sans organisation formelle, l'humour seit ainsi de medium ä un contröle social cohorent. Les veillies reprosentent done un moment de vie sociale et culturelle intense et spontano. Elles tiennent lieu d'exutoire ä la rudesse du travail. Durant ces soirees, la reunion de membres du groupe qui vivent souvent en parallele permet un rappel informel des valeurs collectives. La dimension artistique des divertissements valorise I'identification aux valeurs d'un groupe capable de gindrer une culture riche et sophistiquoe. En dehors des veill6es, difforentes occasions de rejouissances plus formelles s'e"chelonnent tout au long de I'ann6e en function du calendrier des fetes catholiques.106 b) Les fetes publiques La fe"te du 15 aoüt,107 präsente dans les traditions fransaise et acadienne, marque symboliquement la fin des moissons, la fin des travaux d'£t6. On organise pour 1'occasion l'öquivalent des "assembles"108 du monde rural franc.ais avec les traditionnels mats de cocagne, les courses en sac et les tirs au fusil.109
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Tenne incluant tout recit humoristique. Terme local pour devinette ou charade. Pour plus d'informations consulter Gerald Thomas, (a), "Les Devinailles de Guillaume Robin ou l'Apprentissage du Professeur", En R'montant la Tradition - Hommage au Pire Anselme Chiasson, Ronald Labelle et Lauraine Loger 6ds., Moncton, les Editions d'Acadie, 1982, pp. 195-210. Nous ne prosentons que les fStes d'origine francaise. L'ajout d'autres colourations sera 6tudi6 dans la seconde partie. Dite fSte du "tchinze d'aoüt" localement. Terme qui possede de nombreux synonymes selon les rogions de France, d'apres Arnold Van Gennep, Manuel de Folklore Frangais Contemporain, Paris, editions Auguste Picard, 1943, p.88. Gerald Thomas, (b), "Vie et culture des Franco-Terre-Neuviens", Radio Canada FM, Script nfl 2, "La vie d'autrefois". Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, septembre-ddcembre 1983, p. 10.
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D6but novembre, la Toussaint Signale gön6ralement le dobut de l'hiver. L'ensemble des proparatifs pour cette longue peiiode de froid doit alors etre achevi. Chacun profite de ce premier moment de r6pit pour rendre Hommage aux morts. Noel reprosente le seul moment de l'ann£e oü les Franco-Terreneuviens se considerent en vacances. Aussi propare-t-on ä l'avance la nourriture, la boisson et les roserves de bois n6cessaires ä la c61£bration du Vieux Noel, du 24 de"cembre au 6 Janvier. Le jour du nouvel an, chacun va rendre visite ä sä famille et ä ses amis. Le 2 fovrier, les plus jeunes cherchent l'oracle favorable lors de la c616bration de la chandeleur. Faire sauter une crepe avec une piece dans la main augure une annoe prospers. La ddcouverte d'objets dissimulos dans des crepes annonce le manage ou le celibat. Apres l Observation du Careme, Päques repr6sente la sortie du monde sterile de l'hiver. La d6gustation des oeufs de Päques, les premiers oeufs apres l'arret de la ponte pendant quelques mois, symbolise 1'espoir apport6 par cette fertilit£ nouvelle. Parallelement, la population se rend assidument aux offices religieux pour cilobrer la insurrection du Christ. Les tours jouis aux enfants lors du I er avril constituent un rite de passage de 3 d'innocence ä une perception plus critique de son environnement. Les enfants qui ont cherch6 'T6tcherre rond"110 ou la corde ä virer le vent de maison en maison retiennent d'autant mieux la Ie9on qu'ils se font rappeler rogulierement leur manque de discernement. Le 14 juillet, demiere date officielle du calendrier franco-terreneuvien, n'est feti que par les "Vieux Franfais"111 qui se rassemblent autour d'une bouteille pour 6voquer leur passo et chanter la Marseillaise. Ces moments de divertissements donnent lieu ä un partage intense d'une culture riche. La modiatisation de la vie socio-culturelle par des artistes au talent exceptionnel garantit l'adhösion des membres du groupe aux valeurs collectives et renforce la cohesion de la communaut£. Valeurs spirituelles et morales Les Franco-Terreneuviens embrassent sans exception la religion catholique. La ferveur religieuse höritoe tant des ancetres bretons qu'acadiens s'illustre dans le maintien du culte en l'absence de pretre et meme d'6glise. Le premier pretre de la rägion est le pere Alexis B61anger qui oeuvre de 1850 ä 1868. Etabli ä Saint-Georges, il ne peut se rendre dans les multiples communautos de la cote ouest qu'une fois 1'an. Le service des aumöniers de la marine fran9aise est done parfois fort appr6ci6.112 110 111
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G. Thomas, (b), (1983), op.cit..p. 11. Les "Vieux Franfais" qui, rappelons le, otaient n6s en France, s'isolent pour cette circonstance du reste de la population. Les raisons de ceoe attitude restent mystorieuses. Voici un exemple du role de les aumöniers. Document decouvert dans les registres diocesains de SaintGeorges, 1850-1867, Acte de BaptSme de Jean-Marie Elizagaraye, dit Lacosta, Provincial Archives of Newfoundland and Labrador. "L'an mille huit cent cinquante cinq, le quatre septembre, nous, soussigne*. aumonier suporieur de la Division Navale des Antilles et du Golfe du Mexique, embarquo sur la frigate de guerre francaisc, Higonie,
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Lorsqu'une jeune femme se trouve enceinte avant d'etre mariie, le couple voyage parfois plusieurs jours pour se rendre aupres du pretre qui les marie de toute urgence. En l'absence de pretre, la plupart des rites religieux sont c l bifs dans les maisons par un des plus anciens chefs de famille qui a re?u l'agrement du pretre. Un extrait du rapport de "Father" Sears lors de son premier sejour au Cap-Saint-Georges ou aucun pretre ne s'est rendu depuis douze annies illustre cette situation.113 L'irrigularite' des services de l' glise n'altere pas son influence. Π n'y a ni maire, ni aucun reprosentant 61u et le pretre reprosente la seule autorito officielle qui ne dopend pas de processus sociaux internes au groupe.114 La dime115 constitue le seul impot que les FrancoTerreneuviens acceptent de payer. La parole du pretre est sacr6e et fait figure de loi. Les sacrements de I'dglise constituent 1'aspect predominant des rites de passage aux difforentes otapesdelavie.116 Toutefois l' laboration du savoir dans les communautis franco-terreneuviennes dopend d'une approche pragmatique de leur milieu. Aussi leurs valeurs morales reposent-elles, parallelement au dogme de l'6glise, sur tout un roseau de dictons et de croyances qui expriment une sagesse issue de la tradition et des exp6riences de la communaut6.
au mouillage dans la bale St. Georges, Teire-Neuve, et pretre d616gu6 par Monsieur Bolanger, vicaire goneral, Curee de la baie St. Georges, avons en son absence, baptise" selon le rit (sic) de la sainte iglise catholique, un garc.on prenant au bapteme le nom de Jean-Marie, ηέ le vingt deux mars demier au Cap-Saint-Georges, fils logitime de Jean Elizagaraye dit Lacosta, pecheur, et de Adele Coisne. Moi soussigno ai servi de parrain. La marraine a έΐέ Marie-Anne Lejeune gfe de trente ans, demeurant sur la Pointe Le Pere, la mere et la marraine ont doclaro ne savoir signer." Signature de 1'aumonier Vu, pour delegation de la signature ci-dessus L'hige'nie, Baie St. Georges, le 4 septembre 1855 L'aide commissaire de marine Signature 113 Registres diocesains de St Georges, 1850-1867. "On the 31st of May I visited Cape St George, this being the first visit of a priest there for about twelve years. I found quite a number of children to be baptized and marriages to bless. In one case a couple applied for the nuptial benediction, who lived together as man and wife for two years, they having no chance of seeing a priest. Of the children, the greater number received private baptism, I examined those who administered it and found that it was imparted validly. I then fulfilled the ceremony..." (Le pretre termine son rapport en indiquant que) "the principal being Julian (sic) Reneau who was instructed and authorized to do so by my predecessor F. Belanger as he assumed it." Signature de "Father" Sears "Father" Sears deviendra plus tard "Monsignor", important eVeque catholique de la c te ouest de TerreNeuve. 114 Le gouvemement de Terre-Neuve se ddsintdressa totalement de la vie sur la poninsule de Port-au-Port apres avoir tente\ en vain, d'y collecter des impots. 115 Terme employo par les Franco-Terreneuviens. 116 Bapteme, communion solennelle et manage.
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Les dictons retenus de la tradition populaire ancestrale soutiennent les valeurs privi!6gi6es du groupe. "Many hands make light work", "Don't count your eggs before they hatch", "Si tu ne fais pas comme les loups, les loups te mangeront", "The early bird catches the worm ...".117 Une autre categorie de dictons, ou plutöt de maximes car l'dpreuve du temps qui confere la 16gitimit6 aux dictons est trop roduite pour ces formules, provient d'un savoir lie" ä l'expeYience particuliere du groupe: "L'ouvrage de la femme, C'est jamais fini", "the closer the kin, the sweeter the skin", "Always go your first mind."118 Tout un eventail de croyances garantit 1 "application et la preservation des valeurs morales pour la majeur partie des membres du groupe : "If you die drunk, you'll go directly to hell", "Si tu chantes dans la nuit, tu vas ouere le diab."119 Bon nombre de ces dictons et de ces croyances s'adressent plus particulierement aux enfants afin d'epauler leur surmoi dans l'apprentissage de la conscience de groupe : "Si tu prends la derniere tranche de pain dans l'assiette, tu t'marieras jamais", "Si tu triches quand tu joues une game (un jeu), le diab viendra jouer la game avec toi." Un autre groupe de croyances a pour but de rendre communicables les angoisses issues d'interrogations metaphysiques : "If you dream of a dead person, that person desires prayers from you",120 "If you dream about boards, somebody will die soon."121 De nombreuses expressions qui component une r6fe"rence implicite ä un passe* collectif contribuent ä renforcer le sentiment d'identite" groupale "rouge comme un homard", "sec comme un capelan", "grosse comme une baleine", "tetu comme un boeuf."122 La rifdrence peut etre ä la tradition populaire: "Pauv' comme Job", "fou comme Jean le Sot" ou au cadre plus pr6cis de la vie locale: "bais6 comme la scie ä Edouard", "farouche comme un caribou."123 Enfin, une dramatisation de I'environnement naturel se joint parfois ä cette modiatisation de 1'inconscient collectif afin de refleter le sentiment mele" de crainte et d'admiration devant des phenomönes extraordinaires :124 "Les marionnettes125 dansent au son de la musique", "If the birds are late leaving, the winter will be late coming", "Do not run under thunder for it will hit you", "The first snow is the devil's snow,"126 117
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Collects recemment, les dictons que nous citons sont parfois en anglais. Certains ont appris ä 1'ecole. - Le sens de ces formules peut varier selon le contexte. - Dictons recueillis dans, Elizabeth Sellars, "Proverbial Language in the Folklore of the French Newfoundlanders : A Study of Context and Function.", Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, 80-474. E. Sellars, (1978), op. at., p. 140. Geraldine Barter, "Folk Beliefs from La Grand'Terre, West Coast of Newfoundland, Poit-au-Port Peninsula Their Role and Significance", Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, 78-148. Brian Kerfont, "Beliefs in Cape-St-George", Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, 76-98,1975. G. Barter, op. at.. Mabel Bunguay, "Proverbs and Expressions in the Community of La Grand'Terre on the Port-au-Port Peninsula", Folk. 3400, Centre d'Etudes Franco-Terreneuviennes, 79-659, p. 10. G. Barter, (1986), op. cit., p. 51.
Citons par exemple la brutalito du climat, la banquise flottante, les aurores boreales, la migration de millions d'oiseaux, de poissons, de phoques ainsi que des baleines. Terme local pour designer les aurores boroales. B. Kerfont, (a), op. cit., p. 141.
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La perception de l'environnement au travers du prisme de la croyance correspond ä une tentative de rationalisation, une recherche de causaliti entre la dimension humaine et des phe"nomenes difficilement concevables. Les caractöristiques de la vie socio-culturelle et artistique que nous venons de docrire s'apparentent ä celles de la France et particulierement de la Bretagne du XIXe siecle. La population franco-terreneuvienne comprend ogalement des reprosentants de la tradition acadienne mais ils revendiquent une distinction d'ordre historique plutöt que culturel. L'influence de la prosence anglophone reste minime dans un premier temps face au courant culturel majeur.127 Dans un milieu social reclus, la participation active de la population ä l'e"change d'une culture riche et dont les 616ments sont s61ectionn6s et adaptos afin de mieux r6pondre aux preoccupations du moment, confere un sens de grande homog6n6it6 aux groupes de population des villages de Cap-Saint-Georges, de La Grand'Terre, de L'Anse-ä-Canards et de La Barre.128
- Dynamiques fundamentales de l'identit£ collective des FrancoTerreneuviens L'identite collective des Franco-Terreneuviens et la notion de solidariti L'homoge'ne'ito du groupe que nous venons de dicrire se traduit par la pr6dominance du sentiment d'identite" collective dans la formation de ridentite" franco-terreneuvienne. L'etre collectif correspond selon Durkeim129 aux systemes d'idoes, de sentiments et d'habitudes qui expriment en nous le groupe ou les groupes dont nous faisons partie. Le concept de solidarito doveloppo ä partir du vecu affectif du groupe, constitue une notion cl£ dans le Systeme des reprosentations collectives des Franco-Terreneuviens. Le passo de marin de la plupart des premiers Franco-Terreneuviens est probablement la source de cette notion essentielle dans l'organisation de la vie sociale. Le tömoignage des anciens Terre-Neuvas est £loquent ä cet e"gard.130 Pour chacune des families pionnieres, l'exporience de moments difficiles fait du sentiment de solidarito un e"le"ment c\€ dans la conception de la vie sociale. L'entraide, synonyme de survie surtout pour les plus de*munis lors de l'otablissement des communautos est alors 6rigie en regie morale. En faisant preuve de g6n6rositö, une famille plus privi!6giee obtient la double satisfaction de faire partager sä roussite individuelle et de confirmer ainsi son Statut tout en participant ä la roussite du groupe. Cette solidarit6 r6tablit le sens d'une certaine logique universelle face aux imponderables tragiques de la vie de pionnier qui entrainent un sentiment d'injustice domobilisateur. Elle renforce le sentiment d'une existence positive et renoue les dynamismes. 127
L'influence des traditions micmacs et basques reste tres limitee. Cap St Georges inclut Degras, L'Anse-a-Canards inclut Maisons-d'Hiver. 12 ' E. Durkeim, De la Division du Travail Social, Presses Universitaires de France, 1967, dans Muchielli, op. cit., p. 67. 130 Voirp. 37. 128
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Toute proportion gardee, tant que les communautis franco-terreneuviennes rcstent isolies, la notion de räussite individuelle ne repose pas sur accumulation de biens mais sur la capacite* ä aider autrui. La recompense pour de tels actes correspond ä une attitude de respect envers le donateur, ä une reconnaissance de son role social.131 Le sentiment de ge"n6rosit6 est e"galement lie" ä la dimension symbolique de l'ocoan. Le sort des Franco-Terreneuviens repose en effet avant tout sur les migrations annuelles et massives des morues. Ce phonomene, interpröto comme un don d'une immense g6n€rositi inlassablement par la mere nourriciere contribue ä determiner les conduites. Chez les Franco-Terreneuviens, un comportement ogoi'ste est censo porter malheur. Sans autre ressource que celles du groupe, les roussites individuelles et collectives sont intrinsequement lioes. Cette notion est entretenue avec d'autant plus de force que les occasions de manifester sa solidarite sont nombreuses. Incendies, accidents mortels ou blessures momentanoes, 6pid6mies, mauvaises revokes ou destruction des installations de peche par la glace et du materiel de peche par les tempetes ou les baleines peuvent avoir de graves consequences sur la vie d'une famille. L'entraide sous forme d'6change, d'emprunt ou de dons garantit ä chaque membre du groupe une s&urito minimum. Les orphelins sont ainsi toujours adoptds. De meme, les personnes ägöes ou seules sont toujours accueillies dans des foyers ou en gonoral elles trouvent un lien de parente". Cette notion de solidarite" ne s'e"rige pas en altruisme idyllique. Elle ne s'applique pas nocessairement ä ceux qui n'ob&ssent pas ä l'e"thique du travail. Elle reprosente toutefois une valeur morale cl6 et s'apparente ä un pre"cepte proche d'un ide"al de tolerance. La notion d'hospitalito qui existe dans les communautos 6tudi6es confirme ce constat. Habitue's ä juger les personnes sur leurs actes, dans une soci£t£ si compacte qu'il n'est guere possible de tricher, les Franco-Terreneuviens adoptent une attitude de confiance fundamentale en 1'etre humain. Us accueillent ainsi toujours chaleureusement l'otranger et cultivent une vision fratemelle de l'humanito. II importe de souligner la dimension affective de la notion de solidarity chez des personnes qui peuvent toutes relater une expirience personnelle illustrant le fondement de cette valeur. Cette dimension affective de la participation ä une identito collective indique la prosence d'une identiti communautaire qui, selon Muchielli, fonde le sentiment d'identite" ä travers les sentiments d'appartenance, de valeur et de confiance.132 A ce stade de notre 6tude, nous pouvons done affirmer qu'au d6but de ce siecle, les communautos franco-terreneuviennes s'apparentent ä un groupe social fondo sur une structure interne et un ensemble de normes qui donnent au groupe sa consistance et lui permettent de fonctionner et de se maintenir. 131
132
Les anecdotes qui illustrem ce phdnomene sont nombreuses. Citons pour exemple celle de deux fireres qui exposes au regard collectif aprös avoir gagno un concours de danse traditionnelle decident spontanoment de donner leur recompense ä une femme sans ressource, et de confirmer ainsi leur . Tomoignage oral de M. C 103. A. Muchielu, op.«'/., p. 68.
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II convient maintenant d'analyser les processus qui engendrent la stabilite" et la continuito temporelles des normes et des conduites communes dans un groupe dopourvu de structures formelles. La dynamique interne au groupe Nous avons souligne* un certain nombre de valeurs qui prises en compte dans le jeu des interactions permettent de d^gager la structure interne du groupe. Les systemes interactifs organisateurs de cette dynamique sont le Systeme culturel, la mentalit6 et le Systeme cognitif que nous avons dejä prdsentos. Lorsque le groupe social est ogalement ethnique, le Systeme culturel correspond aux systemes de pense"e et de conduite de la societe d'origine. La mentalite" reprosente le Systeme culturel spe"cifique qui se forme ä l'intorieur du groupe ethnique en function des exigences d'un environnement nouveau. Le Systeme cognitif est le pendant de la mentalit6 du groupe. II se manifeste dans apprehension de soi aussi bien que dans la perception d'autrui et des relations sociales.133 Le Systeme culturel Jusque dans les annoes trente, le modele culturel de re"f£rence du XIXe siecle, si bien de"crit par P. Jaquez-Heliaz et P. Sebillot,134 demeure la source de roförence la plus influente dans le doveloppement d'un nouveau Systeme culturel. La plupart des 61e"ments de ce modele sont soit adapt6s, soit transform6s par le processus d'organisation sociale. Nous pouvons cependant retenir plusieurs facteurs qui dchappent ä cette modification dont des criteres e"lev6s de la conception artistique, concernant le domaine musical et art de conter , la notion de fraternit6 propre ä la religion catholique et, ä un niveau plus symbolique, une dotermination par rapport ä une dimension mystique qui, parallelement au dogme de l'e*glise, peuple rimaginaire collectif de crdatures et d'esprits bienfaisants ou malfaisants qui celebrent ou exorcisent le mystere de la nature humaine ou universelle. La mentalito du groupe Le nouveau Systeme culturel qui se met en place conjointement ä la formation des communaut6s franco-terreneuviennes se nourrit de plusieurs sources. En premier lieu, les motivations et les conditions de rimmigration jouent un role important dans la formation du groupe.135 Tous les colons pionniers sont des immigrants volontaires. Les quelques dizaines qui de"cident de braver la tegalite ainsi qu'un environnement rude pour recommencer une nouvelle vie sont nocessairement des personnes d6termin6es et animoes 133 134 135
A. Muchielli, op. at., pp. 22-25 et G. De Vos, op. dr., p. 29. P. Jaquez-Heliaz, op. cit. et P. Sobillot, Le Folklore des Pecheurs, Paris, collection Litterature Populaire de Toutes les Nations, Maisonneuve, 1901. Voir George De Vos "Apprenticeship and Paternalism: Psychocultural Continuities Underlying Japanese Social Organisation", dans Ezra Vogel (ed.), Modern Japanese Organisation and. Decision Making, University of California, Berkeley, 1975.
Formation d'une identite collective chei les Franco-Terreneuviens
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d'une grande .136 Leur objectif est la s6curitö materielle et l'independance maximum. Ils disposent d'un environnement naturel riche et l'isolement leur permet de s'organiser librement. Ces conditions expliquent pour une part importante la roussite de l'implantation de communautes francophones en ce lieu. Le sentiment de cette r6ussite diminue les sentiments de culpabilite et d'insicurito inhorents ä l'entreprise d'6migration et suscite alors un dynamisme constructif. Lors de l'installation de leur communaute, les colons pionniers, en rupture avec leur contexte culturel d'origine, solectionnent et adaptent les valeurs approprioes ä leur nouvelle vie en function des experiences qu'ils font. Les exploitations dont ils sont victimes sur le plan economique et leur situation d'ill€galit6 croent chez eux une mofiance accrue de toute autorito et fait de l'independance leur quete premiere. Notons egalement que leur condition de pionnier dans un milieu difficile, isoie de tout, a erige les dispositions ä l'initiative, ä l'industrie et ä la perseVeYance en valeurs cle"s. En l'absence de structures externes, ces notions clös initiales orientent la vie collective. Pour etablir un Systeme culturel, ces orientations collectives qui, avec les valeurs c!6s definies pr6c6demment posent les jalons d'une structuration interne du groupe, doivent etre soumises ä un processus de controle social. Chez les Franco-Terreneuviens ce processus doit ge"n6rer le sentiment de confiance et stimuler la cohesion du groupe sans toutefois remettre en question les notions fundamentales d'inde"pendance et de liberte individuelle. Nous avons dejä 6voqu6 certaines pratiques qui participent de ce procodo subtil.137 Nous devons 6galement souligner l'impact du regard d'un autrui rapprocho et omniprösent qui contraint l'individu ä faire face ä une evaluation de son comportement. Notons que si des pressions directes sont rarement effectu6es, une sanction s'applique toutefois dans le cadre d'un Systeme de roles et de Statuts qui stipule de suffisamment explicite le degr£ d'appreciation et la reconnaissance des autres membres du groupe. Les conduites individualistes, toute forme d'e"goi'sme, de paresse et d'alcoolisme dobilitant sont particulierement mal acceptoes. Les pressions du groupe se limitent toutefois ä une exaltation de la volonto et de l'esprit de responsabilite car si l'individualisme est r6fut6, le respect de la vie privoe demeure une regle qui provaut sur toute autre. L'adage "on ne se mele pas des affaires du voisin" intervient chaque fois que ne"cessaire pour maintenir l'6quilibre subtil entre les exigences de la vie collective et la sp6cificit6 de chaque membre du groupe. Ce rapport entre individualito et collectivite se determine plus particulierement au niveau du Systeme cognitif individuel.
136 137
Les "Vieux Fran^ais" exit tous laisso le souvenir d'individus avec une forte personnalito. Voir pp. 88-89.
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Le Systeme cognitif individuel Rappeions que les activites cognitives sont les processus internes par lesquels le psychisme organise les informations qu'il τεςοΐΐ sous forme d'exporiences affectives en un savoir plus ou moins coherent formula en regle de vie. Pour les premieres generations de Franco-Terreneuviens, le Systeme culturel relay6 par la dynamique de groupe procure le cadre d'exp€rience et de reflexion qui engendre la connaissance de soi. L'image negative de ce contexte projet e par la situation d'isolement, par la durete du travail physique et par l'impuissance devant les problemes de sante est largement compensoe par tout un roseau d'interactions qui procure des experiences affectives positives partir desquelles seront formuiees les postulats existentiels. a) Le cadre d'explrience Des la prime enfance, le jeune Franco-Terreneuvien jouit d'un cercle familial eiargi au groupe de parente. Jusqu' Γ adolescence, aucune t che particuliere ne lui revient. II participe neanmoins tous les moments de convivialite et est le destinataire privi!6gi6 des distractions et des enseignements issus de la tradition orale. Sa vision d'un contexte de vie positif est ancre"e par la presentation de certaines valeurs sous forme de croyances dont la dimension symbolique renforce Γ aspect affectif de leur perception. L'image premiere Γβςυε du groupe est done celle d'un cadre social qui procure un sentiment de sdcurito materielle et affective et qui confere un sens d'homogone'ite propice au sentiment de confiance. b) La transmission des connaissances Les caractoristiques particulieres du Systeme de transmission des connaissances participent la determination du sentiment d'identite" personnelle. Chez les Franco-Terreneuviens, les methodes d'apprentissage liees au mode d'organisation sociale permettent une transmission rapide et efficace de connaissances et de savoirs multiples. Des la deuxieme et la troisieme generations, la majorite de ces francophones est analphabete et le recours aux documents ecrits est ecarte. L'apprentissage repose alors en general sur la demonstration de quelques connaissances de base qui sont immediatement experimentees. Tres rapidement, 1'initie doit ensuite utiliser ce savoir pour la realisation d'un projet essentiel au maintien de son confort de vie. Observation, experimentation et mise en situation reelle sont les cies d'une pedagogic active s'il en est. Ainsi lors de l'apprentissage des techniques de fabrication de vetements, on ne montre aux jeunes filles que quelques points de couture ou de tricot. Le travail s'effectue avec un patron fait main ou sans patron du tout.138 La couturiere en herbe doit apprendre auvrer avec le modele en tete. Elle affine s technique force d'observations, d'experimentations et d'innovations. II en est de meme chez les hommes pour 138
Tomoignage de Mme C 105, notes dcrites.
Formation dune idennla collective chez les Franco-Terreneuviens
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la construction des maisons, des bateaux, des meubles et presque tout autre objet de I'environnement matdriel. revient ä chacun de comprendre comment apprendre, de concevoir sä propre m6thode. Cette demarche implique une confiance fundamentale en 1'etre humain. Les Franco-Terreneuviens pensent effectivement que chacun possede en lui les ressources nocessaires ä la resolution de ses problemes tant mat&iels que psychologiques : "chacun a", nous dit M. C 103139 en parlant de cette ressource. "Tout le monde peut le faire. Une fois que tu as les bases, tu peux faire ton ouvrage", nous dit-il encore. Cette conception de l'apprentissage favorise l'oclectisme nocessaire ä la vie en autarcie. La meme personne140 peut ainsi remplir le role de pecheur, agriculteur, charpentier, forgeron, bücheron, menuisier, v6t€rinaire et meme docteur, pretre ainsi que musicien et conteur. Malgre" l'absence d'apport de connaissances ext6rieures, cette multidisciplinarito ne s'otablit pas aux dopens de la qualitd du travail. Ce phe"nomene tient ä une aptitude ä conjuguer les savoirs en function d'une relation specifique a la momoire. c) L'utilisation de la momoire La richesse des process mnomoniques chez les Franco-Terreneuviens repose tout d'abord sur une grande capacit6 ä observer, ä ocouter et sur le fait que les connaissances sont transmises en situation re"elle. La dimension affective lioe ä ce contexte aide la memorisation.141 La conception de la me"moire des premieres generations de Franco-Terreneuviens est differente de celle qui, conventionnelle, repose sur un acces aux sources ecrites. Us disposent d'une mdmoire ä tiroir oü chaque element remömorö en rappelle un autre. Mais au-dela meme de ce principe, Us placent en la m6moire une confiance fundamentale qui fait que les conditions d'enregistrement et surtout de rem6morisation ne donnent pas lieu ä un sentiment d'angoisse qui entraine souvent des phönomenes de blocage.142 Les Franco-Terreneuviens ne doutent pas que le savoir lie ä leur envkonnement leur viendra le moment voulu. Pour eux, mimoire et dimension affective sont Ii6es. Us ont confiance en leur me"moire pour fonctionner quand la situation 1'exige. Cette confiance fundamentale en la momoire va meme plus loin puisqu'ils savent utiliser des connaissances qui n'atteignent pas un niveau de conscience leur permettant d'etre formulees mais qui restent suffisamment prosentes pour guider les conduites. Les pecheurs qui vont tendre leurs filets ä plus de dix kilometres des cotes s'orientent en fonction de cette momoire intuitive. L'illustration la plus frappante de cette utilisation intuitive de la momoire se 139 140
M.C 103, note ocrite. Nous prenons ici l'exemple d'un personnage de L'Anse-ä-Canards bien connu, Emile Benoit, prosentd dans G. Thomas, (a), (1983), op. cit.. Beaucoup d'autres personnes remplissent une partie de ces fonctions. Chacun echange ses competences selon le principe de la reciprocitd. ^ 4 ^ G.A. Miller et J.A. Selfridge soulignent que plus la connaissance ä momoriser est proche des structures subjectives mieux eile est memorisee, dans "Verbal Context and the Recall of Meaningful Material", American Journal of Psychology, n° 63,1950. l4^ Aussi M. C 103 qui a compost plus de 200 morceaux sans savoir lire la musique n'a jamais craint de les oublier avant de depasser 75 ans.
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retrouve dans le domaine artistique ou le conteur, le musicien ou le chanteur qui cherche se rappeler une information provoque une situation affective qui va permettre la rerr^morisation. En d'autres termes, il provoque une Emotion collective, une communion des consciences qui l'aide stimuler sa memoire. Notons que si les conteurs et les musiciens sont experts en stratogies mnomoniques, leurs techniques sont couramment utilisoes par les autres membres de la communauto. L'analyse de ce phonomene subjectif reste complexe mais eile suppose une capacity d'introspection etonnante qui permet une intervention consciente sur le processus cognitif. Ce phe"nomene surprenant se traduit par une grande aptitude utiliser et deVelopper ses capacitos et s'adapter differentes situations. Sur le plan de 1'expression creative, il explique la densite impressionnante de musiciens et de conteurs de talent.143 La conscience de ce mode de transmission et d'utilisation des connaissances apporte une grande socurito au groupe qui envisage la rosolution de ses problemes matenels ou relationnels avec confiance. Au niveau individuel, le Systeme cognitif des Franco-Terreneuviens laisse une place importante Γίηηέ dans la conception de soi. Ce fait se traduit par des pratiques d'introspection qui correlativement la confiance fundamentale en 1'etre humain 6voqu6e pr6c6demment entraine tout un questionnement sur son fonctionnement profond. Cette tendance I'interrogation ontologique est accentude par la situation d'isolement face un ocdan fortes connotations motaphoriques.144 La curiositi que souleve l'essence de 1'etre humain s'observe dans I'attrait manifesto pour ces themes dans les contes,145 dans les croyances qui sont autant d'interrogations sur ce sujet et par un questionnement froquent sur les sentiments profonds d'autrui par le biais de l'humour. Get intoret envers 1'etre humain se cristallise dans un sentiment g6n£ral de tolerance. Des lors, 1'identisation nocessaire au sentiment d'existence n'a pas lieu selon une transgression de certaines valeurs groupales mais plutot en fonction d'un positionnement au-del de ces valeurs par une Ouvert re sur l'universel et en de9a par la proservation d'un espace personnel. L'oquilibre subtil entre les dimensions individuelles et collectives de l'identito peut ainsi s'^tablir. Π est garanti par le processus de contr le social et suscite une dynamique d'adhosion au groupe. Les interactions entre les acquis mentaux du Systeme culturel, la mentalite" du groupe et un Systeme cognitif caract€ristique gonerent ainsi la tension toloologique nocessaire au sentiment d'existence.
143 Cette aptitude ne s'applique pas aux domaines fonnels, coupos du v6cu, de Γ administration et de Γ Education scolaire par exemple. La cr&uivit£ s'exprime g6n6ralement dans des ίηΐεφΓέΐ3ΐΐοη5 personnelles de molodies ou de contes connus. 144 II est interessant de noter que si Γ existence des Franco-Terreneuviens reste liee l'ocean, ce dernier apparalt peu dans les contes et les chansons populaires traditionnelles. Les immigrants bretons venaient pour la plupart de "l'intirieur des terres" et le theme de la guerre, par exemple, prend une place beaucoup plus importante. (Communication orale de Gerald Thomas.) 14 ^ Voir la liste de themes de contes rranco-terreneuviens dans G. Thomas, (a), (1983), op. cit., p. 443.
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Le cadre identitaire franco-terreneuvien, tout en monageant une place ä l'exporience individuelle, constitue un modele influent fondo sur un fort sentiment de vie communautaire qui lui meme repose sur les notions de travail, de cooperation, de solidarito, de fraternito, de convivialitö et sur la notion d'humilite" lie"e ä un sens d'intögration ä l'environnement naturel. A ce stade de notre e"tude, nous avons presente" la population franco-terreneuvienne en tant que groupe social et culturel avec une identito communautaire. II convient maintenant d'analyser ce groupe en termes de groupe ethnique, soit en fonction de sä ditermination identitaire par rapport aux groupes extorieurs. Dynamiques identitaires intra-groupe et inter-groupes Jusqu'en 1904 la cöte ouest de Terre-Neuve est visitde re"gulierement par les autoritos britanniques. Apres cette date, les Franco-Terreneuviens sont ignor6s par le gouvernement terreneuvien qui apres avoir essaye, sans succes, de lever des taxes sur place n'accorde pas de Statut electoral au district de Port-au-Port avant 1928.146 Le seul contact entre la cote est et les communaut6s francophones est maintenu par la venue de marchands. Ces liens suffisent toutefois ä ddvelopper une vision ste"r6otyp6e n6gative de chaque groupe. Pour certains anglophones, les Franco-Terreneuviens sont des analphabetes ne parlant correctement ni le fran9ais, ni anglais, au Statut social et öconomique införieur, paresseux et acceptant le me'tissage avec les Indiens micmacs. Le surnom ä connotation pejorative "les Jacotars" eVoque cette perception. En röponse ä cette image inferiorisante les francophones de la cote ouest deVeloppent egalement une perception negative des Anglais docrits comme des personnes rigides, peu enclines ä la convivialite". Le terme de race difforente est meme parfois employe".147 Les Anglais de Saint-Jean sont considers comme des voleurs qui ruinent la province. Du fait de leur elocution tres rapide, 6voquant celle du caquetage aux oreilles des Franco-Terreneuviens, ils sont surnomm^s "les poules de Test".148 Les Franco-Terreneuviens n'utilisent ces ste"r6otypes que de & döfensive car leur identitö est attachoe ä Terre-Neuve et par consoquent ä ses habitants. Ils s'identifient notamment ä la population de pecheurs anglophones qui partage les memes conditions sociooconomiques qu'eux. Sur un plan plus symbolique, l'universalite des liens entre 1'etre humain et le monde marin renforce cette perception globalisante de la population cotiere terreneuvienne. Les notions de culture et de langue disparaissent au profit d'un Statut de pecheur terreneuvien. Cette identification demeure toutefois au stade pre"sum£ en 1'absence d'exporiences vocues. Au niveau rogional, les Franco-Terreneuviens cötoient des anglophones au sein meme de leurs communaut6s. Ces families anglaises, bien que formant des cellules sociales ä part, sont 146 147 148
Encyclopedia of Newfoundland, Newfoundland Books Publishers, first edition, vol. 1,1981, pp. 680-743. "pi vient du sang", nous dit Mme C 086 l B 775. D'apres Gerald Thomas, (a), "Some Examples of Blason Populaire from the French Tradition of Western Newfoundland", Regional Language Studies, Newfoundland, 1976, pp. 29-33.
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int6gr£es aux communautös et aucun conflit ne nous a jamais signald. II en est de meme dans les autres communautos de la poninsule de Port-au-Port, ä l'exception de Lourdes qui, ä la suite d'un regroupement de population, devient en 1937 un centre administratif ä forte majorite" anglophone. En dehors de la pe"ninsule, on retrouve chez les anglophones les memes prejugos vis-ä-vis de la population francophone que sur la cote est. La formation de störeOtypes döfensifs est plus difficile pour les Franco-Terreneuviens car de nombreux francophones font partie de cette population. Somme toute, la des relations avec les anglophones reste limitie. Les relations que les trois communaute's 6tudi6es entretiennent avec Textirieur s'adressent goniralement ä d'autres groupes francophones, ä Saint-Georges et ä Stephenville notamment. La prosence d'un groupe dominant sur les plans culturel et linguistique ne constitue done pas un £le"ment propondorant dans la de"termination de I'identit6 collective initiale des FrancoTerreneuviens.149 Leur dynamique identitaire collective s'alimente essentiellement des ph6nomenes internes ä leur groupe. Dans ce cadre, l'isolement et le nombre restreint de FrancoTerreneuviens sont compenses par la concentration de leur population dans trois communautos isolöes et par un fort taux de föconditö.150 Les phonomenes d'adh£sion et de collision, source de la dynamique intra-groupe sont garantis par les systemes social et culturel. Les facteurs qui donnent au groupe social sa dimension ethnique ne sont done pas distinguös de fafon spocifique dans le but d'une difforenciation par rapport ä un autre groupe. II importe cependant d'identifier ces facteurs afin de comprendre leur Evolution future. Les facteurs d'identification ethnique fondamentaux de Driedger Nous emploierons, afin d'ovaluer la nature de 1'identite ethnique des Franco-Terreneuviens ä diffirents stades de son 6volution, les six facteurs qui constituent selon Driedger151 les composantes essentielles d'une communauto ethnique teile que de"finie par Gordon152 comme "a group of individuals having a shared sense of peoplehood including both structural and symbolic dimensions". Les trois premieres formes d'identification, identification ä un territoire, ä des institutions et ä une culture, ddfinissent le contexte structural du groupe. Les trois autres formes, identification ä l'histoire, ä une idoologie et ä des dirigeants charismatiques se situent sur un plan plus symbolique. Ces deux plans se recoupent presque constamment dans le processus de construction de I'identit6 ethnique. Us correspondent toutefois ä des mdthodologies bien distinctes. 149 150 151 152
Seule l'6glise, unique reprosentant d'un organisme officiel dans les communautis francophones, entretient une discrimination linguistique et culturelle. D'aprfes le recensement de 1921, op. at., le nombre moyen d'enfants par famille est de 5. Leo Driedger, (ed.). The Canadian Ethnic Mosaic. A Quest for Identity, Toronto, Canadian Ethnic Studies Association Series, vol. 6, McClelland and Stewart, 1978. M. Gordon, (1964), op. at..
Formation d'une
collective chez les Franco-Terreneuviens
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Identification a un territoire Le territoire est un e"16ment essentiel dans l'etablissement, le deVeloppement et la conception de la communaute' ethnique. II correspond ä l'espace oü I'activiti ethnique peut prendre place. L'identification ä un tel espace facilite le sentiment d'appartenance. Parmi les facteurs qui ancrent la spöcificito franco-terreneuvienne ä l'intirieur d'un ensemble dominant anglo-terreneuvien, la notion de territoire est la premiere ä se dessiner avec force et procision. L'isolement des communautes francophones ä la pointe extreme d'une presqu'ile leur facilite la delimitation d'un territoire par rapport au reste de Tile. A I'intorieur des communaut6s, la repartition du territoire correspond ä la premiere demarche consciente organised pour structurer le groupe. Quatre types de territoires sont ä distinguer : les zones de peches en mer, la cote oü l'on nettoie et seche le poisson, les terres poss£d£es juridiquement153 et celles acquises tacitement. Afin d'oviter toute concurrence conflictuelle, chaque pecheur a des zones de peche oü lui est accordoe une certaine priorM Sur la cote, les cabanes de pecheurs indiquent le lieu de travail de chacun. Les noyaux de population qui se forment sur les terres juridiquement poss6d£es, maintiennent leur territoire selon un Systeme specifique de transmission et de regroupement de ces terres. Enfin le reste du territoire se ddlimite en zones de trappe et de ramassage de baies. Le respect de ces espaces, essentiel ä la constitution d'un quilibre dynamique entre individuality et collectivite", repose sur une toponymie tres riche en döpit de l'absence de toute carte. Les noms qui identifient les espaces roferent ä un ovenement particulier, ä une caracteristique du lieu et le plus souvent au patronyme des personnes qui y pratiquent une activitö. La representation mentale du territoire est ainsi associoe ä un v^cu propre ä la communaut6. Ce Systeme de rep6rage consume une veiitable structure cognitive qui confere au groupe un sens d'unicitd et de collective. L'importance de l'identification au territoire chez les Franco-Terreneuviens s'illustre dans l'anecdote suivante. En 1920, le pretre d'alors, anglophone, voulut, changer le nom de la communautd de L'Anse-ä-Canards en celui d'un saint. A sä grande surprise, la riaction collective des habitants fut si forte qu'il dut renoncer.154 Identification a des institutions ethniques La notion de solidarito dans le groupe et la retention de l'identito ethnique ddpendent largement du degri d'institutionnalisation sur les plans de la religion, de l'&lucation, de l'entraide sociale, de la politique et del'oconomie.155 Nous avons vu qu'en l'absence de contacts avec l'ext^rieur, les communaut6s itudiies s'organisent essentiellement en fonction de structures internes qui omanent du processus d'organisation sociale. Les deux seules structures formelles du groupe, la religion et le Systeme 153
Le premier "Land Grant" est ropertorio en 1830. (Communication orale de Gerald Thomas.) La m6me anecdote existe ä propos de La GrandTerre qui devait devenir Sainte-Anne. La population refusa. (Communication orale de Gerald Thomas.) Aujourd'hui la chapelle et l'ecole portent te nom de Sainte-Anne. !55 Raymond Breton, "Institutional Completeness of Ethnic Communities and the Personal Relations of Immigrants", American Journal of Sociology, n" 70, Sept. 1964, pp. 193-205. 134
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Une
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scolaire, 6tant sous la responsabilito de I'dglise, autorite anglophone, leur role reste trop ambivalent pour servir de catalyseur ä I'identification ethnique. La structuration interne du groupe garantit le contenu riche d'une identito qui, en fonction du peu de contacts ou de conflits avec I'extorieur, demeure plus culturelle qu'ethnique. Identification a une culture ethnique Quel que soit le degre" de son symbolisme, I'identification ä la culture des ancetres est toujours präsente dans l'identite" ethnique. L'importance donn6e aux attributs culturels partagos par les membres du groupe dopend entre autres de l'utilisation de la langue ethnique, de l'endogamie et des modeles sociaux. Nous avons montro comment le systeme culturel sous-tend la formation de I'identito groupale et individuelle des premiers Franco-Terreneuviens. Les contacts limitos avec les autres communautos ne permettent toutefois pas une prise de conscience spocifique de leur culture ä partir d'un constat de differentiation. II en est tout autre pour la langue ethnique156 qui s'6rige spontan6ment en barriere de communication et en facteur de distinction. La differentiation linguistique renforce les frontieres du groupe dejä otablies par la delimitation precise de spheres d'activitos territoriales. Les trois facteurs d'identification ethnique que nous venons d'etudier sont d'ordre essentiellement structural mais ils comprennent ogalement une dimension symbolique. La notion de territoire des Franco-Terreneuviens est ainsi concue comme un espace de vie par rapport au "chez nous en France"157 eVoquo par les "Vieux Pra^ais". La culture, qui lors des premieres generations b6n6ficie d'616ments d'une tradition orale riche v6hicul£s par des porteurs originaux, constitue un univers cohorent, evocateur d'un ve"cu antorieur. Ces dimensions symboliques de I'identification au territoire et ä la culture alimentent un sentiment de continuito avec un ailleurs et un autrement qui renforcent la prise de conscience d'une sp6cificit6 collective. Identification a des symboles historiques La 16gitimit6 de I'identification ethnique repose pour une part importante sur la connaissance de ses origines et sur le sentiment de fierto issu de I'h6ritage ethnique. Ces sources d'identification symbolique peuvent gondrer une influence positive ou nogative sur le sentiment d'identite". La r6fe"rence ä l'origine correspond ä la premiere source d'identification symbolique puisoe dans 1'histoire. Chaque origine reprosente une longue tradition de lütte pour son identite" ethnique. Les Indiens et les Acadiens ont surve"cu ä toutes sortes de persecutions depuis le XVIIe siecle, les Saint-Pierrais ont une longue pratique du maintien de I'ldentite" ethnique, les
156 La langue sera lObjet d'une dtude particuliere ultdrieurement. 157 M.C0931A323.
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Fran9ais mötropolitains viennent de Bretagne158 et du pays Basque qui sont autant de foyers de rosistance ethnique. Toutefois si le breton se parle encore apres plusieurs docennies, les rdferences aux diverses origines ethniques trouvent peu de paralleles dans des faits historiques qui puissent etre 6ng6s en symboles. Le voile myste'rieusement laisse" par l'ensemble des "Vieux Frangais" sur les conditions de leur transition d'un monde ä un autre a entrame" un sentiment d'incertitude peu propice ä une dynamique identitaire dans ce domaine. Toutefois certains 616ments peuplent ou hantent l'univers collectif symbolique de l'histoire des FrancoTerreneuviens. Parmi eux, le passe de deserteur de certains des premiers colons et les chasses ä 1'homme dont ils furent 1'objet n'apportent pas les eloments symboliques ne"cessaires au depassement du traumatisme de la separation avec la source d'origine. Par contre, les 6venements du passe" qui relatent le courage et la dotermination ainsi que les capacitos d'adaptation soutiennent une identification ethnique positive. L'identification symbolique ä ces valeurs est assurde par la recurrence d'anecdotes didactiques. Citons pour exemple celle du colon pionnier qui, devenu manchot ä la suite d'un accident, continue de pecher, et de ramer, pour nounir sa famille. Enfin notons la portoe symbolique de la venue saisonniere des bateaux frangais jusqu'en 1904 puis saint-pierrais jusqu'en 1920, qui renforce un sentiment de continuitö spatiotemporelle mis ä mal par les incertitudes sur le passe des ancetres mais nöcessaire au sens de cohorence fondamentale de l'identitö. Identification a une ideOlogie Une ideOlogie, religieuse ou politique, peut procurer une possibilit6 d'identification ä des valeurs qui dopassent le cadre culturel ou institutionnel du groupe et pal Her ainsi raffaiblissement des identifications sur le plan structural. Chez les Franco-Terreneuviens, un des principes ideologiques fondateurs etant celui de l'indöpendance materielle mais e"galement individuelle, intellectuelle et meme spirituelle, tout principe doctrinal est par lä meme exclus comme catalyseur d'identit6. Seules des regies 6tablies de fa^on informelle permettent de digager des tendances idoologiques159 mais elles restent dans le cadre de l'organisation de la vie sociale. Notons que le concept de fraternitd, tres prisent dans l'idöal catholique, s'alimente peut-etre plus, de fa9on symbolique, d'une idöologie antorieure aux processus psycho-sociaux inhorents ä l'otablissement de l'identito collective franco-terreneuvienne. Identification a des dirigeants charismatiques L'identification ä un dirigeant charismatique aide ä deVelopper un sentiment de coh€sion, de loyautd et de confiance dans le groupe ethnique. Ces dirigeants cristallisent une Ideologie qui lie une vision d'avenir ä un lien symbolique avec le passo. 158 159
Ainsi que de Noimandie ou de Saintonge pour quelques families. Nous avons, ä cet ogard, souligno l'importance des notions de cooporation et de solidarite.
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Dans les communautes franco-terreneuviennes, le rejet de toute doctrine s'accompagne du refus de reconnaitre le pouvoir d'un seul dirigeant. Les "Vieux Fran9ais" porteurs effectifs et symboliques de la culture, du savoir et des racines ethniques font figure de modeles d'identification privildgie's au sein des families et des groupes de parente". Cependant aucun chef n'est ni nomm6, ni e"lu dans les communautos et la preservation volontaire de cet 6tat reflete une caracteristique de I'ldentite" franco-terrcneuvienne.160 L'analyse de ces facteurs fondamentaux d'identification ethnique nous permet de constater la richesse d'une ethnicite" franco-terreneuvienne qui en l'absence de relations conflictuelles soutenues avec d'autres groupes n'est pas porte"e ä la conscience collective et par consequent ne joue pas de role preponderant dans la dynamique identitaire. Apres la presentation de ces diff6rentes composantes de I'ldentite" ethnique, il convient d'etudier celle qui sous-tend toutes les autres : la langue. La langue ethnique La langue est considerie par de nombreux sociologues et socio-linguistes comme la composante essentielle de l'identite ethnique.161 Shibutani et Kwan decrivent son importance en ces termes : "an essential part of culture and at the same time the instrument through which other aspects of culture are organized".162 Notre etude de la langue franco-terreneuvienne n'a pas pour but une presentation linguistique d6taill6e mais plutöt une analyse des ph6nomenes socio-linguistiques qui entrent en compte dans la dynamique identitaire des communautes franco-terreneuviennes. Nous pre"senterons ainsi les structures linguistiques du frangais terreneuvien ainsi que les rapports qu'elles entretiennent avec le comportement cognitif. Les premiers Franco-Terreneuviens parlent dans leur majorite le franfais regional de la Bretagne du XIXe siecle et pour une minorite" de families le fran9ais acadien. Plusieurs autres langues sont parlies par certains colons de la premiere generation. Ces langues ne sont pas transmises mais elles laissent quelques traces dans la langue ethnique. Le breton est parlö par certains "Vieux Fran^ais". Us utilisent cette langue en privd Seuls, quelques mots et des prieres subsistent aujourd'hui. Plusieurs mots du franfais terreneuvien semblent avoir empruntes ä la langue micmac. Gerald Thomas releve quatre de ces emprunts dans son etude linguistique du fran£ais terreneuvien.163 Nous n'avons recueilli aucun indice attestant un impact quelconque 160 161
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Le rejet de toute autorito et de toute structure contraignante reflete le souci des Franco-Terreneuviens de preserver leur independence et leur liberto, motivations principales de leur emigration. A. Anderson, "The Survival of Ethno-Linguistic Minorities: Canadian and Comparative Research", dans H. Giles et B. Saint Jacques, (eds.), Language and Ethnic Interaction, London, Pergamon, 1980. J. Fishman, "Varieties of Ethnicity and Varieties of Language Consciousness", dans J. Fishman, Language and Sociocultural Change, Stanford, Stanford University Press, 1965. T. Shibutani et K. Kwan, op. at., p. 39. Le terme micmac "macauque" est utiliso pour canneberge, "miquish" pour une peau de mouton, "moyaque" pour le duvet de canard et "machecouie" pour l'ecorce de bouleau, dans Gerald Thomas, (b), "The French Spoken on Port-au-Port Peninsula of Newfoundland.", Languages in Newfoundland and Labrador, Paddock, (ed.), 1977, pp. 42-61.
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de la langue basque sur la langue ethnique . L'influence de la langue anglaise est plus notable. Comme nous l'avons vu prec&lemment quelques families anglaises s'installent dans les villages de Cap-Saint-Georges et de La Grand'Terre des la deuxieme moitiö du XIXe siecle. Ils vivent toutefois ä la periphörie des communautds et leur presence ne suffit pas, dans un premier temps, ä creer une veritable situation de diglossie soit une situation bilingue oü une langue a plus de prestige qu'une autre.164 Les structures linguistiques du fransais teireneuvien sont done fondees sur ses caracteristiques internes. Dans ce cadre, les deux sources francophones du frangais terreneuvien, ne semblent pas creer non plus de situation diglossique ä partir de deux variotös d'une meme langue.165 Certes, certains "Vieux Fran9ais" refusent d'utiliser des termes locaux, sans doute acadiens, tels que "croc" pour hameson, ou [pot] pour easier ä homard166 mais le sentiment ge'ne'ral des FrancoTerreneuviens ä propos de leur langue reste celui de I'homog6ne"it6. La Ungutste R. King ainsi que H.-J. Niederehe167 classent d'ailleurs cette langue sous une seule appellation. Nous les rejoignons sur ce point mais nous desapprouvons par contre les termes d"'Acadian French" ou d'"acadien standard" qu'ils emploient respectivement. Nous proposons de dicrire les caracteristiques phonologiques et morphologiques principales de la langue franco-terreneuvienne avant de präsenter notre point de vue.168 Sur le plan phonologique, on peut noter comme traits distinctifs le maintien de Topposition [a] / [a], (päte [pot] vs patte [pat]), l'ouverture de [ ] devant r suivi d'une autre consonne (ex : auberge [obars]), l'allongement et la faible diphtongaison des voyelles non hautes (ex : tete [tejt]), la pronunciation de la soquence graphique -oi- comme [we] plutot que [wa], comme dans boite [bwejt], le maintien de h dans certains items lexicaux (ex : hache [haej] et la palatalisation de k et g devant une voyelle haute (ex : quel [t/ ], gue"rir [dserir]169.
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Rodrigue Landry, sominaire sur "Les Techniques de Recherches en Sciences Sociales", universit£ de Moncton, Janvier 1992. Situation dofinie par J. Fishman, Sociolinguistique, Paris, Nathan, Bruxelles, Labor, 1971, pp. 66 et 88, (induction). Tomoignage de M. C 103. M. Patrice Brasseur specific que le terme pot [pöt] a homard est unique aux Franco-Terre-Neuviens. II provient probablement d'un anglicisme sur le modele "Lobster Pot". (Les termes boite ä homard et easier ä homard sont egalement utilises.), dans "Atlas Linguistique des Cötes Francophones de l'Atlantique : l'Exemple du Casier ä Crustacos", Frangais du Canada, Frangais de France, Tübingen, Canadiana Romanica, vol. 6, Niemeyer Verlag, 1991, pp. 47-56. Ruth King, "Le Fran^ais Terre-Neuvien : Apere, u General", Quöbec, Mougeon et Beniak, 1989, pp. 227-244. Hans-Joseph Niederehe, "Quelques Aspects de la Morphologie du Franco-Terre-Neuvien.", Franqais du Canada, de France, Tübingen, Canadiana Romanica, vol. 6, Niemeyer Verlag, 1991, pp. 215-232. Notre these s'appuie sur nos observations personnelles ainsi que sur article de M. Jean-Michel Charpentier, "Le(s) Parler(s) Acadien(s) et le Substrat du Haut-Poitou", dans Actes du XVe Colloque International de Linguistique Fonctionnelle, Moncton, Socioto Internationale de Linguistique Fonctionnelle, publid avec le concours du Centre de Recherche en Linguistique Appliquee, University de Moncton, 1989. Voir igalement Louise Pdronnct, "Les Parlers Acadiens", Langues el Literatures au Nouveau-Brunswick, Moncton, Les Editions d'Acadie, 1986, pp. 67-93 et Genevieve Massignon, Les Parlers Franqais d'Acadie, Paris, Klincksieck, 1962. R. King, (1989), op. cit.. Voir ogalement l'exemple de parier franco-terreneuvien donno en Annexe A.
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Une minoritifrancophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Sur le plan morphologique, on observe170 quelques exemples d'agglutination du -s de I'article pluriel, "zoiseau", la prothese d'un -a pour des mots qui commencent avec un -r, "aroi", (roi), "argret", (regret) et l'amu'issement de -r en finale apres une autre consonne, "ete, aute, arbe, coude, prete ..." Le genre des substantifs est parfois flottant, surtout pour des noms ä initiale vocalique, et tend selon nous ä privilogier le fiminin, "une orteil", "vingt et une ans". Le pluriel de certains substantifs, irreguliers en fran9ais Standard reste quant ä lui regulier en fransais terreneuvien : "les chouals", (les chevaux), "les jornals", (les journaux), [le bsf], (les bceufs), [lez sf], (les oeufs). Parmi les ddterminatifs, le de"monstratif pluriel revet souvent la forme "9t6s" au lieu de ces, "9t6s temps-lä". La particule "lä" est souvent ajoutoe au d6monstratif "ce gargon lä". L'article indofini un devient "in, -eune", ou "-iun", "iun des chevals" (sie), une devient "-eune" ou "ieune", "ieune d'elles". De meme les pronoms personnels se prisentent ainsi : "ej vas, tu, t', vas, i, lui, ieu et a, alle et ielle va, j'allons, vous allez, i allont chez ieusses." Le remplacement du nous par le je est typique des parlers rogionaux du centre ouest de la France. La forme "ieusse" y est par centre beaucoup moins commune, de meme que le remplacement de elles par la forme correspondante du masculin. Ce dernier usage est d'ailleurs probablement local. Parmi les caractöristiques propres aux verbes, on observe difförents cas oü la racine est modifioe. Par exemple, "i tait", (il 6tait), "j'as tendu", (j'ai entendu), "i viendra", (il deviendra). Quelques verbes conservent une forme phonotiquement ou morphologiquement archaique de rinfinitif. Par exemple, "quri", (chercher), "tchinde", (tenir), "aouere", (avoir), "ouere", (voir), "assire", (asseoir). Concernant le temps des verbes, les dösinences -ont et -iont sont utilisees ä la troisieme personne du pluriel au prosent et ä l'imparfait de l'indicatif, ainsi qu'au prosent du conditionnel et du subjonctif. Le verbe etre presente les adaptations suivantes : "je, j'sus, t'es, il, i, alle, est, je, j'sons, vous etes, i sont" et avec des changement analogues, le verbe avoir se conjugue : "j'ai, t'as, il, i, alle a, j'ons et j'avons, vous avez, is ont, is avont". Le subjonctif present conserve une forme archai'que, notamment "seye", (soit), aux trois personnes du singulier et ä la troisieme personne du pluriel. Le futur franco-terreneuvien ne präsente pas de particularitos autres que celles observers pour les autres temps verbaux. "J'sras parti, ej pourras venir, je devrons, vous srez..." Le conditionnel est employo couramment. "Si tu saurais", (si tu savais), "j'laimerais 93", (j'aimerais 9a). Par contre le passo simple n'est employo que rarement. Deux tendances sont ä relever dans l'emploi des temps composos. La premiere tient ä la simplification des temps composes: "j'ai ieu", (j'ai eu), "il a vi", (il a vocu), "il a mouri", (il est mort); la seconde tend ä g6ne"raliser l'emploi de rauxiliaire avoir : "j'as vnu", (je suis venu), "j'as sorti", "il a tombe"", "il a parti", "i s'en avont to", (ils s'en sont allös), "is avont arrive"". 170
Nous reprenons ici une partie de l'etude du franco-terreneuvien de H. J. Niederehe, op. dt., ainsi que celle de G. Barter, (1986), op. eil.
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Le conditionnel passe est employe de la meme maniere qu'en franc.ais standard : "t'arais pas du faire quoi de meme", (tu n'aurais pas du faire quelque chose comme 53), mais il se trouve ögalement apres si: "si j'arais su". Les traits phonologiques et morphologiques du franc.ais terreneuvien se retrouvent bei et bien dans les parlers acadiens. Comme le soulignent R. King et H.-J. Niederehe, ils existaient ogalement, pour la plupart, dans les parlers rögionaux de Bretagne d'oü ont emigr6 la majorito des ancetres franco-terreneuviens. M. Niederehe note d'ailleurs171 que le lecteur fra^ais qui a relu son otude et qui 6tait originaire du sud du Morbihan fut frappo par les ressemblances du franco-terreneuvien avec le parier de son enfance.172 II est certain que le tiers de la population d'origine acadienne a influencd la langue ethnique etudioe. Nous en voulons pour preuve quelques exemples trös sp6cifiques ä l'acadien tels que l'utilisation de la forme invariable de tout, prononcoe [tut] et la prononciation des -t ä la fin des substantifs : "un bout", [but]. De meme l'emploi de la forme interrogative "quoi ce que ? " au lieu de qu'est-ce que c'est ? et le passage de -ait ä -a ä la troisieme personne du singulier de rimparfait: "i disa, i voula" attestent plus particulierement d'une influence de l'acadien. Mais dans ensemble il nous parait plus juste d'attribuer les caracte'ristiques de cette langue aux origines bretonnes du XIXe siecle de la majorito de la population.173 La structure linguistique du fransais terreneuvien est selon nous plutöt ä rechercher dans ses vari6te"s linguistiques internes. Nous abordons alors le probleme du rapport entre les structures linguistiques et les comportements cognitifs. La formation d'un v6ritable sociolecte issu du monde marin semble orienter les perceptions des Franco-Terreneuviens dans leur ensemble. De nombreux termes utilises spocifiquement dans le domaine de la navigation sont transpose's dans le registre de la vie quotidienne francoterreneuvien. Ainsi "virer de bord" peut signifier tourner ou se retourner ; "chavirer", tomber ou renverser ; "amarrer", attacher ; "groer ou se greyer" en terme local, s'habiller ; "souquer", tirer. Notons egalement l'utilisation du mot "boucane" pour fumoe. Le monde terrestre se retrouve ainsi symboliquement associo au monde marin, tres present dans 1'inconscient collectif des Franco-Terreneuviens par un phonomene linguistique specifique. Dans le meme ordre d'idoe, l'uniformito du Systeme culturel de ce groupe et l'aspect informel du processus social se refletent dans l'imponance donnie ä l'influence verbale mutuelle. Toute une relation de roles soutenue par des r6pertoires verbaux sp&ifiques structure ainsi les comportements cognitifs, qu'il s'agisse des relations entre hommes et femmes, parents et enfants ou anciens et plus jeunes. Des variöt6s linguistiques distinctes peuvent e'galement rogir ces rapports. Citons notamment le langage "id6ologis6", sous forme de proverbes ou de dictons que les parents utilisent ä l'adresse des enfants, l'utilisation de la distanciation 171 172 173
H. J. Niederehe, op. at., p. 28. Nous avons pu fake le meme constat en etant originaire du sud du Poitou. II serait interessant de mener une etude comparauve entie la langue des families franco-lerre-neuviennes d'origine acadienne et celle de families d'origine bretonne pour mieux illustrer ce dobat. Les influences diverses des cellules familiales, ou s'est proservee la langue ethnique, se verifie dans les particularismes linguistiques propres aux seuls membres de ces families.
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humoristique par le moralisateur envers celui qui transgresse la norme ou encore 1'attention pret6e ä 1'intonation qui, disent les Franco-Terreneuviens, lorsqu'elle est basse, vient du coeur et marque le respect. Notons enfin que les relations de roles sont 6galement ge"r6es par une structuration de l'interaction verbale precise.174 Nous pouvons done conclure que les structures linguistiques sous-tendent fortement les comportements cognitifs et orientent ainsi les perceptions collectives du groupe. Les diffe>entes caracteristiques linguistiques spocifiques que nous avons identifiers conferent au franc.ais terreneuvien un Statut de "langue ä part"175 qui permet ä la population locale de s'identifier ä un monde linguistique homogene. Cette langue distincte qui reflete les normes sociales et culturelles du groupe, qui aide ä les fixer et ä les renforcer, se präsente comme l'61£ment moteur de l'identification ethnique. Bilan A l'approche des annees 1940, qui vont inaugurer une nouvelle poriode devolution pour les Franco-Terreneuviens, les trois communaut6s 6tudi6es constituent des entitos sociales et culturelles stables. L'isolement et le d6sir d'independance ayant limite les contacts avec le groupe anglophone dominant, leur dynamique de groupe repose essentiellement sur des processus internes qui gonerent une grande homog6n6ite" sur le plan identitaire. Le sens de coherence n&essaire au sentiment d'existence collectif176 se ditermine alors en fonction de la sociote" d'origine. Dans ce cadre, les Franco-Terreneuviens surmontent le traumatisme de la rupture en r£alisant un id£al de sdcurite' matorielle, et de liberte".177 Les conditions mat6rielles, psychologiques et socio-culturelles nicessaires ä la constitution du sentiment d'identite" collective sont alors r6unies. Sur le plan de l'ethnicito, les premieres g£n£rations ont conscience de leur spocificite" culturelle, linguistique et territoriale mais le sentiment de difforenciation n'est pas cultiv6 dans un but de stratögie identitaire. Peu nombreux, isolos, sans education, sans conscience politique, et sans une organisation formelle, les Franco-Terreneuviens ne peuvent, ni ne veulent, se doterminer en affirmant leur diff6rence face au groupe dominant. Les groupes de population franco-terreneuvienne s'apparentent done plus ä un groupe social et culturel informel qu'ä un groupe ethnique qui exprimerait une collective de faire reconnaitre son identito spocifique.
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Quand parier, ä qui, de quelle . Terme empruntf ä J. Fishman, (1971), op. dt., p. 36. Le sentiment de coherence emane du rapport entre les phdnomenes d'identisation et d'idenüfication. Ils sont propriotaires de leur lieu de vie et ils echappent ä toute autorito.
TROISffiME PARTE
Assimilation et renaissance
Introduction L'6volution des groupes ethniques dopend d'une multitude de facteurs soci6taux et groupaux interdopendants. Selon la predominance de certains de ces facteurs, on observe soit le maintien de l'identification au groupe ethnique soit le diveloppement de troubles identitaires suite ä un affaiblissement de la cohesion du groupe. Dans le premier cas, le groupe ethnique se diffe"rencie de la socioto d'accueil et il nogocie son Statut en fonction de difförents stades d'indipendance.1 Dans le second cas, il peut suivre diverses dtapes d'assimilation jusqu'ä une 6ventuelle dissolution du groupe ethnique. La mothodologie des otudes ethniques pose le probleme de evaluation des facteurs interdependants. L'ensemble des theOriciens de l'ethnicito s'accordent ä reconnaitre 1'insuffisance des modeles d'6tude traditionnels thooriquement impr&is et limitds ä I'otude d'un seul me'canisme de collision ethnique au niveau empirique.2 Nous proposons done d'adopter, ä la lumiere des syntheses thooriques les plus rocentes sur les 6tudes ethniques,3 une approche pluridisciplinaire qui nous permettra d'otudier "as many as possible of the faces at work in the aspect of the daily life of communities that we here reference under ethnic group cohesion."4 Nous evaluerons les differents processus d'adaptation mis ä jour ä la suite de la periode d'assimilation puis de celle de renaissance ethnolinguistique ä partir de modeles d'analyse complomentaires.
I - Assimilation et persistence Les facteurs d'assimilation Les prumices de l'assimilation Nous avons vu comment dans les premieres docennies de ce siecle les communaut6s francoterreneuviennes s'organisent et se stabilisent. Diffdrents facteurs constituent cependant les germes d'une assimilation qui devient galopante apres Tinstallation d'une base militaire amoricaine en 1940.5
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Voir continuum prosento p. 124. D'aprfes R. Kolm, op. cit. et F. Herberg, op. dl., p. 98. Voir A. Anderson et B. Frideres, L. Driedger et F. Herberg en bibliographic. F. Herberg, op. cit., p. 98. Rappclons que d'un point de vuc gdnoral, les Franco-Terreneuviens reprcsentent unc infime minorito, soil environ 3% de la population globale avant 1940.
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Une minorite francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
En premier lieu, la religion et l'enseignement ne sont dispenses qu'en anglais. L'impact de ce ph^nomene est double puisque sur le plan linguistique il impose le deVeloppement du bilinguisme et sur le plan psychologique il alimente un sentiment d'inferiorito en fragilisant la I£gitimit6 de la langue minoritaire. La pr6sence de la langue anglaise s'accroit lorsqu'en 1936 un pretre irlandais entraine ä sä suite toute une communauto anglophone de la cöte sud de Terre-Neuve et vient s'installer ä Clam Bank Cove qu'il rebaptise Lourdes. Mais en dopit de ce nom fran9ais, cette nouvelle communauto, situee entre La Grand'Terre et L'Anse-ä-Canards, se doveloppe rapidement et centralise diff€rents services6 ou seule la langue anglaise est parlee. Parallelement ä ce renforcement de la langue majoritaire quelques families francophones s'integrent au groupe anglophone.7 Elles abandonnent l'usage du frangais et anglicisent leur nom. Des membres des families Lejeune, Leblanc et Dubois deviennent ainsi des Young, des White et des Woods. Cette anglicisation des noms, orchestree par les pretres, s'applique ogalement ä des families qui ne le desirent pas. Difforents tomoignages et les documents 6crits du registre diocdsain de Saint-Georges laissent penser que 1'attitude des pretres est plus due ä une tentative d'assimilation que leur dicte leur dosir de mieux asseoir leur pouvoir, qu'ä un problfcme de compr£hension phonotique des noms.8 Les patronymes Borthayre ou Bätard deviennent ainsi Barter ; Benoit, Bennett ; Dub6, Dubie ; Gasto, Casty ; Duphenais ou Dauphini, Duffeny ; Dutret, Dutrey ; Tourout, Turret; Marche, March ; Olivier, Oliver. Nous avons 6galement relev6 un cas "d'irlandisation" d'un patronyme, Aucoin devenant O'Quinn. De meme, 1'utilisation d'une forme anglaise pour les noms de lieu9 devient de plus en plus courante apres 1940.10 Sur le plan 6conomique, I'apparition au dobut du siecle des premiers emplois salarios dans les homarderies attire quelques femmes anglophones et contribue ä introduire le Systeme des salaires et de l'argent dans une oconomie fondoe sur le troc. Dans les ann£es 1880, la construction de moulins ä papier cr6e de nombreux emplois de bücheron. La plupart des Franco-Terreneuviens, qui n'ont pas dejä un emploi en complement de celui de la peche, se rendent chaque hiver dans le camp de bücherons de Corner Brook et Deer Lake. Us y gagnent des salaires qui donnent acces aux achats par correspondance. Les radios, qui ont fait leur apparition, encouragent ces nouvelles habitudes de consommation. L'absence des peres de families ralentit la vie sociale traditionnellement intense durant 1'hiver. A I'int6rieur des camps
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La poste, le magasin gonoral, le docteur puis l'ecole et l'oglise. Une seule famille se convertit cependant ä la religion anglicane. Plusieurs documents dans ce registre attestent de la volonto des pr&tres d'angliciser les noms frangais. M. C 111 affirme que m§me ceux qui savaient dcrire leur nom n'osaient pas s'opposer au prStre. M. Gerald Thomas nous a confirmo que les pr&tres anglo-irlandais ont ainsi appuyd les gouvernements et leur politique d'assimilation depuis la nomination, en 1838, de Lord Durham en tant que Gouverneur Ginoral du Canada qui pröna assimilation des Quobocois. "Cape St George", "Mainland", "Black Duck Brook", "Winterhouse". Temoignage de M. C 100 et M. C 93, notes ocrites.
Assimilation et renaissance
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de bücherons, les Franco-Teireneuviens, minoritaires, doivent parier anglais. Us y rencontrent egalement des Qu6böcois qui deValorisent leur langue ethnique.11 En 1930, la crise öconomique qui frappe l'Amorique du Nord n'a qu'un impact limite" sur le Systeme 6conomique franco-terreneuvien fondö largement sur l'autosuffisance. Toutefois l'augmentation des prix et la rarefaction de denröes de premiere nocessito leur donnent conscience de la pr6carit6 de leur situation face ä Involution oconomique ge"n6rale. Plusieurs families francophones quittent d'ailleurs la p&iinsule de Port-au-Port ä cette ipoque.12 A l'approche des anne"es 1940, tout en continuant de be"ne"ficier d'une vie sociale et culturelle riche et d'une e"conomie stable, les communautos franco-terreneuviennes ont dejä du faire face ä des ph6nomenes d'acculturation sur le plan structural. La construction d'une base militaire am6ricaine ä Stephenville en 1940 renforce les facteurs d'assimilation prosents et en suscite de nouveaux. Les Franco-Terreneuviens ne peuvent plus disormais 6chapper ä l'influence des relations avec un groupe dominant ultra majoritaire. L'assimilation structurale L'implantation d'une base militaire amiricaine ä Stephenville a pour premier effet de modifier singulierement le contexte humain regional. Les fermiers acadiens de Stephenville doivent vendre leurs terres pour fake place aux pistes d'atterrissage. us rejoignent, pour la plupart, des communautos environnantes qui sont rapidement exposies ä une forte assimilation. La construction de la base militaire attire en effet au plus fort de sa construction pres de 2000 civils.13 Des centaines de families anglophones migrent ainsi ä Stephenville et bouleversent les rapports entre francophones et anglophones. De plus, les habitants de la rogion, qui b6n6ficient pour la premiere fois d'emplois bien pay6s dormant acces ä de multiples avantages mat6riels, s'identifient rapidement ä une culture oconomique amoricaine exclusivement anglophone. Les trois communautos itudioes, situe"es ä la piriphirie de la pe"ninsule de Port-au-Port, ne sont pas en contact direct avec la base militaire mais la proximitö et la force du nouveau modele identitaire cre"e un sentiment d'incertitude g6n6ralis£. De plus, en 1949, un autre changement important vient modifier le contexte structural des Franco-Terreneuviens. A la suite d'un r6f6rendum, les Terre-Neuviens optent en effet pour leur rattachement au Canada. La majoriti des francophones de la cote ouest votent ogalement en ce sens et s'identifient d'autant mieux ä leur nouveau pays qu'ils binoficient maintenant d'allocations familiales et de retraites. L'ensemble de ces transformations du contexte structural entraine des modifications de la dynamique identitaire interne au groupe.
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Tdmoignages de M. C 100 et M. C 93, notes denies. QudtxScois et Franco-Terreneuviens avaient de la peine ä se comprendre. Les premiers accusaient les seconds de parier un mauvais frangais. Notamment les families Leroux et Lequant qui rejoignent Deer Lake, d'apies Mme C 109. G. Thomas, (a), (1983), op. at., p. 47.
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Une minoritefrancophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Les modifications internes au groupe Les francophones des trois communautos 6tudi6es qui partent travailler sur la base militaire sont peu nombreux mais leur exemple suffit ä introduire l'influence de l'autre modele identitaire au sein de leur village. Les families qui beneficient des salaires amoricains se ddmarquent rapidement du reste de la communaute' par leur aisance mat£rielle. Les jeunes pecheurs locaux se trouvent rapidement d6valoris6s aux yeux des jeunes filles attiroes par la nouveauto et la facilito matorielle de la soci6t6 moderne. De plus, la connaissance de l'anglais devient un atout indoniable pour obtenir un emploi ä la base. Certaines families qui refusaient l'utilisation de l'anglais par principe ou parce qu'elles n'en voyaient pas I'utilitd encouragent leurs enfants ä apprendre cette langue et ä la parier ä la maison. Graphique ng 21
Endogamie et exogamie dans la paroisse de Lourdes, 1937-1960
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··' endogamie
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· exogamie
Source: Andr£ Magord14 D'autre part, les bonefices du Systeme social canadien et la disparition des taxes douanieres avec les autres provinces facilitent et precipitent la participation des Franco-Terreneuviens ä la soci6t6 de consommation. Le Systeme de troc ainsi que les activites jusque lä necessaires ä 1'autosuffisance alimentaire sont progressivement abandonnees. Un terme est ainsi mis ä l'autonomie 6conomique des communaute's francophones. Les Franco-Terreneuviens passent alors relativement brutalement d'une vie de pionnier ä une vie de rentier assiste.
Les donnocs utilisoes dans ce graphique proviennent de Mary Bungay, "Mariagcs in the Parish of Lourdes, 1937-1960", Centre d'Etudcs Franco-Terreneuviennes, 1975. La paroisse de Lourdes comprend La Grand'Terre el L'Anse-a-Canards.
Assimilation et renaissance
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Le mode de vie traditionnel se trouve egalement bouleverso par le doveloppement de nouveaux modes de communication. La construction de routes rend les contacts avec I'exterieur plus faciles. L'installation du telephone dans chaque maison isole les families et fait obstacle ä la convivialit6. Le phenomene d'individualisation qui s'en suit est renforc6 par la diminution du travail collectif du ä l'abandon des activitös complomentaires ou ä l'achat de machines. Une des consequences les plus marquantes de cette Ouvertüre au monde extirieur devient rexogamie. II est clair dans ce graphique qu'ä partir de 1948, la tendance favorable aux manages endogames s'inverse. Lorsque sait que la langue anglaise est presque toujours adoptoe dans les couples mixtes on comprend 1'impact que peut avoir cette tendance sur 1'avenir ethnique de la communaute. L'impact de ces modifications d'ordre structural s'avere d'autant plus fort que difforents facteurs d'ordre subjectif accentuent la perturbation des röförents identitaires du groupe ethnique. Les facteurs subjectif s d'assimilation A partir des annoes quarante, la disparition des "Vieux Pra^ais" arrivos ä la fin du siecle procodent prive les communautos franco-terreneuviennes d'un lien privitegie" avec leur culture d'origine. Les g6n6rations suivantes se retrouvent ainsi face au double döfi de perpe*tuer une culture face ä l'influence d'un autre modele et en l'absence de ses porteurs d'origine. L'insocurito ge"n6r6e par cette situation se trouve accentue"e par l'image dovalorisante renvoyoe par le groupe anglophone15. Cette attitude discriminatoire trouve 6cho dans la politique assimilationniste du gouvernement dans les domaines de 1'education et de la religion ainsi que dans le traitement particulier reserve1 aux francophonessur la base amiricaine16. A ce stade, l'affaiblissement des processus identitaires traditionnels combino ä l'image negative renvoyoe par le groupe dominant perturbe fortement la s^curite" ontologique des Franco-Terreneuviens. Devant ce phonomöne d'alionation de leur identito, ils ne peuvent ropondre de fagon constructive car, d'une part, la qualite* informelle de leur organisation sociale ne leur permet pas de reagir de fa$on structuröe et, d'autre part, la perte de cohorence du modele social traditionnel a amoindri le sentiment de confiance nfcessaire ä toute prise de position collective envers une menace externe. Cette situation s'avere d'autant plus alionante qu'elle semble sans issue. Les Franco-Terreneuviens se retrouvent en effet dans une situation paradoxale ou ils ne peuvent integrer aucun des deux modeles identitaires prosents. Un retour au modele traditionnel impliquerait un isolement total pour reformer la cohesion groupale et 6chapper aux tentations de la soci6ti moderne ainsi qu'au regard inf riorisant de la majorite Voir les storootypes discriminatoires lids au sumom de Jacotar, aux Franco-Terreneuviens, p. 101. De nombreux tomoignages nous ont confumo que les employes francophones otaient toujours sipards et repartis dans des equipes anglophones. Les services secrets ame'ricains avaient sans doute juge les FrancoTerreneuviens en fonction du passi de doserteur de leurs ancetres.
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Une minoritäfrancophone hörs Quabec : Les Franco-Terreneuviens
anglophone. L'identification au modele du groupe dominant ne dispose pas quant ä eile de structures süffisantes au sein des communautos francophones et eile leur est refused ä rexte"rieur. Devant cette situation de blocage identitaire, les francophones des communaute's £tudie"es se reTugient dans une inhibition defensive qui se traduit par un phe"nomene d'apathie sociale et culturelle. Les consoquences sont multiples. L' assimilation socio-culturelle La neutralisation du processus social au sein des communautös francophones facilite influence des structures organisees du groupe dominant Dans le courant des annoes soixante, la tradition publique est modifi6e : la musique traditionnelle se trouve concurrence^ par le "Country" amoricain, la narration des contes parait de plus en plus däsuete face aux omissions radiophoniques. Alors que les celebrations de la Chandeleur, du 14 juillet et du 15 aoüt pour ainsi dire disparaissent, les Franco-Terreneuviens sont invite's par l'6glise ä feter la Saint-Patrick et ä se rendre aux "Garden Parties" paroissiales. Le bouleversement des structures cognitives Pour la plus jeune generation de Franco-Terreneuviens, le groupe n'offre plus de dynamiques sociale et culturelle porteuses de references identitaires clairement determinees et sources des experiences cognitivo-affectives17 nocessaires aux processus de construction de l'identite. Cette situation s'avere particulierement alionante pour les membres de cette generation qui n'ont pas fait proalablement l'experience d'un modele identitaire coherent. Les parents en proie au doute quant ä l'avenir de leurs enfants adoptent une attitude de neutralitö qui ne permet pas non plus aux jeunes d'acquerir les certitudes et la notion de coherence qui sous-tendent le sentiment de confiance. L'inconsistance des structures cognitives g6nör£e par la modification rapide du contexte identitaire, par la perte des enracinements sociaux, par l'absence d'experiences identitaires constructives et par l'incertitude des projections dans le futur altere le sens de la continuite du sentiment d'identite et par lä meme celui d'existence. L'assimilation linguistique et le bilinguisme A partir de 1940, les trois communautes etudiöes, jusqu'alors essentiellement francophones, font face ä une intensification de la p6n6tration de la langue anglaise. En premier lieu, la dovalorisation de leur langue ethnique rend les Franco-Terreneuviens plus susceptibles de coder aux pressions linguistiques du groupe anglophone. Deux types d'attitudes prevalent. Ceux qui cherchent ä eviter toute situation conflictuelle avec le groupe
17
Tenne emprunto ä Rodrigue Landry dans : Rodrigue Landry et Andro Magord "Vitalit6 de la Langue Fran;aise ä Terre-Neuve et au Labrador, le Role de la Communaute et de l'Ecole", Education et Francophone, vol. 20, n" 2, aoüt 1992, pp. 7-8.
Assimilation et renaissance
117
dominant fönt de la langue anglaise leur langue d'usage ä l'extorieur comme ä l'intorieur de leur foyer. Les autres utilisent difförentes formes de bilinguisme selon les contextes. Les motivations des families qui adoptent le monolinguisme sont multiples. Les parents souhaitent oviter ä leurs enfants le traumatisme d'une education dans une langue peu maitrisoe. Ils pensent ogalement que seule la langue anglaise peut assurer un avenir matöriel ä leurs enfants et que la pratique du fran9ais "bätardise l'accent anglais".18 L'augmentation des manages exogames caus6e par l'affaiblissement du Statut ethnique et par le d6sir d'un rapprochement avec le groupe dominant renforce la tendance au monolinguisme anglais. Toutefois la majorit6 des Franco-Terreneuviens opte pour le bilinguisme. Le rapport entre les deux langues £volue rapidement La perte de Statut du fran9ais et la croissance du nombre de locuteurs anglophones transforment les comportements linguistiques. Jusqu'aux annees cinquante, dans les situations collectives, le fran9ais est utilise meme en presence d'anglophones.19 Des les annees soixante, la presence d'un seul anglophone dans un groupe de francophones entrame l'utilisation de l'anglais. La perte de Statut de la langue ethnique fait qu'elle ne se parle plus en fait que lä oü les valeurs traditionnelles be"n6ficient d'une le'gitimite'. Le port de peche et certains foyers demeurent les principaux lieux d'ochange spontano de la langue ethnique. La pönotration linguistique de la langue anglaise dans ce contexte bilingue provient egalement de l'inadaptation aux situations nouvelles, cr6e"es par l'influence de la sociöto moderne, d'une langue sans locuteur lettro et sans apport ext6rieur. Les Franco-Terreneuviens doivent ainsi avoir recours ä l'emprunt linguistique pour les termes inexistants dans le fran9ais du XIXe siecle ou qui n'ont pas eu l'occasion d'etre transmis. Les francophones des communaut6s e"tudiees emploient ainsi les mots "power" pour £lectricit6, "mail" pour courrier, "carburettor" pour carburateur, "vaccum cleaner" pour aspirateur, "gas" pour essence, "truck" pour camion, "moose" pour orignal ou "monkey" pour singe. Cette influence notable du bilinguisme sur le plan se"mantique ne s'6tend pas au domaine de la syntaxe grammaticale.20 Les consequences du bilinguisme portent en fait beaucoup plus sur la modification des comportements langagiers que sur des transformations linguistiques. Soulignons en ce sens que le Statut deValorisant attribu6 au francais, qualifii de "half French, half English", parfois meme par ses propres locuteurs, est injustifio. Ruth King21 montre que la proportion des emprunts linguistiques dans le fran9ais terreneuvien demeure peu . La divalorisation excessive de cette langue ethnique provient d'une attitude discriminatoire du groupe dominant, notamment 18 Mme C 116 note ecrite. Notons que ce phonomene de "bätardisation" de la langue s Observe ogalement dans la pronunciation francisee de certains anglophones. 19 M me C 116 note ecrite. 20 R. King, (1989), op. cit., p. 239. Ce phdnomene d'emprant a eu lieu dans toutes les minoritos francocanadiennes, y compris au Quobec. 21 Ruth King, (b), "A Preliminary Study of Anglicisms in Newfoundland French", dans M. Starets (ed.), Fredericton, Actes du troisieme colloque annuel de l'Association de Linguistique des Provinces Atlantiques, Universito du Nouveau-Brunswick, pp. 117-125.
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Une minoriti francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
par l'entremise du gouvernement et de l'oglise, et d'une incapacito ä exprimer certaines situations nouvelles. La diversity des comportements langagiers22 que nous avons relevoe, qu'il s'agisse de tendances au monolinguisme anglais ou fran9ais ou de degrös de bilinguisme, illustre l'oclatement de la cohdsion du groupe ethnique. La dynamique identitaire de groupe qui repose sur la reconnaissance implicite de valeurs et de visions du monde communes est rompue. L'identiflcation d'autrui n6cessaire ä toute relation inter-individuelle devient proble"matique. La gonöration des jeunes Franco-Terreneuviens qui n'a connu que ce marasme identitaire se trouve depourvue de structures cognitives stables. Le sentiment d'inse"curit£ ontologique qu'ils e"prouvent empeche le concept de conviction et la formulation d'objectifs. Face ä cette situation de crise d'identite" collective, certains groupes de personnes refusent la voie de l'assimilation.23 Les facteurs de persistence ethnique En l'absence de stratogie collective, les membres du groupe roagissent de fa?on divergente selon la g6n6ration ou la cellule sociale ä laquelle ils appartiennent. Chez les plus anciens parmi lesquels on trouve encore quelques "Vieux Francais", la faction spontane est le renfermement sur leur pass6. D'autres membres de la communauto choisissent ou sont contraints de se rapprocher du nouveau modele dominant. Enfin des unites sociales se maintiennent ou se reforment autour de cellules familiales comprenant des parents par alliance ainsi que des voisins et s'organisent en cellules ethniques ou les valeurs traditionnelles peuvent 6chapper ä la d6valorisation. Les cellules ethniques Comme tout au long de l'histoire des pionniers franco-terreneuviens, les membres de ces cellules doivent en premier lieu repousser les frontieres qui dolimitent 1'espace ou le fait ethnique peut etre vicu 16gitimement et en toute indopendance.24 II s'agit dans ce cas de frontieres symboliques puisque la situation giographique exclut tout mouvement physique. Les frontieres ethniques se redessinent done autour des foyers qui docident de pr6server leur mode de vie ethnique. Cette dolimitation s'avere relativement facile car la röpartition de ces foyers obeit ä une certaine logique. Lors de leur installation, les premiers colons pionniers, en quSte d'indopendance, se sont fixos au point extreme de 1'espace habitable dans chaque 22
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24
Nous analyserons Involution des comportements langagiers dans le contexte du bilinguisme, notamment I'utilisation en alternance des deux langues dans un meine discours par deux interlocuteurs ou par un mgme locuteur, lors de TeOide de la piriode suivante pour laquelle nous b£n6ficions de nombreuses informations obtenues en situation. II s'agit plus de reflexes de ddfense qui vont donner lieu ä une nouvelle structuration informelle que d'une prise de conscience qui ne deviendra idoologique que bien plus tard. Rappelons le mouvement vers l'ouest des colons pionniers franco-terreneuviens en quate d'entito qui se poursuit depuis la fin du XVIe siecle, voir carte n° 3 p. 21.
Assimilation et renaissance
119
communaut6.25 Les families suivantes, souvent les families souches 6tudi6es dans notre premiere partie, forment avec eux "le coeur excentrö" des communautos. Les villages se peuplent ainsi sur une ligne parallele ä la mer. Les families anglaises se concentrent ä l'autre extremito.26 La proximite" g&>graphique de plusieurs foyers ethniques que nous venons de prosenter voit alors ces lieux se transformer en veiitables enclaves ethniques. Ces enclaves s'organisent autour des structures traditionnelles de la communauti27 mais elles n'6chappent pas ä une certaine influence de la socioti moderne.28 Devant cette situation complexe, la cohesion sociale et culturelle est assuroe par un processus qui a 6t6 mis ä jour par Gerald Thomas dans son 6tude sur le conte populaire chez les Franco-Terreneuviens et qui nous est en ces tennes : "...si la tradition du conteur public et de la veillee representait la face visible de la tradition narrative, et que cette tradition otait effectivement en train de disparaitre, U existait noanmoins une face, cachee celle-la, qui avail pour contexte la meme cuisine et les memes nuits d'hiver, mais
assistance differait en quelque sorte
de celle de la tradition publique."29
La culture ethnique qu'il n'est plus possible d'ochanger collectivement, au plan communautaire passe de la scene publique ä la scene priv6e. Ces foyers deviennent 1'espace logitime ou peuvent encore s'exprimer les valeurs et les traditions ethniques. Les plus jeunes refoivent I'horitage culturel sur les genoux de lews parents et de leurs grands-parents. Ils participent ä un processus social restreint ä une ou plusieurs cellules familiales mais suffisamment dynamique pour valider les r€f6rents identitaires issus de la poriode stable des communautos. us iprouvent des lors le sentiment d'une continuity et ils peuvent authentifier leur groupe d'appartenance. Fort de cette base identitaire solide, cette jeune gonoration accepte difficilement la remise en question de la 16gitimit6 de son ethnicito et la discrimination subie ä 1'ecole. Les gonorations precodentes s'accommodent plus facilement de cette situation, us ont la satisfaction d'ochapper ä l'anomie sociale et culturelle du reste de la communauto et de maintenir ainsi une coherence ä leur ivolution. Ils ben6ficient nianmoins des progres matoriels de la societ6 moderne auxquels ils aspirent et ne sont pas plus exposos ä la discrimination que ceux qui ont choisi la voie de assimilation. Ces conditions procurent aux membres des cellules ethniques un sentiment de s6curit6 ontologique süffisant pour porter un regard humoristique sur l'influence que le modele dominant exerce malgri tout sur leur mode de vie. Le conte intitulo "We Three" transcrit en
25
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Informations obtenues ä partir de timoignages oraux et de recherches sur les plans cadastraux. Ces points excentres se situent ogalement ä proximitg de bons lieux de peche. Ce phenomene. Ires caracteristique ä Cap-Saint-Georges et ä La Grand'Terre s'observe moins facilement ä L'Anse-ä-Canards oü deux communautes se sont constituees cote ä cote. Notamment les manages bilatoraux, l'acceptation de la consanguinito, le Systeme specifique de transmission des biens qui garantissent la cohesion structurale. Notamment par le biais des mddias. G. Thomas, (a), (1983), op. at., p. 55.
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Une minoritt francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
annexe,30 övoque Fhistoire de trois freres qui, sans emploi, partent dans le monde anglophone chercher du travail. Mauvais oleves, Us ne parviennent ä retenir qu'une phrase en anglais chacun, ce qui leur vaut bien des mosaventures. Le contexte linguistique mixte donne ogalement lieu ä un phonomene appe!6 discours macaronique selon lequel les locuteurs "cherchent un mot dans une langue, une phrase dans 1'autre."31 Cette situation peut donner lieu ä differentes sources d'humour, lors par exemple de traduction ou "Deer Lake" devient "eher lac".32 Nous venons de montrer que devant la modification du contexte identitaire de leurs communaute's, les Franco-Terreneuviens n'ont pas roagi de fa£on homogene. Les motivations de ceux qui s'inscrivent dans le modele de l'assimilation sont claires. us refusent de faire face ou sont contraints de c6der devant I'ins6curit6 due ä raffrontement avec une culture dominante. Les motivations de ceux qui decident de rosister ä cette influence extorieure, en de"pit d'un rapport de force in€gal, sont par contre plus difficiles ä percevoir. Elles se trouvent d'ailleurs souvent ä l'origine des nombreuses controverses qui portent sur la validit6 du maintien de I'identit6 ethnique. Un examen procis des sources de cette motivation s'impose. Les causes duphanomäne de persistance Les tomoignages que nous avons recueillis sur cette question laissent apparaitre deux raisons fundamentales au refus d'une fusion identitaire avec le groupe majoritaire. En premier lieu, les g6n6rations suivant celles des "Vieux Fransais" donnent une dimension supplementaire ä leur culture. La disparition des porteurs initiaux de la culture ethnique rend sa propagation plus incertaine. Le peu de connaissance sur le milieu d'origine fragilise la validit de identification culturelle. Les descendants roagissent devant cette menace en plagant I'epopie de leurs ancetres et la transplantation du fait frangais au-delä de I'oc6an au plan de 1'universel. L'entreprise des colons pionniers et la transmission de leur heritage est alors dotoe d'un caractere sacre". Le fait ethnique s'inscrit dans une ovolution historique et se voit confe"rer un sens de logitimito fondamentale. M. C 108 nous dit ä ce propos "il (1'ancetre) a forgo une histoire pour nous ici."33 "Us ont transform^ des forets en ferme... on voit les champs aujourd'hui. Nous, il faut continuer pour s'assurer que notre communauti survive pour un autre deux cents ans."34 De meme, le fait que quelques colons pionniers gardent leur nationality d'origine35 sous le rogime britannique comme sous le rogime canadien tient lieu de Symbole. Et pour de nombreux Franco-Terreneuviens qui n'ont pas pu apprendre ä lire ou ä ocrire en fran9ais, la pers6v6rance des "Vieux Fran9ais" ä se procurer des journaux francophones du Quobec ou de Saint-Pierre et 30 31 32
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Annexe A. G. Thomas, (a), (1983), op. cit., p. 70. Information communiquee par M. C 103. Gerald Thomas nous a spocifio que la premiere traduction de "Deer Lake" par "eher lac" fut involontaire. L'utilisation ironique de cet "incident" par son auteur 6iait done double. M.C1081B503. M. C 108 l B 975. Notamment Messieurs Y. Lemoine et J. Letacannoux.
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Miquelon jusqu'ä la seconde guerre mondiale produit un impact symbolique identique. L'abandon de la langue ethnique est des lors per?u comme "un pSch6" ou comme un acte de domence.36 Au-delä du plan du manifeste, la culture devient, selon le terme utiliso par les Franco-Terreneuviens, une croyance. Le d£veloppement de cette perception ide*alise*e de la culture compense quelque peu la diminution de sa pratique sur le plan factuel. Elle procure une force de direction groupale süffisante ä la formulation de diffdrents postulats existentiels garants d'une orientation ethnique de la tension toleOlogique. En second lieu, un fort sentiment de difforenciation rend impossible une fusion avec le groupe anglophone. Un sentiment anti-anglais qui prend racine dans le contentieux historique entre la France et l'Angleterre semble latent chez les membres des cellules ethniques. Les motifs de ce sentiment qui oscillent entre le prejugo et le racisme 6manent plus r&emment de diff6rentes situations concretes. M. C 10037 rapporte ainsi que les marchands anglais profitent de l'unilinguisme de certains pecheurs francophones pour les tromper un peu plus sur un prix d'achat dejä tres bas. II n'est pas non plus possible pour un francophone d'obtenir un emploi lorsqu'il est en concurrence avec un anglophone. L'attitude des pretres qui instaurent un Systeme d'imposition de l'anglais exacerbe un sentiment d'injustice lui-meme source de la volonto de register ä l'oppression. Cette volonte" se nourrit ogalement de st6r6otypes d'ordre racial ou religieux. Les anglophones sont alors pre"sente"s comme des personnes froides, peu conviviales, "ä la domarche £trique"e et au cou raide"38 alors que les francophones se docrivent comme plus joviaux et plus chaleureux. Ces caractoristiques opposoes sont pre"sente"es en parallele ä la dichotomic entre catholiques et protestants. Certains pensent enfin que 1'antagonisme entre francophones et anglophones correspond ä. une opposition entre deux races, la difforence dans les comportements et dans la physionomie £tant perpe"tu6e "par le sang".39 La perception st6r6otyp6e du groupe dominant re"sum6e dans les expressions "Ces maudits anglais" ou "les poules de Test" sen parfois de catalyseur des d€sirs de rosistance ä assimilation. Les phönomenes de persistance de I'ethnicit6 franco-terreneuvienne semblent done Omaner, qu'il s'agisse d'une perception symbolique de la culture ou de phinomenes de differentiation particuliers, d'un d£sir de maintien d'une authenticity identitaire. La volonte" nocessaire ä la lutte centre 1'assimilation est anim6e par "le gout, le dosir ou 1'audace d'etre fra^ais dans une mer anglaise"40. "II faut du courage" precise Mme C 106.
36 Mine C 087 1 A 726. Prteisons que les Franco-Teneneuviens ont connaissance de la tradition de resistance ethnique tant chez les Acadiens que chez les Bretons. 37 M. C 100, note ecrite. 38 M.C 103, note ecrite. 39 MmeC086. 40 M m eci061B803.
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Une minorito francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Evaluation qualitative des evolutions de I'identite^ franco-terreneuvienne, 1940-1960 Les changements qui prennent place dans les communautos franco-terreneuviennes entre les annoes 1940 et 1960 modifient radicalement la dynamique identitaire ethnique. Plus pr6cise"ment, la transformation rapide du contexte structural, la remise en question de la culture traditionnelle et attitude de rejet du groupe dominant paralysent cette dynamique. Les factions diverses qui prennent place devant la disparition de la cohosion du groupe ethnique entrainent alors un phonomene d'identito parcellaire. L'eValuation syst£matique des factions hoterogenes qui font suite ä cette situation est necessaire ä l'analyse de leur futures ovolutions. Nous analyserons dans un premier temps les changements de la dynamique identitaire ethnique en function des six facteurs d'identification ethnique fondamentaux de L. Driedger.41 Nous procederons ensuite ä une classification des diffirentes situations d'adaptation ä partir des modeles th&mques devaluation de J.W. Berry et R. Taft. Nous situerons enfin les £volutions des diffirents groupes pris en compte sur un continuum qui indique les stades progressifs d'adaptation. La recherche de modeles devaluation des phonomenes d'assimilation constituant un fait r6cent dans la science sociale, nous proposons de procider ä une prösentation ditaillie de nos outils d'analyse avant de les utiliser. Prasentation des modöles d'otude Le modele de J. W. Berry exposo dans le tableau ci-dessous42 övalue les relations intergroupes, dans le contexte d'une soci6t6 culturellement pluraliste, en fonction des sentiments d'appartenance au groupe ethnique et au groupe dominant.
Tableau n8 22 : Model of Alternative Forms of Ethnic Group Adaptation Value in Maintaining Cultural Identity and Characteristics YES NO Value in Maintaining Relationships with Other Groups
YES
Integration
Assimilation
NO
Separation
Marginalization
Ronald Taft43 examine, quant ä lui, plus en dotail les diff6rentes phases qui prennent place durant le transfer! d'un groupe ethnique ä un autre groupe d'appartenance. La prise en compte 41 42
43
Nous avons pr&ent£ les facteurs (^identification ethnique de L. Driedger dans la deuxieme partie. J. W. Berry, "Finding Identity....", Ethnic Canada, edited by L. Driedger, Toronto, Copp Clark Pittman, 1987, pp. 223-239. Ronald Taft, "A Psychological Model for the Study of Social Assimilation", Human Relations, vol. 10,1957, pp. 141-156.
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Assimilation et renaissance
de la perception du groupe ethnique par le groupe dominant, ou groupe Π dans le modele de Taft, est indispensable pour comprendre la dynamique du changement de I'identit6 ethnique franco-terreneuvienne. La plus grande precision des informations de ce modele s'impose 6galement l'analyse des groupes restreints numeriquement que nous 6tudions. Tableau ns 23 : Assimilation Chart Stage
A - Internal to X
Β - External
1 . Knowledge of Group II culture 'Cultural learning'
Assumed knowledge
Actual knowledge
2. Attitude to Group Π
Favourable attitude to (i) the members (ii) the norms (iii) own membership of Group Π
3. Attitude to Group I
Unfavourable attitude to (i) the members (ii) the norms (iii) own membership of Group I
4. Role assumption ' Accommodation'
Comformity to perceived role requirements of Group II Perceived acceptance by Group II into social intimacy Self -identification with Group II
Active seeking by X of (i) interaction with Group Π members (ii) participation in its activities (iii) membership Withdrawal from (i) interaction with Group I members (ii) participation in its activities (iii) membership Comformity to actual role requirements
5. Social acceptance 6. Group membership 'Identification'
7. Convergence of norms 'Congruence'
Perceived congruence between own and Group Π norms
Actual acceptance by Group II Identification of X with Group II by (i) Group I members (ii) Group Π members (iii) Society at large
Actual congruence between own and Group Π norms
Le continuum que nous proposons permet de situer les volutions des groupes ethniques en function soit d'une dynamique assimilatrice soil d'une dynamique de maintien de l'identit ethnique. La dofinition de ces differents stades implique de les intogrer aux systemes politiques qui les g6nerent.
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Une minoritl francophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Tableau n2 24 : Stades progressifs d 'adaptation des groupes ethniques Dispaiition de I'identiti ethnique
Diveloppement de Γίαεηύΐέ ethnique
Immigration Dissolution
institutioimalisation d&ulluration
assimilation .._..,
PoKtique d' assimilation autoritaire
.,
.
acculturation ,
PoHdque ducreuset
._„
mamtien de I'ethnicit^
I „|
..
1
Pluralisme Liberal
I _
1
Siparation
autonomisation" niion 1
,
.„
Pluralisme corporal isle
Synthese Αηατέ Magord. La partie gauche du continuum illustre la dynamique assimilatrice qui prone la conformito au groupe dominant et prevoit rintogration des nouveaux anivants en trois etapes qui doivent se succ6der rapidement. Le phinomene de doculturation a lieu lorsque le groupe perd les elements de son Systeme culturel, "ce qui va de pair avec la perte des conduites typiques, habitudes et traditions"44. Le processus d' assimilation integrale du groupe, qui mene s dissolution est alors pre"sent6 comme in6vitable. Le modele du creuset propose une intogration la sociote" d'accueil en deux temps. Apres une premiere dtape d'acculturation durant laquelle prend place une altoration plus ou moins importante de la culture d'origine, le groupe ethnique est ensuite cense" participer la reconstruction d'une identito culturelle globale. Ce modele, comme nous l'avons voque* plus haut n1 a pas 6te ve"rifie. La fusion des difffrents groupes ethniques en un groupe unique n'a pas eu lieu. Dans le cadre de ce modele, certains groupes ethniques ovoluent vers I'assimilation, d'autres vers le maintien de leur identite" ethnique. Le modele du pluralisme inclut plusieurs ovolutions possibles. Au Canada notamment rimmigrant a officiellement le choix45 de s'intdgrer la soci6te" d'accueil en acceptant Γ acculturation ou au contraire en faisant de s culture ethnique l'616ment premier de son identite*. Ce mod le ne provoit pas "Γ autonomisation" des groupes ethniques mais au contraire leur intogration, leur participation dynamique dans le cadre theOrique de l'unite" dans la diversito.46 Le pluralisme corporatiste reconnait la specificitd des groupes raciaux, culturels, linguistiques ou religieux et leur accorde une certaine autonomie. Ce Systeme peut etre un moyen de subordination comme pour les Noirs en Afrique du Sud ou la recherche domocratique d'une prise en compte de la r£alit£ sociale comme en Suisse.
44
A. Muchielli, op. cit., p. 107. -> Depuis l'instauration de la politique du multiculturalisme en 1971. 46 Pour plus d'informations sur ce concept, voir Jean-Michel Lacroix, ((a), 1985 et (b). 1991), en bibliographic. 4
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Notons que le concept de transculturation47 a ögalement sä place dans ce continuum. Sa complexity nous empSche toutefois de l'y situer puisqu'il implique ä la fois une phase de deculturation, une autre de neo-culturation ainsi qu'un certain maintien de rethnicite". Les deux derniers stades impliquent le rejet du Systeme politique initial. Akzin48 a que le concept de nationalito qui mene au dosir de separation apparait lorsque la force domographique et culturelle du groupe ethnique lui donne un poids politique important. Si le groupe qui se declare nation occupe un territoire clairement dotermino il peut revendiquer la Separation integrale d'avec la structure politique d'origine. Evaluation desfacteurs a" identification ethnique fondameniaux a) Identification au territoire Pour ceux qui vivent au sein des enclaves ethniques, le territoire prend une importance particuliere. Les activitos sociales et culturelles qui s'y doroulent en accroissent la conception symbolique de ce lieu de "resistance". Ce pe"rimetre g6ographique restreint est per?u comme le refuge du fait fransais par les autres membres de la communauto. Pour ceux qui acceptent assimilation, vivre dans une des trois communaut^s francophones signifie le rejet par le groupe dominant. Paradoxalement ces personnes restent attachoes ä ce territoire qui leur procure la s6curit£ due ä l'isolement. Enfin, pour ceux qui adoptent une attitude passive, la communauti devient un lieu de vie neutre culturellement. b) Identification a une culture ethnique La rupture de la dynamique collective entrave la pratique et la transmission orale de l'heritage culturel. Le Systeme scolaire opaule" par les medias n'offre, quant ä lui, que les valeurs du groupe dominant. L'identification ä la culture ethnique devient difficile meme pour ceux qui tiennent ä la proserver. Les ölöments culturels transmis dans un contexte aussi deTavorable se dotent d'un caractere symbolique proche du sacro. La religion49 reprdsente une des rares structures du groupe dominant ä laquelle les FrancoTerreneuviens ont acces. Un nombre croissant de ces derniers la per9oivent comme un mocanisme autoritaire d'assimilation. De plus, en provoquant l'unique rassemblement public de groupes francophone et anglophone, l'eglise devient parfois, paradoxalement, le lieu de experimentation de la discrimination. Devant la division de la population, les comportements langagiers et l'utilisation de codes linguistiques differents deviennent les premiers indicateurs de la situation identitaire de chacun. Ce fait accentue la portoe symbolique du langage. 47 48
49
Voir l'otude de ce concept dans Jean-Michel Lacroix et Fulvio Caccia,(1992), op. cit.. B. Akzin, State and Nation, New York, Garden City, Anchor Doubleday, 1964, pp. 39-40, dans A. Anderson and B. Frideres, op. cit.. p. 28. Nous incluons ici des remarques sur la langue et la religion, ce que L. Driedger ne fait pas explicitement dans cette section reservee ä la culture.
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Une minorita francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
c) Identification caa. institutions ethniques Le processus de contröle social informel qui permettait la cohösion sociale du groupe et tenait lieu de structure institutionnelle subsiste seulement ä l'intörieur des cellules ethniques familiales. d) Identification a des symboles historiques Dans les enclaves, la disparition des "Vieux Fran9ais" renforce la dimension symbolique de ridentification ä Fhistoire. Les symboles positifs de pers6ve"rance et de dotermination des colons pionniers sont mis en exergue. D'autre part, l'ambivalence de certains faits du passe" tels que abandon de la mere patrie et l'acte de dösertion est levde. On ne garde des actions des ancetres que la notion de rivolte contre l'injustice. L'identification ä un passe1logitime" accentue ainsi la coherence du maintien de I'ethnicit6. Pour les Franco-Terreneuviens qui ne cherchent pas ä rösister ä l'assimilation, l'histoire devient un facteur de difförenciation genant. Ces personnes exacerbent les aspects du passe" jugos nogatifs pour justifier l'occultation de leurs origines. e) Identification a une Ideologie Les Franco-Terreneuviens qui ne re"sistent pas ä l'assimilation ne sont pas anime"s par une id6ologie. Us cherchent ä s'extraire d'une situation identitaire jugoe trop ddfavorable ou trop difficile ä soutenir. Us tendent ä se fixer des objectifs en function des valeurs essentiellement mat6rialistes de la societo moderne. Les francophones qui vivent dans les cellules ethniques ne rejettent pas les progres mat€riels de la soci6t£ dominante mais Us refusent cependant l'alionation de leur ethnicite" qui semble aller de pair. Les oliments constiturifs de I'ldentite" ethnique sont des lors per^us avec un certain recul et s'ils continuent d'oporer ä un niveau spontano et informel dans le processus social aux enclaves ethniques, ils tiennent ogalement lieu d'idoologie. Cette idoologie facilite la prise de conscience du fait fran9ais en le dofinissant. Etre fran9ais devient une quete, un 6tat d'esprit qui se traduit en ces termes dans la bouche des Franco-Terreneuviens : "avoir la croyance", "avoir le goüt du fran9ais", "avoir le courage de garder sa culture", "avoir un temporament spicial", "une facon de penser".50
f) Identification a des dirigeants charismatiques L'absence de dirigeants reconnus dans les communautos franco-terreneuviennes explique en partie l'absence de faction collective organisie face au ph6nomene d'assimilation. Les cellules
50
Dans I'ordrc des citations: M. C 103, M"16 C 105, M. C 108, M. C 103, M. C 108, notes ecrites. Cette prise de conscience est graduelle et n'aboutit ä une prise de position ideologique que dans les annees 70.
Assimilation et renaissance
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ethniques ont souvent un patriarche ä leur tete mais ces derniers refusent toute prise de position publique. En rösumo, des changements notoires ont eu lieu dans l "identification ä ces six facteurs en comparaison avec la poriode de formation de I'identit6 de base. Plus prdcis6ment, l'identification aux r6f6rents ethniques s'affaiblit d'une g^noration ä une autre. Ce phonomene se ögalement chez les Franco-Terreneuviens qui rösistent ä l'assimilation. Son ampleur demeure toutefois moindre chez eux et la dynamique de l'identification ethnique reste pr6serv6e par le transfert sur le plan symbolique des 616ments qui 6chappent au processus social v6cu. Au Heu de perdre de leur impact, les connaissances des faits historiques et culturels, les savoirs et les modeles de conduite sont ainsi transmis avec une attention particuliere et dans un contexte 6motionnel propice ä leur momorisation. Ces connaissances impregnent avec force les structures cognitives de la jeune ginoration. Evaluation syst matique des diffarents types d'adaptation La Präsentation que nous venons de faire des facteurs et des mocanismes du changement identitaire nous permet de distinguer diffeients types d'adaptation mis en place par difförents groupes de population franco-terreneuvienne. Nous proposons d'oporer un classement de ces comportements identitaires divers en fonction de deux modeles th6oriques d'analyse de W. Berry et de R. Taft, dofinis pr£c£demment. Le premier groupe rassemble ceux qui choisissent de ne pas rosister au modele dominant.51 Ces Franco-Terreneuviens rejettent les marqueurs spicifiques de leur identite" ethnique afin de faciliter leur identification au groupe anglophone. Ils s'excluent du processus social communautaire et se distinguent en utilisant uniquement la langue anglaise meme ä l'interieur du foyer. Dans ces families, Tun des deux parents est souvent anglophone mais quelques couples francophones sont e"galement concernös. Leur attitude correspond au concept d'assimilation pr6sent6 dans le tableau de W. Berry. Dans le tableau de R. Taft nous dicouvrons toutefois que le d6sir d'assimilation de ces Franco-Terreneuviens se trouve compromis. L'intögration de ces families au groupe dominant reste bloquöe au quatrieme stade par l'attitude discriminatoire du groupe anglophone. L'öloignement geographique et le Statut socio-€conomique inforieur continuent d'alimenter cette discrimination en d6pit de leur de se conformer au modele dominant. En rupture avec leur communauto et rejetoes par le groupe qu'elles aspirent ä rejoindre, ces families perdent tout Statut et ne participent ä aucune dynamique collective. A ce moment de leur övolution, ces personnes se situent au stade de acculturation sur notre continuum. Le second groupe que nous avons d£termin6 est constituo de families qui ont ddcide* de maintenir leur identiti ethnique face ä Finfluence du modele dominant. Leur situation s'avere plus complexe ä ^valuer puisqu'elles participent ä deux structures sociales distinctes. Leur maintien de l'identitö ethnique, vecu en privö ä l'intorieur des cellules familiales, place ces Nous dotenninerons la taille de ces difforents sous-groupes lors de l'otude de la demiere poriode devolution.
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Une minorito francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Franco-Terreneuviens dans la catogorie soparation du tableau de W. Berry. Leur vie publique, au contact de la communaute dans son ensemble, les situe dans la categoric integration. De plus, ces personnes ne rejettent pas syste'matiquement la culture du groupe dominant. Leur inte"ret traditionnel pour la musique les fait par exemple s'intoresser aux Evolutions en ce domaine que peut suivre ä la radio. Ils acceptent e"galement un certain degro de bilinguisme et les bienfaits matoriels de la soci£t£ moderne. Ils refusent par contre que cette acculturation tienne lieu d'assimilation. Ils dosirent maintenir leur identito ethnique comme re"fe"rence de base et ils s'opposent pour cela ä attitude discriminatoire du groupe anglophone. Sur la charte de rassimilation de R. Taft, ce groupe atteint ä peine le second stade puisqu'il accepte certaines valeurs de la culture dominante tout en gardant une attitude hostile vis ä vis du groupe qui la vohicule. Ces Franco-Terreneuviens oscillent sur notre continuum entre le pole d'acculturation et celui de maintien de I'ethnicito. Leur attitude sur la scene publique porte ä croire qu'ils ont atteint un stade d'assimilation proche de la dissolution du groupe ethnique. Leur vie ä l'intorieur des enclaves ethniques tend paradoxalement vers 1'autre extreme de notre continuum et correspond au stade de l'autonomie de l'identitö ethnolinguistique. Le troisieme et dernier groupe compte toutes les autres families qui n'operent pas de choix distinctifs. Ces Franco-Terreneuviens ne renient pas leur identito ethnique mais ils ne participent pas non plus.au processus social en place dans les enclaves ethniques oil eile peut se maintenir. Ils se placent, dans le tableau de Berry, dans la catogorie intigration. Ils sont ndanmoins persus comme 6tant dans un Etat de «operation par le groupe dominant et comme 6voluant vers rassimilation pour ceux qui appartiennent aux enclaves ethniques. En fait, sans projet d6fmi, ce groupe est avant tout victime de ranomie sociale et culturelle qui seVit dans les communaute's. Les plus äg6s parviennent ä concevoir Involution qui les a conduits ä cette situation mais les plus jeunes vivent tres difficilement l'impossibilitö d'appartenir ä 1'un ou 1'autre des deux modeles identitaires qu'ils persoivent. Ils se retrouvent ä l'itat de marginalisation du modele devaluation de W. Berry. Ce groupe se situe sur notre continuum entre les stades d'acculturation et de de"culturation. A l'aube des annöes soixante, les communautos franco-terreneuviennes sont done paralysoes par un phonomene d'anomie sociale et culturelle. Toute dynamique collective en dehors des enclaves ethniques est presque inexistante. Les identifications ambivalentes fragmentent la population de chaque village. Certaines families se retrouvent Egalement divise"es par le comportement instable de la nouvelle g6n6ration face ä leur situation identitaire incertaine. A partir de 1962, Installation de l'ölectricitö puis l'apparition de la tolovision procipitent la progression de la tendance assimilatrice au sein des communaut6s franco-terreneuviennes. Sur la scene publique, la plupart des activitös collectives sont orchestras par I'iglise ou par le calendrier officiel du groupe dominant anglophone. Peu de reperes symboliques sont ethniques et seule la langue anglaise est utilis£e. Pour les jeunes adultes qui ont grandi dans les enclaves ethniques, l'annonce de la politique de bilinguisme et de biculturalisme faite par Trudeau en
Assimilation et renaissance
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1969 reprdsente l'occasion inespe"ree de porter leur modele identitaire au grand jour et par lä meme de tenter d'ichapper au griffes de l'assimilation.
II - La renaissance Le modöle identitaire transmis aux jeunes Franco-Terreneuviens dans les cellules ethniques n'offre pas de r6ponse aux problemes d'adaptation ä une sociöte" moderne que les m6dias imposent maintenant au sein meme des foyers ethniques. Pour ces jeunes, 1'absence d'oducation, de dirigeants, de structures et d'appuis exterieurs rend particulierement difficile toute d6termination distinctive. L'echication reprisente le seul espoir de trouver les moyens de maintenir une logique ä leur 6volution. Durant les annoes soixante, plusieurs de ces jeunes personnes entrent ainsi ä l'universite" avec l'intention de revenir enseigner dans leur communaute'. Certains choisissent le francais comme matiere principale et obtiennent en plus de leur diplome d'enseignant le soutien de quelques professeurs. L'annonce de la politique du bilinguisme et du biculturalisme en 1969 repr£sente des lors l'occasion d'affirmer leur identite" au grand jour apres plus de vingt anndes d'anonymat. De retour dans leur village, mis en confiance par leurs otudes, ces jeunes enseignants, rejoints par quelques membres de leurs communautos, forment une petite 61ite locale docidöe ä prendre le gouvemement f§έηέΐΐέ des groupes au sein de la province. La stricte application de ces mesures signifie l'exclusion des minoritis de taille restreinte ou sans structure prdalable de soutien. Les etudes des evaluateurs officiels qui ne possedent pas d'informations s ffisantes sur les dynamiques ethnolinguistes propres aux groupes minoritaires et qui mesurent la validit de l'ethnicito en fonction de son adaptability des mesures technocratiques parfois inadaptees ne peuvent refl ter la r€alit6. Le terme "equivoque" utilisi par 1'enqueteur nous semble done avant tout approprio pour decrire s mothode d'6valuation. Le probleme mothodologique que nous venons de soulever est de l'avis de nombreux observateurs la source de l'incomprdhension du phenomene ethnique. Le rocent Rapport sur le Forum des Citoyens identifie d'ailleurs le manque de coherence dans la prosentation du ph nomene ethnique comme un des principaux acteurs de la d gradation de I'unit6 canadienne.68 Nous proposons done de faire un r6examen de la r6alit6 franco-terreneuvienne des ann es soixante-dix dans son contexte ovolutif.
65 66 67 68
J.T. Stoker, "Spoken French in Newfoundland", Culture, vol. 25,1964, pp. 349-359. Nous possodons un tomoignage enregistro de cette personne que nous avons eu la chance de rencontrer en France. P. Trudeau, (Extrait d'un discours), dans Howard Palmer (ed.). Immigration and the Rise of Multiculturalism, Toronto, Copp Clark Publishing, 1975, p. 137. K. Spicer, op. at..
Assimilation et renaissance
La
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dans son contexte69
Le premier constat nogatif pr6sent£ par F6valuateur du Secr6tariat d'Etat porte sur la repr6sentativit6 locale du mouvement de renaissance. Ce mouvement ne serait selon lui que le fait d'une olite restreinte dosirant bonoficier de fa^on privil6gi6e des subsides de l'Etat. Cette affinnation remet en question le caractere fondamental de l'identitö ethnique qui est apparentee ici ä une Strategie politique plutot qu'ä une revendication identitaire legitime. Examinons la roalite" dans le contexte ethnique : il est certain que l'initiative de la renaissance franco-terreneuvienne revient ä quelques personnes seulement. Toutefois, la revendication franco-terreneuvienne prend place avant la confirmation de la politique de bilinguisme et de biculturalisme. Les initiateurs du redeveloppement ne peuvent done pas etre accusos d'opportunisme puisqu'ä ce moment, rien ne leur permet d'envisager Involution que va prendre le mouvement qu'ils ont amorco. Leur ambition au dopart est de sauvegarder leur langue, 616ment de distinction privildgio par rapport aux communaut6s anglophones environnantes. Le moment de cette revendication a 6t6 dicto par le sentiment que assimilation allait devenir totale tres rapidement si personne ne roagissait. Soulignons ogalement que I'identito ethnique ne s'invente pas. Si la motivation premiere de ces quelques francophones avait 6t6 ambition personnelle, ils auraient choisi d'autres voies, telles qu'une carriere politique ou l'exode vers de grands centres economiques. Le fait qu'apres vingt ans de silence et d'isolement des voix s'olevent ä nouveau pour clamer leur difference montre que la motivation premiere est le refus de perdre son identito, identito liee ä la survie du groupe ethnique. Le second constat n6gatif pone sur la faible adh6sion de la majoriti de la population aux projets propos6s. Ce phonomene est indoniable mais la faction timorie, dans un premier temps, de 1'ensemble de la population ethnique trouve son explication dans le lien avec un passo ricent. Rappelons que dans les annoes 1940-1960, les structures socio-culturelles du groupe franco-terreneuvien disparaissent devant un modele nord-am6ricain qui s'impose soudainement. La dynamique collective est briste et l'attentisme s'installe. L'identitö ethnique est alors restreinte ä un espace m&aphorique individuel. II semble done 16gitime qu'il n'y ait pas eu de reaction immödiate de la part d'une population qui avait subi une exp6rience traumatisante et perdu confiance en son potentiel dynamique. Muchielli precise ä ce propos que: "L'environnement chango, ce n'est pas pour cela qu'automatiquement, l'identit£ malade va trouver les votes de son propre doveloppement. Les troubles identitaires sont aussi des problemes psychologiques pour les individus comme pour les groupes et la socioto... Comme dans toute thorapie, il y a d'abord la prise de conscience. Celle-ci se fait par une roflexion sur les frustrations £prouv6es, les revendications ononcees, les 69
Cetle section s'inspire en partie de notre article : Andr6 Magord, "Vie et survie d'une minorit£ francophone hors Quobec: les Franco-Terreneuviens", Etudes CanadienneslCanadian Studies, n" 34 juin 1993.
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Une minoriti francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens perturbations ressenties... Cette introspection n'est pas facile, surtout pour les groupcs emportos par leur ressentiment."70
Les d6veloppements qui suivent l'ipoque de cette premiere ovaluation montrent d'ailleurs que la passivito de la population correspondait ä un temps d'observation et non pas ä un d6sinte"ressement. Les ann&s Quatre-vingts Dans les anne"es quatre-vingts, des changements importants bouleversent les donnöes de la d6cennie precodente. L'adh6sion d'une plus grande partie de la population au mouvement de redoveloppement est sans conteste le phonomene le plus marquant de cette nouvelle dynamique. Le de"but d'une adhosion collective au programme de renaissance ethnolinguistique est d6clench6 principalement par la r€ussite de quelques ileves qui ont choisi le programme fransais ä l'öcole du Cap. La generation de 20 ä 40 ans döcouvre l'intoret d'une identification ethnique qui, d'une part, renforce les chances de r6ussite dans la soci€te en g6n6ral et, d'autre part, permet une plus grande inte'grite' sur le plan personnel. Le processus s'inverse done par rapport ä une 6poque oü preserver son identito francoterreneuvienne signifiait l'exclusion du reste de la soci6t6. Ce sentiment gagne progressivement toutes les couches de la population et se concretise facilement grace aux structures raises en place. Les enfants participent ainsi ä des programmes de refrancisation des la matemelle. Les adultes suivent des cours d'alphabotisation et de fransais oral. Les personnes de plus de soixante ans, resides silencieuses en pensant que leur culture n'avait plus de place dans le monde d'aujourd'hui s'identifient avec bonheur ä une dynamique collective oü les valeurs traditionnelles ont aussi leur place. Difffrentes mesures illustrent ce nouvel 61an dans la renaissance franco-terreneuvienne. Tout d'abord, les Franco-Terreneuviens se dotent d'un drapeau. Le journal francophone Le Gaboteur,'11 miroir collectif des communautis francophones est ensuite rapatrii de Saint-Jean ä la cote ouest. Une t616vision communautaire est installöe ä La Grand'Terre. L'implication des difforentes couches de la population est marqu6e par la croation d'associations de jeunes puis par l'organisation de comit6s de parents francophones. Sur le plan de I'eMucation, un centre scolaire et communautaire francophone unilingue est bau ä La Grand'Terre rocompensant ainsi la lutte tenace menie par la population locale, la F£d€ration des Francophones et la F6d6ration des Parents Francophones de Terre-Neuve et du Labrador. D'autre part, de nombreuses investigations sont effectuoes dans le cadre de projets de doveloppement 6conomique indispensables ä la cr6dibilit€ du mouvement de renaissance. La 70 71
A. Muchielli, op. at., pp. 120-121. Le Gaboteur, date de citation : octobre 1984, bimensuel, ridacteur en chef : Mario Tardiff, Stephenville, Terre-Neuve.
Assimilation et renaissance
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peche etant sur le d6clin, on mise sur le tourisme en rogion rurale pour apporter les ressources nocessaires ä la survie des communautos. Des emplois saisonniers sont ainsi re"gulierement croc's dans le cadre d'une coopiration croissante avec les organismes de doveloppement regionaux. Portos par une logique constructive, se sentant ä nouveau impliqu6s dans Involution sociale, culturelle, economique et politique de leur communauto, des Franco-Terreneuviens de plus en plus nombreux manifestem leur confiance retrouvoe par un dösir d'ouverture et d'echange avec la soci6t6 dans son ensemble. La prdsence d'artistes locaux ä des 6v6nements nationaux et internationaux ainsi que la contribution active ä la francophonie canadienne symbolise ce phonomene.72 Enfin l'augmentation de la participation et des candidatures aux olections locales et nationales montrent un renforcement de la notion de citoyenneti canadienne. L'ensemble des 616ments que nous venons d'ovoquer montre que les conclusions du rapport de 1975 ont 6t6 trop hätives. Bien que condamni ä disparaitre ä plusieurs reprises, le fait frangais a pris un essor important dans les quinze demieres annoes. De plus, la participation de Franco-Terreneuviens de toutes les ge"n6rations aux döveloppements des annies quatre vingts attestent la vitalite" de ce mouvement. Loin d'etre devenus de simples Terre-Neuviens, les francophones de la p6ninsule de Port-au-Port ont röussi ä affirmer leur spocifite" au niveau de leur province ainsi qu'au sein de la francophonie canadienne. La renaissance francoterreneuvienne a en ce sens atteint son premier objectif. Nous devons cependant rappeler que les progres de cette nouvelle dynamique s'inscrivent dans le cadre d'une convalescence ä partir d'un modele identitaire affaibli et dans le contexte gdndral d'une situation politique, sociale et e"conomique instable. Nous proposons par cons£quent d'effectuer une ovaluation prospective de la renaissance franco-terreneuvienne. Nous analyserons dans ce but les diveloppements du mouvement de renaissance sur un plan thiorique. Nous proc£derons ä l'dtude syst^matique des comportements issus de contextes structural et culturel en Evolution. La validiti des efforts de revitalisation ethnolinguistique se mesurera en fonction de la coherence, de la vitalito et de la stabiliti de l'identiti ethnique.
- Evaluation de la vitaliä de Introduction methodologique
ethnique franco-terreneuvienne
Rappelons, en premier lieu, que notre modele th6orique soutient que I'identiti ethnique se forme dans 1'interaction entre les contextes structuraux, groupaux et supra-groupaux, et culturel dans sa dimension psycho-sociologique, d'oü ömanent des dynamiques identitaires qui ellesmemes gönerent des perceptions et des comportements collectifs. L'ancrage de l'identito
72 M. Emile Benoit, violoneux, a notamment meno une cairiere internationale orchestree par M. Gerald Thomas.
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Une minorϊίέfrancophone h rs Quibec : Les Franco-Terreneuviens
ethnique se dotermine dans la mentalite"73 subjective du groupe puis s'elabore en difforents sentiments identitaires sur un plan objectif. Nous proposons, conformoment ce modele, de faire une Synthese prospective de la situation de l'identit£ ethnique franco-terreneuvienne partir d'une valuation de ces dimensions objectives et subjectives. Nous 6tudierons dans cette perspective la validit6 thoorique du processus de la renaissance ethnique franco-terreneuvienne. Nous prosenterons ensuite les Evolutions des contextes structuraux et culturels. Nous analyserons en dernier lieu la nature et la vitalito de I'identito ethnique dans sa dimension subjective puis dans le cadre de s prise en compte par le mouvement de renaissance, et enfin au travers de sa vitalite" manifeste, sur un plan objectif. Nous utiliserons pour cette demiere otude cite"e les risultats de plusieurs enquetes. La premiere enquete a pour but d'eValuer la nature et la vitalite" de I'identit6 ethnique francoterreneuvienne partir d'une analyse des facteurs d'identification de Driedger, du rapport des re"pondants leur origine ethnique, des comportements linguistiques et des sentiments constitutifs de I'identite" ethnique. Ce travail est tout d'abord l'aboutissement de plusieurs sejours d'otude sur le terrain en situation d'observateur participant entre les annoes 1987 et 1991. Nous avons ensuite utilise" des questionnaires74 standardis£s afin de pouvoir quantifier les tendances qui manaient de notre otude qualitative sur les aspects objectifs et subjectifs de Γ identito franco-terreneuvienne. La majorit des ropondants n'ayant pas les competences n6cessaires pour effectuer un travail ocrit en frangais, les questionnaires ont 6t€ pr6sent6s aux 44 personnes constituant notre achantillon reprisentatif lors d'entrevues personnalisoes et enregistr es pour la plupart75. Ces entrevues ont 6t6 mendes de la fa9on la plus informelle possible, qui correspond au contexte habituel et quasi exclusif de communication impliquant un effort soutenu de riflexion et de momorisation chez les Franco-Terreneuviens.76 Les 60 questions ont en g6ne"ral έίέ posies sous la forme pr€sent6e dans le questionnaire. Un controle de fidilitd inter-juges qui a toujours dopassi la norme requise de 80% garantit la vah'dit6 de notre mithodologie, y compris dans les cas ou ces questions ont diffiro dans leur formulation d'ensemble ou dans les cas ou les riponses ont nocessite" un certain degro d'interpolation. L'ichantillon reprisentatif inclut des francophones de langue maternelle et des francophones langue seconde qui apprennent le fran;ais ou qui le parlent peu, mais qui sont susceptibles de se joindre au mouvement de renaissance. A rinte"rieur de ce cadre les personnes ont έΐέ choisies selon les seuls criteres du sexe et de Tage. Les diff6rentes variables de I'identit6 ethnique franco-terreneuvienne analysoes dans le questionnaire ont έΐέ ovaludes sous forme de donn6es codecs qui ont 6t6 traitees par ordinateur. 7
^
74 75
76
Voir la definition de ce concept p. 69. Annexe D. Nos cassettes sont d£posees au Centre d'Etudes Franco-Terre-Neuviennes de l'Universit£ Memorial de SaintJean de Terre-Neuve, departement de Folklore. Voir notrc otude ce sujet p. 99.
Assimilation et renaissance
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L'ötude des rösultats a faite ä partir d'un programme d'analyse de statistiques pour les sciences sociales appelo "Statistical Package for Social Sciences". Les roponses ont e"tudi6es sous forme de statistiques descriptives et d'analyse de variances pour lesquelles les difforences significatives sont otablies ä partir d'un facteur de probability p.
m
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Religion catholique
Philo. liberale
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W3
2-
Philo. humaniste
Ideologies Source : Andre Magord, 1992. f) Identification a des dirigeants charismatiques L'eValuation du facteur d'identification ä un dirigeant charismatique proposo par Driedger, s'avere inutile en l'absence de quiconque susceptible de ropondre ä cette d6fmition. La dimension symbolique de l'identito ethnique est de toute Evidence dominie par Tidentification aux "Vieux Pra^ais", ces colons pionniers porteurs des r6f6rences culturelles d'origine. L'identit6 ethnique franco-terreneuvienne repose done sur des r£f£rents spocifiques identifies de collective pour quatre des six facteurs devaluation de Driedger. Les identifications ä une ideOlogie ethnique et ä un dirigeant charismatique font dofaut. II importe maintenant de mesurer l'impact de ces sources d'identification dans la constitution du sentiment d'identito ethnique. Le graphique 30 montre que les röpondants accordent, de fa9on homogene, une importance qui ne varie que de forte ä moyennement forte, ä l'ensemble des facteurs d'identification.130
Les facteurs "langue" et "origine" ajoutes ici seront otudies ultorieurement.
158
Une minoritl francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Graphique n2 30 Importance des facteurs d'identification ethnique L6gende : 1 = Inexistante 3 = Moyenne 5 = Absolue
Tenitoire
Culture
Institutions
Histoire
Idoologie
Origine
Langue
Facteurs d'identification ethnique Source : Andr6 Magord, 1992. La vitalit6 potentielle de l'identite" ethnique s'avere par consoquent forte. De plus, en terme d'impact sur la construction de l'identite", les quatre premiers facteurs ovaluos : le territoire, la culture, les institutions et l'histoire, ph6nomenes clairement identifiis, be"n6ficient sur le plan subjectif d'une vitalite" corr61ative 1'importance donnoe. Par contre l'importance donne"e I'ideOlogie ne correspond pas, comme nous 1'avons vu pr6c6demment, un phonomene v£cu collectivement. L'identification une ideologic fait deTaut mais eile est souhaitoe. Vitalitl des sentiments constitutifs de I'identiti ethnique A la lumiere de ces donne"es, il est ovident que, sur un plan subjectif, la base identitaire ethnique des Franco-Terreneuviens recele un potentiel suffisamment έΐβνέ pour gin^rer une dynamique identitaire collective. II convient maintenant d'6valuer la vitalit des sentiments porteurs de ces identifications. Nous avons vu en introduction de cette partie que les identifications se traduisent en difforents sentiments qui ensemble constituent I'identito. Sur le plan de l'identito groupale et done ici ethnique, cette transition vers un v6cu objectif s'articule essentiellement sur les sentiments de valeur, d'appartenance et de confiance. Le graphique 31 rovele que la valeur attribuoe la pr servation du fait fran9ais est tros έΐβνέβ.
159
Assimilation et renaissance
Graphique 11*31 Valeur attribute ä la preservation du fait francais
5
4Plan culturel Plan linguistique
3-
Ligende : 1 = Pas du tout 3 = Moyennement 5 = Totalement
2-
0-20
21-40 41-60 Age des rejxmdants
61 et plus Source : Andre" Magord, 1992.
Ce sentiment confirme le fort potentiel d'identification ethnique dotermine' pre"c6demment. Les graphiques 32, 33 et 34 dovoilent par contre que les sentiments d'appartenance et de confiance dans la capacito personnelle ä transmettre le fait fran9ais demeurent moyennement 61ev6s. Graphique ns 32 Sentiment d'appartenance ä la francophonie
51 4-
8
3·
«3
Francito globale Lögende : l = Pas du tout Francito culturclle 3 = Moyennement Franciti linguistique 5 = Totalement
21
0-20
21-40 41-60 Age des rtpondants
61 et plus Source : Andr6 Magord, 1992.
160
Une minoritt francophone bars Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Graphique nfi 33 Confiance en 1'avenir du fait francais
Fran$ais va disparaitre Fran9ais va se deVelopper
Lögende : 1 = Pas du tout 3 = Moyennement 5 = Totalement
0-20
21-40
41-60
61 et plus
Age des repondants Source : Andr6 Magord, 1992. Les sentiments de confiance et d'appartenance, constitutifs du sentiment d'identite" ethnique, ne refletent done pas la vitalite subjective du potentiel et du d6sir d'identification ethnique. On peut des lors penser que soit le processus de renaissance reste inachev6 soit les FrancoTerreneuviens n'ont pas suffisamment fait experience du contexte de redeVeloppement ethnolinguistique pour que leur identit6 ethnique prodomine. La röponse ä cette question est en partie comprise dans 1'otude comparative de I'identification aux origines ethniques, ou autres, ä laquelle nous allons maintenant procdder.
161
Assimilation et renaissance
Graphique na 34 Auto-6valuation de la capacito ä transmettre le sentiment d'etre francais, la langue francaise et la culture FTN
5
sentiment d'etrefranc,ais langue fran$aise culture FTN
4-
S 2-
Lögende : 1 = Inexistante 3 = Moyenne 5 = Tres bonne
0-20
21-40
41-60
61 et plus
Age des repondants Source : Andri Magord, 1992. L'identification ä 1'origine qui correspond au premier 616ment de dotermination identitaire tant sur le plan individuel que collectif recele une grande diversito chez les Franco-Terreneuviens.
162
Une minoritlfrancophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Graphique n2 35 Identification
l'origine ethnique Logende : 1 = Pas du tout 3 = Moyennement 5 = Totalement
4Ό
I
ΓΟ ΓΛ O\
cn
of
3-
VO
c
t/3
cs cs
2-
Canadienne
Terre-Neuvienne
Franco-T.-N.
Francaise
Acadienne
Types d'identification Source : Απατέ Magord, 1992. Ce phe"nomene est d'autant plus surprenant que la population fait preuve d'une grande homoge'neito. Π reflete en fait la survivance d'appartenances ethniques singularisies au cours d'un pass6 riche en bouleversements identitaires, parallelement une identification notable au Canada. Rappelons que les "Vieux Fransais", dont le dernier est mort en ffvrier 1987, sont n£s frangais puis ont adopto la nationalito anglaise pour devenir canadiens en 1949. Le role du contexte socio-historique dans la diversification des identifications se v€rifie dans le graphique 36 o des variations, meme si elles sont peu marquoes, se discernent pour chaque tranche d' ge.131
131
Nous ne prenons en compte que les identites qui dopassent le score moyen de trois.
163
Assimilation et renaissance
Graphique n9 36
Identification ä l'origine ethnique selon les tranches d'äge
Oä20ans
20ä40ans
40ä60ans
oOetplus
Types d'identification l canadienne
teirc-neuvienne
franco-t-n.
E3
francaise
E3 acadienne
Source : Andre" Magord, 1992. Pour les plus age's, les identit6s terreneuvienne et fran5aise dominent et soulignent impact du contact prolongo avec les "Vieux Fran9ais". Les personnes de quarante ä soixante ans se per9oivent plutöt terre-neuviennes et canadiennes. On peut voir dans ce r6sultat l'importance donne"e ä l'union avec le Canada pour des individus qui e"taient jeunes adultes pour la plupart en 1949. Chez les röpondants de vingt ä quarante ans, les identitos terreneuvienne, canadienne et franco-terreneuvienne sont ä ögalite". L'identite" franco-terreneuvienne, qui obtient ici sont plus haut score, correspond ä l'importance que le mouvement de renaissance ethnique reprosente pour ces personnes qui se retrouvent sans re*f6rence identitaire dans les annoes soixante. Enfin la tranche d'äge de zoro ä vingt ans privile'gie les identitos terreneuvienne et canadienne et marque ainsi le dosir d'ouverture des jeunes au monde extörieur. Ces identifications parcellaires semblent en contradiction avec le fort potentiel d'identification manifesto envers l'origine ethnique dans le graphique nB 30.132 Elles soulignent en fait l'absence d'une force directrice süffisante pour permettrc aux Franco-Terreneuviens de hi6rarchiser leurs appartenances. Ce fait nous ramene au probleme de l'absence d'une ideOlogie commune, garante de l'unitö et de la cohircnce nocessaires ä une domarche de reconstruction identitaire. Face ä cette absence de trame mobilisatrice et ä l'influence distabilisante de la sociot6 moderne, le potentiel identitaire ethnique de base a ainsi tendance ä se disperser en appartenances propres ä chaque gönoration.
132
Voir p. 158.
164
Une minorito francophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
II est possible que la terminologie employoe dans notre questionnaire n'ait pas permis aux ropondants d'Evoquer un attachement öventuel ä une identito plus spocifiquement ethnique. Les rosultats de 1'enquete "Vision d'Avenir"133 montrent que les jeunes Franco-Terreneuviens s'identifient au r€f6rent "bilingue". Graphique ns 37134 Auto-identification des jeunes francophones en residence ä Terre-Neuve 50 j 40 - · 30 - · e s
20 10
canadien
canadien franfais
francophone
bilingue
francophone hors Quebec
francophone
autre
provincial
Types d'identification
Source : Andre" Magord, 1992. Les jeunes Franco-Terreneuviens sur qui repose l'avenir de la renaissance ethnolinguistique en cours se sentent done essentiellement terre-neuviens, canadiens et bilingues.135 L'attachement subjectif au passe" culturel que nous avons releve" par ailleurs ne semble pas se manifester distinctement dans la perception de leur identito globale oü difförentes influences se rencontrent. Us ressentent apparemment leur spicificito plus particulierement sur le plan linguistique. Nous acheverons done notre Evaluation de l'identite" franco-terreneuvienne par 1'analyse des comportements linguistiques indicateurs privile'gie's de la vitalito de l'identito ethnique v6cue.
133 134 135
Enquete presentee en introduction de cette section. Les donnees udlisees pour ce graphique proviennent de Roger Bernard, (1991), op. cit., p. 47. D'apres le graphique na 36, p. 163.
Assimilation et renaissance
165
Vitalita de l'identitt ethnique objective Afin d'organiser cette demiere 6tude evaluative en bilan prospectif de la situation identitaire franco-terreneuvienne, nous analyserons une partie de nos donnees dans une perspective comparative. a) Tendances gonorales Notons, en premier lieu, que depuis 1981 la population de langue materaelle fran9aise de TerreNeuve et du Labrador est en logere augmentation.136 Ce nombre est encourageant pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il correspond au meilleur score en ce domaine en dehors des provinces du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et des territoires, d'autre part il souligne l'impact des efforts de refrancisation dans un climat difficile. Cette amelioration ne doit toutefois preter en rien ä trop d'optimisme. Certes, eile d6signe une certaine stabilisation d'une tendance pr6alablement nogative mais de nombreux autres parametres indiquent que la situation reste prooccupante. Tout d'abord, la part relative de la population de langue maternelle fransaise reste tres faible au plan provincial. La progression rocente ne suffit pas ä rattraper la chute des effectifs en langue maternelle franchise des anne"es soixante-dix.137 Sur un plan local, les chiffres de la division de recensement de la p6ninsule de Port-au-Port, (division n2 4),138 montrent que les personnes de langue maternelle frangaise, soit 1105 en incluant les Franco-Terreneuviens qui ont le fran9ais et l'anglais comme langues matemelles, reprisentent environ 50% de la population des trois communaut6s francophones. Au sein de ces communautes, la vitalit6 de la langue fransaise se mesure en premier lieu par le rapport entre le nombre de ses porteurs initiaux et l'effectif de ses utilisateurs dans la vie courante. Les chiffres des deux derniers recensements qui portent sur l'ensemble de la population terreneuvienne, montrent une amolioration tout ä fait notable des chiffres du "frangais langue parlie ä la maison", la plus forte au plan national apres celle des territoires.139
136 ]Langue maternelle fin mcaise : donnoes de 1981 et donnees ajustees de 1986 . 1981 1986 Variadon Nombre % Nombre % Nombre Terre-Neuve 0.5 2655 15 2670 0.5 137 138
Source: Statistique Canada, donntes ajustles, avril 1988. La diminution des effectifs en langue maternelle francaise s'61eve ä moins 910 personnes entre 1971 et 1976 et ä moins 75 personnes entre 1975 et 1981. Source: Roger Bernard, (1991), op. cit.. p. 29. Population de langue maternelle francaise et population totale par division de recensement, Terre-Neuve, 1986. Div i s i o n d e Population totale recensement N»4
139
% 0.6
27280
Fran9ais settlement
Fr. et ang.
N 645
N 460
% 2.4
Source: Statistics Canada, Census of 1986. Source: Statistique Canada, donnles ajustoes, avril 1988.
Franfais et autres
% 1.7
N -
% -
166
Une minoritl francophone hörs Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
En termes d'indices de continuitö et de taux de transfert linguistique,140 les francophones de Terre-Neuve et du Labrador obtiennent meine le meilleur score parmi les minoritös francophones hors Quobec, ä l'exception du Nouveau-Brunswick. Ce rosultat inclut toutefois les groupes francophones du Labrador et de Saint-Jean qui possedent une vitalito linguistique superieure ä celle des francophones de la cöte ouest.141 D'autre part, un taux de transfert linguistique de 20% sur un groupe potentiel d'environ 1000 personnes demeure 61ev6. Ces premiers constats sur Involution de la situation linguistique franco-terreneuvienne mettent en lumiere une progression nette par rapport ä une situation d'origine beaucoup plus faible. Les efforts de redeVeloppement ethnolinguistique ont done un impact indöniable. La stabilisation qui semble s Operer au niveau des effectifs francophones et de assimilation linguistique offre une tangibilito accrue aux perspectives de refrancisation. Le traitement approprio de cette amorce de dynamique positive sur le plan linguistique s'avere crucial. Une itude du taux de continuito linguistique selon l'äge präsente" dans le document Vision d'Avenir1^ nous apprend que ce taux diminue corr€lativement ä la progression des tranches d'äge. Les efforts de refrancisation doivent done s'orienter sur l'utilisation extra-scolaire du fransais afin de donner une suite au premier redressement effectue" dans la tranche d'äge la plus basse et d'assurer ainsi une crodibilito au mouvement de renaissance dans son ensemble. Retenons que ces premiers risultats, meme s'ils doivent etre confirmed pour devenir significatifs, revetent un caractere d'autant plus positif qu'ils interviennent dans un contexte social, politique et öconomique difficile comme en tomoignent les tendances assimilatrices plus prononcoes des autres groupes francophones hors Quobec a l'exception du NouveauBrunswick, de rOntario et des territoires. b) Dispositions linguistiques Nous proposons pour cette derniere synthese 6valuative de nous focaliser sur la g&i6ration de francophones la plus jeune afin de mieux cerner les enjeux des evolutions ä venir. Nous proc&lons ici ä l'analyse des comportements langagiers, dans leur rapport avec les exporiences vicues et les perceptions manifestoes de la situation ethnolinguistique, en tant qu'indicateurs objectifs de la vitaliti d'une identite1 ethnique. Selon R. Landry,143 "Plus le rlseau interpersonnel de contacts linguistiques lui procure les occasions d'utiliser la langue de son groupe, plus cette personne pourra maintenir une compotence langagiere olevee, des croyances positives
140
Cf. Statistique Canada, donees ajusties, avril 1988. Voir ä ce sujet R. Landry et A. Magord, op. cit., pp. 12-17. 142 Roger Bernard, (1991), op. cit., p. 208. 143 Landry, dans Landry et Magord, op. cit., p. 11. 141
Assimilation et renaissance
167
concernant sa langue et sa culture, une identito ethnolinguistique et des comportements qui maintiendront ce reseau actif."
Ce graphique indique que seul le groupe du programme scolaire "fransais" de Labrador City a v6cu un roseau de contacts ethnolinguistiques interpersonnels plus fort en fran^ais qu'en anglais.144 Pour le groupe scolaire "bilingue" de Cap-Saint-Georges, la proportion des contacts domontre que le riseau est constitue" d'un peu plus d'anglophones que de francophones. La fre'quence et la stabilitE des contacts sont Evaluos forts avec les anglophones. Les contacts avec des anglophones sont jug6s un peu plus agrEables que ceux effectuos avec des francophones mais dans les deux cas, les scores ne sont que mod6re"ment elevos. Le r6seau interpersonnel de contacts linguistiques des jeunes francophones du Cap-SaintGeorges s'avere plus faible que leur rEseau anglophone. Les diffdrentes mesures demeurent toutefois toujours au-dessus du score moyen de 4,5 sur 9. Le groupe "bilingue" totalise de meilleurs scores que les groupes "immersion" et "anglais" sauf pour la mesure de la qualitE des contacts francophones. Cette derniere Evaluation plutot negative provient probablement de frustrations enregistre'es dans un milieu scolaire ou le bilinguisme dquivaut ä la supr6matie de la langue anglaise. La force du r£seau interpersonnel de contacts linguistiques francophones du groupe "bilingue", peut etre qualifi6e de moyenne par rapport ä une norme reprösentee par un milieu francophone tres majoritaire. Ce sont done les Evolutions ä venir qui decideront de la tendance positive ou nogative qu'adoptera ce r€seau. L'ouverture d'un Iyc6e francophone homogene pr6vue pour 1994 reprosente en ce sens un grand espoir pour les acteurs de la renaissance franco-teireneuvienne. Les compttences linguistiques influent de toute Evidence sur le reseau interpersonnel de contacts linguistiques. Le graphique 39 montre que les Eleves du groupe "bilingue" estiment leur habileto ä communiquer oralement un peu plus forte en anglais qu'en frangais.
144
Nous rappelons que les graphiques dont la source est R. Landry et A. Magord, op. cit., portent sur quaire groupes de lyceens ages de IS ä 18 ans. Ces groupes tests ont presences p. 139-140.
168
One minorittfrancophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Graphique n8 38: Contacts ethnolinguistiques interpersonnels des quatre groupes scolaires a b c d
proportion fr6quence des contacts stability des contacts qualit^ des contacts Proportion
Frequence de contacts
9
8-
8·
7-
76-
6· α>
* e w
(A
Francophones Anglophones
5-J
Ο u
4-
5-
Francophones Anglophones
4-
33-
2 1
2 Fran£ais Bilingue Immersion Anglais
Franfais Bilingue Immersion Anglais
Groupes scolaires
Groupes scolaires
Stability des contacts
Quality des contacts
9· 8· 76e w
5-
Ο W
Francophones Anglophones
432
Francophones Anglophones
1 Fran^ais Bilingue Immersion Anglais Groupes scolaires
Frangais Bilingue Immersion Anglais Groupes scolaires
Source : Landry et Magord, op. cit., p. 26.
169
Assimilation et renaissance
Graphique n9 39 : Auto-evaluation de la competence orale en francais et en anglais 91 8 7 6 5
Fran^ais
4
Anglais 3 2
Fransais
Bilingue
Immersion
Anglais
Groupes scolaires Source : Landry et Magord, op. cil., p. 28. Le graphique 40 qui porte sur toute la population francophone confirme le sentiment d'une meilleure compotence ä communiquer oralement en anglais qu'en fran9ais. Graphique n2 40 Comp^tence linguistique
10001 Ml
I i
90- Legende : 1 = Inexistante 3 = Moyenne 80· 5 = Tres bonne 7060· 50403020-
10· o3 4 Competence
Source : Andr6 Magord, 1992.
170
Une minoritifrancophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
71% de ces francophones dvaluent leur competence en francais entre moyenne et bonne. Nous venons de voir que le roseau interpersonnel de contacts linguistiques francophones ainsi que les competences linguistiques des Franco-Terreneuviens obtiennent des scores globalement moyens par rapport aux normes des groupes francophones unilingues. Nous proposons maintenant d' analyser les perceptions ou croyances145 manifestoes envers la vitalito ethnolinguistique des trois coramunautos Vitalito ethnolinguistique manifestoe Les croyances exo-centriques ivaluent ce qui existe, ce qui existera ou ce qui devrait exister sur le plan de la vitalito des communautos. Tel que le domontre le graphique 4 la, les 61eves des quatre groupe scolaires jugent la vitalito actuelle de la communaut6 anglophone de leur region nettement plus e!ev£e que celle de la communautO francophone.
145
Outil conceptual con^u par R. Landry et R. Allard, op. dt., 1991.
171
Assimilation et renaissance
Graphique n8 41: Croyances exo-centriques concernant la vital Ηέ des communautis
francophone et anglophone a : vitalit^ actuelle des communaut£s b: vitalite future c: modeles sociaux d:
9:
9l 8·
8:
7Λ-
32-
o» u o u
4;
Francophone Anglophone
2i
Francophone Anglophone
l Fran9ais Bilingue Immersion Anglais
Franc, ais Bilingue Immersion Anglais Groupes scolaires
Groupes scolaires
Modeles sociaux
Llgitimit* 9:
8:
8:
7-
Ί'
26
S5^ M
Francophone Anglophone
4:
6δ 5t« 4-
32-
3-
l
l
2-
Fran9ais Bilingue Immersion Anglais Groupes scolaires
Francophone Anglophone Fraru^ais Bilingue Immersion Anglais Groupes scolaires
Source : Landry et Magord, op. dt., p.29.
172
Une πιίηοΓίίέ francophone h rs Quebec : Les Franco-Terreneuviens
Les francophones de Cap-Saint-Georges et les anglophones de Lourdes ont attribu6 un peu plus de vitalito leur communaute' francophone que les £leves de Saint-Jean ou de Labrador City. Le tableau 42 illustre les perceptions hotdrogenes des jeunes Franco-Terreneuviens sur la situation du fran9ais dans leur province.
Tableau ηβ 42 : Evaluation de la situation du francais pour la province respective de residence
Provinces ColombieBritannique Alberta Saskatchewan Manitoba Ontario NouveauBrunswick NouvelleEcosse Ile-du-PrinceEdouard Terre-Neuve
Tres Mauvaise 34.7
Plus ou Bonne Mauvaise moins bonne 19.4 li.i 33.3
Total
%
Nombre
1.4
100.0
72
100.0 100.0 100.0 100.0 100.0
250 153 327 1432 1061
19.4 12.7
39.6 48.4 33.9 39.2 29.5
26.0 22.2 40.4 29.3 40.2
14.4 10.3 15.6
2.8 0.7 1.5 1.7 2.0
7.8
35.5
39.8
16.3
0.6
100.0
344
4.3
26.6
45.7
22.3
1.1
100.0
94
25.0
16.7
25.0
27.8
100.0
36
Total %
15.8
35.4
33.9
13.1
100.0
3769
Quobec
11.5
34.5
45.0
5.6 1.7 0.7
100.0
3307
22.8 19.0
9.8
8.8 9.8
Tres bonne
8.3
Source : Roger Bernard, (1991), op. cit., p. 231. Us obtiennent toutefois le plus haut pourcentage d'opinions "bonne", soit 27,8%, plus du double de la moyenne au plan national. Cette perception relative Involution de la vitalite" ethnolinguistique confirme les progres de la refrancisation en cours sur un plan local. Les r sultats concernant la vitalito future apportent le meme constat. Le graphique 50b indique que le groupe "bilingue" attribue un peu plus de vitalitd future que de vitalite" actuelle et se ddmarque ainsi du pessimisme du groupe "franc.ais". Le tableau 43 lteste cet optimisme qui tout en restant mod6r6, n'en est pas moins remarquable puisque propoitionnellement le plus 61eve au plan national.
173
Assimilation et renaissance
Tableau n2 43 : Avenir de la langue franchise pour la province respective de Total %
Incertain
Menaco
39.7 35.9 28.3 19.8 32.3 27.9
100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0
73 251 152 328 1432
18.3
45.2 55.0 61.8 62.2 54.3 53.8
19.6
66.1
14.3
100.0
342
63.8 47.2 56.3
12.8 25.0 28.0
100.0 100.0 100.0
94 36
Total %
23.4 27.8 15.7
3765
Quibec
9.8
55.9
34.3
100.0
3296
Provinces ColombieBritannique Alberta Saskatchewan Manitoba Ontario NouveauBrunswick NouvelleEcosse Ile-du-PrinceEdouard Terre-Neuve
Assuro
15.1 9.2 9.9 18.0 13.4
Nombre
1057
Source : Roger Bernard, (1991), op. cit., p. 233. Ce constat est d'importance puisqu'il inscrit les efforts de revitalisation dans une tendance positive necessaire au maintien d'une dynamique collective. Cependant toute progression reste relative ä sa base de depart. Les jeunes Qu£be"cois par exemple sont seulement 9,8% ä estimer assuro l'avenir du fran9ais dans leur province pourtant majoritairement francophone. Le graphique 41 c nous rapelle la faiblesse de la vitalite ethnolinguistique manifestoe en soulignant un usage per?u plus frequent de anglais que du fransais chez les modeles sociaux.146 II est interessant de noter, ä la lumiere de revaluation de la quatrieme croyance exocentrique, dans le graphique 41d, que meme si les eieves constatent de grandes disparitös dans la vitalite des deux communautös, anglophone et francophone, ils ont tendance ä attribuer autant de 16gitimit6 ä l'une et ä l'autre de ces communautis. Les eieves favorisent en moyenne un acces relativement semblable des deux communautös ä des ressources culturelles, ä des services politiques et ä des activit6s 6conomiques dans leur langue. Les dleves du groupe "bilingue" sont les seuls ä donner une 16gitimit£ plus grande ä la communauto francophone. Cette 6tude rovele done qu'en fonction de leurs croyances exo-centriques factuelles les jeunes francophones de Cap-Saint-Georges la vitalito de la communautö anglophone comme €tant plus 61ev6e que la communaut6 francophone. En fonction de leurs croyances normatives, concernant ce que les choses devraient etre, les memes jeunes accordent par contre un Statut 16gerement supirieur ä la communautö francophone.
Ici, les amis.
174
line minoritifrancophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Lorsque les croyances sur cette vitalit perdue sont int gr es aux valeurs et aux sentiments personnels de l'individu, elles deviennent ego-centriques et elles d6terminent des lors davantage le comportement langagier.147 Le graphique 44 pr sente les rosultats de quatre croyances ego-centriques. Ces croyances refletent la νοίοηΐέ personnelle des jeunes Franco-Terreneuviens de preserver et d'utiliser le frangais dans leur communautd. Le graphique 44a laisse apparaitre que les Sieves des programmes scolaires "fran9ais" et "bilingue" manifestent une plus grande valorisation personnelle au fait d'avoir acces aux ressources de la communauti francophone qu' celles de la communauto anglophone mais us accordent une importance quand meme moddroment έίενέε aux ressources communautaires anglophones. Notons que dans l'6tude menie sur 1'importance accord£e au fra^ais par les Franco-Canadiens, les jeunes Franco-Terreneuviens se placent en tete au plan national pour reconnaitre l'importance croissante du fait fran9ais.148 Cette prise de conscience notable ne se concretise toutefois pas distinctement dans les fails comme le montre le graphique 44b. Cette otude ivalue les sentiments d'etre francophone ou anglophone des ropondants lorsqu'ils font usage de diffdrentes ressources culturelle, oconomique, politique et demographique de la rogion. Les roponses indiquent que les Sieves de Cap-Saint-Georges comme ceux du groupe "fran5ais" ne se sentent ni pleinement francophones ni pleinement anglophones. Us expriment un sentiment d'appartenance modoriment έίενέ aux deux communaut6s linguistiques.
147
148
R. Altard et R. Landry "Subjective Ethnolinguistic Vitality viewed as a Belief System", Journal of Multilingual and Multicultural Development, vol. 7,1986, pp. 1-12, dans R. Landry et A. Magord, op. cit., p. 30. Source: Roger Bernard, (1991), op. at., p. 237.
175
Assimilation et renaissance
Graphique n9 44 : Croyances ego-centriques des quatre groupes scolaires a: valorisation personnelle b: sentiments d'appartenance c: efficacte propre d: souhaits-buts Valorisation personnelle
Sentiments d'appartenance
9-
9-
8
; 7-
8-
6-
6:
5-
5-
4-
4-
32-
7-
Francophone Anglophone
1
32-
Francophone Anglophone
1 Fran^ais Bilingue Immersion Anglais
Bilingue Immersion Anglais
Groupes scolaires
Groupes scolaires
Efficaciti propre
Souhaits-buts
9-
9-
8
8-
:
7;
7-j
6-
6-
5-
5-
4-
4-
32-
Francophone Anglophone
l
32-
Francophone Anglophone
1 Fran(ais Bilingue Immersion Anglais Groupes scolaires
Fran9ais Bilingue Immersion Anglais Groupes scolaires
Source : Landry et Magord, op. cit., p. 31. Le graphique 44c qui dotermine la capacitö d'atteindre des objectifs personnels en frangais et en anglais souligne que seuls les eleves du groupe scolaire franijais ont exprim6 un sentiment d'efficacit^ propre aussi fort dans une langue que dans l'autre. Les jeunes de Cap-Saint-
176
Une minoritofrancophone hors Qulbec : Les Franco-Terreneuviens
Georges obtiennent un score assez έΐβνέ pour les buts vises dans la langue fransaise. D'un point de vue goneral, moins les groupes ont 6te scolarisos en fra^ais, moins lew sentiment d'efficacite propre est έίενέ dans cette langue. Cette tendance sous-tend ogalement la conception des souhaits personnels de realisations futures dans la langue francophone. Le graphique 44d illustre le fait que ces croyances sont en haute relation avec la langue principale de scolarisation des eleves. Le groupe "bilingue" de Cap-Saint-Georges exprime une 16gere preference pour le franfais. Nous venons de docrire successivement les champs des experiences, des competences et des perceptions ethnolinguistiques qui traduisent la vitalite de 1'identite ethnique francoterreneuvienne sur un plan objectif. Nous achevons maintenant cette etude par revaluation des comportements langagiers qui sont motives par l'ensemble de ces facteurs et qui reprdsentent les indicateurs les plus factuels de la vitalite ethnolinguistique d'un groupe ethnique. Les graphiques 45 et 46 qui evaluent les comportements langagiers de l'ensemble de la population dans trois contextes diffe"rents soulignent qu'en depit des efforts de refrancisation, l'usage du francais s'avere moins frequent que celui de l'anglais.149 Graphique ns 45 Frtquence d'utilisation du francais selon les tranches d'age
5Ί Maison F Ecole F Ailleurs F
43-
Legende : 1 = Jamais 3 = 50% du temps 5 = Tout le temps
2-
0-20
21-40 41-60 Age des repondants
61 et plus
Source : Andre Magord, 1992.
L'otude des comportements langagiers menee par Landry et Magord qui ne porte que sur la tranche d'age ISIS montre un dcart encore plus grand cntre l'utilisation du francais et celle de l'anglais. Voir R. Landry et A. Magord, op. cit., p. 33.
177
Assimilation et renaissance
Graphique
9
46
Frequence d'utilisation de I'anglais selon les tranches d'äge 5
4M V
3CO
Le"gende : l = Jamais 3 = 50% du temps 5 = Tout le temps Maison A 2Ecole A Ailleurs A
0-20
21-40 41-60 Age des repondants
61 et plus Source : Andr6 Magord, 1992.
L'ensemble des r6sultats donne un score moyen ä la vitalito linguistique francophone dans les trois communaute's 6tudi6es. Deux 616ments permettent toutefois d'envisager une amelioration globale de la situation. D'une part la tranche d'äge de z6ro ä vingt ans devrait be"neficier d'ici 1994 d'une scolarito entierement en fran^ais. L'ocole pourrait dös lors devenir, si le mouvement de renaissance apporte le soutien appropri6, la force motrice necessaire ä un developpement de la langue et de l'identito ethnique. D'autre part, cette övolution pourrait s'inscrire dans une perspective collective olargie, et par consequent cohe"rente, en utilisant les contextes ethniques naturels que reprösentent les foyers majoritairement francophones des plus de soixante ans. Bilan Les Franco-Terreneuviens manifestem un fort potentiel subjectif d'Identification ä leur groupe ethnique. Nous avons mis ce potentiel ä jour au travers des facteurs d'identification de Driedger.150 La valeur atüibuoe au maintien des 616ments culturels et linguistiques, sources de ce potentiel, s'avere ögalement forte.151 Cette importance donnee est d'autant plus significative qu'elle devance celle des autres minoritos francophones canadiennes.152 La prise en compte de ce dosir de maintien d'une identito ethnolinguistique par le mouvement de renaissance se traduit par des indices linguistiques en progres alors que les autres minoritös enregistrent des reculs. L'6valuation de la revitalisation ethnolinguistique face ä l'influence de la socie"t£ moderne et du marasme iconomique indique que la vitalite" ethnique 150
Voir grai^iique n" 30, p. 158. Voir graphique n" 31, p. 159. 152 Source: Roger Bernard, (1991), op. cit.. p. 237..
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Une ηύηοτΐίέ francophone hors Quebec : Les Franco-Terreneuviens
ne dopasse pas des scores moyens.153 Ce risultat marque une progression par rapport la situation d'anomie initiale mais il reste encore insuffisant pour promouvoir un type de bilinguisme assez additif pour 6tre susceptible d'enrayer le fl au de l'assimilation. Nous avons mis en Evidence le de"sir profond des Franco-Terreneuviens de maintenir leur identite* ethnique. La roussite de cette entreprise dopendra de leur capacito g6n6rer une dynamique sociale oriented en ce sens et sans doute avant tout du sort qui va etre roserve" aux politiques de bilinguisme, biculturalisme et de multiculturalisme dans ce pays.
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La vitalit de Γ identification ethnique est illustroe par les graphiques n^s 32-37 et la vitality linguistique par les graphiques nos 38-41 et 44-46.
Conclusion La prisentation de la minorite franco-terreneuvienne au travers de Involution de son identitd ethnique a impliquo de relever plusieurs difis. Nous avons du, dans un premier temps, olaborer un modele d'analyse propre ä pallier les deTiciences d'approches theoriques anterieures qui limitaient l'etade du concept d'ethnicit6 ä ses repräsentations objectives. La prise en compte de l'identite" ethnique subjective des FrancoTerreneuviens, phonomene lie ä des räminiscences d'un passe collectif, nous a conduit ä d6voiler le pass6 historique d'un groupe rest£ anonyme aux yeux de presque tous les historiens du Nouveau Monde. Nous avons ogalement präsento un corpus socio-historique et ethnographique important, comprenant de nombreuses informations ineclites. L'approche multidimensionnelle du concept d'identito ethnique supposait de depasser l Opposition storile, trop souvent avanc6e, entre les domaines de la psychologic et de la sociologie. Nous avons des lors propos6 d'analyser I'ethnicit6 en tant que ph£nomene issu d'un Systeme de processus interactionnels entre des variables objectives d'ordre structural et des variables subjectives d'ordre psycho-sociologique. Ce modele qui a n6cessit6 des investigations dans plusieurs disciplines des sciences sociales nous a permis d'otudier les phases devolution de l'identit£ collective franco-terreneuvienne dans une perspective comparative. Les liens dynamiques entretenus entre les dimensions subjectives et objectives de I'identit6 ethnique du groupe concern6 ont ainsi pu etre retracös. D'autre part, l'ölaboration de syntheses prospectives ä partir de nos diffe'rentes approches de l'ethnicitö franco-terreneuvienne a necessity de conjuguer des övaluations de types qualitatif et quantitatif. Cette rationalisation des aspects multidimensionnels de l'identitd ethnique repr^sente une domarche doublement novatrice puisqu'ä notre connaissance, aucune itude de minoriti canadienne n'a fait l'objet d'une teile approche m6thodologique et que d'autre part, les informations ainsi devoi!6es sur les Franco-Terreneuviens sont souvent inodites. Ce type d'ovaluation repose sur une connaissance approfondie du contexte anthropologique du groupe otudii. II pennet de döpasser les limites d'une ^tude empirique trop specialised, sans perspective synthotique, et 6vite le piege de l'approche th6orique qui en I'absence de donnoes pröcises se perd souvent dans des g6n£ralisations abusives. Nous pensons pouvoir affirmer, ä la lumiere de ces difforents constats que notre ötude a atteint son but. Notre Präsentation de l'identito ethnique franco-terreneuvienne n'est certes pas exhaustive mais en adoptant un modele d'analyse qui dtudie l'ethnicitd dans le rapport interactionnel entre les ph&iomenes structuraux et psycho-sociaux qui la ginerent, nous avons une image multidimensionnelle, synthitique ainsi que prospective de ce phonomene
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Une minoriti francophone hörs Qulbec : les Franco-Terreneuviens
puisque la rationalisation des phönomenes abordös permet une approche concrete de la rdalito sociale et identitaire de cette minorite". Cette 6tude procure aux Franco-Terreneuviens une meilleure connaissance d'eux-memes. Elle est miroir de leur identito collective et peut les aider ä opfrer des choix pour Favenir. Elle contribue 6galement, en montrant son originalito historique et sä richesse culturelle, ä donner ä cette minorit6 une place ä part entiere au sein de la mosai'que canadienne et plus particulierement de la francophonie pan-canadienne. Cette reconnaissance pourrait etre ä la source de nouveaux liens de solidarity. Sur le plan de la theOrie des ötudes ethniques, notre recherche repr£sente une des premieres applications d'un modele d'analyse pluridisciplinaire et multidimensionnel de I'ethnicit6 que promeuvent des chercheurs, tels que Jean-Michel Lacroix et Leo Driedger,1 parmi les plus en vue dans ce domaine. Nous avons montre' que cette approche r€pond aux exigences de l'analyse du phe"nomene ethnique dans un contexte polomique. Nous tenons toutefois ä souligner qu'en r6partissant les recherches ä effectuer entre les membres d'une 6quipe de spocialistes, la täche du chercheur serait moins lourde et les 6tudes men6es pourraient etre plus approfondies encore. La multiplication d'ötudes monographiques serait alors possible et la systomatisation de notre mothode devaluation du ph^nomene ethnique permettrait des analyses comparatives susceptibles de ge"nörer des theories explicatoires du fonctionnement de I'ethnicit6 au plan collectif ilargi. Si les rösultats de ces 6tudes 6venruelles confirmaient ceux obtenus aupres des Franco-Terreneuviens, la 16gitimit6 de l'ethnicito en tant qu'e"le"ment fonctionnel propre ä orienter la politique d'intögration du Canada serait renforcde. No tons que notre modele devaluation qui donne une importance propondirante ä l'utilisation de la langue ethnique pour mesurer la validito de l'ethniciti s'applique plus spdcifiquement aux minoritos francophones canadiennes. II serait toutefois adaptable ä la situation de toute autre minorit6 ethnique en rempla9ant le facteur linguistique par plusieurs facteurs potentiels d'expression du sentiment d'ethnicitö appartenant au domaine culturel. Notre recherche apporte ogalement une contribution ä la theOrie de l'ethnicite". Nous avons pu vorifier chez les Franco-Terreneuviens que l'ethniciti est v6cue difforemment selon les g6n£rations. La these du renouveau d'intöret pour I'identit6 ethnique aupres de la troisieme gön6ration s'observe dans cette minorite". Ce phönomene y est particulier en ce sens qu'il ne correspond pas ä la troisifcme g6n6ration par rapport aux premiers immigrants mais par rapport ä la premiere gone"ration de Franco-Terreneuviens veiitablement exposoe ä l'influence de la majorito anglophone. L'ötude de cette dimension subjective de Fidentito, men6e ä I'intorieur du groupe, nous a permis d'observer ce processus ou I'ethnicit6 persiste non pas tellement en fonction d'une remimoration individuelle et nostalgique du passö mais selon de nombreux processus subtils de la vie collective quotidienne, qu'il s'agisse du maintien de la culture et de la langue ethnique dans l'anonymat des foyers ou de Timpact de l'univers mental du groupe baliso par des r6f6rents ethniques. Nous tenons que seule ia persistance de cette ethnicit€ Jean-Michel Lacroix, (1985,1991,1992), op. at.. Leo Driedger, (1978,1987,1989), op. cit..
Conclusion
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subjective, qui demeure lide au sentiment d'existence, peut gonorer la volonte" et l'onergie que requiert la renaissance ethnique ä l'6chelle de toute une vie. Notre £tude illustre d'autre part la theorie de "la completude institutionnelle" de Raymond Breton2 qui affirme que la vitalito ethnolinguistique dopend essentiellement du contexte institutionnel de la minorite". Les differentes institutions ethniques franco-terreneuviennes garantissent la transmission d'un haitage culturel, role que les families assurent plus difficilement aujourd'hui. Elles entretiennent ogalement un v6cu collectif indispensable au processus d'identification ethnique et donnent au groupe une repr6sentativit6 qui facilite les contacts avec 1 'extdrieur. Ces institutions se d6veloppent parallelement ä celles du groupe majoritaire et en proposant une action volontaire et collective, elles entrent en contradiction avec une soci£t6 moderne, materialiste et individualiste, midiatisie par des moyens de communication sophistiquis. La gageure de la renaissance ethnique franco-terreneuvienne est de construire un avenir ou se conjuguentethnicite" etmodernito. Nous proposons, plutöt que de conclure comme d'autres 1'ont fait, ä tort, pensons nous, d'elaborer une synthese prospective de ce mouvemenL Certes les francophones de la cote ouest de Terre-Neuve sont loins d'avoir obtenu les memes garanties de maintien de leur ethnicite* que celles dont jouissent ceux du QueTjec mais gardens nous de la vision ethno-centrique, trop courante, propre aux membres des groupes majoritaires. II convient de gaider ä l'esprit ce qu'implique un mouvementde redoveloppement ethnolinguistique. Riinstaurer et redeVelopper une langue, modifier et inverser des processus identitaires sur un plan collectif sont autant de taches immenses et complexes. La renaissance franco-terreneuvienne n'a que vingt ans et les membres des trois communaut6s 6tudiees ne be"n6ficient d'une veritable structure institutionnelle que depuis quelques annoes. La perception du fait francos n'en a pas moins 6te" modified aupres de trois g6n6rations. Les grands-parents voient se redivelopper un heritage qu'ils avaientcru condamno ä disparaitre. Les plus de quarante ans osent roaffirmer publiquement une fa^on d'etre et de parier qu'ils avaient occultie pendant plus de deux d&ennies. Les plus jeunes sont animes du disir de preserver une identite et une langue ethnique dont ils commence nt ä percevoir concretement la re"alite. Ces rosultats sont importants par rapport ä la situation d'assimilation initiale. Les premiers participants ont du reconstruire, au plan communautaire, les conditions sociologiques et psychologiques ne^essaires au dipassement des inhibitions du pass6. II leur a fallu conjurer le pass£ avant de vivre le present du fait fran^ais et de croire en son avenir. Get objectif est en partie atteint. Les Eranco-Terreneuviens sont animos d'une conscience positive de leur quete et ils reussissent ä imposer la validit6 de leur identite' ethnique. Une nouvelle dynamique sociale intra-groupe et inter-groupe s'en suit. Au plan local, la mobilisation s'6tend aux non-francophones d'origine franchise. Au plan rogional 1'attitude R. Breton, (1964), op. cit..
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Une
francophone
hors Qulbec : les Franco-Terreneuviens
discriminatoire et de rejet du groupe anglophone fait place ä une cooperation dans le domaine economique. En l'absence de dirigeants charismatiques ces evolutions ne pouvaient avoir lieu plus rapidement Elles ont suivi un cheminement logique et un rythme plus rapide aurait pu etre synonyme d'incompre'hension et de demobilisation. Traditionnellement, les FrancoTerreneuviens enregistrent les changements ä l'epreuve d'un vecu plutöt qu'en fonction de raisonnements thooriques. Les transformations qui ont lieu sont ainsi assimiloes, comprises et integrees. Le developpement de rapports intra-groupe et inter-groupes positifs, promus et canalises par les institutions francophones suscite en fait la dynamique identitaire ethnique la plus constructive dont les Franco-Terreneuviens aient b6n£fici6 depuis un demi siecle. Cette situation est par consequent porteuse d'espoir. II existe cependant un docalage entre Involution des consciences et les avancoes sur le plan linguistique. La revitalisation linguistique est un processus long et difficile qui implique la participation de la population dans son ensemble. La dynamique indispensable qui doit s'etablir entre 1'individu, lafamilleet la communauti, avec le relais des institutions, pose probleme car le nombre des locuteurs francophones reste inferieur ä celui des anglophones et dans les families rexogamie rend difficile l'utilisation du fransais. De plus, le fonctionnement des associations qui enregistrent la venue de nouveaux membres dont les competences linguistique s sont limitees, se fait plus difficilement . Si les francophones surmontent aujourd'hui plus facilement leur apprehension ä utiliser le franc.ais spontan6ment, les occasions de le faire restent limitees. Les programmes d'enseignement du fran9ais pour adultes commencent certes ä porter leurs fruits mais l'utilisation d'une langue apprise dans le cadre formel des cours se fait toujours difficilement en situation spontanoe.3 Quant aux plus jeunes, ils b€n€ficieront tous, d'ici 1994, d'ocoles fransaises homogenes ; mais bon nombre de leurs amis demeurent anglophones. Les Franco-Terreneuviens se sont donnos les moyens structurels de la roussite de leur mouvement; ils doivent aujourd'hui les utiliser pour mieux ancrer le fait fransais dans la realitd quotidienne. Leur attention doit se polariser pour cela sur les parametres de liquation families, institutions et communaute. Des interventions precises et des orientations claires doivent assurer I'efficacit6 de la revitalisation linguistique. Cette demarche s'avere incontournable car si d'autres minorites ethniques maintiennent leur identite culture lie sans la pratique de leur langue, il n'en est pas de meme pour les francophones hors Quebec. Le contexte historique canadien, le modele quibecois de rifirence identitaire et la politique officielle du bilinguisme associent en effet exclusivement ethnicito fran^aise et langue francaise. L'olaboration d'un nouveau plan d'action, g6neralement appelo projet d'amonagement linguistique,4 s'impose.
est interessant de noter ä cet effet que le renouveau d'intiret pour la musique tradiüonnelle qui eile se
transmet beaucoup plus en contexte, de fa^on informelle, a abouti ä des progres beaucoup plus rapides et consoquents. Jean-Claude Corbeil, "Conforence d'Ouverture", dans Rapport-Synthise du Symposium Amonagement Linguistique en Acadie du Nouveau-Brunswick, universili de Monoton, Centre de Recherche en Linguistique Appliquee, juin 1990.
Conclusion
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servira de catalyseur des 6nergies en presence et devra etre focaliso essentiellement sur le plan des relations interpersonnelles dans le cadre communautaire. A la lumiere de la reflexion globale et des evaluations que nous avons menses sur le processus de renaissance ethnique franco-terreneuvienne, nous proposons de mettre en exergue les points faibles de ce mouvement et de procdder ä differentes recommandations qui visent ä lui donner un nouvel essor. Ce travail re"pond aux exigences de l'öthique anthropologique qui veut que: 'Tactivito premiere des anthropologues dans le cadre de resistances ou de renaissances ethnoculturelles consiste ä procurer des informations aux dirigeants et aux membres de la communauti... souvent leur connaissance de la culture ä dofendre revet une importance cruciale."5
Dans la derniere de"cennie, l'institutionnalisation du mouvement de renaissance et sä reconnaissance par les autoritos du groupe majoritaire ont concentre les 6nergies en dehors des trois villages 6tudies. Les actions doivent maintenant se concentrer sur la mobilisation au sein des communautos. Cette gageure implique de specifier le cadre ideOlogique du mouvement, de prodiguer des efforts de definition collective de I'ethnicit6 franco-terreneuvienne et de prendre un certain nombre de mesures concretes. En premier lieu, afin de renforcer la cohesion du groupe, le projet doit reposer sur une Ideologie qui reflete les aspirations fundamentales de la population. D'apres nos observations, la quete d'ethnicite correspond chez les Franco-Terreneuviens ä une recherche d'e"panouissement individuel et collectif dans le cadre d'une 6volution con;ue. La langue et la culture fransaises du groupe reprdsentent les garants de l'identitd ethnique dans le cadre communautaire. La langue permet d'exprimer la spe"cificit6 d'une fa9on d'etre, de penser et d'appröhender la vie. Elle permet de s'identifier ä l'ensemble de la civilisation fransaise. Affirm6s publiquement, ces pre"ceptes pourraient etre 6rig6s en orientation ideOlogique du redeVeloppement ethno-linguistique. La definition de roferences culturelles stables s'impose ensuite afin de faciliter l'identification ethnique sur le plan collectif formel et de permettre sä communication au monde ext&ieur. La reconnaissance de valeurs culturelles stables pose probleme face ä l'influence de la socioto dominante. Chez les Franco-Terreneuviens, les valeurs de riference demeurent celles de la solidaritd, de l'hospitalito et de la convivialitd. La musique et les activitds manuelles reprosentent les moyens d'expression privi!6gi6s de l'excellence que peut g£n6rer cette culture. L'intuition et la cr6ativit6 continuent de jouer un role important dans l'apprentissage de la vie quotidienne. En spocifiant les buts du mouvement et ses valeurs de roffrence, le projet d'amonagement linguistique tient Heu de veritable constitution au plan communautaire. II permet ä l'ensemble 5
John Van Willingen, "Applied Anthropology and Cultural Persistence", dans George Pierre Castile and Gilbert Kushner, (ed.), Persistent People. Cultural Enclaves in Perspectives, the University of Arizona Press, 1981, p. 166, (traduction).
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Une
francophone hors Qulbec : les Franco-Terreneuviens
de la population de mieux comprendre le mouvement de renaissance et d'y adhorer. II tend e"galement ä dipersonnaliser les conflits inherents ä tout changement sur le plan linguistique ou identitaire. Des mesures concretes doivent, bien entendu, accompagner cette vision globale. Nous limiterons nos recommandations aux points novralgiques que sont la langue ethnique et la mobilisation des jeunes. Le domaine d'utilisation de la langue fran9aise doit 6tre 6tendu. II importe ä ce sujet de convoquer des experts en socio-linguistique qui d£montreront que le maintien du bilinguisme, qui fait 1'objet d'un large consensus au sein de la communauto, est inseparable de l'6tablissement d'öcoles de langue frangaise qui garantissent un espace integre ä la formation et ä l'expression de I'identit6 ethno-linguistique.6 II incombe 6galement de lever une fois pour toute rambigufti sur la qualito de la langue locale. II revient aux professeurs de prodiguer un enseignement comparatif qui insiste sur les caracteYistiques et la richesse du fran9ais standard comme de celles de la langue locale. Un programme d'itude devrait etre commanditi ä cet effet aupres des linguistes qui ont dejä mene" des otudes chez les Franco-Terreneuviens. L'utilisation de la langue fran9aise doit aussi etre facilitöe et encouraged en dehors de l'£cole, notamment dans les commerces et dans les services publics. Les enseignants doivent susciter l'ocoute des madias francophones. Un soutien spocifique doit etre apporto aux couples exogames qui tentent de maintenir le bilinguisme dans leur foyer. Enfin, il convient de distinguer dans le cadre des activite"s de association celles qui ont lieu en fra^ais et celles qui sont bilingues. Les premieres sont indispensables ä ceux qui vivent en fran9ais. Elles procurent un sens d'authenticit6 et une finalit6 ä la quete d'identit6 ethnique. Les secondes sont nocessaires pour intogrer ceux qui ne possedent pas une connaissance süffisante de la langue fran9aise. L'ensemble de ces mesures qui tendent ä rationaliser le mouvement de renaissance ne doit toutefois pas faire oublier que la langue et la culture ne sont pas des fins en soi mais qu'elles röpondent ä des impe'ratifs de satisfaction qui sont les vraies sources de la motivation. Cette affirmation s'avere particulierement vraie chez les plus jeunes qui peuvent opter soit pour le modele mate"rialiste, individualiste et simpliste de la soci6t6 moderne ou pour celui de leur ethniciti, plus stimulant, mais qui demande des efforts constants. Le probleme pour la mobilisation des plus jeunes demeure de procurer un environnement ou la participation ä la vie fran9aise soit source d'öpanouissement. Le modele d'identification proposo aux jeunes Franco-Terreneuviens doit etre dynamique, efficace et sans objectif trop difficile ä atteindre qui pourrait renforcer le sentiment d'ins£curit6 pr6sent dans toute minorito ethnique. La revitalisation ne doit pas en ce sens reposer trop sur l'ecole et doit proposer des possibilit6s d'exp6rience linguistique communautaire de qualito.
R. Landry & R. Allard, "L"assimilation Linguistique des Francophones hors Quobec, le Ddfi de l'Ecole Frangaise et le Probleme de Nationale", Revue de Association Canadienne d'Education de Langue Frangaise, vol. 16, n° 3,1988, pp. 38-53.
Conclusion
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La dynamique identitaire qui permet un lien avec le passe doit ogalement etre rfsolument tournee vers 1'avenir. Le contexte devolution des jeunes doit Her identito fransaise et modernito. Le deVeloppement de m6dias francophones locaux est done propondirant. Le rayonnement de la television communautaire de La Grand'Terre devrait en ce sens etre itendu aux deux autres communautos. L'instauration de programmes de television scolaire pourrait garantir une pr6sence modiatique francophone dans les foyers. La technologic moderne de communication devrait, d'autre part, faciliter des contacts suivis avec les autres jeunes Canadiens frangais. Cette ouverture au monde extorieur permettrait de developper un sentiment d'appartenance ä la civilisation fransaise et d'offrir une perspective elargie aux demarches locales. L'avenir identitaire des Franco-Terreneuviens repose sur leur capaciti ä prendre en compte ces revendications. II dopend egalement de 1'attitude que riservera la sociote" d'accueil ä affirmation de leur identito ethnique. Trois scdnarios sont possibles. Le premier est celui du statu-quo. La revitalisation linguistique, bien qu'inscrite dans une evolution positive, reste trap faible face ä l'omniprosence de la langue anglaise. A long terme, cette situation s'avere defavorable au maintien de la langue ethnique. Un d6s6quilibre se cr6e entre les modeles identitaires francophone et anglophone et la dynamique de redeVeloppement ethno-linguistique s'affaiblit. Au plan local, il devient plus difficile d'affirmer sa francitd. Aux plans rogional et provincial, les Franco-Terreneuviens perdent de leur repr€sentativit6. L'attitude du gouvernement f6de*ral, tres importante pour une minorito isole"e, demeure ambigue. La politique du bilinguisme et du multiculturalisme est maintenue mais I'iddal d'uniti dans la diversito n'est pas explicitement r6affirm6 face ä l'influence de la soci6t6 moderne. Le deuxieme sc6nario est celui de l'dchec de la renaissance ethnique. La crise constitutionnelle actuellement en cours au Canada conduit ä l'arret de la politique officielle de bilinguisme et de biculturalisme, voire ä celle de multiculturalisme. La minoriti francoterreneuvienne perd la plupart de ses institutions financies par le Secr6tariat d'Etat. Sans soutien matoriel ni reconnaissance officielle, la dynamique de redeveloppement de I'ethnicit6 est rompue, L'anomie sociale et 6conomique reprend ses droits. Le soutien que la province de Terre-Neuve et le Quobec n'ont pas accordo dans un contexte proalable plus engageant est fort improbable. Les liens d'amitio et de cooperation H6s avec la Socioti Nationale de l'Acadie ne peuvent compenser la perte de 1'aide fddorale. Les jeunes qui dosirent preserver leur identito francophone tentent de s'exiler vers l'Acadie ou le Quebec. Pour ceux qui restent sur place, l'ethnicito trouve ä nouveau refuge au sein de cellules privöes et anonymes. Aux yeux de cette population, l'Etat canadien perd toute repr£sentativit£; la soci£t£ matorialiste devient la roference collective. La troisieme solution est celle de la r€ussite du redoveloppement ethno-linguistique. Les recommandations proposoes fönt l'objet d'actions procises et efficaces. La troisieme puis la quatriöme g6n6ration bonoficient d'un environnement propice au maintien et ä l'opanouissement de leur identito francophone. La reconnaissance de la ligitimiti de cette övolution s'€tend aux plans rogional et provincial dans le cadre de projets de cooperation
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Une minoritl francophone hörs Quebec : les Franco-Terreneuviens
öconomique et d'dchanges culturels. Au plan national, un consensus renouvele" sur les politiques officielles du bilinguisme et de multiculturalisme accompagne la ^solution de la crise constitutionnelle. Les programmes födiraux apportent un soutien accru aux minoritos qui depuis vingt ans cultivent leur diversite" tout en s'investissant dans une participation ä la soci^te" majoritaire. La renaissance franco-terreneuvienne garantit une stabilite* identitaire qui encourage la population ä manifester son identitö retrouvde dans des Changes avec le monde extorieur. Un 6quilibre peut s'operer entre une identite" ethnique coharente et les influences matorialistes et individualistes inh6rentes ä la socioto moderne. De toute 6vidence, l'avenir des Franco-Terreneuviens, comme celui de toute au Canada, se trouve en partie ä la politique d'int6gration prone"e par le gouvernement et ä sä de la mettre en application. Or si le Canada a attire" l'attention de chercheurs du monde 7 entier en instaurant, il y a de cela deux docennies, les programmes f6d6raux de bilinguisme et de multiculturalisme qui prennent en compte les caractoristiques polyethniques de sä population, il se retrouve aujourd'hui en proie ä une grave crise d'identit6 nationale et est menace" d'e"clatement. La resolution de cette crise dopend, entre autres, de la capacitö du gouvernement, ainsi que de celle des autres dirigeants politiques, ä ddpasser les contradictions dans lesquelles ils se laissent enfermer. En premier lieu si la politique officielle d'intogration a 6t6 re"affirm€e en 1982 et en 1988,8 son application au sein des provinces reste ale"atoire. Les francophones du Manitoba et de Saskatchewan ont meme perdu certains de leurs droits acquis inde"pendamment de ces programmes fdddraux. A Terre-Neuve, aucune modification constitutionnelle n'est venue prendre en compte la politique f£d6rale. Les cours de justice repre"sentent souvent le seul recours des minorite"s mais le pouvoir d'interprotation des lois qu'ont les juges joue souvent en leur difaveur.9 Plus grave encore est l'attitude du gouvernement qui se r6fugie derriere le programme politique du multiculturalisme mais sans en endosser l'idöologie et sans voritablement reconnaitre la r6alit6 du processus ethnique. Les technocrates comprennent mal les liens dynamiques entre les dimensions microscopique et macroscopique de la socioto. Graduellement, le gouvernement canadien, aussi bien que les dirigeants politiques de l Opposition ont adopto le parti pris du silence et de 1'attentisme face ä l'impact de la socioto de consommation qui lamine les identit6s tant nationales que particulieres. La politique du multiculturalisme ne serait-elle done plus qu'un faire valoir pour une 61ite politique qui, soumise ä des 6ch6ances olectorales ä court terme, prifererait la vision simpliste de runiformito matorialiste ä celle d'une politique d'int6gration constructive mais plus complexe?
Voir Rlpertoire International des Etudes Canadiennes, Ottawa, 6dit6 par le Conseil International d'Etudes Canadiennes, 1992. La Charte canadienne des Droits et des Libertes en 1982 et la Loi sur le Multiculturalisme en 1987 renforcent le principe du multiculturalisme. Selon Emilio Binavince, Honorary Counsel, Canadian Ethno-Cultural Council, discours prononco ä "Tripartite Conference. Ethnic Communities. Natives. Francophones", St John's, Terre-Neuve, 1992.
Conclusion
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II est difficile de ne pas omettre cette suggestion car tout dirigeant politique canadien sail que le programme du multiculturalisme nicessite une νοίοηΐέ et une 6nergie constante. Ne pas le dofendre ouvertement revient le condamner. II en est de meme pour les chercheurs et les intellectuels qui restent peu nombreux tenter de dofendre publiquement les principes philosophiques du multiculturalisme face l'influence d'un matorialisme dopersonnalisant fortement relay£e par les modias. Face aux modeles contradictoires, assimilationiste et pluraliste, propos6s simultanoment aux Canadiens, le mutisme et l'attitude de "laissez-faire" des decideurs s'averent incohorents. LOption de Γ assimilation ne peut permettre de re"soudre le problerne de la survivance de l'ethnicit . D'une part, Fadoption de mesures ropressives pour 61iminer les cultures ethniques semble peu probable dans un pays qui reprosente Tune des d mocraties les plus avancoes au monde. D'autre part, 1'echec du "Melting Pot" amoricain montre que I'ethnicito subsiste meme lorsqu'elle n'est pas reconnue. Dans ce cas, la marginalisation socio-economique qui frappe plus particulierement les minorit6s ethniques se double d'une ethnicit6 singularisante. Cette situation est propre g6nirer des identit s n6gatives et anti-sociales qui vont a l'encontre de toute dynamique collective ilargie. Le choix d'un pluralisme qui pronerait la diversito en dehors de toute dynamique unitaire pourrait igalement provoquer ratomisation de la mosai'que canadienne. Si 1'Etat n'incarne plus le panenaire indispensable au principe d'unite" dans la diversite", les groupes ethniques risquent fort de se replier sur eux-memes face Γ absence de reconnaissance εχΐέπβυτβ. La voie du pluralisme, comme celle de Γ assimilation, ne pourrait non plus s'appliquer au Canada sans d6truire l'oquilibre fragile qui unit ses deux "peuples fondateurs". II reste done un compromis trouver. La recherche d'une voie nouvelle, consensuelle et domocratique, passe par la prise en compte de la dimension paradoxale de I'ldentite* toujours situ6e entre le singulier et le pluriel, entre l'individuel, le groupal et le sociotal. Comme Γ a montr6 l'exemple des Franco-Terreneuviens, cette multiplicito de dynamiques identitaires n'est pas contradictoire lorsqu'elle se doveloppe en fonction de mota-criteres qui ropondent aux aspirations profondes de la population. II reste au Canada d finir ou reaffirmer les postulate existentiels propres donner un cadre coherent aux identifications de chacun au sein de son propre groupe et celles issues des Changes entre ces groupes. En 1990, la commission Spicer a eu pour but de difinir ces aspirations. Les Canadiens dans leur majorito ont souligne" leur attachement au principe de la mosa'ique et leur dosir d'une politique sociale et d'int^gration cohorente. On en revient en partie au multiculturalisme. Ce constat souleve la question de la repr6sentativito de 1'Etat. II laisse ogalement penser que la politique multiculturaliste doit etre renouvelie pour ripondre aux exigences d'un contexte identitaire en constante ivolution. Dans un premier temps, il convient de ddbattre ouvertement de la coexistence de deux modeles en partie contradictoires. Le multiculturalisme propose chacun de pr6server son identito culturelle de rofdrence afin de trouver la sicuritd ontologique nocessaire une
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participation ä la socidto d'accueil dans son ensemble. La soci6t6 de consommation tend ä gommer les particularismes et ä renforcer rindividualisme. De toute evidence il y a des exces ä 6viter dans les deux cas. Trop d'insistance sur une ethnicito rosolument tournde vers le passo rompt la dynamique d'unite". Ne pas dononcer les ali6nations excessives de la socioto moderne anoantit tout espoir d'identification collective constructive. Ce dilemme doit se rosoudre dans la recherche d'un oquilibre entre les influences de ces r6fe"rences, apparemment contradictoires, mais propres ä l'identitö. Materialisme et individualisme doivent prendre part ä elaboration de l'identite" mais dans un rapport coherent, et non pas dominant, aux r6f6rents groupaux et plus particulierement ethniques. La logique de cette affirmation r6side dans le fait que les ressources humaines auxquelles fait appel le multiculturalisme sont pr£cise"ment d'ordre collectif. II convient dans un second temps de redeTinir ou plutöt de computer la finalito du multiculturalisme. Les vingt premieres annies ont sans doute n6cessaires ä mettre en place et ä commencer de faire l'exporience du maintien de l'ethnicit£ dans le cadre d'une participation aux structures de la soci£t6 d'accueil. Aujourd'hui la dynamique unitaire canadienne doit chercher ä atteindre une dimension qui pourrait etre celle de l'interculturel. Cette d6marche, dit Jean-Michel Lacroix, inciterait les minoritos ethniques ä faire ovoluer la culture nationale en lui "insufflant une vitalit6 nouvelle."10 La perspective d'une contribution ä Involution culturelle d'un Canada en devenir stimulerait et canaliserait le dosir, naturel chez 1'etre humain qui a assis une identiti stable de s'ouvrir ä une sphere identitaire elargie. L'interculturel peut des lors devenir lieu de convergences ou se rencontrent les differences, ou s'instaure le dialogue, ou se dessinent les confluences d'identitds convergentes, ou se nouent les solidaritos. II peut e"galement etre lieu ou seul peuvent se depasser les contradictions d'un Canada pris entre l'Angleterre et les Etats-Unis, entre les anglophones et les francophones, entre les rdgionalistes et la foddration ; ou seul ce pays peut se donner sä propre image, seule ä pouvoir etre repräsentative pour tous les Canadiens, seule ä pouvoir generer la volonto de vivre ensemble. Ce lieu, cet espace reste ä creer. Penseurs et döcideurs doivent en tracer le cadre en rappelant que la cohirence d'une teile gageure demeure lie"e aux valeurs universelles, celles "d'une plus grande 6galit6, d'une plus grande tolerance."11 Sur un plan plus concret, il convient igalement de cr6er, dans les plans d'urbanisme, les espaces qui peuvent susciter la communication interculturelle. Pour terminer, soulignons que cette nouvelle dynamique implique la contribution active et positive d'entitos collectives. Nous espirons avoir montro que dans un cadre coherent, porteur d'une finalito, le groupe ethnique reprosente un mode d'organisation 16gitime et valide propre ä integrer plutöt qu'ä exclure.
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Jean-Michel Lacroix, (1991), op. dt., p. 165. Jean-Michel Lacroix, (1991), op. cit., p. 167.
Annexes
Annexe A : «We Three» («Nous trois»)1 - Ah oui pou les trois gars qui avaient appris parier. G.T.: Comment qu'ga s'appelle 9te histoire-l ? - Ben j'sais pas l'nom de Thistouere - mais c'est - la ί&ζοη qu'ej l'ai entendue ben - c'est in coup i y avait trois - trois jeunes gars - et euh i s'aviont d6cid6 d'aller - charcher de l'ouvrage. Mais dame asteure - i parliont franfais - pas in mot anglais - ςα ieux - joliment, de, de, joliment d'difficulti pou-z-eux. S'il ariont t6 eune place qu'il ariont de l'ouvrage pis le monde parlait anglais pis ieusses pouvaient pas parier in mot anglais ben 93 il avont ιέ bien dosappointos. Toujours c'est bien, by gosh y en avait iun toujours qui parlait anglais et francais - et i s'avont d6cid6 aller trouver ςίβ - 9te parsonne-l - pour assayer apprende tcheques mots parier anglais. Bien - eh bien il allont bien - il avont commence" discuter - bien il alliont pou charcher de l'ouvrage. Ben le - le gars qui pouvait parier anglais - i ieux dit, bien i dit «Qu faire» i dit - euh - «que iun d'vous autes apprend pas» i dit euh, «"We three" - et pis Taute eh ben - "Lookin for a job" - pis Tau, Taute ben "Lookin, euh, - "Quicker de better". S'i vous demandont "What you lookin for ?" - ben "We three' - » ben i dit «"Lookin for a job" pis "How - what time you want to go to work ?" - Well, "Quicker de better".» Ben dame il aviont ?a - ben $a a pratiquo ga dans - dans eux-memes t'sais. «We three, we three» pis euh «We're lookin for a job» ben, «Quicker de better.» Ben c'est ?a. Ben tout d'in coup il aviont 9a dans la tote, fourro dans la t6te pis - i s'poussont la. Ben 93 a pris tcheques jours avant qu'il avont arrivo la. Toujours dans leu ouoyage - il avont rencontr6 - in - eune mort - sus in c to du chemin. «Tchiens ! Garde la ! II y a in homme mort» - La i dit «9a va mal.» Vient au Fhomme, tchiens in couteau dans Γ, draillvo dans Tdos; «Bien» i dit «garde» i dit «tchequ'un» i dit «qui a tue 91 homme-l .» Ah ! I gardont i y en a iun qui garde en 1'air - 9ui-la qu'avait appris euh, «We three» - i garde - in policeman au ras lui. I dit «Oo killed that man ? » I dit «We three.» «Why did you kill im ? » - L'aute rapond - «Lookin for a job.» - «But you're gonna be ung hung.» Huh ! L'aute y dit euh, «Quicker de better» ! Hah !
Texte extrait du livre de Gerald Thomas, 1983, op. α'ί.,ρ. 361. LeconteestditparM.EmileBenoit.
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Une ηύηοήιέ francophone hors Quibec : les Franco-Terreneuviens
Annexe Β : Histoire de la presence fran$aise Terre-Neuve Liste des dates officielles 1497
- Jean Cabot plante le drapeau britannique
Terre-Neuve.
XVIe siecle: - Des pecheurs basques chassent la baleine sur la cote sud du Labrador et dans le d troit de Belle He. - Des navires bretons et normands vont en peche au Petit Nord. 1534 - Jacques Carder croise un navire rochelais sur la c te ouest de Terre-Neuve. - DeVeloppement de la peche sodentaire. 1583 - Sir Humphrey Gilbert roaffirme la souveraineto de l'Angleterre sur Terre-Neuve. XVIIe siecle: 1603 - De"but de la colonisation de l'Acadie. 1608 - Fondation de Qu£bec. 1626 - Fondation de Plaisance. 1662 - Fortification de Plaisance. 1687 - Recensement des Franc, ais de la Nouvelle France : 660 personnes sur la cote sud, 1000 en Acadie. 1688 - Guerre de la Ligue d'Augsbourg entre la France et l'Angleterre. 1690 - Destruction de Plaisance. 1696-7 - D'Iberville de"truit toutes les positions anglaises Terre-Neuve, sauf Carbonear. 1697 - Traito de Ryswick. La France garde Plaisance et l'Acadie, l'Angleterre garde ses otablissements Terre-Neuve. XVIUc siecle: 1701 - Guerre de la succession d'Espagne. 1706 - Les Fran9ais prennent Saint Jean. 1710 - Les Anglais prennent l'Acadie. 1713 - Traiti d' Utrecht. La France perd Terre-Neuve, Saint-Pierre et Miquelon et l'Acadie. Elle garde l'Ile Royale et un droit de peche Terre-Neuve. Fondation de Louisbourg. 2500 Acadiens vivent dans la rogion. 1744 - La guerre de la succession d'Autriche oppose la France et l'Angleterre. 1748 - Traita d'Aix-La-Chapelle. L'lle Royale reste fransaise. 1755 - Le Grand Derangement. Pres de 15 000 Acadiens sont doportes par rarmoe anglaise. 1756 - Guerre de Sept Ans.
Annexes
1760 1763
1777 1778 1783 1792 1793
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- Perte de Quobec. - Traita de Paris. La France perd toute possession en Ame"rique du Nord, sauf la Louisiane. Elle proserve ses droits de peche ä Terre-Neuve et ricupere Saint-Pierre et Miquelon. - Saint-Pierre et Miquelon est repris par les Anglais. - La guerre d'indopendance aux Etats-Unis oppose la France et I'Angleterre. - Traita de Versailles. La cote fransaise est döplacöe ä l'ouest de Terre-Neuve. SaintPierre et Miquelon est resume" ä la France. - Nouvelle guerre entre la France et rAngleterre. - Saint-Pierre et Miquelon est repris par les Anglais.
XIXe siecle: 1802 - Traitu a'Amiens. Saint-Pierre et Miquelon est restitue" ä la France. 1803 - Nouvelle guerre. Saint-Pierre et Miquelon est repris par les Anglais. 1816 - Traite de Paris. Saint-Pierre et Miquelon est restitue" definitivement ä la France. XXe siecle : 1904 - La France abandonne ses droits de peche ä Terre-Neuve. 1914 - Premiere guerre mondiale. 1934 - Le Gouvernement terre-neuvien est remplac6 par une commission de gouvemement. 1939 - Seconde guerre mondiale. 1949 - Terre-Neuve devient la dixieme province canadienne. 1969 - Entr6e en vigueur de la politique f6d6rale de bilinguisme et de biculturalisme. 1971 - Entroe en vigueur de la politique födorale de multiculturalisme.
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Une minoritafrancophone hors Qulbec : les Franco-Terreneuviens
Annexe C : La Presence Francaise ä Terre-Neuve du XVIe siecle ä aujourd'hui Annexe Cl : Carte na 7 : Carte des noms de lieux francos ä Terre-Neuve.2
TERRE - N E U V E
Villages. Bales. Havrcs, lies. 10
Source : Andfl Magord. juillcl 1992.
2
Voir liste des noms pages suivantes
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Annexes
Annexe C2 : Liste non-exhaustive des noms de lieux frangais ä Terre-Neuve [Seuls les noms soulignös figurent sur les cartes actuelles. En italiques: existe aujourd'hui sous une forme anglicisee ou modifiee.] 1 Saint-Jean 2 Petit Havre 3 BaieBoulle 4 Baieine 5 La Manche 6 Brigue 7 Forillon 8 Fermeuse 9 Rognouse 10 CapdeRaz 11 Tropassas 12 Baie des Tripasses 13 Cop Mouton 14 CapFrlhel 15 Cap de Chincete 16 Cap aux Anglais 17 Gascoign6 18 Pointe la Have 19 Baie des Monies 20 Haricot 21 Colinet 22 Petite lie Colinet 23 Pointe Barachois 24 Grande lie Colinet 25 Les Branches 26 Pointe Perche 27 Pointe Prime 28 Grand Barachois 29 Petit Barachois 30 Pointe Vme 31 Plaisance 32 Marques 33 Pointe Latine 34 Plage Bellevue
35 La Manche 36 7te